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A. Batbie - Traité Théorique Et Pratique de Droit Public Et Administratif PDF

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Traité théorique et pratique

de droit public et
administratif : contenant
l'examen de la doctrine et de
la [...]

Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France


Batbie, Anselme (1828-1887),Boillot, Armand. Traité théorique et
pratique de droit public et administratif : contenant l'examen de
la doctrine et de la jurisprudence, la comparaison de notre
législation... (2e édition remaniée et mise au courant de la
législation et de la jurisprudence) par A. Batbie,.... 1885-1894.

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TRAITE
THEORIQUE ET PRATIQUE

DE

DROIT PUBLIC
ET ADMINISTRATIF

II
TRAITE
THÉORIQUE ET PRATIQUE
DE

DROIT PUBLIC

PAR A. BATBIE
Professeur à la Faculté de Droit de Paris, Avocat à la Cour d'Appel, Sénateur,
Ancien. Ministre de l'Instruction publique et des Cultes

DEUXIÈME ÉDITION
REMANIÉE ET MISE AU COURANT DE LA LÉGISLATION ET DE LA JURISPRUDENCE,

TOME DEUXIÈME

PARIS
L. LAROSE ET FORCEL
Libraires-Editeurs
22
, RUE SOUFFLOT ,
22

1885
PREFACE.

Il y a une vingtaine d'années, je fis l'entreprise


hardie et même téméraire de publier non-seulement
un exposé théorique et pratique de nos lois adminis-
tratives, mais aussi des comparaisons avec les lois
correspondantes des principaux États étrangers. La
moitié d'un sujet aussi étendu avait fait reculer des
hommes habitués, depuis longues années, à l'étude de
ces matières et mieux préparés que moi à l'exécution
d'un si vaste projet. C'est sans doute leur grande
expérience qui les avait empêchés de trop entre-
prendre et, si j'avais connu aussi bien qu'eux les
difficultés de l'oeuvre, il est probable que j'aurais
imité leur prudence. Ou je me serais abstenu d'é-
crire ou je me serais borné à creuser un sujet res-
treint, en portant toutes mes forces sur quelque
monographie pour la fouiller et montrer sous toutes
ses faces.
B. — II.
IJ PREFACE.

Les monographies rendent à la science de grands


services, même des services plus durables que ne
peuvent en rendre les auteurs d'ouvrages généraux.
Si elles ont été faites avec le soin que comporte ce
genre de travail, elles sont des oeuvres définitives.
Il n'y a pas à revenir sur les sujets ainsi examinés,
et les jurisconsultes qui viennent après peuvent por-
ter leur attention sur d'autres matières. Quand cette
méthode a été employée pour chaque partie d'une
science, les matériaux sont prêts pour un traité com-
plet qui embrasse la science entière. On ne saurait
donc trop louer et encourager, pour le droit comme
pour les autres sciences, pour le droit adminis-
tratif aussi bien que pour le droit civil, ces travaux
approfondis.
Mais chacun a ses préférences et tous n'aiment
pas à employer la même méthode. Les uns sont por-
tés à l'analyse et les autres à la généralisation. On
aura beau répéter que la synthèse doit venir à la
suite de l'analyse et qu'il faut savoir attendre les
résultats de l'étude monographique avant d'entre-
prendre des travaux d'ensemble. Comme cette attente
pourrait durer indéfiniment, les raisonnements les
mieux faits ne viendront pas à bout de l'ardeur im-
patiente des esprits généralisateurs. Les historiens
ont fait comme les jurisconsultes. Nous avons tous
lu, dans notre jeunesse, des histoires générales qui
sont à refaire depuis que la critique historique a
PREFACE. IIJ

fait des progrès et que la connaissance des sources


s'est développée. Les sciences physiques et chimi-
ques ont aussi leurs traités généraux qu'il faut re-
nouveler de temps en temps, à mesure que les expé-
riences nouvelles étendent les limites de leur domaine
ou modifient les notions et définitions. La philosophie
de l'histoire et la philosophie scientifique ne sont
jamais tranquilles dans leur possession; elles peuvent
toujours être troublées par quelque découverte in-
conciliable avec les constructions philosophiques les
plus belles.
Les traités généraux sont cependant fort utiles
par l'impulsion qu'ils donnent à l'étude des sciences.
On ne commence pas par les spécialités; car pour ap-
profondir un sujet, il faut avoir mesuré l'ensemble
auquel il se rattache. La méthode monographique
suppose déjà une connaissance de la matière à creu-
ser, de ses tenants et aboutissants. Il faut avoir une
instruction générale pour pouvoir faire une étude
spéciale, sous peine de perdre son temps ou au moins
beaucoup de temps. Le travail approfondi sur un
sujet limité suppose un choix et le choix implique
la connaissance, au moins élémentaire, d'un grand
nombre de sujets. Encore ne faut-il pas que cette
connaissance soit trop superficielle; car elle ne ser-
virait pas à éclairer l'option, si elle n'était pas pous-
sée assez loin pour discerner les matières qui ont
plus particulièrement besoin d'être fouillées. On peut
IV PREFACE.

dire que les traités généraux rendent le service d'ins-


truire les jeunes jurisconsultes assez pour leur mon-
trer les monographies à entreprendre et que les mo-
nographies, à leur tour, préparent des matériaux
de meilleure qualité pour réconforter, agrandir ou
refaire les traités généraux.
Le Traité théorique et pratique dont je publie une
seconde édition a rendu des services qui lui ont valu
l'indulgence du public. Les jurisconsultes exercés
avaient vu et plus d'une fois signalé les imperfec-
tions de l'exécution ; les moins bienveillants avaient
fait ressortir des erreurs de détail, bien qu'on soit
excusable de commettre quelque lapsus ou de mal
lire quelque texte quand on traite de matières si nom-
breuses et diverses. J'avais moi-même conscience de
cette insuffisance et j'étais devenu plus sévère qu'au-
cun autre juge pour l'oeuvre que j'avais publiée hâ-
tivement. Cependant cet ouvrage, malgré ses défauts
que je suis le premier à reconnaître, a eu le mérite
de donner une impulsion aux études de droit admi-
nistratif et particulièrement à la législation com-
parée.
En 1860, peu de personnes s'occupaient de légis-
lation comparée. Le cours de législation au Collège
de France, bien qu'il portât ce titre, ne sortait
guère des questions de droit politique et il était rare
que le professeur, M. Laboulaye, parlât d'un autre
pays que des Etas-Unis de l'Amérique du Nord. À
PREFACE. V

la Faculté de droit de Paris il y avait un cours de


législation pénale comparée, mais la matière était
restreinte et la nature d'un cours élémentaire, pour
la licence, ne permettait pas au professeur de s'é-
tendre beaucoup sur les lois étrangères. La Société
de législation comparée qui, depuis sa fondation, a
pris une part si active aux progrès de la science, n'a
été créée que huit à neuf ans après. Je tiens de
quelques-uns de ses fondateurs que la publication de
mon ouvrage, en appelant l'attention publique sur
les législations des autres pays, ne fut pas étran-
gère à l'initiative qu'ils prirent pour la création de
cette Société dont le succès a été si prompt et si écla-
tant. C'est à cette impulsion, répondant à un besoin
réel et à une préparation latente des esprits, que
j'attribue l'accueil bienveillant fait par le public à
mon traité, nonobstant les imperfections qui auraient
paralysé les dispositions les plus favorables.
La publication d'une deuxième édition étant de-
venue nécessaire, j'ai beaucoup hésité à l'entrepren-
dre. Les changements de nos lois administratives
ont été si nombreux dans ces dernières années, que
l'ouvrage était, pour ainsi dire, à recommencer. Ces
changements, en effet, ne consistaient pas seulement
dans ces modifications légères que produit l'action
incessante et successive du progrès. Une révolution
avait renversé les institutions politiques ; or, il est
difficile que le droit constitutionnel soit transformé
VJ PRÉFACE.

sans que les lois administratives s'en ressentent. Ce


n'est pas seulement en France que ces mouvements
s'étaient produits; il y en avait eu de semblables dans
d'autres pays et même chez les peuples qui avaient
vécu tranquillement, les assemblées politiques avaient
fort activement travaillé à l'amélioration de leurs
lois.
L'entreprise d'une deuxième édition n'était donc ni
moins étendue ni moins difficile que la publication de
la première. La prudence, dont j'étais aujourd'hui
plus qu'autrefois disposé à suivre les inspirations,
m'aurait conseillé de m'abstenir et c'est ce que j'au-
rais fait si j'avais été tout à fait libre. Mais pouvais-
je abandonner cette oeuvre sans chercher à l'amélio-
rer, sans répondre par quelques efforts aux encoura-
gements que les lecteurs m'avaient donnés, sans
essayer de donner satisfaction aux critiques qui m'a-
vaient été adressées? Mon abstention n'aurait-elle pas
été la condamnation définitive par l'auteur même
d'un ouvrage qui, au dire des juges les plus sévères,
pourrait, s'il était mis au courant de la législation
et de la jurisprudence, n'être pas inutile à la pra-
tique et à la science? Les travaux de la Société de lé-
gislation comparée pouvaient faciliter notre travail
pour les législations étrangères ; l'Annuaire et le Bul-
letin m'offraient des indications précieuses et même
beaucoup de lois traduites et précédées de notices. Il
n'y avait qu'à puiser dans ces excellentes publications
PREFACE. VIJ

et, pour ainsi dire, qu'à extraire des volumes, déjà


nombreux, qui ont paru les documents relatifs à l'ad-
ministration. Cette ressource a, pour une grande
part, contribué à la résolution que j'ai prise de publier
une deuxième édition. En ce qui concerne la lé-
gislation française, j'étais aidé par les souvenirs des
douze années qui viennent de s'écouler et pendant
lesquelles, soit à l'Assemblée nationale, soit au
Sénat, j'ai pris part aux travaux législatifs. Ces
considérations, jointes au sentiment naturel et bien
légitime de la paternité littéraire, m'ont déterminé
à refaire mon traité, avec la confiance que le pu-
blic continuera sa bienveillance à mon oeuvre amé-
liorée.
Ce que je n'ai pas modifié, bien que de nombreuses
critiques m'aient invité à le changer, c'est le plan
général de l'ouvrage. Quelle que soit ma déférence
pour les auteurs de ces observations, je crois avoir
raison contre eux; c'est avec la conviction profonde
d'être dans le vrai que je résiste à leurs conseils.

En 1859, pour la première fois, j'ai, dans mon Précis
de droit publie et administratif', appliqué à l'exposé
des lois administratives les divisions de la loi ro-
maine, adoptées depuis par les rédacteurs du Code
civil. Les personnes, les choses et les manières d'ac-
quérir, tels sont les trois termes de cette division
fondamentale, si rationnelle qu'il est impossible d'en
trouver une autre qui puisse rallier tout le monde.
VIIJ PRÉFACE.

Chaque auteur a imaginé la sienne; mais il a été seul


à la trouver bonne et elle n'a été adoptée dans aucun
autre ouvrage. Notre plan n'est pas une conception
personnelle; il n'est que l'application aux lois admi-
nistratives d'une division qui a été adoptée pour les
lois civiles. C'est pour ce motif, parce qu'il a le mé-
rite d'être impersonnel, qu'il ralliera (nous en avons
l'espérance) les écrivains et les législateurs futurs.
Il a été suivi en Italie par le professeur de l'Uni-
versité de Pise, M. de Gianquinto et chez nous
M. Dareste, dans son livre sur la Justice adminis-
trative, publié en 1862, s'y est à peu près conformé.
Il en a au moins adopté le principe s'il n'a pas exac-
tement suivi les mêmes divisions. Le professeur de
droit des gens à la Faculté de Paris, M. Renault,
le suit pour l'exposé des règles qui président aux
rapports internationaux. Voyons si les programmes
qui ont été adoptés par les autres jurisconsultes sont
préférables au nôtre.
En 1829, M. de Grérando publia la première édition
de ses Institutes administratives qu'il divisait en
deux parties : 1° Fonctions administratives (organi-
sation et procédure); 2° Matières administratives,
« sur lesquelles s'exercent les droits et les obliga-
tions réciproques de l'administration et des admi-
nistrés. »
En 1846 parut la deuxième édition, beaucoup plus
développée que la première et avec un nouveau plan.
PREFACE. IX

L'ouvrage était divisé en deux parties, mais les ma-


tières y étaient autrement distribuées que dans la
première édition. Voici le plan développé en tableau :

PREMIÈRE PARTIE. — Police administrative.


LIVRE PREMIER. — Police relative aux personnes.
Titre Ier. — Population. — Subsistances. — Santé publique.
Titre II. — Sûreté publique. — Armes et munitions de
guerre. — Concours de l'administration et de la justice
pour la sûreté publique.
Titre III. — Concours de l'administration aux mesures qui
concernent l'exercice des droits civils et politiques.
LIVRE II.
— Intérêts moraux. — Instruction publique et Cultes.
LIVRE III. Police de l'industrie.

LIVRE IV.
— Domaine public.

DEUXIÈME PARTIE. — Services publics.

LIVRE PREMIER. — Administration financière.


LIVRE II. Force publique.

LIVRE III.
— Travaux publics.
LIVRE IV.
— Approvisionnements.

Il est difficile de voir le lien logique qui unit


les différentes parties de cette distribution, et on
pourrait incontestablement changer les matières de
place sans qu'il en résultât la moindre différence
pour leur exposition et leur compréhension. La
deuxième partie est consacrée aux services publics,
comme si la police administrative qui fait l'objet
PREFACE.

de la première partie ne pouvait pas aussi être


considérée comme un service publie.
M. Macarel avait, en 1844, commencé la publi-
cation de son Cours de droit administratif, et voici
comment il expliquait, dans sa Préface, le plan qu'il
avait adopté :
« Je diviserai mon enseignement en trois parties :
« Dans la première, j'exposerai l'organisation
administrative de la France, et les attributions des
nombreuses autorités dont nos lois l'ont formée.
« Je tracerai, dans la seconde, les principes gé-
néraux des matières administratives, c'est-à-dire les
règles de l'exercice des droits, de l'accomplissement
des devoirs de l'administration et des citoyens dans
leurs rapports réciproques.
« La troisième sera consacrée à l'exposition des
formes essentielles de ces rapports, c'est-à-dire de
la procédure en matière contentieuse et non con-
tentieuse. J'y ajouterai les règles soit des autorités
administratives entre elles, soit de l'autorité admi-
nistrative et de l'autorité judiciaire. »
Les deux premiers volumes traitent, l'un des au-
torités et le deuxième des conseils administratifs;
ils forment la première partie.
Dans la deuxième partie, qui est consacrée aux
matières administratives, M. Macarel traite des sub-
sistances publiques, des rapports de l'administration
avec les industries agricole, manufacturière et com-
PRÉFACE. XJ

merciale; il s'occupe spécialement de l'expropriation


pour cause d'utilité publique. L'ouvrage, d'ailleurs,
est demeuré inachevé.
Nous n'avons d'observation à faire ni sur le pre-
mier ni sur le second volume; les matières dont ils
traitent y sont à leur place. Quant à la seconde par-
tie, qui est la principale, on n'y trouve aucun prin-
cipe de classification', et l'ordre des matières pourrait
tout aussi bien être décidé par le sort ou être fixé
soit arbitrairement, soit d'après la succession alpha-
bétique.
L'ordre alphabétique a été adopté par l'auteur
d'un ouvrage justement estimé, le plus étendu des
traités généraux, celui de M. Gr. Dufour. Mais un
traité n'est pas un dictionnaire, et c'est n'avoir
aucun plan que de suivre cette succession fortuite.
D'autres ont rattaché toutes les matières à l'ex-
posé des lois sur la compétence et la juridiction.
Telle est la composition de trois importants ouvrages
qui ont beaucoup contribué au développement de la
science administrative : 1° les Principes de compé-
tence et de juridiction administratives, par M. Chau-
veau ; 2° le Traité de compétence de M. Serrigny, et
3° les Répétitions écrites de M. Cabantous continuées
par M. Liégeois, professeur à la Faculté de Nancy.
Que dirait-on d'un jurisconsulte civiliste qui, pour
exposer le droit privé, le ferait entrer dans un
traité de procédure, au fur et à mesure qu'il déve-
XIJ PREFACE.

lopperait les dispositions relatives à la compétence?


Ce procédé de composition ne serait approuvé par
personne, et nous ne croyons pas qu'appliqué aux
matières administratives, il soit meilleur qu'il ne
le serait en matière civile.
Les divisions adoptées par MM. Laferrière (Cours
de droit public et administratif, 5e édit., 1860) et
Th. Ducrocq (Cours de droit administratif, 6e édit.,
1880) ne sont pas sans analogie avec celles que nous
avons suivies, et on peut trouver, dans certaines
parties, le principe qui sert de base à notre plan.
M. Ducrocq partage son cours en trois parties :
dans la première, il expose l'organisation admi-
nistrative de la France et présente le tableau des
autorités dont se compose notre hiérarchie de fonc-
tionnaires depuis le Chef de l'État jusqu'aux
,
maires, depuis le Conseil des ministres et le Conseil
d'État jusqu'aux Conseils municipaux. La deuxième
est consacrée aux restrictions imposées aux droits
individuels par les lois positives, conformément à
cette proposition de Rossi, que le droit adminis-
tratif avait ses têtes de chapitres dans le droit pu-
blic. Enfin, dans la troisième partie, l'auteur expose
la législation sur les personnes morales, l'État,
le département, la commune et autres établissements
publics, ainsi que les établissements d'utilité pu-
blique. Nous avons pensé que la deuxième partie
devait précéder la première, et qu'avant d'aborder
PREFACE. XIIJ

l'organisation administrative, il fallait traiter des


droits individuels. D'un autre côté, c'est dans la
première partie, en parlant des autorités, que M.
Ducrocq parle de la compétence, du contentieux, de
la procédure administrative. Nous avons pensé qu'il
était préférable de faire passer l'exposé des matières
avant la procédure, et que, même au risque de
quelques redites, le chapitre juridiction, compé-
tence et procédure devait être le dernier. C'est
ce qu'avait pensé aussi M. F. Laferrière, dont le
cours se termine par le contentieux administratif.
M. Laferrière, avant d'aborder le contentieux,
divise son cours de la manière suivante : Droit pu-
blic qu'il subdivise en droit constitutionnel, droit
ecclésiastique, droit public international. Droit ad-
ministratif qu'il subdivise en services administratifs
de l'État, administration départementale, adminis-
tration communale. A chacune de ces trois subdivi-
sions se rattachent des services spéciaux que l'auteur
expose après avoir traité la partie générale. Nous
n'avons pas adopté le plan de M. F. Laferrière, bien
que notre Précis ait paru pour la première fois comme
appendice à son cours, pour les raisons suivantes :
1° le droit public international doit être traité à
part; il ne fait pas partie du droit public général;
il a son existence et ses ouvrages propres; 2° le droit
public ecclésiastique n'est plus aujourd'hui qu'un
chapitre du droit public général; 3° M. Laferrière
XIV PREFACE.

traite sous les mêmes rubriques des autorités, des


personnes, des choses et des moyens d'acquérir.
Nous avons cru qu'il y aurait plus de clarté si ces
notions étaient distinguées et si nous les séparions
dans l'exposé.
M. Foucart (Éléments de droit public et adminis-
tratif) a suivi un ordre de matières qui ne diffère
pas beaucoup de celui qu'après lui adopta M. La-
ferrière. Le premier volume, consacré au DROIT PU-
BLIC , y est divisé en deux livres, dont le premier est
subdivisé en chapitres et le second en titres et sub-
divisé en chapitres.

LIVRE PREMIER.
Organisation des pouvoirs.
CHAP. 1.
— Pouvoir législatif.
CHAP. 2.
— Pouvoir exécutif et attributions.
CHAP. 3. — Organes du pouvoir exécutif.
CHAP. 4.
— De l'autorité administrative dans ses rapports avec
l'autorité judiciaire.

LIVRE DEUXIÈME.
Des personnes au point de vue du droit public.
Titre Ier. — De la qualité des personnes.
Titre II. — Des droits naturels garantis par la loi politique
(la liberté individuelle, etc., etc.).
Titre III. —Des droits politiques (élections, électorat, éli-
gibilité, etc.).
Titre IV. — Des charges qui pèsent sur les personnes (ser-
vice militaire).
PREFACE. XV

Titre V. — Des charges qui pèsent sur la propriété (expro-


priation publique, servitudes).

TOME DEUXIÈME.

DROIT ADMINISTRATIF.
LIVRE PREMIER.
Administration générale.
Titre Ier. — Fortune publique (domaines, contributions,
marchés, travaux publics).
Titre II. — Routes et chemins.
Titre III. — Eaux.

LIVRE DEUXIÈME.
Administrations locales.
TITRE Ier.— De l'administration départementale.
CHAP. 1. — Du département.
CHAP. 2. — Des agents de l'administration départementale.
CHAP. 3. — Administration économique du département.

TOME TROISIÈME.

TITRE II.
— De l' administration communale.

CHAP. 1.
— Historique des communes.
CHAP. 2. — Communes dans l'état actuel de la législation.
CHAP. 3. — Autorités municipales.
CHAP. 4. — Biens des communes.
CHAP. 5. — Comptabilité.
CHAP. 6. — Contrats des communes.
CHAP, 7. — Procès des communes.
CHAP. 8. — Responsabilité des communes.
XVJ PREFACE.

CHAP. 9. — Établissements religieux des communes.


CHAP. 10. Établissements de bienfaisance.

CHAP. 11.
— Halles. Octrois. Casernement.

TITRE III. — Contentieux administratif.

CHAP. 1. — Jugements des réclamations.


CHAP. 2. — Conflits.
CHAP. 3. — Juges administratifs du premier degré.
CHAP. 4. — Cour des comptes.
CHAP. 5. Conseil d'État.

Nous ne parlerons pas, à ce point de vue, des


Conférences de M. Aucoc, parce que ces leçons,
qui s'adressaient au public spécial des ponts et chaus-
sées ne forment pas un traité général de droit ad-
,
ministratif. L'ordre qu'il a suivi est excellent pour
l'auditoire limité auquel le cours était destiné, et
pour l'objet restreint que le professeur avait à ensei-
gner. Dans ces conditions spéciales, nous ne croyons
pas qu'il fût possible de faire mieux et de suivre une
méthode plus efficace ; mais, à un traité général ne
convient pas une méthode faite pour un enseigne-
ment restreint à la fois par l'objet et par l'auditoire 1.
C'est M. Aucoc qui a le plus vivement critiqué le
plan de notre traité, et nous demandons la permis-
sion de reproduire ici la réponse que nous avons

1 Le premier volume des Conférences de M. Aucoc peut cependant être


considéré comme un exposé général. En voici le plan :
Après une introduction où l'auteur détermine la place qu'occupe le droit
administratif dans l'ensemble des études juridiques, il partage sa partie
PREFACE. XVIJ

faite à ses objections dans la Préface de la quatrième


édition de notre Précis de droit public et adminis-
tratif :
« Le même ordre a été suivi par M. Giovanni de
Gioannis Gianquinto, professeur à l'Université de
Pise, dans son Cours de droit public et adminis-
tratif. C'est à cette occasion que M. Aucoc, président
de section au Conseil d'État, a dit, dans le discours
qu'il a prononcé en prenant le fauteuil de Président
de la Société de législation comparée : « Je lisais
« récemment un compte rendu fait dans une Revue

«
italienne du premier volume du Cours de droit
«
public et administratif de M. de Gioannis Gian-

générale en trois livres. Le LIVRE Ier est consacré aux notions générales sur
l'organisation des pouvoirs publics :
Chap. Ier. Séparation des pouvoirs;
Chap. II. Pouvoir législatif;
Chap. III. Différentes branches du pouvoir exécutif et de leurs rapports.
Le LIVRE II traite de l'organisation de l'administration active et consul-
tative.
Titre Ier. Administration des intérêts généraux.
Chap. Ier. Administration centrale;
Chap. II. Administration locale;
Chap. III. Agents locaux institués pour différents services d'intérêt gé-
néral ;
Chap. IV. Agents auxiliaires.
Titre II. Administration des intérêts locaux.
Chap. Ier. Des départements ;
Chap. II. Des arrondissements;
Chap. III. Des communes;
Chap. IV. Organisation spéciale du département de la Seine et de Paris ;
Chap. V. Agents auxiliaires placés auprès des agents directs locaux.
Titre III. De l'administration des intérêts spéciaux ou des établissements
publics.
B. — II. b*
XVIIJ PREFACE.

«
quinto, professeur à l'Université de Pise, qui
" s'honore de faire partie de notre Société : On l'y
«
félicite hautement d'avoir découvert, pour l'expo-
« sition des matières du droit administratif, un nou-
« veau plan inconnu jusque-là des Italiens, aussi
« bien que des Allemands et des Français, et qui
« donnait enfin à ces matières un caractère vraiment
« scientifique emprunté au droit romain; ce plan
« consiste à exposer successivement les personnes,
« les choses et les actions. M. de Gioannis est trop
« instruit pour avoir accepté cet éloge; il sait que
« ce plan a été suivi par M. Batbie dans son Traité
« de droit public et administratif. Je ne crois pas

LIVRE III. — De l'autorité judiciaire et de la juridiction administrative.


Titre Ier. De l'autorité judiciaire.
Chap. Ier. Notions générales sur le rôle et l'organisation de l'autorité
judiciaire;
Chap. II. Juridictions civiles;
Chap. III. Juridictions criminelles ;
Chap. IV. Cour de cassation.
Titre II. De la juridiction administrative.
Chap. Ier. Notions générales sur le rôle et l'organisation de la juridic-
tion administrative;
Chap. II. Conseils de préfecture;
Chap. III. Des agents de l'administration considérés comme juges;
Chap. IV. Juridictions spéciales;
Chap. V. Du Conseil d'Etat.
LIVRE IV.
— Organisation des pouvoirs
publics spéciale à l'Algérie et aux
colonies.
— Des moyens d'assurer l'indépendance de l'autorité administrative
LIVRE V.
à l'égard de l'autorité judiciaire.
Chap. Ier. Des conflits d'attributions ;
Chap. II. Règles relatives aux poursuites contre les agents du Gou-
vernement.
PREFACE. XIX

" d'ailleurs, permettez-moi de le dire en passant,


« que ce cadre soit le mieux approprié à un exposé
«
méthodique des règles du droit administratif. Il
« entraîne souvent à
morceler l'étude de certaines
«
matières; il est quelquefois embarrassant et il
«
laisse à peu près autant de place que les autres
" à l'arbitraire pour le classement des matières du

«
droit administratif dans la division qui embrasse
«
les choses 1. »
« Je remercie l'honorable Président d'avoir réclamé
la priorité pour mon Traité de droit public et admi-
nistratif. Peut-être cette réclamation n'est-elle pas
fondée. Il est possible que la même pensée soit venue
à deux écrivains en même temps, et que chacun d'eux
soit inventeur du plan. Je ne sais pas si le professeur
de Pise l'a pris dans mon ouvrage, et bien que j'aie
fait connaître cet ordre d'exposition depuis plus de
quinze années, je ne prétends, sur cette idée, à au-
cun droit exclusif. Elle a pu venir à d'autres sans
qu'ils eussent connaissance de mon livre, d'autant
plus qu'il y a là moins une découverte que l'exten-
sion d'une classification fort ancienne à des matières
auxquelles on ne l'avait pas appliquée jusqu'à pré-
sent.
«
L'approbation qui lui a été donnée en Italie me
surprend moins que les critiques dont elle a été

1 Bulletin de la Société, 1876, p. 9, livraison de janvier.


XX PREFACE.

l'objet en France, moins surtout que les objections


dont M. Aucoc s'est fait l'organe dans son discours
d'installation. « Ce plan a, dit-il, l'inconvénient de
morceler certaines matières. » D'abord il est évident
qu'un plan rationnel, quel qu'il soit, donnera prise
à la même objection, puisqu'il aura pour résultat,
quoi qu'on fasse, de faire rentrer des lois séparées
dans une coordination faite après coup. Plus la mé-
thode sera rationnelle et plus sera complète la fusion
des éléments qu'on y fera entrer. Si l'objection de
M. Aucoc était fondée, ce qu'il y aurait de mieux à
faire consisterait à expliquer chaque loi article par
article, pour ne point diviser les matières, en renon-
çant à toute vue d'ensemble. Il n'y aurait d'ailleurs
aucune raison de commencer plutôt par une matière
que par une autre et on finirait par adopter l'ordre
alphabétique, comme l'ont fait plusieurs écrivains,
et parmi eux un des plus estimés, M. Gabriel Du-
four. Qu'on prenne la peine de parcourir la table des
matières qui est à la fin de l'ouvrage, et on verra
facilement que cet inconvénient a été grossi et que
les matières ne sont pas très morcelées. Ce désa-
vantage, s'il existait, serait largement compensé. Le
plan rationnel que nous avons adopté est tel, en effet,
qu'on pourrait le conserver dans une codification des
lois administratives, si jamais une pareille entreprise
était commencée. Quel est le plan qui pourrait ré-
sister à cette épreuve? Qu'on ouvre tous les ouvrages
PREFACE. XXJ

de droit administratif et qu'on y cherche un ordre


qui pût être suivi par le législateur s'il jugeait op-
portun de refondre dans un corps de lois, les dis-
positions dont l'ensemble constitue notre droit admi-
nistratif. On n'en trouvera pas un seul qui puisse
sortir victorieux de cet examen, tandis que le mien
a fait preuves, puisqu'il a déjà servi de base à la
codification des lois civiles et que, depuis des siè-
cles, il a constamment été adopté.
« M. Aucoc reproche à ce plan d'être parfois em-
barrassant et même de prêter à l'arbitraire spéciale-
ment en ce qui concerne la division des choses. Ces
objections sont trop vagues, et il est vraiment re-
grettable que l'honorable Président n'ait pas pu, dans
son discours, donner à sa pensée plus de développe-
ments. Embarrassant! Chaque méthode a ses diffi-
cultés, et je ne prétends pas que la mienne en soit
exempte. Mais puisque tout système a les siennes, il
faut en prendre son parti et ne pas refuser ses préfé-
rences à ce qui est rationnel sur ce qui ne l'est pas
ou ce qui l'est moins. Arbitraire! Je n'aperçois pas
comment il pourrait se glisser dans la division des
choses la moindre part d'arbitraire. Le domaine pu-
blic de l'État, des départements et des communes ; le
domaine privé de l'État, des départements et des
communes; les choses soumises à l'approbation ou à
la concession administrative; les servitudes d'utilité
publique, tels sont les termes que comprend la divi-
XXIJ PREFACE.

sion des choses, et cette suite d'idées est en quelque


sorte forcée.
»
Ces raisons nous ont déterminé à conserver notre
plan; elles nous font espérer qu'il sera plus tard
adopté généralement dans l'enseignement d'abord et
enfin dans la législation. »
Comment expliquer l'opposition faite à l'application
d'une méthode qui a pour elle tant de précédents ?
Les jurisconsultes de l'administration ont craint
qu'en l'adoptant ils ne parussent subordonner le droit
administratif au droit civil. Ils n'admettent pas que
le droit administratif ne soit qu'une collection d'ex-
ceptions au droit privé. Dans leur esprit, le droit
administratif a des principes qui lui sont propres
et ils ne veulent pas l'enfermer dans les cadres du
droit privé. Ils aiment mieux chercher une classifi-
cation originale qui ne ressemble pas à celle du
Code civil, afin de mieux marquer la séparation
entre les deux législations. Mais qu'importe l'ordre
des matières au fond des questions? Même en admet-
tant que les lois administratives ne soient qu'une
réunion de dérogations à la loi commune, ce n'est
pas une raison pour refuser à cette étude une exis-
tence séparée. Ces exceptions, en effet, peuvent se
rattacher à un principe et découler de la même idée.
On peut en trouver la preuve dans le traité de la
Justice administrative par M. Dareste. L'auteur
donne au droit administratif le caractère que ne veu-
PREFACE. XXIIJ

lent pas lui reconnaître les adversaires de notre mé-


thode. « Ainsi que le droit civil, dit-il, le droit ad-
ministratif se rapporte tout entier aux personnes,
aux choses et aux actions. L'État et les corpora-
tions publiques toujours intéressés, sinon directement
engagés dans les contestations administratives, sont
des personnes civiles. Ils peuvent être, comme tout
le monde, propriétaires, créanciers, débiteurs, sauf
à ne pas l'être de la même manière que tout le monde.
Ils peuvent intenter ou soutenir des actions réelles
ou personnelles, sauf à les porter devant des juges
spéciaux. La marche que nous avons à suivre est
donc tracée d'avance. C'est dans l'ordre même du
Code civil que nous allons exposer les droits de l'ad-
ministration, ses obligations, les actions qui en ré-
sultent et la juridiction compétente pour y statuer 1. »
Un peu plus haut, il avait dit : « Pour bien com-
prendre ce droit, il convient de le rattacher au droit
civil comme on rattache l'exception à la règle. »
Cette méthode n'a cependant pas empêché M. Dareste
de relier toutes ces exceptions à des principes et d'ex-
poser le contentieux administratif suivant un plan
logique dont toutes les parties sont bien ordonnées.
Le point de vue civil n'y est pas prédominant et les
solutions adoptées par l'auteur ne se ressentent pas
de la méthode empruntée au droit privé. Il a systé-

1 La justice administrative en France, par R. Dareste, p. 198.


XXIV PREFACE.

matisé la législation administrative, en employant


les cadres du droit civil sans céder au droit civil
pour le fond et en tenant compte des raisons adminis-
tratives autant que s'il avait suivi une autre classi-
fication. Il n'y a donc pas à redouter, cet exemple le
prouve, que la forme emporte le fond.
DROIT PUBLIC ET CONSTITUTIONNEL.

Sommaire.
1. La société est un état naturel et nécessaire.
2. Elle est un moyen et non un but.
3. Rôle de l'État.
4. Sa mission n'est pas purement négative.
5. L'intervention des pouvoirs publics varie suivant les lieux et les temps.
6. Distinction entre les diverses espèces de droits.
7. Définition des mots administration, droit administratif, droit public et droit cons-
titutionnel.

1.La société n'est pas une oeuvre humaine sortie d'un


accord de volontés. L'homme a été fait sociable comme il a
été fait animal vertébré; il ne vit pas à l'état de nature et on
ne connaît pas d'exemple de contrat social ayant formé l'État 1.
Aristote a formulé la vraie doctrine, sur ce point, dans cette
définition d'une concision remarquable, qu'on a tant de fois
citée : Çwov -Kokniwv 5 avôpaMtoç, l'homme est un animal politique,
c'est-à-dire fait pour vivre dans une cité (TTO'XIÇ) régie par des
lois.
8. Si la société est un état nécessaire, elle n'est cependant
qu'un moyen de conduire l'homme à sa destinée et non un but

Voir l'Introduction (tome premier) où les propositions du chapitre préli-


1

minaire sont traitées avec développements.


B. — II. 1
2 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

suprême auquel tout doive être sacrifié. L'absorption des ci-


toyens par l'État dans l'intérêt d'une grandeur artificielle de
tous au détriment de chacun, serait opposée au but de l'orga-
nisation sociale qui ne doit être qu'un instrument de progrès
pour l'individu.
3. Voici, d'après ce qui précède, la règle générale qui
doit présider aux rapports de l'État avec les particuliers. As-
surer à l'individu la plus grande latitude pour son dévelop-
pement moral et physique et ne lui imposer que les restric-
tions nécessaires à faction légitime du gouvernement, tel est
le premier principe à observer. Avant tout, l'Etat est créé et
organisé pour procurer la garantie des droits individuels. Or,
ne serait-ce pas un étrange protecteur s'il commençait par
écraser ses protégés?
4. Ce n'est pas à dire pour cela que le rôle des pouvoirs
publics soit purement négatif; ce n'est pas à dire que l'idéal du
gouvernement se réduise à un vaste système de police ou de
gendarmerie destiné uniquement à prévenir ou réprimer les
troubles, et à maintenir chacun de nous dans le cercle de son
droit. Dans plusieurs circonstances, assez nombreuses, son
action doit être positive. Il est des travaux et des services né-
cessaires ou utiles à tous, que les individus n'entreprendraient
pas, soit parce qu'ils sont au-dessus de leurs forces, soit parce
que leur exécution ne présente pas un profit suffisant. Si
l'État ne les faisait pas, tous les membres auraient à souffrir
de l'abstention générale. « Garantir la propriété, écarter les
obstacles au développement du travail individuel, c'est exercer
une action indirecte ou négative. Mais dessécher un marais
pour purifier une atmosphère fétide, construire un chemin ou
creuser un canal qui fasse communiquer un centre de produc-
tion avec un foyer de consommation, cela s'appelle agir et
non empêcher; c'est faire usage d'un pouvoir direct et posi-
tif. » « Tous les intérêts doivent être pesés dans la même
balance, de sorte que l'administration puisse établir une pon-
dération et un équilibre qui seraient impossibles si l'admi-

1 Derecho administrative, par Manuel Colmeiro, t. I, p. 12


DIVISION ET DEFINITIONS. 6
nistration n'avait qu'un pouvoir négatif, un veto capable d'em-
pêcher, mais dépourvu de toute puissance active. Le gou-
vernement n'est pas seulement un bouclier, c'est aussi un
levier 1. »
5. On ne saurait, d'ailleurs, pour déterminer cette action
positive, établir une règle invariable qui s'applique à tous les
pays et à toutes les époques. Il est des nations chez lesquelles,
par suite de causes tirées du climat ou du tempérament, l'in-
dividu est porté à l'activité et à l'initiative; chez d'autres, au
contraire, il est inerte, fuit la responsabilité, et les pouvoirs
publics sont obligés de suppléer à son action. Entre l'initiative
du peuple anglais et celle dn peuple français, il y a une diffé-
rence qui explique pourquoi, chez les premiers, le système
du self government a pris une large extension, tandis que, chez
les seconds, la centralisation occupe une place prépondérante.
Sans doute, l'étreinte de la centralisation devenant cause, à
son tour, a fini par aggraver la torpeur d'où elle était sortie ;
mais on ne peut pas nier qu'il n'existe une différence native
qui explique, au moins en partie, celle des régimes sous
lesquels vivent les deux peuples. Cette observation s'applique
à deux époques de l'histoire du même pays. Au siècle de
Charles-Quint, par exemple, il circulait dans toutes les parties
de la monarchie espagnole une sève, une activité qui rendait
l'action des pouvoirs publics moins indispensable qu'elle ne
l'est aujourd'hui.
Ainsi garantir la jouissance et l'exercice des droits indivi-
duels ne demander à l'individu que les sacrifices indispen-
,
sables, suppléer à l'action de chacun suivant la mesure qu'exige
le caractère du peuple : tels sont les devoirs fondamentaux du
gouvernement.
6. Les droits individuels sont de plusieurs sortes. Les uns
s'appellent civils parce qu'ils sont relatifs aux intérêts privés
(jus civile est quod ad singulorum utilitatem attinet). D'autres
constituent les droits publics du citoyen. Les droits publics sont

1 Ibid., id., t. I, p. 11. «


El gobierno no es solo un escudo; es tambien una
palanca. »
4 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

la liberté individuelle, la liberté religieuse, la liberté de la


presse, la liberté de réunion et d'association, la liberté du
travail et de l'industrie et autres droits analogues qui ont pour
caractère d'être absolus, c'est-à-dire d'appartenir à tous, sans
distinction d'âge ni de sexe, et même pour la plupart aux étran-
gers. Il ne faut pas les confondre avec les droits politiques qui
n'appartiennent qu'aux personnes auxquelles la loi les accorde,
qu'elle refuse aux femmes, aux mineurs et aux interdits, et
dont les étrangers n'ont la jouissance et l'exercice qu'à la
condition d'obtenir la naturalisation. Les droits publics étant
absolus, nul ne pourrait, sans qu'il y eût oppression, être
dépouillé de leur jouissance ou de leur exercice. Quant aux
droits politiques, comme ils concernent la constitution des pou-
voirs publics, l'intérêt de tous et de chacun demande qu'on
ne les confère qu'à ceux qui sont capables de les exercer. C'est
pour cela que les droits politiques sont appelés relatifs. A la
vérité, à mesure que l'instruction s'étend, le cercle des droits
politiques doit s'élargir ; mais ceux qui, pour une raison
ou une autre, sont incapables de les exercer, n'ont pas à se
plaindre de ce qu'on leur refuse une attribution qu'ils ne se-
raient pas en état d'utiliser ni pour tous ni pour eux-mêmes 1.
Il arrive souvent que l'on comprend sous les mots droits
publics non-seulement les droits absolus, mais aussi les droits
politiques. C'est pour cela que dans plus d'un traité le droit
constitutionnel est placé sous le titre général de droit public.
Nous distinguerons : 1° le droit public qui traitera des droits
absolus du Français et de l'étranger établi en France, avec
indication des restrictions établies par la loi à l'exercice de
chacun de ces droits; 2° le droit politique ou constitutionnel,
c'est-à-dire l'ensemble des règles et dispositions sur la cons-
titution des pouvoirs publics et la participation de chacun à

1 Les législateurs de la Constituante, dit M, Lanfrey, considérant avec


«
raison le droit de suffrage, non comme un droit naturel, mais comme un
droit exclusivement politique que la société conférait aux citoyens en vue
de sa propre utilité, ils devaient nécessairement avoir celui de demander
aux citoyens qu'elle appelait à l'exercer, des garanties propres à la rassurer. »
(Essai sur la révolution p. 206.)
,
DIVISION ET DEFINITIONS.

leur formation. C'est au droit constitutionnel spécialement que


5
s'applique la définition qu'Ulpien donnait du droit public : Jus
publicum quod ad statum reipublicae spectat 1.
7. Qu'est-ce que l'administration et le droit administratif?
En quoi diffèrent-ils du pouvoir politique et du droit constitu-
tionnel?
Nous avons dit qu'il existe un certain nombre d'intérêts
communs, soit à tous, soit à un nombre notable de citoyens,
qui sont confiés à la puissance publique sans l'intervention de
laquelle ces intérêts seraient en souffrance ; car ils sont d'une
telle étendue que les forces individuelles ne pourraient pas suf-
fire à leur donner satisfaction.
Les mesures à prendre pour les affaires de cette nature sont
déléguées ordinairement par le chef du pouvoir exécutif à des
agents subordonnés, et quoiqu'il retienne quelquefois la compé-
tence, cependant en général il se décharge des détails sur des
autorités secondaires. C'est en cela que consiste l'administra-
tion, et on appelle droit administratif la réunion des lois posi-
tives suivant lesquelles doit se mouvoir l'action administrative.
Il n'est pas toujours aisé, sans doute, de tracer la ligne de dé-
marcation entre le pouvoir politique et le pouvoir administratif.
Mais ordinairement le premier procède par voie d'impulsion
générale, et s'il fait quelque acte déterminé, c'est qu'il s'agit
d'une grande mesure qui entraînera des conséquences très im-
portantes. Le rôle de l'administration consiste le plus souvent
dans des attributions de détail auxquelles le chef du gouverne-
ment ne s'applique que rarement. « Le droit administratif, dit
M. Serrigny, est cette partie du droit public qui comprend les
rapports des gouvernants et des gouvernés dans le détail de
l' exécution des
mesures qui les régissent. Il est placé sur les
bas degrés du droit public. Il s'agit d'une même échelle occu-
pée par un seul pouvoir sous des noms différents ; il s'appelle
gouvernement dans les degrés supérieurs et administration
dans les degrés inférieurs 2.
»

1 Droit public, par M. Serrigny, professeur à la Faculté de Dijon, t I,


p. 132.
2 Droit public, t. I,
p. 95 et 96.
6 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

La législation administrative peut être divisée en deux parties.


En premier lieu, il faut déterminer l'agencement des autorités,
la distribution des parties du service et les rapports de subor-
dination entre les supérieurs et les inférieurs; on doit ensuite
examiner les règles qui régissent les droits des particuliers
dans leur rencontre avec l'action administrative. Pris dans un
sens large (sensu lato), le droit administratif comprend ces
deux parties et plus d'un traité, sous le même titre, se place
,
successivement aux deux points de vue. Mais si l'on prenait
avec d'autres écrivains le droit administratif dans un sens res-
treint (sensu stricto), il serait limité à la seconde partie, c'est-à-
dire qu'il aurait pour objet seulement les rapports des autorités
administratives avec les droits des particuliers. La première
partie ou l'agencement des services administratifs serait, en ce
cas, intitulée : Administration ou organisation administrative 1.
En nous conformant à ces divisions qui ont l'avantage de pré-

1Nous plaçons ici deux définitions de l'administration : « C'est la réunion


des principes et règles qui président aux rapports de l'Etat avec ses mem-
bres. » (Golmeiro, Derecho administrative, t. I, p. 7.) Le même auteur, dé-
veloppant sa pensée, ajoute un peu plus bas : « Il n'y a rien d'indifférent
pour l'administration, depuis l'intérêt le plus considérable jusqu'au plus
petit, ou pour mieux dire, rien n'est petit aux yeux d'une administration
préoccupée du bien de l'Etat, parce que ce qui est petit dans la vie privée
prend des proportions gigantesques dans la vie sociale. Il résulte de là que
son regard doit être pénétrant, sa volonté ferme, son action permanente et
sa persévérance infatigable. — L'administration a pour objet de donner satis-
faction aux besoins moraux et matériels des peuples; pour but de les sa-
tisfaire le plus largement en demandant le moins de sacrifices. » (P. 9.)
Dans son Droit administratif bavarois ( Bayerisches Verwaltungs-Recht)
M. Pozl définit en ces termes : « L'administration comprend tous les
actes émanés directement ou indirectement du Prince et qui ont pour
objet de réaliser le but de l'État. D'après la nature des choses, il faut
pour cela un ensemble de services et d'agents auxquels soit conféré le
pouvoir, dans les limites déterminées par les lois positives, de remplir cette
tâche au nom du Souverain. La réunion dans un tout systématiquement
disposé des règles juridiques suivant lesquelles ces services sont organisés
dans un Etat donné, et les agents nommés et subordonnés entre eux, c'est
là ce qui constitua le droit administratif de cet État. Dans une note M. Pozl
donne une définition très concise du droit administratif. » Comme la réali-
sation du but de l'État est atteinte au moyen de l'exercice des droits de
DIVISION ET DEFINITIONS. 7

ciser, autant que possible, des notions difficiles à délimiter,


nous traiterons les quatre parties suivantes : 1° droit public;
2° droit politique ou constitutionnel; 3° administration ou orga-
nisation administrative ; 4° droit administratif.

souveraineté, on a dit aussi que « l'administration de l'État était l'exercice


du droit de souveraineté par les agents que commissionne le chef de l'État. »
(Ausübung der Hoheits Rechte durch die vom Staats Oberhaupte beauftrag-
ten Organe.)
DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

PREMIERE PARTIE.

DROITS PUBLICS. — DROITS ABSOLUS.

CHAPITRE PREMIER.

Sommaire.
8. Le renvoi contenu dans l'art. 1er de la constitution du 14 janvier 1852 aux prin-
cipes de 1789 comprenait les principes qui se réfèrent à la liberté tout aussi bien
que ceux qui sont relatifs à l'égalité.
9. Les principes de 1789 sont énumérés dans la déclaration des droits de 1791.
10. Opinion de Joseph de Maistre.
11. Différence entre la déclaration des droits de la révolution française et la déclara-
tion des droits américaine.
12. Déclaration des devoirs.
13. Énumération.

8.
C'est une proposition hors de cloute, même sous le régime
des constitutions ou chartes qui ne le disent pas expressé-
ment, que les principes de 1789 sont la base de notre droit
public. L'article 1er de la constitution du 14 janvier 1852 les
consacrait par un renvoi formel et, bien que la constitution du
23 février 1875 garde le silence sur ce point, il n'est venu à
l'esprit de personne de voir dans cette différence de rédaction
un changement de régime. On s'est cependant divisé sur le sens
et la portée de ce renvoi formel ou implicite aux principes de 89.
D'après les uns, il faudrait se borner à comprendre sous
ces mots la suppression du régime féodal, avec toutes ses
conséquences, ou plus généralement les règles et disposi-
tions qui ont fait du peuple français une réunion de citoyens
PRINCIPES DE 89. 9

égaux devant la loi. Si les constitutions ou chartes lui ont in-


contestablement donné cette acception, toutes n'y ont pas com-
pris les garanties des libertés politiques. Ainsi la constitution du
14 janvier 1852, bien qu'elle rappelât expressément les prin-
cipes de 1789, ne pouvait que difficilement recevoir une inter-
prétation aussi libérale. La preuve en est, disent ces écrivains,
qu'immédiatement après la constitution du 14 janvier 1852,
furent promulguées des lois d'un caractère très restrictif. Des
mesures furent prises qui non-seulement réprimaient les excès
de la liberté, mais qui même en empêchaient préventivement
l'usage. N'est-ce pas la preuve la plus certaine pour établir
que des deux termes qui constituent les principes de 1789,
l'égalité civile et la liberté politique, la constitution de 1852
n'avait entendu maintenir que le premier?
A mon sens, c'était distinguer là où la loi ne distinguait pas.
Sans doute les lois organiques de 1852 avaient serré la liberté
politique de liens étroits et institué un régime qui différait
essentiellement du régime de 1789. Mais à plusieurs reprises,
l'initiative du gouvernement releva le voile qu'au milieu de
circonstances exceptionnelles, il avait jeté sur la statue de la
Liberté 1. Les lois restrictives pouvaient être modifiées ou rap-
portées, et au-dessus de ces variations restait la loi constitu-
tionnelle qui, en renvoyant en termes généraux aux principes
de 89, avait implicitement consacré non-seulement les droits
qui se rattachent à l'égalité, mais encore ceux qui découlent de
la liberté. Aucun doute ne devrait, en tout cas, s'élever au-
jourd'hui sous la constitution du 25 février 18752.

1 Circulaire sur la presse du ministre de l'Intérieur, en date du 9 dé-


cembre 1860.
2 C'est ce que nous
avons soutenu à la tribune du Sénat dans la discus-
sion de la loi du 30 août 1883 sur l'inamovibilité de la magistrature. Le
garde-des-sceaux ayant soutenu que la constitution du 25 février 1875 était
muette et que l'inamovibilité avait cessé d'être un principe constitutionnel,
je répondis : « Il est vrai que la constitution ne parle pas textuellement de
l'inamovibilité de la magistrature. Si le gouvernement invoque le texte de la
loi, incontestablement il a raison. Mais vous savez comment la constitution
de 1875 a été faite. Elle a été
une oeuvre d'urgence, une espèce de transac-
tion politique entre les partis. Cette transaction a été faite d'une manière
10 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

9.
Quels sont les principes de 89 et où faut-il en chercher
l'énumération? Nous ne la trouvons pas ailleurs que dans la
déclaration des droits de l'homme. Les déclarations indiquent
dans quel esprit une constitution est conçue, et lorsqu'il se
présente des doutes, on peut les résoudre en remontant à la
pensée générale exposée dans le préambule. Assurément une
proclamation de droits, quelque générale qu'elle soit, n'en-
tend pas exclure toute limitation ; et en matière de gouverne-
ment, on ne pourra jamais poser un principe qui ne comporte
quelque exception. Mais la déclaration exprime cette pensée
saine et juste qu'avant d'établir une restriction, il faut re-
garder au principe qu'elle limite. Elle est comme un témoin
sévère dont le législateur doit affronter le regard toutes les
fois qu'il borne les droits déclarés; en un mot, c'est la loi de
la loi.
10. Joseph de Maistre attaquant la déclaration des droits, a
dit que nulle part il n'avait vu l'homme; qu'il connaissait des
Français, des Anglais ou des Allemands, mais que l'homme,
en général n'existait pas. Ce qui, au contraire, distingue la
révolution française de tous les événements antérieurs c'est
,
précisément qu'elle s'est, en beaucoup de points, placée au-
dessus des idées et des intérêts nationaux, qu'elle s'est élevée
jusqu'à la notion générale de l'humanité et que dans le citoyen
elle a vu plutôt l'homme que le Français. C'est parce que le

si prompte, si rapidement rédigée qu'on n'a pas eu le temps de faire une


oeuvre achevée. M. Wallon peut vous dire que l'organisation politique a tout
dominé et qu'on n'a pas eu le temps de rédiger une constitution complète.
Est-ce à dire pour ce motif qu'il n'y ait pas de principes constitutionnels?
Si vous invoquez le silence de la constitution, il faut aller jusqu'à dire qu'il
n'y a plus un seul principe constitutionnel. Est-ce que la constitution con-
sacre la liberté de la presse? Est-ce qu'elle consacre la liberté de réunion et
d'association, la liberté religieuse? Enfin est-ce qu'elle parle expressément
de tous ces droits qui, depuis 1789, sont en quelque sorte le fond commun
de toutes les constitutions? Eh bien! je vous le demande, vous croiriez-
vous autorisés à supprimer par une loi la liberté de la presse, par exemple
en exigeant l'autorisation préalable ? Et si vous tentiez cette entreprise témé-
raire est-ce qu'on ne vous reprocherait pas de violer un principe constitu-
,
tionnel? » (Séance du 23 juillet 1883.)
PRINCIPES DE 89. 11

mouvement de 1789 a dépassé les limites d'une politique locale,


qu'il a eu cette force d'expansion qui souleva tous les peuples,
au milieu des plus profondes diversités de races.
44. Les déclarations de droits de nos constitutions révolu-
tionnaires sont une imitation de la constitution américaine. A la
vérité, l'acte fédéral des États-Unis de 1787 était beaucoup
moins explicite que la déclaration de l'Assemblée constituante.
Au lieu de faire une longue énumération, les Américains s'é-
taient bornés à déclarer que « l'homme avait été doué par le
Créateur de certains droits inaliénables. »
Mais cette proposition n'avait pas tardé à recevoir les déve-
loppements qui en précisaient la portée par dix amendements
votés au premier congrès, le 25 septembre 1789, et ratifiés dans
les États le 15 décembre 1791. L'énumération contenue dans
les amendements était au fond la même que celle de notre dé-
claration des droits de l'homme et l'article IX ajoutait qu'elle
« ne devait pas être interprétée comme une dénégation ou un
affaiblissement des autres droits que le peuple s'est réservés. »
43. On a fait remarquer qu'il est dangereux de proclamer
des droits si on ne prend pas soin de mettre à côté l'énumé-
ration des devoirs correspondants ; que c'est le moyen le plus
sûr d'exalter l'individu, de lui inspirer une confiance sans limite,
et qu'il est difficile d'asseoir un gouvernement sur des citoyens
infatués de leurs droits. L'objection n'est pas nouvelle; Gré-
goire avait proposé à l'Assemblée constituante d'ajouter le
manifeste des devoirs à la proclamation des droits. Mais quoi-
que énergiquement appuyée par le clergé , l'énumération des
devoirs fut repoussée comme inutile : « La perfection des de-
voirs politiques pour chaque homme, ce n'est pas autre chose
que le respect des droits d'autrui et l'exercice consciencieux de
ses propres droits 1. »
La constitution du 5 fructidor an III fit ce que les Consti-
tuants n'avaient pas voulu adopter. La déclaration qui lui sert
de préambule se divise en deux parties : les droits (art. 1 à 22)

1 Essai sur la révolution, par Lanfrey, p. 173. Nous recommandons au


lecteur les deux chapitres de cet ouvrage intitulés, le premier : « Droits de
l'homme, et le second : Principes de 1789, p. 147 à 226. »
12 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

et les devoirs (art. 1 à 9). Mais les devoirs, quand ils n'ont
pas de sanction, ne doivent pas figurer au milieu des disposi-
tions de la loi, car le législateur ordonne et n'a pas pour
mission de donner des conseils 1. Si le devoir était, au con-
traire, prescrit avec sanction, il aurait pour corrélatif le droit
du particulier lésé ou celui de la société; il y aurait double
emploi à sanctionner à la fois le droit et le devoir. Le Code
des devoirs ne pourrait être que la répétition renversée du
Code civil et du Code pénal.
48. L'égalité civile, la liberté individuelle, l'inviolabilité du
domicile et de la propriété, la liberté de conscience et des
cultes, la liberté de la presse, le droit de réunion et d'associa-
tion le droit de pétition, la gratuité de la justice et le droit
,
pour tout citoyen de n'être jugé que par ses juges naturels, tels
sont les droits individuels que la Déclaration a consacrés. Il faut
ajouter à cette énumération quelques principes qui ne sont
qu'un moyen de garantir les précédents, le vote de l'impôt par
la nation ou ses représentants, la responsabilité des dépositaires
de l'autorité publique, l'inamovibilité de la magistrature et la
séparation des pouvoirs. Ces règles secondaires touchent aux
institutions constitutionnelles et peuvent être considérés comme
le trait d'union entre le droit public et le droit politique.

1 L'article 2 de la déclaration des devoirs portait : « Tous les devoirs


de l'homme et du citoyen dérivent de ces deux principes gravés par la
nature dans tous les coeurs : Ne faites pas à autrui ce que vous ne voudriez
pas qu'on vous fît. — Faites constamment aux autres le bien que vous vou-
driez en recevoir. »
ÉGALITÉ CIVILE. 13

CHAPITRE DEUXIÈME.

EGALITE CIVILE.

Sommaire.
15. Des ordres dans l'ancien régime.
16. Inégalité politique.
17. Inégalité en matière d'impôt. — Taille personnelle et taille réelle.
18. Origine de cette inégalité.
19. Inégalité résultant de l'arbitraire dans la répartition de la taille.
20. Inégalité en matière de milice.
21. Profonde démarcation entre le roturier et le gentilhomme.
22. Marche ascendante des classes inférieures. — Esclavage. — Servage. — Main-
morte.
23. Diocèse de Saint-Claude.
24. Loi du 4 août 1789.
25. Conséquences du principe d'égalité civile.
26. Les conditions de capacité, d'âge et de moralité ne sont pas contraires au prin-
cipe d'égalité.
27. Du sens vrai du mot classes de la société dans les lois sur la presse qui punissent
l'excitation à la haine des classes de la société les unes envers les autres.
28. Importance de fait de la noblesse.
29. Origine des titres nobiliaires.
30. Achat des charges emportant la noblesse.
31. Suppression des distinctions nobiliaires par la législation révolutionnaire.
32. Noblesse impériale. — Grands dignitaires et grands officiers.
33. Comtes et barons de l'Empire.
34. Majorais. — Majorais de propre mouvement et majorats sur demande.
3a. Article 259 du Code pénal.
36. Rétablissementde la noblesse sous la Restauration.
37. Abrogation de l'articte 239 du Code pénal par la loi du 28 avril 1832.
38. Loi sur les majorats du 12 mai 1833.
39. Abolition des titres nobiliaires en 1848 et rétablissement en 1832. — Loi du
28 mai 1858 qui remet en vigueur l'article 259 du Code pénal. — Décret du
8 janvier 1859 qui rétablit le conseil du sceau des titres.
40. Conseil du sceau.
41. Loi du 7 mai 1849 sur les majorais.
42. Délibération du Sénat sur les titres de noblesse des familles anoblies sous l'Empire.
14 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

43. Question. Le ministère public a-t-il le droit d'agir en rectification des actes de
l'état civil ?
44. Suite.
45. Suite.
46. Suite.
47. Suite.
48. Suite.
49. Suite.
50. Suite.
51. Droit comparé. — Belgique.
52. — Russie.
53. — Espagne et Portugal.
54. — Angleterre.
55. — Allemagne.

15. Avant 1789, la population était divisée en trois ordres :


le clergé, la noblesse, le tiers-état. Ce qui constituait le carac-
tère essentiel de l'ordre, d'après Loyseau, c'était " la dignité
avec aptitude à la puissance publique. » Cette définition, ainsi
que le reconnaissait son auteur lui-même, ne s'appliquait pas
au tiers-état, qu'on n'appelait ordre qu'abusivement. « Comme
ainsi soit, ajoutait Loyseau, qu'il comprenait tout le reste du
peuple, outre les ecclésiastiques et les nobles, il faudrait que
tout le peuple en France, sans exception, fût en dignité. Mais
en tant que l'ordre signifie une condition ou bien une espèce
distincte de personnes, le tiers-état est l'un des trois ordres ou
États généraux de France 1. » Chaque ordre avait ses représen-
tants spéciaux et votait séparément aux États généraux.
16. Cette délimitation politique avait depuis longtemps
cessé d'être offensante pour le tiers-état; car le pouvoir royal
n'avait pas convoqué les États généraux depuis 1614. L'inéga-
lité politique ne choquait plus les bourgeois qu'aux réunions
des États provinciaux, assemblées locales où la représentation
et le vote avaient lieu par ordre, comme aux États géné-
raux.
17. En matière d'impôt, la noblesse ou la possession de
terres nobles dispensait de payer la taille. Dans les pays de
taille personnelle, l'exemption était attachée à la qualité de

1 Loyseau, Des ordres, oh. 1, n° 3, et ch. 8, n° 1.


ÉGALITÉ CIVILE. 15

l'imposé. A la vérité, comme d'ordinaire le gentilhomme ex-


ploitait par des fermiers et que ceux-ci étaient tenus de la taille
d'exploitation, le propriétaire noble la payait indirectement,
parce que, dans les clauses et conditions du bail, le fermier ne
manquait pas de rejeter l'impôt foncier sur le bailleur. Le pri-
vilège consistait en ce que le propriétaire noble, s'il exploitait
lui-même, était dispensé de la taille d'exploitation pour un
certain nombre de charrues (quatre d'abord et plus tard seu-
lement deux). Dans les pays de taille réelle, les terres tenues
en fief n'étaient pas soumises à cet impôt, qui pesait unique-
ment sur les biens tenus en roture 1.
48. D'où venait ce régime exceptionnel? Il survivait à la
cause qui l'avait fait établir. Créé pour subvenir aux besoins
de la guerre, l'impôt de la taille épargna d'abord la noblesse
qui versait généreusement son sang sur les champs de bataille.
Plus tard, le peuple et la bourgeoisie se firent tuer comme les
gentilshommes, mais ceux-ci gardèrent le privilège en vertu de
la tradition. La royauté, plus préoccupée des intérêts du trésor
que de la susceptibilité de la noblesse , maintenait rigoureuse-
ment la faveur dans les limites de l'impôt primitif, et lorsqu'il
s'agissait d'établir des taxes nouvelles, ne manquait pas d'y
assujettir tous les contribuables, sans aucune acception d'ordre
ou de classe. Elle voulut même aller plus loin et porter la co-
gnée sur la vieille exemption elle-même, par l'établissement
d'une subvention territoriale applicable à tous les biens. Mais
ses bonnes intentions échouèrent devant la résistance de l'aris-
tocratie qui, bien que réduite au rôle de noblesse de cour, avait
conservé par ses fonctions ou charges auprès du roi une
grande influence sur les affaires.
19. C'était assurément une cause grave d'inégalité et de frois-
sements que l'existence d'un privilège légal; mais ce n'était rien

1 Le fief était la terre qui se rattachait par le lien féodal à un fief dominant
en même temps que d'autres domaines lui étaient rattachés au même titre.
La terre tenue en roture était celle qui dépendait d'un fief mais qui n'avait
pas de fiefs dans sa mouvance. L'alleu ou franc-alleu n'était tenu à aucun
hommage. « Tenir en alleu, c'est tenir de Dieu. » Noblesse, par Louandre,
p. 57.
16 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

en comparaison de l'inégalité de fait qui faussait la répartition


entre les taillables. Le seigneur était assez puissant pour obtenir
de l'intendant une faveur au profit de sa paroisse ; celle-ci l'en
récompensait par des allégements accordés à ses fermiers. L'iné-
galité se montrait aussi dans le recouvrement. Les contribuables
furent jusqu'aux temps les plus proches de la révolution obligés
de faire l'office de collecteurs, dure charge qui rendait les collec-
teurs solidairement responsables de la rentrée des impôts et
rappelait la misérable condition des curiales romains. Les gen-
tilshommes et même quelques bourgeois, comme les avocats à
la Cour des aides, n'étaient point assujettis à cette obligation 1.
20. Autre distinction d'autant plus pénible au peuple qu'il
s'agissait de l'impôt le plus dur ; le roturier tirait à la milice et
le gentilhomme en était exempt. A ces inégalités anciennes était
venue s'ajouter une cause de grande irritation.
« L'influence de la vieille noblesse avait en 1781 arraché au
gouvernement une ordonnance qui exigeait des officiers, à par-
tir des lieutenants, la preuve des quatre quartiers et interdisait
les grades aux roturiers, excepté à ceux qui étaient chevaliers
de Saint-Louis. Cette ordonnance réduisit les avantages du ser-
vice à 18,000 personnes au plus sur une population de 4,800,000
hommes en état de porter les armes. » (Louandre, Noblesse,
p. 188.)
La différence entre nobles et roturiers n'était même pas effacée
par le crime, car le genre de supplice différait suivant la nais-

1 « La noblesseétait de droit affranchie de la taille parce que la taille était


un impôt servile et elle l'a payée à certains moments pour les terres qu'elle
tenait en roture, pour celles qu'elle achetait aux bourgeois, pour les maisons
qu'elle n'habitait pas, pour les domaines qu'elle faisait valoir elle-même;
elle l'a payée avec les cens et les doublements dans quelques provinces en
1540, 1664, 1702 et dans tout le royaume en 1643 et 1759 ; elle a payé, en
outre la plupart des subsides votés de 1302 à 1614 par les États généraux
elle a payé le centième sous Philippe le Bel, le dixième sous le roi Jean ,;
les vingtièmes sous Louis XV et Louis XVI, la capitation sous Louis XIV
et pendant une grande partie du XVIIIe siècle; enfin à toutes les époques, elle
a payé depuis leur création tous les impôts indirects. La corvée royale, l'us-
tensile des troupes, le logement des gens de guerre sont la seule des charges
publiques dont elle ait été totalement affranchie. «(Louandre, Noblesse, 83.)
p.
ÉGALITÉ CIVILE. 17

sance. Le gentilhomme mourait décapité à côté du gibet où le


roturier était pendu 1.
34. L'inégalité tenait surtout à la persistance des droits
féodaux, car les seigneurs avaient conservé sous cette forme
une partie de leur souveraineté dans le fief. Ces droits n'é-
taient plus la rémunération d'un service rendu, et ne pouvaient
plus s'expliquer qu'historiquement depuis que le pouvoir royal
s'était substitué au pouvoir féodal. Ils étaient cependant consi-
dérés comme « partie intégrante de la propriété » (Discours de
l'avocat-général Séguier, à la séance du parlement du 22 février
1776). Comme l'a fait observer M. Jules Simon, Richelieu en
enlevant à la noblesse son pouvoir politique et en lui laissant
ses privilèges, avait augmenté l'inégalité et creusé un gouffre
plus profond entre les classes 2. Ces droits féodaux cependant
avaient, au moment de leur création, marqué une étape dans la
marche des travailleurs vers leur affranchissement.
33. De l'esclavage personnel qui faisait de l'esclave une
chose soumise à la propriété d'autrui (dominio alieno subjici-
tur), les classes laborieuses s'étaient élevées par un progrès
lent à la condition moins dure des serfs et des mainmorta-
bles. Le serf n'était pas, comme l'esclave, la chose ou la pro-
priété du maître, mais il était soumis à la puissance du seigneur,
qui pouvait l'emprisonner même arbitrairement et ne devait
compte qu'à Dieu de l'exercice de son pouvoir. « Entre le serf
et son seigneur il n'y a pas de juge fors Dieu. » Les main-
mortables étaient dans une position moins dure; paysans tribu-
taires ils devaient rester sur la propriété à laquelle ils étaient
,
1
«Les nobles étaient affranchis des peines corporelles, la mort exceptée,
parce que ces peines réputées infamantes leur aurait fait perdre l'honneur
tandis que le roturier qui n'avait point d'honneur à perdre pouvait être impi-
toyablement déchiqueté. Les nobles soumis à la peine capitale gardaient
encore jusque sur l'échafaud la distinction de leur rang. Avant le supplice
ils étaient exempts de la mutilation ou de la fustigation. Au lieu de les faire
périr bourgeoisement par la corde, comme dit un vieux légiste, on leur tran-
chait la tête. Lorsqu'après la décollation, ils étaient attachés
au gibet, ou
observait encore, pour leurs cadavres, un cérémonial particulier. (Louandre,
»
ibid., p. 86).
2 La liberté politique, 3e édit.,
p. 53.
B. — II. 2
18 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

attachés et ne pouvaient pas, sans la permission du seigneur


se marier avec une personne attachée à une autre glèbe. De
la mainmorte on passa aux droits féodaux qui, pour la plu-
part, n'étaient que le rachat de la mainmorte1; tels étaient,
en particulier, les droits de formariage, de chevage et autres 2.
38. La conversion de la mainmorte en droits féodaux ne
s'opéra pas en tous lieux simultanément, et, à la veille même
de la révolution, il y avait encore des mainmortables dans le
diocèse de Saint-Claude, sous les yeux d'un clergé dont, il est
vrai, on a eu raison de vanter la modération et l'humanité,
mais qui n'en était pas moins de par la loi en possession d'une
arme redoutable. Sans doute Dunod, tout en reconnaissant que
les sujets des terres de l'Église vivaient sous cette dure loi,
ajoute que les mainmortables étaient mieux nourris que les
hommes libres des autres provinces, et que, loin de déplorer
leur sort, ils s'estimaient plus heureux que les hommes francs
des diocèses voisins 3. Nous avons été surpris de trouver cette
excuse reproduite dans l'ouvrage de M. de Montalembert sur les
Moines d'Occident4.

1 Histoire du droit, par M. Laferrière, t. V, p. 455 et 456. « Voulaient-ils


se marier, ils devaient choisir leur conjoint parmi les personnes attachées à
la même glèbe; sinon l'autorisation du seigneur était indispensable et c'est
l'obligation qui était désignée sous le nom de formariage. » (Revue histori-
que, 1859, p. 84. Beaumanoir, édit. Beugnot, p. 232 du tome II. Histoire de
France, par Henri Martin, t. III, p. 12.)
2 Laferrière, ibid., p. 94. On a discuté sur le droit du seigneur, droit de

jambage, etc., etc. M. de Jubainville, dans une brochure consacrée à l'exa-


men de l'Histoire de France, par M. Henri Martin, a fait justement remarquer
qu'il y avait à distinguer plusieurs époques. Le maître avait sur la femme es-
clave un droit de propriété qui lui donnait le pouvoir d'en disposer à volonté.
Mais lorsque l'esclavage fut remplacé par le servage, ce droit fut remplacé
par des redevances. Le droit du seigneur, tel qu'il existait au moyen âge,
c'est-à-dire le droit racheté par des redevances, était donc une réduction de
l'ancienne servitude.
3 Histoire du droit, par Laferrière, t. V, p. 455, et Dunod, Prescriptions,

p. 387.
4 M. Laferrière s'exprime à ce sujet, avec une grande élévation de pensée.

« Ceci prouve, dit-il, que dans l'effet des


institutions, il ne faut pas s'atta-
cher seulement au côté utile, au résultat pratique; car en suivant le résultat
ÉGALITÉ CIVILE. 19

34. La révolution de 1789 eut pour mission principale de


faire cesser ces distinctions; elle supprima les droits et rede-
vances dont l'existence témoignait de l'ancienne servitude, ou
féodalité dominante, et permit le rachat de ceux qui venaient
de conventions ou de la féodalité contractante, distinction équi-
table qui ne fut pas observée par la Convention. La loi du
4 août 1789, article 11, porta que « tous les citoyens, sans
distinction de naissance, pourraient être admis à tous les emplois
et dignités ecclésiastiques, civiles et militaires, et que nulle
profession utile n'emporterait dérogeance1. » — L'article 1er
de la loi des 19-23 juin 1790 supprima la noblesse héréditaire
et abolit les titres nobiliaires. Complétant les dispositions pré-
cédentes, la constitution des 3-14 septembre 1791, dans son
préambule, décida qu'il n'y aurait plus aucune supériorité
que celle des fonctionnaires publics clans l'exercice de leurs
fonctions. » — La loi du 21 janvier 1790 avait aussi effacé la
distinction entre les gentilshommes et les roturiers sous le rap-
port de l'exécution des peines : « Les délits du même genre
seront punis par les mêmes genres de peine quels que soient le
,
rang et l'état des coupables. »
35. Ce principe était fécond en conséquences. Les ordres
étaient abolis; chacun prenait part à l'élection des mêmes re-
présentants et avait droit aux mêmes conditions d'électorat
ou d'éligibilité. Les impôts directs devaient être répartis entre

de l'expérience attestée par Dunod, il aurait fallu conclure que mieux valait
l'état de mainmorte que l'état de liberté La liberté est d'un prix inesti-
mable, et c'est en elle-même et pour elle-même qu'il faut l'aimer dans les
institutions civiles. » (T. V, p. 96.)
1 Voir sur la dérogeance, le chapitre V de la Noblesse par Louandre,

p. 153 et la Noblesse commerçante de l'abbé Coyer, 1756, 1 à 18. Ce qui dé-


rogeait dans une province, ne dérogeait pas dans une autre. Ainsi le notariat
dérogeait, excepté dans le Dauphiné, la Bretagne la Normandie et la Pro-
,
vence. « L'idée de dérogeance, dit Louandre, a été l'une des plaies de l'ancien
régime. Les bourgeois eux-mêmes en étaient atteints. Ils quittaient la vie ac-
tive pour s'isoler dans quelque domaine fieffé dont ils prenaient le nom. » No-
blesse, p. 152. M. Jules Simon (La liberté politique, 3e édit., p. 63) fait ob-
server que dans nos moeurs il reste encore des traces des idées de l'ancien
régime sur le travail, la dérogance et le « vivre noblement. »
20 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

tous les contribuables en proportion de leur revenu, sans au-


cune immunité. La loi était la même pour tous, et il n'y avait
plus de différence à faire entre le criminel gentilhomme et le
criminel roturier. En d'autres termes, à la distinction des classes
et des ordres, la révolution substituait, en matière civile, cri-
minelle et même politique, l'égalité devant la loi.
26. Il ne faudrait pas considérer comme étant contraires
à l'égalité les lois qui exigent pour être électeur ou éligible,
certaines conditions de capacité, de moralité, de domicile ou
d'âge. Ces dispositions n'emportent aucune exclusion, puisque
chacun en remplissant les conditions acquiert la pleine apti-
tude. Il en est de même des dispositions qui instituent des
juridictions spéciales pour des catégories de justiciables. Les
évêques et quelques fonctionnaires élevés, par exemple, doivent
être traduits en matière de police correctionnelle, non devant le
tribunal de première instance mais directement devant la Cour
,
d'appel ; les marins et les militaires ont leurs tribunaux par-
1

ticuliers. Ces exceptions ne sont pas incompatibles avec le


principe de l'égalité, tout Français pouvant devenir évêque,
marin, militaire.
27. Avant la loi qui actuellement régit la presse, plusieurs
dispositions ont puni l'excitation à la haine de classes de la
société les unes contre les autres 2. On a beaucoup déclamé
contre cette disposition qui semble impliquer l'existence des
classes lorsqu'elles ont disparu par l'établissement de l'éga-
,
lité civile. Pur jeu de mots ! N'est-il pas évident que dans
cette disposition le mot classe est synonyme de catégorie? Si
la loi a supprimé les classes au point de vue civil et les ordres
en matière politique, il existera toujours des positions sociales
diverses, des propriétaires, des ouvriers, des capitalistes, des

1 Code d'instruction criminelle, art. 479 à 503 et 510 à 517.


2 Art. 9 de la loi du 8 septembre 1835. « Toute provocation à la haine entre
les diverses classes de la société sera punie des peines portées dans l'art. 8
de la loi du 17 mai 1819. » Le second paragraphe de l'art. 8 permet aux tri-
bunaux d'élever la peine au double du maximum. La peine portée dans l'art.
8 de la loi du 17 mai 1819 est d'un emprisonnement d'un mois à un an et
d'une amende de 16 fr. à 500 fr.
ÉGALITÉ CIVILE. 21

fonctionnaires c'est-à-dire des catégories qui existent dans


,
toute société. Tel est le sens dans lequel devait raisonnable-
ment être prise la loi du 9 septembre 1835, et il y avait ou
subtilité ou mauvaise foi à trouver dans le mot classes le moin-
dre prétexte à critique.
38. La noblesse existe encore, même légalement, et si elle
n'est plus investie de privilèges, en fait, elle tire des avan-
tages des souvenirs du passé. Les titres de noblesse étant
reconnus par la loi, il sera intéressant de suivre l'histoire des
dispositions qui les ont successivement régis.
29. L'origine des titres nobiliaires se trouve dans les fonc-
tions ou charges que les compagnons des rois barbares prirent
immédiatement après la conquête, en se substituant à la plu-
part des fonctionnaires romains 1. Plus tard, la charge fut
attachée à la terre, la souveraineté se morcela, et c'est ainsi
que la seigneurie transmissible remplaça la fonction person-
nelle, révocable, viagère. Le duc ou dux était le général
commandant un corps d'armée. Le comte, cornes, ou dans la
langue des Francs graf, accompagnait l'empereur. Quant au
marquis, les duces limitanei des Latins, leur nom venait de
marche, qui signifie limite ou frontière : « Marchiones sunt qui
fines regni tuentur. » On n'est pas d'accord sur l'origine des
barons. « Je pense dit M. Serrigny, que les barons tirent leur
,
origine des Sagi barons dont il est fait mention dans l'article
56 de la loi salique, et que M. Pardessus croit avoir été les
suppléants des comtes. L'usage où furent tous les officiers de
déléguer leurs fonctions à des lieutenants, suivant le principe
admis par la législation romaine, introduisit d'autres dénomi-

1
«La Noblesse a ses racines à Rome et dans la Germanie. Après l'inva-
sion elle est représentée par une aristocratie militaire qui se recrute chez
,
les Francs et par une aristocratie fonctionnaire que se recrute plus particu-
lièrement chez les Gallo-Romains; elle a pour base sous les deux premières
races la possession viagère et amovible du bénéfice ou de la fonction pu-
blique ; sous la troisième le fief, c'est-à-dire la possession héréditaire du sol.
Dès le règne le de saint Louis, elle se dédouble et s'ouvre aux roturiers
qui sont autorisés à acquérir des fiefs ; elle est ensuite conférée par lettres
de collation, attachée à certaines charges et, en dernier lieu, mise en vente »
(Louandre, Noblesse, p. 279).
22 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

nations relatives à cette délégation. Les délégués s'appelaient


tantôt vicomtes, quasi comitum vicem gerentes; tantôt prévôts,
quasi praepositi juri dicundo ; tantôt viguiers, quasi vicarii,
tantôt châtelains, quasi castrorum custodes. Le vidame était à
l'égard de l'évêque ce que le vicomte était à l'égard du comte 1. »
30. Les rois conférèrent dans la suite des titres aux per-
sonnes qui se distinguaient par leurs services. Au moment où
éclata la révolution, le mode le plus fécond de recruter la
noblesse, consistait dans l'achat des charges anoblissantes.
Necker a énuméré environ 4,000 charges qui conféraient la
noblesse 2, et M. de Tocqueville cite une petite ville de pro-
vince où, en 1750, il y avait 109 charges de judicature et
126 charges pour faire exécuter les arrêts. A la vérité, toutes
les charges de cette petite ville ne conféraient pas la noblesse ;
mais presque toutes donnaient quelque privilège; quand elles
n'en conféraient aucun en droit, elles en donnaient de fait par
suite de quelque abus 3.
34. Les titres nobiliaires supprimés par la législation révo-
lutionnaire reparurent sous l'Empire. L'Empereur qui, sans ja-
mais renoncer à sa qualité de fils et représentant de la Révolu-
tion, tenait cependant à établir une monarchie environnée du
même éclat que la monarchie ancienne, entreprit de créer une
noblesse impériale en prenant les noms des anciennes distinc-
1 Droit public, t. I, p. 297.
2
Administration des finances, t. III, p. 145. Voici l'énumération des princi-
pales de ces charges : 80 charges de maîtres des requêtes ; 1,000 environ dans
les parlements ; 900 dans la Chambre des comptes et à la Cour des aides ; 70
dans le Grand Conseil; 30 dans les Cours des monnaies; 20 au Conseil pro-
vincial d'Artois ; 80 au Châtelet de Paris ; 740 dans les bureaux de finances ;
50 grands baillis gouverneurs ou sénéchaux; 900 secrétaires du roi, etc.
3 Tocqueville, l'Ancien régime, p. 164. Le généalogiste Chérin pensait que
3,000 familles nobles au plus avaient des titres remontant à 400 ans et que
1,500 seulement descendaient des anciens possesseurs de fiefs militaires.
Anciennes ou récentes, il n'y avait pas, selon lui, plus de 17,000 familles
nobles. Lavoisier en comptait 18,000 et ne portait pas à plus de 80,000 ou
100,000 le nombre des individus vivant noblement. Bonvallet-Desbrosses
comptait 52,000 familles nobles et un total de 220,000 individus. M. Paul
Boiteau (État de la France en 1789, p. 34) préfère l'opinion de Chérin et de
Lavoisier à celle de Bonvallet-Desbrosses.
EGALITE CIVILE. 23

tions, soit qu'il voulût ainsi combattre plus efficacement l'in-


fluence qui restait aux familles de vieille aristocratie soit qu'il
,
jugeât impossible de donner à des titres nouveaux le prestige
qu'avaient des dénominations consacrées par une longue et
glorieuse tradition.
32. Un sénatus-consulte du 28 floréal an XII établit les grands
dignitaires et les grands officiers de l'Empire. Les grandes di-
gnités étaient celles de grand électeur, archichancelier de l'Em-
pire archichancelier d'État, architrésorier, connétable et grand
,
amiral 1. Les grands officiers étaient les maréchaux de l'Empire,
les inspecteurs et colonels généraux de l'armée et du génie, des
troupes à cheval et de la marine, les grands officiers civils de
la couronne 2. Vinrent ensuite trois décrets du 30 mars 1806,
dont l'un érigea douze duchés grands fiefs en Italie et dans les
provinces illyriennes 3; l'autre disposait de la principauté de
Neufchâtel en faveur du maréchal Berthier ; le troisième érigeait
en duchés grands fiefs les États de Parme et de Plaisance.
33. Un décret du 1er mars 1808 disposa que les titulaires des
grandes dignités porteraient le titre de prince et d' altesse séré-
nissime. L'article 4 du même décret donna le titre de comte aux
ministres, sénateurs, conseillers d'État à vie, président des Corps
législatifs et archevêques. « Les présidents de nos collèges
électoraux, ajoutait l'article 8, le premier président et le pro-
cureur général de notre Cour de cassation, le premier prési-
dent et le procureur général de notre Cour des comptes; les
premiers présidents et procureurs généraux de nos Cours
d'appel, les évêques, les maires de nos trente-sept bonnes villes
qui ont droit d'assister à notre couronnement, porterontpendant
leur vie le titre de baron, savoir : les présidents de collèges
électoraux lorsqu'ils auront présidé les collèges pendant trois
sessions; les premiers présidents, procureurs généraux et mai-
res, après dix ans d'exercice, et que les uns et les autres auront
rempli leurs fonctions à notre satisfaction. »
1 Art. 32.
2 Art. 34 et 49.
3 C'étaient la Dalmatie, l'Istrie, le Frioul, Cadore Bellune, Conégliano,
,
Trévise, Feltre, Bassano, Vicence Padoue et Rovigo.
,
24 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

Les grands dignitaires purent conférer à leur fils aîné le titre


de duc de l'empire et à leurs fils puînés les titres de comte ou
de baron, à la charge d'instituer un majorat donnant, pour le
premier de ces titres, 20,000 fr. de revenu; pour le second,
10,000 fr., et pour le troisième, 5,000 fr. — Pour les deux
derniers, indépendamment de la somme donnée et transmis-
sible, le titulaire devait justifier d'un revenu personnel de
30,000 livres de rente, s'il voulait être comte, et de 15,000, s'il
voulait être baron.
84. On distingua deux espèces de majorats : 1° les majorats
de propre mouvement, dont la dotation était donnée par l'État;
2° les majorats sur demande, dont la dotation devait être
fournie par les impétrants. Les premiers n'étaient pas néces-
sairement soumis à l'examen du conseil du sceau des titres,
tandis que si la dotation était fournie, même pour une faible
portion, par l'impétrant, l'examen de ce conseil était indispen-
sable. Le conseil, présidé par l'archichancelier de l'empire,
était composé de, 1° trois sénateurs; 2° deux conseillers d'État;
3° un procureur général; 4° un secrétaire général.
Qu'ils fussent constitués de propre mouvement ou sur de-
mande, les biens composant le majorat étaient déclarés par
le décret inaliénables, insaisissables, et non susceptibles d'être
grevés d'hypothèque. Les revenus eux-mêmes n'étaient pas
saisissables en principe; cependant le décret permettait de
déléguer les fruits aux créanciers dans une certaine proportion,
et, en ce cas, ils pouvaient être saisis 1.
85. Lorsque le Code pénal fut rédigé en 1810, un article
punit les usurpations de titres (art. 259).
Telles furent les dispositions principales qui régirent la nou-
velle noblesse. Dans les promotions à la noblesse impériale
on tenait compte du rang que le titulaire occupait dans l'an-
cienne noblesse; cette règle ne fut cependant pas toujours

Depuis 1806, l'Empereur conféra 2,189 titres majoratisés, répartis de la


1

manière suivante :
Princes, 4; — Ducs, 33; — Comtes, 531; — Barons, 1,516 et chevaliers
285. (Rapport de M. Amédée Thierry au Sénat, dans la séance du 4 juillet
1860.)
ÉGALITÉ CIVILE. 25
suivie et on vit des personnes qui portaient le titre de comte
avant 1789, nommées simplement barons de l'Empire.
36. La Restauration rétablit l'ancienne noblesse sans abolir
la nouvelle. « La noblesse ancienne, dit l'art. 71 de la Charte
de 1814, reprend ses titres; la nouvelle conserve les siens.
Le roi fait des nobles à volonté, mais il ne leur accorde que
des rangs et des honneurs, sans aucune exemption des charges
et des devoirs de la société 1. Les titres de marquis et de vi-
comte, que n'admettait pas la noblesse impériale, reparurent,
et une ordonnance du 21 juin 1829 éleva à 15,000 fr. le re-
venu du majorat à constituer pour un titre de marquis trans-
missible et à 7,000 fr. pour le titre de vicomte.
37. Après la révolution de 1830, les titres nobiliaires ne
furent pas formellement abolis ; mais, dans la révision du Code
pénal par la loi du 28 avril 1832, en abrogeant l'art. 259, le
législateur cessa de punir l'usurpation pour ne pas consacrer
une reconnaissance implicite des titres. Aussi la vanité se donna
libre carrière, et cette période se fit remarquer par une vé-
ritable explosion de familles titrées. Plus tard le gouverne-
ment profita de ce que les législateurs de 1832 n'avaient pas
formellement aboli les titres, pour en conférer officiellement
quelques-uns. La législation du gouvernement de Juillet, sur
ce point, fut donc incertaine, et dans la pratique, l'adminis-
tration se montra aussi tolérante que possible.

1 Une ordonnance du 8 octobre 1814 décida qu'on expédierait des lettres


patentes conférant le titre personnel de chevalier et des armoiries aux mem-
bres de la Légion d'honneur qui justifieraient d'un revenu net de 3,000 fr.
Un décret du 13 mars 1815 rendu pendant les Cent-Jours abolit les titres de
noblesse. Mais Napoléon réserva les titres nationaux conférés par lui et « le
droit de donner des titres aux descendants des hommes qui ont illustré le
nom français dans la guerre, l'administration , les sciences et les arts. » Sous
la seconde Restauration, une ordonnance du 1er février 1824 disposa que les
titres de duc, marquis, comte vicomte et baron seraient personnels et non
,
transmissibles aux descendants des titulaires lorsque ceux-ci n'auraient pas
constitué de majorat. Les majorats des marquis étaient, pour les conditions
pécunaires, assimilés à ceux de comte et ceux de vicomte aux majorats de
baron. Mais l'ordonnance du 21 juin 1829 éleva à 7,000 fr. le revenu des
majorats de vicomte et à 15,000 fr. le revenu des majorats de marquis.
26 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

38. La question des majorats ne fut résolue qu'en 1835.


Une loi du 12 mai de cette année défendit l'établissement de
majorats pour l'avenir. Quant au passé, elle fit la distinction
suivante entre les majorats de propre mouvement et les ma-
jorats sur demande. A l'égard de ces derniers, une disposition
en restreignit la durée à deux degrés, l'institution non com-
prise; c'était une limitation qui modifiait le contrat primitif.
Une autre disposition enlevait au contrat son caractère primi-
tivement irrévocable, car elle permettait au constituant d'af-
franchir les biens par une révocation expresse de la libéralité.
Quant aux majorats de propre mouvement, la loi du 12
mai 1835 disposa qu'ils continueraient à être possédés con-
formément au titre d'investiture. Si l'on avait affranchi pu-
rement et simplement les biens composant les majorats, ces
biens devenant libres aux mains des particuliers, l'État aurait
perdu le droit de réversibilité qui, en certaines circonstances,
pouvait rendre au domaine les biens majorasses. M. Serrigny
a eu raison de critiquer cette disposition, qui fait perdre en
droits de mutation au Trésor plus que le domaine ne gagnera
par réversion 1.
39. Après la révolution de 1848, un décret du gouverne-
ment provisoire, en date du 29 février 1848, disposa en ces
termes : « Tous les anciens titres de noblesse sont abolis; les
qualifications qui s'y rattachaient sont interdites; elles ne peu-
vent être prises publiquement ni figurer dans aucun acte. »
Après les événements de Décembre, un décret du 24 janvier
1852 abrogea le précédent, de telle sorte qu'on se trouva re-
placé sous l'empire de la législation incertaine qui avait régi
la matière pendant le gouvernement de Juillet. Mais une loi du
28 mai 1858 ayant remis en vigueur l'article 259 du Code pénal
avec quelques modifications, la noblesse s'est trouvée impli-

1 Traité de droit public, t. I, p. 307.


Le gouvernement de la Restauration délivra 1,261 lettres patentes consti-
tutives de titres : 19 ducs; 44 marquis; 205 comtes; 214 vicomtes ; 779 ba-
rons. Le gouvernement de Juillet ne conféra que 95 titres : 6 ducs; 27 com-
tes; 7 vicomtes et 55 barons. (Rapp. de M. Amédée Thierry, sénateur, à la
séance du 4 juillet 1860).
ÉGALITÉ CIVILE. 27

citement consacrée par une disposition qui punissait les usurpa-


tions nobiliaires 1. Peut-être n'était-ce pas là le but que se pro-
posaient les promoteurs de la mesure; car leur intention était
loin d'être favorable à l'esprit nobiliaire; mais le résultat a
tourné contre la pensée première, et la noblesse est sortie plus
forte d'une attaque dirigée uniquement contre les usurpateurs.
Cette consécration fut complétée par un décret du 8 janvier
1859, portant institution d'un conseil du sceau appelé « à don-
ner son avis sur les demandes de titres, de changements et ad-
ditions de noms, lorsque les changements ou additions ont pour
effet de conférer une distinction honorifique. » Il y a cette dif-
férence entre les demandes ou vérifications de titres et les sim-
ples changements et additions de nom que, pour les premières,
le Conseil du sceau doit délibérer, tandis que pour les seconds
il peut seulement être appelé à délibérer; car c'est en principe
devant le conseil d'État que sont portées les demandes en chan-
gement ou addition de nom 2.
40. Le conseil du sceau, institué par le décret du 8 jan-
vier 1859 avait toutes les attributions que le décret du 1er mars
1808 avait conférées au conseil du sceau de l'Empire et celles
que plus tard l'ordonnance du 15 juillet 1814 avait données
à la commission du sceau. Il se composait : 1° du ministre de
la Justice, président; 2° de deux sénateurs; 3° de deux conseil-
lers d'État ; 4° de deux membres de la Cour de cassation; 5° de
trois maîtres des requêtes; 6° d'un commissaire du gouverne-
ment, faisant fonctions de procureur général; 7° d'un secré-
taire 3. En l'absence du ministre, le conseil était présidé par

1 La Chambre des députés a été saisie par l'initiative d'un de ses mem-
bres d'une proposition tendant à l'abrogation de l'article 259 du C. p.
2 Art. 6 du décret du 8 janvier 1859.
« Il délibère et donne son avis :
1° sur les demandes en collation, confirmation et reconnaissance de titres
que nous aurons renvoyées à son examen; 2° sur les demandes en vérifica-
tion de titres; 3° sur les demandes en remise totale ou partielle des droits de
sceau, dans les cas prévus par les deux paragraphes précédents, et généra-
lement sur toutes les questions qui lui sont soumises par notre garde des
sceaux. Il peut être consulté sur les demandes en changement ou addition
de noms ayant pour effet d'attribuer une distinction honorifique. »
3 La commission du
sceau des titres instituée par l'ordonnance du 15 juil-
28 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

un vice-président désigné par décret impérial. Les avis étaient


arrêtés à la majorité des voix; en cas de partage, la voix du
président était prépondérante. Quant aux maîtres des requêtes
,
ils n'avaient voix délibérative que dans les affaires dont le rap-
port leur était confié.
Un décret du 10 janvier 1872 a supprimé le conseil du sceau
et rendu ses attributions au conseil d'administration du mi-
nistère de la Justice. C'est le retour à la pratique du gouverne-
ment de Juillet. Mais l'article 259 du Code pénal est toujours
en vigueur, ce qui implique la consécration des titres nobiliaires.
En fait, le gouvernement n'en confère plus de nouveaux, de
sorte que les distinctions de cette nature acquièrent une valeur
d'autant plus grande que l'usurpation est un délit et que la répu-
gnance du gouvernement à en créer d'autres est un obstacle à
leur multiplication.
Les référendaires institués par des ordonnances de 1814,
1815 et 1830 ont conservé près du conseil d'administration
les attributions qu'ils avaient près du conseil ou de la commis-
sion du sceau 1. Ce sont des officiers ministériels, privilégiés
pour représenter les parties devant le conseil; les demandes
ou requêtes, signées par eux, n'ont pas besoin d'être revêtues
de la signature des impétrants.
41. On s'est occupé, après la révolution de Février, de la
question des substitutions et des majorats. Une loi du 7 mai
1849 a rétabli les dispositions des articles 1048 et suivants du
Code civil, en abrogeant la loi du 17 mai 1826 qui avait permis
les substitutions dans une large mesure. Quant aux majorats,

let 1814 était composée de trois conseillers, d'autant de maîtres des requêtes,
d'un commissaire du gouvernement (c'était de droit le secrétaire général du
ministère de la Justice), d'un secrétaire et d'un trésorier. L'ordonnance du
31 octobre 1830 supprima la commission du sceau à partir du 1er novem-
bre et transporta ses attributions au conseil d'administration du ministère
de la Justice. Elle réunit les bureaux du sceau à ceux du ministère de la
Justice.
1 Ordonnances des 15 juillet 1814, 11 décembre 1815 et 31 octobre 1830.

Ces référendaires sont au nombre de six. « Ils doivent fournir un cautionne-


ment de 500 fr. en rentes 5 pour 100. » (Art. 3 de l'ordonnance du 31 octo-
bre 1830.)
ÉGALITÉ CIVILE. 29

elle a laissé subsister la législation antérieure pour les majorats


de propre mouvement1. A l'égard des majorats sur demande,
elle a déclaré libres les biens majoratisés qui avaient été l'ob-
jet d'une double transmission à partir de l'institution. Même
quand il n'y avait pas eu deux transmissions, les biens ont été
déclarés libres si, au moment de la loi, il n'y avait pas d'ap-
pelé né ou conçu.
43. Pour terminer cette histoire des titres nobiliaires, nous
devons mentionner une délibération du Sénat de l'Empire, or-
donnant le renvoi d'une pétition aux ministres d'État et de la
Justice. L'esprit de cette délibération nous a été révélé par le
rapport. Elle tendait à obtenir, 1° une vérification générale des
titres, en recommandant une certaine tolérance envers l'an-
cienne noblesse et ceux qui sont en possession depuis long-
temps; 2° l'abolition de la déchéance légale qui prive des titres
conférés sous l'Empire, une partie des héritiers des titulaires;
les titres étaient viagers par leur nature et ne devenaient trans-
missibles que par la constitution d'un majorat. Cette condition
n'ayant plus été réalisable à partir de la loi de 1835 abolitive
des majorats, plusieurs titres se sont éteints, et le rapporteur
émettait le voeu que « les héritiers fussent relevés de cette dé-
chéance involontaire, mais légale2. »

QUESTION.

Le ministère public a-t-il le droit d'agir comme partie prin-


cipale en rectification d'un acte de l'état civil?

48. Cette question trouve ici sa place parce qu'elle a été


soulevée principalement à l'occasion de distinctions nobiliaires

1 La commission choisit pour rapporteur M. Valette dont le rapport a été


,
reproduit dans la Collection des lois de Devilleneuve, p. 44, 1849. « Peut-être,
disait-il, pourra-t-on un jour, à l'aide d'un travail d'un ordre nouveau, trou-
ver un moyen de transaction entre l'État et les titulaires des biens doma-
niaux et rendre ainsi à la circulation un capital indisponible de plus de 20
millions. »
2 Rapp. de M. Amédée Thierry au Sénat, 4 juillet 1860.
30 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

et spécialement au sujet de la particule de indûment insérée


dans certains actes de l'état civil. Rien, en effet, n'est plus
aisé que les usurpations de cette espèce. Les actes de l'état civil
sont tenus dans les communes rurales par des officiers de l'état
civil souvent peu éclairés, ou faibles, ou intéressés; ils ne
résistent pas aux entreprises de la vanité, et par suite de
leur condescendance, le nombre des usurpations est devenu
considérable et pourrait s'augmenter encore. Il est vrai que la
particule n'est pas le signe certain de la noblesse; mais en
fait elle passe dans une opinion fort répandue pour être une
distinction nobiliaire 1. Il importe donc de réprimer les ten-
tatives de ceux qui cherchent par cette addition à se pro-
curer les avantages attachés à la véritable noblesse. « Je ne

1 La particule de ou des indique un rapport de lieu ou d'origine, elle a


été prise pour signe de noblesse, parce que souvent elle exprimait le rapport
du seigneur avec le fief et qu'après un long usage le nom du fief était seul
employé comme s'il eût été le nom patronymique (Louandre, Noblesse, 3e
partie, Des noms, p. 101 à 109). Cette question a été spirituellement traitée
par M. Paulin Paris devant l'Académie de Reims.
« La particule nobiliaire, disait le complément du Dictionnaire de l'Aca-
démie est la syllabe que les nobles placent devant leur nom.
,
— « Les dictionnaires, dit M. Paulin Paris, auraient dû ajouter que la
particule devenait nobiliaire à une condition : c'était de rester séparée du
corps du nom propre. »
Autrefois les articles emportant la particule du, des, étaient toujours réunis
au mot suivant; la particule de l'était souvent quand le mot commençait par
une consonne, et toujours quand il commençait par une voyelle, l'élision
se faisant sans apostrophe. Tous ceux qui ont gardé la particule ainsi jointe
à leur nom sont donc en droit de la séparer, et ils n'en seront ni plus ni
moins nobles pour cela. Mais le préjugé est qu'ils le seront, et l'on a cru
de nos jours ramener Jeanne d'Arc à ses origines populaires, en lui donnant
le nom de Darc, parce qu'on le lit ainsi dans les manuscrits de son procès :
sans faire attention qu'à ce compte, il faudrait écrire de la même sorte duc
Dalençon et roi Dangleterre. M. Paulin Paris montre que la particule de ne
confère pas la noblesse et que les plus nobles signent Montmorency, La
Trémouille, sans pour cela déchoir de leur rang. La particule de exprime
un rapport de lieu ou de possession : « C'est, dit-il, un perpétuel souvenir,
soit du lieu d'où l'on tire son origine, soit d'un bois, d'un village, d'une
ferme, d'une motte de terre, d'un marais ou d'un pré que l'on a possédé. »
On ne figure pas un M. de Mathieu ou de Vilain. On appelait Pierre valet
,
EGALITE CIVILE. 31

connais rien de moins digne de considération, disait M. Dupin


devant la Cour de cassation, que ces fraudeurs de titres qui
s'arrogent impudemment des qualifications honorifiques qui
ne leur ont pas été légalement conférées. Ils pullulent ce-
pendant, et la question avec eux est de savoir si on leur
laissera le champ libre ou si leur audace sera réprimée 1. »
La question de savoir si le ministère public a le droit d'agir,
comme partie principale, en rectification des actes de l'état
civil est très controversée par les auteurs 2, et divise la juris-
prudence des cours.
44. Si le ministère public n'avait pas le droit d'agir comme
partie principale, dans bien des cas, l'altération du nom serait
irréparable et les parties pourraient impunément porter une

du marquis de Courval, « Pierre de Courval, » et le nom du maître a pu se


garder dans la famille du serviteur. En dehors de cette domesticité, l'aîné
des fils, dans la bourgeoisie, gardant le nom de la famille, les puînés s'en
distinguaient par un nom de fantaisie ou de propriété territoriale. Le fameux
accusateur public du tribunal révolutionnaire de Paris, Fouquier, s'appela
Fouquier de Tinville ; et ses frères, Fouquier d'Hérouel et Fouquier de Vau-
villiers. Il en était alors des surnoms comme des armoiries, elles étaient au
premier occupant.
Disons en outre que plus d'un paysan, cherchant travail ou fortune ail-
leurs, a pu retenir et qu'il prend quelquefois encore le nom de son village.
Cette désignation peut se continuer à son fils, et si quelqu'un de leurs des-
cendants sort de son métier, il pourra quelque jour « figurer parmi les vieux
gentilshommes. » Le de enfin marque un rapport le plus souvent de lieu,
mais de quel genre est ce rapport? On est de tel village : est-ce comme sei-
gneur, est-ce comme meunier? C'est là le point : le de n'en dit rien ; la qua-
lification seule peut le dire. « On a pu, dit M. Paulin Paris, désigner sous
le nom de Narbonne et les descendants des anciens vicomtes de Narbonne
et l'archevêque et le bourreau de Narbonne, et tout ouvrier originaire de la
ville. » Ajoutons quant à l'emploi grammatical de la particule, que de, pré-
,
cédant un nom de lieu ou d'objet possédé, suppose devant, soit un titre,
soit un nom de personne. Si le titre ou le nom est supprimé, le de doit
disparaître, et c'est le nom de la chose qui figure la personne. Ceux qui,
pourvus de la particule , y tiennent tant qu'ils la gardent dans leur signature
sans qu'elle soit précédée de leur prénom, sinon de leur titre, ne prouvent pas
que les traditions de la vraie noblesse soient bien établies dans leur maison.
1 Audience du 21 janvier 1862 (Le Droit du 25 janvier 1862).

2 Voyez contre la recevabilité de l'action du ministère public : Toullier


32 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

distinction qui ne leur appartient pas. Souvent les parties n'au-


ront aucun intérêt à réclamer, ce qui aura lieu toutes les fois
que le nom usurpé ne sera pas porté par une autre famille.
En ce cas, l'altération ne portera pas de préjudice à une per-
sonne déterminée, mais elle fera croire à une distinction hono-
rifique. Si l'action est refusée au ministère public, par quel
moyen détrompera-t-on les tiers? Le droit de donner des con-
clusions comme partie jointe implique une action déjà exercée,
et si personne n'a intérêt à la former, quel effet produira le
droit de conclure 1?
45. On dit que le procureur ne sera pas désarmé puisqu'il a
le droit d'agir devant le tribunal de police correctionnelle. Mais
l'acte de l'état civil ne couvre-t-il pas celui qui porte un

t. I, n°s592 et 648 et dans le même sens les notes de Duvergier; Ortolan


et Ledeaux, du Ministère public, t. I, p. 101. Ces auteurs se prononcent
contre l'action du ministère public dans le cas où il s'agit de frapper d'ap-
pel un jugement qui prononce la nullité d'un mariage par suite d'une collu-
sion frauduleuse entre les parties. Les auteurs suivants ont soutenu la même
opinion en matière d'actes de l'état civil : Carré, Lois de la procédure, quest.
2896; Hutteau d'Origny, De l'état civil, n° 42; Aubry et Rau, sur Zachariae,
t. I, § 63; t. IV, § 454, note 27 et § 458, note 6; Bonnier, procédure civile,
sur l'article 856; Dutruc, Journal du ministère public, année 1860, p. 208.
En sens contraire : Merlin, Répertoire, v° Mariage, section 6, §3, n° 3;
Duranton, t. I, p. 339 ; Delvincourt, t. I, p. 325 ; Demolombe, t. I, n° 333 et
t. III, n° 312; Valette, sur Proudhon, t. I, 444 et Explication sommaire,
p. 45; Marcadé, sur l'article 99, n° 2 et sur l'article 175, n° 3; Rieff, des
Actes de l'état civil, 312; Desclozeaux, Encyclopédie du droit, v° Actes de
l'état civil, n° 41 ; Demante, Cours analytique, t. I, n° 122 bis; Bertin,
Chambre du conseil, t. I, n° 149, et journal le Droit, nos des 9 juillet 1860,
30 janvier 1861 et 7 novembre 1861; Alglave, Action du ministère public en
matière civile, 1874, p. 75. — Gérard de Vasson, Revue critique, t. VIII,
p. 50 et 51. Debacq, Action du ministère public, p. 39. En Belgique, M. Cor-
bisier, premier avocat général à Bruxelles, a développé la même opinion dans
un discours de rentrée prononcé à l'audience du 15 octobre 1861. Ce magis-
trat a constaté que l'action du ministère public a été admise par de nombreux
arrêts des Cours de Cologne et de Bruxelles. V. D. P. 1862, 1er cahier, p. 5,
6, 7, une note de M. Brésillion et Belgique judiciaire, t. XIX, n°91,p. 1444;
V. enfin Massé et Vergé, sur Zachariae, t. I, § 79.
1 Ont admis l'action du ministère public les arrêts suivants : Bourges,

2 février 1820; Poitiers, 26 mai 1846; Orléans, 17 mars et 29 décembre


ÉGALITÉ CIVILE. 33

nom conforme aux énonciations de son acte de naissance,


lorsque le père ou l'aïeul, auteurs de l'usurpation, sont décé-
dés? Le prévenu ne pourrait-il pas se défendre en invoquant
l'acte de l'état civil, et tant qu'il n'y a pas rectification, lui
serait-il même permis de porter un autre nom? En tout
cas, sa bonne foi arrêterait l'action du ministère public parce
qu'un des éléments du délit ferait défaut. Il est donc certain
que l'action en rectification est le seul moyen efficace de
faire cesser des usurpations qui sont de nature à induire le
public en erreur.
46. Le législateur nous paraît avoir, à plusieurs reprisse,
adopté ce système. L'art. 46 de la loi du 20 avril 1810 se
compose de deux parties dont l'opposition mérite d'être re-

1860 (D. P. 160. 2. 79); Angers, 5 décembre 1860; Paris, 22 février 1861
(D. P. 1861. 2. 41) rendu sur les conclusions conformes de M. Chaix d'Est-
Ange, procureur général. — V. Colmar, 29 décembre 1859 et 15 mai 1860
(D. P. 1860, II, p. 142 et 171); Agen, 26 juin 1860 (D. P. 1860, II, 141;
Metz, 31 juillet 1860 (D. P. 1860, II, 137) et Montpellier, 10 mai 1859 (D. P.
1860, II, p. 143). On peut également citer comme favorable à ce système,
quoiqu'il ne soit pas très explicite, un arrêt de Colmar du 29 décembre 1859
et Paris, 3 juin 1867. En sens contraire : Cour de cassation, ch. des requêtes,
20 et 21 novembre 1860 (D. P. 1860,1, p. 473); Amiens, 11 décembre 1860;
Colmar, 6 mars 1860 (D. P. 1860, II, 169); Douai, arrêt du 18 août 1860 (D.
P. 1860, II, 215); Bordeaux, 28 août 1860 (D. P. 1860, II, 213) et Dijon, 11
mai 1860 (D. P. 1860, II, p. 144). La question ayant été soumise à la cham-
bre civile par suite de l'admission de deux pourvois formés contre les arrêts
des Cours d'Angers et d'Orléans, la chambre civile a décidé que si l'action du
ministère public, en matière civile, n'était pas recevable toutes les fois que
l'ordre public était intéressé, il y avait des textes qui lui accordaient le droit
d'action pour les rectifications des actes de l'état civil. (Arr. du 22 janvier
1862. Gazette des Tribunaux du 26 janvier 1862.) Cet arrêt a été rendu sur
les conclusions de M. Dupin, qui avait dépassé dans ses conclusions la doc-
trine admise par la chambre civile car, il avait soutenu que l'action du mi-
,
nistère public était recevable dans tous les cas où l'ordre public était inté-
ressé. (V. le journal le Droit, numéro du 25 janvier 1862 et Moniteur du 19
février 1862 et D. P. 1862, I, 5. V. sur ce dernier arrêt le rapport de M. La-
borie. La Cour de cassation de Belgique a dernièrement eu à s'occuper de
cette question et l'a tranchée dans le sens de la recevabilité de l'action. Arr.
du 5 mai 1881 (D. P. 1881, II, 241). Voir les conclusions de M. Faider, pro-
cureur général.
B. — II. 3
34 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

marquée. La première donne au ministère public le droit d'agir,


en matière civile, dans les cas spécifiés par la loi; l'article
ajoute : « Il surveille l'exécution des lois, des arrêts et des
« jugements ; il poursuit d'office cette exécution dans les dis-
« positions qui
intéressent l'ordre public. » Faut-il admettre,
avec la chambre des requêtes de la Cour de cassation, que
la seconde partie de l'article 46 n'ajoute rien à la première et
que le droit de poursuivre d'office l'exécution des lois qui inté-
ressent l'ordre public ne doit s'entendre que secundum subjec-
tam materiam, c'est-à-dire des cas où la loi accorde formelle-
ment l'action civile au ministère public? Cette interprétation
serait contraire au principe qui veut qu'une disposition, si
elle peut être entendue de deux manières, le soit d'après
celle qui lui fait produire des effets et non d'après le sens qui
ne lui en ferait produire aucun. Dans la doctrine adoptée par
la chambre des requêtes, la seconde partie ne serait évidem-
ment qu'une vaine répétition de la première. Le véritable sens
de l'article 46 est plutôt celui-ci : « que l'ordre public soit
ou non intéressé, le ministère public agira d'office toutes les
fois que, pour une raison ou une autre, la loi lui accordera
formellement cette faculté. Même quand aucune disposition
spéciale ne lui donnera ce droit, il agira d'office toutes les fois
que l'ordre public sera intéressé à l'exécution des lois. » Il est
difficile, en effet, de fixer formellement tous les cas où l'ordre
public est intéressé, et l'on comprend que la loi ne voulant
pas enchaîner l'action du ministère public par une disposition
inflexible, ait consacré le droit d'agir en termes généraux qui
permettent de se plier aux nécessités diverses de l'ordre pu-
blic. Sur ce point, le législateur a voulu laisser aux tribunaux
et à la jurisprudence un pouvoir d'appréciation, suivant les
cas et aussi suivant les temps ; car ce qui intéresse l'ordre pu-
blic à une époque peut n'avoir pas le même intérêt dans une
autre. C'est ce qui est arrivé pour les distinctions nobiliaires.
Lorsque l'art. 259 du Code pénal était abrogé, l'ordre pu-
blic n'était pas intéressé à la rectification d'erreurs que le
législateur regardait avec tant d'indifférence. Mais depuis que
cet article est rétabli, la loi punissant les usurpations, l'indif-
ÉGALITÉ CIVILE. 35

férence du législateur a cessé, et c'est avec raison qu'en par-


tant du principe de la loi du 28 mai 1858, on considère cette
question comme liée à l'ordre public.
47. Sans doute il est difficile de dire en quoi consiste
l'ordre public et de fixer ses limites avec certitude. A mon avis,
ces mots sont synonymes d'intérêt général, et il suffit que
le public soit intéressé pour que le parquet puisse agir d'office.
Un signe infaillible démontre, en certains cas, que l'ordre pu-
blic est intéressé, c'est la sanction pénale. Si le fait était
inoffensif, s'il n'en résultait aucun inconvénient pour la société,
la loi n'aurait pas édicté de peine, et cette règle est d'autant
plus sûre que dans les cas où elle est applicable, l'interprétation
ne court pas le risque d'être arbitraire. L'usurpation de noms
ou de titres étant un délit, cette espèce d'affaires intéresse
évidemment l'ordre public. Comme tout le monde peut avoir
des rapports avec le porteur du nom falsifié, tout le monde
est intéressé à ce que l'erreur soit réparée, et puisqu'il y a
un intérêt général, l'ordre public est en cause 1.
1 Les lois des 6 fructidor an II, 11 germinal an XI et 28 mai 1858, en dé-
fendant et punissant l'usurpation des noms et titres et en rappelant que le
droit de conférer des titres et d'autoriser les changements de nom, n'appar-
tient qu'au souverain, ont suffisamment indiqué que l'ordre public était in-
téressé dans la question. Les changements de nom ou additions sont auto-
risés par décret après examen du conseil d'État, sauf le droit pour les tiers
de faire opposition dans l'année qui suit l'insertion au Bulletin des lois. Loi
du 11 germinal an XI, articles 5 , 6 et 7. La jurisprudence n'admet l'opposi-
tion que si l'opposant a un intérêt. Cons. d'Ét., arr. du 16 décembre 1858
(D. P. 1859, 111,44) et 4 février 1876 (D. P. 1876, III, 56). Il n'y a pas in-
térêt suffisant pour justifier l'opposition :
1° lorsque le nom est trop répandu pour constituer une propriété exclusive.
Cons. d'Ét., 24 mai 1851 (D. P. 1851, III, 50);
2° si l'impétrant avait une possession que l'autorisation ne fait que confir-
mer. Cons. d'Ét., 17 mars 1864 (D. P. 64, III, 49);
3° si l'impétrant avait des titres analogues à ceux de l'opposant, Cons. d'Ét.
2 août 1870 (D. P. 1872, III, 53);
4° si l'impétrant conserve un autre nom qui rend toute confusion impos-
sible. Cons. d'Ét., 18 juillet 1873 (D. P. 1874, III, 39).
Les noms de fief ajoutés au nom patronymique, si l'addition était anté-
rieure aux lois des 19-23 juin 1790 et 6 fructidor an II et avait duré un tempe
suffisant, peuvent être portés nonobstant les prohibitions de ces lois qui ont
36 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

48. L'objection fondamentale élevée contre cette interpréta-


tion de l'article 46 de la loi du 20 avril 1810, c'est que l'action
du ministère public prendrait une extension indéfinie, et que,
sous prétexte d'ordre public, il interviendrait dans tous les
procès et particulièrement dans toutes les questions d'état qui
sont généralement reconnues pour intéresser l'ordre public. Se
défie-t-on aussi des tribunaux, et croit-on qu'ils accepteraient
facilement une action du ministère public si l'intérêt général
n'était pas sérieusement engagé dans la question? Ceux qui font
des projets d'organisation judiciaire ont le droit de penser li-
brement des tribunaux; mais il n'appartient pas au juriscon-
sulte, simple interprète des lois, de prêter au législateur des
sentiments de défiance à l'égard de juges régulièrement insti-
tués. D'ailleurs la question générale de savoir si l'action du mi-
nistère public est recevable toutes les fois que l'intérêt général
est engagé peut être écartée du débat. C'est ce qu'a fait la cham-
bre civile de la Cour de cassation dans son arrêt du 22 janvier
1862. Sans admettre la recevabilité d'une manière générale,
elle a décidé qu'en matière de rectification des actes de l'état
civil, il y avait des textes de loi qui donnaient l'action au minis-
tère public 1.
49. Cette opinion a reçu trois fois la confirmation de la loi
ou du pouvoir interprétatif. Un avis du conseil d'État, en date
du 8 brumaire an XI, approuvé le 12 brumaire suivant, recon-
naît au ministère public le droit d'agir comme partie principale
lorsqu'il s'agit de faire réparer une omission sur les registres
de l'état civil. Puisque la poursuite d'office lui appartient lors-
qu'il s'agit d'omission, il en doit à plus forte raison être de
même en cas de simple rectification. Si le conseil d'État avait été
consulté sur un cas de rectification, les mêmes motifs l'auraient
conduit à la même solution, et jamais il n'a été plus vrai de

disposé pour l'avenir. Mais le nom de terre ainsi ajouté au nom de famille
ne peut être pris isolément. Cour cass., ch. req., 2 février 1881 (D. P. 1881,
I, 339).
1 Voir le texte de l'arrêt et les conclusions de M. Dupin dans le Moniteur

du 19 février 1862. C'est aussi l'opinion qu'exprime M. Valette, Cours de


Code civil, t. Ier (1873), p. 123.
ÉGALITÉ CIVILE. 37
dire : ubi eadem ratio idem jus. Ce qui le prouve, c'est que la
disposition finale de cet avis reconnaît en termes généraux
comme incontestable le droit du ministère public d'agir d'office
en cette matière, dans les circonstances qui intéressent l'ordre
public. L'article 122 du tarif du 18 juin 1811 règle comment
les frais seront taxés, payés et recouvrés dans les cas où la rec-
tification est poursuivie d' office par le ministère public, con-
formément à l'avis du 12 frimaire an XI. Enfin l'article 75 de
la loi de finances du 25 mars 1817 accorde l'enregistrement
gratuit pour les actes et jugements faits ou rendus à la requête
du ministère public et « ayant pour objet de réparer les omis-
sions et faire les rectifications pour les actes de l'état civil
qui intéressent les indigents. » La qualité d'indigents explique
l'enregistrement gratis, mais ne rend pas compte du droit ac-
cordé au ministère public. La loi de finances présuppose donc
que le droit d'agir appartient en principe au ministère public,
et faisant l'application de cette règle aux causes qui intéressent
les indigents, elle décide seulement que l'enregistrement aura
lieu gratis.
Ajoutons à ces interprétations législatives une ordonnance
des 30 août — 9 septembre 1837 que M. Valette citait dans ses
leçons publiques, quoiqu'il ne l'ait pas mentionné dans le pas-
sage de son livre où il soutient que l'action est recevable.
La loi du 19 mai 1834 dispose que les officiers perdent leur
grade en perdant la qualité de Français. En exécution de
cette disposition, l'ordonnance du 30 août 1837 porte que 1

les instances tendant à faire déclarer par les tribunaux que


l'officier a perdu la qualité de Français seront poursuivies par
le ministère public dans la forme des actions qu'ils ont le droit
de poursuivre d'office 2.

1 Dans le t. Ier de son cours (ouvrage inachevé), M. Valette ne cite pas


cette ordonnance; mais il cite les lois du 10 décembre 1850, art. 3, et du
10 juillet 1850. La première, qui avait pour objet de favoriser le mariage des
indigents, charge le ministère public de poursuivre la rectification des actes
de l'état civil des indigents. V. Cours, t. Ier, p. 124 (publié en 1873). L'autre
qui oblige les époux à déclarer s'ils ont fait un contrat de mariage, autorise
le ministère public à poursuivre la rectification des déclarations erronées.
2 Dans une note
sur cette ordonnance, M. Duvergier (1837, p. 371), après
38 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

Les partisans de l'opinion contraire tirent argument des ar-


ticles 99 du Code civil et 855 du Code de procédure civile
qui règlent le mode de procéder en matière de rectification
d'actes de l'état civil. Le premier semble impliquer que le mi-
nistère public n'a que le droit de donner des conclusions. Ce
serait attribuer à cet article plus de portée qu'il n'en a; s'il
exige que le ministère public soit entendu toutes les fois que
l'action est introduite à la requête des parties, rien dans sa
disposition n'exclut le droit pour le ministère public d'agir
d'office toutes les fois que les parties gardent le silence. Quant
à l'article 855 du Code de procédure civile, en disposant que
la rectification serait demandée par requête au tribunal, il a
seulement eu pour but de rejeter le système de rectification
administrative et officieuse qui avait été proposée dans un
article du projet.
50. Dans l'espèce sur laquelle a été rendu l'arrêt du 19
décembre 18601, la Cour de cassation, après avoir posé la
théorie générale a décidé que d'après les faits de la cause,
,
l'ordre public n'était pas intéressé. Il s'agissait d'un acte de
naissance qui avait été surchargé postérieurement à sa rédac-
tion par l'addition d'une particule. Le procureur général re-
connaissait que le défendeur avait le droit de porter la par-
ticule, mais l'acte ayant été surchargé, il pensait, 1° qu'il
fallait ordonner la suppression d'une addition irrégulièrement
faite; 2° rectifier l'acte de naissance ramené à son état primitif,
et pour cela rendre un jugement dont la décision serait men-
tionnée sur les registres et en marge de l'acte. Une mention
inscrite en surcharge était de nature à tromper ceux qui au-
raient consulté les registres, et précisément parce qu'elle était
en surcharge, les parties pouvaient avoir des doutes sur la
valeur de cette énonciation; les uns auraient douté, les autres
cru ou nié, et ce résultat, contraire à l'intérêt de tous, se
serait mal concilié avec un ordre public bien entendu. Les

avoir dit qu'elle lui paraît contraire aux principes, émet l'opinion que l'ac-
tion devrait appartenir, en ce cas au ministre de la Guerre.
,
1 D.P. 1861, I, 87.
ÉGALITÉ CIVILE. 39
raisons déduites par le procureur général auraient dû, selon
nous, faire admettre l'action du ministère public, mais la
Cour suprême, dans l'intention louable de restreindre autant
que possible, cette espèce de procès, a jugé que la mention
de l'acte de l'état civil étant conforme à la réalité il n'y avait
pas d'intérêt suffisant, pour l'ordre public, à faire réparer l'ir-
régularité provenant d'une surcharge.

DROIT COMPARE.

54. Belgique. — L'égalité devant la loi a triomphé chez


presque toutes les nations des deux mondes. Nulle part elle n'est
si complète qu'en France, si l'on en excepte la Belgique. L'ar-
ticle 6 de la constitution belge porte en effet : « Il n'y a dans
l'État aucune distinction d'ordres. Les Belges sont égaux de-
vant la loi; seuls ils sont admis aux emplois civils et militaires,
sauf les exceptions qui peuvent être établies par une loi pour
des cas particuliers. » Sous le gouvernement de la maison d'O-
range-Nassau, on avait rétabli l'ancienne distinction féodale
des trois ordres (l'ordre équestre ou la noblesse, l'ordre des
villes et l'ordre des campagnes); c'est cette distinction que l'ar-
ticle 6 de la constitution du 7 février 1831 a eu spécialement
en vue lorsqu'il a prononcé l'abolition des ordres. Les titres
nobiliaires sont cependant reconnus par la loi Belge; mais la
loi n'y attache aucune faveur et, comme chez nous, la no-
blesse n'a, dans ce pays, qu'une situation de fait qui tient à
l'importance sociale attachée par l'opinion publique aux dis-
tinctions honorifiques.
Le législateur, depuis 1836, a prescrit la reconnaissance
générale des titres et la publication d'états nominatifs conte-
nant la nomenclature des titulaires reconnus par le roi. Des
arrêtés royaux des 26 janvier 1822 et 24 mai 1827 ont déter-
miné les conditions requises pour cette reconnaissance. Une
commission consultative instituée en 1843, et depuis lors un
conseil héraldique, sont chargés du travail de vérification ainsi
que de l'examen des demandes en collation et reconnaissance de
40 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

noblesse. Aux termes de l'arrêté du 26 janvier 1822, les états


nominatifs, au fur et à mesure de leur approbation par le roi,
reçoivent, dans les colonnes du journal officiel, la publicité
nécessaire pour que chacun s'y conforme, et « spécialement,
y est-il dit, les fonctionnaires publics. » La liste générale des
titulaires avec les conditions de leurs titres transmissibles ou
non, figure dans l'Almanach royal à côté de la liste des mem-
bres des ordres, soit nationaux, soit étrangers.
53. Russie. — L'égalité civile a, au contraire, fait peu de
progrès en Russie. La distinction des classes y est très marquée
entre la noblesse, la bourgeoisie et les paysans et dans la
noblesse on suit une classification minutieuse en 14 divisions.
Nous parlerons de ces divisions après avoir fait connaître la
profonde modification que l'initiative de l'empereur Alexandre II
a, dès le commencement de son règne, apportée à la condition
des paysans.
Au moment où l'empereur Alexandre II a entrepris la réforme
du servage, il y avait en Russie 23 millions de serfs, dont 20
millions attachés à la glèbe et 1,500,000 attachés aux habita-
tions seigneuriales pour le service personnel de leurs maîtres.
Quant à la situation des paysans, elle était, en fait, très diverse
parce qu'ils cultivaient des possessions d'étendues très différen-
tes. Leur position légale telle qu'elle était établie pour tous clans
les articles 1030, 1045, 1046 et 1085 du Svod était fort dure.
Art. 1045 : « Le seigneur peut imposer à ses serfs toute es-
pèce de corvées, lever sur eux des redevances (obrock) et exi-
ger d'eux des services personnels, pourvu qu'ils n'en soient pas
ruinés, et qu'on leur laisse le nombre de jours fixé par la loi
pour leurs propres travaux. »
L'article 1046 fixait à trois le nombre de journées que le serf
pouvait être forcé à donner au seigneur. Depuis la rédaction
du Svod qui fut promulgué en 1833, ce nombre avait été réduit
à deux journées.
L'article 1085 donnait au seigneur le pouvoir de changer, à
son gré, la nature des services du serf, de l'appeler de la cam-
pagne à la ville et de le renvoyer aux champs lorsqu'il n'était
pas content de ses services. Le propriétaire pouvait aussi aliéner
ÉGALITÉ CIVILE. 41

les serfs, soit avec la terre, soit séparément, pourvu que l'a-
cheteur possédât d'autres serfs. La loi ne permettait cependant
pas de séparer dans la vente les membres de la même famille.
Ce dernier tempérament était fort ancien et remontait jusqu'à
Pierre le Grand 1.
Un rescrit impérial du 27 novembre 1857 a posé les bases
suivantes pour l'affranchissement des serfs.
« 1° Les seigneurs conservent le droit de propriété sur toute
la terre de leurs biens.
« 2° Les paysans gardent l'enclos qu'ils acquièrent en propre
au moyen du rachat.
" 3° Des terres cultivables, en quantité suffisante pour leurs
besoins et garantissant leur solvabilité envers le fisc et le sei-
gneur de la terre, sont mises à la disposition des paysans qui
en paieront la rente , soit en argent, soit en travail. »
Le propriétaire peut vendre aux paysans les terres qu'il doit
laisser à leur disposition; mais il n'y est pas obligé et peut, s'il
le préfère, s'en tenir au contrat où il a stipulé soit des cor-
vées, soit des redevances pécuniaires. En cas de vente, les rede-
vances sont capitalisées à 6 0/0 et la somme ainsi fixée est
payée moitié en titres nominatifs au nom du vendeur à 5 1/2,
non négociables à la Bourse et moitié en titres au porteur à 5 0/0
négociables à la Bourse comme les fonds publics. L'État retient
20 0/0 pour frais de recouvrement et non-valeurs. C'est la
commune qui doit rembourser l'État et de là découlent les pou-
voirs de la commune sur les paysans, pouvoirs qui suivent
les débiteurs même au delà des limites du territoire communal.
La libération envers l'État a lieu par le paiement de 49 annuités

1 V. Régénération sociale de la Russie, par M. Victor de Porochine 1861


,
et Solution pratique de la question des paysans, par le même, 1861. V. Aussi
Annuaire de la Revue des Deux-Mondes, année 1860, p. 488. Dans le nombre
de 23 millions a'étaient pas compris les paysans des domaines de l'État et
des apanages impériaux. Ces paysans étaient à peu près affranchis ; car en
Russie, comme en France sous l'ancienrégime, l'émancipation avait commencé
par les serfs domaniaux. M. Smith dans le Dictionnaire politique de M. Block
porte à 25 millions le nombre des serfs des domaines de l'État et des apa-
nages impériaux. V° Russie.
42 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

à raison de 6 0/0, dont cinq pour intérêts et un à titre d'a-


mortissement 1.
L'inégalité qui sépare les classes crée aussi des distinctions
dans chaque classe. Les subdivisions forment, dans la noblesse,
quatorze catégories, et dans la bourgeoisie, six.
D'après un manifeste du 2 avril 1801, un membre de la no-
blesse ne peut être jugé que par un tribunal composé de nobles
et la condamnation prononcée par ce tribunal n'est exécutoire
qu'après approbation par le Sénat et l'Empereur, si elle emporte
la perte de la noblesse, de l'homme ou de la vie. Les nobles
sont affranchis de tout châtiment corporel, fussent-ils sous-of-
ficiers ou même soldats. Leurs maisons sont affranchies de
l'obligation du logement militaire: — Quand une condamnation
les prive de leurs biens, leur confiscation n'en est pas pro-
noncée ; ils passent au plus proche héritier.
On distingue la noblesse de naissance et la noblesse de ser-
vices. « Pierre le Grand a subordonné la première à la seconde
et classé par rangs les fonctions civiles et militaires ; il y a
quatorze classes, savoir : 1re, chancelier de l'Empire, feld-maré-
chal, amiral général, conseiller privé de première classe; 2°, gé-
néral en chef, amiral, conseiller privé de deuxième-classe;
3°, vice-amiral, lieutenant-général, conseiller privé; 4°, major-
général, contr'amiral, conseillers d'État de première classe;
5e, conseillers d'État.

1
«Le gouvernement voulant se rendre compte des changements produits
par l'émancipation, a chargé une commission de faire une enquête dont les
résultats ont été publiés en 1873. En 1873, la condition des paysans a éprouvé
matériellement et moralement une amélioration sensible dans le nord-ouest,
à l'exception des contrées marécageuses de Pinsk et des rives du Pripet.
Dans le sud, l'aisance a augmenté sans que la moralité ait fait des progrès.
Aucune amélioration ne s'est produite dans la petite Russie. Dans le reste
de l'Empire, l'accroissement du bien-être est très peu sensible et les facultés
intellectuelles et morales sont aussi peu développées qu'auparavant. Enfin,
dans la grande Russie, la consommation de l'eau-de-vie a pris un accroisse-
ment considérable. L'exploitation en commun continue à dominer. Le paysan
est rivé à la commune tant qu'il n'a pas achevé de payer le rachat et, en
attendant, il n'a guère fait autre chose, que d'échanger la tutelle du seigneur
contre celle de la commune. » Dict. polit., V° Russie t. II, p. 882.
,
ÉGALITÉ CIVILE. 43
Les quatre classes qui suivent comprennent les colonels
« ,
lieutenants-colonels, majors, capitaines d'état-major et des fonc-
tionnaires civils. Dans les cinq dernières sont tous les officiers
,
inférieurs avec certains fonctionnaires.
« La noblesse est héréditaire dans les cinq premières classes
et personnelle dans les quatre suivantes ; les fonctionnaires des
dernières classes deviennent nobles par l'avancement. Tout
noble doit à l'État un service personnel sous peine de déchéance
de la noblesse si trois générations se passent sans que cette con-
dition soit remplie. Les titres sont ceux de prince, comte et de
baron. On comptait en 1867, 591,266 nobles héréditaires et
327,764 nobles personnels 1. »
Toute la noblesse russe, même la noblesse de naissance,
tire son origine des services de cour qui furent à l'origine
récompensés par des attributions immobilières. Le service de
cour fut même longtemps obligatoire pour les membres de la
noblesse, car, d'après la législation établie par Pierre le Grand,
une famille qui, pendant deux générations consécutives, de-
meurait hors du service, perdait ses droits de noblesse. Cette
règle a été abolie par Pierre III. Si la plupart des nobles
entrent au service, la plupart ne font que le traverser.
Aussi remarque-t-on dans la noblesse russe deux types bien
différents : le propriétaire et le fonctionnaire. « Ils représen-
tent, dit M. Anatole Leroy-Beaulieu, et personnifient deux
tendances en lutte dans toute société. L'un, le grand pro-
priétaire a aujourd'hui pour alliées les appréhensions inspirées
,
par l'instabilité et les révolutions de l'occident; il a pour lui
les terreurs conservatrices et la secrète faveur des influences
de cour. L'autre, le fonctionnaire, a l'avantage de mieux re-
présenter la tradition nationale, et, en même temps, d'obéir
au penchant le plus manifeste de la civilisation moderne. La
noblesse russe, telle qu'elle est sortie de l'histoire, est une
sorte de Janus à deux faces, face de propriétaire et de gen-
tilhomme. De ces deux hommes, le premier est naturellement

1 Dictionnaire politique de M. Block, V. Russie (art. de M. Smith).


44 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

plus aristocrate, mais parfois aussi plus libéral, le second plus


a toritaire 1. »
Entre les paysans et la noblesse, y a-t-il une classe intermé-
diaire qui ressemble à la Bourgeoisie des autres états de
l'Europe? Il y a une bourgeoisie mais relativement peu nom-
breuse et qui ne rappelle pas la classe puissante qu'on désigne
ailleurs sous ce nom. D'après un statut du 24 avril 1785, elle
se divise en six classes : 1re, propriétaires d'immeubles; 2° les
membres de Ghildes ; 3°, les négociants étrangers domiciliés ;
4° les bourgeois notables; 5°, les artisans, membres des corps de
métiers; 6°, les petits marchands, les petits industriels et les em-
ployés inférieurs.
Depuis 1832, la bourgeoisie notable est à vie ou héréditaire.
La bourgeoisie héréditaire peut être obtenue par les docteurs
d'une université russe, par les pensionnaires de l'Académie des
beaux-arts munis de diplôme et par les savants ou les artistes
étrangers après dix ans de séjour. Les fils de nobles personnels
sont de droit notables bourgeois héréditaires.
Dans le grand-duché de Finlande, les ordres sont distingués
à la Diète des États ; mais il y a dans la législation du grand-
duché une tendance à l'égalité. Ainsi l'ordre équestre a été
privé de l'immunité qu'il avait d'être jugé par la Cour et ren-
voyé, suivant le droit commun, à la compétence des tribunaux
de première instance (loi du 4 novembre 1867) pour le jugement
des procès civils et des causes criminelles.
53. Espagne et Portugal. — L'article 4 de la consti-
tution de 1845, reproduit dans la constitution du 30 juin 1876,

Anatole Leroy-Beaulieu, l'Empire des Tsars, t. I, p. 355. « Jusqu'aux


1

dernières réformes, dit le même écrivain, du règne d'Alexandre II, les no-
bles étaient personnellement en possession de trois privilèges principaux, et
encore le partageaient-ils depuis longtemps avec les classes dites privilé-
giées, c'est-à-dire avec le clergé et les marchands. Ils étaient affranchis de
la conscription militaire, affranchis de l'impôt direct ou capitation, affran-
chis enfin des châtiments corporels. De ces trois immunités, la première a
été abrogée par l'introduction du service obligatoire, en 1876; la dernière a
été étendue à toutes les classes ; la seconde aura bientôt aussi cessé d'être
un privilège. Les paysans restent seuls soumis à la capitation dont la sup-
pression est décidée en principe » (ib., p. 366).
ÉGALITÉ CIVILE. 45
art. 15, porte que tous les Espagnols, sans distinction, autre
que celle de leur mérite ou de leur capacité, sont admissibles
aux emplois publics. La Noblesse et spécialement la Grandesse
y occupe cependant en fait une place considérable dans l'opi-
nion publique et la considération sociale : « La Grandesse
(grandezza) est une dignité propre à la monarchie espagnole.
C'est le plus haut titre d'honneur que la noblesse puisse pos-
séder. L'origine de cette institution est toute féodale; de temps
immémorial les principaux feudataires de la couronne avaient
joui du privilège de parler couverts au roi; mais leur nombre
s'étant fort augmenté, le roi Philippe Ier se réserva le droit
d'inviter à se couvrir tel ou tel de ses grands seigneurs aux-
quels on donna la qualification de grands 1. »
Un décret du 28 décembre 1846, suivi d'une instruction
royale du 14 février 1847, a institué un catalogue alphabétique
des « grands d'Espagne et des titres légalement autorisés dans
le royaume. » Ce catalogue imprimé occupe 94 pages de l'al-
manach officiel. En vertu du décret du 28 décembre 1846,
chaque titré est tenu de faire reconnaître son titre pour avoir
droit à l'inscription, et, à chaque décès, l'aîné qui hérite du
titre doit obtenir un certificat d'investiture.
Comme en Espagne, en Portugal les titres sont vérifiés et
catalogués; l'Almanach royal en donne la liste, et, à chaque
mutation, le successeur du titre se pourvoit d'un titre réco-
gnitif 2.
54. Angleterre. — L'Angleterre est tout à la fois un
pays de grande aristocratie et d'égalité civile. La noblesse
ne confère aucun privilège, et les lords sont soumis aux
charges publiques comme le bourgeois et l'ouvrier. La pairie
ne constitue pas un ordre dans l'État, ou du moins c'est une
dignité; elle est accessible aux hommes qui se distinguent à un
degré éminent dans l'armée, le barreau, les lettres ou l'in-
dustrie; elle absorbe tous les talents, et par cette intelligente
politique l'esprit aristocratique se fortifie en se propageant

1 M. Block, Dictionnaire politique, t. I, p. 1098.


2 Nous empruntons
ce passage au rapport de M. Amédée Thierry, sénateur,
à la séance du Sénat du -4 juillet 1860.
46 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

dans toutes les catégories sociales. Aussi Bulwer a-t-il eu


raison de dire que si la Chambre des lords était dissoute,
l'aristocratie demeurerait toute-puissante, parce que l'acte de
dissolution ne pourrait pas extirper l'esprit aristocratique 1.
Les lords ont, à la vérité, le privilège de ne pouvoir être
jugés que par la chambre haute lorsqu'ils sont accusés de
trahison ou de félonie. Mais cette immunité n'est pas contraire
à l'égalité, et dans les pays où ce principe a triomphé, des
juridictions spéciales ont été créées pour juger certaines per-
sonnes et certains crimes ou délits. Ainsi, en France, pays
d'égalité s'il en fût, les ministres sont justiciables du Sénat qui
fait fonction de haute-cour; sous la Restauration et le gouver-
nement de Juillet, la Chambre des pairs était aussi une haute
cour de justice 2.
Les titres nobiliaires usités en Angleterre sont les suivants :
1° duc, titre d'origine saxone que les conquérants ne confé-
rèrent pas : le premier titre qu'on trouve après la conquête
est celui que prit le Prince Noir sous le nom de duc de Cor-
nouailles; 2° marquis; 3° comte. Ce dernier, d'origine nor-
mande, s'est à peu près perdu comme titre de noblesse an-
glais, et quant à celui d'earl, il est foncièrement anglais. Aussi
un comte étranger n'est-il jamais appelé Earl en Angleterre.
Les titres de duc, de marquis et de comte ont, pour les
femmes, les qualités correspondantes de duchesse, marquise
et comtesse; il en est autrement du titre d'earl, titre exclu-
sivement saxon et d'un rang à peu près égal à celui de comte.

1 England and the English, p. 416.


2 « Le droit moderne anglais ne reconnaît que des hommes libres. Tout
esclave en mettant le pied sur le sol anglais devient libre. Depuis le 1er août
1834 l'esclavage des noirs est également aboli dans toutes les colonies bri-
tanniques. — Tous les Anglais sont égaux devant la loi. Il n'y a pas de
privilège de classe. Ceux des pairs et pairesses ne sont que les privilèges de
quelques personnes, non de toute une classe. Aucune loi n'empêche le fils
d'un paysan d'atteindre aux plus hautes dignités dans l'État ou dans l'Église.
Une mésalliance entre la noblesse et la roture, l'exclusion de celle-ci du
bénéfice de l'acquisition des biens nobles ces idées-là sont aussi étrangères
,
au droit anglais que l'immunité d'impôt des grands propriétaires. » (Fischel,
traduit par Vogel, t. I, p. 87.)
ÉGALITÉ CIVILE. 47

Pour les femmes, aucune qualification ne correspond au titre


d'earl, et celles dont les maris sont earls ne s'appellent jamais
que countess. Dans les writs et commissions la reine donne aux
Earls le titre de bien-aimé cousin (Truest and well beloved
cousin); 4° vicomte. Ce titre a été mis en usage sous Henri VI;
5° baron. Primitivement tous les barons étaient pairs (tenentes
in capite ou lords of the mannor). A partir d'Edouard III, on vit
siéger au parlement des barons qui n'avaient qu'un pur titre,
sans baronnie effective. Aujourd'hui le titre de baron que por-
tent les pairs d'Angleterre n'a rien de commun avec l'ancienne
baronnie féodale 1.
La pairie est généralement héréditaire dans la ligne mas-
culine. Cependant les femmes de la même ligne peuvent,
à défaut d'héritiers mâles, succéder à cette dignité et la
transmettre à leurs descendants. La reine peut non-seulement
transférer la pairie à une femme avec hérédité pour sa des-
cendance masculine; elle peut aussi élever une femme à la
pairie, ou, comme on dit, la créer pairesse de son propre
droit (by her own right). « C'est ainsi, dit M. Ed. Fischel,
que la veuve de Canning obtint la pairie pour elle et ses
descendants, mais il n'y a plus depuis Georges II d'exemple
d'une pairie à vie conférée à une femme. D'après lord Broug-
ham, de pareilles nominations, vu la longueur du temps écoulé
depuis que l'on a cessé d'en faire, seraient illégales aujour-
d'hui. Une pairesse de naissance ne perd pas son privilège
de naissance lors même qu'elle épouse un commoner. Mais si
elle ne tient son rang de pairesse que d'un mariage, elle le
perd en se remariant hors de la pairie 2. »
55. Allemagne. — On distingue en Allemagne deux es-
pèces de noblesse : 1° la noblesse de race; 2° la noblesse
personnelle. La première se divise, à son tour, en haute et
petite noblesse.
Jusqu'à la chute de l'Empire germanique, la haute noblesse
1 Die Verfassung Englands, par Edouard Fischel, p. 36-56, Ch. 3, tr. pr.
p. 87-99. — Das Englische Verfassungs-und-Verwaltungs-Recht, par R. Gneist,
t. 1, 10 et 100.
2 Ed. Fischel, tr. fr., p. 91, t. I.
48 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

se composa des familles qui exerçaient la souveraineté sur


des territoires immédiats et, comme membres des États de
l'Empire, participaient à l'exercice de la puissance impériale.
Aujourd'hui, celles de ces familles qui ont exercé le pouvoir
souverain jusqu'à la chute de l'Empire germanique, forment
le cercle fermé de la haute noblesse allemande; celles qui,
avant cette époque, avaient perdu leur puissance, sont re-
jetées dans les rangs de la noblesse de second ordre. Dans
la haute noblesse, on distingue deux classes qui ne diffèrent
du reste ni au point de vue légal ni par la considération so-
ciale. Dans la première, se trouvent les anciennes maisons
régnantes (à l'exception cependant des souverains eux-mêmes
qui ne font pas partie de la noblesse parce qu'ils sont au-dessus
d'elle), et dans la seconde les princes médiatisés. En Prusse,
les chefs des maisons autrefois souveraines sont de droit mem-
bres héréditaires de la Chambre des Seigneurs avec une soixan-
taine de princes, comtes et seigneurs nommés par le roi.
Pour la haute comme pour la petite noblesse, on distingue
la noblesse d'origine et la noblesse conférée par lettres patentes
(Uradel und Briefadel). La première est celle qui remonte à
une époque antérieure au temps où prit naissance l'usage de
délivrer des lettres patentes de noblesse ; la seconde, au con-
traire, a été conférée par des lettres dont la date est connue.
La noblesse donnée par lettres patentes est ancienne ou nou-
velle (alter und neuer Adel), suivant le nombre de générations
nobles que compte la famille, et l'on tient généralement pour
ancienne la noblesse des maisons qui peuvent prouver que,
pendant quatre générations, leurs ancêtres ont appartenu à la
noblesse.
Les titres usités en Allemagne sont ceux de duc (Herzog),
de prince [Fürsten), de comte (Graf), baron (Freiherr ou Ba-
rone) et de chevalier (Ritter); enfin il y a des personnes qui
sont nobles sans avoir droit à aucun de ces titres (einfache
Adelige). La noblesse secondaire peut être conférée par tout
prince investi du pouvoir souverain; mais il est d'usage, dans
les petits États, de ne point exercer ce droit quelque inhérent
qu'il soit à la souveraineté.
ÉGALITÉ CIVILE. 49
Dans certains États la substitution fidéicommissaire est con-
sidérée comme une institution exclusivement nobiliaire; pour
conserver le fief dans la famille, il est permis aux seigneurs
de déroger au droit commun sur les successions. En Prusse,
la constitution de 1850 défendit de semblables fondations pour
l'avenir, mais deux ans après cette défense cessait d'être ob-
servée. Le Hanovre, le Brunswick et l'Oldenbourg ont suivi
l'exemple de la Prusse. En Autriche, un décret du 31 décembre
1851 a donné aux propriétaires fonciers nobles toute facilité
pour de pareilles substitutions.
La capacité exclusive de la noblesse pour l'acquisition des
fiefs fut abrogée en 1807 par la transformation des fiefs en
biens allodiaux dans la plus grande partie des États de l'Alle-
magne. La mesure a été complétée en 1848 par l'extension aux
pays où elle n'avait pas été appliquée dès le commencement.
Indépendamment des fiefs et alleux, il y avait dans certaines
circonscriptions des biens soumis à un régime spécial et connus
sous le titre de biens de chevaliers (Rittergüter). Ces biens ont
perdu leur caractère historique depuis longtemps, mais il leur
est resté une physionomie particulière qui en fait une possession
à part. Les droits et immunités qui étaient attachés à cette es-
pèce de possession étaient les suivants : exemption de corvées
et charges rurales, exemption des contributions et du logement
des gens de guerre, justice patrimoniale, privilège pour la
fabrication de la bière, droit de chasse, droit de patronage et
États provinciaux. Mais les immunités d'impôts et la justice pa-
trimoniales ont été supprimées dans tous les États et il ne reste
de l'ordre équestre (Ritterschaft) que le droit de représentation
spéciale dans les diètes. Cette représentation spéciale est ac-
cordée à la propriété plutôt qu'à la noblesse; car depuis 1807
les bourgeois peuvent, comme les nobles, posséder les biens de
cette espèce et exercer les droits y attachés. A la Chambre des
seigneurs de Prusse, les biens équestres sont spécialement re-
présentés par huit membres.
La noblesse, et spécialement l'ancienne noblesse, est exigée
pour l'aptitude à plusieurs titres et bénéfices ecclésiastiques;
pour l'admission dans certains ordres et pour les dignités et
B. — II. 4
50 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

charges de cour; pour la réception à la cour (Hoffähigkeit).


Quant aux fonctions publiques de l'État, elles furent pendant
longtemps principalement réservées à la noblesse, et l'on trouve
dans le droit civil de la Prusse une disposition qui consacre
particulièrement ce monopole. En Prusse, les brevets d'offi-
ciers furent, jusqu'à 1808, exclusivement donnés à des gentils-
hommes ; cette année-là, ce privilège fut légalement aboli et la
constitution de 1850 a consacré ce principe : « Les fonctions
publiques sont accessibles à tous ceux qui remplissent les condi-
tions de capacité déterminées par la loi. » Mais il faut distinguer
entre le droit et le fait. Si tous les sujets sont admissibles aux
fonctions publiques, la noblesse obtient encore, surtout pour
es brevets d'officier, une préférence marquée 1.

V. dans l'ouvrage intitulé : S.taals-Worterbuch de Bluntschli et Brater,


1

les m ots Hof, Lehen recht, et surtout le mot Adel, 2e partie Rechts-zu-Stand
des deutschen Adels, t. I, p. 52.
LIBERTÉ INDIVIDUELLE. 51

CHAPITRE TROISIÈME.

LIBERTÉ INDIVIDUELLE.

Sommaire.
56. En quoi consiste la liberté individuelle.
57. Restrictions à la liberté individuelle.
58. Différence de notre législation avec celle de l'Angleterre.
59. Opinion de Hume sur l'habeas corpus.
60. Suspension de l'habeas corpus.
61. Circonstances principales où, dans notre pays, la liberté individuelle a été sus-
pendue par des raisons d'État.
62. Suite.
63. Suite.
64. Suite.
65. Observation sur les atteintes portées à la liberté individuelle.
66. Pouvoirs exceptionnels donnés par la loi du 9 juillet 1852 au préfet de police à
Paris et au préfet du Rhône.
67. Observations sur ce point.
68. Les lois sur la mendicité sont-elles contraires à la liberté individuelle ?
69. Des filles soumises.
70. Du passeport.
71. Des passeports à l'intérieur et à l'étranger. — Conditions et formalités.
72. Des actes équivalant à passeport.
73. Passeports gratuits aux indigents.
74. Suppression des passeports pour les Anglais venant en France.
75. L'individu auquel le passeport est refusé a-t-il une voie de recours à
employer?
76. Le recours par la voie contentieuse est-il admissible?
77. Suite.
78. Suite.
79. Liberté individuelle considérée dans le costume.
80. Liberté individuelle considérée au point de vue du port d'armes.
81. Que faut-il entendre par armes cachées ou secrètes?
82. Suite.
83. Des armes de guerre.
84. Suite.
83. Suite.
82 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

86. Port, d'armes en cas de chasse.


87, Du permis de chasse.
88. Cas dans lesquels le permis de chasse peut ou doit être refusé,
89. Droit comparé sur la liberté individuelle. — Belgique.
90. Angleterre, Charle et acted'habeas corpus.
91. Suite.
92. Suite.
33. Allemagne.

56. La liberté individuelle consiste dans la sûreté de la


personne et dans l'opinion que le citoyen a de sa sûreté, Cette
garantie et cette croyance ne peuvent exister que dans les pays
où la loi ne permet d'arrêter et de détenir les citoyens qu'en
vertu d'un ordre de justice régulièrement délivré. Il faut de
plus que le juge sait sérieusement respomsable des arrestations
qu'il ordonnerait arbitrairement.
Avant la révolution de 1789, il n'y avait pas de liberté
individuelle parce que tout individu pouvait être envoyé à la
Bastille en vertu d'une lettre de cachet. Sous te règne de Louis
XV, on fit un grand usage de ces lettres ; on alla jusqu'à les
vendre en blanc-seing, et plus d'un malheureux mourut oublié
en prison, sans savoir quelle était la cause de son emprison-
nement. Sous XVI, l'abus avait cessé, lorsque le Louis
et

peuple ouvrit les portes de la Bastille, il n'y trouva que très


peu de prisonniers. la modération est une per- Mais qualité

sonnelle qui fait que temporairement le vice de la ne oublier

loi, elle pas une garantie, n'empêche pas les


n'est
car elle
changements et, à suite, les retours de l'arbi-
d'humeur leur

traire. Même employées avec plus grande réserve, les la

lettres de cachet la liberté individuelle


57.
sont incompatibles

avec

les libertés, la liberté individuelle est


Comme toutes

soumise à des restrictions. qui, porpétrant des crimes


ou
en

Ceux

délits, se hors la loi,


des
pas rèclamer mettent n'ont à

dans les

cas
suivants

:
1° si l'ordre d'arrestation était décerné
en dehors des cas prévus par la loi et pour faits non
si
pénale

punissables 2° ; le
prévenu était
retenu sans être
renvoyé
devant le
juge, ou si l'ordre de magistrats uncompé- émanait

tents, 3° si les magistrats


le condamnaient à des peines que la
LIBERTÉ INDIVIDUELLE. 53
loi n'a pas édictées. En d'autres termes, la liberté individuelle
peut être atteinte par une arrestation illégale, une détention
arbitraire ou une condamnation inique.
L'arrestation illégale et la détention arbitraire sont des
crimes punis par la loi pénale 1. Mais il faut reconnaître que
rarement les poursuites ont atteint les agents de l'autorité
publique. Comme les Anglais, nous avons posé le principe
que nul ne peut être arrêté qu'en vertu d'an ordre du juge
régulièrement délivré; mais la différence entre les deux pays
vient principalement de ce que la responsabilité des agents
est en Angleterre plus effective qu'elle n'est d'après notre
législation. Le juge et l'agent coupables d'avoir pratiqué on
toléré une arrestation illégale ou une détention arbitraire peu-
vent être poursuivis par la partie lésée devant le juge des
crimes, tandis que chez nous le ministère publie a seul l'ac-
tion publique au grand criminel. Le particulier détenu ou ar-
rêté arbitrairement ne peut, en France, que porter plainte,
et si le parquet n'est pas d'avis de poursuivre, la Chambre
d'accusation ne peut pas être saisie. Le juge d'instruction
même doit pour instruire, attendre les réquisitions du ministère
public. Le Français ne peut pas, comme l'Anglais, traduire
le fonctionnaire devant le juge criminel; il doit demander
protection au ministère publie, et si ce dernier veut sauver
l'agent, ce qui sera fréquent, la plainte sera étouffée dès le
commencement 2.
58. En vertu du bill d'habeas corpus (grande charte; de
1214 et acte du 27 mai 1679), nul ne peut, en Angleterre, être
préventivement détenu que par un ordre d'un juge de paix
ou de police. L'agent qui n'a pas ce caractère est obligé de
conduire le prévenu devant, un juge de pais on de police. Le

1 Cod. pén., art. 341-314 et, art. 114-112.


2 Le Code d'instruction criminelle (art. 135) permet à la partie lésée d'at-
taquer l'ordonnance de non-lieu par opposition devant, la Chambre des suffises
en accusation de la Cour; mais il font, pour l'exercice de cette faculté ;
1° qu'il y ait une instruction ; 2° que la partie lésée se soit, constituée partie
civile. La première de cas conditions m'est pas à la disposition des parti-
culiers.
54 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

détenu a le droit de présenter requête, pour faire cesser la


détention comme illégale, ou pour faire ordonner la mise en
liberté sous caution. Il doit être statué sur cette demande dans
les vingt jours, soit par une des Cours siégeant à Londres, soit,
en temps de vacances, par le chancelier du royaume ou par
un des grands juges, sous peine d'une amende de 500 livres
sterling (12,500 fr.). En matière de délits, la liberté provi-
soire sous caution, que chez nous il dépend du juge d'accor-
der ou de ne pas accorder, est la règle générale en Angleterre.
Même en matière de grand criminel, la liberté sous caution
peut être accordée par une décision expresse de la Cour du
banc du roi 1.
59. Hume dit que l'habeas corpus est la raison pour la-
quelle les Anglais préfèrent leur constitution à toutes les autres;
mais le célèbre historien s'empresse d'ajouter : « Cependant il
est assez difficile de concilier avec cette extrême liberté la po-
lice régulière d'un État, surtout celle des grandes villes 2. »
60. Montesquieu a dit : « J'avoue pourtant que l'usage des
peuples les plus libres qui aient jamais été sur la terre me fait
croire qu'il y a des cas où il faut mettre pour un instant un
voile sur la liberté, comme on cache les statues des dieux 3. »

1 Writ d'habeas corpus. « Il en est plusieurs, dit Blackstone, dont les


cours de justice font usage pour faire transférer les prisonniers d'un tribunal
à un autre. Writ d'habeas corpus ad respondendum, ad satisfaciendum, ad
prosequendmn, ad testificandum, deliberandum, etc., etc., etc.. Le writ
principal dans le cas de détention illégale, c'est le writ d'habeas corpus ad
subjiciendum adressé à l'individu qui en détient un autre et lui enjoignant
de représenter la personne du prisonnier et de déclarer quel jour et pour
quelle cause il a été arrêté. C'est, d'après la loi commune, la Cour du banc
du roi qui décerne ce writ, sur un fiat du chef juge ou de l'un des juges.
Tout sujet du royaume a le droit d'obtenir ce writ. A cet effet, il faut pré-
senter à la Cour du banc du roi ou aux plaids communs une requête motivée
spécialement. La Cour accorde ou refuse le writ, suivant qu'il y a ou non
probabilité qu'un homme a été emprisonné sans cause légitime » (Blackstone,
liv. III, ch. VIII).
2 Histoire d'Angleterre, par Hume, traduction de Campenon t. I, p. 461
,
et t. VI, p. 363. Voir aussi Histoire abrégée de la constitution d'Angleterre
,
d'après Hallam, par Borghers, p. 266.
3 Esprit des lois, liv. XII, ch. XIX.
LIBERTE INDIVIDUELLE. 55
C'est ce qui est arrivé plusieurs fois en Angleterre 1, où les lois
sur la liberté individuelle ont été suspendues à l'égard de
personnes ou de catégories de personnes. La liberté indivi-
duelle est alors placée sous la haute garantie de la puissance
législative. Sans doute un corps composé, en grande partie,
d'ennemis politiques est de nature à donner des inquiétudes
aux parties; mais la garantie de la liberté consiste, en ce cas,
dans la publicité de la délibération surveillée par une opinion
publique vigilante.
61. Nous n'avons, sous ce rapport, le droit de rien blâmer
dans l'histoire d'Angleterre; car notre pays a vu aussi sus-
pendre toutes les lois, tantôt par des délibérations parlemen-
taires, tantôt par des décrets ou ordonnances.
Je ne parlerai pas des gouvernements de la Révolution fran-
çaise ; il serait trop long d'énumérer les actes d'arbitraire et de
violence qui furent commis à cette époque. Je commencerai
par le décret du 3 mars 1810 sur les prisons d'État, qui fut
rendu lorsque le gouvernement était solide et l'ordre assuré.
Voici les considérants de ce décret fameux : « Considérant qu'il
est un certain nombre de nos sujets qui sont détenus dans les
prisons de l'État sans qu'il soit convenable ni de les faire tra-
duire devant les tribunaux, ni de les faire mettre en liberté;
que plusieurs ont, à différentes époques, attenté à la sûreté
de l'État; qu'ils seraient condamnés par les tribunaux à des
peines capitales, mais que des considérations supérieures s'op-
posent à ce qu'ils soient mis en jugement. Considérant cepen-
dant qu'il est de notre justice de nous assurer que ceux de nos
sujets qui sont détenus dans les prisons de l'État le sont pour
1 «L'acte d'habeas corpus ne peut être suspendu qu'avec l'assentiment
du Parlement. La suspension accordée, des personnes suspectes peuvent
être incarcérées sans ordre d'arrestation spécial, et retenues indéfiniment...
Les catégories de personnes auxquelles l'acte de suspension s'applique ne
peuvent réclamer ni le bénéfice de la caution, ni leur mise en jugement
dans un délai déterminé. Mais les officiers en cause demeurent toujours
responsables des illégalités commises dans l'exercice de leurs fonctions.
Cependant il est d'usage que le Parlement, après le retrait de la mesure
d'exception, adopte une bill d'indemnité pour mettre à couvert les magis-
trats qui ont agi dans l'intérêt du bien public. » Fischel, tr. fr., t. I, p. 164.
56 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

cause légitime, en vue d'intérêts publics, et non par des consi-


dérations et passions privées; qu'il convient d'établir, pour
l'examen de chaque affaire, des formes légales et solennelles;
et qu'en faisant procéder à cet examen, rendre les premières
décisions dans un conseil privé et revoir de nouveau chaque
année les causes de la détention, pour reconnaître si elle doit
être prolongée, nous pourvoirons également à la sûreté de l'É-
tat et à l'intérêt des citoyens. » La commission sénatoriale de
la liberté individuelle garda le silence; elle ne se souvint de la
liberté individuelle que le jour où le Sénat prononça la déchéance
de Napoléon. Un des griefs était tiré de ce que l'Empereur avait
violé les lois constitutionnelles par ses décrets sur les prisons
d'État.
62. La charte de 1814 fut rédigée comme pour faire anti-
thèse au régime impérial. Aussi un article spécial, l'article 4,
garantissait-il la liberté individuelle de la manière la plus expli-
cite : « Leur liberté individuelle (des citoyens) est également
» garantie, personne ne pouvant être poursuivi ni arrêté que
» dans les cas prévus par la loi et dans la forme qu'elle pres-
» crit. » Cette promesse constitutionnelle fut cependant violée
par les lois des 12 février 1817 et 26 mars 1820, qui donnèrent
au gouvernement le droit de détenir, sans les traduire devant
les tribunaux, tous les individus prévenus de complots ou ma-
chinations contre la sûreté de l'État et de la famille royale.
L'ordre d'arrestation, en ce cas, devait être délivré et signé
par le président du conseil des ministres et le ministre de la
police. La loi du 26 mars 1820 disposa que l'ordre d'arrestation
serait délibéré en conseil des ministres et signé de trois mem-
bres du Cabinet 1.

La loi du 26 mars 1820 fut votée à la suite de l'assassinat du duc de


1

Berry. M. Pasquier, alors ministre des Affaires étrangères, qui la présenta,


ne dissimula point qu'il demandait l'arbitraire. — En Angleterre, le sou-
verain personnellement ne peut faire arrêter personne. Le Conseil privé,
les secrétaires d'État et les juges de paix en ont le droit dans certains cas.
Mais le prévenu peut toujours demander à être conduit devant le juge, et
le délai fixé pour conduire un prisonnier devant les juges du royaume est
fixé à vingt jours au maximum.
LIBERTE INDIVIDUELLE. 57
63. L'article 4 de la charte de 1814 fut conservé en entier
dans la charte de 1830. Le gouvernement de Juillet, comme
ceux qui le précédèrent et le suivirent, conserva la législation
de l'Empire (Code pénal) sur les mandats de dépôt et d'arrêt,
ainsi que sur la liberté provisoire sous caution. De libérales
propositions, émanées de l'initiative parlementaire, furent
faites pour réformer la législation. On proposa spécialement
de permettre à tout individu qui se prétendrait arbitrairement
détenu d'en appeler au tribunal d'arrondissement, qui serait
tenu de statuer, toutes affaires cessantes. Mais cette propo-
sition n'eut pas de suite et ne fut plus représentée 1.
64. Après la révolution de Février 1848, on vit reparaître les
lois d'exception. L'insurrection de Juin, la plus formidable de
celles qui, à cette époque, mirent l'ordre public en péril, fut
l'occasion de la première de ces mesures exceptionnelles. Une
loi du 27 juin 1848 disposa en ces termes : « Seront trans-
portés, par mesure de sûreté générale, dans les possessions
françaises d'outre-mer, autres que celles de la Méditerranée,
les individus actuellement détenus qui seront reconnus avoir
,
pris part à l'insurrection des 23 juin et jours suivants. »
Les événements de décembre 1851 furent suivis d'un décret
dictatorial en date du 29 décembre 1852, qui distinguait
deux catégories de personnes : 1° celles qui étaient expulsées
du territoire de la France, de l'Algérie et des colonies; 2° celles
qui étaient momentanément éloignées du territoire de la France
et de l'Algérie.
Enfin l'attentat du 14 janvier 1858 contre la personne de
l'Empereur par Orsini et ses complices donna lieu à la loi de
sûreté, en date des 27 février-2 mars 1858. Après les premiers
articles qui punissaient de peines sévères ceux qui auraient
excité ou provoqué publiquement aux crimes prévus par les
articles 86 et 87 du Code pénal; qui auraient entretenu des in-
telligences à l'intérieur ou à l'extérieur, dans le but de troubler
la paix publique; qui auraient, sans autorisation, fabriqué

1 Proposition de M. Roger à la séance du 17 janvier 1835. L'auteur du


projet le retira.
58 DROIT PUBLIC. ET ADMINISTRATIF.

des machines meurtrières ou de la poudre fulminante, après


ces articles, dis-je, venaient quelques dispositions qui confé-
raient au gouvernement le droit, soit d'expulser du territoire
français, soit d'interner dans les départements ou en Algérie :
1° tout individu condamné pour l'un des délits prévus par la
loi du 27 février elle-même; 2° tous individus condamnés
pour crimes ou délits prévus dans les articles 86 à 101, 153,
154, § 1er, 209 à 211, 213 à 221 C. pén. ; par les articles 3,
5, 6, 7, 8 et 9 de la loi du 24 mai 1834 sur les munitions de
guerre; par la loi du 7 juin 1848 sur les attroupements; par les
articles 1 et 2 de la loi du 21 juillet 1849; 3° les individus qui
ont été soit condamnés, soit internés, expulsés ou transportés,
à l'occasion des événements de mai et juin 1848, de juin 1849,
de décembre 1851, et que des faits graves signaleraient de nou-
veau comme dangereux pour la sûreté publique. En ce dernier
cas, deux conditions étaient donc exigées. La première voulait
que l'individu expulsé eût été condamné ou l'objet de mesures
de sûreté générale en 1848, 1849 ou 1851; la seconde, qu'il
fût de nouveau, d'après des faits graves jugé dangereux pour
,
l'ordre public 1.
65. Telles sont les principales circonstances où, suivant
l'expression de Montesquieu, on a jeté un voile sur la statue
de la Liberté. Mais si l'on voulait peser le profit que les gou-
vernements successifs en ont retiré et le comparer avec l'af-
faiblissement qui en est résulté contre eux, je suis persuadé
qu'on dirait avec Royer-Collard : « Les lois d'exception sont
des emprunts usuraires qui ruinent les gouvernements, même
lorsqu'ils paraissent les enrichir. »
66. Des motifs qui se rattachent à la raison d'État ont fait
donner au préfet de police à Paris et au préfet du Rhône le
droit d'interdire la résidence de la capitale ou l'agglomération

1 L'article 7 de la loi du 27 février 1858 permet d'interner en France ou


en Algérie tout individu frappé de mesures de sûreté générale à la suite de
juin 1848, de juin 1849 et de décembre 1851. « L'article 7 est-il encore me-
naçant, disait M. Baroche au Corps législatif à la séance du 10 mars 1862 ?
Non, depuis 1859, parce que tous les faits antérieurs à 1858 ont été mis à
néant par l'amnistie. » (Moniteur du 11 mars 1862.)
LIBERTÉ INDIVIDUELLE. 59
lyonnaise : 1° à ceux qui ont été condamnés pour vol, brigan-
dage, vagabondage, mendicité; 2° à ceux qui, sans avoir subi
de condamnation, ne pourraient pas justifier de leurs moyens
d'existence 1.
67. A l'égard des individus de la première catégorie, la
mesure est analogue à la mise en surveillance par la police.
Quant aux personnes de la seconde espèce, l'administration
assurément a usé de son droit avec la plus grande réserve.
Cependant il faut reconnaître qu'elle est armée par la loi du
9 juillet 1852 d'un pouvoir qu'il serait aisé de pervertir. Il est
facile d'aller jusqu'à la vexation, quand on discute sur les
moyens d'existence d'un citoyen. Pourquoi, d'ailleurs, l'indi-
vidu qui n'a pas de moyens d'existence serait-il empêché de
chercher des ressources là où il aura le plus de facilité à s'en
procurer? Avec cette loi, sévèrement appliquée, un homme
de lettres qui vient à Paris pour employer sa plume pourrait
être renvoyé à sa province. Sans doute, aucun fait semblable
ne s'est produit; mais il faut, comme nous ne cessons de le
faire observer, distinguer entre la loi et son application.
La loi du 9 juillet 1851 n'a pas été abrogée bien qu'elle ait été
souvent dénoncée par la presse à l'attention des chambres ; mais
le projet de loi sur la rélégation des récidivistes, déjà voté
par la Chambre des députés , donne satisfaction au voeu tant
de fois exprimé.
68. Des dispositions exceptionnelles ont réduit la liberté
individuelle des mendiants. La loi a fait de la mendicité un
fait punissable; il y a plus : le mendiant condamné peut être,
après l'expiration de sa peine, envoyé au dépôt de mendi-
cité, où il est soumis à la loi du travail'2. Ce délit et cette
répression administrative ne sont-ils pas des créations artifi-
cielles de la loi? La nature des choses voulait-elle qu'on por-
tât ainsi atteinte à la liberté individuelle?— Voici les motifs
que donnait un rapport adressé à l'Assemblée constituante, le
13 juin 1792 : « La société, qui a le droit de veiller sur la con-

1 Loi du 9 juillet 1852.


2
Code pénal, articles 274, 275.
60 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

duite physique de ses membres n'a pas moins celui d'inspection


sur leur conduite morale, et lorsqu'elle ne saurait autrement
exister que par le travail, lorsque l'obligation de s'entr'aider
mutuellement dérive de la nature même de la convention sociale,
ce serait admettre un principe destructif de cette convention que
de prétendre... qu'on puisse tolérer une classe d'hommes qui,
refusant le travail dont ils sont susceptibles, consomment sans
rien produire et dévorent ainsi la substance de l'homme laborieux
qui remplit sa condition du pacte 1. » Ce qu'ils dévorent surtout,
c'est la substance du véritable pauvre, du malade sans ressour-
ces qui attend, à domicile, les secours de la charité spontanée,
tandis que les faux misérables provoquent et trompent au dehors
les coeurs compatissants. Comme le budget de la charité est
limité, tout ce que les pauvres simulés détournent par leurs ob-
sessions est enlevé à la misère réelle. Il serait préférable de jus-
tifier par ce motif les mesures prises contre la mendicité, que
d'invoquer les principes dangereux développés dans le rapport
du 13 juin 1792.
69. Il y a dans la société une classe dont la liberté indivi-
duelle est en dehors du droit commun, pour laquelle aussi pas
une réclamation ne s'élève contre les pouvoirs que la police s'est
arrogés à son égard parce que nul ne voudrait prendre sous sa
protection cette clientèle : je veux parler des filles publiques ou
filles soumises. C'est aux maires qu'il appartient de prendre les
mesures que réclameront, suivant les localités, les besoins de
l'hygiène et de la moralité publique. Presque partout on suit les
règlements de la police de Paris. Les filles qui se livrent habi-
tuellement à la prostitution sont inscrites sur un registre spécial,
soit d'office, soit sur leur demande ou sur la déclaration faite
par la personne qui tient la maison de tolérance 2. Une fois ins-
Dans son ouvrage sur la mendicité et l'assistance ouvrage couronné par
1

l'Académie des sciences morales et politiques en 1859,, M. Lerat de Magni-


tot approuve les raisons développées dans ce rapport comme péremptoires.
A mon sens, au contraire, de tels principes conduiraient à l'immixtion dans
un trop grand nombre d'actes de la vie privée.
2 Elles ne peuvent
pas paraître dans les rues avant la nuit ni y rester
après onze heures. — Leur tenue doit être décente. Il leur est interdit de
LIBERTÉ INDIVIDUELLE. 61

crite sur le registre 1, la fille soumise est tenue de se rendre à la


visite, chaque semaine, quand elle habite une maison de filles
et, deux fois par mois seulement, quand, elle appartient à la
catégorie des filles isolées. Elles sont visitées toutes les fois
qu'elles changent d'établissement. Chaque fille est munie d'une
carte sur laquelle il est fait mention des visites qu'elle a subies.
Ces cartes indiquent en outre les obligations auxquelles elles
sont soumises.
Les infractions aux règlements sont punies de la peine de
la prison et la condamnation est prononcée par le préfet de
police sur le vu des procès-vesbaux dressés par les inspecteurs
chargés de cette partie du service. C'est en cela surtout que
consiste la restriction à la liberté individuelle que nous avons
définie « le droit de n'être détenu qu'en vertu d'un ordre émané
» de la justice. » Ces pouvoirs sont tirés de textes qui ne les
renferment pas. La loi des 19-22 juillet 1791, tit. I, art. 10,.
autorise seulement les officiers de police à pénétrer, en tout
temps, dans les lieux notoirement livrés à la débauche. L'ar-
ticle 9 du décret du 12 messidor an VIII se borne à dire que
« le préfet de police fera surveiller les maisons de débauche. »
70. Une importante restriction à la liberté individuelle, con-
sidérée comme liberté d'aller et de venir, se trouve dans l'obli-
gation pour les personnes qui voyagent, d'être pourvues de
,
passeports. Tout contrevenant peut être mis en état d'arresta-

stationner dans les rues, d'y former des groupes on d'y tenir des propos
Indécents. (Arrêt de la Cour de cassation du 23 avril 1842.)
— Voir le cha-
pitre de la prostitution publique, dans l'ouvrage de Frégier sur les classes
dangereuses de la société, t. I, p. 153. Vivien, Études administratives, t. II,
p. 218. Serrigny, Droit public, t. I, p. 452, et MM Chauveau et Faus-
tin-Hélie (Théorie du Code pénal) t. III, p. 104, 1re édit.) contestent, an
,
point de vue de la légalité, le pouvoir que s'est arrogé la police de faire des
règlements sur les maisons de débauche avec la sanction de la peine d'em-
,
prisonnement, même au delà, d'une année.
1 L'inscription d'office d'une fille
sur le registre des prostituées n'établit
qu'une simple présomption et ne fait pas obstacle, dans le cas de refus de
se présenter aux visites sanitaires, à. ce que la fille demande à prouver qu'elle
ne se livre pas à la prostitution. G. cass. crim., 11 juillet 1879 (D. P. 1880,
I, 93).
62 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

tion provisoire jusqu'à ce qu'il justifie de son inscription sur le


tableau de la commune de son domicile. Faute par lui de rap-
porter cette justification dans les vingt jours, il peut être traduit
devant les tribunaux compétents, comme vagabond 1. L'usage
des passeports est aujourd'hui abandonné, mais la loi sur la
matière n'a pas été abrogée et il dépendrait de l'administration
de la faire appliquer de nouveau.
S'A. On distingue le passeport à l'intérieur et le passeport
à l'étranger. Le premier est délivré en province par le maire,
et à Paris par le préfet de police; le second, par les sous-préfets.
Autrefois les préfets étaient compétents pour délivrer les passe-
ports à l'étranger; le décret du 13 avril 1861 a donné cette
attribution aux sous-préfets. A Paris, le passeport à l'étranger
est, comme le passeport à l'intérieur, délivré par le préfet de
police. Cette formalité sert d'occasion à un petit impôt. Pour
un passeport à l'intérieur, la taxe est de 2 francs et de 10 pour
le passeport à l'étranger. Le droit de 10 francs est indépendant
des frais de visa par les ministres étrangers, visa dont le coût
varie suivant les légations. Le passeport indique les nom pré-
,
noms , âge, domicile, profession et signalement du requérant ;
en général il est individuel, sauf quelques exceptions 2; il est
délivré sur un papier spécial qui se détache d'un registre à
souche et n'est valable que pour un an. Quant au droit d'exiger
la représentation du passeport, il appartient à tous les agents
de l'autorité publique 3. Lorsque le maire ou le préfet ne con-
naissent pas la personne qui demande un passeport, ils doi-
vent exiger l'assistance de deux témoins connus et domiciliés
dont les noms sont inscrits au passeport 4.
72. Équivalent à passeport : 1° les feuilles de route, pour

1 Loi du 10 vendémiaire an IV, tit. III, art. 6 et 7.


2 D'après une instruction ministérielle du 6 août 1827, on peut comprendre
dans le même passeport le mari et la femme et les enfants au-dessous de
quinze ans. Il peut comprendre également deux frères ou deux soeurs, dont
l'un beaucoup plus jeune est placé sous la surveillance de l'autre.
3 Loi du 29 juillet 1792.

4 Loi du 17 ventôse an IV, art. 1er, et art. 155 du Code pénal.


LIBERTÉ INDIVIDUELLE. 63

les militaires 1; 2° les diplômes des sociétés de secours mutuels


pour ceux qui en sont membres 2. D'un autre côté, les prési-
dents des assemblées législatives ont le droit de délivrer des
passeports aux membres de la chambre qu'ils président3. Ceux
des ambassadeurs sont donnés par le ministre des Affaires étran-
gères4. Ces derniers ne sont pas nécessairement individuels,
et ordinairement ils confèrent la liberté de circuler non-seule-
ment à l'impétrant, mais encore aux personnes de sa suite.
73. Des passeports gratuits peuvent être accordés aux per-
sonnes dont l'indigence est constatée par un certificat du com-
missaire de police 6. L'administration peut aller plus loin;
elle a le pouvoir d'accorder des passeports gratuits, soit pour
l'intérieur, soit pour l'étranger 6. Lors de l'exposition univer-
selle à Londres, le gouvernement renonça à la formalité des
passeports et délivra des passes temporaires. C'est avec rai-
son que M. Vivien prend argument de ces faits pour condam-
ner le droit de 10 francs, « comme n'étant pas conciliable avec
la facilité actuelle des communications 1. »
74. Par un décret spécial, les Anglais voyageant en
France ont été expressément affranchis de l'obligation du pas-
seport. Sur les observations que fit à ce sujet un membre du
Sénat de l'Empire, les commissaires du gouvernement déclarè-
rent que de nouveaux décrets étendraient probablement l'ex-
ception à d'autres nations. Quant au passeport à l'intérieur,
ils annonçaient que l'intention du gouvernement était de le
maintenir pour assurer la répression de vagabondage. A ce
point de vue, les passeports de l'étranger étaient sans utilité;
tandis que le passeport à l'intérieur peut être d'un grand secours
pour suivre les traces des vagabonds.

1 Loi du 28 mars 1792.


2 Art. 12 de la loi du 26 mars 1852.

3 Décret du 28 mars 1792 et circulaire du 20 août 1816.

4 Décret des 23 et 27 août 1792.

5 Avis du conseil d'État du 22 décembre 1811, et ordre de police du 25


avril 1812.
6 Loi du 13 juin 1790.

1 Études administratives, t. II, p. 124.


64 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

75. Nous savons à qui doit être demandé le passeport;


mais la loi ne dit nulle part comment on pourrait vaincre la
résistance de l'autorité qui refuserait d'obéir à la réquisition
de celui qui demande un passeport. Écartons d'abord les cas
où le passeport doit être refusé. Les personnes auxquelles
il n'en est pas délivré sont : 1° les mineurs, les interdits et
les femmes mariées, sans l'autorisation de leurs tuteurs, cu-
rateurs ou maris; 2° les jeunes soldats qui doivent être munis
de leur feuille de route ; 3° les individus placés sous la sur-
veillance de la haute police et ceux qui sont placés sous le
coup d'une poursuite, d'une condamnation ou d'un jugement
emportant contrainte par corps.
A ces prohibitions communes aux deux espèces de passe-
port, il faut en ajouter d'autres qui sont particulières au
passeport pour l'étranger. Il n'en doit pas être délivré :
1° aux comptables et dépositaires de deniers publics qui ne
produisent pas une permission de leurs chefs respectifs ; 2° aux
militaires en activité de service ou en disponibilité qui ne
justifient pas d'un congé du ministre de la guerre ou de
l'officier supérieur commandant la division dans laquelle ils
résident.
76. Mais supposons qu'en dehors de ces cas exception-
nels, nous soyons en présence d'un maire ou d'un préfet qui
refusent arbitrairement un passeport. M. Vivien répond que
« tout acte de l'autorité portant refus de délivrer un passe-
port et de le délivrer pour le lieu indiqué, constituerait un
excès de pouvoir 1. » M. Serrigny, moins absolu, distingue
entre le passeport à l'étranger et le passeport à l'intérieur.
Dans le premier cas, il pense que l'administration est investie
d'un pouvoir purement discrétionnaire, et dans le second
,
que le droit de circuler à l'intérieur ne peut pas arbitraire-
ment être entravé.
77. Mais y a-t-il raison de distinguer entre deux actes dont
la nature juridique est la même? Pas un mot dans la loi ne
vient à l'appui de cette différence. L'opinion de M. Vivien me

1 Etudes administratives, t. II, p. 124.


LIBERTÉ INDIVIDUELLE. 65
paraît donc préférable en ce sens que le refus a le même carac-
tère pour les passeports à l'intérieur que pour les passeports à
l'étranger. Mais s'il y a excès de pouvoir, comment pourrait-on
le faire cesser? Quelle sera la sanction du droit contre l'arbi-
traire? — Comme il est de principe dans notre administration
que le supérieur, à moins de disposition contraire, a le droit
de défaire les actes de son inférieur, le requérant pourrait aller
du maire ou du sous-préfet au préfet et de celui-ci au ministre,
pour vaincre le refus par la volonté de l'autorité supérieure.
Le préfet et le ministre pourraient ou suspendre ou provoquer
la destitution de leur subordonné. Mais cette suspension ou
cette révocation auront peut-être des inconvénients. N'y aura-
t-il aucun autre remède à employer? La loi donne aux maires
et aux sous-préfets la compétence pour délivrer les passeports;
on s'est demandé s'il était loisible au ministre de se substituer
à leur subordonné et, faisant ce que celui-ci aurait dû faire,
de délivrer un passeport signé de sa main. Je ne connais rien
qui s'oppose à l'application, dans l'espèce, du principe de hié-
rarchie administrative, principe qui, à moins d'exception for-
melle donne au supérieur le droit de faire ce que l'inférieur
,
aurait dû faire.
78. Mais le recours devant le conseil d'État pour excès de
pouvoir ne serait pas admissible. L'appréciation des causes qui
peuvent faire refuser la délivrance des passeports est du do-
maine de l'administrateur, et ce serait, d'ailleurs, mettre la
liberté individuelle sous la protection d'une juridiction admi-
nistrative, tandis que le législateur a voulu qu'elle eût pour
garantie la compétence de l'autorité judiciaire. La seule ma-
nière de combattre le refus arbitraire, c'est d'accuser le maire
ou le préfet d'attentat à la liberté, conformément aux ar-
ticles 114 et suivants, Code pénal.
La partie aurait aussi la faculté d'adresser aux Chambres
une pétition où il se plaindrait de la violation de sa liberté 1
individuelle.

1V. cependant C. d'Et., arr. du 13 mars 1867 (D. P. 1867, III, 98) en
matière de permis de chasse et infrà, n° 88.
B. — II. 3
66 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

79. La liberté individuelle comprend non - seulement le


droit d'aller et de venir, la sûreté de la personne et le droit
de n'être détenu qu'en vertu d'un ordre régulier de justice;
elle comporte aussi la faculté de se montrer dans le costume
qu'il plaît à chacun de choisir. Deux restrictions ont cepen-
dant limité ce droit. Comme les lois ou décrets ont fixé le
costume de certaines fonctions, il est interdit à toutes per-
sonnes qui n'exercent pas ces fonctions de porter les costumes
officiels.
D'un autre côté, afin de faciliter les recherches de la police
en cas de poursuites criminelles et d'éviter les désordres qui
ne manqueraient pas de suivre la confusion des sexes, des
ordonnances ont interdit aux femmes de prendre des vêtements
d'homme, sans autorisation. On n'a pas pris soin de faire aux
hommes la défense réciproque de porter, sans permission, des
vêtements de femme, sans doute parce que ce déguisement ne
tromperait personne.
80, Le droit de porter des armes est aussi une dépen-
dance de la liberté et de la sûreté individuelle. Il a, cepen-
dant, dans l'intérêt de l'ordre, fallu faire quelques excep-
tions, et la loi a formellement interdit les armes cachées ou
secrètes1.
SA. Mais que faut-il entendre par armes cachées et secrètes?
La loi n'eu a pas fait l'émunération limitative; une pareille
disposition aurait pu, du jour au lendemain, devenir insuffi-
sante à cause des découvertes fréquentes que font la science
et l'industrie. L'article 1er de la loi du 24 mai 1834 considère
comme illicites non-seulement celles qui sont prohibées par les
lois, mais encore celles qui le seraient par des règlements
d'administration publique. Ces derniers mots sont une confir-
mation de l'ordonnance du 23 mars 1728 sur la fabrication et.
te débit des armes offensives et cachées, notamment d'une

Loi du 24 mai 1834 et ordonnance du 23 février 1837. Cette prohibition


fut prononcée à la suite d'un arrêt de. la Cour de cassation, en date du
3 novembre 1836,
qui avait décidé que le décret du 14
décembre 1810 avait
implicitement restitué au commerce le droit de fabriquer, confectionner et
débiter des pistolets de poche.
LIBERTÉ INDIVIDUELLE. 67
manière expresse : les poignards, couteaux en forme de poi-
gnards, soit de poche, soit de fusil, les baïonnettes, pisto-
lets de poche, épées ou bâtons, bâtons à ferrements autres que
ceux qui sont ferrés par le bout, les fusils et pistolets à vent,
les stylets et les tromblons 1.
83. Cette énumération n'est d'ailleurs pas fermée, d'a-
près les termes de l'ordonnance de 1728 elle-même; car non-
seulement elle prohibe les armes ci-dessus énumérées, mais
d'une manière générale, toutes les armes offensives et secrètes 2.
Ainsi la catégorie des armes cachées et secrètes peut être éten-
due par des ordonnances; la jurisprudence, appliquant la pro-
hibition générale qui défend de porter des armes offensives et
secrètes, en a aussi augmenté la liste.
83. Parmi les armes prohibées se trouvent au premier rang
les armes de guerre. D'après le décret du 14 décembre 1810,
les armes de guerre se reconnaissaient à leur calibre dont la
dimension était déterminée; les armes du. commerce devaient
dépasser cette proportion ou rester en dessous. Mais on a remar-
qué qu'à l'étranger le diamètre des armes de guerre se réduisait
et tendait à se rapprocher du calibre de nos armes de chasse.
C'est pour cela que la loi du 14 juillet 1860 a substitué à la
qualification par le calibre la définition par d'autres faits et
circonstances que les tribunaux sont chargés d'apprécier.
Art. 2. « Les armes de guerre sont celles qui ont servi à ar-
mer les troupes françaises ou étrangères.
« Peut être réputée arme de guerre toute arme qui serait
reconnue propre au service de guerre, et qui serait une imi-
tation réduite ou amplifiée d'une arme de guerre.
« Les armes dites de bord ou de troque sont considérées
comme armes de guerre et soumises aux mêmes règles. »
L'exposé des motifs, après avoir montré que le calibre était
désormais un élément fautif d'appréciation, ajoutait : « C'est
dans la nature et la solidité des pièces qui la composent, dans

1 Décrets des 2 nivôse an XI et 12 mars 1808. Ce décret ordonne la pu-


blication de la déclaration du 23 mars 1728.
2 Arrêt de la Cour de cassation du 19 juin 1835.
68 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

sa forme convenable au maniement sur un ou plusieurs rangs,


dans l'épaisseur du canon, dans l'adjonction d'une baïonnette
ou d'un sabre-baïonnette, dans son prix qui doit être relative-
ment peu élevé, qu'il faut chercher les caractères de l'arme de
guerre. »
84. Cette définition a une double utilité. Premièrement,
la loi exige que les personnes qui veulent se livrer à la fabri-
cation des armes de guerre obtiennent l'autorisation du ministre
de la guerre (loi du 14 juillet 1860 et décret du 6 mars 1861).
La fabrication par des personnes non autorisées est punie de
peines rigoureuses. En second lieu, le fait de la simple déten-
tion d'armes de guerre est considéré comme un délit. Nous
reviendrons sur la restriction du droit de fabriquer quand nous
traiterons de la liberté du travail et de l'industrie. Quant à la
simple détention, elle est régie par la loi du 23 mai 1834 que
la loi du 14 juillet 1860 a, par une disposition formelle, décla-
rée être toujours en vigueur.
La simple détention d'une seule arme de guerre constitue
un délit 1, tandis que la détention, des armes destinées au com-
merce, n'est punissable que lorsqu'il y a dépôt d'une importante
quantité.
Quelles sont les armes dont la détention est prohibée à titre
d'armes de guerre?
One ordonnance du 24 juillet 1816 comprenait sons ce nom
« toutes les armes à feu ou blanches à l'usage des troupes
françaises, telles que fusils, mousquetons, carabines, pisto-
lets de calibre , sabres ou baïonnettes. » Une autre disposition
de la même ordonnance comprenait sous cette désignation,,
non-seulement les armes de guerre, mais encore les pièces

1 En général le délit n'existe qu'autant qu'il y a eu intention criminelle.


La jurisprudence décida qu'en matière de fabrication ou détention d'armes
prohibées, le fait matériel est suffisant et que c'est une véritable contraven-
tion , bien que la peine soit appliquée par les (arrêts.
tribunaux
correctionnels

de la Cour de cassation des 26 mars 1835 et 10 mars 1836). Cela résulte d'un
passage du rapport de M. Dumon sur la loi du 24 mai 1834. Le rapporteur
déclare que "les infonction dont il s'agit consistent dans un fait purement
matériel"
LIBERTÉ INDIVIDUELLE. 69
d'armes de guerre. Mais la loi du 24 mai 1834 n'a entendu
lier le juge par aucune disposition limitative, et en présence
de la difficulté qu'il y avait, à définir les armes de guerre 1,
elle s'en est rapportée à l'appréciation des tribunaux. Quant
aux éléments de cette appréciation, la définition donnée par la
loi du il juillet 1860 sur la fabrication des armes, de guerre est
applicable à la répression faite en vertu de la loi de 1834.
85. Les articles a et suivants de la loi du 24 mai 1834
punissent le fait de porter les armes dans un mouvement in-
surrectionnel.
Le Code pénal ne punissait le fait de descendre en. armes
dans la rue, que lorsque l'individu était, affilié au complot
et qu'on pouvait prouver sa complicité; mais c'était souvent
chose fort difficile à établir, parce que la plupart des insur-
gés descendent spontanément, sous l'impulsion de leur pro-
pre opinion, et sans qu'il y ait trace de complot en ce qui
concerne le plus grand nombre. Aussi la loi nouvelle a pro-
noncé des peines spéciales contre les individus qui auraient
porté les armes dans un mouvement insurrectionnel, sauf à
poursuivre comme passibles de plus fortes peines ceux qui
seraient convaincus d'avoir pris part au complot. Il existe
donc deux actions distinctes et qui peuvent être exercées suc-
cessivement contre le même individu si, après qu'un accusé
a été condamné comme coupable d'avoir porté les armes dans
un mouvement insurrectionnel, on saisissait la trace de sa
participation au complot 2.

1 Les piques et les faux ne rentrent pas dans le disposition de l'ordon-


nance du 24 juillet 1816. Cela fut du moins reconnu par M. Dumon, rap-
porteur de la loi à la Chambre des députés. A propos des pièces d'armes de
guerre dont il est question dans l'article 16 de l'ordonnance du 24 juillet
1816, on rappela dans la discussion de 1834 qu'on avait condamné un indi-
vidu, qui détenait un canon sans chien et un autre individu qui avait un
chien sans canon. Le rapporteur répondit que c'était, précisément pour pré-
venir de semblables décisions que l'on accordait, à la décision des tribunaux
une plus grande latitude.
1 Chauveau et Faustin-Hélie, t. Il,
p. 418. Dans certainspays et à certaines
époques, le port d'armes a été prohibé par des mesures exceptionnelles et
provisoires. Ainsi une loi des 10-15 juin. 1853 a interdit, le port, d'armes en
70 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

86.Le port d'armes même non prohibées devient, en


certains cas, illicite lorsqu'il se combine avec le fait de
chasse.
La loi sur la chasse du 3 mai 1844 contient quelques res-
trictions à la liberté individuelle ; mais ces restrictions peuvent
s'expliquer comme conséquences d'autres droits absolus. Ainsi
l'obligation de se munir d'un permis de chasse pour chasser,
même sur ses propres terres, découle du droit qu'a l'État
d'établir des impôts. A la vérité, si la taxe de 25 francs avait
seulement le caractère d'un impôt, tout le monde aurait droit
à obtenir le port d'armes, et cependant le sous-préfet doit le
refuser à certaines personnes qui rentrent dans les catégories
déterminées par la loi et peut le refuser à certaines autres. C'est
dans ce pouvoir d'appréciation que consiste la partie restric-
tive de la liberté individuelle 1. Quant à l'obligation d'obtenir
la permission du propriétaire sur les terres duquel on veut
chasser, elle s'explique par le respect dû à la propriété d'au-
trui. Ainsi établissement d'un impôt, garantie de la propriété
privée, restriction à la liberté de ceux qui seraient jugés dan-
gereux, telles sont les trois idées qui ont inspiré la loi du 3
mai 1844.
87. Le droit de chasser est subordonné aux conditions
suivantes :
1° Il faut qu'un arrêté du préfet ait déclaré la chasse
ouverte; le préfet est, en ce point, maître absolu, et la loi
s'en rapporte pleinement à son appréciation. Seulement le
voeu du législateur est que le préfet, en rendant ses arrêtés
d'ouverture ou de fermeture de la chasse, se propose de
ménager la reproduction du gibier, d'en empêcher la des-
truction et d'assurer la conservation des récoltes. A cette règle
cependant deux exceptions ont été faites. D'abord, en tous

Corse pour cinq ans, à peine d'un emprisonnement d'un mois à un an et


d'une amende de 16 francs à 500 francs.
1 La loi du 3 mai 1844, articles 6, 7 et 8, énumère les
personnes auxquel-
les le préfet doit ou peut refuser le permis de chasser.
— V.
Circulaire du
30 mai 1844. Sur les 25 francs payables pour obtenir un permis de chasse,
15 entrent dans les recettes de la commune et 10 profitent au Trésor.
LIBERTÉ INDIVIDUELLE. 71

temps, le propriétaire peut chasser ou faire chasser sur ses


terres attenant à une habitation, pourvu qu'elles soient en-
tourées d'une clôture suffisante pour empêcher toute com-
munication avec les héritages voisins. D'un autre côté, le
propriétaire ou même le simple possesseur ont le droit, en
tous temps, de détruire ou faire détruire les bêtes fauves qui
porteraient dommage à sa propriété ou les animaux qui, sans
appartenir à la catégorie des bêtes fauves, auraient été rangés
par arrêté du préfet parmi les animaux nuisibles. Il fut reconnu,
dans la discussion de la loi du 3 mai 1844, que, pour chasser
dans un enclos ou pour détruire les animaux nuisibles il
,
n'était pas besoin d'avoir un permis de chasse 1.
88. 2° Le permis de chasse qui constitue la seconde con-
dition est accordé par le sous-préfet (Décr. du 13 avril 1861)
sur la demande du requérant adressée au maire du domicile ou
de la résidence. Le maire doit donner son avis; s'il refusait de
le donner, le préfet pourrait, usant de l'article 15 de la loi du
18 juillet 1837, nommer un délégué qui donnerait cet avis à la
place du maire.
Les articles 6, 7 et 8 de la loi du 3 mai 1844 déterminent
les cas où le préfet tantôt doit et tantôt peut refuser le permis
de chasse. Si, en dehors de ces circonstances, le préfet refusait
arbitrairement le permis, nous pensons qu'il n'y aurait d'autre
sanction que la peine édictée par l'article 114 du Code pénal
contre les attentats à la liberté individuelle. Les raisons que
nous avons développées, en matière de passeport, nous con-
duisent à décider que le recours contentieux n'est pas admis-
sible contre le refus de permis. Ici, comme pour le refus de
passeport, il s'agit d'un fait négatif contre lequel échouerait
par la force des choses tout pourvoi tendant à l'annulation. Le
conseil d'État cependant a décidé que le pourvoi pour excès de
pouvoirs était recevable dans une espèce où le préfet et le mi-
nistre avaient décidé que le demandeur était dans un des cas

1 Le préfet peut aussi autoriser la chasse, en dehors des temps ordinaires


pour les oiseaux de passage autres que les cailles et pour le gibier d'eau dans
les marais, étangs, fleuves et rivières. 11 doit prendre l'avis du conseil gé-
néral (Circulaire du 30 mai 1844. )
72 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

prévus par la loi où le permis peut être refusé, le pourvoi


étant fondé sur ce que l'article 6 § 2 de la loi lui avait été
appliqué à tort. Le pourvoi fut rejeté, mais le conseil d'État
statua au fond, ce qui impliquait l'admissibilité de l'action. Le
conseil pensait, avec raison certainement, que le passeport
aurait été délivré s'il avait été décidé qu'il y avait excès de
pouvoirs 1.
Le permis une fois accordé peut-il être retiré? Il faut, à
notre avis répondre par une distinction. Dans les cas où le
,
permis peut être refusé, le sous-préfet ne pourra pas en pro-
noncer le retrait. Mais dans les cas où, d'après l'article 7, le
permis doit être refusé, il y aurait lieu à retrait.
3° Même après l'ouverture de la chasse, le porteur d'un
permis ne peut pas employer toute espèce d'engins; il y en a
qui sont prohibés comme trop destructeurs. Le permis confère
le droit de chasser de jour à tir ou à courre; les autres moyens
sont interdits. Ainsi sont spécialement interdits les filets, les
lacets, les pièges ou panneaux, et le furet ne peut être em-
ployé que pour la chasse au lapin. Exceptionnellement cepen-
dant les préfets peuvent, sur l'avis des conseils généraux,
autoriser l'emploi des moyens prohibés pour les oiseaux de
passage autres que les cailles 2.
4° Enfin, pour chasser sur la terre d'autrui, il faut obtenir
la permission du propriétaire 3.

1 C. d'Etat, 13 mars 1867 (D. P. 1867, III, 98). Cet arrêt fut rendu sur les
conclusions conformes de M. Aucoc qui sont reproduites in extenso par Dal-
loz, loc. cit. — « Si vous n'êtes pas juges de ce débat, qui donc en serait le
juge? — Les tribunaux de l'ordre judiciaire? Evidemment non; ils n'ont
reçu mission de contrôler l'administration que dans les cas expressément
définis, et celui-ci n'est pas du nombre. — Le recours ne pourrait donc pas
être porté devant, un juge. » V. Giraudeau et Lelièvre, La chasse, 2e édit.,
p. 144.
2 Article 9 de la loi du 3 mai 1844.

3 La loi de 1790 défendait au propriétaire de chasser sur son propre fonds


lorsqu'il était couvert de fruits ou de récoltes. Aujourd'hui, c'est le préfet
qui fixe d'une manière générale le temps pendant lequel la chasse sera ou-
verte.
LIBERTÉ INDIVIDUELLE. 73

DROIT COMPARE.

89. Belgique. — L'article 7 de la constitution porte :


« La liberté individuelle est garantie. — Nul ne peut être
poursuivi que dans les cas prévus par la loi et dans la forme
qu'elle prescrit. — Hors le cas de flagrant délit, nul ne peut
être arrêté qu'en vertu d'une ordonnance motivée du juge qui
doit être signifiée au moment de l'arrestation ou au plus tard
dans les vingt-quatre heures. »

90. Angleterre. — L'acte d'habeas corpus du 27 mai 1679


est conçu en ces termes dans sa disposition principale : Section 2.
« Lorsqu'une personne sera porteur d'un habeas corpus adressé
à un shériff, geôlier ou autre officier, en faveur d'une personne
soumise à leur garde, et que cet habeas corpus sera présenté
auxdits officiers ou laissé à la prison à un des sous-officiers,
ceux-ci devront, dans les trois jours de cette présentation, à
moins que l'emprisonnement n'ait lieu pour cause de trahison
ou de félonie exprimée dans le warrant, sur l'offre faite de
payer les frais nécessaires pour emmener le prisonnier, fixés
par le juge de paix ou par la Cour d'où émane l'habeas corpus
et écrit à la suite du writ, frais qui ne pourront dépasser douze
deniers par mille, et après sûreté donnée par écrit de payer
également les frais nécessaires pour ramener le prisonnier si
le cas échoit, et après garantie que le prisonnier ne s'évadera
pas en route, renvoyer cet ordre ou writ et représenter l'in-
dividu devant le lord chancelier ou les juges de la Cour d'où
émane le writ ou devant telle autre personne qui doit en con-
naître d'après la teneur du writ : l'officier devra de même
déclarer le motif de la détention1. » Si elles sont arrêtées pour
crime de trahison ou de félonie, elles peuvent exiger d'être
mises en accusation ou d'être admises à fournir une caution
dans la première semaine de la vacation la plus proche ou le
premier jour de la session suivante des juges en tournée, à
1 Collection des constitutions, par Duvergier et Dufau, t. 1, p. 367.
74 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

moins que l'impossibilité de produire les témoins du roi, dans


ce laps, ne fût constatée sous serment. La personne arrêtée qui
ensuite n'aurait pas été mise en accusation et jugée dans la
seconde vacation ou session judiciaire doit être relevée de l'ar-
restation décrétée contre elle pour le délit en question 1.
Section 10 : « Il sera loisible à tout prisonnier d'obtenir un
habeas corpus, soit du chancelier de l'Échiquier, soit du banc
du roi ou de la Cour des plaids communs; et si le lord chan-
celier, ou tout juge ou baron de l'Échiquier, en vacation, sur
le vu des copies de l'ordre d'emprisonnement ou de détention,
ou sur le serment que ces copies ont été refusées, refuse lui-
même l'habeas corpus voulu par cet acte, il sera condamné
à 500 livres envers la partie lésée 2. »
91. Le droit d'aller et de venir n'est pas en Angleterre sou-
mis à la condition du passeport. On en délivre à ceux qui en
demandent et une loi du 14 juin 1858 en a réduit le prix en
remplaçant le timbre de cinq shillings par celui de six pences
(62 1/2 centimes).
Quant au droit d'aller et de venir en chasse, il n'a pas sans
difficulté été reconnu même au propriétaire sur son propre
fonds. Il fut, sous la constitution normande, considéré comme
régalien, ce qui excita les réclamations les plus vives de
toutes les classes de la société. Deux causes contribuèrent à
démembrer cette attribution royale. En premier lieu, le droit
de chasse fut concédé à certaines personnes sur des points dé-
terminés. Mais ces concessions ne portaient que sur le droit
de moyenne et petite chasse, jamais sur la haute chasse. On
nommait park le droit de chasse moyenne 3 sur un terrain
clos, et chase le même droit sur un terrain non clos ; le droit de
petite chasse s'appelait warren. Très fréquemment cette der-
nière espèce de chasse était accordée aux grands tenanciers
sur leur propre fonds; quelquefois on donnait la permission de
1 Fischel, tr. fr., t. I, p. 162.
2 Collection des constitutions, par Duvergier et Dufau, t. I, p. 370.

3 La haute chasse s'entend de la chasse à la grande bête, le cerf et le san-


glier. La petite chasse comprend la chasse du lièvre et des perdreaux, La
chasse moyenne est celle du loup et du renard.
LIBERTÉ INDIVIDUELLE. 75
chasse moyenne en lieux non clos sur la propriété d'autrui;
mais cette permission était plus rare.
La seconde cause de démembrement du droit régalien fut la
modération qui s'introduisit dans l'administration domaniale,
particulièrement au temps de la grande charte et son com-
plément, la charte des forêts (charta de foresta). Depuis ce
moment, une sorte de coalition contre les hautes classes fit
que les tenanciers au moins les tenanciers importants, jouirent
du droit de chasse sur leur propre fonds, sans autorisation préa-
lable.
92. L'aristocratie était attaehée à son droit de chasse comme
à son influence dans le Parlement ou à son droit de justice
dans les comtés. Mais ce régime a été modifié par les actes
1 et 2 de Guillaume IV, ch. 32, qui ont remplacé toutes les
lois qui s'étaient accumulées sur cette matière depuis les temps
de la conquête.
Le droit de chasser sur sa propriété appartient aujourd'hui
à quiconque se fait délivrer un visa ou permis en acquittant
les droits exigés.
Le droit de chasse ne peut être exercé que dans le temps
pendant lequel la chasse est ouverte. Ce temps varie suivant
la nature du gibier; il va tantôt, du 1er février au 1er septembre
et tantôt du 1er février au 1er octobre. Pour les bêtes noires,
la chasse est ouverte du 10 décembre au 20 août.
Les contraventions, en matière de chasse, sont jugées par
deux juges de paix.
Le commerce du gibier est soumis à l'acquittement d'un
droit et à l'obtention d'une licence 1.

93. Allemagne. — D'après le droit commun de l'Alle-


magne, toute personne qui veut s'établir dans un pays étranger
n'en peut pas être empêchée par son gouvernement; il n'y
a d'exception à cette règle que pour les personnes tenues
à des obligations particulières et spécialement pour les mili-

1 Rudolf Gneist, Das heutige englische Verfassungs-und-Veriuallungs-Recht,


t. Il, p. 291, 292 et 296.
76 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

taires et quelques autres fonctionnaires ou serviteurs de l'État 1.


La liberté d'émigrer a été consacrée dans le plus grand
nombre des constitutions des États de l'Allemagne. Le droit
civil de Prusse (deuxième partie, fit. XVII, § 127), la loi
du 31 décembre 1842 et l'article 11 de la constitution de
1850 portent que, pour émigrer, les sujets Prussiens n'ont
pas besoin de l'autorisation du gouvernement. La liberté d'é-
migrer est également garantie en Saxe par la constitution
de 1832, § 29; dans le Wurtemberg par la constitution de
1819, § 24. Dans les États dont la constitution ne contient
pas de disposition expresse à ce sujet, le principe est consi-
déré comme sous-entendu 2.
Le passeport (Pass) est un sauf-conduit qui assure la sûreté
et la liberté du voyageur. C'est un moyen pour le porteur
de faire connaître son identité; mais ce moyen n'est pas le
seul et, s'il est le plus sûr, il pourrait être remplacé, à l'in-
térieur, partout autre moyen de preuve. C'est, en particulier,
ce qui a été décidé en Prusse. Sur la proposition de M. Schwe-
rin, ministre de l'intérieur, les passeports ont été rendus facul-
tatifs. On en délivre aux voyageurs qui le demandent; ceux
qui n'en ont pas peuvent établir leur identité par tout autre
moyen de preuve. D'après la loi du 12 octobre 1867, tout
Allemand ou étranger peut voyager à l'intérieur sans être muni
d'un passeport. Mais la police n'en peut pas moins demander
aux voyageurs qui lui paraîtraient suspects des explications et
justifications sur leur origine, leur destination et autres rensei-
gnements. Les voyageurs peuvent demander des passeports,
s'ils désirent en avoir, et il leur en est délivré moyennant une
taxe qui ne doit pas dépasser un thaler (3 fr. 75). En cas de
guerre, on délivre des passeports temporaires (Vorübergehen).
Les passeports en temps de paix ne sont valables que pour
deux ans. (Dec. minist. du 27 mars 1868.)

1 Bluntschli et Brater, Staats-Worterbuch, au mot Aufenthattsrecht, t. I,


p. 510, art. de M. Pozl.
2 Bluntschli et Brater, Staats-Wörterbuch, t. I, p. 580, au mol Auswan-
derung art. de M. Pozl.
,
LIBERTÉ INDIVIDUELLE. 77
Dans certains États, les autorités municipales délivrent aux
habitants des certificats de domicile; ce titre est très utile à
ceux qui tombent dans l'indigence; ils peuvent, en vertu de
cette attestation, venir demander des secours à la commune
où elle a été délivrée (Heimathschein).
78 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

CHAPITRE QUATRIÈME.

INVIOLABILITÉ DU DOMICILE.

Sommaire.
94. Pénalités prononcées contre l'auteur d'une violation de domicile.
95. Des cas dans lesquels l'autorité publique peut, par exception , s'introduire dans
dans le domicile des particuliers.
96. Suite.
97. Le juge d'instruction a-t-il en principe le droit de faire une perquisition pendant
la nuit?
98. Des cas où le procureur de la République a le droit de visite domiciliaire.
99. Des gardes-champêtres et forestiers comme officiers de police judiciaire.
100. Quid des agents d'exécution, et en particulier des gendarmes?
101. Exécution des condamnations.
102. Visites domiciliaires pour assurer l'exécution des lois sur les contributions
publiques.
103. Droit comparé Belgique, Angleterre et Allemagne.

91. L'article 184 du Code pénal punit d'une amende de 16 à


500 fr. et d'un emprisonnement de six jours à un an, tout
fonctionnaire de l'ordre administratif ou judiciaire, tout offi-
cier de justice ou de police, tout commandant de la force
publique qui, agissant en sa dite qualité, se sera introduit dans
le domicile d'un citoyen contre le gré de celui-ci, hors les cas
prévus par la loi et sans les formalités qu'elle a prescrites 1.

1 Le mot citoyen employé par cet article ne doit pas être pris dans le sens
restreint que lui donne la loi politique. Ainsi le domicile d'une veuve, d'un
mineur émancipé, d'une fille, d'un failli, est protégé par l'article 184 du Code
pénal, quoique toutes ces personnes soient privées de l'exercice des droits
politiques. Il en est de même du mot domicile qui ne doit pas être pris dans
l'acception restreinte que lui donne l'article 102 du Code civil. Il s'agit ici
de la maison qu'on habite, soit au lieu de la résidence même accidentelle,
INVIOLABILITÉ DU DOMICILE. 79
Quoique la loi ne paraisse s'appliquer textuellement qu'aux
Français, nous pensons, avec M. Serrigny, qu'il faut l'étendre
aux étrangers. « Il y a bien en France, dit-il, des lois restric-
tives de la liberté des étrangers; mais elles ne nous semblent
pas autoriser l'introduction dans la maison de l'étranger en
France, hors les cas prévus et sans l'observation des formes
déterminées pour les Français. Les lois de police et de sûreté
obligeant tous ceux qui habitent le territoire (art. 3 du Code
civil), ils doivent jouir de la sécurité pour leur personne et
leur domicile, comme ils jouissent de la garantie sociale pour
leurs propriétés 1. »
95. Quant aux cas dans lesquels les agents de l'autorité
peuvent s'introduire dans la maison des particuliers2, plusieurs
distinctions sont à faire. D'abord les droits de l'autorité sont
différents, suivant que l'introduction a lieu pendant le jour ou
pendant la nuit.
La nuit, nul ne peut entrer qu'en cas d'incendie, d'inon-
dation ou de réclamation venant de l'intérieur3 . En dehors de
ces cas, on ne peut que prendre des mesures conservatoires et,
par exemple, cerner la maison jusqu'au jour4.
Il est cependant des maisons pour lesquelles l'autorité a plus
de latitude : ce sont les lieux ouverts au public, tels que cafés,
cabarets, boutiques et autres. La loi des 19-22 juillet 1791,
soit au lieu du domicile. C'est ainsi que la constitution du 22 frimaire an
VIII disait : « La maison de toute personne habitant le territoire français est
un asile inviolable. »
1 Droit public, t. I,
p. 407.
2 Les expressions maison d'un particulier sont plus exactes
que celles em-
ployées par l'article 184 : domicile d'un citoyen.
3 Art. 76 de la constitution du 22 frimaire an VIII.
— Loi du 28 germinal
an VI, art. 131, et ordonnance du 29 octobre 1820, art. 184. Le projet de
Code d'instruction criminelle voté par le Sénat a modifié sur ce point la lé-
gislation, mais seulement pour le cas de flagrant délit. L'article 179 permet
d'entrer la nuit dans le domicile lorsqu'il y a flagrant crime en vertu d'un
,
ordre de justice.
4 Le projet de Code d'instruction criminelle voté par le Sénat et
en dis-
cussion à la Chambre des députés, a un peu étendu les pouvoirs de l'auto-
rité pour pénétrer, pendant la nuit, dans la maison d'un citoyen (art. 10 et
179).
80 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.
titre Ier, articles 9 et 10, permet aux agents de l'autorité d'y
entrer jusqu'à l'heure où le public cesse d'y être admis. « Que
signifie l'article 10 de la loi des 19-22 juillet 1791? disait, en
1829, M. le procureur général Mourre devant la Cour de cas-
sation. Cela signifie que quand un lieu où tout le monde est
admis indistinctement est ouvert pendant la nuit, et que tout
individu peut y entrer, il doit bien être permis à l'officier pu-
blic de s'y introduire. »
D'ailleurs, après l'heure où l'établissement se ferme et où
le public ne peut plus entrer, le droit commun reprend son
empire et le lieu public devient un asile inviolable 1.
96. Pendant le jour, les agents de l'autorité ont le droit de
s'introduire dans les maisons des particuliers dans les cas assez
nombreux qui peuvent être classés sous les divisions suivantes :
1° surveillance exercée par les agents de l'autorité publique,
pour prévenir les infractions aux lois de police et de sûreté.
« Nul officier municipal, dit l'article 8 de la loi des 19-22 juillet
1791, ne pourra s'introduire dans les maisons des citoyens, si
ce n'est pour la confection des états ordonnés par les articles
1, 2 et 32, et la vérification des registres des logeurs, pour
l'exécution des lois sur les contributions directes ou en vertu
des ordonnances, contraintes et jugements dont ils seront por-
teurs , ou enfin sur le cri des citoyens invoquant, de l'intérieur
d'une maison, le secours de la force publique. »
97. 2° La seconde catégorie de cas où les agents de l'autorité
peuvent entrer dans les maisons des citoyens, comprend les
actes relatifs à la recherche des crimes et délits.
En principe, le droit de visite domiciliaire n'appartient qu'au
juge d'instruction (art. 87 et 88 du Code d'instruction crimi-
nelle). Comme ces articles ne font aucune distinction, quelques
écrivains en ont conclu que le droit du juge d'instruction était
absolu, et qu'il pouvait, le jour comme la nuit, faire des
perquisitions à domicile. Mais cette conclusion est en contra-
Arrêt de la Cour de cassation, en date du 12 novembre 1840. — Serri-
1

gny, Droit public, t. I, p. 410.


2 Les états dont il est parlé
aux articles 1, 2 et 3 sont les tableaux de la po-
pulation.
INVIOLABILITÉ DU DOMICILE. 81

diction avec plusieurs textes, et notamment avec l'article 359


de la Constitution de l'an III, avec l'article 76 de la Cons-
titution de l'an VIII, et avec l'article 160 de l'ordonnance
sur la gendarmerie du 29 octobre 1820. Cette dernière dis-
position défend aux officiers de gendarmerie de faire des vi-
sites domiciliaires, et leur enjoint de se borner à prendre les
précautions prescrites par l'article 185, c'est-à-dire à cerner la
maison 1.
98. Dans quelques circonstances exceptionnelles, le droit
de visite domiciliaire appartient au ministère public. Ainsi,
en cas de flagrant délit, lorsque le fait est de nature à entraîner
la condamnation à une peine afflictive ou infamante, le procu-
reur a le droit de faire les actes d'instruction. « Si la nature du
crime ou du délit est telle, dit l'article 36 du Code d'ins-
truction criminelle, que la preuve puisse vraisemblablement
être acquise par les papiers ou autres pièces et effets en la
possession du prévenu, le procureur se transportera de suite
dans le domicile du prévenu, pour y faire la perquisition des
objets qu'il jugera utiles à la manifestation de la vérité. »
Remarquons ici la différence qui existe entre les pouvoirs
du juge d'instruction et ceux du procureur. Le premier peut
se transporter non-seulement au domicile du prévenu, mais
encore dans les maisons appartenant à des tiers. Au contraire ,
l'article 36 ne permet au procureur, en cas de flagrant délit,
de s'introduire que dans la maison du prévenu.
S'ils diffèrent en ce point, nous pensons que le procureur
et le juge d'instruction ont cela de commun que l'un et l'autre
peuvent déléguer leurs pouvoirs. L'article 52 du Code d'ins-
truction criminelle confère au procureur le pouvoir de délé-
gation. Si un magistrat, qui n'est juge d'instruction qu'excep-
tionnellement, a le pouvoir de délégation, à plus forte raison
doit-on l'accorder à celui qui est chargé par la loi commune
de procéder à la recherche des crimes ou délits.
99. Les gardes champêtres et les gardes forestiers, con-
1 Ce droit lui appartiendrait en vertu de l'article 179 du Code d'instruction
criminelle révisé, si la rédaction du Sénat était adoptée par la Chambre des
députés.
B. - II. 6
82 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

sidérés comme officiers de police judiciaire, sont chargés de


constater les délits ruraux ou forestiers et d'en dresser procès-
verbal. Ils ont même le droit de suivre les choses enlevées;
mais au moment où, pour exercer le droit de suite, ils vou-
draient pénétrer dans les maisons, la loi les arrête et les oblige
à s'adjoindre ou le juge de paix, ou le commissaire de police,
où le maire. La présence de l'un de ces magistrats est nécessaire
pour que le garde champêtre ou le garde forestier puisse
pénétrer non-seulement dans les maisons ou bâtiments, mais
encore dans les cours ou enclos (art. 16, § 3, du Code d'ins-
truction criminelle, et 161 du Code forestier).
L'article 12, § 3, de la loi du 3 mai 1844, Sur la chasse,
punit de peines assez sévères les détenteurs de filets ou d'engins
prohibés. Les gardes ont le droit d'entrer dans le domicile
des délinquants pour en opérer la saisie; mais il a été reconnu,
pendant la discussion de la loi sur la chasse, que cette dispo-
sition ne devait pas être séparée de l'article 16, § 3, dû Code
d'instruction criminelle. Par Conséquent, les gardes né pourront
s'introduire qu'en s'adjoignant le juge de paix, le commissaire
de police ou le maire.
100. Le droit de pénétrer dans le domicile des citoyens
appartient-il aux agents de la force publique tels que les gen-
darmés qui, pour l'arrestation des prévenus, ne sont que des
agents d'exécution et n'ont pas le caractère d'officiers de police?
Nous pensons que lorsqu'ils sont porteurs d'un mandat d'ame-
ner, de dépôt ou d'arrêt, ils peuvent entrer pour procéder
à la prise de corps. L'article 9 de la loi des 19-22 juillet
1791, titre IV, porte : « Aucun agent dé la force publique ne
peut entrer dans la maison d'un citoyen, si ce n'est pour les
mandements de police ou de justice ou dans les cas formel-
lement prévus par la loi. » D'un autre côté, l'article 75 du
décret du 18 juin 1811 dispose que, dans le cas de mandat
d'arrêt, le porteur du mandat doit le notifier à la dernière
habitation du prévenu et dresser procès-verbal de la perqui-
sition. Or, comment serait-il possible de dresser le procès-ver-
bal de perquisition sans entrer dans la maison? En présence
de tels arguments, nous ne pouvons pas partager l'opinion de
INVIOLABILITE DU DOMICILE. 83
M. Serrigny qui ne permet au gendarme de pénétrer dans
la maison, si elle est fermée, qu'en présence du juge de paix,
du commissaire de police ou du maire. Nous ne voyons pas
pourquoi on arrêterait les agents de la force publique lorsqu'ils
exécutent un mandement de justice ; ce serait entraver à plaisir
l'action de la loi 1.
3° La troisième catégorie comprend les exceptions qu'il a
fallu faire pour l'exécution des jugements ou condamnations.
Nous trouvons au Code de procédure civile plusieurs dispositions
qui réglementent l'exécution des jugements. En matière de
saisie mobilière, l'article 587 veut que si l'huissier trouve les
portes fermées, il établisse gardien aux portes et se retire
devant le juge de paix, le commissaire de police ou, dans les
communes où il n'y a ni juge de paix ni commissaire de police,
devant le maire ou son adjoint; l'ouverture ne pourra être faite
qu'en présence de l'un de ces magistrats. S'agit-il d'une saisie-
revendication, l'article 826 C. pr. civ. ne permet d'y procéder
qu'en vertu d'une permission du président, et l'article 829
dispose qu'en cas de fermeture des portes, l'huissier doit se
retirer devant le juge de paix.
En matière de contrainte par corps, l'article 781, n° 5,
C. pr. civ., défend d'opérer l'arrestation dans une maison
particulière, même au domicile du contraignable, « à moins
« qu'il n'en eût été ainsi ordonné par le juge de paix du lieu,
« lequel juge de paix devra, dans ce cas, se transporter dans
« la maison avec l'officier ministériel 2. »

1 On ne saurait invoquer par analogie les articles du Code de procédure


civile qui obligent les huissiers, quand les portes sont fermées, à procé-
der en présence d'un magistrat. (Art. 587 Code de proc. civ.) En matière
civile, il n'y a pas les mêmes raisons d'urgence qu'en matière criminelle.
2 La contrainte
par corps a été supprimée par la loi du 22 juillet 1867,
mais elle a été exceptionnellement maintenue : 1° pour l'exécution des juge-
ments et arrêts portant condamnation à des amendes, restitutions et dom-
mages-intérêts envers l'État en matière criminelle, correctionnelle ou de
police; 2° pour les arrêts et jugements contenant condamnation envers des
particuliers pour réparation de préjudices causés par crime, délit ou con-
travention; 3° pour le remboursement de frais de justice par l'État. (Loi
du 19 décembre 1871.)
84 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

lOl. Supposons maintenant qu'il s'agisse d'exécuter une


condamnation à une peine afflictive. La loi des 16-24 août
1790, titre VIII, article 5, confie ce soin aux magistrats du
ministère public et, sous leurs ordres, aux agents de la force
publique. Si les agents porteurs d'un ordre régulier trouvent
les portes fermées, seront-ils obligés de se retirer devant le
juge de paix? Nous venons de décider qu'ils ne le devaient
pas lorsqu'il s'agissait simplement d'exécuter un mandat d'a-
mener, de dépôt ou d'arrêt, avant qu'il n'y ait eu condam-
nation. A plus forte raison n'y sont-ils pas astreints lorsque
l'accusé a été condamné. Quand il n'y a que simple mandat,
l'erreur étant possible, l'innocence est présumable. On com-
prendrait qu'en pareille occurrence la loi accordât des ména-
gements à celui qui peut encore démontrer son innocence.
Mais lorsqu'il y a chose jugée, condamnation irrévocable, il
n'en peut pas être de même. Si donc, dans le premier cas,
il est vrai, comme nous croyons l'avoir démontré plus haut,
que l'introduction des agents peut avoir lieu sans la présence
du juge de paix, à fortiori sensu doit-il en être de même
lorsqu'il s'agit de mettre à exécution, non un simple mandat,
mais une condamnation.
103. 4° La quatrième catégorie comprend le cas où, pour
l'exécution des lois sur les contributions publiques, il faudrait
pénétrer dans les maisons (L. des 19-22 juillet 1791, tit. Ier,
art. 8). La loi ne donne le droit d'entrer qu'aux officiers mu-
nicipaux. Il en résulte que les agents des contributions ne
pourraient s'introduire qu'avec l'autorité municipale. En ma-
tière de contributions indirectes, quelques lois spéciales don-
nent aux agents le droit de perquisition 1. Pour les cabaretiers,
et généralement toutes les personnes sujettes à l'exercice, les
agents des contributions indirectes ont le droit d'entrer dans
les caves et magasins. Mais si le soupçon de fraude s'élevait
contre une personne non sujette à l'exercice, la perquisition
ne pourrait être faite que par l'ordre d'un employé supérieur,
ayant au moins le grade de contrôleur. L'agent devrait en
1 V. loi du 28 avril 1816, art. 235 et 236; ordonnances des 26 juin 1841,
art. 7, et 7 août 1843, art. 14.
INVIOLABILITÉ DU DOMICILE. 85
outre se faire assister du juge cle paix, du commissaire de
police ou du maire (art. 237 de la loi du 28 avril 1816).
En matière de douanes également, quelques textes per-
mettent aux agents de faire des perquisitions domiciliaires ; mais
ces dispositions veulent que l'agent procède en présence d'un
magistrat 1, le juge de paix, le commissaire de police ou le maire.
En dehors de ces quatre cas, l'agent ou fonctionnaire public
qui se serait introduit dans le domicile d'un citoyen sans le
consentement de celui-ci, serait punissable; mais cette garantie
est loin d'être efficace : 1° parce que l'agent peut se couvrir
en prouvant qu'il a reçu l'ordre d'un supérieur auquel il était
tenu d'obéir et que le supérieur peut, à son tour, rejeter la
responsabilité sur un supérieur plus élevé, ainsi de suite jus-
qu'au ministre qui peut être déféré par la Chambre des députés
au Sénat constitué en haute cour; 2° parce que si la partie
dont le domicile a été violé veut agir au civil en dommages-
intérêts, on lui opposera lorsqu'il aura été procédé en exé-
cution d'un décret ou d'un arrêté préfectoral, comme pour
les attentats à la liberté individuelle, qu'il s'agit d'actes ad-
ministratifs et que les tribunaux civils sont incompétents.
Si le déclinatoire n'est pas admis, le conflit sera élevé con-
formément à la jurisprudence du Tribunal des conflits du 5
novembre 1880 qui accorde seulement à la partie recours
pour excès de pouvoir devant le Conseil d'État contre l'arrêté
administratif en cas de violation de domicile 2.

DROIT COMPARE.

103. Belgique, Brésil, Angleterre et Allemagne.


— L'article 10 de la Constitution belge porte que « le domi-
cile est inviolable et qu'aucune visite domiciliaire ne peut être

1 V. spécialement loi des 6-22 août 1791, tit. XIII, art. 36 ; loi du 28 avril
1816, art. 38 et 39, 59 et 60 ; loi du 6 mai 1841, art. 1.
2 M. Batbie avait fait au Sénat une proposition tendant à rendre efficace
la protection du domicile, comme il avait proposé d'augmenter les garanties
de la liberté individuelle. La prise en considération fut rejetée par le Sénat.
V. Tribunal des conflits, jugement du 5 novembre 1880 (D. P. 1880, III, 121).
86 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.
faite que dans les cas prévus par la loi et dans la forme
qu'elle prescrit. » Il est peu de Constitutions qui ne con-
tiennent une disposition semblable et à peu près dans les
mêmes termes 1. La Constitution du Brésil du 25 mars 1824,
article 179, § 7, porte : « Tout citoyen a dans sa maison
un asile inviolable. On n'y peut pénétrer de nuit, sinon avec
son consentement ou pour combattre un incendie ou une
inondation. » Nous la citons spécialement parce que c'est celle
qui se rapproche de plus de notre loi.
En Angleterre, les recherches domiciliaires ne peuvent être
faites qu'en vertu d'un mandat de perquisition (Search warrant),
et la loi laisse au juge le soin d'apprécier dans quels cas il
y a lieu à les ordonner. L'endroit où la perquisition sera
faite doit être exactement déterminé, et l'on considérerait
comme illégaux les mandats qui ordonneraient les perquisitions
dans toute l'étendue d'un district. Les visites domiciliaires ne
peuvent être faites de nuit qu'en cas d'urgence et spécialement
lorsqu'il s'agit de pénétrer dans des maisons suspectes.
L'inviolabilité du domicile est poussée si loin en Angleterre
que l'on a pu dire de la maison du citoyen qu'elle était une
véritable forteresse2 et que lord Chatam a pu prononcer, à ce
sujet, ces remarquables paroles : " L'homme le plus pauvre
peut braver dans sa chaumière tout le pouvoir de la couronne.
Qu'elle tombe en ruines que le toit en soit percé, que le vent
,

1 Constitution du grand-duché de Luxembourg du 17 octobre 1868,


art. 15.
Prusse, Constit. du 31 janvier 1850, art. 6.
Espagne, Const. du 30 juin 1876, art. 6.
Portugal, charte du 29 avril 1826, art. 145, § 6. C'est à peu près la même
disposition que celle de la Constitution du Brésil citée au texte.
Danemarck, Constit. du 28 juillet 1866, art. 81.
Islande, Const. du 2 janvier 1871, art. 49.
Norwège, Const. du 4 novembre 1814, art. 102.
Roumanie, Const. du 30 juin 1866, art. 15.
Grèce. Const. du 28 novembre 1864, art. 12.
Mexique, Const. du 12 février 1857, art. 16.
Italie, Const. du 4 mars 1848. art. 27.
2
My home is my castle.
INVIOLABILITÉ DU DOMICILE. 87

y pénètre et qu'elle tremble sous le choc de la tempête, l'en-


trée en demeure interdite au roi d'Angleterre. Tous les pou-
voirs de l'État sont obligés de s'arrêter devant le seuil de cette
maison délabrée. » Si les portes sont fermées, on ne peut pas
les faire ouvrir pour l'exécution des condamnations civiles.
Lors donc que les meubles d'un débiteur se trouvent dans la
maison d'un tiers, les agents n'y peuvent pénétrer qu'autant
que les portes sont ouvertes.
Le débiteur peut être contraint par corps en vertu d'un
ordre de capias ad satisfaciendum, et une fois en prison,
il y reste tant qu'il plaît au créancier de l'y retenir, à la con-
dition de consigner des aliments à raison de 2 sh. 4 den. par
semaine. Pour les dettes au-dessous de 20 livres (500 fr.),
la contrainte par corps ne doit pas dépasser quarante jours.
Avant le règne de Victoria, la contrainte par corps n'était
même pas applicable aux dettes inférieures à cette somme.
La saisie du débiteur ne peut pas être pratiquée dans une
maison fermée. Une fois sorti de prison, le débiteur n'est
plus contraignable pour la même dette 1.
En Allemagne, les dernières lois criminelles protègent mé-
diocrement l'inviolabilité du domicile. Elles ont, il est vrai,
posé en principe que la perquisition ne peut être faite qu'en
vertu d'un ordre écrit du juge; mais à côté de la règle se
trouve une exception qui la dévore. En cas d'urgence, la
recherche peut être faite non-seulement par le ministère pu-
blic, mais encore par les agents de police; or, nulle part la
loi n'a défini ce qu'il fallait entendre par urgence, et d'un
autre côté la résistance à l'autorité est défendue sous les peines
les plus sévères, même dans les cas où il est évident que
l'autorité publique dépasse les limites de son droit 2.

1 Die Verfassung Englands, par Fischel, p. 96 et 97. La contrainte par


corps a été abolie pour l'Ecosse par une loi du 7 septembre 1880.
2 Bluntschli et Brater, Staats-Wörterbuch,
au mot Haussuchung, article de
M. Maurer, t. IV, p. 6.
88 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

CHAPITRE CINQUIÈME.

INVIOLABILITÉ LE LA PROPRIÉTÉ.

Sommaire.
104. Le principe que nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité
publique et moyennant une juste et préalable indemnité, est un principe de
l'ordre constitutionnel et non une simple disposition législative.
105. Article 15 de la loi du 21 mai 1836.
106. Des cas où les ingénieurs se mettent en possession d'une propriété privée sans
formalités préalables.
107. Servitudes d'utilité publique.
108. Ces servitudes ne donnent pas droit à indemnité.
109. L'embellissement devrait-il être un motif suffisant pour procéder par voie
d'expropriation?
110. Modification de la loi du 3 mai 1841 par le sénatus-consulte du 25 décembre 1852.
111. Suite. — Observation.
112. Modification résultant de la loi du 27 juillet 1870.
113. L'expropriation pour cause d'utilité publique ne peut avoir lieu que par autorité
de justice.
114. L'expropriation pour cause d'utilité publique est inhérente à toute société. —
Elle existait en droit romain. — Erreur de Proudhon sur ce point.
115. En droit romain, l'expropriation s'appliquait aux meubles et aux immeubles.
116. Elle pouvait être faite par l'État ou les municipes.
— Formalités.
117. L'indemnité n'était pas préalable.
118. En quoi consistait l'indemnité?
119. Expropriation sous l'ancien droit français.
120. Expropriation pour cause d'utilité publique en Angleterre.
121. — — — en Espagne.
122. — — — en Bavière.

104. Comme la propriété est la base de notre ordre social


et l'appui de l'indépendance du citoyen, elle a été déclarée
inviolable par tous les actes constitutionnels qui nous ont
régis. Nous lisons à la vérité dans le Code civil, article 545,
que « nul ne peut être contraint d'abandonner sa propriété,
INVIOLABILITÉ DE LA PROPRIÉTÉ. 89

» si ce n'est pour cause d'utilité publique et moyennant juste


» et préalable indemnité. » Là n'était pas la place de cette
disposition, car le principe qu'elle consacre n'est pas une
simple règle législative; c'est un droit constitutionnel qui oblige
le législateur lui-même, et auquel le législateur s'est toujours
conformé1.
195. Nous trouvons cependant une exception dans la loi
du 21 mai 1836 sur les chemins vicinaux. Aux termes de
l'article 15, l'arrêté par lequel le préfet (aujourd'hui la Com-
mission départementale, art. 86 de la loi du 10 août 1871)
ordonne l'élargissement d'un chemin vicinal attribue à la voie

Voici les principales dispositions constitutionnelles qui ont consacré le


1

principe : Constitution du 3 septembre 1791 ; Dispositions fondamentales


garanties par la Constitution. « La Constitution garantit l'inviolabilité
de la propriété ou la juste et préalable indemnité de celles dont l'utilité
publique, légalement constatée, exigerait le sacrifice. » La Déclaration des
droits de l'homme et du citoyen placée en tête de la Constitution du 24 juin
1793, portait, en son article 19 : « Nul ne peut être privé de la moindre por-
tion de sa propriété, sans son consentement, si ce n'est lorsque l'utilité pu-
blique légalement manifestée l'exige et sous la condition d'une juste et
préalable indemnité. » — Constitution du 5 fructidor an III, article 358. " La
Constitution garantit l'inviolabilité de toutes les propriétés, ou la juste in-
demnité de celles dont la nécessité publique, légalement constatée, exige-
rait le sacrifice. » — Charte du 4 juin 1814 : « L'État peut exiger le sacrifice
d'une propriété pour cause d'utilité publique légalement constatée et moyen-
nant indemnité préalable. » (Art. 10.) — Constitution du 22 avril 1815,
article 63, et Constitution proposée par la Chambre des représentants le 29
juin 1815, article 1, n° 7 : « L'inviolabilité de toutes les propriétés, sans
qu'on puisse jamais exiger le sacrifice d'une propriété que pour cause d'in-
térêt ou d'utilité publique, constatée par une loi et avec une indemnité préa-
lablement convenue ou légalement fixée et acquittée avant la dépossession. »
L'article 10 de la Charte de 1814 passa dans la Charte de 1830. — Constitu-
tion du 4 novembre 1848, article 11 : « Toutes les propriétés sont inviolables;
néanmoins l'Etat peut exiger le sacrifice d'une propriété pour cause d'utilité
publique légalement constatée et moyennant une juste et préalable indem-
nité. » — L'article 1er de la Constitution du 14 janvier 1852, en reconnais-
sant les principes de 1789, a, par cela même, reconnu le principe tant de fois
formulé. Le silence de la Constitution du 25 février 1875 s'explique, comme
nous l'avons déjà fait remarquer, par les circonstances exceptionnelles où
elle fut votée. Il est impossible de conclure de cette omission que, sous la
Constitution qui nous régit, il n'y a plus aucun droit public.
90 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

publique, avant le paiement de l'indemnité, la propriété des


parcelles retranchées sur les fonds situés des deux côtés. On
pourrait contester la légalité d'une disposition qui s'est mise
au-dessus d'un principe constitutionnel; mais l'article 15 a été
exécuté sans soulever de difficulté.
106. On a plus d'une fois vu les ingénieurs se mettre en
possession d'une propriété sans que les formalités légales eus-
sent été remplies et continuer leurs travaux, malgré les récla-
mations des propriétaires. Il est bien désirable que l'adminis-
tration supérieure prévienne de pareilles entreprises. Sans
doute, la violation de la propriété est un fait qui peut être
réprimé judiciairement ; mais lorsque le propriétaire recule
devant l'entreprise d'un procès, ne serait-il pas utile au bien
public que l'administration, mettant à profit les droits de la
hiérarchie, manifestât sa désapprobation à ses agents?
107. La propriété privée est, dans l'intérêt public, sou-
mise à des servitudes d'utilité publique. Une jurisprudence
constante a décidé que les servitudes ne donnent lieu à aucune
indemnité parce qu'étant établies par la loi, elles entrent pour
ainsi dire dans le régime normal de la propriété 1. Mais ce
que la jurisprudence ne pouvait pas faire, la loi devrait l'accor-
der pour certaines charges qui constituent véritablement une
diminution du droit de propriété.
108. Lorsque la servitude légale dérive de la situation
des lieux, on comprend que la loi n'accorde aucune indemnité.
Mais souvent la servitude légale découle d'un fait nouveau
et imprévu qui vient subitement changer les conditions aux-
quelles le propriétaire était depuis longtemps habitué ; ne
serait-il pas équitable qu'une indemnité pécuniaire compensât
la perte résultant de ces modifications? On établit un cimetière,
on dresse un plan général d'alignement, ce sont là des faits
qui viennent surprendre les propriétaires voisins et leur imposer
des charges auxquelles souvent rien ne les avait préparés. Un
décret du 22 janvier 1808 veut qu'on indemnise le riverain qui

1Nous consacrerons un chapitre spécial aux servitudes d'utilité publique


dans le Traité de droit administratif.
INVIOLABILITÉ DE LA PROPRIÉTÉ. 91

se trouve soumis à la servitude de halage lorsqu'une rivière


est déclarée navigable ou flottable. Il serait juste d'étendre
à d'autres cas, où la charge est encore plus lourde, la dispo-
sition bienveillante de ce décret.
Assurément une semblable mesure retarderait l'exécution des
travaux d'amélioration, mais il y a plus d'inconvénients à
blesser la justice qu'il n'y a d'avantages à presser l'exécution
des travaux les plus utiles.
109. L'intérêt général veut que la propriété cède devant
l'utilité publique. Mais n'est-ce pas beaucoup étendre la pen-
sée de la loi que d'exiger le même sacrifice pour le simple
embellissement et l'ornementation des villes? On a beaucoup
gêné les propriétaires dans le but d'obtenir l'uniformité des
façades et la régularité des places. Sans examiner la question
de savoir si cette monotone uniformité n'est pas plus propre à
fatiguer le regard qu'à le flatter, nous pensons que du moins
elle n'intéresse pas assez le bien général pour qu'on fasse flé-
chir, pour ce motif, le principe de la propriété privée. Ceux
qui pensent qu'on ne saurait trop exiger des particuliers de-
vraient se rappeler que le principal argument des socialistes est
tiré des restrictions que la loi impose au droit de propriété. Il
y a imprudence à leur prêter le flanc en multipliant des restric-
tions qui leur permettent de dire : « La différence n'est que
du plus au moins, et, de diminution en diminution, on peut
arriver à la suppression. » Sans doute il y aurait exagération
à soutenir, avec quelques économistes, que le droit d'expro-
priation, même en cas d'utilité publique bien constatée, est
une atteinte illégitime au droit de propriété 1; mais il ne faut
pas dépasser la nécessité ou l'utilité publique, en sacrifiant le
droit du propriétaire à des caprices d'embellissement. Quand
une fois on s'est engagé dans cette voie il n'y a plus de limite
au bon plaisir, et ceux qui ne craignent pas de jouer avec le
1 M. de Molinari, dans les Soirées de Saint-Lazare, ne reconnaît pas à
l'Etat le droit d'expropriation pour cause d'utilité publique, dans quelque
cas que ce soit. Il faut, d'après lui, qu'il traite de gré à gré et, en cas de
refus, qu'il élève les conditions offertes, de manière à déterminer le proprié-
taire, par l'intérêt bien entendu.
92 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

droit de propriété ne doivent pas être surpris de rencontrer ici


des esprits absolus qui veulent aller jusqu'aux dernières con-
séquences, et là des convictions incertaines qui ont été jetées
dans le doute, par des lois trop peu respectueuses pour le prin-
cipe fondamental des sociétés.
110. D'après la loi du 3 mai 1841, l'expropriation n'avait
lieu en principe pour les travaux de l'État que si l'utilité pu-
blique avait été reconnue par une loi. Une ordonnance royale
suffisait lorsqu'il s'agissait d'un embranchement ayant moins
de 20,000 mètres et en tous cas pour les travaux publics des
départements ou des communes. Un sénatus-consulte du 25
décembre 1852 disposa que l'utilité publique serait toujours
déclarée par décret rendu dans la forme des règlements d'ad-
ministration publique, sauf le cas où, pour l'exécution du
travail public, il y aurait lieu de demander un crédit au Corps
législatif. Le dernier paragraphe de l'article 4 du sénatus-con-
sulte ajoutait : « Lorsqu'il s'agit de travaux publics pour le
compte de l'État et qui ne sont pas de nature à devenir l'objet
de concessions, les crédits peuvent être ouverts, en cas d'ur-
gence, suivant les formes prescrites pour les crédits extraordi-
naires; ces crédits seront soumis au Corps législatif dans sa
plus prochaine session. »
111. Comment distinguer entre les travaux qui sont de
nature à devenir l'objet d'une concession et ceux qui ne le sont
pas? Pourquoi, pour les premiers, les crédits ne pouvaient-
ils être accordés que par le Corps législatif, tandis que pour
les seconds l'Empereur pouvait, en cas d'urgence, ouvrir un
crédit extraordinaire? Le rapport de M. Troplong au Sénat
expliquait cette distinction en ces termes : « Cette excep-
tion s'explique par des raisons d'une haute gravité au devant
desquelles le gouvernement s'est empressé de venir spontané-
ment. Les créations de chemins de fer, quand elles ne sont pas
échelonnées avec mesure, encombrent la place de valeurs aléa-
toires, elles surexcitent la passion du jeu et font dégénérer les
combinaisons du crédit en aliment pour l'agiotage. Le gouver-
nement, messieurs, ne veut pas être souillé, même de loin, par
ces choses mauvaises. S'il entend se manifester à la France par
INVIOLABILITÉ DE LA PROPRIÉTÉ. 93

l'activité que lui donnent son origine et sa jeunesse, c'est pour


accroître honnêtement, noblement, la somme des richesses natio-
nales, et non pour en déshonorer les sources par la corruption. »
112. Ces distinctions ont été supprimées par la loi du 27
juillet 1870 qui a rétabli les dispositions de la loi du 3 mai
1841, mais qui exige toutes les fois que l'utilité publique est
déclarée par décret qu'il soit rendu dans la forme des règlements
d'administration publique. La combinaison de cette loi avec
celle du 11 juin 1880 conduit à une anomalie que nous devons
faire remarquer. D'après l'article 2 de cette dernière loi, une
loi spéciale est toujours exigée pour les chemins de fer d'intérêt
local et pour les tramways. Ainsi pour un chemin de fer d'in-
térêt général, s'il a moins de 20,000 mètres, un décret suffit,
tandis que, pour la même étendue, si le chemin est d'intérêt
local, une loi spéciale est toujours nécessaire1.
118. S'il appartient tantôt au législateur, tantôt au chef
de l'État de déclarer l'utilité publique, c'est aux tribunaux
civils que le législateur a confié le soin d'examiner si les for-
malités légales ont été observées, et en conséquence de décla-
rer qu'il y a lieu ou non à expropriation. C'est en ce sens
qu'on a dit : L'expropriation pour cause d'utilité publique
se fait par autorité de justice. Assurément cela ne signifie
point que les tribunaux ont, à un degré quelconque, compé-
tence pour reconnaître l'utilité publique ou infirmer la décla-
ration émanée du chef de l'État; cela veut dire qu'ils ont à
décider si les formes légales ont été suivies et si la propriété
a obtenu les garanties que la loi lui accorde. Quant à l'indem-
nité, elle devait être fixée, d'après la loi du 28 pluviôse
an VIII, par le conseil de préfecture; d'après la loi du 8 mars
1810 par les tribunaux ordinaires. La loi du 3 mai 1841,
confirmative en ce point de la loi du 7 juillet 1833, confie cette
attribution à un jury de propriétaires pris sur une liste que le
conseil général arrête chaque année 2.

1 Nous ne doutons pas que cette anomalie ne disparaisse lorsque sera faite
la loi générale, depuis longtemps en préparation sur l'expropriation.
,
2 Nous développerons cette matière dans
un chapitre spécial du Traité de
droit administratif.
94 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

111. L'expropriation pour cause d'utilité publique est une


institution inhérente, sous une forme ou sous une autre, à
toute société organisée. On peut à priori affirmer qu'elle a
existé chez tous les peuples, même ceux dont la législation
n'offre aucun document à cet égard. Il y a donc lieu de s'é-
tonner que des jurisconsultes aient soutenu qu'en droit romain
cette institution n'existait pas. Proudhon, qui est du nombre,
invoque à l'appui de sa thèse un texte de Suétone, où il est dit
qu'Auguste fit le forum plus étroit que ne le comportait son
plan afin de n'être point obligé de dépouiller des propriétaires
voisins : « Forum angustiùs fecit, non ausus extorquere pos-
sessoribus proximas domos 1. » Mais que peut-on conclure
d'un texte où l'auteur loue l'habileté politique d'Auguste, où
il semble au contraire donner à la modération de l'empereur
des éloges qui supposaient un droit plus étendu 2? Quelques
passages du Digeste peuvent être interprétés dans le sens
d'une expropriation pour cause d'utilité publique3; si ces pas-
sages présentent des doutes et donnent lieu à controverse,

1 Domaine public, annoté par Vict. Dumay, t. II, p. 198.


2 C'est ce que fait observer avec sagacité M. P. Garbouleau dans sa thèse

sur le domaine public, p. 129. Ce docteur a le premier consacré à cette ma-


tière une dissertation étendue. Depuis, M. de Fresquet, professeur à la Fa-
culté de droit d'Aix, a publié un intéressant article dans la Revue historique,
mars-avril 1860. Mais l'article de M. de Fresquet, qui paraît n'avoir pas
connu le travail antérieur de M. Garbouleau, ne rend pas inutile la lecture
de ce dernier, quoique le travail du professeur soit plus complet que celui
du jeune docteur.
3 V. loi 33, Locati conducti; loi 2, § 21, Ne quid in loco publico; loi 30,
§ 3, De adquirendo rerum dominio. Dans la première, le jurisconsulte cite
comme exemple de perte par cas fortuit : « Si fundus sit publicatus. » Si,
avec certains auteurs, on traduisait publicare par confisquer; le sens ne se-
rait pas en harmonie avec le reste de la phrase ; car une confiscation étant
prononcée contre un individu en faute, le caractère du cas fortuit qu'im-
plique la disposition de la loi 33, Locati conducli, disparaîtrait. La loi 30, § 3,
de adquirendo rerum dominio, en parlant de l'invasion des eaux qui, en se
portant sur les fonds voisins, rendent publiques des propriétés privées, dit :
« Censitorum vice funguntur. » — La loi 2, § 21, Ne quid in loco publico,
contient le passage suivant : « Vias autem publicae solum publicum est, relic-
tum ad directum certis finibus latitudinis ab eo qui jus publicandi habuit,
INVIOLABILITÉ DE LA PROPRIÉTÉ. 98
il en est d'autres au Code Théodosien qui ne permettent pas
d'hésiter 1. Ces textes, à la vérité, ne contiennent pas la for-
mule générale du principe de l'expropriation pour cause d'uti-
lité publique, mais ils en impliquent tous l'existence. « Oui,
sans doute, ces constitutions des empereurs sont fondées cha-
cune sur un motif spécial; elles n'ont pas pour but d'établir
en principe et d'une manière générale l'expropriation pour
cause d'utilité publique; elles n'établissent pas la règle, elles
la supposent. Ce n'est pas dans une constitution particulière
qui ordonne l'ouverture de grands travaux déterminés qu'on
trouve exprimé le principe d'après lequel il sera dû une in-
demnité pour la dépossession. De nos jours, par exemple,
lorsqu'un décret ordonne un grand travail d'utilité publique,
un chemin de fer, une route, il ne dit pas que les pro-
priétaires expropriés devront céder leur propriété moyennant
préalable indemnité. Ce principe étant de droit dans notre
législation, tous les décrets qui y ont trait le sous-entendent;
ils n'ont pas besoin de le dire 2. »
445. L'expropriation, en droit romain, s'appliquait aux
meubles comme aux immeubles, tandis que chez nous les
immeubles seuls peuvent être expropriés. Parmi les meubles
dont l'expropriation offrait les plus fréquents exemples, on
peut citer les esclaves qui, dans plusieurs circonstances, étaient
affranchis ou achetés par le trésor public 3.

ut ea publice iretur, commearetur. » « Evidemment, dit M. P. Garbouleau,


dans ce texte où il est question de domaine public et de routes en particu-
lier, il est impossible de traduire par confiscation. » (P. 134.)
1 Loi 53, De operibus publiais, Code Théod.
; loi 15, tit. Ier. — Ibid., lois
50 et 51 ; — loi 1re De aquaeductu. V. aussi Frontinus De aquaeductibus
— ,
urbis Romae, n° 128.
2 Paul Garbouleau,
p. 139 et 140.
3 De Fresquet,
p. 104 et suiv. D'après la loi 1, au Code, Pro quibus causis,
liv. VII, t. XIII, l'esclave qui dénonce le meurtre de son maître devient libre,
sententia praesidis. En ce cas il n'y a pas lieu à indemnité, parce que la
famille est intéressée à connaître le crime. La loi suivante du même titre
affranchit l'esclave qui dénonce les faux monnayeurs; mais il
y a indemnité
en ce cas. — Dans les Annales de Tacite, liv. III, ch. 77, nous lisons
que
le trésor avait acheté les esclaves de Silanus pour les mettre à la question.
96 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

446. L'expropriation pouvait être faite pour l'État et même


pour les municipes qui avaient à exécuter des travaux publics
importants. Primitivement elle était ordonnée par le Sénat et
exécutée par les censeurs ou, à leur défaut, par les prêteurs
ou d'autres magistrats. Dans les municipes, les travaux étaient
votés par la curie dont la décision était exécutée par des agents
spéciaux appelés operum curatores. Au commencement de
l'empire, le Sénat continua de voter les travaux publics ; mais
peu à peu l'importance de cette assemblée déclina, et sur ce
point, comme en tous autres, le pouvoir passa au prince ; c'est
pour cela que dans le Code Théodosien nous ne trouvons plus
que des travaux ordonnés par des constitutions impériales.
117. L'indemnité n'était pas préalable, et lorsque le cen-
seur, exécutant le vote du Sénat, avait attribué le fonds expro-
prié au domaine, le droit du propriétaire se convertissait en
une simple créance contre l'État. « Tout porte à croire, dit
M. de Fresquet, que l'indemnité pécuniaire était fixée, en
cas de contestation, par ce que nous appellerions l'autorité
judiciaire; en d'autres termes, il y avait un procès pour établir
quanti ea res erat; seulement il est très-probable qu'on plaidait
alors devant des recuperatores qui faisaient l'estimation, boni
viri arbitratu, comme le porte le sénatus-consulte cité par
Frontinus, n° 125 1. »
448. L'indemnité ne consistait pas toujours en une somme
d'argent, et nous voyons dans quelques-unes des constitutions
du Code Théodosien que l'exproprié recevait d'autres biens
en échange. Ainsi, dans la loi 51 , De operibus publicis, les
propriétaires auxquels on avait pris le terrain pour construire
les murailles et les tours de Constantinople, avaient été indem-
nisés par le droit d'habiter les tours. « Quand l'indemnité était
réglée à l'amiable, le préfet de la ville ou du prétoire était
compétent jusqu'à la somme de 50 livres d'argent. Au-dessus de
cette somme, il fallait obtenir l'autorisation de l'empereur.
Si l'indemnité, au lieu d'être une somme d'argent, consistait
soit en une immunité, soit dans certaines concessions sur un

1 Revue historique, p. 116; année 1860, mars-avril.


INVIOLABILITÉ DE LA PROPRIÉTÉ. 97

fonds public, soit dans l'abandon d'une propriété faisant partie


du domaine public, une constitution impériale était néces-
saire 1. »
440. Sous le régime féodal, les feudistes firent triompher
la doctrine suivant laquelle toutes les propriétés étaient une
concession du roi. Avec une telle maxime l'expropriation était
facile, le roi pouvant révoquer les concessions qu'il avait
faites. Le pouvoir royal alla toujours en s'agrandissant, et
l'on vit s'établir des règles ainsi formulées : « Que veut le roi
que veut la loi, » ou «
l'État, c'est moi. » Mais sous notre
ancienne monarchie, les principes les plus favorables au pou-
voir absolu étaient limités par des restrictions que l'opinion
publique avait fait accepter par le gouvernement, si bien qu'une
monarchie absolue en droit avait été de fait transformée en
régime tempéré. En matière d'expropriation notamment, on
trouve des lettres patentes et des arrêts du Conseil qui accor-
dent des indemnités. « Tout cela du reste, dit M. Serrigny, était
précaire et ne constituait pas de droit véritable en faveur des
particuliers à l'encontre du droit social. L'expropriation se fai-
sait en vertu d'un arrêt du Conseil qui en réglait le mode et les
conditions. Du moment que le prince avait la puissance légis-
lative, executive et judiciaire, il est clair qu'il pouvait déclarer
l'utilité publique et exproprier les particuliers ; mais l'exer-
cice de ce droit, ou plutôt de cet abus du pouvoir arbitraire,
faisait souvent naître des plaintes et des réclamations très-
vives 2. »

DROIT COMPARE.

120. Angleterre. — En Angleterre, la propriété est un


droit absolu qui ne fléchit que devant la volonté toute-puissante
du Parlement, c'est-à-dire du roi et des deux chambres. L'ins-
98 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

traction parlementaire qui précède le bill d'autorisation est,


en général, fort coûteuse, et il n'est pas rare qu'elle donne lieu
à une dépense de plusieurs millions 1. L'indemnité est fixée
par des jurys ou par des arbitres; par le jury pour les objets
de grande valeur et par des arbitres pour les affaires de petite
importance.
484. Espagne. — En Espagne, la loi du 14 juillet 1836
a établi un régime analogue à celui que nous avions adopté
dans le sénatus-consulte du 25 décembre 1852. « La décla-
ration d'utilité publique, dit M. Colmeiro, est prononcée par
une loi toutes les fois qu'il faut, pour l'exécution des travaux,
imposer une ou plusieurs provinces ; dans les autres cas, un
ordre royal suffit 2. » Mais dans la pratique cette règle n'a
pas toujours été observée et il a fallu qu'à plusieurs reprises
le législateur renouvelât la consécration du principe. Il a été
reproduit dans l'article 10 de la Constitution du 30 juin 1876.
Une loi du 10 janvier 1879 a fixé d'une manière complète
la procédure à suivre pour l'expropriation d'utilité publique.
Nous en ferons plus tard connaître les principales dispositions.
Nous signalerons ici seulement une particularité relative à
la fixation de l'indemnité. L'indemnité est fixée par experts
dont l'un est nommé par l'exproprié, l'autre par l'adminis-
tration et le troisième d'un commun accord ou, à défaut
,
d'entente, par le juge de l'arrondissement (lo nombra et juez
de partido procediendo de officio); les parties ont le droit de
récuser péremptoirement deux fois les tiers experts nommés
par le juge.
1 Dictionnaire d'économie politique, v° Expropriation, art. de M. Legoyt.
Bill de 1845 (railway-consolidation-bill),8e de Victoria, ch. 18 et 19. Fischel
die Versassung Englands, p. 65. « La confiscation par forfaiture de tous les
biens, tant réels que personnels ou mobiliers, dans le cas de trahison ou
félonie, d'un praemunire par exemple, est encore de droit en Angleterre.
Une loi du commandement de ce siècle (de la 54e année du règne de George III,
ch. 145) a limité la confiscation dans les cas de félonie autres que l'homicide.
Mais personne ne peut être dépossédé d'aucune partie de sa propriété, autre-
ment que par une sentence judiciaire ou en vertu d'une loi. » (Fischel, tr. fr.,
t. I, p. 114.)
2 Derecho administrative espanol, t. II,
p. 213.
INVIOLABILITÉ DE LA PROPRIÉTÉ. 99

483. Allemagne. — En Bavière, l'utilité publique est


déclarée par le pouvoir exécutif. « C'est le gouvernement,
dit M. Pözl, qui décide s'il est nécessaire d'établir une voie
de communication nouvelle. Pour les routes royales et dépar-
tementales (Staats oder Kreis Strassen), c'est le roi qui pro-
nonce; pour les routes d'arrondissement (Districts Strassen),
la décision appartient à l'administration du cercle (Kreisregie-
rung), et pour les chemins communaux, à l'administration
du district....... Une fois la nécessité déclarée, il est de règle
qu'on peut prendre, moyennant indemnité, les propriétés
qui seront jugées indispensables à l'établissement du chemin 1. »
La concession des chemins de fer appartient au roi, et la con-
cession, une fois accordée, emporte, entre autres droits, «le
pouvoir d'acquérir, aux conditions fixées par la loi d'expro-
priation, tous les terrains nécessaires à la construction du che-
min 2. »

1 Bayerisches Verwaltungs rechl, par M. Pözl, p. 340.


2 Id., ibid., p. 349. V. le mot Expropriation, par M. Brinz, dans le Deut-
sches Staats-Wörterbuch de Bluntschli et Brater, t. III, p. 467.
100 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

CHAPITRE SIXIÈME.

SECRET DES LETTRES.

Sommaire.
123. Le secret des lettres a plusieurs fois été reconnu constitutionnellement.
124. Restrictions apportées à ce principe en cas d'information criminelle.
125. Les préfets ont-ils le droit de faire saisir les lettres à la poste sans le concours
du juge d'instruction?
126. Suite.
127. Suite.
128. Droit comparé. — Belgique, Angleterre et Allemagne.

483. Le secret des lettres a été consacré souvent comme


un principe constitutionnel, et si, dans plusieurs chartes ou
constitutions, il n'en est pas question, on doit toujours le con-
sidérer comme un principe de droit public; car il constitue
une sorte de droit mixte qui tient à la fois de la propriété
et de la liberté individuelle 1.
484. Comme la liberté individuelle, le secret des lettres
a été restreint dans le cas où il s'agit de rechercher les traces
des crimes ou délits. Ainsi les articles 87 et 88 du Code
d'instruction criminelle reconnaissent au juge d'instruction le
droit de saisir, non-seulement les papiers ou effets qui se-
raient en la possession du prévenu, mais encore ceux qui se
1 Le principe de l'inviolabilité du secret des lettres est un obstacle à la pro-
duction des lettres en justice par ceux qui n'en sont ni les auteurs ni les
destinataires. Le tiers qui détient cette lettre par suite d'une erreur, ne
peut pas en faire usage en justice dans un intérêt privé, et les juges saisis
du litige ne peuvent pas chercher dans cette lettre les éléments de leur dé-
cision. Cour cass. Req., 3 mai 1875 .;D. P. 1876, I, 183). Voir cependant C.
cass. Req., 13 novembre 1876 (D. P. 1878, I, 6).
SECRET DES LETTRES. 101

trouveraient en d'autres lieux. « Le juge d'instruction pourra


pareillement se transporter dans les autres lieux où il pré-
sumerait qu'on aurait caché les objets dont il est parlé en
l'article précédent. » Le juge d'instruction pourrait donc se
transporter à la poste et y saisir les lettres où il penserait qu'on
trouvera la preuve de la prévention. Le ministère public qui,
en cas de flagrant délit, a le droit de faire les actes d'ins-
truction, a cependant un pouvoir moins étendu que le juge
d'instruction. L'article 36 et l'article 37 du Code d'instruction
criminelle ne lui donnent que le pouvoir de saisir les papiers
trouvés au domicile ou en la possession du prévenu. La même
restriction doit être appliquée aux autres officiers de police
judiciaire énumérés dans l'article 9 du Code; car il est im-
possible d'admettre que les gardes champêtres, les gardes fo-
restiers et les commissaires de police aient des pouvoirs plus
étendus que les officiers du ministère public.
485. Il s'est élevé, dans ces derniers temps, une con-
troverse sur le point de savoir si les préfets dans les dé-
partements et le préfet de police à Paris ont, en vertu de
l'article 10 du Code d'instruction criminelle, le droit de saisir
les lettres à la poste? « Les préfets, dans les départements
et le préfet de police à Paris, pourront faire personnelle-
ment, ou requérir les officiers de police, de faire, chacun en
ce qui le concerne, tous actes nécessaires à l'effet de cons-
tater les crimes, délits et contraventions, et d'en livrer les
auteurs aux tribunaux chargés de les punir, conformément
à l'article 8 ci-dessus. » L'origine de cet article est clairement
expliquée par les travaux préparatoires. L'article 9 avait placé
les préfets au nombre des officiers auxiliaires de police judiciaire
agissant sous l'autorité des Cours d'appel. Il parut extraordinaire
à quelques membres du Conseil d'État de placer les préfets sous
l'autorité des Cours, et c'est pour observer la division des pou-
voirs qu'on fit une disposition spéciale aux préfets. C'était assu-
rément une préoccupation puérile; car si les maires exercent
certaines attributions sous la surveillance du procureur de la
République, il aurait été naturel d'en confier au préfet de sem-
blables sous le contrôle supérieur de la Cour d'appel. Quoi qu'il
102 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

en soit, l'article 10 a été fait uniquement pour ne pas mettre


les préfets sous l'autorité de la Cour, et non pour leur conférer
des pouvoirs plus larges que ceux des autres officiers auxi-
liaires de police judiciaire. Cela résulte de l'exposé des motifs
de M. Treilhard et des explications que cet orateur donna dans
le cours de la délibération. « Le premier voeu de la loi, disait
l'exposé des motifs, est que toute infraction des règles soit con-
nue, soit poursuivie, soit jugée. C'est pour ce motif que l'exer-
cice de la police judiciaire est confié à un grand nombre de
personnes, et c'est aussi dans la même intention qu'on a voulu
que les magistrats supérieurs de l'ordre administratif, qu'on
ne doit aucunement confondre avec les officiers de police ju-
diciaire, pussent quelquefois requérir l'action des officiers de
police, et même faire personnellement quelques actes tendant à
faire constater les crimes, etc. » Pendant la discussion, quel-
ques membres ayant exprimé la crainte que le préfet n'em-
ployât les pouvoirs conférés par l'article 10 pour tourmenter les
citoyens, M. Treilhard répondit : « Pourquoi le préfet les tour-
menterait-il plus que les maires et les juges de paix ? » Dans
sa pensée, par conséquent, les pouvoirs du préfet n'étaient
pas plus larges que ceux du maire et du juge de paix. Nous
avons vu, d'un autre côté, que le procureur même, en cas de
flagrant délit, ne pourrait pas saisir les papiers ailleurs qu'au
domicile du prévenu. Pourquoi le préfet pourrait-il faire ce
que le texte de la loi ne permet pas aux officiers du ministère
public?
486. Assurément si la doctrine que je soutiens avait pour
résultat inévitable d'énerver l'action de la justice, je serais
disposé à la répudier. Mais il n'en est rien. Le préfet arrêtera
le départ des lettres suspectes et appellera le juge d'instruction
qui ouvrira et lira, s'il y a lieu. Cette manière d'exécuter la
loi doit suffire à la répression sociale, si du moins l'on ne
cherche dans l'ouverture des lettres que les éléments d'une ins-
truction criminelle.
483. Cette doctrine avait été adoptée par la chambre
criminelle de la Cour de cassation dans un arrêt du 23 juillet
1853, portant cassation d'un arrêt de la Cour de Paris qui
SECRET DES LETTRES. 103
reconnaissait au préfet de police le droit de saisir, lorsque
le délit était flagrant. Mais la Cour de Rouen, à laquelle l'af-
faire avait été renvoyée, ayant jugé que l'article 10 accordait
au préfet des pouvoirs illimités, l'affaire revint devant les
chambres réunies et la Cour de cassation, par arrêt du 21
novembre 1853, condamna la doctrine qu'avait admise la
chambre criminelle le 23 juillet précédent. Le pourvoi contre
l'arrêt de la Cour de Rouen fut rejeté : « Attendu, dit un con-
sidérant de l'arrêt du 21 novembre 1853, qu'en autorisant
le préfet de police à rechercher, en quelque lieu que ce soit,
la preuve des infractions et les, pièces pouvant servir à convic-
tion, la loi n'a fait aucune exception à l'égard des lettres
déposées à la poste et présumées constituer soit l'instrument
ou la preuve, soit le corps même du délit. » Les prémices de
ce raisonnement sont loin d'être certaines; car l'article n'ac-
corde pas au préfet le droit de saisir en tous lieux, et nous
avons même vu qu'un pouvoir aussi large n'appartient pas
au ministère public instruisant en cas de flagrant délit 1. La
question a été soulevée au Sénat lors de la discussion du projet
de loi sur la révision du Code d'instruction criminelle (projet
voté le 5 août 1882) et l'opinion que la Cour de cassation avait
d'abord admise dans l'arrêt du 23 juillet 1853 y a été consacrée
en ces termes : Art. 10 : « Le préfet de police peut faire tous
les actes attribués aux divers officiers de police judiciaire par
le titre 1er et le chapitre 1er du titre III de la présente loi en
se conformant aux formalités qui leur sont prescrites. — Il
peut requérir les officiers de police judiciaire autres que le
procureur de la République et ses substituts et le juge d'ins-
truction de faire tous les actes de police judiciaire qui sont
dans les attributions de chacun d'eux. » L'article 179 s'occupant

1 Nous recommandons à nos lecteurs de consulter sur cette question deux


articles de M. Reverchon, publiés dans le journal le Droit des 11 et 12 jan-
vier 1861. V. aussi Boitard, Instruction criminelle, sur l'article 10; Mangin,
Traité des procès-verbaux, n° 68; Dalloz, observations sur l'arrêt du 21 no-
vembre 1853, 1re partie, p. 222 et 279. L'article 10 du Code d'instruction
criminelle a été interprété dans un sens très-large au Conseil d'État (décret
du 3 août 1858, Lebon, 1858, p. 563).
104 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

des pouvoirs du procureur de la République en cas de flagrant


délit, dit que le procureur de la République « peut rechercher
et saisir à la poste les lettres et interdire à l'administration des
télégraphes de délivrer aux destinataires les télégrammes éma-
nant de l'inculpé, ou à lui adressés, mais sans prendre con-
naissance de ces lettres et télégrammes. »
Les pouvoirs en matière d'instruction n'appartiendraient plus,
d'après ces dispositions, qu'au préfet de police à Paris et non
aux préfets des départements. Le préfet de police ne pourrait,
même en cas de flagrant délit, qu'arrêter les lettres ou télé-
grammes , mais sans en prendre connaissance, ce droit étant
réservé au juge d'instruction.

DROIT COMPARE.

488. Belgique. — L'article 22 de la Constitution belge est


ainsi conçu : « Le secret des lettres est inviolable. La loi dé-
termine quels sont les agents responsables de la violation du
secret des lettres confiées à la poste. » On n'a pas voulu, comme
le fit observer M. de Robaulx, que la violation d'une lettre
fût un cas de responsabilité ministérielle. « La responsabilité
d'un ministre, disait-il, est bonne de lui aux Chambres 1. »
Angleterre. — Le secret des lettres n'est pas respecté en
Angleterre au même degré que la liberté individuelle. Un ordre
du ministère de l'intérieur peut les faire ouvrir, et jusqu'à 1844
cet ordre a pu être général, c'est-à-dire applicable à toutes les
lettres adressées à une personne désignée dans le warrant. On
a constaté que de 1779 à 1844 il a été délivré 372 ordres de
cette espèce, ce qui fait en moyenne huit par année. Depuis
1844, il a été plusieurs fois reconnu que l'ordre d'ouverture
devait être spécial à une lettre déterminée ; mais ces limites
ne sont pas toujours observées et quelque illégaux qu'ils soient,
ces actes ne sont pas sévèrement jugés par les partis. L'oppo-

1 Éléments de droit public et administratif belge, par M. Havard, t. I,


p. 40.
SECRET DES LETTRES. 105
sition est tolérante parce qu'elle ne veut pas être désarmée le
jour où elle sera appelée à prendre le pouvoir 1.
Allemagne. — Le principe du secret des lettres n'est pas
consacré dans les Constitutions; mais toutes les ordonnances
sur le service des postes en font mention, pour interdire à l'ad-
ministration des postes de remettre les lettres à des personnes
autres que celles auxquelles elles sont adressées, à moins qu'il
n'y ait un mandat de justice ou un ordre de l'autorité supérieure
(höchste Staatsbehörde). La police peut faire provisoirement
arrêter les lettres ; mais l'ouverture n'en peut être faite que par
la justice (ordonnance postale de Wurtemberg, articles 246
et 249; de Bade, 130 et 226; de Hanovre, 106; du royaume
de Saxe, article 202; de Bavière, 182, 249 et 251 ; d'Autriche,
64 et 110).

1 Ed. Fischel, Die Verfassung Englands, 97-100, ch. 10. « Quand Crom-
well établit en 1657 le Post-Office, ce fut en partie, comme il le dit lui-même,
parce qu'il voyait dans une institution pareille, indépendamment des avan-
tages que devait en retirer le commerce, un moyen de découvrir et de dé-
jouer plus facilement les complots dangereux et pervers qui se tramaient
contre la République » (Blackstone, I, 322). C'est aussi l'usage qu'en fit,
chez nous, Louis XI, lorsqu'il régularisa l'institution des postes. Les cour-
riers devaient affirmer que les lettres dont ils étaient porteurs « avaient été
vues et ne contenaient rien de préjudiciable au roi. » Sous Louis XIV et
Louis XV l'ouverture des correspondances fut constamment pratiquée.
Louis XV allait chercher dans le secret des lettres jusqu'à des renseigne-
ments pour sa lubricité. Sous Louis XVI, un arrêté du 18 août 1775 con-
sacra le principe du secret des lettres en mettant la correspondance des
citoyens « au nombre des choses sacrées dont les tribunaux, comme les
particuliers, doivent détourner les regards. » — Mais le Cabinet noir ne
tarda pas à être rétabli et les partis en firent un usage immodéré pendant
la Révolution. L'Empire, la Restauration et même le Gouvernement de Juillet
se servirent de cette arme. D'après une pièce publiée par le Journal officiel
de la Commune, si elle est vraie, le Cabinet noir aurait fonctionné sous le
second Empire (n° du 8 mai 1871).
106 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

CHAPITRE SEPTIÈME.

LIBERTÉ DE LA PRESSE.

Sommaire.
129. Ce qui constitue essentiellement la liberté de la presse.
130. Différents systèmes sur le jugement des délits de presse.
131. Timbre et cautionnement.
132. Responsabilité de l'écrivain.
133. La question de la liberté de la presse n'est pas susceptible d'une solution absolue.
134. Différence entre la France et l'Angleterre.
133. Conséquences qui en doivent résulter.
136. Circulaire du ministre de l'Intérieur.
137. Observation.
138. Histoire de la législation sur la presse en France (1791 à l'an VIII).
139. Suite. Constitution du 22 frimaire an VIII.
140. Suite. Sénatus-consulte du 28 floréal an XII.
141. Suite. Décret du 5 février 1810.
142. Suite. Charte de 1814 et Cent-Jours.
143. Suite. Ordonnance du 8 août 1815 et lois de 1819.
144. Suite.
145. Suite.
146. Suite.
147. Suite. Révolution de juillet 1830.
148. Suite.
149. Suite. Législation de septembre 1835.
150. Suite.
151. Suite. Révolution de février 1848.
152. Suite.
153. Suite.
154. Suite. Décret du 17 février 1852.
155. Police et formation des journaux.
156. Censure indirecte résultant de la responsabilité des imprimeurs et éditeurs.
157. Presse périodique. — Autorisation des journaux.
158. Nature des pouvoirs du ministre.
159. Timbre et cautionnement d'après le décret du 17 février 1852.
160. Journaux non politiques.
161. Difficultés entre le préfet et le déclarant sur la sincérité des déclarations.
LIBERTÉ DE LA PRESSE. 107
162. Ouvrage traitant de matières d'économie sociale.
163. Décret-loi du 17 février 1852. — Répression administrative.
164. La presse de 1871 à 1881.
165. Loi du 29 juillet 1881. — Divisions.
166. De la presse en général et des professions d'imprimeur et de libraire.
167. De la presse périodique.
— Conditions.
168. Dépôt.
169. Signature.
170. Journaux étrangers traitant de matières politiques ou d'économie sociale.
171. Rectifications, communiqués.
172. Réponses des personnes nommées dans le journal.
173. Renvoi à une loi spéciale des amendes judiciaires.
174. Affichage, colportage et vente sur la voie publique.
175. Lieux désignés pour l'affichage. Edifices publics, propriétés privées, églises,
presbytères.
176. Répression des crimes et délits commis par la voie de la presse. — Transition.
177. Provocation et complicité.
178. Provocation non suivie d'effet.
178 bis. Provocation aux militaires.
179. Délits spéciaux commis par la voie de la presse. — Délits contre la chose
publique.
180. Offense au Président de la République.
181. Publication de fausses nouvelles.
182. Outrage aux bonnes moeurs.
183. Délits contre les personnes. — Diffamation.
184. Diffamation contre les morts.
185. Diffamation des corps constitués.
186. De l'injure.
187. Différence de la diffamation contre les particuliers et de la diffamation contre les
fonctionnaires. Preuve des faits.
188. Preuve des faits contre les directeurs et administrateurs de Compagnies.
189. La preuve des faits est-elle admise pour établir la bonne foi du prévenu?
190. Offense envers les chefs d'État. Outrages envers les agents diplomatiques.
191. Compte-rendu des débats.
192. Immunités parlementaire et judiciaire.
193. Immunité parlementaire. — Débats des assemblées législatives.
194. Suite.
195. Immunité judiciaire. — Droits de la défense.
196. Suite.
197. Suite.
198. Suite.
199. Défense d'ouvrir publiquement des souscriptions pour payer les amendes frais
,
et dommages-intérêts prononcés par des condamnations.
200. Répression et poursuites. Transition.
201. Quelles personnes sont responsables?
202. Suite.
203. Suite. Responsabilitédu propriétaire du journal.
204. Compétence, principe, cour d'assises.
205. Suite. Police correctionnelle.
108 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

206. Simple police.


207. Action publique et action civile. — Disjonction.
208. Quid si le prévenu est décédé ou si l'action publique est éteinte par une amnistie ?
209. Procédure. — Action publique. — Agrément des corps constitués.
210. Suite. De la plainte en cas de poursuite intéressant des agents de l'autorité
publique.
211. De la citation.
212. Indication du texte sur lequel la poursuite est fondée.
213. Délais de la citation.
214. Jugement par défaut.
215. Suite.
216. Condamnation. Dommages-intérêts.
217. Procédure. Police correctionnelle.
218. Procédure. Simple police.
219. Pourvoi en cassation.
220. Récidive.
221. Cumul des peines.
222. Circonstances atténuantes.
223. Prescription de l'action.
224. La prescription est d'ordre public.
225. Suite.
226. Abrogation des lois antérieures.
227. Abrogation de l'article 31 de la loi du 10 août 1871 (Conseils généraux).
228. Annonces judiciaires.
229. Suite.
230. Suite.
231. Suite.
232. Suite.
233. Suite.
234. Droit comparé. Angleterre.
233. Suite.
236. Suite.
237. Suite.
238. Suite. Répression des délits de presse en Angleterre.
239. Suite. Libelles séditieux.
240. Des journaux. Conditions spéciales.
241. Débats parlementaires et judiciaires.
242. Dessins et estampes.
243. Représentations théâtrales. Autorisation préalable.
244. Allemagne.
245. Belgique.
246. Espagne.
247. Brésil,
248. Italie.
249. Suisse.
250. Etats-Unis.
251. Pays-Bas.
252. Turquie.
253. Russie.
LIBERTÉ DE LA PRESSE. 109
129. La liberté de la presse n'existe pas là où elle est
soumise à des restrictions préventives ; car l'autorisation, préa-
lable, même confiée à un homme libéral, est inconciliable avec
le droit qui est la condition essentielle de la liberté. Quel-
que sévère que soit la répression à laquelle on la soumette,
quelque étroite que soit la légalité dans laquelle on l'enferme,
la presse est libre dans une certaine mesure. Au contraire,
quelque générosité que mette un ministre à donner l'autori-
sation préalable, c'est toujours le régime du bon vouloir, et
le droit est subordonné au caractère de l'homme. Aucune con-
fusion n'est possible, sur ce point, et si on diffère d'avis re-
lativement aux avantages et aux inconvénients d'une presse
libre, il n'y a pas deux opinions sur les conditions de la liberté.
130. Pas un esprit sensé ne demande un droit sans
limites, une irresponsabilité sans bornes pour l'écrivain, et
les plus ardents promoteurs de la liberté reconnaissent la né-
cessité d'une répression. Le dissentiment ne se produit que sur
la mesure de cette répression. On se divise aussi sur la com-
pétence des tribunaux qui seront chargés d'appliquer les peines.
Ceux-ci veulent que le jury qui se retrempe, sans cesse dans
l'opinion publique et qui peut en être l'expression, prononce
sur les délits de presse. D'autres ne trouvant aucune garantie
dans cette justice flottante, capricieuse, fortuite, préfèrent la
juridiction plus ferme des tribunaux correctionnels. Un troi-
sième système consisterait à organiser un jury spécial composé
d'hommes associés à la politique, et par conséquent ayant l'ap-
titude pour juger ces sortes d'affaires. Les partisans de cette
opinion se subdivisent; car, d'après les uns, il faudrait de-
mander aux conseils généraux la composition de cette espèce de
cour politique. D'autres, au contraire, pensent que l'on ne peut
être jugé que par ses pairs, et que les pairs des écrivains sont
d'autres écrivains. Ce dernier système consisterait donc à or-
ganiser une sorte de conseil de l'ordre des journalistes ou
écrivains, et à soumettre la presse à un pouvoir disciplinaire
,
comme on l'a fait pour d'autres professions.
131. Faut-il considérer comme des conditions préventives ,
incompatibles avec le principe de la liberté de la presse, le
110 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

timbre et le cautionnement qui, jusqu'à ces derniers temps,


ont été imposés aux journaux? Il est incontestable que ces
conditions sont propres à empêcher l'établissement de plus
d'une publication ; mais comme elles sont bien déterminées
et qu'il appartient à tout citoyen de les remplir, il est impos-
sible de confondre le caractère préventif de ces mesures avec
l'arbitraire; c'est le régime d'une légalité sévère, mais d'une
légalité commune à tous les partis.
Quoique le timbre ait presque toujours été établi en vue
d'arrêter l'extension de la presse politique, il a sa raison
d'être comme impôt sur l'entreprise industrielle du journal.
Dira-t-on que c'est mettre une taxe sur la propagation des
lumières, et que dès lors c'est une contribution mal assise et
funeste par ses conséquences? Semblable reproche pourrait
s'appliquer à d'autres impôts contre lesquels on ne réclame
pas. La patente des imprimeurs, des libraires, des maîtres de
pension serait à ce point de vue sujette à critique, puisqu'elle
retombe indirectement sur les acquéreurs de livres et sur les
élèves. Chacun prouverait qu'il doit être exempt de contribu-
tions, et après une révolution qui a eu pour objet principal
de détruire les privilèges, il n'est pas une classe de la société
qui ne trouvât des raisons pour se placer dans une position
exceptionnelle.
Quant au cautionnement, il se justifie par d'autres motifs.
Ce qui le rend légitime, c'est qu'il est la condition sine quâ non
de la répression. Sans cautionnement, les condamnations pro-
noncées pour les plus grands écarts frapperaient dans le vide ;
car il serait facile de constituer pour gérant un homme insol-
vable. Derrière cet abri, cachés par cet homme de paille, les
écrivains braveraient les condamnations et se riraient de peines
sans efficacité ; car les amendes seraient irrecouvrables, et
pour un faible traitement, on trouverait un gérant prêt à subir
la prison. Au contraire, avec un cautionnement on est sûr
que les décisions des tribunaux auront leur sanction et que
la discussion sera sérieuse et modérée comme il convient à
la bonne liberté.
132. Il faut aussi que l'écrivain soit responsable, et nous
LIBERTE DE LA PRESSE. 111
considérons comme une bonne loi celle qui exigeait la signature
des articles par leur auteur. Son abrogation n'était pas néces-
saire à l'établissement d'un régime libéral en matière de presse.
Il serait vraiment extraordinaire qu'en cas de délit ou de
crime, la seule personne irresponsable fût l'auteur principal.
Mais tout en voulant la responsabilité de l'écrivain, nous ne
saurions partager l'opinion de ceux qui demandent l'irres-
ponsabilité du journal ou, suivant leur expression, « un journal
qui soit une tribune irresponsable pour des journalistes res-
ponsables 1. » Ce serait encore énerver la répression, car les
journalistes ne présentent pas* tous les garanties qui rendent
la répression efficace, et il faut que leur responsabilité, pour
être effective, soit appuyée de la responsabilité du journal.
133. La liberté de la presse a des effets qui varient suivant
les époques et les pays. On ne saurait donc poser à ce sujet
aucune règle invariable. En parlant de la liberté individuelle,
nous avons reconnu avec Montesquieu qu'il y avait des temps
où il était nécessaire de jeter un voile sur la statue de la
Liberté; ce qui est vrai de la liberté individuelle l'est aussi
de la presse. Celui qui agit ainsi le fait sous sa responsabilité
devant l'histoire qui juge s'il était ou non indispensable de
suspendre les libertés publiques pour le salut commun. Nul ne
pourrait dire d'avance dans quelles circonstances la raison
d'État doit l'emporter. C'est une question éminemment con-
crète sur laquelle toute solution à priori serait chimérique et
que la postérité peut seule juger d'après les circonstances de
temps et de pays.
134. Il est incontestable, par exemple, qu'entre l'Angleterre
et la France il n'y a aucune parité à établir. Dans le premier
pays, la presse ne se propose pas de renverser le gouverne-
ment établi; son action ne tend pas à ébranler les institutions
nationales. Qu'un journaliste se permît d'attaquer la monarchie
et de demander la suppression de la Chambre des lords, que
pourrait cette vaine diatribe?

1 Lettre adressée aux journaux par M. Ducuing le 2 janvier 1861, Opinion


nationale du 3 janvier.
112 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

Chez nous, au contraire, la presse a toujours fait une oppo-


sition révolutionnaire. Il s'agit moins pour les journalistes
d'attaquer les ministres que de renverser le gouvernement,
et comme nos institutions sont mal affermies, les attaques de
la presse, surtout de la presse périodique, ont une tout autre
portée qu'en Angleterre.
135. Une circulaire du ministre de l'intérieur 1, en faisant
ressortir la différence qui sépare les deux pays, ajoutait que
le régime dont jouit l'Angleterre ne s'était établi que long-
temps après la révolution de 1688, et que, dans les années
qui suivirent l'établissement de la maison d'Orange, les jour-
naux avaient été soumis à un régime très rigoureux. La presse
devint libre le jour où elle fut sans péril pour le nouvel ordre
de choses. Mais voici les termes mêmes de cette circulaire :
136. « Je ne veux pas m'appesantir sur les détails en
fouillant dans l'arsenal que la législation anglaise tient à la
disposition du pouvoir; mais je citerai deux circonstances ca-
ractéristiques qui serviront à mettre dans tout son jour l'es-
prit de nos voisins en matière de presse.
« Vingt-cinq ans après le bill de Fox, quand l'Angleterre
se voyait parvenue au plus haut degré de puissance et croyait
pouvoir désormais jouir en paix de ses libertés, il arriva qu'à
la suite d'une grave crise économique, causée par la cherté
des subsistances et l'énormité des taxes après la guerre, et
favorisée d'ailleurs par l'impopularité du prince régent; il ar-
riva, dis-je, qu'une sorte de doctrine républicaine, se répan-
dant dans le pays, donna de graves inquiétudes à l'ordre
établi, et que le jury, intimidé ou gagné par la doctrine nou-
velle, usant largement des dispositions du bill de Fox, enle-
vait souvent aux juges de la couronne la faculté d'appliquer
aux délinquants la législation du Common Law.
« Dans ces circonstances nouvelles, le Parlement anglais
n'hésita pas à donner au gouvernement les moyens de forcer
le jury à la défense de l'État; et, en conséquence, on fit une
loi en 1819 qui frappa d'amende, d'emprisonnement, et, en

1 M. de Persigny.
LIBERTÉ DE LA PRESSE. 113

cas de récidive, de bannissement, l'auteur, l'éditeur et l'im-


primeur de tout écrit ou libelle séditieux contre le roi, la
famille royale, le régent, le gouvernement, la constitution et
l'une ou l'autre des deux chambres, et à l'aide de dispositions
tellement détaillées, tellement précises, qu'il n'était presque
plus possible à la conscience du jury de se dérober aux né-
cessités de l'État.
« Mais lorsque arriva la crise de 1848, et avec elle de
nouvelles émotions, de nouveaux partis hostiles à l'ordre éta-
bli, on éprouva encore des difficultés de la part du jury. On
sentit alors la nécessité de préciser encore plus clairement,
plus minutieusement, les attaques dont l'État pouvait être
l'objet, et une nouvelle loi intitulée : Acte pour mieux assurer
la sécurité de la couronne et du gouvernement, enrichit encore
le terrible arsenal de la législation anglaise. Cette fois le succès
est complet, l'arme a été si finement aiguisée, qu'elle triomphe
du jury irlandais lui-même, et, sur son verdict, deux journa-
listes coupables d'écrits séditieux, John Mitchel et John Ma-
chin, sont condamnés par les juges de la couronne à quatorze
années de déportation, avec travaux forcés 1.
« Et maintenant, croit-on que si ces expédients judiciaires,
conformes au génie de la race anglo-normande, ne réussissaient
pas, l'Angleterre s'arrêterait devant des théories? Non cer-
tainement. Toujours fidèle à son grand principe qu'avant d'être
un peuple libre il faut être un peuple uni, qu'avant d'être un
État libre il faut être un État fort, l'Angleterre, qui n'a
reculé devant rien quand il s'agissait de défendre, dans le
dernier siècle, la dynastie de son choix, ne reculerait pas
davantage, aujourd'hui si un nouveau péril menaçait l'État.
« En résumé, l'esprit de la législation anglaise, en matière
de presse, peut se formuler ainsi : liberté complète pour tout
ce qui est un avantage et n'est pas un danger pour l'État,
et négation de toute liberté dès qu'il s'agit d'attaquer l'État;
de sorte que la liberté anglaise, dont la presse jouit si com-

1 En Irlande la propriété appartient pour la plus grande part à des posses-


seurs anglicans et le jury est composé de propriétaires. Il n'y a donc pas lieu
d'être surpris que l'arme ait triomphé du jury irlandais.
B. — II. 8
114 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

plètement, n'est en réalité que l'expression de la situation


politique et sociale du pays. Comme il n'y a aujourd'hui aucun
parti, aucun homme sérieux qui songe un instant à renverser
ou la reine, ou le gouvernement, ou le parlement, ou la
constitution, personne n'a à se préoccuper en quoi que ce
soit de la liberté de la presse, qui n'est alors qu'un avantage
pour tous. Mais qu'un parti quelconque vienne à se proposer
le renversement de l'État au profit d'une autre dynastie ou
de toute autre doctrine, alors, à l'instant même, la liberté
de la presse n'existe plus pour ce parti.
« Ainsi lorsque, soit en France, soit ailleurs, des ennemis
déclarés d'un gouvernement constitué s'autorisent de l'exemple
de l'Angleterre pour réclamer là liberté d'attaquer par la presse
le régime établi, ils se fondent sur une erreur. Quand ils
s'indignent de ne pouvoir jouir du droit d'attaquer l'État,
si leur indignation est sincère, ils méconnaissent les conditions
de la liberté possible parmi les hommes, et, dans tous les
cas, ils calomnient la liberté anglaise.
« La vérité, c'est que l'exemple de l'Angleterre nous dé-
montre au contraire, et de la manière la plus éclatante, que
la liberté de la presse ne peut que suivre et non pas précéder
la consolidation d'un nouvel État, d'une nouvelle dynastie;
que tant qu'il y a des partis hostiles à l'ordre établi, luttant,
non plus comme aujourd'hui les tories et les whigs, pour le
ministère, mais comme autrefois les jacobites, pour renverser
le trône; c'est-à-dire tant qu'il y a des nations dans la nation,
la liberté ne peut être donnée aux ennemis de l'ordre établi
que chez des peuples dégénérés, qui préfèrent au salut de
l'État, comme les Grecs du Bas-Empire, le droit de se que-
reller et de se détruire eux-mêmes. »
137. Il est cependant à remarquer qu'en Angleterre la
presse n'a été soumise à la censure que pendant les sept années
qui suivirent la révolution de 1688. Sans doute, la répression
se montra longtemps sévère; mais les procès étaient portés
devant le jury 1. Nous allons voir, par l'histoire de la presse

1 Revue des Deux-Mondes du 15 décembre 1860. Chronique de la quin-


LIBERTÉ DE LA PRESSE. 115
dans notre pays, depuis 1789, que la mesure de sa liberté a
beaucoup varié, suivant les époques.
138. D'après l'article 11 de la Constitution du 3 septembre
1791, « tout citoyen pouvait parler, écrire, imprimer libre-
ment, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas
déterminés par la loi. » Quant aux abus que prévoyait cette
disposition, la première loi qui s'en occupa fut celle du 18
juillet 1791 sur les séditions. L'article 1er déclarait séditieuses
toutes personnes qui auraient provoqué à la désobéissance
aux lois soit par placards et affiches, soit par des écrits publiés
et colportés, soit par des discours tenus dans les lieux ou
assemblées publiques. En conséquence, la loi autorisait les
officiers de police à les arrêter sur-le-champ et à les re-
mettre aux tribunaux, pour être punies suivant la loi. Les
Constitutions du 24 juin 1793 et du 5 fructidor an III pro-
clamèrent aussi la liberté de la presse en ajoutant « qu'elle
ne pourrait être soumise à aucune censure. » C'était, dans
une autre forme, la pensée des législateurs de 1791. Sous
les Constitutions de 1793 et de l'an III, aucune loi ne ré-
prima les abus de la presse et ne punit les infractions com-
mises par cette voie. Dépouillés de toute arme légale, les
gouvernements se défendirent par des mesures violentes. Ainsi
avec le comité de Salut public, la terreur exerça une hor-
rible censure par la menace du bourreau 1; le Directoire
mit les scellés sur les presses, arrêta les journalistes et les
déporta; enfin, du 3 septembre 1797 au 1er août 1799, la
presse fut soumise au pouvoir discrétionnaire du gouverne-
zaine, par M. Forcade. L'auteur raconte que la censure fut supprimée à
l'occasion d'un pamphlet intitulé Guillaume et Marie conquérants, que le
censeur Bohun avait autorisé quoiqu'il fut écrit pour la défense des doctrines
jacobites. Bohun était jacobite lui-même, et il avait oublié son rôle de cen-
seur en laissant passer un ouvrage qui répondait à ses opinions.
1
« En fait, veut-on savoir pourquoi la Convention ne fit pas de lois contre
la presse? Rien n'est plus simple, elle n'en eut aucun besoin, la crainte de
la guillotine fut son censeur. » (Léon Vingtain, Liberté de la presse, p. 23.)
En effet, la loi sur les suspects déclarait tels : « ceux qui par leurs
propos ou leurs écrits (se sont montrés partisans du fédéralisme ou de la
tyrannie. »
116 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

ment. « La déportation des rédacteurs de quarante - deux


journaux punit ceux qui avaient usé dans le passé de l'indé-
pendance de la presse, en même temps que la loi de sûreté
générale du 19 fructidor an III mit sous l'inspection de la
police tous les journaux et toutes les feuilles périodiques...
Cette loi, prorogée chaque année, constitua le régime de la
presse pendant presque toute la durée du gouvernement direc-
torial; elle ne fut rapportée que deux mois avant sa chute 1. »
139. La Constitution du 22 frimaire an VIII ne fait pas
mention de la liberté de la presse. Un arrêté des consuls, en
date du 27 nivôse an IX, prouva bientôt que cette omission
avait été faite avec intention; car le gouvernement consulaire
limita le nombre des journaux, en désigna treize qui pourraient
seuls paraître, et disposa que même ceux qui étaient conservés
pourraient être supprimés par mesure administrative. L'arrêté
menaçait de suppression immédiate : « tous journaux qui in-
séreraient des articles contraires au pacte social, à la souve-
raineté du peuple et à la gloire des armées, ou qui publieraient
des invectives contre les gouvernements amis ou alliés de la
République, lors même que ces articles seraient extraits de
feuilles périodiques étrangères. » L'opinion publique vit avec
indifférence la suppression d'une garantie qui sommeillait depuis
longtemps et dont le rétablissement n'avait précédé que de
deux mois la chute du Directoire.
140. Le sénatus-consulte du 28 floréal an XII, article 64,
institua une commission sénatoriale de la liberté de la presse.
Mais cette mesure n'avait pas la portée que semblait lui attri-
buer le nom de la commission, puisqu'une disposition expresse
portait que « les ouvrages qui s'impriment et se distribuent
« par abonnement ou à des époques périodiques ne rentreraient
« pas dans les attributions de cette commission 2. »

1 Léon Vingtain ibid., p. 26. — Loi du 7 thermidor an VIII.


,
- On ne peut donc pas reprocher à cette commission de n'avoir pas main-
tenu la liberté de la presse périodiquequi n'était pas de sa compétence. C'est
ce qui a échappé à M. Léon Vingtain, op. cit., p. 30. — Nous recommandons
au lecteur les pages où M. Vingtain raconte l'histoire du Journal des Débats
sous l'Empire, d'après la correspondance de Fiévée, p. 31 à 35.
LIBERTÉ DE LA PRESSE. 117

141. Un décret du 5 février 1810 créa la censure préalable


pour tous écrits périodiques ou non. Le directeur général de
la librairie avait le droit d'ordonner le sursis à l'impression
jusqu'à ce que l'auteur eût fait les changements indiqués
d'après le rapport du censeur. Dans les départements, le
sursis pouvait être ordonné par les préfets. Cette formalité,
disait le décret, était la garantie des auteurs et imprimeurs.
Bientôt après, le décret du 3 août 1810 disposa que dans les
départements autres que le département de la Seine, il n'y
aurait qu'un seul journal, et que ce journal serait placé sous
l'autorité du préfet.
112. L'article 8 de la Charte de 1814 consacra la liberté
de la presse : « Les Français ont le droit de publier et de faire
imprimer leurs opinions en se conformant aux lois qui doivent
réprimer les abus de cette liberté. » Après le retour de l'île
d'Elbe, l'acte additionnel aux Constitutions de l'Empire s'ex-
prima d'une manière encore plus explicite. « Tout citoyen a
le droit de publier et d'imprimer ses opinions, en les signant,
sans aucune censure préalable, sauf la responsabilité légale ,
après publication par jugement par jurés, quand même il n'y
,
aurait lieu qu'à l'application d'une peine correctionnelle. »
113. La seconde Restauration, par une ordonnance du 8
août 1815, soumit à la censure les journaux et autres écrits
périodiques; et, malgré l'article 8 de la Charte, cette mesure
fut conservée jusqu'à la fin de la session de 1818. L'année
suivante parurent trois lois qui furent avec raison appelées le
Code de la presse; car, par leur réunion, elles présentaient
un ensemble de législation complet. La loi du 9 juin 1819
s'occupait de la police des journaux et de leur formation; elle
les soumettait au cautionnement, à la constitution d'un gérant
responsable, à la déclaration préalable et au dépôt de la minute
de chaque exemplaire. Mais elle n'imposait à la publication des
feuilles périodiques ni l'autorisation préalable ni la censure.
La loi du 17 mai 1819 relative à la répression des délits, pro-
nonçait des peines contre les crimes, délits proprement dits et
contraventions commis par la voie de la presse. Enfin la loi
du 26 mai 1819 réglait la compétence et la procédure, en ma-
118 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.
tière de poursuites contre les personnes coupables ou respon-
sables des délits de presse.
111. Ces lois sortirent d'immortels débats, où sur toutes
les questions des orateurs soit du gouvernement soit de l'op-
position parlèrent avec une élévation d'esprit égale à la sin-
cérité de leur libéralisme. Mais la réaction ne tarda pas à
modifier cette législation. Les lois des 31 mars 1820 et 26
juillet 1821 rétablirent la censure provisoire. L'année suivante,
une loi du 17 mars donna au gouvernement le pouvoir de
remettre en vigueur les mesures exceptionnelles, à la condition
seulement que « leur effet cesserait un mois avant l'ouverture
des Chambres, en cas de dissolution de la Chambre des dé-
putés. »
115. Cet état de choses dura jusqu'à l'avènement du mi-
nistère libéral, que présidait M. de Martignac. La loi du 18
juillet 1828 permit d'établir des journaux sans autorisation
préalable, à la seule condition de se conformer aux conditions
exigées par la loi; or les conditions étaient à peu près celles
qu'avait fixées la loi du 17 mai 1819, modifiées sur quelques
points par la loi nouvelle.
116. Dans les ordonnances qui amenèrent la chute de la
Restauration, une disposition expresse rétablissait l'article 9
de la loi du 21 octobre 1814, et soumettait les journaux au
système de l'autorisation préalable.
147. On comprend que le premier soin d'une révolution
faite pour défendre la liberté de la presse, dut être de procla-
mer énergiquement le principe qui avait été l'occasion du
nouvel ordre de choses. Aussi l'article 7 de la Charte de 1830
disposa-t-il que « la censure ne pourrait jamais être réta-
blie. »
La loi du 8 octobre suivant rétablit la compétence du jury
pour tous les crimes ou délits ayant un caractère politique, com-
mis par la voie de la presse ou de toute autre manière. La loi
du 29 novembre 1830 punit d'un emprisonnement de trois mois
à cinq ans et d'une amende de 300 fr. à 6,000 fr. toute attaque
par l'un des moyens énoncés en l'article 1er de la loi du 17 mai
1819, contre la dignité royale, l'ordre de successibilité au
LIBERTÉ DE LA PRESSE. 119

trône, les droits que le roi tient du voeu de la nation française


exprimé dans la déclaration du 7 août 1830, son autorité cons-
titutionnelle l'inviolabilité de sa personne, les droits et l'auto-
,
rité de la Chambre.
118. Une loi du 14 décembre 1830 régla la police des jour-
naux, c'est-à-dire les conditions de leur établissement. Le
cautionnement pour les journaux paraissant plus de deux fois
par semaine fut fixé à 2,400 fr. de rente; grand adoucissement
à la loi du 18 juillet 1828 qui exigeait 6,000 fr. de rente! —
Les droits de poste, qui étaient de 5 centimes par feuille furent
réduits à 4 centimes; ils étaient abaissés à 2 centimes pour les
exemplaires qui ne sortaient pas du département où les jour-
naux étaient publiés. Ce régime dura jusqu'à 1835.
149. Cette année le gouvernement fut attaqué par une
émeute et une abominable tentative d'assassinat. On vit dans
ces faits déplorables l'influence des provocations de la presse;
et, croyant atteindre le mal dans sa cause, les Chambres
votèrent les lois du 9 septembre 1835. Au lieu de 2,400 fr.
de rente on exigea un cautionnement en capital de 100,000
fr. Les droits de timbre et de poste ne furent point modi-
fiés.
Au point de vue de la compétence, les crimes ou délits
qualifiés d'attentats à la sûreté intérieure ou extérieure de
l'État furent transférés du jury à la Cour des pairs. L'article
1er attribuait à cette juridiction toute provocation par l'un des
moyens énoncés dans l'article 1er de la loi du 17 mai 1819 à
l'un des crimes prévus par les articles 86 et 87 du Code pé-
nal. La provocation suivie d'effet était punie comme un fait de
complicité ; non suivie d'effet elle était punie de la détention
et d'une amende de 10,000 fr. à 50,000 fr. L'article 2 pu-
nissait comme la provocation à l'attentat contre la sûreté de
l'État non suivie d'effet, l'offense au roi lorsqu'elle avait pour
but d'exciter à la haine ou au mépris de sa personne ou de
son autorité constitutionnelle. La peine applicable, en ce cas,
était celle de la détention avec une amende de 10,000 à
50,000 fr. Pareille assimilation était écrite dans l'article 5 pour
les attaques contre le principe ou la forme du gouvernement
120 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

lorsqu'elles auraient pour but d'exciter à la destruction ou au


changement de gouvernement.
Les autres attaques ou offenses devaient continuer à être
punies conformément à la loi du 29 novembre 1830, c'est-à-
dire d'une amende de 300 fr. à 6,000 fr. et d'un emprison-
nement de trois mois à cinq ans. La même peine était applicable
au fait d'adhérer publiquement à toute autre forme de gou-
vernement, soit en attribuant des droits aux personnes bannies
par la loi du 10 avril 1832, soit en prenant la qualification
de républicain (art. 7).
150. Il était interdit aux journaux de rendre compte des
procès en diffamation, lorsque la preuve n'était pas admise;
or elle n'était admise que si la plainte était formée contre un
fonctionnaire public. En dehors de ce cas, les journaux ne
pouvaient qu'énoncer la plainte et publier le jugement.
Si le même gérant ou le même journal étaient condamnés
deux fois dans l'année, la Cour pouvait prononcer la suspen-
sion pour deux mois en cas de condamnation pour délit, et
pour quatre mois en cas de condamnation pour crime. D'après
l'article 15, il fallait que le gérant fût propriétaire d'un tiers
du cautionnement et signât chaque minute, à peine d'une
amende de 500 fr. à 3,000 fr., qui était prononcée par les
tribunaux correctionnels.
Ces dispositions sans doute multipliaient les difficultés de la
formation des journaux et rendaient la répression plus sévère;
mais elles ne supprimaient pas la liberté de la presse puisque
,
les journaux n'étaient pas soumis à l'autorisation préalable,
et que toute personne, à quelque opinion qu'elle appartînt,
pouvait fonder un journal en se soumettant aux conditions dé-
terminées par la loi.
151. Après la révolution de Février, un premier décret
supprima le timbre des journaux 1. Deux jours après, un nou-
veau décret abrogea les lois du 9 septembre 1835, ce qui re-
mettait en vigueur la législation antérieure 2. Cependant cette

1 Décret du 4 mars 1848.


2 Décret du 6 mars 1848.
LIBERTÉ DE LA PRESSE. 121

législation elle-même ne fut pas observée et quoiqu'elle


,
exigeât un cautionnement, de fait plusieurs journaux parurent
sans remplir cette condition. Le 9 août 1848, une loi fixa le
cautionnement à 24,000 fr., pour les journaux paraissant plus
de deux fois par semaine dans les départements de la Seine
,
de Seine-et-Oise et de Seine-et-Marne. Dans les autres dépar-
tements, pour les villes de 50,000 habitants et au-dessus, le
cautionnement descendait à 6,000 fr. Il était de 3,500 fr. si la
ville avait une population moindre.
Le 11 août 1848, une loi modifia sur quelques points la
loi du 17 mai 1819 et celle du 25 mars 1822, pour la répres-
sion des délits de presse.
152. La Constitution du 4 novembre 1848 consacra le
principe de la liberté. Mais la presse continua à être régie
par les décrets provisoires jusqu'à la loi organique du 16
juillet 1850. Cette loi maintint le cautionnement à peu près
au chiffre qu'avait fixé la loi du 9 août 1848. Elle se montra
même plus libérale en ce qu'elle n'exigea le cautionnement
de 24,000 fr. que pour les journaux paraissant plus de trois
fois par semaine, tandis que la loi du 9 août 1848 demandait
la même somme pour les journaux paraissant plus de deux fois.
153. L'article 3 exigeait que les articles fussent signés
par le rédacteur. L'article 12 rétablissait le timbre de 5 cen-
times par feuille de 72 décimètres carrés dans les départements
de la Seine, de Seine-et-Marne et de Seine-et-Oise; le droit
descendait à deux centimes dans les autres départements. Tout
journal timbré à 5 centimes pouvait circuler par la poste dans
toute la France, et toute feuille timbrée à 2 centimes était
affranchie pour le département. Un droit supplémentaire de
1 centime par feuille était dû lorsque le journal publiait un

roman-feuilleton.
Avant même la réunion de l'Assemblée nationale, le gou-
vernement provisoire avait, par le décret du 22 mars 1848,
tranché une question qui, dans les dernières années, avait fait
grand bruit sous le nom de disjonction des actions publique
et civile.
Les lois avaient admis que lorsqu'un fonctionnaire se plain-
122 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

drait d'être diffamé, le prévenu pourrait demander à faire


la preuve des faits. Mais la jurisprudence avait décidé que
cette offre n'était admissible que devant les tribunaux crimi-
nels et que le défendeur à l'action civile en dommages-
,
intérêts devant un tribunal civil, ne serait pas admis à faire
la preuve. C'était anéantir la garantie : car les fonctionnaires
attaqués, renonçant à l'application de la peine, pouvaient
atteindre leurs adversaires par une demande en dommages-inté-
rêts, demande difficile à combattre parce que la preuve des
faits diffamatoires n'était pas reçue devant les tribunaux civils.
C'est pour condamner cette jurisprudence que le décret du 22
mars 1848 disposa qu'en matière de délits de presse, l'action
civile ne pourrait pas être séparée de l'action publique.
151. Pendant toute la durée du second Empire, la presse
fut régie par le décret-loi du 17 février 1852 qui fut modifié,
en quelques points seulement, par la loi du 11 mai 1868. Nous
allons exposer, bien qu'elle soit abrogée, cette législation qui
a duré plus longtemps qu'aucune des autres lois sur cette
matière. Cet exposé aidera le lecteur à mieux comprendre,
par opposition, le changement radical que le régime de la
presse a éprouvé par la promulgation de la loi du 29 juillet
1881, aujourd'hui en vigueur.
155. Le décret-loi du 17 février 1852, comme toutes les
lois qui l'ont précédé et suivi, distinguait les publications pé-
riodiques et celles qui n'étaient pas périodiques. Les pre-
mières, à cause de leur action continue sur l'opinion publique,
étaient soumises à un plus grand nombre de restrictions que
les secondes dont l'effet accidentel, quelque grand qu'il soit,
est de courte durée.
Pour les écrits non périodiques, la loi ne prescrivait aucune
mesure préventive, mais seulement des déclarations et dépôts
qui avaient pour but d'éclairer l'autorité et de la mettre à même
de connaître les infractions à la loi 1. Ainsi l'imprimeur devait
déclarer d'avance à la direction de la librairie ou, dans les
départements, au secrétariat de la préfecture, les ouvrages

1 Loi du 21 octobre 1814 et ordonnance du 24 octobre suivant.


LIBERTÉ DE LA PRESSE. 123
qu'il se proposait d'imprimer. D'après sa déclaration, le titre
de l'ouvrage était inscrit sur un registre coté et parafé par
le maire; on y mentionnait en même temps le nom et la de-
meure de l'imprimeur. Avant la publication, deux exemplaires
de l'ouvrage devaient être déposés au ministère de l'intérieur,
et, pour les départements , à la préfecture. Enfin, s'il s'agissait
d'ouvrages traitant d'économie sociale ou de matières politi-
ques, il fallait, indépendamment du dépôt administratif, en
remettre un exemplaire au parquet du procureur, lorsque les
écrits avaient moins de dix feuilles d'impression 1. Pourquoi
ce dépôt spécial pour les publications ayant moins de dix feuil-
les d'impression? C'est qu'il aurait été facile, en répétant fré-
quemment ces publications, de déguiser un journal périodique
sous la forme de brochures, et il importait que le ministère
public pût reconnaître si la loi était ou non sincèrement pra-
tiquée. Le dépôt au parquet devait être fait vingt-quatre heu-
res avant toute publication, tandis qu'aucun délai précédant la
publication n'avait été prescrit par la loi du 21 octobre 1814
pour le dépôt au ministère ou à la préfecture.
156. Si la publication des écrits non périodiques n'était
restreinte par aucune mesure préventive, elle se trouvait sou-
mise à une sorte de censure indirecte par suite de la respon-
sabilité des imprimeurs et éditeurs. Comme ils devaient être
pourvus de brevets et que ces brevets étaient révocables, la
crainte de compromettre leur fortune en faisait des censeurs
sévères, plus sévères parfois que ne le seraient des censeurs
irresponsables.
159. La presse périodique, si elle traitait de matières d'é-
conomie sociale ou politique, était soumise à un régime ri-
goureux. Aucun journal nouveau ne pouvait être fondé sans
l'autorisation du ministre de l'intérieur, et cette autorisation ne
pouvait être accordée qu'à des Français majeurs, jouissant de
leurs droits civils et politiques; elle était renouvelable toutes
les fois qu'il s'opérait un changement dans le personnel des

1 Loi du 27 juillet 1849, art. 7. La contravention à cet article est punie


d'une amende de 100 à 500 francs.
124 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

gérants, rédacteurs en chef, propriétaires ou administrateurs.


158. Le pouvoir du ministre était purement discrétion-
naire et il n'existait aucune voie légale de recours pour vaincre
,
son refus. Ce régime dura jusqu'à la loi du 11 mai 1868 qui
supprima l'autorisation préalable et reconnut à tout Français
majeur et jouissant de ses droits civils et politiques le droit
de publier un journal ou écrit périodique paraissant soit régu-
lièrement et à jour fixe, soit par livraisons et irrégulière-
ment, à la condition de déclarer 1° le titre du journal et les
époques auxquelles il devait paraître; 2° les noms, la demeure
et les droits des propriétaires autres que les commanditaires;
3° le nom et la demeure du gérant ; 4° l'indication de l'impri-
merie.
159. Les journaux traitant d'économie sociale et de poli-
tique étaient soumis au timbre et au cautionnement. Le droit
de timbre était fixé à 6 centimes par feuille de 50 à 72 déci-
mètres carrés dans les départements de la Seine et de Seine-et-
Oise. Il était de 3 centimes dans les autres départements. Ce
droit ne comprenait, du reste, pas les frais de transport par
la poste qui étaient dus conformément au tarif antérieur à la
loi du 16 juillet 18501. Mais ce cumul des droits de timbre et
de poste fut supprimé par l'article 11 de la loi du 21 juin 1856.
Le droit supplémentaire de 1 centime par feuille sur les ro-
mans-feuilletons était supprimé par l'article 36 du décret du
17 février 1852, abrogeant expressément l'article 14 de la loi
de 1850 où ce droit avait été établi pour la première fois.
La loi du 11 mai 1868 réduisit à cinq centimes par feuille
le droit sur les journaux de la Seine, de Seine-et-Marne et
de Seine-et-Oise; à deux centimes le timbre des journaux
dans les autres départements. Quant aux écrits non pério-
diques traitant de matières politiques ou d'économie sociale,
aucun droit de timbre n'était dû, si l'écrit avait plus de six
feuilles (au lieu de dix suivant le décret du 17 février 1852), et
quand l'écrit avait moins de six feuilles, le timbre était abaissé
à quatre centimes par feuille. — Les affiches et circulaires

1 Art. 13 du décret du 17 février 1852.


LIBERTÉ DE LA PRESSE. 125
électorales étaient affranchies du timbre. Quant au cautionne-
ment il était l'objet de l'article 4 ainsi conçu :
,
Article 4. «Pour les départements de la Seine, de Seine-
et-Oise, de Seine-et-Marne et du Rhône, le cautionnement
est fixé ainsi qu'il suit :
« Si le journal ou écrit périodique paraît plus de trois fois
par semaine, soit à jour fixe, soit par livraisons irrégulières,
le cautionnement sera de cinquante mille francs (50,000 fr.).
« Si la publication n'a lieu que trois fois par semaine ou à des
intervalles plus éloignés, le cautionnement sera de trente mille
francs (30,000 fr.).
« Dans les villes de cinquante mille habitants et au-dessus,
le cautionnement des journaux ou écrits périodiques paraissant
plus de trois fois par semaine sera de vingt-cinq mille francs
(25,000 fr.).
« Il sera de 15,000 fr. dans les autres villes et respective-
ment de moitié de ces deux sommes pour les journaux et écrits
périodiques paraissant trois fois par semaine ou à des inter-
valles plus éloignés 1. »
160. Les journaux non politiques n'étaient soumis ni à la
condition de l'autorisation préalable ni au cautionnement, con-
formément à la loi du 16 juillet 1850. Mais les propriétaires
restaient tenus, comme par le passé, de faire la déclaration
prescrite par l'article 6 de la loi du 18 juillet 1828 qui les
obligeait à faire connaître : « 1° le titre du journal ou écrit pé-
riodique et les époques auxquelles il devait paraître; 2° le
nom de tous les propriétaires autres que les commanditaires,
leur demeure et leur part dans l'entreprise; 3° l'indication de
l'imprimerie dans laquelle le journal ou écrit périodique devait
être imprimé 2. »
Les journaux traitant des questions de droit étaient dispensés

1 La publication d'un journal sans autorisation, sans cautionnement ou


avant que le cautionnement ne soit complet, est punie d'une amende de 100
à 2,000 francs par numéro ou livraison publiés en contravention et d'un
emprisonnement d'un mois à deux ans. L'imprimeur et celui qui a publié

le journal sont solidairement responsables. Le journal cesse de paraître.

2 Circulaire du ministre de la police du 30
mars 1852.
126 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

du cautionnement ; mais si le journal discutait soit les lois


relatives à l'économie sociale, soit les actes de l'administration,
il rentrait dans la catégorie des publications politiques 1.
161. Enfin , pour que le ministère public fût mis en mesure
de poursuivre les délits ou contraventions commis dans les
journaux, la loi voulait qu'un exemplaire-minute fût déposé
au parquet.
162. Le régime auquel étaient soumis les journaux trai-
tant des matières d'économie sociale, donnait un grand intérêt
à la question de savoir ce qu'il fallait entendre par ouvrages
d'économie sociale. Ces termes comprenaient-ils ce que l'on
appelle économie politique? Il est constant : 1° que le mot
politique n'est pas employé dans le titre de cette science sui-
vant son sens naturel, et que la science des richesses ne saurait
être confondue avec la politique; 2° que les mots économie
sociale furent précisément employés en 1848 et 1849 pour
distinguer les théories socialistes de l'économie politique, car
les économistes combattaient au premier rang dans la lutte
contre le socialisme. Néanmoins comme, à raison de la difficulté
de la distinction et de la connexité des matières, il serait aisé
d'éluder la loi, la jurisprudence décidait qu'il fallait entendre
par économie sociale « tout ce qui, dans l'industrie ou le com-
merce , se rattache aux intérêts généraux des populations 2. »
163. Les journaux, d'après le décret du 17 février 1852,
étaient soumis à une double répression, l'une administrative,
l'autre judiciaire.
La répression administrative consistait dans le droit qu'avait
le ministre d'avertir un journal, pour des motifs non déter-
minés par la loi et dont le ministre avait la souveraine appré-
ciation. L'avertissement était, dans les départements, donné
par les préfets; mais, suivant l'usage, l'avertissement n'était
notifié qu'après la dépêche approbative du ministre de l'inté-
rieur. Après deux avertissements, le journal pouvait être sus-
pendu, par simple arrêté ministériel, pour deux mois seulement.
1 C. cass., ch. crim., arrêt du 11 août 1860. (D. P. 1860, I, 420.)
2 Arrêt de la Cour d'Amiens, du 30 avril 1858; Dalloz, 1858, II, 203. (Aff.

de la Revue du Nord.)
LIBERTÉ DE LA PRESSE. 127
Une loi des 2-9 juillet 1861 disposa qu'après deux ans les aver-
tissements seraient périmés, de sorte qu'à l'expiration des
deux ans le ministre ne pouvait suspendre le journal averti
qu'après deux nouveaux avertissements. Enfin, un journal,
même quand il n'avait été ni averti ni condamné, pouvait être
supprimé par mesure de sûreté générale; la loi voulait qu'en
ce cas la suppression fût prononcée par décret.
161. La répression judiciaire était régie par le décret du
17 février 1852, combiné avec les dispositions des lois anté-
rieures qui n'avaient, pas été formellement abrogées ou qui
n'étaient pas inconciliables avec les termes et l'esprit de la loi
de 1852. L'article 25 déférait aux tribunaux de police cor-
rectionnelle tous les délits et contraventions.
Après la révolution du 4 septembre 1870, des décrets du
gouvernement de la Défense nationale supprimèrent le droit
de timbre et le cautionnement (Décrets des 5 septembre et 10
octobre 1870). Il ne fut pas durant le siège touché aux lois
sur la répression des délits de presse et la nécessité ne s'en fit
pas sentir, car de fait les journaux jouirent pendant cette
période d'une liberté absolue. C'est l'Assemblée nationale sié-
geant à Versailles qui rétablit la compétence du jury en ma-
tière de presse, sauf quelques exceptions qui furent réservées
aux tribunaux de police correctionnelle (Loi du 15 avril 1871).
Mais l'Assemblée ne tarda pas à revenir de la confiance qu'elle
avait d'abord témoignée à la presse, et dès le 6 juillet 1871,
elle rétablit le cautionnement; elle reconnut aussi, quelques
années après, que la répression par le jury était insuffisante, et
par la loi du 29 décembre 1875, elle augmenta considérable-
ment la compétence des tribunaux de police correctionnelle (art.
5 de la loi).
Les lois de 1870, 1871 et 1875 ont été remplacées par la
loi largement libérale du 29 juillet 1881. Cette loi a supprimé
,
en ce qui concerne la formation des journaux, non-seulement
toute autorisation préalable, mais aussi les mesures indirecte-
ment préventives, le cautionnement et le timbre; elle a même
déclaré libre la profession d'imprimeur et de libraire afin d'af-
franchir les écrivains de la censure indirecte que leur imposait
128 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

la responsabilité des imprimeurs ou éditeurs. Elle a même


fait disparaître l'autorisation préalable pour la profession de
colporteur et afficheur. Enfin elle a supprimé le plus grand
nombre des délits de presse et réduit autant que possible la
compétence des tribunaux correctionnels. Nous allons exposer
les dispositions principales de cette importante loi qui est au-
jourd'hui le code de la matière.
165. La loi du 29 juillet 1881 est divisée en cinq chapitres.
Le premier s'occupe de l'imprimerie et de la librairie et par
suite des conditions générales de la presse, périodique ou non
périodique. Dans le deuxième chapitre, le législateur traite spé-
cialement des journaux périodiques et des conditions qui leur
sont spéciales. Le troisième chapitre est consacré à l'affichage,
au colportage et à la vente sur la voie publique. Le chapitre
quatrième édicté les pénalités en matière de crimes, délits ou
contraventions par la voie de la presse pour les cas peu nom-
breux où, d'après la loi nouvelle, il y a encore lieu à poursuite.
Enfin, dans le chapitre cinquième, se trouvent les dispositions
qui règlent la compétence des cours d'assises et des tribunaux
de police correctionnelle, ainsi que les formes à observer pour
la poursuite de la répression dans les cas où il y a lieu à ré-
pression.
166. De la presse en général et des professions d'imprimeur
et de libraire. — Le gouvernement de la Défense nationale
avait proclamé la liberté des professions d'imprimeur et de
libraire (Décret du 10 septembre 1870); mais il en avait as-
treint l'exercice à des déclarations qui sont virtuellement sup-
primées par l'article 1er de la loi du 29 juillet 1881, article où
cette liberté est établie en termes absolus.
Cependant la liberté industrielle ou professionnelle, quelque
étendue qu'elle soit, n'est pas inconciliable avec la respon-
sabilité. Aussi la loi veut que tout imprimé fasse connaître
l'imprimeur et qu'il soit déposé.
Le défaut de mention du nom de l'imprimeur n'est puni
que d'une légère peine de police 1, et certes l'innovation n'est

1 Amende de 5 à 15 fr.
LIBERTÉ DE LA PRESSE. 129

pas petite, car les lois antérieures punissaient de peines très


dures l'impression clandestine 1.
Quant au dépôt, la loi exige, dans l'intérêt des collections
nationales, le dépôt de deux exemplaires pour tout ouvrage
imprimé et de trois s'il s'agit d'estampes, de livres de musique
ou dessins. La différence entre les imprimés et les autres
ouvrages sortant de la presse tient, en ce qui concerne les livres
de musique, à ce qu'un troisième exemplaire est destiné à
l'Académie de musique 2.
Le dépôt est fait à Paris au ministère de l'intérieur; dans
les chefs-lieux de département à la préfecture, dans les chefs-
lieux d'arrondissement à la sous-préfecture et dans les autres
communes à la mairie.
Le dépôt doit mentionner le titre de l'imprimé et le tirage.
Pourquoi exige-t-on spécialement la mention du tirage? Assu-
rément la connaissance du nombre des exemplaires tirés est
chose très importante au point de vue des rapports entre l'édi-
teur et l'auteur, puisque d'ordinaire les droits de ce dernier
sont fixés proportionnellement au tirage. Mais la loi sur la
presse n'a pas été faite pour protéger la propriété littéraire;
son objet est la police de la presse. Or, à ce point de vue il
est important de connaître le tirage, car un imprimé est plus
ou moins important suivant le nombre des exemplaires publiés,
et tel ouvrage qui serait inoffensif s'il n'était tiré qu'à un petit
nombre, pourrait être dangereux s'il était répandu avec profu-
sion. Aussi le ministère public dédaignera-t-il de poursuivre
un écrit dépourvu d'action, tandis qu'il demandera la condam-
nation du même ouvrage s'il a reçu une publicité périlleuse.

9
Ni la mention du nom de l'imprimeur, ni le dépôt ne sont
exigés pour les circulaires industrielles ou commerciales, pour

1 Amende de 10,000 fr. et six mois de prison, d'après la loi du 21 octobre


1814, art. 13 ; 100 fr. à 500, loi du 27 juillet 1849; six jours à six mois de
prison, art. 283 du Code pénal.
2
Le projet ne parlait que des estampes et livres de musique. C'est par
l'adoption d'un amendement de M. Bozérian qu'on a dit : « et, en général, les
reproductions autres que les imprimés, » afin de comprendre les gravures,
les photographies, les photogravures, etc., etc., etc.
B. — II.
130 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

les cartes de visite et généralement pour les ouvrages ana-


logues qui, dans la pratique de l'imprimerie, sont connus sous
le nom d'ouvrages de ville ou bilboquets.
La même disposition (art. 3, § 4) dispense du dépôt les
bulletins électoraux, contrairement à la jurisprudence de la
Cour de cassation 1, qui avait décidé que le bulletin de vote,
bien qu'il ne portât que le nom du candidat, était un écrit
soumis au dépôt d'après les termes généraux de la loi. Au-
jourd'hui le doute n'est plus possible en présence du texte de
l'article 3, § 4 : « Sont exceptés de cette disposition les bulle-
tins de vote, les circulaires industrielles ou commerciales et
les ouvrages dits de ville ou bilboquets2. »
La loi dit que le dépôt doit être fait au moment de la pu-
blication, tandis que la loi du 21 octobre 1814 exigeait le dépôt
avant la publication. Aujourd'hui le dépôt et la publication
peuvent avoir lieu pour ainsi dire simultanément.
163. De la presse périodique. — Tout journal peut être pu-
blié sans autorisation préalable ni dépôt de cautionnement, aux
conditions suivantes : 1° le journal doit avoir un gérant et la
loi exige que le gérant soit Français, jouisse de ses droits civils
et n'ait été privé de ses droits civiques par aucune condamna-
tion judiciaire; 2° avant la publication il est fait au parquet
une déclaration contenant le titre du journal ou écrit pério-
dique; le nom et la demeure du gérant; l'indication de l'im-
primerie où il doit être imprimé.
Toute mutation clans les conditions à déclarer doit elle-même
être déclarée dans les cinq jours qui suivront le changement.
1 C. cass., ch. crim., arr. du 11 janvier 1856 (D. P. 1856, I, 92-93).
2 Dans la séance du 19 mars 1883, M. Mézières
a déposé sur le bureau de
la Chambre des députés une proposition de loi sur le dépôt légal. Le but de
la proposition se trouve indiqué dans le § 2 de l'article 1er, ainsi
conçu :
« L'imprimeur sera tenu de déposer un exemplaire, l'éditeur de déposer
deux exemplaires de l'ouvrage achevé et dans le meilleur état de vente,
sous
peine d'une amende qui sera égale à la valeur vénale des exemplaires dont
le dépôt n'aura pas été effectué par le contrevenant. Cette proposition
»
empêchera, quand l'ouvrage sera imprimé dans plusieurs départements,
que
le dépôt ne soit fait en plusieurs endroits et
ne donne que des exemplaires
incomplets.
LIBERTÉ DE LA PRESSE. 131
La déclaration doit être faite sur papier timbré et signée
du gérant. Il en est donné récépissé 1.
168. La loi exige un double dépôt pour les feuilles ou
livraisons des publications périodiques. Afin de faciliter la
surveillance du ministère public et, s'il y a lieu, la répression
des délits ou contraventions, il doit être déposé deux exem-
plaires au parquet; dans les villes où il n'y a pas de tribunal
de première instance, ce dépôt doit être fait à la mairie. Les
deux exemplaires sont signés du gérant.
Pareil dépôt doit être fait à Paris au ministère de l'intérieur;
dans les chefs-lieux de département, à la préfecture; dans
les chefs-lieux d'arrondissement à la sous-préfecture et dans
les autres communes à la mairie, à peine de 50 fr. contre le
gérant, en cas d'omission de l'un ou de l'autre de ces dépôts.
La loi exige que le nom du gérant soit imprimé au bas de
chaque exemplaire, à peine contre l'imprimeur d'une amende
de 16 à 100 fr. par chaque numéro publié en contravention
(art. 10 et 11).
169. La loi n'exige pas d'autres conditions pour la publi-
cation : toutes les autres restrictions sont supprimées et il faut
spécialement considérer comme étant abrogées les dispositions
qui exigeaient la signature de l'écrivain (Loi du 16 juillet 1850,
art. 3) ou qui interdisaient de publier les articles signés par une
personne privée de ses droits civils et politiques ou à laquelle
le territoire de la France était interdit (Loi du 11 mai 1868,
art. 9). La loi qui exigeait la signature était tombée en désué-
tude bien avant la promulgation de la loi nouvelle, et quant

1 Art. 9. En cas de contravention aux dispositions prescrites par les art.


6, 7 et 8, le propriétaire, le gérant ou, à défaut, l'imprimeur seront con-
damnés à une amende de 50 fr. à 500 fr. — Le journal ou écrit périodique ne
pourra continuer sa publication qu'après avoir rempli les formalités ci-dessus
prescrites, à peine, si la publication irrégulière continue, d'une amende de
100 fr. prononcée solidairement contre les mêmes personnes pour chaque
numéro publié à partir de la prononciation du jugement de condamnation. Si
ce jugement est contradictoire et du troisième jour qui suivra la notification
s'il a été rendu par défaut, et ce nonobstant opposition ou appel si l'exécu-
tion provisoire a été ordonnée. Le condamné même par défaut peut inter-

jeter appel. — Il sera statué par la Cour dans le délai de trois jours.
132 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

aux écrivains privés de leurs droits civils et politiques, la dis-


position était en présence de ce dilemme : « Ou l'article est
coupable, et alors il faut le poursuivre; ou il est innocent, et
alors on ne comprend plus que la signature puisse entraîner
une condamnation1. »
190. Les journaux étrangers traitant de matières poli-
tiques ou d'économie sociale ne sont plus soumis à l'autorisa-
tion préalable; ils peuvent circuler en France tant que leur
circulation n'est pas interdite. La prohibition peut être pronon-
cée par arrêté ministériel si elle ne porte que sur un seul
numéro; mais il faut qu'elle soit prononcée par décret du pré-
sident de la République, si elle a pour objet d'interdire l'intro-
duction du journal. La loi exige même (art. 14) que la déci-
sion tendant à l'interdiction du journal soit délibérée en conseil
des ministres. La mise en vente au mépris d'une interdiction
prononcée soit par le président soit par le ministre serait pu-
nissable d'une amende de 50 à 500 fr. 2.
171. Le journal une fois fondé est soumis à quelques obli-
gations spéciales au cours de la publication.
Il est tenu d'insérer les rectifications adressées par les agents
de l'autorité publique, au sujet des actes de leurs fonctions
qui auraient été mal rapportés par ledit journal (art. 12).
Cette insertion doit être faite gratuitement en tête du plus pro-
chain numéro du journal ou publication périodique, à peine,
en cas de contravention, d'une amende de 100 fr. à 1,000 fr.
Mais l'obligation du journaliste est limitée aux rectifications,
tandis que d'après l'article 19 du décret-loi de 1852, il était
tenu d'insérer les documents authentiques, les relations offi-
cielles et les réponses. La rectification a seule été conservée
et on a supprimé le communiqué. Les rectifications ne doivent
pas dépasser le double de l'article auquel elles répondront.

1 C'est le raisonnement qu'opposait à la loi du 11 mai 1868, art. 9, M. Lis-


bonne, rapporteur de la Chambre des députés.
2 Un journal doit être considéré comme étranger par cela seul que le siège

de la publication est hors de France, alors même qu'il serait rédigé en langue
française et par des écrivains français. C. Paris, 10 décembre 1868 (D. P.
1869, 1,529).
LIBERTÉ DE LA PRESSE. 133
132. Le gérant est également tenu d'insérer gratuitement
la réponse de toute personne 1 nommée ou désignée dans le
journal. Cette insertion doit être faite dans les trois jours ou,
si la publicité est plus rare, dans le plus prochain numéro.
Lorsqu'elle ne dépasse pas le double de l'article auquel elles
répondent, la réponse doit être gratuitement insérée. Au delà
du double, l'excédent doit être inséré mais au prix des annonces
judiciaires. Quand il s'agit de rectifications demandées par les
agents de l'autorité, l'insertion de ce qui excède le double
ne peut pas être exigée, même si on offre de payer la taxe des
annonces judiciaires (art. 13).
Enfin la loi veut que la réponse des personnes désignées soit
insérée à la même place, dans le journal, que celle où était
l'article auquel le requérant répond. Quant aux rectifications
de l'autorité, elles sont placées en tète du journal.
133. La loi du 29 juillet 1881 n'a pas résolu la question
de la désignation des journaux pour les annonces judiciaires.
La commission fut d'avis, comme le gouvernement, que cette
question ne devait pas être traitée accessoirement et dans un

1 Toute personne nommée a le droit de réponse même à un article de cri-


tique littéraire : 29 novembre 1845 (D. P. 1846, I, 12); mais il faut qu'elle
ait intérêt à répondre et spécialement qu'elle ait été désignée individuelle-
ment : Trib. de la Seine, 2 février 1870 (D. P. 1870, III, 39). L'auteur qui a
donné un ouvrage pour qu'il en fût rendu compte n'a pas le droit de réponse
si la critique a été sérieuse et modérée : Trib. de la Seine, 16 janvier 1847
(D. P. 1847, III, 391). La faculté qu'a la personne nommée de répondre dans
son propre journal ne le prive pas du droit de répondre dans le journal ad-
verse, les deux publications s'adressant ordinairement à des lecteurs diffé-
rents : C. de Rouen, 15 juillet 1870 (D. P. 1871, II, 93). Le Tribunal de la
Seine a cependant décidé en sens contraire : 28 juillet 1874 (D. P. 1875,
V, 351-352). La personne qui répond est juge de l'opportunité, de la forme
et de la teneur de la réponse. Cependant elle ne peut pas exiger que le jour-
naliste insère des choses injurieuses ou des imputations diffamatoires : Cass.
19 juillet 1873 (Gazette des tribunaux, 3 août 1873) ou de nature à compro-
mettre un tiers et à exposer le journaliste à des dommages-intérêts : Dijon,
14 juillet 1869. Les tribunaux ont le droit d'apprécier si la réponse
se renfer-
mait dans les limites de la modération : Cass. 19 juillet 1873 (D. P. 1877, I,
67), et même la Cour de cassation a le droit d'apprécier si, d'après les circons-
tances du fait, l'insertion était obligatoire (même arrêt).
134 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

seul article d'une loi sur la presse. La question fut donc ren-
voyée à une loi spéciale que le gouvernement prit l'engage-
ment de proposer sans retard. Il résulte de là que cette matière
continue à être régie par la législation antérieure. Mais la
législation antérieure est, sur ce point, dans une grande con-
fusion. A Paris et dans le département de la Seine, la désigna-
tion des journaux continue à être faite par le préfet, tandis
que dans les autres départements ce sont les parties qui appré-
ciant leur intérêt, choisissent les journaux où sera faite l'in-
sertion. Le décret du 28 décembre 1870, qui donna aux parties
le choix du journal n'a été promulgué que dans les départe-
ments par la délégation de Tours, et c'est pour cela que Paris
est encore régi par la loi du 17 février 1852. Le projet qui
avait été adopté par la Chambre des députés adoptait l'usage
suivi dans les départements : « Les annonces judiciaires, disait
l'article 14, pourront être insérées, au choix des parties dans
,
l'un des journaux publiés en langue française dans le dépar-
tement. Néanmoins toutes les annonces judiciaires relatives
à la même procédure de vente seront insérées dans le même
journal. » C'est l'article qui fut supprimé par le Sénat.
131. De l'affichage, du colportage et de la vente sur la
voie publique. Le colportage, l'affichage et la vente sur la

voie publique ont été l'objet de nombreuses dispositions qui
les ont successivement régis. L'autorisation préalable a d'a-
bord été exigée 1 purement et simplement; puis quelques ga-
ranties ont été accordées à ceux qui exerçaient ces profes-
sions 2. Enfin on a pour ces professions auxiliaires de la presse,
comme pour la presse elle-même, remplacé l'autorisation préa-
lable par la déclaration. C'est le régime adopté par la loi du

1 Art. 6 de la loi du 27 juillet 1849.


2 Loi du 29 décembre 1875, art. 3.
« L'interdiction de vente et de
distri-
bution sur la voie publique ne pourra plus être édictée par l'autorité adminis-
trative comme mesure particulière contre un journal déterminé. » — La loi
du 9 mars 1878, supprima l'autorisation pour le colportage des journaux et
y substitua la liberté de la profession de colporteur de journaux moyennant
déclaration. La loi du 17 juin 1880 avait été proposée pour étendre la liberté
au colportage des autres imprimés ; mais l'adoption d'un amendement qui
LIBERTÉ DE LA PRESSE. 135
29 juillet 1881, qui a fait disparaître même plusieurs des res-
trictions maintenues dans des lois récentes où l'autorisation avait
été remplacée par la liberté moyennant déclaration préalable 1.
Tout afficheur, colporteur ou distributeur, sur la voie pu-
blique ou en tout autre lieu public ou privé, d'imprimés, livres,
brochures, journaux, dessins, lithographies ou photographies
est tenu de faire, à la préfecture du département où il a son
domicile, une déclaration contenant ses nom, prénoms, pro-
fession, domicile, âge et lieu de naissance. Il lui en est donné
un récépissé qu'il est tenu de présenter à toute réquisition.
Les distributeurs de journaux ne sont pas tenus de faire la
déclaration à la préfecture. Ils peuvent le faire à la mairie
de la commune où ils veulent faire la distribution ou à la sous-
préfecture, auquel cas la déclaration vaut pour toutes les
communes de l'arrondissement2.
Quant aux lieux où peut être fait le colportage, l'arti-
cle 68 de la loi abrogeant d'une manière expresse et radicale
toutes les lois antérieures, il en résulte que la vente sur la
voie publique est libre, qu'elle n'est soumise à certaine auto-
risation ni même passible d'aucune interdiction, tant les termes
de l'article 68 sont généraux et formels. L'interdiction de ven-
dre sur la voie publique ne pourrait donc être prononcée que
si l'état de siège était établi.
135. Pour l'affichage la loi distingue : 1° le lieu où doivent
être affichés les actes de l'autorité publique; 2° les affiches des
particuliers; 2° les circulaires et professions de foi électorales.
Pour les premières, l'autorité municipale doit désigner les
lieux où elles seront affichées, soit sur les murs de la mairie,
soit sur les murs d'une maison appartenant à un particulier,
mais avec le consentement du propriétaire. Aucune affiche

comprenait les journaux dans l'énumération des écrits auxquels elle serait
applicable rendait inutile la loi du 29 décembre 1878 qui leur était spéciale
et en entraînait virtuellement l'abrogation. Aussi l'abrogation fut-elle expres-
sément prononcée par l'article 6 de la loi du 17 juin 1880.
1 Ainsi la loi du 29 juillet 1881 n'exige pas, comme les lois de 1878 et de
1880, qu'onjustifie de la qualité de Français.
2 Art. 18, § 2.
136 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

ne peut être placée par les particuliers sur l'emplacement dési-


gné et l'administration a seule le droit d'employer le papier
blanc pour ses affiches.
Les affiches des particuliers peuvent être placées sur les
murs de toute maison avec le consentement du propriétaire
et sur ceux des édifices publics avec la permission expresse
ou tacite des autorités.
Mais en ce qui concerne les professions de foi et circulaires
électorales, la loi (art. 16) donne aux citoyens le droit de les
afficher sur tous les édifices publics, à l'exception cependant
de ceux qui sont consacrés à l'exercice du culte. Cette restric-
tion a été motivée par des raisons de convenance. Le législateur
a considéré que les professions de foi étaient écrites avec une
grande sincérité et que souvent la sincérité pourrait être pous-
sée jusqu'à l'attaque contre la religion. Était-il convenable
de permettre l'affichage sur les murs et à la porte des églises,
temples ou synagogues d'imprimés où les pratiques religieuses
seraient traitées avec mépris? Sans doute, l'église appartient,
en général, à la commune; mais elle est grevée d'une affec-
tation au profit de la fabrique et pour l'exercice du culte. Il
était juste de respecter cette affectation 1.
La loi du 29 juillet 1881 n'excepte que les édifices consacrés
au culte et ne parle point des presbytères. Faut-il en conclure
que les affiches électorales pourraient être placées sur les
murs du presbytère? Il y a, pour excepter les presbytères, les
mêmes raisons de convenance que pour excepter les édifices
consacrés à l'exercice du culte. Il serait choquant que les
candidats pussent placarder sur les murs de la maison cu-
riale des affiches où la religion serait attaquée. Si les pres-
bytères ne furent pas expressément compris dans la même
exception que les édifices consacrés au culte, c'est que le
presbytère est un domicile privé et qu'il parut inutile de proté-
ger le domicile du prêtre qui, d'après le droit commun, ne

1 L'exception fut votée au Sénat par l'adoption d'un amendement de


M. Batbie (séance du 9 juillet 1881) et combattu, au nom de la Commission,
par M. Griffe (D. P. 1881, IV, 72, note 1).
LIBERTÉ DE LA PRESSE. 137
pouvait pas être obligé de subir ces entreprises injurieuses
sur les murs même de la maison qu'il habite. Ce que pourrait
empêcher tout citoyen serait-il obligatoire pour le ministre
du culte? Son domicile est-il moins sacré que celui d'un laïque?
Si le ministre du culte occupait un appartement dans une
maison habitée par plusieurs locataires, nous ne pensons pas
que l'affichage sur les murs dût être subordonné au consen-
tement de tous les locataires. L'agrément du propriétaire suf-
firait, car lui seul a autorité sur les murs et autres parties de
sa maison qui servent à tous les locataires. Mais lorsque la
maison entière est occupée par un locataire, celui-ci doit seul
être consulté puisqu'il s'agit de son domicile et que son droit
n'est pas partagé avec d'autres locataires. Ce qui est vrai d'une
personne occupant un hôtel entier l'est aussi du ministre du
culte habitant seul son presbytère 1. C'est à cette opinion que
s'est arrêtée la jurisprudence de la Cour de cassation 2.
136. De la répression des crimes, délits et contraventions
en matière de presse. — La loi du 29 juillet 1881 a fait dispa-
raître un grand nombre de délits ou contraventions qui étaient
punis par les lois antérieures. Le rapporteur à la Chambre des
députés a énuméré quinze délits ou contraventions supprimés
et à ce nombre il faut en ajouter qui ont été abrogés par des
amendements adoptés au cours de la discussion3.

1 Les contraventions aux lois sur l'affichage sont punies de peines de simple
police (art. 15). Les contraventions aux dispositions sur le colportage sont
punies de l'amende de 5 à 15 fr. et peuvent être punies de l'emprisonnement
d'un à cinq jours. L'emprisonnement doit être prononcé en cas de récidive
(art. 21).
2 Cass., ch. crim., 11 novembre 1882 (D. P. 1883, I, 362) et 16 février

1883 (D. P. 1883, I, 361).


— Un député, avait proposé un amendement
pour étendre aux locataires le droit de s'opposer à l'affichage sur les murs
de la maison. L'amendement fut rejeté, mais sur un motif tiré de la mul-
tiplicité des locataires. Ce motif implique le droit de refus pour l'usufruitier
ou ayant-droit quelconque s'il occupe seul la maison.
3 Le nombre
a été porté à 18 par les votes des deux Chambres entre le
dépôt du rapport et l'achèvement de la loi. L'énumération complète se trouve
dans la circulaire du ministre de la justice, en date du 9 novembre 1881,
pour l'exécution de la nouvelle loi (D. P. 1881, III, 109).
138 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.
133. La loi punit comme fait de complicité toute provoca-
tion directe à des crimes ou délits par des discours, cris ou
menaces proférés dans les lieux ou réunions publics, soit par
des imprimés ou écrits vendus ou distribués mis en vente
,
ou exposés dans les lieux ou réunions publics, soit par des
placards ou affiches exposés aux regards du public ; mais il
faut, pour qu'il y ait complicité, que la provocation ait été
suivie d'effet. Si l'effet produit par la provocation n'avait été
qu'une tentative, il y aurait encore complicité et l'auteur serait
punissable comme l'auteur principal; mais en ce cas, la loi
n'applique la peine de la complicité que s'il s'agit d'un crime.
Le provocateur ne serait pas. puni comme complice en matière,
de tentative de délits, alors même que la tentative de délit serait
punie comme le délit même par une disposition expresse (art.
23).
La loi exige que la provocation ait été directe et qu'elle ait
été suivie d'effet. Si elle n'avait eu aucune action sur l'agent
criminel, elle ne serait pas considérée comme un fait de com-
plicité. Ainsi la provocation dans un journal de province
pourrait avoir été ignorée à Paris où nous supposons que le
crime a été commis. Il n'y aurait eu, en ce cas, aucune relation,
entre la provocation et le crime et l'article 23 ne s'appliquerait
pas.
138. La provocation sera-t-elle donc impunie si elle n'a
pas été suivie d'effet? Elle est punie mais seulement lorsqu'elle
a eu pour objet d'exciter à commettre les crimes de meurtre,
de pillage, d'incendie ou l'un des crimes contre la sûreté de
l'État prévus par les articles 75 et suivants du Code pénal
jusques et y compris l'article 101. La peine, en ce cas, est
de trois mois à deux ans d'emprisonnement et d'une amende
de 100 fr. à 3,000 fr.
138 bis. La provocation par les mêmes moyens — discours
distribution d'imprimés ou affiches, — adressée aux militaires
des armées de terre ou de mer dans le but de les détourner
de leurs devoirs militaires et de l'obéissance qu'ils doivent
à leurs chefs, dans tout ce qu'ils leur commandent pour l'exé-
cution des lois et règlements militaires, est punie d'un em-
LIBERTÉ DE LA PRESSE. 139
prisonnement d'un à six mois et d'une amende de 16 à 100 fr.
(art. 25).
Le texte voté par la Chambre des députés ajoutait : « Sans
préjudice des peines plus graves prononcées par la loi lorsque
le fait constituera une tentative d'embauchage ou une provo-
cation à une action qualifiée crime 1. » Cette partie de l'article
a été supprimée par le Sénat, et voici comment le rapporteur
de la loi au Sénat a rendu compte de cette suppression : « La
question de savoir si la provocation par la voie de la presse
peut être considérée comme une tentative d'embauchage a plu-
sieurs fois été discutée. La peine de cette infraction étant la
mort, on s'est demandé si l'application de cette peine à l'au-
teur d'un article de journal ne serait pas en opposition avec
la suppression de la peine de mort en matière politique. La
commission n'avait pas à trancher la question; mais elle n'a
rien voulu laisser dans l'article dont on pût tirer un argu-
ment 2. »
Il ne faut pas conclure de cette suppression que la provo-
cation ne serait pas punie d'une peine plus grave si elle était
faite dans les conditions où, d'après la disposition générale, le
fait serait plus sévèrement puni qu'il ne l'est par la dispo-
sition spéciale de l'article 25. Ainsi la provocation aux mi-
litaires serait punie comme fait de complicité si elle les avait
poussés à commettre des crimes ou des délits, et que la pro-
vocation eût été suivie d'effet dans les conditions prévues par
l'article 23.
A la Chambre des députés, l'article 25 donna lieu à une dis-
cussion sur l'obéissance passive du soldat. Les explications
données par un membre de la commission 3 tendaient à n'exiger

1 C'étaient les termes qu'employait la loi du 27 juillet 1849, art. 2. La


peine de l'embauchage ou de la tentative d'embauchage est la peine de mort
d'après l'art. 208 de la loi du 9 juin 1857 et l'art. 265 de la loi du 4 juin 1858.
2 Rapport
au Sénat de M. Eugène Pelletan. — La peine prononcée par
l'art. 2 de la loi du 27 juillet 1849 était plus grave que celle de l'article 25.
Elle était d'un emprisonnement d'un mois à deux ans et d'une amende de
25 fr. à 4,000 fr.
3 M. Agniel.
140 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

l'obéissance que pour les devoirs parfaitement définis et à ne


punir la provocation que si elle avait pour objet de détourner
le militaire de ses devoirs bien déterminés. C'était la théorie
de l'obéissance au chef, mais seulement dans les cas où celui-ci
obéissait lui-même à la loi 1.
179. En punissant la provocation aux crimes ou délits
comme faits de complicité, la loi a fait rentrer la presse dans
le droit commun. Il n'y a plus, pour ainsi dire, des délits de
presse spéciaux, mais plutôt des délits commis au moyen de
la presse. Quelques dispositions spéciales sont cependant consa-
crées à 1° l'offense au président de la République; 2° la publi-
cation de fausses nouvelles; 3° l'outrage aux bonnes moeurs.
189. D'après le texte présenté primitivement à la Chambre
des députés, une disposition punissait l'outrage au président
de la République. Elle fut rejetée; mais la Chambre ayant, par
un vote ultérieur, admis un article qui punissait l'outrage aux
gouvernements étrangers, on revint sur la suppression et l'ar-
ticle qui punissait l'outrage au président de la République fut
rétabli. Au Sénat, on remplaça le mot outrage par le mot offense,
substitution que le rapport n'explique pas bien clairement, mais
dont voici le motif; car, c'est sur notre proposition que la
commission, dont nous étions membre, proposa ce changement
adopté par le Sénat sans discussion ni éclaircissement. Le mot
outrage était employé, dans les lois antérieures sur la presse,
pour exprimer certaines attaques violentes et injurieuses contre
des institutions ou des idées, telles que la morale religieuse.
On s'en servait aussi pour exprimer des attaques violentes et
injurieuses contre les fonctionnaires publics; mais, en ce dernier
cas, l'outrage supposait qu'il avait été adressé au fonctionnaire
pendant qu'il était dans l'exercice de ses fonctions. Cette ques-
tion ne pouvait pas être posée à l'égard du président de la
République qui doit être considéré comme étant toujours dans
l'exercice de ses fonctions. Aussi la commission pensa qu'il
valait mieux se servir du mot offense qui ne présentait pas
cette difficulté et qui, d'ailleurs, avait dans les lois antérieures

1 Séance du 14 février 1881.


LIBERTÉ DE LA PRESSE. 141
été employé pour les attaques injurieuses contre les souverains
et les familles des souverains 1.
181. La publication des fausses nouvelles est punie par
la loi nouvelle, mais moins sévèrement et dans des cas moins
nombreux que sous le décret-loi du 17 février 1852. L'ar-
ticle 15 de cette dernière loi distinguait entre la publication ou
reproduction faite de mauvaise foi et celle qui était faite de
bonne foi. Il y avait lieu aussi, d'après la même disposition, de
distinguer entre la publication qui troublait la paix publique et
celle qui n'avait pas cette conséquence. La publication de fausses
nouvelles sans mauvaise foi était punie; la mauvaise foi même
et l'atteinte à la paix publique étaient des circonstances aggra-
vantes qui avaient pour conséquence de faire élever la péna-
lité. L'article 27 de la loi nouvelle fait des circonstances aggra-
vantes des conditions constitutives. La publication n'est punis-
sable que si elle est de mauvaise foi et si elle a troublé la
paix publique 2.
182. La loi punit aussi l'outrage aux bonnes moeurs, commis
1 L'offense au président de la République est punie de l'emprisonnement
de trois mois à un an et d'une amende de 100 fr. à 3,000 fr. ou de l'une de
ces deux peines seulement. M. Pelletan avait dit dans son rapport au Sénat :
« L'offense est le terme consacré; par cela seul qu'il est exceptionnel, il
convient à la situation exceptionnelle du chef de l'État. » Cette explication
ne parut pas bien claire — et cela se comprend — à M. Lisbonne, rappor-
teur de la Chambre des députés. « Si tel est, dit-il dans un rapport supplé-
mentaire le véritable motif de la substitution, il est bien entendu que l'of-
,
fense doit réunir les caractères de l'outrage tel qu'il est défini par l'art. 29
,
§ 2, de la loi nouvelle. » Cette conclusion n'est pas juste à tirer et il faut
attacher au mot offense le sens qui lui a été donné jusqu'à présent dans
l'interprétation des lois sur la presse.
2 La publication de fausses nouvelles est punie d'un emprisonnement d'un
mois à un an et d'une amende de 50 fr. à 1,000 fr. ou de l'une de ces deux
peines seulement. A la Chambre des députés, MM. Gatineau et de Girardin,
au Sénat, M. Jules Simon, combattirent cet article. Le premier projet pré-
senté à la Chambre des députés portait « de nature à troubler la paix pu-
blique. » Le texte qu'elle adopta et qui est devenu le texte définitif porte « qui
aura troublé. » La nouvelle fausse résultant de la publication sous toutes ré-
serves d'une note officielle est punissable; c'est seulement une cause d'at-
ténuation. Cass., 30 janvier 1858 (D. P. 1858, I, 379).
142 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

par discours, affiches et imprimés 1. Les mêmes peines sont


applicables à la mise en vente, à la distribution et à l'expo-
sition publique de dessins, gravures, peintures, emblèmes
ou images obscènes. Une disposition expresse ajoute que les
exemplaires exposés aux regards du public seront saisis. La
loi n'ajoute pas détruits. Ce mot, qui se trouvait dans le texte
primitif fut même supprimé malgré des observations tendant
à les faire rétablir. Nous verrons plus bas que ces deux délits,
quoique punis de la même peine, doivent être distingués, pour
la répression, en ce qui concerne la compétence. Une loi du 2
août 1882 a déjà modifié, sur ce point, la loi du 29 juillet 1881
dont les dispositions ont été, après une courte expérience,
jugées insuffisantes pour la protection des bonnes moeurs.
« Les écrits obscènes, autres que le livre, sont seuls visés
par cette loi : le droit commun leur est applicable, les complices
ne sont plus à l'abri de la poursuite; les spéculateurs peuvent
être aussi bien atteints que les colporteurs. L'imprimeur qui,
en vue du lucre, prête ses presses aux auteurs ou éditeurs
de ces honteuses publications, ne sera plus impuni; la saisie
préventive pourra être faite et l'arrestation ordonnée. La ré-
pression suivra de près le délit 2. »
183. Les trois délits dont nous venons de parler, l'offense
au président de la République, la publication de fausses nou-
velles et l'outrage aux bonnes moeurs sont placés sous la ru-
brique unique « de délits contre la chose publique. » La loi s'oc-
cupe ensuite des délits contre les personnes, de la diffamation
et de l'injure.
La diffamation consiste dans l'allégation ou l'imputation, faite
avec intention de nuire, d'un fait qui porte atteinte à l'honneur
ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait
est imputé 3. Que ce fait soit vrai ou faux, en principe et sauf les

1 La peine est l'emprisonnement d'un mois à deux ans et l'amende de 16 fr.


à 2,000 fr.
2 Ministre de la justice, circ. du 7 août 1882.

3 L'intention de nuire est


une circonstance essentielle du délit de diffama-
tion : Cass., 21 avril 1864. L'intention est présumée et c'est au prévenu à
LIBERTÉ DE LA PRESSE. 143
exceptions dont il sera parlé, il y a diffamation et délit. La loi a
voulu que la vie privée fût protégée contre la malveillance du
voisin. Elle allait autrefois plus loin, car un article (art. 11 de la
loi du 11 mai 1868) voulait qu'elle fût à l'abri des indiscrétions
et prononçait une peine contre la publication de tout fait relatif
à la vie privée, même dans le cas où il n'y avait ni malveil-
lance ni préjudice. Cette pénalité a été supprimée et la loi a
considéré que la vie privée était suffisamment couverte par la
peine qui punit la diffamation 1.
181. La diffamation, lorsqu'elle atteint un particulier, est
punie d'un emprisonnement de six jours à six mois, d'une
amende de 25 fr. à 2,000 fr. ou de l'une de ces deux peines
seulement.
La question de savoir si le mot personne devait s'entendre
seulement des vivants avait donné lieu, sous le régime des
lois antérieures, à de nombreux et intéressants débats devant
les tribunaux.
Les peines de la diffamation protégaient-elles la mémoire des
morts comme l'honneur des personnes vivantes? Cette question
rappelle le souvenir de procès retentissants et de fort éloquents
discours ou plaidoyers. Nous avons, dans notre première édi-
tion réclamé pour l'histoire des immunités dont elle a besoin ;
,
nous avions demandé qu'on ne mît pas l'histoire au greffe, comme

prouver qu'il était de bonne foi : Cass., 18 mars 1881. On ne considère pas
comme une diffamation le fait par une personne à qui on demande des ren-
seignements de dire ce qu'elle sait sur un domestique : C. de Lyon, 3 mars
1881.
1 Il faut que l'imputation du fait diffamatoire ait été faite avec publicité. Il
ne suffit pas que le lieu fût public ; il faut qu'il y ait du public. La Cour de
cassation reconnaît que la nature du lieu ne suffit pas pour qu'il y ait publi-
cité. Un lieu public, quand il n'y a personne, est, au point de vue de la dif-
famation, semblable à une maison privée. C'est aux tribunaux qu'il appartient
d'apprécier si la publicité résulte des circonstances, et comme c'est un élé-
ment constitutif du délit, la Cour de cassation peut rechercher s'il y a eu
publicité : Cass., 26 nov. 1864. La publicité se présume lorsque le lieu est
ouvert au public et c'est au prévenu à prouver qu'il n'y avait pas de public
quand l'imputation a été faite. La publicité pourrait exister dans un local
privé et spécialement dans une cour privée, si la diffamation était faite de-
vant plusieurs personnes assemblées dans cette cour.
144 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

on disait autrefois de la couronne. Les moyens d'investigation


qui sont obligatoires pour le juge ne sont pas les mêmes que
l'historien peut employer, et la justice humaine n'arrive qu'à
la chose jugée, présomption salutaire sans doute pour éteindre
les procès, mais qui n'est jamais opposable à l'historien; car
l'historien a le droit imprescriptible de prouver la vérité, eût-il
à lutter contre les arrêts les plus formels et contre la possession
la plus longue. La chose jugée, en effet, n'a d'autorité qu'à
l'égard des parties en cause et elle n'est pas opposable à l'his-
torien qui n'était pas représenté devant le juge.
Cette opinion a prévalu dans la commission du Sénat, à
l'assemblée plénière du Sénat et plus tard à la Chambre des
députés. La diffamation contre la mémoire des morts n'est
punie que clans le cas où les auteurs de la diffamation auraient
eu l'intention de porter atteinte à l'honneur ou à la considé-
ration des héritiers vivants.
Cependant la mémoire des morts n'est pas livrée sans défense
aucune. L'article 34, 2° §, accorde aux héritiers, dans tous les
cas, le droit de réponse qui leur fournit le moyen de rectifier les
faits qui auraient été inexactement racontés.
Dans notre première édition, nous proposions de distinguer
entre les faits historiques et ceux qui ne le sont pas; c'était
une distinction faite en vue de concilier les droits de l'his-
toire avec le texte général de la loi (art. 13 de la loi du 17
mai 1819); c'était une opinion de jurisconsulte astreint à com-
menter une loi faite et n'ayant pas le droit de modifier les textes
à commenter. Mais les rédacteurs de la loi nouvelle avaient
des pouvoirs plus étendus, et c'est avec raison qu'au lieu d'ad-
mettre la distinction, souvent difficile à faire, entre les faits
historiques et les faits non historiques, ont cherché dans une
formule plus générale la solution de ce problème. Nous avons
été nous-même un des premiers à combattre, comme législa-
teur, cette distinction que nous avons soutenue comme moyen
d'interpréter et d'adoucir une loi en vigueur. M. Eugène
Pelletan a, dans son rapport, exposé en ces termes les motifs
de la nouvelle disposition : « Un homme a passé sur la scène
du monde, il y a joué son rôle, bien ou mal, et après une vie
LIBERTÉ DE LA PRESSE. 145
agitée, il a enfin conquis ce premier repos du cercueil et cet
autre repos non moins précieux de l'oubli; et il pourra dépendre
d'une arrière-couche de le tirer de son tombeau et de traîner
son spectre à l'audience d'un tribunal uniquement pour fournir
une occasion à un demandeur et à un défendeur de fouiller
au fond d'une fosse et de remuer de la poussière. Nous com-
prenons sans doute la solidarité de la famille... Mais au-dessus
du droit de la famille privée, il y a le droit de la famille uni-
verselle qui représente l'histoire... Quelle leçon pourrait-elle
nous donner si la loi de la diffamation vient étendre un voile
sur les morts pour les cacher à la postérité?... Votre commis-
sion n'a pas voulu qu'on mît l'histoire au greffe, comme ou
disait autrefois de la couronne. Elle n'admit le délit de diffa-
mation qu'autant qu'elle passe par-dessus leur tombe pour
frapper les vivants 1. »
185. La diffamation est punie plus sévèrement lorsqu'elle
atteint les cours, les tribunaux, les armées de terre ou de mer,
les corps constitués et les administrations publiques (art. 30)
ou lorsqu'elle est commise, à raison, de leurs fonctions, envers
un ou plusieurs membres du ministère, un ou plusieurs membres
de l'une ou de l'autre des deux Chambres, un fonctionnaire
public, un dépositaire ou agent de l'autorité publique, un
ministre de l'un des cultes salariés par l'État, un citoyen
chargé d'un service ou d'un mandat public temporaire ou per-
manent, un juré ou son témoin à raison de sa déposition 2.
Que faut-il entendre par corps constitués? Ce sont des au-
torités collectives qui exercent une partie de la puissance
publique. Les tribunaux et les cours, qui sont expressément

1 Avant la loi du 29 juillet 1881, M. Chassan (t. I, p. 375) décidait que


l'historien peut rendre compte de faits de nature à porter atteinte à l'hon-
neur et à la considération d'un citoyen, si ces faits sont constatés ou divul-
gués dans des documents publics et se rattachant à l'histoire du pays; mais
il ajoutait : « Si le compte rendu est fait avec mesure et convenance. »
2 La peine est de l'amende de 100 fr. à 3,000 fr. et de l'emprisonnement
de huit jours à un an ou de l'une de ces deux peines seulement, tandis que
la diffamation envers les particuliers est punie de l'emprisonnement de cinq
jours à six mois et de l'amende de 25 fr. à 2,000 fr. ou de l'une de ces deux
peines seulement.
B. — II. 10
146 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

compris dans l'énumération, sont des corps constitués et ils


auraient été compris dans le terme général.
186. L'injure est punie de peines moins sévères que la
diffamation. Elle est définie par la loi, art. 29, § 2 : «Toute
expression outrageante, terme de mépris ou invective. » Elle
diffère de la diffamation en ce qu'elle ne contient pas comme
celle-ci l'allégation d'un fait portant atteinte à la considération.
Elle est générale, vague, sans imputation de faits déterminés.
Comme pour la diffamation, la peine est moins élevée si les
injures ont été commises envers les particuliers que si elles
atteignent les corps constitués ou les fonctionnaires à raison de
leurs fonctions 1.
183. Ce qui distingue surtout la diffamation envers les
particuliers de la diffamation envers les corps constitués ou
fonctionnaires à raison de leurs fonctions, c'est que dans le
premier cas l'inculpé n'est pas, pour se défendre, admis à
faire la preuve de la vérité des faits allégués, tandis qu'il
est admis à faire cette preuve dans le second. Le fait imputé
à un particulier fût-il certain, fût-il même avoué, la dif-
famation serait punissable. Pour les fonctionnaires, ils sont
soumis à la surveillance de l'opinion publique et la loi per-
met de prouver la vérité des faits diffamatoires. La loi du
17 février 1852 n'autorisait pas à faire la preuve par témoins;
il fallait que la preuve résultât d'actes ou écrits pour que le
diffamateur fût admis à faire la preuve. Aujourd'hui il peut faire
la preuve par les moyens ordinaires et conséquemment même
par témoins (art. 35) 2.
Il est cependant des particuliers contre lesquels on peut
faire la preuve de la vérité des faits diffamatoires. Ce sont
1 Peine de l'injure envers les particuliers : emprisonnement de six jours
à deux mois; amende de 16 fr. à 300 fr. ou l'une des deux peines seule-
ment.
Peine de l'injure envers les corps ou personnes énumérées dans les arti-
cles 30 et 31 : emprisonnement de six jours à trois mois et amende de 16 fr.
à 500 fr. ou l'une des deux peines seulement.
2 La preuve qui est autorisée
ne peut être que celle des faits qui ont mo-
tivé la poursuite, sauf le cas d'indivisibilité entre les faits poursuivis et d'au-
tres faits imputables. C. cass., ch. crim., 23 juin 1882 (D. P. 1882, I, 392).
LIBERTÉ DE LA PRESSE. 147
les directeurs ou administrateurs de toute entreprise indus-
trielle, commerciale ou financière faisant publiquement appel
à l'épargne ou au crédit.
188. Si le fait qui a donné lieu à la diffamation était l'objet
d'une poursuite correctionnelle soit à la requête du ministère
public ou sur la plainte de celui à qui la diffamation est impu-
tée, le tribunal devrait surseoir à la poursuite et au jugement
du délit de diffamation (art. 35 dernier paragraphe). La consé-
quence de cette disposition est de rendre admissible la preuve
du fait diffamatoire, même contre les particuliers, lorsque le
fait constitue un crime ou un délit, s'il existe une poursuite et
qu'il y ait condamnation; mais, en ce cas, la preuve ne pourra
résulter que du jugement de condamnation, et s'il y avait ac-
quittement, l'action en diffamation reprendrait son cours.
Des amendements présentés soit à la Chambre des députés
soit au Sénat tendaient à l'admission de la preuve toutes les
fois que la personne diffamée y consentirait. Ces amendements
furent rejetés et avec raison; car ils auraient eu pour résultat
(le supprimer la distinction entre les particuliers et les fonc-
tionnaires. En effet, la personne diffamée aurait été morale-
ment obligée de consentir à la preuve sous peine, en cas de
refus, de voir s'établir une forte présomption contre elle de la
vérité des faits imputés.
189. Comme la diffamation est un délit et que l'intention est
un de ses éléments constitutifs, les inculpés ont élevé la pré-
tention, et quelquefois avec succès, de prouver les faits, même
à l'égard des particuliers, pour établir leur bonne foi et leur
innocence. Il y a là une méprise que des présidents ou faibles
ou inattentifs ont laissé s'introduire clans les débats. Ce qui
constitue la volonté de nuire, c'est la connaissance qu'a l'inculpé
du caractère diffamatoire des faits. Qu'ils soient vrais ou non, cela
ne fait rien à l'intention, et l'on peut même aller jusqu'à dire
que la vérité des faits ne peut qu'aggraver l'intention de diffa-
mer. Le magistrat doit donc s'opposer à la preuve et ne laisser
établir le débat que sur le point de savoir si l'inculpé savait que
les faits imputés, vrais ou faux, auraient pour conséquence
de porter atteinte à la considération de la personne diffamée.
148 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

199. Une disposition de la loi punit l'offense commise


publiquement envers les chefs d'États étrangers et les outrages
commis envers les agents diplomatiques accrédités auprès du
gouvernement de la République 1. L'outrage envers les agents
diplomatiques n'existe que s'il a été commis à raison de l'exer-
cice de ses fonctions. Pour tous autres faits il serait punissable
comme une injure envers des particuliers. Quant à l'offense,
elle est toujours punissable, comme celle envers le Président,
le chef d'État étant toujours à raison de sa dignité le repré-
sentant de son pays 2.
Pour l'offense comme pour l'outrage la loi exige qu'ils aient
été commis publiquement.
191. La loi ne s'est pas bornée à punir la diffamation; pour
assurer l'efficacité de l'action elle a interdit aux journaux de
rendre compte des procès où la preuve des faits diffamatoires
n'est pas admise et ne permet que de publier la plainte et le
jugement. La publication des débats aurait aggravé les impu-
tations et servi les intentions de diffamation par le scandale de
l'audience publique (art. 39).
Dans le même ordre d'idées, la loi interdit de publier les
actes d'accusation et tous autres actes de procédure criminelle
ou correctionnelle avant qu'ils aient été lus à l'audience (art.
38). Cette interdiction a été faite dans l'intérêt de la justice
qui pourrait être gênée dans sa marche par cette publication
1 Offense publique envers les chefs d'État : emprisonnement de trois mois
à un an et amende de 100 fr. à 3,000 fr. ou l'une des deux peines seulement.
Outrage public envers les agents diplomatiques : emprisonnement de huit
jours à un an et amende de 50 fr. à 2,000 fr. ou l'une des deux peines seu-
lement.
2 L'offense peut résulter de faits antérieurs à l'élection du chef d'État si
l'injure a été commise postérieurement. Aussi le tribunal de la Seine a jugé
qu'il y avait offense dans un article sur le maréchal de Mac-Mahon : « Tout
le monde sait que M. de Mac-Mahon n'est pas un capitulard et nul n'ignore
que lorsqu'il a eu le malheur de s'engager témérairement comme à Reichof-
fen ou lorsque la retraite lui est fermée, il passe comme à Sedan la plume
,
à un autre pour signer la capitulation (Trib. de la Seine, 1877). » Il n'y aurait
pas outrage, si l'insulte portait sur des faits antérieurs ou étrangers à l'exer-
cice des fonctions des agents diplomatiques.
— Ce serait une injure envers
des particuliers.
LIBERTÉ DE LA PRESSE. 149
indiscrète ; car il y aurait de graves inconvénients à permettre,
avant l'audience la discussion de ces documents.
,
Quant aux affaires civiles, la publication des débats peut être
interdite par les cours et tribunaux; mais à défaut d'inter-
diction spéciale, la publication est permise par la loi.
La loi interdit sans exception la publication des délibéra-
tions des juges et des cours et tribunaux 1.
192. La protection de l'homme, des particuliers ou des
corps constitués a dû fléchir devant des intérêts de premier
ordre, et le législateur a pensé qu'il fallait assurer avant tout
l'indépendance de la parole devant les Chambres et les tribu-
naux. L'intérêt général voulait que les représentants du pays
pussent parler en toute liberté, sans être arrêtés par la crainte
d'être recherchés. D'un autre côté, la liberté de la défense
devant les tribunaux aurait été incomplète si l'accusé, qui dé-
fend son honneur, sa fortune ou sa liberté, avait été empêché
de dire la vérité par la crainte de blesser ou son adversaire ou
même un tiers. De là deux immunités, fort importantes, que les
lois sur la presse n'ont jamais manqué de reproduire depuis la
Restauration.
193. Ne donnent ouverture à aucune action les discours
tenus dans le sein de l'une ou de l'autre des deux Chambres,
ainsi que dans les rapports ou tous, autres documents publiés
par ordre de l'une des deux Chambres 2.
La même immunité ne s'applique pas aux discours qui seraient
tenus dans les séances des conseils généraux des conseils mu-
,
nicipaux et autres assemblées. L'intérêt général n'exigeait pas
un sacrifice aussi étendu du droit des particuliers et, d'un autre
côté les assemblées locales sont loin d'offrir les mêmes garan-
,
ties que les Chambres législatives. Les orateurs des Chambres
parlent sous l'autorité d'un président qui ne manquerait pas de
rappeler les orateurs au respect soit de leurs collègues, soit des
personnes qui ne sont pas présentes pour se défendre. Le légis-
1Art. 39 de la loi du 29 juillet 1881.
2 Mais l'immunité parlementaire ne fait pas obstacle au droit de réponse

consacré par l'article 13 de la loi. C. de Dijon, 29 mars 1882 (D. P. 1882, II,
135).
150 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.
lateur a pensé aussi que des orateurs parlant sur des questions
si hautes et devant un public si nombreux ne feraient pas des-
cendre des débats de cette importance à de misérables person-
nalités, surtout à des imputations diffamatoires ; il a pu espérer
que l'impression produite par de pareilles déviations, avertirait
l'orateur de son égarement et, au besoin, serait une réparation
pour la personne diffamée. Enfin, en admettant que toutes ces
prévisions fussent en défaut, le nombre des infractions serait si
petit, que l'intérêt général devrait prévaloir. Aucune de ces
garanties ne se trouve dans les assemblées locales, et il était à
craindre qu'au milieu des petites rivalités de village la discus-
sion, si elle était affranchie de toute responsabilité, ne dégénérât
souvent en attaques personnelles. La diffamation y aurait été fré-
quente et ce qui n'était qu'une rare exception à redouter pour
les discussions des Chambres serait devenu presque la règle
pour les petites assemblées. Aussi les amendements tendant à
l'extension de l'immunité parlementaire ont-ils été rejetés 1.
191. Le compte rendu des débats partementaires participe
de l'immunité des orateurs. « Ne donnera lieu à aucune action
le compte rendu des séances publiques des deux Chambres
fait de bonne foi dans les journaux » (art. 41, § 2). La loi
n'exige pas que le compte rendu soit fidèle, mais seulement
qu'il soit fait de bonne foi. Même fait de mauvaise foi, il ne

1 Au Sénat, M. Demole avait proposé un amendement d'après lequel le pré-


venu aurait pu exciper du caractère administratif des discours ou pièces incri-
minées, et sur cette exception le tribunal aurait dû surseoir jusqu'à ce que le
Tribunal des conflits en eût, à la diligence de l'une ou de l'autre des parties,
apprécié le mérite. L'amendement, rejeté par la commission, ne fut pas sou-
tenu par son auteur à la séance publique. M. Pelletan avait, dans son
rapport, combattu l'amendement en ces termes : « Ce mode de procédure
lointaine, dispendieuse, équivaudrait à une véritable immunité. Votre com-
mission a préféré laisser au juge ordinaire le soin de décider ce qui pourra
constituer, suivant les cas, un fait diffamatoire ou l'exercice légitime de la
fonction. » L'amendement de M. Demole avait évidemment été inspiré par
l'arrêt du Conseil d'État du 17 août 1866 (aff. Benoist d'Azy) dont nous par-
lerons plus bas quand nous nous occuperons des conflits. V. Cons. d'État,

arrêt du 7 mai 1871 (D. P. 1872, III, 17), et Tribunal des conflits, jugement
du 28 décembre 1878 (D. P. 1879, III, 56). V. aussi C. cass., Req., 7 juillet
1880 (D. P. 1882, I, 71).
LIBERTÉ DE LA PRESSE. 151
serait puni que s'il renfermait un fait délictueux et, par exemple,
une diffamation ou une injure; car la loi ne prononce pas de
peine contre l'auteur d'un compte rendu infidèle, si l'infidélité
ne constitue pas un délit puni. La simple infidélité, eût-elle été
commise sciemment et de mauvaise foi, est affranchie de toute
pénalité. La loi du 17 février 1852, article 14, punissait la
publication des comptes rendus des séances du Corps législatif
faite contrairement à l'article 42 de la Constitution, d'une
amende très élevée et interdisait (art. 16) de rendre compte
des séances du Sénat autrement que par la reproduction du
Moniteur officiel 1. Cette législation n'exigeait pour frapper ni
la mauvaise foi ni la diffamation ou l'injure résultant de l'in-
fidélité du compte rendu; il suffisait, pour encourir la peine,
de faire un compte rendu autre que le compte rendu officiel.
La sévérité avait même été poussée jusqu'à punir les appré-
ciations et articles critiques des séances comme équivalent à
la publication d'un compte rendu non autorisé.
L'article 41 de la loi du 29 juillet 1881 accorde l'immunité
aux comptes rendus faits de bonne foi, dans les journaux.
Pourquoi cette limitation aux journaux? C'est que, ces publi-
cations étant faites pour informer le public, la reproduction
qu'elles font des débats parlementaires fait partie des devoirs
de la profession de journaliste. La publication isolée de la
séance d'un jour n'avait pas droit à la même protection parce
qu'elle n'a pas un caractère professionnel, et qu'elle pourrait
n'être faite qu'avec le dessein de nuire aux personnes diffamées
dans un discours parlementaire.
L'immunité s'étend aux documents officiels publiés par les
Chambres et notamment aux rapports des commissions par-

1 Art. 42 de la Constitution du 14 janvier 1852 : « Le compte rendu des


séances du Corps législatif par les journaux ou tout autre moyen de publica-
tion ne consistera que dans la reproduction du procès-verbal dressé, à la fin
de chaque séance, par les soins du Président du Corps législatif. »
Cet article avait été modifié par le sénatus-consulte du 2 février 1861, qui
institue, pour les débats du Sénat et du Corps législatif, un compte rendu
sténographique.
L'amende prononcée par l'article 14 de la loi du 17 février 1852 était de
mille à cinq mille francs.
152 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

lementaires, s'ils sont publiés par ordre de l'une des Chambres;


mais elle ne couvrirait ni un pétitionnaire dont la pétition
contiendrait une diffamation, ni l'auteur d'une protestation
adressée à la Chambre contre une élection si elle contenait
une imputation diffamatoire , ni le député qui répéterait en
dehors du Parlement, dans une réunion politique, les discours
qu'il avait prononcés à la Chambre 1.
195. Les droits de la défense devant les tribunaux ont
fait établir une immunité semblable pour les discours pro-
noncés ou mémoires produits en justice : « Ne donneront lieu
à aucune action en diffamation, outrage ou injure, ni le compte
rendu fidèle fait de bonne foi des débats judiciaires, ni les
discours prononcés ou les écrits produits devant les tribunaux »
(art. 41, § 3).
Il y a dans cette disposition une expression difficile à expli-
quer. L'article accorde l'immunité au compte rendu fidèle fait
de bonne foi. Il semble que si le compte rendu est fidèle,
cela doit suffire et qu'il n'y a pas à exiger la bonne foi; car
s'il est fidèle comment serait-il de mauvaise foi? Évidemment
la loi n'a entendu punir que le compte rendu infidèle et fait
de mauvaise foi, et c'est ce qu'elle a voulu dire sous cette forme
défectueuse. Les deux conditions peuvent être séparées quand
il s'agit d'un compte rendu infidèle; il peut être publié avec
bonne ou avec mauvaise foi. Mais la séparation est impossible
si on suppose un compte rendu fidèle, la mauvaise foi étant
incompatible avec la fidélité de la reproduction.
196. L'immunité des discours prononcés ou écrits produits
devant les cours et tribunaux n'est pas aussi étendu que celles
dont jouissent les discours prononcés devant les Chambres.
Les tribunaux peuvent, en statuant sur le fond, prononcer
la suppression des discours injurieux, outrageants ou diffa-
matoires et même condamner à des dommages-intérêts. Les
juges peuvent aussi, dans ce cas, faire des injonctions aux
avocats et officiers ministériels, même leur infliger une sus-
pension qui ne peut pas excéder deux et six mois en cas de

1 Orléans, 31 mai 1847 (D. P. 1847, II, 161), et Bourges, 1er avril 1881.
LIBERTÉ DE LA PRESSE. 153
récidive dans l'année. Les tribunaux apprécient si les droits
de la défense ont été dépassés et, en cas d'excès, ils pronon-
cent soit des dommages-intérêts contre la partie soit des peines
disciplinaires contre les avocats ou les avoués.
193. Les tribunaux pourraient aussi, au lieu de condamner,
réserver aux parties soit l'action publique, soit l'action civile.
En ce cas, les parties auront le droit d'agir en diffamation,
outrage ou injure comme si l'immunité n'existait pas et l'action
doit être portée non devant le tribunal qui a connu de l'affaire,
mais devant le tribunal qui serait compétent d'après les règles
ordinaires. Cette conclusion résulte du rejet d'un amende-
ment qui proposait d'attribuer la compétence pour les actions
au tribunal qui avait connu de l'affaire 1.
198. Quant aux personnes étrangères au procès, il n'est
point nécessaire que le tribunal leur réserve l'action, cette
réserve étant toujours de droit. L'immunité de la défense ne
pouvait pas aller jusqu'à permettre d'attaquer les tiers qui,
n'étant pas présents, ne pouvaient pas se défendre. Aussi ont-ils
le droit d'agir en diffamation, outrage ou injure comme si les
faits s'étaient passés ailleurs que devant un tribunal et, par con-
séquent, alors même qu'il n'y aurait dans le jugement ou
l'arrêt aucune réserve à leur profit.
Mais que faut-il entendre par tiers au point de vue de cette
disposition? Le tiers est celui qui n'est pas partie au procès;
alors même qu'il serait présent à l'audience; il n'est pas néces-
saire, pour qu'il ait le droit d'agir, qu'il ait fait réserver son
action par le tribunal. Le conseil d'une partie présent à la
barre, les magistrats qui jugent et les experts qui ont fait un
rapport sont des tiers et nous pensons, bien que le contraire
ait été décidé, que les avocats et avoués de la cause devraient
aussi être considérés comme des tiers pour la poursuite des
imputations diffamatoires dont ils seraient l'objet 2.
199. Une disposition de la loi du 29 juillet 1881 défend
1 A peine d'un emprisonnement de huit jours à six mois et d'une amende
de 100 francs à 1,000 francs ou de l'une de ces deux peines seulement.
2 De Grattier, 1, 272.
154 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

d'ouvrir et d'annoncer publiquement des souscriptions ayant


pour objet d'indemniser des amendes, frais et dommages-in-
térêts prononcés par des condamnations en matière criminelle
et correctionnelle 1. Cette interdiction avait déjà été prononcée
par la loi du 27 juillet 1849, article 5, et même antérieurement
par la loi du 9 septembre 1835. La nouvelle loi a seulement
abaissé la peine 2.
Ce qui est interdit, c'est d'annoncer publiquement la sous-
cription. La publicité est ce qui constitue l'infraction et non
la souscription elle-même qui est permise si elle n'est pas an-
noncée publiquement. Quant à la publicité, la loi ne disant
pas qu'elle résultera de la publication par la voie des journaux,
il faudra considérer tout acte patent et notoire provoquant à la
souscription comme suffisant pour entraîner l'application de
la peine 3.
200. De la répression et des poursuites. — La loi s'oc-
cupe d'abord de déterminer quelles personnes sont responsables
et contre qui on peut agir. Cette question résolue, elle fixe la
compétence des juridictions et la procédure à suivre.
201. Quelles personnes sont responsables et contre qui
peut-on agir? La loi a établi l'ordre dans lequel seraient res-
ponsables les personnes qui concourent à la publication. Les
personnes qu'elle énumère ne sont pas simultanément res-
ponsables, mais successivement et à défaut les unes des autres.
Ce sont : 1° les gérants ou éditeurs; 2° à leur défaut, les auteurs;
3° à défaut des auteurs, les imprimeurs; 4° à défaut des im-
primeurs, les vendeurs, distributeurs et afficheurs (art. 42).
Si les gérants ou éditeurs sont inconnus, les auteurs seront
poursuivis comme auteurs principaux. Mais la loi ne veut pas
que ceux-ci soient impunis même dans le cas où les gérants et
éditeurs sont en cause. Les auteurs seraient alors poursuivis

1 Art. 40.
2 Huit jours à six mois de prison et amende de 100 à 1,000 francs ou
l'une de ces deux peines seulement.
3 Nous ne croyons pas que la prohibition de l'art. 40 fût applicable à la
souscription ouverte pour faire les frais d'un appel ou d'un pourvoi en cassa-
tion : Douai, 23 août 1847 (D. P. 1847, II, 214) et Chassan, 1, 231.
LIBERTE DE LA PRESSE. 155
comme complices, et, en effet, non-seulement ils ont composé
l'article mais concouru à la publication ; car en livrant l'article
et en ne le retirant pas, ils ont par leur consentement persis-
tant rendu la publication possible.
302. Seraient également punissables comme complices
toutes personnes qui auraient concouru à la publication dans
les conditions de droit commun, c'est-à-dire par un des moyens
que prévoit l'article 60 du Code pénal. Cependant l'imprimeur
qui se borne à prêter ses presses et qui fait le travail matériel
sans se rendre compte du but que poursuivaient les éditeurs ou
auteurs, n'est pas considéré comme complice. Il n'y a d'ex-
ception que dans le cas prévu par l'article 6 de la loi du 7 juin
1848 sur les attroupements. Cet article, qui n'est pas abrogé,
punit les imprimeurs s'ils ont sciemment concouru, par l'impres-
sion au fait de provocation à un attroupement.
,
Il est évident, sans qu'il soit besoin de le démontrer, que si
l'imprimeur, dépassant les limites du travail matériel, avait, en
dehors de sa profession, participé à une publication d'écrits
punissables, il serait complice. Comme il ne serait plus, en ce
cas, poursuivi à titre d'imprimeur, l'article 43 de la loi ces-
serait de le protéger.
203. La responsabilité pécuniaire des propriétaires de jour-
naux ou écrits périodiques a donné lieu à de longs débats.
Les déclarer responsables des condamnations prononcées contre
les gérants ou auteurs, serait souvent frapper à faux. Car le
propriétaire peut être un mineur ou tout autre incapable, un
héritier qui, pour administrer sa fortune, est obligé de gar-
der la direction du journal, d'en conserver l'esprit, d'en
maintenir les gérants ou rédacteurs. Ce journal est peut être
l'unique propriété transmise par son père et, s'il la détruit
par fidélité à ses convictions, il perdra toute fortune au grand
détriment de sa famille. Aussi la loi n'a-t-elle pas disposé
que les propriétaires seraient responsables des condamnations
pécuniaires prononcées contre ceux que la loi punit comme
auteurs principaux ou complices du délit de publication. Ils
ne le sont que conformément aux articles 1383 et 1384 du
Code civil. Si le gérant est leur préposé, s'ils peuvent le
156 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

nommer ou le révoquer, on comprend que la responsabilité


les atteigne. Mais si, au contraire, le gérant qui exploite
le journal est simplement un locataire, si, à la condition de
payer son loyer, il vit à l'égard du propriétaire dans les rela-
tions d'une entière indépendance, celui-ci n'ayant pas de pou-
voirs, ne doit pas encourir de responsabilité pécuniaire, les
articles 1383 et 1834 n'étant pas applicables. « La propriété
d'un journal, disait le rapporteur au Sénat, peut se constituer
de bien des façons diverses ; elle peut appartenir à un ou
plusieurs individus, à des sociétés de caractères différents
dans lesquelles la participation des intéressés, tant à la pro-
priété elle-même qu'à la direction et au contrôle, sera plus
grande ou plus restreinte, plus active ou plus efficace. Dans
tous ces cas divers, la responsabilité prévue par cet article
sera celle qui résulte du droit commun et elle se mesurera
conformément aux règles de nos lois civiles et commerciales.
Le propriétaire ou les propriétaires ont-ils commis une faute
ou une négligence dommageable, les articles 1382 et 1383
du Code civil les atteindront. Ils répondront aussi des condam-
nations prononcées contre le gérant dans le cas où celui-ci
aurait le caractère de préposé dans le sens de l'article 1384.
C'est pour préciser la portée du principe de responsabilité
posé par la Chambre que votre commission a ajouté ces mots :
« conformément aux articles 1382, 1383 et 1384 du Code
civil 1. »
204. De la compétence. — En principe, et sauf les excep-
tions faites expressément, les délits de presse doivent être
poursuivis devant la Cour d'assises. La presse étant l'expres-
1 Rapport de M. Eugène Pelletan. L'addition fut faite sur la proposition
à la commission qui l'accepta, par une sous-commission composée de MM.
Batbie, Griffe et Millaud. Le rapporteur de la Chambre des députés (M. Lis-
bonne; ne paraît pas en avoir compris le sens lorsque, dans son rapport sup-
plémentaire, il dit : « Le projet qui vous est renvoyé, reconnaît le principe
de la responsabilité des propriétaires ; mais tandis que la disposition votée
par vous déclarait les propriétaires responsables d'une manière absolue,
celle que le Sénat propose fait dégénérer la règle en une question d'espèce. »
— Le rapporteur aurait dû voir et dire que le principe du Sénat n'était pas
le même que celui de la Chambre des députés. A la responsabilité absolue
LIBERTE DE LA PRESSE. 157
sion de l'opinion publique, la loi veut que la répression soit faite
par le jury, c'est-à-dire par des juges qui se renouvellent et
reçoivent les impressions de cette opinion. Le législateur a
pensé que la loi ne devait pas être appliquée d'une manière
inflexible par une magistrature permanente, et qu'il ne conve-
nait pas de frapper sans tenir compte de l'opinion publique,
cette opinion faisant, d'après ses mouvements, qu'un article est
dangereux ou inoffensif. Mais il faut reconnaître que cette juri-
diction, si elle a quelque avantage, a de grands inconvénients.
C'est le hasard qui choisit les jurés et il arrivera souvent
que le tirage au sort ne donnera pas l'expression de l'opinion
publique. Il pourra même extraire de l'urne douze personnes
dont la majorité sera en opposition avec l'opinion dominante.
Ces jurés sont mobiles, et n'ayant pas de responsabilité pro-
fessionnelle ni d'aucune espèce, ils seront, suivant leur ca-
ractère, ou trop indulgents ou trop sévères, tandis que des
juges permanents, ayant à s'occuper de leur bonne renommée,
s'attachent à être justes. Aussi peut-on considérer le jury en
matière de presse comme une juridiction sans direction et
sans solidité, flottant entre une indulgence excessive et une
rigueur extrême, suivant les mouvements de l'opinion ou lut-
tant contre l'opinion sans plus de raison dans un sens que
dans l'autre, n'ayant ni tradition ni responsabilité.
205. « Les tribunaux de police correctionnelle sont com-
pétents dans les cas énumérés par l'article 45, § 2. Ces excep-
tions se divisent en deux catégories : 1° les contraventions en
matière de presse, c'est-à-dire les infractions qui sont punissa-
bles bien qu'elles soient commises sans intention, mais qui sont

des propriétaires, le Sénat a substitué la responsabilité de droit commun,


c'est-à-dire celle qu'on encourt par sa faute ou celle de son préposé. M. Lis-
bonne veut que le gérant soit toujours le préposé du propriétaire; le Sénat
veut que le gérant soit traité comme préposé seulement quand il l'est. Il est
vrai que c'est là'une question de fait à vérifier; mais précisément le Sénat
n'a pas voulu adopter une règle inflexible et uniforme pour des cas différents.
M. Lisbonne paraît croire qu'on
a gâté son oeuvre en lui enlevant quelque
chose de sa simplicité. Mais il importe plus d'être juste que d'être simple et
la rédaction adoptée
par le Sénat, fût-elle moins élégante, est cependant
meilleure si elle est plus conforme à l'équité.
158 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

punies de peines plus fortes que celles de simple police; 2° cer-


tains délits qui impliquent l'intention criminelle, mais dont
la répression est urgente et ne pouvait pas être confiée à des
juges trimestriels.
Les infractions aux articles qui exigent le dépôt d'exem-
plaires à la préfecture et au parquet sont des contraventions
qui doivent être déférées aux tribunaux de police correction-
nelle. Le délit de diffamation ou d'injure, quand il est commis
contre les particuliers, est aussi de la compétence de la police
correctionnelle, tandis que la diffamation ou l'injure adressées
aux corps constitués est de la compétence de la cour d'assises.
Le premier ne peut pas, atteignant un particulier, être consi-
déré comme un délit d'opinion. Ce ne pouvait être qu'un délit
de droit commun qu'il convenait de soumettre à ses juges
ordinaires. A un autre point de vue, on ne pouvait pas obli-
ger des particuliers, pour obtenir réparation, à attendre la
réunion des assises. Une juridiction permanente était mieux
en mesure de protéger le droit individuel en réprimant, sans
retard, les atteintes à la considération d'un particulier diffamé
ou injurié.
206. La loi renvoie même au juge de simple police cer-
taines contraventions qui sont punies de peines inférieures à
six jours d'emprisonnement et à 16 fr. d'amende 1.
207. Les crimes et délits commis par la voie de la presse
donnaient lieu, comme tous autres crimes ou délits, à deux
actions, l'une publique tendant à l'application de la peine;
l'autre civile en dommages et intérêts. Ces deux actions peuvent,
on principe , être intentées ou conjointement devant le tribunal
criminel ou séparément, l'une devant les juges criminels, l'autre
devant le tribunal civil. La loi fait une exception pour l'action
en diffamation dans les cas où le prévenu est admis à faire la
preuve des faits diffamatoires : en ce cas, l'action civile ne peut
pas être poursuivie séparément de l'action publique. Cepen-
dant si l'action publique était éteinte soit par le décès du pré-
1 Art. 45, § 3. « Sont exceptées et renvoyées devant les tribunaux de
simple police les contraventions prévues par les articles 2, 15, 17 § 1 et 3,
21 et 33 § 3 de la présente loi.
LIBERTÉ DE LA PRESSE. 159
venu soit par l'effet d'une amnistie, l'action civile pourrait
être portée devant le tribunal civil, en supposant bien entendu
qu'il n'y eût pas prescription.
Cette exception n'est pas nouvelle; elle date de 1848 (dé-
cret du 22 mars 1848) et elle avait été reproduite dans la loi
du 15 août 1871, art. 4. Elle a été faite pour déjouer le moyen
qu'employaient les fonctionnaires en vue d'échapper à la preuve.
Ils évitaient de citer en police correctionnelle où le prévenu
pouvait se défendre en offrant de prouver la vérité des faits
diffamatoires, et assignaient devant le tribunal civil en répara-
tion du préjudice. A l'action en dommages-intérêts le prévenu
ne pouvait pas répondre de la même manière; car, même en
établissant la réalité des faits, il ne démontrait pas l'inexis-
tence du préjudice. C'est pour donner satisfaction aux vives
réclamations qu'avait fait naître la séparation des deux actions
que fut édictée la disposition qui se retrouve dans l'article 46.
SOS. Dans les cas où, par suite de décès ou d'amnistie,
l'action civile peut être poursuivie séparément, le prévenu pour-
rait-il, devant le tribunal, offrir la preuve des faits diffama-
toires? Nous n'apercevons pas pour quel motif la position du
prévenu serait si profondément modifiée par la circonstance
accidentelle qui permet l'action séparée. Il doit pouvoir dire,
quand on l'actionne en dommages-intérêts : « Feci sed jure
feci. » Ce qui démontre qu'il a usé d'un droit en dénonçant
les faits, c'est qu'en prouvant il aurait échappé à la peine et
que l'acquittement aurait entraîné le rejet tant de l'action
civile que de l'action publique (art. 58 de la loi du 29 juillet
1881).
209. De la procédure. — La poursuite' des injures et diffa-
mations commises par la voie de la presse appartient, en prin-
cipe, au ministère public. Mais comme il pourrait y avoir des
inconvénients à poursuivre la répression contre le gré des per-
sonnes intéressées, la loi a fixé les conditions auxquelles, dans
certains cas, pourrait être faite la poursuite. S'agit-il de diffa-
mation ou d'injure contre les tribunaux et autres corps consti-
tués la loi exige une délibération prise en assemblée générale
,
et requérant les poursuites, ou, si le corps n'a pas d'assemblée
160 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

générale, une plainte soit du chef du corps, soit du ministre


duquel ce corps relève. Pour les diffamations ou injures contre
un ou plusieurs membres des Chambres, l'action ne peut avoir
lieu que sur la plainte des parties. Pour les chefs d'États étran-
gers et agents diplomatiques, le ministère public peut agir,
soit à leur requête, soit d'office sur leur demande adressée au
ministre des affaires étrangères et transmise par celui-ci au
ministre de la justice.
210. Quand il s'agit de fonctionnaires, dépositaires ou
agents de l'autorité publique autres que les ministres, de mi-
nistres des cultes salariés par l'État, de citoyens chargés d'un
mandat permanent ou temporaire, la poursuite peut avoir lieu
soit sur leur plainte, soit d'office sur la plainte du ministre
duquel ils relèvent. S'il s'agit de diffamation envers un témoin
ou un juré, la poursuite ne peut avoir lieu que sur la plainte
du témoin ou du juré. Mais de plus, dans les cas dont il est
question dans ce paragraphe, les parties intéressées ont le
droit de citer directement, devant la cour d'assises, l'auteur de
la diffamation ou de l'injure. Sur sa requête, le président de
la cour d'assises fixera le jour et l'heure auxquels l'affaire sera
appelée 1.
211. La citation doit contenir l'indication précise des écrits,
des imprimés, placards, dessins, gravures, peintures, mé-
dailles, emblèmes, des discours ou propos publiquement pro-
férés qui sont l'objet de la poursuite, ainsi que de la qualifica-
tion des faits. Elle doit aussi indiquer les textes de la loi
invoqués à l'appui de la demande.
Si la citation est à la requête du plaignant, elle porte en
outre copie de l'ordonnance du président et élection de domicile
dans le lieu où siège la cour d'assises. La citation est notifiée
tant au prévenu qu'au ministère public. Toutes ces formalités
sont prescrites à peine de nullité (art. 50).
212. L'indication du texte sur lequel s'appuie la poursuite
est suffisamment faite par l'indication de l'article de la loi, et
il n'est point nécessaire que les termes mêmes de la disposition

1 Art. 47, §§ 3° et 4°.


LIBERTÉ DE LA PRESSE. 161

soient reproduits. Mais il faut que l'indication soit précise et


certaine ; on ne pourrait pas, par des conclusions postérieures,
rectifier les énonciations de la citation ni indiquer des textes
nouveaux.
213. Afin que le prévenu ait le temps de préparer sa dé-
fense la loi veut que la citation et la comparution soient sé-
,
parées par un délai de cinq jours, plus un jour par cinq myria-
mètres de distance (art. 51). Mais, en matière de diffamation,
la loi a exigé un délai plus long à cause de la faculté qui
appartient au prévenu, dans un grand nombre de cas, de faire
la preuve des faits diffamatoires. Il faut alors réunir les preuves,
faire connaître les témoins qu'on se propose d'appeler. La loi
veut que dans les cinq jours qui suivront la citation le prévenu
fasse notifier, tant au ministère public qu'au plaignant en son
domicile élu : 1° les faits articulés et qualifiés dont le prévenu
entend faire la preuve; 2° la copie des pièces; 3° les noms,
professions et demeures des témoins par lesquels il entend faire
la preuve.
Cette notification doit aussi contenir une élection de domicile
dans le lieu où siège la cour d'assises, à peine d'être déchu
du droit de faire la preuve (art. 52).
Dans les cinq jours suivants, le plaignant ou le ministère
public, suivant les cas, sera tenu de faire signifier au prévenu,
au domicile par lui élu, la copie des pièces et les noms, pro-
fessions et demeures des témoins par lesquels il entend faire
la preuve contraire. Ni les pièces ni les témoins ne pourraient
être produits si la notification n'en avait pas été faite dans le
délai de la loi. Le président devrait s'opposer à la lecture des
pièces dont la copie n'aurait pas été signifiée et ne permettrait
pas l'audition des témoins dont les noms et demeures n'au-
raient pas été notifiés (art. 53).
SU. Si le prévenu ne comparaît pas au jour fixé par la
citation, il est condamné par défaut par la cour d'assises,
sans assistance ni intervention des jurés. — Dans les cinq
jours de la notification au prévenu ou à son domicile de l'ar-
rêt par défaut, outre un jour par cinq myriamètres le pré-
,
venu peut former opposition. L'opposition doit être notifiée
B. — II. 11
162 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

tant au ministère public qu'au plaignant; elle a pour effet de


tout remettre en question comme s'il n'y avait pas eu condam-
nation. L'opposition vaut citation à la première audience utile.
On entend par audience utile celle où les débats pourront s'ou-
vrir régulièrement parce que les délais de la loi seront expirés.
L'audience utile est donc celle qui se tient cinq jours après
l'opposition ou, s'il s'agit de diffamation, douze jours après.
Faute de former opposition ou, l'opposition faite, faute de com-
paraître par lui-même au jour fixé, l'opposition est non avenue
et l'arrêt par défaut devient définitif (art. 56).
215. La loi n'a pas voulu que le prévenu, après s'être
présenté, pût faire défaut, parce que la composition du jury
lui semblerait défavorable. Cet abandon tardif de l'audience,
ce refus de se défendre en présence d'un tribunal constitué,
serait une marque de défiance qui ne devait pas être tolérée
pour la dignité même de la justice. C'est pour cela qu'il est
interdit au prévenu de faire défaut lorsqu'il a assisté à l'appel
des jurés. S'il se retirait ou refusait de se défendre, les arrêts
qui seraient rendus soit sur la forme, soit sur le fond, n'en
seraient pas moins définitifs. Aussi la cour procéderait-elle,
avec l'assistance des jurés, comme s'il s'agissait d'un débat
contradictoire (art. 55).
Que faut-il entendre par appel des jurés? L'article 399, §§ 1
et 2 du Code d'instruction criminelle porte que, pour chaque
affaire, il est procédé à l'appel des jurés non dispensés, et
que leurs noms sont déposés dans une urne, après quoi, il
est procédé au tirage au sort. La loi dit (art. 55) que la pré-
sence à l'appel des jurés suffit pour donner au débat un carac-
tère contradictoire, alors même que le prévenu se retirerait
pendant le tirage au sort 1.

1 MM. Faivre et Benoît-Lévy entendent l'appel des jurés dans le sens de


tirage au sort (Code manuel, p. 246). Nous ne voyons pas qu'il y ait un
motif sérieux de changer le sens des mots qui sont employés par la loi. On
peut citer cependant, à l'appui de cette opinion, un passage du rapport de
M. Lisbonne, rapporteur à la Chambre des députés : « Le prévenu ne
pourra plus faire défaut, quand bien même il se fût retiré, pendant le tirage
au sort, et non pas seulement après l'accomplissement intégral de cette
LIBERTÉ DE LA PRESSE. 163
L'appel des jurés est un moment dont l'importance est
grande à un autre point de vue. La loi veut que toute demande
de renvoi, pour quelque cause que ce soit, tout incident sur
la procédure suivie, soient présentés avant l'appel des jurés,
à peine de forclusion (art. 54). Pour les incidents comme pour
le caractère contradictoire des débats, il faut donner le même
sens aux mots appel des jurés. Il s'agit, suivant notre avis,
dans l'article 54 comme dans l'article 55, de l'appel qui est
fait, avant le tirage, des noms qu'on met dans l'urne et non
de l'appel des noms qui sortent de l'urne 1.
216. Si le prévenu est déclaré coupable par le jury, la
cour prononce la peine et, sur les conclusions du plaignant,
lorsqu'il est partie civile, condamne à des dommages-intérêts,
s'il y a lieu. Mais qu'arriverait-il si le jury acquittait le pré-
venu? L'action civile en dommages-intérêts est-elle encore de-
bout après la réponse négative du jury? Pour les crimes et
délits de droit commun, l'acquittement ne fait pas obstacle à la
condamnation à des dommages-intérêts. L'acquittement a pu être
déterminé par le défaut d'intention et l'absence de cet élément
constitutif du crime ou du délit n'empêche pas qu'il n'y ait un
fait dommageable causé par la faute du prévenu ou de l'accusé.
Aussi l'acquittement n'emporte pas l'action civile. Il en est au-
trement en matière de presse (art. 58). Le prévenu acquitté est
renvoyé sans dépens ni dommages-intérêts. Il peut, au con-
traire, demander des dommages contre le plaignant, et ce sont
les seuls dommages sur lesquels la cour ait à statuer en cas
d'acquittement par le jury. Il y a là une dérogation au droit com-

opération (p. 137 du rapport). » Mais le texte dit l'appel des jurés, ce qui
est l'opération préparatoire du tirage et non le tirage au sort du jury. Il
suffit, d'après le texte, que le prévenu soit présent à l'appel. Il n'est pas
nécessaire que le tirage ait commencé. Notre opinion est confirmée par un
argument que fournit la différence de rédaction entre la loi du 27 juillet
1849, article 19, et l'article 55 de la loi de 1881. L'article 19 de la loi de
1849 était ainsi conçu : « Après l'appel et le tirage au sort des jurés, le pré-
venu, s'il a été présent à ces opérations, ne pourra plus faire défaut. » Or,
les rédacteurs de l'article 55 ont supprimé les mots
« tirage au sort » et
n'ont parlé que de l'appel des jurés.
1 V. la note à la
page précédente.
164 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

mun et une innovation considérable (art. 358 et 359 I. cr.). On


a considéré que le délit de presse est un délit d'opinion, que
l'acquittement est la preuve de l'inexistence du délit et que le
prévenu acquitté est censé avoir usé de son droit : Feci sed
jure feci. La raison principale, celle qui n'a pas été dite, c'est
que la compétence du jury serait facilement détruite si à l'ac-
quittement survenait l'action civile. « Des journalistes, dit
M. Lisbonne dans son rapport, acquittés par le jury, ont expié
le délit qu'ils n'avaient pas commis par des condamnations à
des dommages-intérêts, qui excédaient le minimum des amen-
des prononcées par la loi 1. » L'acquittement prononcé par le
jury serait inefficace si la cour pouvait reprendre le prévenu
par une condamnation à des dommages-intérêts.
213. Il n'y a pas de procédure spéciale en matière de
délits de presse devant les tribunaux de police correctionnelle.
Lorsque les juges correctionnels sont compétents, il y a lieu
de suivre les règles du Code d'instruction criminelle (Liv. II,
tit. 1er, ch. 2). Cette règle, si simple qu'elle soit, donne cepen-
dant lieu à difficulté lorsque les directeurs et administrateurs
de compagnies financières poursuivent l'auteur d'un article
diffamatoire et que le prévenu demande à faire la preuve. Le
tribunal correctionnel est compétent, puisque la personne diffa-
mée et plaignante est un simple particulier. Mais l'offre de
prouver étant faite en vertu de la loi sur la presse (art. 35),
y a-t-il lieu de suivre la procédure et les délais fixés pour la
poursuite devant la cour d'assises? C'est par l'extension à la
police correctionnelle de la procédure à suivre, en cette ma-
tière que la jurisprudence a comblé la lacune qui se trouve
,
dans la loi sur la presse 2. Ainsi la preuve n'est admise que
si elle a été offerte par le prévenu et à la charge par lui de
notifier, dans les formes et les délais voulus, les faits dont
il entend prouver la vérité, la copie des pièces et les noms
et demeure des témoins (art. 52).

1 Rapport, p. 139.
2 C'est ce qui a décidé la Cour de cassation, ch. cr., arr. du 29 juin 1882
(D. P. 1882, I, p. 383 et 384).
LIBERTÉ DE LA PRESSE. 165
218. Dans les cas où le juge de simple police est compétent
pour connaître des contraventions en matière de presse, la
poursuite a lieu aussi conformément aux règles prescrites par
le Code d'instruction criminelle (Liv. II, ch. 2 du titre 1er).
819. Le prévenu et la partie civile, quant à ses intérêts
civils, ont le droit de se pourvoir en cassation (art. 61). Ce
droit n'appartient pas au ministère public, en cas d'acquitte-
ment, et le prévenu, même s'il y avait violation de la loi, serait
définitivement libre de la poursuite, sauf le pourvoi que peut
ordonner le ministre de la justice, mais seulement dans l'intérêt
de la loi. '
Le pourvoi doit être fait dans les trois jours qui suivent le
jugement ou l'arrêt par déclaration au greffe du tribunal ou
de la cour. Les pièces seront envoyées dans les 24 heures
après la déclaration, à la Cour de cassation qui jugera dans
les dix jours qui suivront la réception (art. 62). Il n'y a lieu
ni à consignation d'amende ni à constitution du condamné en
prison (art. 61).
La fixation du délai de dix jours n'est qu'une indication pour
la Cour de cassation et son expiration sans jugement n'entraîne-
rait aucune forclusion. Le texte de la loi fournirait seulement
un motif pour rappeler la Cour à l'observation d'une prescrip-
tion légale.
En matière de presse, le pourvoi en cassation est suspensif1.
220. L'aggravation des peines résultant de la récidive n'est
pas applicable aux infractions prévues par la loi sur la liberté
de la presse (art. 63, § 1er). La loi du 17 mai 1819 portait que
l'aggravation résultant de la récidive pourrait être appliquée
en matière de presse (art. 25), et un article (art. 10) permettait
d'élever les amendes au double et même au quadruple. C'était
l'aggravation facultative et non l'aggravation qui, d'après le
Code pénal, est obligatoire
en droit commun. Mais notre loi a
fait un pas de plus en supprimant toute aggravation même fa-
cultative.
221. En cas de conviction de plusieurs crimes ou délits
1 Cass., 30 septembre 1844.
166 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

prévus par la loi de la presse, les peines ne se cumulent pas


et la plus forte est seule prononcée. C'est l'application à cette
matière spéciale de l'article 365 du Code d'instruction crimi-
nelle et ce retour au droit commun était nécessaire en présence
de la jurisprudence. La Cour de cassation décidait, en effet,
que la règle du non-cumul était exclusivement applicable aux
délits prévus par le Code pénal et ne devait pas être étendu
aux infractions punies par des lois spéciales 1.
888. L'article 463 du Code pénal est applicable à tous les
cas prévus par la loi sur la presse. L'effet des circonstances
atténuantes est de réduire de moitié la peine édictée par la loi ;
mais cette réduction obligatoire est un maximum et la cour
pourrait abaisser la peine au-dessous de cette limite, conformé-
ment aux distinctions admises par l'article 463. « Vous savez,
disait le rapport de M. Lisbonne, qu'à la différence des cas où
la condamnation prononcée est une peine afflictive ou infa-
mante, lorsque la peine est correctionnelle, l'article 463 n'o-
blige pas le juge à graduer. La peine est une, c'est l'amende
ou l'emprisonnement. L'admission des circonstances atténuantes
par le jury a seulement pour effet de donner à la cour la faculté
de se mouvoir entre le maximum et le minimum de la peine
elle-même, de sorte que la cour d'assises peut ne tenir aucun
compte de cette partie du verdict. Nous avons voulu faire dis-
paraître cette anomalie qui a si souvent surpris les jurés,
affecté l'opinion publique et causé préjudice au prévenu. L'ar-
ticle 64 décide que lorsqu'il y aura lieu de faire l'application
de l'article 463, la peine prononcée ne pourra excéder la moitié
de celle édictée par la loi. C'est une sorte de graduation que
nous avons introduite dans les peines correctionnelles. »
223. Prescription. — L'action publique et l'action civile ré-
sultant des crimes, délits et contraventions punis par la loi sur
la presse se prescrivent par l'expiration du délai de trois mois.
Ce délai fut critiqué pour sa brièveté dans le sein de la commis-
sion du Sénat. Nous fîmes remarquer spécialement, pour les cas
de diffamation, que la personne diffamée pourrait être absente

1 C. cass., ch. cr., arrêt du 18 février 1858.


LIBERTÉ DE LA PRESSE. 167
et qu'à son retour elle apprendrait le fait de diffamation lorsque
le délai de l'action serait expiré. Nous proposâmes de porter
le délai de trois mois à six mois. Il nous fut répondu que les
impressions produites par les articles publiés dans les journaux
passaient vite; qu'avant les trois mois les publications étaient
oubliées et qu'on pouvait, sans inconvénient, abréger le temps
de la prescription. Il y avait même, ajouta-t-on, avantage à
pacifier ces débats et à consacrer l'oubli de l'opinion publique.
Si l'absent ne connaissait que tardivement la diffamation,
pourquoi lui permettre de réveiller ce qui était sorti de toutes
les mémoires?
881. La prescription établie par l'article 65 de la loi sur
la presse est d'ordre public. Si elle n'était pas opposée par le
prévenu, elle devrait être d'office suppléée par le juge 1. Il en
résulte aussi que ce moyen peut être proposé en tout état de
cause et même devant la Cour de cassation pour la première
fois.
885. Le délai de trois mois court du jour où le crime ou
délit a été commis. S'il y avait eu commencement des pour-
suites, la prescription courrait du jour où aurait été fait le der-
nier acte de poursuite. En cas de réimpression, le point de
départ du délai serait la réimpression et non le jour de la
publication primitive 2.
886. Le législateur emploie souvent la formule d'abrogation
qui ne prononce l'abrogation des lois ou décrets antérieurs
« qu'en ce qu'elles ont de contraire à la présente loi. » Cette
formule toujours peu commode, a particulièrement ce défaut en
matière de presse; car le nombre est grand des lois qui ont été
faites depuis 1819 sur les délits commis par écrits ou paroles, et
leur combinaison était devenue un travail fort difficile. Cette dif
ficulté avait été souvent signalée avant la préparation de la loi
nouvelle, car il arrivait souvent que les auteurs, éditeurs ou
imprimeurs tombaient par ignorance et de bonne foi sous le coup
de dispositions qu'ils croyaient abrogées. Les auteurs de la loi

1 Arrêt de Lyon du 10 août 1848 (D. P. 1849, II, 241).


2 C. cass., ch. crim., arr. du 13 décembre 1855 (D. P. 1856, I, 159).
168 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

du 29 juillet 1881 ont voulu rendre facile la connaissance de ses


dispositions et leur application. Aussi l'article 68 abroge les
« édits, lois, décrets, ordonnances, arrêtés, règlements, dé-
clarations généralement quelconques, relatifs à l'imprimerie,
à la librairie, à la presse périodique ou non périodique, au
colportage, à l'affichage, à la vente sur la voie publique et aux
crimes et délits prévus par les lois sur la presse et les autres
moyens de publication, sans que pussent revivre les dispositions
abrogées par les lois antérieures. »
Mais cette abrogation ne doit s'entendre que des lois qui
avaient pour objet principal la réglementation de la presse ;
elle laisse subsister les articles du Code pénal ou du Code de
justice militaire, les lois et dispositions relatives aux sociétés
civiles et commerciales, à la propriété industrielle, littéraire
ou artistique et aux droits du fisc 1.
883. La loi abroge expressément l'article 31 de la loi du
10 août 1871 sur les conseils généraux. Cette disposition, en
vue de maintenir à la discussion des journaux un caractère
de complète impartialité, les obligeait à reproduire le compte
rendu de la séance dont ils voulaient faire l'appréciation. Les
rédacteurs de la nouvelle loi ont pensé qu'il fallait donner à
la presse à l'égard des conseils généraux, la liberté dont elle
,
jouit pour la discussion des débats des Cambres. Le maintien
de cette restriction aurait été difficile à expliquer du moment
que les journaux avaient la plus grande liberté pour apprécier
les débats parlementaires.
228. Nous avons dit plus haut (n° 173) qu'un décret de la
délégation de Tours, en date du 28 décembre 1870 avait dis-
posé que provisoirement les parties pourraient choisir le jour-
nal où seraient inbérées les annonces judiciaires ou légales, à

1 Sont encore en vigueur les articles 1 et 3 de la loi du 18 germinal an X;


le décret du 7 germinal an XIII ; le décret du 20 février 1809 ; la loi du 21
germinal an XI ; la loi du 29 pluviôse an XIII ; les articles 202 à 206, 260 à
264 du Code pénal; la loi du 24 mars 1834, article 9 ; la loi du 7 juin 1848,
article 6 ; la loi du 22 juillet 1879, article 7 ; les articles 419 et 420 du Code
pénal ; le décret du 2 février 1852, articles 39, 50, 45 ; la loi du 25 mai 1836
(loteries).
LIBERTÉ DE LA PRESSE. 169
la condition seulement que toutes les annonces concernant une
procédure seraient faites dans le même journal. Mais ce décret
n'ayant été promulgué que clans les départements, Paris est
encore régi, en attendant que soit faite la loi spéciale que le
gouvernement s'est engagé à présenter, par la loi du 17 février
1852, art. 23. Cette disposition doit donc être considérée comme
étant en vigueur, la loi du 29 juillet 1881 ayant renvoyé cette
matière à une loi spéciale. Nous croyons qu'il peut y avoir
utilité, au point de vue pratique, à rendre compte de difficul-
tés qui se sont élevées sur l'interprétation de la loi de 1852,
ces difficultés pouvant se renouveler, bien que les circonstances
de fait ne puissent pas être exactement les mêmes 1, clans la
partie du territoire où la loi ancienne est encore suivie.
Art. 23. « Les annonces judiciaires exigées par les lois pour
la validité ou la publicité des procédures ou des contrats seront
insérées, à peine de nullité de l'insertion, dans le journal ou les
journaux de l'arrondissement qui seront désignés chaque année
par le préfet. A défaut du journal dans l'arrondissement, le
préfet désignera un ou plusieurs journaux du département. Le
préfet réglera, en même temps, le tarif de l'impression de ces
annonces. »
889. Dans plusieurs départements où se publiaient des jour-
naux d'arrondissement, les préfets ont pris des arrêtés qui
attribuaient le monopole des annonces à un journal du chef-
lieu, sauf l'obligation pour celui-ci de faire, à ses frais, la
publication par extrait dans les journaux d'arrondissement. Mais
des parties ont fait leur insertion dans les journaux d'arron-
dissement, conformément au texte de la loi ; et, sur la demande
en nullité, des tribunaux ont déclaré l'insertion valable. Les
décisions qui, sur la demande des parties, déclaraient nulle

1 La question ne pourrait pas se présenter à Paris dans les conditions où


elle avait été posée en 1860 dans les départements; mais si la validité de la
procédure était posée sur la régularité de l'arrêté du préfet de la Seine dési-
gnant les journaux d'annonces, il serait utile, pour la solution des questions
relatives à la compétence, de connaître la jurisprudence qui s'était établie
sur le décret-loi du 17 février 1852. Les arrêts de 1860 se rattachent à une
doctrine générale qu'il est encore important d'étudier.
170 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

l'insertion faite dans le journal du chef-lieu quand il y a des


journaux dans l'arrondissement, consacraient la même doc-
trine. Déclarer valable l'insertion faite dans le journal d'arron-
dissement ou nulle celle qui est faite dans le journal du
,
chef-lieu, ce sont deux solutions identiques 1.
230. Au fond il me paraît que les termes de l'article 23 du
décret du 17 février 1852 justifiaient l'interprétation donnée
par ces tribunaux ; car la loi, en attribuant la désignation au
préfet, a circonscrit l'exercice de. ce pouvoir. C'est d'abord
dans l'arrondissement que le préfet doit choisir, et ce n'est qu'à
défaut du journal dans l'arrondissement qu'il peut choisir dans
le département. On oppose les termes du décret qui, dans l'édi-
tion officielle, porte : « à défaut du journal dans l'arrondisse-
ment. » Il ne dit pas à défaut de, mais à défaut du, et l'on
interprète cette rédaction qui n'est qu'une erreur d'impression,
par ce synonyme : « au lieu de, » ce qui donnerait au préfet
un pouvoir discrétionnaire. Telle n'était pas l'interprétation
qu'en donnait quelques jours après le décret, une circulaire
du ministre de la police, en date du 30 mars 1852. « Quelques
incertitudes, disait ce ministre, se sont produites sur l'applica-
tion de l'article 23, relatif aux annonces judiciaires ; il me suf-
fira de vous faire connaître à cet égard : 1° que les préfets
désignent eux-mêmes, pour recevoir les annonces judiciaires
d'un arrondissement, un ou plusieurs des journaux politiques
qui se publient dans l'arrondissement; 2° que, indépendam-
ment de ces feuilles politiques, ils peuvent également désigner
les journaux d'annonces ou insertions judiciaires qui existe-
raient déjà dans les départements ou qui viendraient à y être
publiés; 3° qu'un journal ne peut obtenir le droit de publier
les annonces de tout un département que lorsqu'il n'existe point
de journaux dans les arrondissements; 4° que la loi, en ce qui
concerne les insertions, comprend sans aucune distinction les
1 Ont jugé de cette manière :
Tribunal de Sens, du 24 février 1860 et du 27 juillet 1860.
— Tribunal de
Lourdes, du 29 juin 1860.
— Tribunal d'Avallon, du 26 février 1860. — Tri-
bunal de Béziers, du 6 février 1860.
— Tribunal de Largentière, des 12 et
20 juin 1860.
LIBERTÉ DE LA PRESSE. 171
journaux politiques et non politiques. » A notre avis, cette in-
terprétation est préférable à celle que, depuis, on a fondée sur
un solécisme mis à la charge du législateur, et dont il eût été
préférable de rendre l'imprimeur responsable.
831. A cette occasion s'est élevée une question de compé-
tence. L'administration a prétendu que l'autorité judiciaire
était incompétente pour statuer sur la validité de l'arrêté pré-
fectoral et, en conséquence, le tribunal de Sens ayant repoussé
le déclinatoire, le préfet de l'Yonne éleva le conflit. Un dé-
cret du Conseil d'État, en date du 30 juin 1860, valida le
conflit par les motifs suivants : « Considérant que l'article 23
du décret législatif du 17 février 1852, en chargeant les préfets
de désigner les journaux où doivent être insérées les annonces
pour la validité et la publicité des procédures ou contrats, a
eu pour but et pour effet de placer cette désignation dans les
attributions de l'autorité administrative;
« Qu'il suit de là que les arrêtés pris en cette matière par
les préfets sont des actes d'administration dont les tribunaux ne
peuvent connaître et dont il appartient à l'administration seule
de déterminer le sens et d'apprécier la validité. » On trouve
les mêmes motifs dans un autre décret sur conflit, du 20 dé-
cembre 18601.
888. Il est vrai, comme le dit le premier motif, que la loi
a voulu attribuer à l'autorité administrative la désignation des
journaux; mais elle ne l'a pas voulu sans condition, et l'article
23 a fixé la mesure dans laquelle ce pouvoir lui était donné.
Quant au second motif, l'autorité judiciaire n'est obligée de
s'arrêter que devant les règlements légalement faits par l'au-
torité administrative (art. 471, n° 15, Code pénal), et il lui
appartient d'examiner la légalité au sujet de l'application 2.

1 D. P. 1861, III, 12.


2 C'est ce qu'a décidé la Cour de cassation, ch. civ., 7 décembre 1859
(D. P. 1860, I, 30) : Attendu
« que les arrêtés du préfet du Calvados dont il
est question n'étaient pas des actes de simple administration, mais qu'ils
étaient réglementaires et généraux ; qu'ils étaient rendus par suite d'une dé-
légation du pouvoir législatif et
comme complément nécessaire à la mise à
exécution de la loi sur les ventes judiciaires.»
172 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

833. Examinons d'ailleurs quel sera dans la question dont


il s'agit l'effet produit par le décret qui valide le conflit.
En général, un décret qui valide le conflit a pour effet de
dessaisir le tribunal devant lequel on a indûment assigné. Dans
l'espèce, ce résultat serait impossible. La question principale
étant de savoir si un acte de procédure ou un contrat est va-
lable, la connaissance de ce procès ne peut pas être enlevée
aux tribunaux civils. Le tribunal, demeurant saisi de la question
de la validité des procédures, pourrait ne pas tenir compte du
décret sur conflit sans s'exposer à autre chose qu'à des motifs
contraires. On voit par là que le décret du 30 juin 1860 n'a pas
été rendu dans des conditions normales 1. C'est un accident dans
la jurisprudence du Conseil d'État; car s'il fallait en tirer toutes
les conséquences qu'une logique sévère en pourrait déduire,
les doctrines du Conseil d'État, sur les actes réglementaires,
devraient être modifiées.

DROIT COMPARE.

831. Angleterre 2. — La presse n'est, depuis 1695, soumise


ni à la censure ni à l'autorisation préalables, et l'imprimerie
est aujourd'hui une industrie libre. Mais l'Angleterre n'est
arrivée à la liberté dont elle jouit qu'après de longues épreuves
et l'expérience des plus dures restrictions.
835. Sous les Tudors, la presse avait été soumise à un
régime très rigoureux. Les imprimeries ne pouvaient être éta-

1 Par jugement du 27 juillet 1860, le tribunal de Sens, sans s'occuper de


la légalité de l'arrêté préfectoral, a maintenu sa décision au fond et validé
la procédure. Le jugement a été attaqué par appel et avant les plaidoiries,
Mes Sénard et Philbert ont distribué une consultation dans le sens des opi-
nions émises au texte. A la consultation ont adhéré Mes Berryer, Dufaure,
Marie, Jules Favre, Hébert. Le décret du 30 juin 1860 fut rendu contraire-
ment aux conclusions de M. Ch Robert, commissaire du gouvernement. Lors
du décret du 20 décembre 1860, M. L'Hôpital, commissaire du gouvernement,
a également conclu contre la doctrine admise par le Conseil.
2V. Régime légal de la Presse en Angleterre, par Edmond Bertrand (1868).
— V. aussi Fischel, L. I, ch. VIII.
LIBERTÉ DE LA PRESSE. 173
blies que dans les villes d'Oxford, de Cambridge ou de Londres.
La vente des livres était surveillée par la police, qui pouvait
faire des descentes dans les maisons particulières pour y fouiller
les bibliothèques privées. Tout imprimé devait être soumis à
la censure préalable, et la censure était confiée à l'évêque
de Londres et à l'archevêque de Cantorbéry. D'ailleurs, la
censure ne préservait pas de la justice, et l'écrit censuré n'en
était pas moins punissable.
836. Sous Jacques Ier, la répression des délits de presse
par la Chambre étoilée fut d'une extrême rigueur. Elle appli-
quait l'amende, la prison, et dans les cas les plus graves,
le pilori. Tout libelle contre un fonctionnaire était considéré
comme séditieux et la personne sous les yeux de qui l'im-
primé tombait était tenue de le dénoncer. Quelle que fût la
réputation du fonctionnaire et sans égard à la vérité des faits,
l'écrivain était condamné. Un écrit n'était même pas exigé et
on pouvait encourir les peines du libelle par des actes ou des
signes.
833. Sous le protectorat, Milton combattit vainement pour
la liberté de la presse dans son célèbre écrit contre la censure.
La Restauration, loin d'améliorer la législation, ramena les an-
ciennes ordonnances sur la matière. Un acte de 1662 maintint
la censure et défendit l'établissement des imprimeries partout
ailleurs qu'à Oxford, Cambridge, Yorck et Londres. On trouve,
dans un acte de 1666, la prétention qu'aucun livre ne peut
être imprimé sans l'agrément du roi. En 1679, la censure
fut abolie, mais on la remplaça par de fréquentes confiscations
de livres. En 1685 la censure fut rétablie pour une période
,
de sept ans dont une partie précéda et dont l'autre suivit la
révolution de 1688. En 1692, un acte prorogea la censure,
pour une année encore. Le 17 avril 1695, la Chambre des
communes rejeta un projet de loi qui prorogeait la censure,
projet que la Chambre des lords avait déjà voté. Malgré ce
rejet, la censure dura encore deux ans, et ce n'est qu'à partir
de 1697 qu'elle fut définitivement abolie en Angleterre. Depuis
cette époque, la presse n'est soumise qu'à la justice, et le gou-
vernement du roi n'a aucun pouvoir sur elle. On raconte que
174 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

lord Molesworth ayant publié un écrit contre le Danemark,


l'ambassadeur de ce pays demandait au roi Guillaume III la
prohibition de ce livre : « Si dans mon pays, disait-il, un
écrivain se permettait d'écrire en ces termes contre la couronne
d'Angleterre, certainement il aurait la tête coupée.» « Je n'ai
pas ce pouvoir, répondit Guillaume III, mais je communiquerai
vos paroles à l'auteur qui les reproduira dans la deuxième
édition 1. »
Il est cependant une espèce de livres que l'administration
fait saisir sans qu'il y ait ordre de justice : ce sont les écrits
obscènes et contraires aux bonnes moeurs. Depuis 1857 ces
ouvrages peuvent être saisis sans poursuite ni jugement préa-
lables. Tout magistrat de police ou deux juges de paix ont
le droit, sur une dénonciation affirmée sous serment, de déli-
vrer un mandat (warrant) pour faire arrêter cette publication.
Les porteurs du mandat ont le pouvoir de saisir les écrits
pendant le jour et, au besoin, de faire ouvrir par la force
la porte de la maison où ils se trouvent.
838. Si la presse n'est pas soumise à des restrictions pré-
ventives la répression judiciaire est rigoureuse. La loi a voulu
,
qu'elle fût efficace, et c'est pour en assurer les effets qu'elle
a depuis l'année 1819 exigé un cautionnement pour les jour-
naux. Cette garantie n'a été établie que pour assurer l'exé-
cution des condamnations judiciaires et la loi anglaise n'en
a pas fait un moyen détourné d'empêcher la fondation des
nouvelles publications périodiques. Le cautionnement en effet
n'a pas été, comme il le fut chez nous, à plusieurs époques,
élevé à des sommes exorbitantes. Le législateur anglais l'a
maintenu à des chiffres modérés pour qu'il fût seulement une
1 On ne peut sans surprise lire le passage suivant dans la Liberté de
J. Stuart Mill : « Quoique la loi anglaise, au sujet de la presse, soit aussi
servile aujourd'hui qu'elle l'était au temps des Tudors, il y a peu de dan-
gers qu'on s'en serve actuellement contre la discussion politique, excepté
pendant quelque panique temporaire, quand la crainte de l'insurrection tire
les ministres et les juges hors de leur état normal. » Mais après avoir fait
cette concession J. Stuart Mill ajoute : « Ces mots étaient à peine écrits,
lorsque comme pour leur donner un démenti solennel, survinrent les pour-
,
suites du gouvernement contre la presse en 1858. » Liberté, tr. fr., p. 27.
LIBERTÉ DE LA PRESSE. 175
garantie des condamnations et non le déguisement d'un obs-
tacle préventif 1. Le cautionnement ne garantit pas uniquement
les amendes et autres pénalités, mais aussi les dommages-inté-
rêts et dépens auxquels l'imprimeur ou l'éditeur pourraient être
condamnés envers les particuliers 2.
839. La répression peut être considérée à trois points de
vue : 1° dans les rapports de la presse avec le gouvernement,
2° dans les rapports avec la société, c'est-à-dire avec la reli-
gion et les bonnes moeurs; 3° dans les relations avec les
particuliers.
La loi permet de discuter et de critiquer les mesures adoptées
par le gouvernement en ce qui concerne la direction des af-
faires publiques, à la condition de faire une critique loyale,
décente, tempérée et respectueuse. L'écrit serait punissable
s'il imputait les actes du gouvernement à des calculs perfides
ou à des desseins pervers. Tout écrit contenant une attaque
ou critique qui incrimine les intentions du chef du gouver-
nement ou des ministres est considéré comme un écrit sédi-
tieux. C'est au juge qu'il appartient, en Angleterre, d'apprécier
si l'écrit a ou non le caractère d'un libelle qualifié. La règle
d'appréciation a été formulée en ces termes par lord Ellenbo-
rough : « La critique défendue est celle qui est calculée pour
aliéner l'affection du peuple en cherchant à lui inspirer le mé-
pris du gouvernement. » L'écrit est appelé, en ce cas, séditieux
(séditions libel). Mais l'écrit serait ou pourrait être considéré
comme un acte de félonie ou trahison s'il avait pour objet d'ins-
pirer la mort du roi, de correspondre avec ceux qui conspirent
sa mort, de leur prêter aide et assistance 3.

1 Le cautionnement, fixé d'abord à 300 livres (7,500 fr.) pour Londres,


Westminster ou Dublin et à 200 livres (5,000 fr.) pour les autres villes a
,
été porté à 400 livres pour Londres et à 300 pour la province (act. de Georges
IV, 11 et acte de Guillaume IV, I, ch. 73).
2 C'est dans la brochure de Chateaubriand
: La Monarchie suivant la
Charte que, pour la première fois, l'idée du cautionnement des journaux se fit
jour, et l'idée, une fois mise en mouvement, elle fit vite son chemin. L'imita-
tion ne tarda pas à suivre.
3
« Le libelle séditieux est puni de l'amende ou de la prison , ou des deux
176 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

En principe, la loi anglaise ne punit que les attaques dirigées


contre des personnes déterminées, mais des exceptions ont été
faites à cette règle et des dispositions ont puni celles qui auraient
pour objet l'état social, la religion ou les bonnes moeurs.
« Blasphêmer en niant l'existence ou la
providence du Tout-
Puissant, en injuriant Notre Seigneur et Sauveur le Christ;
en se raillant des Saintes-Écritures , en les exposant au mé-
pris ou au ridicule, constitue un délit punissable, aux termes
de la loi commune, de l'amende ou de l'emprisonnement, ou
d'un autre châtiment infamant. » Cette loi a été tempérée
par la jurisprudence et on ne poursuit plus aujourd'hui que
la discussion déloyale, l'attaque obscène, inconvenante, inju-
rieuse.
Pendant longtemps, la publication d'écrits obscènes n'a pas
été punie par la loi anglaise comme un délit spécial. Mais
on arrivait indirectement à frapper l'auteur en le considérant
comme une personne de mauvaise renommée et l'obligeant, à
ce titre, à fournir caution de sa conduite future. C'est aujour-
d'hui, en vertu des actes 14, 15 Vict.; ch. 100 s. 29, un délit
puni de l'amende ou de l'emprisonnement, avec travail forcé à
la discrétion de la cour, ou de ces deux peines réunies. Nous
avons déjà dit que les officiers de police à Londres et les juges
de paix dans les comtés, à la condition d'agir deux ensemble,
peuvent procéder à la saisie de ces écrits ou dessins avant qu'il
y ait ordre de justice 1. « L'officier de police ou le juge de paix
doit sommer les propriétaires des articles de comparaître, dans
les sept jours, pour exposer les motifs à raison desquels il
s'oppose à la destruction des objets saisis. S'il fait défaut, la
destruction a lieu. On ne conserve que les exemplaires qui
devront être produits en cas de poursuites ultérieures. — Si
les articles saisis n'ont pas le caractère qui leur avait été attri-
bué, ils doivent être restitués. »
Enfin dans les rapports de la presse avec les particuliers, la
,

peines à la fois, à la discrétion de la cour et sans qu'aucune limite lui soit


imposée. » Edmond Bertrand, Régime légal de la presse en Angleterre,
p. 23.
1 Act. 20 et 21 Vict, ch. LXXXIII.
LIBERTÉ DE LA PRESSE. 177
loi punit les écrits qui ne respectent pas les sentiments (feelings)
et la réputation de tout particulier.
L'écrit diffamatoire est punissable non-seulement pour toute
attaque directe, mais aussi pour l'insinuation faite sous une
forme détournée, ironique, conjecturale, interrogative. Il faut
que la diffamation ait été commise avec intention de nuire, et
la peine s'accroît avec la gravité de la malveillance 1. La provo-
cation ne peut pas être invoquée comme un fait qui fasse dispa-
raître l'intention de nuire ; elle est seulement une considéra-
tion atténuante qui peut faire abaisser la condamnation. Quant
à la publication, la loi anglaise l'entend dans un sens très
étendu. La communication à une seule personne constitue
la publication en Angleterre, et on s'est même demandé si
la découverte d'un écrit diffamatoire dans le portefeuille du
diffamateur suffisait pour constituer la publication. Sans aller
jusque-là, il a été décidé, dans plusieurs affaires, que cette
découverte, si elle n'était pas suffisante pour la preuve, faisait
du moins présumer la publication.
Même quand l'expression est immodérée et punissable, qu'elle
a été publiée et qu'il y a intention de nuire, il peut n'y avoir
pas délit. La loi anglaise, en effet, admet la preuve des faits
diffamatoires non-seulement, comme la loi française, contre
les fonctionnaires; elle l'admet même au profit de ceux qui
ont diffamé les particuliers, mais à la condition d'établir que
la société était intéressée à ce que les faits fussent publiés.
Celte condition n'est même pas exigée en ce qui concerne
l'action civile. La loi anglaise considère qu'il n'y a pas pré-
judice lorsque les faits diffamatoires sont vrais; d'où elle tire
la conséquence que la preuve de la vérité des faits est la
défense naturelle à l'action civile en indemnité.

Act. 6 et 7 Victoria, ch. 96. « Quiconque publiera méchamment un


1

écrit diffamatoire sera condamné à l'amende ou à l'emprisonnement, ou à


ces deux peines à la fois ; celle de l'emprisonnement ne pourra dépasser un
an. » — L'emprisonnementest de deux ans contre celui qui publie un écrit
diffamatoire sachant
que les imputations qu'il contient sont fausses. La peine
peut être portée à trois ans si la publication ou la menace de publier a été
faite en vue d'extorquer de l'argent à la personne menacée de diffamation.

B. — II. 12
178 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

240. Les journaux ont été, en Angleterre comme partout,


soumis à quelques dispositions spéciales qui s'expliquent par
la puissance de ces publications et le danger inhérent à leur
action. On entend par journaux les publications périodiques
qui paraissent à des intervalles de 26 jours au plus.
Les obligations principales que la loi impose aux proprié-
taires, éditeurs ou imprimeurs de journaux sont :
1° Le cautionnement, dont nous avons parlé plus haut (n°
238). La publication sans cautionnement est punie d'une
amende de 20 liv. st.
2° La déclaration. La publication d'un journal doit être
précédée d'une déclaration, au bureau du timbre, contenant
le titre du journal, l'indication du local où il sera imprimé,
les noms, titres et domicile de toutes les personnes qui se
proposent d'imprimer ou de publier cette feuille et ceux des
propriétaires. Cette déclaration doit être signée de toutes les
personnes qui y sont nommées. Le propriétaire du journal
est tenu de déclarer qu'il réside dans le Royaume-Uni. La
déclaration doit être renouvelée toutes les fois qu'il survient
une modification dans l'état des choses, et la loi punit la
fausse déclaration comme l'absence de déclaration. L'amende
qui punit cette contravention est de 50 liv. st. (1,250 fr.) par
jour. — Toute personne a le droit de consulter gratuitement
le registre déposé à la direction générale du timbre.
3° Le dépôt. L'éditeur du journal est tenu de déposer un
exemplaire de chaque numéro ou livraison (au prix ordinaire).
L'exemplaire déposé doit porter la mention de son nom et de
son domicile ainsi que des nom et domicile de l'imprimeur,
mention qui doit être écrite de la main de l'éditeur ou de la
main d'une personne désignée par lui à cet effet spécial. Pen-
dant deux ans, à compter du dépôt, toute personne peut en
demander communication pour la procédure en preuve dans un
procès civil ou criminel. L'administration du timbre est tenue
de confier au requérant l'exemplaire déposé ou de le faire pro-
duire elle-même devant la cour. — La contravention à l'obli-
gation du dépôt est punie d'une amende de 20 liv. st. (500 fr.).
4° L'indication sur chaque exemplaire des noms de l'impri-
LIBERTÉ DE LA PRESSE. 179

meur et de l'éditeur. Ces mentions doivent être imprimées à


la fin de tous les journaux et de chacun de leurs suppléments,
à peine de 20 liv. st. 1.
811. Depuis 1845, le compte rendu des débats parlemen-
taires est protégé par une immunité semblable à celle que nos
lois ont consacrée. Elle n'a même été sanctionnée que plus
tard par une disposition formelle (act. 3 Vict., ch. 9). Toute
poursuite serait arrêtée par la production en justice d'un cer-
tificat du lord chancelier ou du speaker de la Chambre des
communes, attestant que la publication a été ordonnée.
La loi permet aussi la publication du compte rendu des af-
faires judiciaires pourvu qu'il soit loyal, fidèle, impartial.
« Ainsi toute réflexion personnelle est interdite. Il est défendu
d'insérer des insinuations personnelles et même de reproduire
des conclusions non admises par la cour lorsqu'elles contien-
nent des insinuations injurieuses pour un particulier, lors-
qu'elles articulent, par exemple, qu'il a commis un parjure.
Il n'est pas permis non plus d'abréger la partie des débats
favorable à un des plaideurs pour s'étendre sur celle qui lui
a été défavorable. La reproduction partielle est interdite
Enfin, le compte rendu ne doit contenir rien d'immoral ou de
blasphématoire, alors même qu'il ne ferait que rapporter ce
qui s'est passé en audience publique 2. »
242. « Les dessins, estampes, peintures, emblêmes , sculp-
tures, toutes les représentations de la pensée humaine, qui
s'adressent aux yeux et qui ont une certaine durée, sont sou-
mises aux mêmes règles que la presse. Ainsi, même prendre
ou brûler quelqu'un en effigie, dans l'intention d'attirer sur
lui le mépris ou le ridicule, constitue un libel3. »

1 Ces obligations sont spéciales à tout papier-nouvelle (News-paper), parais-


sant périodiquement à des intervalles de 26 jours au plus. Si les intervalles
sont de plus de 26 jours, il n'y a pas lieu d'appliquer la législation spéciale
à la presse périodique.
2 M. Edmond Bertrand,
p. 41. Cette immunité ne s'étend pas à la publi-
cation des enquêtes du coroner ni aux enquêtes criminelles préliminaires
faites devant un juge de paix ou tout autre magistrat.
3 Edmond Bertrand, p. 55.
180 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

Ainsi, la loi anglaise contient une énumération analogue à


celle que toutes nos lois ont reproduite depuis 1819. Il y a
cependant entre la loi française et la loi anglaise une diffé-
rence importante. Tandis que notre loi assimile les discours
aux écrits, le libel implique, en Angleterre, une représentation
durable de la pensée. « Les Anglais, dit M. Edm. Bertrand,
ne pensent pas que la parole soit un instrument de publication
aussi redoutable que l'écriture ou la presse. Ils laissent im-
punie, si elle ne rentre pas dans les catégories établies par
la loi de l'offense verbale, l'injure qui constituerait un délit ou
fonderait une action si elle était écrite. Qui vous appelle escroc
n'a rien à craindre ; qui vous l'écrit s'expose à des dommages-
intérêts, voire même à l'amende et à la prison 1. »
813. L'autorisation préalable qui n'est pas exigée pour les
publications périodiques ou non périodiques est, au contraire,
prescrite pour les représentations théâtrales : « La censure
des théâtres est exercée en Angleterre par le lord Chamberlain
(grand chambellan) et ses substituts, mais pour Londres seu-
lement. Primitivement, ce n'était de sa part qu'une prétention
justifiée par un long usage. C'est Walpole qui fit donner à
ce système la sanction d'un acte du Parlement. Celui-ci, mal-
gré la vive et brillante opposition de lord Chesterfield à la
Chambre haute mit d'autant plus de hâte dans son intervention
,
législative que l'administration de Walpole venait d'être per-
sifflée sur la scène. Le bill de ce ministre sur les théâtres
(dixième année du règne de Georges II, ch. XXVIII) ordonna
la soumission de chaque pièce à la censure, deux semaines
avant la représentation, à peine de 50 livres st. d'amende et
de la perte de la concession2.
« Tout acteur jouant à Londres, sans y avoir de domicile ou
sans une permission du lord Chamberlain, peut être expulsé
comme vagabond (as a rogue) 3. »

1 Edmond Bertrand, p. 15.


2 C'est aussi le lord Chamberlain qui donne les concessions théâtrales.

3 La Constitution d'Angleterre, par Ed. Fischel, traduit par Vogel, t. I,

p. 155.
LIBERTÉ DE LA PRESSE. 181
SU. Allemagne. — D'après l'article 18 de l'acte fédéral
de 1815, la Diète de la Confédération germanique devait, avant
tout, s'occuper de rédiger des dispositions communes sur la
liberté de la presse. C'est quatre ans après seulement qu'elle
exécuta cette disposition et elle s'en acquitta par l'établissement
d'un régime contraire à la liberté. Aux termes de la décision
du 20 septembre 1819, aucun journal, aucune publication
non périodique ayant moins de vingt feuilles ne pouvait pa-
raître sur le territoire de la Confédération sans la permission des
autorités fédérales. Cet assujettissement ne devait durer que
cinq années, mais avant l'expiration de ce délai, la Diète trans-
forma la décision temporaire en mesure permanente (16 août
1824). Ce régime a duré jusqu'à la révolution de 1848. Cédant
à la pression de l'opinion publique, la Diète conféra aux auto-
rités de chaque état fédéral le droit de régler la matière de
la presse suivant les circonstances locales; mais en 1854 elle
reprit le pouvoir de censure et d'autorisation, sauf dans les
royaumes d'Autriche, de Prusse et de Bavière. La matière est
aujourd'hui régie par la loi du 7 mai 1874. L'autorisation
préalable est supprimée; le cautionnement et le timbre sont
également abolis et généralement tous les impôts autres que
les taxes ou contributions établies d'une manière générale
sur l'industrie. Tout imprimé destiné à la publicité doit porter
le nom et l'adresse de l'imprimeur ou d'un éditeur domicilié
en Allemagne, excepté pour les imprimés d'usage industriel,
domestique, confidentiel, tels que bulletins de vote.
Les crimes et délits commis par la voie de la presse sont
soumis au droit commun 1.
215. Belgique. — L'article 18 de la constitution Belge
(des 7-25 février 1831) consacre en ces termes la liberté de
la presse : « La presse est libre; la censure ne pourra jamais
être rétablie; il ne peut être exigé de cautionnement des écri-

1 Avant la loi du 7 mai 1874, l'avertissement par la voie administrative


a été pendant quelque temps admis par la législation d'Autriche. Il fut sup-
primé en 1862 et à partir de cette année, le retrait du brevet d'imprimeur,
qui pouvait être prononcé à la suite d'un avertissement, ne peut plus l'être
qu' après une condamnation judiciaire.
182 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

vains, éditeurs ou imprimeurs. — Lorsque l'auteur est connu


et domicilié en Belgique, l'imprimeur, l'éditeur ou le distri-
buteur ne peut être poursuivi. » — La répression des crimes
et délits commis par la voie de la presse est régie par la loi du
20 juillet 1831.
Les délits de presse sont de la compétence du jury. — En
cas de diffamation, la preuve des faits diffamatoires ne peut
être offerte par le prévenu qu'à l'égard des fonctionnaires
publics. En ce cas, la preuve peut être faite par écrit ou par
témoins.
Les délits de presse se prescrivent après trois mois sans
poursuite. — La loi admet le droit de réponse pour les per-
sonnes nommées dans un journal ; mais la réponse ne peut pas
dépasser 1,000 lettres ou le double de l'article qui provoque
la réponse.
816. Espagne. — La presse est régie en Espagne par
la loi du 8 janvier 1879.
La loi distingue plusieurs espèces d'imprimés : les journaux,
les livres et brochures, les feuilles volantes et les affiches. Les
feuilles volantes (hojas sueltas) et les affiches ne peuvent être
publiées sans la permission préalable de l'autorité. Le sup-
plément d'un journal qui se publie séparément est considéré
comme feuille volante (art. 77 et 78). Mais, en cas de refus,
la partie intéressée peut se pourvoir de l'alcade ou maire au
gouverneur de la province et de celui-ci au ministre de l'inté-
rieur (art. 73 et 77).
La publication d'un livre ou d'une brochure n'est soumise
à aucune autre condition que l'indication de l'imprimerie. Si la
brochure est non politique, il suffit d'avertir le gouverneur au
chef-lieu de la province et l'alcade dans les autres communes.
Si le livre ou la brochure ont un caractère politique, il faut
que l'auteur justifie, devant les mêmes autorités, qu'il est ci-
toyen espagnol et majeur (art. 68 à 73).
Quant aux journaux, la loi n'en soumet pas la fondation à
l'autorisation préalable, mais elle exige du fondateur-proprié-
taire les conditions suivantes : 1° qu'il soit citoyen espagnol;
2° majeur; 3° qu'il ait un domicile de deux années dans le
LIBERTÉ DE LA PRESSE. 183
lieu où se publie le journal ; 4° qu'il paie 250 fr. (pesetas) d'im-
pôt foncier ou, à défaut d'impôt foncier, 500 fr. (pesetas) d'im-
pôt industriel depuis deux années ; 5° qu'il ait le libre exercice
de ses droits civils et politiques.
Le fondateur-propriétaire du journal doit justifier des condi-
tions ci-dessus devant le gouverneur, au chef-lieu de la pro-
vince et devant l'alcade, dans les autres communes.
Si l'autorité n'a pas, dans les 60 jours, pris un parti sur la
régularité des déclarations, les conditions exigées sont réputées
remplies, et la publication peut être faite. Lorsque l'administra-
tion déclare que les justifications sont insuffisantes et que l'in-
téressé prétend que ce rejet est arbitraire, celui-ci peut, dans
les cinq jours, se pourvoir devant le tribunal du lieu qui doit
prononcer dans les vingt jours.
Deux heures avant la distribution, le propriétaire-fondateur
ou son mandataire est tenu de remettre quatre exemplaires,
dont deux au gouverneur et deux au tribunal. Dans les com-
munes où il n'y a ni tribunal, ni gouverneur, les quatre exem-
plaires sont remis à l'alcade.
Nous ne reproduirons pas ici toutes les dispositions de cette
loi 1; mais nous signalerons deux particularités qui la distin-
guent. Premièrement, les délits de presse qu'elle énumère ont.
tous un caractère politique; ceux qui intéressent les particu-
liers sont régis par la loi pénale de droit commun 2. Deuxième-
ment, la loi établit des tribunaux de presse spéciaux.
Art. 31. « Tous les délits de presse seront portés devant un
tribunal composé d'un président de chambre et de deux ma-
gistrats du tribunal dans le ressort duquel se publie le journal.
La nomination sera faite par le gouvernement. »
Art. 36. « A Madrid, à Barcelone et dans tous les autres lieux
où le nombre des journaux l'exigera, il y aura des procureurs
de presse nommés par le ministre de l'intérieur. Dans les autres
villes, chefs-lieux de province, les fonctions sont remplies par

1 Le texte entier se trouve dans l'Annuaire pour 1880 de la Société de lé-


gislation comparée, 1880, p. 398.
2 Article 19. Ainsi la loi
ne parle point de la diffamation envers les par-
ticuliers. Voir, pour rénumération des délits de presse, l'article 16 de la loi.
184 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

un substitut que désigne le ministre de l'intérieur. Partout


ailleurs, ces fonctions appartiennent au juge d'instruction ou,
s'il y en a plusieurs, aux juges d'instruction à tour de rôle. »
Art. 42. « Toutes les actions pour délits de presse sont exer-
cées par le procureur spécial. »
Les dessins et gravures ne sont pas, comme les imprimés, dis-
pensés de l'autorisation préalable ; ils sont, comme les affiches
et les feuilles détachées, soumis à la permission de l'autorité.
Art. 90. « Aucun dessin, aucune lithographie, photographie,
estampe, médaille, vignette, image et autre production quel-
conque de même genre soit détachées, soit faisant partie d'un
imprimé, ne pourront être annoncés, produits, vendus ou publiés
sans la permission préalable du gouverneur ou de l'alcade. —
Cette autorisation décharge de toute responsabilité ceux qui
l'auront obtenue pour le contenu des dits objets. »
La vente sur la voie publique ou dans les gares et la pro-
fession de distributeurs à domicile sont soumis à l'autorisation
préalable (art. 83 et 84). Les distributeurs doivent toujours être
porteurs d'un certificat constatant qu'ils sont autorisés à faire
la distribution. Quant à la vente sur la voie publique et dans
les gares, l'autorisation, même pour les distributeurs munis
de leur certificat, doit être relative aux imprimés qu'ils se pro-
posent de vendre.
813. Brésil.— Au Brésil, l'article 179, § 4, de la Cons-
titution porte : « Chacun peut communiquer ses pensées par
des paroles et des écrits et les publier par la voie de l'impri-
merie pourvu qu'il réponde des abus qu'il commettra dans
,
l'exercice de ce droit. » Ces abus furent définis et punis par la loi
du 20 septembre 1830, loi très libérale pour la presse, ainsi
qu'on en peut juger par les deux traits suivants. D'après l'ar-
ticle 12, la preuve des faits est admise contre les fonctionnaires
publics. Les articles 14 et suivants organisent un jury spécial
pour le jugement des délits de presse.
Art. 14. « Il y aura dans chaque ville ou village un conseil
de jurés élu de la manière suivante. »
Art. 15. « Les chambres municipales convoqueront les élec-
teurs de la municipalité, et les échevins, ainsi que les électeurs,
LIBERTE DE LA PRESSE. 185
éliront dans les capitales des provinces soixante hommes, et
dans les autres lieux trente-neuf pour être jurés avec les mêmes
formalités que l'on observe dans l'élection des députés à l'assem-
blée générale législative. »
818. Italie. — La loi Sarde du 26 mars 1848 modifiée
par la loi du 20 juin 1858, est devenue la loi générale du
royaume d'Italie en matière de presse.
La publication des imprimés, dessins ou gravures est libre.
Tout citoyen, toute société, peuvent fonder des imprimeries et
tout citoyen italien a le droit de publier un journal sans auto-
risation préalable. La publication doit seulement être précé-
dée d'une déclaration au ministère de l'intérieur à Borne ou
à la préfecture dans les provinces. Tout gérant est tenu

d'insérer en tête de son journal, mais moyennant paiement,
les communiqués du gouvernement. Il doit aussi insérer la
réponse de toute personne nommée dans son journal, inser-
tion qu'il est tenu de faire gratuitement si elle n'excède pas
le double de l'article qui a provoqué la réponse.
Le premier exemplaire de tout imprimé doit être envoyé au
parquet de la cour d'appel ou du tribunal d'arrondissement.
Dans les dix jours qui suivent la publication, l'imprimeur doit
envoyer un autre exemplaire aux archives de l'État et un troi-
sième à la bibliothèque de l'Université.
L'excitation à commettre un crime, même quand elle n'est
pas suivie d'effet, est punie de l'emprisonnement qui peut
aller jusqu'à un an et d'une amende qui peut aller jusqu'à
2,000 fr. S'il s'agit d'excitation à commettre un délit, la
peine corporelle est réduite à trois mois et l'amende à 500 fr.
Pour les contraventions, le maximum de l'emprisonnement est
de quinze jours; celui de l'amende est de 100 fr. La peine est
plus grave lorsque l'écrit contient provocation au régicide,
apologue de l'assassinat politique attaque contre l'inviolabilité
,
du roi, contre l'ordre de succession, contre l'autorité constitu-
tionnelle du roi et des deux Chambres, contre la famille et la
propriété, provocation au mépris des lois et à la haine entre
les diverses classes de citoyens. Dans ces divers cas, l'empri-
sonnement peut aller jusqu'à deux ans et l'amende jusqu'à
186 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

4,000 fr. — L'offense à la personne du roi, à la religion, à


la morale, la diffamation et l'outrage sont punis de l'emprison-
nement de deux ans au maximum et d'une amende qui ne peut
excéder 3,000 fr.
Les délits de presse sont jugés par la cour d'assises avec
assistance de jurés; les contraventions sont de la compétence
du tribunal. Ni la cour ni le tribunal ne peuvent prononcer la
suppression du journal; ils peuvent seulement ordonner la sup-
pression du numéro incriminé.
Les délits de presse se prescrivent après trois mois.
819. Suisse. — L'article 45 de la Constitution fédérale
pose en principe que la presse est libre et laisse aux cantons
le soin de faire les lois sur la répression des abus. Ces lois
cantonales sont soumises à l'approbation du Conseil fédéral
qui doit assurer l'observation du principe posé par la Consti-
tution. Sauf quelques différences d'importance secondaire, les
lois cantonales sont semblables. Il n'y a ni timbre, ni cau-
tionnement. Les délits sont déférés au jury. Le droit de

réponse est accordé aux personnes nommées avec insertion gra-
tuite d'un article ayant le double de la longueur de l'article
auquel on répond. — Tout ce qui est essentiel à la liberté de
la presse se retrouve dans les lois des cantons suisses.
850. États-Unis. — La presse y jouit de la plus grande
liberté. Non-seulement elle n'est soumise à aucune mesure
préventive, mais la répression même y est faible et inefficace.
On ne connaît dans ce pays ni timbre, ni cautionnement, ni
autorisation préalable. La loi et surtout la justice sont pleines
d'indulgence pour les délits de presse. On a cependant vu des
tribunaux prononcer des condamnations sévères contre des
journalistes. — Les citoyens se font aussi souvent justice à
eux-mêmes et la profession de journaliste y est dangereuse
pour ceux qui l'exercent; plus d'un a été tué dans le bureau
de rédaction : « On peut, dit M. Maurice Block, dire de la
« presse américaine ce qu'on a dit des despotes orientaux, c'est
« le pouvoir absolu mitigé par l'assassinat 1. »

1 Dictionnaire politique, v° Presse, 2° éd., p. 666.


LIBERTÉ DE LA PRESSE. 187
851. Pays-Bas. — L'article 8 de la Constitution du 25
octobre 1848 garantit la liberté de la presse. Les journaux
ne sont soumis ni à l'autorisation préalable, ni au cautionne-
ment, ni au timbre. Le timbre que la loi du 3 octobre 1843
avait établi sur les écrits périodiques a été supprimé en 1869.
— Les crimes et délits sont poursuivis devant les tribunaux
ordinaires. — La prescription résulte de l'expiration du délai
de trois mois à partir du jour où le délit a été commis ou, s'il
y a eu poursuite, à partir du dernier acte judiciaire.
858. Turquie. — La presse périodique est soumise à la
censure et au régime des avertissements. Les journaux doivent
s'abstenir de toute critique des actes du gouvernement et de
toute polémique qui pourrait compromettre les bons rapports
du gouvernement avec les autres États. Ils ne doivent publier
les correspondances des provinces qu'après avoir consulté le
bureau de la presse. Les articles 4 et 5 de la loi turque sont
particulièrement dignes de remarque :
Art. 4. «Comme le temps matériel ne permet pas de présenter
les épreuves la nuit de l'impression, les rédacteurs sont tenus
d'expliquer verbalement à la personne dirigeant le bureau de
la presse le contenu de l'article de fond du journal et de suivre
les observations qu'on peut se trouver dans le cas de leur
adresser. »
Art. 5. « Pour éviter de propager les fausses nouvelles, le
rédacteur doit consulter le bureau de la presse avant la pu-
blication du journal. »
En cas d'inobservation des prescriptions et recommandations
écrites dans la loi, le journal peut être averti. Après trois
avertissements, l'autorité a le droit de prononcer la suspension
ou la suppression.
853. Russie. — D'après la loi du 6 avril 1865, qui régit
la presse dans l'Empire russe, la publication d'un journal est
soumise à l'autorisation préalable. Le ministre, en statuant sur
la demande d'autorisation, décide si le journal sera ou non sou-
mis à la censure préalable. Si la censure préalable est réservée,
aucun cautionnement n'est exigé. Si l'autorisation est accordée
sans réserve de la censure préalable, le propriétaire est tenu
188 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

de déposer un cautionnement de 5,000 roubles (20,000 fr.)


si le journal est quotidien et de 2,500 roubles (10,000 fr.) lors-
qu'il n'est pas quotidien.
Les journaux non soumis à la censure préalable peuvent être
avertis. Après trois avertissements, le gouvernement a la fa-
culté de suspendre la publication ou même de supprimer le
journal. « C'est au moment où il allait être abandonné en
France, dit M. Anatole Leroy-Beaulieu, que le système napo-
léonien des avertissements aux journaux a été recueilli par les
ministres du Czar et du Sultan. Mais la même institution ne peut
être jugée de la même manière dans les divers pays. Ce qui
était rétrograde en France était en Russie un progrès ; la presse
russe eût souhaité d'être tout entière à ce régime si peu goûté
de la presse française 1. »
Les publications non périodiques ne sont pas soumises à la
censure préalable si elles ont plus de dix feuilles, pour les
compositions originales, et plus de vingt pour les traductions.
Toutes les autres sont sujettes à la censure et spécialement les
écrits sur des matières de théologie doivent subir la censure
religieuse.
Les ouvrages non soumis à la censure préalable sont remis
aux censeurs et s'ils jugent que la publication est dangereuse,
la saisie peut être ordonnée. D'après la loi de 1865, les tribu-
naux prononçaient sur le maintien ou la levée de la saisie.
Depuis 1872 la compétence des tribunaux a été remplacée par
celle du comité des ministres 2.
Les livres et journaux venant de l'étranger ne pénètrent en
Russie qu'avec la plus grande difficulté, pour peu qu'ils soient
en opposition avec les idées du gouvernement. Mais la contre-
bande est très active, et comme les frontières sont très étendues
il est impossible de les garder sur tous les points. Aussi les
livres venant du dehors entrent-ils malgré les plus sévères
prohibitions 3.

1L'empire des Tsars, t. II. p. 475.


2 M., ibid., p. 474.

9 La vérité sur la Russie,


par le prince Dolgorouckow, p. 317.
LIBERTÉ RELIGIEUSE. 189

CHAPITRE HUITIÈME.

LIBERTE RELIGIEUSE.

Sommaire.
254. Divers systèmes suivant lesquels peuvent être combinés les rapports de l'Église
et de l'État.
255. Innovation consacrée par la Charte, de 1830 qui substitue une religion de la
majorité à la religion de l'État.
256. Caractères principaux de notre droit public ecclésiastique.
257. Liberté de conscience.
258. Liberté du culte extérieur.
259. La loi sur les réunions et associations publiques et les lois d'ordre public sont
la seule limite de la liberté des cultes.
260. Réfutation de la doctrine de M. Gaudry.
261. De la liberté religieuse pour les étrangers en France.
262. Les expressions injurieuses pour les adhérents à un culte, quoique contenues
dans les motifs d'un arrêt, ne constituent pas une violation de la liberté religieuse.
263. Protection accordée à la liberté des cultes.
264. Décret du 19 mars 1859.
26o. Liberté du culte catholique art. 45 du Concordat.
,
266. Indépendance réciproque des pouvoirs spirituel et temporel.
267. Réunion des deux puissances.
268. Suite.
269. Suite.
270. Indépendance du pouvoir temporel à l'égard de la Cour de Rome.
271. Suite.
272. Suite.
273. Indépendance du pouvoir temporel à l'égard du clergé français.
274. L'autorité spirituelle a-t-elle, à l'égard du pouvoir temporel, le droit de ré-
quisition?
275. Serment politique des titulaires de bénéfices ecclésiastiques.
276. Indépendance à l'égard du pouvoir temporel de l'autorité spirituelle.
277. Quid des monitoires ?
278. Transition.
279. La police du temple appartient au ministre du culte.
280. Le maire ne peut pas, en principe, tenir des réunions dans l'église sans l'au-
torisation du curé.
190 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.
281. De la sonnerie des cloches.
282. Suite.
283. Suite.
284. L'autorité spirituelle a le droit de refuser l'administration des sacrements.
285. Il en est de même du refus de sépulture.
286. Suite.
287. Heures d'ouverture de l'église.
288. Affiches sur la porte de l'église.
289. Quêtes à l'intérieur de l'église.
290. Places distinguées pour les autorités civiles et militaires.
291. Interprétation de l'article 45 de la loi du 18 germinal an X.
292. Des processions.
293. Détachements de la garde nationale pour escorter les processions.
294. L'autorité temporelle n'a pas le droit de suspendre le traitement des curés ou
desservants.

851. Les rapports des citoyens avec l'État, au point de


vue religieux, ont été combinés de quatre manières différentes.
1° Une religion de l'État, avec exclusion de toute autre. C'est
le système qui fut établi en France par la révocation de redit
de Nantes.
Sous ce régime, le roi de France, jusqu'à la Révolution,
jura d'exterminer les hérétiques, dans le serment de la céré-
monie du sacre. Turgot voulut substituer une rédaction nou-
velle à l'ancienne formule du serment; mais Louis XVI prit le
parti de prononcer quelques paroles inintelligibles pour n'avoir
pas à choisir entre la proposition de son ministre et le vieil
usagef.
2° Le deuxième système consiste, au contraire, à séparer
l'Église de l'État, à n'avoir pas de religion officielle, à n'ex-
clure aucune secte et à protéger la liberté religieuse des ci-
toyens à quelque culte qu'ils appartiennent. C'est le régime
qui est suivi aux États-Unis d'Amérique depuis 1833. Avant la
révolution de 1776, il y avait, dans ce pays, une église épis-
copale ayant des biens et recevant des subventions des États
de l'Union ; mais la séparation ayant été proposée par une
pétition du presbytère de Hanovre à l'assemblée générale de
Virginie, cette idée fit des progrès rapides. La Constitution

1Turgot, philosophe, économiste et administrateur, par A. Batbie, p. 66


(Cotillon, 1861).
LIBERTÉ RELIGIEUSE. 191
de 1780, tout en maintenant l'ancien impôt du culte, consacra
le droit pour chacun de l'assigner à la société religieuse de sa
croyance; jusqu'à 1811, les cours de justice ne permirent ce-
pendant au, contribuable de disposer de sa cote qu'en faveur
d'un ministre appartenant à une paroisse reconnue par la loi.
En 1811, un statut dispensa de la cote paroissiale quiconque
présenterait une attestation authentique de son affiliation à une
autre église, même non reconnue par la loi. Enfin le principe
de la séparation fut proclamé en 1833 à la suite de trois votes
obtenus de la législature pendant les années 1831-18331.
La séparation a été établie chez nous en 1793 et y a duré
jusqu'au Concordat de 1801; mais nous ne comparerons pas
avec ce qui s'est passé aux États-Unis cette période de notre
histoire, si stérile pour la liberté, si féconde en violences et
persécutions.
3° La troisième combinaison établit une religion de l'État,
en laissant une liberté plus ou moins complète aux autres
cultes. C'est ce qui existe en Angleterre où, à côté de la reli-
gion anglicane, religion officielle, coexistent le judaïsme et
toutes les sectes chrétiennes. C'est à peu près aussi le système
de la Charte de 1814 qui reconnaissait la religion catholique
comme religion de l'État, et en même temps proclamait la
liberté des cultes.
4° Enfin on peut répudier toute religion officielle et recon-
naître différents cultes, en les protégeant et les subventionnant
avec impartialité. C'est le système qui résulte du Concordat
du 26 messidor an IX et de l'article 5 de la Charte de 1830;
celui qui est encore en vigueur dans notre pays. La religion

1 Dela religion aux États-Unis, par le Rév. Robert Baird, t. I, p. 289-


291 (traduct. Burnier). Cette réforme est généralement attribuée à Jefferson,
troisième président des États-Unis. Voici comment cette opinion est traitée
par Baird : « Les plus chauds admirateurs de Jefferson ne nous accuseront
pas de le calomnier, si nous disons que, dans sa haine violente pour le
christianisme, il eût voulu non-seulement retirer à l'Église épiscopale l'ap-
pui qu'elle recevait de l'État, mais encore détruire tout ce qui, dans l'État,
ressemblait à une Église. Il n'en est pas moins vrai que ce ne fut point lui
qui décida l'État de. Virginie à prononcer la rupture : on le dut aux pétitions
et à l'activité des presbytériens et des baptistes. » (ld., ibid., p. 272.)
192 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.
catholique n'est plus que la religion de la majorité et depuis
la révolution de 1848 ce fait n'est même plus, comme il le fut
en 1830, officiellement proclamé; elle est protégée au même
titre que les autres cultes reconnus, que le protestantisme, le
mosaïsme et, en Algérie, le mahométisme. Entre les diffé-
rents cultes reconnus, la loi garde, au point de vue du droit,
une impartialité qui a été mal exprimée par cette phrase fa-
meuse : la loi est athée 1.
855. Avant 1830, la subvention sur les fonds de l'État ne
pouvait être accordée qu'aux cultes chrétiens, ce qui excluait
le judaïsme. A partir de 1830, l'empêchement a disparu, et une
loi du 8 février 1831 a donné un traitement aux ministres du
culte israélite.
856. Les caractères principaux de notre droit public
ecclésiastique sont : 1° la liberté des cultes combinée avec la
protection de l'État et la subvention aux cultes reconnus;
2° la séparation de l'autorité temporelle et de l'autorité spiri-
tuelle. Nous allons examiner en quoi consistent ces deux prin-
cipes.
257. La liberté religieuse peut être considérée à un double
point de vue, la conscience et le culte. Tant que l'on demeure
dans le for intérieur ou que même on ne dépasse pas les limites
de la profession et du culte individuels, la liberté religieuse
n'est bornée que par la loi pénale de droit commun et par les
lois d'ordre public.
858. La même latitude n'est pas accordée au culte ex-
térieur. Comme il suppose des réunions publiques, sa liberté
a été subordonnée aux lois sur les réunions et associations (loi
sur les réunions publiques du 30 juin 1881 et art. 291, 294 du
Code pénal et loi du 10 avril 1834 sur les associations). Nous
consacrons plus bas un chapitre spécial à l'étude de ces lois.
859. Il n'existe pas, à mon sens, d'autre restriction à la
liberté des cultes que celles qui résultent des lois sur les réu-
1 Dans ces dernières années, les efforts des législateurs ont tendu à faire
que cette formule fût conforme à la réalité : 1° par la laïcisation des écoles
et la suppression des emblêmes religieux; 2° par la suppression du serment
en matière criminelle et civile.
LIBERTÉ RELIGIEUSE. 193
nions et associations. Ces dispositions une fois observées, je
ne crois pas que l'on puisse exiger de plus que le culte soit
reconnu, et que l'autorité, par exemple, ait le droit d'interdire
aux adhérents d'un culte non reconnu les exercices qui seraient
faits en commun, soit dans des réunions tenues conformément
à la loi du 30 juin 1881, soit par des associations de moins
de vingt personnes. Telle n'est pas l'opinion de M. Gaudry;
d'après ce jurisconsulte, « la règle de notre droit public est
le libre exercice des cultes reconnus et notamment de la religion
catholique 1. »
C'est limiter d'une manière bien étroite le principe de la
liberté des cultes. Est-il cependant possible de concilier la liberté
avec la nécessité de la reconnaissance par l'État? Y a-t-il un
droit véritable là où la permission administrative est une con-
dition de son exercice? La reconnaissance pouvant être révo-
quée après avoir été accordée, il en résulterait que si demain le
gouvernement retirait à un culte la protection qu'il lui a donnée
jusqu'à présent, la liberté cesserait d'exister pour les partisans
de cette religion. M. Gaudry a trop fait voir sa pensée lorsqu'il
ajoute que la liberté doit s'entendre du libre exercice des cultes
reconnus, et spécialement du culte catholique. Nous croyons
que si la loi, devenue intolérante, avait cessé de reconnaître
les religions aujourd'hui reconnues et spécialement le culte
catholique, pour instituer un culte nouveau et exclusif, l'ho-
norable jurisconsulte aurait entendu la liberté d'une façon plus
large. Nous pensons aussi qu'il est bon, pour défendre la
liberté, de ne pas attendre que les circonstances nous aient
rejetés dans la minorité.
260. Mais, ajoute le même auteur, « s'il était permis à
chaque individu de créer un culte à sa manière, l'autorité
publique lui devrait non-seulement la liberté mais la protec-
,
tion; car, remarquons-le bien, la protection n'est pas une fa-
culté, c'est un devoir pour l'autorité civile et un droit pour
le culte. Or ne serait-il pas absurde que l'autorité publique
dût nécessairement protéger ce qu'elle jugerait contraire à

1 Législation des cultes, t. I, p. 251.


B. — II. 13
194 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

l'ordre social ? Ne sait-on pas à quel délire s'est laissé emporter


l'esprit humain? Combien de folies, de superstitions, sous le
nom de cultes, ont affligé la société? Il suffirait donc qu'un
petit nombre d'individus eussent décoré du titre de culte les
pratiques les plus bizarres, les plus dangereuses, pour qu'ils
vinssent se prévaloir de la loi et dire à l'autorité civile : « Vous
me devez liberté et protection ! » Il n'est pas possible de tolérer
cette doctrine 1. »
Cette argumentation est forcée. S'il s'agit de pratiques dan-
gereuses ou immorales, le gouvernement ne leur doit ni liberté
ni surtout protection; ce culte tombera plutôt sous le coup
de la loi pénale, et, au lieu de garanties, il trouvera la répres-
sion. Quant aux folies, il faut se montrer très circonspect et
très mesuré quand on donne cette qualification aux idées des
autres. S'il était démontré que le culte nouveau est un effet
de la démence, l'État donnerait aux rares partisans de cette
doctrine une place dans les maisons d'aliénés; c'est la seule
protection qui soit due à ces malheureux. Nous aimons mieux
dire avec M. Vivien : « Le système de l'autorisation préalable
soulève une première objection; il tue la liberté. Ai-je encore
un droit, si je n'en puis user que sous le bon plaisir de l'au-
torité publique? Cette proposition est tellement évidente qu'elle
ne comporte pas de démonstration... La conséquence du sys-
tème purement répressif est, nous en convenons, de laisser
subsister le culte dans tout ce qui n'est pas contraire aux lois,
et par suite de permettre que de nouveaux autels se dressent
en face des anciens, que des sectes se forment, que des schismes
éclatent. Mais ces églises, ces sectes, ces schismes, ne sont-ils
pas le fruit naturel et légitime de la liberté? Le bras séculier
doit-il se lever pour les anéantir? Quelle est donc la religion
qui a besoin d'un tel appui et qui, pour vaincre ses rivales,
désespère de la persuasion et fait appel à la force? Faux et
imprudent calcul ! Les religions ont plus à craindre de l'en-
gourdissement qui suit d'ordinaire une possession paisible et
incontestée que des témérités des novateurs... Il se peut que

1 Législation des cultes, t. I, p. 252 et 253.


LIBERTÉ RELIGIEUSE. 195
l'unité religieuse et la pureté des dogmes soient mises en ques-
tion ; mais l'État n'en est pas le gardien et n'a rien à voir dans
les discussions. Les intérêts qui le touchent sont à couvert; et
c'est là tout ce qui lui importe1. »
261. La liberté religieuse telle que nous venons de la
définir, existe pour tout le monde, pour les étrangers comme
pour les nationaux. L'étranger qui se conforme aux lois fran-
çaises peut donc présider à des exercices religieux, qu'il soit
protestant, catholique ou israélite. A la vérité la loi du 4 bru-
,
maire an X, organique du culte protestant, excluait les étran-
gers du ministère des confessions luthérienne et calviniste;
mais cette prohibition n'est sanctionnée par aucune pénalité.
Seulement la qualité de ministre n'effacerait pas celle d'étran-
ger, et le gouvernement pourrait l'expulser par mesure de
police, comme si c'était un particulier sans caractère sacré 2.
262. Non-seulement la loi reconnaît la liberté des cultes;
elle la protège soit dans la personne de ses ministres, soit dans
le respect dû aux choses saintes, soit dans les exercices pieux.
Les articles 260 et 261 du Code pénal punissent l'atteinte por-
tée au libre exercice des pratiques religieuses. L'article 262
du même Code et la loi du 29 juillet 1881, art. 313, frappent de
peines particulières les attaques envers les ministres des cultes,
à raison de leurs fonctions et de leurs qualités. L'article 262
du Code pénal punit la violation des objets du culte. Ce der-
nier article avait été, sous la Restauration, modifié par la loi
du 20 avril 1825 sur le sacrilège; mais l'abrogation de cette
dernière loi a remis en vigueur l'article 262 du Code pénal 4.

1 Études administratives, t. II, p. 239, 243.


2 Riom, arr. du 14 janvier 1852 (D. P. 1852, II, 172).
3 L'article 31 de la loi du 29 juillet 1881 ne punit que la diffamation ou

l'injure envers les ministres des cultes salariés par l'État. Les ministres des
cultes non salariés sont considérés comme de simples particuliers.
4 V. Les commentaires du Code pénal et Gaudry, op. cit., t. 1, p. 262 et suiv.

Loi du 20 avril 1825. Tit. 1er. Du sacrilège. — Art. 1er. « La profana-



tion des vases sacrés et des hosties consacrées constitue le sacrilège.
Art. 2. « Est déclarée profanation toute voie de fait, commise volontaire-
196 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

De ce que l'État doit protection au culte, une partie


863.
condamnée, en première instance et en appel, pour colportage
illicite, avait conclu que l'arrêt qui la condamnait devait être
cassé comme attentatoire au principe de la liberté religieuse,
parce que, dans les considérants, les magistrats avaient qualifié
la propagande de l'accusé de fanatisme, d'esprit audacieux
de prosélytisme, de sentiments exagérés. C'étaient assurément
des expressions fort regrettables et qui ne se concilient pas
avec la gravité de la justice. Mais ces termes ne constituaient
pas le dispositif de l'arrêt, et la condamnation étant du reste
fondée sur des faits punissables, le moyen de cassation était
exclusivement dirigé contre les considérants et non contre la
condamnation; c'est donc avec raison que le pourvoi a été
rejeté 1.
Quelques-unes des dispositions du Code pénal ne sont appli-

ment, et par haine ou mépris de la religion sur les vases sacrés ou les hos-
ties consacrées.
Art. 3. « Il y a preuve légale de la consécration des hosties lorsqu'elles
sont placées dans le tabernacle ou déposées dans l'ostensoir, et lorsque le
prêtre donne la communion ou porte le viatique aux malades. — Il y a
preuve légale de la consécration du ciboire, de l'ostensoir, de la patène et
du calice, employés aux cérémonies de la religion au moment du crime. Il y
a également preuve légale de la consécration du ciboire et de l'ostensoir
enfermés dans le tabernacle de l'église ou dans celui de la sacristie.
Art. 4. « La profanation des vases sacrés est punie de mort si elle a été
accompagnée des deux circonstances suivantes : 1° si les vases sacrés
renfermaient, au moment du crime, des hosties consacrées; 2° si la profa-
nation a été commise publiquement.
Art. 5. «La profanation des vases sacrés sera punie de la peine des tra-
vaux forcés à perpétuité si elle est accompagnée de l'une des deux circons-
tances prévues dans l'article précédent.
Art. 6. « La profanation des hosties consacrées commise publiquement
sera punie de mort. — L'exécution sera précédée de l'amende honorable
faite par le condamné devant la principale église du lieu où le crime a été
commis, ou du lieu où aura siégé la cour d'assises. »
Les articles 7 à 12 punissaient le vol sacrilège et les articles 12 à 16 les
délits commis dans les églises.
1 C. cass., ch. crim., arr. du 29 avril 1859 (D. P. 1859, I, 235). L'arrêt
de la Cour de Colmar qui avait employé ces expressions était du 15 février
1859.
LIBERTÉ RELIGIEUSE. 197

cables, d'après leur texte même, qu'aux cultes légalement re-


connus; mais de ce que la loi a entendu restreindre l'appli-
cation des lois pénales, il ne faudrait pas conclure que la liberté
n'existe pas pour les cultes non reconnus. La liberté n'implique
pas nécessairement la protection par des mesures spéciales,
et de ce que toutes les mesures de répression ne leur sont pas
applicables, il ne faut pas conclure qu'il n'y a pas de liberté
pour les cultes non reconnus.
264. La liberté est-elle conciliable avec le décret du 19 mars
1859 qui a réglé les conditions de l'exercice des cultes pro-
testants et des cultes non reconnus? Résumons d'abord les
dispositions de ce décret.
S'agit-il de l'exercice public temporaire du culte, il faut
obtenir une autorisation du préfet. Un décret en Conseil d'État
est indispensable si, au lieu d'un exercice temporaire, il est
question de fonder une chapelle ou oratoire où le culte serait
célébré d'une façon permanente. Lorsque l'autorisation a été
donnée dans cette dernière forme, elle ne peut être retirée que
par un décret rendu en Conseil d'État. Mais, comme il pourrait
y avoir urgence, les ministres de l'intérieur et des cultes ont le
pouvoir de retirer provisoirement l'autorisation, à la charge
de faire rendre un décret dans les trois mois. A défaut de ce
décret, la suspension cesse de plein droit à l'expiration du dé-
lai. Ce décret n'a pas été abrogé par la loi du 1er août 1879
sur la confession d'Augsbourg ou du moins l'abrogation est
restreinte aux dispositions contraires à cette loi. D'un autre
côté, le décret du 12 mars 1880 n'abroge que les dispositions
du décret qui seraient spéciales à cette confession.
Nous ne contesterons pas la légalité de ce décret; la légalité
est même hors de doute depuis qu'il a été visé par la loi du
1er août 1879; il faut seulement en bien déterminer la portée.
S'il s'agit d'associations au delà de vingt personnes, l'admi-
nistration ayant le droit de fixer les conditions auxquelles l'as-
sociation sera autorisée, a pu indiquer la règle à suivre pour
ces permissions dans le décret du 19 mars 1859. Mais, au-
dessous de vingt personnes, la liberté de s'associer étant con-
sacrée comme un droit par la loi, nous pensons que le décret
198 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

ne s'appliquerait pas; car le gouvernement n'a pas le pouvoir


de soumettre à l'autorisation préalable le culte dont l'exercice
a été déclaré libre par nos lois constitutionnelles, lorsque,
d'un autre côté, le Code pénal (art. 291-294) et la loi du 10 avril
1834 ne sont pas applicables.
Remarquons d'ailleurs que les termes du décret ne s'appli-
quent qu'à l' exercice public du culte, ce qui implique un appel
fait aux fidèles sans limitation de nombre. On comprend que,
pour faire un appel de cette nature, l'autorisation ait été exigée,
mais elle ne serait pas nécessaire à des personnes qui s'asso-
cieraient en nombre limité inférieur à vingt, pour se livrer en
commun à des pratiques religieuses.
865. Le culte catholique lui-même ne pourrait pas, au-
dessus de vingt personnes, être exercé sans autorisation. Cette
restriction résulte, non du décret précité car il n'est applicable
qu'aux cultes protestants ou non reconnus, mais d'un article
du Concordat, l'article 45, qui défend de se livrer, sans auto-
risation, aux exercices du culte catholique ailleurs que dans
les temples et chapelles autorisés. « Aujourd'hui, comme tou-
jours, disait le ministre des cultes dans le rapport qui accom-
pagnait le décret du 19 mars 1859, un consistoire dans sa
circonscription ne peut, pas plus qu'un évêque dans son dio-
cèse créer par sa seule volonté un oratoire ou nouveau
,
lieu de culte... On peut résumer notre législation en disant
qu'elle a créé la liberté absolue de conscience, mais qu'elle
n'a pas admis la liberté illimitée de l'exercice public des
cultes. »
Cette distinction est en effet consacrée par nos lois ; mais
nous ferons remarquer encore une fois que l'interdiction sans
autorisation préalable s'applique seulement aux associations
religieuses au-dessus de vingt personnes avec appel illimité fait
au public et non aux associations qui n'excéderaient pas le
nombre légal.
866. Occupons-nous maintenant de l'indépendance réci-
proque des autorités spirituelle et temporelle. Les dispositions
où ce principe est consacré ne concernent que les cultes recon-
nus; quant aux cultes non reconnus, il était inutile d'établir
LIBERTÉ RELIGIEUSE. 199

par des dispositions expresses une séparation qui est la con-


séquence naturelle de la non reconnaissance.
267. Il y a des pays en Europe où cette séparation n'existe
pas, où le chef de l'État est, en même temps, chef de l'Église,
où, suivant l'expression de Hobbes, les deux têtes de l'aigle
ont été réunies. C'est le système que dernièrement un écrivain
recommandait aux princes d'établir : « Les princes reliront
l'histoire disait-il ; ils verront que les gouvernements forts
,
sont ceux qui ont tenu la religion sous leur main; que le sénat
de Rome ne laissait pas aux prêtres carthaginois le droit de
prêcher en Italie; que la reine d'Angleterre et l'empereur de
Russie sont les chefs de la religion anglicane et russe, et que
la métropole souveraine des Églises de France devrait être
légitimement à Paris 1. »
868. A ceux qui ne sont préoccupés que de créer un gou-
vernement fort, cette doctrine doit paraître séduisante. Elle
l'est moins si on se place au point de vue de l'individu et de
sa liberté. L'idéal de la bonne politique consiste à concilier les
libertés individuelles avec ce qui est nécessaire à l'autorité et au
bon ordre. En réunissant les deux têtes de l'aigle, on enlève-
rait, sans profit pour l'ordre public, une garantie à l'individu.
La religion ne peut que gagner à être dégagée des intérêts
et ambitions terrestres; c'est le mélange hétérogène de l'auto-
rité spirituelle avec l'autorité temporelle qui a donné à la plus
détestable des passions, au fanatisme, les plus nombreuses et
les plus terribles occasions de déchaîner ses fureurs. L'en-
thousiasme religieux, quand il ne sort pas de la sphère de la
croyance, est une sublime élévation vers le ciel; quand il veut
s'imposer, quand il appelle à son secours la force matérielle,
ce n'est plus une foi respectable, car c'est l'intolérance armée
et violente.
869. L'indépendance de l'autorité temporelle est garantie
par plusieurs dispositions de nos lois : 1° à l'égard des puis-
sances étrangères et, en particulier, de la cour de Rome; 2° à
l'égard du clergé français.

1 La Question romaine, par M. Edmond About, à la fin.


200 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

270. l'égard de la cour de Rome, la loi ne s'est pas


1° A
départie du principe général de la souveraineté, qui soumet
à une vérification les actes ou ordres émanés d'un prince étran-
ger. C'est en vertu de cette règle que nos lois civiles ne per-
mettent d'exécuter en France les jugements rendus à l'é-
tranger qu'après examen par un tribunal français (art. 2128
C. Civ.).
Des raisons particulières voulaient qu'on maintînt cette pré-
caution à l'égard de la cour de Rome. L'histoire est remplie
des luttes du Sacerdoce et de l'Empire, et l'Église a été accusée
d'aspirer à la domination universelle , même dans l'ordre tem-
porel. Notre intention n'est certes pas de réveiller des querelles
dont le retour est impossible. Mais il suffit qu'elles aient existé
pour qu'elles servent d'explication aux articles 1, 2 et 3 de la
loi organique du Concordat 1.
« Art. 1. Aucune bulle, bref,
rescrit, mandat, décret, pro-
vision signature servant de provision, ni autres expéditions
,
de la cour de Rome, même ne concernant que les particuliers,
ne pourront être reçus, publiés, ni imprimés, ni autrement,
mis à exécution sans l'autorisation du gouvernement.
,
« Art. 3. Les décrets des synodes étrangers, même ceux des
conciles généraux, ne pourront être publiés en France avant
que le gouvernement n'en ait examiné la forme, leur confor-
mité avec les lois, droits et franchises de la République fran-
çaise et tout ce qui, dans leur publication pourrait intéresser
,
la tranquillité publique. »
Un décret du 28 février 1810 a limité ces dispositions en
décidant que les brefs de la Pénitencerie, pour le for intérieur
seulement, seraient reçus sans autorisation.
271. L'article 2 de la loi organique défend à tout nonce,
légat, vicaire ou commissaire apostolique, ou se prévalant de
toute autre dénomination, d'exercer sur le sol français ou ail-
leurs, aucune fonction relative aux affaires de l'Église galli-
cane. Le complément de cette disposition se trouve dans l'ar-
ticle 10 de la loi organique, article qui déclare abolir tous

1 Loi du 18 germinal an X, organique du Concordat du 26 messidor an IX.


LIBERTE RELIGIEUSE. 201
privilèges portant exemption ou attribution de la juridiction
épiscopale.
Il est de principe, en effet, que l'évêque a la juridiction de
droit commun, en matière ecclésiastique, et c'est pour cela
qu'il est appelé l'ordinaire. Dans l'ancien droit, les ordres mo-
nastiques, ou au moins quelques-uns d'entre eux, reconnais-
sant le pape pour supérieur immédiat, n'étaient pas soumis à
la juridiction épiscopale, et leurs chefs ou supérieurs sans être
,
évoques, avaient la juridiction épiscopale sur les membres de
l'ordre. Ces exemptions, qui ont toujours été considérées en
France comme abusives, sont déclarées nulles par l'article 10
de la loi organique du 18 germinal an X; cet article n'est
d'ailleurs que la reproduction de l'article 71 des libertés de
l'Église gallicane par P. Pithou. Toutes les corporations reli-
gieuses seraient donc, d'après la loi organique, soumises à la
juridiction épiscopale.
272. L'article 207 du Code pénal, qui punit tout prêtre,
pasteur ou rabbin convaincu d'avoir, sur des matières reli-
gieuses entretenu une correspondance avec une puissance
,
étrangère, sans en prévenir le ministre des cultes, a eu prin-
cipalement en vue les relations avec la cour de Rome 1.
873. 2° A l'égard du clergé français, l'indépendance de
1 Carnot, commentaire sur le Code pénal, n° 207; Gaudry, op. cit., t. I,
p. 143.
Que faut-il entendre par ces mots : aura ENTRETENU une correspondance?
Nous ne pensons pas qu'il faille nécessairement qu'il y ait eu une série de
lettres, même qu'il y ait eu lettre et réponse. Une lettre non suivie de ré-
ponse pourrait contenir des renseignements fort importants, et je ne vois
pas en quoi le défaut de réponse diminuerait la culpabilité de celui qui aurait
pris l'initiative. Mais, en raison de la difficulté de la preuve, nous estimons
que le législateur, en employant ces termes , a entendu exclure de la dispo-
sition la correspondance verbale. Lorsque la correspondance a été accompa-
gnée de faits contraires à la loi, l'article 208 prononce la peine du bannis-
sement contre l'auteur de la correspondance. Remarquons la sévérité de la
loi. Le fait contraire aux dispositions de la loi peut n'être puni d'aucune
peine comme serait, par exemple, la publication d'une bulle sans autorisa-
,
tion. Néanmoins ce fait, qui, en lui-même, ne donne lieu à l'application d'au-
cune peine, entraîne le bannissement lorsqu'il se joint au fait de la corres-
pondance avec une cour étrangère.
202, DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

l'autorité temporelle est garantie par les dispositions du Code


pénal, qui punissent les censures, critiques ou provocations
contre l'autorité publique (art. 201 et 202). Ces dispositions
sont même applicables aux critiques relatives à la conduite du
gouvernement dans les affaires religieuses; il n'appartient pas
en effet au prêtre de censurer l'autorité temporelle en faisant
directement appel aux fidèles, et les réclamations, quand il y
a lieu d'en élever quelqu'une, doivent être traitées entre le gou-
vernement et les supérieurs ecclésiastiques. Si, au lieu d'une
simple censure ou critique, le ministre du culte avait provoqué
à la désobéissance aux lois, les articles 202 et 203 prononcent
une peine plus forte 1. La peine s'élève encore si les censures
ou provocations à la désobéissance, au lieu d'être faites dans
un discours, se trouvent dans une instruction pastorale 2.
871. Faut-il conclure du principe de l'indépendance des
autorités temporelle et spirituelle que celle-ci n'a pas le droit
de requérir la force publique?
L'article 6 de la loi du 15 juin 1791, tit. VIII, donne aux
fonctionnaires publics le droit de réquisition à l'égard des
agents de la force publique; mais, ainsi que nous le démon-
trerons plus tard, les prêtres ne sont pas des fonctionnaires
publics; ils devront donc se borner à prévenir les autorités
civiles qui prendront les mesures exigées par les circonstances
et suivant leur propre appréciation.
A qui donc appartient-il de maintenir le bon ordre dans le
temple?
S'il s'agit d'un trouble apporté au bon ordre de la céré-
monie et que le ministre du culte puisse en venir à bout, au
moyen des officiers de l'église, l'autorité civile n'a pas à in-
tervenir. Mais si le désordre, prenant des proportions plus
grandes, menaçait la tranquillité publique, le pouvoir temporel

1 Emprisonnement de deux à cinq ans, si la provocation n'a pas été suivie


d'effet; bannissement, s'il y a eu désobéissance; peine de la complicité, si
la provocation a été suivie de la perpétration d'un crime.
2 Art. 204, 205 et 206. La simple censure dans
une instruction pastorale
est punie du bannissement, et la provocation à la désobéissance, de la dé-
tention.
LIBERTÉ RELIGIEUSE. 203
aurait le droit de rétablir l'ordre dans le temple, comme dans
tous les lieux où se font des rassemblements publics. La loi
du 24 août 1790, en effet, confie à la vigilance du maire « les
lieux où il se fait de grands rassemblements, tels que les
églises, » et l'arrêté du 12 messidor an VIII charge le préfet
de police de surveiller les lieux où l'on se réunit pour l'exercice
du culte. C'est dans ces textes que l'autorité civile puise le
droit d'intervenir toutes les fois que le trouble dépassant les
limites d'un désordre intérieur, menace la sécurité publique 1.
875. Nonobstant cette réciproque indépendance, les titu-
laires de charges inamovibles avaient été astreints au serment
politique. Les curés et les desservants le prêtaient entre les
mains du préfet ou de son délégué. Il avait cependant été re-
connu, dans la pratique, que les ecclésiastiques déjà constitués
en dignité n'étaient pas obligés de prêter un nouveau serment
à chaque changement de gouvernement et, même à l'égard
de ceux qui étaient nouvellement nommés, la disposition était
à peu près tombée en désuétude bien que l'obligation continuât
d'exister en droit.
876. L'indépendance de l'autorité spirituelle à l'égard du
pouvoir temporel est réciproquement reconnue par la loi.
Nous tirerons de ce principe la conséquence que les ministres
du culte ne sont pas tenus de faire au prône les publications
que le gouvernement les requerrait de faire 2. L'article 53 de
la loi du 18 germinal an X défend, il est vrai, de lire en chaire

1 La loi des 16-24 août 1790 est maintenue expressément par la loi du 30
juin 1881, article 9.
2
Un décret du 19 février 1806, article 8, prescrivait de faire, le jour anni-
versaire de la bataille d'Austerlitz, un discours sur la gloire des armées
françaises et le devoir de chaque citoyen de consacrer sa vie à son prince et
à la patrie. Un vicaire général de Dijon, en 1812, fit, le jour anniversaire de
la bataille d'Austerlitz, une diatribe contre les conquérants. En 1806, on
prescrivit aux curés de lire en chaire les bulletins de la Grande-Armée. Sur
les réclamations du clergé, ce mode de publicité fut abandonné. En 1807,
M. de Frayssinous refusa de parler en chaire sur les devoirs de la conscrip-
tion et du service militaire. En 1815, les évêques s'opposèrent unanimement
à la lecture des proclamations sur le service militaire. Nous citons ces faits
d'après M. Gaudry, Législation des cultes, t. I, p. 213, 214.
204 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

toutes publications étrangères au culte, à moins qu'elles ne


soient autorisées par le gouvernement. Mais de ce que le gou-
vernement est compétent pour autoriser les publications, on ne
saurait conclure qu'il l'est aussi pour les imposer. C'est donc
à bon droit que l'autorité ecclésiastique a toujours refusé d'ob-
tempérer aux ordres de publier, émanés de l'autorité civile.
877. Nous ne pensons pas qu'il y ait lieu de faire excep-
tion en ce qui concerne ce que, dans l'ancien droit, on appe-
lait un monitoire. On entendait par là une ordonnance adressée
par le juge séculier à l'officiai (ou juge ecclésiastique) à l'effet
d'obtenir la publication au prône du fait sur lequel la justice
cherchait des preuves. Saisi par l'envoi du monitoire, l'offi-
cial s'adressait aux fidèles par l'intermédiaire des curés et les
avertissait de révéler les faits à leur connaissance, sous peine
d'excommunication. Comme on le voit, le monitoire supposait
des rapports établis entre la juridiction séculière et la juri-
diction ecclésiastique ou officialité; or, cette condition ferait
aujourd'hui défaut, puisque les officialités ont été supprimées.
M. Vuillefroy soutient cependant que cette obligation existe
toujours, et il s'appuie sur une décision impériale du 10 sep-
tembre 1806 et sur une décision ministérielle du 22 septembre
1812. Mais la première n'a pas été insérée au Bulletin des lois,
et, quant à la seconde, elle ne se trouve même pas clans les
recueils officiels des circulaires sur les affaires ecclésiastiques.
Une circulaire ministérielle pourrait-elle d'ailleurs porter une
atteinte aussi grave au principe de l'indépendance des pou-
voirs? Les ministres ont le droit, dans leurs circulaires, de
commenter et expliquer les lois, mais ils ne pourraient pas se
mettre au-dessus des dispositions législatives et troubler la
hiérarchie des fonctions 1.
S7§. Après avoir établi le principe, nous allons en suivre
les applications dans quelques questions qui ont fourni ma-
tière à controverse.
87®. Comme la police du temple appartient au ministre
du culte, nous pensons que le maire ne pourrait pas, sans son

1 Administration du culte catholique, par Vuillefroy, v° Monitoire.


LIBERTÉ RELIGIEUSE. 205
agrément, faire placer dans l'intérieur de l'église, du temple
ou de la synagogue, des emblèmes politiques tels que des
drapeaux, des armes ou même le buste du souverain. Les
ministres des différents cultes, quelles que soient leurs sym-
pathies, feront même très bien de n'y point consentir; car il
est bon que les lieux où les fidèles viennent prier n'offrent à
leurs regards rien qui rappelle les haines du dehors, et que
les temples soient des asiles où l'âme puisse se recueillir loin
des bruits terrestres. Il n'est que trop difficile d'oublier les
querelles extérieures, et un prêtre sensé ne favorisera pas
leur retentissement dans l'église.
280. Le maire n'a pas davantage le droit de tenir, sans
le consentement de l'autorité religieuse, des réunions dans
l'église ou la sacristie. Cette règle ne comporte qu'une excep-
tion relative à la tenue du conseil de fabrique, l'article 10 du
décret du 30 décembre 1809, sur les fabriques, donnant au pré-
sident de la fabrique la faculté de convoquer le conseil dans
l'église; la dérogation s'explique facilement par la nature des
attributions de cette assemblée 1.
881. En principe, nous ne reconnaissons pas à l'autorité
municipale le droit de faire sonner les cloches, sans le con-
sentement du curé ou desservant. Employées à des usages
profanes, leur voix « tantôt lugubre comme la mort, tantôt
« triomphale comme un jour de fête, » ne tarderait pas à perdre
son prestige religieux. D'après l'article 48 de la loi organique
du 18 germinal an X, « l'évêque doit se concerter avec le préfet
« pour régler la manière d'appeler les fidèles au service divin,
« et l'on ne peut les sonner pour toute autre cause, sans la per-
« mission de la police locale. » En exécution de cet article,
des règlements ont été arrêtés, dans plusieurs diocèses, entre
l'évêque et le préfet, et presque tous portent que les maires
pourront requérir la sonnerie des cloches « en cas d'incendie,
d'inondation, de sédition ou de quelque autre accident extraor-

1V. l'article 9 de la loi organique du 18 germinal an X et une décision


ministérielle du 21 pluviôse an XIII; Journal de droit administratif, par
MM. Chauveau Adolphe et Batbie, t. I, p. 27.
206 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.
dinaire qui demanderait le concours des habitants 1. » En
dehors de ces cas, l'autorité municipale, dans les diocèses où
la sonnerie a été réglementée, n'a le droit ni de requérir la
sonnerie, ni de faire sonner les cloches sans le consentement
du curé.
282. Si le curé résiste dans un cas de calamité publique,
le maire n'aura-t-il donc aucun moyen de vaincre ce refus
dans l'intérêt du salut public? Cette question doit être résolue
par une distinction. Dans les cas prévus formellement par le
règlement diocésain, le maire a le droit de requérir la sonnerie
des cloches, et si le curé ne veut pas donner d'ordre au son-
neur, nous croyons qu'il appartient au maire de prendre des
moyens pour appeler les populations au son des cloches. Au
contraire, s'il n'y a pas de règlement diocésain ou lorsqu'il y
en a un, mais qu'on se trouve dans des cas qu'il ne prévoit
pas, le maire ne peut pas faire sonner sans s'être concerté
avec le curé. Comment admettre que le curé refusera, en
semblable occurrence, de se rendre au voeu du maire? Re-
marquez qu'en dehors des exercices religieux , le curé n'a
pas le droit de faire sonner sans la permission de l'autorité
municipale. On pourrait donc retourner l'argument et dire :
Si, en cas de malheur public, le maire ne veut pas laisser
sonner les cloches, comment le curé pourra-t-il triompher de
cette résistance? Il est plus simple de supposer que les deux auto-
rités s'entendront, conformément à l'esprit de l'article 48 précité

1 V. notamment l'article 4 du règlement pour le diocèse de Saint-Dié,


du 10 mars 1840; le règlement du diocèse de Beauvais, du 29 mai 1840, et
celui d'Amiens, du 15 mai 1833, article 5. Le projet de loi sur l'organisation
municipale, déjà voté par la Chambre des députés et actuellement en dis-
cussion devant le Sénat, consacre deux articles à la sonnerie des cloches.
« Article 100. Les cloches des églises sont spécialement affectées aux céré-
monies du culte. — Néanmoins elles peuvent être employées : dans les cas
de péril commun qui exigent un prompt secours ; dans les circonstances pour
lesquelles des dispositions de lois ou des usages locaux le prescrivent. »
L'article 100, 2e §, dit que les sonneries religieuses et les sonneries civiles
seront l'objet d'un règlement arrêté entre l'évêque et le préfet.
L'article 101 dispose qu'une clé de l'église et du clocher sera remise au
maire.
LIBERTÉ RELIGIEUSE. 207
de la loi du 18 germinal an X, et de décider que leur concours
est indispensable. Il serait vraiment extraordinaire que l'au-
torité municipale pût disposer seule d'un objet principalement
affecté au culte, tandis que l'autorité religieuse ne pourrait
pas en disposer sans l'autorisation du maire.
M. Vuillefroy qui, dans toutes les questions controversables
,
se prononce pour l'autorité temporelle avec une persistance
qui s'allie difficilement à l'impartialité scientifique, soutient 1

que si le maire est compétent pour autoriser la sonnerie des


cloches en dehors des cas prévus par le règlement diocésain,
il doit, à plus forte raison, avoir le droit de l'ordonner. Cet ar-
gument à fortiori sensu est peu concluant, car il repose sur
un principe erroné. De ce que la loi donne à un agent le
pouvoir d'empêcher, on ne saurait conclure qu'elle lui donne
le droit de faire. Le chef de l'État et les préfets peuvent s'op-
poser à ce qu'une commune vende ou emprunte, et cepen-
dant il est incontestable que si la commune ne voulait pas
emprunter ou vendre, le chef de l'État ou le préfet ne pour-
raient pas ordonner la vente ou l'emprunt. Cet exemple dé-
montre combien est erroné le principe général sur lequel
M. Vuillefroy a édifié son syllogisme à fortiori sensu. A la vérité
il cite à l'appui de son opinion un avis du comité de l'intérieur
du Conseil d'État en date du 21 juillet 1835. Mais on peut op-
poser un avis du comité de législation en date du 17 juillet
1840, où il est reconnu que le maire ne peut pas exiger une
clé du clocher.
Le comité de l'intérieur a persévéré dans la jurisprudence
par un autre avis du 21 juillet 1845 dont la doctrine est encore
plus favorable à l'autorité religieuse. Il faut reconnaître, en effet,
que l'avis du 17 juin 1840 ne consacrait pas entièrement notre
solution ; car, tout en refusant au maire le droit d'avoir une clé
du clocher, il décidait que " dans les cas de péril commun qui
exigent un prompt secours ou dans les circonstances pour les-
quelles les dispositions de lois où de règlements ordonnent la
sonnerie, le curé ou le desservant doit obtempérer aux réqui-

1 Administration du culte catholique, p. 142 et 143.


208 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

sitions du maire, et qu'en cas de refus, le maire peut faire


sonner les cloches, de son autorité privée. » Dans les circons-
tances prévues par le règlement diocésain ou par des textes de
loi, rien de mieux; mais dans les cas non prévus, comme l'ap-
préciation du maire peut s'égarer, nous pensons qu'il faut
donner au curé un droit d'examen 1.
883. Nous admettons cependant à notre doctrine un tempé-
rament qui a de l'importance et que nous trouvons indiqué
dans l'avis du comité de législation du 17 juin 1840. Si dans la
commune il y avait un usage ancien, par exemple celui de con-
voquer le conseil municipal par le son des cloches, il faudrait
conserver cette habitude et donner au maire les mêmes droits,
dans ce cas, que dans les cas prévus par le règlement diocé-
sain. Je reconnais que dans la plupart des communes, il est
d'usage qu'on sonne les cloches en cas d'incendie ou d'inonda-
tion; si l'usage existe, le maire y puisera un droit que nous lui
avons refusé en principe. Il n'y a pas là contradiction ; car il
pourrait se faire que dans certaines communes il y eût des
moyens particuliers d'appeler la population en cas d'incendie,
et que, par exemple, on employât la sonnerie du beffroi de
l'hôtel-de-ville. Si le maire voulait, en l'absence d'un règlement
diocésain, changer cette coutume et exiger la sonnerie des
cloches, nous pensons que l'agrément du curé ou du desservant
serait indispensable.
En résumé, le maire a le droit de requérir la sonnerie et,
en cas de refus, de faire sonner les cloches, même sans l'agré-
ment du curé, dans les cas formellement prévus par le règle-
ment diocésain ou dans ceux qui sont consacrés par un long
usage. A défaut de règlement ou d'usage, et dans les cas non
prévus au règlement, s'il y en a un l'approbation du curé
,
nous paraît être nécessaire.
881. Comme l'administration des sacrements a un carac-
tère essentiellement spirituel, l'autorité religieuse peut la re-
fuser sans qu'elle ait à subir le contrôle ou le blâme du pouvoir

1J'ai déjà combattu l'opinion de M. Vuillefroy dans le Journal de droit ad-


ministratif, t. I, p. 29. V. Foucart, t.1, p. 550.
LIBERTÉ RELIGIEUSE. 209
temporel. Cela ne doit s'entendre que du refus pur et simple,
non motivé. Si le refus était accompagné de motifs propres à
dégénérer en scandale public, à entacher l'honneur du citoyen,
ou s'ils étaient seulement contraires aux lois , nous verrons
ultérieurement qu'il y aurait ouverture à l'appel comme d'abus.
885. Les mêmes observations et distinctions s'appliquent
au refus de sépulture. Mais sur ce point la question donne
lieu à plus de difficulté, à cause d'un décret du 23 prairial
an XII, dont l'article 19 porte que « si un ministre du culte,
« sous quelque prétexte que ce soit, se permet de refuser son
« ministère pour l'inhumation d'un cadavre, l'autorité civile,
« soit d'office, soit sur la réquisition de la famille, commettra
« un autre ministre du même culte pour remplir ces fonctions;
« dans tous les cas, l'autorité civile est chargée de faire porter,
« présenter,
déposer et inhumer le corps. » Cette disposition
a été exécutée plusieurs fois, après la révolution de 1830.
Dans quelques circonstances elle a reçu une exécution gro-
tesque qui peut être considérée comme une profanation 1. Ce-
pendant, même sous le gouvernement de Juillet, l'administra-
tion n'a jamais marché avec fermeté dans cette voie, et nous
trouvons parmi les précédents de la question une lettre du
ministre de l'intérieur qui désavoue la conduite d'un maire
pour avoir mis le décret à exécution. Aussi M. Vuillefroy 2
reproche-t-il à l'administration des cultes « des incertitudes
inexplicables et de déplorables contradictions. »
886. A nos yeux rien n'est plus facile à expliquer que
cette hésitation; car, avec M. Affre 3, nous pensons que le
décret du 23 prairial an XII est inexécutable. D'abord en ce
qui concerne le droit pour le maire de commettre un autre
prêtre il est difficile d'imaginer rien de plus contraire aux
,

1 V. dans le Journal de droit administratif, t. I, p. 105 et 106, le récit de


ce qui, en 1847, se passa à Périgueux, après la mort d'un ancien prêtre
constitutionnel qui était décédé en manifestant le voeu de n'être pas enterré
par l'Église. C'est à ce sujet que fut écrite, par M. Duchatel, la lettre du
23 janvier 1847 dont il est parlé au texte.
2
Administration du culte catholique p. 495, note b.
,
3 Administration temporelle des paroisses,
p. 629, note 2.
B. — II. 14
210 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

règles de la hiérarchie et de la séparation des pouvoirs. La


mesure serait d'ailleurs illusoire ; car si le prêtre commis refuse
(et cela ne manquera pas d'arriver), comment triomphera-t-on
de cette résistance? Le décret, prévoyant cette difficulté, a donné
au maire le droit de faire présenter et déposer le corps à l'église.
Mais de deux choses l'une : ou le dépôt sera accompagné de
prières ou il ne le sera point. Si oui, qui les récitera? Quand
le prêtre ne vient pas au temple, à qui peut-il appartenir de se
mettre à sa place? Si non, à quoi servira une présentation du
corps non accompagnée de prières? Je ne vois aucune utilité
à briser les portes de l'église pour y faire une station au lieu
de prendre directement la route du cimetière. C'est parce que
le décret est inexécutable que nous le considérons comme
abrogé par les dispositions constitutionnelles qui ont proclamé le
principe de la liberté des cultes. Une décision du ministre des
cultes, en date du 28 juin 1838, inspirée par un louable esprit
de conciliation, a décidé « que l'article 19 du décret du 23 prai-
rial an XII ne saurait recevoir ni interprétation ni exécution
contraire aux lois fondamentales, à la destination et à l'indé-
pendance réciproque des deux puissances que les lois ont éta-
blies. » Mais n'est-ce pas vouloir l'impossible? L'article 19 peut-
il être exécuté, même partiellement, sans violer la séparation
des pouvoirs? Dire que le décret ne doit pas recevoir d'exé-
cution contraire à un principe qu'il viole ouvertement, n'est-ce
pas connaître implicitement qu'il ne doit pas être exécuté?
887. C'est au ministre du culte qu'il appartient de fixer
les heures d'ouverture et de fermeture des églises, temples ou
synagogues. Les maires ont, à notre avis, exigé sans droit,
dans certaines communes, que les portes fussent ouvertes à
des heures où l'autorité spirituelle avait décidé qu'elles seraient
fermées. L'autorité civile pourrait, au contraire, réclamer la
fermeture des portes si cette mesure était nécessaire pour pré-
venir des désordres rentrant dans les attributions de la police
municipale.
Toujours en vertu du principe de l'indépendance des deux
puissances, le curé a aussi le droit d'exclure un paroissien
d'une confrérie. Si l'exclusion n'est pas motivée de manière à
LIBERTÉ RELIGIEUSE. 211
produire du scandale, l'autorité temporelle n'a aucun droit
d'intervention en cette matière.
888. L'article 11 de la loi des 18-22 mai 1791 porte que
« dans chaque municipalité il sera, par les officiers munici-
« paux, désigné des lieux exclusivement destinés à recevoir
« les affiches des lois et des actes de l'autorité politique. »
Cette disposition ne limitant pas les lieux qui seront désignés,
les maires ont-ils le droit de choisir les murs extérieurs des
édifices affectés au culte? Une circulaire ministérielle leur a
prescrit de s'abstenir, en règle générale, de faire afficher sur
les murs ou portes des églises. « Dans les communes, dit la
circulaire, où il n'existe pas de bâtiment affecté à la mairie,
s'il n'y a point un autre endroit plus favorable à la publicité,
il sera facile d'élever à peu de frais, sur la place même de
l'église, un poteau ou pilier sur lequel on placera un tableau
destiné à recevoir les affiches 1. »
L'article 16 de la loi du 29 juillet 1881, sur la presse, excepte
les édifices consacrés au culte, du droit qu'ont les candidats de
faire afficher leurs professions de foi et circulaires sur les murs
des édifices publics. Que faudrait-il décider en ce qui concerne
la désignation des lieux destinés à recevoir les actes de l'autorité
publique? L'article 15 de la même loi ne fait aucune exception,
et de la généralité des termes qu'il emploie on pourrait conclure
que le maire a le droit de désigner les murs de l'église pour
recevoir les affiches des actes de l'autorité publique. Cette con-
clusion est corroborée par l'article 16 qui n'exempte les édifices
destinés au culte, que de l'affichage des professions de foi ou
circulaires. Il est à remarquer, cependant, que l'article 15 de
la loi de 1881 n'est que la reproduction textuelle de l'article
11 de la loi des 18-22, 1791. On pourrait donc soutenir que
la loi nouvelle n'a pas conféré au maire plus de droits que
l'ancienne pour la désignation des lieux destinés à recevoir

1 Circulaire du 25 juin 1850. Il est des cas particuliers où l'affichage à la


porte de l'église est prescrit par la loi. C'est ce qui doit avoir lieu spéciale-
ment pour tous les actes d'expropriationpour cause d'utilité publique (art. 6,
15 et 21 de la loi du 3 mai 1841).
212 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

les affiches officielles, et que les murs de l'église ne peuvent


pas servir à cet usage, sans le consentement du curé.
889. D'après l'article 75 du décret sur les fabriques, du
30 décembre 1809 , tout ce qui concerne les quêtes à faire
dans l'intérieur de l'église est réglé par l'évêque. Il faut con-
clure de là que l'évêque ou le curé pourrait interdire la quête
par les femmes, s'il pensait que leur circulation dans l'église
fût de nature à troubler l'ordre des exercices religieux. « En
un mot, dit M. Affre, tout ce qui peut dégénérer en désordre
ou présenter une simple inconvenance pendant la célébration
des offices, peut légalement être réformé par celui auquel la
loi confère la police de l'église. D'où je conclus que là où le
but ne peut être atteint que par l'exclusion des femmes quê-
teuses, les femmes peuvent être exclues 1. » Sans doute les
membres du bureau de bienfaisance sont autorisés par la loi
à quêter dans les églises, et le ministre du culte s'y opposerait
sans droit. Mais, en ce qui concerne les délégués du bureau,
comme aucune disposition expresse ne les couvre, le curé pui-
serait dans son droit de police la faculté de former opposition 2.
Quoique l'article 75 précité ne parle que de la compétence de
l'évêque, nous pensons que le curé pourrait, à défaut d'ordre
venu de l'évêché, prendre la prohibition sous sa responsabilité.
290. L'article 47 de la loi organique du 18 germinal an X
veut que « dans les cathédrales et paroisses il y ait une place
distinguée pour les individus catholiques qui remplissent les
fonctions civiles ou militaires. » Dans la plupart des communes
il y a un banc pour le maire. Mais , comme la loi ne lui donne
formellement droit qu'à une place distinguée, sans indiquer de
quelle manière il y sera pourvu, nous ne pensons pas que le
maire puisse exiger un banc gratuit. Un usage suivi dans beau-
coup de communes, et qu'on ne saurait trop approuver, parce
qu'il favorise les bonnes relations des autorités civiles et ecclé-
siastiques, met gratuitement un banc à la disposition du maire.
Mais c'est un bon procédé, une courtoisie louable, ce n'est

1 Administration temporelle des paroisses, p. 484.


2
Journal de droit administratif, t. I, p. 35.
LIBERTÉ RELIGIEUSE. 213
ni une obligation pour la fabrique ni un droit pour le maire.
Les autorités civiles et militaires n'ont droit qu'à une place
distinguée; seuls les princes, dignitaires ou membres des
autorités nationales ont droit au fauteuil. Que faut-il entendre
par membres des autorités nationales? — Les ministres, les
sénateurs, les députés au Corps législatif, les membres du Con-
seil d'État, ont incontestablement droit au fauteuil dans les céré-
monies auxquelles ils sont convoqués, telles que les Te Deum
d'actions de grâces. Comme la compétence de la Cour de cas-
sation et de la Cour des comptes s'étend à tout le ressort, nous
pensons qu'on doit aussi les comprendre parmi les autorités
nationales 1.
891. L'article 45 de la loi du 18 germinal an X dispose que
« aucune cérémonie religieuse n'aura lieu hors des
édifices con-
sacrés au culte catholique, dans les villes où il y a des temples
consacrés à différents cultes. » Que faut-il entendre par temples
dans le sens de cette disposition? Faut-il qu'il y ait une église
consistoriale protestante, ou suffit-il qu'il y ait un simple
oratoire? Une décision ministérielle du 30 germinal an XI,
interprétant officiellement l'article 45, a décidé qu'il n'y avait
lieu de prohiber la sortie des processions que dans les villes
où il y a un consistoire; il ne suffirait donc pas qu'il y eût
quelques protestants et un oratoire. Même dans les communes
où se trouve un consistoire, il n'y aurait pas lieu à interdire
les processions si les protestants ne réclamaient pas.
Nous pensons d'ailleurs que le maire, qu'il y ait ou non des
protestants, pourrait interdire les processions extérieures si
réellement elles devaient présenter de sérieux inconvénients
pour la circulation et l'ordre public. La police des rues appar-
tient à l'autorité municipale et la sortie des processions est
subordonnée aux nécessités de l'ordre public. Mais il faut que
ce soit un motif sérieux, non un pur prétexte, et le maire
manquerait à son devoir s'il cachait une pensée irréligieuse
sous la crainte factice d'un péril imaginaire. Il faut, dans
l'exécution des lois, apporter une grande bonne foi, et qui-

1 Décret du 24 messidor an XII, article 9, de la section IV, 1re partie.


214 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

conque manque à cette obligation devrait être sévèrement


réprimé par les autorités supérieures. Après 1830, des ins-
tructions arrêtées en conseil des ministres, tout en établissant
que les maires avaient le droit d'interdire les processions,
faisaient observer aux préfets qu'il fallait distinguer entre le
pouvoir et le devoir et tenir compte des habitudes chères aux
populations 1.
898. Dans les villes où l'on fait sortir les processions, il
est d'usage de placer des tentures, soit le long des maisons,
en signe d'honneur, soit au-dessus des rues à parcourir, pour
protéger contre la pluie ou le soleil les personnes qui suivent
le Saint-Sacrement. Évidemment un arrêté municipal qui as-
treindrait les particuliers à mettre des tentures sur les façades
de leurs maisons, porterait atteinte, soit à la liberté de cons-
cience, soit à la liberté individuelle. Mais si l'administration
offrait de tendre la façade, le propriétaire serait-il obligé de
supporter les tentures sur son mur? Comme il sera facile de-
fixer les tentures sur des poteaux, nous ne voyons pas qu'il
y ait un intérêt sérieux de faire violence aux réclamants
et, en tout cas, nous ne croyons pas que l'autorité ecclésias-
tique eut le droit de le faire malgré l'opposition du proprié-
taire 2.
893. Enfin les processions sont ordinairement escortées
par des détachements de l'armée ou de la garde nationale. Les
gardes nationaux pourraient-ils, sans s'exposer à des peines
disciplinaires, refuser le service pour lequel ils sont convoqués,
si leur refus se fondait sur des motifs de conscience? Une dis-
tinction a été proposée : Si on les commande, dans l'intérêt de
la sûreté et de l'ordre publics, ils doivent obéir. Si, au con-
traire, on les convoque uniquement pour former une escorte
d'honneur, la liberté de conscience leur donne le droit de
s'abstenir. La question ne peut plus s'élever aujourd'hui; car,

1 C'est l'interprétation que donna de l'article 45 de la loi organique , une


commission composée de MM. Portalis, Siméon, Dupin aîné, dans les pre-
mières années du gouvernement de Juillet.
2 Nous revenons ici sur une opinion que nous avions à tort défendue dans
le Journal de droit administratif, t. I, p. 242.
LIBERTÉ RELIGIEUSE. 215
même pour les cérémonies funèbres, les troupes qui escortent
le corps n'entrent pas dans le temple.
891. En nous appuyant sur le principe de l'indépendance
relative des pouvoirs spirituel et temporel, nous décidons que
l'administration est sans droit pour suspendre le traitement
des ecclésiastiques. Si le ministre du culte attaque le gouver-
nement, il y a dans le Code pénal, dans les articles 201 à 208
des moyens de répression efficaces et légaux.
Le droit de suspendre le traitement n'appartient pas à l'ad-
ministration à l'égard des fonctionnaires inamovibles et, en
particulier, des magistrats. La loi du 20 avril 1810, en effet,
prévoit les cas dans lesquels a lieu la suspension du traite-
ment des magistrats; il en résulte à contrario qu'en dehors
des circonstances limitativement prévues, l'administration est
sans droit pour prendre à leur égard une mesure semblable.
Il en est de même des officiers de terre et de mer. Si
le gouvernement a le pouvoir de leur donner ou de leur re-
tirer, à son gré, l'emploi effectif, il ne peut les faire passer
de la non-activité à la réforme qu'en se conformant aux dispo-
sitions de la loi du 19 mai 1834. Or, ce qui est vrai des magis-
trats et des officiers l'est, à plus forte raison, des ministres
du culte qui ne sont pas des fonctionnaires publics, et dont le
traitement est une indemnité représentative des biens confis-
qués par la nation dans les années 1790 et suivantes. Les
décrets des 17 novembre 1811 et 6 novembre 1813 ont d'ail-
leurs prévu les conséquences que devaient produire, au point
de vue du traitement, la suspension canonique des titulaires
d'emplois ecclésiastiques. Si l'administration avait eu un pou-
voir discrétionnaire et absolu pour suspendre le traitement des
ecclésiastiques, on n'aurait sans doute pas pris soin de consa-
crer un pareil droit pour des cas déterminés et limités.
L'article 8 de la loi de finances du 23 avril 1833 dispose que
« nul ecclésiastique salarié par
l'État, lorsqu'il n'exercera pas
de fait dans la commune qui lui aura été désignée, ne pourra
toucher son traitement. » Cet article a été voté au milieu de
circonstances qui en sont le commentaire. En 1832, plusieurs
curés ou desservants des départements de la Bretagne avaient
216 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

quitté leur résidence, et ils étaient soupçonnés de s'être mêlés


aux troubles de la Vendée. Les maires ayant demandé des ins-
tructions pour savoir ce qu'ils devaient faire des mandats de
traitement, l'administration supérieure fut d'avis que les prêtres
absents ne pouvaient pas être privés de leur traitement, et
que les maires devaient garder les mandats à la disposition des
ecclésiastiques jusqu'à ce qu'ils fussent frappés par les dé-
chéances des lois financières. C'est pour combler cette lacune
que fut proposé et voté l'article 8 de la loi du 23 avril 1833.
Cette disposition spéciale n'implique-t-elle pas l'absence d'un
droit général et discrétionnaire? Un droit aussi étendu aurait, en
effet, rendu bien inutile une disposition qui n'arme l'adminis-
tration du pouvoir de suspension que pour un cas déterminé.
On oppose à notre solution l'article 27 du décret du 6 no-
vembre 1813 : « Dans le cas, y est-il dit, où il y aurait lieu à
remplacer provisoirement un curé ou desservant qui se trou-
verait éloigné du service, ou par suspension par peine cano-
nique, ou par maladie, ou par voie de police, il sera pourvu
à l'indemnité du remplaçant provisoire conformément au décret
du 17 novembre 1811. »
Que faut-il entendre par un prêtre qui serait éloigné par voie
de police? Ces mots signifient-ils que l'administration ait le pou-
voir discrétionnaire d'éloigner un prêtre d'une commune lors-
qu'elle n'a pas celui d'expulser un habitant ordinaire? Ce
serait fonder un droit exorbitant sur un texte fort ambigu, et
il n'est pas admissible que le législateur ait entendu porter au
principe de la liberté individuelle une atteinte aussi profonde
par une disposition si peu formelle. L'article est d'ailleurs facile
à expliquer. Les ecclésiastiques, comme les laïques, sont sou-
mis à la police judiciaire et administrative. Si, par suite d'une
mesure de police, prise dans la limite des pouvoirs qui ap-
partiennent aux autorités compétentes, un prêtre est absent de
sa paroisse, le décret veut que l'indemnité due au remplaçant
soit fixée conformément au décret du 17 novembre 1811. C'est
ce qui arriverait, par exemple, si le prêtre était poursuivi ju-
diciairement et que pendant l'instruction et la poursuite, on
lui donnât un remplaçant. Lorsque cette disposition peut s'ex-
LIBERTÉ RELIGIEUSE. 217
pliquer d'une manière si simple, faut-il lui donner un sens qui
s'éloignerait des principes en matière de liberté individuelle et
d'indépendance des pouvoirs spirituel et temporel? Même in-
terprété comme on propose de le faire, le décret du 6 décembre
1813 ne donnerait pas à l'administration le pouvoir absolu de
suspendre le traitement des ecclésiastiques. L'article 27 du
décret ne s'occupe en effet que de fixer l'indemnité du rempla-
çant nommé à la place du titulaire absent. Mais l'existence d'un
remplaçant implique le concours de l'autorité ecclésiastique,
le pouvoir temporel étant incompétent pour nommer, même
provisoirement, à des fonctions sacerdotales. Or il y a loin de
cette entente entre l'administration et l'autorité ecclésiastique à
l'opinion qui donne au préfet ou au ministre le pouvoir absolu
et discrétionnaire de suspendre le traitement des titulaires d'em-
plois ecclésiastiques 1.

1 Reverchon. Dissertation insérée dans la Revue critique, livraison de sep-


tembre-octobre 1861. — V. Albert de Broglie, article inséré dans le Courrier
du dimanche du 9 juin 1861. — La question fut soulevée au Sénat dans la
séance du 31 mai 1861, à l'occasion d'une pétition relative à la circulaire du
garde-des-sceaux sur l'application des articles 201 à 208 du Code pénal. L'ar-
chevêque de Besançon ayant dénoncé la conduite du préfet du Doubs, qui
avait suspendu le traitement d'un certain nombre de curés ou desservants, le
ministre des cultes avoua la conduite du préfet, et soutint la légalité de la
mesure. Mais la discussion sur la question de droit tourna court et le minis-
tre des cultes (M. Rouland) ayant exprimé le désir que le cardinal Mathieu
ne le forçât pas à révéler des faits regrettables le débat ne fut pas poussé
,
plus loin. Cette question a de nouveau été soulevée, récemment à la Cham-
bre des députés, lors de la discussion du budget des cultes, par l'évêque
d'Angers (Séance du 14 novembre 1882) et au Sénat par M. Batbie (Séance
du 30 novembre 1882, Officiel du ler décembre 1882 et Séance du 5 mai
1883, Officiel du 6 mai 1883).
Dans l'ancien droit, les ordonnances n'autorisaient la saisie du temporel
que pour le paiement des sommes auxquelles les titulaires des bénéfices
avaient été condamnés. Voici comment s'exprime Févret dans son Traité de
l'abus, t. I, p. 80 (1589) : « C'est encore une suite de cette même authorité
royale que le pouvoir qu'a le roy de faire mettre sous sa main le temporel ec-
clésiastique, soit par défaut de résidence des bénéficiers dans les bénéfices
qui portent obligation de résider, soit pour estre négligent à faire les répara-
tions nécessaires aux églises et bâtiments dépendant de leurs bénéfices ; soit
pour punir les désobéissances et contraventions des ecclésiastiques qui refu-
218 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

Un avis du Conseil d'État du 26 avril 1883 a décidé, con-


trairement aux principes qui viennent d'être exposés, que le
gouvernement a le droit de suspendre, le paiement des traite-
ments ecclésiastiques, non-seulement celui des desservants amo-
vibles et révocables ad nutum, mais encore celui des curés et
autres titulaires inamovibles. C'est l'avis dont nous avons com-
battu la doctrine au Sénat, dans la séance du 5 mai 18831.

sent d'observer les règlements publics ou ordonnances du royaume, en pro-


cédant à la saisie de leur temporel jusqu'à ce qu'ils aient obéy ou payé les
amendes, intérêts et autres sommes esquelles, ils pourroient avoir esté con-
damnez. Les ordonnances du royaume sont expresses pour cela. L'ord. d'Or-
léans, article 5, de Blois, article 14 et les compilations d'arrests portent une
infinité de préjugez qui ordonnent la saisie du temporel ecclésiastique par
l'authorité du bras séculier. Cela s'observe non-seulement en France mais
partout ailleurs. »
1 « L'avis du Conseil d'État, dit M. Emile Ollivier, du 26 avril 1883, rendu

dans un sens opposé, ne mérite pas d'être pris en considération, car il est
absolument dépourvu de motifs juridiques ayant une valeur quelconque. Ex-
poser certaines théories est souvent la manière la plus efficace de les réfuter.
Réduite à ses termes les plus simples, la prétention du gouvernement actuel
est celle-ci : Sans jugement d'aucune nature, sans même une enquête ad-
ministrative contradictoire, sur des témoignages plus ou moins sérieux reçus
dans l'ombre, après une demande d'explication adressée à l'évêque, de la
réponse duquel on n'est pas obligé de tenir compte le ministre des cultes à
,
le droit de supprimer le traitement ou l'allocation, la subsistance de tout
ecclésiastique, évêque, chanoine curé de canton ou rural, vicaire, pendant
,
un temps indéterminé. Un ex informatâ conscientiâ civil s'ajoutera désor-
mais à l'ex informatâ conscientiâ épiscopal. Il n'est pas même sûr qu'on dai-
gnât concéder à la Chambre comme y consentait M. Dupin, d'examiner à
,
propos de la loi des comptes chaque cas de suspension, d'en demander lès
causes et de proposer un vote de blâme si ces causes étaient trouvées insuf-
fisantes. — Ainsi, il est interdit d'infliger une peine, serait-ce la plus légère
amende, au criminel le plus odieux comme au délinquant le plus excusable,
sans un jugement public, un débat contradictoire, une libre défense et le
ministre des cultes serait le maître dé disposer du salaire de tout lé clergé
sans être astreint au respect d'une forme protectrice ! » Le Concordat est-il
respecté? par Emile Ollivier, p. 66 et 67.
APPEL COMME D'ABUS. 219

CHAPITRE NEUVIÈME.

APPEL COMME D'ABUS.

Sommaire.
295. Caractère de l'appel comme d'abus.
296. Histoire de l'appel comme d'abus.
297. Suite.
298. Suite.
299. Suite.
300. Suite.
301. Suite.
302. Suite.
303. Suite.
304. Suite.
305. Suite.
306. Suite.
307. Suite.
308. Suite.
309. Opinion de M. Vivien.
310. Organisation des cultes. — Catholicisme.
311. Hiérarchie ecclésiastique. — Pape.
312. Cardinaux et congrégations.
313. Cour de Rome. — Suite.
314. Représentants du pape à l'étranger. — Légats à latere.
315. Archevêques, évêques, curés et desservants.
316. Chapelles vicariales et annexes.
317. Diocèses.
318. Déposition des évêques.
319. Suite.
320. Métropolitain.
321. Vicaires généraux et vicaires capitulaires.
322. Chapitres.
323. Organisation des cultes.
— Protestantisme.
324. Suite.
325. Suite.
328. Suite.
327. Suite.
220 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

328. Organisation des cultes. — Protestantisme.


329. Suite.
330. Organisation des cultes. — Culte israélite.
331. Suite.
332. Suite.
333. Suite.
334. Suite.
335. Suite.
336. Cultes non reconnus.
337. Observation générale sur tous les cas d'abus.
338. § 1er. Usurpation et excès de pouvoirs.
339. Usurpations en matière de peines.
340. Des usurpations qui ne donnent pas lieu à recours pour abus.
341. Le recours ne s'applique pas aux actes que les archevêques ou évêques font en
vertu de pouvoirs purement administratifs.
342. Suite.
343. De l'usurpation d'une autorité ecclésiastique sur une autorité de même nature.
344. Réunion des conciles et synodes.
345. Des livres d'église et de l'autorisation épiscopale.
346. Suite.
347. Suite.
348. Suite.
349. Suite.
350. Les mêmes faits peuvent constituer plusieurs cas d'abus.
351. § 2. Contravention aux lois et règlements.
352. Mandement de l'évêque de Moulins sur les biens des séminaires.
353. Contraventions aux règlements.
354. Des tarifs des droits d'oblations pour l'administration des sacrements.
355. Un ministre du culte peut-il être poursuivi devant les tribunaux pour délits
commis dans l'exercice de ses fonctions, sans l'autorisation du Conseil d'État?
356. Exposé des divers systèmes.
357. Suite.
358. Suite.
359. Suite.
360. Suite.
361. Du prêtre qui procède à un mariage religieux avant le mariage civil.
362. De l'injure en chaire.
363. Suite.
364. § 3. Contravention aux canons reçus en France. — Histoire du droit canonique.
365. Suite.
366. Suite.
367. Suite.
368. Recours pour déposition irrégulière.
369. Suite.
370. Suite.
371. Suite.
372. Suite.
373. Effets de la déclaration d'abus contre une sentence irrégulière d'interdiction à
sacris.
APPEL COMME D'ABUS. 221

374. Suppression des titres ecclésiastiques. — Réunion de la cure au chapitre.


375. De la nomination des vicaires capitulaires.
376. Le recours n'est pas admissible contre une sentence épiscopale qui aurait pro-
noncé une peine canonique trop forte.
377. § 4. Attentat aux libertés franchises et coutumes de l'Église gallicane.
,
378. Histoire des libertés de l'Église gallicane.
379. Suite.
380. Suite.
381. Suite.
382. Suite.
383. Suite.
384. Suite.
385. Suite.
386. Suite.
387. Suite.
388. Suite.
389. Déclaration de 1682.
390. Ce qu'on peut actuellement appeler libertés gallicanes.
391. Suite. — Recours importants fondés sur ce motif.
392. Déclaration d'abus contre l'évêque de Moulins, en date du 2 avril 1857.
393. § 5. Trouble arbitraire des consciences, oppression, injure, scandale public.
394. Affaire Montlosier.
395. Menace par l'évêque de Châlons de refuser l'administration des sacrements aux
élèves de l'Université.
396. Des injures adressées aux paroissiens par le prêtre dans l'exercice du culte.
397. § 6. Appel comme d'abus réciproque.
398. Il n'est pas admis contre les particuliers.
399. Peut-il être dirigé contre une décision judiciaire?
400. De l'appel comme d'abus pour les cultes protestant et israélite.
401. Procédure. § 1er. Compétence.
402. Suite.
403. Procédure. § 2. Formes du pourvoi.
404. Qui a qualité pour agir?
405. Suite.
406. Suite.
407. Suite.
408. Mémoire au ministre des cultes.
409. Instruction.
410. Examen et jugement.
411. Observations générales.
412. Droit comparé. — Belgique.
413. Suède et Norwége.

414. Russie.

415. Angleterre.

416. — Allemagne.

295. L'appel comme d'abus a un double caractère. Prin-


cipalement il a pour objet d'assurer l'indépendance du spirituel
222 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

et du temporel, et de maintenir chacun des deux pouvoirs dans


sa sphère par la répression non-seulement. des délits prévus
dans la loi pénale, mais aussi des faits qui, sans être frappés
de peines, constituent cependant des entreprises tombant sous
le coup du pouvoir disciplinaire. Ce moyen de recours est féci-
proque, suivant l'expression de Pithou 1 et aussi d'après l'ar-
ticle 7 de la loi du 18 germinal an X. Il appartient soit au
pouvoir séculier contre les ministres du culte, soit aux ministres
du culte contre les agents de l'autorité civile.
En second lieu l'appel comme d'abus est un préalable admi-
nistratif que les parties doivent, suivant les distinctions qui se-
ront exposées ci-dessous, remplir avant de poursuivre les
ministres du culte devant les tribunaux criminels de droit
commun.
296. On a beaucoup disserté sur les origines de l'appel
comme d'abus. Ceux qui cherchaient à en augmenter l'impor-
tance se sont efforcés de le faire remonter à la plus haute anti-
quité, et de le fortifier en l'appuyant sur une longue tradition.
Leurs adversaires ont au contraire rapproché, autant que pos-
sible, la date de cette institution afin de diminuer son crédit;
car c'est enlever beaucoup de prestige aux créations humaines
que de leur assigner une date fixe et récente. Mais obéir à de
semblables préoccupations, c'est faire de la polémique, ce n'est
pas écrire l'histoire.
297. Certes, si les uns ont voulu seulement dire qu'à toutes
les époques, l'État s'est réservé un droit de police, en matière
de culte, ils ont pleinement raison 2. Mais de cette attribution
générale à la forme particulière que le droit de police a pris
dans l'appel comme d'abus, il y a une grande distance. Le
1 Libertés de l'Église gallicane, n° 80.
2
« Cette opinion (la première), dit M. Affre, n'a pas été seulement repro-
« duite par M. de Montlosier dans un de ses écrits de circonstance où l'es-
« prit de parti se sert de toutes les armes, bonnes ou mauvaises... M. Hen-
« rion de Pansey, dans son Traité du pouvoir judiciaire, M. Bernardi, dans
« son Histoire de la législation française, M. Jeauffret, dans un écrit sur le
» Recours au Conseil d'État, M. Portalis dans son Rapport sur les articles
« organiques, ont affirmé l'existence des appels comme d'abus sous les em-
« pereurs chrétiens, ou tout au moins sous la seconde race de nos rois »
APPEL COMME D'ABUS. 223
droit de police est ancien, et on le retrouve sous une forme ou
sous une autre dans toute société ; mais le recours pour abus
est relativement moderne. Voici ce qui nous paraît être la vérité.
L'appel comme d'abus a été institué pour faire cesser les
empiétements de la juridiction ecclésiastique sur la juridiction
seigneuriale. Ce n'est donc que vers le milieu du XIIIe siècle
que ses commencements doivent être placés. Jusqu'alors, les
justiciables avaient recherché les tribunaux de l'Église plus
éclairés, plus soucieux des droits des parties que les tribu-
naux laïques, et ceux-ci n'avaient pas réclamé contre des
usurpations que l'opinion publique approuvait. Les choses se
passèrent ainsi pendant les IXe, XE, XIe et XIIe siècles. Mais à
la fin du XIIe siècle la justice des officialités avait changé de
caractère. Les garanties que les justiciables recherchaient en
elles n'étaient plus que des formalités vaines, des procédures
hérissées; aussi les parties ne tardèrent pas à s'associer aux
réclamations élevées par les seigneurs en faveur de leurs droits,
de justiciers.
La lutte s'engagea d'abord avec la violence des moeurs de
l'époque, et les mots d'attentat, d'usurpation, d'extorsion,
furent prodigués pour qualifier les entreprises de la juridiction
ecclésiastique. Mais cette exagération de langage s'adoucit peu
à peu, et quoique les deux puissances rivales continuassent à
être fort animées, le mot abus remplaça, dans l'usage, les
expressions qui viennent d'être indiquées.
On vit d'abord se produire des faits isolés qui préparèrent
l'institution de l'appel comme d'abus. Ainsi l'ancien cartulaire
de l'Église de Paris parle d'un jugement de l'évêque de cette
ville, relevé au Parlement sous Philippe le Hardi. Durand, évê-
(Traité de l'appel comme d'abus, p. 11). Fleury reporte l'origine de cette
procédure vers le commencement du XIVe siècle (Institution au droit canoni-
que, ch. XXIV, 3e partie). D'après Hallam, « ce ne fut, suivant les meilleurs
« auteurs, qu'au commencement du XVe siècle que le Parlement imagina la
« fameuse procédure de l'Appel comme d'abus » (Europe au moyen-âge, t. II,
p. 416). L'évêque d'Amiens, Faure, soutint dans les remontrances qu'il fit à
Louis XIV au nom du clergé, le 12 janvier 1668, qu'on ne voit des exemples
d'appels comme d'abus que depuis 1533 (Jurisprudence du Grand Conseil,
t. I, p. 204, note a).
224 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

que de Mende, qui mourut en 1296, indique dans un passage de


son ouvrage : De modo concilii celebrandi, la plainte comme
d'abus parmi les manières employées de son temps pour restrein-
dre l'autorité de l'Église 1.
298. L'institution tendit à se régulariser. En 1329, une
réunion de barons, seigneurs et prélats, fut tenue à Vincennes,
en présence du roi. Pierre de Cugnières, conseiller du roi et
chevalier ès lois, se fit l'accusateur des tribunaux ecclésiasti-
ques; il énuméra soixante-six griefs contre leur juridiction.
Mais ils furent défendus avec une hautaine énergie par Pierre
du Roger, archevêque de Sens, qui, plus tard, devint Clément
VI; il parla des droits de l'Église comme de droits acquis, inat-
taquables, et flétrit du nom de sacrilèges les tentatives dirigées
contre sa juridiction. — Il fut décidé néanmoins que si, dans
un an, les prélats n'avaient pas réformé les abus dont on se
plaignait, le roi y apporterait tel remède qu'il plairait à Dieu
et au peuple. C'est à dater de ce moment que le recours pour
abus put être considéré comme une institution légale.
299. Il ne fut pas usité d'abord dans tous les Parlements.
Ainsi, au dire de Févret, le premier procès de cette nature
qui fut jugé par le Parlement de Bourgogne n'est pas antérieur
à 1510. D'ailleurs, la compétence respective des juridictions
rivales était encore mal définie, ce qui donnait lieu à des pra-
tiques diverses. Ces différences ne cessèrent qu'en 1539, date
de l'édit de Villers-Cotterets. Tous les usages firent place à la
loi, et telle fut l'efficacité de cet acte que, s'il faut en croire
Loiseau, les procureurs qui étaient au nombre de trente-six
dans l'officialité de Sens, furent réduits à cinq ou six par l'effet
de l'ordonnance.
300. L'article 1er interdisait aux tribunaux ecclésiastiques
de connaître des actions personnelles intéressant les laïques,
sous peine d'amende arbitraire. Quant aux actions réelles, une
ordonnance, en date du 8 mars 1371 les avait déjà restituées
aux tribunaux séculiers. L'article 4 attribuait à ces derniers

1 Vers la même époque, le Parlement fit un règlement pour les procès que
les juges d'Église feraient aux clercs.
APPEL COMME D'ABUS. 225
la connaissance, en matière réelle, des causes intéressant
même les clercs mariés ou commerçants. Mais la disposition la
plus grave se trouvait dans l'article 5, aux termes duquel l'ap-
pel comme d'abus pouvait atteindre les sentences rendues en
matière de discipline. Les Parlements s'étaient arrogé ce pou-
voir avant l'édit, et en avaient exagéré l'étendue au point de
lui attribuer effet suspensif. Il en était résulté un affaiblissement
marqué de la discipline ecclésiastique. Le clergé ayant élevé
sur ce point des réclamations aussi énergiques que fréquentes,
François Ier y fit droit en disposant que le recours en matière
de discipline ne produirait qu'un effet dévolutif1.
301. L'article 8 avait pour objet de prévenir les appella-
tions fondées sur des motifs frivoles. « Quant aux appellations,
" y était-il dit, frivoles ou mauvaises, plaidées ou soutenues
« par les appelants , ils soient condamnés, outre l'amende ordi-
« naire envers nous et la partie, selon l'exigence des cas, si la

1 etc., sçavoir faisons à tous présens et advenir, etc., etc.


FRANÇOIS, etc.,
Art. 1er. C'est à sçavoir que nous avons défendu et défendons à tous nos
sujets de faire citer ni convenir les laïcs par devant les juges d'église, ès-
actions pures personnelles, sur peine de perdition de cause et d'amende ar-
bitraire.
Art. 2. Et avons défendu à tous juges ecclésiastiques de ne bailler ni dé-
livrer aucunes citations verbalement ou par écrit pour faire citer nos dits
sujets purs lays ès-dites matières pures personnelles, sur peine aussi d'a-
mende arbitraire.

Art. 4. Sans préjudice toutefois de la juridiction ecclésiastique ès-matières


de sacrement et autres pures spirituelles et eccclésiastiques dont ils pour-
roient connoître contre lesdits purs laïcs, selon la forme de droit, et aussi
sans préjudice de la juridiction temporelle et séculière contre les clercs ma-
riés, faisans et exerçants états ou négociations, pour raison desquels ils sont
tenus et accoutumés de répondre en cour séculière, où ils seraient contraints
de ce faire, tant ès-matières civiles que criminelles, ainsi qu'ils ont fait par
ci-devant.
Art. S. Les appellations comme d'abus interjetées par les prêtres et autres
personnes ecclésiastiques ès-matières de discipline on correction et autres
pures personnelles et non dépendantes de réalité n'ont aucun effet suspensif ;
ains nonobstant les dites appellations et sans préjudice d'icelles, pourront
les juges d'église passer outre contre lesdites personnes ecclésiastiques
(lsambert et Decrusy, t. XII, p. 601 et 602).
B. — II. 15
226 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

« matière y est disposée. » Les Parlements se montrèrent


d'abord dociles aux prescriptions de l'édit. Ainsi, en 1543, le
Parlement de Paris interpréta dans un règlement l'article 8
en ce sens que l'appel ne serait pas recevable, si l'abus n'était
clair et évident. C'est aussi vers la même époque que s'intro-
duisit l'usage de ne plus interjeter appel directement contre
les bulles, brefs et autres expéditions du pape, mais seulement
contre leur exécution et fulmination 1. Ces concessions venaient
toutes de la ligne politique suivie par François Ier. Pour ré-
sister à Charles-Quint, ce roi cherchait à lui susciter le pape
pour adversaire ; car lui enlever le secours du Saint-Siège,
c'était le priver d'un grand moyen d'action sur l'esprit des
populations religieuses d'Espagne. Mais la bonne harmonie
avec le clergé ne survécut pas à François Ier, et sous ses suc-
cesseurs , le Parlement se relâcha de son respect pour l'édit de
1539. Les évêques se plaignirent vivement, et c'est avec l'es-
poir de les apaiser, que Charles IX inséra, dans l'édit du 16
avril 1571, la disposition suivante.
Article 5. « Afin que la discipline ecclésiastique ne soit em-
« pêchée ou retardée par les appellations comme d'abus, nous
« avons déclaré et déclarons n'avoir entendu, comme n'en-
« tendons que lesdites appellations soient reçues, sinon ès cas
« des ordonnances, et qu'elles n'auront aucun effet suspensif
« ès cas de correction et discipline ecclésiastique, mais dévolutif
« seulement. »
302. Cette disposition ne fut pas mieux obéie, et de nou-
velles infractions donnèrent lieu à de nouvelles protestations.
Henri III défendit aux Parlements, par l'édit de Blois de
1579, « de recevoir aucunes appellations comme d'abus, sinon
« ès cas des ordonnances; aux requêtes de son hôtel et aux
« gardes de sceaux de sa chancellerie, de donner des reliefs
« d'appel comme d'abus et de sceller ces lettres, avant que
« d'avoir été paraphés par rapporteur ou référendaire. » Ces
concessions n'eurent pas, comme on l'espérait, le pouvoir de

1 Mais, disait Guy-Coquille, l'effet en est tout pareil » (Discours des


«
droits ecclésiastiques, n° 18).
APPEL COMME D'ABUS. 227
donner satisfaction au clergé qui voulait plus qu'une demi-
mesure; la suppression complète des appellations était le but
qu'il poursuivait avec persévérance. Le pape Grégoire XIII
en fit la demande formelle, mais il lui fut répondu par Paul
de Foix, ambassadeur de France à Rome, qu'on déracinerait
plutôt l'Apennin que les appellations 1.
303. Les réclamations du clergé recommencèrent dès l'an-
née 1605, et de nouvelles remontrances parurent en 1610 et
1625. Le clergé se plaignait dans cette dernière de ce que
dans les appels comme d'abus, on intimait les évêques, les offt-
ciaux, les grands vicaires, en leur nom personnel. Un édit de
la même année faisant droit, sur ce point, à la réclamation,
dispensa les juges ecclésiastiques de comparaître aux assigna-
tions qui leur seroient données sur les appellations comme
d'abus.
La lutte continua sous Louis XIV et donna lieu, pendant ce
règne, à la promulgation de plusieurs édits dont le plus remar-
quable est celui de 16952. Les dispositions des édits précé-

1 Jurisprudence du Grand Conseil, t. I, p. 238-239.


2 Article 35. « Défendons aux juges séculiers de recevoir d'autres appel-
lations des ordonnances et jugements des juges d'église, que celles qui sont
qualifiées comme d'abus... Ordonnons de procéder à leur jugement avec
telle diligence et circonspection, que l'ordre et la discipline ecclésiastique
n'en puissent être altérés, ni retardés. »
Article 36. « Les appellations comme d'abus des ordonnances et des juge-
ments rendus par les évêques et les juges d'église pour la célébration du
service divin, réparation des églises, achat des ornements, subsistance des
curés et autres ecclésiastiques qui desservent les cures, rétablissement ou
conservation de la clôture des religieuses, correction des moeurs des per-
sonnes ecclésiastiques, et toute autre chose concernant la discipline ecclé-
siastique et celles qui seront interjetées des règlements et ordonnances ren-
dues par les prélats dans le cours de leurs visites, n'auront effet suspensif
mais dévolutif, et seront les ordonnances et jugements exécutés nonobstant
lesdites appellations et sans préjudicier. »
Article 37. « Nos cours, en jugeant les appellations comme d'abus, pronon-
ceront qu'il n'y a abus, et condamneront, en ce cas, les appelants en 73
livres d'amende, lesquelles ne pourront être modérées; ou diront qu'il a été
mal, nullement et abusivement procédé, statué et ordonné » (Voir, sur tous
ces détails, Affre , p. 79 et suivantes).
228 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

dents y furent reproduites. « Mais, dit M. de Frayssinous,


« c'était un frein léger dont les magistrats pouvaient se jouer
« aisément. Aussi
l'abus des appels comme d'abus ne fit que
« s'accroître. » Un arrêt du conseil, en date du 10 mars 1731,
essaya vainement de mettre un terme à ce trouble d'attribu-
tions, et les choses continuèrent au milieu de semblables vi-
cissitudes jusqu'à la Révolution française.
304. Une loi des 7-11 décembre 1790 abolit les officialités ;
les Parlements succombèrent aussi, et la lutte s'éteignit avec
les deux puissances rivales. Le concordat du 26 messidor
an IX et la loi organique du 18 germinal an X restaurèrent
l'exercice du culte, mais ne rétablirent pas les anciens tribu-
naux ecclésiastiques. Le Premier Consul, qui avait entrepris
de rétablir l'autorité, ne voulant pas disséminer le pouvoir
des supérieurs ecclésiastiques, le remit dans toutes les direc-
tions aux mains des évêques, sans distinguer ce qui appartient
au pouvoir discrétionnaire de ce qui est l'office du juge.
305. Des évêques revêtus d'une puissance que leurs pré-
décesseurs n'avaient jamais eue, venaient d'être institués. Le
Premier Consul pensa qu'il y avait lieu de faire des réserves
à l'égard de cette puissance nouvelle, et de là vint l'article 6
de la loi du 18 germinal an X.
« Il y aura recours au Conseil d'État dans tous les cas d'abus
de la part des supérieurs et autres personnes ecclésiastiques.
Les cas d'abus sont : l'usurpation ou l'excès de pouvoir, la
contravention aux lois et règlements de la République, l'in-
fraction des règles consacrées par les canons reçus en France,
l'attentat aux libertés, franchises et coutumes de l'Église gal-
licane, et toute entreprise ou tout procédé qui, dans l'exercice
du culte, peut compromettre l'honneur des citoyens, troubler
arbitrairement leur conscience, dégénérer contre eux en op-
pression, ou en injure, ou en scandale public. »
306. Deux motifs paraissent avoir déterminé le premier
Consul à ne pas restituer les appels comme d'abus à la magis-
trature. D'abord, il ne voulait faire rentrer dans la compétence
des Cours aucune attribution qui touchât à la marche du gou-
vernement. Leur importance politique avait perdu les Parle-
APPEL COMME D'ABUS. 229
ments, et les rétablir, en les délivrant d'une compétence aussi
périlleuse, c'était leur assurer une condition de durée. D'un au-
tre côté, les habitudes d'esprit de la magistrature n'inspiraient
pas au Premier Consul, pour le jugement d'affaires semi-politi-
ques, la confiance qu'il lui accordait pour les affaires privées. La
méfiance de leur docilité, la crainte de leurs usurpations, de-
vaient préoccuper ceux qui avaient vu tomber les Parlements
victimes de leur turbulence. Mais ces appréhensions s'affai-
blirent à mesure qu'on s'éloigna des commencements. Les
Cours se maintinrent avec sagesse clans les limites qui leur
avaient été imposées et leur prudence ayant dissipé toute
,
appréhension, le décret du 25 mars 1813, attribua aux cours
impériales la connaissance des cas d'abus. Nous aurons à dis-
cuter plus tard si cette disposition est encore en vigueur, ou
si, comme nous le pensons et comme on l'a constamment dé-
cidé, elle est tombée avec le concordat de Fontainebleau,
dont elle était l'accessoire. En 1817, le gouvernement de la
Restauration soumit à la Chambre des députés un nouveau
concordat; mais le projet fut repoussé, et les articles organi-
ques n'ont pas cessé de régir cette matière.
307. L'autorité de la loi organique a souvent été con-
testée. Déjà vers la fin de l'année 1803, le cardinal Capraja,
légat à latere, avait fait au nom du pape des protestations qui
tendaient à l'abrogation des articles 1, 2, 3, 6, 9, 10, 24 de la
loi du 18 germinal an X 1. Mais ces réclamations n'avaient pas
été accueillies ; spécialement, en ce qui concerne le recours pour
abus, le gouvernement avait répondu que c'était l'un des
points les plus constants de notre ancienne jurisprudence, et
que jamais ni le pape ni les évêques n'avaient obtenu de nos rois
une fixation rigoureuse des cas dans lesquels il y aurait lieu à
ce recours.
308. Depuis sa promulgation, les attaques à la loi organi-
que ont été plusieurs fois renouvelées 2 ; mais les défenseurs les

1 Dupin, Manuel, p. 484.


2 Voir un mandement de M. le cardinal de Bonald donné le 21 novembre
,
1844.
230 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

plus fidèles du pouvoir ecclésiastique ne demandent pas la


suppression de l'appel comme d'abus ; ils se bornent à ré-
clamer que, sur certains points, on fasse cesser le vague de la
loi au moyen d'un accord entre l'autorité civile et le pouvoir
spirituel. « La seule conclusion que nous ayons le droit de
tirer de cet état de choses, dit M. Gaudry 1, c'est que les dis-
positions de la loi organique demandent une sérieuse révision;
que les difficultés ne peuvent être aplanies que par un concours
du pouvoir temporel avec le pouvoir ecclésiastique, de manière
à laisser subsister les mesures indispensables dans l'intérêt de
la société, et à faire disparaître les moyens trop faciles d'op-
pression contre le clergé. » Pour nous, qui voudrions assurer à
chacun le bénéfice d'une légalité bien déterminée, nous ne pou-
vons que nous associer au voeu formé par M. Gaudry.
309. L'origine des appels comme d'abus remonte en grande
partie à des circonstances qui ne sont plus. Les appels comme
d'abus ont eu pour objet principal de réprimer les envahisse-
ments des juridictions ecclésiastiques; ils servaient aussi à pro-
téger l'Église gallicane contre les entreprises de la cour de
Rome : c'est ainsi que l'assemblée de Bourges, en 1438, après
avoir rédigé la Pragmatique, la plaça sous la protection du roi
pour la mettre à l'abri du pouvoir pontifical. Ce n'est plus sur
ces motifs que peuvent reposer les appels comme d'abus; mais
« d'autres raisons, dit M. Vivien, les rendent nécessaires Il
est nécessaire de prêter secours à l'État contre la parole ou la
plume officielle qui méconnaît ses droits; à l'inférieur contre
le supérieur qui lui inflige une justice sans règle ni frein; au
citoyen contre le ministre des autels qui l'outrage. Ce secours
se trouve dans les appels comme d'abus, et c'est l'utilité qu'ils
conservent aujourd'hui. Ils se sont modifiés profondément, et
l'on peut dire que des anciens appels comme d'abus il n'existe
plus que le principe du droit de contrôle réservé au pouvoir ci-
vil; car tout le reste a changé, le juge, la forme de la sentence 2 ».
Nous allons examiner successivement les cas d'abus, la

1 Législation des cultes, t. I, p. 377.


2 Vivien, Études administratives, t. II, p. 284 et 285.
APPEL COMME D'ABUS. 231
compétence, la forme de procéder et les effets de la sentence.
Mais pour rendre nos développements plus intelligibles, nous
exposerons préalablement l'organisation des différents cultes.

319. Catholicisme. — L'Église catholique est une com-


munauté visible composée de toutes les personnes qui profes-
sent extérieurement la foi une, immuable, universelle, indi-
visible, révélée par le Christ rédempteur des hommes et
conservée par les apôtres et leurs successeurs. Il n'y a pas
identité entre l'Église visible qui comprend tous ceux qui sont
attachés à cette croyance par des liens extérieurs, et l'Église
invisible ou communauté avec Jésus-Christ; celle-ci rejette les
personnes qui ne sont pas unies de coeur avec elle et comprend
les hommes qui, doués de sincères aspirations vers la vérité,
ne sont pas en faute de l'avoir ignorée. Mais il n'appartient
pas à l'Église terrestre de décider quelles sont les personnes
qui entrent dans l'Église universelle; elle se borne à recon-
naître, à côté du baptême par l'eau, un baptême par le désir,
et « laisse au jugement de Dieu le pouvoir d'admettre dans la
communion des saints ou Église triomphante, ceux qui, dans
la mesure de leurs forces, ont aspiré vers la vérité et sont
restés innocemment dans l'erreur 1. »
De l'essence même de l'Église dérive une triple attribution :
l'administration des sacrements, la prédication de la doctrine
et le maintien de la discipline. Les deux premières attributions
appartiennent aux prêtres par l'effet de l'ordination; mais le
maintien de la discipline implique une hiérarchie de pouvoirs.
311. Le pape est la première autorité de l'Église et, comme
tel, ne relève ici-bas d'aucun juge. Au point de vue spirituel,
le seul dont nous ayons à nous occuper, c'est un souverain
absolu limité par les lois naturelles et par les décisions de ses
prédécesseurs dont l'infaillibilité, en matière dogmatique, borne
sa toute-puissance. Il y aurait donc erreur à comparer le pape
à un roi constitutionnel qui règne et ne gouverne pas. Sans
doute, lorsqu'un dogme a été arrêté par les prélats réunis en

1 Walter, Manuel de droit ecclésiastique, p. 17, § 11.


232 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

concile oecuménique, et qu'en outre il a été approuvé par le


chef de l'Église, le canon fondé sur une semblable autorité
est obligatoire pour le pape lui-même. Est-ce à dire que le
souverain pontife soit obligé de réunir des conciles oecumé-
niques, comme un roi constitutionnel est tenu de convoquer
ses chambres, et qu'en l'absence du concile, il n'ait pas le
droit de décision? Ce serait se tromper sur la constitution de
l'Église catholique. Tant que la décision du concile oecumé-
nique n'est pas approuvée par le Saint-Siège, elle n'est pas
obligatoire pour le pape. Même quand elle est approuvée, le
pape peut dispenser certaines personnes de son observation,
en raison de circonstances particulières qui rendraient dan-
gereuse ou difficile l'application de la règle générale. Ajoutons
cependant que dans l'histoire de l'Église nous trouvons des
époques où l'autorité du pape étant rendue incertaine par l'état
de schisme, on a été obligé de reconnaître aux conciles le droit
d'exercer temporairement la suprématie.
313. Le Pape a pour coopérateurs et conseillers les cardi-
naux, au nombre de 70, dont 14 diacres, 50 prêtres et 6
évêques 1. Ces cardinaux réunis composent des commissions
ou congrégations, les unes temporaires, les autres perma-
nentes. Les premières varient suivant les circonstances, et
nous ne pouvons pas en embrasser la variété. Les secondes
sont relatives ou à l'évêché de Rome ou à l'administration de
l'Église entière.
Les congrégations instituées pour l'administration de l'Église
entière sont au nombre de dix : 1° la congrégation consisto-
riale, qui est chargée de préparer toutes les affaires qui doi-
vent être réglées en consistoire; 2° la congrégation du saint
office ou de l'inquisition, qui recherche et signale les doc-
trines hétérodoxes. Ses principales séances sont présidées par
le pape en personne2; 3° la congrégation de l'index, qui

1 Bulle de Sixte V (1586).


2 Elle est composée de douze cardinaux, d'un commissaire faisant fonc-

tions de juge ordinaire, d'un conseiller ou assesseur du précédent, de con-


sulteurs que le pape choisit parmi les théologiens ou canonistes les plus
APPEL COMME D'ABUS. 233
allège les charges de la précédente en signalant les livres
qu'elle juge pernicieux 1; 4° la congrégation des interprètes du
concile de Trente. Comme son titre l'indique, elle veille à
l'exécution du concile de Trente avec droit d'interpréter ses
dispositions; 5° la congrégation des sacrés rites, pour la litur-
gie et les canonisations; 6° la congrégation de la propagation
de la foi; 7° la congrégation des affaires des évêques; 8° la
congrégation des immunités et conflits en matière de juridic-
tion; 9° la congrégation de l'examen des évêques, chargée de
l'information sur les candidats nommés aux évêchés; elle tient
ses séances en présence du pape; 10° la congrégation contre
l'abus des indulgences et des reliques.
313. L'expédition des affaires, l'action administrative et
la décision des questions contentieuses sont attribuées à la
Curia gratiae et à la Curia justitiae. La première s'occupe de
l'administration et se divise en cinq sections qui s'appellent la
chancellerie, la daterie, la pénitencerie, la camera romana
et la secrétairerie apostolique (secretaria apostolica). 1° la chan-
cellerie romaine expédie les affaires qui se traitent en assem-
blée de consistoire; 2° la daterie a dans ses attributions la plu-
part des bénéfices réservés au pape ainsi que les dépenses,
dans les cas où le secret n'est pas exigé; 3° la pénitencerie
transmet les absolutions et dispenses réservées au pape; 4° la
chambre ou camera romana administre les finances du pape;
elle repose sur le cardinal camerlingue. Enfin, 5° la secrétai-
rerie apostolique prépare et expédie les bulles ou brefs qui

profonds, de qualificateurs qui présentent les rapports et d'un avocat pour


la défense de l'inculpé.
1 Walter, Manuel de droit ecclésiastique, p. 177, § 128.
— V. Le Concordat
est-il respecté? par E. Ollivier, p. 35. « L'approbation que le Pape donne aux
décisions de l'Index se rattache à son autorité, non à son infaillibilité. Parfois
la congrégation du Saint-Office a permis des livres que la congrégation de
l'Index avait interdits et réciproquement. Le traité de Romano pontifice de
Bellarmin fut inscrit à l'Index ; avant même que cette prohibition eût été
rendue publique, elle fut retirée. Le traité du P. Segueri de Auxiliis ainsi
que les premiers écrits des Jésuites de Louvain contre Jansénius furent mis
à l'index; naturellement ils n'y restèrent pas. Grégoire XVI en a retiré les
oeuvres de Galilée (1835). »
234 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

se réfèrent aux relations extérieures du pape avec les puis-


sances étrangères. Le cardinal secrétaire d'État et le cardinal
secrétaire des brefs en font partie; le premier est considéré
comme le principal personnage politique du gouvernement.
Dans la curia justitiae on trouve trois subdivisions :
la rote, la signature de justice et la signature de grâce. 1° la
rote est le tribunal suprême de l'Église catholique; 2° la signa-
ture de justice statue sur des questions de droit telles que
l'admission des appels, et 3° la signature de grâce sur les ques-
tions de droit pour lesquelles on demande une solution per-
sonnelle et de faveur. Les décisions de la signature de justice
sont signées par le pape, et c'est même de cette circonstance
que vient ce nom; quant aux affaires de la signature de grâce,
elles sont traitées sous la présidence même du pape.
314. Le pape se fait représenter par trois espèces d'agents :
les légats à latere, les nonces et les internonces. Les légats
à latere ou envoyés du premier rang sont choisis parmi les car-
dinaux, ne sont envoyés que dans les circonstances extraordi-
naires et reçoivent directement leurs instructions du pape. Les
nonces, ordinairement choisis en dehors du corps des cardinaux,
sont envoyés, soit avec un titre provisoire, soit avec un titre
permanent. Leurs pouvoirs sont plus ou moins étendus, suivant
les instructions qu'ils reçoivent; ils correspondent avec le car-
dinal secrétaire d'État. En général, ils ne s'occupent que des
relations diplomatiques entre les deux cours et n'ont pas le
pouvoir de s'occuper des affaires intérieures de l'Église dans le
pays où ils sont accrédités. Les légats à latere, au contraire,
peuvent être investis de pouvoirs qui leur permettent de pé-
nétrer dans les difficultés de ce genre ; mais en France les légats
doivent, pour l'exercice de pareils droits, obtenir l'autorisation
du chef de l'État et cesser de les exercer dès que la permission
leur est retirée 1. Les internonces sont des envoyés ou résidents

1 V. P. Pithou, Libertés de l'Église gallicane, n° 11, et Dupin, Manuel de


droit ecclésiastique, p. 13 et suiv. A la page 15, M. Dupin cite le discours du
cardinal Capraja, légat à latere, à l'audience du 19 germinal an X tenue
par Napoléon Bonaparte, premier consul, en présence des ministres, des
conseillers d'État, du corps diplomatique'.
APPEL COMME D'ABUS. 235
de troisième ordre. Leurs attributions sont les mêmes que celles
des nonces; mais leur rang est inférieur et correspondant à
l'importance des puissances auprès desquelles ils sont accré-
dités.
315. De l'administration centrale de l'Église catholique,
descendons aux pouvoirs ecclésiastiques constitués dans chaque
État. L'unité élémentaire de la communauté religieuse, c'est la
paroisse comme la commune est l'élément premier de la division
administrative. Le pouvoir spirituel y est représenté par le
curé ou le desservant. En France, il y a cette différence entre
ces deux ministres que le premier est nommé par l'évêque,
agréé par le gouvernement et pourvu d'un titre inamovible
dont il ne peut être privé que par une sentence de déposition
régulière. Au contraire, le desservant est révocable au gré de
l'évêque qui le nomme sans la participation du pouvoir tempo-
rel. Ordinairement il y a un curé dans chaque chef-lieu de can-
ton; s'il n'y a pas identité entre le nombre des cantons et celui
des cures la différence vient de ce que dans les villes il y a plus
,
de cures que de divisions cantonales.
Sans avoir autorité sur les succursalistes du canton, les
curés, ont, à leur égard, un certain droit d'inspection et de
surveillance.
316. Dans un assez grand nombre de communes il n'y a
pas encore de succursales quoiqu'elles possèdent une église
et le mobilier nécessaire pour la célébration du culte. La plu-
part du temps elles sont desservies par un succursaliste voisin
qui, ayant reçu le pouvoir de biner, vient tous les dimanches
faire le service divin à l'église annexe de sa paroisse. Il y a
des communes où l'église a été érigée non en succursale mais
en chapelle vicariale; elle est alors desservie par un chapelain
qui reçoit de l'État un traitement spécial, moindre que celui
du succursaliste, tandis que le binage pour le service d'une
annexe est rétribué par les habitants de la commune, soit au
moyen d'une allocation au budget, soit par des souscriptions
volontaires.
317. Le diocèse est une circonscription qui comprend un
certain nombre de paroisses et cures. A la tête de l'adminis-
236 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

tration spirituelle du diocèse se trouve l'évêque qui nomme et


révoque les succursalistes ou chapelains ad nutum; qui désigne
les curés et les nomme, sauf l'agrément du pouvoir temporel,
mais ne peut pas les révoquer de leur titre inamovible, sans
rendre une sentence de déposition. Son pouvoir a un double
caractère : il est administrateur et juge ecclésiastique. Autre-
fois il administrait le diocèse au point de vue spirituel, et
quand il s'agissait de questions contentieuses, la connaissance
en était dévolue à l'officialité. Nous avons vu déjà que cette
juridiction n'existe plus de telle sorte que l'évêque réunit
,
dans sa main les deux pouvoirs; on l'appelle l'Ordinaire. L'é-
vêque est désigné par le, chef d'État; mais il doit être agréé
par le pape qui n'accorde son consentement qu'après l'examen
fait par la congregatio examinis episcoporum. Une fois nommé
par le concours du chef de l'État et du pape, l'évêque est pourvu
d'un titre inamovible dont il ne peut être privé qu'en vertu
d'une sentence de déposition. Mais par qui sera prononcée la
sentence?
318. Pendant les huit premiers siècles de l'Église, les
évêques étaient jugés par les conciles, et quoique l'appel au
pape ait été pratiqué dans quelques cas exceptionnels, ce
recours n'était pas admis en règle générale. C'est vers le
IXe siècle que l'influence des fausses décrétates fit transférer
au souverain pontife une juridiction que les conciles n'étaient
plus en mesure d'exercer parce que leurs réunions étaient de-
venues rares. « Mais, en France, dit Fleury, on soutient l'an-
cien droit suivant lequel les évêques ne doivent être jugés que
par les évêques de la province assemblés en concile, y appe-
lant ceux des provinces voisines jusqu'au nombre de douze,
sauf l'appel au pape, suivant le concile de Sardique. » Ce con-
cile de Sardique s'était réuni en 347, et c'est dans le septième
canon que le recours au pape avait été établi.
319. On évite aujourd'hui cette question dans notre pays
par ménagement pour la cour de Rome; d'une autre part, le
gouvernement ne veut pas abandonner formellement, sur ce
point, les doctrines gallicanes. Dans les rares circonstances
où il y aurait eu matière à déposition, le gouvernement s'est
APPEL COMME D'ABUS. 237
concerté avec la cour de Rome pour obtenir la démission du
titulaire. Cette manière de procéder, indépendamment du scan-
dale qu'elle épargne, a l'avantage de laisser sommeiller la
difficile question de compétence en matière de déposition des
évêques.
330. Chaque diocèse fait partie de la circonscription d'un
archevêché, à la tête duquel se trouve un archevêque, dont
les évêques de la circonscription sont appelés les suffra-
gants. L'archevêque prend aussi le titre de métropolitain.
Entre le métropolitain et les suffragants le lien de subordi-
nation est assez faible. L'évêque administre son diocèse avec
une pleine autorité et une complète indépendance de l'ar-
chevêque. C'est seulement comme juge et pour des ques-
tions dont le nombre est fort restreint, que l'évêque est su-
bordonné à l'archevêque. Le prêtre condamné par l'évêque
sans l'observation des formalités canoniques peut appeler au
métropolitain; celui-ci n'a même que le droit d'annuler la sen-
tence comme irrégulière et ne doit pas connaître du fond.
321. Les évêques et archevêques ont, pour l'administra-
tion du diocèse, le concours de vicaires généraux dont la
compétence embrasse la juridiction épiscopale ordinaire, sauf
deux exceptions : 1° les attributions que l'évêque se serait
expressément réservées; 2° celles qui ont besoin d'une délé-
gation expresse et que l'évêque n'a pas spécialement conférées,
telles que la collation et la destitution de bénéfices. D'ailleurs
les grands vicaires ou vicaires généraux n'ont de pouvoirs que
par la confiance de l'évêque. Celui-ci mort ou régulièrement
déposé, leurs attributions cessent de plein droit et l'adminis-
tration du diocèse passe au chapitre ou réunion des chanoines
qui délèguent, pour gérer les affaires ecclésiastiques, un vicaire
capitulaire.
322. Pendant que l'évêque est en fonctions, la réunion des
chanoines ou chapitre a des attributions peu étendues. Sans
doute les canons veulent que cette assemblée serve de conseil
à l'évêque, que celui-ci la consulte sur certaines affaires déter-
minées et, même en certains cas, obtienne son assentiment.
Mais la coutume contraire s'est presque partout établie, et en
238 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

dehors des cas où son avis est obligatoire d'après les canons,
le chapitre est rarement consulté. Au contraire, lorsque le siège
devient vacant, l'administration passe au chapitre qui doit la
déléguer à un vicaire capitulaire, car il n'a plus, comme autre-
fois, le droit de l'exercer collectivement par lui-même. Le vi-
caire capitulaire n'est qu'un administrateur provisoire, et,, par
conséquent, il ne doit rien faire qui ressemble à une innova-
tion. Expédier les affaires courantes et faire face aux circons-
tances urgentes, tel est le but de sa mission. Il est évident
aussi que les pouvoirs spéciaux conférés à l'évêque mort s'é-
teignent avec lui, et ne passent pas aux délégués des cha-
pitres.
Les chanoines sont nommés par l'évêque avec l'agrément
du pouvoir temporel. Ils sont titulaires de bénéfices inamovibles
et, comme les curés, n'en peuvent être privés qu'en vertu de
sentences régulières de déposition.

323. Protestantisme. — Les deux cultes protestants


reconnus et salariés en France sont : 1° le culte luthérien ou
de la confession d'Augsbourg et 2° l'Église réformée ou cal-
viniste.
L'annexion de l'Alsace et de la Lorraine à l'Allemagne a
séparé de la France la plus grande partie de la population lu-
thérienne. C'est à Strasbourg que se trouvaient le séminaire,
la faculté de théologie et le consistoire supérieur; c'est là
qu'était le véritable centre du culte luthérien. Aussi, a-t-il fallu,
après l'annexion, réunir les débris et donner une organisation
aux restes disséminés. Il y avait autrefois quarante-quatre
divisions consistoriales appartenant à la confession d'Augs-
bourg; il n'en reste qu'une faible partie qui, d'après les décrets
des 12-14 mars 1880, forment les deux circonscriptions syno-
dales de Paris et de Montbéliard. Celle de Montbéliard com-
prend le Jura, le Doubs, la Haute-Savoie et le territoire de
Belfort ; celle de Paris s'étend sur le reste de la France et même
l'Algérie.
334. La confession d'Augsbourg est régie par la loi du
1er août 1879 et le décret des 12-14 mars 1880. L'Église réfor-
APPEL COMME D'ABUS. 239
mée par le décret du 26 mars 1852 et le décret sur les élections
des 12-14 avril 1880.
Lorsque fut présenté le projet de loi sur la confession d'Augs-
bourg, il se réduisait à un seul article portant homologation des
propositions faites par un synode général. Cette ratification
en bloc , aurait eu pour conséquence de faire du luthé-
risme une religion concordataire, et de la loi un traité qui
ne pourrait être modifié que du consentement des deux parties
contractantes 1. Le Sénat ne voulut pas lui donner ce caractère
et substitua au projet une loi complète où se trouvaient d'ail-
leurs reproduites toutes les dispositions proposées par le synode.
Le synode, de son côté, s'empressa d'approuver, sans excep-
tion, les quelques modifications qui furent demandées par la
commission du Sénat 2.
Partout où il y a un ou plusieurs pasteurs, il y a une paroisse
et, dans chaque paroisse, se trouve un conseil presbytéral
composé de tous les pasteurs et d'Anciens, laïques, élus, dont le
nombre est au minimum de huit. L'élection est faite par les
électeurs inscrits sur les registres (décret des 12-14 mars 1880).
Les pasteurs ne sont pas élus par les fidèles; mais ces der-
niers contribuent indirectement à leur désignation, car les mem-
bres laïques du conseil presbytéral sont électifs et la nomination
des pasteurs est faite par le consistoire sur la présentation du
conseil presbytéral. « Le conseil presbytéral, dit l'article 10,
est chargé de veiller à l'ordre, à la discipline et au développe-
ment religieux de la paroisse, à l'entretien et à la conservation

1 Le projet voté par le synode général se composait de 27 articles en tête


desquels figurait la déclaration suivante : « Avant de procéder à l'oeuvre de
réorganisation de l'église pour laquelle il a été convoqué, le synode, fidèle
aux déclarations de foi et de liberté sur lesquelles ses réformateurs ont fondé
notre Eglise, proclame l'autorité souveraine des Écritures en matière de foi
et maintient à la base de sa constitution légale la confession d'Augsbourg. »
2 M. Eugène Pelletan rapporteur au Sénat de la loi du 1er août 1879,
,
dit : « Que la forme concordataire du projet parut porter atteinte aux droits
de l'Etat, qui ne saurait copartager la souveraineté et traiter, en quelque
sorte, de puissance à puissance pour régler ses rapports avec une Église, et
aux droits du législateur, qui ne saurait non plus accepter l'alternative d'a-
dopter ou de rejeter en bloc, sans pouvoir en excepter un seul article. »
240 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

des édifices religieux ou des biens curiaux. Il administre les


aumônes et ceux des biens et revenus de la communauté qui
sont affectés à l'entretien du culte et des édifices religieux,
le tout sous l'autorité du consistoire. — Il délibère sur l'accep-
tation des dons et legs. » — Le conseil presbytéral est renou-
velé par moitié tous les trois ans (art. 8).
325. Le consistoire se compose de tous les pasteurs de la
circonscription consistoriale et d'un nombre double d'anciens dé-
légués par les conseils presbytéraux. Il est renouvelé, par moi-
tié, tous les trois ans. « Le consistoire, dit l'article 14, veille
au maintien de la discipline; il contrôle l'administration des
conseils presbytéraux, dont il règle les budgets, et arrête les
comptes. Il nomme les receveurs des communautés de son
ressort et délibère sur l'acceptation des dons et legs faits au
consistoire ou confiés à son administration. — Il donne son
avis sur les délibérations des conseils presbytéraux qui ont
pour objet les dons et legs faits aux communautés de la cir-
conscription. »
326. Tous les consistoires d'une circonscription synodale
se réunissent, une fois par an, en synode particulier, au chef-
lieu du synode à Paris ou à Montbéliard :
« Le synode particulier, dit l'article 19, délibère sur toutes
les questions qui intéressent l'administration, le bon ordre ou
la vie religieuse, sur les oeuvres de charité, d'éducation et
d'évangélisation établies par lui ou placés sous son patronage.
Il statue sur l'acceptation des donations ou legs qui lui sont
faits. — Il veille au maintien de la constitution de l'Église, à
celui de la discipline et à la célébration du culte. Il prononce
sur toutes les contestations survenues dans l'étendue de sa
juridiction, sauf appel au synode général. »
Dans l'intervalle des sessions, le synode particulier est repré-
senté par une commission prise dans son sein et nommée par
lui. Elle se compose d'un pasteur et de trois laïques; ces der-
niers sont nommés pour six ans et renouvelés, par moitié,
tous les trois ans. « La commission, dit l'article 21, est char-
gée de la suite à donner aux affaires et aux questions qui ont
fait l'objet des délibérations du synode. »
APPEL COMME D'ABUS. 241
Enfin au-dessus des conseils presbytéraux, des consistoires
et des synodes particuliers plane l'autorité supérieure du Sy-
node général. Il se compose, d'après le décret des 12-14 mars
1880, de trente-six membres titulaires. Les deux inspecteurs
ecclésiastiques en sont membres de droit. La faculté mixte de
théologie y envoie un de ses membres. Les trente-trois autres
sont délégués par le synode de Paris, à raison de cinq pas-
teurs et dix laïques; celui de Montbéliard y délègue six pas-
teurs et douze laïques. Cette répartition a été faite, comme
l'exige l'article 24 de la loi, proportionnellement à la popula-
tion luthérienne des deux circonscriptions synodales. Quant
aux attributions du synode général, elles sont déterminées par
l'article 25.
« Le synode général veille au maintien de la constitution de
l'Église; il approuve les livres ou formulaires liturgiques qui
doivent servir au culte ou à l'enseignement religieux. — Il
nomme une commission exécutive qui communique avec le gou-
vernement; cette commission présente, de concert avec les
professeurs de théologie de la confession d'Augsbourg, les can-
didats aux chaires vacantes et aux places de maîtres de confé-
rences. — Il juge en dernier ressort les difficultés auxquelles
peut donner lieu l'application des règlements concernant le
régime intérieur de l'Église. »
Le synode général se réunit, au moins tous les trois ans, à
Paris ou à Montbéliard ou même dans toute autre ville désignée
par lui. Il peut se réunir en assemblée extraordinaire pour
cause grave, sur la demande d'un synode particulier ou sur
celle du gouvernement.
Enfin le synode général peut, si les intérêts de l'Église lui
paraissent l'exiger, convoquer un synode constituant. Mais cette
résolution ne peut être prise qu'à la majorité des deux tiers
des voix du synode général. Le nombre des membres du synode
constituant est double de celui du synode général (art. 27 de la
loi et art. 1er du décret des 12-14 mars 1880).
327. L'Église réformée est régie par le décret du 26 mars
1852. Le conseil presbytéral et le consistoire sont organisés à
peu de choses près comme dans la confession d'Augsbourg.
B. — II. 16
242 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

Car le conseil et le consistoire sont la base commune des deux


confessions. Les pasteurs sont nommés par le consistoire sur
la présentation du conseil presbytéral. Quant à l'autorité cen-
trale elle appartient au conseil supérieur des Églises réfor-
,
mées établi à Paris (art. 6 du décret du 26 mars 1852). Ses
attributions sont à peu près celles qu'a le synode général des
luthériens. Il représente les Églises réformées auprès du gou-
vernement. Quand une chaire de théologie est vacante, il re-
cueille les voix des consistoires pour la présentation et trans-
met au ministre le résultat du dépouillement (art. 7).
L'Église réformée est, depuis quelques années, travaillée par
de profondes divisions d'autant plus difficiles à calmer qu'elles
touchent au fond de la doctrine. Avec l'espoir d'y mettre un
terme, le gouvernement, par un décret du 29 décembre 1871,
divisa les 103 consistoires des Églises réformées en 21 circons-
criptions synodales et décida que chaque consistoire élirait un
pasteur et un laïque pour le représenter au synode de sa cir-
conscription. Ces représentants étaient appelés à se réunir,
du 1er au 15 mars 1872, pour élire les délégués à un synode
général qui serait ultérieurement convoqué à Paris. Ce décret
fut expliqué par une circulaire du 12 mars 1872. On voulait,
par les délibérations du synode, « arriver à s'entendre par un
partage plus libéral de leurs attributions respectives et un rè-
glement plus précis de leurs rapports. »
Le synode général se réunit à Paris le 6 juin 1872 et, dans
sa séance du 20 de ce mois, il visa une Déclaration de foi.
Plus tard, le 27 novembre 1874, il émit un vote très grave
qui devait avoir une influence décisive sur les élections. Il
décida que désormais seraient seuls « inscrits et maintenus
sur le registre paroissial, sur leur demande, les protestants
Français qui, remplissant les conditions actuellement et faisant
élever leurs enfants dans la religion protestante, déclarent
rester attachés de coeur à l'Église réformée de France et à la
vérité révélée, telle qu'elle est contenue dans les livres de
l'ancien et du nouveau Testament. »
Les élections qui suivirent ne firent que mettre en évidence
la division de l'Église réformée et rien ne put triompher de
APPEL COMME D'ABUS. 243
la résistance des protestants libéraux. Un décret rendu, le
Conseil d'État entendu, autorisa la publication de la confession
de foi votée par le synode général le 20 juin et en ordonna
la transcription sur les registres du Conseil d'État (décret du
22 février 1874); mais ce moyen fut sans efficacité et les Libé-
raux continuèrent à demander leur séparation d'avec les Or-
thodoxes. On a fini par leur accorder ce qu'ils avaient poursuivi
avec tant de persévérance par un décret du 28 mars 1882.
« Art.
1er. Le département de la Seine forme une circonscrip-
tion consistoriale unique qui a pour chef-lieu la paroisse de
l'Oratoire.
« Les départements de Seine-et-Oise, de l'Oise et d'Eure-et-
Loir forment une circonscription consistoriale qui a pour
chef-lieu la paroisse de Versailles.
« Art. 2. La circonscription consistoriale de Paris est divisée
en huit paroisses dont les dénominations et les limites sont
fixées au tableau annexé au présent décret.
« Art. 3. Chacune des dites paroisses est administrée par un
conseil presbytéral constitué conformément à l'article 1er de l'or-
donnance du 26 mars 1841 et de l'article 1er n° 1 de l'arrêté du
10 septembre de la même année. »
Ce décret, qui est spécial aux départements de la Seine et à
trois départements voisins, n'a pas le caractère d'une disposition
générale. C'est toujours le décret du 26 mars 1852 qui est la
loi de la matière. Mais en fait, il s'est créé officieusement dans
le sein de l'Église réformée des associations et corps délibérants
qui sont les seuls véritablement vivants. Ceux qui fonctionnent
conformément à la loi et spécialement le conseil supérieur des
Églises réformées, dont nous avons parlé plus haut, n'ont pas
une véritable influence.
328. Les différences qui distinguent le culte catholique et
le culte protestant, au point de vue de l'organisation extérieure,
peuvent se rattacher à deux points principaux. Premièrement,
tandis que dans le catholicisme les ecclésiastiques seuls s'occu-
pent des choses spirituelles et que les laïques interviennent
seulement pour la gestion des intérêts matériels de l'Église,
dans le protestantisme, au contraire, les laïques participent à
244 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

l'autorité spirituelle, sauf l'administration des sacrements et la


bénédiction du mariage qui appartiennent exclusivement aux
pasteurs. D'un autre côté, c'est de Rome que part l'autorité
catholique et qu'elle descend par des délégations successives
jusqu'à la paroisse. Dans les cultes protestants, au contraire,
la paroisse est considérée comme l'unité primordiale et l'élément
fondamental de l'organisation ecclésiastique. De la paroisse
émane l'autorité, et c'est par des degrés ascendants, au moyen
d'élections, que l'autorité ecclésiastique s'élève jusqu'au con-
seil central ou au synode général 1.
329. La loi du 18 germinal an X avait méconnu ce principe
de l'organisation protestante, en disposant que les églises con-
sistoriales devraient contenir au moins une agglomération de
6,000 habitants appartenant à la même communion. Ces consis-
toires étant les seuls représentants officiels des intérêts locaux
des protestants, les églises particulières étaient absorbées et
n'avaient plus aucune individualité. « Il en résulta, dit M. Vi-
vien des froissements, des conflits, un effort vers l'indépen-
,
dance, une tendance au congrégationalisme, et avec le temps,
la force des choses, comme il arrive d'ordinaire, l'emporta sur
le texte même de la loi. Les églises particulières se formèrent
d'elles-mêmes sous le nom de consistoires sectionnaires ou
conseils d'Église dans le culte réformé et de conseil presbytéral
dans la confession d'Augsbourg2. » Le décret du 26 mars 1852
a rétabli la paroisse, et cette organisation avait d'avance été
sanctionnée par l'expérience.

330. Culte israélite. — La France est divisée en circons-


criptions appelées consistoires départementaux; il y a un con-
sistoire par 2,000 habitants appartenant au culte israélite.
Les membres qui le composent sont : 1° le grand rabbin de la
circonscription; 2° quatre membres laïques dont deux au moins
sont choisis parmi les habitants du lieu où siège le consistoire
départemental.

1 Vivien, Études administratives, t. II, p. 321.


2
Vivien, Études administratives, t. II, p. 322.
APPEL COMME DABUS. 245
Les membres laïques sont nommés par l'assemblée des no-
tables 1 de la circonscription consistoriale sous l'approbation par
décret; il en est de même du grand rabbin; mais tandis que
celui-ci est nommé à vie, les membres laïques ne sont nommés
que pour huit ans, et sortent par moitié tous les quatre ans.
331. Sous la surveillance du grand rabbin consistorial sont
placés les rabbins communaux et les ministres officiants de la
circonscription. Les rabbins communaux desservent d'ordinaire
un certain nombre de communes; ils ont le droit d'officier et
de prêcher dans toutes les communes de leur ressort2. Leur
nomination ainsi que celle des ministres officiants est faite par
une assemblée de notables que désigne le consistoire départe-
mental et qu'il doit choisir de préférence parmi les notables
,
du ressort communal.
332. Les grands rabbins consistoriaux ont le droit d'offi-
cier et de prêcher dans toutes les synagogues de leur ressort
consistorial. Le choix qui appartient au consistoire central
est circonscrit par certaines conditions d'éligibilité; il ne peut
porter que sur des grands rabbins exerçant dans d'autres cir-
conscriptions, les rabbins communaux en fonctions sortis de
l'école rabbinique 3 ou sur des rabbins communaux exerçant
depuis cinq années; enfin le choix peut également porter sur
des professeurs de l'école centrale rabbinique4.
A Paris réside le consistoire central composé d'un grand
rabbin et d'autant de membres laïques qu'il existe de circons-
criptions consistoriales; en outre, l'assemblée des notables de
chaque consistoire y députe un membre choisi parmi ceux qui
résident à Paris. Les membres laïques sont nommés pour huit
ans et renouvelés, par moitié, tous les quatre ans. Quant au
grand rabbin du consistoire central, il est choisi par une as-
semblée composée : 1° des membres laïques du consistoire

1 Pour la composition de l'assemblée des notables, voir articles 25 à 38 de


l'ordonnance du 25 mai 1844 et décret du 29 août 1862, art 5.
2 Art. 24 de l'ordonnance du 25 mai 1844.
3 Art. 43 de l'ordonnance du 25 mai 1844.

4 Le choix du consistoire central doit être approuvé par décret (Dec. du

29 août 1862, art. 9).


246 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

central; 2° de deux délégués par circonscription consistoriale


nommés par l'assemblée des notables 1. Voici quelles sont les
attributions du consistoire et du grand rabbin.
333. Le consistoire central est l'intermédiaire entre le mi-
nistre des cultes et les consistoires départementaux. — Il est
chargé de la haute surveillance des intérêts du culte israélite.
— Il approuve les règlements relatifs à l'exercice du culte dans
les temples. Aucun ouvrage d'instruction religieuse ne peut

être employé dans les écoles israélites, s'il n'a été approuvé
par le consistoire central, sur l'avis conforme de son grand
rabbin. — Il a le droit de censure à l'égard des membres de
consistoires départementaux et peut, pour des motifs graves,
provoquer la révocation de ces membres par le ministre des
cultes. — Il délivre les diplômes de rabbin du second degré,
donne son avis sur les nominations des rabbins départemen-
taux ou communaux; il peut, sur la proposition des consistoires
départementaux et avec l'approbation du ministre des cultes,
ordonner le changement de résidence des rabbins communaux,
dans l'étendue de la circonscription consistoriale.
Il a un droit de censure sur les grands rabbins consistoriaux
et les rabbins communaux. A l'égard des premiers, ce n'est
que sur la plainte de leurs consistoires respectifs qu'il peut lés
censurer; quant à la suspension et à la révocation, le con-
sistoire se borne à prendre une délibération pour provoquer
la décision du ministre des cultes. Mais en ce qui concerne les
rabbins communaux, le consistoire peut les suspendre pour
un an et même prononcer leur révocation; dans ce dernier cas,
la confirmation par le ministre est indispensable 2.
334. Les attributions du grand rabbin du consistoire central
sont les suivantes : il a le droit de surveillance et d'admonition
à l'égard de tous les ministres du culte israélite; il a le droit
d'officier et de prêcher dans toutes les synagogues de France.
Aucune délibération ne peut être prise par le consistoire cen-

1 Article 40 de l'ordonnance du 25 mai 1844 et décret du 29 août 1862,


art. 5.
2 Articles 5-12 de l'ordonnance du 25 mai 1844.
APPEL COMME D'ABUS. 247
tral, concernant les objets religieux du culte, sans l'approba-
tion du grand rabbin. Néanmoins en cas de dissentiment
,
entre le consistoire central et son grand rabbin, le grand rabbin
du consistoire de Paris doit être consulté.
335. C'est la loi du 8 février 1831 qui a inscrit au budget
les dépenses du culte israélite. Auparavant cette religion était
régie par le décret du 17 mars 1808, d'après lequel ces dépenses
étaient payées au moyen d'une répartition spéciale entre les
adhérents 1.

336. Cultes non reconnus. — « La société évangélique


de Genève a fondé une société évangélique dans le Jura; le dé-
partement de Saône-et-Loire en a vu se former sept avec quatre
pasteurs. La société évangélique de Paris entretient cinq pas-
teurs dans la Haute-Vienne, cinq pasteurs et deux évangélistes
dans l'Yonne, un pasteur et deux évangélistes dans la Sarthe.
Deux pasteurs évangélistes du pays de Galles travaillent à la
propagation de leur foi dans le Finistère. Seize départements
possèdent des églises indépendantes, presbytériennes ou con-
grégationistes ; quelques darbistes qui prêchent l'abolition du
ministère et le sacerdoce universel sont répandus dans le Gard
et dans l'Hérault. On trouve aussi dans l'Hérault un certain
nombre de quakers. On compte en France plus de 5,000 ana-
baptistes. Les anabaptistes, au moment de leur baptême, font
serment de ne jamais porter les armes. Sur leurs réclamations,
un arrêté du comité de salut public, confirmé depuis par le di-
rectoire exécutif, décida qu'ils ne seraient appelés comme mi-
litaires que dans les charrois ou les bataillons des pionniers.
Nous ignorons si depuis ils ont conservé ce privilège2. » Si ce
privilège subsistait encore, l'anabaptisme devrait être considéré
comme un culte reconnu quoiqu'il ne fût pas porté au budget.
La distinction entre les cultes reconnus et ceux qui ne le
sont pas est de la plus grande importance au point de vue qui

1 On pense à réviser l'ordonnance du 25 mai 1844, mais le projet a été


entravé par diverses circonstances.
2 Vivien, Études administratives, t. II,
p. 316.
248 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

nous occupe, car les premiers sont les seuls auxquels s'ap-
plique l'appel comme d'abus. Or, le lecteur n'aura pas perdu
de vue que cette longue digression a pour objet de mieux com-
prendre dans quels cas est ouverte cette voie de recours.

DES CAS D'ABUS.

337. Observation générale. — Nous placerons au dé-


but de ce chapitre, une observation qui s'étend à tous les cas
d'abus. L'appel, lorsqu'il est dirigé contre les ministres du culte,
ne s'applique qu'aux cultes reconnus et qu'aux actes commis
dans l'exercice des fonctions ecclésiastiques1. Cette question
n'est pas sans difficulté parce que les prêtres remplissent des
attributions qui sont connexes au culte et qui cependant ne
constituent pas des fonctions ecclésiastiques.
Une commission ecclésiastique exclusivement composée de
prêtres et instituée pour l'administration de la caisse diocésaine
des retraites, a une compétence purement temporelle; comme
elle ne s'occupe que de questions pécuniaires, ses actes ou dé-
libérations ne peuvent pas donner lieu à recours pour abus 3.
De même supposons qu'un prêtre ait ordonné la séquestration
des chaises appartenant à un paroissien dont l'abonnement est
expiré, qu'il ait sommé le paroissien dont il s'agit de payer
son abonnement en l'interpellant à haute voix dans l'église,
y aura-t-il lieu à recours? Nullement; car, en cette circons-
tance, le desservant a fait un acte qui constitue plutôt une
exécution des délibérations du conseil de fabrique qu'un acte

1 Les tribunaux saisis d'une poursuite contre un ecclésiastique sont com-


pétents pour juger si le fait se rattache au culte et ne sont pas obligés de
renvoyer au Conseil d'État pour faire vider cette question. Il n'y a pas là de
question préjudicielle de la compétence exclusive du Conseil d'État. Aussi
le Tribunal des conflits a-t-il annulé un arrêté qui avait revendiqué la con-
naissance de cette question devant la cour de Montpellier. Trib. des confl.,
1er mai 1875 (D. P. 1876, III, 1), concl. conformes de M. Reverchon.
2 Décret du 30 décembre 1854 (D. P. 185.5, III, 68).
APPEL COMME D'ABUS. 249
du culte 1. Il en serait autrement du prêtre qui présiderait en
surplis une congrégation ou confrérie, lorsque la confrérie est
réunie dans l'église, par exemple pour procéder à la formation
des listes de ses membres 2. Les actes abusifs commis par ce
prêtre pendant la séance qu'il préside, seraient faits dans l'exer-
cice de ses fonctions ecclésiastiques.
L'évêque qui refuse d'interposer son autorité pour faire sor-
tir du couvent une jeune personne réclamée par son père,
n'agit pas dans l'exercice du culte et, par conséquent, son
refus ne peut pas être déféré au Conseil d'État par appel comme
d'abus. En ce cas, en effet, l'évêque refuse simplement d'exer-
cer son droit de surveillance sur une maison d'éducation qui
est étrangère aux matières du culte 3.
Pour que l'appel comme d'abus soit recevable, il faut encore
que l'acte ait été commis par un ecclésiastique légalement ins-
titué et investi d'une autorité propre. Nous avons vu que les
officialités ou tribunaux ecclésiastiques ont été supprimés. Dans
la plupart des diocèses cependant il existe des officialités 4 qui

1 Décret du 30 décembre 1854 (D. P. 1855, III, 62).


2 Dijon, arr. du 16 décembre 1857 (D. P. 1858, II, 66).

3 Décret du 7 avril 1855, Rochemur c. l'archevêque de Paris.

4 On s'est demandé si, dans l'état actuel de la législation, il n'était pas


permis au Gouvernement d'autoriser l'institution d'officialités d'après les
anciennes règles. Consulté sur cette question, le Conseil d'État a émis, à la
date du 22 mars 1826, un avis ainsi conçu : « Considérant que la juridiction
« contentieuse des anciennes officialités s'étendait à la fois sur les matières
« spirituelles qui appartiennent, de droit divin, à la juridiction épiscopale,
« et sur des matières temporelles dont les rois de France avaient attribué la
« connaissance à cette juridiction ; — Que cette dernière partie de la juridic-
« tion des officialités ne pourrait être rétablie en tout ou en partie que par
« une loi; mais que la suppression des officialités par la loi des 6-7 septem-
« bre 1790, article 13, titre XIV, en retirant aux évêques la portion de juri-
« diction qu'ils tenaient du prince n'a pu les dépouiller de celles qu'ils te-
,
" naient de Dieu môme et de son Église; vérité a été reconnue
— Que cette
« par la loi du 8 avril 1802, qui déclare, article 10, que tout privilège por-
« tant exemption ou attribution de lajuridiction épiscopale est aboli, et qui
« dispose, article 15, que les archevêques connaîtront des plaintes dirigées
« contre les décisions des évêques suffragants ; — Que les officialités, quant
« au spirituel seulement, ont pu être et ont été effectivement rétablies dans
250 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

n'ont qu'une existence de fait et dont les décisions n'ont que la


valeur de délibérations consultatives. Comme les avis de ces
officialités ne font pas obstacle à ce que la partie intéressée se
pourvoie devant l'évêque lui-même, le recours pour abus contre
une sentence de l'officialité ne serait pas recevable. Il faudrait
décider autrement si la séance de l'officialité ayant été présidée
par l'évêque, celui-ci s'était approprié la décision ; il est évi-
dent que la présence de ses conseillers ne pourrait rien enlever
de sa force à la sentence épiscopale 1.
On ne doit pas non plus considérer comme susceptible
d'être attaquée par voie d'appel comme d'abus une simple lettre

« plusieurs diocèses de France, avec l'assentiment de la puissance publique,


« sans violer aucune loi ; que les articles 52 et 67 de la Charte
constitution-
« nelle ne contiennent rien qui s'oppose à ce rétablissement,
puisqu'ils ne
« statuent que sur la juridiction ordinaire et sur la justice qui émane du roi
« exclusivement; que dès lors rien ne fait obstacle à ce que les évêques de
« tous les diocèses organisent, dans le sens proposé par le ministre
des
« affaires ecclésiastiques, l'exercice de leurjuridiction spirituelle ; que même
« l'intérêt de
l'Église, de l'ordre et de la justice doit les y déterminer ; —
« Considérant enfin que dans
l'Église tout devant se faire suivant les
« règles canoniques, et les règles prescrivant que personne ne puisse être
« condamné sans avoir été entendu ou dûment appelé et sans preuves,
« il serait à désirer qu'à mesure que les officialités seraient investies par
«
les évêques de l'exercice de la juridiction contentieuse qui leur reste,
« les formes de procéder devant elles fussent déterminées avec précision et
« d'une manière uniforme, ainsi que tout ce qui est de la substance des ju-
« gements; — Est d'avis, 1° que les officialités ne pourraient être investies
« de la connaissance d'aucune cause temporelle que par une loi; 2° que cette
« institution, renfermée dans les limites de la juridiction spirituelle, n'a rien
« de contraire aux lois du royaume ; 3° enfin qu'il serait utile que l'organi-
« sation de ces officialités et la procédure à suivre devant elles fussent ré-
« glées uniformément et d'une manière qui déterminât avec précision la na-
" ture des preuves, le droit de la défense, et tout ce qui est de la substance
« des jugements. » — Une ordonnance du 2 novembre 1835 a déclaré « nulle,
abusive et non avenue, » une décision de l'official métropolitain d'Aix. De
même dans l'affaire du sieur Ferrand, le ministre des cultes, avant de sou-
mettre le recours au Conseil, renvoya la sentence attaquée à l'archevêque
d'Avignon, pour faire disparaître l'irrégularité résultant de ce qu'elle avait
été rendue par l'official au lieu du métropolitain.
1 Décret du 26 août 1854 (D. P. 1855, III, 62). février
— Montpellier, 12
1851 (D. P. 1851, II, 35-38).
APPEL COMME D'ABUS. 251
missive émanée de l'archevêché et non signée par l'arche-
vêque; car cette lettre ne fait pas obstacle à ce que la partie
intéressée porte sa réclamation devant l'ordinaire1.

338. § 1er. De l'usurpation et de l'excès de pou-


voir. — Tout acte de l'autorité ecclésiastique fait contrairement
aux dispositions de la loi qui limitent son étendue est un excès
de pouvoir. Il y a usurpation, lorsque le chef spirituel non-
seulement sort de ses attributions, mais aussi empiète sur une
autre autorité. Ainsi l'usurpation est un excès de pouvoir; mais
la réciproque n'est pas exacte et tout excès de pouvoir n'est
pas une usurpation ; car l'usurpation ne doit s'entendre que de
l'entreprise sur les attributions d'un autre autorité ou juridic-
tion.
339. L'entreprise d'autorité a lieu ordinairement entre le
pouvoir spirituel et le pouvoir temporel; mais elle peut se pro-
duire aussi entre deux supérieurs ecclésiastiques2. Occupons-
nous successivement de ces deux cas.
Le Conseil d'État a jugé que l'autorité ecclésiastique ne peut
connaître de la validité d'un mariage sans usurper sur l'auto-
rité judiciaire. Voici les faits qui ont donné lieu à cette déci-
sion. — Une Italienne, ***, mariée à un sieur ***, se plaignit
au Pape de ce qu'elle n'avait été recherchée que dans des vues
d'intérêt, et lui demanda de prononcer la dissolution d'un ma-

1 Décret du 26 août 1854 (D. P. 1855, III, 62). — Montpellier, 12 février


1851 (D. P. 1851, II, 35-38).
2 Qu'a voulu dire M. Antoine Blanche lorsqu'il prétend que
« l'abus pour
« usurpation n'est plus possible en France, où toute justice émanant du sou-
" verain,
on ne trouve plus que des juges institués par l'autorité civile? »
(Dictionnaire d'administration, v° Appel comme d'abus, p. 65.) Nous fe-
rons observer que la juridiction des évêques leur appartient en vertu d'un
droit propre et non par l'effet d'une délégation de l'autorité civile (art. 10
de la loi organique). La part que le gouvernement prend à la nomination des
supérieurs ecclésiastiques ne fait pas obstacle à ce qu'ils aient une juri-
diction inhérente à leur caractère. D'ailleurs, est-ce que sous l'ancienne légis-
lation, le gouvernement ne s'était pas réservé une certaine participation à la
nomination des titulaires? — Après tout, l'usurpation pourrait très bien se
produire entre deux pouvoirs institués par la même autorité.
252 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

riage qui n'avait pas été consommé. Le Pape commit l'évêque


de Savone et trois ecclésiastiques pour entendre les témoins
et préparer un rapport sur l'affaire. Mais un décret du 14 juin
1810 annula la procédure commencée par l'évêque de Savone
comme abusive : « Notamment en ce que le Pape y connaît de
« la validité d'un contrat sur lequel l'autorité civile doit seule
« prononcer. »
Une décision de l'évêque de *** a été déférée au Conseil d'É-
tat comme entachée d'excès de pouvoir, en ce qu'elle contenait
la condamnation à une amende. La question n'a pas été tran-
chée; car le recours a été rejeté par une fin de non-recevoir 1.
Mais voici comment le ministre s'exprimait dans son rapport :
« L'évêque de *** avait le droit de demander à l'abbé X...
« compte de sa conduite sous le rapport de la probité, de le
« juger, de le condamner, de le destituer canoniquement, dès

« que sa conviction était formée. L'exercice de ce droit de


« discipline est tout à fait indépendant de la juridiction des tri-
« bunaux civils. Non-seulement Mgr l'évêque de *** n'avait pas
« besoin d'attendre leur décision de for extérieur, mais il pou-
" vait se former, au for intérieur, une conviction contraire au
« jugement qu'ils auraient pu porter s'ils avaient été saisis,

« procéder canoniquement d'après cette conviction et rendre


« une décision ex informatâ conscientiâ. »
Mais ce pouvoir disciplinaire qui est incontestable emporte-
t-il le droit de condamner à une amende? Nous ne le pensons
pas, bien que la destitution soit une punition plus grave que
l'amende. Le paiement de l'amende prononcée par la sentence
épiscopale n'aurait pas, en effet, empêché les tribunaux crimi-
nels de la prononcer une seconde fois contre le coupable : que
serait alors devenue la maxime non bis in idem? Remarquons
que les évêques n'étant assujettis à aucune limite seraient armés
de la peine connue sous le nom d'amende arbitraire, c'est-à-
dire d'une peine que la législation moderne a enlevée aux tri-
bunaux ordinaires eux-mêmes. « L'Église, dit Févret, emploie
« les peines ecclésiastiques de suspension, déposition et excom-

1 Décret du 6 août 1850.


APPEL COMME DABUS. 253

« munication; la justice royale, les amendes, saisies, séques-


« tration du temporel, emprisonnement et autres plus grandes,
« s'il y échet 1. » « Les peines ecclésiastiques, dit un savant
« canoniste allemand 2, ne peuvent en général consister que
« dans la privation des avantages octroyés par l'Église, par
« conséquent au plus dans l'exclusion de la communauté. » La
décision épiscopale qui condamnerait à une amende serait donc
une usurpation sur les tribunaux criminels.
310. Toute usurpation sur l'autorité temporelle ne donne
pas lieu au recours pour abus ; cette voie n'est ouverte que
lorsqu'il s'agit d'actes faits par les supérieurs spirituels, en
vertu de leur caractère ecclésiastique. Or, les attributions qui
leur appartiennent ne sont pas toutes de cette nature. Il y en a
qui leur sont déléguées par le gouvernement, sous le contrôle
et l'autorité duquel ils les remplissent; en sorte que si leurs
actes sont entachés d'excès de pouvoir, le pourvoi doit être
introduit administrativement devant le ministre; car ils agissent
dans ces cas comme administrateurs subordonnés, et non en
vertu d'un droit inhérent à leur fonction ecclésiastique. Ces
principes ont été consacrés dans deux ordonnances dont je vais
rendre compte.
341. De 1825 à 1839, le renouvellement triennal du con-
seil de fabrique n'avait pas eu lieu à la paroisse Saint-Louis-
d'Antin, et l'on s'était borné à remplacer les membres décédés
ou démissionnaires. En 1839, les membres qui composaient ce
conseil voulurent régulariser la position, et, en conséquence,
les cinq plus anciens s'étant retirés, ceux qui restaient procé-
dèrent, le 7 avril 1839, à l'élection des nouveaux membres.
C'est donc le 7 avril 1842 que le renouvellement triennal aurait
dû être fait; mais les choses se passèrent autrement, et le 2
octobre de la même année, l'archevêque de Paris rendit une
ordonnance ainsi conçue :
« Considérant qu'aucune réélection et nomination de nou-
« veaux membres n'a eu lieu pour ladite fabrique depuis le

1 Févret, t. I, p. 42.
2 Walter, Manuel de droit ecclésiastique, traduit
par Roquemont, p. 263.
254 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

« 10 avril 1825 jusqu'au 7 avril 1839; — Considérant que l'é-


« lection de cinq membres du conseil de fabrique, faite le 7
" avril 1839, est nulle, soit parce que les membres qui ont élu
« avaient perdu depuis longtemps tout droit d'élection, en vertu
« de l'article 4 de l'ordonnance du 12 janvier 1825, soit parce
« qu'ils ont procédé à cette opération, au nombre de trois seu-
« lement, et par conséquent en l'absence de la majorité requise
« par l'article 9 du décret du 30 décembre 1809; — Par ces
« motifs, reconnaissant que la fabrique de la paroisse de Saint-
« Louis d'Antin a perdu toute existence légale, nous avons
« ordonné et ordonnons ce qui suit :
« Art. 1er. Sont nommés membres de la fabrique, MM »
Les membres du conseil de fabrique attaquèrent cette or-
donnance comme entachée d'excès de pouvoir par voie d'appel
comme d'abus. Ils appuyaient la demande sur la jurisprudence
constante du Conseil d'État, d'après laquelle le droit de sta-
tuer sur la validité des élections d'un conseil de fabrique n'ap-
partient pas à l'autorité ecclésiastique, mais au pouvoir tem-
porel. Or l'archevêque de Paris, en statuant sur la validité des
élections du conseil de la fabrique de la paroisse Saint-Louis
d'Antin, avait commis une entreprise de juridiction qui devait
être déclarée abusive. Mais le recours fut rejeté par une or-
donnance du 8 mars 1844, dont voici les considérants.
« Considérant que l'ordonnance du 2 octobre 1842 a été
« rendue par l'archevêque de Paris dans l'exercice des pouvoirs
« administratifs qui lui ont été conférés par les lois sous le con-
« trôle du gouvernement; qu'à supposer qu'elle eût fait une
« fausse application des lois, décrets et ordonnances relatifs à
« la nomination des membres des conseils de fabrique, cette
« fausse application ne rentre pas dans les cas d'abus prévus
« et déterminés par l'article 6 de la loi du 18 germinal an X ;
« que les réclamants peuvent, s'ils le jugent convenable, se
« pourvoir contre lesdites ordonnances par les voies ordinaires. »
Il aurait fallu agir pour excès de pouvoirs devant la section du
contentieux du conseil d'état.
342. Au mois d'avril 1841, les sieur et dame de *** obtin-
rent la concession viagère d'un banc dans l'église de ***, moyen-
APPEL COMME D'ABUS. 255
nant la redevance de 20 fr. La délibération du conseil de fa-
brique mentionnait que les formalités prescrites par l'article 69
du décret du 30 décembre 18091 avaient été remplies; mais en
fait il était prouvé par des témoignages nombreux qu'elles
avaient été omises. Des réclamations s'élevèrent et trois habi-
tants demandèrent l'annulation de cette concession au conseil
de préfecture ; la demande fut renvoyée par le préfet à l'évêque,
qui annula la concession par ordonnance en date du 6 février
1844. Les sieur et dame de *** déférèrent au Conseil d'État
cette décision comme abusive pour trois motifs : 1° Une con-
cession de banc est faite en vertu d'un contrat civil, et consé-
quemment toutes les difficultés qui peuvent s'élever à son sujet
sont de la compétence des tribunaux ordinaires 2. L'évêque en
prononçant la nullité avait donc commis une usurpation. 2° En
déclarant que les formalités de l'article 69 n'avaient pas été
remplies, malgré l'énonciation contraire de la délibération du
conseil de fabrique, il avait excédé ses pouvoirs. 3° Le pouvoir
de l'évêque, en cette matière, est déterminé par l'article 30 du
décret en date du 30 décembre 1809; cette disposition ne lui
donne le droit de statuer que sur le recours relatif aux difficul-
tés entre le curé et le concessionnaire.
Par ordonnance du 16 décembre 1846, le Conseil rejeta le
pourvoi en se fondant sur ce qu'il s'agissait d'un acte fait par
l'évêque dans l'exercice des pouvoirs administratifs à lui délé-
gués par le gouvernement, sous le contrôle et l'autorité du
pouvoir temporel.
343. L'usurpation d'un pouvoir ecclésiastique sur un autre
pouvoir de même nature peut se produire de deux manières.
Tantôt c'est un inférieur qui entreprend sur les attributions de
son supérieur. Ainsi les curés n'ont sur les desservants aucune
autorité, mais seulement un droit de surveillance : ils ne pour-

1 Art. 69. « La demande en concession sera présentée au bureau, qui préa-


« lablement la fera publier par trois dimanches, et afficher à la porte de l'é-
« glise pendant un mois, afin que chacun puisse obtenir la préférence par
« une offre plus avantageuse. »
2
Voir Ordonnances sur conflit, en date des 4 juin 1826, 12 décembre 1828
et 19 octobre 1838.
256 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

raient donc pas, sans usurper les droits de l'ordinaire, pronon-


cer une condamnation ou faire un acte d'autorité contre un
succursaliste de leur canton. Ce point résulte d'un règlement
pour le diocèse de Paris, approuvé par le gouvernement le 25
thermidor an XI et qui a été adopté dans les autres diocèses.
Mais pour faire tomber cet excès de pouvoir, nous ne pensons
pas qu'il y eût lieu d'employer l'appel comme d'abus; car le
supérieur trouve dans sa position hiérarchique un moyen de
défendre ses attributions. En effet, l'article 30 de la loi orga-
nique dit positivement que « les curés sont immédiatement sou-
« mis aux évêques dans l'exercice de leurs fonctions. » L'évêque
n'aura donc qu'à annuler la mesure prise par le curé.
Tantôt, au contraire, l'usurpation est commise par un supé-
rieur ecclésiastique sur un autre ecclésiastique de rang égal.
Ainsi l'archevêque qui connaîtrait de l'appel interjeté contre une
décision rendue par un évêque suffragant d'un autre métropo-
litain commettrait une entreprise de cette nature. Nous pensons
que, dans ce cas, le recours pour abus serait ouvert; car le
métropolitain ne peut se défendre contre les empiétements de
son égal qu'en appelant l'intervention d'un autre pouvoir ayant
autorité à l'égard des deux 1.
344. Quant à l'excès de pouvoir simple, nous en pourrions
citer des exemples très nombreux, mais nous ne pousserons pas
loin cette énumération. L'évêque qui manifesterait la nomina-
tion d'un curé non encore agréée par le gouvernement com-
mettrait un excès de pouvoir 2. Il en serait de même de
l'ecclésiastique qui ferait en chaire la publication de choses
étrangères au culte, sans avoir reçu l'autorisation du gou-
vernement 3.
Aux termes de l'article 4 de la loi organique, « aucun con-
« cile national ou métropolitain, aucun synode diocésain, au-
« cune assemblée délibérante n'aura lieu sans la permission du
« gouvernement. » Par conséquent, toute convocation à un

1 Art. 15 de la loi organique.


2 Art. 36 ibid.

3 Art. 53 ibid.
APPEL COMME D'ABUS. 257
concile ou synode non autorisé serait un excès de pouvoir atta-
quable par l'appel comme d'abus 1.
Les chapitres n'étant placés auprès de l'évêque que pour
l'assister de leurs conseils, ils n'ont pas le droit de prendre des
décisions; il y aurait excès de pouvoir, par exemple, dans la
délibération par laquelle un chapitre adhérerait à un acte abu-
sif de l'évêque 2.
345. Y a-t-il un excès de pouvoir dans le refus fait par un
évêque d'autoriser un imprimeur à imprimer ou réimprimer des
livres d'église? Cette question demande des développements
préliminaires sur la nature du droit des évêques tel qu'il a été
établi par le décret du 7 germinal an XII :
Art. 1. «Les livres d'église, les heures et prières, ne pour-
ront être imprimés ni réimprimés que d'après la permission
donnée par les évêques diocésains, laquelle permission sera
textuellement rapportée et imprimée en tête de chaque exem-
plaire.
Art. 2. « Les imprimeurs-libraires qui feraient imprimer,
réimprimer des livres d'église, des heures ou des prières, sans
avoir obtenu cette permission seront poursuivis conformément
à la loi du 19 juillet 1793. »
346. Cette disposition ne doit s'appliquer qu'aux livres de
prières reproduisant le missel et ne s'étend pas à celles qui
seraient composées soit par une personne laïque, soit par un
prêtre ou extraites d'un autre livre que le missel 3. Ainsi res-

1Des conciles ont été réunis après la révolution de Février sans demande
d'autorisation préalable, les évêques ayant pensé que la liberté de réunion
existait pour tous. Afin de réserver cette question, le ministre des cultes pro-
voqua un décret du Présidentde la République, ayant pour objet d'autoriser,
pendant l'année 1849, « tous les conciles métropolitains et synodes diocé-
sains. » Décret du 16 septembre 1849.)

17
2 Ordonnance du 24
mars 1837.
3
« Mais ce serait abusivement et par une fausse interprétation du décret

" que l'on voudrait faire comprendre parmi ces livres ceux qui ne contien-
« nent que
des prières, méditations ou explications composées ad hoc, ex-
«
traites d'autres livres que le missel, et qui, par conséquent, contiennent
« autre
chose que les usages, le propre du diocèse. Telle nous parait être la
«
Journée du chrétien, livre qui n'est pas particulièrement applicable aux
B. - II.
258 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

treintes, ces dispositions ont-elles entendu consacrer au profit


des évêques un privilège exclusif, une quasi-propriété littéraire?
Plusieurs opinions se sont produites sur ce point.
347. Un écrivain, dont la doctrine n'a pas trouvé d'adhérent,
soutient que le décret du 7 germinal an XIII a été abrogé par
l'article 7 de la Charte qui garantissait aux citoyens, sans distinc-
tion la liberté de la presse 1. Cette opinion est repoussée par la
,
doctrine et par la jurisprudence; elle est en effet contraire au
principe d'interprétation exprimé par ce brocard : Speciei per
genus non derogatur. Deux autres opinions se sont produites.
D'après la première, le droit des évêques est absolu , et le pri-
vilège qu'ils confèrent aux imprimeurs est exclusif 2. D'après la
seconde le droit des évêques est borné aux limites d'une haute
censure épiscopale 3.
Le droit de haute censure épiscopale suffit, en effet, pour
atteindre le but que le législateur s'est proposé; car le dé-
cret de l'an XIII n'a été fait que pour maintenir la pureté de la
foi, l'orthodoxie des croyances. Donner aux évêques une espèce

« usages du diocèse, et qui, dans tous les cas, n'est pas exclusivement
« extrait de la source commune à tous les livres du diocèse, le Missel géné-
« ral. » (Revue de droit français et étranger, année 1847, p. 182, article de
M. Dumesnil.)
1Renouard, Traité sur la propriété littéraire, t. II, n° 68.
2 Arrêts de la Cour de cassation des 30 avril 1825, 25 juillet 1830 et 9
juin 1843. — Arrêts de la Cour de Paris des 11 mai 1830 et 25 novembre
1842. — Revue de droit français et étranger, décembre 1846, article de M.
Teyssier-Desfarges.
3 Arrêt de la Cour de cassation du 28 mai 1836.
— Colmar, 6 août 1833.
— Caen, 11
février 1839. Instructions du directeur de la librairie en date des
23 juin 1810, 13 mai 1811 et 26 novembre 1814. — Louis Dufour, Police des
cultes, p. 593, 613. — Laferrière, Histoire du droit (1re édit.), t. II, p. 88.
— Dumesnil, Revue de droit français et étranger, 1847, p. 169-200. — De
Lamartine, Rapport fait à la chambre des députés, le 13 mars 1841, sur le
projet de loi relatif à la propriété littéraire. « Nous avons pensé que toucher
" à la législation toujours en vigueur de l'an XIII, ce serait tomber dans l'un
" et l'autre danger; que par cette législation l'autorité épiscopale est armée
« d'un droit convenable non de propriété ni de privilège, mais d'approbation
« spéciale et préalable dans le diocèse, pour l'impression et réimpression des
« livres liturgiques à l'usage du diocèse. »
APPEL COMME D'ABUS. 259
de propriété littéraire, ce serait dépasser la pensée de la loi et
leur remettre un droit qui n'est pas nécessaire à sa réalisation.
La question a été tranchée en ce sens par les considérants d'un
décret rendu le 15 juin 1809, en Conseil d'État. « Considérant,
y est-il dit, que le décret du 7 germinal an XIII, en statuant
que les livres d'église, d'heures et de prières ne pourraient être
imprimés ou réimprimés que d'après la permission donnée par
l'évêque diocésain, n'a point entendu donner aux évêques le
droit d'accorder un privilège exclusif d'imprimer ou réimprimer
les livres d'église. » L'autorité de cette décision est d'autant plus
grande qu'elle fut rendue après une longue discussion et même
contrairement aux conclusions du rapporteur, M. Portalis. Il
est vrai que ce décret ne contient pas une interprétation obli-
gatoire, comme certains jurisconsultes l'ont prétendu; car il fut
fait à l'occasion d'une affaire particulière, et il n'a jamais eu le
caractère de généralité qui est nécessaire à une interprétation
de la loi 1. D'un autre côté, il n'a pas été publié au Bulletin
officiel. Il eut cependant une grande efficacité et il a été suivi
dans la pratique, ainsi que cela est attesté par trois circulaires
du directeur de la librairie, en date des 23 juin 1810, 13 mai
1811 et 26 novembre 1814. La jurisprudence de la Cour de
cassation est néanmoins indécise, et si l'opinion que nous avons
adoptée est consacrée dans un arrêt en date du 28 mai 1836,
rendu par la chambre civile, la chambre des requêtes s'est
écartée de cette solution par un arrêt de rejet du 9 juin 1843.
348. Dans son réquisitoire de 1836, M. Dupin résuma ainsi
les conséquences de la doctrine qui fut consacrée à cette épo-
que par la Cour de cassation : « 1° Oui, l'imprimeur en contra-
vention pourra être poursuivi par le ministère public, sur la
délation de l'évêque ou même d'office, dans l'intérêt public,
et l'amende de 100 à 2,000 fr. sera prononcée (art. 427 Code
pénal). 2° Mais l'évêque ne pourra se rendre partie civile; il n'est
ni auteur, ni propriétaire, ni atteint dans sa fortune; il n'a
pas d'action privée transformable en écus, devant tomber dans
sa main ou dans sa caisse. 3° Son prétendu cessionnaire n'a

1 V. Merlin, v° Interprétation, t. VIII, p. 564.


260 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

pas plus de droits que lui; la permission qui l'autorise à impri-


mer le place hors de la peine, extrapoenam, mais elle n'est pas
un privilège 1. »
349. Ces préliminaires étaient indispensables pour la dis-
cussion de la question suivante : Si l'évêque refuse d'accorder
l'autorisation à un imprimeur qui offre de se soumettre à toutes
les garanties qu'il plaira au supérieur ecclésiastique de déter-
miner, y aura-t-il lieu à l'abus pour excès de pouvoir? Le Con-
seil d'État a plusieurs fois décidé dans le sens de la négative.
Ainsi, l'évêque de Séez avait publié en 1838 un avertissement
d'après lequel le sieur V***, son imprimeur, était seul en droit
d'imprimer le catéchisme du diocèse; sur le recours du sieur ***,
libraire à Falaise, fut rendue une ordonnance de rejet, en date
du 18 mars 1841. — Le sieur ***, imprimeur, avait demandé à
l'évêque de Verdun l'autorisation d'imprimer des livres d'église
à l'usage du diocèse et avait offert d'en laisser surveiller l'édi-
tion par un prêtre délégué ad hoc. Sur le refus de l'évêque, il
appela comme d'abus; mais son recours fut rejeté par l'ordon-
nance du 30 mars 1842. Néanmoins un passage du rapport
présenté par le ministre témoigne d'un dissentiment entre
l'opinion du conseil et celle de l'administration des cultes.
« M. l'évêque de Verdun, y est-il dit, en m'informant qu'il ne
peut donner au sieur *** une approbation pour les livres d'é-
glise, ajoute, il est vrai : « Il n'est pas ici question d'un pri-
« vilège pour l'imprimeur à qui elle est confiée, mais seulement
« de l'exercice d'un droit que la loi a établi dans l'intérêt des
« doctrines religieuses et de leur unité. »
« Assurément le décret du 7 germinal an XIII, en exigeant
pour l'impression et la réimpression des livres d'église une per-
mission spéciale des évêques, leur donne le droit de la refuser.
S'il s'agissait ici de l'impression d'un livre nouveau dont la
publication paraîtrait dangereuse au prélat, ou même d'un livre
ancien dont la réimpression pourrait avoir des inconvénients
du même genre, nul doute que, chargé de veiller au maintien
de la doctrine il ne puisse, à cet égard, exercer son droit avec

1 Réquisitoires, t. II, p. 505.


APPEL COMME D'ABUS. 261

une autorité absolue, sans en rendre compte à personne, sans


que sa juridiction puisse être contrôlée par aucun autre pouvoir.
Mais il manifeste lui-même ses intentions, en disant : « Ce droit,
« que les évêques ne peuvent exercer qu'en confiant à un seul
« imprimeur la faculté d'imprimer les livres d'église à l'usage
« du diocèse. » Il ne s'agit donc pas seulement d'user de la
faculté que lui donne la loi, mais, à l'aide des motifs sur les-
quels cette loi repose, de se créer un pouvoir qui va plus loin
que la censure. C'est ce qui constitue l'excès de pouvoir et par
conséquent l'abus 1. "
La doctrine du Conseil d'État nous paraît justifiée par une
raison décisive. Le pouvoir de l'évêque est discrétionnaire (nemo
potest cogi ad factum) et dès lors son essence répugne à toute
espèce de recours 2. On objecte que ce pouvoir d'accorder ou
de refuser l'autorisation, si on le déclare absolu, aura le même
effet qu'un droit de propriété. Cette objection va trop loin, car
le pouvoir discrétionnaire ne fait pas obstacle à ce que l'im-
primeur, sans s'exposer aux peines de la contrefaçon, édite
le livre de prières, en se conformant au texte orthodoxe; seu-
lement il devra s'abstenir, en ce cas, de mettre sur le livre la
mention de l'autorisation épiscopale, à peine d'être poursuivi
conformément à l'article 427 Code pénal. Il ne pourrait pas au
contraire imprimer, même à ces conditions, si la permission
accordée par l'évêque conférait un droit de propriété litté-
raire 3.
Contrairement aux doctrines que nous venons de développer,
un jugement du tribunal de Falaise, rendu le 29 novembre

1 Rapport en date du 16 février 1842.


2 « Nous convenons, dit M. Dumesnil, que d'après l'axiome nemo potest

« cogi ad factum, l'évêque ne peut être forcé de donner la permission que le


«
libraire lui demande; mais si l'évêque refuse, le libraire ne commet
« aucun délit en passant outre, et par conséquent ne peut être condamné ni
« à la confiscation ni à l'amende. » (Revue de droit français, 1847, p. 193.)
Oui, mais il serait passible de l'amende et de la confiscation s'il imprimait,
avec le livre des prières, la permission par l'évêque.
3 De Cormenin, t. I,
p. 233, note 1. — Dumesnil, Revue de droit français,
1847, p. 194.
262 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

1838, avait condamné le sieur *** aux peines de la contrefaçon,


quoiqu'il se fût conformé au texte approuvé; mais cette décision
fut réformée sur l'appel, par arrêt de la Cour d'Amiens, en date
du 11 février 1839.
Un recours pour abus a été formé au Conseil d'État par le
sieur ***, imprimeur à Alby, contre une circulaire du 14 avril
1857, dans laquelle l'archevêque défendait la vente et l'usage
du paroissien complet mis en vente par l'appelant; celui-ci
déférait aussi à la censure du Conseil un traité par lequel
l'archevêque d'Alby s'était engagé, moyennant le paiement
de certaines sommes, envers un autre imprimeur, à refuser
l'autorisation épiscopale pendant dix ans à tout éditeur du pa-
roissien, alors même que cet éditeur offrirait de faire surveil-
ler la publication par une personne ayant la confiance de l'ar-
chevêque. Le Conseil d'État a jugé que le prélat avait usé de
son droit et a rejeté le recours, en ajoutant : « Sans qu'il y ait
lieu d'examiner si le prélat a agi conformément au véritable
esprit du décret du 7 germinal an XIII, considérant que les
faits exposés par le requérant ne constituent aucun des cas
d'abus 1. »
Avant d'être portée au Conseil d'État, cette affaire avait été
jugée par la Cour de Toulouse, sur l'appel du ministère public
contre un jugement du tribunal d'Alby qui avait relaxé le
sieur ***. La Cour décida que l'article 427 n'était pas appli-
cable et que la seule peine qui pût être prononcée 2 c'était la
confiscation, conformément à la loi du 24 juillet 1793.
La Cour de Toulouse a donc jugé qu'il, n'y avait pas pro-
priété au profit de l'évêque et que, par conséquent, l'impri-
meur n'avait pas commis une infraction à l'article 427. Quant
à la confiscation, nous convenons que si l'imprimeur avait mis
sur le livre la mention de l'approbation épiscopale sans l'avoir
personnellement obtenue, l'arrêt a bien jugé; car évidemment
la mention serait menteuse et ne pourrait pas être reproduite
sans entreprendre sur le pouvoir discrétionnaire de l'évêque.

1 Décret du 10 février 1859.


2 Arr. du 2 juillet 1857 (D. P. 1857, II, 205).
APPEL COMME D'ABUS. 263
Mais si l'imprimeur s'était borné à réimprimer sans parler de
l'autorisation épiscopale (ce qui n'apparaît pas de l'exposé des
faits), nous pensons qu'il n'y avait lieu d'appliquer ni la peine
de l'article 427 Code pénal ni la confiscation, parce que ***
n'avait fait qu'user de son droit en imprimant un liyre tombé
dans le domaine public.
En résumé : ce qui appartient exclusivement à l'évêque c'est
le droit de donner, à son choix, la permission épiscopale et il
peut la refuser même arbitrairement, son pouvoir étant discré-
tionnaire. Si un imprimeur non autorisé imprime avec la men-
tion de cette permission, il commet une contravention; son
édition fût-elle pure de toute faute, il pourrait être condamné
et le livre pourrait être saisi. Mais il ne serait passible ni d'a-
mende ni de saisie pour une édition non autorisée si elle ne
portait pas la mention de la permission de l'évêque.
350. Il y aurait excès de pouvoir dans le fait d'un ecclé-
siastique qui, dans un mandement ou un sermon ou tout autre
acte de ses fonctions, critiquerait les actes de l'autorité. C'est
ce qu'a décidé le Conseil d'État, le 16 mai 1879, en déclarant
l'abus contre l'archevêque d'Aix qui avait critiqué la politique
du gouvernement en matière d'instruction. Bien que les actes
critiqués touchassent aux intérêts religieux, il y avait abus à
faire les réclamations non par voie de pétition mais dans des
instructions pastorales « qui ne doivent, dit le décret, qu'ins-
truire les fidèles de leurs devoirs religieux 1. »
Les limites de chaque pouvoir étant déterminées par des lois,
l'excès de pouvoir est en même temps une contravention aux
lois; il est souvent difficile d'établir la démarcation entre ces deux
cas d'abus. Il n'y a même pas grande utilité à le faire, puisque
les deux causes produisent le même effet. Aussi dans la pratique
le même fait est-il souvent qualifié tout à la fois de contraven-
tion aux lois et d'excès de pouvoir. Dans le rapport qui précéda
l'ordonnance du 9 mars 1845, M. Vivien s'exprima ainsi en
résumant les conclusions : « Que si nous écartons ces apprécia-
« tions générales, pour caractériser, avec plus de précision,

1 Décret du 16 mai 1879 (D. P. 1881, III, p. 79).


264 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

« les cas d'abus qui peuvent être signalés dans le mandement


« de M. le cardinal de Bonald, nous y trouvons pour reprendre
« les termes de la loi organique : « Attentat aux libertés
« de l'Eglise gallicane, contravention aux lois, excès de
« pouvoir 1. »
On trouve une semblable accumulation de griefs dans la dé-
claration d'abus prononcée, le 7 avril 1861, contre l'évêque de
Poitiers pour un mandement où le prélat avait attaqué la poli-
tique du gouvernement dans les affaires d'Italie : « Considérant
qu'aux termes de la Déclaration de 1682, il est de maxime fon-
damentale dans le droit public français que « le chef de l'Église
« et
l'Église même n'ont reçu de puissance que sur les choses
« spirituelles et non pas sur les choses temporelles et civiles; »
que, par conséquent, les lettres pastorales que les évêques
peuvent adresser aux fidèles ne doivent avoir pour objet que
de les instruire de leurs devoirs religieux; — Considérant que
par son mandement du 22 février dernier, l'évêque de Poitiers
s'est ingéré de censurer et critiquer la politique du gouverne-
ment; — Considérant que cet écrit pastoral contient en outre
une offense à notre personne et des rapprochements propres à
alarmer les croyances de nos sujets catholiques ;
« Considérant que ces faits constituent un excès de pouvoir,
une contravention aux lois de l'Empire et un procédé pouvant
troubler arbitrairement la conscience des citoyens; — Avons
décrété : — Il y a abus dans le mandement de l'évêque de Poi-
tiers, du 22 février 1861. — Ledit mandement demeure sup-
primé. »

351. Contravention aux lois et règlements. — Les


lois et règlements obligent tous les citoyens. Si les ecclésias-
tiques y contreviennent par des actes étrangers au culte, ils sont

On trouve, au contraire, en matière civile, certains cas où il y a intérêt


1

à distinguer entre la contravention aux lois et l'excès de pouvoir. Ainsi les


décisions en dernier ressort des juges de paix ne peuvent être attaquées
devant la Cour de cassation pour violation de la loi, mais seulement pour
excès de pouvoir.
APPEL COMME D'ABUS. 265
régis par le droit commun et jugés par les tribunaux ordinaires 1.
Mais la nature de leurs fonctions les a fait soumettre à un régime
particulier.
Il y aurait contravention aux lois dans le fait de manifes-
ter les décrets de la Cour de Rome avant leur enregistrement
au Conseil d'État, et l'abus existerait alors même que l'évêque
aurait agi en vertu d'instructions verbales, sans avoir reçu
de bulle écrite. Bien qu'il n'y ait pas eu, en ce cas, lieu à enre-
gistrement, le Conseil n'admet pas cette excuse; car elle serait
un moyen facile de tourner l'interdiction de la loi 2.
Un ecclésiastique a le droit de publier un ouvrage où une
loi serait appréciée et critiquée 3. De même, il pourrait user du
droit de pétition et s'adresser au gouvernement pour provoquer
,
son initiative législative. Mais s'il attaquait la loi dans un acte
de ses fonctions, par exemple dans un mandement, il y aurait
abus. Cette distinction a été souvent consacrée par le Conseil
d'État, et notamment dans une ordonnance en date du 24 mars
1837. L'archevêché de Paris ayant été dévasté par l'émeute,
une ordonnance en date du 13 août 1831 disposa que les bâti-
ments du palais archiépiscopal seraient mis en vente comme
propriété de l'État et à charge de démolition. Le 13 février 1837,
le gouvernement présenta aux Chambres un projet de loi ayant
pour objet de céder à la ville de Paris l'emplacement de l'ancien
édifice pour être transformé en promenade publique. Le 4 mars
1837, M. de Quélen, archevêque de Paris, publia un mande-
ment pour protester contre cette double mesure; il y soutenait
que ce terrain n'avait pas cessé d'appartenir à l'Église , le Pape
n'ayant sanctionné dans le Concordat que la vente nationale des
biens aliénés antérieurement à l'an IX. Le 6 du même mois, le
chapitre métropolitain adhéra au mandement. Le mandement

1 Néanmoins les évoques ont été placés par la loi du 21 avril 1810 sous la
,
juridiction directe des Cours d'appel.
2 C'est ce qu'a décidé le Conseil d'État, le 13 décembre 1879 (D. P. 1881,
III, 79), en déclarant l'abus contre l'érection en basilique mineure de Notre-
Dame de la Salette par l'évêque de Grenoble.
3 Il est inutile de faire observer que s'il usait du droit commun il se trou-

verait passible de la législation en matière de presse.


266 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

et la délibération furent déférés au Conseil d'État, qui les déclara


abusifs comme ayant attaqué les lois qui ont réuni les biens
ecclésiastiques au domaine de l'État.
352. Aucune difficulté ne peut s'élever lorsque la contraven-
tion aux lois se trouve dans un mandement, qui est un acte de
l'exercice du culte. Mais la question s'est présentée dans un
cas où elle était plus délicate. Le 29 octobre 1834, l'évêque de
Moulins protesta contre le mode d'administrer les biens des
séminaires, par un mémoire envoyé à tous les évêques pour
provoquer, de leur part, un concert de réclamations. L'évêque
de Moulins avait sans doute méconnu le décret du 6 novembre
1813, portant règlement de la comptabilité des séminaires. Mais
cette contravention était-elle commise dans l'exercice du culte?
Le mémoire ne devait-il pas être considéré plutôt comme l'exer-
cice d'un droit commun à tous les citoyens? Sans doute l'évêque
ne s'était pas borné à pétitionner et il avait appelé les évêques
à se réunir à lui; mais ne pouvait-on pas dire, d'un autre côté,
qu'il n'y avait là qu'une réclamation de plusieurs pétitionnaires?
Le Conseil d'État, sans s'arrêter à ces objections, déclara qu'il
y avait abus, par une ordonnance du 4 mars 1835, dont voici
les principaux considérants : « Considérant que si les évêques
« de notre royaume sont admis, comme tous les citoyens, à
« recourir auprès de nous contre tous les actes émanés de nos
« ministres, il n'est point permis à un évêque, dans un mémoire
« imprimé et adressé à tous les évêques du royaume, de pro-
« poser, de leur part, un concert pour s'associer à des démar-
« ches et de chercher à donner ainsi à ses déclarations et à ses
« actes un caractère qui les rendrait communs à l'épiscopat tout
« entier ; — Considérant que s'il appartient à un évêque de nous
« proposer les modifications ou améliorations qu'il croirait utile
« d'introduire dans la comptabilité des établissements ecclé-
« siastiques, il ne lui est point permis de provoquer, de la part
« des autres évêques du royaume, la désobéissance aux lois et
« aux règlements en vigueur 1. »

1 La provocation à la désobéissance aux lois (art. 202 C. p.) peut donner


lieu à une déclaration d'abus. Décret du 17 août 1880; Pineau, Lebon, 1880,
p. 1098.
APPEL COMME D'ABUS. 267
353. La contravention aux règlements est placée par l'ar-
ticle 6 de la loi organique sur la même ligne que la contraven-
tion aux lois. Le maire de Dijon avait rendu un arrêté pour
défendre les processions extérieures, par application de l'article
45 de la loi du 17 germinal an X. Cet arrêté fut plus tard an-
nulé par le préfet ; mais avant cette abrogation, le curé fit sor-
tir une procession. Le commissaire de police, en sa qualité de
ministère public près le tribunal de simple police, demanda au
Conseil d'État une déclaration d'abus, et, en même temps,
l'autorisation de poursuivre le curé pour contravention. Le curé
opposa au pourvoi une fin de non-recevoir tirée de l'illégalité
de l'arrêté municipal, et forma un recours incident pour faire
déclarer que l'arrêt était abusif, comme attentatoire à la liberté
des cultes. La fin de non-recevoir et le recours incident n'é-
taient pas admissibles, en présence de l'article 45 de la loi
organique : aussi la déclaration d'abus fut-elle prononcée contre
le curé par ordonnance du 16 février 18421.
354. Aux termes de l'article 69 de la loi organique, « les
« évêques rédigent les projets de règlements relatifs aux obla-
« tions, que les ministres du culte sont autorisés à recevoir
« pour l'administration des sacrements. Les projets de règle-
« ments, rédigés par les évêques, ne pourront être publiés ni
« autrement mis à exécution qu'après avoir été approuvés par
« le gouvernement. » Si un prêtre percevait des droits plus
élevés que ceux fixés au tarif, il y aurait contravention à un
règlement. Mais l'abus n'existerait qu'autant que l'oblation au-
rait été arrachée par un mauvais usage de l'autorité, car il n'est

1 La question s'est présentée à plusieurs reprises dans ces derniers temps,


et le Conseil d'État a toujours décidé, soit en prononçant la déclaration d'a-
bus contre l'ecclésiastique, soit en refusant de la prononcer contre le maire,
que celui-ci avait le droit, même dans les communes où il n'y a pas de con-
sistoire, d'interdire les processions en vertu de son droit de police sur la voie
publique. Décr. des 26 janvier et 17 août 1880, Lebon, 1880, p. 1097 et 27
juillet 1882, habitants de Rouen c. maire de Rouen, Lebon, 1882, 1092. Dans
l'espèce de ce dernier décret le recours pour abus était d'autant plus mal
fondé que Rouen est le chef-lieu d'une des quatre églises consistoriales de
la Seine-inférieure et que le maire s'était, par conséquent, conformé à l'ar-
ticle 45 de la loi du 18 germinal an X.
268 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

pas interdit au prêtre de recevoir des dons volontaires. Ces


deux points ont été jugés par une ordonnance en date du 4 mars
18301.
355. C'est ici le lieu d'examiner la question de savoir si un
ecclésiastique peut être traduit devant les tribunaux, directe-
ment et sans renvoi du Conseil d'État, pour une infraction
commise dans l'exercice de ses fonctions.
L'article 75 de la Constitution du 22 frimaire an VIII portait
que les agents du gouvernement autres que les ministres ne
pourraient être poursuivis pour faits relatifs à leurs fonctions,
qu'en vertu d'une décision du Conseil d'État. Il a toujours été
reconnu que cette disposition n'était pas applicable aux mi-
nistres du culte 2. Car on doit entendre par fonctionnaires des
agents du gouvernement, dépositaires d'une partie de l'autorité
publique, et agissant au nom d'un pouvoir dont ils dépendent.
Or les ministres du culte ne sont pas des agents du pouvoir
exécutif, ils n'exercent aucune portion de la puissance publique,
et l'autorité dont ils relèvent n'est pas sur la terre 3. Le Conseil
d'État allait même jusqu'à juger que la demande en autorisation
de poursuites contre un ecclésiastique était non recevable, si
elle se fondait uniquement sur l'article 75 de la Constitution
de l'an VIII4.

1 L'oblation n'est due au prêtre qu'autant qu'il administre les sacrements


réellement. Si donc les parties domiciliées dans une paroisse allaient dans
une paroisse voisine faire baptiser un enfant, elles ne seraient pas obligées
de faire l'oblation au prêtre dans la circonscription duquel elles sont domi-
ciliées. Le prêtre n'a droit à l'oblation que pour l'administration réelle. C.
cass., ch. crim , arr. du 25 février 1852 (D. P. 1852, I, 83).
2
L'article 75 de la Constitution de l'an VIII a été abrogé par le décret-loi
du 19 septembre 1870, qui abroge aussi toutes autres dispositions qui met-
tent obstacle aux poursuites judiciaires. De ces termes généraux, M. Du-
crocq a conclu que le préalable des articles 6, 7 et 8 de la loi organique a
été supprimé, t. I, n° 727. On admet généralement que le décret de 1870 ne
s'applique pas aux ecclésiastiques. V. Bregeault, Revue critique, 1879,
p. 617. Cass., ch. crim., 25 mars 1880 (D. P. 1880, I, 185).
3 C. de cass., arrêts des 9 septembre, 2 novembre, 25 novembre et 23

décembre 1831, 10 septembre 1836.


4 Ordonnance du 27 décembre 1844. Mais
on pouvait dire contre cette dé-
APPEL COMME D'ABUS. 269
Il faut, en outre, dégager la question des délits ou crimes
qui seraient commis en dehors des cas d'abus; car tout acte
délictueux commis par un ministre du culte n'est pas un cas
d'abus. Pour qu'il rentre dans la disposition de l'article 6 de
la loi organique, il ne suffit pas que le fait incriminé ait été
commis pendant l'exercice des fonctions sacerdotales ; il faut
encore que cet acte dépende des fonctions elles-mêmes et qu'il
soit lié au culte 1. Toute la difficulté consiste donc à savoir si
l'autorisation du Conseil d'État est tout à la fois un délit de
droit commun et un abus. C'est ainsi que la difficulté a été
délimitée par plusieurs ordonnances du Conseil d'État 2.
356. Il importe de bien peser les termes de l'article 8 de
la loi organique, puisque c'est dans ce texte qu'on a trouvé
l'immunité dont il s'agit :
« Sur le rapport du ministre des cultes, l'affaire sera suivie
« et définitivement terminée en la forme administrative ou,
«suivant l'exigence des cas, renvoyée aux autorités compé-
« tentes. » Les uns n'ont pas trouvé dans cette disposition la
création d'une garantie semblable à celle de l'article 75 de la
Constitution consulaire. Cet article selon eux veut dire seule-
ment que, si le fait déféré comme abusif paraît au Conseil pré-
senter les caractères d'un délit ordinaire, il renverra aux tri-
bunaux, tandis que, si c'est un acte simplement abusif, l'affaire
sera terminée administrativement. En d'autres termes, l'article

cision que la partie ne s'était trompée que dans les motifs et non dans les
conclusions.
1 C. cass. crim., 8 mai 1869 (D. P. 70, I, 93), 16 avril 1880 D. P. 1880,

234) et Chambéry, 29 novembre 1872 (D. P. 1880, II, 184).


2 V. de Cormenin, Droit administratif, t. II,
app. 4; Dufour, Traité de droit
administratif, t. V, p. 66 et suiv.; Vuillefroy, Administration du culte ca-
tholique, v° Abus, p. 45, 46, 47 et note a : « Le texte, dit ce dernier, ne
« parle du recours devant le Conseil
d'État que dans les cas d'abus. A au-
3 cune époque, sous aucun régime, le mot d'abus ne s'est appliqué aux
" crimes ou délits ordinaires, quels que soient le lieu et la circonstance où
" ils ont été commis; ce qui, de tout temps, a caractérisé l'abus, ce n'est
« ni le lieu ni la circonstance, c'est la nature même de l'acte. L'acte abusif
" est celui qui a été fait, sans pouvoir, au delà de la juridiction ordinaire
" naturelle. »
270 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

8 n'a disposé que pour le cas où le Conseil est déjà saisi par
l'initiative des parties et n'oblige pas celles-ci à le saisir 1.
D'autres pensent au contraire que l'article 8 de la loi du 18
germinal an X a créé pour les ecclésiastiques une immunité
analogue à celle qui protégeait les agents du gouvernement.
Selon eux, le législateur n'a pas voulu dépouiller le prêtre d'un
privilège qui était accordé au fonctionnaire le plus humble, ni
permettre que les pratiques les plus saintes descendissent à tout
instant dans l'arène judiciaire, exposées à la lutte des passions
anti-religieuses.
La Cour de cassation revenant à son ancienne jurisprudence 2,
a consacré un troisième système qui consiste à distinguer entre
l'action publique intentée pour le ministère public et celle qui
serait poursuivie en police correctionnelle par un particulier,
pour délit et spécialement pour cause de diffamation ou d'injure.
Dans le premier cas, la Cour pense que l'appel comme d'abus
n'est pas un préalable administratif que le procureur soit obligé
d'observer. Au contraire, dans le second, le particulier diffamé

1 Louis Dufour, Police des cultes, p. 470 et suiv.; Chauveau et Faustin


Hélie, Théorie du Code pénal, t. IV, p. 275 et 276; Serrigny, Compétence
administrative, t. I, p. 142-150. — « Quel est le sens de ce texte? dit ce
« dernier auteur ; il signifie tout simplement que, quand le Conseil
d'État est
« saisi d'un cas d'abus, il peut terminer définitivement l'affaire, ce qui aura
« lieu si le fait ne constitue ni crime, ni délit, ni contravention tel qu'un
« refus de sépulture ou de sacrement; ou bien qu'il pourra renvoyer l'affaire
« devant les tribunaux, si le fait inculpé renferme, en outre, les caractères
« d'un crime ou d'un délit. »
2 La Cour de cassation avait décidé en ce sens dans les arrêts du 22 mars
1840 et du 29 décembre 1840. Avant 1840, elle avait consacré la distinction
dont il va être parlé entre l'action du ministère public et l'action de la partie
diffamée ou injuriée. Dans le premier cas, l'appel comme d'abus n'était pas
nécessaire, tandis qu'il l'était dans le second. Cette distinction résultait des
arrêts du 25 août 1827 et 28 mars 1828. L'arrêt de 1827 avait été rendu
sur un recours du ministre de la justice, formé dans l'intérêt de la loi par
application de l'article 441 du Code d'instr. crim. et précédé d'une lettre
écrite par le garde-des-sceaux, lettre dans laquelle la question était nettement
posée. — La même distinction entre l'action du ministère public et l'action
des parties fut consacrée par la Cour de cassation par quatre arrêts de 1831
(23 juin, 9 septembre, 25 novembre et 23 décembre 1831), par un arrêt du 18
APPEL COMME D'ABUS. 271

ou injurié doit s'adresser au Conseil d'État, et ce n'est que sur


le renvoi ordonné par cette juridiction disciplinaire que la pour-
suite pourra être portée devant les tribunaux criminels 1.
357. Les motifs que donne l'arrêt de la Cour de cassation
pour établir la première partie du dispositif sont loin d'être
favorables à la seconde ; car, autant cet arrêt est fortement mo-
tivé lorsqu'il établit l'indépendance de l'action du ministère
public, autant il est embarrassé lorsqu'il soumet au préalable
du recours pour abus la poursuite des particuliers. « Attendu,
dit la première partie de l'arrêt, qu'aucune disposition des
articles sus-énoncés ne porte que les ecclésiastiques ne pour-
ront jamais être traduits pour des crimes ou délits relatifs à
leurs fonctions, devant les tribunaux ordinaires de répression,
sans avoir été préalablement déférés au Conseil d'État; — Qu'on
objecterait vainement qu'il suffit que l'abus soit contenu dans
le délit pour que le fait doive être soumis à la juridiction
chargée de déclarer les abus ; qu'il est contraire à tous les
principes que lorsqu'un fait constitue tout à la fois un man-
quement et un délit, le tribunal disciplinaire doive connaître

février 1836 et un autre du 26 juillet 1838. — L'arrêt de 1838 fut rendu con-
trairement aux conclusions de M. l'avocat général Hello, qui soutint qu'en
aucun cas la poursuite devant les tribunaux n'était subordonnée au préala-
ble de l'appel comme d'abus. — Mangin, Action publique; Cormenin, Droit
administratif, t. II, Appendice, p. 4, soutiennent que, dans tous les cas, les
tribunaux ne peuvent être saisis que sur le renvoi ordonné par le Conseil
d'État. — M. Faustin Hélie Code d'instruction criminelle, t. III, p. 652,
,
s'est prononcé en sens contraire et soutient que, dans aucun cas, la pour-
suite n'est subordonnée au renvoi du Conseil d'État, qu'elle soit formée par
le ministère public ou par la partie diffamée. — M. Laferrière, t. I, p. 238
(5e édition), adopte l'opinion de la jurisprudence du Conseil d'État. V. or-
donnances des 25 avril et 18 mars 1841, 21 février et 4 avril 1845 et 30
juillet 1847. Ajoutez les décrets des 17 janvier 1855, 2 mai et 23 novembre
1857, 16 août et 21 juillet 1860 et 7 avril 1861.
1 C'est la distinction qu'a consacrée la Cour de cassation dans son arrêt

du 10 août 1861, arrêt qui rejette le pourvoi contre un arrêt de la Cour de


Poitiers du 5 juillet 1861, Lhémeaux. L'arrêt de Poitiers n'avait pas fait la
distinction admise par la Cour de cassation; elle avait décidé, sans s'occu-
per de l'action directe intentée par un particulier, que l'action du ministère
public n'était pas subordonnée au préalable de l'appel comme d'abus.
272 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

du fait préalablement et préférablement au tribunal chargé


de réprimer le délit; — Qu'il faudrait une disposition spéciale
et formelle qui, par dérogation au droit commun, imposât ce
recours préalable même en cas de délit ou de crime; que cette
disposition n'existe pas. »
On pourrait croire, d'après l'ordre de cette argumentation,
que, si la disposition formelle n'existe pas à l'égard du minis-
tère public, il y en a une pour les particuliers agissant par voie
de citation en police correctionnelle ; car la Cour a positivement
exigé un texte spécial et formel. Or, ce texte n'est dans au-
cune loi. Quelles raisons ont déterminé la Cour de cassation à
se montrer moins difficile en ce qui concerne l'action privée?
Continuons la lecture de l'arrêt : « Attendu que l'article 6 de la
loi organique a pour effet d'atteindre même le délit de diffama-
tion lorsque, se confondant avec l'acte de la fonction ecclésias-
tique, la diffamation vient à se produire en chaire et demeure
inséparable de l'abus proprement dit; que, dans les cas de
cette nature, il appartient à la sagesse du législateur de mettre
une barrière au devant de l'action privée et de la soumettre
préalablement à la poursuite devant les tribunaux répressifs,
à l'examen et à l'appréciation du Conseil d'État; — Attendu
que cette restriction est la seule qui ressorte des articles 6 et
8 de la loi; qu'elle ne concerne que les particuliers; que le
ministère public en demeure affranchi. »
Il appartient, à la vérité, à la sagesse du législateur de
mettre une barrière au devant de l'action privée; mais où cette
sagesse s'est-elle manifestée? L'arrêt dit que la restriction ré-
sulte des articles 6 et 8. Mais ces articles sont conçus en termes
généraux qui peuvent s'appliquer tout aussi bien à l'action du
ministère public qu'à celle des particuliers. Le système mixte
doit donc être rejeté, et il faut choisir entre les deux systèmes
qui, jusqu'à présent, s'étaient partagé les opinions.
358. Il faudrait être lié par un article formel pour soumettre
l'action privée ou publique au préalable de l'appel comme d'a-
bus, et ce texte n'existe nulle part. Ceux qui soutiennent la
doctrine de l'autorisation préalable invoquent des considéra-
tions qui pourraient être puissantes en législation ou même ser-
APPEL COMME D'ABUS. 273
vir pour l'interprétation de lois positives s'il s'agissait d'appuyer
un principe au lieu d'une dérogation au droit commun, mais
qui ne saurait suffire pour établir une immunité exceptionnelle.
359. L'article 8 de la loi organique dit que : « L'affaire
« sera suivie et définitivement terminée
dans la forme admi-
« nistrative ou renvoyée, selon l'exigence des cas, aux auto-
" rités compétentes. » Cette disposition s'explique à notre avis
de la façon la plus simple. Les cas où le délit et l'abus se
mêlent ne sont pas toujours d'une appréciation facile, et la loi
prévoit qu'à la suite, de l'examen par le Conseil d'État, le
caractère délictueux d'un fait qu'on avait d'abord considéré
comme simplement abusif, pourrait être démontré. Alors le
Conseil d'État pourra renvoyer devant les tribunaux ordinaires,
un acte qui ne lui paraîtrait pas assez sévèrement puni par un
simple blâme disciplinaire. Mais de ce que le Conseil peut
ordonner le renvoi aux autorités compétentes, lorsqu'il a été
saisi par l'initiative des parties, faut-il conclure que les parties
soient obligées de le saisir et qu'elles ne puissent pas, si elles
l'aiment mieux, s'adresser directement à la justice ordinaire?
Ce serait tirer une conclusion qui n'est nullement contenue
dans les prémisses du raisonnement 1.
360. Pourquoi se bornerait-on à exiger le préalable pour
l'action en police correctionnelle formée par la partie? Si l'on
veut être logique, il faut aller jusqu'à dire que même l'action
civile ne pourrait pas être portée devant les tribunaux ordi-
naires, sans le renvoi du Conseil d'État. C'est ce qu'on dé-
cidait pour les fonctionnaires protégés par l'article 75 de la
Constitution de l'an VIII et, s'il est vrai que les articles 6 et 8
de la loi organique ont créé pour les prêtres une protection
analogue, il faudrait les défendre de l'action civile tout aussi
bien que de l'action pénale. L'arrêt de 1861 dit que la sagesse
du législateur a mis une barrière à l'action privée. Mais de
quelle action privée s'agit-il? est-ce de l'action correctionnelle

1L'opinion soutenue au texte a été adoptée par M. Reverchon dans les


conclusions qu'il donna devant le Tribunal des conflits le 1er mai 1875 (D. P.
1876, III, 1).
B. - II. 18
274 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

ou de l'action civile? Si c'est de la première seulement qu'il


est question, l'arrêt distingue là où la loi ne distingue pas. S'il
s'agit de l'une et de l'autre à la fois, le résultat est exorbitant.
Comment! un individu est diffamé en chaire; peu soucieux de
faire punir le diffamateur, il se borne à demander une indem-
nité pour le dommage qu'il souffre et cette réparation, il ne
pourra l'obtenir que si le Conseil d'État le permet! Le droit du
particulier serait subordonné aux convenances politiques et à
l'esprit public, qui, suivant les moments, éloignerait ou rap-
procherait l'un de l'autre le pouvoir spirituel et le pouvoir
temporel? Il est vrai que le principe une fois admis, la logique
demande que cette conclusion soit acceptée, mais les consé-
quences auxquelles on est conduit démontrent le danger du
principe. Le Conseil d'État a dernièrement consacré cette doc-
trine. Après plusieurs décisions dont les termes permettaient
de croire qu'il n'admettait pas la distinction faite par la Cour
de cassation entre l'action du ministère public et celle des
particuliers, il s'est formellement prononcé dans le décret du
17 mars 1881. « Considérant que la demande des époux B...
dans la forme où elle est présentée, tend à obtenir à raison
des faits de violence et d'injures dont l'abbé *** se serait rendu
coupable envers les époux ***, l'autorisation de poursuivre
ledit abbé devant le tribunal de police correctionnelle; — Con-
sidérant que la nécessité d'une semblable autorisation ne résulte
d'aucun texte de loi; que les particuliers ont, aussi bien que
le ministère public, le droit de poursuivre directement les mi-
nistres du culte devant les tribunaux du droit commun; décrète :
« Il n'y a lieu de statuer sur la requête présentée par les
« époux B.1... »

1 Lebon, 1881, p. 1059, Rertheley c. l'abbé Guy. Du même jour, ajoutent


les continuateurs de Lebon, cinq décisions semblables, préfet du Var c.
Schiraison, etc., etc.; de Vaucluse c. Rarre; de Tarn-et-Garonne c. Delmas.
Les prévenus étaient poursuivis devant les tribunaux de simple police de
Cuers, Saint-Maximin, Barjols, Mormoiron et Aurillac, pour contravention
aux arrêtés des maires de Carnoules, Mans, Bras, Crillon et Aurillac. —
La Cour de cassation juge que l'appel comme d'abus est un recours préjudi-
ciel à l'action des particuliers et que le juge de droit commun doit surseoir
si l'ecclésiastique oppose que le fait est dans un cas d'abus. C. cass., ch.
APPEL COMME D'ABUS. 275
361. Aux termes de l'article 199 du Code pénal, les mi-
nistres du culte ne peuvent procéder aux cérémonies religieuses
d'un mariage qu'après justification d'un acte de mariage préa-
lablement reçu par les officiers de l'état civil, à peine d'une
amende de 16 fr. à 100 fr. La contravention à cet article est
tout à la fois un délit et un acte abusif : les tribunaux correc-
tionnels peuvent être saisis soit directement par le ministère
public, soit à la suite du renvoi ordonné par le Conseil d'État 1.
362. L'injure prononcée en chaire ou dans l'exercice d'une
fonction ecclésiastique quelconque, présente également le ca-
ractère du délit et de l'abus. C'est de tous les faits celui qui a
donné lieu au nombre le plus considérable de recours 2. Il n'en-
tre pas dans notre pensée d'analyser toutes les ordonnances qui
crim., 25 juin 1863 (D. P. 1863,1, 321); 5 décembre 1878 (D. P. 1879, I,185);
25 mars 1880 (D. P. 1880, I, 233) et 18 avril 1883 (D. P. 1883, I, 483). La
Cour de cassation a par arrêt du 31 mars 1881 (D. P. 1881, I, 391) rejeté le
,
pourvoi formé contre les décisions d'un juge de simple police qui avait con-
damné dans les circonstances suivantes. L'abbé ***, traduit devant le juge de
simple police pour contravention à un arrêté municipal interdisant les proces-
sions, avait opposé qu'il s'agissait d'un fait d'abus et le juge avait sursis : le
Conseil d'État saisi avait déclaré l'abus. Alors l'action suspendue avait été re-
prise et l'ecclésiastique condamné. La Cour de cassation a jugé que l'affaire
n'avait pas été terminée administrativement. Elle l'aurait été si le Conseil d'É-
tat avait déclaré qu'il n'y avait pas abus. M. Albert Desjardins, après avoir
analysé cet arrêt, en le comparant avec la décision du Conseil d'État dans la
même affaire, dit en terminant : « Dans les deux affaires sur lesquelles le Con-
seil s'est prononcé le 17 août 1880, c'était par le ministère public que la pour-
suite était dirigée, c'étaient les préfets qui formaient le recours pour faire pro-
noncer l'abus ; ni le Conseil ni la Cour de cassation n'ajoutaient rien à la doc-
trine appliquée déjà depuis longues années, en reconnaissant que l'action
publique pouvait ou devait reprendre son cours sans autorisation. Auraient-ils
décidé de même s'il s'était agi d'une poursuite directement engagée par la
partie lésée ? Le Conseil d'État a-t-il eu la pensée de comprendre cette hypo-
thèse dans son considérant? Les termes très généraux de ce considérant ne
permettent que de le présumer. » (Revue crit., 1882, p. 79.) Mais le Conseil
d'État a, dans le décret du 17 mars 1881, explicitement tranché la question
et abandonné la distinction entre l'action du ministère public et celle des
particuliers.
1 Ordonnance du 3 déc. 1828 Pélissier.
— Ordonnance du 25 déc. 1830.
2 Voir, entre autres, ordonnance du 25 février 1818 Plouin-Dubreuil;

du 19 juin 1829 Baillard; — du 19 juin 1829 Benoin.
276 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

ont été rendues à ce sujet; car la plus grande partie manque


d'intérêt soit au point de vue du droit, soit au point de vue
du fait. Nous n'en citerons qu'une.
Un servant de synagogue de Wintzenheim avait annoncé que
Raphaël B... était exclu des cérémonies religieuses. Une action
ayant été dirigée contre lui, le tribunal de Wintzenheim le
condamna comme coupable d'injure. Mais le préfet du Haut-
Rhin éleva le conflit sur ce fondement que la police des cultes
appartient à l'autorité administrative, et un décret du 9 fri-
maire an XIII rendu en Conseil d'État annula le jugement
comme entaché d'excès de pouvoir.
363. L'ancienneté de ce décret explique la décision qu'il
consacre. La matière des conflits n'était pas encore régie par
l'ordonnance du 1er juin 1828, qui porte, en son article 3 :
« Ne donneront pas lieu au conflit : 1° le défaut d'autorisation,
« de la part du gouvernement, lorsqu'il s'agit de poursuites
« dirigées contre ses agents, soit de la part du conseil de pré-
« fecture, lorsqu'il s'agira de contestations judiciaires dans
" lesquelles les communes ou les établissements publics seront
« parties; 2° le défaut d'accomplissement des formalités à rem-
« plir devant l'administration préalablement aux poursuites
« judiciaires. » La première partie de cette disposition n'est
pas relative à la question, puisque les ministres du culte ne
sont pas considérés comme des agents du gouvernement. Mais
le deuxième alinéa est conçu en termes tellement généraux,
qu'il est évidemment applicable. C'est par inadvertance que
M. Dufour avait soutenu, dans la première édition de son
Traité de droit administratif appliqué, que le conflit pouvait
être élevé pour dessaisir les tribunaux d'une instance introduite
sans recours pour abus préalable. Ce qui le prouve, c'est que
cet auteur appuie son opinion sur l'ordonnance du 24 mars
1819, précédent qui est dépourvu de toute autorité, puisqu'il
est antérieur à 1828, comme l'ordonnance Raphaël B..., dont
nous venons de parler 1. Dans la deuxième édition, l'honorable

Dufour, Traité de droit administratif(2e éd.), t. V, p. 64.


— Ordonnance
1

du 24 mars 1819, Dideron. On oppose l'article 3, § 2, qui ouvre le conflit en


APPEL COMME D'ABUS. 277
jurisconsulte a reconnu l'erreur que nous lui avions signalée
dans notre opuscule sur l'appel comme d'abus. Mais ce qui est
extraordinaire, c'est que M. Gaudry, dont l'ouvrage est pos-
térieur non-seulement à notre travail mais à la seconde édition
de M. Dufour, indique la recevabilité du recours comme ne
faisant aucune difficulté. « Si un fait d'abus, dit-il, était porté
devant les tribunaux, ils devraient se dessaisir d'office. S'ils ne
se dessaisissaient pas, le préfet devrait intervenir et élever le
conflit; c'est ce qui a été jugé par une ordonnance du 27 février
18191. » Il suffira de signaler à M. Gaudry l'erreur où il est
tombé pour qu'il la reconnaisse, comme l'a fait M. Dufour.

3©JL § 3. Contravention aux canons reçus en


France. — « Dans les premiers temps, dit Walter, la disci-
« pline de l'Église ne reposait pas sur des lois écrites, mais sur
«la tradition des préceptes de ses fondateurs. Plus tard, la
« vie de l'Église prenant plus de développement, il se tint plus
« fréquemment des synodes dont les décrets
consolidèrent ou
« modifièrent l'ordre
établi. Parmi les synodes dont les canons
« se sont conservés, les plus importants sont ceux
d'Ancyre
« et Néocésarée (314), Nicée (325), Antioche (332), Sardique
« (344), Gangres (vers 365), Laodicée (vers 372), Constanti-
«nople (381), Éphèse (431), et Chalcédoine (451). Dans ce
«nombre, il est vrai, ceux de Nicée, Constantinople, Éphèse
« et Chalcédoine ont seuls autorité de conciles oecuméniques

matière de police correctionnelle, « lorsque le jugement à rendre par le tribu-


« nal dépendra d'une question préjudicielle dont la connaissance appartien-
« drait à l'autorité administrative, en vertu d'une disposition législative. »
Mais d'abord cet article ne s'applique qu'aux matières correctionnelles ; elle
ne saurait être opposée pour les poursuites civiles. D'un autre côté, le ca-
ractère abusif est tellement peu une question préjudicielle que l'appel comme
d'abus pourrait être formé nonobstant un jugement correctionnel, prononcé
sans autorisation préalable du Conseil d'État. — Boulatignier, V° Conflit,
Dictionnaire d'administration, 463 et 469. Cette question n'y est pas trai-
tée. Mais les développements que cet article contient sur les articles 2 et 3
de l'ordonnance du 1er juin 1828 sont de nature à bien faire comprendre ces
deux dispositions.
1 Législation des cultes, t. I,
p. 423.
278 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

« ou généraux. Néanmoins les canons des autres synodes ont


« été réunis, dans les collections, à ceux des quatre derniers
« et mis ainsi en circulation dans toute l'Église 1.
» A mesure
que l'Église étendit son empire, il devint plus difficile de con-
voquer les évêques, et l'on vit se produire un fait dont l'his-
toire romaine avait déjà donné un exemple ; de la même manière
que la loi était passée des comices à l'empereur, le pouvoir lé-
gislatif fut transféré, au moins de fait, du Concile au Pape. Les
décrets du Saint-Siège remplacèrent les décisions du concile
trop difficile à réunir et devinrent une des sources les plus
abondantes du droit canonique.
Vers l'an 527, Dionysius exiguus ou le Petit, fit paraître une
traduction du Corpus canonum Son recueil comprenait, indé-
pendamment des canons édictés par les conciles tant grecs que
latins, quelques décrétales .et constitutions des papes, depuis
Siricius jusqu'à Hormisdas. Mais ce recueil fut bientôt jugé
insuffisant. D'abord il manquait de méthode et il était impropre
aux études classiques; d'un autre côté, il ne tarda pas à être
incomplet, de nouvelles décisions venant grossir la législation
canonique. Le plus remarquable et le plus connu des recueils
qui comblèrent cette lacune est celui de Gratien, moine du cou-
vent de Saint-Félix, appartenant à l'ordre des Camaldules;
il fut composé vers le milieu du XIIe siècle. C'est un traité de
droit canonique, où les lois sont citées, non avec le désordre
du recueil, mais à l'appui de propositions présentées méthodi-
quement. Cet ouvrage fut suivi, dès son apparition, dans l'en-
seignement des universités, et c'est ainsi que prit naissance
une école nouvelle dont les disciples furent appelés tantôt cano-
nistes, tantôt décrétistes ou décrétalistes. Néanmoins et malgré
la grande diffusion que le décret a obtenue, il n'a jamais eu en
France une autorité complète. « Quant au Code de Gratien,
« dit Févret, on ne l'a reconnu que comme un ouvrage d'un
« particulier, destitué même de la force et autorité publique
« du Saint-Siège. On a examiné sa doctrine et, remontant jus-
« qu'aux sources des conciles, on a approuvé ce qu'il a dit

1 Manuel de droit ecclésiastique, p. 72, § 61.


APPEL COMME D'ABUS. 279

« conformément aux canons et constitutions pontificales approu-


« vées et reçues, et rejeté ce qu'il avait tronqué, détourné et
« innové 1. »
365. Chaque jour amenant des difficultés nouvelles, des
conciles généraux furent convoqués pour les résoudre; mais
comme l'Orient s'était détaché de l'unité de l'Église, les évêques
d'Occident seuls y prirent part. Le concile se réunit à Latran,
une première fois, à la suite de la querelle des investitures, et
trois autres fois dans les années 1139, 1179 et 1215. Ces réu-
nions avaient pour objet des difficultés politiques, mais on en
prit occasion pour résoudre des questions canoniques de la plus
haute importance. Les choses ne se passèrent pas autrement
aux deux conciles qui se tinrent à Lyon, le premier en 1245,
le deuxième en 1274, et au concile réuni à Vienne en 1311.
Les décrets votés par ces assemblées et les rescrits des papes,
se trouvant en dehors de l'ouvrage de Gratien, reçurent pour
ce motif le nom d'Extravagantes ; leur multiplicité fit bientôt
sentir la nécessité de nouveaux recueils. Il en parut de partiels
qui furent bientôt en trop grand nombre; et c'est pour remédier
à cet inconvénient que Grégoire IX chargea Raymond de Pen-
naforte, auditeur de la Rota et pénitencier, de composer une
nouvelle collection qui parut en 1275. La lettre d'envoi aux
universités portait défense d'en composer de nouvelles sans
l'autorisation du Saint-Siège. Aussi les ouvrages qui parurent
ensuite portent-ils en général le nom d'un pape. L'ouvrage de
Grégoire IX était composé de cinq livres. Boniface VIII réunit
en un seul trois recueils qui avaient été faits sous l'autorité de
trois papes ses prédécesseurs 2 et l'ajouta aux décrétales de
Grégoire IX comme un sixième livre, d'où est venu le nom de
Liber sextus. Plus tard, Clément V fit réunir les décrets du
concile de Vienne et des décrétales rendues par lui-même dans
un recueil qui porte le nom d'Extravagantes, et qui est aussi
connu sous celui de Clémentines. Jean XXII imita cet exemple
et publia, en 1317, ses propres décisions. Voici comment s'ex-

1 Févret, Traité de l'abus, t. I, p. 32, 33 et 37.


2 Innocent IV, Grégoire IX et Nicolas III.
280 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

prime Févret sur l'autorité que ces travaux ont obtenue en


France : « Et à l'égard des Décrétales de Grégoire IX, du Sexte
« de Boniface VIII, et des Extravagantes de Clément V et Jean
« XXII, comme il y a beaucoup de belles décisions et résolu-
« tions conformes aux sacrés conciles et décrets canoniques
« approuvés et reçus par
l'Église gallicane, on les a aussi ap-
« prouvées et exécutées avec
le respect dû au Saint-Siège. Mais
« quant aux constitutions décrétales qui
heurtaient les droits de
« la temporalité, on les a constamment rejetées. »
366. A la suite du schisme d'Occident, vers le commence-
ment du XVe siècle, furent tenus plusieurs conciles généraux
qui ne se bornèrent pas à lever les difficultés politiques résul-
tant de la situation, mais réglèrent, en même temps, des points
assez nombreux de discipline ecclésiastique. Le concile de Cons-
tance tenu en 1414 rendit plusieurs décrets de réformation
contre les abus, s'en remettant pour leur exécution à des con-
ciles ultérieurs. En conséquence, Eugène IV convoqua en 1431
une nouvelle réunion à Bâle. Le dissentiment entre le pape et
les évêques éclata dès la première séance et l'harmonie ne
,
fut pas rétablie avant la quinzième. Mais le discord ayant re-
commencé, le pape transféra l'assemblée de Bâle à Ferrare.
C'est en 1438 que s'ouvrit le concile de Ferrare; il fut continué
à Florence l'année suivante. Néanmoins une fraction du con-
cile était restée à Bàle où elle continua ses délibérations et élut
un nouveau pape après avoir déposé Eugène IV. La disso-
lution de cette assemblée s'opéra peu à peu et, pour ainsi
dire, de guerre lasse, mais elle ne fut consommée qu'en 1443.
Sous Jules II un concile réuni à Pise essaya de renouveler le
schisme, mais cette tentative fut comprimée par le cinquième
concile de Latran, tenu en 1512.
La Réforme avait eu, sinon pour cause, au moins pour
occasion, les abus qui s'étaient introduits dans la discipline
ecclésiastique ; c'est pour porter remède à ce mal que fut con-
voqué le concile de Trente de 1545, commencé sous le pontificat
de Paul III et terminé en 1563 sous celui de Pie IV. Les décrets
qui furent rendus par ce concile relativement à la discipline
ont été reçus en France ; mais il en est autrement de la partie
APPEL COMME D'ABUS. 281
qui est relative aux rapports de la puissance temporelle avec
l'Église; les doctrines ultramontaines y étant consacrées, elle
a été constamment repoussée.
367. C'est principalement en matière de sentences discipli-
naires de déposition que s'applique le troisième cas de recours
pour abus. Lorsque les règles prescrites par les canons n'ont
pas été remplies, l'ecclésiastique déposé peut et doit d'abord se
pourvoir devant le métropolitain, par application du principe
qu'il faut épuiser les voies de recours ordinaires avant d'em-
ployer les plus compliquées1.
368. Les curés ne pouvaient, dès le principe, être dé-
posés que par un concile composé de six évêques; mais à
mesure que la réunion des conciles devint moins fréquente,
cette pratique fut aussi plus difficile et les évêques ne tardèrent
pas à s'attribuer le jugement des prêtres; ils le déléguèrent à
leurs officialités, et l'application des peines ecclésiastiques fut
assimilée aux autres matières contentieuses 2. Les officialités
n'existent plus aujourd'hui et c'est aux évêques seuls qu'appar-
tient la connaissance de ces procès. Quand les évêques pronon-
cent une peine ecclésiastique, ils n'exercent pas un pouvoir
discrétionnaire, mais une juridiction contentieuse. Aussi sont-ils
astreints à remplir les formalités compatibles avec l'ordre de
choses actuel, et à mentionner dans leurs décisions les conditions
substantielles des jugements. « Depuis la suppression des offi-
« cialités, dit M. de Cormenin 3, il suffit que les formalités subs-
« tantielles, qui consistent dans une instruction discrète et éclai-
« rée, dans la pleine liberté de la défense, et dans un jugement
« mûri, aient été observées. » Dans l'affaire Chrétien, le recours
était fondé sur ce que le prévenu n'avait pas reçu les trois moni-
tions qui, d'après les anciennes règles, devaient être signifiées
à huit jours d'intervalle et laissées, la première à personne, les
deux autres à domicile. Voici comment s'exprima sur ce point

1 Décret du 29 août 1854 (D. P. 1855, III, 62), Bourrel c. l'évêque d'Ar-
ras.
2 Fleury, Instit., p. 175, et Durand de Maillane, Dictionnaire canonique,
V° Déposition, t. II, p. 118.
3 Droit administratif, t.1,
p. 240, note 2.
282 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

le maître des requêtes rapporteur : « L'Église avait autrefois


« ses lois propres, ses tribunaux et les officiers de ses tribu-
" naux. Elle avait ses promoteurs pour donner aux actes le
« caractère d'authenticité qui leur était nécessaire. Les officia-
« lités, l'ancienne juridiction ecclésiastique, les officiers de
« cette juridiction ont disparu; il est impossible d'exiger au-
« jourd'hui des évêques les formalités auxquelles ils étaient
« astreints dans l'administration de leur justice. L'article 6 de
« la loi organique, qui met au nombre des cas d'abus l'infrac-
« tion des règles consacrées par les canons reçus en France,
« n'a jamais été et n'a pu être compris des règles de l'ancienne
« procédure ecclésiastique. C'eût été la destruction de toute
« discipline; car il dépendra toujours d'un individu frappé par
« des peines disciplinaires de dire que les règles n'ont pas été
« observées, alors que l'observation de ces règles ne peut être
« judiciairement démontrée 1. »
369. Une distinction doit être faite, en ce qui concerne
les curés. S'ils ne peuvent être déposés qu'avec les formes
dont il vient d'être parlé, l'évêque a cependant le pouvoir de
les remplacer pour cause d'infirmité ou d'inconduite. Le sup-
pléant reçoit, en ce cas, une portion du traitement, dans la
proportion déterminée par le décret du 7 novembre 1811.
Aucun recours n'est admis contre cette mesure, ni par voie
de recours pour abus, ni devant le métropolitain; car c'est au
supérieur ecclésiastique qu'il appartient d'apprécier les besoins
de l'administration paroissiale.
370. Lorsqu'une sentence de déposition est attaquée comme
abusive, le Conseil d'État n'apprécie que la régularité de la
décision, l'observation des formes, et ne s'immisce pas dans
la connaissance du fond; il ne pourrait le faire qu'en s'attri-
buant une partie de l'autorité spirituelle, et le Conseil a tou-
jours évité cette immixtion.
Si la déclaration d'abus est prononcée, quel en sera l'effet?
Le titulaire reprendra-t-il l'exercice de ses fonctions en vertu

M. Raulin, maître des requêtes; V. aussi Vuillefroy, Culte catholique,


1

V° Déposition, et Durand de Maillane, V° Censure, t. I, p. 450.


APPEL COMME D'ABUS. 283
de la permission du Conseil d'État, et malgré la déposition
prononcée par l'évêque? C'est là une des questions les plus
délicates que cette matière puisse soulever. Elle peut être
également posée dans le cas où un simple prêtre a été interdit
à sacris par une sentence irrégulière. Cependant les deux ques-
tions ne doivent pas être confondues; elles ont des éléments de
solution qui sont propres à chacune et qu'il importe de distin-
guer.
Si la sentence de déposition est déclarée abusive, elle de-
vrait, dans la rigueur du droit, être mise à néant; le titulaire
reprendrait ses fonctions comme si sa position était entière.
Mais cette solution aurait pour effet de mêler indirectement le
pouvoir temporel à l'action de l'autorité ecclésiastique. Aussi
a-t-on admis que la sentence, quoique frappée d'une déclaration
d'abus, conservera tous ses effets au point de vue spirituel,
mais qu'elle n'en pourra produire aucun dans le domaine
temporel. Ainsi cette sentence ne serait pas susceptible, tant
qu'elle n'aurait pas été renouvelée en la forme régulière, d'être
confirmée par le chef du pouvoir exécutif et le titulaire demeu-
rerait en jouissance de son traitement.
371. Que faudrait-il décider, si le Chef du pouvoir exécutif,
méconnaissant ces principes, confirmait la déposition nonobs-
tant la déclaration d'abus? Il y aurait dans cet acte un excès
de pouvoir caractérisé, et par conséquent le pourvoi devant
la section du contentieux serait ouvert au titulaire contre le
décret confirmatif; car cet acte aurait eu pour résultat de faire
produire ses effets civils à une sentence qui, étant déclarée
abusive, n'en pouvait plus produire aucun, au point de vue
temporel.
Mais le recours par la voie contentieuse ne serait pas re-
cevable contre le décret qui aurait confirmé une sentence de
déposition, quelque irrégulière qu'elle fût, si elle n'avait pas
été déclarée abusive. Car le Chef du pouvoir exécutif, quand il
accorde à la déposition ses effets civils, n'a pas à examiner si
elle est régulière ou non ; il se borne à déclarer qu'aucun in-
térêt administratif ou politique ne s'oppose à ce que la sentence
épiscopale produise ses effets temporels; le recours pour abus
284 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

et le pourvoi devant le métropolitain sont les seuls moyens


à employer pour en faire prononcer l'irrégularité. C'est ainsi
que la question a été décidée par la section du contentieux
dans une décision du 29 mars 1851. Le sieur ***, chanoine à
Périgueux, avait été déposé par sentence épiscopale en date
du 18 octobre 1849, approuvée le 4 février 1850 par décret
du Président de la République. Il se pourvut d'abord par appel
comme d'abus contre la sentence épiscopale; mais un décret
du 6 août 1850 rejeta son recours par une fin de non-recevoir
tirée de ce que l'appelant ne s'était pas pourvu devant le mé-
tropolitain. Alors le sieur *** attaqua au contentieux le décret
du Président de la République comme entaché d'excès de pou-
voir, en ce qu'il avait confirmé une sentence irrégulière. Mais
ce nouveau recours fut repoussé par la décision précitée dont
voici les considérants :
« Considérant que le décret du 4 février 1850 n'a fait que
« rendre exécutoire, quant à ses effets civils, la sentence pro-
« noncée le 18 octobre 1849 par l'évêque de Périgueux contre
« le sieur *** ; que ledit décret ne fait point obstacle au pourvoi
« que le requérant, s'il s'y croyait recevable et fondé, pourrait
« former contre ladite ordonnance devant l'autorité métropo-
« litaine; qu'ainsi il ne contient aucun excès de pouvoir, et
« qu'il n'est, dès lors, pas susceptible d'être attaqué par la voie
« contentieuse. » Ces considérants sont la reproduction de ceux
qui se trouvent dans une ordonnance rendue au contentieux
le 4 février 1837 K
372 Mais le recours pour abus est-il recevable dans le
cas où la sentence a déjà été approuvée par le Chef du pouvoir
exécutif? Quelques-uns objectent qu'une déclaration d'abus ne
saurait avoir aucun effet; qu'elle ne détruirait pas la déposition
dans ses résultats au point de vue spirituel; qu'il en serait de
même au point de vue temporel, puisque le décret du Chef du
pouvoir exécutif ne peut tomber que devant un décret de la
section du contentieux. Selon eux, déclarer l'abus dans ces
circonstances, ce serait frapper sans atteindre et jeter une

1 4 février 1837, Isnard.


APPEL COMME D'ABUS. 285
condamnation dans le vide. La déclaration d'abus ne serait ce-
pendant pas sans effet et conserverait encore, au point de vue
disciplinaire, l'influence morale qui s'attache au blâme d'un
corps considérable. Il lui resterait une efficacité préventive,
et elle aurait pour résultat d'assurer à l'avenir l'observation
des formes. Néanmoins, les considérations dont je viens de
parler étaient fort graves, et elles déterminèrent le Conseil à
envoyer au ministre les observations suivantes :
« Le Conseil
d'État, qui, sur le rapport du comité de l'inté-
« rieur, de l'instruction publique et des cultes, a pris connais-
« sance d'un projet de décret ayant pour objet de rejeter le
« recours pour abus formé par le sieur *** contre une ordon-
« nance de l'évêque d'Agen, qui l'a destitué de son titre curial
« de Monflanquin ;
« Considérant que dans l'affaire qui fait l'objet du présent
« projet de décret, ainsi que dans les affaires du même genre
« dont le Conseil a été récemment saisi et notamment dans
« celles des sieurs Piveteau et Audierne, les décisions épisco-
« pales attaquées ont été approuvées par le Président de la Ré-
« publique avant que les recours aient été formés; que la
« marche suivie dans ces affaires pourrait rendre illusoire le
« droit de recours comme d'abus; qu'en effet, l'approbation
« donnée à la décision épiscopale permet de nommer un nou-
« veau titulaire, qui, par le fait même de sa nomination, se
« trouve lui-même revêtu d'un titre inamovible; que, dès lors,
« le titulaire dépossédé ne pourrait être remis en possession,
« alors même que son recours serait admis; que, d'un autre
« côté, le recours dirigé contre la décision du pouvoir ecclé-
« siastique par la voie d'appel comme d'abus aurait implicite-
« ment pour effet d'atteindre l'acte confirmatif émané du Chef
« du gouvernement; que déjà, en 1844, le comité de l'intérieur,
« dans un avis en date du 30 juillet, avait signalé ces inconvé-
« nients et indiqué la nécessité de fixer un délai dans lequel
« le titulaire dépossédé aurait la faculté de se pourvoir et pen-
« dant lequel il conviendrait d'ajourner la mesure que le gou-
« vernement croirait devoir prendre au sujet de la décision
« attaquée; qu'aujourd'hui les délais consacrés par les anciens
286 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

« usages sont observés pour l'appel de la décision épiscopale


" devant le métropolitain ; que si ces mêmes délais étaient suivis
« pour le recours à exercer devant le Conseil d'État, les incon-
« vénients ci-dessus signalés
seraient évités; qu'il suffirait de
« n'approuver la déposition d'un titulaire ecclésiastique qu'a-
« près s'être assuré : 1° que la décision métropolitaine lui a été
« régulièrement notifiée; 2° que le délai du recours est
expiré
« sans que le recours ait été formé, ou, dans le cas contraire,
« que le recours ait été rejeté ;
« Est d'avis :
« Qu'il y a lieu , tout en adoptant le projet de décret ci-joint,
« d'appeler l'attention de M. le ministre de l'instruction publi-
« que et des cultes sur les observations qui précèdent. »
Cet avis est à la date du 19 juin 1851.
393. Lorsque c'est un simple prêtre qui est interdit à
sacris, sans l'observation des formes canoniques, le recours
pour abus nous paraît encore être recevable ; mais la déclara-
tion faite par le Conseil d'État serait loin d'avoir des effets
aussi étendus que dans le cas où il s'agit d'un titulaire; car
elle ne conservera pas au prêtre les avantages temporels d'au-
cun titre, puisqu'il n'en est point pourvu; d'un autre côté,
elle ne donnera pas à l'ecclésiastique interdit le droit de célébrer
la messe : ce serait une immixtion dans l'administration spiri-
tuelle. Mais, objectera-t-on, si elle ne produit d'effet ni au
point de vue temporel ni au point de vue spirituel, quelle effi-
cacité lui restera-t-il ? La déclaration d'abus est avant tout
une peine disciplinaire; son effet est principalement un effet
moral, et c'est à tort qu'elle a été appelée lnane fulmen 1,
parce qu'elle ne produit pas toujours des conséquences maté-
rielles. Un blâme ne saurait être une pénalité vaine quand il
tombe sur des hommes qui occupent une position élevée et qu'il

1Carteret, Encyclopédie du droit, v° Appel comme d'abus. Cette expres-


sion pourrait également s'appliquer à la réprimande prononcée par un con-
seil de l'ordre des avocats. Dira-t-on que cette réprimande n'est pas très
redoutée? Si l'expression inane fulmen est exacte lorsqu'il s'agit d'attaques
aux libertés de l'Église gallicane, elle est loin d'être vraie en matière d'in-
jures ou de diffamation.
APPEL COMME D'ABUS. 287
est infligé par un corps considéré. L'ecclésiastique qui l'aura en-
couru se montrera plus circonspect dans la suite et deviendra
plus fidèle observateur des formalités . 1

374 . L'inamovibilité des titulaires ne survit pas à leur titre,


et aucune réclamation n'est admise contre la suppression ré-
gulièrement faite d'une cure.
Cette question s'est présentée plusieurs fois au sujet de la
réunion des cures aux chapitres des cathédrales. La division
d'attributions entre la cure et le chapitre amène ordinairement
des conflits nuisibles à l'administration paroissiale : c'est pour
les faire cesser que l'on a pris le parti, dans tous les dio-

1
«Quid, dit M. de Cormenin, s'il y avait interdiction à sacris arbitraire
« et sans motifs, et déni de justice de la part du métropolitain ? — Où le re-
« cours? — On peut dire, pour défendre l'attribution du Conseil d'État, que
« le roi est l'évêque du dehors et le protecteur des saints canons, que l'in-
« fraction des règles consacrées par les canons reçus en France constitue,
« aux termes de la loi de l'an X, un cas d'abus, et que les cas d'abus sont
« du ressort du Conseil
d'État; que les recours contre les supérieurs ecclé-
« siastiques de la part de leurs inférieurs, autorisés par le même acte, ne
« peuvent avoir d'autre objet que des destitutions, des suspenses et inter-
« dits; que la milice inférieure du clergé ne peut rester livrée sans défense
« aux excès de pouvoir, usurpations et fantaisies des évêques ; que les évê-
« ques eux-mêmes seraient exposés aux entreprises abusives du métropo-
« litain; que c'est dans ce sens qu'ont statué les ordonnances du 22 février
« et 23 avril 1837. Cette solution n'est pas toutefois sans difficulté. En effet,
« les canons étaient jadis appliqués par les officialités, et il n'y a plus d'of-
« ficialité; en admettant que l'évêque, seul juge, fût tenu d'observer ces for-
« malités, est-ce toutes? est-ce quelques-unes seulement, et lesquelles? —
« Le Conseil
d'État ne serait-il compétent tout au plus que pour statuer,
« comme la Cour de cassation, sur l'inobservation des formes ? Mais comment
« pourrait-il, dans sa composition actuelle, statuer rationnellement sur l'ap-
« plication d'une peine canonique? Le prince est le protecteur des saints
« canons, en est-il le juge? —
L'Église qui les a fait ne doit-elle pas les in-
« terpréter? — Quelle serait d'ailleurs la sanction de l'ordonnance royale? —
« Rétablirait-elle le prêtre dans l'exercice de ses pouvoirs spirituels? Auquel
« des deux évêques, de l'évêque du Conseil
d'État ou de l'évêque du diocèse,
« devra-t-il se conformer? — Dira-t-il la messe parce que le Conseil
d'État le
« lui aura permis ? ne la dira-t-il pas parce que son évêque le lui aura dé-
« fendu? — Y aura-t-il autel contre autel dans la même Église? » (Droit ad-
ministratif, t. II, Appendice, p. 7.) La réponse aux objections ou questions
de M. de Cormenin se trouve dans le texte au n° 373.
288 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

cèses, de supprimer la cure et de nommer un chanoine de


plus. L'évêque choisit dans le corps des chanoines un archi-
prêtre qui fait les fonctions de curé pour le chapitre, consi-
déré comme titulaire collectif. Ordinairement le curé qui est
dépossédé par cette mesure est appelé au canonicat créé pour
remplacer le titre supprimé et chargé des fonctions d'archi-
prêtre; mais si cette compensation ne lui était pas accordée,
aucun recours ne lui serait ouvert. De même dans toutes les
ordonnances portant réunion de la cure au chapitre, une dispo-
sition spéciale stipule que l'archiprêtre, irrévocable comme cha-
noine, demeurera révocable au gré de l'évêque en sa qualité
d'archiprêtre. Cette clause est nécessaire à l'effet de la mesure;
car, si l'archiprêtre était inamovible, les mêmes conflits ne
tarderaient pas à naître, et l'efficacité de la mesure dispa-
raîtrait. Dans une des dernières affaires de cette nature qui
ont été soumises au Conseil d'État, quelques hésitations se ma-
nifestèrent au sein du comité de l'intérieur. On se demandait s'il
était possible de donner à l'archiprêtre un caractère amovible,
tandis que le curé qu'il remplaçait avait une qualité irrévocable;
mais les doutes tombèrent devant la considération que je viens
d'indiquer 1.
Voici comment est motivée une ordonnance en date du 14
juillet 1824 : « Considérant que s'il est hors de doute qu'un
« curé ne peut être privé de ses fonctions et de son titre que
« par une sentence de déposition rendue suivant les formes
« canoniques et confirmée par nous, l'inamovibilité du titulaire
« n'emporte pas la perpétuité de l'office, et qu'il est
également
« hors de doute qu'une cure peut être supprimée par son
« union à une autre cure ou à tout autre établissement
ecclé-
« siastique dans les formes prescrites par les lois, lorsque
« l'utilité des fidèles et les nécessités du service religieux
le

1 Affaire de la cathédrale d'Auch, à mon rapport. Cette affaire, qui était


récente lorsque fut publiée la première édition de cet ouvrage, est aujour-
d'hui déjà ancienne. Mais il est toujours vrai de dire, comme il est dit au
texte, que c'est une des dernières sur lesquelles le Conseil d'État ait statué.
La réunion avait été faite antérieurement dans les autres cathédrales, et
cette catégorie d'affaires est épuisée depuis longtemps.
APPEL COMME D'ABUS. 289

« commandent; considérant, dans l'espèce, que la cure de


« Notre-Dame de Chartres a été unie par l'évêque du diocèse
" avec notre approbation au chapitre cathédral ; qu'une union
« semblable n'a jamais été
considérée comme abusive, lors-
« qu'elle
était justifiée par les circonstances, ainsi qu'il résulte
« de l'ancienne jurisprudence de nos cours; que cette réunion
« est devenue indispensable à cause de la destruction d'un
« grand nombre d'églises, qui a nécessité dans presque tous
« les diocèses l'établissement simultané dans la même église
« d'un chapitre cathédral et
d'une paroisse, ainsi que le prou-
« vent plusieurs décrets rendus successivement, lesdits décrets
« et ordonnances portant approbation de trente-trois unions
« de cette nature, opérées par trente-trois évêques de notre
« royaume, dans leurs diocèses respectifs; considérant que si
« les canons ont prescrit aux chapitres-cures de faire exercer
« les fonctions curiales, en leur acquit, par des vicaires per-
" pétuels, c'est toujours sous la condition que les évêques ne
« jugeront pas, pour quelque raison particulière tirée de la
« bonne administration bono ecclesiarum regimine, que le con-
« traire doit être plus avantageux. »
375. Après le décès des évêques, l'administration du dio-
cèse est confiée à des vicaires généraux, nommés par les cha-
pitres et appelés, pour cette raison, capitulaires. Le choix
fait par les chanoines doit être agréé par le Chef du pouvoir
exécutif 1 . C'est à ces vicaires généraux qu'appartient la juri-
diction, de sorte que la déposition prononcée, ou plus géné-
ralement, toute décision prise par les anciens vicaires généraux
de l'évêque décédé serait incompétente et abusive; car leurs
pouvoirs, qui survivaient à l'évêque d'après la loi organique,
s'éteignent à sa mort depuis le décret du 26 février 1810, art. 6.
376 On s'est demandé si le recours pour abus serait ad-
missible contre une sentence qui aurait prononcé des peines

1 Décret du 26 février 1810, art. 6. « En conséquence, il sera pourvu pen-


" dant la vacance des sièges, conformément aux lois canoniques, au gou-
« vernement des diocèses. — Les chapitres présenteront à notre ministre
« des cultes les vicaires généraux qu'ils auront nommés, pour leur nomi-
«
nation être reconnue par nous. »
B. - II. 19
290 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

plus fortes que les peines canoniques. Une distinction est né-
cessaire. S'agit-il de peines touchant à la discipline extérieure
de l'Église, le recours est recevable. Ainsi, la sentence qui
appliquerait la déposition dans les cas où les canons ne la
prononcent point pourrait être frappée d'abus. Au contraire,
s'il s'agit de peines purement spirituelles, comme une péni-
tence, une retraite, l'appel devrait être rejeté; car il s'agirait
d'un fait intéressant le for intérieur, d'une manière exclusive,
et le Conseil d'État ne pourrait s'en constituer le juge qu'en
mettant le pied dans le domaine de l'autorité spirituelle 1.
L'interdiction de porter le costume ecclésiastique est aussi
une peine purement spirituelle, et dont l'application rentre dans
le pouvoir exclusif de l'évêque. Le prêtre à qui l'autorité ecclé-
siastique aurait interdit de le porter pourrait être poursuivi
comme coupable de port illégal de costume (art. 259 C. p.).
Mais que doit-on considérer comme costume ecclésiastique?
L'habit à la française qui, d'après les lois non abrogées du
Consulat, est le costume officiel des prêtres, doit-il encore être
considéré comme le costume ecclésiastique malgré la désuétude
où il est tombé? Ce serait donner à des dispositions détruites
par un usage constant une autorité qu'elles ne peuvent pas
avoir; ce serait faire prévaloir une lettre morte sur la réalité;
ce serait faire une interprétation judaïque et contraire au bon
sens. C'est donc avec raison que la jurisprudence a décidé que
l'on devait entendre par costume ecclésiastique l'ancien costume
traditionnel des prêtres 2.

1 Une sentence rendue dans le cercle des. choses purement spirituelles


«
« n'a trait qu'à la règle intérieure de la religion. Elle n'affecte en rien le
« citoyen, et ne s'adresse qu'à l'homme religieux. Le Conseil
d'État n'en
« pourrait donc connaître qu'à titre de régulateur de l'autorité spirituelle,
« de conservateur de la règle religieuse Or le législateur, quand il s'est
« agi d'organiser les principes posés dans le concordat, a-t-il conçu et pou-
« vait-il concevoir une pareille pensée? — N'est-ce pas un principe autant
« qu'un fait que le Conseil ne réprime l'autorité spirituelle que dans ses
«
atteintes aux droits et aux intérêts garantis aux citoyens par la loi civile? »
(Dufour, Traité de droit administratif, 2e édit., t. V, p. 52, et 1 re édit., t. II,
p. 507 et 508.)
2 Décret du 5 novembre 1857 (D. P., 1858, III, 47).
— V. un arrêt
de
APPEL COMME D'ABUS. 291
399. § 4. Attentat aux libertés, franchises et cou-
tumes de l'Église gallicane. — Les doctrines ultra-
«
« montaines que nous repoussons en France, dit Fleury, sont
« les suivantes : 1° La puissance temporelle est subordonnée à
« la spirituelle , en sorte que les rois et souverains sont soumis,
« au moins indirectement, au jugement de
l'Église, en ce qui
« concerne leur souveraineté, et peuvent en être privés s'ils
« s'en rendent indignes. 2° Toute l'autorité ecclésiastique réside
« principalement dans le pape qui en est la source; en sorte
« que lui seul tient immédiatement son pouvoir de Dieu, les
« évêques le tiennent de lui et ne sont que ses vicaires; c'est
« lui qui donne l'autorité même aux conciles universels ; lui
« seul a droit de décider les questions de foi, et tous les fidèles
« doivent se soumettre aveuglément à ses décisions, parce
« qu'elles sont infaillibles; il peut lui seul faire telles lois
« ecclésiastiques qu'il lui plaît, et dispenser, même sans cause,
« de toutes celles qui sont faites. Il ne rend compte de sa
« conduite qu'à Dieu; il juge tous les autres et n'est jugé par
« personne 1. »
378 Ces maximes étaient inconnues des premiers chré-
tiens. Faible et persécutée, l'Église naissante n'était occupée
que d'assurer son existence. Plus tard, quand les princes pro-
tégèrent sa foi, elle laissa son libre cours à leur action bien-
faisante, sans réclamer contre leur utile intervention dans les
affaires ecclésiastiques. Ainsi, après la conversion de Constan-
tin, l'empereur qui perdait à ce changement la dignité de
pontife, acquit, par une sorte de compensation, un patronage
très étendu sur l'Église ; c'est ce patronage qui le fit appeler

Montpellier du 12 février 1851 (D. P., 1851, II, 37-38). — Décret du 30 juin
1852, Lacan c. l'évêque d'Agen (D. P. 1852,1, 170). Décret du 17 août 1882
Magué c. l'abbé Fabien. « Considérant que si l'article 43 de la loi du 18 ger-
minal an X prescrit à tous les ecclésiastiques de s'habiller à la française et
en noir, l'arrêté des consuls du 17 nivôse an XII leur permet de continuer
à porter « dans le territoire assigné à leurs fonctions » les habits convena-
bles à leur état suivant les canons, règlements et usages de l'Église. Le-
»
bon 1882, p. 1093.
,
1 Fleury, Discours sur les libertés de l'Église gallicane, p. 23, 24 et 25.
292 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

plus tard évêque du dehors. Il n'y avait pas loin d'une protec-
tion généreuse à l'immixtion dans les affaires ecclésiastiques;
aussi, trouve-t-on parmi les lois impériales, et, en particulier,
dans les capitulaires plus d'une disposition sur la discipline
ecclésiastique. Mais l'intervention des empereurs ne tarda pas
à changer de nature et spécialement dans les états orientaux,
la protection dégénéra en oppression; l'Église protesta contre
ces usurpations et ainsi fut posée la question des limites du
pouvoir temporel à l'égard du pouvoir spirituel 1.
A l'égard des diocèses, la suprématie de Rome n'était pas
mieux établie qu'à l'égard des rois. Les papes étaient quelque-
fois condamnés par les évêques, et c'est ainsi que Honorius Ier
fut anathématisé par le sixième Concile général. D'un autre
côté, les sentences rendues par le pape n'étaient pas toujours
définitives; c'est ce qui arriva dans l'affaire de Dioscore, qui
nonobstant la condamnation de saint Léon, ne fut déposé qu'a-
près une seconde décision rendue par le Concile de Chalcé-
doine 2.
379Les Fausses Décrétales parurent au IX e siècle, et, dès
leur apparition, elles furent acceptées comme méritant toute
autorité. Le faux ne fut découvert qu'au XVe siècle et reconnu
comme certain que dès le XVIe 3. On a discuté le point de savoir
si les Fausses Décrétales exercèrent quelque action sur la dis-
cipline ecclésiastique. D'après les uns, elles n'eurent aucune in-
fluence propre et ne firent que reproduire des maximes déjà
connues. Suivant d'autres, au contraire, elles auraient eu pour
résultat de changer la discipline au détriment des évêques et de
la puissance temporelle 4. Il se peut, en effet, que les maximes

1 Walter, Manuel de droit ecclésiastique, p. 48 et 49, 112. « Égarés par


« cette idée, et surtout par l'avidité de l'esprit de domination, les empereurs
" d'Orient pénétrèrent toujours plus avant dans la législation et le gouver-
« nement de l'Église. »
2 Voir, sur ces détails, un article publié par M. Giraud dans la Revue de
législation, 1845, t. II, p. 351-353. — V. aussi de La Luzerne, Déclaration
de 1682, p. 19-38. — Edouard Laboulaye, Revue de législation, 1845. Sur
l'Église gallicane.
3 Walter,
p. 111, § 92.
1Walter, p. 106, § 90.
APPEL COMME D'ABUS. 293
consacrées par les Décrétales fussent antérieurement connues ;
il n'en est pas moins vrai qu'elles trouvèrent dans ce recueil
un appui, une consécration nouvelle, et qu'elles profitèrent pour
se propager du retentissement de ce livre 1.
380 La doctrine de la suprématie romaine passa des Dé-
crétales clans l'ouvrage de Gratien, de ce recueil dans l'en-
seignement des universités et, par les jeunes générations,
dans l'opinion publique; elle devint bientôt le fondement de la
politique pontificale. La papauté n'avait d'abord paru dans les
mouvements des peuples qu'avec le caractère d'une puissance
auxiliaire, jetant dans la balance le poids de son empire sur
les esprits et disant, comme plus tard un roi d'Angleterre :
« Qui je défends est maître. » Mais Charlemagne , en agrandis-
sant son patrimoine, changea la nature de son influence. Elle
ne tarda pas à paraître dans la politique européenne comme une
puissance principale, avec des projets grandioses et des armes
d'un effet irrésistibles sur les populations religieuses de cette
époque.
381 Grégoire VII soutint que tous les royaumes dépen-
daient de l'Église romaine et que les princes excommuniés
pouvaient être déposés. Cette doctrine fut érigée par Boniface
VIII, dans la bulle Unam sanctam, en dogme qu'il fallait croire
sous peine de salut :
« Oportet autem (y est-il dit) gladium esse sub gladio et tem-
« poralem auctoritatem spirituali subjici potestati..... Porrò
« subesse romano pontifici omnem creaturam humanam, de-
« claramus , dicimus et pronuntiamus. »
388. Cette doctrine ne fut pas reçue en France; personne
n'ignore la lutte qui s'établit entre Philippe le Bel et le pape,
ni le triste dénoûment qui la termina. La résistance avait com-
mencé bien avant cette époque, et Louis IX, le roi saint, le
roi croisé passe pour un des plus fermes défenseurs des libertés
gallicanes. En 1228, il rendit une ordonnance relative aux égli-

1Déjà du VI e au VIIIe siècle les métropolitains avaient perdu peu à peu leur
autorité, et les évêques cherchaient à se placer sous la surveillance lointaine
du Pape. Aussi quand les Décrétales parurent, quelques doutes ayant été éle-
vés sur leur authenticité, les évêques furent-ils les premiers à la soutenir.
294 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

ses du Languedoc, qui venait d'être réuni à la couronne, et il


y disposa que ces églises jouiraient des privilèges et immu-
nités de l'Église gallicane. C'est au mois de mai 1268 que l'on
reporte la date de sa pragmatique-sanction 1. Elle ne contient
qu'un petit nombre d'articles tous d'une précision remar-
quable :
« Art. 1er. Les églises de notre royaume, les prélats, les
« patrons et les collateurs de bénéfices jouiront pleinement
« de leurs droits, et à chacun sera conservée sa juridic-
« tion.
« Art. 2. Les églises cathédrales et autres de notre royaume
« auront liberté des élections et en jouiront intégralement.
« Art. 3. Nous voulons et ordonnons que la simonie, cette
« peste criminelle qui souille l'Église, soit entièrement bannie
« de notre royaume.
« Art. 4. Nous ne voulons aucunement qu'on lève ou qu'on
« recueille les exactions pécuniaires et charges très-pesantes
« que la cour de Rome a imposées ou pourrait imposer à
l'É-
« glise de France et par lesquelles notre royaume est miséra-
« blement appauvri, si ce n'est pour cause raisonnable, pieuse
« et très-urgente, ou pour une inévitable nécessité et du con-
« sentement libre et exprès de nous et de
l'Église de notre
« royaume.
« Art. 5. Nous renouvelons et approuvons les libertés, fran-
« chises, immunités, prérogatives, droits et privilèges accordés
« par les rois nos illustres prédécesseurs et successivement par
« nous aux églises, aux monastères et autres lieux religieux,
« aussi bien qu'aux personnes ecclésiastiques de notre royau-
« me. »
383. Au milieu des démêlés du pape Eugène IV et du

1 Laferrière, Histoire du droit, l re édit., t. I, p. 264 : « Au mois de mai


« 1268, dit M. Beugnot, Louis IX réunit ses barons; et après une longue
« discussion, fut rendue l'ordonnance connue sous le nom de pragmatique-
« sanction, pierre angulaire sur laquelle a été élevé l'édifice de notre Église ,
« acte qui, depuis, a été imité, copié même, mais qui est demeuré bien en
« avant de tous les autres par sa sagesse et sa précision. » (Essai sur les ins-
« titutions de saint Louis, p. 183.)
APPEL COMME D'ABUS. 295
concile assemblé à Bâle, Charles VII réunit à Bourges le clergé
français pour délibérer sur les affaires de la religion en l'année
,
1438. De ces délibérations sortit une nouvelle pragmatique-
sanction, composée de 23 articles. Le principe de la suprématie
du concile général y était consacré à l'égard de toute puissance
spirituelle, etiamsi papalis existat 1
.
Les évêques acceptèrent plusieurs décrets du concile de
Bâle ; entre autres, celui qui était relatif aux élections et
d'après lequel la nomination aux sièges vacants devait être
faite: « Per electiones et confirmationes canonicas, secundum
« juris communis dispositionem. » Un autre décret, attaque
directe contre la cour de Rome, supprimait le tribut que le Pape
prélevait sous le nom d'annates sur les premiers fruits des
bénéfices. La prohibition y était prononcée en termes tellement
absolus, que le décret de Annatis en condamnait le paiement
comme un acte simoniaque.
384 . Sylvius AEneas Piccolomini, qui plus tard devint pape
sous le nom de Pie II, assistait au concile de Bâle, et s'était
associé à ses décisions. Mais changeant de point de vue après
son élévation, le pape Pie II rejeta les décrets du concile et
répudia les idées que Sylvius AEneas avait défendues. Il fit
des efforts persévérants, mais inutiles, auprès de Charles VII
pour obtenir la révocation de la pragmatique-sanction. Ce
que Charles VII avait refusé, Louis XI l'accorda dans le but
de rendre le pape favorable aux prétentions de la maison d'An-
jou sur le royaume de Naples. En conséquence, une déclaration

1
«Frequens generalium conciliorum celebratio, agri dominici praecipua
« cultura est, quas vepres, spinas et tribulos haeresum, errorum et schisma-
« tum extirpat, excessus corrigit et vineam Domini ad frugem uberrimae
« fertilitatis adducit. » (Decretum de celebratione concilii, Isambert et De-
crusy, t. IX, p. 14.)
« Et primo declarat quod ipsa synodus in Spiritu Sancto légitimé con-
« gregata, générale concilium faciens et ecclesiam militantem representans,
« potestatem a Christo habet immédiatè ; cui quilibet cujuscumque status,
« conditionis, vel dignitatis, etiamsi papalis existat, obedire tenetur in bis
« quae pertinent ad fidem et extirpationem dicti schismatis et generalem
« reformationem ecclesiae in capite et membris. » (Decretum de auctoritate
consilii Basiliensis, ibid., p. 15 et 16.)
296 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

annula cette pragmatique comme faite par des prélats inférieurs,


dans un temps de division et de schisme. Rome manifesta sa joie
d'une manière bruyante, le Parlement fit des remontrances au
roi, et l'Université appel au futur concile. Sur la proposition
du procureur général Saint-Romain, l'enregistrement fut re-
fusé, et ainsi la révocation de la pragmatique demeura presque
inexécutée, d'autant que cette résistance fut plus tard encou-
ragée par le roi, dont le Saint-Siège n'avait pas servi les vues
politiques; néanmoins, dans plusieurs circonstances, les nomi-
nations se firent sans élections, et la pragmatique fut tantôt
suivie, tantôt inappliquée. C'est pour faire cesser cette indé-
cision, que les États-généraux, assemblés à Tours en 1484,
demandèrent le rétablissement de l'ancien ordre de choses. Ces
réclamations, malgré l'appui que leur prêta le Parlement,
demeurèrent sans effet, et c'est seulement sous le règne de
Louis XII que les élections furent rétablies.
Le cinquième concile de Latran, réuni par le pape Jules II,
répondit au rétablissement de la pragmatique par un monitoire
qui enjoignait aux fauteurs de ce décret, rois et autres, de
comparaître devant le concile dans le délai de soixante jours,
pour dire les motifs qui les portaient à le défendre. Quand
Jules II fut surpris par la mort, il avait déjà préparé une bulle
qui dépouillait Louis XII du titre de roi très-chrétien. Après sa
mort, une entrevue entre son successeur Léon X et le roi
François Ier , eut lieu à Bologne où, pendant quelques jours,
les deux princes vécurent dans une entière familiarité Avant
.
de se séparer, ils laissèrent des mandataires munis de pleins
pouvoirs pour terminer ce différend; c'étaient, du côté du
pape, les cardinaux d'Ancône et de Santi-Quatro, et pour le
roi, le chancelier Duprat. Les conditions du traité ne tardèrent
pas à être fixées, et le Concordat fut conclu en 1516.
385. La rubrique première de cette convention était rela-
tive aux élections, mais elle ne s'en occupait que pour les
supprimer et y substituer la nomination par le roi avec confir-

1 De Sismondi, Histoire des Français, t. VII; Hallam, Europe au moyen


âge,t. II, p. 413; Audin, Vie de Léon X, p. 166, 167, 168.
APPEL COMME D'ABUS. 297

mation par le pape 1. Les autres rubriques réglaient des détails


de discipline ecclésiastique, tels que les peines à infliger aux
clercs concubinaires, les conditions exigées pour la collation
des bénéfices et la proportion dans laquelle les sièges vacants
seraient réservés aux gradués de l'Université 2. Il n'était pas
question des annales dans le Concordat; mais une bulle posté-
rieure les rétablit, et quoiqu'elle n'ait pas expressément été
reçue en France, l'usage de percevoir ce tribut fut renou-
velé 3.
386. Un changement aussi complet de la discipline ecclé-
siastique était de nature à émouvoir les esprits; la suppression
du droit d'élection mécontenta le clergé gallican, et une con-
cession aussi importante faite à la puissance ultramontaine
souleva la résistance du Parlement qui refusa l'enregistrement.
Il fallut recourir à l'intimidation, et faire dire au Parlement,
par La Trémouille, que s'il n'obéissait pas, le roi trouverait le
moyen de l'en faire repentir. Néanmoins les magistrats ne cé-
dèrent qu'en protestant contre la violence qui leur était faite 4.

1
« C'est à sçavoir que doresnavant es-églises, cathédrales et métropoli-
« taines es dits royaumes, Dauphiné et Valentinois vacans à présens et au
« temps advenir Les chapitres et chanoines d'icelles églises ne pourront
« procéder à l'élection ou postulation du futur prélat. Ains telle vacation
« occurente, le roi de France qui pour le tems sera : un grave ou scientifi-
« que maistre ou licencié en théologie, ou docteur ou licencié en tous ou
« l'un des droits en université fameuse avecques rigueur d'examen, et ayant
« vingt-sept ans pour le moins, et autrement idoine dedans six mois, à
« compter du jour que les dictes églises vaqueront, sera tenu nous présenter
« et nommer, et à nos successeurs évesques ou audict siège apostolique :
« pour y estre par nous pourvus. Et si, par cas, le roy ne nommoit pas aux
« dictes églises personne tellement qualifiée, nous ledict siège et nos suc-
« cesseurs
ne seront tenus d'y pourvoir. Ains sera tenu ledict roy dedans
« trois autres mois ensuivans nommer un autre en la manière que des-
« sus. Autrement à ce que à la domageable vacation des dictes églises à cé-
« lérité soit pourvue par nous ou ledict siège, de personne, comme dessus
» qualifiée y sera pourvue. » (Isambert et Decrusy, t. XII, p. 79 et 80.)
2 Isambert et Decrusy, t. XII, p. 85.

3 Mémoires du clergé, t. X,
p. 159.
4 « La Cour, toutes chambres assemblées, voyant et considérant les gran-

« des menaces dont on usait à cet égard, ayant tout lieu de craindre sa
298 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

La Sorbonne en appela au futur concile, et des processions fu-


rent faites comme aux jours de calamité publique 1.
387Sous les successeurs de François Ier, des réclamations
contre le Concordat furent élevées à diverses reprises. Charles
IX y fit même droit par un édit qui fut enregistré, et dont
l'article 1er portait : « Tous archevêques et évêques seront
« désormais, sitôt que vacation adviendra, élus et nommés. »
Mais ce décret n'eut pas de suite et le roi lui-même l'aban-
donna.
388.
Le concile de Trente, réuni en 1545, émit sur le
gouvernement ecclésiastique des décrets favorables aux doc-
trines ultramontaines. Le Concile décidait que toutes les cons-
titutions des papes seraient exécutées et que les causes crimi-
nelles des évêques seraient jugées à Rome, défendait aux
évêques d'avoir égard aux mandements des juges séculiers et
leur permettait de faire exécuter leurs sentences par saisies de
biens et de revenus. Le clergé, dont l'autorité était fort aug-
mentée par ces décrets en demanda l'enregistrement aux États
,
de Blois de 1579, et plus tard aux États qui furent tenus en
1614. C'est dans cet intervalle qu'un jurisconsulte, P. Pithou,
publia un petit livre où se trouvaient codifiées les libertés de
l'Église gallicane, et qui eut l'honneur, sans autre exemple ni
avant ni après, d'obtenir l'autorité d'une loi. Néanmoins les

« propre dissolution, qui entraînerait celle du royaume, craignant que si


« aucunes peines étaient suscitées à l'occasion du délai de la publication
« du Concordat, on ne lui impute les malheurs qui pourraient arriver; crai-
« gnant encore que les alliances faites ou à faire avec les autres princes
« chrétiens ne fussent rompues ou empêchées par le refus d'enregistrement
« et après que la Cour a fait tout ce qui était humainement possible pour
« obvier à cette publication et enregistrement, par-devant et en présence de
« sire Michel Blondel, évêque de Langres, pair de France, comme authenti
« que personne, elle a protesté et proteste, tant en général qu'en particu-
« lier, conjointement et divisément, qu'ils n'étaient et ne sont en leur liberté
« et franchise; et si la publication a lieu, ce n'était ni de l'ordonnance ni
« du consentement de la Cour, mais par le commandement du roi, force et
« impressions ci-dessus déclarées. » (Bibliothèque historique, t. I, p. 222.)
1 De Sismondi, t. VII; Hallam (Europe au moyen âge, t. II, p. 413).
APPEL COMME D'ABUS. 299
doctrines ultramontaines se propageaient avec rapidité, et les
prétentions du Saint-Siège ne tardèrent pas à devenir inquié-
tantes pour la royauté. Louis XIV s'en émut et, dans le but
d'obtenir la condamnation définitive d'entreprises sans cesse
renaissantes, il convoqua l'assemblée de 1682. Elle était com-
posée d'évêques choisis et d'ecclésiastiques députés par le
clergé, circonstance qui a été invoquée contre son autorité;
car, dit-on, les évêques ayant le droit de siéger au concile
national, jure suo, une assemblée composée de membres choi-
sis était irrégulièrement formée et, par conséquent, sans com-
pétence. Quoi qu'il en soit, voici la Déclaration qui sortit de ses
délibérations, le 19 mars 1682 :
389. « Plusieurs personnes s'efforcent de ruiner les décrets
« de
l'Église gallicane et les libertés que nos ancêtres ont sou-
« tenues avec tant de zèle, et de renverser leurs fondements
« qui sont appuyés sur les saints canons et la tradition des
« Pères; d'autres, sous prétexte de les défendre, ont la har-
« diesse de donner atteinte à la primauté de saint Pierre et des
« pontifes romains, ses successeurs institués par Jésus-Christ,
« d'empêcher qu'on ne leur rende l'obéissance que tout le
« monde leur doit, et de diminuer la majesté du Saint-Siège
« apostolique, qui est respectable à toutes les nations où l'on
« enseigne la vraie foi de
l'Église, et qui conserve son unité.
« Les hérétiques, de leur côté, mettent tout en oeuvre pour
« faire paraître cette puissance, qui maintient les lois de l'É-
« glise , insupportable aux rois et aux peuples; et ils se servent
« de cet artifice afin de séparer les âmes simples de la commu-
« nion de l'Église. Voulant donc remédier à ces inconvénients,
« nous, archevêques et évêques, assemblés par ordre du roi,
« avec les autres ecclésiastiques députés qui représentent
l'É-
« glise gallicane, avons jugé convenable, après une mûre
« délibération, de faire les règlements et la déclaration qui
« suivent :
« I. Que saint Pierre et ses successeurs, vicaires de J.-C.,
« et que l'Église même n'ont reçu de puissance de Dieu que
« sur les choses spirituelles et qui concernent le salut, et non
300 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

« point sur les choses temporelles et civiles. J.-C. nous.apprend


« lui-même que son royaume n'est point de ce monde; et, en
« un autre endroit, qu'il faut rendre à César ce qui est à César,
« et à Dieu ce qui est à Dieu; qu'ainsi ce principe de l'apôtre
« ne peut en rien être ébranlé, que toute personne est soumise
« aux puissances supérieures; car il n'y a point de puissance
« qui ne vienne de Dieu, et c'est lui qui ordonne celles qui
« sont sur la terre. Celui donc qui résiste aux puissances ré-
« siste à l'ordre de Dieu. Nous déclarons, en conséquence,
« que les rois et les souverains ne sont soumis à aucune puis-
« sance ecclésiastique par ordre de Dieu dans les choses tem-
« porelles; qu'ils ne peuvent être déposés directement ni indi-
" rectement par l'autorité des chefs de l'Église; que leurs sujets
« ne peuvent être dispensés de la soumission et de l'obéissance
« qu'ils leur doivent, ou absous du serment de fidélité, et que
« cette doctrine, nécessaire pour la tranquillité publique et
« non moins avantageuse à l'Église qu'à l'État, doit être inva-
« riablement suivie comme conforme à la parole de Dieu , à la
« tradition des saints Pères et aux exemples des saints.
« II. Que la plénitude de la puissance que le Saint-Siège
« apostolique et les successeurs de saint Pierre, vicaires de
« J.-C. ont sur les choses spirituelles, est telle que néanmoins
« les décrets du saint Concile oecuménique de Constance, con-
« tenus dans les sessions 4 et 5, approuvés par le Saint-Siège
« apostolique, confirmés par la pratique de toute l'Église et
« des pontifes romains et observés religieusement dans tous les
« temps par
l'Église gallicane, demeurent dans toute leur force
« et vertu; et que
l'Église de France n'approuve pas l'opinion
« de ceux qui donnent atteinte à ces décrets ou qui les affai-
« blissent en disant que leur autorité n'est pas bien établie,
« qu'ils ne sont point approuvés ou qu'ils ne regardent que le
« temps du schisme.
« III. Qu'ainsi, il faut régler l'usage de la puissance apos-
« tolique en suivant les canons faits par l'Esprit de Dieu et con-
« sacrés par le respect général de tout le monde; que les règles,
« les moeurs et les constitutions reçues dans le royaume et dans
«
l'Église gallicane doivent avoir leur force et vertu, et les
APPEL COMME D'ABUS. 301

« usages de nos pères demeurent inébranlables ; qu'il est même


« de la grandeur du Saint-Siège apostolique que les lois et
« coutumes établies du consentement de ce Siège respectable
« et des églises subsistent
invariablement.
« IV. Que quoique le pape ait la principale part dans
les
« questions de foi et que ses décrets regardent toutes les églises
« et chaque église en particulier, son jugement
n'est pourtant
irréformable à moins que le consentement de l'Église
« pas
« n'intervienne.
« Nous avons arrêté, d'envoyer à toutes les églises
de France
« et aux évêques qui y président, par
l'autorité du Saint-Es-
« prit, ces maximes que nous avons reçues de nos pères, afin
« que nous disions tous la même chose, que nous soyons dans
« les mêmes sentiments et que nous suivions tous la même
« doctrine. »
Un édit, en date du 23 mars 1682, prescrivit l'enseignement
des quatre articles. « Ordonnons, est-il dit dans l'article 2,
« que ceux qui sont dorénavant
choisis pour enseigner la théo-
« logie dans tous les collèges de chaque université, qu'ils
soient
« séculiers ou réguliers,
souscriront ladite Déclaration aux
" greffes des facultés de théologie, avant de pouvoir faire cette
« fonction dans les collèges ou
maisons séculières ou régu-
« lières; qu'ils se soumettront à enseigner la doctrine qui y
« est expliquée, et que les
syndics des facultés de théologie
« présenteront aux
ordinaires des lieux et à nos procureurs
« généraux, des copies desdites
soumissions signées par les
" greffiers desdites facultés. »
La Déclaration fut cassée par le Saint-Siège et abandonnée
même par les évêques signataires. « Abeat quo libuerit, » dit
Bossuet 1. Plus tard, Louis XIV retira à cette Déclaration,
abandonnée par ses auteurs, l'autorité qu'il lui avait donnée;

1 Une réunion de magistrats pourrait dire des choses fort sensées, fort
«
« exactes sur les limites des
pouvoirs publics placés au-dessus d'eux; mais
« ces magistrats tomberaient dans une erreur grave s'ils
voulaient faire une
« déclaration solennelle de leur doctrine et lui conférer un caractère
d'au-
« torité dont elle ne serait pas susceptible. » (Affre, Appel comme d'abus,
p. 287.)
302 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

mais un arrêt du Conseil, en date du 23 avril 1766, la remit en


vigueur et cette prescription fut confirmée par une déclaration
du 7 juin 1777.
La loi du 18 germinal an X a renouvelé ces dispositions. Aux
termes de l'article 24 de cette loi, « ceux qui seront choisis
« pour l'enseignement dans les séminaires souscriront la Dé-
« claration faite par le clergé de France le 19 mars 1682 et
« publiée par un édit de la même année;
ils se soumettront à
« y enseigner la doctrine qui y est contenue, et les évêques
« adresseront une
expédition en forme de cette soumission au
« ministre des cultes. » Enfin un décret du 25 février 1810
déclara qu'à l'avenir l'édit du 23 mars 1682 serait observé
comme loi générale de l'Empire.
390 Les libertés de l'Église gallicane se réduisent aujour-
d'hui à la vérification des actes de la cour de Rome avant leur
publication officielle en France 1. Quant à la Déclaration de
1682, elle est toujours, en droit, considérée comme loi; mais
l'article 24 de la loi organique, relatif au serment des profes-
seurs choisis pour l'enseignement des séminaires est tombé en
désuétude.
391. Aux termes de l'article 1er de la loi organique « au-
« cune bulle, bref, rescrit, décret, mandat, provision, ni autres
« expéditions de la cour de Rome, même ne concernant que
« les particuliers, ne peuvent être reçus, publiés, imprimés,
« ni autrement mis à exécution, sans autorisation du gouverne-
« ment. » Cette prohibition n'a été levée par l'article 1er du
décret du 28 février 1810 que pour les brefs de la Pénitencerie
qui concernent le for intérieur. En conséquence, le Conseil d'État
a décidé, par ordonnance du 13 décembre 1820, qu'il y avait
abus dans un mandement par lequel l'évêque de Poitiers avait
publié un bref non enregistré. Cette déclaration fut prononcée,

1 Les actes de la cour de Rome sont aujourd'hui publiés par les journaux
avant d'être enregistrés au Conseil d'État. Cette publication ne ferait pas
obstacle à la déclaration d'abus contre l'ecclésiastique qui, dans son minis-
tère , reproduirait l'acte non enregistré, notamment contre l'évêque qui en
ferait mention dans un mandement. Autre chose est la publicité des jour-
naux, autre chose est la publication par l'autorité ecclésiastique.
APPEL COMME D'ABUS. 303
quoique l'évêque eût affirmé que la publication n'avait été faite
que par inadvertance. La simple négligence suffisait pour consti-
tuer l'abus, le législateur n'ayant exigé nulle part l'intention de
violer la loi 1.
Le 21 novembre 1844, l'archevêque de Lyon publia un man-
dement portant condamnation du Manuel de droit ecclésiastique
par M. Dupin aîné. C'était en réalité la condamnation de la loi
organique, défendue dans le livre et ouvertement combattue
dans le mandement. En outre, le cardinal de Bonald donnait
force et exécution à la bulle pontificale Auctorem fidei, du
28 août 1694, laquelle.n'a jamais été reçue en France. Pour ce
double motif, le mandement du 21 novembre 1844 fut déclaré
abusif par ordonnance du 9 mars 18452.
392. Une déclaration d'abus a été prononcée le 2 avril 1857
contre l'évêque de Moulins dans les circonstances suivantes.
Ce prélat, toutes les fois qu'il nommait à une cure, exigeait du
titulaire qu'il lui remît sa démission signée sans date. L'évêque
pouvant faire usage de cette signature à volonté, le curé de-
venait amovible, et la cure était de fait convertie en succur-
sale. En même temps qu'il donnait sa démission par avance
le curé devait signer une renonciation à se pourvoir devant l'au-
torité temporelle, pour quelque motif que ce fût. D'ailleurs les
statuts synodaux du diocèse, en date de 1854, prononçaient
l'excommunication ipso facto et, sans intimation préalable,
contre tout ecclésiastique qui aurait recours à l'autorité civile.
« Assujettir, y était-il dit, l'Église de Dieu qui est libre et l'a-
mener sous le joug séculier en ce qui relève du for ecclésias-
1 Nous avons cité plus haut, comme exemple de la contravention aux lois
la déclaration d'abus prononcée contre l'évêque de Grenoble par décret du
13 décembre 1879 (D. P. 1880, III, p. 79), pour avoir exécuté, sans qu'il y
ait eu enregistrement au Conseil d'État, le décret du pape érigeant en basi-
lique mineure l'église de Notre-Dame de la Salette. Bien que l'évêque pré-
tendît avoir agi en vertu d'instructions verbales, la déclaration d'abus a été
prononcée. Si, en alléguant des instructions verbales, on pouvait échapper au
pouvoir disciplinaire, le Conseil d'État a pensé qu'il y aurait là un moyen de
tourner facilement l'article ler de la loi organique du 18 germinal an X.
2 V. le rapport de M. Vivien, qui se trouve en entier dans le Journal du

palais, t. IX, p. 497.


304 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

tique, c'est un crime pour tous les fidèles du Christ; mais que
les ministres de cette même Église s'en rendent coupables, c'est
évidemment plus abominable qu'on ne saurait le dire. »
Le Conseil d'État a vu dans ces faits une contravention aux
lois et règlements, notamment au Concordat et à la loi organique.
En outre, il a qualifié les mêmes faits d'atteinte aux libertés de
l'Église gallicane.

393. Procédés qui peuvent compromettre


§ 5.
l'honneur des citoyens, troubler arbitrairement leur
conscience, ou dégénérer en oppression, injure ou
scandale public. — Le cinquième et dernier cas d'abus est
conçu en termes indéfinis, dont le Conseil d'État pourrait pren-
dre occasion pour intervenir dans l'appréciation d'une foule
d'actes; mais il est juste de reconnaître que la jurisprudence,
loin de chercher à les étendre, a plutôt resserré la loi.
A toutes les époques, les cas d'abus ont été mal définis,
parce que le législateur a pensé qu'il est impossible de prévoir
tous les faits qui pourraient se produire, toutes les variétés de
procédés qui seraient employés. Des réclamations fréquentes
s'élevèrent à ce sujet, mais elles ne furent jamais accueillies.
Les parlements craignaient qu'il ne devînt facile d'échapper à
une loi trop précise par des moyens évasifs. Ainsi, en 1605,
le clergé ayant appelé sur ce point l'attention de Henri IV,
voici la réponse qui fut faite : « Les appellations comme d'abus
« ont toujours été reçues quand il y a contravention aux saints
« décrets, conciles et constitutions canoniques, ou bien entre-
« prises sur l'autorité de Sa Majesté, les lois du royaume,
« droits, libertés de l'Église gallicane, ordonnances et arrêtés
« des parlements donnés en conséquence d'icelles; et pour ce,
« n'est pas possible de régler et définir plus particulièrement ce
« qui provient de causes si générales. »
394 . Tout membre d'une commission religieuse a droit au
bénéfice des cérémonies, sacrements et prières de son culte,
tant qu'il n'y a pas renoncé notoirement ou qu'il n'en a pas
été exclu; spécialement en ce qui concerne le refus de sépul-
ture, un projet de décret, préparé en 1812, décidait que
APPEL COMME D'ABUS. 305

toute personne morte dans l'état extérieur de l'Église catho-


«
lique avait droit au secours spirituel de cette Église, et
"
« qu'ainsi c'était,
de la part des ecclésiastiques, manquer à un
« des premiers devoirs de leur
ministère que de refuser, dans
« ce cas, les offices
qui leur sont demandés. » Il est vrai que
le décret ne fut pas approuvé; cela vint, non de la doctrine
qui s'y trouvait consacrée, mais des pénalités sévères qui en
étaient la sanction ; car le décret prononçait la déposition et le
bannissement contre l'auteur du refus de sépulture.
Le Conseil d'État n'a déclaré l'abus en vertu de cette partie
de la disposition que pour deux causes : 1° pour refus arbitraire
des sacrements, mais seulement si le refus ne peut être attribué
à aucun motif ayant un caractère religieux qui le fasse rentrer
sous le pouvoir d'appréciation exclusive par l'autorité ecclésias-
tique; 2° si le refus a dégénéré en injure ou scandale public.
C'est ainsi que dans une ordonnance en date du 13 juin 1827,
il a été décidé que « le refus fait par un prêtre de se transporter
« chez un paroissien pour entendre sa confession et de l'inhu-
" mer avec les cérémonies ecclésiastiques, ne constitue aucun
« des cas d'abus prévus par la loi. » — Une ordonnance du
16 décembre 1830 contient une décision identique : « Considé-
« rant, y est-il dit, qu'il résulte de l'instruction que le refus
« public de sacrement dont se plaint le sieur L... n'a été ac-
« compagne d'aucune réflexion de la part du desservant; et
« que dès lors ce fait ne peut être déféré qu'à l'autorité ecclé-
« siastique supérieure. » — Nous ne pensons pas qu'il faille
voir une déviation de jurisprudence dans l'ordonnance du
11 janvier 1829, qui fut rendue dans les circonstances sui-
vantes. Le desservant à Dammartin, avait refusé d'administrer
le baptême aux enfants présentés par la dame B..., sage-femme.
Ce refus ayant été déféré au Conseil d'État, une ordonnance
fut rendue déclarant qu'il y avait abus. Il lui était enjoint par la
même décision de s'abstenir désormais de pareils refus : « Con-
« sidérant, disait cette ordonnance, que le refus fait par le
« desservant d'administrer le baptême aux enfants présentés
« par la dame B... n'a été accompagné d'aucun discours inju-
« rieux pour elle : d'où il suit qu'il n'y a pas lieu de renvoyer
B. — II. 20
306 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

« le desservant de Dammartin devant les tribunaux; — Consi-


« dérant néanmoins que le refus d'administrer le baptême à
" un enfant, sur le fondement que la personne que les parents
« ont chargée de veiller à sa conservation et de le présenter
« à l'église n'est pas agréée par le curé ou desservant de la
« paroisse, n'en est pas moins abusif, puisque, d'une part,
« cette personne ne participe point à la cérémonie religieuse
« du baptême, et que, de l'autre, aucune règle canonique,
« admise dans le royaume, n'autorise les curés ou desservants
« à n'admettre en pareil cas que des personnes agréées. » —
Sans doute, dans cette espèce il n'y avait pas injure ou scandale
public, ainsi que le constatent les considérants ; mais il y avait
un refus arbitraire parce que la personne dont la présence mo-
tivait le refus ne participait pas à la cérémonie religieuse du
baptême. Aussi quand il s'est agi du refus fondé sur ce que le
parrain et la marraine n'avaient pas l'agrément du curé, le
conseil a-t-il repoussé l'appel. — On lit dans une ordonnance
du 28 mars 1831 : « Considérant, en ce qui touche le refus
« d'admettre oomme parrain et marraine les sieur et dame L...,
« que le refus ne peut être considéré, dans l'espèce, comme
« un procédé diffamatoire et injurieux, et qu'il ne constitue pas
" dès lors un des cas d'abus prévus par la loi organique. » Dans
ce cas, en effet, il s'agissait de personnes nécessaires, tandis
que, dans le précédent, le refus était motivé sur la présence
d'une personne étrangère à la cérémonie. La même solution a
été consacrée dans un décret du 5 juillet 18591. Le Conseil
avait aussi appliqué cette doctrine dans l'ordonnance qui a été
rendue le 30 décembre 1838, à l'occasion des funérailles de
M. de Montlosier.
M. de Montlosier, l'auteur d'ouvrages devenus célèbres sous
la Restauration, sur la formation de certaines congrégations
et le rétablissement des jésuites en France, mourut à Clermont-
Ferrand le 9 décembre 1838, après avoir manifesté le désir de
s'entourer des secours de la religion, et déclaré dans son tes-
tament qu'il avait vécu et qu'il mourait dans le sein de la re-

1 Recours contre desservant de la commune de Viriat (Ain).


APPEL COMME D'ABUS. 307
ligion catholique. Il avait même, à ses derniers moments, fait
appeler un prêtre dont il avait reçu l'absolution. Mais l'évêque
de Clermont, étant venu le visiter à son lit de mort, exigea de
lui une rétractation publique de ses écrits, ce qui fut refusé.
M. de Montlosier mourut quelques jours après, et son corps,
présenté à l'église, y éprouva un refus de sépulture religieuse.
Ce refus fut confirmé par l'évêque de Clermont, auprès duquel la
famille avait réclamé. Sur l'appel comme d'abus, le Conseil d'État
rendit la décision suivante : « Vu toutes les pièces de l'instruc-
« tion, desquelles il résulte que nonobstant
le voeu exprimé
" par le comte de Montlosier jusqu'aux derniers moments de
« sa vie, et malgré les instances réitérées
de sa famille et de
« ses amis au moment de son décès,
l'autorité ecclésiastique
« de Clermont s'est refusée à permettre , pour les dépouilles
« mortelles du défunt, l'accomplissement des cérémonies exté-
« rieures et publiques de la religion; que le comte de Montlo-
« sier est mort dans la profession publique de la religion ca-
« tholique, apostolique et romaine; qu'il avait demandé et
« reçu le sacrement de la pénitence, et que le seul motif allé-
« gué pour ce refus a été que le comte de Montlosier n'aurait
« pas voulu donner, devant témoins, une rétractation écrite
« et destinée à la publicité; —Vu, etc.; — Considérant que le
« refus de sépulture catholique fait par l'autorité ecclésiastique
« au comte de Montlosier, dans les circonstances qui l'ont
« accompagné et qui sont constatées par l'instruction, constitue
« un procédé qui a dégénéré en oppression et en scandale
« public, et rentre dès lors dans les cas prévus par l'article 6
« de la loi du 18 germinal an X :
« Art. 1. Il y a abus clans le refus de sépulture catholique
« fait au comte de Montlosier. » — Cette affaire donna lieu à
une polémique très vive, et c'est à cette occasion que fut pu-
blié le pamphlet de M. de Cormenin intitulé : Défense de l'évê-
que de Clermont. Mais la polémique n'était possible que sur
l'appréciation des faits. On pouvait soutenir que, d'après les
circonstances de l'affaire, il n'y avait pas eu de scandale public
et qu'il s'agissait d'un simple refus de sacrement. Quant aux
principes, ils étaient consacrés depuis longtemps par la juris-
308 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.
prudence 1, et le Conseil d'État ne se départit pas de sa doctrine.
La décision porte, en effet, qu'il y avait eu scandale public,
appréciation des circonstances bien contestable sans doute mais
qui suffit pour faire rentrer la décision du Conseil d'État dans
la doctrine qu'il a toujours suivie.
395. Dans une déclaration adressée au journal l'Univers,
le 24 octobre 1843, l'évêque de Châlons attaqua l'Université et
les doctrines qu'elle enseignait; en même temps, il menaça d'un
refus éventuel de sacrements les enfants élevés dans les établis-
sements universitaires. Il y avait lieu de se demander d'abord si
cet acte avait été fait par l'évêque de Châlons dans l'exercice
de ses fonctions et si on pouvait considérer comme un acte de
l'autorité ecclésiastique un simple écrit, un article de journal.
Cette objection n'arrêta pas le Conseil; car l'évêque n'avait
pu menacer d'un refus de sacrements qu'en vertu de sa qualité
d'évêque. Mais y avait-il lieu de considérer comme donnant
lieu au recours pour abus un refus éventuel de sacrements,
lorsque le refus lui-même, s'il n'y a eu ni injure ni scandale,
ne suffit pas pour lui servir de fondement? Le Conseil considéra
qu'il y avait dans ce refus un trouble arbitraire jeté dans la
conscience des élèves. D'un autre côté, l'écrit lui parut con-
tenir des imputations injurieuses aux membres du corps en-
seignant, et c'est à ce double titre que, par ordonnance du
8 novembre 1843, la déclaration de Mgr de Prilly fut déclarée
abusive.
Il n'y a pas lieu de déclarer l'abus dans tous les cas où le
refus de sacrement a dégénéré en scandale public; car il peut
y avoir de justes motifs de refus. « Les excuses du prêtre, dit
« M. de Cormenin, qui sont admises par le Conseil d'État,
"
sont : en matière de sépulture, que le moribond aurait dé-
« claré n'être pas croyant et qu'il aurait repoussé le prêtre

1 Gazette des tribunaux du 6 décembre 1838. M. de Cormenin formule la


doctrine en ces termes : « S'il n'y a que refus de sacrement, sans accom-
« pagnement d'injure articulée et personnelle, il n'y a pas abus extérieur
« dans le sens légal du mot. » (T. II, Appendice, V° Appel comme d'abus.)
Mais cette formule est trop étroite. Le Conseil d'État déclare aussi l'abus si
au refus du sacrement s'est ajouté le scandale public.
APPEL COMME D'ABUS. 309

« avec injure 1; en matière de confession, que le prêtre se


« serait retiré, sur le refus du mourant d'être ouï en confession ;
« en matière de communion, que le refusé se serait confessé à
« un autre curé, sans la permission du sien 2. »
396. L'injure adressée à un paroissien par un prêtre en
chaire, ou plus généralement dans l'exercice du culte, est une
cause fréquente de recours pour abus. L'examen de la juris-
prudence sur ce point démontre que les rejets sont fréquents
et que les injures, dans les cas où la poursuite a été autorisée,
avaient un caractère très grave. Ainsi un décret du 1er octobre
1858 a autorisé une institutrice à poursuivre devant les tribu-
naux un desservant qui l'avait appelée menteuse, voleuse et
capable de tout 3.
Même lorsque l'injure est grave, le Conseil d'État rejette
facilement le recours si le ministre du culte a fait des excuses
publiques en chaire. Cette jurisprudence est fondée sur ce que
le recours est à peu près dénué d'intérêt lorsque l'auteur de
l'injure l'a rétractée, en employant les mêmes moyens qui
avaient servi à la commettre 4. Deux décrets, l'un du 13 juin
1856 et l'autre du 15 novembre 1858, ont rejeté des recours
pour injure, en se fondant sur les excuses ou rétractations
publiques qui avaient été faites par le desservant. Le conseil
d'État a aussi repoussé un pourvoi par le motif que le desser-
vant ayant reçu une autre destination, le recours devenait sans
objet (décret du 5 mars 1857). Cette circonstance étant com-
binée avec des excuses ou rétractations, nous admettons qu'elle

1 Ordonnance du 13 juin 1827. Gallais.


2 Ordon. du 16 mars 1828. Camps.

Cormenin, t. I, p. 237, note 5 de
son Droit administratif.
:l V. un décret du 27 décembre 1858 qui autorise les poursuites contre

le desservant de la commune de Melay (Haute-Saône).


4 Conseil d'État 12 août 1874, Bessières contre Amadren. Rejet, les paroles
diffamatoires ayant été retractées en chaire. La provocation peut aussi être
une cause d'atténuation pour donner lieu au rejet du recours pour abus. Voir
Conseil d'État, décr. du 11 décembre 1875, Berthelier c. abbé Mohuet. La
dame Berthelier, appelante, avait fait des excuses au desservant « pour les
injures et voies de l'ait auxquelles elle s'était livrée à l'égard de cet ecclé-
siastique. » Lebon, 1875, p. 1072.
310 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.
contribue à faire considérer le pourvoi comme dépourvu d'in-
térêt. Mais si elle était seule, nous n'apercevons pas pour quel
motif elle créerait une fin de non-recevoir à la demande. Le
déplacement n'étant pas motivé et la partie n'ayant pas un
titre qui lui donne une réparation morale, il est impossible de
trouver dans le fait du changement une réparation suffisante
du tort causé à la partie Aussi ne faut-il voir dans la décision
1
.
précitée, au lieu d'une fin de non-recevoir, qu'un rejet fondé
sur une appréciation des faits atténués par suite de ce dépla-
cement.

397 § 6. De l'appel comme d'abus réciproque. —


« L'appel comme d'abus est réciproque, » disait la 80e pro-
position de P. Pithou qui ajoutait à titre de commentaire :
« Lequel remède est réciproquement commun aux ecclésias-
tiques pour la conservation de leur autorité et juridiction; si
que le promoteur, ou autre ayant intérest, peut aussi appeler
comme d'abus de l'entreprise ou attentat faict par le juge lay
sur ce qui lui appartient. » Ce principe est passé dans la légis-
lation moderne avec les modifications qu'exigeaient les institu-
tions nouvelles. Ainsi le recours pour abus ne peut plus être
formé par le promoteur contre les entreprises du juge laïque;
car le promoteur implique la juridiction des officialités qui
n'existent plus.
L'article 7 de la loi du 18 germinal dit en termes généraux :
« Il y aura pareillement recours au Conseil d'État, s'il est
porté atteinte à l'exercice public du culte et à la liberté que
les lois et les règlements garantissent à ses ministres. »
398. Quelque généraux que soient les termes de cet article,
ils ne doivent cependant s'entendre que des atteintes portées
par les autorités civiles à la liberté des cultes. Cela résulte de
l'esprit même dans lequel a été créé l'appel comme d'abus.
C'est pour maintenir le principe de la séparation des pouvoirs
spirituel et temporel que le recours a été établi ; ce serait donc
Décret du 5 mars 1857 (D. P. 1858, III, 48). Tel paraît être aussi le
1

sens de la décision rendue par le Conseil d'État le 15 février 1876, Panzoni.


Lebon, 1876, p. 970.
APPEL COMME D'ABUS. 311
s'écarter de cette pensée fondamentale que de l'employer contre
des particuliers étrangers aux luttes d'où est née l'institution.
Contre les simples particuliers, le droit commun et l'appli-
cation des peines ordinaires suffisent.
Contre les fonctionnaires publics il n'en pouvait pas être de
même. Comme toute atteinte à la liberté des cultes ne constitue
pas un crime ou un délit prévu par la loi pénale, il fallait
réserver contre les fonctionnaires publics le pouvoir discipli-
naire du Conseil d'État. S'il y a lieu, le Conseil déclarera l'a-
bus, et cette déclaration sera d'autant plus efficace qu'elle
tombera sur des agents subordonnés au pouvoir civil qui la
fait.
399. On s'est demandé si le recours réciproque pourrait
être dirigé contre des décisions judiciaires attentatoires à la
liberté religieuse. Un passage du rapport de Portalis semble
conduire à la solution affirmative. Cependant il nous paraît que
cette doctrine ne pourrait pas échapper au dilemme suivant : ou
le jugement a été rendu contradictoirement avec le ministre du
culte qui se plaint, ou bien le ministre n'a pas été partie au
procès. Dans le premier cas, le ministre étant lié au procès
peut épuiser toutes les voies de recours judiciaire jusqu'à la
Cour de cassation. Au-dessus de la Cour suprême, je ne crois
pas qu'il y ait une autre voie de recours , et il serait extraor-
dinaire qu'on pût attaquer par voie d'appel comme d'abus des
arrêts contre lesquels ne peut pas être dirigé le conflit, en cas
d'empiétement sur l'autorité administrative 1. Que si, au con-
traire, le ministre du culte, n'a pas été partie, la décision judi-
ciaire ne lui sera point opposable. Il lui appartient alors de
déférer au Conseil d'État, non pas l'arrêt ou le jugement,
mais l'acte attentatoire à la liberté au sujet duquel l'arrêt a été
rendu 2.
400 § 7. De l'appel comme d'abus pour les cultes
autres que le culte catholique. — Plusieurs des cas
d'abus que nous avons passés en revue ne sont pas applicables
1 Le conflit n'est, en principe, pas valable s'il n'a été élevé qu'après le
jugement ou l'arrêt.
2 V. dans le même sens Gaudry, Législation des cultes, t. I,
p. 421.
312 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

aux cultes non catholiques. Ce n'est que pour excès de pou-


voir, usurpation, contravention aux lois et règlements et pour
procédés de nature à troubler arbitrairement les consciences
que le recours pourrait être formé contre les ministres pro-
testants. Pour le culte israélite, la matière est régie par les
articles 54, 55 et 56 de l'ordonnance du 25 mai 1844.
Art. 54. « Aucune assemblée délibérante ne pourra être for-
" mée, aucune décision doctrinale ne pourra être publiée ou
« devenir la matière de l'enseignement, sans autorisation ex-
« presse du gouvernement.
Art. 55. « Toutes entreprises des ministres du culte israélite,
"
toutes discussions qui pourraient s'élever entre les ministres,
« toute atteinte à l'exercice du culte et à la liberté garantie
"
à ces ministres nous seront déférées en notre Conseil d'État,
« sur le rapport de notre ministre des cultes, pour être par
« nous statué ce qu'il appartiendra.
Art. 56. « Nul ministre du culte israélite ne peut donner
" aucune autorisation ou explication de la loi qui ne soit con-
"
forme aux décisions du grand Sanhédrin et aux décisions
« des assemblées synodales qui seraient par nous ultérieure-
" ment autorisées. »
Il résulte de ces dispositions que, pour le culte israélite,
le gouvernement s'est attribué un droit d'intervention dans
les matières spirituelles plus étendue que pour le culte catho-
lique; car en ce qui touche les canons, le pouvoir temporel
ne protège et ne défend que ceux qui sont relatifs à la discipline.
Le prince est donc moins évoque du dehors qu'il n'est rabbin
extérieur. Ce titre que certains jurisconsultes ont prononcé en
se moquant 1 semble justifié par les ordonnances; mais en fait
le Conseil d'État n'a prononcé l'abus sur des recours formés
contre les rabbins que pour « contravention aux lois ou trouble
« arbitrairement jeté clans les consciences. »

1 Notamment M. Foucart, t. I, p. 317 et suiv.


APPEL COMME D'ABUS. 313

DE LA PROCÉDURE A SUIVRE EN MATIÈRE D' ABUS

401.Cette section se divise naturellement en deux parties.


Dans la première, je traiterai de la compétence; dans la se-
conde des formes à suivre pour introduire le recours ou de la
,
procédure proprement dite.

§ 1er.De la compétence. — « Il y aura recours au Con-


« seil d'État, dit l'article 6 de la loi organique, clans tous les
« cas d'abus de la part des supérieurs et autres personnes
« ecclésiastiques. » Cette attribution a été reconnue au Conseil
d'État par l'article 8, cinquième alinéa, de l'ordonnance du
29 juin 1814, portant règlement du Conseil. La même dispo-
sition a été reproduite dans tous les règlements du Conseil
d'État. La question de compétence ayant été soumise aux
tribunaux et au Conseil d'État, il a été reconnu, des deux
côtés, que la juridiction administrative était compétente, et sur
ce point aucune divergence ne s'est produite entre les deux
jurisprudences du Conseil d'État et de la Cour de cassation.
Le sieur *** demanda au Conseil d'État, conformément à la
Constitution consulaire, l'autorisation de poursuivre devant
l'autorité judiciaire l'archevêque d'Amasie, qui l'avait interdit
à sacris. Mais sa requête fut rejetée par ordonnance du 17 mai
1837, ainsi motivée : « Considérant qu'aux termes de l'article 6
« de la loi organique il n'appartient qu'à nous de statuer, en
« notre Conseil
d'État, sur les recours pour abus, et qu'ainsi
« il n'y a pas lieu d'accorder au sieur *** l'autorisation, par lui
« demandée, de recourir à l'autorité judiciaire pour faire dé-
« clarer abusif l'interdit prononcé contre lui par l'archevêque
« d'Amasie. » Les ordonnances qui ont été rendues en cette ma-
tière peuvent toutes être considérées comme renfermant une
confirmation tacite de cette décision. Elle a été également con-
sacrée par la Cour de cassation toutes les fois qu'elle a eu à
se prononcer sur ce point, et notamment dans les arrêts en date
des 28 mars 1818, 25 août 1827, 28 mars 1828, 25 novembre
1831, 26 juillet 1838.
314 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

Malgré ce concours de raisons et d'autorités, l'opinion con-


traire a été soutenue et elle compte Merlin parmi ses défenseurs.
Ces jurisconsultes invoquent les articles 5 et 6 du décret en
date du 25 mars 1813, organique du Concordat de Fontaine-
bleau :
Art. 5. Nos Cours impériales connaîtront de toutes les
«
« affaires connues sous le nom d'appels comme d'abus, ainsi
« que de toutes celles qui résulteront de la non-exécution des
« lois des concordats.
Art. 6. « Notre grand juge présentera un projet de loi pour
« être discuté en notre Conseil, qui déterminera la procédure
« et les peines applicables en ces matières. »
Ce décret, suivant. Merlin, a l'autorité de la loi, et par
conséquent, de simples ordonnances, des règlements n'ont
pu l'abroger. Mais ces textes ne nous paraissent pas être
applicables, pour deux raisons. En premier lieu, le décret
du 25 mars 1813 n'étant qu'un appendice du concordat de
Fontainebleau, comment serait-il resté debout lorsque l'acte
principal n'avait pas de suite? Ce qui prouve l'abrogation,
c'est que l'article 6 précité prescrivait au grand juge de pré-
senter un projet de loi où serait déterminée la procédure à
suivre devant les Cours d'appel en matière d'abus; or, cette
disposition n'a pas été suivie. Si les Cours d'appel étaient com-
pétentes les embarras commenceraient dès le début de l'action,
,
les parties ignorant de quelle manière il faudrait procéder.
D'un autre côté, M. de Cormenin, rétorquant l'argument
de Merlin, fait observer avec raison que le décret de 1813
est l'oeuvre de l'Empereur seul; que le pouvoir législatif ne
l'a pas sanctionné, et que si les décrets impériaux de cette
époque ont l'autorité de la loi pour les matières non encore
réglées, ils ne peuvent pas abroger des lois déjà faites 1. Re-
marquons en terminant que cette question a été plusieurs fois
soumise aux Chambres par voie de pétition, et qu'elle a été
toujours résolue par l'ordre du jour pur et simple 2.

1 T. II, Appendice.
2 Notamment dans la session de 1839, au rapport de M. de Golbéry.
APPEL COMME D'ABUS. 315
402Est-il vrai, comme on l'a souvent affirmé, que la
juridiction des Cours serait, en cette matière, préférable à
celle du Conseil d'État? « Quant au Conseil d'État, dit M. Du-
« pin, ce n'est peut-être pas la meilleure juridiction possible.
« Moi-même, en maintes occasions, j'ai exprimé le voeu que
" ces affaires fussent renvoyées aux Cours royales 1. » La
même opinion était exprimée par M. Laisné dans l'exposé
des motifs du concordat de 1817. « Composées de magistrats
« inamovibles, disait-il, elles sont éminemment propres à con-
« server le dépôt des maximes nationales et à en perpétuer
« la tradition. Les ministres de la religion trouveront dans
" ces magistrats cette gravité de moeurs et de pensée, ces
« sentiments vraiment religieux qui ont honoré la magistrature
« française. »
A ces autorités on peut opposer celle de Sirey, qui, dans son
ouvrage sur le Conseil d'État s'est exprimé ainsi : « Il ne faut
« pas lutter contre l'essence des choses ; les Cours de justice ne
« seraient pas, sans de graves inconvénients, appelées à juger
« des débats nécessairement soumis à des règles politiques ou
« administratives2. » Telle est aussi l'opinion de M. Antoine
Blanche, que sa qualité de magistrat n'a pas empêché de re-
connaître que le Conseil d'État « est plus apte que les Cours à
« juger sciemment les recours pour abus 3. »
C'est qu'en effet les recours pour abus touchent aux rapports
de deux grandes puissances. Pour les juger, il faut une juridic-
tion mêlée par sa nature au mouvement de l'administration et
de la politique, pouvant en apprécier les tendances et y confor-
mer sa décision. Certainement nous n'avons garde de dire que
le Conseil doit frapper en adversaire; mais des considérations
politiques peuvent, au grand profit de la paix publique, le
déterminer à éteindre des débats de cette nature. C'est le sou-
venir de leur rôle politique qui a fait tomber les parlements ;
pourquoi veut-on augmenter les attributions de la magistrature,

1 Manuel, p. 87 et 473.
1 Sirey, Conseil d'État, p. 143, § 130.
:! Dictionnaire d'administration, V° Appel comme d'abus, p. 66.
316 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

sans discernement de celles qui lui conviennent? D'où peut


venir, sinon de l'aveuglement, cette tendance à lui rendre
ce qui a préparé la chute de ses prédécesseurs? Ajoutons que
le clergé n'aurait aucun profit à changer des juges qui peu-
vent s'inspirer des circonstances pour écarter les demandes
inopportunes contre des Cours de justice qui doivent (et c'est
la vertu des magistrats) appliquer les lois et les peines sans
regarder aux personnes.

403. § 2. De la forme en laquelle s'introduit le


recours pour abus. — Aux termes de l'article 8 de la loi
organique, « le recours compétera à toute partie intéressée. »
— Quel intérêt doit avoir l'appelant? Faut-il qu'il ait été per-
sonnellement victime de l'abus d'autorité? Suffit-il qu'il se pré-
sente en vertu de l'intérêt moral que fait naître la solidarité de
la famille? Tout héritier a-t-il le droit de se présenter pour ven-
ger la mémoire du défunt? Ces questions ont été laissées indé-
cises par le législateur, et c'est à la jurisprudence qu'il appar-
tient de les résoudre.
La première règle à suivre, c'est que l'intérêt doit être per-
sonnel au particulier qui se pourvoit; n'ayant pas mission de
parler au nom de la société, il ne pourrait pas se prévaloir de
motifs d'un ordre général. Il faudrait donc rejeter, comme l'a
fait le Conseil d'État, le recours formé par un maire contre un
évoque pour infraction à la loi sur la résidence ecclésiastique
et pour le délit prévu par l'article 201 du Code pénal. Ce maire
n'ayant pas d'intérêt propre, était d'ailleurs incompétent pour
se plaindre au nom de la société 1 .
404. Le sieur ***, desservant à Sévignac (Basses-Pyrénées),
avait refusé d'admettre les sieur et dame *** comme parrain et
marraine de l'enfant de leur parent ***, et d'administrer le
baptême jusqu'à ce que l'enfant fût présenté par des personnes
ayant son agrément. Le père appela comme d'abus, en se
fondant sur ce que le desservant avait par ce procédé blessé

1 Décrets du 27 novembre 1859. Albertini contre l'évêque d'Ajaccio et Fal-


conetto contre l'évêque d'Ajaccio.
APPEL COMME D'ABUS. 317
l'honneur de la famille. Mais le recours fut rejeté par ordon-
nance du 17 août 1825 : « Considérant qu'aux termes de l'ar-
«
ticle 8 de la loi du 8 avril 1802, le recours compète aux
« personnes
intéressées; que les sieur et dame L***, qui sont
« seuls intéressés 1, ne se pourvoient, pas; que le sieur M*** est
« sans qualité pour se pourvoir en leur nom. »
Le sieur ***, chanoine et archiprêtre à Viviers, avait été d'a-
bord révoqué en qualité d'archiprêtre, et plus tard déposé de
son canonicat. Il appela comme d'abus, et le maire de la com-
mune se joignit à lui pour attaquer la sentence d'interdit. En
outre, le maire déféra .au Conseil d'État comme abusive l'or-
donnance qui avait opéré la réunion de la cure de Viviers au
chapitre. Ce double recours fut rejeté, et celui du maire le
fut spécialement par le motif que la commune de Viviers n'é-
tait pas partie intéressée En effet, le pourvoi du maire était
2
.
fondé sur ce que la commune avait été privée d'un titre curial
auquel elle avait droit, d'après l'article 60 de la loi organique.
Mais comme cette mesure n'affectait en rien la circonscrip-
tion communale puisqu'elle intéressait tout le canton, la com-
mune de Viviers n'avait aucun intérêt qui lui fût propre 8.
405 L'article 8 de la loi organique donne également le
droit d'appeler comme d'abus aux préfets. « A défaut de plainte
particulière, il sera exercé d'office par les préfets. » Le préfet
n'est pas le seul fonctionnaire qui soit admis à agir d'office.
Nous pensons que le ministre, supérieur hiérarchique du
préfet, doit avoir le même droit que son subordonné. Il est
vrai que pour se renfermer strictement dans les termes de la
loi, il pourrait donner l'ordre au préfet d'appeler; mais ce

1 Nous avons vu plus haut que les sieur et dame L..., ayant formé un re-
cours pour abus, leur action avait été rejetée aussi, le curé ayant le droit
d'appréciation en ce qui concerne le concours des personnes qui sont né-
cessaires à la cérémonie. Le curé pouvait avoir des motifs dont il était seul
juge, et le refus ne pouvait dès lors pas être appelé arbitraire.
2 Ordonnance du 24 juillet 1845.

:l Dans l'ordonnance du 4
mars 1830, il a été jugé qu'une partie qui a
consenti à une perception de droits supérieurs au tarif du diocèse ne peut
plus appeler, faute d'intérêt.
318 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

circuit est inutile, et le Conseil d'État ne paraît pas avoir exigé


qu'il fût suivi. Ainsi, le recours à la suite duquel a été rendue
l'ordonnance du 9 mars 1845 fut introduit par le ministre de
la justice.
A l'occasion d'un recours formé par un commissaire de po-
lice le Conseil a décidé que ce magistrat n'était pas recevable
,
et que l'appel d'office ne pouvait être introduit que par le
préfet. « Considérant que la loi du 18 germinal an X dit expres-
sément, qu'à défaut de plaintes particulières le recours sera
exercé d'office par les préfets ; — que les termes de cette dis-
position sont formels et ne permettent pas d'en étendre le sens
à un autre fonctionnaire public ; — qu'à défaut de texte précis,
la nature toute spéciale de l'appel comme d'abus suffirait pour
faire restreindre au préfet le droit de recours au Conseil d'É-
tat 1. » Dans l'affaire qui a donné lieu à ce décret, le commis-
saire de police avait agi directement devant le juge de simple
police et c'est parce que le juge de paix avait sursis à statuer
que le commissaire de police avait appelé comme d'abus. C'est
comme partie au procès pendant, que le commissaire de police
avait employé une voie de recours dont le juge faisait un préa-
lable administratif. Il est certain que si l'appel comme d'abus
doit précéder l'action publique, il faudrait accorder au minis-
tère public le droit de recourir au Conseil d'État sans quoi le
préfet serait le maître en ce cas de l'action en justice. Ce qui
eût été conforme aux principes, conforme même à la jurispru-
dence de la Cour de cassation, c'est de rejeter le recours du
commissaire comme inutile, le ministère public pouvant pour-
suivre sans s'adresser préalablement au Conseil d'État (Cour
cass., arrêt du 10 août 1861). Or, le commissaire remplit les
fonctions du ministère public devant le juge de simple police.
Mais cette interprétation littérale de la loi organique ne nous
paraît pas en tout cas applicable au ministre des cultes. Il est
des causes de recours pour lesquelles il est difficile de com-

1Décret du 17 août 1880. Commissaire de police des Ponts-de-Cé et préfet


de Maine-et-Loire contre desservant de Saint-Mélaines. Lebon, 1880, page
1098.
APPEL COMME D'ABUS. 319
prendre que l'appel soit fait par un autre que le ministre. Si un
évêque publie un bref ou une bulle de Rome non enregistrée,
quel est le préfet qui formera le pourvoi? Il s'agit là d'une
atteinte à la souveraineté et d'un conflit avec le gouvernement.
C'est le pouvoir central et non un préfet qui doit se pourvoir.
S'il s'agissait d'ailleurs d'un diocèse comprenant plusieurs dé-
partements quel préfet serait compétent pour appeler au Con-
,
seil d'État?
406 Le recours pour abus est une voie de recours extraor-
dinaire : elle ne doit donc être employée qu'à la dernière ex-
trémité et lorsque toutes les autres sont fermées. Ainsi, comme
nous l'avons dit plus haut, le recours au métropolitain, dans
les cas où il est admis pour inobservation des formes, doit être
tenté avant de se pourvoir au fond devant le Conseil d'État
contre une sentence entachée d'abus 1.
407 La loi n'a pas déterminé de délai dans lequel le re-
cours doive être formé à peine de déchéance. On s'est demandé
dès lors si les parties seraient recevables pendant trente ans?
Ce point a été l'objet d'une discussion au sein du Conseil
d'État. Plusieurs membres soutinrent qu'il fallait suivre le
délai de trois mois et rejeter tout recours qui ne serait formé
qu'après ce laps de temps. Ils appuyaient leur opinion sur ce
que ce délai est, pour ainsi dire, de droit commun dans les
affaires soumises au Conseil d'État. C'est celui qui a été fixé
par le décret du 22 juillet 18062 pour les pourvois contentieux
et, en matière d'administration pure, par la loi du 18 juillet
18373, pour les autorisations de plaider demandées par les
communes. Enfin n'est-il pas naturel, disaient-ils, dans le si-
lence de la loi actuelle, de la compléter par la loi ancienne
et d'appliquer les délais suivis par les parlements et déterminés
par les dispositions du droit canonique? D'autres soutenaient,
au contraire, que la loi n'ayant créé aucune déchéance, il
était impossible d'en établir une, et que les analogies les plus

1 Aff. Audierne et Piveteau (décrets du 6 août 1850).


2 Art. 11.
3 Art. 50.
320 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

complètes, les rapprochements les plus heureux ne sauraient


triompher du principe : poenalia non sunt extendenda 1
Ces deux opinions n'étaient pas inconciliables, à notre avis.
En effet, les parties ont le droit de renoncer au recours pour
abus, et cette renonciation peut être soit expresse, soit tacite :
elle résulterait, par exemple, de l'expiration d'un délai suffi-
sant pour la faire présumer. Le Conseil appréciera, suivant
les circonstances, s'il y a eu renonciation et après un certain
délai prononcera une déchéance, qui ne sera pas nécessaire-
ment la même pour tous les cas 2. Il aurait même la faculté de
présumer la renonciation après le délai de trois mois, et, de
cette manière, établir en fait la déchéance qui n'existe pas
en droit; mais cette règle ne le lierait pas, et il pourrait l'ap-
pliquer, ou non, suivant les espèces, tandis qu'il serait tenu
de suivre la disposition de la loi s'il y en avait une qui fixât
un délai de rigueur.
Il
y a dans l'avis du 19 juin 1851, cité plus haut, un pas-
sage qu'il importe de reproduire ici : « Considérant que les
« délais consacrés par les anciens usages sont observés pour
« l'appel de la décision épiscopale devant le métropolitain;
« — que si ces mêmes délais étaient suivis pour le recours à
" exercer devant le Conseil d'État, les inconvénients ci-dessus
" signalés seraient évités 3. » On ne pouvait pas plus claire-
ment inviter le gouvernement à user de son initiative législative
pour combler cette lacune, mais jusqu'à présent cette invitation
est demeurée inefficace, et la question est encore livrée aux
controverses.
408. Le recours pour abus n'est pas porté directement au
1 Nous reproduisons cette discussion d'après nos souvenirs. La discussion
dont nous donnons le résumé remonte à 1850.
2
La renonciation expresse ou tacite ne s'appliquerait pas au recours d'of-
fice par le préfet, ce recours étant fondé sur des motifs d'ordre public (art.
6 Code civil). Mais l'éloignement des faits serait une considération puissante
pour le rejet du pourvoi. Le pourvoi, bien que recevable, serait presque
toujours rejeté, après examen du fond, à cause du retard et du peu d'intérêt.
3 Dans une notice bibliographique qu'il
a eu la bonté de consacrer à mon
opuscule sur l'Appel comme d'abus (Revue critique, année 1852, t. II, p. 605),
M. Mimerel, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, trouve arbi-
APPEL COMME D'ABUS. 321
Conseil d'État; l'appelant est tenu, d'abord, d'adresser un
mémoire détaillé et signé au ministre des cultes, qui doit
prendre, dans le plus court délai, tous les renseignements
convenables, et ensuite envoyer les pièces avec son rapport
au président du Conseil d'État. Cette remise du mémoire a
été instituée comme une sorte de préliminaire de conciliation ;
il arrive souvent, en effet, que le ministre parvient à éteindre
l'affaire, soit par l'autorité qui s'attache à son intervention,
soit en obtenant des rétractations. Aussi le recours pour abus
est-il irrecevable quand il n'a pas été précédé de ce prélimi-
naire. Dans plusieurs circonstances, le Conseil d'État a repoussé
des requêtes qui lui avaient été adressées directement et ren-
voyé les parties à se pourvoir devant le ministre des cultes 1.
Il y aurait lieu également de rejeter le recours, lors même
qu'il aurait été adressé au ministre des cultes, si le mémoire
n'était pas détaillé ou s'il ne portait pas de signature.
Le Conseil d'État appréciera si le mémoire est suffisamment
détaillé; il pourrait rejeter le recours qui ne serait appuyé que
de développements obscurs ou incomplets, sans examiner le
fond ni rechercher la vérité par un supplément d'instruction.
Le rejet n'est cependant pas obligatoire, et si le Conseil pensait
que l'examen de l'affaire a de l'importance, il pourrait, sans
s'arrêter à l'insuffisance du mémoire introductif, retenir la
cause et s'éclairer par des demandes de renseignements ou par
tout autre mode d'instruction.
La signature de l'appelant est aussi exigée à peine de nullité
du recours, et le Conseil d'État n'aurait pas à choisir entre le
rejet du pourvoi comme non recevable et le jugement de l'af-
traire le pouvoir que j'attribue au Conseil d'examiner, suivant les circons-
tances, la recevabilité du recours. M. Mimerel admet-il qu'après dix ou quinze
ans on pourrait encore se pourvoir par abus?— Non, évidemment; mais
pu squ'il n'y a pas dans la loi de délai emportant déchéance et que nous ne
pouvons pas l'établir doctrinalement, il n'y a pas d'autre moyen que de
laisser au Conseil d'État le droit d'apprécier si le laps de temps été
a assez
long pour qu'on puisse voir dans cette abstention la volonté de
renoncer.
C'est donc une question de fait. M. Mimerel
a, d'ailleurs, critiqué notre
solution sans dire quelle était la sienne.
Cormenin, t. I, p. 231 note 1.
1
,
B. — II. 21
322 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

faire. Il est vrai que s'il la retenait, malgré le défaut de signa-


ture, les parties intéressées n'auraient aucun moyen de faire
réformer une décision qui est souveraine; mais les juridictions
ne sont pas affranchies de l'observation des lois parce que leurs
décisions ne sont pas soumises à l'appel ou à la révision, et
d'ailleurs la déclaration préparée par le Conseil n'est qu'un
projet; le Chef de l'État a la faculté de le modifier à son gré,
même sans motif, à plus forte raison pour une raison tirée de
ce que l'introduction du recours n'aurait pas été faite confor-
mément aux prescriptions de la loi.
Les parties qui ne savent pas signer pourraient employer le
ministère des avocats au Conseil d'État; mais la loi n'ayant
donné à ces officiers ministériels aucune attribution spéciale
pour les affaires qui ne rentrent pas dans le contentieux admi-
nistratif, les personnes qui ne savent pas signer ne seraient
pas obligées de se servir de leur ministère. Les notaires, qui
ont qualité pour donner l'authenticité aux déclarations des par-
ties, nous paraissent avoir un droit égal à celui des avocats au
Conseil d'État ; car la compétence des notaires à l'effet de certi-
fier ce que les parties ont déclaré est générale.
409. Le ministre des cultes, après avoir pris tous les ren-
seignements qu'il juge nécessaires pour former son opinion, soit
par une enquête confiée à l'évêque du ressort ou à un évêque
voisin, soit en faisant interroger par le préfet les personnes les
mieux informées, arrête son rapport et l'envoie au président
du Conseil d'État, avec toutes les pièces. L'affaire est renvoyée
à l'examen de la section de l'intérieur, des cultes, de l'instruc-
tion publique et des beaux-arts.
410 Si la section ne trouve pas dans le dossier des élé-
ments suffisants de décision, elle ordonne un supplément d'ins-
truction par un avis signé des président et rapporteur, ou
même par une simple note signée du rapporteur seulement.
Quand l'instruction est complète, la section arrête le projet de
décret qui sera soumis à l'assemblée générale du Conseil d'État,
et c'est en assemblée générale qu'est délibérée la rédaction
définitive (art. 7, n° 2 du règlement du Conseil d'État du 2
août 1879). Il est statué par un décret dont les visa portent :
APPEL COMME D'ABUS. 323

sur le rapport de la section de l'intérieur, des cultes, de l'ins-


truction publique et des beaux-arts,... le Conseil d'Etat en-
tendu.
Les formules de solution sont assez diverses, et en compa-
rant les ordonnances ou décrets qui ont été rendus en cette
matière, on en compte jusqu'à dix : 1° le décret déclare sim-
plement qu'il y a abus; 2° il déclare abus avec suppression de
l'écrit abusif; 3° il déclare l'abus et autorise les poursuites à
fins criminelles; 4° il déclare l'abus et autorise les poursuites
à fins civiles seulement; 5° il déclare l'abus et, admettant
l'excuse, n'autorise pas les poursuites; 6° il déclare qu'il n'y a
pas abus ; 7° il déclare à la fois qu'il n'y a lieu ni à pronon-
ciation d'abus ni à renvoi devant les tribunaux; 8e il écarte
le recours, sauf à se pourvoir devant l'autorité supérieure, dans
la hiérarchie ecclésiastique; 9° il rejette l'appel comme non rece-
vable; 10° il déclare l'abus avec injonction au prêtre de s'abs-
tenir de refus de sacrement dans des cas semblables. Mais nous
devons faire observer que cette énumération se rattache à la
jurisprudence qui admettait le préalable administratif et la
nécessité pour les particuliers d'obtenir le renvoi du Conseil
d'État à l'effet d'agir en police correctionnelle. Elle devrait
être au moins restreinte d'après la jurisprudence nouvelle du
Conseil d'État qui n'exige le recours pour abus ni des particu-
liers ni du ministère public pour agir en justice 1.
La déclaration d'abus est une mesure disciplinaire et, par
conséquent, purement personnelle; c'est un jugement qui doit
être rendu contre un individu déterminé, non contre un prin-
cipe ou une institution. C'est donc à tort, et contrairement
au caractère de cette voie de recours, qu'une ordonnance du
21 décembre 1838 a déclaré l'abus contre l'autorité ecclésias-
tique, sans nommer l'évêque déféré à la censure du Conseil
d'État.
L'affaire est instruite et jugée dans la forme administrative,
sans frais ni constitution d'avocat. Si les parties font remettre
des mémoires par des avocats au Conseil d'État, les frais sont

1 Décr. du 17 mars 1881. V. plus haut, p. 274.


324 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

à leur charge, et quelle que soit la solution, les dépens ne


peuvent pas être répétés contre la partie qui succombe. La
délibération du Conseil d'État, en section ou en assemblée
générale, a lieu sans publicité, et les avocats constitués n'ont
pas eux-mêmes le droit d'y assister. Lorsqu'elle est terminée,
le projet de décret signé par le président du Conseil d'État et
par le rapporteur, certifié par le secrétaire général, est trans-
mis au ministre des cultes qui le présente à la signature du
président de la République.

411 Considérations générales. — Notre législation


sur les cultes a deux espèces d'adversaires. Il y en a qui de-
mandent que le traitement des ministres soit supprimé, et que
les frais du culte soient supportés par les partisans de chaque
communion. Tous ceux qui préconisent ce système ne sont
pas animés du même esprit, et parmi eux il en est qui veulent
la prospérité de l'Église, tandis que les autres désirent sa
chute; ils ne sont pas d'accord sur le but, mais tous s'enten-
dent sur le moyen dont ils apprécient diversement le résultat.
Cette séparation de l'Église et de l'État aurait, d'après les uns,
pour effet de réchauffer le zèle des adhérents et l'ardeur des
prêtres. Obligée de se soutenir par elle-même et de vivre de
ses propres ressources, la religion se rapprocherait des fidèles;
elle perdrait les rameaux desséchés, mais on verrait se rani-
mer les convictions languissantes. Séparée du pouvoir tempo-
rel l'Église gagnerait en liberté ce qu'elle perdrait en sub-
,
ventions, et son initiative deviendrait plus féconde.
Les ennemis des religions établies et du catholicisme, en
particulier, se font une toute autre idée des effets que produi-
raient la séparation des deux puissances et la suppression du
traitement. C'est parce qu'ils sont convaincus qu'abandonnée
à ses propres ressources, l'Église serait très affaiblie et que peu
à peu elle tomberait en décadence, qu'ils préconisent le sys-
tème américain. Le parti des politiques se préoccupe surtout de
la diminution qu'éprouverait l'influence du clergé; celui des
philosophes réclame principalement au point de vue du droit;
car il leur paraît répugner à la justice que les contribuables
APPEL COMME D'ABUS. 325
soient obligés de supporter la subvention de croyances qui
ne sont pas les leurs. Si les protestants et les israélites trou-
vent dans la subvention accordée à leur culte une compensa-
tion aux taxes qu'ils paient pour le culte catholique, le libre
penseur, qui ne professe aucun culte extérieur, et les dissi-
dents, qui n'ont adopté aucun des cultes reconnus, ne reçoi-
vent pas de compensation à la part de sacrifices que la loi
exige d'eux.
Nous ne partageons ni les illusions des premiers, ni les espé-
rances des seconds, ni les théories des derniers.
La ferveur des fidèles est un levier puissant dans les temps
de lutte et de création; elle est au début capable de faire de
grandes choses parce qu'elle est douée d'une grande force
d'expansion; les obstacles et les persécutions l'irritent et l'aug-
mentent. Aujourd'hui la ferveur religieuse a besoin d'être en-
couragée et soutenue ; compter sur un infatigable et constant
dévouement serait méconnaître le temps où l'on vit. Chose re-
marquable ! ces illusions ont été partagées par l'homme qui
avait le mieux compris le caractère du siècle, et c'est Lamen-
nais qui, après avoir sondé profondément l'indifférence en ma-
tière religieuse, concluait, dans ses Questions philosophiques
et politiques, à la séparation de l'Église et de l'État et à la sup-
pression du budget des cultes. En d'autres termes, il conseillait
à l'Église de se jeter entre les bras des indifférents, de renon-
cer à son existence légale et de repousser les fonds de l'État
pour demander le soutien d'une génération sceptique. Singu-
lière logique!
La séparation absolue n'obtiendra pas davantage notre ap-
probation par les effets destructeurs qu'elle pourrait produire.
L'histoire a démontré quel vide immense laisse la démolition
religieuse, et, sauf les initiateurs d'une religion nouvelle, nous
ne comprenons pas quel but se proposent ceux qui veulent
détruire ou affaiblir l'action sociale de la religion. Que les
révélateurs d'un nouveau symbole combattent jusqu'à la des-
truction les religions établies, c'est la conséquence naturelle
de leur mission; mais que des politiques, qui n'ont aucune
nouvelle révélation à faire connaître, brisent la religion uni-
326 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

quement parce qu'ils ne sont pas croyants, c'est un abus de la


puissance sans motif ni but qui puissent être approuvés ni
même compris. Le sentiment religieux est un élément de la
nature humaine, et, d'après les enseignements de l'histoire,
les religions ne meurent que si elles sont remplacées ; elles
se sont succédé jusqu'à présent, mais il n'y a pas d'exemple
qu'elles aient péri dans le néant religieux. A ceux donc qui
veulent la chute de ce qui est, nous sommes en droit de de-
mander : Où est votre foi? êtes-vous au moins théophilan-
thropes ou adorateurs de l'Être suprême, ou sectateurs de la
,
déesse Raison?
Nous ne partageons pas non plus les scrupules de ceux qui
trouvent le budget des cultes injuste au point de vue des con-
tribuables. Ils paient à l'État une somme qui est employée
aux différents services, sans qu'il y ait affectation spéciale
des fonds à une destination déterminée. Si les libres-penseurs
contribuent aux frais du culte, il y a aussi des chaires de phi-
losophie subventionnées par l'État, et l'on voit par là que les
défenseurs de l'autorité religieuse comme les partisans du libre
examen sont, à ce point de vue, dans une position semblable
puisque les uns et les autres ont leur part au budget.
En ce qui concerne le catholicisme, la question ne doit pas
être examinée à priori, et quelle que soit l'opinion que l'on
professe en théorie, il est impossible, de bonne foi, de ne
pas tenir compte des faits historiques. Le traitement des prê-
tres a été accordé en compensation des biens ecclésiastiques
confisqués et vendus nationalement. Y aurait-il justice à sup-
primer l'indemnité après avoir confisqué la propriété? Frédéric
Bastiat, qui était partisan de la séparation de l'Église et de
l'État, s'empressait cependant d'ajouter : " Sauf l'indemnité
"
promise au clergé en compensation des biens ecclésiastiques.
« Justice pour tous 1. » C'est dans le respect des droits d'autrui,
dans la défense de la justice, même quand elle profite à des
adversaires, dans la bonne foi des opinions et l'attachement
aux principes, sans faveur ni exclusion pour personne, qu'est

1 Budget républicain, par Frédéric Bastiat.


APPEL COMME D'ABUS. 327
la source de la vraie liberté; tant qu'on s'écartera de cette règle
de conduite, il y aura oppression, et quel que soit le parti do-
minant atteinte au droit individuel.
,
Objectera-t-on, comme on l'a fait souvent, que le clergé est
une personne morale constituée par la loi, et que le législa-
teur, qui peut lui retirer la capacité d'acquérir, doit, à plus
forte raison, pouvoir supprimer son traitement? Si cette subti-
lité avait quelque force à l'égard du clergé, elle n'en aurait
aucune à l'égard des donateurs dont la volonté serait mécon-
nue. Lorsqu'il vendit les biens ecclésiastiques, le gouverne-
ment prit l'engagement d'exécuter les intentions pieuses des
fondateurs en donnant un traitement au clergé; certainement
le pouvoir législatif est tout-puissant, et il pourrait défaire ce
qu'il a fait, mais je ne cesserai de dire, en me plaçant au point
de vue du droit, que ce serait manquer à la foi promise, violer
des engagements solennellement pris, et obéir aux passions de
parti toujours étroites et souvent injustes.
Des réformateurs moins radicaux proposent de maintenir le
traitement en brisant les liens avec l'État et, par conséquent,
de supprimer l'appel comme d'abus ou plutôt la loi organique
tout entière. C'est le droit commun appliqué aux prêtres, et
j'avoue que théoriquement il ne donne prise à aucune objection.
Je ne crois pas non plus qu'il donnât lieu à de sérieux dangers
et que les moyens de droit commun fussent insuffisants pour
combattre ou prévenir les entreprises du clergé. Mais nos ins-
titutions, en cette matière s'appuient sur une longue tradition
historique. Je conviens que les libertés de l'Église gallicane
n'ont plus le même sens qu'au moyen âge ou qu'au XVIIe siècle ;
je conviens que l'arme des appels comme d'abus s'émousse tous
les jours; mais n'est-ce pas une raison pour laisser faire le
temps puisqu'il sait, en suivant les idées de chaque époque,
transformer les institutions et les mettre en harmonie avec l'é-
tat des esprits?
328 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

DROIT COMPARE.

4143. Belgique. — Liberté des cultes, non-seulement au


point de vue de la conscience et du for intérieur mais encore
de l'exercice public; liberté de manifester ses opinions en toute
matière touchant aux'questions religieuses, sans autre restric-
tion que la répression des délits commis dans l'usage de cette
liberté; séparation complète du culte de l'État; incompétence
du gouvernement relativement à l'installation des ministres du
culte et droit reconnu à ces derniers de publier leurs actes,
conformément au droit commun des citoyens : telles sont les
dispositions principales que les articles 14, 15 et 16 de la Cons-
titution du 7 février 1831 ont édictées.
De la séparation de l'Église et de l'État la loi belge a tiré deux
conséquences importantes. Elle a reconnu aux ministres du culte
le droit de correspondre avec leurs supérieurs sans l'autorisa-
tion du gouvernement, et comme la Constitution ne distingue
pas entre les correspondances à l'intérieur et celles qui seraient
adressées au dehors, les évêques catholiques ont, en vertu de
cette disposition, la faculté de correspondre avec la cour de
Rome.
La seconde conséquence que la législation belge a fait décou-
ler du principe de la séparation, c'est la suppression de l'appel
comme d'abus. Cette institution, que l'occupation française
avait importée en Belgique, s'y était maintenue jusqu'à la Ré-
volution de 1830. Un arrêté du 16 octobre 1830 en a prononcé
l'abrogation, et cette disposition a été confirmée par l'esprit
sinon par les termes formels de la Constitution. Les prêtres
sont donc soumis au droit commun, et les abus qu'ils commet-
traient dans l'exercice de leurs fonctions ecclésiastiques, ne
pourraient pas être recherchés s'ils ne tombaient pas sous le
coup des lois répressives ordinaires.
Le parti libéral se plaint de cette concession faite au parti
catholique, et demande une loi qui arme le pouvoir temporel
APPEL COMME D'ABUS. 329
contre les entreprises des évêques. Deux jurisconsultes qui ont
écrit sous l'inspiration de cette école, MM. Tielemans et de
Brouckère, sont d'avis qu'il y aurait lieu de rétablir l'ancienne
législation. « Après l'expérience, disent-ils, on sera tenté de
revenir à une législation plus efficace 1. »
La séparation de l'Église et de l'État a été stipulée dans l'in-
térêt de la première, et on ne l'entend pas en Belgique comme
dans l'Amérique du Nord, où la séparation a pour effet de livrer
chaque Église à ses propres ressources. En Belgique, au con-
traire, l'État paie un traitement aux ministres du culte 2 et leur
assure une pension de retraite après 40 ans de service et 65 ans
d'âge. Le quantum de la retraite est égal au traitement moyen
des cinq dernières années jusqu'à un maximum de 5,000 fr. 3.
443. Suède et Norwège Jusqu'à 1860 les lois pu-
nissaient de la confiscation, de l'exil et de l'amende ceux qui
professaient une religion autre que là doctrine évangélique.
Cette année le roi, conformément aux votes émis par les quatre
ordres dans la session précédente, rendit deux ordonnances
(23 octobre 1860) qui abrogeaient ces dispositions barbares.
La liberté religieuse n'existe pas encore en Suède puisque tous
les cultes, autres que la religion évangélique, sont soumis à
l'autorisation préalable du roi; ce qui constitue l'amélioration
résultant des ordonnances nouvelles, c'est que la permission
royale n'est plus contraire aux lois, et que tout culte autorisé
peut être publiquement professé.
Cette liberté est cependant limitée par une disposition qui a
pour but de protéger la religion officielle. Les adhérents des
cultes autorisés n'ont pas le droit de formuler publiquement des
maximes contraires à la pure doctrine évangélique, sous peine
d'une amende de 50 à 300 rixdales ou d'un emprisonnement
d'un mois à un an; la même peine est applicable à ceux qui,
sans les formuler publiquement, répandraient des maximes
hétérodoxes " avec l'intention d'égarer les adhérents à la re-

1 Dictionnaire de droit administratif, V° Appel comme d'abus, t. Ier, p. 61.


2 Art. 117 de la Constitution du 7 février 1831.

3 Lois des 23 juillet 1844 et 17 février 1849. V. Havard, Éléments de



droit administratif belge, t. I, p. 37 et 76 et t. II, p. 66.
330 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.
ligion de l'État. » Lorsque la Constitution de Suède a été mo-
difiée en 1866, les non protestants étaient inéligibles au Riks-
dag. L'article 26 de la loi organique du Riksdag, du 22 juin
1866 a reproduit cette incapacité qui n'a été effacée que par
une loi de 1870 1
41441. Russie. — Le principe de la liberté est inscrit dans
es lois fondamentales de l'Empire, mais comme toutes les
lois sont, dans ce pays, subordonnées à la volonté du czar,
ce droit dépend du caractère plus ou moins libéral du mo-
narque. Les luthériens, les musulmans et les païens jouissent
d'une complète liberté de conscience; les catholiques romains
exercent librement leur culte, mais ont, par intervalles, à subir
des actes d'intolérance; les israélites sont privés des droits
civiques dont jouissent tous les sujets russes, même les païens,
et il n'y a pas longtemps qu'un ukase les a dispensés de porter
un costume spécial; le culte de l'Église orientale est interdit
et ses adhérents ne peuvent le pratiquer secrètement qu'en
payant la police. On a même vu, sous le règne du czar Nicolas,
cinq millions de Grecs unis, catholiques et romains apparte-
nant à l'Église orientale obligés d'embrasser le symbole de
la religion grecque 2. La statistique religieuse montre cepen-
dant que la tolérance n'est pas pratiquée trop étroitement en

1 Dareste, Constitutions, t. I, p. 141.


2 La vérité sur la Russie, par le prince Dolgoroukow, p. 255 et Vivien,
Études administratives, t. II, p. 257. Svod, livre Ier, Impartie.
« Art. 40. La religion qui tient le premier rang et qui domine dans l'em-
pire de Russie est la religion chrétienne orthodoxe catholique orientale.
« Art. 41. L'Empereur régnant sur le trône de toutes les Russies ne peut
pas appartenir à une religion autre que la religion orthodoxe.
« Art. 42. L'Empereur, en qualité de prince chrétien, est le souverain dé-
fenseur et le protecteur des dogmes de la religion dominante, en même
temps que le gardien de l'orthodoxie et de la discipline sacrée dans l'É-
glise.
« Art. 43. Il exerce le pouvoir ecclésiastique autocratique avec l'aide du
très-saint-synode dirigeant nommé par lui.
« Art. 44. Tous les sujets de l'Empire russe qui n'appartiennent pas à la
religion dominante, nationaux ou naturalisés, de même que les étrangers
au service de la Russie ou en révidence temporaire en Russie, jouissent
APPEL COMME D'ABUS. 331
Russie. On y compte 53 millions d'orthodoxes grecs et environ
7 millions de catholiques, plus 2 millions et demi de protestants
avec un nombre à peu près égal d'israélites.
La religion nationale est gouvernée par le Saint-Synode,
composé de membres de droit et de membres désignés par l'em-
pereur. Les candidats aux fonctions ecclésiastiques sont pré-
sentés par le Saint-Synode et nommés par l'empereur. Même
les décisions générales du Saint-Synode ne sont définitives
qu'en vertu de l'approbation impériale.
445. Angleterre. — Depuis l'acte d'émancipation de
1829, la position légale du catholicisme en Angleterre est
celle d'une religion autorisée, mais non reconnue par l'État.
Comme l'anglicanisme est la religion officielle et que le gou-
vernement et ses adhérents admettent qu'elle est le véritable
catholicisme, le pouvoir temporel ne reconnaît pas le catholi-
cisme romain. Les archevêques et les évêques d'Irlande n'ont
eux-mêmes aucune existence légale, et quoiqu'ils soient les
pasteurs de la grande majorité du pays, l'anglicanisme est la
religion officielle même pour cette partie du Royaume-Uni.
La sortie des processions est interdite parce qu'elles sont
contraires à l'ordre public et que, d'un autre côté, elles sont
pour la majorité des habitants une occasion de scandale et
de contrariété [scandal and annoyance) 1. Il est aussi défendu
aux prêtres catholiques de paraître en public avec le costume
chacun en tous lieux du libre exercice de leur religion et des cérémonies
particulières de leur culte.
"
Art. 45. La liberté religieuse n'appartient pas seulement aux chrétiens de
confessions étrangères, mais encore aux juifs, aux mahométans et aux
païens : afin que tous les peuples qui habitent la Russie puissent glorifier
le Dieu Tout-Puissant dans leurs différentes langues, dans la religion et le
culte de leurs pères, en bénissant l'autorité des monarques russes, et en
priant le Créateur de l'univers pour la prospérité croissante et l'affermisse-
ment de l'Empire.
« Art. 46. Les affaires ecclésiastiques des chrétiens de confessions étran-
gères et des non-chrétiens dans l'Empire russe sont administrées par les
chefs spirituels des différents cultes et par les autorités particulières, insti-
tuées à cet effet par le pouvoir suprême. » (Dareste, Constitutions, t. II,
p. 251-252.)
1 Proclamation du 15 juillet 1852.
332 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

de leur fonction, sous peine d'une amende de 50 livres ster-


ling. Les moines et les jésuites étrangers ne peuvent résider
dans le Royaume-Uni qu'avec une autorisation de séjour,
et la permission, quand elle leur est accordée, est révocable
à volonté. Le moine étranger qui s'établirait en Angleterre,
sans autorisation, tomberait sous le coup de la loi pénale
et pourrait, indépendamment des peines édictées pour ce cas,
être frappé d'un bannissement perpétuel. Le jésuite ou le moine,
même lorsqu'ils sont autorisés à résider, sont punissables pour
avoir admis dans leur ordre un sujet de la Couronne; celui
qui a été reçu dans leur ordre peut également être banni, et
en cas de rupture de ban dans les trois mois qui suivent la
condamnation, être transporté pour toute sa vie. Ces disposi-
tions ne s'appliquent pas aux ordres de femmes, " Ajoutons,
dit Ed. Fischel, que généralement éludées clans la pratique,
ce sont des armes sans tranchant, en l'absence de toute police
secrète 1. »
Jusqu'à 1836, les mariages des dissidents et des catholiques
ne pouvaient, à peine de nullité, être célébrés que dans les
églises de la religion officielle, et tout ce que l'esprit de tolé-
rance avait pu obtenir de l'autorité ecclésiastique se réduisait
à des dispenses, qui devaient être demandées à l'archevêque
de Cantorbéry. En 1836, cette obligation fut rendue inutile
par la loi qui institua le mariage civil. Ceux qui n'appartien-
nent pas à la religion anglicane ont la faculté de se marier sui-
vant les rites de leur culte et dans l'édifice religieux où il est
célébré; mais, en ce cas, il faut appeler à la cérémonie un
officier de l'état civil (Registrar) et deux témoins. Lorsqu'on
ne veut pas s'adresser à l'autorité spirituelle ni anglicane, ni
dissidente, ni catholique, on peut se borner à contracter un
mariage civil devant le Registrar et deux témoins. Tous les
trois mois, chaque Registrar transmet les actes de mariage au
Superintendent de district et celui-ci les adresse au Registrar
gênerai, qui les centralise à Londres 2.
1 E. Fischel, t. I, p. 130 (trad. parVogel).
3 Glasson, Histoire du droit et des institutions de l'Angleterre, t. VI,
p.
162 et suiv.
APPEL COMME D'ABUS. 333
Au point de vue politique les catholiques sont assimilés
,
aux anglicans, sauf quelques dispositions exceptionnelles qui
les excluent du trône, des places déjuges dans les trois Cours
de Westminster, des fonctions de premier lord de la Trésorerie,
de lord-chancelier, de lord-garde du sceau, de lord-lieutenant
et de deputy pour l'Irlande et de commissaire de l'Église d'E-
cosse. A part ces exceptions, les catholiques romains sont, d'a-
près l'acte d'émancipation, admissibles à tous les emplois publics
et ont, en particulier, le droit d'élire et d'être élus à la Chambre
des communes; cependant les prêtres catholiques ne sont pas
éligibles.
Il appartient aux catholiques de présenter aux bénéfices
vacants, lorsqu'ils ont acquis le droit de présentation par pos-
session ou tout autre mode légitime d'acquérir; la différence
de religion s'oppose cependant à ce qu'ils exercent ce droit
dont ils n'ont que la jouissance, et la présentation est faite
au nom du titulaire catholique par l'archevêque de Can-
torbéry.
Avant 1688, les dissidents étaient traités aussi rigoureuse-
ment que les catholiques. Après la Révolution, la législation
s'est peu à peu adoucie à leur égard, et ils ont fini par con-
quérir l'isonomie. Ce progrès a été lent, et sa réalisation défi-
nitive ne date que du règne de Victoria 1. Les dissidents ne
peuvent célébrer leur culte que publiquement, la loi prohibant
les pratiques à huis-clos; ils ne sont pas tenus de déclarer et
faire enregistrer leurs temples, mais la loi attache à la déclara-
tion et à l'enregistrement quelques avantages, tels que l'exemp-
tion pour les ministres dissidents du service du jury.
La loi respecte la liberté religieuse des quakers en leur
permettant de remplacer le serment par une affirmation so-
lennelle.
Les juifs peuvent, depuis Cromwell qui leur permit de re-
venir en Angleterre, librement pratiquer leur culte. La formule
du serment que doivent prêter les membres du Parlement les
excluait des deux Chambres à cause des mots : sur la vraie

7 et 8 Victoria, c. 102, et 9 et 10, c. 59.


334 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.
foi d'un chrétien (upon the true faith of a Christian) que des
»
juifs ne peuvent prononcer qu'en niant leur croyance. Cette
incapacité n'a été levée que par une loi du règne de Victoria 1
en vertu de laquelle les deux Chambres peuvent dispenser les
juifs de la partie du serment inconciliable avec leur religion 2.
La même loi déclare les juifs exclus des fonctions auxquelles
les catholiques ne sont pas admissibles. Pas plus que les ca-
tholiques romains, les israélites ne peuvent exercer le droit
de présentation aux bénéfices ecclésiastiques de l'Église an-
glicane, et lorsqu'ils ont acquis la jouissance du droit, la pré-
sentation est faite en leur nom par l'archevêque de Cantorbéry.
Ces progrès de l'esprit de tolérance n'ont en rien diminué la
situation de l'Église officielle qui demeure toujours non-seu-
lement la religion de l'État, la religion dominante, mais encore
à peu près la seule qui soit reconnue. Avant les innovations
qui ont consacré la liberté religieuse en Angleterre, la loi
reconnaissait les cultes autres que l'anglicanisme pour les res-
treindre ou les persécuter; aujourd'hui, elle les ignore et ne
s'en occupe ni pour les favoriser ni pour les opprimer.
Le caractère principal de la réformation en Angleterre con-
siste dans la séparation d'avec Rome et dans l'autorité du roi
en matière religieuse. Le pape, que la profession de foi an-
glicane (39 articles) appelle l'évêque de Rome, n'a aucune
juridiction dans le Royaume-Uni, et lorsqu'il y a quelques
années, une bulle du Saint-Siège divisa le pays en diocèses,
un cri universel de " no popery » s'éleva dans tout le royaume.
Le Parlement, pour répondre au sentiment public, vota un bill
qui avait pour objet de réprimer ces entreprises et de punir
1 21 et 22 Victoria, c. 49.
2
« L'opiniâtreté de l'opposition
contre l'admission des juifs au Parlement
avait une raison secrète en partie. On craignait que, par suite de l'abolition
de tout serment confessionnel, de riches mahométans et hindous des Indes
Orientales ne vinssent à se frayer aussi l'accès du Parlement, par l'emploi
des moyens de corruption. C'est pourquoi la dispense du serment « sur la
vraie foi d'un chrétien » est demeurée subordonnée, pour chaque cas d'é-
lection d'un juif, à une résolution spéciale de la Chambre. Ainsi ni maho-
métans ni hindous ne peuvent entrer au Parlement. » (Ed. Fischel, trad.
par Vogel, t. I, p. 137, note 2.)
APPEL COMME D'ABUS. 335

ceux qui les seconderaient. D'après les dispositions de cette


loi (papal aggression Bill), les évêques et archevêques catho-
liques ne peuvent pas prendre le titre d'évêque d'un diocèse
anglican ou de la circonscription totale ou partielle qui en dé-
pend. C'est pour obéir aux termes de cette loi que le cardinal
Wiseman, au lieu de s'appeler archevêque de Westminster,
ce qui aurait été une contravention, s'intitula archevêque à
Westminster ou dans Westminster, par une tournure qui suffit
pour satisfaire le formalisme anglais, et rappelle le titre de roi
en Prusse que prit l'électeur de Brandebourg avant la constitu-
tion de son royaume.
Au point de vue du dogme, de la discipline, de la hiérarchie
et de la liturgie, l'anglicanisme se rapproche beaucoup du
catholicisme romain. Le statut d'Henri VIII, qui abroge la
juridiction du pape 1, maintient expressément les canons et
ordonnances qui ne sont pas contraires aux lois et coutumes du
royaume ni aux prérogatives de la couronne ; il conserve aussi
des doctrines romaines celles dont le maintien est compatible
avec la législation et les institutions du pays.
Il existe cependant plusieurs différences entre l'Église an-
glicane et l'Église romaine, et voici en quoi elles consistent
principalement : 1° la liturgie du catholicisme emploie la langue
latine, tandis que la liturgie anglicane se sert de la langue
nationale ; 2° le culte des saints, de la Vierge et des images
n'est pas admis par les anglicans ; 3° la confession auriculaire
n'a pas été formellement supprimée, mais elle n'est plus en
usage; 4° les anglicans n'admettent pas la présence réelle du
Christ dans la communion ; 5° le célibat des prêtres n'est obli-
gatoire que dans un cas; les bénéficiaires des collèges (fellows)
sont seuls soumis à cette loi, mais ils peuvent se marier à la
condition de quitter le collège ; 6° quant aux sacrements, l'ar-
ticle 35 de la profession de foi n'a conservé que le baptême et
la communion.
Les principes fondamentaux de l'Église anglicane ont été
formulés dans les trente-neuf articles qui furent arrêtés par un

25 Henri VIII, c. 19, 20 et 21.


336 DROIT, PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

concile tenu sous Elisabeth. Après avoir été reproduits dans


les constitutions et canons de 1603, sous Jacques Ior, ils ont
été déclarés lois de l'État par un acte spécial du Parlement 1,
et d'après l'acte d'uniformité, aucun changement n'y peut
être fait que par le roi en parlement.
Lorsqu'ils étaient poursuivis devant les tribunaux ordinaire s,
les clercs pouvaient autrefois être réclamés par le supérieur
ecclésiastique qui évoquait l'affaire et punissait le coupable de
peines canoniques. Ce bénéfice, appelé benefit of the Clergy,
avait été fort étendu par l'Église, et les évêques avaient, en
plusieurs circonstances, évoqué les causes des laïques. Les
juges examinaient, à la vérité, si réellement l'accusé avait la
qualité qu'il s'attribuait; mais à quels caractères pouvait-on
reconnaître que le prévenu était clerc ou laïque? La règle qui
avait été établie à ce sujet était de nature à favoriser l'extension
du privilège; car, pour être admis à jouir de cette immunité,
il suffisait de prouver qu'on savait lire un passage des Psaumes,
ordinairement le verset Miserere mei, Deus; c'est de cette sin-
gulière façon de prouver la qualité de clerc qu'est venue la
locution : legit ut clericus. En 1827, un acte de Georges IV a
supprimé le bénéfice des clercs 2.
Les clercs ne sont pas dispensés des contributions publiques ;
participant aux élections des députés à la Chambre des com-
munes, ils consentent les impôts établis par le Parlement et
acquittent les taxes à l'établissement desquelles ils peuvent
concourir. Mais ils ne sont pas obligés d'accepter des fonctions
honoraires, celles de juré par exemple. Il leur est interdit de

se livrer au commerce, à l'industrie et à l'agriculture indus-
trielle.
L'Angleterre est partagée en deux provinces ecclésiastiques
ou archevêchés, York et Cantorbéry. La province d'York se
divise en six diocèses et celle de Cantorbéry en vingt et un.
Les archevêques et les évêques sont, en droit, nommés par
le doyen et le chapitre de la cathédrale, mais en fait par la

1 13 Elisabeth, c. 12.
2 Act. 7 et 8, George IV, c. 27 et 28.
APPEL COMME D'ABUS. 337

couronne. En cas de vacance, le roi envoie au chapitre un


« congé d'élire » et en même temps la désignation du candidat.
Si le candidat n'est pas nommé dans les douze jours qui sui-
vent, le roi fait la nomination qui est notifiée, lorsqu'il s'agit
d'un évêque, à l'archevêque de la province ; à l'autre archevê-
que et à deux évêques pour la nomination d'un archevêque.
L'archevêque de Cantorbéry est primat et métropolitain de
toute l'Angleterre, tandis que celui d'York n'est que primat
d'Angleterre ; il a pour doyen (provincial Dean) l'évêque de
Londres; pour chancelier, l'évêque de Winchester; pour vice-
chancelier, l'évêque de Lincoln ; pour chantre (praecentor), l'é-
vêque de Salisbury; pour chapelain, l'évêque de Worcester ;
l'évêque de Rochester porte la croix devant lui. L'archevêque
de Cantorbéry prend rang après les princes du sang et marche
avant tous les dignitaires de l'État. Il signe : Archevêque par
la divine Providence, tandis que les évêques ne mettent que :
par la permission divine. Son titre est conçu en ces termes :
Sa Grâce et très révérend père en Dieu 1. On dit de l'arche-
vêque de Cantorbéry qu'il a été intronisé, tandis que pour un
évêque on emploie le mot installation. C'est l'archevêque de
Cantorbéry qui couronne les rois et les reines régnantes. Les
reines qui ne sont que femme de roi sont couronnées par
l'archevêque d'York.
L'archevêque d'York est le second personnage ecclésias-
tique; comme celui de Cantorbéry, il signe avec les mots : par
la Providence divine, porte le titre de : Grâce et très révérend
père en Dieu, et jouit du droit d'avoir huit chapelains 2; on
dit de lui, comme de l'archevêque de Cantorbéry, qu'il est
intronisé; il est primat d'Angleterre, mais non de toute l'An-
gleterre comme celui de Cantorbéry; dans l'ordre des préséances,
il vient immédiatement après le lord chancelier du royaume.
Les évoques portent le titre de " très révérend père en Dieu »
(Right reverend father in God); ils prennent rang après les
vicomtes; ils ont tous la capacité voulue pour siéger dans la

1His Grace and most reverend father in God.


2 Les ducs n'en peuvent avoir
que six.
B. — II 22
338 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

Chambre haute sans autre condition que la prestation de ser-


ment. Une exception cependant est faite en ce qui concerne
le dernier nommé; il ne siège pas à moins qu'il ne soit appelé
à l'un des trois sièges de Londres, Durham ou Winchester.
L'évêque dernier nommé est temporairement exclu jusqu'à ce
qu'il soit pourvu à une autre vacance, à moins que le siège
nouvellement pourvu ne soit un des trois évêchés dont les titu-
laires sont appelés à siéger, fussent-ils les derniers nommés.
Les archevêques et évêques ne sont pas considérés comme des
pairs; spécialement, en ce qui concerne la compétence de la
Chambre des lords, elle ne leur est pas applicable et, en cas
de félonie, les évêques sont jugés par les tribunaux ordinaires.
Chaque évêque est assisté d'un chapitre à la tête duquel est
un doyen (Dean) qui marche immédiatement après l'évêque.
Les doyens sont nommés par lettres patentes, sous le grand
sceau. La nomination des chanoines est faite en partie par élec-
tion, en partie par le roi ou l'évêque. Ainsi que nous l'avons
déjà dit, le chapitre a le droit nominal de choisir l'évêque; ses
attributions effectives consistent à donner des avis sur certains
actes, tels que les baux à ferme et les nominations aux emplois.
Le doyenné (le doyen et son chapitre) est une personne morale
capable d'acquérir.
L'Angleterre est divisée en un grand nombre de paroisses
(parishes), dans chacune desquelles se trouve une église pa-
roissiale avec un recteur pourvu d'un bénéfice. Ce recteur,
appelé parson, a pendant toute sa vie la jouissance et l'exercice
des droits attachés à son bénéfice, la libre possession du pres-
bytère et des terres en dépendant, les dîmes et autres droits.
Lorsque les droits inhérents au bénéfice appartiennent à une
corporation, celle-ci charge un vicaire de remplir la fonction
ecclésiastique. Souvent aussi les recteurs ou parsons se font
suppléer par des vicaires et des curates qui sont fort mal ré-
tribués, et dont la condition rappelle celle de nos anciens curés
congruisies 1, mot qui est devenu, chez nous, proverbial pour

1 On appelait congrue, sous l'ancien régime en France, la portion conve-


nable (partent, congruentem) que les titulaires de bénéfices avec obligation de
APPEL COMME D'ABUS. 339
désigner le strict nécessaire voisin de l'indigence. Le traitement
des curates peut être fixé par l'évêque entre 80 et 150 livres
sterling.
La nomination aux bénéfices est faite par le patron de la
paroisse qui a le droit de présenter un titulaire à l'évêque;
celui-ci peut rejeter la présentation en se fondant sur ce que
le candidat est excommunié, bâtard, banni, étranger, mineur,
illettré, hérétique ou schismatique. En cas d'opposition de
l'évêque pour un ou plusieurs de ces motifs, le patron a le
droit de faire statuer sur la validité de l'opposition par une des
cours du royaume. Le patronat peut appartenir aux étrangers
comme aux nationaux, aux juifs, aux catholiques, aux dissi-
dents comme aux adhérents de la religion anglicane. Mais si la
jouissance du droit n'est pas incompatible avec la qualité
d'étranger, d'hérétique ou de schismatique, il en est autrement
de l'exercice. Nous avons déjà vu que pour les juifs et les
catholiques le patronat est exercé par l'archevêque de Cantor-
béry; si le patron est étranger, c'est la Couronne qui présente
en son lieu et place.
Le roi, le lord-chancelier, le prince de Galles, les membres
du haut clergé et les chapitres ont un certain nombre de bé-
néfices soumis à leur patronage; la reine exerce ce droit sur
la proposition du premier ministre, et c'est pour cela que le
premier lord de la trésorerie ne doit pas appartenir à la reli-
gion catholique romaine. Le nombre de grands bénéfices placés
sous le patronat de la couronne s'élève à environ 950; 700
autres, moins importants, sont directement pourvus par la pré-
sentation du premier ministre, en vertu d'une délégation du
roi auquel il n'est pas tenu d'en référer 1.
Indépendamment du patronat exercé par le roi ou les hauts
personnages dont nous venons de parler, on compte en Angle-

service religieux, devaient laisser aux ecclésiastiques qui étaient chargés


par le titulaire de faire le service. Les rois avaient dû par des ordonnances
fixer cette portion dont le minimum fut d'abord de 500 livres, puis porté
à 700.
1 Rudolf Gneist, Das heutige englische Verfassungs-und-Verwaltungs-
Retht, t. I, p. 333.
340 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

terre 3,850 lords, ladies, baronnets, prêtres et gentlemen qui


ont des droits analogues. C'est par là que l'Église est intime-
ment liée aux intérêts des hautes classes, et ainsi se réalise en
matière ecclésiastique, le principe essentiellement aristocra-
tique du gouvernement britannique 1.
L'Église avait autrefois ses réunions particulières, et c'est
dans ces assemblées que les représentants du clergé s'impo-
saient en vertu d'une autonomie semblable à celle de notre
clergé qui, avant 1789, ne participait aux dépenses de l'État
que par des dons gratuits. L'autonomie en matière de taxes a
été abrogée en 1664, et aujourd'hui le clergé participe aux
élections et aux dépenses publiques, conformément au droit
commun.
Les assemblées du clergé n'ont cependant pas cessé de se
réunir, et dans chacune des deux provinces ecclésiastiques, elles
tiennent des séances annuelles. La tradition et la coutume sont
tellement puissantes dans ce pays, qu'elles y conservent les
institutions, même quand ces institutions sont devenues sans
objet; en droit, les assemblées d'York et de Cantorbéry pour-
raient délibérer comme conciles provinciaux, sous l'approba-
tion royale ; mais cette attribution est de fait tombée en désué-
tude; ces assemblées se bornent à voter des adresses de
compliments ou de condoléance au souverain et ne se réunis-
sent que pour la forme. Lorsqu'il y a dix ans, lord Redesdale
a essayé de réveiller cette institution, il a trouvé, au premier
rang des adversaires de sa proposition, l'archevêque de Can-
torbéry lui-même. Néanmoins les assemblées du clergé font
partie de la constitution anglaise, et bien qu'elle paraisse
éteinte, cette institution pourrait reprendre une importance
qu'elle a perdue; comme l'a fait remarquer Burke, il suffirait
d'une occasion favorable pour lui rendre l'activité 2.
L'assemblée du clergé est constituée sur le modèle du Par-
lement et se divise en deux Chambres. Dans la Chambre haute
siègent, sous la présidence de l'archevêque, tous les évêques

1 Eduard Fischel, Die Verfassung Englands, p. 67-79 et 171-189.


2 Letter to the sheriffs of Bristol.
APPEL COMME D'ABUS. 341
de la province. La deuxième Chambre se compose des doyens,
des archidiacres et des représentants envoyés par les chapitres
et par le reste du clergé.
416. Allemagne. — L'influence des idées françaises,
pendant l'occupation du pays par nos armées, fut très favo-
rable au progrès de la liberté religieuse en Allemagne. Une
clause expresse de la confédération du Rhin obligea tous les
princes, qui en faisaient partie, à donner à leurs sujets catho-
liques une entière isonomie, et plusieurs des confédérés, dé-
passant les termes de la stipulation, accordèrent l'égalité des
droits à toutes les confessions. Aussi lorsque la Constitution de
la confédération germanique, en 1815, posa le principe que les
membres des confessions chrétiennes reconnues par le traité de
Westphalie jouiraient des mêmes droits politiques et civils 1,
elle ne fit qu'étendre à tous les États une disposition qui avait
déjà été adoptée par plusieurs d'entre eux.
Depuis 1815, la plupart des Constitutions ont expressément
reconnu le principe de la liberté religieuse ; on trouve des dispo-
sitions presque identiquement, formulées dans les Constitutions
de Bavière 2, de Bade 3, de Wurtemberg du grand-duché de
4
Hesse 6 et de Saxe 6.
Ces dispositions ne garantissaient que la liberté religieuse de
l'individu et ne s'appliquaient pas à la profession extérieure
domestique ou publique du culte. Dans les mêmes Constitutions
où la liberté de conscience était proclamée, on rencontrait d'au-
tres dispositions qui soumettaient le culte public à l'autorisation
du gouvernement, L'édit de religion en Bavière 1, en Hanovre
les Constitutions de 1833 et de 1840 et la Constitution de Saxe
exigeaient formellement l'autorisation préalable pour la profes-
sion publique des cultes non reconnus. Depuis 1849, au con-

1 Art. 16, § ler de la Constitution de 1815.


2 Constitution de Bavière, tit. IV, § 9.

3 Constitution de 1818, § 18.

4 Constitution de 1819, § 27.

6 Constitution de 1820, § 22.

5 Constitution de 1831, § 32.

7 Édit, § 3.
342 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.
traire, un régime plus libéral tend à s'établir en Allemagne ;
la Constitution de l'Empire germanique votée par le Parlement
de Francfort garantissait non-seulement la liberté de conscience,
mais encore la liberté des cultes.
En Prusse, la Constitution du 31 janvier 1850, après avoir
posé dans l'article 12, en termes généraux, la liberté de cons-
cience et le droit de se réunir pour l'exercice public ou privé
du culte 1 , consacra l'indépendance des confessions par deux dis-
positions qu'il est important de citer en entier.
" Art. 15. Les églises évangélique et catholique romaine et
toutes les autres communautés religieuses administrent leurs
affaires d'une façon indépendante et demeurent en la possession
et jouissance des établissements, fondations et fonds destinés
aux besoins du culte, de l'enseignement et des oeuvres de bien-
faisance.
" Art. 18. Le droit de nomination, présentation, choix et con-
firmation pour la collation des emplois ecclésiastiques, en tant
qu'il appartient à l'État et ne repose pas sur un droit de patro-
nage ou sur des titres juridiques particuliers, est supprimé 2. »
La Prusse fit, pendant une vingtaine d'années, l'épreuve
de ce régime libéral et une paix complète, au point de vue
religieux, régna dans le pays. Catholiques et protestants, or-
thodoxes ou dissidents, furent unis sur la question des in-
térêts de leur patrie et tous, pendant la guerre de 1870,
montrèrent un patriotisme égal au succès des armes de l'Allema-
gne. Mais peu de temps après la conclusion de la paix, un
conflit éclata entre le gouvernement et les évêques catholiques.
Un professeur du séminaire catholique de Braunsberg ayant
protesté contre le dogme de l'infaillibilité du pape, son évêque
le frappa d'excommunication, ce qui devait entraîner son ex-
clusion de l'enseignement. Le Gouvernement contesta le droit
au supérieur ecclésiastique de toucher à un fonctionnaire ré-
1 Constitution du 31 janvier 1850, art. 12. « Die Freiheit des religiösen
Bekenntnisses, der Vereinigung zu Religionsgesellschaften und der gemein-
samen haüslichen und offentlichen Religionsübung wird gewährleistet. »
- Le droit de
l'État était seulement maintenu pour les ecclésiastiques em-
ployés dans l'armée ou dans les établissements publics.
APPEL COMME D'ABUS. 343
tribué sur les fonds de l'État et, les hostilités commencées, prit
plusieurs mesures qui mécontentèrent profondément l'épiscopat.
La division du culte catholique à l'administration centrale fut
supprimée, ce qui privait les catholiques d'une représentation
permanente auprès du Gouvernement; une loi fut présentée et
votée, qui avait pour objet la répression des abus de la pré-
dication; une autre loi organisa l'inspection des écoles; le
Reichstag vota à une grande majorité l'expulsion de l' ordre
des Jésuites; enfin, le 8 janvier 1873, le Gouvernement pré-
senta à la Chambre des députés plusieurs projets de loi qui
furent votés à peu de jours d'intervalle et qui, portant presque
la même date, ont été désignées sous le nom commun à toutes
de lois de mai.
Les députés catholiques ne manquèrent pas de faire observer
que ces projets étaient en opposition avec les articles 15 et
18 de la Constitution. L'objection ayant paru fondée, on fit
pour la lever une première loi qui modifiait les disposition cons-
titutionnelles. Après avoir posé en principe l'indépendance des
confessions évangélique, catholique ou autres, le nouvel ar-
ticle ajoutait : " Mais elles sont soumises aux lois de l'État et à
sa surveillance telle qu'elle est organisée par la loi. » L'article
18, après avoir maintenu la suppression du droit de nomination
par l'État, ajoutait : " La loi règle d'ailleurs les droits de l'État
touchant la préparation, la nomination et la révocation des
ecclésiastiques et serviteurs de l'Église et fixe les limites du
pouvoir disciplinaire de l'Église. » Ces changements avaient
pour conséquence de faire passer dans le domaine de la loi ce
qui auparavant était protégé par des dispositions constitution-
nelles 1. Cette loi, 5 avril 1873, permit de faire les lois de mai

1 Ces articles ont été depuis abrogés purement et simplement par la loi du
18 juin 1875. Pour être nommé à un emploi ecclésiastique, il fallait, d'après
cette loi, être Allemand, avoir subi l'examen de sortie d'un gymnase alle-
mand, ce qui correspond chez nous à l'enseignement secondaire des lycées,
avoir fait trois ans d'études dans une Université de l'État et avoir satisfait à
un examen officiel scientifique. Les établissements destinés à la préparation
des ministres du culte ou séminaires étaient soumis à la surveillance de
l'Etat; les programmes d'études devaient être communiqués au président
344 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

dont la première et la plus importante, portant la date du 11


mai 1873, avait pour objet la nomination aux emplois ecclé-
siastiques. La loi donnait au gouvernement le droit de faire
opposition aux nominations qui ne seraient pas conformes aux
conditions qu'elle exigeait.
L'opposition n'était cependant pas sans recours ; elle pouvait,
dans les trente jours, être frappée d'appel devant la cour ecclé-
siastique, et, en attendant que cette juridiction spéciale fût
organisée devant le ministre des affaires ecclésiastiques.
Quant à la nomination à des fonctions ecclésiastiques dont
les titulaires peuvent être révoqués à volonté, elle était subor-
donnée à l'assentiment du ministre (art. 19).
Le 12 mai fut promulguée la loi relative au pouvoir disci-
plinaire de l'Église et portant création d'une cour ecclésiastique.
Cette cour était compétente pour juger les appels contre les
oppositions aux nominations et aussi pour exercer le pouvoir
disciplinaire clans les circonstances graves que prévoyait l'ar-
ticle 24, le plus important de la loi, celui qui lui donnait son
vrai caractère politique.
" Art. 24. Les ecclésiastiques qui violent les lois de l'État si
ouvertement que leur maintien est incompatible avec l'ordre
public peuvent, sur la demande de l'autorité, être relevés de
leur fonction par décision judiciaire. — Cette mesure entraînera
l'incapacité juridique d'exercer la fonction, la perte du traite-
ment et la vacance de l'emploi 1. »

supérieur de la province et les portes constamment s'ouvrir pour les inspec-


tions de l'autorité civile (art. 4 et 9 de la loi du 11 mai 1873). Mais la dis-
position la plus grave, sans contredit, était écrite dans l'article 10 : " Ne
peuvent être nommés professeurs ou censeurs dans ces établissements que
les candidats à la nomination desquels le Gouvernement n'aura pas fait oppo-
sition. » Un article, complément naturel de celui-là, obligeait le supérieur
ecclésiastique à faire connaître le nom du candidat au président supérieur de
la province, et celui-ci pouvait faire opposition à la nomination. Parmi les
causes d'opposition, il en était une qui prêtait à l'arbitraire : « Quand il
existe, disait l'article 16, § 3, contre le candidat des faits qui autorisent à
penser qu'il n'observera pas les lois de l'État ou qu'il troublera l'ordre pu-
blic. »
1 La cour ecclésiastique se compose de onze membres. Elle peut appliquer
APPEL COMME D'ABUS. 345
Les lois de mai ne se bornèrent pas à donner au Gouverne-
ment une part du pouvoir disciplinaire sur les ecclésiastiques;
elles réglèrent aussi le pouvoir disciplinaire du supérieur sur les
ministres du culte ses subordonnés. Ainsi la loi du 13 mai 1873
fit défense aux sociétés religieuses de prononcer des peines
autres que la privation des avantages religieux : « Les moyens
de punition et de correction corporels, frappant la fortune ou
la liberté de l'homme, leur sont interdits. » Cette loi (art.
2 et 4) défendait d'employer même les punitions d'un caractère
purement religieux contre les actes auxquels l'ecclésiastique
était obligé par les lois ou les règlements ou pour l'exercice
dans un sens déterminé de ses droits électoraux1.
Les évêques n'obéirent pas aux lois de mai et continuèrent à
faire des nominations sans exiger les conditions prescrites par
les nouvelles dispositions. Les évêques de Posen et de Cologne
furent traduits devant les tribunaux. Mais, condamnés à l'a-
mende, ils laissèrent saisir leur mobilier; condamnés à la pri-
son, ils nommèrent des administrateurs prêts à imiter leur
exemple. Pour venir à bout de cette résistance, il fallut faire
une nouvelle loi, qui fut promulguée le 4 mai 1874. Cette
loi permettait d'interdire ou de désigner, par un arrêté de po-
lice aux ecclésiastiques réfractaires des arrondissements ou
,
lieux déterminés. Si l'arrêté de police était violé, le contre-
venant pouvait être éloigné du territoire de la confédération
et même déclaré déchu de sa nationalité 2. Cette condamnation
n'était cependant pas sans appel; elle pouvait, clans les huit
jours, être attaquée devant la cour ecclésiastique, s'il en exis-

l'amende de 30 thalers ou d'un mois de traitement, si le traitement mensuel


est supérieur à 30 thalers.
1 Voir Annuaire de la Société de législation comparée, 1873,
p. 137 et
suivantes.
2
« Art. 1er. Si un ecclésiastique ou ministre du culte, relevé de ses fonc-
tions par une décision judiciaire, fait un acte qui impliquerait de sa part
l'intention de continuer à remplir les fonctions dont il a été relevé, la police
de l'Etat peut lui interdire ou lui prescrire de résider dans des districts ou
des lieux déterminés. l'arrêté de police
— Si l'ecclésiastique contrevient à
pris contre lui, il peut être déclaré déchu de sa nationalité par l'autorité
centrale et expulsé du territoire de la confédération. »
346 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

tait une, et, à défaut, devant le tribunal répressif le plus élevé.


« S'il est établi, dit l'article 3, qu'il n'existe dans l'espèce aucun
acte de la nature de ceux qui justifieraient la décision attaquée,
celle-ci doit être rapportée par l'autorité qui l'a prise 1. »
Une loi du 22 avril 1875 suspendit tous les crédits affectés,
sur les fonds de l'État, aux évêchés, aux institutions qui en
dépendent et aux ecclésiastiques, et sous cette expression géné-
rale de fonds de l'État se trouvaient compris même les fonds
spéciaux qui, n'appartenant pas à l'État, étaient placés sous
son administration permanente. Mais la même loi faisait, dans
l'article 2, une exception à cette suspension des crédits qui
montrent bien le but de ces dispositions : « La suspension cesse
d'avoir effet lorsque l'évêque s'engage par écrit à obéir aux
lois de l'État. »
Une loi du 31 mai 1875 exclut du territoire de la Prusse
tous les ordres et toutes les congrégations de l'Église catho-
lique. Une seule exception était faite pour les ordres et con-
grégations qui se vouent exclusivement au soin des malades.
Encore cette exception n'avait-elle d'autre portée que de sous-
traire ces ordres ou congrégations à l'exclusion de plein droit.
Même les communautés qui se vouent exclusivement au soin des
malades pouvaient être expulsées par une décision spéciale;
«ils pourront toutefois, à tout moment, être supprimés par
ordonnance royale. »
Une loi du 20 juin 1875 organisa l'administration des pa-
roisses, mesure qui, plus tard, fut complétée par la loi du 7
juin 1876 sur l'administration des diocèses. — Mais l'autorité
civile ne se borna pas à fixer les règles de l'administration des
paroisses et diocèses; elle fit entre les vieux catholiques et les
nouveaux catholiques le partage des biens ecclésiastiques dans
tes paroisses où existait cette division. Le cimetière et l'église
devaient être communs; les autres biens destinés aux usages
religieux devaient se répartir proportionnellement à la popula-
tion de chacune des communions (loi du 4 juillet 1875).
L'application de ces lois pendant plusieurs années amena

1 Annuaire de la Société de législation comparée, 1874, p. 134.


APPEL COMME D'ABUS. 347
la vacance de neuf évêchés sur douze et de mille paroisses.
Le Gouvernement essaya d'abord de modifier la situation par
des négociations; mais comme elles traînaient en longueur, il
prit l'initiative d'une pacification en présentant un projet de loi
qui l'investissait de pouvoirs discrétionnaires pour appliquer
ou ne pas appliquer un certain nombre de dispositions des lois,
notamment pour dispenser les membres du clergé des an-
nées d'études universitaires, de l'examen d'État, du serment
d'obéissance aux lois de l'État ; pour réinstaller dans leurs an-
ciens diocèses les évêques destitués ; pour leur rendre le trai-
tement, etc., etc., etc. En somme, ce projet tendait à rendre
facultative l'exécution des lois de mai. Cette transformation ne
pouvait satisfaire ni les partisans du Kulturkampf, qui voyaient
dans ce projet le commencement de l'abandon, ni les catholi-
ques qui ne voulaient pas soit reconnaître implicitement les lois
de mai, soit se soumettre à la volonté arbitraire des ministres.
Aussi la loi sortit mutilée de la discussion et la discussion dura
longtemps; car le projet avait été présenté le 17 mars 1880,
et la promulgation n'eut lieu que le 14 juillet suivant. D'après
la principale disposition de cette loi, « il ne serait plus pro-
noncé à l'avenir contre les fonctionnaires ecclésiastiques que
l'incapacité de remplir la fonction. Le retrait de la capacité

entraîne la privation du traitement attaché à la fonction. » L'a-
doucissement consistait en ce que le retrait de la capacité n'en-
traînerait plus la vacance de l'emploi.
Art. 2 de la loi du 14 juillet 1880. « Dans les diocèses ca-
tholiques dont Ï'évêque a été, par décision judiciaire, déclaré
incapable de remplir ses fonctions, l'exercice des fonctions et
des droits épiscopaux peut, en vertu de l'article 1er de la loi
du 20 mai 1874, être attribué par décision du ministère d'État,
à celui qui justifie de l'investiture ecclésiastique, alors même
qu'il ne prendrait pas sous serment l'engagement de l'article 2
(c'est-à-dire le serment d'être fidèle et d'obéir au Roi et d'obser-
ver les lois de l' État).
« Dispense peut même lui être accordée de la preuve des
qualités personnelles exigées par l'article 2, à l'exception de la
qualité de sujet allemand. » L'article 2 de la loi du 20 mai 1874
348 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.
renvoie aux dispositions delà loi du 14 mai 1873, article 174. La
dispense qu'autorise la loi du 14 juillet 1880 est donc relative
aux conditions d'études et au certificat d'examen d'État que les
lois de mai exigeaient des candidats aux titres ecclésiastiques.
Art. 3 de la loi du 14 juillet 1880. « L'établissement d'un
commissaire chargé de l'administration dans les cas prévus par
l'article 2 de cette loi (loi du 20 mai 1874), ne peut avoir lieu
qu'avec l'autorisation du ministère d'État, qui demeure libre
de révoquer les commissaires en fonctions.
« Art. 4. La réintégration dans les traitements suspendus
peut, à l'exception du cas prévu par l'article 2 de la loi du 22
avril 1875, être ordonnée pour l'étendue d'un ressort par dé-
cision du ministère d'État. » L'exception est relative au cas
où la suspension cesse de droit, parce que le titulaire ecclé-
siastique a pris l'engagement par écrit d'obéir aux lois. La sus-
pension cessant de plein droit, il n'y a pas à prendre une me-
sure de faveur pour y mettre fin.
« Art. 6. Les ministres de l'intérieur et des cultes sont auto-
risés même à accorder, sauf révocation, que les com-
munautés de femmes actuellement existantes, qui s'occupent
exclusivement des malades, se consacrent subsidiairement à la
garde et à l'instruction des enfants que leur âge n'astreint pas
encore à la fréquentation des écoles. »
Le grand-duché de Bade, comme quelques autres états se-
condaires de l'Allemagne, avait été entraîné dans la lutte de la
Prusse contre le clergé. Des dispositions semblables, presque
identiques, à celles des lois de mai de la Prusse avaient exigé
des candidats aux emplois ecclésiastiques le certificat de sortie
du gymnase, trois années d'études dans une université allemande
et l'examen d'État. Le clergé ayant refusé de se soumettre à la
troisième condition, le pays fut menacé d'être privé de ministres
catholiques. La situation a été détendue par la loi du 5 mars
1880, qui a supprimé la condition de l'examen d'État et s'est
borné à exiger des candidats un certificat d'assiduité au cours
de philosophie de l'Université 1.

1 Annuaire de la Société de législation comparée, 1881, p. 119 et 166.


APPEL COMME D'ABUS. 349
En Autriche, la loi fondamentale du 21 décembre 1867 a
consacré la liberté religieuse en termes qui rappellent ceux
qu'employait la Constitution prussienne du 31 janvier 1850 :
« Art. 14. La liberté pleine et entière de religion et de cons-
cience est garantie à toute personne. — La jouissance des
droits civils et politiques est indépendante de la confession
religieuse; néanmoins, l'exercice de la liberté religieuse ne
peut, en aucun cas, nuire à l'accomplissement des devoirs
de citoyen.
« Nul ne peut être contraint à faire un acte prescrit par
l'Église ou à participer-à une solennité religieuse, à moins
qu'il ne soit soumis à l'autorité d'une personne investie de
ce droit par la loi. » (V. Loi sur les rapports confessionnels
du 3 avril 1868.)
« Art. 45. Toute Église ou société religieuse légalement re-
connue a le droit de pratiquer en commun des exercices reli-
gieux; elle règle et administre en toute indépendance des
affaires intérieures, reste en possession et jouissance des éta-
blissements fondations, et sommes destinées au culte, à l'ins-
,
truction ou à la bienfaisance; elle reste toutefois soumise,
comme toute société, aux lois de l'État.
« Art. 46. Les membres d'une confession qui n'est pas légale-
ment reconnue peuvent pratiquer les exercices religieux dans
les édifices privés, en tant qu'ils ne sont contraires ni aux lois
ni aux bonnes moeurs. »
En Bavière, la Constitution du 19 mai 1818 a également
établi la liberté religieuse, mais d'une façon moins large que
la Constitution d'Autriche.
Tit. IV, art. 9. « A tout habitant est garantie la liberté de
conscience absolue; le culte privé ne peut donc être interdit
à personne, clans quelque religion que ce soit. Les trois con-
fessions chrétiennes existantes dans le royaume jouissent des
mêmes droits civils et politiques.
« Les personnes professant un culte non chrétien ont une
liberté de conscience absolue ; mais ils ne participent aux droits
des citoyens que dans la mesure qui leur est assurée dans les
350 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.
édits organiques sur leur réception dans la société politique 1.
« La propriété des fondations et la jouissance de leurs rentes
selon les actes des fondations et selon la possession légitime,
qu'elles soient destinées au culte, à l'instruction ou à la bien-
faisance, sont entièrement garanties à tous les cultes sans
distinction.
« L'autorité ecclésiastique ne doit jamais être arrêtée dans
la sphère de ses attributions propres, et l'autorité laïque ne
doit point se mêler des affaires purement ecclésiastiques de
la doctrine et de la conscience, sauf l'exercice du droit sou-
verain de protection et de surveillance, selon lequel les ordon-
nances et les lois de l'autorité ecclésiastique ne peuvent être
publiées et exécutées qu'après un examen préalable et avec
l'autorisation du roi.
« Les églises et les ecclésiastiques sont soumis dans leurs
actions et rapports civils, comme aussi pour leur fortune,
aux lois de l'État et aux tribunaux laïques; ils ne peuvent
prétendre à aucune exemption des charges publiques. »
Les autres dispositions concernant les rapports extérieurs
des habitants du royaume en ce qui concerne la religion et
les sociétés religieuses sont contenues dans l'édit spécial sup-
plémentaire ajouté à la présente constitution.

1 Ce paragraphe a été abrogé par la loi d'Empire du 3 juillet 1869 qui sup-
prime cette distinction.
LIBERTÉ D'ENSEIGNEMENT. 351

CHAPITRE DIXIÈME.

LIBERTE D'ENSEIGNEMENT.

Sommaire.
417. Division du sujet.
418. Liberté d'enseigner, d'après la Constitution de 1791 et la législation de l'As.
semblée législative.
419. Suite. Constitution de 1793.
420. Suite. Constitution du 5 fructidor an III.
421. Suite. Constitution consulaire et législation impériale. — Restauration.
422. Suite. Charte de 1830.
423. Division de l'enseignement en trois degrés.
424. Enseignement primaire. — Conditions requises pour se livrer à l'enseignement
primaire.
423. Opposition par le préfet à l'établissement d'une école primaire.
426. Les peines qui punissent l'ouverture d'une école sans déclaration s'appliquent-
elles à l'enseignement de famille?
427. Surveillance du ministère public. — Mesures disciplinaires.
428. Conditions pour ouvrir un pensionnat primaire.
429. Enseignement primaire des filles,
430. Écoles mixtes pour les deux sexes.
431. Salle d'asile et ouvroirs.
432. Enseignement secondaire.
433. Formalités à remplir en cas de translation de l'établissement dans un autre local.
434. Suppression du certificat d'études.
433. Surveillance de l'enseignement.
436. Écoles secondaires ecclésiastiques.
437. Collation des grades.
438. Instruction primaire obligatoire.
439. Suite.
440. Suite. Discussions législatives sur le principe de l'obligation.
441. Suite.
442. Suite. Objection de M. de Falloux.
443. Suite. Objection de M. Guizot.
444. Condamnation du système de l'instruction primaire gratuite.
443. Droit comparé. — Belgique.
446.
447.
_ Hollande.
Angleterre.

352 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

448. Droit comparé. — États-Unis d'Amérique.


449. — Allemagne.
430. — Suisse.
431. — Espagne.
452. — Portugal.
433. — Italie.

417. La liberté de l'enseignement se place naturellement


après la liberté religieuse et la liberté de la presse, car elle
les complète toutes deux.
Elle peut être examinée à un double point de vue : 1° au
point de vue de ceux qui enseignent : c'est la liberté d'en-
seigner; 2° au point de vue de ceux qui reçoivent l'instruction,
c'est-à-dire du droit de la famille dans ses rapports avec le
droit de l'État 1.

418. Liberté d'enseigner. — La liberté d'enseigne-


ment ne figure pas au nombre des droits garantis par la Cons-
titution du 3 septembre 1791, à moins qu'on ne la fasse résulter
de l'article qui reconnaît aux citoyens le droit « de parler et
de se réunir. » Mais nous croyons que cette induction ne serait
pas conforme à l'idée des constituants et qu'une pensée con-
traire est même manifestée par le § 17 du titre ler de la Consti-
tution. Cette disposition porte : " II sera créé et organisé une
instruction publique commune à tous les citoyens, gratuite à
l'égard des parties d'enseignement indispensables à tous les
hommes et dont les établissements seront distribués graduelle-
ment dans un rapport combiné avec la division du royaume. »
On est fondé à croire, d'après le silence de la loi sur la liberté
d'enseignement et l'induction tirée des expressions : « instruc-
tion publique commune à tous les citoyens » que les législa-
teurs de la Constituante ne voulurent pas parler de la liberté
d'enseignement.
L'Assemblée législative ne s'occupa de la question que pour

Ce sont les deux libertés que les Allemands désignent


1
par Lehr-und-Lern-
Freiheit, mots qui sont inscrits sur la porte de quelques-unes de leurs uni-
versités.
LIBERTÉ D'ENSEIGNEMENT. 353
défendre de confier aucune partie de l'instruction publique aux
congrégations religieuses séculières ou régulières.
419. La Constitution du 24 juin 1793, art. 22, portait que
«
l'instruction est le besoin de tous, que la société doit favo-
riser de tout son pouvoir les progrès de la raison publique et
mettre l'instruction à la portée de tous les citoyens. » Ce n'était
pas encore la reconnaissance du droit d'enseigner. Nous la
trouvons, pour la première fois, formellement écrite dans la
loi du 19 décembre 1793, au moins en ce qui concerne l'en-
seignement primaire dont cette loi s'occupait : L'enseignement
est libre, disait l'article ler. Jamais cependant liberté ne fut
soumise à des conditions plus dures, et quand on analyse les
dispositions, on est surpris de voir que ce régime de servitude a
été placé sous la protection du mot liberté. Les législateurs de
1793 entendaient la liberté comme les républicains de Lacédé-
mone; ils la faisaient consister dans l'absorption du droit indi-
viduel par l'État et dans l'anéantissement de la famille au profit
de la société. Les instituteurs assujettis à l'instruction en public
ne pouvaient prendre aucun élève en pension, ni donner des
leçons particulières; ils devaient être pourvus d'un certificat
de civisme délivré par la moitié des membres du conseil de la
commune, et ne pouvaient employer que les livres adoptés
par la représentation nationale.
430. L'article 300 de la Constitution du 5 fructidor an III,
posa le principe du libre enseignement de la manière la plus
positive : « Les citoyens ont le droit de former des établisse-
ments particuliers d'éducation et d'instruction, ainsi que des
sociétés libres pour concourir aux progrès des sciences, des
lettres et des arts. »
421 La Constitution consulaire est muette sur ce point. Le
premier consul avait sans doute déjà la pensée qu'il réalisa
plus tard en constituant l'Université par la loi du 10 mai 1806
et le décret du 17 mars 1808. « Il sera formé, disait la loi de
1806, sous le nom d'Université impériale, un corps chargé
exclusivement de l'enseignement et de l'éducation publics dans
tout l'Empire. » Déjà une loi du 11 floréal an X (1er mai 1802)
avait déclaré, en ce qui concerne l'enseignement secondaire,
B. —11. 23
354 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

qu'il ne pourrait être établi d'écoles, sans l'autorisation du


gouvernement. L'Université désorganisée par la première Res-
tauration rétablie pendant les Cent-Jours, fut conservée par
,
Louis XVIII (ordonnance du 15 août 4815) et le monopole
universitaire se maintint, malgré de violentes attaques, pen-
dant toute la durée de la deuxième Restauration.
438. La charte de 1830, art. 69, n° 8, promit qu'il serait
pourvu par des lois spéciales « à l'instruction publique et à la
liberté d'enseignement. » C'est cette disposition qui, pendant
la durée du gouvernement de Juillet, a été l'occasion et le
fondement des réclamations les plus vives et les plus pressantes
des orateurs du parti catholique dans le Parlement et de la part
des membres les plus éminents de l'épiscopat.
433. La liberté fut accordée, en matière d'enseignement
primaire, par la loi du 28 juin 1833. La liberté de l'enseigne-
ment secondaire fut l'objet de plusieurs projets de loi; mais
elle ne fut établie qu'après la Révolution de Février par la loi
du 15 mars 1850. Enfin la liberté de l'enseignement supérieur
n'est venue que dans ces dernières années. La loi du 12 juillet
1875 qui l'a consacrée, accordait même aux Universités libres,
quand elles comptaient trois facultés, une certaine participation
à la collation des grades. Cette partie de la loi a été abrogée
par la loi du 18 mars 1880 qui a rendu aux facultés de l'État
le droit exclusif de délivrer les certificats d'aptitude pour la
collation des grades.

434. Enseignement primaire. — D'après l'article ler


de la loi du 28 mars 1882, l'enseignement primaire comprend :
L'instruction morale et civique; — la lecture et l'écriture;
— la langue et les éléments de la littérature française; — la
géographie et particulièrement celle de la France; —l'histoire,
particulièrement celle de la France jusqu'à nos jours; — quel-
ques notions usuelles de droit et d'économie politique; — les
éléments des sciences naturelles physiques et [mathématiques,
leurs applications à l'agriculture, à l'hygiène, aux arts indus-
triels travaux manuels et usage des outils des principaux mé-
,
tiers; — les éléments du dessin, du modelage et de la musique;
LIBERTE D ENSEIGNEMENT. 355

— la
gymnastique; — pour les garçons, les exercices militaires;
pour les filles, les travaux à l'aiguille.
Toutes les parties du programme sont obligatoires et la loi
n'admet pas qu'une partie soit facultative, comme le faisait l'ar-
ticle 23 de la loi du 15 mars 1850. La loi a supprimé l'ensei-
gnement de la morale religieuse. L'enseignement religieux ne
peut même pas être donné dans les locaux scolaires, et l'article
2 dit que les écoles primaires publiques vaqueront un jour par
semaine, en dehors du dimanche, pour permettre aux parents
de faire donner aux enfants l'instruction religieuse. Ce qui est
exclu par cette disposition, c'est l'enseignement confessionnel
et non la morale fondée sur la religion naturelle 1.
Le droit d'enseigner les matières de l'enseignement primaire
est reconnu par l'article 25 de la loi du 15 mars 1850 « à tout
Français âgé de vingt et un ans accomplis, s'il est muni
d'un brevet de capacité. » Il faut, en outre, que l'instituteur
ne se trouve dans aucun des cas d'incapacité prévus par
la loi. « Sont incapables, dit l'article 26, de tenir une école
publique ou libre, ou d'y être employés, les individus qui ont
subi une condamnation pour crime ou pour un délit contraire
à la probité ou aux moeurs, les individus privés par jugement
de tout ou partie des droits mentionnés en l'article 42 du Code
pénal et ceux qui ont été interdits en vertu des articles 30 et
33 de la présente loi. »
L'article 25 § 2 de la loi du 15 mars 1850 admettait comme
équivalent du brevet un certificat de stage, le diplôme de bache-
lier, un certificat constatant qu'on a été admis dans une des
écoles spéciales de l'État, ou le titre de ministre non interdit ou
révoqué de l'un des cultes reconnus. Mais ces équivalences ont

1 La pensée du législateur s'est manifestée d'une manière non équivoque


par le rejet de l'amendement suivant que nous avions proposé : « Les insti-
« tuteurs publics, s'ils y consentent, pourront en dehors des heures de
« classe, mais dans les locaux scolaires, donner l'enseignementreligieux aux
" enfants dont les parents
en feront la demande. » En rejetant cet amen-
dement qui laissait la liberté à tout le monde, les législateurs ont montré
qu'ils voulaient la neutralité non-seulement de l'école publique mais des bâ-
timents où elle se tient.
356 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

été abrogées par la loi du 16 juin 1881, article 1er, qui exige
le brevet de capacité pour les instituteurs ou institutrices et
pour les adjoints ou adjointes chargés d'une classe. Cette règle
a cependant été tempérée , pour les directeurs ou directrices
d'école en exercice, par les dispositions transitoires de l'arti-
cle 4 que nous citons plus bas.
485. Quiconque veut ouvrir une école primaire doit en faire
la déclaration au maire de la commune où il a l'intention de
s'établir, lui en désigner le local et lui donner l'indication des
lieux où il a résidé et des professions qu'il a exercées pendant
les dix années précédentes. Cette déclaration doit en outre
être adressée par le postulant au préfet 1, au ministère public
et au 'sous-préfet.
Si ces déclarations sont exigées, c'est que la loi reconaît
au préfet le droit de former, soit d'office, soit sur la dénon-
ciation du ministère public ou du sous-préfet, opposition à
l'ouverture de l'école, dans l'intérêt des moeurs publiques.
Cette opposition, qui doit être formée dans le mois qui suit la
déclaration, est jugée par le Conseil départemental. Quant au
maire, il peut faire opposition en refusant d'approuver le local;
c'est encore le Conseil départemental qui est appelé à statuer
à cet égard. A défaut d'opposition, l'école peut être ouverte,
à l'expiration du mois 2, sans autre formalité (loi du 14 juin
1 La loi du 15 mars 1850 donnait le droit d'opposition au recteur et non
au préfet. Mais la loi du 14 juin 1854 a, sur ce point, modifié la législation
antérieure. — « Art. 8. Le préfet exerce, sous l'autorité du ministre de l'ins-
truction publique, et sur le rapport de l'inspecteur d'Académie, les attri-
butions déférées au recteur par la loi du 15 mars 1850 et le décret du 9 mars
1852, en ce qui concerne l'instruction primaire publique ou libre. » — Il est
probable que si le droit d'opposition avait été donné au préfet par la loi du
15 mars 1850, on n'aurait pas exigé une déclaration spéciale au sous-préfet;
mais en. présence du texte qui donne au sous-préfet le droit de dénonciation
ou plainte , il n'y a pas lieu à décider que la déclaration au sous-préfet n'est
plus exigée.
2 L'affichage pendant
un mois, à la porte de la mairie, de la déclaration
de l'instituteur qui veut ouvrir une école libre, ne peut ni changer le point
de départ ni prolonger la durée du délai d'un mois à partir de la déclaration,
à l'expiration duquel l'instituteur peut, à défaut d'opposition, ouvrir son
école. Trib. des confl., 17 janvier 1880 (D. P., 1880, III, 132).
LIBERTÉ D'ENSEIGNEMENT. 357
1854, art. 7, combiné avec la loi du 15 mars 1850, art. 14) 1.
48©. L'article 29 prononce des pénalités contre les insti-
tuteurs qui ont ouvert des écoles en contravention aux articles
25, 26 et 27 2 Ces dispositions sont-elles applicables à l'ins-
tituteur qui ne donne que l'enseignement privé ou de famille?
Il est évident d'abord qu'aucune condition n'est exigée pour le
maître qui donne des leçons à domicile; directement employé
par la famille, il est couvert par la puissance paternelle; car le
père a le droit incontestable et incontesté de donner lui-même
l'instruction à ses enfants, et, par conséquent, de prendre chez
lui les personnes qu'il lui convient d'en charger en son lieu et
place, sans que la loi puisse fixer des conditions à ce choix.
Mais que faudrait-il décider si l'instituteur employé à l'ensei-
gnement de famille recevait à domicile les mêmes élèves envoyés

1 S'il y avait opposition résultant du refus par le maire d'approuver le


local, le Conseil départemental serait appelé à statuer sur l'opposition. Mais
où serait porté l'appel si le Conseil départemental maintenait l'opposition du
maire ? C'est devant le Conseil supérieur qu'il faudrait se pourvoir, en vertu
de l'article 19 de la loi du 10 avril 1867. Cet article dispose que les décisions
du Conseil départemental, rendues dans les cas prévus par l'article 28 de la
loi du 15 mars 1850, pourront être déférées par voie d'appel au Conseil supé-
rieur de l'instruction publique et que l'appel devra être interjeté dans les dix
jours à partir de la notification de la décision. Cet article n'a été abrogé par
aucune loi postérieure, notamment par la loi du 27 février 1880. L'article 7
de cette loi a décidé que le Conseil supérieur statuerait en appel sur les ju-
gements rendus par les Conseils départementaux, lorsque ces jugements
prononcent l'interdiction absolue d'enseigner contre un instituteur primaire,
public ou libre ; mais cette disposition qui est limitative en ce qui concerne
les recours en matière disciplinaire « n'a eu ni pour but ni pour effet d'a-
broger implicitement l'article 19 de la loi du 10 avril 1867, relatif aux recours
en matière contentiense. » C'est en ces termes qu'a décidé le Conseil d'Etat
par arrêt du 3 août 1883, Raveneau. V. Lebon, 1883, p. 724. — V. Concl.
conf. de M. Levavasseur de Précourt, comm. du gouv. Le Conseil d'Etat ayant
rejeté le recours pour excès de pouvoir, l'affaire a été portée devant le Con-
seil supérieur de l'instruction, qui s'est déclaré compétent dans la séance
du 28 décembre 1883.
L'instituteur communal révoqué ne peut ouvrir une école libre dans la
2

commune sans remplir les formalités exigées pour l'ouverture d'une école
libre; il doit observer les mêmes délais. Cass. crim., 10 mai 1879 ;(D. P.
1879, I, 237).
358 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

par leurs parents? Que l'enseignement de famille soit donne au


domicile des élèves ou au domicile des instituteurs, il conserve
toujours son caractère, et nous pensons qu'il y a lieu d'appli-
quer dans les deux cas la même solution. Il faut cependant
réserver le cas où la réception des élèves à domicile serait un
moyen d'éluder la loi, et où, sous prétexte de donner un en-
seignement de famille, l'instituteur ouvrirait, sans déclaration,
une véritable école fréquentée par les enfants de plusieurs
familles 1.
439 . L'article 80 donne au ministère public la surveillance
et le droit de plainte à l'égard des instituteurs libres. « Tout
instituteur libre, sur la plainte du préfet ou du procureur,
pourra être traduit , pour cause de faute grave dans l'exercice'
de ses fonctions, d'inconduite ou d'immoralité, devant le con-
seil départemental, et être censuré, suspendu pour un temps
qui ne pourra excéder six mois, ou interdit de l'exercice de
sa profession, dans la commune où il exerce. Le Conseil dé-
partemental peut même le frapper d'une interdiction absolue.
Il y aura lieu à appel devant le Conseil supérieur de l'instruction
publique. Cet appel devra être interjeté dans le délai de dix
jours, à compter de la notification, et ne sera pas sus-
pensif 2. »
488. Le droit d'enseigner n'est pas identique au droit d'ou-
vrir un pensionnat primaire. Cette dernière faculté n'appar-
tient qu'aux Français qui, indépendamment des conditions
exigées pour être instituteur primaire, ont vingt-cinq ans ac-
complis et au moins cinq années d'exercice comme instituteur
ou comme maître dans un pensionnat primaire. Si le pension-
nat était ouvert par un instituteur communal, cela ne suffirait

1 C. cass., arr. du 2 mars 1860 (D. P. 1860, I, 364).


2 L'appel est porté directement du Conseil départemental au Conseil su-
périeur de l'instruction publique sans passer par le Conseil académique (loi
,
du 14 juin 1854, art. 7 et loi du 27 février 1880, art. 7). « Le Conseil supé
rieur, dit l'article 7 de la loi du 27 février 1880, statue en appel et en dernier
ressort sur les jugements rendus par les Conseils départementaux, lorsque
ces jugements prononcent l'interdiction absolue d'enseigner contre un insti-
teur primaire, public ou libre. »
LIBERTÉ D'ENSEIGNEMENT. 359
même pas ; il faudrait en outre l'avis favorable du Conseil dé-
partemental (art. 53 de la loi du 15 mars 4850).
430. L'enseignement primaire des filles comprend les mêmes
matières que celui des garçons et la seule différence consiste
d'après le dernier paragraphe de l'article 1er de la loi du 28
mars 1882 à remplacer les exercices militaires par les travaux
d'aiguille. Quant au droit d'enseigner, la loi du 46 juin 4881
exige le brevet de capacité pour les institutrices titulaires ou
adjointes 1.
L'article 49 de la loi du 45 mars 4850 portait que les reli-
gieuses des congrégations reconnues seraient dispensées du
brevet de capacité si elles avaient des lettres d'obédience. Cette
équivalence est également supprimée par la loi du 46 juin 1881
qui exige le brevet pour les directrices d'école et pour les
adjointes chargées d'une classe. Des dispositions transitoires
ont cependant atténué l'application de la nouvelle loi. « Les
prescriptions de la présente loi, dit l'article 4, ne s'applique-
ront pas : 1° aux directeurs d'école publique ou libre qui, au
1er janvier 4884, exerçaient les fonctions de directeur en vertu
des équivalences établies par la loi du 45 mars 4850; 2° aux
directrices d'école et de salle d'asile publiques ou libres qui,
au 1er janvier 1881, comptaient trente-cinq ans d'âge et cinq
ans au moins de services en qualité de directrices; 3° aux
adjoints ou adjointes d'école publique ou libre, ainsi qu'aux
sous-directrices de salle d'asile publique ou libre qui, au 1er
janvier 1884, comptaient trente-cinq ans d'âge et cinq ans au
moins de services comme adjoints ou adjointes chargés d'une
classe ou comme sous-directrice d'une salle d'asile, sans tou-
tefois que cette exemption leur permette d'obtenir ultérieure-
ment la direction d'une école ou d'une salle d'asile, en dehors
des conditions prescrites par la présente loi. »

1 II résulte d'explications qui furent données au cours de la discussion de


la loi, que le brevet n'est pas exigé des simples auxiliaires qui n'ont la di-
rection ni d'une école, ni d'une classe. La question ayant été posée par
M. Batbie, le ministre de l'instruction publique répondit que les auxiliaires
travaillant sous les yeux d'un breveté, n'étaient pas soumis à la condition
du brevet.
360 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

430. La réunion des enfants des deux sexes dans la même


école a été l'objet de dispositions particulières. D'après l'article
52 de la loi du 15 mars 1850, « aucune école primaire publique
ou libre, ne peut, sans l'autorisation du Conseil académique
(aujourd'hui Conseil départemental), recevoir des enfants des
deux sexes s'il existe dans la commune une école publique ou
,
libre de filles. » L'article 9 du décret du 31 décembre 4853 ne
permet de charger des institutrices publiques de diriger des éco-
les mixtes qu'autant que, d'après la moyenne des trois dernières
années ces écoles ne reçoivent pas plus de quarante élèves.
,
Les instituteurs peuvent ouvrir des écoles d'adultes au-dessus
de dix-huit ans et d'apprentis au-dessus de douze ans. Les ins-
tituteurs libres qui veulent ouvrir des écoles de cette nature
sont soumis aux mêmes conditions que pour l'ouverture des
écoles primaires ordinaires (art. 27, 28, 29 et 30 de la loi du
15 mars 1850).
L'instituteur qui aurait régulièrement fondé une école pri-
maire ne pourrait donc pas ouvrir une école d'adultes ou d'ap-
prentis, sans faire de nouvelles et spéciales déclarations. Mais
ces dispositions ne font pas obstacle à ce qu'il reçoive des ap-
prentis aux cours de son école primaire. Ce qui lui est interdit,
c'est d'ouvrir une école d'apprentis spéciale à cette clientèle,
sans remplir les formalités prescrites à ce sujet 1.
La décence et les bonnes moeurs ne permettaient pas de réu-
nir dans une même école les, adultes des deux sexes. Aussi
l'article 54 de la loi du 15 mars 1850 dispose-t-il que « il ne
peut être reçu dans ces écoles des élèves des deux sexes. »
431 Enfin la loi reconnaît les salles d'asile comme écoles
,
publiques ou libres. Sans doute la salle d'asile est un établisse-
ment charitable, mais c'est aussi et surtout un établissement
d'instruction. Seulement les règlements et instructions sur la
matière ne veulent pas qu'on donne aux enfants en bas âge que
reçoit la salle une instruction trop développée. « Il convient
que la salle d'asile précède l'école, qu'elle y prépare et qu'elle

1 C'est ce qu'a jugé la Cour de Douai, arr. du 14 avril 1856 (D. P. 1856,
11,155).
LIBERTÉ D'ENSEIGNEMENT. 364

y conduise; mais il serait fâcheux qu'elle en tînt lieu 1. » Les


salles d'asile publiques ou libres sont exclusivement dirigées
par des femmes; le décret du 21 mars 1855 n'admettait pas,
comme la législation antérieure, les hommes assistés de fem-
mes. L'article 3 du décret du 2 août 1881 sur l'organisation
des salles d'asile ou écoles maternelles, a reproduit la disposition
du décret du 21 mars 1855 : « Les écoles maternelles sont
exclusivement dirigées par des femmes. » Pour diriger une école
maternelle, il faut que la femme soit âgée de vingt et un ans
accomplis et munie du certificat d'aptitude. S'il s'agissait d'une
école maternelle annexée à un cours normal, il faudrait que la
directrice eût vingt-cinq ans d'âge et cinq ans de service comme
directrice dans les écoles maternelles publiques ou libres. Pour
être sous-directrice, l'âge de dix-huit ans suffit, mais le certi-
ficat d'aptitude est toujours exigé (art. 4 du décret du 2 août
1881).
Les éléments de l'enseignement dans les salles d'asile sont
plus simples que dans les établissements d'instruction primaire ;
car, d'après l'article 2 du décret du 2 août 1884, ils compren-
nent seulement : 1° les premiers principes d'éducation morale;
des connaissances sur les objets usuels ; les premiers éléments
du dessin, de la lecture et de l'écriture; des exercices de lan-
gage; des notions d'histoire naturelle et de géographie; des
récits à la portée des enfants; 2° des exercices manuels; 3° le
chant et les mouvements gymnastiques gradués.
Les ouvroirs sont soumis aux mêmes conditions d'établisse-
ment que les salles d'asile lorsque les enfants y reçoivent l'ins-
truction primaire comme dans les salles d'asile. Le nom a moins
d'importance que la réalité, et pour savoir si la loi du 45 mars
1850 est applicable, il faut, avant tout, examiner le fond des
choses 2.

438. Enseignement secondaire. — La partie carac-


téristique et nouvelle de la loi du 45 mars 1850 avait pour objet

1 Circulaire du ministre de l'instruction publique, en date du 18 mai 1855.


2 C. cass., arr. du 2 mars 1860 [D. P. 1860,1, 364).
362 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

la liberté de l'enseignement secondaire. Jusqu'alors la fondation


d'un établissement secondaire avait été subordonnée à l'autori-
sation préalable, et quoique l'Université se fût montrée libérale
dans la concession des autorisations, cependant il n'y avait pas
de liberté et l'instruction secondaire était placée sous le régime
du monopole et du bon plaisir. L'article 60 de la loi du 45 mars
1850 a déterminé les conditions auxquelles tout Français a le
droit d'ouvrir une institution de cette nature. Il doit déclarer au
recteur dans la circonscription duquel il veut s'établir, son in-
tention de fonder une institution secondaire avec indication du
local, des lieux où il a résidé et des professions qu'il a exercées
pendant les dix années précédentes. Il doit, en outre, déposer
les pièces suivantes : 4° un certificat de stage constatant qu'il a
rempli, pendant cinq ans au moins, les fonctions de professeur
ou de surveillant dans un établissement d'instruction secondaire
public ou libre ; 2° soit le diplôme de bachelier, soit un brevet
de capacité délivré par un jury d'examen ; 3° le plan du local
et l'indication de l'objet de l'enseignement. Ces déclarations
doivent être communiquées par le recteur au préfet et au mi-
1

nistère public. Toutes les conditions précédentes sont de ri-


gueur; le ministre peut cependant dispenser des cinq années
de stage, sur la proposition du Conseil académique et l'avis con-
forme du Conseil supérieur. Dans le cas où le ministre a dispensé
du stage, la production du certificat de stage est remplacée par
celle de la dispense ministérielle.
Dans le mois qui suit la déclaration, le préfet et le procureur
ont le droit de former opposition devant le Conseil acadé-
mique. Faute d'opposition, l'institution peut être ouverte im-
médiatement après l'expiration du délai, sans aucune autre
formalité. En cas d'opposition, le Conseil académique prononce
sur la main levée, sauf appel devant le Conseil supérieur de
l'instruction publique 2.

1 Le recteur a conservé, en matière d'enseignement secondaire, les attri-


butions que lui donnait la loi du 15 mars 1850.
2 Art. 11 de la loi du 27 février 1880 :
« Le Conseil académique est
saisi
par le ministre ou le recteur des affaires contentieuses ou disciplinaires qui
sont relatives à l'enseignement secondaire ou supérieur, public ou libre. Il
LIBERTÉ D'ENSEIGNEMENT. 363
Les incapacités dont nous avons parlé plus haut en matière
d'enseignement primaire s'appliquent à l'enseignement secon-
daire (art. 65 combiné avec les art. 26 et 14 de la loi du
15 mars 1850).
433. La translation dans un autre local est soumise aux
mêmes formalités et déclarations que la création d'un établis-
sement d'instruction, et cette solution s'applique tout aussi
bien aux établissements d'instruction primaire qu'à ceux d'en-
seignement secondaire 1. Mais celui qui a fondé régulièrement
un établissement d'instruction peut, sans nouvelle formalité,
ajouter à son établissement une école du soir; la raison en est
que les heures des cours sont au choix de l'instituteur ou du
maître de pension, que la déclaration est conçue en termes
généraux et que le déclarant n'est pas obligé de fixer les
heures où seront faites les leçons 2.
Doit-on considérer comme établissement d'instruction secon-
daire celui qui envoie les élèves au lycée? Sans aucun doute,
et cela par la raison que si le maître de pension ne donne pas
l'instruction, les élèves sont soumis à sa direction morale, par-
tie importante de l'éducation qu'on ne peut pas abandonner à
des personnes affranchies de toute surveillance 3.
C'est pour la même raison que le fait de recevoir des élèves
constitue l'ouverture caractérisée d'un établissement d'ensei-
gnement secondaire avant même que les cours aient commencé.
La direction morale et religieuse, l'éducation commence dès

les instruit et prononce, sauf appel au Conseil supérieur, les décisions et les
peines à appliquer. »
1 Arrêt du 2 mars 1860. C. cass. (D. P. 1860, I, 364).
2 Même arrêt. Le bénéfice de la déclaration n'est pas perdu pour le di-

recteur d'un établissement secondaire, alors même qu'il a plusieurs fois


annoncé l'intention de se retirer, et que Ï'évêque a écrit au ministre annon-
çant qu'il allait prendre l'établissement sous son autorité. En conséquence,
le directeur qui n'a pas cessé de diriger l'établissement peut, sans nouvelle
déclaration, continuer à diriger l'établissement. Il ne sera passible d'aucune
pénalité. Cass. crim., 20 mai 1881 (D. P. 1881, 1, 287).
3 C
cass., ch. crim., arr. du 17 mars 1859 (D. P. 1859, I, 141) et ch.
réunies, arr. du 22 décembre 1859 (D. P. 1860, I, 52). La Cour de Dijon
avait décidé le contraire par arrêt du 21 avril 1859 (D. P. 1860, 1, 52).
364 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

que les élèves sont entrés et alors même que les professeurs
n'auraient pas donné une seule leçon 1.
434. La liberté d'enseignement secondaire entraînait la
suppression du certificat d'études. Exiger un certificat délivré
par les établissements de l'État, était impossible, car c'eût été
retirer d'une main ce qu'on aurait accordé de l'autre. Se con-
tenter d'un certificat délivré soit par une institution libre soit-
par le père de famille, c'eût été accepter une garantie illusoire.
La logique conduisait à la suppression du certificat d'études et
au droit, pour tout candidat, de choisir le jury académique qui
jugerait son épreuve (art. 63 de la loi du 15 mars 1850).
435. L'enseignement libre et l'enseignement public sont
soumis aux autorités de l'État pour la surveillance et généra-
lement pour tout ce qui constitue la police de l'enseignement.
Il y a cependant une différence entre la surveillance des écoles
publiques et celle des écoles libres. Le droit de l'État sur les
écoles publiques est entier et comprend l'hygiène, la morale,
la salubrité, les méthodes, les résultats, les progrès, le caractère
politique de l'enseignement. Appliqué aux écoles libres, ce droit
est plus restreint. « L'inspection des écoles publiques, dit l'ar-
ticle 24 de la loi du 45 mars 4850, s'exerce conformément aux
règlements délibérés en conseil supérieur. — Celle des écoles
libres ne porte que sur la moralité, l'hygiène et la salubrité ²
— Elle ne peut porter sur l'enseignement que pour vérifier s'il
n'est pas con traire à la morale à la Constitution et aux lois. »
,
436. L'article 70 de la loi du 45 mars 1850 contient une
disposition spéciale aux écoles ecclésiastiques ou petits sémi-
naires. « Les écoles secondaires ecclésiastiques actuellement
existantes sont maintenues sous la seule condition de rester
1 Mêmes arrêts qu'à la note précédente.
-
La prière adressée par la supérieure d'un couvent cloîtré à un inspecteur
de l'enseignement public, se présentant pour visiter une école située dans
la ligne de clôture, de lui donner le temps de demander à l'autorité épisco-
pale, selon la règle religieuse, d'ouvrir la clôture, et le retard mis dans ces
circonstances à l'introduction de l'inspecteur, ne constituent pas le refus de
se soumettre à la surveillance de l'État, et n'ont pas le caractère de l'in-
fraction prévue par l'article 22 de la loi du 15 mars 1850. Cass. crim.,
24 mars 1882 (D. P. 1882, I, 328).
LIBERTÉ D'ENSEIGNEMENT. 365
soumises à la surveillance de l'État. Il ne pourra en être

établi de nouvelles sans l'autorisation du gouvernement. » La
surveillance de l'autorité sur ces écoles s'exerce comme si elles
étaient des institutions libres. A tout autre point de vue, ce
sont des écoles publiques. C'est pour cela que les directeurs ou
supérieurs sont dispensés de l'impôt des patentes 1.

439. Enseignement supérieur. — La liberté de l'en-


seignement supérieur n'est venue que la dernière. Aucun établis-
sement de cet ordre ne s'était fondé à côté des facultés de l'État,
et c'est tout au plus si l'autorisation avait été accordée pour quel-
ques cours isolés ou des conférences. L'autorisation était non-
seulement exigée mais aussi moins libéralement accordée qu'elle
ne l'était, pour l'enseignement secondaire, avant la loi de
1850. C'est par la loi du 12 juillet 1875, que le droit et la
liberté ont remplacé le régime de la permission préalable.
Tout Français âgé de 25 ans accomplis et n'ayant subi au-
cune des condamnations qui entraînent l'incapacité et les asso-
dations formées en vue de l'enseignement, peuvent ouvrir des
cours ou fonder des établissements à la condition d'en faire la
déclaration préalable. Pour un cours isolé, la déclaration est
faite au recteur, pour le chef-lieu de l'Académie, et à l'inspec-
teur de l'Académie, pour les autres départements. La décla-
ration doit précéder de dix jours l'ouverture du cours. Si le
cours s'adresse exclusivement aux auditeurs inscrits, aucune
autre condition n'est exigée. Si d'autres personnes que les au-
diteurs inscrits y sont admises, le cours est soumis aux pres-
criptions de la loi sur les réunions publiques.
Quant aux établissements d'enseignement supérieur, la loi
veut que la déclaration soit faite par trois administrateurs au
moins. Si l'établissement compte des professeurs ayant le titre
de docteur en nombre égal à celui de la faculté de l'État qui
en a le moins, il peut prendre le titre de faculté. Lorsque l'éta-

1 Voir, en ce sens, trois décrets du Conseil d'État du 6 juin 1856 Asseline


et 6 juin 1856 Gilbert ( D. P. 1857, III, 11). Le caractère d'école publique
leur a été donné par le décret du 0 novembre 1813, et deux ordonnances
des 5 octobre 1814 et 2 avril 1817.
366 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

blissement a trois facultés au moins, la loi du 12 juillet 1875


lui donnait le droit de prendre le nom d'Université; mais la loi
du 47 mars 4880 a retiré cette concession. Il n'y a en France
qu'une Université, mot qui, par une déviation du sens primitif,
désigne l'ensemble des établissements scolaires de l'État à tous
les degrés et, afin de prévenir la confusion, il est interdit aux
établissements libres de prendre le titre d'Université. Ils peu-
vent continuer à s'appeler Facultés. Ce n'est pas le seul avan-
tage qui ait été retiré aux établissements libres par la loi du
17mars 1880.
La loi de 1875 avait conféré aux facultés libres le droit de
concourir à la collation des grades. Tout élève des facultés
libres pouvait subir ses épreuves devant les professeurs de l'É-
tat; mais il pouvait aussi demander à les passer devant un
jury spécial. Le jury spécial était composé de professeurs de
l'État en majorité, si le nombre des juges était impair. Si le
nombre était pair, les professeurs de l'enseignement de l'État
et ceux des établissements libres y entraient en nombre égal;
mais la présidence appartenait aux premiers. La loi du 17 mars
1880 a supprimé le jury mixte, et la collation des grades est
aujourd'hui, comme elle l'était auparavant, l'attribution exclu-
sive des professeurs de l'État et du ministre. Les professeurs
délivrent le certificat d'aptitude et, sur le vu de ce certificat, le
ministre accorde les diplômes. Sans doute, les établissements
peuvent donner des certificats ou diplômes; mais pour éviter
toute confusion, il leur est interdit de les nommer : Baccalau-
réat, Licence ou Doctorat.

438. Instruction primaire obligatoire et gratuite.


— Personne n'a soutenu ouvertement que l'instruction secon-
daire ou supérieure dût être obligatoire; et cependant cette
obligation est à l'état latent dans plus d'un programme démo-
cratique sous les mots d'instruction intégrale. Mais il y a déjà
,
longtemps que la discussion a commencé sur l'obligation de
l'enseignement primaire. Les uns soutiennent que le père de
famille doit être libre de diriger, comme il l'entend, l'instruc-
tion de son fils, et que l'État n'a pas le droit de s'interposer
LIBERTÉ D'ENSEIGNEMENT. 367
entre le père et les enfants. D'autres pensent que l'enseigne-
ment primaire est un droit pour l'enfant et une obligation pour le
père, que la loi peut pousser la sollicitude jusqu'à faire une
contravention punissable de la négligence à remplir un devoir
aussi sacré. Les partisans de la dernière opinion se subdivisent;
car si la plupart se bornent à demander que l'enseignement
soit obligatoire, quelques-uns veulent qu'en même temps il soit
gratuit pour tous, même pour ceux qui pourraient en supporter
la dépense. Cette égalité, profitable aux riches, aurait pour
objet d'effacer toute distinction entre les enfants et de leur ap-
prendre l'égalité dès l'âgé le plus tendre. La Constitution du
3 septembre 1791, n° 17, que nous avons déjà citée, portait
qu'il serait créé une instruction gratuite pour tous à l'égard
des parties de l'enseignement indispensables à tout le monde.
La loi du 15 mars 1850, sans parler de l'obligation, s'était bor-
née à dire que l'instruction primaire serait donnée gratuitement
à ceux qui seraient hors d'état de payer la rétribution scolaire
(art. 24).
Des lois récentes ont réalisé le programme de l'école démo-
cratique qui avait formulé sa doctrine en matière d'enseigne-
ment primaire en ces termes : « Enseignement gratuit, obliga-
toire et laïque. » Une loi du 16 juin 1881 a établi la gratuité
dans les écoles publiques et aboli la rétribution scolaire. Elle
a aussi supprimé la pension dans les écoles normales, La gra-
tuité dans les écoles publiques n'entraîne sans doute
pas la
gratuité dans les écoles libres; mais, en fait, celles-ci au-
raient de la peine à soutenir la concurrence de la gratuité, si
elles n'avaient pas pour vivre les ressources créées par les sa-
crifices généreux de personnes bienfaisantes ou d'associations
dévouées au succès de l'enseignement libre. C'est ce qui est
arrivé dans plusieurs communes où, à côté de l'école publique
déserte, vivent des écoles libres très fréquentées.
L'obligation a été édictée par la loi du 28 mars 1882. Les
enfants de cinq à treize ans doivent ou fréquenter
une école
soit publique, soit libre, ou recevoir l'enseignement chez leurs
parents. Les père, mère ou tuteur sont tenus de déclarer si
leur enfant recevra l'instruction à domicile
ou s'il fréquentera
368 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

une école et quelle école. A défaut de déclaration, le maire


désigne l'école publique où l'enfant devra être envoyé. L'en-
fant élevé à domicile doit, après deux ans, subir un examen,
et si l'examen est insuffisant, il est d'office envoyé dans une
école primaire publique. Quant à ceux qui fréquentent une école,
la loi n'exige que leur présence assidue jusqu'à l'âge réglemen-
mentaire; seulement ils peuvent à onze ans subir un examen,
et s'ils le passent avec succès, la loi les dispense de fréquenter
l'école jusqu'à treize ans.
La même loi a établi la laïcité de l'école primaire en suppri-
mant l'enseignement de la morale religieuse. La neutralité de
l'école, voilà le but qu'ont poursuivi les auteurs de la loi du
28 mars 1882, et ils' l'ont poussée plus loin qu'elle ne l'a été
ailleurs; car, on a repoussé un amendement ainsi conçu :
« L'instituteur public, s'il y consent, pourra donner dans les
locaux scolaires, mais en dehors des heures de classes, l'en-
seignement religieux aux enfants dont les parents lui en feront
la demande. » Les auteurs de la loi ont, par le rejet de cet
amendement, étendu aux bâtiments la neutralité de l'ensei-
gnement; ils n'ont pas voulu que l'enseignement religieux fût
donné dans ces locaux où cependant on autorise les cours
sur des matières non comprises dans le programme de l'ensei-
gnement primaire, et qu'on livre pour les adjudications et pour
les réunions électorales. Mais la laïcisation du programme et
des locaux ne pouvait pas être effective si l'enseignement
primaire public restait aux mains des maîtres congréganistes.
Une loi qui est encore en discussion, a été présentée pour
étendre au personnel enseignant la laïcisation. Elle aura, si
elle est votée, pour résultat plus ou moins prochain d'exclure
les congréganistes de toutes les écoles communales.
La gratuité et la laïcité ont fait beaucoup d'adversaires au
principe de l'obligation. D'un autre côté, la loi du 28 mars
1882 a organisé l'obligation avec une sévérité qui a augmenté
le nombre des contradicteurs. L'obligation tempérée par des
ménagements et surtout appliquée par une loi libérale appelant
toutes les bonnes volontés et le concours de tous ceux qui
s'intéressent à l'éducation du peuple, aurait été acceptée sans
LIBERTÉ D'ENSEIGNEMENT. 369
difficulté. Ses adversaires lui viennent surtout de ce qu'elle
l'ait partie du système exprimé par les trois mots : gratuit,
obligatoire et laïque. Nous n'examinerons, dans le paragraphe
suivant, que l'obligation séparée des complications qui, à notre
avis, l'ont altérée et compromise.
430. Les économistes forment une catégorie à part parmi
les adversaires de l'obligation. Systématiquement ennemis de
l'intervention de l'État, ils la repoussent ici comme toujours.
Aussi peut-on être surpris de voir qu'un économiste, qui avait
poussé plus loin que personne le principe de la non-interven-
tion 1, se soit rangé à la cause de l'instruction primaire obli-
gatoire, et ait soutenu pour cette cause une vive discussion
contre M. Fr. Passy, inflexible champion de la libre initiative
contre l'intervention du pouvoir 2.
Les économistes sont ennemis désintéressés de l'obligation;
ils la repoussent sans arrière-pensée politique, uniquement pour
demeurer fidèles à leur règle générale. Il y a, au contraire,
des opposants qui ont une tout autre idée. Dans l'instruction
primaire obligatoire, ceux-là né voient qu'un instrument de
propagande démocratique, un puissant levier donné au socia-
lisme et le prochain arrêt de mort de la société fondée sur la
propriété. C'est par esprit de conservation qu'ils le combattent.
Je crois que les derniers se trompent. Ce qui fait que l'ins-
truction primaire est dangereuse dans les campagnes c'est
,
que la masse en est dépourvue et que les illettrés sont menés
par quelques brouillons de village un peu moins ignorants. Si
tous avaient le même degré d'instruction, le bon sens repren-
drait son autorité, et les influences illégitimes seraient détruites
par l'égalité des lumières. Pourquoi les paysans, dès qu'ils
savent lire, tendent-ils à émigrer vers les villes? C'est que
l'ignorance des voisins leur donne une idée exagérée de leur
propre mérite ; c'est que cette bonne opinion d'eux-mêmes fait
naître chez eux l'ambition de se produire sur un autre théâtre.

1 M. de Molinari, Soirées de Saint-Lazare.


- De l'enseignement obligatoire, par M. Fréd. Passy. Cette brochure con-
tient aussi la discussion de M. de Molinari.
370 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

Si tous avaient reçu à peu près la même instruction, nul ne


pourrait, parce qu'il sait lire, croire à sa supériorité, et nous
verrions s'affaiblir la tendance qui pousse chacun à sortir de
sa condition. Ce qui est dangereux, c'est l'instruction donnée
à quelques-uns; ce qui n'offre aucun péril, c'est l'instruction
donnée à tous.
Cette proposition est confirmée par ce qui se passait en Al-
sace, avant l'annexion à l'Allemagne. Dans le Haut et le Bas-
Rhin, tous les habitants ayant fréquenté l'école, l'idée d'émi-
grer ne venait qu'à peu de personnes et les travaux des champs
trouvaient des ouvriers même parmi ceux qui savaient lire et.
écrire, parce que tous avaient reçu la même instruction élé-
mentaire. La comparaison avec ce qui les entourait ne leur
suggérait pas la pensée qu'ils fussent déclassés dans leur métier
parce qu'ils savaient lire comme tout le monde.
Faut-il repousser systématiquement, comme le soutiennent
quelques économistes, toute intervention de l'État sans aucune
exception? Le principe de la non-intervention est assurément
excellent et nous en sommes un partisan décidé ; mais nous n'en
voulons pas aveuglément le triomphe dans les cas où l'indiffé-
rence des pouvoirs sociaux aurait les plus graves inconvénients.
Que l'initiative individuelle soit livrée à elle-même toutes les
fois (ce qui est le plus ordinaire) qu'elle fait aussi bien ou
mieux que l'action collective, nous croyons que c'est le meil-
leur parti à suivre ; mais il est des circonstances de temps et
de lieu où l'individu a besoin d'être stimulé; il serait puéril,
dans ces cas, de s'arrêter à des scrupules de système, au risque
d'éloigner les résultats les plus désirables.
Il y aurait grande imprudence à se confier à l'initiative indi-
viduelle, et profonde erreur à croire que l'affection des parents
rend inutile l'établissement d'une pénalité. D'abord, de ce que
la loi serait inutile dans le plus grand nombre de cas, il ne faut
pas conclure que les parents négligents ou coupables ont droit à
l'impunité. Chez nous, avant que l'obligation ne fût établie, les
départements présentaient la plus grande variété. Dans les uns,
comme ceux du Nord, de l'Alsace et quelques autres, l'instruc-
tion était très développée et généralisée, tandis que dans d'au-
LIBERTÉ D'ENSEIGNEMENT. 371
tres, tels que la Creuze, la Corrèze, le Morbihan, l'Ariége, les
Landes, l'Indre, les Pyrénées-Orientales, elle était très en
retard. Dans le Bas-Rhin, le Jura, la Haute-Marne, la Côte-
d'Or, la Meuse, le Doubs, le Haut-Rhin, les Vosges, il n'y
avait pas plus de 5 à 30 sur 1,000 enfants de 7 à 12 ans qui
fussent dépourvus d'instruction. Au contraire, sait-on à quelle
somme cette catégorie s'élevait dans le Morbihan, l'Ille-et-Vi-
laine, le Finistère, les Côtes-du-Nord, l'Indre la Haute-Vienne,
,
l'Allier, le Cher, la Corrèze, la Nièvre, la Loire-Inférieure et
l'Ariége ? Au lieu de 5 à 30 pour 4,000, on trouvait 450 à 500
sur 4,000 enfants de 7 à 12 ans qui ne recevaient pas d'ensei-
gnement. Dans ces départements, la proportion était encore
plus élevée, en ce qui concerne les filles. Sur 1,000, on n'y
comptait pas moins de 600 à 680 enfants du sexe féminin, de 7
à 12 ans, dépourvus de toute instruction 1 .
440. L'obligation a plusieurs fois été débattue dans les
Chambres. Lorsqu'on discuta la loi de 1833 sur l'instruction
primaire, la commission de la Chambre des députés et M. Re-
nouard, son rapporteur, condamnèrent l'enseignement pri-
maire obligatoire. Ils avaient été devancés dans cette voie
par M. de Montalivet, ministre de l'instruction publique,
dans l'exposé des motifs d'un projet de loi présenté aux Cham-
bres en 1831. M. Daunou, rapporteur de cette loi à la Chambre
des pairs, combattit également le principe de l'obligation.
Dans son projet du 12 mai 4847, M. de Salvandy passa la
question sous silence. Elle se représenta après la révolu-
tion de Février. Dans l'exposé des motifs du projet qui est
devenu la loi du 15 mars 1850, M. de Falloux, ministre de
l'instruction publique, opposait à l'obligation le dilemme sui-
vant : « Demandez-vous beaucoup, vous imposez une rigueur-
excessive. Demandez-vous peu, vous abaissez le niveau de
l'enseignement général. » M. Beugnot, rapporteur du même
projet, condamna l'obligation comme n'étant pas susceptible
de recevoir une exécution efficace et, d'un autre côté, comme

1Voir, sur tous les faits relatifs à l'instruction primaire, la Statistique de la


France, par Maurice Block, t. I, p. 219 et suiv. M. Fréd. Passy, op. cit.

372 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

inconciliable avec la liberté religieuse. Il faudrait, disait-il,


que dans chaque commune il y eût autant d'instituteurs que
de cultes, et les budgets communaux ne pourraient pas sup-
porter une charge aussi lourde. Dans la discussion de la loi,
un amendement présenté par M. Fayolle fut repoussé à la
majorité de 425 voix contre 182. En 1860, le Sénat, saisi de
la question par une pétition des principaux manufacturiers,
refusa, par l'ordre du jour pur et simple, de consacrer le prin-
cipe sans même accorder à cette question les honneurs d'une
discussion publique.
444. En 1833, M. Cousin défendit le principe de l'obliga-
tion à la Chambre des pairs, au nom d'une commission dont il
fut le rapporteur. En 1849, il fut adopté par deux commis-
sions, dont l'une avait pour rapporteur M: Barthélémy Saint-
Hilaire, et l'autre M. Jules Simon.
Les publicistes qui ont adopté cette opinion ont une haute
autorité, et, pour le prouver, il suffit de citer Turgot 1, Rossi 2,
Stuart Mill 3. D'un autre côté, l'exemple des autres pays dé-
montre que, dans la pratique, on peut atténuer beaucoup les
inconvénients, et il vaudrait mieux étudier les procédés à
l'aide desquels quelques peuples sont parvenus à concilier l'obli-
gation avec l'intérêt des parents et la liberté religieuse, que de
grossir les difficultés. M. Beugnot, par exemple, appréhende
qu'il ne faille créer dans chaque commune des instituteurs de
toutes les religions, et, par conséquent, grever dans une
proportion démesurée le budget municipal. Y a-t-il beaucoup
de communes en France où les trois cultes reconnus soient
professés? Même dans celles où ils coexistent, si les ressources
de la commune ne permettent pas de créer autant d'écoles qu'il
y a de religions, ne pourra-t-on pas séparer l'instruction de
1 Mémoire sur les municipalités, 1775.
2 Cours d'économie politique, 17e leçon, 1840.

3 Principes d'économie politique, t. I, p. 358. A la Société d'économie po-


litique de Paris elle a été soutenue par MM. Baudrillart et Joseph Garnier,
ainsi que par M. Léonce de Lavergne, quoique ce dernier ait fait certaines
réserves. A. la Société d'économie politique de Madrid, le même principe a été
soutenu par MM. Colmeiro, Serrano et Figuerola.
LIBERTÉ D'ENSEIGNEMENT. 373
l'éducation religieuse? Les conférences religieuses à l'école pri-
maire peuvent être faites en dehors des classes, et rien n'est
facile comme de dispenser ceux qui professent une autre reli-
gion d'y prendre part.
44S. L'objection de M. de Falloux n'est pas plus con-
cluante. « Demandez-vous peu, dit-il, vous abaissez le niveau
de l'enseignement général. » Nous ne demandons ni peu ni
beaucoup mais seulement l'indispensable. Que nos lois qui
,
protègent le corps protègent aussi l'esprit de l'enfant, et qu'il
ne soit pas permis à un père, lorsque autour de lui les voisins
recherchent l'instruction primaire, de retenir ses fils dans un
état d'ignorance qui leur donne une déplorable infériorité. Cette
infériorité est si grande, que l'enfant ne sachant ni lire ni écrire
a pu justement être comparé à celui qui est affecté de quelque
infirmité naturelle ou accidentelle assez grave pour l'empêcher
de gagner sa vie.
Les progrès de l'enseignement primaire, par suite de l'ini-
tiative libre des parents, n'est pas une objection contre l'obliga-
tion; c'est au contraire un argument en sa faveur. Plus l'ins-
truction primaire se répand, et plus est triste la position de ceux
qui ne la reçoivent pas; plus aussi est coupable le père qui
néglige son enfant, sans être stimulé par la sollicitude des
autres parents. Avec quelle facilité d'ailleurs ne peut-on pas
rétorquer l'argument ? Si le progrès se fait spontanément, l'o-
bligation ne sera qu'une gêne peu sensible pour ceux qui cèdent
au mouvement ; elle n'atteindra qu'un petit nombre de parents
récalcitrants, d'autant moins dignes d'intérêt qu'autour d'eux ,
chacun donne le bon exemple.
443. L'obligation de l'enseignement primaire n'est, pour
ainsi dire, pas une question de l'ordre politique ou économique;
c'est une question de morale dont la solution serait bien
placée au Code civil, sous la rubrique des droits et devoirs des
époux envers leurs enfants.
444. Autant nous sommes attaché à la cause de l'instruc-
tion primaire obligatoire, autant nous sommes opposé à l'ins-
truction gratuite. L'instruction gratuite pour tous est une
charge imposée au trésor, c'est-à-dire à tout le monde au
374 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

profit des riches qui pourraient payer la contribution et qu'on


en dispense sans motif sérieux. Que parle-t-on d'égalité? Les
pauvres demandent une faveur, une assistance, une charité,
et l'on veut que, pour ne pas humilier leurs enfants, on
accorde la même dispense à tout le monde? La véritable solu-
tion, sur ce point, a été consacrée dans la loi du 45 mars 1850
(art. 24), qui déclare que l'instruction primaire sera donnée
gratuitement aux enfants dont les parents ne pourront pas la
payer. Telle était l'opinion adoptée par Rossi : « Pour nous,
disait-il, il est évident que l'État peut imposer une certaine
éducation de l'esprit, comme il exige un vêtement et une tenue
décente pour le corps... L'éducation peut être générale et obli-
gatoire sans être entièrement gratuite 1. »

DROIT COMPARE.

445. Belgique. — L'art. 17 de la Constitution du 7. fé-


vrier 1831 proclame en ces termes le principe de la liberté
d'enseignement : « L'enseignement est libre; toute mesure
préventive est interdite; la répression des délits n'est réglée
que par la loi. L'instruction publique donnée aux frais de
l'État est également réglée par la loi. » Cette disposition a fait
naître la question de savoir si l'instruction par l'État était
facultative ou obligatoire; mais des lois postérieures ont or-
ganisé l'enseignement public et déclaré que c'était pour l'État
une obligation 2.
L'enseignement, dans le sens de droit d'enseigner, est libre
à tous les degrés, primaire, secondaire et supérieur. A l'égard
des parents, la loi belge n'a pas consacré le principe de l'o-
bligation pour l'enseignement primaire. La question fut pré-
sentée en 1859 à la Chambre des représentants par une pétition
où l'on demandait aux Chambres de déclarer l'enseignement
obligatoire. M. Verhaegen, président de la Chambre, combat-

1 Cours d'économie politique, 1840, 17e leçon.


2 Havard, Éléments de droit public et administratif, t. I, p. 38.
LIBERTÉ D'ENSEIGNEMENT. 375
tit énergiquement la proposition. M. Frère déclara que jamais,
tant qu'il serait aux affaires, ce principe n'entrerait dans la
législation de son pays, et la Chambre adopta l'ordre du jour,
à la majorité de 79 voix contre 5.
La gratuité n'y est pas générale pour tous les élèves, mais
seulement pour les indigents. La commune est obligée de pour-
voir aux frais d'éducation de ces derniers. La loi du 1er juillet
1879 ne diffère pas, sur ce point, de la loi du 23 septembre 1842
qu'elle a remplacée. La différence entre les deux lois tient à
d'autres choses : 1° La loi de 1842 permettant de dispenser une
commune d'entretenir une école publique lorsqu'il y avait, dans
la localité, des écoles libres suffisant aux besoins de l'enseigne-
ment. Comme il y avait presque partout des écoles confession-
nelles, il en résultait que l'enseignement primaire était entre
les mains du clergé. La loi du ler juillet 1879 veut que toute
commune ait une école primaire. 2° La loi organise un système
d'inspection qui remplace l'inspection du clergé. Les écoles ne
peuvent obtenir de subvention de la Province ou de l'État si
elles ne déclarent se soumettre au système d'inspection établi
par la loi du 1er juillet 1879.
La même loi établit la neutralité de l'école au point de vue
confessionnel. « L'enseignement religieux, dit l'article 4, est
laissé aux soins des familles et des ministres des différents
cultes. » « Un local dans l'école est mis à la disposition des
ministres des différents cultes pour y donner soit avant, soit'
après l'heure des classes, l'enseignement religieux aux enfants
de leur communion fréquentant l'école 1. »

1 Loi du 23 septembre 1842.


Art. 1er. Il y aura, dans chaque commune du royaume, au moins une
école primaire établie dans un local convenable.
Art. 2. Lorsque dans une localité il est suffisamment pourvu aux besoins
de l'enseignement primaire par des écoles privées, la commune peut être
dispensée d'établir elle-même une école.
Art. 3. La commune pourra être autorisée à adopter, dans la localité
même, une ou plusieurs écoles privées réunissant les conditions légales pour
tenir lieu d'écoles communales
Art. 7. La surveillance de l'école quant à l'instruction et à l'administra-
,
376 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

446. Hollande. — L'enseignement primaire n'a pas été


déclaré obligatoire par une loi générale dans les Pays-Bas ;
mais les administrations provinciales et communales prennent
des mesures qui peuvent être considérées comme des moyens
de coercition indirecte. Grâce à ces mesures et à l'initiative de
la Société du bien public, l'instruction primaire est très-déve-
loppée dans ce pays. Les communes ont fondé des écoles gra-
tuites et les ministres protestants font un devoir de conscience
aux familles pauvres d'y envoyer leurs enfants ; les bureaux de
tion, sera exercée par l'autorité communale... Quant à l'enseignement de la
religion et de la morale, la surveillance sera exercée par les délégués des
chefs des cultes. Les ministres des cultes et les délégués du chef du culte
auront, en tout temps, le droit d'inspecter l'école.
Loi du 1er juillet 1879.
Art. 1er. Il y aura, dans chaque commune du royaume, au moins une
école primaire établie dans un local convenable. — Des salles d'asile ou
écoles gardiennes et des cours pour les adultes seront adjoints à l'école com-
munale dans toutes les localités où le gouverneur le juge nécessaire. —
Deux ou plusieurs communes peuvent, en cas de nécessité, être autorisées
à s'unir pour fonder ou entretenir une école ; elles peuvent même y être
contraintes par arrêté royal, les conseils municipaux et la députation per-
manente entendus.
Art. 2. Le gouvernement, après avoir entendu le conseil communal et la
députation permanente, fixe le minimum des écoles à entretenir dans chaque
commune ainsi que le nombre des classes et des professeurs dans chaque
école; il détermine les écoles qui sont exclusivement destinées aux enfants
de l'un et de l'autre sexe et celles dans lesquelles les enfants des deux
sexes peuvent être admis ; il indique les écoles auxquelles des écoles gar-
diennes ou des cours d'adultes doivent être adjoints.
Art. 3. Les enfants indigents reçoivent l'instruction primaire gratuite-
ment. — La commune est tenue de la procurer dans les écoles communales
à tous les enfants indigents. — Le conseil communal, après avoir entendu
le bureau de bienfaisance, fixe tous les ans le nombre d'enfants indigents
qui doivent recevoir l'instruction gratuite aiusi que la subvention à payer de
ce chef ou, s'il y a lieu, la rétribution due par élève. Cette liste ainsi que le
montant de la subvention ou la quotité de la rétribution est approuvée par
la députation permanente, sauf recours au roi. — La députation perma-
nente détermine aussi, sauf recours au roi, la part contributive qui incombe
au bureau de bienfaisance dans les frais d'instruction des enfants indigents;
la part assignée, au bureau de bienfaisance sera portée à son budget.
Art. 8. La nomination des instituteurs a lieu par le conseil municipal,
LIBERTÉ D'ENSEIGNEMENT. 377
bienfaisance ont, dans plusieurs communes, subordonné leurs
secours à cette condition 1.
L'article 81 de la loi du 47 août 4878 dit que « les tuteurs
ou parents des enfants qui ne fréquentent pas l'école ne reçoi-
vent pas les secours de la commune, les soins médicaux ex-
ceptés. » L'administration communale peut aussi encourager la
fréquentation de l'école par des récompenses honorifiques (art.
82).
La religion ne figure pas au nombre des matières qui font
partie de l'enseignement primaire (art. 2). Mais l'article 22
contient une disposition conçue dans un esprit de tolérance
digne de remarque : « En arrêtant les heures de classe, on
veillera, en laissant libres des heures à désigner expressément
dans le règlement, à ce que les enfants qui fréquentent l'école
puissent recevoir l'instruction religieuse de la part des mi-

conformément à l'article 84, n° 6 de la loi du 30 mars 1836. — Pour pouvoir


être nommé instituteur communal, il faut être Belge ou naturalisé et être
muni d'un diplôme d'instituteur ou de professeur de l'enseignement moyen
du deuxième degré.
— Si aucun candidat diplômé sorti des établissements
de l'Etat ne sollicite une place vacante d'instituteur, le conseil communal
peut être autorisé par le ministre de l'instruction publique à choisir, soit un
professeur de l'enseignement moyen qui aura fait des études privées, soit
un candidat non diplômé ; toutefois celui-ci n'entre en fonctions qu'après
avoir prouvé sa capacité devant un jury nommé par le gouvernement.
Art. 31 à 36. Le traitement des instituteurs est fixé à 1,200 fr. ; celui des
— L'instituteur a droit à une augmentation de 100 fr.
adjoints à 1,000 fr.
après cinq ans de services dans la même commune;
200 fr. après dix ans ;
400 fr. après quinze ans;
600 fr. après vingt ans.
Les dépenses sont payées au moyen des donations ou fondations, s'il y
en a; à défaut, ou en cas d'insuffisance, par une allocation sur le budget de
la commune et subsidiairement
par des subsides de la province et de l'Étal.
Art. 38. Aucune école ne peut obtenir ou conserver un subside ou une
allocation quelconque de la commune, de la province ou de l'État, si l'auto-
rité qui la dirige ne la soumet au régime de surveillance et d'inspection établi
par la présente loi. — [Annuaire de la Société de législation comparée,
1880, p. 486 et suivantes.)
' Cousin, Instruction publique en Hollande; voyage fait en 1836, p. 170, et
Henry Barnard, National éducation in Europe, 1854,
p. 596.
378 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

nistres des cultes. Les locaux scolaires, chauffés et éclairés,


s'il est nécessaire seront tenus disponibles pour l'enseignement
,
de la religion, aux conditions à déterminer par les bourg-
mestre et échevins, d'accord avec l'inspecteur scolaire du dis-
trict. »
Au point de vue du droit d'enseigner, la loi du 47 août 4878
exige que l'instituteur produise avec son brevet de capacité un
certificat de bonnes vie et moeurs délivré par le bourgmestre du
lieu où il a résidé pendant les deux dernières années. En cas
de refus par le bourgmestre, l'instituteur peut se pourvoir
devant la députation permanente et de celle-ci au roi 1. Il faut
de plus que la production du brevet et du certificat soit jugée
régulière par le bourgmestre de la commune où l'instituteur
veut s'établir.
Au reste, le système établi dans les Pays-Bas par la loi du
17 août 1878 ressemble par ses traits principaux à celui qui a
prévalu en Belgique. Chaque commune doit entretenir une
école; l'enseignement religieux est abandonné aux soins des
familles et des ministres du culte ; les instituteurs doivent s'abs-
tenir de tout ce qui pourrait offenser les croyances religieuses

1 Loi du 17 août 1878.

Art. 51 Pour donner l'enseignement privé, il faut être en possession:


a) d'un diplôme de capacité; b) d'un certificat semblable à celui mentionné
à l'article 27 (certificat de bonnes vie et moeurs); c) d'une attestation certi-
fiant que ces deux pièces ont été soumises au bourgmestre et aux échevins
de la commune où l'enseignement est donné et qu'ils les ont reconnues ré-
gulières. — Les bourgmestre et échevins en préviennent l'inspecteur scolaire
du district.
Art. 62. Pour ce qui est de l'attestation mentionnée au précédent article,
lettre c, les bourgmestre et échevins statuent dans les quatre semaines de la
date où la demande a été faite. — L'intéressé peut se pourvoir auprès de la
députation permanente contre cette décision. — En cas de refus de la dépu-
tation permanente, l'intéressé peut se pourvoir par appel auprès du roi.
Art. 7. La loi n'est pas applicable 1° à ceux qui donnent exclusivement
l'enseignement primaire à domicile aux enfants d'une seule famille ; 2° à
ceux qui, ne faisant pas de l'enseignement leur profession et donnant l'ins-
truction gratuitement, ont obtenu l'autorisation du roi à cet effet (Annuaire
de la Soc. de lég. comp., 1879, p. 516).
LIBERTÉ D'ENSEIGNEMENT. 379
de leurs élèves; le principe de l'obligation n'est pas consacré;
on y supplée par le refus de secours communaux et par des ré-
compenses ou distinctions honorifiques; la gratuité n'est ac-
cordée qu'aux indigents et l'inspection scolaire est conférée à
des autorités laïques. L'instituteur est nommé par le conseil
communal. Il peut être destitué par la députation permanente.
447. Angleterre. — Le 6 mars 1856, lord John Russel
proposa un projet de loi qui renfermait un plan complet d'ins-
truction publique et dans lequel trouvait place le principe de
l'enseignement obligatoire. Il fut repoussé le 40 avril 4856
et l'enseignement primaire conserva son caractère facultatif.
Aussi sur 47 millions d'habitants environ, 8 millions ne sa-
vaient ni lire ni écrire, et on constatait que pour les personnes
mariées la proportion de celles qui ne savaient pas signer était
de 32 0/0, pour les hommes, et de 48 0/0, pour les femmes.
Le principe de l'obligation a cependant prévalu peu à peu.
La loi du 9 août 1870 permit aux comités scolaires d'exiger,
même sous peine d'amende, la fréquentation de l'école. L'obli-
gation était ainsi introduite à titre de mesure locale. Une loi
du 15 août 1876 établit, par une disposition générale, la sanc-
tion pénale pour tous les règlements qui seraient faits par les
conseils locaux. Enfin une loi du 26 août 1880 porte que là où
le conseil local n'aura pas fait de règlement pour prescrire la
fréquentation de l'école, le règlement pourra être fait par le
département de l'éducation. Ainsi le principe de l'obligation
a prévalu mais on n'est parvenu (chose digne de remarque en
Angleterre) à triompher des résistances locales qu'en armant le
pouvoir central.
Ces lois ont donné une vive impulsion aux progrès de l'ins-
truction primaire dans la Grand-Bretagne, comme le démontre
le tableau suivant :
Écoles. Enfants inscrits.
1869-1870 8,284 1,600,000
1875-4876 14,273 3,000,000
1878-1879 17,166 3,700,000 l.

1 Annuaire de la Société de législation comparée, 1881, p. 23.


380 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

448. États-Unis d'Amérique. — Il n'y a pas aux États-


Unis de loi générale qui rende l'enseignement primaire obli-
gatoire ; mais la législature de chaque État peut faire des
dispositions spéciales sur cette matière, et quelques-uns ont
adopté le principe de l'obligation. Dans la plupart de ceux
qui l'ont proclamé, la loi a confié aux communes le soin de se
prononcer sur ce point, et c'est pour cela que dans quelques
États on trouve des communes qui ont déclaré l'enseignement
primaire obligatoire à côté d'autres qui l'ont abandonné à la
volonté des parents. Le système de l'obligation est pratiqué
dans le Massachussets, le Connecticut, le Maine, le New-
Hampshire et l'État de Vermont qui, tous les cinq, font partie
de la Nouvelle-Angleterre. Dans le Connecticut, ceux qui ne
savent pas lire ont été déclarés incapables de voter par la loi
du 17 juin 1858. Dans le Massachussets, une loi de 1854 auto-
rise les communes ou paroisses à prendre telles mesures qu'elles
jugeront bonnes pour contraindre les enfants de cinq à seize
ans à suivre l'école primaire; quant à l'amende, la loi autorise
les autorités municipales à la prononcer contre les parents
dont les enfants ne suivent pas l'école, et se borne à fixer, sous
ce rapport, un maximum de 20 dollars ou 100 fr. au-dessous
duquel les pouvoirs municipanx peuvent se mouvoir librement 1.
C'est par la liberté et par la générosité des pouvoirs publics
qu'a été résolu, dans ce pays, le problème de l'éducation popu-
laire. L'État et les communes ont fondé des écoles nombreuses qui
sont des modèles d'installation, au point de vue de l'enseigne-
ment, et d'architecture au point de vue de la construction. On
évalue à près de 106 millions la dépense annuelle des États et des
communes pour l'instruction publique. L'initiative privée n'est
pas moins généreuse, et la somme de ses dépenses s'élève à
environ 108 millions, un total de 244 millions de francs annuel-

1 Sur l'instruction primaire aux États-Unis et sur la question de l'ensei-


gnement obligatoire, en général, voir une brochure de M. Ch. Robert,
maître des requêtes au Conseil d'État : De la nécessité de rendre l'instruction
primaire obligatoire en France, imprimée à Montbéliard, 1861, p. 57 et suiv.
Cette brochure accompagnait la pétition des industriels de l'Alsace, qui fut
rejetée par le Sénat de l'Empire.
LIBERTÉ D'ENSEIGNEMENT. 381
lement. L'émulation y est générale. Les différentes confessions
États-Unis ,
si nombreuses aux y rivalisent de zèle. Aussi l'ins-
,
truction primaire est-elle aux États-Unis aussi développée que
dans les pays les plus avancés de la vieille Europe 1.
449. Allemagne. — En Prusse, l'instruction primaire est
obligatoire depuis le règlement général du grand Frédéric, en
date du 12 août 1763. Les parents qui ont des enfants en âge
de fréquenter l'école doivent payer la rétribution scolaire en
entier. Si les parents négligent d'envoyer à l'école les enfants
pour lesquels ils payent la rétribution, ils peuvent être con-
traints par jugement et condamnés à payer une amende. Le
principe de l'obligation a été même consacré par la Constitution
de 1850 : « La science et son enseignement sont libres; on pour-
voira par des écoles publiques à l'éducation de la jeunesse. Les
parents ne peuvent pas priver leurs enfants de ce degré d'ins-
truction que l'école primaire publique est chargée de conférer.
Il est permis à tous ceux qui peuvent justifier devant l'autorité
de leur moralité, de leurs aptitudes et de leur savoir d'ensei-
gner ou d'ouvrir des écoles. — Tous les établissements publics
ou privés sont soumis à la surveillance de l'État. — En fondant
des écoles primaires publiques, il y a lieu de tenir compte,
autant que possible, de la différence des cultes. L'instruction
religieuse y est conférée sous la direction des Églises ou asso-
ciations religieuses. — La direction des intérêts matériels des
écoles primaires publiques dans lesquelles l'instruction devra

être gratuite appartient aux communes qui doivent d'ailleurs

supporter les frais de leur création et de leur entretien. L'État
n'intervient que lorsque la commune est dans l'impossibilité de
remplir ce devoir et dans la limite des besoins » (Art. 20 à
25) 2.
L'enseignement primaire ayant en Prusse un caractère muni-
cipal la législation présente des particularités locales, qui mé-
,
ritent d'être notées. En Silésie, par exemple, d'après un règle-

Bigelow, Les États-Unis de l'Amérique, en 1863, p. 422.


— V. aussi
1

Laboulaye, dans le Dictionnaire politique de M. Block, v° États-Unis.


- Les Constitutions modernes, par M. R. Dareste, t. I, p. 164.
382 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

ment du président de la province, en date de 1832, les fabricants


et autres maîtres sont tenus, sous peine d'une amende de 5
thalers (18 fr. 75 c), de faire suivre une école aux enfants qu'ils
emploient 1.
En Saxe, l'obligation est encore plus rigoureuse qu'en Prusse;
la sanction pénale peut aller jusqu'à la prison. Au-dessus de
cinq ans, les enfants doivent fréquenter l'école pendant huit
années consécutives c'est-à-dire jusqu'à quatorze ans. Les
,
enfants des pauvres obtiennent l'autorisation de n'y aller que
jusqu'à dix ans âge auquel il leur est permis d'entrer dans les
,
manufactures. La loi sur le travail des enfants employés dans
l'industrie défend expressément de les faire travailler dans les
fabriques avant qu'ils n'aient atteint cet âge (loi du 6 juin 1835,
règlement du 9 juin 1835 et loi du 3 mai 1851). Aussi le
royaume de Saxe occupe-t-il le premier rang parmi les États
où l'enseignement primaire est le plus développé. Les parents
ont d'ailleurs le droit de faire instruire leurs enfants à domicile,
et les catholiques, lorsqu'il n'y a pas dans la commune d'insti-
tuteur de leur religion, sortent de l'école pendant les exercices
religieux.
Des dispositions analogues ont, à diverses époques introduit
,
le principe de l'obligation dans la plupart des États de l'Alle-
magne , et les pays catholiques l'ont adopté comme les pays
protestants. Le Hanovre 2, le Wurtemberg 3, le grand-duché de
Bade 4, le grand-duché de Saxe-Weimar 6, le duché de Saxe-
Cobourg-Gotha, la Hesse électorale 6, la Hesse-Darmstadt, le
duché de Nassau et le duché de Brunswick 7, l'Autriche 8 et la

I Un mot composé désigne en allemand l'obligation des parents à cet


égard. On l'appelle : Schulpflichtigkeit, c'est-à-dire devoir d'école.
- Loi du 26 mai 1845, art. 3 et 4.
3 Loi du 29 septembre 1836.

4 En cas de récidive, le bourgmestre prononce contre les parents ou tu-

teurs l'emprisonnement de quatre à vingt-quatre heures.


" Ordonnance du 15 mai 1821 et loi du 2 mai 1851.
6 Instruction du 9 novembre 1825.

Loi du 23 avril 1840.


8 Les enfants en Autriche, doivent suivre l'école primaire de six à douze
,
LIBERTÉ D'ENSEIGNEMENT. 383
Bavière reconnaissent le devoir d'école avec quelques va-
1

riantes relatives à la durée de l'enseignement. Dans plusieurs


États, les parents ne sont tenus de les envoyer à l'école que jus-
qu'à douze ans, tandis que dans quelques autres, l'obligation
dure jusqu'à quatorze. On y trouve aussi des différences quant
à la sanction ; tandis que certaines lois ne prononcent que l'a-
mende, d'autres permettent au bourgmestre de condamner à un
emprisonnement, ordinairement très court, les parents ou tu-
teurs négligents.
Luxembourg. — L'instruction primaire est aujourd'hui
régie, dans le Grand-Duché, par la loi du 20 avril 1881, qui a
remplacé celle du 28 juillet 1843. L'enseignement primaire
comprend : 4° l'instruction religieuse et morale; 2° la langue
allemande; 3° la langue française; 4° le calcul et les poids et
mesures; 5° les éléments de géographie; 6° les éléments de
l'histoire nationale, 7° le chant et pour les filles 8° les travaux
d'aiguille. A côté de ces matières, qui sont obligatoires, la loi
énumère comme matières facultatives : les éléments des sciences
physiques et naturelles, le dessin linéaire, la tenue des livres
et la gymnastique.
L'enseignement primaire, qui n'était pas obligatoire d'après
la loi de 1843, a pris ce caractère d'après la loi nouvelle : « Ar-
ticle 5. Les enfants âgés de six ans devront recevoir l'enseigne-
ment primaire pendant six années consécutives. — La durée
peut même être portée à 13 ans par un règlement de l'autorité
municipale. »
Une seconde loi portant aussi la date du 20 avril 1881 a fixé

ans. Après douze, jusqu'à quatorze, les parents ont la faculté de leur faire
suivre des répétitions dont la durée ne dépasse pas quatre heures par se-
maine. L'article 21 de la loi du 14 mai 1869 avait porté l'obligation à huit
années (de six à quatorze ans). Sur la proposition de M. Lienbucher, après
les débats les plus animés dans les deux Chambres, elle a été réduite à six
années (de six à douze). — Le jour où cette résolution fut votée, les fau-
bourgs de Vienne mirent des drapeaux de deuil sur les portes des écoles.
1 Décret du 23 janvier 1802 et ord. roy. du 15 janvier 1840. Cette ordon-
nance ne permet pas d'employer les enfants dans les mines avant l'âge dt-
neuf ans. Après leur admission, les entrepreneurs doivent encore les en-
voyer à l'école pendant deux heures par jour.
384 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

la sanction de cette obligation. Elles consistent dans : 1° l'a-


vertissement aux parents par la commisssion scolaire ; 2° en cas
de récidive, l'inscription au tableau des affiches municipales;
3° en cas de récidive nouvelle, amende de simple police au
maximum.
La loi est peu libérale en ce qui concerne l'enseignement
privé. D'après l'article 100 de la première des lois de 1881,
une école ne peut être fondée qu'avec l'autorisation du gouver-
nement, et l'autorisation peut être retirée si une des conditions
exigées vient à faire défaut; mais, en ce cas, l'intéressé peut se
pourvoir devant le Conseil d'État par la voie contentieuse.
450. Suisse. — Le principe de l'obligation n'a été que
dans ces derniers temps, établi comme une règle générale appli-
cable à tous les cantons. Il avait de bonne heure été adopté
dans les cantons de Zurich, de Vaud, de Berne et d'Appenzell.
Dans le Valais, il avait été prescrit par la Constitution de 1852;
article 8 et la Constitution de Genève s'était bornée à établir la
gratuité. Mais la Constitution fédérale du 29 mai 1874, article
27, a généralisé l'obligation : « Les cantons pourvoient à l'ins-
truction primaire, qui doit être suffisante et placée exclusive-
ment sous la direction de l'autorité civile. — Elle est obliga-
toire et, dans les écoles publiques, gratuite. — Les écoles
publiques doivent pouvoir être fréquentées par les adhérents
de toutes les confessions, sans qu'ils aient à souffrir d'aucune
façon dans leur liberté de conscience ou de croyance. La

Confédération prendra les mesures nécessaires contre les can-
tons qui ne satisferaient pas à ces obligations 1. »

1 Un arrêté fédéral du 14 juin 1882 autorisait le Conseil fédéral à faire une


enquête administrative sur la situation des écoles dans les divers cantons,
« pour assurer l'exécution complète de l'article 27 de la Constitution. » Cet
arrêté, publié le 17 juin, et frappé d'opposition dans le délai légal, a été
rejeté à une grande majorité par le vote populaire du 26 novembre 1882.
Dareste, Les Constitutions, t. I, p. 446. Cependant les cantons se sont
généralement conformés à la Constitution fédérale et ont mis leur législation
sur l'instruction publique d'accord avec l'article 27. V. notamment la loi du
canton du Tessin, en date du 14 mars 1879. Schaffouse, loi du 24 septembre
1879 ; Lucerne, 26 octobre 1879 (Annuaire de la Société de législation compa-
rée, 1880, p. 637, 646, 648). Baie-Ville, 21 juin 1880 (Annuaire, 1881, p. 159).
LIBERTÉ D'ENSEIGNEMENT. 385
454. Espagne. — La Constitution de Cadix de 1812,
article 25, portait qu'à partir de 1830, tout individu qui ne
saurait pas lire et écrire serait privé de l'exercice des droits
de citoyen. C'était une manière indirecte de consacrer le prin-
cipe de l'obligation. — Ce principe, avant de triompher dé-
finitivement dans la loi, fut soutenu par des défenseurs dis-
tingués et notamment par M. Colmeiro. « La loi, disait-il dans
sa première édition, n'a pas rendu civilement obligatoire, dit-il,
le devoir moral que les parents, tuteurs et curateurs contrac-
tent de faire donner aux pupilles et mineurs le degré d'ins-
truction sans lequel ils ne peuvent être utiles, ni à la société,
ni à eux-mêmes. Elle se borne à recommander aux commis-
sions locales d'exciter le zèle des parents, et de prendre les
moyens, dont le choix est laissé à leur prudence, pour les
amener à remplir ce devoir. Nous avons exprimé ailleurs notre
opinion sur ce point. A nos yeux, l'obligation ne diminue pas
la puissance paternelle et ne préjudicie pas au bien-être des
familles, lorsque l'administration prend soin de la concilier
avec la liberté individuelle et les ménagements dus à la pau-
vreté. L'incapacité politique est une garantie sociale contre les
périls de l'ignorance; mais comme stimulant, elle est sans effi-
cacité, et d'ailleurs c'est une peine dont la justice est bien
contestable 1. » L'opinion de M. Colmeiro a triomphé dans
la loi du 9 septembre 1857 (art. 7 et 8). Les pères de famille
ou tuteurs sont tenus d'envoyer les enfants à l'école publique
de 6 à 9 ans ou de les faire instruire à domicile ou dans une
école privée sous peine d'une amende de 2 à 20 réaux (50 cen-
,
times à 5 fr.). La Constitution du 6 juin 4869 a proclamé la
gratuité de l'enseignement primaire 2.
La loi déclare civilement obligatoire le devoir moral des
parents, tuteurs ou curateurs de donner à leurs enfants ou
pupilles l'enseignement ordinaire de six jusqu'à neuf ans et

1 Colmeiro, Derecho administrative Espanol, t. I, n° 972, p. 490.


- V. l'édition de 1876 de M. Colmeiro, t. I, p. 484. La statistique de
l'enseignement primaire prouve combien l'obligation était nécessaire dans ce
pays. En 1860, on comptait, sur quinze millions et demi d'habitants, près de
12 millions ne sachant ni lire ni écrire (11,837,391 illettrés), ou 75 0/0 pour

B. — II. 25
386 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

les autorités municipales sont chargées d'y veiller. Toute com-


mune de 500 âmes et au-dessus doit entretenir une école
de garçons et une école de filles. L'enseignement n'est gratuit
que pour les indigents. L'État vient par des subventions en
aide aux communes pauvres.
453. Portugal. — Le principe de l'obligation a été établi
dans ce pays par le décret du 20 septembre 1844. Il est re-
produit dans la nouvelle loi sur l'enseignement primaire du
2 mai 1878. Mais cette obligation ne porte que sur l'enseigne-
ment élémentaire et non sur les matières complémentaires de
l'enseignement primaire. L'obligation est de six années (de
6 à 42 ans). — La morale chrétienne figure en tête des ma-
tières de l'enseignement obligatoire, elle est enseignée par
l'instituteur.
Voici le texte de la loi du 2 mai 1878 :
« Art. 5. L' instruction primaire élémentaire est obligatoire
depuis l'âge de six ans jusqu'à celui de douze ans, pour tous
les enfants des deux sexes, à moins que les pères, tuteurs ou
autres personnes chargées de les élever ne prouvent légale-
ment l'une des circonstances suivantes :
« 1° Qu'ils donnent aux enfants à leur charge l'enseignement
à domicile ou dans une école privée ;
« 2° Qu'ils demeurent à plus de deux kilomètres de toute
école gratuite, publique ou privée, permanente ou temporaire;
« 3° Que leurs enfants ou pupilles ont été déclarés inca-
pables de recevoir l'euseignement dans trois examens suc-
cessifs ;
« 4°Qu'ils ne peuvent les envoyer à l'école pour cause de
pauvreté absolue, n'ayant pas reçu le secours établi dans le
paragraphe unique de l'article 7. »
« L'article 7 dit que les comités de paroisse fournissent aux
orphelins, fils de veuves pauvres ou de pères indigents, dans
les hommes et 89 0/0 pour les femmes. « Récemment, écrivait M. de Lave-
leye, en 1872, on affirmait que, sur les 72,157 conseillers municipaux que
compte la nation, 12,479 ne savent ni lire ni écrire. Parmi ces derniers
figurent 422 maires, 938 adjoints, 11,119 régidors des municipalités.
(L'instruction du peuple, 196.) V. aussi Code pénal espagnol, art. 603.

LIBERTÉ D'ENSEIGNEMENT. 387
l'impossibilité de travailler, les livres, les vêtements et tout ce
qui leur est nécessaire pour pouvoir fréquenter l'école 1. »
La loi portuguaise est libérale en ce qui concerne l'ou-
verture des écoles. L'article 59 de la loi du 14 janvier 1880
parle que tout Portugais ayant les conditions de capacité peut
ouvrir une école moyennant une déclaration préalable.
453. Italie. — Le principe de l'obligation a été intro-
duit en Italie par la loi du 15 juillet 1877. Le développe-
ment que l'instruction primaire a pris à partir de cette date
est considérable. Au 31 décembre 1877, sur 8,301 communes,
il n'y avait pas d'école dans 1,559. Le nombre des institu-
teurs était de 37,642. — A la fin de 1878, le nombre s'éle-
vait à 40,073; et sur les communes qui manquaient d'école,
559 en avaient créé. Voici comment se répartissait par région
les communes et les instituteurs.

Populations. Communes. Instituteurs.


Italie septentrionale. 9,847,000. 4,503. 19,838
. . .
— centrale 6,558,000. 1,234. 8,783
. .
— méridionale. . .
6,795,000.
.
1,840.
.
8,425
— titulaire 3,220,000.
.
724. 3,327
26,420,000 8,304 40,073

1 Annuaire de la Société de législation comparée, 1879, p. 405; 1881,


p. 354 et 1882, p. 403. V. Règlement du 28 juillet 1881 pour l'exécution de
la loi sur l'enseignement primaire.
388 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

CHAPITRE ONZIÈME.

LIBERTE DE L'INDUSTRIE ET DU TRAVAIL.

Sommaire.
454. Régime antérieur à 1789. — Jurandes et maîtrises. — Lieux privilégiés. —
Fabrication royale. — Compagnonage. — Damnation des ateliers et des villes.
455. Origine des jurandes et maîtrises. — Etienne Boileau. — L'institution des ju-
randes et maîtrises fut un progrès relatif.
456. Édit de Turgot. — Remontrances du Parlement.
457. Suite. — Chute de Turgot. — Édit de 1779.
458. Révolutionde 1789. — Loi des 2-17 mars 1791.
459. Attaques au principe de la libre concurrence.
460. Restrictions. — Professions d'imprimeur et de libraire et autres professions
réglementées.
461. Monopole de l'État.
462. Boulangerie et boucherie. — Taxe municipale.
462 bis. Conventions contraires à la liberté du travail et de l'industrie.
463. Droit comparé. — Espagne.
464. — Angleterre.
465. — Allemagne.
466. — Luxembourg.
467. — Suisse. — Thurgovie.
468. — Norwége.

454. Avant la révolution de 1789, l'industrie et le travail


étaient emmaillottés dans le système des jurandes et maîtrises,
système dont voici les caractères essentiels. D'abord nul ne
pouvait exercer un métier, sans avoir fait un apprentissage chez
un maître établi; la durée de cet apprentissage variait d'après
les professions et, dans chaque profession, suivant qu'il était
gratuit ou rétribué. Quand il était gratuit, ordinairement la
durée en était plus longue, parce que les règlements voulaient
que le maître retrouvât, dans la gratuité du travail de l'ap-
LIBERTÉ DE L'INDUSTRIE ET DU TRAVAIL. 389
prenti, la rémunération des soins qu'il lui donnait. Les fils
des maîtres établis étaient dispensés de l'apprentissage régle-
mentaire. L'apprenti, son temps d'apprentissage expiré, ne
sortait de sa condition d'ouvrier qu'en acquérant une maîtrise;
il devait de plus conquérir son admission par un chef-d'oeuvre,
qui exigeait un long travail et que le jugement sévère de
maîtres rivaux condamnait souvent à être brisé, comme insuf-
fisant. Ce qui était plus grave encore, c'est que chaque industrie
était parquée dans la limite tracée autour d'elle par les règle-
ments. Si la défense d'en sortir venait à être enfreinte, des
peines sévères frappaient le contrevenant. Pendant que les
produits fabriqués à l'étranger circulaient en France, l'ouvrier
français qui en avait fabriqué de semblables était rigoureuse-
ment puni, si la fabrication ne rentrait pas dans l'industrie
pour laquelle il avait été reçu maître. D'un autre côté, lorsque
par l'invention d'une machine une industrie ancienne venait
à être ruinée, ceux qui étaient privés de leurs moyens d'exis-
tence ne pouvaient pas se rejeter sur un autre métier; dépos-
sédés de leur privilège, ils ne pouvaient pas préjudicier au
privilège des autres maîtres1

1 V. l' Avant-propos et l'Introduction des métiers d'Etienne Boileau par MM.


R. de Lespinasse et Bonnardot. — V. Hist. des classes ouvrières depuis 1789,
par Emile Levasseur, t. I, p. 49. En parlant de la corporation les orfèvres de
Paris M. Levasseur dit : « On n'arrivait à occuper une des 300 places de maî-
tre que par une série d'épreuves pénibles : le coûteux enregistrement du bre-
vet d'apprentissage, puis l'apprentissage de huit années, puis le compagno-
nage, puis le chef-d'oeuvre plus coûteux encore; c'était, sans compter les
faux-frais et le temps, une dépense de deux mille livres au moins. La route
qui conduisait à un établissement était longue et étroite et d'autant plus en-
combrée que les simples apprentis y rencontraient la concurrence des fils de
maîtres dispensés, selon les statuts, de l'apprentissage. La cour des mon-
naies avait voulu inutilement supprimer ce privilège; un arrêt du Conseil lui
avait donné tort. Aussi chaque maître ne pouvait-il former qu'un seul ap-
prenti à la fois, et comme le délai réglementaire était fort long, un fabricant,
pendant toute la durée de sa carrière, ne préparait qu'un très petit nombre
d'aspirants Il y avait pourtant deux circonstances dans lesquelles on
franchissait la limite des 300 maîtrises, c'était en faveur des veuves et dans
les besoins pressants d'argent.
« La veuve pouvait tenir boutique, avoir des ouvriers à ses gages et con-
390 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.
L'exclusion qui dominait de métier à métier existait de ville à
ville. Tel qui avait fait ses preuves à Rouen ne pouvait pas
être maître à Lille ou à Paris. La séparation, l'isolement et le
monopole étaient partout. Il y avait cependant certains quar-
tiers de Paris où la fabrication était affranchie de ces entraves :
c'étaient le Temple et le quartier Saint-Antoine. Quand une dé-
couverte nouvelle luttait contre tous les privilégiés criant à la
dépossession, il y avait un autre moyen de faire cesser leurs
plaintes : c'était de déclarer que la production serait une fabri-
cation royale 1.
Le compagnonage contribua aussi à corriger la sévérité du
régime des jurandes, en associant les ouvriers et leur procurant
le moyen de lutter contre les patrons. Un patron avait-il donné
lieu à quelque plainte jugée légitime par la société, on dam-
nait son atelier; les liens de l'association étaient tellement
forts que nul des compagnons ne voulant plus travailler dans
sa maison, le maître dont l'atelier était damné venait à com-
position. Quelquefois une ville entière était damnée et tous
les compagnons refluaient vers les villes voisines. C'était l'or-
ganisation de la coalition dont notre Code pénal fit un délit;
mais la damnation n'étant prononcée qu'autant, que le grief
avait été agréé par la corporation, elle ne présentait pas les
mêmes dangers que les coalitions d'ouvriers sans discipline,
tinuer à exercer comme son mari, bien qu'un contre-maître eût été appelé à
prendre un des 300 titres qu'occupait le défunt
« De temps à autre, la communauté avait besoin d'argent, moins pour sa-
tisfaire à ses dépenses particulières que pour répondre aux exigences du
fisc, Louis XIV avait imaginé des moyens bizarres de pressurer le corps des
métiers : lettres de maîtrise, levées de recrues, création d'offices de toute
espèce. Les communautés rachetaient le tout pour ne pas laisser s'introduire
dans leur sein des maîtres et des surveillants étrangers. Elles empruntaient
et, pour payer leurs emprunts, elles vendaient, avec autorisation du Con-
seil d'État, le droit de tenir boutique (p. 49 et 80). »
1 Histoire des classes ouvrières depuis 1789, par Emile Levasseur, t. I,
p. 47 et suiv. La corporation des orfèvres, dont M. Levasseur présente l'or-
ganisation comme le modèle des communautés industrielles, s'était affranchie
de la concurrence de la fabrication royale. Depuis le seizième siècle, elle ne
«
cessa de faire saisir les marchandises des prétendus orfèvres suivant la cour
et pourvus de lettres du grand prévôt de l'hôtel. »
LIBERTÉ DE L'INDUSTRIE ET DU TRAVAIL. 394

sans organisation, sans frein ; mais elle était aussi plus effi-
cace.
455. On attribue généralement au prévôt des marchands,
Etienne Boileau, l'établissement de ces règlements et la cons-
titution des maîtrises. C'est en effet sous le nom de ce magistrat
qu'ont été recueillis, en 1260, les livres des métiers et mar-
chandises. Mais ce livre n'est que la réunion en corps d'ouvrage
de règlements antérieurement existants ; c'est un travail ana-
logue à celui de la rédaction officielle de nos coutumes qui
existaient bien avant le XVe siècle. Etienne Boileau ne fit que
constater les résultats de- l'enquête par lui ouverte au Châ-
telet de Paris sur les us et coutumes de chaque métier. En cer-
tains points, il sanctionna les meilleures règles des maîtrises et
consacra les procédés les plus parfaits 1. Mais il ne créa
pas les corporations dont l'origine connue remonte aux Ro-
mains. Elles étaient venues dans les Gaules à la suite des légions
et s'étaient conservées au milieu des désordres de l'invasion
barbare. D'abord spéciales aux communes qui avaient reçu
l'empreinte romaine, elles avaient été imitées dans les com-
munes féodales du Nord et par suite étaient devenues une
institution générale.
On peut juger par les traits que nous venons d'esquisser
combien était gênante l'institution des maîtrises et des juran-
des. Cependant il faut reconnaître que ce système fut un
progrès pour l'époque où il prit naissance. Les désordres du
moyen âge, pendant la période féodale, étaient tellement
contraires à la condition des travailleurs, que les patrons
s'unirent pour lutter avec plus d'avantages et protéger plus
efficacement leur travail 2. Ainsi les mêmes institutions qui

1 Depping, Introduction au livre des matières et marchandises, 1837. —


Mémoires et documents inédits pour servir à l'histoire de France.
2 Cette idée est développée dans l'Avant-propos de l'édition des métiers

par MM., de Lespinasse et Bonnardot : « Le fief, quand il n'était pas agres-


seur, se tenait constamment sur la défensive. Comme on pouvait l'attaquer de
partout, il se défendait de toutes parts ; il se tenait prudemment derrière
ses murs et ses fossés, abrité par ses herses et ses ponts-levis. Le fief était
avant tout une forteresse.
«
Ainsi en était-il des métiers de Paris. Le fief industriel parisien avait
392 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

devinrent dans la suite si oppressives pour le travailleur, com-


mencèrent par lui servir d'abri contre l'oppression seigneuriale.
Il arrive souvent que les institutions changent de caractère
en s'éloignant des circonstances qui les ont fait naître, et c'est
de la même manière que la féodalité, après avoir marqué un
progrès sensible sur l'époque de l'invasion barbare, devint plus
tard si contraire au développement individuel et fut si impopu-
laire 1.
456. Au mois de février 1776, Turgot proposa au roi un
édit portant abolition des jurandes et maîtrises, sauf quelques
exceptions très-rares qui maintenaient les anciens règlements
pour des métiers dont l'état des finances ne permettait pas de
rembourser les charges. Cet édit était précédé d'un immortel,
préambule, où la question de la liberté du travail était traitée
avec une élévation d'idées et une fermeté de langage admirables.
Le Parlement refusa d'enregistrer, et, pour l'y contraindre,
le roi tint un lit de justice à Versailles. C'est là que l'avocat
général Séguier vint, au nom du Parlement, défendre la cause
du monopole. Triste exemple de ce que peut sur des esprits
éclairés l'empire du préjugé, ou cette cause féconde des erreurs
que Bacon appelait le fantôme de la caverne ( idola specus) !
Il est donc vrai que chacun de nous habite une espèce d'antre
formé par nos préjugés d'habitudes, de naissance ou de posi-

pour défenses ses traditions, les privilèges à lui octroyés et le monopole dont
il jouissait ab antiquo. Quand le monde des métiers, vraie seigneurie col-
lective, avait fait, ainsi que le baron, son hommage lige; quand il avait
payé ses redevances au roi et à Ï'évêque, soit directement, soit par l'in-
termédiaire des officiers de l'évêché et de la couronne; quand il avait ac-
quitté en travail, en argent, en guet, tout ce que l'organisation féodale
exigeait de lui, sa situation, au point de vue du droit, était exactement la
même que celle de la noblesse fournissant ses hommes d'armes et celle de
l'Eglise accordant le tribut de ses prières. En règle avec le roi, son prévôt
et ses officiers, ainsi qu'avec la « sainte Eglise, » il se tenait dans son fief
et s'y cantonnait fièrement. Nul ne se fût avisé de le « tailler » arbitraire-
ment; nul n'eût impunément molesté un maître, un valet, un simple ap-
prenti régulièrement agrégé à la communauté ouvrière. »
— (Avant-propos,
p. III et IV.)
1 Voir Fr. Passy, Leçons d'économie politique, t. I,
p. 283-317. Leçons
sur les corporations.
LIBERTÉ DE L'INDUSTRIE ET DU TRAVAIL. 393
tion , et où la lumière ne pénètre qu'à travers des matières qui
en altèrent les rayons!
Le Parlement et son avocat général avaient cependant re-
connu que, sur quelques points, les anciens règlements allaient
jusqu'à l'exagération. « Qu'est-il besoin, par exemple, disaient
les remontrances, que les bouquetières fassent un corps assu-
jetti à des règlements? Qu'est-il besoin de statuts pour vendre
des fleurs et former un bouquet? Où serait le mal quand on
supprimerait les bouquetières? Ne doit-il pas être libre à toute
personne de vendre les denrées de toute espèce qui ont tou-
jours formé le premier aliment de l'humanité? Il en est d'autres
qu'on pourrait réunir, comme les tailleurs et les fripiers, les
menuisiers et les ébénistes... Il en est enfin où l'on devrait
admettre les femmes à la maîtrise, telles que les brodeuses,
les marchandes de modes les coiffeuses. Ce serait préparer un
,
asile à la vertu que le besoin conduit souvent au désordre et
au libertinage. »
457. Après la chute de Turgot, l'édit de février 1776, sur
les jurandes et maîtrises, fut rapporté ; mais le germe qu'avait
déposé l'immortel édit se développa.
Conformément aux idées émises dans les remontrances du
Parlement de Paris, l'édit du 5 août 1776, tout en rapportant
l'édit du mois de février, établit quelques modifications. On
supprima des jurandes qui furent jugées inutiles; on permit
de cumuler les métiers qui n'étaient pas incompatibles; on
admit les femmes à quelques maîtrises; c'étaient bien là en effet
les vues d'amélioration qui avaient été indiquées dans le dis-
cours de Séguier. Les corps et communautés furent divisés en
six corps de marchands, y compris les orfèvres, et quarante-
quatre corporations d'arts et métiers. L'industrie des bouque-
tières, des brossiers, des coiffeuses de femmes fut rendue à
la liberté; mais c'était là une réforme sans importance, et vu
le nombre des industries qui demeurèrent soumises au privilège,
on peut dire que l'abrogation de l'édit fut à peu près pure et
simple 1.

1 Voici l'énumération des communautés qui furent conservées par l'édit


394 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

Le 5 mai 1779, une tentative plus libérale mit aux prises le


régime du monopole et celui de la liberté. L'édit abolissait les
règlements qui obligeaient les manufacturiers à fabriquer d'une
certaine manière et suivant des dimensions fixes; il supprimait
aussi ceux qui les astreignaient à peindre ou à teindre les toiles
ou toileries, d'après ces procédés déterminés. Cette liberté n'ad-
mettait que deux restrictions : 1° pour les étoffes dans la fabri-
cation desquelles étaient employés l'or et l'argent; 2° pour les
étoffes destinées au commerce du Levant. En ces deux cas, les
anciens règlements étaient maintenus. Les fabricants devaient
attacher à leurs étoffes un plomb indiquant si la fabrication avait
été faite ou non conformément aux anciens règlements.
458. Après la révolution de 1789, la liberté de l'industrie
fut proclamée par la loi des 2-17 mars 1791, article 7. — « A
compter du 1er avril prochain, dit cet article, il sera libre à
toute personne de faire tel négoce ou d'exercer tel métier qu'elle
trouvera bon; mais elle sera tenue auparavant de se pourvoir
d'une patente, d'en acquitter le prix, suivant les taux ci-après
déterminés, et de se conformer aux règlements de police qui
sont ou pourront être faits... » La loi des 2-47 mars 1791 était
une loi de finances et le principe de la liberté n'y fut consacré
qu'à l'occasion des droits de patente. Elle ne fit donc pas de la
liberté du travail une question principale, mais seulement une
question incidente; au milieu du mouvement qui venait de se
produire, il semblait inutile de consacrer spécialement le droit
commun, c'est-à-dire la liberté, et il suffisait de la rappeler. La
différence qui existe entre l'édit de Turgot et la loi de l'Assem-

du mois d'août 1776 : six corporations de marchands : 1° drapiers, merciers;


2° épiciers; 3° bonnetiers, pelletiers, chapeliers; 4° orfèvres, batteurs d'or;
3° fabricants d'étoffes et de gazes, rubaniers ; 6° marchands de vins. Venaient
ensuite les quarante-quatre communautés d'industrie. Voici les industries
auparavant réglementées qui furent rendues libres par l'édit d'août 1776 :
bouquetiers, brossiers, boyaudiers, cardeurs de laine et de coton; coiffeurs
de femmes, cordiers, fripiers, brocanteurs achetant et vendant dans les
halles, rues et marchés, et non à place fixe ; faiseurs de fouets, jardiniers,
linières, filassières, maîtres de danse, nattiers, oiseleurs, bouchonniers,
pêcheurs à verge, pêcheurs à engin, tisserands, vanniers, vidangeurs.
LIBERTÉ DE L'INDUSTRIE ET DU TRAVAIL. 395
Liée constituante s'explique par la différence des époques. Du
temps de Turgot, tout était privilège, et il fallait profondément
marquer le principe du droit en face du monopole. Après 1789,
au contraire, la liberté rayonnait en tous sens, et il suffisait de
rappeler les vérités qui semblaient être admises par tous.
450. Le principe a triomphé et, dernièrement encore, il a
pu braver les attaques qui lui ont été adressées dans une de ses
conséquences les plus immédiates, la libre concurrence. On ne
parle plus de rétablir les anciennes corporations; ceux qui les
vantent et les regrettent n'en parlent qu'en archéologues.
460. Comme toutes les libertés, la liberté de l'industrie
a été restreinte par quelques exceptions.
Nous avons déjà dit que la profession d'imprimeur et celle
de libraire, après avoir été longtemps soumises à l'obtention
d'un brevet préalable (loi du 21 octobre 1814) avaient été
rendues à la liberté après le 4 septembre 1870, et que ce
régime avait été consacré par la loi sur la presse du 29 juillet
1881. L'intérêt général a voulu qu'on exigeât, pour quelques
autres professions, des conditions d'aptitude et des garanties
sans lesquelles le public aurait été à la merci du charlatanisme.
Les professions d'avocat 1, de notaire 2, d'avoué 3, de greffier 4,
d'huissier5, de médecin 6, de pharmacien 7, d'herboriste8, de
sage-femme 9 ont été soumises à certaines preuves d'aptitude;
quelques-unes même ont été réunies en corporations et sou-

Ordonnances du 20 novembre 1822, du 17 août 1830 et décret du 22


1

mars 1832.— Loi du 29 ventôse an XII, décret du 22 août 1854, et décret


du 20 juillet 1882, sur les droits d'examen dans les facultés de droit.
2
Loi du 23 ventôse an XI et ordonnance du 4 janvier 1843.
:l Loi du 27 ventôse
an VIII. — Arrêtés des 13 frimaire an XI et 2 ther-
midor an X.
1 Loi du 28 avril 1816.
3' Décret du 14 juin 1813 et ordonnance du 26 août 1822.
6 Loi du 19 ventôse
an XI, décret du 22 août 1834, et décret du 23 juillet
1882, sur les facultés de médecine et les écoles secondaires.
Loi du 21 germinal an XI
8 Décret du 22 août 1834.

'' Loi du 19 ventôse


an XI et décret du 22 août 1834.
396 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

mises à un pouvoir disciplinaire particulier. Dans cette caté-


gorie sont les avocats,les notaires, les avoués.
431 Afin d'assurer la régularité de certains services,
comme la poste, le gouvernement les a enlevés à l'industrie
privée pour en faire le monopole. Ce monopole est aussi
une des sources du revenu public. Par des raisons de sûreté,
il a interdit la fabrication des poudres et salpêtres à tout
autre qu'aux préposés de l'État. Enfin, pour s'assurer un
impôt plus productif, il a converti les taxes de consomma-
tion sur les tabacs en monopole de la fabrication et de la
vente. Il existe aussi des restrictions résultant de mono-
poles locaux, tels que la concession de la fourniture du gaz
dans les villes. Ce privilège doit être renfermé strictement
dans les termes de la concession et n'être point étendue aux
accessoires. Aussi la compagnie a le droit exclusif de cana-
liser les rues pour la pose des tuyaux conducteurs du gaz,
mais elle n'a pas le droit exclusif de fournir les compteurs
(C. de-Nancy, arr. du 6 décembre 1876 (D. P. 1879, 2,
59).
462. La loi des 2-17 mars 1794 contient elle-même une
restriction très-importante à la liberté de l'industrie. En disant
que les industriels seraient libres, à la charge de se conformer
aux règlements qui sont ou pourraient être faits, elle ouvrait la
porte à bien des restrictions 1. Cependant une loi des 49-22
juillet 1791, art. 30, titre I°% limita la réglementation,
pour l'avenir, à la taxe du pain et de la viande de bou-
cherie. « La taxe des subsistances, y était-il dit, ne pourra
provisoirement avoir lieu dans aucune ville ou commune du
royaume que sur le pain et la viande de boucherie, sans

1 Beaucoup de règlements sont demeurés en vigueur et de ce nombre


l'ordonnance du lieutenant général de police de la ville de Paris en date
du 8 novembre 1780, dont les articles 1 et 2 enjoignent aux brocanteurs de
la ville 1° de n'acheter qu'à des personnes connues et 2° de porter les objets
achetés sur un registre spécial. Mais cette ordonnance ne s'applique qu'à
la ville et aux faubourgs. Elle n'est pas applicable dans les autres com-
munes du département et notamment à un brocanteur d'Asnières. Cour de
Paris, arr. du 9 mars 1876 (D. P. 1878, II, 247).
LIBERTÉ DE L'INDUSTRIE ET DU TRAVAIL. 397
qu'il soit permis, en aucun cas, de l'étendre sur le vin,
le blé, les autres grains, ni autres espèces de denrées, et
ce sous peine de destitution des officiers municipaux. » Il y
avait dans cette rédaction une habile manière de déjouer les
susceptibilités de l'opinion publique, et de couvrir la déro-
gation faite aux principes de la Révolution en paraissant les
confirmer. D'ailleurs, aucune restriction autre que la taxe ne
limita la liberté industrielle en ce qui concernait la boulangerie.
Elle demeura une industrie libre, et elle ne fut réglementée
que par un arrêté du 49 vendémiaire an X 1.
463 bis. La liberté du travail et de l'industrie étant un prin-
cipe d'ordre public, il ne peut pas y être porté atteinte par
des conventions; ces conventions seraient nulles ainsi que les
clauses pénales qui auraient été stipulées pour les sanctionner.
Il n'y aurait cependant nullité que si l'atteinte avait un ca-
ractère de généralité ; car rien ne s'oppose à ce que deux parties
fassent valablement des conventions pour s'interdire, à peine
de dommages-intérêts, certains actes déterminés. Ainsi le ven-
deur d'un fonds de commerce peut promettre qu'il ne con-
tinuera pas à exercer la même industrie dans la ville 2. Un
engagement semblable est même de droit en ce sens que le
vendeur est tenu de ne pas s'établir dans le voisinage de l'ache-
teur du fonds cédé 3. Cette obligation serait inhérente à la ces-
sion alors même qu'elle serait faite après la faillite par le syndic;

1 L'article 30 de la loi des 19-22 juillet 1791 n'a jamais été abrogé et les
maires peuvent encore légalement taxer en vertu de cette disposition. Sous
le second Empire, on a fait l'essai de la liberté de la boucherie et de la
boulangerie en supprimant la taxe. En vertu de cette expérience, la liberté
existe de fait dans la plupart des communes. Quelques maires cependant ont
rétabli la taxe officielle. A Paris, la taxe a été supprimée par ordonnance de
police du 24 février 1838.

3
C. cass., Req., arr. du juin 1879 (D. P. 1880 , I, 37). Cette clause
10
n'empêcherait pas le vendeur du fonds de louer la maison à un locataire
qui établirait la même industrie, pourvu, bien entendu, qu'il n'y eût pas
fraude et que le bail fait à autrui ne fût pas un moyen employé pour dé-
tourner la clientèle cédée.
3 C. d'Alger,
arr. du 24 avril 1878 (D. P. 1880, II, 7).
398 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

car le syndic représente et engage le failli 1. De même deux


ouvriers peuvent valablement s'engager à quitter un patron
et à ne pas rentrer chez lui, à peine de dommages-intérêts
contre le contrevenant 2.
La liberté du travail et de l'industrie entraîne cette consé-
quence, que l'administrateur d'un casino peut interdire l'entrée
de ses salons à certaines personnes, sans que les tribunaux aient
à apprécier les motifs de ce refus. L'entrepreneur est maître
chez lui, à moins que le cahier des charges de la concession ne
lui impose des obligations particulières 3. Il en serait autrement
d'un entrepreneur de messageries ; il ne pourrait refuser ar-
bitrairement une place disponible au voyageur qui offrirait de
payer le prix 4. La différence des deux solutions tient à ce
que le voyageur a pu compter sur la voiture publique et n'a
pas cherché d'autre moyen de transport.

DROIT COMPARE.

403. Le principe de la liberté industrielle a triomphé clans


presque toutes les législations des nations européennes. En
Russie, elle tend à s'établir par la transformation du servage.
En Belgique, en Hollande, le travail est libre et la carrière
ouverte aux étrangers.
Espagne. — En Espagne, la liberté du travail a été pro-
clamée le 6 décembre 1836 par un acte portant rétablissement
de la loi faite à Cadix le 8 juin 1813. Tout Espagnol ou étranger
autorisé à résider peut faire tout métier, sans condition « d'exa-
« men, de titre ou d'incorporation à la communauté corres-
« pondant à son industrie. »

1 Cour d'Alger, ibid.


2 C. de Lyon,
arr. du 21 juillet 1873 (D. P. 1877, Ve partie, col. 278
et 279.
3 Tribunal de Pont-1'Évêque, 23 juillet 1878 (D. P. 1880, III, 22).

Trib. commerce, Périgueux, jug. du 26 août 1879 (D. P. 1881, M.


partie, 84).
LIBERTÉ DE L'INDUSTRIE ET DU TRAVAIL. 399
Les avocats, médecins et professeurs peuvent exercer leurs
professions dans toutes les parties du royaume sans se faire in-
corporer dans un ordre quelconque, et à la charge seulement
de présenter leur titres ou diplômes à l'autorité locale. Il y a
cependant en Espagne des corporations, mais elles sont pure-
ment volontaires et nul n'est astreint à s'y affilier pour exer-
,
cer son métier.
Il y a des industries qui, pour des raisons diverses, ont été
réglementées.
« Sont réglementées, dit M. Colmeiro : 1°
l'industrie des
imprimeurs, libraires et distributeurs d'écrits qui sont obligés
de se faire connaître au gouverneur de la province. Le gou-
verneur porte sur un registre spécial le nom, la résidence,
la rue et le numéro de sa maison. Les imprimeurs et libraires
doivent aussi mettre sur la porte de leurs établissements une
enseigne qui manifeste l'existence du magasin et le nom du
maître; 2° la fabrication du pain. Suivant les lois relatives à
cette industrie, nul ne peut l'exercer, s'il ne possède le capital
que l'autorité municipale fixe dans chaque commune. Cette
précaution a été prise pour éloigner la crainte que cette pro-
vision de première nécessité ne vînt à manquer; 3° la fabri-
cation des objets d'or et d'argent. La facilité avec laquelle on
peut abuser de la bonne foi des acheteurs a fait qu'on exige
certaines garanties qui assurent le poids et le titre des mé-
taux '

Si la suppression des corporations et de l'apprentissage a


«
fait du travail le patrimoine commun des Espagnols, l'abolition
des privilèges exclusifs et prohibitifs que possédaient certains
particuliers ou communautés, a soumis toutes les industries au
régime de la concurrence.
« Néanmoins le gouvernement s'est réservé le monopole de
certaines industries, tantôt parce qu'il les considérait comme
un service administratif d'une si grande importance, qu'il était
impossible de le confier à des particuliers, tantôt parce qu'il
1 Voir divers actes et notamment ord. royale du 17 octobre 1823, ord. roy.
du 23 janvier 1838 et ord. du régent, du 6 juin 1841.
400 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

a voulu faire de leurs profits un revenu pour l'Etat. Dans les


deux cas, le bien commun explique la restriction, soit parce
qu'en effet la garantie du gouvernement est nécessaire, soit
parce que ce système d'impôt est préférable à tout autre qui
respecterait le principe de la liberté individuelle.
« A cette classe appartiennent : 4° La fabrication de la
monnaie;
« 2° L'exploitation des mines réservées à l'ÉtatJ ;
« 3° La fabrication et la vente du sel dont les produits cons-
tituent un revenu public;
« 4° La préparation et la vente des tabacs pour les mêmes
raisons ;
« S° L'impression de la collection des lois;
« 6" Le service des courriers, parce que l'État doit ouvrir
des voies de communication dans toutes les directions et pro-
téger, en tous sens, la circulation des correspondances, dût-il
en résulter une perte pour le trésor. » Sur ce dernier point,
M. Colmeiro expose la controverse qui s'est produite. D'après
les uns, les employés de l'État présentent plus de garanties
d'exactitude et de fidélité; d'après les autres, c'est le contraire
qui est vrai, et ce sont les employés du gouvernement qui
ont le plus souvent commis des actes d'infidélité. La preuve
en est, disent-ils, que l'on ne confie pas des objets précieux
aux courriers, tandis que tous les jours on en donne aux per-
sonnes voyageant pour leur commerce. Après avoir exposé
la discussion, M. Colmeiro conclut en ces termes : « Vérita-
blement, en supposant que l'État protégeât le transport de
la correspondance, il me paraît que la nation gagnerait à ce
qu'au lieu d'être un service administratif, il fût placé dans
cette classe intermédiaire qui se compose des industries ré-
glementées 2. » Mais, dans sa dernière édition 3, M. Colmeiro
dit avec raison que l'industrie privée ne donnerait pas aussi
bien que l'administration satisfaction aux besoins publics.
464. Angleterre. — D'après le droit commun, l'exercice
1 Loi du 11 avril 1849, art. 32.
-
Colmeiro, Dereclio administrativo Espunol, t. II, p. 132.
:; Édit. de 187-3, t. II, p. 240.
LIBERTÉ DE L'INDUSTRIE ET DU TRAVAIL. 404
de toutes les professions était libre et il n'a été apporté de res-
trictions à ce principe que par des concessions spéciales à des
corporations, dans certaines villes. Dans les campagnes, la
liberté a toujours été entière.
Un statut d'Elisabeth réglementa toutes les industries qui
existaient dès la cinquième année de son règne, les industries
qui s'étaient formées postérieurement demeurant libres. Adam
Smith nous apprend que de là résultèrent les plus singulières
conséquences. « Par exemple, on a décidé, dit-il, qu'un car-
rossier ne pouvait faire ni par lui-même, ni par des ouvriers
employés par lui à la journée, les roues de ses carrosses, mais
qu'il était tenu de les acheter d'un maître ouvrier en roues,
ce dernier métier étant pratiqué en Angleterre antérieurement à
la cinquième année du règne d'Elisabeth. Mais l'ouvrier en
roues, sans avoir jamais fait d'apprentissage chez un ouvrier
en carrosses, peut très-bien faire des carrosses soit par lui-
même, soit par des ouvriers à la journée, le métier d'ouvrier
en carrosses n'étant pas compris dans le statut, parce qu'à cette
époque il n'était pas pratiqué en Angleterre 1. »
« Une loi, dit Ed. Fischel, du 24 juillet 1856, par laquelle
une centaine de lois industrielles , depuis longtemps hors d'u-
sage, furent supprimées d'un seul coup , offre une image inté-
ressante des restrictions apportées à l'industrie. Bornons-nous
à signaler dans ce nombre comme une des plus caractéristiques
pour les anciennes restrictions, une loi de la dixième année de
Guillaume III, interdisant la fabrication et la vente de certaines
espèces de boutons.
« Les corps de métiers déchurent sous les Stuarts et ne furent
bientôt plus que des associations fraternelles, maintenues dans
le but de donner des banquets, de former des cotisations « et
de paraître à certaines cérémonies. »
« Enfin, la loi de la 54° année du règne de Georges III,
Ch. 96, rendit libre, légalement aussi, en dehors des corpora-
tions l'exercice de toutes les industries depuis longtemps per-
,
mis de fait.

' Richesse des nations, t. I, p. 138.


B. — IL 26
402 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

«Malgré la liberté générale de l'industrie marchande (trade),


il existe néanmoins, pour certaines professions, des règlements
de police sévères 1. Les unes sont soumises à l'autorisation
préalable, les autres à l'inspection des agents de l'État. Les
boulangers, les brasseurs les marchands de beurre, les mar-
chands de charbon, les meuniers, les fabricants d'armés, les
apothicaires, les écorcheurs, les marchands de poudre, les
fripiers, les prêteurs sur gage, les lamaneurs, les ramoneurs, les
marchands de voiles pour la marine sont soumis à l'inspection des
agents de l'État qui ont, en général, le droit d'entrée dans les
ateliers ou maisons de commerce, pour l'exercice de leur surveil-
lance. — Les marchands et fabricants de fusils et pistolets ne peu-
vent vendre que des armes éprouvées. — Les colporteurs sont
également soumis à diverses restrictions. Ceux d'entre eux qui ne
sont pas porteurs de leurs brevets peuvent, pour cette simple
omission, être condamnés à un mois de prison.
D'autres professions sont sujettes à une permission de l'auto-
rité supérieure; les loueurs de voitures, par exemple, rentrent
dans cette catégorie. La taxe des voitures est fixée par la loi;
en 1853 le Parlement l'a réduite de 8 d. à 6 par mille anglais,
— La profession de médecin était complètement libre avant la
loi du 2 août 1858 qui a établi l'immatriculation des médecins
brevetés. Ceux-ci sont les seuls qui aient une action en justice
pour demander leurs honoraires. Les apothicaires n'ont égale-
ment d'action en justice qu'autant qu'ils sont pourvus d'une
autorisation spéciale.
L'industrie des marchands de bière et des hôteliers était libre
pendant le moyen âge, et c'est sous Edouard VI (6, Éd. VI, c.
25) que, pour la première fois, l'autorisation préalable fut
exigée; elle dut être délivrée par deux juges de paix. A partir
de ce moment, l'exercice non autorisé de la profession de mar-
chand de bière constitua une infraction punissable.
Toutes les autorisations pour les maisons de débit et les hôtels
où les spiritueux sont vendus en détail, doivent être renouvelées

1 Ed. Fischel (tr. par Vogel), t. I, p. 108.


LIBERTÉ DE L' INDUSTRIE ET DU TRAVAIL. 403
annuellement par les juges de paix (General Annual Licensing
Meeting). En cas de refus, la partie intéressée peut interjeter
appel devant les juges de paix réunis en session trimestrielle.
En général, cette assemblée statue en dernier ressort, et c'est
seulement dans quelques cas rares et déterminés par la loi que
l'affaire peut être portée devant la Cour du banc de la reine.—
Une fois obtenues, les autorisations sont cessibles ; mais les
transmissions sont également soumises à l'approbation des
juges de paix. Chaque année, le marchand de bière établi à la
campagne doit présenter, pour obtenir le renouvellement de la
permission, un certificat signé par six personnes domiciliées
dans la paroisse et visé par l'inspecteur des pauvres. Cette for-
malité n'est pas exigée dans les bourgs (parliamentary bo-
roughs) ni à Londres; elle est, en ces lieux, remplacée par
une inspection sévère de la police.
La faculté d'autoriser les débits de boissons est un des
moyens d'action dont se servent les partis pour influer sur les
élections; plus d'une fois, la permission a été refusée à des
électeurs qui n'avaient pas voté au gré du juge de paix; il est
vrai que les industriels mal pensants (comme nous dirions en
France) ont le droit de faire appel devant l'assemblée des juges
de paix réunis en session trimestrielle ; mais l'appel est jugé
par des magistrats animés presque tous du même esprit.
L'autorisation peut être retirée par deux juges de paix si le
maître de l'établissement a laissé distribuer dans sa maison des
écrits séditieux ou obscènes, ou tenir des réunions contraires
aux lois. Pour toute autre cause, la révocation n'est prononcée
que par l'assemblée des juges de paix en session trimestrielle
et par le verdict du jury. Le retrait de la permission emporte
l'incapacité pour trois ans d'exercer cette industrie.
L'industrie par l' Etat est chose sinon inconnue du moins fort
rare en Angleterre. Les chemins de fer, les docks, un grand
nombre de ports et tous les canaux appartiennent à des parti-
culiers réunis en société et constitués en corporation par des
lois. Le gouvernement cependant a sur les chemins de fer, les
canaux, etc., etc., un droit de surveillance très étendu qui
404 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

comprend le pouvoir réglementaire et, en particulier, la fixa-


tion des tarifs 1 .
Une loi du 27 mai 4878 a réglé le travail des enfants et des
femmes dans les manufactures. C'est une idée ancienne dans
ce pays que la réglementation des heures et des conditions de la
journée de travail. Déjà en 4802, sur la proposition de Robert
Peel le père, une loi (loi du 22 juin 1802) avait fixé à 12 heures
la durée de la journée de travail dans les filatures de coton ou
de laine, employant au moins vingt personnes et trois ap-
prentis. Cette disposition ne fut pas exécutée, la loi ayant laissé
aux juges de paix le soin de veiller à son exécution. Une loi du
29 août 1833 fut plus efficace, parce qu'elle institua quatre ins-
pecteurs nommés directement par le roi et investis des pouvoirs
les plus étendus. Elle prohibait le travail de nuit pour les enfants
au-dessous de 48 ans, et leur admission avant l'âge de 9 ans,
La durée de la journée était fixée à neuf heures pour les en-
fants de 9 à 13 ans, et à douze heures pour les enfants de 13 à
18 ans. Une loi du 6 août 1844 assimila les femmes aux adoles-
cents ayant moins de 18 ans, et réduisit à sept heures la journée
pour les enfants de 9 à 43 ans. Des actes postérieurs appli-
quèrent à d'autres établissements cette loi qui avait été faite
textuellement pour les filatures à moteurs mécaniques. La loi
du 27 mai 1878 est générale et s'applique à tous les établis-
sements industriels.
Les enfants ne sont pas admis avant l'âge de 40 ans. Le tra-
vail des adolescents et des femmes a lieu de six heures du matin
à six du soir, ou de sept heures à sept heures, sauf le samedi.
Il doit leur être accordé une heure et demie pour les repas, et,
après cinq heures de travail continu, une demi-heure de repos
pour goûter 2.
465. Allemagne. — La Prusse avait en 1808 adopté le
principe de la liberté; mais en 1848 elle suivit un mouvement

1 Die Verfassung Englands, par Fischel, p. 61-64, et Staats-Worterbuch,


de Bluntschli et Brater, v° Gewerbe. « Déjà, dit le premier, la réglementa-
tion qui en résulte tend à prendre un développement analogue à celui qu'elle
présente sur le continent. »
2 Annuaire de la Soc. de lég. comp., 1870,
p. 15.
LIBERTÉ DE L'INDUSTRIE ET DU TRAVAIL. 405
de réaction contre la liberté du travail, et une ordonnance du
9 février 1849 rétablit le système corporatif pour soixante-dix-
neuf professions 1. L'apprentissage était de quatre ans; une fois
arrivés à la maîtrise, les patrons étaient parqués dans leur mé-
tier et dans leur commune. Si la profession déclinait, si les pro-
duits auxquels elle s'applique étaient abandonnés par les con-
sommateurs ou fabriqués à meilleur marché au moyen de
machines, malheur à l'ouvrier ou au maître, au maître surtout,
car il ne lui était pas permis de porter son industrie dans une
autre commune.
Le principe de la liberté du travail a fini par prévaloir dans
l'empire d'Allemagne et la loi du 23 juillet 48792 permet seu-
lement aux États d'exiger des autorisations préalables pour les
débits de boissons. — Les maisons de santé et celles de prêts
sur gage sont de droit soumises à l'autorisation de l'adminis-
tration supérieure.
Il y a encore en Allemagne des corporations de métiers ou
industries et ces corporations sont régies par une loi d'empire
du 18 juillet 1881; mais ces associations n'ont rien de commun
avec les anciennes maîtrises. Ce sont des syndicats de patrons,
comme il en existe en France et dans presque tous les pays.
Voici comment ces corporations sont définies par la loi, article
97 : « Ceux qui exercent une industrie à leur compte peuvent
former une corporation pour protéger les intérêts commun de
leur industrie.
« La tâche des nouvelles corporations est de :
« 1° Entretenir l'esprit de corps, ainsi que de fortifier et
d'exciter le sentiment de l'honneur professionnel; 2° de déve-
lopper les relations profitables entre maîtres et compagnons,
ainsi que de pourvoir à l'entretien des compagnons et à leur
placement; 3° de régler les conditions de l'apprentissage et d'as-
surer l'éducation technique, professionnelle et morale des ap-

1 Stuats-Wörterbuch, de Bluntschli et Brater, v° Gewerbe, § III, article de


M. Schäffle . article de M. Horn,
— Revue contemporaine du 31 octobre 1839,
sur le Mouvement économique de l'Allemagne.
2 Annuaire de la Soc. de lég.
comp., 1880, p. 97.
406 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

prentis ; 4° de statuer sur les différends entre les membres de la


corporation et leurs apprentis. »
Le travail des femmes et des enfants dans les manufactures a
été, en Allemagne aussi, l'objet de dispositions réglementaires.
La loi allemande du 17 juillet 1878 s'est même montré plus que
la loi anglaise protectrice des faibles. L'admission des enfants
dans les fabriques est interdite pour les enfants ayant moins de
12 ans. Jusqu'à 14 ans, les enfants ne doivent pas travailler
plus de six heures par jour et de 14 à 46 ans, la durée de leur
travail est limitée à dix heures par jour.
L'article 436 de cette loi contient une disposition qui mérite
d'être rapportée textuellement : « Les jeunes ouvriers, y est-il
dit, ne seront pas employés les dimanches et jours de fêtes, ni
aux heures fixées par les ministres du culte pour le catéchisme
et pour l'instruction préparatoire à la Confirmation, à la Con-
fession et à la Communion. »
466. Luxembourg. — Une loi du 6 décembre 1876 a
réglé, d'après les bases suivantes, le travail des enfants dans
le Grand-Duché 1 :
1° Interdiction d'employer les enfants ayant moins de douze
ans;
2° Interdiction du travail de nuit et du travail souterrain
dans les mines et carrières pour les enfants ayant moins de
46 ans;
3° Interdiction d'employer les femmes de tout âge aux tra-
vaux souterrains des mines et carrières ;
4° Renvoi à un règlement pour la fixation de la durée de la
journée de travail. En vertu de ce renvoi, un arrêté grand-du-
cal du 23 août 1877, a fixé la journée de travail à huit heures
,
pour les enfants de 12 à 14 ans et à dix heures pour les en-
fants de 14 à 16 ans.
467. Suisse.— Une loi fédérale du 23 mars 18772 a ré-
glé le travail dans les manufactures, non-seulement pour les
enfants et les femmes, mais aussi pour les ouvriers majeurs,

1 Annuaire de la Soc. de lég. comp., 1878, p. 363.


2 Id. ibid., p. 382.
LIBERTÉ DE L'INDUSTRIE ET DU TRAVAIL. 407
tandis qu'en Angleterre et en Allemagne la loi ne fixe la jour-
née de travail que pour les ouvriers ayant besoin de protec-
tion à cause de leur âge ou de leur sexe.
« Article 41. La durée du travail régulier d'une journée ne
doit pas excéder onze heures. — Elle est réduite à dix la veille
des dimanches et jours fériés. — Cette durée doit être com-
prise entre 5 heures du matin et 8 heures du soir pendant les
mois de juin, juillet et août et entre heures du matin et
6
8 heures du soir pendant le reste de l'année. »
La durée de la journée peut être prolongée avec une autori-
sation du Conseil fédéral-pour les industries qui ont besoin
d'une durée exceptionnelle. — De même, le travail de nuit
n'est autorisé qu'à titre exceptionnel et pour les industries qui,
par leur nature, exigent une exploitation non interrompue.
Les femmes ne peuvent pas être employées au travail de
nuit. L'admission des enfants est interdite au-dessous de 14
ans révolus. — En principe, les enfants ayant moins de 18
ans ne peuvent pas être employés au travail de nuit. Cepen-
dant l'emploi de ces enfants au travail de nuit peut exception-
nellement être autorisé par le Conseil fédéral pour les industries
qui exigent une exploitation non interrompue.
Une disposition très importante à noter défend d'employer
les femmes enceintes avant et après leur accouchement. Elles
ne peuvent être admises de nouveau qu'après l'expiration
d'un délai de six semaines depuis leur délivrance 1.
Dans beaucoup de cantons, les marchés publics et le col-
portage ont été réglementés par des lois cantonales, à peu
près sur les mêmes bases. Dans le canton de Thurgovie, une
loi du 11 avril 1880, à peu près semblable aux lois des au-
tres cantons sur la même matière, accorde à tous les citoyens
Suisses domiciliés dans le canton le droit d'exercer leur com-
merce ou leur industrie dans les marchés publics hebdoma-

1 L'expérience faite en Alsace, dans les établissements de M. Jean Dolfus,


avait démontré l'utilité de la disposition. Sur 100 enfants, 62 à 64 dépas-
saient la première année. Le nombre s'éleva à 73 sur 100 lorsqu'on eut
adopté la règle d'interrompre le travail des femmes enceintes avant et
après l'accouchement.
408 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

daires, mensuels ou annuels sans avoir à payer d'autre


taxe que les droits de stationnement. Le même droit appartient
aux étrangers s'il y a réciprocité diplomatique.
Le colportage est interdit les jours de marché public dans
les villes où le marché a lieu, car le colportage est, en ce
cas, sans objet et n'aurait pour but que d'échapper aux droits
de stationnement.
Nul ne peut exercer la profession de marchand ambulant,
s'il n'est porteur d'une patente délivrée par le département de
la police. Cette patente doit être refusée lorsque le métier est
contraire aux bonnes moeurs, constitue un jeu de hasard, est de
nature à importuner le public (joueurs d'orgue, montreurs
d'ours, etc., etc.), consiste dans l'exhibition d'infirmités physi-
ques ou a pour but la vente d'images et d'écrits obscènes. —
Elle n'est pas délivrée aux étrangers, sauf le cas de réciprocité
internationale, aux enfants ayant moins de dix-huit ans, aux
personnes qui n'ont pas une bonne réputation, aux personnes
atteintes d'infirmités répugnantes ou de maladie contagieuse
et enfin aux personnes coupables d'infraction avec récidive aux
dispositions de la loi sur le colportage. — La patente est ac-
cordée pour un temps plus ou moins long, mais qui ne doit
pas dépasser une année. La taxe exigée est proportionnée à
la durée (art. 10).
La vente par colportage est interdite pour le sucre, l'or,
l'argent, les montres et, en général, pour toutes les mar-
chandises dont le commerce est soumis à des règlements par-
ticuliers (art. 8). Ces règlements seraient trop facilement élu-
dés par la vente au colportage.
Une autre loi du 14 avril 1880 a, dans le même canton,
soumis à l'autorisation préalable l'établissement des auberges
et cabarets. Cette mesure a été prise pour arrêter le dévelop-
pement des débits qui, de 1871 à 1878, s'était élevé de 1,112
à 1,284, ce qui donnait une proportion de un cabaret par
dix-huit électeurs. « Nul ne peut ouvrir une hôtellerie ou un
cabaret s'il n'est citoyen Thurgovien, ou légitimement do-
micilié dans le canton (Gesetzlich niederlassen), s'il ne jouit
d'une bonne réputation, s'il ne possède un local convenable,
LIBERTÉ DE L'INDUSTRIE ET DU TRAVAIL. 409
et si, de plus, il n'a obtenu une autorisation du conseil muni-
cipal de la commune où il veut s'établir (art. 4 et 5). » En
cas de refus, le demandeur en autorisation peut se pourvoir
devant le conseil de gouvernement (Regierungsrath) qui statue
en dernier ressort (art. 7).
Les confiseries (conditoreien) où se débitent les liqueurs
et autres boissons sont assimilées aux auberges.
La police des auberges est encore, dans chaque commune,
sous la surveillance du conseil municipal. Elles doivent être
fermées à 11 heures du soir, sauf les exceptions autorisées
pour les noces et fêtes. Aucune danse n'y peut avoir lieu
sans autorisation spéciale du conseil municipal.
468. Norwège. — L'industrie fut longtemps régie par
la loi du 15 juillet 1839; mais cette loi faite pour le régime des
corporations ne pouvait pas être maintenue après la loi du 14
avril 1866, qui reconnut à toute personne le droit de faire le
commerce dans les villes à certaines conditions d'âge et de
domicile. Les corporations ayant été supprimées à partir de
1869, une autre loi était nécessaire. Cependant elle s'est fait
attendre, et c'est seulement le 15 juin 1881 qu'ont été pro-
mulguées les nouvelles dispositions qui règlent, conformément
au nouveau régime industriel, les rapports entre les patrons
et les apprentis et ouvriers 1.

1 Annuaire de la Société de législation comparée, 1882. p. 646.


410 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

CHAPITRE DOUZIÈME.

LIBERTÉ DE RÉUNION ET D'ASSOCIATION.

Sommaire.
469. Distinction entre la réunion et l'association.
470. Historique du droit de réunion depuis 1789.
471. Différences entre le système du Code pénal et celui de la loi du 10 avril 1834.
472. Réunions après la Révolution de février. — Loi du 28 juillet 1848.
473. Décret du 25 février 1852. Loi du 6 juin 1868 et loi du 30 juin 1881.
474. Clubs.
475. Associations religieuses.
476. Des établissements de mainmorte dans l'ancien droit. — Édit de 1749.
477. Des établissements d'utilité publique suivant la législation actuelle.
478. Le pouvoir d'autoriser la formation des congrégations religieuses emporte-t-il
celui d'en ordonner la suppression. — Quid des biens appartenant aux con-
grégations supprimées?
479. Suite.
480. Réunions dans les rues ou attroupements.
481. Droit comparé. — Espagne.
482. — Belgique.
483. — Angleterre.
484. — Allemagne.
485. États-Unis.

486. — Bulgarie.

460. La réunion et l'association se distinguent en ce que


la première est accidentelle, tandis que l'autre a un caractère
permanent : « Se réunir, c'est vouloir s'éclairer et penser
ensemble ; s'associer, c'est vouloir se concerter, se compter
et agir 1. » Aussi les réunions et les associations sont-elles régies
par des lois distinctes et soumises à des conditions différentes.

1 Définition donnée par M. Hervé, dans la discussion de 1834.


LIBERTÉ DE REUNION ET D'ASSOCIATION. 411
Les premières sont libres et seulement assujetties à la déclara-
tion préalable (loi du 30 juin 1881); les associations doivent
être autorisées quand elles se composent de plus de vingt per-
sonnes (art. 291-294 du Code pénal et loi du 10 avril 1834).
A plusieurs reprises, cependant, les mêmes lois ont été appli-
cables aux unes et aux autres, et nous allons tracer l'historique
des changements par lesquels a passé cette législation.
420. La loi des 13-19 novembre 1790 déclara que « les
citoyens ont le droit de s'assembler paisiblement et de former
entre eux des sociétés libres, à la charge d'observer les lois qui
régissent tous les citoyens." » Ce n'était à la vérité qu'un décret
relatif aux amis de la Constitution de la ville de Dax; mais
les motifs étaient généraux et consacraient, en principe, le
droit de réunion et d'association.
Les sociétés et réunions prirent rapidement une telle in-
fluence que l'Assemblée constituante comprit la nécessité d'y
apporter quelques restrictions. Ainsi elle enleva aux sociétés
populaires le droit de faire des pétitions collectives, d'affi-
cher leurs délibérations, de se donner une existence politique,
de correspondre soit avec les militaires, soit avec d'autres so-
ciétés populaires (loi des 18-22 mai 1794, art. 12, 43 et 44).
Dans la Constitution du 3 septembre 1794, la Constituante alla
plus loin ; car elle consacra seulement « le droit de s'assembler
paisiblement et sans armes, en satisfaisant aux lois de police. »
L'association était passée sous silence.
Quoique non reconnues par la Constitution, les associations
politiques désignées sous le nom de clubs continuèrent à exister
de fait, toujours bruyants et menaçants. Une loi des 30 sep-
tembre-9 octobre 1791 leur interdit de mander à leur barre
les fonctionnaires publics ou même les simples citoyens, et
d'apporter obstacle aux actes de l'autorité publique, sous peine
à l'égard des contrevenants d'être rayés, pendant deux ans,
du tableau civique et déclarés inhabiles, pendant le même
délai, à exercer des fonctions publiques.
Après le triomphe des Jacobins sur les Girondins (31 mai
1793), les sociétés populaires devinrent, pour ainsi dire, des
organes de gouvernement. Elles surveillaient et dénonçaient au
412 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

Comité de Salut public les agents infidèles dont l'incivisme était


connu ou le civisme douteux. Comme elles étaient souvent en
conflit avec les autorités locales, un décret du 25 juillet 1793
prononça des peines rigoureuses contre les autorités qui em-
pêcheraient les sociétés populaires de se réunir ou tenteraient
de les dissoudre. « La peine, disait l'article 2, contre les fonc-
tionnaires qui se seraient rendus coupables de ce délit, sera
de dix années de fers. »
Un décret du 9 brumaire an II avait commencé la réaction
contre les clubs. Cet acte interdisait les clubs de femmes et
astreignait toutes les réunions ou sociétés à la publicité. Un dé-
cret du 25 vendémiaire an III fut beaucoup plus explicite; il
défendit toutes affiliations, agrégations, fédérations, ainsi que
toutes correspondances de société à société. La défense des pé-
titions collectives y était renouvelée. Ce décret n'allait cepen-
dant pas jusqu'à supprimer le droit d'association, et chaque
société pouvait s'assembler à la condition de rester isolée ; ce
qui était interdit, c'était l'organisation ou fédération des sociétés
répandues sur le territoire de la France. La loi obligeait seule-
ment le bureau de chaque société à faire dresser un tableau des
membres qui la composaient, et à envoyer une copie de la liste
à l'administration municipale; la liste était affichée dans le lieu
des séances de la municipalité.
Les articles 360 à 364 de la Constitution du 5 fructidor an III
édictèrent contre les associations les dispositions suivantes : « Il
ne peut être formé de corporations ni d'associations contraires à
l'ordre public. Aucune assemblée de citoyens ne peut se qualifier
de populaire. — Aucune société particulière, s'occupant de
questions politiques, ne peut correspondre avec une autre, ni
s'affilier à elle, ni tenir des séances publiques composées de so-
ciétaires et d'assistants distingués les uns des autres, ni imposer
des conditions d'admission et d'éligibilité, ni s'arroger des droits
d'exclusion, ni faire porter à ses membres aucun signe extérieur
de leur association. Les citoyens ne peuvent exercer leurs droits
politiques que dans les assemblées primaires ou communales. »
En autorisant les sociétés qui ne seraient pas contraires à
l'ordre public, la Constitution permettait à contrario de dis-
LIBERTE DE REUNION ET D'ASSOCIATION. 413
soudre celles qui le mettraient en danger. En conséquence, le
lendemain de la promulgation de la Constitution, un décret
prononça la dissolution des clubs et des sociétés populaires.
La Constitution, dans l'article 364, s'exprimait d'une manière
ambiguë sur le droit de réunion; en disant que les citoyens ne
pourraient exercer leurs droits politiques que dans les assem-
blées primaires et communales, elle paraissait autoriser la con-
clusion que toute autre réunion serait prohibée. Cependant les
dispositions constitutionnelles ne parlaient formellement que du
droit d'association, et un décret du 7 thermidor an V ne prohiba
provisoirement que les sociétés s'occupant de matières poli-
tiques.
Les Constitutions consulaire et impériale gardèrent le silence
sur la liberté d'association et, pour trouver une disposition
relative à la matière, il faut ouvrir le Code pénal de 1810
aux articles 291-294. Ces articles n'ont exigé l'autorisation
que pour l'exercice du droit d'association et ont laissé les réu-
nions en dehors de leurs dispositions. L'article 294 assujettit
à l'autorisation du gouvernement toutes les associations de plus
de vingt personnes dont le but est de se réunir, tous les jours
ou à certains jours marqués, pour s'occuper d'objets politiques,
religieux ou littéraires. L'article 292 punit d'une amende de
16 à 200 fr. les directeurs, chefs ou administrateurs des asso-
ciations de plus de vingt personnes non autorisées. L'article
293 prononce contre les directeurs, chefs ou administrateurs
des sociétés illicites, une aggravation de peine lorsque dans les
sociétés il a été commis quelque provocation à des crimes ou
délits. Enfin, l'article 294 exige que les propriétaires obtien-
nent la permission de l'autorité municipale pour accorder l'u-
sage de leur maison, même à une société autorisée.
Au premier abord, il paraît extraordinaire que lorsqu'une
société est autorisée, le propriétaire de la maison où se tien-
dront les séances soit encore obligé d'obtenir une permission
pour prêter le local; voici quelle a été sans doute la pensée de
la loi. En permettant à une association de se former, le préfet
du département ou le ministre ont déclaré simplement que la
formation de cette société ne leur paraissait offrir aucun danger,
444 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

au point de vue de la sécurité générale. Mais qui sera juge de


la question de savoir si la réunion ne présente pas des incon-
vénients pour la tranquillité de la commune? L'autorité munici-
pale. C'est ainsi qu'une pièce de théâtre approuvée peut cepen-
dant être interdite dans une commune à un moment donné, si
sa représentation était de nature à entraîner accidentellement
quelque péril 1.
Le Code pénal laissait donc subsister la liberté de réunion
et ne prohibait l'association qu'au-dessus de vingt personnes.
Mais il était facile d'éluder la prohibition en fractionnant les
sociétés par sections ayant chacune moins de vingt membres.
C'est le moyen que le parti révolutionnaire employa, sous la
Restauration, pour mettre ses attaques contre le gouvernement
à l'abri des dispositions pénales. Organisée d'après cette com-

1 291. Nulle association de plus de vingt personnes, dont le but sera de


se réunir tous les jours ou à certains jours marqués pour s'occuper d'objets
religieux, littéraires, politiques ou autres, ne pourra se former qu'avec l'a-
grément du gouvernement, et sous les conditions qu'il plaira à l'autorité
publique d'imposer à la société. — Dans le nombre de personnes indiqué
par le présent article, ne sont pas comprises celles domiciliées dans la
maison où l'association se réunit.
292. Toute association de la nature ci-dessus exprimée qui sera formée
sans autorisation, ou qui, après l'avoir obtenue, aura enfreint les condi-
tions à elles imposées, sera dissoute. — Les chefs, directeurs ou adminis-
trateurs de l'association seront en outre punis d'une amende de 16 fr. à
200 fr.
293. Si, par discours, exhortations, invocations ou prières en quelque
langue que ce soit, ou par lecture, affiche, publication ou distribution d'é-
crits quelconques il a été fait, dans ces assemblées quelque provocation à
, ,
des crimes ou à des délits, la peine sera de 100 fr. à 300 fr. d'amende, et
de trois mois à deux ans d'emprisonnement, contre les chefs, directeurs et
administrateurs de ces associations, sans préjudice des peines plus fortes
qui seraient portées par la loi contre les individus personnellement coupables
de la provocation, lesquels, en aucun cas, ne pourront être punis d'une
peine moindre que celle infligée aux chefs, directeurs et administrateurs de
l'association.
294. Tout individu qui, sans la permission de l'autorité municipale, aura
accordé ou consenti l'usage de sa maison ou de son appartement, en tout
ou en partie, pour la réunion des membres d'une association même autori-
sée, ou pour l'exercice d'un culte, sera puni d'une amende de 16 fr. à 200 fr-
LIBERTÉ DE REUNION ET D'ASSOCIATION. 415
binaison, la société « Aide-toi le ciel t' aidera » prit un déve-
loppement considérable, s'empara de l'opinion publique et agit
publiquement sur les élections, tandis que dans l'ombre le car-
bonarisme absorbait les sociétés secrètes et disciplinait les forces
de l'insurrection.
Après la révolution de 1830, les sociétés profitèrent, pour
étendre leur action, de la faiblesse inhérente aux débuts d'un
gouvernement nouveau. Pour ne pas être en contravention avec
la loi, elles continuèrent à se fractionner en associations de
moins de vingt personnes. La société des Droits de l'homme fit
des progrès tellement rapides que le gouvernement proposa un
projet de loi pour arrêter le mal; les deux Chambres alarmées
,
par le développement et le nom sinistre de cette association,
s'empressèrent de voter le projet qui est devenu la loi du 10
avril 1834.
Cette loi déclarait les articles 291-294 du Code pénal appli-
cables aux associations de plus de vingt personnes, même quand
elles étaient divisées en fractions d'un nombre inférieur, si leur
ensemble excédait ce chiffre.
D'un autre côté, le Code pénal ne punissait que les associa-
tions tenant des réunions tous les jours ou à jours marqués.
Cette condition permettait d'éluder facilement la loi, en tenant
les séances à des époques irrégulières et non indiquées d'a-
vance. C'est pour éviter cette infraction indirecte que l'article
1erde la loi du 10 avril 1834 a encore décidé que l'autorisation
du gouvernement serait nécessaire même pour les associations
qui ne tiendraient pas leurs séances à jours marqués.
Le Code pénal ne punissait que les chefs, directeurs ou ad-
ministrateurs de la société illicite. Encore ne les punissait-il que
d'une amende de 16 à 200 fr. La loi du 10 avril étendit la
peine aux simples membres et éleva l'amende au chiffre de
30 à 1,000 fr.
en y ajoutant un emprisonnement de deux mois
à un an. En
cas de récidive, les peines pouvaient être portées
au double, avec renvoi facultatif sous la surveillance de la
haute police pendant
un temps égal au double du maximum
delà peine.
471 Comme le Code pénal, la loi du 10 avril 1834 était
416 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

étrangère aux simples réunions. Cela fut reconnu dans la dis-


cussion par le garde des sceaux et M. Odilon Barrot déclara
qu'il en prenait acte 1. Pendant la durée du gouvernement de
Juillet, la pratique fut conforme à la déclaration du ministre
de la justice. Lorsqu'à la veille delà révolution de 1848, le
gouvernement voulut interdire le banquet du douzième arron-
dissement le préfet de police, au lieu de se fonder sur la loi de
,
1834 qui, de l'aveu de tous, était inapplicable, invoqua la loi
des 22 décembre-10 janvier 1790, tit. III, art. 2, qui charge
l'autorité départementale de veiller à la tranquillité publique,
et la loi des 46-24 août 4790, tit. II, art. 5, qui, au nombre
des objets confiés à la vigilance et à l'autorité des corps muni-
cipaux, énumère : « 3° le maintien du bon ordre dans les en-
droits où il se fait de grands rassemblements d'hommes, tels
que les foires, marchés, réjouissances, cérémonies publiques,
spectacles, jeux cafés, églises et'autres lieux publics. » Ainsi le
droit de réunion n'était pas contesté en principe; on soutenait
seulement qu'en vertu des pouvoirs qui leur sont conférés pour
maintenir la tranquillité publique, il appartenait aux maires et
au préfet de police d'en suspendre l'exercice sur un point dé-
terminé. Telle était la doctrine qui, avant les événements de
février, était soutenue même par les écrivains libéraux et en
particulier par M. Serrigny. Ce dernier se bornait à recom-
mander aux magistrats municipaux d'y apporter la plus grande
réserve. « Il serait contraire, disait-il, à l'esprit de nos lois
constitutionnelles, d'user, sans nécessité, du pouvoir conféré à
l'autorité pour prévenir l'exercice du droit de réunion 2. »
472 Après la révolution du 24 février, le droit de se réunir
et de s'associer fut proclamé et pratiqué. Mais l'Assemblée
nationale ne tarda pas à reconnaître la nécessité de mettre un
frein aux entreprises de sociétés qui tendaient à usurper les
attributions des pouvoirs réguliers. La loi du 28 juillet 1848,
sans exiger l'autorisation préalable, soumit l'établissement des
clubs à certaines conditions et notamment à la publicité des

Moniteur des 25 mars et 6 avril 1834.


² Droit public, 1.1,
p. 49.
LIBERTÉ DE REUNION ET D'ASSOCIATION. 447
séances, condition qui avait pour objet de faciliter la surveil-
lance de l'autorité.
La distinction entre le droit de réunion et le droit de l'asso-
ciation fut supprimée sous le deuxième Empire; le décret-loi
du 25 mars 1852 disposa que les articles 294-294 du Code pénal
seraient applicables,, à « toutes les réunions ou associations,
quel que soit leur objet. » Les réunions ou associations publi-
ques étaient assujetties à l'autorisation préalable. Le seul in-
térêt qu'il y eût encore à définir les caractères de l'association
tenait à ce que le décret du 25 mars 1852 maintenait l'article
13 de la loi du 28 juillet 1848 sur les sociétés secrètes 1.
453 Le décret du 25 mars 1852 était tellement général
qu'il s'appliquait même aux réunions électorales. Sous ce
rapport, il se montrait plus sévère que les lois antérieures;
car les législateurs de 1840 et 1834 avaient épargné le droit de
réunion, et ceux de 1848 n'avaient voulu atteindre que les
réunions politiques ou clubs. Les réunions religieuses ou litté-
raires, à plus forte raison les réunions électorales, n'étaient pas
soumises aux dispositions de la loi du 28 juillet 1848. « La loi,
disait une circulaire du ministre de l'intérieur, ne porte au-
cune atteinte aux réunions ayant pour objet des questions
religieuses, scientifiques ou littéraires.... Encore moins tou-
che-t-elle aux réunions électorales. S'il se fait des élections
dans votre département, vous encouragerez plutôt les assem-
blées préparatoires où les électeurs cherchent à se concerter
sur les principes qui doivent présider à leur choix, discutent
les titres de leurs candidats et se mettent
en mesure d'accomplir
d'une manière intelligente leur premier devoir de citoyen 2.
»
Au reste, la loi de 1848 donnait bien aux préfets le droit de

1 Article 13. Les sociétés secrètes sont interdites; ceux qui seront con-
«
vaincus d'avoir fait partie d'une société secrète seront punis d'une amende
de 100 à 500 fr., d'un emprisonnement de six mois à deux
ans et de la
privation des droits civiques d'un an à cinq ans. » Un décret du 8 dé-

cembre 1851 donne au gouvernement le pouvoir de transporter dans
une
colonie pénitentiaire, à Cayenne
ou en Algérie, les individus reconnus
coupables d'avoir fait partie d'une société secrète.
2 Circulaire
de M. Dufaure.
B.
— II. 27
418 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

dissoudre les clubs ou réunions politiques qui leur paraîtraient


dangereux ; mais elle n'exigeait pas l'autorisation préalable,
tandis que le décret du 25 mars 1852 demandait la permission
pour toutes les réunions ou associations politiques, religieuses,
littéraires, scientifiques, en un mot quel qu'en fût l'objet, même
fussent-elles électorales.
La loi du 6 juin 1868 fit renaître la distinction entre les
réunions et les associations. Tandis que l'autorisation préalable
était maintenue pour les associations, les réunions publiques
purent être tenues dans certains cas, moyennant une déclaration
préalable. En principe, les réunions publiques ayant pour objet
des matières politiques ou religieuses restaient soumises à l'au-
torisation ; il n'y avait d'exception que pour les réunions pu-
bliques électorales (art. 8), pendant la période qui suivait la
promulgation du décret portant convocation du collège élec-
toral jusqu'au cinquième jour avant l'élection. Quant aux réu-
nions publiques qui n'avaient pour objet ni les matières poli-
tiques ni les matières religieuses, elles pouvaient être tenues
moyennant la déclaration faite, trois jours à l'avance, par sept
personnes domiciliées dans la commune où la réunion devait
avoir lieu, et à la condition d'occuper un lieu clos et couvert.
Au nombre des matières qui pouvaient être l'objet d'une réu-
nion publique, se trouvaient les lettres et les sciences. Ce der-
nier mot embrassait les sciences morales et sociales, spéciale-
ment l'économie politique. C'est par là que la politique pénétrait
dans les réunions autorisées par la loi 1.
La loi ne s'appliquait qu'aux réunions publiques et point aux
réunions privées. Celles-ci n'avaient jamais été interdites ni
soumises à l'autorisation préalable. Après avoir hésité sur les

1 Plusieurs de ces réunions finirent, après quelques séances, dans le bruit


et le tumulte. Comme on pouvait parler d'économie politique, les questions
les plus orageuses furent mises à l'ordre du jour : la propriété, l'intérêt, le
salaire, le prolétariat, le problème social. Ces questions étaient de véritables
questions politiques et elles ont encore ce caractère; on en permettait la dis-
cussion parce qu'elles étaient scientifiques ; mais il était facile de prévoir
— ce qui ne manqua pas d'arriver — que les réunions où on traiterait de
pareils sujets seraient plus agitées que des réunions politiques.
LIBERTÉ DE REUNION ET D'ASSOCIATION. 419
caractères de la réunion privée, la jurisprudence s'était arrêtée
à la doctrine suivante : elle considérait comme privées les réu-
nions où n'étaient admises que les personnes munies d'une
invitation personnelle et nominative.
La différence entre les réunions et les associations est plus
marquée depuis la promulgation de la loi du 30 juin 1881. Les
réunions publiques sont libres, dit l'article 1er de cette loi. La
déclaration préalable qui, d'après la loi antérieure, devait être
faite ou signée par sept personnes, ce qui était, dans les petites
communes, une condition quelquefois difficile à remplir, doit
être faite, d'après la nouvelle loi, par deux personnes jouissant
de leurs droits civils et politiques. La déclaration indique si la
réunion a pour objet une conférence, une discussion publique
ou une convocation électorale. Elle doit précéder de vingt-
quatre heures le moment de la réunion. Ce délai est réduit à
deux heures pour les réunions électorales qui sont tenues entre
le jour de la convocation du collège et celui de l'élection. Elle

peut même suivre immédiatement la déclaration, s'il s'agit d'é-


lections donnant lieu à plusieurs tours de scrutin dans la même
journée, et, par exemple, le jour de l'élection d'un sénateur.
La réunion est tenue sous la surveillance d'un bureau com-
posé d'un président et de deux assesseurs, qui devront veiller
au maintien de l'ordre, et empêcher que la réunion ne sorte de
son objet tel qu'il a été déclaré.
43'4. — L'article 7 de la loi porte que les clubs sont inter-
dits. Pour expliquer cette disposition, on a dit que le club ne se
bornait pas à tenir des réunions publiques, mais qu'il consti-
tuait une association, et que l'association n'était pas, comme la
réunion, libre aux termes de la loi nouvelle. Cette formule est
inexacte, car les associations n'ont jamais été interdites, mais
seulement soumises à l'autorisation préalable. L'autorisation
n'est même pas exigée si le nombre des associés est au-dessous
de vingt.
La rédaction de l'article 7 fut critiquée lors de la discussion
delà loi. Nous fîmes observer que le mot club n'avait pas une
signification précise et qu'une association de moins de vingt
personnes pourrait tenir des réunions publiques en se confor-
420 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

mant à la loi nouvelle, qu'elle pourrait s'appeler club et qu'il


serait puéril de lui défendre d'en prendre le titre. La rédaction
fut maintenue malgré ces observations, mais le rapporteur l'ac-
compagna d'explications qui déterminaient la portée de l'inter-
diction.
Il aurait été plus correct de dire
que la loi n'était pas appli-
cable aux clubs et que cette matière serait réglée par la loi sur
les associations. En effet, si on voulait appliquer à la lettre
l'article 7 de la loi du 30 juin 1884, il faudrait aller jusqu'à
dire que les clubs ne pourront pas se former même avec l'au-
torisation de l'administration ; car si l'interdiction est écrite dans
la loi, elle oblige tout le monde et les agents de l'autorité plus
que personne. Ils ne pourront donc pas, si les mots conservent
leur sens naturel, autoriser ce qui est interdit par la loi. Mais
l'observation ayant été faite au Sénat, il fut reconnu que la
nouvelle loi n'avait pas voulu aggraver, même pour les clubs et
autres associations, la législation en vigueur, et par conséquent
l'article 7 doit seulement être considéré comme un renvoi à la
loi sur les associations. Un club pourrait donc être autorisé, et
une association de moins de vingt personnes pourrait tenir des
réunions publiques moyennant déclaration, conformément à
la nouvelle loi. Ce qui est défendu, à défaut d'autorisation,
c'est l'association de plus de vingt personnes formée pour tenir
des réunions publiques.
Les associations que régissent les articles 291-294 ne sont
pas, même quand elles sont autorisées, douées de la personna-
lité civile. Elles peuvent se réunir, mais elles n'ont pas la capa-
cité d'acquérir. Des conditions et formalités particulières ont
été exigées pour constituer les personnes civiles telles que les'
,
établissements d'utilité publique et les congrégations.
475 Les associations sont, en principe, régies par les
articles 291-294 du Code pénal et par la loi du 10 avril 1834.
On s'est demandé si les associations religieuses sont soumises
aux mêmes restrictions et si la liberté des cultes n'implique
pas la liberté de s'associer? Le doute ne peut exister que pour
les congrégations non reconnues de personnes vivant en com-
mun. Toute autre association devrait être autorisée, et s'il en
LIBERTÉ DE REUNION ET D'ASSOCIATION. 424
est autrement des congrégations d'hommes et de femmes vi-
vant en commun c'est que pour l'application des articles
, ,
291-294 Code pénal, les personnes domiciliées dans la maison
ne comptent pas pour le nombre 20 (291, § 2). L'article serait
inapplicable (aucune contestation ne s'est élevée sur ce point)
au commerçant qui logerait chez lui plus de vingt commis ou
au fabricant qui occuperait plus de vingt ouvriers. Il n'y a
aucune raison pour l'appliquer aux membres d'une congré-
gation qui se réunissent volontairement dans la même maison.
S'il est vrai que nous sommes tous égaux devant la loi, où
est la raison de distinguer entre les congrégations et les asso-
ciations de laïques domiciliés dans la même maison1 ?
476. Dans l'ancien comme dans le nouveau droit, la for-
mation des établissements de mainmorte était subordonnée à
l'approbation du gouvernement. En résumant et rappelant
les dispositions antérieures, l'édit de 1749 y ajouta quel-
ques mesures destinées à en assurer l'exécution. Ces restric-
tions avaient une double cause : 1° les établissements de
mainmorte absorbaient peu à peu les fortunes des familles en
dépouillant les héritiers naturels par de mystérieux moyens
d'influence; 2° les biens amortis ne payaient pas les droits de
mutation, et ainsi, au préjudice qu'éprouvaient les particuliers

1
«Les articles 291, 292, 294 du Code pénal et les articles 1, 2 et 3 de la loi
du 10 avril 1834, dit le décret du 25 février 1852, sont applicables aux réu-
nions de quelque nature qu'elles soient. » Mais l'interprétation de cet article
se trouve dans les termes de l'article 291 du Code pénal. Plusieurs circulaires '
ministérielles ont reconnu que les articles 291-294 n'étaient pas applicables
aux congrégations religieuses (lettres du ministre des cultes du 3 septembre
1840, du 23 juin 1852, des 12 mars et 28 novembre 1853).
— Le gouverne-
ment a le droit de dissoudre les congrégations une fois formées, en vertu du
décret du 3 messidor an XII (art. 1 et 6) et les décrets des 18 février 1809
(art. 3) et 26 décembee 1810. d'État ont professé cette
— Des avis du Conseil
doctrine (4 juillet 1832 et 19 avril 1836).
— La jurisprudence judiciaire s'y
est conformée (Cassation, arrêt du 26 février 1849; Cour de Paris, 18 août
1820; Cour d'Angers, 24
mars 1842; Caen, 20 juillet 1846). Le droit de dis-
solution a été exercé sons l'Empire, la Restauration et le Gouvernement de
Juillet à l'égard des trappistes, des jésuites et des capucins. Mais l'applica-
tion la plus étendue qui ait été faite du décret du 3 messidor
an XII est celle
qui a été faite
par les décrets du 29 mars 1880.
422 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

venait s'ajouter une diminution de la fortune publique. De ces


deux raisons, la seconde est aujourd'hui supprimée puisque
une loi de 1849 a remplacé les droits de mutation, que les
établissements de mainmorte ne payent pas, par le paiement
annuel de centimes ajoutés au principal de la contribution
foncière. Quant à l'intérêt des familles, le motif n'a plus la
même énergie, car soixante ans de révolution ont transformé
les moeurs et changé les institutions. Néanmoins la tutelle ad-
ministrative s'est maintenue, et les établissements de mainmorte
sont, pour leur formation et l'acceptation des libéralités, sou-
mis à peu près aux mêmes conditions que' dans l'ancien droit
et, sous certains rapports, à des restrictions plus rigoureuses.
42 7. Nos lois distinguent les établissements laïques et les
établissements ecclésiastiques. Pour les premiers, il est de prin-
cipe que leur formation peut être autorisée par un simple dé-
cret toutes les fois qu'un texte spécial n'a pas exigé d'autres
conditions.
Les établissements ecclésiastiques ont été traités plus sévère-
ment. Supprimés par les lois révolutionnaires ils ne furent
1

,
pas rétablis par le premier consul. La loi organique du 18 ger-
minal an X, article 11, reconnut seulement « les chapitres cathé-
draux et les séminaires diocésains, » en ajoutant que tous
autres établissements d'utilité publique demeureraient suppri-
més. Cette disposition n'a jamais été abrogée, et deux lois pos-
térieures l'ont même confirmée. D'après la loi du 2 janvier
1817, « aucun établissement ecclésiastique n'a la capacité d'ac-
quérir qu'autant qu'il est reconnu par la loi. » La loi du 24
mai 1825 sur les congrégations de femmes exige l' autorisation
législative pour toutes celles qui n'étaient pas établies au 1er
janvier 1825. Celles qui avaient une existence de fait antérieure

1 Décret du 12 novembre 1789 qui met les biens ecclésiastiques à la dis-


position de la nation.
— Décret du 5 février 1790 qui prononce, en atten-
dant des suppressions plus considérables, la suppression des maisons
religieuses de chaque ordre, au delà d'une seule par municipalité. Décret

du 13 février 1790 qui supprime toutes les congrégations dont les membres
font des voeux monastiques. Décret du 18 août 1792 qui prononce la

suppression de toutes les congrégations séculières et des confréries.
LIBERTÉ DE REUNION ET D'ASSOCIATION. 423

au 1er janvier 1825 pouvaient donc être autorisées par une


ordonnance royale.
Mais que fallait-il entendre par sociétés existant au 1er jan-
vier? Les unes comptaient une longue durée une possession,
,
sinon immémoriale, du moins fort prolongée, tandis que d'au-
tres venaient de naître; les premières pouvaient établir leur
existence par des preuves nombreuses, par le témoignage de
tous les citoyens témoins des actes de la communauté chari-
table, avec une telle certitude que le doute n'était élevé par
personne; les secondes, au contraire, n'avaient à produire
qu'un certificat de Ï'évêque". Ces deux espèces de communautés
devaient-elles être placées sur la même ligne, ou y avait-il lieu
de distinguer entre elles et de n'admettre que celles dont l'exis-
tence était incontestable et incontestée? Cette difficulté a été
tranchée pour les communautés vouées à l'enseignement ou au
soulagement des pauvres malades et pour celles qui se trou-
vent dans des conditions analogues; en d'autres termes, pour
toutes celles qui ont un but d'utilité sociale ou charitable. Pour
ces congrégations, un décret-loi du 31 janvier 1852 a déterminé
quatre cas dans lesquels l'autorisation pourrait être donnée par
décret, sans intervention du pouvoir législatif : 4° lorsqu'elles
déclareront adopter, quelle que soit l'époque de leur fondation,
des statuts déjà vérifiés et enregistrés au Conseil d'État et ap-
prouvés pour d'autres communautés religieuses; 2° lorsqu'il
sera attesté par l' évêque diocésain que les congrégations qui
présenteront des statuts nouveaux existaient antérieurement au
lor janvier 1825; 3° lorsqu'il y aura nécessité de réunir plu-
sieurs communautés qui ne pourraient plus subsister séparé-
ment; 4° lorsqu'une association, après avoir été d'abord
reconnue comme une communauté régie par une supérieure
locale, justifiera qu'elle était réellement dirigée, à l'époque de
son autorisation, par une supérieure générale, et qu'elle avait
formé, à cette époque, des établissements sous sa dépendance.
Eu résumé, les communautés de femmes qui ne se consa-
crent pas à l'éducation de la jeunesse, au soulagement des
pauvres malades ou plus généralement à un but d'utilité
sociale ou charitable, continuent à être régies par la loi du
424 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

24 mai 1825. Existaient-elles avant le ler janvier 1825, leur


position peut être régularisée par un décret mais il faut
que cette existence soit attestée ou par des actes de l'autorité
civile ou par des moyens de preuve établissant une pos-
session prolongée, incontestable et incontestée. En dehors de
ces cas, une loi est nécessaire pour constituer ces communautés
en personnes morales. Les communautés qui se consacrent à
l'éducation de la jeunesse ou au soulagement des pauvres ma-
lades peuvent être autorisées et constituées en personnes
morales, dans les quatre cas énumérés par le décret du 31
janvier 1825, c'est-à-dire dans presque toutes les circons-
tances; car, sous la forme d'une énumération limitative, le
décret a presque détruit la règle générale. Cependant, quelque
rares que soient les faits auxquels ne s'appliqueraient pas les
dispositions du décret du 31 janvier 1852, la loi du 24 mai
4825 régirait ceux qui ne pourraient pas y rentrer, et l'au-
torisation législative serait indispensable.
La loi de 1823 étant spéciale aux communautés de femmes
et le décret de 1852 ne s'appliquant qu'à certaines d'entre elles,
il en résulte que les communautés d'hommes continuent à être
régies par la loi du 2 janvier 1817 ; elles ne peuvent donc être
régulièrement constituées en personnes morales que par une
autorisation législative. Il y a cependant en France quelques
ordres qui n'ont jamais été autorisés par des lois et qui sub-
sistent régulièrement en vertu de simples décrets ou ordon-
nances. On en compte quatre; et ce sont : 1° la maison des
missions étrangères 1, 2° la congrégation de Saint-Lazare 2,
3° celle du Saint-Esprit 3, 4° les frères de la doctrine chrétienne 4.
Comment s'expliquent et se justifient ces anomalies?
La loi du 2 janvier 1817 ne leur est pas applicable parce
que ces communautés existaient avant sa promulgation et que

1 Décret du 26 novembre 1809, ordonnance du 2 mars 1815 et ordonnance


du 3 février 1816.
2 Ord. du 3 février 1816.

3 Ord. du 3 février 1816.


4 Décret
sur l'université du 17 mars 1808, art. 109, et statuts approuvés
du 22 mars 1810. — Ord. du 3 avril 1816.
LIBERTÉ DE RÉUNION ET D'ASSOCIATION. 425
les lois n'ont pas d'effet rétroactif. D'un autre côté, quelques-
unes de ces communautés ont été reconnues législativement
d'une manière incidente par des lois postérieures. Pour les frères
de la doctrine chrétienne, par exemple, la loi les a dispensés,
à plusieurs reprises, du service militaire 1, et les lois de finan-
ces ont donné la consécration législative à quelques-unes de
ces congrégations en leur accordant des secours ou subventions.
Ces établissements et, en particulier, celui des frères de la doc-
trine chrétienne, sont autorisés à accepter les dons et legs, et
généralement à acquérir des biens en se conformant aux lois
et règlements qui régissent leur capacité.
Le Conseil d'État va même plus loin : dans plusieurs déli-
bérations il a refusé de reconnaître aux frères de la doctrine
chrétienne le caractère d'établissement ecclésiastique, parce
que, dans leur institution, le caractère d'établissement d'en-
seignement domine le caractère religieux. C'est en partant de
cette idée qu'il a autorisé les frères de la doctrine chrétienne
à accepter les dons et legs faits avec réserve d'usufruit, nonob-
stant l'ordonnance du 4 janvier 1831 qui n'autorise pas les libé-
ralités avec réserve d'usufruit en faveur des établissements
religieux.
478 Le pouvoir d'autoriser une congrégation religieuse em-
porte-t-il le pouvoir réciproque de suppression? L'art. 6 de la loi
du 24 mai 1825 détermine les conditions auxquelles l'autorisa-
tion peut être révoquée. Mais le pouvoir qui les supprime a-t-il
le droit d'attribuer les biens qui leur appartiennent? Peut-il en
changer la destination? Si la communauté a une supérieure gé-
nérale, la suppression d'une maison n'entraînerait pas, suivant
M. Gaudry 2, la révocation de la donation, parce que l'inten-
tion du donateur peut être remplie par la maison-mère; l'oeuvre
à laquelle s'adresse la libéralité continue à s'accomplir, et ce
serait aller contre la pensée du donateur que de faire cesser
cette affectation. Si cette volonté était exprimée dans la dona-
tion, nous serions pleinement d'accord avec M. Gaudry; mais

1 Lois du 18 mars 1818 et du 15 mars 1850 (art. 79).


1 Gaudry, t. II,
p. 368.
426 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

lorsque l'acte garde le silence, il est présumable au contraire


qu'en gratifiant une maison située dans une localité déterminée,
le donateur a voulu faire profiter de sa libéralité un pays qui
lui est cher, que cette considération a été déterminante. Le jour
où l'affectation ne peut plus être appliquée au pays où rési-
dait la maison donataire, nous pensons que les conditions
de l'exécution étant changées, il y a lieu à révocation. Lors-
que l'origine des biens est certaine et que ces biens provien-
nent de donateurs connus, ils devraient faire retour à ceux
qui les ont donnés, car la donation qu'ils avaient faite n'était
pas pure et simple. Dans leur pensée elle avait pour condition,
au moins tacite, l'accomplissement de certains devoirs reli-
gieux, et du moment que la charge n'est plus exécutée, il est
juste que les biens donnés fassent retour au donateur pour
inexécution des conditions. Si le-donateur est mort, la même
raison veut que les biens retournent aux héritiers qui ont, d'a-
près le Code civil (art. 953 et 954), le droit de demander la
révocation pour inexécution des conditions.
Lors, au contraire, que l'origine des biens n'est pas connue,
l'État doit en profiter comme de tous les biens vacants et sans
maître. A qui reviendraient-ils? au donateur; il est inconnu.
Aux membres de la congrégation supprimée? ils n'en ont jamais
été propriétaires ut singuli. A l'établissement? il est anéanti et
personne ne le continue 1.
479. Telles sont les distinctions qui nous paraissent équi-
tables. Aussi ne pouvons-nous retenir l'expression de la sur-
prise que nous ont causée les opinions soutenues en matière
de Fondations par des écrivains qui, sur d'autres questions,
ont défendu avec succès la cause du droit et de la justice.
1 Pour les communautés de femmes, l'article 7 de la loi du 24 mai 1825
contient une disposition spéciale sur laquelle nous reviendrons ultérieure-
ment. Les biens qui ne font pas retour ou ceux qui avaient été acquis à titre
onéreux sont attribués moitié aux établissements ecclésiastiques, moitié
aux hospices des départements dans lesquels étaient situés les établisse-
ments éteints. De plus, l'article 7 accorde une pension alimentaire à préle-
ver : 1° sur les biens acquis à titre onéreux; 2° subsidiairement sur les
biens acquis à titre gratuit, lesquels ne feront retour aux familles des dona-
teurs ou testateurs qu'après l'extinction des pensions.
LIBERTÉ DE RÉUNION ET D'ASSOCIATION. 427

En 1770, le marquis de Puységur publia un mémoire inti-


tulé : Du droit du souverain sur les biens-fonds du clergé et des
moines. Dans l'article Fondation de l'Encyclopédie, Turgot
combattit les fondations au nom de la nécessité. Si, depuis la
création du monde, disait-il, chaque mourant avait affecté un
terrain à sa sépulture, le sol serait couvert de tombes, et la
culture obligée de s'arrêter devant la volonté des morts. Dans
l'hypothèse extrême où s'est placé Turgot, son opinion est évi-
demment vraie, car il n'y a pas de raisonnement contre la
force des choses. Mais les arguments tirés de la nécessité doi-
vent être tenus en réserve pour les circonstances suprêmes, et
il y aurait injustice à en faire l'application aux faits ordinaires.
Vous invoquez la nécessité! Prouvez qu'elle existe. Ce que
je regrette de trouver dans l'article de Turgot sur les Fonda-
tions, c'est la légèreté avec laquelle il traite les obligations
résultant des clauses de la donation; reconnaître à l'État le
droit de s'en affranchir, hors le cas d'impossibilité, c'est violer
la volonté du donateur, et, par conséquent, la propriété.
Nous ne sommes pas moins surpris d'avoir à élever le même
grief contre les doctrines de M. Serrigny, homme éclairé et
libéral assurément, mais dont le libéralisme n'est pas toujours
impartial. « Chose remarquable, dit-il, ceux qui contestent
en France l'attribution à l'État des biens appartenant aux éta-
blissements supprimés sont les mêmes qui en réclament l'ap-
plication dans l'intérêt des catholiques d'Irlande, en demandant
la suppression des biens affectés au clergé protestant et celle des
dîmes perçues sur les catholiques irlandais, ou leur appropria-
tion à d'autres objets qu'à ceux auxquels le produit en est
employé 1 ! »
Que prouverait cette contradiction, sinon que la passion peut
aveugler tous les partis, et que, sous cette influence, chacun
devient injuste? Mais pour juger la comparaison que fait M.
Serrigny, il faut noter une différence dont il ne tient pas assez
de compte. Les catholiques irlandais réclament des biens qu'ils
croient leur avoir été enlevés par la révolution anglicane; c'est

1 Droit public.
428 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

au nom de la liberté de conscience, d'un autre côté, qu'ils de-


mandent à ne plus payer les dîmes aux titulaires anglicans des
bénéfices. Car, leurs véritables pasteurs ne sont pas reconnus
par l'État; ils n'ont aucune part à la dîme obligatoire. Cette
dîme profite entièrement aux ministres du culte de la minorité,
et après avoir payé au bénéficiaire anglican le tribut fixé par
la loi, le catholique est obligé d'entretenir ses prêtres par des
offrandes volontaires 1.
480 Les réunions dans la rue ou attroupements sont régis
par des dispositions spéciales. Si le club est la préparation à la
révolte, l'attroupement en est le premier acte d'exécution. Aussi
même les gouvernements libéraux ont-ils édicté des dispositions
contre les attroupements, pendant qu'ils consacraient le droit
de réunion et d'association.
La loi du 7 juin 1848 distingue les attroupements armés et
les attroupements non armés. « L'attroupement est armé :
1° quand plusieurs individus sont porteurs d'armes apparentes
ou cachées; 2° lorsqu'un seul individu porteur d'armes appa-
rentes n'est pas immédiatement expulsé de l'attroupement par
ceux-là même qui en font partie. » Les attroupements armés
sont défendus et doivent être dissipés par la force publique.
Les attroupements non armés peuvent être dispersés s'ils met-
tent la tranquillité publique en danger ou seulement s'ils gê-
nent la circulation.
Lorsqu'un attroupement non armé se forme sur la voie publi-
que, le maire ou, à son défaut, un des adjoints, le commissaire
de police ou tout autre agent dépositaire de l'autorité publique,
se rendra sur les lieux. Un roulement de tambour annoncera
l'arrivée du magistrat.
Si l'attroupement est armé, il sera dispersé par la force, après
deux sommations; s'il n'est pas armé, les citoyens seront

1 Ils se trouvaient obligés de contribuer à l'entretien de l'église angli-


«
cane tandis qu'ils avaient à subvenir sans aide de l'État aux besoins de leurs
prêtres et aux frais de leur culte. De là des colères qui rendirent la percep-
tion impossible; des collecteurs furent assassinés; il fallut encore supprimer
ce brandon de discorde. » L. Smith dans le Dictionnaire politique de M.
Maurice Block, v° Irlande.
LIBERTÉ DE RÉUNION ET D'ASSOCIATION. 429
exhortés par le maire à se retirer. En cas de refus, on leur fera
trois sommations, et si la résistance persiste on les dispersera
par la force. Légalement cette loi est encore en vigueur; il
n'y a été apporté d'autre modification que celle résultant du
décret du 25 février 1852 qui attribue aux tribunaux de police
correctionnelle la connaissance de tous les délits en matière
politique. L'article 10 de la loi du 7 juin 1848 sur les attrou-
pements est visé dans le décret.
480 bis. La loi sur les réunions publiques du 30 juin 1884
attend son complément, une loi sur les associations. L'initia-
tive parlementaire, à plusieurs reprises, a tenté de combler
cette lacune, mais ces tentatives ont été infructueuses. Quel-
ques-unes ne sont même pas arrivées jusqu'à la discussion en
séance publique. D'autres ont été rejetées après discussion, et
récemment le Sénat a rejeté une proposition de loi sur la liberté
d'association, bien que la proposition vînt de M. Dufaure et
qu'elle fût appuyée par l'éloquence de M. Jules Simon. Un
projet a été déposé par le gouvernement sur la question géné-
rale. En attendant, les Chambres ont voté une loi spéciale aux
syndicats d'ouvriers et de patrons (13 mars 1884).
Cette loi dispose que les articles 292-294 du Code pénal ne
sont pas applicables aux associations que, sous le nom de syn-
dicats, des ouvriers ou des patrons pourraient former, soit
pour se renseigner sur leurs intérêts, soit pour les défendre.
Ces syndicats peuvent comprendre des membres de la même
industrie ou d'industries similaires; ils peuvent s'unir entre
eux. — La loi leur accorde une certaine capacité pour acquérir;
ce n'est pas une capacité pleine, mais elle est assez étendue
et au moins proportionnée au but vers lequel ces syndicats
peuvent tendre. Ce ne sont donc pas seulement des associa-
tions mais, dans une certaine mesure, des personnes morales.

DROIT COMPARE.

484. Espagne. — Le droit de réunion garanti par l'article


13 de la Constitution, est régi par la loi du 15 juin 1880. Les ci-
430 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

toyens peuvent tenir des réunions publiques à la condition de


faire une déclaration vingt-quatre heures d'avance au gouver-
neur dans les chefs-lieux de province, et à l'alcade dans les
autres communes. On entend par réunions publiques celles qui
doivent se composer de plus de vingt personnes, et être tenues
dans un local autre que le domicile des organisateurs (art. 2).
Celles qui seraient tenues au domicile des organisateurs seraient
des réunions privées. — Les réunions, cortèges et processions
civiques sont soumises à l'autorisation préalable du gouverneur
ou de l'alcade. Mais les dispositions ne s'appliquent ni aux pro-
cessions du culte catholique, ni aux réunions dans les églises
ou temples des cultes tolérés (art. 7). La loi détermine les cas
où une réunion peut être suspendue (art. 5 et 6). La réunion
étant suspendue, il peut en être tenu une nouvelle après 24
heures. Si elle est de nouveau suspendue, elle est définitivement
interdite 1
488. Belgique. — L'article 20 de la Constitution belge
est ainsi conçu : « Les Belges ont le droit de s'associer, ce droit
ne peut être soumis à aucune mesure préventive. » — Tel est
le respect qu'on a professé, dans ce pays, pour le droit d'asso-
ciation qu'on a soulevé la question de savoir si l'autorisation
,
qu'exigeait l'article 37 de notre Code de commerce, pour la
constitution des sociétés anonymes, n'était pas en contradic-
tion avec l'article 20 de la Constitution.
La Cour de Bruxelles décida cependant, par arrêt du 1er
juin 1835, que l'autorisation royale était toujours nécessaire
pour les sociétés anonymes, et que cette autorisation ne cons-
tituait pas une de ces mesures préventives que les rédacteurs de
la Constitution avaient entendu proscrire 2.
483. Angleterre. — En Angleterre, le droit de réunion
et d'association est reconnu par les lois d'accord avec les moeurs
politiques du pays; il a cependant été suspendu dans certaines
circonstances par le Parlement (notamment en 1799 et 1817) et
1 Voir le texte de la loi : Annuaire de la Société de législation comparée,
1881, p. 342.
2 Éléments du droit public et administratif belge,
par M. Havard, t. I, p.
39 et 40.
LIBERTÉ DE RÉUNION ET D'ASSOCIATION. 431
réglé par plusieurs lois exclusivement relatives aux associations
politiques. D'après un statut de Georges III 1, toute société po-
litique est considérée comme illégale lorsque ses membres con-
tractent des engagements, prêtent des serments, ou souscrivent
des écrits contraires aux lois. L'association est également punie
si les noms des membres sont tenus secrets ou si une partie des
directeurs n'est pas connue de tous.
Un autre acte de Georges III 2 interdit la correspondance des
sociétés entre elles, et surtout l'envoi de membres délégués à
une réunion centrale; mais cette prohibition ne s'applique ni
aux sociétés scientifiques ni aux associations charitables.
Les associations ayant pour but de troubler la paix publique
sont punies de peines plus ou moins fortes, suivant le danger
qu'elles font courir à l'ordre public. Au-dessus de trois per-
sonnes, le fait de l'association séditieuse est punissable; au-
dessus de douze personnes, la peine est celle de la « félonie. »
L'application de cette loi suppose résolue la question de
savoir si l'association était séditieuse; par qui cette difficulté
est-elle décidée? C'est le jury qui est appelé à juger, en son
âme et conscience, si la société présente les caractères qui
rendent la réunion punissable.
D'après un statut de George Ier si douze personnes s'as-
3
semblent illégalement, pour troubler la paix publique, elles
sont obligées de se séparer sur l'ordre que leur en donneront
ou les juges de paix ou le sheriff et leurs délégués, ou le maire
de la ville; s'ils ne se séparent
pas, une heure après en avoir
reçu l'ordre, ils sont regardés comme félons. On y déclare
aussi félons ceux qui, ayant droit de le faire, ne dissipent pas
ces assemblées. La même qualification s'applique à tous ceux
qui, en s'attroupant, insulteraient une église, une chapelle,
une maison d'assemblée religieuse ou ses dépendances, quand
même ils n'auraient pas reçu ordre de se séparer.

1 39, George L'ouverture du local d'un club où on discute,


III, c. 79. «
ou d'un cabinet de lecture, doit être autorisée par deux juges de paix. »
l'ischel, t. I, p. 178.
2 57, Georges III, c. 19.
3 1, Georges I, c. 5.
432 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

La force armée ne doit marcher contre les réunions sédi-


tieuses que sur la réquisition de l'autorité civile, et la loi
prononce des peines rigoureuses contre les militaires qui fe-
raient usage de leurs armes sans l'accomplissement des forma-
lités prescrites 1.
484. Allemagne. — Une loi du 21 octobre 1878, votée
par le Reichstag et approuvée par le Bundesrath a interdit les
sociétés dont les aspirations démocratiques et sociales, socialistes
ou communistes, ont pour objet de renverser l'ordre politique
et social existant (art lor). Les réunions dans lesquelles se mani-
festent des aspirations démocratiques et sociales, socialistes ayant
pour but de renverser l'ordre politique et social existant doi-
vent être dissoutes (art. 9). Celles qui peuvent être considérées
comme ayant pour but de favoriser ces aspirations doivent être
interdites. Les fêtes publiques et les processions sont assimilées
aux réunions. L'article 10 attribue d'ailleurs le droit général
de dissoudre les réunions. « La police a le droit d'interdire et
de dissoudre les réunions ; il n'y a d'autre recours contre ces
décisions que le recours devant les autorités supérieures de po-
lice 2. »
485. États-Unis. — Nous avons vu que la loi anglaise
interdit l'envoi de membres délégués à une réunion centrale par
plusieurs sociétés politiques ayant le même objet. Les États-
Unis de l'Amérique du Nord pratiquent la liberté d'association
avec plus de hardiesse que l'Angleterre; le droit de se réunir
et de s'associer y est tellement étendu que les sociétés peu-
,
vent s'organiser par la constitution d'un bureau central, et
députer des délégués à des assemblées générales que, dans le
pays, on appelle conventions. Que les sociétés ainsi organisées
soient politiques, religieuses, scientifiques ou littéraires, la loi

1 Blackstone, t. VI, p. 27.


2 V. le texte de la loi dans l'Annuaire de la Société de législation compa-

rée de 1879, p. 119. Il est vrai que la loi ne devait être que temporaire et
,
ne devait demeurer en vigueur que jusqu'au 31 mars 1881 (art. 30). Le gou-
vernement voulait une loi permanente; mais sa proposition ne fut pas accep-
tée et après une longue discussion on s'accorda sur le terme de deux ans et
demi. Il est, en ce moment, question d'une nouvelle prorogation.
LIBERTÉ DE RÉUNION ET D'ASSOCIATION. 433

ne met pas obstacle à leur réunion ni à la formation des con-


ventions centrales. L'ordre public n'est pas troublé par cette
puissante organisation de l'association, et le gouvernement ne
s'en inquiète pas, parce qu'il n'a rien à redouter. Les Améri-
cains ont apporté d'Angleterre la pratique de cette liberté, et ils
ne l'emploient pas, au moins encore, pour renverser les pou-
voirs établis. Comme la liberté de la presse, la liberté d'asso-
ciation dans ce pays sert à foncier et à éclairer, non à détruire.
Les sociétés se réunissent pour arrêter des programmes,
signer des pétitions et appeler l'attention du gouvernement
sur un point inaperçu va négligé; le programme arrêté et la
pétition signée, les associés se séparent et se donnent rendez-
vous pour délibérer ultérieurement ou renouveler les démar-
ches, en cas d'insuccès. Aux États-Unis, l'opinion publique
est patiente parce que la société croit à sa force, et les associa-
tions ne sont pas un danger parce qu'elles ne sont pas animées
de l'esprit révolutionnaire 1.
486. Bulgarie. — La Constitution du 16 avril 1879 a
consacré les droits de réunion et d'association en termes qui
semblent exclure presque toute restriction :
« Art. 82. — Les habitants de la Bulgarie ont le droit de
s'assembler pacifiquement et sans armes pour délibérer sur
toutes sortes de questions. Aucune autorisation préalable n'est
nécessaire. Les réunions en plein air et hors des édifices sont
soumises aux règlements de la police.
« Art. 83. — Les citoyens Bulgares ont le droit de former des
associations sans autorisation préalable à la seule condition
de ne pas porter atteinte, dans le but de ces sociétés ou dans
les moyens employés, à l'ordre gouvernemental et social, è
la religion et aux bonnes moeurs. »

1 De Tooqueville, Démocratie en Amérique, t. Il, ch. IV (2° édit., p. 29).

II.
434 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

CHAPITRE TREIZIÈME.

DROIT DE PÉTITION.

Sommaire.
487. Droit de pétition. — Pétitions sous la Constitution du 14 janvier 1852.
488. La Constitution du 14 janvier 1852 n'a fait que changer les autorités compé-
tentes pour statuer sur les pétitions. — Elle n'a pas modifié les règles sur la
matière du pétitionnement. — Les pétitions faites collectivement sont toujours
prohibées.
489. Des effets que peut produire la pétition.
490. Le Sénat ne pouvait annuler ni un arrêt, ni un décret du Conseil d'État en
matière contentieuse.
491. Le Sénat actuel ni la Chambre des députés n'ont le pouvoir d'annulation.
492. Droit comparé. — Belgique.
493. — Angleterre.

483'. Les lois constitutionnelles de 1875 n'ont pas parlé du


droit de pétition ; mais à ce droit s'applique une observation
que nous avons faite à plusieurs reprises. Il ne faut pas voir
dans le silence de la Constitution l'abrogation de tous les prin-
cipes qui, depuis 1789, sont considérés comme le fond de notre
droit public. Il existe encore des droits publics constitutionnels,
bien que la Constitution en vigueur ne les énumère pas et il en
est du droit de pétition comme de la liberté de la presse; une
loi qui les supprimerait pourrait être considérée comme incons-
titutionelle, bien qu'elle ne fût en opposition avec aucun texte
de la Constitution. Comme l'ont fait observer MM. Poudra et
Victor Pierre, c'est « un droit naturel qui subsiste et s'exerce
tant qu'il n'est pas interdit par un texte formel. » Mais j'ajoute
que si ce texte formel existait, il faudrait en demander l'abro-
gation parce qu'il serait contraire sinon à la lettre, au moins à
l'esprit de la Constitution.
DROIT DE PÉTITION. 435
C'est même avec raison que la Déclaration de 1789 l'avait
mise au nombre des droits de l'homme. Il appartient non-seu-
lement aux citoyens Français, mais aux étrangers 1 et même aux
Français privés par des condamnations de leurs droits civils 2.
D'après la Constitution du 14 janvier 1852, les pétitions
pouvaient être adressées à l'Empereur ou au Sénat. L'article 45
interdisait expressément le pétitionnement auprès du Corps
législatif. Cette prohibition ne fut levée que par le sénatus-
consulte du 21 mai 1870, dont l'article 41 était ainsi conçu :
« Le droit de pétition s'exerce auprès du Sénat et du Corps
législatif. » Ce sénatus -consulte ne se borna pas à étendre le
pétitionnement; il modifia aussi les pouvoirs du Sénat et res-
treignit les conséquences que pourraient avoir ses délibérations
en cette matière. L'article 29 de la Constitution du 14 janvier
1852, lui donnait le « droit d'annuler les actes qui lui seraient
dénoncés comme inconstitutionnels par les pétitions des ci-
toyens. » Cette disposition ayant été abrogée par l'article 42
du sénatus-consulte du 21 mai 1870, le pétitionnement ne pou-
vait plus, à partir de cette modification, aboutir à l'annulation
mais seulement au renvoi, avec recommandation ou à titre de
renseignements, au ministère compétent. Le système qui fut
adopté en 1870, ressemble à celui qui est pratiqué aujourd'hui
en vertu des règlements du Sénat et de la Chambre des députés.
Celui que la Constitution du 14 janvier 1852 avait établi en
différait sensiblement, et nous croyons devoir le comparer avec
celui qui existe parce qu'il ne ressemble à aucun de ceux qui
ont prévalu dans les Chambres à l'étranger.
Les pétitions adressées à l'Empereur étaient examinées au
Conseil d'État par une commission spéciale dont la composition
avait été réglée par le décret du 18 décembre 1852. Elle se
composait d'un conseiller d'État, président, de deux maîtres

1 Sénat, séance du 1er mai 1863.


2
Sénat, séances du 7 juillet 1856 et du 4 fév. 1870. V. Traité pratique de
droit parlementaire, par MM. Poudra et V'ctor Pierre, n° 1509, p. 767.

Le 24 juin 1870, la pétition des princes d'Orléans fut rapportée, bien qu'elle
émanât de princes bannis. Le rapport impliquait que la pétition était rece-
vable.
436 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

des requêtes et de six auditeurs. Chaque semaine, le président


portait aux Tuileries le résultat des travaux de la commission.
L'examen des pétitions adressées au Sénat et ait réglé par
l'article 30 du décret du 22 mars 1852. « Les pétitions adres-
sées au Sénat, conformément à l'article 45 de la Constitution,
sont examinées par des commissions nommées chaque mois
dans les bureaux. — Le feuilleton des pétitions est toujours
communiqué à l'avance au ministre de l'État. — Il est fait rap-
port des pétitions en séance générale et le vote porte sur l'ordre
du jour pur et simple, le dépôt au bureau des renseignements
et le renvoi au ministre compétent. Si le renvoi au ministre
compétent est ordonné, la pétition et un extrait de la délibéra-
tion sont transmis au ministre d'État. » Celui-ci était chargé de
les faire parvenir au ministre compétent.
Lorsque le Sénat était saisi par la pétition d'un citoyen de la
demande en annulation d'un acte comme inconstitutionnel, il
annulait de piano, si la réclamation lui paraissait fondée 1.
Aujourd'hui, les citoyens peuvent pétitionner auprès du
Sénat et de la Chambre des députés. Ils pourraient aussi, sans
aucun doute, adresser des pétitions au Président de la Répu-
blique, mais aucune disposition de loi ne s'occupe de la pro-
cédure à suivre pour l'examen des suppliques adressées au
Chef du pouvoir exécutif. Il n'existe rien au Conseil d'État qui
ressemble à la commission spéciale organisée par le décret du
18 décembre 1852. Les pétitions adressées au Sénat et à la
Chambre des députés ne sont pas l'objet d'un rapport en séance
publique. Le rapport n'est fait en séance publique qu'excep-
tionnellement, soit lorsque la commission des pétitions décide
que le rapport sera fait en séance publique, soit lorsqu'un sé-
nateur le demande dans le délai réglementaire (art. 100 et 102

1 V. dans le Moniteur du 8 mai 1862 la discussion sur une pétition de


l'archevêque de Rennes, qui demandait l'annulation d'un arrêté du préfet
d'Ille-et-Vilaine. La pétition était fondée sur ce motif, qu'en nommant un
instituteur laïque contrairement au voeu du conseil municipal, qui avait de-
mandé des frères de la doctrine chrétienne, le préfet avait violé la loi et
le principe de la liberté d'enseignement. Le Sénat adopta la question préa-
lable à une forte majorité.
DROIT DE PÉTITION. 437
du règlement du Sénat et articles correspondants du règlement
de la Chambre des députés).
488. Les dispositions que nous venons d'analyser n'ont
fait que changer les autorités compétentes pour statuer sur
les pétitions. Il résulte de là que, sauf ce changement, la ma-
tière est soumise aux mêmes règles qu'auparavant. Ainsi à
plusieurs reprises, les lois de la Révolution ont interdit le péti-
tionnement collectif 1 et n'ont permis que les pétitions indivi-
duelles. Cette règle est toujours en vigueur. Que faut-il en-
tendre par pétitions collectives? L'article 364 de la Constitution
de l'an III disait : » Les pétitions doivent être individuelles;
aucune association ne peut en présenter de collectives. » C'est
dans les derniers mots que se trouve le commentaire de la pro-
hibition. Ce que la loi a voulu dire c'est que les signataires, de
la pétition ne doivent pas agir comme corporation (ut univer-
sitas), mais comme individus (ut singuli). Les individus pour-
ront donc signer la même pétition pourvu qu'ils ne se don-
nent aucune qualification qui implique une existence collective.
Ainsi tous les membres d'un conseil général auraient le droit
de signer une pétition; mais si elle était votée par les mêmes
personnes, au nom du conseil général qu'ils composent, la pé-
tition devrait être rejetée comme non recevable'2 Le législa-
.
teur n'a pas voulu interdire la signature de la pétition par
plusieurs individus ; cette restriction aurait été bien inutile et,
pour ainsi dire, puérile.

1 Loi du 25 vendémiaire an III.


— Art. 364 de la Constitution
du 5 fruc-
tidor an III et art. 83 de la Constitution du 22 frimaire an VIII.
2 Les conseils généraux
ne peuvent qu'émettre des voeux sur des matières
d' intérêt départemental. MM. Poudra et Pierre (Traité pratique de droit par-
lementaire, p. 771, n° 1517) paraissent adopter une opinion contraire à la
nôtre. « Les pétitions, disent-ils, peuvent être collectives, car les règlements
prévoient le cas où une même pétition serait revêtue de plusieurs signatu-
res. « Mais cette divergence n'est qu'apparente ; car ils ajoutent immédiate-
ment : « Néanmoins les pétitions adressées aux Chambres ne sauraient être
légalement délibérées par des Conseils municipaux. Ce principe, conforme
»
à la loi de 1837, est consacré par deux précédents d'une grande importance
(21 mai 1851 et 23 mai 1871). MM. Poudra et Pierre n'ont
pas donné au mot
collectif le sens que lui donnent les lois de la Révolution.
438 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.
Les pétitions ne peuvent être faites que par écrit et nul péti-
tionnaire n'a le droit de se présenter à la barre des assemblées.
L'introduction des porteurs avait été autorisée par le règle-
ment de l'assemblée constituante (29 juillet 1789), par celui de
l'assemblée législative (Décr. du 11 novembre 1792, art. 7) et
par la Constitution du 24 juin 1793. La Constitution directoriale
réduisait à trois le nombre des signataires qui seraient admis à
la barre. Après la chute du Directoire, le pétitionnement en
personne n'a plus été admis. Il est formellement interdit par
l'article 6 de la loi du 22 juillet 1879 relative au siège du pou-
voir exécutif et des deux Chambres. L'infraction à cette pro-
hibition est même un délit punissable de l'emprisonnement de
quinze jours à six mois.
489. Examinons quels sont les effets que peut produire
une pétition ?
Le Sénat de l'Empire tenait de la Constitution le rôle de frein
et de modérateur; il empêchait, s'opposait, ou annulait, et sa
puissance était purement négative. S'il était d'avis que l'acte
demandé serait juste, bon ou utile, tout ce que pouvait faire le
Sénat, c'était de le recommander au ministre compétent et de
provoquer l'initiative de ceux à qui appartenait l'action.
En ce qui concerne l'annulation, c'était un droit qui ne pou-
vait porter que sur des actes positifs. Ainsi le refus d'autoriser
la fondation d'un journal ou un atelier incommode échappait à
la compétence du Sénat; car, pour anéantir un refus, il aurait
fallu accorder l'autorisation et le pouvoir d'autoriser n'appar-
tenait pas à cette assemblée. Il ne pouvait que renvoyer la
pétition au ministre compétent, c'est-à-dire, en certains cas,
au ministre dont le refus lui était déféré.
490. L'article 29 de la Constitution était conçu en termes
généraux qui semblaient n'admettre aucune distinction : « Le
Sénat maintient ou annule tous les actes qui lui sont déférés
comme inconstitutionnels par le gouvernement ou déférés, pour
la même cause, par les pétitions des citoyens. » Fallait-il com-
prendre dans ces expressions « tous les actes, » même les juge-
ments ou arrêts passés en force de chose jugée? Assurément
le pouvoir constituant aurait pu faire du Sénat une cour de
DROIT DE PÉTITION. 439
justice suprême chargée de ramener les cours et tribunaux à
l'observation de la loi constitutionnelle. De même que la Cour
de cassation a été instituée gardienne de la loi ordinaire, on
aurait pu faire du Sénat le gardien de la Constitution, même
à l'égard de la Cour de cassation. Mais une semblable innova-
tion aurait dû être formellement indiquée; elle s'éloignait trop
des précédents pour qu'il fût possible de la tirer d'un texte ob-
scur ou vague. De tels changements ne souffrent aucune am-
biguïté et ne se fondent pas, par voie d'interprétation, sur des
textes incomplets, sans autre motif que la généralité de ces
mots : tous actes.
La question qui ne paraissait souffrir aucun doute, en ce qui
concerne les arrêts des cours judiciaires, était jugée plus déli-
cate relativement aux décrets du Conseil d'État délibérant au
contentieux. Une pétition ayant été adressée au Sénat par un
justiciable contre un décret rendu au contentieux, pour
violation de la propriété, le Sénat nomma une commission, ce
qui impliquait sa compétence en pareille matière. Après l'avoir
assez longtemps fait attendre, la commission déposa un rap-
port où la question de compétence était éludée 1.
A notre avis, le Sénat n'était pas plus compétent pour annu-
ler les décrets rendus au contentieux que pour annuler les arrêts
de cours judiciaires. Dans l'un et l'autre cas, il y a chose jugée,
droit acquis et, par conséquent, propriété fondée sur le meil-
leur des titres.
491. Aujourd'hui la Chambre des députés et le Sénat n'ont
ni le droit d'action ni le pouvoir d'annulation. Chacune des
deux assemblées n'a qu'une portion de la puissance législative
et n'a de compétence que pour donner ou refuser son adhésion
aux projets ou propositions de lois. Aussi ne peut-elle que voter
le renvoi de la pétition au ministre compétent. Le ministre qui
a l'action administrative agira en conséquence, soit qu'il puisse
donner satisfaction au pétitionnaire dans la mesure de ses attri-

1 Le décret contentieux déféré au Sénat avait rejeté un pourvoi formé


contre un arrêté portant délimitation du lit d'une rivière avec les proprié-
tés riveraines.
440 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

butions administratives, soit qu'il juge nécessaire de présenter


un projet de loi. L'assemblée unique de Versailles (1871-1876)
ayant tous les pouvoirs, aurait, en vertu de sa souveraineté,
eu le droit d'action ou d'annulation; mais elle aurait méconnu,
en le faisant, le principe de la séparation des pouvoirs, prin-
cipe tutélaire qu'elle n'eut garde de violer. Aussi elle ne céda
pas à l'entraînement de la toute-puissance et se borna à voter
ou l'ordre du jour, ou le renvoi au ministre, tantôt avec re-
commandation, tantôt à titre de simples renseignements 1.

DROIT COMPARE.

493. Belgique. — L'article21 de la Constitution belge est


ainsi conçu : « Chacun a le droit d'adresser aux autorités pu-
bliques des pétitions signées par une ou plusieurs personnes.
Les autorités constituées ont seules le droit d'adresser des péti-
tions en nom collectif. » Le projet portait les corps constitués,
mais on a remplacé ces mots par autorités constituées, afin que
le droit de pétitionner en nom collectif ne s'étendît pas aux as-
sociations légalement autorisées 2.
493. Angleterre. — Le droit de pétition qui était illi-
mité avant la Restauration fut restreint par un statut de Charles
Ier 3. Les pétitions qui tendaient à introduire un changement
dans l'Église ou l'État ne purent être signées que par vingt
personnes; cette restriction ne s'appliquait pas à celles qui
étaient approuvées par trois juges de paix, ou par la majorité

1 M. Dalloz, Répertoire général, V° Pétition, parle de l'incompétence du


Sénat de l'Empire pour annuler un décret au contentieux ou un arrêt, en
faisant observer : « On doit considérer, non pas comme règle obligatoire,
mais comme chose raisonnable et motivée 3° Qu'on ne peut demander
au Sénat l'annulation d'un jugement, parce que le Sénat n'est pas un tri-
bunal. » Il me paraît difficile d'admettre que si la chose est raisonnable et
motivée elle ne soit pas obligatoire.
2 Éléments de droit administratif belge, par M. Havard t. I,
, p. 40.
3 Charles Ier, 13, St. 1, c. 5.
DROIT DE PÉTITION. 441
du grand jury, ou à Londres par le maire, les aldermen et le
conseil municipal.
Le bill des droits sous le règne de Guillaume et Marie garan-
tit à tous les sujets le droit d'adresser des pétitions au roi, et
déclara illégales toutes poursuites ou saisies à l'encontre des
pétitions et de leurs auteurs. Faut-il voir dans cette déclaration
générale une abrogation du statut de Charles Ier ? La question
est, à ce qu'il paraît, controversée parmi les jurisconsultes :
mais, depuis longtemps, les restrictions édictées le lendemain
de la Restauration, ont cessé d'être appliquées 1.
Plus récemment, une loi a limité le nombre des personnes
qui se réunissent en plein air pour signer une pétition. Dans le
rayon d'un mille anglais autour de Westminter-hall, les péti-
tionnaires ne peuvent pas s'assembler en nombre excédant cin-
quante 2.
Les pétitions ne sont pas directement adressées par les péti-
tionnaires aux Chambres, et, sauf un très petit nombre d'ex-
ceptions elles ne peuvent être remises que par un membre de la
,
Chambre à laquelle la pétition s'adresse. Les membres du Par-
lement qui se chargent de remettre les suppliques à la Chambre
dont ils font partie, sont responsables du contenu.
Toute pétition doit se terminer en forme de supplique, sinon
elle est considérée comme une remontrance et n'est pas reçue;
on ne reçoit pas celles qui contiennent des surcharges ou
ratures, ni celles qui sont imprimées. Elles portent en tête, si
on s'adresse à la Chambre des lords : Aux lords spirituels et
temporels réunis en Parlement 3 et pour la Chambre des com-
,
munes : Aux honorables membres des communes du Royaume-
Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande réunis en Parlement 4.
Toute pétition présentée par un lord peut être l'objet d'une
discussion à la Chambre haute. La Chambre des communes
discutait aussi autrefois les pétitions qui lui étaient présentées.

1 Bill of rights (Guill. et Mar., st. 2, e. 2).


2 Georges III, 37,
c. 19, st. 23.
a To the lords spiritual and temporal in Parliament assembled.
4 To the honourable the
commons of the united Kingdom of Great Britain
und Ireland in Partiament assembled.
442 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

Mais l'encombrement était tel qu'en 1839 on décida qu'à l'avenir


elles ne seraient plus soumises à discussion. Une commission
spéciale les classe et fait un rapport deux fois par semaine.
Chaque membre de la Chambre a droit de faire, en vertu de son
initiative parlementaire, une proposition fondée sur une pétition.
En ce cas, l'objet de la supplique est débattu par la Chambre,
conformément aux dispositions du règlement sur les proposi-
tions émanées de l'initiative parlementaire.
Le droit de pétition est fréquemment pratiqué en Angleterre;
en 1860 seulement, le nombre des pétitions s'est élevé à environ
24,000. Lorsqu'une question passionne le pays, les pétitions en
masse surgissent de tous les points. En 1851, les pétitions rela-
tives à papal aggression ont atteint le chiffre de 4,144 avec
plus d'un million de signatures. Les signatures ne sont pas tou-
jours authentiques, et il arrive souvent que le nombre des sous-
cripteurs est grossi par des noms supposés. En 1842, par
exemple, on pouvait lire au bas de la pétition des chartistes les
noms de Wellington et du prince Albert ' !

1 Die Verfassung Énglands, par Ed. Fischel, p. 100 et 426.


GRATUITÉ ET PUBLICITE DE LA JUSTICE. 443

CHAPITRE QUATORZIÈME.

GRATUITÉ ET PUBLICITE DE LA JUSTICE.

Sommaire.
494. Le principe de la gratuité est conciliable avec le paiement des frais de procé-
dure par les parties. La loi moderne n'a eu pour objet que la suppression des
épices.
495. Du principe : « Nul ne peut être distrait de ses juges naturels. »
496. Suite.
497. Ce principe fait-il obstacle à ce que le délinquant soit jugé par un tribunal créé
postérieurement à la perpétration du fait incriminé?
498. Publicité des débats.
499. Audiences administratives. — Conseil d'État. — Conseils de préfecture.
500. Droit comparé. — Belgique.
501.
— Angleterre.

494. Le principe de la gratuité de la justice, proclamé par


notre droit public moderne, ne dispense pas les parties d'ac-
quitter les frais de procédure; il est même juste que ceux qui
mettent spécialement la justice en mouvement, paient la ré-
munération du service qu'ils demandent. La maxime que la
justice est gratuite signifie seulement qu'à l'avenir les magis-
trats ne recevront plus d'épices, comme ils en recevaient avant
1789. On a beaucoup crié contre les épices et ce n'est pas
sans raison. Cependant l'abus n'était pas énorme et la dignité
de magistrat
en souffrait plus que le justiciable. Pour ne parler
que des membres du Parlement, les charges de conseiller, qui
coûtaient tantôt 100,000 à 150,000 livres, tantôt 35 à 40,000
livres, rapportaient à peine l'intérêt du prix d'achat. Ces
charges n'étaient donc pas recherchées pour le revenu qu'elles
rapportaient, mais plutôt pour les exemptions et privilèges
444 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

auxquels elles donnaient droit, surtout pour la considération


dont elles étaient la source, et la carrière qu'elles ouvraient
à l'ambition; car de là on s'élançait aux charges de président,
de prévôt des marchands, de conseiller d'État, d'intendant, de
ministre même; plus d'un conseiller, en effet, passa de sa
chambre au ministère ou au contrôle général 1. Il est vrai que
nos ancêtres eurent, dans quelques circonstances, dont on fit
grand bruit, à subir des exactions et prévarications; peut-être
faut-il, pour la plus grande partie, attribuer au retentissement
de ces causes fameuses, attribuer la réprobation qui condamna
les épices. Mais assurément le meilleur effet qu'ait produit leur
suppression, c'est le profit qu'en a retiré la dignité de la justice.
495. Un principe plus important encore est celui qui con-
sacre le droit pour tous les citoyens d'être jugés par leurs
juges naturels, droit qui implique la condamnation des juri-
dictions arbitrairement instituées sous les noms de commissions
extraordinaires, cours prévôtales, etc., etc. L'histoire a con-
servé le souvenir des procès qui ont été jugés par commissaires.
« Et que peut-il y avoir, disait Pellisson, de plus redoutable
à des accusés que des juges non pas naturels et ordinaires,
mais des juges établis contre eux et qu'on n'a jamais vus être
pour eux; qui, à regarder les exemples du passé, sur lesquels
on fonde l'usage, ont toujours su condamner et pas une seule
fois absoudre!... Aussi quand François Ier , visitant le tombeau
de Jean de Montaigu, dans le couvent de Matcoussy, plaignait
ce grand ministre d'avoir été mis à mort par justice : « Vous
vous trompez, Sire, dit le moine qui l'accompagnait, ce fut
par des commissaires 2. »

1 Jules Simon, Liberté, t. I, p. 111 et 3e édit. p. 78. « Il fallait 25 ans


de service dans les enquêtes pour monter régulièrement à la grand'chambre...
La charge de conseiller ne rapportait rien pendant près de vingt-cinq ans.
Il fallait ensuite, pour gagner ses épices, être nommé rapporteur par le pré-
sident de sa chambre; et ces épices, sous Louis XV, ne montaient pas à
8,000 livres pour un conseiller de la grand'chambre et à 3,000 livres pour
un conseiller des enquêtes. »
2 Défense de Fouquet, 1er discours, V. Réquisitoires, de M. Dupin aîné,

p. 184, t. IX (Procès du duc d'Enghien).


GRATUITÉ ET PUBLICITÉ DE LA JUSTICE. 445
Dans son Stylus parlamenti, Dumoulin a dit de son côté que
les Parlements avaient été établis avec des sièges pour que les
parties fussent à l'abri « de l'injustice des juges inconnus et de
ces commissions qu'on appelle extraordinaires, et qui sont ex-
trêmement dangereuses. » (Ab injuriis ignotorum judicum et
extraordinariarum quas vocant commissionum quse periculos-
sissimoe sunt 1.)
496. L'institution des commissions extraordinaires serait
légitime dans les cas où le souverain, craignant une trop grande
sévérité de la part des tribunaux ordinaires, instituerait des
juges plus indulgents. Mais toujours les commissions ont été
instituées dans un but contraire, et pour assurer le triomphe
de la politique sur l'action régulière de la justice. On en a fait
usage sous les régimes les plus différents et toujours par la
même raison, la RAISON D'ÉTAT. L'appréciation de ces mesures
ne rentre pas dans le domaine du droit, puisqu'elles ont été
prises contre le droit ou du moins en dehors ; elles ne peuvent
se justifier que par le célèbre axiome : Salus populi suprema
lex esto. La faiblesse des juges et la puissance des coupables
peuvent en effet rendre indispensables des mesures extraordi-
naires comme les grands jours d'Auvergne dans un pays où il
n'y a plus de justice. Toute la question consiste dès lors à se de-
mander si les circonstances où chacune de ces juridictions ex-
traordinaires a été créée exigeaient leur établissement. Ainsi
posée, la question doit être renvoyée au jugement de l'histoire.
En 1848, après la formidable insurrection du 24 juin, l'As-
semblée nationale vota une loi d'exception qui autorisait la
transportation, sans jugement, des personnes qui seraient re-
connues coupables d'avoir pris part à l'insurrection. Mais à qui
appartenait-il de juger s'ils avaient pris part à l'insurrection?
La question était décidée par une commission. On procéda de
même après les événements de décembre 1851 pour prononcer
sur les personnes qui avaient participé aux désordres. Les
commissions furent appelées mixtes, parce qu'elles étaient com-
posées mi-partie de magistrats et mi-partie de militaires. Ces

1 Stylus parlamenti, part, III tit. I, § 6.


,
446 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

commissions furent attaquées par la presse et à la tribune, avec


tant de persévérance et de véhémence, qu'elles devinrent fort
impopulaires. La haine qui en a poursuivi le souvenir a sur-
vécu même à la chute du gouvernement impérial; car, derniè-
rement encore, la loi du 30 août 1883, sur la magistrature, a,
par une disposition expresse, exclu de toutes les Cours, même
de la Cour de cassation à laquelle la loi ne s'appliquait pas,
les magistrats qui avaient consenti à faire partie de ces com-
missions.
497. Le principe que nul ne doit être distrait de ses juges
naturels fait-il obstacle à ce qu'un délinquant soit jugé par un
tribunal institué postérieurement à la perpétration du crime ou
du délit? La question s'étant présentée en 1848 devant l'Assem-
blée nationale, à l'occasion des accusés du 15 mai, elle y fut
tranchée dans le sens de la négative. Un décret rendu après une
discussion solennelle renvoya les accusés devant la Haute-Cour,
qui n'existait pas encore au moment où l'Assemblée avait été
violée. Ainsi fut consacrée par une décision législative la doc-
trine d'après laquelle la non-rétroactivité des lois est inappli-
cable aux dispositions de procédure.
Si l'on n'admettait pas cette solution, on arriverait à ce ré-
sultat que les faits antérieurs à la loi nouvelle demeureraient
impunis dans le cas où le tribunal compétent pour les juger
serait supprimé. Toute loi qui change les compétences a pour
but d'assurer une meilleure administration de la justice; quand
il institue un nouveau juge, le législateur croit que le nouveau
est plus éclairé que l'ancien, et que le prévenu comme la société
a intérêt à ce que la décision soit rendue en connaissance de
cause 1.
Il est impossible cependant de fermer les yeux à l'évidence,
et de ne pas reconnaître que la sévérité de la répression est

1 En novembre 1848, on avait proposé d'ajouter à l'article 91 de la Cons-


titution relatif à la Haute-Cour, ces mots : « attentats ou complots commis
« depuis la promulgation de la Constitution. » Cet amendement fut combattu
par M. Dupin aîné et rejeté. — La discussion recommença dans la séance
du 20 janvier 1849 à l'occasion du renvoi des accusés du 15 mai devant la
Haute-Cour. (Séance du 22 janvier 1849.)
GRATUITÉ ET PUBLICITÉ DE LA JUSTICE. 447
plus ou moins prononcée suivant les juridictions; le législa-
teur le reconnaît lorsqu'il fait passer certaines attributions
de la cour d'assises aux tribunaux correctionnels. Si le lé-
gislateur en tient compte, pourquoi le coupable ne se préoc-
cuperait-il pas de la sévérité de ses juges? Celui qui enfreint
les lois ne considère pas seulement l'étendue de la peine; il
examine aussi le caractère de ses juges et, d'après les pro-
babilités, la plus ou moins grande sévérité de la répression.
Une loi juste ferait, selon moi, la distinction suivante. Si le
tribunal compétent est entièrement supprimé, la nouvelle juri-
diction jugera les faits antérieurs à son institution. Si, au
contraire l'ancienne juridiction coexiste avec la nouvelle,
,
elle retiendra la connaissance des faits antérieurs à la modifica-
tion de compétence. Là serait, je crois, la conciliation entre
les nécessités de la répression et la sincère application du prin-
cipe de non-rétroactivité.
498. La publicité des débats est aussi une garantie de bonne
justice par le mal qu'elle empêche ; elle agit d'une manière
analogue à la crainte de l'appel qui a pour effet surtout de
prévenir les mauvaises décisions.
La publicité n'était pas inconnue avant 1789. L'ordonnance
de 1667, tit. II, art. 32, l'avait établie en matière civile; mais
l'ordonnance de 1670 ne contenait aucune disposition semblable
pour les matières criminelles. La loi des 16-24 août 1790,
sur l'organisation judiciaire, établit la publicité en matière
civile et criminelle, pour les « plaidoyers, jugements et rap-
ports 1. » Une disposition formelle posait en principe que
l'instruction, en matière criminelle, serait faite publiquement.
Garat avait même proposé de faire voter les juges à haute voix,
de manière que l'opinion de chacun fût connue; mais sa pro-
position fut rejetée sur cette observation de Thouret : « Quand
il s'agit des choses et des lois générales, la sûreté des opinions
est dans leur publicité; quand il s'agit des individus et des
personnes, la sûreté des opinions est dans le secret. » Toutes
les constitutions, depuis la loi de 1790, ont consacré la pu-

1 Tit. 2, art. 14.


448 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

blicité. La Charte de 1814, art. 64; la Charte de 1830, article


55; la Constitution de 1848, article 81, et celle du 14 janvier
1852, article ler ; toutes ces dispositions concordent parfaitement,
et il n'y a entre elles que des différences de rédaction 1.
On ne tient pas assez de compte aujourd'hui des services
rendus par le principe de la publicité. Cette ingratitude vient
de ce que les bienfaits de cette garantie sont devenus une
habitude; les bonnes moeurs judiciaires, que la publicité a
beaucoup contribué à établir, nous paraissent chose toute na-
turelle par l'effet du long usage, et nous oublions la cause qui
nous a valu de tels résultats.
La loi ne se borne pas à prescrire la publicité ; elle exige de
plus que le procès-verbal de l'audience porte la preuve que la
justice a été rendue publiquement 2.
499. Pour les audiences administratives, l'institution des
avocats au Conseil d'État fut un commencement de publicité.
Néanmoins le public ne fut admis qu'après la révolution de
1830. Une ordonnance du 2 février 1831 décida qu'à l'avenir
les audiences du Conseil d'État délibérant au contentieux se-
raient publiques.
Les audiences des conseils de préfecture ne furent soumises
à la publicité que longtemps après l'ordonnance du 2 février

1 Art. 7 de la loi du 20 avril 1810. — Art. 87 et 111 du Code de procédure


civile. — Le vote public des juges demandé par Gurat fut plus tard établi
par la loi du 26 janvier 1793 et supprimé par la constitution de l'an III.
5 La preuve serait suffisante si le procès-verbal mentionnait que les avoués

et les avocats ont été entendus en leurs conclusions et plaidoiries aux au-
diences de tels jours, bien qu'il ne dit pas formellement que chacune des au-
diences avait été tenue publiquement, surtout si le jugement se terminait par
une mention générale portant que le jugement a été rendu en audience pu-
blique. Ces énonciations sont suffisantes lorsqu'aucun autre fait n'est allégué
qui infirme les mentions du procès-verbal et des énonciations contenues dans
le jugement. Cass. 15 février 1865 (D. P. 1865, I, 430); 9 avril 1866 (D. P.
1866,1,245); 10 mai 1882 (D. P. 1882,1, 305); 11 mai 1882 (D. P. 1883,1, 89).
La jurisprudence tient cependant rigoureusement à l'observation du prin-
cipe de la publicité. La Cour de cassation a cassé un arrêt de Cour d'assises
parce qu'il ne résultait pas du procès-verbal d'audience qu'une descente sur
les lieux ordonnée par la Cour d'assises eût été faite avec publicité. C. Cass.,
Ch. crim., 28 juin 1883 (D. P. 1884, I, 47).
GRATUITÉ ET PUBLICITÉ DE LA JUSTICE. 449
1831. Le principe ne leur fut appliqué qu'à la suite de récla-
mations fréquentes et pressantes. L'expérience locale précéda
même les dispositions générales, et c'est ainsi qu'un préfet
de l'Isère, M. de Gasparin, fît faire à la question un grand
pas, en tenant publiquement les audiences du conseil de pré-
fecture de ce département. En 1850, le projet de loi dont
M. Boulatignier fut rapporteur, au Conseil d'État, établissait
la publicité des audiences des conseils de préfecture 1, et en
1862, le Sénat vota le renvoi au ministre de l'intérieur d'une
pétition qui demandait un règlement général de la procédure
devant les conseils de préfecture, vote qui pouvait être con-
sidéré comme favorable au principe de la publicité (délibé-
ration du 29 mars 1862). Enfin, un décret du 30 décembre
1862 disposa qu'à l'avenir les audiences des conseils de pré-
fecture seraient publiques, à l'exception de celles qui seraient
consacrées à l'examen des comptes de gestion des receveurs des
communes ou établissements de bienfaisance. Quand la loi ne
l'interdit pas, nous pensons qu'une juridiction a le droit de tenir
ses audiences publiquement ; il n'y a pas obligation mais faculté
d'accorder cette-garantie aux justiciables et c'est en vertu de
cette faculté que fut tentée l'expérience pour la publicité des
conseils de préfecture en matière contentieuse. Si la publicité a
des inconvénients il faut que la loi l'interdise 2.
,
L'intérêt des bonnes moeurs a voulu qu'on laissât aux ma-
gistrats le droit de prononcer le huis-clos. Par respect pour
une règle importante de notre droit public, les présidents n'en
font usage que dans les circonstances où la décence aurait
trop à souffrir des débats publics.
1 V. le rapport de M. Boulatignier et le Moniteur du 27 mars 1862.
2 Une commission scolaire a selon nous le droit de tenir une audience pu-

blique, aucun texte ne lui interdisant. C'est ainsi que M. de Gasparin put
mettre à l'épreuve la publicité des audiences du conseil de préfecture. Au-
cune loi n'exigeait la publicité, mais aucune loi ne l'interdisait. Le Conseil
d'Etat a, contrairement à notre opinion, sur la demande du ministre de
l'Instruction publique, annulé pour excès de pouvoir une délibération, ren-
due en séance publique, par la commission scolaire de Lavaur (Tarn), Arr.
du 16 mars 1883. Recueil des arrêts, 1883, p. 283. Concl. conf. de M. Mar-
guerie, comm. du Gouv.
B. — II. 29
450 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

La publicité la plus efficace est celle qui résulte de la re-


production par les journaux ; mais précisément à cause de son
étendue, elle a été jugée plus dangereuse et soumise à deux
espèces de restrictions. Premièrement, la loi interdit la re-
production des procès en diffamation dans lesquels la preuve
des faits diffamatoires n'est pas admise; en ce cas, les jour-
naux ne peuvent publier que la demande introductive et le
jugement. Secondement, dans toute affaire civile, il appartient
aux tribunaux d'interdire la reproduction des plaidoiries, mais
cette interdiction ne s'applique pas au jugement (art. 39 de la
loi du 29 juillet 1881).
La loi ne donne aux tribunaux le droit d'interdire le compte
rendu qu'en matière civile. La loi du 17 février 1852 leur
accordait un pouvoir plus étendu; elle permettait d'interdire
le compte rendu des procès criminels et correctionnels, même
quand le huis-clos n'avait pas été ordonné (art. 17 de la loi du
17 février 1852) 1.

DROIT COMPARE.

500. Belgique. — La Constitution belge contient les dis-


positions les plus précises sur la matière.
« Art. 102. Les contestations qui ont pour objet les
droits
civils sont exclusivement du ressort des tribunaux.
« Art. 103. Les contestations qui ont pour objet les
droits
politiques sont du ressort des tribunaux, sauf les exceptions
établies par la loi.
« Art. 104. Nul tribunal, nulle juridiction contentieuse ne
peut être établie qu'en vertu d'une loi. Il ne peut être créé
de commissions ni de tribunaux extraordinaires, sous quelque
dénomination que ce soit.

1 L'arrêté du conseil de préfecture doit mentionner qu'il a été rendu en


audience publique, mais il n'y a pas lieu à nullité si l'arrêté mentionne que
les parties ont été invitées à présenter leurs observations orales et informées
du jour où l'affaire serait soit appelée soit représentée. C. d'État, 2 décem-
bre 1881 (D. P. 1883, III, 41) et 23 déc. 1881 (D. P. 1883, p. 33).
GRATUITÉ ET PUBLICITÉ DE LA JUSTICE. 451
Art. 106. Les audiences des tribunaux sont publiques,
«
à moins que cette publicité ne soit dangereuse pour l'ordre ou
les moeurs; et, dans ce cas, le tribunal le déclare par juge-
ment. — En matière de délits politiques ou de presse, le huis-
clos ne peut être ordonné qu'à l'unanimité.
« Art. 107. Tout jugement est motivé. Il est prononcé en au-
dience publique. » La jurisprudence a décidé que le huis-clos
ne peut jamais s'appliquer au prononcé du jugement, qui doit
être fait en audience publique (arrêt de la Cour de cassation
belge, du 12 août 1836) 1.
504. Angleterre. — En Angleterre, le principe de la
publicité est réalisé,- aussi complètement que possible, par
l'institution du juge unique. Non-seulement les débats sont
publics et oraux; l'opinion du juge est, en outre, connue, et
celui qui condamne ou absout ne peut pas se mettre à couvert
derrière le secret des délibérations. Nous ne voulons pas ici
apprécier le mérite de la théorie du juge unique; ce qui est
incontestable, c'est que cette institution a ses qualités si elle a
ses défauts ; elle développe dans le coeur du magistrat le sen-
timent de la justice par le sentiment de la responsabilité devant
l'opinion publique.
La loi veut également que lorsque le jury décide, il se
prononce à l'unanimité; ainsi, même lorsque la décision émane
des juges constitués collectivement, l'opinion de chacun est
manifestée. A la Chambre des lords, lorsqu'elle prononce comme
cour suprême de justice, les membres jurisconsultes, qui jugent
avec le lord chancelier, opinent les uns après les autres en
séance publique.
Cette publicité jointe au respect de la loi et de la liberté
individuelle que professent les magistrats, comme tous les
Anglais, a donné à ce pays d'excellentes moeurs judiciaires.
Les accusés sont généralement traités avec les égards que
mérite la présomption d'innocence; les avocats de la couronne
se gardent de toute invective passionnée; le président avertit

1 Éléments de droit public et administratif belge, par M. Havard, t. I,


p. 63, 66, 67.
452 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

l'accusé des conséquences que pourraient entraîner les réponses


aux questions qui lui sont adressées; enfin il résume les débats
avec une sincère impartialité. Dans le procès Bernard, en
1858 lord Campbell ne s'étant pas montré assez impartial dans
,
la direction des débats, les reproches ne lui manquèrent pas,
et les journaux se donnèrent, à ce sujet, libre carrière. Aussi
la justice est-elle considérée dans ce pays comme le plus ferme
soutien des libertés publiques, et la couronne n'arriverait à en
faire un instrumentum regni que si elle pouvait transformer
les moeurs du pays et amortir la force de l'opinion publique.
VOTE DE L'IMPÔT ET DES DEPENSES PUBLIQUES. 453

CHAPITRE QUINZIÈME.

VOTE DE L'IMPOT ET DES DEPENSES PUBLIQUES.

Sommaire.
502. Vote de l'impôt avant 1789.
503. De la résistance des Parlements et de l'esprit dans lequel elle était faite.
504. Vote de l'impôt et des dépenses suivant le droit moderne.
505. Vote des dépenses antérieur au vote des impôts.
506. Constitutions du 3 septembre 1791 et du 24 juin 1793.
507. Constitution du 5 fructidor an III, art. 303 et 318.
508. Constitution consulaire du 22 frimaire an VIII, art. 45.
509. Restauration. — Loi du 23 mars 1817.
510. Suite. Ordonnance du 1er septembre 1827.
511. Gouvernement de Juillet. — Loi du 29 janvier 1831.
512. Empire. — Sénatus-consulte du 23 décembre 1852.
513. Sénatus-consulte du 31 décembre 1861.
514. Virements. Crédits supplémentaires et extraordinaires.
515. Impôts indéterminés.
516. Droit comparé. — Belgique.
517. — Angleterre.
518. — Allemagne.
319. — Espagne.

TRANSITION.

Nous avons traité jusqu'à présent de droits individuels qui


appartiennent aux étrangers comme aux Français et sont inhé-
rents à la qualité d'homme plutôt qu'à celle de citoyen. L'éga-
lité, la liberté individuelle, la propriété, le secret des lettres,
la liberté de la presse, la liberté religieuse, le droit de réunion
et d'association, le droit de pétition sont plutôt des droits natu-
rels que des droits politiques. Aussi appartiennent-ils à tous
454 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

sans qu'il soit besoin d'une concession directe et par cela seul
que leur exercice n'a pas été refusé formellement. Nous entrons
maintenant dans l'ordre des droits politiques, de ceux qui n'ap-
partiennent qu'aux citoyens et en vertu de dispositions formelles
sur la constitution des pouvoirs publics. Nous abordons l'é-
tude du droit constitutionnel qui ne suit pas les mêmes règles
d'interprétation que celles dont nous avons jusqu'à présent re-
connu l'autorité. Dans l'étude des droits publics , la loi natu-
relle joue un rôle prépondérant; tout ce qui n'est pas interdit
est permis et si les restrictions sont trop nombreuses ou trop
étroites, elles sont contraires à l'esprit de la Constitution. Dans
le droit constitutionnel, c'est la loi positive qui a le premier
rang et les citoyens n'ont le droit de participer à la puissance
publique que dans la mesure de ce qui leur est accordé par la
loi positive.
&02. Coquille, en son Institution au droit français, dit que
« la France est une monarchie héréditaire tempérée par les
« lois 1 ; que les lois devaient être vérifiées librement en parle-
« ment 2, et qu'au roi seul appartient lever deniers et espèces
« sur ses sujets 3. »
« D'ancienneté, ajoutait Coquille, nos bons rois ne mettoient
les subsides sans le consentement du peuple, que le roy assem-
bloit par forme d'États-généraux et en iceux proposoit la né-
cessité des affaires du royaume. Et en cette ancienneté, lesdits
subsides n'étoient ordinaires comme ils le sont de présent. Ceux
du duché de Bourgogne ont retenu sagement leur liberté et ne
payent les tailles qu'on appelle fouaïges, sinon qu'en trois ans
une fois, après que lesdits fouaïges sont accordés par les États
du païs, qui sont tenus de trois ans en trois ans. Et souloient,
en cette ancienneté, les rois promettre à leur peuple, sitôt que
le besoin seroit cessé, de faire cesser lesdits subsides. Cela se
voit par une ordonnance du roy Philippe sixième, dit de Valois,
de l'an 1348 4. »
1 Art. 2.
2 Art. 3.
3 Art. 13. Institutes coulumières. Loisel, édit. de MM. Dupin et Laboulaye.
4 Inslitutes coulumières, p. 19, t. I.
VOTE DE L'IMPÔT ET DES DEPENSES PUBLIQUES. 455
Ces promesses ne furent pas tenues ; les rois en vinrent à ne
convoquer les États-généraux qu'à de très rares intervalles, et
seulement dans les cas où les périls de leur situation étaient
tels qu'ils avaient besoin non-seulement d'obtenir de l'argent,
mais encore de puiser une force morale dans l'appui de la na-
tion. Dans ces réunions, les députés faisaient expier à la royauté
l'éloignement où elle vivait de ses sujets. On accordait les sub-
sides, mais avec des réserves et des stipulations qui, toutes,
avaient pour objet la convocation régulière des États-généraux.
Dans quelques-unes de ces assemblées, on entendit les députés
du tiers-état soutenir les doctrines les plus hardies sur la sou-
veraineté du peuple. Jean-Jacques Rousseau, dans le Contrat
social, n'a pas dépassé les hardiesses du sire de La Roche aux
États-généraux de 1484l.
Dans l'intervalle des réunions, les impôts étaient créés par
des édits royaux, avant d'être exécutoires, devaient être véri-
fiés en cour de Parlement. Encore le refus d'enregistrement
pouvait-il être vaincu par un lit de justice, séance royale
dans laquelle le souverain entendait les remontrances du Par-
lement, après quoi l'enregistrement était ordonné, si le roi
ne prenait pas le parti de revenir sur sa détermination.
503. Les remontrances de la magistrature n'étaient cepen-
dant pas sans efficacité, car elle était puissante par sa popularité.
Elle tenait à la noblesse et au tiers-état, et la couronne était
forcée de compter avec ces robins que le peuple avait l'ha-
bitude de considérer comme ses défenseurs. Certes, jamais
popularité ne fut moins justifiée. Le Parlement ne s'agitait que
pour défendre ses privilèges menacés , et c'est par des circons-
tances purement fortuites que ses intérêts coïncidèrent avec
ceux du peuple. S'il résistait aux taxes nouvelles, ce n'était
point à cause de la nouveauté de l'impôt, mais parce que les
nouvelles taxes s'étendaient à tous les contribuables, même
à ceux qui étaient exempts du paiement de la taille. Si jamais
une réforme financière fut juste et bien conçue, c'était assuré-

1
«
L'État est la chose du peuple; la souveraineté n'appartient pas aux
princes qui n'existent que par le peuple. »
456 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

ment la conversion de la corvée en taxe pécuniaire que proposa


Turgot. Eh bien! le Parlement réclama contre un impôt qui
« violait la Constitution, » parce qu'il soumettait tous les
ordres au paiement de la contribution transformée. Le pro-
jet de Calonne consistait à convertir les impôts directs en une
taxe territoriale unique, payable par tous les ordres. C'est
encore au sein du Parlement que ces projets de réforme en-
trepris par Calonne et repris par de Brienne trouvèrent l'op-
position la plus vive. Une voix s'éleva au sein du Parlement
de Paris pour demander la convocation des États-généraux.
C'est cette demande qui fut, sinon la cause, au moins l'occasion
de la réunion des États-généraux le 5 mai 1789.
504 . Toutes les constitutions qui se sont succédé depuis
1789 ont posé en règle constante que l'impôt serait voté par
les représentants de la nation. C'est par application de cette
maxime constitutionnelle que, sous la Restauration et la mo-
narchie de Juillet, la discussion du budget devait commencer
par la Chambre des députés, tandis que, pour les autres lois,
la délibération pouvait indifféremment commencer dans l'une
ou l'autre des Chambres. La Chambre des pairs discutait à
peine le budget, et son examen n'était guère qu'une homolo-
gation ayant pour objet de donner à la délibération de la Cham-
bre des députés tous les caractères formels de la loi.
Avant 1789, les États-généraux, lorsqu'ils étaient appelés,
votaient les subsides sans affectation aux dépenses publiques
et laissaient au gouvernement du roi le soin de distribuer les
fonds entre les divers services. Les États-généraux de 1355 1,
pour empêcher le détournement des deniers publics, nommè-
rent des généraux chargés de surveiller l'emploi des fonds,
mais cette mesure exceptionnelle ne prit pas le caractère d'une
institution régulière; dans l'ancien droit, le contrôle des dé-
penses publiques demeura purement administratif et judiciaire,
et les représentants de la nation, par suite même de la ra-
reté de leurs réunions, ne purent pas exercer le contrôle légis-
latif.

1 Augustin Thierry, Histoire du Tiers-État, t. I, p. 48.


VOTE DE L'IMPÔT ET DES DEPENSES PUBLIQUES. 457
'SOS. Suivant le droit public moderne , au contraire, le vote
du budget commence par la partie des dépenses, parce que c'est
par la nécessité des dépenses que se justifie la levée de l'impôt.
Les taxes ne sont plus un revenu de la Couronne, exigible
des contribuables comme des redevances demandées à des vas-
saux par un seigneur; l'impôt est destiné aux services publics,
et le jour où, par une hypothèse concevable quoique chimé-
rique, les dépensés pourraient être supprimées, les contribu-
tions devraient être rayées du budget parce qu'elles seraient
sans cause.
506. La Constitution du 3 septembre 1791 donnait au Corps
législatif le pouvoir : 1° de fixer les dépenses publiques ; 2° d'é-
tablir les contributions publiques, d'en déterminer la nature,
la quotité et le mode de perception; 3° de répartir les contri-
butions entre les départements, de surveiller l'emploi de tous
les revenus publics et de s'en faire rendre compte 1.
L'article 20 de la Déclaration des droits de l'homme et du
citoyen, placé en tête de la Constitution du 24 juin 1793, por-
tait que « nulle contribution ne pourrait être établie que pour
l'utilité générale, et que tous les citoyens auraient le droit de
concourir à l'établissement des contributions, d'en surveiller
l'emploi et de s'en faire rendre compte. »
503. La Constitution du 5 fructidor an III est plus expli-
cite. Au point de vue de la contribution, le Corps législatif avait
le droit d'établir tous les genres de contribution qu'il lui paraî-
trait convenable d'imposer; seulement il était obligé, par l'ar-
ticle 303, à voter une contribution foncière et une taxe person-
nelle. Le vote des impôts était annuel et devait être renouvelé
pour chaque exercice; faute de quoi, la perception aurait été
illégale. Les dépenses étaient également fixées par le pouvoir
législatif, ainsi que cela résulte de l'article 318 où le principe

1 Constit., tit. III, chap. 3, sect. lre, art. Ier et art. 14 de la Déclaration
des droits. « Un particulier, dit M. Paul Leroy-Beaulieu, règle en général
ses dépenses sur ses recettes, tandis que la plupart des États règlent leurs
recettes sur leurs dépenses, augmentent ou diminuent leurs impôts suivant
qu'ils croient convenable de doter plus ou moins certains services » (Traité
de la science des Finances, t. II, p. 3).
458 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

de la spécialité est consacré en termes formels. « Les commis-


saires de la Trésorerie ne pourront rien faire payer, sous peine
de forfaiture, qu'en vertu 1° d'un décret du Corps législatif et
jusqu'à concurrence des fonds décrétés par lui sur chaque
objet; 2° d'une décision du Directoire; 3° de la signature du
ministre qui ordonne la dépense.
508. La Constitution consulaire n'admit pas le principe de
la spécialité et laissa au Chef de l'État la plus grande latitude
pour l'emploi des fonds : « Le gouvernement, disait l'article
45, dirige les recettes et les dépenses de l'État, conformément
à la loi annuelle qui détermine le montant des unes et des au-
tres. » Sous le Consulat et l'Empire, la distribution des deniers
publics entre les différents services releva du pouvoir absolu
du Chef de l'État, et les ministres ne furent tenus de rendre
compte qu'à l'Empereur. La régularité que l'Empereur exi-
geait, l'estime qu'il faisait de la probité et l'honnêteté des
ministres qu'il employa corrigèrent les défauts de la loi dont
l'exécution, confiée à d'autres hommes, aurait eu les plus
graves inconvénients. Si cette manière de procéder ne pro-
duisit pas les maux qu'elle renfermait, il faut en faire honneur
aux ministres et au Chef de l'État, non à l'institution 1.
509. La réaction contre ce système commença dans les
premières années de la Restauration, et elle fut même poussée
jusqu'à l'exagération. La Chambre de 1815 voulut entrer dans
les plus menus détails, s'emparer de l'administration par les
finances et absorber la prérogative royale dans le pouvoir lé-
gislatif. Le pouvoir exécutif trouva des défenseurs et des adver-
saires éloquents; à la suite d'une lutte mémorable, la loi du
25 mars 1817 consacra une transaction. La Chambre, en vertu
de cette loi, votait les crédits en bloc, par ministère ; mais elle

1
«Dans quelques États absolus, comme l'empire de Russie, le sentiment
de l'honneur chez les fonctionnaires, celui de l'intérêt bien entendu du pays
chez le souverain, le respect et la crainte de l'opinion publique peuvent en
partie suppléer à cette vigilance des Chambres et à la publicité du vote des
crédits et des impôts; mais ce ne sont jamais là des garanties ainsi que les
règles rigides qui sont adoptées par les pays parlementaires » (Paul Leroy-
Beaulieu, op. cit., t. II, p. S).
VOTE DE L'IMPÔT ET DES DEPENSES PUBLIQUES. 459
avait le droit de réduire le total, d'une somme égale à toutes
les réductions qu'il lui semblait possible de faire sur les cha-
pitres. Comme la discussion était faite par chapitres, la Chambre
pouvait juger quelles étaient les dépenses superflues ou exa-
gérées et elle réduisait d'autant le crédit total du ministère.
Sans doute le ministre pouvait ensuite, au moyen d'une éco-
nomie sur d'autres articles du budget, pourvoir à la dépense
supprimée et faire prévaloir sa pensée contre celle du pouvoir
législatif; mais l'obligation de prendre les fonds sur d'autres
services enfermait le ministre dans un cercle étroit.
La transaction ne termina pas la lutte et, de 1820 à 1827,
la spécialité fut demand.ée à plusieurs reprises par les orateurs
de l'opposition, par MM. Foy, Manuel, Laffitte, Benjamin
Constant et Royer-Collard. La prérogative royale et les droits
de l'administration furent défendus par MM. de Villèle, Pas-
quier, Roy et Courvoisier. Après avoir développé l'idée que le
chapitre est propriétaire du crédit qui lui est affecté; que le
gouvernement n'ayant obtenu un crédit que pour faire une
dépense déterminée, la probité lui fait un devoir de ne pas
détourner la somme allouée pour payer une dépense non con-
sentie, M. Royer-Collard disait dans une séance de 1822 : « Le
temps de la loi de 1817 est passé, celui de la spécialité est
venu; en vain elle sera repoussée, elle se reproduira de plus
en plus exigeante et elle triomphera, peut-être durement, de
la mollesse des majorités et de la répugnance des ministres. »
510 La menace de Royer-Collard se réalisa quelques an-
nées plus tard; mais bien avant les événements de juillet 1830,
les ministres avaient pu sentir que le courant de l'opinion
publique marchait à la suite de l'opposition, et M. de Villèle
avait cherché à lui donner une satisfaction partielle. L'ordon-
nance du 1er septembre 1827 disposa qu'à l'avenir le vote des
dépenses aurait lieu par sections, au lieu d'être fait en bloc
par ministère. La discussion portait d'ailleurs sur les chapitres
ou subdivisions, et la Chambre avait le droit de diminuer le
crédit affecté à une section, comme elle pouvait auparavant
réduire le crédit total du ministère. Le supplément de garantie
créé par cette ordonnance tenait à ce que chaque section était
460 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.
propriétaire du crédit qui lui était assigné. Le ministre qui
voulait méconnaître le voeu des législateurs ne pouvait plus se
mouvoir dans le ministère tout entier; il demeurait enfermé
dans la section, et il ne lui était pas permis de faire des éco-
nomies sur une section pour la reporter sur une autre; les
virements ne pouvaient se faire qu'entre les chapitres de la
même section.
511. Cette concession ne donna pas une entière satisfaction
à l'opposition; à peine promulguée, l'ordonnance du ler sep-
tembre 1827 fut attaquée par les plus vives réclamations;
le Parlement multiplia les divisions et peu à peu l'action admi-
nistrative fut enfermée dans un nombre de sections qui se
rapprochait de la spécialité. C'est le système qui triompha,
après la révolution de Juillet, dans la loi du 29 janvier 1831 1,
et qui ne cessa pas d'être suivi jusqu'au sénatus-consulte du
25 décembre 1852.
512 L'article 12 du sénatus-consulte organique de l'Em-
pire disposa que le budget serait présenté au Corps législatif
avec ses subdivisions administratives, mais que le vote serait
fait par ministère et en bloc. La répartition entre les chapitres
n'était cependant pas abandonnée aux ministres; c'est par

1 M. Thiers concourut à la discussion de cette loi comme commissaire du


Gouvernement. Dans un discours prononcé à la séance de la Chambre des
députés du 23 novembre 1830, il montra les inconvénients d'une division
poussée trop loin. Tout en admettant le principe de la spécialité — l'état de
l'opinion publique ne lui aurait d'ailleurs pas permis de le combattre — il
demandait à la Chambre de ne pas multiplier à l'excès les chapitres : « Il y
a, disait-il, une certaine spécialité qui vous est possible, et une autre qui
n'est possible qu'au ministère. Reste à fixer le degré de chacune. Je sais
bien que beaucoup d'hommes fort éclairés pensent que toute spécialité vous
appartient. Je ne le crois pas. Je crois qu'il y a des bornes à mettre à la
durée de vos discussions. Je crois que l'économie ne gagnerait nullement à
une spécialité trop étroite. » L'orateur démontrait ensuite que les ministres
seraient portés à faire des économies s'ils pouvaient les employer à couvrir
des dépenses insuffisamment dotées, et se dispenser ainsi de l'ennui de de-
mander de nouveaux crédits; qu'au contraire, ils négligeraient de faire des
économies s'ils n'étaient pas dispensés par les réductions de la demande de
nouveaux crédits. « Il faut, ajoutait-il, pour que l'action soit possible en
toutes choses, un grand contrôle après et un peu de confiance avant. »
VOTE DE L'IMPÔT ET DES DEPENSES PUBLIQUES. 461
décrets qu'était ordonnée la distribution entre les subdivisions,
et ces décrets devaient être délibérés en Conseil d'État. Vote en
bloc par le Corps législatif et vote par chapitres au Conseil d'É-
tat, tel était, en résumé, le système de ce sénatus-consulte. La
répartition obligeait les ministres; mais ils pouvaient obtenir la
modification de la division au moyen d'un décret également
rendu en Conseil d'État; en d'autres termes, les virements de
chapitre à chapitre, sur toute l'étendue du département minis-
tériel, pouvaient, comme la répartition, être ordonnés par des
décrets rendus dans la forme des règlements d'administration
publique.
On pourrait croire, au premier abord, que c'était là le sys-
tème consacré par la loi du 25 mars 1817 ; il y a cependant
une profonde différence entre les deux combinaisons. En 1817,
les Chambres avaient le droit de proposer des amendements
et de les voter. Quand elles voulaient réduire le crédit total
demandé par le ministère, elles en avaient le droit en vertu
de leurs attributions propres, et leur vote n'était pas soumis
à l'approbation du Gouvernement. D'après la Constitution
du 14 janvier 1852, au contraire, le Corps législatif n'avait
qu'un droit d'amendement fort restreint puisque les propositions
modificatives devaient, pour être soumises à délibération,
avoir reçu l'approbation du Conseil d'État. Supposons que,
sous l'empire du sénatus-consulte du 25 décembre 1852, le
Corps législatif trouvant que la dépense portée dans un chapitre
était superflue, voulût diminuer d'autant le crédit total du
ministère il ne pouvait réduire qu'au moyen d'un amendement
,
soumis à l'approbation du Conseil d'État. Si l'approbation était
refusée, le Corps législatif était condamné à l'alternative de
voter ou de rejeter le crédit en entier; il ne lui restait donc
qu'à céder s'il ne voulait pas recourir à une mesure révolu-
tionnaire 1. A ne consulter que les apparences, le système du
sénatus-consulte de 1852 était le même que celui de la loi
du 25 mars 1817 ; ce qui était différent, c'était la constitution

II était, suivant M. le marquis d'Audiffret, placé entre l'impuissance et


1

la folie.
462 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

des deux régimes, et la combinaison de la loi financière avec


la loi politique établissait une profonde démarcation entre les
institutions des deux époques.
Ce qui rendait l'application de ces dispositions plus rigou-
reuse, c'est que le Gouvernement, en se fondant sur la gé-
néralité des termes du sénatus-consulte, l'étendait aux crédits
supplémentaires aussi bien qu'aux crédits ordinaires. Quelques
députés avaient soutenu que les crédits supplémentaires étant
en dehors du budget, il n'y avait pas lieu d'appliquer l'article
12 du sénatus-consulte; mais cette prétention, combattue par
les commissaires du Gouvernement, avait été repoussée, ou
plutôt le président avait refusé de faire voter sur une proposi-
tion qu'il considérait comme contraire à la Constitution J.
Ce régime faisait, en réalité, passer le vote des dépenses
du Corps législatif au Conseil d'État; car le rejet du crédit
total, que le Corps législatif avait le droit de voter, était une
de ces mesures extrêmes qui donnent le signal des révolutions,
et auxquelles les gens sensés, quelque indépendants qu'ils
soient, refusent de recourir. Chaque année, les rapporteurs
du budget réclamèrent, sinon le rétablissement du vote par
chapitre et de la spécialité, au moins une part plus effective
dans le vote des dépenses. Ces réclamations finirent par être
prises en considération, et c'est pour leur donner satisfaction
que fut fait le sénatus-consulte du 31 décembre 1861.
513. D'après l'article 1er du sénatus-consulte du 31 dé-
cembre le budget de chaque ministère était présenté au Corps
,
législatif avec ses divisions en sections, chapitres et articles,
et le vote avait lieu par sections, non par ministère. Le nombre
des sections était fixé par un tableau annexé au sénatus-con-
sulte. Elles étaient, pour la plupart, fort étendues, et l'on en
jugera par cet exemple que le budget des cultes, tout entier,
formait une des sections du ministère de l'instruction publique
et des cultes. Le Corps législatif n'avait donc pas d'autre
moyen, pour réduire le chiffre du budget des cultes, que

1 Moniteur du 28 juin 1860 et Revue des Deux-Mondes du 1er février 1861,


p. 684 (article de M. Casimir Périer).
VOTE DE L'IMPÔT ET DES DEPENSES PUBLIQUES. 463
d'obtenir l'adhésion du Conseil d'État à l'amendement proposé
dans ce sens. Si le Conseil d'État persistait dans son premier
projet, le Corps législatif ne pouvait faire prévaloir sa volonté
qu'en rejetant la section tout entière, c'est-à-dire en employant
un procédé violent qui ferait reculer les opposants les plus
hardis.
514. La disposition la plus importante du sénatus-consulte
était écrite dans l'article 3, qui supprimait le droit d'ouvrir
des crédits supplémentaires par décret : « Il ne pourra être
«
accordé de crédits supplémentaires ni de crédits extraordi-
«
naires que par une loi. »
Les crédits supplémentaires et extraordinaires dont il est,
à la vérité, facile d'abuser, correspondent cependant à une
nécessité difficile à éviter. Une dépense a été prévue, mais dotée
d'une manière insuffisante; les travaux ont commencé, et par
suite de l'insuffisance du crédit, leur continuation serait impos-
sible et leur interruption dommageable. Comment corriger l'im-
prévoyance du législateur et faire face au surcroît de dépense ?
Le crédit supplémentaire est un moyen naturel d'y pourvoir.
Supposons, d'un autre coté, que des circonstances urgentes
rendent nécessaire une dépense qui n'est pas inscrite au bud-
get, même pour la plus légère somme. La force des choses
n'attend pas et elle est plus puissante qu'aucun pouvoir hu-
main; les accidents appellent les crédits extraordinaires. Si le
pouvoir législatif était permanent, on pourrait concevoir qu'une
loi fût exigée pour l'ouverture des crédits supplémentaires et
extraordinaires; encore faut-il considérer que le pouvoir légis-
latif est une machine qui se meut avec quelque lenteur, et
qu'elle ne pourrait pas toujours se tenir au niveau des cir-
constances les plus urgentes. Le Corps législatif n'étant pas per-
manent, il fallait dans l'intervalle des sessions, pourvoir aux
dépenses nouvelles ou insuffisamment dotées.
Comment le sénatus-consulte avait-il pourvu à ces besoins
inévitables dont la suppression est impossible? C'est paroles
virements qu'il avait remplacé les crédits supplémentaires et ;

extraordinaires. Lorsqu'une dépense était jugée nécessaire en


dehors des prévisions budgétaires, un décret pouvait dégar-
464 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

nir un service voté et, au moyen d'un virement, reporter


les sommes d'un chapitre pourvu sur un chapitre nouveau ou
insuffisamment doté. Quant au service dégarni, on supposait
qu'il pourrait attendre et qu'on aurait le temps de provoquer
un vote du Corps législatif, pour lui rendre les fonds dont
il avait été momentanément dépouillé. La faculté des virements
était jugée moins périlleuse que l'ouverture des crédits supplé-
mentaires ou extraordinaires par décret; le virement, en effet,
est limité par l'obligation de prendre sur d'autres services, et ce
frein est propre à modérer les tentations ministérielles ; au con-
traire, l'ouverture des crédits par décret est indéfinie, et il
suffit d'obtenir la signature du Chef de l'État, qui n'a pas le
loisir d'examiner tous les détails de chaque département mi-
nistériel. Il est vrai que les crédits supplémentaires ou extraor-
dinaires ouverts par décret sont soumis à la ratification du pou-
voir législatif; mais il est difficile de revenir sur les faits
consommés, et sous un régime où le Chef de l'État était res-
ponsable, le rejet des crédits supplémentaires ou extraordi-
naires pouvait être la cause d'un conflit d'autorité dangereux
pour la paix publique 1.
Le vote par chapitres fut rétabli par le sénatus-consulte du
8 septembre 1869, dont l'article 9 portait : « Le budget des
dépenses est présenté au Corps législatif par chapitres et ar-
ticles. Le budget de chaque ministère est voté par chapitres,
conformément à la nomenclature annexée au présent sénatus-
consulte. »
51S. La loi du 27 juillet 1870, article 38, restreignit le
droit de faire des virements entre les sections ou chapitres :
1° Aucun virement ne pouvait porter sur les crédits affectés au

1 Voir sur toute cette matière deux rapports de M. Troplong, sur le sé-
natus-consulte du 25 décembre 1852 (D. P. 1852, IV, 189), et sur le sénatus.
consulte du 31 décembre 1861 (D. P. 1862, IV, p. 1 et suiv.). V. aussi l'ex-
posé de motifs du sénatus-consulte de 1861 par M. Vuitry (Moniteur du 3
décembre 1861, p. 1694). « La réforme, dit M. P. Leroy-Beaulieu, n'eut
pas les bons effets qu'on en attendait : la faculté de virements eut pour con-
séquence naturelle l'accroissement de la dotation de la plupart des chapitres
et les crédits supplémentaires ne disparurent pas entièrement » (t. II, p. 101).
VOTE DE L'IMPÔT ET DES DEPENSES PUBLIQUES. 465
service de la dette publique; 2° on ne pouvait pas, au moyen
d'un virement, augmenter les fonds secrets; 3° les traitements
du personnel ne pouvaient pas être augmentés au moyen de vi-
rements; 4° les fonds créés pour dépenses extraordinaires ne
pouvaient pas être reportés par virement aux dépenses ordi-
naires. Enfin la loi du 16 septembre 1871, article 30, a de nou-
veau consacré la spécialité par chapitres en interdisant le
virement de chapitre à chapitre, en termes formels (art. 30,
§ 2). Le ministre peut se mouvoir dans le chapitre et faire un
virement d'une subdivision à une autre. Ainsi il n'est pas sans
exemple que le ministre, en restant dans les limites du crédit
affecté au chapitre, ait maintenu un employé dont le traite-
ment avait été supprimé par les Chambres.
Quant aux crédits supplémentaires et extraordinaires, ils ne
peuvent pendant les sessions être ouverts que par une loi. Dans
l'intervalle des sessions, ils peuvent être ouverts par décret, en
Conseil d'État, mais les crédits supplémentaires ne peuvent être
accordés que pour les chapitres compris clans une nomenclature
faite par une loi. Pour les dépenses non comprises dans l'énu-
mération, aucun crédit supplémentaire ne peut être accordé
pendant les intersessions. Il faut ou attendre la réunion du Par-
lement ou le convoquer extraordinairement. — Comme les cré-
dits extraordinaires ont pour objet des dépenses imprévues,
aucune nomenclature n'a pu être faite en ce qui les concerne;
aussi la faculté de les ouvrir est indéfinie. Les crédits supplé-
mentaires ou extraordinaires doivent être soumis à la ratifica-
tion des Chambres aussitôt après leur réunion (art. 31, 32 et 33
de la loi de finances du 16 septembre 1871) 1.
La loi de 1871 ne distinguait pas entre la prorogation et la
dissolution de la Chambre des députés et il n'y avait pas à dis-
tinguer, le besoin de crédits supplémentaires ou extraordi-
naires pouvant se faire sentir aussi bien dans un cas que dans
l'autre. La distinction a été faite par la loi du 22 décembre 1878,
1 L'article 33 énumère les dépenses pour lesquelles, dans chaque ministère,
des crédits supplémentaires peuvent être ouverts pour l'année 1872. La no-
menclature a été modifiée sur quelques points dans les lois de finances pos-
térieures.
B. — II. 30
466 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

en souvenir de la dissolution qui avait suivi le 16 mai 1877.


L'article 11 de cette loi ne permet d'ouvrir les crédits supplé-
mentaires ou extraordinaires qu'en cas de prorogation des
chambres législatives.

DROIT COMPARE.

516. Belgique.— Aucun impôt au profit de l'État ne peut


être établi que par une loi (art. 110 de la Constitution du 7 fé-
vrier 1831). Les impôts sont votés annuellement, et s'ils ne
sont pas renouvelés par les lois de finances de l'année, ils ces-
sent d'être exigibles (art. 111). Les dépenses sont également
votées par le pouvoir législatif, conformément au principe de la
spécialité des chapitres. L'article 116 charge la Cour des comp-
tes de veiller « à ce qu'aucun article du budget ne soit « dé-
passé, à ce qu'aucun transfert (virement) n'ait « lieu 1 . » Les
ministres^ sont maintenus dans la limite des crédits spéciaux par
le contrôle de la Cour des comptes, dont le visa est exigé pour
que les dépenses soient payables. L'opposition de la Cour aux
dépenses non portées aux budgets ne peut être levée que
par un ordre royal, délibéré en conseil des ministres, et exé-
cutoire sous la responsabilité solidaire des membres du cabinet.
C'est donc par un ordre royal, délibéré en conseil des ministres,
que peuvent être ouverts les crédits supplémentaires et extraor-
dinaires.
Les dispositions constitutionnelles que nous venons d'a-
nalyser ont été complétées par les articles 15 et 16 de la
loi du 15 avril 1846 sur la comptabilité publique. « La loi
annuelle des finances ouvre les crédits nécessaires aux dépenses
présumées de chaque exercice. Toute demande de crédits, faite
en dehors de la loi annuelle des dépenses, doit indiquer
les voies et moyens qui seront affectés aux crédits demandés.
Les ministres ne peuvent faire aucune dépense au delà des
crédits ouverts à chacun d'eux; ils ne peuvent accroître, par

1 Havard, Droit administratif belge, t. I, p. 70.


VOTE DE L'IMPÔT ET DES DEPENSES PUBLIQUES. 467
aucune ressource particulière, le montant des crédits affec-
tés aux dépenses de leurs services respectifs. »
517 Angleterre. — Les revenus publics se divisent en
ordinaires et extraordinaires. Les premiers sont permanents
et perçus en vertu d'un droit inhérent à la Couronne, tandis
que les seconds sont accordés par la Chambre des communes.
Les revenus ordinaires sont peu considérables, et consistent
principalement dans le produit des biens domaniaux, des mines
royales, etc., etc., etc. C'est avec les revenus extraordinaires que
les dépenses publiques sont couvertes, pour la presque totalité-
D'après les principes du droit public anglais, l'impôt n'est
pas levé sur les contribuables en vertu d'un droit de souve-
raineté attaché aux prérogatives de la Couronne, ni surtout
comme une part de revenu appartenant au prince; c'est le
consentement libre de la nation représentée par la Chambre
des communes qui permet au gouvernement de lever l'impôt 1
.
Sur ce point, la Chambre des communes est à peu près omni-
potente, et le concours des Lords est de pure forme. C'est
pour donner à l'octroi des impôts la force et les caractères
formels d'une loi que la Chambre haute vote le budget et
que le roi le sanctionne; mais la Chambre haute ne modifie
pas les articles votés par la Chambre des communes. La
sanction royale, quand elle s'applique à une loi de finances,
est donnée dans une forme spéciale, en ces termes modestes :
« Le roi approuve et mercie ses loyaux subjets. »
Le concours de la Chambre des lords, quelque réduit qu'il
soit, a cependant donné lieu à des conflits.
Si elle approuve les articles votés par les Communes, ne

1 Ce principe paraît avoir été reconnu de tout temps et il serait difficile


d'assigner une date à son origine : « Quelque grand que fût le pouvoir
royal, dit Macaulay, il était limité par trois grands principes constitution-
nels si anciens que personne n'en peut préciser l'origine; si puissants que
leur développement naturel, se poursuivant à travers les générations, a
produit l'état de choses actuel. En premier lieu, le roi n'avait le pouvoir lé-
gislatif qu'avec le concours du parlement; ensuite il ne pouvait lever aucune
taxe qu'avec le consentement de ces mêmes parlements ; enfin il devait gou-
verner selon les lois du royaume et, s'il les violait, ses conseillers et ses
agents étaient responsables. » (Histoire d'Angleterre, t. III, p. 407.)
468 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

peut-elle pas aussi les rejeter, et si elle a le droit de repousser


l'ensemble, ne peut-elle pas, à plus forte raison, modifier quel-
ques détails? Ces difficultés étaient inséparables de la situation
fausse faite à une assemblée considérable par une attribution
incomplète. On a reconnu que si la Chambre haute n'a pas
le droit de modifier le budget, elle peut cependant limiter
le vote des Communes, au moins quant au temps. Supposons
que celles-ci aient accordé une taxe pour quatre ans, il ap-
partiendrait aux Lords d'en restreindre la durée.
Le droit de rejeter une loi de finances a été invoqué par
la Chambre haute à l'occasion des droits sur le papier, dont le
Gouvernement avait proposé et la Chambre des communes
adopté la suppression. En la rejetant, la Chambre des lords
avait une arrière-.pensée relativement à d'autres impôts, qui
étaient maintenus ou augmentés pour dégrever le papier. Une
déclaration de 1671 reconnaissait, il est vrai, formellement à
la Chambre haute, le pouvoir de rejeter une loi de finances;
mais ce que la déclaration ne disait pas et ce qui était con-
testé, c'est que ce droit pût aller jusqu'à maintenir un im-
pôt dont les représentants électifs de la nation avaient voté
la suppression. A la suite de débats très-animés, une propo-
sition de lord Palmerston fut adoptée à l'unanimité. Cette réso-
lution déclarait : 1° que le droit d'accorder des subsides à la
Couronne appartenait exclusivement aux Communes ; 2° que la
Chambre des lords avait, à plusieurs reprises, exercé le droit
de rejeter les projets de lois de finances, mais que ce droit
devait, autant que possible, être concilié avec la compétence
des Communes touchant le vote des voies et moyens; 3° que
les Communes avaient le pouvoir d'établir et de modifier les
impôts, et que pour tout ce qui concernait l'assiette et le quan-
tum des contributions ou taxes, leur pouvoir demeurerait entier
et exclusif. L'année suivante, pour échapper au droit qui avait
été reconnu à la Chambre des lords de rejeter une loi, M. Glads-
tone inséra dans le budget la disposition qui supprimait l'impôt
sur le papier. Le budget fut voté par la Chambre des com-
munes à la majorité de 18 voix et ne fut pas rejeté par la
Chambre haute.
VOTE DE L'IMPÔT ET DES DÉPENSES PUBLIQUES. 469
Avant le règne de Charles II, les subsides étaient votés sans
affectation spéciale à un but déterminé; c'est sous ce règne que
fut introduite l'innovation, qualifiée de républicaine par Cla-
rendon, en vertu de laquelle les fonds accordés par les Com-
munes devaient être distribués entre les différents services. En
temps de guerre, le Parlement laisse une assez grande latitude
aux ministres, et leur permet de se mouvoir dans un crédit
unique et voté en bloc. On a même vu des ministres qui, sûrs
de l'adhésion de la Chambre, ne se sont pas conformés aux
prévisions budgétaires parce qu'ils étaient certains d'obtenir
un bill d'indemnité. C'est ce qu'avait fait Pitt lorsque, sans le
communiquer aux Communes, il avait donné 1,200,000 livres
à l'empereur d'Allemagne et 200,000 livres au prince de Condé.
Une forte opposition tenta de faire repousser par la Chambre
la ratification de ces dépenses, mais cette entreprise échoua
contre l'habileté de Pitt, et la majorité approuva une dépense
qu'il avait faite d'urgence et dans l'intérêt général du pays.
La Chambre des communes est jalouse du droit de consentir
les lois de finances au point qu'elle a étendu ce caractère aux
lois pénales qui prononcent des peines pécuniaires. De là ré-
sulte cette conséquence que la discussion de cette espèce de
lois doit commencer par la Chambre des communes, et c'est en
vertu de cette règle qu'en 1831, elle a rejeté une loi sur la
police de la chasse dont la discussion avait d'abord été ouverte
à la Chambre des lords 1.
518. Allemagne. — Le principe du vote des subsides et
des crédits par les représentants du pays est admis dans toute
l'étendue du continent européen : « Aujourd'hui, dit M. P.
Leroy-Beaulieu, la Russie est la seule puissance appartenant à
notre civilisation, où les représentants des contribuables n'aient
pas la prérogative de fixer le montant des taxes et l'emploi du
produit des taxes. » On le trouve consacré clans toutes les
constitutions de l'Allemagne. La Constitution de l'Empire alle-
mand du 16 août 1871 l'a adopté.
« Art. 69. Toutes les recettes et dépenses de l'Empire sont

Die Verfassung Englands, par Ed. Fischel, p. 441 et suiv.


470 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

publiées chaque année et portées au budget de l'Empire. Les


dernières (les dépenses) sont fixées par une loi au commence-
ment de chaque exercice
« Art. 71. Les dépenses communes sont, en règle générale,
consenties pour une année; elles peuvent toutefois, dans des
cas spéciaux, être consenties pour une plus longue durée
« Art. 72. L'emploi des recettes de l'Empire fait l'objet d'un
compte, annuellement rendu par le chancelier de l'Empire,
pour la décharge, au Conseil fédéral et au Reichstag. »
La Constitution prussienne du 31 janvier 1850 contient les
dispositions suivantes :
« Art. 99. Les recettes et dépenses de
l'État doivent être
évaluées d'avance et inscrites au budget de l'État. — Le budget
doit être fixé chaque année par une loi.
« Art. 100. La perception d'impôts ou de contributions pour
le Trésor n'est licite qu'autant qu'elle est autorisée par la loi du
budget ou des lois spéciales.
« Art. 102. Les fonctionnaires de
l'État ou des communes ne
peuvent lever des taxes qu'en vertu d'une loi.
« Art. 104. L'approbation ultérieure des deux Chambres est
nécessaire pour toute dépense excédant les prévisions budgé-
taires. »
Quoique l'article 104 assimile les deux Chambres relative-
ment à l'approbation des crédits supplémentaires, il existe entre
les pouvoirs des deux assemblées une différence qui doit être
signalée; elle est écrite dans l'article 62 : « Les projets de lois
des finances et les états budgétaires seront soumis d'abord à la
Chambre des députés. — Ils seront acceptés ou refusés en
entier par la Chambre des seigneurs. »
C'est sur l'article 99 que s'établit, en 1862, la discussion
entre M. de Bismarck et la majorité de la Chambre des dépu-
tés, sur les droits de la couronne en matière de finances. « En
cas de désaccord, disait M. de Bismarck, entre les trois pou-
voirs qui concourent à la confection des lois, la Constitution
ne dit pas lequel d'entre eux doit céder. Loin de reconnaître la
suprématie de la Chambre des députés, elle proclame, au con-
traire, l'égalité absolue des trois pouvoirs, leur reconnaît les
VOTE DE L'IMPÔT ET DES DEPENSES PUBLIQUES. 471

mêmes droits illimités en théorie et ne laisse ouverte, pour


arriver à une entente, que la voie des compromis. C'est,
d'ailleurs, le caractère distinctif du régime constitutionnel de
se composer d'une série de transactions. »
Aucun des pouvoirs ne céda et c'est la force qui décida.
M. de Bismarck fit prévaloir la volonté royale, et de 1863 à
1866 le budget fut arrêté par des ordonnances. Quand il eut
tiré de sa théorie toute l'utilité qu'il en attendait, quand il
rouvrit le Parlement après la victoire de Sadowa, loin de per-
sévérer clans une doctrine qu'il avait soutenue comme un expé-
dient, il reconnut les droits du Parlement : « Dans ces der-
nières années, dit-il dans le discours d'ouverture, le budget
n'a pu être fixé d'accord avec la représentation nationale. Les
dépenses publiques faites pendant cette période manquent, je
le reconnus, de base légale. » En conséquence, le gouverne-
ment demandait un bill d'indemnité, ce qui était facile à obtenir,
malgré le souvenir de luttes animées, après les succès fou-
droyants de la campagne de Bohème. Y avait-il contradiction
entre la doctrine soutenue en 1862 et les paroles pacificatrices
de 1866 ? Nullement. En 1862, le chancelier prétendait que si
trois pouvoirs égaux en droits ne peuvent pas s'accorder, aucun
des trois n'est obligé de céder, et que la situation ne peut être
résolue que par la force et au profit du plus fort. Les circons-
tances l'avaient forcé à sortir de la légalité, mais le succès lui
permettait d'y rentrer en demandant, après la victoire, cet ac-
cord qu'il n'avait pas obtenu avant son entreprise, entreprise qui
n'avait pas été approuvée sans doute parce qu'elle n'était pas
connue ou qu'elle était mal connue. Pour pouvoir marcher à son
but, il avait été obligé de recourir à la force ; mais le but atteint, il
faisait appel à la conciliation. S'il s'était agi d'une loi ordinaire,
le désaccord aurait abouti naturellement à l'abstention et au
maintien de la législation en vigueur; mais l'organisation de
l'armée donne lieu à des dépenses nécessaires qui ne peuvent
pas attendre, et le pouvoir exécutif dans un pays où il est entre
les mains d'un roi héréditaire, a des droits propres pour la
conservation de ses États et de sa couronne. Il pourrait se dé-
fendre contre la déposition formelle, si les Chambres voulaient
472 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

la prononcer; il doit pouvoir se défendre si indirectement les


députés mettent son pouvoir en péril en lui imposant une armée
impuissante et incapable de le protéger.
5519 Espagne. — Le budget des recettes et des dépenses
est voté annuellement par les Cortès, et la discussion com-
mence par le Congrès des députés (art. 42 de la Constitution
du 30 juin 1876). Chaque ministère forme son budget qui doit
comprendre tous les services classifiés par chapitres et articles,
avec des voies et moyens afférents à chaque service. Les
projets du budget des départements ministériels sont envoyés
au ministre des finances (de la Hacienda) qui les soumet à
l'approbation des Cortès avec le budget général (Presupuesto
general). En cas d'urgence, des crédits supplémentaires ou
extraordinaires peuvent être accordés par un décret royal,
sauf ratification ultérieure par les Cortès 1. Les décrets royaux,
qui ouvrent ces crédits, ne sont exécutés qu'autant qu'ils ont
été rendus après délibération en conseil des ministres (V. Cons-
tit. du 30 juin 1876, art. 85 à 88).

1 Colmeiro, t. II, n° 1663, p. 194. — Art. 20-28 de la loi du 20 février


1850
RESPONSABILITÉ DES AGENTS DU GOUVERNEMENT. 473

CHAPITRE SEIZIÈME.

RESPONSABILITÉ DES AGENTS DU GOUVERNEMENT.

Sommaire.
520. Consécration du principe de la responsabilité des fonctionnaires par le décret
du 13 juillet 1789 et la Constitution du 3 septembre 1791.
521. Code pénal.
522. Article 75 de la Constitution du 22 frimaire an VIII. Son abrogation par le
décret du 19 septembre 1870. — Interprétation de l'article 75 comme s'il était
encore en vigueur.
523. Cet article ne s'appliquait pas aux ministres.
324. Que faut-il entendre par ces mots : agents du gouvernement?
525. La garantie appartenait-elle aux maires comme administrateurs de la commune?
326. Quid des personnes composant les corps délibérants de l'ordre administratif?
327. Quid des membres du Conseil d'État et des conseils de préfecture?
528. La garantie protégeait le fonctionnaire après la cessation des fonctions et même
les héritiers, s'ils étaient poursuivis pour faits de leur auteur relatifs aux
fonctions administratives.
329. La garantie s'appliquait aux faits connexes à l'exercice des fonctions.
530. La garantie s'appliquait aux poursuites criminelles intentées par le ministère
public et aux actions civiles des particuliers. — Elle constituait un moyen
d'ordre public pouvant être proposé en tout état de cause, devant la Cour de
cassation et même d'office.
331. Dispositions exceptionnelles touchant les receveurs des deniers publics.
332. Dispositions exceptionnelles. —Suite. — Délégation aux directeurs généraux?
333. Suite.
334. Suite.
334 bis. Décret du 19 septembre 1870.
335. L'autorisation préalable n'était pas exigée pour les poursuites ordonnées par le
Chef de l'État.
336. Droit comparé. — Angleterre.
337. États-Unis.

338. — Belgique.
339.
— Espagne.
340. — Allemagne.

520. Le principe de la responsabilité des agents du gou-


vernement fut proclamé, à l'occasion du renvoi de Necker,
474 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.
la veille de la prise de la Bastille, par un décret du 13 juillet
1789, portant déclaration que « les ministres et les agents civils
et militaires seraient responsables de toute entreprise contraire
aux droits de la nation et aux décrets de l'Assemblée. » Ce
principe, que la Constituante avait établi ab irato dans un
mouvement d'indignation provoquée par le renvoi d'un mi-
nistre populaire, fut .inscrit clans la Déclaration des droits de
l'homme et du citoyen. L'article 15 disposait que « la société
avait le droit de demander compte à tout agent public de son
administration. »
531. Tous les actes constitutionnels ont, depuis cette épo-
que, consacré la responsabilité des fonctionnaires, et le Code
pénal, pour quelques crimes ou délits, a fait une circonstance
aggravante de la qualité d'agent public ; car non-seulement
il punit certaines infractions spéciales qui ne peuvent être
commises que par un fonctionnaire, mais encore il élève les
peines de plusieurs délits ordinaires, lorsque c'est un agent
public qui les a commis. Les articles 166 à 200 du Code pénal
prévoient les crimes ou délits commis par les fonctionnaires
et prononcent des aggravations de peines. L'article 198, en
particulier, punit le fonctionnaire qui participe comme com-
plice aux crimes ou délits qu'il est chargé de prévenir 1. Lors-
que l'infraction du fonctionnaire consiste dans un empiétement
sur le pouvoir législatif ou sur l'autorité judiciaire, il y a
forfaiture punissable conformément aux articles 127 et suiv.
du Code pénal. La loi punit : 1° l'exercice de fonctions anti-
cipé, c'est-à-dire celui qui a lieu avant l'installation ou la
prestation du serment 2 ; 2° l'exercice postérieur à l'expiration
des fonctions pour une cause quelconque 3; 3° les soustractions

1 Pour un délit de police correctionnelle, le fonctionnaire subit le maxi-


mum de la peine. S'il s'agit d'un crime emportant le bannissement ou la
dégradation civique, le fonctionnaire complice est condamné à la réclusion.
— La réclusion et la détention se changent en travaux forcés à temps. —
Les travaux forcés à temps ou la déportation se changent en travaux forcés
à perpétuité.
2 Art. 196. Amende de 16 fr. à 150 fr.

3 Art. 187. Emprisonnement de six mois


au moins et de deux ans au plus. —
RESPONSABILITÉ DES AGENTS DU GOUVERNEMENT. 475
commises frauduleusement par les dépositaires publics 1; 4° les
concussions 2; 5° l'immixtion des fonctionnaires dans les opé-
rations de commerce incompatibles avec leur qualité 3; 6° la
corruption des fonctionnaires 4 ; 7° abus d'autorité 8.
les

588. Mais, en même temps qu'elle consacrait la respon-


sabilité des fonctionnaires, l'Assemblée constituante crut devoir
les protéger contre les poursuites tracassières et ne pas per-
mettre que l'autorité judiciaire paralysât l'action des autorités
administratives. Ces poursuites furent soumises à l'autorisation
préalable par la loi des 7-14 octobre 1790 : « Conformément
à l'article 7 de la section III du décret du 22 décembre 1789,
sur la Constitution des assemblées administratives et à l'article
13 du titre II du décret du 16 août 1790, sur l'organisation
judiciaire, aucun administrateur ne peut être traduit devant
les tribunaux, pour raison des fonctions publiques, à moins
qu'il n'y ait été renvoyé par l' autorité supérieure, conformé-
ment aux lois. » L'article 75 de la Constitution consulaire
adopta la même règle, mais attribua au Conseil d'État l'auto-
risation de poursuivre qui, d'après la loi de 1790, appartenait
aux autorités supérieures dans chaque administration. Bien que
souvent attaquée comme illibérale et contraire à l'égalité de-
vant la loi, cette disposition survécut à la Constitution dont
elle faisait partie et demeura en vigueur jusqu'au décret-loi
du 19 septembre 1870. Ce décret n'ayant pas été précédé de

Amende de 100 à 500 fr., interdiction de toute fonction publique de cinq à


dix ans. — L'article 93 prononce de plus fortes peines contre les comman-
dants militaires.
1 Pour
une soustraction au-dessus de 3,000 fr., la peine est des travaux
forcés à temps. Au-dessous de 3,000 fr., la peine est l'emprisonnement de
deux à cinq ans. Dans les deux cas le coupable doit être condamné à une
,
amende qui varie entre le 1/12 et le 1/4 des restitutions et indemnités (art.
172).
2 La peine est la réclusion.
3 Emprisonnement de deux à cinq ans avec amende du 1/12 au 1/4 des

restitutions et indemnités; interdiction à jamais de toute fonction publique.


Art. 177 G. pén.
5 Art. 184-188
pour les abus d'autorité contre les particuliers; art. 188 à
192 pour les abus d'autorité contre la chose publique.
476 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

travaux préparatoires, nous étudierons, pour bien mesurer


sa portée, la jurisprudence qui s'était formée sur l'article 75
de la Constitution consulaire et comme s'il était toujours en vi-
gueur 1.
Reprenons d'abord les termes de la disposition qu'il s'agit
d'interpréter. Article 75 de la Constitution du 22 frimaire an
VIII : « Les agents du gouvernement, autres que les ministres,
ne peuvent être poursuivis pour faits relatifs à leurs fonctions
qu'en vertu d'une autorisation du Conseil d'État. En ce cas,
la poursuite a lieu devant les tribunaux ordinaires. »
La première question qui s'élevait était celle de savoir
comment cet article avait survécu à la chute de la Constitution
dont il faisait partie, et en vertu de quelle force le rameau
se soutenait lorsque le tronc était tombé. La jurisprudence,
tant judiciaire qu'administrative, était bien ferme sur ce point,
et, lorsque après la révolution de Février 1848, la difficulté
a de nouveau été soulevée, la Cour de cassation persista dans
sa doctrine, sans s'arrêter à l'argument que les parties tiraient
du changement de régime politique 2.
Le cloute n'était vraiment pas possible en présence de la re-
connaissance implicite que cet article avait reçue dans plusieurs
actes législatifs. Ainsi en 1832, la nouvelle rédaction de l'article
129 du Code pénal punit « les juges qui auraient, sans au-
torisation du gouvernement, rendu des ordonnances ou décerné
des mandats contre les agents prévenus de crimes ou délits
commis dans l'exercice de leurs fonctions. » Lorsqu'en 1835
on discuta le projet de loi sur la responsabilité des fonction-
naires, le système de la poursuite directe fut abandonné, et
on reconnut qu'il était préférable de maintenir l'autorisation
préalable 3.

1 Dans la séance de la Chambre des députés du 18 avril 1836, M. Thiers


défendit l'article 73 par les arguments ingénieux qui entraînèrent le rejet
d'un amendement de M. Monnier tendant à restreindre cet article aux pré-
fets, sous-préfets et maires. Discours parlementaires de M. Thiers, publiés
par M. Calmon , t. III, p. 295.
2 Affaire Migaud. Arrêt du 29 avril 1848.
3 Ce projet avait été présenté en exécution de l'article 69 de la Charte.
RESPONSABILITÉ DES AGENTS DU GOUVERNEMENT. 477
583. L'article 75 de la Constitution ne s'appliquait pas aux
ministres. D'où vient cette exception? Elle tient à ce que, d'a-
près la Constitution consulaire, articles 73 et 74, les ministres
étaient justiciables de la Haute-Cour, et qu'ils ne pouvaient
être déférés à ce tribunal suprême qu'en vertu d'un décret
du Corps législatif. Nous verrons bientôt qu'il en est de même
d'après la Constitution du 25 février 1875. Les mots autres que
les ministres n'avaient donc pas eu pour objet de refuser aux
ministres la garantie dont jouit le plus petit agent; ils avaient,
au contraire, été placés dans l'article pour indiquer que les
chefs de l'administrationavaient encore une garantie plus élevée.
Remarquons cependant que les Constitutions et l'article 12
de la loi du 16 juillet 1875 sur les rapports des pouvoirs publics
ne prévoient que le cas où il s'agit de mettre les ministres en
accusation; or, ces termes sont exclusivement applicables aux
poursuites criminelles et ne peuvent pas s'entendre de l'action
civile. Il en résulte que les ministres n'étant, pour les réclama-
tions portées devant les tribunaux civils, couverts ni par la
compétence de la Haute-Cour, ni par l'article 75 de la Cons-
titution consulaire, ils pouvaient être actionnés civilement sans
autorisation préalable du Conseil d'État, pour faits relatifs à
leurs fonctions. Cette conséquence s'explique par le rang qu'oc-
cupe le ministre. Sa position, est trop considérable pour qu'à
son égard les tracasseries des tribunaux soient à craindre , et il
a paru inutile de le protéger, parce que l'entreprise sur les
attributions confiées à des fonctionnaires d'un ordre si élevé
n'étaient pas à redouter 1.

1 Les précédents relatifs à l'action civile contre les ministres ont été expo-
sés par M. Laferrière, alors commissaire du Gouvernement, dans les con-
clusions qui précédèrent le jugement du tribunal des conflits du 5 mai 1877.
Lemonnier - Cariot c. Magne et Mathieu - Bodet. La doctrine est unanime
pour reconnaître la compétence de l'autorité judiciaire; mais elle se divisait
sur l'autorisation : « MM. Ducrocq et Batbie estiment que la poursuite à
fins civiles est entièrement libre. D'autres auteurs, notamment Rossi, Faus-
tin Hélie, F. Laferrière estiment qu'il faut l'autorisation du pouvoir qui est
compétent pour décréter la mise en accusation des ministres. » Recueil des
arrêts du Conseil d'État, 1877, p. 437 et suiv. (V. 26 décembre 1868, Barbat
c. ministre de l'agriculture).
478 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

584. L'article 75 a eu pour objet de protéger les agents


administratifs contre les tribunaux inamovibles. La garantie ne
s'appliquait donc pas aux magistrats, soit parce qu'ils ne sont
pas agents du gouvernement dans le sens usuel de ces mots,
soit parce que le motif de la loi ferait complètement défaut. Le
Code de procédure a établi pour la prise à partie (art. 505 et
suiv.) des formes particulières et, en matière criminelle, le
Code d'instruction criminelle (art. 479 et suiv.) a organisé une
compétence spéciale pour juger les crimes et délits commis par
les magistrats.
Les officiers de police judiciaire n'appartiennent pas, comme
tels, à l'administration; tantôti ils sont magistrats et tantôt ils
agissent comme auxiliaires sous la surveillance du ministère
public; l'administration n'est donc pas intéressée dans les pour-
suites dirigées contre eux, et c'est pour cela que l'action pou-
vait être portée directement devant les tribunaux. Il en était de
même dans le cas où l'officier de police judiciaire remplissait,
en même temps, des fonctions de l'ordre administratif et des
fonctions de l'ordre judiciaire ; on distinguait les fonctions sui-
vant leur nature, et l'autorisation préalable n'était pas exigée
pour celles qui ont un caractère permanent judiciaire2.
1 27 février 1869, Lefebvre c. Latruffe. Rejet par le motif que dans les
faits qui lui sont reprochés le lieutenant de gendarmerie avait agi comme
officier de police judiciaire. Recueil des arrêts du Conseil d'État, 1869,
p. 1219; 30 mai 1868, Bordeaux c. Maire, ibid. 1868, p. 1112.
2 Faits dans lesquels la jurisprudence a décidé que les maires agissent
comme officiers de police judiciaire, et partant n'ont pas droit à la garantie
constitutionnelle :
1° Arrestation et séquestration illégale, décr. des 13 septembre 1852 et
31 juillet 1853;
2° Confiscation illégale d'un épervier, décr. du 27 juin 1863 ;
3° Ordre donné à un médecin de visiter corporellement une femme prévenue
de suppression d'enfant, décr. du 27 juin 1833;
4° Perquisition illégale à domicile, décr. du 28 avril 1834;
3° Diffamation et arrestation arbitraire, décr. du 11 novembre 1836 ;
6° Faux dans la rédaction d'un procès-verbal, décr. du 30 juillet 1839.
Des décisions analogues ont été prises pour les commissaires de police dans
les décrets des 8 avril 1834, 20 octobre 1834, 27 février 1838, 13 novembre
1838, Ier avril 1839 et 4 février 1860.
RESPONSABILITÉ DES AGENTS DU GOUVERNEMENT. 479
C'est pour le même motif que le maire, pris en sa qualité
d'officier de l'état civil, n'avait pas droit à la garantie constitu-
tionnelle; car, à ce titre, le maire est placé sous l'autorité
du parquet et non sous l'autorité de l'administration supé-
rieure 1.
Tous les fonctionnaires de l'ordre administratif n'étaient pas
couverts par la garantie constitutionnelle; il y en a parmi eux
qui, tout en rendant des services importants, ne font que
préparer les décisions ou les actes, et ne sont investis d'aucune
autorité propre. Un chef de division n'est pas un agent du
gouvernement, puisque la loi ne lui confie aucune action ;
c'est un employé supérieur dont les travaux sont purement inté-
rieurs et ne se manifestent pas au public par des actes ou
décisions obligatoires pour les tiers; il est plutôt un conseil
qu'un agent, et toute son importance vient de la confiance
que lui témoigne le ministre ou le préfet. L'action aurait pu
être portée directement devant les tribunaux contre un em-
ployé de cette espèce. Cependant l'autorisation aurait été né-
cessaire si le chef de division avait, par une délégation ex-
presse, été chargé d'une portion d'autorité; celui qui est acci-
dentellement agent de l'administration avait droit à la garan-
tie, tout aussi bien que s'il avait été investi d'un caractère
permanent2.
Le professeur est un fonctionnaire, et la jurisprudence a
décidé que l'outrage qui lui est adressé, pendant qu'il est
dans sa chaire, donne lieu à l'aggravation de peine édictée par
la loi sur la presse 3; mais il n'est pas agent du gouvernement
ni dépositaire, à un degré quelconque, de l'autorité publique,
et c'est pour cela que l'article 75 ne lui était pas applicable.
1 Le maire qui aurait exigé des sommes pour la célébration d'un mariage
(décr 19 mai et 14 juin 1852), qui aurait refusé de procéder à un mariage
civil (décr. 6 juillet 1853), qui aurait commis des faux dans la rédaction d'un
acte de l'état civil (décr. 3 décembre 1856), ou exigé des sommes pour y
procéder (décr. 13 juillet 1854), pouvait être poursuivi sans autorisation
préalable.
2 Arrêt du 7 janvier 1843 Hourdequin.

3 C. de Paris, arrêt du 8 mars 1856 (D. P. 1836, II, 148) et Cabantous,


Répétitions écrites sur le Droit public et administratif, p. 538, n° 685.
480 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

Le secrétaire de la mairie est un simple employé municipal,


et d'un autre côté c'est un auxiliaire du maire sans aucune
autorité propre; l'article 75 ne le couvrait pas 1.
A quels caractères reconnaissait-on si un agent est déposi-
taire de l'autorité publique et à quel degré fallait-il que la
puissance lui eût été déléguée pour que l'article 75 lui fût
applicable? Il suffisait que l'autorité lui appartînt à un degré
quelconque, et spécialement la jurisprudence décidait que les
fonctionnaires de l'ordre administratif sont agents du gouver-
nement lorsqu'ils ont le droit de dresser des procès-verbaux;
cette doctrine se dégage de nombreuses décisions du Conseil
d'État et, en particulier, des décrets qui ont reconnu que
l'article 75 était applicable aux vérificateurs des poids et me-
sures depuis qu'ils avaient le droit de dresser des procès-ver-
baux, en vertu de l'article 7 de la loi du 4 juillet 1837; avant
cette loi, au contraire, la jurisprudence décidait que l'article
75 ne leur était pas applicable 2. Par application de cette doc-
trine, la garantie a été refusée aux agents-voyers 3, aux can-
tonniers et cantonniers chefs 4, tandis qu'elle était accordée
aux gardes forestiers des bois possédés par les princes à titre
d'apanage 6, aux conducteurs des ponts et chaussées même
auxiliaires et non embrigadés 6, aux gardes-mines7, aux gardes

1 Ord. du 12 août 1845 et décr. du 9 janvier 1856 (D. P. 1858, Ve part.,


Table, col. 197). Dans l'arrêt du 3 mai 1838 (Clémenceau), la Cour de cassa-
tion avait décidé que pour être agent du gouvernement, il fallait être déposi-
taire d'une partie de l'autorité du gouvernement, agir en son nom ou sous
son autorité immédiate et faire partie de la puissance publique (D. P. 1838,
I, 462).
2 Ord. du 23 juillet 1841 ; arrêt du 8 juillet 1819 et avis du Conseil

d'État du 15 janvier 1813.
3 Arrêts des 6 septembre 1845, 4 février 1847 et 23 décembre 1848. —Voir

cependant contra un décret du 24 août 1858 qui autorise des poursuites contre
un agent voyer pour cause de faux.
1 Ord. des 26 novembre 1840 et 20 avril 1839.

:i Ord. des 19 décembre 1821, Foy, et 27 février 1822, Herbier.

6 Ord. des 16 juillet 1842, Giobergia; 30 août 1842, Joanne, et 6 octobre


1842, Roques.
7 25 mars 1846, Nourry.
RESPONSABILITÉ DES AGENTS DU GOUVERNEMENT. 481
d'écluse 1 et aux inspecteurs des halles et marchés 2. Elle ne
pouvait être opposée ni par les présidents des sociétés de se-
cours mutuels qui ne font que diriger les intérêts privés, et
n'ont, même quand ils sont nommés par le gouvernement,
aucun caractère public 3; ni par les directeurs des monts-de-
piété qui sont simplement préposés à un établissement cha-
ritable, et n'ont reçu le dépôt d'aucune autorité publique 4.
Quoiqu'ils aient qualité pour dresser des procès-verbaux,
les gardes forestiers des particuliers ne pouvaient pas invo-
quer l'article 75, et la raison en est que ce ne sont pas des
agents du gouvernement, mais des préposés au service des pro-
priétaires5. Il a été aussi décidé que les porteurs de contrainte"
et les capitaines ou lieutenants de louveterie 7 n'avaient pas
droit à la garantie. La jurisprudence du Conseil d'État décidait
également que la garantie ne couvrait pas les gardes cham-
pêtres, parce qu'ils ne sont pas agents du gouvernement, mais
seulement des préposés communaux 8.
Les gendarmes et brigadiers de gendarmerie agissent tantôt
comme agents d'exécution et tantôt comme officiers de police
judiciaire. Dans l'un comme dans l'autre cas, ils ne pouvaient
opposer l'article 75, parce que les agents d'exécution ne sont dé-
positaires d'aucune partie de l'autorité publique et que les offi-
ciers de police judiciaire ne sont pas, en cette qualité, des
agents de l'ordre administratif 3. Toutes ces décisions se ratta-
chent à cette doctrine que l'article 75 s'appliquait seulement
toutes les fois que les deux conditions suivantes sont réunies :

1 Ord. du 20 avril 1847, Passery.


2 Ord. du 10 février 1842, Lenoir.

3 C. cass., ch. crim., arrêt du 13 mai 1859 (D. P. 1859, I, 432) et C. d'Or-

léans, arrêt du 3 mars 1856 (D. P. 1857, II, 15).


4 C. de Douai, arrêt du 7 août 1856 (D. P. 1857, II, 203).
3 Arrêt de la Cour de cassation du 29 juillet 1824.

6 Décret du 5 septembre 1810 et du 10 novembre 1857.

7 Arrêt du 21 janvier 1837.


8 Décret du 6 décembre 1852 (D. P. 1854, III, 80). 6 janvier 1866, Boul-

land c. Carry, Recueil des arrêts du Conseil, 1866, p. 1372.


9 Décrets des 1er août, 24 août et 10 novembre 1857 (D. P. 1858, III, 44).

B. — II. 31
482 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

1° lorsque le fonctionnaire est un agent administratif du gou-


vernement; 2° lorsque, à ce titre, il est dépositaire d'une partie
de l'autorité publique, et, pour le moins, investi du droit de
dresser procès-verbal pour les infractions qui se rattachent à un
service administratif.
585. Les maires ont une double qualité puisqu'ils sont, à la
fois, délégués du pouvoir central, pour l'exécution des lois et
règlements, et représentants de l'administration communale. Il
n'était pas douteux qu'au premier point de vue ils ne fussent des
agents du gouvernement protégés par l'article 75. Relativement
à leurs attributions comme administrateurs de la commune, la
qualité d'agents du gouvernement leur était contestée. Cepen-
dant il avait été reconnu que l'administration municipale fait
partie de l'administration générale et que les maires y concou-
rent, dans le cercle de la circonscription communale.
526. Ce que la loi avait voulu garantir, c'est l'indépendance
des fonctionnaires auxquels est confiée l'action, ainsi que cela
résulte de l'expression agents dont se sert la Constitution consu-
laire. Quant aux fonctions qui consistent dans des délibérations
tantôt consultatives, tantôt exécutoires par elles-mêmes, il n'é-
tait pas dans la pensée de la loi de les couvrir. Les membres des
conseils généraux, d'arrondissement et municipaux ou de fabri-
que, s'ils avaient commis un dol ou une fraude tendant à cor-
rompre la sincérité de la délibération, pouvaient donc être pour-
suivis sans autorisation préalable 1. Il en était de même du maire
si, au lieu d'être attaqué comme tel, il était poursuivi comme
membre du conseil municipal.
Le maire, poursuivi comme président du bureau de bien-
faisance, était-il couvert par la garantie constitutionnelle?
Oui, si en cette qualité il avait fait un acte d'administration;
non, s'il était poursuivi pour la délibération qu'il avait pré-
sidée car l'article 75 protégeait les actes administratifs et non
,

1 Décret du 8 novembre 1854 (D. P. 1855, III, 58), et décret du 31 juillet


1853 (D. P. 1854, Ve part., Table, col. 388). — Cour de Rouen, arrêt du 17
novembre 1853 (D. P. 1854, Ve part., col. 488). — Pour les maires comme
membres du conseil de fabrique, décr. du 14 avril 1860 (D. P. 1862, III, 1-
et 21 mars 1857 D. P. 1858, III, 42).
RESPONSABILITÉ DES AGENTS DU GOUVERNEMENT. 483
les délibérations 1 Le maire a également le droit de siéger ipso
jure au conseil de fabrique; mais il n'en est que simple membre
et n'étant pas président, il n'est jamais chargé de l'action ad-
ministrative; aussi l'article 75 ne lui était pas applicable comme
membre du conseil de fabrique, parce que, à ce titre, il ne fait
que délibérer 2.
581. C'est par la même raison que le Conseil d'État déci-
dait que la garantie ne s'appliquait ni aux membres d'un con-
seil de préfecture, ni à ceux du Conseil d'État. Sans doute,
lorsqu'ils procédaient, en vertu d'une délégation spéciale, à une
opération déterminée, par exemple, les conseillers de préfec-
ture chargés de présider une adjudication, l'article 75 devenait
applicable, parce qu'en ce cas, ils agissaient et ne se bornaient
pas à délibérer; mais s'ils statuaient sur des affaires contentieu-
ses ou donnaient des avis en matière administrative, la raison de
la loi cessant de s'appliquer, la poursuite pouvait, sans autorisa-
tion, être intentée devant les tribunaux. Cette opinion, adoptée
par la jurisprudence du Conseil d'État, était repoussée par MM.
Dufour 3 et Trolley 4, qui voulaient étendre l'application de l'arti-
cle 75 et se montrer plus royalistes que le roi. M. Dufour citait,
à l'appui de son opinion, un décret du 14 juin 1852 5, par lequel
le Conseil d'État autorisait les poursuites contre un membre
d'un conseil de révision. Je ferai observer que si l'on avait
appliqué l'article 75 aux conseillers d'État et de préfecture il
aurait été fort difficile de ne pas adopter la même solution pour
les conseillers généraux, d'arrondissement et municipaux. Quoi-
que nommés par l'élection, ils n'en ont pas moins des fonc-
tions administratives. Nous avons vu que ce n'était pas d'après le

1 Le maire président du bureau a, d'après les lois et règlements, certaines


attributions administratives qui lui confèrent l'action. Pour ces actes-là il
pouvait opposer le défaut d'autorisation préalable. C. cass., ch. crim., arrêt
du 22 mars 1860 (D. P. 1861, Table, Ve part., col. 242).
- Décret du 14 avril 1860 (D. P. 1862, III, 12).
3 Dufour, t. VI, p. 380, n° 432.

— M. Foucart se prononce dans le sens indiqué


4 Trolley, t. V, n° 2398.

au texte, t. I, p. 212.
3 Aff. Vauchel.
484 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

mode de nomination, mais d'après leurs attributions, que se dé-


termine la qualité d'agents du gouvernement ; or, sauf que les
conseillers de préfecture sont nommés par le Chef de l'État,
tandis que les conseillers généraux, d'arrondissement ou mu-
nicipaux sont choisis par les électeurs, je ne vois pas qu'au
point de vue dont nous nous occupons, il y eût à distinguer
entre eux. Cependant M. Dufour admettait avec la jurispru-
dence que les membres des conseils électifs pouvaient être,
sans autorisation du Conseil d'État, déférés aux tribunaux ordi-
naires 1. Quant à l'argument tiré de l'autorisation de poursuivre
accordée contre un membre d'un conseil de révision, nous pou-
vons opposer une décision du 22 novembre 1856, qui déclare
n'y avoir lieu à statuer sur une demande en autorisation de
poursuites contre un président et un rapporteur du conseil de
discipline des sapeurs-pompiers par le motif qu'en cette qualité
« ils ne sont pas agents du gouvernement. »
588. L'article 75 ne protégeait les agents du gouvernement
qu'à raison de leurs fonctions. Si donc les faits donnant lieu aux
poursuites étaient étrangers 2 à la fonction, l'autorisation préa-
lable n'était point nécessaire. Nous concluons aussi de là que si
les héritiers d'un fonctionnaire décédé ou le fonctionnaire lui-
même, après la cessation de ses fonctions, pour un motif quel-
conque , venaient à être poursuivis pour faits relatifs aux fonc-
tions, ils pouvaient invoquer la garantie constitutionnelle.
Une exception cependant était faite en ce qui concerne les
comptables destitués, par un avis du Conseil d'État régulière-
ment approuvé le 16 mars 1807; mais cette exception confir-
mait à contrario la doctrine que nous avons admise à l'égard

1 Pour les conseils électifs, voir Ord. du 20 janvier 1823, Wil. — Décr.
du 7 juin 1851, Neveu et Janvier; — du 31 janvier 1853 Roux-Aymar ; —
,
du 8 novembre 1854, Tardif. — V. aussi ord. du 24 juillet 1845, Hignard.
3 En 1858, dans l'affaire Balmade c. Lamothe, on
a discuté la question
de savoir si les faits de violences et d'outrages commis par un garde fores-
tier, en tournée, sur une femme donnaient, comme faits connexes, lieu à
,
l'application de l'article 75. La question n'a pas été résolue dans le décret du
23 juin 1858, qui a rejeté la demande comme faite par une personne sans in-
térêt.
RESPONSABILITÉ DES AGENTS DU GOUVERNEMENT. 485
des héritiers des fonctionnaires ou des fonctionnaires eux-mê-
mes, après la cessation de leurs fonctions.
529. La connexité de la vie privée et des fonctions publi-
ques ne permet pas toujours de démêler aisément les actes qui
appartiennent à l'exercice des fonctions. Le Conseil d'État avait,
dans quelques décisions, poussé un peu loin la connexité. Il
décidait que l'agent des douanes qui frappe de son fusil un
autre employé, avec lequel il marche, commet un fait dom-
mageable qui se rattache à ses fonctions 1, et que l'agent des
douanes, au moment où il se dirige vers son poste d'observa-
tion et avant la poursuite des fraudeurs, est dans l'accom-
plissement de ses fonctions publiques 2; les poursuites se rat-
tachant aux actes faits pendant la marche du douanier vers son
poste, ne pouvaient donc pas avoir lieu sans autorisation préa-
lable.
Il ne suffisait pas, pour que l'article 75 fût applicable, que
le fait à réprimer se fût passé pendant l'exercice des fonctions ;
il fallait qu'entre les fonctions et l'acte donnant lieu aux pour-
suites, il y eût une relation de dépendance et de connexité.
Ainsi un agent des douanes ou des forêts qui, pendant une tour-
née aurait commis un délit de chasse, n'aurait pas pu opposer
l'article 75 ; car le fait incriminé est complètement indépendant
des attributions de l'agent douanier ou forestier, et la preuve
en est que le même délit aurait pu être commis par un simple
particulier dans des circonstances identiques de temps et de
lieu.
530 Que faut-il entendre par le mot poursuite qu'em-
.
ployait l'article 75 ? Incontestablement il s'applique aux actions
portées devant les tribunaux criminels et correctionnels, soit
par le ministère public, soit par les parties en vertu du droit
de citation directe; aucune controverse ne s'est élevée sur ce
point. Mais quelques décisions judiciaires ont restreint le sens
du mot poursuite aux actions criminelles, à l'exclusion des

1 C. de Metz, arrêt du 20 août 1835 (D. P. 1836, III, 227).


2 C. cass., arrêt du 16 juin 1858 (D. P. 1858, 1, 240) et C. de Dijon ar-
,
rêt du 29 janvier 1839 ( D. P. 1859, II, 81).
486 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.
demandes à fins civiles; d'après cette doctrine, les agents du
gouvernement auraient pu être traduits devant les tribunaux
civils, sans autorisation préalable. Cette interprétation est une
restriction arbitraire du mot poursuite qui, d'après son sens
naturel, est général et s'entend de toutes les réclamations
portées devant la justice depuis la demande introductive jus-
,
qu'aux voies d'exécution. Le motif de l'article 75 s'appliquait
d'ailleurs aux poursuites civiles comme aux poursuites crimi-
nelles, car les agents administratifs pourraient être inquié-
tés par des condamnations en dommages-intérêts tout aussi
bien que par les amendes. Aussi la jurisprudence exigeait-elle
l'autorisation préalable pour les poursuites civiles 1.
L'autorisation du Conseil d'État ayant pour objet de défendre
les agents de l'administration contre les tribunaux inamovibles,

1 C. cass., ch. civ., arrêts du 30 juillet 1861 (D. P. 1861, I, 380) et du 21


août 1855 (D. P. 1855, I, 407). Mais le mot poursuite dans le sens de la
Constitution de l'an VIII ne doit pas s'entendre des actions en revendica-
tion. Il faut que l'action civile ou criminelle ait pour conséquence de relever
ou un délit, un délit civil ou un quasi-délit contre l'agent. Cependant l'article
a été appliqué même à une action en revendication, 31 mars 1866. duc
d'Aumale et Michel Lévy c. Boitelle, préfet de police. Le décret reconnaît
que le préfet ayant agi comme directeur de la police de sûreté générale,
l'article 75 lui était applicable; mais le rejet était motivé sur ce qu'il avait
agi par ordre du ministre.
L'affaire avait été portée devant l'autorité judiciaire directement et la Cour
de cassation avait décidé que la garantie de l'article 75 était applicable à la
revendication des livressaisis, parce que « l'appréciation de cette revendication
aurait nécessité l'examen des circonstances qui avaient mis le préfet de police
en possession des objets revendiqués, » et que, d'un autre côté, « la demande
devait avoir pour résultat nécessaire de faire déclarer, au moins implicite-
ment, que le préfet de police avait excédé ses pouvoirs. » (C. cass., arr. du
15 novembre 1865, D. P. 1866, I, 49.)
— V. contra Thiercelin, dans une note
publiée par Dalloz sous l'arrêt précédent. M. Thiercelin fait observer que la
saisie n'avait été suivie d'aucune poursuite et que, par suite, elle n'avait pas
de raison d'être. Il suffisait, pour apprécier la demande en revendication, de
juger la question de propriété et de constater qu'il n'y avait pas de pour-
suite ni, par conséquent, de délit. V. décret du 30 novembre 1868, qui
décide que l'autorisation n'est pas nécessaire pour agir en restitution de
sommes indûment perçues contre un garde-port. Recueil des arrêts, 1868,
p. 1113.
RESPONSABILITÉ DES AGENTS DU GOUVERNEMENT. 487
il est évident qu'elle touchait à la matière des juridictions et
que, par conséquent, elle était d'ordre public comme toutes
les questions qui intéressent les compétences; aussi le défaut
d'autorisation pouvait être opposé en tout état de cause et
même, pour la première fois, devant la Cour de cassation. Il
devait l'être d'office si les parties intéressées gardaient le si-
lence 1.
La transmission de la demande au Conseil d'État se faisait
ordinairement par le ministre de la justice et quelquefois direc-
tement, d'après les distinctions suivantes. S'agissait-il d'une
action publique, la demande en autorisation était envoyée
par le procureur général au garde des sceaux, qui adressait le
dossier au Conseil d'État, en donnant avis de la demande
au ministre dans le département duquel se trouvait l'agent.
Quant à la poursuite des parties, on distinguait entre l'action
correctionnelle et l'action civile en dommages-intérêts. Pour
les actions correctionnelles, il fallait que la partie déposât une
plainte et que le juge d'instruction eût fait un commencement
d'instruction. Ce n'est qu'à cette condition que le Conseil d'É-
tat statuait sur la demande. Constamment il repoussait des de-
mandes en autorisation en déclarant qu'il n'y avait lieu à statuer
par le motif qu'il n'existait « ni plainte ni commencement
d'instruction 2. » La demande, en ce cas, parvenait au ministre
de la justice par l'intermédiaire du procureur et du procureur
général. En matière civile, la partie pouvait s'adresser au Con-
seil d'État par une lettre ou pétition transmise par l'intermé-
diaire du ministère public ou du préfet qui l'envoyaient au
ministre de la justice ou à celui de l'intérieur. On admettait
aussi les demandes directement transmises au secrétariat gé-
néral du Conseil d' État.
Parvenue au Conseil d'État, l'affaire était renvoyée à la
section de législation. On communiquait le dossier au ministre

1 C. cass., ch. civ., arr. des 30 juillet 1861 (D. P. 1861, I, 380) et 30 no-
vembre 1858 (D. P. 1859, I, 20) ; 15 novembre 1865 (D. P. 1866, I, 49).
2 Entre beaucoup de décisions semblables, V. notamment 22 avril 1858,
Boulet c. Gambard. 9 novembre 1869, Laferrière c. Manceaux et 24 novembre
1869. Ricand c. Laglaire. (Recueil des arrêts, 1869, p. 1211.)
488 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

dans le département duquel se trouvait l'agent actionné, pour


avoir des renseignements. Le ministre s'informait auprès des
autorités, et lorsque le dossier était complet, la section de
législation délibérait; l'affaire était ensuite portée à l'assemblée
générale du Conseil d'État.
Le Conseil d'État pouvait prendre trois partis : 1° déclarer
qu'il n'y avait pas lieu à statuer, soit parce que les faits n'a-
vaient pas été commis dans l'exercice des fonctions, soit parce
que l'inculpé n'était pas au nombre des fonctionnaires que
protège l'article 75 de la Constitution de l'an VIII; 2° statuer
au fond, et rejeter la demande en se fondant sur ce que les
faits n'étaient pas appuyés de preuves sérieuses; 3° autoriser
les poursuites; dans ce dernier cas, le Conseil ne devait pas
motiver sa décision, afin que l'inculpé ne se présentât pas
devant ses juges chargé d'un préjugé nuisible à sa défense.
531. Plusieurs lois avaient consacré des exceptions aux
règles que nous venons d'exposer. D'abord, en ce qui concerne
les percepteurs des deniers publics, chaque année, la loi de
finances contenait un article permettant de poursuivre directe-
ment les autorités qui établiraient des contributions illégales.
Les autorités qui en ordonneraient l'établissement et les agents
ou employés qui en confectionneraient les rôles pouvaient être
poursuivis comme concussionnaires « sans préjudice, ajoute la
« disposition, de l'action en répétition pendant trois années
« contre tous percepteurs ou autres individus qui auraient fait
« la perception, et sans que, pour exercer cette action devant
« les tribunaux, il soit besoin d'une autorisation préalable. »
588. D'autres dispositions exceptionnelles, tout en main-
tenant la nécessité de l'autorisation préalable, avaient déféré
à des autorités moins élevées la compétence pour statuer sur
la demande en autorisation de poursuites.
Deux arrêtés du 9 pluviôse an X autorisaient le directeur
général des postes et celui de l'enregistrement et des domaines
à traduire devant les tribunaux leurs employés subordonnés,
sans qu'il fût besoin de demander l'autorisation au Conseil
d'État. C'est aussi aux directeurs généraux des deux services
que devaient s'adresser le ministère public et les parties qui
RESPONSABILITÉ DES AGENTS DU GOUVERNEMENT. 489
voulaient agir contre un employé, au criminel ou au civil, pour
faits relatifs à leurs fonctions.
Un arrêté du 10 floréal an X donnait au préfet le droit
d'autoriser les poursuites contre les percepteurs des contribu-
tions directes. — Un autre arrêté du 28 pluviôse an XI accor-
dait le même droit à l'administration générale des forêts, rela-
tivement à ses employés. Un arrêté du même jour conférait
au directeur général des douanes compétence pour autoriser
les poursuites contre les agents de son administration, et dis-
pensait de toute autorisation préalable les poursuites contre un
employé accusé de forfaiture 1.
L'autorisation du Conseil d'État n'était pas davantage exigée
pour les poursuites contre les employés des poudres ou sal-
pêtres. C'est aux administrateurs généraux que, d'après le
décret du 28 février 1806, il appartenait de statuer à leur
égard.
Nous avons déjà dit que la garantie constitutionnelle ces-
sait de protéger les comptables une fois qu'ils sont destitués
ou démissionnaires. Cette exception résulte d'un avis du Con-
seil d'État régulièrement approuvé en date du 16 mars 18072.
Les motifs de cet avis ont, il est vrai, un caractère assez gé-
néral ; mais le dispositif est limité aux comptables et ce serait
adopter une fausse interprétation que d'étendre la décision à
tous autres agents, en s'appuyant sur la généralité des motifs,
malgré le caractère spécial du dispositif. C'est cependant ce
qu'avait fait la Cour de cassation par arrêt du 28 septembre
1821; mais cette décision a été avec raison condamnée par la
jurisprudence du Conseil d'État ainsi que par la doctrine 3.
533. L'article 244 de la loi du 28 avril 1816, reproduisant
1 L. du 28 avril 1816, art. 55. Hors le cas de forfaiture, l'autorisation est
toujours exigée (arr. du 24 août 1844, Bûcher).
2 Arrêts des 28 septembre 1821, Buscholtz ; 5 juillet 1823, Rassel; 24 juin

1847, Pellion ;2l décembre 1850, Delauney.


3 Mangin, Action publique, n° 257, t. II, p. 45. Faustin Hélie, Instruction
criminelle, t. III, p. 414. Dufour, Droit administratif appliqué, t. VI, p. 393.
— Ord. du 14 décembre 1825 et décrets des 28 avril 1854, ville de Cusset,
et 10 juin 1854, Dard.
490 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

la loi du 8 décembre 1814, article 144, dispensait de toute


autorisation préalable les poursuites criminelles contre les
employés de la régie des contributions indirectes. « Les pré-
posés ou employés de la régie prévenus de crimes ou délits
commis dans l'exercice de leurs fonctions seront poursuivis
,
et traduits, dans les formes communes à tous les citoyens, de-
vant les tribunaux compétents, sans autorisation préalable de
la régie. Seulement le juge instructeur, lorsqu'il aura décerné
un mandat d'arrêt, sera tenu d'en avertir le directeur des
impositions indirectes du départemeut de l'employé poursuivi,
le tout conformément aux dispositions de la loi du 8 décembre
1814, article 144 1. »
Les lois de 1814 et 1816 ne dispensaient de l'autorisation,
que les poursuites pour crimes ou délits. Comme l'autorisation
est la règle générale et que l'exception doit être limitée aux
termes dans lesquels elle est conçue, on pouvait conclure au
maintien de la règle commune pour les actions civiles; cette
interprétation aurait été conforme à la lettre de la loi, mais non
à son esprit. Si les poursuites correctionnelles sont dispensées
de l'autorisation préalable, il en doit être de même, à plus
forte raison, des actions civiles dont les résultats seront moins
graves contre les administrateurs. Cet argument était d'autant
plus fort qu'il ramenait au droit commun, c'est-à-dire à la libre
poursuite devant les tribunaux ordinaires 2.
L'ordonnance du 9 décembre 1814 ayant fait des octrois une
branche de l'administration des contributions indirectes, il en
résultait que les poursuites pouvaient être formées contre les
employés de l'octroi, sans aucune autorisation préalable, ni du
Conseil d'État, ni du directeur 3.
534. Les textes qui consacraient les exceptions dont nous
venons de parler, se bornent presque tous à dire que les direc-
teurs généraux, ou les administrateurs généraux, ou les préfets
1 Ces lois, dit M. Aucoc, avaient excepté les agents des contributions
«
indirectes, afin de faire tomber l'impopularité de cette nature d'impôts. »
{Conférences, t. I, p. 667, n° 421.)
2 C'est ce qu'a décidé le Conseil d'État
par ordonn. du 30 septembre 1830.
3 Arr. du 25 août 1827, Marcel, et du 19
mars 1836, Ruelle.
RESPONSABILITÉ DES AGENTS DU GOUVERNEMENT. 491
avaient le droit, sans autorisation du Conseil d'État, de traduire
leurs employés devant les tribunaux. Mais cette disposition,
d'après l'interprétation qui en avait été faite par la jurispru-
dence, devait s'entendre également du droit d'autoriser les
poursuites sur la demande du ministère public ou de la partie
civile. Comment se fait-il donc que le Conseil d'État eut à sta-
tuer sur des autorisations de poursuites formées contre des
gardes forestiers? C'est que si le directeur général du service
refusait l'autorisation, elle pouvait être demandée au Conseil
d'État qui rentrait dans l'exercice de ses attributions par le
refus du chef de service. Mais le Conseil d'État exigeait que la
partie s'adressât d'abord au directeur compétent et rejetait la
demande si on ne produisait une décision négative du chef de
service 1.
Enfin il faut faire remarquer que l'autorisation n'était pas
nécessaire lorsque les poursuites étaient ordonnées par décret.
Cette exception se fondait sur les deux motifs suivants : 1° comme
c'est le Chef de l'État qui statue en Conseil d'État, il était inu-
tile de lui demander une autorisation qui était implicitement con-
tenue dans son ordre de poursuites; 2° du Chef de l'État éma-
nent l'administration et la justice, et il n'était pas à craindre
que des poursuites ordonnées par lui fussent dirigées dans un
esprit d'empiétement et d'usurpation.
534 bis. Un décret du Gouvernement de la Défense natio-
nale a, le 19 septembre 1870, abrogé non-seulement l'article
75 de la Constitution consulaire mais aussi « toutes autres dis-
,
positions de lois générales ou spéciales, ayant pour objet d'en-
traver les poursuites contre les fonctionnaires publics de tout
ordre. » Au nombre des lois générales ou spéciales étaient
incontestablement les lois, décrets ou ordonnances qui avaient
donné le droit d'autoriser les poursuites aux directeurs des ad-
ministrations publiques. Les termes étaient si absolus que des
jurisconsultes d'une grande autorité en avaient aussi fait résul-
ter la suppression de tout préalable administratif et particuliè-
rement du recours pour abus. Mais les ministres du culte ne

1 14 décembre 1867, Guillotel c. Rouault ( Recueil des arrêts, 1867, p. 1122).


492 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

sont pas des agents du gouvernement, et, par conséquent, le


décret-loi du 19 septembre 1870 ne leur est pas applicable.
On peut bien soutenir que le renvoi par le Conseil d'État de-
vant les tribunaux n'est pas exigé par l'article 6 de la loi
organique et c'est ce que la jurisprudence actuelle du Conseil
d'État décide; c'est aussi l'opinion que nous avons adoptée
dans notre première édition, et maintenue dans la deuxième.
Mais cette décision est fondée sur l'interprétation de la loi
organique et non sur l'application du décret de 1870. Ceux
qui interprètent la loi organique autrement que nous, ne sont
pas obligés de se rendre à l'opinion contraire en vertu du
décret, car son texte est étranger aux ministres du culte 1.
535. Le décret n'a pas produit les effets qu'attendaient ses
auteurs. La jurisprudence du Conseil d'État et celle du Tribunal
des conflits ont décidé, en plusieurs circonstances, que le décret
avait supprimé seulement la garantie personnelle des fonction-
naires, mais qu'il n'avait pas touché à la séparation des pouvoirs
judiciaire et administratif. Par conséquent, si la poursuite contre
l'agent avait pour conséquence de mettre en question un acte
administratif, les tribunaux devraient se déclarer incompé-
tents, et s'ils ne le faisaient point, le conflit pourrait être
élevé. La jurisprudence a même été plus loin, car elle a validé
le conflit dans une espèce où la poursuite avait lieu à raison
d'un acte qui avait été annulé pour excès de pouvoirs 2. A
quoi donc se réduit l'abrogation de l'article 75 ? D'après
cette jurisprudence, la poursuite judiciaire contre les agents

1 Nous avons cité plus haut (p. 268 en note) l'opinion de M. Ducrocq en
ce sens (T. I, n° 727).
2 Tribunal des conflits, 26 juillet 1873, Pelletier, Cass., 2 août 1874 (D.
P. 1876, I, 297). 7 juin 1873, Godart; 4 juillet 1874, Bertrand; 31 juillet
1875, Pradines. Dans le sens de cette jurisprudence se sont prononcés :
Hallays-Dabot, Recueil des arrêts du Conseil, note sur l'arrêt de 1873; Ber-
nard, Revue critique, 1877, p. 12 et 441 ; 1878, p. 41. Une note de M. Caza-
lens (D. P. 1872, I, 385. Aucoc, Conférences, t. Ier, p. 678. Contra Rever-
chon) (D. P. 1872, I, 385). Ducrocq, t.I, p. 584, n°s 688, 689, 5e édition.
C'est dans l'affaire déjà citée Lemonnier-Carriot, 5 mai 1877, que le tribu-
nal a été dessaisi, bien que l'acte administratif eût été annulé, pour excès de
pouvoir, par décret en Conseil d'État.
RESPONSABILITÉ DES AGENTS DU GOUVERNEMENT. 493

pourra être portée directement devant les tribunaux quand il


s'agira de faits commis par le fonctionnaire dans l'exercice et à
l'occasion d'un acte de ses fonctions mais qui n'étaient nullement
nécessaires à l'acte administratif. Par exemple, si, dans un
arrêté, un préfet injurie un particulier ou le diffame, les tribu-
naux seront compétents, et l'action sera régulièrement portée
devant eux. L'autorisation qui était exigée par l'article 75 ne
l'est plus, et, d'un autre côté, le principe de la séparation des
pouvoirs n'oblige pas à saisir l'autorité administrative. Aussi la
situation n'est-elle pas sensiblement modifiée, la poursuite fon-
dée sur les faits personnels, de l'agent ne pouvant être que fort
rare. La portée du décret est d'autant plus restreinte, et le
nombre des poursuites d'autant plus petit, que la jurisprudence
a fort étendu le sens des mots : " actes administratifs. » La ré-
daction d'un bulletin publié par un ministère (Bulletin des Com-
munes) 1, a été considérée comme un acte administratif à pré-
server de la compétence judiciaire; l'introduction dans un
domicile privé en exécution d'un arrêté, acte administratif;
l'expulsion, acte administratif. Mais bornons là nos énoncia-
tions sur une jurisprudence dont nous aurons à nous occuper
plus longuement quand nous traiterons des conflits.

DROIT COMPARE.

536. Angleterre.— « En Angleterre, dit M. Jules Simon,


les fonctionnaires dépendent bien moins de leurs chefs et bien
plus du public qui peut, à chaque instant, les actionner devant
les tribunaux. L'action du gouvernement en est-elle entravée?
Non-seulement l'administration anglaise ne souffre pas de la res-
ponsabilité individuelle de ses agents, mais elle y gagne d'avoir
des agents plus scrupuleux, et les agents eux-mêmes, loin d'être
diminués par cette obligation de répondre de leurs actes, en
tirent plus de force et de dignité 2. »

1 Trib. confl., 29 décembre 1877, Viette et autres.


2 La liberté, t. II, p. 233.
494 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

Indépendamment de l'action devant les tribunaux, les lois


anglaises admettent le droit de résistance, même individuelle,
contre les actes entachés d'illégalité. La grande charte con-
sacrait la résistance collective des 25 barons conservateurs
de la charte par les moyens en leur pouvoir, notamment
« en saisissant nos castels, terres, biens et jusqu'à ce qu'ils
se tiendront pour satisfaits, sous la réserve de l'inviolabilité
de notre couronne. Puis, après le redressement de leurs griefs,
ils nous obéiront comme auparavant. » Ce principe éclipsé
sous les Stuarts, fut de nouveau consacré, après la révolution,
par un acte de la première année de Guillaume et Marie 1. Il
est difficile de concilier le droit de résistance avec l'omnipo-
tence du Parlement, lorsque les actes dont on se plaint ont
obtenu l'adhésion du Parlement. Les partis sont divisés sur ce
point et, chose digne de remarque, ce sont les tories qui inclinent
à admettre le droit de sentence même contre le Parlement.
Quant à la résistance individuelle elle a été à plusieurs re-
prises admise par les tribunaux 2.
1 « Ces droits étant lésés, dit Blackstone, les sujets anglais sont fondés
à chercher, de leur côté, les moyens du pourvoir à leur défense. A cet effet,
ils peuvent commencer par demander une administration régulière et le libre
cours de la justice dans les tribunaux, puis présenter des pétitions au roi et
au Parlement pour la levée des difficultés. Enfin se procurer des armes pour
la légitime défense et s'en servir, au besoin. »
2 « Du temps de la reine Anne, un constable avait, hors de son ressort de
police et par conséquent illégalement, arrêté une femme. Un certain Tooly,
ayant pris le parti de celle-ci, en vint aux coups avec le constable et le tua
dans la lutte. Une accusation de meurtre s'ensuivit. Le jury ne rendit qu'un
verdict spécial relatif à la question de fait. Alors les douze juges, sous la
présidence du lord-chief-Justice, Holt, décidèrent, à la majorité de sept voix
contre cinq, que « l'arrestation d'une personne par un pouvoir illégal mo-
tivait suffisamment la détermination compatissante du passant de venir
à son secours, d'autant mieux dans l'espèce que l'arrestation avait pour
elle l'apparence de la justice; que toute atteinte portée à la liberté d'un sujet
est un défi jeté à tous les sujets du roi d'Angleterre; que chacun a raison
de prendre à coeur l'acte d' habeas corpus; enfin que tout fonctionnaire arrê-
tant illégalement une personne viole évidemment Yhabeas corpus. Par suite
de ces considérants de la jurisprudence, l'accusé ne fut déclaré coupable
que d'homicide accidentel (Mandaughter) et on l'admit au bénéfice du
clergé » (Ed. Fischel, t. I, p. 183 de la traduction française).
RESPONSABILITÉ DES AGENTS DU GOUVERNEMENT. 495
539. États-Unis. — Aux États-Unis, les fonctionnaires
ne sont généralement pas engagés dans les liens de la hié-
rarchie; chacun obéit à la loi et aux règlements. S'ils ne s'y
conforment pas, ils peuvent être poursuivis devant les tribu-
naux pour infraction aux lois. Évidemment ce système implique
que la poursuite doit être libre et il est impossible de la su-
bordonner à une autorisation préalable.
538. Belgique. — L'article 24 de la Constitution belge
est ainsi conçu : « Nulle autorisation préalable n'est néces-
saire pour exercer des poursuites contre les fonctionnaires
publics, pour faits de leur administration, sauf ce qui est statué
à l'égard des ministres. » Les articles 89 et 90 disposent que
les ministres sont responsables, qu'ils ne peuvent pas se sous-
traire à la responsabilité, en invoquant la volonté ou les ordres
du roi. Une loi organique a déterminé les cas de responsabilité
ainsi que les peines dont ils pourront être punis, et le mode
de procéder contre eux, soit quand ils sont accusés par la
Chambre des représentants, soit quand ils sont poursuivis par
la partie civile.
539. Espagne. — Les Espagnols avaient adopté le sys-
tème français, et cette imitation était approuvée par M. Col-
meiro dans sa première édition : « Évidemment, disait-il, pour
qu'un fonctionnaire soit déclaré responsable, il faut lui faire
son procès devant le tribunal ordinaire compétent; car toutes
les fois qu'il s'agit d'une question civile ou criminelle, il n'ap-
partient qu'aux juges institués par la loi de rendre la justice.
Mais, d'une autre part, si l'on avait accordé au pouvoir
judiciaire sans aucune restriction, la faculté de juger les
,
agents administratifs, il aurait indirectement connu des actes
de l'administration et, de cette manière, jeté le trouble dan?
l'harmonie constitutionnelle et détruit le principe de l'indé-
pendance réciproque des pouvoirs. C'est pour cela qu'aucun
chef politique (ou gouverneur) ne peut être poursuivi sans
l'autorisation du gouvernement central, et que l'autorisation
du chef politique 1 (ou gouverneur) est indispensable pour

1 Les Jefes politicos ont pris le nom de gouverneurs, depuis la publication


496 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

appeler en justice un fonctionnaire ou une corporation subor-


donnée 1. »
Plus bas, M. Colmeiro répondait aux objections qui peuvent,
être adressées à ce système. « Mais, pourrait-on objecter,
l'indépendance des pouvoirs n'est-elle pas tout aussi compro-
mise par un régime qui permet à l'administration de retenir
l'action de la justice que par la connaissance prise incidemment
par le pouvoir judiciaire des actes de l'administration? Le
pouvoir administratif, armé des formidables moyens de la cen-
tralisation, n'est-il pas de lui-même assez fort pour qu'on ne
fasse pas, encore une fois, pencher la balance en sa faveur?
Cette question pourra être plus longuement traitée lorsque nous
nous occuperons des compétences. A présent, nous nous conten-
terons de rappeler que deux caractères distinguent et séparent
profondément le pouvoir administratif du pouvoir judiciaire.
L'un est amovible et responsable, l'autre est indépendant et
inamovible. Le fonctionnaire public reçoit des ordres ; le ma-
gistrat obéit à sa conscience. On peut lui demander de l'exac-
titude, mais jamais lui dicter une sentence. C'est à cause de
cette flexibilité et responsabilité du pouvoir administratif, et
aussi parce qu'il représente les intérêts généraux, qu'il a fallu
donner plus de latitude à son action; la même raison a fait
établir l'autorisation préalable aux poursuites, comme condi-
tion d'indépendance et comme règle de discipline. »
Tirant ensuite les conséquences des principes posés, M. Col-
meiro concluait 1° qu'elle ne s'applique pas aux ministres, parce
qu'ils n'ont aucun pouvoir supérieur qui puisse réformer leurs
actes et qu'ils sont responsables devant les Chambres; 2° que
l'autorisation de poursuivre les fonctionnaires n'est nécessaire
que pour les actes relatifs à l'exercice de leurs fonctions; 3° que
l'autorisation est exigée soit que l'action tende à l'application de
la peine, soit qu'elle ait pour objet une demande de dommages-
intérêts; 4° qu'elle doit protéger le fonctionnaire pour les actes
qui correspondent au temps de ses fonctions, même lorsqu'il
de l'ouvrage de M. Colmeiro. — Leurs attributions ressemblent à celles de
nos préfets, sauf quelques différences que nous établirons plus bas.
1 Art. 2 de la loi d'avril 1845.
RESPONSABILITÉ DES AGENTS DU GOUVERNEMENT. 497
est rentré dans la vie privée; 5° les juges peuvent, avant l'au-
torisation, faire les premiers actes d'instruction, mais ils ne
peuvent ni soumettre les fonctionnaires prévenus à un interro-
gatoire, ni décerner mandat contre eux; 6° L'acquiescement ou
la renonciation volontaire de l'agent ne dispensent pas de de-
mander une autorisation qui a été exigée non dans l'intérêt du
fonctionnaire, mais dans celui de l'administration; 7° enfin,
lorsqu'un agent a plusieurs qualités, comme les alcades qui sont,
en même temps, agents de l'administration et auxiliaires des
juges de première instance, l'autorisation n'est nécessaire que
pour les actes administratifs 1. » Le système de l'autorisation
préalable a été abandonné en Espagne et, après un exposé
théorique de la question, M. Colmeiro, dans la dernière édition
de son ouvrage 2, nous apprend que « non-seulement l'autori-
sation n'est plus nécessaire, mais que le Gouvernement a re-
commandé aux gouverneurs des provinces de prêter et faire
prêter par leurs subordonnés le concours le plus actif aux juges
pour faciliter l'action de la loi toutes les fois qu'il s'agira de
faits commis par les fonctionnaires publics 3. »
540 Allemagne. — La responsabilité des fonctionnaires
administratifs a, dans presque tous les pays, une sanction re-
doutable dans le droit de révocation ad nutum qui appartient
à l'autorité supérieure. En Allemagne, ils ont une position moins
précaire. Des lois déterminent les cas disciplinaires et les
peines qui sont applicables, depuis la réprimande jusqu' à la
suspension et à la destitution. La privation des fonctions n'est
prononcée qu'en suivant une procédure qui met le fonction-
naire en mesure de se défendre. D'ailleurs, la loi prévoit elle-
même les cas de manquement au service où le pouvoir disci-
plinaire peut intervenir.
Une loi du 5 mai 1880 4 a déterminé la situation des fonc-
tionnaires non judiciaires dans le grand-duché de Hesse et
,

3 Circulaire du 11 juin 1870.

32
Colmeiro, Derecko administrative, t. I, p. 69 et suiv., nos 145, 150, etc.
2 Colmeiro, édit. de 1876, t. I, p. 78, n° 166.

1 Annuaire de la Société de législation comparée, 1881, 171.

B. - II
498 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

cette loi n'est guère que la reproduction de la loi de 1874 faite


pour les fonctionnaires de l'Empire 1.
A Hambourg, d'après la loi du 23 avril 1879, les fonction-
naires administratifs sont responsables de leurs actes devant les
tribunaux et aucune autorisation préalable n'est exigée 2.
En Bavière, la loi du 8 août 1878, qui institue une Cour
de justice administrative, porte, article 7 : « qu'aucune action
pénale ou civile ne peut être intentée contre un fonctionnaire
public à raison d'un acte fait ou omis dans l'exercice de ses
fonctions sans une décision de la Cour déclarant que la personne
incriminée a manqué aux devoirs de sa charge 3. »

1 Annuaire de la Société de législation comparée, 1874, p. 93.


2 Id., îbid., 1880, p. 250.
3 Id., ibid., 1879, 179.
SEPARATION DES POUVOIRS. 499

CHAPITRE DIX-SEPTIÈME.

SEPARATION DES POUVOIRS.

Sommaire,
541. C'est la séparation des pouvoirs qui fait la différence des gouvernements libres
et des gouvernements absolus.
542. Objections élevées contre la séparation des pouvoirs.
343. Suite.
544. Droit comparé. — Angleterre. — Observation de M. Léon Faucher.
545. — Belgique.
546. — Espagne.
547. — Allemagne. — Doctrine de Stahl.
548. — Ancien droit français.

541 Tout gouvernement porte en soi au moins le germe


des trois pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire, et la diffé-
rence qui sépare l'absolutisme de la liberté tient à la confusion
ou à la distribution de ces éléments. Réunis en un seul homme
ou en une seule assemblée, soit aristocratique, soit populaire,
ils constituent la monarchie absolue, l'absolutisme de l'an-
cienne Venise ou de la Convention. Séparés et contre-balancés
les uns par les autres, ils deviennent le gouvernement libre,
monarchie représentative, comme en Angleterre, en Espagne,
en Belgique, etc., ou république, comme en France et aux
États-Unis.
« C'est une expérience éternelle, disait Montesquieu, que
tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser, il va jus-
qu'où il trouve des limites. Pour qu'on ne puisse pas abuser
du pouvoir, il faut que, par la disposition même des choses,
le pouvoir arrête le pouvoir. »
542 Beaucoup de publicistes ont critiqué et quelques-uns
500 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

ont tourné en dérision cette mécanique gouvernementale qui,


par l'annulation réciproque des forces, doit conduire à l'immo-
bilité. L'État, disent-ils, n'est pas une machine, mais un orga-
nisme vivant dont il faut que tous les éléments, au lieu de
s'empêcher, se coordonnent sous une force prépondérante,
comme toutes les parties des corps organisés se meuvent sous
la direction des organes principaux.
Si l'on prenait dans leur sens rigoureux ces mots de Montes-
quieu : « il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir
arrête le pouvoir, » rien ne serait mieux fondé que l'objection.
Mais la théorie de Montesquieu n'exclut pas la prépondérance
de l'un des pouvoirs, et cette supériorité est même nécessaire
d'après la force des choses; sans cela, tout s'arrêterait et cepen-
dant il est impossible que des êtres vivants restent immobiles
comme s'ils étaient des forces purement mécaniques. Mais de
ce que l'un des pouvoirs doit l'emporter, s'ensuit-il qu'il lui sera
permis tout dévorer autour de lui, et qu'il faille supprimer tous
les points de résistance? Le corps humain est un organisme; mais
il se compose de facultés en équilibre qui, sans détruire la force
prédominante, la limitent et la contiennent. L'auteur de l' Esprit
des lois n'ignorait pas qu'en Angleterre l'aristocratie était la
puissance vraiment agissante, et que maîtresse de la Chambre
des lords par l'hérédité des aînés, influente aux Communes par
l'élection des cadets, puissante dans les comtés par les pou-
voirs administratif et judiciaire des juges de paix, présente
partout par le développement de l'esprit aristocratique, elle a le
pouvoir effectif et qu'elle gouverne sous le nom d'un roi. Son
pouvoir n'est cependant pas illimité et elle rencontre, dans sa
marche, la Couronne et la Chambre des communes qui défen-
draient, l'une le pouvoir exécutif et l'autre les intérêts popu-
laires contre l'aristocratie si celle-ci était par trop envahissante,
qui souvent l'ont combattue avec succès et dont elles ont beau-
coup réduit la puissance dans ces dernières années.
On a souvent répété ce dilemne : ou l'une des forces est
prédominante, et alors la multiplicité des pouvoirs est inutile,
ou bien aucun ne domine, et alors on aboutit à l'immobilité.
Cette manière de raisonner est propre à démontrer combien
SEPARATION DES POUVOIRS. 501
les arguments absolus sont un mauvais guide dans l'étude des
sciences politiques ou sociales.
Ce qui est le plus à redouter, dans un gouvernement équi-
libré, c'est l'état d'instabilité qui donne la prépondérance tantôt
à une force et tantôt à l'autre. Il en peut résulter un défaut de
suite fâcheux dans la marche des affaires, des revirements brus-
ques et, s'il est permis d'employer ce mot vulgaire, un décousu
inconciliable avec un développement fécond de la société. Le
temps se passe à reculer après avoir avancé, et à défaire,
le lendemain, ce qu'on avait décidé la veille. Heureusement
cette situation n'est que passagère ; après quelques oscillations
la balance se porte-vers l'un ou l'autre des pouvoirs. Mais
parce que l'un des éléments devient prédominant, croit-on
qu'il absorbera les autres et détruira toutes les résistances?
Nullement; il reste aux pouvoirs, même quand ils sont do-
minés, assez de vigueur pour rendre bien des excès impos-
sibles. Quelque faible qu'on le suppose, un pouvoir législatif
sera un sérieux obstacle pour un souverain absolu. Une oc-
casion propice peut le tirer du néant, et d'ailleurs il est des
propositions que pas un ministre n'oserait présenter aux votes
d'une assemblée, quelque docile qu'on la suppose. L'histoire
ne montre-t-elle pas que toujours les despotes ont fîni par sup-
primer les assemblées législatives les plus soumises, non parce
qu'ils les jugeaient inutiles, mais parce qu'ils craignaient de
fatiguer leur docilité? Il en a été de même des Chambres sou-
veraines; elles ont supprimé les princes pour y substituer des
ministres ou des protecteurs sortis de leur sein et de leurs
votes. La séparation des pouvoirs, telle que l'entendait Montes-
quieu, n'est pas autre chose que la prédominance de l'un des
pouvoirs combiné avec d'autres autorités qui lui servent de
frein. Il est vrai qu'une semblable organisation peut empêcher
quelque bien, sans arrêter tout le mal. Mais il ne faut pas,
quand on fixe une théorie, supposer qu'elle sera pratiquée par
des hommes dépourvus de bon sens; l'homme étant doué de
raison, il est naturel de penser que les pouvoirs modérateurs
seront plus portés à empêcher le mal qu'à s'opposer au bien.
543. Ces idées seront mises en lumière par la comparaison
502 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

des sociétés avec les individus. Certes, nous pouvons admirer


les hommes en qui prédomine une faculté dont le développe-
ment extraordinaire paraît avoir absorbé et dévoré les autres.
Mais ceux que nous tenons pour supérieurs sont doués d'une
organisation complète où les diverses facultés se développent
avec mesure et harmonie; dont l'imagination, cette folle du lo-
gis, est tempérée par la raison tandis que la raison perd sa sé-
cheresse et sa roideur ; nous tenons pour supérieurs les hommes
qui sont à la fois intelligents, probes, moraux, vigoureux. Or,
l'homme en qui se réunissent dans de justes proportions l'es-
prit, la raison, le caractère, la force physique, n'est pas con-
damné à l'immobilité par la pondération de ses facultés. Pour-
quoi en serait-il autrement d'un État où les forces seraient
équilibrées de manière, non pas à retenir, mais à diriger
l'action politique? Pourquoi les forces politiques ne seraient-
elles pas semblables aux forces physiques qui, par leur oppo-
sition conduisent quand elles sont inégales à une résultante de
,
mouvement au lieu d'aboutir à l'arrêt?

DROIT COMPARE.

544. Angleterre. — D'après l'opinion générale, Montes-


quieu a puisé dans la constitution anglaise la théorie de la sé-
paration des pouvoirs. Cette idée a été combattue par M. Léon
Faucher en ce qui concerne la séparation du pouvoir judiciaire
d'avec le pouvoir législatif : « L'aristocratie, dit-il, est représen-
tée par les deux Chambres, mais quand elle n'aurait dans l'État
que la Chambre des lords, elle obtiendrait encore une prépon-
dérance très décidée. Montesquieu a dit qu'il n'y a pas de liberté
si la puissance de juger n'est pas séparée de la puissance légis-
lative. La constitution britannique admet néanmoins cette con-
fusion de pouvoirs. La Chambre des lords possède à la fois la
puissance judiciaire et la puissance législative; elle est tout à
la fois une assemblée délibérante et un tribunal 1. »
1 Léon Faucher, Études sur l'Angleterre, t. II, p. 423. V. plus haut l'In-
troduction.
SÉPARATION DES POUVOIRS. 503
L'objection de M. Faucher est mieux fondée en apparence
qu'au fond; car, selon l'usage, le pouvoir judiciaire de la Cham-
bre n'est exercé que par quelques lords groupés autour du
chancelier non par la chambre entière. D'ailleurs, la Chambre
des lords n'est qu'une branche du pouvoir législatif. Ce qui est
dangereux pour la liberté, c'est que le pouvoir qui juge puisse
trancher le procès en faisant la loi; or, le pouvoir de faire une
loi n'appartient pas à la Chambre des lords indépendamment des
autres parties du Parlement, le roi et les Communes. Il est vrai
que la Chambre haute étant un pouvoir souverain, sa décision
n'est limitée par aucun autre pouvoir. Mais c'est le propre
de toutes les Cours -suprêmes et l'on pourrait faire la même
objection à notre Cour de cassation.
545. Belgique. — Les articles 25 à 31 de la Constitution
belge consacrent le principe de la séparation des pouvoirs,
non en le proclamant d'une manière abstraite, mais en l'or-
ganisant. Tous les pouvoirs émanent de la nation. Le pouvoir
législatif est exercé par le roi et les Chambres. Le roi est chef
du pouvoir exécutif. Les cours et tribunaux rendent la justice
au nom du roi.
546. Espagne. — « Les gouvernements constitutionnels
reposent tous sur un principe qu'on peut nommer le fondement
de cette organisation politique, à savoir la division du pouvoir
social en trois pouvoirs publics, le législatif, l'exécutif et le
judiciaire qui sont en perpétuel contact, et se limitent récipro-
quement... Le pouvoir de faire les lois appartient aux Cortès et
au roi, de sorte que, d'après la Constitution espagnole, la
puissance législative est un pouvoir collectif dans la composi-
tion duquel entrent : 1° le Congrès des députés où se trouvent
représentés les éléments les plus mobiles de la société; 2° le
Sénat où se rencontrent les éléments conservateurs, et 3° le
monarque en qui se personnifie l'État, avec ses éléments de
perpétuité

« Le pouvoir de faire exécuter les lois appartient au roi, dont


l'autorité comprend tout ce qui est nécessaire au maintien de
l'ordre public, à l'intérieur, et de la sécurité de l'État, à l' exté-
504 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

rieur. Au roi appartient la plénitude de la puissance execu-


tive 1 . »
549 . Allemagne. — Dans le cours qu'il a professé à
l'Université de Berlin, M. Stahl a combattu avec éclat la théorie
de la séparation des pouvoirs. Après avoir démontré que l'é-
cole libérale ou constitutionnelle n'est que le parti révolution-
naire, après avoir condamné la mécanique politique comme
conduisant nécessairement à l'instabilité ou à l'immobilité, le
professeur établissait sur les ruines du libéralisme la monarchie
absolue personnification majestueuse de la force sociale,
,
d'après lui, la seule qui puisse exercer le pouvoir avec autorité.
Sans doute, il faut qu'elle ait auprès d'elle des conseils pour
l'éclairer; mais c'est au monarque que doit appartenir, en
définitive, la décision 2. La théorie du professeur, qui fut plus
tard le chef de la droite féodale, peut se résumer en ces deux
propositions : « L'autorité, pas de majorité. — Aux Chambres
l'influence par le conseil, au prince le pouvoir par le droit de
décider. »
Les principes de Stahl n'ont pas prévalu dans les Constitu-
tions des États de l'Allemagne qui ont toutes adopté la division
des pouvoirs. Mais l'excellence de la séparation des pouvoirs
n'est pas admise sans contestation et elle a récemment été con-
testée avec éclat par M. de Bismarck. A la séance du Reichstag,
du 15 mars 1884, le chancelier dans un discours sur les assu-
rances ouvrières s'est exprimé en ces termes relativement à la
séparation des pouvoirs et à la transformation future des partis
politiques :
« Le mouvement parlementaire, qui a commencé à la fin du
siècle dernier lorsqu'on commença à élaborer les rudiments

1 Colmeiro, Derecho administrative, t. I, p. 35 et 36. — V. art. 12, 35,


36, 41 et 42 de la Constitution de 1845.
2 Le cours de M. Stahl a été exposé avec netteté dans un travail substan-
tiel de M. Beernaert, avocat à Bruxelles. Ce travail, qui est un rapport sur
l'état comparé de l'enseignement en France et en Allemagne, a été inséré
dans les Annales des universités belges, année 1853. V. p. 1823. Nous en
recommandons la lecture à ceux qui ne pourraient ou ne voudraient pas lire
les ouvrages de Sthal. — V. l'ouvrage de Sthal, Allgemeines Staatsrecht.
SÉPARATION DES POUVOIRS. 505
constitutionnels, s'est tout entier porté sur le terrain de la
politique, et les partis qui existaient en ce temps n'étaient que
des partis politiques; de là certains principes, qui sont restés
stationnaires, en ce qui concerne le pouvoir exécutif et le pou-
voir législatif. Pour moi, la séparation de ces deux pouvoirs
est la condamnation de toutes les expériences qui ont été faites
sur ce terrain et sur d'autres depuis Montesquieu. Je crois que
le temps des partis politiques et des programmes proprement
politiques est passé, ou tout au moins que leur fin approche.
Les corps électoraux manifestent une tendance de plus en plus
marquée à ne vouloir que la politique des intérêts. C'est le cou-
rant du jour, et ce courant sera plus fort que toutes les résis-
tances. Les partis politiques, même le parti socialiste, que je
ne considère pas comme un parti économique, disparaîtront
avant peu, je vous le dis, ils se transformeront en partis éco-
nomiques et seront obligés de se faire des programmes dans ce
sens. Je ne doute pas que les électeurs n'éprouvent le besoin
de s'unir et de se grouper sur le terrain économique de façon
à n'être représentés que par des hommes qui partagent leurs
idées et défendent leurs intérêts. Nos neveux alors hausseront
les épaules en reportant leurs regards vers les luttes stériles de
nos fractions politiques. »
Il se peut que les partis se transforment et passent de la
politique aux intérêts économiques ; mais ce changement vien-
dra de ce que les questions politiques auront été résolues et
que, les garanties étant acquises, les efforts pourront se porter
ailleurs. Les institutions politiques sont le moyen, l'instrument;
les intérêts sont le but. Mais tant que le moyen est contesté,
tant que l'instrument n'est pas assuré, le premier intérêt est
de le procurer et les partis conservent le caractère politique
jusqu'au moment où les institutions sont assez fortes pour que,
sans inquiétude sur leurs derrières, ils puissent aborder d'autres
questions.
548. Ancien droit français. — Les princes absolus ont
souvent senti le besoin d'imposer eux-mêmes un frein à leur
propre puissance. Les rois de France prirent ce parti lorsqu'ils
voulurent mettre un terme aux démembrements du domaine
506 DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF.

FIN DU TOME DEUXIEME.


TABLE DES MATIÈRES

CONTENUES DANS LE TOME DEUXIÈME.

Pages
PRÉLIMINAIRE (1-7) 1-7
1. La société est un état naturel et nécessaire, p. 1. — 2. Elle est un moyen
et non un but, 1. — 3. Rôle de l'État, 2. — 4. Sa mission n'est pas
purement négative ,2. — 5. L'intervention des pouvoirs publics varie
suivant les lieux et les temps ,3. — 6. Distinction entre les diverses
espèces de droits, 3. — 7. Définition des mots administration, droit
administratif, droit public et droit constitutionnel, 5.

PREMIERE PARTIE.
DROITS PUBLICS. — DROITS ABSOLUS.
CHAPITRE PREMIER (8-13) 8-12
8. Le renvoi contenu dans l'article 1er de la Constitution du 14 janvier
1852 aux principes de 1789 comprenait les principes qui se réfèrent à la
liberté tout aussi bien que ceux qui sont relatifs à l'égalité, 8. — 9. Les
principes de 1789 sont énumérés dans la déclaration des droits de 1791,
10. — 10. Opinion de Joseph de Maistre, 10. — 11. Différence entre la
déclaration des droits de la révolution française et la déclaration des droits
américaine, 11. — 12. Déclaration des devoirs, 11. — 13. Énuméra-
tion, 12.
CHAPITRE DEUXIÈME. Égalité civile (15-55) 13-50

15. Des ordres dans l'ancien régime, p. 14. —16. Inégalité politique, 14.—
17. Inégalité en matière d'impôt. Taille personnelle et taille réelle, 14. —
18. Origine de cette inégalité, 15. — 19. Inégalité résultant de l'arbi-
traire dans la répartition de la taille, 15. — 20. Inégalité en matière de
milice, 16. — 21. Profonde démarcation entre le roturier et le gentil-
homme, 17.— 22. Marche ascendante des classes inférieures. Escla-
vage. Servage. Mainmorte, 17. — 23. Diocèse de Saint-Claude, 18.
— 24. Loi du 4 août 1789, 19. — 25. Conséquences du
principe d'é-
galité civile, 19. — 26. Les conditions de capacité, d'âge et de moralité
ne sont pas contraires au principe d'égalité, 20. — 27. Du sens vrai du
mot classes de la société dans les lois sur la presse qui punissent l'exci-
tation à la haine des classes de la société les unes envers les autres,
20. — 28. Importance de fait de la noblesse, 21. — 29. Origine des
titres nobiliaires, 21. — 30. Achat des charges emportant la noblesse,
22. — 31. Suppression des distinctions nobiliaires par la législation
révolutionnaire,,22. — 32. Noblesse impériale. Grands dignitaires et
508 TABLE DES MATIERES.

Pages.
grands officiers, 23. — 33. Comtes et barons de l'Empire, 23. — 34.
Majorats. Majorats de propre mouvement et majorats sur demande,
24. — 35. Article 259 du Code pénal, 24. — 36. Rétablissement de la
noblesse sous la Restauration, 25. — 37. Abrogation de l'article 259 du
Code pénal par la loi du 28 avril 1832, 25. — 38. Loi sur les majorats
du 12 mai 1835, 26. — 39. Abolition des titres nobiliaires en 1848 et
rétablissement en 1852. Loi du 28 mai 1858 qui remet en vigueur l'ar-
ticle 259 da Code pénal. Décret du 8 janvier 1859 qui rétablit le
conseil du sceau des titres, 26. — 40. Conseil du sceau, 27. — 41. Loi
du 7 mai 1849 sur les majorats, 28. — 42. Délibération du Sénat sur
les titres de noblesse des familles anoblies sous l'Empire, 29. — 43-50.
Question. Le ministère public a-t-il le droit d'agir en rectification des
actes de l'état civil ? 29-38. — 51. Droit comparé : Belgique, 39; —
52. Russie, 40; — 53. Espagne et Portugal, 44; — 54. Angleterre, 45;
— 55. Allemagne, 47.
CHAPITRE TROISIÈME.
— Liberté individuelle (56-93). 51-77
56. En quoi consiste la liberté individuelle, p. 52. — 57. Restrictions à
la liberté individuelle, 52. — 58. Différence de notre législation avec
celle de l'Angleterre, 53. — 59. Opinion de Hume sur l' habeas corpus,
54. — 60. Suspension de l'habeas corpus, 54. — 61-64. Circonstances
principales où, dans notre pays, la liberté individuelle a été suspendue
par des raisons d'État, 55-57. — 65. Observation sur les atteintes por-
tées à la liberté individuelle, 58. — 66. Pouvoirs exceptionnels donnés
par la loi du 9 juillet 1852 au préfet de police à Paris et au préfet du
Rhône, 58. — 67. Observations sur ce point, 59. — 68. Les lois sur la
mendicité sont-elles contraires à la liberté individuelle? 59. — 69. Des
filles soumises, 60.
— 70. Du passeport, 61. —71. Des passeports à
l'intérieur et à l'étranger. Conditions et formalités, 62. — 72. Des actes
équivalant à passeport, 62. —73. Passeports gratuits aux indigents,
63. —74. Suppression des passeports pour les Anglais venant en France,
63. — 75. L'individu auquel le passeport est refusé a-t-il une voie de
recours à employer? 64. — 76-78. Le recours par la voie contentieuse
est-il admissible? 64-65. — 79. Liberté individuelle considérée dans le
costume, 66. — 80. Liberté individuelle considérée au point de vue du
port d'armes, 66. — 81-82. Que faut-il entendre par armes cachées ou
secrètes? 66-67. — 83-85. Des armes de guerre, 67-69. — 86. Port
d'armes en cas de chasse, 70. — 87. Du permis de chasse, 70. — 88.
Cas dans lesquels le permis de chasse peut ou doit être refusé, 71. —
89. Droit comparé sur la liberté individuelle. Belgique, 73. — 90-92.
Angleterre, Charte et acte d'habeas corpus, 73-75. — 93. Allemagne, 75.
CHAPITRE QUATRIÈME. Inviolabilité du domicile (94-103) 78-87

94. Pénalités prononcées contre l'auteur d'une violation de domicile, p. 78.
— 95-96. Des cas dans lesquels l'autorité publique peut, par exception,
s'introduire dans le domicile des particuliers, 79-80. — 97. Le juge
d'instruction a-t-il en principe le droit de faire une perquisition pendant
la nuit? 80. — 98. Des cas où le procureur de la République a le droit
de visite domiciliaire, 81.
— 99. Des gardes-champêtres et
forestiers
TABLE DES MATIERES. 509

comme officiers de police judiciaire, 81. — 100. Quid des agents d'exé-
cution, et en particulier des gendarmes? 82. — 101. Exécution des con-
damnations, 84. — 102. Visites domiciliaires pour assurer l'exécution
des lois sur les contributions publiques, 84. — 103. Droit comparé :
Belgique, Angleterre et Allemagne, 85.
CHAPITRE CINQUIÈME.
— Inviolabilité de la propriété (104-122) 88-99
104. Le principe que nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause
d'utilité publique et moyennant une juste et préalable indemnité, est un
principe de l'ordre constitutionnel et non une simple disposition législa-
tive, p. 88. — 105. Article 15 de la loi du 21 mai 1836, 89. — 106. Des
cas où les ingénieurs se mettent en possession d'une propriété privée
sans formalités préalables, 90. — 107. Servitude d'utilité publique, 90.
— 108. Ces servitudes ne donnent pas droit à indemnité, 90. — 109.
L'embellissement devrait-il être un motif suffisant pour procéder par
voie d'expropriation? 91. — 110. Modification de la loi du 3 mai 1841
par le sénatus-consulte du 25 décembre 1852, 92. — 111. Suite. Obser-
vation, 92. — 112. Modification résultant de la loi du 27 juillet 1870,
93. — 113. L'expropriation pour cause d'utilité publique ne peut avoir
lieu Que par autorité de justice, 93. — 114. L'expropriation pour cause
d'utilité publique est inhérente à toute société. Elle existait en droit
romain. Erreur de Proudhon sur ce point, 94. — 115. Endroit romain,
l'expropriation s'appliquait aux meubles et aux immeubles, 95.
— 116.
Elle pouvait être faite par l'État ou les municipes. Formalités, 96. —
117. L'indemnité n'était pas préalable, 96. — 118. En quoi consistait
l'indemnité? 96. — 119. Expropriation sous l'ancien droit français, 97.
— 120. Expropriation pour cause d'utilité publique en Angleterre, 97;
— 121. en Espagne, 98; — 122. en Bavière, 99.
CHAPITRE SIXIÈME.
— Secret des lettres (123-128) 100-105
123. Le secret des lettres a plusieurs fois été reconnu constitutionnelle-
ment, p. 100. —124. Restrictions apportées à ce principe en cas d'infor-
mation criminelle 100. — 125-127. Les préfets ont-ils le droit de faire
,
saisir les lettres à la poste sans le concours du juge d'instruction? 101-
102. — 128. Droit comparé : Belgique, 104; —Angleterre, 104; — et
Allemagne, 105.
CHAPITRE SEPTIÈME.
— Liberté de la presse (129-253) 106-188
129. Ce qui constitue essentiellement la liberté de la presse, p. 109. — 130.
Différents systèmes sur le jugement des délits de presse, 109. — 131.
Timbre et cautionnement, 109. — 132. Responsabilité de l'écrivain,
110. — 133. La question de la liberté de la presse n'est pas susceptible
d'une solution absolue, 111. — 134. Différence entre la France et l'An-
gleterre, 111. — 135. Conséquences qui en doivent résulter, 112. —
136. Circulaire du ministre de l'Intérieur, 112. — 137. Observation,
114. — 138. Histoire de la législation sur la presse en France (1791 à
l'an VIII), 115. — 139. Suite. Constitution du 22 frimaire an VIII, 116.
—140. Suite. Sénatus-consulte du 28 floréal an XII, 116. — 141. Suite.
Décret du 5 février 1810, 117. — 142. Suite. Charte de 1814 et Cent-
510 TABLE DES MATIÈRES.

Jours, 117. — 143-146. Suite. Ordonnance du 8 août 1815 et lois de


1819, 117-118. —147-148. Suite. Révolution de juillet 1830, 118-119.—
149-150. Suite. Législation de septembre 1835,119-120. —151-153. Suite.
Révolution de février 1848, 120-121. — 154. Suite. Décret du 17 février
1852, 122. — 155. Police et formation des journaux, 122. — 156. Cen-
sure indirecte résultant de la responsabilité des imprimeurs et éditeurs,
123. — 157. Presse périodique. Autorisation des journaux, 123. —
158. Nature des pouvoirs du ministre, 124. — 159. Timbre et caution-
nement d'après le décret du 17 février 1852, 124. —160. Journaux non
politiques, 125. — 161. Difficultés entre le préfet et le déclarant sur la
sincérité des déclarations, 126. — 162. Ouvrage traitant de matières
d'économie sociale, 126. — 163. Décret-loi du 17 février 1852. Répres-
sion administrative, 126. — 164. La presse de 1871 à 1881, 127. — 165.
Loi du 29 juillet 1881. Divisions, 128. — 166. De la presse en général
et des professions d'imprimeur et de libraire, 128. — 167. De la presse
périodique. Conditions, 130. — 168. Dépôt, 131. — 169. Signature,
131. — 170. Journaux étrangers traitant de matières politiques ou d'é-
conomie sociale, 132. — 171. Rectifications, communiqués, 132. —
172. Réponses des personnes nommées dans le journal, 133. — 173.
Renvoi à une loi spéciale des amendes judiciaires, 133. — 174. Affi-
chage, colportage et vente sur la voie publique, 134. — 175. Lieux
désignés pour l'affichage. Edifices publics propriétés privées, églises,
,
presbytères, 135. — 176. Répression des crimes et délits commis par
la voie de la presse. Transition, 137. — 177. Provocation et compli-
cité 138. — 178. Provocation non suivie d'effet, 138. — 178 bis. Pro-
,
vocation aux militaires, 138. — 179. Délits spéciaux commis par la voie
de la presse. Délits contre la chose publique, 140. — 180. Offense au
Président de la République, 140. — 181. Publication de fausses nou-
velles, 141. — 182. Outrage aux bonnes moeurs, 141. — 183. Délits
contre les personnes. Diffamation, 142. — 184. Diffamation contre les
morts, 143. — 185. Diffamation des corps constitués, 145. — 186. De
l'injure, 146. — 187. Différence de la diffamation contre les particuliers
et de la diffamation contre les fonctionnaires. Preuve des faits , 146. —
188. Preuve des faits contre les directeurs et administrateurs de Com-
pagnies, 147. — 189. La preuve des faits est-elle admise pour établir
la bonne foi du prévenu ? 147. — 190. Offense envers les chefs d'État.
Outrages envers les agents diplomatiques, 148. — 191. Compte rendu
des débats, 148. — 192. Immunités parlementaire et judiciaire, 149. —
193-194. Immunité parlementaire. Débats des assemblées législatives,
149-150. —195-198. Immunité judiciaire. Droits de la défense, 152-153.
— 199. Défense d'ouvrir publiquement des souscriptions pour payer les
amendes, frais et dommages-intérêts prononcés par des condamnations,
153. — 200. Répression et poursuites. Transition, 154. —201-202. Quelles
personnes sont responsables? 154-155. — 203. Suite. Responsabilité du
propiétaire du journal, 155. — 204. Compétence, principe cour d'as-
,
sises 156. — 205. Suite. Police correctionnelle, 157. 206. Simple
, —
police, 158. — 207. Action publique et action civile. Disjonction, 158 .
— 208. Quid si le prévenu est décédé ou si l'action publique est éteinte
par une amnistie? 159. — 209. Procédure. Action publique. Agrément
TABLE DES MATIÈRES. 511
Pages.
des corps constitués, 159. — 210. Suite. De la plainte en cas de pour-
suite intéressant des agents de l'autorité publique, 160. — 211. De la
citation, 160. — 212. Indication du texte sur lequel la poursuite est
fondée, 160. — 213. Délais de la citation, 161. — 214-215. Jugement
par défaut, 161-162. — 216. Condamnation. Dommages-intérêts, 163.
— 217. Procédure. Police correctionnelle, 164. — 218. Procédure.
Simple police, 165. — 219. Pourvoi en cassation, 165. — 220. Réci-
dive, 165. —221. Cumul des peines, 165. — 222. Circonstances atté-
nuantes, 166. — 223. Prescription de l'action, 166. — 224-225. La
prescription est d'ordre public, 167. — 226. Abrogation des lois anté-
rieures, 167. — 227. Abrogation de l'article 31 de la loi du 10 août 1871
(Conseils généraux), 168. — 228-233. Annonces judiciaires, 168-172.
— 234-237. Droit comparé : Angleterre, 172-173. — 238. Suite. Répres-
sion des délits de presse en Angleterre, 174. — 239. Suite. Libelles
séditieux, 175. — 240 Des journaux. Conditions spéciales, 178. — 241.
Débats parlementaires et judiciaires, 179. — 242. Dessins et estampes,
179. — 243. Représentations théâtrales. Autorisation préalable, 180. —
244. Allemagne, 181. — 245. Belgique, 181. — 246. Espagne, 182. —
247. Brésil, 184. — 248. Italie, 185. — 249. Suisse, 186. — 250. États-
Unis, 186. — 251. Pays-Bas, 187. — 252. Turquie, 187. — 253. Rus-
sie, 187.
CHAPITRE HUITIÈME.
— Liberté religieuse (254-294) 189-218
254. Divers systèmes suivant lesquels peuvent être combinés les rapports
de l'Église et de l'État, p. 190.— 255. Innovation consacrée par la Charte
de 1830 qui substitue une religion de la majorité de l'Étal, 192. — 256.
Caractères principaux de notre droit public ecclésiastique, 192. — 257.
Liberté de conscience, 192. — 258. Liberté du culte extérieur, 192. —
259. La loi sur les réunions et associations publiques et les lois d'ordre
public sont la seule limite de la liberté des cultes, 192. — 260. Réfu-
tation de la doctrine de M. Gaudry, 193. — 261. De la liberté religieuse
pour les étrangers en France, 195. — 262. Les expressions injurieuses
pour les adhérents à un culte, quoique contenues dans les motifs d'un
arrêt, ne constituent pas une violation de la liberté religieuse, 195. —
263. Protection accordée à la liberté des cultes 196. — 264. Décret
,
du 19 mars 1859, 197. — 265. Liberté du culte catholique, article 45
du Concordat, 198. — 266. Indépendance réciproque des pouvoirs spi-
rituel et temporel, 198. — 267-269. Réunion des deux puissances, 199.
— 270-272. Indépendance du pouvoir temporel à l'égard de la Cour de
Rome, 200-201. — 273. Indépendance du pouvoir temporel à l'égard du
clergé français 201. — 274. L'autorité spirituelle a-t-elle, à l'égard du
,
pouvoir temporel, le droit de réquisition? 202. — 275. Serment poli-
tique des titulaires de bénéfices ecclésiastiques, 203. — 276. Indépen-
dance à l'égard du pouvoir temporel de l'autorité spirituelle, 203. —
277. Quid des monitoires ? 204. — 278. Transition, 204. — 279. La
police du temple appartient au ministre du culte, 204. — 280. Le maire
ne peut pas, en principe, tenir des réunions dans l'église sans l'auto-
risation du curé, 205. — 281-283. De la sonnerie des cloches, 205-
208. — 284. L'autorité spirituelle a le droit de refuser l'administration
512 TABLE DES MATIERES.

Pages.
des sacrements, 208. — 285-286. Il en est de même du refus de sépul-
ture, 209. — 287. Heures d'ouverture de l'église, 210. — 288. Affiches
sur la porte de l'église, 211. — 289. Quêtes à l'intérieur de l'église,
212. — 290. Places distinguées pour les autorités civiles et militaires,
212. — 291. Interprétation de l'article 45 de la loi du 18 germinal an X,
213. — 292. Des processions, 214. — 293. Détachements de la garde
nationale pour escorter les processions, 214. — 294. L'autorité tem-
porelle n'a pas le droit de suspendre le traitement des curés ou des-
servants, 215.
CHAPITRE NEUVIÈME.
— Appel comme d'abus (295-416) 219-350
295. Caractère de l'appel comme d'abus, p. 221. — 296-308. Histoire de
l'appel comme d'abus, 222-229. — 309. Opinion de M. Vivien, 230. —
310. Organisation des cultes. Catholicisme, 231. — 311. Hiérarchie
ecclésiastique. Pape, 231. — 312. Cardinaux et congrégations, 232. —
313. Cour de Rome. Suite, 233. — 314. Représentants du pape à l'é-
tranger. Légats à latere, 234. — 315. Archevêques, évêques, curés et
desservants, 235. — 316. Chapelles vicariales et annexes, 235. — 317.
Diocèses 235. — 318-319. Déposition des évêques, 236. — 320. Mé-
,
tropolitain, 237. — 321. Vicaires généraux et vicaires capitulaires, 237.
— 322. Chapitres, 237. — 323-329. Organisation des cultes. Protestan-
tisme 238-244. — 330-335. Organisation des cultes. Culte Israélite,
,
244-247. — 336. Cultes non reconnus, 247. — 337. Observation géné-
rale sur tous les cas d'abus, 248. — 338. § 1er. Usurpation et excès
de pouvoirs, 251. —339. Usurpations en matière de peines, 251. —
340. Des usurpations qui ne donnent pas lieu à recours pour abus, 253.
— 341-342. Le recours ne s'applique pas aux actes que les archevêques
ou évêques font en vertu de pouvoirs purement administratifs, 253-254.
— 343. De l'usurpation d'une autorité ecclésiastique sur une autorité de
même nature, 255. — 344. Réunion des conciles et synodes, 256. —
345-349. Des livres d'église et de l'autorisation épiscopale, 257-260. —
350. Les mêmes faits peuvent constituer plusieurs cas d'abus, 263. —
— 351. § 2. Contravention aux lois et règlements, 264. — 352. Man-
dement de l'évêque de Moulins sur les biens des séminaires, 266. —
353. Contraventions aux règlements, 267. —354. Des tarifs des droits
d'oblations pour l'administration des sacrements, 267. — 355. Un mi-
nistre du culte peut-il être poursuivi devant les tribunaux pour délits
commis dans l'exercice de ses fonctions, sans l'autorisation du Conseil
d'État? 268. — 356-360. Exposé des divers systèmes, 269-273. — 361.
Du prêtre qui procède à un mariage religieux avant le mariage civil,
275. —362-363. De l'injure en chaire, 275-276. — 364-367. § 3. Con-
travention aux canons reçus en France. Histoire du droit canonique,
277-281. — 368-372. Recours pour déposition irrégulière, 281-284. —
373. Effets de la déclaration d'abus contre une sentence irrégulière d'in-
terdiction à sacris, 286.
— 374. Suppression des titres ecclésiastiques.
Réunion de la cure au chapitre, 287. nomination des
— 375. De la
vicaires capitulaires, 289.
— 376. Le recours n'est pas
admissible
contre une sentence épiscopale qui aurait prononcé une peine canonique
trop forte, 289. — 377. § 4. Attentat aux libertés, franchises et cou-
TABLE DES MATIERES. 513
Pages.
tûmes de l'Eglise gallicane, 291. — 378-388. Histoire des libertés de
l'Église gallicane, 291-298. 389. Déclaration de 1682, 299. —390. Ce

qu'on peut actuellement appeler libertés gallicanes, 302. — 391. Suite.
Recours importants fondés sur ce motif, 302. — 392. Déclaration d'abus
contre l'évêque de Moulins, en date du 2 avril 1857, 303. — 393. § 5.
Trouble arbitraire des consciences, oppression, injure, scandale public,
304. — 394. Affaire Montlosier, 304. — 395. Menace par l'évêque de
Châlons de refuser l'administration des sacrements aux élèves de l'Uni-
versité, 308. —396. Des injures adressées aux paroissiens par le prêtre
dans l'exercice du culte, 309. — 397. § 6. Appel comme d'abus réci-
proque, 310. —398. Il n'est pas admis contre les particuliers , 310.—
399. Peut-il être dirigé contre une décision judiciaire? 311. — 400. De
l'appel comme d'abus pour les cultes protestant et israélite, 311. —
401-402. Procédure. § l°r. Compétence, 313-315. — 403. Procédure.
§ 2. Formes du pourvoi, 316.
— 404-407. Qui a qualité pour agir? 316-
319. — 408. Mémoire au ministre des cultes 320. — 409. Instruction,
,
322. — 410. Examen et jugement, 322. — 411. Observations générales,
324. — 412. Droit comparé : Belgique, 328; — 413. Suède et Norwège,
329; — 414. Russie, 330; — 415. Angleterre, 331 ; — 416. Allemagne,
341.

CHAPITRE DIXIÈME.

Liberté d'enseignement (417-453) 351-387
417. Division du sujet, p. 352.— 418. Liberté d'enseigner, d'après la Cons-
titution de 1791 et la législation de l'Assemblée législative, 352. — 419.
Suite. Constitution de 1793, 353. — 420. Suite. Constitution du 5 fruc-
tidor an III, 353. — 421. Suite. Constitution consulaire et législation
impériale. Restauration, 353. — 422. Suite. Charte de 1830, 354. —
423. Division de l'enseignement en trois degrés, 354. — 424. Enseigne-
ment primaire. Conditions requises pour se livrer à l'enseignement pri-
maire, 354. — 425. Opposition par le préfet à l'établissement d'une
école primaire, 356.
— 426. Les peines qui punissent l'ouverture d'une
école sans déclaration s'appliquent-elles à l'enseignement de famille?
357. — 427. Surveillance du ministère public. Mesures disciplinaires,
358. — 428. Conditions pour ouvrir un pensionnat primaire, 358.
429. Enseignement primaire des filles, 359. Écoles mixtes pour
— 430.
les deux sexes, 360. — 431. Salle d'asile et ouvroirs, 360.
— 432.
Enseignement secondaire, 361. — 433. Formalités à remplir en cas de
translation de l'établissement dans un autre local, 363. — 434. Sup-
pression du certificat d'études, 364. — 435. Surveillance de l'enseigne-
ment, 364. — 436. Écoles secondaires ecclésiastiques, 364. — 437. Col-
lation des grades, 365. — 438-439. Instruction primaire obligatoire,
366-369. — 440-441. Suite. Discussions législatives sur le principe de
l'obligation, 371-372. —442. Suite. Objection de M. de Falloux, 373.
— 443. Suite. Objection de M. Guizot, 373. — 444. Condamnation du
système de l'instruction primaire gratuite, 373. — 445. Droit comparé :
Belgique, 374 ;
— 440. Hollande, 376 ; — 447.
Angleterre, 379 ; — 448.
États-Unis d'Amérique, 380; Suisse
— 449. Allemagne, 381; — 450. ,
384; —451.Espagne, 385; — 452. Portugal, 386; — 453. Italie, 387.
B. - III. 33
514 TABLE DES MATIERES.
Pages.
CHAPITRE ONZIÈME. — Liberté de l'industrie et du travail (454-468).. 388-409
454. Régime antérieur à 1789. Jurandes et maîtrises. Lieux privilégiés.
Fabrication royale. Compagnonage. Damnation des ateliers et des villes,
388. 455. Origine des jurandes et maîtrises. Etienne Boileau. L'ins-
p. —
titution des jurandes et maîtrises fut un progrès relatif, 391. — 456.
Édit de Turgot. Remontrances du Parlement, 392. — 457. Suite. Chute de
Turgot. Édit de 1779, 393. — 458. Révolution de 1789. Loi des 2-17
mars 1791, 394. — 459. Attaques au principe de la libre concurrence,
395 — 460. Restrictions. Professions d'imprimeur et de libraire et
autres professions réglementées, 395. — 461. Monopole de l'État, 396.
— 462. Boulangerie et
boucherie. Taxe municipale, 396. — 462 bis. Con-
ventions contraires à la liberté du travail et de l'industrie, 397. — 463.
Droit comparé : Espagne, 398; — 464. Angleterre, 400; — 465. Alle-
magne, 404; — 466. Luxembourg, 406; — 467. Suisse. Thurgovie,
406; —468. Norwège, 409.
CHAPITRE DOUZIÈME. — Liberté de réunion et d'association (469-486). 410-433
469. Distinction entre la réunion et l'association, p. 410. — 470. Historique
du droit de réunion depuis 1789, 411. — 471. Différences entre le sys-
tème du Code pénal et celui de la loi du 10 avril 1834, 415. — 472. Réu-
nions après la révolution de Février. Loi du 28 juillet 1848, 416. — 473.
Décret du 25 février 1852. Loi du 6 juin 1868 et loi du 30 juin 1881,
417. — 474. Clubs, 419. — 475. Associations religieuses, 420. — 476.
Des établissements de mainmorte dans l'ancien droit. Édit de 1749, 421.
— 477. Des établissements d'utilité publique
suivant la législation ac-
tuelle, 422. — 478-479. Le pouvoir d'autoriser la formation des congré-
gations religieuses emporte-t-il celui d'en ordonner la suppression. Quid
des biens appartenant aux congrégations supprimées? 425-426. — 480.
Réunions dans les rues ou attroupements, 428. — 481. Droit comparé:
Espagne, 429; — 482. Belgique, 430; — 483. Angleterre, 430; — 484.
Allemagne, 432; — 485. États-Unis, 432; — 486. Bulgarie, 433.
CHAPITRE TREIZIÈME. Droit de pétition (487-493) 434-442

487. Droit de pétition. Pétitions sous la Constitution du 14 janvier 1852,
p. 434. — 488. La Constitution du 14 janvier 1852 n'a fait que changer
les autorités compétentes pour statuer sur les pétitions. Elle n'a pas
modifié les règles sur la matière du pétitionnement. Les pétitions faites
collectivement sont toujours prohibées, 437. —489. Des effets que peut
produire la pétition, 438. — 490. Le Sénat ne pouvait annuler ni un
arrêt, ni un décret du Conseil d'État en matière contentieuse, 438.—
491. Le Sénat actuel ni la Chambre des députés n'ont le pouvoir d'an-
nulation, 439. — 492. Droit comparé : Belgique, 440; — 493. Angle-
terre, 440.
CHAPITRE QUATORZIÈME.
— Gratuité et publicité de la justice (494-
501) 443-452
494. Le principe de la gratuité est conciliable avec le paiement des frais
de procédure par les parties. La loi moderne n'a eu pour objet que la
suppression des épices, p. 443.— 495-496. Du principe : « Nul ne peut
TABLE DES MATIÈRES. 515
Pages.
être distrait de ses juges naturels, » 444-445. — 497. Ce principe fait-il ob-
stacle à ce que le délinquant soit jugé par un tribunal créé postérieu-
rement à la perpétration du fait incriminé? 446. — 498. Publicité des
débats, 447. — 499. Audiences administratives. Conseil d'État. Conseils
de préfecture, 448. — 500. Droit comparé : Belgique, 450; — 501.
Angleterre, 451.
CHAPITRE QUINZIÈME.
— Vote de l'impôt et des dépenses publiques
(502-519) 453-472
502. Vote de l'impôt avant 1789, p. 454. — 503. De la résistance des Par-
lements et de l'esprit dans lequel elle était faite, 455. — 504. Vote de
l'impôt et des dépenses suivant le droit moderne, 456. — 505. Vote des
dépenses antérieur au vote des impôts, 457. — 506. Constitutions du
3 septembre 1791 et du 24 juin 1793, 457. — 507. Constitution du
5 fructidor an III, art. 303 et 318, 457.
— 508. Constitution consulaire
du 22 frimaire an VIII, art. 45, 458. — 509. Restauration. Loi du 25
mars 1817, 458. — 510. Suite. Ordonnance du ler septembre 1827, 459.
— 511. Gouvernement de Juillet. Loi du 29 janvier 1831, 460. —512.
Empire. Sénatus-consulte du 25 décembre 1852, 460. — 513. Sénatus-
consulte du 31 décembre 1861, 462. — 514. Virements. Crédits supplé-
mentaires et extraordinaires, 463. — 515. Impôts indéterminés, 464.—
516. Droit comparé : Belgique, 466; — 517. Angleterre, 467; —518.
Allemagne, 469; — 519. Espagne, 472.
CHAPITRE SEIZIÈME.
— Responsabilité des agents du gouvernement
(520-540) 473-498
520. Consécration du principe de la responsabilité des fonctionnaires par
le décret du 13 juillet 1789 et la Constitution du 3 septembre 1791, p. 473.
— 521. Code pénal, 474. — 522. Article 75 de la Constitution du 22
frimaire an VIII. Son abrogation par le décret du 19 septembre 1870.
Interprétation de l'article 75 comme s'il était encore en vigueur, 475. —
523. Cet article ne s'appliquait pas aux ministres, 477. — 524. Que
faut-il entendre par ces mots : agents du gouvernement? 478. — 525. La
garantie appartenait-elle aux maires comme administrateurs de la com-
mune? 482. — 526. Quid des personnes composant les corps délibé-
rants de l'ordre administratif? 482. — 527. Quid des membres du Con-
seil d'État et des conseils de préfecture? 483. — 528. La garantie pro-
tégeait le fonctionnaire après la cessation des fonctions et même les
héritiers, s'ils étaient poursuivis pour faits de leur auteur relatifs aux
fonctions administratives, 484. — 529. La garantie s'appliquait aux faits
connexes à l'exercice des fonctions, 485. — 530. La garantie s'appli-
quait aux poursuites criminelles intentées par le ministère public et
aux actions civiles des particuliers. Elle constituait un moyen d'ordre
public pouvant être proposé en tout état de cause, devant la Cour de
cassation et même d'office, 485. — 531. Dispositions exceptionnelles
touchant les receveurs des deniers publics, 488. — 532-534. Disposi-
tions exceptionnelles. Suite. Délégation aux directeurs généraux? 488-
490. — 534 bis. Décret du 19 septembre 1870, 491. — 535. L'autori-
516 TABLE DES MATIERES.

Pages,
sation préalable n'était pas exigée pour les poursuites ordonnées par le
Chef de l'État, 492. — 536. Droit comparé : Angleterre, 493; — 537.
États-Unis, 495;
— 538. Belgique, 495; — 539. Espagne, 495; —
540. Allemagne, 497.

CHAPITRE DIX-SEPTIÈME.
— Séparation des pouvoirs (541-548) 499-506

BAR-LE-DUC. — IMPRIMERIE COMTANT-LAGUERRE.

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