LA THESE DE RENE GUENON SUR LES ORIGINES DU CHRISTIANISME

J.M. dAnsembourg

Nous avons os avancer que les religions Mystres et les initiations paennes prsentaient de grandes similitudes avec le Christianisme des premiers sicles : nous y reviendrons. Nous devons bien constater que les origines du Christianisme restent trs mystrieuses et quaujourdhui encore nous en sommes rduits baucher des hypothses pour tenter de meubler les grands pans dombre qui subsistent dans son histoire primitive. Nous ne rsoudrons certainement pas ces problmes ici ; notre ambition se limite faire mieux connatre une thse qui expliquerait bien des malentendus et quon ne peut rejeter facilement si on sefforce rellement de rflchir la question en abandonnant tout prjug (tant clrical quanticlrical). Cette thse a t exprime par Ren Gunon dans ses Aperus sur lEsotrisme Chrtien, Edition Traditionnelles, Paris, 1971 : Loin de ntre que la religion ou la tradition exotrique que lon connat actuellement sous ce nom, le Christianisme, ses origines, avait, tant par ses rites que par sa doctrine, un caractre essentiellement sotrique, et par consquent initiatique. On peut en trouver une confirmation dans le fait que la tradition islamique considre le Christianisme primitif comme ayant t proprement une tarqah, cest--dire en somme une voie initiatique, et non une shariyah ou une lgislation dordre social et sadressant tous ; et cela est tellement vrai que, par la suite, on dut y suppler par la constitution dun droit canonique qui ne fut en ralit quune adaptation de lancien droit romain, donc quelque chose qui vient entirement du dehors, et non point un dveloppement de ce qui tait contenu tout dabord dans le Christianisme lui-mme. Il est du reste vident quon ne trouve dans lEvangile aucune prescription qui puisse tre regarde comme ayant un caractre vritablement lgal au sens propre de ce mot ; la parole bien connue : Rendez Csar ce qui est Csar , nous parat tout particulirement significative cet gard, car elle implique formellement, pour tout ce qui est dordre extrieur, lacceptation dune lgislation compltement trangre la tradition chrtienne, et qui est simplement celle qui existait en fait dans le milieu o celle-ci prit naissance, par l mme quil tait alors incorpor lEmpire romain. Ce serait l, assurment, une lacune des plus graves si le Christianisme avait t alors ce quil est devenu plus tard ; lexistence mme dune telle lacune serait non seulement inexplicable, mais vraiment inconcevable pour une tradition orthodoxe et rgulire, si cette

tradition devait rellement comporter un exotrisme aussi bien quun sotrisme, et si elle devait mme, pourrait-on dire, sappliquer avant tout au domaine exotrique ; par contre, si le Christianisme avait le caractre que nous venons de dire, la chose sexplique sans peine, car il ne sagit nullement dune lacune, mais dune abstention intentionnelle dintervenir dans un domaine qui, par dfinition mme, ne pouvait pas le concerner dans ces conditions . Pour que cela ait t possible, il faut que lEglise chrtienne, dans les premiers temps, ait constitu une organisation ferme ou rserve, dans laquelle tous ntaient pas admis indistinctement, mais seulement ceux qui possdaient les qualifications ncessaires pour recevoir valablement linitiation sous la forme quon peut appeler christique ; et lon pourrait sans doute retrouver encore bien des indices qui montrent quil en fut effectivement ainsi, quoiquils soient gnralement incompris notre poque, et que mme, par suite de la tendance moderne nier lsotrisme, on cherche trop souvent dune faon plus ou moins consciente, les dtourner de leur vritable signification .1 (p. 9 et 10) Il faut reconnatre que largument de Gunon a du poids ! Mose, en fondant le Judasme, lui a donn des livres lgislatifs qui ont rgl toute la socit juive (lExode, le Lvitique, les Nombres, le Deutronome, etc.). De mme, en transmettant la loi coranique, Mohamet a organis le monde de lIslam tant dans le domaine profane que religieux. Le Nouveau Testament na pas ce caractre lgislatif ; Gunon en dduit quil ntait pas destin fconder une religion nouvelle avec une socit nouvelle ouverte tous. Mais, si les rites chrtiens taient au dpart proprement initiatiques et rservs, comment se sont-ils transforms en une religion sadressant au public le plus large ? Il a d sagir l dune adaptation qui malgr les consquences regrettables quelle eut forcment certains gards, fut pleinement justifie et mme ncessite par les circonstances de temps et de lieu . Si lon considre quel tait, lpoque dont il sagit, ltat du monde occidental, cest dire de lensemble des pays qui taient alors compris dans lempire romain, on peut facilement se rendre compte que, si le Christianisme ntait pas descendu dans le domaine exotrique, ce monde, dans son ensemble, aurait t bientt dpourvu de toute tradition, celles qui y existaient jusque-l, et notamment la tradition
1Nous avons eu souvent loccasion de constater notamment cette faon de procder dans linterprtation actuelle des Pres de lEglise, et plus particulirement des Pres grecs ; on sefforce, autant quon le peut, de soutenir que cest tort quon voudrait voir chez eux des allusions sotriques, et, quand la chose devient tout fait impossible, on nhsite pas leur en faire grief et dclarer quil y eut l de leur part une regrettable faiblesse ! (note de Gunon)

grco-romaine qui y tait naturellement devenue prdominante, tant arrives une extrme dgnrescence qui indiquait que leur cycle dexistence tait sur le point de se terminer 2. Cette descente , insistons-y encore, ntait donc nullement un accident ou une dviation, et on doit au contraire la regarder comme ayant eu un caractre vritablement providentiel , puisquelle vita lOccident de tomber ds cette poque dans cet tat qui et t en somme comparable celui o il se trouve actuellement. Le moment o devait se produire une perte gnrale de la tradition comme celle qui caractrise proprement les temps modernes ntait dailleurs pas encore venu ; il fallait donc quil y et un redressement , et le Christianisme seul pouvait loprer, mais la condition de renoncer au caractre sotrique et rserv quil avait tout dabord ; et ainsi le redressement ntait pas seulement bnfique pour lhumanit occidental, ce qui est trop vident pour quil y ait lieu dy insister, mais il tait en mme temps, comme lest dailleurs ncessairement toute action providentielle intervenant dans le cours de lhistoire, en parfait accord avec les lois cycliques elles-mmes . Il serait probablement impossible dassigner une date prcise ce changement qui fit du Christianisme une religion au sens propre du mot et une forme traditionnelle sadressant tous indistinctement ; mais ce qui est certain en tout cas, cest quil tait dj un fait accompli lpoque de Constantin et du Concile de Nice, de sorte que celui-ci neut qu le sanctionner , si lon peut dire, en inaugurant lre des formulations dogmatiques destines constituer une prsentation purement exotrique de la doctrine. Cela ne pouvait dailleurs pas aller sans quelques inconvnients invitables, car le fait denfermer ainsi la doctrine dans des formules nettement dfinies et limites rendait beaucoup plus difficiles, mme ceux qui en taient rellement capables, den pntrer le sens profond ; de plus, les vrits dordre plus proprement sotriques, qui taient par leur nature mme hors de la porte du plus grand nombre, ne pouvaient plus tre prsentes que comme des mystres au sens que ce mot a pris vulgairement, cest dire que, aux yeux du commun, elles ne devaient pas tarder apparatre comme quelque chose quil tait impossible de comprendre, voire mme interdit de chercher approfondir. Ces inconvnients ntaient cependant pas tels quils pussent sopposer la constitution du Christianisme en forme traditionnelle exotrique ou en empcher la lgitimit, tant donn limmense avantage qui devait par ailleurs, ainsi
2 Il est bien entendu que, en parlant du monde occidental dans son ensemble, nous faisons exception pour une lite qui non seulement comprenait encore sa propre tradition au point de vue extrieur, mais qui, en outre, continuait de recevoir linitiation aux mystres ; la tradition aurait pu ainsi se maintenir encore plus ou moins longtemps dans un milieu de plus en plus restreint, mais cela est en dehors de la question que nous envisageons prsentement, puisque cest de la gnralit des Occidentaux quil sagit et que cest pour celle-ci que le Christianisme dut venir remplacer les anciennes formes traditionnelles au moment o elles se rduisaient pour elle ntre plus que des superstitions au sens tymologique de ce mot (note de Gunon).

que nous lavons dj dit, en rsulter pour le monde occidental ; du reste, si le Christianisme comme tel cessait par l dtre initiatique, il restait encore la possibilit quil subsistt, son intrieur, une initiation spcifiquement chrtienne pour llite qui ne pouvait sen tenir au seul point de vue de lexotrisme et senfermer dans les limitations qui sont inhrentes celui-ci ; mais cest l encore une autre question que nous aurons examiner un peu plus tard . Dautre part, il est remarquer que ce changement dans le caractre essentiel et, pourrait-on dire, dans la nature mme du Christianisme, explique parfaitement que, comme nous le disions au dbut, tout ce qui lavait prcd ait t volontairement envelopp dobscurit, et que mme il nait pas pu en tre autrement. Il est vident en effet que la nature du Christianisme originel, en tant quelle tait essentiellement sotrique et initiatique, devait demeurer entirement ignore de ceux qui taient maintenant admis dans le Christianisme devenu exotrique ; par consquent, tout ce qui pouvait faire connatre ou seulement souponner ce quavait t rellement le Christianisme ses dbuts devait tre recouvert pour eux dun voile impntrable . (ibidem p.13 16) On peut penser que le nombre extraordinaire dhrsies dnonces trs tt dans lhistoire du Christianisme est li en grande partie cette ncessit dans laquelle lEglise sest soudain trouve de dfinir dogmatiquement la Vrit dans un langage sadressant tous. De plus, dans une optique exotrique, les autorits religieuses ont voulu juger et condamner des enseignements qui nauraient normalement pas d tre divulgus et il en est rsult un embrouillamini inextricable : cest le sens dune note importante de Gunon : Nous avons fait remarquer ailleurs que la confusion entre ces deux domaines (exotrique et sotrique) est une des causes qui donnent le plus frquemment naissance des sectes htrodoxes, et il nest pas douteux quen fait, parmi les anciennes hrsies chrtiennes, il en est un certain nombre qui neurent pas dautre origine que celle-l ; on sexplique dautant mieux par l les prcautions qui furent prises pour viter cette confusion dans la mesure du possible, et dont on ne saurait aucunement contester lefficacit cet gard, mme si, un tout autre point de vue, on est tent de regretter quelles aient eu pour effet secondaire dapporter une tude approfondie et complte du Christianisme des difficults presque insurmontables . (p. 17) Le lecteur voudra bien excuser la longueur de ces citations, mais il nous semble quil serait dommage que les chrtiens cultivs ignorent une thse qui a t repousse avec plus dardeur partisane que dobjectivit.

Gunon a-t-il raison ? Nous avouons tre sduit par son ide audacieuse car elle expliquerait pourquoi il y a telle pnurie de certitudes sur les premiers sicles chrtiens ; mais nous ne sommes certes pas qualifi pour trancher. Outre largument lgislatif indiqu plus haut, Gunon fait valoir la similitude entre les rites dinitiation et le rituel des sacrements. Nous ajouterons pour notre part trois constatations : 1) 2) 3) Le cursus honorum des catchumnes est calqu sur celui des initiations ; Le Christianisme primitif a une parent troite avec le culte de Mithra qui, lui, est bien une religion Mystres ; On trouve dans les lettres de St Paul une terminologie quivalente celle des initiation antiques.

LE CATECHUMENAT Au III sicle le Concile dElvire codifia le parcours accomplir par les aspirants au baptme ; les sources fiables sont fort rares sur ce qui se passait pendant les deux premiers sicles. Le candidat est dabord test par un svre examen dadmission ; on vrifie notamment sa profession car ceux qui exercent un mtier li lidoltrie (peintres, sculpteurs de dieux), les guerriers, les employs aux jeux du cirque, les devins, les magistrats, etc. sont exclus. Si la conversion est juge srieuse, laspirant reoit les titres de Chrtiens et de Catchumne (cest-dire enseign, disciple) aprs une rception avec rituel (imposition de main, souffle de lEsprit Saint,). Il y a trois grades. Le premier est celui de lEcoutant ou auditeur (akouomenos, audiens) qui doit rester muet et assimiler la catchse pendant un minimum de deux ans. La similitude avec le premier degr de lOrdre pythagoricien, celui des coutants (akousmatikoi) est frappante.3 Lcoutant qualifi accde au grade de Prostern (hypopiptn, genu flectens, ou encore, orans). Avant dannoncer les prires lOffice, le diacre clamait : Plus dcoutant, plus dinfidles . Aprs leur sortie il ordonnait aux catchumnes des deux classes suprieures et aux baptiss de prier pour eux, comme un peu plus tard il demandera tous les catchumnes de sen aller afin que seuls les baptiss (ou fidles) assistent au Mystres de la Messe.

Cfr. Porphyre, Vie de Pythagore, 37. Les Belles Lettres, 1982, p.53.

Les Prosterns deviendront Comptents (competentes : ceux qui cherchent ensemble) ; ont les appelle aussi illuminandi (qui doivent tre illumins par le Baptme). On leur confiait le mystre de la Sainte Trinit, la doctrine relative lEglise et la rmission des pchs et ils subissaient un examen sur cette matire. Ce nest que peu avant leur baptme quon leur communiquait le Symbole des Aptres (Credo) et le Pater. Pendant le Carme ils pouvaient sinscrire avec un nom nouveau et cette inscription leur confrait le titre dlu (electi), afin dtre enfin baptiss Pques. Le Baptme tait prcd de jenes rigoureux, dabstinence et de continence ; le baptis recevait lappellation de fidle (pistos, fidelis), diniti (memumenos), dillumin (illuminatus), ou encore denfant (puer ou infans). Nous ninsisterons pas sur le rituel mme du Baptme. Dans les premiers temps on ne recevait le baptme qu lge mr. Le titre de puer tait reu par un baptis adulte qui, renaissant avec un nom nouveau, devait crotre et atteindre la plnitude de la maturit selon la voie enseigne par le Christ.4 Tout ceci montre que la nouvelle religion, mme si elle se rpandait rapidement dans lempire romain, tait fort exigeante sur la qualit de ses membres et ne les admettait que progressivement aux saint Mystres par ce qui ressemble bien des initiations successives 5.

LES MYSTERES DE MITHRA Cest au cours du Ier sicle avant J.C. que ce dieu iranien commence sa carrire dans le monde romain. Lumire jaillie du ciel, il nat dun rocher, dune pierre rgnratrice. Seuls des bergers assistent au miracle et viennent adorer lenfant divin en lui offrant les prmices de leur troupeau. On peut penser que la figure des Rois Mages que lon trouve dans le Christianisme est une reconnaissance sinon de filiation, au moins de cousinage vis--vis de la religion iranienne des Mages.

4 Martigny, Dictionnaire des Antiquits Chrtiennes Hachette, 1889. Art Catchumnat, Baptme, Nophyte. F. Leforge, LInitiation chrtienne dans les premiers sicles. Cahiers de Pdagogie chrtiennes. Librairie Protestante, Paris. 5 Voir lextraordinaire texte des Stromates de Clment dAlexandrie (V, 11), cit par Magnien (opcit. Pp. 227-231) o lapproche du vrai Dieu est compare linitiation lEpoptie. Cfr. II Pierre 1,16 : nous sommes devenus EPOPTES (epoptai) de la grandeur de J.C. . A Eleusis, lEpoptie tait le degr dinitiation qui venait aprs celui des Grands Mystres ; le mot signifie contemplation (voir Magnien op. cit. pp. 225-237).

Le culte se clbrait dans un sanctuaire en forme de grotte (spelaeum) ; on commmorait la naissance de Mithra le 25 dcembre et les initiations se faisaient au printemps lpoque pascale o les Chrtiens admettaient pareillement les catchumnes au baptme .6 Rapidement les deux religions se concurrencrent ; leur diffusion se fit la mme vive allure dans tout lempire romain au cours des trois premiers sicles. La lutte entre les deux religions rivales fut dautant plus opinitre que leurs caractres taient plus semblables. Leurs adeptes formaient pareillement des conventicules secrets, troitement unis, dont les membres se donnaient le nom de Frres . Les rites quils pratiquaient offraient de nombreuses analogies : les sectateurs du dieu perse, comme les chrtiens, se purifiaient par un baptme, recevaient dune sorte de confirmation la force de combattre les esprits du mal, et attendaient dune communion le salut de lme et du corps. Comme eux aussi, ils sactifiaient le dimanche, et ftaient la naissance du Soleil le 25 dcembre, le jour o la Nol tait clbre, au moins depuis le IV sicle. Ils prchaient de mme une morale imprative, tenaient lasctisme pour mritoire, et mettaient au nombre des vertus principales labstinence et la continence, le renoncement et lempire sur soi-mme. Leurs conception du monde et de la destine de lhomme taient similaires : ils admettaient les uns et les autres lexistence dun ciel des bienheureux situ dans les rgions suprieures et dun enfer peupl de dmons, contenu dans les profondeurs de la terre ; ils plaaient aux origines de lhistoire un dluge ; ils donnaient comme source leurs traditions une rvlation primitive ; ils croyaient enfin limmortalit de lme, au jugement dernier et la rsurrection des morts dans la conflagration finale de lunivers . Nous avons vu que la thologie des mystres faisaient du Mithra mdiateur lquivalent du Logos alexandrin. Comme lui, le Christ tait le Messies, lintermdiaire entre son Pre cleste et les hommes, et, comme lui encore, il faisait partie dune trinit. Ces rapprochements ntaient certainement pas les seuls que lexgse paenne tablit entre eux, et la figure du dieu tauroctone, se rsignant contre cur, immoler sa victime pour crer et racheter le genre humain, avait certainement t compare celle du rdempteur se sacrifiant pour le salut du monde () Les similitudes entre les deux glises ennemies taient telles quelles frapprent tous les esprits dans lantiquit mme. Ds le II sicle, les philosophes grecs tablissaient entre les mystres persiques et le christianisme un parallle qui devait videmment tre tout lavantage
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F. Cumont, Les Mystres de Mithra. Lamertin, Bruxelles, 1902, p. 141.

des premiers. De leur ct, les Apologistes insistent sur les analogies des deux religions, et les expliquent par une contrefaon satanique des rites les plus sacrs de leur culte. Si les uvres polmiques des mithriaste taient conserves, nous y verrions sans doute la mme accusation rtorque contre leurs adversaires . Nous ne pouvons nous flatter aujourdhui de trancher une question qui divisait les contemporains, et qui restera sans doute toujours insoluble. Nous connaissons trop mal les dogmes et la liturgie du mazdisme romain, aussi bien que le dveloppement du christianisme primitif pour dterminer quelles influences rciproques ont agi sur leur volution simultane .7 Nous ne pouvons dans le cadre de cet article entrer dans les dtails de sept degrs dinitiation et du secret qui entourait la doctrine progressivement rvle. Louvrage de Cumont est remarquable et nous y renvoyons le lecteur de mme qu celui de M. Vermaseren, Mithra, ce dieu mystrieux. d. Sequoia, 1960. Nous retiendrons que ce culte tait bien une religion Mystres avec divers degrs dinitiation qui se pratiquaient dans le secret, et que les paens cultivs mettaient le Christianisme naissant sur le mme pied.

SAINT PAUL ET LES MYSTERES Avant den venir la terminologie de Saint Paul, il est utile de rappeler trs brivement ce qutaient les initiations antiques 8. L aussi les sources ne sont pas innombrables et il subsiste bien des questions non rsolues ; il faut avouer que les Anciens ont t plus discrets sur leurs crmonies secrtes que les initis des trois cents dernires annes. Nous rappellerons deux textes classiques. Le premier provient du merveilleux Ane dor (ou Mtamorphoses) dApule 9 , o Lucius aspire tre initi aux Mystres dIsis : De jour en jour grandissait en moi le dsir de recevoir la conscration. Jtais souvent all trouver le grand prtre pour le supplier instamment de minitier enfin aux mystres de la nuit sainte . Mais on incite Lucius la patience : Je devais me garder avec soin de la prcipitation comme de la dsobissance, et viter la double faute de montrer ou de la lenteur une fois appel, ou de la hte sans avoir reu dordre. Du reste, aucun des
F. Cumont. Op. cit. p.161 163. On trouvera damples renseignements dans les admirables Mystres dEleusis de Victor Magnien, Payot, Paris, 1950. 9 Les Belles Lettres, 1956. Trad. P. Vallette.
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membres de son clerg ntait dune assez folle imprudence ni, pour mieux dire, assez dtermin mourir, pour affronter tmrairement, sans en avoir reu lui aussi lordre exprs de la souveraine, les risques dun ministre sacrilge et pour se charger dun pch qui le vouerait au trpas. Cest quen effet les clefs de lenfer et la garantie du salut sont aux mains de la desse. Lacte mme de linitiation figure une mort volontaire et un salut obtenu par grce. Les mortels qui, parvenus au terme de lexistence, foulent le seuil o finit la lumire, et la condition que lon puisse leur confier sans crainte les augustes secrets de la religion, la puissance de la desse les attire elle, les fait renatre en quelque sorte par leffet de sa providence, et leur ouvre, en leur rendant la vie, une carrire nouvelle. Je devais donc, moi aussi, me conformer sa volont, encore que depuis longtemps la faveur vidente de la grande divinit met clairement dsign et marqu pour son bienheureux service. De mme, dailleurs, que ses autres fidles, je devais ds maintenant mabstenir daliments profanes et interdits, afin davoir plus srement accs aux mystres de la plus pure des religions (XI, 21). Lucius jugule donc son ardeur jusqu ce que la Desse manifeste sa misricorde : Car pendant une nuit obscure, ses ordres sans rien dobscur mavertirent dune manire certaine quil tait arriv, le jour jamais souhaitable o elle allait exaucer mon vu le plus ardent . Lucius doit alors prendre un bain rituel, recevoir des aspersions deau lustrale et recueillir des instructions qui dpassent la parole humaine . Aprs un jene et une abstinence de dix jours, enfin arriva le jour fix pour le divin rendez-vous. Dj le soleil sur son dclin ramenait le soir, quand afflue de tous cts une foule de gens qui, selon lantique usage des mystres, mhonorent de prsents divers. Puis on loigne tous les profanes, on me revt dune robe de lin qui na jamais t porte, et le prtre, me prenant par la main, me conduit dans la partie la plus recule du sanctuaire . Peut-tre, lecteur dsireux de tinstruire, te demandes-tu avec quelque anxit ce qui fut dit, ce qui fut fait ensuite. Je le dirais sil tait permis de le dire ; tu lapprendrais sil tait permis de lentendre. Mais tes oreilles et ma langue porteraient galement la peine ou dune indiscrtion impie ou dune curiosit sacrilge. Toutefois, je ninfligerai pas la pieuse envie qui peut-tre te tient en suspens le tourment dune longue angoisse. Ecoute donc et crois : tout ce que je vais dire est vrai. Jai approch des limites de la mort ; jai foul le seuil de Proserpine, et jen suis revenu port travers tous les lments ; en pleine nuit, jai vu le soleil briller dune lumire tincelante ; jai approch les dieux den bas et les dieux den haut, je les ai vus face face et les ai adors de prs. Voil mon rcit, et ce que tu as entendu, tu es condamn pourtant lignorer. Je

me bornerai donc rapporter ce quil est permis sans sacrilge de rvler lintelligence des profanes . (ibidem 23) Lautre tmoignage est celui de Thmistios qui vivait au milieu du IV sicle aprs J.C. Il fait un parallle entre linitiation et lapproche de la mort : A ce moment lme prouve les mmes impressions que connaissent ceux qui sont initis aux grands mystres. Mmes paroles, mmes choses : on dit en effet teleuton (mourir) et teleisthai (tre initi). Tout dabord la marche laventure, les pnibles ddales, les courses effrayantes et interminables dans lobscurit. Puis, avant la conclusion, toutes les terreurs : le frisson, le tremblement, les sueurs froides, langoisse. Cest alors que lon est frapp dune clart particulire ; des sites purs, des prairies se dcouvrent, des voix slvent, on peroit avec le rythme des danses des apparitions et des accords divins. Cest dans ce cadre que se meut celui qui a termin son initiation ; libre et affranchi, une couronne sur la tte il clbre les mystres ; il vit dans la compagnie dhommes purs et saints ; il contemple ceux qui nont pas t initis ici : une foule impure, rabaisse et ballotte a et l dans la vase, au milieu des brumes ; il les voit sjourner dans la crainte de la mort parmi les mchants, sans espoir dun bonheur venir dans lau-del .10 Passant par la mort, connaissant des preuves mystrieuses et terrifiantes, le postulant accde la lumire, la joie et la libert. Il reoit une couronne glorieuse qui le rend frre des purs et des saints. Voici ce que dit Saint Paul : Nous voyons Jsus au travers de lpreuve de la mort couronn de gloire et dhonneur de faon que pour la grce de Dieu il gota la mort au profit de tous. Il convenait en effet que, devant conduire la gloire un grand nombre de fils, celui par qui sont toutes choses et travers qui sont toutes choses, rendt parfait (Teleisai) par des preuves linitiateur (archgos) de leur salut (Hbreu II, 9 et 10). En dautres termes (plus oss) le Pre a conduit le Fils la plnitude de linitiation et celui-ci fera de mme avec de nombreux fils. On retrouve dans ces deux antique : les preuves, la mort, linitiation. Il sagit l, soit dit en orientales, ou encore paennes absolument pas juives. versets tout ce qui composait linitiation le couronnement ou la perfection de passant, de notions grecques ou grco(pour employer un mot ambigu), mais

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Cit par O. Briem, Les Socits Secrtes de Mystres, Payot, 1951, p. 264.

Le terme teleisai (rendre parfait) est symptomatique, comme le prcise lexgte catholique N. Huged : le mot teleios (parfait) relve dans la langue grecque dun usage trs spcial et na pas grand chose voir avec lindication dune qualit morale. Cest un terme de la langue technique philosophico-religieuse, pour nommer celui qui na plus rien apprendre, qui est parvenu la pleine maturit en mme temps qu la complte initiation, par opposition au profane, lenfant, lhomme de la rue, qui lui peut bien avoir toutes les vertus, mais nest pas au courant des secrets rservs un trs petit nombre de privilgis. Le Corpus paulinien est un tmoin constant de cet emploi .11 On retrouve ce terme de Teleios, (parfait), avec un sens indubitablement initiatique dans lextraordinaire trait du Cratre dHerms Trismgiste : Tous ceux donc qui ont fait attention la proclamation et qui ont t baptiss de ce baptme du Nos, ceux-l ont eu part la connaissance (gnsis) et ils sont devenus hommes parfaits (teleioi) parce quils ont reu le Nos .12 Nous avons peine croire que le fond de la pense de Paul est loign de celle dHerms quand il dit : Transformez-vous par le renouvellement du Nos pour exprimenter vous-mmes ce quest la Volont de Dieu : le Bien, le Plaisir, la Perfection (to teleion) . (Romain XII, 2) En plusieurs endroits Paul parle des petits enfants (npioi) qui doivent devenir des adultes mrs, des parfaits (teleioi) ; de mme, dans les initiations antiques ou dans les religions Mystres, celui qui venait dtre reu tait comparable un enfant liniti nest-il pas celui qui a reu le commencement (initium) ? qui par grades croissants devait progresser vers la perfection ou la matrise. Alors que le temps aurait d faire de vous des matres (didaskaloi) vous avez de nouveau besoin quon vous enseigne les lments primordiaux des oracles de Dieu et vous en tes venus avoir besoin de lait, non de nourriture solide. Quiconque en est au lait na pas lexprience de la parole juste : cest un enfant (npios). La nourriture solide, elle, est pour les parfaits (teleioi), pour ceux dont les sens ont t exercs 13 par lexprience en vue de discerner le bien et le mal. Cest pourquoi, laissant de ct lenseignement primaire sur le Christ, portons-nous sur lenseignement parfait (teleiots) . (Hbreu V, 12 VI, 1)
Le Sacerdoce du Fils, Fischbacher, Paris, 1983, p. 66. Les Belles Lettres, Trait IV, 4. Trad. Festugire. Paris, 1960. 13 Gegumnasmena : il sagit de lexercice de gymnase qui se pratique nu : on pourrait aussi traduire (avec audace) : dont les sens ont t dnuds
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 Frres ne soyez pas des enfants (paidia) dans vos penses mais dans vos penses soyez des parfaits (teleioi) (I Corinthiens XIV, 20) De plus, Paul spcifie bien quil parle de mystres qui doivent tre tenus secrets et que cet enseignement nest destin qu llite trs slectionne des parfaits : Cest de Sagesse que nous parlons entre les parfaits (teleioi), non dune sagesse de ce monde Mais nous parlons dune sagesse de Dieu dans le mystre, la sagesse cache, celle que ds avant les sicles Dieu a prdestine notre gloire . (I Corinthiens II, 6-7) Cette sagesse rserve est galement appele GNOSE (gnsis) : O profondeur de la Richesse, de la Sagesse et de la Gnose de Dieu ! (Romain XI, 33) Cest dans cette Gnose quil faut dabord natre comme enfant puis crotre afin datteindre la perfection, comme le prcise la Pierre sur laquelle est btie lEglise (laquelle se qualifie elle-mme dEpopte, comme nous lavons not, en II Pierre I, 16) : Croissez dans la grce et dans la Gnose de notre Seigneur et sauveur Jsus-Christ . (II Pierre III, 18) Cette Gnose se transmet parmi ceux qui sont choisis. En grec, Transmission ou Tradition se dit Paradosis, du verbe Paradidonai (transmettre). Pour moi, dit Paul, jai reu du Seigneur ce que je vous ai aussi transmis (paradidonai) (Corinthiens II, 23) Et il flicite les Corinthiens de garder fidlement ce dpt sacr : Je vous loue de ce quen tout vous vous souveniez de moi et mainteniez les traditions (paradoseis) comme je vous les ai transmises (paradidonai) ( ibid. II, 2) * Les termes du Nouveau Testament que nous venons de citer (teleios, nos, gnosis, paradosis, mystrion, epopts) taient utiliss de manire technique dans des socits fermes des trois premiers sicles. Cet emploi, parfois tonnant, ne suffit bien videmment pas constituer une preuve dfinitive de la vracit de la thse de Gunon car ce vocabulaire tait galement employ dans des cercles plus larges, par des gens cultivs, et dune manire gnrale dans la littrature philosophique et religieuse de

lpoque. Noublions pas qu Tarse, patrie de Paul, il se trouvait une universit domine par des professeurs stociens ; nous ignorons sil la frquenta, mais il dut tre influenc par son rayonnement car on trouve des emprunts au stocisme dans sa mthode et dans sa pense. Cela facilita les grands emprunts qui se firent par la suite cette philosophie. La parent du premier Christianisme avec le culte de Mithra est troublante mais non probante car il subsiste beaucoup trop dinconnues dans leurs histoires respectives. La slection des catchumnes et la discipline du secret qui entourait lenseignement reu chaque grade paraissent des arguments plus solides, mais ne sont pas non plus dterminants car, si ces institutions taient bien tablies au IIIme sicle, on ignore quand elles ont dbut. Par ailleurs, la qualit leve exige des fidles travers le catchumnat explique la vitalit de la jeune religion et mriterait dtre mdite par nombre de ceux qui se croient fidles aujourdhui. (fidles quoi au juste ?) Largument le plus fort reste celui de Gunon : sils avaient la volont ferme de fonder une religion distincte du Judasme et ouverte tous, pourquoi les crivains du Nouveau Testament nont-ils pas lgifr ? La question restera probablement toujours ouverte, mais il importe de noter quelle ne prsente pas seulement un intrt historique (et par consquent assez limit). En effet, si les Ecrits no-testamentaires, loin de sadresser tous, ont t destins une socit choisie et prpare (cest aux Parfaits que parle St Paul), seuls des fidles rellement qualifis peuvent les entendre en vrit. Y a-t-il eu l des malentendus ? Et que vaut lexgse des Pres et celle bien diffrente daujourdhui ? Nous prfrons ne pas rpondre crment ces questions dlicates et plutt former des vux pour que les fidles qualifis (comme levain dans la pte) sunissent librement et fraternellement pour sauver lhumanit aveugle, sourde et suicidaire : puissent-ils tudier avec amour la vritable Paradosis et supplier lEsprit-Saint de se choisir des serviteurs ici-bas et dy infuser le pur Nos de la Gnose, objet de toute initiation authentique et de toute religion rvle : MORT au monde, RENAISSANCE dans la puret et PERFECTION dans la vie corporifie en Dieu !

Je crois en Jsus-Christ qui est mort et a t enseveli, est descendu aux enfers ; le troisime jour est ressuscit dentre les morts ; est mont aux cieux, est assis la droite de Dieu le Pre tout puissant, do il viendra juger les vivants et les morts (Symbole des Aptres).

 Les incroyants peuvent se convertir et sapprocher du mystre de vie pour tre sauvs, mais comment les croyants qui se sont enferms dans les images mortes du secret de Dieu pourront-ils dcouvrir la ralit tangible du Seigneur descendu du ciel et qui sauve de la mort ? (MR XXVII, 25) (voir aussi le verset prcdent)