Exécution Des Mandats D'arrêt Internationaux
Exécution Des Mandats D'arrêt Internationaux
Exécution Des Mandats D'arrêt Internationaux
Résumé :
La nature des atteintes graves à l’humanité justifie le caractère dérogatoire
au droit commun des poursuites pénales à l’encontre de personnes
physiques devant la Cour Pénale Internationale. Comme un élément de
démarcation, les immunités et privilèges spéciaux attachés à la qualité
officielle d’une personne en vertu du droit interne ou du droit international,
ne constituent aucune excuse absolutoire de responsabilité ainsi que le
stipule l’article 27 du statut de Rome. Cependant, l’efficacité de la
répression parait difficilement à portée, lorsque l’obligation statutaire de
coopérer des Etats aux demandes de remise d’un chef d’Etat en exercice,
est en conflit avec le respect des immunités entre chefs d’Etat, en raison
des obligations coutumières internationales reconnues, et admises à l’article
98(1) du statut de Rome lui-même.
Le rapport entre les sources de droit, notamment les articles 27 et 98 du
statut de Rome d’une part, entre les dispositions de ce statut, et les
obligations coutumières sur les immunités d’autre part, sont des variables
dont la mise en corrélation révèle, au regard de la jurisprudence
internationale et de la doctrine, une incohérence d’ensemble.
Les interprétations différenciées des rapports d’obligation en jeu, apporte à
l’argument politique, le surcroit de flou juridique qui nourrit la résistance des
Etats Parties. Elles rendent perplexe la coopération étatique à l’activité de la
Cour, étouffe une mise en œuvre déjà très endolorie de l’exécution des
mandats internationaux à l’encontre des chefs d’Etat par d’autres chefs
d’Etat, et dessert la légitimité de la Cour Pénale Internationale.
La présente réflexion se propose de faire un état des lieux des sources
juridiques à l’appui des positions défendues par les acteurs en présence,
afin d’apporter une interprétation salutaire qui conviendrait, pour une
meilleur détermination de la frontière de l’obligation des Etats découlant de
l’inopposabilité de la qualité officielle.
INTRODUCTION
« Le fait que l’auteur d’un acte qui constitue un crime de droit international a
agi en qualité de chef d’Etat ou de gouvernement ne dégage pas sa
responsabilité en droit international. » pouvait-on lire à l’article 7 du Statut
du Tribunal Militaire de Nuremberg (TIM). Si la pratique désigne désormais
une tradition reconduite dans le temps, l’exécution des mandats d’arrêts
internationaux constitue l’une des difficultés traditionnelles dans la mise en
œuvre de l’obligation de coopération des Etats aux activités de la Cour
Pénale Internationale (CPI). Tandis que la question de l’immunité des chefs
d’Etat en est précisément l’épicentre, l’obligation générale de coopération
prévue à l’article 86 du statut de Rome précise par ailleurs que « les États
Parties coopèrent pleinement avec la Cour dans les enquêtes et poursuites
qu'elle mène pour les crimes relevant de sa compétence. ». C’est en vertu
de cette disposition que la Cour peut présenter à tout État Partie sur le
territoire duquel une personne est susceptible de se trouver une demande,
accompagnée des pièces justificatives, tendant à ce que cette personne
soit arrêtée et lui soit remise, et solliciter la coopération de cet État pour
l'arrestation et la remise de la personne1.
Cependant, les cas ne sont pas rares où les Etats s’abstiennent de
répondre favorablement aux demandes de remise formulées par la CPI en
exécution des mandats d’arrêts dirigés contre les Chefs d’Etats. A titre
d’exemple, la Cour a respectivement délivré les 04 mars 2009 et 12 juillet
2010, deux mandats d’arrêt demeurés inexécutés contre le Président en
exercice du Soudan, M. Omar Al-Bashir2 qui depuis s’est pourtant rendu au
Tchad les 15 et 16 février 2013 puis le 11 mai 2013, ainsi qu’au Nigéria du
15 au 16 juillet 2013. Les rapports du bureau de l’Assemblée des Etats
Parties relatifs au défaut de coopération des Etats, révèlent à ce propos la
difficulté sur plusieurs années de mettre en œuvre les obligations découlant
du statut de Rome, notamment lorsque l’indifférence de la Cour à l’égard
des immunités rencontre la sensibilité des Etats à celles de leurs dirigeants.
L’indifférence que les règles de procédure pénale du Statut de Rome
prêtent à la qualité officielle est consacrée par son article 27 qui stipule ce
qui suit :
« les immunités ou règles de procédure spéciales qui peuvent s’attacher à
la qualité officielle d’une personne, en vertu du droit interne ou du droit
international, n’empêchent pas la Cour d’exercer sa compétence à l’égard
de cette personne. ».
Cette disposition s’applique à tous de manière égale, sans aucune
distinction fondée sur la qualité officielle. En particulier, la qualité officielle
de Chef d’État ou de gouvernement, de membre d’un gouvernement ou
d’un parlement, de représentant élu ou d’agent d’un État, n’exonère en
aucun cas de la responsabilité pénale au regard du présent Statut, pas plus
qu’elle ne constitue en tant que telle un motif de réduction de la peine3.
Par ailleurs, « L’immunité internationale [qui nous intéresse] peut être définit
comme l’obligation qui est faite à l’Etat en vertu du droit international public
de ne pas exercer sa juridiction contre un Etat étranger ou son
représentant, le terme “juridiction” étant entendu dans un sens ample
couvrant l’exercice de l’ensemble des compétences internes. »4. Encore
faut-il ne pas confondre les notions d’immunité de juridiction et d’immunité
d’exécution. La première renvoie à un privilège dont bénéficient les chefs
d’Etat étrangers et les agents diplomatiques, au nom de la courtoisie
diplomatique et du respect de la souveraineté des Etats étrangers, et en
vertu duquel ces personnes ne peuvent être déférées aux juridictions de
l’Etat où elles résident, ni en matière pénale, ni en matière civile5. La
deuxième quant à elle est un privilège qui protège contre toute exécution
forcée les bénéficiaires d’une immunité de juridiction6.
L’intérêt de relever la difficulté de concilier les immunités des chefs d’Etat et
l’obligation de coopérer est d’abord historique, avec l’exemple de
l’arrestation d’Augusto Pinochet en octobre 1998 sur demande de la
magistrature espagnole, les trois décisions prises par les plus hautes
autorités juridictionnelles de la Grande Bretagne et de la France7 ou la mise
en accusation du Président yougoslave Slobodan Milosevic par le Tribunal
Pénal International pour l’ex-Yougoslavie (TPIY), les plaintes déposées par
la Belgique contre Ariel Sharon. La pratique judiciaire en la matière est
beaucoup plus antérieure.
Le défaut de pertinence de la qualité officielle est un héritage reconduit sur
les trois générations des juridictions internationales pénales depuis le
Tribunal International Militaire de Nuremberg jusqu’à la CPI en passant par
les tribunaux mixtes8.
Plus encore, au plan de la politique juridique extérieure des Etats9, un
certain tropisme africain des affaires devant la CPI10 et les mandats
d’arrêts contre les chefs d’Etat en exercice, a provoqué le désaveu d’une
partie de la communauté internationale africaine, à l’origine non seulement
de l’annonce du retrait de certains Etats Parties11, mais bientôt d’une
régionalisation à l’échelle africaine, du contentieux pénal international12.
Au plan normatif, l’hypothèse d’un conflit des sources ou des interprétations
différenciées de celles-ci est donnée par le heurt entre l’indifférence à la
qualité officielle postulée à l’article 27 et qui fonde les demandes de remise
des chefs d’Etat formulée par la CPI d’une part, et la haute sensibilité des
Etats quant au respect de ces immunités entre autres constatées par la
Convention de Vienne sur les relations diplomatiques de 1961 13 d’autre part.
Aussi, sous l’angle de la dogmatique juridique, le contenu des normes, à
l’instar du Statut de Rome, de la Convention de Vienne sur les relations
diplomatiques, de la Jurisprudence de la Cour Internationale de Justice
(CIJ)14, de la coutume internationale et de la doctrine mérite d’être
questionnée.
Existe-t-il une contradiction inter-normative, et/ou un conflit d’interprétation
des normes en présence ? Au demeurant, l’interrogation centrale, à la suite
de l’hypothèse préalablement énoncée, serait de savoir quel est la portée
de l’obligation de coopération des Etats Parties à l’exécution des mandats
d’arrêts internationaux devant la CPI à l’encontre des chefs d’Etat?
La confrontation des normes juridiques à l’appui de la position de
l’organisme émetteur de la demande de remise d’une part (I), avec celles
évoquées par les Etats Parties, débiteurs de l’obligation de coopérer (II),
permettra définir les frontières réelles du rapport d’obligations.
La lecture faite par la CPI à ce propos est à l’image des arguments élevés
dans ses décisions telles que rapportées par le bureau de l’Assemblée des
Etats parties.
L’examen des rapports du bureau, fait observer un non-respect des
engagements (B) impliquant pour les Etats une obligation absolue de
coopérer à l’exécution des mandats d’arrêt internationaux (A).
b. De la coutume
« La Cour observera tout d'abord qu'il est clairement établi en droit
international que, de même que les agents diplomatiques et consulaires,
certaines personnes occupant un rang élevé dans l'Etat, telles que le chef
de l’Etat, le chef du gouvernement ou le ministre des affaires étrangères,
jouissent dans les autres Etats d'immunités de juridiction, tant civiles que
pénales. Aux fins de la présente affaire, seules l'immunité de juridiction
pénale et l'inviolabilité d'un ministre des affaires étrangères en exercice
doivent être examinées par la Cour. »55. La CIJ parait affirmer l’existence
des immunités des chefs d’Etat comme un axiome, préalable à l’analyse,
sans avoir effectué aucune démonstration. Serait-ce à dire que « nul ne
conteste la légitimité d’un tel statut [particulier conféré par l’immunité] du fait
de la nature particulière de la fonction exercée par un citoyen qui a cessé
d’être ‘un citoyen ordinaire’ »56 ?
Par ailleurs, nous sommes d’avis avec METILLE Sylvain que l’opinion
individuelle du juge BULA BULA, permet de tirer la conclusion de l’existence
d’une immunité coutumière en droit international : « l’existence d’une règle
fermement établie suivie obligatoirement par la majorité d’environ cent
quatre-vingt-dix Etats appartenant à l’Afrique, l’Asie, l’Amérique, l’Europe et
l’Océanie, en vertu de laquelle le ministre des affaires étrangères en
fonction bénéficie d’une immunité et d’une inviolabilité pénales absolues
n’est pas contestable »57.
L’on peut citer enfin la Résolution de l’Institut de droit international
concernant « les immunités de juridiction et d’exécution du chef d’Etat et de
gouvernement en droit international »58. Cette résolution reconnaît
l’inviolabilité de la personne du chef d’Etat sur le territoire d’un Etat
étranger, l’immunité en matière pénale pour toute infraction en matière civile
et administrative pour les actes commis dans l’exercice de ses fonctions.
L’immunité des chefs d’Etat est au cœur de l’argumentaire des Etats pour
faire obstacle aux demandes de remises de la Cour pénale internationale.
B. De L’existence d’une exception aux demandes de remise de l’article
98 du Statut de Rome
L’article 98 du Statut de Rome stipule ce qui suit :
« 1. La Cour ne peut poursuivre l'exécution d'une demande de remise ou
d'assistance qui contraindrait l'État requis à agir de façon incompatible avec
les obligations qui lui incombent en droit international en matière d'immunité
des États ou d'immunité diplomatique d'une personne ou de biens d'un État
tiers, à moins d'obtenir au préalable la coopération de cet État tiers en vue
de la levée de l'immunité.
2. La Cour ne peut poursuivre l'exécution d'une demande de remise qui
contraindrait l'État requis à agir de façon incompatible avec les obligations
qui lui incombent en vertu d'accords internationaux selon lesquels le
consentement de l'État d'envoi est nécessaire pour que soit remise à la
Cour une personne relevant de cet État, à moins que la Cour ne puisse au
préalable obtenir la coopération de l'État d'envoi pour qu'il consente à la
remise. ».
Cette disposition se rapporte à l’existence de contraintes pour l’Etat telles
qu’elles découleraient du respect des immunités des Etats en droit
international, ou des immunités diplomatiques d’une personne.
REMARQUES CONCLUSIVES
Rendu au terme de notre analyse, où notre propos était de rechercher les
frontières de l’obligation de coopérer des Etats Partie au statut de Rome à
l’exécution des mandats d’arrêt délivré par la CPI, il nous aura été donné de
faire plusieurs observations :
En premier lieu, les Etats ont effectivement l’obligation de coopérer aux
demandes de remise de la CPI si celle-ci implique effectivement
l’arrestation de l’individu sur le territoire d’un Etat Partie. Cette coopération
est due chaque fois qu’elle ne rentre pas dans le cadre de l’article 98, en
l’occurrence si l’immunité ne se rapporte pas aux Etats ou encore à celle
constatée par la Convention de Vienne sur les relations diplomatique.
En deuxième lieu, si les Etats sont contraints de mettre à exécution les
mandats d’arrêt internationaux de la Cour contre les chefs d’Etat, l’écran de
l’immunité visé à l’article 98 du statut qui apparaitrait comme une réserve à
l’article 27 du Statut. Cette lecture postule non pas la contradiction, mais le
rapport de continuité entre les deux dispositions. Sans heurter l’article 27, la
réserve de l’article 98 n’empêchera pas pour autant la Cour d’engager la
responsabilité du dirigeant, d’exercer les poursuites sans pouvoir exiger
d’un Etat partie son arrestation et sa remise.
Enfin et en troisième lieu, conscient que la difficulté d’exécution tient
également aux relations internationales entre les Etats, au-delà du souci
juridique qui a drainé l’objectif de notre analyse, cette interprétation du
statut est une invite à une clarification des rapports d’obligations juridiques
entre acteurs en présence, de même qu’à une politique de poursuite
soucieuse de la légalité et de la légitimité.
Toute stratégie de poursuite qui composerait avec la perte de l’immunité
conséquente à la perte de la qualité de chef de l’Etat soit à l’usure par
l’achèvement du mandat ou, par la perte circonstancielle de celle-ci, aurait
l’avantage de ne souffrir d’aucun obstacle de droit : les crimes relevant de la
compétence de la Cour ne se prescrivent pas 63.
Nous pensons que cette interprétation des dispositions du statut de Rome
est conforme à celle de la Cour Européenne des Droits de l’Homme. En ce
qui concerne la conciliation d’une règle conventionnelle avec d’autres
normes de droit international, la Grande Chambre dans l’affaire Al Adsani c.
Royaume-Uni explique : « La Convention (…) ne saurait s’interpréter dans
le vide. La Cour ne doit pas perdre de vue le caractère spécifique de traité
de garantie collective des droits de l’homme que revêt la Convention et elle
doit tenir compte des principes pertinents du droit international (…). La
Convention doit autant que faire se peut s’interpréter de manière à concilier
avec les autres règles de droit international, dont elle fait partie intégrante, y
compris celles relatives à l’octroi de l’immunité aux Etats »64.
Une initiative en faveur de la seule immunité d’exécution serait plus logique.
Une immunité qui bloquerait uniquement l’exécution de tout mandat d’arrêt
international serait justifiée pour des raisons de continuité fonctionnelle et
en raison des obligations relevant du droit international des Etats. Mais
celle-ci serait sans incidence sur les poursuites auxquelles peuvent donner
lieu l’ouverture d’une procédure pénale internationale. Les victimes auront
de tout temps un recours ouvert devant une juridiction devant laquelle il est
toujours possible d’obtenir une condamnation pécuniaire sans préjudice de
la peine d’emprisonnement qui pourra quant à elle être exécutée une fois
que la qualité de Chef de l’Etat aura été perdue.
ANNEXE
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En tout état de cause, la qualité officielle de Chef d’Etat et l’immunité de juridiction rattachée perdent à l’usure ce que gagne la
poursuite du fait de l’imprescriptibilité des crimes internationaux (Article 29 du Statut)
BIBLIOGRAPHIE INDICATIVE
NOTE