Fabliaux Du Moyen Age Edition Bilingue PDF
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DU MOYEN ÂGE
FABLIAUX
DU MOYEN ÂGE
GF Flammarion
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II
Ce qui le caractérise presque constamment, c'est
une écriture rapide qui en fait un texte « pressé », for-
tement lié, raccourcissant au maximum le trajet et
la distance entre les noyaux fonctionnels de la nar-
ration, mais que contrarie souvent la présence du
narrateur qui remplit de sa voix les chaînes cau-
sales et s'accorde des répits à priori inutiles. Tiraillés
entre deux exigences contradictoires, l'une réaliste
(tout dire) et l'autre narrative (ne dire qu'une partie),
entre le désir d'écriture et les contraintes littéraires
1. Sur ces variations, voir le livre cité de Jean Rychner (note 2,
p. 10).
2. Dans son livre devenu classique, Les Fabliaux. Etude d'histoire
littéraire et de stylistique médiévales, 2e éd., Genève, 1957.
12 FABLIAUX DU MOYEN ÂGE
III
Le texte des fabliaux a souvent partie liée avec les
prodiges que multiplie l'être de la tromperie, la
femme, que le narrateur de La Bourgeoise d'Orléans
assimile à Protée et à Argus.
Si la sexualité semble franchement acceptée, à en
juger par la liberté du langage et de l'action, elle ne
l'est pas de façon débridée. Le discours y exprime la
volonté de contrôler une force pulsionnelle et met
l'accent sur le lien conjugal, sur le foyer et la famille.
1. « Présentation », Littérature et Réalité, Paris, Le Seuil, 1982,
pp. 9-10.
2. Vers 586-587 : « Mais tel paie la faute sans avoir mérité de
mourir » ; 590-591 : « Mais le diable a un pouvoir exceptionnel
pour tromper et surprendre les gens » ; 592-594 : « Par l'histoire
des prêtres, je veux vous apprendre que c'est folie de convoiter et
de fréquenter la femme d'un autre » ; 620-622 : « Mais on ne doit
pas, à mon avis, mépriser un parent pauvre, si pauvre soit-il ».
PRÉSENTATION 17
IV
L'activité sexuelle n'échappe pas aux détermina-
tions morales et sociales. Entre l'épouse qui cherche
à libérer ses désirs et le mari qui doit répondre à la
subversion par la répression, c'est une lutte
constante, qui révèle les obsessions masculines face à
la sexualité féminine.
Dans les fabliaux, l'éthique religieuse qui soumet
l'acte charnel à la procréation est supplantée par une
morale du plaisir. La sexualité, qui refuse les
contraintes et participe au bien-être général, requiert,
pour être heureuse, une certaine aisance financière et
matérielle. Un bon repas et un bain sont d'agréables
préludes aux jeux amoureux qui visent à satisfaire le
corps. Mais très vite la sexualité de la femme
s'affirme plus exigeante que celle du mari : celle-là
s'indigne qu'après une longue séparation, celui-ci
s'endorme au lieu de la satisfaire, et un rêve erotique
apporte une compensation immédiate à sa frustra-
tion 1 . L'homme doit contrôler cette dangereuse
force qui, livrée à elle-même, submergerait l'activité
du groupe, et qui n'est exaltée que dans la mesure où
elle est contenue dans le système idéologique du
mariage. La femme, contrainte de censurer ses ten-
dances instinctives, n'est qu'en partie satisfaite dans
l'univers conjugal, et la répression est contraire à sa
1. Dans Le Souhait desvé (insensé) de Jean Bodel, la femme son-
gea qu'elle achetait au marché ce qui lui manquait, et, comme elle
abattait sa main pour conclure son achat, son mari s'éveilla et
combla ses souhaits.
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VI
En revanche, nombre de fabliaux sont consacrés à
l'épanouissement de la relation adultère où la femme
donne une autre image d'elle-même et qui se déve-
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VII
Les fabliaux témoignent d'une époque (XIIe et
XIIIe siècle) où l'on a fim\par accepter le modèle
matrimonial proposé par l'Église qui fait du mariage
un sacrement. D'un commun accord, l'aristocratie et
le clergé ont placé la femme sous la dépendance de
l'homme. Son infériorité, qui paraît naturelle, se
retrouve à l'intérieur du mariage par l'idéal d'une
obéissance absolue. De là des rapports de force entre
les sexes : du côté masculin, l'autorité et la répres-
sion ; du côté féminin, la subversion. La femme se
libère par l'adultère : entre les amants règne une
entente sentimentale et sensuelle qui évacue toute
notion de pouvoir et permet de supporter le système
oppressif du mariage que, d'ailleurs, on ne remet pas
en cause.
Les fabliaux présentent donc une image composite
de la féminité à travers des regards masculins. La
femme est tantôt un instrument du diable, une chose
inférieure et dangereuse, tantôt un être désirable,
doté d'un réel pouvoir, quasi magique. L'homme est
partagé entre la peur et le désir : face à l'altérité, il
rêve de répression ou d'évasion. Comme l'a souligné
Jacques Dalarun *,
« Selon Isidore de Séville dont les savantes Étymolo-
gies constituent une des clefs essentielles de la vision
médiévale des clercs, Eva est vae> le malheur, mais
aussi vita> la vie, et selon l'hymne fameux Ave Maris
Stella attesté à partir du IXe siècle, en Eva se lit l'ana-
gramme d'Ave jadis lancé par Gabriel à la nouvelle
1. Histoire des femmes en Occident, t. II, Le Moyen Age, Paris,
Pion, 1990, p. 39.
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