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La Presomption Dinnocence Dans Le Discou PDF

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UNIVERSITÉ DE PERPIGNAN VIA DOMITIA

FACULTÉ DE DROIT ET DES SCIENCES ÉCONOMIQUES

THÈSE
Pour obtenir le grade de docteur en droit de l’Université de Perpignan

Discipline : droit privé et sciences criminelles

Présentée et soutenue publiquement

par :

Edith GUILHERMONT

Le 22 septembre 2006

TITRE :

LA PRÉSOMPTION D’INNOCENCE
DANS LE DISCOURS DOCTRINAL

Directeur de thèse :

M. Alain SÉRIAUX, professeur à l’Université de Perpignan Via Domitia

Membres du jury :

M. Philippe BONFILS, professeur à l’Université Paul Cézanne – Aix-Marseille III

M. Jean-Marie CARBASSE, professeur à l’Université de Montpellier 1

Mme Christine LAZERGES, professeur à l’Université de Paris I – Panthéon-Sorbonne

M. Emmanuel PUTMAN, professeur à l’Université Paul Cézanne – Aix-Marseille III


REMERCIEMENTS

Je tiens tout d’abord à remercier M. Le professeur Alain SÉRIAUX d’avoir bien voulu
accepter de diriger mes recherches, mais aussi pour la totale liberté et confiance qu’il m’a
accordées tout au long de la réalisation de ce travail.

Mes remerciements s’adressent également à MM. Les professeurs, Emmanuel PUTMAN


(Université Paul Cézanne d’Aix-en-Provence), Michel VAN DE KERCHOVE (Facultés
universitaires Saint-Louis de Bruxelles), Philippe BONFILS (Université Paul Cézanne d’Aix-
en-Provence) et Mathieu DEVINAT (Université de Sherbrooke, Québec), qui ont consacré de
leur temps à m’écouter, et dont tous les conseils et remarques ont pu être très utiles.

Je remercie vivement les membres du département de droit privé de l’Université de


Perpignan pour leur si agréable accueil.

Mes plus chaleureux remerciements à Mlle Laurence JANNI, pour sa patience, son soutien,
sa confiance et son aide.

Merci enfin à M. Ulrich GRIEB et Mlle Sophie CHATAIGNIER, pour leur précieuse
contribution dans la traduction de la littérature allemande, ainsi qu’à M. et Mme Michel
GARCIN (Université Paul Cézanne d’Aix-en-Provence) pour leur disponibilité, leurs
encouragements et leur aide.

3
ABRÉVIATIONS

AP Archives parlementaires
adde Ajoutez
AFDP Association française de droit pénal
AJ Pénal Actualité juridique pénal
AN. Assemblée nationale
Arch. phil. dr. Archives de philosophie du droit
Arch. polit. crim. Archives de politique criminelle
Art. Article
Bull. Bulletin des arrêts de la Cour de cassation
CA Cour d’appel
Cass. civ. Chambre civile de la Cour de cassation
Cass. crim. Chambre criminelle de la Cour de cassation
CE Conseil d’État
Chron. ou Chr. Chronique
Comm. Commentaire
Comp. Comparer
Conv. EDH Convention européenne des droits de l’homme
Cour EDH ou CEDH Cour européenne des droits de l’homme
CPP Code de procédure pénale
CRFPA Centre régional de formation professionnelle des avocats
D. Recueil Dalloz
doct. Doctrine
DP Dalloz périodique
Dr. pén Droit pénal
éd. Édition
ENM École nationale de la magistrature
Gaz. Pal. Gazette du palais
infra Ci-dessous
J.-Cl. Civil Juris-classeur civil
J.-Cl. Procédure pénale Juris-classeur de Procédure pénale
JCP. Juris-classeur périodique (La semaine juridique)
JO Journal officiel
L. Loi
n° Numéro
op. cit. Déjà cité
PA. Les petites affiches
PUAM Presses universitaires d’Aix-Marseille
PUF Presses universitaires de France
Pulim Presses universitaires de Limoges
Rép. Pén. et Proc. Pén. Répertoire de droit pénal et de procédure pénale Dalloz
Rev. dr.pén. et crim. Revue de droit pénal et de criminologie
Rev. gén. du droit. Revue générale du droit
Rev. hist. droit. Revue d’histoire du droit
Rev. int. crim. et pol. techn. Revue internationale de criminologie et de police technique
Rev. int. dr. comp. Revue internationale de droit comparé
Rev. int.dr.pén. Revue internationale de droit pénal
Rev. pénit. dr. pén. Revue pénitentiaire et de droit pénal
Rev. sc.crim. Revue de science criminelle et de droit comparé
Rev. sociétés Revue des sociétés
Rev. trim.dr.civ. Revue trimestrielle de droit civil
RJPF Revue juridique personnes et famille
RRJ. Revue de la recherche juridique, droit prospectif
s. Suivant
somm. comm. Sommaires commentés
supra Ci-dessus
T. Tome
TGI Tribunal de grande instance
Trib. Corr. Tribunal correctionnel
V. Voir
v° Verbo (mot)
vol. Volume

5
SOMMAIRE

INTRODUCTION....................................................................................................................... 9

PREMIÈRE PARTIE : L’OBJET DANS LE DISCOURS ................................................... 41

TITRE 1 : L’ABSENCE DE LA PRÉSOMPTION D'INNOCENCE DANS LE DISCOURS DOCTRINAL JUSQU’À LA


e
FIN DU XIX SIÈCLE ................................................................................................................................... 43

Chapitre 1 : La doctrine pénale de l’ancien droit et la protection de l’innocence .......................... 45

Chapitre 2 : La doctrine du droit pénal moderne ............................................................................ 71

TITRE 2 : L’ÉMERGENCE DE LA PRÉSOMPTION D'INNOCENCE COMME OBJET DE DISCOURS AU XXe


SIÈCLE ....................................................................................................................................................... 93

Chapitre 1 : L’introduction de la présomption d'innocence dans le discours doctrinal .................. 95

Chapitre 2 : La consécration de la présomption d'innocence en tant qu’objet de discours........... 127

DEUXIÈME PARTIE : LE DISCOURS SUR L’OBJET ................................................... 167

TITRE 1 : L’INTERPRÉTATION DOCTRINALE DES SOURCES DE LA PRÉSOMPTION D’INNOCENCE ........ 169

Chapitre 1: La Révolution : source historique de la présomption d’innocence............................. 171

Chapitre 2 : Le discours sur les sources positives ......................................................................... 215

TITRE 2 : SIGNIFICATION ET FONDEMENT DE LA PRÉSOMPTION D’INNOCENCE DANS LE DISCOURS


DOCTRINAL .............................................................................................................................................. 305

Chapitre 1: La signification de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal............... 307

Chapitre 2 : Discours doctrinal et fondement de la présomption d’innocence .............................. 407

CONCLUSION........................................................................................................................ 467

BIBLIOGRAPHIES................................................................................................................ 475
-I- CORPUS DOCTRINAL DE RÉFÉRENCE ................................................................................................. 477
-II- BIBLIOGRAPHIE GÉNÉRALE ............................................................................................................. 493
INDEX DES MATIÈRES....................................................................................................... 507
INDEX DES NOMS PROPRES ............................................................................................ 509
TABLE DES MATIÈRES ...................................................................................................... 511

7
INTRODUCTION

1. Perspectives de la présomption d’innocence. La France, pays des droits de l’homme,


reconnaît, affirme et consacre la présomption d’innocence en droit positif. Pourtant, en
évoquant le titre de son sujet de thèse : La présomption d’innocence dans le discours
doctrinal, on parvient à susciter étonnement et incrédulité dans son entourage. Le profane,
ne retenant que la première partie de l’intitulé du sujet, pose alors cette question : comment,
la présomption d’innocence ? N’est-on pas plutôt présumé coupable en France ? La
question est embarrassante et la réponse malaisée. Si le juriste n’hésite pas à affirmer que
l’existence de la présomption d’innocence en droit français est certaine et ancienne, il peine
en revanche à convaincre ses concitoyens de cette réalité. La récente affaire d’Outreau et les
multiples suites médiatiques auxquelles elle a donné lieu, ont sans doute encore davantage
renforcé l’opinion négative des français. Elle s’explique en grande partie par l’ignorance de
la signification juridique de la présomption d’innocence. Il n’est en effet pas aisé de
concevoir le sens de cette règle pendant qu’un journaliste annonce, par exemple, la mise en
examen d’un « présumé » pédophile. En spécialiste qui connaît les subtilités des
dispositions relatives à la présomption d’innocence, le juriste dira qu’il n’y a pas d’atteinte à
la présomption d’innocence dans cet exemple. Manifestement, la maîtrise du savoir
juridique bouleverse la perspective. C’est ce savoir qui doit alors retenir toute notre
attention.

2. Que sait-on de la présomption d’innocence ? À en juger par l’abondante littérature


juridique traitant de la question, on pourrait imaginer que ce savoir est grand. En réalité, la
réponse est probablement très variable et fonction de ceux à qui la question est adressée.
Elle dépend des connaissances dont chacun dispose, particulièrement en matière de droit
pénal. Une chose paraît néanmoins à peu près certaine : l’acquisition de connaissances
juridiques relatives à la présomption d’innocence passera par la consultation des ouvrages
spécialisés dans lesquels cette notion est exposée, étudiée, expliquée. Qu’il s’agisse alors de
recourir à des traités, des manuels, des monographies, des encyclopédies et répertoires, ou
encore à un simple dictionnaire juridique, c’est toujours au savoir doctrinal que l’on se
référera. Pour n’être pas exclusif d’une consultation de la loi ou de la jurisprudence, ce
recours au savoir doctrinal semble procéder d’un élan de spontanéité guidé par le sentiment
que toute démarche de connaissance du droit débute par une consultation de la littérature
juridique avant de s’intéresser aux données brutes du droit positif. Quand bien même la
démarche consisterait tout d’abord à se plonger dans cette masse considérable de données

9
La présomption d’innocence dans le discours doctrinal

légales et jurisprudentielles relatives à la présomption d’innocence, elle ne pourrait éviter,


dans un second temps, de se tourner vers la littérature juridique.

C’est dire l’importance de cette littérature dans la connaissance du droit en général, et de


la présomption d’innocence en particulier. La doctrine pénaliste apparaît ainsi la mieux à
même de produire et d’exposer un savoir sur la présomption d’innocence. C’est d’ailleurs
ce qu’elle a fait, offrant depuis plus de trente ans des analyses publiées sous toutes les
formes que connaît la littérature juridique.

3. Littérature juridique et doctrine. Lorsqu’on parle de littérature juridique, on pense plus


spécialement à la doctrine juridique. Le terme de doctrine est bien connu des juristes
français et désigne, selon la définition qu’en donne le Vocabulaire juridique, aussi bien
l’ensemble des ouvrages juridiques que l’ensemble des auteurs de ces ouvrages 1. La
doctrine ne semble plus vraiment appréhendée selon sa définition première, qui demeure
toutefois valable, et qui en faisait l’opinion communément professée par ceux qui
enseignent ou écrivent sur le droit. Le concept de doctrine est, depuis une quinzaine
d’années, l’objet d’un intérêt tout particulier que l’on pourrait croire tourner à l’obsession.
On a ainsi vu paraître de nombreuses études la prenant pour objet principal ou secondaire de
réflexion et proposant de définir le concept ou d’explorer tel ou tel aspect de l’activité
doctrinale 2.

1
G. CORNU (dir.), Vocabulaire juridique, Paris, PUF, Quadrige, 2003, v° Doctrine, sens 2 et 3.
2
On peut se convaincre de l’ampleur de cet intérêt pour la doctrine grâce à un aperçu, non exhaustif, des
études publiées : A. BERNARD et Y. POIRMEUR (dir.), La doctrine juridique, Paris, PUF, 1993 ; Doctrine et
recherche en droit, Droits, n° 20, 1994 ; E. PICARD, « Science du droit » ou « doctrine juridique »,
in L’unité du droit, mélanges en hommage à R. DRAGO, Paris, Economica, 1996, p.119; PH. JESTAZ et CH.
JAMIN, L’entité doctrinale française, D. 1997, p. 167 ; L. AYNÈS, P.-Y. GAUTIER et F. TERRÉ, Antithèse
de « l’entité », D. 1997, p. 230 ; F. OST et M. VAN DE KERCHOVE, La doctrine entre « faire savoir » et
« savoir-faire », Annales de droit de Louvain, 1997-1, p. 31; M. BOUDOT, Le dogme de la solution unique
(contribution à une théorie de la doctrine en droit privé), thèse Aix-Marseille III, 1999 ; N. MOLFESSIS,
Les prédictions doctrinales, in L’avenir du droit, mélanges en l’hommage de F.TERRÉ, Paris, PUF, Dalloz
et Juris-classeur, 1999, p.145 ; PH. MALAURIE, La pensée juridique du droit civil au XXe siècle, JCP.
2001 I 283; P.-Y. GAUTIER, Les articles fondateurs (Réflexions sur la doctrine), in Le droit privé français
à la fin du XXe siècle, études offertes à P. CATALA, Paris, Litec, 2001, p. 255 ; A. SUPIOT, Grandeur et
petitesses des professeurs de droit, Les cahiers de droit, Université de Laval, Québec, septembre 2001 ; J.
GHESTIN, Les données positives du droit, Rev.trim.dr.civ., 2002, n° 1, p.11; J. CHEVALLIER, Doctrine
juridique et science juridique, Droit et société, n° 50, 2002, p.103 ; N. HAKIM, L’autorité de la doctrine
civiliste française au XIXe siècle, Paris, LGDJ, 2002 ; P.-Y. GAUTIER, L’influence de la doctrine sur la
jurisprudence, D. 2003, p. 2839 ; N. MOLFESSIS, La controverse doctrinale et l’exigence de transparence
de la doctrine, Rev.trim.dr.civ., 2003, p. 161 ; A. BÉNABENT, Doctrine ou Dallas ? D. 2005, point de vue,
p. 852.
Néanmoins, on peut aisément considérer que cette tendance à prendre pour objet d’étude l’activité
doctrinale est devenue une mode déjà quelques années auparavant, V. J. GHESTIN et G. GOUBEAUX,
Traité de droit civil, Introduction générale, Paris, LGDJ, 4e éd., 1994, n° 573 et notes.
Parallèlement, on pourra s’étonner de la disparition récente de la rubrique « doctrine » dans le Répertoire
civil Dalloz.

10
Introduction

Dernièrement, les professeurs Philippe Jestaz et Christophe Jamin y ont consacré un


ouvrage tout entier qui paraît désormais constituer la référence en la matière 3. Mieux, il
semblerait que les auteurs aient eu pour ambition de proposer la première théorie de la
doctrine 4. MM. Jestaz et Jamin ont choisi pour titre de leur ouvrage « La doctrine »,
marquant d’emblée le caractère unitaire de leur objet d’étude, unité qu’ils défendent
d’ailleurs tout au long de leur propos en démontrant qu’il existe une entité doctrinale. Cet
ouvrage, qui a été plutôt favorablement accueilli, offrirait donc une histoire et une réflexion
générales sur la doctrine, indépendamment des branches du droit dans lesquelles l’activité
doctrinale se déploie. Pourtant, malgré cette volonté d’embrasser la doctrine dans son
ensemble, les conclusions auxquelles parviennent les auteurs ne concernent en réalité que la
doctrine civiliste, dont l’analyse fournit l’essentiel des exemples développés. Il est vrai que
chemin faisant, les auteurs relèvent et développent les spécificités de la doctrine publiciste,
en particulier du droit administratif, mais raisonnent, pour l’essentiel, sur la doctrine
civiliste.

Ainsi ne trouve-t-on aucun développement spécifique à la doctrine juridique du droit


pénal. Cet effacement des pénalistes lorsqu’il s’agit de s’interroger sur l’identité, la
méthode ou encore la valeur de la doctrine, n’est pas nouveau. On observe en effet
qu’aucune des études précédemment citées ne l’a jamais prise ni pour objet, ni pour
exemple. Là encore, les interrogations qui ont été formulées ont majoritairement concerné
les privatistes et assez peu la doctrine publiciste 5. On s’est par exemple intéressé à la
doctrine en droit du travail 6, en droit administratif 7, en droit commercial et des affaires 8 ou
encore en droit constitutionnel 9. Mais la doctrine pénaliste est demeurée la grande absente
de ces réflexions sur la doctrine.

4. L’apparent désintérêt pour la doctrine pénaliste. Le désintérêt n’est pas total


puisqu’en réalité il existe plusieurs études relevant de l’histoire du droit qui se sont

3
PH. JESTAZ et CH. JAMIN, La doctrine, Paris, Dalloz, 2004. Pour une présentation et une appréciation de
cet ouvrage, V. notamment, G. GOUBEAUX, Il était une fois…la Doctrine, Rev.trim.dr.civ., 2004, p. 239 et
P. MORVAN, La notion de doctrine (à propos du livre de MM. Jestaz et Jamin), D. 2005, p. 2421.
4
PH. JESTAZ et CH. JAMIN, La doctrine, op. cit., p. 3.
5
V. le numéro 20 de la revue Droits de 1994 consacré à la doctrine et dans l’ouvrage collectif intitulé La
doctrine juridique, op. cit., publié en 1993 sous la direction de A. BERNARD et Y. POIRMEUR. On peut
également ajouter, pour les plus récentes, les études de J. CHEVALLIER, Doctrine juridique et science
juridique, op. cit., et celle de J.-L. PECCHIOLI, La circulation du savoir juridique, thèse, Aix-Marseille III,
2000, qui raisonnent sur la doctrine publiciste.
6
J.-C. JAVILLIER, La doctrine en droit du travail, in B. TEYSSIÉ (dir.), Les sources du droit du travail,
Paris, PUF, 1998, p. 39.
7
J.-J. BIENVENU, Remarques sur quelques tendances de la doctrine contemporaine en droit administratif,
Droits, n° 1, 1985, p. 156.
8
P. DIENER, Pathologie juridique et doctrine universitaire en droit des affaires, D. 1997. chr. p. 147.
9
J. GUYADER, Existait-il une doctrine commercialiste dans l’ancienne France ? in CURADP-CHDRIP,
La doctrine juridique, op. cit., p. 77 et dans le même ouvrage, La Constitution du droit ? La doctrine
constitutionnelle à la recherche de la légitimité juridique et d’un horizon pratique, p. 210.

11
La présomption d’innocence dans le discours doctrinal

spécialement intéressées 10 à la doctrine pénale. Mais précisément, ces études envisagent


toutes la doctrine pénale à une époque lointaine et l’on pourrait alors se demander si elle n’a
pas depuis disparu. L’hypothèse n’est pas totalement saugrenue si l’on apporte une
précision indispensable à sa compréhension. En effet, à l’instar de la doctrine tout court, la
doctrine pénale n’échappe pas à la question récurrente de savoir si elle constitue une source
du droit. Or, André Laingui a longuement développé l’idée qu’aux XVIe et XVIIIe siècle la
doctrine était une véritable source du droit pénal, qui dominait la jurisprudence et ordonnait
les multiples autres sources de l’ancien droit. Le poids des anciens criminalistes aurait pesé,
explique l’auteur, jusqu’à la fin du XIXe siècle, jusqu’à ce que le pouvoir des juges se
reconstitue. À partir de cette époque, la doctrine cessera d’être prédominante, s’effacera
derrière la jurisprudence et les codes.

On serait alors tenté d’en conclure que l’étude de la doctrine ne présente d’intérêt qu’à
partir du moment où il est possible de lui reconnaître une place au sein de la théorie des
sources du droit, c'est-à-dire dès lors qu’il serait possible de mesurer son influence dans
l’élaboration et la transformation du droit. Il n’y aurait du reste rien d’étonnant à cela dès
lors que le concept même de doctrine ne se comprend, tant dans son élaboration que dans sa
signification, qu’au regard de la théorie des sources du droit. Pourtant, l’argument ne
convainc pas vraiment et ce pour deux raisons. Tout d’abord, il est généralement admis que
la doctrine n’est pas une source du droit, simplement une autorité, au mieux une source
indirecte, ce qui n’a pourtant pas empêché de s’y intéresser jusqu’à aujourd’hui. Si la
doctrine pénaliste du XXIe siècle n’a plus l’aura dont elle pouvait jouir voilà trois siècles et
qu’elle n’est finalement plus la source prédominante du droit pénal, cela ne paraît pouvoir
suffire à expliquer que son existence et son rôle soient passés sous silence. Ensuite, il ne
serait pas raisonnable de douter de l’existence d’une doctrine juridique dite « du droit
pénal ». En effet, que l’on entende la doctrine comme un ensemble d’ouvrages ou comme
un ensemble d’auteurs, il est aisé d’identifier, au sein de la doctrine générale, une doctrine
spécifiquement pénale composée de nombreux spécialistes de cette matière et auteurs d’une
littérature abondante. Il est donc très curieux que les pénalistes se soient détournés d’une
réflexion sur leur propre communauté. La tentation de considérer que la doctrine pénaliste
est soluble dans la doctrine, entendue de façon générale, doit sans doute être évitée. Ce
serait plutôt ses spécificités et l’idée qu’elle se fait d’elle-même qui pourraient expliquer ce

10
Par exemple : Y. BONGERT, Le juste et l’utile dans la doctrine pénale de l’Ancien Régime, Arch. Phil.
dr., 1982, t. 27, p. 291; A. LAINGUI, La doctrine européenne du droit pénal à l’époque moderne (XVIe-
XVIIIe siècle), Revue d’histoire des facultés de droit et de la science juridique, 1992, n° 13, p. 75 ; G.
SICARD, Doctrine pénale et débats parlementaires, la reformation du Code pénal en 1831-1832, Revue
d’histoire des facultés de droit et de la science juridique, 1993, n° 14, p. 137; B. DURAND, Arbitraire
juridique et « consuetudo delinqui » : la doctrine pénale en Europe du XVIe au XVIIIe siècle, Société
d’histoire du droit et des institutions des anciens pays de droit écrit, Montpellier, 1993 ; A. ASTAING,
Droits et garanties de l'accusé dans le procès criminel d'Ancien Régime, PUAM, 1999.

12
Introduction

silence. Reste qu’il s’agit là d’un terrain d’étude inexploré et qu’une image de la doctrine
pénaliste demeure à découvrir.

5. Découvrir la doctrine pénaliste. Que cette partie de la doctrine juridique présente une
véritable spécificité par rapport à la doctrine privatiste ou qu’au contraire elle puisse être
largement caractérisée à partir des éléments généraux dégagés notamment par MM. Jestaz
et Jamin, l’intérêt de la prendre pour objet d’étude paraît réel. Étudier ce que serait la
doctrine pénaliste suppose tout d’abord d’observer comment les pénalistes abordent cette
question de leur identité. Or, on remarque sans difficulté que lorsque les pénalistes évoquent
la pensée ou les travaux d’autres auteurs, ils emploient bien le terme de doctrine. Il y a donc
là, à la fois une preuve de l’existence d’une doctrine pénaliste et une invitation à découvrir
ce qu’elle est, ce qu’est son rôle, la manière dont elle le conçoit et l’assume.

Toutefois, le point de vue interne serait insuffisant à donner une image de la doctrine.
Parce que la doctrine juridique se situe « entre faire savoir et savoir-faire», étudier son
activité apparaît comme la meilleure façon de la connaître. MM. Jestaz et Jamin confirment
cette idée en relevant que ce sont « les activités auxquelles la doctrine se livre qui dessinent
sa physionomie propre ». Ainsi, qu’elle s’emploie à faire connaître le droit par ses
enseignements ou qu’elle emploie ses efforts à la recherche sur le droit, la doctrine se situe
dans le registre de l’action. Or « l’être et l’agir de la doctrine » se manifestent sans aucun
doute à travers les écrits 11. Ce qui nous est donné à voir de cette activité n’est ainsi
observable qu’à travers la production doctrinale, autrement dit la littérature juridique. Cette
littérature n’est pas seulement un ensemble identifiable d’ouvrages, elle est surtout
l’expression d’un discours sur le droit, et pour ce qui nous intéresse ici, d’un discours
doctrinal sur le droit pénal. Si étudier le discours de la doctrine s’avère la méthode de
recherche la plus fructueuse pour mieux connaître la doctrine du droit pénal, embrasser
l’ensemble de ce discours n’en apparaît pas moins une tâche d’une ampleur trop
considérable. Plus modestement, il semble que les mêmes objectifs pourraient être atteints
en ne considérant qu’un champ déterminé de ce discours. C’est la raison pour laquelle le
choix a été fait d’envisager ce discours en le limitant à un de ses objets particuliers, à une
des nombreuses notions étudiées par les pénalistes, en l’occurrence la présomption
d’innocence.

Ne vouloir envisager que le discours doctrinal relatif à la présomption d’innocence ne


relève pas pour autant d’un choix arbitraire et c’est ce qu’il conviendra d’expliquer.
Toutefois, il est auparavant nécessaire de préciser la démarche suivie en indiquant ce que
l’on retiendra de la définition de la doctrine juridique et de ses fonctions. Puisque les
pénalistes admettent, même très discrètement, que l’on puisse parler d’eux en terme de

11
PH. JESTAZ et CH. JAMIN, La doctrine, op. cit., p. 170.

13
La présomption d’innocence dans le discours doctrinal

doctrine, il est permis d’utiliser les connaissances générales sur le concept de doctrine et de
les transposer à leur communauté, quitte à relever ensuite des particularités propres à cette
branche de la doctrine juridique. Ainsi se propose-t-on, à titre liminaire, de jeter un regard
sur les éléments essentiels à la compréhension de ce qu’est la doctrine (Section 1) puis de
justifier et d’expliciter le choix de limiter cette étude au seul discours doctrinal prenant pour
objet la présomption d’innocence (Section 2).

14
Introduction

SECTION 1 : REGARD SUR LA DOCTRINE

6. Optique choisie. La doctrine a fait l’objet d’études très diverses dont les ambitions
étaient elles même parfois très différentes. Il s’agira ici de ne présenter que les éléments ou
les questions qui ont le plus souvent jalonné ces études, il s’agit finalement de ne retenir ici
que les traits qui ont paru les plus saillants, les plus indispensables à une présentation du
concept de doctrine. Or, ce qui peut le plus frapper l’esprit lorsqu’on s’intéresse à la notion
de doctrine, c’est que l’on ne peut la connaître et tenter de la comprendre qu’à partir de ce
qu’elle dit d’elle-même (§1). Ainsi conviendra-t-il de prêter attention à la manière dont elle
se présente en précisant au besoin la conception, parfois plus étendue, que l’on se fera ici de
la doctrine. Ces premières bases posées, il sera alors possible d’esquisser une première
approche de la doctrine pénaliste (§2).

§ 1. LA DOCTRINE PAR ELLE-MÊME

7. De l’autoproclamation à l’autoprésentation. Qu’il s’agisse de s’inquiéter de


l’apparition de ce concept de doctrine ou de déterminer comment se caractérise la doctrine,
c’est toujours à « la vision doctrinale de la doctrine », comme la nomment MM. Jestaz et
Jamin, que l’on a affaire. C’est qu’il faut bien prendre conscience qu’il n’en existe pas
d’autre, comme le soulignent ces auteurs 12. La genèse du concept explique ce regard très
particulier, en miroir, qui confine au narcissisme, voire à l’autocélébration. Il en sera dit
quelques mots (A). Il n’en reste pas moins que les opinions doctrinales sur la doctrine ne
sont pas unanimes. En effet, il existe des controverses, notamment sur son identité ou sur
son statut épistémologique. Toutefois, il est possible d’observer une opinion commune
minimale permettant de caractériser la doctrine dans ses éléments les plus saillants et de
présenter ainsi le contenu du concept de doctrine (B).

A- LE CONCEPT DE DOCTRINE, LA GENÈSE

8. Les origines. Si les professeurs Jestaz et Jamin ont proposé dans leur ouvrage de retracer
les origines historiques lointaines du concept de doctrine pour les rattacher en premier lieu à
Rome, ils ont également su identifier des origines plus proches jusqu’à déterminer le
moment où le concept est réellement apparu. Toutefois, MM. Jestaz et Jamin relèvent trois
réalités distinctes que recouvre, de tous temps, mais seulement pour les pays romanistes, ce

12
PH. JESTAZ et CH. JAMIN, La doctrine, op. cit., p. 9. Ne pourrait-il pas en exister d’autres ? À vrai dire,
on ne voit pas ce qui empêcherait les praticiens ou le législateur, auxquels s’adresse l’œuvre doctrinale,
d’indiquer ce que représente pour eux la doctrine. Il existe sans aucun doute des opinions sur la doctrine
(souvent fort sévères d’ailleurs) qui n’émanent pas de la doctrine elle-même. Il est vrai cependant qu’elles
n’ont encore jamais été regroupées afin de produire une image de la doctrine vue de l’extérieur.

15
La présomption d’innocence dans le discours doctrinal

que nous appelons aujourd’hui la doctrine 13. Tout d’abord il s’agit d’un droit savant. Celui
qui appartient à la doctrine est un « sachant », en l’occurrence celui qui connaît le droit et
qui est consulté pour cela, mais qui n’a pour fonction ni d’édicter la loi, ni de l’appliquer.
Ensuite, la doctrine apparaît comme une source du droit, dans la mesure où son autorité
(scientifique) lui confère le pouvoir d’influer sur les décideurs que sont les juges et les
législateurs et de participer ainsi, quoique de façon indirecte, à la création ou la
transformation du droit. Enfin, la doctrine désigne une collectivité d’auteurs unifiée par une
méthode et un style bien particuliers qui caractérisent ce que l’on nomme la dogmatique
juridique. Ainsi, ces trois réalités ont-elles pu être observées depuis les jurisconsultes du
droit romain jusqu’aux juristes de l’Ancien Régime qui ont participé à l’élaboration du
Code civil.

9. Une prise de conscience récente. La doctrine désigne un concept récent dont


l’apparition a été située, par MM. Jestaz et Jamin, dans une période s’étendant de l’année
1880 à 1920. Ce tournant marque l’instant à partir duquel la doctrine a pris suffisamment
conscience d’elle-même, de son existence et de son pouvoir, pour se désigner ainsi. Avant
cette date, il y avait bien des docteurs, des juristes savants de renom qui ont marqué les
époques, mais pas de doctrine en soi. Au XIXe siècle, même l’activité intense d’exploration
du Code civil à laquelle s’adonnent les docteurs, de plus en plus souvent professeurs, ne
permet pas de parler de « la doctrine ». Il n’est à cette époque encore question que de « la
doctrine des auteurs ». Le concept de doctrine n’a pu faire son apparition qu’après que les
juristes aient tout d’abord donné une importance à la jurisprudence en l’étudiant, la
commentant et la désignant comme telle : « la jurisprudence », ce qui a eu pour effet de
« dynamiser le rôle de la doctrine » 14. Ensuite, le concept de doctrine n’a pu apparaître
qu’après que les auteurs aient fait considérablement descendre la loi de son piédestal. Cette
deuxième condition ne s’est vraisemblablement réalisée qu’avec la parution de Méthode
d’interprétation et sources en droit privé positif de François Gény en 1899, ouvrage par
lequel l’auteur invite les juristes à s’affranchir du Code civil, trop vieux et incapable de
fournir à lui seul les solutions aux problèmes de droit qui se posent au début du XXe siècle.
C'est à partir de cette époque seulement que la doctrine fixe son identité et que s’achève la
formation de ce concept. En effet, l’apparition du concept de doctrine à cette époque, se
réalise et s’observe dans la théorisation des sources normatives du droit. Les juristes
donnent alors une présentation des sources qui confère à la doctrine un statut officiel 15. En
effet, si la doctrine n’apparaît que comme une autorité et non comme une source du droit,
elle n’en est pas moins présentée, à côté de la loi et de la jurisprudence, au sein d’une
13
PH. JESTAZ et CH. JAMIN, La doctrine, op. cit., p. 3 à 9.
14
O. BEAUD, « Doctrine », in ALLAND (D.) et RIALS (S.) (dir), Dictionnaire de la culture juridique, Paris,
PUF, Lamy, 2003.
15
PH. JESTAZ et CH. JAMIN, La doctrine, op. cit., p. 138.

16
Introduction

théorie des sources qui est exposée dans les ouvrages d’introduction au droit. C’est au début
du XXe siècle, expliquent MM. Jestaz et Jamin, que la doctrine se construira la forte identité
que nous lui connaissons désormais. Elle est fondée essentiellement sur le magistère des
professeurs de droit et procède, à cette époque, d’un repli des juristes face à la montée en
puissance des sciences sociales qu’ils craignaient de voir absorber le savoir juridique 16.

10. Une invention française. Parler de doctrine aboutit à désigner une spécificité
hexagonale 17. Les professeurs Jestaz et Jamin y insistent, « la doctrine » est un concept bien
français. Il ne saurait y avoir d’équivalent hors de nos frontières, particulièrement dans les
pays de common law. Les auteurs consacrent d’ailleurs la troisième et dernière partie de
leur ouvrage à l’exposé de ce qu’ils ont appelé « l’anti-modèle américain » dans lequel la
méthode de la dogmatique juridique a été écartée et où les discours sur le droit émanant de
professeurs ne fait pas apparaître ces derniers sous la forme d’un corps structuré et
identifiable. MM. Jestaz et Jamin indiquent que même les juristes allemands ne peuvent
s’identifier au modèle doctrinal français qu’ils décrivent tout au long de l’ouvrage. La
dogmatique pratiquée par « l’école française » se caractériserait par un style bien particulier
que l’on ne retrouve pas outre Rhin où les professeurs de droit auraient un goût bien plus
prononcé pour l’abstraction et une bien moindre aptitude que les français à la clarté et à
l’élégance 18 ; autant de qualités propres à séduire les juristes étrangers qui envient, semble-
t-il, les français.

B- LE CONCEPT DE DOCTRINE, LE CONTENU

11. Éléments de définition. Les définitions de la doctrine, qu’elles relèvent d’une simple
question terminologique ou qu’elles répondent à l’idée que chacun peut se faire de la
doctrine, de ses fonctions, de sa valeur, de son statut, sont donc par nature d’origine
doctrinale. Afin d’avoir une conception la plus large possible et ainsi la plus juste possible
de la doctrine, il a paru opportun de ne pas retenir les opinions qui auraient pour effet
d’appréhender la doctrine de façon par trop restrictive. Ainsi, pourront être dégagés les
éléments qui serviront à définir ce que l’on entendra ici par doctrine. La définition énoncée
dans le Vocabulaire juridique indique trois façons de l’envisager. Une première consiste à
la définir comme l’opinion communément professée par les juristes qui enseignent ou
écrivent sur le droit. Une seconde définition met davantage l’accent sur les auteurs qui
professent ces opinions, tandis qu’une troisième déplace l’attention du côté des supports
16
PH. JESTAZ et CH. JAMIN, La doctrine, op. cit., p. 166.
17
O. BEAUD, « Doctrine », op. cit.
18
PH. JESTAZ et CH. JAMIN, La doctrine, op. cit., p. 10-11. Toutefois, Patrick Morvan estime au contraire
que le modèle doctrinal décrit par ces auteurs aurait pu trouver une assise inespérée dans l’étude du
Professorenrecht allemand. L’auteur souligne à cet effet que la thèse de MM. Jestaz et Jamin se vérifie
peut-être moins bien en France qu’en Allemagne où les professeurs allemands ont davantage de prestige
et d’influence que leurs homologues français, V. P. MORVAN, La notion de doctrine (à propos du livre de
MM. Jestaz et Jamin), op. cit., n° 4.

17
La présomption d’innocence dans le discours doctrinal

matériels où les auteurs expriment ces opinions et envisage la doctrine comme l’ensemble
des ouvrages juridiques, autrement dit la littérature juridique. Ces définitions ne sont pas de
nature à s’exclure les unes les autres. Tout au contraire, elles permettent de dégager quatre
éléments, intimement liés, propres à caractériser la doctrine juridique : des auteurs, des
opinions, une activité et des moyens d’expression. La doctrine ainsi caractérisée, il restera à
s’inquiéter de savoir si elle peut-être assimilée à ce que l’on appelle parfois la science du
droit ou si à l’inverse elle doit en être distinguée.

12. Des auteurs. Il ne fait aucun doute que « la doctrine » désigne des juristes qui ont
également la qualité d’auteurs, c'est-à-dire des personnes qui écrivent sur le droit. L’écriture
est d’ailleurs la manifestation essentielle de l’activité doctrinale. Bien que l’on observe
souvent, à l’instar de MM. Jestaz et Jamin, que l’écrasante majorité de ces auteurs est
constituée d’universitaires de profession, il importe semble-t-il de ne pas exclure de la
doctrine les auteurs qui n’appartiendraient pas à la « corporation »19 des professeurs de
droit. En effet, si la doctrine se caractérise par l’expression d’opinions ou de réflexions sur
le droit, par une littérature le prenant pour objet, il convient d’admettre que puissent être
englobés dans la doctrine juridique les auteurs qui expriment le point de vue de la pratique
du droit 20. Ainsi, ne devraient pas être exclus les avocats, magistrats ou conseillers qui
écrivent sur le droit, dès lors que leur propos est détaché des cas spéciaux traités dans leur
pratique. En outre, il semble qu’il faille également ranger dans la doctrine juridique les
auteurs de thèse de doctorat même si ce type d’écrit peut avoir un statut ambigu dès lors
qu’il est regardé comme le premier des rites de passage permettant, précisément, d’accéder
à la consécration d’auteur de doctrine par les pairs. Toutefois, le fait que le jeune docteur ne
jouisse encore que d’une autorité en puissance et non en acte, ne paraît pas justifier son
exclusion de la doctrine.

13. Des opinions. Qu’il s’agisse de l’opinion unanime des auteurs, de l’opinion
communément professée par les auteurs ou des opinions individuelles émises par tel auteur
en particulier, il semble légitime de les ranger sous la catégorie plus englobante d’opinions
doctrinales. Cependant, toutes les opinions exprimées sur le droit méritent-elles d’être
considérées comme doctrinales ? La question peut se poser au regard de la qualité de
l’auteur, de l’objet de l’opinion aussi bien que de sa nature.

Une conception de la doctrine que l’on pourrait juger quelque peu élitiste tendrait à ne
retenir que les opinions des auteurs qui font autorité. Or, quels sont les auteurs qui font
autorité ? En vérité il n’existe pas de véritable réponse à cette question, elle demeure
relativement mystérieuse. Certes, l’autorité procède du savoir doctrinal, d’un « droit de
19
V. A. SUPIOT, Grandeur et petitesses des professeurs de droit, op. cit.
20
En ce sens, S. CIMAMONTI, in A.-J. ARNAUD (dir.), Dictionnaire encyclopédique de théorie et de
sociologie du droit, Paris, LGDJ, 2e éd., 1993, v° Doctrine.

18
Introduction

parler du droit », mais il est difficile de savoir comment celle-ci est reconnue 21. Seule la
doctrine décide, le plus souvent implicitement, mais parfois explicitement, de la question de
savoir si une œuvre mérite la qualification de « doctrinale ». Apparemment, il ne suffit pas
que les opinions de tel ou tel auteur influencent plus ou moins directement le juge pour que
l’on puisse dire de lui qu’il fait partie de la doctrine 22. S’il n’existe pas de critères
explicitement reconnus comme conférant un caractère doctrinal à une opinion ou plus
largement à une œuvre, il serait possible en revanche de se fier à certains indices. Ainsi,
l’œuvre devrait avoir un certain caractère scientifique, c'est-à-dire ne pas se contenter d’un
exposé des règles légales et jurisprudentielles mais d’en proposer une analyse, un
commentaire, voire une critique à la lumière des besoins sociaux, du droit comparé et autres
données 23. Or, ces critères paraissent d’un côté trop vagues et incertains et de l’autre trop
restrictifs pour pouvoir être retenus ici.

Tout d’abord, on voit mal comment ne faisant pas par hypothèse partie de la doctrine, on
serait en mesure de décider des opinions ou des œuvres qui méritent une telle consécration.
De plus, à qui se fier pour savoir si telle opinion est véritablement doctrinale ? Aussi paraît-
il préférable de s’en tenir à l’opinion ou discours émis sur le droit, sans avoir égard pour sa
qualité 24. Ensuite, si la doctrine se caractérise par l’écriture sur le droit, il ne semble pas
légitime pour nous de distinguer selon qu’il s’agit d’un simple exposé du droit positif ou s’il
s’agit d’une construction savante, réfléchie et approfondie. C’est avant tout le critère de
l’écrit sur le droit que l’on devra appliquer 25.

Ainsi, ne faut-il pas distinguer, a priori, les ouvrages selon qu’ils sont de « véritables »
traités, de « simples » manuels ou encore des cours, mémentos, « Que sais-je ? » et autres
ouvrages sans portée scientifique affichée mais à vocation pédagogique 26. Car si les

21
Pour M. Malaurie, l’autorité doctrinale est tout simplement un mystère. Il n’est ainsi pas aisé de
reconnaître ce qui confère à un auteur de l’autorité. Écartant tour à tour, le conformisme, l’indépendance,
la prolixité et la séduction de la langue, l’auteur affirme une seule certitude : « Il ne peut y avoir
d’autorité dans la médiocrité, la platitude et l’absence de personnalité», La pensée juridique du droit
civil au XXe siècle, JCP. 2001 I 283.
22
On souligne à cet égard que s’il s’agissait du seul critère alors peu d’auteurs se verraient reconnaître la
qualité d’auteurs de doctrine.
23
F. TERRÉ, Introduction générale au droit, Paris, Dalloz, 5e éd., 2000, n° 237.
24
Il ne s’agit pas d’affirmer que tous les discours doctrinaux sur le droit ont une qualité équivalente.
Seulement, il ne semble pas possible d’exclure a priori les œuvres dont on aurait l’intuition qu’elles ont
moins de valeur ou d’autorité que d’autres. A posteriori, il semble néanmoins inéluctable que les simples
présentations du droit positif, qui n’offrent aucune réflexion sur le droit, aucune originalité, seront moins
exploitables, moins riches d’enseignements sur la manière dont se déploie l’activité doctrinale. Mais pour
nous, elles continuent d’appartenir à la doctrine.
25
En somme, et bien que nous admettons l’idée d’une entité doctrinale comme la soutiennent MM. Jestaz
et Jamin, c’est davantage à la traduction matérielle de cette entité que l’on s’attachera ici. Cet
élargissement de la définition de la doctrine rejoint la proposition faite par M. Morvan de définir la
doctrine ratione materiae, V. P. Morvan, La notion de doctrine, op. cit., n° 9.
26
D’ailleurs, les différences terminologiques ne signifient pas grand-chose. Rares sont désormais les
ouvrages à se présenter ouvertement comme des traités tandis que nombre d’autres portent le nom de
manuels ou de précis mais sont considérés, quant à leur contenu, comme de véritables traités. C’est ce que

19
La présomption d’innocence dans le discours doctrinal

premiers ont pour eux d’être généralement de véritables œuvres doctrinales pour leur
hauteur de vue, les derniers n’en sont pas moins des écrits sur le droit et relèvent d’un
exercice délicat qui consiste à ne dire que l’essentiel et de la façon la plus didactique
possible. Or, de tels objectifs ne peuvent être atteints qu’au prix de choix parfois draconiens
quant à savoir notamment ce qui est essentiel et ne l’est pas, choix qui relèvent bien du
savoir doctrinal 27. Pour des raisons du même ordre, les publications dans les revues
juridiques ne seront pas davantage distinguées selon qu’elles constituent une étude
approfondie, une chronique, une simple note de jurisprudence, un billet d’humeur, une
présentation de loi nouvelle ou encore un commentaire « à chaud ».

Un autre critère proposé pour savoir quel auteur ou quel écrit relève de la doctrine paraît
en revanche pouvoir être mis en œuvre ici. Il s’agit d’observer l’utilisation qui est faite du
procédé que MM. Jestaz et Jamin nomment la « citation-incorporation » 28. Il est ainsi
possible à partir de tel ouvrage ou tel article, d’observer les références bibliographiques ou
les citations qui y sont faites pour se faire une idée de ce qui mérite d’être considéré comme
doctrinal. Par ce procédé, expliquent MM. Jestaz et Jamin, l’auteur qui en cite un autre
consacre la valeur de son opinion mais permet également de la faire connaître. Or, cette
diffusion des références doctrinales est d’importance car il est évident que l’auteur qui n’est
pas lu et qui reste méconnu n’aura aucune chance d’appartenir à la doctrine.

Les opinions contenues dans les écrits doctrinaux ne seront donc pas distinguées selon
leur nature, c'est-à-dire qu’elles soient purement descriptives, explicatives, prescriptives,
réflexives, critiques ou encore prospectives. De la même manière, doivent être pris en
compte aussi bien les écrits qui s’inscrivent dans la perspective dite dogmatique que ceux
qui relèveraient davantage de la théorie ou de la philosophie du droit. Car si ces écrits
relèvent d’une démarche différente de la dogmatique, ils continuent de prendre le droit pour
objet. De plus, il n’est pas rare que ce soit les mêmes auteurs qui se livrent à des moments
différents, à l’une ou l’autre de ces activités parfois même au sein d’une même étude.

14. L’activité doctrinale. Cette activité se réalise dans le champ du savoir. La doctrine est
avant tout « un droit savant » enseignent MM. Jestaz et Jamin 29. De son côté, le professeur
Sériaux rappelle que toute doctrine a pour objet de dire ce qui est vrai, et explique que « la

rappellent MM. Jestaz et Jamin. Mais ces auteurs semblent bien quant à eux exclure « le petit manuel
pédagogique, mais peu savant, qui se rapproche déjà du mémento » et que chacun saura distinguer du
véritable traité, La doctrine, op. cit., p. 185 et pp. 187-188 en général sur la distinction entre « la vraie
doctrine et le reste ».
27
On observera que souvent les auteurs de ces petits ouvrages sont par ailleurs reconnus comme membre
de la doctrine. Mais il est vrai que l’on pourrait objecter que si l’auteur est bien membre de la doctrine,
telle ou telle de ses publications ne correspond pas nécessairement à une œuvre doctrinale. Cela dit, ces
ouvrages sont parfois cités dans d’autres qui, quant à eux, répondraient davantage aux critères de l’œuvre
doctrinale, ce qui est une forme de consécration, un signe de reconnaissance d’une valeur minimale.
28
PH. JESTAZ et CH. JAMIN, L’entité doctrinale française, op. cit., p. 174.
29
PH. JESTAZ et CH. JAMIN, La doctrine, op. cit., p. 4.

20
Introduction

doctrine juridique constitue un savoir par excellence » 30 qui vise à « accroître le savoir
d’autrui ». On sait que la doctrine se présente au titre des sources du droit en prenant soin
de se dénier tout rôle créateur de droit, rôle éminent qu’elle réserve à la loi et parfois à la
jurisprudence. En revanche, elle se définit volontiers comme une autorité. Or, cette autorité
ne peut être fondée que sur son savoir. Deux axes majeurs, d’ailleurs très liés, fixent alors
l’activité doctrinale : une activité de connaissance du droit qui a pour finalité la production
d’un savoir et une activité d’enseignement qui a pour objet de transmettre ce savoir.

La doctrine juridique se reconnaît pour mission, pour fonction première, de connaître le


droit et d’en donner une représentation. L’étude approfondie ou encore l’interprétation de la
loi et de la jurisprudence conduit la doctrine à dégager des règles générales, des principes, à
forger des concepts et des théories destinés à aider juges et législateurs à choisir des
solutions justes 31. En outre, la doctrine juridique est ordonnatrice, en ce sens qu’elle
représente le droit sous forme de système et y ordonne les solutions nouvelles afin de
préserver sa cohérence. Interpréter, expliquer, décrire, critiquer, anticiper et représenter,
sont donc les tâches de la doctrine. Son influence sur les autres sources du droit résulte de
ces activités. La doctrine se reconnaît ainsi le pouvoir et le devoir d’influencer le législateur
et la jurisprudence et de favoriser les meilleures solutions possibles 32. Que serait le droit
sans la doctrine ? Il ne s’agirait que d’une juxtaposition d’articles de lois et de décisions
jurisprudentielles répondent MM. Jestaz et Jamin. L’image proposée par ces auteurs pour
illustrer leurs propos permet de saisir la nature et l’importance du rôle joué par la doctrine :
entre ce droit là (celui qui résulte des lois et de la jurisprudence) et celui qui apparaît à la
lecture d’un traité de droit, « il y a la même différence qu’entre un kilo de cerises et le
clafoutis servi au dessert par la maîtresse de maison » 33. Ce travail de mise en ordre des
données positives du droit ne saurait être en effet dévolu ni au législateur, dont la mission
est de légiférer, ni au juge dont la tâche est de trancher les litiges. La connaissance du droit
et sa systématisation sont donc l’œuvre spécifique de la doctrine, dont on a d’ailleurs pu
dire que sans elle « chaque apprenti juriste serait réduit à réinventer le droit » 34.

Très liée à la précédente, la mission d’enseignement marque elle aussi la spécificité de la


doctrine et revêt une grande importance 35. Il s’agit pour les auteurs de « faire savoir », de
faire comprendre 36, de faire connaître le droit. Sans doute ne faut-il pas entendre le mot

30
A. SÉRIAUX, La notion de doctrine juridique, Droits, n° 20, 1994, p. 68.
31
J. GHESTIN et G. GOUBEAUX, Traité de droit civil, Introduction générale, op. cit.
32
J.-L. AUBERT, Introduction au droit, Paris, Armand Colin, 10e éd., 2004, n° 182.
33
PH. JESTAZ et CH. JAMIN, L’entité doctrinale française, op. cit., p. 171.
34
J. GHESTIN, Les données positives du droit, op. cit., n° 31.
35
J. GHESTIN, Les données positives du droit, op. cit., n° 29, l’auteur rejoint ici M. Atias (Épistémologie
juridique, PUF, 1985) pour préciser que l’activité de connaissance et de transmission est la plus spécifique
de la doctrine.
36
F. OST et M. VAN DE KERCHOVE, La doctrine entre « faire savoir » et « savoir-faire », op. cit., p. 32.

21
La présomption d’innocence dans le discours doctrinal

enseignement dans un sens trop restrictif. La doctrine universitaire enseigne le droit aux
apprentis juristes mais la doctrine juridique, parce qu’elle vise à accroître le savoir d’autrui,
s’adresse en réalité à bien d’autres destinataires. À cet égard, on admet d’ailleurs que la
doctrine s’adresse parfois à elle-même 37. Elle s’adresse aussi et surtout aux praticiens du
droit et au législateur 38 qu’elle informe en même temps qu’elle les critique et les incite à
transformer le droit. La doctrine, parce qu’elle détient un savoir qui fait autorité se présente
comme la source de connaissance du droit pour l’ensemble de ces destinataires. Il faut
admettre que, quel que soit le type de discours, descriptif, explicatif, incitatif ou critique, il
contient toujours quelque enseignement, au sens large.

Toutefois, le rôle pédagogique de la doctrine occupe une place à part et mérite


probablement plus d’intérêt que celui qu’on lui accorde habituellement. La doctrine a une
mission d’enseignement de toute première importance puisqu’en réalité elle préside à la
formation des juristes, futurs professeurs mais surtout magistrats, avocats, notaires et autres
praticiens du droit dont, pour l’essentiel, la formation se déroule à l’Université. Avant d’être
confrontés à des enseignements plus pratiques, ces professionnels du droit apprendront de la
doctrine, orale et écrite, à connaître les concepts juridiques et à s’exercer au raisonnement
juridique. Quoique nécessairement diffuse et difficile à appréhender, l’influence de la
doctrine sur la pratique future du droit paraît ainsi indéniable 39. On observe néanmoins que
depuis une période relativement récente, une crise affecte l’enseignement du droit. Elle
paraît faire suite à « la contestation de l’autorité de la doctrine » qui a débuté il y a
plusieurs décennies 40. Les praticiens estiment désormais que, tant dans leur formation que
dans leur activité quotidienne, la doctrine universitaire ne leur enseigne plus les
connaissances dont ils auraient besoin. Le savoir transmis par l’université serait inutile et
trop abstrait pour être profitable aux professionnels du droit. La professionnalisation des
études de droit a alors été proposée 41, tout comme la création d’un observatoire de la
formation des juristes 42, pendant que d’autres institutions prétendent offrir des formations
juridiques et délivrer des diplômes de droit 43. Ces discussions témoignent d’un
affaiblissement certain de l’autorité de la doctrine. Elles démontrent toutefois l’importance
de l’activité doctrinale d’enseignement et combien les praticiens y portent attention pour
leur formation et leur information.

37
PH. JESTAZ et CH. JAMIN, L’entité doctrinale française, op. cit., p. 175.
38
Ne lit-on pas très souvent dans les présentations de traités ou de manuels juridiques qu’ils s’adressent
aussi bien aux étudiants qu’aux praticiens, voire à toute personne intéressée par les questions qui y sont
développées ?
39
À tel point qu’il sera soutenu plus loin que, par le biais de ses enseignements, la doctrine peut-être
regardée comme une source du droit, V. infra, n° 254 et s.
40
J. GHESTIN et G. GOUBEAUX, Traité de droit civil, Introduction générale, op. cit, n° 579.
41
CH. BIGOT, Réflexions d’un avocat sur la professionnalisation des études de droit, D. 2005, p. 1724.
42
CH. ATIAS, Pour un observatoire de la formation des juristes, D. 2004, p. 707.
43
Ce point sera développé infra, n° 266.

22
Introduction

15. Les moyens d’expression. Puisqu’elle est un savoir qui fait autorité, la doctrine
juridique doit pouvoir exprimer ses opinions sur le droit et les diffuser afin de transmettre
les enseignements qu’elles contiennent. L’activité doctrinale s’observe grâce au critère de la
publication 44. Le savoir s’exprime donc, et se mesure aussi 45, dans les publications
juridiques. On se contentera de rappeler brièvement la diversité des supports qui véhiculent
la littérature juridique en précisant que tous ne répondent pas aux « mêmes genres
doctrinaux ».

La liste pourrait débuter par les ouvrages à usage d’enseignement, des plus élaborés et
des plus « doctrinaux » que sont les traités et manuels, jusqu'à ceux qui le sont moins
comme les ouvrages à seule vocation pédagogique qui sont beaucoup plus sommaires. Il
faut envisager ensuite les revues juridiques qu’elles soient dites généralistes ou spécialisées
à une branche du droit voire à un domaine spécifique d’une branche du droit. Les revues
juridiques offrent un terrain privilégié pour l’étude de l’activité doctrinale 46 en diffusant
études, chroniques, commentaires de jurisprudence et de lois, billets d’humeur et points de
vue divers des auteurs 47. On songera ensuite aux dictionnaires, répertoires et encyclopédies
juridiques qui sont les outils quotidiens des juristes. Les mélanges, ces études offertes en
l’honneur de juristes éminents, le plus souvent universitaires, sont eux aussi des ouvrages
hautement doctrinaux. La diversité des études, la qualité de ceux à qui elles sont
demandées, et l’étendue des sujets traités expliquent probablement qu’on leur reconnaît un
intérêt croissant 48. Doivent être également considérés au titre des supports doctrinaux les
publications d’actes de colloques et les thèses de doctorat qu’elles aient ou non fait l’objet
d’une publication. Enfin, il faut désormais signaler le nouveau support qu’est Internet. S’il

44
« Le terme de doctrine fait toujours référence à une publication éditoriale », PH. JESTAZ et CH. JAMIN,
La doctrine, op. cit., p. 184 ; adde, J. GHESTIN et G. GOUBEAUX, Traité de droit civil, Introduction
générale, op. cit, n° 573.
45
CH. ATIAS, Épistémologie juridique, Paris, Dalloz, 2002, n° 134 et s.
46
MM. Jestaz et Jamin soulignent à cet égard que la « doctrine est fille des revues juridiques » et que
c’est la « massification des opinions » qui a pu, dès le XIXe siècle, donner conscience aux auteurs de leur
force collective, V. La doctrine, op. cit., p. 165. M. Atias souligne quant à lui la richesse des
enseignements qu’il y aurait à tirer d’une étude consacrée à l’évolution des revues juridiques, leur
nombre, leur domaine, leur structure, la qualité de leurs auteurs etc., V. Épistémologie juridique, op. cit.,
n° 136.
47
Toutefois le nombre trop important de ces revues pourrait, paradoxalement, nuire à la diffusion du
savoir dès lors qu’il n’est plus possible de lire toutes les études qui y sont publiées. L’élaboration de la
base de données informatisée Doctrinal témoigne de cette difficulté en offrant de dépouiller quelques 200
revues juridiques. L’interrogation de Doctrinal permet de retrouver dans cette masse les références aux
articles ou commentaires doctrinaux à partir de mots clés, de noms d’auteur etc.
48
Un auteur a désigné le phénomène sous l’expression de « littérature mélangiale » et a souligné la
richesse doctrinale des contributions qui composent ces mélanges en l’expliquant par la grande liberté
d’inspiration et de préoccupation dont les auteurs jouissent. V. F. Rolin, Les principes généraux
gouvernant l’élaboration des volumes de mélanges, contribution à l’étude de la littérature mélangiale
juridique, in Mélanges en l’honneur de B. Jeanneau, Paris, Dalloz, 2002, p. 221. L’intérêt pour les études
publiées dans les mélanges est d’ailleurs largement confirmé et illustré par la publication d’un ouvrage
répertoriant les références aux études publiées dans ce type d’ouvrage, V. X. DUPRÉ DE BOULOIS,
Bibliographie des mélanges, Paris, La mémoire du droit, 2001.

23
La présomption d’innocence dans le discours doctrinal

fait encore l’objet de peu d’intérêt et s’il inspire encore beaucoup de méfiance 49, il ne paraît
plus pouvoir être ignoré. Son manque général d’autonomie par rapport aux publications
imprimées ne doit pas occulter l’existence de revues qui n’existent qu’en ligne 50 et dont
l’éventuelle précarité ne préjuge pas de la qualité des contributions. Il existe en outre de
plus en plus de sites personnels réalisés par des juristes. En réalité, il semblerait que le
phénomène du carnet de bord sur le web, connu sous le nom de blog, touche jusqu’aux
agrégés des facultés de droit 51. Le blog en tant que lieu d’expression (mais aussi
d’autopromotion) permet à des membres de la doctrine de prolonger ou de diversifier leur
réflexion sur le droit au-delà des supports classiques de la pensée 52, tout en favorisant
l’échange d’opinions avec les lecteurs. Internet apparaît bien désormais comme un nouveau
canal de diffusion des opinions doctrinales en même temps qu’il fait naître un nouveau
genre littéraire 53.

Au-delà de l’ensemble de ces caractères qui permettent d’appréhender la doctrine et la


manière dont elle diffuse son savoir, il convient de la situer par rapport à ce que l’on appelle
la science du droit.

16. Doctrine juridique ou science du droit ?. L’épistémologie juridique pose avec


insistance la question de savoir s’il l’on peut parler d’une science du droit et le cas échéant
s’il y a lieu de distinguer cette activité scientifique de l’activité doctrinale. Le débat porte
essentiellement sur les caractères à reconnaître à une « véritable » science du droit. Or, pour
que celle-ci existe, on admet souvent qu’elle doit présenter les mêmes traits que toutes les
disciplines qui prétendent à la scientificité. L’identification précise d’un objet, un rapport
distant de la science à cet objet, la mise en œuvre de méthodes rigoureuses, seraient ainsi les

49
Les professeurs Jestaz et Jamin ne lui témoignent aucun intérêt aux motifs que l’on y trouverait pour
l’heure seulement une partie des fonds déjà imprimés et, qu’en ce qui concerne les revues en ligne ou les
sites d’auteurs, on peut redouter leur précarité et douter de leur qualité.
50
Quelques exemples français, en droit des affaires : [http://www.droit21.com] ; en droit médical :
[http://www.droit-medical.net] ; en droit des technologies et de l’information :
[http://www.juriscom.net] ; en droit international : [http://www.ridi.org/adi] ; en matière de droits
fondamentaux : [http://www.droits-fondamentaux.org] ; en criminologie : [http://champpenal.revues.org].
51
On pourra notamment visiter les blogs des professeurs Dimitri Houtcieff et Frédéric Rolin tous deux
enseignants à la faculté de droit d’Evry et livrant aux juristes internautes leurs réflexions les plus diverses
dans leurs domaines de compétence respectifs. Avant l’explosion des blogs, Jean-Paul Doucet, professeur
de droit pénal à la retraite, a crée un site consacré au droit pénal qu’il tient régulièrement à jour :
[http://ledroitcriminel.free.fr].
52
Des juristes américains ont déjà étudié le phénomène et s’intéresseraient aux transformations de la
« doctrine juridique » sous l’influence des blogs, V. L. B. SOLUM, Blogging and the Transformation of
Legal Scholarship, Illinois Public Law Research Paper, n° 06-08. En France, les professeurs Houtcieff et
Rolin se réjouissent de la prolifération des blogs et tentent de rassurer les universitaires les plus
conservateurs ou réfractaires à l’Internet, en expliquant que les blogs n’ont absolument pas vocation à
concurrencer l’édition juridique traditionnelle mais plutôt à la compléter. Les blogs permettraient en effet
une double ouverture des juristes : vers le grand public et les décideurs mais aussi vers la communauté
universitaire. V. Blogs juridiques contre Édition électronique traditionnelle : concurrence ou
complémentarité ? D. 2006, p. 596.
53
Il faut souligner que le blog peut parfois, selon le site qui l’héberge, être une source de revenus
complémentaires en fonction des liens publicitaires qui y sont visibles, de la fréquentation par les autres
internautes et la fréquence des mises à jour du contenu.

24
Introduction

conditions d’existence d’une science du droit. Sans prendre part à ce débat, on ne retiendra
que l’opposition entre doctrine juridique et science du droit afin de préciser ce que l’on
entendra ici par doctrine.

Lorsqu’on oppose ces deux termes, il s’agit de marquer une différence de point de vue
adopté par deux activités qui ont pourtant en commun d’être des activités de connaissance.
La doctrine juridique si elle est bien une activité de connaissance du droit, n’en présente pas
moins la particularité d’être partie prenante au processus de production du droit. Ce « parti
pris » résulterait du fait que la doctrine a pour mission de contribuer au bon fonctionnement
du droit en travaillant à sa mise en ordre ainsi qu’à la résorption de ses contradictions 54.
Une véritable science du droit devrait quant à elle se situer en dehors du droit pour adopter
un point de vue externe autorisant la réflexion et la critique 55. Cette distinction de deux
formes de connaissance du droit peut également se présenter sous la forme d’une opposition
entre science appliquée des décisions (doctrine) et science juridique fondamentale 56. La
première se donne pour objet de décrire, analyser et commenter aussi bien les lois que les
décisions juridictionnelles. La seconde se confond avec ce qu’il est convenu d’appeler la
théorie du droit. Cette dernière prend pour objet les données dégagées par la science
appliquée et consiste à produire une réflexion sur le droit en tant que phénomène, ce qui
suppose une abstraction supplémentaire.

Ces oppositions, lorsqu’elles sont formulées, ont pour objet de mettre l’accent sur la
différence de points de vue adoptés par la doctrine juridique et la science du droit.
Toutefois, l’usage le plus courant veut que l’expression « doctrine » soit le plus souvent
assimilée à celle de « science du droit ». On explique en effet qu’en pratique, les deux
points de vue sont si intimement mêlés, tant dans l’enseignement que dans la recherche,
qu’il est difficile de les distinguer 57. On ajoutera que ces points de vue peuvent être adoptés
par un même auteur, tour à tour, dans un même écrit. Ainsi, ne distinguera-t-on pas ici
doctrine et science du droit, pour, au contraire, user à titre d’équivalent, de l’une ou l’autre
de ces expressions.

La notion de doctrine ainsi précisée, dans sa nature et ses fonctions, accueille tout aussi
bien les auteurs qui écrivent sur le droit civil que ceux qui ont choisi de se consacrer à
l’étude d’autres branches du droit. Les pénalistes, leur savoir, leur apport à la connaissance
et à la transformation du droit pénal et en particulier à la notion de présomption
d’innocence, devraient donc pouvoir être observés à travers le prisme du concept de

54
J. CHEVALLIER, Doctrine juridique et science juridique, op. cit., p. 106 et s.
55
Pour une présentation des débats sur cette question, V. F. OST, v° Science du droit, in Dictionnaire
encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, Paris, LGDJ, 2e éd., 1993.
56
CH. ATIAS, Épistémologie juridique, Paris, PUF, 1985, n° 27 et s.
57
J. CHEVALLIER, Doctrine juridique et science juridique, op. cit., p. 113.

25
La présomption d’innocence dans le discours doctrinal

doctrine juridique. Pourtant on a observé un certain désintérêt des auteurs pour la doctrine
pénaliste. L’absence d’étude particulière consacrée à cette partie de la doctrine juridique ne
constitue cependant pas un obstacle à sa présentation.

§ 2. APPROCHE DE LA DOCTRINE PÉNALE

17. Auteurs et pensée pénale. L’analyse de la littérature juridique spécialement consacrée


à la présomption d’innocence fournira maintes occasions de découvrir ou de mieux
connaître la doctrine pénale, d’évoquer les grands noms qui ont marqué cette branche de la
science du droit et les œuvres qui ont fait ou font aujourd’hui encore autorité. Ce sera
l’occasion également de s’attarder sur l’influence que la doctrine exerce sur le droit positif.
Aussi n’est-il pas question ici de procéder à une présentation qui anticiperait sur la suite de
nos développements. En revanche, il paraît nécessaire de s’assurer, en l’illustrant, qu’il
existe bel et bien une doctrine juridique du droit pénal moderne (A). Cela dit, le phénomène
criminel suscite des réflexions qui débordent largement le champ du juridique pour se
développer aussi bien dans le domaine politique, criminologique, que dans celui des
sciences sociales ou médicales. Cette pensée pénale résulte des travaux d’auteurs qui ne
sont pas tous, loin s’en faut, des juristes, et se manifeste au travers de ce que l’on appelle les
doctrines pénales. Il s’agira alors de distinguer les doctrines pénales de la doctrine juridique
du droit pénal, seule cette dernière intéressant notre sujet d’étude (B).

A- L’EXISTENCE D’UNE DOCTRINE PÉNALE

18. Une image brouillée. L’existence d’une doctrine juridique du droit pénal ne fait aucun
doute pour le juriste, particulièrement pour le spécialiste de droit pénal et de procédure
pénale. En effet, si le propre de la doctrine juridique est de s’autoproclamer et de se
présenter, on peut aisément observer que la doctrine pénale procède de la même manière et
atteste ainsi de son existence. Toutefois, cette autoprésentation est beaucoup moins
fréquente que chez les civilistes. Une telle discrétion pourrait résulter d’une certaine
timidité qui n’est peut-être pas sans rapport avec un sentiment d’identité assez perturbé.
D’ailleurs, il est possible d’apercevoir dans l’image que la doctrine pénale offre d’elle-
même la manifestation d’un véritable complexe.

19. L’affirmation de son existence. Cette affirmation qui signe la prise de conscience de la
constitution à la fois d’un corps informel et d’une méthode, a semble-t-il eu lieu, comme
pour la doctrine du droit privé, au tout début du XXe siècle. Il n’y a rien d’étonnant à cela si
l’on a égard au fait qu’il s’agit d’une époque où « les spécialisations ne sont pas très
marquées et où le droit civil l’emporte encore dans la formation des juristes » 58. Les

58
PH. JESTAZ et CH. JAMIN, La doctrine, op. cit., p. 142.

26
Introduction

pénalistes, par conséquent « peu ou prou civilistes », ont donc eux aussi participé à cette
prise de conscience de l’existence d’une communauté d’auteurs et de professeurs engagés
dans une résistance à l’envahissement des sciences sociales et bien déterminés à faire
prévaloir la méthode juridique 59. Comme les civilistes, les pénalistes ont porté leur attention
sur la jurisprudence et en ont fait un objet d’étude privilégié. En ce début de XXe siècle,
changement de méthode et missions de la doctrine pénale sont désormais expliqués par les
criminalistes. Émile Garçon estime que la vocation de la doctrine est de rassembler et
coordonner les décisions fragmentaires de la jurisprudence, fixer leur valeur et effectuer un
choix parmi ces décisions selon qu’elles ont affirmé des principes ou des règles 60. Elle doit
surtout rechercher et fixer les principes directeurs qui dominent ces arrêts et par la synthèse,
construire des théories d’ensemble. Il considère que « la doctrine peut aider puissamment
au progrès du droit et à sa formation même » et ajoute qu’« elle seule peut faire ce travail
de simplification sans lequel le droit risquerait d’être étouffé sous la frondaison
jurisprudentielle et se perdre dans une inextricable complication » 61. Ainsi, en montrant à
la pratique le chemin qu’elle a parcouru et le but vers lequel elle tend, la doctrine peut
exercer sa légitime influence scientifique. René Garraud affirme de son côté que « l’étude
du droit pénal doit être conduite suivant la méthode doctrinale juridique ». Cet auteur décrit
alors la tâche des criminalistes, laquelle consiste, d’une part à enseigner et étudier
systématiquement le droit criminel, c'est-à-dire les textes, et d’autre part à connaître les faits
auxquels il faut appliquer les règles légales 62. Le rapprochement avec les missions que les
autres juristes reconnaissent à la doctrine est ici évident.

Si les civilistes présentent systématiquement la doctrine aux côtés des autres sources du
droit, les ouvrages de droit pénal du XXe siècle ne font quant à eux pas toujours une telle
place à la doctrine pénaliste. Certains auteurs ignorent totalement son existence. Elle
demeure néanmoins affirmée par des noms célèbres, reconnus eux-mêmes comme en
faisant partie. Ainsi Mme Rassat évoque la doctrine en précisant qu’elle est « une autorité
qui a pour mission d’exposer, de proposer et de critiquer » et ne la distingue d’ailleurs pas
de la doctrine juridique en général 63. M. Pradel n’hésite pas non plus à présenter la doctrine
au titre des sources du droit pénal, mais en précisant là encore qu’il ne s’agit que d’une
autorité 64. Comme les civilistes, les pénalistes évoquent sur telle ou telle question la
position de « la doctrine ». Ils utilisent en outre fréquemment le procédé de la « citation-
incorporation » dans leurs écrits et hiérarchisent la littérature juridique en appliquant le

59
Cette question sera d’ailleurs l’objet de développements ultérieurs.
60
E. GARÇON, Code pénal annoté, Paris, Larose et Tenin, 1901-1906, tome 1, préface, p. VI.
61
E. GARÇON, Code pénal annoté, op. cit., préface, p. VI.
62
R. GARRAUD, Précis de droit criminel, Paris, Larose, 8e éd, 1903, n° 14.
63
M.-L. RASSAT, Droit pénal général, Paris, PUF, 2e éd., 1999, n° 154.
64
J. PRADEL, Droit pénal général, Paris, Cujas, 12e éd., 1999, n° 256.

27
La présomption d’innocence dans le discours doctrinal

critère de la « véritable œuvre doctrinale ». Les notes bibliographiques rendant compte de la


parution d’ouvrages de droit pénal en témoignent. Par exemple, alors que paraissait une
nouvelle édition du Traité de droit criminel des professeurs Merle et Vitu, Jean Larguier en
rendait compte en ces termes : « Dès la première édition, cet ouvrage dépassait largement
le simple énoncé des solutions ; il atteignait la véritable conception doctrinale (…) c’est un
traité qui mérite son nom » 65. Il existe aussi pour la matière pénale des maîtres éminents
que leurs élèves aiment à célébrer 66.

Preuve de l’existence d’une doctrine pénale et de sa reconnaissance sociale, on parle


parfois à propos des auteurs pénalistes, de « doctrine unanime ». Tel fut le cas ces dernières
années lorsque de nombreux pénalistes ont vertement critiqué la position adoptée par la
jurisprudence de la chambre criminelle puis de l’Assemblée plénière de la Cour de cassation
refusant de qualifier d’homicide involontaire, et de sanctionner comme tel, l’atteinte
imprudente à la vie d’un enfant à naître 67. Bien que la Cour de cassation se soit en l’espèce
révélée atteinte « d’autisme », en passant outre les critiques qui lui étaient adressées, on
observe que l’opinion unanime ou majoritaire a fort bien été prise en considération par
l’avocat général de la Cour de cassation qui concluait à la solution inverse de celle qu’allait
adopter l’Assemblée plénière 68. Récemment, c’est lors d’un colloque organisé en 2004 par
l’IFR Mutation des Normes Juridique de Toulouse que l’existence de la doctrine pénale a
été affirmée et qu’une attention particulière a pu lui être portée aussi bien par les
universitaires que par les praticiens 69. Enfin, on notera que la même année un dictionnaire
des sciences criminelles nouvellement paru accueille une entrée « doctrine pénaliste » dont
les développements s’articulent pour une large part autour des mêmes questions et
obervations que nous avons pu déjà formulées 70.

65
J. LARGUIER, Rev.sc.crim., 1975, p. 568.
66
Sous la plume de Mme Cartier, MM. Merle et Vitu apparaissent ainsi comme « les auteurs de
l’incomparable Traité de droit criminel », M. Larguier comme un auteur à la « pensée riche et subtile »,
M. Soyer comme un « fabuleux pédagogue » et M. Lombois comme un « artiste inégalable dans la
conjugaison des idées et des mots », V. M.-E. CARTIER, Libres propos sur l’enseignement du droit pénal à
l’aube du XXIe siècle, Rev.sc.crim., 2001, p. 186-187.
67
V. J. MOULY, Du prétendu homicide de l'enfant à naître. Défense et illustration de la position de la
Cour de cassation, Rev.sc.crim., 2005, p. 47, où l’auteur fustige la position de la doctrine unanime.
68
J. SAINTE-ROSE, conclusions, sous Cass. ass. plén., 29 juin 2001, JCP. 2001 II 10569.
69
Le rôle de la doctrine pénale a ainsi donné lieu à sept contributions sur lesquelles nous nous arrêterons
plus loin. Pour les actes de ce colloque, V. HÉCQUARD-THÉRON (M.) (dir.), Les facultés de droit
inspiratrices du droit ? actes du colloque des 28 & 29 octobre 2004, Les travaux de l’IFR Mutation des
Normes Juridiques n° 3, Presses de l’Université des Sciences Sociales de Toulouse, 2005.
70
B. DE LAMY, v° « Doctrine pénaliste », in G. LOPEZ et S. TZITZIS (dir.), Dictionnaire des sciences
criminelles, Paris, Dalloz, 2004. L’auteur observe tout d’abord que rares sont les développements
présentant la doctrine dans les ouvrages de droit pénal. Il s’étonne ensuite de ce que les études portant sur
la doctrine ne soient jamais illustrées par des exemples tirés du droit pénal. M. De Lamy en vient alors à
parler d’« autorité occultée » et s’interroge sur les possibles raisons de cette occulation, V. p. 263-264.

28
Introduction

Malgré l’affirmation de cette existence, on retrouve difficilement dans les écrits des
pénalistes cette autocélébration dont fait parfois preuve la doctrine civiliste. Au contraire, ce
qu’elle livre d’elle-même relève assez souvent d’un pessimisme qui confine au complexe.

20. Le complexe. Si l’on veut bien considérer la doctrine comme un ensemble constitué,
quoique informel, se reconnaissant une identité propre et dont l’activité a pour but
d’influencer les autres sources à travers l’enseignement et la recherche, force est tout de
même d’admettre qu’il arrive aux pénalistes de douter d’eux-mêmes.

La doctrine pénale doute parfois de l’utilité de son rôle, de la valeur de son travail de
mise en ordre du droit. Ainsi, Jacques-Henri Robert 71 juge-t-il assez sévèrement l’influence
que peut avoir la doctrine en droit pénal 72. Les belles et savantes dissertations, explique-t-il,
ne seraient, le plus souvent, que de vains efforts doctrinaux se heurtant à la jurisprudence
criminelle de la Cour de cassation. Cette dernière se montrerait sourde aux critiques de la
doctrine et ignorerait ses constructions intellectuelles. Le pénaliste juge que la libre création
scientifique qui se développe dans d’autres disciplines est nécessairement bridée en droit
pénal et trouve une explication dans le fait que la répression serait trop sérieuse, trop
intimement liée aux attributs essentiels de l’État pour qu’on en fasse l’enjeu des trouvailles
des beaux esprits. On pourrait également expliquer cette moindre liberté de l’interprète
autorisé en droit pénal par le jeu du principe de la légalité des délits et des peines.
Contrairement aux autres branches du droit, en droit pénal la loi est d’interprétation stricte.
Cela signifie que le juge pénal ne peut donner une interprétation de la norme pénale qui
aurait pour effet de punir au-delà ou en deçà de la volonté du législateur, telle qu’elle est
exprimée dans le texte d’incrimination. A fortiori, la doctrine ne saurait méconnaître un tel
principe, en s’autorisant par exemple à raisonner par analogie. On comprend dès lors que
son rôle soit plus limité qu’ailleurs, tant dans l’interprétation de la loi que dans les
suggestions qu’elle voudrait adresser au juge.

La doctrine pénale est par ailleurs affectée par une question d’identité liée à la place de
son objet d’étude. En effet, elle est taraudée par la question de savoir à quelle branche du
droit le droit pénal appartient. Au début du XXe siècle les pénalistes répondaient encore
sans difficulté à cette question en considérant le droit pénal comme une branche du droit
public 73. Pourtant on sait qu’aujourd’hui il relève bien davantage du droit privé. En effet,

71
J.-H. ROBERT, Discours sur l’état du droit pénal, Droits, n° 6, 1987, pp. 154-155.
72
L’auteur est même allé jusqu’à expliquer que le commentateur d’arrêts n’agit que par pur plaisir et sans
pouvoir véritablement avoir pour ambition d’inspirer le droit. V. J.-H. ROBERT, La psychologie du
commentateur d’arrêts, in HÉCQUARD-THÉRON (M.) (dir.), Les facultés de droit inspiratrices du droit ?
op. cit., p. 163 et s.
73
Pour René Garraud le droit criminel n’était qu’une branche du droit public à côté du droit
constitutionnel et du droit administratif, V. Précis de droit criminel, op. cit., n° 2 et 39. Émile Garçon
ajoutait même que la méthode du droit criminel empruntait à celle du droit public. Cette conception était
motivée par le souci de soumettre l’État au droit dans l’exercice de la répression. V. De la méthode du

29
La présomption d’innocence dans le discours doctrinal

les découpages académiques et universitaires le rattachent incontestablement à cette


branche 74. Toutefois, au-delà des classifications institutionnelles, la question continue d’être
posée mais la réponse, en raison de la diversité des opinions, apparaît pour certains
indécidable voire informulable 75. Mme Delmas-Marty rappelle cette difficulté en soulignant
que le droit pénal appartient au droit privé par la rigueur de ses méthodes d’interprétation et
au droit public par son objet. Or, les pénalistes semblent affectés par le caractère hybride de
leur discipline qui conduit le droit pénal à n’être pleinement reconnu ni d’un côté ni de
l’autre de cette grande division qui commande tout l’enseignement du droit en France 76 et
qui contribuent probablement à les marginaliser. La difficulté a semble-t-il de lourdes
répercussions sur le statut de l’enseignement du droit pénal à l’Université.

L’enseignement et la recherche, qui sont au cœur de l’activité doctrinale, souffrent


aujourd’hui d’une assez mauvaise image. Il y a quelques années, M. Levasseur rappelait
que dans la première moitié du XXe siècle, les criminalistes étaient vus d’un mauvais œil et
n’étaient pas considérés comme d’authentiques juristes, ce qui expliquait que pendant
longtemps il était déconseillé de se présenter au concours d’agrégation avec une thèse de
droit pénal 77. Plus récemment, c’est un sombre bilan que Mme Cartier a proposé aux
lecteurs de la Revue de science criminelle. L’auteur faisait remarquer que « l’enseignement
du droit pénal traverse une crise matérialisée par la chute du nombre de thèses et par une
pénurie préoccupante de pénalistes » et jugeait que l’apathie générale et le désintérêt
marqué par la plupart de ses collègues ne permettaient pas des perspectives
encourageantes 78. Le même pessimisme est partagé par Mme Lazerges qui regrette la trop
faible place de la « tribu » des pénalistes au sein de l’Université et la reconnaissance
« particulièrement médiocre » du droit pénal au sein des facultés 79.

Du côté de la recherche, il y a plusieurs années le professeur Pradel caractérisait la


recherche fondamentale par la faiblesse de son engagement et son manque d’imagination.
Elle se contenterait, expliquait l’auteur, de refléter l’actualité tout en délaissant des

droit criminel, in Les méthodes juridiques, leçons faites au collège libre des sciences sociales en 1910,
Paris, Giard et Brière, 1911, pp. 199-201.
74
Le concours d’agrégation des professeurs des universités en est probablement la plus belle illustration,
avec son concours de « droit privé et sciences criminelles » à côté du concours ouvert en droit public.
75
R. GASSIN, Le droit pénal : droit public ou droit privé ? Problèmes actuels de sciences criminelles IV,
PUAM, 1991, p. 51.
76
M. DELMAS-MARTY, Les contradictions du droit pénal, Rev.sc.crim., 2000, p. 3.
77
CH. LAZERGES (dir.), L’enseignement des sciences criminelles aujourd’hui, Toulouse, Érès, 1991,
préface, p. 8. Il n’est pas certain que cela ait changé depuis.
78
M.-E. CARTIER, Libres propos sur l’enseignement du droit pénal à l’aube du XXIe siècle, op. cit., p.185.
79
V. CH. LAZERGES, La doctrine et la dérive législative de la procédure pénale, in HÉCQUARD-THÉRON
(M.) (dir.), Les facultés de droit inspiratrices du droit ? op. cit., p. 161.

30
Introduction

questions problématiques au profit d’une interprétation fidèle des nouveautés de la


matière 80.

Néanmoins, se débarrasser du complexe pourrait être le nouveau mot d’ordre lancé par
certains auteurs qui saisissent désormais la moindre occasion pour affirmer l’existence et la
valeur de la doctrine pénale qui se renouvelle sous nos yeux. Ainsi, le professeur Maistre du
Chambon préfaçait-il récemment le travail de l’un de ses étudiants en ces termes : « l’auteur
fournit la démonstration de la belle santé de la doctrine pénale française » 81. Mais le
meilleur défenseur de l’étude du droit pénal et de la valeur de la doctrine pénale est
probablement, à l’heure actuelle, M. Philippe Conte. Les préfaces aux thèses de doctorat
qu’il a dirigées, sont souvent de véritables plaidoyers en faveur de la doctrine pénale 82.

21. Un désintérêt pour la doctrine pénale injustifié. Si la doctrine pénale, pour des
raisons tenant à ces particularités et parce qu’elle estime peser peu dans les transformations
du droit positif, manifeste un certain complexe, c’est probablement pour une double raison.
La première serait à rechercher dans le sort peu enviable qui est réservé aux spécialistes de
droit pénal au sein de l’Université française 83. La seconde pourrait se comprendre par
référence au prestige de la doctrine civiliste. Le pénaliste étant par sa formation largement
imprégné de culture civiliste, le sentiment que la doctrine pénale ne vaudrait pas d’être
étudiée au même titre que la doctrine civiliste, pourrait se trouver renforcé. Pourtant, il
existe sans aucun doute une doctrine pénale qui a conscience d’elle-même et qui se
reconnaît la même nature et les mêmes missions que la doctrine en droit civil. Que la
doctrine pénale soit moins prestigieuse, moins écoutée ou encore moins libre que la doctrine
civiliste n’interdit en rien de lui prêter attention.

Au contraire, il serait bon de vérifier dans quelle mesure la doctrine pèse ou ne pèse pas
dans l’élaboration du droit positif au titre de son autorité. Dès lors, s’intéresser à son rôle
dans l’élaboration, la transformation et la systématisation du droit paraît non seulement tout
à fait concevable mais aussi opportun. Il n’en demeure pas moins que s’intéresser à la
doctrine pénale exige de ne pas la confondre avec les doctrines pénales.

80
J. PRADEL, La recherche française dans le champ pénal, in La recherche française dans le champ pénal,
bilan et synthèse, CEDAS, Bordeaux, 1992.
81
X. PIN, Le consentement en matière pénale, LGDJ, 2002, préface, p. 7.
82
V. en particulier J. POUYANNE, L’auteur moral d’infraction, PUAM, 2003, préface. Mais aussi, E.
BONIS-GARÇON, Les décisions provisoires en procédure pénale, PUAM, 2002, où M. Conte rappelle que
la procédure pénale est le « parent pauvre » de la recherche et juge, à propos de l’auteur de la thèse, que
c’est une doctrine de grande qualité qui est venue renouveler le droit processuel inspiré par le droit
européen des droits de l’homme ; M.-C. NAGOUAS-GUÉRIN, Le doute en matière pénale, Paris, Dalloz,
2002, où le professeur écrit : « Qu’on se le dise : les juristes ont leur place en droit pénal, au point que,
lors de la soutenance, il a été dit que la lecture d’une telle analyse prouvait définitivement, pour qui en
aurait douté, que le droit pénal appartient bien au droit privé » et d’ajouter que « le droit pénal, porté
par de jeunes talents, est en pleine renaissance », préface p. X.
83
V. supra, n° précédent, particulièrement les propos de mesdames Delmas-Marty, Cartier et Lazerges.

31
La présomption d’innocence dans le discours doctrinal

B- DOCTRINE JURIDIQUE DU DROIT PÉNAL ET DOCTRINES PÉNALES

22. Une différence d’objet et de nature. Distinguer la doctrine pénale des doctrines
pénales a déjà paru nécessaire à M. Pradel lorsqu’il a choisi d’étudier l’histoire des
secondes. L’auteur explique que la doctrine, concept utilisé par les juristes, est l’opinion
des théoriciens, souvent des professeurs de droit, sur un ou des points précis, alors que les
doctrines pénales consistent en une vision d’ensemble ou conception globale d’une
discipline, fondée sur un petit nombre d’idées préalablement choisies et à partir desquelles
on peut faire découler des conséquences nombreuses 84. Les doctrines pénales sont des
systèmes de pensée qui proposent des conceptions du droit pénal, de son rôle, de sa
fonction, ou encore proposent diverses manières de concevoir le criminel. Ces doctrines ont
pour finalité d’orienter le droit pénal ou, plus radicalement, de plaider pour son abolition.
Elles s’entendent finalement comme des idéologies, que les auteurs désignent comme telles
lorsqu’ils ne parlent pas d’« écoles », de « systèmes », de « théories » ou enfin de
« philosophies pénales » 85. Ainsi, les doctrines pénales, contrairement à la doctrine pénale,
ne portent pas sur le droit criminel en tant que corps de règles et de décisions de justice,
mais plutôt sur la compréhension du phénomène criminel et les moyens de l’enrayer 86. Il en
résulte que c’est le critère du juridique qui permet de distinguer ces doctrines pénales de la
doctrine juridique du droit pénal. Néanmoins, en pratique la distinction fait apparaître des
limites.

23. Limites de la distinction. La distinction entre doctrine pénale et doctrines pénales


présente ici un intérêt essentiellement théorique. Elle permet de préciser que notre objet de
recherche sera constitué de la seule littérature juridique, c'est-à-dire celle qui porte sur
l’étude du droit pénal et de la procédure pénale français. Cela étant, nombre de pénalistes se
rattachent à un courant de pensée, à une idéologie, à une philosophie pénale. Les positions
idéologiques des uns et des autres transparaissent ainsi dans le discours juridique. Il n’y a là
rien d’étonnant. De plus, comme en témoignent les ouvrages de droit criminel, il n’est pas
possible d’ignorer l’existence et l’influence de ces écoles de pensée sur l’évolution du droit
pénal. Doctrine et doctrines pénales se rejoignent parfois jusqu’à se mêler dans une même
pensée, si bien que l’étude de la seule littérature juridique pourra parfois nous obliger à
considérer les thèses de telle ou telle école.

84
J. PRADEL, Histoire des doctrines pénales, Paris, PUF, 2e éd., 1991, p. 3.
85
M. Pradel, pour présenter ces doctrines, peut aussi bien parler de Philosophies pénales dans son Droit
pénal général, op. cit., que de doctrines pénales dans l’Histoire des doctrines pénales, op. cit. D’autres
auteurs font un usage indifférencié de ces diverses appellations : A. DECOCQ, Droit pénal général, Paris,
A. Colin, 1971, pp. 29-42 ; R. MERLE et A.VITU, Traité de droit criminel, Droit pénal général, Paris,
Cujas, 7e éd., 1997, n° 54 et s ; M.-L. RASSAT, Droit pénal général, op. cit., n° 20 et s.
86
MM. Merle et Vitu énumèrent quatre grands types de doctrines pénales : la doctrine classique, la
doctrine positiviste, la doctrine de défense sociale et la doctrine dite néo-classique.

32
Introduction

SECTION 2 : LA PRÉSOMPTION D’INNOCENCE DANS LE DISCOURS


DOCTRINAL

24. L’intérêt pour la présomption d’innocence. La présomption d’innocence est l’une de


ces notions juridiques dont l’existence est connue au-delà de la communauté des juristes.
Elle pourrait à elle seule illustrer l’idée que le droit pénal intéresse le public et que « la
personne la moins avertie des choses du droit connaît au moins le nom d’institutions
répressives » 87. Elle est surtout l’une des notions juridiques devenue incontournable pour le
pénaliste et pour tout juriste en général. Elle est en outre un principe juridique dont
l’actualité ne se dément pas depuis son renforcement par la loi de 1993 jusqu’à la loi du 15
juin 2000 qui l’a inscrite dans notre Code de procédure pénale. Néanmoins, cette actualité
de la présomption d’innocence n’est pas seulement législative ou jurisprudentielle, elle est
également doctrinale (§1). La présomption d’innocence est ainsi incontestablement un objet
qui occupe une bonne place dans le discours doctrinal comme en témoigne une littérature
abondante. C’est ainsi que la présomption d’innocence a pu apparaître intéressante au
regard de la nécessité de délimiter l’étude du discours doctrinal à l’un de ses objets (§2).

§ 1. L’ACTUALITÉ DE LA PRÉSOMPTION D’INNOCENCE

25. Actualité législative et jurisprudentielle. La présomption d’innocence a été consacrée


plusieurs fois dans divers textes, certains ayant valeur supérieure en droit interne, depuis la
Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 jusqu’à la récente Charte des
Droits fondamentaux de l'Union européenne signée en l’an 2000, en passant par la
Convention européenne des droits de l’homme. Toutefois, le législateur français ne s’est
emparé de cette question qu’à compter de la loi du 4 janvier 1993 dont l’un des objectifs
annoncés était d’opérer un renforcement de ladite présomption d’innocence. Il a notamment
résulté de cette loi, un accroissement des droits de la personne poursuivie, la disparition de
l’inculpation au profit de la mise en examen et surtout, l’insertion d’un article 9-1 dans le
Code civil, affirmant, d’une part, que chacun a droit au respect de la présomption
d’innocence, et organisant, d’autre part, la réparation des atteintes qui y sont portées. Plus
récemment et sous l’impulsion du président de la République 88, le législateur a réitéré son
attachement à la présomption d’innocence, en adoptant la fameuse loi du 15 juin 2000
renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes. Cette loi a

87
J.-H. ROBERT, Droit pénal général, Paris, PUF, 3e éd., 1998, p. 31.
88
En effet, bien que la fameuse loi de l’année 2000 ait été élaborée et votée par une majorité de gauche,
c’est bien le Président de la République qui, dès l’année 1996, manifestait de l’inquiétude face à un
principe « vacillant ». Au début de l’année 1997, cette inquiétude l’a conduit à demander au
gouvernement de mettre en place une commission chargée de s’interroger, notamment, sur les moyens de
faire respecter la présomption d’innocence.

33
La présomption d’innocence dans le discours doctrinal

jugé nécessaire de formuler la présomption d’innocence dans le Code de procédure pénale,


au sein d’un article préliminaire énonçant les principes directeurs du procès pénal89.

Ces nouveaux textes ont donc donné une visibilité plus grande à la présomption
d’innocence en même temps qu’ils suscitent une jurisprudence de plus en plus importante.
En effet, à la jurisprudence de la Cour européenne déjà ancienne, viennent s’ajouter les
décisions rendues en application du nouveau texte civil protégeant la présomption
d’innocence et les décisions du Conseil constitutionnel. On remarque à cet égard que depuis
un peu moins d’une dizaine d’année, les saisines invoquant une violation de la présomption
d’innocence se font plus fréquentes, ce qui donne l’occasion au Conseil constitutionnel de
se prononcer sur les garanties offertes par l’article 9 de la Déclaration des droit de l’homme.
Enfin, l’insertion de la présomption d’innocence dans l’article préliminaire du Code de
procédure pénale pourrait donner à la chambre criminelle de la Cour de cassation
l’opportunité de se prononcer sur d’éventuelles violations de la présomption d’innocence,
puisqu’elle a déjà conféré à ce texte une valeur normative et n’hésite pas à en faire
application à d’autres égards.

Parce qu’elle est l’observateur et l’interprète privilégié du droit positif, la doctrine pénale
devait naturellement s’employer à présenter et à commenter ces nouveautés, puis à les
intégrer au droit de la procédure pénale existant. Ceci a logiquement contribué au
développement d’une littérature juridique ayant pour objet la présomption d’innocence.
L’actualité de la présomption d’innocence ne serait cependant pas un motif suffisant pour
justifier de la choisir si l’on n’observait pas par ailleurs qu’elle intéressait les pénalistes
depuis plusieurs années avant d’être formulée par les textes français ou d’être l’objet de
décisions juridictionnelles.

26. L’actualité de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal. Si l’évolution


du droit positif a suscité une littérature juridique consacrée à la commenter, la présomption
d’innocence était un objet déjà bien présent dans le discours doctrinal depuis les années
soixante-dix, alors même qu’aucun texte, de droit interne ou international ne traitait à
proprement parler de « la présomption d’innocence ». L’actualité doctrinale précédait ainsi
non seulement l’actualité législative mais aussi jurisprudentielle. Plus précisément, une
première analyse de la littérature juridique tend à montrer que la présomption d’innocence
n’a été longtemps l’objet que du seul discours doctrinal, loi et jurisprudence restant

89
L’adoption de cette importante loi n’a toutefois pas fait cesser toute initiative parlementaire en matière
de respect de la présomption d’innocence. V. La proposition de loi n° 1183 de novembre 2003 sur
l'effectivité de la présomption d'innocence en matière de communication judiciaire, et la proposition n°
1184 sur le renforcement du respect de la présomption d'innocence en matière de communication
judiciaire, présentées par M. Briat ; mais aussi la proposition de loi organique n° 2505 de juillet 2005,
visant à réaffirmer le principe de séparation des pouvoirs et la présomption d'innocence en précisant le
devoir de réserve des magistrats, et présentée par M. Myard.

34
Introduction

silencieuses et ignorant en grande partie son existence. Le constat peut étonner : comment
expliquer en effet que la doctrine puisse décrire un objet que le droit positif ignore ? Sans
doute faut-il admettre que c’est sa fonction d’interprétation qui a permis à la doctrine de
dégager la présomption d’innocence des données du droit positif. Une telle observation, qui
demandera à être poursuivie et approfondie, laisse déjà entrevoir un décalage entre le
discours savant et le contenu du droit étudié. Ce décalage témoigne d’une liberté et d’une
méthode assez différentes de celles que les auteurs ont coutume de reconnaître. Envisager la
présomption d’innocence non pas comme élément du droit positif observable mais
seulement en tant qu’objet présent dans la littérature doctrinale mérite toutefois quelques
précisions.

35
La présomption d’innocence dans le discours doctrinal

§ 2. LA PRÉSOMPTION D’INNOCENCE COMME OBJET DU DISCOURS DOCTRINAL.

27. L’expression de « présomption d’innocence ». Lorsqu’on parle de « la présomption


d’innocence », il s’agit d’évoquer une règle applicable au procès pénal, selon laquelle toute
personne suspectée ou accusée d’avoir commis une infraction est présumée innocente tant
que sa culpabilité n’a pas été établie. L’usage de l’expression « présomption d’innocence »
renvoie donc au contenu du principe juridique de la présomption d’innocence. Or, il s’avère
qu’avant l’adoption de l’article 9-1 du Code civil, aucun texte applicable en droit français,
ne se référait à « la présomption d’innocence ». En effet, l’article 9 de la Déclaration des
droits de l’homme énonce que : « Tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait
été déclaré coupable, s’il est jugé indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas
nécessaire pour s’assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi » ; tandis
que les textes postérieurs adoptent des formulations voisines mais différentes prévoyant par
exemple que « tout accusé » ou « toute personne accusée » d’une infraction, d’un acte
délictueux, « toute personne suspectée ou poursuivie », « est présumée innocente ». En
revanche, avant que la loi française dispose que « Chacun a droit au respect de la
présomption d’innocence », il était aisé d’observer que la formule « présomption
d’innocence » avait droit de cité dans la littérature doctrinale, constituant d’ailleurs depuis
longtemps l’une des entrées que comportent les index situés en fin d’ouvrages. L’expression
« présomption d’innocence » constitue donc bien la clé qui permet d’accéder au savoir sur
la présomption d’innocence. Ainsi est-il apparu que ce devait être cette expression qui
servirait principalement à identifier l’objet permettant de circonscrire l’étude du discours
doctrinal.

28. La présomption d’innocence dans la seule procédure pénale. Si la notion de


présomption d’innocence relève sans aucun doute de l’étude du procès pénal, il n’est pas
moins certain qu’aujourd’hui le champ d’application du principe déborde le cadre du procès
pénal stricto sensu. Ainsi, sous l’impulsion de la jurisprudence européenne mais aussi
judiciaire et constitutionnelle françaises, la présomption d’innocence est amenée à jouer
plus largement en matière pénale 90. Aussi, ne doit-on plus désormais s’étonner de voir
soulevée une violation de la présomption d’innocence dans le cadre de sanctions
administratives, fiscales ou encore disciplinaires, c'est-à-dire en l’absence d’accusation
pénale au sens strict. En effet, dès lors que ces sanctions présentent un caractère punitif,
elles relèvent, conformément à la jurisprudence de Strasbourg, de la matière pénale et sont à
ce titre soumises au respect des droits et libertés fondamentales énoncés par la Convention

90
Pour une défense de cette extension de la présomption d’innocence en dehors du champ étroit de la
présomption d’innocence, V. M. DE VILLIERS et TH. RENOUX, Code constitutionnel commenté et annoté,
Paris, Litec, 2001, p. 95 et s.

36
Introduction

européenne 91. Par ailleurs, la présomption d’innocence, désormais consacrée dans le Code
civil, relève naturellement pour partie du contentieux civil. Cette extension de la
présomption d’innocence est à l’origine d’une littérature qui dépasse logiquement le cadre
de la seule procédure pénale. Aussi les pénalistes n’ont-ils plus le monopole du discours
juridique relatif à la présomption d’innocence. Pourtant, seule la doctrine juridique du droit
pénal nous retiendra dans le cadre de cette étude. C’est la raison pour laquelle la
présomption d’innocence sera étudiée très essentiellement dans son cadre originaire et
naturel : le procès pénal. Cela ne nous interdira toutefois pas d’évoquer incidemment les
autres dimensions de la présomption d’innocence ou encore le discours des juristes non
pénalistes, sans qu’ils constituent l’objet principal de notre propos.

29. L’objet de discours. Parce que le discours doctrinal est un discours savant, son objet
est un objet de savoir. C’est à ce titre que la présomption d’innocence nous intéressera tout
au long de nos développements. Cet intérêt ne peut être pleinement satisfait qu’au travers
d’une analyse du discours doctrinal. Deux observations tirées d’une telle analyse peuvent en
fournir l’illustration.

Jusqu’aux abords de l’année 2000, la doctrine pénale enseignait que la présomption


d’innocence était née avec la Révolution française et se trouvait pour la première fois
exprimée dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. L’affirmation était alors
unanime, elle indiquait avec certitude, marquait sous le sceau de l’évidence, quelle était
l’origine de la présomption juridique d’innocence. Or, que l’on prête attention aux écrits
doctrinaux les plus récents qui prennent la présomption d’innocence pour objet d’étude, et
on y découvrira, avec la même certitude affichée, que le principe trouvait à s’appliquer en
France au Moyen Âge et qu’il puise sa source dans le droit romain. Ces deux affirmations,
tirées du discours doctrinal, sont bien différentes, comment les comprendre ? Diverses
réponses seraient envisageables. Une querelle entre historiens du droit paraît devoir être
toutefois écartée. Ce sont les premiers à avoir révélé, dans une certaine indifférence
générale, une origine si lointaine de la présomption d’innocence. La dogmatique juridique
pourrait en revanche avoir tout simplement tardé à intégrer les données historiques dans son
discours. Cela d’autant plus que l’analyse du discours doctrinal relatif à la présomption
d’innocence montre qu’en réalité les pénalistes se sont longtemps désintéressés de l’histoire
de la présomption d’innocence. Ces observations soulèvent d’emblée diverses questions
dont les réponses exigeraient des recherches approfondies. Elles suffisent en tout cas à
démontrer que le discours doctrinal a évolué, s’est modifié. De la même manière, elles
démontrent que c’est le savoir sur la présomption d’innocence qui a évolué (progressé ?) en

91
V. S. GUINCHARD et J. BUISSON, Procédure pénale, Paris, Litec, 3e éd., n° 10 et 11 sur la matière pénale
et n° 405 pour l’extension du champ d’application de la présomption d’innocence à la matière pénale.

37
La présomption d’innocence dans le discours doctrinal

s’affinant, en se rectifiant. Il n’est pas certain que cette évolution soit enregistrée comme
telle dans le discours doctrinal. Les nouvelles données semblent davantage se substituer aux
plus anciennes, laissant au lecteur l’impression que les connaissances actuellement
enseignées ont toujours été telles. Seule une étude du discours doctrinal menée de façon
diachronique permet de soulever une telle question et d’en formuler d’autres à propos du
fond des connaissances dont nous disposons sur les sources, la signification ou encore le
fondement de la présomption d’innocence.

S’il n’est pas indifférent de savoir si la présomption d’innocence prend racine dans le
droit romain, au Moyen Âge ou à la Révolution, on ne peut davantage demeurer indifférent
à une autre découverte. Bien que l’origine de la présomption d’innocence s’avère en toute
hypothèse ancienne, elle n’a que très tardivement retenu l’intérêt des pénalistes. En effet,
l’analyse du discours doctrinal permet d’observer que la présomption d’innocence ne fait
son apparition sous la plume des criminalistes qu’au tout début du XXe siècle. Tout en se
souvenant que c’est sensiblement à la même période que prend naissance l’idée moderne de
doctrine juridique, on pourra s’interroger sur les raisons d’une apparition si tardive. Car s’il
est aisé d’apercevoir que la règle était connue et enseignée par les anciens criminalistes,
l’expression ne l’était pas quant à elle. En tout état de cause, cette évolution du discours
savant devra être décrite et autant que possible expliquée.

30. Plan. Envisager la présomption d’innocence comme objet de discours suppose ainsi
de mener une analyse diachronique de la littérature juridique, qui prenne en considération
les deux directions esquissées ci-dessus. S’il est indéniable que tous les genres de la
littérature juridique ne présentent pas la même valeur doctrinale, le parti a été pris ici de
s’en tenir au seul critère de la publication. Il en résulte pour conséquence que, dans le cadre
de ce travail, le discours doctrinal étudié s’entend de la littérature émanant de la
communauté des juristes et que le seul critère de sélection de la documentation retenue
réside dans son objet, principal ou secondaire, qui est la présomption d’innocence. Cette
précision résulte directement de la définition de la doctrine adoptée précedemment 92 et
explique la division en deux parties distinctes de la bibliographie dressée à la fin de cette
étude 93.

Il s’agira ainsi d’étudier la littérature doctrinale en s’interrogeant tout d’abord sur la


place que la présomption d’innocence occupe dans le savoir juridique pénal et la façon dont
elle y a évolué. Cette première approche consiste à ne s’intéresser à la présomption

92
V. supra, n° 13.
93
On trouvera en effet dans la bibliographie une première partie intitulée « corpus doctrinal de
référence » qui comprend l’ensemble de la littérature juridique consacrant des développments à la
présomption d’innocence et ayant ainsi servi de base documentaire à l’analyse du discours doctrinal. On
trouvera en revanche dans la seconde partie intitulée « bibliographie générale » le reste de la
documentation ayant servi à la réflexion proposée dans ce travail.

38
Introduction

d’innocence qu’en tant qu’objet de discours. Aussi la première partie de cette étude portera-
t-elle sur L’objet dans le discours. L’inversion de la précédente perspective aura pour effet
de déplacer l’attention que nous portions à l’objet au discours lui-même. Qu’enseigne la
doctrine à propos de la présomption d’innocence ? Comment s’acquitte-t-elle de cette
mission ? Quels sont les principes qui président à l’élaboration d’un discours sur la
présomption d’innocence ? Les réponses à ces questions relèvent toutes d’une analyse
approfondie du contenu du discours sur la présomption d’innocence. La deuxième partie de
notre recherche sera par conséquent consacrée à l’étude du Discours sur l’objet.

Au cours de cette double analyse, se dessineront à la fois une certaine image de la


doctrine pénale et du savoir sur la présomption d’innocence.

39
PREMIÈRE PARTIE
L’OBJET DANS LE DISCOURS

31. Place de l’objet dans le discours. En droit, comme dans d’autres disciplines d’ailleurs,
il n’existe probablement aucun objet de discours qui soit immuable. Les objets y
apparaissent, la place qui leur est faite peut évoluer, puis ils peuvent disparaître. Il n’y a rien
d’étonnant à cela puisque la doctrine a pour mission de décrire, expliquer, critiquer et
mettre en ordre le droit positif qui, par définition, n’est pas immuable, mais bien changeant.
La question qui pourrait se poser, serait alors de savoir si tout changement dans le droit
positif a pour nécessaire et immédiate conséquence un changement dans le discours
doctrinal qui le prend pour objet. La réponse à cette question dépend du niveau
d’adéquation qui peut exister entre le discours sur le droit et le droit lui-même. On
observera cependant que tout changement important dans le droit positif se reflète
généralement sans attendre dans le discours doctrinal. La mise à jour des manuels et traités
n’a d’ailleurs pas d’autre raison d’être et les publications périodiques sont les premières à se
faire l’écho de ces changements.

S’intéresser à la notion de présomption d’innocence dans le discours doctrinal c’est,


avant toute analyse du contenu de ce discours, déterminer la place que l’objet étudié y
occupe. Pour ce faire, il s’agit de répondre à un certain nombre de questions qui ont
constitué une véritable grille de lecture de la littérature juridique pénale 94. Quand la
présomption d’innocence a-t-elle fait son apparition dans le discours doctrinal ? Quels sont
les contextes de cette apparition ? Quelle place les criminalistes ont-ils fait à la
présomption d’innocence ? Comment la place de cet objet a-t-elle évolué au sein de ce
discours ? Enfin, quels sont les traits caractéristiques du discours sur la présomption
d’innocence ?

Les pénalistes modernes enseignent que la présomption d’innocence est née de la


Révolution française et qu’elle a trouvé sa première expression juridique avec le texte de la
Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. En conséquence, la période se situant
autour de 1789 devrait pouvoir permettre d’observer une modification du discours. Or tel
n’est pourtant pas le cas.

94
C’est à une recherche semblable et selon une grille de lecture identique que le CERCRID de Saint
Etienne avait procédé en s’intéressant à la place des modes alternatifs de règlement des conflits dans le
discours doctrinal. V. M.-C. RIVIER (dir.), Les modes alternatifs de règlement des conflits- Un objet
nouveau dans le discours des juristes français ? Rapport du Centre de recherches critiques sur le droit
pour le GIP Droit et justice, Université Jean Monnet de Saint Etienne, mai 2001.

41
L’objet dans le discours

32. État du droit et état du discours sur le droit. L’analyse du discours montre en effet
très clairement que l’apparition de la présomption d’innocence dans la littérature juridique
pénale ne correspond ni directement ni indirectement à la consécration de la présomption
d’innocence en droit français. Il existe en réalité un important décalage entre la consécration
de la présomption d’innocence et son émergence dans la littérature juridique. Elle n’émerge
en effet dans le discours, comme objet identifiable, qu’au début du XXe siècle, soit plus
d’un siècle après la rédaction de la Déclaration des droits de l’homme. Cela signifie que la
formule, l’expression, la notion même de présomption d’innocence sont inconnues des
juristes tout au long du XIXe siècle. Le constat peut surprendre. On s’étonnera moins en
revanche d’observer que la présomption d’innocence, toujours en tant qu’objet de discours,
est absente de la littérature juridique produite sous l’ancien droit. Toutefois, il convient de
nuancer en remarquant que le silence des anciens criminalistes n’est pas total. Toutes
notions se rattachant à la présomption d’innocence ne sont pas ignorées par ces auteurs.

Ainsi, si l’émergence de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal ne peut


être réellement observée qu’à partir du XXe siècle (Titre 2), son absence du discours jusqu’à
la fin du XIXe siècle mérite, elle aussi, d’être étudiée (Titre 2).

42
TITRE 1
L’ABSENCE DE LA PRÉSOMPTION D'INNOCENCE DANS LE
DISCOURS DOCTRINAL JUSQU’À LA FIN DU XIXE SIÈCLE

33. Le discours contemporain pour point de départ. En attribuant à la période


révolutionnaire la naissance de la présomption d’innocence, les pénalistes modernes
identifient une rupture dans l’histoire du droit pénal 95. La présomption d’innocence était
inconnue de l’ancien droit expliquent-ils. L’histoire de la présomption d’innocence
commencerait donc avec l’adoption de l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et
du citoyen, qui énonce que : « Tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été
déclaré coupable, s’il est jugé indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas
nécessaire pour s’assurer de personne doit être sévèrement réprimée par la loi ». En
prenant pour guide ces affirmations du discours doctrinal contemporain, l’observateur peut
supposer d’une part que les anciens criminalistes n’ont pas pu traiter de la présomption
d’innocence et d’autre part que les auteurs qui ont écrit après la Révolution ont pu quant à
eux connaître de la présomption d’innocence. L’analyse du discours avant et après la
Révolution dément cependant l’hypothèse.

34. Caractérisation de l’absence. L’adoption de l’article 9 de la Déclaration des droits de


l’homme n’a pas eu pour effet de modifier le discours savant postérieur à la Révolution. La
doctrine du droit pénal moderne, celle qui a écrit au XIXe siècle, n’a entendu faire aucune
place à la notion de présomption d’innocence dans son exposé du droit criminel français.
Pourtant, aucun auteur contemporain n’a semble-t-il relevé ce silence. Les écrits savants du
XXe siècle sur la présomption d’innocence donnent ainsi l’impression que depuis sa
consécration, la présomption d’innocence a toujours retenu l’attention des auteurs.
L’étudiant ou le chercheur qui consulterait la littérature de cette époque pourrait être surpris
de découvrir que cette présomption d’innocence n’était pas, comme c’est le cas aujourd’hui,
le principe d’attribution du fardeau de la preuve ni le principe qui impose de faire bénéficier
du doute à l’accusé.

L’idée, aujourd’hui largement répandue en doctrine, que la consécration de la


présomption d’innocence en 1789 a été favorisée par le mouvement philosophique du
XVIIIe siècle, invite naturellement à rechercher si elle n’aurait pas commencé à être un
objet du discours pénal à la veille de la Révolution. Était-elle en germe dans la littérature du
XVIIIe siècle ? Était-elle une revendication des réformateurs de la procédure criminelle ?

95
Ce point sera plus particulièrement développé à propos de la Révolution comme source historique de la
présomption d’innocence, V. infra, n° 157.

43
L’objet dans le discours

On pourrait légitimement le penser. Pourtant, les résultats d’une telle recherche ne


manquent pas à cet égard de décevoir : c’est l’absence de la présomption d’innocence que
l’on peut observer dans les écrits réformateurs du XVIIIe siècle. Enfin, si l’on s’attache à la
littérature des plus fameux des criminalistes d’Ancien Régime, le silence auquel on pourrait
cette fois s’attendre doit être relativisé. Certes, la présomption d’innocence n’y est pas un
objet de discours mais le thème plus général de la protection de l’innocence y tient une
place non négligeable.

On comprendra que si la présomption d’innocence est absente du discours doctrinal


jusqu’à la fin du XIXe siècle, il convient de distinguer selon que l’on à affaire au discours
précédant la Révolution ou à celui qui la suit. Dans la première hypothèse, l’absence n’est
pas totale puisque la doctrine pénale de l’ancien droit s’intéresse à la protection de
l’innocence (Chapitre 1). En revanche, l’absence de la présomption d’innocence caractérise
bien le discours de la doctrine du droit pénal moderne (Chapitre 2).

44
CHAPITRE 1
LA DOCTRINE PÉNALE DE L’ANCIEN DROIT ET LA PROTECTION DE
L’INNOCENCE

35. Élargissement du corpus de référence. En parlant de la présomption d’innocence M.


Jeandidier expliquait que : « C’est une conquête révolutionnaire, un des plus beaux fleurons
des droits de l’homme» 96. De leur côté les professeurs Merle et Vitu enseignent que : « La
présomption d'innocence était inconnue de l’ancien droit (…). Mais, [que] préparée par le
mouvement d’idées des philosophes au XVIIIe siècle, [elle] a été exprimée avec force dans
l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 27 août 1789 en une
formule célèbre (…) » 97. En indiquant que la présomption d’innocence résulte du combat
mené par les philosophes du XVIIIe siècle, les juristes modernes élargissent du même coup
le discours qui sert de référence à cette étude sur la présence de la présomption d’innocence
dans le discours doctrinal. Si les écrits de l’époque révolutionnaire ne peuvent être
considérés comme relevant de la science juridique 98, il n’en reste pas moins vrai qu’ils
constituent une référence incontournable pour notre étude. C’est la raison pour laquelle on
rangera sous l’appellation doctrine pénale de l’ancien droit, non seulement la doctrine
juridique stricto sensu mais également le courant d’idées qui a soufflé sur le droit criminel
au XVIIIe siècle. Ce courant célèbre, habituellement désigné sous l’expression de
« philosophie des lumières », est vaste et diffus. Or, seul le discours relatif au droit criminel
et à sa critique intéresse notre question, on préfèrera alors emprunter à M. Carbasse 99
l’expression de « lumières pénales » qui paraît à la fois plus précise et plus juste.

Il est assez aisé de constater l’absence de la présomption d'innocence en tant qu’objet de


discours chez les criminalistes de l’ancien droit. Reste que l’on doit se demander si
l’opinion unanime de ces docteurs consacre la proposition inverse qui tendrait à fonder cet
ancien droit sur une présomption de culpabilité. En réalité, la doctrine criminaliste indiquait
aux praticiens de l’ancien droit les règles qui s’imposaient à eux et qui n’avaient d’autre but
que la protection de l’innocence. Quant à la présence de la présomption d'innocence dans le
discours des lumières pénales, elle apparaît quasiment comme une nécessité. En effet,
l’émergence des grands principes du droit criminel suppose qu’ils aient constitué des objets

96
W. JEANDIDIER, La présomption d'innocence ou le poids des mots, Rev.sc.crim., 1991, p. 52.
97
R. MERLE et A.VITU, Traité de droit criminel, Procédure pénale, 5e éd., 2001, n° 144.
98
Les discours réformateurs qui serviront ici de référence n’appartiennent pas au discours savant sur le
droit. Ils s’inscrivent dans un mouvement critique plus large qui concerne l’ensemble des institutions de
l’Ancien régime et n’ont donc pas pour objet spécifique le droit criminel même si celui-ci a largement
retenu leur attention. On les doit à des philosophes ou plus généralement des intellectuels dont le discours
a ensuite inspiré quelques juristes magistrats ou avocats.
99
Histoire du droit pénal et de la justice criminelle, Paris, PUF, 2e éd., 2006, n° 231.

45
L’objet dans le discours

majeurs de ce discours, il devrait par conséquent en aller de même pour la présomption


d’innocence qui compte parmi ces grands principes.

La vérification de ces hypothèses s’avère riche d’enseignements inattendus. Pour en


rendre compte on abordera tour à tour la littérature des anciens criminalistes (Section 1)
puis celle des lumières pénales (Section 2).

46
La doctrine pénale de l’ancien droit et la protection de l’innocence

SECTION 1 : LA DOCTRINE CRIMINALISTE

36. Décrire l’absence. Comment décrire l’absence de la présomption d’innocence dans le


discours des anciens auteurs ? Il est mal aisé de parler de ce qui n’est pas. L’absence de la
présomption d'innocence dans la littérature produite par les anciens criminalistes ne peut
donner lieu qu’à une brève présentation visant à vérifier l’inexistence d’un tel objet dans le
discours. Mais l’étude de ce discours n’est pas inutile pour autant. Tout d’abord, elle permet
de se demander si un autre objet n’occupait pas cette place qui deviendra celle de la
présomption d'innocence dans le discours postérieur. À cet égard, elle nous apprend que ce
n’est pas une présomption de culpabilité que les anciens docteurs décrivent. Et il s’agit d’un
enseignement important. En outre, l’utilité de porter un regard rétrospectif sur cette
littérature est démontrée par le seul fait que les auteurs de l’ancien droit défendent au
contraire, non pas une présomption d’innocence, mais la protection des innocents.

§ 1. L’ABSENCE

37. Discours des anciens docteurs. Le choix d’étudier le discours doctrinal postule une
définition de la doctrine. Or, le concept de doctrine est récent, il ne date que de la moitié du
XIXe siècle. C’est à cette époque que « les savants du droit », praticiens et professeurs,
« commencent à se représenter eux-mêmes sous la dénomination gratifiante de "la
doctrine", qui se substitue à la "doctrine des auteurs" » 100. La doctrine, en tant que
collectivité d’auteurs savants, n’a donc conscience d’elle-même que depuis peu. Peut-on
alors parler de la doctrine criminaliste pour désigner les auteurs et les écrits de droit
criminel dans l’ancien droit ? À vrai dire, ces juristes s’ignoraient probablement en tant que
représentants de « la doctrine » mais leurs activités savantes n’étaient pas sans rapport avec
celles qui occupent les auteurs des XXe et XXIe siècles. L’objet de leur science et les
méthodes qu’ils appliquaient étaient certes différents. Mais entre le jurisconsulte romain et
l’exégète du XIXe siècle, entre le romaniste du Moyen Âge et le juriste coutumier, entre le
canoniste et le juriste de la monarchie absolue ou encore entre l’arrêtiste et ses
prédécesseurs, il existe un point commun : « ils pratiquent une science tournée vers
l’action, à la fois rationnelle et empirique, chacun apportant sa pierre à l’édification de la
dogmatique » 101.

On ajoutera que le droit et la procédure criminels existent et qu’il se trouve, de fait, des
spécialistes pour les exposer de façon organisée voire systématique, pour les expliquer, les
enseigner. Les ouvrages des XVIIe et XVIIIe siècle sont là pour en témoigner. Cela paraît

100
PH. JESTAZ et CH. JAMIN, La doctrine, op. cit., p. 70.
101
PH. JESTAZ et CH. JAMIN, La doctrine, op. cit., p. 16.

47
L’objet dans le discours

suffisant pour s’autoriser à transposer le concept « moderne » de doctrine pour l’appliquer


aux docteurs de l’ancien droit. Cette transposition mérite toutefois une courte présentation
de ces auteurs (A) avant de s’intéresser au discours qu’ils ont produit (B).

A- LES AUTEURS

38. Dans les pas des anciens criminalistes. Jousse et Muyart de Vouglans sont deux
criminalistes célèbres de l’ancien droit auxquels il arrive encore de se référer au XXIe
siècle. Mais ces références se font de plus en plus discrètes et ne semblent plus présenter
qu’une valeur historique 102, voire ornementale. D’autres auteurs ont sombré dans un oubli
qui semble aujourd’hui légitime, sauf à adopter le point de vue historique. Présenter en
quelques lignes ces auteurs anciens sera donc une manière de leur rendre hommage et de
montrer la richesse de leur œuvre parfois méconnue. Seuls les noms, les plus marquants et
dont l’œuvre a été suffisamment diffusée, ont pu être retenus dans le corpus doctrinal de
référence 103.

L’historien du droit André Laingui est l’un des rares juristes à avoir étudié la doctrine du
droit pénal avant la Révolution. Il paraît donc raisonnable de prendre pour guide le résultat
de ses recherches. M. Laingui a ainsi jeté un regard rétrospectif, avec les yeux du juriste
moderne, sur la doctrine européenne du XVIe au XVIIIe siècle dans une étude parue en
1992 104. Deux questions peuvent ici retenir plus particulièrement l’attention : qui sont les
auteurs de cette époque et comment s’expriment-ils 105 ?

André Laingui dépeint une doctrine du droit pénal aux dimensions européennes, ne
connaissant pas les frontières et constituée de praticiens-docteurs, c'est-à-dire avant tout
d’avocats ou de magistrats et rarement de purs professeurs 106. Ces auteurs, surtout italiens,
jouissent d’une grande autorité comme Julius Clarus, Farinacius, Matheus ou encore
Menocchius dont les opinions sont largement reprises et citées par les criminalistes

102
V. par exemple MM. MERLE et VITU, Traité de droit criminel, Procédure pénale, 5e éd., op. cit.,
n° 144, note 2.
103
En outre, beaucoup d’auteurs de l’ancien droit restent inaccessibles pour des raisons matérielles tenant
aussi bien à l’accès à de tels documents qu’à la langue latine très utilisée à l’époque.
104
La doctrine européenne du droit pénal à l’époque moderne (XVIe-XVIIIe siècle), Revue d’histoire des
facultés de droit et de la science juridique, n° 13,1992. La première interrogation qui ouvre cette étude
porte sur la place de la doctrine dans les sources de l’Ancien droit pénal et témoigne du point de vue
adopté. En effet, une telle question n’aurait pu être posée par des juristes qui ne connaissaient pas la
théorie des sources du droit et qui par conséquent ne se demandaient pas s’ils en faisaient partie ou
devaient en être exclus. Cependant, comme le souligne M. Laingui, cela n’empêche pas certains auteurs,
tel Muyart de Vouglans, d’établir une hiérarchie des sources du droit.
105
Le jugement de Voltaire sur les criminalistes est quant à lui fort sévère, son dictionnaire philosophique
comporte une rubrique intitulée « criminaliste », voici ce qu’on peut y lire : « Dans les antres de la
chicane, on appelle grand criminaliste un barbare en robe qui sait faire tomber les accusés dans le piège
(…) Il mérite d’être pendu à la place du citoyen qu’il fait pendre.»
106
A. LAINGUI, La doctrine européenne du droit pénal à l’époque moderne, op. cit., p. 80.

48
La doctrine pénale de l’ancien droit et la protection de l’innocence

français 107. Ces derniers, hormis Jousse et Muyart de Vouglans, n’ont pas le même
rayonnement mais jouissent néanmoins d’une certaine audience en France. Parmi ceux-là,
on peut citer Le Brun de la Rochette 108, Couchot 109, Rousseau de la Combe 110 ou encore un
auteur plus ancien comme Ayrault 111.

La grande particularité de cette doctrine est que « loin d’être une simple autorité », elle
constitue une véritable « source vivante du droit pénal » 112. M. Laingui souligne à cet égard
que l’avis unanime des auteurs est l’une des sources où le juge puise ses arguments et même
parfois ses décisions. C’est la multiplicité des sources du droit 113 en vigueur au cours de
cette période qui conduit la doctrine, selon l’expression d’Esmein, à s’incorporer à toutes
les autres sources du droit pour les discipliner 114. À travers les traités généraux ou spéciaux
de droit pénal, les recueils d’arrêts notables 115 ou dictionnaires d’arrêts 116, les criminalistes
élaborent les théories les plus importantes du droit pénal et subordonnent la
jurisprudence 117.

La doctrine criminaliste de l’ancien droit est donc d’une importance capitale dans
l’élaboration et la diffusion du droit criminel. Cependant, la description, l’explication, la
critique et le comblement des lacunes de ce droit criminel ne font aucune place à la notion
de présomption d'innocence. C’est l’étude des développements consacrés aux notions
d’accusation, de preuve, d’instruction criminelle, d’absolution, et de jugement qui autorise
une telle conclusion.

107
A. Laingui donne l’exemple de Jousse qui allègue continuellement les deux premiers auteurs italiens
dans son Traité de la justice criminelle de 1771. On pourrait ajouter le fameux Dictionnaire de
jurisprudence et des arrêts de Brillon qui n’hésite pas lui non plus à s’appuyer sur de telles autorités.
Quant à Muyart de Vouglans, il débute ses Institutes au droit criminel par une liste d’auteurs,
essentiellement étrangers, auxquels il a estimé devoir recourir tant ils ont cultivé l’étude des matières
criminelles tout en restant injustement peu connus en France, préface, p.viij-ix.
108
Jurisconsulte, auteur de Les procès civil et criminel, 1637.
109
Avocat, auteur de Le praticien universel, 1747.
110
Avocat, auteur d’un Traité des matières criminelles, dont la sixième édition date de 1756.
111
Professeur de droit civil, avocat célèbre puis lieutenant criminel, auteur de L’ordre, formalité et
instruction judiciaire.
112
A. LAINGUI, La doctrine européenne du droit pénal à l’époque moderne, op. cit., p. 83.
113
La préface des Institutes de Muyart de Vouglans illustre bien cette multiplicité, l’auteur y dresse la
liste des « sources les plus pures du droit » auxquelles il a eu recours: le droit romain (qui supplée aux
ordonnances du Royaume et dont il sert d’ailleurs de fondement), le droit canonique (qui a imprégné
l’instruction criminelle), les ordonnances, édits, déclarations et arrêts de règlement (qui constituent la
jurisprudence française en la matière), l’avis des auteurs les plus accrédités en cette matière, et enfin, pour
la partie spécialement consacrée à l’instruction criminelle : l’ordonnance criminelle de 1670, celle de
1737 ainsi que les édits et déclarations se rapportant plus particulièrement à certaines questions.
114
A. LAINGUI, La doctrine européenne du droit pénal à l’époque moderne, op. cit., p. 79.
115
A lui seul ce genre littéraire semble traduire l’influence et la prédominance de la doctrine dans
l’élaboration du droit criminel de l’Ancien Régime, M. Laingui fait d’ailleurs remarquer, qu’en l’absence
de cour suprême et de publication régulière ou officielle des décisions, l’arrêt notable est toujours ainsi
qualifié par la doctrine et ne fait qu’entériner une solution ou une opinion doctrinale, p.79.
116
Dont le dictionnaire de Brillon qui semble l’ouvrage le plus pratiqué du XVIIIe siècle, plus ancien, le
recueil de Papon était lui aussi célèbre.
117
A. LAINGUI, La doctrine européenne du droit pénal à l’époque moderne, op. cit., p. 88.

49
L’objet dans le discours

B- LE DISCOURS

39. Recherches dans les ouvrages de l’époque. Les traités consacrés aux matières
criminelles sont généralement volumineux et très développés. L’organisation de la structure
de ces œuvres n’a rien à envier aux traités et manuels que nous connaissons de nos jours.
On s’y repère le plus souvent grâce à une table des matières qui en réalité se présente
comme nos actuels index. Naturellement, et conformément à ce qu’enseigne la doctrine
moderne, c’est tout d’abord dans les développements consacrés à la preuve criminelle qu’il
convenait de vérifier l’absence de toute référence à la présomption d'innocence. Cependant
cette matière ne fait pas toujours l’objet d’une division bien identifiable, il arrive que
certains auteurs la traitent uniquement au titre de l’instruction criminelle118 ou l’abordent à
propos des notions d’absolution ou de jugement. C’est la raison pour laquelle il a paru
préférable d’étendre le champ des investigations au-delà de la seule partie spécialement
consacrée aux preuves criminelles.

Au terme de cette étude, il apparaît que les auteurs n’enseignent aucune règle ni principe
qui déterminerait l’attribution du fardeau de la preuve. La formulation d’une quelconque
présomption d'innocence ne pouvait donc y figurer. Elle ne figure pas davantage au titre des
présomptions dont les divers types sont énumérés dans le détail par les auteurs. En matière
d’accusation ou de jugement, aucune présomption d'innocence n’est invoquée comme règle
imposant au juge de trancher en faveur de l’innocent lorsque le cas est douteux. Ce constat
suffit donc à vérifier que les criminalistes n’ont pas enseigné aux accusateurs, juges
instructeurs et magistrats l’existence d’une présomption d'innocence à laquelle ils devaient
soumettre la conduite du procès criminel.

Il n’y aura rien d’étonnant à cela pour la doctrine postérieure qui, avec le recul du temps,
enseignera que l’organisation du procès criminel issue de l’ordonnance de 1670 était tout
entière fondée sur la présomption de culpabilité de l’accusé119. On doit néanmoins faire
remarquer que cette idée de culpabilité présumée va à l’encontre de la philosophie qui
anime la fameuse théorie des preuves légales. Il s’agit du système de preuves en vigueur du
Moyen Âge jusqu’à la fin de l’Ancien Régime et qui réglait de façon précise la valeur de
chaque moyen de preuve 120. En effet, s’il est vrai que c’est la logique perverse de cette

118
Ce qui est du reste tout à fait logique puisque l’instruction s’organise tout entière autour de la
recherche des preuves. Dans ses Loix criminelles dans leur ordre naturel, 1780, Muyart de Vouglans
intitule quant à lui la seconde partie de son ouvrage : de l’instruction et de la preuve en matière
criminelle.
119
Voir infra, n° 157.
120
Ce système fixait a priori une sorte de valeur scientifique à chaque moyen de preuve si bien que le
juge n’avait d’autre choix, en présence de telle ou telle preuve, de condamner l’accusé. On l’oppose au
système de l’intime conviction, introduit dans notre droit en 1791, en ce qu’il n’autorisait pas le juge à
évaluer la force des preuves selon sa conscience. Pour le détail de son fonctionnement on peut consulter
directement les anciens auteurs tels Jousse et Muyart de Vouglans ou indirectement les présentations qui

50
La doctrine pénale de l’ancien droit et la protection de l’innocence

théorie des preuves légales qui a conduit à légaliser la torture, pour obtenir l’aveu des
suspects contre lesquels il n’y avait pas assez de preuves, il convient de rappeler que
l’élaboration d’un tel système repose sur l’idée qu’il faut avant tout protéger les innocents.

40. Poids du discours sur la protection des innocents. L’aspect protecteur de l’innocence
qui caractérise la théorie des preuves légales n’a pourtant jamais été souligné par les auteurs
des siècles suivants. Il semble avoir été occulté ou totalement méconnu. Plus encore, c’est le
caractère éminemment doctrinal de cette théorie qui échappe aux criminalistes postérieurs si
prompts à en souligner le caractère absurde et légal 121. Seul le recours aux études
historiques permet de comprendre cette origine doctrinale. La dénomination de preuves
légales est trompeuse, car en réalité la légalité dont il s’agit ici marque plutôt la force
obligatoire du système élaboré à partir du droit savant du Moyen Âge que son origine
légale 122.

Ainsi doit-on admettre non seulement qu’il s’agit là d’une illustration supplémentaire du
rôle des criminalistes, mais aussi que si la pratique judiciaire de l’Ancien Régime a connu
les excès que l’on sait et qui ont été vivement combattus, l’esprit de l’ancien droit criminel
reste attaché à la protection de l’innocence 123. C’est ce dont témoigne le discours des
criminalistes. Car en réalité, l’absence de la présomption d'innocence dans le discours
savant ne signifie pas que l’accusé doit être présumé coupable ni qu’il ne fait l’objet
d’aucun égard. Le souligner est capital si l’on se souvient, qu’à cette époque, la doctrine
s’assimile à une véritable source du droit criminel. Ainsi peut-on considérer que les règles
énoncées par les criminalistes, et plus particulièrement celles qui régissent le domaine de la
preuve, constituent de véritables directives qui s’imposent aux juges. À tout le moins, sont-
elles les règles qui lui serviront à trancher les questions dont les solutions ne figurent pas

sont faites par les historiens du droit, notamment, A. ESMEIN, Histoire de la procédure criminelle en
France, Frankfort, Verlag Sauer et Auvermann, réédition,1969, p. 260.
121
La doctrine du XIXe siècle et du XXe siècle s’adonnera volontiers à une caricature de cette théorie afin
de mieux justifier le système de l’intime conviction, jugé quant à lui comme le meilleur système de
preuve, le seul acceptable, particulièrement en raison de son caractère rationnel. V. notamment, A.
RACHED, L’intime conviction, thèse, Paris, 1942.
122
M. Laingui et Mme Lebigre expliquent en effet que : « La théorie des preuves légales est ainsi un
exemple remarquable du rôle joué par la coutume sociale, c'est-à-dire d’origine doctrinale et
jurisprudentielle, dans l’ancien droit pénal. Ce caractère montre suffisamment que la référence à la
« légalité » des preuves est arbitraire et inexacte. », Histoire du droit pénal, t. II, procédure criminelle,
Cujas, 1979, p.111. M. Carbasse le fait lui aussi observer : « En réalité, il n’y a ici aucune loi formelle,
mais seulement l’opinion unanime des docteurs. Il vaudrait mieux parler d’une théorie des preuves
objectives», Histoire du droit pénal et de la justice criminelle, op. cit., n° 98.
123
Monsieur Astaing, dont l’étude s’intéresse au rôle de la doctrine dans la mise en oeuvre et la
formulation des droits de l’accusé, a d’ailleurs bien montré combien le droit de l’Ancien Régime a pu
faire l’objet d’une approche tronquée par les chercheurs modernes. Les historiens, aussi bien que les
juristes, ne se sont pas assez départis des préjugés défavorables lorsqu’ils ont cherché à appréhender la
procédure criminelle de l’Ancien Régime, V. Droits et garanties de l'accusé dans le procès criminel
d'Ancien Régime, op. cit., n° 8 et s. Cela explique sans doute, encore aujourd’hui, que l’ancienne
procédure criminelle n’évoque que barbarie pour les juristes contemporains. Comme M. Astaing, notre
propos n’est évidemment pas de procéder à une réhabilitation de l’ancien droit mais seulement de
rappeler l’existence de certains de ses aspects positifs qui ont été occultés.

51
L’objet dans le discours

dans l’ordonnance de 1670 124 notamment. Dans un tel contexte on mesurera la valeur des
énoncés doctrinaux qui ont pour objet, non pas la présomption d'innocence mais d’une
manière plus large, la protection de l’innocence.

§ 2. LA PROTECTION DE L’INNOCENCE DANS LE DISCOURS DES ANCIENS AUTEURS

41. La référence constante à un principe ancien. Naturellement, comme cela vient d’être
dit, la protection de l’innocence est un thème présent dans le discours relatif à la preuve
criminelle. C’est à cette occasion que la règle « Il vaut mieux laisser échapper un coupable
que de condamner un innocent » est invoquée. Cela dit, cette maxime est très présente chez
les auteurs et son invocation dépasse le cadre de la preuve, c’est semble-t-il le signe que les
anciens criminalistes lui conféraient une portée générale 125. Elle est la traduction du rescrit
de Trajan reproduit dans le Digeste : Satius enim esse impunitum relinqui facinus nocentis,
quam innocentem damnare 126. On trouve chez les auteurs plusieurs formulations voisines
qui, dans tous les cas, sont invoquées comme un principe naturel et ancien qu’il convient de
respecter.

Toutefois, la nécessité de protéger l’innocence a pu être exprimée sous une formulation


très moderne. L’ouvrage à la fois ancien et célèbre intitulé L’ordre, formalité et instruction
judiciaire de Pierre Ayrault 127 peut ici retenir l’attention. Le propos de cet auteur sur
l’absolution sans connaissance de cause est remarquable. Contrairement aux auteurs qui lui
succèderont, Ayrault donnera en effet une formulation de la présomption d’innocence très
proche de celle que nous connaissons au XXIe siècle. L’auteur explique que : « Il peut donc
être aussi agréable et odieux d’absoudre que de punir : mais la question est de savoir, où il
est moins dangereux de se tromper. Si c’était après le procès fait et parfait, il n’y a point de
doute que bien que la faute soit égale à deux, qu’il y a toutefois moins de danger à
absoudre qu’à condamner. Car premièrement la présomption est toujours pour
l’innocence » 128. Mais à cette époque c’est le seul exemple d’une telle formulation. Les
auteurs, au XVIIe et XVIIIe siècle, se référeront constamment au rescrit de Trajan.

124
« Jousse a écrit cela, et Jousse est l’esprit, la raison et la jurisprudence. Le juriste Maynard ne disait-
il pas en traitant une question : les jurisconsultes ont ordonné ? Et ils ont en effet ordonné, surtout dans
la justice criminelle. Toutes les lacunes de notre législation criminelle, si incomplète, si décousue,
tombant en ruine sont, si je puis parler ainsi, bouchées des maximes des criminalistes. », le propos est du
magistrat Charles Dupaty, connu pour son Mémoire justificatif pour trois hommes condamnés à la roue
de 1786 et cité par A. LAINGUI, La doctrine européenne du droit pénal à l’époque moderne, op. cit., p. 76-
77.
125
D’ailleurs, dans l’épître dédicatoire au roi qui débute ses Loix criminelles dans leur ordre naturel,
Muyart de Vouglans termine en écrivant : « en un mot, elles sont la sauvegarde de l’innocence et la
terreur du crime ».
126
D.48, 19, 5. V. A. LAINGUI, Les adages du droit pénal, Rev.sc.crim., 1986, p. 35.
127
L’ordre, formalité et instruction judiciaire dont les anciens grecs et romains ont usé es accusations
publiques, Paris, Sonnius, 3e éd., 1604.
128
P. AYRAULT, L’ordre, formalité et instruction judiciaire, op. cit., p. 108.

52
La doctrine pénale de l’ancien droit et la protection de l’innocence

Ainsi, le dictionnaire de Brillon invoque-t-il la maxime Satius enim esse impunitum


relinqui facinus nocentis, quam innocentem damnare pour mettre en garde contre les
accusations mal fondées qui sont terribles pour l’innocence et l’honneur des honnêtes gens
et qui méritent par conséquent d’être évitées et sanctionnées 129.

Couchot signale la règle à propos des enquêtes et informations pour lesquelles il


remarque que : « quoi qu’il soit important de punir les crimes, il est encore plus important
de rechercher scrupuleusement la vérité pour ne pas s’exposer au hasard de perdre un
innocent » 130. Puis, estimant qu’il s’agit là d’une belle leçon aux juges qui s’abandonnent
aux conjectures et présomptions, il la cite à nouveau, en français cette fois, pour justifier
que dans le doute on doit plutôt incliner à l’absolution qu’à la condamnation.

Jousse et Muyart de Vouglans ne manquent pas d’y faire eux aussi référence. S’agissant
de la question des sentences, jugements et arrêts, Jousse pose qu’« il vaut mieux qu’un
crime demeure impuni que de faire souffrir un innocent » et justifie cette proposition en
expliquant que « quoique la recherche et la punition des crimes soient infiniment
favorables, la protection de l’innocence doit l’être encore davantage» 131. De manière plus
diffuse mais non moins certaine, la protection de l’innocence se manifeste dans le discours
de Jousse lorsqu’il énonce ses dix maximes relatives à la manière d’estimer la force des
preuves, c'est-à-dire lorsque celles-ci se balancent entre elles. Dans ce cas, il prescrit au juge
de les examiner avec prudence et sagesse, mais surtout de considérer la faveur pour
l’innocence qui seule prévaudra 132. Enfin, Jousse énonce, comme première règle
particulière pour l’examen de la preuve, que les crimes ne se présument point et qu’ils
doivent être prouvés. Il en tire la conséquence que dans le doute il faut toujours interpréter
l’action de l’auteur en bonne part 133.

Quant à Muyart de Vouglans, il invoque la règle à deux reprises. Elle est d’abord citée
dans le chapitre que le criminaliste consacre aux privilèges de l’accusé, privilèges qui
découlent selon lui de l’idée que le mal ne se présume pas. Au titre des privilèges dont jouit
l’accusé 134, l’auteur cite la nécessité de preuves claires et évidentes pour asseoir une
condamnation (à une peine capitale), mais surtout le devoir d’incliner à l’absolution plutôt
qu’à la condamnation en cas de doute, qui justifient de citer la maxime « satius est
impunitum relinqui facinus nocentis, quam innocentem damnari ». Elle est également

129
Dictionnaire de jurisprudence et des arrêts, ou nouvelle édition du dictionnaire de Brillon par PROST
DE ROYER, 1780, t. 2, pp. 212 ; 262 ; 448.
130
Le praticien universel, Paris, J. Rollin, 1747, 2 volumes.
131
D. JOUSSE, Traité de la justice criminelle de France, Paris, Debure, 1771, t. II, p. 590.
132
Traité de la justice criminelle de France, op. cit., t. I, p. 669.
133
Traité de la justice criminelle de France, op. cit., t. II, p. 580.
134
Ce sont : la non-renonciation à sa défense, l’impossibilité de le condamner sans l’avoir entendu ou sur
sa seule confession, le renvoi en cas de défaut de preuve, la valeur de preuve des présomptions qui sont
favorables à la défense, V. Institutes au droit criminel, Paris, Le breton, 1757, p. 67.

53
L’objet dans le discours

énoncée plus loin pour justifier la cinquième obligation du juge en rendant son jugement et
qui consiste « À pencher dans le doute en faveur de l’absolution, plutôt que de la
condamnation de l’accusé, suivant cette belle maxime de l’Empereur Trajan… » 135. Pour
terminer, signalons que cette règle sera rappelée avec un certain éclat dans la lettre que
l’auteur adressa au Roi en 1766 et qui est connue sous le nom de Réfutation des principes
hasardés dans le traité des délits et des peines. Celui que l’on a appelé « l’anti-
Beccaria » 136 y rappelle que, suivant les lois romaines et la jurisprudence, « dans les cas
douteux le juge doit incliner pour la clémence, par la raison que l’on doit toujours pencher
en faveur de l’innocence de l’accusé » 137.

Au terme de ce rapide détour par les écrits des anciens criminalistes il apparaît bien que
la présomption d'innocence ne constitue pas un objet de discours. Il a néanmoins permis,
d’une part de souligner qu’aucune présomption de culpabilité n’est pour autant évoquée par
les auteurs, et surtout d’autre part, que la protection de l’innocence n’est pas ignorée de ce
discours.

Pourtant, selon le discours savant actuel, la recherche de cette protection est le plus
souvent mise au crédit des seuls réformateurs qui ont répandu leurs idées à la veille de la
Révolution. Ce sont eux, qui auraient « inventé » la présomption d'innocence que les
constituants auraient approuvée en l’inscrivant dans la Déclaration des droits de l’homme et
du citoyen. Cette idée, largement admise au XXe siècle invite à s’intéresser au discours des
réformateurs afin d’y rechercher les germes de ce qui deviendra l’article 9 de la Déclaration.
Ce sera l’objet du deuxième volet de cette section, consacré cette fois au discours des
lumières pénales.

135
Institutes au droit criminel, op.cit., p. 359-360.
136
A. LAINGUI, P.-F. Muyart de Vouglans ou l’anti-Beccaria, Revue de la société internationale d’histoire
de la profession d’avocat, 1989, p. 69. En effet, Muyart est souvent présenté comme le seul criminaliste
de l’Ancien Régime à s’être opposé au courant réformateur du XVIIIe siècle, en prenant notamment pour
cible les écrits de Beccaria.
137
Cette lettre est reproduite in P.-F. MUYART DE VOUGLANS, Les loix criminelles de France dans leur
ordre naturel, Paris, Mérigot, 1780, p. 811.

54
La doctrine pénale de l’ancien droit et la protection de l’innocence

SECTION 2 : LE DISCOURS DES LUMIÈRES PÉNALES

42. L’idée d’une conquête révolutionnaire dans le discours contemporain. C’est au


mouvement philosophique du XVIIIe siècle que l’on doit les bases du droit pénal moderne
qui nous régit aujourd’hui et dont les principes ont été consacrés dans la Déclaration des
droits de l’homme et du citoyen. Il s’agit là d’une origine bien connue et souvent rappelée
par les auteurs modernes. La célébration du bicentenaire de la Révolution française a
d’ailleurs donné une bonne occasion aux juristes, et aux pénalistes en particulier, de
souligner l’importance de cette date dans la l’évolution de notre droit138.

En ce qui concerne la présomption d'innocence, les pénalistes suggèrent fortement


qu’elle trouve son origine dans cette période. Ainsi, M. Pradel a-t-il pu expliquer que la
présomption d’innocence a été imaginée au XVIIIe siècle par les philosophes et certains
juristes. Il a même donné pour exemple une référence assez surprenante au traité des
donations entre vifs de Pothier 139.

Le plus souvent cependant, c’est à Cesare Beccaria que la doctrine attribue l’origine
directe de l’article 9 de la Déclaration : « Cet article, dont l’histoire prouvera qu’il était
nécessaire mais très insuffisant, est directement issu du Traité des délits et des peines de
Cesare Beccaria qui affirmait dès 1764 que la " justice doit respecter le droit que chacun a
d’être cru innocent" » 140. Cette filiation avérée de l’article 9 laisse supposer que la notion

138
Voir par exemple : en 1988 le n° 8 de la revue Droits consacré à la Déclaration de 1789 et le n° 17
consacré à La Révolution française ; La Révolution et l’ordre juridique privé, rationalité ou scandale ?
Actes du colloque d’Orléans, PUF, 1988 ; S. RIALS, La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen,
Paris, Hachette, 1988.
139
J. PRADEL, Procédure pénale, op. cit., 9e éd., n° 267. Mais l’auteur abandonnera cette référence dans
les éditions postérieures de son manuel. Il est vrai qu’on trouve chez Pothier une référence à l’innocence
présumée. En effet, le célèbre civiliste se demande si la donation faite par un accusé de crime capital,
pendant l’accusation, doit être faite pour cause de mort, lorsque le donateur est mort avant le jugement. Il
répond ainsi : « Il faut dire que non; car si l’innocence doit se présumer plutôt que le crime, le donateur
qui est mort depuis, pendant l’accusation, doit être présumé innocent: s’il est présumé innocent, on ne
doit pas croire qu’il a fait sa donation dans la persuasion qu’il seroit condamné, et qu’il ne pourroit plus
long-temps conserver les choses par lui données », p. 233-234 du Traité des donations entre vifs in
Œuvres de Pothier, publiées par M. Siffrein, tome treizième, Paris, 1823. Ce passage ne permet
cependant pas de conclure, comme M. Pradel le fait, à une invention de Pothier. Il est plutôt la
manifestation éclatante que les juristes du XVIIIe siècle considéraient comme bien acquis le principe
selon lequel l’innocence doit se présumer. Nous aurons l’occasion d’y revenir plus longuement dans des
développements spécifiques à cette question. Nous retiendrons seulement que le raisonnement de Pothier
ne s’inscrit pas dans un mouvement de réforme et qu’il n’a pas non plus pour objectif d’enseigner la
notion de présomption d’innocence. Ce n’est d’ailleurs guère surprenant compte tenu de la nature
exclusivement civiliste du traité. Ce qui est en revanche plus mystérieux, c’est que Pothier ne semble pas
avoir envisagé cette présomption dans le traité qu’il a consacré à la procédure criminelle.
140
Ch. LAZERGES, La présomption d'innocence, in Libertés et droits fondamentaux, Dalloz, 7e éd., 2001,
p. 496. adde. J. LÉAUTÉ, Le caractère irréparable de la perte de l’innocence, in L’innocence, travaux de
l’institut de criminologie de Paris, Neret, 1977, p. 4 : « Beccaria, dans son Traité des délits et des peines
publié en 1764, expose qu’une société civilisée devait établir, au contraire [de la présomption de
culpabilité qui pesait sur l’accusé dans l’ordonnance de 1670] une présomption légale d’innocence en
faveur de tous les accusés, quelles que soient les charges rassemblées contre eux ». M. Essaïd fait lui

55
L’objet dans le discours

de présomption d'innocence fut l’un des enjeux de ce mouvement réformateur mené par les
lumières pénales. Pourtant, à s’y intéresser de plus près, il est permis d’en douter. Il
semblerait plutôt que les modernes ont un peu vite affirmé cette filiation, sans véritablement
en vérifier la mesure et l’exactitude 141.

Il se pourrait en effet que l’influence de Beccaria sur le droit pénal moderne ait été par
trop généralisée. Si cette influence a été grande et incontestable, il n’est en revanche par
certain que l’on doive à l’auteur italien la formulation de la présomption d'innocence. On
observera à cet égard que toutes les idées contenues dans le traité des délits et des peines
n’ont pas eu la même portée réformatrice. Certaines de ces idées n’ont d’ailleurs aucune
influence sur les réformateurs de la procédure criminelle. Il suffit, pour s’en convaincre, de
se souvenir que dans son traité Beccaria plaidait pour l’abolition de la peine de mort 142 et de
constater le temps qui s’est écoulé pour que celle-ci soit consacrée en France. On
remarquera surtout que, si l’on attribue volontiers à Beccaria l’article 9 de la déclaration, et
plus généralement la présomption d'innocence à la philosophie des lumières, ce n’est que
lorsqu’il s’agit de raisonner sur leur origine. En revanche, les études qui prennent pour point
de départ la genèse de la Déclaration ou l’apport de la philosophie des lumières n’invoquent
que très rarement la présomption d'innocence au titre des acquis révolutionnaires. Il y a là
une raison de penser que la présomption d'innocence ne constituait pas tout à fait une
conquête révolutionnaire.

43. Recherche de l’influence des lumières pénales. Ce n’est pas seulement une
consultation des œuvres qui ont marqué ce mouvement qui autorise un tel jugement, c’est
également un regard sur les travaux préparatoires à la Déclaration des droits de l’homme et
du citoyen. Ces derniers doivent en effet retenir l’attention puisqu’ils devraient permettre de

aussi une large place, parmi les sources historiques de la présomption d'innocence, au mouvement des
idées au XVIIIe siècle. À cette occasion, il élève Beccaria au rang « d’éminent criminaliste » et juge que :
« C’est certainement dans le traité « des délits et des peines » de Beccaria que cette présomption
d'innocence est affirmée avec le plus de solennité et d’insistance », La présomption d’innocence, Paris,
Laporte, 1971, n° 39 ; adde : H. DAOULAS, Présomption d'innocence et preuve pénale, étude comparée
des droits français, anglais et canadien, thèse, Poitiers, 1999, n° 8 et en dernier lieu, N. CATELAN,
L’influence de Cesare Beccaria sur la matière pénale moderne, PUAM, 2004.
141
Notons, au passage, que ni les historiens du droit, ni les pénalistes, ne se sont engagés dans une
recherche fouillée sur l’histoire de la présomption d'innocence. Nous aurons l’occasion d’y revenir dans
la deuxième partie, avec cependant quelques nuances concernant de récentes études et les propos de M.
Carbasse d’ailleurs largement ignorés des pénalistes pour ce qui touche à la présomption d'innocence.
142
Traité des délits et des peines, § XVIII, nouvelle traduction par CHAILLOU DE LISY, in Bibliothèque
philosophique du législateur, du politique, du jurisconsulte, éditée par J.-P. BRISSOT DE WARVILLE, tome
I, 1782. Dans la suite de nos développements, les références au traité correspondront à cette traduction et
cette édition. Ce choix est justifié par deux considérations. La première résulte du fait que Chaillou de
Lisy a fourni, avec celle de Morellet, une version essentielle, respectant le plan original et la présentation
de Beccaria, V. sur ce point l’introduction de MM. Ancel et Stéfani à une nouvelle traduction française
du Traité des délits et des peines, Paris, Cujas, 1966, p. VII. La seconde est qu’elle a paru dans la
Bibliothèque de Brissot. En effet, compte tenu de l’époque de publication et de l’audience de Brissot, il
est probable que cette version a pu être connue du plus grand nombre, assurant ainsi une des conditions
de son influence.

56
La doctrine pénale de l’ancien droit et la protection de l’innocence

mesurer l’influence qu’a pu avoir le discours réformateur sur les rédacteurs de la


déclaration. Aussi, convient-il de s’intéresser en premier lieu à l’objet du discours
réformateur pour aborder en second lieu celui des travaux ayant conduit au texte de la
Déclaration.

§ 1. L’OBJET DU DISCOURS RÉFORMATEUR

A- LES LUMIÈRES PÉNALES

44. Notion de lumières pénales. Nous entendons par lumières pénales le discours qui a eu
pour objet la critique de la procédure criminelle de l’Ancien Régime. Dans un souci de
clarté, on peut distinguer d’un côté, le discours des philosophes et de l’autre, celui des
juristes ou intellectuels qui se sont exprimés essentiellement à l’occasion des concours
ouverts par des sociétés savantes et à travers les brochures publiées à la veille de la
Révolution. Les lumières pénales, pour la part qui nous concerne ici, peuvent être réduites à
Montesquieu et Beccaria ainsi qu’aux auteurs dont les discours semblent avoir jouit d’une
certaine audience. On observera à cet égard que la formule « présomption d’innocence », ou
des éléments approchants, est absente de la célèbre Encyclopédie de Diderot et d’Alembert
dans laquelle elle a été recherchée mais sans aucun succès. Cette œuvre ne comporte une
entrée au mot « accusé » que dans son supplément et ne semble pas faire place à une
quelconque notion de présomption d’innocence dont l’accusé aurait le bénéfice. Elle est
encore ignorée au titre des présomptions, qui sont pourtant définies et illustrées pour ce qui
touche à la matière criminelle.

45. Montesquieu et Beccaria. Beccaria, disciple de Montesquieu, et les esprits critiques


qui ont lu le Traité des délits et des peines 143 ont-ils dessiné les contours de ce qui allait
devenir l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, siège de la
présomption d'innocence ? Il serait hasardeux de prétendre pouvoir répondre avec
exactitude et précision à cette question. Elle mériterait probablement à elle seule une étude
approfondie d’histoire des idées. Or notre objectif est d’une ambition beaucoup plus
modeste, il consiste seulement à demander si le discours des lumières pénales contient, de
façon significative, un objet dénommé présomption d'innocence et présenté comme une
revendication.

S’agissant de Montesquieu, c’est à L’esprit des lois que l’on se réfère le plus souvent. Or
dans cette œuvre de philosophie politique, Montesquieu n’entre pas dans les questions de
détail relatives à la procédure criminelle, si bien qu’il n’est guère surprenant de n’y trouver
la trace d’aucune formulation de la présomption d'innocence. On retient cependant assez

143
Brissot de Warville illustre bien cette influence de Beccaria sur le discours postérieur, Bibliothèque,
tome I, avis de l’éditeur, p. 5.

57
L’objet dans le discours

souvent cette conclusion de Montesquieu relative à la liberté d’un citoyen : « C’est donc de
la bonté des lois criminelles que dépend principalement la liberté du citoyen (…) Quand
l’innocence des citoyens n’est pas assurée, la liberté ne l’est pas non plus » 144. Le souci de
protéger l’innocence est ici encore exprimé.

Mais c’est Beccaria qui a écrit une véritable critique des lois criminelles, et c’est dans
celle-ci qu’il paraît bien plus pertinent de rechercher la présomption d’innocence. Les
auteurs modernes s’appuient sur un passage, désormais incontournable, du Traité des délits
et des peines pour attester de la paternité de Beccaria dans l’élaboration de l’article 9 de la
Déclaration des droits de l’homme. C’est en effet en critiquant l’usage de la Question 145 que
Beccaria aurait défendu la présomption d'innocence. Et il est vrai que, dans le style qui a
concouru à son succès, l’auteur a su justifier la nécessité de préserver l’accusé d’une telle
souffrance par la probabilité de son innocence : « C’est une barbarie consacrée par l’usage
chez la plus grande partie des nations, que celle d’appliquer un coupable à la question
pendant qu’on poursuit son procès (…). Cependant un homme ne saurait être regardé
comme coupable avant la sentence du juge, et la société ne doit lui retirer sa protection
qu’après qu’il est convaincu d’avoir violé les conditions auxquelles elle la lui avait
accordée (…) Ou le délit est prouvé, ou il ne l’est pas ; s’il l’est, on n’a plus besoin d’autre
peine que celle que la loi inflige, et l’aveu du coupable n’étant plus nécessaire, rend inutile
la question ; s’il ne l’est pas, il est affreux de tourmenter celui que la loi regarde comme
innocent» 146.

46. Absence de « la présomption d’innocence » chez Beccaria. On apercevra sans


difficulté que Beccaria n’élabore en rien une présomption d'innocence. N’est-ce pas là
seulement admettre que la torture est inadmissible tout simplement parce qu’elle frappe
d’une peine un accusé qui n’a pas encore été déclaré coupable ? Du reste, on ne peut
raisonnablement affirmer que Beccaria a milité en faveur d’un principe de présomption
d'innocence. En effet, outre l’absence de la formule dans son discours, ce sont certains de
ses autres propos qui vont à l’encontre de ce que les modernes tiennent en partie pour la

144
De l’esprit des lois, Livre XII, chapitre 2. En outre, Montesquieu ne traite pas directement de la
torture, il renvoie aux œuvres de A. Nicolas (Si la torture est un moyen sûr à vérifier les crimes secrets.
Dissertation morale et juridique) et P. Ayrault (L’ordre, formalité et instruction judiciaire, op. cit.).
145
Aujourd’hui on dira plutôt la torture, terme plus parlant. L’ordonnance criminelle de 1670 distingue la
question préparatoire de la question préalable et assortit leur mise en oeuvre de conditions.
Juridiquement, la question est fondée sur l'existence d'indices laissant présumer la culpabilité et l'absence
de preuve pleine pour mener directement à la condamnation. La question dite préparatoire précède le
jugement définitif et vise à contraindre l'accusé à confesser son crime dans les cas d'accusation capitale,
tandis que la question dite préalable ordonnée par le jugement définitif, est appliquée aux accusés
condamnés à mort en vue de la dénonciation de leurs complices. L'avantage de la question préparatoire
est de compléter des charges insuffisantes par l'obtention d'un aveu, afin de former une preuve pleine de
culpabilité permettant une condamnation. Mais la validité de l’aveu prononcé à l’occasion de la question,
était soumise à une confirmation ultérieure par serment.
146
C. BECCARIA, Traité des délits et des peines, op. cit., §. XVI, p. 75-76.

58
La doctrine pénale de l’ancien droit et la protection de l’innocence

signification de la présomption d'innocence. Il en est ainsi par exemple, du « plus ample


informé », que Beccaria présente comme une garantie contre les accusés renvoyés faute de
preuves qui ne sont ni absous ni condamnés et qui restent, tout le temps de la prescription,
sous l’œil vigilant des lois 147. Or ce type de jugement est très exactement contraire à l’idée
d’innocence présumée, dès lors qu’il est fondé sur la présomption inverse et prononcé dans
l’attente de preuves de culpabilité plus concluantes.

Cette absence, dans le discours de Beccaria, d’un objet qui prendrait pour forme la
présomption d’innocence ne doit pas faire négliger l’importance que l’auteur semble
accorder à la protection des innocents. Ce qu’il convient de retenir du fameux passage ici
reproduit, c’est l’expression : « celui que la loi regarde comme innocent », celle-ci laisse
clairement entendre que la loi postule déjà cette innocence. Reste à se demander si les
discours réformateurs qui ont fleuri dans la décennie précédant la Révolution ont prolongé
le discours de Beccaria au point de disserter sur la présomption d’innocence. À cet égard, il
a paru pertinent de s’intéresser aux discours et dissertations publiés dans la Bibliothèque de
Brissot.

B -BRISSOT DE WARVILLE ET LES RÉFORMATEURS

47. La Bibliothèque philosophique du législateur, du politique et du jurisconsulte. En


choisissant d’éditer les « meilleurs discours, dissertations, essais, fragments, composés sur
la législation criminelle par les plus célèbres écrivains pour parvenir à la réforme des lois
pénales dans tous les pays », Brissot de Warville a favorisé la diffusion de nombreux
discours écrits par les auteurs les plus influents du mouvement de la réforme du droit 148.
Cette d’ailleurs dans cette Bibliothèque philosophique du législateur, du politique et du
jurisconsulte de dix volumes qu’il publie ses propres essais, dont son fameux discours sur
Les moyens d’adoucir la rigueur des lois pénales en France sans nuire à la sûreté publique,
couronné en 1780 par l’Académie de Châlons-sur-Marne. Outre le traité de Beccaria et les
écrits d’auteurs étrangers, on trouve dans cette Bibliothèque les discours et mémoires des
noms les plus marquants de cette période. Il en est ainsi de Servan, célèbre avocat général
au parlement de Grenoble, de Bergasse, de Marat ou encore de Vermeil 149.

48. L’objet des discours réformateurs. Ces auteurs plaident–ils pour une réforme
instituant une présomption d'innocence en matière criminelle ? À vrai dire ce n’est pas
vraiment leur propos. En effet, celui-ci s’inscrit dans un grand mouvement qui se caractérise
bien plus par son sens critique à l’égard des abus en matière criminelle que par un souci de

147
C. BECCARIA, Traité des délits et des peines, op. cit., §. XXX, p. 135.
148
M. ALBERTONE, Droit et lumières dans une vocation cosmopolite : J.-P. Brissot à la veille de la
Révolution, in La Révolution et l’ordre juridique privé, rationalité ou scandale ? op. cit., p. 39.
149
Peut-être moins célèbre mais cependant bien connu, cet avocat au parlement de Paris aurait été, selon
le dictionnaire Brillon, lu partout dans le monde.

59
L’objet dans le discours

construire un nouveau modèle de procédure criminelle. Trois points semblent retenir


l’attention du plus grand nombre de ces auteurs : la question, l’emprisonnement et
l’arbitraire judiciaire. Dans le prolongement de Beccaria, l’accent sera mis sur l’atrocité de
la question et son inutilité, sur l’insalubrité des prisons et l’injustice qu’il y a à y jeter des
accusés dont la culpabilité n’est pas encore admise. Mais une question aussi importante que
l’emprisonnement avant jugement n’est pas combattue, elle est au contraire jugée
nécessaire 150, de même pour le plus ample informé ou le hors de cour que l’on veut
conserver tout en les limitant 151.

En matière de preuves, les réformateurs assènent comme une litanie les exigences que
l’on a déjà rencontrées, elles doivent être certaines pour autoriser la condamnation. Les
passages qui sont parfois consacrés aux preuves, ne contiennent pas de référence à la
présomption de l’innocence. Deux exceptions très notables doivent cependant être
mentionnées. On trouve en effet chez Vermeil ce passage relatif aux preuves et indices « Un
accusé doit être absous s’il n’existe point de preuves contre lui ; son innocence est
présumée par cela seul : il n’est pas obligé de prouver qu’il n’a point donné la mort à cet
homme dont l’assassinat forme l’objet de la poursuite ; il suffit qu’aucun témoin ne le
charge de ce crime. Gardons nous de porter atteinte à des maximes pareilles ; Ce serait
violer les droits les plus sains de l’humanité » 152.

Un autre auteur, Mably, a quant à lui écrit : « Ce n’est pas assez que les lois soient
douces et humaines pour être aimées des citoyens, il faut qu’on sache qu’on n’en a rien à
craindre en remplissant ses devoirs, et qu’elles accordent une protection certaine à
l’innocence. Elles doivent donc toujours présumer que l’accusé est innocent » 153. Or c’est
bien de la douceur et de l’humanité, non seulement des lois mais aussi des juges, que les
lumières pénales ont essentiellement traité. À l’exception de ces deux auteurs, dont les
passages ne laissent pas d’être troublants, il convient d’admettre que la présomption
d'innocence n’est pas un objet du discours réformateur pris dans son ensemble. En effet,
voudrait-on y voir cependant les prémices de ce qui deviendra le contenu de l’article 9 de la
Déclaration que le doute demeurerait encore. Vermeil évoque une présomption d’innocence
en matière de preuve alors que la Déclaration raisonne exclusivement sur l’arrestation.
Mably, en s’abstenant d’affirmer que l’accusé a un droit à être présumé innocent, raisonne

150
Déjà Ayrault, après avoir loué la bonté des premières législations romaines sur cette question, avait dû
admettre que l’expérience du passé montrait que si les accusés ne tenaient pas prison, il était impossible
de les convaincre.
151
Par exemple, Vermeil dans son Essai sur les réformes à faire dans notre législation criminelle, in
Bibliothèque philosophique de Brissot, tome IX, plaide seulement pour la suppression du plus amplement
informé indéfini. Selon lui, le plus amplement informé d’un an n’emportera pas d’infamie, il peut rendre
l’accusé suspect mais si sa conduite ultérieure est d’une honnêteté soutenue, les gens de bien
n’imputeront son infortune qu’à un concours de circonstances malheureuses.
152
Essai sur les réformes à faire dans notre législation criminelle, op. cit.
153
MABLY, De la législation ou principe des lois, 1776, in Œuvres complètes, 1791, tome XII, p. 324.

60
La doctrine pénale de l’ancien droit et la protection de l’innocence

quant à lui de façon plus générale et considère que c’est la loi tout entière qui doit présumer
l’innocence.

Seul le thème plus général de la protection de l’innocence est objet de cette littérature
éclairée. Le discours de Servan prononcé devant ses pairs peut illustrer à lui seul combien
cet objet est prégnant : « Ayons le courage de nous rappeler le souvenir de ces lamentables
histoires consignées dans toutes les archives de la magistrature ; de ces fatales erreurs, qui
ont fait périr l’innocence sous les apparences du crime. Juges malheureux, mais
excusables, vains jouets d’un hasard cruel qui se plaisait à marquer une tête innocente de
tous les caractères du crime ! » 154.

Il faut bien avouer cependant que toute la bibliothèque Brissot n’a pu faire l’objet d’une
analyse approfondie, ni d’ailleurs les mémoires justificatifs écrits pour la défense de
certains accusés. C’est une raison suffisante pour ne pas s’en tenir là et poursuivre cette
investigation dans le discours des constituants. L’attention que mérite cette littérature est
d’ailleurs doublement justifiée. Les projets de déclaration élaborés au cours de l’été 1789
sont précieux pour mesurer l’influence des lumières pénales sur l’écriture de la Déclaration.
Ils représentent en outre le point de départ des discussions qui ont conduit à l’adoption des
articles définitifs du texte auquel les pénalistes se réfèrent abondamment aujourd’hui.

§ 2. LE DISCOURS PRÉPARATOIRE À LA DÉCLARATION DES DROITS DE L’HOMME ET DU


CITOYEN

49. Importance des dispositions à caractère pénal dans la Déclaration. La doctrine


moderne du droit pénal voit dans les articles 7, 8 et 9 de la Déclaration des droits de
l’homme et du citoyen la consécration des principes formulés par les lumières pénales à la
fin du XVIIIe siècle. Plus encore, il est admis que la Déclaration répond aux revendications
insistantes consignées dans les cahiers de doléances et auxquelles les rédacteurs de la
Déclaration se sont efforcés de répondre point par point : « La présomption d'innocence
sera inscrite avec force à l’article 9» 155.

L’idée que la Déclaration consacre la présomption d'innocence est une composante


majeure du discours doctrinal depuis la deuxième moitié du XXe siècle, surtout après la
première thèse sur le sujet écrite par M. Essaïd, pour lequel « Il ne fait aucun doute que les
rédacteurs de la Déclaration de 1789 subirent directement l’influence des philosophes» 156.
Déniant le caractère abstrait de l’article 9, il juge même que ce texte ne se borne pas à

154
Discours sur l’administration de la justice criminelle, 1767, in Bibliothèque philosophique du
législateur, du politique, du jurisconsulte, de Brissot de Warville, tome II.
155
M. DELMAS-MARTY, La Déclaration de 1789 et le droit pénal, in Quelques aspects des sciences
criminelles, Travaux de l’institut de sciences criminelles de Poitiers, vol. 10, 1990, p. 79-80.
156
La présomption d'innocence, op. cit., n° 45.

61
L’objet dans le discours

proclamer un droit naturel mais à faire de la présomption d'innocence « un principe de


technique juridique destiné à dominer toute la procédure pénale» 157. Était-ce là l’intention
des constituants ? La première proposition de l’article 9 : « Tout homme étant présumé
innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable …» répond-t-elle à ces attentes nourries
des réflexions engagées par les lumières pénales 158 ? Dans l’affirmative, il faut s’attendre à
ce qu’une place soit faite à cette notion de présomption d'innocence dans le discours
préparatoire à la Déclaration.

50. Méthode de recherche. Dans cette optique de recherche, l’ouvrage présenté par
Stéphane Rials 159 est d’une grande utilité puisqu’il propose, outre un tableau de l’année
1789 et la genèse précise du travail déclaratoire, un dossier comportant un grand nombre de
projets de Déclaration. L’étude de ce discours préparatoire n’est cependant pas aussi aisée
qu’elle pourrait l’être pour les débats parlementaires actuels. La retranscription des débats
est précieuse mais souvent incomplète. Un tel défaut est probablement imputable au
désordre qui a caractérisé les débats de cet été 1789 160.

A- LES TRAVAUX PRÉPARATOIRES

51. Les cahiers de doléances. Avant même d’aborder l’étude des projets de Déclaration,
Stéphane Rials invite à consulter les cahiers de doléances. Il résulte de la présentation qu’il
en donne et des extraits qu’il reproduit, la certitude que le peuple réclamait une déclaration
des droits. Néanmoins la notion de présomption d'innocence n’y figure pas : « Au premier
rang des droits revendiqués par tant de cahiers, on trouve bien sûr la liberté civile, celle de
la presse et la propriété ; les cahiers s’étendent aussi volontiers, parfois de façon détaillée
et technique, sur les garanties fiscales ou judiciaires, dénonçant de façon le plus souvent
virulente les lettres de cachet, exigeant, sans employer, sauf exception, l’expression, une
forme d’habeas corpus, glosant sur les droits de la défense et la proportionnalité des peines
(…)» 161.

Certains cahiers contiendront même des projets de Déclaration 162. Aucun d’entre eux
n’annonce pourtant l’article 9 de la Déclaration définitive. Il en va d’ailleurs de même pour
la grande majorité des autres projets rédigés au cours de l’été 89.

157
La présomption d'innocence, op. cit., n° 47.
158
M. Laingui peut nous en faire singulièrement douter puisqu’il avoue ne pouvoir donner l’origine de
cette formule, V. Les adages du droit pénal, op. cit., p. 34.
159
S. RIALS, La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, op. cit.
160
Sur ce point voir E. WALCH, La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et l’assemblée
constituante, thèse, Paris, 1903 et S. RIALS, La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, op. cit.,
p. 119.
161
S. RIALS, La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, op. cit., p. 116.
162
Voir le dossier présenté par Stéphane Rials à la fin de son ouvrage.

62
La doctrine pénale de l’ancien droit et la protection de l’innocence

52. Les projets de Déclaration. L’objet pénal de ces projets est, très essentiellement,
concentré sur la liberté et les arrestations 163, ils ne font quasiment aucune référence à
l’innocence 164. La plupart des auteurs qui allaient jouer un rôle actif au sein de l’Assemblée
ont proposé des textes qui ne posaient pas l’accusé en présumé innocent165. Une place
particulière mérite d’être faite à Adrien Duport 166 à qui on attribue parfois la paternité de
l’article 9. Il est vrai qu’il a joué un rôle certain dans l’adoption de ce texte comme l’étude
de la phase de rédaction définitive va le montrer.

B- LA DISCUSSION DES PROJETS ET L’ADOPTION DE LA DÉCLARATION DES DROITS DE


L’HOMME ET DU CITOYEN
167

53. Discussion du projet du sixième bureau de l’assemblée. La discussion article par


article de ce qui allait devenir la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen repose sur
l’examen du projet de Déclaration écrit, non pas par le Comité des cinq, mais par le sixième
bureau. Ce dernier projet 168 ne comportait pas davantage de référence à la présomption de
l’innocence que tous les autres dont on a déjà parlé. Les comptes rendus des débats ayant
présidé à l’adoption de l’article 9 prennent, dans ces conditions, toute leur valeur pour la
recherche qui nous intéresse. Ils demeurent finalement les seuls documents susceptibles de
nous enseigner ce que les constituants ont voulu inscrire dans ce fameux texte.

54. Débats des constituants. C’est le 22 août 1789 que devaient être adoptés, après un
« débat solennel », les dispositions pénales de la Déclaration : les articles 7, 8 et 9. La
discussion porta sur l’article 14 169 du projet du sixième bureau et donna l’occasion aux
divers intervenants d’enrichir le débat par de nouvelles propositions d’article.

163
De nombreux projets, sinon la totalité, prévoient bien la limitation des arrestations dans les cas et dans
les formes prévus par la loi, la légalité des délits et la proportionnalité des peines sont évoquées. De façon
plus générale, compte parmi les droits les plus essentiels le droit à la sûreté individuelle.
164
Exceptés par ex : « Tout accusé que le jugement déclare innocent a droit d’être dédommagé par ses
accusateurs », art.19 du projet de Déclaration des droits contenu dans la cahier de doléance du Tiers état
du bailliage de Nemours, in S. RIALS, La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, op. cit., p. 550
et s. ou encore « Les lois criminelles se rapportent à la liberté civile, lorsque tout homme innocent peut
agir sans craindre un châtiment injuste, et lorsque tout homme coupable peut-être jugé sans craindre un
châtiment excessif. », 11° al. 3 du projet de Déclaration de Servan, in La Déclaration des droits de
l’homme et du citoyen, op. cit., p. 577.
165
Il en va ainsi des projets de Déclaration de Mirabeau. Cet acteur célèbre de la Révolution avait rédigé
un tel projet dès le mois d’avril 1788, in S. RIALS, La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen,
op. cit., p. 519, puis un nouveau, en août 1789 mais cette fois ci au nom du Comité des cinq qui avait été
constitué en vue d’examiner les divers projets de Déclaration et d’en soumettre un nouveau qui servirait
de base à la discussion de l’Assemblée, in S. RIALS, La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen,
op. cit., p. 747. La remarque vaut également pour les projets de Condorcet, Sieyès, Brissot, Mounier,
Target, Thouret, et Duport.
166
V. P. PONCELA, Adrien Duport, fondateur du droit pénal moderne, Droits, n° 17, 1993, p. 139.
167
V. aussi sur la genèse de l’article 9, H. HENRION, La nature juridique de la présomption d’innocence,
thèse, Montpellier 1, 2004, n° 205 et s.
168
Projet de Déclaration du sixième bureau, juillet 1789, in S. RIALS, La Déclaration des droits de
l’homme et du citoyen, op. cit., p. 621 et s.
169
« Nul citoyen ne peut être accusé ni troublé dans l’usage de sa propriété, ni gêné dans l’usage de sa
liberté qu’en vertu de la loi, avec les formes qu’elle a prescrites et dans les cas qu’elle a prévus ».

63
L’objet dans le discours

Enrichissement dont il est difficile de connaître les détails en raison du désordre des débats
menés à l’Assemblée où l’ordre du jour était peu respecté par les intervenants et où seules
quelques voix réussissaient à se faire entendre. En réalité on a pu dire que le débat relatif
aux questions pénales devait s’avérer l’affaire de quelques uns des députés, ceux qui
s’étaient organisés en un véritable groupe de pression et qui maîtrisaient le jeu
parlementaire en utilisant la question préalable, la clôture de la discussion et les
amendements. Ce sont d’ailleurs ces derniers qui ont présidé à l’adoption des dispositions
de la déclaration qui présentent un caractère pénal 170.

55. La rédaction de l’article 9. C’est à cette occasion, et seulement à celle-ci, que Duport,
proposa l’article suivant : « Tout homme étant innocent jusqu’à ce qu’il soit condamné, s’il
est jugé indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer
de sa personne, doit être sévèrement réprimée » 171. Plusieurs projets d’articles apparurent
d’un tel mérite que l’on demanda à leurs auteurs de se réunir pour offrir une rédaction
commune. Ainsi, Duport, Target et Bonnay proposèrent l’article 9 suivant : « Tout homme
devant être innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable, s’il est jugé indispensable de
l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer de sa personne doit être
sévèrement réprimée par la loi ». Cela étant, aucun document ne permet de connaître les
raisons et circonstances qui ont conduit Duport à cette formulation 172. Le Point du jour
relate que le texte commun aux trois députés devait susciter une carrière d’amendements.
Ce journal 173 mentionne qu’un intervenant 174 fit cette remarque : qu’« il fallait énoncer ces
principes des loix romaines, dont la sagesse est peut-être trop dédaignée ou trop méconnue
dans ce siècle, qu’un accusé doit être présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été condamné »,
ce à quoi Mougins de Roquefort répondit : « les mots : « devant être » présentaient un
170
R. MARTUCCI, Le « parti de la réforme criminelle » à la constituante, in La Révolution et l’ordre
juridique privé, rationalité ou scandale ? op. cit., p. 230: « Ce jeu qui produisit le texte des articles VII,
VIII et IX de la Déclarations des droits, fort technique et très loin de la rédaction déclamatoire proposée
par le sixième bureau de l’Assemblée Nationale ».
171
V. E. WALCH, La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et l’assemblée constituante, op. cit.,
p. 160 et qui donne en référence Le hodey, III, p. 49. Cet article est précédé par celui-ci : « La loi ne peut
établir de peines que celles qui sont strictement et évidemment nécessaires ; et nul ne peut être puni qu’en
vertu d’une loi entièrement établie et légalement appliquée ».
172
Les Archives Parlementaires exposent assez longuement la genèse de l’article 7 à partir de l’article 14
du projet de Déclaration, en revanche, l’adoption définitive de l’article 9 n’est pas relatée. Seule la
première formulation de Duport puis la version définitive sont reproduites. On peut cependant s’étonner à
la lecture des rares indications données par Duport pour justifier les deux articles qu’il proposait. En effet,
il semblerait que l’article qui nous intéresse s’explique par la volonté de Duport de voir les lois plus
douces à l’égard des coupables. « Il expose qu’il existe en France un usage barbare de punir les
coupables, lors même qu’ils ne le sont pas encore déclarés (…) que cependant c’est une vérité que les
précautions que l’on doit prendre pour s ‘assurer des coupables ne font pas partie des peines. C’est
d’après ces idées qu’il propose le projet suivant ; deux principes en sont la base, l’égalité des peines
pour les mêmes délits, et la douceur dans les moyens de s’assurer des coupables», A. P. tome VIII, p.
471.
173
Le Point du jour ou résultat de ce qui s’est passé la veille à l’Assemblée Nationale, tome II, séance du
vendredi 22 août 1789.
174
Le journal indique le nom de Lachaife mais aucun député ne répond à ce patronyme. Peut-être s’agit-il
de De Lacheze, député du tiers et lieutenant général de la sénéchaussée.

64
La doctrine pénale de l’ancien droit et la protection de l’innocence

doute et que l’expression « étant présumé » valait mieux ». Il est dit que cet amendement
passa sans que l’on en sache davantage.

Sans entrer dans le détail, Stéphane Rials attribue bien ce processus d’adoption à Duport
en indiquant qu’avec lui, « Il s’agit bien de formuler les articles à vocation pénale » en
développant « la thématique dominante de la philosophie pénale des Lumières depuis, au
moins, Beccaria » et d’ajouter : « Duport (…) a trouvé là des expressions beaucoup plus
heureuses que celles de son propre projet pour synthétiser la vaste aspiration qui s’est
déployée dans les cahiers de doléances et dans tous les projets 175».

Quoi qu’il en soit la remarque vaut sans aucun doute pour ce qui a trait à la deuxième
proposition de l’article 9 qui, comme nous l’avons effectivement vu, répond parfaitement au
contenu des divers projets. Elle ne semble cependant pas, au regard des indications qui
viennent d’être données, devoir concerner la formule « Tout homme étant présumé
innocent ». À vrai dire, son introduction reste assez mystérieuse et ne répond ni au discours
réformateur des lumières pénales, ni aux revendications contenues dans les cahiers de
doléances, ni enfin aux projets débattus devant l’Assemblée.

Il y a bien pourtant ces formules troublantes de Vermeil et de Mably qui s’approchent


davantage d’une formulation de la présomption d’innocence que Beccaria. Le premier
affirme clairement que l’absence de preuve de culpabilité fait présumer l’innocence et le
second estime que les lois doivent toujours présumer l’innocence. Peut-on pour autant
affirmer que ces deux auteurs ont eu une influence sur les rédacteurs de la Déclaration ? La
première version de l’article 9 qu’offrit Duport n’emploie pas le terme présumé, pas plus
d’ailleurs que la version, moins heureuse, rédigée en commun avec Target et Bonnay . Ce
n’est finalement qu’à Mougins de Roquefort que l’on doit, in extremis, cette formule « Tout
homme étant présumé ». Le moins que l’on puisse dire, c’est que cette genèse rend difficile
à la fois une recherche du sens de l’expression et une recherche de la volonté des
constituants.

56. La question de l’influence de l’Habeas Corpus. Les lumières pénales ont-elles été
éclairées par le droit anglais ? On sait que nombres d’esprits, dont Montesquieu, vantaient
les mérites de la législation anglaise et proposaient aux réformateurs de s’en inspirer.
L’adoption du jury criminel en droit français est ainsi souvent présentée comme une
transposition du jury anglais. L’influence, ou la force inspiratrice, des règles d’outre-
Manche ne fait aucun doute. Mais peut-on regarder la présomption d’innocence, en
particulier l’adoption de l’article 9 de la Déclaration comme une traduction de l’Habeas
corpus ?

175
S. RIALS, La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, op.cit., p. 234-235.

65
L’objet dans le discours

L’Habeas Corpus Act de 1679 qui exprime une pratique anglaise née au Moyen Âge,
prévoit que tout citoyen arrêté doit se voir notifier dans les vingt-quatre heures la nature du
délit qui lui est reproché. Surtout, le texte permet au prisonnier de saisir un juge, afin qu’il
vérifie la légalité de la détention, et d’obtenir sa liberté sous caution. Certains auteurs ont pu
estimer que « le principe consacré par les constituants français de 1789 fait écho, à
l’évidence », à l’Habeas corpus britannique et voir dans la procédure anglaise le second
berceau de la présomption d’innocence 176. « Le concept de « présomption d’innocence »
apparaît, sous sa forme moderne, avec l’Habeas Corpus et la Déclaration des Droits
prononcées à la fin de XVIIe siècle en Angleterre » explique un autre auteur 177. En réalité,
si l’existence de l’Habeas corpus a pu influencer les lumières pénales, il n’est pas certain
que l’on puisse lire l’article 9 de la Déclaration française à la lumière du texte anglais 178. Ce
dernier se rattacherait davantage au problème des arrestations arbitraires. À cet égard, les
réformateurs français ont sans aucun doute souhaité lutter contre les fameuses lettres de
cachet. Mais la traduction de cette préoccupation serait plutôt à rechercher dans l’article 7
de la Déclaration 179. Comme le souligne un auteur assez critique à l’égard de l’Habeas
corpus, la loi anglaise de 1679 qui l’organise a pour objet de garantir la légalité l’arrestation
et non son opportunité. Dès lors qu’il existe un titre de détention valide, la remise en liberté
est exclue 180.

57. L’article 9 et la doctrine contemporaine. L’ensemble des remarques précédentes nous


semble suffisant pour ne pas la lire la formule de l’article 9 comme les autres énonciations
pénales de la Déclaration. Ce n’est pourtant pas l’avis de M. Essaïd dans l’interprétation
qu’il donne de l’article 9.

Répondant à « certains auteurs [qui] ont tendance à ne voir dans cet article et les deux
articles qui le précèdent que la consécration du principe de la liberté individuelle ou
sûreté », l’auteur l’interprète, au terme d’une « simple analyse littérale », comme une
proclamation du principe de la présomption d’innocence. La seconde proposition du texte,
relative à la protection de la liberté individuelle 181 est alors analysée comme la conséquence
du principe énoncé dans la première.

176
J. DÉCAMPS, La présomption d'innocence, entre vérité et culpabilité, op.cit., p. 9.
177
E. BAUZON, La présomption d’innocence et la charge de la preuve en droit romain, in La présomption
d’innocence, Revue de l’institut de criminologie de Paris, vol. 4, 2003-2004, Collection Essais de
philosophie pénale et de criminologie, Paris, Eska, 2004, p. 25. adde. CH. LAZERGES, La présomption
d’innocence en Europe, Arch. polit. crim., n° 26, 2004, p. 136.
178
Un auteur a d’ailleurs récemment souligné que l’origine anglo-saxonne de l’article 9 est incertaine et
préfère voir dans ce texte l’influence directe de Beccaria. V. H. HENRION, La nature juridique de la
présomption d’innocence, op. cit., n° 215 à 218.
179
V. n° suivant.
180
D. INCHAUPSÉ, Habeas Corpus, Confluences, 1999, préface, p. 11.
181
M.-J. ESSAÏD, La présomption d’innocence, op. cit., n° 45.

66
La doctrine pénale de l’ancien droit et la protection de l’innocence

Cette analyse, qui veut voir dans l’article 9 la formulation d’un principe relatif à la
présomption d’innocence est déterminante puisqu’elle sera reprise par la doctrine pénaliste,
de manière à donner ce qui sera pendant longtemps l’unique fondement textuel de la
présomption d’innocence 182. Pourtant, il paraît tout aussi envisageable de ne voir dans
l’article 9 qu’une consécration de la sûreté individuelle. C’est bien ce qui ressort de
l’analyse des discours proposée plus haut. C’est en outre ce qui ressort de la lecture des
articles 7, 8 et 9. En effet, alors que la Déclaration énonce les droits de l’homme, elle en
assortit la garantie par une obligation faite à la loi de punir leur violation et d’assurer leur
effectivité. Ainsi, l’article 7 qui énonce que : « Nul homme ne peut être accusé, arrêté ni
détenu que dans les cas déterminés par la loi et selon les formes qu’elle a prescrites »,
garantit ce droit à la liberté individuelle en ajoutant : « Ceux qui sollicitent, expédient,
exécutent ou font exécuter des ordres arbitraires doivent être punis » 183.

L’article 8 prévoit quant à lui que « la loi ne doit établir que des peines strictement et
évidemment nécessaires » ; et que « nul ne peut être puni qu’en vertu d’une loi établie et
promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée ». Le texte suivant procède de
la même manière en formulant le droit, pour la personne arrêtée, de ne pas se voir infliger
des rigueurs qui ne seraient pas nécessaires pour s’assurer de sa personne. La sanction de ce
droit est garantie par ce texte puisqu’il prévoit qu’une telle rigueur « doit être sévèrement
réprimée par la loi ».

Il semble alors raisonnable de penser que si la présomption d'innocence avait été l’objet
principal de l’article 9, et ce faisant formulée comme un droit, les rédacteurs auraient
naturellement écrit : « Tout homme doit être présumé innocent… ». Or, il n’en est rien. Les
constituants ont bien consacré un droit à l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme
et du citoyen, ce droit dont la formulation était effectivement « dans l’air » depuis des
années consiste à ne pas faire l’objet d’arrestation arbitraire ou illégale et à ne pas être
maltraité 184.

Ainsi, il est assez clair que l’article 9 consacre un droit à la sûreté assorti du droit à ne
pas être torturé. Il n’a donc pas pour objet la consécration de « la présomption
d'innocence ». En revanche, les dispositions pénales de la Déclaration sont sans aucun doute
l’exact reflet du discours des lumières pénales pour ce qui est de la protection de

182
Sur ce point et plus généralement sur l’interprétation de l’article 9 par les pénalistes, V. infra, n° 184 et
s.
183
Ce texte, on le sait, est l’aboutissement logique de la réclamation contenue dans les cahiers de
doléances concernant l’abolition les ordres arbitraires, Louis XVI avait d’ailleurs accédé à cette demande
en juin 1789 par l’abolition des fameuses lettres de cachet.
184
C’est d’ailleurs l’analyse de Jean-Marie Carbasse: « La formulation de cet article montre assez que
son objet essentiel, exprimé par le verbe principal, concerne toujours les précautions à prendre lors des
arrestations ; c’est en somme une simple explication de l’article 7. », Le droit pénal dans la déclaration
des droits, Droits, n° 8, 1988, p. 129.

67
L’objet dans le discours

l’innocence. La prééminence accordée à la loi pour assurer cette protection est évidente et
répond fidèlement aux aspirations exprimées tant dans le discours réformateur que dans les
projets de déclaration. C’est par les bornes et les formes qu’elle assignera au pouvoir des
juges que la loi assurera la garantie de ces droits par lesquels l’innocence trouvera une
meilleure protection.

58. L’évolution du discours doctrinal à travers le temps. À l’issue de cette première


analyse il convient d’en souligner les résultats quant à l’objet du discours considéré. Plus
précisément, il faut s’attacher aux discours considérés dans cette étude. En effet, si le
discours étudié était bien celui de la doctrine pénale de l’ancien droit, les directions
d’analyse ont été puisées dans le discours doctrinal des XXe et XXIe siècles. À suivre ces
directions et en les confrontant au discours antérieur, le constat est surprenant. Alors que
l’absence de la présomption d'innocence dans le discours des anciens criminalistes devait
aller de soi, on y trouve néanmoins la protection de l’innocence à travers des formules tirées
du droit romain et du droit savant du Moyen Âge. C’est en outre toujours la protection de
l’innocence qui est objet du discours réformateur, alors que cette fois, la doctrine du XXIe
siècle affirme l’existence de l’objet présomption d'innocence dès cette époque.

Du seul point de vue du discours doctrinal, et des connaissances qu’il expose, il est
frappant de constater cet écart particulier et balancé entre l’état du discours au XVIIIe siècle
et l’image qu’en donne la doctrine du XXe. Il résulte d’une occultation totale de l’ancienne
doctrine criminaliste au profit du seul discours des lumières pénales pourtant relativement
et objectivement pauvre sur notre question 185.

Il convient cependant de poursuivre, en conservant l’hypothèse d’une introduction de la


présomption d'innocence dans le droit pénal français à cette date sacrée de 1789. Car si le
discours antérieur ne prend pas pour objet la présomption d'innocence, il n’y a là finalement
rien de véritablement surprenant dès lors que l'on considère la Déclaration des droits de
l’homme et du citoyen comme la consécration et la formulation de la présomption
d'innocence. L’œuvre des constituants, en particulier avec l’article 9, serait alors le résultat
épuré de toutes ces réclamations, souhaits et batailles qui ont marqué les vingt dernières
années de l’Ancien Régime.

Dans un tel ordre d’idée, et c’était d’ailleurs bien cela qui animait les constituants, la
Déclaration des droits de l’homme et du citoyen doit être regardée comme un point de
départ, l’édifice stable sur lequel allait se construire le droit pénal moderne, l’énoncé des
droits essentiels de l’homme qui devait donner lieu à bien d’autres discours. C’est la raison
pour laquelle il y a tout lieu de penser qu’une fois consacrée, la formule « Tout homme étant

185
Sur la rupture que la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et la Révolution aurait opéré
dans l’histoire de la présomption d’innocence, V. infra, n° 155 et s.

68
La doctrine pénale de l’ancien droit et la protection de l’innocence

présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable » est devenue un objet de
discours disponible pour les criminalistes, mieux encore, il y a lieu de penser que
désormais, les auteurs étudieraient « la présomption d'innocence ». Ce sera l’objet d’un
second chapitre, consacré cette fois à la doctrine du droit pénal moderne, que de répondre à
la question de savoir si, après 1789, la doctrine pénale dite « moderne » discourt sur la
présomption d'innocence.

69
CHAPITRE 2
LA DOCTRINE DU DROIT PÉNAL MODERNE

59. La mise en œuvre des réformes en matière criminelle après la Révolution. La


Révolution française n’a pas seulement opéré une révolution politique, cette dernière fut
également juridique. Un droit nouveau devait naître, et plus particulièrement un droit pénal
rompant avec tous les abus de l’Ancien Régime et instaurant une législation plus conforme
à la philosophie, au sentiment d’humanité et surtout à la raison, qui avaient animé les plus
grands esprits réformateurs.

La nouvelle législation qui se met en place, au lendemain de l’adoption de la


Déclaration, correspond à ce que l’on appelle communément le droit pénal intermédiaire
c’est-à-dire les lois qui ont organisé la justice criminelle avant l’avènement des codes
napoléoniens de 1810. L’adoption définitive de la Déclaration des droits de l’homme est
très vite suivie des premières traductions législatives. Ainsi, répondant aux vœux formulés
dans les cahiers de doléances et aux principes inscrits dans la Déclaration, les constituants
vont s’atteler à la tâche en commençant par la constitution d’un comité de législation
criminelle 186.

Au mois de décembre 1789, Adrien Duport présente, au nom du comité de constitution,


les Principes fondamentaux de la police et de la justice qui devront servir de base de
réflexion aux députés lorsqu’ils aborderont la discussion du plan d’organisation de la police
et de la justice criminelle. Un article 23 de ce document propose d’instaurer la liberté sous
caution pour les petits délits. Cette liberté est justifiée de la manière suivante : « la société
n’a pas le droit de placer un citoyen dans des prisons malsaines ou incommodes, car un
homme prévenu, même accusé, est toujours présumé innocent » 187 explique Duport. Peut-on
estimer qu’il s’agit là d’une mise en œuvre du principe de la présomption d’innocence ?
Cela est douteux, car les textes qui vont suivre, n’inscriront nulle part la présomption
d’innocence. Le droit intermédiaire traduira sous forme de lois les grands principes du
nouveau droit criminel mais aucune ne mentionnera d’une quelconque façon la présomption
d'innocence. Ainsi le décret des 8-9 octobre 1789 188, en attendant une réforme complète de
la justice criminelle, adopte la publicité de la procédure criminelle, abolit le serment,
prévoit l’assistance d’un conseil pour l’accusé etc.

186
V. J.-J. CLÈRE, Les constituants et l’organisation de la procédure pénale, in La Révolution et l’ordre
juridique privé, rationalité ou scandale ? op. cit., p. 442.
187
A.P. tome X, p. 745.
188
Le droit intermédiaire fait l’objet de développements détaillés dans l’ouvrage de A. ESMEIN, Histoire
de la procédure criminelle, op. cit., p. 410 et s.

71
L’objet dans le discours

Le premier code pénal institué par la loi des 25 septembre et 6 octobre 1791 se conforme
aux vœux des Lumières et n’incrimine que les actes nuisibles à la société. Quant à la loi des
16-29 septembre 1791, d’une grande importance puisqu’elle anéantit l’ordonnance de 1670,
elle instaure le jury populaire pour le jugement des crimes, comme cela était envisagé et
discuté depuis longtemps, et consacre en même temps le nouveau système de preuve :
l’intime conviction des jurés. Puis en 1795, sera élaboré le Code des délits et des peines du
3 brumaire an IV, à la fois Code pénal et Code de procédure criminelle qui reprend, sous la
plume de Merlin (de Douai), les lois de 1791 en les aménageant quelque peu.

Mais vint la loi du 7 pluviôse an IX (1801) qui devait annoncer le Code d’instruction
criminelle. Elle opéra un vaste retour en arrière, notamment en rétablissant le ministère
public que la loi de 1791 avait supprimé, en introduisant à nouveau le secret dans la
procédure d’instruction et en substituant la procédure écrite à la procédure orale devant le
jury d’accusation. Les dérives du jury populaire, vivement critiqué pour sa partialité, étaient
à l’origine d’une partie de ce retour en arrière. Après de longs travaux préparatoires, dans
lesquels la présomption d'innocence ne semble pas avoir fait l’objet de débat, c’est le Code
d’instruction criminelle de 1808 qui allait consacrer un système procédural « hybride »,
c'est-à-dire empruntant à l’ordonnance de 1670 le caractère écrit et secret de la phase
d’instruction et empruntant aux innovations de 1791 pour la phase d’audience :
conservation du jury en matière criminelle, publicité, oralité, et assistance d’un avocat.

C’est dans ce contexte juridique particulier et nouveau que le discours des criminalistes
doit désormais être envisagé. Les criminalistes qui exposent la nouvelle procédure
criminelle resteront en réalité silencieux sur l’existence d’une présomption d’innocence
(Section 1). Cette dernière ne commencera à être réellement évoquée, par touches discrètes,
qu’avec les œuvres des nouveaux théoriciens de la preuve criminelle (Section 2).

72
La doctrine du droit pénal moderne

SECTION 1 : LE SILENCE DES CRIMINALISTES

60. Une doctrine nouvelle ?. Les bouleversements du paysage juridique pénal qui ont fait
suite à la Révolution soulèvent une question : à un droit pénal nouveau correspond-t-il une
doctrine nouvelle ? Cette question a déjà trouvé des réponses pour la doctrine du droit civil.
La codification aurait ainsi eu pour conséquence de modifier considérablement la façon
dont les civilistes concevaient leur travail. Vouant un culte certain à la loi et donc au Code,
on les a nommés exégètes. Ils n’auraient vu le droit civil que dans le code dont ils firent de
vastes commentaires. Peut-on conclure que la codification du droit pénal et de la procédure
criminelle a produit les mêmes effets ? Une chose est sûre, lorsqu’on parle de la doctrine de
l’Exégèse, ce sont les civilistes dont il est question, les criminalistes ne sont visiblement pas
concernés 189. En proposant de donner une image de cette doctrine du XIXe siècle (§1), on
sera ensuite mieux à même d’étudier sa littérature et de mesurer les conséquences du silence
de ces auteurs concernant la présomption d’innocence (§2).

§ 1. UNE IMAGE DE LA DOCTRINE CRIMINALISTE DU XIXe SIÈCLE

61. L’apparent désintérêt pour les auteurs de cette période. La doctrine criminaliste de
cette époque ne semble pas avoir intéressé outre mesure les juristes ni les historiens du droit
pénal. À notre connaissance, aucune étude semblable à celle qu’avait réalisé André Laingui
pour l’ancien droit, n’a été publiée. Si tel était pourtant le cas, admettons qu’elle serait
restée très confidentielle. Il s’agit peut-être là du signe qu’aucun intérêt ne peut être attaché
à ce type de démarche ou tout simplement que les criminalistes n’ont pas désiré constituer
l’histoire de leur savoir. Cela ne doit pas nous détourner de la voie qui est la nôtre. On peut
rapidement tenter d’approcher quelques-uns des acteurs de la science du droit pénal de cette
période et de décrire la scène sur laquelle ils ont œuvré.

62. Déclin des études juridiques au début du XIXe siècle. Julien Bonnecase a dressé un
tableau historique de la science du droit en France de 1789 à 1830. Se proposant d’aborder
l’œuvre de la doctrine du droit privé 190, il note que « d’une manière générale, la production
scientifique, de 1789 à 1804, n’a pas une grande valeur et [qu’elle] est plutôt limitée ». La
raison en est simple : « Le moment n’était pas aux études juridiques ; le calme nécessaire
189
Sur les exégètes, mais cette fois pour les « réhabiliter », PH. RÉMY, Éloge de l’exégèse, Droits, 1985,
n° 1, p. 115.
190
J. BONNECASE, La Themis, Paris, Recueil Sirey, 2e éd., 1914. L’ouvrage est consacré à la revue
éponyme qui a eu une courte vie (1819-1831) mais une grande importance pour la science du droit.
L’auteur s’était proposé de présenter cette revue, son fondateur et ses contributeurs. Il a fait précéder cette
présentation d’une introduction générale à l’histoire de la science du droit privé. L’auteur n’entend ici par
droit privé que le droit civil. Le droit criminel, que Bonnecase évoque à peine à propos des études dont il
a fait l’objet dans la revue, est rangé dans la branche publique du droit. Cela dit, certaines remarques
énoncées par l’auteur ont une portée assez générale pour servir notre propos.

73
L’objet dans le discours

manquait ; tous les jurisconsultes étaient absorbés par les évènements politiques ou
hésitaient à exprimer des opinions sur le droit privé qu’ils savaient à l’avance n’intéresser
personne et risquer d’être dangereuses pour eux-mêmes ». La remarque semble valoir pour
les œuvres de droit criminel.

L’instabilité, la fragilité, et la nouveauté de la législation pénale au lendemain de la


Révolution ne permettaient sans doute pas aux criminalistes d’élaborer des œuvres
doctrinales. À cela on peut ajouter, du côté de l’enseignement, la suppression des facultés
par un décret de septembre 1793 et la création des écoles centrales d’enseignement
secondaire et supérieur 191. L’enseignement du droit au travers des cours dits « de
législation » y est négligé, le recrutement des professeurs s’avère difficile et bien souvent
les avocats et les magistrats se détournent du recrutement qui profite à des mathématiciens,
philosophes ou moralistes 192.

Le programme des cours est libre et le niveau des auditeurs est faible, autant dire que la
période n’est pas favorable à la science du droit. Et encore s’agit-il là de l’enseignement du
droit en général. À considérer spécialement le droit criminel, on doit bien avouer que son
enseignement au sein des facultés, une fois rétablies, ne jouira pas d’un grand prestige ni
d’une grande considération durant le XIXe siècle (A). Cela ne doit toutefois pas empêcher
de rechercher quelle pouvait être la méthode de ces criminalistes (B).

A- DOCTRINE ET ENSEIGNEMENT DU DROIT CRIMINEL

63. L’exemple de la chaire de droit criminel de la Faculté de droit de Paris. Les


difficultés pour établir une chaire de droit criminel ont fait l’objet d’une étude détaillée qui
montre combien l’enseignement du droit criminel a eu peine à s’imposer après la
Révolution 193. La partie qui se joue à la Faculté de Paris a finalement pour enjeu aussi bien
l’enseignement du droit criminel à l’Université que des questions de politique. Deux
difficultés affectent l’enseignement du droit criminel, il s’agit d’une part de son autonomie
par rapport à l’enseignement de la procédure civile, et d’autre part de son contenu.

En effet, alors que ni le Code pénal ni le Code d’instruction criminelle n’ont été votés, la
loi qui organise les écoles de droit ne fait qu’une mince place à l’enseignement du droit
criminel, puisque c’est une chaire commune qui est crée, elle comprend un cours de
procédure civile, procédure criminelle et législation criminelle.

191
J. IMBERT, L’enseignement du droit dans les écoles centrales sous la Révolution, in La Révolution et
l’ordre juridique privé, rationalité ou scandale ? op. cit., tome I, p. 249-265. Ce n’est en réalité qu’à cette
date, par la loi du 7 ventôse an III (25.02.1795) que les universités disparaissent, l’application du premier
décret ayant été suspendue.
192
J. IMBERT, L’enseignement du droit dans les écoles centrales sous la Révolution, op. cit., p. 253 et s.
193
M. VENTRE-DENIS, La difficile naissance, à la Faculté de droit de Paris, de la première chaire
autonome de droit criminel (1804-1846), Revue d’histoire des facultés de droit et de la science juridique,
n° 12-1991, p. 151.

74
La doctrine du droit pénal moderne

Ce n’est qu’en 1830 que le droit criminel fera l’objet d’un enseignement distinct de la
procédure civile à la faculté de Paris. Il apparaît cependant que l’acquisition de cette
autonomie doit plus à des préoccupations politiciennes que scientifiques. Mme Ventre-
Denis explique que ce n’est que pour imposer la nomination de Le Seyllier qu’une nouvelle
chaire est créée 194. Elle sera cependant supprimée suite aux vives protestations qu’elle avait
suscitées. Le débat reprendra lors de la création d’une chaire de législation pénale comparée
au profit d’Ortolan. Les titulaires du cours de procédure civile, procédure criminelle et
législation criminelle, dont Berriat-Saint-Prix, se sentaient alors menacés. Pourtant les deux
chaires continuèrent à subsister. Ce n’est qu’après le décès de Berriat-Saint-Prix, qu’une
chaire autonome réunira en un seul enseignement, à partir de 1846, le droit criminel et la
législation comparée. Le dédoublement de la chaire de législation criminelle, de procédure
civile et criminelle, était vivement souhaité par les facultés de province mais elles n’ont
obtenu satisfaction qu’en 1872.

La seconde difficulté vint d’un professeur, Bavoux, qui fut à l’origine d’un scandale et
d’un procès au terme duquel il fut cependant acquitté. Son crime avait été, au cours de son
enseignement de droit pénal, d’avoir « excité à la désobéissance des lois ». C’est que le
professeur Bavoux, titulaire de la chaire de législation criminelle et de procédure criminelle
et civile, s’était permis de critiquer les lois pénales, en exposant à son auditoire les
changements qu’il désirait y voir apportés. Autrement dit, on reprochait au professeur
d’avoir exposé ce qui devait être plutôt que ce qui était. Une controverse s’engagea alors sur
ce que l’on devait entendre par enseignement de législation criminelle, « commentaire
critique ou simple explication du texte des lois ?» 195.

64. Ortolan, Bonnier, Faustin-Hélie et autres criminalistes célèbres. L’enseignement de


législation pénale comparée qu’assurait Ortolan dans cette même faculté, réactualisa cette
question quelques années plus tard. Ortolan, choisi pour son libéralisme, soutenait en effet
un enseignement du droit criminel qui ne se bornait pas à une simple explication du contenu
des lois. Parce qu’il avait une conception philosophique et morale de l’enseignement du
droit criminel 196, Ortolan entendait l’enrichir par des considérations liées à l’esprit de la loi,
à son but, ou encore en abordant cette discipline dans le contexte social plus large au sein
duquel elle s’inscrit.

Plusieurs des criminalistes du XIXe siècle qui ont laissé trace de leur appartenance à la
doctrine, ont enseigné à la Faculté de Paris. Ortolan avait été bibliothécaire à la Cour de

194
M. VENTRE-DENIS, La difficile naissance, à la Faculté de droit de Paris, de la première chaire
autonome de droit criminel, op. cit., p.158-159.
195
M. VENTRE-DENIS, La difficile naissance, à la Faculté de droit de Paris, de la première chaire
autonome de droit criminel, op. cit., p. 154.
196
M. VENTRE-DENIS, La difficile naissance, à la Faculté de droit de Paris, de la première chaire
autonome de droit criminel, op. cit., p. 178.

75
L’objet dans le discours

cassation avant de devenir professeur, son ouvrage de référence 197 fait une large place aux
sources anciennes du droit pénal, et notamment au droit romain, il y expose en outre ses
vues philosophiques et disserte sur le droit de punir. Le cours de Berriat-Saint-Prix, qui
enseigna durant quarante ans, a été lui aussi publié 198. Le Seyllier, qui était avocat, même
s’il avait finalement peu enseigné à la Faculté de Paris, est l’auteur d’un traité de droit
criminel en six volumes 199.

À ces auteurs, il convient d’ajouter Bonnier, qui avait été titulaire de l’une des deux
chaires de législation criminelle et de procédure civile et criminelle et qui publia un traité
sur la preuve civile et criminelle 200.

S’il n’était pas professeur, Faustin-Hélie, conseiller à la Cour de cassation, a publié un


célèbre traité qui fait encore aujourd’hui référence 201. Les spécialistes de la matière
criminelle ne manquent pas à cette époque, sans doute l’ampleur du droit à faire connaître
peut-il l’expliquer. Ainsi, d’autres auteurs, professeurs en province ou praticiens, ont-ils
produit une littérature consacrée au droit criminel. II faut penser à Morin, avocat au Conseil
d’État et à la Cour de cassation qui a réalisé un répertoire de droit criminel 202. On peut en
outre songer à Trébutien, professeur à la Faculté de droit de Rennes 203, à Le Graverend,
ancien directeur des affaires criminelles et avocat 204, à Bourguignon 205, ou encore à d’autres
tel Rossi, professeur de droit constitutionnel mais auteur d’un traité de droit pénal bien
connu.

Reste à poser cette question : quelles sont les caractéristiques du discours de ces
criminalistes ? L’affaire Bavoux qui avait marqué l’enseignement du droit criminel à la
Faculté de Paris et qui avait éclaboussé également les cours qu’y dispensait Ortolan, donne
un début de réponse assez éclairant.

197
Éléments de droit pénal, Paris, Plon, 1855. Pour une étude détaillée sur Ortolan : M. VENTRE-DENIS,
Joseph-Elzear Ortolan, un juriste dans son siècle, Revue d’histoire des facultés de droit et de la science
juridique, n° 16-1995, p. 173.
198
Cours de droit criminel, Paris, Nève, 3e éd., 1825.
199
Traité du droit criminel, Paris, Thorel, 1844.
200
Traité théorique et pratique des preuves en droit civil et en droit criminel, Paris, Plon, 5e éd., 1888. V.
infra, n° 75.
201
Traité de l’instruction criminelle, Paris, Plon, 2e éd., 1866-1867, 8 volumes. On notera que si l’erruer
commune peut faire le droit, elle ne saurait renommer les personnes : cet auteur que l’on nomme, jusque
dans les notices de la Bibliothèque nationale de France, Faustin-Hélie, avait en réalité un prénom qui
n’est pas Faustin. Il demeure toutefois extrêment difficile de retrouver le prénom exact de monsieur
Faustin-Hélie tant l’habitude a été prise de considérer qu’il s’agisait de Faustin.
202
Répertoire général et raisonné du droit criminel, Paris, 1850, 2 volumes.
203
Auteur d’un Cours élémentaire de droit criminel, Paris, 1854, 2 volumes.
204
Il a écrit un Traité de législation criminelle en France, en deux volumes dont la troisième édition date
de 1830.
205
Les opinions que cet avocat a consignées dans sa Jurisprudence des codes criminels, publiée en 1825,
sont souvent citées par les autres criminalistes.

76
La doctrine du droit pénal moderne

B- LA MÉTHODE DES CRIMINALISTES DU XIXe SIÈCLE

65. Un discours pour l’essentiel descriptif. Le discours de ces auteurs est plutôt orienté
vers la description pure et simple du droit positif. La systématisation des matières
criminelles et l’élaboration de théories d’ensemble constituent, semble-t-il, une démarche
prématurée. C’est que la législation pénale est en grande partie nouvelle et l’heure est à
l’explication ordonnée de ce droit codifié. Cela signifie notamment que les criminalistes
n’ont pas pour mission « officielle » de critiquer ces lois. La théorie du droit pénal n’est pas
prisée des ministres de l’instruction publique qui voient d’un mauvais œil les écarts de
certains professeurs de législation criminelle. La littérature du droit pénal produite à cette
époque se ressent de cette conception.

Contrairement aux traités écrits sous l’Ancien Régime, les ouvrages du XIXe siècle
témoignent assez peu de la personnalité et des idées de leurs auteurs. On a affaire à des
volumes consacrés en majeure partie à une explication des codes, explication linéaire, voire
article par article, qui s’enrichit d’illustrations puisées dans la jurisprudence de la Cour de
cassation. Il est par ailleurs assez rare de voir les auteurs enseigner la partie historique de
leur discipline. Quant aux considérations de philosophie ou de théorie pénale, elles sont le
plus souvent exclues de ces ouvrages.

66. Le commentaire des codes. On peut aisément en juger en lisant la préface écrite par
Faustin-Hélie pour introduire le lecteur aux Leçons de droit criminel de Boitard 206. Faustin-
Hélie explique en effet que : « Ces leçons ne sont pas autre chose qu’un lumineux
commentaire de nos codes. On ne doit pas y chercher les théories du droit pénal (…) Son
but a été d’initier les élèves à des codes qui leur étaient fermés. Il ne faut pas chercher les
investigations scientifiques, ni le rapprochement des législations 207 ». Il s’opposera assez
vivement à la conception que Boitard se faisait du contenu de son enseignement. L’étude de
l’ancien droit criminel ne paraissait, à ce dernier, d’aucune utilité pour la pratique des
jurisconsultes qui ont à connaître uniquement les nouvelles lois 208. Boitard arguait de cette
inutilité en invoquant d’une part, l’obligation pour le juge pénal de donner une
interprétation littérale de la loi et, d’autre part, le caractère des lois pénales qui
contrairement aux matières civiles, ne reproduisaient pas de façon très fidèle les principes
admis autrefois 209.

206
Le sous-titre est assez révélateur de l’intention de l’auteur : Leçons de droit criminel, contenant
l’explication complète des codes pénal et d’instruction criminelle, 9e éd., revue et annotée par FAUSTIN-
HÉLIE, Paris, Cotillon, 1867.
207
J.-E. BOITARD, Leçons de droit criminel, op. cit., préface de FAUSTIN-HÉLIE, p. IX.
208
Préface de FAUSTIN-HÉLIE, op. cit., p. X.
209
Préface de FAUSTIN-HÉLIE, op. cit., p. X. Faustin-Hélie entendait alors réfuter cette conception en
relativisant la nouveauté du droit criminel qui puise beaucoup dans les procédures anciennes. Il s’opposait
en outre à Boitard, prenant ainsi part à la controverse relative à l’interprétation des textes pénaux, en

77
L’objet dans le discours

La méthode de Trébutien utilisée pour l’exposé et le commentaire des codes pénal et


d’instruction criminelle conduit ce professeur à intituler la première partie de son cours
« Cours de code pénal », or cette façon de concevoir l’enseignement du droit criminel n’est
pas sans rappeler celle dont témoignaient certains civilistes du XIXe siècle qui se
proposaient modestement d’enseigner non pas le droit civil, mais seulement le Code 210.

Tous les criminalistes ne donnent cependant pas une présentation aussi sèche de la
législation criminelle. Le Seyllier montre qu’un traité de droit criminel peut être plus qu’un
traité de législation criminelle. Si son ouvrage est destiné à « l’explication de la plus grande
partie des matières les plus importantes du droit criminel » 211, la méthode adoptée pour
l’exposition de ces matières laisse une large place aux opinions doctrinales contemporaines
ou anciennes 212. Le traité théorique et pratique de droit pénal de Molinier témoigne lui aussi
du souci qu’ont eu certains auteurs d’aborder, plus ou moins succinctement, la question du
droit de punir 213. Cette question faisait également l’objet de toutes les attentions d’Ortolan.
Enfin, l’esprit qui a animé Faustin-Hélie dans l’élaboration de son traité de l’instruction
criminelle est bien celui qu’il défendait contre Boitard dans la préface aux Leçons de droit
criminel. Une large part de ce traité est consacrée à l’histoire de la procédure criminelle, et
bien que l’ouvrage passe pour n’être pas une œuvre d’idées 214, il présente une épaisseur que
les œuvres doctrinales de l’époque n’atteignent pas toutes. Avec les huit volumes de la
deuxième édition de son traité, Faustin-Hélie a donné bien plus qu’un simple commentaire
du Code d’instruction criminelle.

Pour en terminer avec cette image de la doctrine pénale du XIXe siècle, on peut suggérer
qu’elle a, à l’instar de son homologue civiliste, suivi la méthode exégétique. Le principe de
légalité mis en œuvre après la Révolution invite à le penser. Si les civilistes ont pu vouer
une espèce de culte au Code civil, à plus forte raison faut-il penser que la doctrine pénale a
eu une réaction similaire face aux codes criminels. Le principe de légalité des délits et des
peines ayant pour effet de contraindre le juge à respecter la lettre de la loi dans l’application

optant pour une interprétation déclarative de la loi pénale par le juge, interprétation qui ne retranche ni
ajoute au texte du législateur.
210
Il faut songer au Cours de Code Napoléon de Demolombe ou encore à la phrase de Bugnet : « Je ne
connais pas le droit civil : j’enseigne le code Napoléon », cité par J.-L. BERGEL, Méthodologie juridique,
PUF, 2001, p. 236.
211
LE SEYLLIER, Traité du droit criminel, op. cit., p. VII.
212
En effet, les solutions proposées par Le Seyllier sont appuyées par les opinions des anciens
criminalistes (Muyart de Vouglans, Jousse, Rousseaud de la Combe et Pothier) mais aussi par celles de :
Le Graverend, Carnot, Mangin, Bourguignon, Faustin-Hélie, Chauveau et Boitard pour les ouvrages de
droit positif, et enfin, pour la partie théorique du droit pénal, Le Seyllier a recours aux lumières de
Grotius, Pufendorf, Beccaria, Bentham et Rossi.
213
V. MOLINIER et G. VIDAL, Traité théorique et pratique de droit pénal, Paris, Rousseau, 1893, 2
volumes. Mais il vrai que ce traité, repris par Vidal après la disparition prématurée de son premier auteur,
est offert au public à la fin du siècle, or à cette époque la philosophie du droit pénal fait l’objet de toute
l’attention des criminalistes.
214
J. PRADEL, Histoire des doctrines pénales, 2e éd., op. cit., p. 68, note 38.

78
La doctrine du droit pénal moderne

qu’il en donne, il n’y pas lieu de s’étonner que la doctrine se soit fixée pour principale ou
exclusive mission, d’exposer le contenu de cette loi et d’en rechercher les sens possibles.
L’absence de toute allusion à la présomption d'innocence dans le Code d’instruction
criminelle pourrait par conséquent justifier le silence qui caractérise le discours de cette
doctrine du XIXe siècle. Ici encore, traiter du silence s’avère un exercice périlleux, on
pourra cependant dresser les conditions dans lesquelles il a été constaté.

§ 2. LE SILENCE RELATIF À LA PRÉSOMPTION D'INNOCENCE

67. Orientations des recherches. L’absence de toute référence à l’existence de la


présomption d'innocence dans les écrits doctrinaux du XIXe siècle peut être constatée à
deux égards. Le silence des auteurs se manifeste en effet tant pour ce qui a trait à la
Déclaration des droits de l’homme et du citoyen que pour ce qui concerne les thèmes
entretenant des rapports avec la présomption d'innocence. On aurait pu trouver trace de la
présomption d'innocence sous la plume des criminalistes s’ils s’étaient proposés de
développer les principes déclarés en 1789. Or, tel n’est pas le cas. Pour ces juristes, la
Déclaration des droits de l’homme et du citoyen n’est pas une source du droit pénal, tout
juste est-elle parfois évoquée à titre d’inspiration de la législation pénale intermédiaire. La
présomption d'innocence étant réputée inscrite dans la Déclaration, on comprend aisément
que les criminalistes n’aient pas eu l’occasion de traiter du principe contenu dans l’article 9.
Seules les lois de 1791 relatives au droit criminel ou à sa procédure et les codes
napoléoniens constituent les sources du droit pénal moderne.

Ortolan illustre parfaitement cette rupture qui est opérée entre l’ancien droit et le
nouveau. L’auteur fait bien la distinction entre les sources de l’un et de l’autre, mais entre
les deux, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ne semble jouer aucun rôle.
Les principes qu’elle a posés n’intéressent pas le pénaliste qui entend étudier les « pénalités,
juridiction et procédure suivant la science rationnelle, la législation positive et la
jurisprudence » 215.

Trébutien quant à lui évoquera rapidement le contenu de quelques articles de la


Déclaration des droits de l’homme et du citoyen sans pourtant citer l’article 9. Le professeur
rennais explique qu’il n’a pas à l’examiner dans tous ses détails et d’ailleurs, s’agissant des
sources de la procédure criminelle, c’est seulement dans le décret des 8 octobre et 3
novembre 1789 qu’il voit la première source de la nouvelle procédure 216.

La Déclaration des droits de l’homme ne sera davantage traitée ni par Molinier, qui
évoque pourtant l’histoire du droit criminel intermédiaire, ni par Faustin-Hélie qui

215
Il s’agit du sous-titre des Éléments de droit pénal, op. cit.
216
E. TRÉBUTIEN, Cours élémentaire de droit criminel, op. cit., tome I.

79
L’objet dans le discours

s’intéresse lui aussi au travail des constituants 217. S’agissant des auteurs qui n’ont procédé
qu’à un commentaire des codes napoléoniens, toute recherche d’une allusion à la
Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, et donc à la présomption d'innocence, est
nécessairement vaine. On remarque ainsi que les criminalistes du XIXe, ont une conception
des sources du droit pénal qui repose entièrement sur les sources matérielles positives. Dans
ce cas, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, quelle que soit son importance et
son inscription en tête de la constitution de 1791, ne présente aucun intérêt pour la réflexion
doctrinale.

Néanmoins, et compte tenu de l’image doctrinale de la présomption d'innocence à notre


époque qui se dessine autour de l’idée de principe, rien n’interdit de penser que les auteurs
du XIXe siècle auraient pu la prendre pour objet du discours qu’ils devaient consacrer soit à
la liberté individuelle (B) soit à la preuve (A). Car, bien que non inscrite dans un texte de
droit positif, sa valeur de principe devrait lui conférer une place de choix dans
l’argumentation des auteurs. On pense bien entendu à la question de la charge de la preuve,
dont on considère aujourd’hui qu’elle est le terrain d’élection de la présomption
d'innocence. Mais on doit également songer aux arrestations et à la détention préventive,
qui relèvent des atteintes à la liberté individuelle si ardemment combattues par les lumières
pénales.

A- LE DISCOURS SUR LA PREUVE EN MATIÈRE CRIMINELLE

68. L’absence d’un véritable discours sur la preuve. La première voie qu’il convenait
d’explorer est, par conséquent, celle de la preuve. La présomption d'innocence est-elle
invoquée comme règle de la technique probatoire ? Constitue-t-elle un principe permettant
de décider en cas de doute ? À ces questions, la réponse est résolument négative. Les
criminalistes du XIXe siècle ignorent totalement la formule « présomption d'innocence ».
Les lieux du discours, où elle aurait pu trouver à être employée, sont absents des œuvres
doctrinales. La raison est à rechercher du côté de la preuve. Cette question n’est en effet
pour ainsi dire pas traitée par les criminalistes. C’est une réalité qu’au XIXe siècle les
auteurs ne consacrent plus, contrairement aux anciens, de développements relatifs aux
preuves criminelles.

La doctrine moderne expliquera cela par l’inexistence, dans le Code de 1808 puis dans le
Code de procédure pénale, de dispositions réservées à cette matière 218. La plupart des
auteurs se contentant d’une exégèse du Code d’instruction criminelle, et la preuve n’y étant

217
Faustin-Hélie, dans le livre premier portant sur l’histoire et la théorie de la procédure criminelle,
réserve en effet un chapitre entier à la présentation de la procédure criminelle depuis 1789 jusqu’au Code
d’instruction criminelle, Traité de l’instruction criminelle, op. cit., tome I.
218
V. J. PRADEL, Procédure pénale, 9e éd., 1997, n° 265 ; M.-L. RASSAT, Traité de procédure pénale,
2001, n° 192.

80
La doctrine du droit pénal moderne

pas traitée, il ne serait alors pas surprenant de ne trouver aucune étude scientifique qui y soit
relative. L’affirmation doit néanmoins être nuancée. Car s’il est vrai que certains
criminalistes ignorent purement et simplement la question probatoire 219, d’autres en
revanche l’évoquent plus ou moins longuement.

Ainsi, il existe bien une entrée au mot preuve dans le répertoire de Morin. L’auteur y
donne un bref historique des modes de preuve qu’il fait suivre d’un court exposé du système
de l’intime conviction et de ses tempéraments. Ce nouveau système de preuve sera
également traité par Ortolan qui offre un développement sur la nature des preuves. Il y est
question des modes de preuves et plus particulièrement de la procédure devant la cour
d’assises, seule juridiction pour laquelle l’intime conviction est expressément prévue. Enfin,
Faustin-Hélie traite longuement de la preuve pénale. C’est tout d’abord dans une
perspective historique que le criminaliste aborde les preuves légales. C’est ensuite un
chapitre entier qui est consacré aux preuves. Ici l’auteur expose et défend le système de
l’intime conviction après avoir défini ce que sont les preuves 220. Quoi qu’il en soit, ces
ouvrages si complets et détaillés soient-ils, ne posent pas la question de la charge de la
preuve qui aurait pu nous faire constater une évocation de la présomption d'innocence.

69. La question du bénéfice du doute. Reste alors à envisager, à la périphérie de la preuve,


de l’intime conviction et de la notion d’acquittement, la notion de doute favorable. On sait
maintenant que les anciens criminalistes ont souvent insisté sur la nécessité de pencher du
côté le plus favorable à l’accusé dans les cas douteux. À l’appui de cette solution était
invoqué l’adage satius est impunitum relinqui facinus nocentis, quam innocentem damnari.
La question se pose alors de savoir si la doctrine du XIXe siècle continue d’invoquer une
telle solution et si elle s’appuie sur le même principe. On peut d’ailleurs également se
demander si ces auteurs utilisent, cette fois à l’instar des pénalistes du XXe et XXIe siècle, la
formule in dubio pro reo. Cette dernière, bien connue, signifie qu’en vertu de la
présomption d'innocence le doute profite à l’accusé.

Or, à une telle question, on doit une fois de plus répondre par la négative. La doctrine
criminaliste du XIXe siècle n’usera ni d’une telle référence au droit romain ni de l’adage in
dubio pro reo 221. Cela ne signifie pourtant pas que le doute soit défavorable au prévenu ou à
l’accusé. Simplement cette question n’est pas véritablement traitée par les auteurs. Il faut
convenir que les cas douteux en matière criminelle ne se présentent plus tout à fait sous le
même jour qu’au temps de l’ancien droit. L’adoption de l’intime conviction laisse toute
latitude aux jurés d’assises et au juge des autres juridictions dans l’appréciation des preuves,

219
C’est le cas par exemple de Berriat-Saint-Prix, Trébutien, Bourguignon ou encore Le Graverend.
220
FAUSTIN-HÉLIE, Traité de l’instruction criminelle, op. cit., tome IV.
221
Nous aurons l’occasion d’approfondir plus loin la question de l’origine de cet adage et de la
signification attachée à l’emploi qui en est fait dans le discours doctrinal.

81
L’objet dans le discours

si bien que les auteurs paraissent suivre le code sur ce point et s’en remettre à cette seule
appréciation souveraine. Le doute paraît néanmoins devoir conduire à l’acquittement.

C’est ainsi que Ortolan écrit, à propos de la règle des preuves de conscience : « Cette
règle est telle, qu’elle laisse au juré et au juge, dans la question de culpabilité ou de non-
culpabilité, toute l’indépendance de son appréciation(…) Une intime conviction nécessaire
pour condamner, un doute suffisant pour acquitter ». Berriat-Saint-Prix enseigne lui aussi,
au détour d’une phrase, que s’il y a doute alors il faut acquitter le prévenu 222. Ces auteurs
n’entendent pourtant pas donner de justification à cette solution. Cela étant, c’est
l’introduction du système de l’intime conviction jointe à celle du jury d’assises qui fait
naître la question du doute résultant d’un partage des voix à l’issue du vote sur la
culpabilité. La question du partage des voix se pose spécialement dans le cadre d’un procès
par jury constitué d’un nombre pair de jurés. Or, si elle présente une certaine nouveauté en
droit français à cette époque, elle se posait de longue date comme en témoigne par exemple
l’œuvre d’Eschyle qui offre à cet égard une solution. Dans ses Euménides, le tragédien
attribue à Athena la formulation de la règle selon laquelle Oreste, jugé pour le meutre de sa
mère, sera « vainqueur même si les suffrages sont égaux des deux côtés ».Or, après
décompte des voix, Athena déclare : « Cet homme est absous de l’accusation de meutre ;
les suffrages sont en nombre égal des deux côtés » 223.

La même difficulté est soulevée par certains criminalistes du XIXe siècle et Le Seyllier
offre une solution conforme à la justice d’Athena. À la question : « Si les juges se
trouvaient en nombre pair et qu’il y eût partage, le doute s’interprèterait-il en faveur du
prévenu, et l’acquittement devrait-il être prononcé », le criminaliste répond que
« L’affirmative ne saurait être douteuse ». Le Seyllier justifie sa position en indiquant que :
« Jusqu’à ce qu’on lui ait prouvé sa culpabilité, le prévenu reste en possession de son
innocence ; et comme la preuve de sa culpabilité ne résulte point du partage entre les juges,
la conséquence en est qu’il doit être considéré comme innocent, et dès lors acquitté » 224.
Or, qui ne verrait aujourd’hui, dans de telles affirmations, une formulation ou une
conséquence du grand principe de la présomption d'innocence ? Pourtant, la solution
préconisée n’est pas déduite d’un principe de présomption d’innocence. Si la solution
ressemble fortement à ce que la doctrine actuelle présenterait comme l’expression de la
présomption d'innocence, il n’en reste pas moins que, dans notre recherche, la présomption
d'innocence est envisagée en tant qu’objet ou élément du discours doctrinal, et qu’il faut
bien admettre qu’elle n’est pas chez Ortolan ou Le Seyllier, un principe étudié, formulé. On

222
Cours de droit criminel, op. cit., observations préliminaires à la deuxième partie portant sur la
procédure criminelle.
223
V. C.-M. LECONTE DE LISLE, Les Euménides in Eschyle, traduction nouvelle, Paris, Lemerre, 1872, pp.
307-308.
224
Traité de droit criminel, op. cit., tome III, n° 933.

82
La doctrine du droit pénal moderne

aura d’ailleurs remarqué que la présomption de l’innocence dont il est question ici n’est pas
une présomption juridique. En réalité, il s’agit là, comme les décisions de jurisprudence
citées par l’auteur en témoignent, d’une application de l’ordonnance de 1670 qui prévoyait
déjà que les jugements passeraient à l’avis le plus doux. Du constat du doute résulte une
présomption en faveur de l’innocence. Ce n’est donc pas l’innocence présumée qui dicterait
la règle du doute favorable.

Morin expose la même solution du doute favorable. C’est au sujet de la distinction entre
l’absolution et l’acquittement en cour d’assises qu’il affirme qu’en cas de doute, le juge est
convié par la loi et l’humanité à s’abstenir de toute condamnation 225. Morin nuance
cependant cette affirmation en expliquant que, celui qui n’a échappé à la peine qu’en raison
de l’absence d’incrimination ne doit pas être traité avec la même faveur que « celui pour
lequel il y a présomption d’innocence ». Morin, comme Le Seyllier, voit dans le doute sur la
culpabilité une présomption en faveur de l’innocence. Cette présomption n’est cependant
pas plus définie ni développée chez l’un et l’autre auteur.

70. La présence de « morceaux de présomption d’innocence ». La même remarque


pourrait être formulée à propos de Faustin-Hélie. Cet auteur emploie l’expression
présomption d’innocence dans un autre domaine. Bien que Faustin-Hélie ne traite pas de la
présomption d'innocence ni ne l’évoque véritablement, un passage du traité a cependant
retenu l’attention de M. Essaïd 226. Et il faut bien admettre que le passage cité par cet auteur
autorise à y voir la formulation de la présomption d'innocence. Faustin-Hélie écrit en effet :
« L’accusé sur lequel pesait tout à l’heure la présomption de culpabilité se trouve protégé
par une présomption d'innocence. C’est à l’accusation à faire la preuve, et la défense peut
la débattre » 227. C’est au sujet des systèmes inquisitoire et accusatoire applicables
respectivement à la phase préparatoire et à la phase d’audience du procès, que l’auteur
s’exprime ainsi. La remarque s’explique ainsi : alors que dans la phase d’instruction, les
charges de culpabilité conduisent à la mise en accusation, une fois devant le tribunal ou la
cour d’assises, le juge ne puisera sa conviction que dans ce qui se dira à l’audience. On le
voit, la présomption d’innocence est une expression utilisée par Faustin-Hélie. Il reste
cependant difficile de connaître la signification et la place que le criminaliste lui reconnaît.
Il semble qu’il s’agisse là du seul passage de Faustin-Hélie où il en est question. On
admettra que c’est peu et que c’est très insuffisant pour nous autoriser à conclure que la

225
Répertoire général et raisonné du droit criminel, op. cit., v° Absolution-Acquittement. Cette
distinction n’existe plus aujourd’hui, seul subsiste le terme d’acquittement. L’acquittement résulte d’une
déclaration de non-culpabilité de la part du jury. L’absolution est quant à elle prononcée lorsque la
culpabilité a bien été reconnue, mais que le fait n’est pas punit par la loi. Dans les deux hypothèses,
l’accusé échappe à toute condamnation.
226
M.-J. ESSAÏD, La présomption d’innocence, op. cit.
227
FAUSTIN-HÉLIE, Traité de l’instruction criminelle, op. cit., tome IV, n° 1560.

83
L’objet dans le discours

présomption d’innocence constitue un objet du discours de ce criminaliste. Plus


simplement, il ne semblerait pas exact de conclure que Faustin-Hélie parle bel et bien de la
présomption d’innocence dans son traité d’instruction criminelle.

Bien que la présomption d’innocence ne constitue pas un objet du discours doctrinal au


XIXe siècle, il convient de noter que la signification que l’on donne à la présomption
d’innocence de nos jours n’est pas totalement étrangère au discours des criminalistes. Il
existe bien des éléments, des « morceaux de présomption d’innocence » dans les œuvres
doctrinales de cette époque. Cela dit, une simple consultation des ouvrages de procédure
criminelle du XIXe siècle en même temps que celle d’un ouvrage contemporain, suffirait à
faire éclater cette différence significative : dans les seconds il est question de la
présomption d’innocence, dans les premiers, la notion est ignorée. Cette ignorance est
criante au-delà du domaine de la preuve. En effet, le silence qui affecte la présomption
d’innocence, se manifeste jusque dans le domaine de la liberté individuelle.

B- LA QUESTION DE LA LIBERTÉ INDIVIDUELLE

71. Les détentions avant jugement. La liberté individuelle, à laquelle il est gravement
porté atteinte par les arrestations et les mises en détention préventive, aurait pu donner aux
criminalistes l’occasion d’exprimer l’existence d’une présomption d’innocence venant en
garantir l’effectivité. C’est en tout cas le rapprochement qui est opéré par les auteurs
contemporains. Or, au XIXe siècle, la question de l’atteinte à la présomption d’innocence,
que constitue toute détention avant jugement, n’est pas soulevée par les auteurs. S’ils
reconnaissent la nécessité de limiter les cas autorisant une telle privation de liberté, le
discours de ces auteurs semble malgré tout souligner la nécessité de cette mesure.

Ortolan ne justifiera pas la nécessité d’atténuer le mal résultant de la détention


préventive, par la présomption d’innocence. Il se contente de souligner que « Quelles que
soient les présomptions, on n’a sous la main qu’un inculpé et non un condamné ; un homme
qui paye de sa liberté les besoins de la justice sociale» 228.

72. La réforme de l’instruction préparatoire. Le lien entre la liberté et la présomption


d'innocence aurait pu donner lieu à des commentaires lorsque la grande loi du 8 décembre
1897 a été votée. Or il semble que ce ne soit pas le cas. Le premier projet de réforme de
l’instruction criminelle préparatoire date de 1879 et devait donner lieu à de longs débats et
contre-projets avant d’aboutir à la loi de 1897. La loi du 15 juin 2000 renforçant la
protection de la présomption d'innocence a été considérée comme la plus grande réforme de
procédure pénale depuis la loi de 1897 « ayant pour objet de modifier certaines règles de
l’instruction préalable en matière de crime et de délit ». Si le titre de la loi était modeste,

228
E. ORTOLAN, Éléments de droit pénal, op. cit., 4e éd., n° 2213.

84
La doctrine du droit pénal moderne

l’enjeu était quant à lui important puisqu’il s’agissait de fortifier le principe de la liberté
individuelle et d’entourer de garanties plus complètes les droits de la défense. Cette réforme
répond à l’idée assez répandue que les pouvoirs du juge d’instruction sont beaucoup trop
étendus 229. L’objectif du projet était de rendre la phase préparatoire du procès pénal un peu
plus contradictoire en permettant à l’inculpé de connaître les charges pesant contre lui, et
surtout en l’autorisant à être assisté d’un conseil durant les interrogatoires et comparutions.

Mais contrairement à la loi de l’année 2000 qui poursuit et atteint des objectifs du même
ordre, cette loi de 1897 ne trouve pas sa justification dans le souci de protéger l’innocent ou
la présomption d'innocence. C’est la protection de la liberté individuelle que l’on voulait ici
renforcer. La présomption d’innocence a pourtant semble-t-il quelque chose à voir avec la
philosophie qui animait les réformateurs de 1897 puisqu’en rendant l’instruction moins
secrète et plus contradictoire, c’est l’innocence qui trouvait une protection accrue grâce au
renforcement des droits de la défense.

Aussi, a-t-on pu trouver une telle idée exprimée en mars 1882 par M. Dauphin, auteur
d’un rapport sur le premier projet de la loi, et qui s’adresse aux parlementaires pour les
convaincre de la nécessité de la réforme entreprise : «Tous les criminalistes sont d’accord
pour reconnaître que les garanties données par la législation actuelle à la défense pendant
l’instruction préparatoire sont insuffisantes. Le Code d’instruction criminelle n’a voulu
connaître et assurer que l’intérêt social. Réduisant à une formule la présomption
d’innocence pendant l’information, pour la faire renaître plus tard devant le juge du fond,
il a investi le magistrat instructeur d’une puissance arbitraire et pris en toutes choses le
contre pied du système de la contradiction» 230.

73. L’arlésienne du discours doctrinal. L’allusion faite par ce député est forte, elle n’est
finalement pas autre chose qu’une référence à l’existence de la présomption d’innocence.
Ici, la présomption d’innocence apparaît implicitement comme un objet connu. Pourtant, et
au vu du silence général jusqu’alors constaté, la présomption d’innocence se présente
comme l’arlésienne du discours criminaliste. Alors que les auteurs semblent la connaître,
évoquent son existence, elle n’est pas plus un objet d’étude qu’une règle inscrite dans la loi.

C’est donc bien le silence qui caractérise le mieux le discours étudié. La présomption
d’innocence n’y figure manifestement pas comme objet à part entière. Elle y semble
vaguement présente mais en filigrane, de façon quasiment imperceptible, sous forme de
fragments de présomption d’innocence. On peut émettre alors l’hypothèse que la meilleure

229
Faustin-Hélie s’en inquiétait vivement puisque d’une part, il déplorait l’absence de limites posées par
le Code d’instruction criminelle aux pouvoirs du juge d’instruction, Traité de l’instruction criminelle, op.
cit., n° 1562 ; et d’autre part, il avait fourni un gros travail préparatoire au premier projet de la loi de 1897
en présidant une commission extra-parlementaire.
230
Cité au DP 1897. 4.114.

85
L’objet dans le discours

explication de ce silence réside dans l’absence de véritables développements consacrés à la


preuve pénale.

Si à notre époque aucun manuel ou traité de droit pénal ne néglige d’étudier les preuves
pénales, il n’en a pas toujours été ainsi. On convient pourtant en doctrine de l’importance de
cette question en admettant que « La procédure pénale tout entière gravite autour du
problème de la preuve » 231. Certains criminalistes du XIXe siècle ont saisi cette importance
et ont entrepris l’élaboration d’une théorie de la preuve. Ces auteurs sont peu nombreux, ce
sont ceux que l’on nommera, pour les opposer aux simples commentateurs des codes
criminels, les théoriciens de la preuve. Ils ont en effet fourni une littérature spécifiquement
consacrée à la preuve qui s’inscrit en marge des traités classiques. C’est dans cette
littérature que l’on trouvera les premières bases du discours moderne sur les preuves et la
présomption d’innocence. Cette évocation de la présomption d’innocence par les théoriciens
de la preuve criminelle sera traitée dans une seconde section.

231
R. MERLE et A.VITU, Traité de droit criminel, op. cit., 5e éd., n° 140.

86
La doctrine du droit pénal moderne

SECTION 2 : L’ÉVOCATION PAR LES THÉORICIENS DE LA PREUVE


CRIMINELLE

74. Des œuvres consacrées à la théorie des preuves. Les auteurs que l’on a ici choisi de
nommer les théoriciens de la preuve criminelle ont contribué, chacun à leur manière, à
donner une vue générale, abstraite et complète des questions de preuves, et plus
particulièrement des preuves criminelles. La doctrine du XXe siècle ne cessera de se référer
à ces traités dont l’autorité est unanimement reconnue. Aussi, l’ouvrage de droit criminel de
MM. Merle et Vitu ne manque-t-il pas de signaler les œuvres qui nous intéressent ici : le
traité des preuves judiciaires du célèbre jurisconsulte anglais Bentham232, celui de
Bonnier 233 et enfin celui du criminaliste allemand Mittermaier 234.

C’est très certainement sous l’influence de ces études que Garraud et Vidal introduiront,
au début du XXe siècle, l’étude des preuves pénales dans leurs ouvrages de droit criminel.
Au XIXe siècle, la présomption d’innocence n’est pas le principe cardinal qui domine la
question de la preuve pénale. Seul Bentham l’évoque véritablement et nous établirons dans
quelles circonstances. Quant à Bonnier et Mittermaier, ils semblent tourner autour de la
question sans jamais l’aborder précisément.

§ 1. BONNIER ET MITTERMAIER

75. Charge de la preuve et insuffisance de preuve. C’est une nouvelle fois le discours
doctrinal pénal contemporain qui fournira une grille de lecture des théories de la preuve.
Ainsi, deux questions en particulier doivent guider la recherche de la présomption
d’innocence dans ces œuvres. La première est celle de savoir qui, de l’accusateur ou du
défendeur, doit prouver devant le juge. Dans le prolongement de cette question, il s’agit
également de s’intéresser à la manière dont ces auteurs ont abordé et traité la question de
savoir ce qu’il convient de décider en cas de preuve imparfaite, ou d’insuffisance de
preuves. Bonnier et Mittermaier traitent effectivement de ces questions, mais ils
n’utiliseront jamais l’expression présomption d’innocence pour justifier, illustrer ou
expliquer les solutions qu’ils préconisent.

232
J. BENTHAM, Traité des preuves judiciaires, par Etienne DUMONT, Paris, 2e éd., 1830, 2 tomes.
Dumont, le traducteur et « compilateur » des manuscrits de Bentham, explique dans la préface que dans
ce traité « la pure théorie est l’essentiel », et que le sujet est traité sous le point de vue le plus général et le
plus applicable à toutes les nations. L’ambition de l’auteur et ou de son traducteur était de mettre
l’homme de loi en état de juger des preuves par des principes raisonnés, p. vij.
233
E. BONNIER, Traité théorique et pratique des preuves en droit civil et en droit criminel, Paris, Plon, 5e
éd., 1888.
234
C.-J.-A. MITTERMAIER, Traité de la preuve en matière criminelle, trad. C. A. ALEXANDRE, Paris,
Cosse et Delamotte, 1848. La référence à ces trois auteurs au seuil d’une récente étude en matière de
preuve atteste bien de la permanence de leur autorité, V. E. MOLINA, La liberté de la preuve des
infractions en droit français contemporain, PUAM, 2001, p. 15, note 6.

87
L’objet dans le discours

Pour Bonnier, la réponse à la question qui doit prouver ? est à rechercher dans les règles
d’origine romaine ramassées dans les formules onus probandi incumbit actori et reus in
excipiendo fit actor. En matière criminelle, l’application de la seconde règle, selon laquelle
le défendeur doit prouver les exceptions qu’il soulève, est écartée par cet auteur. L’accusé
n’a pas à rapporter une preuve aussi complète que l’accusation, surtout dans un système
inquisitoire 235. Enfin, dans les cas où la preuve s’avérerait insuffisante, l’auteur invoque la
solution tirée de l’adage actore non probante reus absolvitur : le demandeur doit succomber
dans ses prétentions s’il n’est pas parvenu à prouver ce qu’il avance. Il ajoute même :
« c’est surtout en matière criminelle que cette maxime doit être considérée comme
sacrée » 236. Bonnier plaide donc bien pour que le doute profite à l’accusé, et quoiqu’il se
réjouisse de la disparition de la pratique du hors de cours de l’ancien droit, la présomption
d’innocence ne semble avoir jamais trouvé l’occasion d’être exprimée sous la plume de ce
théoricien.

Une brève allusion semble en revanche y avoir été faite par Mittermaier, mais l’auteur
allemand n’utilisera pas davantage l’expression présomption d’innocence. De plus, c’est
pour le rejeter qu’il évoque l’adage « Quilibet proesumitur bonus, donec contrarium
probetur ». En effet, Mittermaier s’interroge sur le sens rigoureux que peut revêtir
l’expression fardeau de la preuve en matière criminelle 237 car, il lui paraît évident que dans
un système inquisitoire comme celui de la procédure criminelle allemande (mais qui est en
vigueur également en France) le magistrat instructeur recherche la vérité en s’intéressant
aussi bien à la preuve à charge qu’à celle qui déchargerait l’accusé. Le pouvoir, dit-il, est
obligé de prouver les faits dont l’existence entraîne l’application de la peine. Cette
remarque est cependant complétée par une réserve tenant à sa justification : « Et qu’on ne
vienne pas arguer ici du fameux adage « Quilibet proesumitur bonus, donec contrarium
probetur » ; quoi qu’on en dise, cette présomption d’honnêteté ne change pas le fond des
choses ; elle n’est d’ailleurs pas établie sur des textes de loi et mènerait rapidement aux
plus fausses conséquences (…). Cette présomption serait enfin complètement superflue ; il
ressort parfaitement sans elle en principe que la preuve des faits de l’inculpation incombe à
celui qui, pour raison d’illégalités commises, s’efforce à faire tomber un citoyen sous le
coup d’une condamnation judiciaire ; car se contenter d’affirmer sa culpabilité ne serait
pas chose suffisante, il s’en faut ».

Le criminaliste ajoutera que, l’opinion selon laquelle l’accusé en matière d’exception


doit prouver les faits, est insoutenable en matière criminelle 238. S’agissant de l’insuffisance

235
E. BONNIER, Traité théorique et pratique des preuves en droit civil et criminel, op. cit., n° 36.
236
E. BONNIER, Traité théorique et pratique des preuves en droit civil et criminel, op. cit., n° 50.
237
C.-J.-A. MITTERMAIER, Traité de la preuve en matière criminelle, op. cit., p. 153 et s.
238
C.-J.-A. MITTERMAIER, Traité de la preuve en matière criminelle, op. cit., p. 160.

88
La doctrine du droit pénal moderne

des preuves ou des preuves dites imparfaites, Mittermaier retient le principe formulé par
l’adage accusatore non probante, accusatus absolvitur. Il explique alors : « L’on sait que la
condition essentielle de toute condamnation pénale est la démonstration complète des faits
reprochés ; que jusqu’à ce qu’elle soit pleine et entière, l’accusé doit être tenu pour
innocent ; dès lors, nul doute ne peut s’élever sur les effets de la preuve imparfaite. Le
prévenu, en pareil cas, doit être purement et simplement acquitté » 239.

Les solutions ici proposées par Bonnier et Mittermaier sont bien celles que les
criminalistes développeront aux XXe et XXIe siècles autour de la notion de présomption
d’innocence. Cela ne fait aucun doute. Mais il semble cependant encore trop tôt pour
utiliser la formule de présomption d’innocence au soutien des solutions avancées. Pourtant,
on observera que Jeremy Bentham l’utilisera bien avant, sans que Bonnier, qui donne la
première édition de son traité en 1843, ou Mittermaier, qui écrit en 1834 et se trouve traduit
en 1848, ne reprennent l’expression.

§ 2. L’ÉVOCATION DE LA PRÉSOMPTION D’INNOCENCE PAR BENTHAM

76. Sur l’œuvre de Bentham. Jérémie Bentham, ami de la France dont il fut fait citoyen en
1792, fut bien plus qu’un théoricien de la preuve judiciaire. Son œuvre, immense, est
d’ailleurs davantage philosophique et politique que juridique. Toutefois, les criminalistes
ont su exploiter une partie des travaux du jurisconsulte britannique qui portait sur les
preuves. Les juristes français se réfèrent ainsi volontiers au fameux traité des preuves
judiciaires de Bentham. En réalité, comme de nombreux pans de son œuvre, ce traité n’a
jamais été écrit par Bentham. La version française à laquelle on a coutume de se référer est
bien plus qu’une traduction, il s’agit d’une œuvre de composition du suisse Etienne
Dumont, à partir des manuscrits de Bentham. M. van de Kerchove rappelle à cet effet que
« Dumont s’est efforcé, plus que jamais, de synthétiser la pensée de Bentham et de la
rendre plus accessible, en omettant surtout la partie critique portant sur la procédure
anglaise et en retenant les vues les plus universalisables de l’auteur » 240. La première
édition du traité des preuves judiciaires par Dumont date de 1823 241 et la seconde de
1830 242. Bentham, qui n’était pas parvenu à achever son œuvre, avait semble-t-il seulement
réussi à publier un sommaire de son ouvrage en anglais en 1812 243. Il faut attendre 1827

239
C.-J.-A. MITTERMAIER, Traité de la preuve en matière criminelle, op. cit., p. 482.
240
M. VAN DE KERCHOVE, Le système des preuves en droit chez Bentham, Recherches et rencontres,
1993, n° 4, p. 73.
241
J. BENTHAM, Traité des preuves judiciaires, par Etienne Dumont, Paris, Bossange, 1823, 2 volumes.
242
Paris Bossange, 2e éd., 1830, 2 volumes. On retrouve en outre ce traité au sein des œuvres de Jérémie
Bentham publiées là encore par Dumont, V. Oeuvres de Jérémie Bentham, par Etienne Dumont,
Bruxelles, Hauman, 1829, 3 volumes.
243
M. VAN DE KERCHOVE, Le système des preuves en droit chez Bentham, op. cit., p. 73.

89
L’objet dans le discours

pour que Stuart Mill 244 entreprenne de publier l’essentiel des réflexions de Bentham, soit
quatre années après la mise en ordre des manuscrits de Bentham par Dumont en langue
française. Ce n’est donc qu’à travers le travail de Dumont et son traité des preuves
judiciaires que nous connaissons les réflexions de Bentham sur la preuve 245. Toutefois
l’usage, auquel il ne sera pas dérogé ici, veut que l’on considère Bentham comme l’auteur
de ce traité.

77. La présomption d’innocence dans le traité des preuves judiciaires. L’utilisation de


l’expression « présomption d’innocence » par Bentham présente des particularités qu’il
convient de souligner. Sans anticiper sur la suite des développements consacrés à la
signification de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal, on doit d’ores et déjà
signaler que Bentham n’entend pas la présomption d’innocence comme certains ont pu le
laisser penser. C’est en effet avec beaucoup d’assurance que M. Essaïd a cru pouvoir
s’appuyer sur Bentham pour illustrer l’attachement de l’école classique à la présomption
d’innocence 246. Le traité des preuves judiciaires évoque bien une présomption de
l’innocence et ce à deux reprises, reste à mesurer l’importance de cette référence.

Dans un premier temps, c’est à propos des considérations à opposer aux cinq
présomptions antécédentes faisant l’objet d’un chapitre XV, que Bentham écrira : « Il faut
partir d’un point fixe : l’innocence doit se présumer » et d’ajouter : « Ce n’est pas ici une
de ces belles maximes d’humanité qui fait plus d’honneur au cœur qu’à l’expérience de
ceux qui les soutiennent, c’est une maxime fondée sur des bases solides » 247. Comme le
notera M. Essaïd, le fondement de cette présomption générale d’innocence évoquée par
Bentham réside dans l’existence de ce que le jurisconsulte appelle les quatre sanctions
tutélaires 248. Cela étant, Bentham envisage cette présomption abstraitement et de façon
générale puisqu’il précise que, dès lors qu’un crime est commis, elle se trouve
contrebalancée par des circonstances « inculpatives » résultant de la situation spéciale créée
par la commission de l’infraction.

Dans un second temps, la présomption d’innocence sera évoquée dans un chapitre


consacré aux présomptions antéjudiciaires 249. A cet égard, la première affirmation de
Bentham consiste à désigner le demandeur comme bénéficiaire de la présomption favorable.

244
The Rationale of Judicial Evidence, Specially Applied to English Practice, edited by John Stuart Mill,
London, Hunt & Clarke, 1827, 5 volumes.
245
C’est la raison pour laquelle nous considérons que les « œuvres » de Bentham citées dans ce travail
peuvent être classées parmi les ouvrages écrits au XIXe siècle, quand bien même Bentham aurait vécu et
écrit au XVIIIe siècle. Cette considération justifie par conséquent le classemnt opéré dans la partie
bibliographique de ce travail.
246
M.-J. ESSAÏD, La présomption d’innocence, op. cit., n° 88.
247
J. BENTHAM, Traité des preuves judiciaires, op. cit., 2e éd., 1830, tome I, p. 396.
248
Sur le fondement de la présomption d’innocence chez Bentham, V. infra, n° 348.
249
J. BENTHAM, Traité des preuves judiciaires, op. cit., tome II, p. 11 et s.

90
La doctrine du droit pénal moderne

La seconde, venant relativiser la première, précise qu’en matière pénale, et surtout en


matière grave, la présomption doit être en faveur de l’innocence, ou du moins, ajoute-t-il,
on doit agir comme si cette présomption était établie. Bentham précisera en outre qu’en
dépit de l’existence d’une présomption contre l’accusé, « il faut agir comme si la
présomption était établie en sa faveur, et en conséquence, le juge doit avoir pour maxime
qu’il vaut mieux laisser échapper un coupable que de condamner un innocent ». Force est
de reconnaître que Bentham évoque bien là la présomption d’innocence dont on cherchait la
trace dans le discours doctrinal. On remarquera également qu’il établit un lien étroit entre la
présomption en faveur de l’accusé et la règle tirée du droit romain selon laquelle il vaut
mieux laisser échapper un coupable que de perdre un innocent.

Il faut cependant attirer l’attention sur deux points qui contribuent à minimiser
l’importance que l’auteur a pu accorder à la présomption d’innocence. En effet, d’une part
la présomption d’innocence n’est abordée par Bentham dans ce second endroit du traité des
preuves qu’à propos des preuves inférieures, admises faute de mieux ou comme pis-aller,
lesquelles font l’objet d’un livre six. C’est dire que la présomption d’innocence n’est pas
envisagée par Bentham comme les auteurs le feront au XXe siècle, c'est-à-dire comme un
principe dominant tout le droit de la preuve. D’autre part, l’attachement de Bentham à la
présomption d’innocence apparaît tout relatif puisqu’il la contredit par ailleurs.

78. Un attachement tout relatif à la présomption d’innocence. Bentham a commencé à


écrire à l’époque de la Révolution française, lecteur de Beccaria, il était en outre lié avec
quelques acteurs des réformes et rédacteurs de la Déclaration comme Mirabeau et Morellet.
Le jurisconsulte anglais était donc connaisseur de la France mais sa pensée était critique à
l’égard de la philosophie du contrat social et il repoussait les principes proclamés par la
Déclaration des droits 250. Pour s’en convaincre, il n’est que de consulter l’un de ses écrits,
semble-t-il assez méconnu 251, dans lequel la Déclaration des droits de l’homme et du
citoyen fait l’objet d’un examen systématique, article par article, et véritablement critique.
L’article 9, siège de la présomption d’innocence selon la doctrine moderne, n’est pas
épargné par les remarques de Bentham.

Il commente ce texte de la façon suivante : « La première maxime, quoique triviale, n’en


est pas plus conforme à la raison, et si elle était vraie, elle renverserait le règlement qu’elle
est destinée à justifier. Dire qu’un homme est présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été
déclaré ou jugé coupable, c’est dire une absurdité. Il doit être présumé innocent aussi
longtemps qu’il n’y a point d’accusation portée contre lui, ou mieux encore, aussi

250
M. EL SHAKANKIRI, La philosophie juridique de Jeremy Bentham, Paris, LGDJ, 1970, p. 24.
251
Oeuvres de Jérémie Bentham, 3e éd., par E. DUMONT, Bruxelles, Société belge de librairie, 1840. t. I,
Traité des sophismes politiques. L’examen de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, p. 509
et s. est inclus dans les Sophismes anarchiques.

91
L’objet dans le discours

longtemps qu’il n’y a point de circonstances qui fasse présumer le contraire. Mais une
accusation est déjà une présomption qu’il peut être coupable, et dire qu’il est encore
présumé innocent, c’est dire qu’il n’y a point de raison de le priver de sa liberté.(…) Il
suffisait de dire que toute rigueur non nécessaire, devait être réprimée par la loi » .

Il y a là une discussion sur le sens qu’il convient de donner aux expressions « présumé
innocent » et « présomption d’innocence », sur laquelle nous aurons l’occasion de revenir
dans le détail 252, mais on peut noter dès à présent que l’existence et l’usage de la formule
présomption d’innocence est en rapport avec ce que les auteurs y entendent. Or dans le cas
présent, il est manifeste que Bentham n’entend la présomption d’innocence ni comme les
constituants de 1789, ni comme M. Essaïd et l’ensemble de la doctrine pénaliste des XXe et
XXIe siècles. Il n’en reste pas moins vrai que Bentham est le criminaliste qui a
véritablement évoqué la présomption d’innocence pour la première fois.

79. Conclusion. Dès lors, il convient d’admettre que la formule présomption d’innocence
n’apparaît dans le discours doctrinal que tardivement et d’une façon finalement très
discrète. Ainsi, il est certain que jusqu’à la fin du XIXe siècle la présomption d’innocence
ne constitue pas un objet du discours doctrinal pénal. Si les criminalistes consacrent souvent
les solutions qui, normalement découlent de la présomption d’innocence, cette notion leur
reste pour une large part inconnue. L’usage sporadique de l’expression présomption
d’innocence ou de formules avoisinantes ne semble pas devoir s’analyser en signe
annonciateur de l’émergence d’une notion nouvelle qui chercherait à s’exprimer. Il semble
que cet usage corresponde, non pas à la désignation d’une règle ou d’un principe naissant,
mais d’une sorte de réalité à peine perçue par les auteurs sans qu’elle soit autrement
explorée 253.

Ce n’est donc pas dans le discours des criminalistes des XVIIIe et XIXe siècles que la
présomption d’innocence trouve à s’exprimer, pour cela il faudra attendre les dernières
années du XIXe. C’est là une curiosité à laquelle l’on ne s’attend pas nécessairement si l’on
étudie la présomption d’innocence à travers les œuvres doctrinales contemporaines. En
réalité, l’émergence de la présomption d’innocence dans le discours des pénalistes s’est
réalisée dans des conditions bien particulières. Ce sera l’objet d’un titre second que d’en
rendre compte.

252
V. infra, n° 279 et s.
253
À propos de l’émergence d’un concept comme idée qui parvient à s’affirmer et à se dire telle, V. infra,
n° 379 et s.

92
TITRE 2
L’ÉMERGENCE DE LA PRÉSOMPTION D'INNOCENCE COMME OBJET
DE DISCOURS AU XXe SIÈCLE

80. Émergence d’un objet de discours identifiable. L’attention portée aux écrits
doctrinaux a montré que la présomption d'innocence ne constitue pas un objet de
description, d’explication ou de discussion de la part des plus éminents criminalistes des
XVIe, XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles. Pourtant, pour qui consulte aujourd’hui la littérature
juridique, il ne fait aucun doute que la présomption d'innocence est bien un objet du
discours juridique savant. Le passage de l’un à l’autre de ces deux constats se caractérise
par l’émergence de la présomption d'innocence comme objet de discours. La présomption
d'innocence, qui n’avait été jusque là qu’évoquée et sous des formes variées, va émerger en
tant qu’objet identifiable par l’usage désormais constant de la formule présomption
d'innocence. Alors que l’expression n’avait pas encore trouvé sa forme dans le discours
antérieur, elle se fixe au XXe siècle et marque l’avènement d’un concept. L’émergence de la
présomption d'innocence, comme objet de discours, peut-être envisagée selon deux
mouvements successifs. Elle débute en effet par une introduction brutale de la présomption
d'innocence dans les écrits doctrinaux (Chapitre 1). Elle se poursuit, au cours du XXe siècle,
par une consécration progressive de ce nouvel objet (Chapitre 2). La présence de la
présomption d’innocence dans la littérature spécialisée se pérennisera au point de constituer
un lieu commun du discours pénal.

93
CHAPITRE 1
L’INTRODUCTION DE LA PRÉSOMPTION D'INNOCENCE DANS LE
DISCOURS DOCTRINAL

81. Recherche d’un élément déclencheur. L’apparition brutale de la présomption


d'innocence dans le discours doctrinal invitait à rechercher quel pouvait en être l’élément
déclencheur. Ce n’est pas une modification du droit criminel positif qui a conduit la
doctrine à discourir sur la présomption d'innocence. On le sait maintenant, aucun texte n’a
consacré la présomption d'innocence avant les lois de 1993 et 2000 254. Lorsque la doctrine
se met à évoquer l’existence d’une présomption d'innocence, elle n’entend pas davantage
décrire l’élaboration d’une théorie jurisprudentielle. L’élément déclencheur semble devoir
être recherché ailleurs. La doctrine ne s’expliquant pas sur l’apparition de ce nouvel objet
de discours, il a fallu formuler une hypothèse explicative à partir d’une observation
empirique de la littérature criminaliste. Or, au terme de cette observation il est apparu que
lorsque la doctrine a évoqué pour la première fois la présomption d'innocence, de façon
significative, il s’agissait de faire référence au discours de l’école positiviste italienne.

Aussi conviendra-t-il, pour décrire le processus d’émergence de la présomption


d'innocence dans le discours doctrinal, de formuler l’hypothèse selon laquelle ce n’est qu’à
la suite et en réaction au discours de l’école criminologique italienne, que les pénalistes
français ont introduit la présomption d'innocence dans leurs traités de procédure pénale
(Section 1). En outre, l’émergence de la présomption d'innocence dans le discours doctrinal
peut être envisagée d’un point de vue plus large prenant en compte non plus la constitution
du discours mais son contexte. Il s’agira alors de poursuivre l’hypothèse en recherchant
dans quelle mesure les bouleversements qui ont affecté la science du droit pénal à la fin du
XIXe siècle ont pu contribué à l’élaboration du discours doctrinal français (Section 2).

254
Seul le droit interne est ici visé, bien entendu, la Déclaration universelle des droits de l’homme et la
Convention européenne des droits de l’homme ont, comme la Déclaration des droits de l’homme et du
citoyen, consacré une disposition affirmant que tout accusé est présumé innocent.

95
L’objet dans le discours

SECTION 1 : L’APPARITION DE LA PRÉSOMPTION D'INNOCENCE


DANS LE DISCOURS DOCTRINAL

82. L’hypothèse. Le moment à partir duquel la présomption d'innocence fait son entrée
dans le discours des criminalistes français peut être datée avec une certaine précision. C’est
en 1903 que René Garraud signale son existence dans son Précis de droit criminel. Ce n’est
cependant pas le célèbre pénaliste français qui « invente » l’expression. L’usage qu’il en fait
est très spécial, puisqu’il s’agit pour lui de rapporter un autre discours. En effet, la
présomption d'innocence semble être apparue pour la première fois, en tant que véritable
objet d’un discours savant, sous la plume du criminaliste italien Enrico Ferri qui décidait de
la combattre. Ce n’est que dans une présentation puis une réfutation des opinions émises par
cet auteur que le criminaliste français traitera à son tour de la présomption d'innocence. Plus
précisément, c’est la formulation de la présomption d'innocence par Enrico Ferri qui
donnera à René Garraud l’occasion de l’évoquer lui-même. L’hypothèse se vérifie
lorsqu’on considère qu’à partir de ce moment la présomption d'innocence ne cessera plus
jamais d’être l’objet du discours doctrinal. L’ensemble de la doctrine pénale traitera alors de
la présomption d'innocence et une grande partie des auteurs rapportera, pendant longtemps,
les arguments élevés par Ferri à l’encontre de la présomption d'innocence. Le rôle du
discours positiviste sur la constitution du discours doctrinal français doit par conséquent
s’apprécier au regard d’une part, des opinions du criminaliste italien (§1.) et d’autre part,
des réfutations proposées par les auteurs français (§2.).

§ 1. LA PRÉSOMPTION D'INNOCENCE DANS LE DISCOURS DE ENRICO FERRI

83. Ferri : théoricien d’une nouvelle science pénale. Enrico Ferri est un auteur bien
connu dans l’histoire de la science pénale. Il est généralement considéré comme l’un des
plus illustres représentants de l’école positiviste italienne. Juriste, criminologue et
parlementaire, il a participé grandement à la naissance de la criminologie à la fin du XIXe
siècle 255. Grâce à l’essor que connaissent alors les sciences, de nouvelles disciplines prenant
pour objet le crime et le criminel émergent. Grâce aux données fournies par l’anthropologie
et la statistique criminelles, tout un système de défense sociale se construit sous la plume du
professeur italien.

Ferri s’illustre par ses travaux de sociologie criminelle et par les réformes que cette
discipline suggère. C’est en réalité à une véritable refondation du droit pénal que travaille
cet auteur. Son œuvre débute avec la publication des Nouveaux horizons du droit pénal en

255
Sur l’école positiviste italienne, V. infra, n° 96 et s.

96
L’introduction de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal

1881, qui s’enrichira considérablement au fil des éditions et prendra pour titre La sociologie
criminelle 256. L’ouvrage, volumineux, consacre une large partie aux réformes pratiques qui
doivent découler des nouvelles théories. Ces réformes, que l’auteur appelle de ses vœux et
qu’il verra en grande partie consacrées dans diverses législations européennes, concernent
aussi bien le droit pénal que la procédure criminelle. Ferri admet cependant que, « si les
théories positivistes réduisent de beaucoup l’importance pratique du code pénal, d’autre
part, elles augmentent bien plus celle des lois de procédure pénale » 257. Ainsi, l’auteur
entend-t-il établir les directions à prendre en ce domaine. Les théories positivistes
conduisent à introduire deux principes généraux guidant la réforme de la procédure pénale.
Il s’agit tout d’abord de rétablir l’équilibre entre les droits de l’individu et ceux de la
société. Il s’agit ensuite de modifier l’office du juge pénal. Celui-ci ne doit plus chercher à
constater la culpabilité morale, pour appliquer au prévenu, le cas échéant, la peine prévue
par loi, il doit bien davantage chercher à adapter la sanction sociale la plus opportune à
l’auteur du crime en considérant les caractères physio-psychologiques de sa personnalité 258.
Autrement dit, le juge doit adapter la sanction non pas en fonction du degré de
responsabilité morale du délinquant, mais en tenant compte de son appartenance à telle ou
telle catégorie de criminel définies par l’anthropologie criminelle, laquelle distingue deux
grandes catégories de criminalité : la criminalité occasionnelle et la criminalité atavique.

84. La présomption d’innocence comme objet des critiques de l’auteur. Le but de


l’application des théories positivistes en procédure pénale étant ainsi fixé, Ferri propose de
faire précéder l’examen des réformes proprement dites par l’énumération de ce qu’il appelle
les « nombreuses exagérations des théories classiques » qui ont conduit au déséquilibre
entre les droits individuels et les droits sociaux. Désireux d’illustrer par des exemples ces
exagérations qu’il convient de combattre, il commencera par aborder La présomption
d’innocence, à laquelle quatre pages de développements seront consacrées 259. Ici l’auteur se
livrera à une critique virulente de la présomption d'innocence. Deux cibles sont visées par
les attaques : la présomption d'innocence et avec elle l’école classique du droit pénal que
l’auteur tient pour la source de cette exagération inacceptable.

Le propos de Ferri débute néanmoins par une concession, mais ce sera la seule. La
présomption d'innocence, dit-il, et avec elle la règle plus générale in dubio pro reo, dispose

256
La première édition française de l’ouvrage résulte de la traduction qu’en a donnée l’auteur lui-même à
partir de la troisième édition italienne de 1891 : E. FERRI, La sociologie criminelle, Paris, Rousseau,
1893. La seconde édition française datant de 1905 est publiée, quant à elle, chez Alcan.
Il est à signaler que désormais les lecteurs français peuvent très facilement avoir accès à l’œuvre de Ferri
avec la parution récente d’une réédition de la troisième édition de cet ouvrage, V. E. FERRI, La sociologie
criminelle, présentation de R. GASSIN, Paris, Dalloz, 2004.
257
E. FERRI, La sociologie criminelle, op. cit., 1re éd., p. 431.
258
E. FERRI, La sociologie criminelle, op. cit., 1re éd., p. 433.
259
E. FERRI, La sociologie criminelle, op. cit., 1re éd., pp. 433-437.

97
L’objet dans le discours

d’une base positive certaine. Ce fondement positif résulte du fait que les criminels
constituent une minorité très petite au regard de la population des honnêtes gens, si bien
qu’il convient de regarder comme honnête, jusqu’à preuve contraire, tout individu soumis à
jugement. Cela étant admis par Ferri, des précisions sont apportées quant au domaine et aux
conditions dans lesquels peut jouer cette présomption.

L’auteur explique en effet que la présomption d'innocence ne peut valoir que pour la
phase d’instruction du procès, c'est-à-dire au stade où le juge ne dispose encore que de
simples indices. Ferri entend écarter toute présomption d'innocence lorsque la preuve
contraire (de l’honnêteté) est évidente. Ainsi en est-il en cas de flagrant délit ou d’aveu. Elle
doit surtout être écartée lorsqu’on est en présence d’un criminel dit « d’habitude ». C’est là
le point peut-être le plus important de l’opinion professée par Ferri. La distinction entre les
criminels occasionnels et d’habitude ou récidivistes est fondamentale, d’elle découle
l’essentiel des réformes à mettre en œuvre et d’elle dépend le jeu d’une présomption
d'innocence.

Les critiques suivantes portent sur un certain nombre de dispositions légales que Ferri
rattache à la présomption d'innocence. Il les juge absurdes, contraires à la logique et à la
défense des intérêts de la société. C’est le cas, en premier lieu, de la règle selon laquelle le
condamné continue de jouir de sa liberté durant l’appel ou le pourvoi en
cassation : « Qu’après une première sentence de condamnation on doive persister dans une
présomption démentie par la réalité, cela serait incompréhensible, si on ne voyait là la
conséquence exagérée des théories classiques et individualistes, qui ne voient dans tout
accusé et même dans tout condamné qu’une victime de l’autorité » 260. Il estime ensuite que,
la règle selon laquelle en cour d’assises les bulletins blancs ou nuls sont comptés en faveur
de l’accusé, constitue une « autre conséquence absurde de cette présomption obstinée
d’innocence ». De même pour la règle qui prévoit l’absolution en cas de partage des voix
dans le jury. Ferri n’y voit, surtout pour les criminels-nés et d’habitude, aucune justice ni
logique 261. La critique porte également sur l’impossibilité d’aggraver le sort du condamné
sur son seul appel ou son seul pourvoi en cassation. Cette disposition conduit à rompre
l’équilibre entre les droits de l’individu et de la société. Ferri ne conçoit pas que les erreurs
commises par les premiers juges ne puissent être réparées qu’au seul bénéfice de l’accusé.

260
E. FERRI, La sociologie criminelle, op. cit., 1re éd., p. 433.
261
E. FERRI, La sociologie criminelle, op. cit., 1re éd., p. 436. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il
propose vivement d’introduire un terme entre l’absolution et la condamnation qui consisterait à
simplement déclarer le crime « non prouvé ». Le doute sur l'innocence subsistant, la société n’a, selon
Ferri, pas le devoir de proclamer l’accusé absolument innocent. Il conviendrait donc de distinguer, à
l’égard du jugement, les cas où l’élargissement de l’accusé résulte de l’innocence prouvée des cas où il
n’est que la conséquence de preuves incomplètes.

98
L’introduction de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal

Enfin, l’exclusion de toute révision du procès en cas d’acquittement suscite, bien


naturellement, les mêmes foudres.

Dans la seconde édition française de La Sociologie criminelle, ces critiques prenant pour
objet la présomption d'innocence trouveront une formulation plus claire et moins concise.
Ferri, y insistera notamment sur la nécessité, en procédure pénale, de prendre en
considération la catégorie de criminel à laquelle appartient l’accusé. Les exagérations
relevées viennent, selon lui, de ce que l’école classique n’a pas su distinguer la criminalité
atavique de la criminalité évolutive. Et il insistera sur leur caractère inacceptable « quand
on les étend même aux criminels ataviques les plus irréductibles et les plus dangereux » 262.

L’estocade est probablement donnée dans ce passage où il écrit : « La présomption


d'innocence, illogique lorsqu’elle est absolue et qu’elle ne fait aucune distinction, n’est en
effet qu’un aphorisme juridique qui s’est bien éloigné de la réalité primitive, d’où il tirait
son origine par ce procédé de momification et de dégénération des regulae juris qu’a
signalé Savioli, et qui n’est qu’un cas spécial de cet arrêt idéo-émotif que Ferrero mettait à
la base psychologique des phénomènes de symbolisme, arrêt par lequel le signe et la
formule, en s’immobilisant, se substituent à la chose et à l’idée qu’ils contenaient
primitivement ». Il s’agit là, en effet, de la raison pour laquelle « en éliminant cette
présomption illogique, dans tous les cas et dans tous les stades du jugement où elle est en
contradiction avec la réalité même des choses, on ôterait tout fondement aux autres
dispositions procédurales qui s’en inspirent et qui sont vraiment contraires aux raisons les
plus claires de justice et d’utilité sociale. » 263

85. Une première formulation de la présomption d’innocence. L’examen de ces


passages de la Sociologie criminelle de Ferri appelle au moins deux observations.

En premier lieu, il faut signaler que, alors qu’aucun criminaliste du XIXe siècle n’évoque
la présomption d'innocence en dehors de Bentham, Ferri laisse entendre qu’elle trouve sa
source dans la pensée pénale classique. Cependant, l’auteur de la Sociologie criminelle, tout
en établissant une telle filiation, ne s’en explique pas. Il ne cite ni les auteurs ni les œuvres,
desquels il aurait tiré la certitude que la présomption d'innocence y était défendue. S’il ne
cite pas Bentham, il faut cependant convenir qu’il le rejoint tout à fait sur le fondement de
la présomption. De plus, on peut songer que la critique qu’il fait de la présomption
d'innocence s’appuie en partie sur le discours du jurisconsulte anglais. Car, sans lui donner
la valeur de principe ou de dogme, Bentham admet bien une présomption d'innocence au
titre des présomptions qui doivent aider le juge à trancher les cas difficiles. Or, Ferri ne
semble pas en désaccord sur ce point et admet que la présomption d’innocence doit jouer

262
E. FERRI, La sociologie criminelle, op. cit., 2e éd., p. 493.
263
E. FERRI, La sociologie criminelle, op. cit., 2e éd., p. 494.

99
L’objet dans le discours

non seulement dans la phase préparatoire du procès mais aussi à l’égard des criminels
occasionnels. L’idée nouvelle sur laquelle il met l’accent consiste en revanche à en exclure
l’application pour les délinquants récidivistes et dangereux. Ce n’est donc pas une
condamnation totale et sans appel à laquelle l’auteur procède.

En second lieu, par la formulation de ces critiques, Ferri devient, à notre sens, le premier
auteur à traiter de la présomption d'innocence. C’est en effet dans la Sociologie criminelle
que, pour la première fois, « la présomption d'innocence » est employée comme formule
dotée d’un sens et de conséquences pratiques rattachées à la législation positive. Le constat
ne laisse pas d’être surprenant et pousse à s’interroger sur le fondement de ce discours. Il
s’agit bien d’une description critique du droit positif de l’époque, mais on admettra que la
présomption d'innocence n’y a jamais été consacrée, en tout cas pour la France. N’ayant
jamais été explicitement formulée auparavant par les criminalistes ni par la jurisprudence,
on peut se demander comment Ferri a été conduit à y consacrer de tels développements en
laissant entendre qu’un tel objet existait dans le discours classique. Une explication semble
pouvoir être avancée.

La formule « présomption d'innocence » employée par Ferri vise bien moins une règle
que l’abstraction réalisée à partir d’une réalité positive qui est critiquée 264. Car la
« présomption d'innocence » dont il semble être ici question, n’est pas la règle qui impose,
par exemple, d’acquitter en cas de partage des voix ; elle est la formule générale qui permet
de décrire, en les rassemblant, les situations dans lesquelles le droit positif consacre des
solutions favorables aux accusés.

Une telle analyse se trouvera confirmée par l’étude de la littérature pénale postérieure. À
cet égard, la façon dont Garraud puis ses successeurs aborderont la présomption
d'innocence autour des opinions de Ferri paraîtra déterminante du rôle qu’a pu jouer
l’œuvre du positiviste italien sur l’émergence de la présomption d'innocence.

§ 2. L’ÉMERGENCE DE LA PRÉSOMPTION D'INNOCENCE DANS LE DISCOURS DOCTRINAL


FRANÇAIS

86. De Garraud aux autres criminalistes du XXe siècle. Cette émergence de la


présomption d’innocence a tout d’abord débuté dans les ouvrages de droit criminel du
célèbre professeur René Garraud. Il est semble-t-il le premier auteur français à avoir
employé la formule présomption d’innocence dans le sens où nous l’entendons aujourd’hui.
L’apparition de la formule chez cet auteur n’est pas demeuré un accident. D’autres ouvrages

264
Sur l’emploi de la formule comme cible, V. infra, n° 381.

100
L’introduction de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal

d’enseignement de droit criminel ont également introduit la formule dans leurs


développements.

A- L’ÉMERGENCE DE LA PRÉSOMPTION D’INNOCENCE DANS LES OUVRAGES DE


GARRAUD

87. L’absence de la présomption d’innocence jusqu’en 1903. En 1881, date à laquelle


paraissait pour la première fois la Sociologie criminelle de Ferri en italien, René Garraud
offrait la première édition de son ouvrage de droit criminel 265. Si Ferri se consacre à la
critique de la présomption d'innocence, ce qui lui fournit l’occasion d’en donner une
formulation, Garraud ignore quant à lui totalement cette présomption. Naît alors
l’impression qu’il n’existe pas de présomption d'innocence. Pourtant, traitant du jury, le
criminaliste français présentera les solutions positives que de son côté Ferri critiquait. Aussi
mentionnera-t-il, par exemple, la règle selon laquelle les bulletins blancs sont décomptés en
faveur de l’accusé 266. Cela étant, aucune référence à une quelconque présomption
d'innocence ne sera faite pour justifier cette solution. L’adage in dubio pro reo qui était visé
par Ferri, ne sera pas davantage invoqué par Garraud. Les éditions successives, jusqu’à la
huitième, se caractériseront par le même silence de l’auteur.

88. La défense de la présomption d’innocence par Garraud. Ce n’est qu’en 1903, avec
la parution de la huitième édition du Précis de droit criminel, que la présomption
d'innocence trouve place dans une oeuvre doctrinale française. L’ouvrage comporte
désormais un titre entier consacré aux « preuves en matière répressives » 267. Garraud y
enseigne pour commencer que la théorie des preuves est dominée par trois règles. La
première concerne la charge de la preuve, celle-ci doit incomber à l’accusation. Mais c’est
en énonçant la seconde règle selon laquelle, « l’insuffisance de la preuve, de la part de celui
qui est chargé de l’administrer, amène, dans tout procès, le renvoie d’instance du
défendeur », que Garraud sera amené à parler de présomption d'innocence.

L’énoncé et la justification de cette seconde règle doit semble-t-il quelque chose à


Bonnier mais surtout à Ferri. Lorsque Garraud fait remarquer que « c’est surtout en matière
répressive que ce principe doit être considéré comme sacré » on croit, en effet, lire Bonnier
répondant à la question de savoir ce qu’il fallait décider en l’absence de preuve

265
R. GARRAUD, Précis de droit criminel, Paris, Larose, 1re éd., 1881.
266
R. GARRAUD, Précis de droit criminel, op. cit., n° 1213 et s.
267
La première édition ne consacrait pas de développements spécifiques à la preuve pénale, ce n’est qu’au
fil des années et des corrections de son ouvrage que Garraud donnera une importance accrue à cette
matière. La physionomie générale des développements portant sur la preuve est arrêtée avec cette
huitième édition. Elle sera reprise dans le tome I du Traité d’instruction criminelle paru en 1907.

101
L’objet dans le discours

suffisante 268. Pour Garraud, cette solution découle de la règle en vertu de laquelle le doute
profite à l’accusé. Il enseigne que cette dernière exerce son influence sur toutes les phases
du procès pénal et qu’elle donne naissance à une série de corollaires. L’auteur poursuit
immédiatement par l’énumération de ces corollaires, qui n’est finalement rien d’autre que la
reproduction, dans le même ordre, de ce que Ferri pointait comme les exagérations de la
présomption d'innocence et la règle in dubio pro reo 269. Et effectivement, Garraud conclut
son énumération en précisant que « Toutes ces institutions, protectrices de l’accusé,
dérivent de l’idée : in dubio pro reo ».

Or cet adage n’avait auparavant jamais été cité par l’auteur. Avant lui seul Ferri, à notre
connaissance l’avait employé. L’hypothèse selon laquelle le discours de Ferri a joué un rôle
dans l’émergence de la présomption d'innocence trouve ici sa première justification. Le
sentiment que, sans la critique de Ferri, l’introduction de la présomption d'innocence
n’aurait pas pris cette forme, se trouve renforcé par la référence directe qui y est faite par
l’auteur français. En effet, Garraud signale que les institutions protectrices de l’accusé dont
il vient de donner la liste « (…) ont été critiquées comme des progrès à rebours par ceux
qui ne voient, dans ces garanties, que des procédés tendant à désarmer la "défense
sociale", et qui ne comprennent pas que l’idée de défense sociale est inséparable de l’idée
de justice sociale ». Et ce n’est que dans une note en fin de page, appuyant son propos, que
Garraud emploiera pour la première fois l’expression « présomption d'innocence ». Ainsi
écrit-il : « C’est surtout Ferri (…) qui a énergiquement critiqué la présomption légale
d’innocence ne devant tomber que devant la preuve contraire de la culpabilité». 270

89. Une défense explicite dans le traité d’instruction criminelle. Cette première allusion
à l’existence de la présomption d'innocence sera reprise et développée de façon plus
explicite lorsque le criminaliste publiera son Traité d’instruction criminelle. Dans cet
ouvrage, qui continue aujourd’hui de faire référence, c’est à deux reprises que la
présomption d'innocence sera énoncée par le rapprochement direct avec les thèses
positivistes.

Tout d’abord, Garraud évoquera la présomption d'innocence dans l’introduction


consacrée à l’origine historique de la procédure criminelle. Là, l’auteur fait état de la « lutte

268
E. BONNIER, Traité théorique et pratique des preuves en droit civil et en droit criminel, op. cit., n° 52.
Bonnier répondait en invoquant l’adage Actore non probante, reus absolvitur et précisait : «c’est surtout
en matière criminelle que cette maxime doit être considérée comme sacrée ».
269
Garraud reprend en effet, en insistant sur leur fondement textuel ou jurisprudentiel, chacun des points
soulevés par Ferri : la liberté provisoire pendant l’appel, le décompte favorable des bulletins blancs et
nuls, l’acquittement en cas de partage des voix, l’impossibilité d’aggraver le sort de l’accusé sur son seul
appel, l’ouverture du pourvoi en cassation contre un acquittement dans le seul intérêt de la loi, l’ouverture
de la révision pour les seuls jugements de condamnation ; Précis de droit criminel, Larose, 8e éd., 1903,
n° 441.
270
R. GARRAUD, Précis de droit criminel, op. cit., note 1, p. 627.

102
L’introduction de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal

toujours ouverte » entre l’école classique et l’école positiviste. Alors que l’accent est mis
sur l’individualisme et l’accroissement des garanties en faveur des accusés dans la thèse
classique, la thèse positiviste est cette fois radicalisée par Garraud qui écrit : « (…) l’école
nouvelle, qui est avant tout étatiste, veut renforcer la "défense sociale", priver l’inculpé de
ces garanties séculaires qui se résument dans la "présomption d'innocence" » 271.

Plus loin, Garraud reprendra les développements contenus dans la huitième édition du
Précis, au titre de la preuve pénale et plus particulièrement de son insuffisance, mais cette
fois ils sont étayés et se concentrent sur la critique positiviste pour mieux la réfuter et la
repousser 272. À cette occasion, la « présomption légale d'innocence » acquiert une véritable
dimension et la formule est désormais employée dans le corps du texte. En effet, après avoir
énoncé la règle in dubio pro reo et l’existence de ses corollaires, Garraud signale une fois
encore les critiques formulées à l’égard de ces derniers par les partisans de l’école
positiviste en remarquant que : « Les attaques ont porté sur toutes les conséquences tirées,
par les législations positives ou par la jurisprudence qui les interprète, de la présomption
légale d'innocence » 273. Garraud entend alors s’opposer à ces critiques en expliquant
qu’elles aboutissent « D’abord, au renversement de la présomption d'innocence » car,
l’école positiviste voit un coupable dans tout individu qui est l’objet de poursuite et
demande qu’on le traite comme tel 274 ; ensuite au rétablissement des sentences de plus
ample informé en cas de doute. Il conclura en jugeant que « Ces prétendues réformes
seraient une régression au lieu d’un progrès ». La nécessité de maintenir la présomption
d'innocence sera fondée sur la finalité de la procédure criminelle qui « n’a pas pour seul et
unique but la poursuite des malfaiteurs, mais aussi la protection des honnêtes gens » 275.

On le voit, Garraud se montre pour le moins sceptique à l’égard du postulat fondamental


des positivistes. Ainsi, ne croit-il guère à l’existence de stigmates extérieurs permettant de
classer l’inculpé dans une catégorie anthropologique ou sociologique qui, s’ils étaient
avérés, seraient seuls de nature à autoriser le renversement de la présomption d'innocence.
Une telle riposte est proportionnée à l’attaque de Ferri. Garraud est résolument pour le
maintien, en droit positif, des règles favorables à l’inculpé. Force est alors de reconnaître
par ces illustrations, que Garraud n’a introduit l’étude de la règle du doute favorable dans
271
R. GARRAUD, Traité théorique et pratique d’instruction criminelle et de procédure pénale, Paris,
Sirey, 1907, Tome I, n° 31, p. 31.
272
R. GARRAUD, Traité théorique et pratique d’instruction criminelle et de procédure pénale, tome I,
op.cit., n° 234.
273
R. GARRAUD, Traité théorique et pratique d’instruction criminelle et de procédure pénale, tome I,
op.cit., n° 234, p. 484.
274
R. GARRAUD, Traité théorique et pratique d’instruction criminelle et de procédure pénale, tome I,
op.cit., n° 234, p. 486. Ici, l’auteur, même s’il signale que l’exclusion de la présomption d'innocence par
Ferri se limite aux récidivistes, force le trait et analyse le discours de Ferri comme absolument contraire à
cette présomption d'innocence.
275
R. GARRAUD, Traité théorique et pratique d’instruction criminelle et de procédure pénale, tome I,
op.cit., p. 487.

103
L’objet dans le discours

ses ouvrages, qu’en considération des thèses émises par Ferri quelques années auparavant.
Les solutions qui sont ici en discussion, et énumérées par Garraud, ne sont pourtant pas
nouvelles, elles sont consacrées par plusieurs articles du Code d’instruction criminelle de
1808. La nouveauté qu’offre l’auteur du Précis de droit criminel réside dans le seul fait
(mais là est toute l’importance) que les règles positives décrites sont rattachées à la règle in
dubio pro reo et que ce rattachement trouve sa seule justification dans le discours de Ferri.

B- LA RÉACTION AU DISCOURS DE FERRI DANS LE RESTE DE LA LITTÉRATURE


JURIDIQUE

90. Vérification de l’hypothèse. L’enseignement de Garraud n’est pas seul à témoigner du


lien qui existe entre la critique positiviste de la présomption d'innocence et la construction
du discours doctrinal français. Il serait insuffisant s’il n’existait d’autres éléments venant le
prolonger. En prêtant attention aux traités et manuels parus après le traité d’instruction
criminelle de Garraud, on s’aperçoit que les opinions critiques formulées par le représentant
de l’école positiviste italienne, sont inséparables de la formulation de la présomption
d'innocence. Pour s’en convaincre, on peut se reporter à la dernière édition du manuel de
procédure pénale du professeur Pradel, dans lequel, l’éminent pénaliste signale encore, un
siècle après Garraud, « qu’il s’est trouvé naguère une doctrine pour limiter la présomption
aux délinquants passionnels et d’occasion, c'est-à-dire aux délinquants peu dangereux
276
selon l’optique positiviste» . L’impossibilité de distinguer avec assez de certitude les
délinquants occasionnels et d’habitude, était l’argument essentiel opposé par Garraud et il
est toujours énoncé par M. Pradel en 2004. Mais avant cela, c’est tout au long du XXe siècle
que les pénalistes vont construire leur discours sur la présomption d'innocence en prenant
appui sur celui du positivisme incarné par Ferri.

91. La référence à Ferri dans la littérature juridique du XXe siècle. La formule


« présomption légale d'innocence » aura ainsi été retenue par Vidal qui enseigne, à propos
de la charge de la preuve, que « Tant que cette preuve n’est pas faite, l’inculpé bénéficie
d’une présomption légale d’innocence qui ne tombe que devant la preuve contraire de la
culpabilité : in dubio pro reo » 277. Le criminaliste précise que les diverses applications de
cette présomption ont été combattues par M. Ferri et l’école positiviste. En référence, on
trouve, chez Vidal, comme chez Garraud, l’indication du passage de la Sociologie
criminelle dans lequel Ferri fustige les conséquences de la présomption d'innocence. En

276
J. PRADEL, Procédure pénale, op. cit., 12e éd., n° 384, p. 324.
277
G. VIDAL et J. MAGNOL, Cours de droit criminel et de science pénitentiaire, 5e éd., n° 715.

104
L’introduction de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal

outre, Vidal expliquera dans cette note que la distinction entre criminalité évolutive et
atavique ne lui paraît pas admissible 278.

On trouve également présente, dans le traité du professeur Donnedieu de Vabres, une


référence à cette thèse positiviste contraire à la présomption d'innocence : « (…) ; l’inculpé
est couvert par une présomption d'innocence, qui est une garantie de la liberté individuelle.
Cette présomption bénéficie au récidiviste comme au délinquant primaire » 279. Et l’auteur
d’expliquer, lui aussi, qu’ « Elle a été combattue par Enrico Ferri» 280.

En 1956, c’est M. Patarin, dans l’exposé des « critiques faites à la présomption


d'innocence » qui combat les arguments positivistes en enseignant que « C’est vainement
(…) qu’on invoquerait la probabilité, même scientifiquement fondée, qu’un individu
sociologiquement ou physiquement prédisposé ou un délinquant d’habitude soupçonné
d’avoir commis une infraction l’ait réellement commise, pour en déduire une présomption
de culpabilité et laisser au prévenu la charge de la preuve contraire. » 281 Un an plus tard,
M. Vitu adoptera lui aussi cette position 282. Le souvenir des critiques de Ferri formulées à la
fin du XIXe siècle, sera également entretenu par MM. Brière de l’Isle et Cogniart 283, Mme
Rassat 284 ou encore MM. Merle et Vitu 285.

Ces exemples tirés de la doctrine criminaliste contemporaine attestent de l’importance


qu’il convient d’attribuer à la critique positiviste. Le discours de Ferri a permis au discours
doctrinal français de se cristalliser et d’introduire la présomption d'innocence dans leurs
ouvrages scientifiques. Ce rôle de l’école positiviste, incarnée par Ferri, dans l’émergence
de la présomption d'innocence, est confirmé par la conservation du souvenir par les auteurs
postérieurs. Alors que la distinction proposée entre délinquants d’occasion et délinquants
ataviques n’est jamais passée dans notre droit positif et, qu’il n’est pas, aujourd’hui,
question de la consacrer, comment expliquer que les auteurs continuent d’y faire référence ?
Nous ne voyons, comme élément de réponse, que l’explication ci-dessus proposée. Un
discours sur la présomption d'innocence s’est constitué à partir des critiques positivistes et
dans le seul but de les réfuter. La doctrine française, unanime, n’a commencé à évoquer la
présomption d'innocence que pour défendre les institutions que Ferri a rangé sous cette

278
G. VIDAL et J. MAGNOL, Cours de droit criminel et de science pénitentiaire, op. cit., n° 715, note 1.
Dans la neuvième édition du Cours de droit criminel, la critique positiviste de la présomption d'innocence
ne sera évoquée qu’en note de bas de page et ne figurera plus dans les développements principaux.
279
H. DONNEDIEU DE VABRES, Traité de droit criminel et de législation comparée, 3e éd., n° 1239, p. 714.
280
H. DONNEDIEU DE VABRES, Traité de droit criminel et de législation comparée, op. cit., n° 1239, note
1.
281
J. PATARIN, Le particularisme de la théorie des preuves en droit pénal, in G. STÉFANI (dir.), Quelques
aspects de l’autonomie du droit pénal, Travaux de l’institut de criminologie de Paris, 1956, n° 8.
282
A. VITU, Procédure pénale, op. cit., p. 186.
283
G. BRIÈRE DE L’ISLE et P. COGNIART, Procédure pénale, op. cit., p. 12.
284
M.-L. RASSAT, Traité de procédure pénale, op. cit., n° 195, p. 306.
285
R. MERLE et A.VITU, Traité de droit criminel, Procédure pénale, op. cit., 5e éd., n° 144, p. 184.

105
L’objet dans le discours

formule et dont il contestait l’opportunité au nom de la défense sociale. Cette défense a été
efficace puisque aujourd’hui la thèse de Ferri sur la présomption d'innocence n’a plus
d’actualité que dans le souvenir ainsi entretenu.

92. De la crise à la critique. En revanche, d’autres thèses de l’école positiviste italienne,


très novatrices, ont connu un réel succès au point d’inspirer les législateurs européens, dont
le législateur français. Elles ont été analysées comme une véritable révolution scientifique
qui a séduit plus d’un esprit parmi les juristes. Mais les esprits conservateurs en ont perçu
les dangers et y ont résisté. C’est le droit pénal tout entier et ses méthodes qui se trouvaient
ébranlés, au point que certains auteurs n’ont pas trouvé exagéré de parler d’une crise du
droit pénal. L ‘émergence de la présomption d'innocence comme objet de discours doit
également s’apprécier à la lumière du contexte qui l’a rendu possible.

106
L’introduction de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal

SECTION 2 : LE CONTEXTE DE L’ÉMERGENCE

93. Plan. L’œuvre de Enrico Ferri, qui sert d’appui au discours pénal français mérite d’être
plus largement replacé dans son contexte scientifique. Il n’est en effet que le réceptacle qui
accueille les bouleversements qu’a subi la science pénale à la fin du XIXe siècle. Il s’agira
alors de présenter les grandes lignes de ces bouleversements (§1) avant de s’intéresser à la
posture qu’ont adopté les pénalistes français dans cette crise du droit pénal (§2).

§ 1. LES BOULEVERSEMENTS DE LA SCIENCE PÉNALE

94. Caractère révolutionnaire des idées positivistes. Dans l’histoire des doctrines pénales,
seule la doctrine positiviste apparaît comme un mouvement d’idées révolutionnaires.
Modernes ou anciens, les criminalistes s’accordent pour reconnaître une telle ampleur aux
nouvelles théories 286. Ce que certains ont pu désigner comme une crise du droit pénal et qui
en découle, présente des caractères qui ne sont pas sans rappeler ceux qu’énonçait Th. Kuhn
à propos des révolutions scientifiques 287. Il a ainsi paru intéressant de présenter ces
bouleversements de la science pénale en empruntant au modèle des révolutions scientifiques
que Kuhn avait proposé (A). Ce modèle a en effet l’avantage de fournir une grille de lecture
des nouvelles théories énoncées par l’école positiviste (B).

A- LE MODÈLE THÉORIQUE D’UNE RÉVOLUTION SCIENTIFIQUE

95. Structures des révolutions scientifiques chez Kuhn. Cet historien des sciences s’est
proposé d’analyser la structure des révolutions scientifiques et d’en dégager une théorie. À
cette occasion, l’auteur a formulé les concepts de science normale, science extraordinaire,
d’anomalie et de paradigme qu’il est tout à fait possible de transposer à notre étude. Ils nous
ont semblé pouvoir faciliter la présentation des éléments de la crise qui nous intéresse288.

Selon Th. S. Kuhn, il existe dans l’évolution d’une science, une période normale au
cours de laquelle les membres de la communauté scientifique adhèrent à certains

286
J. PRADEL, Histoire des doctrines pénales, op. cit., 2e éd., p. 73 ; J.- H. ROBERT, Droit pénal général,
Paris, PUF, 5e éd., p. 37 ; E. GAUCKLER, Le congrès d’anthropologie criminelle de Paris, Revue critique de
législation et de jurisprudence, 1890, p. 639 ; et du même auteur, Les nouvelles tendances du droit pénal
et le 3e congrès d’anthropologie criminelle, Revue critique de législation et de jurisprudence, 1892, p.
604.
287
TH. S. KUHN, La structure des révolutions scientifiques, trad. L. Meyer, Paris, Flammarion, 1983.
288
Peu importe pour notre propos que la théorie de Kuhn soit discutée en épistémologie des sciences. Le
concept de paradigme conserve pour nous une utilité certaine. Il est d’ailleurs toujours très utilisé,
notamment dans le discours juridique. On pourrait objecter en outre que la transposition de la théorie de
Kuhn au droit pénal est incongrue dès lors qu’il ne s’agit pas d’une science au sens strict du terme, du
moins au sens où Kuhn l’entend lui-même. Pourtant, le recours à la théorie de Kuhn présente pour nous
un intérêt essentiellement descriptif qui nous semble autoriser le parallèle. Enfin, si le droit pénal n’est
pas une science, au sens de science exacte, on verra que justement le positivisme aura pour objet d’opérer
une telle transformation.

107
L’objet dans le discours

paradigmes. Les recherches scientifiques sont alors menées à l’intérieur de ces derniers. On
peut comprendre les paradigmes comme les convictions fondamentales ou postulats de base
qui organisent une science ou une branche de cette science. Ce sont des modèles théoriques
et méthodologiques qui donnent naissance à des traditions particulières et cohérentes de
recherche scientifique, c’est pourquoi « en apprenant un paradigme, l’homme de science
acquiert à la fois une théorie, des méthodes et des critères de jugement généralement en un
289
mélange inextricable» . Au-delà de la détermination des méthodes scientifiques, le
paradigme va jusqu’à créer une vision du monde 290 particulière, commune aux scientifiques
d’un même secteur de recherche.

La révolution scientifique initiée par la formulation de nouvelles théories tend au


changement de paradigme. Kuhn explique que les nouvelles théories ou découvertes
scientifiques commencent par la conscience d’une anomalie 291. Les scientifiques
s’aperçoivent que certains faits ne peuvent plus être expliqués ou que certains problèmes ne
peuvent plus être résolus avec les outils intellectuels traditionnels dont ils disposent. La
science entre alors dans, ce que Kuhn appelle, la science extraordinaire. Elle se caractérise
par l’apparition de nouvelles théories remettant en cause la validité des paradigmes jusque
là admis. Les anciennes conceptions sont attaquées et leur capacité à répondre aux questions
nouvelles est mise à mal. Une crise voit le jour au sein de la communauté scientifique 292.
Les uns, les plus novateurs, souvent à l’origine des nouvelles théories, prônent l’abandon de
l’ancien paradigme, tandis que les autres refusent d’adhérer à une nouvelle conception de
leur méthode de travail alors même qu’ils reconnaissent l’existence d’anomalies. Une
résistance aux nouvelles théories se met en place alors que ces dernières tendent à la
destruction de l’ancien paradigme au profit du nouveau. Deux paradigmes sont donc en
concurrence. Kuhn fera remarquer que l’adoption éventuelle du nouveau paradigme ne
dépend pas de preuves scientifiques mais de motifs divers adoptés collectivement ou
individuellement par les chercheurs 293. Trois issues à la crise sont alors envisageables.
D’une part, l’on peut concevoir que la science normale parvienne finalement à résoudre le
problème qui se trouvait à l’origine de la crise. D’autre part, quoi qu’envisagé d’un point de

289
TH. S. KUHN, La structure des révolutions scientifiques, op. cit., p.155.
290
TH. S. KUHN, La structure des révolutions scientifiques, op. cit., p.157.
291
« La découverte commence avec la conscience d’une anomalie, c'est-à-dire l’impression que la nature,
d’une manière ou d’une autre, contredit les résultats attendus dans le cadre du paradigme qui gouverne
la science normale », La structure des révolutions scientifiques, op. cit., p. 83. Cependant, l’existence
d’anomalies est tout à fait « normale » pour la science, si bien que toutes les anomalies ne donneront pas
lieu à une crise. Pour déclencher une crise, il faut plus qu’une simple anomalie explique Kuhn, p. 120.
292
TH. S. KUHN, La structure des révolutions scientifiques, op. cit., p. 100 et s.
293
Les esprits novateurs ne peuvent ainsi se contenter d’arguer de l’incapacité du paradigme à résoudre
tous les problèmes pour persuader les esprits plus conservateurs d’en adopter un nouveau. C’est à une
véritable conversion que les scientifiques doivent procéder. Il y a en effet, dans l’attachement à un
paradigme, quelque chose qui relève indéniablement de la foi et de la croyance. V. TH. S. KUHN, La
structure des révolutions scientifiques, op. cit., p. 209-218.

108
L’introduction de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal

vue radicalement différent, il se peut que le problème résiste et que sa solution soit
abandonnée aux futurs chercheurs qui disposeront de moyens plus performants. Enfin,
l’issue de la crise peut être une révolution scientifique, et le nouveau paradigme est alors
adopté 294. Le passage de l’un à l’autre donne lieu à une « reconstruction de tout un secteur
sur de nouveaux fondements, reconstruction qui change certaines des généralisations
théoriques les plus élémentaires de ce secteur et aussi nombre des méthodes et applications
paradigmatiques » 295.

Quoique schématique et sommaire cette présentation de la structure d’une révolution


scientifique suffit pour mettre en relief aussi bien le cheminement que les manifestations du
bouleversement survenu dans la science du droit pénal de la fin du XIXe siècle. Ainsi peut-
on la présenter en s’attachant, d’une part à l’apparition des théories révolutionnaires
proposées par les positivistes, et d’autre part à la réception de ces nouvelles théories par les
criminalistes français. La crise résulte précisément de cette réception qui s’analyse en réalité
en une réaction des criminalistes d’obédience classique et libérale face aux prétentions
scientifiques de l’école positiviste. Ce n’est qu’à la lumière de cette réaction que la
constitution d’un discours sur la présomption d’innocence prendra tout sons sens.

B- LES THÉORIES NOUVELLES DE L’ÉCOLE POSITIVISTE ITALIENNE

96. Naissance d’une école. L’importance qu’a eu l’école positiviste dans l’histoire de la
science pénale est attestée par la place que les auteurs contemporains lui reconnaissent 296
mais aussi par les témoignages des criminalistes qui l’ont vu se constituer au XIXe siècle.
L’école positiviste désigne les savants, scientifiques ou juristes, dont les idées ont présidé à
la naissance d’une nouvelle discipline : la criminologie. Ce mouvement de pensée doit sa
prétention scientifique et son orientation au positivisme d’Auguste Comte. Il lui emprunte le
postulat selon lequel, il n’y a de connaissance scientifique que dans l’observation des faits
et la mise en œuvre de la méthode expérimentale. Les recherches menées par les tenants de
cette école se caractérisent par l’application de la méthode positiviste à l’étude des causes
du crime. Le progrès que connaissent les sciences à cette époque et le prestige dont elles
jouissent, conduisent Cesare Lombroso, médecin légiste hardi, à entreprendre de telles
recherches. Il en fera connaître les premiers résultats en publiant son très célèbre L’homme
criminel en 1870. L’examen anthropométrique, médical et psychologique de 5907
délinquants vivants et de minutieuses mesures sur 383 crânes de criminels, lui permettent
d’affirmer l’existence d’un type général de criminel, le « criminel-né ». En effet, Lombroso

294
La structure des révolutions scientifiques, op. cit., p. 123-124.
295
La structure des révolutions scientifiques, op. cit., p. 124.
296
A. DECOCQ, Droit pénal général, p. 37 et s ; J. PRADEL, Droit pénal général, 12e éd., n° 103 et s. ; M.-
L. RASSAT, Droit pénal général, 2e éd., n° 23 ; R. MERLE et A.VITU, Traité de droit criminel, Droit pénal
général, 7e éd., n° 71 et s ; J.- H. ROBERT, Droit pénal général, 5e éd., p. 36 et s. ; E. TILLET, v °Histoire
des doctrines pénales, Rép. Pén. Dalloz.

109
L’objet dans le discours

affirme que le type du criminel représente une forme de régression à un type d'humain plus
primitif, une sorte d'humain dégénéré, caractérisé par des qualités physiques et morales
présentes chez les sauvages primitifs. Aussi pose-t-il que l'individu criminel appartient à un
type anthropologique distinct de l'individu non-criminel. L’anthropologie criminelle venait
de voir le jour. On ne commencera à parler de criminologie qu’en 1885 avec la parution de
l’ouvrage éponyme de Garofalo.

Un autre auteur célèbre de cette école n’est autre que Enrico Ferri, dont l’oeuvre
fondamentale de sociologie criminelle déjà évoquée plus haut, s’inscrit dans le sillon tracé
par Lombroso, tout en élargissant ses horizons au-delà des seuls facteurs sociologiques ou
psychologiques du crime. Aujourd’hui, Ferri est regardé comme « le véritable fondateur de
la criminologie » en raison de la « synthèse criminologique positiviste » qu’il a élaborée à
partir des travaux sur le crime qui avaient été réalisés par de multiples écoles à la fin du
XIXe siècle 297.

97. La diffusion des idées positivistes. Ferri envisage le crime comme un phénomène
social dont les causes sont à rechercher également dans ce milieu 298. Outre leur
consignation dans les ouvrages de l’époque consacrés à cette question, les résultats des
études anthropologiques ou sociologiques en matière criminelle ont été diffusés au sein de
la communauté scientifique et juridique par l’organisation de congrès internationaux. Le
premier congrès d’anthropologie criminelle s’est tenu à Rome en 1885, le second à Paris en
1889, le troisième à Bruxelles en 1892. À cette époque, les idées positivistes se répandent et
se discutent également grâce à la création des Archives d’anthropologie criminelle qui
rendent compte du déroulement des congrès et permettent la diffusion d’études particulières
réalisées par les chercheurs européens. La publicité de cette école était probablement une
condition de son retentissement mais elle le doit très essentiellement au contenu des théories
qu’elle a défendues. Les bouleversements survenus dans la pensée pénale trouvent leur
origine dans la théorie du criminel-né énoncée par Lombroso. L’existence d’un type
criminel est une découverte fondamentale pour l’ensemble des chercheurs qui s’intéressent
au phénomène criminel et à la lutte contre la délinquance. L’école positiviste italienne vient
donc perturber la science du droit pénal non seulement par les postulats qu’elle adopte mais
encore par les théories qu’elle professe.

Jusqu’alors le crime était envisagé du seul point de vue juridique c'est-à-dire comme
l’acte défendu dont l’accomplissement entraîne l’application d’une peine. Très critiques à

297
R. GASSIN, Présentation, in La Sociologie criminelle, Paris, Dalloz, 2004, réédition de la 1re édition
française de 1893.
298
L’influence des facteurs sociaux sur la criminalité faisait cependant déjà l’objet des préoccupations de
l’école franco-belge du milieu social dont les principaux représentants étaient le belge Quételet et les
français Lacassagne et Tarde.

110
L’introduction de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal

l’égard de cette conception, les positivistes expliquent qu’il s’agit là d’une vue trop abstraite
et que la lutte contre la délinquance passe avant tout par une connaissance approfondie du
criminel. Cela explique les études médicales, biologiques et psychologiques entreprises par
Lombroso et ses partisans. Le positivisme se caractérise en outre par le postulat selon lequel
l’Homme, et l’homme criminel en particulier, est déterminé.

98. La négation du libre arbitre. L’adhésion au déterminisme conduit les positivistes à


poser l’inéluctabilité de l’acte criminel chez certains individus dont le comportement résulte
de facteurs externes ou internes auxquels ils ne peuvent résister. Un tel postulat signifie très
clairement que l’homme délinquant ne jouit pas de son libre arbitre et que son activité
criminelle ne saurait donc être rattachée à l’exercice de sa volonté.

Or, jusqu’à la formulation de cette affirmation, toute la science des criminalistes


consistait à fonder, expliquer, critiquer ou améliorer le droit pénal en raisonnant selon le
postulat inverse. Cette tradition attachée à l’idée que la volonté de l’Homme est libre
légitimait la rétribution du crime par l’infliction d’une peine. La volonté étant libre,
l’Homme devait être tenu pour responsable du mauvais usage qu’il pouvait faire de sa
liberté 299. S’il est vrai qu’en philosophie on discutait déjà depuis longtemps de l’existence
du libre arbitre, un criminaliste explique néanmoins que « tous les législateurs, aussi bien
chez les peuples anciens que chez les peuples modernes, admettent comme un fait
indiscutable, comme une vérité évidente, le libre arbitre et font dépendre la responsabilité
pénale de la responsabilité morale » 300 et cet auteur d’ajouter : « Dans toutes les
législations, la punition a toujours été attachée à une faute librement commise. Ce principe
a été consacré par les lois de tous les peuples » 301. Si Louis Proal, magistrat à la Cour
d’Aix, ancre ce principe dans la tradition antique, pour laquelle il cite Aristote et Hérodote,
c’est justement parce que le déterminisme positiviste se présente comme le postulat
concurrent qui prétend supplanter le libre arbitre. Autrement dit, les positivistes tendent à
l’adoption d’un nouveau paradigme.

99. Vers un nouveau paradigme de la science pénale ?. La prétention du déterminisme à


devenir le paradigme de la science pénale est favorisée par l’état de la justice criminelle à
cette époque. Les thèses positivistes se nourrissent des faits bruts observés : la criminalité
ne cesse d’augmenter de même que le taux de récidive 302. Voilà l’anomalie qui autorise
l’école italienne à affirmer l’échec du droit pénal et de la doctrine classique à expliquer et à

299
Pour autant, la loi retenait bien l’irresponsabilité de l’auteur dans les cas de démence et de contrainte
morale ou physique. Naturellement, ces cas spéciaux excluent le libre arbitre de l’auteur, ainsi ne peut-il
se voir déclarer coupable d’actes commis sous l’empire d’un état de contrainte ou de démence.
300
L. PROAL, La responsabilité morale des criminels, Revue philosophique, 1890, tome 29, p. 384.
301
La responsabilité morale des criminels, op. cit., p. 385.
302
La statistique criminelle, apparue en 1826, constitue un outil très utile pour évaluer et prouver cette
inflation de la délinquance.

111
L’objet dans le discours

juguler le phénomène. L’incapacité avérée du système pénal libéral à lutter contre la


délinquance constitue ce que Kuhn désigne sous le terme d’anomalie. La proposition d’un
nouveau paradigme, plus adapté à cette lutte, s’accompagne de thèses et réformes originales
et complètement nouvelles, propres à détruire l’essentiel des constructions théoriques
classiques. Naturellement, la négation du libre arbitre conduit les positivistes à rejeter le
concept antique de responsabilité pénale fondé sur la responsabilité morale de l’auteur. Ferri
ne retiendra qu’une responsabilité sociale fondée sur une responsabilité matérielle ou
physique.

La mauvaise santé de la justice criminelle est manifeste, elle s’illustre, notamment, par
les dysfonctionnements du jury populaire dont les décisions favorisent l’impunité
d’individus pourtant dangereux. Or, le positivisme fonde l’ensemble de ses propositions sur
l’idée que la société a non seulement le droit mais aussi le devoir de se défendre contre le
criminel. Objectif que la doctrine pénale en vigueur avait méconnu en reconnaissant trop de
droits aux délinquants. Alors que le droit pénal était sorti de la Révolution française
humanisé et libéral, encadré par des principes garantissant la justice, il se voit critiqué pour
cela et opposer la notion de « défense sociale ». C’est la façon de considérer le criminel qui
change radicalement. Il n’est plus désormais que le « microbe social » 303 dont il convient de
débarrasser la société. L’irresponsabilité morale qui lui est reconnue exclut toute idée de
peine rétributive. La peine, qui est davantage traitement que sanction, ne doit plus être
déterminée en fonction de la gravité de l’infraction commise mais doit être adaptée à la
dangerosité de l’individu. Pour les plus dangereux, l’élimination totale ou l’internement
perpétuel sont les mesures proposées par l’école positiviste. Ainsi, grâce à la classification
« scientifique » des délinquants initiée par Lombroso et poursuivie notamment par Ferri304,
il devait suffire au juge de connaître la personnalité du délinquant pour le faire entrer dans
l’une de ces catégories et lui appliquer le traitement adéquat. Cette conception a poussé les

303
L’expression, bien connue, est du médecin et professeur Lacassagne.
304
Ferri distinguait cinq classes de criminels :
Les criminels-nés : ce sont les criminels ataviques ou dégénérés reconnaissables à des traits anatomiques
et morphologiques, selon les découvertes de Lombroso, privés de sens moral et donc incorrigibles. Seul
un milieu favorable peut leur éviter le passage à l’acte.
Les criminels aliénés : ce sont les criminels dont la maladie mentale est la cause des délits qu’ils
commettent.
Les criminels d’habitudes : pour cette catégorie, la délinquance est une profession, c’est la faiblesse de
leur moralité qui les maintient dans cette habitude.
Les criminels passionnels : ce sont ceux qui, quoique irréprochables, viennent à céder à la pulsion qui
joue comme une force irrésistible. Ils se repentent et s’amendent facilement.
Les criminels d’occasion : ce sont les circonstances qui poussent ces derniers à commettre des délits et
non leur nature propre.

112
L’introduction de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal

positivistes à redéfinir le rôle du juge au point d’exiger qu’il acquière des compétences
criminologiques pour être en mesure d’accomplir son nouveau rôle 305.

On le voit, le positivisme se construit autour d’une critique radicale du droit pénal


classique. On aperçoit, par-là même, que ce sont les méthodes des criminalistes qui sont
gravement remises en question. Ceux-ci ne resteront d’ailleurs pas indifférents à
l’effervescence créée par l’école italienne.

§ 2. LES PÉNALISTES FRANÇAIS DANS LA CRISE DU DROIT PÉNAL

100. Réception des nouvelles théories et réaction. La criminologie naissante a provoqué


une crise du droit pénal. La nouveauté et la radicalité des nouvelles théories ont diversement
été reçues par les pénalistes français, certains ont manifesté assez tôt leurs inquiétudes.
Néanmoins, la fécondité du positivisme ne leur aura pas échappée, si bien que la réception
des nouvelles théories se caractérise aussi par une part d’acceptation des critiques émanant
de l’école positiviste. Si certains juristes mais aussi membres d’autres disciplines ont pu être
séduits par le positivisme, on aperçoit toute une littérature qui n’a d’autre objet que
d’exprimer une vive réaction aux nouvelles thèses. Or, c’est ce mouvement de réaction qui
paraît constituer le facteur d’émergence de la présomption d’innocence dans le discours
savant.

A- LA RÉCEPTION DES THÉORIES POSITIVISTES

101. La reconnaissance des apports de l’école positiviste. Aucun criminaliste de la fin du


XIXe siècle n’a pu rester indifférent au mouvement scientifique initié par l’école italienne.
En raison de l’implication philosophique du positivisme, les juristes ont été contraints de
prendre position et d’exprimer la conception qu’ils se faisaient du droit pénal. Souvent, il
s’est agi de formuler des critiques à l’égard des travaux publiés par les membres de cette
école. Quoi qu’il en soit, aucun criminaliste n’a pu rejeter l’ensemble des nouvelles
théories, un engouement certain s’est même manifesté pour l’adoption de certaines
institutions. Mais surtout, les criminalistes du XIXe siècle ont reconnu à l’école positiviste
de grands mérites qui ont fait indéniablement progresser la science du droit pénal en lui
montrant des voies fécondes de recherches.

Les juristes français n’ont pu, tout d’abord, rester insensibles à la formulation de
solutions qui visaient directement à endiguer l’inflation de la criminalité et à résoudre le
problème du récidivisme. Force leur était de reconnaître que la mise en œuvre des théories
classiques n’avait produit aucun résultat. Ensuite, tous reconnaissent à Lombroso et à sa

305
Le jury devait lui aussi se voir modifier dans sa conception puisqu’aux jurés populaires, incompétents
et trop sensibles, on voulait substituer des experts. Ainsi les criminels auraient été « analysés » par les
experts médecins, biologistes, psychiatres.

113
L’objet dans le discours

théorie du criminel-né d’avoir saisi les esprits, en soulevant l’infécondité des solutions
classiques et en révélant des connaissances nouvelles assurément utiles dans la lutte contre
le crime. Un auteur a ainsi pu écrire : « Lombroso a trouvé pour exprimer ces relations
[celles qui existent entre la criminalité et les anomalies de l’organisme] la formule
troublante qui devait galvaniser l’indifférence des criminalistes et les faire sortir de leur
citadelle juridique. Il a prononcé le mot de criminel-né et affirmé l’existence d’une variété
anthropologique, jusqu’alors insoupçonnée, le type criminel » 306. Autrement dit, on sait gré
aux savants italiens d’avoir ouvert l’horizon des juristes en posant le problème de la
criminalité davantage comme un problème social et anthropologique que comme un
problème juridique 307.

Les criminalistes retiendront encore volontiers du positivisme la voie qu’il a ouverte en


direction d’une politique criminelle de prévention 308. A cet égard, certaines propositions de
Ferri ont séduit les juristes. On regarde par exemple, aujourd’hui encore, comme
ingénieuse, la mesure préventive qui consiste tout simplement à éclairer les rues sombres
afin d’y éviter la commission d’infractions. Du côté répressif, l’anthropologie criminelle en
favorisant l’usage de l’anthropométrie aura contribué à améliorer l’identification des
criminels. Au titre des progrès réalisés en droit pénal sous l’influence du positivisme, la
notion d’individualisation de la peine 309 doit également être signalée. En réalité, ce sont
toutes les connaissances relatives à la personnalité, à la psychologie et à la dangerosité du
délinquant, qui ont été accueillies avec enthousiasme, dès lors qu’elles avaient pour objet
d’adapter la sanction au délinquant une fois sa culpabilité reconnue. Néanmoins, le
positivisme ne s’est pas seulement vu reconnaître le mérite de « faire sortir les criminalistes
de leur citadelle juridique ». Toutefois, les juristes se sont inquiétés de la manière dont les
positivistes entendaient mettre en application leurs théories.

102. Les manifestations d’inquiétudes. Alors même que l’école positive italienne connaît
un vif succès et fait des adeptes aussi bien parmi les juristes que les médecins, un certain
nombre de criminalistes élaborent un discours critique à l’égard des nouvelles conceptions
et mettent l’accent sur le danger qu’elles présentent. Ce danger sera exprimé de diverses
manières tout au long des années durant lesquelles l’école italienne et ses représentants ont
conservé l’intérêt et l’attention des criminalistes ou des législateurs. Ainsi voit-on paraître

306
P. CUCHE, L’éclectisme en droit pénal, Revue pénitentiaire, 1907, p.947.
307
L’éclectisme en droit pénal, op. cit., p. 950. M. Gassin reconnaît quant à lui « la très grande
importance historique de la théorie du type criminel », Criminologie, Paris, Dalloz, 4e éd., 1998, n° 184.
308
Le positivisme « a donné une impulsion nouvelle à l’organisation d’institutions préventives de la
criminalité, dont sa conception particulière du tempérament criminel a prouvé une fois de plus l’utilité et
même la supériorité sur les moyens répressifs », G. VIDAL et J. MAGNOL, Cours de droit criminel, 5e éd.,
n° 41. L’intérêt pour la prévention est illustré par l’étude de Roux : J.- A. ROUX, La défense contre le
crime : répression et prévention, Paris, Alcan, 1922.
309
L’étude de Raymond Saleilles témoigne de la faveur des juristes pour cette nouvelle conception
attachée à la peine, L’individualisation de la peine, Paris, Alcan, 1898.

114
L’introduction de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal

des monographies ou des études qui, tout en s’inscrivant dans le mouvement d’ouverture de
la science pénale et en acceptant l’impulsion nouvelle donnée à la science pénale, viennent
non seulement en corriger les erreurs et les excès mais aussi parfois les exclure purement et
simplement. Les auteurs sont parfois très explicites sur le danger qu’ils redoutent. Avec ses
Principes fondamentaux de la pénalité dans les systèmes les plus modernes, Georges Vidal
ne laisse aucun doute sur ses intentions : « Puisse mon œuvre être jugée par les lecteurs
avec la même bienveillance que par l’Académie de sciences morales et produire chez eux
cet effet salutaire de les mettre en défiance contre les doctrines parfois séduisantes mais le
310
plus souvent dangereuses» . À la même époque, Louis Proal qui n’est pas universitaire
mais praticien, publie des travaux qui poursuivent et expriment le même objectif 311. Dans
une étude sur les réformes proposées par l’anthropologie criminelle, l’auteur explique ainsi :
« Je voudrais essayer d’établir aujourd’hui que l’application de cette doctrine [celle de
l’école d’anthropologie criminelle] au droit criminel est pleine de dangers » 312. Ces
publications font d’ailleurs suite à l’ouvrage de Henri Joly qui reprenait déjà, en 1888, les
thèses positivistes pour les soumettre à un examen critique 313.

B- LA RÉACTION DES CRIMINALISTES

103. Premières mises en œuvre pratiques des idées positivistes. L’inquiétude de certains
juristes est d’autant plus vive que nombre d’idées positivistes sont passées dans la
législation ou s’apprêtent à y être consacrées. En France, la dangerosité du délinquant est
prise en compte et inspire même certaines réformes. Ainsi a-t-on pour habitude de citer la
loi du 27 mai 1885 314 relative aux récidivistes qui a instauré une nouvelle sanction : la
relégation des multirécidivistes. On consacre par ailleurs la libération conditionnelle et le
sursis. La palette des peines s’est vue également élargie par la création de l’interdiction de
séjour, les peines accessoires ou complémentaires 315 etc. Le code pénal italien de 1890 est

310
G. VIDAL, Principes fondamentaux de la pénalité dans les systèmes les plus modernes, Paris,
Rousseau, 1890, avant-propos. Il faut bien admettre qu’une large partie de l’ouvrage est consacrée à
l’école positiviste, à l’exposé de ses théories et du déterminisme, ainsi qu’à leur critique.
311
L. PROAL, Le crime et la peine, Paris, Alcan, 2e éd., 1894 ; La responsabilité morale des criminels,
Revue philosophique, op. cit., et Les réformes proposées par l’anthropologie criminelle, Revue
pénitentiaire, 1890, p. 636.
312
L. PROAL, Les réformes proposées par l’anthropologie criminelle, op. cit., p. 637.
313
H. JOLY, Le crime, Paris, Cerf, 1888.
314
A. DECOCQ, Droit pénal général, p. 41 ; M.-L. RASSAT, Droit pénal général, 2e éd., n° 23.
315
L’influence du positivisme sur ces réformes a pourtant été contestée par Cuche. L’auteur estime en
effet, que la contribution de l’école de Lombroso à l’introduction de telles innovations dans la législation
française, peut être réduite à de fort modestes proportions. La condamnation avec sursis serait, selon lui,
d’inspiration anglo-saxonne, quant à la relégation, elle avait des précédents dans la législation
révolutionnaire française, L’éclectisme en droit pénal, op. cit., p. 950-951. On peut de toute façon douter
de la rapidité avec laquelle les thèses positivistes auraient dû été connues et accueillies pour être
consacrées par le législateur de 1885. Les travaux de Lombroso et de Ferri commençaient alors à peine à
connaître un rayonnement international. C’est cette même année que se tient le premier congrès
d’anthropologie criminelle. Enfin, il convient de rappeler qu’il existait déjà des congrès pénitentiaires
d’ampleur internationale où les juristes portaient leur attention aux problèmes de la criminalité. Quoi qu’il

115
L’objet dans le discours

d’inspiration positiviste, tandis qu’en France il est question de réformer les codes
d’instruction criminelle et pénal. Des réformes sont engagées par d’autres législateurs en
Europe qui consacrent les solutions proposées par l’école italienne 316.

1) Réactions critiques

104. Double objet de la réaction. Les réactions critiques des pénalistes se manifestent sous
deux formes : la première vise certains résultats annoncés par l’anthropologie criminelle, la
seconde consiste en ce que l’on pourrait désigner comme la défense de la citadelle juridique
contre les prétentions scientistes.

105. Contestation du scientisme. Dès le second congrès d’anthropologie criminelle de


Paris en 1889, de vives critiques sont adressées au « Lombrosianisme» 317. Concernant le
type criminel, les français ont ainsi contesté la valeur des résultats obtenus par le recours
aux statistiques criminelles et à des constatations peu fiables. Plus généralement, les
diverses typologies criminelles seront repoussées 318. On reprochera alors à l’école positive
de n’avoir été, à ses débuts, qu’une « école d’anthropologie hypnotisée sur des observations
craniologiques » 319. Louis Proal s’attachera quant à lui à critiquer la classification des
criminels établie par Ferri 320 et l’école italienne. Il n’hésite pas à dénoncer l’esprit de
système qui anime les positivistes ainsi que l’absence de véritable valeur scientifique
attachée aux résultats avancés. L’auteur impute ces vices à une fausse application de la
méthode expérimentale et d’observation 321. A l’appui de ses critiques, le magistrat aixois
montrera que les théories nouvelles sont tout à fait contredites par l’expérience. La
connaissance des criminels que ce praticien a acquise durant sa vie professionnelle,
confortée par celle de ses pairs, le porte à une telle conclusion 322.

en soit de la réalité de cette influence directe du positivisme, il est évident que ce dernier séduit les
législateurs et que les juristes sont amenés à le considérer comme une menace.
316
E. GAUCKLER, Le congrès d’anthropologie criminelle de Paris, op. cit., p. 640.
317
C'est ainsi que l'on a qualifié l’anthropologie criminelle, en tant que premier mouvement de l'école
positiviste italienne, pour en dénoncer les excès. Il faut signaler que Ferri, notamment, s'est attaché à
rectifier les égarements de Lombroso. D'autres savants ont encore infléchi les thèses de Lombroso en
formant la « Terza scuola », c'est-à-dire la troisième école qui se veut critique à l’égard du positivisme.
L'attachement aux postulats les plus essentiels du positivisme a pu faire dire qu’il ne s’agissait là que d’un
groupe de juristes à l’intérieur de l’école positive, V. E. GAUCKLER, Les tendances nouvelles du droit
pénal et le 3e congrès d’anthropologie criminelle, op. cit., p. 619.
318
E. GAUCKLER, Le congrès d’anthropologie criminelle de Paris, op. cit., p. 646 ; H. JOLY, Le crime, op.
cit., chapitre III ; E. GARÇON, De la méthode du droit criminel, in Les méthodes juridiques, op. cit., p.
225.
319
P. CUCHE, L’éclectisme en droit pénal, op. cit., p. 958. Cet auteur se fait un plaisir de citer un passage
de la Sociologie criminelle de Ferri dans lequel ce positiviste abonde largement dans le même sens.
320
Il reprochera par exemple à l’auteur italien d’inclure les aliénés parmi les criminels, il contestera en
outre le choix du critère anthropologique pour établir les catégories de délinquants.
321
L. PROAL, Les réformes proposées par l’anthropologie criminelle, op. cit., p. 649-651.
322
V. Les réformes proposées par l’anthropologie criminelle, op. cit., mais aussi La responsabilité morale
des criminels, op. cit.

116
L’introduction de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal

Au troisième congrès d’anthropologie criminelle, qui s’est tenu à Bruxelles en 1892 et


auquel les représentants de l’école italienne sont absents, on signe l’arrêt de mort de
l’anthropologie criminelle et du type criminel de Lombroso 323. En guise d’oraison funèbre,
le sociologue et magistrat Gabriel Tarde rendra hommage à Lombroso en le qualifiant de
meneur illustre qui aura donné l’impulsion. Il ajoutera néanmoins que, comme le café qui
ne nourrit pas mais qui excite, Lombroso aura été un excitant et que lorsqu’un excitant
devient excessif, il est prudent d’y renoncer 324. Pour autant, la mort intellectuelle du
fondateur de l’anthropologie criminelle n’a pas empêché l’école positiviste de prospérer
grâce aux travaux menés dans le domaine de la sociologie criminelle. De plus, si cette
dernière a délaissé les explications exclusivement anthropologiques du crime, elle n’a en
rien renoncé à son postulat fondamental : le déterminisme. C’est la raison pour laquelle les
criminalistes français ont manifesté une véritable résistance au positivisme avant d’admettre
que la question du libre arbitre pouvait être ignorée.

106. Le débat sur le libre arbitre. En postulant l’inexistence du libre arbitre sur lequel
reposait la responsabilité pénale 325, l’école positiviste crée un trouble certain chez les
juristes, persuadés quant à eux de la liberté morale de l’homme pourvu qu’il fût sain
d’esprit et que ça volonté n’eut pas été contrainte par les circonstances du moment. La
querelle du libre arbitre, qui ne trouvait jusque là à s’exprimer que sur le terrain
philosophique, vient envahir le domaine du droit criminel 326. Alors que la liberté morale est
niée par les positivistes au nom de la science qui ne peut prouver la véracité de ce postulat,
les tenants du libre arbitre objecteront que, pas plus que le libre arbitre, l’existence du
déterminisme ne peut faire l’objet d’une démonstration scientifique. En réalité,
l’affrontement entre les adeptes de l’un ou l’autre des deux postulats se traduit comme
l’opposition, irréductible, entre deux écoles : la vieille école classique du droit pénal et la
nouvelle école, positiviste 327. Question qualifiée de purement métaphysique, la
reconnaissance du libre arbitre s’analyse alors comme la croyance 328 en son existence 329.

Cette question n’est pas l’objet d’une simple chicane entre deux tendances différentes du
droit pénal. Philosophes, juristes, sociologues et médecins prennent part à la discussion,

323
E. GAUCKLER, Les tendances nouvelles du droit pénal et le 3e congrès d’anthropologie criminelle, op.
cit., p. 610-619 ; CAMOIN DE VENCE, Les nouvelles évolutions de l’anthropologie criminelle, Revue
pénitentiaire, 1894, p. 478.
324
G. TARDE, Archives d’anthropologie criminelle, 1892, p. 500.
325
Le déterminisme du phénomène criminel était déjà soutenu par Ferri dans sa thèse de doctorat, R.
GASSIN, Criminologie, op. cit., n° 192.
326
L. PROAL, Le crime et la peine, Paris, Alcan, 2e éd., 1894, p. 5-6.
327
V. E. GAUCKLER, Le congrès d’anthropologie criminelle de Paris, op. cit., p. 643 et Les tendances
nouvelles du droit pénal et le 3e congrès d’anthropologie criminelle, op. cit., p. 607-608.
328
L. PROAL, Les réformes proposées par l’anthropologie criminelle, op. cit., p. 636.
329
La croyance dans le libre arbitre comme fondement de toute réflexion sur le droit pénal montre bien
qu’il s’agit là d’un paradigme tel que Kuhn l’entend.

117
L’objet dans le discours

l’opinion publique est elle aussi intéressée à la question 330. Aussi n’est-il pas étonnant de
voir le débat sur le libre arbitre inspirer l’Académie des sciences morales et politique. En
effet, celle-ci met au concours un sujet dont l’intitulé est évocateur : « Examiner et
apprécier les principes sur lesquels repose la pénalité dans les doctrines les plus
modernes ». En 1889, le premier prix est décerné, à égalité, à MM. Proal et Vidal dont les
mémoires exposent longuement la théorie du déterminisme pour en montrer les excès, les
dangers et finalement la rejeter 331 pour ne consacrer que le libre arbitre et la responsabilité
morale. Le choix du sujet ainsi que la désignation de ces deux lauréats laisse peu de doute
sur la position de l’Académie à l’égard du libre arbitre mais aussi du positivisme pénal 332.

La société générale des prisons suit, elle aussi avec assiduité, l’évolution des idées
positivistes et leur progression en France. Ainsi les séances et résolutions des divers congrès
d’anthropologie criminelle font-elles toujours l’objet d’un compte rendu pour être ensuite
discutées par ses membres 333. S’agissant du libre arbitre, il a fait l’objet de discussions dans
une séance rapportant les actes du congrès d’anthropologie de 1892, Camoin De Vence
conclura : « M. le conseiller Petit a été d’accord avec nous pour dire que la responsabilité
morale et le libre arbitre chez l’inculpé sont la condition nécessaire et le fondement même
de l’exercice du droit de punir qui appartient à la société » 334. La querelle du libre arbitre a
néanmoins rapidement conduit un certain nombre de savants à adopter une position dite
neutre.

107. La recherche d’un certain compromis. La position de neutralité que certains savants
ont tenté d’adopter consiste à affirmer que le libre arbitre n’est pas un enjeu de la lutte

330
E. GAUCKLER, Le congrès d’anthropologie criminelle de Paris, op. cit., p. 640.
331
Chacun des deux mémoires a donné lieu à la publication d’une monographie. En 1890, Vidal publie
ainsi ses Principes fondamentaux de la pénalité dans les systèmes les plus modernes, op. cit. La
dissertation de Proal donnera lieu quant à elle à la parution de l’ouvrage Le crime et la peine, déjà évoqué
plus haut.
332
M. Franck, rapporteur, illustre bien cette tendance dans les propos qu’il tenait devant l’Académie en
lui présentant l’ouvrage de Proal : « L’Académie, sait qu’il s’est formé depuis quelques années comme
une conspiration contre le bon sens et le sens moral de l’humanité, en tout cas contre la foi que nous
avons dans notre libre arbitre, dans la responsabilité de nos actions, dans les principes élémentaires de
la justice pénale et dans l’idée même de toute justice. » Et plus loin pour saluer le mérite de Proal : « Il
démontre que le crime ne se confond ni avec la folie ni avec la maladie, et que les effets de l’hérédité ne
sont pas tellement inévitables dans l’ordre moral, qu’ils ne puissent être combattus par le libre arbitre.
C’est surtout sur cette idée du libre arbitre qu’il s’appuie avec force en y rattachant les idées de droit, de
devoir, de récompense, de châtiment, de criminalité et de vertu. », Rapport de M. Franck, in L. PROAL, Le
crime et la peine, op. cit., p. XXXIV et s.
333
La Revue pénitentiaire, auparavant désignée sous le titre de Bulletin de la Société générale des
prisons, comporte en outre et comme les auteurs évoqués plus haut le prouvent, des études spécialement
consacrées aux nouvelles tendances et réformes du droit pénal sous l’influence des idées positivistes. Paul
Cuche y a par exemple discuté les idées de Lombroso et de Ferri à plusieurs reprises en s’engageant dans
des controverses aux allures de joute, ex : Compte rendu bibliographique de la 4e édition de la Sociologie
criminelle de Ferri, Revue pénitentiaire, 1900, p. 845 ; La fin d’un malentendu, 1902, p. 834 ; et
L’éclectisme en droit pénal, op. cit.
334
CAMOIN DE VENCE, Les nouvelles évolutions de l’anthropologie criminelle, op. cit., p. 479. Plus haut
l’auteur exprimait avec force sa propre opinion : « Pour nous, nous maintenons par-dessus tout, comme
un axiome indiscutable, que l’imputabilité pénale repose sur le libre arbitre », p. 475.

118
L’introduction de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal

contre le crime, que cette question métaphysique peut être ignorée dans l’étude du droit
pénal. À cet égard, on a coutume de dire que la formation de l’union internationale de droit
pénal répond à cette aspiration 335. Fondée par Prins, von Liszt et van Hamel, cette
association de juristes de nationalités différentes entend clairement se démarquer de l’école
positive italienne et se réserver la liberté d’une pleine critique 336. L’objectif poursuivi par
ses membres 337 réside dans la mise en place d’un programme scientifique destiné à
l’amélioration de la législation pénale. Il s’agit de rejeter tout programme qui résulterait du
dogmatisme d’une doctrine 338. En réalité, qu’il s’agisse de l’union internationale ou de la
naissance d’une nouvelle école appelée l’école éclectique 339, il s’est agi à un moment donné
d’instaurer une sorte de compromis avec l’école positive. Le compromis semble avoir
consisté à reconnaître, d’une part, l’utilité de recourir à une approche scientifique du
criminel qui permette de mieux appréhender le phénomène criminel, et d’autre part, à
reconnaître les erreurs commises par l’école classique. On cherche alors, à la manière des
éclectiques, à prendre toutes les idées jugées bonnes quelle qu’en soit l’origine. On
conservera, par exemple, une fonction rétributive à la peine tout en lui adjoignant les
fonctions de rééducation ou réadaptation. Mais ce que l’on a pu présenter comme des
tentatives de conciliation nous paraissent traduire également une autre réalité. En effet, au-
delà de la crise provoquée par le déterminisme et les applications qui en étaient entrevues, il
semble que la résistance des criminalistes ait porté également sur le caractère juridique de
leur démarche.

108. Défense de la citadelle juridique. Ce qu’exprime la réaction critique des criminalistes


français c’est aussi l’inquiétude de voir le droit pénal supplanté par le traitement médical et
scientifique des délinquants-malades. Le « scientisme » excessif du positivisme a semble-t-
il été l’un des motifs de résistance.

L’idée que les criminalistes français ont craint de devoir abandonner leur citadelle
juridique résulte, d’une part, des attaques positivistes à l’endroit du juridisme des classiques
et d’autre part, des craintes qui ont trouvé à s’exprimer durant la crise du droit pénal.
L’école italienne se caractérisait, on le sait, par la volonté de recourir à la méthode
expérimentale et de ne s’intéresser, comme toutes les autres sciences, qu’aux faits observés.
Cette prétention à la scientificité des études criminologiques devait les conduire à découvrir

335
G. VIDAL et J. MAGNOL, Cours de droit criminel, op. cit., n° 46.
336
Bulletin de l’Union internationale de droit pénal, 1889, p. 20.
337
L’Union comptera parmi ses membres un certain nombre de criminalistes français parmi lesquels :
Garraud, Garçon, Gauckler, Lebret, Le Poitevin, Vidal ou encore le publiciste Duguit.
338
Bulletin de l’Union internationale de droit pénal, 1889, p. 21.
339
Sur L’éclectisme, l’origine de cette expression, V. P. CUCHE, L’éclectisme en droit pénal, op. cit.
L’éclectisme semble surtout réaliser un compromis entre le classicisme duquel elle conserve les
fondements du droit pénal et le positivisme auquel elle emprunte des voies nouvelles tout en condamnant
les erreurs des classiques.

119
L’objet dans le discours

des lois régissant avec exactitude le phénomène criminel, l’atavisme était ainsi l’une d’entre
elles. La médecine, la biologie, la psychiatrie, la statistique, l’anthropologie, la sociologie
ou encore l’anthropométrie se présentaient comme les disciplines maîtresses qui
apporteraient leur concours non seulement à l’explication du phénomène criminel mais
aussi au traitement des délinquants 340. Quelle place serait alors réservée aux juristes dans la
lutte contre le criminel et la criminalité ? C’est la question qu’ont pu légitimement se poser
aussi bien les théoriciens que les praticiens du droit criminel. Plus encore qu’une résistance
à un changement de paradigme, la réaction des criminalistes français se présente comme
une résistance pour le maintien d’une appréhension juridique du crime et du criminel, mais
aussi d’une communauté de pénalistes, auxquels on reproche rien de moins que le caractère
juridique de leur démarche.

Au lendemain du premier congrès d’anthropologie criminelle de 1885, René Garraud


exprime déjà son inquiétude d’une façon marquante. En ouverture du premier tome des
Archives d’anthropologie criminelle, il publie un mémoire intitulé : « Rapports du droit
pénal et de la sociologie criminelle ». D’emblée, le criminaliste français refuse l’idée d’un
déterminisme fatal et se montre attaché au concept de responsabilité morale. Après quoi, il
pose une question semble-t-il capitale : la sociologie criminelle, cette nouvelle science, doit-
elle absorber le droit pénal ? On voit là combien le raz de marée intellectuel provoqué par
l’école italienne a pu faire douter les juristes de leur avenir et de leur utilité. Bien qu’il
souligne l’existence d’un antagonisme profond entre classiques et positivistes, Garraud
reconnaît que la sociologie criminelle et le droit pénal ont un objet d’étude identique : le
crime et le criminel 341. Il affirme néanmoins que ces deux disciplines se placent sous des
angles différents qui doivent d’ailleurs le rester. Le juriste doit, selon lui, continuer
d’étudier le crime comme un phénomène juridique tandis que la sociologie criminelle
pourra l’étudier comme un phénomène social. C’est à une nette délimitation des savoirs et
des compétences que Garraud procède pour sauvegarder l’intérêt des études juridiques en
matière criminelle. Aussi conclut-il que l’homme sain d’esprit et responsable de ses actes
dépendra du droit pénal et que la sociologie criminelle sera plus compétente pour étudier
l’homme malade, le criminel-né ou atavique 342. L’opinion de Garraud n’exprime pourtant
qu’une première réaction.

340
Ferri n’expliquait-il pas que, la science des délits et des peines ne pourrait se ranimer qu’avec la
méthode expérimentale, et que la société ne pourrait se défendre utilement contre le crime qu’en
abandonnant le doctrinarisme des théories pénales traditionnelles ? Sociologie criminelle, op. cit., 1re éd.
française, préface, p. VII-VIII. La rédaction des Archives d’anthropologie criminelle écrira, en guise
d’avant propos du tome I paru en 1886, que ce n’est pas par le simple bon sens que l’on peut trouver les
règles de l’équité naturelle, celle-ci se trouvant sous la dépendance des lois scientifiques.
341
R. GARRAUD, Rapports du droit pénal et de la sociologie criminelle, Archives d’anthropologie
criminelle, tome I, 1886, p. 13.
342
Rapports du droit pénal et de la sociologie criminelle, op. cit., p. 19.

120
L’introduction de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal

Il faudra attendre quelques années pour voir se dessiner une réaction plus générale et
systématique. On peut en effet situer le cœur de la crise de la science pénale aux années
1889-1890. Deux raisons peuvent être invoquées pour justifier cette datation. Premièrement,
1889 est l’année qui voit se dérouler le second congrès d’anthropologie criminelle à Paris.
Deuxièmement, c’est aux alentours de ces deux années que la doctrine commence à publier
des études critiques à l’égard du positivisme italien. Au congrès de Paris, les juristes
prendront conscience du changement de méthode que l’école italienne est en train
d’organiser dans la science du droit pénal. La révolution qui touche les sciences sociales
gagne la science criminelle. L’opposition entre la méthode juridique traditionnelle et la
méthode nouvelle prônée par les positivistes éclatera. À l’ancienne méthode juridique qui
consistait à rechercher les principes du juste, du droit et du devoir dans le domaine de la
conscience, on entend substituer la méthode d’observation et d’expérimentation 343. En
même temps que les juristes y défendent le libre arbitre, le congrès de Paris est marqué par
la très vive résistance qu’ils opposent à l’école italienne 344.

En dehors du congrès d’anthropologie, la réaction doctrinale est illustrée par certains


articles ou ouvrages qui laissent apparaître clairement les craintes de leurs auteurs. En 1889,
Vidal écrit ainsi: « La science du droit criminel se trouve ainsi complètement transformée :
elle perd son caractère de science morale et juridique pour devenir une branche des
sciences naturelles et physiologiques (…) Nous savons déjà que telle est la conclusion
dernière de la nouvelle école : enlever aux juristes l’étude et l’application de la science
345
pénale pour la confier à des spécialistes, anthropologistes et physiologistes » . La
menace de la science du droit criminel reste d’actualité quelques années durant puisque, en
1894 Camoin de Vence fait remarquer qu’en réalité la « terza scuola », autrement dit l’école
du positivisme critique, et l’anthropologie criminelle ne sont pas si éloignées puisque
« l’une et l’autre veulent l’assujettissement de la science criminelle et du droit pénal à
l’anthropologie » 346.

Ces exemples sont parlants et il n’est pas exagéré d’affirmer que les juristes se sont
sentis menacés intellectuellement et professionnellement. La menace apparaissait d’autant
plus criante que les positivistes proposaient de transformer ce qui constituait le cœur même
de l’activité des juristes. Au congrès d’anthropologie de 1889, on décida par exemple que
l’enseignement des sciences de l’homme, telles que la médecine légale et la psychologie,
devait être introduit dans les facultés de droit. Il paraissait en effet nécessaire « d’asseoir

343
E. GAUCKLER, Le congrès d’anthropologie criminelle de Paris, op. cit., p. 641-642.
344
Le congrès d’anthropologie criminelle de Paris, op. cit., p. 642-643, Gauckler explique cela
par « l’esprit routinier et traditionnel, propre aux juristes ».
345
G. VIDAL, Principes fondamentaux de la pénalité dans les systèmes les plus modernes, op. cit., p. 402.
346
Les nouvelles évolutions de l’anthropologie criminelle, op. cit., p. 474.

121
L’objet dans le discours

enfin l’enseignement du droit sur des connaissance scientifiques» 347. Mais on expliqua
également, lors de ce même congrès, que les magistrats devaient recevoir une instruction
technique et posséder des connaissances scientifiques sur le criminel. On alla même jusqu’à
envisager que les juges, malgré ces connaissances scientifiques acquises, puissent être
soumis à des commissions techniques, seules habilitées à trancher des questions médico-
légales 348.

109. Défense de la méthode juridique. Le positivisme scientifique était bien en passe


d’investir la science juridique et la méthode des criminalistes était remise en cause. Il ne
s’agissait donc pas seulement d’une opposition entre deux écoles de droit pénal, comme on
se contente souvent de le dire. Ce sont les méthodes scientifiques et juridiques qui se
trouvaient en concurrence pour traiter d’un même problème. La résistance des juristes s’est
manifestée par l’adoption de la distinction opérée par Garraud entre les deux types
d’activité. C’est à ce prix que la doctrine du droit pénal a, semble-t-il, réussi à conserver la
place qui était la sienne dans l’étude de la délinquance.

Comment juger cette crise au regard de la théorie de Kuhn ? La révolution de la science


du droit criminel a bien eu lieu mais il nous semble, au vu de ce qui vient d’être dit, qu’elle
est restée inachevée. Car les plus importantes aspirations du positivisme scientifique sont
restées insatisfaites. Le déterminisme en tant que paradigme du droit criminel a échoué dans
sa tentative d’élimination du libre arbitre. L’école positiviste italienne a fait progresser la
science du droit pénal sans que la criminologie n’ait réussi à s’imposer au détriment du droit
pénal.

D’ailleurs, à deux reprises Émile Garçon aura l’occasion d’illustrer cette réalité. En
1901, ce criminaliste est amené à évoquer les différents points de vue qui peuvent
désormais présider aux études de droit criminel 349. Mais c’est surtout avec sa contribution à
l’exposé des méthodes juridiques 350 que Garçon admettra qu’il existe deux méthodes
distinctes pour l’étude du droit criminel, selon que ce dernier est envisagé comme droit
positif ou comme science sociale. Il ne s’agit pourtant là que d’une concession apparente.
Garçon distingue bien la criminologie de l’étude du droit criminel. Mais en réalité la

347
E. GAUCKLER, Le congrès d’anthropologie criminelle de Paris, op. cit., p. 666. Cet auteur ajoute, pour
y insister, qu’« Il est grand temps, vraiment, qu’une réforme survienne qui fasse pénétrer dans ces asiles
suprêmes des vérités innées et de la scolastique un peu de cet esprit scientifique auquel nous devons de si
merveilleux progrès dans toutes les autres parties des connaissances humaines.»
348
E. GAUCKLER, Le congrès d’anthropologie criminelle de Paris, op. cit., p. 664, il s’agissait d’une
proposition émise par Pugliese alors qu’il faisait un rapport sur « le procès criminel au point de vue de la
sociologie ».
349
C’est dans la préface de son Code pénal annoté que Garçon expose ce qui, selon lui, constitue les
différentes méthodes applicables à l’étude du phénomène criminel. Le professeur explique à son lecteur
qu’il a, quant à lui, cherché à maintenir le droit criminel dans ses traditions libérales et à répandre les
idées nouvelles dans la mesure où elles lui paraissaient justes et utiles. E. GARÇON, Code pénal annoté,
op. cit., préface, p. V.
350
E. GARÇON, De la méthode du droit criminel, in Les méthodes juridiques, op. cit.

122
L’introduction de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal

méthode juridique apparaît comme celle qui doit prévaloir. La leçon faite devant le collège
libre des sciences sociales consiste bien à exprimer les dangers des nouvelles théories. Que
celles-ci critiquent le droit pénal issu de la Révolution pour en affaiblir les garanties ou
qu’elles prétendent fonder une science criminologique, elles font l’objet des plus grandes
réserves de la part de Garçon 351. Appliquer la méthode expérimentale à l’étude du
phénomène criminel lui paraît certes nécessaire. Pourtant, l’auteur n’est prêt à reconnaître la
criminologie que si elle s’avère capable d’obtenir des résultats scientifiques incontestables.
Et quand bien même la criminologie obtiendrait le statut de science, le pénaliste ne lui
reconnaîtrait qu’un caractère auxiliaire du droit criminel et donc de la science du droit
pénal. Garçon plaide donc pour la primauté de la méthode juridique dans l’étude du
phénomène criminel.

Reste à se demander comment se caractérise la méthode du droit criminel. Garçon en dit


finalement peu de choses. Elle passe en premier lieu par une définition du droit criminel. En
tant qu’il est une branche du droit public, il emprunte partiellement la méthode de ce
dernier. Le droit criminel s’analyse donc comme le droit qu’a l’État de punir ceux qui
troublent la société. Comme en matière administrative, l’État est cependant justiciable de
ses actes 352. Ce sont les principes proclamés par la Révolution qui fixent les contours de la
méthode du droit criminel. La légalité des délits et des peines, l’interprétation stricte de la
loi pénale, les droits de la défense et la présomption d'innocence sont les éléments
constitutifs de la méthode du droit criminel 353.

110. La présomption d’innocence comme élément d’une méthode. Pour Émile Garçon,
la présomption d'innocence fait incontestablement partie de la méthode du droit criminel.
L’affirmation laisse donc à penser que, comme principe méthodique régissant le droit
criminel, la présomption d'innocence constitue un guide de raisonnement aussi bien pour le
législateur que pour les criminalistes. À la question de savoir quelle a été l’influence de la
crise du droit pénal dans l’émergence de la présomption d'innocence, Garçon offre semble-
t-il une réponse sur laquelle il convient de s’arrêter. En effet, nous avions déjà pu constater
que l’apparition de la présomption d'innocence dans le discours doctrinal était étroitement
liée à la critique qu’en avait fait Ferri quelque temps auparavant. Désormais, l’évocation de
la crise du droit pénal doit apporter un nouvel éclairage sur l’introduction de ce nouvel objet
dans le discours savant. L’exposé de Garçon relatif à la méthode du droit criminel fait
clairement de la présomption d'innocence l’un des termes de l’opposition entre la méthode
appliquée par les positivistes et la méthode des criminalistes d’obédience classique. Les
propos de l’auteur confirment nos observations initiales. Ce qui jusqu’alors ne se présentait

351
E. GARÇON, De la méthode du droit criminel, op. cit., p. 209 et 214.
352
E. GARÇON, De la méthode du droit criminel, op. cit., pp. 199-201.
353
E. GARÇON, De la méthode du droit criminel, op. cit., pp. 201-203.

123
L’objet dans le discours

qu’en filigrane apparaît au premier plan : l’introduction de la présomption d'innocence dans


le discours doctrinal n’est qu’un élément d’un discours dont l’objet est de repousser le
positivisme.

2) La crise comme facteur d’émergence de la présomption d’innocence dans le discours

111. Un objet de discours latent jusqu’à la crise du droit pénal. L’introduction de la


présomption d’innocence dans la littérature juridique pénale n’a eu vraiment lieu qu’avec la
parution de la huitième édition du Précis de droit criminel de René Garraud. Ce n’est qu’à
partir de 1903 que l’on peut donc affirmer que la présomption d’innocence est devenue un
objet du discours doctrinal. Que dire de la présomption d’innocence jusqu’à cette date ? Se
serait se méprendre et conclure un peu vite en déduisant que la présomption d’innocence
n’existait tout simplement pas. Le discours doctrinal étudié, aussi bien pour la période
antérieure que postérieure à la Révolution française a montré que l’idée de présomption
d’innocence n’était pas totalement inconnue ni ignorée et même qu’elle semblait assez
largement admise. C’est surtout les propos de Ferri qui laissent penser que la présomption
d’innocence existe puisqu’elle y constitue un objet de critiques. En revanche, il est
désormais permis de considérer que la présomption d’innocence ne se présentait jusqu’en
1903 que comme un objet de discours latent.

Lorsque la présomption d’innocence fait son apparition dans la littérature pénale


française, elle n’est pas traitée comme une règle nouvelle. Son introduction dans le discours
ne peut être imputée à aucune modification du droit positif de l’époque. Mieux, cette
introduction ne fait l’objet d’aucun commentaire, elle semble être vécue comme un non-
évènement. Enfin, cette apparition dans les ouvrages de droit criminel, devient systématique
et générale mais n’est accompagnée d’aucune justification. Comment alors expliquer cette
émergence de la présomption d’innocence ? Le contexte dans lequel elle a eu lieu paraît
seul pouvoir fournir une réponse.

112. La référence doctrinale au contexte. La seule indication que l’on peut tirer du
discours doctrinal qui a vu l’émergence de la présomption d’innocence, c’est cette référence
systématique à l’ouvrage de Enrico Ferri. En prenant pour appui les critiques de Ferri, les
pénalistes français ont fait de la pensée de cet auteur la seule justification de l’émergence de
la présomption d’innocence dans la littérature savante. Or, La sociologie criminelle de Ferri,
en tant qu’elle est une synthèse des travaux criminologiques des écoles positivistes, offrait
en même temps une synthèse des éléments qui ont fait naître la crise du droit pénal.
L’ouvrage est en effet davantage qu’une présentation des dernières évolutions des théories
positivistes et criminologiques, c’est aussi le lieu où Ferri consacre de longs
développements à exposer les réformes pratiques que ces théories impliquent de mettre en
oeuvre. Parmi ces réformes, il est proposé de se passer pour une large part de la

124
L’introduction de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal

présomption d’innocence, c'est-à-dire de remettre en question certains privilèges consentis


aux accusés par diverses législations européennes. La sociologie criminelle, au sein de
laquelle la présomption d’innocence est critiquée, montre que c’est bien sur fond de crise du
droit pénal que l’on parle pour la première fois de « la présomption d’innocence ».

113. La crise du droit pénal, facteur et non pas lieu d’émergence de l’objet. La crise du
droit pénal apparaît donc non seulement comme le contexte, assez large, dans lequel la
présomption d’innocence émerge, mais surtout comme le facteur par lequel elle émerge. Il
convient toutefois de préciser que la crise du droit pénal est ce qui a permis à la
présomption d’innocence de se constituer comme un objet de discours mais qu’elle n’est
pas le lieu d’émergence de cet objet. La crise du droit pénal est la scène où s’affrontent les
tenants du libre arbitre et ceux du déterminisme, les tenants de la responsabilité morale des
délinquants et ceux d’une responsabilité sociale ; les tenants d’une discipline scientifique,
expérimentale, aux découvertes nombreuses et les tenants d’une conception essentiellement
juridique du crime et du criminel. La présomption d’innocence ne se présente pas comme
un élément de cette crise. Elle n’a vraisemblablement jamais été l’enjeu des discussions qui
se développeront dans les divers congrès ou dans les revues scientifiques.

Lorsque la présomption d’innocence émerge dans le discours doctrinal français, le plus


fort de la crise semble être passé, la troisième édition italienne de La Sociologie criminelle
date alors de plusieurs années. Cela peut sans doute s’expliquer par le fait que les auteurs
français avaient déjà beaucoup discuté des théories positivistes, certaines idées paraissaient
d’ailleurs très bonnes et mériter application. Les criminalistes français ont toutefois tardé à
se référer à l’ouvrage de Ferri, peut-être en raison de son importance. Il aura sans doute
fallu prendre toute la mesure des réformes proposées par le juriste italien avant de présenter
la riposte, avant de s’y référer. Il n’en reste pas moins vrai, que c’est bien la crise du droit
pénal qui explique cette riposte face à certains passages de l’ouvrage de Ferri, en ce sens, la
crise est le facteur d’émergence de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal.
Sans les bouleversements qu’a connu la science pénale à la fin du XIXe siècle, Ferri n’aurait
pas suggéré de ne faire jouer la présomption d’innocence qu’en fonction de la catégorie de
criminel à laquelle appartient la personne poursuivie. Sans la réaction de certains pénalistes
français, la présomption d’innocence n’aurait pas été introduite dans le discours juridique à
ce moment là, de cette manière là.

Il fallait semble-t-il que la présomption d’innocence soit menacée pour qu’elle puisse
être formulée et devenir un objet de discours. Ces conclusions se rapprochent d’ailleurs
largement de celles qui avaient été formulées en droit civil par Véronique Ranouil à propos
du concept d’autonomie de la volonté. Ce rapprochement pourrait d’ailleurs s’avérer
fructueux et permettre d’éclairer sous un autre jour les raisons qui président à l’émergence

125
L’objet dans le discours

de tels objets de discours. Ce n’est toutefois qu’au titre de l’analyse du discours sur la
présomption d’innocence, et non plus seulement de sa place dans le discours, que ces
développements trouveront leur place 354.

114. Une émergence durable. Introduite au tout début du XIXe siècle dans les ouvrages
d’enseignement du droit criminel, la présomption d’innocence n’a plus jamais cessé d’être
intégrée à l’exposé du droit criminel positif. Cela étant, ce n’est que progressivement
qu’elle a pu devenir un véritable objet de discours. La place que les auteurs lui ont réservée
dans leurs manuels ou leurs études spécialisées a ainsi évolué tout au long du XXe siècle et
jusqu’à nos jours. Aujourd’hui, la présomption d’innocence occupe une place importante
dans l’ensemble de la littérature juridique pénale, elle s’est pérennisée. Sa consécration
comme objet de discours paraît alors évidente. Cette évolution, depuis l’émergence jusqu’à
la pleine consécration de ce nouvel objet de discours, mérite d’être désormais retracée.

354
Il sera ainsi à nouveau question du contexte de l’apparition de la formule « présomption d’innocence »
au moment de s’interroger sur le fondement du discours doctrinal sur la présomption d’innocence. À cet
égard, il convient de renvoyer à la seconde partie de ce travail, n° 377 et s.

126
CHAPITRE 2
LA CONSÉCRATION DE LA PRÉSOMPTION D'INNOCENCE EN TANT
QU’OBJET DE DISCOURS

115. Une consécration au-delà du seul discours pénal. Pendant une longue période, la
présomption d’innocence semble n’avoir été l’affaire que des seuls pénalistes.
L’observateur qui consulterait aujourd’hui la littérature pénale n’éprouverait aucun doute :
la présomption d’innocence est bien l’un des éléments du discours doctrinal. Toutefois,
législateur et jurisprudence se sont eux aussi emparés de cet objet de discours. C’est ainsi le
discours juridique dans son ensemble qui prête aujourd’hui attention à la présomption
d’innocence. Cela est d’autant plus vrai que les pénalistes ne sont plus les seuls à
l’envisager dans leurs réflexions. Les spécialistes d’autres branches du droit ont en effet
désormais vocation à s’intéresser à cette notion. Civilistes, constitutionnalistes,
internationalistes et spécialistes des droits de l’homme ont vu leurs disciplines saisies par la
question du respect de la présomption d’innocence. Cette contagion à d’autres domaines
que le procès pénal stricto sensu correspond d’une part à la multiplication des sources
formelles de la présomption d’innocence et à l’existence d’une jurisprudence de plus en
plus fournie. On remarque ainsi qu’à partir des années quatre-vingt la jurisprudence
constitutionnelle a eu l’occasion de se prononcer sur le respect de l’article 9 de la
Déclaration des droits de l’homme par le législateur. La loi de 1993 qui a crée un droit
subjectif au respect de la présomption d’innocence a suscité pour sa part une jurisprudence
civile en matière de présomption d’innocence. La Cour européenne des droits de l’homme
a, de longue date, construit une jurisprudence sur l’article 6§2 de la Convention relatif à la
présomption d’innocence. Tous ces discours participent du savoir général sur la
présomption d’innocence. Pourtant, tous ne peuvent être ici analysés.

116. L’intérêt pour le seul discours pénal. Si la présomption d’innocence constitue


désormais l’objet d’autres discours que celui de la doctrine pénale, il ne peut être ici
question de s’intéresser à ces autres discours. Tout d’abord, il est probable que la réception
de la présomption d’innocence par les non pénalistes mériterait à elle seule une étude
approfondie. Il serait à cet égard intéressant de se demander dans quelle mesure le discours
pénal est intégré par les autres branches du droit. Ensuite, il convient de ne pas franchir les
limites tracées pour cette étude. L’objet dont elle entend se préoccuper depuis l’origine est
bien le discours doctrinal pénal sur la présomption d’innocence en tant qu’il peut nous
renseigner sur la manière dont cette partie de la doctrine juridique œuvre à la connaissance
et à l’explication du droit criminel.

127
L’objet dans le discours

Dire que la présomption d’innocence a été consacrée comme objet du discours pénal est
insuffisant. La datation de son émergence et la certitude de sa pérennisation invitent
désormais à se demander quelle place cette présomption d’innocence occupe dans le
discours. Il ne s’agira alors pas seulement de décrire les lieux spécifiques du discours où
elle a émergé mais aussi de se demander quel est, du point de vue de la connaissance
juridique, le statut de cet objet de discours. Une fois déterminé ce statut de la présomption
d’innocence dans le discours doctrinal (Section 1), il conviendra d’expliquer pourquoi l’on
peut aujourd’hui dire de la présomption d’innocence qu’elle s’est pérennisée dans le
discours doctrinal (Section 2). C’est à cette occasion que l’on pourra mesurer l’ampleur de
la production doctrinale et tenter d’en cerner l’incidence sur l’élaboration d’un savoir sur la
présomption d’innocence.

128
La consécration de la présomption d’innocence en tant qu’objet de discours

SECTION 1 : LE STATUT DE LA PRÉSOMPTION D’INNOCENCE DANS LE


DISCOURS DOCTRINAL

117. Un élément du savoir juridique pénal. En faisant son apparition puis en s’installant
dans le discours doctrinal, la présomption d’innocence est devenue un élément du savoir
juridique criminel. On peut néanmoins s’interroger plus précisément sur ce qu’il convient
d’entendre par là. L’appartenance de la présomption d’innocence au savoir juridique
signifie-t-elle qu’elle constitue seulement un élément du savoir ou doit-on considérer
qu’elle constitue également un objet de connaissance ? En effet, si le savoir juridique est
avant tout doctrinal et donc accessible à travers la littérature des auteurs, il peut se présenter
sous deux aspects différents. En tant que résultat, le savoir juridique est semble-t-il
« l’ensemble de connaissances suffisamment nombreuses, systématisées et amassées par un
travail continu de l’esprit ». Ainsi défini, le savoir n’est autre que l’ensemble des
connaissances transmises par la doctrine et particulièrement dans sa fonction
d’enseignement. Cela dit, la transmission du savoir suppose l’existence de connaissances
acquises et accumulées. Quant à la connaissance, elle doit alors être davantage envisagée
comme un processus tendant à l’acquisition d’un savoir précis sur un ou plusieurs objets
préalablement choisis 355. Ainsi, la présomption d’innocence en tant qu’objet du discours
savant peut aussi bien avoir le statut d’un simple objet de savoir que d’un objet de
connaissance.

Dans le premier cas la présomption d’innocence doit être comprise comme un élément
du savoir constitué sur le droit criminel qui sera transmis au titre des connaissances
minimales que tout juriste doit maîtriser. Dans le second cas, la présomption d’innocence
doit être comprise comme un objet spécifique de recherches, lesquelles tendent vers
l’acquisition de connaissances précises et approfondies sur celui-ci. Cette distinction est
importante car, en permettant de distinguer le statut de la présomption d’innocence, elle
nous informe sur l’évolution de la place que la doctrine a pu lui réserver après l’avoir
introduite dans son discours. A cet égard, l’analyse de la littérature criminaliste montre que
la présomption d’innocence se présente tout d’abord comme un objet de savoir dans le
discours doctrinal (§1) avant d’y apparaître comme un objet de connaissance (§2).

§ 1. LA PRÉSOMPTION D’INNOCENCE - OBJET DE SAVOIR

118. Un objet du savoir dogmatique. L’idée que la présomption d’innocence se présente


avant tout comme un objet de savoir résulte du fait que son siège réside dans les traités et

355
Sur la confusion entre savoir et connaissance et les critères de distinction, V. J.-L. PECCHIOLI, La
circulation du savoir juridique, op. cit., p. 10.

129
L’objet dans le discours

manuels de droit criminel. S’il ne fait aucun doute que ces derniers constituent des outils de
savoir privilégiés, il existe par ailleurs d’autres modes de diffusion des connaissances
juridiques et plus particulièrement du savoir sur le droit criminel. Pourtant, l’émergence et
la consécration de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal n’ont pu être
observées que dans les seuls manuels et traités. Ainsi ne trouvera-t-on, pendant longtemps,
aucune manifestation de l’existence de cet objet dans des chroniques, études, articles ou
recueils de jurisprudence 356. La remarque est d’importance si l’on veut bien considérer que
les traités et manuels sont les supports ou tout simplement la reproduction des
enseignements dispensés par les professeurs de droit criminel. Le savoir ainsi transmis par
les universitaires ou praticiens relève exclusivement dans ce cas de leurs fonctions
d’enseignement.

Ce savoir peut alors être qualifié de dogmatique 357. Il vise ainsi à une description de
l’état du droit en vue d’informer les destinataires, ici les étudiants ou tout juriste non
criminaliste ou encore tout profane. Or il a été remarqué que ces destinataires ont une forte
tendance à assimiler les informations diffusées au droit posé, autrement dit, l’enseignement
du docte est perçu comme « paroles d’évangile» 358. Cela signifie que le discours juridique
que constituent les traités et manuels est non seulement adressé au plus grand nombre mais
encore qu’il jouit d’une grande influence. Dès lors que la présomption d’innocence fait son
apparition dans ces ouvrages et dans les cours magistraux dispensés en amphithéâtres, elle
devient partie intégrante du savoir sur le droit criminel.

Reste alors à préciser le rapport que cet élément entretient avec l’ensemble plus vaste
qu’est le savoir sur le droit criminel et particulièrement la procédure. Si la présomption
d’innocence n’est qu’un élément du savoir sur le droit criminel, c’est en partie parce qu’en
réalité elle ne se manifeste, dans un premier temps que comme un élément constitutif de la
théorie des preuves pénales. Il est vrai que la présomption d’innocence entretient
suffisamment de rapport avec la liberté individuelle et son contraire, la détention
préventive, pour que les auteurs aient eu l’occasion de l’évoquer en traitant de ces thèmes. Il
n’en demeure pas moins que la présomption d’innocence reste essentiellement un objet du

356
Les tables des grandes revues généralistes (la Gazette du palais, les recueils Dalloz et Sirey, la
Semaine juridique) ou consacrées au droit criminel (Revue de sciences criminelles et de droit comparé,
Revue internationale de droit pénal, Revue de droit pénal et de criminologie etc.) ou encore les tables du
bulletin des arrêts de la chambre criminelle ne comporteront, jusqu’à une époque très récente, aucune
entrée aux mots « présomption », « innocence », ou « présomption d’innocence ». Bien entendu, une telle
observation n’exclut pas qu’un auteur ait pu, dans une étude ou une note de jurisprudence, utiliser
l’expression présomption d’innocence, voire analyser la notion à l’occasion. Cela dit, on comprendra
qu’une recherche aussi approfondie et précise n’aurait pu être menée, seul le hasard ou les circonstances
permettent de relever une telle utilisation.
357
J.-L. PECCHIOLI, La circulation du savoir juridique, op. cit., n° 162 et s.
358
J.-L. PECCHIOLI, La circulation du savoir juridique, op. cit., n° 162 et s.

130
La consécration de la présomption d’innocence en tant qu’objet de discours

savoir sur la preuve pénale (A) pour n’être que secondairement un objet rattaché à la
question de la liberté individuelle par l’étude de la détention préventive (B).

A- LA PRÉSOMPTION D’INNOCENCE : ÉLÉMENT D’UNE THÉORIE DE LA PREUVE PÉNALE

119. La nécessité d’une théorie des preuves pénales. Le droit savant du Moyen Âge et
l’ancien droit avaient construit patiemment une théorie des preuves dont on a déjà évoqué
quelques traits. Connue sous l’expression de théorie des preuves légales en dépit de son
origine doctrinale et jurisprudentielle, cette dernière a été anéantie par la Révolution qui a
consacré le système de l’intime conviction. Aussi, la théorie des preuves pénales dont il est
ici question désigne-t-elle la théorie moderne des preuves pénales telle qu’elle a été
esquissée à la fin du XIXe siècle et au tout début du XXe siècle.

L’abandon définitif des preuves légales avait fait disparaître toute construction théorique
en la matière. Les criminalistes du siècle suivant avaient bien senti combien un tel travail de
systématisation pouvait faire défaut à la pratique. L’avènement d’une preuve libre laissée à
la lumière des magistrats et des jurés pouvait légitimement dérouter, si bien que l’on essaya
d’orienter le travail des criminalistes en ce sens. En 1836 l’Académie des sciences morales
et politiques proposait à la méditation des jurisconsultes le sujet suivant : Déterminer les
moyens à l’aide desquels on peut constater avec la plus grande certitude, la vérité des faits
qui sont l’objet des débats judiciaires, soit en matière civile, soit en matière criminelle. Le
concours fut prorogé en 1837, or en 1839, seuls deux mémoires étaient parvenus à
l’Académie, ce qui suscita l’étonnement de son rapporteur, le Comte Portalis. Pour ce
juriste, la question posée était de la plus grande importance dans la mesure où une théorie
de la preuve apparaissait « nécessaire pour arriver avec certitude à la connaissance de la
vérité » 359. L’impulsion ne semble pas avoir été assez forte. Même s’il est vrai que Faustin-
Hélie tenta de poser les bases d’un tel édifice 360, ce n’est qu’avec Garraud et Vidal qu’une
théorie moderne de la preuve verra le jour. L’initiative et la mise en œuvre sont donc
d’origine doctrinale. D’ailleurs les auteurs contemporains admettent volontiers que la
théorie de la preuve pénale est une construction doctrinale 361.

359
V. J.-M. PORTALIS, De la preuve en matière civile et criminelle, rapport, Revue critique de législation
et de jurisprudence, 1840, p. 174.
360
FAUSTIN-HÉLIE, La preuve en matière criminelle, Revue critique de législation et de jurisprudence,
1853, p. 396.
361
Ils l’admettent soit très explicitement : R. MERLE et A.VITU, Traité de droit criminel, Procédure
pénale, op. cit., 5e éd., n° 14 ; S. GUINCHARD et J. BUISSON, Procédure pénale, 3e éd., 2005, n° 478 ; J.
PRADEL, Procédure pénale, 9e éd., op. cit., n° 265 ; soit implicitement lorsqu’ils développent la matière
des preuves en renvoyant de façon significative aux traités et manuels d’auteurs anciens ou
contemporains : J. PATARIN, Le particularisme de la théorie des preuves en droit pénal, op. cit., p.14 ; G.
VIDAL et J. MAGNOL, Cours de droit criminel et de science pénitentiaire, op. cit., n° 715 ; J.-A. ROUX,
Cours de droit criminel français, 2e éd., op. cit., § 73 ; H. DONNEDIEU DE VABRES, Traité de droit
criminel et de législation comparée, op. cit., n° 1239 ; P. BOUZAT et J. PINATEL, Traité de droit pénal et

131
L’objet dans le discours

La doctrine justifie la nécessité de cette construction par l'absence d'une quelconque


théorie générale des preuves dans le Code d'instruction criminelle puis dans le Code de
procédure pénale. On souligne alors le nombre peu élevé de dispositions relatives à la
preuve et leur caractère épars. Les efforts de la doctrine consisteront, tout au long du XXe
siècle, à rassembler ces dispositions et à dégager, aux côtés de la jurisprudence, des
principes directeurs pour cette matière. On explique alors la tardiveté de cette initiative par
le caractère exégétique de la doctrine du XIXe siècle qui, les yeux trop rivés sur le Code
d’instruction criminelle, n’aurait pas été en mesure de dégager une quelconque théorie.
L’œuvre de Bonnier n’est pourtant pas négligeable, et d’autant moins qu’elle constituera
pendant longtemps une référence précieuse pour les auteurs qui lui ont succédé 362. Cela
étant dit, les auteurs n’entendent pas toujours exposer une véritable théorie de la preuve
pénale. Aujourd’hui, on peut d’ailleurs douter de l’existence d’une telle théorie, surtout
lorsqu’on est amené à la comparer à l’entreprise anglo-saxonne qui offre de véritables
traités consacrés à la preuve 363. En outre il faut observer que, le plus souvent, les auteurs, et
particulièrement ceux de la première moitié du XXe siècle, font preuve de modestie et sous
l’apparence d’une théorie des preuves pénales, n’entendent exposer que « les problèmes de
la preuve en matière criminelle » 364.

120. Les questions fondamentales posées par la preuve pénale. La doctrine assigne à
cette « théorie » trois objets qui répondent à trois questions fondamentales en matière
probatoire : tout d’abord, sur qui pèse le fardeau de la preuve ? Ensuite, quels sont les
devoirs du juge lorsque la preuve n'est pas rapportée ? Et enfin, quelle est la nature des faits
à prouver ? 365 Au fil du temps la deuxième question se transformera pour devenir la
suivante : jusqu'à quel point doit-on prouver ? Cette dernière trouve aujourd'hui une réponse
dans les développements consacrés à l'appréciation de la preuve 366. C’est la réponse à la
première de ces questions qui permettra aux auteurs d’invoquer l’existence de la
présomption d’innocence. Il en est ainsi bien entendu du criminaliste René Garraud
puisqu’il est l’auteur qui a le premier esquissé cette théorie, en même temps qu’il

de criminologie, tome II Procédure pénale, op. cit., n° 1182 ; G. BRIERE DE L’ISLE et P. COGNIART,
Procédure pénale, op. cit., p.10.
362
E. BONNIER, Traité théorique et pratique des preuves en droit civil et en droit criminel, op. cit.
363
Mme RASSAT estime qu’il est « choquant de voir le peu de place accordée au problème de la preuve
en droit français » et fustige la doctrine en jugeant que les développements qu’elle consacre à cette
matière sont « frappés d’anémie », Traité de procédure pénale, op. cit., n° 192. L’auteur ne semble
cependant pas contester l’origine essentiellement doctrinale de toute tentative de théorisation. En effet,
elle appelle elle-même de ses vœux l’introduction d’une véritable théorie de la preuve pénale dans le
Code de procédure et, pour ce faire, renvoie aux propositions de réforme qu’elle a émises en ce sens. V.
Propositions de réforme du Code de procédure pénale, Dalloz, 1997.
364
A. VITU, Procédure pénale, op. cit., p.183.
365
R. GARRAUD, Traité théorique et pratique d’instruction criminelle, op. cit., Tome I, n° 229.
366
Par exemple : M.-L. RASSAT, Procédure pénale, 2e éd., op. cit., n° 190.

132
La consécration de la présomption d’innocence en tant qu’objet de discours

introduisait dans le discours doctrinal l’expression de « présomption d’innocence » 367.


Cependant, il faut attendre quelques années pour voir, chez les auteurs, un lien clairement
établi entre la présomption d’innocence et l’attribution du fardeau de la preuve.

121. Illustrations dans les ouvrages de droit criminel. Le célèbre Cours de droit criminel
de Georges Vidal, poursuivi par Joseph Magnol, en fournit un bel exemple dans sa
cinquième édition. Ces auteurs consacrent un titre entier à la théorie des preuves qui s’ouvre
sur un chapitre premier intitulé : « Charge de la preuve ». Or, dès le premier paragraphe, les
auteurs écrivent : « Tant que cette preuve n’est pas faite, l’inculpé bénéficie d’une
présomption légale d’innocence qui ne tombe que devant la preuve contraire » 368.

Roux quant à lui n’utilisera pas l’expression présomption d’innocence. Il préfèrera, dans
les notions générales sur les preuves qu’il expose à propos de la « Manière d’instruire et de
juger les procès », affirmer que « Tout inculpé étant présumé innocent jusqu’au jugement,
c’est à celui qui prétend renverser cette présomption qu’il incombe d’établir la
culpabilité » 369.

En 1947, Donnedieu de Vabres ouvre lui aussi la théorie générale des preuves sur la
question de la charge de la preuve. À cette occasion, il est amené à préciser que, en droit
criminel, « l’inculpé est couvert par une présomption d’innocence » 370. À lire ces auteurs,
on serait tenté de conclure que la consécration de la présomption d’innocence dans les
traités et manuels est pour le moins discrète. Cette impression est renforcée si l’on
considère, par exemple, que le Cours de droit criminel dispensé par Louis Hugueney durant
l’année 1948-1949 ne fait qu’une brève référence au fait que « l’accusé, en matière pénale,
est couvert par une présomption d’innocence » 371. Dans son Dictionnaire des parquets et de
la police judiciaire, Gustave Le Poitevin n’en dira pas davantage, signalant simplement
comme ses pairs que « tout inculpé est couvert par une présomption d’innocence » 372.

En revanche, le jeune auteur qu’était Jean Larguier en 1953 avait trouvé l’occasion
d’exprimer très clairement le rôle que pouvait avoir la présomption d’innocence dans la
répartition du fardeau de la preuve. Alors que son étude portait sur la preuve d’un fait
négatif, sa vocation de pénaliste l’avait en effet conduit à réserver quelques considérations
propres au droit criminel et à la présomption d’innocence. Ainsi mettait-il la présomption
d’innocence en relation avec l’impossibilité d’apporter la preuve d’un fait négatif. Mais il
avait également choisi, au moyen d’une note infrapaginale, d’exposer une controverse

367
Sur le discours de cet auteur, V. supra.
368
G. VIDAL et J. MAGNOL, Cours de droit criminel et de science pénitentiaire, 5e éd., op. cit., p. 845.
369
J.-A. ROUX, Cours de droit criminel français, Paris, Sirey, 2e éd., 1927, p. 275-276.
370
H. DONNEDIEU DE VABRES, Traité de droit criminel et de législation comparée, op. cit., n° 1239.
371
L. HUGUENEY, Cours de droit criminel, Paris, Les cours du droit, Licence 2e année, 1948-1949, p. 340.
372
G. LE POITEVIN, Dictionnaire-formulaire des parquets et de la police judiciaire, Paris, Rousseau, 7e
éd., 1951, vol. IV, v° Preuve en matière pénale.

133
L’objet dans le discours

doctrinale concernant l’applicabilité de la maxime civile reus in excipiendo fit actor au


procès pénal 373.

La présomption d’innocence a donc bel et bien fait son apparition, au début du XXe
siècle, dans la littérature du droit criminel et très précisément à propos de la charge de la
preuve. Si de nos jours elle peut apparaître comme un objet qui a acquis une certaine
autonomie au sein du discours savant, son rattachement au fardeau de la preuve reste
pourtant la première de ses caractéristiques. Il faut tout de même remarquer que les auteurs
n’ont pas tous ni toujours réservé la présomption d’innocence aux questions de preuve.
Certains ont signalé son existence et sa méconnaissance lorsqu’ils traitaient de la privation
de liberté avant jugement.

B- LA PRÉSOMPTION D’INNOCENCE ET LA DÉTENTION PRÉVENTIVE

Très tôt, alors qu’ils présentaient la présomption d’innocence au titre des règles
gouvernant la preuve, les auteurs ont fait observer que la présomption d’innocence
constituait une garantie de la liberté individuelle. Il semblerait pourtant que le doyen
Carbonnier fut l’un des tout premiers artisans d’une réflexion qui devait mettre en rapport la
présomption d’innocence avec la privation de liberté résultant de la détention avant
jugement. Alors jeune docteur, celui qui allait devenir l’éminent juriste que l’on sait, offrit
une étude remarquée sur le problème de la détention préventive 374. L’évocation de la
présomption d’innocence résulte de l’examen critique des arguments tendant à affirmer
qu’une telle détention est un mal. Parmi ces raisons, le doyen Carbonnier s’intéresse tout
d’abord à l’innocence et à la présomption d’innocence dans leurs rapports avec la
détention préventive, et n’évoquera la souffrance résultant de la détention préventive que
dans un second temps 375. Bien qu’ancienne, cette étude conserve aujourd’hui toute sa valeur
et la doctrine criminaliste continue d’y faire référence 376.

Quelques années plus tard le célèbre avocat et criminaliste Maurice Garçon exposera lui
aussi les difficultés de conciliation entre la détention avant jugement et la présomption
d’innocence 377. S’agissant des traités et manuels, la plupart des auteurs ne traitent que très
rarement de la présomption d’innocence lorsqu’ils exposent la détention préventive,
aujourd’hui dite provisoire. On doit cependant faire remarquer que MM. Stéfani et

373
J. LARGUIER, La preuve d’un fait négatif, Rev. trim. dr. civ., 1953, p. 7-8.
374
J. CARBONNIER, Le problème de la détention préventive, Revue générale du droit, de la législation et
de la jurisprudence, 1937, p. 193.
375
La position adoptée par l’auteur, et les arguments qu’il développe, seront étudiés plus loin. Pour
l’heure, il ne s’agit que de signaler la publication de cette étude et de noter que la présomption
d’innocence y tient une place relativement importante.
376
V. R. MERLE et A. VITU, Traité de droit criminel, op. cit., 4e éd., n° 123. ; J. PRADEL, Procédure
pénale, 10e éd., op. cit., n° 377.
377
M. GARÇON, La protection de la liberté individuelle pendant l’instruction, Rapport, Rev.int.dr.pén.,
1953, p. 165.

134
La consécration de la présomption d’innocence en tant qu’objet de discours

Levasseur se présentent comme des pionniers en la matière puisque dès 1974 leur précis de
procédure pénale évoquait la présomption d’innocence à l’occasion de différents
développements 378.

Dans tous ces cas cependant, la présence de la présomption d’innocence dans le discours
savant se fait discrète, très discrète. Dans la première moitié du XXe siècle il faut bien
admettre que les auteurs n’ont signalé l’existence de la présomption d’innocence qu’en
« passant ». Il s’agissait là moins de l’exposé d’une notion que de l’usage commode d’une
formule. La présentation de la présomption d’innocence va cependant évoluer dans la
seconde moitié du XXe siècle.

122. Changement de perspective. C’est semble-t-il M. Vitu qui, en 1957, donne la


première impulsion. Ce criminaliste manifeste, dans son célèbre manuel de procédure
pénale, une attention plus particulière à la présomption d’innocence que ses confrères. En
effet, non seulement cet auteur signale que l’inculpé est couvert par une présomption
d’innocence mais il consacre en outre un paragraphe entier à cette expression. Développant
ce qu’il convient de déduire de son existence, il y donne également des indications
bibliographiques au lecteur désireux de puiser de plus amples connaissances à d’autres
sources. Or la première source indiquée fait référence à une étude de Jean Patarin parue en
1956, laquelle portait sur le particularisme de la preuve en droit pénal. Il est par conséquent
très probable que la part plus importante faite à la présomption d’innocence par M. Vitu
trouve son origine dans l’attention portée à cet article. D’ailleurs, la nature aussi bien que
l’ampleur des développements que M. Patarin a consacré à la présomption d’innocence
marquent, selon nous, un tournant dans l’évolution de la place que la doctrine a réservé à
celle-ci. En effet, il est remarquable que la parution de cette étude a eu pour suite une
modification du statut de l’objet dans le discours doctrinal. À partir de 1956, la présomption
d’innocence n’est plus seulement un objet de savoir, elle accède désormais au statut d’objet
de connaissance.

§ 2. LA PRÉSOMPTION D’INNOCENCE - OBJET DE CONNAISSANCE

123. Les études fondatrices. Alors qu’elle n’était jusque là qu’une chose nommée dans un
discours savant qui ne lui prêtait pas grand intérêt, la présomption d’innocence devient une
chose intellectualisée, explorée. L’accession à ce nouveau statut explique, en partie, qu’au
fil du temps cet objet ait acquis une certaine autonomie au sein du discours des pénalistes.
Si bien qu’aujourd’hui, plus personne ne s’étonne qu’un article de doctrine, qu’une thèse ou

378
La consultation de l’index alphabétique est, sur ce point, instructive. Celui de la huitième édition
propose, pour l’expression présomption d’innocence, trois entrées. L’une renvoie à la charge de la preuve,
l’autre à la détention provisoire et la dernière à la délibération sur la culpabilité. V. G. STÉFANI et G.
LEVASSEUR, Procédure pénale, Paris, Dalloz, 8e éd., 1974.

135
L’objet dans le discours

qu’une loi traite essentiellement ou exclusivement de la présomption d’innocence. On peut


y voir une preuve de la pérennisation de la présomption d’innocence au sein du discours
doctrinal. Cela n’a pourtant pas toujours été. Il y a fallu une consécration de la présomption
d’innocence et plus spécialement comme objet de connaissance. Si l’étude de Jean Patarin a
connu un vif succès et s’est révélée être une référence incontournable en matière de
présomption d’innocence, c’est probablement parce qu’il offre la première étude qui
développe la question de la présomption d’innocence. Le rôle déterminant que joueront ses
recherches par la suite autorise, nous semble-t-il, à analyser cette étude comme « article
fondateur ».

La notion d’article fondateur a été développée par Pierre-Yves Gautier dans une
réflexion sur la doctrine où il proposait des critères de reconnaissance des études qui ont
marqué l’histoire de la pensée juridique sur telle ou telle question en matière civile 379. Les
jalons posés par M. Gautier peuvent être empruntés et transposés à la doctrine pénale pour
rendre compte du rôle qu’ont pu jouer les travaux de deux auteurs dans la connaissance de
la présomption d’innocence. Il s’agit en premier lieu de l’étude de Jean Patarin (A) et en
second lieu de la thèse de doctorat de Mohammed-Jalal Essaïd (B).

A- « LE PARTICULARISME DE LA THÉORIE DES PREUVES EN DROIT PÉNAL » DE JEAN


PATARIN

124. L’objet de l’étude. En 1956, alors qu’il est jeune chercheur et chargé de cours à la
Faculté de Lille, Jean Patarin se voit confier, par Gaston Stéfani, la réalisation d’une étude
qui devait trouver place dans un recueil consacré à l’autonomie du droit pénal 380. Le thème
du particularisme de la théorie des preuves en droit pénal, dévolu à Jean Patarin, constitue
alors le premier des aspects de cette autonomie. Il ne s’agit pas, par conséquent, d’une
recherche portant particulièrement sur la présomption d’innocence. Cependant, cette
dernière occupe la première place et se voit consacrer l’intégralité de la première section381
alors que la seconde section porte sur les procédés de preuve en droit pénal.

379
P.-Y. GAUTIER, Les articles fondateurs (réflexions sur la doctrine), in Le droit privé français à la fin
du XXe siècle, Études offertes à P. CATALA, Paris, Litec, 2001, p. 255.
380
G. STÉFANI (dir.), Quelques aspects de l’autonomie du droit pénal, Travaux de l’institut de
criminologie de Paris, Dalloz, 1956.
381
J. PATARIN, Le particularisme de la théorie des preuves en droit pénal, op. cit. Le propos de l’auteur
s’articule de la façon suivante :
Section I - La présomption d’innocence et ses conséquences :
§ 1. La présomption d’innocence et la répartition de la charge de la preuve
A. Le principe
B. Les exceptions à la présomption d’innocence
§ 2. Les corollaires de la présomption d’innocence
A. L’appréciation des preuves
B. Le droit à la preuve

136
La consécration de la présomption d’innocence en tant qu’objet de discours

Le propos de l’auteur est clair, il s’agit d’établir que la preuve pénale est soumise à un
régime nécessairement différent de la preuve civile, et ce, en dépit de toutes les similitudes
que l’on pourrait relever entre elles. C’est l’existence du principe de la présomption
d’innocence qui, selon l’auteur, constitue le premier argument justifiant non seulement la
distinction à établir avec les principes civils, mais aussi et par voie de conséquence,
l’affirmation de l’autonomie de la preuve pénale. Pour sa démonstration, M. Patarin est
amené à étudier tout particulièrement cette présomption à laquelle il reconnaît un rôle
déterminant. Ainsi, bien que la présomption d’innocence ne soit pas l’objet principal de
cette étude, elle en constitue un élément essentiel.

Suivant une ligne déjà tracée par les criminalistes, l’auteur situe la place de la
présomption d’innocence dans les règles gouvernant la charge de la preuve. Plus encore,
après avoir mentionné quelques incertitudes doctrinales sur la question, il affirme très
nettement : « C’est une véritable présomption légale, qu’on nomme à juste titre
présomption d’innocence et qui en notre matière fait peser l’entier fardeau de la preuve sur
la partie poursuivante » 382. Outre cette fonction d’attribution du fardeau de la preuve, M.
Patarin décide d’étudier en second lieu les corollaires de la présomption d’innocence. Ainsi
se propose-t-il, par exemple, d’examiner la règle in dubio pro reo et son incidence dans un
système de preuve régi par l’intime conviction 383.

125. Le caractère fondateur de l’étude. Jusque là aucun auteur n’avait autant cherché à
caractériser la présomption d’innocence dans sa nature, ses conséquences, et son
fondement. En cela, l’article de M. Patarin réalise un tournant décisif et mérite d’être
considéré comme un article fondateur. Il convient de préciser alors en quoi il peut recevoir
cette qualification.

M. Gautier, appelle article fondateur « Une publication rédigée par un universitaire,


jeune ou plus mûr qui, sur un sujet déterminé par lui, est de nature à contribuer à
l’enrichissement de la pensée scientifique » 384 et observe que ce qui le caractérise
essentiellement c’est d’être une pensée nouvelle. « Au départ, il y a généralement l’intuition
qu’un sujet qui n’a pas été jusqu’à maintenant traité à fond, (…), pourrait en quelque sorte
recevoir ses titres de noblesse » 385 explique M. Gautier.

382
Le particularisme de la théorie des preuves en droit pénal, op. cit., n° 7, p. 18.
383
Le particularisme de la théorie des preuves en droit pénal, op. cit., n° 22.
384
P.-Y. GAUTIER, Les articles fondateurs, op. cit., n° 1, p. 255. L’auteur, pour son analyse, raisonne sur
des études publiées dans trois grandes revues généralistes du début du XIXe siècle jusqu’au milieu du
XXe siècle.
Or l’article de M. Patarin est paru quant à lui dans un ouvrage collectif. Aucun obstacle véritable ne
semble cependant interdire l’analogie. Le fait même que M. Patarin n’ait pas été totalement libre dans le
choix de son sujet ne semble pas déterminant, notamment parce que celui-ci n’était justement pas la
présomption d’innocence mais la question du particularisme de la théorie des preuves pénales.
385
P.-Y. GAUTIER, Les articles fondateurs, op. cit., n° 4, p. 257.

137
L’objet dans le discours

Il est probable que M. Patarin, préparant alors le concours d’agrégation sous la direction
bienveillante de Gaston Stéfani n’ait pas eu une totale liberté dans le choix de son étude 386.
Il n’en reste pas moins vrai qu’une défense aussi précise et aussi bien orchestrée du
particularisme de la théorie des preuves s’avérait novatrice. Fonder ce particularisme sur
l’existence de la présomption d’innocence était sans aucun doute également très novateur.
En outre, le sentiment qu’à l’époque, la présomption d’innocence constituait un sujet qui
n’avait pas été traité à fond, est aisé à partager. La jeunesse de l’auteur et le besoin de
reconnaissance par ses pairs expliquent très probablement qu’il ait pu mener à bien une
entreprise aussi hardie 387. Il faut y voir le premier ingrédient de ce qui constituera un article
dit fondateur.

Au-delà de la nouveauté de l’entreprise, ce sont le résultat et ses conséquences qui


caractérisent l’article fondateur. Ils résident dans le fait que l’étude fondatrice jette si bien
les bases de réflexion sur tel ou tel point que d’autres auteurs viendront, par la suite,
apporter des développements en y consacrant thèses, articles ou notes au même sujet 388.
C’est ainsi qu’un article, qui devient une référence pour les futures générations de juristes,
peut recevoir la qualification d’article fondateur. Sur ces points, il ne fait aucun doute que
l’étude de M. Patarin a consacré la présomption d’innocence comme objet de connaissance
et a inspiré d’autres auteurs après lui. En effet, on peut aisément observer ce phénomène de
référencement, notamment dans les notes infrapaginales, par lequel la doctrine procède à la
consécration d’un auteur ou d’une étude. Pierre-Yves Gautier y insiste, les articles
fondateurs sont tributaires de la citation doctrinale, « car c’est par la référence qui y est
faite dans les cours, manuels, codes annotés, encyclopédies, etc. qu’elles pourront
continuer à survivre, pour toucher de nouveaux lecteurs ». L’auteur souligne que dans cette
tâche de référencement la responsabilité morale de la doctrine est lourde, en ce qu’elle
conduit à ne citer que l’essentiel, c'est-à-dire les articles de base. Et d’ajouter : « Il est sans
doute préférable de privilégier les idées sur la synthèse, même si c’est moins confortable.
Car c’est bien ainsi que se forge la conscience juridique » 389. Or, l’article de M. Patarin, en
dépit de son titre et de son objet, a très vite, et pendant longtemps, trouvé une place de choix

386
M. Stéfani semble avoir été un fervent défenseur de l’idée que le droit pénal jouit d’une autonomie par
rapport aux autres disciplines juridiques. Le particularisme de la preuve pénale en est une illustration et
l’attachement qu’y porte cet auteur est manifeste, V. G. STÉFANI, Droit pénal et procédure pénale, Les
cours du droit, 1966-1967, p. 560 et s. ou encore G. STÉFANI ET G. LEVASSEUR, Procédure pénale,
Dalloz, 8e éd., 1974, n° 27 et s.
387
L’auteur exprime lui-même cette réalité en écrivant : « Il peut paraître téméraire d’ériger en un
principe particulier du droit pénal la présomption d’innocence et de lui accorder une importance décisive
dans la répartition de la charge de la preuve », n° 4, p. 15. Plus loin, il ne craindra pas d’affirmer que la
présomption d’innocence, principe proclamé par la Déclaration des droits de 1789, a une portée générale
quand bien même la valeur juridique du préambule de la Constitution qui l’accueille est contestée et que
l’article de la Déclaration ne tend qu’à interdire toute arrestation arbitraire, n° 7, p. 18.
388
P.-Y. GAUTIER, Les articles fondateurs, op. cit., n° 4, p. 258.
389
P.-Y. GAUTIER, Les articles fondateurs, op. cit., n° 16, p. 265-266.

138
La consécration de la présomption d’innocence en tant qu’objet de discours

dans les références bibliographiques relatives à la présomption d’innocence390.


Naturellement, les thèses qui ont paru sur la présomption d’innocence n’ont pas manqué de
l’inclure également dans leur bibliographie.

À cet égard, l’une d’entre-elles, la première, doit beaucoup à cet article et fournit une
nouvelle illustration de son caractère fondateur. En effet, la thèse de M. Essaïd, si elle
étudie l’institution selon une optique naturellement plus large, emprunte nombre de pistes
tracées et de positions adoptées par M. Patarin. Ainsi peut-on observer d’une part, que
l’accent qu’avait mis Jean Patarin sur le rapport de la présomption d’innocence avec la
liberté individuelle 391 sera exploité par Essaïd puisque son étude comporte, non seulement
une partie relative à la présomption d’innocence et au problème de la preuve, mais
également une seconde partie consacrée au problème de la liberté individuelle. D’autre part,
M. Patarin avait exposé les critiques faites à la présomption d’innocence qu’il avait relevées
en doctrine et spécialement celles qu’avait formulées l’école positiviste italienne 392. Or
l’exposé de ces critiques sera développé et approfondi par M. Essaïd qui, comme M. Patarin
proposera une réfutation de la doctrine positiviste 393. En outre, on retrouve dans la thèse de
cet auteur une structure des développements consacrés à la charge de la preuve identique à
celle qu’avait choisi Jean Patarin quelques années plus tôt 394. Enfin, la même remarque peut
être faite à propos de l’étude de l’intime conviction et de la règle in dubio pro reo 395. Bien
entendu, l’œuvre de M. Essaïd est jalonnée de références à l’étude fondatrice sur le
particularisme de la théorie des preuves en droit pénal.

126. L’influence de l’étude sur le contenu du discours doctrinal. L’importance de la


démarche adoptée par M. Patarin ne se limite pas à l’incidence qu’elle a pu avoir sur les
recherches fondamentales menées par la suite. Elle paraît avoir également et rapidement
modifié la perception de cet objet de discours par les autres criminalistes. Ainsi, l’étude de
M. Patarin aurait conféré quelques lettres de noblesse à la présomption d’innocence,

390
Outre le renvoi opéré dans son manuel par M. Vitu et déjà signalé plus haut, Le particularisme de la
théorie des preuves en droit pénal est cité, notamment, par MM. P. BOUZAT ET J. PINATEL, Traité de droit
pénal et de criminologie, op. cit., p. 913 ; MM. BRIÈRE DE L’ISLE ET P. COGNIART, Procédure pénale, op.
cit., p. 10 ; MM. R. MERLE et A. VITU, Traité de droit criminel, Procédure pénale, op. cit., 4e éd., n° 123.
M.-L. RASSAT, Traité de procédure pénale, op. cit. ; PH. MERLE, Les présomptions légales en droit pénal,
Paris, LGDJ, 1970, n° 4 ; A.-C. DANA, Essai sur la notion d’infraction, Paris, LGDJ, 1982, n° 238 et s ;
D. VIRIOT-BARRIAL, La preuve en droit douanier et la Convention européenne des droits de l’homme,
Rev.sc.crim., 1994, p. 544.
391
« Au cours de l’instruction définitive, le défendeur prétend faire respecter sa liberté et son honneur
qui sont menacés par l’accusation (…) La protection de la liberté individuelle exige, en matière pénale,
que nul ne soit tenu pour coupable, en dépit même des plus graves soupçons, tant que la preuve complète
de la culpabilité n’a pas été administrée », Le particularisme de la théorie des preuves en droit pénal,
n° 4, p. 14.
392
Le particularisme de la théorie des preuves en droit pénal, op. cit., n° 8.
393
M.-J. ESSAÏD, La présomption d’innocence, op. cit., n° 89 à 96.
394
Comp. ESSAÏD, n° 163 à 168 et PATARIN, n° 11 et s.
395
Comp. ESSAÏD, n° 471 et s. et PATARIN, n° 21 et s.

139
L’objet dans le discours

autorisant les auteurs à la considérer désormais comme un objet digne d’intérêt et méritant
de plus amples recherches.

C’est à la faveur d’un glissement sémantique que l’on peut apercevoir cette évolution
dans la façon de présenter, mais aussi de percevoir, la présomption d’innocence. Alors que
les auteurs énonçaient l’existence d’ « une » présomption d’innocence 396, ils se montreront
plus prompts à envisager « la » présomption d’innocence 397. Cette modification n’est pas
sans importance ni signification si l’on se souvient de ce qui distingue les articles indéfinis
des articles définis dans l’usage du français, fut-il juridique.

127. De l’usage des articles indéfini et défini dans le discours. L’usage d’un article
indéfini tel que « une » marque la référence à un élément quelconque. Deux types d’emplois
peuvent en être faits. Il peut s’agir soit d’un emploi dit spécifique soit d’un emploi
générique. Dans le premier cas « l’article indéfini extrait de la classe dénotée par le nom et
son expansion un élément particulier qui est uniquement identifié par cette appartenance et
qui n’a fait l’objet d’aucun repérage référentiel préalable » 398. Dans le second cas,
l’élément quelconque auquel renvoie le groupe nominal introduit par « un » est considéré
comme exemplaire, représentatif de toute sa classe.

Or dans le contexte qui nous intéresse, l’usage de l’expression « une présomption


d’innocence » par les criminalistes, peut être interprété aussi bien dans un sens que dans
l’autre. En parlant d’une présomption d’innocence les auteurs ont pu marquer une distance
par rapport à l’objet qu’ils énonçaient et manifester ainsi le peu de caractérisation et
d’identification de cet objet auquel le « une » réfère. Mais il est également certain que
l’usage de l’article indéfini « une » pour parler de la présomption d’innocence a pour effet
de la rattacher à une classe générale qui est celle des présomptions juridiques. Il semble
qu’en réalité il faille cumuler les deux interprétations de cet usage. D’une part en parlant
d’ « une » présomption d’innocence la doctrine a manifesté sinon sa réticence à employer
une telle expression, du moins le manque de connaissance dont elle disposait quant au
signifié. D’autre part, elle réduisait, de fait, cette incertitude en signifiant au lecteur, par
hypothèse juriste, que cette présomption n’était qu’une présomption de plus parmi les

396
V. G. VIDAL et J. MAGNOL, Cours de droit criminel et de science pénitentiaire, 5e éd., op. cit, n° 715 ;
H. DONNEDIEU DE VABRES, Traité de droit criminel, op. cit., n° 1239 ; L. HUGUENEY, Cours de droit
criminel, op. cit., p. 340 ; G. LE POITEVIN, Dictionnaire des parquets, op. cit., p. 531 ; P. BOUZAT ET J.
PINATEL, Traité de droit pénal et de criminologie, op. cit., n° 1183.
397
Le manuel de M. Vitu est quant à lui une belle illustration de ce passage puisqu’il évoque l’existence
d’ « une » présomption d’innocence mais plus loin s’attarde sur « la » présomption d’innocence lorsqu’il
cite notamment l’étude de M. Patarin. V. également : R. VOUIN et J. LÉAUTÉ, Droit pénal et procédure
pénale, PUF, 1965, p. 226, qui sont en réalité les premiers auteurs à faire une large place à « la »
présomption d’innocence ; L. BOYER, Cours de droit pénal général et de procédure pénale, op. cit., p.
257.
398
M. RIEGEL, J.-C. PELLAT et R. RIOUL, Grammaire méthodique du français, Paris, PUF, 1994, p. 159.

140
La consécration de la présomption d’innocence en tant qu’objet de discours

présomptions déjà connues. La présomption d’innocence pouvait donc apparaître tout


simplement comme un instrument de la technique juridique.

Le passage de l’article indéfini à l’article défini « la » est très intéressant concernant


l’analyse du discours sur la présomption d’innocence puisque, cette fois-ci, il s’agit de
« référer à une entité identifiable à partir du seul contenu descriptif du groupe nominal ».
Dans l’usage que les criminalistes en font, le plus significatif est que « l’article défini
présuppose l’existence et l’unicité ». Dans ce cas, expliquent les grammairiens, « il n’y a
pas d’autre(s) référent(s) accessible(s) qui vérifie[ent] la description de la réalité désignée
par le groupe nominal » 399. Le passage au « la » manifeste donc l’acquisition d’un nouveau
statut de la présomption d’innocence dans le discours savant. L’emploi de l’expression mais
aussi la réalité à laquelle elle renvoie semblent reconnus par les auteurs. L’article de M.
Patarin aurait alors joué le rôle d’une procédure d’intronisation. Désormais la présomption
d’innocence sera visée pour elle-même, elle acquiert donc une existence propre au sein du
discours et du coup des connaissances qu’il véhicule.

Ce changement manifeste est révélateur. Pourtant, quelles conclusions en


tirer concernant notre objet de discours ? Faut-il comprendre, par exemple, qu’il aurait donc
fallu le courage et peut-être « l’inconscience » d’un jeune juriste pour, qu’après s’être
aventuré sur des terres que les criminalistes aguerris jugeaient trop peu sûres, l’on
reconnaisse qu’il s’agissait bien là d’un objet méritant sa place au sein du savoir juridique ?
Dans cette hypothèse, il faudrait comprendre que la doctrine aurait admis par là avoir
désigné un objet en le nommant sans pour autant s’être acquittée d’une analyse ni d’une
explicitation. Son discours serait donc passé de la simple utilisation d’une formule à la
reconnaissance d’une réalité juridique susceptible d’être objet de connaissance. Ce serait
renforcer davantage un constat : la présomption d’innocence a d’abord été présente dans la
littérature comme un simple objet constitutif d’un savoir plus vaste avant de devenir l’objet
d’un discours s’inscrivant dans la prospective juridique.

Autrement dit, la doctrine du droit pénal a parlé « de présomption d’innocence » avant


de s’inquiéter de savoir ce que cela pouvait vouloir signifier ! Et a posteriori on peut
entrevoir l’embarras des auteurs qui se trouvent comme libérés par l’article de M. Patarin.
Garraud peut fournir un exemple de cet embarras. Cet auteur n’entre pas dans la catégorie
des auteurs qui exprimaient la présomption d’innocence en usant de l’article « une ». Mais
le cas de Garraud est particulier, s’il utilise en effet l’article défini « la » c’est simplement
parce qu’il reprend purement et simplement l’usage qu’en faisait Ferri pour critiquer la
présomption d’innocence. Cela est confirmé par une observation : dans la première allusion

399
M. RIEGEL, J.-C. PELLAT et R. RIOUL, Grammaire méthodique du français, op.cit., p. 154.

141
L’objet dans le discours

qui y est faite, Garraud met l’expression présomption d’innocence entre guillemets 400. Or la
mise entre guillemets exprime une mise à distance par l’énonciateur. Il s’agit de signifier au
lecteur un changement de niveau énonciatif. Les termes entre guillemets relèvent d’un autre
discours qui est alors rapporté. En outre, les guillemets servent à exprimer une réserve de
l’auteur par laquelle il manifeste son refus de voir les termes entre guillemets assimilés à
son propre discours. Cela étant, les guillemets introduisent une faille dans le discours qu’il
appartient au lecteur de combler par son interprétation 401.

Le rôle de M. Patarin pourrait être d’avoir comblé ce manque, et l’on retiendra


finalement que, l’expression « présomption d’innocence » n’avait sa place dans le discours
doctrinal qu’en filigrane. Ce sont les recherches de M. Patarin qui ont contribué à la faire
accéder à une pleine existence. Cet article qui désigne déjà « la » présomption d’innocence
a trouvé son prolongement dans le choix de « la présomption d’innocence » pour sujet
d’une thèse de doctorat.

B- LA THÈSE DE DOCTORAT DE M.-J. ESSAÏD

128. Comblement d’une lacune. En 1969, au terme d’une réflexion de six années,
Mohammed-Jalal Essaïd offre à la science du droit pénal les premières recherches sur la
notion de présomption d’innocence. L’évènement est d’importance et il sera largement
souligné par Gaston Stéfani dans la préface élogieuse qui introduit la publication de cette
thèse en 1971. Il estime en effet que, « En lui consacrant sa thèse de doctorat M. Essaïd
vient de combler une importante et regrettable lacune », mais aussi qu’elle constitue un
travail d’une valeur peu commune et mérite d’être lue et méditée aussi bien par les
théoriciens que par les praticiens 402. L’éloge est mérité puisque plus de trente années ont
passé, d’autres travaux ont été publiés mais la thèse de M. Essaïd demeure « la » référence
en la matière. En effet, par le procédé de la « citation-incorporation » 403 les pénalistes ont
fait de cette étude le point de départ de toute connaissance relative à la présomption
d’innocence 404.

400
R. GARRAUD, Traité d’instruction criminelle, op. cit., tome 1, n° 31.
401
P. CHARAUDEAU et D. MAINGUENEAU (dir.), Dictionnaire d’analyse du discours, Paris, Seuil, 2002,
v° Guillemets.
402
M.-J. ESSAÏD, La présomption d’innocence, op. cit., Préface de Gaston Stéfani, p. 9-10.
403
V. PH. JESTAZ et CH. JAMIN, L’entité doctrinale française, D. 1997, p. 174.
404
R. LEGEAIS, La présomption d'innocence et les juridictions de jugement, étude comparée du droit
français et du droit anglais, in L’innocence, Travaux de l’institut de criminologie de Paris, Néret, 1977, p.
47 ; J. PRADEL, note sous TGI Paris 11 décembre1978, D. 1979, p. 348 ; J. VALLANSAN, note sous
Cass.crim., 19 mars 1986, D. 1988, p. 571 ; G. STÉFANI, G. LEVASSEUR et B. BOULOC, Procédure pénale,
Dalloz, 20e éd., n° 123, p. 102, note 2 ; R. MERLE et A. VITU, Traité de droit criminel, Procédure pénale,
op. cit., 5e éd., p.182, note 1 ; J. PRADEL, Procédure pénale, op. cit, 12e éd., p. 321; M.-L. RASSAT, Traité
de procédure pénale, op. cit., p. 318, note 2., 49, et 50. J. ROBERT et J. DUFFAR, Droits de l’homme et
libertés fondamentales, Domat-Montchrestien, 7e éd., 1999, p. 270 ; M. DE VILLIERS et TH. RENOUX,
Code constitutionnel commenté et annoté, op. cit., p. 108. C. AMBROISE-CASTÉROT, Rép. Pén. et Proc.
Pén., Dalloz, février 2003, v° Présomption d’innocence.

142
La consécration de la présomption d’innocence en tant qu’objet de discours

129. Point de départ de toute connaissance sur la présomption d’innocence. Cette thèse
est ainsi devenue un véritable fond commun sur lequel se sont édifiés nombre d’articles de
doctrine mais surtout toutes les thèses parues depuis. Ces dernières ont en effet repris en
grande partie la division entre les deux grands thèmes touchant la présomption
d’innocence : la question de la preuve et celle de la liberté individuelle. Elles sont
aujourd’hui les deux éléments fondamentaux que bon nombre d’études sur la présomption
d’innocence abordent. Les investigations doctrinales les plus récentes vont certes au-delà en
traitant du problème (nouveau ?) de l’atteinte à la présomption d’innocence notamment par
les médias, mais également de la dimension européenne et comparée du principe. Cela dit,
l’intérêt de cette thèse demeure aujourd’hui encore. Cela est semble-t-il justifié par le fait
que M. Essaïd a découvert, puis posé les éléments essentiels à la compréhension de la
présomption d’innocence. Aussi, après lui, les auteurs n’ont-ils pas recherché quelles étaient
l’histoire, les sources ou la nature juridique de la présomption d’innocence. La thèse de M.
Essaïd leur a fourni nombre de présupposés pour leurs propres raisonnements. C’est
probablement pour cette raison que l’on a pu présenter le travail de M. Essaïd comme une
« théorie générale » de la présomption d’innocence 405. On peut d’ailleurs remarquer que,
depuis la parution de ce travail, plus aucune thèse portant sur la présomption d’innocence
n’a fait l’objet d’une publication 406. Il s’agit bien là d’un signe qui montre, non pas
nécessairement l’absence de qualité des thèses les plus récentes, mais tout du moins la
qualité et la pertinence manifestement reconnues à celle que proposa M. Essaïd, en même
temps que cette publication rend ces travaux les plus accessibles aux lecteurs.

Par là, on voit clairement que la parution de cet ouvrage produit deux effets : le premier
réside dans la confirmation du nouveau statut auquel la présomption d’innocence a accédé.
Après l’article de Patarin et la thèse de Essaïd, il ne fait plus aucun doute que la
présomption d’innocence est désormais un objet de connaissance. Elle n’est plus seulement
un élément appartenant à l’ensemble plus vaste qu’est le savoir juridique pénal, elle est
également un champ d’investigation pour les criminalistes. Elle acquiert alors une visibilité
dans le discours doctrinal qu’elle n’avait jamais atteint jusque là.

Cela dit, la tendance la plus récente serait d’abandonner une telle référence. Aujourd’hui, soit les auteurs
ne ressentent pas le besoin de recourir à une telle caution, faisant de leur propre discours une source
première de connaissance, soit leurs références porteront sur des études plus récentes qui appréhendent la
présomption d’innocence sous l’un de ses aspects particuliers, par exemple celui de droit subjectif, tel
qu’il a été consacré en 1993 dans le Code civil, V. Par exemple : G. KIEJMAN, Les présomptions de fait de
culpabilité et la présomption légale d’innocence, in L’innocence, Travaux de l’institut de criminologie de
Paris, 1977, p. 14 et suivantes ; J.-R. FARTHOUAT, La présomption d'innocence, Justice, avril 1998, p. 53 ;
C. LOMBOIS, La présomption d'innocence, Pouvoirs, n° 55, 1990, p. 81 ; R. BADINTER, La présomption
d'innocence, histoire et modernité, in Le droit privé français à la fin du XXe siècle, études offertes à Pierre
Catala, Paris, Litec, 2001, pp. 133-149 ; S. GUINCHARD et J. BUISSON, Procédure pénale, op. cit.
405
V. J. PRADEL, note sous TGI Paris 11 décembre1978, op. cit., p. 348.
406
L’observation vaut en tout cas jusqu’à la moitié de l’année 2006. Les thèses citées qui n’ont pas été
éditées en librairie demeurent toutefois accessibles, mais avec davantage de difficultés dans les
bibliothèques des universités où elles ont été soutenues.

143
L’objet dans le discours

À la suite de cette thèse qui fut largement diffusée grâce à sa publication chez un éditeur,
la littérature juridique produite viendra conforter l’idée de consécration de la présomption
d’innocence comme objet de discours et de savoir. C’est la raison pour laquelle on peut
parler de la pérennisation de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal.

144
La consécration de la présomption d’innocence en tant qu’objet de discours

SECTION 2 : LA PÉRENNISATION DE LA PRÉSOMPTION D’INNOCENCE


DANS LE DISCOURS

130. De la pérennisation à la banalisation. Quiconque consulte aujourd’hui un instrument


de documentation juridique peut y trouver sans difficulté de substantiels développements
portant sur la présomption d’innocence. Aucune surprise ne devrait accompagner cette
« découverte ». La présomption d’innocence n’est-elle pas « un principe cardinal » de la
procédure pénale ? N’est-elle pas aussi et surtout « un fleuron des droits de l’homme » à la
française dont la formulation semble ne présenter aucun secret même pour l’homme de la
rue ? On peut même dire que depuis une bonne décennie, la présomption d’innocence est
partout, dans toutes les bouches : celle des juristes, de la Cour européenne des droits de
l’homme, du législateur français, des mis en examen et autres personnes suspectées, mais
aussi celle des journalistes. On assiste alors à une sorte de surexposition de la présomption
d’innocence dans le discours juridique qui a pu faire dire à un éminent auteur que « le
principe est devenu un lieu commun de la théorie pénale » 407.

Nous proposons de retenir cette hypothèse, selon laquelle désormais, la présomption


d’innocence peut être considérée comme un lieu commun du discours juridique. Il faut
néanmoins préciser dans quel sens nous entendons le « lieu commun ». Il est probable que
M. Pradel ait entendu utilisé l’expression lieu commun en référence à son sens
rhétorique 408. Dans ce cas, dire de la présomption d’innocence qu’elle est un lieu commun
est très intéressant puisque cela fait d’elle un axiome, un présupposé indémontrable à partir
duquel sont développées des argumentations. Toutefois, l’exploration du sens ne peut-être
menée qu’au sein d’une analyse du contenu du discours doctrinal 409. Pour l’heure, il
convient davantage de s’attacher à la signification première du lieu commun, celle qui
prévaut dans le langage courant et qui n’a pas nécessairement échappé à l’auteur. En effet,
le lieu commun n’est autre qu’une banalité assénée et rebattue dans un discours. Le lieu
commun est ainsi connoté, il est un objet de discours si fréquent qu’il s’est affadi et ne
présente plus aucune originalité. La présomption d’innocence serait donc devenu un poncif.

Or, admettre aujourd’hui que la présomption d’innocence est bien un objet de discours
pérenne ne fait aucune difficulté. En revanche, affirmer qu’il s’agit d’un lieu commun du
discours pénal mérite vérification. En effet, jusqu’ici nos recherches et observations ont
montré que la présomption d’innocence n’avait pas été un objet si représenté dans le

407
J. PRADEL, Rev.int.dr.pén., vol. 63,1992, p. 14.
408
Dans la conception aristotélicienne, le lieu commun est un lieu du discours, c'est-à-dire un argument,
mais surtout une idée généralement admise qui peut alors servir de point de départ, il s’agit alors d’un
présupposé qui n’a pas à être démontré mais qui servira à une démonstration déductive.
409
V. infra, n° 358 et s.

145
L’objet dans le discours

discours savant, et que même lorsqu’il l’était, sa consécration n’avait été que tardive et
relative. Dire désormais qu’il s’agit d’une banalité nécessite de rechercher ce qui, dans
l’évolution du discours doctrinal, autorise une telle conclusion. Des éléments d’ordre
qualitatif et quantitatif dans la production d’une littérature juridique spécialement consacrée
à la présomption d’innocence permettront d’éclairer l’hypothèse (§1). Ce n’est qu’à la
lumière de telles considérations qu’il sera opportun d’apprécier la valeur de cette
pérennisation, notamment au regard de l’état des connaissances désormais disponibles sur la
présomption d’innocence (§2).

§ 1. LA PRÉSOMPTION D’INNOCENCE : UN LIEU COMMUN DU DISCOURS PÉNAL ?

131. Formulation de l’hypothèse. Se demander si la présomption d’innocence est devenue


un lieu commun du discours est une manière de répondre à la question de savoir comment
la présomption d’innocence s’est pérennisée dans le discours. La banalisation de la
présomption d’innocence n’en demeure pas moins qu’une hypothèse qui demande à être
vérifiée. Il est vrai que la part, toujours croissante depuis la seconde moitié du XXe siècle,
réservée à la présomption d’innocence dans le discours des juristes, peut laisser penser qu’il
en est résulté une banalisation de cet objet de discours. L’hypothèse du lieu commun se
vérifiera aisément et la pérennisation trouvera du même coup de belles illustrations (A).
Pour autant, il conviendra de ne pas négliger certaines observations qui peuvent remettre en
question les premières impressions. En effet, la présomption d’innocence n’est pas
véritablement traitée dans tous les genres de la littérature doctrinale ni partout avec les
mêmes égards, si bien que l’on pourra parler de tempéraments à la banalisation de la
présomption d’innocence (B).

A- L’AUGMENTATION SIGNIFICATIVE DE LA LITTÉRATURE PRENANT POUR OBJET LA


PRÉSOMPTION D’INNOCENCE

132. Repères chronologiques. On peut dater de la fin des années quatre-vingt le début
d’une augmentation significative de la production doctrinale. Avant cette date, les manuels
et traités de procédure pénale restaient les lieux privilégiés où lui étaient consacrés des
développements. Cependant, certains auteurs ont contribué à élargir le champ du discours
doctrinal au-delà des seuls outils pédagogiques. C’est ainsi que la présomption d’innocence
a trouvé place dans des réflexions relatives à la protection des droits de l’homme 410 et
qu’elle a fait l’objet de deux contributions importantes dans un colloque de criminologie

410
V. par exemple l’étude de Anne-Marie et Jean LARGUIER : La protection des droits de l’homme dans le
procès pénal, Rev.int.dr.pén., 1966, p. 95 et s. où la présomption d’innocence est évoquée au titre des
garanties de la défense.

146
La consécration de la présomption d’innocence en tant qu’objet de discours

consacré à l’innocence 411. À l’occasion, on a également pu la rencontrer sous la plume


d’auteurs désabusés voire ironiques 412.

Mais la surexposition de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal n’est


réellement observable qu’à compter du début des années quatre-vingt-dix. À compter de ce
moment, la présomption d’innocence sera un objet de discours incontournable que les
pénalistes aborderont à différentes occasions et dans des genres tout à fait diversifiés.
Pourtant, deux de ces genres littéraires attirent particulièrement l’attention : les études ou
articles de fond et les thèses de doctorat.

133. La présomption d’innocence dans les articles, études, chroniques… De


l’observation de ces travaux, parus dans les revues juridiques ou encore des contributions à
des ouvrages collectifs, on peut identifier une rupture entre les années soixante-dix ou
quatre-vingt et les années quatre-vingt dix. Les articles qui prenaient pour objet de réflexion
la présomption d’innocence s’avéraient très discrets et peu nombreux. Ils proliféreront à
partir de 1990, date à laquelle une étude portant exclusivement sur la présomption
d’innocence, paraît sous la plume du professeur Claude Lombois 413. En ayant égard à la
nature et à l’objet de ces études on ne s’étonnera pas de leur prolifération. En effet, le 4
janvier 1993 est votée une loi portant réforme de la procédure pénale dont l’un des objectifs
annoncés était de renforcer la présomption d’innocence. Ce qui fut fait, notamment par
l’introduction d’un article 9-1 dans le Code civil. Or dès 1990 avait été instituée une
commission présidée par le professeur Delmas-Marty qui avait en charge de préparer le
travail parlementaire en réfléchissant sur la mise en état des affaires pénales414. La doctrine
allait à cette occasion se pencher sur la question de la présomption d’innocence qui était au
cœur de la réforme 415. Que ce soit pour préparer l’oeuvre législative, l’expliquer, l’apprécier
ou encore la critiquer, la doctrine a, de fait, produit un discours sur la présomption
d’innocence dans une quantité considérable 416.

411
V. G. KIEJMAN, Les présomptions de fait de culpabilité et la présomption légale d’innocence et
R. LEGEAIS, La présomption d’innocence et les juridictions de jugement, in L’innocence, op. cit.
412
J. LE CALVEZ, L’inculpation et la présomption d’innocence, Gaz. Pal. 1987 doct. p. 681 ; et E. CABIÉ,
Le magistrat, l’académicien et la présomption d’innocence, Gaz. Pal. 1989, doct. p. 252.
413
C. LOMBOIS, La présomption d’innocence, Pouvoirs, n° 55, 1990, p. 81.
414
Pour les travaux de cette commission, V. COMMISSION JUSTICE PÉNALE ET DROITS DE L’HOMME, La
mise en état des affaires pénales, Paris, La Documentation française, 1991.
415
Ainsi peut probablement s’expliquer le choix de M. Lombois qui offre une analyse de la présomption
d’innocence à la veille d’une réforme annoncée. Un tel travail ne pouvait être que préparatoire à la
réflexion du législateur et ce d’autant plus que l’étude paraît dans un numéro de la revue Pouvoirs
consacré à un bilan critique du droit pénal.
416
Pour apprécier à sa juste mesure cette augmentation significative de la production doctrinale il
convient de renvoyer au corpus doctrinal de référence exposé dans la partie bibliographique. On peut
néanmoins signaler quelques exemples de cette visibilité accrue de la présomption d’innocence par les
seuls titres de certains articles : W. JEANDIDIER, La présomption d’innocence ou le poids des mots,
Rev.sc.crim., 1991 ; JEAN-LUC, De la présomption d’innocence à la présomption de charge ou l’étrange
réforme de maître Vauzelle, Gaz.Pal. 1993 ; P. AUVRET, Le droit au respect de la présomption

147
L’objet dans le discours

On a pu voir à nouveau dans l’œuvre législative une source d’inspiration du discours


doctrinal sur la présomption d’innocence avec la préparation puis l’adoption de la loi du 15
juin 2000. Cette loi s’étant précisément donnée pour objet de nouveau le renforcement de la
protection de la présomption d’innocence, il était naturel que la doctrine produise un
discours en amont, pour « préparer » la réflexion et en aval pour apprécier le travail
accompli. L’actualité de la présomption d’innocence a donc fourni plusieurs occasions à la
doctrine de prendre la plume et ce dès 1998 417. On songe notamment à l’article que l’avocat
Jean-René Farthouat a publié dans la revue Justice, dans lequel il affirme avec une once de
provocation : « la présomption d’innocence est une horreur…qu’il faut absolument
préserver » 418.

Il faudrait en outre évoquer, pour la nouveauté de sa démarche, l’étude que l’ancien


garde des Sceaux Robert Badinter, a offert en hommage au professeur Gavalda. M.
Badinter, et cela est suffisamment rare pour le signaler, a eu en effet le mérite
d’appréhender la présomption d’innocence dans sa dimension historique 419. La loi du 15
juin 2000, non seulement parce qu’elle devait renforcer la protection de la présomption
d’innocence et l’inscrire pour la première fois dans le Code de procédure pénale, mais aussi
parce qu’elle a suscité la polémique, devait donner lieu à nombre de commentaires. Ainsi,
a-t-elle été un véhicule privilégié de notre objet dans le discours doctrinal. En témoigne par
exemple, le choix de deux grandes revues spécialisées, de consacrer une livraison entière à

d’innocence, JCP. 1994 ; J.-J. MINET, En finir avec la présomption d’innocence, Gaz. Pal. 1994 ; PH.
CONTE, Pour en finir avec une présentation caricaturale de la présomption d’innocence, Gaz. Pal. 1995.
H. BUREAU, La présomption d’innocence devant le juge civil, cinq ans d’application de l’article 9-1 du
Code civil, JCP. 1998 I 166.
417
Le 16 septembre 1998 le garde des Sceaux Elisabeth Guigou présentait devant l’Assemblée nationale
le projet de loi n° 1079. Il faisait suite au rapport élaboré par la commission Truche. Ce rapport, publié
en 1997, faisait d’ailleurs état d’une consultation des membres de la doctrine, mais pas nécessairement
pénale. V. par exemple, J. CARBONNIER, p. 158 ; L. FAVOREU, pour l’aspect constitutionnel, p. 166, in
Rapport de la commission de réflexion sur la justice, Paris, La documentation française 1997.
418
J.-R. FARTHOUAT, La présomption d'innocence, op.cit., p. 53.
419
R. BADINTER, La présomption d'innocence, histoire et modernité, op. cit. En effet, en dehors des
allusions qui sont faites à la présomption d’innocence dans les manuels (récents) d’histoire du droit pénal,
aucune étude d’histoire du droit ne semble avoir été entreprise. C’est un fait curieux, qui n’a d’ailleurs pas
échappé à Jean-François Chassaing, puisque cet auteur a récemment suggéré quelques jalons pour cette
histoire. V. Jalons pour une histoire de la présomption d’innocence, in AFHJ, Juger les juges, Paris, La
documentation française, 2000, p. 232. Ces deux études seront davantage évoquées plus loin. On peut
néanmoins déjà signaler qu’elles recherchent et trouvent les origines de la présomption d’innocence au
Moyen Âge, c'est-à-dire bien avant la Révolution française.

148
La consécration de la présomption d’innocence en tant qu’objet de discours

cet événement 420. La majorité des revues, spécialisées ou plus généralistes, se sont fait
l’écho de la loi nouvelle en publiant des analyses doctrinales 421.

Ces lois, ainsi que leurs réformes respectives, n’expliquent cependant pas à elles seules
l’augmentation de la production doctrinale consacrée à la présomption d’innocence.
L’incidence qu’elles ont eue sur la multiplication des études consacrées à la présomption
d’innocence est certaine. En offrant, du point de vue de notre objet de discours, les
premières consécrations formelles en droit positif interne, elles méritaient bien quelque
attention doctrinale. Mais il faut également songer à d’autres facteurs.

Le regain d’intérêt pour les études sur la preuve en est un. Il a fourni une occasion
supplémentaire de parler en divers endroits de la présomption d’innocence. À cet égard, le
congrès organisé par l’association internationale de droit pénal ayant pour thème la preuve
en procédure pénale comparée, a donné lieu à la publication d’une littérature riche en
références à la présomption d’innocence. Ainsi, la grande majorité des rapports nationaux et
des rapports de synthèse fait-elle une place constante et déterminante au principe de la
présomption d’innocence 422. De manière générale, la présomption d’innocence servira le
raisonnement de chaque auteur qui sera amené à présenter ou à réfléchir sur la preuve en
matière pénale 423.

Une autre source de croissance du discours prenant pour objet la présomption


d’innocence réside dans la jurisprudence européenne. La Cour européenne a en effet été
invitée, par les requérants, à interpréter l’article 6§2 de la Convention européenne des droits
de l’homme 424 et à indiquer la signification du principe de présomption d’innocence au sens
de la Convention. Cette jurisprudence a elle aussi donné lieu à des commentaires et a servi

420
V. Le premier numéro de l’année 2001 que la Revue de science criminelle et de droit comparé a
réservé à la publication des actes d’un colloque intitulé : « Une nouvelle procédure pénale ? Étude de la
loi du 15 juin 2000 » ; et également le numéro de la même année que la Revue pénitentiaire et de droit
pénal a intitulé « Où va notre procédure pénale ? À propos de la loi du 15 juin 2000 renforçant la
protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes ». Les deux revues ayant
exclusivement publié des études relatives à ce thème.
421
Pour s’en tenir au caractère évocateur (racoleur ?) des titres choisis, V. Par exemple : J. PRADEL,
Encore une tornade sur notre procédure pénale avec la loi du 15 juin 2000, D. 2000, p. V ; O. DUFOUR,
Présomption d'innocence : la « révolution silencieuse » », PA. 2000, n° 41, pp.3-5 ; D. ROCHER, Mortelle
présomption, Gaz. Pal. 2001, n° 84-86, p. 2 ; O. DUFOUR, Quel avenir pour la présomption d'innocence ?
PA. 2002, n° 12, p. 4.
422
V. Rev.int.dr.pén., 1992, vol. 63. Pour le droit français, F. CASORLA, p. 183 et s, dont la contribution
est une reproduction synthétique du discours doctrinal français.
423
Par exemple : G. LEVASSEUR, Le droit de la preuve en droit pénal français, in C. PERELMAN et P.
FORIERS (dir.) La preuve en droit, Bruxelles, Bruylant, 1981, p.175 ; M. vAN DE KERCHOVE, La preuve en
matière pénale dans la jurisprudence de la Cour et de la commission européennes des droits de l’homme,
Rev.sc.crim., 1992, p. 1 ; M. DELMAS-MARTY, La preuve pénale, Droits, n° 23, 1996, p. 53.
424
«Toute personne accusée d'une infraction est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été
légalement établie. »

149
L’objet dans le discours

de point de départ à certain nombre d’études 425 et notamment à des thèses, dont plusieurs
adoptent en outre une perspective comparatiste.

D’ailleurs, la faveur actuelle pour les études de droit comparé, et en particulier de droit
pénal, est un autre facteur de l’augmentation significative de la production doctrinale. Au
premier rang de ces études, il faut signaler le colloque organisé en 1998 par la Société de
législation comparée qui avait justement choisi pour thème la présomption d’innocence en
droit comparé. C’est par ailleurs un peu la même démarche qu’adopte l’association
internationale de droit pénal puisque les questions traitées par ses membres les conduisent
finalement à une comparaison de leurs droits nationaux. Ce fut le cas lorsqu’elle a choisi de
s’intéresser aux mouvements de la procédure pénale et à la protection des droits de
l’homme 426.

C’est enfin avec le développement des enseignements portant sur les droits et libertés
fondamentaux que la présomption d’innocence a pu prospérer comme objet du discours
savant. Un certain nombre d’ouvrages servant de support à ces enseignements (souvent
destinés à la préparation des futurs magistrats et avocats) est paru ces dernières années et
tous abordent le thème de la présomption d’innocence 427. S’agissant des thèses de doctorat,
une place à part doit leur être réservée. Ces recherches de la science fondamentale ont elles
aussi proliféré brutalement.

134. La présomption d’innocence dans les thèses de doctorat. On remarque qu’aucune


thèse, depuis celle de M. Essaïd parue en 1970, n’avait été entreprise. En revanche, entre les
années 1996 et 2004 ce n’est pas moins de six thèses consacrées à la présomption
d’innocence qui seront soutenues dans plusieurs universités françaises428. Le décalage est
flagrant. Qu’est-ce à dire ? Il semblerait qu’un soudain besoin de renouveau de la recherche
juridique se soit fait sentir 429.

425
V. par exemple : G. JUNOSZA-ZROJEWSKI, La présomption d’innocence contre la présomption de
culpabilité, Gaz. Pal. 1989, Chron. p. 308 ; D. VIRIOT-BARRIAL, La preuve en droit douanier et la
Convention européenne des droits de l’homme, Rev.sc.crim., 1994, p. 545 ; Le commentaire de l’article
6§2 par J.-C. SOYER, in L. PETTITI (dir.), La Convention européenne des droits de l’homme, Paris,
Economica, 2e éd., 1999 ; ou encore F. MASSIAS, Jurisprudence 2001 relative à la présomption
d’innocence, chronique internationale (droits de l’homme), Rev.sc.crim., 2002, n° 2, p. 408 et s.
426
Pour le rapport général dans lequel la présomption d’innocence est traitée, K. TIEDEMANN,
Rev.int.dr.pén., 1993, p. 823.
427
V. par exemple : A. SÉRIAUX, L. SERMET et D. VIRIOT-BARRIAL, Droits et libertés fondamentaux,
Ellipses, 1998 ; J. ROBERT et J. DUFFAR, Droits de l’homme et libertés fondamentales, Domat-
Montchrétien, 7e éd., 1999 ; L. FAVOREU et alii, Droit des libertés fondamentales, Dalloz, 2000 ; R.
CABRILLAC, A.-M. FRISON-ROCHE et Th. REVET (dir.), Libertés et droits fondamentaux, Dalloz, 7e éd.,
2001.
428
Pour les références complètes à ces travaux, V. le corpus doctrinal de référence exposé dans la partie
bibliographique.
429
Pour avoir une vue plus exacte de l’ampleur de cet « engouement » il aurait fallu dénombrer les
mémoires soutenus pour l’obtention d’un diplôme de troisième cycle et portant sur la présomption
d’innocence.

150
La consécration de la présomption d’innocence en tant qu’objet de discours

Les raisons précédemment invoquées peuvent ici aussi expliquer l’augmentation du


nombre des travaux. D’une part, pour l’essentiel ces thèses ont été achevées trois à six
années après l’entrée en vigueur de la loi de 1993, c'est-à-dire le temps nécessaire à leur
rédaction, ce qui laisse supposer que la promulgation de la loi a donné une certaine
impulsion aux chercheurs 430. D’autre part, l’intérêt des doctorants pour la présomption
d’innocence, ou des directeurs de thèse leur ayant suggéré leur sujet de recherche,
s’explique à la fois par les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme et
l’attrait pour les études de droit comparé. La nécessité de synthétiser les solutions
européennes en la matière et le besoin de confronter la conception française à celle d’autres
systèmes juridiques, paraissent avoir déterminé un certain nombre de recherches. Parmi
celles-ci, on doit signaler celles de mesdames Décamps et Daoulas 431. Quant à la
problématique choisie par madame Tonglet, si elle ne se présente pas ouvertement comme
européenne, elle n’y reste pas totalement étrangère. En effet, la Cour ayant affirmé à
plusieurs reprises la compatibilité de certaines présomptions dites de « culpabilité » avec la
présomption d’innocence, s’en sont alors suivies des réactions doctrinales plus ou moins
outrées. Sans doute, les travaux de cet auteur participent-ils, ne serait-ce qu’indirectement,
de cette réaction 432.

On aura remarqué que les recherches doctorales ont toujours pour cadre le domaine de la
preuve pénale. On peut en conclure que la présomption d’innocence n’avait pas encore été
suffisamment explorée dans son environnement naturel. Cependant, la dernière thèse en
date portant sur la présomption d’innocence opère une rupture avec cette tendance en
démontrant que la présomption d’innocence ne relève pas ou plus du domaine de la
preuve 433. Quoi qu’il en soit, toutes ces thèses viennent gonfler le volume de la littérature
juridique portant sur la présomption d’innocence.

Tous ces exemples illustrent la manière dont la présomption d’innocence a pu apparaître


comme un lieu commun du discours pénal. Ils permettent d’observer que désormais la
présomption d’innocence n’a pas seulement sa place dans les ouvrages didactiques. Tous les
genres de la littérature doctrinale paraissent ainsi investis par le thème de la présomption
d’innocence. Aussi peut-on la rencontrer, outre dans les manuels de procédure pénale ou de

430
C’est semble-t-il le cas de M. Ballandier qui a envisagé dans la deuxième partie de son travail les
moyens de faire respecter la présomption d’innocence par les médias, préoccupation majeure de la loi de
1993 qui justifie le nouvel article 9-1 du code civil. V. P. BALLANDIER, Pour une défense de la
présomption d’innocence, thèse, Aix-Marseille III, 1996.
431
V. J. DÉCAMPS, La présomption d'innocence, entre vérité et culpabilité : confrontation des systèmes de
procédure pénale français et anglais avec la CEDH, thèse, Pau, 1998 ; H. DAOULAS, Présomption
d'innocence et preuve pénale, étude comparée des droits français, anglais et canadien, thèse, Poitiers,
1999.
432
A. TONGLET, La présomption d'innocence et les présomptions en droit pénal, thèse, Paris XIII, 1999.
V. aussi par exemple J. BUISSON, Les présomptions de culpabilité, Procédures, 1999, Chr. 15.
433
H. HENRION, La nature juridique de la présomption d’innocence, op. cit.

151
L’objet dans le discours

droits et libertés fondamentaux, tantôt dans une étude théorique, tantôt dans un billet
d’humeur, une autre fois dans une étude de mélanges, ou encore dans une chronique de
législation ou de jurisprudence, souvent au centre d’un colloque et enfin dans des thèses de
doctorat. De la même manière ce sont les différentes fonctions des auteurs de doctrine qui
sont représentées : docteurs, professeurs, mais aussi avocats, magistrats et même législateur.

135. La banalisation. La présomption d’innocence est bien, en cette fin de XXe siècle et
début de XXIe siècle, sur toutes les lèvres ou plutôt sous toutes les plumes. Il n’est alors
plus permis à l’apprenti juriste, et à plus forte raison au juriste confirmé, d’ignorer son
existence, ses implications, ses lieux d’expression. Pire, elle tend à devenir un lieu commun.
Elle a donc pris une place si importante, l’expression a trouvé tellement de lieux et
d’occasions pour se répandre qu’elle en est devenue une banalité 434. C’est là probablement
l’une des premières impressions lorsqu’on s’attache trop exclusivement à la surexposition
de la présomption d’innocence. Pour avoir une vue plus juste de la part que la présomption
d’innocence a prise dans l’ensemble du discours doctrinal, il faut tempérer quelque peu la
première impression. Pour ce faire, quelques pistes de réflexion seront proposées.

B- TEMPÉRAMENTS À LA BANALISATION

136. Des genres littéraires résistant à la banalisation. Affirmer que la présomption


d’innocence est un lieu commun du discours pénal laisse penser, comme cela a été illustré
plus haut, que la présomption d’innocence se trouve développée et expliquée partout. Il n’en
est pourtant pas tout à fait ainsi. On pourra s’étonner de découvrir que des lieux essentiels
d’expression de la science juridique aient pu, pendant fort longtemps, si peu évoquer la
présomption d’innocence voire purement et simplement l’ignorer. Trois exemples
illustreront ces tempéraments à l’idée que la présomption d’innocence est un lieu commun.
Le premier est tiré de l’analyse du Vocabulaire Juridique publié par l’Association Capitant
et dirigé par le professeur Cornu. Le deuxième concerne les répertoires et encyclopédies
juridiques tandis que le troisième sera pris du faible nombre de notes d’arrêt.

137. La présomption d’innocence dans le Vocabulaire juridique. L’un des éléments


permettant de douter de la banalisation de la présomption d’innocence dans le discours
résulte de l’entrée tardive de la présomption d’innocence dans le Vocabulaire juridique de
l’Association Capitant, autrement appelé Vocabulaire Cornu. Cet outil terminologique dont
aucun juriste ne peut se passer est communément reconnu comme « le » dictionnaire de
référence du juriste, depuis que M. Cornu assure la direction de sa publication et de son
enrichissement. Or, il faut rappeler le caractère éminemment doctrinal de la rédaction d’un

434
Il y a dans cette analyse une connotation péjorative qui renvoie à la signification de l’expression et qui
tend à dire que la présomption d’innocence en serait dépourvue. Nous réservons l’approfondissement de
cette idée pour la deuxième partie de ce travail.

152
La consécration de la présomption d’innocence en tant qu’objet de discours

tel outil. D’ailleurs, dans la préface du Vocabulaire juridique exposant la méthodologie


définitoire suivie, le doyen Cornu l’a largement souligné, de façon d’ailleurs plus ou moins
explicite 435. S’agissant des définitions relevant du droit pénal, l’empreinte scientifique, et
donc doctrinale, dans le choix des termes à définir aussi bien que dans la rédaction même
des définitions, est certaine. C’est la qualité de ceux qui ont eu en charge ces définitions, ou
les ont actuellement, qui le confirme 436.

La présomption d’innocence ne sera pas définie dans le Vocabulaire juridique jusqu’à la


5e édition incluse, c'est-à-dire jusqu’à la sixième édition de septembre 1996 437. Peu
d’auteurs se sont étonnés de cette lacune 438. Elle reste pourtant troublante. Si le Vocabulaire
Cornu ne peut accueillir tous les termes utilisés dans le monde juridique, on pense
notamment aux anglicismes ou aux adages, on comprend difficilement qu’une expression
comme « présomption d’innocence » n’ait pas fait l’objet d’une entrée dès la première
édition de 1987 439.

Le domaine scientifique couvert par le Vocabulaire n’est pas ici en cause puisqu’il a
vocation à définir les termes de l’ensemble des branches du droit 440, le droit pénal et la
procédure pénale tout autant que les autres disciplines du droit privé. Quelle pourrait être
alors la raison pour laquelle ses rédacteurs ont attendu si longtemps avant de consacrer une
entrée à la présomption d’innocence ? Un oubli des rédacteurs ne semble pas
raisonnablement envisageable, il aurait certainement vite été réparé, et dès la seconde
édition, en 1990. Comme le suggérait M. Le Calvez, on pourrait expliquer cette absence de
la présomption d’innocence dans le Vocabulaire juridique par l’inutilité pour les pénalistes
de définir une notion qu’ils connaissaient bien et qui en réalité n’a pas de sens technique
précis 441. Mais alors, c’est de l’utilité du Vocabulaire dont il faudrait douter. Et les juristes

435
Expliquant ce qu’il faut entendre par « définir », M. Cornu observe, par exemple, que le travail des
juristes a consisté dans un premier temps à se soumettre à l’usage, c'est-à-dire à écouter ce qui se dit dans
le monde du Droit. Mais dans un second temps il s’est agi, pour les collaborateurs du Vocabulaire,
d’ «extraire de l’usage, par un travail d’analyse et d’ordre, les traits distinctifs qui font que ce qui est dit
est une notion… ».
436
Dans la première phase de l’élaboration du Vocabulaire, c’est Georges Levasseur qui fut chargé, avec
M. Paucot conseiller à la Cour de cassation, de dresser la liste des mots à définir. Puis collaborèrent à
l’entreprise de définition les criminalistes suivants : P. Bouzat, J. Larguier, J. Pradel, ou encore M. Puech.
437
Jusqu’à l’édition de septembre 1996, on remarque qu’il n’existe aucune entrée renvoyant à la
présomption d’innocence. À partir de la 6e édition, la présomption d’innocence est définie et cette
définition peut être retrouvée en consultant les entrées présomption et innocence. Ce n’est qu’à partir de
cette même édition qu’apparaissent également des entrées aux mots : innocent (e), présumer, et doute.
438
V. cependant J. DÉCAMPS, La présomption d'innocence, entre vérité et culpabilité, op. cit., p. 26.
Jacques Le Calvez faisait quant à lui remarquer que : « si les pénalistes savent ce qu’est la présomption
d’innocence, très curieusement les répertoires juridiques ignorent le mot “innocence” », L’inculpation et
la présomption d’innocence, op. cit., p. 681.
439
Elle n’était pas davantage définie dans le Vocabulaire publié par Henri Capitant en 1936.
440
V. Vocabulaire juridique, « Quadrige », PUF, 4e éd., 2003, préface, p. IX.
441
En effet, si les dictionnaires de droit se caractérisent non seulement par leur scientificité mais aussi par
leur utilité, ils ont vocation à exprimer un sens technique pouvant éclairer les praticiens du droit. Sur
l’élaboration des définitions dans de tels dictionnaires, V. M. DEVINAT, Réflexion autour des

153
L’objet dans le discours

non spécialistes de droit pénal ? Et les apprentis juristes en quête de définition ? Il convient
plutôt de rechercher ailleurs une ébauche d’explication.

Il faut probablement se souvenir de l’objet essentiel de l’entreprise du Vocabulaire


juridique : définir les termes juridiques, tous les termes juridiques mais seulement les
termes juridiques. Telle fut en effet la ligne de conduite de ses concepteurs 442. Or on
s’accorde bien volontiers pour reconnaître que le terme « innocence » n’appartient pas à la
terminologie juridique 443. Ce fut peut-être là un premier obstacle à sa sélection. Car on voit
bien que l’expression « présomption d’innocence » est composée des termes
« présomption » et « innocence » et seul le premier est depuis toujours défini. Pourtant,
l’argument est faible puisque l’obstacle n’aura pas duré : on trouve désormais à l’entrée
« innocence » une définition de l’expression « présomption d’innocence ».

La question de la juridicité de l’expression présomption d’innocence peut également être


soulevée sous un autre angle. En effet, le doyen Cornu soulignait que la mise en oeuvre du
critère de la juridicité, pour retenir ou exclure les termes du Vocabulaire, ne pouvait résulter
de la seule présence formelle d’un mot dans un texte de droit. On pourrait être tenté de
raisonner alors a fortiori. En effet, une définition de la présomption d’innocence ne
s’imposait pas dès lors qu’en 1987 très peu de décisions de justice usaient de l’expression et
aucun texte de droit positif interne ne la contenait. En réalité, seule la doctrine en faisait un
usage relativement courant. Il ne sera question de la présomption d’innocence en législation
qu’avec la loi réformant la procédure pénale du 4 janvier 1993 qui, justement, avait pour
ambition de s’attacher à la valeur des mots pour préserver la présomption d’innocence 444 et
qui l’introduisait expressément dans le Code civil. On retiendra, pour l’heure, que la
présomption d’innocence ne trouvait alors l’expression de sa signification que dans les
études doctrinales qui voulaient bien s’y attarder, sans que l’outil pédagogique le plus
répandu n’y prête attention.

138. La présomption d’innocence dans les Répertoires. L’étonnement se poursuit si l’on


s’attarde sur la remarque très pertinente de M. Le Calvez selon laquelle, c’est des
répertoires juridiques que la présomption d’innocence fut longtemps absente. Que la
présomption d’innocence ne soit pas définie n’enlève rien à l’importance que la notion de
présomption d’innocence se voit reconnaître, particulièrement en doctrine. Qu’on ne la
trouve dans aucune entrée de répertoire, et spécialement du répertoire pénal des éditions

dictionnaires de droit civil, in J.-C. GÉMAR et N. KASIRER (dir.), Jurilinguistique : entre langues et droits,
Montréal, Thémis et Bruylant, 2005, p. 322 et s.
442
Vocabulaire juridique, op. cit., p. IX.
443
Déjà en 1937, le Doyen Carbonnier le faisait observer : « La notion d’innocence est une notion
morale, qu’il est toujours difficile de transporter dans le domaine juridique », Le problème de la
détention préventive, op. cit., p. 114.
444
On se souvient que par cette loi le droit français a abandonné le terme juridique « d’inculpation » au
profit de l’expression « mise en examen » afin d’écarter toute référence à la culpa.

154
La consécration de la présomption d’innocence en tant qu’objet de discours

Dalloz, signifie qu’on n’a pas entendu exposer son régime juridique de façon claire,
ordonnée et systématique. Ce n’est en effet qu’en février 2003 que le répertoire pénal
accueille une entrée « présomption d’innocence ». Avant cette date, la question était traitée
de la même manière que dans les manuels et traités de procédure pénale, c'est-à-dire au titre
de la preuve. D’ailleurs, aujourd’hui elle fait l’objet de doubles développements puisqu’elle
est traitée non seulement à titre autonome par Mme Ambroise-Castérot, et à titre subsidiaire
par M. Buisson qui est responsable de la rubrique « preuve » dans le Répertoire. La
présomption d’innocence a beau se trouver dans toutes les bouches, elle n’est pas pour
autant exprimée dans tous les écrits.

Une telle absence peut néanmoins se justifier. C’est bien le manque d’autonomie de la
présomption d’innocence par rapport à la question plus générale de la preuve qui peut
expliquer cette absence d’entrée. Or, de nos jours, le développement des effets de la
présomption d’innocence sur le terrain civil nourrit une littérature abondante et justifie
probablement des développements plus conséquents, si bien que la présomption
d’innocence, comme le fait d’ailleurs madame Ambroise-Castérot, peut être envisagée sous
ces deux éclairages dans des rubriques autonomes.

139. La présomption d’innocence dans les commentaires de décisions. Il s’agit là d’une


particularité de notre objet de discours, il est quasiment absent des commentaires de
jurisprudence proposés par la doctrine. Il faut toutefois distinguer en fonction des juges qui
ont rendu les décisions que la doctrine choisit de commenter.

S’agissant des arrêts de la chambre criminelle de la Cour de cassation, la remarque est


tout à fait justifiée. Il est aisé d’apercevoir à quel point la présomption d’innocence est
absente des commentaires, notes et observations rédigés par les spécialistes du droit pénal.
L’explication n’est pas très difficile à trouver. Très rares sont en effet les décisions pénales
qui font une application de la présomption d’innocence et qui la prennent pour
fondement 445. C’est là un motif déterminant qui justifie le silence doctrinal. On doit
cependant préciser par quelques observations particulières.

Tout d’abord, il est à noter que lorsque les décisions judiciaires visent expressément la
présomption d’innocence, la doctrine ne saisit pas nécessairement l’occasion pour réfléchir
sur la notion elle-même. Un exemple, qui sera avec d’autres étudiés plus longuement dans
la deuxième partie de ce travail, peut être tiré d’un arrêt de la cour d’appel de Bourges du 9

445
Cette observation fera l’objet de plus amples développements lorsqu’il s’agira d’étudier le discours sur
les sources positives de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal, V. infra, n° 238 et s.

155
L’objet dans le discours

mars 1950 que la doctrine cite pour illustrer l’application jurisprudentielle de la


présomption d’innocence et qui a fait l’objet d’un commentaire pour le moins rapide 446.

Ensuite, il faut souligner cette tendance des manuels et traités, qui consiste à citer des
décisions faisant une application de la présomption d’innocence, alors même que les juges
sont demeurés silencieux sur ce point. Il en est ainsi de plusieurs arrêts et jugements
statuant soit sur la charge de la preuve soit sur la relaxe au bénéfice du doute. On observe
que, soit ces décisions ne sont pas commentées, soit elles le sont sans que l’auteur fasse une
quelconque allusion à la présomption d’innocence dans son propos. Un bel exemple peut
être tiré de l’arrêt Bockaert de la chambre criminelle rendu le 2 mars 1966 447. Cette décision
a souvent été citée par les auteurs et analysée, après coup, comme une application implicite
mais certaine de la présomption d’innocence. Ainsi, M. Essaïd et MM. Merle et Vitu ont-ils
pu soutenir que cette décision, par laquelle la chambre criminelle impose au ministère
public la charge de la preuve de l’identité du prévenu, ne peut s’expliquer que par la
présomption d’innocence 448. Cependant, cet arrêt a fait l’objet de deux commentaires dans
deux revues différentes et il est curieux de voir que seul l’un des deux auteurs fait allusion à
la présomption d’innocence pour en expliquer le fondement 449. Un autre exemple
concernant cette fois-ci la relaxe au bénéfice du doute pourrait encore être cité avec l’arrêt
de la cour d’appel de Metz 450. Enfin, une troisième attitude doctrinale consiste à évoquer la
présomption d’innocence dans le commentaire d’une décision qui n’a pas trait à la
présomption d’innocence 451.

L’absence de la présomption d’innocence des commentaires de jurisprudence doit


cependant être nuancée en ce qui concerne les décisions émanant des autres chambres de la
Cour de cassation ou de la Cour européenne des droits de l’homme. En effet, depuis

446
Dans cette décision, les juges ont déclaré que « un prévenu présumé innocent ne devant en aucun cas
être soumis à des voies de fait destinées à lui arracher des aveux par la force, les sévices graves exercés
dans ces conditions par des fonctionnaires de la police doivent être sévèrement réprimés. ». Or la
publication de cette décision s’est accompagnée des seules observations suivantes : « Répression ferme et
sévère par la Cour des violences exercées par des fonctionnaires de police sur un prévenu en vue de lui
arracher des aveux », V. JCP. 1950 II 5594. En revanche, la présomption d’innocence a largement été au
centre du commentaire que Mme Vallansan a offert suite à l’arrêt rendu par la chambre criminelle le 19
mars 1986 et qui faisait directement application de l’article 6§2 de la Convention européenne des droits
de l’homme, V. note sous Cass. crim., 19 mars 1986, D. 1988, p. 568.
447
Bull., n° 74.
448
M.-J. ESSAÏD, La présomption d’innocence, op. cit., n° 84, et R. MERLE et A. VITU, Traité de droit
criminel, Procédure pénale, op. cit., n° 144, p. 184.
449
V. observations sous Cass. crim., 2 mars 1966, JCP. 1967 II 15046, et cependant la seconde note qui
est muette, Gaz. Pal 1966, I, p. 391.
450
M. Pradel voyait dans cette décision l’illustration de l’adage in dubio pro reo et donc une application
de la présomption d’innocence. Le Conseiller Chambon ne devait quant à lui pas évoquer une seule fois la
présomption d’innocence, V. observation sous Metz, 22 février 1980, JCP. 1981 II 19493.
451
Pour un exemple ancien, on peut consulter les observations de J.-A. Roux sous Cass. crim., 15 mars
1929, S. 1930. 1. 353, où l’éminent auteur rappelle l’existence de la présomption d’innocence et de la
règle du doute favorable en guise d’introduction à son commentaire. Pour un exemple plus récent, on peut
consulter la note de M. Pradel sous TGI Paris 11 décembre 1978, op. cit.

156
La consécration de la présomption d’innocence en tant qu’objet de discours

l’insertion de l’article 9-1 dans le Code civil, le droit au respect de la présomption


d’innocence pour chacun a été au cœur de bon nombre de décisions que la doctrine a assorti
de ses commentaires. Mais il faut alors remarquer que ce ne sont alors plus les spécialistes
de droit pénal qui s’expriment sur cette question 452. Les commentaires se déplacent
notamment dans la littérature spécialisée au droit de la communication, de la presse et des
médias, domaines directement concernés par la jurisprudence fondée sur l’article 9-1 du
Code civil 453 ou encore dans la littérature des constitutionnalistes.

S’agissant des décisions de la Cour européenne des droits de l’homme, elles font
fréquemment l’objet de commentaires, qui souvent n’émanent pas de pénalistes 454. La
dernière condamnation de la France, le 10 février 1995, pour violation de l’article 6§2 de la
Convention dans l’affaire Allenet de Ribemont a fait, quant à elle, couler beaucoup
d’encre 455. Par ailleurs, on trouve à la Revue de science criminelle une chronique consacrée
à la jurisprudence relative aux droits de l’homme qui peut avoir pour objet de signaler et de
commenter des décisions européennes portant sur la présomption d’innocence 456. Au-delà
du seul cercle pénal, les décisions européennes sont régulièrement exposées et annotées
dans les revues généralistes ou spécialisées dans les droits de l’homme, le droit européen ou
encore international 457.

Enfin, on pourra s’étonner de ce que les décisions du Conseil constitutionnel, qui a eu à


se prononcer plusieurs fois ces dernières années, sur la compatibilité de diverses
dispositions législatives avec la présomption d’innocence, n’aient pas davantage retenu
l’intérêt des pénalistes 458. On observe en effet que si nombre de saisines du Conseil
invoquent une violation de la présomption d’innocence et donnent ainsi l’occasion au juge
constitutionnel de se prononcer sur le respect de l’article 9 de la Déclaration par le

452
V. par exemple, H. BUREAU, La présomption d'innocence devant le juge civil, cinq ans d’application
de l’article 9-1 du Code civil, JCP. 1998 I 166 ; E. GARRAUD, Présomption d'innocence et droit à
l’image : la Cour de cassation affirme sa jurisprudence, note sous Cass. civ.1re, 12 juillet 2001, RJPF-
2001, n° 11, p. 10-12 ; E. DERIEUX, Liberté d’information et respect de la présomption d'innocence, note
sous Cass. civ. 2e, 20 juin 2002 (2 espèces), PA. 2002, n° 184, pp.17-20.
453
Ce texte dispose que : « Chacun a droit au respect de la présomption d'innocence.
Lorsqu'une personne est, avant toute condamnation, présentée publiquement comme étant coupable de
faits faisant l'objet d'une enquête ou d'une instruction judiciaire, le juge peut, même en référé, sans
préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire toutes mesures, telles que l'insertion d'une
rectification ou la diffusion d'un communiqué, aux fins de faire cesser l'atteinte à la présomption
d'innocence, et ce aux frais de la personne, physique ou morale, responsable de cette atteinte. »
454
V. G. JUNOSZA-ZDROJEWSKI, La présomption d’innocence contre la présomption de culpabilité, à
propos de l’arrêt Salabiaku, Gaz. Pal. 1989, doct. 1, p. 308 ;
455
V. L.-E. PETITTI, Rev.sc.crim.,1995, p. 639 ; R. KOERING-JOULIN, Rev.sc.crim., 1996, p. 484; J.-F.
RENUCCI, D. 1996, somm. com, p.196.
456
V. F. MASSIAS, Jurisprudence relative à la présomption d’innocence, Rev.sc.crim., 2002, n° 2, p. 408
et s. et celle de « Droits de l’homme » qu’assurait M. Pettiti auparavant.
457
V. Par exemple, la chronique de « Droit européen des droits de l’homme » de M. Sudre au JCP., celle
de M. Renucci au Dalloz, ou encore celle M. Lambert « La Cour européenne des droits de l’homme »
dans le Journal des tribunaux- droit européen.
458
V. infra, n° 251.

157
L’objet dans le discours

législateur, l’essentiel des commentaires que suscitent ces décions émanent de spécialistes
d’autres disciplines que le droit pénal, particulièrement des publicistes 459. Il existe
néanmoins des exceptions 460.

La présomption d’innocence reste ainsi un objet de discours qui trouve une place
modeste dans les commentaires de décisions par rapport aux autres genres de la littérature
juridique.

Quoiqu’il en soit, la pérennisation de la présomption d’innocence en tant qu’objet de


discours est certaine, elle semble même s’être achevée par une banalisation. Mais il ne s’est
agi jusque là que d’en donner un aperçu d’ordre quantitatif. Certes, l’on parle beaucoup de
la présomption d’innocence depuis une quinzaine d’années et particulièrement depuis que le
législateur a décidé de lui consacrer l’essentiel de la loi du 15 juin 2000. Or, cette
production doctrinale étant en soi l’expression d’un savoir, on peut se demander en quoi
l’augmentation des écrits prenant pour objet la présomption d’innocence a dessiné les
contours du savoir sur ce même objet. À cet égard, l’effet de la pérennisation sur la
connaissance de la présomption d’innocence mériterait une analyse approfondie. Pour notre
part, nous nous en tiendrons à quelques observations.

§ 2. PRODUCTION DOCTRINALE ET SAVOIR SUR LA PRÉSOMPTION D’INNOCENCE.

140. Plan. L’augmentation significative des études doctrinales portant sur la présomption
d’innocence ou s’y référant directement invite à dresser une sorte d’état des sources de
savoir sur cet objet (A). Cet état se caractérisera en particulier par l’abondance. Il y a lieu
toutefois de s’interroger sur le rapport qui peut exister entre l’augmentation de la production
doctrinale et le savoir sur la présomption d’innocence (B).

A- L’ÉTAT DES SOURCES DE SAVOIR D’ORIGINE DOCTRINALE

141. Trois traits caractéristiques de la production doctrinale. L’abondance de la


littérature doctrinale que l’on peut aisément observer ne suffit pas à caractériser l’état du
savoir doctrinal sur la présomption d’innocence. D’autres critères permettent de mieux la
cerner. On retiendra à cet égard d’une part la diversité et d’autre part la féminisation du
savoir touchant à la présomption d’innocence.

459
V. par exemple, les décisions n° 2002-461 DC, 29 août 2002 à propos de la loi d’orientation et de
programmation pour la justice ; n° 2003-467 DC, 13 mars 2003- Loi pour la sécurité intérieure ; n° 2004-
492 DC, 2 mars 2004- Loi portant adaptation aux évolutions de la criminalité.
460
On peut signaler à cet égard un commentaire assez critique de Mme Lazerges à propos d’une décision
récente du Conseil constitutionnel, qui selon elle, a procédé à une « mise à mal de la présomption
d’innocence », qui d’ailleurs avait été entamée avec une décision du 16 juin 1999, V. Commentaire de la
décision du Conseil constitutionnel du 13 mars 2003 », Revue du droit public, 2003, n° 4, p.1159, adde.
Du même auteur, Le Conseil constitutionnel acteur de la politique criminelle à propos de la décision n°
2004-492 DC, du 2 mars 2004, Rev.sc.crim., 2004, p. 725.

158
La consécration de la présomption d’innocence en tant qu’objet de discours

142. L’abondance. Elle est manifeste à deux points de vue. Tout d’abord, ce sont les
ouvrages à usage d’enseignement du droit criminel qui en attestent.

En effet, on remarque qu’au fil du temps et depuis une trentaine d’années, les
développements consacrés par les auteurs à la présomption d’innocence se sont
considérablement étoffés. La place de la présomption d’innocence dans ces manuels et
traités est non seulement plus grande mais aussi plus visible. Alors que cela n’a pas toujours
été le cas, désormais plus aucun index alphabétique d’ouvrage n’ignore l’entrée
« présomption d’innocence ». Du mémento de Jean Larguier, au traité de Merle et Vitu en
passant par les manuels de MM. Pradel, Soyer ou encore Conte et Maistre du Chambon, il
n’existe plus d’exception à l’indexation. Il n’est pas seulement question de comparer les
quelques lignes qu’écrivait Donnedieu de Vabres en 1948 à propos de la présomption
d’innocence aux pages que consacrent aujourd’hui par exemple, MM. Buisson et
Guinchard 461.

C’est aussi et surtout dans l’évolution d’une même œuvre que la comparaison est
flagrante. Le manuel de procédure pénale de Jean Pradel illustre bien le phénomène
puisque, sur une période de vingt ans, les développements consacrés à la présomption
d’innocence y ont quasiment triplé 462. Outre la quantité, c’est la structure des
développements qui s’est considérablement affinée. Pour s’en convaincre aisément par
l’exemple, il suffit de consulter le manuel des professeurs Stéfani et Levasseur. En 1974, les
deux auteurs font une courte allusion à la présomption d’innocence qui est, en quelque sorte
« noyée » dans le paragraphe consacré à la charge de la preuve pénale. Trente-deux ans plus
tard, dans le même manuel de procédure pénale la charge de la preuve fait l’objet d’une
section entière qui est structurée autour d’une part, de la signification de la présomption
d’innocence et d’autre part de sa portée, et qui tient sur plus de huit pages 463.

L’abondance de la littérature portant sur la présomption d’innocence est ensuite


caractérisée par le nombre de thèses ayant choisi ce thème. Entre 1969 et 2004, huit thèses
ont été soutenues dans diverses universités françaises 464. Il ne s’agit là que des thèses dont
le sujet principal est la présomption d’innocence, ce nombre serait très largement supérieur
si l’on y ajoutait les réflexions sur la présomption d’innocence proposées dans des thèses de
droit pénal qui ont axé la réflexion sur un autre thème. À ce décompte on pourrait ajouter

461
Comp. H. DONNEDIEU DE VABRES, Traité de droit criminel, op.cit., n° 1239 à 1240 et S. GUINCHARD
et J. BUISSON, Procédure pénale, op. cit., 3e éd., n° 367 à 380, n° 405, n° 480 à 484.
462
Comp. J. PRADEL, Procédure pénale, op. cit., 3e éd., 1985, n° 252 à 256 et Procédure pénale, 12e éd.,
n° 383 à 399.
463
Comp. G. STÉFANI et G. LEVASSEUR, Procédure pénale, 8e éd., 1974, n° 27 à 29 et G. STÉFANI,
G. LEVASSEUR, B. BOULOC, Procédure pénale, op. cit., 20e éd., 2006, n° 121 à 130.
464
Pour les références complètes de ces études, V. le corpus doctrinal de référence dans la partie
bibliographique.

159
L’objet dans le discours

les mémoires de troisième cycle dont le nombre va croissant mais que l’on n’a pas recensé
ici.

Enfin, l’abondance est manifeste si l’on embrasse d’une vue générale le nombre d’études
publiées sur le sujet, qu’il s’agisse d’articles, de chronique, de billets d’humeur, de
contribution à des mélanges ou à des actes de colloques.

143. La diversité. La production doctrinale consacrée à la présomption d’innocence est


riche par sa diversité grandissante. En effet, alors que ce sujet semblait être réservé à la
plume des spécialistes du droit criminel, ce sont désormais les civilistes 465, les
publicistes 466, les historiens du droit, les sociologues du droit ou encore les spécialistes du
droit des médias et de l’information qui élaborent leur propre discours sur la présomption
d’innocence. Il y a là non seulement une multiplication des sources quantitatives de
connaissance mais aussi une multiplication des points de vue sur notre objet qui ne peuvent
que profiter au lecteur en quête de savoir.

La diversité de la documentation disponible sur la présomption d’innocence concerne


également le degré de généralité proposé par les auteurs. Bien qu’il n’existe pas de traité sur
la présomption d’innocence, le savoir disponible semble pouvoir répondre aux
interrogations du plus grand nombre. Les apprentis juristes trouveront probablement de quoi
satisfaire leur curiosité dans le Vocabulaire juridique Cornu et dans les manuels
élémentaires d’enseignement de la procédure pénale. Les candidats aux concours de la
fonction publique ou au barreau consulteront les ouvrages conçus spécialement pour eux et
traitant, soit des droits et/ou des libertés fondamentales, soit plus précisément de la
jurisprudence européenne consacrée à ce thème. Les praticiens consulteront plus facilement
le répertoire de droit pénal et de procédure pénale ou encore le Juris-Classeur civil. Les
chercheurs auront probablement recours aux thèses, colloques, articles et études publiés sur
le sujet. Quant aux théoriciens, ils disposent depuis peu, outre la documentation déjà citée,
de deux ouvrages plus théoriques et critiques. Une approche plus philosophique de la
présomption d’innocence est en effet tout d’abord proposée dans un volume des essais de
465
Dans les manuels de droit civil et en particulier de droit des personnes, la présomption d’innocence
trouve sa place dans l’étude des droits de la personnalité. Il s’agit d’une conséquence directe de l’insertion
de l’article 9-1 dans le Code civil qui fait du droit au respect de la présomption d’innocence une
prolongation du droit au respect de la vie privée. V. par exemple J. CARBONNIER, Droit civil. 1, Les
personnes, PUF, 21e éd., 2000, n° 88 et 96 ; B. TEYSSIÉ, Droit civil : Les personnes, Litec, 8e éd., 2003,
n° 37 et 51.
466
Les publicistes abordent désormais volontiers la présomption d’innocence. Il faut y voir la
conséquence d’une part, de la prolifération des études, chroniques et ouvrages consacrés aux droits et
libertés fondamentaux en France et au niveau européen. D’autre part, prenant acte, ou défendant
ardemment le phénomène de constitutionnalisation du droit pénal, les publicistes sont parfois amenés à
traiter de la présomption d’innocence. À cet égard on peut signaler les réflexions de monsieur Favoreu
entendues par les membres de la commission Truche, in Rapport de la commission de réflexion sur la
justice, Annexes, Paris, La documentation française, 1997, p. 166-174. En outre, tous les aspects de la
présomption d’innocence sont traités par M. de Villiers et M. Renoux dans le Code constitutionnel, Litec,
2001, qu’ils ont commenté et annoté, V. pp. 93-108.

160
La consécration de la présomption d’innocence en tant qu’objet de discours

philosophie pénale et de criminologie paru récemment et qui consacre neuf contributions à


la présomption d’innocence 467. Très théorique et critique est la thèse proposée par Hervé
Henrion qui a pour ambition notamment de réfuter l’ensemble des théories particulières sur
la présomption d’innocence et de poser les jalons d’une théorie de la présomption
d’innocence 468.

144. La féminisation du savoir. Depuis une quinzaine d’années, on peut observer que les
réflexions les plus approfondies sur la présomption d’innocence ont été engagées ou
promues par des femmes et qu’elles ont donné lieu à une littérature souvent incontournable
pour qui veut connaître la matière.

Premièrement, c’est le rôle prépondérant des femmes juristes dans la préparation puis
l’élaboration de la loi du 15 juin 2000 qu’il convient de souligner. À cet égard, on ne peut
oublier que la présidence de la commission « justice pénale et droits de l’homme » a été
confiée par le Garde des sceaux à Mme Delmas-Marty. En 1990, cette commission a rendu
un rapport sur la mise en état des affaires pénales qui « expose les lignes de force d’une
réforme de la procédure pénale » et dans lequel la présomption d’innocence occupe une
place importante. En effet, dès le rapport préliminaire rendu quelques mois plus tôt et
orientant les réflexions de la commission, la présomption d’innocence apparaissait comme
l’un des principes fondamentaux du procès pénal 469. Or, ce rapport a constitué une référence
essentielle dans l’élaboration du projet de loi sur le renforcement de la présomption
d’innocence et dans les travaux parlementaires. L’inscription de la présomption d’innocence
en tête du Code de procédure pénale était également l’une des propositions émises quelques
années plus tard par Mme Rassat 470. Cet auteur fait par ailleurs une large place au principe
dans diverses de ses propositions, qu’il s’agisse de les justifier ou de garantir la présomption
d’innocence 471. En outre et bien qu’il ne s’agisse pas à proprement parler d’un auteur de
doctrine, on observera que c’est une autre femme, en la personne de Mme Guigou, qui a
proposé puis défendu la loi du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption
d’innocence. Dans l’élaboration de cette loi, il faut également signaler les travaux réalisés

467
La présomption d’innocence, Revue de l’institut de criminologie de Paris, vol. 4, 2003-2004,
Collection Essais de philosophie pénale et de criminologie, Paris, Eska, 2004.
468
H. HENRION, La nature juridique de la présomption d’innocence, op. cit., n° 18-1-2 particulièrement,
et généralement, toute la deuxième partie de cette étude.
469
V. La mise en état des affaires pénales, Paris, La documentation française, 1991. Les propositions
concernant la présomption d’innocence semblent avoir une grande influence. Après en avoir donné une
définition et insisté sur le droit au silence de la personne présumée innocente, la commission a admis la
nécessité d’inscrire ce principe en tête du Code de procédure pénale et a proposé l’instauration du
plaidoyer de culpabilité, or ce sont là deux réformes que le législateur des années 2000 a effectivement
mis en œuvre.
470
M.-L. RASSAT, Propositions de réforme du Code de procédure pénale, Paris, Dalloz, 1997.
471
En effet, l’auteur proposait que soit inséré dans le code un livre préliminaire dont le titre premier était
entièrement consacré à présomption d’innocence. Mais on retrouve également l’influence ou la présence
de la présomption d’innocence au titre consacré à la preuve pénale.

161
L’objet dans le discours

par Mme Lazerges. Membre de la doctrine pénaliste et professeur de droit, Mme Lazerges a
un temps revêtu les habits du législateur et s’est distinguée en tant que rapporteur de la loi
renforçant la protection de la présomption d’innocence 472.

Deuxièmement, comment ne pas être frappé par le nombre de recherches fondamentales


menées par des femmes. En effet, on peut rappeler qu’en 2006, sur sept thèses de doctorat
consacrées à la présomption d’innocence, quatre ont été soutenues par des femmes 473. C’est
dire l’intérêt que ces dernières portent à ce sujet et combien elles marquent de leur
empreinte la littérature doctrinale consacrée à la présomption d’innocence.

Troisièmement, en 2003 c’est encore une femme, Mme Ambroise-Castérot qui inaugure
la première rubrique que le répertoire pénal Dalloz consacre à la présomption d’innocence.
Enfin, si la prolifération des études consacrées à la présomption d’innocence a été initiée
par des hommes, le flambeau semble désormais passé aux femmes. En effet, au-delà des
travaux déjà cités, ce sont souvent des femmes qui ont abordé le thème de la présomption
d’innocence dans divers écrits parus ces dernières années. À cet égard, on pourra lire par
exemple la contribution de Mme Koering-Joulin au colloque organisé par la Société de
législation comparée 474, mais aussi, l’étude de Mme Samet 475 parue à l’occasion de la
présentation de la loi sur la présomption d’innocence ou encore le bilan proposé par Mme
Bureau après cinq années d’application de l’article 9-1 du Code civil 476.

Cette place croissante des femmes dans la production d’une littérature consacrée à la
présomption d’innocence peut paraître tout à fait anodine. Tout d’abord, il n’y a peut-être
pas lieu de distinguer les travaux juridiques selon qu’ils ont été réalisés par un homme ou
par une femme, sauf à étendre le fameux principe de la parité jusque dans la production
doctrinale. De plus, on sait que l’ensemble des professions juridiques se « féminise » et il
est logique que la doctrine juridique accueille de plus en plus de femmes. Pourtant, l’intérêt
des femmes pour l’étude de la présomption d’innocence est suffisamment caractérisé pour
qu’il soit permis de le souligner. Le choix d’un sujet de recherche n’est lui, jamais le fruit
du hasard. Au-delà de l’actualité d’un sujet dans la détermination d’un champ de recherche,
la préférence du chercheur, ses affinités, sa sensibilité à telle ou telle question, jouent un

472
V. Rapport A.N n° 2136 du 8 février 2000. Mais aussi, Le projet de loi renforçant la protection de la
présomption d’innocence et le droit des victimes, Rev.sc.crim., 1999 ; Le renforcement de la protection de
la présomption d’innocence et des droits des victimes : histoire d’une navette parlementaire, Rev.sc.crim.,
2001, p. 7 ; et La présomption d'innocence, in R. CABRILLAC, A.-M. FRISON-ROCHE et TH. REVET (dir),
Libertés et droits fondamentaux, Paris, Dalloz, 7e éd., 2001.
473
Mmes Décamps, Daoulas, Massol, et Tonglet, V. les références de leurs travaux dans le corpus
doctrinal de référence qui figure dans la partie bibliographique. On ne comptera pas ici la thèse de Mlle
Rostagni qui en réalité ne porte pas sur la présomption d’innocence en dépit de son titre.
474
R. KOERING-JOULIN, La présomption d'innocence, un droit fondamental ? in La présomption
d'innocence en droit comparé, op. cit., pp.19-26.
475
C. SAMET, La présomption d'innocence, Rev. pénit. dr. pén. 2001, n° 2.
476
H. BUREAU, La présomption d'innocence devant le juge civil, cinq ans d’application de l’article 9-1 du
Code civil, op. cit.

162
La consécration de la présomption d’innocence en tant qu’objet de discours

rôle de premier plan 477. Or, la présomption d’innocence revêt un caractère très symbolique
du point de vue des droits de l’homme, des droits de la défense et du respect de la dignité
des personnes. Il y a là un idéal de justice auquel les femmes manifestent peut-être
davantage leur attachement que les juristes de sexe masculin. La caractère protecteur de la
présomption d’innocence, souvent mis en avant, n’y ait probablement pas étranger. Cette
féminisation de la littérature consacrée à la présomption d’innocence illustrerait l’hommage
rendu aux femmes par le doyen Carbonnier qui estimait récemment que le féminin apparaît
comme « l’adoucisseur qui a été crée pour accompagner l’humanité le long des aspérités
du droit pénal » 478.

B- LE SAVOIR SUR LA PRÉSOMPTION D’INNOCENCE

145. Quantité et qualité. Trois siècles de discours doctrinal viennent d’être survolés. Alors
que la communauté savante n’y faisait quasiment aucune référence jusqu’au début du XXe
siècle, nous avons pu constater que la présomption d’innocence a fait l’objet d’une
consécration progressive dans le discours des criminalistes au point de devenir un objet à
part entière de ce discours, voire finalement un lieu commun. Les travaux portant sur cette
notion sont donc désormais nombreux et variés. Un tel bilan permet-il aujourd’hui de dire
que nous connaissons mieux la présomption d’innocence ? Certes une plus grande quantité
de la production doctrinale a pour effet une plus grande diffusion des connaissances, une
meilleure circulation du savoir pourrait-on dire 479. Cependant, la quantité n’est pas un gage
de qualité. Connaître plus ne signifie pas nécessairement connaître mieux.

146. L’existence de lacunes ?. Des lacunes peuvent être relevées qui affectent la qualité du
savoir. S’agissant de la présomption d’innocence, on a d’ailleurs pu estimer de façon assez
étonnante au début de l’année 2004 que, rares sont les études qui lui sont consacrées. C’est
sur cette opinion que s’ouvre les Essais de philosophie pénale et de criminologie portant
pour partie sur la présomption d’innocence. Un auteur s’est ainsi étonné qu’aucun traité ni
monographie n’existe sur ce sujet 480. Selon Monsieur Airut, le discours sur la présomption
d’innocence a cruellement manqué de recul, c’est la raison pour laquelle l’institut de
criminologie de Paris a décidé de combler cette lacune 481. La remarque vaut d’être

477
On pourrait établir un parallèle avec, par exemple, l’attrait des candidates à la magistrature pour les
fonctions de juge pour enfants. Dans ce choix ou ce souhait ce sont les prédispositions des femmes pour
s’occuper des enfants qui priment.
478
J. CARBONNIER, Le double visage du droit pénal aux lueurs de sa triple genèse, in Apprendre à douter,
Questions de droit, Question sur le droit, études offertes à C. LOMBOIS, Pulim, 2004, p. 21.
479
Toutefois cette circulation peut s’avérer perturbée s’il existe du « bruit », sur cette question, V. J.-L.
PECCHIOLI, La circulation du savoir juridique, op. cit.
480
J.-P. AIRUT, La présomption d’innocence hier et aujourd’hui, Introduction, in La présomption
d’innocence, Revue de l’institut de criminologie de Paris, op. cit., p. 9.
481
Ce volume IV des Essais de philosophie pénale et de criminologie aborde la présomption d’innocence
dans trois dimensions jusque là effectivement ignorées par la doctrine : la dimension philosophique,
historique et criminologique.

163
L’objet dans le discours

soulignée puisqu’elle dément en quelque sorte l’idée que la présomption d’innocence puisse
être un lieu commun. De plus, elle invite à considérer le savoir sur la présomption
d’innocence comme incomplet et semble ouvrir la voie à d’autres recherches. Il n’y a là rien
d’étonnant si l’on considère que « tout savoir a, par nature, vocation à progresser » et que
son état ne saurait être définitif 482. Il s’agit surtout d’un signe manifestant peut-être une
nouvelle prise en considération de cet objet de connaissance et donc de discours.

147. Vers la rectification du savoir. La doctrine serait alors en train de prendre conscience
que si la présomption d’innocence est un sujet rebattu, elle n’en a pas pour autant livré tous
ses secrets. Le temps de l’évaluation de l’état du savoir sur la présomption d’innocence
semble venu. On assiste en effet à de discrètes mais non négligeables remises en question
des connaissances qui circulaient jusqu’alors. Le savoir paraît ainsi s’affiner en se
corrigeant. Les grandes certitudes qui caractérisaient le discours doctrinal sont mises à mal.
L’idée que la présomption d’innocence était totalement inconnue de l’ancien droit et de ses
commentateurs, et qu’il ne pouvait d’ailleurs en être autrement est actuellement réfutée par
divers travaux 483. Bien d’autres affirmations jusque là admises sans discussions font l’objet
de critiques particulières, spécialement la question de la nature juridique de la présomption
d’innocence 484. Il se pourrait que le savoir doctrinal sur la présomption d’innocence soit
entré dans une nouvelle phase de son évolution, il semble que le temps soit venu d’adopter
un regard plus critique et d’affiner les propositions. Maintes occasions seront fournies
d’évoquer ces rectifications, cette nouvelle tendance, tout au long de l’étude du discours sur
la présomption d’innocence. Pour l’heure, une chose est certaine, on parle beaucoup de la
présomption d’innocence dans le milieu juridique savant et dans d’autres cercles comme la
politique, les medias et au comptoir aussi… une autre chose l’est moins : la qualité du
savoir que la doctrine se propose de diffuser.

482
CH. ATIAS, Épistémologie juridique, op. cit., n° 118 et s.
483
V. en dernier lieu, H. HENRION, La nature juridique de la présomption d’innocence, op. cit.
484
On se reportera par exemple à S. DETRAZ, La prétendue présomption d’innocence, Dr. pén. 2004, Chr.
3. et H. HENRION, La nature juridique de la présomption d’innocence, op. cit.

164
CONCLUSION DE LA PREMIÈRE PARTIE

148. Décalage entre état du droit et du discours. Même si elle est réputée consacrée en
1789, jusqu’à la fin du XIXe siècle la présomption d’innocence est absente du discours des
criminalistes. Or, on aura remarqué qu’il n’en résulte pas pour autant l’absence de toute
référence à la protection de l’innocence. Qu’il s’agisse de la certitude de la preuve, de la
règle du doute favorable ou encore de déterminer la charge de la preuve, les auteurs n’ont
pas manqué de présenter ces points, ils ignorent simplement ce qu’est la présomption
d’innocence et n’usent en conséquence pas de la formule. Alors qu’il n’existe aucune trace
de « la présomption d’innocence » dans le droit positif de l’époque, elle fait son apparition
dans les ouvrages de droit criminel au début du XXe siècle. Il y a ainsi deux manifestations
flagrantes d’un décalage entre, ce qui est censé être l’état du droit positif, et le discours qui
a pour mission de le décrire.

149. Importance de l’émergence comme objet. Quoi qu’il en soit, pour la présomption
d’innocence, devenir un objet dans ou du discours savant revêt une grande signification. Ici,
peu importe ce qui en est dit, c'est-à-dire, le contenu du discours sur cet objet. Le seul fait
d’être visée puis étudiée, traitée, présentée, et enfin expliquée par la doctrine confère à la
présomption d’innocence une grande légitimité. Il se peut fort bien que la chose à laquelle
renvoie l’expression « présomption d’innocence » ait existé et ait été connue avant que
n’apparaisse triomphalement le nom. C’est d’ailleurs ce que confirment les conditions dans
lesquelles l’objet présomption d’innocence a émergé dans le discours, suite aux critiques
positivistes. Il n’en reste pas moins vrai que le discours doctrinal semble avoir eu ce
pouvoir de faire advenir la présomption d’innocence à l’existence juridique.

La raison en est simple, ce pouvoir là résulte directement de la nature et des fonctions de


la doctrine juridique. À cet égard il convient de se souvenir que la doctrine assume, et les
auteurs sont unanimes sur ce point, la responsabilité d’étudier, d’ordonner, de décrire puis
d’expliquer le droit. La fonction de transmission du savoir est non seulement reconnue
comme primordiale mais elle appartient en outre exclusivement à cette catégorie de juristes,
autrement dit ceux qui décident d’écrire sur le droit. Or cette fonction est assumée en
grande partie par les publications, de toute nature. Celui qui veut connaître le droit aura
recours à l’œuvre doctrinale. Parce qu’elle est une autorité scientifique son discours fait, si
l’on peut dire, foi. On pourrait ajouter jusqu’à preuve contraire, tant il est vrai que ce
discours peut être sujet à controverses. Toutefois, ce discours reste la première des sources
de connaissance du droit. Il en résulte naturellement que lorsque la littérature savante
véhicule la référence à un objet de connaissance, naît alors dans l’esprit du lecteur une
présomption, voire une certitude de l’existence de cet objet dans l’ordre juridique. Ainsi,

165
L’objet dans le discours

puisque l’objet fait partie du discours savant, il fait implicitement mais nécessairement
partie du droit. C’est en considération de cette réalité que l’on peut affirmer que l’existence
de la présomption d’innocence est pour partie due à son apparition dans les écrits juridiques
et au fait qu’elle s’y est perpétuée.

150. Prépondérance du discours sur l’objet. Si la seule présence formelle de la


présomption d’innocence dans le discours doctrinal lui confère une forte présomption de
juridicité, c’est tout de même le contenu du discours qui a la plus grande capacité à
persuader de l’existence et de la valeur de la présomption d’innocence. Aussi, après avoir
étudié l’objet « présomption d’innocence » dans la littérature juridique pénale, convient-il
de s’attacher désormais à l’analyse du contenu de du discours.

166
DEUXIÈME PARTIE
LE DISCOURS SUR L’OBJET

151. Analyse critique du discours doctrinal. « Faire savoir » et « savoir-faire », c’est


entre ces deux pôles que se situe l’activité de la doctrine juridique 485. Quel savoir sur la
présomption d’innocence la doctrine pénale transmet-elle ? Répondre à la question suppose
de s’intéresser à la notion de présomption d’innocence telle qu’elle est exposée dans la
littérature juridique. L’analyse devra alors porter sur le contenu des énoncés doctrinaux qui
ont pour objet de faire comprendre la présomption d’innocence.

Si une telle démarche présente l’avantage de permettre, dans une certaine mesure,
l’évaluation du savoir sur la présomption d’innocence, elle ne saurait à elle seule renseigner
sur la manière dont ce savoir s’est constitué. Elle doit être accompagnée d’une recherche sur
le savoir-faire doctrinal. Or, seule une analyse critique des énoncés doctrinaux peut révéler
ce double aspect de l’activité doctrinale. Elle consiste à mettre en œuvre le doute
méthodique et à l’appliquer aux affirmations les plus importantes que les pénalistes ont
formulées à l’égard de la présomption d’innocence. Il s’agit donc non pas de tenir pour
acquis ce qui est dit de la présomption d’innocence, mais au contraire d’en rechercher le
sens, les raisons et la légitimité ; et ce au regard du droit positif décrit. C’est à cette
condition que le savoir-faire doctrinal pourra apparaître, notamment par la confrontation des
énoncés doctrinaux aux données positives supposées les fonder. La part que la pure
description, l’interprétation, ou encore la prescription tiennent dans ces énoncés doctrinaux
pourra être ainsi évaluée et les ressorts du discours doctrinal ne s’en trouveront que plus
visibles.

152. Objets de l’analyse. L’analyse des énoncés doctrinaux a porté sur trois aspects de la
présomption d’innocence qui paraissent essentiels. Ce sont les sources, la signification et le
fondement de la présomption d’innocence. Ces trois éléments constitutifs de la notion ont
été observés tels qu’ils se laissent voir dans la littérature juridique consacrée à la
présomption d’innocence, puis analysés de façon critique dans une perspective à la fois
synchronique et diachronique. Une telle analyse permet de pénétrer au cœur de l’activité
doctrinale, d’observer des bruits, des dissonances, mais aussi des silences et des non-dits
dans les énoncés.

485
F. OST et M. VAN DE KERCHOVE, La doctrine entre « faire savoir » et « savoir-faire », op. cit.

167
Le discours sur l’objet

L’activité doctrinale d’interprétation est plus particulièrement visible dans l’étude des
sources de la présomption d’innocence, aussi bien historiques que positives. C’est donc
l’interprétation doctrinale des sources de la présomption d’innocence qui retiendra tout
d’abord l’attention (Titre 1). L’analyse du discours sur l’objet pourra ensuite être consacrée
à la signification et au fondement de la présomption d’innocence tel qu’ils ont été formulés
par les pénalistes (Titre 2).

168
TITRE 1
L’INTERPRÉTATION DOCTRINALE
DES SOURCES DE LA PRÉSOMPTION D’INNOCENCE

153. Sources historiques de la présomption d’innocence. Curieusement, lorsqu’on


interroge la doctrine sur les sources et origines de la présomption d’innocence, la littérature
juridique prise dans son ensemble, paraît avare de réponse. En réalité, la question des
origines de la présomption d’innocence n’a jamais vraiment retenu l’attention de la doctrine
criminaliste. Cette dernière donne le sentiment d’avoir concentré ses efforts sur la
présentation des sources formelles et positives de la présomption d’innocence. Toutefois,
l’analyse du discours a pu jusqu’ici montré que, la doctrine criminaliste a su dater avec
précision la naissance de la présomption d’innocence en droit français. En attribuant à la
philosophie des Lumières l’invention du principe et à la Déclaration des droits de l’homme
sa consécration, nombre d’auteurs contemporains ont choisi d’inscrire la naissance de la
présomption d’innocence dans une logique de rupture historique (Chapitre 1).

154. Sources positives de la présomption d’innocence. L’analyse du discours relatif aux


sources positives de la présomption d’innocence laisse apparaître à plusieurs égards qu’il ne
procède pas d’une simple description de l’état du droit mais bien davantage d’une
interprétation de ce dernier. La « positivité » de la présomption d’innocence résulte pour
une large part de cette interprétation dont il faudra rendre compte. Ainsi sera-t-on en
situation de mesurer combien l’existence juridique de la présomption d’innocence doit aux
efforts de la doctrine pour lui conférer une positivité qui, durant la plus grande partie du
XXe siècle, n’allait pas de soi (Chapitre 2).

169
CHAPITRE 1
LA RÉVOLUTION : SOURCE HISTORIQUE DE LA PRÉSOMPTION
D’INNOCENCE

155. L’avènement d’un nouvel ordre juridique pénal. La Révolution de 1789 et sa


matérialisation juridique dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ont,
comme on le sait, marqué l’histoire du droit français en rompant avec l’ancien droit et plus
particulièrement celui de l’Ancien Régime. Bon nombre d’institutions de notre droit actuel
trouvent leur origine dans cette période et leur expression dans le texte de la Déclaration.
Ainsi, juristes et historiens du droit ont-ils pu attacher une grande importance à la
Révolution de 1789 dans l’avènement d’un nouvel ordre juridique. Les criminalistes ont eux
aussi participé au mouvement et ont mis en évidence les acquis de la Révolution par rapport
au droit criminel en vigueur aux XVIIe et XVIIIe siècle. L’étude de la Déclaration des droits
de l’homme et du citoyen vient d’ailleurs confirmer qu’il y a bien eu une consécration de
principes nouveaux. La doctrine criminaliste n’hésite alors pas à opposer radicalement l’état
du droit antérieur à la Révolution et celui qui en est résulté, comme pour rendre plus parlant
ce changement brusque dont les textes issus de la Révolution demeurent aujourd’hui les
témoins. Il est vrai que certains des acquis de 1789, et non des moindres, touchent tout
particulièrement le droit criminel. L’exigence de la légalité des délits et des peines et
l’abandon du système des preuves légales au profit du système de l’intime conviction font,
par exemple, figure d’innovations voire de révolutions dans l’ordre juridique pénal.
L’histoire de ces principes est bel et bien construite sur la thématique de la rupture486.

156. Origines révolutionnaires de la présomption d’innocence. L’histoire de la


présomption d’innocence participe elle aussi de cette idée de rupture avec l’ancien droit. La
Déclaration des droits de l’homme sert de point d’ancrage à cette affirmation. Ainsi, pour la
doctrine, le principe de la présomption d’innocence trouve son origine dans la Révolution
française. Mais ce n’est pas tout, la référence doctrinale à la Déclaration des droits de
l’homme et du citoyen assure, en réalité, une double fonction. En effet, non seulement ce
texte est invoqué au titre des origines du principe mais aussi comme source formelle.
Comme les auteurs n’ont d’ailleurs pas manqué de le souligner, jusqu’en 1993, l’article 9 de

486
« La Déclaration des droits de l’homme a réalisé un véritable tremblement de terre et ce tremblement
de terre, qui a précipité la Révolution française, a amené l’effondrement d’édifices particulièrement
respectables et qui paraissaient fondés sur le roc. Tel a été le cas pour l’imposante Bastille du droit
répressif sous sa triple formes des peines, de la procédure et des incriminations », G. LEVASSEUR, Les
grands principes de la Déclaration des droits de l’homme et le droit répressif français, in La Déclaration
des droits de l’homme et du citoyen de 1789, ses origines sa pérennité, Paris, La documentation française,
1990, p. 233.

171
Le discours sur l’objet

la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen constituait la seule source formelle de la


présomption d’innocence en droit interne. La légitimité de ce double rattachement à la
Révolution et à la Déclaration des droits de l’homme avait déjà été contestée lorsque nous
étudions la place de la présomption d’innocence dans la littérature précédant la Révolution
et pendant l’adoption de la Déclaration. Désormais, il est possible d’aller plus avant et de
s’attacher à mettre en évidence l’incertitude de la rupture qui aurait provoqué la naissance
de la présomption d’innocence (Section 1). Que la rupture de 1789 apparaisse incertaine
n’est pas la seule observation que l’analyse du discours suggère. Elle invite également à se
demander si l’allégation n’est pas artificielle (Section 2).

172
La Révolution : source historique de la présomption d’innocence

SECTION 1 : LE CARACTÈRE INCERTAIN DE LA RUPTURE

157. L’affirmation de la rupture dans le discours doctrinal. L’analyse de la littérature


juridique montre d’une part, que les criminalistes qui ont traité ou simplement évoqué la
présomption d’innocence ne se sont pas toujours souciés de préciser quelles en étaient les
sources et origines 487. Toutefois, l’analyse montre que lorsqu’ils s’y sont intéressés, les
auteurs ont découvert la naissance de la présomption d’innocence dans la rupture de 1789.
Ainsi, Garraud, qui a introduit le premier l’expression présomption d’innocence dans un
ouvrage de droit criminel, a été complètement silencieux quant à la source ou aux origines
de cette règle. Cela ne l’a toutefois pas empêché d’évoquer la méconnaissance dont elle a
fait l’objet dans l’ancien droit 488. Il faudra cependant attendre la thèse de M. Essaïd pour
que la question de l’origine de la présomption d’innocence soit posée et qu’une recherche
soit alors entreprise.

On doit à M. Essaïd l’affirmation la plus nette et la plus argumentée de l’origine de la


présomption d’innocence dans la Déclaration des droits de l’homme et de la rupture qu’elle
opère 489. Tout commencerait donc à cette période. Le droit antérieur, du Moyen Âge à celui
de l’Ordonnance de 1670, non seulement ne connaissait mais ne pouvait connaître la
présomption d’innocence. Chez cet auteur, l’idée d’une rupture est manifeste, elle est
d’ailleurs longuement appuyée et se conclut ainsi « En résumé, on peut dire qu’à tous les
niveaux du procès pénal, la présomption d’innocence était ignorée de la procédure
inquisitoire de l’ancien droit. Que l’on envisage les atteintes portées à la liberté
individuelle, les moyens mis en œuvre pour réunir les charges de l’information ou le
système appliqué pour apprécier les preuves et former la conviction du juge, l’accusé était
490
considéré, dans tous les cas, comme un coupable et traité comme tel» . En 1992, lors
d’un séminaire international organisé par l’Association internationale de droit pénal sur la
preuve en procédure pénale comparée, M. Pradel affirmait à propos de la présomption
d’innocence : « Le principe plonge ses racines dans une histoire ancienne et par exemple
dans l’Habeas Corpus anglais de 1679, puis dans la Déclaration française des droits de
l’homme de 1789» 491. On peut en outre aujourd’hui lire dans un dictionnaire de la justice
que « La présomption d’innocence est née le 5 octobre 1789 avec l’article 9 de la

487
V. infra, n° 181, pour le caractère très récent des études historiques sur la présomption d’innocence.
488
R. GARRAUD, Traité théorique et pratique d’instruction criminelle et de procédure pénale, tome I,
op.cit., n° 232 et s.
489
M.-J. ESSAÏD, La présomption d’innocence, op. cit., n° 13 à 49.
490
La présomption d’innocence, op. cit., n° 32.
491
J. PRADEL, Rapport général sur la preuve, in La preuve en procédure pénale comparée,
Rev.int.dr.pén., 1992, Vol. 1, p. 14.

173
Le discours sur l’objet

Déclaration des droits de l’homme, rédigé par Adrien Duport » 492. Il est donc clair que la
doctrine criminaliste ne démentira pas l’origine révolutionnaire de la présomption
d’innocence et elle s’appuiera largement sur les recherches de M. Essaïd pour justifier cette
affirmation. Ainsi se confirme le caractère fondateur de la thèse de cet auteur 493. En tout
cas, s’agissant des sources de la présomption d’innocence, la thèse de M. Essaïd a bel et
bien constitué le fond des connaissances communes, un point de départ admis par tous et
sur lequel il n’a jamais semblé utile de revenir, bref ce présupposé quasi indiscuté 494.
Toutefois, lorsqu’il s’est agi d’envisager plus sérieusement les principes consacrés par la
Déclaration, certains auteurs ont pu paraître plus hésitants 495.

Bien qu’assez choquante, l’idée que l’accusé était présumé coupable dans l’ancien droit
et que le doute ne lui profitait jamais, est ainsi largement présente dans le discours des
pénalistes 496. De nos jours, Mme Rassat enseigne, par exemple, que « Non seulement, tout
au long du procès la personne poursuivie était présumée coupable et placée délibérément
dans une situation difficile pour se défendre, mais encore elle ne pouvait, en l’absence de
preuves positives de son innocence, bénéficier d’une véritable autorité de la chose
jugée» 497. La référence doctrinale à la Révolution en général et à l’article 9 de la
Déclaration des droits de l’homme en particulier, paraît donc largement suffire à attester des
origines de la présomption d’innocence. Il n’en reste pas moins que cette rupture dans
l’histoire de la présomption d’innocence est contestable à deux égards au moins. En effet, si

492
D. SOULEZ-LARIVIÈRE, in L. CADIET (dir.), Dictionnaire de la justice, Paris, PUF, 2004, v°
présomption d’innocence.
493
V. supra n° 128 et s.
494
G. BRIÈRE DE L’ISLE ET P. COGNIART, Procédure pénale, op. cit., p. 12 ; A. VITU, Procédure pénale,
op.cit., p. 186 ; M.-L. RASSAT, Traité de procédure pénale, op. cit., n° 195 ; R. MERLE et A.VITU, Traité
de droit criminel, Procédure pénale, 5e éd., op. cit., n°144 ; S. GUINCHARD et J. BUISSON, Procédure
pénale, 3e éd., op. cit., n° 367.
495
Il en est ainsi de Georges Levasseur. Le précis de procédure pénale auquel il a contribué fait une large
place à l’idée de rupture, de naissance de la présomption d’innocence dans la Déclaration des droits de
l’homme et du citoyen. Pourtant, Lors d’un colloque organisé en 1990, l’auteur sera très nuancé à l’égard
de la présomption d’innocence. En effet, il ne la présente pas au titre des principes généraux du droit
répressif nouveau qu’il étudie en premier lieu. En outre, c’est le dernier point abordé par son étude et les
quelques lignes qui lui sont consacrées témoignent d’une incertitude : « L’article IX de la Déclaration des
droits de l’homme déclare incidemment que " tout homme est présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été
déclaré coupable". Ce n’est pas le lieu ici de rechercher si la présomption d’innocence existait déjà sous
l’ancien droit. On remarquera seulement que l’accusation devait prouver la culpabilité, que l’aveu était
la reine des preuves et que la torture permettait trop facilement un aveu qui ne présentait guère de
garanties de véracité. (…) Mais le régime inquisitoire traîne toujours le préjugé de poser en principe une
sorte de présomption de culpabilité… », V. G. LEVASSEUR, Les grands principes de la Déclaration des
droits de l’homme et le droit répressif français, op. cit. , p. 242.
496
Certains auteurs y insistent plus que d’autres. V. J. LÉAUTÉ, Le caractère irréparable de la perte de
l’innocence, op. cit., p. 4 ; B. BOULOC, Présomption d’innocence et droit pénal des affaires, Rev.sc.crim.,
1995, p. 465 ; J. DÉCAMPS, La présomption d’innocence : entre vérité et culpabilité, op. cit., p. 4-5. CH.
LAZERGES, La présomption d’innocence, op. cit., p. 497. La position de Robert Badinter est à ce propos
ambiguë. L’idée de rupture est bien présente dans son historique de la présomption d’innocence, mais
l’auteur ne nie pas totalement des origines plus lointaines du principe. C’est son ineffectivité dans
l’application de l’ordonnance de 1670 qui conduit à affirmer son inexistence avant le XVIIIe siècle. V. La
présomption d’innocence, histoire et modernité, op. cit., p. 136 à 140.
497
M.-L. RASSAT, Traité de procédure pénale, op. cit., n°195.

174
La Révolution : source historique de la présomption d’innocence

l’on s’attache à l’évolution du droit positif et plus particulièrement à l’évolution du sort qui
est réservé à la personne poursuivie, avant et après la Révolution, la rupture n’est pas si
évidente qu’il n’y paraît (§1). En outre, c’est au regard des justifications avancées en
doctrine qu’un changement brutal paraît douteux (§2).

§. 1 L’INCERTITUDE DE LA RUPTURE AU REGARD DE L’ÉTAT DU DROIT

158. Recherche d’un changement brusque caractéristique d’une rupture. À


l’affirmation selon laquelle la présomption d’innocence est née d’une rupture avec l’ancien
droit peuvent être opposés des arguments de nature à la nuancer passablement, voire à
l’anéantir. En effet, postuler une rupture dans l’histoire du droit pénal qui toucherait à la
présomption d’innocence, suppose qu’un changement brusque de l’état du droit puisse être
observé. Or, il est permis de douter d’un tel changement. Tout d’abord, c’est au regard du
droit antérieur à la Révolution et à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen que la
rupture concernant la présomption d’innocence se montre incertaine (A). Puis, ce sont les
suites juridiques de la Révolution qui ne permettent pas d’attester d’un réel changement
qu’aurait provoqué la consécration de la présomption d’innocence (B).

A- LE SORT DE LA PERSONNE POURSUIVIE AVANT LA RÉVOLUTION

159. Protection de l’innocence et doute favorable. L’étude de la place de la présomption


d’innocence dans le discours doctrinal a montré que toute considération relative à la
protection de l’innocence n’était pas absente des grands traités de droit criminel des XVIIe
et XVIIIe siècles 498. Certes, les auteurs n’ont jamais étudié le principe de la présomption
d’innocence et ignoraient cette expression. Ceux-ci témoignaient pourtant de l’existence de
certaines règles protectrices de l’accusé dont la règle du doute favorable. Or, la doctrine
contemporaine enseigne que le principe du bénéfice du doute est une traduction, dans la
pratique, de la présomption d’innocence. Il y a alors des raisons de penser que la
présomption d’innocence n’était finalement pas totalement inconnue dans l’ancien droit.

160. Il vaut mieux laisser échapper un coupable que de condamner un innocent.


Rappelons ici que les anciens criminalistes ne cessent d’invoquer la maxime selon
laquelle il vaut mieux laisser échapper un coupable que de condamner un innocent. Le plus
souvent, cette règle est exprimée en latin, sous la forme : Satius enim esse impunitum
relinqui facinus nocentis, quam innocentem damnare, avec toutefois des variantes 499,
comme c’est souvent le cas à l’époque. Si le principe n’est pas tiré des termes de
l’Ordonnance criminelle de 1670 qui constitue le texte de droit criminel applicable, les
auteurs ne cachent pas son origine. C’est directement au Digeste que la formule est

498
V. supra, n° 41 et s.
499
V. supra, n° 41.

175
Le discours sur l’objet

empruntée. En effet, le Corpus juris civilis de Justinien a repris un rescrit de l’empereur


Trajan 500. Le principe est invoqué par les anciens criminalistes pour justifier qu’en cas de
doute, il faut pencher en faveur de l’innocent, c'est-à-dire qu’il faut pencher plutôt pour son
absolution (acquittement) que pour sa condamnation. L’Ordonnance criminelle, dont la
sévérité à l’égard des accusés a fait la réputation, a cependant repris cette règle. Dans le titre
XXV relatif aux sentences, jugements et arrêts, l’article 12 prévoit expressément que « Les
jugements, soit définitifs ou d’instruction, passeront à l’avis le plus doux, si le plus sévère
ne prévaut d’une voix, dans les procès qui se jugeront à la charge de l’appel, et de deux
dans ceux qui se jugeront en dernier ressort » 501.

Jousse consacrait quant à lui un chapitre entier à la question des sentences, jugements et
arrêts. Il a énoncé des règles particulières pour l’examen de la preuve. La première règle à
observer en cette matière est, selon lui 502, « que les crimes ne se présument point, et qu’ils
doivent être prouvés. C’est pourquoi dans le doute, quand une action peut-être prise d’un
côté favorable, ou s’interpréter en mauvaise part contre celui qui en est l’auteur, il faut
toujours la prendre en bonne part ». Ces règles énoncées, l’auteur y ajoutera d’ « autres
observations touchant les preuves ». À cette occasion, Jousse explique que « les juges
doivent examiner scrupuleusement toutes les circonstances qui vont à la décharge de
503
l’accusé, et à l’adoucissement de la peine » . Plus loin, il terminera en écrivant
que : « Dans le doute, ils doivent toujours suivre le parti le plus favorable à l’accusé ; et la
justice est ce qui doit principalement les animer, plutôt que de suivre exactement la rigueur
du Droit » 504.

On le voit, on est loin de la description d’un système où l’accusé serait présumé


coupable, tout au moins en théorie. En outre, on aperçoit qu’avec toute l’autorité qui
s’attache à l’époque à leur discours, les anciens criminalistes complètent et assouplissent la
rigueur de l’Ordonnance criminelle. Les maximes ainsi formulées sont censées frapper
l’esprit des juges auxquels ces directives sont spécialement adressées. Il ne s’agit là que
d’éléments de droit qui aujourd’hui constitueraient certains des aspects de la présomption
d’innocence et qui, sans attester de l’existence juridique d’une telle présomption avant la
Révolution, contribuent toutefois à nuancer l’idée de rupture.

Il est même désormais permis de démentir cette idée de rupture en se référant à certaines
études d’histoire du droit pénal parues depuis un peu plus d’une décennie seulement.

500
D. 48, 19, 5. V. A. LAINGUI, Les adages du droit pénal, Rev.sc.crim., 1986, p. 35.
501
Muyart de Vouglans note lui aussi que la maxime a été reprise par l’ordonnance, Institutes au droit
criminel, op. cit. , p. 360. V. également L’Ordonnance criminelle de 1670 in ISAMBERT (éd.), Recueil
général des anciennes lois françaises depuis l'an 420 jusqu'à la Révolution de 1789, Tome XVIII.
502
Traité de la justice criminelle, op. cit. , tome second, p. 580.
503
Traité de la justice criminelle, op. cit. , tome second, p. 589.
504
Traité de la justice criminelle, op. cit. , tome second, p. 590.

176
La Révolution : source historique de la présomption d’innocence

161. L’innocence présumée depuis le Moyen Âge ?. L’historien Jean-Marie Carbasse est
l’un des très rares auteurs à être aussi clair sur ce point 505 : ce n’est « pas une règle nouvelle
que pose la Déclaration dans son article 9 ; ce n’est même pas le rappel d’un principe
ancien qu’il faudrait tirer de l’oubli : c’est simplement une évidence». En effet, l’auteur
explique que : « la règle selon laquelle tout prévenu doit être considéré comme innocent
jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable était depuis le XIIIe siècle l’un des principes
fondamentaux de l’ancienne procédure savante, qui en avait déduit tout son système
probatoire et en particulier l’exigence de la preuve" pleine" avant toute déclaration de
culpabilité » 506. Il ajoute comme pour y insister, que le principe, quoique malmené avec
l’usage de la torture, « n’en avait pas moins subsisté tout au long de l’Ancien Régime ». On
le voit, c’est l’étude des preuves pénales dans l’ancien droit qui conduit l’auteur à une telle
conclusion. À propos de la théorie des preuves légales, M. Carbasse avait d’ailleurs déjà fait
observer que, pour les docteurs des droits savants, l’accusé ou le prévenu, doit être a priori
considéré comme innocent 507. C’est la raison pour laquelle ils ne cessaient d’invoquer la
maxime Il vaut mieux laisser un coupable impuni plutôt que de condamner un innocent,
tirée du Digeste. La maxime était, nous rappelle l’auteur, connue et appliquée dès le XIIIe
siècle. Un coutumier orléanais de cette époque estime par exemple que : « mieux est que
l’on laisse à punir les malfaiteurs que l’on condamne ceux qui n’ont rien fait » 508.

L’idée que le principe ne prend pas réellement naissance en 1789 est également présente
dans les jalons que M. Chassaing a proposés pour l’histoire de la présomption d’innocence.
Constatant tout d’abord que : « les français considèrent volontiers avec fierté qu’il s’agit
d’une conquête révolutionnaire baignée par les Lumières » 509, l’auteur poursuit en précisant
que : « l’évolution de la procédure pénale en France à partir du XIIe siècle nous conforte
dans cette idée qui peut paraître inattendue : présomption d’innocence et traitement
inhumain font bon ménage ». L’auteur témoignant d’une parfaite compatibilité entre l’idée
de la présomption d’innocence et celle de la torture, suggère la présence de la présomption
d’innocence dans l’ancien droit, en même temps qu’il dément une rupture historique. Avec
M. Carbasse, M. Chassaing admet enfin volontiers que la théorie des preuves légales, qui
accompagne la généralisation de la procédure inquisitoire au XIIIe siècle, marque l’apogée
d’une certaine conception de la présomption d’innocence.

505
Ce qui n’empêche pas certains auteurs de continuer à représenter la présomption d’innocence comme
manifestant une rupture avec l’ancien droit. Pourtant, l’éminent historien du droit enseigne depuis la
première édition de son ouvrage que la présomption d’innocence ne prend pas racine dans la Déclaration
des droits de l’homme, V. J.-M. CARBASSE, Introduction historique au droit pénal, Paris, PUF, 1990, n°
191 ; adde. Le droit pénal dans la Déclaration des droits, Droits, n° 8, 1988, p. 129.
506
J.-M. CARBASSE, Histoire du droit pénal et de la justice criminelle, op. cit, n° 220.
507
J.-M. CARBASSE, Histoire du droit pénal et de la justice criminelle, op. cit, n° 98.
508
J.-M. CARBASSE, Le droit pénal dans la Déclaration des droits, op. cit., p. 129.
509
J.-F. CHASSAING, Jalons pour une histoire de la présomption d'innocence, op. cit., p. 232.

177
Le discours sur l’objet

162. Rectification du savoir sur l’histoire de la présomption d’innocence. Plus


récemment, un autre auteur semble avoir voulu s’attaquer de front à cette idée de rupture
avec l’ancien droit, idée reçue pendant trop longtemps dans la littérature pénale. Le ton est
donné dès l’abord du propos : l’histoire confuse d’un principe aux contours imprécis ! M.
Bernard dénonce tout d’abord clairement cette « croyance » selon laquelle l’ancien droit
ignorait la présomption d’innocence : « En fait, la présomption d’innocence était un
principe d’origine romaine et médiévale, connu et mis en œuvre par l’ancien droit, sans
qu’il fût nécessaire, contrairement au droit moderne, de la proclamer » et d’ajouter :
« Dans l’ancien droit, l’accusé était nécessairement présumé innocent puisqu’une peine ne
pouvait être prononcée que si la culpabilité était prouvée » 510. M. Bernard entend
convaincre de l’existence lointaine de la présomption d’innocence en citant maints auteurs
ou textes qui, du XIIIe au XVIIIe siècle ont repris la règle du Digeste selon laquelle, Il vaut
mieux laisser échapper un coupable que de condamner un innocent. Ainsi, les premières
réfutations proposées par M. Carbasse ont-elles fait des émules 511. Les précisions ainsi
apportées à l’histoire de la présomption d’innocence encouragent semble-t-il désormais
d’autres chercheurs à approfondir l’histoire méconnue de la présomption d’innocence et au
besoin rétablir une part de sa vérité. Le résultat se laisse entrevoir puisque certains auteurs
se font l’écho de cette rectification du savoir sur la présomption d’innocence en incorporant
directement les « nouvelles connaissances » dans leur discours 512. Enfin dernièrement, c’est
la thèse de M. Henrion qui développe une large critique à l’encontre de « l’illusion bien
française » 513 selon laquelle la présomption d’innocence était inconnue avant les Lumières.
Cet auteur montre qu’au Moyen Âge la présomption d’innocence faisait partie intégrante de
la théorie des preuves légales mais précise qu’elle se présentait en réalité sous la forme
d’une présomption de bonté pour ne devenir présomption d’innocence qu’en 1789 514. M.
Henrion observe bien lui aussi une rupture opérée par la Révolution, mais cette dernière,
avec l’article 9 de la Déclaration, n’aura pas consisté à consacrer la présomption
d’innocence là où elle n’existait pas mais seulement a changé sa signification 515.

La rupture qu’aurait opéré la Révolution entre ancien droit, ignorant la présomption


d’innocence, et droit moderne, la consacrant, s’avère également incertaine lorsqu’on

510
G. BERNARD, Les critères de la présomption d’innocence au XVIIIe siècle : de l’objectivité des
preuves à la subjectivité du juge, op. cit. , p. 36.
511
En effet, M. Chassaing et M. Bernard se sont beaucoup référés aux écrits de Jean-Marie Carbasse pour
attester de l’idée que la présomption d’innocence était tout à fait connue dans l’ancien droit.
512
J.-H. ROBERT, Protection de la présomption d’innocence : J.-Cl. Proc. pén., App. art. 11 ; et
particulièrement, H. BUREAU, La présomption d’innocence devant le juge civil, op. cit.
513
H. HENRION, La nature juridique de la présomption d’innocence, op. cit., n° 15-1.
514
H. HENRION, La nature juridique de la présomption d’innocence, op. cit., n° 152 et s.
515
H. HENRION, La nature juridique de la présomption d’innocence, op. cit., n° 207, p. 330 notamment,
où l’auteur estime qu’avec l’article 9 c’est une nouvelle conception de la présomption d’innocence qui
émerge en tant que droit subjectif défensif.

178
La Révolution : source historique de la présomption d’innocence

s’attache justement aux suites qu’ont eu la Révolution et la Déclaration des droits de


l’homme et du citoyen dans le droit du XIXe siècle.

B- LA CONSÉCRATION DE LA PRÉSOMPTION D’INNOCENCE ET LE SORT DE LA PERSONNE


POURSUIVIE APRÈS LA RÉVOLUTION

163. Une consécration ignorée de la doctrine au XIXe siècle, rappel 516. Cette
consécration de la présomption d’innocence serait, selon le discours doctrinal
contemporain, la suite logique de la Révolution et de l’inscription de la présomption
d’innocence dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Elle attesterait du
changement brutal impliqué par la rupture entre ancien droit et droit pénal moderne. Ici
encore, on rappellera tout d’abord les observations faites à propos de l’absence de la
présomption d’innocence dans le discours doctrinal jusqu’au début du XXe siècle.

Durant le XIXe siècle, les criminalistes étaient pour le moins silencieux quant à
l’existence de la présomption d’innocence. Quasiment aucune allusion n’y a été faite, que
ce soit au titre de la Déclaration des droits de l’homme, de la question de la preuve ou
encore celle de la liberté individuelle. Bentham, qui n’était pas un criminaliste français, fut
le seul à évoquer cette présomption sans pour autant l’étudier. Mais il ne s’agissait, au
moment où nous faisions ces observations, que de rechercher la place de la présomption
d’innocence dans le discours, en recherchant principalement l’emploi de sa formule par les
criminalistes. Désormais, et puisqu’il est évident que bénéfice du doute et présomption
d’innocence entretiennent des liens étroits, on peut se demander si la doctrine traite de la
question du doute favorable faute de traiter à proprement parler de la présomption
d’innocence.

À cet égard, l’observateur se trouve en face d’un paradoxe. En effet, les juristes qui
écrivent et enseignent le droit criminel dans les années suivant la Révolution invoquent bien
peu la règle du doute favorable. La formule « il vaut mieux laisser échapper un coupable
que de condamner un innocent » a disparu des traités de droit criminel. L’idée que le juge
doit prendre le parti le plus doux, décider en faveur de l’accusé lorsqu’il existe des doutes,
ne trouve plus tellement à s’exprimer au XIXe siècle 517. Ainsi, suite à la consécration de la
présomption d’innocence dans la Déclaration des droits de l’homme, les juristes sont pour
ainsi dire muets, aussi bien quant à son existence qu’à ses conséquences 518. Une explication

516
V. supra, n° 67 et s.
517
Toutefois, certains auteurs, à propos du partage des voix en cour d’assises, font une simple mention du
doute favorable, sans autre indication, V. supra, n° 69.
518
Le Seyllier est cependant un auteur plus prolixe que les autres. Posant la question de savoir, en cour
d’assises, « Si les juges se trouvaient en nombre pair et qu’il y eût partage, le doute s’interprèterait-il en
faveur du prévenu, et l’acquittement devrait-il être prononcé ? Cet auteur répond par l’affirmative et
justifie cette solution de la manière suivante : « En effet, c’est un principe fondé sur la justice et sur la
raison, que tout doute doit s’interpréter en faveur du prévenu. Jusqu’à ce qu’on lui ait prouvé sa

179
Le discours sur l’objet

simple permet toutefois de dépasser le paradoxe : contrairement aux anciens auteurs, les
criminalistes modernes ne puisent pas à de multiples sources pour enseigner ce qu’est le
droit criminel. Ils ont désormais des codes (pénal et d’instruction criminelle) à commenter
et à expliquer. Le sens du principe de légalité des délits et des peines se déploie mais aussi
s’achève dans ces textes. Nul recours possible aux formules du Corpus juris civilis de
Justinien pour venir compléter les lacunes des codes. Or, il convient de rappeler que rien
dans ces codes n’exprime la présomption d’innocence.

164. Absence de consécration légale ou jurisprudentielle de la présomption


d’innocence. Il serait vain de vouloir trouver, dans la législation, des traces de la
présomption d’innocence au lendemain de la Révolution de 1789. Dès 1789, mais plus
particulièrement en 1793, loin de consacrer la présomption d’innocence, le droit
révolutionnaire se dote d’une « loi des suspects » afin de lutter contre tous les ennemis
potentiels de la République jacobine 519. Durant cette période trouble de l’histoire qu’est « la
terreur », sont suspects et donc des coupables virtuels, les prêtres qui ont refusé de prêter
serment à la Constitution civile, ceux que l’on présume hostiles à la République ainsi que
les parents et agents d’émigrés. En 1794, « les ennemis du peuple », c'est-à-dire les
adversaires politiques, sont purement et simplement des coupables auxquels la seule peine
applicable est la mort.

L’institution du jury criminel et du système de l’intime conviction en 1791 n’aura pas


davantage pour effet d’introduire la présomption d’innocence dans le droit criminel
intermédiaire. En revanche, on trouve bien dans les dispositions relatives au vote du jury
criminel des traces importantes de la règle du doute favorable. En effet, aussi bien dans la
loi des 16-29 septembre 1791 que dans le Code des délits et des peines du 3 brumaire an IV,
les décisions sont prises par 12 jurés et il est prévu que les décisions défavorables à l’accusé
sont prises à la majorité de 10 voix. Le Code d’instruction criminelle sera moins favorable
en prévoyant une majorité de seulement 7 voix contre 5 pour une condamnation. Toutefois,

culpabilité, le prévenu reste en possession de son innocence ; et comme la preuve de sa culpabilité ne


résulte point du partage entre les juges, la conséquence en est qu’il doit être considéré comme innocent,
et dès lors acquitté ». V. Traité de droit criminel, op. cit., tome III, n° 933.
Quoi qu’il en soit, la justification de l’auteur ne réside pas dans un principe de présomption d’innocence
tiré directement de la Révolution ni d’un adage puisé dans le droit romain. La solution est dictée, on le
voit, par la justice et la raison. Notons enfin que cette solution, qui vaut pour le partage des voix en cour
d’assises, est proposée, quoique le Code d’instruction criminelle n’en dise rien, devant le tribunal
correctionnel. La raison invoquée par Le Seyllier consiste en cela : « La société n’a pas seulement intérêt
à faire punir les coupables, elle a un intérêt, non moins grand, à protéger l’innocence, et à éloigner de
celui qui ne serait pas coupable, une condamnation injuste. Le partage parmi les juges, établissant une
égale présomption pour la culpabilité et pour l’innocence, la société doit s’abstenir de toute continuation
des poursuites, et le législateur doit considérer le prévenu comme innocent».
519
V. J.-M. CARBASSE, Histoire du droit pénal et de la justice criminelle, op. cit, n° 225 : « Les suspects
forment ainsi une catégorie à part, pour laquelle la présomption d’innocence a fait place à une
présomption de culpabilité », écrit l’auteur.

180
La Révolution : source historique de la présomption d’innocence

la règle du doute favorable resurgit en cas de partage égal des voix puisqu’il se résout
nécessairement en un acquittement de l’accusé.

En réalité, si la présomption d’innocence devait trouver une traduction dans le droit


positif, ce serait probablement à travers la seule suppression des jugements de hors de cour
et de plus amplement informé 520. Ces deux institutions ont en effet laissé place à une
véritable autorité de la chose jugée. Reste que la pratique jurisprudentielle a laissé subsister
des traces de ces institutions. En matière correctionnelle, pour laquelle le jury populaire
n’est pas compétent, les magistrats font apparaître une distinction entre les prévenus relaxés
pour insuffisance de preuves et ceux qui le sont parce qu’ils ont été reconnus pleinement
innocents. Si la situation faite à ces deux types d’accusés est finalement identique : ils sont
libérés de l’accusation ; il n’en reste pas moins une différence du point de vue de l’autorité
de la chose jugée au criminel sur le civil. Ainsi, au XIXe siècle certains auteurs persistent-
ils à penser qu’une relaxe au bénéfice du doute prononcée par le juge répressif ne lie pas le
juge civil quant à l’appréciation de la faute 521.

S’agissant de la question de la charge de la preuve, elle incombe sans doute à


l’accusation, mais on ne peut affirmer qu’il s’agit d’une application de la présomption
d’innocence. Rappelons qu’aucun texte pénal ne règle la question, laquelle n’est d’ailleurs
soulevée qu’en doctrine. Les auteurs du XIXe siècle ne s’attachent pas à y répondre. Ils ne
s’y intéressent guère en dehors des spécialistes de la preuve criminelle. Ces derniers
justifient généralement la répartition du fardeau de la preuve par le recours à la règle de
droit commun, l’adage actori incumbit probatio. Quant à la jurisprudence, elle se contente
d’affirmer sans plus de précision que la preuve incombe à l’accusation, c'est-à-dire au
ministère public. Il faut souligner que si le droit criminel ne porte en lui aucune expression
véritable de la présomption d’innocence, la règle selon laquelle il vaut mieux laisser
échapper un coupable que de condamner un innocent est à nouveau invoquée. Cette fois-ci,
ce sont les députés qui y font référence. Demeunier, lors d’une discussion sur l’institution
des jurés rappellera ainsi que : « Le premier principe, en matière criminelle, est qu’il vaut
mieux laisser échapper dix coupables que de punir un innocent » 522.

Duport, à qui l’on doit l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen,
avait également présenté devant l’Assemblée nationale 523ce que devaient être Les principes
fondamentaux de la police et de la justice. On peut lire à l’article 23 de cette proposition

520
Dans l’ancien droit, le plus amplement informé à temps ou indéfini avait pour effet de faire durer le
procès tant que la preuve de la culpabilité n’était pas complètement acquise. Le hors de cour libérait de
l’accusation mais seulement faute de preuve suffisante. Ces deux jugements avaient donc pour effet
d’exprimer juridiquement la permanence des soupçons qui pesaient sur l’accusé. V. infra, n° 307.
521
V. P. HÉBRAUD, L’autorité de la chose jugée au criminel sur le civil, Recueil Sirey, 1929, p. 272 et les
références citées, notamment Mangin et Merlin.
522
A.P. 1790, 7 avril.
523
A.P. 1789, 22 décembre 1789, p. 744 et s.

181
Le discours sur l’objet

que « La société n’a pas le droit de placer un citoyen dans des prisons malsaines ou
incommodes, car un homme prévenu, même accusé, est toujours présumé innocent ». Mais
cette « consécration » est considérablement nuancée par ce qui est dit à l’article 25 :
« L’arrestation provisoire d’un particulier n’est pas plus un attentat à sa liberté
individuelle, que la punition d’un coupable condamné n’est un attentat à sa sûreté. C’est
une condition essentielle du contrat qu’ils ont fait avec la société ». Duport, comme
d’autres auteurs avant lui, ne manque pas de souligner qu’un prévenu est toujours présumé
innocent. De ce point de vue, la rupture est une nouvelle fois difficile à apercevoir. La
consistance de cette présomption d’innocence ne se laisse pas mieux mesurer qu’à l’époque
où quelques auteurs y faisaient allusion avant que l’article 9 ne soit écrit.

S’agissant de la jurisprudence, on ne peut que suivre M. Essaïd lorsqu’il avoue qu’elle


ne consacrera pas la présomption d’innocence avant la moitié du XXe siècle. Ainsi, les
juges ne témoignent pas de l’existence d’un tel principe lorsqu’ils rendent leurs décisions.
On le voit, il est difficile de conclure que la « consécration » de la présomption d’innocence
a produit un changement brutal entre le droit criminel de l’Ancien Régime et celui du XIXe
siècle. Cette rupture est donc douteuse et les justifications qu’en donnent les criminalistes
ne sont pas de nature à dissiper ce doute.

§. 2 L’INCERTITUDE DE LA RUPTURE AU REGARD DES JUSTIFICATIONS DOCTRINALES.

165. Articulation du discours doctrinal. Lorsque la doctrine présente l’histoire de la


présomption d’innocence sur le thème de la rupture, les justifications avancées s’articulent
toutes autour d’une même idée. La justification générale est alors la suivante : la
présomption d’innocence ne pouvait juridiquement exister avant la Révolution. Il s’agit
donc de justifier la consécration de la présomption d’innocence et donc la rupture en 1789
par une impossibilité juridique. Cette justification trouve alors des illustrations dans
l’incompatibilité qui affecterait la relation entre la présomption d’innocence et diverses
institutions en vigueur dans l’ancien droit criminel.

A- L’INCOMPATIBILITÉ ENTRE PRÉSOMPTION D’INNOCENCE ET PROCÉDURE

INQUISITOIRE

166. Défaveur pour l’accusé. La principale justification avancée par la doctrine tient à la
mise en œuvre d’une procédure dite inquisitoire depuis la fin du Moyen Âge. En effet, les
principales raisons invoquées par les auteurs pour affirmer que la présomption d’innocence
ne pouvait exister avant la Révolution sont tirées de règles qui découlent de ce système
procédural. Ce système était tel, dit la doctrine, qu’il excluait purement et simplement

182
La Révolution : source historique de la présomption d’innocence

l’existence de la présomption d’innocence 524. On a alors parfois conclu clairement que seul
le modèle accusatoire, comme celui qui se pérennisait outre-Manche, pouvait véritablement
accueillir la présomption d’innocence. Un auteur explique ainsi que : « Tout homme est
présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable. Cette présomption n’est valable
qu’autant qu’on applique la procédure accusatoire. Elle n’existe pratiquement plus à partir
du moment où l’on s’attache à tirer de l’inculpé des déclarations destinées à le
compromettre. Si on déploie une si pressante ingéniosité pour l’interroger c’est, à
l’évidence, parce qu’on présume qu’il n’est pas innocent » 525.

Le discours doctrinal fait donc référence aux traits les plus saillants du système, ceux qui
sans conteste sont les moins favorables au prévenu. Rappelons à cet effet que la procédure
d’Ancien Régime se caractérisait par les principes suivants : celui du secret, de l’écrit et de
l’absence de contradiction 526. Le magistrat chargé de mener l’instruction préparatoire
détenait alors de redoutables pouvoirs. De l’arrestation à la torture en passant par
l’emprisonnement avant jugement, rien ne paraissait favorable à la personne poursuivie
dans cette manière de conduire les procès criminels.

On peut toutefois faire observer que ni la Révolution, ni les Codes d’instruction


criminelle puis de procédure pénale n’ont instauré dans la procédure pénale française le
système accusatoire. Au mieux peut-on dire qu’une sorte de procédure hybride s’est mise en
place, empruntant le caractère inquisitoire pour la phase préparatoire au jugement et un
caractère nettement plus accusatoire pour le jugement à l’audience. Or, à en croire l’opinion
professée par certains auteurs, l’adoption d’une procédure conservant bon nombre de traits
inquisitoriaux, n’a pas fait obstacle à l’émergence de la présomption d’innocence puisque
cette dernière n’a cessé de caractériser notre procédure criminelle depuis sa consécration en
1789. Le droit positif actuel, qui accueille avec force publicité la présomption d’innocence,
tente d’instaurer une procédure dont les traits dépasseraient l’opposition tranchée entre
accusatoire et inquisitoire pour s’acheminer vers un modèle dit contradictoire527.
Progressivement notre procédure s’est vue injectée des doses supplémentaires
d’accusatoire. Or, la personne poursuivie n’a pas été la seule à en bénéficier. La place de la
victime dans le procès pénal a pris une importance considérable. On serait en droit de se
demander si le rôle procédural qui est désormais reconnu à la partie civile garantit mieux
l’innocence que les pouvoirs qui étaient reconnus au juge d’instruction dans le système

524
M.-J. ESSAÏD, La présomption d’innocence, op. cit., n° 20 à 22.
525
M. GARÇON, La protection de la liberté individuelle pendant l’instruction, Rev.int.dr.pén., 1953, p.
165.
526
Alors qu’à l’exact opposé la procédure accusatoire est publique, orale et contradictoire.
527
Toutefois, la question de savoir si l’on doit opter pour l’accusatoire ou l’inquisitoire continue d’être
régulièrement posée. V. CH. ATIAS, Quelle procédure pénale pour quel droit ? Rev.int.dr.pén., 1997, p.
31.

183
Le discours sur l’objet

inquisitoire. Il n’est pas certain que la personne poursuivie ait plus à craindre du second que
de la première. C’est, de façon plus large, le phénomène de privatisation de l’action
publique qui peut à cet égard inquiéter 528.

La rupture semble moins évidente encore si l’on s’attache aux justifications particulières
de ce discours doctrinal.

B- L’INCOMPATIBILITÉ ENTRE PRÉSOMPTION D’INNOCENCE ET ATTEINTES À LA


LIBERTÉ INDIVIDUELLE

167. Le problème de la détention avant jugement. Le discours doctrinal moderne


s’attache à déduire des atteintes qui étaient portées à la liberté individuelle dans l’ancien
droit, l’impossible existence d’une présomption d’innocence 529. Or, sur ce point également,
il y a lieu de s’interroger. Si ces atteintes à la liberté individuelle, nombreuses avant la
Révolution, ont été dénoncées avec éclat pour diminuer au XIXe siècle et tout au long du
XXe siècle, il semble bien caricatural d’affirmer que l’existence de ces atteintes serait une
preuve de l’ignorance totale de la présomption d’innocence. Le doyen Carbonnier l’avait
d’ailleurs bien démontré, en insistant sur l’absence d’incompatibilité entre la présomption
d’innocence et la détention avant jugement. Cherchant à révéler l’outrance de l’argument
selon lequel la détention préventive frappe indistinctement les non coupables aussi bien que
les coupables, l’auteur expliquait que : « L’argument est encore excessif, lorsque, posant la
question en droit, on prétend que la détention préventive est incompatible avec la
présomption légale d’innocence qui protège tout inculpé. L’ancien droit n’ignorait pas
cette présomption, et il admettait la torture. Un même article de notre Déclaration des
droits présume l’accusé innocent et déclare son arrestation licite. Il n’y a pas
contradiction» 530. On peut à cet égard se souvenir que l’âme généreuse de l’ancien auteur
Pierre Ayrault, ne l’empêchait pas d’admettre la nécessité d’une telle privation de liberté
avant tout jugement déclaratif de culpabilité 531. La détention avant jugement est un mal
nécessaire que l’invocation de la présomption d’innocence peut probablement rendre
exceptionnel et moins douloureux mais qu’elle ne saurait anéantir totalement. On peut enfin
528
J. VOLFF, La privatisation rampante de l'action publique, Procédures 2005, Etude 1. L’Avocat général
à la Cour de cassation va jusqu’à juger que la présomption d’innocence est mise à mal en même temps
que « L'honneur et la tranquillité des personnes et des familles sont ainsi livrés à l'arbitraire de
groupements privés ».
529
M.-J. ESSAÏD, La présomption d’innocence, op. cit., n° 24 et s.
530
Le problème de la détention préventive, op. cit., p. 115. La doctrine pénale semble embarrassée par la
position qu’avait défendue M. Carbonnier à l’aube de sa longue carrière. Dans cette étude, il plaidait pour
une condition juridique neutre de la personne poursuivie. Elle est parfois citée par les auteurs mais elle est
rangée avec les positions doctrinales défavorables à la présomption d’innocence. V. M.-J. ESSAÏD, La
présomption d’innocence, op. cit., n° 96 ; R. LEGEAIS, La présomption d’innocence et les juridictions de
jugement étude comparée du droit français et du droit anglais, in L’innocence, op. cit., p. 54 ; M.-L.
RASSAT, Traité de procédure pénale, op. cit., n°195, note 1, p. 305 ; J. PRADEL, Procédure pénale, op. cit,
12e éd., n° 396.
531
L’ordre, formalité et instruction judiciaire dont les anciens grecs et romains ont usé es accusation
publique, op. cit.

184
La Révolution : source historique de la présomption d’innocence

rappeler que Duport lui-même était loin d’être choqué par les arrestations et la détention
avant jugement. En outre, c’est notre droit positif qui dément très visiblement
l’incompatibilité entre les atteintes à la liberté avant jugement et la présomption
d’innocence. Aujourd’hui, la doctrine continue encore de raisonner sur l’article 9 de la
Déclaration des droits de l’homme et du citoyen pour soutenir l’incompatibilité de ces
atteintes avec la présomption d’innocence. Pourtant, ce texte désormais symbolique, n’a
finalement pour objet que d’organiser, avec l’article 7, les arrestations avant jugement et
non de les proscrire totalement. Il en résulte un discours doctrinal souvent partagé entre
deux considérations : la méconnaissance de la présomption d’innocence par les privations
de liberté avant jugement et le caractère nécessaire, inévitable, de ces privations 532. Hervé
Henrion s’est d’ailleurs récemment attaché à « déconstruire » les propositions doctrinales
affirmant l’incompatibilité de la détention provisoire avec la présomption d’innocence 533.
L’auteur réfute ainsi l’argument selon lequel la détention est contraire à la présomption
d’innocence en ce qu’elle anticipe sur la peine. Il explique que le critère de violation de la
présomption d’innocence réside non pas dans l’anticipation sur la peine mais dans celle de
la culpabilité 534.

168. Permanence des atteintes à la liberté individuelle. Pour terminer, on remarquera que
le législateur du XXIe siècle, bien que désireux de renforcer la présomption d’innocence,
n’a en rien fait disparaître ces atteintes à la liberté individuelle. La personne poursuivie,
bien qu’elle jouisse de garanties et de droits accrus en la matière 535, peut être soumise à
toutes sortes de mesures qui, de près ou de loin, portent indéniablement atteinte à sa
liberté 536. L’évolution du droit positif à travers les siècles montre que les atteintes à la

532
Mlle Massol illustre bien ce trait particulier du discours doctrinal. Une partie entière de son travail est
consacrée à ce thème. L’auteur y pose tout d’abord le principe, selon lequel, détention avant jugement et
mesures de garde à vue constituent des atteintes à la présomption d’innocence. Puis, conduite à
reconnaître au fil de ses développements que ces privations de liberté sont indispensables à la
manifestation de la vérité, elle conclut finalement à une compatibilité entre privation de liberté avant
jugement et présomption d’innocence, V. MASSOL, La présomption d’innocence, op. cit., n° 261 à 309.
533
H. HENRION, La nature juridique de la présomption d’innocence, op. cit., n° 474 et s.
534
H. HENRION, La nature juridique de la présomption d’innocence, op. cit., n° 475-2. L’auteur tire
argument des textes consacrant la présomption d’innocence qui se réfèrent à la déclaration ou à
l’établissement de la culpabilité
535
Que l’on songe par exemple à la présence de l’avocat dès la première de la garde à vue (article 63-4 du
CPP) ou encore à l’institution du juge des libertés et de la détention en matière de détention provisoire
(article 137-1 du CPP).
536
Les mandats d’amener et d’arrêt décernés par le juge d’instruction en vertu des alinéa 5 et 6 de l’article
122 du CPP demeurent des mesures fortes et emblématiques de la contrainte que l’autorité judiciaire peut
exercer à l’encontre des personnes présumées innocentes. Toujours au stade de l’instruction, les
restrictions qui peuvent être instaurées dans le cadre du contrôle judiciaire ordonné à l’encontre de la
personne poursuivie (article 138 du CPP) sont nécessairement moins attentatoires à sa liberté que la
détention provisoire. Le contrôle judiciaire, même s’il est préféré à la détention par les juges
d’instruction, demeure contraignant et à ce titre attentatoire à la liberté individuelle. Enfin, que dire du
bracelet électronique ? introduit en France pour se substituer dans certains cas à la peine
d’emprisonnement, ce procédé technique a récemment été étendu à la phase antérieure au jugement
définitif par un Décret n° 2004-243 du 17 mars 2004 relatif au placement sous surveillance électronique
et modifiant le Code de procédure pénale. Ainsi, en vertu de l’article R.57-31 du CPP, la personne mise

185
Le discours sur l’objet

liberté au cours de la procédure n’ont jamais cessé d’exister, en même temps que la
présomption d’innocence était affirmée, et même réaffirmée au plus haut niveau de la
hiérarchie normative. Force est bien de conclure qu’il n’y a pas, d’un point de vue juridique,
d’incompatibilité ou de contradiction dans le système juridique qui admet la coexistence
d’un principe de présomption d’innocence et de règles portant atteinte à la liberté
individuelle. Il résulte que l’idée de rupture, véhiculée par le discours doctrinal
contemporain, s’en trouve même démentie.

C- L’INCOMPATIBILITÉ ENTRE PRÉSOMPTION D’INNOCENCE ET TORTURE

169. Question et présomption de culpabilité. Les auteurs expliquent souvent que la


présomption d’innocence était inconnue de l’ancien droit parce que celui-ci admettait la
torture 537 et l’avait même légalisée en organisation la fameuse question 538. Les esprits
réformateurs du XVIIIe siècle avaient largement mit l’accent sur l’incompatibilité entre une
telle pratique et le fait que l’accusé était présumé innocent. Il suffit de se souvenir des
propos si convaincants de Beccaria. En effet, à cette époque, la question, qui consiste à
torturer l’accusé pour lui faire avouer son crime ou dénoncer ses complices lorsqu’il existe
des indices mais pas de preuve suffisante, se montre à la fois barbare, inutile et injuste.
Barbare parce qu’elle consiste à infliger toutes sortes de souffrances physiques
insupportables dont les séquelles sont souvent graves. Inutile parce qu’il s’est avéré qu’elle
n’était pas apte à remplir sa fonction. On s’est persuadé que les innocents faibles ou d’une
constitution fragile avouaient des crimes qu’ils n’avaient pas commis dans le seul but
d’abréger leurs souffrances alors qu’en revanche des coupables robustes pouvaient endurer
ces souffrances, nier leur crime et ainsi échapper à la condamnation. Injuste enfin, car cette
torture était tout à fait assimilable à l’infliction d’une peine alors même que l’accusé n’avait
pas encore été condamné. On a là encore estimé que le juge qui appliquait la question afin
d’obtenir un aveu et donc la preuve complète de la culpabilité, présumait nécessairement
cette culpabilité, sans quoi la question n’aurait pas eu d’objet. Or cela peut effectivement se
concevoir puisque la question ne pouvait être ordonnée que s’il existait déjà de forts indices
de culpabilité et qu’elle n’avait pour but que de satisfaire à l’exigence d’une preuve pleine
et entière telle qu’exigée par le système des preuves légales. Pour autant, la disparition de la

en examen et placée sous contrôle judiciaire peut désormais, à tout moment, être soumise à ce procédé.
On a bien voulu par là réduire la contrainte exercée à l’encontre de la personne qui n’a pas encore été
condamnée. Mais la mise en place de ce bracelet ne peut être perçue avec indifférence au regard de la
liberté individuelle et de la dignité, une atteinte moins grave demeurant toujours une atteinte.
537
Par exemple, J. DÉCAMPS, La présomption d'innocence, entre vérité et culpabilité, op. cit., p. 5-6 ; A.
TONGLET, La présomption d'innocence et les présomptions en droit pénal, op. cit., n° 30-32. R.
BADINTER, La présomption d’innocence, histoire et modernité, op. cit., p. 134-136.
538
V. J.-M. CARBASSE, Histoire du droit pénal et de la justice criminelle, op. cit, n° 99 pour l’appariton
de la Question ou plutôt sa réapparition ; n° 100-101 pour son application pratique et n° 108 pour sa
consécration dans l’Ordonnance criminelle de 1670.

186
La Révolution : source historique de la présomption d’innocence

torture dans le droit pénal moderne n’atteste pas véritablement de la rupture et ne permet
pas de dire qu’elle était une condition de l’apparition de la présomption d’innocence.

170. Le doute sur l’incompatibilité. Tout d’abord, les historiens du droit on su montrer
que la coexistence de la torture et de la présomption d’innocence était bien réelle dans
l’ancien droit, la première n’anéantissant pas nécessairement la seconde. Les auteurs
expliquent tout d’abord que c’est en vertu de cette présomption d’innocence que la théorie
des preuves légales a été élaborée 539, c'est-à-dire dans un but de protection de l’accusé. La
torture ne s’analysant alors que comme une conséquence paradoxale de l’exigence d’une
preuve pleine et entière. Ensuite, de fait, les deux institutions ont finalement coexisté
longtemps dans le droit positif de l’ancien droit avant que les esprits sensibles dénoncent
fortement la torture. Ainsi, la torture est intimement liée à la recherche de l’aveu qui lui-
même est une conséquence à la fois du système des preuves légales et de la procédure
inquisitoire.

Ensuite, si juridiquement la Révolution a rompu avec ces deux institutions, en pratique


l’aveu a conservé beaucoup de son intérêt pour les autorités de poursuite qui continuent de
chercher à l’obtenir, fut-ce par des moyens qui portent atteinte soit à l’intégrité physique de
la personne soupçonnée, soit à sa liberté 540. N’a-t-on pas dénoncé ces placements en
détention préventive décidés par des magistrats instructeurs désireux de « faire pression »
sur la personne poursuivie pour qu’elle avoue ? La torture connue sous l’Ancien Régime a
bien disparu, mais il n’est pas certain qu’aucune souffrance ne soit infligée durant le procès
pénal moderne. Il s’agit certes d’autres formes de souffrance mais elles sont tout aussi
inquiétantes et insoutenables dans un siècle dont le seuil de tolérance est bien moindre
qu’autrefois 541. On se demande alors comment éviter cela, on rappelle le principe dit « de la
présomption d’innocence », mais on ne nie pas son existence pour autant. Au contraire,
chacune des atteintes constitue un argument de plus pour solliciter le renforcement du
principe.

Ainsi, le discours doctrinal justifie la rupture dont serait issue la présomption


d’innocence par des arguments qui ne tiennent pas vraiment. L’impossibilité de voir

539
V. J.-M. CARBASSE, Histoire du droit pénal et de la justice criminelle, op. cit., et J.-F. CHASSAING,
Jalons pour une histoire de la présomption d'innocence, op. cit.
540
À cet égard, on peut par exemple évoquer la condamnation de la France par la Cour EDH dans
l’affaire Selmouni. M. Selmouni, placé en garde à vue pour trafic de stupéfiant s’était plaint d’avoir fait
l’objet de sévices de la part des policiers. Par un arrêt du 28 juillet 1999, la Cour condamnait la France, à
l’unanimité de ses membres, pour violation de l’article 3 de la Convention, autrement dit pour torture et
traitements inhumains et dégradants.
541
Que l’on songe, parmi tant d’autres affaires, aux souffrances morales et matérielles des personnes
injustement accusées et détenues dans le procès d’Outreau. Il y a probablement dans ces souffrances,
consécutives à la perte d’emploi, de logement, à la désagrégation des liens familiaux et sociaux, de
nouvelles formes de torture, propres au XXIe siècle. V. notamment, B. HOPQUIN, Les vies ruinées
d’Outreau, Le Monde, 24 mai 2004.

187
Le discours sur l’objet

prospérer la présomption d’innocence dans le droit antérieur à la Révolution n’est pas


démontrée puisque les arguments avancés restent aujourd’hui valables sans que la
présomption d’innocence puisse voir son existence remise en cause. La rupture n’est pas
davantage avérée lorsqu’on observe la situation née de la Révolution. La Révolution n’est
donc pas une source historique très certaine de la présomption d’innocence. Cette datation
est inexacte car elle procède d’un parti pris. L’étude de cette notion supposait d’exposer son
origine et il faut bien admettre que la Révolution et la Déclaration des droits de l’homme
étaient commodes. Mais la rupture de laquelle serait née la présomption d’innocence ne
peut pas s’interpréter comme une fidèle description de l’évolution du droit. Il y a une large
part de construit dans cette façon de dater la naissance de la présomption d’innocence. On
peut alors juger que la rupture alléguée est artificielle.

188
La Révolution : source historique de la présomption d’innocence

SECTION 2 : LE CARACTÈRE ARTIFICIEL DE LA RUPTURE

171. Artifice du rattachement de la présomption d’innocence à la Révolution. Le


discours doctrinal sur la présomption d’innocence s’est donc, en partie, construit à partir de
ce rattachement de la présomption d’innocence à la Déclaration des droits de l’homme et du
citoyen. Ce rattachement n’est pourtant pas aussi évident que la doctrine le laisse penser.
Au-delà de l’inexactitude de cette affirmation, plusieurs éléments permettent même de juger
qu’elle est artificielle. L’artifice apparaît tout d’abord lorsqu’on s’aperçoit que le
rattachement de la présomption d’innocence à la Déclaration des droits de l’homme et du
citoyen n’est rendu possible qu’au prix d’une sélection des sources historiques au seul profit
de la période révolutionnaire. L’histoire de la présomption d’innocence écrite par la
doctrine procède en réalité d’un oubli des origines plus lointaines de la règle présumant
l’innocence (§1). L’artifice apparaît en outre lorsque la doctrine présente la Déclaration
comme la source formelle de la présomption d’innocence (§2).

§. 1 L’OUBLI DES ORIGINES

172. Origines et réécriture de l’histoire. Si la formulation d’une certaine présomption


d’innocence par les constituants de 1789 ne semble en rien opérer une rupture, c’est que le
droit français connaissait déjà l’idée qui a été incidemment inscrite dans la Déclaration.
C’est bien ce que suggèrent, avec plus ou moins de précision, plusieurs études historiques
affirmant que l’on trouve trace de la présomption d’innocence au Moyen Âge 542. D’ailleurs,
Damhoudère de Bruges, héritier de la tradition du droit criminel médiéval, n’écrivait-il pas
dans son lexique juridique au mot innocent que : « est présumé innocent celui dont la
culpabilité n'est pas prouvée » 543? Or, si la présomption d’innocence n’était pas ignorée à
cette époque là, rien n’interdit de penser qu’elle pourrait même avoir des origines plus
lointaines encore. En tout état de cause, en datant la présomption d’innocence de la
Révolution française, les criminalistes du XXe siècle ont tout simplement attribué et non pas
découvert une source historique à leur objet d’étude. Pour nous enseigner l’histoire de la
présomption d’innocence, la doctrine a donc procédé par oubli, celui des origines et de la
littérature dans laquelle, au fond, la présomption d’innocence n’a peut-être jamais cessé
d’être invoquée. Mais comment retrouver la trace de la présomption d’innocence alors
même qu’elle ne trouve à s’exprimer véritablement qu’à compter du XXe siècle ? Nous
proposerons ici d’emprunter des chemins détournés qui pourraient être utiles à la

542
V. Les études de MM. Carbasse, Chassaing, Badinter et Henrion, supra, n° 161.
543
«Innocens praesumitur cujus nocentia non probatur », Sententiae selectae pertinentes ad materiam...
rerum criminalium, Anvers, 1601, p. 83. Nous remercions le professeur Jean-Marie Carbasse de nous
avoir communiqué cette précieuse référence.

189
Le discours sur l’objet

découverte de certaines racines de la présomption d’innocence (A). Cela étant, l’existence


de sources plus lointaines, ignorées, et l’affirmation d’une rupture historique incertaine,
laissent à penser que la doctrine criminaliste a procédé à une réécriture de l’histoire de la
présomption d’innocence (B).

A- RECHERCHE DES ORIGINES

173. À travers l’origine du doute favorable. Comme nous l’avions déjà évoqué, la
doctrine associe très étroitement le principe de la présomption d’innocence à la règle du
doute favorable. Parfois même, les auteurs ont pris l’habitude d’associer la présomption
d’innocence à l’adage in dubio pro reo au point que le second exprimerait la première.
S’enquérir de l’origine de la règle du doute favorable pourrait être une piste fructueuse pour
retrouver les racines de la présomption d’innocence. Le discours doctrinal invite lui-même à
s’intéresser à l’adage in dubio pro reo si souvent évoqué. C’est alors en prenant la
chronologie historique à rebours que l’on sera ensuite amené à évoquer le droit romain.

1) Genèse de l’adage in dubio pro reo

174. Présomption d’innocence et « in dubio pro reo ». Le plus souvent, l’adage in dubio
pro reo est présenté comme un corollaire de la présomption d’innocence 544. Toutefois,
certains auteurs vont jusqu’à assimiler les deux règles, l’adage in dubio pro reo devenant
alors l’expression même de la présomption d’innocence 545. Cela autorise donc à rechercher
l’origine de la présomption d’innocence en prenant pour point de départ l’origine de cet
adage. Or, l’histoire, la source, de in dubio pro reo, et donc de la règle qu’il exprime, n’est
jamais précisée par la doctrine. Seule sa signification est indiquée : le doute profite à
l’accusé. Pourtant, les auteurs de droit pénal l’emploient très fréquemment. D’ailleurs, sa
traduction française figure désormais dans le Code de procédure pénale à l’article 304 qui
énonce le serment des jurés en cour d’assises 546.

175. In dubio pro reo dans la littérature française. La formulation de cet adage en latin ne
doit pas faire illusion. Il paraît tout à fait improbable qu’il nous ait été transmis par le droit
romain et il y aurait contradiction à affirmer que la présomption d’innocence a été inventée
au XVIIIe siècle en l’exprimant par une formule beaucoup plus ancienne. S’il est vrai que
« l’origine des adages reste le plus souvent inconnue » 547, quelques indications ont pu être

544
« L’adage in dubio pro reo s’analyse traditionnellement comme l’évident corollaire de la présomption
d’innocence » : M.-C. NAGOUAS-GUÉRIN, Mythe et réalité du doute favorable en matière pénale,
Rev.sc.crim., 2002, p. 283.
545
En réalité, il existe à l’égard des rapports qu’entretiennent la présomption d’innocence et la règle in
dubio pro reo, une incertitude dans le discours doctrinal. V. infra, n° 298 et s.
546
« Vous jurez et promettez de (…) vous rappeler que l’accusé est présumé innocent et que le doute doit
lui profiter… ». Jusqu’à cette insertion par la loi du 15 juin 2000, la règle du doute favorable n’était pas
exprimée dans la loi pénale.
547
A. LAINGUI, Les adages du droit pénal, Rev.sc.crim., 1986, p. 26.

190
La Révolution : source historique de la présomption d’innocence

données ici ou là. Il faut cependant admettre que même les historiens du droit semblent
s’être assez peu intéressés à l’origine de la formule.

In dubio pro reo étant une locution latine, il convient tout d’abord de recourir à
l’ouvrage consacré à la matière par MM. Roland et Boyer. Or, on pourra s’étonner de n’y
trouver aucune entrée correspondant à in dubio pro reo. Dans l’ouvrage Locutions latines et
adages du droit français contemporain qu’ils font paraître en trois volumes, c’est seulement
dans le deuxième 548 que l’on peut trouver une entrée à l’adage « le doute profite à
l’accusé». Ainsi les auteurs semblent-ils ne pas connaître l’expression in dubio pro reo qui
est pourtant d’usage courant. S’agissant de la règle selon laquelle le doute profite à l’accusé,
MM. Roland et Boyer y voient un corollaire nécessaire et indispensable au principe de la
présomption d’innocence. Quant à ses origines, les auteurs estiment que la règle prend
naissance dans l’ancienne jurisprudence 549 et expliquent que l’ancien droit connaissait la
présomption d’innocence (donc le bénéfice du doute) mais de façon plus métaphysique que
juridique. On se rappelle d’ailleurs que le bénéfice du doute était souvent invoqué par les
auteurs du XVIIIe siècle qui ignoraient cependant la formule in dubio pro reo. On peut dès
lors supposer que la formulation de cet adage est postérieure à la formulation de la règle du
doute favorable.

Cette hypothèse est confirmée à deux reprises par M. Laingui. C’est néanmoins de façon
très incidente que cet éminent historien du droit renseigne sur l’origine de in dubio pro reo.
Tout d’abord dans son étude sur les adages du droit pénal 550 puis quelques temps plus tard
dans la réflexion qu’il avait menée sur la poésie du droit à travers des adages. Dans cette
seconde étude 551, l’auteur explique que le XIXe siècle nous a laissé un petit nombre
d’adages, parmi lesquels il vient à citer in dubio pro reo. Les juristes n’en diront pas
davantage sur son origine. Cette dernière mais aussi sa signification juridique exactes
demeurent largement inconnues en France. En réalité, c’est vers la science juridique
allemande qu’il faut se tourner pour approfondir la question.

176. In dubio pro reo dans la littérature allemande. On découvre avec une certaine
surprise que chez nos voisins d’outre-Rhin, in dubio pro reo est un adage très célèbre et
qu’il constitue la matière de nombreux ouvrages et articles. Parmi ceux qui semblent les

548
H. ROLAND et L. BOYER, Locutions latines et adages du droit français contemporain, Lyon,
L’Hermès, 1977-1979. Le premier volume est consacré aux locutions latines, le deuxième aux adages des
lettres A à L et le dernier aux adages des lettres M à Z.
549
Cette datation signifie, selon les indications données par les auteurs en début d’ouvrage, que l’adage
avait cours dans la pratique et la doctrine de l’ancien droit médiéval et monarchique, sans qu’il soit
toutefois possible de le dater avec précision ni de l’attribuer nommément à tel auteur.
550
A. LAINGUI, Les adages du droit pénal, op. cit., p. 29.
551
A. LAINGUI, L’adage, vestige de la poésie du droit, in J.-L. HAROUEL (dir.), Histoire du droit social,
mélanges en hommage à JEAN IMBERT, Paris, PUF, 1989, p. 346.

191
Le discours sur l’objet

plus importants on peut signaler celui de Walter Stree 552, dont la parution n’était pas passée
totalement inaperçue en France puisqu’il avait fait l’objet d’une note bibliographique à la
revue de sciences criminelles et qu’il était cité par M. Essaïd. Puis ce sont les années quatre-
vingt qui ont vu paraître plusieurs études sur la règle in dubio pro reo. En 1985, Axel
Montenbruck y consacre une réflexion approfondie 553. Ici, le professeur de droit tente
d’exposer la genèse et l’application plus ou moins problématique de la règle, aussi bien du
point de vue théorique (dans la pensée juridique allemande) que dans le droit positif
allemand 554. Concernant l’origine de l’adage, qui en Allemagne est plutôt nommé
« principe », Montenbruck renvoie à une étude portant spécialement sur cette question.

En effet, en 1965 Peter Holtappels avait proposé de retracer le développement historique


du principe in dubio pro reo 555. Ses recherches lui ont permis d’attribuer le premier usage
de cet adage à un auteur allemand de la première moitié du XIXe siècle. In dubio pro reo est
ainsi utilisé pour la première fois par le criminaliste Stübel alors qu’il cherchait à
développer une théorie de la preuve 556. L’auteur posait la question de savoir quelle décision
devait être prise lorsque le juge se trouvait en présence d’une preuve de culpabilité
administrée par l’accusation, mais également d’une preuve contraire fournie par l’accusé.
Stübel estime que, dans cette hypothèse, il y a doute et qu’il faudra décider en faveur de
l’accusé. C’est alors que pour justifier cette solution l’auteur formule l’adage in dubio pro
reo 557. Holtappels s’est alors demandé si Stübel avait inventé la formule ou s’il l’avait
empruntée à un autre auteur. Il semblerait que ce criminaliste ait utilisé la fin d’un fragment
de Paul contenu dans le Digeste et dans lequel figure l’expression « pro reo ». Quant à la
première partie de l’adage, « in dubio », elle serait de Stübel lui-même 558. Stübel faisait
partie des auteurs qui, au XIXe siècle, ont combattu la pratique des juridictions allemandes
que l’on appelle « les peines ou pénalités du soupçon » 559. Vraisemblablement, les
juridictions prononçaient des peines lorsqu’elles disposaient d’indices de culpabilité sans
avoir une véritable preuve. Autrement dit, les cours et tribunaux prononçaient des
condamnations en cas de doute sur l’innocence 560. Cette étude de Holtappels ne permet pas
seulement de dater la formulation de l’adage et de l’attribuer nommément à un auteur, elle

552
W. STREE, In dubio pro reo, Tübingen, J.C.B. Mohr, 1962.
553
A. MONTENBRUCK, In dubio pro reo, Berlin, Duncker & Humblot, 1985. Pour se convaincre de
l’importance de la littérature allemande sur ce sujet, on peut par exemple consulter la bibliographie citée
par Montenbruck, p. 200-212.
554
V. infra, n° 300, pour un aperçu des recherches de cet auteur.
555
P. HOLTAPPELS, Die entwicklungsgeschichte des grundsatzes « in dubio pro reo », Hamburg, Cram, de
Gruyter & Co, 1965.
556
STÜBEL, Das criminalverfahren in den deutschen Gerichten, 5 volumes, Leipzig, 1811.
557
P. HOLTAPPELS, Die entwicklungsgeschichte des grundsatzes « in dubio pro reo », op. cit., p. 81-82.
558
P. HOLTAPPELS, Die entwicklungsgeschichte des grundsatzes « in dubio pro reo », op. cit., p. 82-83.
559
P. HOLTAPPELS, Die entwicklungsgeschichte des grundsatzes « in dubio pro reo », op. cit., p. 81.
560
Il s’agissait là d’une manifestation de l’absolutio ab instantia qui n’avait à l’époque pas encore disparu
de la procédure criminelle allemande, V. infra, n° 307.

192
La Révolution : source historique de la présomption d’innocence

invite en outre à en retrouver l’origine lointaine dans la règle du doute favorable qu’avait
énoncée le droit romain.

2) Les règles tirées du Corpus Juris civilis

177. Le bénéfice du doute dans le Digeste. Il est certain que le Corpus juris civilis de
Justinien n’exprimait pas notre adage. Toutefois, on sait déjà que le Digeste, dans le titre
XIX De poenis du Livre XLVIII avait accueilli le rescrit de l’empereur Trajan à Assiduus-
Sévère. Ce dernier, annoté en marge par l’indication : De absente, suspicionibus, énonce
qu’on ne doit pas condamner quelqu’un sur des soupçons au motif que, il vaut mieux laisser
impuni le crime d’un coupable que de condamner un innocent : Satius enim esse impunitum
relinqui facinus nocentis, quam innocentem damnare. Il est donc déjà ici question du doute
à travers l’idée du soupçon.

Mais la question particulière du doute est également abordée, pour elle-même, dans la
compilation de Justinien. En effet, le Digeste comporte un titre XVIII (livre L) consacré à
l’explication des règles du droit ancien et intitulé : De diversis regulis juris antiqui. Dans
cette partie du Corpus juris civilis se trouve ainsi énoncée une loi de Gaïus selon laquelle :
Semper in dubiis benigniora praeferenda sunt. Le droit romain prescrivait donc
expressément que « dans les affaires douteuses il faut toujours prendre le parti le plus
doux ». D’ailleurs, comme l’avait souligné M. Laingui en lisant Paul, cette partie du Digeste
rassemble pour l’essentiel des règles énoncées brièvement, donc sous forme d’adage 561.
Étonnamment, l’existence de cette formule du Digeste reste ignorée des auteurs modernes.
Elle présente pourtant une réelle importance dans la mesure où elle semble avoir traversé
les siècles en inspirant des formules ou des solutions très voisines et qui sont invoquées tant
par les auteurs du droit savant que par ceux du droit canonique.

178. La redécouverte du droit romain au Moyen Âge. On peut ainsi signaler en premier
lieu la position de saint Thomas d’Aquin. Car, abordant la question du jugement, il pose la
question suivante 562 : Le doute doit-il être interprété favorablement ? S’agissant du
jugement des hommes (et non des choses) saint Thomas répond, en se fiant à la Glose, que
les doutes doivent être interprétés en bonne part 563. Cette solution sera reprise, cinq siècles
plus tard, par les criminalistes français. Jousse écrivait en effet que les crimes ne se
présument point et qu’ils doivent être prouvés. Il en tirait alors la conséquence que dans le

561
V. A. LAINGUI, Les adages du droit pénal, op. cit. , p. 26, notes 2 et 3.
562
Somme théologique, IIa-IIae, question 60, article 4. V. Somme théologique, trad. A.-M. ROGUET, Paris,
éd. du Cerf, volume 3, 1985.
563
Il justifie ainsi sa réponse : celui qui a une mauvaise opinion du prochain sans motif suffisant est
injuste et méprisant envers lui. Or, nul ne doit mépriser autrui dit-il. Et il conclut ainsi : tant que des
indices de perversité ne sont pas évidents chez un homme, nous devons le tenir pour vertueux et
interpréter en bonne part tout ce qui est douteux.

193
Le discours sur l’objet

doute il faut toujours interpréter l’action de l’auteur en bonne part 564. Mais la solution
proposée par saint Thomas d’Aquin demeure incomplète. Au XVIe siècle, le théologien et
juriste Francisco de Vitoria, soulèvera cette difficulté en demandant quelle suite donner à
l’interprétation en bonne part préconisée par saint Thomas 565. En effet, faut-il seulement
s’abstenir de condamner lorsqu’il y a place pour le doute, ou faut-il aller plus loin et
affirmer l’innocence ? La question est d’importance, car elle tend à différencier le simple
bénéfice du doute de la preuve positive d’innocence. Or, aujourd’hui, la question n’est
toujours pas tranchée par les pénalistes. Elle révèle la difficulté à connaître la signification
juridique que la doctrine attribue à la présomption d’innocence566.

Quoi qu’il en soit l’adage in dubio pro reo puise son origine lointaine dans la règle
Semper in dubiis benigniora praeferenda sunt du Digeste. Cette origine a donc traversé les
siècles grâce à une redécouverte du droit romain. Le droit canonique en témoigne
parfaitement, mêlant des références au Digeste et à saint Thomas. C’est le cas des
Décrétales du Pape Grégoire IX 567 qui comportent un titre XLI au livre V intitulé De
regulis iuris rappelant ainsi la partie du Digeste portant le même titre. Or, on trouve
exprimée à cet endroit des Décrétales, la règle suivante : dubia in meliorem partem
interpretari debent accompagnée d’une référence à la Somme théologique de saint Thomas
d’Aquin. Au XVIIIe siècle on trouve toujours la même référence dans un dictionnaire de
droit canonique comportant une entrée au mot doute où la règle suivante est énoncée : dubia
in meliorem partem sunt interpretenda. L’auteur explique qu’elle s’applique
particulièrement en matière de peine sous la forme : in dubiis pro reo judicandum est 568.
Pour l’application de cette règle, il renvoie également aux questions d’interprétation lorsque
les cas sont douteux 569.

Ces exemples montrent bien que la règle du doute favorable prend racine dans le droit
romain et ne cesse d’être invoquée au fil des siècles mais au gré de différentes
reformulations. In dubio pro reo ne serait alors que l’ultime reformulation de cette règle à
une époque où la science du droit allemande cherchait des arguments pour écarter les
condamnations fondées sur des soupçons ou pour écarter la pratique de l’absolutio ab

564
C’est la première règle particulière pour l’examen de la preuve énoncée par Jousse, Traité de la
justice criminelle de France, op. cit., t. II, p. 580.
565
F. DE VITORIA, De iustitia. Commentarium in Secundum Secundae, q. 60, art. 4 (1535).
566
Voir infra, titre 2, chapitre 1.
567
(1170-1241). Decretales D. GREGORII PAPAE IX, Lugduni : De licentia Dom. Nostri Gregorii XIII
Pont. Max (1584).
568
DURAND DE MAILLANE, Lyon, 1776, tome II, p. 396.
569
« Lorsque le droit des parties paraît obscur et embarrassé, il faut incliner plutôt en faveur du
défendeur, qui combat pour ne point perdre, qu’en faveur du demandeur, qui cherche à gagner : c’est en
conséquence du même principe, qu’en matière criminelle, on doit toujours pencher vers la douceur, et se
déterminer pour le parti le plus doux », Dictionnaire de droit canonique et de pratique bénéficiale, op.
cit., tome III, p. 376.

194
La Révolution : source historique de la présomption d’innocence

instantia 570. On aura toutefois remarqué que le plus souvent la règle du doute favorable,
qu’exprime aujourd’hui l’adage in dubio pro reo, est également associée à l’adage tiré du
rescrit de Trajan : Il vaut mieux laisser échapper un coupable que de condamner un
innocent. Or, à partir du XIXe siècle cet héritage romain semble avoir cessé de se
transmettre, en tout cas sous cette forme 571.

B- LA RÉÉCRITURE DE L’HISTOIRE

1) Modalités de la réécriture

179. Le choix d’une histoire. L’oubli des origines lointaines et l’affirmation qu’elle est née
de la fameuse rupture de 1789, sont bien deux tendances du discours doctrinal sur la
présomption d’innocence. Ces deux éléments montrent que l’histoire de la règle que nous
connaissons aujourd’hui, à travers la littérature juridique des XXe et XXIe siècle, est une
histoire façonnée, construite, arrangée, enjolivée peut-être. Elle n’est en tout cas pas le
fidèle reflet de l’évolution de notre droit. Elle procède de choix dont on ne sait s’ils sont
bien conscients, mais dont la réalité est elle bien certaine. Il n’est pas totalement impossible
de voir dans la Révolution une source de la présomption d’innocence. Mais alors, il
conviendrait de justifier davantage cette origine au regard des sources plus anciennes.
Pourquoi plutôt la Révolution que le droit romain ? La réponse à cette question, assez
délicate, passe probablement par l’explication de ce que l’on entend par présomption
d’innocence. Selon la signification juridique que l’on reconnaît à la présomption
d’innocence, ses origines peuvent s’avérer différentes.

180. La cessation de toute référence au droit romain à la fin du XIXe siècle. Les
criminalistes de la première moitié du XXe siècle, Garraud, Roux, Vidal ou encore
Donnedieu de Vabres ont tous affirmé non seulement l’existence de la présomption
d’innocence mais aussi invoqué l’adage in dubio pro reo. Aucun de ces auteurs n’a
cependant laissé entrevoir de justification historique de ces affirmations. Ainsi, en même
temps que l’expression présomption d’innocence est introduite dans la littérature juridique

570
L’absolutio ab instantia était une institution de la procédure pénale du ius commune comparable à la
mise hors de cour que pratiquait le droit français depuis le XVIe siècle. Elle intervenait en cas de preuve
insuffisante contre l’accusé. Elle n’a disparu en Allemagne qu’à la fin du XVIIIe siècle. V. M.
SCHMOECKEL, L’absolutio ab instantia. Son développement en Europe et ses implications
constitutionnelles, Revue d’histoire des facultés de droit et de la science juridique, n° 19-1998, p. 171.
571
Il était passé chez certains philosophes du droit naturel. Ainsi, chez Pufendorf, après qu’il a lu Grotius.
Dans un chapitre sur l’entendement humain par rapport aux actions morales : « Dans les choses de
grande conséquence, lors qu’on voit de part et d’autre des raisons vraisemblables, il faut prendre le parti
le plus sûr, c'est-à-dire, celui d’où, en cas que l’on se trompe, il ne saurait arriver un mal aussi fâcheux,
que celui qui pourrait suivre l’erreur de l’autre côté » Pufendorf assortit ce propos de la note suivante :
« Par exemple, s’il s’agit de perdre quelqu’un, il vaut mieux risquer de laisser échapper un criminel, que
de punir un innocent », et l’auteur de rappeler qu’il s’agissait de la décision de l’Empereur Trajan. S.
PUFENDORF, Le droit de la nature et des gens, trad. J. BARBEYRAC, Centre de philosophie politique de
l’Université de Caen, 1987, tome I, p. 43.

195
Le discours sur l’objet

française, cesse toute référence directe ou indirecte aux adages romains, au profit du seul
adage in dubio pro reo formulé par le criminaliste allemand Stübel.

On peut alors se demander comment l’usage de cet adage dans la littérature juridique
française a été rendu possible. L’hypothèse d’une influence directe des auteurs allemands
semble devoir être écartée. En dehors du criminaliste Mittermaier, qui ne semble pas avoir
fait grand usage de cet adage dans son ouvrage sur la preuve criminelle, les juristes
allemands ne sont pas très consultés par les auteurs français. En revanche, l’hypothèse
d’une transmission indirecte par le criminologue italien Enrico Ferri serait à privilégier. À
cet égard, il faut se souvenir qu’après avoir admis que la présomption d’innocence et la
règle plus générale in dubio pro reo avaient une base positive, Ferri offrait un passage
particulièrement critique : « La présomption d'innocence (…) n’est en effet qu’un
aphorisme juridique qui s’est bien éloigné de la réalité primitive, d’où il tirait son origine
par ce procédé de momification et de dégénération des regulae juris qu’a signalé Savioli, et
qui n’est qu’un cas spécial de cet arrêt idéo-émotif que Ferrero mettait à la base
psychologique des phénomènes de symbolisme » 572. Selon Ferri, la présomption
d’innocence nous vient donc directement du droit romain mais cette indication ne passera
pas dans le discours doctrinal français.

181. L’intérêt tardif pour l’histoire de la présomption d’innocence. La recherche des


sources historiques de la présomption d’innocence n’a été sérieusement entreprise qu’avec
le travail doctoral de M. Essaïd. Autrement dit, jusqu’à la fin des années soixante, la
présomption d’innocence demeurait une règle sans véritables attaches historiques 573. En
réalité, on doit admettre que cela faisait peu de temps qu’il était question de la présomption
d’innocence dans les écrits doctrinaux. L’élaboration d’une thèse de doctorat offrait un
cadre propice à une telle entreprise. Mais en dehors de ce cadre, il faut bien admettre que la
présomption d’innocence n’a suscité ni l’intérêt des historiens ni celui des pénalistes. On
peut s’en étonner. Les travaux historiques sur le droit pénal et la procédure pénale sont
nombreux et on s’explique mal que la présomption d’innocence n’ait pas fait l’objet de l’un
d’entre eux 574. Ainsi, tout au long de la deuxième moitié du XXe siècle les criminalistes ont-
il nourri cette « croyance » que la présomption d’innocence n’existait pas avant la
Révolution. Désormais, « la croyance » est dénoncée, la vérité historique en passe d’être

572
V. La sociologie criminelle, 2e éd., op. cit., p. 494.
573
André Vitu avait cependant largement laissé entendre que cette histoire prenait naissance en 1789, V.
Procédure pénale, op. cit.
574
Si l’idée d’une rupture opérée par la Révolution est désormais dénoncée par plusieurs historiens, au
premier desquels figure M. Carbasse, et si tous affirment qu’il existe des traces de la présomption
d’innocence au Moyen Âge, l’histoire de la présomption d’innocence demeure encore largement
méconnue. En effet, l’impulsion a été donnée et des pistes explorées, V. notamment, H. HENRION, La
nature juridique de la présomption d’innocence, op. cit., mais l’histoire de la présomption d’innocence
reste probablement encore à écrire.

196
La Révolution : source historique de la présomption d’innocence

rétablie. Peut-être faudra-t-il encore du temps avant que le discours doctrinal soit modifié en
profondeur. Quoiqu’il en soit, l’histoire de la présomption d’innocence a fait l’objet d’une
certaine réécriture. Il n’y a là cependant rien de pathologique, ce phénomène serait naturel à
la science du droit.

2) Les raisons de la réécriture

182. Une loi du savoir juridique. La présomption d’innocence ne serait pas le seul
principe juridique dont l’histoire aurait été réécrite. M. Atias pense en avoir découvert un
nombre suffisant pour analyser cette tendance en une véritable loi du savoir juridique 575. Il
en a formulé cinq et la réécriture de l’histoire y prend l’avant dernière place. Ces lois
« marquent seulement des tendances, des régularités approximatives ». Elles permettent,
entre autre, d’apercevoir que « le contenu du droit n’est pas le seul facteur à considérer
pour analyser le mode de détermination du contenu du savoir juridique » 576. M. Atias
explique que, l’argumentaire historique peut consister à présenter un passé reconstruit, une
histoire réécrite, comme constitutifs d’une tradition dont les solutions actuelles seraient
tirées. « Au mieux une tendance présente dans les textes d’autrefois est isolée, accentuée,
renforcée » 577. À l’heure actuelle, ce phénomène semble trouver sa plus brillante illustration
avec l’autonomie de la volonté 578. Cette loi du savoir juridique qu’est la réécriture de
l’histoire qui, si elle n’est pas connue n’en est pas moins habituelle, touche donc également
la science du droit pénal et semble pouvoir s’y illustrer avec l’histoire de la présomption
d’innocence. Cependant, les raisons d’une telle réécriture demeurent inconnues. Concernant
l’histoire de la présomption d’innocence, on pourrait proposer ici quelques pistes ou
hypothèses pour expliquer l’évidence avec laquelle la littérature juridique a rattaché la
présomption d’innocence à la Révolution. Ces raisons tendent à expliquer pourquoi il a
semblé plus opportun de fixer la date de naissance de la présomption d’innocence au
moment de la Révolution.

183. Droit romain vs Révolution française. La première raison relève du bon sens, ce
choix pouvait de prime abord paraître tout à fait logique au regard de l’influence de le
période révolutionnaire sur les transformations du droit pénal moderne. L’histoire de la
présomption d’innocence aurait donc été en quelque sorte aspirée par celle des autres
innovations de l’époque, toutes celles qui apportent des garanties nouvelles, qui constituent
des progrès pour la justice et l’humanité. La deuxième raison pourrait tenir à la nature

575
CH. ATIAS, Épistémologie juridique, op. cit., n° 320.
576
Épistémologie juridique, op. cit., n° 306.
577
Épistémologie juridique, op. cit., n° 320.
578
CH. ATIAS, Philosophie du droit, Paris, PUF, 1re éd., 1999, p. 272-273 ; et V. RANOUIL, L’autonomie de
la volonté : Naissance et évolution d’un concept, Paris, PUF, 1980. Bien que non pathologique, le
phénomène de réécriture de l’histoire serait l’une des caractéristiques, parmi d’autres, permettant
d’identifier les mythes juridiques. V. Philosophie du droit, p. 273.

197
Le discours sur l’objet

romaine des origines de la présomption d’innocence. En effet, on peut supposer que l’oubli
dont elles ont fait l’objet trouve une double explication dans une certaine défiance à l’égard
du droit romain puis une véritable méconnaissance de ce droit par les auteurs du XXe siècle.
En effet, dès le XVIe siècle le droit romain semble avoir commencé à perdre de son
influence en raison d’un certain positivisme ambiant qui l’a privé du titre de source du droit.
Désormais simple autorité, il n’était plus utile aux juristes que pour les raisonnements qu’il
pouvait offrir 579. Des critiques lui ont été adressées, il a même fait l’objet d’un certain
mépris 580. La connaissance du droit romain a été jugée de moins en moins indispensable au
point que son enseignement s’est peu à peu marginalisé dans les facultés de droit 581. Il
semble qu’au début du XXe siècle les juristes avaient perdu, pour l’essentiel, tout contact
avec ce droit. On comprend que dans ces conditions, nos criminalistes n’aient pas été en
mesure de rattacher la présomption d’innocence aux dispositions du Corpus juris civilis.
Une étude purement historique aurait probablement pu mener un auteur jusqu’à cette
source, mais certainement pas une thèse de doctorat comme celle de M. Essaïd, dont l’objet
essentiel, réside dans la description du droit en vigueur. De plus, pourquoi aller chercher des
origines si lointaines à la présomption d’innocence alors que la Révolution en offre une bien
plus accessible ? Non pas que les criminalistes aient nécessairement fait preuve de paresse,
mais le rattachement à cette période révolutionnaire et à la Déclaration des droits de
l’homme permet de donner une dimension hautement symbolique à la présomption
d’innocence.

Une troisième raison semble alors en découler naturellement. En affirmant que la


présomption d’innocence est une conquête révolutionnaire, son histoire n’avait pas à être
approfondie, elle pouvait endosser toute la charge symbolique qui s’attache à cette période.
L’humanité avait triomphé et la torture avait disparu ; la présomption d’innocence comptait
désormais parmi ces droits naturels et imprescriptibles de l’homme. On peut alors voir dans
ce rattachement à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen une caution
indispensable du discours doctrinal. En effet, on remarquera que la référence à un texte
aussi illustre a permis de dissimuler une réalité épineuse : bien que l’existence du principe
de la présomption d’innocence soit péremptoirement affirmée, son sens, sa nature et sa
portée juridiques demeurent largement inconnus.

Enfin, le rattachement de la présomption d’innocence à la Déclaration des droits de


l’homme et du citoyen avait un avantage incontestable sur les textes du droit romain. Le
Déclaration, plus accessible, beaucoup plus connue aussi, comporte un article 9 où il est

579
V. J.-L. THIREAU, Introduction historique au droit, Paris, Flammarion, 2e éd., 2003, p. 226 et 230, ce
qui en soit est un apport fondamental, V. M. VILLEY, Le droit romain, Paris, PUF, Que sais-je ?, 10e éd.,
2002, p. 5-6 et 119-120.
580
M. VILLEY, Le droit romain, op. cit., p. 113.
581
M. VILLEY, Le droit romain, op. cit., p. 5.

198
La Révolution : source historique de la présomption d’innocence

aisé de retrouver une formulation de la présomption d’innocence. Dans la recherche d’un


fondement textuel au principe de la présomption d’innocence, il apparaissait naturellement
plus pertinent de se référer aux droits de l’homme consacrés par les français qu’aux
formules un peu vagues, peut-être incertaines, de la doctrine du droit romain. Il n’en
demeure pas moins que le rattachement formel de la présomption d’innocence à la
Déclaration des droits de l’homme procède lui aussi d’une part d’artifice.

§. 2 LA DÉCLARATION DES DROITS DE L’HOMME ET DU CITOYEN : SOURCE FORMELLE ET


ARTIFICIELLE DE LA PRÉSOMPTION D’INNOCENCE

184. L’évidence d’un rattachement à la Déclaration. « L’article 9 de la Déclaration des


droits de l’homme de 1789 est parfaitement clair sur ce point : " Tout homme" est "présumé
innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable" » professe un auteur en 1998 582.
L’affirmation illustre à elle seule le rattachement formel de la présomption d’innocence à la
Déclaration des droits de l’homme. Dire que l’article 9 formule le principe de la
présomption d’innocence paraît de prime abord relever du simple bon sens. Nul besoin
d’être juriste pour admettre que la présomption d’innocence se trouve formulée dans ce
texte. Pourtant ce rattachement procède d’une libre interprétation de l’article 9 et non pas
d’une interprétation fidèle du texte élaboré par les constituants de 1789 (A). De plus, la
désignation de la Déclaration comme source formelle de la présomption d’innocence n’a eu
lieu qu’assez tardivement (B).

A- LA LIBRE INTERPRÉTATION DE LA DÉCLARATION

185. Le siège de la présomption d’innocence dans l’article 9. Dès la parution de l’article


de M. Patarin 583, l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme était désigné comme la
source formelle incontestable de la présomption d’innocence. Au XXIe siècle, alors que la
présomption d’innocence peut se prévaloir de nombreux autres fondements textuels,
internes ou externes, le texte de 1789 continue d’être rangé parmi ses sources formelles.
C’est dire si l’on reconnaît à l’article 9 une grande importance, celle d’avoir accueilli la
toute première expression de la présomption d’innocence. Qu’elle s’y trouve « proclamée »,
« inscrite avec force », « rappelée », « consacrée », « formulée », ou simplement
« inscrite », les auteurs semblent unanimes, la présomption d’innocence a son siège dans la
Déclaration 584. Bien que l’affirmation paraisse aller de soi au regard de la lettre même de

582
R. KOERING-JOULIN, La présomption d'innocence, un droit fondamental ? op. cit., p. 20.
583
J. PATARIN, Le particularisme de la théorie des preuves en droit pénal, op. cit.
584
V. notamment : M.-J. ESSAÏD, La présomption d’innocence, op. cit., n° 44-47 ; R. VOUIN et J. LÉAUTÉ,
Droit pénal et procédure pénale, op. cit., p. 226 ; G. BRIÈRE DE L’ISLE et P. COGNIART, Procédure pénale,
op. cit., p. 12 ; M. DELMAS-MARTY, La Déclaration de 1789 et le droit pénal, in Quelques aspects des
sciences criminelles, travaux de l’institut de sciences criminelles de Poitiers, vol. 10, Paris, Cujas,1990, p.
80 ; J.-R. FARTHOUAT, La présomption d’innocence, op. cit., p. 53 ; H. DAOULAS, Présomption

199
Le discours sur l’objet

l’article 9, elle procède nécessairement d’une interprétation de ce texte. Or, à l’examen, il


semble que l’interprétation doctrinale de l’article 9 ait pris quelques libertés aussi bien avec
sa lettre qu’avec son esprit.

1) La lettre du texte

186. L’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Ce texte est


rédigé de la façon suivante :

« Tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable, s’il est
jugé indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer
de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi ».

187. Analyse doctrinale de la lettre du texte. C’est au terme d’une « simple analyse
littérale » de l’article 9 que M. Essaïd estime 585 qu’« Il proclame, en premier lieu, la
présomption d’innocence 586, règle qui doit couvrir l’accusé tant qu’un jugement définitif
n’a pas reconnu sa culpabilité ». L’auteur ajoute immédiatement : « Le principe posé, il en
tire, ensuite, la conséquence : la protection de la liberté individuelle dans le cadre du
procès pénal ». Mais cette analyse conduit à morceler inopportunément le texte. Elle
consiste à s’arrêter à la première proposition : « Tout homme étant présumé innocent
jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable » pour lui conférer une importance déterminante
qu’elle n’a probablement pas.

188. Recherche du droit consacré par le texte. On remarquera que contrairement à bon
nombre d’autres textes de la Déclaration, qui comportent deux ou plusieurs phrases
consacrant chacune un droit de l’homme, l’article 9 ne contient qu’une phrase composée de
plusieurs propositions. Or, si la compréhension et l’interprétation de l’article 9 doivent
passer par une analyse portant sur chacune des propositions, elles ne sauraient s’y arrêter.
L’article 9, parce qu’il fait partie de la Déclaration des droits de l’homme, consacre un droit
et c’est l’ensemble du texte qui doit être pris en considération pour déterminer quel est ce
droit. Si le droit que les constituants avaient voulu consacrer était la présomption
d’innocence, alors on comprend mal à quoi serviraient les autres propositions du texte. Le
droit ici proclamé est bien, comme le soulignait d’ailleurs M. Essaïd, la liberté individuelle.
La proposition la plus importante, celle qui a retenu toute l’attention des auteurs de l’article
9, est sans doute la dernière : « toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer de
sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi ». Cela paraît d’autant plus vrai que,

d'innocence et preuve pénale, étude comparée des droits français, anglais et canadien, op. cit., n°8 ; J.
BUISSON, Rép. Pén. et Proc. Pén., v° Preuve, n° 9 ; J. PRADEL, Procédure pénale, op. cit., 12e éd., n°
384 ; CH. LAZERGES, La présomption d'innocence, op. cit., p. 497 ; C. AMBROISE-CASTÉROT, Rép. Pén.
et Proc. Pén., v° Présomption d’innocence, n° 6.
585
M.-J. ESSAÏD, La présomption d’innocence, op. cit., n° 45.
586
C’est l’auteur qui souligne.

200
La Révolution : source historique de la présomption d’innocence

dans la rédaction de la deuxième Déclaration, la première et la seconde proposition avaient


totalement disparu 587.

De plus, pour donner une telle importance à la proposition « Tout homme étant présumé
innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable », les auteurs ne s’attardent guère sur le
vocabulaire employé ici par les constituants. Certes, l’article 9 emploie bien le mot
« présumé », mais s’est-on assuré que cette utilisation était bien destinée à consacrer une
présomption juridique ? L’emploi du terme « présumé » suffit-il à garantir que l’on est en
présence d’une véritable présomption ? Les auteurs ne s’en sont pas avisés. La volonté des
constituants n’a jamais été recherchée ni démontrée.

189. L’importance du « étant » présumé innocent… ». L’emploi du participe présent


« étant » pourrait faire obstacle à l’interprétation doctrinale de l’article 9. Pourquoi les
constituants, désirant hisser la présomption d’innocence au rang de principe et de droit de
l’homme n’ont-ils pas alors écrit l’article 9 sur le schéma des articles 5, 6, 7, ou 8 de la
Déclaration ? Pourquoi, par exemple, ne pas avoir donné à l’article 9 une rédaction du
genre : « Tout homme est présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable. S’il
est jugé indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer
de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi ». Or, les constituants ont choisi
d’écrire « Tout homme étant présumé innocent… », et non pas « Tout homme est présumé
innocent… ». Il est permis de penser que l’utilisation du participe présent n’est pas ici
anodine ou totalement indifférente dans l’interprétation que l’on peut donner de l’article 9.

Pourtant, une lecture attentive de la littérature juridique fait apparaître, bien souvent, une
substitution de termes dans la citation de ce texte. Ainsi, tout en usant des guillemets, pour
bien signifier qu’ils citent le texte même de l’article 9, les auteurs écrivent « tout homme est
présumé innocent… ». Le célèbre précis de procédure pénale de MM. Stéfani, Levasseur et
Bouloc, reproduit cette erreur depuis de longues années 588. Elle s’était déjà glissée dans le
cours que professait M. Stéfani à la fin des années soixante et qui a servi de base à la
rédaction du précis 589. Dans la dernière édition désormais rédigée par le seul professeur
Bouloc, ce glissement sémantique n’a toujours pas disparu 590. Peut-on considérer qu’il
s’agit là d’une simple « coquille » ? Probablement pas. En effet, cette substitution de termes

587
Déclaration des droits et des devoirs de l’homme et du citoyen (préambule à la Constitution du 5
fructidor an III – 22 août 1795), Article 10 : « Toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer
de la personne d’un prévenu, doit être sévèrement réprimée par la loi ».
588
L’erreur est probablement présente depuis la première édition. Elle l’est en tout cas, avec certitude,
depuis la 8e édition parue en 1974.
589
G. STÉFANI, Cours de droit pénal général et procédure pénale, Paris, Les cours du droit, 1966-67, p.
563
590
Procédure pénale, op.cit., 20e éd., 2006, n° 122, note 2.

201
Le discours sur l’objet

dans la citation de l’article 9 s’est produite à de trop nombreuses occasions 591 pour que l’on
puisse raisonnablement la considérer comme une simple erreur typographique. Il y a là
plutôt une mauvaise habitude, voire une coutume, prise par les auteurs, qui sont d’ailleurs
parfois magistrats. Georges Kiejman avait déjà observé le phénomène : « Il est de coutume,
de coutume erronée, Monsieur le Professeur Léauté n’y a pas manqué hier, de dire que la
déclaration de 1789 comporte cette phrase : "tout homme est présumé innocent tant qu’il
n’a pas été déclaré coupable". Cela n’est pas rigoureusement exact. L’article 9 de la
déclaration dit ceci : " Tout homme étant présumé innocent…" » 592. En dépit de cette
observation, l’erreur n’a pas été rectifiée.

Comment expliquer alors cette substitution qui n’est pas totalement involontaire ? On
pourrait estimer que la question ne mérite pas tant d’attention. Après tout, on ne peut voir
dans ce glissement sémantique qu’une tendance sans incidence. Cela d’autant plus que si la
Déclaration des droits de l’homme et du citoyen dit « Tout homme étant présumé
innocent », les textes postérieurs, à commencer par la Déclaration universelle, substitueront
le « est » au « étant » 593. Il nous semble toutefois que ce glissement n’est ni naïf ni tout à
fait indifférent. Si la substitution est désormais conforme à l’ensemble des textes consacrant
la présomption d’innocence, elle n’en demeure pas moins une erreur quant au contenu exact
de l’article 9 594.

591
J. LÉAUTÉ, Le caractère irréparable de la perte de l’innocence, op. cit., p. 4 ; J.-P. DOUCET, Le
jugement pénal, Paris, Gazette du Palais et Litec, 1991, p. 67 ; J. LARGUIER, La procédure pénale, Paris,
PUF, Que sais-je ? 7e éd., 1991, p. 40 ; F. CASORLA, Le droit français, rapport in La preuve en procédure
pénale comparée, Rev.int.dr.pén., 1992, p. 184 ; C. COHEN, De la présomption d’innocence au secret de
l’instruction : la double impasse, Gaz. Pal. 1995, 2, p. 951. J.-L. COSTE, Les principes d’action du parquet
face à la présomption d'innocence, in La présomption d'innocence en droit comparé, op. cit., p. 40 ; J.
ROBERT et J. DUFFAR, Droits de l’homme et libertés fondamentales, 7e éd., op. cit., p. 270 ; F. DEBOVE et
F. FALLETI, Précis de droit pénal et de procédure pénale, op. cit., p. 226 ; CH. LAZERGES et D.
ROUSSEAU, Commentaire de la décision du Conseil constitutionnel du 13 mars 2003, Revue du droit
public, 2003, p. 1160 ; J.-F. CESARO, Le doute en droit privé, Paris, Panthéon-Assas, 2003, n° 285.
592
G. KIEJMAN, Les présomptions de fait de culpabilité et la présomption légale d’innocence, op. cit., p.
15.
593
Ainsi, l’Article 11. 1° de la Déclaration universelle prévoit-il que : « Toute personne accusée d’un
acte délictueux est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie au cours
d’un procès public où toutes les garanties nécessaires à sa défense lui auront été assurées».
Également, l’article 6§2 de la Convention EDH « Toute personne accusée d’une infraction est
présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie».
Mais aussi l’article 14. 2 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques: « Toute
personne accusée d’une infraction pénale est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été
légalement établie. ».
À ces textes, s’ajoute désormais l’article 48.1° de la Charte des droits fondamentaux de l’Union
européenne : « Tout accusé est présumé innocent jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement
établie».
Enfin, s’agissant du droit français, l’article préliminaire III du Code de procédure pénale dispose
que : « Toute personne suspectée ou poursuivie est présumée innocente tant que sa culpabilité n’a pas été
établie».
594
On pourra d’ailleurs se demander comment ces textes peuvent être combinés, tout particulièrement par
le juge qui peut être amené à faire application de plusieurs textes dont la valeur normative n’est pas
identique, V. infra, n° 228 et s.

202
La Révolution : source historique de la présomption d’innocence

Cette substitution du « est » au « étant » pourrait avoir au moins une fonction, celle de
conforter l’idée qu’un principe a bien été formulé à l’article 9. En effet, l’emploi du
participe présent « étant » semble bien traduire « l’allégation d’une évidence », comme y
invite l’analyse de M. Carbasse 595. Les constituants reconnaissaient alors pour acquis, voire
comme un postulat, que toute personne est présumée innocente jusqu’à ce qu’elle soit
déclarée coupable. Or, pour dater la naissance de la présomption d’innocence à 1789, mieux
vaut utiliser le présent indicatif que le participe présent. Quoi qu’il en soit, feindre que
l’article 9 disait déjà ce que disent tous les textes qui l’ont suivi, revient à prendre une
grande liberté dans l’interprétation littérale de ce texte. C’est également faire peu de cas de
la volonté des constituants. Qu’ont voulu dire et écrire ces derniers ? Les discussions
préparatoires à la Déclaration autorisent-elles à considérer que « étant » ou « est » c’est
finalement la même chose ? C’est possible. Mais il conviendrait de le vérifier.

2) L’esprit de l’article 9

190. Nécessaire recherche de la volonté des constituants. Pour pouvoir affirmer avec
certitude que l’article 9 de la Déclaration, et spécifiquement la proposition « tout homme
étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable », donne naissance au
principe juridique de la présomption d’innocence, encore faut-il s’assurer que c’est bien là
ce qu’ont voulu les rédacteurs du texte. Or, on ne peut dire que cette vérification a
réellement été opérée. On pourra suggérer qu’en vertu du principe selon lequel on
n’interprète pas un texte clair, l’article 9 ne méritait pas une interprétation approfondie. La
volonté des constituants de consacrer la présomption d’innocence, se déduirait donc tout
simplement, de la lettre du texte. Cette dernière apparaissant alors aux yeux de tous, comme
des plus claires.

Pourtant, il faut se souvenir que ni les cahiers de doléances, ni les projets de déclaration
ne manifestaient le souci de consacrer la présomption d’innocence 596. On se contentera de
rappeler ici qu’aucune place n’est faite à la présomption d’innocence dans les documents
publiés à la veille de l’adoption de la Déclaration. Ce n’était pas vraiment là le souci des

595
J.-M. CARBASSE, Le droit pénal dans la déclaration des droits, op. cit., p. 129-130, qui considère qu’il
s’agit d’un « rappel incident » de la présomption d’innocence. Pour M. Henrion, le participe présent de
l’article 9 marque davantage « une relation d’évidence entre le droit à la présomption d’innocence et le
droit à la sûreté ». L’auteur a relevé une relation sémantique entre les articles 2 et 9 de la Déclaration des
droits de l’homme et du citoyen, et estime que le premier de ces textes « constitue la trame souterraine de
tous les articles de la Déclaration ». Ainsi explique-t-il l’usage du participe présent de la manière
suivante : « si tout homme est présumé innocent, c’est "évidemment" en vertu de son droit à la sûreté »,
V. H. HENRION, La nature juridique de la présomption d’innocence, op. cit., n° 253-1.
596
À cet égard, on renverra aux développements consacrés à cette question dans la première partie de ce
travail, alors qu’était recherchée la présence de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal, V.
supra, n° 51 et s.

203
Le discours sur l’objet

constituants. C’est, finalement, la genèse de l’article 9 597 qui peut le mieux nous renseigner
sur la volonté des constituants.

191. La rédaction de l’article 9. La doctrine a souvent attribué la paternité de ce texte à


Adrien Duport 598et il est vrai que ce juriste a pris une grande part dans sa rédaction.
Toutefois, il ne semble pas avoir eu le rôle décisif que l’on veut bien lui prêter. En effet, il
faut d’abord se souvenir que le projet initial de Duport ne prévoyait pas d’inscrire dans la
Déclaration une quelconque présomption d’innocence. Ce n’est qu’au cours de la
discussion, sur la base du projet rédigé par le sixième bureau, que Duport soumet le texte
suivant : « Tout homme étant innocent jusqu’à ce qu’il soit condamné, s’il est jugé
indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer de sa
personne, doit être sévèrement réprimée » 599. On remarquera qu’ici il y a bien, pour la
première fois une référence expresse à l’innocence en même temps qu’à la liberté. Mais
surtout, il convient d’observer que le terme de « présumé » n’est absolument pas
employé 600.

Mais les constituants n’eurent pas à discuter sur ce projet d’article 9 car il fut demandé
aux députés Target et Bonnay de s’associer à Duport pour proposer une rédaction
commune. Or, il résulte de cette composition à trois mains, la rédaction suivante : « Tout
homme devant être innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable, s’il est jugé
indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer de sa
personne doit être sévèrement réprimée par la loi ». Si les raisons de cette modification
restent inconnues, on peut néanmoins s’apercevoir à nouveau qu’il n’est pas ici question
d’un homme présumé innocent. En réalité, et sans que l’on sache précisément pourquoi,
c’est au député de Provence, Mougins de Roquefort, que l’ont doit la rédaction définitive de
l’article 9. Il jugea en effet que les mots : « devant être » présentaient un doute et que
l’expression « étant présumé » valait mieux. Si la volonté des rédacteurs ne peut être tout à
fait connue, cette genèse montre bien néanmoins que l’insertion du terme « présumé » est
en quelque sorte accidentelle. Elle a été adoptée sans qu’il soit possible d’affirmer que les

597
Pour le détail, V. supra, n° 53 et s.
598
V. par exemple J. DÉCAMPS, La présomption d'innocence, entre vérité et culpabilité, op. cit., p. 5. Cet
auteur fait remarquer que Duport avait critiqué l’usage barbare qui consiste à punir les coupables avant
même qu’ils ne soient déclarés tels. Elle conclut alors : « La solution est évidente : consacrer le principe
de la présomption d’innocence. Ce qui fut fait : " Tout homme étant présumé innocent…" » ; V.
également, R. BADINTER, La présomption d’innocence, histoire et modernité, op. cit., p. 140.
599
V. E. WALCH, La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et l’assemblée constituante, op. cit.,
p. 160.
600
Sans cette référence à la présomption, l’article 9 semble se fonder sur une logique évidente : un
homme n’est coupable qu’à partir du moment où il a été officiellement déclaré comme tel. Jusque là, il est
nécessairement le contraire, savoir innocent.

204
La Révolution : source historique de la présomption d’innocence

constituants ont voulu instituer une véritable présomption de droit. On peut seulement
conclure à une certaine ambiguïté dans l’usage de ce terme 601.

En tout cas, l’évolution dans la rédaction de l’article 9 n’a pas fait disparaître l’usage du
participe présent. On peut sans peine en déduire qu’il y avait une volonté des députés de
faire référence à une réalité déjà connue. Cela est tout à fait probable si l’on veut bien se
souvenir que les constituants eux-mêmes se sont reconnu un rôle modeste : « L’Assemblée
nationale reconnaît et déclare, en présence et sous les auspices de l’Être suprême, les
droits suivants de l’Homme et du Citoyen ». Il en résulte que même s’il l’on voulait
absolument voir dans l’article 9 la formulation du principe de la présomption d’innocence,
il faudrait admettre non seulement qu’il peut se prévaloir d’une origine plus ancienne, mais
aussi que son apparition dans ce texte n’a qu’une valeur incidente par rapport à ce que les
députés ont voulu déclarer : le droit ne pas subir des rigueurs qui ne seraient pas nécessaires
lors d’une arrestation.

192. Faiblesses du rattachement à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.


Ainsi, que l’on se réfère à la lettre ou à l’esprit de l’article 9, rien ne permet d’affirmer avec
certitude que les constituants ont voulu formuler, consacrer, introduire, une présomption
juridique d’innocence. Or cela ne laisse pas d’être gênant au regard du contenu du discours
doctrinal relatif à la présomption d’innocence. En effet, qu’il s’agisse de la nature, de la
signification ou encore de la portée reconnues à la présomption d’innocence, l’article 9 de la
Déclaration offre un fondement contestable.

Tout d’abord, il faut rappeler que la littérature juridique a toujours présenté la


présomption d’innocence comme une règle de preuve. Or, il est difficile de trouver dans
l’article 9 un tel fondement 602. Ce texte, on le voit, n’a très probablement pas pour objet une
telle règle. Si l’on répète à l’envi que ni le Code d’instruction criminelle ni le Code de
procédure pénale n’ont formulé la présomption d’innocence, il semble bien périlleux, a
fortiori, d’attribuer cette formulation à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.
Ce n’était manifestement pas son objet.

Puis, c’est au regard du droit d’être présumé innocent que l’article 9 offre un fondement
fragile. L’affirmation semble avoir été facilitée par la reformulation du texte. Pourtant,

601
On pourrait, dans la logique qui semble avoir été celle de Duport, considérer qu’ici le terme
« présumé » renvoie moins à une présomption qu’à un postulat. « Tout homme étant présumé » pourrait
alors introduire un raisonnement et vouloir dire : tout homme étant, par hypothèse, innocent jusqu’à ce
qu’il ait été déclaré coupable, toute rigueur…
602
V. en ce sens J.-F. CHASSAING, Jalons pour une histoire de la présomption d'innocence, op. cit., p.
234 : « L’article 9 de la Déclaration des droits de 1789 qui est pourtant notre texte de référence ne pose
même pas clairement le problème de la charge de la preuve pénale et se contente de prohiber toute
rigueur non nécessaire avant la déclaration de culpabilité. Cette faiblesse et l’absence de toute analyse
du concept de présomption d’innocence correspondent à la pauvreté de la déclaration en matière
procédurale. »

205
Le discours sur l’objet

l’article 9, il faut y insister, ne déclare pas que « tout homme est présumé innocent ». Il se
contente d’un « tout homme étant présumé innocent… ». De plus, on pourra remarqué que
le texte de 1789 ne vise pas de façon spécifique l’homme en procès, c'est-à-dire la personne
mise en cause, suspectée, poursuivie ou encore prévenue, mais « tout homme ». Cette
imprécision contredit assez l’idée d’une présomption entendue au sens technique. C’est
pourtant bien la nature juridique que le discours doctrinal a toujours reconnu à la
présomption d’innocence, même si d’autres qualifications sont venues s’y ajouter.

On aperçoit par conséquent avec netteté cette liberté dont les auteurs ont fait preuve dans
l’interprétation de l’article 9. Il y a en effet un décalage certain entre le contenu de ce texte
et la fonction que la doctrine lui a attribuée. Le bon sens et l’évidence, qui paraissaient
autoriser de prime abord à voir la présomption d’innocence formulée dans l’article 9,
s’éloignent pour laisser entrevoir le rôle de la doctrine dans la formulation de la
présomption d’innocence. Il n’est pas inutile de rappeler ici que le sens de tel ou tel article
de la Déclaration ne se laisse pas si facilement saisir 603. S’agissant de l’article 9, force est de
constater que les criminalistes n’ont pas cherché la signification profonde de l’énoncé à
partir de sa genèse. L’attribution de ce texte à Beccaria est un peu facile et d’autres auteurs
auraient pu tout aussi bien servir de référence pour expliquer son inspiration 604.

Les criminalistes du XXe siècle qui ont, en quelque sorte, redécouvert le texte de la
Déclaration, s’en sont donc simplement tenus à une analyse littérale. Cette attitude peut
assez facilement s’expliquer. En effet, la démarche suivie n’a pas consisté à étudier la
Déclaration pour elle-même, mais plutôt à l’utiliser pour y puiser des références textuelles.
C’est parce que la doctrine pensait pouvoir la désigner comme source formelle de la
présomption d’innocence, qu’elle a livré cette analyse de l’article 9.

B- LE RATTACHEMENT À LA DÉCLARATION DES DROITS ET LA QUESTION DE


L’EXISTENCE JURIDIQUE DE LA PRÉSOMPTION D’INNOCENCE

193. Un rattachement tardif. La référence systématique à l’article 9 de la Déclaration des


droits de l’homme de 1789 s’explique donc par la nécessité de désigner une source
textuelle. Il convient pourtant d’observer que, sauf erreur de notre part, jusqu’en 1956
aucun criminaliste n’a traité de la présomption d’innocence en donnant pour référence
l’article 9 de la Déclaration. C’est en effet seulement avec l’article fondateur 605 de Jean
Patarin que le rattachement est véritablement opéré pour la première fois 606. En réalité, on

603
V. S. RIALS, le passage intitulé Lire la Déclaration : l’impossible épuisement du sens dans sa
présentation de la Déclaration, La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, op. cit., p. 332-335.
604
S’agissant de la formulation de la présomption d’innocence par Beccaria, V. supra, n° 45 et 46.
605
V. supra, n° 123 et s.
606
J. PATARIN, Le particularisme de la théorie des preuves en droit pénal, op. cit., n° 7. Il faut néanmoins
signaler qu’avant lui ce rattachement avait été initié par deux allusions du Doyen Carbonnier. Nous ne
retenons pas ici son étude car la présomption d’innocence n’y était alors qu’évoquée, elle n’était donc pas

206
La Révolution : source historique de la présomption d’innocence

peut distinguer trois moments dans l’évolution du discours doctrinal concernant cette
référence à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

La première période s’étendrait du lendemain de l’adoption de la Déclaration jusqu’au


moment où la présomption d’innocence émerge véritablement pour la première fois dans la
littérature juridique française, c'est-à-dire au tout début du XXe siècle avec Garraud. La
seconde correspondrait à une cinquantaine d’années pendant lesquelles le discours
doctrinal, tout en accueillant la présomption d’innocence comme objet, ne fait aucune
référence au texte de 1789. Enfin, la dernière période s’étend de 1956 à 1971, autrement dit
du premier rattachement de la présomption d’innocence à la Déclaration, jusqu’à la fameuse
décision du Conseil constitutionnel qui reconnaît pleine valeur juridique à la Déclaration
des droits de l’homme et du citoyen de 1789.

Ainsi, alors que la doctrine contemporaine affirme que la présomption d’innocence a été
consacrée en 1789 et qu’elle est inscrite dans la Déclaration des droits de l’homme, il s’est
en réalité écoulé plus d’un siècle avant que cette filiation ne soit établie. On est
naturellement porté à se demander pour quelles raisons ce rattachement a été si tardif. En
réalité, la question de l’invocation de la source textuelle de la présomption d’innocence se
trouve intimement liée à une autre question, celle de sa valeur juridique. Or, il convient
probablement de distinguer, pour la réponse, chacune des périodes évoquées. En effet, les
contextes doctrinaux étant sensiblement différents, l’absence de rattachement, puis le
rattachement lui-même, peuvent trouver explication dans l’évolution des méthodes admises
par la doctrine.

194. L’exégèse et la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen au XIXe siècle.


S’agissant de la première période évoquée ci-dessus, il semble qu’il faille imputer
l’ignorance totale de la Déclaration des droits de l’homme à l’influence de l’Exégèse.
L’analyse du discours doctrinal au XIXe siècle avait déjà montré qu’il ne faisait aucune
place à la notion de présomption d’innocence. Il est donc évident qu’il ne pouvait la
rattacher à une source formelle, pas même la Déclaration des droits de l’homme et du
citoyen. Nous avions alors souligné que les criminalistes avaient, à l’instar des civilistes,
largement adopté la méthode dite exégétique. Les codes criminels constituant alors pour ces
auteurs la seule source positive du droit, il était tout naturel qu’ils n’aient concentré leurs
efforts que sur l’analyse et le commentaire de ces corpus. À cette époque, les auteurs ne
reconnaissent donc aucune valeur à la Déclaration. Pour les juristes, le texte de 1789,

étudiée et aucune précision n’était donnée sur sa valeur juridique, V. Le problème de la détention
préventive, op. cit., p. 115 et 118.

207
Le discours sur l’objet

comme les déclarations qui l’ont suivie 607, avait en effet disparu avec la Constitution de
1791 dont elle constituait le préalable.

La méthode adoptée paraît même avoir interdit toute référence d’ordre historique,
philosophique, moral ou symbolique, à ce texte. Pourtant, quelques auteurs comme Faustin-
Hélie, Ortolan ou encore Le Seyllier ont su dépasser les bornes posées par l’Exégèse et
puiser des solutions à d’autres sources que les codes napoléoniens lorsqu’il s’agissait
d’interpréter telle ou telle de leurs dispositions qui faisait difficulté. Il est néanmoins certain
que ce n’est pas en recourant à la Déclaration des droits de l’homme qu’ils ont dégagé des
solutions ou des principes éclairant le droit criminel du XIXe siècle. Un auteur comme Le
Seyllier l’illustre d’ailleurs parfaitement. Lorsqu’il traite de la question relative au partage
des voix dans les décisions répressives et de la nécessité de prononcer la relaxe ou
l’acquittement, l’auteur semble bien évoquer une présomption d’innocence qui résulterait de
ce partage (en concurrence avec une égale présomption de culpabilité) 608. Mais l’idée qu’en
pareil cas il faut choisir l’acquittement, ne trouve aucune justification dans un texte issu de
la Révolution. C’est tout simplement une solution prévue par l’ordonnance de 1670 et
appliquée par la jurisprudence d’Ancien Régime qui est ici utilisée 609.

195. Émergence de la présomption d’innocence et absence de référence textuelle. La


seconde période que nous avons identifiée débute avec le XXe siècle et la première
introduction de la présomption d’innocence dans un ouvrage de droit criminel 610. Après
Garraud tous les traités de droit criminel évoqueront peu ou prou la présomption
d’innocence 611. De Vidal et Magnol à Donnedieu de Vabres, en passant par Roux,
Hugueney ou Le Poitevin, les auteurs affirment bien qu’en procédure criminelle joue une
certaine présomption d’innocence. Jamais pourtant l’existence de cette présomption ne sera
rattachée au texte d’une quelconque déclaration des droits. Comme au XIXe siècle, la
Déclaration des droits de l’homme ne semble jouir d’aucune considération et n’a pas
davantage de valeur juridique. Comment alors expliquer que l’absence de valeur juridique
de ce texte ne soit plus un obstacle à un discours sur la présomption d’innocence ? La
méthode doctrinale aurait-elle changé ? Avec son célèbre ouvrage intitulé Méthode
d’interprétation et sources en droit privé positif, François Gény « a sonné le glas » de ce
que les civilistes ont appelé L’École de l’exégèse 612. À l’aube du XXe siècle la méthode des

607
Celle de 1793, préambule de la constitution de l’an I, et celle de 1795, préambule de la constitution de
l’an III. Les constitutions suivantes, jusqu’en 1946, ne comporteront plus de déclaration de droits en
préambule. Celle de 1848 énoncera, dans le corps du texte, les droits des citoyens garantis par la
constitution sans qu’y figure la présomption d’innocence.
608
V. supra, n° 69.
609
V. Les références dans le Traité de droit criminel, op. cit., tome III, n° 933.
610
En 1903, dans la huitième édition du précis de droit criminel de René Garraud.
611
V. supra, n° 90 et s.
612
J.-L. BERGEL, Théorie générale du droit, Paris, Dalloz, 4e éd., 2003, n° 231.

208
La Révolution : source historique de la présomption d’innocence

juristes du XIXe siècle, qui avait consisté à ne voir de droit que dans la seule loi écrite, était
alors vivement critiquée. Gény a substitué à la devise : « Le Code civil, rien que le code
civil », sa propre devise : « Par le Code Civil, mais au-delà du Code Civil » 613. Ainsi, avec
ce qu’il a appelé « la libre recherche scientifique », Gény suggérait aux privatistes de puiser
les solutions non seulement dans la loi écrite, mais lorsque celle-ci s’avérait insuffisante ou
démodée, de ne pas hésiter à rechercher ailleurs les solutions qui convenaient. On a pu dire
que Gény avait ainsi « libéré » les interprètes de la loi du carcan dans lequel l’Exégèse les
avait plongés.

196. Changement de méthode chez les criminalistes ?. En présentant la doctrine


criminaliste du XIXe siècle, nous avions cru pouvoir dire qu’elle avait, comme son
homologue civiliste, suivi la méthode exégétique 614. La majorité des ouvrages de droit
criminel publiés à l’époque attestent, par leur contenu et leur forme, du souci de leurs
auteurs de s’en tenir à une analyse des codes criminels, article par article. Le changement de
méthode prôné par Gény en droit privé a-t-il pu influencer la manière de faire des
criminalistes ? Garraud et Gény sont de la même génération et il serait tout à fait
concevable que le premier ait lu avec intérêt le second. Toutefois, il faut se souvenir que le
principe de la légalité des délits et des peines, qui s’étend également à la procédure,
s’oppose à l’adoption d’une devise du type de celle qu’avait formulée Gény. Par le Code de
procédure pénale mais au-delà du Code de procédure pénale ne peut se concevoir en droit
criminel. Cela dit, la libre recherche scientifique ne consistait pas qu’en cela. Elle a pu,
sinon s’appliquer strictement en droit criminel, du moins produire des effets, influencer les
auteurs. Les traités de droit criminel n’ont-ils pas évolué au XXe siècle ? Une chose est
sûre : les auteurs n’adoptent plus la même méthode de présentation du droit positif que leurs
aînés. Et la raison de cette évolution ne réside pas dans une modification significative du
droit à étudier, celui-ci demeure en effet dans les codes de 1808 et 1810 mais aussi dans les
lois répressives éparses.

Plus que dans la « nouvelle » méthode d’interprétation et sources du droit positif, la


raison pourrait se trouver dans la crise du droit pénal. Les criminalistes du XIXe siècle
finissant avaient fort à faire avec les bouleversements intellectuels qui affectaient la science
juridique pénale. Ils connaissaient leur propre révolution méthodologique avec l’avènement
de la criminologie et les discussions sur les nouvelles idées proposées par la doctrine
positiviste. Si les auteurs de la première moitié du XXe siècle n’ont pas jugé nécessaire de
rattacher la présomption d’innocence au texte de la Déclaration, ce n’est probablement pas
seulement en raison de l’absence de valeur juridique de cette dernière. Tout porte à penser

613
J.-L. BERGEL, Théorie générale du droit, op. cit. , n° 233.
614
V. supra, n° 65 et s.

209
Le discours sur l’objet

que la raison est à rechercher dans les circonstances qui ont poussé les auteurs à invoquer la
présomption d’innocence. En effet, c’est en attaquant la présomption d’innocence que Ferri
avait provoqué son émergence dans le discours doctrinal 615. C’est en critiquant la loi trop
favorable aux criminels et aux individus dangereux, qu’il en a fait « une présomption
légale ». Les pénalistes français ont alors adopté une réaction « défensive » en dénonçant
les abus de la thèse positiviste, particulièrement en ce qui concernait les conséquences de la
présomption d’innocence. S’agissant de la source de cette présomption d’innocence, elle a
été purement et simplement puisée dans les propos de Ferri. Les juristes français ont repris
l’idée de leur détracteur : la présomption est celle de la loi. Plusieurs dispositions du Code
d’instruction criminelle sont alors énoncées et interprétées comme des manifestations
légales de la présomption d’innocence. Si la lettre de la loi n’y faisait alors aucune allusion,
son esprit en revanche, témoignait bel et bien de son existence.

Avec l’article de M. Patarin, qui ouvre en 1956 la troisième période identifiée plus haut,
il n’a plus semblé suffisant de fonder l’existence juridique de la présomption d’innocence
sur l’esprit de la législation. Une source formelle devait pouvoir être identifiée.

197. La redécouverte de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. « Pendant


le XIXe et plus encore, la première moitié du XXe siècle, la seule marque visible de la
Déclaration de 1789 est le principe de la légalité (…) les autres principes de la Déclaration
seront comme enfouis, oubliés » 616. Le propos du professeur Delmas-Marty illustre
parfaitement ce que l’on peut observer à propos du principe de la présomption d’innocence.
L’oubli dont parle l’auteur concerne particulièrement la valeur juridique de ce texte. La
redécouverte des droits proclamés en 1789 a, comme on le sait, été très nette au lendemain
de la seconde guerre mondiale 617. Il est vrai que depuis la IIIe République, les publicistes
reconnaissaient une autorité morale immense à la Déclaration. Mais sa valeur juridique était
devenue le centre d’une controverse qui a marqué les années vingt à quarante. Elle opposait
les auteurs qui voyaient dans la Déclaration des droits de l’homme un texte dont la l’autorité
juridique était supérieure à la loi (Duguit et Hauriou) et ceux pour lesquels, non seulement
elle ne pouvait être supérieure à la loi mais de surcroît n’avait aucune valeur en droit positif
(Esmein et Carré de Malberg) 618.

198. La question de la valeur juridique de la Déclaration. La querelle des publicistes n’a


pas échappé aux auteurs intéressés par les éventuelles normes pénales contenues dans

615
V. supra, n° 85 et s.
616
M. DELMAS-MARTY, La Déclaration de 1789 et le droit pénal, op. cit., p. 80.
617
Les constituants ont alors cru devoir inscrire, dans le préambule de la Constitution de 1946, que le
peuple français « réaffirme solennellement les droits et libertés de l'homme et du citoyen consacrés par la
Déclaration des droits de 1789 ».
618
Les termes et arguments de cette controverse ont été exposés, notamment, par Jean Rivero, V. pour un
exposé récent : J. RIVERO et H. MOUTOUH, Libertés publiques, Paris, PUF, 9e éd., 2003, tome I, n° 193. V.
aussi, L. FAVOREU et alii, Droit des libertés fondamentales, Paris, Dalloz, 2e éd., 2002, n° 67.

210
La Révolution : source historique de la présomption d’innocence

certains articles de la Déclaration. Tel est bien le cas de M. Patarin. Lorsque cet auteur écrit
en 1956, et qu’il se réfère directement à la Déclaration pour affirmer la valeur juridique de
la présomption d’innocence, les droits de l’homme n’ont pas encore officiellement acquis
une valeur constitutionnelle. Le Préambule de la Constitution de 1946 réaffirme bien les
droits et libertés de 1789, mais la valeur juridique de ces derniers reste discutée et très
incertaine 619. Pourtant l’auteur n’hésitera pas à affirmer, comme pour dépasser la
controverse, tout en y prenant part, que : « Même si l’on conteste la valeur juridique du
préambule de la Constitution et bien que l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme
et du citoyen tende principalement à interdire toute arrestation ou détention arbitraire, le
principe a une portée générale. En vertu de ce principe tout individu soupçonné d’être
coupable d’un délit ou d’un crime doit être réputé innocent tant que sa culpabilité n’a pas
620
été reconnue» . C’est là probablement la première véritable tentative de rattachement
formel à la Déclaration. On le voit la question de la formulation de la présomption
d’innocence dans l’article 9 est étroitement liée à la « résurrection » des droits de l’homme
et à la question de leur place dans l’ordre juridique français.

Le souci de pouvoir fonder l’existence de la présomption d’innocence sur un texte


juridique est partagé également par M. Essaïd. Après avoir démontré que la présomption
d’innocence était formulée dans l’article 9 de la Déclaration, l’auteur a clairement posé la
question du destin de ce texte. Contrairement à l’auteur précédent, M. Essaïd écrit alors que
la Constitution de 1958 a déjà été adoptée. À cette époque, l’incertitude demeure quant à la
valeur juridique de la Déclaration des droits de l’homme, et donc de la présomption
d’innocence. En effet, le Préambule de la nouvelle Constitution rappelle l’attachement aux
droits de l’homme 621, mais on ne sait toujours pas quelle valeur juridique on peut alors
reconnaître aux droits auxquels il se réfère 622. Ce n’est qu’avec la décision rendue en 1971
par le Conseil constitutionnel que le Préambule de la Constitution de 1958 se verra
reconnaître, avec certitude, une valeur constitutionnelle 623. Avant 1971, la Déclaration des
droits de l’homme et du citoyen a donc acquis une grande visibilité et une grande autorité

619
Les constituants n’avaient pas eu l’intention de conférer une valeur juridique au Préambule et
n’avaient pas souhaité qu’il puisse servir au contrôle de constitutionnalité. Cependant, la jurisprudence,
notamment judiciaire, avait pu parfois réagir comme si le préambule avait une autorité juridique : B.
CHANTEBOUT, Droit constitutionnel, Paris, Armand Colin, 18e éd., 2001, pp. 39-40 et L. FAVOREU et alii,
Droit des libertés fondamentales, op. cit., n° 67.
620
J. PATARIN, Le particularisme de la théorie des preuves en droit pénal, op. cit., n° 7.
621
Il contient en effet la formule suivante : « Le peuple français proclame solennellement son
attachement aux Droits de l'homme et aux principes de la souveraineté nationale tels qu'ils ont été définis
par la Déclaration de 1789, confirmée et complétée par le préambule de la Constitution de 1946 ».
622
Contrairement au constituant de 1946, celui de 1958 n’a pas exclu que puisse s’instaurer un contrôle
de constitutionnalité des lois par rapport aux dispositions visées dans les textes du Préambule. Mais
« Quelle valeur juridique peut-on accorder à l’expression d’un sentiment "d’attachement" ?» a-t-on pu
demander : B. CHANTEBOUT, Droit constitutionnel, op. cit., p. 40.
623
J. RIVERO, note sous Décision n° 71-44 DC du 16 juillet 1971, Actualité juridique droit administratif,
1971, p. 537-542.

211
Le discours sur l’objet

juridique de principe. Personne ne peut cependant lui conférer de place précise dans la
hiérarchie des normes. Mais, elle constitue probablement une référence trop importante aux
libertés publiques pour ne pas attirer l’attention des juristes. L’insertion de la Déclaration
dans les Préambules de 1946, puis de 1958, aura suffit pour fonder l’existence du principe
juridique de la présomption d’innocence. Désormais, le discours doctrinal, en l’absence de
toute autre source formelle, peut rattacher la présomption d’innocence à la Déclaration 624
puis s’appuyer précisément sur ce qui est en train de devenir sa « constitutionnalisation » 625.

Il ne faut cependant pas s’y tromper. La référence donnée à la Déclaration des droits de
l’homme et du citoyen et à sa valeur constitutionnelle, n’a pas pour objet de donner des
développements nouveaux et une garantie plus grande à la présomption d’innocence. En
effet, on remarque qu’en pratique, cette constitutionnalisation de la présomption
d’innocence n’aura aucune incidence. Il faudra attendre bien des années avant que le
Conseil constitutionnel examine la constitutionnalité d’une loi à l’aune de l’article 9 de la
Déclaration 626. De plus, pour garantir respect et effectivité du principe, ce type de contrôle
n’a guère d’intérêt. Il ne vise qu’à limiter le pouvoir du législateur et ne permet pas de
contrôler l’activité du juge. Il nous semble plutôt que le rattachement formel de la
présomption d’innocence, qui coïncide avec la redécouverte de la Déclaration, trouve sa
raison d’être dans la nécessité de fonder le discours doctrinal sur des bases dites positives,
fut-ce a posteriori.

199. Source formelle et caution du discours. La valeur constitutionnelle de la


présomption d’innocence désormais acquise, le discours doctrinal se trouve fondé à affirmer
que l’ordre juridique français reconnaît l’existence de la présomption d’innocence. La
référence au Préambule de la Constitution de 1958 est d’autant plus importante que la
Déclaration des droits de l’homme demeure le seul texte de droit français à énoncer la
présomption d’innocence. Il est vrai que dès 1950, la Convention européenne des droits de
l’homme donnait elle aussi une formulation de la présomption d’innocence. Mais ce texte
n’a été ratifié par la France qu’en 1974, si bien que pendant longtemps, les auteurs
ignoreront l’article 6§2 comme source formelle de la présomption d’innocence 627. Même

624
En 1965 M. Bouloc écrit, à propos des actes de l’instruction : « Si on le présume innocent, ainsi qu’il
convient de le faire en vertu de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, la manifestation de la
vérité sera pour lui le plus sûr moyen de prouver son innocence », L’acte d’instruction, Paris, LGDJ,
1965, p. 530 ; R. VOUIN et J. LÉAUTÉ, Droit pénal et procédure pénale, op. cit., p. 226 ; en 1968 : L.
BOYER, Cours de droit pénal général et de procédure pénale, op. cit., p. 257.
625
G. STÉFANI, Cours de droit pénal général et de procédure pénale, op. cit., p. 563 : « En vertu de la
Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (art. 9) dont le Préambule de la Constitution du 4
octobre 1958 réaffirme solennellement les principes, " tout homme est présumé innocent jusqu’à ce qu’il
ait été déclaré coupable"» ; PH. MERLE, Les présomptions légales en droit pénal, op. cit., n° 4.
626
Le Conseil a évoqué la présomption d’innocence pour la première fois en 1981 : Décision n° 80-127
DC des 19 et 20 janvier 1981 (Loi renforçant la sécurité et protégeant la liberté des personnes).
627
Par ex : J. PATARIN, Le particularisme de la théorie des preuves en droit pénal, op. cit.; G. STÉFANI,
Cours de droit pénal général et procédure pénale, op. cit.; G. STÉFANI et G. LEVASSEUR, Procédure

212
La Révolution : source historique de la présomption d’innocence

après l’entrée en vigueur de la Convention en France, le rattachement à la Déclaration sera


toujours très fort, toujours rappelé par les auteurs 628.

Ce rattachement formel de la présomption d’innocence au texte de la Déclaration résulte


très vraisemblablement de l’influence du positivisme juridique. La présence de la
Déclaration dans le préambule de la Constitution de 1958 a pour conséquence de conférer à
l’article 9 une valeur supra légale. Dans une conception positiviste du droit, l’étude du droit
passe par l’observation des règles qui prennent place dans la hiérarchie normative. Est donc
nécessairement du droit, la règle formulée dans l’une de ces normes. S’agissant de la
présomption d’innocence, sa place dans la Déclaration, et dans ce que l’on a ensuite nommé
le bloc de constitutionnalité, atteste de sa valeur positive. Le discours qui a pour objet la
présomption d’innocence a donc bien pour objet la description, l’explication du droit
positif. Le discours de la doctrine pénale française porte des traces de cette démarche qui
consiste à justifier ses affirmations par référence au droit en vigueur. Rien de plus normal
dira-t-on. Le rôle de la doctrine est bien d’étudier le droit et d’en donner explication,
représentation. Le souci de justifier ce que l’on avance en se référant à un texte juridique est
donc loin d’être choquant. Mais cette façon de procéder, de rattacher la présomption
d’innocence à la Déclaration des droits de l’homme à une période où ce texte est
juridiquement sorti de l’oubli, suscite une interrogation.

En effet, comment justifier le discours antérieur ? Il était en effet question, en doctrine,


de la présomption d’innocence bien avant la redécouverte de la Déclaration des droits de
l’homme. Quelle source du droit criminel avait alors été observée ? Ce n’est pas l’étude de
M. Essaïd qui répond à cette question. Cet auteur donne l’illusion d’une continuité dans
l’histoire de la présomption d’innocence depuis son origine, c'est-à-dire en 1789. Son
discours tend à gommer les périodes où la doctrine s’est totalement désintéressée de cette
question, où la doctrine ignorait même l’expression « présomption d’innocence ».

200. Formulation doctrinale de la présomption d’innocence. La source historique et


formelle de la présomption d’innocence est celle que la doctrine a bien voulu lui conférer, a
posteriori. Il existe nombre d’incertitudes sur sa genèse. Il n’est pas certain que les
constituants aient réellement voulu consacrer une présomption d’innocence dans l’article 9

pénale, 1974, op.cit. ; G. BRIÈRE DE L’ISLE et P. COGNIART, Procédure pénale, op. cit.; cependant : R.
MERLE et A.VITU, Traité de droit criminel, Procédure pénale, 2e éd., 1973, n° 918.
628
V. MASSOL, La présomption d’innocence, op. cit., n° 15 ; J.-R. FARTHOUAT, La présomption
d’innocence, op. cit., p. 53 ; A. TONGLET, La présomption d'innocence et les présomptions en droit pénal,
op. cit., n° 59. Même s’il estime que dans l’article 9 de la Déclaration la présomption d’innocence « fait
pâle figure » à côté de la formulation d’autres grands principes de droit pénal, un auteur comme M.
Lombois se réfère lui aussi à la Déclaration. Il y est comme « contraint ». Dès lors que son projet est
d’étudier la présomption d’innocence pour elle-même, il faut commencer par justifier de sa présence dans
notre droit. Or, en 1990, année où il écrit, la Déclaration est le seul texte de droit français sur lequel il
peut s’appuyer, V. C. LOMBOIS, La présomption d’innocence, op. cit., p. 81.

213
Le discours sur l’objet

de la Déclaration. Même si la tendance actuelle est à lui reconnaître une origine antérieure à
la Révolution, fixer une date de naissance certaine parait périlleux. La règle du doute
favorable est ancienne, de même que le souci de protéger l’innocence. Mais « la
présomption d’innocence » est d’une formulation plus récente.

Son sens renferme alors autre chose que la faveur du doute. Cette formulation de
« présomption d’innocence », on l’a vu, remonte non pas au XVIIIe siècle (où il se disait
effectivement qu’il fallait considérer l’accusé comme innocent) mais à la fin du XIXe siècle
lorsqu’il s’est agi de critiquer les faveurs que la législation accordait aux délinquants. La
formulation de la présomption d’innocence a une origine doctrinale. Cela est manifeste
lorsqu’on veut bien apercevoir que cette formule n’a été longtemps employée que dans la
littérature doctrinale. C’est encore manifeste lorsque les auteurs s’emploient à la découvrir,
après coup, sous les mots de l’article 9 629. On peut alors commencer à mesurer la part que la
doctrine a pu prendre dans l’émergence du concept de présomption d’innocence. La rupture
entre l’Ancien Régime et le droit criminel moderne est donc artificielle. Elle l’est en ce
qu’elle constitue une réécriture de l’histoire. Elle l’est en outre parce qu’elle vise plus à
justifier a posteriori de l’existence d’une règle que pourtant seule la doctrine connaît.

L’interprétation des sources historiques de la présomption d’innocence permet alors


d’entrevoir une part du rôle créateur du discours doctrinal. Le discours sur la présomption
d’innocence ne consiste pas seulement à décrire, expliquer, clarifier, le droit positif.
L’analyse du discours portant sur les sources historiques a montré toute la part
d’interprétation des auteurs. Reste alors à envisager ce que peut nous apprendre le discours
sur les sources, cette fois positives, de la présomption d’innocence.

629
Pour le droit civil, Mme Ranouil avait fait exactement la même observation au sujet de la formule
« autonomie de la volonté ». Cet auteur a en effet observé que les spécialistes de droit international privé,
les premiers à avoir usé de cette expression, ont cherché à la justifier en s’appuyant notamment sur
l’article 1134 du Code civil. Cette référence au Code, lequel ne contenait pas l’expression d’autonomie de
la volonté, s’est ensuite répandue chez l’ensemble des privatistes, V. RANOUIL, L’autonomie de la
volonté : Naissance et évolution d’un concept, Paris, PUF, 1980, p. 65. Pour une comparaison entre
l’usage doctrinal de cette expression et celui de la présomption d’innocence, V. infra, n° 379 et s.

214
CHAPITRE 2
LE DISCOURS SUR LES SOURCES POSITIVES

201. Sources, bases positives et fondement juridique de la présomption d’innocence.


Depuis la deuxième moitié du XXe siècle, la première source positive de la présomption
d’innocence est bien entendu la Déclaration des droits de l’homme de 1789. Elle joue,
comme on l’a vu, aussi bien le rôle de source historique que de source formelle du principe.
L’étude du discours sur les sources positives de la présomption d’innocence vise donc les
autres sources. Celles qui permettent aux auteurs d’affirmer que, la présomption
d’innocence fait bien partie de notre droit positif, voire même qu’il s’agit d’une
présomption légale.

Le terme de « sources » ici employé fait référence aux habitudes de la méthode


juridique. L’étude, l’analyse et la présentation d’une règle juridique débutent généralement
par l’énoncé de la ou des sources de celle-ci. Toutefois, il convient de remarquer que
l’expression de source n’est pas utilisée par les auteurs qui étudient la présomption
d’innocence. La première étude d’ensemble de la présomption d’innocence qui aurait
justifié un tel emploi est la thèse de doctorat de M. Essaïd. Cet auteur, après avoir envisagé
les sources historiques de la présomption d’innocence, a préféré user d’une autre appellation
pour l’étude du droit positif. Ainsi s’est-il proposé de rassembler les « bases positives » de
la présomption d’innocence 630. Les auteurs qui lui ont fait suite, n’ont semble-t-il jamais
utilisé le terme de source.

Ce choix peut aisément s’expliquer. Les règles de procédure pénale tout comme celles
du droit pénal de fond trouvent leur origine dans la loi, et ce en vertu du principe de la
légalité criminelle. Or, les auteurs ne cessent d’écrire que, pendant une longue période, la
présomption d’innocence n’a jamais été inscrite dans un texte de droit français (en dehors
de la Déclaration). Parler de sources aurait donc supposé de pouvoir se référer expressément
à des règles énoncées au Code de procédure pénale. Cela étant impossible, on comprend la
réserve des auteurs 631. Lorsqu’il s’agit d’attester de la valeur juridique de la présomption
d’innocence en droit positif et de se référer aux textes qui l’énoncent, la doctrine emploie
plus volontiers d’autres termes que celui de source. Ainsi peut-on lire que la présomption
d’innocence est : mentionnée, consacrée, affirmée, réaffirmée, proclamée, posée, énoncée,
intégrée, ou encore insérée, dans tel ou tel texte.

630
La présomption d’innocence, op. cit., p. 25.
631
À notre connaissance, il n’existe qu’une exception à cette habitude. En effet, Mlle Daoulas avait choisi
dans sa thèse de présenter les sources françaises de la présomption d’innocence. V. H. DAOULAS,
Présomption d'innocence et preuve pénale, étude comparée des droits français, anglais et canadien, op.
cit., n°12 et s.

215
Le discours sur l’objet

Nous emploierons tout de même le terme de sources, dans le sens où l’on entend le
fondement juridique, textuel, de la présomption d’innocence. Car la doctrine se livre bel et
bien à une recherche et à une présentation des sources positives de la présomption
d’innocence. Un exemple peut d’ailleurs être tiré de la formule utilisée, depuis une
quarantaine d’années, par le professeur Stéfani 632 : « En vertu de la Déclaration des droits
de l’homme et du citoyen … ». Or, le mot vertu, nous indique le vocabulaire Cornu, désigne
« tout à la fois la force et la légitimité, la source et la base d’un droit, d’un pouvoir, etc. ».
La doctrine se réfère ainsi aux dispositions françaises, aux traités internationaux ou encore à
la jurisprudence. L’étude de ce discours montre que l’interprétation des sources présente des
particularités. En effet, la doctrine ne semble pas tant avoir cherché à tirer de ces sources le
sens, la nature ou encore la portée de la présomption d’innocence. L’interprétation vise
plutôt à permettre simplement d’affirmer avec certitude l’existence juridique de cette
présomption (Section 1). Il en résulte alors que l’essentiel des affirmations des auteurs ne
sont pas tirées d’une analyse approfondie des sources. Ces dernières ne venant, en quelque
sorte, qu’en renfort. À partir de cette constatation, nous serons en mesure de poser puis de
nourrir une hypothèse. Il s’agira en effet d’envisager la possibilité que la doctrine puisse
constituer une source particulière, mais une source tout de même, de la présomption
d’innocence (Section 2).

632
Depuis son cours de droit pénal et procédure pénale l’année 1966-67 jusqu’à la dernière édition du
précis Dalloz de procédure pénale, auquel participent depuis de nombreuses années les professeurs
Levasseur et Bouloc.

216
Le discours sur les sources positives

SECTION 1 : L’AFFIRMATION DE L’EXISTENCE JURIDIQUE DE LA


PRÉSOMPTION D’INNOCENCE

202. Présomption et preuve de juridicité. L’affirmation de l’existence juridique d’une


présomption d’innocence procède, comme en témoigne nos précédentes observations, en
tout premier lieu des auteurs eux-mêmes. Le seul fait qu’elle soit un objet du discours
doctrinal, lui confère d’ores et déjà une grande part de sa juridicité. La doctrine juridique
ayant pour objet d’étude général le droit, on comprend bien que tel ou tel objet de la
littérature doctrinale bénéficie ipso facto d’une présomption de juridicité. Cela n’est certes
pas suffisant. La doctrine n’est pas une source du droit et les affirmations qu’elle énonce
sont de nature savante et non pas normative. La chose est entendue de tous. C’est la raison
pour laquelle, théoriquement, ces affirmations doivent de près ou de loin découler des
sources du droit. En matière de présomption d’innocence, la doctrine ne pouvait pas déroger
à cette démarche. L’affirmation de l’existence juridique de la présomption d’innocence
procède en effet aussi bien d’un recours aux règles légales et supra légales (§1) que d’un
recours à la jurisprudence (§ 2). Il s’agira alors d’observer la manière dont, à travers le
temps notamment, la doctrine a pu utiliser ces sources de la présomption d’innocence.

§. 1 LE RECOURS AUX RÈGLES LÉGALES ET SUPRA LÉGALES

203. Présomption légale et valeur supra légale. D’un point de vue formel, la présomption
d’innocence a tardé à faire son apparition dans un texte de droit interne. Cette situation
soulève des interrogations, de même d’ailleurs que la réception, par la doctrine du droit
pénal, de l’inscription récente de la présomption d’innocence dans la loi française. Il
conviendra par conséquent d’envisager en premier lieu cette question de la légalité de
laquelle la doctrine peut conclure à l’existence de la présomption d’innocence (A). Avant
que le principe ne figure dans un texte de droit français, il était formulé dans plusieurs
textes internationaux ou étrangers. La doctrine n’a pas manqué d’y faire référence,
particulièrement lorsque ces sources externes attestent d’une valeur juridique supérieure de
la présomption d’innocence (B).

A- LA QUESTION DE LA LÉGALITÉ DE LA PRÉSOMPTION D’INNOCENCE

204. Légalité implicite et légalité explicite. À une époque où la loi s’abstenait purement et
simplement de toute formulation de la présomption d’innocence, certains auteurs n’ont pas
hésité à la qualifier de présomption légale. L’affirmation procédait semble-t-il d’une
interprétation de la loi. Désormais, avec l’inscription de la présomption d’innocence dans

217
Le discours sur l’objet

deux dispositions de nos codes, c’est à une autre sorte d’interprétation que la doctrine se
livre.

1) L’affirmation de la légalité de la présomption d’innocence

205. La nature de présomption légale. Cette affirmation doctrinale a déjà plusieurs fois
été évoquée dans des développements précédents. Elle consiste à présenter la présomption
d’innocence comme une présomption légale. Or, l’utilisation de l’expression « présomption
légale » renvoie inéluctablement le juriste à la distinction classique entre présomptions
légales et présomptions du fait de l’homme qu’opère l’article 1349 du Code civil. L’article
1350 du même code précise, quant à lui, la définition de la présomption légale 633. En droit
pénal, ces présomptions existent également, bien que regardées avec beaucoup de méfiance,
puisque le plus souvent elles ont pour but de mieux assurer la répression. Une étude entière
leur a d’ailleurs été consacrée 634.

206. Exclusion d’une telle nature. Comme son nom l’indique, la présomption légale
suppose, pour exister, qu’une loi l’ait expressément prévue. Or, tel n’est pas le cas pour la
présomption d’innocence, et on serait même tenté de dire, bien au contraire. La présomption
d’innocence ne répondrait finalement à la qualification de présomption légale, que depuis
l’année 2000 où elle a fait son entrée dans le Code de procédure pénale. Pourtant nombre
d’auteurs, avant la promulgation de cette loi, ont expressément désigné la présomption
d’innocence comme une présomption légale 635. Pendant que d’autres en revanche
n’hésitaient pas à répéter que la présomption d’innocence n’était inscrite ni dans le Code
d’instruction criminelle ni dans le Code de procédure pénale.

Désormais, l’affirmation est rare 636, d’autant plus que les auteurs commencent à discuter
du point de savoir s’il s’agit véritablement d’une présomption au sens technique du terme.
Cette qualification de présomption légale avait d’ailleurs été réfutée par Philippe Merle dès
les premières lignes de sa thèse 637. Toujours est-il que l’expression a eu cours dans la
littérature juridique et qu’on peut s’interroger sur les raisons de son utilisation. Les auteurs

633
Article 1350 : « La présomption légale est celle qui est attachée par une loi spéciale à certains actes
ou à certains faits ; tels sont : 1º Les actes que la loi déclare nuls, comme présumés faits en fraude de ses
dispositions, d'après leur seule qualité ; 2º Les cas dans lesquels la loi déclare la propriété ou la
libération résulter de certaines circonstances déterminées ; 3º L'autorité que la loi attribue à la chose
jugée ; 4º La force que la loi attache à l'aveu de la partie ou à son serment. »
634
PH. MERLE, Les présomptions légales en droit pénal, op. cit.
635
J. CARBONNIER, Le problème de la détention préventive, op. cit., p. 115 ; G. VIDAL et J. MAGNOL,
Cours de droit criminel et de science pénitentiaire, op. cit., n° 715 ; J. PATARIN, Le particularisme de la
théorie des preuves en droit pénal, op. cit., n° 7 ; G. KIEJMAN, Les présomptions de fait de culpabilité et la
présomption légale d’innocence, op. cit.
636
V. cependant, A. TONGLET, La présomption d'innocence et les présomptions en droit pénal, op. cit., n°
59.
637
PH. MERLE, Les présomptions légales en droit pénal, op. cit., n° 3 : « L’expression "présomption
légale" peut recouvrir des techniques qui, sticto sensu, ne sont pas des présomptions légales, et qui, en
réalité, appartiennent à la catégorie des principes généraux. Telle semblent être la "présomption"
d’innocence et la "présomption" de connaissance de la loi ».

218
Le discours sur les sources positives

ayant employé l’expression de « présomption légale d’innocence » n’ont souvent pas


justifié ce choix, comme si finalement le caractère légal de la présomption d’innocence
allait de soi. Nous avons cependant cru pouvoir expliquer cet emploi en rappelant qu’à la
fin du XIXe siècle le criminologue italien Enrico Ferri l’avait pour la première fois utilisée,
pour fustiger la présomption d’innocence. Et ce n’est qu’à sa suite, que les auteurs français
ont en quelque sorte, importé « la présomption légale d’innocence ».

207. La présomption d’innocence dans l’esprit du Code. Pour comprendre cette


référence à la légalité de la présomption il ne convient pas de se référer à la lettre de la loi
mais plutôt à son esprit. En effet, s’il ne fait aucun doute qu’aucune disposition de droit
positif n’énonçait la présomption d’innocence, en revanche les auteurs ont pu se référer à
plusieurs dispositions du Code d’instruction criminelle pour affirmer son existence. Ainsi,
certaines dispositions ont-elles étaient analysées comme des traductions, des corollaires, des
conséquences de la présomption d’innocence. Tel serait le cas pour la liberté provisoire de
l’accusé ou du prévenu pendant l’appel ou le pourvoi en cassation, l’impossibilité
d’aggraver le sort du condamné sur son appel ou son pourvoi en cassation, l’exclusion de
toute révision en cas d’acquittement, l’absolution en cas de partage des voix ainsi que le
décompte favorable des bulletins blancs ou nuls en cour d’assises. Ce sont ces règles
protectrices de l’accusé que Ferri jugeait dangereuses et illogiques. Ce sont ces mêmes
règles que les auteurs ont présenté ou présentent encore aujourd’hui comme les traductions
de la présomption d’innocence 638. La doctrine en a induit l’existence d’un principe ou d’une
règle présumant l’innocence. Les auteurs ont trouvé la raison d’être de ces mesures
favorables dans une règle implicite, qu’ils ont alors formulée sous l’expression
« présomption d’innocence » 639. Ainsi, n’est-ce pas la loi au sens formel, mais la loi pénale
au sens large qui semble consacrer la présomption d’innocence.

638
R. GARRAUD, Traité théorique et pratique d’instruction criminelle et de procédure pénale, tome I, op.
cit., n° 234 ; G. VIDAL et J. MAGNOL, Cours de droit criminel et de science pénitentiaire, op. cit., n° 715 ;
P. BOUZAT et J. PINATEL, Traité de droit pénal et de criminologie, op. cit., n° 1183 ; plus récemment : R.
MERLE et A. VITU, Traité de droit criminel, Procédure pénale, 5e éd., op. cit., n° 144 ; F. DEBOVE et F.
FALLETTI, Précis de droit pénal et de procédure pénale, op. cit., p. 226 ; S. GUINCHARD et J. BUISSON,
Procédure pénale, 3e éd., op. cit., n° 371 ; J. PRADEL, Procédure pénale, 12e éd., op. cit., n° 395.
Aujourd’hui, ce sont les articles 358 du Code de procédure pénale (décompte favorable des bulletins
blancs ou nuls en cour d’assises), 359 (exigence d’une majorité qualifiée pour une décision défavorable à
l’accusé, 471(mise en liberté immédiate du prévenu nonobstant appel), 515 alinéa 2 (impossibilité
d’aggraver le sort du prévenu autrement que sur un appel du ministère public), 572 (admission du seul
pourvoi dans l’intérêt de la loi contre les arrêts d’acquittement) et 622 (demande en révision d’une
décision au seul bénéfice de la personne reconnue coupable) qui sont regardées comme des traductions de
la présomption d’innocence dans la loi.
639
Cette méthode s’apparente à ce que M. Bergel désigne comme la méthode de coordination des textes
par référence à des principes fédérateurs et qu’il exprime ainsi : « Par induction, on peut extraire du
rapprochement d’un certain nombre de règles de droit la règle générale commune qui s’y trouve en
"suspension", mais qui n’y est pas expressément énoncée et qui exprime l’esprit du système en fonction
duquel doit s’opérer l’articulation de ces diverses dispositions», J.-L. BERGEL, La coordination des
sources du droit, in La méthodologie de l’étude des sources du droit, Actes du 6e congrès de l’Association
Internationale de Méthodologie Juridique (Pise, 23-25 septembre 1999), PUAM, 2001, p. 135.

219
Le discours sur l’objet

M. Essaïd y a beaucoup insisté. L’auteur a consacré d’importants développements à la


démonstration de la légalité de la présomption d’innocence par l’esprit de la loi. Abordant la
question de la place de son objet d’étude dans le droit positif, l’auteur avait en effet pris la
précaution d’écarter l’hypothèse d’une présomption légale au sens classique de
l’expression, c'est-à-dire consacrée par une disposition légale en estimant que « la véritable
présomption légale d’innocence, il faut la chercher ailleurs » 640. Car selon lui, « si la
présomption d’innocence n’est pas formulée directement, elle n’en n’inspire pas moins les
principales dispositions de ce code [celui de procédure pénale] » 641. M. Essaïd donne alors
à titre d’exemple des dispositions du Code de procédure pénale qui, soit quant à la forme 642,
soit quant au fond 643, témoignent du souci du législateur de préserver la présomption
d’innocence. En écrivant cela, M. Essaïd cherchait simplement, précisait-il, « à montrer que
la présomption d’innocence fait indéniablement partie du droit positif français » 644. À la
suite de cet auteur, d’autres pénalistes affirmeront que la présomption d’innocence domine
toute la procédure pénale française, jusqu’à ce que cette idée soit en grande partie reprise
par le législateur du XXIe siècle, en consacrant une loi au renforcement de la présomption
d’innocence et en la faisant figurer en tête du Code de procédure pénale.

Pour d’autres auteurs, la légalité de la présomption d’innocence semble, non pas, induite
des dispositions du Code, mais plutôt déduite de la constitutionnalisation de la présomption
d’innocence. Telle semble être la position adoptée par M. Patarin lorsqu’il estime que
« c’est une véritable présomption légale, qu’on nomme à juste titre présomption
d’innocence et qui en notre matière fait peser l’entier fardeau de la preuve sur la partie
poursuivante » après avoir seulement relevé qu’elle était reprise par le préambule de
1946 645. Ce sera explicitement le cas de Mlle Tonglet, pour qui la constitutionnalisation de
la présomption d’innocence en fait une véritable présomption légale qui transcende aussi
bien les autres présomptions légales que les présomptions simplement jurisprudentielles 646.
En revanche, lorsque M. Kiejman choisit l’expression de « présomption légale
d’innocence » dans le titre même de son intervention lors d’un colloque sur l’innocence, il y
a probablement une certaine ironie et une critique dissimulée à l’endroit de ceux qui
avancent un peu vite cette légalité, plutôt qu’une affirmation tranchée de cette légalité 647.

640
M.-J. ESSAÏD, La présomption d’innocence, op. cit., n° 50.
641
M.-J. ESSAÏD, La présomption d’innocence, op. cit., n° 60.
642
Précautions de style dans les formules employées par le code qui préservent la présomption
d’innocence, V. n° 61.
643
Caractère exceptionnel de la détention préventive et encadrement strict des mesures de garde à vue, V.
M.-J. ESSAÏD, op. cit.,n° 62.
644
M.-J. ESSAÏD, La présomption d’innocence, op. cit., n° 63.
645
J. PATARIN, Le particularisme de la théorie des preuves en droit pénal, op. cit., n° 7.
646
A. TONGLET, La présomption d'innocence et les présomptions en droit pénal, op. cit., n° 42.
647
G. KIEJMAN, Les présomptions de fait de culpabilité et la présomption légale d’innocence, op. cit. En
effet, tout l’exposé du célèbre avocat tend à démontrer qu’en dépit des effets d’annonce dont bénéficie

220
Le discours sur les sources positives

Enfin, on pourrait songer tout simplement, comme le suggère d’ailleurs également M.


Patarin, que la qualification de présomption légale résulte de la fonction d’attribution du
fardeau de la preuve qu’assure la présomption d’innocence. En effet, la présomption légale
ayant pour objet de faciliter l’administration de la preuve, celle qui dispense l’accusé de
faire la preuve de son innocence est alors bien une présomption légale. Là encore
cependant, on rappellera que le principe d’attribution du fardeau de la preuve n’est prévu
par aucun texte de droit pénal. L’attribution du fardeau de la preuve à l’accusation résulte
de l’adage actori incumbit probatio, lequel ne connaît de traduction que dans le Code civil,
à l’article 1315.

On le voit, l’affirmation de la légalité de la présomption d’innocence résulte dans tous


les cas d’une interprétation de la loi au sens large. On voit également que les auteurs visent
par là simplement à affirmer l’existence de la présomption d’innocence dans le droit positif
français, particulièrement à une époque où aucune loi ne la consacrait. La question se pose
alors de savoir si la doctrine a appelé de ses vœux une telle inscription de la présomption
d’innocence dans une loi française et plus particulièrement dans le Code de procédure
pénale. À vrai dire, une réponse nette ne semble pas pouvoir être donnée. En effet, avec le
temps, cette question a présenté moins d’intérêt pour laisser place à une autre : celle de la
valeur juridique de la présomption d’innocence. Elle se pose en effet depuis que la
présomption d’innocence a été, à deux reprises, expressément inscrite dans la loi après avoir
reçu consécration par des normes supérieures.

2) L’inscription de la présomption d’innocence dans la loi

208. Consécration légale. Désormais, la présomption d’innocence est visée dans deux
dispositions législatives du droit français, d’une part par l’article 9-1 du Code civil 648, dont
la rédaction a été changée plusieurs fois depuis son insertion initiale par la loi du 4 janvier
1993, et d’autre part, par l’article préliminaire III du Code de procédure pénale 649 issu de la

généralement la présomption d’innocence, visée par la Constitution, celle-ci se trouve considérablement


rongée par de simples, mais redoutables, présomptions de fait.
648
« Chacun a droit au respect de la présomption d'innocence ».
Lorsqu'une personne est, avant toute condamnation, présentée publiquement comme étant coupable de
faits faisant l'objet d'une enquête ou d'une instruction judiciaire, le juge peut, même en référé, sans
préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire toutes mesures, telles que l'insertion d'une
rectification ou la diffusion d'un communiqué, aux fins de faire cesser l'atteinte à la présomption
d'innocence, et ce aux frais de la personne, physique ou morale, responsable de cette atteinte. »
649
« Toute personne suspectée ou poursuivie est présumée innocente tant que sa culpabilité n'a pas été
établie. Les atteintes à sa présomption d'innocence sont prévenues, réparées et réprimées dans les
conditions prévues par la loi.
Elle a le droit d'être informée des charges retenues contre elle et d'être assistée d'un défenseur.
Les mesures de contraintes dont cette personne peut faire l'objet sont prises sur décision ou sous le
contrôle effectif de l'autorité judiciaire. Elles doivent être strictement limitées aux nécessités de la
procédure, proportionnées à la gravité de l'infraction reprochée et ne pas porter atteinte à la dignité de
la personne. »

221
Le discours sur l’objet

fameuse loi du 15 juin 2000 sur la présomption d’innocence. On peut alors se demander ce
qui a poussé le législateur à faire figurer la présomption d’innocence dans un texte légal. La
doctrine aurait-elle fait des suggestions en ce sens ? Des éléments de réponse sont à
rechercher tout d’abord dans les opinions doctrinales concernant l’absence de consécration
légale.

209. La question de l’absence de consécration légale dans le discours. En réalité, les


éléments de réponse apparaissent en demi-teinte. Comme on l’a souvent souligné, nombre
d’auteurs ont fait observer que ni le Code d’instruction criminelle de 1808 ni le Code de
procédure pénale de 1958 650 n’y faisaient allusion. Toutefois, rares sont les auteurs qui s’en
sont ouvertement étonnés ou qui ont manifesté un regret. M. Essaïd s’était pourtant
interrogé sur ce silence et avait d’ailleurs employé le terme de « lacune » à propos de
l’absence de la présomption d’innocence dans le Code de 1958. En effet, l’auteur estimait
qu’une réaffirmation aurait, sinon en droit, du moins en fait une grande importance 651.
Mais, il avait tenté d’expliquer les raisons pour lesquelles le législateur de 1958 avait
renoncé à l’inscrire dans le nouveau Code de procédure pénale. Or il était apparu que la
présomption d’innocence était un principe trop abstrait pour être formulé dans la loi, mais
qu’en tout état de cause il avait valeur constitutionnelle et inspirait les dispositions de
procédure pénale 652. C’est d’ailleurs cette valeur constitutionnelle qui le plus souvent est
avancée par la doctrine pour minimiser l’importance de cette « lacune » 653. M. Pradel avait,
quant à lui, souligné que la présomption d’innocence relevait de la tradition 654. Ainsi, dans
l’ensemble, les pénalistes n’ont-ils pas réellement formulé de suggestion en direction du
législateur pour qu’il inscrive la présomption d’innocence dans le Code de procédure
pénale 655. En revanche, lorsque le législateur souhaitant formuler la présomption

Il doit être définitivement statué sur l'accusation dont cette personne fait l'objet dans un délai
raisonnable.
Toute personne condamnée a le droit de faire examiner sa condamnation par une autre juridiction. »
650
M.-J. ESSAÏD, La présomption d’innocence, op. cit. ; R. MERLE et A.VITU, Traité de droit criminel,
Procédure pénale, 5e éd. ; V. MASSOL, La présomption d’innocence, op. cit. ; S. GUINCHARD et J.
BUISSON, Procédure pénale, 3e éd., op. cit. ; C. AMBROISE-CASTÉROT, Rép. Pén. et Proc. Pén. v°
Présomption d’innocence, op. cit. ; S. DETRAZ, La prétendue présomption d’innocence, op. cit.
651
« Les praticiens, policiers ou magistrats, sont plus habitués à manier un code de procédure qu’une
charte constitutionnelle. Un article, qui leur rappelle constamment et quelles que soient les
circonstances, qu’ils ont affaire à un présumé innocent, contribuerait probablement à une protection plus
efficace des droits de la défense et de la liberté individuelle», n ° 59.
652
M.-J. ESSAÏD, La présomption d’innocence, op. cit., n° 59.
653
V. MASSOL, La présomption d’innocence, op. cit., n° 15 ; C. AMBROISE-CASTÉROT, Rép. Pén. et Proc.
Pén., v° Présomption d’innocence, n° 6 ; S. GUINCHARD et J. BUISSON, Procédure pénale, 3e éd., op. cit.,
n° 482.
654
J. PRADEL, Procédure pénale, 3e éd., 1985, n° 252 : « Quoique affirmée expressément, ni dans le Code
d’instruction criminelle, ni dans le Code de procédure pénale, cette règle est traditionnelle ». On pourrait
alors se demander à quelle tradition ce professeur se réfère. Sous-entendrait-il que la présomption
d’innocence pourrait trouver sa source dans une coutume ?
655
Nous verrons toutefois qu’à partir des années 90 ce souhait sera très explicitement formulé et sera
exaucé par le législateur du nouveau millénaire.

222
Le discours sur les sources positives

d’innocence dans une loi, a choisi d’insérer un nouvel article dans le Code civil, les auteurs
ont manifesté une certaine surprise.

210. L’insertion de l’article 9-1 dans le Code civil. C’est par une loi votée le 4 janvier
1993 656 que le législateur a inscrit pour la première fois la présomption d’innocence dans un
texte législatif français. L’exposé des motifs indiquait que « dans son troisième titre relatif
à la suppression de l'inculpation et au renforcement des droits des parties au cours de
l'information, le projet tend à rendre au principe de la présomption d’innocence sa pleine
portée et à assurer un meilleur équilibre entre les pouvoirs du ministère public et les droits
des parties à la procédure» 657. Et en effet, c’est par cette loi que l’inculpation s’est vue
remplacée par la mise en examen que nous connaissons aujourd’hui et qui a paru plus
protectrice de la présomption d’innocence.

Toutefois, le projet de loi ne prévoyait absolument pas la création de l’article 9-1 du


Code civil. Ce n’est que par voie d’amendement que cette disposition a finalement été
adoptée. Alors que le rapport de la Commission justice et droits de l’homme préconisait la
création d’un article en tête du Code de procédure pénale où aurait figuré entre autres, la
présomption d’innocence, le législateur de 1993 a écarté cette proposition 658. En revanche,
lors de la discussion du projet devant l’Assemblée nationale, l’amendement proposé par M.
Vauzelle, Garde des sceaux, a reçu les faveurs des parlementaires 659. Initialement, cet
amendement prévoyait que le premier alinéa de l’article 9-1 du Code civil serait ainsi
rédigé : « Chacun est tenu de respecter la présomption d’innocence», mais il fut sous-
amendé afin de lui donner la rédaction que nous lui connaissons aujourd’hui. M. Vauzelle
ne s’est pas expliqué sur les raisons exactes de cette proposition soudaine d’amendement 660.

On a pu cependant y voir la reprise d’une suggestion formulée quelques années


auparavant par l’avocat Henri Leclerc 661. Il est en tout cas certain que l’article 9-1, bien

656
L. n° 93-2, 4 janvier 1993 portant réforme de la procédure pénale : JO 5 janv. 1993, p. 215.
657
Projet de loi portant réforme de la procédure pénale, AN, n° 2585.
658
D’ailleurs, Le rapporteur Pezet avait déposé un amendement tendant à introduire en tête du Code de
procédure pénale la liste des principes généraux, directeurs du procès pénal, comme le suggérait le
rapport de la Commission justice et droit de l’homme. M. Toubon avait, quant à lui, critiqué cet
amendement au nom du risque de confusion et par la nécessité de traduire cela dans le droit positif.
Finalement, l’amendement fut rejeté.
659
Amendement n° 11, discuté devant l’Assemblée du 8 octobre 1992.
660
Sollicité par nos soins, l’ancien garde des sceaux a laissé notre question sans réponse.
661
En effet, le célèbre avocat avait plaidé en ce sens dans son intervention faite lors d’un colloque. Après
avoir montré combien le secret de l’instruction pouvait être violé par la presse lorsqu’elle révèle le nom
de personnes inculpées ainsi que le détails des enquêtes en cours, l’auteur s’était interrogé sur la nécessité
de réprimer de telles pratiques. C’est à cette occasion qu’il avait jugé bon que le législateur introduise
dans le code civil une disposition semblable à l’article 9 de façon à ériger la présomption d’innocence au
niveau de la protection d’un intérêt essentiel. V. H. LECLERC, Une loi quotidiennement et impunément
violée, in Justice pénale, police et presse, Travaux de l’institut de sciences criminelles de Poitiers, vol. 7,
Cujas, 1988, p. 65.

223
Le discours sur l’objet

qu’ayant sa place dans le Code civil, vise en partie à combler une lacune 662. La loi du 4
janvier 1993 a été vivement critiquée sur certains points, comme la réforme de l’instruction
ou de la garde à vue, si bien que, suite à un changement de majorité parlementaire, elle a été
aussitôt réformée par une loi du 24 août 1993. Ce que l’on peut alors appeler « la réforme
de la réforme » a tout de même conservé l’article 9-1 du Code civil mais a modifié sa
rédaction afin d’en restreindre le champ d’application 663.

211. Réaction doctrinale face à cette première consécration législative. Les premiers
commentaires de la loi du 4 janvier, aussi bien d’ailleurs que ceux de la loi du 24 août 1993,
se sont fort peu intéressés à cette nouvelle consécration de la présomption d’innocence. Le
professeur Pradel, par exemple, n’en soufflait mot dans son commentaire de la loi du 4
janvier 664. On en comprend peut-être la raison à l’énoncé évocateur du titre de sa
chronique 665. Un magistrat, très critique à l’égard de cette réforme, a publié un assez long
commentaire, mais ce n’est qu’in fine que l’on peut y trouver une brève allusion à l’article
9-1 du Code civil 666. On pourrait encore évoquer la chronique d’un autre magistrat traitant
pourtant, deux ans après la réforme, du secret de l’instruction et qui ne cite pas une seule
fois le texte civil 667. Les pénalistes ont naturellement fini par évoquer cette nouvelle
disposition pour l’intégrer à leurs développements sur la présomption d’innocence668.
Cependant, certains auteurs n’ont pas manqué de manifester une certaine surprise voire un
certain agacement. En effet, il est rapidement apparu que la présomption d’innocence
n’avait tout simplement pas sa place dans le Code civil.

Ainsi M. Conte avait-il écrit : « Le principe de l’innocence présumée ne peut (…) être
étudié qu’au regard d’un individu suspecté d’avoir commis une infraction - si bien que les
dispositions de l’art. 9-1 ne sont guère à leur place dans un Code civil -» 669. En 1995, Mme
Rassat publiait la deuxième édition de son manuel et prenait acte du nouveau texte en ces

662
Défendant son amendement, le ministre avait ainsi déclaré : « Cet amendement a pour objet d’inscrire
pour la première fois dans notre législation – on voudra bien y voir la volonté louable de combler une
lacune importante – le droit qu’a toute personne de voir respectée la présomption de son innocence,
lorsqu’elle se trouve mêlée, de quelque façon, à une procédure de caractère judiciaire. »
663
En effet, il résultait de la loi du 24 août 1993 que ce n’était plus n’importe quelle personne présentée
comme coupable qui pouvait agir sur le fondement de ce texte pour voir réparer les atteintes à la
présomption d’innocence, mais seulement la personne soit gardée à vue, soit mise en examen, soit faisant
l’objet d’une citation à comparaître en justice, soit encore visée par un réquisitoire introductif ou une
plainte avec constitution de partie civile. La loi du 15 juin 2000 a redonné au texte sa version initiale.
664
Il s’y intéressera cependant à propos de la loi du 24 août : J. PRADEL, Les droits de la personne
suspecte ou poursuivie depuis la loi n° 93-1013 du 24 août 1993 modifiant celle du 4 janvier précédent.
Un législateur se muant en Pénélope ou se faisant perfectionniste ? D. 1993, p. 299.
665
J. PRADEL, Observation brèves sur une loi à refaire, D. 1993, p. 39.
666
JEAN-LUC, De la présomption d’innocence à la présomption de charges ou l’étrange réforme de la
procédure pénale de maître Vauzelle, Gaz. Pal.1993. I. p. 342 à 365.
667
C. COHEN, De la présomption d’innocence au secret de l’instruction : la double impasse, Gaz. Pal.
1995. II. p. 951.
668
Sur lesquels nous reviendrons en abordant la question de l’interprétation des nouvelles dispositions.
669
PH. CONTE, Pour en finir avec une présentation caricaturale de la présomption d’innocence, Gaz. Pal.
2-3 juin 1995, p. 22.

224
Le discours sur les sources positives

termes : « Cette situation surprenante [la consécration expresse du principe de la


présomption d’innocence dans l’article 9-1 du Code civil] a été justifiée par le fait qu’il
s’agirait d’un droit de la personnalité ayant vocation générale (…). L’emplacement choisi à
la suite de l’article 9 relatif au respect de la vie privée est significatif de ce point de vue. Il
n’en manifeste pas moins une erreur de celui-ci. Une évidente différence oppose, en effet, le
respect de la vie privée et celui de la présomption d’innocence » 670. De nos jours, et malgré
l’article préliminaire III du Code de procédure pénale, on continue de juger « inattendue »
la place de la présomption d’innocence dans le Code civil 671. Quitte en effet à trouver
enfin une consécration, on préfère tout de même que ce soit dans le Code de procédure
pénale 672. C’est désormais le cas, et il convient de se demander si la doctrine a pu contribuer
à cette nouvelle consécration.

212. L’introduction de la présomption d’innocence dans le Code de procédure pénale.


Si la doctrine, pendant de longues années, n’a pas suggéré au législateur d’inscrire la
présomption d’innocence dans le Code, à partir des années quatre-vingt-dix certaines voies
se sont exprimées en ce sens. Plus précisément, c’est l’énoncé des principes directeurs du
procès pénal que l’on a songé à inscrire dans un article placé en tête de ce code. Si bien que
la proposition ne concernait pas exclusivement la présomption d’innocence, cette dernière
n’était qu’un principe, parmi d’autres déjà connus, dont on a estimé qu’il serait bon de les
rappeler dès le seuil du Code de procédure pénale.

La proposition fut émise dans le rapport remis, en 1990, par la Commission justice
pénale et droits de l’homme au Garde des sceaux de l’époque, M. Arpaillange. Cette
commission, présidée par le professeur Mireille Delmas-Marty, avait en effet été chargée de
réfléchir sur la mise en état des affaires pénales 673. Le rapport préliminaire remis au
ministre en novembre 1989, s’interrogeait sur la question de savoir quels principes devaient
encadrer cette phase du procès 674. La présomption d’innocence était alors définie, ses
conséquences et prolongements éventuels envisagés 675. Quant au rapport final, remis en juin
1990, il avait pour objet de définir les « lignes de force d’une réforme de la procédure

670
M.-L. RASSAT, Procédure pénale, 2e éd., n° 191.
671
Par exemple : TH. GARÉ et C. GINESTET, Droit pénal et procédure pénale, Dalloz, Hyper Cours, 3e éd.,
2004, n° 393.
672
C’est ce qui ressort, implicitement, des termes employés par Mme Ambroise-Castérot, Rép. Pén. et
Proc. Pén., v° Présomption d’innocence, n° 6 : « Chacun s’accorde à dire que la présomption
d’innocence est un des fondements du droit pénal. Il peut paraître alors étonnant, et notamment pour les
jeunes juristes découvrant la matière sur les bancs des universités, que l’énoncé de ce principe était,
jusqu’à ces dernières années, absent de ces codes qu’ils chérissent (…). Il a fallu attendre une loi de
1993 pour qu’il pénètre le code civil et une loi de 2000 pour que sa présence soit enfin matérialisée dans
un texte du code de procédure pénale » (C’est nous qui soulignons).
673
COMMISSION JUSTICE PÉNALE ET DROITS DE L’HOMME, La mise en état des affaires pénales, Paris, La
documentation française, 1991.
674
La mise en état des affaires pénales, op. cit., p. 69.
675
La mise en état des affaires pénales, op. cit., p. 85 et s.

225
Le discours sur l’objet

pénale ». Dès l’introduction était évoquée la proposition de faire figurer ces principes du
procès pénal en tête du Code et ce en dépit d’opinions divergentes exprimées dans les avis
donnés à la commission. S’agissant de la présomption d’innocence, la commission faisait
observer que « l’importance du principe commande son inscription en tête du Code de
procédure pénale, bien qu’il figure déjà dans la Déclaration des droits de l’homme et la
Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés
fondamentales » 676. On l’a vu, cette proposition n’avait pas été retenue lors des réformes de
la procédure pénale mises en oeuvre en 1993. Il n’en reste pas moins qu’elle était novatrice,
elle soulignait en outre l’importance de la présomption d’innocence ainsi que la nécessité, et
non pas seulement l’utilité, de la faire figurer dans le Code de procédure pénale.

213. Une origine doctrinale de l’article préliminaire ?. La proposition de la commission


Delmas-Marty n’était pas d’origine doctrinale, du moins au sens habituel du terme.
Contenue dans un rapport commandé par le ministre de la justice, elle ne peut s’analyser
véritablement en un enseignement, au sens large, de la doctrine. De plus, plusieurs membres
de la commission ne pouvaient se voir reconnaître la qualité d’auteurs de doctrine. Enfin,
même si les propositions émises témoignent d’un consensus obtenu au terme d’un travail
collectif, le rapport remis par une commission ne saurait faire l’objet d’une analogie avec ce
que l’on appelle la doctrine unanime.

Les particularités d’un tel travail pourraient cependant ne pas faire complètement
obstacle à un rapprochement avec l’opinion doctrinale. Tout d’abord, signalons que cette
commission était présidée par Mme Delmas-Marty, membre incontesté de la doctrine
pénaliste, et qu’elle comprenait également un autre représentant, Mme Koering-Joulin. Or,
on a fait observer qu’il n’y a là, à la fois rien d’étonnant ni de critiquable à cette présence.
En effet, « il est normal qu’après un certain nombre d’années passées à réfléchir sur le
droit positif, et donc à proposer des solutions, les membres de la doctrine aient le désir de
participer de plus près à l’élaboration des textes » 677. Au-delà du simple désir, il faut bien
admettre que ce sont les connaissances scientifiques des auteurs qui sont recherchées pour
nourrir la réflexion de ces commissions. Par là, le pouvoir exécutif reconnaît l’existence et
la valeur des opinions doctrinales. Il en résulte que si le rapport final ne porte
qu’indirectement la trace de l’œuvre doctrinale 678, celle-ci existe incontestablement.
Abondent également dans ce sens les auditions auxquelles procèdent ces commissions.
Parmi les personnes entendues, figurent des membres reconnus de la doctrine. En l’espèce,
la Commission justice pénale et droits de l’homme avait notamment entendu Mme Rassat,

676
La mise en état des affaires pénales, op. cit., p. 118. C’est également à cette occasion que la
commission proposait ce qui deviendra beaucoup plus tard la reconnaissance préalable de culpabilité.
677
PH. JESTAZ et CH. JAMIN, La doctrine, op. cit., p. 179.
678
Celle-ci étant finalement mêlée avec les appréciations et suggestions des praticiens (magistrats et
avocats) qui composent également ces commissions.

226
Le discours sur les sources positives

M. Laingui et M. Kiejman. Dès lors, il nous semble tout à fait possible de penser que la
doctrine joue l’un de ses rôles les plus éminents même à travers sa participation à des
commissions réfléchissant sur une réforme du droit positif. Ainsi, s’agissant de la
présomption d’innocence, la doctrine a, sinon émis la proposition de voir figurer la
présomption d’innocence dans le Code de procédure pénale, du moins largement participé à
son introduction. Il y avait, de toute façon, un précédent lointain avec le souhait formulé par
M. Essaïd en 1969, même si celui-ci ne parlait pas d’article préliminaire à l’époque.

Cette dynamique doctrinale se confirme avec une proposition allant dans le même sens
et formulée dans un temps plus proche de la loi du 15 juin 2000. En effet, Mme Rassat, dont
on ne doutera pas de sa participation à la doctrine pénaliste, s’était vue confiée par le
ministre de la justice M. Toubon, la tâche de « procéder à une réflexion d'ensemble sur
notre procédure pénale » 679. Le rapport remis au ministre n’est pas paru aux éditions de la
Documentation française 680 mais est disponible par voie électronique sur le site de cet
éditeur officiel. Il a en outre fait l’objet d’une publication aux éditions Dalloz 681. La
présomption d’innocence y prend une place assez importante puisqu’elle fait l’objet du titre
premier d’un livre préliminaire du Code de procédure pénale que l’auteur proposait de
consacrer aux principes généraux. Contrairement aux propositions de la Commission justice
pénale et droits de l’homme, la présomption d’innocence occupe ici la première place,
réellement en tête du Code, puisqu’elle fait l’objet du premier article du livre
préliminaire 682. La réforme du Code de procédure pénale a finalement été mise en œuvre
par un gouvernement de cohabitation. Au début de l’année 1997, le président de la
République a institué une nouvelle commission chargée de préparer une nouvelle réforme.
Dans sa lettre de mission le président mettait déjà l’accent sur la présomption
d’innocence 683. La Commission de réflexion sur la justice, présidée par le haut magistrat
Pierre Truche, a donc elle aussi rédigé un rapport en ce sens 684. Toutefois, l’idée d’inscrire
la présomption d’innocence n’avait pas été ici reprise. Elle ne le sera qu’avec l’élaboration
de la loi du 15 juin 2000.

679
Lettre de mission du Garde des sceaux en date du 22 novembre 1995.
680
À ce sujet, et plus largement sur la méthode de l’auteur dans la réalisation de sa mission, les
explications de Mme Rassat sont fort intéressantes, V. M.-L. RASSAT, L’élaboration des propositions de
réforme du Code de procédure pénale : L’histoire d’une méthode doctrinale, in HÉCQUARD-THÉRON (M.)
(dir.), Les facultés de droit inspiratrices du droit ? op. cit., p. 145.
681
Propositions de réforme du Code de procédure pénale, Paris, Dalloz, 1997.
682
Propositions de réforme du Code de procédure pénale : rapport à M. le garde des sceaux, op. cit., p.
45. V. : [http://lesrapports.ladocumentationfrancaise.fr/BRP/974035000/0000.pdf].
683
« La présomption d’innocence est un droit fondamental, reconnu dans la déclaration de 1789. La
dignité de la personne et l’harmonie sociale exigent qu’elle soit strictement respectée. Ce n’est pas
toujours le cas aujourd’hui. Votre commission devra donc s’interroger sur les meilleurs moyens de ne
laisser envisager la culpabilité qu’au moment où elle est suffisamment avérée».
684
Rapport de la commission de réflexion sur la justice, Paris, La Documentation française, 1997.

227
Le discours sur l’objet

214. Empreintes doctrinales. Le processus d’élaboration de cette loi du 15 juin 2000 offre
des exemples du rôle que peut jouer la doctrine dans la conception que le législateur a pu se
faire de la présomption d’innocence. À cet égard, les premiers mots employés par la
ministre de la justice dans l’exposé des motifs du projet se montrent symboliques : « La
présomption d’innocence constitue un principe cardinal de la procédure pénale dans un
État de droit » 685. En effet, cette formule est directement reprise de la doctrine 686. En outre,
c’est au moment de la rédaction de ce projet de loi qu’a été concrétisée l’idée d’écrire un
article préliminaire dans lequel figurerait la présomption d’innocence687. Or, la touche
doctrinale s’est ici encore manifestée, quoique de façon discrète. On peut tout d’abord
observer que le rapporteur du projet de loi devant l’Assemblée nationale était en même
temps un membre de la doctrine puisque Mme Christine Lazerges est professeur de droit
pénal. La députée a accompagné l’insertion de cet article préliminaire dans le Code de
procédure pénale. Le rapport fait devant l’Assemblée au nom de la commission des lois
signale d’ailleurs qu’initialement cette proposition avait été émise par la Commission
Delmas-Marty 688. En outre, Mme Lazerges entendait défendre personnellement l’article
préliminaire. Ainsi a-t-elle écrit : « Rapporteur du projet devant l’Assemblée nationale, je
proposerai que soient d’abord énoncés les principes généraux de la procédure pénale avant
de développer ceux qui intéressent spécifiquement la victime ou le délinquant ». Et
d’ajouter après une proposition d’énoncé : « Le texte proposé s’inspire largement du
rapport de la Commission Delmas-Marty » 689. Il est fréquent de relever dans le discours
doctrinal un certain hommage fait à cette commission. Les auteurs soulignent volontiers
qu’elle était présidée par Mireille Delmas-Marty et d’ailleurs se réfèrent plus souvent à la
« commission Delmas-Marty » qu’à la « commission justice pénale et droits de l’homme ».
Il y a là une manière de souligner l’empreinte doctrinale sur cette importante réforme. C’est
par exemple la cas de Mme Koering-Joulin qui, à propos de l’alinéa 2 de l’article 9-1 du
Code civil, estime qu’ « il aurait été beaucoup mieux à sa place au sein du Code de
procédure pénale » et se réfère à la proposition de la commission d’insérer la présomption

685
E. GUIGOU, Projet de loi renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des
victimes, AN. N° 1079, septembre 1998, p. 3.
686
V. notamment, R. KOERING-JOULIN, La présomption d'innocence, un droit fondamental ? op. cit., p.
20.
687
Projet de loi renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes, op. cit.,
p. 4.
688
« La commission Justice pénale et Droits de l'homme a défini à partir du bloc de constitutionnalité,
des textes internationaux de protection des droits de l'homme ratifiés par la France et du code de
procédure pénale dix principes fondamentaux qu'elle a proposé d'inscrire en tête de ce code. (…)
L'article préliminaire, inséré en tête de code de procédure pénale par l'article premier du projet de loi,
reprend cette idée, tout en présentant des différences sensibles avec les propositions formulées par la
commission Delmas-Marty, puisque les principes énoncés ne comportent aucune référence à la
procédure accusatoire et, pour ceux qui sont repris, sont formulés de manière beaucoup plus
synthétique», Rapport AN, n° 1468, mars 1999, p. 130.
689
CH. LAZERGES, Le projet de loi renforçant la présomption d’innocence et les droits des victimes,
Rev.sc.crim., 1999, p. 167.

228
Le discours sur les sources positives

d’innocence en tête du Code 690. L’ouvrage des professeurs Guinchard et Buisson va plus
loin en attribuant très clairement l’inscription de la présomption d’innocence dans le code à
Mme Delmas-Marty : « Autrefois, ce principe fondamental n’était pas écrit dans le Code de
procédure pénale ; mais le rapport de Mme Delmas-Marty proposait qu’il y fût inscrit.
C’est ce qu’a réalisé la loi du 15 juin 2000 » 691.

L’insertion de la présomption d’innocence dans le Code de procédure pénale s’est donc


faite avec le concours de la doctrine, notamment par référence aux écrits doctrinaux. Ce
serait probablement trop que de considérer l’article préliminaire comme une œuvre
doctrinale. En revanche, on ne saurait douter que la doctrine pénale en a été une grande
inspiratrice. Dans les diverses rédactions de l’article préliminaire qui avait été proposées,
aucune des formulations de la présomption d’innocence n’a par exemple été retenue. La
consécration législative de la présomption d’innocence est donc en partie le fruit d’un
travail doctrinal, mais son influence demeure limitée au principe de l’introduction d’un
article préliminaire. L’influence doctrinale n’a pas lieu de jouer seulement dans le processus
d’élaboration de la loi, mais aussi, voire surtout, dans la façon dont elle accueille et présente
la loi nouvelle.

3) La réception des nouveaux textes dans le discours doctrinal

215. Valeur et intégration dans le discours. Il s’agit ici de se demander si, dans le
discours doctrinal, l’article 9-1 du Code civil et l’article préliminaire sont envisagés comme
des sources positives de la présomption d’innocence. Si la réponse semble presque
d’emblée devoir être négative, il n’en reste pas moins qu’il faudra préciser la place qui est
attribuée à ces textes dans le discours sur la présomption d’innocence.

216. La disqualification en tant que sources. Tout d’abord, on peut relever que le
législateur n’a pas entendu lui-même instituer la présomption d’innocence en votant ces
textes. La loi du 4 janvier 1993, portant réforme de la procédure pénale et créant l’article 9-
1 du Code civil, s’était déjà donnée pour objectif le renforcement de la présomption
d’innocence. Celle du 15 juin 2000, qui insère un article préliminaire dans le Code de
procédure pénale, porte dans son titre même cette volonté de renforcer la protection de la
présomption d’innocence en même temps que le droit des victimes. Or, il est évident que le
renforcement de la protection suppose qu’au préalable existent, non seulement la protection
mais aussi l’objet de cette protection, à savoir la présomption d’innocence elle-même.

690
R. KOERING-JOULIN, La présomption d'innocence, un droit fondamental ? op. cit., p. 21. La référence
est d’autant plus saisissante que l’auteur avait elle-même participé à cette commission. Il s’agit là de ce
qu’on pourrait appeler une autoréférence doctrinale qui entend témoigner du rôle, même diffus, de la
doctrine dans la promotion, notamment, de la présomption d’innocence et de son insertion dans le Code
de procédure pénale. Sur l’autoréférence doctrinale, V. infra, n° 268 et s.
691
S. GUINCHARD et J. BUISSON, Procédure pénale, 3e éd., op. cit., n° 481.

229
Le discours sur l’objet

La doctrine n’a quant à elle pas laissé entendre que ces textes puissent constituer des
sources de la présomption d’innocence. Nous avons déjà fait observer que les auteurs ne
désignent pas les textes formulant la présomption d’innocence sous le terme de sources 692.
La sémantique dans le discours montre également que le législateur n’est pas ici créateur de
la règle énoncée. En effet, l’utilisation des verbes « affirmer » ou « réaffirmer », illustre
bien le fait que ces textes reconnaissent un objet préexistant. D’ailleurs nombreux sont les
auteurs à avoir employé ces verbes 693. Mais qu’est-ce à dire ? Affirmer signifie « donner
une chose pour vraie, énoncer un jugement comme vrai » 694. L’usage de ces verbes,
quoique très fréquent, peut paraître incorrect. En effet, la règle de droit n’a pas pour objet de
dire qu’une chose est vraie ou fausse, mais seulement de prescrire, permettre, interdire ou
éventuellement suppléer. Les énoncés d’une règle ne sont donc pas descriptifs,
contrairement à ceux de la science du droit qui prend pour objet d’étude ces énoncés afin
d’en expliciter le sens et la portée. Même si certaines dispositions contenues, par exemple
dans un code, se bornent à définir une notion, une institution, elles n’ont jamais pour objet
d’affirmer que cette institution ou cette notion est vraie ou fausse 695.

On peut dès lors s’étonner de ce que la doctrine présente ainsi les dispositions récentes
qui visent la présomption d’innocence. Car de la sorte, les auteurs tendraient à dire que la
loi reconnaît pour vraie l’existence de la présomption d’innocence. Habituellement, le
juriste qui entend présenter l’énoncé d’une règle emploi plutôt une formule telle que
« l’article…dispose que ». Or, tel n’est pas le cas pour les deux textes qui nous
intéressent 696. On peut estimer qu’il ne s’agit là que d’un abus de langage, tout comme
d’ailleurs l’usage des mots consécration et proclamation, qui ne sont pas tout à fait
appropriés pour parler des règles énoncées par la loi. On observera d’ailleurs que, les verbes
affirmer ou réaffirmer, sont fréquemment employés à propos de bien d’autres objets que la
présomption d’innocence.

Mais on pourrait également y voir un signe. Si la doctrine tente de montrer par là que la
loi donne pour vraie l’existence de la présomption d’innocence, alors qu’en soi cela n’a pas

692
V. supra, n° 201.
693
Par exemple : B. BOULOC, Le renforcement de la présomption d’innocence à propos de la loi du 4
janvier 193), chronique législative, Rev.sc.crim., 1994, p. 594 ; V. MASSOL, La présomption d’innocence,
op. cit., n° 15 (à l’époque, l’auteur ne pouvait parler que « d’absence d’affirmation de la présomption
d’innocence dans le Code de procédure pénale ») ; F. DEBOVE et F. FALLETTI, Précis de droit pénal et de
procédure pénale, op. cit., p. 226 ; J. PRADEL, Procédure pénale, op. cit., n° 367 ; C. AMBROISE-
CASTÉROT, Rép. Pén. et Proc. Pén., v° Présomption d’innocence, n° 9 ; C. RENAULT-BRAHINSKY,
Procédure pénale, Gualino, Mémentos LMD, 6e éd., 2004, p. 103 ; S. DETRAZ, La prétendue présomption
d’innocence, op. cit., n° 1.
694
Le petit Robert, Dictionnaire de la langue française.
695
En revanche, l’énoncé d’une règle dépend d’une situation de fait que le législateur entend régir. Cette
situation qu’il a en vue, relève de faits qui sont tenus quant à eux pour vrais. Ils constituent alors des
présupposés de la règle dont on peut dire qu’ils sont vrais ou faux.
696
V. cependant, H. HENRION, L’article préliminaire du Code de procédure pénale : vers une "théorie
législative” du procès pénal ? Arch. polit. crim., n° 23, 2001.

230
Le discours sur les sources positives

vraiment de sens, on peut s’interroger sur l’éventuelle signification des termes affirmer et
réaffirmer ici utilisés. Ne serait-ce pas, par exemple, une manière pour la doctrine de
justifier, a posteriori, son propre discours sur la présomption d’innocence ? Au delà de la
simple commodité de langage, ne pourrait-on pas y entendre que le discours est ainsi
légitimé dans sa propre affirmation de l’existence de la présomption d’innocence par les
énoncés du législateur, qui viendrait ainsi dire : c’est vrai, il existe bien une présomption
d’innocence, pour preuve, je l’inscris dans la loi.

En tout état de cause, si la référence aux nouveaux textes est un passage obligé pour qui
veut décrire l’état du droit positif, la présentation qui en est faite dans le discours étudié
contribue bel et bien à confirmer l’existence de la présomption d’innocence.

Les autres termes employés par les auteurs sont eux aussi évocateurs de cette
préexistence qui n’est pas sans rappeler l’époque où la présomption d’innocence n’était
formulée que par la doctrine. Le doute demeure néanmoins. Car expliquer que l’article
préliminaire par exemple, intègre, mentionne, rappelle, réaffirme ou encore permet
l’apparition formelle de la présomption d’innocence dans le Code de procédure pénale peut
également se comprendre par référence aux autres normes juridiques qui attestaient déjà de
l’existence juridique de la présomption d’innocence en droit français 697. Par conséquent, il
est manifeste que ni l’article 9-1 du Code civil, ni l’article préliminaire du Code de
procédure pénale ne sont analysés, à proprement parler, comme des sources de la
présomption d’innocence. Ce ne sont que des répétitions, de nouveaux supports pour
formuler la présomption d’innocence, qui se surajoutent à la formulation de la Déclaration
des droits de l’homme 698 et de la Convention européenne et qui ont dû être intégrés dans le
discours sur la présomption d’innocence. Ici, il convient de distinguer la façon dont le
discours doctrinal a accueilli ces textes, selon qu’il s’agit de l’article 9-1 du Code civil ou
de l’article préliminaire du Code de procédure pénale.

217. L’intégration de l’article 9-1 du Code civil dans le discours sur la présomption
d’innocence. On pourrait se demander tout d’abord dans quelle mesure cette intégration est
apparue nécessaire. Dès lors qu’il fut rapidement admis que ce texte consacrait un nouveau
droit de la personnalité, un droit subjectif, ne pourrait-on pas penser que les pénalistes
auraient pu en laisser l’étude aux spécialistes de cette matière, autrement dit à des
civilistes ? Ces derniers commentent sans aucun doute les décisions rendues sur le

697
Et en effet, les auteurs visent toujours dans ces cas là la Déclaration des droits de l’homme et du
citoyen et sa valeur constitutionnelle ainsi que la Convention européenne des droits de l’homme.
698
Un bon exemple peut être tiré d’une étude publiée au lendemain de la loi de 1993 : « Les nouvelles
dispositions n’ont pas annihilé les garanties dont bénéficiaient antérieurement les justiciables. Elles
trouvent leurs sources aux niveaux les plus élevés de la hiérarchie des normes. En effet, le principe de la
présomption d’innocence découlait, avant 1993, directement de normes de valeur constitutionnelle et
internationale », P. AUVRET, Le droit au respect de la présomption d’innocence, JCP. 1994 I 3802, n° 4.

231
Le discours sur l’objet

fondement de l’article 9-1 du Code civil. Cela dit, à consulter les manuels de droit civil en
matière de droit des personnes, on s’aperçoit que les développements consacrés à ce droit
subjectif particulier ne sont ni très longs ni très approfondis 699. Les civilistes donnent le
sentiment d’avoir laissé l’enseignement de cette notion aux spécialistes du droit de la presse
ou du droit pénal. À cet égard, il est d’ailleurs significatif de voir que c’est un pénaliste qui
a rédigé le fascicule du Juris-classeur civil portant sur ce thème 700. Il est vrai que la loi du 4
janvier, qui a donné le jour à ce texte, était une loi de procédure pénale. Il paraît donc tout à
fait naturel de penser que l’article 9-1 bien qu’introduit dans le Code civil, entre
parfaitement dans l’objet d’étude du pénaliste. On se souviendra toutefois que les premiers
commentaires de la nouvelle loi n’ont pas fait une réelle place à l’étude de l’article 9-1, et
que cette consécration au Code civil a surtout paru incongrue.

Ainsi, alors que les premières réactions des auteurs manifestaient de la surprise voire une
certaine hostilité devant une consécration de la présomption d’innocence dans le Code civil,
peu à peu ces critiques se sont estompées pour faire une véritable place à ce texte dans le
discours sur la présomption d’innocence. L’analyse de cette évolution est intéressante car
elle montre que la façon dont le discours des pénalistes s’est recomposé, suite à la création
de ce texte, correspond très largement au processus de légitimation de l’ordre juridique que
décrivent les professeurs Jestaz et Jamin.

218. Légitimation progressive de l’article 9-1 du Code civil par le discours. Ces auteurs
ont relevé que « Dès lors qu’elle œuvre au perfectionnement de l’ordre juridique, la
doctrine légitime celui-ci en lui apportant la caution du droit savant » 701. À partir d’une
hypothèse semblable à la nôtre, c'est-à-dire l’apparition d’une loi nouvelle, les auteurs ont
énoncé certains critères permettant d’appréhender ce processus de légitimation. La
légitimation est susceptible de degrés, et après une première phase où s’expriment « des
réactions doctrinales diverses et souvent sévères », le processus de légitimation peut
s’accentuer « lorsque les auteurs, après avoir analysé la solution nouvelle, passent à la

699
V. par exemple : F. LAROCHE-GISSEROT, Leçons de droit civil, Les personnes, Montchrestien, 8e éd.,
1997, n° 801 ; B. TEYSSIÉ, Les personnes, Paris, Litec, 8e éd., 2003, n° 37 ; G. CORNU, Droit civil,
introduction, les personnes, les biens, Montchrestien, 11e éd., 2003, n° 520; PH. MALAURIE, Personnes,
incapacités, Defrénois, 2004, n° 315. Le doyen Carbonnier constate quant à lui que la place de la
présomption d’innocence est davantage dans le Code de procédure pénale, J. CARBONNIER, Droit civil,
(Introduction, les personnes, la famille, l’enfant, le couple), PUF, Quadrige, 2004, vol. I, n° 280.
700
J.-H. ROBERT, Jouissance des droits civils - Protection de la présomption d’innocence. Certes on
pourra expliquer cela par le fait que cette étude est reprise en très grande partie de l’intervention que
l’auteur avait faite lors d’un congrès de l’Association française de droit pénal. V. La protection de la
présomption d’innocence selon la loi du 4 janvier 1993, in Liberté de la presse et droit pénal, XIIe
journées de l’AFDP, PUAM, 1994, p.105. Mais à vrai dire, cela ne change rien. Au contraire, cela tend à
montrer que très tôt certains pénalistes se sont saisis de cette nouvelle question. Le rattachement des
dispositions de l’article 9-1 du Code civil à la procédure pénale est flagrant lorsqu’on considère que c’est
exactement le même fascicule que l’on peut consulter également dans le Juris-Classeur procédure pénale,
App. art. 11.
701
PH. JESTAZ et CH. JAMIN, La doctrine, op. cit., p. 245.

232
Le discours sur les sources positives

phase de synthèse consistant à intégrer les éléments au sein du système juridique,


autrement dit à reconstituer la ou les matières en cause après le bouleversement qu’elles
viennent de subir ». Or ces guides peuvent tout à fait nous servir pour présenter
l’intégration de l’article 9-1 du Code civil dans le discours des pénalistes.

En premier lieu, on peut observer qu’au lendemain de l’adoption de la loi de 1993,


certaines opinions critiques ont été formulées. Un magistrat, qui écrit sous le pseudonyme
de Jean-Luc, en a ainsi donné une bonne illustration. Si cet auteur n’a finalement consacré à
la nouvelle disposition que quelques lignes à la toute fin de son étude, ses propos n’en
étaient pas moins virulents. Dans un paragraphe intitulé La prétendue protection de la
présomption d’innocence et la garantie de la liberté d’information, l’auteur dit tout
simplement de l’article 9-1 du Code civil que « cela ne mange pas de pain ». Puis, citant la
nouvelle disposition, il s’interrompt pour conclure : « Point n’est besoin d’aller plus loin.
Le texte ainsi rédigé ne trouvera pas d’application. Jamais, les journalistes et présentateurs
de journaux télévisés n’annoncent que M. X…ou Y…est "coupable" avant qu’il ait été
condamné » 702. Les auteurs se sont également montrés parfois critiques à l’égard des
motivations du législateur. L’article 9-1 du Code civil serait né d’une prise de conscience
des ravages faits par la publicité des inculpations, suite aux mises en cause dont certains
hommes politiques faisaient l’objet et dont la presse se délectait. Les uns et les autres
auraient alors offert une présentation caricaturale de la présomption d’innocence 703. Enfin,
les dispositions de l’article 9-1 du Code civil ont été critiquées non pas dans leur finalité,
mais pour le choix de leur insertion dans le Code civil plutôt que dans le Code de procédure
pénale. Ces différentes attitudes, pour être critiques, n’en constituent pas moins un début
d’intégration de la nouvelle disposition, un premier pas vers une légitimation. MM. Jestaz et
Jamin expliquent que « À partir du moment où elle accepte de commenter une loi, la
doctrine, même hostile aux choix du législateur, marque par son attitude qu’elle s’y résigne
et choisit de jouer le jeu des juristes, c'est-à-dire de traiter cette loi comme un texte de droit
positif » 704.

En second lieu, on observera que les pénalistes ont fait plus ou moins progressivement
une place particulière à l’article 9-1 du Code civil dans leur présentation de la présomption

702
JEAN-LUC, De la présomption d’innocence à la présomption de charges ou l’étrange réforme de la
procédure pénale de maître Vauzelle, op. cit., p. 363. Le bilan des cinq années d’application du texte
qu’avait dressé Mme Bureau suffit à montrer combien les prédictions du magistrat étaient erronées. La
jurisprudence, si elle a peu d’occasions de condamner des affirmations franches de culpabilité dans la
presse, met en œuvre d’autres critères pour sanctionner les journalistes qui « vont au-delà d’une simple
narration de faits objectifs et émettent une opinion personnelle quant à la culpabilité d’autrui, quelle que
soit leur intention». V. H. BUREAU, La présomption d’innocence devant le juge civil, cinq ans
d’application de l’article 9-1 du Code civil, op. cit., n° 19 à 21.
703
PH. CONTE, Pour en finir avec une présentation caricaturale de la présomption d’innocence, op. cit., n°
1. V. aussi, P. AUVRET, Le droit au respect de la présomption d’innocence, op. cit., n° 1.
704
La doctrine, op. cit., p. 247.

233
Le discours sur l’objet

d’innocence, jusqu’à une parfaite intégration dans les développements consacrés au


principe. Témoin tout particulier d’une telle évolution du discours et d’une telle intégration,
le manuel de procédure pénale du professeur Jean Pradel. En 1995, la huitième édition du
manuel ignore purement et simplement l’article 9-1 du Code civil dans l’énumération des
textes affirmant la présomption d’innocence 705. Dans l’édition suivante, au même endroit,
l’auteur ajoute une référence à ce texte tout en soulignant que cette consécration au Code
civil est curieuse. Les dispositions de l’article « litigieux » ne seront alors abordées que
succinctement, non pas dans les développements relatifs à la présomption d’innocence mais
plus loin à propos du rôle du juge 706. L’évolution s’achève avec la dixième édition du
manuel. En effet, l’auteur a procédé à une sévère réorganisation des développements
consacrés à la présomption d’innocence. Désormais, non seulement il n’est plus curieux que
la présomption d’innocence figure à l’article 9-1 du Code civil, mais les dispositions de ce
texte sont exposées sur trois paragraphes insérés par l’auteur dans ses développements
relatifs aux conséquences de la présomption d’innocence 707. D’autres auteurs s’étaient
montrés plus prompts à accueillir ce nouveau texte et à en tirer les conséquences quant à
l’organisation de leur propos. Mme Bureau était allée très loin dans cette intégration
puisque s’agissant du fond, elle avait opéré une parfaite assimilation entre le nouveau droit
subjectif de l’article 9-1 du Code civil et le principe probatoire de la présomption
d’innocence 708. Enfin, on peut signaler que dès la première édition de leur manuel de
procédure pénale, MM. Conte et Maistre du Chambon avait choisi de construire leurs
développements sur la présomption d’innocence en fonction même du contenu du nouveau
texte 709. Dans ces derniers cas, il n’est pas seulement question de faire référence à l’article
9-1 au titre des textes exprimant la présomption d’innocence, mais de considérer qu’au
fond, le droit subjectif qu’il consacre fait désormais partie intégrante de la notion de
présomption d’innocence.

Or, la modification de la structure des développements, et de leur contenu, s’apparente à


ce que MM. Jestaz et Jamin considèrent comme le signe de la reconstruction d’une

705
J. PRADEL, Procédure pénale, op. cit., 1995, n° 268.
706
Procédure pénale, op. cit., 9e éd., 1997, n° 267 et 273.
707
Procédure pénale, op. cit., 10e éd., 2000, n° 368 à 370.
708
Pour cet auteur, le Code civil réaffirme un principe séculaire, non pas le principe de la présomption
d’innocence mais le principe du droit au respect de la présomption d’innocence. Il n’y a alors aucune
réelle différence entre le contenu de l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et
celui du nouveau texte du Code civil, V. La présomption d’innocence devant le juge civil, cinq ans
d’application de l’article 9-1 du Code civil, op. cit., n° 3 à 7.
709
V. PH. CONTE et P. MAISTRE DU CHAMBON, Procédure pénale, op. cit., 1re éd., 1995. Les auteurs
consacrent un titre entier à la présomption d’innocence qui est divisé en deux chapitres. Le premier est
intitulé : La présomption d’innocence, règle de preuve (p. 25) et le second : La présomption d’innocence,
expression d’un droit (p. 27).

234
Le discours sur les sources positives

matière 710. Cette dernière se manifeste par la modification des plans. Ainsi expliquent-ils
que : « le plan d’un traité reflète le système juridique ; ou mieux il est ce système juridique.
Et modifier le plan revient à intégrer définitivement l’innovation au sein du droit, tel que
systématisé et ordonné par la doctrine » 711. S’agissant de la présomption d’innocence, on
observe bien ce phénomène de recomposition dans les manuels et traités de procédure
pénale, non pas du plan tout entier, mais des passages traitant de la notion. Rien de plus
normal dira-t-on avec les auteurs : « La doctrine ne peut qu’accepter le nouveau droit
positif et s’atteler à la tâche qu’il lui impose. Il n’arrive presque jamais qu’un auteur refuse
de théoriser et se borne à relater la norme à l’état brut sans l’assortir d’une explication
permettant de l’intégrer au droit existant » 712.

Ainsi assiste-t-on à une parfaite intégration de la nouvelle disposition par la doctrine


pénaliste. Toutefois, cette intégration suppose que la doctrine a été contrainte de reconnaître
une nouvelle signification à la présomption d’innocence, bien au-delà de la seule
signification probatoire qu’elle lui donnait auparavant. Cette extension de la signification ne
se traduit pas sans quelque artifice. En effet, certains auteurs ont, par exemple, pleinement
accueilli les nouvelles dispositions de l’article 9-1 du Code civil puisqu’elles font l’objet de
développements dans leur ouvrage. Cependant, certains n’en ont pas modifié pour autant
leur plan. Si bien qu’une certaine incohérence pourrait être relevée.

On peut illustrer cette pratique avec l’ouvrage, de référence, qu’est le précis Dalloz de
procédure pénale. Ses auteurs ont pris acte du nouvel l’article 9-1 du Code civil en le
signalant et l’exposant au titre du renforcement de la présomption d’innocence. Rien de plus
normal dès lors qu’il s’agissait là de l’objectif annoncé par le législateur et dont cette
disposition, parmi d’autres, devait participer. Ceci dit, si la présentation du texte est bien

710
Les auteurs (p. 252 et s.) raisonnent sur des hypothèses plus générales, plus vastes, que la nôtre. Il
n’est pas interdit cependant d’imaginer que leurs conclusions puissent être valables pour des
modifications d’une ampleur plus modeste, telles que celles résultant de la création d’un article au Code
civil.
711
La doctrine, op. cit., p. 253.
712
La doctrine, op. cit., p. 254. En matière de présomption d’innocence, il se trouve toutefois un auteur
pour refuser de traiter du nouveau droit subjectif au respect de la présomption d’innocence. V. C.
RENAULT-BRAHINSKY, Procédure pénale, 6e éd., op. cit., p. 103 et s. Le type d’ouvrage ici considéré
pourrait expliquer en partie ce silence, simple « memento », il ne contient que les éléments essentiels de
la procédure pénale. Pourtant, il semble que cet aspect là de la présomption d’innocence ne soit pas
secondaire au point de n’en dire mot. On est d’autant plus surpris lorsqu’on consulte, dans la même
collection, l’ouvrage de droit des personnes écrit par le même auteur. En effet, on s’attendrait à voir ici
présenté, au titre des droits de la personnalité, le droit au respect de la présomption d’innocence tel que
prévu et régit par l’article 9-1 du Code civil. Il n’en est rien. Seul le premier alinéa du texte est cité. En
revanche, l’auteur reproduit en son entier l’article préliminaire du Code de procédure pénale contenant la
présomption d’innocence. Sont également visées les dispositions de procédure pénale assurant le respect
de la présomption d’innocence. On pourrait voir dans cette démarche curieuse, qui consiste à ignorer
l’aspect subjectif de la présomption d’innocence, un véritable parti pris de l’auteur. Les contraintes
d’édition ne semblent pouvoir expliquer en effet que ce soit l’aspect pénal de la présomption d’innocence
qui soit traité aux lieu et place de son aspect droit subjectif. V. C. RENAULT-BRAHINSKY, Droit civil, les
personnes, Gualino, 2e éd., 2004, p. 59-60.

235
Le discours sur l’objet

intégrée dans un paragraphe relatif à la présomption d’innocence, ce dernier demeure inclus


dans une subdivision intitulée La théorie générale des preuves en matière pénale. On peut
dès lors s’interroger sur le sens d’un tel choix. De deux choses l’une : on peut tout d’abord
considérer que les auteurs ont procédé à une telle intégration de la nouvelle disposition,
qu’ils estiment par là que le nouveau droit subjectif faisait déjà partie intégrante de la règle
probatoire de la présomption d’innocence. On peut à l’inverse considérer qu’il s’agit ici
d’une intégration minimaliste qui ne serait que le reflet de l’incohérence même du
législateur. Dans les deux hypothèses, les auteurs exercent bien leur fonction de
légitimation de l’ordre juridique. Dans le premier cas cependant, cette fonction est exercée à
un degré élevé alors que dans le second elle l’est à un moindre degré.

219. Intégration et légitimation parfaite. Certains auteurs illustrent parfaitement non


seulement la légitimation de l’ordre juridique, mais encore leur savoir-faire en matière de
résorption des contradictions. On atteint ici le degré le plus élevé, dans l’œuvre doctrinale,
de la fonction de légitimation.

À cet égard, on peut prendre pour exemple la contribution de Mme Ambroise-Castérot


au répertoire de droit pénal. En charge d’une nouvelle rubrique relative à la présomption
d’innocence, l’auteur s’est en effet efforcée, avec succès semble-t-il, de surmonter une
difficulté soulevée par le nouvel article 9-1 du Code civil. S’interrogeant sur le sens de
l’expression présomption d’innocence, l’auteur doit reconnaître que le droit subjectif
consacré dans le Code civil est totalement étranger à la question de la charge de la preuve.
Cette dernière étant la seule signification attribuée pendant longtemps à l’expression
« présomption d’innocence » et que l’emploi du terme présomption suffisait à justifier.
Pourtant, l’auteur admet par ailleurs que le texte civil est bien un fondement textuel de la
présomption d’innocence. Il y a donc une évidente contradiction à affirmer que la
présomption d’innocence, attributive du fardeau de la preuve dans le procès pénal, puisse
être consacrée textuellement à l’article 9-1 du Code civil. Mais la contradiction est vite
contournée, dépassée même. L’auteur explique alors que l’expression revêt finalement un
double sens et peut conclure ainsi : « par conséquent, il existe deux présomptions : l’une est
un mécanisme de répartition du poids de la charge de la preuve, l’autre est un instrument
de protection, de défense de la réputation et de l’honneur » 713. Ainsi se trouve justifié le
plan en deux parties de son étude sur la présomption d’innocence 714.

Cet exemple montre combien les premières manifestations doctrinales d’hostilité à un


texte peuvent laisser place à un exercice des plus éminents réservé à la seule doctrine :

713
C. AMBROISE-CASTÉROT, Rép. Pén. et Proc. Pén., v° Présomption d’innocence, n° 12.
714
On l’a dit, il y avait un précédent avec l’ouvrage de MM. Conte et Maistre du Chambon, auquel
l’auteur se réfère d’ailleurs fréquemment. Cependant, à la différence de ses collègues, Mme Ambroise-
Castérot surmonte la contradiction après l’avoir précisément posée.

236
Le discours sur les sources positives

présenter le droit positif de façon cohérente, au point de gommer ou de résorber les


contradictions qu’il peut comporter. C’est ce que MM. Jestaz et Jamin désignent comme la
légitimation par la raison lorsque, aux imperfections de la loi, la doctrine apporte des
améliorations (techniques) en rognant les aspérités, résorbant les contradictions, bref en
affinant le minerai brut qu’est la loi. Cette fonction paraît de la plus haute importance dès
lors que les auteurs expliquent que : « Le travail doctrinal de rationalisation a pour
conséquence que la loi sera mieux connue, mieux comprise et au total mieux appliquée. Il
dépend en partie de la doctrine que telle disposition reçoive une application maximaliste ou
minimaliste» 715.

De tels efforts n’ont pas été nécessaires aux pénalistes pour intégrer à leur discours la
dernière consécration législative de la présomption d’innocence. La présentation de l’article
préliminaire du Code de procédure pénale dans le discours doctrinal ne soulève donc pas les
mêmes questions.

220. L’accueil réservé à l’article préliminaire III du Code de procédure pénale. Après
avoir regretté, dans une large mesure, que la consécration législative de la présomption
d’innocence ait d’abord eu lieu dans le Code civil, on peut naturellement se demander
comment la doctrine a accueilli cette nouvelle disposition du Code de procédure pénale. À
cette question, une réponse semble s’imposer d’emblée : l’accueil a été timide, pour le
moins réservé, sinon silencieux. Au lendemain de son adoption, et même jusqu’à ces deux
dernières années, l’article préliminaire n’a suscité généralement pas grand intérêt ; et cela
vaut en particulier pour le paragraphe III formulant la présomption d’innocence. À cet
égard, on notera le nombre très réduit d’études publiées sur le sujet 716 et leur caractère
parfois assez confidentiel 717. Un signe traduit par exemple ce silence : il s’agit de l’absence
de commentaire figurant au Juris-classeur de procédure pénale 718. Ensuite, ce texte occupe
une place négligeable dans les présentations qui ont été faites de la loi du 15 juin 2000719.

715
La doctrine, op. cit., p. 247. On peut estimer que l’étude de l’article 9-1 du Code civil par les
pénalistes contribue à une application maximaliste du texte dès lors qu’elle vient s’ajouter aux études
proposées par les civilistes spécialistes des droits de la personnalités ainsi qu’aux spécialistes du droit de
la presse.
716
E. PUTMAN, L’article préliminaire a-t-il une portée normative ? Annales de la faculté de droit
d’Avignon, 2000, p. 43 ; H. HENRION, L’article préliminaire du Code de procédure pénale : vers une
“théorie législative” du procès pénal ? op. cit., et P. TRUCHE, Introduction à l’article préliminaire du Code
de procédure pénale, Arch. polit. crim., n° 23, 2001, p. 9.
717
On pense à la première étude approfondie de ce texte par M. Putman parue dans les annales de la
faculté de droit d’Avignon, citée dans la note précédente. En effet, ces annales, qui ont d’ailleurs cessé de
paraître depuis 2003, ne peuvent être consultées que dans un nombre très réduit de bibliothèques
universitaires.
718
Au premier semestre de l’année 2005, soit plus de quatre ans après l’introduction de l’article
préliminaire dans le Code de procédure pénale, ne figurait dans cette encyclopédie qu’un simple fascicule
(fasc. 10) reproduisant le texte avec pour seule indication un titre : Principes généraux de la procédure
pénale.
719
V. cependant, E. PUTMAN, L’apport aux droits fondamentaux de la loi renforçant la protection de la
présomption d’innocence, RJPF-2000, n° 11, analyse, p. 6 et s.

237
Le discours sur l’objet

Enfin, on apercevra sans mal que les manuels et traités de procédure ne sont pas très diserts
sur l’article préliminaire 720. Le plus souvent, ce texte est simplement donné en référence à
propos de tel ou tel principe qui y est formulé, de même en va-t-il pour la présomption
d’innocence.

L’article préliminaire n’est pas la disposition nouvelle la plus importante de la loi du 15


juin 2000, il n’en reste moins que du point de vue de la présomption d’innocence, elle
pourrait sembler « historique » et à ce titre susciter les commentaires. Il n’en est rien. Deux
explications peuvent être avancées pour expliquer ce silence relatif, ce défaut d’intérêt de la
doctrine pénale pour ce texte que le législateur a entouré de symbolisme.

La première tient à la volonté manifestée par le gouvernement au lendemain du vote de


cette loi du 15 juin 2000. En effet, ce dernier a publié une circulaire venant préciser que
l’article préliminaire n’avait aucune conséquence juridique 721. On comprend alors que dans
ces circonstances, toute étude du texte ait pu paraître sans objet. La deuxième raison,
d’ailleurs rappelée par cette circulaire, tient tout simplement à l’effet de répétition. Ce qui a
été dit à propos de l’inscription de la présomption d’innocence dans l’article 9-1 du Code
civil vaut ici à plus forte raison. Les auteurs font souvent remarquer qu’aucun des principes
énoncés dans l’article préliminaire n’est nouveau. La plupart, et particulièrement la
présomption d’innocence, sont une reprise des principes déjà inscrits dans la Convention
européenne des droits de l’homme 722ou dans la Constitution. À ce titre, les analyses déjà
publiées sur ces principes ont pu sembler suffire sans qu’il soit besoin de les reprendre à
partir du texte de droit interne.

Pourtant ces explications peuvent sembler insuffisantes, peu convaincantes. À l’examen,


la première apparaît tout d’abord très faible. Réagissant à l’affirmation de la circulaire,
selon laquelle l’article préliminaire n’a aucune conséquence juridique, le professeur Cadiet
a tranché : « depuis quand le gouvernement, pouvoir exécutif, est-il mieux placé pour
exprimer la ratio legis, l’intention du Parlement, pouvoir législatif, dont on rappellera
quand même en passant qu’il est seul compétent, en vertu de l’article 34 de la Constitution,

720
MM. Stéfani, Levasseur et Bouloc se bornent, par exemple, à relever que la présomption d’innocence
est rappelée dans l’article préliminaire, V. Procédure pénale, op. cit., 20e éd., n° 113 et 122.
721
« Il convient d'indiquer que l'inscription dans la loi des principes fondamentaux du procès pénal n'a
en soi aucune conséquence juridique, dans la mesure où ces principes préexistaient à la loi du 15 juin
2000, le nouvel article préliminaire du code de procédure pénale n'ayant pour objectif que de les rendre
plus accessibles». V. CRIM 2000-16 F1/20-12-2000, Bulletin officiel du ministère de la justice, n° 80,
2000.
722
Certains principes « ne figurent pas – ou pas de façon identique- dans d’autres sources, internes ou
européennes » comme celui qui exige que l’autorité judiciaire veille à l’information et à la garantie des
droits des victimes, V. à cet égard, le commentaire de l’article préliminaire in PH. BONFILS et E. VERGÈS,
Travaux dirigés de droit pénal et de procédure pénale, Paris, Litec, 2004, p. 130 et s.

238
Le discours sur les sources positives

pour légiférer en matière de procédure pénale ?» 723. D’autre part, le fait que l’article
préliminaire du Code de procédure pénale reprenne les principes énoncés au niveau supra
national ne saurait justifier un tel silence. En effet, on pourrait ici justement se référer à la
volonté du législateur, celle-ci était très claire : il s’agissait de rappeler ces principes, de
façon solennelle, dans un double but, pédagogique et herméneutique 724. Mieux encore, et
comme le rappelait M. Cadiet, le législateur s’est explicitement inscrit, avec l’article
préliminaire, dans la logique du rapport Delmas-Marty qui assignait à l’énoncé préliminaire
des principes du procès des objectifs allant au-delà de la pédagogie ou de l’esthétisme 725.
Aussi pouvait-on s’attendre à lire des études de droit prospectif visant à imaginer les
possibles applications et interprétations futures du texte. Plus de quatre ans après l’entrée en
vigueur de l’article préliminaire, la littérature s’orientant en ce sens se réduisait à peu de
chose. L’étude de M. Putman fait à cet égard figure d’exception. L’année même où la loi du
15 juin 2000 a été votée, l’auteur soulevait la question de la normativité de l’article
préliminaire, estimait que le juge pourrait désormais fonder ses décisions sur seul texte, et
suggérait une utilisation audacieuse de la disposition préliminaire en défendant sa
« normativité d’application » 726.

Le silence des auteurs pourrait s’expliquer par le temps nécessaire à la réflexion


doctrinale qui ne peut que très rarement suivre d’aussi près l’innovation législative.
D’ailleurs, probablement encouragée par les décisions jurisprudentielles visant le texte, la
doctrine a commencé à centrer sa réflexion sur l’article préliminaire 727. On pourrait peut-
être interpréter cette réserve des auteurs comme un refus, celui de se livrer à l’une des
activités pourtant essentielle de la doctrine : la prédiction.

221. Le refus de prédire l’avenir de l’article préliminaire. L’activité doctrinale de


prédiction a fait l’objet d’une étude approfondie par M. Molfessis. L’auteur relève que la
prédiction, qui est projection dans l’avenir, description futuriste du droit, intervient

723
L. CADIET, Et les principes directeurs des autres procès ? Jalons pour une théorie des principes
directeurs du procès, in Justice et droits fondamentaux, Études offertes à J. NORMAND, Paris, Litec, 2003,
p. 104, n° 36.
724
«Cet article préliminaire permettra en revanche de guider si nécessaire les juridictions dans
l'interprétation et l'application de ces différentes règles de procédure », disait d’ailleurs la circulaire
précitée.
725
D’après M. Cadiet, le rapport Delmas-Marty fait, des principes directeurs énoncés, de véritables
prescriptions, V. Et les principes directeurs des autres procès ? Jalons pour une théorie des principes
directeurs du procès, op. cit., p. 105.
726
M. Putman précisait toutefois que cette normativité devrait être subsidiaire, l’article préliminaire ne
constituant alors un remède aux violations des droits procéduraux fondamentaux que dans l’hypothèse où
une sanction n’aurait pas été prévue par une autre disposition explicite et précise du Code de procédure
pénale. Pour le reste, l’article préliminaire ne pourrait se prévaloir que d’une normativité de référence. V.
E. PUTMAN, L’article préliminaire a-t-il une portée normative ? op. cit., p. 47 et s.
727
Par exemple, l’institut de sciences criminelles et de droit médical de l’université de Nancy 2 dont les
chercheurs concentrent leurs efforts sur les travaux préparatoires de la loi du 15 juin 2000, sur la doctrine,
et la jurisprudence de la Cour de cassation concernant l’article préliminaire, V. [http://www.univ-
nancy2.fr/ISCRIMED/projets_recherche_iscrimed.html].

239
Le discours sur l’objet

naturellement et fréquemment lorsqu’une solution nouvelle fait son apparition en droit


positif. « Face à l’inédit, le commentaire se veut logiquement prospectif, consistant à
envisager la destinée de la solution nouvelle, ses conséquences, ses effets attendus par
l’auteur ». M. Molfessis ne conçoit pas de possible abstention doctrinale à cet égard car,
explique-t-il, « toute nouveauté, en droit, est une ouverture sur l’avenir, un champ de
possibles que l’on se doit de labourer pour en mettre au jour les germes » 728. Même s’il est
vrai que la loi du 15 juin 2000 a bien fait l’objet de quelques tentatives de prédiction quant à
729
son avenir et à une rapide nouvelle réforme 730, concernant l’article préliminaire les
pénalistes se refusent à toute projection.

On pourra alors objecter que, justement, ce texte n’entre pas dans l’hypothèse visée par
M. Molfessis puisqu’il ne consacre aucune solution nouvelle. Il n’y aurait donc à rien à
« labourer » ! Ce serait toutefois se méprendre, car si la substance de l’article préliminaire
ne consacre pas de solution nouvelle à proprement parler, l’existence même de ce texte, sa
raison d’être, sont bien des nouveautés en droit interne 731. En outre, c’est la formulation
matérielle des principes qui est nouvelle et l’on pourrait à tout le moins se demander, par
exemple, dans quelle mesure la formulation choisie par le législateur respecte la formulation
qu’en donne les textes de valeur supra légale.

Ce refus d’envisager les possibles, que pourrait faire naître l’utilisation de l’article
préliminaire par les praticiens du droit, semble donc pouvoir s’expliquer au regard de la
répétition à laquelle il procède. Autrement dit, il peut s’expliquer au regard de l’utilité de ce
texte. On peut d’ailleurs observer que si l’article préliminaire a donné lieu à peu de
commentaires, en revanche ces derniers ont souvent posé la question de son utilité.

728
N. MOLFESSIS, Les prédictions doctrinales, in L’avenir du droit, mélanges en l’hommage de F. TERRÉ,
PUF, Dalloz et Juris-classeur, 1999, p. 147.
729
« Les résultats prévisibles de la loi nouvelle sont contrastés (…) Au passif, il faut inscrire l’économie
générale de la loi dont le résultat essentiel sera, selon toute vraisemblance, de rendre notre procédure
pénale lourde, inefficace et même inapplicable, plus encore que par le passé », disait déjà M. Pradel au
lendemain de la loi, V. Encore une tornade sur notre procédure pénale avec la loi du 15 juin 2000, op. cit.,
p. V. Puis, l’ayant analysée de façon approfondie, le même auteur avait conclu ainsi : « Tout cela fait que,
presque sûrement, la loi du 15 juin 2000 ne sera rien d’autre qu’une loi d’étape, en attendant une
prochaine réforme… » : Les personnes suspectes ou poursuivies après la loi du 15 juin 2000, op. cit., p.
1124.
730
La prédiction s’est réalisée avec l’adoption de la loi du 4 mars 2002 complétant la loi du 15 juin 2000
renforçant la protection de la présomption d’innocence et le droit des victimes. Cette loi fait suite au
rapport du député Julien Dray qui avait pour objet d’inventorier les « points techniques suscitant des
difficultés dans l’application de la loi ».
731
L’étude approfondie de M. Henrion, qui interrompt le mutisme doctrinal, montre suffisamment que ce
texte prête au commentaire. Au lendemain de l’introduction de l’article préliminaire, on peut estimer que
cet auteur a préparé le « labour » en donnant une interprétation du texte tant au regard de la volonté du
législateur que de la mise en œuvre des garanties qu’il énonce. V. H. HENRION, L’article préliminaire du
Code de procédure pénale : vers une “théorie législative” du procès pénal ? op. cit. V. également le
précédent qu’offrait, mais plus modestement, l’étude de M. Putman : L’article préliminaire a-t-il une
portée normative ? op. cit.

240
Le discours sur les sources positives

222. La question de l’utilité de l’article préliminaire. Cette question a été explicitement


soulevée à plusieurs reprises par les auteurs. Pour le moins, il existe en doctrine une
incertitude quant à cette utilité. Cela peut contribuer à expliquer le peu d’attention portée au
texte. Les arguments des uns et des autres au soutien de l’utilité ou de l’inutilité de l’article
préliminaire semblent en réalité porter plus ou moins implicitement sur sa valeur juridique,
sur sa normativité.

Ainsi, les auteurs qui doutent ou affirment l’inutilité de l’article préliminaire, en ce qu’il
énonce les principes directeurs du procès pénal, raisonnent en terme de normativité du texte.
À cet égard, est mise en avant l’inutilité d’énoncer des principes qui ont déjà valeur dans
l’ordre positif français et qui plus est, valeur supérieure. Les mots de M. Pradel résument
parfaitement cette position : « On peut douter de l’utilité juridique d’un tel article
préliminaire, d’abord car il est constitué de notions très larges et générales, ensuite et
surtout car les normes y énumérées sont déjà exprimées par le Conseil constitutionnel ainsi
que par la Conv. EDH et la CEDH ; et l’on sait que les dispositions constitutionnelles et
européennes ont une valeur supralégislative». Ce qui permet à l’auteur de conclure : « De
la sorte, la disposition préliminaire nouvelle a une valeur simplement déclarative » 732.
Ailleurs, M. Pradel avait également précisé que le texte était sans doute inutile pour les
praticiens, puisque son contenu est déjà consacré ailleurs, mais pédagogique pour le
chercheur en ce qu’il est un résumé de la philosophie de la procédure actuelle 733. M. Bouloc
remet lui aussi en cause l’utilité de ce texte, particulièrement au regard de la possibilité pour
les praticiens d’apprécier les autres dispositions du Code à la lumière des principes
préliminaires 734. L’inutilité de la répétition à laquelle procède l’article préliminaire a
également été critiquée par MM. Merle et Vitu, mais de façon paradoxale puisque est
soulevée à la fois l’inutilité d’une telle liste de principes, mais également son
insuffisance 735.

À cette inutilité du point de vue de la normativité s’oppose une conception plus


favorable à l’article préliminaire mais qui reste toutefois, dans l’ensemble, assez réservée.
L’article préliminaire se voit alors reconnaître une utilité pédagogique, symbolique,
porteuse de sens, voire une possible normativité. Mais, peu de précisions sont apportées sur
l’utilité pratique du texte.

732
J. PRADEL, Les personnes suspectes ou poursuivies après la loi du 15 juin 2000, op. cit., p. 1040.
733
J. PRADEL, Où va notre procédure pénale ? À propos de la loi du 15 juin 2000 renforçant la protection
de la présomption d’innocence et les droits des victimes, Prolégomènes, Rev. pénit. dr. pén., 2001, n° 1,
p. 10.
734
B. BOULOC, La loi n° 2000-516 du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption
d’innocence et les droits des victimes, chronique législative, Rev.sc.crim., 2001, p. 193 et s.
735
R. MERLE et A.VITU, Traité de droit criminel, Procédure pénale, 5e éd., op. cit., n° 147.

241
Le discours sur l’objet

Ainsi, par exemple, Mme Lazerges avait-elle simplement souligné que ce rappel des
principes directeurs est : « porteur de sens et permet certaines précisions
fondamentales » 736. Pour cet auteur, l’apport de l’article préliminaire au Code de procédure
pénale semble néanmoins résider dans l’affirmation selon laquelle le principe de la
présomption d’innocence gouverne le procès pénal 737. De leur côté, MM. Buisson et
Guinchard reconnaissent une fonction symbolique et d’avertissement à l’article inscrit en
tête du Code de procédure pénale 738. Pierre Truche estime quant à lui que : « la
juxtaposition dans un même code de procédure des principes et des règles à suivre a valeur
tant de symbole que de programme de conduite en face d’une situation concrète ». Aussi
annonce-t-il une nouvelle démarche du juge qui consistera, dans la pratique quotidienne, à
combiner dispositions de l’article préliminaire et dispositions subséquentes du Code de
procédure pénale, pour en conclure que : « l’application directe de la Convention
européenne, qui aboutissait au même résultat, ne rend pas superflu cet article
préliminaire » 739. Avec ce dernier auteur, il semble que l’opinion sur l’article préliminaire
dépasse la seule fonction symbolique ou pédagogique. Une utilité pratique semble se
dessiner. L’idée demeure néanmoins timide. L’utilité pratique est certes suggérée mais
l’absence de normativité de l’article préliminaire passée sous silence, la question se pose
alors de savoir si ce texte peut trouver application.

Outre M. Putman, qui avait d’ores et déjà répondu par l’affirmative, trois pénalistes ont
esquissé une réponse. Les deux premiers, se demandant ce que l’on pourrait attendre de
principes directeurs qui n’ont rien de nouveau, répondent : « Il ne faut pourtant pas
dédaigner que l’inscription des principes directeurs en tête d’un code n’est jamais simple
révérence ou simple esthétisme. Ils deviennent principes appliqués et fournissent les
fondements mêmes des règles subséquentes, déterminant la manière dont elles doivent être
lues, interprétées ou réinterprétées» 740. Les auteurs estiment par ailleurs que la formulation
de tels principes dans l’article préliminaire « devrait permettre un meilleur contrôle par la
Cour de cassation ». Mme Mayer est allée plus loin. Tenant pour acquis que les principes
préliminaires joueraient un rôle interprétatif et qu’ainsi ils permettraient de lever les
ambiguïtés d’autres articles plus précis du code ou même de combler les lacunes de la loi,
elle a soulevé par avance l’une des difficultés que pourrait alors poser l’article préliminaire.
En effet, quid en cas de contradiction entre l’article préliminaire et une autre disposition du

736
CH. LAZERGES, Le projet de loi renforçant la présomption d’innocence et les droits des victimes, op.
cit., p. 167.
737
CH. LAZERGES, La présomption d’innocence, op. cit., p. 498.
738
S. GUINCHARD et J. BUISSON, Procédure pénale, 3e éd., op. cit., n° 367.
739
P. TRUCHE, Introduction à l’article préliminaire du Code de procédure pénale, op. cit., p. 9-10.
740
P. COUVRAT et G. GIUDICELLE-DELAGE, Rapport de synthèse, Une nouvelle procédure pénale ? Étude
de la loi du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes,
Rev.sc.crim., 2001, p. 139.

242
Le discours sur les sources positives

code ? L’auteur estimait alors que le juge pourra, afin de respecter la volonté du législateur,
écarter la disposition qui ne respecterait pas l’un ou l’autre des principes directeurs 741.

Il apparaît avec ces quelques opinions que la Cour de cassation pourrait être amenée à
utiliser l’article préliminaire du Code de procédure pénale nonobstant l’inutilité affichée de
ce dernier. Or, il s’agit là probablement de la meilleure explication de la réserve générale
qui caractérise le discours doctrinal sur ce texte. Cela est particulièrement vrai pour son
paragraphe III énonçant la présomption d’innocence. Le « débat » doctrinal sur l’utilité et
en filigrane la normativité de ce texte traduit les réserves des auteurs. Il y aurait semble-t-il
à craindre que la jurisprudence se mette à explorer les possibles de ce texte. Ce risque avait
d’ailleurs déjà été évoqué devant la commission de réflexion sur la justice par un magistrat :
« la présomption d’innocence, une fois posée dans le Code de procédure pénale, serait à la
fois un droit de la personne, un dispositif procédural, un système de preuve. Elle pourrait
fonder toutes sortes d’exceptions soumises par la défense, et créer un risque considérable
d’insécurité juridique » 742. Au-delà de la seule question de la présomption d’innocence,
c’est une idée semblable qui se glisse dans l’ouvrage de MM. Merle et Vitu 743. La
généralité, l’abstraction et l’imprécision des principes formulés dans l’article préliminaire
du Code de procédure pénale semblent donc inquiéter les pénalistes. Un auteur a d’ailleurs
tenu à expliquer que l’essence programmatique de ces principes interdit toute conception
puriste de ceux-ci, et qu’il est tout à fait inconcevable de les établir puis de les appliquer
jusqu’à leurs dernières conséquences 744.

Ainsi l’accueil réservé à l’article préliminaire, d’un point de vue général aussi bien qu’en
ce qui concerne son paragraphe III relatif à la présomption d’innocence, se distingue-t-il
nettement de celui que la doctrine avait finalement consenti à l’article 9-1 du Code civil. De
cette constatation et de ce qui précède, il est possible de tirer plusieurs remarques.

223. Le pouvoir doctrinal sur l’interprétation de la légalité de la présomption


d’innocence. Au cours du XXe siècle, l’absence de consécration légale de la présomption
d’innocence avait parfois été justifiée par la trop grande généralité et abstraction du
principe. Cette raison trouve semble-t-il à s’exprimer à nouveau à l’aube du XXIe siècle
dans la présentation de l’article préliminaire du Code de procédure pénale. En effet, si la
doctrine a su intégrer parfaitement l’article 9-1 du Code civil au titre des sources formelles
de la présomption d’innocence, il en va tout autrement du paragraphe III de l’article

741
Ce qui permettait à Mme Mayer de conclure à un possible contrôle du législateur par le juge pénal, V.
D. MAYER, Vers un contrôle du législateur par le juge pénal ? D. 2001, p. 1643 et s.
742
V. F. TERRIER, in Rapport de la commission de réflexion sur la justice, op. cit. , annexes, p. 110.
743
V. Traité de droit criminel, Procédure pénale, 5e éd., op. cit. , n° 147, où les auteurs relèvent que le
contenu et la portée du catalogue, qu’est l’article préliminaire, ne cesseront d’être objet de critique et de
discussions.
744
H. HENRION, L’article préliminaire du Code de procédure pénale : vers une “théorie législative” du
procès pénal ? op. cit., p. 15.

243
Le discours sur l’objet

préliminaire. Or, si la doctrine a contribué à légitimer la création d’un nouveau droit


subjectif en l’intégrant pleinement dans son discours sur la présomption d’innocence, il en
va inversement pour l’article préliminaire. Le peu d’intérêt manifesté pour l’étude de ce
texte, son inutilité proclamée et le refus de prédire ses applications futures tendent, en effet,
à réduire considérablement la portée de cette nouveauté. Ainsi, l’interprétation de la légalité
de la présomption d’innocence ne concerne que fort peu l’article préliminaire. Il en résulte
désormais l’idée que cette nouvelle disposition n’ajoute rien à la consécration de la
présomption d’innocence, elle n’est qu’un rappel sans conséquence pratique. Or cette façon
de présenter le droit positif ne saurait être sans influence sur la transmission du savoir sur la
présomption d’innocence. En effet, il n’est pas tout à fait anodin, par exemple, qu’un
professeur de droit s’adressant à une assemblée de futurs avocats et magistrats, affirme que
l’article préliminaire n’est pas clair, qu’il est mal organisé et enfin qu’il est inutile 745.

La doctrine a un rôle à jouer dans la création du droit 746, et ce rôle peut tout aussi bien
s’exercer par la construction d’un discours réservé. On pourrait dire avec M. Batiffol que la
doctrine accomplit là son devoir de prudence. Face à un texte dont elle estime que les
énonciations vagues autoriseraient à lui faire dire tout et n’importe quoi, la doctrine se
montre prudente et choisit ne pas anticiper ses éventuelles applications. Ce pourrait bien
être ce phénomène qui vient d’être décrit à propos de l’article préliminaire du Code de
procédure pénale. La doctrine pénaliste respecte, d’une certaine façon, cette mise en garde
du doyen Batiffol : « Si les auteurs voulant trouver les raison d’être des lois et les
implications qu’elles enveloppent, vont trop vite, trop loin, ils travaillent dans le vide. Ils
sont donc responsables de ces erreurs ; et vis-à-vis des juges, ils apparaissent comme
irresponsables, donc diminuant l’autorité de la doctrine » 747. Cette responsabilité, les
pénalistes ont choisi de la laisser endosser au juge. Or, ce dernier semble disposer, contre
toute attente doctrinale, à donner quelque application à l’article préliminaire.

224. Les limites du pouvoir doctrinal. En effet, et comme pour démentir les jugements les
plus sévères sur l’inutilité de ce texte, depuis 2001 la Cour de cassation a rendu plusieurs
décisions visant l’article préliminaire aux côtés des textes de la Convention européenne,
voire même en substituant d’office les dispositions de l’article préliminaire à celles de la
Convention 748. Il devient donc plus difficile aux auteurs d’affirmer l’inutilité de ce texte en

745
La professeur Patrick Maistre du Chambon s’exprimait alors dans le cadre d’une conférence organisée
en mars 2003 par l’institut d’études judiciaires d’Aix-en-Provence. Cette conférence portait justement sur
la présomption d’innocence et les étudiants préparant les concours de l’ENM et du CRFPA avaient été
vivement conviés à y assister.
746
H. BATIFFOL, La responsabilité de la doctrine dans la création du droit, RRJ. 1981, p. 175.
747
La responsabilité de la doctrine dans la création du droit, op. cit., p. 183.
748
Pour l’évolution de son application par la Cour de cassation, V. S. LAVRIC et G. ROYER, L’article
préliminaire et le principe d’impartialité en procédure pénale, D. 2005, p. 1138 (particulièrement la
deuxième partie de l’étude intitulée : « L’autonomie normative conféré à l’article préliminaire dans la

244
Le discours sur les sources positives

arguant de son double emploi avec les dispositions de la Convention 749. Reste que ces
premières décisions rendues n’avaient pas pour objet l’application du paragraphe III,
autrement dit la présomption d’innocence. Cela dit, dans un arrêt de 2003 le demandeur au
pourvoi avait invoqué la violation de l’article préliminaire et de la présomption d’innocence
à propos d’un rapport d’expertise rédigé dans un style qui lui semblait se prononcer sur la
culpabilité. La chambre criminelle avait rejeté l’argument et le pourvoi 750. Ce n’est pas, loin
s’en faut, la première fois qu’une violation de la présomption d’innocence alléguée dans un
pourvoi (généralement en invoquant l’article 6§2 Conv. EDH) est écartée par la chambre
criminelle. Les auteurs ne s’en émeuvent pas pour autant. Toutefois, cette décision de rejet a
suffisamment retenu l’attention de la doctrine pour qu’un auteur en fasse le commentaire ;
mais c’est uniquement dans le dessein d’approuver entièrement la décision de la Cour de
cassation 751. À cette occasion l’auteur ne dissimule pas son opinion critique à l’endroit de
l’article préliminaire et de l’utilisation que l’on pourrait être tenté d’en faire. Ainsi, ayant
relevé que le texte est fortement inspiré de la Convention européenne, l’auteur juge qu’il
« est en passe de subir le même sort que celle-ci : être servi à toutes les sauces ». On pourra
en outre se convaincre de la persistance de cette opinion en prêtant attention aux titres que
cet auteur choisit pour ses chroniques de jurisprudence 752.

Une chose semble donc certaine, si à l’avenir la jurisprudence doit censurer les juges du
fond sur le fondement du paragraphe III de l’article préliminaire, ce ne sera certainement
pas sur proposition ou encouragement de la doctrine pénale.

Il n’en reste pas moins que l’article préliminaire s’est vu ainsi reconnaître une véritable
portée normative par la Cour de cassation 753. Ce texte vient alors s’ajouter aux autres textes

jurisprudence ») ; adde. A. GIUDICELLI, Premières applications jurisprudentielles de l’article préliminaire


du Code de procédure pénale, Rev.sc.crim., 2003, p. 122 ; également, les chroniques de Albert Maron à la
revue Droit pénal.
749
On notera d’ailleurs qu’en dépit de la faible réception de ce texte en doctrine, cette dernière s’adapte
parfaitement aux décisions de la Cour de cassation puisque désormais, la revue Droit pénal comporte une
rubrique spécialement intitulée « Article préliminaire ».
750
Cass. crim., 29 octobre 2003, Bull. n° 205. La cour avait en effet estimé : « qu’il ne résulte d'aucun des
textes visés au moyen, ni d'aucun principe de procédure pénale, que l'accomplissement d'une mission
d'expertise psychiatrique, relative à la recherche d'anomalies mentales susceptibles d'annihiler ou
atténuer la responsabilité pénale du sujet, interdise aux médecins experts d'examiner les faits, d'envisager
la culpabilité de la personne mise en examen, et d'apprécier son accessibilité à une sanction pénale ».
751
A. MARON, Article préliminaire es-tu là ? note sous Cass. crim., 29 octobre 2003, Dr. pén. 2004,
comm. n° 27. En effet, l’auteur écrit : « On ne peut, pour autant, qu’approuver la limite à la présomption
d’innocence qu’assigne ici la chambre criminelle ».
752
L’article préliminaire a encore frappé, note sous Cass. crim., 7 octobre 2003, Dr. pén. 2004, comm. n°
13 ; Article préliminaire es-tu là ?, note sous Cass. crim., 29 octobre 2003, Dr. pén. 2004, comm. n° 27 ;
N’allez pas chercher dans la Convention européenne ce qui se trouve dans l’article préliminaire… , note
sous Cass. crim., 6 janvier 2004, Dr. pén. 2004, comm. n° 74 ou encore : Des multiples usages de l’article
préliminaire du Code de procédure pénale, JCP. 2004 I 105.
753
Le rapport annuel de la Cour pour l’année 2003 signale d’ailleurs, à propos d’un arrêt du 7 octobre
2003 (pourvoi n° 02-88.383) ayant visé l’article préliminaire, que la valeur normative de ce dernier
« s’affirme chaque jour davantage ». Depuis, la reconnaissance de cette valeur normative se poursuit en
même temps qu’elle dément la majorité des opinions doctrinales qui la niaient et qu’elle dépasse de loin

245
Le discours sur l’objet

ayant consacré la présomption d’innocence et lui ayant déjà attribué une valeur supérieure à
celle de la loi française. Il y a donc, en apparence au moins, pléthore de sources. C'est ce
dont témoigne le discours doctrinal sur la présomption d’innocence mais qui n’est pas sans
susciter quelques interrogations.

B- LA RÉFÉRENCE AUX AUTRES SOURCES

225. Pluralité de sources et valeur juridique. L’adoption récente de l’article préliminaire


du Code de procédure pénale vient allonger la liste des textes qui servaient déjà de support à
la présomption d’innocence et que le discours doctrinal ne manque pas d’énumérer. Cette
référence s’apparente aujourd’hui en quelque sorte à une litanie des sources textuelles, sans
comparaison avec la présentation qui peut être faite d’autres règles ou principes pouvant
eux aussi se prévaloir d’une énonciation dans divers supports. Cette litanie des sources, à
laquelle semble se cantonner le discours doctrinal, soulève la question d’une part, de la
valeur juridique de la présomption d’innocence et d’autre part, de sa nature et de sa portée.

1) La litanie des sources

226. Les textes consacrant la présomption d’innocence. Aucun discours sur la


présomption d’innocence ne semble pouvoir échapper à l’énumération pléthorique de tous
les textes, français et internationaux, voire même étrangers, l’ayant consacrée. La littérature
juridique porte parfois une appréciation critique sur cette abondance de « monuments élevés
à la gloire de la présomption d’innocence » 754 qui l’affirment et l’affirment encore 755. Cela
n’empêche pourtant pas les auteurs de reproduire cette liste , le plus souvent de façon très
complète : article 9 de la Déclaration des droits de l’homme de 1789, article 11§1 de la
Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, article 6§2 de la Convention
européenne des droits de l’homme de 1950, article 14§2 du Pacte international relatif aux
droits civils et politiques de 1966, article 9-1 du Code civil, article préliminaire III et enfin
article 48§1 de la Charte des Droits fondamentaux de l'Union européenne de 2000. La
litanie des sources, pour être d’abord le fait des États ayant signé les traités concernés et
consacré la présomption d’innocence en droit interne, se poursuit donc dans le discours
savant sur la présomption d’innocence.

les intentions du législateur. Ce dernier n’avait pas envisagé explicitement la fonction normative du texte
comme en témoigne de façon courageuse Mme Christine Lazerges : « Rapporteure du texte, il m’est
pourtant difficile d’expliquer comment il se fait que lors des débats techniques en commission des lois à
l’Assemblée nationale, la question de la portée normative de l’article préliminaire ait été éludée, alors
que siégeaient à la commission des lois quatre professeurs de droit… », V. De l’écriture à l’usage de
l’article préliminaire du Code de procédure pénale, in Le champ pénal, Mélanges en l’honneur du
professeur Reynald Ottenhof, Paris, Dalloz, 2006, p. 83.
754
W. JEANDIDIER, La présomption d’innocence ou le poids des mots, op. cit., p. 49.
755
V. J.-H. SYR, Présomption d’innocence et présomption de culpabilité, op. cit., p. 59, qui se demande
pourquoi un tel besoin d’affirmation et de réaffirmation constante et renonce quant à lui à énumérer et
même à compter « la multitude de dispositions conventionnelles et législatives visant à renforcer ce
principe ».

246
Le discours sur les sources positives

227. L’énumération. On aurait pu penser que ces textes seraient analysés par les auteurs,
coordonnés, classés, hiérarchisés en fonction notamment de leur valeur dans l’ordre
juridique. Tel est pourtant rarement le cas. En effet, le plus souvent la doctrine se contente
d’une énumération qui a pour seul critère l’ordre chronologique des textes 756, auquel
s’adjoint parfois, ou se substitue, le critère de leur origine interne ou externe au droit
français 757. Désormais quelques auteurs, tout en s’adonnant à l’énumération des textes,
décident d’en faire une présentation prenant en compte la hiérarchie des normes c'est-à-dire
leur valeur dans l’ordre interne 758. La Convention européenne se voit alors attribuer une
place particulière dans la mesure où elle est d’application directe en droit français et qu’elle
a servi de canevas à l’élaboration de l’article préliminaire du Code de procédure pénale.
Toutefois, la valeur de ces textes, et par conséquent de celle de la présomption d’innocence,
paraît être une question reléguée au second rang. L’énumération ne semble pas avoir pour
fonction de décrire scrupuleusement les sources positives de la présomption d’innocence
mais plutôt d’indiquer qu’elle existe bien, même par delà nos frontières puisque les textes
internationaux s’imposent également à d’autres États. Le recours au droit comparé s’inscrit
d’ailleurs lui aussi dans cette litanie des sources.

Le droit pénal comparé a en effet les faveurs des pénalistes et M. Pradel, qui s’avoue
féru de cette discipline 759, en est à l’heure actuelle l’un des meilleurs représentants en
France. L’étude de la présomption d’innocence n’a pas échappé à cet engouement, mais
l’intérêt de recourir aux autres systèmes juridiques y est peut-être plus grand ici encore, au-
delà même de l’inspiration que les autres systèmes peuvent susciter en France.

En effet, les études comparatistes portant sur la présomption d’innocence ont eu pour
effet de renforcer l’idée de son existence, et ce au moins de deux manières. C’est tout
d’abord par l’effet même de la comparaison (qui suppose deux objets suffisamment
semblables) que l’existence de la présomption d’innocence se trouve affirmée. C’est ensuite

756
V. par exemple : C. LOMBOIS, La présomption d’innocence, op. cit., p. 81-82 ; W. JEANDIDIER, La
présomption d’innocence ou le poids des mots, op. cit., p. 49 ; B. BOULOC, Présomption d’innocence et
droit pénal des affaires, op. cit., p. 465 ; J. DÉCAMPS, La présomption d'innocence, entre vérité et
culpabilité, op.cit ; M.-L. RASSAT, Traité de procédure pénale, op. cit., n° 195 ; S. DETRAZ, La prétendue
présomption d’innocence, op. cit., n°1 ; J. PRADEL, Procédure pénale, 12e éd., op. cit., n° 384.
757
V. par exemple : H. DAOULAS, Présomption d'innocence et preuve pénale, étude comparée des droits
français, anglais et canadien, op.cit, n°12 et s.; C. AMBROISE-CASTÉROT, Rép. Pén. et Proc. Pén., v°
Présomption d’innocence, n° 6 à 9.
758
J.-H. SYR, Présomption d’innocence et présomption de culpabilité, op. cit., qui se réfère d’ailleurs en
tout premier lieu à l’article 6§2 de la Conv. EDH ; S. GUINCHARD et J. BUISSON, Procédure pénale, 3e éd.,
op. cit., n° 481et s; C. RENAULT-BRAHINSKY, Procédure pénale, 6e éd., op. cit., p. 103.
759
S’agissant de la présomption d’innocence, on observera que le professeur Pradel a dirigé la thèse de
Mlle Daoulas: Présomption d'innocence et preuve pénale, étude comparée des droits français, anglais et
canadien, op. cit. Les développements que l’auteur consacre à la présomption d’innocence dans son
manuel de procédure pénale sont assortis depuis longtemps de références au droit comparé, V. Procédure
pénale, 12e éd., op. cit., bibliographie et n° 384. En outre, M. Pradel est l’auteur d’un ouvrage de droit
comparé où de substantiels développements sur la présomption d’innocence prennent place au titre de la
preuve pénale, V. Droit pénal comparé, Dalloz, 2e éd., 2002, n° 299 et s.

247
Le discours sur l’objet

par le résultat de cette comparaison. Ainsi, s’il s’avère que dans certains systèmes, comme
le droit anglais, la présomption d’innocence subit quelques atteintes, l’idée que la
présomption d’innocence existe bien en France se voit alors renforcée 760 et ce en dépit des
atteintes qu’elle peut également y subir. La démarche comparatiste était d’ailleurs celle de
M. Essaïd qui, au titre des sources positives de la présomption d’innocence, consacrait déjà
des développements aux autres systèmes juridiques 761. Enfin, c’est en étudiant le droit
comparé de la preuve pénale que la littérature juridique a cru pouvoir affirmer la
reconnaissance quasi universelle du principe de la présomption d’innocence 762. Toutefois,
ces études montrent assez bien que les sources de la présomption d’innocence sont très
différentes d’un pays à l’autre, témoignant ainsi de la valeur variable qui lui est reconnue de
par le monde. Ce qui n’est pas pour autant un obstacle à l’affirmation de l’existence de la
présomption d’innocence. En vérité, la même question devrait se poser à propos des sources
de la présomption d’innocence en droit français. Quelle valeur lui confèrent-elle ? À cette
question, le discours doctrinal tente enfin de répondre, après un certain silence.

2) L’appréciation de la valeur de la présomption d’innocence au regard des diverses


sources

228. Une valeur bien relative. L’énumération pléthorique des sources de la présomption
d’innocence s’est, jusqu’à une période très récente, rarement accompagnée d’une réflexion
sur sa valeur juridique. La référence à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen
comme source de la présomption d’innocence s’est largement passée, durant un temps,
d’aborder cette question. C’est, on le sait, le Conseil constitutionnel qui a permis après
coup, de donner son sens à cette référence doctrinale. Or la même question pourrait se poser
pour les autres textes cités pêle-mêle par les auteurs. À bien y regarder, la valeur juridique
de la présomption d’innocence résultant de ces textes n’apparaît pas évidente. Un simple
effort de mémoire suffit en effet à en relativiser le poids en droit français.

229. Valeur de la Déclaration universelle. Tout d’abord, si les auteurs se plaisent à


rappeler que la présomption d’innocence a été consacrée par la Déclaration universelle des
droits de l’homme, cette référence n’a pas pour objet d’attester de la valeur juridique du
principe dès lors que cette déclaration n’a jamais eu que la valeur d’une déclaration

760
H. DAOULAS, Présomption d'innocence et preuve pénale, étude comparée des droits français, anglais
et canadien, op. cit. ; J. DÉCAMPS, La présomption d'innocence, entre vérité et culpabilité, op.cit. ; Mais
aussi, bien sûr, les actes du colloque organisé par centre français de droit comparé : La présomption
d’innocence en droit comparé, op. cit.
761
M.-J. ESSAÏD, La présomption d’innocence, op. cit., n° 64 et s. Il ne s’agit d’ailleurs pas seulement
d’affirmer l’existence de la présomption d’innocence par référence aux droits étrangers qui la
reconnaissent, mais encore de montrer que nombre d’autres pays l’ont reconnu sous l’influence du droit
français, particulièrement les pays africains.
762
V. Rev.int.dr.pén., 1992, p. 57 et s.

248
Le discours sur les sources positives

d’intention de la part des États signataires 763. La reconnaissance symbolique et universelle


de la présomption d’innocence, au lendemain des horreurs de la guerre, peut expliquer cette
référence. Elle demeure néanmoins assez faible, notamment au regard des conditions dans
lesquelles la présomption d’innocence a été introduite dans cette déclaration. En effet,
l’affirmation de cette garantie n’allait pas de soi puisque les divers projets de déclaration ne
la mentionnaient pas. C’est, vraisemblablement sous l’influence de René Cassin, ou à tout
le moins des délégués français 764, que le texte définitif énonce la présomption
d’innocence 765.

230. Valeur de la Convention européenne. En revanche, tout en reprenant pour l’essentiel


le texte de la Déclaration universelle, la Convention européenne de sauvegarde des droits de
l’homme et des libertés fondamentales a une valeur juridique certaine en droit français ; par
le truchement de l’article 55 de notre Constitution elle a même une valeur supérieure à la
loi. Cela est bien connu et d’ailleurs souvent souligné dans le discours sur la présomption
d’innocence. L’article 6§2 de cette Convention apparaît même comme l’une ou la meilleure
des formulations du principe de la présomption d’innocence mais aussi sa plus forte
expression juridique dans notre droit. C’est donc aujourd’hui un lieu commun de dire que la
présomption d’innocence est garantie au niveau européen, à tel point que la violation de
l’article 6§2 est un moyen fréquemment invoqué dans les pourvois en cassation.
Néanmoins, ici encore le discours doctrinal ne rend pas compte d’une réalité juridique
pourtant criante. Signée en 1950, la Convention européenne des droits de l’homme n’a été
ratifiée par la France qu’en 1974 et donc applicable seulement à compter de cette date. On
doit ajouter que l’avancée par rapport à la Déclaration universelle résidait dans la création
d’une juridiction chargée de veiller à la bonne application du texte et de sanctionner ces
éventuelles violations par les États. Ainsi s’assurait-on que les droits de l’homme et les

763
Le préambule de la déclaration l’exprime d’ailleurs clairement : « L'Assemblée Générale proclame la
présente Déclaration Universelle des Droits de l'Homme comme l'idéal commun à atteindre par tous les
peuples et toutes les nations afin que tous les individus et tous les organes de la société, ayant cette
Déclaration constamment à l'esprit, s'efforcent, par l'enseignement et l'éducation, de développer le
respect de ces droits et libertés et d'en assurer, par des mesures progressives d'ordre national et
international, la reconnaissance et l'application universelles et effectives (…) ».
764
Les observations de M. Henrion vont en ce sens puisque l’auteur relève à la fois l’absence de référence
à la présomption d’innocence dans les projets anglais et américains et l’influence certaine de René Cassin,
V. La nature juridique de la présomption d’innocence, op. cit., n° 234 et s.
765
C’est ce qui résulte des recherches menées par Marc Agi. Les ouvrages qu’il a consacrés au célèbre
juriste présentent en annexes divers projets de déclarations, dont l’un des plus importants, celui établi par
le secrétariat des Nations Unies sous la direction du canadien John Humphrey. Or, ce dernier ne prévoyait
pas d’inscrire la présomption d’innocence dans la Déclaration. En revanche, elle apparaissait dans le
projet Cassin et dans une formulation qui n’est pas sans rappeler celle du texte définitif. V. M. AGI, René
Cassin, prix Nobel de la paix, père de la déclaration universelle des droits de l'homme, Paris, Perrin
1998, annexes 8 et 9 et du même auteur : René Cassin, fantassin des droits de l’homme, Paris, Plon, 1979,
p. 325. On peut toutefois signaler l’existence d’un débat quant à la paternité de l’avant projet de
déclaration. Celui-ci est relaté par Mme Fauré qui observe que la rivalité entre Humphrey et Cassin
masquait en réalité une tension entre américains et français, V. CH. FAURÉ, Ce que déclarer des droits
veut dire : histoires, Paris, PUF, 1998, p. 201 et s.

249
Le discours sur l’objet

libertés fondamentales, dont la présomption d’innocence fait partie, pourraient être garantis
de façon effective. L’un des intérêts essentiels était donc de pouvoir saisir la Commission
des droits de l’homme. Or, faut-il rappeler que cette saisine directe n’est ouverte aux
justiciables français que depuis la fin de l’année 1981 ? Ainsi, la garantie effective de la
présomption d’innocence s’avère beaucoup plus récente que les auteurs ne le laisseraient
penser. On pourra objecter que les pénalistes n’ont pas à reprendre l’histoire de la signature
puis de la ratification de tel ou tel traité chaque fois qu’une de ses dispositions est évoquée.

On tient toutefois ici à souligner combien la construction du discours sur les sources
parvient à évincer la question de la valeur juridique de la présomption d’innocence.
Manifestement, cette question est embarrassante. Dans les années soixante, énumérant les
sources du principe, M. Essaïd n’hésita pas à évoquer la garantie de la présomption
d’innocence offerte par la Convention européenne mais, il dut alors concéder que la France
était le seul pays signataire à ne pas l’avoir encore ratifiée. Autrement dit, l’auteur admit
que ce texte, et donc la présomption d’innocence, ne faisait pas (encore) partie intégrante de
notre droit positif. Tous les auteurs n’ont pas été aussi précis et rigoureux dans la
présentation de cette source particulière qu’est la Convention européenne.

Dans leur traité de 1973, MM. Merle et Vitu ont fait le choix de citer, aussi bien la
Déclaration universelle que la Convention européenne et ce en dépit de leur absence de
valeur juridique. D’autres auteurs ont en revanche préféré ignorer purement et simplement
son existence 766. Pour autant, il n’est pas certain que ce soit exclusivement en raison de son
absence d’applicabilité en droit interne. En effet, d’une part certains n’hésitent pas à se
référer la Déclaration universelle 767 et d’autre part il est probable que la Convention
européenne n’ait pas reçu, à l’époque, toutes les faveurs qu’on peut lui reconnaître
aujourd’hui. Le silence des pénalistes et leur apparent désintérêt pour la Convention dans
les années qui suivirent son adoption, pourraient n’être que la traduction des réticences
exprimées par la France à l’égard de cet engagement. C’est en tout cas ce qu’a suggéré le
professeur Merle en tentant de confronter notre justice pénale au texte de la Convention 768.
L’auteur a ainsi mis en évidence la difficulté qu’éprouve finalement la France à admettre
une garantie des droits de l’homme pour les justiciables du droit pénal 769. On pourrait enfin

766
V. G. STÉFANI, Cours de droit pénal général et procédure pénale, op. cit., 1966-67 ; P. BOUZAT et J.
PINATEL, Traité de droit pénal et de criminologie, op. cit. ; R. VOUIN et J. LÉAUTÉ, Droit pénal et
procédure pénale, op. cit.
767
L. BOYER, Cour de droit pénal général et de procédure pénale, op. cit. ; G. BRIÈRE DE L’ISLE et P.
COGNIART, Procédure pénale, op. cit.
768
R. MERLE, La Convention européenne des droits de l’homme et la justice pénale française, D. 1981,
Chr. p. 227. L’auteur débute en observant que la Convention occupe une place assez modeste dans les
discussions des pénalistes français et que les commentaires sont rares.
769
Dans l’énumération des principes relevant du droit pénal et garantis par la Convention, on remarquera
que l’auteur ne fait aucune allusion à la présomption d’innocence.

250
Le discours sur les sources positives

observer que l’article 48§1 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne770,
parfois cité au titre des sources de la présomption d’innocence, est pour l’heure dépourvu de
toute valeur juridique. L’intégration de la Charte dans le traité instituant une Constitution
pour l’Europe a pour effet de rendre son sort incertain, particulièrement en France où
l’adoption de ce traité a été rejetée.

231. Une question évincée. L’élaboration du discours sur les sources de la présomption
d’innocence évince donc bel et bien la question de la valeur juridique du principe. Si
aujourd’hui cela paraît moins évident en raison de la force d’attraction de la Convention, il
n’en reste pas moins vrai que durant la première moitié du XXe siècle la question de
l’existence de la présomption d’innocence ne supposait pas de poser celle de la valeur
juridique de cette dernière. Le silence actuel des auteurs pourrait être interprété comme un
acquiescement de la façon dont le discours sur les sources s’est précédemment construit. En
effet, il n’existe semble-t-il aucune rupture dans ce discours qui se construit davantage par
accumulation que par réfutation. On constate alors que le discours, en négligeant d’aborder
de front la question de la valeur de la présomption d’innocence, masque en partie la
difficulté de la reconnaissance de celle-ci dans notre droit. L’évidence de cette
reconnaissance est en effet loin d’être acquise si l’on songe tout d’abord aux circonstances
dans lesquelles la présomption d’innocence a été inscrite dans certains des textes énumérés.
On se souviendra à cet égard que sa consécration dans la Déclaration des droits de l’homme
et du citoyen, dans la Déclaration universelle ou encore à l’article 9-1 du Code civil n’était,
à chaque fois, pas projetée d’avance et n’a eu lieu finalement qu’in extremis. Ensuite, la
reconnaissance en droit interne peut sembler fragile au regard de la relative valeur juridique,
dans le temps, de certains des sources formelles. De cette difficile reconnaissance, le
discours ne fait pas mention. Il tend davantage à « gommer les aspérités » et à donner de la
présomption d’innocence une représentation en quelque sorte intemporelle, dégagée de
toute évolution quant à sa portée, sa valeur ou même sa nature. En effet, ces dernières
questions n’ont, elles non plus, pas été formulées pendant des années.

3) Nature et portée de la présomption d’innocence au regard des diverses sources

232. Unité ou diversité ?. La présomption d’innocence est affirmée, mentionnée,


consacrée …par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, la Déclaration
universelle des droits de l’homme, la Convention européenne, le Pacte international relatif
aux droits civils et politiques, l’article 9-1 du Code civil, l’article préliminaire III du Code
de procédure pénale. Si une telle affirmation assure de l’existence de la présomption
d’innocence, elle soulève néanmoins une question. En effet, ne pourrait-on pas se demander
dans quelle mesure ces textes visent le même objet ? La doctrine ne semble quant à elle pas

770
Qui reprend le paragraphe 2 de l’article 6 de la Conv. EDH.

251
Le discours sur l’objet

en douter. Il existe « une » présomption d’innocence dont chacun de ces textes témoigne.
Quelle qu’en soit la rédaction exacte, la personne, l’homme ou l’accusé sont, aux termes de
ces textes, présumés innocents. De là apparaît évidente la nature de cette règle : il s’agit
d’une présomption, comme son nom l’indique. Pourtant, cette qualification pourrait prêter à
contestation. De plus, quand bien même elle serait admise, il ne serait pas inutile de se
demander si ces divers textes confèrent bien la même nature et la même portée à la
présomption d’innocence.

Alors que la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen autorisait à élever la


présomption d’innocence au rang d’un droit de l’homme, les premiers criminalistes ne l’ont
présentée que comme une règle d’attribution de la preuve et lui ont donc reconnu une nature
de présomption au sens où l’entend la technique juridique 771. Cette qualification disparaît
pourtant peu à peu de la littérature juridique. Les auteurs, probablement sous l’impulsion de
la jurisprudence de Strasbourg, sont désormais plus enclins à ranger la présomption
d’innocence parmi les droits de l’homme. Cela étant, la loi du 4 janvier 1993, en créant
l’article 9-1 du Code civil, est venue ajouter à ces qualifications. Désormais, on peut donc
lire sous la plume de nombreux auteurs que la présomption d’innocence est un droit
subjectif. Parallèlement, on a pu parler du principe de la présomption d’innocence, principe
qualifié de général, cardinal, directeur, ou encore tutélaire. Enfin, plus rarement certains
auteurs ont suggéré que la présomption d’innocence était en réalité une fiction.

Qu’en est-il vraiment de la nature de la présomption d’innocence ? On ne saurait


probablement sélectionner ni éliminer au sein de l’énumération, tant ces diverses
qualifications semblent correspondre à une certaine réalité juridique. Au fil du temps le
discours sur la présomption d’innocence s’est donc chargé d’une accumulation de
qualifications sans qu’aucune ne soit véritablement préférée aux autres ni qu’aucune ne
disparaisse vraiment. Aucune cependant n’a donné lieu à discussion. On remarquera en
effet que, d’une part, les mêmes auteurs usent parfois des qualifications de façon cumulative
et, d’autre part, que le choix de telle ou telle qualification par les uns n’est pas contesté,
discuté par les autres. Ainsi, n’existe-t-il pas de controverse doctrinale au sujet de la nature
de la présomption d’innocence. On peut toutefois signaler que MM. Merle et Vitu ouvrent
la discussion dans la dernière édition de leur traité, où ils font observer qu’il vaut mieux la
considérer comme un principe général du droit procédural plutôt que comme une
présomption dans la mesure où la présomption d’innocence ne repose pas sur la
vraisemblance et qu’elle a seulement pour effet de désigner celui sur qui pèsera la
preuve 772.

771
On a même plus précisément parlé de présomption légale d’innocence, V. supra, n° 205 et s.
772
R. MERLE et A.VITU, Traité de droit criminel, Procédure pénale, 5e éd., op. cit., n° 143.

252
Le discours sur les sources positives

L’accumulation, on pourrait probablement dire également la sédimentation 773, ne fait ici


que renforcer l’idée que notre droit reconnaît la présomption d’innocence et que cette
reconnaissance a une grande valeur. Mais la question de la nature juridique de la
présomption d’innocence n’a pas été vraiment envisagée, surtout pas pour elle même. Il a
fallu attendre l’initiative de M. Henrion pour que soit sérieusement étudiée cette question.
L’existence de cette étude témoigne a elle seule du silence doctrinal qui régnait jusqu’alors
et qu’elle vient briser 774. Au seuil de son travail, l’auteur souligne lui aussi la disparité des
qualifications légales, jurisprudentielles et doctrinales disponibles et pose la question de
leur éventuel cumul ou de leur caractère alternatif 775.

Principe, droit ou fiction, sont trois des natures admises en doctrine, chacune mérite que
l’on s’y arrête un instant.

233. Principe. Dès l’étude fondatrice de M. Patarin la présomption d’innocence se voit


désignée comme un principe. Aujourd’hui il paraît difficile de se passer de ce qualificatif
tant il paraît évident et peu discutable. La nature de principe ainsi reconnue à la
présomption d’innocence est déclinée sous diverses formes dont toutes ne renseignent pas
sur la nature juridique exacte du principe. Ainsi la présomption d’innocence est-elle
désignée comme un simple principe, un principe général, un principe constitutionnel, un
principe fondamental, un principe directeur, un principe tutélaire ou encore un principe
cardinal. Au-delà de cette déclinaison d’attributs, on relèvera que les usages du mot principe
sont divers, qu’ils répondent à plusieurs des définitions proposées par le Vocabulaire
juridique Cornu et que le plus souvent les auteurs se réfèrent indistinctement à plusieurs
sens en même temps.

Tout d’abord, la présomption d’innocence est qualifiée de principe parce que telle aurait
été la volonté des constituants en la consacrant dans l’article 9 de la Déclaration des droits
de l’homme 776. Dans cette acception, la présomption d’innocence est le principe qui justifie
la limite des atteintes que l’on peut porter à la liberté des individus en procédant à leur
arrestation.
773
Le phénomène de sédimentation est une des lois du savoir juridique qu’énonce le professeur Atias. « Il
tient à l’existence d’une collectivité de juristes dont les générations se succèdent, dont les formations
diffèrent et qui ne peuvent maîtriser ni leur langue, ni les concepts et principes mis en œuvre. Il tient
surtout à l’emploi de termes trop riches, trop évocateurs, trop chargés de traditions et d’expérience pour
répondre à une définition qui en contiendrait les sens et le dynamisme propre », V. Épistémologie
juridique, op. cit., n° 312-319.
774
H. HENRION, La nature juridique de la présomption d’innocence, op. cit., n° 14-1.
775
H. HENRION, La nature juridique de la présomption d’innocence, op. cit., n° 6-2 et 6-3.
776
J. PATARIN, Le particularisme de la théorie des preuves en droit pénal, op. cit., n° 7 ; J. et A.
LARGUIER, La protection des droits de l’homme dans le procès pénal, Rev.int.dr.pén., 1966, p. 131 ; M.-J.
ESSAÏD, La présomption d’innocence, op. cit., n° 7 ; G. KIEJMAN, Les présomptions de fait de culpabilité
et la présomption légale d’innocence, op. cit., p.15 ; P. AUVRET, Le droit au respect de la présomption
d’innocence, op. cit., n° 4 et s ; F. CASORLA, Le droit français, rapport in La preuve en procédure pénale
comparée, Rev.int.dr.pén., 1992, p. 184 ; C. AMBROISE-CASTÉROT, Rép. Pén. et Proc. Pén., v°
Présomption d’innocence, n°7.

253
Le discours sur l’objet

D’une toute autre manière, la présomption d’innocence est également qualifiée de


principe parce qu’elle se présente comme la règle générale qui règle le fardeau de la preuve.
Ainsi les auteurs la désignent-ils comme le principe qui attribue la charge de la preuve à
l’accusation dans un procès pénal.

La présomption d’innocence est en outre désignée comme un principe général. Il


convient d’entendre cette référence dans le sens où la formulation de la présomption
d’innocence est générale, abstraite, au point qu’il avait paru difficile, à la veille de son
adoption, de la faire figurer dans le Code de procédure pénale.

Il est par ailleurs fréquent que la qualification de principe résulte d’un choix dans
l’articulation du discours. En effet, les auteurs choisissent, plus volontiers depuis quelques
années, de présenter la présomption d’innocence en énonçant tout d’abord qu’il s’agit d’un
principe, qui comporte néanmoins des limites, tempéraments ou exceptions 777 qui sont
exposées dans un second temps. Cet usage du mot principe relève de la dialectique
principe/exception à laquelle s’ajoute parfois la dialectique théorie/pratique. En effet,
certains auteurs entendent par là souligner le caractère théorique et abstrait de la
présomption d’innocence qui est parfois très distant de la réalité pratique 778.

Plus récemment, la présomption d’innocence a été présentée comme un principe


fondamental du droit pénal, un principe cardinal, puis un principe directeur. Toutes
qualifications qui témoignent de sa généralité mais qui dessinent également la nouvelle
fonction attribuée à la présomption d’innocence. Fonction première, directrice, à l’instar des
principes directeurs inscrits en tête du Nouveau code de procédure civile et que le rapport
de la commission Delmas-Marty a largement contribué à faire progresser dans les esprits,
jusqu’à l’écriture effective d’un article préliminaire où figure la présomption d’innocence,
justement au titre des principes directeurs du procès pénal.

Enfin, si la présomption d’innocence est, quelques fois, qualifiée de principe


constitutionnel, c’est par références à plusieurs décisions que le Conseil constitutionnel a
fondées en partie sur l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. On
observera toutefois que la Cour de cassation, qui fonde rarement ses décisions sur la seule
référence à la présomption d’innocence, n’utilise cette qualification de principe qu’assez
rarement et en tout cas seulement depuis une période récente. Quel que soit le type de
décisions, rejet, cassation, ou cassation partielle, la Cour de cassation semble admettre la

777
J. PATARIN, Le particularisme de la théorie des preuves en droit pénal, op. cit., n° 4 et 16 ; G.
LEVASSEUR, La charge de la preuve en procédure pénale française, Revue juridique et politique, 1985,
n°1-2, p. 693 et 696 ; J. LARGUIER, Procédure pénale, 18e éd., op. cit., p. 306 et s ; F. DEBOVE et F.
FALLETTI, Précis de droit pénal et de procédure pénale, op. cit., p. 226 et 228.
778
L. BOYER, Cour de droit pénal général et de procédure pénale, op. cit., p. 257 ; G. KIEJMAN, Les
présomptions de fait de culpabilité et la présomption légale d’innocence, op. cit., p. 16.

254
Le discours sur les sources positives

présomption d’innocence comme un principe en se référant essentiellement à la Convention


EDH 779.

Cet inventaire montre que, hormis l’allusion à sa constitutionnalité qui repose sur la
présence de la Déclaration des droits de l’homme dans le bloc de constitutionnalité, les
divers sens du mot principe dont la doctrine fait usage, ne sont pas directement tirés des
sources positives de la présomption d’innocence. L’usage qui est fait du mot principe pour
présenter la présomption d’innocence n’a donc qu’un faible lien avec les multiples sources
énumérées. On observera d’ailleurs que l’usage doctrinal du mot principe qui tend à faire de
la présomption d’innocence un fondement, une règle directrice, desquels découlent d’autres
règles et principes du procès pénal, n’apparaît pas à l’évidence. L’article 9 de la Déclaration
des droits de l’homme en est un exemple, il n’est pourtant pas le seul. Que dire de l’article 6
de la Convention européenne ? La présomption d’innocence ne figure qu’au second rang
des droits énoncés, il n’est pas le principe qui fonde le procès équitable dont traite le
texte 780. Enfin, c’est la rédaction de l’article préliminaire du Code de procédure pénale qui
dément le caractère premier, fondamental de la présomption d’innocence. Envisagée dans le
troisième paragraphe du texte, la logique peine à lui reconnaître le caractère de principe
directeur dont découlent toutes les autres règles du procès pénal. L’affirmation du caractère
fondamental du principe de la présomption d’innocence fut d’abord doctrinale, le législateur
semblait avoir admis la chose, mais n’a pas su la traduire dans le texte 781.

On le voit, si la présomption d’innocence peut sans difficulté être présentée comme un


principe, il est moins aisé de dire à quel titre elle mérite une telle qualification. Les usages
doctrinaux du terme principe sont trop nombreux et divers pour qu’il soit possible de

779
Les pourvois sont nombreux à alléguer une violation « du principe de la présomption d’innocence » ou
une méconnaissance « du principe de présomption d’innocence ». La chambre criminelle n’y répond pas
toujours et lorsqu’elle le fait, elle n’emploie pas nécessairement ces expressions. Il existe néanmoins
plusieurs décisions, mais finalement peu nombreuses, dans lesquelles la Cour fonde la cassation ou le
rejet du pourvoi en désignant la présomption d’innocence comme un principe. V. Cass. crim., 19 mars
1986, Bull. n° 113 ; Cass. crim., 28 novembre 1995, Bull. n° 360 ; Cass. crim., 10 juillet 1996, Bull. n°
289 ; Cass. crim., 25 octobre 2000, inédit titré, pourvoir n° 99-88140 ; Cass. crim., 20 juin 2001, Bull. n°
154.
780
En effet, la présomption d’innocence n’est pas le principe duquel découle l’exigence du procès
équitable, la construction de l’article 6 de la Convention montre assez au contraire que c’est le paragraphe
premier du texte qui constitue « la norme de base dont les paragraphes 2 et 3 représentent des
applications particulières », V. J.-C. SOYER et M. DE SALVIA, Art. 6, in L.-E. PETTITI (dir.), La
Convention européenne des droits de l’homme, Economica, 2e éd., 1999, p. 269 et 272.
781
Certains auteurs ont relevé avec regret cette maladresse ou incohérence du législateur, V. R. MERLE et
A.VITU, Traité de droit criminel, Procédure pénale, 5e éd., op. cit., n° 147, selon lesquels la présomption
d’innocence est « mal placée, au sein de l’énumération, alors qu’il aurait fallu la mentionner en tête de
l’article préliminaire, puisqu’on en fait le pivot de tous les autres principes » ; H. HENRION, L’article
préliminaire du Code de procédure pénale : vers une “théorie législative” du procès pénal ? op. cit., p. 35 :
après avoir rappelé que la présomption d’innocence avait été présentée par le législateur comme un
principe cardinal, « Nous regrettons que la présomption d’innocence, qui est au cœur du de la conception
démocratique du procès pénal n’apparaisse que dans le paragraphe III de l’article préliminaire ; sa
véritable place serait bien plus dans le premier ». L’auteur s’étonne d’ailleurs de cette situation au
regard « des jurisprudences du Conseil Constitutionnel et de la chambre criminelle, qui ont tendance à
faire de la présomption d’innocence le fondement implicite de toutes les autres garanties du procès ».

255
Le discours sur l’objet

déterminer avec une certitude suffisante ce qui fait de la présomption d’innocence un


principe juridique. La faveur pour cette qualification peut toutefois s’expliquer.

Tout d’abord, il faut bien admettre que présenter la présomption d’innocence comme un
principe s’avère des plus commodes. En raison des multiples sens que ce terme reçoit en
droit, son usage pour désigner la présomption d’innocence ne prête guère à discussion.
L’abstraction et la généralité qui caractérisent le terme principe s’intègrent en outre
parfaitement dans un discours demeurant lui-même assez général sur la notion de
présomption d’innocence. Par ailleurs, c’est le caractère partiellement non écrit de la
présomption d’innocence qui a pu autoriser à la désigner comme un principe 782. Ne pouvant
s’appuyer confortablement sur un texte pour affirmer l’existence de la présomption
d’innocence, certains auteurs ont pu ainsi contourner la difficulté en la désignant comme un
principe au sens de règle non écrite mais ayant force obligatoire.

Aujourd’hui, la nature de principe de la présomption d’innocence est réaffirmée avec


force par M. Henrion au terme d’une longue démonstration théorique. Après avoir réfuté
une par une les qualifications possibles de la présomption d’innocence, l’auteur propose, au
titre d’une meilleure intelligibilité de la présomption d’innocence, de la regarder comme un
principe général d’interdiction des anticipations sur la culpabilité. Cette nature juridique
résulterait de trois considérations développées par l’auteur. Premièrement, c’est
l’applicabilité de la présomption d’innocence au sein d’ordres juridiques différents
(procédure pénale, droit civil, droit constitutionnel et droit international) qui signerait sa
nature de principe. Ensuite, c’est sa place privilégiée dans la hiérarchie des normes qui lui
confèrerait ce caractère. Enfin, la présomption d’innocence devrait être regardée comme un
principe car telle a été la volonté manifestée par le législateur en adoptant la loi du 15 juin
2000 783.

234. Droit. Outre le fait d’être un principe, la présomption d’innocence est également
regardée comme un droit, « un véritable droit » 784. Que la présomption d’innocence puisse
être qualifiée de droit, cela apparaît incontestable. Sa présence dans des textes relatifs aux
droits de l’homme semble à elle seule l’attester. Une étude sommaire des sources positives
y invite donc. Droit de l’homme proclamé par la Déclaration des droits de l’homme et du
citoyen ou droit de l’homme fondamental rappelé par la Convention européenne, la

782
En effet, le Vocabulaire juridique indique que le principe peut être (sens 3) « une maxime générale
juridiquement obligatoire bien que non écrite dans un texte législatif ».
783
H. HENRION, La nature juridique de la présomption d’innocence, op. cit., n° 239-1 et 733-2. La
qualification de principe général permet, selon l’auteur, d’englober sans incohérence ou illogisme le
caractère de droit subjectif de la présomption d’innocence.
784
PH. CONTE et P. MAISTRE DU CHAMBON, Procédure pénale, op. cit., 4e éd., n° 38 et PH. CONTE, Pour
en finir avec une présentation caricaturale de la présomption d’innocence, op. cit., n° 3 : « véritable parmi
tous ceux dont on nous rebat les oreilles… ».

256
Le discours sur les sources positives

présomption d’innocence est un droit, celui d’être considéré, supposé, présumé ou encore
réputé, innocent jusqu’à ce qu’intervienne une déclaration définitive de culpabilité.

Mais depuis plusieurs années le discours doctrinal véhicule également une autre
qualification, celle de droit subjectif. Cette dernière fait directement suite à la création de
l’article 9-1 du Code civil. Ce texte, parfaitement intégré par les auteurs au titre des sources
formelles de la présomption d’innocence 785, a fait l’objet d’une interprétation tendant, par sa
place dans le Code civil, à reconnaître à la présomption d’innocence le caractère d’un droit
subjectif. De la présomption, règle technique de preuve en passant par le principe
fondamental ou général du droit pénal, la nature de la présomption d’innocence se serait
transformée pour devenir un droit extrapatrimonial de la personnalité. Cette qualification,
imposée par le parallèle opéré entre les articles 9 et 9-1 du Code civil, s’ajoute aux
précédentes non sans toutefois poser quelques difficultés. En effet, la seule inscription de
l’expression présomption d’innocence dans l’alinéa 1 de l’article 9-1 du Code civil suffit-
elle à affirmer que la présomption d’innocence est un droit subjectif ?

235. Droit subjectif. De nombreux auteurs n’ont pas hésité à l’enseigner dès le lendemain
de la promulgation de la loi de 1993 786. La justification d’une telle affirmation n’est pas
unanime. La première, prenant directement appui sur l’article 9-1 du Code civil, résiderait
tout simplement dans une « transformation » de la nature de la présomption d’innocence 787.
Un tel raisonnement conduit donc les auteurs à reconnaître que le législateur a le pouvoir,
par sa seule volonté, de changer complètement la nature de la présomption d’innocence 788.
D’autres auteurs semblent estimer que si la nature de droit subjectif est nouvellement
affirmée, elle ne date pas exclusivement de la loi de 1993 789.

785
V. supra, n° 217 et s.
786
P. AUVRET, Le droit au respect de la présomption d’innocence, op. cit., PH. CONTE et P. MAISTRE DU
CHAMBON, Procédure pénale, op. cit., 1re éd., H. BUREAU, La présomption d’innocence devant le juge
civil, cinq ans d’application de l’article 9-1 du Code civil, op. cit. ; CH. LAZERGES, La présomption
d’innocence, op.cit. ; J.-H. ROBERT, Jouissance des droits civils. Protection de la présomption
d'innocence, J.-Cl. Civil. I, Art l’article 9-1 du Code civil ; J. CARBONNIER, Droit civil, Quadrige, op. cit.,
n° 280.
787
M. Auvret a ainsi expliqué que la loi de 1993 « a pour effet de transformer explicitement un principe
en un véritable droit », Le droit au respect de la présomption d’innocence, op.cit., n° 2 ; A. TONGLET, La
présomption d'innocence et les présomptions en droit pénal, op. cit., n°40, où l’auteur estime, elle aussi,
que la nature originelle de la présomption d’innocence s’est transformée pour devenir un droit subjectif
avec la loi de 1993.
788
C’est l’opinion qu’expose M. Henrion en se référant notamment aux propos du garde des Sceaux lors
de la discussion parlementaire qui allait donner lieu à la création de l’article 9-1 du Code civil. V. La
nature juridique de la présomption d’innocence, op. cit., n° 225-2 et 239-2.
789
H. BUREAU, La présomption d’innocence devant le juge civil, cinq ans d’application de l’article 9-1 du
Code civil, op. cit., n° 3 et s. pour laquelle : « Le législateur de 1993, en proclamant le droit de chacun au
respect de la présomption d'innocence, a inséré pour la première fois dans le Code civil un principe
séculaire du droit français ». Ainsi se trouvent confondus comme un même objet le principe de la
présomption d’innocence et le droit subjectif au respect de la présomption d’innocence ; CH. LAZERGES,
La présomption d’innocence, op.cit., p. 509.

257
Le discours sur l’objet

En vérité, les auteurs éprouvent un certain embarras avec cette nouvelle qualification790.
Se montrant presque contraints de suivre le train législatif, certains hésitent en revanche
quant au véritable objet qu’il convient de reconnaître à l’article 9-1 du Code civil. C’est
nous semble-t-il le cas de M. Robert dont le commentaire de ce texte débute ainsi : « La
présomption d'innocence est un droit extrapatrimonial de la personnalité 791 », pour se
poursuivre par cette précision : « La formule [Chacun a droit au respect de la présomption
d’innocence] est toutefois plus symétrique de celle de l'article 9 qu'elle n'est élégante. Le
nouveau droit subjectif a pour objet une réputation intacte et non une présomption, qui est
un instrument de preuve» 792. D’ailleurs, le professeur Robert estime que les dispositions de
l’article 9-1 du Code civil résultent d'une conception extensive de la présomption
d'innocence et qu’en cherchant à déduire, du même principe, des restrictions de la liberté
d'expression, on lui donne un champ d'application nouveau.

Se référer à l’article 9-1 du Code civil au titre des sources formelles de la présomption
d’innocence pose donc quelques difficultés. Les auteurs sont conduits à une hésitation, celle
de reconnaître une nature nouvelle à la présomption d’innocence ou seulement un champ
d’application nouveau. M. Auvret avait tout d’abord affirmé que le principe de la
présomption d’innocence avait été transformé en droit subjectif par le législateur. Toutefois,
cet auteur semble par ailleurs vouloir expliquer que dans l’article 9-1 du Code civil c'est le
principe de la présomption d’innocence qui est réaffirmé 793. L’étude qu’il publia ensuite
montre assez la confusion que les analyses de l’article 9-1 du Code civil peuvent produire.
En effet, après avoir relevé l’existence de différents textes qui visent la présomption
d’innocence, l’auteur soulève la question de la nature de la présomption d’innocence à
laquelle il tente de répondre en traitant de sa portée, variable au regard des divers textes qui
la consacrent, à commencer par l’article 9-1 du Code civil 794.

790
Il ressort par exemple des enseignements de M. Garé et Mme Ginestet, Droit pénal et procédure
pénale, op. cit., 3e éd., : « La présomption d’innocence est le principe directeur de toute notre procédure
pénale….Mais cette règle [selon laquelle le ministère public a la charge de la preuve] est plus qu’une
présomption légale, depuis les réformes de 1993 qui l’ont introduite à l’article 9-1 du Code civil, la
présomption d’innocence est présentée comme un véritable droit subjectif» (n° 388). Plus loin les auteurs
intitulent bien un paragraphe : La présomption d’innocence comme droit subjectif mais poursuivent
ainsi : « Compte tenu de sa place inattendue à l’article 9-1 du Code civil, la doctrine estime qu’avec la
loi du 4 janvier 1993, la présomption d’innocence a été érigée en droit subjectif », pour conclure
que : « Quelle que soit la façon dont elle s’exprime, la présomption d’innocence est une garantie
essentielle pour la personne poursuivie » (n° 393).
791
J.-H. ROBERT, Jouissance des droits civils. Protection de la présomption d'innocence, op. cit., points-
clés.
792
J.-H. ROBERT, Jouissance des droits civils. Protection de la présomption d'innocence, op. cit., n° 6.
793
Le droit au respect de la présomption d’innocence, op. cit., n° 4.
794
P. AUVRET, Le journaliste, le juge et l’innocent, Rev.sc.crim., 1996, p. 625-626. L’auteur proposait
toutefois de ne pas voir dans l’alinéa 2 de l’article 9-1 du Code civil une définition négative de la
présomption d’innocence qui se limiterait à l’énonciation des conditions de réparation de ces atteintes. Or,
cette interprétation vise à faire admettre que la présomption d’innocence est bien l’objet de l’article 9-1
du Code civil. V. Le droit au respect de la présomption d’innocence, op. cit., n° 19-20.

258
Le discours sur les sources positives

On le voit, il n’est pas si aisé d’affirmer que la présomption d’innocence est un droit
subjectif. L’écriture de l’article 9-1 du Code civil y invite probablement mais la
confrontation de ce texte avec les autres sources de la présomption d’innocence soulève des
difficultés quant à l’unité de l’objet étudié. Contrairement à ce qu’ont suggéré les premiers
commentaires de l’article 9-1 du Code civil, ce texte ne consacre ou ne réaffirme
probablement pas la présomption d’innocence. Tel ne semble pas son objet. Bien que
prenant pour « prétexte » la présomption d’innocence, son objet paraît tendre davantage
vers la protection de la réputation et de l’honneur de la personne qui est présentée
publiquement comme coupable avant toute condamnation 795. Certains pénalistes
l’envisagent ainsi 796. Les civilistes sont eux aussi partagés sur la question de savoir s’il y a
lieu de regarder l’article 9-1 du Code civil comme une consécration et donc une extension
de la présomption d’innocence ou s’il faut distinguer la présomption « pénale » d’innocence
de la création de ce nouveau droit subjectif à la protection de l’honneur et de la
considération. En 1997, un auteur a pu aborder la question de la présomption d’innocence
au titre du droit à l’honneur et à la dignité et se demander si l’article 9-1 du Code civil
n’aurait pas créé une « véritable liberté civile » 797. M. Sériaux estimait à la même époque à
propos de cette disposition, qu’en dépit de la rédaction restrictive de l’alinéa 2, « rien ne
paraît faire obstacle à ce qu'à l'avenir elle soit lue comme consacrant, au moins
partiellement, le droit pour toute personne au respect de sa réputation » 798. M. Cornu
distingue le principe de la présomption d’innocence, règle de droit objectif, et le nouveau
droit subjectif proclamé par l’article 9-1 du Code civil 799. En revanche, M. Malaurie ne
semble voir dans ce texte qu’une extension au civil d’une règle traditionnelle de la
procédure pénale 800.

L’on doit bien admettre que la protection de l’honneur et de la réputation de la personne


n’a jamais été éloignée de la question de la protection de l’innocence. C’est une
préoccupation que connaissaient déjà les anciens auteurs alors même que n’existait pas « la
société de l’information ».

S’agissant de la nature de droit subjectif de la présomption d’innocence, on pourrait se


demander pourquoi la doctrine ne l’avait pas déjà déduite de la Déclaration des droits de
l’homme et du citoyen ; après tout, les droits de l’homme ne sont-ils pas par nature des

795
En ce sens, il est admis que la protection de la présomption d’innocence entre dans le cadre plus large
de la diffamation qui vise précisément à protéger contre les atteintes à la réputation. V. P. AUVRET, Le
droit au respect de la présomption d’innocence, op. cit., n° 21.
796
Outre M. Robert, certains auteurs tiennent d’ailleurs à le souligner, V. par exemple : C. AMBROISE-
CASTÉROT, Rép. Pén. et Proc. Pén., v° Présomption d’innocence, n° 3.
797
F. LAROCHE-GISSEROT, Leçons de droit civil, op. cit., n° 801.
798
A. SÉRIAUX, Les personnes, Paris, PUF, Que sais-je ? 2e éd., 1997, p. 49-50.
799
G. CORNU, Droit civil, introduction, les personnes, les biens, op. cit., n° 520.
800
PH. MALAURIE, Personnes, incapacités, op. cit., n° 315.

259
Le discours sur l’objet

droits subjectifs ? On observera que depuis une période récente, le discours doctrinal tend à
faire une place de plus en plus importante à la personne présumée innocente au détriment du
concept de présomption d’innocence. Cette tendance confirme ou accompagne la
qualification de droit subjectif. Le point de départ du raisonnement n’est plus tant
l’existence d’un principe général et abstrait de présomption d’innocence mais l’existence de
« droits à » ou de « droits de » reconnus à la personne suspectée ou poursuivie. Si la
qualification de droit subjectif a prospéré avec la loi de 1993, elle atteint son apogée dans
l’article préliminaire du Code de procédure pénale, qui n’hésite pas, à propos de la personne
poursuivie, à employer l’expression « sa présomption d’innocence ». Une telle formulation
permet alors à un auteur de présenter la présomption d’innocence à la fois comme un droit
subjectif public et comme un droit subjectif privé 801. La présomption d’innocence devrait
être regardée comme un droit subjectif public à caractère défensif lorsqu’elle appréhende la
position de l’individu face à l’État. Elle se déclinerait en droit subjectif privé dès lors
qu’elle appréhende la position de l’individu face à d’autres particuliers. C’est la situation
qui découle directement de l’article 9-1 du Code civil 802.

L’ensemble des règles désormais prévues pour « prévenir réparer ou réprimer » les
atteintes à la présomption d’innocence tend à rendre le principe effectif. Pour autant, il n’est
pas certain que la doctrine cesse de regarder, parfois, la présomption d’innocence comme
une fiction juridique.

236. Une fiction. La présomption d’innocence est « une fiction sans écho dans la réalité
sociale » : cette phrase de Roger Merle 803 a connu un certain retentissement, au point qu’un
auteur s’était proposé d’étudier la présomption d’innocence à travers la vérification de cette
assertion 804. Bien que la réponse fût en l’occurrence mitigée, l’idée avait déjà prospéré sous
d’autres plumes et continue de le faire, soit pour défendre l’idée d’une fiction, soit pour
l’écarter 805.

801
H. HENRION, L’article préliminaire du Code de procédure pénale : vers une “théorie législative” du
procès pénal ? op. cit., p. 42 et s. La découverte de cette nature n’est pas exclusive, chez cet auteur, de la
nature de principe de la présomption d’innocence, puisque dans l’article préliminaire elle est censée
apparaître comme un principe directeur de la présomption d’innocence.
802
V. en dernier lieu la thèse de l’auteur : La nature juridique de la présomption d’innocence, op. cit.,
spécialement, n° 294-1 à 294-2 et 734-3-1 à 734-3-2.
803
R. MERLE, L’inculpation, in Problèmes contemporains de procédure pénale : recueil d'études en
hommage à M. LOUIS HUGUENEY, Paris, Sirey, 1964, p. 111.
804
V. MASSOL, La présomption d’innocence, op. cit., n° 5 et 35.
805
G. KIEJMAN, Les présomptions de fait de culpabilité et la présomption légale d’innocence, op. cit., p.
30 ; J. LE CALVEZ, L’inculpation et la présomption d’innocence, Gaz. Pal. 1987, doct, p. 682 ; R.
KOERING-JOULIN, La présomption d'innocence, un droit fondamental ? op. cit., p. 24 et s. ; J.-H. SYR,
Présomption d’innocence et présomption de culpabilité, op. cit., p. 59 ; S. GUINCHARD et J. BUISSON,
Procédure pénale, 3e éd., op. cit., n° 481.

260
Le discours sur les sources positives

À vrai dire, parler de fiction à propos de la présomption d’innocence soulève plus de


questions que n’apporte de réponse, particulièrement du point de vue de la nature juridique
de la présomption d’innocence.

Il est apparu que l’affirmation de la présomption d’innocence se heurte souvent au fait, à


tel point qu’elle serait devenue une « hypocrisie ». Dans ce cas, les auteurs parlent de
fiction parce que la présomption d’innocence se trouve démentie par la réalité. Car dans les
faits, la personne poursuivie serait présumée coupable bien plus que présumée innocente.
Reste à préciser de quels faits il s’agit. En effet, il semble que les auteurs visent aussi bien
ce que l’on pourrait appeler des faits juridiques que des faits sociaux.

Les premiers résultent de l’organisation même du processus répressif qui, sur le


fondement d’indices laissant présumer la commission ou la participation à une infraction,
prévoit des mesures telles que la garde à vue, la mise en examen ou la détention provisoire,
et qui, sur le fond, admet des présomptions de culpabilité.

Les seconds faits envisagés par la doctrine sont ceux que M. Pradel appelle les
« atteintes sociologiques » 806 à la présomption d’innocence. Dans cette hypothèse, la
présomption d’innocence apparaît comme une fiction car dans la réalité, dès lors que
l’enquête a reçu une certaine publicité, la personne qui en fait l’objet apparaît coupable aux
yeux du public.

Pourtant, dans les deux hypothèses, la présomption d’innocence ne répond pas aux
critères de la fiction, selon laquelle le législateur ferait « comme si » 807 la personne
poursuivie était innocente alors qu’il la présumerait en réalité coupable. Tout d’abord, la
fiction suppose un mensonge délibéré, cela suppose que la réalité travestie soit connue. En
l’occurrence, le législateur ne connaît pas la réalité de l’innocence ou de la culpabilité du
présumé innocent. Ensuite, il n’est pas fait « comme si » la personne était innocente. Les
innocents ne sont justement pas mis en garde à vue, menottés, mis en examen, ou mis en
détention provisoire. De plus, faire comme si elle était innocente bloquerait tout le
processus judiciaire, interdirait justement toutes les mesures contraignantes fondées sur des
soupçons de culpabilité. On observera en outre que généralement, une fiction est annoncée
par les expressions « est réputé » ou « est censé »808, ce qui n’est pas le cas pour la
présomption d’innocence.

La difficulté d’une telle qualification vient donc de la réalité que l’on vise. Est-ce la
réalité juridique ou la réalité matérielle ? Mais surtout, où serait la fiction ? Est-ce dans le

806
J. PRADEL, Droit pénal comparé, op. cit., 2e éd., n° 300.
807
Le « comme si » est caractéristique du mécanisme de la fiction, V. J.-L. BERGEL, Méthodologie
juridique, Paris, PUF, 2001, p. 75.
808
Vocabulaire juridique, op. cit.

261
Le discours sur l’objet

fait de faire « comme si » la personne était innocente ou de faire « comme si » la personne


était présumée innocente ? Il se pourrait que, lorsqu’on parle de la présomption d’innocence
comme d’une fiction se soit plutôt cette dernière hypothèse qu’il faille envisager. Mais alors
dire que la présomption d’innocence est une fiction revient à nier la réalité non pas de la
présomption d’innocence mais de l’affirmation dont elle fait l’objet 809. Ainsi, si la
présomption d’innocence devait être regardée comme une fiction, ce serait comme une
fiction du discours doctrinal et non comme une fiction légale. Quoi qu’il en soit, désigner la
présomption d’innocence comme une fiction relève le plus souvent de l’exagération voire
de la provocation 810, ce qui permet de mettre en évidence les atteintes à la présomption
d’innocence. De plus, il est certain que, présenter la présomption d’innocence comme une
fiction juridique permet en même temps de souligner son existence juridique.

237. Portée. Le recours aux dispositions légales et supra légales au titre des sources de la
présomption d’innocence n’est donc exempt d’interrogations et la doctrine commence à
peine à les entrevoir, qu’il s’agisse de la nature qu’il convient de reconnaître à la
présomption d’innocence ou de sa portée. La confrontation des différents textes conduit les
auteurs à un certain embarras. La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen vise tout
homme tandis que la Convention européenne des droits de l’homme ne se préoccupe que de
la personne accusée d’une infraction. Quant à l’alinéa 2 de l’article 9-1 du Code civil, il ne
concernait 811 que la personne faisant l’objet d’une mesure de garde à vue, de mise en
examen, de citation à comparaître, de réquisitoire nominatif ou d’une plainte avec
constitution de partie civile.

À la question de savoir si tous ces textes parlent bien de la même présomption


d’innocence, le discours doctrinal semble répondre par l’affirmative en y recourant au titre
des sources de la présomption d’innocence 812 et ce quand bien même la question de la

809
M. Henrion s’est attaché à réfuter les théories doctrinales qui désignent la présomption d’innocence
comme une fiction. Pour écarter cette qualification, l’auteur souligne notamment que le recours doctrinal
à la fiction trahit un jugement de valeur sur le droit et non une explication de celui-ci. Il existe ainsi, selon
M. Henrion, autant d’approches de la fiction de l’innocence ou de la présomption d’innocence qu’il y a
d’auteurs. Cet auteur dénonce alors la subjectivité d’une telle qualification, peu digne d’une approche
scientifique du droit à laquelle il a, quant à lui, souhaité se soumettre. V. La nature juridique de la
présomption d’innocence, op. cit., n° 413-2.
810
Tout comme le choix de s’entretenir des « présomptions de culpabilité », V. J. BUISSON, Les
présomptions de culpabilité, Procédures, 1999, Chr. 15, qui débute ainsi : « Volontairement provocante,
l’expression veut souligner le caractère exceptionnel de ces présomptions par rapport à la présomption
d’innocence qui doit profiter à tout mis en cause».
811
Dans sa rédaction du 24 août 1993, mais celle-ci a été élargie depuis la loi du 15 juin 2000 qui vise
désormais toute personne présentée publiquement comme coupable de faits faisant l’objet d’une enquête
ou d’une instruction.
812
PH. CONTE et P. MAISTRE DU CHAMBON, Procédure pénale, op. cit., 4e éd., n° 37 et s.; R. MERLE et
A.VITU, Traité de droit criminel, Procédure pénale, op. cit., 5e éd., n°143 et s.; J. PRADEL, Procédure
pénale, op. cit., 12e éd., n° 383 et s.

262
Le discours sur les sources positives

portée, variable selon ces textes, serait soulevée 813. C’est pourtant la définition même de la
présomption d’innocence qui se trouve affectée par la confrontation de ces diverses sources.
Conformément à la fonction qu’elle se reconnaît, la doctrine cherche à donner une
cohérence à son discours, l’étude des décisions faisant application des divers textes relatifs
à la présomption d’innocence peut y concourir désormais. Cela n’a pourtant pas toujours été
le cas, si bien que le recours à la jurisprudence a pris, dans l’affirmation de l’existence de la
présomption d’innocence, une forme assez particulière.

§. 2 LE RECOURS À LA JURISPRUDENCE

238. Mouvements du discours doctrinal. La doctrine enseigne que la présomption


d’innocence « n’est pas une vague construction jurisprudentielle née d’une formule d’un
arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation qui est bien incapable d’une telle
vilenie » 814 et qu’au surplus, en 1969, la règle n’était toujours explicitement consacrée par
aucun arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation française 815. L’hypothèse
d’une jurisprudence source de la présomption d’innocence est par là clairement écartée. Il
n’en reste pas moins que le discours doctrinal s’est construit et continue de s’appuyer sur
des références jurisprudentielles. Or, l’étude de ces références, la façon dont elles sont
parfois reprises ou interprétées par les auteurs, peut fournir des enseignements sur la
manière dont la doctrine recourt à la jurisprudence. Elle permet parfois de relever des
erreurs dans l’exploitation des décisions, erreurs qui seront difficiles à rectifier 816.

À l’analyse, on s’aperçoit que le recours à la jurisprudence a évolué dans le temps, si


bien que deux mouvements bien différents peuvent être identifiés. Le premier a consisté à
recourir à la jurisprudence dans le but essentiel de justifier le discours doctrinal (A) ; mais
suite au développement de la jurisprudence se référant à la présomption d’innocence, le

813
R. KOERING-JOULIN, La présomption d'innocence, un droit fondamental ? op. cit., p. 20-21 ; S.
GUINCHARD et J. BUISSON, Procédure pénale, 3e éd., op. cit., n° 368-369.
814
J.-R. FARTHOUAT, La présomption d’innocence, op. cit., p. 53.
815
M.-J. ESSAÏD, La présomption d’innocence, op. cit., n° 79. D’ailleurs à notre connaissance il a fallu
attendre un arrêt du 29 mai 1980 pour que la chambre criminelle rende une décision visant la présomption
d’innocence. V. Cass. crim., 29 mai 1980, Bull. n° 164.
816
Elles affectent parfois gravement la valeur des références jurisprudentielles. Pour exemple, on peut
relever que l’édition Dalloz 2006 du Code de procédure pénale reproduit à tort le sommaire d’un arrêt de
la chambre criminelle faisant application de la présomption d’innocence. L’attendu reproduit dans le code
n’a jamais été écrit par la Cour de cassation, puisqu’en réalité il s’agit de l’un des moyens du pourvoi et
que ce dernier a été rejeté…V. sous l’article préliminaire, note 49 (intitulée La force du principe de la
présomption d’innocence) in fine, référence à Cass. crim., 19 février 2002, inédit, pourvoi n° 01-83383.
Cet arrêt est présenté comme ayant décidé que : « En raison du principe de la présomption d’innocence,
les déclarations de la partie civile ne peuvent légalement servir de preuve, faute d’être corroborées par
des éléments objectifs susceptibles d’être soumis à la discussion des parties ; en fondant sa décision de
condamnation sur le seul témoignage de la partie civile, la cour d’appel a méconnu ce principe et a ainsi
privé le prévenu du procès équitable auquel il avait droit ».En réalité, la cour rejette le moyen en
répondant laconiquement : « l’arrêt mentionne que les accusations de la partie civile ont été corroborées
par le témoignage d’une amie nommément citée et qui a été entendue ».

263
Le discours sur l’objet

mouvement s’est en quelque sorte inversé au point que, désormais, ce sont les affirmations
doctrinales qui sont directement tirées de la jurisprudence (B).

A- LE RECOURS À LA JURISPRUDENCE COMME JUSTIFICATION DU DISCOURS


DOCTRINAL

239. Distinction des décisions. Le discours doctrinal sur la présomption d’innocence se


fonde, en partie, sur des décisions de justice. Il est deux manières de présenter les décisions
auxquelles les pénalistes ont eu recours. On peut tout d’abord s’intéresser à celles dont les
auteurs estiment qu’elles se fondent implicitement sur la présomption d’innocence. Puis, il
pourra être question des décisions qui ont explicitement fait application de la présomption
d’innocence.

1) L’interprétation des décisions implicites de la Cour de cassation

240. Illustration générale. Lorsque la présomption d’innocence a émergé comme un objet


identifiable dans le discours doctrinal, elle n’était formulée ni dans la loi ni dans la
jurisprudence. Toutefois les auteurs affirmaient son existence et envisageaient certaines de
ses applications. À l’appui de ces affirmations les auteurs ont eu recours à certaines
décisions qui, sans mentionner une quelconque présomption d’innocence, venaient semble-
t-il donner une illustration de son application. Certaines décisions ont même paru ne
pouvoir s’expliquer que par le principe de la présomption d’innocence 817. Ainsi,
l’interprétation doctrinale ne se proposait pas de découvrir dans la jurisprudence un principe
mais plutôt d’y trouver une application implicite du principe de la présomption d’innocence.
C’est donc bien sur le caractère implicite des décisions que le discours doctrinal s’est fondé.
La part de cette interprétation est parfois assez grande. Pour s’en convaincre, il suffit de
confronter la substance des décisions citées à l’utilisation qui en est faite par les pénalistes.
Plusieurs exemples peuvent illustrer le raisonnement des auteurs.

241. Premier exemple : l’arrêt du 24 mars 1949 818. Ce premier exemple est intéressant
car cette décision est regardée comme implicite à un double titre : quant à sa solution et
quant à son fondement. Depuis que cet arrêt a été rendu, la littérature juridique y a fait et
continue d’y faire fréquemment référence 819. Dans cette espèce, l’auteur du pourvoi

817
« Bien que la Cour de cassation n’y fasse jamais allusion expressément, la présomption d’innocence
explique seule les décisions rappelant que la charge de la preuve des infractions commises pèse sur les
parties poursuivantes », R. MERLE et A. VITU, Traité de droit criminel, Procédure pénale, 2e éd., op. cit.,
n° 918.
818
Cass. crim., 24 mars 1949, Bull. n° 114.
819
En 1956, M. Patarin citera pas moins de quatre fois cet arrêt. L’usage qu’il a fait de cette référence
s’est perpétué jusqu’à nous à travers divers écrits : P. BOUZAT et J. PINATEL, Traité de droit pénal et de
criminologie, op. cit., p. 1183 ; M.-J. ESSAÏD, La présomption d’innocence, op. cit., n° 172 ; ; H.
DAOULAS, Présomption d'innocence et preuve pénale, étude comparée des droits français, anglais et
canadien, op. cit., n° 129 ; M.-L. RASSAT, Traité de procédure pénale, op. cit., n° 198 note 1 ; C.
AMBROISE-CASTÉROT, Rép. Pén. et Proc. Pén., v° Présomption d’innocence, n° 34 ; J. PRADEL,

264
Le discours sur les sources positives

soutenait devant la Cour de cassation que, pour le condamner sur le fondement d’injures
publiques, les juges du fond auraient dû statuer sur l’existence ou l’inexistence d’une
provocation préalable aux injures, circonstance qui rendait le délit non punissable. La
chambre criminelle avait alors rejeté le pourvoi en décidant ceci :

« Attendu que, aux termes de l’article 37 du dahir 820 du 27 avril 1914, la


provocation constitue, non un élément dont l’absence caractérise le délit d’injures
publiques, mais une excuse légale dont l’existence fait disparaître le délit ; que, dès
lors, le juge du fond, en l’absence de conclusions tendant à l’admission de cette
excuse, n’est pas tenu, pour proclamer la culpabilité d’un prévenu poursuivi du chef
d’injures publiques, de statuer sur l’existence ou l’inexistence de cette excuse. »

La doctrine fait référence à cet arrêt dans des développements consacrés à la charge de la
preuve. Il s’agit alors d’expliquer que la présomption d’innocence impose au ministère
public de supporter le fardeau de la preuve et plus précisément, la preuve de tous les
éléments constitutifs de l’infraction.

Ainsi un auteur enseigne-t-il : « Au contraire [du droit civil], la présomption


d’innocence impose en principe au ministère public la charge d’une preuve complète. Il
doit établir tous les éléments constitutifs de l’infraction et l’absence de tous les éléments
susceptibles de la faire disparaître » 821. Cette affirmation de M. Patarin est justifiée par le
recours aux motifs de l’arrêt du 24 mars 822. Cette interprétation de la solution reproduite ci-
dessus tend donc à faire admettre que, lorsque la chambre criminelle affirme : « la
provocation constitue, non un élément dont l’absence caractérise le délit d’injures
publiques », il faudrait entendre que l’accusation a la charge de la preuve de tous les
éléments constitutifs de l’infraction, ceux qui participent à la définition même de
l’infraction, que ce soit positivement ou négativement. Lorsque la Cour poursuit par :
« mais une excuse légale dont l’existence fait disparaître le délit ; que, dès lors, le juge du
fond, en l’absence de conclusions tendant à l’admission de cette excuse, n’est pas tenu,
pour proclamer la culpabilité d’un prévenu poursuivi du chef d’injures publiques, de
statuer sur l’existence ou l’inexistence de cette excuse », il faudrait en outre comprendre
que l’accusation a également la charge de prouver l’inexistence des éléments propres à faire
disparaître l’infraction, telle l’excuse de provocation dans le délit d’injures. Implicitement
donc, la Cour de cassation admettrait la solution exposée par l’auteur.

Procédure pénale, op. cit., 12e éd., n° 394 ; E. MATHIAS, Procédure pénale, Bréal, Lexi fac, 2e éd., 2004,
p. 30 ; C. RENAULT-BRAHINSKY, Procédure pénale, op. cit. , p. 105..
820
Le dahir est un décret du Roi du Maroc.
821
J. PATARIN, Le particularisme de la théorie des preuves en droit pénal, op. cit., n° 10.
822
Ce qu’indique, par renvoi à une note en bas de page, une référence ainsi libellée : « Crim., 24 mars
1949, motifs, Bull. n° 114». D’autres auteurs feront de même, V. P. BOUZAT et J. PINATEL, op. cit, et J.
PRADEL, op. cit.

265
Le discours sur l’objet

Mais c’est également implicitement que, forte de cette solution, la chambre criminelle se
serait fondée sur la présomption d’innocence. À l’appui de cette dernière interprétation, on
ne trouve cette fois aucune justification. On comprend alors le raisonnement de l’auteur : il
ne s’agit pas de retrouver, par déduction, le fondement qui explique cette solution, mais
plutôt d’induire de la solution visée qu’elle est fondée sur la présomption d’innocence. Ceci
résulte semble-t-il du raisonnement adopté par l’auteur qui, décomposé, peut se traduire
ainsi : il existe une présomption d’innocence, cette règle désigne la partie poursuivante
comme la partie devant rapporter la preuve de la culpabilité et cette preuve a pour objet
l’ensemble des éléments constitutifs de l’infraction, c'est ce que décide la jurisprudence
dans l’arrêt du 24 mars 1949 aux motifs duquel on se reportera pour s’en convaincre.

Ce raisonnement a paru convaincre puisque les auteurs ayant écrit après M. Patarin l’ont
repris à leur compte, de même que la référence jurisprudentielle qui l’accompagne.
Toutefois, on pourrait douter de la valeur de cette référence. Cet arrêt méritait-il autant les
faveurs 823 de la doctrine ? La décision du 24 mars 1949 peut-elle être regardée comme un
arrêt de principe ?

Certains auteurs ont vu dans la décision du 24 mars 1949 « une formule générale
favorable aux inculpés » 824. Par ailleurs, l’insertion de cette référence jurisprudentielle dans
les développements des auteurs laisse largement entendre qu’il s’agit d’un arrêt de principe.
Ainsi peut-on lire, sous la plume de Mme Rassat que : « La formule que l’on retrouve le
plus souvent dans la jurisprudence de la Cour de cassation est celle selon laquelle : " La
partie poursuivante doit établir tous les éléments constitutifs de l’infraction et l’absence de
tous les éléments susceptibles de la faire disparaître" » 825. Plus récemment, un auteur
n’enseignait-il pas que : « En vertu de ce principe [la présomption d’innocence], c’est à la
partie poursuivante (ministère public et partie civile) de prouver la culpabilité et pas à la
partie poursuivie (suspect, mis en examen, prévenu ou accusé) de démontrer son innocence.
La partie poursuivante doit faire la preuve de l’infraction, donc "établir tous les éléments
constitutifs de l’infraction et l’absence de tous les éléments susceptibles de la faire
disparaître" » 826. Tout laisse donc à penser qu’avec l’arrêt du 24 mars 1949 la Cour de

823
Faveurs à d’autres égards limitées car cet arrêt n’a visiblement fait l’objet d’aucun commentaire dans
une revue spécialisée.
824
P. BOUZAT et J. PINATEL, Traité de droit pénal et de criminologie, op.cit., p. 914, note 4.
825
M.-L. RASSAT, Traité de procédure pénale, op. cit., n° 198.
826
E. MATHIAS, Procédure pénale, op. cit., p. 30. adde : C. RENAULT-BRAHINSKY, Procédure pénale, op.
cit., p. 105 : « En vertu du principe de la présomption d’innocence, la partie poursuivante c'est-à-dire la
Ministère public doit "établir tous les éléments constitutifs de l’infraction et l’absence de tous les
éléments susceptibles de la faire disparaître"».

266
Le discours sur les sources positives

cassation a posé pour la première fois un principe, celui-là même que les auteurs ne
manquent pas de citer en ouvrant les guillemets 827.

Rien n’est pourtant moins sûr. Il suffit en effet de se référer à l’arrêt pour s’apercevoir
que ni sa rédaction ni son résumé 828 ne comportent une telle formule. Comment expliquer
qu’elle ait pu être attribuée à un arrêt qui ne l’a jamais énoncée ?

En réalité la formule générale dont il est question ici est d’origine exclusivement
doctrinale. Il faut se souvenir de ce qu’écrivait Jean Patarin en 1956 : « la présomption
d’innocence impose en principe au ministère public la charge d’une preuve complète. Il
doit établir tous les éléments constitutifs de l’infraction et l’absence de tous les éléments
susceptibles de la faire disparaître » 829. Fondatrice 830, l’étude de cet auteur a été également
une source d’inspiration pour les pénalistes qui lui ont succédé. D’ailleurs, MM. Guinchard
et Buisson en donnent une illustration en écrivant quelque trente années plus tard : « La
doctrine classique enseigne que la partie poursuivante, le ministère public principalement,
la partie civile accessoirement doit "établir tous les éléments constitutifs de l’infraction et
l’absence de tous les éléments susceptibles de la faire disparaître " » 831.

L’interprétation de l’arrêt du 24 mars 1949 illustre le pouvoir qu’a la doctrine de faire


dire à un arrêt ce qu’il n’a jamais dit et peut-être jamais voulu dire. D’ailleurs, de l’aveu
même de la doctrine, la Cour de cassation a eu maintes occasions de se prononcer dans le
sens contraire de cette décision 832. Une jurisprudence plus récente montre que la chambre
criminelle fait peser sur la personne poursuivie nombre de circonstances qui lui sont
favorables, notamment celles qui ont pour effet de faire disparaître le délit 833.

L’interprétation de cet arrêt visait à justifier l’affirmation doctrinale selon laquelle, la


présomption d’innocence est le principe qui détermine le fardeau de la preuve dans le

827
À la question suivante : le risque de la preuve des moyens de défense doit-il être imputé à l’accusation
ou à la défense ? Un auteur écrit : « La chambre criminelle répond nettement : "la partie poursuivante
doit établir tous les éléments constitutifs de l’infraction et l’absence de tous les éléments susceptibles de
la faire disparaître". », J.-F. CESARO, Le doute en droit privé, op. cit., n° 300. adde. H. HENRION, La
nature juridique de la présomption d’innocence, op. cit., n° 324-1.
828
« En matière d'injures publiques, la provocation constitue non un élément dont l'absence caractérise
le délit mais une excuse légale dont l'existence fait disparaître celui-ci. Dès lors, le juge, en dehors de
conclusions précises relatives à la provocation, n'est pas tenu, pour caractériser le délit d'injures de
relever son existence ou son absence ».
829
J. PATARIN, Le particularisme de la théorie des preuves en droit pénal, op. cit., n° 10, c’est nous qui
soulignons.
830
V. supra, n° 124 et s.
831
S. GUINCHARD et J. BUISSON, Procédure pénale, 3e éd., op. cit., n° 485. Cette affirmation est elle aussi
accompagnée d’une référence jurisprudentielle, non pas l’arrêt du 24 mars 1949 mais un arrêt du 29 mai
1980 (Bull. n° 164). Cette décision, pour être plus récente et se fonder explicitement sur la présomption
d’innocence, n’en comporte pas pour autant la fameuse formule reproduite par les auteurs !
832
P. BOUZAT et J. PINATEL, Traité de droit pénal et de criminologie, op.cit., p. 914, note 4 ; M.-J.
ESSAÏD, La présomption d’innocence, op. cit., n° 255 et s.
833
V. notamment, S. GUINCHARD et J. BUISSON, Procédure pénale, 3e éd., op.cit., n° 506 où les auteurs
l’affirment clairement et y voient tout simplement l’application de l’adage reus in excipiendo fit actor
dans le procès pénal.

267
Le discours sur l’objet

procès pénal. Ainsi, l’importance de cette décision résulte davantage de l’interprétation et


de la publicité que les auteurs en ont faite, plutôt que de la volonté de la Cour de cassation
de formuler, même implicitement, un principe découlant directement de la présomption
d’innocence 834. La même remarque pourrait d’ailleurs être faite à propos de l’interprétation
d’un arrêt plus récent rendu, lui aussi, en matière de charge de la preuve.

242. Deuxième exemple : l’arrêt « Bockaert » du 2 mars 1966 835. Cette décision de la
chambre criminelle a connu elle aussi les faveurs de la doctrine, elle a souvent été citée 836 et
a également fait l’objet d’au moins deux commentaires dans les revues juridiques 837.
Comme le précédent, cet arrêt a été rendu en matière de preuve des infractions et pas plus
que le précédent il ne fait allusion à la présomption d’innocence.

En l’espèce, un automobiliste avait été condamné par un tribunal du chef d’infraction


aux règles de stationnement. Le jugement se fondait sur la conduite habituelle du véhicule
par son propriétaire et sur le fait qu’il n’offrait pas de prouver qu’une autre personne le
conduisait au moment de l’infraction. L’auteur du pourvoi reprochait alors aux juges du
fond, d’une part, d’avoir violé les dispositions sur le stationnement en mettant à sa charge la
preuve de sa non culpabilité et, d’autre part, d’avoir fondé sa condamnation sur une
culpabilité qu’il savait incertaine. La chambre criminelle casse et annule le jugement au visa
des articles R. 26-15 du Code pénal, 427 du Code de procédure pénale et 7 de la loi du 20
avril 1810, en énonçant que :

« Le jugement attaqué n’a pu valablement déduire d’aucun de ces motifs son


affirmation que la prévention était établie ; qu’en effet, la preuve que les infractions
constatées avaient été commises par le demandeur incombait au ministère public ;
que la constatation selon laquelle le prévenu conduit habituellement un véhicule ne
suffit pas à établir qu’il le conduisait au moment de l’infraction. »

Comment cet arrêt a-t-il pu servir le raisonnement des auteurs ? À vrai dire, de façon
variable. Certains y voient l’affirmation générale par la Cour de cassation du principe selon

834
La raison de l’importance qui est accordée à cet arrêt est probablement à rechercher ailleurs. Si la
décision de 1949 est interprétée comme faisant application de la présomption d’innocence, c’est parce
qu’elle semble admettre que la preuve de l’excuse légale faisant disparaître l’infraction est à la charge de
la partie poursuivante. En effet, l’émergence de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal
relatif à la preuve a été justifiée par la particularité ou l’autonomie du droit pénal par rapport au droit
civil. L’allégation de cette autonomie permettait d’exclure ou de tempérer le jeu de la règle civile reus in
excipiendo fit actor en matière pénale. Ainsi, l’arrêt du 24 mars 1949 en paraissant admettre que le
prévenu n’avait pas à prouver l’existence d’une excuse légale (qui est une exception au sens de l’adage)
venait confirmer que c’est bien la présomption d’innocence qui s’appliquait là et écartait le jeu normal
des adages civils. V. aussi infra, n° 294.
835
Cass. crim., 2 mars 1966, Bull. n° 74.
836
M.-J. ESSAÏD, La présomption d’innocence, op. cit., n° 84; G. BRIÈRE DE L’ISLE ET P. COGNIART,
Procédure pénale, op. cit., p. 11 ; J.-P. DOUCET, Le jugement pénal, op. cit., p. 246 ; J. PRADEL,
Procédure pénale, op. cit. , 8e éd., n° 269 ; M.-L. RASSAT, Traité de procédure pénale, op. cit., n° 201 ;
R. MERLE et A. VITU, Traité de droit criminel, Procédure pénale, 5e éd., op. cit., n° 144.
837
Gaz. Pal. 1966, 1, p. 391 et JCP. 1957 II 15046.

268
Le discours sur les sources positives

lequel la partie poursuivante voit peser sur elle la charge de prouver l’infraction ; d’autres
s’y réfèrent pour illustrer plus précisément que le ministère public a la charge de la preuve
de l’identité de l’auteur d’infraction. Toujours est-il que cet arrêt serait une illustration de
« l’application de la présomption d’innocence » 838. Plus encore, cette décision, qui impose
la charge de la preuve à la partie poursuivante, ne s’explique que grâce à la présomption
d’innocence 839.

M. Essaïd s’est d’ailleurs efforcé de justifier une telle affirmation. Après avoir évoqué en
substance la position adoptée par la Cour, l’auteur pose la question suivante : « Sur quel
texte, la chambre criminelle s’est-elle basée pour reconnaître que le fardeau de la preuve
doit peser sur le représentant de l’accusation ? ». La réponse, selon lui, est que la Cour de
cassation n’a pu se fonder sur aucun texte. Ni ceux du Code de procédure pénale ni ceux
visés dans le pourvoi, pour la simple raison qu’aucun ne met à la charge de l’accusation la
preuve de l’infraction. L’interprétation de l’auteur ne se fait pas attendre : « il apparaît de
toute évidence que la règle ne peut être qu’une application pure et simple de la présomption
d’innocence».

La formule est forte, elle n’en apparaît pas moins comme une pétition de principe. « De
toute évidence » explique l’auteur. La chose paraît tellement évidente que jusqu’alors on
avait toujours expliqué cette attribution du fardeau de la preuve en recourant aux seuls
adages : actori incumbit probatio et reus in excipiendo fit actor qui s’appliquent en droit
civil. D’ailleurs l’auteur ne cache pas totalement la faiblesse de l’analyse : la présomption
d’innocence est d’évidence la seule explication possible, « à moins de faire appel, comme
certains l’ont suggéré, aux principes du droit civil pour expliquer et justifier le problème
d’attribution du fardeau de la preuve dans le procès pénal » 840. Et finalement les auteurs
sont assez nombreux, sans nier l’existence de la présomption d’innocence, à penser ou à
laisser penser qu’elle n’explique pas l’attribution du fardeau de la preuve dans le procès
pénal 841. Exposée par M. Essaïd, l’opinion de ces auteurs est pourtant tenue pour
négligeable. En effet, peu importe qu’ils jugent inutile la présomption d’innocence pour
expliquer le fardeau de la preuve, car ce qu’il importe de démontrer et de retenir c’est que,

838
J. PRADEL, Procédure pénale, op. cit., 8e éd., n° 269.
839
R. MERLE et A. VITU, Traité de droit criminel, Procédure pénale, 5e éd., op. cit., n° 144, qui estiment
que « La présomption d’innocence explique seule [cette décision (parmi d’autres)] rappelant que la
charge de la preuve des infractions commises pèse sur la partie poursuivante.»
840
M.-J. ESSAÏD, La présomption d’innocence, op. cit., n° 84, note 128.
841
Certains criminalistes adoptent un discours assez prudent consistant à dire que ce sont les adages civils
qui s’appliquent au procès pénal, mais avec moins de rigueur que dans le procès civil en raison de
l’existence d’une présomption d’innocence. D’autres expliqueront que la présomption d’innocence est le
corollaire des adages civils ou encore leur transposition.

269
Le discours sur l’objet

malgré quelques réserves des auteurs, « la doctrine est, dans l’ensemble, en France comme
à l’étranger, favorable à la règle présumant l’innocence » 842.

L’interprétation de l’arrêt du 2 mars 1966 est donc un nouvel exemple du pouvoir qu’a la
doctrine de faire dire à la Cour de cassation ce qu’elle n’a pas dit. Pour s’en tenir à
l’apparence, l’essentiel de cette décision semble résider dans le rappel fait par la Cour de
cassation : le ministère public doit prouver tous les éléments constitutifs de l’infraction et la
culpabilité doit être prouvée de façon certaine. Comment expliquer une telle solution ? Il
nous semble qu’à vouloir la rattacher à des principes plus généraux, le principe de légalité
criminelle pouvait tout aussi bien venir au secours de l’interprète. D’ailleurs, le pourvoi se
fondait sur la violation et la fausse application du texte d’incrimination, celui rappelant que
le juge décide selon son intime conviction et celui qui exige du juge une motivation. La
Cour de cassation, en cassant au visa de ces textes, confirme que le principe de légalité
pouvait tout aussi bien expliquer la solution. En effet, la culpabilité qui fonde la
condamnation ne peut résulter que de la démonstration, par l’accusation, de la réunion de
tous les éléments que le texte d’incrimination exige. À cela, s’ajoute la nécessité pour les
juges de vérifier que ces éléments sont bien réunis et qu’ils sont ainsi convaincus de la
culpabilité 843.

Ainsi, l’évidence 844 qui commandait de voir dans cette décision une application de la
présomption d’innocence, s’estompe. Il n’est pas certain que la Cour de cassation se soit
conformée à ce que les auteurs désignent sous l’expression « présomption d’innocence »,
pour rendre cette décision du 2 mars 1966. Le doute est d’autant plus permis que si deux
commentaires ont paru à la suite du prononcé de cet arrêt, l’un a tenu à rattacher la solution
à la présomption d’innocence tandis que l’autre n’en a soufflé mot 845.

842
M.-J. ESSAÏD, La présomption d’innocence, op. cit., n° 102.
843
M. Essaïd remarquait déjà que certains auteurs étrangers refusaient de voir dans la présomption
d’innocence une véritable présomption, qu’il ne pouvait s’agir que d’une application de l’adage nulla
poena sine judicio, lequel exprime dans ses conséquences le principe de la légalité : nulla poena sine lege,
V. La présomption d’innocence, op. cit., n° 101.
844
Faut-il rappeler que l’évidence, en parlant d’une idée claire et distincte, est le caractère qui entraîne
immédiatement l'assentiment de l'esprit, soit à partir d'un raisonnement, soit à partir de la constatation de
faits.
845
V. JCP. 1957 II 15046 : Pour l’auteur de ces observations, le principe selon lequel la preuve des
infractions incombe au Ministère public, comme le rappelle ici la Cour de cassation, n’est autre que la
présomption d’innocence, adaptation de l’adage actor incumbit probatio. Il conclut alors : « On ne peut
qu’approuver la haute juridiction de veiller au respect de la présomption d’innocence ». La note parue
dans une autre revue, tout en rappelant qu’il existe un principe mettant à la charge de l’accusation la
preuve de l’existence de tous les éléments de l’infraction, ne le rattache à aucune autre règle. L’auteur se
contente de souligner le danger qu’il y aurait à consacrer une solution inverse à celle que la cour retient :
elle consisterait à créer une présomption de responsabilité. V. Gaz. Pal. 1966, 1, p. 391. On observera à
cet égard que l’actuel article L.121-2 alinéa 1 du Code de la route consacre une telle présomption de
responsabilité : « Par dérogation aux dispositions de l'article L. 121-1 [Le conducteur d'un véhicule est
responsable pénalement des infractions commises par lui dans la conduite dudit véhicule], le titulaire du
certificat d'immatriculation du véhicule est responsable pécuniairement des infractions à la
réglementation sur le stationnement des véhicules ou sur l'acquittement des péages pour lesquelles seule

270
Le discours sur les sources positives

Ici encore, la référence qui est faite à la jurisprudence de la Cour de cassation ne


constitue pas une illustration concrète des règles décrites par le discours doctrinal mais une
caution de ce dernier. Cette caution nécessite une interprétation, parfois libre, de décisions
qui pour l’occasion sont qualifiées d’implicites. Mais la doctrine a eu également recours à
des décisions qui étaient davantage explicites.

2) Le recours aux décisions explicites

243. Faible nombre de ces décisions. Les décisions qui ont fait une application explicite de
la présomption d’innocence sont à vrai dire demeurées longtemps peu nombreuses. En effet,
si aujourd’hui l’article 9-1 du Code civil fournit matière à une abondante jurisprudence en
matière civile, il faut reconnaître que durant une longue période, seules les juridictions
inférieures avaient eu l’occasion de faire une application expresse de la présomption
d’innocence, avant que la Cour de cassation s’y réfère elle aussi de façon très visible.

244. Décisions des juges du fond. Deux décisions ont particulièrement retenu l’attention de
la doctrine. La première est un arrêt de la cour d’appel de Bourges en date du 9 mars
1950 846 condamnant les sévices commis par des policiers qui cherchaient à faire avouer un
prévenu après l’avoir placé en état de déficience physique et morale. Cette décision
semblait se fonder en partie sur la présomption d’innocence puisque les juges avaient décidé
que : « Il est inadmissible qu’un prévenu, qui doit être présumé innocent tant que sa
culpabilité n’est pas établie, soit soumis par les policiers qui l’interrogent à des voies de
fait destinées à le placer en état de déficience physique et morale et à lui arracher des
aveux qui, par la suite, seront rétractés (…)» 847.

La seconde décision est un jugement du Tribunal correctionnel de La Seine du 30


septembre 1957 848 qui statuait en matière d’abus de confiance et qui avait décidé de
débouter la partie civile de sa demande au motif qu’elle n’alléguait qu’une présomption de
culpabilité à l’encontre de la prévenue et ne pouvait ainsi réussir à prouver un détournement
frauduleux. Les jugent avaient alors prononcé une relaxe et jugé: « qu’en raisonnant ainsi,
la partie civile méconnaît un principe essentiel de notre droit pénal, à savoir que ce n’est
point au prévenu à démontrer d’abord son innocence mais bien au plaignant et au
ministère public à prouver d’abord sa culpabilité » 849.

une peine d'amende est encourue, à moins qu'il n'établisse l'existence d'un événement de force majeure ou
qu'il ne fournisse des renseignements permettant d'identifier l'auteur véritable de l'infraction».
846
Cité par : M.-J. ESSAÏD, La présomption d’innocence, op. cit., n° 83 et MM. R. MERLE et A.VITU,
Traité de droit criminel, Procédure pénale, 5e éd., op. cit., n° 144.
847
CA Bourges, 9 mars 1950, JCP. 1950 II 5594.
848
Cité par : M.-J. ESSAÏD, La présomption d’innocence, op. cit., n° 83 ; P. BOUZAT et J. PINATEL, Traité
de droit pénal et de criminologie, op. cit., n° 1183 ; G. BRIÈRE DE L’ISLE et P. COGNIART, Procédure
pénale, op. cit., p. 11 ; R. MERLE et A.VITU, Traité de droit criminel, Procédure pénale, 5e éd., op. cit. ,
n° 144 ; A. TONGLET, La présomption d'innocence et les présomptions en droit pénal, op. cit., n° 71.
849
Trib. Corr. de La Seine, 30 septembre 1957, Gaz. Pal. 1957. 2. p. 307 et D. 1958 somm. p. 14.

271
Le discours sur l’objet

Pour M. Essaïd ces deux décisions illustrent l’idée que, si la Cour de cassation ne fait pas
une allusion expresse à la présomption d’innocence, en revanche les « juridictions
inférieures font parfois appel à cette règle ». Pour MM. Merle et Vitu, ces décisions
découlent directement de la présomption d’innocence et offrent à cet égard des « attendus
plus explicites » que ceux de la Cour de cassation dans son arrêt du 2 mars 1966.

Dans les deux cas, on remarquera que les juges n’ont pas employé l’expression
« présomption d’innocence ». On pourrait également discuter de la valeur illustrative de la
première décision qui sanctionne des voies de fait portant une « grave atteinte à la
considération due aux autorités policières » 850. Le rappel que le prévenu doit être présumé
innocent signifie-t-il que les sévices seraient moins graves s’ils avaient eu lieu après
condamnation ? On admettra que deux décisions rendues à des dates rapprochées et par des
juridictions du fond, cela représente un maigre corpus jurisprudentiel à la disposition de la
doctrine, qui aurait sans doute préféré pouvoir appuyer son discours sur des arrêts de la
chambre criminelle.

245. Décisions de la Cour de cassation. Pendant des années, M. Pradel a professé, à


propos de la présomption d’innocence, que « la jurisprudence la rappelle souvent » 851. À
l’appui de cette affirmation, l’auteur renvoyait selon les époques, soit au seul arrêt de la
chambre criminelle rendu en 1980, soit également à un arrêt de 1986. Désormais, après
avoir énuméré la liste des sources formelles de la présomption d’innocence, l’auteur
questionne : « Faut-il ajouter que le principe est reconnu de longue date par notre
jurisprudence ? » 852. Pour illustrer cette reconnaissance, M. Pradel se réfère à trois arrêts de
la chambre criminelle 853ayant fait application de la présomption d’innocence.

Il s’avère donc que la Cour de cassation a quelque peu tardé à se fonder explicitement
sur la présomption d’innocence. Il apparaît aujourd’hui que de telles décisions demeurent
peu nombreuses 854 puisqu’elles ne dépassent pas la dizaine. En effet, outre les arrêts cités en
doctrine des 29 mai 1980 855, 19 mars 1986 856 et 22 février 1993 857, il n’existe à notre

850
En réalité, cet arrêt a d’avantage retenu l’attention pour le comportement inadmissible qu’il sanctionne
que pour l’application qu’il semble faire de la présomption d’innocence. En témoigne par exemple les
observations laconiques qui suivent la décision : « Répression ferme et sévère par la Cour des violences
exercées par des fonctionnaires de police sur un prévenu en vue de lui arracher des aveux ». V. JCP.
1950 II 5594.
851
J. PRADEL, Procédure pénale, op. cit. , 3e éd., n° 252 et en dernier lieu 9e éd., n° 268.
852
V. Procédure pénale, op. cit. , depuis la dixième édition.
853
Cass. crim., 29 mai 1980, Bull. n° 164 ; Cass. crim., 19 mars 1986, Bull. n° 113 ; Cass. crim., 22
février 1993, Bull. n° 84.
854
La remarque ne vaut que pour la chambre criminelle, les chambres civiles rendent de nombreux arrêts
sur le fondement de l’article 9-1 du Code civil qui utilise lui-même l’expression « présomption
d’innocence ».
855
Cass. crim., 29 mai 1980, Bull. n° 164, cité par : J.-P. DOUCET, Le jugement pénal, op. cit., p. 247 ; S.
GUINCHARD et J. BUISSON, Procédure pénale, 3e éd., op. cit., n° 485 ; J. PRADEL, Procédure pénale, op.
cit., 12e éd., n° 384. G. STÉFANI, G. LEVASSEUR et B. BOULOC, Procédure pénale, op.cit., 20e éd., n° 123
et 125.

272
Le discours sur les sources positives

connaissance qu’un seul arrêt de la chambre criminelle ayant cassé la décision des juges du
fond sur le fondement avéré de la présomption d’innocence 858. On peut d’ailleurs préciser
que, sur environ 80 décisions 859 de la chambre criminelle rendues entre 1960 et 2005 seules
les quatre précitées appliquent effectivement la présomption d’innocence. Ce nombre est
faible mais semble suffisant pour attester de l’existence de la présomption d’innocence.
Reste que l’on pourrait s’interroger sur la signification de ces arrêts qui cassent des
décisions du fond en faisant appel à la présomption d’innocence. En effet, deux
enseignements tout à fait opposés peuvent être tirés de ces statistiques. D’un côté, ce faible
nombre de cassation pourrait signifier que la présomption d’innocence est, dans la grande
majorité des cas, respectée. L’interprète serait alors rassuré de comprendre que, d’une part,
les tribunaux respectent la présomption d’innocence et, d’autre part, qu’elle est reconnue
par la Cour de cassation. À l’inverse, ce faible nombre pourrait signifier que la Cour de
cassation donne une portée très restreinte à la présomption d’innocence en refusant, le plus
souvent, de reconnaître qu’il y a été portée atteinte. Il nous semble qu’une véritable étude
statistique pourrait étayer cette dernière hypothèse. En effet, s’il existe un assez grand
nombre de décisions de rejet fondées sur un respect de la présomption, il faudrait en outre
ajouter le nombre particulièrement important de décisions dans lesquelles les pourvois
invoquent une violation de la présomption d’innocence sans même que la chambre
criminelle, qui les rejette, ne se prononce expressément sur la présomption d’innocence. Les
conclusions qui en résulteraient devraient de toute manière être confrontées, comparées et
évaluées à la lumière d’une étude similaire menée sur la jurisprudence des chambres civiles.

Quoiqu’il en soit, la doctrine n’enseigne pas véritablement de réponse à notre question.


Le recours qui est fait à la jurisprudence se limite, d’une part, à illustrer la reconnaissance
de la présomption d’innocence par les juridictions et, d’autre part, à critiquer ou parfois
approuver certaines décisions qui limitent le jeu de la présomption d’innocence. Ainsi
conclut-elle généralement que : premièrement la présomption d’innocence existe et

856
Cass. crim., 19 mars 1986, Bull. n° 113 ; note RICHEVAUX, Gaz. Pal. 1986. 2. p. 545 ; obs. J. PRADEL,
D. 1987 somm. 85 ; note de J. VALLANSAN, D. 1988, p. 568 ; décision citée par : P. BALLANDIER, Pour
une défense de la présomption d’innocence, op. cit., p. 87 ; A. TONGLET, La présomption d'innocence et
les présomptions en droit pénal, op. cit., n° 377 ; PH. CONTE et P. MAISTRE DU CHAMBON, Procédure
pénale, op. cit., 4e éd., n° 45 ; G. STÉFANI, G. LEVASSEUR et B. BOULOC, Procédure pénale, op.cit., 20e
éd., n° 123 ; S. GUINCHARD et J. BUISSON, Procédure pénale, 3e éd., op. cit., n° 378 et 482 ; J. PRADEL,
Procédure pénale, op. cit., 12e éd., n° 384.
857
A. TONGLET, La présomption d'innocence et les présomptions en droit pénal, op. cit., n° 71 ; G.
STÉFANI, G. LEVASSEUR et B. BOULOC, Procédure pénale, op.cit., 20e éd., n° 123 ; C. AMBROISE-
CASTÉROT, Rép. Pén. et Proc. Pén., v° Présomption d’innocence, n° 34 ; J. PRADEL, Procédure pénale,
op. cit., 12e éd., n° 384.
858
Cass. crim., 22 octobre 1996, Bull. n° 369.
859
Il s’agit des décisions inédites ou publiées dont le sommaire ou le titrage par la Cour de cassation
comporte l’expression « présomption d’innocence » ou l’expression « présumé innocent ».

273
Le discours sur l’objet

deuxièmement qu’elle n’est pas toujours respectée 860. Ainsi, lorsque les pénalistes recourent
à la jurisprudence pour justifier leur discours, la démonstration de l’existence de la
présomption d’innocence n’est pas si convaincante qu’il pourrait y paraître de prime abord.
Toutefois, la remarque vaut de moins en moins aujourd’hui, un nombre plus important de
décisions a été rendu et par des juridictions ou formations autres que la chambre criminelle.
Désormais, le discours doctrinal ne recourt plus seulement à la jurisprudence à titre de
caution mais aussi pour en tirer les enseignements.

B- LES ENSEIGNEMENTS TIRÉS DE LA JURISPRUDENCE

246. Un mouvement récent. Ce deuxième mouvement concerne davantage une période


récente dans l’histoire du discours sur la présomption d’innocence, qui a débuté aux
alentours des années quatre-vingt-dix. Il se caractérise par une absence, ou une faible part,
d’interprétation des décisions auxquelles les auteurs renvoient. Le recours à la jurisprudence
se manifeste alors sous la forme d’un exposé souvent laconique et objectif, des solutions
jurisprudentielles. Il vient ainsi enrichir le discours sur la présomption d’innocence en
précisant la notion à partir de ses applications pratiques 861. On remarquera alors non
seulement un recul de l’interprétation doctrinale, mais également une faible part
d’appréciation critique et prédictive qui caractérise le recours actuel à la jurisprudence. Les
décisions ici concernées émanent principalement de la Cour EDH ou du Conseil
constitutionnel.

1) Le recours aux décisions précisant la notion de présomption d’innocence

247. Présentation des enseignements. On parle ici d’enseignements tirés de la


jurisprudence dans la mesure où les affirmations contenues dans la littérature juridique sont
directement extraites des solutions jurisprudentielles et rattachées à celles-ci 862. Cette
démarche se caractérise souvent par l’incorporation au texte de la solution retenue par telle
ou telle juridiction 863. Elle se manifeste parfois par l’emploi de formules telles que : « la
jurisprudence a admis que… », « la jurisprudence décide que… », ou encore « comme le dit

860
Par exemple : J. PATARIN, Le particularisme de la théorie des preuves en droit pénal, op. cit. ; M.-J.
ESSAÏD, La présomption d’innocence, op. cit. ; R. LEGEAIS, La présomption d’innocence et les
juridictions de jugement étude comparée du droit français et du droit anglais, op.cit ; P. BALLANDIER,
Pour une défense de la présomption d’innocence, op. cit. ; V. MASSOL, La présomption d’innocence, op.
cit.
861
Dernièrement, se sont les recherches de M. Henrion qui ont probablement le mieux illustré et prolongé
cette tendance. L’auteur est ainsi le premier a avoir entrepris une véritable recherche de la nature
juridique de la présomption d’innocence à partir, notamment, d’une analyse des applications
jurisprudentielles des textes consacrant la présomption d’innocence. V. H. HENRION, La nature juridique
de la présomption d’innocence, op. cit.
862
V. par exemple : S. GUINCHARD et J. BUISSON, Procédure pénale, 3e éd., op. cit., particulièrement n°
368, 371 et 482 ; C. AMBROISE-CASTÉROT, Rép. Pén. et Proc. Pén., v° Présomption d’innocence.
863
Comme la doctrine l’avait d’ailleurs fait avec l’arrêt du 24 mars 1949, à la différence près qu’ici on
vise les cas où les extraits de décisions cités par les auteurs ont véritablement leur origine dans le discours
des juges.

274
Le discours sur les sources positives

la Cour européenne des droits de l’homme ». Parmi les décisions auxquelles le discours fait
ainsi directement référence, le traitement de certaines serviront à illustrer notre propos, elles
peuvent être présentées selon trois thèmes : la compatibilité des présomptions de culpabilité
avec la présomption d’innocence, l’extension du domaine de la présomption d’innocence et
le droit de se taire ou de ne pas s’auto-incriminer.

248. La compatibilité des présomptions de culpabilité avec la présomption


d’innocence. La doctrine enseigne parfois, mais à regret, que la présomption d’innocence
n’est pas méconnue par l’existence de présomptions de culpabilité de fait ou de droit. Cette
affirmation est directement tirée de la jurisprudence de la Cour EDH, particulièrement de
l’arrêt Salabiaku c/ France, mais aussi des décisions internes françaises qui ont été rendues
dans la même lignée.

L’arrêt Salabiaku c/ France rendu le 7 octobre 1988 864 est bien connu des pénalistes, il y
est très souvent fait référence à propos de la présomption d’innocence. En l’espèce, le
requérant avait été reconnu coupable du délit douanier d’importation de marchandises
prohibées. Il estimait devant la Cour que, la présomption "quasiment irréfragable", en vertu
de laquelle il avait été condamné par les juridictions françaises, était incompatible avec
l’article 6§2 de la Convention. Était alors en cause l’article 392-1 du Code des douanes qui
répute le détenteur de marchandises responsable de fraude. La cour était donc chargée, non
pas d’évaluer in abstracto ce texte à l'aune de la Convention, mais de déterminer s'il avait
été appliqué au requérant d'une manière compatible avec la présomption d'innocence.

La Cour européenne précisa sa position, d’une part elle décide que, « Tout système
juridique connaît des présomptions de fait ou de droit; la Convention n'y met évidemment
pas obstacle en principe, mais en matière pénale elle oblige les États contractants à ne pas
dépasser à cet égard un certain seuil» et, d’autre part, que : « L'article 6 par. 2 (art. 6-2) ne
se désintéresse donc pas des présomptions de fait ou de droit qui se rencontrent dans les
lois répressives. Il commande aux États de les enserrer dans des limites raisonnables
prenant en compte la gravité de l'enjeu et préservant les droits de la défense » 865. En
l’espèce, les juges européens avaient estimé que l’article 6§2 était respecté et ne
condamnèrent pas la France.

864
Affaire Salabiaku c. France, A141-A.
865
§ 28

275
Le discours sur l’objet

C’est cette solution qu’exposent les auteurs sans s’y attarder davantage 866. Elle apparaît
désormais classique et largement admise puisque la doctrine signale également, selon le
même procédé, que la jurisprudence de la Cour de cassation et du Conseil constitutionnel
ont fait leur, la position de la Cour européenne 867. À cet égard, les auteurs se réfèrent à
plusieurs arrêts de la chambre criminelle ayant statué dans diverses matières : douanes,
circulation routière ou presse et admis la compatibilité des présomptions de responsabilité
avec l’article 6§2 de la Convention, autrement dit avec la présomption d’innocence. Se
trouve également invoquée une décision du Conseil constitutionnel en date du 16 juin 1999
qui statuait sur la constitutionnalité de l’article L. 21-2 du Code de la route et par laquelle
les juges ont affirmé que : « Cet article n'est pas davantage contraire à la règle de la
présomption d'innocence, dans la mesure où, s'il instaure une présomption de
responsabilité, celle-ci est une présomption simple, les droits de la défense étant en outre
respectés ».

Du reste cette jurisprudence ne fait que conforter la pratique, l’existence de


présomptions légales de responsabilité ou de « présomptions de culpabilité » est ancienne,
et les auteurs sont contraints d’admettre qu’elles se justifient par la nécessité de la
répression et la difficulté, voire l’impossibilité, pour la partie poursuivante, de prouver
certains faits 868. Quoiqu’il en soit ces présomptions et la jurisprudence qui les consacre
(même sous réserve du respect des droits de la défense) ne sont pas conformes à la « théorie
doctrinale de la présomption d’innocence » qui consiste à faire peser sur la partie
poursuivante l’entier fardeau de la preuve.

249. L’extension du domaine d’application de la présomption d’innocence. On le sait,


le discours doctrinal sur la présomption d’innocence est essentiellement axé sur la matière
des preuves pénales. Aucune extension hors de ce domaine ne semblait avoir été envisagée
ni à titre prédictif, ni à titre de vœu. Or, ici encore, deux exemples de décisions ayant
procédé à une telle extension peuvent être envisagés. Il s’agit de deux arrêts de la Cour
EDH auxquels les auteurs renvoient, de la même manière que précédemment, c'est-à-dire en
prenant acte.

866
Par exemple : B. BOULOC, Présomption d’innocence et droit pénal des affaires, Rev.sc.crim., 1995, p.
468-469 ; M.-L. RASSAT, Traité de procédure pénale, op. cit., n° 200 ; G. STÉFANI, G. LEVASSEUR et B.
BOULOC, Procédure pénale, op.cit., 20e éd., n° 122 ; R. MERLE et A.VITU, Traité de droit criminel,
Procédure pénale, 5e éd., op. cit., n° 149 ; PH. CONTE et P. MAISTRE DU CHAMBON, Procédure pénale, 4e
éd., n° 42 ; C. AMBROISE-CASTÉROT, Rép. Pén. et Proc. Pén., v° Présomption d’innocence, n° 59 ; J.
PRADEL, Procédure pénale, op. cit., 12e éd., n° 398.
867
V. S. GUINCHARD et J. BUISSON, Procédure pénale, 3e éd., op. cit., n° 380 et 494 et s.
868
V. J. PATARIN, Le particularisme de la théorie des preuves en droit pénal, op. cit. ; A. TONGLET, La
présomption d'innocence et les présomptions en droit pénal, op. cit.

276
Le discours sur les sources positives

Le premier date de 1983, il s’agit de l’affaire Minelli c/ Suisse 869. M. Minelli estimait
que la cour d’assises zurichoise avait violé l’article 6§2 de la Convention en mettant à sa
charge les frais de procédure et de dépens, alors même qu’elle venait de clôturer la
poursuite en raison de la prescription de l’infraction qui lui était reprochée. La Cour
européenne devait donc répondre à la question suivante : la présomption d'innocence
s'accommode-t-elle de la solution consistant à imposer la charge de frais de procédure et
d'une indemnité de dépens à une personne qui a bénéficié d'un classement, d'un non-lieu,
d'un acquittement ou, comme ici, de la prescription ? La réponse apportée fut la
suivante : « Aux yeux de la Cour, la présomption d'innocence se trouve méconnue si, sans
établissement légal préalable de la culpabilité d'un prévenu et, notamment, sans que ce
dernier ait eu l'occasion d'exercer les droits de la défense, une décision judiciaire le
concernant reflète le sentiment qu'il est coupable. Il peut en aller ainsi même en l'absence
de constat formel; il suffit d'une motivation donnant à penser que le juge considère
l'intéressé comme coupable ». Par référence à cette décision, la doctrine enseigne donc que
le juge ne doit pas exprimer, dans ses décisions, de préjugé relatif à la culpabilité avant que
ne soit prononcée une condamnation 870.

Le second arrêt fréquemment cité concerne l’affaire Allenet de Ribemont de 1995 par
lequel la juridiction européenne a condamné la France. Le requérant, qui avait été inculpé,
mis en détention préventive puis avait bénéficié d’un non-lieu dans une affaire de meurtre,
invoquait une violation de l’article 6§2 en raison des propos tenus à la presse par le ministre
de l'Intérieur et de hauts fonctionnaires de police. Ceux-ci l’avaient en effet mis
publiquement en cause dans cette affaire. La Cour jugea alors que l’article 6§2 était
applicable à une telle situation, quand bien même le pré-jugement de culpabilité n’émanait
pas d’une autorité judiciaire : « La Cour constate qu'en l'espèce, certains des plus hauts
responsables de la police française désignèrent M. Allenet de Ribemont, sans nuance ni
réserve, comme l'un des instigateurs, et donc le complice, d'un assassinat (paragraphe 11
ci-dessus). Il s'agit là à l'évidence d'une déclaration de culpabilité qui, d'une part, incitait
le public à croire en celle-ci et, de l'autre, préjugeait de l'appréciation des faits par les
juges compétents. Partant, il y a eu violation de l'article 6 par. 2 » 871.

Cette décision ne suscite pas grand intérêt chez les pénalistes, comme le prouve les
brèves allusions qui y sont faites 872. Les professeurs Guinchard et Buisson y prêtent

869
Affaire Minelli c. Suisse, 25 mars 1983, série A, n° 62.
870
A. TONGLET, La présomption d'innocence et les présomptions en droit pénal, op. cit., n° 379 ; S.
GUINCHARD et J. BUISSON, Procédure pénale, 3e éd., op. cit., n° 378.
871
Affaire Allenet de Ribemont c. France, 10 février 1995, série A, n° 308, § 41.
872
R. KOERING-JOULIN, Chronique internationale - droits de l’homme, Rev.sc.crim., 1996, p. 485 et s.; G.
STÉFANI, G. LEVASSEUR et B. BOULOC, Procédure pénale, op.cit., 20e éd., n° 108 et 124 ; C. AMBROISE-
CASTÉROT, Rép. Pén. et Proc. Pén., v° Présomption d’innocence, n° 31 ; J. PRADEL, Procédure pénale,
op. cit., 12e éd., n° 393.

277
Le discours sur l’objet

toutefois une attention particulière en s’y référant à plusieurs reprises 873. Pourtant, au-delà
de la solution même, c’est la motivation de la Cour EDH qui pouvait retenir ici l’attention.
Elle rappelle en effet que « la Convention doit s'interpréter de façon à garantir des droits
concrets et effectifs, et non théoriques et illusoires » et que « Cela vaut aussi pour le droit
consacré par l'article 6 par. 2 » 874. Autrement dit, cette nouvelle extension de la portée de
la présomption d’innocence reconnue par les juges européens, a paru nécessaire pour
donner un véritable sens à la présomption d’innocence, au-delà de la simple fonction
attributive du fardeau de la preuve telle qu’elle était alors enseignée par la doctrine.

Il ne paraît pas utile de multiplier ici les exemples. Ils paraissent suffisants pour mettre
en lumière la discrétion des auteurs à l’égard de la jurisprudence européenne. Reste à
rechercher quelque explication à un tel phénomène qui relève des enseignements critiques
que le discours doctrinal véhicule.

2) Les enseignements critiques tirés de la jurisprudence

250. Aperçu général. Hormis l’étude critique de telle ou telle décision que l’on trouve
fréquemment dans les travaux de recherches doctorales, les enseignements critiques tirés de
la jurisprudence se caractérisent par leur faible nombre. On peut remarquer à cet égard la
relative rareté des commentaires doctrinaux portant sur des décisions ayant statué sur
l’application de la présomption d’innocence. Il existe, comme toujours, de notables
exceptions à ce constat : on pourra s’en convaincre en lisant ou relisant le professeur
Jeandidier 875. Il semble pourtant que les enseignements critiques pourraient être plus
nombreux et plus riches, particulièrement dans l’analyse des décisions émanant soit du
Conseil constitutionnel, soit de la Cour EDH.

251. Jurisprudence constitutionnelle. Il est intéressant d’observer combien les pénalistes


ont peu recours aux décisions constitutionnelles pour présenter la présomption
d’innocence 876. Les auteurs, ceux qui font allusion à la dimension constitutionnelle de la

873
S. GUINCHARD et J. BUISSON, Procédure pénale, 3e éd., op.cit., n° 368, 369, 373 et 483.
874
Affaire Allenet de Ribemont c. France, § 35 in fine.
875
W. JEANDIDIER, La présomption d’innocence ou le poids des mots, op. cit. L’auteur faisait ici
référence à deux arrêts de la Cour de cassation rendus en 1990 et, qui selon lui, méconnaissaient
totalement la présomption d’innocence en admettant d’une part, qu’une chambre d’instruction peut
refuser une demande de mise en liberté d’un prévenu en relevant qu’il existe « des indices sérieux de
culpabilité » (arrêt du 4 janvier 1990, Bull. n° 5), et d’autre part, qu’une chambre d’accusation peut
renvoyer aux assises en indiquant « qu’il existe des indices graves et concordants de culpabilité » (arrêt
du 6 Mars 1990, n° 89-86874). L’auteur expliquait alors que : « la présomption d’innocence est
inéluctablement atteinte par l'affirmation selon laquelle il existe contre un individu des indices de
culpabilité. Pour être sûr du contraire, il faudrait simplement dire qu'il existe contre l'intéressé des
charges justifiant son renvoi devant la juridiction de jugement. C'est toute la différence entre une analyse
objective – qui s'attache à la présence matérielle, des charges - et une démarche subjective – qui relie
définitivement ces charges à un individu en lui imputant l'infraction», p. 50.
876
Par exemple le traité de MM. Merle et Vitu ne signale aucune décision constitutionnelle.

278
Le discours sur les sources positives

présomption d’innocence, renvoient principalement à deux décisions. Certains 877 voient en


effet dans la décision des 19-20 janvier 1981 878 une consécration ou une proclamation de la
valeur constitutionnelle de la présomption d’innocence par le Conseil. Pourtant cette
décision, examinant la constitutionnalité de la célèbre loi dite « sécurité et liberté », se
contente de faire une simple allusion à la présomption d’innocence. Ce qui suffit à d’autres
auteurs pour la signaler comme étant la première allusion explicite à la présomption
d’innocence par le Conseil constitutionnel 879. Les auteurs ont également recours à la
jurisprudence constitutionnelle 880 lorsqu’ils tirent les enseignements d’une décision de 1999
jugeant, à l’instar de la jurisprudence européenne (Salabiaku), que la présomption
d’innocence peut s’accommoder de présomptions de culpabilité 881. Il en résulte que le
discours doctrinal sur la présomption d’innocence abandonne le plus souvent la dimension
constitutionnelle de la présomption d’innocence au profit des spécialistes de cette matière. Il
n’est que de regarder les commentaires des décisions dans lesquelles le Conseil
constitutionnel vise la présomption d’innocence, la majorité a été écrite par des
publicistes 882. On peut rappeler également que les meilleurs défenseurs de la valeur
constitutionnelle de la présomption d’innocence sont les spécialistes de cette matière883et
non pas les pénalistes.

252. Jurisprudence européenne. On remarquera qu’elle s’intègre au discours des


pénalistes depuis une période fort récente et encore de manière assez discrète. Là encore, il
semble que l’étude spécifique des décisions ayant trait à la procédure pénale en général, et à
la présomption d’innocence en particulier, soit abandonnée aux spécialistes du droit

877
P. BALLANDIER, Pour une défense de la présomption d’innocence, op. cit., p. 5 ; S. GUINCHARD et J.
BUISSON, Procédure pénale, 3e éd., op. cit., n° 368 ; C. AMBROISE-CASTÉROT, Rép. Pén. et Proc. Pén., v°
Présomption d’innocence, n° 7.
878
Décision n° 80-127 DC des 19 et 20 janvier 1981.
879
B. BOULOC, Présomption d’innocence et droit pénal des affaires, Rev.sc.crim., 1995, p. 467-468.
880
M.-L. RASSAT, Traité de procédure pénale, op. cit., n° 201 ; G. STÉFANI, G. LEVASSEUR et B.
BOULOC, Procédure pénale, op.cit., 20e éd., n° 128 ; PH. CONTE et P. MAISTRE DU CHAMBON, Procédure
pénale, 4e éd., n° 42 ; C. AMBROISE-CASTÉROT, Rép. Pén. et Proc. Pén., v° Présomption d’innocence, n°
59 ; J. PRADEL, Procédure pénale, op. cit., 12e éd., n° 398.
881
Décision n° 99-411 DC du 16 juin 1999 : « aux termes de l'article 9 de la Déclaration des droits de
l'homme et du citoyen : "Tout homme étant présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable, s'il
est jugé indispensable de l'arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s'assurer de sa
personne doit être sévèrement réprimée par la loi" ; qu'il en résulte qu'en principe le législateur ne
saurait instituer de présomption de culpabilité en matière répressive ; que, toutefois, à titre exceptionnel,
de telles présomptions peuvent être établies, notamment en matière contraventionnelle, dès lors qu'elles
ne revêtent pas de caractère irréfragable, qu'est assuré le respect des droits de la défense et que les faits
induisent raisonnablement la vraisemblance de l'imputabilité ».
882
V. supra, n° 139.
883
V. par exemple L. FAVOREU, in Rapport de la commission de réflexion sur la justice, Annexes, op.
cit., où l’auteur expose que : « La question n’a pratiquement jamais été abordée sous l’angle
constitutionnel en France avant qu’elle ne soit posée par les spécialistes de justice constitutionnelle», et
fait en outre observer que « la plupart des manuels de procédure pénale n’y consacrent [à l’aspect
constitutionnel de la présomption d’innocence] que quelques lignes quand ils ne l’ignorent pas tout à
fait ». V. aussi Th. Renoux auquel M. Favoreu renvoie, pour ses commentaires in Code Constitutionnel,
op. cit.

279
Le discours sur l’objet

européen ou international des droits de l’homme 884. Le recours aux décisions de la Cour
EDH ne semble pas encore faire totalement partie des réflexes doctrinaux. Cette attitude
demeure une spécialité à l’intérieur même de la communauté des pénalistes. En réalité,
l’intérêt pour la jurisprudence se porte davantage sur les décisions de la chambre criminelle
qui font application du droit européen que sur les décisions européennes elles-mêmes 885.

Il faut également souligner, toujours concernant les décisions relatives à la présomption


d’innocence, la déférence avec laquelle les auteurs y ont recours. Les solutions de la Cour
EDH sont finalement exposées de la même manière que les textes de droit positif, si bien
que l’autorité qui leur est reconnue semble au moins égale à celles des dispositions légales
de droit interne. On pourrait dans ces conditions se demander dans quelle mesure la doctrine
estime pouvoir critiquer et influer sur les solutions émanant de la juridiction européenne.

Une chose paraît certaine, la jurisprudence européenne a dessiné de nouveaux contours à


la notion de présomption d’innocence, que la doctrine pénaliste française n’a pas
encouragés ni probablement souhaités. Elle a étendu la portée de la présomption
d’innocence au-delà de ce qu’enseignait traditionnellement la littérature juridique. Alors
que la doctrine a toujours donné à la présomption d’innocence une signification probatoire,
la Cour EDH a relégué cet aspect au second rang et insisté sur l’état d’esprit et l’attitude du
juge appelé à connaître d’une accusation pénale 886. C’est ce qui a pu pousser un auteur à
écrire que : « La Cour de Strasbourg a en effet réussi là où des générations de juristes
français avaient échoué. La jurisprudence des organes de la Convention, Commission et
Cour européenne jusqu'à l'entrée en vigueur du Protocole Il, a donné naissance à une
conception autonome de la « présomption d'innocence » posée à l'article 6§2 de la
Convention ». M. Badinter souligne alors qu’ « il n’est ainsi plus uniquement question
d’une saine règle de procédure (et conforme aux droits de l’homme) confiant le fardeau de
la preuve à l’accusation et interdisant les mauvais traitements et la détention provisoire
abusive. En dehors du procès et de ses protagonistes, la présomption d’innocence implique
que la personne accusée ne soit pas présentée officiellement comme coupable, car dès lors
l’impartialité de la décision de culpabilité serait mise en doute, privant ainsi l’individu

884
Outre les chroniques spécifiquement consacrées à la jurisprudence européenne qui paraissent aussi
bien dans les revues généralistes que spécialisées, il existe des ouvrages recensant les décisions de la Cour
EDH, V. par exemple : V. BERGER, Jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, Paris,
Sirey, 8e éd., 2002, n° 103 à 109 pour la présomption d’innocence de l’article 6§2.
885
Il est vrai que sur le plan de l’effectivité du droit, mieux vaut probablement s’interroger sur le respect
des dispositions conventionnelles en droit interne. Cette démarche explique certainement la parution de
publications visant à donner un aperçu de la réception du droit européen en droit français. V. par
exemple : M. FABRE et A. GOURON-MAZEL, Convention européenne des droits de l’homme : application
par le juge français : 10 ans de jurisprudence, Paris, Litec, 1998, n° 248 à 267 pour la jurisprudence
concernant la présomption d’innocence.
886
V. J. VELU et R. ERGEC, La Convention européenne des droits de l'homme, Bruxelles, Bruylant, 1990,
n° 559.

280
Le discours sur les sources positives

d’une garantie fondamentale du procès équitable » 887. On touche ici à la signification de la


présomption d’innocence, qui n’est donc pas épuisée par celle que le discours doctrinal
avait véhiculée 888.

253. Démarche doctrinale et existence juridique de la présomption d’innocence. S’il est


généralement admis qu’une règle, un principe ou encore une notion juridique, peuvent
exister en dehors de toute formulation expresse par les sources positives du droit, on
s’aperçoit toutefois, avec le discours sur la présomption d’innocence, que la formulation
explicite par le législateur ou le juge revêt une importance particulière.

Le recours systématique aux sources formelles de la présomption d’innocence le montre


assez et le recours à la jurisprudence a pour principale fonction de justifier l’allégation de
l’existence juridique de la présomption d’innocence. Finalement, le discours doctrinal sur
les sources positives montre que si l’existence de la présomption d’innocence peut aller sans
dire, cela va tout de même mieux en le disant ! C’est, semble-t-il à cette tâche que s’est
attelée la doctrine au cours du XXe siècle en recherchant dans l’étude du droit positif tous
les éléments qui lui paraissaient susceptibles de lui donner raison. Cet effort s’est
particulièrement illustré dans le travail de M. Essaïd dont la démarche résume parfaitement
celle de la doctrine criminaliste du siècle dernier. Il faut se souvenir de ce qu’écrivait cet
auteur en 1969 à propos des bases positives de la présomption d’innocence.

Tout d’abord, face à l’absence de toute formulation de la présomption d’innocence dans


nos codes répressifs 889, notre auteur invitait à se préoccuper davantage du fond que de la
forme pour découvrir qu’en réalité le Code de procédure pénale s’inspirait largement de la
présomption d’innocence. Cela lui permettait alors de conclure que la présomption
d’innocence « fait indéniablement partie de notre droit positif » 890. Puis s’agissant de la
jurisprudence, il indique que « pour n’être pas formulée directement, la règle n’inspire pas
moins les arrêts de la haute juridiction » 891. Enfin, évoquant la doctrine, aussi bien
française qu’étrangère, l’auteur relève que « la critique moderne semble s’attaquer
davantage aux applications pratiques de la présomption d’innocence, à sa mise en œuvre
ou à sa portée qu’au principe lui-même » 892. On se demande alors ce qu’il reste du principe
après de telles observations. Il faut semble-t-il mettre ces opinions de côté pour s’attacher à
l’opinion dominante qui est favorable à la présomption d’innocence. Il est à cet égard
caractéristique que l’auteur fasse ici appel à l’opinion de Roux en ces termes : « Sur
l’existence de la présomption d’innocence et de la maxime in dubio pro reo, Roux est

887
R. BADINTER, La présomption d’innocence, histoire et modernité, op. cit., p. 144-145.
888
V. infra, titre 2.
889
M.-J. ESSAÏD, La présomption d’innocence, op. cit., n° 50.
890
La présomption d’innocence, op. cit., n° 63.
891
La présomption d’innocence, op. cit., n° 84.
892
La présomption d’innocence, op. cit., n° 101.

281
Le discours sur l’objet

catégorique : " il ne saurait y avoir d’hésitation possible"» 893. Le but recherché par l’auteur
dans l’examen de ces bases positives est facilement perceptible et c’est avec ses propres
termes que l’on peut l’exposer ici : « Si nous rapprochons toutes ces opinions de nos
précédents développements sur les textes et la jurisprudence, nous pourrons nous rendre
compte qu’en France l’accusé est incontestablement couvert par une présomption légale
d’innocence » 894.

Si de nos jours la présomption d’innocence a été largement reconnue par le législateur et


que l’affirmation de son existence paraît aisée à justifier au regard des textes, il n’en a pas
toujours été ainsi. L’assurance avec laquelle les pénalistes ont affirmé que notre droit
connaissait une telle présomption résidait davantage dans la force de conviction de leur
discours que dans la rigueur de leur démonstration. Autrement dit, il nous semble que la
reconnaissance de la présomption d’innocence est due très essentiellement à la place qui lui
a été faite dans le discours doctrinal. À tel point que l’on peut songer à formuler une
hypothèse en forme d’interrogation : la doctrine peut-elle être considérée comme une source
de la présomption d’innocence ? C’est ce que l’on se propose d’examiner à présent.

893
La présomption d’innocence, op. cit., n° 102. C’est nous qui soulignons. Il est ici intéressant de
connaître le contexte dans lequel cette affirmation avait été proférée par le célèbre criminaliste.
Commentant une décision de la chambre criminelle Roux avait cru pouvoir la rattacher au principe de la
présomption d’innocence et in dubio pro reo. La chambre criminelle avait en effet décidé que pour
échapper à une condamnation pour vol d’un testament, les héritiers auraient du rapporter la preuve qu’il
n’existait pas de légataire universel qui aurait pu bénéficier de la saisine des biens du de cujus. C’est
qu’en l’espèce, les héritiers s’étaient emparés du testament et refusaient de le produire en justice, si bien
que l’on ne pouvait savoir si c’est à bon droit qu’ils le détenaient. Roux estimait que la Cour opposait là
une limite au bénéfice des deux principes : « Il ne faut pas que l’inculpé se soit mis de lui-même en
dehors de la conduite des honnêtes gens ; et qu’il n’ait pas, par des actes qui le rendent suspect de
fraude, mis lui-même le ministère public dans l’impossibilité de faire les preuves dont la loi l’a chargé »,
note sous Cass. crim., 15 mars 1929, S. 1930. 1. 353. Bien entendu, la Cour de cassation ne faisait aucune
allusion à aucun des deux principes, la nécessité d’y rattacher cette décision n’apparaît pas d’évidence.
Reste que ce qu’en a retenu la doctrine, c’est bien l’affirmation de Roux sur l’existence de la présomption
d’innocence. À cet égard : V. également A. TONGLET, La présomption d'innocence et les présomptions en
droit pénal, op. cit., n° 59.
894
La présomption d’innocence, op. cit., n° 104. C’est nous qui soulignons.

282
Le discours sur les sources positives

SECTION 2 : LA DOCTRINE PEUT-ELLE ÊTRE UNE SOURCE DE LA


PRÉSOMPTION D’INNOCENCE ?

254. Formulation de l’hypothèse. Une telle question pourrait de prime abord apparaître
incongrue. Ce n’est pourtant pas nécessairement le cas si l’on accepte de la replacer dans
son contexte. En effet, l’étude du discours doctrinal sur les sources positives de la
présomption d’innocence a logiquement conduit à envisager le discours sur les sources
légales (au sens large) ainsi que le discours sur les sources jurisprudentielles. Ainsi a été
respecté l’ordre de présentation hiérarchique de l’étude des sources du droit. Or cette
présentation ne saurait être complète si elle ne devait faire également une place à la doctrine
elle-même. En effet, bien que la doctrine ne se reconnaisse pas en tant que source du droit
(au sens fort), elle a pour coutume de se définir à l’occasion de la présentation de ces
sources. Si bien qu’aucune recherche juridique ne peut se passer d’un recours aux écrits
doctrinaux pour compléter l’examen de la législation et de la jurisprudence 895. On pourrait
même souligner que la méthodologie documentaire inclut la doctrine au titre des sources du
droit sans tenir compte de la nature véritable que se reconnaît la doctrine.

Dans la perspective ici choisie, poser la question de savoir si la doctrine peut être une
source de la présomption d’innocence revêt une signification particulière. Elle revient à se
demander si le discours doctrinal (le présent objet d’étude) confère, explicitement ou
implicitement, une place à la doctrine dans les sources de la présomption d’innocence. La
réponse à la question ainsi posée peut cependant être abordée selon deux perspectives
complémentaires : du point de vue du discours sur les sources du droit criminel en général
ou du point du vue interne au discours sur la présomption d’innocence. Dans l’un et l’autre
cas, il se trouve des éléments de réponse tendant d’une part à réfuter notre hypothèse et
d’autre part à l’encourager. Il existe ainsi des arguments laissant à penser que la doctrine ne
saurait être une source de la présomption d’innocence (§1), mais il existe en outre des
raisons de penser que la doctrine apparaît à certains égards comme une source de la
présomption d’innocence (§2).

§. 1 LA DOCTRINE NE SAURAIT ÊTRE UNE SOURCE DE LA PRÉSOMPTION D’INNOCENCE

255. Plan. Les raisons permettant de justifier que la doctrine ne peut pas être une source de
la présomption d’innocence s’ordonnent selon la perspective précédemment choisie. Ainsi,
dans un premier temps, elles seront tirées de la place habituellement reconnue à la doctrine

895
S’agissant de la présomption d’innocence on rappellera que M. Essaïd avait étudié, au titre des bases
positives de la présomption d’innocence, aussi bien le droit en vigueur que la jurisprudence ou la
doctrine.

283
Le discours sur l’objet

au sein de la théorie des sources du droit. À cet égard, c’est l’effacement de la doctrine
pénale derrière les sources du droit qui caractérise cette place. Dans un second temps, il
s’agira de tirer ces raisons du discours doctrinal lui-même. Or, les raisons qui semblent
devoir exclure la doctrine comme source de la présomption d’innocence relèvent d’un
constat : le discours doctrinal véhicule pour partie l’idée que l’existence de la présomption
d’innocence est incertaine.

A- L’EFFACEMENT DE LA DOCTRINE PÉNALE DERRIÈRE LES SOURCES OFFICIELLES

256. Des opinions non obligatoires. La doctrine n’est pas une source du droit en général ;
elle ne saurait par conséquent être une source de la présomption d’innocence en particulier.
Elle ne pourrait être une source du droit que si ces opinions ou constructions avaient une
force obligatoire semblable à celle qui caractérise aussi bien la loi que les décisions de
justice. Tel n’est pas le cas. Le discours doctrinal n’a rien d’impératif, il ne peut s’imposer
ni au juge ni au législateur, il n’est donc pas créateur de droit. Ce raisonnement, on le sait,
est directement issu de la théorie positiviste des sources du droit, qui traite ce dernier
comme un ensemble de règles obligatoires émanant d’autorités ayant expressément le
pouvoir de les formuler. Or, la doctrine, cet ensemble de juristes dont les seules armes sont
la plume et la parole, n’est pas en mesure de rendre obligatoires ses opinions.

257. Rôle de la doctrine pénale. La doctrine juridique du droit pénal ne raisonne pas
différemment, loin s’en faut 896. « Il est bien acquis que la doctrine n’est pas une source du
droit (pénal ou non) », rappelle M. Pradel 897. Lorsqu’elle n’omet pas tout simplement
d’évoquer son existence, elle axe davantage le propos sur ses attributions que sur sa nature.
Néanmoins, le rôle qu’elle s’assigne est parfois très important. Selon un auteur, la mission
doctrinale est triple : approfondir les différentes techniques législatives et indiquer, pour
chaque question appelant une loi, le procédé le plus apte à assurer le bien commun ;
proposer aux tribunaux répressifs les méthodes de raisonnement judiciaire les plus
conformes aux besoins du droit criminel ; et enfin, rechercher les moyens par lesquels il est
possible de faire pénétrer le droit dans la vie quotidienne en usant le moins possible de la
coercition 898. M. Pradel reconnaît quant à lui deux grands domaines d’influence à la
doctrine. Tout d’abord sur le législateur, qui peut traduire ses propositions dans la loi.
Ensuite sur la jurisprudence que la doctrine guide dans ses solutions voire dans ses
formules 899. Si les auteurs peuvent quelquefois parler de source à propos de la doctrine,
c’est pour minimiser son pouvoir en lui ajoutant un adjectif. Ainsi, il arrive que l’on

896
V. supra, n° 18 et s.
897
J. PRADEL, Droit pénal général, 12e éd., 1999, n° 256.
898
J.-P. Doucet, La doctrine est-elle une source du droit ? article disponible en ligne seulement :
[http://ledroitcriminel.free.fr/la_science_criminelle/articles/doctrine_source_droit.htm].
899
J. PRADEL, Droit pénal général, 12e éd., op. cit., n° 256.

284
Le discours sur les sources positives

présente la doctrine pénale comme source indirecte 900 ou secondaire 901. M. Pradel parle
même de « fausse source » 902. Pour Mme Rassat par exemple, la doctrine est une source
indirecte du droit mais également occasionnelle puisqu’elle n’admet qu’il s’agit d’une
source qu’à partir du moment où l’opinion doctrinale a été consacrée par le législateur 903.

En revanche, la doctrine se plait à dire qu’elle est « seulement une autorité » 904. Or cette
autorité la place en bonne position pour influencer le droit et elle se voit, à cet égard,
comme une inspiratrice du droit pénal 905. En réalité il faut comprendre qu’elle peut influer
sur les sources officielles du droit sans jamais pouvoir créer du droit. Considérant ce point
de vue, il est évident que la doctrine ne peut elle-même être une source du droit ni de la
présomption d’innocence.

Comment pourrait-elle d’ailleurs être une source de la présomption d’innocence ? N’est-


ce pas un droit de l’homme inventé au XVIIIe siècle et consacré par les constituants de
1789 ? N’a-t-elle pas été affirmée et réaffirmée par les États soit dans des traités
internationaux soit dans notre droit interne ? Il va de soi que la présomption d’innocence
trouve sa source dans le pouvoir étatique et ne saurait être recherchée dans le travail
doctrinal. Par ailleurs, comment imaginer que la doctrine puisse être une source de la
présomption d’innocence alors même que le discours qu’elle lui consacre est traversé par
des incertitudes quant à l’existence même de son objet d’étude ?

B- L’INCERTITUDE DOCTRINALE QUANT À L’EXISTENCE DE LA PRÉSOMPTION


D’INNOCENCE

258. Double discours doctrinal. Certes, l’interprétation doctrinale des sources de la


présomption d’innocence a montré jusqu’alors qu’elle visait essentiellement à affirmer
l’existence juridique de la présomption d’innocence. Et ce constat postule que la doctrine ait
eu la certitude qu’elle pouvait légitimement l’affirmer. Pourtant, l’affirmation ne vaut que si
l’on se place du point de vue de l’étude des sources. En effet, à l’analyse on distingue un
double discours : celui qui affirme d’un côté, celui qui doute de l’autre. L’incertitude
n’apparaît, il est vrai, qu’en filigrane, elle demeure néanmoins perceptible. Elle s’illustre
par des exemples tirés de la substance même du discours sur la présomption d’innocence.

900
M.-L. RASSAT, Droit pénal général, op. cit., 2e éd., n° 154.
901
J. PRADEL, Droit pénal comparé, op. cit., 2e éd., n° 82.
902
J. PRADEL, Droit pénal général, 12e éd., op. cit., n° 256.
903
M.-L. RASSAT, Droit pénal général, op. cit., 2e éd., n° 154.
904
J. PRADEL, Droit pénal général, 12e éd., op. cit., n° 256. Dire que la doctrine est une autorité est loin
d’être dévalorisant d’ailleurs. Le terme renvoie alors à la force de considération dont jouit la doctrine,
mais on peut y voir également le pouvoir d’agir sur autrui. Autrefois, on ne parlait pas de doctrine mais
d’autorités. Ainsi Merlin consacrait-il plusieurs lignes dans son répertoire au rôle des opinions des
jurisconsultes au titre des autorités. V. Répertoire de jurisprudence, v° Autorités.
905
V. HÉCQUARD-THÉRON (M.) (dir.), Les facultés de droit inspiratrices du droit ? op. cit..

285
Le discours sur l’objet

259. Influence de l’opinion anglaise. La première illustration résulte d’une certaine


tendance, devenue pratiquement une tradition, qui consiste à rappeler une anecdote affectant
la réalité de l’existence de la présomption d’innocence. En effet, les juristes anglais auraient
pris l’habitude de considérer que la présomption d’innocence n’existe pas en France. Il
semble qu’il a ainsi existé une véritable controverse entre les juristes français et ceux
d’outre-Manche, qui se serait transformée à force de temps et de persuasion en une simple
boutade, ressuscitant par là la vieille inimitié franco-britannique. M. Essaïd dès le début de
son étude sur la présomption d’innocence signalait qu’ « une opinion, communément
répandue, outre-Manche, a prétendu que la présomption d’innocence est inconnue de la
procédure pénale française » 906. Il expliquait plus loin, en citant les propos de René David,
que : « C’est presque un lieu commun de croire outre-Manche, qu’en France, à la
différence de ce qui se passe en Angleterre, l’accusé est présumé coupable tant qu’il n’a
pas prouvé son innocence » 907. Quelques années plus tard, la discussion franco-britannique
était menée dans la Revue internationale de droit pénal par MM. Vouin et Hamson 908. Dans
cette même revue, deux auteurs n’ont pas ménagé leur critique à l’égard des préjugés venus
d’Angleterre, particulièrement en ce qui concerne la présomption d’innocence 909. En 1978,
c’est M. Legeais qui rappelait cette anecdote 910. Plus proche de nous, M. Chassaing
explique que « Les Anglo-Saxons quand ils ne sont pas spécialistes de droit français, ont
tendance à proclamer abruptement que la présomption d’innocence n’existe pas en
France » 911, tandis que M. Badinter se souvient : « Il y a quelques années, un collègue
anglo-saxon me confiait avec ironie qu’il enseignait volontiers à ses étudiants en droit
qu’en France, "on est présumé coupable jusqu’à preuve de son innocence" » 912. Enfin, M.
Pradel perpétue cette tradition encore de nos jours en évoquant « certains esprits » qui
pensent qu’il n’y a pas de présomption d’innocence en France et qui ajoutent qu’elle existe
au contraire en Angleterre 913.

Quelle signification attribuer à cette continuelle référence à la critique anglaise ? Est-ce


là un simple détour anecdotique ? Il nous semble que l’opinion des juristes anglais n’est pas
tout à fait indifférente, de même que la tendance à la rappeler pour mieux la corriger. De la
croyance des britanniques en l’inexistence d’une présomption d’innocence en France, on
peut probablement conclure qu’elle ne va pas de soi. Elle n’est en effet pas si évidente
qu’on veut bien le dire puisque l’observateur étranger ne l’admet qu’avec difficulté. En

906
M.-J. ESSAÏD, La présomption d’innocence, op. cit., n° 6.
907
N° 104, citant, R. DAVID, Introduction à l’étude du droit privé de l’Angleterre, Sirey, 1948.
908
Le procès criminel en France et en Angleterre, Rev.int.dr.pén., 1952, p. 177.
909
J. et A. LARGUIER, La protection des droits de l’homme dans le procès pénal, op. cit., p. 131.
910
R. LEGEAIS, La présomption d’innocence et les juridictions de jugement étude comparée du droit
français et du droit anglais, op. cit., p. 46.
911
J.-F. CHASSAING, Jalons pour une histoire de la présomption d'innocence, op. cit., p. 232.
912
R. BADINTER, La présomption d’innocence, histoire et modernité, op. cit., p. 133.
913
J. PRADEL, Procédure pénale, op. cit., 12e éd., n° 396.

286
Le discours sur les sources positives

outre, il nous semble qu’en conservant la référence à cette opinion « contraire » le discours
doctrinal donne là la première marque de son incertitude. Il en existe d’autres, qui ne
viennent pas de l’étranger mais bien de la doctrine elle-même.

260. Affirmations de l’inexistence dans le discours. « La présomption d’innocence, si


souvent proclamée, n’a jamais existé en droit français » a récemment expliqué Jean-Denis
Bredin devant l’Académie des sciences morales et politiques 914. Quant à la littérature
spécialement consacrée à la présomption d’innocence, elle suggère parfois l’inexistence.
Ainsi, et bien qu’ayant fait l’objet d’une loi portant son nom, on a osé récemment parler
d’une « prétendue présomption d’innocence » et réfuter point par point son existence :
« Malgré sa consécration terminologique légale, le double principe - pénal et civil - de la
présomption d'innocence est inexistant : le déroulement de la procédure répressive n'a de
maître que le doute, pendant qu'aucun droit subjectif ne consiste à être présumé
innocent » 915. Doit-on voir là un coup d’éclat par lequel un jeune docteur aurait cherché à
convaincre ses pairs de l’acuité de son sens critique ? Il y a fort probablement de cela, mais
pas uniquement. Toute provocante qu’elle puisse paraître, cette étude peut se prévaloir de
précédents.

Le juriste Maurice Garçon avait déjà dit en 1953, dans un congrès international, que la
présomption d’innocence était une formule vide de sens. Robert Merle affirmait qu’il ne
s’agissait que d’une « fiction sans écho dans la réalité sociale » 916, tandis que l’avocat
Georges Kiejman débutait sa communication à un colloque par ces mots : « sans plus vous
faire attendre je peux vous livrer ma conclusion : la présomption d’innocence n’existe pas
(…) » 917. Le doute s’était déjà instillé en 1937 lorsque Jean Carbonnier concluait que,
scientifiquement il ne devrait pas y avoir de présomption d’innocence, comme celle que
proclame imprudemment la Déclaration des droits de l’homme, tant que le procès est en
cours 918. On l’aperçoit encore chez M. Lombois : « Si l’on vous dit que c’est un Grand
Principe, n’allez pas le croire, ou pas tout de suite » 919 ou chez M. Jeandidier qui n’a pas
hésité à écrire que la présomption d’innocence est une « grande hypocrisie du droit
pénal » 920. Que penser, en outre, de l’opinion de cet auteur qui voulait en finir avec la
présomption d’innocence, admettant avec difficulté que : « perdure un anachronisme

914
J.-D. BREDIN, La France et les droits de l’homme : du culte au mépris, deux siècles de passions et de
ruptures, Revue des sciences morales et politiques, 2001, n° 2, p. 31.
915
S. DETRAZ, La prétendue présomption d’innocence, op. cit.
916
R. MERLE, L’inculpation, op. cit., p. 111.
917
G. KIEJMAN, Les présomptions de fait de culpabilité et la présomption légale d’innocence, op. cit., p.
14.
918
J. CARBONNIER, Le problème de la détention préventive, op. cit., p. 118.
919
C. LOMBOIS, La présomption d’innocence, op. cit., p. 81.
920
W. JEANDIDIER, La présomption d’innocence ou le poids des mots, op. cit., p. 52.

287
Le discours sur l’objet

devenu une hypocrisie, qui pourrait avantageusement rejoindre "le linceul de pourpre où
dorment les dieux morts" » 921 ?

Manifestement des voix se sont donc élevées pour dénoncer l’existence de la


présomption d’innocence. Ce ne sont pas les plus fortes mais elles créent une certaine
dissonance dans le discours. Les raisons en sont désormais largement connues. Elles
relèvent toutes de la confrontation de la « théorie de la présomption d’innocence » à la
pratique du droit, confrontation qui se résout en de multiples atteintes ou limitations à la
présomption d’innocence 922. Ainsi l’incertitude puise à plusieurs sources : l’existence de
mesures portant atteintes à la liberté individuelle, l’existence de présomptions de culpabilité
de droit ou de fait dans le déroulement du procès pénal et l’existence d’atteintes à la
réputation des personnes mêlées de prés ou de loin à une enquête ou une instruction.

Cette mise en doute de l’affirmation théorique de la présomption d’innocence par rapport


à sa portée pratique ne doit toutefois pas tromper. On pourrait en effet penser qu’il s’agit
d’une critique des sources formelles de la présomption d’innocence. Or, à bien y regarder,
l’objet des critiques se confond avec la signification attribuée à la présomption d’innocence
et par là ce sont les affirmations doctrinales y afférentes qui sont visées. En cela, le discours
doctrinal exprime des incertitudes quant à son propre contenu 923, si bien que la doctrine ne
saurait être regardée comme une source de la présomption d’innocence. On serait en droit
d’objecter que ce dernier argument est à double tranchant et qu’il ne permet pas de dénier
tout rôle au discours doctrinal dans l’avènement de la présomption d’innocence. Il ne
prouve pas tout à fait que la doctrine n’a pas eu sa part dans la reconnaissance de la
présomption d’innocence et qu’elle ne se reconnaît pas elle-même, implicitement, comme
une source de la présomption d’innocence. C’est la raison pour laquelle il convient
d’exposer les arguments militant en faveur d’une telle thèse.

§. 2 LA DOCTRINE POURRAIT APPARAÎTRE COMME UNE SOURCE DE LA PRÉSOMPTION


D’INNOCENCE

261. Source, autorité, influence. Quoiqu’en dise généralement les auteurs, il existe des
opinions prêtes à affirmer que la doctrine est une source du droit voire même la source du
droit. Ces points de vue sont alors davantage inspirés du jusnaturalisme ou de la
métaphysique. La doctrine y prend une importance de choix qui semble naturelle et
évidente. Parmi les jugements sur ce qui est droit, explique M. Sériaux, « il faudra tenir
compte au plus haut point de ceux qui émanent des docteurs : des personnes doctes en

921
J.-J. MINET, En finir avec la présomption d’innocence, op. cit.
922
Sur l’énonciation de ces atteintes qui a pour effet de révéler leur contradiction avec la présomption
d’innocence, V. infra, n° 328 et s.
923
V. infra, n° 258 et s.

288
Le discours sur les sources positives

droit. La doctrine constitue ainsi la source du droit par excellence» 924. Le pénaliste Jean-
Paul Doucet estime quant à lui que « La doctrine est l’interprète privilégiée du droit
naturel. Elle a en effet pour double mission, d’abord de le proclamer dans ses principes
universels, ensuite d’adapter son application à l’état présent de la civilisation. Dans cette
mesure, on peut considérer que la doctrine est une source du droit naturel et, à travers lui,
du Droit dans son ensemble » 925. Ces opinions, pour paraître minoritaires, n’en sont pas
moins importantes. Elles constituent en quelque sorte une vision maximaliste du rôle de la
doctrine dans la formation du droit.

Si tous les auteurs ne sont pas prés d’assumer ce maximalisme, il ne leur semblerait pas
raisonnable de dénier tout rôle à la doctrine dans la formation du droit. C’est d’ailleurs bien
ce que la doctrine elle-même admet en se désignant comme une simple autorité. Cette
autorité a pour effet de rendre la doctrine influente sur les autres sources du droit. Cette
influence demeure cependant assez floue, elle peut prendre diverses formes et consister à
inspirer une solution nouvelle, à infléchir une solution contestée, ou encore à transmettre un
savoir sur l’état du droit. Ces canaux d’influence méritent, malgré la difficulté, d’être
précisés en ce qui concerne la doctrine pénale en particulier. En effet, ce sera ici au titre de
cette influence que la doctrine pourra être regardée comme une source de la présomption
d’innocence (A). Mais le plus intéressant pour notre question sera peut-être d’essayer de
décrire, à partir du discours sur la présomption d’innocence lui-même, l’autorité et
l’influence de la doctrine à l’œuvre (B).

A- L’INFLUENCE DE LA DOCTRINE SUR LES SOURCES OFFICIELLES

262. Une influence difficile à mesurer. Le professeur Pradel l’avait observé, l’influence de
la doctrine, bien que certaine, est variable et difficilement quantifiable 926. Autant l’influence
de la doctrine sur le législateur peut-elle être appréciée pour partie grâce aux travaux
parlementaires et à la participation des auteurs à des commissions de réforme 927, autant les
moyens de connaître son influence sur le juge sont réduits. En effet, si la jurisprudence
trouve inspiration dans l’œuvre doctrinale, elle le dit rarement. Un auteur, pourtant
convaincu de cette influence, en a énoncé les raisons. M. Legeais rappelle ainsi que les
motivations des juges sont elliptiques et ne comportent que très exceptionnellement des
citations d’auteurs. L’influence pourrait se mesurer au travers des rapports et conclusions
des magistrats de la Cour de cassation mais ceux-ci ne sont que rarement publiés et

924
A. SÉRIAUX, Les sources du droit : vision jusnaturaliste, RRJ. 1990, p. 166 et s, n° 8.
925
J.-P. DOUCET, La doctrine est-elle une source du droit ? op. cit.
926
J. PRADEL, Droit pénal comparé, op. cit., 2e éd., n° 82.
927
Sur l’influence de la doctrine sur les travaux préparatoires des parlementaires, V. CH. LAZERGES, La
doctrine et la dérive législative de la procédure pénale, op. cit., p. 154.

289
Le discours sur l’objet

demeurent donc inconnus 928. Ainsi, les moyens concrets par lesquels la doctrine peut se
faire l’inspiratrice du droit sont-ils rarement évoqués. Certes les auteurs de doctrine ont-il à
convaincre juge et législateur soit d’adopter leurs propositions soit de prendre en
considération leurs critiques. Il paraît assez aisé de repérer, dans le discours doctrinal, de
telles propositions. Ce qui semble beaucoup moins aisé en revanche, c’est de connaître les
critères qui permettent de dire avec certitude que la doctrine a atteint son but. L’influence
de la doctrine sur les sources officielles semble pouvoir être présentée selon les deux
grandes voies par lesquelles elle est susceptible d’atteindre les sources officielles : la
formulation d’opinions et la transmission d’un savoir. Ainsi peut-on s’intéresser aux critères
permettant de s’assurer de l’influence des opinions et de l’influence de l’enseignement.

1) L’influence des opinions

263. Illustration d’ordre général. Faut-il que le juge reprenne explicitement la proposition
ou la formule d’un auteur pour dire, avec madame Rassat, que la doctrine est une source
(indirecte) du droit ? Faut-il que le législateur sollicite directement ses propositions et les
adopte pour que la doctrine puisse être regardée comme inspiratrice du droit pénal ? La
doctrine pénale répugne à expliquer en quoi elle est une autorité et comment cette autorité
est reconnue par les autres sources du droit. Il est par exemple admis qu’au XIXe siècle
Faustin-Hélie a inspiré la jurisprudence en matière de procédure criminelle, tandis que
Garraud et Garçon auraient, au début du XXe siècle, inspiré la jurisprudence de droit
pénal 929. M. Pradel signale à cet égard que « la détention purement matérielle non
accompagnée de la remise de possession n’est pas exclusive de l’appréhension qui
constitue un élément du délit de vol » est une formule de la Cour de cassation qui lui a été
inspirée par Émile Garçon 930. M. Legeais cite quant à lui la question du commencement
d’exécution qui avait été longuement débattue en doctrine et pour laquelle on peut trouver
une corrélation entre la jurisprudence et les opinions doctrinales, que ce soit celles de
Garraud, Vidal et Magnol, ou Donnedieu de Vabres 931. Les exemples demeurent toutefois
rares et discrets et si l’influence est certaine, elle ne peut être décrite que partiellement et
avec certaines réserves. Reste que le mieux placé pour décrire l’influence de la doctrine
pénale sur la jurisprudence serait le juge. Un conseiller à la chambre criminelle s’est essayé
à l’exercice qui sonne comme un hommage au travail doctrinal en matière de droit pénal des
affaires. Le magistrat a pu ainsi affirmer que les membres de la chambre criminelle lisent
les ouvrages, chroniques et commentaires doctrinaux et s’en inspirent ; mais à la condition,

928
R. LEGEAIS, Le rôle de la doctrine et du droit comparé dans la formation de la jurisprudence pénale
française, Rev. int. dr. comp., 1994, vol.16, n° spécial, p. 262.
929
J.-P. DOUCET, La doctrine est-elle une source du droit ? op. cit.
930
J. PRADEL, Droit pénal général, op. cit., 15e éd., n° 239.
931
R. LEGEAIS, Le rôle de la doctrine et du droit comparé dans la formation de la jurisprudence pénale
française, op. cit., p. 269.

290
Le discours sur les sources positives

précise-t-il pour les commentaires d’arrêts, que ces derniers soient critiques et argumentés
et non pas seulement analytiques 932.

264. Concernant spécialement la présomption d’innocence. À s’en tenir à ces critères


spéciaux ici admis, la question se pose de savoir si la doctrine peut être regardée comme
une source de la présomption d’innocence, dans le sens où la doctrine aurait pu, grâce à son
autorité, jouer une influence sur sa reconnaissance. Il en existe au moins des indices.

Tout d’abord et de façon très générale on a remarqué que la formulation même de


l’expression « présomption d’innocence » trouve son origine exclusive dans le discours
doctrinal et qu’elle a finalement été consacrée aussi bien par le législateur que par la
jurisprudence 933. Ensuite, l’influence de la doctrine sur le législateur est probable sinon
certaine et ce à plusieurs égards. On peut se contenter de rappeler brièvement ce qui a été
jusqu’ici relevé, en commençant par le rôle de la doctrine dans l’inscription de la
présomption d’innocence en tête du Code de procédure pénale. Il paraît en effet raisonnable
de penser qu’elle fut inspiratrice dans le principe et la détermination du contenu même de
l’article préliminaire du Code 934. Il n’y a pas là la consécration de l’opinion d’un auteur en
particulier mais finalement, d’une manière diffuse, de la doctrine tout entière. En effet, si
l’opinion d’un auteur peut-être désignée comme étant une doctrine ou la doctrine parce
qu’elle « engage » le corps doctrinal, a fortiori lorsque l’opinion est partagée par plusieurs
auteurs et que son influence est certaine, quoique diffuse. Le poids de la doctrine, dans
l’inspiration et l’élaboration de l’article préliminaire, a d’ailleurs été récemment souligné
par Mme Lazerges alors qu’elle apportait un élément de réponse à la question de savoir si
les facultés de droit sont inspiratrices du droit935.

S’agissant de la jurisprudence, il est certes vrai qu’elle a tardé à se référer explicitement


à la présomption d’innocence, mais on découvre dans le premier arrêt cassant au visa de la
présomption d’innocence que la chambre criminelle reprend à son compte l’affirmation que
la doctrine soutenait depuis de longues années. Ainsi l’arrêt du 29 mai 1980, souvent cité
par les auteurs, décide notamment que : « Tout prévenu étant présumé innocent, la charge

932
B. CHALLE, L’influence de la doctrine sur la jurisprudence de la chambre criminelle, in HÉCQUARD-
THÉRON (M.) (dir.), Les facultés de droit inspiratrices du droit ? op. cit., p. 170.
933
En effet, pourquoi ne pas avoir parlé plutôt de présomption de non culpabilité, à l’instar du droit
italien, ou encore du principe selon lequel l’accusé est présumé innocent tant que sa culpabilité n’a pas été
établie ? L’article 9-1 du Code civil alinéa 1 vise non pas le droit d’être présumé innocent mais bien le
droit au respect de « la présomption d’innocence ».
934
V. supra, n° 212 à 214, pour le rôle du rapport de la commission Delmas-Marty, des propositions de
réforme du Code de procédure pénale par Mme Rassat et de la participation de Mme Lazerges à
l’élaboration de la loi du 15 juin 2000.
935
« On doit conclure à une doctrine directement inspiratrice du droit dans l’élaboration de cet article
préliminaire. Ce poids de la doctrine est d’autant plus réel que le rapporteur à l’Assemblée nationale
était professeur de droit pénal », explique Mme Lazerges en parlant d’elle-même mais en prenant soin,
semble-t-il, de replacer sa contribution dans le cadre plus général de l’œuvre doctrinale. V. CH.
LAZERGES, La doctrine et la dérive législative de la procédure pénale, op. cit., p. 159.

291
Le discours sur l’objet

de la preuve de sa culpabilité incombe à la partie poursuivante » 936. Or, la consécration


d’une formule est bien la marque d’une influence doctrinale et il est probable en
l’occurrence que la Cour de cassation l’ait empruntée au discours doctrinal au sein duquel
elle circulait de longue date. Certes, la formule peut également et naturellement faire songer
à la rédaction de l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Mais il
paraît plus probable que cette référence implicite au texte de la Déclaration soit passée par
la médiation du discours doctrinal. On retrouve en effet dans la formule de la Cour deux des
composantes du discours doctrinal sur la présomption d’innocence : la référence à la
Déclaration et celle à la charge de la preuve. Or ce lien n’est pas établi par l’article 9, lequel
n’a pas pour objet le droit de la preuve, mais bien par la doctrine.

Ces exemples sont sans doute insuffisants pour faire de la doctrine une source de la
présomption d’innocence. Ils ont toutefois le mérite de montrer qu’à suivre les critères
généralement admis, il existe une influence de la doctrine sur le législateur et le juge en
matière de présomption d’innocence et que cette influence, cette inspiration, n’ont pourtant
pas été ouvertement reconnues par la doctrine. Mais l’influence de la doctrine sur les
sources officielles a pu prendre d’autres formes et se développer en particulier grâce à la
mission d’enseignement que la doctrine remplit.

2) L’influence de l’enseignement

265. Transmission d’un savoir. L’autorité qui est reconnue à la doctrine est fondée sur son
savoir, la doctrine se définirait même par son objet : dire ce qui est vrai 937. La doctrine
réussit à dire ce qui est vrai, tout d’abord en produisant un savoir et ensuite en le
transmettant. C’est semble-t-il l’essentiel de son activité 938, les fonctions critique,
prescriptive et prospective ne viendraient finalement qu’en second, encore qu’elles
constituent elles aussi une forme de savoir. La doctrine est donc une « pourvoyeuse » de
savoir juridique. Ce savoir, aux facettes multiples, se diffuse de différentes manières et
touche plusieurs catégories de destinataires parmi lesquels l’étudiant, le législateur et le
juge 939. Or, c’est dans sa mission de transmission du savoir en général, et plus
particulièrement de formation des futurs juristes, que la doctrine exerce une grande
influence, aussi grande qu’elle est difficile à appréhender. Il n’est pas rare que ce rôle,
indirect, soit négligé par ceux qui se soucient de donner une image de la doctrine juridique.
Pourtant, parmi les différentes activités doctrinales, il est permis de penser que
l’enseignement constitue le facteur d’influence le plus important par son ampleur et sa
durée.

936
Cass. crim., 29 mai 1980, Bull. n° 164.
937
A. SÉRIAUX, La notion de doctrine juridique, op. cit., p. 66.
938
J. GHESTIN, Les données positives du droit, op. cit., n° 29.
939
V. J.-L. PECCHIOLI, La circulation du savoir juridique, thèse, op. cit.

292
Le discours sur les sources positives

266. Formation des futurs praticiens. L’importance que l’on peut reconnaître à cette
mission d’enseignement tient à ce que la doctrine est la source de connaissance du droit et
qu’à cette source sont puisés les enseignements sur lesquels repose la formation de toutes
les catégories de juristes, et plus particulièrement celle des magistrats et des avocats.
L’influence de la doctrine peut être très grande ici en raison de la quasi exclusivité dont elle
jouit dans la formation de ces générations de juristes.

Cette exclusivité est aujourd’hui néanmoins menacée par d’autres institutions offrant des
enseignements de droit 940. On aperçoit ainsi par exemple que les futurs magistrats qui
intègrent l’école nationale de la magistrature ne sont plus exclusivement préparés au
concours d’entrée par les instituts d’études judiciaires qui oeuvrent au sein des facultés de
droit, mais qu’ils sont de plus en plus souvent issus des instituts d’études politiques 941. En
outre, la possibilité avait récemment été envisagée de permettre aux grandes écoles de
délivrer des diplômes de Master en droit. Un arrêté du 8 décembre 2004 l’a exclu mais le
débat, qui s’était ouvert dans les colonnes de la revue Dalloz relatif à l’enseignement du
droit, s’est poursuivi. Les divers intervenants ont ainsi, notamment, discuté de la qualité des
enseignements juridiques dispensés par l’université française 942 et de son adéquation avec
les attentes de la pratique. La pratique s’éloignerait de la doctrine dont elle ne pourrait plus
se permettre de s’inspirer et propose une professionnalisation des études de droit 943. À cette
occasion, la doctrine universitaire a pu se sentir atteinte dans son rôle, et demander qu’on
cesse de l’accabler 944 ou encore que l’enseignement du droit demeure un service public et
non pas un secteur concurrentiel 945. Dans une certaine mesure, c’est donc à une crise de
l’enseignement du droit à laquelle on assiste actuellement.

Quelles que soient les critiques que l’on puisse aujourd’hui adresser à l’enseignement
universitaire et l’issue de cette crise, chacun admettra que seule l’université permet ou
permettait au futur juriste l’acquisition de certaines connaissances et l’apprentissage du
raisonnement juridique en même temps que la maîtrise des outils conceptuels du droit.
Planiol et Ripert disaient ainsi de la doctrine que : « c’est elle qui donne l’inspiration ; elle

940
D. TRUCHET, Les facultés de droit et le marché de l’enseignement du droit, D. 2005, p. 2892.
941
Ces instituts ne dispensent qu’incidemment des enseignements de droit, c’est la raison pour laquelle
les qualités de juristes de ceux qui en sont diplômés peuvent apparaître douteuses. Ce fait a été encore
rappelé publiquement par Mme Rassat à l’occasion de son audition par la commission parlementaire sur
l’affaire d’Outreau. Les déclarations du professeur, pour le moins critiques, lui ont donné l’opportunité de
souligner que le juge d’instruction Burgaud avait lui-même reçu sa formation juridique d’un institut
d’études politiques.
942
M. Atias a inauguré cette discussion en proposant la création d’un observatoire de la formation des
juristes destiné à penser et à repenser les fonctions de l’université dans la formation de juristes de qualité,
D. 2004, p. 707 et s.
943
CH. BIGOT, Réflexions d’un avocat sur la professionnalisation des études de droit, D. 2005, p. 1724.
944
J.-F. CESARO, P.-Y. GAUTIER et F. LEDUC, Peut-on cesser d’accabler les universités ? D. 2005, p.
2332.
945
P. MAISTRE DU CHAMBON, Le service public de l’enseignement du droit et les facultés de droit, D.
2006, p. 172.

293
Le discours sur l’objet

prépare de loin beaucoup de changements de législation et de jurisprudence par l’influence


de l’enseignement. Même quand elle est fixée, la doctrine ne constitue pas une source du
droit comme la jurisprudence, parce que les commentateurs ne possèdent aucun pouvoir de
contrainte. Cependant, c’est dans leurs livres, c’est par eux que se transmettent les
principes scientifiques et les idées juridiques dont l’autorité domine la pensée des juges et
du législateur lui-même » 946. Et en effet, le triptyque habituel qui met en regard législateur,
juge et doctrine, a tendance à masquer cette réalité : tout savoir sur le droit est doctrinal 947.
Les praticiens d’aujourd’hui sont bien les étudiants d’hier et en cela ils sont tous des
« enfants » de la doctrine, lorsqu’ils n’en font pas partie eux même, comme le rappelle M.
Legeais. Certains praticiens du droit sont en effet bien connus pour leur œuvre scientifique,
et pour le droit pénal, l’auteur cite pour exemple les présidents Patin et Rousselet. M.
Legeais a également fait observer que l’influence de la doctrine sur la jurisprudence pouvait
résulter de la nomination d’un professeur de droit à la Cour de cassation, il pensait alors à
Roux 948. Pour un exemple plus récent, on peut indiquer que depuis 1999, Mme Koering-
Joulin, professeur de droit à l’université de Strasbourg, a été nommée conseiller à la
chambre criminelle.

En réalité, on feint trop souvent de croire que l’apprenti juriste, une fois devenu
professionnel, baigne dans sa pratique quotidienne au point de s’éloigner complètement des
enseignements théoriques qu’il a reçus. On invoquera alors probablement une certaine
réalité : l’accélération du temps juridique oblige, les praticiens n’ont plus le loisir de lire les
auteurs et s’orientent vers une information juridique systématique et électronique : les bases
de données. Il n’en demeure pas moins vrai qu’avant de divorcer, l’école et le palais
entretenaient fréquemment d’étroits rapports. Les actuels détracteurs de l’université et de la
doctrine ne peuvent nier que la pratique du juriste fait fond sur un ensemble de
connaissances théoriques indispensables dont il ne peut totalement se départir, et c’est bien
vers elles qu’il revient toujours chercher quelques éclaircissements ou arguments qu’aucune
autre source n’est en mesure de lui offrir 949. Si les avocats traitant d’affaires pénales

946
Cités par J.-P. DOUCET, La doctrine est-elle une source du droit ? op. cit.
947
Qu’il soit bon ou mauvais. C’est d’ailleurs ce qui explique qu’on s’inquiète parfois autant de sa
qualité, V. particulièrement les écrits du professeur Christian Atias à ce sujet.
948
R. LEGEAIS, Le rôle de la doctrine et du droit comparé dans la formation de la jurisprudence pénale
française, op. cit., p. 269.
949
Répondant aux « attaques » de Christophe Bigot adressées à la doctrine, trois universitaires se sont
défendus en mettant leur contradicteur au défi. Il a ainsi été proposé à ce dernier l’exercice suivant : « À
partir d’une situation quelconque de droit des sociétés, ou du travail, ou des contrats, ou des sûretés,
qu’il prenne trois manuels et trois bases de données. On verra où se trouvent majoritairement les idées,
la distance, les références utiles, l’historique (qui fait comprendre), bref, ce qui fait l’aliment même de
l’argumentaire quotidien des praticiens. Ce sont eux qu’il suffit au demeurant d’interroger, en tout cas
ceux qui ont précisément conservé un lien intellectuel avec l’université. Parce qu’elle les a nourris
lorsqu’ils étaient sur ses bancs et qu’elle les enrichit encore», V. J.-F. CESARO, P.-Y. GAUTIER et F.
LEDUC, Peut-on cesser d’accabler les universités ? op. cit., p. 2332, en réponse à CH. BIGOT, Réflexions
d’un avocat sur la professionnalisation des études de droit, op. cit., p. 1724.

294
Le discours sur les sources positives

peuvent se montrer très insatisfaits des ouvrages doctrinaux qu’ils jugent trop théoriques et
leur préfèrent répertoires et bases de données, ils ne font que confirmer le lien qui les
attache à la doctrine. Ils attestent par là qu’au moins un certain savoir se trouve dans
l’œuvre des professeurs dont ils ont suivi autrefois les enseignements magistraux. S’ils
disent ne pas trouver dans la littérature doctrinale de solution ou de réponse à leurs
questions d’ordre très pratique, ils continuent néanmoins de venir les y chercher 950.

Écrit qui veut, convainc qui peut, a-t-on dit à propos de la doctrine. Il n’est pourtant pas
seulement question de convaincre, il est également question d’enseigner, de transmettre un
savoir, bref de former les futurs juristes ou les juristes actuels dépourvus de connaissance
dans un domaine déterminé. Ici le résultat de ses efforts échappe à la doctrine plus encore
probablement que lorsqu’il s’agit de convaincre d’une opinion une source ou une autorité. Il
n’en demeure pas moins qu’il existe toujours, nécessairement, un résultat. Parce que « sans
la doctrine, chaque apprenti juriste serait réduit à réinventer le droit » 951, les
enseignements dispensés (oralement ou dans les écrits doctrinaux) jouent un rôle dans la
connaissance du droit et donc dans son élaboration même. Que la doctrine, et
particulièrement la doctrine pénale, soit disposée ou non à reconnaître cette forme de son
autorité n’y change rien. La conception que des générations de juristes se feront de telle
institution ou de tel principe dépendra toujours largement de ce que la doctrine en aura dit,
de la façon dont elle l’aura dit ou encore la façon dont elle les aura minimisés ou
dissimulés. Or, il n’y a aucune raison pour qu’il en aille autrement dans le cas particulier de
la présomption d’innocence. Il faut même avouer qu’au contraire il en existe de bonnes. En
effet, le discours sur la présomption d’innocence fait lui-même apparaître l’autorité
doctrinale à l’œuvre.

B- L’AUTORITÉ DOCTRINALE À L’ŒUVRE

267. Le discours doctrinal sur la présomption d’innocence comme source. L’autorité,


dont jouit et se réclame à la fois la doctrine, permet de suggérer que ses enseignements
peuvent être la source de la présomption d’innocence à deux titres différents mais
complémentaires. D’une part, si l’on a égard au discours doctrinal sur la présomption
d’innocence dans son ensemble, on peut observer de façon assez significative qu’il s’appuie
largement sur l’opinion des auteurs. Par une large « autoréférence », la doctrine indique à
quelle source elle a puisé ses enseignements sur la présomption d’innocence et laisse

950
Qu’un avocat cherche dans un manuel ou un traité de droit pénal, et sans les trouver, des références
d’arrêts répondant exactement au problème posé par la situation de son client est semble-t-il révélateur de
la méthode juridique actuelle qui est fondée sur la recherche des précédents jurisprudentiels. « Il est
toujours plus efficace d’invoquer devant le juge un arrêt récent rendu par l’un de ses pairs plutôt qu’un
avis d’un universitaire qui ne peut plus prétendre à la légitimité intellectuelle sur son seul titre » écrit
ainsi M. Bigot, op. cit., D. 2005, p. 1724.
951
J. GHESTIN, Les données positives du droit, op. cit., n° 31.

295
Le discours sur l’objet

entendre par là, quoique de façon paradoxale, qu’elle est une source de la présomption
d’innocence. D’autre part, une fois admise l’influence des enseignements doctrinaux sur la
pensée juridique pénale, l’autorité du discours doctrinal en matière de présomption
d’innocence pourrait résulter de la rhétorique utilisée par les auteurs. En effet, il est possible
de relever dans la trame de ce discours une tendance à personnifier la présomption
d’innocence, ce qui pourrait avoir pour effet de lui conférer un relief particulier, autrement
dit de lui donner vie au-delà de la simple représentation abstraite d’un concept.

1) L’autoréférence doctrinale

268. La doctrine, savoir de référence. « Le juriste-docte est un observateur qui rapporte


ce qu'il a vu et surtout lu. Décrire l'état du droit sous-entend que l'objet de connaissance
préexiste du moins partiellement et que le savoir qui en résulte y prend obligatoirement
appui pour s'énoncer » 952. Quel est l’objet de cette observation ? Dans une perspective
positiviste du droit, ce sera la loi et la jurisprudence. Logiquement, les assertions doctrinales
sur la présomption d’innocence devraient prendre appui sur ces sources. Or, nous avons
remarqué par l’étude du discours sur les sources positives de la présomption d’innocence
que l’affirmation du principe doit plus à l’argument d’autorité qu’à l’argument réellement
tiré de la loi ou de la jurisprudence. On peut alors se demander à quelle source la doctrine
puise sa connaissance de la présomption d’innocence 953. Les développements précédents
laissaient entrevoir qu’il pouvait s’agir de la doctrine elle-même. Cela dit, par la mise en
évidence de l’autoréférence du discours on en acquiert une illustration intéressante. Il ne
s’agit pas ici de s’étonner de ce que la doctrine cite la doctrine. Rien de plus normal en
effet, il y a fort heureusement des interactions et des interconnexions au sein du corps
doctrinal qui se concrétisent par un renvoi à l’opinion des autres auteurs, à leur savoir.
Aucune recherche ne saurait partir de zéro dit-on. En revanche, l’attention peut être attirée
lorsque cette citation prend une ampleur suffisante pour laisser penser qu’il y a une
autoréférence.

269. Notion d’autoréférence. L’autoréférence 954 est un concept logique utilisé en


linguistique, philosophie, mathématique informatique, ou encore à propos de l’art 955. Ce

952
V. J.-L. PECCHIOLI, La circulation du savoir juridique, thèse, op. cit. , n° 161.
953
« La doctrine est à sa manière dotée de sources ; celles-ci se trouvant être précisément les sources du
droit. Elle se nourrit notamment de la loi positive, de la jurisprudence, des intentions du législateur, etc.
Elle se nourrit également d’elle-même, de sa propre histoire et de ses propres résultats» avait expliqué
un auteur, après avoir d’ailleurs démontré que la doctrine est elle-même une source du droit parmi les
sources mais aussi un instrument que le droit utilise pour accéder à ses autres sources, V. J.-L.
VULLIERME, Les anastomoses du droit, Arch. phil. dr., 1982, T. 27 (Les sources du droit), p. 16-17.
954
De auto : soi-même et se référer : se tourner vers quelqu’un ou quelque chose qui représente la source,
l’origine ou l’autorité sur laquelle on s’appuie, se fonde. L’autoréférence est la propriété d’un système de
faire référence à lui-même.
955
Mains se dessinant de M.-C. Escher est la lithographie à laquelle on a généralement recours pour
illustrer ce qu’est l’autoréférence.

296
Le discours sur les sources positives

que nous désignons ici comme l’autoréférence doctrinale est toutefois quelque peu différent
dans la mesure où le discours doctrinal n’a pas l’unité requise 956. Le discours doctrinal est
pour nous un ensemble d’écrits trouvant leur source chez plusieurs auteurs. Il ne constitue
un tout que dans la mesure des fonctions reconnues à la doctrine et plus spécifiquement
pour notre étude.

Ici, l’autoréférence est le fait pour la doctrine de se référer à elle-même, c'est-à-dire vise
les situations dans lesquelles la construction du discours doctrinal s’appuie en grande partie
sur le discours doctrinal lui-même. La référence est ici celle par laquelle l’auteur renvoie
non pas à lui-même mais aux autres auteurs faisant eux aussi partie de la doctrine. Elle se
matérialise d’une part, par la référence explicite qui est faite soit dans le corps du texte à
l’opinion doctrinale soit par renvoi aux notes infrapaginales, et d’autre part, par la référence
implicite qui est faite au discours d’un autre auteur sans indication de sa source.

270. L’autoréférence explicite. Le discours doctrinal sur la présomption d’innocence offre


quantité d’exemples d’autoréférence explicite. Pour l’essentiel, ils résultent des renvois aux
notes infrapaginales 957 qui complètent les propos des auteurs. La fonction de ces références
peut être variable, à notre connaissance il n’en existe pas de typologie. On peut toutefois se
hasarder à en dresser un commencement. Trois fonctions principales pourraient ainsi être
attribuées aux références données par les auteurs.

Tout d’abord une référence peut jouer le rôle de caution scientifique. L’assertion qui en
fait l’objet puise alors sa légitimité dans les travaux ou dans l’opinion d’un ou plusieurs
autres auteurs. Ce que je dis est vrai parce que M. untel l’a dit. Dans ce cas, la référence
peut signifier que l’auteur adhère pleinement à l’opinion d’un autre auteur s’étant exprimé
avant lui ou bien qu’il existe par ailleurs un opinion semblable à la sienne venant ainsi lui
donner plus de crédit. Ensuite, une référence peut jouer le rôle de complément scientifique.
Dans cette hypothèse, la référence a pour objet de renvoyer le lecteur à des études plus
détaillées ou approfondies sur tel ou tel point et que l’auteur n’est pas en mesure de
développer dans le cadre de son propre discours. Enfin, une référence peut manifester
l’honnêteté ou la rigueur scientifique de l’auteur en signalant les opinions contraires à la
sienne ou quelque peu différentes. Cette dernière catégorie ne semble pas faire difficulté
car, généralement, les auteurs signalent expressément que la référence donnée renvoie à une

956
On ne peut ainsi dire du discours doctrinal qu’il est autoréférent au même titre que la phrase suivante :
« Cette phrase comporte cinq mots » qui est un exemple bien connu d’autoréférence.
957
Certains textes ne comportent pas de telles notes, les auteurs inscrivent alors leurs références entre
parenthèses dans le corps du texte, ce qui revient au même. On le sait, dans la littérature juridique les
notes renvoient très fréquemment à des références jurisprudentielles ou légales, ces dernières ne nous
intéressent pas ici.
Aux notes infrapaginales on pourrait sans doute ajouter les références bibliographiques parfois données
en exergue ou à la fin des développements spécifiques à une question, comme la présomption
d’innocence par exemple.

297
Le discours sur l’objet

opinion contraire. En revanche, il n’est pas toujours aisé de distinguer entre les deux
premières catégories. En effet, la façon dont certaines références sont présentées ne permet
pas toujours de connaître l’intention de l’auteur.

Outre ces références renvoyant à la doctrine par le truchement d’une note infrapaginale,
il existe des références directes dans le corps même du texte, lorsque l’auteur s’exprime sur
l’opinion d’un ou plusieurs auteurs ou évoque tout simplement « la doctrine ».

En réalité, nous avons déjà eu l’occasion d’évoquer des cas d’autoréférence dans le
discours doctrinal sur la présomption d’innocence, lorsque nous avons désigné les travaux
de MM. Essaïd et Patarin comme des études fondatrices. L’un des critères permettant de
qualifier ainsi une étude ou article réside justement dans les références qui y sont faites, et
concernant les travaux de ces auteurs, nous avons vu que ces références ont été nombreuses
et le demeurent encore aujourd’hui. Il faut également rappeler au titre de l’autoréférence le
fait que la présomption d’innocence a émergé dans le discours doctrinal par une référence
explicite aux opinions exprimées par le juriste italien Ferri dans Sociologie criminelle. Mais
au-delà de ces cas déjà évoqués, on peut ici donner d’autres exemples d’autoréférence
explicites. Ils concernent le plus souvent un point particulier : la fonction ou la signification
probatoire de la présomption d’innocence.

Déjà MM. Patarin et Essaïd donnaient pour caution de leurs affirmations une liste parfois
impressionnante d’œuvres doctrinales 958. Ainsi le premier des auteurs estimait-il ne pouvoir
écrire que : « La protection de la liberté individuelle exige, en matière pénale, que nul ne
soit tenu pour coupable, en dépit même des plus graves soupçons, tant que la preuve
complète de la culpabilité n’a pas été administrée », sans citer à l’appui de cette affirmation
pas moins de sept ouvrages doctrinaux 959. Il en va quasiment de même pour le second
auteur qui ne peut affirmer que « (…) si la preuve incombe à la partie poursuivante
conformément à la maxime Actori incumbit probabtio, cette s’obligation s’explique aussi et
surtout par la présomption d’innocence » sans renvoyer à dix-neuf références d’auteurs
pour l’essentiel français mais également étrangers 960. Du reste, sur cette affirmation, M.
Larguier avait lui aussi autrefois pratiqué une large référence à la doctrine 961. On pourrait
faire encore la même observation avec M. Levasseur qui, de nombreuses années plus tard,

958
Concernant les travaux de M. Essaïd, cette autoréférence lui a même valu la reconnaissance du
professeur Gaston Stéfani : « Utilisant les observations et les remarques dispersées et fragmentaires
contenues dans les traités de procédure pénale et dans quelques articles de revues françaises et
étrangères, il est parvenu à découvrir les nombreux problèmes que pose la présomption d’innocence, à
les classer avec méthode et à les résoudre en mettant en relief les idées générales qui en commandaient la
solution. », V. M.-J. ESSAÏD, La présomption d’innocence, op. cit., préface, p. 9.
959
J. PATARIN, Le particularisme de la théorie des preuves en droit pénal, op. cit., n° 4, note 9 faisant
référence aux écrits de Roux, Donnedieu de Vabres, Vidal et Magnol, Bouzat, Stéfani, Vouin et Bonnier.
960
M.-J. ESSAÏD, La présomption d’innocence, op. cit., n° 160, note 9.
961
J. LARGUIER, La preuve d’un fait négatif, op. cit. ,n° 9, note 23.

298
Le discours sur les sources positives

n’a pas procédé autrement en décrivant la charge de la preuve en procédure pénale


française. Ce dernier auteur a d’ailleurs déclaré que « C'est à bon droit que Merle et Vitu
ont pu dire que "la présomption d'innocence doit être regardée, à l'instar du principe de la
légalité criminelle, comme l'un des fondements indispensables du droit pénal" » 962. On aura
noté que l’expression employée par M. Levasseur est très forte et pleine de signification
puisque, « C’est à bon droit », est une formule que l’on trouve plus habituellement dans les
jugements ou arrêts.

Mais cette autoréférence doctrinale trouve probablement son meilleur aboutissement


dans l’étude de Mme Ambroise-Castérot. Les développements qu’elle consacre à la
présomption d’innocence sont construits en deux parties. Or, c’est très essentiellement la
première, intitulée : Mécanisme de répartition de la charge de la preuve, qui comporte de
nombreuses références à la doctrine, tandis que la seconde, relative à la Reconnaissance du
droit subjectif à être présumé innocent, appelle essentiellement des renvois à la loi et à la
jurisprudence. Ces renvois à la doctrine illustrent, tant par leur nombre que leur objet, ce
que nous appelons l’autoréférence doctrinale. Parmi de multiples exemples, on en signalera
particulièrement deux. L’un est tiré d’un passage relatif à la fonction de la présomption
d’innocence, où Mme Ambroise-Castérot puise l’essentiel de ses affirmations dans le
discours doctrinal antérieur sur la présomption d’innocence 963. L’autre est tiré de plusieurs
passages où l’auteur invoque directement la doctrine : « Comme la doctrine a pu le
souligner, il ne faut pas confondre innocence et présomption d'innocence (…) » ; « La
doctrine s'est beaucoup interrogée sur la nature et la spécificité de la présomption
d'innocence » ; « La doctrine s'est interrogée sur la question de savoir si la règle reus in
excipiendo fit actor, applicable au procès civil, l'était aussi à l'instance pénale » 964.

271. L’autoréférence implicite. Elle est, par nature, plus difficile à relever, car elle requiert
une comparaison minutieuse des écrits doctrinaux entre eux pour déceler les affirmations
qui ne peuvent se comprendre réellement que par référence à ce que d’autres auteurs ont
écrit. Mais l’autoréférence implicite se manifeste aussi parfois par ce que l’on pourrait
appeler, en empruntant au jargon informatique, un « copier-coller ». S’il ne s’agit pas d’un
« copier-coller » pur et simple, il est cependant vrai que les auteurs donnent parfois
962
G. LEVASSEUR, La charge de la preuve en procédure pénale française, op. cit., p. 687-688.
963
C. AMBROISE-CASTÉROT, Rép. Pén. et Proc. Pén., v° Présomption d’innocence, n° 32, dont nous
reproduisons un passage :
« Fonction de la présomption d'innocence. - L'accusation doit rapporter des preuves décisives et ne doit
laisser subsister aucun doute. En effet, la présomption d'innocence remplit une double fonction. Elle
permet tant de protéger les individus contre les risques d'arbitraire et de lutter contre le déséquilibre
dans le rapport de forces, que de stimuler la recherche de la vérité judiciaire exacte (R. MERLE et
A. VITU, Traité de droit criminel, t. II : Procédure pénale, 5e éd., 2001, Cujas, n° 143). Cette exigence de
l'absence de doute se traduit par la règle in dubio pro reo, qui est la conséquence (M.-L. RASSAT,
Traité de procédure pénale, PUF, coll. Droit fondamental, 2001, n° 196) ou le corollaire (M. ESSAÏD, La
présomption d'innocence, 1969, thèse Rabat, 1971, éd. La Porte, n° 152) de la présomption d'innocence. »
964
V. n° 13, 19, et 25.

299
Le discours sur l’objet

l’impression de tous écrire la même chose, dans les mêmes termes et en suivant la même
logique, au point que l’on peut avoir le sentiment que les uns recopient les autres. Quelques
exemples de ces différentes formes pourront illustrer le phénomène.

Il nous semble, en premier lieu, que la meilleure illustration relève de ce qui a été dit à
propos de la fameuse formule attribuée, par nombre d’auteurs, à un arrêt de la Cour de
cassation alors même qu’elle était née sous la plume de Jean Patarin 965. On a là une preuve
éclairante de ce que la doctrine puise son discours dans la doctrine, au point de ne pas
vérifier l’exactitude de ses sources et de laisser se perpétuer une erreur d’interprétation.
Mais au-delà de l’erreur on peut aussi voir l’autoconsécration doctrinale.

L’autoréférence implicite se manifeste en second lieu, lorsque le discours doctrinal se


prend pour objet, souvent pour se critiquer d’ailleurs. Qu’est-ce à dire ? Qu’une grande
partie du discours doctrinal consacré à la présomption d’innocence est construite par
référence au discours d’autres auteurs qu’ils soient aînés ou contemporains. Lorsque par
exemple, Mme Ambroise-Castérot écrit qu’ « Il est donc impossible d'affirmer que la
présomption d'innocence puisse perdre de sa vigueur au fur et à mesure de l'accumulation
des charges à l'encontre de la personne mise en examen puisque cela reviendrait à affirmer
que la présomption d'innocence est autre chose qu'une règle probatoire », elle se réfère
directement au discours doctrinal. L’impossibilité d’affirmer que la présomption
d’innocence perd de la vigueur au fil de l’avancement du procès, est une assertion qui ne se
comprend que par référence au discours d’autres auteurs ayant affirmé l’inverse 966. On
observera également que l’essentiel de l’étude M. Detraz porte, au fond, sur le discours
doctrinal 967. En effet, la démarche de l’auteur a pour objet de critiquer nombre d’assertions
traditionnelles tirées du discours doctrinal 968.

On trouve en outre un exemple d’autoréférence implicite dans le fait de reproduire, sous


une forme identique, la question et les inquiétudes que Garraud et Vidal exprimaient au

965
V. supra, n° 241, à propos de l’arrêt du 24 mars 1949 et son utilisation en doctrine.
966
En effet, nombre d’auteurs ont exprimé un doute soit quant à l’existence soit quand à la force de la
présomption d’innocence en raison des présomptions de culpabilité qui fondent l’avancement du
processus pénal, V. par exemple : G. KIEJMAN, Les présomptions de fait de culpabilité et la présomption
légale d’innocence, op. cit. ; J. LE CALVEZ, L’inculpation et la présomption d’innocence, op. cit. ; P.
BALLANDIER, Pour une défense de la présomption d’innocence, op. cit. ; J. DÉCAMPS, La présomption
d'innocence, entre vérité et culpabilité, op.cit. ; J.-R. FARTHOUAT, La présomption d’innocence, op. cit. ;
J. PRADEL, Procédure pénale, op. cit. , 12e éd., n° 396.
967
Nous pensons qu’il s’agit d’une étude prouvant que le savoir doctrinal sur la présomption d’innocence
est véritablement entré dans une phase de réfutation et donc de progression.
968
V. S. DETRAZ, La prétendue présomption d’innocence, op. cit., pour un exemple d’autoréférence
explicite, n° 2 : « Si l'expression de « présomption d'innocence» est depuis longtemps reçue en doctrine et
plus récemment, par la société tout entière-, elle surprend néanmoins, au premier abord, par son
inadéquation avec la réalité (…) » ; et pour un exemple d’autoréférence implicite, n° 6 : « On peut donc
soutenir que la présomption d'innocence telle qu'on est instinctivement conduit à la présenter est
inexistante: le système répressif français n'est pas établi sur l'idée fondamentale que le suspect est
présumé innocent et l'article 9-1 du Code civil ne consacre pas un droit à la présomption d'innocence. »

300
Le discours sur les sources positives

début du siècle à propos de la distinction établie par Ferri entre les criminels ataviques et
occasionnels. Garraud se demandait tout d’abord : « Mais comment la faire fonctionner,
lorsqu’il s’agit d’établir que l’accusé est bien l’auteur du délit ? », puis il écrivait : « En
admettant même ces stigmates, ce serait donner à de simples indices de criminalité une
portée redoutable, en classant a priori comme dangereux ceux qui en seraient les
victimes » 969. Or, on retrouve à peu de choses près, ce même questionnement chez MM.
Merle et Vitu lorsqu’ils évoquent, à propos de la présomption d’innocence, la fameuse
distinction établie par les positivistes : « Mais comment affirmer qu’un individu appartient
avec certitude à l’une ou l’autre catégorie ? Un dangereux arbitraire risquerait de
s’introduire dans la procédure sous le couvert de notions scientifiques discutées » 970. M.
Pradel, dans le même contexte repousse la distinction entre ces deux catégories de
délinquants en concluant ainsi : « D’ailleurs, comment distinguer entre délinquant très
dangereux et peu dangereux ? » 971.

Pour terminer avec un dernier exemple d’autoréférence implicite, on peut relever une
modification du discours doctrinal en raison du discours doctrinal lui-même. Ainsi, le
professeur Pradel a pu écrire 972 que la présomption d’innocence « a été consacrée avec
force dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ». Or Mme Rassat,
estimant que cette affirmation était erronée, signalait dans son propre manuel que « Le
principe de la présomption d’innocence n’est pas consacré "avec force" comme le dit un
auteur, mais seulement évoqué incidemment dans la Déclaration des droits de l’homme et
du citoyen de 1789 » 973. Or on observera que le professeur Pradel, depuis la dixième édition
de son manuel, a décidé de faire droit à la critique de sa collègue. Désormais, l’auteur
affirme simplement que la présomption d’innocence « est reprise dans la Déclaration des
droits de l’homme et du citoyen » 974.

Ces exemples tendent à montrer que l’autoréférence doctrinale illustre, exprime,


manifeste, non seulement que la doctrine jouit d’une grande autorité mais aussi qu’elle se
reconnaît à elle-même cette autorité.

2) La personnification de la présomption d’innocence

272. Du style doctrinal. Le discours doctrinal bien qu’appartenant au discours savant n’en
reste pas moins un discours, fait d’énoncés à partir du langage commun et relevant d’un

969
R. GARRAUD, Traité théorique et pratique d’instruction criminelle et de procédure pénale, tome I,
op.cit., n° 234.
970
R. MERLE et A.VITU, Traité de droit criminel, Procédure pénale, 5e éd., op. cit. , n° 144.
971
J. PRADEL, Procédure pénale, op. cit., 12e éd., n° 384.
972
Probablement depuis la première édition de son manuel, et de façon certaine depuis sa troisième
édition.
973
V. par exemple, M.-L. RASSAT, Procédure pénale, op. cit., 2e éd., n° 191, renvoyant directement à
l’ouvrage de M. Pradel.
974
V. en dernier lieu, 12e éd., n° 384.

301
Le discours sur l’objet

style. Le style du discours dépend à la fois des règles particulières aux exposés
académiques, du style propre à chaque auteur en fonction de sa personnalité et de sa culture,
mais aussi de l’époque. On sait ainsi que le style des anciens juristes, encore au XIXe siècle,
était par exemple emphatique. Le style est aujourd’hui beaucoup plus neutre, voire parfois
monotone et stéréotypé. Au-delà de sa spécificité juridique, le discours doctrinal emprunte,
par la force des choses, aux règles d’élaboration de tout discours. En particulier, il lui arrive
d’user de figures de style comme on le fait en littérature ou en poésie et ne dédaigne pas,
par exemple, l’emploi de métaphores 975.

Or, l’analyse du discours doctrinal sur la présomption d’innocence laisse parfois


apparaître l’usage rhétorique de la personnification. On le sait, la personnification est le
procédé par lequel une chose inanimée ou abstraite reçoit des traits propres à l’homme 976.
Ainsi peut-on observer que le discours doctrinal a une tendance singulière à évoquer la
présomption d’innocence sous les traits d’un être humain. En effet, les caractéristiques, les
attributs qui sont parfois conférés à la présomption d’innocence, aux détours de certaines
phrases, s’appliquent normalement à des être animés et non à des choses abstraites, tel un
principe juridique.

273. La présomption d’innocence personnifiée : illustrations. Plutôt que de donner ici


des exemples tirés d’une longue liste de manifestations de cette personnification de la
présomption d’innocence, il a paru plus pertinent de les présenter en situation, dans une
courte conversation, inventée pour l’occasion mais qui respecte le sens des expressions
« personnifiantes », tel qu’il apparaît réellement dans le discours doctrinal. Cette
conversation imaginaire met en jeu plusieurs auteurs qui s’entretiennent, naturellement, de
la présomption d’innocence.

‐ Vous nous dites chère madame que « c’est le procès pénal qui la fait naître » 977, je voudrais 
ajouter pour ma part que « la présomption d’innocence est la fille naturelle du doute » 978. 
‐  Qu’importe  sa  filiation !  Il  faut  surtout  s’aviser  de  ce  qu’elle  a  « rallié  les  suffrages  de 
l’ensemble de la doctrine » 979. 
‐ Vous avez raison de le dire tant il est vrai que « ce n’est plus une règle à qui l’on donne 
un coup de chapeau poli » 980. 

975
Il s’agit d’ailleurs d’un instrument cognitif dont il est aisé d’observer l’utilisation dans le discours
doctrinal. explique Mme Mathieu Izorche. Il n’y aurait là rien d’étonnant car, la métaphore présente des
vertus pédagogiques et une puissance évocatrice qui en font un instrument privilégié d’exploration du
monde et de communication des savoirs. V. M.-L. MATHIEU-IZORCHE, La pensée métaphorique, in
Apprendre à douter, Questions de droit, Questions sur le droit, études offertes à CLAUDE LOMBOIS,
Pulim, 2004, p. 113.
976
G. MOUNIN, Dictionnaire de la linguistique, Paris, PUF, Quadrige, 1993. L’auteur ajoute que la
personnification est une des sources de l’allégorie.
977
R. KOERING-JOULIN, La présomption d'innocence, un droit fondamental ?, op. cit., p. 26.
978
P. LOMBARD, Conférence donnée à Aix-en-Provence, Institut Portalis.
979
A. TONGLET, La présomption d'innocence et les présomptions en droit pénal, op. cit., n° 36.
980
B. BOULOC, Présomption d’innocence et droit pénal des affaires, op. cit., p. 466.

302
Le discours sur les sources positives

‐ Peut‐être, mais prenons garde « la présomption d’innocence, en quittant le champ de la 
matière pénale risque de se galvauder et donc de perdre son âme » 981. 
‐ Le président de la République a déclaré publiquement que c’est « un principe vacillant » 982 ! 
‐ En effet, elle « est bien malade » 983 ! 
‐ Oui « malade, chétive » 984 même ! 
‐ Vous ne me surprenez pas, elle est si « malmenée » 985, « bafouée, rejetée, raillée » 986… 
‐ Elle est tout simplement « martyrisée » 987 ! 
‐ Mais que s’est‐il passé ? 
‐  Eh  bien,  alors  qu’il  existait  une  « entente  cordiale  entre  présomption  d’innocence  et 
ambition  de  vérité »,  sont  apparues  des  « dissensions »  entre  elles  et  cela  s’est  terminé  par 
« une rupture consommée » 988. 
‐ Ce sont aussi les présomptions d’intention qui paraissent lui « porter un coup violent » 989. 
‐ De toute façon, désormais, « le principe évoque un mort‐vivant » 990. 
‐  Eh  bien  je  vous  dirai  qu’« elle  ne  doit  pas  être  abandonnée  à  son  triste  sort »,  je  crois 
qu’« Il faut défendre la présomption d’innocence » 991 !  
‐ Sachez Messieurs que « la présomption d’innocence mérite mieux, bien mieux que de 
la  condescendance  et  de  la  compassion »,  « son  salut  repose  sur  la  prise  de  conscience, 
par  les  praticiens  du  droit,  de  la  force  qu’elle  contient  et  qu’elle  permet  de 
développer » 992. 
‐  Je  crois  que  ç’en  est  assez !  Alors  pourrait‐on  « en  finir  avec  la  présomption 
d’innocence » 993 ? 
‐  Permettez  moi  de  dire  qu’il  conviendrait  surtout  d’en  « finir  avec  une  présentation 
caricaturale de la présomption d’innocence » 994 ! 

Certes, le contexte de la personnification n’apparaît pas ici très flatteur : blessures,


maladie, situation de faiblesse…mais on doit admettre que ce procédé rhétorique produit
tout de même ses effets. Ainsi, la personnification de la présomption d’innocence nous
semble particulièrement intéressante dans la mesure où elle a pour effet de donner vie à la
présomption d’innocence. Elle contribue, en dehors même du langage juridique technique et
de l’abstraction des concepts, à faire exister cette présomption d’innocence. En filigrane

981
R. KOERING-JOULIN, La présomption d'innocence, un droit fondamental ? op. cit., p. 21.
982
R. BADINTER, La présomption d’innocence, histoire et modernité, op. cit., p. 146.
983
W. JEANDIDIER, La présomption d’innocence ou le poids des mots, op. cit., p. 52.
984
J.-R. FARTHOUAT, La présomption d’innocence, op. cit. , p. 56
985
J. DÉCAMPS, La présomption d'innocence, entre vérité et culpabilité, op.cit.
986
P. BALLANDIER, Pour une défense de la présomption d’innocence, op. cit., p. 236.
987
J.-R. FARTHOUAT, La présomption d’innocence, op. cit , p. 56
988
J. DÉCAMPS, La présomption d'innocence, entre vérité et culpabilité, op.cit., V. le plan de la thèse, pp.
34, 142, 229.
989
A. TONGLET, La présomption d'innocence et les présomptions en droit pénal, op. cit., n° 49.
990
W. JEANDIDIER, La présomption d’innocence ou le poids des mots, op. cit., p. 52.
991
J.-R. FARTHOUAT, La présomption d’innocence, op. cit. , p. 56.
992
P. BALLANDIER, Pour une défense de la présomption d’innocence, op. cit. , p. 235-236.
993
J.-J. MINET, En finir avec la présomption d’innocence, op. cit.
994
PH. CONTE, Pour en finir avec une présentation caricaturale de la présomption d’innocence, op. cit.

303
Le discours sur l’objet

apparaissent nettement les traits d’une vielle dame malade et fragile, victime de violences et
railleries injustes que tout un chacun voudrait ou devrait protéger. Ainsi la personnification
n’est plus une affaire de style, un simple procédé discursif, mais une autre manière pour le
discours doctrinal, d’affirmer l’existence de la présomption d’innocence.

274. Conclusion. La doctrine a donc le pouvoir de faire exister la présomption d’innocence


non seulement en la prenant pour objet de son discours, mais aussi en affirmant clairement
son existence juridique au regard des sources positives du droit, et enfin en réussissant à lui
donner vie. Il en résulte que, par l’autorité qui lui est reconnue, et celle qu’elle se reconnaît
elle-même, la doctrine a le pouvoir de convaincre de l’existence d’une présomption
d’innocence en droit pénal français.

Quiconque consulte la littérature du droit pénal peut ainsi être convaincu de l’existence
de la présomption d’innocence, et ce en dépit des dissonances qui seraient relevées, car ces
dernières postulent elles-mêmes que la présomption d’innocence a été posée. Source de
connaissance, la doctrine fournit aux professionnels du droit, actuels ou futurs, une
information capitale : il existe une présomption d’innocence. Or, cette information sera
reçue en raison de l’autorité dont jouit la doctrine. Lorsqu’on se souvient que jusqu’à une
période récente, seule la doctrine évoquait véritablement ce qu’était la présomption
d’innocence, on peut aisément imaginer tout le poids de cette autorité. Toutes ces raisons
nous semblent donc militer en faveur de la thèse selon laquelle, la doctrine peut être
regardée comme une source de la présomption d’innocence. Source particulière certes, mais
de première importance. Car plus que toute autre source, officielle ou secondaire, la
littérature juridique a affirmé l’existence de la présomption d’innocence.

On aura pu observer combien la doctrine reste silencieuse sur l’influence qu’elle a pu


jouer dans la reconnaissance de la présomption d’innocence. Toutefois, on aura également
noté que ce silence n’est finalement qu’apparent. Une attention particulière portée au
discours doctrinal sur les sources positives en particulier, et à l’interprétation doctrinale des
sources en général, permet d’apercevoir que la doctrine se considère elle-même,
implicitement, comme une source importante de la présomption d’innocence.

Une fois cette présomption d’innocence posée, il nous reste à envisager sa signification.
Jusque là, cette question a seulement été évoquée et au surplus de façon indirecte. Comment
le discours doctrinal traite-t-il et envisage-t-il la question de la signification de la
présomption d’innocence ? Ce sera l’objet d’un second titre que de tenter d’y répondre.

304
TITRE 2
SIGNIFICATION ET FONDEMENT DE LA PRÉSOMPTION
D’INNOCENCE DANS LE DISCOURS DOCTRINAL

275. Lien entre signification et raisons. Faire comprendre, expliquer, voilà la mission
centrale de la doctrine. Elle peut tout aussi bien l’assumer par ses enseignements
pédagogiques que par ses enseignements critiques ou encore ses spéculations théoriques,
car dans ces trois situations, en s’exprimant, la doctrine accroît le savoir de ses auditeurs. La
pleine compréhension, et donc la connaissance, des notions et concepts juridiques supposent
d’une part, que l’on en apprenne la signification et d’autre part, que l’on soit en mesure d’en
donner une justification.

Tout d’abord, il appartient à la doctrine d’exposer la définition des notions et concepts


qu’elle décrit et utilise. Au-delà des mots employés pour désigner ces notions, ce sont leur
signification, leurs conséquences juridiques qui seront envisagées par la doctrine. Mais les
mots ou expressions employés ont en eux même une signification, une origine, et il
appartient à la doctrine de préciser, affiner voire critiquer le langage utilisé pour désigner ou
exprimer les règles de droit 995. Le langage juridique est un langage spécialisé, qui répond
aux besoins particuliers de l’expression du droit. Le choix de tel mot ou de telle formulation
pour exprimer une règle, une notion, ou un concept, n’est pas indifférent. De lui dépendra la
précision, la clarté de ce qui est ainsi désigné. Ce choix, dont dépendront la ou les
significations possibles de la règle exprimée, a donc ses raisons. Elles puisent certainement
dans la capacité de tel ou tel mot à exprimer au mieux ce que l’on entend désigner 996. Elles
puisent tout aussi certainement dans les raisons même de la règle. Ainsi la signification
juridique de la règle et son fondement apparaissent-ils liés.

Il appartient également à la doctrine de rechercher et d’exposer les raisons, les


justifications, autrement dit le fondement des règles, notions et concepts dont elle entend
nous instruire. La recherche du fondement permet de comprendre, d’accepter ou encore
critiquer la règle, il délimite en outre son champ d’application, sa portée. La question du
fondement est assez peu abordée dans les enseignements didactiques. Elle l’est davantage
dans le domaine de la recherche fondamentale, dans les entreprises de recherche juridique
théorique. On le comprend d’autant mieux si l’on a égard pour la définition du
995
« Elle a pour première mission d’établir le vocabulaire du Droit », pense M. Doucet : La doctrine est-
elle une source du droit ? op. cit.
996
Les juristes ont souvent recours à l’étymologie des mots qui désignent des notions et concepts. Ils
attestent par là de l’importance de connaître les origines et la signification des mots pour la pleine
compréhension des notions. Un exemple typique peut d’ailleurs être tiré du terme doctrine, dont les
auteurs se plaisent à rappeler les origines latines : docere signifiant enseigner, instruire, montrer, faire
voir.

305
Le discours sur l’objet

fondement 997, qui suppose un certain approfondissement des questions au-delà des données
brutes du droit positif. Qu’appelle-t-on présomption d’innocence ? Pourquoi la présomption
d’innocence ? Il s’agit là de deux interrogations qui doivent légitimement trouver réponse
dans le discours doctrinal. Ce sera par conséquent l’objet des deux chapitres à venir que
d’étudier le discours du point de vue de ces deux questions.

997
Ce sur quoi repose ultimement les choses (fondement de l’être) ou ce sur quoi l’on peut s’appuyer
pour commencer à penser (fondement de la connaissance), Grand dictionnaire de la philosophie, M.
BLAY (dir.), Larousse, Paris, 2003.

306
CHAPITRE 1
LA SIGNIFICATION DE LA PRÉSOMPTION D’INNOCENCE DANS LE
DISCOURS DOCTRINAL

276. Diverses façons d’entendre la signification. Qu’appelle-t-on présomption


d’innocence ? Cette question, au cœur même de la notion de présomption d’innocence peut
et doit être posée à la science du droit pénal. La réponse qui en sera donnée dépendra non
pas seulement de la description du sens que la présomption d’innocence prend dans le droit
positif, mais aussi, voire surtout, du sens que la littérature juridique aura retenu, promu,
développé. Rechercher la signification de la présomption d’innocence dans le discours
doctrinal conduit également à se demander de quoi parlent les pénalistes lorsqu’ils nous
parlent de la présomption d’innocence.

La question de la signification peut s’entendre de différentes manières. Il s’agit tout


d’abord d’une question terminologique, définitoire. Que comprendre derrière les mots
« présomption d’innocence » ? Mais il s’agit également d’une question de contenu ou de
signification juridiques, qui recoupe les questions de fonctions ou de conséquences
juridiques de la présomption d’innocence. Enfin, dans une optique plus large, la question de
la signification de la présomption d’innocence peut s’entendre de ses implications
juridiques, c'est-à-dire de ce qui est contenu dans la présomption d’innocence sans pour
autant être exprimé ou avoir toujours été exprimé. À vrai dire, tous ces aspects de la
signification de la présomption d’innocence sont très liés et l’analyse du discours doctrinal
montre qu’ils sont même indissociables ; si bien que s’intéresser à la signification de la
présomption d’innocence dans le discours doctrinal suppose de tous les prendre en
considération.

277. Place de la signification dans le discours. La question de la signification de la


présomption d’innocence n’a longtemps pas été envisagée en tant que telle, pour elle-même.
Elle n’a, en apparence du moins, suscité aucune difficulté particulière. La présomption
d’innocence est en effet longtemps apparue univoque dans le discours doctrinal. La fonction
probatoire du principe se présentait comme une évidence et était exclusive de toute autre
signification. Elle était alors présentée comme la règle d’attribution du fardeau de la preuve.
Son étude prenait naturellement place dans un ensemble plus large, celui de la théorie de la
preuve pénale. Cette structure du discours sur la présomption d’innocence a quelque peu
évolué depuis un époque récente, et désormais il apparaît opportun de formuler la question
de la signification dans les enseignements concernant la présomption d’innocence.
L’adoption de l’article 9-1 du Code civil n’est pas étrangère à cette évolution, de même que

307
Le discours sur l’objet

la confirmation par la loi du 15 juin 2000 du droit subjectif ainsi crée. Ces textes ont
semble-t-il contraint les pénalistes à progressivement enseigner que la présomption
d’innocence avait une ou plusieurs significations. La littérature récente en offre quelques
belles illustrations. Ainsi du Traité de MM. Merle et Vitu qui comporte, depuis la parution
de sa cinquième édition, un paragraphe relatif à La signification procédurale de la
présomption d’innocence ; tandis que les développements de M. Pradel s’ouvrent, depuis
l’année 2000, par un : Ce qu’il faut entendre par présomption d’innocence. Le Précis de
MM. Stéfani, Levasseur et Bouloc s’est quant à lui doté d’un paragraphe intitulé La
signification de la présomption d’innocence qui n’apparaissait pas avant la dix-septième
édition. Des ouvrages ou études plus récents n’hésitent donc pas à envisager le sens de la
présomption 998, le sens du principe 999 ou à aborder d’emblée la question de savoir « Que
signifie exactement le concept de présomption d’innocence ? » 1000.

Le sens de la présomption d’innocence ne va donc plus de soi, il mérite d’être étudié,


précisé. S’agit-il d’une règle de preuve, s’agit-il d’un droit subjectif, s’agit-il des deux à la
fois, peut-on encore parler de «présomption d’innocence » ? Voilà des questions que l’on
peut voir poindre dans le discours doctrinal. Mais déjà, avant même l’émergence de ce
questionnement, la signification de la présomption d’innocence pouvait apparaître
indéterminée. En effet, une fois dépassées les apparences d’univocité et de simplicité
véhiculées par la littérature juridique, on aperçoit que la question du sens, loin d’être réglée
par la doctrine, soulève en réalité nombre de difficultés et finalement d’interrogations qui
demeurent en suspens. Parce que la présomption d’innocence n’a pas fait l’objet d’un effort
de définition claire, précise (section 1) ; parce que ses conséquences n’ont pas été
envisagées ou précisées dans leur contenu et leurs limites (section 2), sa signification
apparaît pour le moins problématique et pour tout dire indéterminée.

998
E. MATHIAS, Procédure pénale, op. cit., p. 30.
999
J. BUISSON, Rép. Pén. et Proc. Pén., v° Preuve, n° 9.
1000
C. AMBROISE-CASTÉROT, Rép. Pén. et Proc. Pén., v° Présomption d’innocence, n° 1.

308
La signification de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal

SECTION 1 : L’INDÉTERMINATION DU SENS

278. Plan. Une analyse du contenu de la littérature juridique permet de relever que le sens
de la présomption d’innocence est indéterminé à deux égards. Tout d’abord, c’est
l’expression même de présomption d’innocence qui soulève des difficultés d’ordre
terminologiques dont les solutions sont incertaines. Ensuite, c’est le sens proprement
juridique de la présomption d’innocence qui, à bien y regarder, n’est pas aussi évident que
cela pourrait paraître au premier abord.

§ 1. L’INCERTITUDE TERMINOLOGIQUE

279. Signifiant et signifié. La signification de la présomption d’innocence apparaît


problématique dès l’instant où l’on s’attache aux termes qui composent l’expression
présomption d’innocence, c'est-à-dire au signifiant, pour employer le langage de la
linguistique. Or, si l’on s’intéresse à la formule « présomption d’innocence » en tant que
signifiant, on peut relever une incertitude quant à la portée des termes ainsi accolés. En
outre, l’incertitude terminologique affecte le signifié et à cet égard, c’est une absence de
définition de la présomption d’innocence que l’on peut observer.

A- LA FORMULE « PRÉSOMPTION D’INNOCENCE »

280. Spécificité de la formule. Le droit s’exprime à travers des mots qui, s’ils ne lui sont
pas purement spécifiques, recouvrent un sens souvent différent de celui qui a cours dans le
langage courant 1001. La formule constituée des termes présomption et innocence désigne un
concept, celui de présomption d’innocence. Elle recouvre donc un sens, une réalité
spécifique, elle devrait pouvoir s’expliquer, se justifier. Or l’origine de la formule aussi bien
que ce que l’on y entend sont source d’incertitude. D’ailleurs, l’expression, pourtant d’un
usage si courant dans la littérature juridique et même en dehors, a récemment été jugée
inappropriée par les spécialistes du droit pénal.

281. L’origine de la formule. Elle pourrait éclairer sur le sens à reconnaître à la


présomption d’innocence, elle pourrait expliquer pourquoi ces deux termes ont été accolés
plutôt que d’autres, comme « présomption de non-culpabilité » par exemple. L’émergence
d’une telle formule a pu être datée, située dans son contexte doctrinal. Mais la doctrine
semble expliquer l’emploi de cette formule différemment. Dans les deux cas, elle n’apparaît
pas complètement justifiée et rend l’accès au sens plus difficile.

1001
V. G. CORNU, Linguistique juridique, Paris, Montchréstien, 3e éd., 2005.

309
Le discours sur l’objet

La doctrine parle de présomption d’innocence tout d’abord parce que ce groupe nominal
avait été utilisé par les auteurs positivistes comme Enrico Ferri 1002. Mais la doctrine semble
justifier l’usage de cette expression au simple regard de l’article 9 de la Déclaration des
droits de l’homme et du citoyen. Si Ferri parle de présomption d’innocence, c’est pour
rassembler sous une même formule, toutes les règles de droit positif protectrices des
personnes accusées mais qui lui semblent déraisonnables, excessives, dangereuses et donc
injustifiées au regard de la défense de la société 1003. On remarquera alors que l’expression
ainsi forgée n’a pas pour objet de signifier une règle quelconque de preuve. Ferri ne dit mot
sur la fonction d’attribution de la charge de la preuve que pourrait se voir reconnaître la
présomption d’innocence. La « présomption d’innocence » est, selon le discours doctrinal
français contemporain, une formule qui tire son origine de la Déclaration des droits de
l’homme 1004. Cette filiation repose alors sur le postulat que l’emploi des termes « présumé
innocent » dans l’article 9, commande, comme une évidence, de parler de « la présomption
d’innocence ». Ce serait donc une induction, une généralisation des termes du texte. On
observera toutefois que l’article 9 de la Déclaration n’a pas pour objet d’instituer une règle
de preuve, une règle d’attribution du fardeau de la preuve. C’est pourtant bien cette
signification juridique que la doctrine développera à titre principal.

L’origine de l’expression, qu’il s’agisse de sa source, ou du commencement de son


utilisation, pose déjà difficulté car elle ne permet pas d’emblée d’apercevoir le lien entre le
signifiant et le signifié.

282. Qu’entend-t-on sous la formule présomption d’innocence ?. Tous les auteurs ne


semblent pas y entendre exactement la même chose, et les divergences, quoique passées
sous silence, existent et sèment la confusion. La formule présomption d’innocence peut
ainsi recouvrir plusieurs sens dans le discours. Sous certaines plumes la présomption
d’innocence signifie que la personne soupçonnée ou poursuivie doit être présumée
innocente 1005 jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement démontrée, tandis que d’autres

1002
V. supra, n° 85.
1003
E. FERRI, La sociologie criminelle, 1re éd. française, op. cit., p. 433 et s., parmi lesquelles, la liberté du
prévenu pendant l’appel, le décompte favorable des bulletins blancs en cour d’assises etc.
1004
François Gény, alors qu’il s’intéressait au langage en tant qu’instrument de la technique juridique,
expliquait que l’interprète du droit (la doctrine), cherchant à découvrir le contenu substantiel du droit, ne
pouvait en révéler les préceptes s’il ne parvenait pas à les condenser en des phrases vigoureusement
frappées et nettement circonscrites, d’après les lois et les ressources de la langue. L’auteur précisait en
outre que « trouver les formules vraiment expressives des préceptes, des décisions, des actes, des
doctrines juridiques, c’est à quoi tendent par des voies diverses, législateurs, juges, praticiens,
interprètes désintéressés.», F. GÉNY, Science et technique en droit privé positif, Paris, Sirey, 1921, T. 3,
p. 457-458.
1005
L. BOYER, Cour de droit pénal général et de procédure pénale, op. cit., p. 257 ; TH. GARÉ et C.
GINESTET, Droit pénal et procédure pénale, op. cit., n° 388 ; Jacques Buisson offre une variante : « On
doit présumer innocente toute personne accusée d’une infraction », Rép. Pén. et Proc. Pén., v° Preuve, n°
9.

310
La signification de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal

estiment que chacun 1006 doit être présumé innocent. Sous d’autres plumes, la présomption
d’innocence signifie que la personne suspectée ou poursuivie est tenue pour innocente tant
que la preuve de sa culpabilité n’a pas été faite 1007. D’autres encore estiment que « tout
individu soupçonné d’être coupable d’un délit ou d’un crime doit être réputé innocent tant
que sa culpabilité n’a pas été reconnue » 1008. Les professeurs Stéfani, Levasseur et Bouloc
enseignent quant à eux que tout individu « quelles que soient les charges qui pèsent sur lui
doit être considéré comme innocent et devrait être traité comme tel, tant que sa culpabilité
n’a pas été établie » 1009. D’autres auteurs enseignent en revanche une tout autre
signification : un individu (ou une personne suspectée) est innocent tant que sa culpabilité
n’a pas été prouvée 1010. Ces divergences ne sont pas sans rappeler les différentes
formulations que l’on trouve dans les diverses sources formelles de la présomption
d’innocence, sans que les secondes puissent expliquer les premières. Être innocent, être
réputé tel ou devoir être traité ou considéré comme tel, traduit d’emblée plus que de simples
nuances.

À cette multiplicité s’ajoute une nouvelle difficulté, déjà soulevée. « La présomption


d’innocence » et « être présumé innocent », est-ce tout à fait la même chose ou cela
recouvre-t-il des réalités différentes 1011 ? De la Déclaration des droits de l’homme qui
prévoit que « tout homme étant présumé innocent… », on a cru pouvoir parler d’une
présomption d’innocence. On a ainsi fait de ce texte le siège d’une présomption juridique,
une présomption légale. Si bien qu’au même titre que la présomption de paternité en droit
civil, la présomption d’innocence est naturellement analysée comme une technique de
preuve. L’analogie est intéressante car elle devrait permettre de mieux comprendre ce qu’est
la présomption d’innocence 1012. Or, à comparer la formulation de ces deux présomptions,

1006
H. BUREAU, La présomption d’innocence devant le juge civil, cinq ans d’application de l’article 9-1
du Code civil, op. cit., n° 5.
1007
PH. CONTE et P. MAISTRE DU CHAMBON, Procédure pénale, 4e éd., n° 37 ; E. MATHIAS, Procédure
pénale, op. cit., p. 28.
1008
D. VIRIOT-BARRIAL, La preuve en droit douanier et la Convention européenne des droits de l’homme,
op. cit., p. 544.
1009
G. STÉFANI, G. LEVASSEUR et B. BOULOC, Procédure pénale, op.cit., 20e éd., n° 124. Ils sont
d’ailleurs rejoint en cela par d’autres auteurs : « La personne poursuivie doit être traitée comme un
innocent », F. CASORLA, Le droit français, rapport in La preuve en procédure pénale comparée, op. cit.,
p. 185 ; adde. J.-F. CHASSAING, Jalons pour une histoire de la présomption d'innocence, op. cit., p. 232 ;
Pour M. Essaïd la présomption d’innocence « n’a de sens que dans la mesure où la personne poursuivie
est traitée matériellement comme un innocent », n° 148 et 153.
1010
C. RENAULT-BRAHINSKY, Procédure pénale, 6e éd., op. cit., p. 103 ; R. BADINTER, La présomption
d’innocence, histoire et modernité, op. cit., p. 134 ; E. MATHIAS, Procédure pénale, op. cit., p. 30, cet
auteur souligne à cette occasion que l’expression « présumé innocent » n’a aucun sens.
1011
Dans son étude critique, Stéphane Detraz distingue quant à lui entre le fait d’être présumé innocent
(ce qui ne correspond pas à la réalité d’ailleurs, et avoir la qualité de « présumé innocent » qui est une
réalité spécifique à laquelle s’adaptent des règles contraignantes. V. La prétendue présomption
d’innocence, op. cit., n° 14.
1012
M. Essaïd estimait par exemple que présomption d’innocence, présomption de paternité et
présomption de bonne foi, appartiennent à la même catégorie de présomption, La présomption
d’innocence, op. cit., n° 4 et 126.

311
Le discours sur l’objet

c’est l’inverse qui se produit. La formulation de la présomption de paternité, instituée par la


loi 1013, n’indique en rien que le mari est présumé être le père de l’enfant conçu pendant le
mariage. Pourtant, la loi indique bien qu’il s’agit d’une présomption. Il est le père, dit la loi,
à moins qu’il ne soit en mesure de prouver le contraire. On pourrait très bien alors imaginer
la présomption d’innocence ainsi formulée : « tout homme est innocent jusqu’à ce que sa
culpabilité soit établie » 1014, mais aucun texte ne l’a jamais ainsi formulée.

Les textes qui servent de sources formelles à la présomption d’innocence visent tous le
présumé innocent. Instituent-ils pour autant une présomption ? Bénéficier de ce que l’on
appelle la « présomption d’innocence » et « être présumé innocent », cela est-il vraiment
équivalent ? Le discours doctrinal en ne formulant pas la question de la signification a
donné l’apparence d’une univocité de l’expression qui se résout dans cette équivalence.
Pourtant, à chaque fois que l’on essaie de la faire jouer, l’équivalence est source de
difficultés. Si l’on est présumé innocent, alors pourquoi les menottes, pourquoi la détention
provisoire, pourquoi policiers et juges peuvent-ils en toute légalité réunir, accumuler des
indices et des charges laissant présumer la culpabilité ? Ces questions maintes fois posées,
et jamais complètement résolues, résultent toujours de l’indétermination du sens des mots
présomption, innocence, présumé et innocent. Manifestement, l’expression présomption
d’innocence est ambiguë, à moins que ce soit son usage qui le soit. Le titre même de la loi
du 15 juin 2000 confirme l’ambiguïté. Alors qu’elle se présente comme la loi « renforçant
la protection de la présomption d’innocence », il n’est nullement question de la
présomption d’innocence dans le corps même du texte. En revanche, il est écrit dans
l’article préliminaire que « Toute personne suspectée ou poursuivie est présumée innocente
tant que sa culpabilité n'a pas été établie ». La présomption d’innocence est le fondement
de tous les principes rappelés dans l’article préliminaire mais les mots « présumée
innocente » n’apparaissent qu’au troisième paragraphe 1015. À la vérité, il existe de sérieuses
raisons de penser que, plus la loi procède par des mesures concrètes au renforcement de la
présomption d’innocence, moins celui qui est censé en bénéficier est réellement présumé
innocent 1016. D’ailleurs, à vouloir s’intéresser à la structure logique de la présomption
d’innocence « on se trouve face à une situation qui, sous le voile de l’habitude à utiliser la
formule "présomption d’innocence", se présente de façon étrange, voire énigmatique : une
personne est présumée innocente, et pourtant on cherche des éléments de preuve à sa

1013
Article 312 du Code civil :
«L’enfant conçu pendant le mariage a pour père le mari.
Néanmoins, celui-ci pourra désavouer l’enfant en justice, s’il justifie de faits propres à démontrer qu’il
ne peut en être le père. »
1014
Formulation qui se rapproche d’ailleurs de celle qu’avait proposée initialement Adrien Duport en
1789 qui avait rédigé son texte ainsi : « Tout homme étant innocent jusqu’à ce qu’il soit condamné, s’il
est jugé indispensable de l’arrêter,… ».
1015
Ces mots ont respectivement, dans l’article préliminaire, les 78 et 79e place.
1016
On dira alors qu’il s’agit d’un paradoxe, V. infra, n° 334.

312
La signification de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal

charge » 1017. Il paraît donc urgent de « s’entendre sur le sens du terme "présomption
d’innocence" » 1018.

283. La formule « présomption d’innocence » est-elle appropriée ?. À vrai dire, il y


avait lieu d’en douter dès ses premiers usages, sauf si les termes avaient été définis avec
précision de même que les conséquences de la présomption d’innocence. Tel n’a pourtant
pas été le cas. Cependant, il s’est dernièrement trouvé des auteurs pour dénoncer
l’impropriété de la formule « présomption d’innocence ». Il est vrai que depuis longtemps
avait été soulevée la difficulté résultant de l’emploi du terme innocence : « Il y a toujours eu
une ambiguïté de l’innocence, à cause d’abord, des deux acceptions possibles du mot, l’une
plus juridique, l’autre plus populaire » 1019. Cela n’avait toutefois pas empêché l’expression
« présomption d’innocence » de prospérer aussi bien au sein du discours doctrinal qu’à
l’extérieur. Aujourd’hui, la doctrine juge l’expression incorrecte.

La question de la terminologie manifeste alors toute son importance, elle va jusqu’à


permettre de soutenir qu’il n’existe pas de présomption d’innocence. À cet égard, la
démonstration récente de M. Detraz est éclairante, qui conclut : « Les termes de
"présomption d’innocence"– qu’il s’agisse de celle du droit pénal ou du droit civil– ne
reflètent pas l’état du droit positif (…). Que l’on continue – par commodité– de parler de
"présomption d’innocence", mais que cette dernière soit bien comprise : elle ne "présume"
pas l"’innocence" » 1020. Quelques temps auparavant, la question avait été brutalement
soulevée par MM. Merle et Vitu : « Est-il légitime de parler d’une présomption d’innocence
pour expliquer la situation favorable ainsi faite à la personne poursuivie ? » 1021. La réponse
est manifestement négative. C’est désormais le terme « présomption » qui paraît
inapproprié. Soit parce que la présomption d’innocence n’est plus considérée comme une
véritable présomption juridique, fondée sur la vraisemblance ou la probabilité de
l’innocence 1022. Soit parce que le terme de présomption au sens juridique est sans rapport
avec le droit subjectif consacré par le législateur : « L’expression " présomption
d’innocence " est donc inappropriée puisque, effectivement, les présomptions règlent la
charge de la preuve (…)Or, dans l'article 9-1 du code civil il n'est nullement question d'une
présomption au sens précédemment défini, mais d'un droit à ne pas voir sa réputation
entachée de l'opprobre due aux soupçons distillés par les médias à propos de certaines

1017
V. MARINELLI, Structure et fonctions de la présomption d’innocence, in La présomption d’innocence
en droit comparé, op. cit., p. 48.
1018
J.-F. CHASSAING, Jalons pour une histoire de la présomption d'innocence, op. cit., p. 232.
1019
J. LÉAUTÉ, Le caractère irréparable de la perte de l’innocence, op. cit., p. 5.
1020
S. DETRAZ, La prétendue présomption d’innocence, op. cit., n° 25.
1021
R. MERLE et A.VITU, Traité de droit criminel, Procédure pénale, 5e éd., op. cit., n° 143.
1022
R. MERLE et A.VITU, op. cit., n° 143. Mais aussi H. HENRION, La nature juridique de la présomption
d’innocence, op. cit., n° 507, qui après avoir démontré que la présomption d’innocence n’entretient plus
de rapport avec le domaine de la preuve depuis l’adoption de l’article 9 de la Déclaration des droits de
l’homme, estime qu’elle est mal nommée et propose de se passer du terme « présomption ».

313
Le discours sur l’objet

1023
affaires pénales » . C’est donc « seulement » un problème de terminologie qui pourrait
expliquer les incertitudes sur l’existence de la présomption d’innocence que nous avions cru
voir traverser, depuis des années, le discours doctrinal 1024. Le doute n’aurait pas alors porté
sur l’existence même de la présomption d’innocence mais sur la légitimité d’user d’une telle
expression pour signifier des règles très diverses et protectrices du défendeur au procès
pénal.

Toutefois, l’hypothèse ne cesse de renvoyer la doctrine à son propre discours, celui-là


même qui a tant fait pour affirmer l’existence de « la présomption d’innocence » ; qui l’a
prise, sous cette forme, pour objet d’étude. Pourquoi n’avoir pas dénoncé le risque
d’imprécision, d’ambiguïté et finalement de difficultés d’user d’une telle terminologie ?
Pourquoi n’avoir pas précisé le langage du droit pénal pendant que le législateur et la
jurisprudence étaient muets sur la question ? La réponse n’est certainement pas à rechercher
du côté du droit. L’accolement des mots « présomption » et « innocence » ne se justifie ni
au regard d’une nécessité juridique, ni d’une tradition qui pourrait aujourd’hui sembler
dépassée. Il nous semble plutôt que la formule a été adoptée et s’est pérennisée en raison
essentiellement de sa puissance évocatrice. Cela n’a rien de surprenant lorsqu’on réalise que
le langage du droit pénal n’est pas le langage de la raison mais celui de l’émotion voire de
l’irrationnel 1025. On pourrait même supposer que c’est son impropriété qui a permis son
succès. Cependant, c’est probablement sa trop grande force évocatrice qui est à l’origine des
critiques précédentes. Le sens de la présomption d’innocence est par trop tributaire du
langage courant, qui le contamine en maintenant le sens premier et pratique des mots
«présumé » et « innocent ».

La formule, pour évocatrice qu’elle soit, n’en est pas moins source de polysémie et
présente probablement trop d’incertitude, d’imprécision. Pour ces raisons l’expression de
« présomption d’innocence » paraît inappropriée. Il ne semble pourtant pas raisonnable de
prédire à cette expression le même sort que celui qui a été réservé au terme « inculpé ».
« L’expression "présomption d’innocence" bien qu’inexacte, est entrée depuis si longtemps
dans le vocabulaire juridique qu’il est impossible de l’écarter », expliquent MM. Merle et
Vitu. Ainsi, il faut croire que si l’opinion continue de voir dans le mis en examen l’inculpé
d’hier, elle ne serait pas aussi persuadée de l’existence de la présomption d’innocence si
l’expression venait demain à disparaître, à prendre une forme plus juste, plus technique 1026.

1023
C. AMBROISE-CASTÉROT, Rép. Pén. et Proc. Pén., v° Présomption d’innocence, n° 4.
1024
V. supra, n° 260.
1025
J.-P. DELMAS-SAINT-HILAIRE, Le droit pénal, langage de la raison ou de l’émotion ? in Religion,
société et politique : Mélanges en hommage à J. ELLUL, Paris, PUF,1983, p. 431.
1026
À cet égard, comme à d’autres d’ailleurs, il n’est peut-être pas souhaitable d’abandonner tout usage de
cette expression, V. infra, n° 341, à propos du paradoxe du présumé innocent, présumé coupable.

314
La signification de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal

B- LA DÉFINITION DE LA PRÉSOMPTION D’INNOCENCE

284. Une auberge espagnole ?. La définition de la présomption d’innocence consiste aussi


bien dans la détermination précise et concrète des caractères distinctifs de la présomption
d’innocence que dans la détermination de ses limites. Si le sens de la présomption
d’innocence nous paraît aujourd’hui encore largement indéterminé, c’est aussi en partie
parce que précision et limite font généralement défaut à sa définition. La doctrine avoue
parfois combien elle en a conscience. Ainsi a-t-on pu entendre M. Maistre du Chambon
avouer que, sur le plan juridique, « la présomption d’innocence est une véritable auberge
espagnole » 1027.

285. Précision dans la définition de la présomption d’innocence. On rappellera ici que la


définition de la présomption d’innocence n’a fait son entrée dans le Vocabulaire juridique
de l’Association Capitant qu’à une époque assez récente 1028. Et contrairement à ce qu’a pu
écrire un magistrat, la définition de la présomption d’innocence n’occupe certainement pas
« une large place dans les ouvrages, manuels et facultés de Droit » 1029. Là encore, le sens
de la formule semblait aller de soi. Pourtant, chacun des termes même de l’expression
« présomption d’innocence » est susceptible de créer des ambiguïtés, de l’incertitude.
D’ailleurs, tous les auteurs ne semblent pas en faire un usage identique lorsqu’ils abordent
le sens du mot présomption dans l’expression « présomption d’innocence ».

On peut ainsi parfois relever, chez certains auteurs, une compréhension du terme
présomption dans le sens 1 qu’en donne le Vocabulaire juridique. Autrement dit, la
présomption d’innocence a été présentée comme une présomption, c'est-à-dire comme une
conséquence que la loi ou le juge tire d’un fait connu à un fait inconnu et qui entraîne une
dispense de preuve au profit de celui qui en bénéficie. Certains ont toutefois pu préciser de
quelle présomption il s’agissait en ayant recours à la catégorie désignée par Bentham
comme celle des présomptions antéjudiciaires 1030. D’autres auteurs semblent se ranger
plutôt au sens 2 donné par le Vocabulaire juridique, c'est-à-dire à l’idée que la présomption
d’innocence est davantage une supposition de départ, une vérité admise jusqu’à preuve du
contraire, dont le parangon semble désormais être la présomption d’innocence.

C’est ensuite le terme même d’innocence qui soulève des difficultés. Si les derniers
travaux de recherche concernant la présomption d’innocence ont su relever l’absence de

1027
P. MAISTRE DU CHAMBON, La présomption d’innocence, conférence donnée à la Faculté de droit
d’Aix-en-provence (IEJ), 27 mars 2003.
1028
En effet, on rappellera ici que la présomption d’innocence n’était pas définie dans cet ouvrage avant
la 6e édition, soit avant 1996. Elle était également absente de l’édition originale de 1936 publiée par
Capitant.
1029
C. COHEN, De la présomption d’innocence au secret de l’instruction : la double impasse, op. cit., p.
951.
1030
Par exemple, M.-J. ESSAÏD, La présomption d’innocence, op. cit., n° 126.

315
Le discours sur l’objet

juridicité de ce mot, les études plus anciennes ont souvent passé outre. Comment doit-on
comprendre la référence à l’innocence dans l’expression présomption d’innocence ? Le fait
que cela n’ait pas été suffisamment précisé a permis au sens courant de se faire trop
entendre. On a en effet souligné, durant ces dernières années, que l’innocence n’était pas un
concept juridique. L’innocence n’apparaît que de façon négative a-t-on dit, sous la forme de
la non culpabilité 1031. Elle n’est d’ailleurs pas définie par le Vocabulaire juridique ni par le
Lexique des termes juridiques 1032. Aujourd’hui, il existe néanmoins une entrée au mot
innocence dans le Vocabulaire Cornu, mais ce n’est pas la définition de ce mot que l’on y
trouve, c’est celle de présomption d’innocence !

Même lorsque les juristes concèdent que l’innocence est le fait d’être non coupable, ils
ne nous renseignent guère. Car comme le faisait observer le professeur Léauté, il existe une
ambiguïté du terme innocent que l’on doit à la prégnance de son sens courant. Incapable de
nuire, qui n’a pas fait le mal. L’innocence est un état de pureté dont le droit n’a, en réalité,
que faire. C’est la raison pour laquelle, mieux aurait valu préciser ce, qu’en droit, peut
vouloir signifier innocence. Affirmer qu’il s’agit de la non culpabilité ne résout pas la
difficulté si l’on ne précise pas, là encore, de quelle culpabilité il s’agit.

En effet, le code pénal ne définit pas la culpabilité. Pour les pénalistes, la culpabilité est
le plus souvent entendue dans un sens précis qui la réduit à la faute de l’auteur, autrement
dit à l’élément moral de l’infraction. Pourtant, dans un sens général, la culpabilité est aussi,
et surtout, la réunion des conditions de la responsabilité pénale 1033. La culpabilité peut
également référer au sentiment interne du sujet auquel s’intéressent psychologie et
criminologie. Lequel de ces sens retenir pour comprendre ce qu’est la non culpabilité et par
suite l’innocence, pour enfin connaître le sens de la présomption d’innocence ? En réalité, la
définition de la présomption d’innocence en faisant référence à la preuve de la culpabilité
indique que c’est dans son sens général qu’il faut l’entendre. Pour prononcer une
condamnation, le juge doit estimer réunis les trois éléments constitutifs de l’infraction :
légal, matériel et moral. En dehors des interdits posés par le droit pénal, aucune culpabilité,
et ce quand bien même une faute aurait été commise, notamment une faute civile. Quand
bien même également les éléments matériel et légal seraient avérés, le défaut de volonté

1031
Encore conviendrait-il de nuancer, le Code de procédure pénale faisait déjà référence à l’innocence
avant même la consécration formelle de la présomption d’innocence, par exemple aux articles 622 et 626
relatifs aux demandes en révision d’un procès.
1032
S. GUINCHARD et G. MONTAGNIER (dir.), Lexique des termes juridiques, Paris, Dalloz, 15e éd., 2005.
C’est un fait curieux car un dictionnaire de termes juridiques du XVIIIe siècle comportait une telle entrée,
alors même que l’expression présomption d’innocence n’était pas en usage. V. C.-J. FERRIÈRE (DE),
Dictionnaire de droit et de pratique, Paris, Brunet, tome second, v° Innocence : « Se dit au palais de celui
qui est prévenu de quelque crime dont il n’est point coupable. »
1033
Sur ces différentes manières d’entendre la culpabilité, V. J. VIDAL, La conception juridique française
de la culpabilité, Annales de l’université des sciences sociales de Toulouse, tome XXIV, 1976, p. 45.

316
La signification de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal

chez l’auteur interdit de parler de culpabilité au sens juridique 1034. Or, il n’est indifférent
d’en avoir conscience pour qui cherche à pénétrer le sens de la présomption d’innocence.

Préciser le sens des termes composant la formule au regard du vocabulaire juridique


n’est probablement pas suffisant, surtout lorsqu’on prend connaissance des divergences
existant à propos de la réalité qu’elle est censée recouvrir. Le Vocabulaire juridique définit
ainsi la présomption d’innocence : préjugé en faveur de la non culpabilité ; règle
fondamentale en vertu de laquelle toute personne poursuivie pour une infraction est, a
priori, supposée ne pas l’avoir commise. Tandis que dans la littérature pénale, sont
énoncées des définitions parfois différentes. Ainsi « être innocent » jusqu’à preuve du
contraire, « être présumé innocent », ou encore « être tenu pour innocent » sont trois façons
bien différentes de définir la présomption d’innocence qui n’autorisent pas les mêmes
conclusions, les mêmes implications. La première hypothèse paraît en accord avec la
définition juridique de l’absence de culpabilité. Il est en effet tout à fait exact que toute
personne est innocente tant que sa culpabilité n’a pas été prouvée. La culpabilité ne pouvant
être déclarée qu’au terme d’un procès légalement tenu, jusque là il relève de l’évidence que
l’on est innocent, au sens juridique, c'est-à-dire indépendamment des fautes éventuellement
commises, de la culpabilité réelle ou même encore de la culpabilité éprouvée par le sujet.
Parce que Duport avait d’abord rédigé l’article 9 de la Déclaration en commençant par
« tout homme étant innocent », on peut penser qu’il s’agit là du sens premier de la
présomption d’innocence. Si en revanche la présomption d’innocence signifie que l’on est
présumé innocent, il s’agit d’une supposition de départ qui se heurte pourtant à la marche
du procès pénal qui, dès son début, exige des indices de culpabilité ou des soupçons, bref,
des suppositions de culpabilité ; on confine alors au non sens de la présomption
d’innocence. Dire enfin que la présomption d’innocence revient à être tenu pour innocent
éloigne encore davantage du sens premier pour déplacer la « prétendue » présomption vers
la fiction. Car il s’agit alors de faire « comme si » la personne poursuivie était innocente,
c'est-à-dire que l’on nie ouvertement la réalité en choisissant de postuler l’innocence. Cette
dernière acception se heurte pourtant à la réalité juridique : le procès est organisé de telle
manière qu’aucune des autorités y intervenant n’est en mesure de faire « comme si » la
personne poursuivie était innocente.

Ces exemples illustrent, sans prétendre démêler ici la signification de la présomption


d’innocence, l’incertitude que l’on peut éprouver en se plongeant dans la littérature
juridique. La pluralité de sens apparemment disponibles rejoint d’ailleurs la pluralité de

1034
V. dernièrement, S. DETRAZ, L’innocence à l’épreuve de la décision de non-lieu, Rev. pénit. dr. pén.
2005, n° 1, p. 179, n° 2.

317
Le discours sur l’objet

nature 1035 qui jalonne les écrits doctrinaux, sans qu’un choix semble possible ni par
conséquent une meilleure détermination du sens. Notion, règle, principe, concept,
présomption, fiction, droit, postulat…oui, effectivement, « une véritable auberge
espagnole ».

286. Délimitation. « Cette présomption d’innocence signifie que la personne poursuivie est
tenue pour innocente tant que la preuve de sa culpabilité n’a pas été rapportée. Mais le
contenu exact de cette affirmation apparemment simple a en réalité plusieurs aspects qui
doivent être précisés» 1036. Le sens juridique de la présomption d’innocence est-il limité,
circonscrit ? Si le discours doctrinal a longtemps donné l’illusion de l’univocité en ne
reconnaissant qu’un sens probatoire à la présomption d’innocence, il faut aujourd’hui
admettre que le sens de la présomption d’innocence n’était pas véritablement fixé puisqu’il
a été étendu ou dédoublé 1037 et qu’il demeure en quelque sorte ouvert, depuis que la loi du 4
janvier 1993 a crée l’article 9-1 du Code civil. Cette dimension plus subjective de la
présomption d’innocence, si elle paraît très éloignée du sens probatoire, nous paraît
néanmoins avoir toujours été disponible, latente. Les termes de « présumé innocent » pour
n’avoir pas été davantage précisés autorisaient une telle extension du sens fixé
originairement par la doctrine. Plus encore, il nous semble qu’au regard même du sens
probatoire retenu dans la littérature juridique, le sens était également ouvert, sans que toutes
les conséquences de la présomption d’innocence, logiquement envisageables, n’aient été
développées par les pénalistes. La doctrine paraît n’admettre qu’avec une certaine hésitation
que le sens de la présomption d’innocence ne s’épuise pas dans son sens technique. Ce
dernier semblait justement avoir été fixé comme pour prévenir toute extension dangereuse,
mais le législateur est venu ajouter à l’édifice sans que la doctrine parvienne à admettre
complètement que cette extension était tout à fait légitime. La définition de la présomption
d’innocence se montre alors incertaine dès lors que d’autres conséquences de la
présomption d’innocence, venant en compléter le sens, pourraient être découvertes.

À ne s’en tenir qu’au sens technique c'est-à-dire probatoire, présenté comme le sens
premier, principal de la présomption d’innocence, un certain nombre de zones d’ombres
conduisent à une relative incertitude.

1035
V. supra, n° 232.
1036
PH. CONTE et P. MAISTRE DU CHAMBON, Procédure pénale, op. cit., 4e éd., n° 37.
1037
Ce qui se passe pour la présomption d’innocence est intéressant au regard de l’observation faite par
M. Devinat. Répondant à la question de savoir si les termes utilisés pour désigner les notions et principes,
ont un sens fixé, un sens vrai à respecter correctement, cet auteur estime que la rédacteur d’un
dictionnaire de droit répondrait probablement par l’affirmative, V. Réflexion autour des dictionnaires de
droit civil, op. cit., p. 326. Or, le Vocabulaire juridique n’accueille une définition de la présomption
d’innocence que depuis que son sens a évolué sous l’effet de la loi. On a alors le sentiment que le droit
subjectif reconnu par le législateur est traité comme l’aboutissement du sens de la présomption
d’innocence. Ce dernier aurait alors été jusque là jugé insuffisamment déterminé pour faire l’objet d’une
définition dans ce dictionnaire.

318
La signification de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal

§ 2. L’INCERTITUDE JURIDIQUE

287. Sens principal de la présomption d’innocence. La signification principale de la


présomption d’innocence est tirée de sa fonction au sein de la théorie de la preuve pénale.
La littérature juridique comporte à cet égard deux grandes affirmations qui se transmettent
de génération en génération de pénalistes. Premièrement, en vertu de la présomption
d’innocence la charge de la preuve incombe à la partie poursuivante. Deuxièmement, le
doute profite à l’accusé : in dubio pro reo. Mais ces affirmations, pour le moins abstraites et
théoriques, devraient pouvoir être expliquées, développées et justifiées pour que l’on puisse
pleinement appréhender le sens de la présomption d’innocence et particulièrement connaître
ses applications pratiques. Or, le discours doctrinal sur la présomption d’innocence n’offre
pas de répondre pleinement à la question du sens probatoire de la présomption d’innocence.
Au contraire, à tenter de pénétrer ce discours ce sont nombre de questions qui surgissent
tandis que les réponses sont incertaines, rendant la signification de la présomption
d’innocence beaucoup moins assurée qu’il n’y paraît. Ce constat vaut aussi bien pour la
signification au regard de la charge de la preuve qu’au regard de la règle du doute favorable.

A- LA PRÉSOMPTION D’INNOCENCE ET LA CHARGE DE LA PREUVE

288. Points faisant difficultés. L’incertitude quant à la signification de la présomption


d’innocence prend sa source dans plusieurs points du discours doctrinal qui peuvent paraître
obscurs. On se proposera de les formuler successivement même s’ils entretiennent des
rapports étroits. Premièrement, c’est la fonction explicative de la présomption d’innocence
dont traite la doctrine qui prête à l’examen critique. C’est ensuite la justification de cette
signification en matière de fardeau de la preuve qui pourra sembler faible. Puis, avançant
dans la compréhension du rôle de la présomption d’innocence dans la charge de la preuve,
on apercevra le caractère pour le moins contradictoire du discours doctrinal au point de
vider le sens de toute sa substance.

1) La présomption d’innocence, réponse à une fausse question

289. Faiblesse de la valeur explicative de la présomption d’innocence. On le sait, la


présomption d’innocence prend place dans la théorie de la preuve pénale. Si quelques
auteurs du XIXe siècle avaient ouvert la voie en publiant les premières études modernes sur
la preuve criminelle 1038, ce n’est qu’au XXe siècle qu’une telle « théorie » est exposée par
nos criminalistes. Cette théorie se présente comme l’exposé des réponses à trois grandes
questions ainsi formulées : qui doit prouver, par quels moyens, comment s’apprécient la
valeur des preuves ?

1038
V. supra, n° 74 et s.

319
Le discours sur l’objet

La présomption d’innocence est alors présentée comme la réponse de la procédure


pénale à la première de ces questions 1039 : qui doit prouver ? C’est-à-dire que la
signification de la présomption d’innocence est fondée sur l’existence d’un problème de
droit : sur qui pèse la charge de la preuve ? Or, seule la présomption d’innocence semble
pouvoir acquérir le statut de solution au problème de la charge de la preuve, solution qui
réside dans l’attribution du fardeau à la partie poursuivante : « En droit pénal, on explique
la répartition de la charge de la preuve par le principe de la présomption d’innocence » 1040.

On peut tout d’abord s’étonner de la formulation aussi tardive d’une telle question dans
le discours savant. Est-ce à dire qu’elle ne se posait pas avant la fin du XIXe siècle ? C’est
fort possible, mais il faudra alors se demander pour quelle raison. Pourtant la présomption
d’innocence est réputée avoir été consacrée à la fin du XVIIIe siècle, elle peut difficilement
être une réponse à une question qui ne s’était pas encore posée. Par ailleurs, comment la
charge de la preuve se répartissait-elle avant l’invocation de la présomption d’innocence ?
Elle se répartissait, bien que la question n’était pas soulevée, par recours aux principes du
droit civil : actori incumbit probatio et actore non probante reus absolvitur. Par application
de la règle actori incumbit probatio, il incombait à la partie poursuivante de rapporter la
preuve dans le procès pénal. Il s’agit donc là de la première raison de douter de cette
affirmation doctrinale selon laquelle la présomption d’innocence explique l’attribution du
fardeau de la preuve à la partie poursuivante.

290. L’explication de la charge de la preuve par d’autres règles. Le propos de certains


auteurs sème le doute quant à la valeur explicative de la présomption d’innocence. En effet,
bien que lui reconnaissant un rôle dans la détermination du fardeau de la preuve, plusieurs
anciens pénalistes ont d’abord invoqué les principes applicables au droit civil et estimé qu’il
s’agissait de règles appartenant au droit commun de la preuve et qu’à ce titre, elles
trouvaient également application dans le procès pénal. La signification de la présomption
d’innocence devient alors douteuse. On ne sait trop si elle détermine le fardeau de la preuve
ou si elle y participe seulement 1041. Elle a pu être considérée également comme une
traduction ou une variante, en droit pénal, de la règle civile actori incumbit probatio 1042.
Les professeurs Guinchard et Buisson laissent planer le doute en affirmant que ce sont les

1039
M.-L. RASSAT, Traité de procédure pénale, op. cit., n° 194.
1040
A. TONGLET, La présomption d'innocence et les présomptions en droit pénal, op. cit., n° 70.
1041
Pour certains criminalistes, l’existence de la présomption d’innocence aurait pour effet, pour fonction,
d’alourdir le fardeau de l’accusation par rapport au jeu normal de la règle générale applicable au procès
civil. V ; par exemple, L. HUGUENEY, Cours de droit criminel, op. cit., p. 340 ; H. DONNEDIEU DE
VABRES, Traité de droit criminel, op.cit., n°1239 ; R. MERLE et A.VITU, Traité de droit criminel,
Procédure pénale, 5e éd., op.cit., n° 142. G. STÉFANI, G. LEVASSEUR et B. BOULOC, Procédure pénale,
op.cit., 20e éd., n° 121. D’autres font de la présomption d’innocence le corollaire du brocard actori
incumbit probatio, V. G. BRIÈRE DE L’ISLE et P. COGNIART, Procédure pénale, op. cit., p. 10-11.
1042
E. MATHIAS, Procédure pénale, op. cit., p. 30 ; TH. GARÉ et C. GINESTET, Droit pénal et procédure
pénale, op. cit. , n° 390. J. PRADEL, Procédure pénale, op. cit., 12e éd., n° 383.

320
La signification de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal

règles civiles qui s’appliquent au procès pénal tout en expliquant que la présomption
d’innocence fonde les règles d’attribution du fardeau de la preuve au pénal 1043. La doctrine
s’aperçoit aujourd’hui de la confusion qui règne sur cette question : « Si la présomption
d'innocence revient à attribuer la charge de la preuve à l'accusation, autrement dit au
demandeur, il est impossible de relever une spécificité pénale. La règle est alors celle
connue sous l'adage actori incumbit probatio. La présomption d'innocence serait alors
inutile » 1044. La difficulté de trancher cette question est parfois contournée, si bien qu’on ne
fait plus référence à la règle de droit commun dont l’existence et l’éventuelle applicabilité
au procès pénal sont tues, ainsi seule la présomption d’innocence intervient dans la
détermination du fardeau de la preuve 1045.

Cette fonction explicative de la présomption d’innocence, malgré une apparente


unanimité doctrinale, a d’ailleurs été clairement mise en doute. Étudiant les présomptions
en droit privé, M. Decottignies a réfuté le rôle de la présomption d’innocence dans
l’attribution du fardeau de la preuve en matière criminelle. Pour cet auteur, les règles du
droit commun se suffisent à elles-mêmes, sans qu’il soit besoin pour les expliquer de faire
appel à la notion de présomption. À l’appui de cette position, il fait notamment valoir que
cette présomption d’innocence est démentie dans les faits (les menottes, la prison, le banc
des accusés) mais que malgré ces « présomptions de culpabilité », la charge de la preuve
continue de peser sur le demandeur au procès, autrement dit sur la partie poursuivante. Il en
est ainsi, explique l’auteur, parce que le ministère public est chargé de faire appliquer les
peines prévues par l’État lorsque les conditions de la répression sont réunies. « C’est pour
cette raison qu’il doit prouver l’existence de l’infraction et la participation matérielle et
morale de l’inculpé au délit. L’accusation ne cherche nullement à détruire une présomption
d’innocence dont l’inculpé pourrait se prévaloir. Elle prouve simplement que, dans l’espèce
considérée, la répression pénale peut et doit s’exercer, parce que les conditions prévues par
la loi sont remplies » 1046.

Cette opinion tend donc à expliquer l’attribution du fardeau de la preuve par le principe
de la légalité criminelle. Cela paraît en réalité tout à fait logique. La culpabilité ne peut
résulter que de la réunion de tous les éléments que la loi énonce au titre des éléments
constitutifs de telle ou telle infraction. Il appartient donc logiquement au ministère public
qui entend appliquer cette loi de démontrer l’existence de chacun de ces éléments
constitutifs. Ce qui est troublant, c’est que cette explication du fardeau de la preuve pénale
par le principe de légalité criminelle est également donnée par les professeurs Merle et Vitu.

1043
S. GUINCHARD et J. BUISSON, Procédure pénale, 3e éd., op.cit., n° 479-480 et 506.
1044
C. AMBROISE-CASTÉROT, Rép. Pén. et Proc. Pén., v° Présomption d’innocence, n° 23.
1045
F. DEBOVE et F. FALLETTI, Précis de droit pénal et de procédure pénale, op. cit., p. 226 ; M.-L.
RASSAT, Traité de procédure pénale, op. cit., n° 197.
1046
R. DECOTTIGNIES, Les présomptions en droit privé, thèse, Lillle, 1949, p. 215.

321
Le discours sur l’objet

Tandis que la partie de leur traité de droit criminel consacrée à la procédure pénale désigne
la présomption d’innocence comme la règle d’attribution du fardeau de la preuve, ces
auteurs expliquent dans la partie consacrée à l’étude du droit pénal général que, découlent
du principe de légalité deux conséquences : qu’il ne peut y avoir de condamnation sans que
soit pleinement et solidement établie la culpabilité et que « la charge de la preuve incombe
à l’accusateur » et que « faute de preuves assez convaincantes, le prévenu doit être renvoyé
des fins de la poursuite » 1047.

Ces exemples suffisent à montrer qu’il peut exister plusieurs réponses au problème
juridique posé et que l’explication de l’attribution du fardeau de la preuve par la
présomption d’innocence est en réalité en concurrence avec d’autres explications possibles.
Il en résulte que, le discours doctrinal qui laisse à penser que la présomption d’innocence
est la seule réponse, opère un choix parmi plusieurs solutions envisageables pour n’en
retenir qu’une sans que ce choix ne soit justifié. Il s’agit bien d’un choix doctrinal dès lors
que, comme l’avait relevé M. Essaïd à propos de la règle actori incumbit probatio et de la
présomption d’innocence, la chambre criminelle « fait assumer le fardeau de la preuve au
ministère public sans se référer ni à l’une ni à l’autre règle » 1048. Depuis, il est vrai que la
théorie doctrinale a été consacrée par la Cour de cassation qui a décidé que « tout prévenu
étant présumé innocent, la charge de la preuve de sa culpabilité incombe au ministère
public » 1049. Il n’empêche, un auteur a démontré que de toute manière la question de la
charge de la preuve était juridiquement inexistante.

291. L’inexistence du problème juridique de la charge de la preuve. Cette thèse a été


soutenue par M. Xavier Lagarde. Adoptant un point de vue sociologique critique cet auteur
à chercher à démontrer que « le problème de la charge de la preuve, tel que la doctrine le
pose, ne se pose pas dans le discours juridique ; plus simplement, il ne semble pas y avoir
de critère juridique de reconnaissance de ce problème » 1050. M. Lagarde explique que, les
arrêts que la doctrine analyse généralement sous l’angle de la preuve ne règlent justement
pas un problème de fardeau de la preuve. En réalité, le plus souvent la Cour de cassation se
prononcerait sur le contenu de la règle applicable au litige, c'est-à-dire apprécierait
seulement le caractère suffisamment justifié de la décision déférée 1051. Cela serait d’ailleurs
particulièrement criant lorsque la Cour de cassation assimile les notions d’inversion de la
charge de la preuve et de manque de base légale. Ce point de vue est intéressant car il
rejoint semble-t-il le point de vue selon lequel, en matière criminelle, l’attribution du
fardeau de la preuve s’explique par le principe de légalité criminelle. Car, en vertu de ce

1047
R. MERLE et A.VITU, Traité de droit criminel, Droit pénal général, 7e éd., op. cit., n° 157.
1048
M.-J. ESSAÏD, La présomption d’innocence, op. cit., n° 160.
1049
Cass. crim., 29 mai 1980, Bull. n° 164.
1050
X. LAGARDE, Réflexion critique sur le droit de la preuve, Paris, LGDJ, 1994, n° 135, note 521.
1051
X. LAGARDE, Réflexion critique sur le droit de la preuve, op. cit., n° 140.

322
La signification de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal

principe, le juge est bien contraint, comme le fait observer M. Lagarde pour la matière
civile, à rechercher si tous les éléments contenus dans l’incrimination ont été rapportés par
l’accusation 1052.

D’ailleurs la situation décrite ci-dessus par M. Lagarde trouve une parfaite illustration
dans le premier arrêt de la Cour de cassation ayant invoqué explicitement la présomption
d’innocence au titre de la charge de la preuve. Dans cet arrêt du 29 mai 1980 1053, le prévenu
reprochait aux juges du fond de l’avoir déclaré coupable de licenciement économique sans
autorisation en procédant à un renversement de la charge de la preuve. En effet, les juges
avaient déduit des faits de l’espèce que le licenciement opéré avait bien une cause
économique mais avaient eu la maladresse d’énoncer « qu’au demeurant, le prévenu
n’apporte pas la preuve du contraire ».

Cet arrêt est cassé par la chambre criminelle au motif suivant : « Attendu cependant que
ces motifs, qui impliquent un renversement de la charge de la preuve, sont insuffisants pour
justifier la décision ». On doit signaler que le pourvoi était fondé à la fois sur un
renversement de la charge de la preuve, un défaut et contradiction de motifs et un manque
de base légale, et qu’il invoquait une violation d’une part, des dispositions du Code du
travail relatives au licenciement, d’autre part, des dispositions pénales relatives à
l’obligation de motivation et enfin de l’article 1315 du Code civil. Il n’était donc
absolument pas question d’invoquer une violation de la présomption d’innocence comme
règle d’attribution du fardeau de la preuve. Cet arrêt illustre donc parfaitement
l’assimilation du manque de base légale avec le renversement de la charge de la preuve
qu’évoquait M. Lagarde 1054.

Pour s’en tenir à la procédure pénale, l’inexistence du problème de la charge de la


preuve pourrait également résulter des règles mêmes du procès pénal. De la mission
reconnue à l’accusation résultent les pouvoirs d’investigations et de production des

1052
À cet égard on notera que l’auteur va même jusqu’à affirmer que « l’article 1315, qu’on considère
comme la règle d’attribution de la charge de la preuve par excellence, ne fait que préciser les
constatations nécessaires à l’accueil d’une demande en paiement. », n° 140, p. 223.
1053
Cass. crim., 29 mai 1980, Bull. n° 164, décidant que : « Tout prévenu étant présumé innocent, la
charge de la preuve de sa culpabilité incombe à la partie poursuivante. Encourt la cassation l’arrêt qui,
pour déclarer un employeur coupable de licenciement économique sans autorisation de l’administration
compétente, se borne à constater que ledit employeur avait manifesté l’intention d’opérer, entre deux
établissements, une fusion susceptible d’entraîner une réduction du personnel et qu’en ce qui concerne le
licenciement litigieux, il n’a pas apporté la preuve qu’il ne s’agissait pas d’un licenciement à caractère
économique».
1054
On la retrouve d’ailleurs encore dans une autre décision de la chambre criminelle qui casse un arrêt de
cour d’appel en énonçant d’une part que, « tout jugement ou arrêt doit contenir les motifs propres à
justifier la décision ; que la charge de la preuve de la culpabilité du prévenu incombe à la partie
poursuivante » et d’autre part que, « la cour d'appel, qui a omis de s'assurer si les factures présentées ne
remplissaient aucune de ces conditions, ou si elles revêtaient un caractère fictif, et qui a renversé la
charge de la preuve, n'a pas donné de base légale à sa décision.», Cass. crim., 22 février 1993, Bull. n°
84.

323
Le discours sur l’objet

preuves 1055. De l’intime conviction, résulte l’obligation pour la personne poursuivie de


participer le plus activement possible à l’effort probatoire. Il y va de son intérêt dès lors
qu’avec le système de l’intime conviction « le juge peut s’estimer convaincu par un élément
minime, en dépit de l’existence d’autres éléments en sens contraire » 1056. Des pouvoirs
conférés et des devoirs imposés aussi bien aux magistrats instructeurs qu’aux juges à
l’audience définitive, il résulte qu’en définitive la charge de la preuve pèse non pas sur une
personne ou sur une institution mais sur une pluralité de personnes.

Enfin, c’est la jurisprudence qui pourrait paraître démentir grandement la « théorie »


explicative de la présomption d’innocence. En effet, il est désormais parfaitement admis
que la présomption d’innocence n’est pas violée par certains renversements de la charge de
la preuve. Ceci résulte de la jurisprudence tant de la Cour européenne que de la Cour de
cassation et du Conseil constitutionnel. Ces trois ordres de juridiction admettent l’existence,
dans notre système juridique, d’incriminations formulées de telle sorte qu’elles constituent
des présomptions de responsabilité ou de culpabilité. En les jugeant compatibles avec la
présomption d’innocence, sous certaines réserves certes, ces décisions démentent le rôle
central reconnu à la présomption d’innocence en matière d’attribution du fardeau de la
preuve puisque les présomptions ainsi admises mettent à la charge de la personne
poursuivie la preuve de son « innocence ». La doctrine continue cependant de dire que la
présomption d’innocence fait peser sur la partie poursuivante l’entier fardeau de la preuve et
analyse ces présomptions comme des renversements de la charge de la preuve contredisant
la présomption d’innocence 1057.

Ainsi, l’explication doctrinale de la charge de la preuve par le recours à la présomption


d’innocence peut-elle sembler assez faible, soit que d’autres règles seraient en mesure de
l’expliquer tout aussi bien, soit que la question juridique de la charge de la preuve ne se
pose pas de façon aussi cruciale qu’il n’y paraît.

2) La justification par l’autonomie du droit pénal

292. L’autonomie à la mode. Compte tenu que les principes civils actori incumbit probatio
ou actore non probante reus absolvitur pourraient à eux seuls expliquer l’attribution du
fardeau de la preuve dans le procès pénal, la doctrine s’est trouvée devant la nécessité de
justifier la solution différente qu’elle préconisait. Ainsi a-t-elle dû expliquer pourquoi, dans

1055
C’est semble-t-il l’opinion autrefois professée par MM. Brière de l’Isle et Cogniart. Abordant la
question de la charge de la preuve, ces auteurs estimaient « logique que la charge de rapporter la preuve
incombe au poursuivant », c'est-à-dire ministère public et partie civile. Ils soulignaient en outre l’absence
de règles générales expresses dans le Code de procédure pénale pour conclurent que « celles-ci se
déduisent en fait du rôle et des pouvoirs du poursuivant. », V. G. BRIÈRE DE L’ISLE et P. COGNIART,
Procédure pénale, op. cit., p.10.
1056
G. STÉFANI, G. LEVASSEUR et B. BOULOC, Procédure pénale, op.cit., 19e éd., n° 152.
1057
V. par exemple J. BUISSON, Rép. Pén. et Proc. Pén., v° Preuve, n° 26 à 29 et les références citées.

324
La signification de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal

le procès pénal, intervenait le principe de la présomption d’innocence plutôt que les


principes du droit commun. C’est l’autonomie du droit pénal, ou plus justement son
particularisme, qui a été mis en avant pour justifier le recours à la présomption d’innocence.
Il est intéressant d’observer que l’invocation de l’argument d’autonomie du droit pénal
devient très visible à compter de la parution de l’étude de M. Patarin 1058. Or, on le sait
maintenant, cette étude marque un tournant dans l’histoire du discours sur la présomption
d’innocence puisqu’elle présente un caractère fondateur. C’est en outre à partir de cette
époque que la question de « l’autonomie est à la mode » 1059. Si bien que l’apparition de ces
deux nouveaux objets de discours est concomitante.

L’argument de l’autonomie du droit pénal présente des ambiguïtés, il n’est pas aisé à
saisir. Il a d’ailleurs peu à peu disparu du discours doctrinal, ce qui ajoute finalement à
l’ambiguïté puisque le recours à la présomption d’innocence n’est plus justifié mais
simplement posé 1060. Il était loin de faire l’unanimité au point que même les auteurs qui
l’ont invoqué ont semblé par ailleurs reconnaître l’application des principes civils.
L’incertitude qui affecte la justification de la présomption d’innocence par l’autonomie tient
d’une part à la question de l’autonomie elle-même et d’autre part à la manière dont on a
voulu la faire jouer.

293. Présomption d’innocence et autonomie du droit pénal. Si la solution retenue par la


doctrine est claire : le fardeau de la preuve en droit pénal est déterminé par la présomption
d’innocence plutôt que par l’adage actori incumbit probatio, en revanche le raisonnement
qui y conduit l’est moins.

L’ambiguïté du discours doctrinal tient tout d’abord aux rapports qu’il reconnaît entre
l’existence de l’autonomie du droit pénal et celle de la présomption d’innocence en matière
de preuve. En effet, deux hypothèses semblent envisageables à la lecture des auteurs. Soit il
s’agit de fonder l’existence même de la présomption d’innocence sur la reconnaissance
préalable de l’autonomie ou du particularisme du procès pénal par rapport au procès

1058
J. PATARIN, Le particularisme de la théorie des preuves en droit pénal, op. cit.
1059
P. BOUZAT, À propos de «Quelques aspects de l’autonomie du droit pénal », Rev.int.dr.pén., 1956, p.
143. C’est semble-t-il d’ailleurs à cette même période que la doctrine a posé l’autonomie en principe bien
qu’il s’agisse d’une question controversée, V. R. LEGROS, Essai sur l’autonomie du droit pénal, Rev. dr.
pén. et crim., 1956-57, p. 143 et 166.
1060
À cet égard, M. Pradel qui affirme l’équivalence de solution produite soit par le principe civil soit par
la présomption d’innocence, ne justifie pas le recours à la présomption d’innocence, V. J. PRADEL,
Procédure pénale, op. cit., 12e éd., n° 383. Désormais, c’est l’utilité même de la présomption d’innocence
qui est récusée au regard de la charge de la preuve. M. Detraz estimant en effet que la règle actori
incumbit probatio est d’application générale à tous les types de contentieux et qu’il n’existe pas de
spécificité du procès pénal à cet égard ; La prétendue présomption d’innocence, op. cit., n° 12.

325
Le discours sur l’objet

civil 1061, soit il s’agit à l’inverse de fonder le particularisme de la preuve pénale sur
l’existence de la présomption d’innocence 1062.

L’ambiguïté tient ensuite au fondement de l’autonomie du droit pénal. Il est vrai que les
auteurs ont, à l’instar de M. Patarin, parlé de particularisme 1063 du droit pénal et de la
preuve pénale plutôt que de réelle autonomie. Cela dit, la publication de l’étude de cet
auteur dans un recueil consacré aux aspects de l’autonomie du droit pénal 1064 entretient une
certaine confusion. Or, il ne semble en revanche exister aucun doute sur le fondement de
cette autonomie : elle repose toujours sur l’intérêt ou la nécessité de la répression1065.
L’affirmation de l’autonomie du droit pénal est, selon M. Bouzat, une nécessité : celle de ne
pas entraver la mission de répression des règles du droit criminel par un respect exagéré des
règles du droit civil ou commercial. L’autonomie se justifie donc, pour cet auteur, par la
défense de la société 1066.

Il y a là une importante contradiction entre le fondement de l’autonomie et la


présomption d’innocence. L’une est justifiée par l’intérêt de la société tandis que l’autre
(qui est supposée participer de cette autonomie) est fondée sur l’intérêt de l’accusé.
L’invocation de l’autonomie du droit pénal sert à écarter une règle normalement applicable
au profit d’une règle pénale et ce afin de mieux assurer la répression 1067. Or, en voulant
exclure les règles civiles de répartition du fardeau de la preuve, l’effet recherché est tout à
fait inverse. On estime en effet que l’éviction des principes civils en matière de charge de la

1061
Cela ressort des termes employés par MM. Merle et Vitu, Traité de droit criminel, Procédure pénale,
5e éd., op. cit., n° 142. Vidal ne semblait quant à lui considérer que ce qui ne s’appelait pas encore le
particularisme du droit pénal, était indépendant de l’existence de la présomption d’innocence. Son propos
laisse donc entendre que cette dernière pourrait découler de la particularité du droit pénal.
1062
C’est semble-t-il la position défendue par M. Patarin, Le particularisme de la théorie des preuves en
droit pénal, op. cit., n° 4, p.15 et n° 8, p.19-20. V. aussi G. LEVASSEUR, La charge de la preuve en
procédure pénale française, op. cit., p. 690.
1063
On parle parfois également d’originalité, par exemple, J.-L. GOUTAL, L’autonomie du droit pénal :
reflux et métamorphose, Rev.sc.crim., 1980, p. 911 et s.
1064
G. STÉFANI (dir.) Quelques aspects de l’autonomie du droit pénal : études de droit criminel, Travaux
de l’institut de criminologie de Paris, Dalloz, 1956.
1065
G. STÉFANI, in Quelques aspects de l’autonomie du droit pénal : études de droit criminel, op. cit. ,
préface, pp. VII, IX et XII.
1066
P. BOUZAT, À propos de «Quelques aspects de l’autonomie du droit pénal », op. cit., p. 143-144. M.
Hugueney n’a d’ailleurs pas dit autre chose : « L’indépendance du droit criminel s’explique et même se
justifie par la mission particulière du droit pénal qui est de protéger les intérêts essentiels de la société »,
Rev.int.dr.pén., 1946, p. 66, cité par R. LEGROS, Essai sur l’autonomie du droit pénal, op. cit.
1067
C’est bien l’hypothèse des règles de répartition de la charge de la preuve. En effet, en l’absence de
règle expresse prévue aux codes d’instruction criminelle ou de procédure pénale, le recours aux règles
prévues en procédure civile est possible afin de combler (sous certaines exigences énoncées autrefois par
la Cour de cassation) les « lacunes de la procédure pénale. V. R. MERLE et A.VITU, Traité de droit
criminel, Procédure pénale, 5e éd., op. cit., n° 9. C’est cette possibilité qui permet aux pénalistes
d’évoquer les principes civils en raison d’une analogie suffisante entre procès civil et pénal sous l’angle
de la preuve. Cette analogie a été maintes fois soulignée pour justifier le jeu éventuel de actori incumbit
probatio. Puis c’est l’autonomie du droit pénal que l’on a alors parfois invoquée pour exclure cette règle
« normalement » applicable.

326
La signification de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal

preuve est justifiée par les intérêts en jeu : l’honneur et la liberté de la personne poursuivie
pénalement 1068.

En réalité, l’argument de l’autonomie du droit pénal en matière de charge de la preuve ne


se comprend que si l’on a égard à la manière dont les auteurs le font jouer.

294. L’autonomie du droit pénal et l’exclusion de l’adage reus in excipiendo fit actor.
La règle exprimée par cet adage signifie que si, en vertu de la règle actori incumbit probatio
c’est le demandeur qui a la charge de prouver, lorsque le défendeur invoque une exception
il devient à son tour demandeur et doit, par conséquent, rapporter la preuve de l’exception
soulevée. Lorsque les pénalistes invoquent la particularité du droit pénal et le jeu de la
présomption d’innocence, c’est en réalité uniquement pour justifier l’exclusion de cette
règle civile dans le procès pénal. C’est dans cette exclusion que semble résider l’intérêt
d’invoquer la présomption d’innocence au titre de la détermination du fardeau de la preuve.
Récemment, un auteur a fort bien exprimé cette réalité : « Si la présomption d'innocence
revient à attribuer la charge de la preuve à l'accusation, autrement dit au demandeur, il est
impossible de relever une spécificité pénale. La règle est alors celle connue sous l'adage
actori incumbit probatio. La présomption d'innocence serait alors inutile » 1069et d’ajouter
« Si la présomption d'innocence n'est pas synonyme de la règle actori incumbit probatio
(…), comment peut-elle être traduite ? Qu'apporte donc la présomption d'innocence qui ne
soit déjà connu (…) ? La spécificité tient au fait que la personne n'a pas à prouver son
innocence, c'est-à-dire n'a pas à prouver la thèse qu'elle avance. Il convient alors de rejeter
hors du prétoire pénal la règle reus in excipiendo fit actor » 1070.

Cette deuxième règle applicable au procès civil est indissociable de la première, à savoir
actori incumbit probatio, qu’elle vient d’ailleurs utilement compléter. On comprend alors
mieux l’embarras des auteurs. Admettre l’analogie parfaite entre actori incumbit probatio et
la présomption d’innocence paraissait logique puisque dans les deux cas c'est bien la partie
poursuivante qui était désignée comme devant rapporter la preuve. Cela dit, l’analogie
devait tout aussi logiquement entraîner l’application de la règle reus in excipiendo fit actor.
Or une majeure partie de la doctrine semble avoir toujours souhaité sinon exclure cette
règle, du moins lui reconnaître une portée moindre dans le procès pénal, en invoquant la
présomption d’innocence. En quoi consiste alors cette exclusion ? Elle consiste à refuser de
mettre à la charge de la personne poursuivie les exceptions. En droit pénal, on range dans
cette catégorie les exceptions et moyens de défense, en réalité tous les éléments tendant à

1068
J. PATARIN, Le particularisme de la théorie des preuves en droit pénal, op. cit., n° 4 et 7. Cela dit
l’auteur tente d’éviter adroitement la contradiction en insistant sur l’intérêt qu’a la société de préserver
cette liberté et cet honneur. Mais alors ici l’intérêt de la société bien compris n’est plus la répression.
1069
C. AMBROISE-CASTÉROT, Rép. Pén. et Proc. Pén., v° Présomption d’innocence, n° 23.
1070
C. AMBROISE-CASTÉROT, Rép. Pén. et Proc. Pén., v° Présomption d’innocence, n° 24.

327
Le discours sur l’objet

faire échec à la répression 1071. Les auteurs visent cependant le plus souvent les faits
justificatifs et les causes de non imputabilité, lesquels font disparaître soit l’élément légal
soit l’élément psychologique de l’infraction, c'est-à-dire empêchent l’infraction d’être
constituée et la responsabilité pénale retenue. La doctrine estime dans ces deux cas que
l’application de reus in excipiendo fit actor est contraire à la présomption d’innocence dans
la mesure où elle impose à la personne poursuivie de rapporter la preuve de l’absence de
l’un des éléments constitutifs de l’infraction 1072.

On le voit, l’invocation de la présomption d’innocence et du particularisme du droit


pénal ne peuvent se comprendre, en matière de charge de la preuve, que s’il s’agit d’exclure
le jeu de la règle reus in excipiendo fit actor. Ce qui confère une moindre portée à la
présomption d’innocence, une moindre signification.

295. L’exclusion de la règle reus in excipiendo fit actor. Cette signification juridique de la
présomption d’innocence, tirée du discours doctrinal, présente elle aussi une part
d’incertitude.

Si le discours sur la signification probatoire de la présomption d’innocence ne peut se


comprendre que dans cette volonté d’exclure la règle civile, alors on pourra s’étonner de
découvrir que cette signification est l’objet d’une controverse doctrinale. L’exclusion de
reus in excipiendo fit actor dans le procès pénal ne fait pas l’unanimité. Certains auteurs,
surtout anciens, estiment en effet que les deux règles du procès civils s’appliquent au pénal.
D’autres estiment au contraire, comme nous venons de le voir, que la présomption
d’innocence exclut l’application de reus in excipiendo fit actor. La doctrine estime qu’une
troisième opinion prend part à la controverse, pour mettre à la charge de la personne
poursuivie non pas la preuve de l’exception mais l’allégation du fait justificatif, de l’excuse
ou de la cause de non imputabilité. Ainsi demeurerait à la charge de la partie poursuivante
le soin de démontrer l’absence d’éléments susceptibles de faire disparaître l’infraction.

On pourrait s’interroger sur le statut de cette controverse dans le discours doctrinal. En


effet, elle semble, tout d’abord par son contenu, amoindrir la signification que la doctrine
voudrait reconnaître à la présomption d’innocence en matière de charge de la preuve. À
l’opposition des auteurs sur la question de savoir si oui ou non on doit faire application de
reus in excipiendo fit actor, vient s’ajouter l’incertitude du droit positif dont fait largement

1071
M.-J. ESSAÏD, La présomption d’innocence, op. cit., n° 244.
1072
On comprend alors beaucoup mieux pourquoi les criminalistes ont pu porter tant d’intérêt au fameux
arrêt du 24 mars 1949 qui leur semblait mettre à la charge de la partie poursuivante tous les éléments
constitutifs de l’infraction ainsi que tous ceux susceptibles de la faire disparaître. V. supra, n° 241. C’est
probablement d’ailleurs l’un des seuls ou le seul qui semblait mettre à la charge du ministère public
l’entier fardeau de la preuve. La doctrine en citant cet arrêt comme une application de la présomption
d’innocence signifie par là que, l’intérêt d’invoquer la présomption d’innocence au titre de la charge de la
preuve n’est pas de déterminer qui doit rapporter la preuve, mais qui doit rapporter la preuve des
exceptions.

328
La signification de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal

état la doctrine. Loi et jurisprudence ne consacreraient aucune solution uniforme à la


question posée en doctrine. Si bien que la signification de la présomption d’innocence paraît
s’évaporer dans cette incertitude. Il ne devrait plus être possible d’affirmer que c’est la
présomption d’innocence qui règle le problème du fardeau de la preuve. Et pourtant, c’est
bien ce que fait la doctrine.

Quid alors de cette controverse ? Loin de vouloir la passer sous silence ou minimiser sa
portée, la doctrine se plait plutôt à l’exposer1073, parfois longuement et méthodiquement. Il
pourrait pourtant s’agir d’une « fausse » controverse. En effet, si certains auteurs actuels
continuent d’affirmer que ce sont les deux principes civils qui s’appliquent au procès
pénal 1074, le plus grand nombre semble se rallier à la thèse selon laquelle reus in excipiendo
fit actor ne peut pas s’appliquer au procès pénal. Soit parce qu’on doit l’en exclure
totalement, soit plutôt parce que cette règle ne peut s’appliquer dans toute sa rigueur à
l’instance pénale. Si la doctrine continue de présenter cela comme une controverse, c’est
que le droit positif n’est pas fixé, ni la loi ni la jurisprudence n’offrent de
« solution uniforme » disent les auteurs. On peut alors se demander quelles fonctions
assume cette controverse dans le discours doctrinal sur la présomption d’innocence. La
première pourrait être de maintenir à disposition les arguments permettant de trancher en
faveur de la thèse ralliant la majorité des auteurs. Rappeler que la question n’a pas été
définitivement et sûrement tranchée, c’est dire qu’il y a encore place pour les arguments
doctrinaux. Ce pourrait être ensuite une manière de manifester la maîtrise que le discours
juridique peut avoir sur le sens de la présomption d’innocence.

Le discours sur le sens de la présomption d’innocence en matière de détermination du


fardeau de la preuve n’apparaît donc plus aussi évident à la lumière de ces constatations. Il
se pourrait pourtant que la question de la charge de la preuve en matière pénale ne soit pas
complètement fausse. Elle pourrait seulement être mal posée comme cela a été relevé pour
la charge de la preuve en matière civile. Les spécialistes de cette matière ont soutenu que,
parler d’un problème de la charge de la preuve serait incorrect.

3) De la charge de la preuve au risque du doute

296. Reformulation de la question. Dans la mesure où le déroulement de la pratique


montre que chacune des parties au procès est amenée à prouver ce qu’elle avance, la charge

1073
P. BOUZAT et J. PINATEL, Traité de droit pénal et de criminologie, op. cit., n° 1183 ; M.-J. ESSAÏD, La
présomption d’innocence, op. cit., n° 248 et s ; G. LEVASSEUR, La charge de la preuve en procédure
pénale française, op. cit., p. 691 ; V. MASSOL, La présomption d’innocence, op. cit., n° 118-120 ; R.
MERLE et A.VITU, Traité de droit criminel, Procédure pénale, 5e éd., op. cit., n° 151 ; M.-L. RASSAT,
Traité de procédure pénale, op. cit., n° 202, p. 318 ; C. AMBROISE-CASTÉROT, Rép. Pén. et Proc. Pén., v°
Présomption d’innocence, n° 25-27. G. STÉFANI, G. LEVASSEUR et B. BOULOC, Procédure pénale, op.cit.,
20e éd., n° 126.
1074
J.-C. SOYER, Droit pénal et procédure pénale, op. cit., n° 805.

329
Le discours sur l’objet

de la preuve se déplacerait tout au long du procès, de sorte qu’il serait impossible de dire
avec certitude à tel ou tel moment sur qui, de l’une ou l’autre des parties, voire même du
juge lui-même, pèse en réalité la charge de la preuve. On a par conséquent affiné l’analyse
pour expliquer que la question de la charge de la preuve est plutôt celle du risque du doute.
Toutes les parties participant en fait à charge de la preuve aussi bien dans le procès civil que
pénal, la question se déplacera et consistera à demander : qui doit succomber dans le cas où
les preuves rapportées seraient insuffisantes 1075 ?. Les pénalistes, comme les civilistes du
reste, parlent toujours de charge de la preuve et non de risque du doute. Cela étant, en
procédure pénale la littérature juridique fait expressément référence au doute et à
l’insuffisance de preuve. C’est le cas par exemple des professeurs Stéfani, Levasseur et
Bouloc qui expliquent que, « si les preuves réunies par la partie civile ou le ministère
public sont insuffisantes pour emporter la conviction du juge de jugement, et s’il subsiste un
doute, le prévenu ou l’accusé doit être relaxé ou acquitté. Le doute, dit-on, profite à
l’accusé (in dubio pro reo) » 1076.

Combien de fois peut-on lire qu’en vertu de la présomption d’innocence, la preuve


incombe à la partie poursuivante et le doute profite à l’accusé ? Certains auteurs vont même
désormais jusqu’à écrire que la présomption d’innocence n’aurait véritablement de sens que
dans l’hypothèse du doute : « (…) la présomption d’innocence ne révèle toute son
importance qu’en cas de doute, comme l’illustre l’adage in dubio pro reo ; dès lors que le
ministère public n’a su évoquer dans l’esprit du juge, que la possibilité, voire la probabilité
de la culpabilité, il n’a pas rapporté intégralement la preuve qui lui incombait» 1077. Tout
discours sur la présomption d’innocence reprend cette affirmation que la présomption
d’innocence signifie, qu’en cas de doute, les juges doivent relaxer ou acquitter la personne
poursuivie : in dubio pro reo.

Ainsi, il est apparu que la signification de la présomption d’innocence au regard de la


détermination du fardeau de la preuve est incertaine dans le discours qui l’affirme. Il est
également apparu que la signification résiduelle de la présomption d’innocence, au regard

1075
V. par exemple : J. GHESTIN et G. GOUBEAUX, Traité de droit civil, Introduction générale, n° 644-
645 pour la formulation du problème de la charge de la preuve et une synthèse des recherches qui ont
conduit à reformuler le problème en terme de risque. Pour un rappel plus récent, X. LAGARDE, Finalités et
principes du droit de la preuve, JCP. 2005, I, 133, n° 10.
1076
G. STÉFANI, G. LEVASSEUR et B. BOULOC, Procédure pénale, op.cit., 20e éd., n° 123. Garraud est
peut-être le premier criminaliste à avoir si clairement posé la question et à lui avoir tant consacré. À relire
cet auteur, on s’aperçoit que la question de la charge de la preuve n’était pas aussi importante que celle de
l’insuffisance de preuve. Il faut d’ailleurs souligner que c’est au titre de l’insuffisance de preuve
qu’apparaît pour la première fois la formulation de la présomption d’innocence. V. Traité théorique et
pratique d’instruction criminelle et de procédure pénale, tome I, op.cit., n° 232 et s.
1077
PH. CONTE et P. MAISTRE DU CHAMBON, Procédure pénale, op. cit., 4e éd., n° 40. V. aussi : TH. GARÉ
et C. GINESTET, Droit pénal et procédure pénale, op. cit., n° 391 ; E. MATHIAS, Procédure pénale, op.
cit., p. 32. Mais déjà, faisant suite à Garraud, Donnedieu de Vabres estimait au titre des effets de
l’insuffisance de preuve que « Une règle absolue, dans notre droit contemporain, est que le doute
bénéficie à l’inculpé. », V. Traité de droit criminel, op. cit., n° 1240.

330
La signification de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal

de l’exclusion de la règle reus in excipiendo fit actor, est mal assurée. Il demeure semble-t-
il une certitude dans le discours sur la signification de la présomption d’innocence : le doute
bénéficie à l’accusé en vertu de la présomption d’innocence. Une telle affirmation a pour
effet de déplacer la question de la signification de la présomption. En effet, s’inquiéter du
sens de ce principe revient à rechercher le sens de la règle selon laquelle le doute profite à
l’accusé, puisque les deux sont présentés de façon indissociable par les pénalistes.

B- LE BÉNÉFICE DU DOUTE COMME SIGNIFICATION DE LA PRÉSOMPTION D’INNOCENCE

297. Règle de décision. Même si le lien entre la question de la charge de la preuve et celle
du doute semble étroit, particulièrement dans la théorie civiliste de la charge de la preuve, le
bénéfice du doute en droit pénal déborde du domaine de la preuve pour se placer au niveau
de la décision. C’est la raison pour laquelle certains auteurs n’hésitent plus aujourd’hui à
présenter la présomption d’innocence comme une règle de fond 1078, dès lors qu’au cas de
doute, une solution de relaxe ou d’acquittement s’impose.

La signification de la règle selon laquelle le doute profite à l’accusé, le plus souvent


exprimée par l’adage in dubio pro reo, revêt une importance toute particulière pour
appréhender le sens de la présomption d’innocence. Or, un fois de plus, les affirmations
doctrinales laissent subsister plusieurs zones d’ombres qui sont autant d’obstacles à la
découverte du sens de la présomption d’innocence. L’incertitude affecte tout d’abord les
véritables rapports logiques et juridiques existant entre la présomption d’innocence et le
bénéfice du doute. Elle touche ensuite la signification même de l’adage in dubio pro reo.
Au terme d’une recherche critique consistant à découvrir de quoi parlent vraiment les
pénalistes lorsqu’ils affirment que le doute profite à l’accusé, on pourra formuler une
hypothèse de signification, la seule qui apparaisse logique, bien que très implicite, au regard
du raisonnement des pénalistes.

1) L’incertitude des rapports entre présomption d’innocence et in dubio pro reo

298. Diversité des opinions. Nombreux sont les auteurs à analyser la règle exprimée par
l’adage in dubio pro reo comme une conséquence du principe de la présomption
d’innocence 1079. Toutefois, certains laissent entendre ou affirment clairement que les deux

1078
Par exemple : R. LEGEAIS, La présomption d’innocence et les juridictions de jugement étude
comparée du droit français et du droit anglais, op. cit., p. 50 ; M.-L. RASSAT, Traité de procédure pénale,
op. cit , n° 196.
1079
P. BOUZAT et J. PINATEL, Traité de droit pénal et de criminologie, op. cit., n° 1183 : « Cette
présomption d’innocence (qui bénéficie aux récidivistes comme aux délinquants primaires) a pour
conséquence que, dans le doute, il faut se décider en faveur de l’accusé (in dubio pro reo). » ; R. VOUIN
et J. LÉAUTÉ, Droit pénal et procédure pénale, op. cit., p. 226 ; M. DELMAS-MARTY, La preuve pénale,
op. cit., p. 58 ; M.-L. RASSAT, Traité de procédure pénale, op. cit., n° 196. PH. CONTE et P. MAISTRE DU
CHAMBON, Procédure pénale, 4e éd., op. cit., n° 40.

331
Le discours sur l’objet

règles sont équivalentes 1080. L’histoire du discours doctrinal sur la présomption d’innocence
pourrait révéler une troisième possibilité. En effet, alors que les criminalistes des XVIIIe et
XIXe siècle ignoraient ce que l’on nomme aujourd’hui la présomption d’innocence, ils ne
manquaient toutefois pas d’enseigner la règle du doute favorable. Il semblerait même que
les premières références à une certaine présomption d’innocence aient été formulées en
considération de la règle du doute favorable 1081. D’ailleurs, Garraud lorsqu’il parlera de
présomption d’innocence ne le fera qu’incidemment, par référence à Ferri, mais la règle
qu’il étudie dans ses conséquences, c’est bien celle du doute favorable 1082. En outre, il n’est
peut-être pas inutile de rappeler ici que Ferri, qui exprimait de virulentes critiques à la
présomption d’innocence, ne la voyait que comme une conséquence particulière de la règle
in dubio pro reo. Enfin, certains criminalistes ne semblent connaître que la règle in dubio
pro reo et ne parlent pas de présomption d’innocence. Ainsi de la longue étude qu’un juriste
suisse avait consacré au principe in dubio pro reo 1083 sans jamais se référer à la présomption
d’innocence. Il expliquait que cette règle du doute favorable découlait du principe nulla
poena sine culpa 1084. Curieusement, il ajoutait que « En vertu de la l’adage in dubio pro reo
c’est à l’accusation qu’incombera le fardeau de la preuve» 1085.

299. Des divergences passées sous silence. On observera que ces divergences de
présentation voire d’interprétation, n’ont jamais été relevées ni, à plus forte raison,
analysées comme une controverse doctrinale 1086. Il nous semble pourtant que de la
clarification des rapports que la présomption d’innocence entretient avec l’adage in dubio
pro reo dépend largement sa véritable signification. Par exemple, l’importance de ces
rapports avec la signification de la présomption d’innocence se révèle tout particulièrement
à travers la décision de relaxe rendue au bénéfice du doute. En effet, si l’on a
1080
G. VIDAL et J. MAGNOL, Cours de droit criminel et de science pénitentiaire, op. cit., n° 715 :
« L’inculpé bénéficie d’une présomption légale d’innocence qui ne tombe que devant la preuve contraire
de la culpabilité : in dubio pro reo. » ; G. BRIÈRE DE L’ISLE ET P. COGNIART, Procédure pénale, op. cit.,
p. 12 ; R. MERLE et A.VITU, Traité de droit criminel, Procédure pénale, 4e éd., op. cit., n° 123 : « Cette
optique propre au procès pénal explique l’existence d’un troisième principe (…) et qu’exprime l’adage in
dubio pro reo (le doute profite à l’accusé) : la personne poursuivie est présumée innocente jusqu’à ce
qu’on ait pleinement rapporté la preuve contre elle les preuves décisives de sa culpabilité » ; ou encore,
A. LEGAL, Chronique de jurisprudence, Rev.sc.crim., 1970, p. 381.
1081
V. supra, n° 41. Ils ignoraient cependant l’adage in dubio pro reo qui a, comme on le sait désormais,
été formulé en Allemagne au cours du XIXe siècle, V. pour la genèse de cet adage, supra, n° 174 et s.
1082
R. GARRAUD, Précis de droit criminel, op. cit. , 8e éd., n° 441, et aussi Traité théorique et pratique
d’instruction criminelle et de procédure pénale, tome I, op.cit., n° 232 à 234. En outre, on peut observer
que pour M. Hugueney, la présomption d’innocence semble découler de in dubio pro reo : « (…)
l’accusé, en matière pénale, est couvert par une présomption d’innocence, parce que, dans le doute, il
faut décider en faveur de l’accusé : "in dubio pro reo" », L. HUGUENEY, Cours de droit criminel, op. cit.,
p. 340.
1083
V. GOUSENBERG, Du principe « in dubio pro reo » et de quelques difficultés dans son application
pratique, op. cit.
1084
Du principe « in dubio pro reo » et de quelques difficultés dans son application pratique, op. cit., n° 1.
1085
Du principe « in dubio pro reo » et de quelques difficultés dans son application pratique, op. cit., n° 5.
1086
Bien que perceptibles par tous, elles ne sauraient être source d’incertitude qu’au terme de notre
analyse critique. Le discours doctrinal donne de son côté une belle apparence d’uniformité et donc
d’univocité à ce sujet.

332
La signification de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal

principalement égard à la règle du doute favorable, une telle décision est la preuve éclatante
de son application et donc du respect de la présomption d’innocence. En revanche, si l’on a
principalement égard à la présomption d’innocence, une décision qui fait état d’un doute lui
est tout à fait contraire. Ces deux conceptions sont soutenues en doctrine et se réclament
toutes les deux de la présomption d’innocence 1087. C’est donc bien la signification de cette
dernière qui est en jeu.

Le législateur semble quant à lui distinguer la présomption d’innocence du doute


favorable. La loi du 15 juin 2000 a en effet précisé le serment des jurés de cour d’assises,
ces deniers jurent et promettent désormais de : « se rappeler que l’accusé est présumé
innocent et que le doute doit lui profiter » 1088. Cette « consécration » du doute favorable
dans le Code de procédure pénale, semble conforme à l’opinion dominante des auteurs : elle
est une conséquence de la présomption d’innocence et s’en distingue donc.

Considérer que la présomption d’innocence a pour conséquence la règle du doute


favorable, a notamment pour effet de réduire considérablement la portée de la seconde règle
en la cantonnant à la phase ultime du procès pénal, celle où elle jouera comme règle de
décision. Pourtant, il s’agit là d’un choix doctrinal dont la justification n’apparaît pas. À
défaut d’avoir été précisée dans sa signification, la règle in dubio pro reo pourrait très bien
ne pas se limiter à la seule phase de décision sur la culpabilité 1089. La formule est
suffisamment générale pour se voir reconnaître un sens plus étendu. À vrai dire, la règle du
doute favorable expliquerait peut-être mieux les règles que l’ont dit généralement découler
de la présomption d’innocence et qui n’entretiennent aucun rapport avec la charge de la
preuve mais qui en revanche en ont un avec le doute.

300. Situation identique dans la science juridique allemande. Les juristes français n’ont
donc jamais cherché à démêler les rapports entre in dubio pro reo et la présomption
d’innocence. Leurs homologues allemands se sont en revanche largement interrogés à ce
sujet, sans pour autant parvenir à se départager. Les recherches du professeur Axel
Montenbruck en sont un bon exemple. Cet auteur s’est interrogé sur la question de savoir si
l’on pouvait remplacer in dubio pro reo par la présomption d’innocence de l’article 6§2 de
la Convention EDH 1090. Il a fait, avec la littérature allemande, les mêmes constats que nous.
Il s’avère aussi difficile de découvrir dans la science juridique allemande une position
tranchée sur la question de savoir quels sont les rapports entre la présomption d’innocence
et in dubio pro reo. Comme en France, certains auteurs estiment qu’il y a une assimilation

1087
V. infra, n° 306 et s.
1088
V. l’article 304 du Code de procédure pénale.
1089
Une question a cependant été formulée clairement par les auteurs, celle de savoir si le doute portait
seulement sur une question de fait ou s’il pouvait porter sur une question de droit, V. infra, n° 303.
1090
A. MONTENBRUCK, In dubio pro reo, op. cit., p. 67-72.

333
Le discours sur l’objet

parfaite entre les deux règles, qu’elles peuvent se substituer, mais ils ne justifient pas leurs
affirmations. D’autres estiment que in dubio pro reo est une conséquence du principe de la
présomption d’innocence et que l’adage sert à justifier les décisions d’acquittement ou de
non-lieu. D’autres encore préfèrent ignorer cet adage et dans les mêmes hypothèses légales
se contentent d’invoquer la présomption d’innocence. Quant aux conséquences de la
présomption d’innocence ou de in dubio pro reo, le professeur allemand fait état d’une
multitude de points de vue dans lesquels il est difficile de discerner une structure de
base 1091. Un auteur (Wimmer) aurait même fait remarquer que la présomption d’innocence
n’incluait pas seulement l’adage in dubio pro reo mais le supposait. Si Montenbruck ne se
donnait là pour ambition que de formuler les catégories de problèmes qui préoccupent la
doctrine allemande, au moins a-t-il eu le mérite d’entreprendre une tache aussi épineuse 1092,
à laquelle les pénalistes français ne semblent pas avoir songé à s’affronter. L’entreprise de
ce théoricien du droit présente alors l’avantage de révéler les incertitudes qui affectent la
signification de la présomption d’innocence. Celles-ci redoublent lorsqu’on tente de cerner,
dans le discours doctrinal, la signification exacte de la règle du doute favorable.

2) L’incertitude quant au sens même de la règle du doute favorable

301. Énoncé des questions. L’incertitude qui affecte la recherche du sens de cette règle,
résulte d’une confrontation des énoncés doctrinaux entre eux mais surtout avec l’état du
droit positif. L’analyse de la littérature juridique sur la présomption d’innocence montre en
effet qu’il n’est pas aisé de découvrir la réalité juridique qui est évoquée à travers
l’invocation de la règle du doute favorable. Plutôt que de prétendre envisager l’ensemble
des questions qui pourraient se poser dans l’application de l’adage in dubio pro reo, on se
limitera à en exposer seulement celles qui ont paru les plus importantes pour notre
illustration. Le sens de la règle du doute favorable apparaît tout d’abord incertain à travers
le discours dans la mesure où il est difficile de savoir si les énoncés doctrinaux sont
descriptifs ou prescriptifs. En effet, en droit pénal, le doute profite à l’accusé ou doit-il lui
profiter ? La seconde question porte sur la caractérisation du doute, quel est donc ce doute
qui profite à l’accusé ? La dernière interrogation a trait aux conditions de mise en œuvre de
la règle du doute favorable.

302. Le doute profite-il à l’accusé ou doit-il lui profiter ?. Les deux propositions sont
énoncées dans le discours doctrinal. On pourrait d’emblée estimer que la réponse à cette
question importe peu dès lors que, décrivant le droit, les pénalistes font nécessairement état
d’un devoir être, quelle que soit la manière dont ils le présentent. Ce serait cependant

1091
In dubio pro reo, op. cit. , p. 68.
1092
In dubio pro reo, op. cit. , p. 68. Puis l’auteur applique la même démarche à propos des rapports entre
in dubio pro reo et le principe nullum crimen sine lege, p. 75 et s.

334
La signification de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal

oublier que les énoncés doctrinaux n’ont pas le même statut que les énoncés normatifs
qu’ils décrivent. De la part d’un juriste décrivant le droit tel qu’il est, l’énoncé « Le doute
profite à l’accusé » peut signifier que, en procédure pénale française, il existe une règle
selon laquelle le doute doit profiter à l’accusé, mais il peut également signifier qu’en
observant le droit positif, il est possible de conclure que le doute profite effectivement à
l’accusé. La question se pose alors de savoir ce que signifie l’énoncé doctrinal suivant : « le
doute doit profiter à l’accusé ». À vrai dire, il est malaisé de distinguer la portée de ces
différents usages de la formule dans les énoncés doctrinaux. En revanche, il est certain
qu’au titre des conséquences de la règle du doute favorable, ce sont deux réalités bien
distinctes qu’envisagent les auteurs.

Tout d’abord, la règle in dubio pro reo est décrite comme une règle appartenant au droit
positif. Or, ce dernier jusqu’à une époque récente ne formulait pas la règle du doute
favorable. Ce n’est que depuis la loi du 15 juin 2000 qu’elle a fait une apparition discrète
dans le serment des jurés d’assises prévu à l’article 304 du Code de procédure pénale 1093.
Toutefois, il est vrai que la Cour européenne a confirmé son existence à plusieurs
reprises 1094. En outre, ce sont les juridictions de jugement qui font, de très longue date,
application de la règle, lorsqu’elles rendent des décisions de relaxe au bénéfice du doute1095.
En dehors de ces manifestations positives au demeurant discrètes, la règle du doute
favorable est surtout évoquée dans la littérature doctrinale 1096. La signification de in dubio
pro reo s’exprime alors au travers de l’énumération de règles de droit positif qui seraient
fondées sur le doute favorable 1097. C’est tout d’abord le maintien de la liberté provisoire du
condamné pendant l’appel 1098 et le pourvoi en cassation 1099 ; c’est ensuite, en cour d’assises,

1093
Mme Rassat avait proposé de formuler la règle selon laquelle « le doute sur le fait comme sur le droit
profite à la personne poursuivie» dans un article premier du Code de procédure pénale, mais la loi du 15
juin 2000 n’a pas consacré cette proposition, si bien que l’article préliminaire ne fait aucune référence au
doute favorable.
1094
« Il [le principe de la présomption d’innocence] exige, entre autres, qu'en remplissant leurs fonctions
les membres du tribunal ne partent pas de l'idée préconçue que le prévenu a commis l'acte incriminé; la
charge de la preuve pèse sur l'accusation et le doute profite à l'accusé », Cour EDH, Affaire Barberà,
Messegué et Jabardo c/ Espagne du 6 décembre 1988, et plus récemment, Affaire Lavents c/ Lettonie du
28 novembre 2002.
1095
Il sera question plus loin des incertitudes qui affectent la portée de ce type particulier de relaxes,
notamment au regard de la jurisprudence de la chambre criminelle. On peut néanmoins faire déjà
remarquer que la relaxe au bénéfice du doute n’est prévue par aucun texte de loi, cette dernière ne
prévoyant qu’une alternative : condamnation ou relaxe, V. R.-P. TORREBLANCA, La relaxe au bénéfice du
doute, Rev. int. crim. et pol. techn., 1962, n° 3, p. 222.
1096
R. GARRAUD, Traité théorique et pratique d’instruction criminelle et de procédure pénale, tome I,
op.cit., n° 234 ; G. VIDAL et J. MAGNOL, Cours de droit criminel et de science pénitentiaire, op. cit., n°
715, H. DONNEDIEU DE VABRES, Traité de droit criminel, op. cit., n° 1240 ; J. PATARIN, Le particularisme
de la théorie des preuves en droit pénal, op. cit., n° 22 note 108 ; M.-J. ESSAÏD, La présomption
d’innocence, op. cit., n° 142 et s. (conséquences secondaires de la présomption d’innocence) ; R. MERLE
et A.VITU, Traité de droit criminel, Procédure pénale, 5e éd., op. cit., n° 144 ;
1097
Au regard de ce qui a été dit plus haut à propos des rapports entre la présomption d’innocence et in
dubio pro reo, on ne s’étonnera pas que ces applications de la règle du doute favorable soient, selon les
auteurs consultés, décrites au titre des conséquences de la présomption d’innocence.
1098
Article 506 du Code de procédure pénale.

335
Le discours sur l’objet

le décompte favorable des bulletins blancs ou illisibles 1100 ou encore le principe même de la
minorité de faveur 1101 ; c’est en outre l’impossibilité d’aggraver le sort du condamné sur son
seul appel 1102 ou son pourvoi en cassation 1103, ainsi que l’impossibilité pour le ministère
public, en cas d’acquittement, de former un pourvoi autre que dans l’intérêt de la loi 1104 ;
c’est enfin la possibilité de réviser une décision pénale dans le seul cas de condamnation et
non d’acquittement 1105. Ces règles attestent donc que, dans notre droit positif, le doute
profite à l’accusé 1106. Ce n’est pas la seule signification de la règle que les pénalistes
exposent. Il en existe une seconde qui a trait à la décision sur la culpabilité.

Les criminalistes enseignent également qu’en vertu de l’adage in dubio pro reo, le doute
profite à l’accusé si la preuve complète de sa culpabilité n’a pas été rapportée par la partie
poursuivante. Ainsi, en vertu de l’application de cette règle, s’il y a doute le juge doit
s’abstenir de condamner et prononcer la relaxe ou l’acquittement. C’est en ce domaine,
celui de l’appréciation des preuves, que la littérature juridique fait le plus souvent état d’un
devoir pesant sur le juge. Cela dit, il se trouve des auteurs pour affirmer que le doute profite
à l’accusé plus qu’il ne doit lui profiter. L’incertitude règne donc quant à la force
obligatoire de la règle du doute favorable. Les énoncés doctrinaux selon lesquels « le doute
doit profiter » ou le « juge doit relaxer » nous paraissent trahir la valeur toute morale de
cette règle. Il n’existe en effet aucun moyen de droit pour contrôler que, lorsqu’il y a doute
dans les preuves rapportées par l’accusation, ce dernier profite bien à l’accusé 1107. Que les
auteurs enseignent que le doute profite ou doit profiter à l’accusé en cas de doute sur la
culpabilité, la formulation de la règle demeure très générale et laisse subsister des
interrogations quant à la façon dont elle peut être mise en œuvre.

1099
Article 569 alinéa 1 du Code de procédure pénale.
1100
Article 358 alinéa 2 du Code de procédure pénale.
1101
Article 359 du Code de procédure pénale. Autrefois, alors que la majorité simple était exigée pour
prendre une décision défavorable à l’accusé, c’était l’égalité des voix qui était favorable en imposant
l’acquittement.
1102
Article 515 alinéa 2 du Code de procédure pénale.
1103
Il s’agit d’un principe prétorien dégagé par le Conseil d’État (avis du 12 novembre 1806) puis adopté
par la Cour de cassation. « En principe, la cassation obtenue par le condamné est limitée aux chefs de
l'arrêt qui lui sont défavorables (Cass. crim. 30 sept. 1909, Bull. crim., n° 465 ; 30 oct. 1913, ibid.,
n° 471), même si son pourvoi était général (Cass. crim. 16 août 1855, DP 56. 1. 30) », J. BORÉ, Rép. Pén.
et Proc. Pén., v° Cassation (pourvoi en), n° 597.
1104
Article 572 du Code de procédure pénale.
1105
Article 622 du Code de procédure pénale.
1106
Il y aurait probablement lieu de s’interroger sur la réalité du rapport existant entre, la notion de doute
et certaines de ces règles. Par exemple, on ne voit pas très bien, en quoi le doute exigerait qu’en cas
d’acquittement aucun pourvoi ne puisse être formé en dehors du pourvoi dans l’intérêt de la loi. M.
Detraz estime d’ailleurs que cette règle est un privilège dénué de fondement logique, V. S. DETRAZ, La
prétendue présomption d’innocence, op. cit., n° 12.
1107
V. infra, n° 309. La situation est un peu différente en cour d’assises car, à supposer que les règles de
vote soient bien fondées sur l’idée de doute, celui-ci joue obligatoirement lorsque les bulletins blancs ou
illisibles sont décomptés en faveur de l’accusé. Quant à l’exigence d’une majorité de huit voix contre
quatre pour toute décision défavorable à l’accusé, elle peut s’analyser comme une exclusion légale du
doute par rapport à l’ancienne règle qui décidait en cas d’égalité des voix que l’acquittement était
prononcé.

336
La signification de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal

303. La caractérisation du doute favorable. La signification de la règle du doute


favorable, et partant de la présomption d’innocence, nécessite de préciser la notion de
doute. Si tout juriste sait qu’en droit pénal le doute profite à l’accusé, il n’est en revanche
pas certain qu’il sache expliquer la règle, qu’il sache préciser de quel doute il peut être ici
question. Il faut dire que la seule notion juridique de doute se présente de façon assez
redoutable à qui entreprend de la cerner. Certains juristes s’y étaient tout de même essayés
le temps d’un colloque 1108. À cette occasion François Terré avait justement fait remarquer
que le mot doute était absent du Vocabulaire juridique de Capitant 1109, mais cette lacune est
désormais comblée 1110. Depuis peu, qu’il s’agisse du droit privé en général ou du droit
pénal en particulier, on dispose de deux études approfondies consacrées au doute 1111. Les
manuels et traités de procédure pénale se contentent quant à eux de signaler que le doute
s’analyse comme l’absence de certitude et plus particulièrement de conviction. C’est, en
effet, à travers l’exposé du système d’appréciation des preuves par l’intime conviction
qu’est abordée la question du doute et non au titre de la présomption d’innocence. Quel est
donc ce doute qui profite à l’accusé ? La réponse à cette question est très variable d’un
auteur à l’autre mais aussi de la doctrine à la jurisprudence. C’est dire l’incertitude qui
règne sur le doute !

S’agissant de l’intensité ou de la part de doute, la doctrine ne sait pas vraiment préciser


ce qu’elle doit être : un léger doute, un simple doute 1112, le moindre doute 1113, un doute tout
court 1114, un doute suffisant 1115, un doute raisonnable 1116 ou encore un doute sérieux 1117 ?

1108
INSTITUT DE FORMATION CONTINUE DU BARREAU DE PARIS, Le doute et le droit (actes du colloque du
12 août 1991), Paris, Dalloz, 1994.
1109
F. TERRÉ, Synthèse, in Le doute et le droit, op. cit., p.1.
1110
Vocabulaire Juridique, op. cit., 4e éd, où la définition du doute est très large en débutant par : l’ «état
d’esprit d’une personne qui hésite entre affirmation et négation, entre plusieurs opinions ou qui balance
entre plusieurs partis à prendre », pour se poursuivre par : « l’incertitude qui peut porter sur l’existence
d’un fait, la valeur d’une preuve, le sens d’un mot ou d’un texte » etc. Un second sens définit le doute par
opposition « à croyance, crédulité, confiance, attitude mentale de celui qui remet en question une
opinion ». Si l’adage in dubio pro reo est invoqué, il n’est pas ici préciser à quel est le sens du mot doute
auquel il doit être rattaché.
1111
J.-F. CESARO, Le doute en droit privé, Paris, Panthéon-Assas, 2003 ; M.-C. NAGOUAS-GUÉRIN, Le
doute en matière pénale, Paris, Dalloz, 2002, Nouvelle bibliothèque de thèses, vol. 18, et Mythe et réalité
du doute favorable en matière pénale, Rev.sc.crim., 2002, p. 283. L’examen du droit positif par Mlle
Nagouas-Guérin lui a permis de découvrir que le doute n’est en réalité que très accessoirement favorable
à la personne poursuivie pénalement. Il profiterait à titre principal à la manifestation de la vérité, cette
dernière ne profitant qu’éventuellement à la personne poursuivie.
1112
G. BRIÈRE DE L’ISLE et P. COGNIART, Procédure pénale, op. cit., p. 12, où les auteurs expliquent que
l’accusé profite de toute faille dans la démonstration de ses adversaires et bénéficie d’un simple doute.
1113
P. TRUCHE, Le doute sur le fait ou le problème de la preuve, in Le doute et le droit, op. cit., p. 44 ; C.
AMBROISE-CASTÉROT, Rép. Pén. et Proc. Pén., v° Présomption d’innocence, n° 32, qui affirme
que : « L'accusation doit rapporter des preuves décisives et ne doit laisser subsister aucun doute » ; J.
PRADEL, Procédure pénale, op. cit., 12e éd., n° 383 ; G. STÉFANI, G. LEVASSEUR et B. BOULOC,
Procédure pénale, op. cit., 19e éd., n° 871 à propos de la délibération sur la culpabilité.
1114
H. DONNEDIEU DE VABRES, Traité de droit criminel, op. cit., n° 1240 : « l’acquittement est prononcé
toutes les fois qu’il existe un doute »
1115
« R. MERLE et A.VITU, Traité de droit criminel, Procédure pénale, 5e éd., op. cit., n° 143, pour ces
auteurs, il suffit à la personne poursuivie de parvenir à maintenir « dans l’esprit du juge un doute assez

337
Le discours sur l’objet

Toutes ces possibilités ont été énoncées, sans qu’aucune ne se soit visiblement imposée. Il
paraît ainsi difficile au pénaliste d’avoir une conception du doute qui soit plus précise que la
notion « d’absence de certitude ». D’ailleurs, « le degré de certitude qui conditionne la
décision de culpabilité est une des questions les plus obscures du droit pénal » avait
concédé Mme Delmas-Marty 1118. Dans ces conditions, la signification de la règle du doute
favorable comprend une assez large part d’indétermination. L’incertitude se renforce si,
dépassant les seules affirmations doctrinales, on se tourne vers la jurisprudence. M. Essaïd
avait déjà dû, à son époque, admettre que l’application de la règle du doute favorable était
entourée d’incertitude. Cette dernière résulte en premier lieu de l’impossibilité de s’assurer
complètement du degré de certitude qui est à la base des condamnations par les juridictions
du fond. Rien ne permet en effet de s’assurer qu’il n’existait pas un doute qui aurait dû
profiter à l’accusé mais qui a été masqué par une motivation habile. Elle résulte en outre et
à l’inverse, de la sévérité de la chambre criminelle dans l’admission du doute comme
fondement d’une décision de relaxe. En effet, M. Essaïd observe qu’ « une simple
affirmation qu’il existe un doute est insuffisante pour entraîner la relaxe » 1119. C’est au
même constat qu’est parvenu Mlle Nagouas-Guérin au terme de ses recherches. L’examen
du droit positif par cet auteur montre d’abord que le doute sur la culpabilité ne peut profiter
à la personne poursuivie qu’à condition d’être insurmontable. Cela signifie que les juges ne
peuvent relaxer au bénéfice du doute qu’à « condition que toutes les investigations utiles à
la manifestations de la vérité aient été effectuées » 1120. La juridiction de jugement qui
estimerait incomplets les éléments sur lesquels elle doit se décider, doit ainsi faire procéder
à un supplément d’information. Le doute qui subsisterait encore, ne pourra ensuite
bénéficier à la personne poursuivie que s’il est rationnel. À cette occasion, Mlle Nagouas-
Guérin relève que pour la chambre criminelle, l’intensité du doute invoquée par les juges est
indifférente. La Cour contrôle uniquement, mais strictement, les motifs des juges du fond et
s’assure par là qu’ils ne sont pas contradictoires. Le doute, pour constituer valablement le
fondement d’une relaxe, doit « être fondé sur une appréciation rationnelle des moyens

fort pour l’empêcher de parvenir à une certitude ». Un autre auteur estime que la personne poursuivie
peut alors « se contenter d’instiller un doute suffisant dans l’esprit du juge », mais l’auteur écrit quelques
lignes plus haut que le principe fondamental de la présomption d’innocence conduit « à considérer que le
moindre doute doit profiter à celui qui est accusé dans une affaire pénale», J. BUISSON, Rép. Pén. et
Proc. Pén., v° Preuve, n° 14. Le moindre doute paraît-il alors suffisant pour être profitable à l’accusé ?
1116
Il arrive que l’on parle du doute raisonnable par référence aux exigences du droit anglais en matière
de preuve pénale. Il précise en effet, à propos de l’intime conviction, que les jurés doivent avoir une
certitude au-delà de tout doute raisonnable. Mais, comme l’explique Mme Delmas-Marty, la précision
s’arrête là car ni la doctrine ni la jurisprudence anglaises n’explicitent ou définissent la notion de doute
raisonnable. V. La preuve pénale, op. cit., p. 59.
1117
«Toute incertitude sérieuse dans la preuve de la culpabilité rend illégale la condamnation», J.
PATARIN, Le particularisme de la théorie des preuves en droit pénal, op. cit., n° 22.
1118
M. DELMAS-MARTY, La preuve pénale, op. cit., p. 59.
1119
M.-J. ESSAÏD, La présomption d’innocence, op. cit., n° 521.
1120
M.-C. NAGOUAS-GUÉRIN, Le doute en matière pénale, op. cit., n° 523 et du même auteur, Mythe et
réalité du doute favorable en matière pénale, op. cit., p. 290.

338
La signification de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal

preuves » et il « semble devoir être solidement motivé » 1121. C’est dire qu’il existe une
distance assez grande entre l’énonciation générale et abstraite de la règle du doute favorable
par nos criminalistes et sa signification pratique.

Si d’un auteur à l’autre, le degré ou l’intensité du doute bénéfique peut varier


considérablement, ce pourrait être en raison d’une conception différente de son objet. Car il
faut dire que cet objet n’est que rarement précisé et il demeure, dans l’ensemble de la
littérature doctrinale, lui aussi indéterminé. Le doute du juge correspond-t-il à une hésitation
entre deux solutions : culpabilité ou innocence, ou n’est-il censé porter que sur la
culpabilité ? Il n’est pas rare que l’on considère que le juge qui doute balance en réalité
entre la culpabilité et l’innocence de l’accusé. Pourtant, il n’existe en droit positif aucune
règle qui laisse envisager un tel choix pour le juge. Concernant les juridictions
correctionnelle, de police ou encore de proximité, la décision du juge porte sur l’existence
des conditions légales requises et « si le tribunal estime que le fait poursuivi ne constitue
aucune infraction à la loi pénale ou que le fait n’est pas établi, ou qu’il n’est pas imputable
au prévenu, il renvoie celui-ci des fins de la poursuite » 1122. Il n’en va pas autrement devant
la cour d’assises où il n’est pas demandé aux jurés de répondre à la question de savoir si
l’accusé est innocent ou coupable mais seulement de savoir s’il est coupable. L’alinéa
premier de l’article 349 du Code de procédure pénale dispose en effet que, « Chaque
question principale est posée ainsi qu’il suit : "L’accusé est-il coupable d’avoir commis tel
fait ?" ». Ces dispositions, combinées avec le principe de l’intime conviction, indiquent
clairement que le doute ne peut être qu’une absence de conviction suffisante sur la
culpabilité. Le juge n’a donc jamais à se demander laquelle, de l’innocence ou de la
culpabilité est la plus certaine. Son interrogation ne porte que sur la culpabilité, autrement
dit, la question de savoir si la thèse de l’accusation est établie. Il est vrai cependant que si la
culpabilité n’apparaît que probable, il se peut qu’en même temps l’innocence n’apparaisse
pas plus certaine aux yeux du juge. Et l’on comprend, bien que l’on se situe en dehors des
hypothèses légales, que les auteurs puissent alors parler d’un simple doute ou d’un moindre
doute, ou d’un doute léger. Dans ces hypothèses, le doute correspond à l’état d’incertitude
dans lequel le juge se trouve lorsqu’il vient à se demander si l’accusé est innocent ou
coupable. Il paraît alors ici nécessaire d’admettre que l’hésitation, la moindre hésitation,
doit bénéficier à la personne poursuivie puisque cet état d’incertitude signe de toute façon
son absence de certitude quant à la culpabilité.

En revanche, parler d’un doute sérieux ou raisonnable, implique une autre conception du
doute. Ce dernier se laisse mieux appréhender à l’aune du degré de certitude que requiert le

1121
M.-C. NAGOUAS-GUÉRIN, Mythe et réalité du doute favorable en matière pénale, op. cit., pp. 291-292.
1122
Article 470 du Code de procédure pénale. Les mêmes dispositions sont prévues par l’article 541 du
Code de procédure pénale pour le tribunal de police et la juridiction de proximité.

339
Le discours sur l’objet

système de l’intime conviction. À cet égard, Mlle Nagouas-Guérin a bien montré que la
certitude dont il est question ne peut s’entendre que d’une probabilité 1123. Or, toute
probabilité implique par elle-même une part de doute. S’il advient que cette dernière est par
trop importante, trop sérieuse, alors corrélativement la probabilité de la culpabilité est trop
faible. Il résulte d’une telle hypothèse que la certitude sur la culpabilité n’est pas suffisante
pour entraîner la condamnation. Mais surtout, cela signifie que le doute qui doit bénéficier à
l’accusé porte cette fois uniquement sur la culpabilité.

La question de l’objet du doute peut également s’entendre d’une façon tout à fait
différente, notamment à travers la question de savoir si le doute qui est favorable à la
personne poursuivie affecte seulement le fait ou s’il peut également porter sur le droit. La
présentation doctrinale du droit positif souffre là encore d’indétermination. La question, qui
n’est pas nouvelle, se pose dès que le juge pénal serait tenté d’invoquer l’obscurité de la loi.
Le doute sur le sens ou la portée de la loi pénale profite-t-il à l’accusé en application de
l’adage in dubio pro reo ? Telle est la question formulée par la doctrine criminaliste. Mais
cette formulation est imprécise car elle élude la question de savoir ce que peut ou doit être
le bénéfice du doute en matière pénale. En effet, la question vise-t-elle à savoir si dans
l’obscurité de la loi le juge doit ou peut relaxer, ou ne concerne-t-elle que le sens favorable
de l’interprétation donnée aux textes ? Il nous semble que de l’imprécision de la question
résulte l’indétermination de la réponse. Abordée essentiellement au titre de l’interprétation
de la loi pénale, la question de savoir si le doute sur le droit profite à l’accusé reçoit des
réponses fort diverses en doctrine. M. Patarin n’avait soulevé la question que pour préciser
que « bien entendu c’est seulement sur le doute sur le point de fait qui profite à l’accusé et
non le doute sur une question de droit » 1124. MM. Merle et Vitu estiment quant à eux que, le
juge, dans le doute, ne doit pas systématiquement adopter la solution la plus favorable à
l’inculpé. Cette solution est justifiée par le fait que l’adage in dubio pro reo est sans valeur
pour l’interprétation des lois 1125. À l’inverse, Mme Rassat soutient que le doute qui profite à
l’accusé peut porter tout aussi bien fait sur le fait que sur le droit. Se fondant sur un arrêt de
1821, pourtant remis en cause par de nombreux arrêts plus récents de la chambre
criminelle 1126, l’auteur justifie cette opinion par l’obligation de clarté dans la rédaction des
textes qui incombe au législateur en vertu du principe de légalité 1127. Se fondant lui aussi

1123
M.-C. NAGOUAS-GUÉRIN, Mythe et réalité du doute favorable en matière pénale, op. cit., pp. 287-288.
1124
J. PATARIN, Le particularisme de la théorie des preuves en droit pénal, op. cit., n° 22, note 106, p. 38.
1125
R. MERLE et A.VITU, Traité de droit criminel, Droit pénal général, 7e éd., op. cit., n° 170.
1126
La décision la plus souvent citée et qui fait office d’arrêt de principe, est l’arrêt de la chambre
criminelle du 12 mars 1984, Bull. n° 102, qui décide que : « le juge pénal ne peut accorder au prévenu le
bénéfice du doute, au motif que la loi visée par la prévention est obscure ou que son interprétation est
incertaine, sans méconnaître ses obligations et violer l’article 4 C. civ. »
1127
V. ses propositions de réforme de la procédure pénale, plus particulièrement la proposition d’insérer
un article premier formulant la règle du doute favorable aussi bien sur le fait que sur le droit et sa
justification.

340
La signification de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal

sur la jurisprudence, M. Essaïd avait expliqué qu’en principe le doute sur le droit est
inopérant. En réalité, les auteurs interprètent le plus souvent la jurisprudence comme
admettant de façon indirecte ou exceptionnelle, le bénéfice du doute en cas d’obscurité
persistante de la loi. Autrement dit, en droit positif, le doute sur le droit ne serait admis qu’à
condition que les juges se soient efforcés d’interpréter la loi et de rechercher son sens 1128.
Dans une telle hypothèse, ils seraient autorisés à relaxer la personne poursuivie en
invoquant l’adage in dubio pro reo. Toutefois, la règle du doute favorable peut se
comprendre comme une règle d’herméneutique et non pas seulement de décision. Il s’agit
alors de privilégier le sens le plus favorable à la personne poursuivie dans l’interprétation de
la loi, ce qui ne conduit pas nécessairement à la relaxe ou l’acquittement. Cette position,
bien qu’assez rarement exposée en doctrine, semble être défendue par les professeurs Conte
et Maistre du Chambon, qui préconisent au juge de tout d’abord rechercher la volonté du
législateur et à défaut de sens réel clair, de privilégier le sens le plus favorable 1129. Une telle
position n’est pas éloignée de celle des professeurs Stéfani, Levasseur et Bouloc qui
estiment que in dubio pro reo et le principe d’interprétation stricte de la loi pénale sont
liés 1130. Le bénéfice du doute apparaît alors distinct de la nécessité ou du pouvoir de relaxer
en cas de doute sur le droit. Plus encore, les auteurs trahissent ici une filiation entre la règle
in dubio pro reo et le principe de la légalité criminelle, lequel impose l’interprétation stricte.
In dubio pro reo ne procède alors plus de la présomption d’innocence dont il serait le
corollaire mais bien du principe nullum crimen sine lege, nulla poena sine lege. Quoi qu’il
en soit, la question de savoir si le doute sur le droit est profitable à l’accusé conserve une
part d’indétermination dans le discours doctrinal. Certains auteurs n’ont d’ailleurs pas hésité
à ignorer purement et simplement la question 1131.

Cette indétermination qui affecte la caractérisation du doute rejaillit et se prolonge dans


la question de la mise en œuvre de l’adage in dubio pro reo.

304. Les conditions de mise en œuvre de la règle du doute favorable. Alors que selon les
enseignements de la doctrine, la présomption d’innocence révèle tout son intérêt au stade de
la décision pénale, par le jeu de l’adage in dubio pro reo, il paraît légitime de se demander
comment nos criminalistes décrivent les conditions de mise en œuvre de cette règle. Le sens
et la portée de la présomption d’innocence dépendent en effet largement des conditions dans
lesquelles l’adage in dubio pro reo est amené à jouer mais aussi de ses effets. Les auteurs

1128
A. LÉGAL, Chronique de jurisprudence, Rev.sc.crim., 1961, p. 337-338 ; V. M.-L. RASSAT, Droit
pénal général, PUF, 2e éd., 1999, n° 124 ; G. STÉFANI, G. LEVASSEUR et B. BOULOC, Droit pénal général,
17e éd., 2000, n° 128 ; A. TONGLET, La présomption d'innocence et les présomptions en droit pénal, op.
cit., n° 395 et s ; M.-C. NAGOUAS-GUÉRIN, Mythe et réalité du doute favorable en matière pénale, p. 289.
1129
PH. CONTE et P. MAISTRE DU CHAMBON, Droit pénal général, 5e éd., 2000, n° 129.
1130
G. STÉFANI, G. LEVASSEUR et B. BOULOC, Droit pénal général, 17e éd., op. cit., n° 128.
1131
Par exemple, C. AMBROISE-CASTÉROT, Rép. Pén. et Proc. Pén., v° Présomption d’innocence.

341
Le discours sur l’objet

affirment assez nettement que c’est l’insuffisance de preuve 1132 qui signe l’existence d’un
doute, ce doute qui doit profiter à la personne poursuivie. Il est donc naturel de s’interroger
sur cette notion. L’insuffisance de preuve est une situation différente de l’absence de
preuve, laquelle devrait logiquement interdire le renvoi de l’affaire au stade du jugement, et
le cas échéant, entraîner la relaxe ou l’acquittement sans faire appel à la règle du doute
favorable.

On peut tout d’abord observer que le Code de procédure pénale ne fait pas directement
référence à une telle notion. De même qu’il n’envisage pas la situation de doute dans
laquelle in dubio pro reo doit jouer 1133. Il est bien question, dans ce code, de charges
suffisantes au stade de l’instruction 1134. Mais comme cela est souvent rappelé, les charges
sont des probabilités (sérieuses) de culpabilité mais non des preuves ; elles autorisent
seulement le renvoi de l’affaire devant la juridiction de jugement, qui seule déterminera si la
personne poursuivie est coupable 1135. De l’insuffisance de preuve, il n’est donc pas traité.
En revanche, la suffisance des preuves est incidemment évoquée dans une des dispositions
du Code de procédure pénale. En effet, le célèbre article 353(ancien article 342 du Code
d'instruction criminelle) relatif à l'instruction lue aux jurés d'assises avant l'entrée en
délibération, adresse aux jurés l'avertissement suivant : « [la loi] ne prescrit pas de règles
desquelles ils doivent faire particulièrement dépendre la plénitude et la suffisance d'une
preuve ». Or, cette allusion à la suffisance des preuves ne peut se comprendre que comme
une référence historique. Il s’agit là d’un rappel destiné à bien marquer la rupture que
l’article 353 entend établir entre le système de la preuve morale par intime conviction qu’il
consacre, et l’ancien système des preuves légales qu’il abolit. Ainsi, en 1791 n’est-il plus
question de se référer à la loi pour connaître la valeur qu’elle reconnaît et impose à telle ou
telle preuve. Cette précision de l’article 353 a valeur pédagogique, elle a pour effet de
libérer magistrats et jurés de toute contrainte quant à la valeur qu’ils peuvent reconnaître
aux preuves qui leur sont présentées. Il semblerait donc que, parler de suffisance ou de
l’insuffisance des preuves ne puisse réellement prendre sens que si l’on se place du point de

1132
R. GARRAUD, Traité théorique et pratique d’instruction criminelle et de procédure pénale, tome I,
op.cit., n° 232 et 234 ; H. DONNEDIEU DE VABRES, Traité de droit criminel, op. cit., n° 1240 ; R. VOUIN et
J. LÉAUTÉ, Droit pénal et procédure pénale, op. cit., p. 226 ; J. PRADEL, Rev.int.dr.pén., 1992, p. 15 ; J.-
C. SOYER, Droit pénal et procédure pénale, op. cit., n° 805 ; J. LARGUIER, Procédure pénale, op. cit., 18e
éd., p. 309 ; A. TONGLET, La présomption d'innocence et les présomptions en droit pénal, op. cit., n° 401.
Certains auteurs préfèrent parfois évoquer l’échec de la partie poursuivante à rapporter des éléments de
preuve décisifs, V. F. DEBOVE et F. FALLETTI, Précis de droit pénal et de procédure pénale, op. cit., p.
226 ; J. PRADEL, Procédure pénale, op. cit., 12e éd., n° 395.
1133
Rappelons à cet égard que le code dit, à l’article 470, et sans autre précision, que : « si le tribunal
estime que le fait poursuivi ne constitue aucune infraction à la loi pénale ou que le fait n’est pas établi,
ou qu’il n’est pas imputable au prévenu, il renvoie celui-ci des fins de la poursuite».
1134
Ce sont les articles 177 et 184 puis 211 et 212 du Code de procédure pénale qui visent expressément
les charges suffisantes, respectivement devant le juge d’instruction et devant la chambre de l’instruction.
1135
P. CHAMBON, Le juge d’instruction, Paris, Dalloz, 4e éd., 1997, n° 696 et 697.

342
La signification de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal

vue du système des preuves légales 1136. La question se pose alors de savoir ce que la
doctrine entend par insuffisance de preuve lorsqu’elle raisonne dans le cadre du système de
l’intime conviction. Il ne semble pas possible de voir dans l’insuffisance de preuve une
insuffisance des moyens de preuve. À cet égard, M. Lagarde a, pour la matière civile,
insisté sur la différence qui existe entre la notion d’insuffisance de preuve et celle de doute :
« L’insuffisance de preuve est un constat de carence dans l’administration de la preuve et
non l’affirmation de ce que la vérité des propositions de preuve est introuvable » 1137.
Comme l’explique l’auteur, la première situation peut être surmontée par l’institution
judiciaire. Cela est d’autant plus vrai pour la matière pénale où le juge joue un rôle actif
dans la recherche des preuves et dispose, de surcroît, de la possibilité de procéder à un
supplément d’information au stade du jugement définitif. La jurisprudence de la chambre
criminelle ne dit d’ailleurs pas autre chose lorsqu’elle sanctionne les juridictions du fond
qui justifient une relaxe sur l’existence d’un doute alors même que ces dernières
admettaient implicitement 1138 ou explicitement 1139 dans leurs motifs qu’il s’agissait en
réalité d’un manque d’information. C’est l’analyse de cette jurisprudence qui a permis à
Mlle Nagouas-Guérin de conclure qu’en droit positif, le doute profite à l’accusé seulement
s’il est insurmontable 1140. Il faut alors conclure que le doute qui profite à l’accusé ne résulte
pas d’une insuffisance de preuve, entendue au sens d’une insuffisance des moyens de
preuves présentés devant le juge.

Lorsque le discours doctrinal énonce que la présomption d’innocence joue, à travers


l’adage in dubio pro reo, lorsqu’il existe une insuffisance de preuve, il ne prend donc pas le
droit positif pour objet. On ne trouve en effet, ni dans la loi ni dans la jurisprudence, la
reconnaissance d’un tel effet du doute ou de l’insuffisance de preuve. Il n’en demeure pas
moins que personne ne saurait contester la positivité de la règle du doute favorable. Seule sa
signification, les réelles conditions de sa mise en œuvre demeurent indéterminées. Il y a

1136
Après rassemblement des preuves, le juge de l’ancien droit avait pour tâche de quantifier leur valeur
par référence aux prescriptions de la loi et l’insuffisance de preuve dans ces conditions lui interdisait
d’entrer en condamnation.
1137
X. LAGARDE, Réflexion critique sur le droit de la preuve, op. cit., n° 160.
1138
Dans un arrêt du 21 février 1952 (Bull. n° 50) la chambre criminelle avait ainsi cassé un arrêt qui
avait relaxé un prévenu en énonçant que les comptes sur lesquels étaient fondées les poursuites ne
permettaient pas à la Cour de vérifier si les bénéfices réalisés par le prévenu dépassaient le pourcentage
autorisé. La censure de la Cour de cassation intervient au motif qu’il appartenait à la Cour d'appel
d'ordonner les mesures complémentaires d'instruction qu'elle constatait avoir été omises et dont elle
reconnaissait implicitement qu'elles eussent été utiles à la manifestation de la vérité et que la Cour d'appel
n'avait pu légalement faire état pour réformer le jugement de condamnation, de l'incertitude qui lui
paraissait exister en faveur du prévenu.
1139
Alors qu’une cour d’appel avait relaxé au bénéfice du doute les prévenus d’un délit informatique, la
chambre criminelle a plus récemment rappelé que : « Encourt la censure la cour d’appel qui, après avoir
constaté l’introduction d’un virus, lors d’un compactage des données du logiciel d’un client, dans des
circonstances laissant penser qu’elle a été volontaire, relaxe le prévenu sans ordonner les auditions et
autres mesures d’investigations dont elle reconnaît la nécessité en précisant les modalités», Cass. crim.,
12 décembre 1996, Bull. n° 465.
1140
M.-C. NAGOUAS-GUÉRIN, Le doute en matière pénale, op. cit., n° 524.

343
Le discours sur l’objet

alors tout lieu d’approfondir cette question et au besoin de formuler une hypothèse quant au
sens et à la portée qu’il convient de reconnaître à l’affirmation selon laquelle le doute
profite à l’accusé.

3) Recherche du sens et de la portée de la règle du doute favorable

305. Problématique. À la suite des constatations précédentes, comment comprendre la


référence doctrinale à l’insuffisance de preuve comme condition de l’existence d’un doute ?
Il paraît logique d’admettre que, dans un système de preuve fondé sur l’intime conviction,
l’insuffisance de preuve correspond à une certitude insuffisante du juge. Parce qu’en
dernière analyse, la preuve ne peut être que ce qui a effectivement convaincu le juge 1141,
l’insuffisance de preuve apparaît comme une condition dépendante exclusivement du juge.
Elle correspond tout simplement au constat par ce dernier qu’il n’est pas certain que
l’infraction soit constituée, c'est-à-dire qu’il n’en a pas la conviction. En ce sens, et en ce
sens seulement, l’insuffisance de preuve peut être confondue avec le doute. Mais on ne voit
alors toujours pas quelle question de droit viendrait résoudre l’application de l’adage in
dubio pro reo. S’il advient que le juge doute, c’est qu’il n’est donc pas convaincu, or cette
absence de certitude se résout naturellement en une relaxe ou un acquittement par
application des prescriptions de la loi 1142 sans qu’il soit besoin de recourir à une règle telle
que celle qui est exprimée par l’adage in dubio pro reo. Autrement dit, dans une telle
hypothèse, le doute profite naturellement, sans qu’il y paraisse, à la personne poursuivie
puisque le juge ne peut affirmer la culpabilité et partant prononcer une condamnation. Cette
situation se rencontre chaque fois que les juges du fond prononcent une relaxe au motif que
la prévention n’est pas établie. Un pourvoi contestant une telle décision ne saurait prospérer,
la Cour de cassation rappelle souvent qu’il s’agit là d’un domaine où l’appréciation des

1141
La doctrine a coutume, lorsqu’elle étudie les preuves pénales, de définir la preuve comme un moyen,
un procédé, visant à convaincre le juge de l’existence des faits et de leur imputabilité à la personne
poursuivie. Toutefois, comme le faisait observer Garraud, la preuve s’entend aussi, dans une acception
plus étroite, comme la démonstration acquise de la vérité. Cette dernière façon d’envisager la preuve nous
paraît ici plus appropriée dès lors qu’il s’agit de s’intéresser, non pas aux moyens dont dispose
l’accusation dans l’administration de la preuve, mais plutôt à ce moment particulier du procès où le juge
doit dire s’il estime le fait établi. Il s’agit là d’une conception « subjective » de la preuve, dans la mesure
où elle reconnaît à la seule conscience du juge le droit de dire ce qui est preuve et ce qui ne l’est pas. La
doctrine, dans un souci de clarté, voire de pédagogie, évite autant que possible d’évoquer la subjectivité
de la preuve par intime conviction. Le terme semble par trop péjoratif et rappeler les critiques nombreuses
qui ont été formulées à l’égard d’un système qui laisserait libre cours à la subjectivité des juges ou des
jurés, qui serait par là arbitraire et dangereux. Pourtant, sainement entendue, l’invocation du caractère
subjectif de la preuve vise simplement à considérer la réalité judiciaire. La doctrine l’envisage parfois
ainsi : «Est preuve, non ce qui est convaincant, mais ce qui a convaincu et, bien plus, ce qui a convaincu
le juge», C. LOMBOIS, La présomption d’innocence, op. cit., p. 89; adde. G. LEVASSEUR, Le droit de la
preuve en droit pénal français, in PERELMAN (CH.) et FORIERS (P.) (dir.), La preuve en droit, Bruxelles,
Bruylant, 1981, p. 180.
1142
Particulièrement les articles 427 et 353 combinés qui abandonnent l’appréciation des éléments de
preuve au juge tout en exigeant qu’il se montre certain, ce qu’atteste d’ailleurs le contrôle exercé par la
Cour de cassation sur les motifs de juges du fond.

344
La signification de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal

juges est souveraine 1143. Il faut admettre par conséquent que le jeu de l’adage in dubio pro
reo suppose une situation particulière, que la loi ne prévoit d’ailleurs pas. Pour s’en
convaincre, il suffit de prêter attention au fait que l’application de la règle du doute
favorable ne se manifeste, ne s’offre à l’observation, qu’à travers les décisions rendues au
bénéfice du doute. Or, ces dernières ne sont pas prévues par la loi. Elles correspondent en
réalité à une pratique judiciaire. Dans de telles décisions, et conformément à l’adage in
dubio pro reo, le doute fait l’objet d’un bénéfice que les juges énoncent, alors que dans
l’hypothèse précédente, celle où les juges se contentent de relaxer au motif que la preuve
n’est pas rapportée, le doute profite également au prévenu sans qu’il en soit fait mention. Il
y a bien là la preuve que la mise en œuvre de la règle du doute favorable suppose des
circonstances particulières. Pourtant, le discours doctrinal n’offre pas d’expliciter ces
conditions. Certains auteurs ont tout au plus regretté la sévérité de la Cour de cassation dans
le contrôle qu’elle exerce sur la motivation du doute dont les juges du fond entendent faire
bénéficier l’accusé 1144. Dernièrement, Mlle Nagouas-Guérin étudiant au plus près cette
question ne semble pas davantage avoir découvert à la fois le sens de l’adage in dubio pro
reo et celui de cette jurisprudence. Il est pourtant opportun de se demander quel problème la
mise en œuvre de cette règle vise à résoudre.

306. L’objet du doute favorable. Prendre le phénomène de la relaxe au bénéfice du


doute 1145 pour point de départ est peut-être la meilleure façon d’engager la recherche. Ce
type de jugement n’a guère suscité l’intérêt doctrinal. Lorsqu’un auteur s’était aventuré à en
faire la critique 1146, ses propos étaient passés quasiment inaperçus, seul M. Essaïd s’y est

1143
La chambre criminelle rejette ce type de pourvoi en énonçant toujours les mêmes motifs. Récemment,
dans une poursuite pour abus de confiance, une cour d’appel avait relaxé le prévenu au motif que
« l'infraction d'abus de confiance n'est pourtant pas constituée faute de preuve rapportée qu'il ait été
commis au préjudice de la société X... ». La Cour de cassation rejette alors le pourvoi de la partie civile en
énonçant : « Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué mettent la Cour de cassation en mesure de
s'assurer que la cour d'appel a, sans insuffisance ni contradiction, et en répondant aux chefs
péremptoires des conclusions dont elle était saisie, exposé les motifs pour lesquels elle a estimé que la
preuve de l'infraction reprochée à Yves-Marie X... n'était pas rapportée à la charge de celui-ci, en l'état
des éléments soumis à son examen, et a ainsi justifié sa décision déboutant la partie civile de ses
prétentions ; D'où il suit que le moyen, qui se borne à remettre en question l'appréciation souveraine, par
les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve
contradictoirement débattus, ne saurait être admis. », Cass. crim., 22 septembre 2004, inédit, pourvoi n°
03-85307.
1144
M.-J. ESSAÏD, La présomption d’innocence, op. cit., n° 523; A. TONGLET, La présomption d'innocence
et les présomptions en droit pénal, op. cit. , n° 400.
1145
On ne raisonnera pas ici sur l’acquittement au bénéfice du doute qui n’existe plus depuis qu’une
majorité qualifiée de 8 voix est exigée par la loi pour qu’une décision défavorable à l’accusé en cour
d’assises puisse être prononcée et particulièrement pour une décision sur la culpabilité. Ce type
d’acquittement existait lorsque un même nombre de voix (six) s’étaient prononcées pour et contre
l’accusé. De toute façon, il nous semble que le doute dont il s’agissait là se présente bien différemment de
celui qui est évoqué par les autres juridictions pénales. Le doute est en quelque sorte ici objectif, il résulte
du partage des voix et porte sur la décision à prendre. Au sein des autres juridictions pénales, qu’elles
siègent à juge unique ou collégialement à trois juges, le doute est un doute subjectif, celui du ou des juges
s’exprimant d’une seule voix. Mais il ne résulte jamais d’un partage des votes.
1146
R.-P. TORREBLANCA, La relaxe au bénéfice du doute, op. cit.

345
Le discours sur l’objet

référé tout en tenant l’opinion de l’auteur pour isolée 1147. C’est que la relaxe au bénéfice du
doute est analysée, en doctrine, pour ce qu’elle est : une manifestation, la seule
manifestation, de l’application de l’adage in dubio pro reo. Autrement dit, critiquer la
relaxe au bénéfice du doute reviendrait à remettre en question la règle du doute favorable et
donc la présomption d’innocence de laquelle elle serait tirée. Toutefois, cette critique a été
reprise il y a peu par certains auteurs qui sont pourtant favorables à la présomption
d’innocence, et qui la défendent même contre les atteintes que lui portent les relaxes au
bénéfice du doute 1148. La relaxe au bénéfice du doute est en effet critiquable dans la mesure
où, même si elle produit les mêmes effets juridiques qu’une relaxe pure et simple, elle laisse
cependant planer un soupçon sur l’innocence de la personne renvoyée de la poursuite,
soupçon qui lui est préjudiciable 1149. Reste alors, comme y invitait déjà M. Torreblanca, à se
demander pourquoi notre droit admet que des décisions de relaxe soit motivées par le doute,
et par là leur signification pourra être connue. Autrement dit, il convient de se demander
pourquoi les juges ont recours à la relaxe au bénéfice du doute et ne se contentent pas de
relaxe pure et simple comme le prévoit la loi ? Il faut le répéter, les relaxes au bénéfice du
doute ne sont pas véritablement fondées sur le doute que le juge ou les juges éprouveraient
quant à la culpabilité de la personne poursuivie à l’issue du procès, ce doute là trouvant une
solution dans l’application pure et simple de la loi.

En réalité, la mise en œuvre de la règle du doute favorable nous semble bien plutôt
supposer l’existence d’un doute sur l’innocence de la personne relaxée. C’est ce qu’atteste
tout d’abord l’idée que la relaxe au bénéfice du doute est préjudiciable parce qu’elle laisse
planer la suspicion sur l’honnêteté de celui qui en est l’objet. Mais c’est surtout l’histoire du
droit pénal qui nous semble éclairer tout particulièrement le sens de la règle du doute
favorable.

307. Les effets du doute dans le système des anciennes preuves légales. Si l’ancien
système de preuve pénale appelé « théorie des preuves légales » semblait, à son origine, très
protecteur des accusés, il faut toutefois se souvenir qu’il a rapidement subi des
aménagements de la part de la pratique judiciaire, aménagements et assouplissements que
l’ordonnance criminelle de 1670 avait consacrés. L’objectif de parvenir à la vérité avant de
1147
M.-J. ESSAÏD, La présomption d’innocence, op. cit., n° 491.
1148
Ce sont MM. Conte et Maistre du Chambon qui ont semble-t-il ravivé cette critique dans les années
quatre-vingt-dix, V. Procédure pénale, op. cit., 1re éd., p. 25 ; Les auteurs, leur faisant suite, sont alors
désormais plus enclins à souligner la contradiction qui existe entre ce type de décision et la
reconnaissance de la présomption d’innocence : V. P. BALLANDIER, Pour une défense de la présomption
d’innocence, op. cit., p. 51 ; A. TONGLET, La présomption d'innocence et les présomptions en droit pénal,
op. cit. , n° 405 ; C. AMBROISE-CASTÉROT, Rép. Pén. et Proc. Pén., v° Présomption d’innocence, n° 33 ;
S. DETRAZ, La prétendue présomption d’innocence, op. cit., n° 19 ; G. STÉFANI, G. LEVASSEUR et B.
BOULOC, Procédure pénale, op.cit., 20e éd., n° 123 : « Du fait de la présomption d’innocence, la mention
du doute ne doit pas figurer dans la décision judiciaire. »
1149
V. infra, n° 329, pour l’effet paradoxal de la relaxe au bénéfice du doute sur le statut de son
bénéficiaire.

346
La signification de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal

pouvoir prononcer une condamnation impliquait de fortes exigences. La plus connue réside
dans la tarification des preuves. On peut à cet égard rappeler, pour l’exemple, la valeur que
la loi reconnaissait au témoignage. Reprenant la maxime « testis unus, testis nullus » du
droit romain, la théorie des preuves légales n'admettait pas qu'un témoignage unique puisse
valoir preuve suffisante de la culpabilité, ce ne pouvait donc être une preuve pleine. La
preuve complète par témoignage n’était alors formée qu'à condition que deux témoins
irréprochables attestent du même fait. La règle est simple en apparence mais se complique
considérablement si l’on a égard au comptage mathématique qu’impose le système à partir
du moment où un seul témoignage ayant été recueilli, d'autres éléments de preuve viennent
confirmer le même fait 1150.

La question qui nous intéresse ici est de savoir ce qui se passait lorsque, après décompte
des éléments de preuve dont il disposait, le juge ne parvenait pas à une preuve pleine ou
complète de culpabilité. La théorie était claire, les preuves étant insuffisantes, c’est
l’absolution 1151 qui devait être prononcée. Toutefois, l’existence de preuves de culpabilité,
quoique insuffisantes au regard de la loi, était de nature à provoquer, chez le juge de
l’ancien droit, un doute sérieux sur l’innocence de l’accusé. La théorie des preuves légales a
dû ainsi évoluer et admettre plusieurs institutions pour pallier à cette insuffisance de preuve
et parvenir à la preuve complète. C’est tout d’abord l’institution de la Question 1152,
autrement dit de la torture, au stade de la recherche de la preuve de culpabilité. Continuant
d’évoluer, la théorie des preuves légales n’exigera une preuve complète que pour la
condamnation à la peine capitale. Une nouvelle institution apparaît alors : la Question avec

1150
« La certitude qui permettait de passer jugement résultait des dires de deux témoins irréprochables.
Un seul témoin de cette qualité constituait une demi-preuve qui devait être complétée, soit par des
indices, soit par l'aveu de l'accusé, extorqué par la torture (...) la loi prétendait tenir compte de toutes les
causes qui rendaient le témoignage douteux (...). Le juge n'avait pas à se demander si en l'espèce, ces
causes avaient vraiment joué. », B. SCHNAPPER, Les témoins reprochables dans l'ancien droit pénal, in
Voies nouvelles en histoire du droit, Paris, PUF, 1991, p.147.
1151
« L’absolution est un jugement par lequel un accusé, est, faute de preuve, absous et déclaré innocent
du crime dont il avait été accusé », V. C.-J. DE FERRIÈRE, Dictionnaire de droit et de pratique, Paris,
Brunet, 1769, tome I, v° Absolution.
1152
La Question, d’abord apparue en pratique est passée dans les ordonnances de Blois (1498), Villers-
Cotterêts (1539) et l’ordonnance criminelle de 1670. Juridiquement, la Question est fondée sur l'existence
d'indices laissant présumer la culpabilité et l'absence de preuve pleine pour mener directement à la
condamnation. La Question dite préparatoire précède le jugement définitif et vise à contraindre l'accusé à
confesser son crime dans les cas d'accusation capitale, tandis que la Question dite préalable ordonnée par
le jugement définitif, est appliquée aux accusés condamnés à mort en vue d’obtenir la dénonciation de
leurs complices. L'avantage de la Question préparatoire est de compléter des charges insuffisantes par
l'obtention d'un aveu, afin de former une preuve pleine de culpabilité permettant une condamnation.
L'aveu, contrairement à ce que l'on laisse très souvent entendre, ne constitue pas à lui seul une preuve
pleine. S'il est qualifié de « probatio probatissima » c'est en raison de sa valeur en tant que complément
de preuve. Les criminalistes ont très tôt dénoncé les dangers suscités par les différentes causes de faux
aveux et n'admettaient pas le prononcé d'une peine capitale sur son seul fondement. En revanche, il a
acquis à titre de complément une valeur certaine du point de vue de la certitude qu'il conférait. Il faut
donc dire que complété par des indices, l'aveu représente la meilleure, et la plus sûre des preuves, qui
manquait au juge. Dans l'hypothèse où l'accusé persistait à nier le crime dont il était accusé le juge se
voyait dans l'obligation de le considérer comme innocent et par conséquent de le relaxer.

347
Le discours sur l’objet

réserve de preuves. Elle permet, au juge qui estime que les preuves rassemblées demeurent,
quoique le crime n’ait pas été avoué, de prononcer des peines moindres. Elle se trouve
légalisée par l’article 2 du titre XIX de l’Ordonnance de 1670 qui prévoit que : « nonobstant
la condamnation à la question, les preuves subsisteront en leur entier, pour pouvoir
condamné l’accusé à toutes sortes de peines pécuniaires ou afflictives, excepté toutefois
celle de mort à laquelle l’accusé qui aura souffert la question sans rien avouer, ne pourra
être condamné, si ce n’est qu’il survienne de nouvelles preuves depuis la question ». Il
s’agit donc de modérer la peine en fonction des preuves recueillies 1153. L’insuffisance de
preuve est ensuite dépassée dans l’hypothèse où la preuve apparaît insuffisante non
seulement pour condamner mais aussi pour appliquer l’accusé à la Question. La pratique,
pour s’affranchir de la rigueur de la théorie des preuves légales, invente deux sortes de
jugement, le plus amplement informé 1154 et le hors de cour 1155, qui manifestent le refus du
juge d’absoudre alors que les preuves sont insuffisantes.

Toutes ces institutions ne se comprennent que parce que le système des preuves légales
interdisait au juge d’apprécier la valeur des preuves. Mais ce dernier a su inventer les
moyens de contourner les exigences légales et de s’octroyer de plus en plus de pouvoir dans
l’appréciation des preuves. Autrement dit la Question, aussi bien que le plus amplement
informé et le hors de cour, doivent être compris comme les premières manifestations de
l’intime conviction des juges dans l’appréciation des preuves. Là où la théorie affirme
l’insuffisance de preuve, et donc une culpabilité douteuse, le juge apprécie l’innocence et la
déclare à son tour douteuse. Le système de l’intime conviction avait donc commencé à
s’appliquer, de fait, bien avant l’abandon officiel du système des preuves légales. C’est
d’ailleurs ce dont témoigne M. Astaing, en décrivant toute la période du XVIIIe siècle au
cours de laquelle le système des preuves légales tombe en désuétude tandis que l’intime
conviction gagne du terrain. C’est de cette situation que résulteront les condamnations

1153
Cette question du pro modo probationum, et sa réception dans la doctrine de l’ancien droit, ont fait
l’objet d’une étude particulière : Y. BONGERT, Le pro modo probationum : intime conviction avant la
lettre ? Rev. hist. droit., 2000, n°1, p.13.
1154
Le jugement de « plus amplement informé», aujourd'hui évoqué en doctrine comme signe d'une
méconnaissance totale de la présomption d’innocence, est un jugement dit interlocutoire (il intervient
pendant le procès, par opposition au jugement définitif qui met un terme au procès) prononcé par les
juges en l'absence de preuve suffisante pour condamner et dans l'attente de la découverte de preuves
supplémentaires. Cette attente, pendant laquelle l'accusé est dit « in reatu », c'est-à-dire sous le coup de la
justice, et généralement emprisonné, peut s'étendre à un an ou à l'infini.
1155
La mise « hors de cour » ou renvoi « hors de cour » doit se comprendre comme un moyen terme entre
l'absolution attestant de l'innocence de l'accusé et la condamnation. Quoique véritablement insuffisantes
pour permettre une condamnation, les preuves dont dispose le juge sont cependant d'une importance telle
que sa conviction de la culpabilité l'empêche d'absoudre complètement l'accusé. On dit alors que le hors
de cour, tout en libérant l'accusé sans lui infliger de peine, laisse cependant peser sur lui le soupçon d'une
probable culpabilité que les règles prescrites par la théorie des preuves n’ont pu permettre de démontrer.
De l'existence de ces preuves insuffisantes pour déclarer la culpabilité on déduit en effet que l'accusation
n'avait pas été intentée sans quelque fondement et que l'on ne pouvait condamner la partie civile aux
dépens et dommages-intérêts.

348
La signification de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal

odieuses à l’origine des scandales judiciaires de l’époque. Elles sont odieuses, explique M.
Astaing, parce qu’elles sont dénuées de logique et de rationalité, voire de bon sens.
Toutefois, l’auteur fait observer que « pourtant ce que condamnent les auteurs des
Lumières (sans le savoir) ce n’est pas le système des preuves légales, ce sont les dérives
dangereuses de l’intime conviction dans le cadre moribond des preuves légales » 1156. C’est
donc le jeu concomitant des preuves légales, tarifiées, protectrices, avec l’appréciation des
juges, qui crée ces situations illogiques et contraires à la protection des accusés.

C’est dans un tel contexte que certains criminalistes ont, selon nous, invoqué l’adage in
dubio pro reo. Lorsque le juriste Stübel puise dans les règles du droit romain pour formuler
cette maxime, c’est pour lutter contre la pratique judiciaire allemande consistant à appliquer
la peine du soupçon. S’apparentant aux institutions françaises ci-dessus évoquées, cette
pratique est une persistance de l’absolutio ab instantia dans le ius commune du XVIe au
XVIIIe siècle 1157.

Toutes ces raisons laissent donc à penser que l’invocation de la règle du doute favorable
ne se comprend que dans les cas particuliers, mais nombreux, où le juge interprète, en
conscience, l’insuffisance des preuves légales comme l’existence d’un doute sur
l’innocence. On peut alors considérer que dans une telle hypothèse coexistent deux sortes
de doute, d’une part, le doute « légal » sur la culpabilité de l’accusé qui résulte de
l’insuffisance de preuves et d’autre part, un doute « judiciaire » qui porte quant à lui sur
l’innocence et se nourrit de la même insuffisance de preuves. Il faut en outre remarquer que
si le juge peut donner quelques effets à son doute sur l’innocence, c’est parce qu’il laisse
s’exprimer son intime conviction.

Il y a alors lieu de se demander si, l’invocation de la règle du doute favorable, et par là


de la présomption d’innocence, n’aurait pas pour fonction de limiter le jeu de l’intime
conviction du juge. Une telle hypothèse pourrait néanmoins apparaître saugrenue. Les
pénalistes ont plutôt coutume d’enseigner la proposition inverse : l’intime conviction serait
une limite à la présomption d’innocence. L’affirmation signifie que l’intime conviction a le
pouvoir de renverser la présomption d’innocence. Elle signifie également que l’intime

1156
A. ASTAING, Droits et garanties de l'accusé dans le procès criminel d'ancien régime, op. cit., n° 622.
1157
M. SCHMOECKEL, L’absolutio ab instantia, op. cit. L’absolutio ab instantia puise ses origines dans le
droit romain et vise à surmonter la difficulté posée par l’apparition de l’autorité de la chose jugée. Ce type
de jugement est apparu tardivement en France, mais cette dernière connaissait le plus amplement informé
et le hors de cour qui jouent un rôle identique. Mathias Schmoeckel donne un exemple de la fonction
jouée par l’absolutio ab instantia et il nous semble illustrer parfaitement les conditions dans lesquelles le
doute sur l’innocence éprouvé par le juge a commencé à produire des effets. Cet exemple est fourni par
une question que pose le juriste italien Antoine a Butrio dès le XIV e siècle à propos d’un cas où le crime
n’avait pas été prouvé : « Faute de preuve, le juge devrait acquitter l’accusé, mais que peut-il faire s’il a
des doutes contre l’accusé ? En bonne règle, il ne peut décider que sur des faits prouvés, et non selon sa
conscience. Antoine a Butrio insiste sur le risque d'une relaxe : si l'on trouve des preuves plus tard, on ne
pourra plus condamner : il propose donc d'acquitter seulement ab instantia.», n° 3, p. 174.

349
Le discours sur l’objet

conviction peut nuire à la présomption d’innocence ; et il n’est pas exclu d’envisager que le
discours sur la présomption d’innocence puisse être construit de manière à limiter le jeu de
la libre appréciation des preuves.

308. L’hypothèse de la présomption d’innocence comme limite à l’intime conviction. Il


n’y a aucun intérêt à invoquer la règle du doute favorable pour régir une situation de doute
légal. Dans une telle situation, c’est le doute éprouvé par le juge quant à l’innocence qui
parait devoir être encadré. Selon M. Torreblanca, qui a cherché les origines de la relaxe au
bénéfice du doute dans le droit romain de l’Empire, Gaius formula la règle semper in dubiis
benigniora praeferenda sunt, à une époque où précisément la preuve est légale et où il
existe « un conflit entre la vérité légale et la vérité de la conscience » 1158. L’auteur conclut
que ce serait pour dépasser cette contradiction que Gaius aurait formulé cette règle. Cette
analyse rejoint les précédentes pour conclure que la difficulté que vise à résoudre le
bénéfice du doute, réside dans l’intime conviction du juge.

On aura toutefois remarqué que si l’intime conviction constitue la source du problème


posé par le doute, c’est toujours dans un contexte juridique particulier, celui où les preuves
légales sont toujours en vigueur. On serait alors tenté de se demander si la règle du doute
favorable a encore lieu de trouver à s’appliquer de nos jours alors que le système de la
preuve morale est pleinement consacré et que de toute façon, la relaxe au bénéfice du doute
produit, contrairement aux jugements d’absolutio ab instantia, les mêmes effets qu’une
relaxe pure et simple. À cet égard, et comme le soulignait M. Torreblanca, la relaxe au
bénéfice du doute dans la procédure pénale moderne se présente comme une anomalie 1159. Il
nous semble pourtant que le changement de système de preuves pénales n’a pas privé les
décisions rendues au bénéfice du doute de toute signification. Ces dernières continuent
d’exprimer, comme ses actuels détracteurs le soulignent, un doute sur l’innocence des
personnes ainsi relaxées. En effet, si les juges ne sont pas bridés par un « tarif » affecté à
chaque preuve, d’autres contraintes leur sont imposées dans l’appréciation des preuves, qui
les mettent ainsi dans une situation presque semblable à celle dans laquelle se trouvaient les
juges de l’ancien droit. Cela peut s’expliquer par plusieurs raisons.

Tout d’abord, l’intime conviction est limitée par la loi elle-même à plusieurs égards.
D’une part, notre procédure pénale connaît en effet des « vestiges du vieux système des
1160
preuves légales » . D’autre part, le principe de la liberté de la preuve, qui est le

1158
R.-P. TORREBLANCA, La relaxe au bénéfice du doute, op. cit., p. 226.
1159
Elle découlerait d’un scepticisme préjudiciable à l’autorité de la justice et aux intérêts du justiciable
tout en constituant une pratique illégale.
1160
Ces vestiges résultent de certains procès-verbaux de constatation. Ce sont tout d’abord les procès-
verbaux qui valent jusqu’à preuve contraire et dont la liste est fort longue. Ce sont ensuite les procès-
verbaux qui valent jusqu’à inscription de faux. V. J. BUISSON, Rép. Pén. et Proc. Pén., v° Preuve.

350
La signification de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal

complément indispensable de l’intime conviction, n’est pas sans limite. Le principe de la


légalité de la procédure pénale resurgit dans le cadre plus particulier de la recherche et de
l’administration de la preuve 1161 pour venir le limiter et par contrecoup limiter l’intime
conviction. Ainsi, tous les moyens pour parvenir à la preuve ne sont pas admis. Deux
grandes limites s’y opposent 1162 : une nécessaire loyauté des personnes ayant pour mission
de rechercher les preuves et le respect de la personne poursuivie, dans sa dignité et sa vie
privée.

Ensuite, la preuve pénale moderne, bien que libre et laissée à l’appréciation souveraine
des juges du fond, doit être rationnelle. C’est ce qu’enseigne la doctrine depuis le XIXe
siècle. La doctrine a en effet largement contribué à rendre l’intime conviction contraignante
pour le juge. Pour y parvenir, elle a élaboré dès le début du XXe siècle une théorie de la
preuve pénale et par là offert aux juges des guides dans l’appréciation des preuves1163.
L’œuvre du magistrat François Gorphe en est, pour la France, une bonne illustration.
Favorisé et largement inspiré par les sciences nouvelles et particulièrement la psychologie
judiciaire, L’appréciation des preuves en justice, est une méthode d’appréciation des
preuves adressée au juge. Elle est fondée sur une volonté de « réduire le plus possible la
part de l’empirisme incertain et du subjectivisme arbitraire, en donnant à la technique des
directives rationnelles, inspirées des méthodes scientifiques modernes» 1164. Il s’agit alors
d’une entreprise d’objectivation de la preuve pénale à laquelle l’ensemble de la doctrine
pénale du XXe siècle a participé. Il est d’ailleurs frappant de constater que la doctrine
moderne, bien qu’à un degré moindre, est en matière de preuve, l’héritière de la doctrine de
l’ancien droit. Si les anciennes preuves légales, d’ailleurs d’origine doctrinale, ont disparu,
toute détermination a priori de la valeur des preuves n’a pas, quant à elle, été abandonnée.
Gorphe précise ainsi que la méthode proposée « vise, non pas à fournir des procédés tout
préparés, ni une technique précise et complète, mais seulement des directives rationnelles
et appropriées pour déterminer la valeur des preuves ou éléments de preuve (preuves
complètes ou incomplètes) produits ». On peut alors être surpris de constater que, sous

L’appréciation des preuves est encore limitée, lorsque le juge pénal statue sur une question de droit civil
car dans ce cas, il est soumis aux règles de droit civil.
1161
Sur la liberté de la preuve et l’ensemble des contrôles qui sont effectuées jusqu’au jugement définitif,
V. E. MOLINA, La liberté de la preuve des infractions en droit français contemporain, PUAM, 2001.
1162
V. par exemple, J. BUISSON, Rép. Pén. et Proc. Pén., v° Preuve, n° 84 et s.
1163
C’est d’ailleurs bien l’objet d’une théorie de la preuve pénale que de « Déterminer les moyens à l’aide
desquels on peut constater avec la plus grande certitude, la vérité des faits qui sont l’objet des débats
judiciaires, soit en matière civile, soit en matière criminelle ». Il s’agissait du sujet proposé par
l’Académie des sciences morales et politiques en 1836. Son rapporteur, citant l’un des mémoires soumis à
l’Académie, rappelait qu’« il ne suffit pas d’avoir la certitude d’un fait, il faut l’avoir à juste titre. Il est
des certitudes trompeuses. », V. J.-M. PORTALIS, De la preuve en matière civile et criminelle, rapport, op.
cit., p. 187.
1164
F. GORPHE, L’appréciation des preuves en justice, essai d’une méthode technique, Paris, Sirey, 1947,
p. 19.

351
Le discours sur l’objet

couvert de n’envisager que le critère général de la valeur probante 1165, Gorphe présente tout
de même chacun des modes de preuves selon une hiérarchie fondée sur le crédit que le juge
peut en tirer 1166. L’objectivation de la preuve par la doctrine passe en réalité, à l’instar du
travail de Gorphe, par une attention particulière portée aux moyens de recueillir la preuve.
La preuve scientifique, dont le développement est encouragé, doit offrir, dès la phase
préparatoire du procès, une objectivité à laquelle le juge sera invité à se fier. C’est en
sélectionnant et évaluant les nouveaux moyens de preuve que la doctrine entend objectiver
la preuve et ainsi contenir et rationaliser l’intime conviction du juge 1167. Cette objectivation
répond au même souci que celui qui présidait à l’élaboration de la théorie des preuves
légales, déterminer les moyens de parvenir à la certitude des faits sur lesquels le juge doit
statuer. En réalité, et comme l’annonçaient déjà les travaux de Gorphe, la qualité des
éléments de preuve qui seront soumis au juge, les seuls sur lesquels il est autorisé à se
prononcer 1168, est évaluée dans la phase de recueillement. Le recours croissant à la preuve
scientifique est à double tranchant. Il est justifié par la recherche de la vérité mais il suppose
également que la fiabilité des moyens scientifiques soit évaluée. La doctrine participe à
cette évaluation 1169 de même qu’elle contribue à l’encadrement des moyens utilisés pour
recueillir ces preuves.

Il en résulte que, en théorie, les éléments qui seront appréciés par le juge présentent
toutes les qualités d’objectivité et de fiabilité. Les preuves sont, à ce titre, légales 1170 et le
juge ne devrait normalement pas porter son appréciation sur des preuves obtenues

1165
Ce critère général réside dans la concordance des preuves lorsqu’elles sont mises en rapport. V. p.
165.
1166
On s’étonnera de lire sous la plume de cet auteur que l’aveu reste la plus sûre des preuves et constitue
une preuve complète. V. L’appréciation des preuves en justice, essai d’une méthode technique, op. cit., p.
457. Certes l’auteur précise que tout le travail du juge sera de s’assurer de la sincérité de cet aveu, mais le
propos, tant sur le fond que dans la forme, rappelle tout de même un exposé de la théorie des preuves
légales.
1167
Le professeur Belge Robert Legros a offert une belle démonstration de ce souci de rendre l’intime
conviction contraignante en l’objectivant. L’accent était mis sur le caractère légal de la preuve pour ce qui
touche à sa recherche et à son administration. L’auteur a en effet surtout insisté pour faire admettre qu’en
droit pénal, comme en droit civil, la preuve est soumise à la légalité et que la conviction du juge doit être
l’effet d’une preuve. Ainsi écrit-il qu’« Il faut des éléments de preuve. La simple conviction ne suffirait
pas.», V. R. LEGROS, La preuve légale en droit pénal, in PERELMAN (CH.) et FORIERS (P.) (dir.), La preuve
en droit, op. cit., n° 9.
1168
« Hors les cas où la loi en dispose autrement, les infractions peuvent être établies par tout mode de
preuve et le juge décide d'après son intime conviction.
Le juge ne peut fonder sa décision que sur des preuves qui lui sont apportées au cours des débats et
contradictoirement discutées devant lui » dispose l’article 427 du Code de procédure pénale.
1169
L’emploi des méthodes scientifiques avait notamment fait l’objet d’un colloque de l’association
internationale de droit pénal en 1972, l’objectif était de mettre à la disposition des juges des éléments de
conviction susceptibles d’amener la condamnation de l’auteur identifié grâce aux procédés techniques, V.
G. LEVASSEUR, Les méthodes scientifiques de recherche de la vérité, Rev.int.dr.pén., 1972, p. 319. Lors
de ce colloque, un auteur avait même fait observer que le mécanisme de l’intime conviction n’est pas
exclusif d’un certain usage de la preuve légale et que la preuve scientifique peut combler n’importe quel
système de preuve : J. SUSINI, Place et portée du polygraphe dans la recherche judiciaire de la vérité, p.
256.
1170
Dans le même sens où l’entendait Robert Legros, V. La preuve légale en droit pénal, op. cit.

352
La signification de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal

illégalement 1171, qui sont d’ailleurs écartées des débats judiciaires 1172 alors même qu’elles
offriraient une connaissance certaine de la réalité de l’infraction, autrement dit de la vérité.
L’ensemble de ces exigences et limites se résume dans l’idée maintes fois énoncée que le
système de l’intime conviction ne signifie aucunement qu’un juge pourrait condamner sans
preuve 1173. On pourrait alors préciser ici : sans preuve suffisante, c'est-à-dire sans preuve
fiable ou légalement obtenue. Autant dire que l’intime conviction n’implique pas une liberté
aussi grande qu’il pourrait y paraître de prime abord, particulièrement lorsqu’on la met en
regard de la théorie des preuves légales 1174. L’insuffisance de preuve peut donc encore avoir
un sens pour le juge, comme en atteste d’ailleurs les nombreuses décisions rendues encore
aujourd’hui au bénéfice du doute.

Lorsque la doctrine pénale enseigne que le doute doit profiter à l’accusé en s’appuyant
sur l’adage in dubio pro reo, elle traduit encore aujourd’hui cette exigence de la preuve
certaine de culpabilité. Or, la doctrine continue de jouer un rôle dans la détermination de ce
que peut être une preuve valable, une preuve certaine 1175. Il en résulte que, invoquer l’adage
in dubio pro reo, constitue une directive adressée au juge. Bien que convaincu intimement
de la culpabilité, si les preuves sont insuffisantes ou irrecevables le juge devra relaxer1176.
C’est ce que fait ce dernier lorsqu’il motive sa décision en la fondant sur le doute favorable.
Et l’on comprend ici qu’il s’agisse d’une faveur. Il est demandé au juge d’interpréter
favorablement son doute sur l’innocence. Quoique convaincu intimement 1177,

1171
V. J. BÉNÉDICT, Le sort des preuves illégales dans le procès pénal, Lausanne, Pro Schola 1994.
L’auteur définit l’illégalité soit comme l’inobservation d’une disposition légale, soit comme le non
respect d’un principe général de procédure pénale.
1172
Mais cette exigence est assouplie par la jurisprudence de la Cour de cassation qui admet notamment
que le juge puisse prendre en considération les preuves produites par la partie civile alors même qu’elles
auraient été obtenues de manière illégale, V. Par exemple, Cass. crim., 30 mars 1999, Bull. n° 59,
L’admission de la preuve illégale : la chambre criminelle persiste et signe, note TH. GARÉ, D. 2000, p.
391; Cass. crim., 11 juin 2002, Bull. n° 131 :« Aucune disposition légale ne permet aux juges répressifs
d'écarter les moyens de preuve produits par les parties au seul motif qu'ils auraient été obtenus de façon
illicite ou déloyale. Il leur appartient seulement, en application de l'article 427 du Code de procédure
pénale, d'en apprécier la valeur probante après les avoir soumis à la discussion contradictoire».
1173
« Lorsqu’il est appliqué à l’administration de la preuve, le principe de légalité limite également
l’intime conviction du juge répressif, dans la mesure où il appartient à celui-ci d’apprécier la valeur des
éléments de probatoires produits et de rejeter les preuves illégalement recueillies qui ne peuvent
permettre la motivation de sa décision », J. BUISSON, Les limites de l’intime conviction du juge répressif,
Procédures, 2000, Chr. n° 6, p. 4.
1174
L’ultime contrainte du juge, dans la phase de jugement réside dans l’obligation de motiver ses
décisions.
1175
« Le juge ne doit pas être habilité à s’appuyer sur n’importe quel procédé pour parvenir à la
manifestation de la vérité : le moyen doit être revêtu d’une valeur probante suffisante, de telle sorte qu’il
permette de cerner la vérité avec certitude », écrit un auteur en s’appuyant sur deux autres auteurs
suisses, J. BÉNÉDICT, Le sort des preuves illégales dans le procès pénal, op. cit., p. 46 au sujet du critère
de la valeur probante.
1176
C’est en tout cas ce qu’avaient décidé, par exemple, les juges angevins : « Une preuve irrecevable
doit être écartée du dossier, en sorte que si elle était la seule preuve proposée, le prévenu doit être
acquitté au bénéfice du doute », Trib. Correct. Angers, 7 septembre 1999, Gaz. Pal. 2000, n°44-46, p.28,
chronique J.-P. DOUCET.
1177
On pourrait dire ici subjectivement.

353
Le discours sur l’objet

personnellement, de la culpabilité, il lui est imposé de se résoudre à relaxer 1178. La relaxe au


bénéfice du doute permet tout simplement au juge d’exprimer le doute qui subsiste même si
l’accusation a échoué dans la démonstration de la culpabilité. Cette nécessité s’explique
semble-t-il par le principe de manifestation de la vérité 1179. L’hypothèse de la relaxe au
bénéfice du doute suppose en effet que la culpabilité n’a pas été complètement prouvée, si
bien qu’aucune vérité sur cette dernière ne peut être énoncée. Toutefois, de cette vérité
imparfaite résulte également une autre vérité : l’innocence ne peut pas être davantage
affirmée. Ne pas se résoudre à relaxer purement et simplement répond à l’exigence de vérité
qui conditionne le caractère juste de la décision 1180.

Il n’en reste pas moins que la relaxe au bénéfice du doute constitue une anomalie 1181.
Cela est d’autant plus vrai que ce type de décision n’a pas toujours eu des effets juridiques
strictement identiques à une relaxe pure et simple. On peut se contenter d’évoquer, par
exemple, la question de l’autorité des décisions rendues au bénéfice du doute sur le civil1182.
Ce n’est véritablement que depuis l’arrêt Bluteau de la Cour de cassation 1183, rendu en
1976, que la jurisprudence reconnaît une autorité identique de la chose jugée au pénal sur le
civil pour les décisions de relaxe pure et simple et celles qui le sont au bénéfice du

1178
C’est ce qu’explique d’ailleurs M. Essaïd lorsqu’il distingue la notion d’intime conviction de celle de
doute favorable qui ne vont pas toujours de pair. Ainsi écrit-il : « dans l’hypothèse où le juge est
intimement convaincu de la culpabilité du prévenu, mais où les preuves font défaut ou sont insuffisantes,
c’est uniquement la maxime in dubio pro reo qui joue », La présomption d’innocence, op. cit., n° 471.
L’idée que l’adage in dubio pro reo joue comme une limite à l’intime conviction ressort également chez
M. Bénédict, qui aborde le principe du doute favorable au titre des restrictions apportées à la libre
évaluation des preuves, V. Le sort des preuves illégales dans le procès pénal, op. cit., p. 38.
1179
Il n’est pas inutile de rappeler que les anciens jugements de plus amplement informé et de hors de
cour étaient eux même fondés sur cet objectif de recherche de la vérité, d’une vérité légale et absolue.
1180
En effet, il est à certains égards injuste d’assimiler totalement une personne poursuivie reconnue
totalement innocente à une autre relaxée mais à l’encontre de laquelle persiste, après examen, des
soupçons. C’était en tout cas la position adoptée par Merlin à propos du hors de cour : si l’accusé « sans
être absolument coupable, son innocence n’est pas pleinement justifiée, [les magistrats] n’osent
l’assimiler à l’homme dont la vertu est intacte : et leur conduite à cet égard remplit les devoirs de la
sagesse et de l’équité », Répertoire universel et raisonné de jurisprudence, op. cit., v° Doute.
1181
C’est peut-être pour cette raison qu’elle ne trouve aucune définition dans le Vocabulaire juridique de
M. Cornu. Comp. S. GUINCHARD et G. MONTAGNIER (dir.), Lexique des termes juridiques, op. cit., v°
doute, V. également infra.
1182
C'est surtout au XIXe et au début du XX e siècle que la valeur des décisions de relaxe rendues au
bénéfice du doute a été l'objet de controverses doctrinales. En effet, la question qui s'est tout d'abord
posée en jurisprudence était de savoir si le principe de l'autorité de la chose jugée au criminel sur le civil
devait s'appliquer aux décisions répressives rendues au bénéfice du doute. Il est généralement admis dans
ce domaine que le juge civil est lié par la chose « certainement » jugée au pénal. Reste à savoir si cette
exigence est remplie lorsque la décision est rendue sur le fondement d'un doute. Deux thèses se sont
opposées. Selon la première : le juge civil n'est pas lié par le jugement répressif qui laisse indécise la
question de l'existence ou de l'inexistence des faits, car le doute du juge répressif l'autorise à admettre
l'existence du fait sans contredire le jugement pénal. Selon la seconde thèse, devenue majoritaire, le doute
résultant d'une insuffisance de preuve doit, au point de vue de l'autorité de la chose jugée au criminel sur
le civil, être assimilé à la négation de l'existence du fait incriminé. Sur cette controverse, les auteurs cités,
et la jurisprudence, V. P. HÉBRAUD, L’autorité de la chose jugée au criminel sur le civil, Paris, Sirey,
1929, p. 271 et s. ; N. VALTICOS, L’autorité de la chose jugée au criminel sur le civil, Paris, Sirey, 1953,
n° 251-252.
1183
J. PRADEL et A. VARINARD, Les grands arrêts du droit criminel, Paris, Dalloz, 2e éd., 1998, tome 2,
n° 40.

354
La signification de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal

doute 1184. Quant à la Cour EDH, elle avait décidé que l’article 6§2 était violé dans l’affaire
Sékamina. En l’espèce le requérant se plaignait qu’une juridiction ait refusé d’indemniser sa
détention provisoire alors même qu’il avait été acquitté par une cour d’assises. La
juridiction s’était fondée sur l’arrêt d’assises pour déclarer que des soupçons sur
l’innocence demeuraient 1185. On pourrait même se demander si les décisions rendues au
bénéfice du doute ne sont pas tout simplement incompatibles avec l’article 6§2 de la
Convention.

Les relaxes au bénéfice du doute illustrent donc l’application de in dubio pro reo et du
même coup la persistance, dans l’esprit des juges, de soupçons sur l’innocence de la
personne poursuivie. Le recours à la règle du doute favorable suppose que les juges
acceptent de ne pas condamner alors même qu’ils doutent de l’innocence. La présomption
d’innocence, par l’intermédiaire de la règle in dubio pro reo a donc pour effet de limiter
l’intime conviction du juge. D’ailleurs, certains auteurs peuvent parfois se laisser aller à
présenter les choses ainsi. À propos de la présomption d’innocence, M. Pradel n’a-t-il pas
écrit qu’elle était « indispensable pour borner les conviction du juge, pour réduire le risque
de dérives toujours à craindre. » 1186 ?

La question se pose alors de savoir dans quelle mesure cette limite apparaît
contraignante. L’application de la règle du doute favorable est-elle impérative pour le juge ?

309. Nature de la limite posée à l’intime conviction. « Le doute doit profiter à l’accusé »,
enseignent nos criminalistes. Certains d’entre eux ont précisé le sens de cette assertion : la
règle est impérative, elle s’impose donc au juge qui n’a d’autre choix que relaxer ou
acquitter lorsqu’il est en présence d’un doute 1187. En cela, la règle du doute favorable est

1184
Cass. civ. 1re, 3 février 1976, Bull. n° 48 : « La décision de la juridiction pénale qui acquitte un
prévenu établit à l'égard de tous l'inexistence de l'infraction poursuivie. Viole l'article 1351 du Code civil
et le principe de l'autorité au civil de la chose jugée au pénal, la cour d'appel qui, pour rejeter l'action en
payement d'indemnité que le souscripteur d'une police accidents, qui s'est coupé un doigt, a dirigée
contre son assureur, énonce que la victime ne peut rapporter la preuve, qui lui incombe, du caractère
accidentel de sa mutilation, par la décision pénale de relaxe dont elle a bénéficié sur poursuites en
tentative d'escroquerie au préjudice de l'assureur.». V. M. CONTAMINE-RAYNAUD, note sous Cass. civ.
1re, 3 février 1976, D. 1976, p. 441.
1185
« L'expression de soupçons sur l'innocence d'un accusé se conçoit tant que la clôture des poursuites
pénales n'emporte pas décision sur le bien-fondé de l'accusation, mais on ne saurait s'appuyer à bon
droit sur de tels soupçons après un acquittement devenu définitif. Par conséquent, le raisonnement du
tribunal régional et de la cour d'appel de Linz se révèle incompatible avec le respect de la présomption
d'innocence.», Affaire Sekamina c/ Autriche, 25 août 1993, A266-A, n° 30.
1186
J. PRADEL, La procédure pénale française à l’aube du troisième millénaire, D. 2000, p. 8. adde. A.
TONGLET, La présomption d'innocence et les présomptions en droit pénal, op.cit., n° 387 : « La
présomption d’innocence intervient à tout moment dans le cadre de l’appréciation des preuves en
montrant le droit chemin au juge ».
1187
« La personne jugée doit être acquittée, relaxée, si toute lumière n’est pas faite, si un doute
subsiste. » : R. LEGEAIS, La présomption d’innocence et les juridictions de jugement étude comparée du
droit français et du droit anglais, op. cit., p. 50 ; « Le juge qui doute doit se prononcer en faveur de
l’accusé. » : G. LEVASSEUR, La charge de la preuve en procédure pénale française, op. cit., p. 692 ; « La
règle in dubio pro reo impose la relaxe ou l’acquittement de la personne à l’égard de laquelle le doute
subsiste » : M.-L. RASSAT, Traité de procédure pénale, op. cit., n° 196 ; « s’il subsiste un doute, le

355
Le discours sur l’objet

bien une règle de décision. Le lexique des termes juridiques définit même le bénéfice du
doute comme le « Principe général de procédure pénale qui oblige le juge à prononcer une
relaxe ou un acquittement, dès lors qu’une incertitude persiste…» 1188. Devoir, obligation,
du juge de relaxer, de faire bénéficier le prévenu du doute. Le discours doctrinal n’offre
pourtant pas de dire quelle est la nature de cette obligation. C’est que l’affirmation est
purement doctrinale. La loi ne formule pas une telle obligation, non plus que la
jurisprudence, si bien que le discours doctrinal ne trouve à s’appuyer ni sur l’une, ni sur
l’autre. On voit d’ailleurs assez mal comment la Cour de cassation pourrait contrôler que le
doute profite bien à la personne poursuivie, puisqu’il s’agit par définition d’une question de
fait qui dépend de la seule appréciation souveraine des juges du fond. Cette réalité juridique
avait même été évoquée, avec un certain embarras, par M. Patarin 1189. Le seul contrôle
qu’exerce la Cour de cassation porte sur la motivation. Elle s’assure de la sorte que les
décisions des juridictions inférieures sont cohérentes et rationnelles. Peu importe qu’elles
prononcent des condamnations 1190 ou des relaxes, même s’il est vrai que la doctrine a pu
relever une certaine sévérité de la chambre criminelle dans le contrôle qu’elle exerce sur les
décisions rendues au bénéfice du doute.

Il résulte de cette absence de prescription légale et de contrôle effectif exercé par la Cour
de cassation, que l’application de la règle du doute favorable est laissée à l’entière
discrétion du juge. Plus précisément, il faut admettre que cette règle qui ne connaît pas de
sanction juridique véritable s’apparente davantage à une règle morale qu’à une règle
juridique. Si aucun criminaliste n’est disposé à l’admettre, du moins ouvertement, cette
absence de juridicité de l’adage in dubio pro reo avait été évoquée par l’école positiviste qui
la combattait 1191. Plusieurs raisons laissent effectivement penser que la règle du doute
favorable, entendue comme règle de décision, est davantage un guide moral adressé au juge
qu’une règle s’imposant juridiquement à lui.

La première raison peut être tirée de l’histoire du discours savant. On peut en effet
rappeler que les anciens criminalistes évoquaient un devoir du juge d’absoudre en cas de

prévenu ou l’accusé doit être relaxé ou acquitté » : G. STÉFANI, G. LEVASSEUR et B. BOULOC, Procédure
pénale, op.cit., 20e éd., n° 123 ; « Lorsque le poursuivant ne réussit pas à prouver de manière décisive les
faits, le juge doit faire bénéficier le prévenu du doute (in dubio pro reo) et le relaxer. » : J. PRADEL,
Procédure pénale, op. cit., 12e éd., n° 395.
1188
S. GUINCHARD et G. MONTAGNIER (dir.), Lexique des termes juridiques, op. cit., v° Doute.
1189
« Il n’est possible à la Cour de cassation d’assurer le respect du principe "in dubio pro reo" que dans
des cas limités. Le juge satisfait à la légalité en constatant dans les motifs de sa décision l’existence
certaine de la culpabilité. », Le particularisme de la théorie des preuves en droit pénal, op. cit., n° 22.
1190
Cela dit, M. Essaïd avait déjà fait observer que la Cour de cassation se contente assez souvent des
formules de style employées par les juges du fond au soutien d’une condamnation, La présomption
d’innocence, op. cit., n° 517.
1191
Ainsi était-il affirmé que la règle in dubio pro reo n’est qu’une règle d’expérience qui n’a rien
d’obligatoire pour le juge. V. J. PATARIN, Le particularisme de la théorie des preuves en droit pénal, op.
cit., n° 22 citant G. BETTIOL, La regola « in dubio pro reo » nel diritto e nel processo penale, Rivista
italiana di dirito penale, 1937.

356
La signification de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal

doute et non une obligation légale qui pourrait trouver une sanction. La règle du doute
favorable figurait au titre des directives adressées au juge en matière de preuve. À cet égard,
les auteurs s’appuyaient sur la maxime « satius est impunitum relinqui facinus nocentis,
quam innocentem damnari » selon laquelle il vaut mieux laisser échapper un coupable que
de condamner un innocent. On observera que les criminalistes du droit pénal moderne, qui
ont substitué à l’emploi de l’ancienne maxime celui de in dubio pro reo : le doute profite à
l’accusé, ont par là même amputé la règle de sa dimension morale 1192. M. Astaing ne
semble d’ailleurs pas dire autre chose en expliquant que, dans un système d’intime
conviction, les barrières protectrices de l’accusé ne sont plus juridiques mais seulement
morales. Et l’auteur d’ajouter que la maxime satium esse…du Digeste est un principe
général, répété à l’envi par les criminalistes, qui doit guider l’action du juge et servir
exactement de contrepoids à l’accusation. M. Astaing précise en outre que « ce principe
traduit exactement le sentiment de bienveillance qui doit être celui du juge face à des
preuves incertaines et à une vérité matérielle qui, souvent, échappe » 1193.

La seconde raison, qui prolonge la première, relève des termes mêmes employés dans le
discours doctrinal contemporain. La référence permanente à un devoir du juge 1194, sans
indiquer quelle en serait la sanction juridique, traduit cette dimension plus morale que
juridique 1195. Que l’on se trouve dans un système de preuves légales ou d’intime conviction,
pour l’application de la règle du doute favorable, les auteurs tiennent un discours qui fait
appel à la seule conscience du juge. L’application de cette règle n’a rien de commun avec
celle qui préside aux autres règles de procédure pénale. Elle a cette particularité de requérir
du magistrat, ou du juré, beaucoup de courage 1196. Autrement dit, le doute ne profite à
l’accusé que si le juge est vertueux. Les pénalistes invoquent alors l’impartialité du juge ou
son éthique. Aucune règle juridique ne peut sanctionner la méconnaissance de ce devoir,

1192
Il vaut mieux … » suppose un jugement de valeur, une évaluation que ne traduit plus l’adage « le
doute profite à l’accusé ».
1193
A. ASTAING, Droits et garanties de l'accusé dans le procès criminel d'ancien régime, op. cit., n° 722.
1194
Celui d’acquitter, de relaxer ou de faire bénéficier du doute, comme en témoignent les références
citées supra. Le professeur Hugueney enseignait quant à lui que « dans le doute il faut décider en faveur
de l’accusé », Cours de droit criminel, op. cit., p. 340.
1195
À cet égard, certains auteurs ont écrit à propos de la maxime satius est impunitum relinqui facinus
nocentis, quam innocentem damnari que « L’ancien droit connaissait la présomption d’innocence mais
de façon plus métaphysique que juridique ». Or, il n’est pas certain que le droit pénal moderne soit, sur ce
point, plus juridique que métaphysique. V. H. ROLAND et L. BOYER, Locutions latines et adages du droit
français contemporain, op. cit.
1196
La voix de l’expérience judiciaire suffit à s’en convaincre : « Il [le doute] exige une grande honnêteté
mais il exige surtout un certain courage. Le courage de reconnaître que l’on n’est pas sûr et ce n’est
jamais agréable à dire. Le courage de dire à tous ces hommes qui sont intervenus dans le procès, qui se
sont engagés, qu’ils se sont trompés ou qu’on ne les croit pas. Le courage de dire à un homme qui est
peut-être un redoutable malfaiteur qu’il a gagné. (…) La règle est que le doute profite à l’accusé. Chaque
fois que la culpabilité n’est pas suffisamment établie, chaque fois qu’un juge ou un jury n’a pas l’entière
certitude de la culpabilité ou de la non-culpabilité il doit acquitter (…). Mais j’ai dit qu’il fallait du
courage pour faire respecter la règle… », L. ZOLLINGER, L’intime conviction du juge, in L’innocence,
Travaux de l’institut de criminologie de Paris, Néret, 1977, p. 39.

357
Le discours sur l’objet

d’une part de douter, d’autre part de faire bénéficier le prévenu ou l’accusé du doute.
L’auteur de la seule étude existant à ce jour sur le doute en matière pénale parvient, comme
à regret, à cette conclusion : « Il faut donc concéder que le doute favorable demeure avant
tout une affaire de conscience» 1197. La règle selon laquelle le doute profite à l’accusé a
pourtant été inscrite dans le Code de procédure pénale. Ainsi les jurés d’assises jurent-ils et
promettent-ils de se « rappeler que l’accusé est présumé innocent et que le doute doit lui
profiter ». On le voit néanmoins, avec le serment des jurés prévu à l’article 304, le
législateur formule une règle de conduite dont la seule sanction résidera dans la conscience
des jurés. Il n’existe aucune sanction possible à la violation de cette partie là du serment du
juré, faute de pouvoir sonder sa conscience.

Enfin, ce caractère plus moral que juridique de l’adage in dubio pro reo n’a du reste rien
d’étonnant. Le doute (qu’il porte d’ailleurs sur la culpabilité ou l’innocence) est en effet très
étroitement lié au concept d’intime conviction. Or, l’intime conviction, ne revêt-elle pas
déjà une dimension morale, en ce qu’elle se définit comme la certitude morale ? Il faudrait
alors admettre qu’il existe là une sorte de parallélisme entre la règle de principe : l’intime
conviction ou certitude morale, et la règle qui en fixe les limites : le doute favorable.

310. Valeur de la règle du doute favorable et objet du discours doctrinal. Cette limite
posée à l’intime conviction par la formulation d’une règle morale, exprimée par la maxime
in dubio pro reo, incite alors à s’interroger sur le sens des assertions doctrinales qui ont
pour objet de la décrire comme une règle obligatoire ou absolue. Répondant à la critique
positiviste à l’endroit de la présomption d’innocence et avec elle de l’adage in dubio pro
reo, M. Patarin affirmait de façon un peu péremptoire que : « de même que la présomption
d’innocence est une règle obligatoire propre au droit pénal, de même la règle "in dubio pro
reo" qui en est le corollaire s’impose avec force obligatoire dans notre théorie pénale des
preuves » 1198. L’auteur ne peut être plus clair, présomption d’innocence et in dubio pro reo
sont des règles impératives. On notera, toutefois, qu’elles le sont dans une théorie des
preuves pénales. Or, la théorie des preuves pénales est une construction doctrinale. M.
Patarin, nourri des écrits des criminalistes du début du XXe siècle, donne là une grande
portée aux affirmations de ses maîtres sans pour autant pouvoir les rattacher à des règles et
sanctions contenues dans le droit positif.

M. Essaïd estimait quelques années plus tard que, « sous réserve d’une opinion isolée
qui considère que la règle in dubio pro reo ne constitue qu’une "pratique illégale et
malheureuse", n’ayant rien d’obligatoire pour le juge, on peut dire que, de nos jours, la
maxime fait incontestablement partie aussi bien du droit positif français que de celui de

1197
M.-C. NAGOUAS-GUÉRIN, Mythe et réalité du doute favorable en matière pénale, op. cit., p. 292.
1198
J. PATARIN, Le particularisme de la théorie des preuves en droit pénal, op. cit., n° 22.

358
La signification de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal

nombreux pays » 1199. L’auteur de l’étude de référence sur la présomption d’innocence pose,
plus qu’il ne décrit, la réalité du droit positif. Tout d’abord parce que l’une des opinions
qu’il combat là, celle de M. Torreblanca, n’a jamais eu pour objet de critiquer le doute
favorable mais seulement d’en regretter la mention dans les décisions de relaxe. Mais
surtout ensuite, parce que les données sur lesquelles il s’appuie sont des décisions de la
Cour de cassation qui mettent à la charge de la partie poursuivante la preuve de l’infraction,
sans même les fonder sur la présomption d’innocence 1200. Pour comprendre cet auteur, il
faudrait donc envisager que la règle in dubio pro reo fait partie de notre droit positif, et
qu’elle est obligatoire pour le juge, simplement parce que la Cour de cassation aurait
implicitement fondé des décisions sur la présomption d’innocence. Que penser encore de
cet enseignement d’Henri Donnedieu de Vabres : « L’acquittement est prononcé toutes les
fois qu’il existe un doute » et qui ajoute : « Une règle absolue, dans notre droit
contemporain, est que le doute bénéficie à l’inculpé» 1201 ? Il faut interpréter la première
affirmation pour lui trouver un sens, car à s’attacher au sens premier, force est de constater
qu’elle est dénuée de toute fondement. Probablement doit-on entendre par là que
l’acquittement doit, devra ou devrait être prononcé toutes les fois où il existe un doute.
L’usage de l’indicatif par l’auteur n’est peut-être pas anodin. Il pourrait signifier que, tout
comme le législateur, la doctrine formule des normes sans avoir nécessairement recours à
l’impératif. La structure du discours portant sur l’adage in dubio pro reo, l’usage qui est fait
de cette maxime, invitent ainsi à penser que la doctrine pénale a elle-même énoncé, par voie
de reformulation, une règle. Les efforts doctrinaux ont semble-t-il porté sur la nécessité de
donner un tour juridique à la règle du doute favorable qui est essentiellement morale. Cela
est vrai, pour des raisons différentes, que l’on ait égard à la formulation : le doute profite à
l’accusé ou à la seconde formulation : le doute doit profiter à l’accusé. « Le doute profite à
l’accusé », pour répondre à notre interrogation de départ, n’est pas une description de ce qui
se passe dans le droit positif et que le doctrine aurait pu observer 1202. Elle est bien
davantage l’énoncé d’une prescription 1203. La dimension morale n’est pas un obstacle à la
réception d’un tel discours car la raison impose tout autant la règle du doute favorable.

1199
La présomption d’innocence, op. cit., n° 491 où l’auteur se réfère à l’étude de M. Torreblanca sur la
relaxe au bénéfice du doute et les critiques de l’italien G. Bettiol.
1200
En effet, par renvoi à une autre partie de son étude, l’auteur cite en réalité les arrêts de la Cour de
cassation que nous avions étudiés plus haut et qui sont censés faire une application certaine, quoique
implicite, de la présomption d’innocence.
1201
H. DONNEDIEU DE VABRES, Traité de droit criminel, op. cit., n° 1240.
1202
Du moins, pas à titre principal, car nous avons vu que cette assertion est souvent vraie en pratique
puisqu’il est aisé de dénombrer des décisions répressives faisant application de la règle.
1203
D’ailleurs, un auteur explique que la présomption d’innocence relève du registre du prescriptif dans la
mesure où elle correspond à un devoir être et non à un être. À ce titre l’auteur ajoute que la présomption
d’innocence ne saurait relever de l’observation, ce qui lui permet de réfuter toute idée de probabilité
inhérente à la présomption d’innocence. V. H. HENRION, La nature juridique de la présomption
d’innocence, op. cit., n° 413-1.

359
Le discours sur l’objet

On fera remarquer, pour terminer, que le discours doctrinal dissimule cette dimension
morale de l’adage in dubio pro reo. En cela, nos pénalistes respectent la frontière impartie
entre le droit et la morale. Pourtant la dissimulation n’est que partielle, il demeure possible
de retrouver, dans les énoncés même des auteurs, cette couleur particulière qui caractérise le
jeu de l’adage in dubio pro reo. On comprend dès lors pourquoi, de prime abord, le sens de
la règle du doute favorable avait pu paraître indéterminé. D’une part, l’indétermination
résulte de la difficulté de faire le départ entre les énoncés doctrinaux descriptifs, explicatifs
et prescriptifs qui s’entremêlent au sein du discours. D’autre part, l’indétermination, au sens
d’absence de précision, nous semble s’expliquer par la nature de la règle énoncée.
L’énonciation de la règle du doute favorable dans le discours doctrinal s’analyse comme la
formulation d’une règle morale à destination du juge, en direction de sa conscience et de sa
raison à la fois. Elle doit se présenter comme un impératif, un commandement dont il n’est
pas question de discuter ou d’apprécier la valeur. Il s’agit en effet d’une valeur en soi qu’il
se doit de respecter 1204.

Il faut cependant bien admettre que la signification de la présomption d’innocence ne


s’épuise pas dans le sens que revêt l’expression qui la désigne ou l’adage in dubio pro reo
qui l’exprime. La recherche d’une telle signification, dans la littérature savante, passe
également par l’analyse du discours sur les conséquences de la présomption d’innocence.
On l’a dit, les conséquences que l’on tire de la présomption d’innocence et qui, par un
certain retour des choses, permettent d’accéder à sa signification, se présentent elles aussi
de façon assez indéterminée. C’est le point qu’il convient désormais de développer.

1204
Le devoir ainsi mis à la charge du juge en matière de doute favorable se fait l’écho d’un devoir
présenté comme plus général, celui de présumer l’innocence de la personne poursuivie. V. par exemple
les termes employés par certains auteurs : l’inculpé « doit être présumé innocent », L. BOYER, Cour de
droit pénal général et de procédure pénale, op. cit., p. 257 ; « on doit présumer innocente toute personne
accusée d'une infraction tant que sa culpabilité n'a pas été reconnue par un jugement irrévocable », J.
BUISSON, Rép. Pén. et Proc. Pén., v° Preuve, n°9 ; « tout individu (…) doit être considéré comme
innocent et devrait être traité comme tel, tant que sa culpabilité n’a pas été établie », G. STÉFANI, G.
LEVASSEUR et B. BOULOC, Procédure pénale, op. cit., 20e éd., n ° 124.

360
La signification de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal

SECTION 2 : L’INDÉTERMINATION DES CONSÉQUENCES

311. Abstention et contradiction du discours. Au regard de la seule analyse des termes


servant à exprimer ou à définir la notion, il est apparu que le sens de la présomption
d’innocence était ouvert. L’indétermination relative de la définition semble autoriser une
recherche avancée des implications, des développements de la notion de présomption
d’innocence. Or, comme cela a pu être constaté à plusieurs reprises, le discours doctrinal
n’a manifestement pas exprimé tous les développements possibles de la présomption
d’innocence. Ceux-ci ont été, pour ainsi dire, abandonnés à d’autres voix, celle de la
jurisprudence européenne et celle du législateur français. Le discours doctrinal a ainsi
formulé le principe de la présomption d’innocence au regard de la preuve pénale en
cantonnant la signification de celui-ci à ce seul domaine. L’extension de la portée du
concept est le fruit d’autres autorités et cette extension réagit nécessairement sur la
signification qu’il convient de reconnaître à la présomption d’innocence. La doctrine
juridique du droit pénal a cessé, en quelque sorte, de parler pour laisser s’exprimer d’autres
discours. L’analyse de la littérature ayant pour objet la présomption d’innocence est à cet
égard révélatrice, elle montre que le discours doctrinal change de nature, il se fait beaucoup
plus descriptif, beaucoup moins prescriptif et prospectif. C’est donc à ce premier égard que
l’on peut parler d’indétermination des conséquences de la présomption d’innocence.
L’indétermination résulte d’un silence de la doctrine qui semble refuser de s’engager dans
une réflexion trop poussée des implications possibles de la présomption d’innocence, il
s’agit donc là d’un choix de ne pas déterminer (§1).

L’indétermination des conséquences de la présomption d’innocence dans le discours


peut également s’entendre différemment, au sens d’imprécision ou d’incertitude. Cette
indétermination-là résulte d’une représentation problématique de la situation faite à la
personne poursuivie dans le procès pénal. Cette situation, tantôt regardée comme protectrice
en raison de la présomption d’innocence, tantôt regardée comme hypocrite ou fictive, en
raison de multiples présomptions de culpabilité, conduit à déceler dans le discours doctrinal,
la formulation d’un paradoxe que l’on proposera de dénommer : le paradoxe du présumé
innocent, présumé coupable (§2).

§ 1. LE CHOIX DE L’INDÉTERMINATION

312. Une abstention prudente. Ce qui peut s’analyser comme un choix de


l’indétermination des conséquences par la doctrine pénale, mérite que l’on s’attache tout
d’abord à en donner une illustration. L’indétermination des conséquences apparaît en effet à

361
Le discours sur l’objet

travers plusieurs exemples relevant du droit à être traité conformément à la présomption


d’innocence (A). Ce choix mérite en outre, sinon d’être expliqué, du moins que l’on
s’attache à formuler des hypothèses pouvant le justifier. La prudence de la doctrine pourrait
être une hypothèse générale qu’il conviendra alors de formuler (B).

A- L’INDÉTERMINATION DU DROIT À ÊTRE TRAITÉ CONFORMÉMENT À LA PRÉSOMPTION


D’INNOCENCE

313. Plan. Dans un certain souci de rendre effectif le principe de la présomption


d’innocence, jurisprudence européenne et législateur français ont, ces dernière décennies,
énoncé de nouvelles implications de la présomption d’innocence qui débordent la question
de la preuve pénale. La doctrine a eu une tendance à rester en retrait de ces innovations, en
ne les suscitant pas mais aussi en les accueillant parfois tièdement. En contrepoint, on peut
en outre observer que face à certaines institutions de notre procédure pénale, la doctrine
prend soin de ne pas formuler un certain nombre de questions de compatibilité que
pourraient soulever la présomption d’innocence.

1) La détermination des implications de la présomption d’innocence par la


jurisprudence et le législateur

« Le droit à être traité conformément à la présomption d’innocence », expression


relativement indéterminée et reprise de l’ouvrage de MM. Guinchard et Buisson, bien qu’il
se présente comme une évidence au titre des conséquences de la présomption d’innocence,
et bien qu’il ait été admis en doctrine de longue date, n’a pourtant pas attiré outre mesure
l’attention des auteurs. Certes, les criminalistes ont toujours énoncé que la présomption
d’innocence impliquait, au titre de la liberté individuelle, que l’on limite au strict nécessaire
les atteintes portées à cette liberté par la détention avant jugement, le contrôle judiciaire et
la garde à vue. Au-delà de la question de la liberté individuelle, les implications de la
présomption d’innocence n’ont pas fait l’objet des spéculations doctrinales. Sans prétendre
donner ici un aperçu exhaustif des apports de la jurisprudence et du législateur, on peut
retenir quelques exemples pour lesquels la doctrine a abandonné le soin à d’autres de dire ce
que l’on pouvait entendre par présomption d’innocence.

314. Le droit de ne pas être présenté comme coupable. On peut ranger sous cette formule
aussi bien les solutions retenues par la jurisprudence européenne sur le fondement de
l’article 6§2 de la Convention, que le droit au respect de la présomption d’innocence
introduit en France par la loi du 4 janvier 1993. La Commission européenne puis la Cour
ont, assez tôt, découvert de nouvelles implications à la présomption d’innocence au-delà de
la charge de la preuve. Ainsi, la jurisprudence a-t-elle précisé que la présomption
d’innocence impliquait le droit pour la personne poursuivie de ne pas être considérée et

362
La signification de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal

présentée comme coupable par un juge avant qu’une décision définitive ne soit rendue à son
encontre. Plusieurs décisions sont ainsi venues sanctionner les propos de magistrats.

Dans l’affaire Minelli c. Suisse 1205, les magistrats suisses avaient du reconnaître que
l’infraction pour laquelle ce journaliste était poursuivi était prescrite, mais avait condamné
M. Minelli au paiement de frais de procédure et de dépens au profit des plaignants. Le
problème soulevé sous l’angle de l’article 6§2 résultait de la motivation de cette décision.
Les juges avaient en effet décidé d’imputer ces frais en relevant que : « Il faut donc
supposer que, si la prescription n'était pas intervenue, l'article contre lequel plainte a été
déposée aurait très probablement conduit à la condamnation de l'accusé». La cour relève
que par ces motifs les juges présentaient comme établis les agissements dénoncés par les
plaignants et se montraient convaincus de la culpabilité du prévenu. Elle devait conclure, en
application de sa jurisprudence 1206, que les magistrats s’étaient livrés à des appréciations
incompatibles avec le respect de la présomption d'innocence 1207. Dans l’affaire Sekanina c.
Autriche, une cour d’assise avait acquitté l’accusé poursuivi pour meurtre mais les
magistrats d’une cour d’appel avaient refusé de faire droit à la demande de M. Sekanina
tendant à obtenir une indemnisation pour la détention provisoire qu’il avait subie. Cette fois,
le requérant avait été « présenté comme coupable » après une décision devenue définitive le
déchargeant de l’accusation. Les magistrats autrichiens avaient en effet refusé
l’indemnisation en relevant que « Les jurés ont estimé les soupçons insuffisants pour
justifier un verdict de culpabilité, mais on ne saurait parler d'une dissipation de ceux-ci ».
La Cour européenne estima alors que, ces affirmations « laissaient planer un doute tant sur
l'innocence du requérant que sur le bien-fondé de la décision de la cour d'assises. Malgré
l'existence d'un arrêt définitif d'acquittement, les juridictions saisies de la demande
d'indemnité se livrèrent à une appréciation de la culpabilité de M. Sekanina sur la base
d'éléments du dossier de la cour d'assises. L'expression de soupçons sur l'innocence d'un
accusé se conçoit tant que la clôture des poursuites pénales n'emporte pas décision sur le
bien-fondé de l'accusation, mais on ne saurait s'appuyer à bon droit sur de tels soupçons
après un acquittement devenu définitif. Par conséquent, le raisonnement du tribunal
régional et de la cour d'appel de Linz se révèle incompatible avec le respect de la
présomption d'innocence » 1208. On sait en outre, grâce à l’affaire Allenet de Ribemont qui
concernait spécialement la France 1209, que la Cour européenne n’a pas entendu limiter le

1205
V. également supra, n° 249.
1206
Selon laquelle : « Aux yeux de la Cour, la présomption d'innocence se trouve méconnue si, sans
établissement légal préalable de la culpabilité d'un prévenu et, notamment, sans que ce dernier ait eu
l'occasion d'exercer les droits de la défense, une décision judiciaire le concernant reflète le sentiment
qu'il est coupable ».
1207
Affaire Minelli c. Suisse, 25 mars 1983, série A, n° 62, § 38.
1208
Affaire Sekanina c. Autriche, 25 août 1993, série A, n° 266-A, § 30.
1209
V. supra, n° 249.

363
Le discours sur l’objet

bénéfice de la présomption d’innocence à l’attitude des magistrats mais également à toute


autorité publique. À l’occasion de cette affaire : « la Cour estime qu'une atteinte à la
présomption d'innocence peut émaner non seulement d'un juge ou d'un tribunal mais aussi
d'autres autorités publiques » 1210. Elle avait conclu en l’espèce à une violation de l’article
6§2 résultant des propos tenus à la presse par le ministre de l’intérieur français. Ces propos
étaient analysés comme une véritable déclaration de culpabilité en ce que leur auteur
« d'une part, incitait le public à croire en celle-ci et, de l'autre, préjugeait de l'appréciation
des faits par les juges compétents » 1211. Ces conséquences nouvelles reconnues à la
présomption d’innocence par le juge européen contribuent donc à en élargir la signification.
Or, cet élargissement n’a été ni anticipé ni encouragé par les pénalistes français. La
neutralité avec laquelle ces décisions sont relatées dans le discours doctrinal ne permet
même pas de dire si la doctrine y est ou non favorable, elle se contente de prendre acte de
ces conséquences au regard de l’article 6§2 1212.

Inspirée par ces avancées européennes, la loi du 4 janvier 1993 a formulé un droit au
respect de la présomption d’innocence qui ne doit pas davantage aux réflexions doctrinales.
Tout au plus, peut-on supposer que les suggestions formulées en ce sens par l’avocat Henri
Leclerc 1213, ont conduit la commission Delmas-Marty dont il faisait partie, à proposer de
concevoir une action en référé sur le modèle de l’article 9 du Code civil afin d’obtenir la
suppression ou la rectification des informations portant atteintes à la présomption
d’innocence. En dehors de cette proposition, qui n’avait d’ailleurs pas été reprise dans le
projet de loi initial mais seulement introduite en cours de discussion par voie
d’amendement, la doctrine n’a pas imaginé que la présomption d’innocence puisse autoriser
la personne poursuivie à dénoncer les déclarations publiques portant sur sa culpabilité.
Certes, les pénalistes ont porté leurs réflexions sur la violation du secret de l’instruction, qui
se trouve souvent à la source de ces déclarations, mais n’ont pas su imaginer un droit pour
la personne poursuivie à faire respecter sa présomption d’innocence.

Le droit de n’être pas considéré et présenté comme coupable peut impliquer, à l’instar de
ce que décide la jurisprudence européenne, que l’on s’attache aux mots employés pour
décrire la situation d’une personne poursuivie dans le cours d’un procès pénal. L’absence de
préjugement de culpabilité passe donc aussi par le langage. La doctrine n’y a pas vraiment
porté attention. Elle a d’ailleurs plutôt raillé la suppression du terme inculpation ou profit de
celui de mise en examen qui, selon elle, ne changerait rien. Il ne s’est peut-être trouvé que
le professeur Jeandidier pour encourager une telle réforme. L’auteur avait en effet signalé

1210
Affaire Allenet de Ribemont c. France, 10 février 1995, série A, n° 308, §30.
1211
Affaire Allenet de Ribemont c. France, 10 février 1995, § 41.
1212
V. supra, n° 249.
1213
V. supra, n° 210.

364
La signification de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal

que l’étymologie du mot « inculpé » le condamnait assurément au regard d'une présomption


d'innocence clairement comprise et il suggérait en conséquence au législateur d’en inventer
un qui serait moins compromettant 1214. La force de conviction de cette opinion doctrinale
mérite d’autant plus l’admiration qu’elle semble n’avoir été le fruit que d’un seul auteur. Il
faut reconnaître que l’ensemble de la doctrine est demeurée étrangère à la question du poids
des mots dans le respect ou la progression de la présomption d’innocence. On trouve
néanmoins une telle préoccupation désormais clairement exprimée chez MM. Guinchard et
Buisson qui estiment que le langage juridique a « son importance en ce qu’il doit maintenir
intacte la présomption d’innocence » 1215.

315. L’indemnisation de la détention provisoire. C’est au titre du renforcement de la


protection de la présomption d’innocence que la loi du 15 juin 2000 a grandement amélioré
les conditions d’indemnisation des détentions provisoires après prononcé d’un non-lieu,
d’une relaxe ou d’un acquittement. Le législateur a donc considéré qu’une telle
indemnisation était impliquée par la pleine reconnaissance de la présomption d’innocence.
Il ne nous semble pas que la doctrine pénale ait spécialement considéré cela de la sorte.

La loi de 1970 avait ouvert un droit à indemnisation des détentions à charge, pour ceux
qui y avaient été placés, de démontrer l’existence d’un préjudice manifestement anormal et
d'une particulière gravité. Il s’agissait là de conditions restrictives mais la loi du 17 juillet
1970 sur la détention provisoire marquait une avancée. On peut penser que cette réforme est
directement inspirée de la doctrine dans la mesure où le professeur Léauté avait publié un
plaidoyer en ce sens peu de temps avant 1216. Pourtant, les propos de cet auteur n’étaient
guère favorables à la personne poursuivie. En tout état de cause, les conditions
d’indemnisation qu’il développait n’étaient pas fondées sur la présomption d’innocence,
loin s’en faut. M. Léauté estimait tout d’abord que « l’indemnisation devrait être limitée au
préjudice exceptionnellement grave causé à un citoyen dont l’innocence ne ferait finalement
plus aucun doute ». Puis il proposait de la subordonner à deux conditions. La première
consistait pour la victime de la détention à rapporter pas moins que la preuve de son
innocence. L’auteur justifie cette solution en expliquant que « La présomption d’innocence
ne saurait la décharger de cette obligation. Elle couvre tous les inculpés et le doute profite
à certains coupables, lesquels ne méritent pas d’être indemnisés. Au demandeur

1214
W. JEANDIDIER, La présomption d’innocence ou le poids des mots, op. cit., p. 50.
1215
S. GUINCHARD et J. BUISSON, Procédure pénale, 3e éd., op.cit., n° 477, adde. n° 378.
1216
J. LÉAUTÉ, Pour une responsabilité de la puissance publique en cas de détention préventive abusive,
D. 1966, chr., p. 61. L’influence de cet auteur est d’ailleurs supposée par M. Pradel, Procédure pénale,
op. cit., 10e éd., n° 698 ; et confirmée par une autre auteur : A. TOUFFAIT, Des principes applicables à
l’allocation de l’indemnité réclamée à raison d’une détention provisoire, D. 1971, chr., p. 193. Le
pénaliste n’était d’ailleurs pas seul à inviter le législateur à procéder à une telle indemnisation, MM.
Vedel et Durry la réclamaient eux aussi et tout trois s’accordaient pour la faire dépendre de la preuve de
l’innocence de la personne ayant bénéficié d’un non-lieu, d’un acquittement ou d’une relaxe. Cette
proposition fut mise en œuvre par certains tribunaux en 1969 mais ne fut pas retenue par la loi de 1970.

365
Le discours sur l’objet

incomberait de se distinguer par la démonstration de sa complète innocence» 1217. On le


voit, l’indemnisation proposée par M. Léauté ne s’inscrit pas dans la logique de la
présomption d’innocence. La deuxième condition formulée par l’auteur résidait dans la
démonstration que le dommage subi du fait de la détention excédait ce que l’égalité devant
les charges publiques permet d’infliger à un citoyen innocent. Car, il faut le rappeler,
l’indemnisation préconisée ne pouvait concerner que la détention abusive et non pas
n’importe quelle détention subie avant un non lieu, une relaxe ou un acquittement 1218.

Dans les années 1990, c’est le rapport sur la mise en état des affaires pénales qui
abordait cette question de l’indemnisation. Si la commission justice pénale et droits de
l’homme proposait d’élargir l’indemnisation des détentions, seules étaient cependant visées
les détentions abusives. Le rapport abordait en effet l’indemnisation de la détention sous
l’angle du principe de légalité et non pas sous celui de la présomption d’innocence. En effet
c’est au regard des dispositions de l’article 5§5 de la Conv. EDH que la commission
entendait proposer un recours à toute personne victime d’une privation de liberté ordonnée
ou exécutée en violation des règles légales 1219. Une loi du 30 décembre 1996 s’était
contentée de supprimer de l’article 149, dans sa rédaction datant de 1970, l’exigence d’un
préjudice « manifestement anormal et d’une particulière gravité » pour se contenter d’un
préjudice tout court. La loi du 15 juin 2000 prévoit désormais un droit à réparation
systématique du préjudice moral et matériel à raison d’une détention, pourvu que suite à une
décision de non-lieu, de relaxe ou d’acquittement, la personne concernée en fasse la
demande.

Depuis la proposition de M. Léauté jusqu’à la dernière rédaction de l’article 149 du


Code de procédure pénale en passant par la loi de 1970, on le voit les conditions
d’indemnisation des détentions se sont assouplies pour devenir très favorables aux victimes
de détentions injustifiées. Il convient d’ailleurs de signaler que pour la Cour EDH, la
présomption d’innocence de l’article 6§2 de la Convention n’implique pas l’obligation pour
les États de prévoir une indemnisation pour une détention ordonnée dans le respect des
conditions de l’article 5 1220. Le dernier état de notre droit positif a-t-il été inspiré des

1217
J. LÉAUTÉ, Pour une responsabilité de la puissance publique en cas de détention préventive abusive,
op. cit., p. 63.
1218
L’auteur estimait en effet que nous sommes tous à la merci d’un dommage individuel causé par
l’instruction des affaires pénales et qu’il est inévitable que le lot des inculpés placés en détention
préventive comprenne des innocents. Mais, ajoutait-il, un moment vient où le sacrifice particulier dépasse
la limite compatible avec l’aléa général.
1219
COMMISSION JUSTICE PÉNALE ET DROITS DE L’HOMME, La mise en état des affaires pénales, op. cit.,
fiche n° 19.
1220
Elle l’a rappelé à plusieurs occasions : Affaire Englert c. Allemagne, 25 août 1987, série A, n° 123 ;
Affaire Sekanina c. Autriche, 25 août 1993, série A, n° 266. En revanche, comme dans ce dernier arrêt
déjà cité supra, la Commission et la Cour estiment que l'article 6 §2 ne reconnaît pas à l'accusé le droit à
un dédommagement pour une détention provisoire conforme aux exigences de l'article 5 mais ont admis
cependant qu’une décision refusant à un accusé, après l'arrêt des poursuites, une réparation pour détention

366
La signification de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal

propositions doctrinales visant à tirer de la présomption d’innocence une indemnisation sans


condition ? Il ne semble pas. Sauf à s’intéresser à la riche contribution du doyen Favoreu
lors de son audition devant la commission Truche en 1997 1221. Ce constitutionnaliste, après
avoir longuement regretté l’ignorance et le désintérêt des pénalistes pour les aspects
constitutionnels du droit pénal et de la procédure pénale, avait proposé au législateur
d’accorder beaucoup plus largement réparation à tous ceux qui obtiennent un non-lieu ou un
acquittement après une détention provisoire. Il justifiait cette proposition par le recours au
principe constitutionnel d’égalité devant les charges publiques qui permettrait de détacher la
question de l’indemnisation de toute idée de faute 1222. Pour terminer, on observera que
depuis l’entrée en vigueur de la loi du 15 juin 2000, rares sont les auteurs à présenter la
réparation pour détention provisoire au titre des conséquences de la présomption
d’innocence 1223.

316. La question du droit au silence. Toujours au titre du renforcement de la présomption


d’innocence et donc de ses implications pratiques, la loi du 15 juin 2000 avait tenu à faire
figurer dans le Code de procédure pénale, et non pas à le consacrer, le droit au silence de la
personne poursuivie. À vrai dire, la Cour EDH avait eu l’occasion, là encore à plusieurs
reprises, de reconnaître une telle faculté à l’accusé pénal 1224. La loi de 2000 avait finalement
complété l’information prévue par l’article 116 du Code de procédure pénale, relatif à la
première comparution devant le juge d’instruction (le juge devant avertir la personne
qu’elle a le droit ne pas répondre aux questions posées), en insérant dans l’article 63-1 du
Code une indication similaire pour la garde à vue. Ainsi, la personne placée en garde à vue
se voyait-elle « informée qu'elle a le droit de ne pas répondre aux questions qui lui seront
posées par les enquêteurs ». Mais cette manifestation trop éclatante du droit de se taire a

provisoire, peut soulever un problème sous l'angle de l'article 6§2 si des motifs indissociables du
dispositif équivalent en substance à un constat de culpabilité sans établissement légal préalable de celle-
ci.
1221
Adde. P. BALLANDIER, Pour une défense de la présomption d’innocence, op. cit., p. 231 à 233, qui
plaidait dans sa thèse de doctorat pour une indemnisation systématique.
1222
In Rapport de la commission de réflexion sur la justice, Annexes, op. cit., p. 174.
1223
V. cependant, S. GUINCHARD et J. BUISSON, Procédure pénale, 3e éd., op. cit., n° 376 et C. AMBROISE-
CASTÉROT, Rép. Pén. et Proc. Pén., v° Présomption d’innocence, n° 100.
1224
La cour vise sous le droit au silence non seulement le droit de se taire mais aussi le droit de ne pas
s’auto-incriminer. Dans l’arrêt Funke c. France, elle avait condamné la France suite à une condamnation
du requérant par les douanes qui avait pour seul but de l’obliger à fournir des preuves contre lui.
Toutefois, dans cette décision, la condamnation prononcée par la Cour intervient sur le fondement de
l’article 6§1 relatif au procès équitable et non sur la présomption d’innocence de l’article 6§2. Dans
l’arrêt John Murray c. Royaume-Uni, le requérant avait conservé le silence d’un bout à l’autre de la
procédure intentée contre lui, la Cour avait rappelé le droit de se taire pour tout accusé (Il ne fait aucun
doute que, même si l'article 6 (art. 6) de la Convention ne les mentionne pas expressément, le droit de se
taire lors d'un interrogatoire de police et le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination sont des
normes internationales généralement reconnues qui sont au coeur de la notion de procès équitable
consacrée par l'article 6) mais avait dû conclure à l’absence de violation des § 1 et 2 de l’article 6 car le
requérant qui avait été plusieurs fois averti des conséquences éventuelles de son silence, ne pouvait, aux
vues des circonstances de l’espèce, se plaindre de ce que les juges avaient tiré de son silence des indices
supplémentaires de culpabilité. Pour la Cour européenne, il y a bien un droit à conserver le silence sans
que celui-ci puisse être absolu.

367
Le discours sur l’objet

suscité la polémique et surtout la colère des policiers ; si bien que la loi du 4 mars 2002,
complétant la loi du 15 juin 2000, est venue reformuler l’information comme suit : « La
personne gardée à vue est également immédiatement informée qu'elle a le choix de faire des
déclarations, de répondre aux questions qui lui seront posées ou de se taire ». La loi du 18
mars 2003 pour la sécurité intérieure a finalement supprimé cette mention 1225. Il est de toute
façon admis que le droit au silence existe implicitement en droit interne car, a fait remarqué
M. Pradel, le refus de parler n’est pas incriminé et la charge de la preuve incombant à
l’accusation, le prévenu n’est pas tenu de collaborer avec la justice. Cela dit, la véritable
question du droit au silence n’est pas de savoir si l’on peut être forcé de parler mais celle de
savoir quelles peuvent être les conséquences juridiques d’un tel refus. Or, on sait par
exemple que le juge, dans un système d’intime conviction, pourra toujours tirer les
conclusions que bon lui semble du silence de l’accusé. Il semblerait néanmoins que le droit
au silence interdise au juge de fonder sa conviction de culpabilité sur le seul silence de la
personne poursuivie.

Reste à se demander si le discours doctrinal tient ce droit au silence pour une


conséquence de la présomption d’innocence. La littérature juridique française n’a accueilli
l’expression « droit au silence » qu’assez tardivement et par mimétisme avec le droit anglo-
saxon 1226. Une partie de la doctrine a effectivement appelé de ses vœux une consécration
formelle du droit au silence, particulièrement au stade de la garde à vue. Toutefois, il n’est
pas certain que les pénalistes tiennent pour autant le droit au silence comme une
conséquence de la présomption d’innocence 1227.

Il est vrai que le rapport de la commission justice pénale et droits de l’homme admettait
effectivement, au titre des prolongements de la présomption d’innocence, qu’il convenait
d’avertir l’accusé de son droit au silence. Il est vrai également que paraissait en 1997, une
étude de droit comparé qui, après avoir relever que l’Angleterre remettait désormais en
cause ce droit, plaidait néanmoins pour sa reconnaissance en procédure pénale française.
Les auteurs jugeaient en effet que ce droit constitue une « manifestation externe » de la
présomption d’innocence 1228. Toutefois, si les propositions de réforme du Code de
procédure pénale de Mme Rassat contenaient un titre entier consacré à la preuve, dont un

1225
La discussion parlementaire des amendements tendant à supprimer cette notification a montré que
cette disposition avait été ressentie comme particulièrement humiliante par l'ensemble des policiers et
gendarmes et qu’il ne s'agissait pas du tout de retirer un droit (de se taire) mais de supprimer une
obligation (notifier ce droit) qui mettait les policiers dans « une dramatique situation d'infériorité
psychologique au début d'une enquête », JO AN, 17 janvier 2003, p. 256-257.
1226
CH. GIRARD, Culpabilité et silence en droit comparé, Paris, L’Harmattan, 1997, p. 18.
1227
V. cependant : CH. GIRARD, Culpabilité et silence en droit comparé, op. cit. , p. 129-130 qui estime
qu’en France, contrairement aux juristes anglais, on établit un lien de dépendance entre présomption
d’innocence et droit au silence. La première étant fragile, la reconnaissance du second le serait également.
1228
A.-J. BULLIER et F.-J. PANSIER, De la religion de l’aveu au droit au silence ou faut-il introduire en
France le droit au silence des pays de common law ? Gaz. Pal. 1997, 1, p. 211, n° 27.

368
La signification de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal

article 7 prévoyait notamment « La personne poursuivie n'est tenue de participer ni au


rassemblement ni à la discussion des preuves produites contre elle ou en sa faveur. Elle
peut garder le silence », l’auteur ne faisait pas dépendre explicitement ce droit de la
présomption d’innocence. La même remarque vaudrait pour l’appel au législateur lancé par
Didier Thomas 1229. Par ailleurs, la commission de réflexion sur la justice présidée par Pierre
Truche, et qui a préparé l’élaboration de la loi du 15 juin 2000, avait bien relevé que le droit
de se taire n’était pas notifié à la personne gardée à vue, mais n’avait pas proposé de
l’inscrire dans le code. Se fondant désormais uniquement sur la jurisprudence européenne,
certains auteurs, à vrai dire en faible nombre, mentionnent le droit au silence ou celui de ne
pas s’accuser, comme l’une des nombreuses conséquences de la présomption
d’innocence 1230. Il est alors difficile de dire si la doctrine a encouragé la reconnaissance
d’un lien logique entre la présomption d’innocence et le droit de conserver le silence ou de
ne pas contribuer à sa propre incrimination. Il est en tout cas difficile d’affirmer qu’elle y
serait favorable et cela d’autant plus si l’on a égard à certaines opinions critiques.

En effet, dans l’étude critique qu’il a consacrée à la présomption d’innocence, M.


Detraz y affirme que, le droit au silence et celui de ne pas s’auto-incriminer sont des libertés
et non pas des conséquences de la présomption d’innocence 1231. On signalera en outre
l’opinion de M. Pradel exprimée au lendemain de la loi du 15 juin 2000 et qui juge
l’introduction du « droit au silence » dans le Code de procédure pénale comme une
« réforme de faible portée car de tout temps les personnes gardées à vue ont eu la
possibilité de ne pas répondre, les délinquants chevronnés l’ayant toujours su » 1232 et
d’ajouter que, « ce droit se conçoit fort bien en système accusatoire où la preuve se fait en
dehors de l’accusé, mais moins bien dans un système inquisitoire où l’accusé doit plus ou
moins concourir à la recherche de la vérité » 1233. Autant dire que M. Pradel n’était pas
véritablement favorable à la notification du droit au silence au gardé à vue et on pourrait
même se demander si les propos ci-dessus ne visent pas, au-delà de sa notification, le droit
lui-même.

De nouvelles conséquences de la présomption d’innocence ont donc été « découvertes »


et formulées par la jurisprudence européenne et la loi française sans que la doctrine les
encourage particulièrement. La doctrine ne semble pas très favorable à la recherche d’une

1229
D. THOMAS, Le suspect en quête d’un statut procédural, in Mélanges MICHEL CABRILLAC, Litec,
Dalloz, 1999, p. 836, n° 29, qui estimait indispensable la notification de son droit au silence à la personne
gardée à vue, sans rattacher cette exigence à la présomption d’innocence.
1230
Par exemple : PH. CONTE et P. MAISTRE DU CHAMBON, Procédure pénale, op. cit., 4e éd., n° 45 ; C.
AMBROISE-CASTÉROT, Rép. Pén. et Proc. Pén., v° Présomption d’innocence, n° 35 ; G. STÉFANI, G.
LEVASSEUR et B. BOULOC, Procédure pénale, op.cit., 20e éd., n° 123.
1231
S. DETRAZ, La prétendue présomption d’innocence, op. cit., n° 12.
1232
J. PRADEL, Les personnes suspectes ou poursuivies après la loi du 15 juin 2000, op. cit., p. 1042-1043.
1233
Les personnes suspectes ou poursuivies après la loi du 15 juin 2000, op. cit., p. 1124.

369
Le discours sur l’objet

signification plus étendue de la présomption d’innocence. C’est ce que quelques exemples


laissent également envisager lorsqu’on se penche sur la question de savoir si certaines
règles et institutions ne seraient pas en contradiction avec la présomption d’innocence.

2) L’absence de réflexion sur la compatibilité de certaines règles et institutions avec la


présomption d’innocence

317. Quelques exemples. Il ne s’agit ici que de retenir quelques exemples de questions qui
pourraient ou auraient pu être formulées au regard de la présomption d’innocence mais que
la doctrine n’a pas semblé souhaiter poser ouvertement. Il ne s’agit pas non plus de soutenir
que la présomption d’innocence est nécessairement contredite ou atteinte mais seulement de
montrer que, par exemple, les mesures alternatives aux poursuites, le contrôle judiciaire
socio-éducatif ou encore le dépistage de la conduite sous l’emprise de l’alcool ou de
stupéfiants, peuvent interroger la conception que la doctrine se fait de la présomption
d’innocence.

318. Les mesures alternatives aux poursuites. L’actuel article 41-1 du Code de procédure
pénale 1234 prévoit toute une série de mesures que le procureur de la République peut prendre
au titre de l’opportunité des poursuites, c'est-à-dire avant toute mise en mouvement de
l’action publique.

On trouve ainsi, par exemple, la possibilité de proposer une mesure de médiation pénale.
Ce texte prévoit en effet que, s'il lui apparaît qu'une telle mesure est susceptible d'assurer la
réparation du dommage causé à la victime, de mettre fin au trouble résultant de l'infraction
ou de contribuer au reclassement de l'auteur des faits, le procureur de la République peut,
préalablement à sa décision sur l'action publique, faire procéder, avec l'accord des parties, à
une mission de médiation entre l'auteur des faits et la victime. La réussite d’une médiation
pénale, au terme de diverses rencontres avec un médiateur, et éventuellement avec
l’assistance d’un avocat, aboutira à une transaction au sens de l’article 2044 du code civil.
En revanche, l’échec de la médiation autorise le magistrat du parquet à engager les
poursuites. La médiation pénale, comme d’autres mesures alternatives aux poursuites, se
caractérise par l’évitement du procès pénal. Fondée sur la recherche de réparation des
victimes et sur la volonté de célérité de la justice, elle pourrait être regardée comme un
contournement ou une atteinte à la présomption d’innocence.

Cette opinion a en tout cas été émise. Mlle Voisin estime ainsi que la médiation pénale
est incompatible aussi bien avec la présomption d’innocence qu’avec les droits de la
défense 1235. Cette mesure suppose en effet, selon les termes de l’article 41-1, que le

1234
Dont la rédaction résulte en dernier lieu de la Loi nº 2005-1549 du 12 décembre 2005, art. 35.
1235
S. VOISIN, La médiation pénale est-elle juste ? PA. 2002, n° 170, p. 51.

370
La signification de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal

procureur tienne la personne concernée pour l’auteur des faits, et cela en dehors de tout
procès. Par sa seule acceptation de la médiation, qui suppose l’existence d’une infraction
puisque le procureur pourrait et pourra poursuivre, l’auteur des faits reconnaît sa culpabilité,
qu’elle soit d’ailleurs réelle ou fausse 1236. On pourrait d’autant plus y voir un risque
d’atteinte à la présomption d’innocence que, si des poursuites sont finalement engagées, les
juges pourront semble-t-il utiliser la procédure de médiation pour en tirer des constatations
contre l’auteur des faits 1237. Hormis cette étude de Mlle Voisin, il ne semble pas que la
doctrine juge la médiation pénale contraire à la présomption d’innocence. Pourtant, la
personne ici seulement suspecte d’être l’auteur des faits, et non pas poursuivie, est
normalement protégée par la présomption d’innocence au sens de l’article préliminaire du
Code de procédure pénale, et de l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme.

319. Le contrôle socio-judiciaire éducatif. Avant même qu’il soit officiellement consacré
par la loi du 15 juin 2000, Christophe Cardet avait essayé d’attirer l’attention de la doctrine
sur la possible incompatibilité entre cette « mesure de sûreté » et la présomption
d’innocence 1238. Il est vrai que le contrôle socio-judiciaire éducatif, comme le contrôle
judiciaire et la détention provisoire, constitue déjà, en soi, une atteinte à la présomption
d’innocence, dès lors qu’il vient limiter la liberté individuelle de celui qui en est l’objet, et
se trouve « dénoncé » en tant que tel par nombre d’auteurs. Toutefois, ce n’est pas
uniquement sous cet angle qu’il peut être suspect de porter atteinte à la présomption
d’innocence. Le principe du contrôle judiciaire, qui peut être ordonné par le juge
d’instruction ou le juge des libertés et de la détention consiste, est ainsi définit par l’alinéa 2
de l’article 138 du Code de procédure pénale : « Ce contrôle astreint la personne concernée
à se soumettre, selon la décision du juge d'instruction ou du juge des libertés et de la
détention, à une ou plusieurs des obligations ci-après énumérées ». Le volet socio-éducatif
du contrôle est quant à lui prévu à l’article 138 alinéa 2 6° et consiste en ceci : « Répondre
aux convocations de toute autorité, de toute association ou de toute personne qualifiée

1236
S. VOISIN, La médiation pénale est-elle juste ? op. cit., p. 52, où l’auteur juge que parce que la
médiation est uniquement axée sur la réparation et parce qu’il n’est même pas donné à l’auteur supposé
des faits l’occasion d’apporter la preuve de son innocence, cette mesure élude le jeu de la présomption
d’innocence.
1237
C’est ce qui résulte d’un arrêt de la chambre criminelle qui décide que, contrairement à ce qui se
passe en en matière de médiation civile, les constatations du médiateur pénal et les déclarations qu'il
recueille peuvent être évoquées devant le juge saisi du litige sans l'accord des parties. V. Cass. crim., 12
mai 2004, Bull. n° 121, qui décide dans une affaire de non-représentation d’enfant par une mère, que
« contrairement à ce qui est allégué, les juges n'ont pas méconnu les dispositions de l'article 24 de la loi
du 8 février 1995, lesquelles, en vertu de l'article 26 de cette même loi, ne sont pas applicables aux
procédures pénales ». Pourtant, dans un précédent arrêt, la chambre criminelle avait décidé le contraire
(Cass. crim., 28 février 2001, Bull. n° 54). Autrement dit, elle avait admis que l’article 24 alinéa 2 de la
loi de 1995, selon lequel « Les constatations du conciliateur ou du médiateur et les déclarations qu'ils
recueillent ne peuvent être évoquées devant le juge saisi du litige qu'avec l'accord des parties. Elles ne
peuvent être utilisées dans une autre instance », s’appliquait à la médiation pénale.
1238
V. CH. CARDET, Rev.sc.crim., 1994, p. 508, Entre pré-peine et mesure de sûreté : le respect de la
présomption d’innocence.

371
Le discours sur l’objet

désignée par le juge d'instruction ou le juge des libertés et de la détention et se soumettre,


le cas échéant, aux mesures de contrôle portant sur ses activités professionnelles ou sur son
assiduité à un enseignement ainsi qu'aux mesures socio-éducatives destinées à favoriser son
insertion sociale et à prévenir le renouvellement de l'infraction ». M. Cardet fait observer
que le contrôle socio-éducatif écarte la présomption d’innocence parce qu’il suppose un
minimum d’adhésion à la mesure resocialisante mais aussi parce que cette mesure intègre
des mécanismes qui anticipent sur le jugement final 1239. Mais surtout, en prévoyant
expressément que les mesures socio-éducatives peuvent être destinées à « prévenir le
renouvellement de l'infraction », on s’aperçoit que le contrôle judiciaire socio-éducatif
constitue un préjugement sur la culpabilité qui a lieu pendant l’instruction, ce qui est bel et
bien contraire à la présomption d’innocence. L’atteinte apparaît d’autant plus importante
qu’il n’existe « aucun critère précis de déclenchement de l’intervention d’assistance » et
que le contrôle du contrôle judiciaire socio-éducatif par la Cour de cassation est quasi
inexistant 1240. En effet, la Cour de cassation décide que les modalités des mesures de
contrôle décidées par les juridictions d’instruction n’ont pas à être motivées. L’atteinte à la
présomption d’innocence apparaît en outre plus clairement, et de façon paradoxale, avec la
loi du 15 juin 2000 qui a introduit dans le Code de procédure pénale, à la fois la
présomption d’innocence à l’article préliminaire et cette mesure à l’article 138 alinéa 2
6° 1241. De cette incompatibilité, le discours doctrinal ne dit mot. De ce silence, il est tout à
fait possible de conclure que les pénalistes ne voient là aucune atteinte à la présomption
d’innocence. Par là, ils limitent implicitement ses conséquences ainsi que sa signification.

320. Le dépistage de l’alcool ou de stupéfiants au volant. La compatibilité des


dispositions relatives aux contrôles des conducteurs de véhicule, pourrait être elle aussi
soulevée. En effet, le Code de la route prévoit, en dehors de toute implication dans un
accident, des contrôles préventifs et aléatoires visant à dépister l’éventuelle alcoolémie des
conducteurs. C’est ainsi que l’article L. 234-9 alinéa 1 de ce code dispose que, les officiers
ou agents de police judiciaire peuvent, « même en l’absence d’infraction préalable ou
d’accident, soumettre toute personne qui conduit un véhicule ou qui accompagne un élève
conducteur à des épreuves de dépistage de l’imprégnation alcoolique».

Ce texte présente plusieurs difficultés au regard de la présomption d’innocence. Elles


sont liées aux suites qui seront données à ce dépistage. Tout d’abord, l’épreuve de
l’alcootest ne saurait à elle seule fournir la preuve d’une conduite sous l’emprise de l’alcool.
Si elle s’avère positive, il sera procédé conformément à l’alinéa 2 du texte, qui prévoit
que : « Lorsque les épreuves de dépistage permettent de présumer l'existence d'un état

1239
Rev.sc.crim., 1994, p. 508.
1240
CH. CARDET, L’incontrôlable contrôle judiciaire « socio-éducatif », D. 2002, p. 1222-1223, n° 7 et 8.
1241
CH. CARDET, L’incontrôlable contrôle judiciaire « socio-éducatif », op. cit. , n° 10.

372
La signification de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal

alcoolique, les officiers ou agents de police judiciaire font procéder aux vérifications
destinées à établir la preuve de l'état alcoolique au moyen de l'appareil permettant de
déterminer la concentration d'alcool par l'analyse de l'air expiré, mentionné aux
articles L. 234-4 et L. 234-5 et dans les conditions prévues par ces mêmes articles ». Il
s’agit donc, par ces vérifications, d’obtenir la preuve de la commission de l’infraction de
conduite sous l’emprise d’un état alcoolique prévue à l’article L. 234-1(I) 1242. Ce qui paraît
choquant dans ces dispositions, c’est l’arbitraire qui préside à leur mise en œuvre et qui
aboutit à rechercher la preuve d’une infraction dont on ne sait absolument pas si elle existe.
L’infraction sera présumée à partir seulement du dépistage, lequel est arbitrairement mis en
œuvre puisque les personnes contrôlées sont choisies aléatoirement, en l’absence de tout
signe laissant supposer qu’elles ont pu commettre l’infraction. Les conducteurs présumés
innocents sont alors présumés coupables. Pire, ces conducteurs n’ont d’autre choix que de
concourir à leur propre incrimination puisque la loi ne leur permet pas de refuser de se
soumettre aux vérifications de l’éthylomètre. Il faut signaler en effet que, «Le fait de refuser
de se soumettre aux vérifications prévues par l'article L. 234-9 est puni de deux ans
d'emprisonnement et de 4 500 euros d'amende» 1243.

Les pénalistes affirment souvent qu’en dehors de tout procès, de toute poursuite, il n’y a
pas de place pour la présomption d’innocence. Il faut, pour que cette présomption puisse
jouer, qu’il existe déjà des indices laissant présumer la culpabilité, bref qu’une certaine
« présomption de culpabilité » ait déjà commencé à jouer elle-même. Dans notre exemple,
rien de tel puisque l’on se situe en amont de toute poursuite. Il nous semble que la
présomption d’innocence est respectée lorsque les autorités judiciaires sont mues par une
suspicion légitime 1244, et ce n’est pas le cas lorsqu’on soumet un conducteur à un dépistage
de l’alcool en dehors de toute infraction, de toute implication dans un accident ou de tout
signe manifeste d’ivresse.

Ce qui est également intéressant à observer, c’est que le législateur a souhaité adopter les
mêmes mesures préventives et répressives à l’égard des conducteurs consommateurs de
produits stupéfiants. Il a alors, sur le modèle des articles L. 234-1 et suivants relatifs à la
conduite sous l’emprise de l’alcool, crée les articles L. 235-1 et suivants du code de la route
incriminant la conduite sous l'influence de substances ou plantes classées comme
stupéfiants. La proposition de loi prévoyait d’insérer un article L. 235-4 relatif au dépistage

1242
Pour mémoire : « Même en l'absence de tout signe d'ivresse manifeste, le fait de conduire un véhicule
sous l'empire d'un état alcoolique caractérisé par une concentration d'alcool dans le sang égale ou
supérieure à 0,80 gramme par litre ou par une concentration d'alcool dans l'air expiré égale ou
supérieure à 0,40 milligramme par litre est puni de deux ans d'emprisonnement et de 4 500 euros
d'amende».
1243
Article L. 234-10 alinéa 1 du Code de la route.
1244
F. DEFFERRARD, La suspicion légitime, Paris, LGDJ, 2000.

373
Le discours sur l’objet

aléatoire, par analogie avec l’article L. 234-9 1245. Ce qui, selon les observations
précédentes, pouvait rendre le texte contraire à la présomption d’innocence. Toutefois, cette
proposition a fait l’objet d’un amendement de la commission des lois tendant à préciser les
conditions dans lesquelles un dépistage peut être effectué en dehors des cas d’accident. Cet
amendement, qui a finalement été voté, proposait d’insérer après les mots « toute
personne » la précision suivante : « à l’encontre de laquelle il existe une ou plusieurs
raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis l’infraction définie à l’article L. 235-2 à
des épreuves de dépistage… ». Ainsi retrouve-t-on cette précision dans la version définitive
du texte 1246 et en dernier lieu dans l’article L. 235-2 alinéa 2 du Code de la route. On le voit
donc, le dépistage aléatoire de conduite sous l’emprise de la drogue se sépare finalement de
celui de l’alcool. L’exigence d’une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner que le
conducteur a fait usage de substances ou plantes classées comme stupéfiants, rejoint les
conditions légales requises pour toutes les mesures attentatoires à la liberté individuelle, à
commencer par la garde à vue. Ici, la mise en œuvre du contrôle est fondée sur une
suspicion légitime qui ne porte pas atteinte à la présomption d’innocence 1247. Demeure
néanmoins, comme pour le dépistage de l’alcool, l’atteinte qui résulte de l’obligation de se
soumettre aux vérifications 1248, autrement dit celle qui résulte de l’obligation de participer à
sa propre incrimination. Alors même que la doctrine n’a pas ménagé ses critiques à l’égard
de la présomption de responsabilité qui existe à l’encontre du propriétaire d’un véhicule
stationné illicitement, arguant que la présomption d’innocence était atteinte, peu important
la faible gravité de l’infraction et de la peine (d’amende), on peut être étonné de son silence
face à de telles dispositions. Le fait que la jurisprudence européenne ait eu l’occasion de

1245
« Les officiers de police judiciaire (…) peuvent, même en l'absence d'infraction préalable ou
d'accident, soumettre toute personne qui conduit un véhicule ou qui accompagne un élève conducteur, à
des épreuves de dépistage de la présence dans l'organisme de plantes ou de substances classées comme
stupéfiants.
Lorsque les épreuves de dépistage permettent de présumer l'existence d'une emprise de plantes ou de
substances classées comme stupéfiants, les officiers ou agents de police judiciaire font procéder aux
vérifications destinées à établir la preuve de cet état dans des conditions prévues par décret en Conseil
d'État», Proposition de loi n°194 du 20 septembre 2002, article 1er.
1246
Loi n° 2003-87 du 3 février 2003 relative à la conduite sous l'influence de substances ou plantes
classées comme stupéfiants, article 1er 2°, JO. n° 29 du 4 février 2003 page 2103.
1247
On pourrait s’étonner de ce que la législation est finalement plus protectrice des consommateurs de
drogue que des consommateurs d’alcool, alors même que les premiers, violent la loi avant même d’avoir
pris le volant, ce qui n’est pas (encore ?) le cas des seconds. En pratique, il paraît difficile d’imaginer
comment les officiers de police judiciaire pourront découvrir qu’il existe des raisons plausibles que le
conducteur a consommé de la drogue. Sauf à considérer que c’est à l’occasion d’un dépistage aléatoire de
l’alcoolémie qu’ils pourront soupçonner la consommation de drogue.
1248
Article L. 235-3 (I) : « Le fait de refuser de se soumettre aux vérifications prévues par l'article
L. 235-2 est puni de deux ans d'emprisonnement et de 4 500 Euros d'amende».

374
La signification de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal

juger que l’article 6§2 n’était pas violé dans une telle hypothèse 1249 ne semble pas une
raison suffisante.

Après avoir donner quelques illustrations de l’indétermination des conséquences de la


présomption d’innocence dans le discours doctrinal, il faut tenter de rechercher les raisons
de ce que l’on pourrait qualifier la « réserve » des auteurs.

B- PRUDENCE DE LA DOCTRINE ?

321. L’hypothèse d’un silence prudent. « La présomption d’innocence se laisse définir a


contrario à partir des atteintes qui peuvent lui être portées » enseignait le doyen
Carbonnier 1250. La littérature juridique pénale énumère un certain nombre d’atteintes et en
passe manifestement d’autres sous silence. Par là, elle contribue à définir la présomption
d’innocence, à lui conférer sa signification. Il est indéniable que la doctrine pénale a
toujours largement insisté sur la signification probatoire de la présomption d’innocence et
beaucoup moins sur ce que les auteurs analysent comme l’extension de sa portée par le
législateur ou la jurisprudence. M. Badinter croyait ainsi pouvoir conclure que la
jurisprudence européenne avait réussi là où des générations de juristes français avaient
échoué 1251. Là question se pose de savoir s’il s’agit d’un échec ou d’une abstention
volontaire ou involontaire, consciente ou non. À cet égard, on pourra rappeler l’étonnement
manifesté par Jacques-Henri Robert en découvrant que la chambre criminelle avait invoqué
d’office l’article 6§2 de la Convention européenne dans sa décision du 19 mars 1986. Il
jugeait que cette décision n’était « pas exempte d’une témérité très contraire aux traditions
de la chambre criminelle car la présomption d’innocence a, en droit interne, valeur
constitutionnelle comme étant inscrite dans l’art.9 de la Déclaration des droits de
l’homme ; et, si l’on en développait toutes les conséquences, certaines institutions comme la
détention provisoire ou la liberté des preuves en matière pénale pourraient être remises en
question » 1252. À vrai dire, bien des règles ou institutions de notre procédure pénale
pourraient se voir remises question par la présomption d’innocence. Cette remarque laisse
alors supposer que la doctrine n’entend pas se laisser aller à la même témérité que la Cour
de cassation. La témérité consisterait à trop vouloir déterminer les conséquences de la
présomption d’innocence. À cet égard, on pourrait dire de nos criminalistes qu’ils font
preuve de la première des vertus cardinales : la prudence 1253. Mais si tel est le cas, il

1249
M. VAN DE KERCHOVE, La preuve en matière pénale dans la jurisprudence de la Cour et de la
Commission européennes des droits de l’homme, Rev.sc.crim., 1992, p. 5, à propos d’une décision de la
Commission, Com. EDH D 8239/78 X. c./ Pays-Bas, 4 décembre 1978, DR 16, p. 185.
1250
J. CARBONNIER, Droit civil, vol. I, op. cit., n° 280.
1251
R. BADINTER, La présomption d’innocence, histoire et modernité, op. cit., p. 144.
1252
J.-H. ROBERT, Discours sur l’état du droit pénal, op. cit., p. 161.
1253
La prudence est l’une des vertus caractéristique de la doctrine, elle contribue à asseoir son autorité.
Elle consiste à savoir dans chaque cas particulier ce qu’il est bon de faire ou de ne pas faire. Le
jurisprudent n’est autre que celui qui, bon connaisseur des principes, est apte à les appliquer avec

375
Le discours sur l’objet

convient de s’intéresser aux dangers ou risques qu’il s’agit ici d’éviter. Il est possible
d’évoquer ici deux ordres de risques complémentaires, celui de l’incohérence et celui de la
dilution.

1) Le risque de l’incohérence

322. Rappels. Développer le sens de la présomption d’innocence au-delà de limites


raisonnables fait courir le risque de l’incohérence, celle du droit pénal dans son sens le plus
large. L’indétermination de la signification de la présomption d’innocence laisse place à un
paradoxe : elle autorise à imaginer des sens plus étendus en même temps qu’elle contribue à
les contenir. Nous avions déjà relevé l’absence de prédictions doctrinales quant à
l’utilisation que les juridictions pourraient faire de l’article préliminaire III relatif à la
présomption d’innocence et ce au lendemain de son introduction dans le Code de procédure
pénale. Un auteur illustre en partie cette indétermination des conséquences et la justifie à
l’occasion de l’analyse qu’il a donnée de la disposition préliminaire. M. Henrion explique
en effet que les principes directeurs contenus dans ce texte « sont avant tout des principes,
c'est-à-dire des maximes, qui ne peuvent être entièrement suivies » et qu’ « il est tout à fait
inconcevable de les établir puis de les appliquer jusqu’à leurs dernières
conséquences » 1254. En outre, les exemples donnés précédemment au titre de
l’indétermination montrent que certaines règles ou institutions qui pourraient être évaluées à
l’aune de la présomption d’innocence ne le sont pas, ou très discrètement. Or ces exemples
pourraient sans aucun doute être multipliés si d’aventure l’on s’attelait à la rude tâche qui
consisterait à scruter l’ensemble des règles du droit pénal dans le but de vérifier si elles sont
compatibles avec la présomption d’innocence. Le risque serait alors de découvrir un nombre
trop considérable d’incompatibilités qui auraient pour effet de remettre en cause la
cohérence de notre système pénal. Or, le risque de l’incohérence du système juridique ne
saurait être couru par la doctrine qui, bien au contraire, œuvre pour donner toute la
cohérence possible aux divers domaines du droit 1255. Pourtant, la littérature juridique pénale
n’hésite pas à dénoncer certaines incompatibilités et l’on pourrait s’en étonner. Le meilleur
exemple en est fourni par l’analyse doctrinale des présomptions légales et jurisprudentielles
de culpabilité qui portent atteinte à la présomption d’innocence 1256. Pourquoi alors ne pas

discernement aux cas sur lesquels il est appelé à prendre parti : A. SÉRIAUX, La notion de doctrine
juridique, op. cit., p. 72.
1254
H. HENRION, L’article préliminaire du Code de procédure pénale : vers une “théorie législative” du
procès pénal ? op. cit., p. 14-15.
1255
« Le savoir juridique se compose de propositions cohérentes émises à propos d’un droit qui ne doit
pas apparaître incohérent. Les propositions qui introduisent la contradiction ont toutes les chances d’être
rejetées comme telles : elles ne peuvent être le reflet du droit », CH. ATIAS, Épistémologie juridique, op.
cit., n° 332.
1256
Cela est d’autant plus curieux que la jurisprudence tant européenne que française affirment sans cesse
la compatibilité de telles présomptions avec la présomption d’innocence, sous réserve de demeurer dans
des limites raisonnables et que soient préservés les droits de la défense.

376
La signification de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal

dénoncer d’autres atteintes ? C’est qu’il semble que face à une incompatibilité et donc à un
risque d’incohérence deux attitudes différentes sont envisageables pour la science du droit.

323. La résorption des contradictions ou l’incohérence évitée. La première attitude


consiste à résorber les contradictions afin de préserver la cohérence du système. S’agissant
des présomptions de culpabilité, s’il est vrai que leur dénomination même exprime un parti
pris et qu’elles sont souvent présentées comme des atteintes à la présomption d’innocence,
il faut remarquer que la doctrine cherche le plus souvent à donner une présentation
cohérente de la situation en droit positif. Pour s’en convaincre, il faut prêter attention au
vocabulaire utilisé par les criminalistes. Certains écrits n’évoquent par exemple jamais les
présomptions de culpabilité mais s’attachent à présenter les « présomptions favorables à la
partie poursuivante » 1257. D’autres analysent les « présomptions de culpabilité » comme des
exceptions ou des limites à la présomption d’innocence 1258. Le raisonnement en terme
d’exception, de dérogation ou encore de limite a le grand avantage de rétablir la cohérence
en limitant la signification de la présomption d’innocence. Un tel raisonnement n’a pas été
mené au sujet, par exemple, de la médiation pénale ou du dépistage de l’alcool au volant.
L’incohérence est évitée tout simplement parce qu’elle n’est pas dite.

324. Le silence sur les incohérences. La deuxième attitude de la doctrine face aux
contradictions du droit peut consister à les passer sous silence. Ainsi, si elles ne
disparaissent, au moins ne sont-elles pas apparentes, ce qui permet de continuer à donner
une présentation cohérente du droit positif. Pour reprendre les exemples donnés plus haut,
les contradictions éventuelles que peuvent soulever la médiation pénale, le contrôle
judiciaire socio-éducatif ou les dispositions sur les contrôles de l’alcool au volant, seront
alors ignorées purement et simplement. Seront ignorées également le cas échéant, les
éventuelles dénonciations que certains auteurs pourraient vouloir faire. « La cohérence dont
les juristes se préoccupent les guide avec une puissance certaine. Elle peut commander
leurs prises de position, les conduire à adopter une présentation du droit plutôt qu’une
autre » 1259. Il faudrait alors se demander pourquoi, au nom de la cohérence, la détention
provisoire est regardée comme une atteinte certaine à la présomption d’innocence et pas
d’autres institutions. Qu’il s’agisse de la médiation pénale ou de la composition pénale, du
contrôle judiciaire socio-éducatif ou encore du dépistage de l’alcool au volant, le silence de
la doctrine peut s’analyser comme un choix. Ce choix consiste à préférer ne pas soulever

1257
M.-J. ESSAÏD, La présomption d’innocence, op. cit., n° 196 et s. ; R. MERLE et A.VITU, Traité de droit
criminel, Procédure pénale, 5e éd., op. cit., n° 150 ; TH. GARÉ et C. GINESTET, Droit pénal et procédure
pénale, op. cit., n° 392.
1258
M.-L. RASSAT, Traité de procédure pénale, op. cit., n° 198 ; J. LARGUIER, Procédure pénale, op. cit.,
18e éd., p. 306 ; F. DEBOVE et F. FALLETTI, Précis de droit pénal et de procédure pénale, op. cit.; S.
GUINCHARD et J. BUISSON, Procédure pénale, 3e éd., op. cit., n° 494.
1259
CH. ATIAS, Épistémologie juridique, op. cit., n° 333.

377
Le discours sur l’objet

une certaine incompatibilité de ces institutions avec la présomption d’innocence pour ne


présenter finalement que leur utilité au regard d’autres valeurs. On pourra alors arguer que
la médiation pénale n’est pas une atteinte à la présomption d’innocence car les droits de la
défense y sont entiers, que l’auteur des faits à qui l’on propose de réparer le dommage causé
demeure libre de refuser la médiation et de préférer un procès. Mais, il nous semble surtout
que la doctrine joue ici le jeu du législateur et admet sans trop sourciller une mesure qui
présente de grands avantages pour le service public de la justice et la réparation des
victimes. Une médiation réussie est signe d’apaisement des conflits, de responsabilisation
de l’auteur des faits, et surtout de désengorgement des tribunaux. Le contrôle judiciaire
socio-éducatif est supposé quant à lui être un bon outil de resocialisation, de réinsertion, de
réadaptation sociale pour celui qui en est l’objet, sans attendre qu’une véritable peine soit
prononcée pour mettre en œuvre ces objectifs. Tant de personnes mises en examen ont
besoin d’être remises dans le droit chemin, de (ré) apprendre le respect des normes sociales
qu’il serait mal venu de critiquer l’article 138 du Code de procédure pénale en l’évaluant
sous l’angle de la présomption d’innocence. Que dire encore des dépistages préventifs des
conducteurs en état d’ivresse ? Invoquer la présomption d’innocence pour des infractions de
si faible importance ? Lorsqu’on connaît le nombre des accidents de la route causés par
l’alcool et leur coût tant financier qu’humain, les mesures à caractère préventif peuvent
trouver toute leur légitimité. Dans ces conditions, l’incohérence ne saurait être dénoncée.
Lorsqu’on se situe davantage dans le domaine de la prévention ou celui de la réparation que
dans celui de la répression, le raisonnement change, il n’est plus question d’invoquer la
présomption d’innocence ou la liberté individuelle.

Le choix doctrinal, qui se manifeste par le silence et s’explique par la préférence pour
des valeurs différentes de celle de la présomption d’innocence, concourt lui aussi à
délimiter le sens de cette dernière. La présomption d’innocence ne saurait être absolue
rappellent parfois les pénalistes. Cela va de soi, mais ce qui est intéressant à observer c’est
la maîtrise que le discours doctrinal peut avoir sur l’étendue de cette relativité de la
présomption d’innocence. Au-delà de l’utilité sociale de telle ou telle règle ou institution, la
recherche de la cohérence est, pour ce qui touche au droit pénal en particulier, la recherche
du fameux équilibre entre les intérêts de la société et ceux de la personne poursuivie,
véritable paradigme de la procédure pénale. La présomption d’innocence se conçoit alors
comme l’un des éléments concourant à cet équilibre, lui donner une signification trop forte,
lui reconnaître des conséquences trop nombreuses aboutirait semble-t-il à rompre cet
équilibre. La prudence de la doctrine peut donc s’expliquer par la volonté de conserver un
rapport raisonnable entre ces deux intérêts dits opposés. Plus spécialement, il faut songer
que la doctrine entretient le souci de ne pas, par son discours, paraître désarmer la
répression. À cet égard, elle se montre parfois vigilante contre le risque de voir « romancer

378
La signification de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal

l’innocence présumée » 1260. Le discours doctrinal participe ainsi, même par ses silences, à la
détermination de ce qui lui paraît être le juste équilibre. Désormais conçue non plus
simplement comme une règle technique mais comme un principe fondamental tourné tout
entier vers la protection de l’accusé, la présomption d’innocence ne sert plus le
raisonnement dès lors que la personne en procès apparaît suffisamment protégée par
d’autres règles.

Cependant, en refusant de dessiner des limites précises à la signification de la


présomption d’innocence, le discours doctrinal se réserve toujours la possibilité d’invoquer
de nouvelles atteintes, de mettre au jour des incohérences afin de faire évoluer ou infléchir
le droit positif si telle lui semble être la meilleure solution. Reste qu’un autre
danger demeure à éviter: celui de la dilution de la présomption d’innocence.

2) Le risque de la dilution

325. La présomption d’innocence est-elle soluble ? Si l’on venait à poser la question


suivante : la présomption d’innocence est-elle soluble dans les règles favorables à la
personne poursuivie, la réponse de la doctrine tendrait-elle vers la négative ? On peut se le
demander. Le droit au silence n’est pas unanimement reconnu comme conséquence de la
présomption d’innocence. On pourrait citer d’autres règles que la jurisprudence ou parfois
même la doctrine, se sont prises à analyser comme des conséquences de la présomption
d’innocence. Ainsi de l’interdiction pour le président de cour d’assises de manifester son
opinion pendant les débats, ainsi également de l’obligation pour les juges de motiver leurs
décisions 1261, ainsi des droits de la défense en général 1262, de l’exigence générale
d’impartialité du juge ou encore des règles du procès pénal que l’on dit découler
directement de la règle du doute favorable, autrement dit de la présomption d’innocence.

La liste pourrait s’allonger jusqu’à rassembler toutes les institutions ou règles qui sont
favorables ou protectrices de la personne poursuivie. Mais alors, la présomption
d’innocence serait en quelque sorte soluble dans l’ensemble de ces règles. Pour mieux
affirmer l’existence et l’importance de la présomption d’innocence, M. Essaïd, par exemple,
avait eu cette tentation 1263. Le plus bel exemple de découverte concernant les conséquences
de la présomption d’innocence est peut-être la règle de l’article 11 du Code de procédure
pénale, c'est-à-dire le secret de l’instruction. L’atteinte qui est portée à la présomption
d’innocence par la violation du secret de l’instruction est devenue un lieu commun du
discours pénal. Par contrecoup, ce secret a été analysé comme une conséquence de la
présomption d’innocence. Désormais, le lien entre les deux règles est si évident que l’on a

1260
C. LOMBOIS, La présomption d’innocence, op. cit., p. 94.
1261
A. TONGLET, La présomption d'innocence et les présomptions en droit pénal, op. cit., n° 375 et s.
1262
PH. CONTE et P. MAISTRE DU CHAMBON, Procédure pénale, op. cit., 4e éd., n° 45.
1263
M.-J. ESSAÏD, La présomption d’innocence, op. cit., n° 142 à 149.

379
Le discours sur l’objet

pu conclure que la violation trop fréquente du secret signerait la mort de la présomption


d’innocence 1264. C’est qu’en effet, la violation du secret est problématique lorsqu’elle est
suivie d’une diffusion des éléments de la procédure par les médias. C’est cependant oublier
un peu vite que la raison d’être première du secret de l’instruction n’est absolument pas la
présomption d’innocence mais l’efficacité de l’instruction préparatoire, et que ce secret était
tout d’abord opposable à la personne poursuivie elle-même. La présomption d’innocence,
n’est qu’une justification secondaire alléguée depuis un peu plus d’un siècle 1265.

Le risque de dilution de la présomption d’innocence est important. Parfois la doctrine ne


cache pas une certaine désapprobation devant ces extensions de la portée de la présomption
d’innocence 1266, devant cette dilution du sens de la présomption d’innocence, laquelle
devient alors une auberge espagnole, pour reprendre les propos de M. Maistre du Chambon.
La dilution du sens de la présomption d’innocence consiste donc à voir dans toute mesure
ou règle favorable à la personne poursuivie une conséquence de la présomption
d’innocence. Corrélativement, ces raisonnements aboutissent à faire de la présomption
d’innocence le fondement de ces règles alors même qu’elles disposent de leur propre
fondement 1267. C’est en dernier lieu dans cette voie que s’est engagé le législateur avec la
loi du 15 juin 2000. Encore que la traduction législative ne semble pas vraiment à la hauteur
des intentions, qui étaient de faire de la présomption d’innocence un principe cardinal, celui
duquel découlerait toutes les autres garanties accordées à la personne suspecte ou
poursuivie. La rédaction de l’article préliminaire est à cet égard décevante.

Qu’il s’agisse d’éviter le risque de l’incohérence ou celui de la dilution,


l’indétermination relative des conséquences de la présomption d’innocence peut s’expliquer
par un choix délibéré de la doctrine juridique pénale. Ce choix de la réserve ou du silence
peut être guidé par la prudence. Néanmoins, l’indétermination des conséquences de la
présomption d’innocence ne présente pas toujours de tels risques et ne résulte pas
nécessairement de tels choix. L’indétermination concerne en outre la situation de la
personne suspecte ou poursuivie dans le procès pénal. La présomption d’innocence a-t-elle
pour conséquence que la personne qui en bénéficie est alors présumée innocente ? Les

1264
J.-J. MINET, En finir avec la présomption d’innocence, op. cit.
1265
M.-L. RASSAT, Traité de procédure pénale, op. cit., n° 373 ; CH. GUÉRY, Rép. Pén. et Proc. Pén., v°
Instruction préparatoire, n° 32 ; F. DESPORTES, J.-Cl. Procédure pénale, Art. 11, n° 18 et s.
1266
R. KOERING-JOULIN, La présomption d'innocence, un droit fondamental ? op. cit., p. 21 à propos de
l’extension de la présomption d’innocence au-delà du champ de la matière pénale ; J.-H. ROBERT, J.-
Cl. Civil, App. Art. 11, n° 3 et 4 à propos de l’article 9-1 du Code civil.
1267
Entre autres exemples, on pourrait penser au principe d’impartialité. Le bon sens suffit à imaginer que
l’impartialité du juge pénal est une condition du respect de la présomption d’innocence. Pour autant, il
paraît téméraire de franchir le pas et de fonder l’exigence d’impartialité sur la présomption d’innocence.
Si les deux notions sont liées, ce n’est probablement pas par un rapport de principe à conséquence.
L’impartialité a trait à la notion de procès équitable au sens de la Conv. EDH. Il nous semble que c’est la
première exigence de la justice que d’être rendue par des juges impartiaux et ce, quelle que soit la nature
du contentieux dont ils ont la charge, pénale, civile ou administrative.

380
La signification de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal

réponses doctrinales peuvent apparaître contradictoires et à ce titre relever de


l’indétermination. Plus spécialement, c’est surtout la situation du présumé innocent qui est
présentée de façon contradictoire. C’est la raison pour laquelle on peut dire qu’elle se
présente de façon paradoxale.

§2. LE PARADOXE DU PRÉSUMÉ INNOCENT, PRÉSUMÉ COUPABLE

326. Notion de paradoxe. Un paradoxe peut se définir comme un raisonnement ou une


proposition qui est contraire à l’opinion, au sens commun. On dit aussi du paradoxe qu’il est
un raisonnement qui, sous une apparence de fausseté, est pourtant vrai. Le propre du
paradoxe est de mettre en évidence les contradictions d’une proposition et d’ainsi, par
exemple, faire progresser la science, faire évoluer les théories 1268. Le paradoxe a donc partie
liée avec la contradiction logique.

Or, il se trouve que le discours doctrinal sur la présomption d’innocence fait état de
contradictions affectant la procédure pénale qui, d’un côté consacre la présomption
d’innocence et de l’autre admet que toutes sortes de présomptions de culpabilité puissent
produire, elles aussi, des effets sur la situation du suspect. En mettant face à face ces deux
types opposés de présomptions qui agissent sur la situation de la personne poursuivie, le
discours doctrinal met au jour un paradoxe, celui que nous appellerons le paradoxe du
présumé innocent, présumé coupable. Cette mise au jour est cependant difficile en raison de
la résistance du discours juridique 1269 comme le montrera la manière dont le paradoxe a pu
trouver une formulation dans le discours doctrinal (A). Bien que difficile à admettre,
exigeant de se frotter à la complexité de la présomption d’innocence, le paradoxe du
présumé innocent, présumé coupable n’en présente pas moins des vertus qui incitent à ne
pas vouloir le dépasser (B).

A- FORMULATION DU PARADOXE DU PRÉSUMÉ INNOCENT, PRÉSUMÉ COUPABLE

327. Contradiction et paradoxe. Le droit ne semble guère apprécier en son sein l’existence
de paradoxes, lui qui est construit autour d’oppositions binaires 1270, se mouvant ainsi autant
que possible dans la pensée simple 1271, celle où une chose ne peut être en même temps son
contraire 1272. Autrement dit, le juriste ne semble pouvoir admettre qu’une personne

1268
Encyclopédie philosophique universelle, tome 2 : Les notions philosophiques, Paris, PUF, 1990, v°
Paradoxe.
1269
Qui précisément aurait plutôt tendance à fuir la contradiction qu’à la rechercher.
1270
« C’est un trait (archaïque) du droit que de procéder volontiers par oppositions binaires » disait le
doyen Carbonnier, Droit civil, Les biens, Paris, PUF, 19e éd., 2000, p. 86.
1271
Il n’y a pourtant aucune raison de croire que la pensée juridique soit à l’abri des interrogations
paradoxales, même s’il est vrai qu’elle a plutôt tendance à leur résister, F. OST et M. VAN DE KERCHOVE,
Le droit ou les paradoxes du jeu, Paris, PUF, 1992, p. 98.
1272
A=A et A ne peut être non-A est le mode de raisonnement de la pensée simple (par opposition à la
pensée complexe) qui s’applique au droit, lequel fonctionne par oppositions du genre : ceci ou cela, ceci

381
Le discours sur l’objet

poursuivie puisse être à la fois présumée innocente et présumée coupable, de deux choses
l’une ! Pourtant, en relevant ce qui pouvait porter atteinte à la présomption d’innocence, en
opposant à la présomption d’innocence des présomptions de culpabilité, en croyant
dénoncer des contradictions pour mieux les résoudre, la doctrine a mis au jour l’existence
d’un paradoxe. Bien que difficile à admettre, le statut paradoxal de la personne poursuivie
semble de nos jours faire l’objet d’une certaine reconnaissance dans la littérature juridique
et même dans la loi.

1) La mise au jour du paradoxe ou la rhétorique des atteintes à la présomption


d’innocence

328. La présomption d’innocence contredite. Le discours doctrinal laisse parfois dans


l’incertitude quant aux conséquences de la présomption d’innocence sur la situation de la
personne suspecte ou poursuivie. Cette indétermination résulte de l’affirmation
concomitante d’une part, de l’existence de la présomption d’innocence et d’autre part, de
présomptions propres à l’atteindre, sinon à la détruire avant même l’issue du procès. On
aperçoit ainsi dans la littérature juridique une sorte de rhétorique des atteintes à la
présomption d’innocence qui a d’ailleurs pu nous faire dire, à d’autres égards, que la
doctrine pouvait elle-même douter de l’existence de la présomption d’innocence 1273. On
peut ici parler de « rhétorique des atteintes » dans la mesure où l’énonciation de ces
atteintes est un procédé discursif propre à plusieurs auteurs et non une expression tirée
d’une pure description du droit positif. En effet, le mot « atteinte » est de plus en plus
fréquemment utilisé pour désigner tout ce qui peut venir contredire l’affirmation selon
laquelle toute personne poursuivie est présumée innocente. Pourtant, législateur et
jurisprudence n’y voient quant à eux aucune réelle contradiction. La rhétorique des atteintes
consiste notamment 1274 dans l’énumération, plus ou moins exhaustive, de ce qu’il est
devenu commun de nommer « présomptions de culpabilité » 1275. Sous cette expression, le
discours doctrinal range des atteintes dont la nature est différente, si bien qu’il semble
nécessaire de distinguer. En effet, les présomptions de culpabilité invoquées dans le

contre cela ou encore ni ceci ne cela. Ainsi est-on, en droit pénal, innocent ou coupable, présumé innocent
ou présumé coupable. Il n’existe pas de tierce possibilité dans cette façon de penser, le tiers exclu n’y a
pas sa place. F. OST et M. VAN DE KERCHOVE, Le droit ou les paradoxes du jeu, op. cit., p. 112.
1273
V. supra, n° 258 et s.
1274
Les atteintes peuvent s’entendre de façon large comme tout ce qui contredit la présomption
d’innocence, comprenant ainsi les privations de liberté au premier rang desquelles on trouve la détention
provisoire. Il ne sera toutefois pas question de ce type d’atteintes à cet endroit.
1275
Au titre de la « rhétorique des atteintes », on peut renvoyer plus particulièrement aux auteurs
suivants : G. KIEJMAN, Les présomptions de fait de culpabilité et la présomption légale d’innocence, op.
cit. ; W. JEANDIDIER, La présomption d’innocence ou le poids des mots, op. cit. ; P. BALLANDIER, Pour
une défense de la présomption d’innocence, op. cit.; J.-R. FARTHOUAT, La présomption d’innocence, op.
cit., p. 54-55 ; R. KOERING-JOULIN, La présomption d'innocence, un droit fondamental ? op. cit., p. 25 ;
J.-F. CHASSAING, Jalons pour une histoire de la présomption d'innocence, op. cit., p. 238 ; J. PRADEL,
Procédure pénale, op. cit., 12e éd., n° 396.

382
La signification de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal

discours regroupent d’une part des atteintes de nature juridique et d’autres part des
présomptions de pur fait qui constituent des atteintes sociologiques à la présomption
d’innocence 1276. Malgré la distinction, il convient de remarquer que les deux types
d’atteintes sont intimement liés puisque les secondes ne sont en réalité que la conséquence
des premières.

Ces présomptions de culpabilité, qu’elles soient juridiques ou sociologiques viennent


donc contredire la présomption d’innocence. Leur énumération, plus ou moins insistante, a
pour finalité soit la négation de la présomption d’innocence, soit plus souvent sa
relativisation, la mise en évidence de sa faiblesse. Toutefois, il est intéressant de s’attacher
ici à l’effet de cette énumération, de cette rhétorique des atteintes. Il s’agit de la mise au
jour, involontaire mais inévitable, du paradoxe du présumé innocent, présumé coupable.
Pour l’illustrer, il convient de rappeler brièvement quelles peuvent être ces présomptions de
culpabilité qui portent atteinte à la présomption d’innocence.

329. Les présomptions juridiques de culpabilité. Dans cette catégorie, il ne suffit pas de
ranger ce que l’on appelle habituellement les présomptions légales de culpabilité ou de
responsabilité mais également toutes les dispositions et mesures prévues par le Code de
procédure pénale qui d’une manière ou d’une autre sont évoquées par les auteurs au titre des
atteintes. S’agissant des présomptions légales ou jurisprudentielles de culpabilité, c'est-à-
dire des présomptions attachées à l’existence de l’un des éléments de l’infraction, la
doctrine renonce souvent à les énumérer toutes tant elles sont nombreuses 1277. Ces
présomptions ont pour but de faciliter la preuve qui incombe à la partie poursuivante en la
dispensant de rapporter la preuve de l’élément moral ou de l’élément matériel. On dit alors
que ces présomptions ont pour effet de faciliter la répression des infractions dont la preuve
est par nature difficile à faire pour l’accusation 1278. La doctrine y voit un renversement de la
charge de la preuve au détriment de la personne poursuivie qui devra rapporter elle-même la
preuve de l’absence de l’élément présumé. En ce sens donc, et bien que présumée
innocente, la personne poursuivie est également au moins pour partie présumée
coupable 1279. Ce qu’un auteur a d’ailleurs présenté, pour le refouler, comme un paradoxe :

1276
Cette distinction entre atteintes juridiques et sociologiques a d’ailleurs été proposée en doctrine, V. J.
PRADEL, Droit pénal comparé, op. cit., n° 300, p. 434.
1277
J. PRADEL, Procédure pénale, op. cit., 12e éd., n° 397, qui estime qu’il est impossible de toutes les
énumérer.
1278
V. notamment, A. TONGLET, La présomption d'innocence et les présomptions en droit pénal, op. cit.
1279
On peut se contenter de n’évoquer que quelques-unes de ces présomptions, celles qui ont
particulièrement retenu l’attention de la doctrine puisqu’elles sont très fréquemment citées. C’est tout
d’abord la présomption d’importation de marchandises en fraude qui pèse sur le simple détenteur au
terme de l’article 392§1 du Code des douanes. Ce texte dispose en effet que : « Le détenteur de
marchandises de fraude est réputé responsable de la fraude ». C’est cette présomption qui avait entraîné
la condamnation de M. Salabiaku et dont la Cour EDH avait jugé l’application compatible avec la
présomption d’innocence. Ce peut être ensuite la présomption de proxénétisme édictée par l’article 225-
6, 3° du Code pénal, selon lequel, est assimilé au proxénétisme et puni des peines le fait, par quiconque,

383
Le discours sur l’objet

« Le droit pénal français, instaurant des présomptions légales de culpabilité, a jeté les
bases d’un véritable paradoxe au regard de la présomption d’innocence » 1280. Outre ces
règles purement probatoires, il existe dans un autre sens, des présomptions de culpabilité
qui sont juridiques par leur origine.

Il faut ici tout d’abord songer à l’ensemble des mesures contraignantes que les autorités
judiciaires peuvent prendre à l’encontre de la personne suspecte ou poursuivie. La doctrine
a souvent souligné le caractère attentatoire à la présomption d’innocence du placement en
garde à vue, sous contrôle judiciaire ou encore en détention provisoire. L’atteinte intervient
en réalité à deux titres. Tout d’abord parce que ces mesures restreignent la liberté de
mouvement des personnes qui en font l’objet alors même qu’elle devrait être traitées
comme si elles étaient innocentes, ensuite parce que la loi exige pour leur mise en œuvre
que soient réunies certaines conditions dont la formulation se résout en l’existence d’une
présomption de culpabilité qui a pour effet d’anéantir la présomption d’innocence 1281.
Expriment également une présomption de culpabilité, les indices graves et concordants
rendant vraisemblable la participation à la commission d’une infraction que la loi exige
pour une mise en examen 1282, ou les charges constitutives d’infraction que le juge
d’instruction doit constater pour renvoyer le mis en examen devant la juridiction de
jugement. Manifeste encore un préjugé légal de culpabilité la règle qui interdit à ceux qui
sont en état d’accusation, de contumace, ou qui sont sous mandat de dépôt ou d’arrêt, d’être
désigné comme juré d’assises 1283.

Une place à part doit être faite au phénomène de la relaxe au bénéfice du doute. Si cette
pratique judiciaire tout à fait admise par la Cour de cassation, est de nos jours critiquée par
la doctrine comme une atteinte à la présomption d’innocence, il n’en a pas toujours été

de quelque manière que ce soit, de ne pouvoir justifier de ressources correspondant à son train de vie tout
en vivant avec une personne qui se livre habituellement à la prostitution ou tout en étant en relations
habituelles avec une ou plusieurs personnes se livrant à la prostitution. C’est en outre la présomption de
mauvaise foi qui s’attache à la reproduction d’une imputation diffamatoire et que prévoit l’article 35 bis
de la loi du 29 juillet 1881 sur la presse : « Toute reproduction d'une imputation qui a été jugée
diffamatoire sera réputée faite de mauvaise foi, sauf preuve contraire par son auteur ». C’est encore la
présomption que l’on trouve à l’article L. 121-1 alinéa 1 du Code de la route : « Par dérogation aux
dispositions de l'article L. 121-1, le titulaire du certificat d'immatriculation du véhicule est responsable
pécuniairement des infractions à la réglementation sur le stationnement des véhicules ou sur
l'acquittement des péages pour lesquelles seule une peine d'amende est encourue, à moins qu'il
n'établisse l'existence d'un événement de force majeure ou qu'il ne fournisse des renseignements
permettant d'identifier l'auteur véritable de l'infraction ».
1280
P. BALLANDIER, Pour une défense de la présomption d’innocence, op. cit., p. 13.
1281
Il s’agit pour la garde à vue, par exemple, des raisons plausibles de soupçonner qu'elle a commis ou
tenté de commettre une infraction. À cet égard, notamment : F.-J. PANSIER, Le juge et l’innocent, Gaz.
Pal. 1995, 2, p. 1002 et s ; J. PRADEL, Procédure pénale, op. cit., 12e éd., n° 396.
1282
Certains auteurs, plus disposés à accepter le paradoxe, se contentent de souligner l’ambiguïté du
postulat de la présomption d’innocence au regard de l’article 80-1 du Code de procédure pénale qui régit
la mise en examen par le juge d’instruction : C. COHEN, De la présomption d’innocence au secret de
l’instruction : la double impasse, op. cit., p. 951.
1283
Article 256, 3° du Code de procédure pénale.

384
La signification de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal

ainsi. Il fut une époque où les pénalistes analysaient la relaxe au bénéfice du doute comme
une manifestation de la présomption d’innocence et renvoyaient à de telles décisions pour
illustrer la portée pratique du principe 1284. Il en résulte que la personne bénéficiaire d’une
telle décision est déjà dans un statut paradoxal. Selon l’angle sous lequel on se place, on
peut dire soit qu’elle a bénéficié de la mise en œuvre de la présomption d’innocence, soit
que cette présomption d’innocence est au contraire méconnue. Juridiquement, le jeu de la
présomption d’innocence à travers la règle in dubio pro reo a été profitable ; mais
socialement, l’expression trop visible d’un tel doute nuit à la considération que l’on peut
avoir de l’innocence. Le discours doctrinal lui-même par ses contradictions donne un aperçu
de ce que peut être le paradoxe du présumé innocent, présumé coupable.

330. Les présomptions de fait de culpabilité. Il s’agit de la seconde expression des


atteintes à la présomption d’innocence. Il convient de les ranger dans les atteintes
sociologiques dans la mesure où ce ne sont plus la loi ou la jurisprudence qui organisent et
encadrent ces présomptions de culpabilité. Celles-ci naissent en réalité dans l’esprit de
l’opinion, du public ou si l’on préfère des tiers à la procédure. Ce sont des préjugés, voire
des certitudes de culpabilité qui portent atteinte à l’honneur et à la réputation des personnes
impliquées dans une procédure. Elles sont diffuses, incontrôlables et nombreuses. Elles
résultent de la connaissance par les tiers de la mise en œuvre des mesures et règles
précédemment exposées, si bien qu’elles en sont la conséquence. Un magistrat a bien
résumé cette situation en quelques mots : « Le sens commun dit qu’une personne n’est pas
poursuivie devant un tribunal répressif parce qu’on la présume innocente. Comment croire
qu’un ministre est présumé innocent lorsque, aussitôt mis en examen, il doit quitter ses
fonctions ? L’institution donne à voir des hommes entravés, qui tentent de dissimuler leur
visage aux photographes, qui sortent d’une geôle pour comparaître devant leurs juges.
Comment croire qu’un homme entravé est présumé innocent ? » 1285. Ainsi, la doctrine
souligne-t-elle le danger de telles présomptions qui conduisent l’homme de la rue à voir
dans tout inculpé ou mis en examen un coupable.

1284
Autrefois, M. Pradel écrivait à propos de la présomption d’innocence : « Il est incontestable qu’elle
s’applique à la décision pénale au fond, s’y manifestant par l’acquittement de l’accusé dès lors que la
partie poursuivante ne peut démontrer la culpabilité (in dubio pro reo ) et par un ensemble de règle
juridiques (v. pour une application très nette du principe que le doute profite au prévenu, Metz, 22 février
1980 (…) », et l’auteur reproduisait l’attendu principal de cette décision de relaxe au bénéfice du doute.
V. Procédure pénale, op. cit. , 9e éd. Cette décision et cette remarque semblent avoir disparu des éditions
ultérieures de l’ouvrage. En revanche, d’autres auteurs continuent de voir dans cette décision de Metz
une application de l’adage in dubio pro reo, V. G. STÉFANI, G. LEVASSEUR et B. BOULOC, Procédure
pénale, op.cit. Toutefois, les auteurs entretiennent la confusion en précisant dans l’avant-dernière édition
de leur ouvrage qu’en vertu de la présomption d’innocence, la mention du doute ne devrait pas figurer
dans le jugement. V. 19e éd., n° 123, p. 104 (20e éd., n° 123, p. 102), mais aussi les éditions précédentes
où la décision est seulement citée pour illustrer l’application de l’adage in dubio pro reo.
1285
F. TERRIER, in Rapport de la commission de réflexion sur la justice, Annexes, op. cit., p. 109.

385
Le discours sur l’objet

Les atteintes sociologiques relèvent donc du fait, mais ce fait a la particularité d’être
directement généré par le droit lui-même. C’est la « mauvaise » réception (on dit même
l’ignorance) des règles de procédure pénale dans l’opinion qui créent ces présomptions de
culpabilité. Ce type d’atteinte a fait, et continue de faire, couler beaucoup d’encre car il
soulève une difficulté qui paraît insoluble. Le raisonnement est bien connu et consiste à voir
dans la violation du secret de l’instruction la source première de l’information qui se répand
dans le public par l’intermédiaire des médias 1286. Le législateur a cru pouvoir « régler » la
question des atteintes en organisant leur réparation sur le fondement de l’article 9-1 du
Code civil. Pourtant, si avec ce texte les médias se voient imposer une meilleure conduite et
sont soumis à l’exigence d’un exposé objectif de l’implication de tel ou tel dans une affaire
judiciaire, la véritable source des atteintes ne saurait être tarie. Il apparaît en effet qu’aucune
disposition législative ne pourra empêcher qui que ce soit d’avoir une opinion hâtive sur la
culpabilité d’une personne suspectée ou poursuivie par la justice pénale 1287. C’est ce qui fait
dire à nombre d’auteurs que désormais le problème de la présomption d’innocence relève
d’une éducation de la population et d’une évolution des mentalités.

Au terme de ce panorama tiré du discours doctrinal, prend corps cette contradiction


insupportable : la personne suspectée ou poursuivie est présumée innocente en même temps
que la loi, la jurisprudence et l’opinion ont des motifs de la présumer coupable.
Insupportable, la contradiction est révélée dans l’espoir d’être dépassée, soit par la
suppression des atteintes à la présomption d’innocence soit par la mise en conformité du
langage du droit avec le langage courant. C’est ainsi que la doctrine, mais elle n’est pas la
seule, a pu cherché la solution de la contradiction dans la réinstauration complète du secret
1288
de l’instruction, dans la modification du langage législatif ou judiciaire 1289, dans la
prohibition des présomptions légales de culpabilité 1290. Plus catégoriquement, certains ont
même proposé la suppression de la présomption d’innocence pour mettre un terme à la

1286
Un auteur expliquait que si malgré les actes de procédure impliquant une certaine présomption de
culpabilité on peut toujours continuer à penser que joue la présomption d’innocence, en revanche dans
l’opinion le raisonnement est trop subtil pour être correctement reçu et la violation du secret de
l’instruction devient ainsi la cause de l’atteinte à la présomption d’innocence, J.-R. FARTHOUAT, La
présomption d’innocence, op. cit., p. 56.
1287
D’ailleurs, les criminalistes de l’ancien droit, qui n’avaient pas pour préoccupation le problème de la
violation du secret par le journalisme d’investigation, mettaient déjà l’accent sur les risques que toute
accusation fait encourir pour la réputation et l’honneur des personnes qui en sont l’objet. Il n’est pas
besoin d’une publicité dans les médias pour que soient égratignées l’honneur et la réputation. La
connaissance des poursuites, par l’entourage familial, professionnel, amical, suffit à entamer la
considération des personnes qui en font l’objet. M. Carbonnier allait jusqu’à estimer que dès la garde à
vue le suspect lui-même pouvait se sentir déjà moins innocent.
1288
On pense surtout à la mise en examen qui a remplacé l’inculpation.
1289
À propos des indices de « culpabilité » relevés dans les décisions de chambres d’accusation, V. W.
JEANDIDIER, La présomption d’innocence ou le poids des mots, op. cit.
1290
Mais l’on sait qu’aucune juridiction n’a voulu les prohiber, de la Cour EDH au Conseil
constitutionnel en passant par la Cour de cassation.

386
La signification de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal

contradiction 1291. Ainsi, le discours doctrinal engage souvent une sorte de lutte contre le
paradoxe du présumé innocent, présumé coupable. On peut à cet égard observer que
souvent, ce sont les avocats qui nient la réalité ou la portée de la présomption d’innocence
et la mettent face à ses contradictions 1292.

Cette mise en évidence des contradictions de la présomption d’innocence dans le


discours doctrinal trouve une belle synthèse sous la plume dans Mme Koering-Joulin qui
avait conclu une de ses interventions par ces mots : « Les législateurs ne parviennent pas à
sortir de la contradiction inhérente à la présomption d’innocence ; c’est le procès pénal qui
la fait naître, mais c’est le procès pénal par sa mise en œuvre qui la blesse et même la
tue » 1293. Cette conclusion, pour pessimiste qu’elle soit, avance cependant d’un pas vers
l’acceptation du paradoxe. D’ailleurs on peut percevoir dans le discours doctrinal une
tendance récente à infléchir cette présentation singulièrement fondée sur la contradiction.
Mieux, il se pourrait que le discours laisse une place pour que discrètement s’exprime, le
paradoxe du présumé innocent, présumé coupable et du même coup la complexité du procès
pénal.

2) Vers la reconnaissance du statut paradoxal de la personne suspecte ou poursuivie

331. Le paradoxe ici retenu. Si une contradiction peut être relevée du fait de la coexistence
de présomptions de culpabilité avec la présomption d’innocence, il faut probablement
prendre garde de ce que toutes les présomptions de culpabilité dénoncées ne sont pas
constitutives d’un véritable paradoxe juridique. Il faut tout d’abord exclure les atteintes
sociologiques à la présomption d’innocence qui se traduisent par de véritables présomptions
de fait. Ces atteintes sont le résultat d’un effet pour ainsi dire pervers des règles de droit1294.

1291
J.-J. MINET, En finir avec la présomption d’innocence, op. cit. ; W. JEANDIDIER, La présomption
d’innocence ou le poids des mots, op. cit. ; G. KIEJMAN, Les présomptions de fait de culpabilité et la
présomption légale d’innocence, op. cit., qui proposait plutôt de ne plus l’invoquer après avoir constaté
qu’elle n’existait pas.
1292
Ce qu’illustrent parfaitement les auteurs praticiens déjà cités, V. J.-J. MINET, En finir avec la
présomption d’innocence, op. cit. ; G. KIEJMAN, Les présomptions de fait de culpabilité et la présomption
légale d’innocence, op. cit. ; J.-R. FARTHOUAT, La présomption d’innocence, op. cit. Il en existe bien sûr
beaucoup d’autres, notamment les avocats et bâtonniers entendus par exemple par la commission Truche
et qui n’ont pas ménagé leurs critiques à l’égard des atteintes à la présomption d’innocence, V. Rapport
de la commission de réflexion sur la justice, Annexes, op. cit. Tous peuvent se prévaloir de leur
connaissance de la réalité pratique de ces présomptions de culpabilité, de ces atteintes à la présomption
d’innocence. À l’inverse, on pourrait observer une tendance à moins d’ardeur chez les auteurs magistrats.
Une illustration en est d’ailleurs offerte par la réponse d’un avocat au professeur Pradel (ancien juge
d’instruction, il faut le rappeler) alors que ce dernier s’inquiétait des nouvelles dispositions de la loi du 15
juin renforçant la présomption d’innocence qu’il prédisait gênantes pour les policiers et les magistrats, V.
F. TEITGEN, Non le droit n’est pas gênant, Gaz. Pal. 2000, n° 271-272, p. 2.
1293
R. KOERING-JOULIN, La présomption d'innocence, un droit fondamental ? op. cit., p. 26.
1294
On fait ici abstraction des atteintes directement liées à la violation du secret de l’instruction. Il serait
d’ailleurs très intéressant de mesurer l’ampleur quantitative des atteintes à la présomption d’innocence par
la violation du secret de l’instruction et la diffusion des éléments d’une procédure dans les médias. Pour
intolérables qu’elles soient, elles ne semblent pas devoir concerner une part considérable des affaires
judiciaires. Sauf à considérer que les personnages publics (qui sont les seuls dont le sort intéresse à la fois
les médias et l’opinion) sont ceux qui commettent la majorité des infractions poursuivies en France. Il

387
Le discours sur l’objet

Il n’y a en revanche pas de contradiction interne au droit lui-même. On peut, comme le fait
la doctrine, dénoncer l’impuissance du droit à régir ces faits ; mais cette impuissance face à
ce qui, en dernière analyse, relève de la liberté des consciences, n’est pas source d’un
paradoxe juridique. Seules les présomptions de culpabilité qui émanent de la loi, ou qui sont
permises par elle, nous intéressent au titre du paradoxe ; mais il est vrai que le paradoxe
juridique vient nourrir les atteintes sociologiques comme il nous sera donné de le constater.

332. La reconnaissance discrète. La littérature juridique offre des exemples d’un premier
pas vers l’acceptation du paradoxe lorsque, conscients de la contradiction, les auteurs ne
cherchent pas à nier l’existence de la présomption d’innocence ou ne militent pas pour la
disparition des présomptions de culpabilité. Raisonner en terme de limite ou d’exception à
la présomption d’innocence est déjà une manière d’accepter la coexistence. Ce n’est
pourtant pas le plus haut degré de reconnaissance du paradoxe qui soit. Un pas
supplémentaire est franchi lorsque la signification de la présomption d’innocence n’est pas
exposée selon la dichotomie principe-atteintes mais qu’en revanche est soulignée
l’ambiguïté 1295 de la présomption d’innocence ou même son paradoxe. Une autre attitude
consiste à affirmer qu’il n’est pas contradictoire de présumer à la fois l’innocence et de
mettre en œuvre des présomptions de culpabilité. M. Lombois expliquait que c’est en vertu
de l’apparence de culpabilité que l’innocent passe à un statut de présumé innocent 1296.
L’idée sera reprise par la suite et les enseignements de M. Conte participent de cette logique
d’acceptation implicite du paradoxe. L’auteur a en effet clairement exprimé cette réalité
que, pour bénéficier de la présomption d’innocence, la personne poursuivie doit
préalablement être suspectée, voire présumée coupable. C’est ce qui explique la distinction
opérée par l’auteur entre l’innocent à qui l’on ne reproche rien et le présumé innocent qui
doit répondre d’une accusation. Ainsi peut-il estimer que si la présomption d’innocence a
moins de poids en raison de la mise en examen, du placement sous contrôle judiciaire ou en
détention, ces mesures ne contredisent pas la présomption d’innocence 1297. Ce
raisonnement 1298 devait être poussé plus loin par un magistrat qui, lors d’une intervention
dans un colloque, précisait d’emblée que : « La présomption d’innocence n’est que la

faut probablement prendre en compte aussi la publicité faite autour des poursuites engagées pour des
atteintes sexuelles, particulièrement sur des mineurs, comme le procès d’Outreau. Ce dernier il est vrai, ne
concernait pas des personnalités publiques.
1295
C. COHEN, De la présomption d’innocence au secret de l’instruction : la double impasse, op. cit., qui
parle d’ambiguïté du postulat de la présomption d’innocence ; R. KOERING-JOULIN, La présomption
d'innocence, un droit fondamental ? op. cit., qui parle quant à elle de contradiction inhérente à la
présomption d’innocence.
1296
C. LOMBOIS, La présomption d’innocence, op. cit., p. 83.
1297
PH. CONTE, Pour en finir avec une présentation caricaturale de la présomption d’innocence, op.cit. ;
PH. CONTE et P. MAISTRE DU CHAMBON, Procédure pénale, op. cit., 4e éd., n° 41.
1298
On pourrait toutefois imaginer que les professeurs Lombois et Conte, plutôt que d’accepter la
contradiction et donc le paradoxe, cherchent davantage à le dépasser ou à éviter de la formuler
ouvertement.

388
La signification de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal

conséquence immédiate d’une présomption de culpabilité » 1299. Cette opinion était du reste
partagée par un autre intervenant à ce colloque dont l’analyse consistait à dire que dans le
déroulement du procès pénal, il existe « deux hypothèses de travail opposées : celle de
culpabilité et celle de non-culpabilité » et ajoutait « On ne pourrait même pas concevoir la
présomption d’innocence s’il n’y avait pas l’hypothèse contraire » 1300.

Ces illustrations, qui pourraient probablement être multipliées, n’épuisent pas la


manifestation d’une certaine reconnaissance du statut paradoxal de la personne poursuivie
dans le discours doctrinal. Cette reconnaissance s’exprime aussi à travers la réponse à une
question plus précise : la présomption d’innocence perd-elle de son intensité au fur et à
mesure que le procès pénal avance ?

333. La reconnaissance explicite. Alors que la rhétorique des atteintes repose en partie sur
l’idée que la présomption d’innocence perd inéluctablement de son sens, de sa force, au fur
et à mesure que les indices de culpabilité s’amoncellent et se précisent, pour aboutir au
renvoi devant la juridiction de jugement, certains auteurs estiment qu’au contraire, la
présomption d’innocence ne perd pas de son intensité avec le placement en garde à vue, pas
plus qu’avec la mise en examen, ou encore le placement en détention provisoire. Il en est
même qui précisent que la présomption d’innocence irait en se renforçant au cours du
processus pénal.

Cette tendance, il faut le dire, est très récente. Elle est remarquablement exprimée par
MM. Merle et Vitu dans la dernière édition de leur traité datant de 2001 1301. Ces professeurs
enseignent alors pour la première fois cette idée que « la présomption d’innocence se
manifeste dans toutes les phases du procès et va se renforçant au fur et à mesure que la
procédure s’avance ». Leur raisonnement consiste à dire que la présomption d’innocence
« est nettement perceptible dès le début de l’enquête de police » puisque la garde à vue ne
peut être décidée par les officiers qu’à l’encontre d’une personne contre laquelle existent
des indices faisant présumer qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction1302. Les
auteurs ajoutent que « la présomption apparaît, plus forte, lors de l’instruction
préparatoire : le magistrat instructeur ne peut renvoyer en jugement l’individu poursuivi
que s’il existe contre lui des charges suffisantes, c'est-à-dire de sérieuses probabilités de
culpabilité (…) ». Pour terminer avec la phase de jugement à l’audience, MM. Merle et Vitu
écrivent que « la présomption d’innocence se manifeste dans toute sa puissance : seules des

1299
J.-L. COSTE, Les principes d’action du parquet face à la présomption d’innocence, in La présomption
d'innocence en droit comparé, op. cit., p. 39.
1300
V. MARINELLI, Structure et fonctions de la présomption d’innocence, op. cit., p. 49.
1301
R. MERLE et A.VITU, Traité de droit criminel, Procédure pénale, 5e éd., op. cit., n° 145.
1302
Dans ce passage, les auteurs se réfèrent à la rédaction de l’article 63 antérieure à la loi du 15 juin
2000. qui exigeait des « indices faisant présumer » alors que la rédaction de ce texte issue de la loi de
2000 puis en dernier lieu de la loi du 4 mars 2002 vise « une ou plusieurs raisons plausibles de
soupçonner » qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction.

389
Le discours sur l’objet

preuves suffisantes pour provoquer chez le juge une certitude peuvent anéantir cette
présomption ». On trouve également dans l’étude de Mme Ambroise-Castérot une réponse
claire à la question de savoir si la présomption d’innocence perd de son intensité au fur à
mesure que la procédure avance, c'est-à-dire que les présomptions de culpabilité se
précisent. Si le placement en garde à vue, la mise en examen et le renvoi en jugement sont
analysés par cet auteur comme la marque d’une « fictivité croissante de la présomption
d’innocence » (parce qu’ils reposent sur des indices de culpabilité) elle n’en précise pas
moins que ces conclusions factuelles demeurent « sans incidence sur la force de la
présomption d'innocence ». Aussi juge-t-elle qu’il « importe peu que les charges pesant sur
la personne poursuivie soient de plus en plus lourdes tout au long de la procédure », car la
présomption d'innocence est toujours protégée de la même façon 1303. Répondant
implicitement au discours doctrinal fondé sur la rhétorique des atteintes, Mme Ambroise-
Castérot conclut qu’« il est donc impossible d'affirmer que la présomption d'innocence
puisse perdre de sa vigueur au fur et à mesure de l'accumulation des charges à l'encontre
de la personne mise en examen puisque cela reviendrait à affirmer que la présomption
d'innocence est autre chose qu'une règle probatoire » 1304. Il existe donc une franche
opposition entre ce type de raisonnement et celui qui s’articule autour des notions de pré-
culpabilité et d’affaiblissement de la présomption d’innocence au cours du processus
pénal 1305.

Le paradoxe du présumé innocent, présumé coupable, semble en voie d’être accepté et


trouve peu à peu à s’exprimer dans la littérature juridique. Il est d’ailleurs quelquefois
présenté comme tel. N’est-ce pas déjà reconnaître le paradoxe que de parler de « la
"présomption d’innocence" du "présumé délinquant" » 1306 ? On observera en outre qu’un
auteur écrivait récemment que « La personne présumée innocente n’en est pas moins
soupçonnée, voire poursuivie ou accusée. De sorte qu’apparemment, le principe fonctionne
de manière paradoxale : c’est parce qu’elle est soupçonnée, poursuivie ou accusée que la
personne est présumée innocente » 1307. Cette reconnaissance est d’ailleurs assez
contemporaine de l’adoption de la loi du 15 juin 2000 renforçant la protection de la
présomption d’innocence et il ne s’agit probablement pas d’un hasard. En effet, c’est peut-

1303
C. AMBROISE-CASTÉROT, Rép. Pén. et Proc. Pén., v° Présomption d’innocence, n° 16.
1304
C. AMBROISE-CASTÉROT, Rép. Pén. et Proc. Pén., v° Présomption d’innocence, n° 17. On remarque
ici que l’auteur exclut sciemment de son raisonnement les atteintes sociologiques à la présomption
d’innocence qu’elle aborde séparément à l’occasion de l’étude de la présomption d’innocence en tant que
droit subjectif.
1305
Le raisonnement de M. Ballandier est à cet égard exemplaire qui parle de pré-culpabilité au stade de
l’enquête, d’affaiblissement de la présomption d’innocence entre la garde à vue et la détention provisoire,
et de pré-culpabilité avérée au stade de la mise en examen, V. P. BALLANDIER, Pour une défense de la
présomption d’innocence, op. cit., p. 119 et s.
1306
A. D’ORS, Une introduction à l’étude du droit, trad. A. SÉRIAUX, PUAM, 2e éd., 2001, n° 20.
1307
F.-L. COSTE, Statut de la parole et présomption d’innocence, AJ Pénal. 2004, n° 11, p. 402.

390
La signification de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal

être avec cette loi que le paradoxe du présumé innocent, présumé coupable atteint son plus
haut degré d’expression.

334. L’apogée du paradoxe avec la loi du 15 juin 2000. Comme l’indique clairement
l’intitulé de la loi, « renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des
victimes » ainsi que celui du titre 1er, « Dispositions renforçant la protection de la
présomption d’innocence», le législateur a voté des dispositions et opéré des modifications
des règles de procédure pénale dans le but précis de renforcer la présomption d’innocence.
Or il s’avère que bon nombre de mesures visant au renforcement se concrétisent par une
exigence plus accrue des présomptions de culpabilité. En cherchant à renforcer la
présomption d’innocence, le législateur a donc nourri le paradoxe du présumé innocent,
présumé coupable. D’ailleurs, ce paradoxe a bien été perçu par M. Pradel dans son
commentaire de la nouvelle loi, qui en relève à regret plusieurs manifestations 1308. Il
convient alors de donner quelques illustrations de ce paradoxe à l’œuvre dans la loi du 15
juin 2000, lesquelles résultent d’un renforcement des droits de la défense.

On peut tout d’abord s’intéresser à la première phase du procès, celle de l’enquête


judiciaire où intervient la première mesure attentatoire à la liberté et à la présomption
d’innocence : la garde à vue. La loi du 15 juin 2000 a voulu appliquer les mêmes conditions
de placement en garde à vue dans l’enquête de flagrance que celles qui existaient pour
l’enquête préliminaire. Ainsi, les conditions de placement en garde à vue sont plus
restrictives et ne s’appliquent qu’à une catégorie de personnes comme en témoigne la
nouvelle rédaction de l’article 62 du Code de procédure pénale. Ce texte, concernant les
personnes qui peuvent être entendues par les officiers de police judiciaire dans le cadre de
leur enquête, s’est vu ajouter un alinéa prévoyant que : « Les personnes à l'encontre
desquelles il n'existe aucun indice faisant présumer qu'elles ont commis ou tenté de
commettre une infraction ne peuvent être retenues que le temps strictement nécessaire à
leur audition » 1309. On en déduit alors que seules les personnes à l'encontre desquelles il
existe des indices faisant présumer qu'elles ont commis ou tenté de commettre une
infraction, peuvent être retenues davantage, c'est-à-dire placées en garde à vue. Prenant acte
de cette nouvelle exigence M. Pradel posait cette question : « ne va-t-on pas désigner plus
nettement comme déjà coupable la personne qui aura été placée en garde à vue ? » 1310. En
effet, mais avant même que se pose cette question, il est évident que l’exigence d’indices

1308
J. PRADEL, Les personnes suspectes ou poursuivies après la loi du 15 juin 2000, op. cit., pp. 1039 à
1047 et pp. 1114 à 1124.
1309
La rédaction du dernier alinéa de l’article 62 a été modifiée par la loi du 4 mars 2002, désormais sont
de simples témoins ne pouvant être retenus que le temps de leur audition les personnes à l’encontre
desquelles il n’existe « aucune raison plausible de soupçonner » qu’elles ont commis ou tenter de
commettre une infraction.
1310
J. PRADEL, Les personnes suspectes ou poursuivies après la loi du 15 juin 2000, op. cit., p. 1041.

391
Le discours sur l’objet

laissant présumer la participation à une infraction exprime une présomption de culpabilité.


L’objectif est de ne placer en garde à vue que des personnes suspectes, ce qui est une
garantie contre l’arbitraire et en même temps une manifestation de la présomption
d’innocence ! Ce renforcement implique également une nouveauté : la possible présence de
l’avocat dès le début de la garde à vue et non plus à compter de la vingtième heure 1311.
Cette seconde mesure participe elle aussi du paradoxe. La présence de l’avocat est certes
une garantie de la défense mais sa présence et son utilité ne sont justifiées que parce qu’il y
a déjà présomption de culpabilité.

Concernant la mise en examen, cet acte d’accusation qui exprime avec force les
soupçons que le juge nourrit à l’égard d’une personne, le législateur a là encore souhaité
renforcer les exigences qui autorisent le juge à y recourir. L’ancien article 80-1 alinéa 1
prévoyait que « le juge a le pouvoir de mettre en examen toute personne à l’encontre de
laquelle il existe des indices laissant présumer qu’elle a participé, comme auteur ou
complice, aux faits dont il est saisi ». Dans sa rédaction issue de la loi sur la présomption
d’innocence, ce texte prévoit désormais que « À peine de nullité, le juge d'instruction ne
peut mettre en examen que les personnes à l'encontre desquelles il existe des indices graves
ou concordants rendant vraisemblable qu'elles aient pu participer, comme auteur ou
comme complice, à la commission des infractions dont il est saisi (…)». C’est pour
renforcer la présomption d’innocence que l’article 80-1 restreint ostensiblement les cas dans
lesquels une personne peut être mise en examen. Pourtant on le voit, la référence aux
indices graves ou concordants accentue la présomption de culpabilité par rapport à
l’ancienne rédaction. Il en résulte que ne peuvent être mises en examen que les personnes
que l’on présume « vraiment » coupable. Cette idée est d’ailleurs largement confirmée par
l’alinéa 3 du texte qui précise que «Le juge d'instruction ne peut procéder à la mise en
examen de la personne que s'il estime ne pas pouvoir recourir à la procédure de témoin
assisté ». Comme le fait remarquer M. Pradel, les dispositions sur le témoin assisté se
combinent avec celles concernant la mise en examen.

Dans le souci constant de renforcer la présomption d’innocence en évitant ou retardant la


mise en examen et donc l’éventuelle détention provisoire qui peut en découler 1312, la loi de
2000 a élargi et organisé davantage le statut de témoin assisté 1313 comme en témoigne les
articles 113-3 et suivants du Code de procédure pénale. Ce statut est ainsi accordé à toute

1311
Article 63-4 du Code de procédure pénale.
1312
A. GUIDICELLI, Le témoin assisté et la personne mise en examen : vers un nouvel équilibre ?
Rev.sc.crim., 2001, p. 45.
1313
La qualité de témoin assisté était originairement réservée, et sur leur demande, aux personnes
nommément visées dans une constitution de partie civile et permettait à ces dernières d’être entendues par
le juge, assistées d’un avocat, sans être pour autant inculpées. Puis cette qualité a été étendue aux
personnes visées dans un réquisitoire nominatif.

392
La signification de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal

personne nommément visée par un réquisitoire introductif ou supplétif et qui n’est pas mise
en examen. Il en va de même pour toute personne nommément visée par une plainte, mise
en cause par la victime ou encore par un témoin. Enfin, peut être entendue comme témoin
assisté devant le juge d’instruction la personne à l’encontre de laquelle il existe « des
indices rendant vraisemblable qu’elle ait pu participer, comme auteur ou complice, à la
commission des infractions dont le juge est saisi ». Cette dernière hypothèse, issue de
l’article 113-2 du Code de procédure pénale combinée avec l’article 80-1 alinéa 3, a pour
effet de faire du statut de témoin assisté le statut de droit commun 1314. Protecteur de la
présomption d’innocence, ce statut permet à la personne contre laquelle il n’existe qu’une
faible présomption de culpabilité de retarder ou d’éviter la mise en examen tout en étant
partie à la procédure 1315. Toutefois, l’article 113-6 ouvre la possibilité au témoin assisté de
demander au juge, à tout moment de la procédure, à être mis en examen afin de bénéficier
de l’ensemble des droits de la défense. Dans cette dernière hypothèse ou dans celle où le
juge constate l’existence « d’indices graves ou concordants » rendant vraisemblable la
participation à l’infraction, se révèle le paradoxe du présumé innocent, présumé coupable.
En effet avec ces exemples, on vérifie bien que pour être davantage protégée par la
présomption d’innocence, la personne suspecte ou poursuivie doit être davantage
soupçonnée ou présumée coupable.

La même logique de protection de la présomption d’innocence conduit aux mêmes effets


lorsqu’il s’agit du placement en détention provisoire. Deux exemples peuvent ici illustrer le
paradoxe. Tout d’abord, en modifiant la rédaction de l’article 137 du Code de procédure
pénale, le législateur a renforcé le paradoxe en réaffirmant que la détention provisoire est
exceptionnelle. L’ancien texte prévoyait en effet que la personne mise en examen restait
« libre » sauf le recours, à raison des nécessités de l’instruction ou à titre de mesure de
sûreté, au « contrôle judiciaire ou, à titre exceptionnel » à la détention provisoire. Le
nouvel article 137 inspiré par la présomption d’innocence est ainsi rédigé : « La personne
mise en examen, présumée innocente, reste libre. Toutefois, en raison des nécessités de
l'instruction ou à titre de mesure de sûreté, elle peut être astreinte à une ou plusieurs
obligations du contrôle judiciaire. Lorsque celles-ci se révèlent insuffisantes au regard de
ces objectifs, elle peut, à titre exceptionnel, être placée en détention provisoire». Au terme
de ce texte, la détention provisoire apparaît logiquement comme la plus grave des mesures
que le juge d’instruction puisse prendre. Surtout, elle intervient uniquement si le placement
sous contrôle judiciaire est insuffisant. On peut mesurer cette insuffisance au regard des cas

1314
J. PRADEL, Les personnes suspectes ou poursuivies après la loi du 15 juin 2000, op. cit., p. 1116.
1315
Le témoin assisté a ainsi un droit à l’assistance d’un avocat, à l’accès au dossier de la procédure, à
demander d’être confronté à la personne qui l’a mis en cause ; mais il ne peut être placé ni sous contrôle
judiciaire ni en détention et ne peut faire l’objet ni d’une ordonnance de renvoi ni d’une mise en
accusation.

393
Le discours sur l’objet

autorisant limitativement le recours à la détention et énoncés à l’article 144. Ces cas, bien
qu’encore davantage limités par la loi de 2000, demeurent fondés sur des présomptions de
culpabilité, à l’exception de la détention ordonnée pour protéger la personne mise en
examen 1316. Le paradoxe résulte ici de la combinaison des articles 137 et 144 du Code de
procédure pénale : parce qu’elle est présumée innocente, la personne mise en examen ne
pourra être placée en détention provisoire que s’il existe de sérieuses raisons de croire
qu’elle est coupable. Ensuite, la loi du 15 juin 2000 renforce le paradoxe en instituant le
juge des libertés et de la détention, seul désormais habilité à placer en détention provisoire
au terme de l’article 137-1 1317. L’institution de ce que l’on a appelé « le double regard » sur
le placement en détention, ajoutée au débat contradictoire qui précède la décision du juge de
la détention, ont pour effet certes de limiter les recours trop fréquents à la privation de
liberté, mais en même temps de renforcer la légitimité du placement en détention, c'est-à-
dire du même coup de renforcer la présomption de culpabilité. C’est ce qui a pu faire dire à
M. Pradel que cette institution « a des effets pervers » car « la présomption d’innocence-
qui est pourtant le plus grand objectif du législateur comme il apparaît déjà à l’intitulé de
la loi- sort affaiblie aux yeux du public puisque la décision privative de liberté est
maintenant prise par deux juges et non plus par un seul » 1318.

Par ces quelques exemples, on voit donc que la loi du 15 juin 2000 exprime clairement le
paradoxe du présumé innocent, présumé coupable 1319. On peut y voir une incohérence du
législateur, voire finalement un affaiblissement de l’innocence 1320, mais ce serait se priver
d’envisager les vertus du paradoxe.

1316
« La détention provisoire ne peut être ordonnée ou prolongée que si elle constitue l'unique moyen :
1º De conserver les preuves ou les indices matériels ou d'empêcher soit une pression sur les témoins ou
les victimes et leur famille, soit une concertation frauduleuse entre personnes mises en examen et
complices ;
2º De protéger la personne mise en examen, de garantir son maintien à la disposition de la justice, de
mettre fin à l'infraction ou de prévenir son renouvellement ;
3º De mettre fin à un trouble exceptionnel et persistant à l'ordre public provoqué par la gravité de
l'infraction, les circonstances de sa commission ou l'importance du préjudice qu'elle a causé».
1317
Alinéa 1 : « La détention provisoire est ordonnée ou prolongée par le juge des libertés et de la
détention. Les demandes de mise en liberté lui sont également soumises».
1318
J. PRADEL, Les personnes suspectes ou poursuivies après la loi du 15 juin 2000, op. cit., p. 1046. On
doit admettre que ce n’est pas seulement aux yeux du public que la présomption sera affaiblie, mais
également au yeux des magistrats qui auront ensuite la charge de juger l’affaire.
1319
Sur la base de ces nouvelles dispositions, un auteur a exprimé à sa façon le paradoxe du présumé
innocent, présumé coupable en livrant ses propos invonvenants suite à l’ «affaire d’Outreau » : « Au
risque de choquer, c’est un truisme pour le pénaliste, que d’écrire que la mise en détention provisoire
d’une personne intervient nécessairement alors qu’elle est présumée innocente… », V. A. MARON, Des
« innocents d’Outreau » aux innocents d’ailleurs » (propos inconvenants), Dr. pén. 2006, Repère 2.
1320
« Quand c’est la présomption qu’on renforce, c’est l’innocence qu’on assassine » écrivait un avocat
au lendemain de la loi du 15 juin 2000. L’auteur exprimait alors un net refus du paradoxe renforcé par
cette loi : « Pourquoi s’obstiner à heurter le sens commun ? "Présumé innocent ", cela fait rire les gens
sains d’esprit. Ils sentent bien le mensonge inhérent à cette formule», D. ROCHER, Mortelle présomption,
op. cit., p. 2.

394
La signification de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal

B- LES VERTUS DU PARADOXE

335. La nécessité de préciser la formulation du paradoxe. Le paradoxe n’est pas formulé


par cela seul que le discours accepte la contradiction entre présomption d’innocence et
présomptions de culpabilité ou que le législateur contribue à le rendre plus visible. Le
paradoxe exige de pousser plus avant le raisonnement et de découvrir que finalement c’est
parce que la personne poursuivie est présumée coupable qu’elle peut être présumée
innocente. Au-delà de la condition d’existence de la présomption d’innocence, c’est sa force
et donc son utilité qui sont conditionnées par l’action des présomptions de culpabilité1321.
Une formulation plus précise du paradoxe du présumé innocent, présumé coupable dans le
procès pourrait alors se résumer à cela : plus la personne poursuivie est présumé coupable
plus elle présumée innocente, autrement dit, plus la preuve que la présomption d’innocence
est à l’œuvre est évidente. Il est dans la nature même du paradoxe de choquer l’esprit,
d’aller contre le sens commun, c’est pourtant ce qui fait sa vertu car il interpelle et pousse à
la réflexion. À ce titre, le paradoxe du présumé innocent, présumé coupable, paraît être une
voie originale mais fructueuse pour appréhender différemment, dans sa complexité, le sens
de la présomption d’innocence.

1) Le statut paradoxal de la personne poursuivie et le sens de la présomption


d’innocence

336. Droit, jeu et complexité. C’est en empruntant la voie ouverte par les juristes belges
François Ost et Michel van de Kerchove que l’on peut proposer d’appréhender quelque peu
différemment la présomption d’innocence. L’objectif, inlassablement recherché par ces
auteurs à travers leurs œuvres, est d’inviter les juristes à penser le droit dans sa complexité.
L’ouvrage intitulé Le droit ou les paradoxes du jeu, qui peut servir ici de référence, propose
d’appréhender le droit à la lumière du jeu. C’est qu’en effet, le droit présente de nombreux
points communs avec le jeu qui autorisent à proposer une théorie du droit comme jeu ou,
plus précisément, « à expérimenter la fécondité du jeu comme modèle théorique pour
rendre raison du droit ». Le jeu, expliquent ces auteurs, doit être « entendu comme
"mouvement dans un cadre" » 1322, dans le même sens que lorsqu’on dit qu’il y a du jeu
entre deux pièces d’un mécanisme. Le jeu est lui-même paradoxal puisqu’il n’est possible
que par l’interaction de pôles opposés. S’agissant de la science du droit ou du système
juridique, il est aisé de trouver des exemples de pôles opposés puisque le droit est construit

1321
L’expression est utilisée par souci de commodité, il faut y entendre l’ensemble des soupçons, indices,
charge, raisons plausibles etc., qui caractérisent l’hypothèse de culpabilité au cours du procès pénal.
1322
F. OST et M. VAN DE KERCHOVE, Le droit ou les paradoxes du jeu, op. cit., p. 10. Autrement dit, le
jeu comme mouvement dans un cadre s’entend comme l’essence du jeu et non simplement comme
activité ludique. Il ne faut pas songer à tel ou tel jeu en particulier mais à ce qui fait le jeu.

395
Le discours sur l’objet

sur le modèle d’oppositions binaires 1323. Le fait qu’il y ait mouvement laisse une place à ce
que les auteurs appellent l’entre-deux. Or, il nous semble que c’est bien la position de la
personne suspecte ou poursuivie d’être dans l’entre-deux ; précisément, entre innocence et
culpabilité.

337. La personne poursuivie entre présomption d’innocence et de culpabilité. Pendant


le procès, qui constitue le cadre dans lequel il y a mouvement et donc jeu, la personne n’est
en effet ni innocente ni coupable. Elle n’est en outre ni complètement présumée innocente
ni complètement présumée coupable, elle est en vérité les deux en même temps. Le statut de
la personne poursuivie, que traduisent à leurs manières les statuts procéduraux 1324, est en
effet mouvant, évolutif, selon la nature des interactions entre présomption d’innocence et
présomption de culpabilité. Autrement dit, le statut de la personne poursuivie est
précisément le résultat de la tension qui existe entre présomption d’innocence et
présomption de culpabilité. C’est du reste à l’état de cette tension que correspondent les
divers statuts procéduraux reconnus à la personne poursuivie en cours de procès. De même,
pourrait-on dire que le statut de la personne poursuivie est déterminé par la tension entre le
doute et la certitude. MM. Ost et van de Kerchove mettent cependant en garde contre la
tentation que l’on pourrait avoir de comprendre l’entre-deux comme une position statique à
mi-chemin entre les deux termes d’une opposition. Il ne faudrait pas comprendre l’entre-
deux seulement comme un juste milieu 1325 mais davantage comme lieu d’échange
dynamique. C’est en essayant d’observer l’entre-deux que l’on pourrait apercevoir le mieux
les interactions entre les pôles opposés, et surtout que l’on pourrait prendre conscience que
ces pôles n’existent que parce qu’ils se nourrissent l’un l’autre, qu’il est dans leur nature de
s’interpénétrer 1326. Ainsi, si le statut de la personne poursuivie se caractérise par l’entre-
deux, entre présomption d’innocence et présomption de culpabilité, il ne s’agit pas d’un « à
mi-chemin », puisque le statut procédural peut évoluer dans un mouvement de progression
vers l’issue du procès. L’interaction entre les deux pôles peut, on le sait, se faire également
au seul profit de la présomption d’innocence et ainsi conduire à stopper définitivement le
1323
Pour illustrer la nature paradoxale du droit, les auteurs citent notamment les « couples » suivants,
pour la science du droit : iusnaturalisme/iuspositivisme, subjectivisme/objectivisme,
rationalisme/irrationalisme, normativisme/réalisme, ou encore monisme/pluralisme. Pour les systèmes
juridiques, statiques/dynamiques, formels/matériels ; ouverts/fermés, autonomes/dépendants. V. pp. 56-
57.
1324
De la garde à vue à la mise en accusation en passant par la mise en examen, le statut de témoin
assisté, le contrôle judiciaire et la détention.
1325
F. OST et M. VAN DE KERCHOVE, Le droit ou les paradoxes du jeu, op. cit., p. 51.
1326
D’ailleurs, au terme d’une analyse du champ lexical formé de termes composés à partir du « entre »
français et du « inter » latin, les auteurs ont pu dégager quatre idées centrales qu’exprime le « entre ». Il y
a tout d’abord l’idée d’espace qui sépare et qui rapproche à la fois, autrement dit d’intervalle (entracte,
entresol, entrouvrir). Il y a ensuite l’idée d’action réciproque, c'est-à-dire d’interaction (entraide, entrevue,
s’entrelacer). En troisième lieu, on trouve l’idée d’une tierce intervention qui met en contact, c’est donc
l’entremise (interprétation, intermédiaire, intervention). Enfin, On trouve l’idée de permutation de
position ou encore l’interversion (interchanger, interlocuteur, entretien), V. Le droit ou les paradoxes du
jeu, op. cit., p. 59 à 61.

396
La signification de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal

mouvement, c'est-à-dire le procès. C’est par exemple l’hypothèse du prononcé d’un non-
lieu qui met un terme à la fois à l’instruction et au procès. Si le jeu continue, si le
mouvement s’accomplit jusqu’à son terme, c’est toujours par un va-et-vient incessant entre
présomption d’innocence et présomption de culpabilité. Regarder le statut de la personne
poursuivie comme un paradoxe permet en outre de mieux prendre conscience du sens de la
présomption d’innocence

338. Le sens paradoxal de la présomption d’innocence. À l’interaction des pôles opposés


que sont ici présomption d’innocence et présomption de culpabilité, s’ajoute leur
interdépendance fondamentale. L’une et l’autre sont intimement liées, au point qu’il paraît
impossible de comprendre l’une sans l’autre. Certains auteurs l’ont d’ailleurs vu ainsi et il
convient de le rappeler. La présomption d’innocence ne peut se comprendre que par une
référence constante aux présomptions de culpabilité. Ces dernières la justifient et lui
restituent tout son sens. De même, les présomptions de culpabilité, toujours plus fortes au
fur et à mesure que le processus pénal suit son cours, n’ont véritablement de sens qu’au
regard de la présomption d’innocence. Elles puisent elles aussi, en dernière analyse, leur
légitimité dans la présomption d’innocence. Se référer aux indices graves ou concordants de
culpabilité ou aux raisons plausibles de soupçonner la participation à l’infraction, n’aurait
absolument aucun sens si, n’était posée en regard la présomption d’innocence. Il serait en
effet inutile de parler d’indices ou de soupçon et en leur présence on pourrait estimer détenir
la preuve de la culpabilité.

Il est donc dans la nature du procès pénal de conférer à la personne suspecte ou


poursuivie un statut qui permet de la regarder à la fois comme présumée innocente et
comme présumée coupable. Il ne suffit pas comme c’est parfois la tentation de la doctrine,
de dire que la présomption d’innocence n’interdit pas les présomptions de culpabilité,
n’interdit pas de soupçonner ou de relever des indices et des charges de culpabilité. La mise
au jour du paradoxe invite à aller au-delà et à affirmer que seule la présomption d’innocence
peut autoriser ces présomptions de culpabilité 1327, c’est elle qui les fonde et qui explique
qu’on les exige de plus en plus fortes pour poursuivre le processus pénal. Un auteur faisait
remarquer qu’il était en quelque sorte heureux qu’une mise en examen traduise une
présomption de culpabilité car, s’interrogeait-il : « quel arbitraire ne faudrait-il pas
dénoncer si une mise en examen était fondée sur une présomption d’innocence ? » 1328. La
remarque nous semble juste et… erronée à la fois. Car à bien y regarder, la mise en examen
est également fondée sur la présomption d’innocence. Cet acte, qui est une véritable

1327
C’est d’ailleurs cette idée qui explique notre étonnement face à la rédaction de l’article L. 234-9 du
Code de la route. Ce texte, en n’exigeant pas d’éléments constitutifs d’une présomption de conduite sous
l’emprise de l’alcool nous paraît méconnaître la présomption d’innocence.V. supra, n° 320.
1328
J.-L. COSTE, Les principes d’action du parquet face à la présomption d’innocence, op. cit., p. 40.

397
Le discours sur l’objet

accusation 1329, n’est en effet légitime qu’autant que celui qui en fait l’objet est présumé
innocent. C’est parce qu’elle est présumée innocente que le juge d'instruction ne peut, selon
l’article 80-1, mettre en examen que la personne à l'encontre de laquelle il existe des indices
graves ou concordants rendant vraisemblable qu'elle ait pu participer à la commission d’une
infraction. Le raisonnement du procureur Coste n’est du reste pas si éloigné du paradoxe
lorsqu’il en vient à déclarer que « la meilleure façon de mieux respecter la présomption
d’innocence serait encore de retrouver le sens des mots, d’accepter (…) qu’un mis en
examen puisse être regardé comme un présumé coupable (…) et de redonner au terme de
présomption le sens que lui attribue la langue française » 1330.

Notre droit accueille et nourrit donc le paradoxe du présumé innocent, présumé


coupable 1331. La doctrine semble à l’heure actuelle esquisser une reconstruction de son
discours sur la présomption d’innocence pour permettre au paradoxe d’être formulé, de
prendre place. Cela étant, face au « scandale logique » que représente tout paradoxe, le
juriste pourrait être tenté de l’occulter ou encore de vouloir s’engager dans une tentative de
résolution. C’est que le paradoxe, au-delà de la surprise qu’il provoque, est en un certain
sens, source d’incompréhension et occasionne une gêne certaine pour qui y est
confronté 1332. La question se pose alors de savoir s’il ne conviendrait pas de résoudre le
paradoxe du présumé innocent, présumé coupable. Les vertus du paradoxe ci-dessus
évoquées invitent à répondre d’emblée par la négative. Pourtant, la tentation que certains
auteurs semblent éprouver à le résoudre nous paraît grande en même temps qu’elle nous
donne de nouvelles raisons de refuser cette résolution.

2) Faut-il résoudre le paradoxe du présumé innocent, présumé coupable ?

339. La tentation de la résolution. En présence d’un paradoxe, MM. Ost et van de


Kerchove notaient qu’il était tentant de vouloir le refouler ou de le résoudre. Des exemples
tirés des sciences montrent que ces tentatives ont existé. Elles passent toutes par un même
procédé : celui de la distinction et la hiérarchisation des niveaux, lesquels parce qu’ils
avaient été confondus, créaient le paradoxe. Pour autant, ces auteurs posent la question de
savoir si par la distinction des niveaux, autrement dit en différenciant niveau et meta-niveau
ou langage et meta-langage, il est pertinent de s’affranchir du paradoxe. Or, parce qu’ils

1329
Ce caractère est renforcé par la loi du 15 juin 2000, avec laquelle la mise en examen revêt une
nouvelle gravité car d’une part le juge d’instruction doit se montrer plus précis dans l’énoncé des faits
reprochés et dans leur qualification et d’autre part la mise en examen prend un caractère plus solennel
avec notamment l’ouverture des droits de la défense, V. C. SAMET, La présomption d’innocence, op. cit.,
pp. 17-18.
1330
J.-L. COSTE, Les principes d’action du parquet face à la présomption d’innocence, op. cit., p. 41.
1331
Et cette constatation pourrait être elle-même regardée comme source d’un paradoxe ! Car comment le
droit qui fonctionne par oppositions binaires pourrait-il en même temps accueillir un paradoxe ? À moins
que le droit soit plus ouvert et moins binaire qu’il n’y paraît, et que la science du droit soit quant à elle
réfractaire à toute complexité…
1332
F. OST et M. VAN DE KERCHOVE, Le droit ou les paradoxes du jeu, op. cit., p. 96-97.

398
La signification de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal

considèrent que le paradoxe est une donnée essentielle à l’intelligence des choses, ces
auteurs estiment qu’il est aussi vain de le résoudre que de le refouler 1333. Les mêmes
observations peuvent être formulées au sujet du paradoxe du présumé innocent, présumé
coupable. Il nous semble en effet que l’étude critique de M. Detraz constitue à certains
égards une tentative de résolution du paradoxe inhérent à la présomption d’innocence, à sa
formulation indéterminée. Il nous semble en outre qu’une telle tentative présente plus
d’inconvénients que d’avantages.

340. L’exemple d’une tentative de résolution du paradoxe. Dans son étude intitulée La
prétendue présomption d’innocence, Stéphane Detraz entendait démontrer que notre droit
positif ne reconnaît ni ne consacre ce que la « tradition » appelle la présomption
d’innocence. Certaines étapes de sa démonstration se manifestent en réalité comme des
tentatives de résolution du paradoxe. Tentatives extrêmes, si l’on peut dire, puisqu’elles ont
pour objet l’anéantissement ou la disparition de l’un des deux pôles opposés, en
l’occurrence la présomption d’innocence.

Le paradoxe du présume innocent, présumé coupable apparaît dès l’entame du propos de


M. Detraz, lorsqu’il est observe que « Si l'expression de "présomption d'innocence" est
depuis longtemps reçue en doctrine, -et plus récemment, par la société tout entière-, elle
surprend néanmoins, au premier abord, par son inadéquation avec la réalité » 1334. Puis, il
expose au même endroit les deux termes de l’opposition : l’innocence et la culpabilité.
Toutefois, l’auteur fait un pas de plus que ses prédécesseurs. Il explique en effet que, si
d’ordinaire le droit accorde une faveur aux oppositions duales, en l’occurrence une
troisième voie est ouverte entre le statut d’innocent et celui de coupable, il s’agit du statut
de suspect 1335. L’auteur approche au plus près la formulation du paradoxe en concédant que
la fonction de la présomption d’innocence est de « place(r) l’intéressé dans un statut
intermédiaire entre ceux d’innocent et de coupable » 1336. Le raisonnement s’arrête
visiblement à ce stade ; le paradoxe posé, il s’agit maintenant de le dépasser.

Le dépassement suggéré par M. Detraz consiste tout d’abord à disqualifier la


présomption d’innocence en tant que véritable présomption juridique 1337. S’appuyant sur la

1333
F. OST et M. VAN DE KERCHOVE, Le droit ou les paradoxes du jeu, op. cit., p. 101.
1334
S. DETRAZ, La prétendue présomption d’innocence, op. cit., n° 2.
1335
S. DETRAZ, La prétendue présomption d’innocence, op. cit., n° 3.
1336
S. DETRAZ, La prétendue présomption d’innocence, op. cit., n° 4. Le choix du mot intermédiaire par
M. Detraz revêt une grande importance au regard du champ lexical de l’entre-deux évoqué plus haut.
L’emploi par l’auteur n’a ici cependant pas pour fonction de désigner l’entre-deux comme nous
l’entendons après MM. Ost et van de Kerchove. En effet, M. Detraz emploi « intermédiaire » comme
adjectif. Il désigne donc la place occupée entre deux termes mais dans une position moyenne. En
revanche, pris comme substantif, le mot intermédiaire suppose l’établissement d’un lien entre les deux
termes, mieux une jonction. Or, il nous semble que ce sens a finalement été refoulé par l’auteur.
1337
Il ne s’agit pas là de remettre en question le bien-fondé de cette disqualification. La critique formulée
par cet auteur paraît d’ailleurs justifiée. À cet égard, V. supra, n° 205 et s.

399
Le discours sur l’objet

définition habituelle de la présomption comme opération intellectuelle au terme de laquelle


un fait non prouvé est établi par la connaissance d’un autre fait, l’auteur conclut que la
présomption d’innocence ne peut pas être une présomption. Il observe en effet que la
présomption d’innocence naît de la mise en cause d’un individu qui précisément est
suspecté 1338. La disqualification de l’un des termes de l’opposition entre présomption
d’innocence et présomption de culpabilité autorise alors l’auteur à relever que la procédure
criminelle est gouvernée non par la présomption d’innocence mais par un principe de
réalité. Ce dernier consisterait à appliquer au suspect des statuts procéduraux correspondant
à la force des éléments recueillis contre lui. C’est ce que nous avons désigné jusqu’ici
comme des présomptions de culpabilité.

M. Detraz s’efforce par ailleurs de dépasser le paradoxe en mettant en œuvre la méthode


décrite par MM. Ost et van de Kerchove. C’est alors par la distinction des niveaux de
langage que peut être contournée la contradiction soulevée par le paradoxe. M. Detraz s’est
ainsi employé à dénier toute contradiction entre la présomption d’innocence et les
présomptions de culpabilité. Une fois admis que la présomption d’innocence n’est pas une
véritable présomption, M. Detraz explique en effet que : « la présomption d’innocence d’un
côté et les "présomptions de culpabilité" de l’autre ne se contredisent pas en effet sur le
même plan : ces dernières ne constituent pas de simples règles relatives à la charge de la
preuve mais de véritables présomptions, considérant comme vrai ce qui est
vraisemblable » 1339. Les présomptions en jeu n’étant pas de même nature, n’agissant pas au
même niveau ne peuvent donc pas créer de contradiction.

La tentative de dépassement passe en outre par une clarification du langage qui semait la
confusion et laissait apparaître le paradoxe. Pour ce faire, M. Detraz s’attaque au sens de
l’expression « présumé innocent » qui laisserait entendre que la personne poursuivie doit
être traitée exactement comme si elle était innocente. Or, telle ne serait pas la vérité,
« présumé innocent » ne signifie pas que l’on considère innocent celui qui est
habituellement désigné sous cette expression. Pour contourner la difficulté, l’ambiguïté,
crée par l’usage de cette expression malheureuse, l’auteur propose d’y substituer
l’expression plus juste de présomption de non-culpabilité ou de postulat de non-
culpabilité 1340.

1338
S. DETRAZ, La prétendue présomption d’innocence, op. cit., n° 9.
1339
S. DETRAZ, La prétendue présomption d’innocence, op. cit., n° 13. On notera que l’auteur vise ici les
« véritables » présomptions légales de culpabilité, c'est-à-dire celles qui facilitent la preuve de l’infraction
en admettant a priori l’existence d’un de ses éléments.
1340
S. DETRAZ, La prétendue présomption d’innocence, op. cit., n° 15.

400
La signification de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal

Les « efforts de dépassement ont certainement le mérite de nous faire progresser dans la
compréhension du paradoxe » expliquent MM. Ost et van de Kerchove 1341. Or, il ne fait
aucun doute que la tentative de résolution du paradoxe du présumé innocent, présumé
coupable, présente l’avantage de mettre en lumière plusieurs éléments pour la réflexion sur
la présomption d’innocence. M. Detraz nous semble ainsi contribuer à faire progresser le
savoir sur la présomption d’innocence, particulièrement en cernant les difficultés soulevées
par le langage. Les usages et les sens multiples des expressions « présumé innocent » et
« présomption d’innocence » sont comme des entraves pour accéder à la signification de la
présomption d’innocence. La difficulté est encore accrue si l’on cherche à connaître le sens
à travers les relations entre les deux expressions 1342. La précision qui consiste à dire que
« présumé innocent » désigne une réalité spécifique 1343, voire complexe, marque le
franchissement d’un pas vers une meilleure compréhension du statut de la personne
poursuivie.

L’étude de M. Detraz a également le mérite de révéler que le paradoxe du présumé


innocent, présumé coupable trouve son origine dans le discours doctrinal lui-même. Il
n’était pas dans les intentions avouées de l’auteur de mener une analyse critique du discours
doctrinal sur la présomption d’innocence. Pourtant, il apparaît que les opinions doctrinales
forment, pour l’essentiel, l’objet des préoccupations de M. Detraz. En effet, La prétendue
présomption d’innocence n’est pas autre chose qu’une critique du discours qui s’est
construit sur une rhétorique des atteintes à la présomption d’innocence. L’auteur a entendu
désamorcer à la fois les contradictions jusqu’alors soulevées en même temps que le
paradoxe qu’elles avaient réussi à mettre au jour 1344.

Toutefois, cette tentative de dépassement a pour effet de reléguer la présomption


d’innocence à peu de chose et finalement a pour effet de la faire disparaître sous la forme de
l’expression « présomption d’innocence ». Or, ce procédé n’est pas sans inconvénient au
regard de la nature du paradoxe.

341. Une résolution du paradoxe peu souhaitable. Si la tentative de résolution du


paradoxe du présumé innocent, présumé coupable, permet d’une certaine manière de
« relancer » la réflexion sur le problème de la présomption d’innocence, sa résolution ne
paraît pas pour autant souhaitable. Car conserver le paradoxe présente un intérêt à plusieurs
égards. Les efforts qui consisteraient à préciser le langage du droit en faisant disparaître

1341
Le droit ou les paradoxes du jeu, op. cit., p. 99.
1342
C’est ce que nous avions voulu exposer au titre de l’indétermination terminologique, V. supra, n°
282.
1343
S. DETRAZ, La prétendue présomption d’innocence, op. cit., n° 14.
1344
Pour s’en convaincre, il suffit de prêter attention à chacune des critiques formulées par l’auteur. Soit
elles prennent appui sur des opinions doctrinales que l’auteur partage, soit elles visent plus ou moins
directement des opinions doctrinales. V. S. DETRAZ, La prétendue présomption d’innocence, op. cit.,
spécialement : n° 1, 2, 6, 12, 13, 14, 16, 17, 19.

401
Le discours sur l’objet

l’expression « présomption d’innocence » ou « présumé innocent » peuvent sembler à la


fois vains et même dommageables. Trois ordres de raisons autorisent à le penser.

En premier lieu, bannir du vocabulaire l’expression « présumé innocent » ou celle de


« présomption d’innocence » aurait tout simplement pour effet de faire disparaître l’un des
deux termes de l’opposition que traduit le paradoxe. Or, au titre des vertus du paradoxe il
est apparu que la présomption d’innocence ne pouvait s’expliquer et se comprendre que par
une référence toujours présente aux présomptions de culpabilité. L’une ne peut aller sans les
autres et ne parler que des présomptions de culpabilité ne rendrait sûrement pas meilleur
compte de la réalité du procès pénal 1345. Ces dernières, si elles existent et sont légitimes, ce
n’est que pour autant que la présomption d’innocence leur donne leur véritable raison d’être
et leurs limites. C’est bien à la jonction entre présomption d’innocence et présomption de
culpabilité que se situe la personne suspectée. Occulter l’un des deux pôles reviendrait à
nier cette réalité. Car, ne plus parler de présomption d’innocence ne changerait
probablement rien à cette réalité que l’on ne peut placer quelqu’un en garde à vue que s’il
existe des raisons plausibles de soupçonner que…En revanche, la représentation de cette
réalité en serait comme faussée, incomplète voire suspecte, si elle ne prenait en compte
l’autre protagoniste du jeu. Les présomptions de culpabilité ne peuvent en effet « jouer »
utilement dans le procès qu’en raison de l’existence de ce contre quoi elles luttent : la
présomption d’innocence.

En second lieu, admettre le paradoxe permettrait de cesser de raisonner en terme


d’atteintes à la présomption d’innocence tout en conservant cette dernière comme rempart
aux présomptions de culpabilité. Accepter le statut paradoxal de la personne poursuivie
consisterait à toujours laisser s’exprimer l’entre-deux où se situe précisément le suspect.
Cela exigerait alors d’avoir toujours égard aux interactions entre présomption d’innocence
et présomptions de culpabilité, de ne jamais s’inquiéter de l’une sans s’inquiéter dans le
même temps des autres. Ne raisonner qu’en terme d’atteintes ou de limites à la présomption
d’innocence ce n’est encore s’intéresser qu’à l’un des deux termes de l’opposition. Or ce
type de raisonnement se conclut par le même constat inlassablement répété : en pratique la
présomption d’innocence n’existe pas, elle n’est pas appliquée, il ne s’agit que d’une belle
affirmation théorique. On a en vue dans ce cas, aussi bien la pratique judiciaire que la
« pratique sociale », cette dernière se comprenant comme la réception par l’opinion
publique de l’expression « présomption d’innocence ». Le raisonnement tendrait alors à dire

1345
C’est néanmoins l’opinion qui a été défendue par M. Jeandidier. Cet auteur estime qu’à défaut d’une
évolution des mentalités et d’un bouleversement des règles, autant supprimer la présomption d’innocence
et laisser place à la présomption de culpabilité pour faire cesser l’hypocrisie du droit pénal et mettre la
théorie en accord avec la pratique. V. W. JEANDIDIER, La présomption d’innocence ou le poids des mots,
op. cit., p. 52.

402
La signification de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal

que la présomption d’innocence est ineffective 1346. Elle n’est probablement pas aussi
effective que certains le souhaiteraient, mais elle n’est pas non plus ineffective. Le serait-
elle qu’elle continuerait en réalité de produire des effets. M. Carbonnier explique à cet
égard qu’ « il peut être important de maintenir une règle, même violée, si elle répond à un
intérêt social évident ». En effet, l’auteur fait observer « qu’une règle de droit, même
ineffective, peut avoir son utilité, en créant un climat d’insécurité juridique, de
responsabilité, de "mauvaise conscience", qui s’oppose à des violations plus étendues » 1347.
Le maintien du paradoxe, et donc de la présomption d’innocence, nous paraîtrait justifié par
cette seule raison. La loi renforçant la présomption d’innocence a d’ailleurs épousé en partie
cette idée. L’inscription de la « présomption d’innocence » dans l’article préliminaire ne
devait, selon la volonté du législateur, n’avoir aucune incidence juridique. Tous les espoirs
étaient en revanche tournés du côté des vertus pédagogiques d’une affirmation solennelle.
Pédagogie des policiers, des magistrats et en dernier lieu de l’opinion, pourquoi pas ?

Enfin, le paradoxe s’il peut présenter des vertus sur le plan juridique, n’en produit pas
moins des effets pervers puisque l’opinion alimente le paradoxe, à sa façon, en considérant
comme coupable celui qui est présumé innocent. Il nous semble pourtant que le paradoxe
pourrait utilement produire ses effets sur l’opinion. Elle pourrait ainsi appréhender la réalité
du procès pénal dans sa complexité et non plus au travers de simplifications souvent
erronées. Cela exigerait toutefois que le paradoxe se voit d’abord reconnaître droit de Cité
dans le discours juridique. Par là, le changement des mentalités, que nombre d’auteurs
appellent de leurs vœux pour que soit respectée la présomption d’innocence, aurait quelques
chances de contaminer les tiers au procès. Une telle évolution des mentalités, au sein du
corps judiciaire comme de la société, ne semble pouvoir passer que par l’acceptation de
l’existence des deux termes de l’opposition : présomption d’innocence et présomption de
culpabilité. Cela implique notamment de conserver l’expression présomption d’innocence.
En effet, s’il appartient à la doctrine de préciser le sens de la présomption d’innocence, il ne
paraît pas souhaitable d’en passer par une reformulation du signifiant. Bien que
juridiquement ambiguë et pour tout dire impropre, l’expression de présomption d’innocence

1346
Il faut pourtant remarquer que nous n’avons jamais relevé dans le discours doctrinal de raisonnement
explicite en terme d’effectivité ou d’ineffectivité de la présomption d’innocence. On parlera évidemment
d’atteintes ou d’un plus ou moins grand respect de la présomption d’innocence. On remarquera d’ailleurs
que le discours doctrinal sur la présomption d’innocence consiste pour une part importante à répondre à la
question de savoir si elle est suffisamment respectée. Cela est patent avec la majorité des thèses de
doctorat consacrées au sujet. Depuis que M. Essaïd a étudié de façon approfondie la notion et pointé
méticuleusement les atteintes, d’autres auteurs ont produit un travail qui pourrait s’apparenter à une
évaluation périodique de l’état « d’effectivité » de la présomption d’innocence. V. V. MASSOL, La
présomption d’innocence, op. cit. ; P. BALLANDIER, Pour une défense de la présomption d’innocence, op.
cit. ; J. DÉCAMPS, La présomption d'innocence, entre vérité et culpabilité, op. cit. ; H. DAOULAS,
Présomption d'innocence et preuve pénale, étude comparée des droits français, anglais et canadien, op.
cit. ; A. TONGLET, La présomption d'innocence et les présomptions en droit pénal, op. cit.
1347
J. CARBONNIER, Effectivité et ineffectivité de la règle de droit, in Flexible droit, Paris, LGDJ, 7e éd.,
1992, p. 134-135.

403
Le discours sur l’objet

a elle aussi des vertus qui expliquent probablement sa pérennité dans le discours. Elle a, en
particulier, cette force évocatrice qui saisit les esprits, qu’ils soient avertis ou profanes.

La pleine reconnaissance de la signification de la présomption d’innocence, et par voie


de conséquence son respect, paraît désormais 1348 essentiellement tributaire d’une évolution
des mentalités. Cette opinion trouve de plus en plus à s’exprimer en doctrine 1349, qu’elle
vise le corps judiciaire ou l’opinion. Wilfrid Jeandidier estimait que le salut était à portée de
main, mais qu’il y fallait une profonde transformation des mentalités, une prise de
conscience 1350. Un autre auteur précisait que la prise en compte de la présomption
d’innocence judiciaire butait sur un problème de mentalité beaucoup plus grave que la
question purement juridique. Et d’ajouter que si la justice peine à intérioriser le concept,
inévitablement sa réception par les autorités de l’État et l’opinion n’en sera que
brouillée 1351. S’agissant plus particulièrement de l’opinion publique, M. Conte évoquait la
nécessité de la sortir de son ignorance des choses judiciaires en l’éduquant1352. Le paradoxe
du présumé innocent, présumé coupable ne relève donc pas du seul domaine des règles de
procédure pénale, il touche aussi à la question de la réception de la présomption
d’innocence par les citoyens.

Toutefois, lorsqu’il s’agit de s’inquiéter d’un problème de mentalités, le droit ne paraît


pas en mesure d’apporter une solution heureuse ou satisfaisante. Le droit impuissant contre
le fait, dira-t-on. « Aucune loi ne peut faire que, dans l’esprit des juges, au départ de la
réflexion, il y ait un homme présumé innocent » 1353, et l’actualité en fournit régulièrement
des exemples. Portant sa réflexion sur « l’affaire d’ Outreau », M. Conte rappelle cette
réalité. À la question récurrente de savoir s’il conviendrait de supprimer le juge
d’instruction au motif que de nos jours les instructions seraient surtout menées à charge,
l’auteur se demande ce qu’il faut entendre derrière l’argument. S’il s’agit de signifier que le
juge peut s’avérer partial, sourd aux demandes de la défense, qu’il peut négliger toutes les
pistes autres que celle qui postule la culpabilité, alors « en quoi une réforme, quelle qu'elle
soit, pourrait-elle remédier à une telle perversion ? ». Il y a en effet fort à craindre qu’un

1348
Parce que l’on estime que la présomption d’innocence est maintenant suffisamment protégée
juridiquement. Pour le procureur Coste, le respect de la présomption d’innocence ne pose guère de
difficultés dans la pratique judiciaire car, si la loi est respectée, la présomption d’innocence est également
respectée. V, J.-L. COSTE, Les principes d’action du parquet face à la présomption d’innocence, op. cit.,
pp. 39-40.
1349
Déjà en 1968, un professeur enseignait que « La présomption d’innocence est certes reconnue en tant
que principe ; mais ce principe n’est pas suffisamment mis en œuvre dans les faits ; son observance réelle
est surtout fonction d’une éducation du public et d’un plus grand respect de l’individu de la part de la
presse et des autorités elles-mêmes », L. BOYER, Cour de droit pénal général et de procédure pénale, op.
cit., p. 257-258.
1350
W. JEANDIDIER, La présomption d’innocence ou le poids des mots, op. cit., p. 52.
1351
J.-F. CHASSAING, Jalons pour une histoire de la présomption d'innocence, op. cit., p. 240.
1352
PH. CONTE, Pour en finir avec une présentation caricaturale de la présomption d’innocence, op.cit., n°
2.
1353
CH. ATIAS, Quelle procédure pénale pour quel droit ? Rev.int.dr.pén., 1997, vol. 68, p. 40.

404
La signification de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal

« texte sera toujours impuissant à modifier la mentalité de celui qui en fait


application » 1354.

342. De la signification indéterminée à la signification maîtrisée. Si la littérature


doctrinale laisse à penser que la signification de la présomption d’innocence est
indéterminée, encore convient-il d’approfondir l’analyse. Au terme de celle-ci,
l’indétermination du sens de la présomption d’innocence n’est que partielle. L’incertitude
qui règne sur la terminologie employée dans le discours paraît compromettre l’accès au
sens. Pourtant, les différentes manières d’entendre les expressions « présomption
d’innocence » et « présumé innocent » ne correspondent pas nécessairement à une
imperfection du savoir sur la présomption d’innocence. Les dernières évolutions du
discours en la matière montrent que l’impropriété des termes n’est pas suffisante pour
justifier un changement des habitudes. Les pénalistes continueront vraisemblablement à
parler de la présomption d’innocence plutôt que de présomption de non-culpabilité ou de
postulat de l’innocence présumée. L’incertitude qui paraît affecter la signification juridique
de la présomption d’innocence pourrait masquer un sens implicite mais bel et bien
déterminé. Si le discours se transforme pour intégrer les nouvelles données du droit positif,
il a le pouvoir de privilégier un sens plutôt qu’un autre. Il a la possibilité de laisser entendre
que la présomption d’innocence, règle de preuve avant tout, se conçoit comme une limite à
l’intime conviction des juges.

Il n’en va pas autrement en ce qui concerne l’indétermination des conséquences. Si


indétermination il y a, c’est manifestement moins en raison d’un défaut de connaissance de
l’objet étudié qu’en raison d’un choix. Ce choix, qui peut être regardé comme une
autolimitation de la doctrine s’exprime non pas explicitement mais au contraire par le
silence. Il en résulte que, s’il s’avère sans doute impossible de découvrir une opinion
véritablement unanime quant à la signification de la présomption d’innocence, cette
dernière doit cependant beaucoup à la représentation qu’en donne la doctrine. À tel point
qu’il est encore possible de dire que la présomption d’innocence est, avant tout autre chose,
un concept doctrinal.

La question du sens de la présomption d’innocence dans le discours devait légitimement


retenir l’attention tant elle est au cœur de la notion. L’analyse de la littérature doctrinale se
montre parfois riche d’enseignements et soulèvent nombres de questions qui ne sauraient
être résolues dans le cadre de ce travail. Le discours doit encore nous intéresser sous l’angle
du fondement de la présomption d’innocence cette fois. Or, on peut d’emblée signaler que
la question du fondement se présente d’une manière totalement différente de celle de la

1354
PH. CONTE, Les Galeux de la République. À propos de « l’affaire d’Outreau », JCP. 2006 I 101.

405
Le discours sur l’objet

signification. Elle a pour ainsi dire été éludée, à tout le moins n’a-t-elle pas donner lieu à de
nombreux développements comme il nous sera donné de le constater.

406
CHAPITRE 2
DISCOURS DOCTRINAL ET FONDEMENT DE LA PRÉSOMPTION
D’INNOCENCE

343. La question du fondement de la présomption d’innocence dans le discours.


Pourquoi la présomption d’innocence ? Cette question est celle du fondement. Encore faut-
il préciser ce que l’on entend par fondement. Le juriste est naturellement porté à voir dans le
fondement la question des motifs juridiques, de la référence à une base légale, ou encore à
songer aux moyens propres à justifier une prétention, que ces moyens soient de droit ou de
fait 1355. Mais de façon plus générale et plus métaphysique aussi, le fondement peut se
comprendre comme « ce par quoi une chose peut se tenir dans l’être », ce sur quoi repose
ultimement les choses 1356. C’est le sens qu’il nous faudra privilégier dans les
développements à venir. Le fondement, conformément à la métaphore de la fondation, est
une base, un socle sur lequel peut s’appuyer un édifice. La question du fondement revêt une
grande importance puisque c’est ce qui détermine l’assentiment légitime de l’esprit 1357.

Une analyse même superficielle du discours doctrinal sur la présomption d’innocence


suffit pour faire ce constat : la question du fondement de la présomption d’innocence
apparaît comme une question secondaire. Si le fondement, entendu comme base juridique,
est largement exprimé dans le discours sur les sources positives de la présomption
d’innocence, la question du pourquoi n’a quant à elle été formulée qu’à de rares occasions.
On observe en effet qu’elle a rarement été traitée pour elle-même. Certes, et c’est naturel,
M. Essaïd avait fait une place au fondement de la présomption d’innocence dans sa thèse.
Mais nombre d’auteurs qui ont présenté la présomption d’innocence se sont complètement
désintéressés de cette question 1358. « Bien que cela ne soit généralement pas fait, on peut
s’interroger sur le fondement du principe de la présomption d’innocence » a fini par
admettre Mme Rassat 1359. Ce n’est qu’à compter de la dixième édition de son manuel que
M. Pradel aborde la question du fondement de la présomption d’innocence de façon

1355
Ce sont là les deux définitions que donne la Vocabulaire juridique de M. Cornu.
1356
Grand dictionnaire de la philosophie, M. BLAY (dir.), Larousse, Paris, 2003.
1357
Dictionnaire Le petit Robert.
1358
G. VIDAL et J. MAGNOL, Cours de droit criminel et de science pénitentiaire, op. cit.; J.-A. ROUX,
Cours de droit criminel français, op. cit. ; H. DONNEDIEU DE VABRES, Traité de droit criminel, op. cit.;
R. VOUIN et J. LÉAUTÉ, Droit pénal et procédure pénale, op. cit.; G. STÉFANI, G. LEVASSEUR et B.
BOULOC, Procédure pénale, op.cit.
1359
M.-L. RASSAT, Procédure pénale, op. cit., 2e éd., n° 191 et Traité de procédure pénale, op. cit., n°
195. On remarquera que cet auteur n’a elle-même pas toujours abordé le thème du fondement puisque son
cours professé dans les années quatre-vingt n’en disait mot.V. Procédure pénale et pratique des parquets,
Les cours du droit, 1980-1981.

407
Le discours sur l’objet

autonome. Des développements spécifiques montrent à cet égard que l’auteur distingue
entre le fondement textuel et le fondement idéologique de la présomption d’innocence 1360.

Ce faible intérêt pour une recherche et une présentation du fondement de la présomption


d’innocence invite à s’interroger sur ses raisons. En effet, cette présomption d’innocence
dont on ne cesse de dire qu’elle est violée, bafouée, ignorée, faible, malade et finalement
incomprise, ne gagnerait-elle pas à voir sa légitimité, sa justification, exposées ? Un plus
grand intérêt pour le fondement ne permettrait-il pas d’espérer une meilleure réception, un
meilleur respect de la règle dans l’univers du droit et au-delà dans l’opinion publique ? Une
réponse à ces questions pourrait consister à dire que la présomption d’innocence est un droit
fondamental de l’homme, consacré comme tels par divers textes tout aussi fondamentaux et
que cela suffit amplement à justifier son existence et à imposer son respect. Il est d’ailleurs
probable que le silence de certains auteurs sur la question du fondement s’explique tout
simplement par un tel point de vue. On rappellera à cet égard que la Déclaration des droits
de l’homme pourrait tout à fait, au regard de l’importance qui lui a été conférée dans le
discours doctrinal, s’analyser à la fois comme l’origine historique, la source textuelle et plus
généralement comme le fondement de la présomption d’innocence 1361.

Une autre attitude face à la question du fondement pourrait consister à ne pas se


satisfaire de la réponse précédente qui, il faut l’avouer, est un peu courte. Elle ne saurait en
effet expliquer pourquoi du droit romain à l’ancien droit français en passant par le droit
anglais du Moyen Âge, la présomption d’innocence a été connue ou reconnue. La
philosophie des droits de l’homme et les textes qui l’expriment ne sont que des fondements
circonstanciels qui en eux-mêmes sont incapables de fournir une réponse à la question de
savoir : pourquoi la présomption d’innocence ? et pourquoi pas une présomption de
culpabilité ? et après tout pourquoi pas ni l’une ni l’autre comme le proposait autrefois le
doyen Carbonnier ? Certes il n’est pas impossible de retrouver dans la littérature juridique
pénale des éléments de réponse à cette question. Les auteurs avancent parfois telle ou telle
justification à la présomption d’innocence dont il faut rendre compte en étudiant
précisément le discours sur le fondement de la présomption d’innocence (section 1).

344. La question du fondement du discours sur la présomption d’innocence. La


question : pourquoi la présomption d’innocence peut encore s’entendre d’une manière un
peu différente mais tout aussi intéressante. On peut effectivement la formuler non plus sur

1360
J. PRADEL, Procédure pénale, op. cit., 10e éd., n° 367.
1361
V. supra, titre 1, chapitre 1, et plus particulièrement n° 199. Un auteur a pu ainsi écrire que la
présomption d’innocence « tire son essence et sa légitimité de plusieurs sources distinctes ayant pour
point commun la protection du justiciable avant son jugement » et de citer l’article 9 de la Déclaration des
droits de l’homme, 11 de la Déclaration universelle, 6§2 de la Convention européenne, 14 du Pacte
international et 9-1 du Code civil. V. P. BALLANDIER, Pour une défense de la présomption d’innocence,
op. cit., p. 14.

408
Discours doctrinal et fondement de la présomption d’innocence

un plan général et à l’égard de la présomption d’innocence elle-même mais au regard du


discours doctrinal qui la prend pour objet. Car, il faut s’en souvenir, c’est bien ce discours
qui lui a donné vie en la formulant, qui l’a nourrie et y consacrant des développements
toujours plus nombreux et finalement en la portant, la défendant. Bien que l’idée de la
présomption d’innocence soit très ancienne et comme l’ensemble de nos observations l’ont
jusqu’ici montré, le concept de présomption d’innocence est quant à lui récent et doit, pour
une large part, sa formulation et son élaboration à l’œuvre collective des criminalistes qui
l’ont introduit dans leurs enseignements de la procédure pénale. Si la question du
fondement de la présomption d’innocence ne trouve dans le discours qu’une réponse
partielle, superficielle, peut-être qu’elle pourrait utilement être éclairée par un
questionnement sur le fondement du discours. Parce qu’il nous semble que le fait même de
prendre la présomption d’innocence pour objet de discours participe du fondement de celle-
ci et qu’en outre les énoncés doctrinaux sur les sources et la signification sont, eux aussi,
déterminés par la l’émergence de la présomption d’innocence dans la littérature juridique, le
fondement du discours sur la présomption d’innocence participe, à sa manière, au
fondement de la présomption d’innocence. Sans prétendre en examiner tous les aspects, on
pourra se limiter à mettre en relation certains éléments troublants recueillis tout au long de
nos développements et qui peuvent être ramenés à la question du fondement du discours
(section 2).

409
Le discours sur l’objet

SECTION 1 : LE DISCOURS SUR LE FONDEMENT DE LA PRÉSOMPTION


D’INNOCENCE

345. Trop de justifications tue la justification. Si la question du fondement de la


présomption d’innocence est peu développée dans la littérature juridique pénale, on y trouve
néanmoins évoquées plusieurs justifications pour expliquer ce principe. Toutes ne sont pas à
mettre sur le même plan. Certaines ne légitiment la présomption d’innocence que sous son
aspect technique et probatoire, tandis que d’autres l’envisagent de façon plus générale. En
outre, on remarque que certaines justifications autrefois avancées par les auteurs semblent
avoir été abandonnées au profit d’autres qui paraissent alors plus sûres. Il s’agira alors dans
un premier temps de décrire la manière dont ces diverses justifications ont été avancées en
tentant d’ordonner cette pluralité de fondements (§1). Cette description ne faisant
paradoxalement que renforcer, en l’illustrant, l’absence de réelle réflexion approfondie sur
la question du fondement, la meilleure façon de rendre compte du discours doctrinal serait
d’envisager l’hypothèse selon laquelle la question du fondement aurait tout simplement été
éludée par la doctrine (§2).

§. 1 LA PLURALITÉ DE FONDEMENTS DISPONIBLES

346. Diversité de nature et d’intensité. Les divers arguments formulés dans le discours
doctrinal au soutien de la présomption d’innocence ne sont visiblement pas tous crédités de
la même force justificative, certains apparaissent « meilleurs » que d’autres aux yeux des
pénalistes. On observe également que les justifications ainsi avancées sont de nature assez
différentes. Plutôt que de donner une liste énumérative et exhaustive de tout ce qui pourrait
apparaître comme justification de la présomption d’innocence, il paraît plus pertinent de les
présenter selon deux catégories distinctes. La première catégorie rassemblerait ainsi les
justifications relevant de la raison juridique, c'est-à-dire de la raison, de la logique
appliquées au procès pénal ; tandis que la seconde catégorie s’attacherait au fondement
politique de la présomption d’innocence.

A- LES ARGUMENTS TIRÉS DE LA RAISON JURIDIQUE

347. Vraisemblance et vérité. L’analyse du discours doctrinal montre qu’il serait


raisonnable d’admettre la présomption d’innocence pour deux ordres de raisons. Tout
d’abord, la vraisemblance de l’innocence paraît pouvoir justifier que l’on pose la
présomption d’innocence pour point de départ de toute raisonnement mené à propos du
procès répressif. Ensuite, et peut-être de façon complémentaire, la présomption d’innocence

410
Discours doctrinal et fondement de la présomption d’innocence

trouverait une excellente justification dans son utilité au regard de l’objet du procès pénal
qu’est la manifestation de la vérité.

1) La vraisemblance au fondement de la présomption d’innocence

348. Énoncé de l’argument. En réalité, ce fondement ne sert à justifier la présomption


d’innocence que dans sa fonction de détermination du fardeau de la preuve. Il emprunte
donc inévitablement aux raisons qui expliquent, dans tout procès, civil ou pénal, que la
charge de la preuve incombe au demandeur. « C’est une règle de raison et de sécurité
sociale tout à la fois, que d’exiger de [l’accusateur] la démonstration pleine et entière de la
culpabilité de l’accusé », expliquait Garraud 1362. L’analogie avec le principe actori
incumbit probatio invite à penser que la présomption d’innocence s’explique par une faveur
pour les situations acquises. Ce sont ceux qui entendent contester ces situations qui doivent
rapporter la preuve. La présomption d’innocence se justifierait aussi tout simplement parce
qu’il est logique de suspendre le jugement sur la culpabilité jusqu’à l’issue du procès, qui
seule déterminera avec certitude si la culpabilité est avérée ou non 1363. Toutefois, ainsi
énoncée la justification paraît incomplète.

Ce sont les auteurs anciens qui ont le plus utilisé l’argument de la vraisemblance alors
qu’il paraît disparaître des écrits les plus récents. Cet argument consiste à dire qu’il est dans
la nature des choses de présumer l’innocence dès lors que la catégorie des honnêtes gens est
majoritaire par rapport au monde des délinquants. « Par l’accusation, on prétend faire
sortir quelqu’un de la catégorie des honnêtes gens, qui, dans la société forment la majorité,
pour le ranger dans celle des délinquants, qui constitue la minorité » 1364 relevait Roux dans
les années trente. En effet, le crime étant un phénomène exceptionnel 1365, il paraît logique et
raisonnable de supposer qu’un individu, pris au hasard, est innocent, n’a commis aucun acte
répréhensible. C’est toutefois Bentham qui avait sûrement le plus développé cet argument
au XIXe et que M. Essaïd reprendra bien plus tard. L’auteur anglais expliquait qu’il fallait
partir d’un point fixe : la présomption d’innocence. Cette dernière pouvant se prévaloir de
bases solides que Bentham appelle sanctions tutélaires. Ces sanctions sont censées agir sur
les individus pour les détourner du crime et constituent ainsi des freins naturels à la
commission des infractions. Par la sanction naturelle, l’homme répugnerait à des actes de
méchanceté ou d’injustice et craindrait de s’exposer à l’inimitié ou à la vengeance de ceux
qu’il aurait offensés. Par la sanction politique, il craindrait les peines légales. En outre, par
la sanction de l’opinion, il risquerait d’encourir le blâme et le mépris de la société. Enfin, la

1362
R. GARRAUD, Traité théorique et pratique d’instruction criminelle et de procédure pénale, tome I,
op.cit., n° 230.
1363
M.-J. ESSAÏD, La présomption d’innocence, op. cit., n° 132.
1364
J.-A. ROUX, note sous Cass. crim., 15 mars 1929, S. 1930. 1. 353.
1365
Rossi, cité par M.-J. ESSAÏD, La présomption d’innocence, op. cit., n° 129.

411
Le discours sur l’objet

sanction religieuse l’exposerait à des peines même dans les cas où il échapperait à la
poursuite des tribunaux humains 1366.

Plus récemment, M. Larguier évoquait lui aussi cet argument mais de façon plus
prudente en faisant observer que la personne poursuivie n’est cependant pas prise
totalement au hasard dans la population 1367. Aujourd’hui, M. Pradel énonce, parmi d’autres,
cette justification en faisant valoir que « la présomption d’innocence est une notion
juridique censée correspondre à la vérité car, dans leur majorité, les hommes sont
honnêtes » 1368. Cette vérité alléguée n’est pourtant pas certaine. L’argument peut paraître
faible, il ne semble être qu’un postulat invérifié. C’est alors un parti pris de postuler
l’innocence qui peut résulter d’un acte de foi, d’une croyance 1369. Comment savoir si
réellement la majorité d’entre nous est respectueuse de la loi pénale ? Qu’entend-t-on par
« honnête » ? Si l’honnêteté se réduit au respect de la loi pénale, il ne semble pas très
prudent d’affirmer que la majorité des individus est honnête. Le concept même de chiffre
noir de la criminalité suffit à en faire douter 1370. C’est pour d’autres raisons que l’argument
de la vraisemblance prête à la critique et fait l’objet d’une réfutation par certains auteurs.

349. Réfutation de l’argument tiré de la vraisemblance. À l’idée que la majorité des


individus est honnête et respectueuse des lois, on a opposé la réalité judiciaire qui
démontrerait le contraire. Ainsi MM. Merle et Vitu enseignent-ils que « la présomption
d’innocence ne repose pas sur la forte probabilité, la vraisemblance que l’individu est
poursuivi est innocent, puisque les procès répressifs, dans leur très grande majorité, se
terminent par des condamnations » 1371. Le professeur Michèle-Laure Rassat ne dit
d’ailleurs pas autre chose dans son évocation du fondement de la présomption
d’innocence 1372. M. Larguier exprimait un doute quant à la valeur de l’argument tiré de la
vraisemblance en apportant une précision d’importance : la personne poursuivie n’est pas
prise au hasard dans la population. On notera que la réfutation de la vraisemblance était en
réalité déjà contenue dans l’exposé de Bentham. En effet, si l’auteur admettait l’existence

1366
Traité des preuves judiciaires, op. cit., tome I, p. 396.
1367
J. LARGUIER, La procédure pénale, Que-sais-je ? op. cit., p. 40.
1368
J. PRADEL, Procédure pénale, op. cit. , 12e éd., n° 384.
1369
M.-J. ESSAÏD, La présomption d’innocence, op. cit., n° 130. C’est bien cette croyance que les juges de
la cour suprême du Canada ont exprimé dans une de leurs décisions : « La présomption d'innocence
confirme notre foi en l'humanité; elle est l'expression de notre croyance que, jusqu'à preuve contraire, les
gens sont honnêtes et respectueux des lois », R. c. Oakes, 28 février 1986, § 29, Recueil des arrêts de la
Cour suprême du Canada, 1986, vol. 1, p. 103. Texte de la décision disponible en ligne à partir du site :
[http://www.lexum.umontreal.ca].
1370
Selon la définition donnée par le Vocabulaire juridique de l’Association Capitant, le chiffre noir est le
« nom donné à la différence entre la criminalité réelle totalisant les infractions commises en un temps et
un lieu donnés (selon diverses estimations) et la criminalité dite apparente enregistrées par les
statistiques de police (laissant dans l’ombre toutes les infractions pour lesquelles le processus de la
répression en s’amorce pas».
1371
R. MERLE et A.VITU, Traité de droit criminel, Procédure pénale, 5e éd., op. cit., n° 143.
1372
M.-L. RASSAT, Traité de procédure pénale, op. cit., n° 195.

412
Discours doctrinal et fondement de la présomption d’innocence

des quatre sanctions tutélaires propres à « déprobabiliser » le crime, il n’en précisait pas
moins que la présomption se renverse lorsqu’un crime est commis. Dans la situation
spéciale d’un tel acte, la présomption d’innocence qui servait de point de départ au
raisonnement se trouve contrebalancée par les circonstances que Bentham appelle
« inculpatives ».

Ainsi, le fondement de la présomption d’innocence semble devoir changer de nature


selon qu’on l’envisage en dehors et avant tout procès ou seulement à partir du moment où
une infraction a été commise et qu’une ou plusieurs personnes sont soupçonnées d’en être
les auteurs. Si bien qu’il n’y aurait pas tant lieu de parler de réfutation de l’argument tiré de
la vraisemblance dès lors que les auteurs ne se placent pas du même point de vue. Les uns
semblent se référer à la conception retenue par la Déclaration des droits de l’homme pour
laquelle tout homme serait présumé innocent, alors que les autres rechercheraient le
fondement de la présomption d’innocence au sens des autres textes, notamment l’article 6§2
de la Convention européenne, qui ne protège que les personnes faisant l’objet d’une
accusation ou de soupçons. C’est du reste, sans trop s’en expliquer, ce qu’avait fait M.
Essaïd en exposant le fondement de la présomption d’innocence. L’auteur envisageait cette
question dans deux hypothèses distinctes : celle dans laquelle se pose la question de savoir
si une infraction a été commise et celle dans laquelle l’infraction étant certaine, il s’agit de
savoir si une personne déterminée et suspectée peut en être l’auteur 1373. Or pour M. Essaïd
la meilleure justification de la présomption d’innocence relève de cette seconde hypothèse,
il s’agit de la manifestation de la vérité.

2) L’utilité de la présomption d’innocence fondée sur la manifestation de la vérité

350. La meilleure des justifications ?. À propos de la manifestation de la vérité, M. Essaïd


écrivait en 1969 : « Elle constitue, à notre avis, la véritable raison d’être du principe » 1374.
Et d’expliquer que la présomption d’innocence se présente comme la garantie la plus
sérieuse contre les fausses accusations et les convictions prématurées. Elle stimulerait la
découverte de la vérité en exigeant la démonstration de la culpabilité pour pouvoir
condamner. Cette stimulation, cette quête de la vérité, contribuent alors à faire reculer le
risque d’erreurs judiciaires qui est encouru à chaque étape du procès pénal. L’auteur
rappelle que, quelle que soit la gravité de l’infraction, et donc celle de la peine prononcée,
« la condamnation d’un innocent entraîne toujours des conséquences néfastes non
1375
seulement pour la victime de l’injustice, mais aussi pour la société » . Mais la
manifestation de la vérité doit également contribuer à la condamnation des coupables, car

1373
M.-J. ESSAÏD, La présomption d’innocence, op. cit., n° 128 et s.
1374
M.-J. ESSAÏD, La présomption d’innocence, op. cit., n° 136, p. 91.
1375
M.-J. ESSAÏD, La présomption d’innocence, op. cit., n° 136, p. 94.

413
Le discours sur l’objet

l’erreur commise à leur profit pourrait s’avérer tout aussi préjudiciable à la société. Dans la
prise en compte de ce double risque d’erreur judicaire, M. Essaïd estime qu’ « en définitive,
la présomption d’innocence ne peut avoir pour fin que la manifestation de la vérité », car,
dit-il « c’est le seul moyen, semble-t-il, de sauvegarder tous les intérêts mis en cause dans
le procès pénal » 1376. Il en irait d’ailleurs de même de la règle du doute favorable qui est
fondée sur l’impossibilité de parvenir à la vérité recherchée.

351. Vérité et présomption d’innocence. À vrai dire, peu d’auteurs ont avancé un tel
fondement pour la présomption d’innocence 1377. Peut-être que l’expérience, qui montre la
permanence des erreurs judiciaires et l’effet toujours pervers des convictions prématurées,
démentent trop crûment cette idée que la présomption d’innocence trouve sa meilleure
justification dans la manifestation de la vérité. D’autres raisons pourraient être proposées
pour relativiser la force de l’argument. On pourrait objecter qu’il s’agit là au mieux d’une
fonction de la présomption d’innocence mais non d’un fondement. C’est cette manifestation
de la vérité qui expliquerait que le magistrat instruise aussi bien à charge qu’à décharge. En
outre, l’auteur n’offre pas d’expliquer en quoi la manifestation de la vérité serait favorable à
la présomption d’innocence. La manifestation de la vérité vise semble-t-il la vérité
matérielle. Pourtant, c’est au nom d’une présomption d’innocence largement entendue que
la recherche de la vérité est encadrée, limitée, dans la phase de recherche de la preuve. La
présomption d’innocence peut alors être brandie pour écarter la vérité. De plus, on pourrait
penser qu’au stade ultime du jugement, la présomption d’innocence loin de favoriser la
manifestation de la vérité, l’écarte bien davantage en postulant une décision favorable en
cas de doute alors même que la situation suppose très exactement que la vérité n’est pas
connue. Contrairement à ce que soutient M. Essaïd, la vérité n’impose pas nécessairement
la relaxe ou l’acquittement. Tout dépend en réalité de la conception que l’on se fait de la
vérité et de sa valeur dans le procès. À ce titre, il est une dernière raison qui permet de
penser que la manifestation ne constitue pas la meilleure justification de la présomption
d’innocence. En assimilant présomption d’innocence et doute favorable, force est de
reconnaître que la manifestation de la vérité ne saurait expliquer les conséquences attribuées
au doute. Ainsi par exemple de l’impossibilité de réviser les jugements d’acquittement. La
vérité de la culpabilité serait-elle acquise après le procès qu’aucune révision ne serait
possible 1378. On ne voit alors pas vraiment en quoi la manifestation de la vérité aurait ici un
rapport avec la présomption d’innocence. Une fois encore cette dernière étouffe la vérité.

1376
M.-J. ESSAÏD, La présomption d’innocence, op. cit., n° 136, p. 94.
1377
V. cependant : V. MASSOL, La présomption d’innocence, op. cit.
1378
Enrico Ferri se plaignait d’ailleurs de cette situation en la rattachant lui-même à la présomption
d’innocence, ou plutôt aux exagérations qui en auraient été faites par l’école classique.

414
Discours doctrinal et fondement de la présomption d’innocence

Au mieux pourrait-on comprendre que l’opinion de M. Essaïd vise moins la


manifestation de la vérité que l’objectivité des participants aux procès pénal. En tout état de
cause et contrairement à l’opinion exprimée par l’auteur, la manifestation de la vérité n’est
probablement pas la meilleure justification de la présomption d’innocence. Il est patent que
les auteurs lui préfèrent un fondement politique.

B- LE FONDEMENT POLITIQUE DE LA PRÉSOMPTION D’INNOCENCE

352. Sens large du fondement politique. L’expression « fondement politique » doit être
prise dans un sens large et recouvre à ce titre divers types de justifications qui, bien que
concernant le déroulement du procès pénal, sont souvent présentées comme la résultante
d’un État de droit. On peut s’attacher à la manière dont s’exprime le fondement politique de
la présomption d’innocence dans le discours doctrinal avant d’en décrire les composantes.

1) L’expression du fondement politique

353. Faveur actuelle pour le fondement politique. Le fondement politique de la


présomption d’innocence apparaît désormais dans le discours doctrinal comme la meilleure
justification de la présomption d’innocence. À la question pourquoi la présomption
d’innocence, les juristes ont ainsi tendance à répondre qu’il s’agit d’un principe
fondamental indispensable dans un État démocratique et libéral. Dans son énumération des
divers fondements possibles à la présomption d’innocence, M. Essaïd estimait que, outre la
vraisemblance et la nature des choses, « Dans une société libérale, c’est un principe
démocratique que de supposer que tout citoyen est honnête et se conduit d’une façon
irréprochable » 1379. Pour Mme Rassat, la meilleure justification de la présomption
d’innocence est « politique et libérale », il s’agit de « la volonté d’avantager, par principe,
l’individu, à chaque fois qu’il est opposé à l’État » 1380. Observant qu’au regard des règles
en matière de preuves, la présomption d’innocence paraît faire double emploi avec le
principe actori incumbit probatio, les professeurs Conte et Maistre du Chambon estiment
que « sa véritable raison d’être est donc ailleurs : ce principe directeur a un fondement
politique » 1381.

On peut toutefois se demander en quoi consiste ce fondement politique. L’adjectif


politique invite d’emblée à penser le fondement de la présomption d’innocence dans le
cadre de l’organisation et de l’exercice du pouvoir dans la société. En réalité, il semble que

1379
M.-J. ESSAÏD, La présomption d’innocence, op. cit., n° 130.
1380
M.-L. RASSAT, Traité de procédure pénale, op. cit., n° 195, p. 306.
1381
PH. CONTE et P. MAISTRE DU CHAMBON, Procédure pénale, op. cit., 4e éd., n° 43. Précédemment, les
auteurs faisaient observer que la signification de la présomption d’innocence n’était pas épuisée par sa
seule traduction technique et qu’ « il s’agit aussi, d’une règle politique, caractéristique des régimes
libéraux », n° 38. Adde. TH. GARÉ et C. GINESTET, Droit pénal et procédure pénale, op. cit., n° 389 : « Le
fondement de cette présomption est libéral, il se trouve tout simplement dans la volonté de favoriser celui
qui est poursuivi ».

415
Le discours sur l’objet

l’on doive comprendre que la présomption d’innocence trouve sa justification dans la


volonté de l’État de la consacrer et de la respecter. Plus particulièrement, on dira que la
présomption d’innocence est garantie dans un État de droit, c'est-à-dire dans une société qui
admet de se soumettre à un ordre juridique. La présomption d’innocence trouverait donc sa
justification dans la volonté de l’État. Mais non pas n’importe quel État, seulement ceux qui
ont choisi la démocratie libérale. C’est pourquoi les pénalistes rappellent souvent que la
présomption d’innocence a été ou demeure méconnue des États totalitaires. Pour Mme
Koering-Joulin, elle est ainsi incontestablement un luxe de pays civilisés 1382.

Le fondement politique de la présomption d’innocence trouve probablement sa meilleure


traduction dans l’attachement des États, et du nôtre en particulier, aux droits de l’homme.
En participant à la proclamation de la présomption d’innocence comme droit de l’homme et
en s’obligeant à la respecter comme tel, les États confèreraient un fondement politique à la
présomption d’innocence. C’est ce qu’illustre dans le discours doctrinal la référence à la
longue liste des déclarations et traités garantissant la présomption d’innocence. On
comprend alors que le fondement politique puisse apparaître comme la meilleure
justification. L’influence sans cesse croissante de la jurisprudence européenne illustre tous
les jours la soumission des États signataires aux dispositions de la Convention. Le
fondement politique de la présomption d’innocence implique donc qu’elle fasse partie
intégrante des principes organisant la société. Pourtant, il s’agit d’un principe de procédure
pénale et le fondement politique doit trouver des traductions dans ce domaine pour
expliquer la présomption d’innocence.

2) Les composantes du fondement politique

354. Une volonté politique. Le fondement en tant qu’il prend sa source dans l’ordre du
politique suppose l’existence d’une volonté émanant du pouvoir. Les composantes du
fondement politique qui jalonnent le discours juridique sur la présomption d’innocence,
n’échappent pas à cette idée que la présomption d’innocence est fondée sur une volonté.
L’objet que les pénalistes assignent à la volonté politique se résume dans une large mesure
en une faveur. M. Detraz n’écrivait-il pas récemment que « La présomption d’innocence
résulte d’un choix législatif de favoriser l’une des parties au litige » 1383? La présomption
d’innocence est donc fondée sur une faveur et sous cette idée que l’on doit ranger les
composantes du fondement politique que sont la garantie de liberté individuelle (ou la
sûreté) et la garantie contre l’arbitraire.

355. La faveur consentie à la personne poursuivie. Les termes de faveur ou d’avantage


apparaissent désormais caractériser au plus proche le fondement de la présomption

1382
R. KOERING-JOULIN, La présomption d'innocence, un droit fondamental ? op. cit., p. 20.
1383
La prétendue présomption d’innocence, op. cit., n° 11.

416
Discours doctrinal et fondement de la présomption d’innocence

d’innocence. Mme Rassat enseigne ainsi que la meilleure justification de la présomption


d’innocence réside dans « la volonté d’avantager, par principe, l’individu, chaque fois qu’il
est opposé à l’État» 1384. Parmi les raisons qui justifient sans peine la présomption
d’innocence d’un point de vue idéologique, M. Pradel professe qu’ « il faut avantager la
personne poursuivie qui se trouve en état d’infériorité : la présomption d’innocence permet
donc de rétablir un certain équilibre entre l’accusateur et l’accusé » 1385. Le propos était
autrefois plus imagé et plus fort : « La présomption d’innocence est indispensable à la
liberté et plus généralement à la défense du délinquant dont il faut éviter l’écrasement par
un Ministère public tout-puissant » 1386. C’est également la situation du prévenu,
sensiblement inférieure à celle du ministère public, qui pour M. Levasseur, justifie les
mesures de faveur octroyées à la défense, tel le bénéfice du doute 1387. C’est ainsi plus
particulièrement par faveur pour l’accusé que les manifestations d’opinion en cour d’assises
sont prohibées, que les décisions défavorables y sont prises à la majorité de 8 voix contre 4
et que l’accusé a la parole en dernier 1388. La faveur ainsi octroyée trouve elle-même sa
justification dans la profonde inégalité des armes entre la partie poursuivante et la partie
poursuivie. Cela avait d’ailleurs été clairement exposé par M. Levasseur qui expliquait la
faveur systématique consentie à la personne poursuivie en décrivant une lutte inégale
opposant la seconde « pot de terre » à la première « pot de fer » 1389. M. Henrion parle quant
à lui de « volonté de garantir la position de l’individu mis en cause face à l’État » 1390. La
présomption d’innocence comme faveur, fondée sur l’inégalité entre accusateur et accusé,
entre l’État et la personne poursuivie, est une justification qui n’explique pas la présomption
d’innocence dans le système accusatoire anglo-saxon, si souvent présenté comme protecteur
et assurant précisément l’égalité des armes.

Pourquoi une telle faveur accordée à la personne poursuivie ? La réponse quasiment


unanime réside dans la nécessité de garantir la liberté individuelle et d’éviter tout arbitraire.

356. La liberté individuelle comme fondement de la présomption d’innocence.


L’établissement d’un lien rapproché entre la question de la liberté individuelle et la
présomption d’innocence est fréquent dans le discours doctrinal 1391. La présomption

1384
M.-L. RASSAT, Traité de procédure pénale, op. cit., n° 195.
1385
J. PRADEL, Procédure pénale, op. cit., 12e éd., n° 384.
1386
J. PRADEL, Procédure pénale, op. cit., 9e éd., n° 267 en réponse à la question de savoir si la
présomption d’innocence concernait l’instruction préparatoire.
1387
G. LEVASSEUR, La charge de la preuve en procédure pénale française, op. cit., p. 689.
1388
J. et A. LARGUIER, La protection des droits de l’homme dans le procès pénal, op. cit., p. 132.
1389
G. LEVASSEUR, Le droit de la preuve en droit pénal français, op. cit., p. 181.
1390
H. HENRION, La nature juridique de la présomption d’innocence, op. cit., n° 412-1.
1391
P. BOUZAT et J. PINATEL, Traité de droit pénal et de criminologie, op. cit. ; R. VOUIN et J. LÉAUTÉ,
Droit pénal et procédure pénale, op. cit. ; L. BOYER, Cour de droit pénal général et de procédure pénale,
op. cit.; M.-J. ESSAÏD, La présomption d’innocence, op. cit.; C. LOMBOIS, La présomption d’innocence,
op. cit.; J.-R. FARTHOUAT, La présomption d’innocence, op. cit.; R. MERLE et A.VITU, Traité de droit

417
Le discours sur l’objet

d’innocence est en effet le plus souvent regardée comme une garantie de la liberté, que les
auteurs soient parfaitement explicites ou plus implicites sur ce point. Toutefois, M. Essaïd
avait estimé que le lien entre la présomption d’innocence et la liberté individuelle avait été
jusque là assez négligé par la doctrine en dépit de l’importance de cette garantie. C’est la
raison pour laquelle il avait d’ailleurs choisi de traiter, dans la deuxième partie de sa thèse
de doctorat, de la présomption d’innocence et du problème de la liberté individuelle. Au
seuil même de son travail, l’auteur écrivait : « En France, comme dans les autres pays
civilisés, il existe un principe qui est considéré comme l’une des garanties fondamentales de
la liberté individuelle, principe d’après lequel tout individu est présumé innocent tant qu’un
jugement définitif n’a pas reconnu sa culpabilité ». M. Essaïd s’est ainsi préoccupé des
restrictions apportées à la liberté physique de la personne poursuivie qui est placée en garde
à vue et/ou en détention provisoire. Si l’une et l’autre de ces mesures paraissent
indispensables et donc incontestables dans leur existence, il n’en reste pas moins qu’elles
concernent des suspects présumés innocents et doivent, à ce titre, présenter toute garantie
contre des abus. S’agissant de la détention avant jugement, l’auteur rappelle que, pour la
grande majorité des pénalistes, il existe une antinomie irrémédiable entre la présomption
d’innocence et la détention préventive. L’argument est bien connu et faute de pouvoir
conduire à la disparition de toute détention avant jugement, il sert à préciser les modalités
dans lesquelles elle pourra être ordonnée.

Ce lien entre présomption d’innocence et liberté était, on le sait, exprimé dans l’article 9
de la Déclaration des droits de l’homme. Tout homme étant présumé innocent, toute
arrestation doit être indispensable et ne comporter aucune rigueur qui ne serait pas
nécessaire. S’appuyant sur ce texte, il est vrai que les criminalistes avaient essentiellement
retenu la consécration d’une présomption susceptible de régir le domaine de la preuve
pénale, alors même que telle ne semblait pas être la volonté des rédacteurs de la
Déclaration. À l’inverse, les criminalistes de l’ancien droit insistaient sur la nécessaire
protection de la liberté et de l’honneur des personnes accusées. Le lien établi entre
présomption d’innocence et liberté dans le discours doctrinal n’a donc pas toujours été
identique. Reconnaître que la présomption d’innocence constitue une garantie de la liberté
individuelle ne va pas sans soulever des difficultés. Qu’est-ce à dire ? Il n’est pas aisé de
connaître dans quelle mesure la présomption d’innocence offre une garantie de cette liberté.
Puisque la présomption d’innocence ne saurait empêcher le déroulement du procès, avec ce
qu’il comporte de contraintes pour ceux qui en sont l’objet, quelle est la garantie qu’elle
assure ? La réponse doctrinale paraît se situer à un niveau théorique et non pas pratique. Le
raisonnement porte sur les conséquences de la présomption d’innocence : elle fonderait le

criminel, Procédure pénale, 5e éd., op. cit.; C. AMBROISE-CASTÉROT, Rép. Pén. et Proc. Pén., v°
Présomption d’innocence ; S. DETRAZ, La prétendue présomption d’innocence, op. cit.

418
Discours doctrinal et fondement de la présomption d’innocence

caractère à la fois exceptionnel et proportionnel de l’atteinte à la liberté que constituent la


garde à vue, la détention, le contrôle judiciaire. S’agissant de ces atteintes, pourquoi,
comme le suggérait du reste Bentham, ne se contenterait-on pas de fonder leur caractère
exceptionnel et proportionnel sur le principe même de la liberté ? Cette dernière, avec la
sûreté, est proclamée depuis la Déclaration de 1789 comme l’un des premiers droits
naturels, sacrés, inaliénables de l’homme 1392. Probablement que la question de la liberté se
pose différemment selon que l’on raisonne dans le cadre du procès pénal ou au contraire en
dehors de tout procès. La liberté étant un bien des plus précieux, la privation d’un tel bien
constitue une peine. Or, l’on ne saurait infliger une telle peine sans avoir préalablement
constaté de façon certaine la culpabilité. Par là peut s’entendre la garantie que la
présomption d’innocence peut conférer à la liberté individuelle. Tant que la culpabilité n’est
pas établie, aucune peine ne peut légitimement être infligée, et en particulier aucune
privation de liberté. Mais on le sait, cette garantie n’existe pas en pratique. Évoquant les
atteintes à la présomption d’innocence M. Pradel exprime d’une certaine manière cette idée.
S’il reconnaît que M. Carbonnier avait raison de dire qu’aucune présomption (d’innocence
ou de culpabilité) ne devrait exister pendant le procès, il n’en approuve pas moins
l’affirmation doctrinale selon laquelle la présomption d’innocence s’applique à toutes les
phases du procès. Ainsi explique-t-il que « l’on a raison sur le terrain des principes de le
dire, d’autant plus que le fait de le dire permet de tirer des conséquences de droit comme le
caractère exceptionnel de la détention provisoire ou le secret de l’enquête et de
l’instruction» 1393. La présomption d’innocence apparaît alors surtout comme un argument
pour fonder le caractère exceptionnel des privations de liberté avant jugement. Le
fondement politique de la présomption d’innocence réside également dans la volonté de
lutter contre l’arbitraire qui, lui aussi, peut être source d’atteinte à la liberté.

357. La présomption d’innocence fondée sur le risque d’arbitraire. En reconnaissant le


principe de la présomption d’innocence, l’État semble exprimer sa volonté d’exclure de la
procédure pénale tout arbitraire. Il est admis que l’article 9 de la Déclaration des droits de
l’homme et du citoyen aurait été écrit par référence à l’ancienne pratique des lettres de
cachet, mais aussi en souvenir de ces temps où l’on torturait l’accusé pour obtenir ses
aveux. Ce temps est révolu, et pourtant tout arbitraire n’est pas à exclure. Selon M. Essaïd
« tenir la personne poursuivie pour coupable ou même la charger d’une présomption de
culpabilité, cela reviendrait à la livrer au pouvoir arbitraire des autorités répressives » 1394.
Pour Robert Badinter, la présomption d’innocence procède du sens même de la procédure
pénale, c'est-à-dire garantir que le système de répression ne frappera que les auteurs
1392
Outre l’article 9 de la Déclaration, qui n’évoque d’ailleurs pas la liberté explicitement, les articles, 1er,
2, 4, 7 en font un droit de première importance.
1393
J. PRADEL, Procédure pénale, op. cit., 12e éd., n° 396.
1394
M.-J. ESSAÏD, La présomption d’innocence, op. cit., n° 133.

419
Le discours sur l’objet

d’infractions avérées 1395. Il semble que l’arbitraire qui est à craindre soit pluriel. Il l’est dans
ses formes, l’arbitraire pouvant conduire à des privations de liberté injustifiées, des mesures
vexatoires, des mauvais traitements à l’égard des prévenus, ou encore à l’erreur judiciaire. Il
l’est en outre dans son origine. L’arbitraire peut émaner aussi du pouvoir politique que du
juge. Ainsi, la présomption d’innocence « protège chacun d’abord contre le pouvoir
politique en faisant dépendre d’une juridiction, en principe après condamnation, les
principales mesures coercitives. Mais elle protège aussi les citoyens contre le juge en
imposant à celui-ci la solution qu’il doit retenir quand toute la lumière n’a pas été faite sur
la cause, au point de laisser subsister un doute sur la participation criminelle de celui dont
on fait le procès » 1396. Contre les errements de la pratique, contre la tendance des autorités
de poursuite à voir dans tout suspect un coupable et à le traiter comme tel, la présomption
d’innocence serait un rempart 1397.

Le fondement politique de la présomption d’innocence tel qu’il est formulé dans le


discours doctrinal, apparaît bien comme une faveur qui a pour but d’assurer, en dernier lieu
et au mieux, la liberté des individus avant toute condamnation. On comprend alors
l’attachement doctrinal aux sources textuelles de la présomption d’innocence qui relèvent
d’instruments destinés précisément à protéger cette liberté entendue au sens large. Pourtant,
la consécration de la présomption d’innocence par la Déclaration des droits de l’homme et
du citoyen, la Déclaration universelle des droits de l’homme, la Convention européenne des
droits de l’homme et des libertés fondamentales, le Pacte international relatif aux droit
civils et politiques, invite à voir dans la présomption d’innocence plus qu’un moyen de
garantir la liberté et d’éviter l’arbitraire. Elle appartient en tant que telle à ces droits
fondamentaux. Il en résulte qu’elle se voit reconnaître pour elle-même, comme en témoigne
d’ailleurs le discours doctrinal. Or cette reconnaissance tend à la faire accéder au rang de
principe et surtout de valeur. C’est probablement le sens de l’affirmation selon laquelle la
présomption d’innocence caractérise les sociétés démocratiques et libérales. Cette
affirmation ne parvient toutefois pas à expliquer comment pouvait exister, dès le Moyen
Âge et sous l’Ancien Régime, l’idée qu’il fallait protéger les innocents contre l’erreur
judiciaire en exigeant une certitude pour condamner, que le mal ne se présume pas et que le
doute doit profiter à l’accusé. Un glissement semble alors s’opérer. La question du
fondement, qui serait pour l’essentiel politique, tendrait alors à se dissiper, à devenir inutile
dès lors que la présomption d’innocence serait une valeur en elle-même et non plus une

1395
R. BADINTER, La présomption d’innocence, histoire et modernité, op. cit., p. 134.
1396
R. LEGEAIS, La présomption d’innocence et les juridictions de jugement étude comparée du droit
français et du droit anglais, op. cit., p. 47.
1397
M.-J. ESSAÏD, La présomption d’innocence, op. cit., n° 133 ; R. MERLE et A.VITU, Traité de droit
criminel, Procédure pénale, 5e éd., op. cit., n° 144 in fine.

420
Discours doctrinal et fondement de la présomption d’innocence

simple règle technique. Cette tendance permet de suggérer que la question du fondement de
la présomption d’innocence est en réalité éludée plus qu’élucidée.

§. 2 LA QUESTION DU FONDEMENT ÉLUDÉE

358. Des questions qui se dérobent. On peut désormais s’en convaincre, les arguments
pour justifier la présomption d’innocence ne manquent pas dans le discours doctrinal. Ils ne
présentent cependant pas tous la même force et demeurent peu développés. La nécessité de
consacrer la présomption d’innocence pour assurer la liberté par exemple, n’apparaît pas
d’évidence. La liberté ne pourrait-elle se suffire à elle-même sans passer par l’intermédiaire
de la notion de présomption d’innocence ? Dire que la présomption d’innocence est une
garantie fondamentale consacrée comme telle par les sociétés libérales n’épuise pas la
question de savoir ce qui fonde la présomption d’innocence. En ce sens la question du
fondement est éludée. Elle l’est d’autant plus facilement et naturellement que la question
s’est déplacée, il ne s’agit pas tant de savoir ce qui peut expliquer la présomption
d’innocence que de savoir ce qu’elle-même peut expliquer. Si la question du fondement est
éludée, ce pourrait en outre être également pour une tout autre raison. On peut supposer en
effet que la meilleure explication de cette pluralité de fondements, qui ne parvient pas à
élucider véritablement la question du fondement, résiderait tout simplement dans son
caractère indicible.

A- DU FONDEMENT DE LA PRÉSOMPTION D’INNOCENCE AU FONDEMENT SUR LA


PRÉSOMPTION D’INNOCENCE

359. Une évolution du discours. Si le discours doctrinal ne fait pas une grande place à la
question du fondement de la présomption d’innocence, en revanche, il a très tôt laissé
s’exprimer, en filigrane, l’idée que la présomption d’innocence puisse être le fondement de
quelque chose d’autre, d’autres règles ou principes. On a déjà observé que la présomption
d’innocence se voit reconnaître divers statuts dans la littérature juridique : simple règle
technique, principe probatoire, droit de l’homme, principe fondamental. De telles
qualifications ne semblent pas incompatibles entre elles, c’est ce qui justifie leur emploi
cumulatif. Il en est portant une qui retiendra ici davantage l’attention, c’est celle de principe
fondamental 1398. Elle est la meilleure et la plus explicite des illustrations de ce que la
présomption d’innocence a vocation à devenir un fondement. Mais, plus discrètement c’est
1398
Il s’agit d’envisager cette qualification dans le discours doctrinal en dehors d’une référence directe
aux textes sur les droits de l’homme qui postulent ou déclarent ouvertement le caractère fondamental de
la présomption d’innocence. Il en est ainsi des déclarations de droits qui laissent déjà entendre le caractère
fondamental des droits qu’elles énoncent. Le titre exact de la Convention européenne est encore plus
évocateur puisqu’il s’agit de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés
fondamentales. Mieux, le dernier texte européen en la matière n’est-il pas la Charte des droits
fondamentaux de l’Union européenne ? L’article 48 §1 de ce texte énonce lui aussi le droit à la
présomption d’innocence.

421
Le discours sur l’objet

la construction même du discours doctrinal sur la présomption d’innocence qui la laisse


entrevoir comme fondamentale à travers diverses manifestations.

1) Manifestations du caractère fondamental de la présomption d’innocence dans le


discours

360. De la règle au principe. Ces manifestations relèvent du domaine de l’implicite mais


n’en sont pas moins observables. Le caractère fondamental de la présomption d’innocence
se laisse ainsi entrevoir de longue date dans le discours doctrinal. Deux éléments tirés du
discours permettent de le croire. Il s’agit tout d’abord du simple fait que cette présomption
d’innocence a de plus en plus fréquemment été présentée comme un principe et moins
comme une simple règle. Il s’agit ensuite et dans le prolongement de la reconnaissance d’un
principe, de la tendance du discours qui consiste beaucoup moins à donner la raison d’être
de la présomption d’innocence qu’à en tirer des conséquences juridiques, c'est-à-dire à
devenir elle-même le fondement d’autres règles.

361. La présentation d’un principe. La présomption d’innocence a souvent été présentée


comme un principe et ce avant même que la jurisprudence, et le législateur, le fassent eux
même. Or, désigner la présomption d’innocence comme un principe, traduit déjà en soi
l’idée que la présomption d’innocence est « première » et qu’elle a vocation à produire des
conséquences, autrement dit à devenir un fondement. Cela résulte du sens du mot
« principe » dans ces diverses acceptions. Ainsi selon la définition de Lalande 1399, le
principe est un « commencement, un point de départ » ou selon le Trésor de la langue
française, une « notion importante de laquelle dépend tout développement ultérieur en toute
connaissance » ou encore une « notion considérée comme fondamentale dans la vie sociale
et politique ». Que le principe soit affublé d’un attribut ou non, que l’affirmation soit tirée
de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ou pas, nombreux sont les auteurs, et
depuis longtemps, à présenter la présomption d’innocence comme un principe. On se
contentera à cet égard de renvoyer aux observations faites dans de précédents
développements et aux références citées 1400. On peut retenir ici que l’emploi fréquent et
répété du mot « principe » ouvre déjà la voie pour une reconnaissance du caractère
fondateur de la présomption d’innocence en même temps qu’il relègue au second rang
l’idée de fonder la présomption d’innocence.

362. La présentation de ses conséquences. Logiquement, l’énonciation d’un principe


implique que l’on en déduise ensuite les conséquences, les implications. À cet égard,
l’analyse du discours doctrinal a montré que les auteurs ont construit leurs développements
autour de ces conséquences, directes ou indirectes. On l’a vu, la signification de la

1399
Vocabulaire technique et critique de la philosophie, op. cit.
1400
V. supra, n° 233.

422
Discours doctrinal et fondement de la présomption d’innocence

présomption d’innocence est une question fuyante et difficile mais qui toujours semble
diriger la réflexion vers les conséquences de la présomption d’innocence ; à tel point que
cette dernière peut d’ailleurs parfois sembler se définir à partir seulement des conséquences
qu’on lui impute. La première étant, bien entendu, de régler l’attribution du fardeau de la
preuve dans le procès pénal. La seconde étant le jeu de la règle du doute favorable. Les
autres sont la restriction des atteintes à la liberté avant jugement, et un ensemble de règles
ou principes très diversifié. Que l’on se rappelle ici le risque de dilution de la présomption
d’innocence évoqué plus haut 1401 pour avoir conscience du nombre important de
conséquences que l’on est parfois tenté de rattacher à la présomption d’innocence. Or,
comme nous l’avions souligné, le raisonnement a parfois été poussé si loin que la
présomption d’innocence a ouvertement été présentée comme le fondement de règles qui
pourraient être utilement justifiées par d’autres considérations. Redonnons simplement
l’exemple du secret de l’instruction qui, historiquement, n’entretenait aucun rapport avec la
présomption d’innocence, voire la méconnaissait, et qui désormais ne trouverait sa raison
d’être que dans cette présomption d’innocence. La présomption d’innocence a ainsi
vocation à fonder toutes sortes de règles comme en témoigne désormais l’article
préliminaire du Code de procédure pénale. Le caractère fondamental de la présomption
d’innocence ne se manifeste pas seulement en filigrane, il a en effet pris du relief sous la
plume de certains pénalistes.

2) L’affirmation explicite du caractère fondamental de la présomption d’innocence

363. La présomption d’innocence fondamentale. Louis XVI avait à son époque, et à la


veille de la Révolution, ouvert la voie en déclarant qu’il s’agissait du premier de tous les
principes en matière criminelle 1402. S’agissant du discours juridique, on trouve diverses
illustrations du caractère fondamental. Il sera ainsi affirmé par exemple chez Gorphe qui n’a
pas spécialement traité de la présomption d’innocence mais l’a tout de même jugée
fondamentale et de ce fait avait estimé inutile de l’exprimer dans la loi 1403. En 1963, c’est
une étude sur la preuve dans les codes napoléoniens qui soulignait ce caractère : « Un
principe est rigoureux et fondamental : tout homme est présumé innocent, donc en cas de
preuve insuffisante le doute est en faveur de l’accusé et doit entraîner son
acquittement» 1404. C’est également dans les congrès internationaux que la présomption
d’innocence a été déclarée fondamentale. Les membres de l’association internationale de
droit pénal s’étaient réunis pour réfléchir sur le thème des mouvements de la procédure
pénale et de la protection des droits de l’homme. À cette occasion le rapporteur général

1401
V. supra, n° 325.
1402
Cité par M. Pradel, V. Procédure pénale, op. cit., 12e éd., n° 384.
1403
F. GORPHE, L’appréciation des preuves en justice, op. cit., p. 32.
1404
G. LEPOINTE, La preuve dans les codes napoléoniens, op. cit., p. 183.

423
Le discours sur l’objet

s’était ainsi exprimé : « C'est avec forte raison que le rapport belge déclare que la
présomption d'innocence forme "la base du droit pénal moderne" (de même le rapport
japonais : "the fundamental principle of modern criminal procedure") » 1405. Mais c’est
peut-être dans le traité des professeurs Merle et Vitu que l’on trouve l’une des plus
anciennes et éclatantes expressions de cette idée : « En définitive, la présomption
d’innocence doit être regardée, à l’instar du principe de la légalité criminelle, comme l’un
des fondements du droit pénal » 1406. La proposition est forte et sera approuvée comme telle
par d’autres auteurs. Ainsi M. Levasseur pour lequel « C’est à bon droit que Merle et Vitu
ont pu dire que "la présomption d’innocence doit être regardée (…) comme l’un des
fondements indispensables du droit pénal » 1407.

364. Le principe cardinal de la présomption d’innocence. Il est une autre manière


d’exprimer le caractère fondamental de la présomption d’innocence qui consiste à l’élever
au rang de principe cardinal. On connaît l’importance de cet adjectif avec les quatre vertus
cardinales qui montre déjà celle qu’il faut accorder à la présomption d’innocence, puisque
ces vertus sont réputées « fondamentales pour le comportement des hommes entre eux ».
Dire d’un principe et en particulier celui de la présomption d’innocence, qu’il est cardinal,
signifie très clairement qu’il est essentiel, fondamental, et que finalement tout le reste en
dépend 1408. L’expression a eu un certain succès et s’est ainsi répandue dans divers écrits.
Mme Koering-Joulin paraît être l’une des premières, sinon la première, a l’avoir
employée : « La présomption d’innocence est le symbole même du "procès équitable", elle
est un principe cardinal des procédures pénales démocratiques » 1409. L’expression sera
même utilisée en dehors de la littérature savante pour acquérir une grande visibilité dans
l’exposé des motifs du projet de loi sur la présomption d’innocence présenté par Mme
Guigou. D’autres auteurs se feront l’écho de cet usage. M. Badinter par exemple 1410, mais
aussi M. Pradel 1411, ou Mademoiselle Tonglet 1412 et M. Henrion 1413 reprenant l’exposé des
motifs de la loi, ou encore M. Guéry à propos de la détention provisoire. Ce dernier auteur
rappelle que la présomption d’innocence « est dans de nombreux pays et notamment en

1405
K. TIEDEMANN, Rev.int.dr.pén., 1993, vol. 64, p. 824.
1406
V. en dernier lieu : Traité de droit criminel, Procédure pénale, 4e éd., op. cit., n° 125 in fine.
Curieusement, la formule a disparu de la cinquième et dernière édition de l’ouvrage.
1407
G. LEVASSEUR, La charge de la preuve en procédure pénale française, op. cit., p. 688. L’auteur cite là
une édition antérieure à la 4e édition du Traité dans laquelle a disparu l’adjectif « indispensable ».
1408
Trésor de la langue française.
1409
R. KOERING-JOULIN, La présomption d'innocence, un droit fondamental ? op. cit., p. 20.
1410
R. BADINTER, La présomption d’innocence, histoire et modernité, op. cit., p. 143 : « principe cardinal
de la procédure pénale ».
1411
J. PRADEL, Les personnes suspectes ou poursuivies après la loi du 15 juin 2000, op. cit., p. 1039. Mais
l’auteur serait naturellement plus porté à considérer la présomption d’innocence « seulement » comme un
principe capital, V. Procédure pénale, op. cit.
1412
A. TONGLET, La présomption d'innocence et les présomptions en droit pénal, op. cit., n° 818.
1413
H. HENRION, L’article préliminaire du Code de procédure pénale : vers une “théorie législative” du
procès pénal ? op. cit., p. 35.

424
Discours doctrinal et fondement de la présomption d’innocence

Europe considérée comme un principe cardinal du système pénal » 1414. Principe cardinal de
la procédure pénale ou du procès, la présomption d’innocence voit sa vocation de
fondement s’accroître à la veille de sa consécration législative comme principe directeur du
procès pénal. À cet égard, tout aussi évocatrice et annonciatrice est l’utilisation de
l’expression « pierre angulaire ».

365. La présomption d’innocence, pierre angulaire de la procédure pénale. La pierre


angulaire est « une pierre, généralement de grandes dimensions, située aux angles d'un
bâtiment, et jouant un rôle primordial dans le soutènement de celui-ci » 1415. Dire que la
présomption d’innocence est la pierre angulaire de la procédure pénale, revient bien à en
faire le fondement, des plus solides et inébranlables, de toutes les règles d’organisation du
procès répressif. La métaphore choisie est très évocatrice et n’est pas sans rappeler son
illustre utilisation par l’apôtre Paul alors qu’il s’adressait aux éphésiens : « Vous avez été
édifiés sur le fondement des apôtres et des prophètes, Jésus Christ lui-même étant la pierre
angulaire » 1416. Ainsi l’usage de l’expression n’est pas sans suggérer que la présomption
d’innocence est au procès pénal ce que le Christ est à l’Église. C’est dire alors qu’il ne
s’agit pas d’un simple fondement mais du fondement sur lequel beaucoup pourra être édifié.
En témoigne d’ailleurs la remarque que faisait M. Ballandier à propos de la commission
présidée par Mme Delmas-Marty : « elle entendit rehausser et réaffirmer avec vigueur un
principe bien souvent présenté comme étant la pierre angulaire de la procédure
pénale» 1417. L’ouvrage de MM. Merle et Vitu n’a plus désormais à mentionner que la
présomption d’innocence doit être regardée comme l’un des fondements indispensables du
droit pénal. En effet, avec la loi du 15 juin 2000, c’est désormais chose faite. Les auteurs
peuvent s’en tenir désormais à ce constat : il est apparu récemment à beaucoup d’esprits,
notamment à la Cour européenne et à la commission Truche de réflexion sur la justice, qu’il
convenait de jeter un autre regard sur la présomption d’innocence et de lui « reconnaître la
valeur d’une véritable pierre angulaire de la procédure pénale » 1418. Bien que la rédaction
de l’article préliminaire du Code de procédure pénale traduise très imparfaitement ce
nouveau regard, les intentions du législateur ont été claires à ce sujet, la présomption
d’innocence est un droit fondamental au sens de la Convention européenne mais aussi de la

1414
CH. GUÉRY, Détention provisoire, op. cit., n° 0.29.
1415
Trésor de la langue française.
1416
Épîtres aux éphésiens, II, 20.
1417
P. BALLANDIER, Pour une défense de la présomption d’innocence, op. cit., p. 9. adde. P. DECHEIX,
Droits de la défense et défense des droits, op. cit., p. 9 : « Les théoriciens vous diront qu’un système
répressif satisfaisant repose sur le présomption d’innocence (…) », et « La présomption d’innocence est
présentée comme la pierre angulaire de la justice pénale ».
1418
R. MERLE et A.VITU, Traité de droit criminel, Procédure pénale, 5e éd., op. cit., n° 147.

425
Le discours sur l’objet

procédure pénale française. Elle peut légitimement devenir le fondement d’autres règles,
constituer la matrice d’autres droits 1419, elle serait désormais base et génératrice.

On observera que parler simplement de « principe directeur » est certainement plus juste
au regard de la construction de l’article préliminaire, mais moins expressif que les mots
« principe fondamental », « pierre angulaire de la procédure pénale » ou « principe
cardinal ». Si l’affirmation du caractère fondamental de la présomption d’innocence
autorise la construction (même a posteriori) d’un édifice sur ces fondations, elle implique
encore autre chose. En effet, et les textes protecteurs des droits de l’homme le confirment,
la présomption d’innocence en tant que fondement à vocation à être reconnue comme une
valeur.

366. Fondement et valeur. Parce qu’elle est fondamentale, la présomption d’innocence est
donc capitale, essentielle, indispensable. Parce qu’elle est présentée et proclamée comme
telle, elle paraît accéder au rang de valeur. L’analyse de l’article préliminaire du Code de
procédure pénale conduit en tout cas M. Henrion à cette affirmation. Il s’agirait plus
particulièrement d’une valeur politique, ce qui rejoint la justification de la présomption
d’innocence qui a le plus cours dans la littérature savante. L’auteur écrit, à propos des
principes directeurs contenus dans l’article préliminaire et qui compte la présomption
d’innocence, qu’ «en portant l’esprit du Code, ils relatent forcément des choix politiques
réalisés en amont et possèdent un contenu général socio-axiologique, puisqu’ils véhiculent
des valeurs qui prédominent en un temps donné» 1420. Mlle Bureau présentait elle aussi la
présomption d’innocence comme une « valeur essentielle » 1421, tandis que MM. Merle et
Vitu parlent de « valeur d’une pierre angulaire ».

Élevée au rang de principe fondamental puis de valeur, celle des pays démocratiques et
libéraux, la présomption d’innocence paraît avoir atteint son plus haut degré d’expression.
Toutefois, M. Henrion laisse penser qu’il y a tout lieu de ne pas se satisfaire de cette
constatation. Il écrit, toujours à propos des principes directeurs du procès pénal, que « la
dimension socio-axiologique des principes entraîne leur inévitable précarité, puisqu’ils
sont susceptibles de changer dans le temps» 1422. On comprend alors peut-être mieux les
voix doctrinales qui s’étaient exprimées pour juger inutile l’inscription de la présomption
d’innocence dans le Code de procédure pénale. La même remarque pourrait d’ailleurs être

1419
C’est ce qui résulte de l’analyse de M. Henrion, V. l’aspect matriciel du principe de la présomption
d’innocence, in L’article préliminaire du Code de procédure pénale : vers une “théorie législative” du
procès pénal ? op. cit. , p. 36.
1420
H. HENRION, L’article préliminaire du Code de procédure pénale : vers une “théorie législative” du
procès pénal ? op. cit., p. 15.
1421
H. BUREAU, La présomption d’innocence devant le juge civil, cinq ans d’application de l’article 9-1
du Code civil, op. cit., n° 6.
1422
H. HENRION, L’article préliminaire du Code de procédure pénale : vers une “théorie législative” du
procès pénal ? op. cit., p. 16.

426
Discours doctrinal et fondement de la présomption d’innocence

faite au sujet de la valeur constitutionnelle de la présomption d’innocence. Le discours


doctrinal s’est beaucoup appuyé sur cette valeur pour affirmer l’existence positive de la
présomption d’innocence. Or, récemment M. Cadiet, suivant en cela l’analyse de Bernard
Beignier, a soutenu que « ce n’est pas parce qu’ils ont une valeur constitutionnelle que les
principes directeurs du procès sont fondamentaux ; c’est parce qu’ils sont fondamentaux
qu’ils peuvent se voir reconnaître une valeur constitutionnelle : la constitutionnalisation
n’est pas le passage obligé de leur fondamentalité» 1423. L’opinion s’inscrit dans le débat sur
l’origine de ce que l’on appelle la fondamentalité et qui n’est pas étranger à la présomption
d’innocence 1424. M. Henrion a ainsi posé la question de la fondamentalité de la présomption
d’innocence et, à l’aide notamment des critères proposés par la doctrine allemande, répond
par l’affirmative 1425. Mais ici, le fondement est un fondement positif et non une raison
d’être.

367. La question du fondement, question inutile ?. Quoiqu’il en soit, le discours doctrinal


fait une large part au caractère fondamental de la présomption d’innocence. Toute la raison
d’être du principe réside non seulement dans sa capacité à fonder d’autres règles mais aussi
en dernier lieu dans une volonté politique de la consacrer comme telle. Valeur et
fondement, la présomption d’innocence n’aurait plus lieu d’être fondée. La question du
fondement n’aurait plus à être formulée, elle s’évanouirait comme par enchantement,
deviendrait alors une question sans objet. Le discours doctrinal pourrait raisonnablement,
légitimement, arrêter là la réflexion et ne pas s’engager dans une quête inutile du fondement
du fondement.

Si cette quête ne peut effectivement être menée sans fin, il n’en reste pas moins que le
sens même du mot fondement suggère de ne pas arrêter là. Il n’est en effet pas exclu que le
fondement entendu comme « ce sur quoi l’on peut s’appuyer pour commencer à penser »,

1423
L. CADIET, Et les principes directeurs des autres procès ? Jalons pour une théorie des principes
directeurs du procès, op. cit., n° 38.
1424
Sur cette question deux thèses s’opposent exposées par Dominique Rousseau. Celle qui soutient que :
« est fondamental un droit inscrit dans le texte suprême et fondateur de l’ordre juridique national, à
savoir la Constitution », et « par extension, peut-être dit fondamental un droit inscrit dans un traité ou
une convention qui bénéficie d’une protection juridictionnelle comparable à celle existant pour les droits
constitutionnels "internes" » ; et celle soutenue notamment par les professeurs Cadiet et Beigner selon
laquelle, à l’inverse de la première, « un droit n’est pas fondamental parce qu’il est constitutionnel, il est
constitutionnel parce qu’il est fondamental et il peut être fondamental sans être constitutionnel » : D.
ROUSSEAU, in L. CADIET (dir.), Dictionnaire de la justice, op. cit., v° Droits fondamentaux. La première
thèse est soutenue notamment par Louis Favoreu tandis que la seconde rassemble, outre MM. Cadiet et
Beigner, M. Vedel et Etienne Picard. V. les références citées par Loïc Cadiet, op. cit., p. 107 à 109.
1425
La présomption d’innocence serait ainsi un droit fondamental parce qu’elle réunirait toutes les
conditions nécessaires pour répondre à cette qualification. Tout d’abord parce qu’elle est un droit de
l’homme et que les deux notions sont assimilables. Ensuite parce qu’elle est un droit effectif dans la
mesure où elle se trouve consacrée à un niveau élevé de la hiérarchie normative et qu’elle fait l’objet d’un
énoncé susceptible d’être mis en œuvre par le juge. V. H. HENRION, La nature juridique de la
présomption d’innocence, op. cit., n° 295 à 297-2.

427
Le discours sur l’objet

accède à ce statut parce qu’il a été au préalable lui-même fondé 1426. En outre, il n’est pas
impossible de concevoir qu’il existe pour la présomption d’innocence une raison d’être en
dehors du choix politique des États démocratiques modernes. L’histoire du droit pénal le
montre en révélant l’existence de la présomption d’innocence depuis le Moyen Âge. Le
discours doctrinal suggère l’existence d’un autre fondement à la présomption d’innocence.
Il n’est toutefois jamais véritablement dit, comme s’il ne pouvait être exprimé. À ce titre, le
fondement de la présomption d’innocence se présente dans le discours comme indicible.

B- L’INDICIBLE FONDEMENT

368. Un fondement indiscutable. « La présomption d’innocence est indiscutable dans son


principe » 1427, peut-on lire ou entendre parfois. Serait ce à dire que toute discussion sur la
raison d’être de cette présomption d’innocence est exclue ? On peut le penser, mais alors
resterait à en rechercher la raison. Que la présomption d’innocence soit indiscutable pourrait
également signifier qu’elle dispose d’un fondement très solide. La littérature doctrinale
n’offre pas, sous la diversité des fondements disponibles, un fondement si solide qu’il soit
indiscutable. Il y a bien là un fondement que l’on pourrait qualifier d’indicible. Ce
fondement indiscutable, et d’ailleurs pour une large part indiscuté, qui ne saurait être dit,
pourrait tout simplement résider dans le Juste. Deux raisons permettent de soutenir cette
hypothèse. Premièrement, le Juste comme fondement de la présomption d’innocence paraît
avoir été admis de longue date, à vrai dire depuis le droit romain, mais semble avoir été
abandonné. Deuxièmement, on en perçoit dans le discours pénal moderne comme des
réminiscences, qui n’osent cependant se révéler trop ouvertement.

1) Le fondement abandonné

369. Justification de la règle du doute favorable. En même temps qu’elle a oublié les
origines de l’adage in dubio pro reo 1428, et par conséquent celles de la présomption
d’innocence, la science du droit pénal a abandonné la justification autrefois invoquée au
soutient de ces règles. Pour illustrer cet abandon, il n’est pas inutile de se tourner du côté de
l’histoire, à la fois celle du droit pénal et celle du discours doctrinal. En effet, de la
présomption d’innocence en tant que concept, il n’est question que depuis la fin du XIXe
siècle. En revanche, la règle du doute favorable est quant à elle invoquée depuis le droit
romain. La formulation de l’adage in dubio pro reo, si elle ne date que du XIXe siècle, puise
sans aucun doute ses origines dans le Digeste 1429. Qui ne verrait en effet la parenté entre la
règle de Gaius : Semper in dubiis benigniora praeferenda sunt et in dubio pro reo ? Il n’est
donc pas interdit d’imaginer que la règle du doute favorable puisse précéder la présomption

1426
Grand dictionnaire de la philosophie, op. cit.
1427
F. CASORLA, Le droit français, rapport in La preuve en procédure pénale comparée, op. cit., p. 183.
1428
V. supra, n° 173 et s.
1429
D. 48. 19. 5.

428
Discours doctrinal et fondement de la présomption d’innocence

d’innocence, historiquement, mais aussi logiquement. Ce que l’on appelle présomption


d’innocence ne serait qu’une conséquence tirée de la règle du doute favorable. Le
criminaliste positiviste Ferri le suggérait déjà en écrivant que la règle in dubio pro reo était
plus générale que la présomption d’innocence. Lorsqu’en France, la présomption
d’innocence fera sa première apparition dans un ouvrage de procédure pénale, ce ne sera
qu’incidemment, alors que la règle qui est exposée, c’est celle du doute favorable.
Contrairement à la démarche adoptée de nos jours par les pénalistes dans leurs manuels,
Garraud n’a ainsi jamais étudié la présomption d’innocence en tant que telle. C’est la règle
selon laquelle le doute profite à l’accusé (in dubio pro reo) que l’auteur développe 1430 en
expliquant, comme on le fait aujourd’hui pour la présomption d’innocence, qu’ « elle exerce
son influence, non seulement sur la solution du procès, mais sur toutes ses phases, et donne
naissance à une série de corollaires ». C’est la règle du doute favorable qui n’a jamais
cessé d’être invoquée par les criminalistes, pas la présomption d’innocence. Les anciens
criminalistes ne répétaient-ils pas que dans le doute il faut choisir le parti le plus favorable à
l’accusé et ne point condamner ?

La règle du doute favorable semble elle-même fondée sur une autre maxime du droit
romain, tel qu’il résulte de la compilation de Justinien. En effet, le doute est favorable car :
il vaut mieux laisser échapper un coupable que de condamner un innocent, selon la formule
reprise du rescrit de Trajan : Satius enim esse impunitum relinqui facinus nocentis, quam
innocentem damnare. C’est sur cette maxime que Muyart de Vouglans, le très conservateur
et répressif criminaliste de l’Ancien Régime, s’appuie pour expliquer que le juge doit
« pencher dans le doute en faveur de l’absolution, plutôt que de la condamnation de
l’accusé, suivant cette belle maxime de l’Empereur Trajan… » 1431. C’est cette maxime que
les criminalistes du droit savant ont enseignée partout en Europe jusqu’à la Révolution et
qui peu à peu a cessé d’être invoquée par les auteurs. Reconnue en tant que maxime, la
règle selon laquelle il vaut mieux laisser échapper un coupable que de condamner un
innocent est donc une règle de conduite, un précepte moral. C’est une valeur que les juges
se doivent de respecter.

370. La justice au fondement de la présomption d’innocence. La maxime peut aisément


s’expliquer par l’idée que de deux maux, il convient de choisir le moindre. Elle se
comprend comme un principe conforme à la justice en tant qu’attribution du sien à chacun.
Le raisonnement en terme d’équilibre est à cet égard éclairant. Si la justice consiste dans un
équilibre que la mission du juge sera de rétablir après qu’il aura été rompu par la
commission d’une l’infraction, l’incertitude qui porte sur la culpabilité ne peut conduire

1430
Traité théorique et pratique d’instruction criminelle et de procédure pénale, tome I, op. cit., n° 232 et
s.
1431
Institutes au droit criminel, op. cit., p. 359-360.

429
Le discours sur l’objet

qu’à l’acquittement. Certes, dans cette hypothèse, l’injustice subsistera faute de pouvoir
punir le coupable. L’équilibre ne pourra être rétabli. Mais la solution qui consisterait à
condamner dans le doute ne rétablirait pas davantage l’équilibre. En prenant le risque de
condamner un innocent, ce serait commettre une double injustice. L’équilibre rompu par
l’acte injuste ne serait pas rétabli, mais s’ajouterait un nouveau déséquilibre résultant de la
punition d’un innocent. Dans le doute, il vaut mieux commettre une injustice que deux. Il
est donc juste de ne pas condamner un accusé dont il n’est pas certain qu’il soit coupable.

L’idée que le mal ne se présume pas 1432 et qui justifie elle aussi la règle du doute
favorable, va dans le même sens de la justice. Pourtant, cette affirmation ne va pas de soi. Il
n’est en effet pas certain que l’on doive supposer l’homme bon. Au contraire, le jugement
doit être conforme à ce qui arrive dans la majorité des cas. Or, l’homme serait porté au mal
dès son enfance, dit la Genèse. C’est ce que rappelle en tout premier lieu saint Thomas
avant de répondre à la question de savoir si le doute doit être interprété favorablement 1433.
De sorte qu’il faudrait plutôt interpréter en mal tout ce qui, dans le prochain, laisse place au
doute. Toutefois, saint Thomas indique que la Glose écrit : « Les doutes doivent être
interprétés en bonne part ». La solution trouve sa raison d’être dans l’injustice qu’il y aurait
à avoir une mauvaise opinion de son prochain. « Celui qui a une mauvaise opinion du
prochain sans motif suffisant est injuste et méprisant envers lui ». À la question le doute
doit-il s’interpréter favorablement, saint Thomas propose alors cette solution : « Il peut
arriver que celui qui interprète toujours en bonne part ce qui est douteux se trompe le plus
souvent. Mais il vaut mieux se tromper souvent en ayant une bonne opinion d’un homme
mauvais, que de faire très rarement erreur en ayant mauvaise opinion d’un homme
vertueux ». Bien que les hommes soient portés au mal, il est juste de les considérer a priori
comme portés au bien. Il en va très probablement ainsi car la solution inverse serait tout
simplement intenable. Soupçonner et douter en mal ruinerait toute confiance et toute
relation sereine entre les individus, et serait trop souvent injuste. De nos jours, cette vérité
s’exprime sous un autre nom : la dignité humaine. La présomption d’innocence serait
conforme à la dignité humaine, finit par écrire M. Pradel 1434. En présence de doute sur
l’innocence, il est donc juste de s’abstenir de condamner. L’absence de preuve suffisante,
de preuve certaine, laisse supposer l’innocence. Or, ce ne serait pas assez que de se
contenter de déclarer que le crime n’est pas prouvé. Il faut probablement admettre que celui
que l’on n’a pu convaincre de crime est innocent. Il ne l’est peut-être pas en réalité. Mais le
jugement juridique n’est pas un jugement de vérité absolue. Or, du point de vue du droit,
l’absence de culpabilité certaine équivaut bien à l’innocence. Cette innocence n’est que

1432
Ce que rappelaient les anciens criminalistes.
1433
Somme théologique, op. cit., IIa-IIae, question 60, article 4.
1434
J. PRADEL, Procédure pénale, op. cit., 12e éd., n° 384.

430
Discours doctrinal et fondement de la présomption d’innocence

judiciaire, de même que la culpabilité. Les criminels qui parviennent à ne jamais être
inquiétés le savent bien. Leur innocence n’est elle aussi que juridique, tant qu’ils n’auront
pas été soupçonnés puis jugés selon les règles. C’est cette idée que les professeurs Merle et
Vitu semble partager en écrivant : « le doute que l’accusation n’a pu éliminer équivaut à
une preuve positive de non-culpabilité » 1435. Il peut en effet paraître injuste d’inquiéter une
personne puis, faute d’être parvenu à prouver sa culpabilité, de rendre une décision laissant
ensuite suspecter son honnêteté. La solution, du point de vue de la vérité, n’est pas
satisfaisante. Elle a pour effet d’assimiler les véritables innocents et ceux qui ne le sont pas
mais que l’on n’a pu convaincre. Mais du point de vue de la justice ?

Que la simple notion de justice puisse être le fondement de la présomption d’innocence,


cela ne semble pouvoir être démenti par aucun criminaliste. L’abandon de toute référence
directe aux maximes du droit romain puis du Moyen Âge et donc au fondement, n’est pas
en effet à interpréter comme une négation de ce fondement. Le discours sur la présomption
d’innocence s’est seulement construit ou reconstruit différemment en avançant d’autres
raisons d’être de ce principe. Pour autant, tout fondement sur la justice ne peut avoir
complètement disparu.

2) Permanence du fondement à travers le discours doctrinal

371. Présence de l’indicible. Le discours doctrinal moderne répugne manifestement à


penser le fondement de la présomption d’innocence en terme de justice. Ce fondement,
ultime, n’est pas dit, comme s’il ne pouvait être dit comme tel. Sa permanence ne paraît
pourtant pas faire de doute. Si le raisonnement sur le fondement n’est jamais poussé jusqu’à
son terme, il suppose, sans le dire, que la présomption d’innocence doit être admise parce
qu’elle est juste. Il n’est en effet pas impossible de débusquer ce fondement dans le
discours. Plusieurs exemples montrent qu’il est possible de le retrouver.

372. La nécessité de la présomption d’innocence. Le discours doctrinal sur la


présomption d’innocence est construit tout entier sur ce présupposé que si le système pénal
n’admettait pas la présomption d’innocence, c’est nécessairement une présomption de
culpabilité qu’il consacrerait. Il n’y aurait qu’une alternative possible, conformément à la
logique juridique du « ou ceci ou cela ». Si ce n’est l’un, ce doit être l’autre. En
l’occurrence, le discours doctrinal ne saurait admettre l’autre, à savoir la présomption de
culpabilité. Cette position trouve souvent à s’exprimer lorsqu’il s’agit d’évoquer
l’expérience tirée des régimes totalitaires. « On a pu prétendre que la présomption
d’innocence était contraire aux enseignements de l’expérience, aux intérêts de la société et
au progrès de la science » écrit M. Patarin à propos de la mise en œuvre d’une présomption

1435
R. MERLE et A.VITU, Traité de droit criminel, Procédure pénale, 5e éd., op. cit., n° 143.

431
Le discours sur l’objet

de culpabilité dans les régimes où la poursuite et la condamnation sont justifiées par de


simples soupçons et où le crime se résout à ne pas partager les opinions politiques de
l’heure. Pour l’auteur, il s’agit là d’un exemple devant « servir de contre-épreuve et (qui)
démontre la généralité et la prépondérance qui doivent être accordées à la présomption
d’innocence » 1436. Tout au long de son étude, M. Essaïd a lui aussi démontré qu’il n’existait
qu’une alternative possible. Jugeant impossible à tenir la position de neutralité du statut de
l’inculpé, ni présumé innocent, ni présumé coupable, qui avait été suggérée par Jean
Carbonnier, l’auteur estime que « une solution mitigée est impraticable, et le choix ne peut
se faire qu’entre les deux extrêmes, entre la présomption d’innocence et la présomption de
culpabilité » 1437. Plus près de nous, Claude Lombois indiquait que la « la présomption
d’innocence n’est pas une attitude naturelle mais le prix d’un effort, d’une détermination
raisonnée de dominer l’apparence » 1438 ; tandis que M. Conte jugeait que la présomption
d’innocence est un parti pris d’une absolue nécessité 1439 et que, plus récemment, un auteur
estimait «que seule la présomption d’innocence peut et doit gouverner la procédure
pénale» 1440.

Cette nécessité avouée de la présomption d’innocence sur quoi est-elle fondée ?


Pourquoi la présomption de culpabilité ne pourrait-elle être admise ? La réponse ne paraît
pas tant dépendre d’un choix qui consisterait à opter pour une solution meilleure qu’une
autre. Le doyen Carbonnier écrivait que « scientifiquement », il ne devrait pas y avoir de
préjugé sur la culpabilité ou la non-culpabilité de l’inculpé tant que le procès est en
cours 1441. Scientifiquement, peut-être, mais juridiquement ? C’est la présomption
d’innocence que les pénalistes présentent comme le seul choix possible. Ce choix est
diversement justifié. Or, au-delà de certaines des raisons proposées, c’est bien la justice que
l’on retrouve.

373. Justice et sauvegarde de la liberté individuelle. La doctrine pénale moderne


enseigne que la présomption d’innocence est une garantie de la liberté individuelle. Cette
liberté est proclamée droit de l’homme et hissée au rang de valeur. Il s’agit d’un bien que
nos sociétés démocratiques s’efforcent donc d’assurer à chacun, comme en témoignent tous
les textes protecteurs des droits de l’homme. Ce bien apparaît si précieux qu’il peut faire
l’objet d’une confiscation à titre de punition. À notre époque, condamner un accusé à la plus
lourde des peines revient à le priver de sa liberté. La présomption d’innocence ne garantit

1436
J. PATARIN, Le particularisme de la théorie des preuves en droit pénal, op. cit., n° 8.
1437
M.-J. ESSAÏD, La présomption d’innocence, op. cit., n° 96.
1438
C. LOMBOIS, La présomption d’innocence, op. cit., p. 83.
1439
PH. CONTE, Pour en finir avec une présentation caricaturale de la présomption d’innocence, op.cit., n°
3.
1440
A. TONGLET, La présomption d'innocence et les présomptions en droit pénal, op. cit., n° 822.
1441
J. CARBONNIER, Le problème de la détention préventive, op. cit., p. 118.

432
Discours doctrinal et fondement de la présomption d’innocence

que très imparfaitement la liberté individuelle des personnes avant condamnation définitive.
Il existe des cas où la privation de liberté avant toute condamnation est nécessaire. On
comprend donc assez mal que la présomption d’innocence puisse trouver sa raison d’être
dans cette liberté. En revanche, si l’on vient à considérer la liberté comme un bien, on
comprend qu’il est juste de ne pas priver de liberté celui qui n’est pas encore désigné
comme coupable. Il est donc juste de le présumer innocent pendant qu’il n’existe que des
soupçons contre lui.

374. Justice et manifestation de la vérité dans le procès pénal. « L’objet de toute


procédure est la découverte de vérité, et la vérité, par rapport à la thèse du procès pénal
qui est l’imputation d’un délit, doit aboutir à la démonstration de la vérité de la culpabilité
de l’accusé ou du prévenu » enseignait Garraud 1442. Le pénaliste ne faisait là que se
conformer à l’opinion de Faustin-Hélie pour lequel la procédure pénale n’a qu’un but, la
recherche de la vérité. M. Patarin expliquera quant à lui que le procès pénal a « pour idéal
la recherche de la vérité absolue » 1443. Il existe ainsi « un grand nombre de pénalistes pour
qui la manifestation de la vérité constitue la finalité essentielle du procès pénal » 1444. Plus
précisément, ce sont les preuves pénales qui ont pour principe la recherche de la vérité. Le
souci de parvenir à la vérité est présenté par M. Levasseur comme le premier principe
dominant le droit français de la preuve en matière répressive. L’opinion n’est pas démentie
par les textes, loin s’en faut. « Ce souci de parvenir à la vérité est répété, comme une sorte
de litanie, d’obsession, dans nos texte législatifs sur la matière» relève ce pénaliste 1445.
Étant admis également que la question de la preuve pénale domine et gouverne tout le
procès pénal, on peut dire que les règles de procédure sont tout ordonnées à cette exigence :
la manifestation de la vérité.

La vérité se présente donc comme la seule fin du procès et la présomption d’innocence


serait un des moyens d’y parvenir. Mieux, la présomption d’innocence apparaît « au cœur
du dispositif de recherche de la vérité » 1446. Analysée comme une garantie contre
l’arbitraire, les erreurs judiciaires, et finalement contre la partialité du juge, la présomption
d’innocence peut en effet apparaître comme un bon moyen de connaître la vérité. Et
d’ailleurs cette connaissance de la vérité permet de sauvegarder au mieux la liberté. C’est la
raison pour la quelle la manifestation de la vérité était apparue comme la meilleure des
justifications à M. Essaïd. Un auteur a même cru pouvoir constater qu’une doctrine

1442
R. GARRAUD, Traité théorique et pratique d’instruction criminelle et de procédure pénale, tome I,
op.cit., n° 227.
1443
J. PATARIN, Le particularisme de la théorie des preuves en droit pénal, op. cit., n° 21.
1444
M. VAN DE KERCHOVE, La vérité judiciaire : quelle vérité, rien que la vérité, toute la vérité ? Déviance
et Société, 2000, n° 1, p. 97-98.
1445
G. LEVASSEUR, Le droit de la preuve en droit pénal français, op. cit., p. 178.
1446
M. DELMAS-MARTY, La preuve pénale, op. cit., p. 57.

433
Le discours sur l’objet

majoritaire en France considère que le respect de l’innocence passe par une stricte recherche
de la vérité 1447. Indépendamment donc de la question de savoir à quelle sorte de vérité il
faut se vouer, il est admis que la vérité est une garantie de la protection de l’innocence.
Dans un procès où un innocent est poursuivi à tort, une recherche sérieuse de la vérité
devrait emporter la révélation de cette innocence.

Il est remarquable de constater que le procès pénal se voit avec une telle unanimité
reconnaître la vérité pour fin. Il est pourtant admis par ailleurs que cette vérité est relative,
et ce à deux titres. Premièrement, toute la vérité ne saurait être recherchée. La complète
vérité échappe, le droit s’autolimite dans cette quête dès lors que des valeurs jugées
supérieures s’opposent à ce qu’elle soit obtenue. « Il va de soi qu’une des conséquences
inévitables réside dans le fait que toute la vérité ne sera pas – ou risque de ne pas être-
manifestée » 1448. Il en va ainsi, comme on le sait, avec la prohibition des moyens d’obtenir
la vérité qui porteraient atteinte à la dignité humaine, qui seraient déloyaux ou encore jugés
peu fiables. Deuxièmement et corrélativement, avec le jugement, c'est-à-dire au terme du
processus même de recherche de la vérité, c’est une vérité relative qui est atteinte et non pas
absolue. Ce n’est finalement qu’une certitude judiciaire, une probabilité de vérité, dont il
faut bien se contenter.

La vérité, substantielle ou absolue, n’est donc pas la fin ultime du procès. La preuve tend
à la manifestation de la vérité, mais surtout à l’obtention d’une certitude quant à la
culpabilité 1449. Or, cette certitude de la culpabilité n’a aucune valeur en soi dans le procès.
En effet, quand bien la vérité de la culpabilité d’une personne acquittée serait connue,
aucune révision de son procès ne serait possible. Le raisonnement des pénalistes semble en
effet arrêter le raisonnement avant son terme. La vérité n’est en effet qu’un moyen,
indispensable, mais seulement un moyen pour atteindre une autre fin, si évidente, qu’il ne
paraît pas (plus ?) utile de la nommer : la justice. En réalité, « justice et vérité forment un
binôme dont les termes se confondent parfois (…). La vérité étant dans la procédure, la
condition de la justice, du point de vue philosophique, la justice devant être, avant tout et
surtout, une vraie justice » 1450. Que la vérité soit l’une des conditions d’une décision juste,

1447
A. ASTAING, Droits et garanties de l'accusé dans le procès criminel d'ancien régime, op. cit., n° 325.
1448
M. VAN DE KERCHOVE, La vérité judiciaire : quelle vérité, rien que la vérité, toute la vérité ? op. cit.,
p. 98.
1449
« Dans le procès, la preuve oscille entre idéal et contingence. L’idéal est que le juge statue en
connaissant la vérité», enseigne M. Théry qui estime en outre que « la vérité est sans doute une valeur du
procès. Mais la finalité essentielle des règles de preuve est, plus prosaïquement, la conviction du juge »,
V. PH. THÉRY, Les finalités du droit de la preuve, Droits, 1996, n° 23, p. 46.
1450
A. WALD, Rapport général, Vérité et justice, in La vérité et le droit, Travaux de l’association
Capitant, journées canadiennes, tome XXXVIII, 1987, p. 531.

434
Discours doctrinal et fondement de la présomption d’innocence

paraît à la fois incontestable et pourtant souvent passé sous silence 1451. C’est très
incidemment que les pénalistes sont amenés à exprimer cette réalité que « la justice est
ordonnée à la vérité » 1452. On s’en convaincra par exemple en observant que dans une
réflexion portant sur le juge et la vérité, un auteur peut n’évoquer la justice que dans la
dernière phrase de son propos : « si les efforts des juges et auxiliaires de justice doivent
toujours tendre à une plus grande connaissance de la vérité et, par là même, à une plus
grande justice, il convient cependant de prendre conscience avec modestie que ce but, s’il
doit être toujours poursuivi et intensifié, peut rarement être atteint d’une façon totale » 1453.

Si la présomption d’innocence trouve sa raison d’être dans la manifestation de la vérité,


si elle concourt à éviter les erreurs judiciaires, il va de soi que ce n’est pas dans la seule fin
de découvrir La vérité mais plutôt de parvenir à prononcer une décision juste. Le discours
doctrinal effleure mais refuse de toucher au cœur de ce qui paraît être le fondement de la
présomption d’innocence. Garraud s’autorisait seulement à écrire que « toutes les fois que
la culpabilité n’est pas complètement établie, une peine ne serait pas justifiée » mais qu’un
« double préjugé a retardé longtemps le triomphe de la justice et de la logique sur ce
point » 1454. « Justifiée », « justice », sont des termes qui ont peu à peu disparu du discours
doctrinal alors que les anciens criminalistes ne craignaient pas de les employer1455. MM.
Merle et Vitu partagent l’opinion de Garraud et relèvent que le juge ne peut condamner que
s’il est convaincu de la culpabilité. Le fondement d’une telle solution n’est toutefois pas ici
la justice mais un fondement que l’on pourrait qualifier d’intermédiaire. Les auteurs
expliquent en effet que la solution inverse, celle qui consisterait à admettre une
condamnation fondée sur le doute, « risquerait d’entraîner de nombreuses erreurs
judiciaires et constituerait une très grave menace pour la sécurité individuelle» 1456.
L’ouvrage des professeurs Stéfani, Levasseur et Bouloc pourrait faire figure d’exception,
avec dès l’introduction ce rappel : « Mieux vaut, dit-on, laisser cent coupables impunis que
de condamner un innocent », suivi de cette opinion : « La procédure pénale qui doit
défendre la société doit donc également garantir les libertés de l’individu, la présomption
d’innocence et les droits de la défense sans le respect desquels il ne saurait y avoir une

1451
Cette question n’est pas même effleurée par le rapporteur belge qui s’exprimait aux journées
canadiennes, V. M. Preumont, Vérité et justice dans le procès pénal, in La vérité et le droit, op. cit., p.
595 et s.
1452
G. CORNU, Rapport de synthèse, in La vérité et le droit, op. cit., p. 4.
1453
R. COMBALDIEU, Le juge et la vérité, Aspects de droit pénal, Annales de l’université des sciences
sociales de Toulouse, T. XXVI, 1978, p. 324.
1454
R. GARRAUD, Traité théorique et pratique d’instruction criminelle et de procédure pénale, tome I,
op.cit., n° 232.
1455
Mais il est vrai que de nos jours, on juge emphatique le style des auteurs des XVIIIe et XIXe siècle.
1456
R. MERLE et A.VITU, Traité de droit criminel, Procédure pénale, 5e éd., op. cit., n° 148.

435
Le discours sur l’objet

vraie justice répressive » 1457 où il semble bien que la présomption d’innocence est fondée
sur la justice.

375. Justice et droit au respect de la présomption d’innocence. Le droit au respect de la


présomption d’innocence protégé par le Code civil n’échappe pas à ce « déni » de
fondement. Toutes les analyses de l’article 9-1 du Code civil, convergent pour faire du droit
au respect de la présomption d’innocence un droit subjectif. Mais le fondement de ce droit
n’est pas recherché au-delà du texte et de la volonté de renforcer la présomption
d’innocence. Sont en jeu l’honneur et la réputation de la personne poursuivie qui est
présentée comme coupable avant toute condamnation. Quelle est la raison d’être de ce
droit ? M. Carbonnier propose de rechercher des éléments de réponse du côté du pendant de
ce droit, c'est-à-dire d’une obligation. L’attention doit en effet se déplacer pour se porter
non plus sur le présumé innocent mais sur le sujet qui présume, c'est-à-dire chacun d’entre
nous au sein de la société. Une obligation apparaît alors, celle de ne pas présumer de la
culpabilité avant qu’un juge, seul habilité à le faire, ne se soit prononcé. « Cette obligation,
en vérité, est un devoir absolu » 1458 explique le doyen Carbonnier, il trouve sa formulation
au cœur du christianisme : « Ne jugez point, afin que vous ne soyez point jugés» 1459.
Thomas d’Aquin développait déjà cette idée en tentant de répondre à la question de savoir
s’il faut juger sur des soupçons. Se référant aux paroles de saint Jean Chrysostome, il
enseigne que : « Par cet ordre : "Ne jugez pas", le Christ n’empêchent pas les chrétiens de
corriger les autres par bienveillance ; mais il ne veut pas que, par l’étalage de leur propre
justice, des chrétiens méprisent des chrétiens en haïssant et condamnant les autres, sur de
simples soupçons la plupart du temps » 1460. Par nature l’homme est porté au soupçon, le fait
même qu’une personne soit placée en garde à vue ou mise en examen suffit à nourrir ce
soupçon qu’il faut éviter. La raison en est donnée par saint Thomas qui énonce cette
solution : « Du fait même que quelqu’un a mauvaise opinion d’autrui sans cause suffisante,
il le méprise injustement ; donc il est injuste envers lui ». Ainsi, si les juges ne doivent pas
condamner sur de simples soupçons, les membres de la société doivent-ils également
s’abstenir afin de demeurer justes eux-mêmes. On observera d’ailleurs que c’est faute
d’avoir respecté ce devoir que la société a été contrainte de consacrer un droit positif
correspondant, permettant à son titulaire de faire sanctionner les atteintes à « sa »
présomption d’innocence.

376. De l’utile au juste. Le principe de la présomption d’innocence est donc


« incontestable », et pas seulement parce qu’il a été énoncé par une foule de textes. Il a une

1457
G. STÉFANI, G. LEVASSEUR et B. BOULOC, Procédure pénale, op.cit., 19e éd., n° 3.
1458
J. CARBONNIER, Droit civil, vol. I, op. cit., n° 288.
1459
MATTHIEU, VII, 1; et LUC, VI, 37.
1460
Somme théologique, op. cit., IIa-IIae, question 60, article 3.

436
Discours doctrinal et fondement de la présomption d’innocence

raison d’être qui semble dépasser la seule perspective d’une reconnaissance des droits de
l’homme. Mais cette raison d’être n’est plus formulée, ou elle l’est de manière détournée.
Le discours doctrinal ne parvient pas à énoncer ce qui pourrait passer pour évident. Une
illustration en est fournie par M. Pradel qui enseigne désormais, après avoir été silencieux
sur cette question, que « la présomption d’innocence se justifie sans peine de plusieurs
façons» 1461. Mais les divers fondements avancés en doctrine se ramènent pour l’essentiel à
l’utilité de la présomption d’innocence. L’utilité pour garantir la liberté, prémunir contre
l’arbitraire des juges, préserver contre les mauvais traitements, éviter les erreurs judiciaires,
favoriser la manifestation de la vérité. L’utile a tendance à chasser le juste, à moins qu’il ne
se présente finalement comme une composante du juste. C’était semble-t-il cette dernière
conception que la doctrine pénale de l’Ancien Régime adoptait. Mme Bongert a montré à
cet égard que les criminalistes de l’Ancien Régime accordaient la primauté au juste tandis
que les réformateurs ont œuvré à assurer la suprématie de l’utile. Pour les premiers, la
primauté du juste était particulièrement sensible dans le domaine de la preuve. En ce
domaine, le premier impératif du juste exige qu’un innocent ne soit pas condamné, et
l’auteur d’interroger : « S’il n’était pas respecté, n’est-ce pas alors que l’équilibre qui
caractérise le juste, serait le plus gravement rompu ? » 1462. L’utile, pour l’ancienne doctrine
n’est pas exclu mais il n’est envisagé que comme le fruit du juste. Le raisonnement
s’inverse dans le courant du XVIIIe siècle et l’utile prendra le pas sur le juste, il est
désormais recherché pour lui-même et le juste n’en est plus qu’une conséquence 1463. Les
réformateurs ont été des utilitaristes à commencer peut-être par Beccaria. Cet utilitarisme
juridique nourrira jusqu’à l’école positiviste italienne 1464.

Le droit pénal serait, depuis le temps des réformateurs, dominé par une « philosophie »
de l’utile qui pourrait alors expliquer que le juste n’apparaisse pas comme fondement de la
présomption d’innocence comme c’était en revanche le cas dans l’ancien droit. Pourtant, il
n’est pas certain que la doctrine pénale moderne, qui a fait place à la présomption
d’innocence dans son discours, soit entièrement gagnée à l’utilitarisme. Il n’est pas
impossible, comme les lignes précédentes entendaient le montrer, de retrouver le juste
derrière l’utilité des fondements proposés dans la littérature juridique contemporaine. Mais
ce fondement demeure manifestement indicible. On peut légitimement s’interroger sur cette
évolution du discours doctrinal, depuis l’ancien droit qui ne formulait pas la présomption

1461
J. PRADEL, Procédure pénale, op. cit., 12e éd., n° 384.
1462
Y. BONGERT, Le juste et l’utile dans la doctrine pénale de l’Ancien Régime, op. cit., p. 298. C’est cet
impératif de justice, comme le rappelle ici l’auteur, qui au fondement de la théorie des preuves dites
légales ou formelles tant décriée par les réformateurs comme Voltaire.
1463
Y. BONGERT, Le juste et l’utile dans la doctrine pénale de l’Ancien Régime, op. cit., p. 322.
1464
M. VILLEY, L’utile et le juste, préface historique, Arch. phil. dr., T. 26, 1981, p. 5 et 8.

437
Le discours sur l’objet

d’innocence mais la justifiait, jusqu’à notre époque qui a élaboré le concept de présomption
d’innocence en éludant la question du fondement.

Les conditions dans lesquelles la présomption d’innocence a émergé en tant qu’objet de


discours au XXe siècle n’y sont en réalité pas étrangères. La façon dont le discours doctrinal
sur la présomption d’innocence s’est construit, parfois même ses composantes, sont en
mesure d’éclairer l’indicible du fondement. Cela conduit alors à s’intéresser non plus au
fondement de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal mais désormais au
fondement du discours sur la présomption d’innocence.

438
Discours doctrinal et fondement de la présomption d’innocence

SECTION 2 : LE FONDEMENT DU DISCOURS SUR LA PRÉSOMPTION


D’INNOCENCE

377. Fondement ou raison d’être du discours. Il ne s’agit pas de s’intéresser ici à ce qui
rend légitime la doctrine à discourir comme elle le fait de la présomption d’innocence. Il
s’agit plutôt de rechercher ce qui motive ce discours, au-delà de la seule mission que se
reconnaît la doctrine juridique, à savoir la description du droit. C’est le fait que la
présomption d’innocence a un jour émergé dans la littérature juridique qui, depuis le début
de l’analyse, laisse à penser que ce discours n’est pas seulement descriptif d’une règle de
procédure pénale. L’analyse des énoncés portant sur la présomption d’innocence abonde
d’ailleurs dans le même sens. La recherche du fondement revient alors à poser la question
de savoir pourquoi un discours sur la présomption d’innocence mais aussi pourquoi ce
discours-là. Autrement dit, il s’agit de s’interroger sur la raison d’être du discours tel qu’il
est, ou du moins tel qu’il a été observé. Ainsi, après avoir précisé la raison d’être d’un
discours sur la présomption d’innocence (§1), on pourra donner une illustration de la
permanence de sa raison d’être à travers le discours (§2).

§ 1. LA RAISON D’ÊTRE D’UN DISCOURS SUR LA PRÉSOMPTION D’INNOCENCE

378. Naissance et évolution des concepts. L’étude de l’objet dans le discours, en première
partie de cette étude, avait permis de mettre en évidence les conditions précises dans
lesquelles la présomption d’innocence a fait son apparition sous la plume des pénalistes
français. Ces conditions paraissent mériter qu’on y revienne afin de les éclairer dans une
perspective plus large, celle de la raison d’être. Ce nouvel éclairage procède d’un parallèle
que l’on peut établir entre ce qui a été dit des conditions d’émergence de la présomption
d’innocence dans le discours doctrinal et les constatations qui avaient été faites en droit
civil à propos du principe dit de l’autonomie de la volonté. L’étude de Véronique
Ranouil 1465 nous servira de guide, par sa démarche, pour présenter la raison d’être d’un
discours sur la présomption d’innocence. Elle permettra, par une analogie d’ailleurs
troublante, de mettre en lumière l’introduction du nouvel objet de discours comme
l’élaboration du concept de présomption d’innocence mais aussi de regarder cette
conceptualisation comme le symbole d’une philosophie à l’œuvre.

1465
V. RANOUIL, L’autonomie de la volonté : Naissance et évolution d’un concept, Paris, PUF, 1980.

439
Le discours sur l’objet

A- DE L’IDÉE AU CONCEPT DE PRÉSOMPTION D’INNOCENCE

379. Rapprochements entre l’autonomie de la volonté et présomption d’innocence.


L’autonomie de la volonté est, tout comme la présomption d’innocence chez les pénalistes,
un principe devenu incontournable pour les civilistes. Mme Ranouil s’était proposée, voilà
plus de vingt ans, de s’attacher à cette formule employée en doctrine mais absente du Code
civil, pour en découvrir la date de naissance, sa provenance et surtout donner les raisons de
son apparition 1466. Nombre de ses observations sont particulièrement intéressantes car elles
rejoignent souvent celles que l’on peut faire à propos l’apparition de la formule présomption
d’innocence. Ainsi, le parallèle entre l’autonomie de la volonté et la présomption
d’innocence peut être opéré du point de vue de l’apparition de la formule, mais aussi
s’avérer fructueux en ce qui concerne les conditions de possibilité de cette apparition et de
sa généralisation.

1) L’apparition de la formule

380. Formule et concept. Si Mme Ranouil distingue l’apparition de la formule


d’autonomie de la volonté selon qu’elle a eu lieu dans la littérature des internationalistes ou
plus tard dans celle des civilistes, le parallèle à établir avec la présomption d’innocence peut
se nourrir indifféremment des observations faites dans les deux hypothèses. Parce qu’elle ne
figure pas dans le Code civil, Mme Ranouil estime que l’usage qui est fait de la formule
« autonomie de la volonté » désigne un concept doctrinal. Se référant à Hegel pour ce qui
est de la définition du concept, elle explique que « la forme, les mots n’apparaissent que
lorsque la pensée est parvenue à un certain degré de maturité. Inversement nommer une
idée permet plus précisément d’en percevoir le contenu » 1467. L’usage de la formule
« autonomie de la volonté » aurait à la fois traduit la conception d’une volonté créatrice de
droit, mais aussi suscité cette conception. Or, on a pu observer le même phénomène
concernant la présomption d’innocence.

Mme Ranouil a en effet découvert que, avant que n’apparaisse la formule d’autonomie
de la volonté dans littérature internationaliste et plus tard dans la littérature civiliste, l’idée
qu’elle traduit était bien présente chez les juristes, mais qu’elle n’était pas énoncée voire
même perçue 1468. Plus spécialement, l’auteur relève que l’idée selon laquelle la volonté
individuelle est la source et la mesure des droits subjectifs, a dominé le droit des contrats et
même tout le droit civil durant le XIXe siècle mais de manière diffuse. Pour les juristes,
cette idée se présentait comme une évidence et ils l’adoptaient sans même s’en apercevoir.
Mme Ranouil précise encore que l’idée d’autonomie de la volonté est omniprésente,

1466
L’autonomie de la volonté, op. cit., p. 11.
1467
L’autonomie de la volonté, op. cit., p. 14.
1468
L’autonomie de la volonté, op. cit., p. 40.

440
Discours doctrinal et fondement de la présomption d’innocence

souveraine, et que cela se traduit par l’absence de l’expression ou de formules approchantes.


Ainsi écrit-elle : « Incontestée, elle nourrit la pensée des juristes, mais ne fait pas l’objet de
leur réflexion» 1469.

Ces observations concordent étrangement avec ce qui s’est passé avec la présomption
d’innocence. Bien que la formule, telle que nous la connaissons aujourd’hui, ait été absente
de la littérature antérieure mais surtout postérieure à la Révolution, il ne paraît plus
contestable aujourd’hui que l’idée qu’elle exprime était partagée par les anciens
criminalistes. L’idée générale selon laquelle l’accusé est présumé innocent et l’idée plus
particulière que la charge de la preuve incombe à l’accusation, que le doute profite à
l’accusé, qu’il faut protéger l’innocence des abus et des erreurs judiciaires, n’était pas
inconnue, loin s’en faut, de la doctrine pénale du XIXe siècle. Le droit positif, bien que lui
aussi silencieux, n’en consacrait pas pour autant les solutions inverses. Néanmoins, ces
idées n’étaient pas exprimées sous la formule générale de présomption d’innocence. Une
certaine présomption d’innocence a pu parfois être évoquée, notamment par Bentham, mais
la formule présomption d’innocence comme objet de discours autonome, c'est-à-dire
finalement comme concept, est demeurée absente de la littérature pénale jusqu’à la fin du
XIXe siècle 1470.

L’apparition d’une formule traduit l’émergence d’un concept selon Mme Ranouil, elle
peut même être davantage que les idées un peu confuses, jusqu’à là inexprimées. Il en va là
encore de même pour l’autonomie de la volonté et la présomption d’innocence. Reste à
envisager les conditions qui président à l’apparition et à la généralisation d’une telle
formule.

2) Les conditions d’apparition et de généralisation de la formule

381. La formule comme cible. L’un des points essentiels de la thèse de Véronique Ranouil
a consisté à montrer que l’autonomie de la volonté est apparue et s’est généralisée, en tant
que formule constituée, sous la plume des détracteurs de l’idée qu’elle traduit. La formule
apparaît alors non pas tant comme la consécration d’une idée mais comme la cible de cette
idée. Alors qu’elle était apparue au début du XXe siècle, même chez les civilistes qui étaient
favorables à l’idée de volonté créatrice de droit, la formule n’avait pas été immédiatement
définie et adoptée par les auteurs. S’ils venaient à affirmer telle ou telle des implications de
cette autonomie de la volonté, ils n’en faisaient encore aucune synthèse, explique Mme
Ranouil 1471. En réalité, « l’usage de l’expression d’autonomie de la volonté se généralise à
l’occasion de la critique de l’idée qu’elle exprime : elle est avant tout une cible» observera

1469
L’autonomie de la volonté, op. cit., p. 71.
1470
V. supra, n° 79.
1471
L’autonomie de la volonté, op. cit., p. 94.

441
Le discours sur l’objet

l’auteur. Ainsi, après que Bufnoir aura utilisé le premier l’expression, en 1900, pour réduire
la portée de la conception excessive qu’elle traduit, la très grande majorité des auteurs qui
combattaient telle ou telle implication de la doctrine de l’autonomie de la volonté feront un
usage de l’expression, relève Mme Ranouil 1472. C’est en 1912, avec la parution de la thèse
de Gounot que l’autonomie de la volonté trouve sa plus belle expression comme cible. Avec
cet auteur, « pour la première fois les multiples postulats et conséquences de l’idée
d’autonomie de la volonté se trouvent rassemblés : la théorie est faite dans le but d’une
critique sinon radicale du moins minutieuse» 1473. C’est alors que l’usage de l’expression
même d’autonomie de la volonté par ses détracteurs met en évidence l’outrance de l’idée
qu’elle exprime 1474.

Les mêmes constatations ont pu être faites à propos de la présomption d’innocence. En


effet, la formule de « présomption d’innocence » n’apparaîtra la première fois que sous la
plume de Enrico Ferri dans son ouvrage La sociologie criminelle, alors que le criminaliste
entendait dénoncer et critiquer les exagérations de cette idée 1475. Nous avions ainsi pu
relever qu’il s’agissait de la toute première formulation de l’expression présomption
d’innocence, laquelle permettait à l’auteur italien d’exposer ses critiques à l’égard des
conséquences qu’il rattachait, pour l’occasion, à cette présomption d’innocence. On l’a
montré précédemment, il s’agissait moins pour Ferri de formuler une règle, celle de la
présomption d’innocence, que de rassembler sous cette formule des règles de droit positif
jugées trop favorables aux délinquants.

La généralisation de la formule « présomption d’innocence » dans la littérature pénale


s’est faite, comme on l’a vu, en réaction directe aux propos critiques de Ferri.
Contrairement à ce qui s’est passé pour l’autonomie de la volonté, ce ne sont pas les
détracteurs de la présomption d’innocence qui ont véritablement fait son succès. Ce sont,
après ses détracteurs, ses défenseurs. En revanche, il est clair que Ferri a joué en droit pénal
un rôle semblable à celui de Gounot pour le droit civil. L’usage qu’il a fait de la formule
présomption d’innocence visait à prendre pour cible ce qu’il croyait qu’elle était propre à
recouvrir.

382. La formule comme défense. L’émergence de la présomption d’innocence dans le


discours doctrinal français à la fin du XIXe siècle répond directement aux attaques des
auteurs positivistes et particulièrement celles qui avaient été énoncées par Ferri dans sa
Sociologie criminelle. Sa pérennisation en porte encore les traces. S’agissant de l’autonomie
de la volonté, Mme Ranouil remarque qu’il existe une raison capitale pour expliquer que les

1472
L’autonomie de la volonté, op. cit., p. 132, et pour la doctrine internationaliste, p. 97.
1473
L’autonomie de la volonté, op. cit., p. 132.
1474
L’autonomie de la volonté, op. cit., p. 129.
1475
V. supra, n° 84 et s.

442
Discours doctrinal et fondement de la présomption d’innocence

civilistes n’aient pas usé de la formule avant la fin du XIXe siècle : « l’idée d’autonomie de
la volonté ne se sentant pas contestée, n’eut pas à se nommer pour s’affirmer» 1476. Il est
permis de penser qu’il en va de même pour la présomption d’innocence. L’idée ou les idées
que traduit la présomption d’innocence ne sont pas nouvelles en cette fin de XIXe siècle, il
ne s’agit pas d’une découverte doctrinale, mais de l’élaboration du concept de présomption
d’innocence en vue de défendre ces idées. Ferri a été sans nul doute l’élément déclencheur
qui a fourni aux auteurs français les éléments pour cette conceptualisation. Cela est
d’ailleurs très clair lorsqu’on prête attention aux tout premiers moments de l’émergence de
la présomption d’innocence dans les manuels et traités de procédure criminelle française. Le
discours sur la présomption d’innocence se construit autour de la référence à l’œuvre
critique de Ferri 1477. La présomption d’innocence est menacée, elle est alors formulée, elle
entre dans le discours, qui jusque là l’avait ignorée, uniquement pour répondre aux attaques
dont elle fait l’objet. D’autres que Ferri ont critiqué la présomption d’innocence, mais son
ouvrage est toujours pris pour référence, c’est la preuve que le succès qu’il a connu a permis
la généralisation de la formule.

383. L’influence d’une œuvre. Mme Ranouil avait relevé que la formule autonomie de la
volonté s’était répandue dans le vocabulaire des juristes internationalistes en raison de
l’immense influence d’un professeur qui venait d’en faire un usage constant dans son traité.
L’auteur note en effet que l’expression d’autonomie de la volonté avait été introduite en
1886 par Weiss dans son traité élémentaire de droit international privé et que cet ouvrage
représentait beaucoup pour la communauté des internationalistes. Il était le premier ouvrage
de droit international privé écrit depuis quarante ans et avait été de surcroît couronné par
l’Académie des sciences morales et politiques. C’est pourquoi sa parution a pu être vécue
comme un véritable évènement et que l’usage de l’expression d’autonomie de la volonté a
pu en être grandement facilité 1478.

Certes Ferri ne traite pas de la présomption d’innocence tout au long de sa Sociologie


criminelle, mais il critique cependant la philosophie qui sous-tend la présomption
d’innocence et cela est une raison suffisante pour que son ouvrage ait retenu l’attention de
la communauté des criminalistes. Cela est d’autant plus vrai que, paru pour la première fois
en 1881, l’ouvrage de Ferri a rapidement été remanié et réédité dans des versions toujours
plus complètes. Il n’est pas certain que les juristes français aient pu avoir accès au contenu
de cette œuvre écrite en italien avant que paraisse la première traduction française en 1893.
Mais la parution de cette première traduction a sans aucun doute permis au plus grand
nombre de mesurer l’ampleur et la virulence des critiques formulées par l’italien. La date de

1476
L’autonomie de la volonté, op. cit. , p. 80.
1477
V. supra, n° 90 et s.
1478
L’autonomie de la volonté, op. cit., p. 42.

443
Le discours sur l’objet

1893 est importante car, comme le souligne d’ailleurs Ferri dans sa préface, un an plus tôt
avait eu lieu le congrès d’anthropologie criminelle de Bruxelles auquel n’avaient pas assisté
les membres de l’école positiviste italienne et où leurs idées et propositions de réforme
n’avaient pu être débattues. L’ouvrage a pu d’autant plus suscité l’intérêt que, le congrès de
Bruxelles s’était semble-t-il achevé sur l’idée d’une conciliation entre juristes et
criminologues, et qu’il venait exprimer les dernières évolutions de la pensée positiviste. La
notoriété de Ferri était à cette époque internationalement acquise, il était bien connu des
juristes français, notamment Gabriel Tarde, avec lesquels il avait pu lier amitié, peut-être
lors du congrès d’anthropologie criminelle de Paris en 1889. La parution de son ouvrage en
tant que « trait d’union » entre l’œuvre de Lombroso et celle de Garofalo 1479 pouvait alors
recevoir toute l’audience voulue des criminalistes français. Ces derniers pouvaient en effet
se montrer désireux de connaître le dernier état de la pensée du juriste italien à propos du
renouvellement de la science des délits et des peines par la méthode expérimentale.

Les attaques en règle contre la présomption d’innocence contenues dans cet ouvrage
avaient ainsi toutes les chances d’être connues des lecteurs français et la formule de
présomption d’innocence pouvait ainsi retenir leur attention. En dehors de ses attaques, il
fallait toutefois que la pensée juridique de l’époque se prête à cette émergence, c'est-à-dire à
cette apparition ou cette reprise de la formule dans la littérature française.

384. Le contexte de l’apparition. Mme Ranouil rattache la possibilité de voir naître la


formule autonomie de la volonté aux changements intervenus dans la pensée juridique de la
fin de siècle. S’il est vrai que jusqu’alors l’autonomie de la volonté n’avait pas à être dite
parce qu’elle n’était pas menacée, son absence de formulation était également imputable à
la méthode des civilistes. Absente du Code civil, l’autonomie de la volonté n’aurait pu être
objet des préoccupations de juristes attachés à l’exégèse de ce Code. De nos jours, les
pénalistes expliquent l’absence de théorisation de la preuve pénale au XIXe siècle par le
même motif 1480 : la méthode exégétique. Cette raison pourrait alors aussi expliquer, à
double titre, l’absence de la formule présomption d’innocence dans le discours doctrinal.
Non seulement la formule était ignorée du Code d’instruction criminelle, mais de plus elle
apparaît comme un élément de la théorie de la preuve que le Code ignorait aussi.

Or, Mme Ranouil explique que l’année 1880 constitue une date cardinale dans la pensée
juridique française puisqu’elle annonce la victoire progressive des écoles scientifiques.
Selon elle, l’idée que le droit tout entier est contenu dans les codes s’efface.
Corrélativement, la possibilité voire la nécessité de rechercher des principes généraux et la
possibilité d’une réflexion critique apparaissent. Ce serait l’ouverture de la pensée des

1479
E. FERRI, La sociologie criminelle, op. cit., préface, p. V-VI.
1480
V. en particulier M. Pradel et Mme Rassat.

444
Discours doctrinal et fondement de la présomption d’innocence

juristes à la réflexion critique et à la philosophie, qui aurait permis la réception de


l’autonomie de la volonté, laquelle relève au fond de la philosophie1481.

De son côté, la science du droit pénal a connu à la même époque, c'est-à-dire dans les
deux dernières décennies du XIXe siècle, une évolution comparable. L’ouverture d’esprit se
manifeste par exemple avec l’affaire Bavoux à la faculté de droit de Paris. On se souviendra
que l’on reprochait alors au professeur de droit criminel de critiquer les codes quand il
aurait dû se contenter de les expliquer 1482. Ortolan et à sa façon Faustin-Hélie, illustrent
également cette ouverture en ne dédaignant pas, pour le premier, resituer l’étude du droit
criminel dans son contexte social ou disserter sur le droit de punir, et pour le second la
resituer dans son contexte historique.

Mais le changement de méthode, l’adhésion des juristes à la libre recherche scientifique


ne saurait à elle seule expliquer qu’une formule puisse apparaître et se généraliser dans le
discours doctrinal. Si la formule est d’abord utilisée comme cible puis comme bouclier,
c’est, pour attaquer ou défendre ce qui se trouve derrière la formule. Qu’il s’agisse de
l’autonomie de la volonté ou de la présomption d’innocence, l’enjeu de la formule, la
naissance du concept, repose sur une lutte entre deux philosophies différentes. L’élément
déclencheur, celui qui fait la fortune du concept, intervient sur fond de crise idéologique. Le
concept qui fait son entrée dans le discours des juristes se mue alors en symbole d’une
philosophie à l’œuvre.

B- LE CONCEPT COMME SYMBOLE D’UNE PHILOSOPHIE À L’ŒUVRE

385. Plan. L’autonomie de la volonté et la présomption d’innocence sont des expressions,


des concepts, qui ont fait leur apparition sur fond de crise idéologique. Leur emploi, s’il
cherche à être rattaché aux données positives du droit, n’en traduit pas moins l’idéologie ou
la philosophie tant de ceux qui attaquent l’idée contenue sous la formule que ceux qui la
défendent. La pérennisation de la formule dans la littérature peut alors jouer comme
symbole.

1) Identification d’un élément déclencheur

386. Divergences des points de vue philosophiques. « Les raisons profondes de


l’épanouissement en droit interne de l’autonomie de la volonté relèvent en réalité de la
transformation de la philosophie sociale et juridique», explique Mme Ranouil. Alors que le
XIXe siècle avait été dominé, consciemment ou non, par la doctrine de l’individualisme
juridique, voilà que ce dernier se trouve contesté avec l’apparition de théories socialistes
vers 1900. Ces dernières viennent affirmer, contre la doctrine de l’autonomie de la volonté,

1481
L’autonomie de la volonté, op. cit., p. 85-86.
1482
V. supra, n° 63.

445
Le discours sur l’objet

que l’homme est un être social dont la volonté individuelle ne saurait être ni l’unique source
des droits subjectifs, ni le seul fondement du droit. Il s’agit là d’idées nouvelles et
généreuses, dans la mesure où elles mettent l’accent sur la solidarité sociale. Elles
s’épanouiront d’autant plus que le droit positif en fera application 1483. L’individualisme
juridique est, selon Mme Ranouil, une philosophie de l’homme, une théorie du fondement
du droit, et une théorie du but du droit. L’individu y est considéré comme une volonté libre,
source du droit 1484. Ainsi le concept d’autonomie de la volonté est au cœur d’une
divergence entre deux conceptions de l’homme dans la société et dans ses rapports au droit.
Cette divergence est encore plus marquée en droit pénal, c’est une véritable crise 1485 qui
affecte la pensée à la fin du XIXe siècle. C’est là aussi une question de conception de
l’homme, de l’homme criminel en particulier, qui est au centre du débat.

387. La volonté de l’homme criminel en question. L’homme criminel jouit-il d’une


volonté libre, d’un libre arbitre ? Ce postulat avait toujours été admis par les criminalistes.
L’école positiviste, forte des découvertes réalisées en matière médicale et grâce à la
méthode expérimentale appliquée sur les délinquants, affirmera que l’homme n’est pas libre
mais déterminé. Le délinquant, le plus souvent ne jouit pas de son libre arbitre, son passage
à l’acte est conditionné soit pas ses antécédents, soit par son milieu social ou encore par ses
troubles mentaux. Pour les positivistes, il est temps en cette fin de XIXe siècle,
d’abandonner ce postulat antique du libre arbitre. Cette nouvelle option philosophique, très
critique à l’égard de la doctrine traditionnelle dite classique, constitue le point de départ
d’une véritable refondation du droit pénal. L’antique droit de punir fondé sur la
responsabilité morale du délinquant, c'est-à-dire sur son libre arbitre, est contesté et son
abandon programmé devrait conduire à adopter un nouveau système de défense sociale où il
ne s’agira plus tant de punir que de traiter, soigner, réhabiliter, resocialiser les délinquants
sans égard pour une quelconque expiation ou rétribution. La volonté de l’homme n’étant
pas libre, il n’est plus question de penser la responsabilité en terme de faute, commise
librement, c'est-à-dire de culpabilité, sanctionnée pour ce qu’elle est. Les pénalistes attachés
à la théorie classique de la responsabilité pénale ont résisté à la progression des thèses de
l’école positiviste. Ils ont pourtant été contraints d’admettre que le système pénal issu de la
Révolution était impuissant à endiguer la criminalité. La peine n’était manifestement plus
dissuasive et le récidivisme inquiétait. Parées de science, les thèses positivistes ont pu ainsi
gagner en influence, tant chez les juristes que chez les législateurs.

C’est dans un tel contexte que la formule présomption d’innocence est apparue dans le
discours de Ferri et s’est ensuite répandue chez les auteurs français. Comme l’autonomie de

1483
L’autonomie de la volonté, op. cit., p. 130-131.
1484
L’autonomie de la volonté, op. cit., p. 139.
1485
V. supra, n° 103 et s.

446
Discours doctrinal et fondement de la présomption d’innocence

la volonté, la présomption d’innocence est un concept doctrinal, c'est-à-dire une « idée


nommée, consciente d’elle-même ». Comme l’autonomie de la volonté, la présomption
d’innocence n’est nommée que pour être mieux attaquée, prise pour cible. Comme
l’autonomie de la volonté, la présomption d’innocence est un principe juridique placé au
centre d’une discussion qui est menée sur fond d’idéologie. Comme l’autonomie de la
volonté, le fondement de l’émergence de la présomption d’innocence dans le discours est à
rechercher du côté d’une philosophie. Les thèses positivistes n’ont pas emporté la bataille,
leur mise en œuvre par les régimes totalitaires et l’Italie fasciste a freiné ses élans 1486. Le
principe de la présomption d’innocence a cependant, comme l’autonomie de la volonté,
continué d’être l’objet du discours des pénalistes. La présomption d’innocence a semble-t-il
joué et continue de jouer comme symbole de ce qu’elle représente : la philosophie
traditionnelle du droit pénal.

2) La présomption d’innocence comme symbole

388. Le double objet symbolique dans la présomption d’innocence. Alors que


l’autonomie de la volonté était la manifestation de l’individualisme juridique, qui dominait
le droit des contrats jusqu’à ce que des théories socialistes le menace, la présomption
d’innocence est la manifestation de la théorie du droit pénal classique ébranlée par le
positivisme criminologique. On peut dès lors penser que la raison d’être d’un discours sur la
présomption d’innocence se trouve dans la défense du droit pénal classique par les
criminalistes français. La présomption d’innocence apparaît comme l’un des symboles de ce
droit pénal libéral qu’il s’agit de défendre contre le positivisme ambiant. Là encore, c’est
Ferri qui a façonné la présomption d’innocence comme symbole et ce sont les juristes
français qui l’ont, consciemment ou non, entretenu. La présomption d’innocence peut ainsi
être regardée non seulement en tant que symbole du droit pénal classique critiqué par le
positivisme, mais aussi comme le symbole de la crise du droit pénal qui a permis
l’émergence du concept.

389. Le symbole du droit pénal classique. Alors que les juristes du XIXe siècle ne
traitaient pas de la présomption d’innocence, Ferri en faisait déjà un symbole de la
philosophie du droit pénal classique pour mieux la critiquer. Il vise sous cette présomption
d’innocence une outrance de la théorie classique qui a méconnu l’existence de divers types
criminels et continue de présumer innocents des délinquants pourtant ataviques,
récidivistes. Ainsi le juriste italien dénonce-t-il la présomption d’innocence comme « cas
spécial de cet arrêt idéo-émotif que Ferrero mettait à la base psychologique des
phénomènes de symbolisme, arrêt par lequel le signe et la formule, en s’immobilisant, se

1486
Elle n’a cependant pas complètement disparu et à donner lieu à des renouvellements et parfois
changements de directions avec l’école de la défense sociale nouvelle.

447
Le discours sur l’objet

substituent à la chose et à l’idée qu’ils contenaient primitivement » 1487. C’est en réalité la


règle du doute favorable et toutes ses implications qui sont visées ici. Il n’empêche, la
formule présomption d’innocence est évocatrice et peut jouer comme symbole de l’objet
critiqué, de cette croyance que l’homme est libre ou non de commettre un crime, qu’il doit
être cru innocent jusqu’à preuve complète de sa culpabilité. La doctrine française du droit
pénal, en reprenant le discours du juriste italien comportant la référence à la présomption
d'innocence, se fait elle aussi l’écho d’un phénomène symbolique.

390. Permanence du symbole. Le discours doctrinal continue non seulement de prendre


pour objet « la présomption d’innocence », mais de surcroît de rappeler, aujourd’hui encore,
les critiques autrefois formulées par Ferri. Cette observation permet de dire que la raison
d’être d’un discours sur la présomption d’innocence réside dans une opposition aux thèses
positivistes, lesquelles tendaient à se passer pour une large part de toute référence à la
présomption d’innocence, c'est-à-dire de toute idée de responsabilité, au profit du concept
de dangerosité. La permanence d’une référence à « la présomption d’innocence » symbolise
alors l’attachement des pénalistes français à la responsabilité morale comme seul fondement
du droit de punir. Mais le discours sur la présomption d’innocence pourrait également être
envisagé comme symbole de l’existence dans la pensée pénale, de l’opposition entre ces
deux conceptions de l’homme criminel, celle qui veut l’écarter de la société ou le soigner et
celle qui le regarde comme toujours responsable de ses actes. La formule présomption
d’innocence ne symboliserait plus seulement le droit pénal classique tel que critiqué par
Ferri mais les éléments saillants de cette philosophie tels qu’ils peuvent être remis en
question. La présomption d’innocence pourrait alors apparaître comme « le signe concret
évoquant quelque chose d’impossible à percevoir» 1488.

Cette chose impossible, ou difficile à percevoir, serait tout simplement les dangers que
peuvent faire encourir les théories qui remettent en question la responsabilité morale des
individus comme fondement du droit pénal. Ces dangers existaient encore dans la deuxième
moitié du XXe siècle et ont été exprimés de façon éclairante par Roger Merle. L’auteur
signalait en 1958 que si les idées lombrosiennes semblaient avoir disparu, en réalité « elles
ont fait depuis un long chemin souterrain. Repensées, enrichies de précisions nouvelles et
d’indispensables correctifs, elles reparaissent transformées, rebaptisées, dans un corps de
doctrines singulièrement militantes qui prophétisent et souhaitent la prochaine agonie du
droit pénal classique» 1489. Dans cet article, M. Merle rappelait l’attachement de la loi
française à une conception toute chrétienne de la peine (pénitence) et du délinquant (

1487
La sociologie criminelle, 2e éd., op. cit., p. 494.
1488
Vocabulaire technique et critique de la philosophie, op. cit., v° symbole, sens A, 2°.
1489
R. MERLE, L’évolution du droit pénal moderne, in La plume et la parole, mélanges offerts au
professeur ROGER MERLE, Paris, Cujas, 1993, p. 63. Étude parue initialement dans les Annales de la
faculté de droit de Toulouse, 1958, t. VI, fasc.1, p. 133.

448
Discours doctrinal et fondement de la présomption d’innocence

pécheur), qui est essentiellement libre de choisir, essentiellement responsable de son choix.
Il soulignait surtout l’évolution que le droit pénal était en train de subir sous l’influence, en
particulier, de l’école de la Défense sociale nouvelle qui ouvre des « perspectives
vertigineuses » et « implique une rupture quasi-totale avec les principes classiques du droit
pénal général et de la procédure pénale » 1490. « À la méthode juridique de rétribution des
responsabilités on oppose la méthode médicale d’examen clinique » fait remarquer le
pénaliste, et conclut : « Il ne sera plus question de responsabilité pénale, c'est-à-dire de
l’aptitude à répondre de ses fautes, mais de responsabilité sociale, c'est-à-dire de
l’obligation de se soumettre au traitement criminel nécessité par l’état délictueux du
sujet » 1491. On le voit, M. Merle ne cachait pas ses inquiétudes face aux propositions de
l’école de Marc Ancel 1492, dont il observe d’ailleurs qu’elles auraient vocation à s’appliquer
même au droit civil 1493. Finalement, l’auteur exprimait son inquiétude de voir « la Défense
sociale nouvelle donne(r) à la Criminologie le pas sur le droit » et exprimait cette opinion :
« la notion de responsabilité n’est que trop contrariée à notre époque. Il n’en devient que
plus urgent de la magnifier en matière pénale » 1494. En 1975, l’inquiétude face à l’influence
du mouvement de la Défense sociale nouvelle n’avait pas quitté les pénalistes. M. Larguier
estimait que l’on assistait purement et simplement à la mort du droit pénal classique. Pour
exemple, en 1970 venait d’être votée une loi sur les stupéfiants autorisant le procureur à
enjoindre au toxicomane de subir une cure de désintoxication ou de se placer sous
surveillance médicale. Il s’agissait là d’une des manifestations du prestige de la blouse
blanche, résultat d’un mouvement de pensée selon lequel il ne s’agit plus de punir mais de
guérir. M. Larguier mettait en garde en écrivant : « La prévention peut-être pure
prophylaxie ; mais elle peut constituer aisément une atteinte à la liberté de tous ; elle peut
être plus oppressive que la répression » 1495. Il n’osait même s’entretenir de l’évolution du
droit pénal à propos de l’élément moral et observait seulement que : « l’imputabilité

1490
R. MERLE, L’évolution du droit pénal moderne, op. cit., p. 65.
1491
R. MERLE, L’évolution du droit pénal moderne, op. cit., p. 66-67.
1492
Sur la défense sociale nouvelle de Marc Ancel et de Grammatica, V. notamment E. TILLET, Rép. Pén.
et Proc. Pén., v° Histoire des doctrines pénales, n° 93 et s.
1493
M. Merle, explique ainsi que la défense sociale nouvelle se donne pour projet de « restituer au
délinquant, lorsqu’il l’a perdu, le sentiment inné de la responsabilité et de la dignité humaine » tout en
dépouillant cette responsabilité de sa coloration morale, et indique que les directives de cette école
seraient « logiquement de nature à bouleverser les principes du droit civil lui-même ». Il donne pour
exemple, et cela est intéressant dans le cadre de notre propos, celui du signataire d’un acte juridique en
estimant que, à suivre la défense sociale nouvelle, « il conviendrait aussi de réviser les présomptions
traditionnelles relatives à l’autonomie de la volonté », p. 68.
1494
R. MERLE, L’évolution du droit pénal moderne, op. cit., p. 70.
1495
J. LARGUIER, Mort et transfiguration du droit pénal, in Aspects nouveaux de la pensée juridique,
Recueil d’études en hommage à MARC ANCEL, Paris, Pedone, 1975, t. 2, p. 147.

449
Le discours sur l’objet

suppose admis le postulat à la liberté, et le déterminisme est une conception dont le


fatalisme plaît beaucoup aujourd’hui, bien que la défense sociale moderne la rejette » 1496.

Ces opinions montrent assez que la conception classique du droit pénal demeure
menacée. Les symboles qui la représentent à travers le droit positif actuel ont alors tout lieu
de jouer. Tel semble être le cas de la présomption d’innocence. Le discours doctrinal sur la
présomption d’innocence dévoile en effet aujourd’hui sa raison d’être à travers les fonctions
qu’il assigne à son objet.

§ 2. PERMANENCE DE LA RAISON D’ÊTRE À TRAVERS LE DISCOURS

391. Raison d’être du discours doctrinal tel qu’il est. Une des raisons d’être du discours
doctrinal tel qu’il a été jusqu’ici observé est à rechercher du côté de l’idéologie dont il
témoigne, en silence, par l’intermédiaire du symbole que constitue « la présomption
d’innocence ». En dehors de la référence toujours explicite au positivisme italien qui avait
pour la première fois ébranlé le socle du droit pénal, cette raison d’être ne pouvait être
exprimée par le discours doctrinal. En effet, si la pensée du pénaliste plus encore que celle
du civiliste se rattache, plus ou moins consciemment, sinon à une école ou un courant de
pensée, au moins à une idéologie, il ne saurait la laisser transparaître dans un discours sur le
droit. La doctrine juridique se distingue à cet égard des doctrines et des doctrines pénales en
particulier. M. Tillet explique que : « À l'inverse de la plupart des matières de droit privé
(civil, commercial...), le discours sur le droit pénal n'a jamais été monopolisé par les
hommes du droit, qu'ils soient praticiens ou universitaires » 1497. Ainsi, si des juristes
peuvent être rattachés à tel ou tel courant de pensée ou philosophie, leur discours semble
devoir être distingué selon qu’il prend pour objet la description du droit positif ou une
réflexion sur le phénomène criminel et les moyens de le régir. Cette distinction, que nous
avions tenu à faire au début de cette étude, paraît respectée par nos criminalistes qui ne
développent généralement pas leur « pensée pénale » dans les traités et manuels à usage
d’enseignement. C’est dans un but seulement pédagogique que ces mêmes ouvrages font
une place à l’exposé des diverses doctrines pénales.

Le discours sur la présomption d’innocence est, comme on l’a vu, résolument présenté
comme un discours de droit positif. Il n’est cependant pas impossible d’y retrouver la
permanence de la philosophie qui l’anime. Plusieurs exemples tirés de nos observations
précédentes peuvent en effet illustrer cette idée que, le discours doctrinal sur la présomption
d’innocence se justifie comme manifestation de la conception classique du droit pénal fondé

1496
J. LARGUIER, Mort et transfiguration du droit pénal, op. cit., p. 131. Très critique, l’auteur poussait le
raisonnement jusqu’à affirmer que le code pénal pouvait s’abroger lui-même par une extension, à tous les
individus, de l’article 64 (actuel article 122-1 du Code pénal) qui deviendrait l’unique texte.
1497
E. TILLET, Rép. Pén. et Proc. Pén., v° Histoire des doctrines pénales, n° 4.

450
Discours doctrinal et fondement de la présomption d’innocence

sur la responsabilité morale de la personne poursuivie. Il ne s’agit pas de prétendre à


l’exhaustivité mais, simplement, d’observer sous un autre jour certains points du discours
sur la présomption d’innocence, afin d’apercevoir cette permanence de la raison d’être. On
s’intéressera, une nouvelle fois, au discours relatif à la signification, puis à celui qui porte
sur le fondement de la présomption d’innocence.

A- À TRAVERS LE DISCOURS SUR LA SIGNIFICATION

392. Formule et signification juridique. Le souvenir du discours de Ferri et la persistance


des dangers qui menacent le droit pénal classique et auxquels le discours doctrinal oppose
résistance, se manifestent aussi bien à travers la formule même de présomption d’innocence
qu’à travers la signification juridique qui est reconnue au concept de présomption
d’innocence.

1) La signification terminologique

393. Conservation de la formule présomption d’innocence. Bien que cette formule soit
jugée de nos jours inappropriée 1498 sur le plan juridique, force est de constater qu’elle a tout
d’abord été adoptée mais aussi conservée par les criminalistes français. Elle a
incontestablement une force évocatrice, non seulement au regard des autorités judiciaires
mais aussi de l’opinion. Pourtant, les pénalistes auraient pu préciser, affiner leur langage. Ils
ne l’ont pas fait et ont conservé la formule-cible élaborée par Ferri. De cette façon, le
symbole de l’opposition entre une conception criminologique du procès et une conception
classique se manifeste.

C’est en outre la référence à l’innocence, dont on a souvent dit qu’elle n’était pas un
terme très juridique, qui maintient à travers le langage la philosophie du procès pénal.
L’innocence est entendue comme l’absence de culpabilité. Or, que l’on entende la
culpabilité au sens large comme la réunion de tous les éléments constitutifs de l’infraction
ou dans un sens plus étroit comme l’élément moral de l’infraction, il y a toujours une forte
référence à la responsabilité morale de la personne poursuivie. Avec le principe de la
présomption d’innocence, c’est toujours cette responsabilité qu’il faudra établir pour
pouvoir condamner, c’est toujours la volonté libre qu’il s’agira de sanctionner. La référence
à l’innocence, et en creux à la culpabilité, postule cette responsabilité morale et semble
exclure d’autres concepts, comme celui de dangerosité élaboré par le positivisme, et qui
sont au fondement non pas d’une punition mais d’un traitement de l’individu, parfois même
ante delictum. L’innocence, dans son sens commun, comme incapacité de nuire ou de
commettre le mal, constitue déjà en elle-même l’anti-thèse des théories émises par les

1498
V. supra, n° 283.

451
Le discours sur l’objet

positivistes qui voient des criminels partout, tant leurs découvertes sur les anormaux et les
délinquants ataviques les ont conforté dans cette option.

2) La signification juridique de la présomption d’innocence

394. Charge de la preuve et bénéfice du doute. En enseignant qu’en vertu de la


présomption d’innocence, la charge de la preuve incombe à l’accusation et qu’en cas de
doute celui-ci profite à l’accusé, la doctrine juridique pénale maintient, d’une certaine
manière, l’idée de libre arbitre et de responsabilité morale au fondement du processus pénal.
On peut en effet, à travers ces deux thématiques, trouver des exemples permettant d’illustrer
la permanence de la raison d’être du discours sur la présomption d’innocence. S’agissant du
discours sur la charge de la preuve, c’est plus particulièrement le discours sur l’existence de
présomptions de culpabilité qui peut retenir l’intérêt. S’agissant du doute favorable, c’est en
tant que limite ou encadrement de l’intime conviction que le discours présente une autre
dimension.

395. Les présomptions de culpabilité comme atteinte à la présomption d’innocence. On


sait maintenant combien la doctrine s’est attachée et s’attache encore à pointer ces
présomptions favorables à l’accusation que l’on a sciemment nommées « présomptions de
culpabilité » pour en souligner le caractère attentatoire à la présomption d’innocence. En
réalité, ces présomptions ne méconnaissent que partiellement la présomption d’innocence
dans la mesure où elles n’opèrent jamais un renversement total de la charge de la preuve.
Elles consistent à présumer l’existence de l’un des éléments de l’infraction 1499. Cela suffit
toutefois à les juger contraires à la présomption d’innocence. Si les critiques émises par les
auteurs ont explicitement un objet juridique : la technique probatoire, il n’est toutefois pas
interdit de penser que la défense de la présomption d’innocence contre ses atteintes s’ancre,
elle aussi, dans l’idée que la volonté de la personne poursuivie doit toujours se trouver au
fondement d’une condamnation. En effet, la présomption d’innocence postule en elle-même
la volonté comme fondement de la responsabilité pénale, et il n’est à ce titre pas étonnant
que les présomptions de responsabilité pénale, de droit ou de fait, retiennent
particulièrement l’attention de la doctrine, car « présumer l’existence d’un élément revient,
dans les faits, à s’en passer » explique Madame Tonglet.

Or, on note que le plus souvent, les présomptions de culpabilité dénoncées par les
auteurs ont pour objet l’élément moral ou psychologique 1500. Présumer l’existence de
l’élément moral de l’infraction reviendrait alors à se passer de cette condition pourtant
fondamentale : la preuve que le fait matériel commis et constitutif d’une infraction, est bien

1499
Pour leur énonciation dans le discours doctrinal, V. supra, n° 329.
1500
A. TONGLET, La présomption d'innocence et les présomptions en droit pénal, op. cit., n° 578 ; C.
AMBROISE-CASTÉROT, Rép. Pén. et Proc. Pén., v° Présomption d’innocence, n° 51 ; J. PRADEL,
Procédure pénale, op. cit., 12e éd., n° 397.

452
Discours doctrinal et fondement de la présomption d’innocence

le fruit de la volonté libre et consciente de son auteur. C’est ce que rappelle un auteur à
propos de l’intention : « le juge doit rechercher quel était l’état d’esprit de l’auteur au
moment des faits. Il donne ainsi une coloration morale à l’acte. Le droit pénal s’efforce
d’isoler un "comportement intellectuel qui appelle le blâme social" » 1501. Aussi la doctrine
s’inquiète-t-elle, par exemple, de la présomption légale de responsabilité telle que celle du
directeur de publication en matière de presse, prévue à l’article 42 de la loi du 29 juillet
1881 1502. Elle signale aussi fréquemment la présomption de mauvaise foi prévue par
l’article 35 bis de la loi sur la presse en cas de reproduction d’une imputation jugée
diffamatoire ainsi que la présomption d’imputation diffamatoire elle-même, qui est réputée
faite de droit avec une intention coupable 1503. Bien que moins graves, les présomptions en
matière contraventionnelle ne manquent pas d’être appréciées au regard de leur
compatibilité avec la présomption d’innocence. Il en va particulièrement ainsi de la
responsabilité pécuniaire du titulaire du certificat d’immatriculation en matière de
contraventions aux règles de stationnement 1504 ou aux limitations de vitesse instituées par
les articles L. 121-2 et L. 121-3 du Code de la route qui dérogent à la règle selon laquelle
« Le conducteur d'un véhicule est responsable pénalement des infractions commises par lui
dans la conduite dudit véhicule » 1505. M. Buisson a offert d’autres illustrations de
présomptions concernant l’élément moral de l’infraction et qui sont en réalité des
présomptions de fait élaborées par les policiers ou les magistrats 1506. L’auteur évoque ainsi
l’intention de tuer que « les juges répressifs tiennent pour établie en l’induisant de plusieurs
indices recueillis par les enquêteurs » comme l’arme utilisée ou le nombre de coups portés.
C’est également l’induction qui permet aux magistrats d’établir la connaissance de l’origine
frauduleuse en matière de recel, à partir des conditions de la transaction, du prix payé par
rapport à celui du marché, l’attitude ultérieure du prévenu etc.

Les présomptions de responsabilité ou d’existence de l’élément moral de l’infraction à


partir de l’existence de l’élément matériel, ont donc pour effet de se passer en tout ou partie
de la preuve de la volonté de commettre l’infraction. Si la présomption d’innocence s’en
trouve atteinte en raison d’un renversement de la charge de la preuve, elle l’est aussi, à un
autre niveau, en raison du prononcé d’une condamnation qui n’est alors plus véritablement

1501
A. TONGLET, La présomption d'innocence et les présomptions en droit pénal, op. cit., n° 579.
1502
Cette responsabilité des directeurs de publication pour les crimes et délits commis par la voie de la
presse, est analysée comme une violation manifeste de la présomption d’innocence car la présomption est
en pratique quasi-impossible à renverser et se mue en responsabilité automatique des directeurs de
publication, A. TONGLET, La présomption d'innocence et les présomptions en droit pénal, op. cit., n° 474
et s.
1503
J. PRADEL, Procédure pénale, op. cit., 12e éd., n° 397.
1504
J. BUISSON, Les présomptions de culpabilité, op. cit., p. 4 ; C. AMBROISE-CASTÉROT, Rép. Pén. et
Proc. Pén., v° Présomption d’innocence, n° 54 ; J. PRADEL, Procédure pénale, op. cit., 12e éd., n° 397 ;
G. STÉFANI, G. LEVASSEUR et B. BOULOC, Procédure pénale, op.cit., 20e éd., n° 122, .
1505
Article L. 121-1 du Code de la route.
1506
J. BUISSON, Les présomptions de culpabilité, op. cit., p. 4.

453
Le discours sur l’objet

fondée sur la responsabilité morale de l’intéressé. En cela, la critique des présomptions de


culpabilité témoigne de la raison d’être du discours doctrinal sur la présomption
d’innocence. Au stade de l’intime conviction, le jeu de la présomption d’innocence tel qu’il
est conçu par la doctrine illustre davantage cette permanence.

396. La présomption d’innocence « antidote » à l’intime conviction. La signification


juridique de la présomption d’innocence, telle qu’elle apparaît dans le discours doctrinal,
peut, comme cela a été proposé plus haut, être analysée comme une limite morale à l’intime
conviction. La nécessité d’une telle limite se trouve renforcée au regard, cette fois, de la
façon d’appréhender l’homme en procès. Il ne s’agit plus ici d’envisager la présomption
d’innocence comme rempart contre des convictions prématurées ou mal assurées, mais
contre des convictions mal formées, si l’on peut parler ainsi. Par rapport au XIXe siècle
l’objet de l’intime conviction s’est considérablement complexifié en raison justement de
l’évolution du droit pénal et en particulier des applications pratiques qui ont été faites des
nouvelles théories, qu’elles soit positivistes ou de Défense sociale nouvelle. Ces
applications pratiques maintiennent l’actualité du danger de voir reculer l’influence d’une
philosophie pénale d’inspiration classique (libre arbitre, responsabilité morale, punition).
Elles constituent ainsi d’un côté un progrès dans le traitement pénal de la délinquance et
d’un autre côté elles bouleversent le rôle du juge et inquiète les pénalistes.

Le milieu du XXe siècle a été marqué par une forte influence du mouvement de la
défense sociale nouvelle de Marc Ancel sur la législation française 1507. Parmi les
applications pratiques de ce mouvement de pensée, c’est l’accent qui a été mis sur la
personne du délinquant qui semble l’innovation la plus importante pour notre question.
L’évolution du droit pénal et de la procédure pénale à cet égard trouve aujourd’hui une
bonne synthèse sous la plume des professeurs Stéfani, Levasseur et Bouloc : « Le tribunal
répressif qui juge un homme doit découvrir et pénétrer la personnalité de celui-ci afin d‘en
mieux apprécier la culpabilité et de fixer, dans les limites définies par la loi, la peine ou la
mesure de traitement et de rééducation la mieux adaptée à sa personne et la plus apte à le
corriger et à l’amender. En un mot dans le procès pénal, c’est moins l’infraction que la
personne qui l’a commise que l’on juge ; on peut même dire que le tribunal répressif
considère plus le criminel que le crime, le délinquant plus que le délit » 1508. On doit cette
évolution à l’introduction en droit positif, de l’examen de personnalité du délinquant. Il

1507
Les études publiées en hommage au fondateur de la Défense sociale nouvelle en témoignent, V.
particulièrement in Aspects nouveaux de la pensée juridique, Recueil d’études en hommage à MARC
ANCEL, Paris, Pedone, 1975, T. 2 : R. GASSIN, L’influence du mouvement de la défense sociale nouvelle
sur le droit pénal français contemporain, p. 2 ; G. LEVASSEUR, Réformes récentes en matière pénale dues
à l’école de la Défense sociale nouvelle, p. 35 ; J. LARGUIER, Mort et transfiguration du droit pénal, p.
123.
1508
G. STÉFANI, G. LEVASSEUR et B. BOULOC, Procédure pénale, op.cit., 19e éd., n° 4.

454
Discours doctrinal et fondement de la présomption d’innocence

s’agissait d’une revendication majeure du mouvement de Défense sociale nouvelle qui a été
consacrée en 1958 à l’article 81 alinéas 6 et 8 du Code de procédure pénale 1509. Ce texte a
été jugé « véritablement révolutionnaire » et représentant un « symbole fondamental » par
lequel la procédure pénale a accédé « au stade du procès pénal de défense sociale » 1510.
Avec l’intégration de l’examen scientifique de la personnalité du délinquant dans le procès
pénal : « le juge, aidé de spécialistes de l’observation humaine (psychologues,
psychotechniciens, biologistes, médecins, sociologues etc.) devra découvrir dans un
dialogue humain d’une certaine durée la personnalité de celui qui lui est déféré. La
personnalité du délinquant beaucoup plus que l’infraction commise, qui n’est qu’un
moment de sa vie… », s’inquiétait M. Merle 1511. Cet examen scientifique de la personnalité
se comprend dès lors que la sanction pénale cesse d’être le châtiment de la faute commise
pour devenir l’instrument de la réadaptation sociale. En effet, pour réadapter, il faut
individualiser la sanction, ce qui suppose de connaître l’individu1512.

Alors que dans le procès pénal, dit classique, il ne s’agissait de juger que le crime et de
savoir s’il était imputable à la personne qui en était accusée, la présomption d’innocence
n’avait pas autant d’importance que dans les siècles suivants. L’intime conviction du juge
pouvait ne consister qu’à répondre à la question, déjà difficile, de savoir si oui ou non
l’accusation était fondée à affirmer la culpabilité, c'est-à-dire de savoir si les éléments de
l’infraction jugée étaient bien réunis. Le doute pouvait jouer plus aisément. Dès lors qu’il
s’agit de juger un homme, dans toute sa complexité humaine et psychique, la réponse à la
question « avez-vous une intime conviction ? » prend une tout autre ampleur,
particulièrement du point de vue de l’élément moral de l’infraction. Il n’est donc plus
étonnant d’observer que le discours doctrinal prête au juge un raisonnement non pas
seulement en terme de culpabilité mais également en terme d’innocence. Dès lors qu’en
présence d’une infraction, c’est l’homme que l’on juge, inéluctablement la question de son
innocence se pose avec une plus grande acuité. L’article D. 16 du Code de procédure pénale
précise que ce dossier de personnalité a pour objet de fournir à l'autorité judiciaire, sous une
forme objective et sans en tirer de conclusion touchant à l'affaire en cours, des éléments
d'appréciation sur le mode de vie passé et présent de l'inculpé et qu’il ne saurait avoir pour

1509
Article 81 du Code de procédure pénale alinéa 6 : « Le juge d'instruction procède ou fait procéder,
soit par des officiers de police judiciaire, conformément à l'alinéa 4, soit par toute personne habilitée
dans des conditions déterminées par décret en Conseil d'État, à une enquête sur la personnalité des
personnes mises en examen, ainsi que sur leur situation matérielle, familiale ou sociale. Toutefois, en
matière de délit, cette enquête est facultative. » et alinéa 8 : « Le juge d'instruction peut prescrire un
examen médical, un examen psychologique ou ordonner toutes mesures utiles. »
1510
R. GASSIN, L’influence du mouvement de la défense sociale nouvelle sur le droit pénal français
contemporain, op. cit., p. 11.
1511
R. MERLE, L’évolution du droit pénal moderne, op. cit., p. 66.
1512
R. GASSIN, L’influence du mouvement de la défense sociale nouvelle sur le droit pénal français
contemporain, op. cit., p. 10.

455
Le discours sur l’objet

but la recherche des preuves de la culpabilité. Il n’empêche, la prise en considération de la


personnalité de l’inculpé, joue tout au long du procès pénal. Elle a notamment pour
conséquence de permettre d’évoquer à l’audience l’éventuel passé criminel de la personne
jugée. La connaissance des infractions passées par les juges, et particulièrement par les
jurés, risque fort de participer à la formation de leur intime conviction. C’est bien pourquoi,
en droit anglais, existe la césure du procès pénal en deux phases et ce n’est qu’après avoir
statué sur la culpabilité dans la première, que la personnalité de l’individu sera analysée
dans la seconde, pour fixer la peine. Ainsi, le passé criminel ne peut être évoqué et pris en
considération qu’après que la décision sur la culpabilité a été prise.

Les éléments du dossier de personnalité risquent par conséquent d’intervenir dans


l’intime conviction du juge. La présomption d’innocence, envisagée comme limite générale
à l’intime conviction, peut atténuer les effets de cette innovation en tentant de maintenir
dans l’esprit du juge la possibilité de l’innocence et du même coup l’idée de responsabilité
morale. Corrélativement à cette meilleure connaissance des délinquants, les nouvelles
fonctions assignées à la peine sont elles aussi susceptibles de jouer sur la formation de
l’intime conviction du juge. S’il s’agit davantage de traiter, de soigner, de réhabiliter, de
resocialiser que de punir, alors la question de la culpabilité devient secondaire, elle présente
un enjeu moindre et le risque d’erreur judiciaire n’est plus autant à craindre. C’est ce
constat que nuançait M. Essaïd : « Il peut sembler que cette question de la condamnation de
personnes innocentes tende à perdre de son acuité, dans la mesure où le droit pénal
moderne cherche de plus en plus à assurer le traitement, la rééducation et le
reclassement » 1513. Mais l’auteur soulignait que l’évolution était loin d’être achevée et que
l’aspect répressif conservait toujours en droit positif une place de choix. Il n’en reste pas
moins vrai que la fonction classique de la peine s’enrichit toujours des idées de traitement.
M. Tilliet fait état, au titre des dernières évolutions du droit pénal, de l’ambition du droit
positif de punir et soigner à la fois avec la loi de 1998, relative à la prévention et à la
répression des infractions sexuelles ainsi qu'à la protection des mineurs, qui a créé le suivi
socio-judiciaire 1514.

C’est en outre, et de façon générale, l’accroissement du recours aux savoirs relevant des
sciences sociales et médicales dans le procès pénal, qui vient modifier la perception du juge
et peut finalement intervenir dans la formation de sa conviction. La présomption
d’innocence a vocation à jouer comme un rempart, rappelant, comme la doctrine l’a si bien
souligné, que le droit pénal doit rester juridique, contre la criminologie. La règle du doute
favorable n’est pas non plus indifférente dans ce domaine. Le recours aux procédés

1513
M.-J. ESSAÏD, La présomption d’innocence, op. cit., n° 136.
1514
E. TILLET, Rép. Pén. et Proc. Pén., v° Histoire des doctrines pénales, n° 104.

456
Discours doctrinal et fondement de la présomption d’innocence

scientifiques dans la recherche et l’administration de la preuve a crée, en effet, de nouvelles


sources d’incertitude, donc de risque 1515. Le procès scientifique que les positivistes auraient
voulu instaurer, s’il n’a pas cours en droit positif, s’en rapproche néanmoins avec tous les
risques que cela comporte pour l’innocence.

Cette permanence de la raison d’être du discours sur la présomption d’innocence peut


toutefois paraître bien inutile face aux dernières évolutions du droit pénal et de la procédure
pénale. Elle demeure néanmoins, comme en témoigne également le discours sur le
fondement de la présomption d’innocence.

B- À TRAVERS LA QUESTION DU FONDEMENT

397. Fondement de et sur la présomption d’innocence. La façon dont la question du


fondement est traitée ou éludée dans le discours doctrinal, peut elle aussi s’interpréter à la
lumière de l’idéologie qui sous-tend le discours. Cela est vrai à plusieurs égards, qu’il
s’agisse de la question du fondement de la présomption d’innocence ou de celle de la
présomption d’innocence comme fondement.

1) Manifestations de la raison d’être du discours et fondement de la présomption


d’innocence

398. Le fondement de la présomption d’innocence, indicible ou inaudible ?. La notion


de justice, ou de juste, paraît pouvoir expliquer et fonder l’idée que traduit la présomption
d’innocence. Cependant, en droit pénal le raisonnement en terme de justice ne semble plus
être de mise. Si le discours doctrinal sur la présomption d’innocence s’est détourné d’une
telle justification, si cette dernière a pu apparaître indicible, c’est probablement en raison de
son rattachement trop évident à la philosophie pénale traditionnelle. On peut suggérer qu’il
y aurait aujourd’hui, c'est-à-dire après l’évolution de la pensée pénale depuis la fin du XIXe
siècle et du droit pénal lui-même, comme un anachronisme à raisonner en terme de justice
pour expliquer la présence de la présomption d’innocence. L’influence des nouvelles
doctrines et l’évolution de la criminalité, ont pu ainsi modifier les points d’articulation du
raisonnement en droit pénal. Outre la dialectique bien connue entre intérêt de la société et
intérêt de l’individu, on s’inquiétera des oppositions plus particulières telles que :
prévention – répression, sécurité – liberté, droit pénal – droits de l’homme. Dans ce concert,
d’indicible le fondement peut désormais être regardé comme inaudible. Comment en effet
soutenir que la présomption d’innocence est juste après les attaques dont elle a fait l’objet ?
Lorsqu’il s’agit de s’inquiéter de l’efficacité de la justice pénale, mieux vaut probablement
faire prévaloir la notion d’utilité que celle de justice pour fonder la présomption

1515
C’est déjà ce que soulignait M. Léauté mais dans un autre dessein, en estimant que le doute sur la
causalité scientifique, sur le sens d’une expertise technique, généralise la fréquence du doute qui profite à
l’accusé. V. J. LÉAUTÉ, Le caractère irréparable de la perte de l’innocence, op. cit., p. 7.

457
Le discours sur l’objet

d’innocence. Un discours d’utilité a sans doute plus de chance d’être entendu, de


« circuler ». Or, l’utilité de la présomption d’innocence n’a pas manqué d’être mise en avant
dans le discours doctrinal. À travers cette utilité, se manifeste de nouveau la raison d’être du
discours doctrinal sur la présomption d’innocence. Plusieurs exemples peuvent être donnés
à travers lesquels la menace de la disparition d’un droit pénal classique est toujours
présente.

399. Arbitraire et présomption d’innocence. La présomption d’innocence est apparue,


sous la plume de nos pénalistes, comme une garantie contre l’arbitraire. Peu développée par
les auteurs, cette affirmation peut être entendue en écho à l’une des thèses de Ferri. Il faut
en effet se souvenir que le positiviste italien rejetait la présomption d’innocence d’une
manière qui n’était pas absolue puisqu’il reconnaissait sa valeur pendant toute la durée de
l’instruction préparatoire au procès. Il reconnaissait en outre qu’elle puisse jouer à l’égard
des délinquants occasionnels. C’est uniquement en présence de délinquants dits ataviques
ou d’habitude, autrement dit récidivistes, que Ferri jugeait illogique et inadmissible cette
présomption d’innocence. Les auteurs français ont largement insisté sur le risque
d’arbitraire qu’encourrait la justice pénale si elle tentait de mettre en œuvre cette
distinction. « En admettant l’existence de cette double catégorie de criminels, la distinction
aurait, certes, de l’importance pour l’application et le choix des mesures à prendre, après
preuve et constatation de la culpabilité ou de la nocuité. Mais comment la faire fonctionner,
lorsqu’il s’agit d’établir que l’accusé soupçonné est bien l’auteur du délit ? », écrivait
Garraud 1516. Sur la même question, MM. Merle et Vitu continuent de s’interroger : « mais
comment affirmer qu’un individu appartient avec certitude à l’une ou l’autre catégorie ?
Un dangereux arbitraire risquerait de s’introduire dans la procédure sous le couvert de
notions scientifiques discutées » 1517. La Défense sociale nouvelle, qui sur certains points n’a
fait que prolonger les idées de la défense sociale de Ferri, et la criminologie, ont toute deux
suscité des réactions du même ordre. Bien que détachées de la question de la présomption
d’innocence, les observations de M. Larguier sont éclairantes. Face au succès du
mouvement de la Défense sociale nouvelle, cet auteur dénonçait le risque de voir un
effacement du juge au profit de l’administration. Le criminologue, écrivait-il, mettra en
prison (psychiatrique si l’on veut) plus de gens que le droit pénal n’en a jamais incarcérés.
Aucun doute, pour M. Larguier, c’est l’arbitraire qu’il faut redouter de voir apparaître avec
la disparition ou le recul du droit pénal. Il expliquait ainsi qu’il y a dans le droit pénal un

1516
R. GARRAUD, Traité théorique et pratique d’instruction criminelle et de procédure pénale, tome I,
op.cit., n° 234.
1517
R. MERLE et A.VITU, Traité de droit criminel, Procédure pénale, 5e éd., op. cit., n° 144.

458
Discours doctrinal et fondement de la présomption d’innocence

aspect doublement protecteur qui est essentiel : pour la victime, par la prévention, et pour le
coupable, par la règle nullum crimen 1518.

Pour le discours doctrinal, énoncer l’existence de la présomption d’innocence et la


fonder en tant que garantie contre l’arbitraire, c’est maintenir en même temps, toujours là,
l’idée que ce que le procès pénal doit chercher, c’est la culpabilité. Même si cela apparaît
bien plus délicat, fonder la présomption d’innocence sur la liberté individuelle rejoint la
même préoccupation.

400. Liberté et présomption d’innocence. Si la présomption d’innocence est présentée


comme une garantie de la liberté individuelle, elle n’empêche toutefois pas des mesures
restrictives comme la garde à vue ou la détention avant jugement. Le problème que pose ces
atteintes au regard de la présomption d’innocence, c’est qu’elles surviennent avant toute
déclaration officielle de culpabilité. La détention provisoire, qui n’est pas juridiquement une
peine, est pourtant analysée par les auteurs comme une pré-peine, qui n’est pas fondée sur la
responsabilité morale de celui qui en est l’objet, puisque celle-ci n’a pas encore été affirmée
par un tribunal. Or, en dehors des hypothèses habituellement visées dans le discours
doctrinal, il existe des raisons de penser qu’à travers le rattachement de la présomption
d’innocence à la question de la liberté, continue de se manifester la raison d’être du discours
sur la présomption d’innocence. En effet, le droit positif a consacré des mesures largement
inspirées des théories de défense sociale qui, d’une façon générale portent atteinte à la
liberté mais surtout, sont fondées sur la dangerosité des individus dont on veut éviter la
récidive, ou encore sur le risque de délinquance. On pensera particulièrement aux mesures
dites de sûreté que le droit français a largement accueillies dans un souci de prévention, de
rééducation, de réadaptation et de resocialisation des délinquants ou des déviants.

On doit le concept de mesure de sûreté à l’école positiviste italienne qui entendait le


distinguer de celui de peine, et ce sur plusieurs points. « Ces mesures doivent se détacher de
toute référence à la faute du délinquant, celui-ci étant présumé irresponsable. Plutôt que
d'orchestrer la réponse répressive autour des idées de rétribution et d'imposer une
souffrance, la mesure de sûreté privilégie la protection de l'ordre social grâce à la
neutralisation des individus considérés comme dangereux » 1519. La mesure de sûreté est une
sanction préventive, uniquement tournée vers l’avenir et n’a donc pas pour objet la
rétribution ni l’intimidation. Une telle mesure n’est pas fondée sur la culpabilité mais sur
l’état dangereux du délinquant. Ainsi, « la mesure de sûreté a, par nature, vocation à

1518
J. LARGUIER, Mort et transfiguration du droit pénal, op. cit., p. 131. Il ne faut pas s’y tromper, la
disparition ou le recul du droit pénal évoquées par cet auteur, doivent s’entendre par rapport à la méthode
criminologique. En effet, on sait que le droit pénal est loin de reculer si l’on a égard aux nombre toujours
croissant de loi répressives votées par le parlement.
1519
J.-P. CÉRÉ, Rép. Pén. et Proc. Pén., v° Peine (Nature et prononcé), n° 27.

459
Le discours sur l’objet

intervenir ante delictum » 1520. En droit positif, peines et mesures de sûreté ont actuellement
tendance à se confondre, le Code pénal de 1994 n’ayant pas établi de distinction. Pourtant,
il arrive au législateur ou à la jurisprudence de qualifier telle ou telle sanction de mesure de
sûreté. La confusion ou le rapprochement entre peine et mesures de sûreté résulte
notamment du fait que les plus nombreuses de ces mesures sont mises en œuvre après
déclaration de culpabilité. Elles peuvent se confondre totalement avec la peine, comme
venir la compléter, ce qui explique qu’elles relèvent de l’autorité judiciaire. Parce qu’elles
n’ont pas pour objet de punir, de sanctionner une faute, mais de prévenir l’infraction ou la
récidive, les mesures de sûreté peuvent se montrer dangereuses pour les libertés et ce
d’autant plus qu’elles passent pour être un progrès dans l’adaptation et la personnalisation
des sanctions ainsi que dans la prévention. Le concept de mesure de sûreté, s’il a été adapté
en droit positif, puise ses origines non seulement dans la pensée positiviste italienne mais
aussi dans celle de la Défense sociale nouvelle. Quelques exemples, depuis la moitié du
XXe siècle jusqu’à nos jours suffiront à convaincre que cette idéologie est toujours à
l’œuvre, et qu’elle peut justifier les tenants d’une conception plus classique du droit pénal à
maintenir une sorte de vigilance.

Les plus choquantes des mesures de sûreté sont celles qui sont au plus proche de la
pensée positiviste et qui interviennent avant toute infraction. Notre législation en a connu et
continue d’en connaître. M. Gassin faisait observer que c’est le mouvement de Défense
sociale nouvelle qui a inspiré les premières prises en considération de l’état dangereux pré
délictuel 1521. Il évoquait alors la loi du 15 avril 1954 qui prévoit la possibilité de placer
d’office les alcooliques dangereux dans un établissement de soins. Mais il évoquait
également, comme inspiré de la Défense sociale nouvelle, l’institution du contrôle judiciaire
en 1970. Les auteurs n’ont pas manqué de souligner le caractère attentatoire à la
présomption d’innocence en même temps qu’à la liberté individuelle du contrôle judiciaire,
et parfois même dans sa variante socio-éducative 1522. On pourrait même évoquer, au titre
des mesures de sûreté ante delictum, le dépistage aléatoire de l’imprégnation alcoolique 1523.
L’actualité la plus récente fournit elle aussi la preuve que l’école positiviste continue de
faire des émules. Une étude médicale n’a-t-elle pas suggéré de mettre en place un dépistage
précoce des troubles de conduite chez les enfants de trois ans, troubles annonciateurs de leur
future délinquance et que l’on se proposerait de canaliser par l’administration de
médicaments ? L’expertise, réalisée par l’INSERM à la demande de la CNAM, intitulée

1520
J.-P. CÉRÉ, Rép. Pén. et Proc. Pén., v° Peine (Nature et prononcé), n° 35.
1521
R. GASSIN, L’influence du mouvement de la défense sociale nouvelle sur le droit pénal français
contemporain, op. cit., p. 6.
1522
V. supra, n° 319.
1523
V. supra, n° 320.

460
Discours doctrinal et fondement de la présomption d’innocence

Trouble des conduites chez l'enfant et l'adolescent 1524, a retenu l’attention de la commission
prévention du groupe d’étude parlementaire sur la sécurité intérieure. Cette dernière a remis
au ministre de l’intérieur en octobre 2005 un rapport sur la prévention de la délinquance qui
se faisait l’écho des propositions de l’INSERM et qui devait aider, précisément, à la
préparation d’un projet de loi sur la prévention de la délinquance 1525.

Lorsque les mesures de sûreté interviennent au stade de l’exécution des peines, qu’elles
en constituent des modalités, des alternatives ou des compléments d’exécution, elles
peuvent inquiéter ; notamment lorsqu’elles sont fondées sur des expertises médicales
tendant à évaluer la dangerosité des délinquants et le risque de récidive qu’ils présentent.
On peut penser par exemple au fameux suivi socio-judiciaire institué par la loi du 17 juin
1998 pour les délinquants sexuels. Il est considéré, dans le Code pénal, comme une peine.
L’article 131-36-1 dispose notamment que le suivi socio-judiciaire emporte, pour le
condamné, l'obligation de se soumettre, sous le contrôle du juge de l'application des peines
et pendant une durée déterminée par la juridiction de jugement, à des mesures de
surveillance et d'assistance destinées à prévenir la récidive. Ainsi, outre la soumission du
condamné aux mesures de contrôle prévues à l’article 132-44, la juridiction de
condamnation ou le juge de l'application des peines peut lui imposer spécialement
l'observation de l'une ou de plusieurs des dix-neuf obligations énumérées à l’article 132-45
du Code pénal ainsi que les obligations particulières énoncées à l’article 131-36-2
(S'abstenir de paraître en tout lieu ou toute catégorie de lieux spécialement désigné,
s'abstenir de fréquenter ou d'entrer en relation avec certaines personnes ou certaines
catégories de personnes, ne pas exercer une activité professionnelle ou bénévole impliquant
un contact habituel avec des mineurs). L’article 131-36-4 du Code pénal prévoit en outre
que le «suivi socio-judiciaire peut comprendre une injonction de soins.
Cette injonction peut être prononcée par la juridiction de jugement s'il est établi après une
expertise médicale, ordonnée dans les conditions prévues par le code de procédure pénale,
que la personne poursuivie est susceptible de faire l'objet d'un traitement ». Certes, le texte
rappelle que le condamné ne saurait se voir imposer un traitement auquel il n’aurait pas
consenti. Il est cependant immédiatement précisé que « s'il refuse les soins qui lui seront

1524
Disponible en ligne : [http://ist.inserm.fr/basisrapports/trouble-conduites.html].
1525
Le Monde du 18 février 2006, Le projet de dépistage précoce des troubles du comportement suscite un
tollé. D’ailleurs, un appel a été lancé par des professionnels de la petite enfance, une pétition est offerte à
la signature et en mars 2006, ce collectif dénommé pas de 0 de conduite faisait savoir qu’il entendait
« contester sur un plan scientifique l’approche réductionniste, déterministe et scientiste de l’expertise
Inserm » et « dénoncer son utilisation détournée par des responsables politiques pour renforcer, en les
médicalisant, les approches sécuritaires de problèmes éducatifs et sociaux ». Les initiateurs de l’appel
tenaient en outre à rappeler les valeurs qu’ils défendent, notamment : en tout premier lieu le « refus du
déterminisme », c'est-à-dire de l’idée que tout pourrait se jouer avant 3 ans, mais aussi le « refus du
conditionnement », c'est-à-dire que l’humain ne peut être considéré comme programmé ou programmable.
V. le communiqué de presse, disponible en ligne sur : [http://www.pasde0deconduite.ras.eu.org].

461
Le discours sur l’objet

proposés, l'emprisonnement prononcé en application du troisième alinéa de l'article 131-


36-1 pourra être mis à exécution ». Autant dire que la liberté de choix n’est pas bien
grande.

Dans la lutte contre la récidive, le législateur est allé encore plus loin avec la loi du 12
décembre 2005 1526 relative au traitement de la récidive des infractions pénales puisqu’il a
étendu le suivi socio-judiciaire à d’autres qu’aux délinquants sexuels et qu’il a instauré la
surveillance électronique mobile, permettant de surveiller les délinquants dangereux après
leur sortie de prison 1527. Cette nouveauté, consistant en la possibilité de localiser par
système GPS et partout sur le territoire le porteur du bracelet électronique, est expressément
qualifiée de mesure de sûreté par le législateur. Là encore, la surveillance électronique
mobile ne peut être mise en œuvre qu’avec le consentement du condamné, qui peut
cependant voir exécutée la peine d’emprisonnement prononcée par la juridiction, en cas de
refus. On observera que lorsque le placement sous surveillance mobile est décidé par la
juridiction de jugement, il ne sera effectif qu’après que la peine de prison aura été effectuée.
La juridiction statue alors au vu d’une expertise médicale déclarant le condamné dangereux
et doit estimer que cette mesure apparaît indispensable pour prévenir la récidive à compter
du jour où la privation de liberté prend fin. Puis, ce sera au juge de l’application des peines
de décider si la mise en œuvre sera effective ou non au moment de la sortie de prison. Pour
cela, il devra apprécier la dangerosité du condamné et le risque de commission d’une
nouvelle infraction, grâce à des examens, auditions, enquêtes et expertises mais aussi sur
avis de la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté. Le risque d’atteintes
arbitraires à la liberté n’est pas exclu avec cette mesure de sûreté. On peut en effet
s’interroger sur la valeur des « prédictions » formulées par les médecins et experts quant au
risque de récidive, que ces prédictions ou évaluations aient d’ailleurs lieu au moment de la
condamnation ou à la veille de la sortie de prison. Sans aucun doute, le port d’un tel bracelet
porte atteinte à la vie privée. Ce qui paraît inquiétant, c’est que l’on mesure mal l’aptitude
de cette mesure de sûreté à prévenir la récidive. Car, si la personne libérée est surveillée,
elle ne l’est naturellement pas en permanence. Simplement, ses déplacements sont
enregistrés informatiquement, ce qui permettra aux enquêteurs, et après coup, de savoir où
elle se trouvait, et de soupçonner le cas échéant sa participation à la commission d’une
nouvelle infraction. Si la preuve de sa participation s’en trouvera facilitée, la récidive ne
paraît pas pouvoir être évitée par le bracelet électronique1528.

1526
J.-H. ROBERT, Les murailles de silicium – commentaire de la loi n° 2005-1549 du 12 décembre 2005
relative au traitement de la récidive des infractions pénales, Dr. pén. 2006, comm. 2.
1527
Article 131-36-9 et suivants du Code pénal et article 763-10 et suivants du Code de procédure pénale.
1528
Le système repose alors en partie sur l’effet dissuasif du bracelet. Mais l’on pourra douter d’un tel
effet. Il semble en effet que les délinquants dangereux récidivistes montrent que le risque de la sanction

462
Discours doctrinal et fondement de la présomption d’innocence

2) La présomption d’innocence comme fondement

401. La présomption d’innocence : principe, fondamental et cardinal. Alors que ni la


Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ni la Convention européenne des droits de
l’homme n’ont fait de la présomption d’innocence un pivot de la procédure pénale ou du
procès équitable, le discours doctrinal n’a pas hésité à faire circuler l’idée que cette
présomption était tout simplement fondamentale. Il s’agit là peut-être de la plus belle
manifestation de la permanence avec laquelle le discours sur la présomption d’innocence se
rattache à l’opposition entre doctrine classique du droit pénal et doctrine de défense sociale,
positiviste ou nouvelle. Jugée comme une exagération des doctrines classiques par Ferri, la
présomption d’innocence est désormais regardée comme le fondement non pas seulement
des règles du procès pénal, mais du droit pénal tout entier 1529. C’est dire si la présomption
d’innocence a vocation à traduire le rejet du « déterminisme psychologique et social », que
M. Larguier jugeait autrefois en progression 1530. La présomption d’innocence envisagée
comme fondement du droit pénal semble bien signifier que le droit pénal doit demeurer
orienté vers la sanction de la responsabilité morale, ce qui suppose la croyance dans le libre
arbitre. Comme principe cardinal du procès pénal, la présomption d’innocence maintient
l’idée que c’est notamment cette responsabilité morale de la personne poursuivie, que l’on
cherche à découvrir à travers la nécessaire preuve de la culpabilité.

Enfin, on l’a évoqué plus haut, en accédant au rang de fondement, la présomption


d’innocence échappe à la question de son propre fondement. Maxime, principe premier
duquel découle un ensemble de conséquences, socle sur lequel peuvent être édifiées
d’autres règles, la présomption d’innocence devient la prémisse du raisonnement pénal. Elle
n’a plus alors à être fondée. Or, en échappant à la question du fondement, le principe
semble être mis définitivement à l’abri des critiques. Elle est justifiée et « incontestable »
par cela seul qu’elle est le fondement d’autre chose. Des attaques, telles que celles
formulées par Ferri, qui ont d’ailleurs été la seule menace idéologique que le discours sur la
présomption d’innocence ait dénoncée, semblent alors devoir être exclues de la discussion.
La présomption d’innocence ne se discute plus, elle s’impose, avec toute la charge
symbolique que, explicitement ou implicitement, les pénalistes modernes confèrent à cet
objet de discours.

n’est pas dissuasif. Par hypothèse, le porteur du bracelet sera jugé dangereux et présentant un risque de
récidive et on ne voit pas pourquoi il serait plus intimidé par le bracelet.
1529
V. supra, n° 363 et s.
1530
J. LARGUIER, Mort et transfiguration du droit pénal, op. cit., p. 148.

463
Le discours sur l’objet

CONCLUSION DE LA DEUXIÈME PARTIE

402. L’objet façonné par la doctrine pénale. L’analyse du discours portant sur la
présomption d’innocence nous a permis de mesurer la part que l’on doit à la doctrine dans
l’élaboration du concept de présomption d’innocence. Loin d’être purement descriptifs ou
explicatifs, les énoncés savants sur les sources historiques et positives de la présomption
d’innocence se sont avérés en réalité constructifs et prescriptifs.

Ce que la doctrine enseigne au titre des origines de la présomption d’innocence est bien
davantage le résultat de choix, conscients ou non, que de découvertes. L’histoire du principe
a été dans une large mesure réécrite afin de l’inscrire dans la rupture qu’a opéré la
Révolution française. Il y a là l’illustration de la part d’interprétation qui a présidé à
l’élaboration du discours sur la présomption d’innocence. En même temps, se manifeste le
pouvoir qu’a la doctrine de façonner son objet d’étude. La seconde manifestation de ce
pouvoir a pu être observée à propos de la reconnaissance juridique du principe. Ainsi,
lorsque la doctrine pénale enseigne pendant une bonne partie du XXe siècle qu’il existe en
France une « présomption légale d’innocence » dont la jurisprudence fait application, on ne
retrouve pas dans le droit positif de réalité correspondante. Ce sont de telles observations
qui nous ont autorisé à formuler l’hypothèse d’une doctrine pénale source de la présomption
d’innocence. Parce qu’elle une source privilégiée, première, de connaissance de la
présomption d’innocence et qu’elle a en grande partie façonné le concept, la doctrine a pu
apparaître comme une source. L’autoréférence doctrinale que nous avons décrite a bien
montré où la doctrine puise les données qu’elle transforme en savoir. La personnification de
la présomption d’innocence dans la littérature juridique a pu quant à elle renforcer cette idée
que l’existence du principe, sa réalité, n’est vraiment perceptible qu’à travers la rhétorique
des auteurs.

403. La part d’incertitude sur l’objet. Si l’étude du discours sur l’objet a pu révéler le
pouvoir qu’a la doctrine de faire advenir à l’existence la présomption d’innocence qu’elle
décrivait, elle a en outre mis au jour l’incertitude qui affecte le savoir sur la présomption
d’innocence.

La signification juridique de la présomption d’innocence, telle qu’elle apparaît à


l’analyse du discours, se montre en réalité assez indéterminée. L’indétermination caractérise
aussi bien l’expression « présomption d’innocence » dans son origine et son sens, que la
signification du principe qu’elle est supposée exprimer, ou encore les conséquences qui en
découlent. Seule une analyse de l’histoire et une interprétation du discours ont permis de
retrouver un sens, une cohérence aux affirmations doctrinales. Ainsi a-t-on envisagé

464
l’hypothèse selon laquelle l’élaboration du discours sur la présomption d’innocence n’aurait
vraiment de sens en matière de preuve qu’à la condition de regarder sous la présomption
d’innocence prétendument juridique une règle morale destinée à limiter les effets de
l’intime conviction. Il s’agissait là d’un exemple témoignant également de ce que les
énoncés doctrinaux sont bien davantage qu’une description de l’état du droit, ils sont
également le résultat d’une philosophie qui répugne à s’avouer.

404. L’idéologie au fondement du discours. La recherche du fondement de la présomption


d’innocence à travers la littérature juridique nous a montré qu’en réalité ce fondement se
montrait pour une large part indicible. Cherchant à expliquer les causes de cette
impossibilité de dire le fondement, c’est insensiblement sur le terrain de l’idéologie que
nous avons été invité à porter l’attention. L’élaboration du discours doctrinal sur la
présomption d’innocence est alors apparu comme le résultat d’une résistance des juristes
français aux théories du positivisme italien. Cette élaboration a ainsi pu être replacée dans
son contexte idéologique : la défense de la responsabilité morale comme condition du droit
de punir et en même temps la défense d’un procès pénal classique par opposition à un
procès de défense sociale.

465
CONCLUSION

405. Contribution à une histoire du savoir juridique pénal. Comme tout savoir, le savoir
juridique évolue à travers le temps, une histoire peut en être écrite 1531. En choisissant pour
objet d’étude La présomption d’innocence dans le discours doctrinal, ce sont souvent les
chemins de l’histoire du savoir sur la présomption d’innocence qui ont été empruntés et non
pas seulement ceux de l’histoire de la notion elle-même. L’analyse de la littérature juridique
portant sur la présomption d’innocence a permis de révéler le décalage, parfois grand, qui
peut exister entre l’état du droit positif et le discours qui se propose de le décrire. Plus
précisément, ce sont certains ressorts implicites du discours doctrinal qui ont pu être mis au
jour et contribuer à révéler le pouvoir 1532 doctrinal dans l’élaboration du savoir sur la
présomption d’innocence.

Ainsi a-t-on pu constater que la présomption d’innocence ne devient un objet dans le


savoir juridique pénal qu’à partir du XXe siècle, alors même que la règle était appliquée en
France depuis le Moyen Âge. Le bouleversement qui se trouve à l’origine de l’émergence
de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal n’a pas eu lieu dans le droit positif
mais dans le domaine de la science du droit pénal. En effet, la présomption d’innocence est
apparue sous la plume des criminalistes français en réaction aux théories des positivistes
italiens. La consécration puis la pérennisation de la présomption d’innocence dans le
discours n’ont pas, elles non plus, toujours correspondu parfaitement avec l’état du droit
positif. Alors que les autres sources du droit demeuraient fort discrètes, la doctrine pénale a
longtemps été la seule à affirmer l’existence du principe. L’histoire du savoir sur la
présomption d’innocence peut et doit donc être distinguée de l’histoire du principe lui-
même 1533. Il n’en demeure pas moins que l’importance du rôle qu’assume la doctrine dans
la connaissance de la présomption d’innocence tend parfois à estomper la distinction. Si
l’on admet en effet que la doctrine a pour mission d’exposer, d’expliquer et de décrire le
droit en vigueur, alors les énoncés descriptifs et explicatifs qui composent son discours sont
supposés refléter le droit. Pourtant, l’affirmation de l’existence juridique de la présomption
d’innocence est souvent allée au-delà de ce que consacrait réellement le droit positif. Aussi
avons nous pu considérer que d’une certaine manière, la présomption d’innocence existait
par cela seul que la doctrine en faisait un objet de discours. Aujourd’hui, il se pourrait que

1531
CH. ATIAS, Épistémologie juridique, op. cit., n° 108 et s.
1532
Le pouvoir n’est pas ici à opposer à l’autorité. Il s’agit simplement de parler d’un pouvoir intellectuel,
comme le font d’ailleurs MM. Jestaz et Jamin, La doctrine, op. cit., p. 256 et s.
1533
Sur la distinction entre histoire du savoir juridique et histoire du droit, V. CH. ATIAS, Épistémologie
juridique, op. cit., n° 114.

467
La présomption d’innocence dans le discours doctrinal

le discours soit plutôt en deçà du droit positif. Quoi qu’il en soit, « la présomption
d’innocence » est un concept d’origine doctrinale, l’expression recouvre davantage que la
seule règle selon laquelle toute personne poursuivie est présumée innocente. S’il l’affirme
tout d’abord comme une règle de technique probatoire, en réalité le discours sur la
présomption d’innocence témoigne d’autres enjeux et implications.

Au fil de cette analyse de la littérature juridique, ont été dessinées peu à peu et en
contrepoint, non seulement une image de la doctrine pénale mais aussi une idée du savoir
sur la présomption d’innocence.

406. Quelle image de la doctrine pénale ?. Naturellement discrète et modeste sur son
pouvoir d’influencer ou de transformer le droit, la doctrine pénale l’est encore bien
davantage pour ce qui touche à la présomption d’innocence. En effet, l’étude de la
littérature consacrée à cette notion ne permet pas de relever une reconnaissance explicite du
rôle des pénalistes dans l’émergence du concept. Bien au contraire, la doctrine n’a eu de
cesse de se dissimuler derrière chacune des sources officielles de la présomption
d’innocence. Ce n’est qu’en prêtant une attention particulière aux formes, au contenu et à
l’évolution du discours que ce rôle implicite a pu être révélé. On rappellera par exemple
que, en dehors des propos récents de Mme Lazerges, la doctrine n’a jamais ouvertement
considéré qu’elle était à l’origine de l’insertion d’un article préliminaire en tête du Code de
procédure pénale. Pourtant, une référence constante et parfois appuyée, non pas au rapport
de la « commission justice pénale et droit de l’homme », mais au rapport de sa présidente,
Mme Delmas-Marty, laisse à penser que la doctrine reconnaît bel et bien avoir participé à
l’introduction de la présomption d’innocence dans le Code de procédure pénale. Ainsi,
l’image que la doctrine pénale a coutume de donner d’elle-même ne correspond pas à la
réalité ni de ses aspirations ni de son pouvoir.

C’est probablement dans sa mission d’interprétation du droit de la procédure pénale que


la doctrine a pu user d’une grande liberté et révéler, involontairement, la distance qui sépare
son discours du contenu du droit. Pour défendre une certaine idée du procès pénal, mais
surtout pour affirmer l’existence d’une présomption juridique d’innocence, la doctrine a pu
réécrire l’histoire du principe, affirmer que la jurisprudence le consacrait pendant qu’il n’en
était pas tout à fait ainsi, ou encore essayer de maîtriser sa signification en dénonçant
certaines violations de la présomption d’innocence et conservant le silence sur d’autres. Elle
a en outre défendu à travers son discours sur la présomption juridique d’innocence, une
valeur essentiellement morale à laquelle elle a su donner un tour juridique. Aussi, que l’on
ait égard au contenu même du discours doctrinal sur la présomption d’innocence ou à son
fondement, on découvre que la doctrine dispose de ressorts inavoués. Parce qu’elle est la
source qui a le pourvoir de désigner les autres, de leur révéler leur propre contenu et leur

468
Conclusion

importance, la doctrine dispose d’une arme redoutable. Parvenir à faire passer une opinion
doctrinale pour la substance d’un arrêt de la Cour de cassation sans que personne ne trouve
rien à redire, témoigne d’un tel pouvoir. Source privilégiée de connaissance de la
présomption d’innocence, la doctrine peut en réalité être regardée comme sa source tout
court. Les pénalistes pourront bien objecter qu’elle n’est qu’une source très indirecte fondée
sur sa seule autorité. Il importe néanmoins de s’apercevoir que cette façon de travailler le
droit de l’intérieur peut être d’une efficacité d’autant plus grande qu’elle est dissimulée
voire niée. Que le législateur ou la jurisprudence n’enregistrent pas directement les opinions
doctrinales ne saurait suffire à reléguer l’influence de la doctrine à si peu de chose. Peser
sur les transformations et les orientations du droit ne se réduit pas à la consécration d’une
opinion qui cherchait ouvertement à être traduite dans le droit. La représentation que donne
la doctrine du droit positif produit des effets plus difficiles à observer ou à mesurer mais
assurément plus constants et d’une ampleur probablement plus importante.

Dans ces conditions, les spécificités et contraintes qui caractérisent éventuellement la


doctrine pénale n’apparaissent résolument plus comme un obstacle à un rapprochement
avec la doctrine civiliste ou plus généralement privatiste. Tout d’abord, la formation
jusqu’alors essentiellement civiliste des pénalistes a pour effet de faire partager aux uns et
aux autres des méthodes, raisonnements et aspirations semblables. Ensuite, apparemment
moins prestigieuse que la doctrine civiliste, la doctrine pénale n’en a pas moins ses grands
noms, ceux qui ont marqué une époque, une tendance, ou à qui l’on reconnaît un savoir
immense. Les pénalistes ne les ignorent d’ailleurs pas et savent reconnaître « les meilleurs
d’entre eux ». Le plus souvent, il s’agit d’universitaires, tout d’abord des hommes, puis
depuis une trentaine d’années, la doctrine pénale connaît également de grands noms
de « professeures » 1534. Pour ce qui touche à la présomption d’innocence, on retiendra
notamment volontiers l’empreinte laissée par Mesdames Delmas-Marty, Rassat et Lazerges.
En outre, la doctrine pénale serait à l’heure actuelle en plein renouvellement grâce à
l’émergence de jeunes talents parmi lesquels les femmes tiennent une bonne place 1535.

407. De l’autorité à la responsabilité. La doctrine pénale existe, elle se reconnaît elle-


même, elle agit incontestablement sur le droit, tout comme la doctrine dans les autres
disciplines juridiques. Son pouvoir, qui n’est autre que l’effet de l’autorité de son savoir, est
potentiellement grand. Il demeure cependant et naturellement soumis à l’autorité qui lui est
reconnue par les autres sources du droit. L’idée que le législateur, le juge et l’avocat se font

1534
Ce féminin n’est semble-t-il pas admis par l’Académie française tandis qu’il est recommandé, par
exemple, par l’office québécois de la langue française dont la politique sur le féminin des titres et des
fonctions semble plus ferme.
1535
Mais il est difficile de cerner où se situe la vérité entre les propos sombres et pessimistes prêts à
nourrir l’idée du déclin de la doctrine, particulièrement universitaire, et ceux qui se montrent résolument
optimistes quant à l’avenir de la doctrine pénale.

469
La présomption d’innocence dans le discours doctrinal

de la doctrine est particulièrement déterminante à cet égard. L’autorité doctrinale est une
idée mal définie, aux contours vagues, dont les critères ne sont pas précisément établis et les
titulaires pas toujours bien identifiés. Elle demeure pourtant la caractéristique propre de la
doctrine dont dépendent sa reconnaissance sociale 1536 et son influence.

Cette autorité est celle qui lui permet de participer à la création du droit et cette mission,
qu’elle semble vouloir accomplir en toute liberté, impliquerait logiquement une
responsabilité 1537. Aussi, ne suffit-il pas pour la doctrine, et la doctrine pénale en particulier,
d’invoquer l’idée d’autorité pour l’opposer à l’idée de source et ainsi minimiser la part
qu’elle peut prendre dans l’élaboration du droit pénal. Parce que son rôle est d’influencer le
droit et qu’elle est en mesure de le faire, la doctrine pénale devrait s’interroger sur sa
responsabilité. Il serait probablement trop tentant de se dénier tout rôle ou presque dans
l’élaboration du droit pour se mettre a l’abri de la critique, à l’abri des interrogations sur ses
méthodes, sur son savoir-faire 1538. Qui juge la doctrine ? Législateur et juges ont leurs
censeurs, institutionnalisés, juridiquement identifiés. La doctrine demeure quant à elle son
seul maître tout en refusant de le reconnaître. Les dérives sont alors à craindre, et cela
d’autant plus si les auteurs sont convaincus de l’inexistence d’une entité doctrinale. Si
personne ne songe, pas même MM. Jestaz et Jamin 1539, à nier ou à critiquer
l’individualisme, l’indépendance, l’originalité et finalement la diversité des auteurs de
doctrine 1540, il n’en reste pas moins qu’à trop vouloir mettre en avant ces caractéristiques on
risque de se priver d’une réflexion sur ses fonctions. Ce sont ces fonctions, en dehors de
l’attitude de corps qu’adoptent les auteurs, qui font de la doctrine une entité informelle,
mais une entité quand même. Elle s’oppose ainsi aux deux autres entités que sont le
législateur et le juge. Il serait sans doute souhaitable que les réflexions sur la doctrine
dépassent désormais le simple regard narcissique et autosatisfaisant ou à l’inverse
pessimiste et dévalorisant, pour se concentrer sur d’autres questions.

Les réflexions engagées par les civilistes devraient intéresser les pénalistes. L’attention
pourrait porter sur l’idée de responsabilité de la doctrine dans l’exercice de ses missions.

1536
A. SÉRIAUX, La notion de doctrine juridique, op. cit., p. 70 et s.
1537
H. BATIFFOL, La responsabilité de la doctrine dans la création du droit, op. cit., p. 176 ; PH. JESTAZ et
CH. JAMIN, La doctrine, op. cit., p. 257-258 où les auteurs évoquent la question.
1538
Mme Lazerges donne un exemple de ce qui pourrait être regardé comme l’exercice de sa
responsabilité par la doctrine, en exhortant les pénalistes à lutter contre l’inflation législative qu’ils sont
d’ailleurs prompts à critiquer et à rappeler. Selon cet auteur, une présence plus forte de la doctrine pénale
et une contribution plus active pendant la procédure législative seraient de nature à endiguer la marée des
lois. Ainsi, Mme Lazerges souligne-t-elle qu’il ne suffit pas aux pénalistes d’attendre que la loi nouvelle
soit définitivement votée pour s’épuiser à la commenter ou à la critiquer. Une certaine entrée en
« résistance » serait souhaitable, qui consisterait à inciter concrètement à des « pauses législatives ». V.
CH. LAZERGES, La doctrine et la dérive législative de la procédure pénale, op. cit., p. 155 à 158.
1539
PH. JESTAZ et CH. JAMIN, La doctrine, op. cit., p. 259.
1540
Que défendaient trois professeurs de droit contre la thèse de l’entité proposée par MM. Jestaz et
Jamin, V. L. AYNÈS, P.-Y. GAUTIER et F. TERRÉ, Antithèse de « l’entité », op. cit.

470
Conclusion

Qu’il s’agisse de s’inquiéter de la manière dont elle étudie le droit et dont elle l’enseigne ou
le critique ou encore de l’image qu’elle donne à voir d’elle-même à ses interlocuteurs. Si la
doctrine semble son propre maître, son autorité dépend en partie de ceux à qui elle
s’adresse : législateur et praticiens. Ces derniers pourraient se détourner de la doctrine 1541 si
elle n’assumait pas ses responsabilités. La prise en compte d’une telle responsabilité repose
sur l’exercice d’un esprit critique de la doctrine à l’égard d’elle-même. L’exigence de
transparence dans l’activité doctrinale semble quant à elle résumer les remarques formulées
par plusieurs auteurs et qu’il conviendrait probablement de retenir pour la doctrine pénale.
La transparence suppose que les auteurs de doctrine se départissent de toute idée de
neutralité dans leurs énoncés sur le droit et acceptent d’expliciter le point de vue depuis
lequel ils raisonnent et ne dissimulent pas leurs convictions personnelles et
philosophiques 1542. En fin de compte, si la doctrine doit exercer et développer sa mission
d’opinion, sans craindre d’être partisane 1543, l’exigence de transparence suppose qu’elle ne
présente pas ses énoncés comme imposés par le droit positif 1544. La transparence concerne
également la façon dont sont menées les controverses doctrinales 1545. De l’existence et de la
qualité de ces dernières dépendent à la fois le progrès du savoir et l’influence de la doctrine.
La transparence pourrait enfin consister à mettre au jour, avec moins de réticences, les
erreurs qui affectent le savoir juridique, comme tous les autres savoirs.

La doctrine pénale gagnerait donc sans aucun doute à ne pas se détourner des réflexions
qui peuvent nourrir sa pratique. Pour l’heure, elle semble pourtant demeurer assez étrangère
aux discussions qui animent les privatistes. Si ces dernières se veulent générales, elles ne
raisonnent cependant toujours pas sur la science du droit pénal 1546.

1541
Combattant l’idée d’un déclin et se refusant à l’alarmisme, Philippe Jestaz signalait tout de même le
risque que la pratique n’ait plus besoin de la doctrine et se mette à l’ignorer, V. PH. JESTAZ, Déclin de la
doctrine ? op. cit., p. 94.
1542
Ainsi pourrait-on dire que l’objectivité du juriste consiste à admettre et à ne pas dissimuler la part de
subjectivité qui l’anime dans son activité doctrinale.
1543
Pour un exemple contraire concernant notre sujet, V. H. HENRION, La nature juridique de la
présomption d’innocence, op. cit. L’auteur de cette thèse s’inscrit résolument dans la démarche inverse en
cherchant à faire véritablement œuvre de science. « Travail scientifique », « observation », « hypothèse »,
« test », « falsifiabilité » sont quelques-uns des maîtres-mots de son œuvre. Très positiviste, la démarche
de cet auteur tend à éviter les impuretés du droit et à dénoncer la subjectivité de certains énoncés
doctrinaux sur la présomption d’innocence.
1544
En ce sens, H. BATIFFOL, La responsabilité de la doctrine dans la création du droit, op. cit., p. 182 ;
PH. JESTAZ, Déclin de la doctrine ? op. cit., p. 93 ; A. SÉRIAUX, La notion de doctrine juridique, op. cit.,
p. 70 ; F. TERRÉ, Introduction générale au droit, Paris, Dalloz, 5e éd., 2000, n° 241.
1545
À cet égard, N. MOLFESSIS, La controverse doctrinale et l’exigence de transparence de la doctrine, op.
cit., spécialement p. 165.
1546
Certaines questions proches de celles évoquées au texte ont néanmoins été soulevées par un pénaliste,
mais la démarche demeure isolée et probablement confidentielle. Il n’est pas certain en effet que la
doctrine pénale s’intéresse aux propos d’un professeur de droit criminel à la retraite qui s’exprime non
plus dans les grandes revues juridiques mais sur le site Internet qu’il a réalisé, V. J.-P. DOUCET, La
doctrine est-elle une source du droit ? Cet article est disponible seulement en ligne :
[http://ledroitcriminel.free.fr/la_science_criminelle/articles/doctrine_source_droit.htm].

471
La présomption d’innocence dans le discours doctrinal

408. Le savoir sur la présomption d’innocence. L’analyse du discours doctrinal depuis le


début du XXe siècle a montré combien le savoir sur la présomption d’innocence a pu
évoluer, dans ses formes et son contenu. Ce n’est toutefois que depuis une période très
récente que certains esprits critiques soufflent non pas sur la présomption d’innocence, mais
sur ce qui en a été dit jusqu’alors. Il est par exemple difficile d’observer des controverses
doctrinales au sujet de la présomption d’innocence elle-même. S’il nous a été donné de
relever nombre de divergences, sinon d’opinions proprement dites, d’énoncés sur la
présomption d’innocence, il reste qu’elles n’ont jamais pris la forme d’une dispute, d’un
débat, d’une discussion ouverte qui signaleraient l’existence d’une controverse doctrinale
où se déploierait les arguments des uns et des autres. Les éventuels désaccords entre auteurs
n’ont pas été signalés comme tels, à tel point que le discours sur la présomption
d’innocence a longtemps donné l’impression d’une certaine unanimité doctrinale. Les
divergences ainsi passées sous silence ont pu priver les pénalistes d’occasions de rectifier
leurs erreurs. Ce silence a pu en outre produire l’illusion d’une certitude sur l’état des
connaissances relatives à la présomption d’innocence. Pourtant, ces dernières nous sont
apparues dominées par l’incertitude, l’indétermination et pour tout dire assez fragiles. Il n’y
là rien d’anormal et pourtant, le juriste et avec lui le pénaliste, n’admet pas la part
d’incertitude à la fois du droit et de son savoir.

Des voix se sont dernièrement élevées pour tenter d’améliorer le savoir sur la
présomption d’innocence et débusquer certaines des erreurs commises dans le passé.
L’histoire de la présomption d’innocence a ainsi été davantage explorée, sa nature discutée,
sa signification précisée. Le savoir sur la présomption d’innocence est donc en mutation,
l’esprit critique commence de s’y exercer afin de l’améliorer. L’évolution ne fait en réalité
que commencer.

409. Pour une théorie de la présomption d’innocence. Par ailleurs, le savoir doctrinal sur
la présomption d’innocence se caractérise par son abstraction, sa généralité et son
éloignement de la pratique. Que le discours doctrinal sur la présomption d’innocence se soit
placé à un certain niveau théorique peut aisément se comprendre au regard de l’histoire de
sa construction. La présomption d’innocence est avant tout un principe général et abstrait,
un guide, une exigence de la justice dont les applications pratiques ont longtemps été
difficiles à percevoir. Le développement des jurisprudences européenne, civile et
constitutionnelle a pourtant changé la donne. La doctrine pénale a tardé à s’y intéresser, les
spécialistes d’autres branches du droit ont développé un discours sur la présomption
d’innocence en marge du discours pénal. Le savoir sur la présomption d’innocence semble
ainsi se caractériser à l’heure actuelle par un certain éclatement. Toutes ces raisons militent
pour l’élaboration d’une véritable théorie qui embrasserait à la fois les aspects pénal, civil et

472
Conclusion

constitutionnel de la présomption d’innocence et organiserait les connaissances de façon


logique et cohérente.

Une telle entreprise a courageusement été tentée par M. Henrion. Toutefois, si les
recherches de cet auteur ont le mérite d’avoir discuté puis proposé de cerner la nature
juridique de la présomption d’innocence, il n’est pas certain que la théorie de la
présomption d’innocence soit faite ni qu’elle soit en l’état bien accessible. Très fondées
théoriquement et rigoureusement argumentées, les propositions de l’auteur pourront servir,
conformément d’ailleurs à son souhait, de jalons pour l’élaboration d’une théorie de la
présomption d’innocence, mais ne paraissent pas pouvoir servir véritablement la pratique.

Or une théorie de la présomption d’innocence serait sans aucun doute appréciée des
praticiens du droit 1547 qui, pour l’heure, semblent puiser leurs connaissances non pas dans
les manuels, traités et autres supports doctrinaux mais dans les codes et dans les bases de
données jurisprudentielles. Reste que l’on pourrait poser la question de savoir lesquels des
pénalistes, civilistes, publicistes ou encore internationalistes sont les mieux placés pour
construire une telle théorie. On pencherait volontiers pour les premiers en raison de la
vocation originairement pénale de la présomption d’innocence mais aussi de la part qu’ils
ont prise dans l’élaboration d’un savoir sur la présomption d’innocence. Toutefois,
l’actuelle extension du champ d’application de la présomption d’innocence au-delà du seul
procès pénal militerait bien davantage en faveur d’une théorie en quelque sorte autonome
qui présenterait la présomption d’innocence dans toutes ses dimensions et implications. Les
processualistes et non plus seulement la « tribu » des pénalistes, qui pourrait bien être en
voie de recomposition 1548, pourraient œuvrer à une telle construction 1549. C’est
probablement à partir des notions de principe directeur, de droit fondamental et de droit
subjectif que la théorie s’articulerait en délaissant l’aspect purement probatoire de la
présomption d’innocence. La meilleure prise en considération des enjeux extra pénaux de la
présomption d’innocence permet déjà d’observer une modification du discours doctrinal en
ce sens. C’est la cas de M. Henrion qui désigne la présomption d’innocence, outre comme
un principe général de droit public, comme un double droit subjectif : à la fois public et
privé. La tendance à faire prévaloir l’aspect droit subjectif/droit fondamental de la
présomption d’innocence sur sa fonction probatoire (en l’absorbant parfois) est désormais
également perceptible dans les ouvrages à usage d’enseignement. Ne reconnaissant plus de

1547
La thèse de M. Ballandier allait en ce sens. L’auteur s’était proposé de réfléchir non pas tant sur le
principe que sur les moyens de construire une défense pénale fondée sur la présomption d’innocence et la
règle du doute. V. P. BALLANDIER, Pour une défense de la présomption d’innocence, op. cit.
1548
V. CH. LAZERGES, La doctrine et la dérive législative de la procédure pénale, op. cit., p. 161.
1549
À cet égard, on observera que l’ouvrage de droit processuel des éditions Dalloz fait une large place à
la présomption d’innocence. V. en dernier lieu, S. GUINCHARD et alii, Droit processuel/ Droit commun et
droit comparé du procès, Paris, Dalloz, 3e éd., 2005. La substance des développements consacrés à la
présomption d’innocence est reprise in S. GUINCHARD et J. BUISSON, Procédure pénale, op. cit.

473
La présomption d’innocence dans le discours doctrinal

particularisme du droit pénal en matière de charge de la preuve, certains auteurs assimilent


ainsi la présomption d’innocence au principe actori incumbit probatio applicable au procès
civil et présentent le principe de la présomption d’innocence sous un autre jour 1550. Cette
tendance est d’ailleurs largement suggérée par la jurisprudence. En effet, s’il semble par
exemple que la présomption d’innocence n’ait pas (encore) vocation à régir la charge de la
preuve en matière de sanctions administratives 1551 ; en revanche, le juge des référés du
Conseil d'État a pu enjoindre à l'ensemble des autorités administratives ayant eu à connaître
d’une action disciplinaire, de s'abstenir de prendre toute position publique susceptible de
méconnaître le principe de la présomption d'innocence 1552. Enfin, cette théorie ne pourra
probablement pas ignorer le résultat de la consultation que vient d’engager la commission
européenne avec le lancement de son livre vert sur la présomption d’innocence 1553.

Dans cette entreprise de reconstruction et de perfection des connaissances de la


présomption d’innocence dont elle est la meilleure pourvoyeuse, la doctrine ne devrait pas
rougir d’admettre qu’elle n’est qu’un artisan du droit et non une science exacte. Elle
pourrait ainsi s’inspirée de cette phrase du peintre Paul Klee : « L’art ne reproduit pas le
visible, il rend visible ».

1550
On pourra se référer par exemple à la construction des développements consacrés à la présomption
d’innocence par les professeurs Guinchard et Buisson dans la troisième édition de leur manuel. Le
paragraphe relatif à l’aspect probatoire de la présomption d’innocence se réduit à peu de chose, comparé à
ceux qui développent l’idée d’un droit fondamental, subjectif, opposable à tous. La même remarque vaut
pour le manuel de M. Vergès. Les développements de l’auteur s’articulent en deux temps. Le premier est
consacré à la présomption d’innocence, droit fondamental tandis que le second consiste à envisager la
présomption d’innocence en tant que droit procédural. L’étude de ce dernier aspect se résout à nier toute
spécificité à la présomption d’innocence dans la détermination de la charge de la preuve. V. E. VERGÈS,
Procédure pénale, Paris, Litec, objectif droit, 2005, n° 78 à79 et n° 88 et s.
1551
H.-.M. CRUCIS, J.-Cl. Administratif, fasc. 108-40 : sanctions administratives, n° 86.
1552
CE, ord. 14 mars 2005, n° 278435, Gollnisch. Suite à des déclarations publiques du recteur
d’académie, réclamant notamment une lourde sanction à l’encontre de M. Gollnisch, le juge administratif
relève que, s’il est loisible au recteur d'informer le public sur l'état d'avancement de la procédure, il doit,
sauf à porter atteinte à la présomption d'innocence, s'abstenir de préjuger de l'issue des poursuites et que
s'impose en outre à lui, comme à toute autorité administrative, une obligation de neutralité. V. aussi : A.
MARON, Une ordonnance affirmationiste, Dr. pén. 2005, comm. 84.
1553
La Commission a répertorié un certain nombre de droits constitutifs de la présomption d’innocence
examinés dans le livre vert et que les parties intéressées sont invitées à commenter. Si la consultation fait
apparaître un besoin en ce sens, la Commission étudiera le socle commun de droits qui pourraient être
attachés à la présomption d’innocence, en vue d’inscrire ces droits dans la proposition de décision-cadre
sur les garanties liées à l’administration de la preuve annoncée dans le programme de La Haye. V. Dr.
pén. 2006, alerte 26, Communiqué IP/06/552, 28 avr. 2006.

474
BIBLIOGRAPHIES

-I- CORPUS DOCTRINAL DE RÉFÉRENCE

-II- BIBLIOGRAPHIE GÉNÉRALE

475
-I-
CORPUS DOCTRINAL DE RÉFÉRENCE

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504
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505
INDEX DES MATIÈRES
(Les chiffres renvoient aux numéros des pages)

XIXe siècle, 73, 77, 92, 113, 132, 165, 179,


Article fondateur, 136, 174, 206, 267, 298, 209, 302
325
Doctrines pénales
Autonomie de la volonté, 125, 197, 439,
440 classique, 90, 97, 99, 103, 111, 117, 119,
446, 447, 451, 454, 463
Autoréférence Voir Doctrine
défense sociale nouvelle, 449, 454, 458, 460
Charge de la preuve, 80, 81, 87, 101, 104,
éclectique, 119
133, 134, 137, 139, 156, 181, 236, 254,
265, 269, 292, 310, 313, 319, 320, 321, positivisme italien, 96, 100, 109, 139, 437,
322, 323, 324, 327, 328, 329, 331, 333, 450, 459, 465
362, 383, 411, 452, 453, 474 Doute favorable Voir in dubio pro reo
Crise Droit romain, 37, 68, 76, 81, 91, 190, 193,
de l'enseignement du droit, 22, 30, 293 194, 195, 197, 347, 349, 408, 428, 429
du droit pénal, 106, 113, 119, 122, 209, 446 Il vaut mieux laisser échapper un
coupable que de condamner un innocent,
Déclaration des droits de l’homme
52, 91, 175, 195, 357, 429
article 9, 36, 43, 57, 58, 79, 91, 172, 174,
181, 185, 199, 200, 202, 205, 206, 246, 253, in dubio pro reo
254, 292, 310, 418, 419 origines, 190, 191, 194, 428
travaux préparatoires, 56, 62, 72 rapports avec la présomption d'innocence,
valeur juridique, 79, 207, 208, 210, 211, 213, 190, 331, 332, 333, 429
215, 248 valeur, 340, 356, 358, 360
Détention provisoire, 185, 261, 312, 363, Jurisprudence, 12, 16, 27, 29, 34, 77, 100,
365, 375, 377, 384, 389, 393, 418, 424, 459 127, 149, 157, 181, 182, 191, 243, 245,
détention préventive, 84, 134, 184, 187, 418 252, 263, 289, 290, 291, 324, 329, 341,
343, 354, 361, 362, 369, 464, 468, 469, 472
Doctrine
Liberté individuelle, 66, 84, 130, 134, 139,
ancien droit, 12, 43, 47, 81, 175, 191, 348, 143, 179, 182, 184, 200, 288, 362, 371,
351, 356, 429, 435, 441
374, 378, 416, 417, 432, 459
article fondateur Voir Article fondateur
Loi du 15 juin 2000, 33, 84, 148, 158, 161,
autoréférence, 229, 296, 464 227, 237, 256, 312, 335, 365, 366, 369,
autorité, 12, 16, 18, 21, 22, 27, 31, 48, 87, 372, 380, 391, 394, 425
165, 176, 244, 285, 288, 290, 292, 295, 301, Lumières pénales, 45, 55
304, 469
Paradoxe du présumé innocent, présumé
concept, 10, 12, 15, 17, 25, 32, 47, 48
coupable, 381, 383, 385, 387, 390, 391,
influence, 19, 21, 22, 26, 29, 56, 65, 130, 393, 394, 395, 398, 401, 404
139, 229, 244, 284, 288, 289, 304, 443, 468,
469, 470 Présomption de culpabilité, 45, 47, 50,
54, 105, 186, 208, 271, 373, 384, 389, 392,
littérature juridique, 9, 10, 18, 23, 27, 32 396, 397, 402, 403, 408, 431, 432
prédiction, 239, 376
Présomption d'innocence
prudence, 244, 362, 375, 378, 380
article 6§2 Conv. EDH, 149, 212, 245, 249,
responsabilité, 244, 470 275, 333, 362, 366, 375
source du droit, 12, 16, 51, 198, 217, 283, article 9 Déclaration des droits de l'homme
284, 288, Voir Voir Déclaration des droits de l'homme

507
article 9-1 C. civ, 36, 221, 223, 228, 229, Présomptions de culpabilité, 261, 275,
231, 232, 233, 235, 243, 257, 258, 259, 262, 321, 361, 377, 381, 382, 384, 386, 387,
307, 313, 318, 386, 436 388, 395, 397, 400, 402, 452, 454
article préliminaire CPP, 34, 221, 226, 228, Preuves
229, 231, 237, 238, 239, 241, 243, 244, 245,
246, 255, 260, 291, 312, 372, 376, 403, 425, appréciation, 53, 81, 173, 319, 336, 337, 339,
468 348, 350, 351, 352
atteintes, 185, 187, 248, 260, 261, 288, 346, charge de la preuve Voir Charge de la
364, 375, 377, 379, 382, 383, 385, 386, 387, preuve
389, 401, 402, 419, 436, 452, 459
insuffisance, 59, 89, 181, 322, 330, 342, 347,
expression, 36, 38, 65, 83, 87, 88, 90, 92, 348, 349, 353, 390
102, 133, 140, 141, 142, 152, 153, 154, 165,
légales, 50, 51, 171, 177, 178, 186, 187, 343,
173, 195, 213, 219, 236, 257, 270, 272, 291,
346, 347, 348, 350, 352
309, 310, 312, 313, 314, 315, 399, 400, 401,
402, 403, 442, 464, 468 théorie, 87, 101, 130, 131, 132, 136, 138,
236, 358
histoire, 37, 43, 143, 171, 173, 174, 178, 182,
189, 190, 195, 196, 197, 213, 464, 467, 468, Relaxe au bénéfice du doute, 156, 181,
472 335, 345, 350, 354, 384
in dubio pro reo Voir in dubio pro reo Responsabilité morale, 97, 111, 112, 118,
lieu commun, 93, 145, 146, 151, 152, 163 120, 125, 446, 448, 451, 454, 456, 459,
463, 465
loi du 15 juin 2000 renforçant la protection
de la présomption d'innocence Voir Loi du Savoir juridique
15 juin 2000
féminisation, 161
objet de connaissance, 129, 135, 138, 143,
164 histoire, 467

objet de savoir, 129, 135 lois, 197, 253


rectification, 37, 164, 178, 401, 472
personnification, 301, 302, 303, 464
symbole, 424, 445, 447, 448, 451 Secret de l’instruction, 224, 364, 379,
386, 423
théorie, 161, 288, 472

508
INDEX DES NOMS PROPRES
(Les chiffres renvoient aux numéros des pages)

Ambroise-Castérot, C, 155, 162, 236, 299, Donnedieu de Vabres, H, 105, 133, 159,
390 195, 208, 290, 330, 359
Astaing, A, 348, 357 Doucet, J.-P, 24, 289, 305, 471
Atias, Ch, 21, 22, 23, 197, 253, 293, 294, Duport, A, 63, 64, 65, 71, 181, 185, 204,
376 205, 312, 317
Auvret, P, 257, 258 Essaïd, M.-J, 61, 66, 83, 90, 92, 139, 142,
143, 150, 156, 173, 174, 182, 192, 196,
Ayrault, P, 49, 52, 60, 184
198, 200, 211, 213, 215, 220, 222, 227,
Badinter, R, 148, 174, 280, 286, 375, 419, 248, 250, 269, 272, 281, 286, 298, 322,
424 338, 341, 345, 358, 379, 407, 411, 413,
Ballandier, P, 151, 367, 390, 425, 473 414, 415, 418, 419, 432, 433, 456

Batiffol, H, 244 Farthouat, J.-R, 148, 386, 387

Beccaria, C, 55, 56, 57, 58, 186, 206, 437 Faustin-Hélie, M, 75, 76, 77, 78, 79, 81,
83, 131, 208, 290, 433, 445
Bentham, J, 87, 89, 90, 92, 99, 179, 315,
411, 412, 419, 441 Ferri, E, 96, 97, 98, 99, 100, 101, 102, 103,
104, 105, 110, 112, 114, 116, 123, 124,
Berriat-Saint-Prix, J, 75, 76, 82 125, 141, 196, 210, 219, 298, 301, 310,
Boitard, J.-E, 77, 78 332, 429, 442, 443, 444, 446, 448, 451,
458, 463
Bongert, Y, 437
Garçon, E, 27, 29, 122, 290
Bonnier, E, 76, 87, 88, 89, 101, 132
Garçon, M, 134, 287
Bouloc, B, 201, 212, 241, 308, 311, 330,
341, 435, 454 Garraud, R, 27, 29, 87, 96, 100, 101, 102,
103, 104, 119, 120, 122, 124, 131, 132,
Brissot de Warville, J.-P, 57, 59 141, 173, 195, 207, 208, 290, 300, 330,
Buisson, J, 155, 159, 229, 242, 267, 277, 332, 344, 411, 429, 433, 435, 458
310, 320, 362, 365, 453, 474 Gassin, R, 110, 114, 455, 460
Bureau, H, 162, 234, 257, 426 Gautier, P.-Y, 10, 136, 137, 138, 293, 294,
Carbasse, J.-M, 51, 56, 67, 177, 203 470

Carbonnier, J, 134, 154, 163, 184, 206, Gorphe, F, 351, 352, 423
232, 287, 375, 386, 403, 408, 419, 432, 436 Henrion, H, 63, 66, 161, 164, 178, 185,
Cardet, Ch, 371, 372 203, 240, 249, 253, 255, 256, 257, 262,
274, 313, 376, 417, 424, 426, 427, 471, 473
Chassaing, J.-F, 148, 177, 178, 205, 286
Holtappels, P, 192
Conte, Ph, 224, 234, 341, 346, 388, 404,
415, 432 Jamin, Ch, 11, 13, 15, 17, 18, 19, 20, 21,
24, 232, 233, 234, 237, 467, 470
Cornu, G, 152, 153, 154, 259
Jeandidier, W, 45, 147, 278, 287, 364,
Daoulas, H, 151, 215 402, 404
Décamps, J, 151, 204 Jestaz, Ph, 11, 13, 15, 17, 18, 19, 20, 21,
Delmas-Marty, M, 30, 147, 161, 210, 225, 232, 233, 234, 237, 470, 471
226, 228, 239, 254, 338, 364, 425, 468, 469 Jousse, D, 48, 49, 50, 52, 53, 176, 193
Detraz, S, 300, 311, 313, 325, 336, 369, Kiejman, G, 202, 220, 227, 287
399, 400, 401, 416

509
Koering-Joulin, R, 162, 226, 228, 294, Patarin, J, 105, 135, 136, 137, 138, 139,
387, 416, 424 141, 199, 206, 210, 220, 253, 265, 267,
298, 300, 325, 327, 340, 356, 358, 431, 433
Lagarde, X, 322, 323, 343
Pothier, R.-J, 55
Laingui, A, 12, 48, 51, 62, 73, 191, 193,
227 Pradel, J, 27, 30, 32, 55, 104, 145, 153,
156, 159, 173, 222, 224, 234, 241, 247,
Larguier, J, 28, 133, 153, 159, 298, 412,
261, 272, 284, 286, 289, 290, 301, 308,
449, 458, 463
325, 355, 368, 369, 385, 387, 391, 394,
Lazerges, Ch, 30, 158, 162, 228, 242, 289, 407, 412, 417, 419, 430, 437
291, 468, 469, 470
Putman, E, 239, 242
Le Calvez, J, 153, 154
Ranouil, V, 125, 214, 439, 440, 441, 442,
Le Seyllier, A.-F, 75, 76, 78, 82, 179, 208 443, 444, 445, 446
Léauté, J, 55, 140, 174, 202, 316, 365, Rassat, M.-L, 27, 105, 132, 161, 174, 224,
366, 457 226, 227, 266, 285, 290, 293, 301, 335,
Leclerc, H, 223, 364 340, 368, 407, 412, 415, 417, 469

Legeais, R, 286, 289, 290, 294, 355 Robert, J.-H, 29, 258, 375, 462

Levasseur, G, 30, 135, 153, 159, 171, 174, Roux, J.-A, 114, 133, 156, 195, 208, 281,
201, 298, 308, 311, 330, 341, 352, 417, 294, 411
424, 433, 435, 454 Samet, C, 162, 398
Lombois, C, 147, 213, 287, 344, 388, 432 Sériaux, A, 20, 259, 288
Mably, G, 60, 65 Stéfani, G, 56, 134, 136, 138, 142, 159,
Maistre du Chambon, P, 31, 159, 234, 201, 216, 298, 308, 311, 341, 435, 454
293, 315, 341, 380, 415 Stree, W, 192
Malaurie, Ph, 19, 259 Tarde, G, 117
Maron, A, 245, 394, 474 Thomas (d’Aquin), 193, 194, 436
Merle, Ph, 218 Tilliet, E, 456
Merle, R, 28, 32, 45, 87, 105, 156, 159, Tonglet, A, 151, 220, 257, 355, 424, 452
241, 243, 250, 252, 260, 272, 278, 287,
Trébutien, E, 76, 78, 79
301, 308, 313, 314, 321, 340, 389, 412,
424, 425, 426, 431, 435, 448, 455, 458 Truche, P, 227, 242, 367, 369, 425
Mittermaier, C.-J.-A, 87, 88, 89, 196 van de Kerchove, M, 21, 89, 167, 395,
398, 400, 401, 433
Molfessis, N, 239, 240, 471
Vermeil, 59, 60, 65
Montenbruck, A, 192, 333, 334
Vidal, G, 78, 87, 104, 105, 115, 118, 121,
Montesquieu, 57, 65
131, 133, 195, 208, 290, 300
Muyart de Vouglans, P.-F, 48, 49, 50, 53,
Villey, M, 198, 437
429
Vitu, A, 28, 32, 45, 87, 105, 135, 140, 156,
Nagouas-Guérin, M.-C, 31, 338, 340, 343,
159, 196, 241, 243, 250, 252, 272, 278,
345
301, 308, 313, 314, 321, 340, 389, 412,
Ortolan, E, 75, 76, 78, 79, 81, 82, 84, 208, 424, 425, 426, 431, 435, 458
445
Vouin, R, 140, 286
Ost, F, 21, 167, 395, 396, 398, 400, 401

510
TABLE DES MATIÈRES

INTRODUCTION....................................................................................................................... 9

Section 1 : Regard sur la doctrine................................................................................................ 15


§ 1. La doctrine par elle-même ............................................................................................... 15
A- Le concept de doctrine, la genèse ................................................................................. 15
B- Le concept de doctrine, le contenu................................................................................ 17
§ 2. Approche de la doctrine pénale........................................................................................ 26
A- L’existence d’une doctrine pénale ................................................................................ 26
B- Doctrine juridique du droit pénal et doctrines pénales.................................................. 32
Section 2 : La présomption d’innocence dans le discours doctrinal ............................................ 33
§ 1. L’actualité de la présomption d’innocence ...................................................................... 33
§ 2. La présomption d’innocence comme objet du discours doctrinal.................................... 36

PREMIÈRE PARTIE : L’OBJET DANS LE DISCOURS ................................................... 41

TITRE 1 : L’ABSENCE DE LA PRÉSOMPTION D'INNOCENCE DANS LE DISCOURS DOCTRINAL JUSQU’À LA


E
FIN DU XIX SIÈCLE .................................................................................................................................. 43

Chapitre 1 : La doctrine pénale de l’ancien droit et la protection de l’innocence .......................... 45

Section 1 : La doctrine criminaliste ............................................................................................. 47


§ 1. L’absence......................................................................................................................... 47
A- Les auteurs .................................................................................................................... 48
B- Le discours .................................................................................................................... 50
§ 2. La protection de l’innocence dans le discours des anciens auteurs.................................. 52
Section 2 : Le discours des lumières pénales............................................................................... 55
§ 1. L’objet du discours réformateur....................................................................................... 57
A- Les lumières pénales..................................................................................................... 57
B -Brissot de Warville et les réformateurs ......................................................................... 59
§ 2. Le discours préparatoire à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen............... 61
A- Les travaux préparatoires.............................................................................................. 62
B- La discussion des projets et l’adoption de la Déclaration des droits de l’homme et du
citoyen................................................................................................................................ 63

Chapitre 2 : La doctrine du droit pénal moderne ............................................................................ 71

Section 1 : Le silence des criminalistes ....................................................................................... 73


§ 1. Une image de la doctrine criminaliste du XIXe siècle ..................................................... 73
A- Doctrine et enseignement du droit criminel .................................................................. 74
B- La méthode des criminalistes du XIXe siècle................................................................ 77
§ 2. Le silence relatif à la présomption d'innocence ............................................................... 79
A- Le discours sur la preuve en matière criminelle............................................................ 80
B- La question de la liberté individuelle ............................................................................ 84
Section 2 : L’évocation par les théoriciens de la preuve criminelle ............................................ 87
§ 1. Bonnier et Mittermaier..................................................................................................... 87
§ 2. L’évocation de la présomption d’innocence par Bentham............................................... 89

TITRE 2 : L’ÉMERGENCE DE LA PRÉSOMPTION D'INNOCENCE COMME OBJET DE DISCOURS AU XXE


SIÈCLE ....................................................................................................................................................... 93

Chapitre 1 : L’introduction de la présomption d'innocence dans le discours doctrinal .................. 95

Section 1 : L’apparition de la présomption d'innocence dans le discours doctrinal .................... 96


§ 1. La présomption d'innocence dans le discours de Enrico Ferri ......................................... 96
§ 2. L’émergence de la présomption d'innocence dans le discours doctrinal français .......... 100

511
A- L’émergence de la présomption d’innocence dans les ouvrages de Garraud.............. 101
B- La réaction au discours de Ferri dans le reste de la littérature juridique ..................... 104
Section 2 : Le contexte de l’émergence ..................................................................................... 107
§ 1. Les bouleversements de la science pénale ..................................................................... 107
A- Le modèle théorique d’une révolution scientifique..................................................... 107
B- Les théories nouvelles de l’école positiviste italienne................................................. 109
§ 2. Les pénalistes français dans la crise du droit pénal........................................................ 113
A- La réception des théories positivistes.......................................................................... 113
B- La réaction des criminalistes ....................................................................................... 115
1) Réactions critiques ................................................................................................................. 116
2) La crise comme facteur d’émergence de la présomption d’innocence dans le discours .........124

Chapitre 2: La consécration de la présomption d'innocence en tant qu’objet de discours............ 127

Section 1 : Le statut de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal ........................ 129


§ 1. La présomption d’innocence - objet de savoir ............................................................... 129
A- La présomption d’innocence : élément d’une théorie de la preuve pénale.................. 131
B- La présomption d’innocence et la détention préventive .............................................. 134
§ 2. La présomption d’innocence - objet de connaissance .................................................... 135
A- « Le particularisme de la théorie des preuves en droit pénal » de Jean Patarin........... 136
B- La thèse de doctorat de M.-J. Essaïd ........................................................................... 142
Section 2 : La pérennisation de la présomption d’innocence dans le discours .......................... 145
§ 1. La présomption d’innocence : un lieu commun du discours pénal ?.............................. 146
A- L’augmentation significative de la littérature prenant pour objet la présomption
d’innocence ...................................................................................................................... 146
B- Tempéraments à la banalisation .................................................................................. 152
§ 2. Production doctrinale et savoir sur la présomption d’innocence.................................... 158
A- L’état des sources de savoir d’origine doctrinale........................................................ 158
B- Le savoir sur la présomption d’innocence................................................................... 163
Conclusion de la première partie ............................................................................................... 165

DEUXIÈME PARTIE : LE DISCOURS SUR L’OBJET.................................................... 167

TITRE 1 : L’INTERPRÉTATION DOCTRINALE DES SOURCES DE LA PRÉSOMPTION D’INNOCENCE ......... 169

Chapitre 1 : La Révolution : source historique de la présomption d’innocence ............................ 171

Section 1 : Le caractère incertain de la rupture.......................................................................... 173


§. 1 L’incertitude de la rupture au regard de l’état du droit .................................................. 175
A- Le sort de la personne poursuivie avant la Révolution................................................ 175
B- La consécration de la présomption d’innocence et le sort de la personne poursuivie
après la Révolution........................................................................................................... 179
§. 2 L’incertitude de la rupture au regard des justifications doctrinales................................ 182
A- L’incompatibilité entre présomption d’innocence et procédure inquisitoire............... 182
B- L’incompatibilité entre présomption d’innocence et atteintes à liberté individuelle... 184
C- L’incompatibilité entre présomption d’innocence et torture ....................................... 186
Section 2 : Le caractère artificiel de la rupture .......................................................................... 189
§. 1 L’oubli des origines ....................................................................................................... 189
A- Recherche des origines................................................................................................ 190
1) Genèse de l’adage in dubio pro reo ........................................................................................ 190
2) Les règles tirées du Corpus Juris civilis.................................................................................. 193
B- La réécriture de l’histoire ............................................................................................ 195
1) Modalités de la réécriture ....................................................................................................... 195
2) Les raisons de la réécriture ..................................................................................................... 197
§. 2 La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen : source formelle et artificielle de la
présomption d’innocence ...................................................................................................... 199
A- La libre interprétation de la Déclaration ..................................................................... 199
1) La lettre du texte..................................................................................................................... 200
2) L’esprit de l’article 9 .............................................................................................................. 203
B- Le rattachement à la Déclaration des droits et la question de l’existence juridique de la
présomption d’innocence ................................................................................................. 206

512
Chapitre 2 : Le discours sur les sources positives ......................................................................... 215

Section 1 : L’affirmation de l’existence juridique de la présomption d’innocence ................... 217


§. 1 Le recours aux règles légales et supra légales................................................................ 217
A - La question de la légalité de la présomption d’innocence ......................................... 217
1) L’affirmation de la légalité de la présomption d’innocence ................................................... 218
2) L’inscription de la présomption d’innocence dans la loi........................................................ 221
3) La réception des nouveaux textes dans le discours doctrinal ................................................. 229
B- La référence aux autres sources .................................................................................. 246
1) La litanie des sources ............................................................................................................. 246
2) L’appréciation de la valeur de la présomption d’innocence au regard des diverses sources .. 248
3) Nature et portée de la présomption d’innocence au regard des diverses sources ................... 251
§. 2 Le recours à la jurisprudence ......................................................................................... 263
A- Le recours à la jurisprudence comme justification du discours doctrinal ................... 264
1) L’interprétation des décisions implicites de la Cour de cassation .......................................... 264
2) Le recours aux décisions explicites........................................................................................ 271
B- Les enseignements tirés de la jurisprudence ............................................................... 274
1) Le recours aux décisions précisant la notion de présomption d’innocence ............................ 274
2) Les enseignements critiques tirés de la jurisprudence............................................................ 278
Section 2 : La doctrine peut-elle être une source de la présomption d’innocence ? .................. 283
§. 1 La doctrine ne saurait être une source de la présomption d’innocence.......................... 283
A- L’effacement de la doctrine pénale derrière les sources officielles ............................ 284
B- L’incertitude doctrinale quant à l’existence de la présomption d’innocence .............. 285
§. 2 La doctrine pourrait apparaître comme une source de la présomption d’innocence ...... 288
A- L’influence de la doctrine sur les sources officielles .................................................. 289
1) L’influence des opinions........................................................................................................ 290
2) L’influence de l’enseignement............................................................................................... 292
B- L’autorité doctrinale à l’œuvre.................................................................................... 295
1) L’autoréférence doctrinale ..................................................................................................... 296
2) La personnification de la présomption d’innocence............................................................... 301
TITRE 2 : SIGNIFICATION ET FONDEMENT DE LA PRÉSOMPTION D’INNOCENCE DANS LE DISCOURS
DOCTRINAL .............................................................................................................................................. 305

Chapitre 1: La signification de la présomption d’innocence dans le discours doctrinal............... 307

Section 1 : L’indétermination du sens ....................................................................................... 309


§ 1. L’incertitude terminologique ......................................................................................... 309
A- La formule « présomption d’innocence » ................................................................... 309
B- La définition de la présomption d’innocence .............................................................. 315
§ 2. L’incertitude juridique ................................................................................................... 319
A- La présomption d’innocence et la charge de la preuve ............................................... 319
1) La présomption d’innocence, réponse à une fausse question ................................................. 319
2) La justification par l’autonomie du droit pénal ...................................................................... 324
3) De la charge de la preuve au risque du doute......................................................................... 329
B- Le bénéfice du doute comme signification de la présomption d’innocence................ 331
1) L’incertitude des rapports entre présomption d’innocence et in dubio pro reo ...................... 331
2) L’incertitude quant au sens même de la règle du doute favorable.......................................... 334
3) Recherche du sens et de la portée de la règle du doute favorable........................................... 344
Section 2 : L’indétermination des conséquences ....................................................................... 361
§ 1. Le choix de l’indétermination........................................................................................ 361
A- L’indétermination du droit à être traité conformément à la présomption d’innocence 362
1) La détermination des implications de la présomption d’innocence par la jurisprudence et le
législateur ................................................................................................................................... 362
2) L’absence de réflexion sur la compatibilité de certaines règles et institutions avec la
présomption d’innocence ........................................................................................................... 370
B- Prudence de la doctrine ? ............................................................................................ 375
1) Le risque de l’incohérence ..................................................................................................... 376
2) Le risque de la dilution........................................................................................................... 379
§2. Le paradoxe du présumé innocent, présumé coupable.................................................... 381
A- Formulation du paradoxe du présumé innocent, présumé coupable ........................... 381
1) La mise au jour du paradoxe ou la rhétorique des atteintes à la présomption d’innocence .... 382
2) Vers la reconnaissance du statut paradoxal de la personne suspecte ou poursuivie ............... 387
B- Les vertus du paradoxe ............................................................................................... 395
1) Le statut paradoxal de la personne poursuivie et le sens de la présomption d’innocence ...... 395
2) Faut-il résoudre le paradoxe du présumé innocent, présumé coupable .................................. 398

513
Chapitre 2 : Discours doctrinal et fondement de la présomption d’innocence .............................. 407

Section 1 : Le discours sur le fondement de la présomption d’innocence ................................. 410


§. 1 La pluralité de fondements disponibles.......................................................................... 410
A- Les arguments tirés de la raison juridique................................................................... 410
1) La vraisemblance au fondement de la présomption d’innocence ........................................... 411
2) L’utilité de la présomption d’innocence fondée sur la manifestation de la vérité................... 413
B- Le fondement politique de la présomption d’innocence.............................................. 415
1) L’expression du fondement politique ..................................................................................... 415
2) Les composantes du fondement politique............................................................................... 416
§. 2 La question du fondement éludée .................................................................................. 421
A- Du fondement de la présomption d’innocence au fondement sur la présomption
d’innocence ...................................................................................................................... 421
1) Manifestations du caractère fondamental de la présomption d’innocence dans le discours ...422
2) L’affirmation explicite du caractère fondamental de la présomption d’innocence ................. 423
B- L’indicible fondement ................................................................................................. 428
1) Le fondement abandonné ....................................................................................................... 428
2) Permanence du fondement à travers le discours doctrinal ...................................................... 431
Section 2 : Le fondement du discours sur la présomption d’innocence..................................... 439
§ 1. La raison d’être d’un discours sur la présomption d’innocence..................................... 439
A- De l’idée au concept de présomption d’innocence...................................................... 440
1) L’apparition de la formule...................................................................................................... 440
2) Les conditions d’apparition et de généralisation de la formule .............................................. 441
B- Le concept comme symbole d’une philosophie à l’œuvre .......................................... 445
1) Identification d’un élément déclencheur................................................................................. 445
2) La présomption d’innocence comme symbole ....................................................................... 447
§ 2. Permanence de la raison d’être à travers le discours...................................................... 450
A- À travers le discours sur la signification ..................................................................... 451
1) La signification terminologique.............................................................................................. 451
2) La signification juridique de la présomption d’innocence...................................................... 452
B- À travers la question du fondement............................................................................. 457
1) Manifestations de la raison d’être du discours et fondement de la présomption d’innocence 457
2) La présomption d’innocence comme fondement .................................................................... 463
Conclusion de la deuxième partie .............................................................................................. 464

CONCLUSION........................................................................................................................ 467

BIBLIOGRAPHIES................................................................................................................ 475
-I- CORPUS DOCTRINAL DE RÉFÉRENCE ................................................................................................. 477
-II- BIBLIOGRAPHIE GÉNÉRALE.............................................................................................................. 493
INDEX DES MATIÈRES ....................................................................................................... 507
INDEX DES NOMS PROPRES............................................................................................. 509
TABLE DES MATIÈRES ...................................................................................................... 511

514

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