LaBelleEtLaBete Web
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MADAME LEPRINCE
DE BEAUMONT
La Belle et la Bête
ISBN : 9782081330719
2,80 € – 128 p.
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Œuvre de référence, il peut faire l’objet d’une lecture approfon-
die ou être proposé en lecture cursive, pour mettre en perspec-
tive une étude des Contes de Grimm ou des Contes de Perrault
(grâce à des rapprochements, notamment, avec l’époux inquié-
tant de « La Barbe bleue » ou avec les jeux subtils entre l’être et
l’apparence dans « Riquet à la houppe »).
C’est avec profit que l’on engagera les élèves dans la lecture
de cet opus. Conforme au genre du conte, celui-ci leur paraîtra
familier tout en leur proposant une variation qui renouvelle la
trame symbolique du conte. En effet, l’histoire de Mme Leprince
de Beaumont se caractérise par toute une série de motifs stéréo-
typés : une jeune fille vertueuse et belle qui se sacrifie pour un
père trop aimé, la forêt inquiétante où l’on se perd, le fiancé
animal, avatar à la fois de l’ogre et du dragon, la métamorphose
finale… Autant de thèmes, certes connus, mais que le conte
décline et organise selon une combinatoire originale, densifiée
par tout un jeu de rappels intertextuels.
On pourra en effet jouer sur la comparaison de ce récit mer-
veilleux avec son texte-source, Amour et Psyché d’Apulée 1 : une
jeune fille innocente y est livrée à un monstre qui se révélera être
Cupidon lui-même. En outre, la confrontation entre les versions
littéraires et populaires de ce même conte-type permettra de
mettre en lumière le jeu des conventions du texte littéraire, qui
contraste avec l’économie et la rudesse des leçons dans les ver-
sions traditionnelles.
Le conte se prête également à une analyse intéressante du sys-
tème des personnages qui, quoique attendu, propose une com-
binaison stimulante. Le titre annonce le couple paradoxal de la
Bête et de la Belle, dont le lecteur suivra l’évolution avec intérêt.
Les personnages secondaires des sœurs et de leurs époux com-
plètent une représentation complexe des vertus et des vices, qui
nuance la visée moralisatrice du conte. Cette étude mettra en
évidence l’humanité d’un époux redouté que l’on apprivoise et
dont les secrets se lèvent une fois la nuit tombée… On pourra à
cet égard commenter avec les élèves la fonction initiale de ce
conte-type : il devait amener les jeunes épousées à accepter la
1. Lire à cet égard Amour et Psyché, trad. C. Sharp, Flammarion, coll. « Éton-
nants Classiques », 1998.
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part d’ombre d’un mariage souvent subi, d’un époux rarement
choisi.
Il pourra être également stimulant de confronter le conte avec
ses adaptations cinématographiques : celle de Jean Cocteau qui,
aidé du décorateur Christian Bérard et du directeur de la photo-
graphie Henri Alekan, magnifie la charge mystérieuse, inquié-
tante et poétique de cette histoire. En insérant dans le conte les
thématiques propres au réalisateur (celle du double, par
exemple), en rappelant dans certains plans les gravures de Gus-
tave Doré (dans les scènes nocturnes du château, tout particuliè-
rement), en enrichissant le scénario avec le conte de « La Belle
aux cheveux d’or » de Mme d’Aulnoy, Cocteau a donné à cette
œuvre une aura toute particulière.
Il n’est pas anodin de constater que, né d’un fonds archaïque,
notre conte continue à inspirer les artistes et à séduire le public.
Qu’on en juge par la nouvelle adaptation cinématographique de
Christophe Gans en 2014 et par la comédie musicale des stu-
dios Walt Disney, créée en 1994 et encore à l’affiche vingt ans
plus tard. Lire l’histoire de la Belle et de sa Bête, c’est donc
aujourd’hui encore ouvrir les portes de l’imaginaire et apprendre
à apprivoiser ses ombres : il s’agit toujours de plaire et
d’instruire.
■ Axe d’étude
Nous avons choisi de mettre l’accent sur l’étude du person-
nage, afin de fédérer les activités et de compléter les approches
qui auront été menées précédemment sur d’autres corpus. Il
s’agira de mettre en parallèle la construction du personnage
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dans la logique du conte (analyse du « système des person-
nages », personnages pris dans un réseau d’antago-
nismes, monde structuré et manichéen, repères clairs pour
faciliter le message moral du conte) et la construction d’une per-
sonne par la lecture du conte (le conte comme leçon de vie, le
conte dans le projet pédagogique de Mme Leprince
de Beaumont).
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Séance Supports Objectifs Activités
6 – Photogramme – Étudier la mise en – Écriture
Activité du film de Cocteau scène du personnage – Lecture de
d’écriture en – Rédiger une l’image
liaison avec la description
caractérisation
et l’analyse de
la Bête
7 – Article – Nuancer le – Écriture
Le personnage « personnage » stéréotype du
du conte dans le personnage du conte
Dictionnaire des
littératures
8 – Amour et Psyché – Découvrir un texte – Lecture
Évaluation – Contes présents fondateur cursive
dans l’édition – Évaluer les acquis de
(p. 47-71) la séquence
9 – Cahier photos de – Étudier comment – Lecture de
Lecture de l’édition l’image peut mettre en l’image
l’image lumière les obscurités
du texte
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Principe d’identité : la quasi-identité phonique des désigna-
tifs (allitération et assonance), l’anonymat des deux personnages
(termes génériques, le stéréotype), le féminin de leurs
désignatifs.
Donc, il s’agit d’un couple (comme le montre la conjonction
de coordination) à la fois antagoniste et problématique, para-
doxal et inquiétant. Ce sera au conte de révéler sa véritable
identité.
[Activités annexes : un travail sur les titres de contes (titres et
conjonctions de coordination, homophones grammaticaux), un
travail sur deux entrées du dictionnaire : belle et bête.]
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Séance no 3 : maîtriser la lecture d’un conte
Objectif → Repérer la structure du récit.
Supports → L’intégralité du conte.
→ La situation initiale (p. 23-25).
On proposera dans cette séance une lecture cursive du conte,
pour un repérage des charnières du récit (connecteurs temporels,
changements de temps, transformations des personnages…).
Cette activité pourra ainsi permettre une réactivation du modèle
quinaire 1 et de ses emboîtements. On dégagera plus particulière-
ment les couples faute/réparation 2 et dégradation/amélioration 3.
Situation Une famille touchée par La famille d’un très riche marchand est
initiale le sort contrainte de se retirer à la campagne
suite à un revers de fortune.
Modification Un an plus tard : voyage du père à la
ville dans l’espoir de recouvrer un
bien. Souhait des trois sœurs. Les
deux aînées : robes et bijoux, la
cadette : une rose.
Actions Faute du père Espoirs déçus : le père est sur le
chemin du retour.
Épreuve subie par le père : se perd la
nuit dans la forêt (lieu des possibles).
Séjour dans un palais inconnu.
Au matin : cueille une rose ;
apparition de la Bête.
Condamnation à mort suspendue au
sacrifice d’une des filles du vieil
homme.
La réparation Retour du père. Récit de sa
(épreuve qualifiante) mésaventure.
(premier volet de Culpabilisation de la Belle ; sacrifice
l’épreuve principale) (se livre à la place de son père).
Première rencontre de la Belle et de la
Bête. Premier songe : une Dame
(figure mariale ?) lui promet une
récompense pour son bon cœur.
Départ du père. Angoisses de la Belle.
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Actions Un rituel Prison dorée de la Belle, prisonnière
amoureux de la Bête.
Demande en mariage de la Bête à la
Belle.
Refus horrifié.
Trois mois de mithridatisation
amoureuse : la Belle découvre peu à
peu le vrai visage de la Bête (pitié,
compassion).
Faute de la Belle Scène du miroir magique. La Bête
accorde à sa belle captive une liberté
surveillée. Promesse de la Belle.
La Belle est fêtée par les siens mais
perfidie de ses sœurs (voir Psyché).
Oubli de la promesse faite à la Bête.
Deuxième songe de la Belle : voit la
Bête mourante.
Culpabilisation.
Résolution Réparation L’anneau magique. Retour chez la
(deuxième volet de Bête.
l’épreuve principale) Agonie de la Bête, paroles salvatrices
de la Belle.
Métamorphose de la Bête et
révélation du sortilège qui
l’asservissait.
Situation Punition Une famille réunie, un couple scellé.
finale Troisième apparition de la Fée.
Récompense Punition des deux sœurs.
Récompense de la Belle, le mariage.
Les élèves seront prêts à analyser les rôles respectifs (et symé-
triques) du père et de sa fille. On pourra dresser le schéma actan-
tiel des rapports entre les personnages après leurs fautes
(transgressions) : un père promis à la mort pour avoir cueilli une
rose, une fille s’offrant à la mort pour sauver son père, une belle
repoussant la mort pour sauver sa bête. On explicitera le statut
de la Bête (d’opposant, il devient objet de la quête), puis on
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effectuera l’analyse des fonctions du personnage de la Belle :
sauver son père/sauver la Bête (effacement de l’amour filial au
profit du sentiment amoureux).
On pourra alors montrer que le personnage du conte ne se
comprend qu’à l’intérieur d’un système (interactions). Il n’est
pas à une place fixe : il se transforme et se métamorphose. Par
ailleurs, le personnage du conte est un personnage protéiforme.
Ce n’est qu’à la fin du conte que la logique des épreuves
apparaîtra.
La première partie du conte permet de montrer le statut par-
fois double ou ambigu des personnages : le Père aimé est celui
par qui le malheur arrive, il n’a aucune maîtrise sur la situation ;
la fille chérie est celle qui a provoqué le drame par l’objet de sa
requête ; les sœurs jalouses vont renforcer l’esprit de sacrifice de
leur cadette et ainsi précipiter leur propre châtiment ; la Bête
elle-même surprend par sa générosité (offre le coffre au père de
la Belle) et sa cruauté (demande la mort).
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vous remercier. Mais je suis un stupide et tout ce que je puis
vous dire, c’est que je vous suis bien obligé » (p. 35-37).
Les deux sœurs et leurs maris, depuis « Elles étaient toutes
deux fort malheureuses. L’aînée avait épousé un jeune gentil-
homme beau comme l’amour » jusqu’à « mais il ne s’en servait
que pour faire enrager tout le monde, et sa femme toute la pre-
mière » (p. 40).
Mea culpa de la Belle, depuis « Ne suis-je pas bien méchante,
disait-elle, de donner du chagrin à une bête » jusqu’à « ingrati-
tude » (p. 41-42).
Le verdict de la Fée, depuis « Belle, lui dit cette dame » (p. 44)
jusqu’à la fin.
Dans un second temps, on examinera les différentes configu-
rations du carré beauté-laideur-corps-âme.
On se servira du corpus de base afin d’analyser les chassés-
croisés entre la beauté physique et la beauté morale, la laideur
physique et la laideur morale, la présence et l’absence de cœur
et d’esprit. Tous les personnages sont représentés (excepté le
père, qui ne rentre pas dans les figures), toutes les combinaisons
sont vérifiées, mais, à ce jeu de dominos, chaque personnage
rentre dans son ordre et est jugé selon son cœur. On n’est pas
loin de la logique mathématique du carré sémiotique de
Greimas 1.
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■ La Bête et les maris
La Bête Mari de l’aînée Mari de la seconde
Corps – Laideur – Beauté
– Bête, monstre,
horrible figure
– Animalité-bestialité
Âme – Beauté – N’aime que lui- – Méchant
– Généreuse, bonne, même (voir Narcisse) – Laideur morale
délicate – Laideur morale
– Complaisante
Esprit – Sans esprit – Esprit
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Séance no 7 : le personnage du conte
Objectif → Nuancer le stéréotype du personnage du conte.
Support → Article « personnage » dans le Dictionnaire des
littératures 1.
On effectuera avec les élèves un travail de synthèse sur les
caractéristiques du personnage du conte. On peut reprendre les
éléments d’analyse redevables aux analyses structurales (voir
séquence), sans oublier cependant la part du rêve qu’apporte
immanquablement avec soi tout personnage de conte, aussi pro-
grammé et stéréotypé soit-il…
Séance no 8 : évaluation
Objectifs → Découvrir un texte fondateur.
→ Évaluer les acquis de la séquence.
Supports → Amour et Psyché.
→ Contes présents dans l’édition (p. 47-71).
En guise d’évaluation de la séquence, on pourra inviter les
élèves à un travail comparatif soit avec le texte-source (Amour et
Psyché d’Apulée), soit avec un des contes populaires proposés
dans le recueil.
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l’auteur en 1695, gravé par Clouzier, nous présente une situa-
tion de contage à la veillée, rassemblant devant une conteuse
aux allures de Parque un auditoire composite. Ce dernier reflète
différents âges et postures de lecteurs (d’une lecture par identifi-
cation, représentée par l’enfant touchant le tablier de la nour-
rice, à celle plus distanciée de l’adulte, capable de savourer les
jeux de connivence du narrateur avec un public lettré). En vis-à-
vis, la gravure de Gustave Doré de 1862 déplace le centre de
gravité de l’image, de la parole conteuse au livre illustré. Elle
rassemble un public restreint, uniquement enfantin, protégé par
la présence tutélaire d’une gouvernante, tandis qu’une grand-
mère à l’aspect bonhomme lit les contes qui appartiennent
désormais au monde de l’imprimé. À l’arrière-plan, la mise en
abyme d’une gravure de Doré (les bottes de sept lieues dans « Le
Chat botté ») fait écho à la page de titre des Contes de Perrault
et, par la citation, consacre l’illustrateur des éditions Hetzel.
La suite du dossier propose une variation autour du thème du
monstre pour enchaîner avec une illustration du mythe fonda-
teur du conte : le tableau de Lagrenée propose le moment de la
transgression par Psyché du pacte qui la lie à son amant invi-
sible, écho de l’oubli par la Belle de la promesse faite à la Bête.
Les images d’Épinal pourront être utilisées pour mettre en évi-
dence les temps forts du conte.
Enfin, la série des duos (p. 6-8 du cahier photos) met
l’accent sur le tête-à-tête de la Belle et du monstre. La gravure
de Gustave Doré s’organise autour du thème de l’animalité : on
pourra partir des yeux exorbités de Barbe bleue devenu fauve et
prédateur pour filer la métaphore (barbe hirsute et pelisse
comme la fourrure de la Bête, nez comme museau, main comme
patte…). On invitera les élèves à tracer la ligne des regards qui
se perd dans le coin inférieur gauche de l’image. Barbe bleue
dévore sa femme des yeux alors que, fascinée par la clef (qui, au
centre de l’image, est la clef du récit !), l’épouse a signé son arrêt
de mort en ne voyant pas le doigt levé dans l’ombre. La diago-
nale qui les sépare est le signe iconique de la perversité du chas-
seur (dont Barbe bleue porte le chapeau).
Le photogramme du film de Cocteau, par Henri Alekan, ren-
verse la logique du domino : une Bête solaire, portant sa colle-
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rette comme un astre, regarde une Belle dont le profil très
graphique se détache comme un croissant de lune sur un fond
sombre. Le jeu du clair-obscur met ainsi en valeur l’amour de la
Bête en dépit du masque monstrueux qui cache son cœur pur.
L’affiche élégante du film de Christophe Gans joue davantage
sur l’ambiguïté des deux personnages, laissant dans l’ombre une
Bête très aristocratique, prête à bondir, tout en mettant en
lumière une Belle désirable mais chaste, les yeux baissés, l’air
apeuré.
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V. Orientation bibliographique
Outre les indications figurant p. 97 de notre édition, on
pourra se reporter aux articles et revues consultés pour ce
travail :
HAVELANGE, Isabelle, LE MEN, Ségolène, Le Magasin des
enfants : la littérature pour la jeunesse (1750-1830), Montreuil,
Association « Bicentenaire », 1988.
LEMIRRE, Élisabeth, « Où l’on voit ces dames aller aux champs
et le conte s’écrire : l’oralité mise en écriture par les lettrés du
XVIIIe siècle », La Revue des livres pour enfants, no 181-182,
1998.
NIÈRES, Isabelle, « Les Contes du Magasin des enfants de
Mme Leprince de Beaumont », in Ouvrages de dames, miroirs
des femmes, Actes du deuxième colloque d’Aspe, mai 1997.
PERROT, Jean, Le Conte français pour enfants, Ibby-France.
RENONCIAT, Annie, Au fil de l’histoire, Ibby-France [panorama
historique du livre pour la jeunesse].
SAUTMAN, Francesca, « Le conte 425. B : rites de mariage et
parcours magique », in Merveilles et Contes : Special Issue on
Beauty and the Beast, vol. 3, mai 1989.
■ Monstres et chimères
1 Méduse ou la Gorgone, 2 un griffon, 3 l’hydre de Lerne, 4
les Sirènes, 5 Cerbère, 6 le Sphinx, 7 le jour et la nuit.
■ Et si tu créais un monstre ?
Le Centaure : mi-homme, mi-cheval (corps et pattes), appelé
Chiron.
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Mélusine : une vouivre (mythologie celtique), femme reptile
(souvent représentée sur les illustrations de la tentation d’Ève à
la place du serpent tentateur), corps couvert d’écailles, visage de
femme, porte une escarboucle.
Un basilic : mi-lézard, mi-serpent, des yeux de braise, souvent
représenté sur les blasons (basiliskos en grec : petit roi).
Le Minotaure : corps d’homme et tête de taureau.
Pégase : cheval ailé, né du sang de Méduse.
Le Sphinx : visage de femme, corps de lion, ailes, queue de
dragon.
Anne BERVAS-LEROUX,
agrégée de lettres modernes,
professeur au collège Wanda-Landowska,
Saint-Leu-La-Forêt (Val-d’Oise).