Histoire Générale de L'afrique Volume V PDF
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Études et documents
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I S B N 92-3-201834-9
Édition anglaise 92-3-101834-5
© Unesco, 1981
Préface
Introduction 9
Ali A . Mazrui
Parmi les cinq facteurs les plus importants, nous citerons en premier lieu la
distance qui sépare chacun des États africains des zones à libérer. C e facteur
a certainement joué un rôle dans la formation du groupe des États dits « de la
zone du front », m ê m e si leur situation aux frontières m ê m e s de l'Afrique
australe n'est évidemment que l'une des causes de leur militantisme
politique ; l'expression de « zone du front » correspond en fait à un concept
géopolitique. Jusqu'au coup d'État de Lisbonne, la Tanzanie et la Zambie
étaient les principaux pays limitrophes de la zone que formait alors l'Afrique
australe soumise à la domination des Blancs. Vincent B . Khapoya les a
placés au premier rang des pays africains pour l'aide apportée à l'Afrique
australe.
Depuis l'effondrement de l'empire portugais, à la suite du coup d'État
de Lisbonne (avril 1974), deux autres pays assez progressistes participent très
activement à la libération des zones encore asservies : le Mozambique, qui
est devenu la base de la fraction militaire la plus importante des combattants
du Z i m b a b w e , et l'Angola, qui joue un rôle de plus en plus décisif dans la
lutte pour la libération de la Namibie.
Mais la distance géographique n'est qu'une forme d'éloignement parmi
d'autres. Il faut tenir compte aussi des différences culturelles, surtout si l'on
se réfère à la diversité des héritages coloniaux. C'est le problème de la
distance géoculturelle. Évaluant, avant le coup d'État de Lisbonne, l'aide
apportée aux mouvements de libération, Vincent B . Khapoya constatait que
les douze pays dont l'appui était le plus faible étaient presque tous
francophones. L a situation n'a guère changé depuis la révolution portugaise
et, dans l'ensemble, l'Afrique francophone soutient moins activement le
panafricanisme de libération que ne le fait l'Afrique de langue anglaise.
La proximité géographique de l'Afrique d'expression portugaise et du
reste de l'Afrique australe contraste avec leur éloignement culturel, du moins
en ce qui concerne les élites, car il en va peut-être différemment, pour les
masses, que rapprochent les cultures indigènes. Sur les cinq États de la zone
du front, trois sont anglophones (la Zambie, le Botswana et la Tanzanie) et il
est pratiquement certain que les territoires qui restent à libérer de la
18 Ali A. Mazrui
Facteurs indirects
Par facteurs indirects, nous entendons ceux qui ne sont pas directement liés à
la question de la libération proprement dite. D a n s quelle mesure, par
exemple, l'aide reçue des pays occidentaux influence-t-elle la position prise
par un État africain indépendant à l'égard des mouvements de libération
d'Afrique australe ? E n fait, la corrélation entre le volume de l'aide
occidentale et l'appui apporté aux mouvements de libération est très faible.
20 Ali A. Mazrui
Conclusion
N o u s venons d'essayer de situer le rôle des États africains dans la lutte pour
l'Afrique australe, tant à l'échelle d u continent qu'à celle d u m o n d e . N o u s
avons tenté aussi de définir l'influence de facteurs très divers puisqu'ils
peuvent être aussi bien d'ordre géopolitique que culturel, idéologique ou
m ê m e personnel, dans la politique des Etats africains indépendants.
Les États noirs indépendants, grâce notamment au soutien des États
arabes, ont joué un rôle déterminant dans la création d'un climat général
hostile aux régimes minoritaires blancs du continent africain et favorable aux
appels impérieux à la justice raciale et à l'autodétermination.
L'Afrique du Sud pourrait bien représenter, dans l'histoire de
l'humanité, le dernier bastion du racisme érigé en institution. D'autres
formes de discrimination persisteront probablement pendant longtemps
encore, de m ê m e que d'autres formes de racisme. Mais l'idée de grouper les
enfants, selon leur race, dans des écoles différentes, d'obliger les adultes de
race différente à occuper des compartiments séparés dans les autobus et dans
les trains, de leur interdire de choisir un conjoint appartenant à une autre
race, d'organiser l'électorat selon des critères raciaux, toutes ces formes
anciennes du racisme institutionnalisé pourraient bien connaître leurs
derniers m o m e n t s en Afrique australe.
C e climat nouveau est à l'origine aussi du large consensus que la
communauté internationale est parvenue à opposer aux régimes minoritaires
blancs d'Afrique australe. Il pourrait s'agir là de l'une des premières grandes
contributions des pays non occidentaux et non blancs à la morale
internationale et au droit international. Il fut un temps où le racisme n'était
pas rejeté par le droit international parce que celui-ci était essentiellement
fondé sur les valeurs et les options occidentales. Il fut un temps aussi où les
pays occidentaux ne voyaient dans la politique d'apartheid de l'Afrique d u
Sud qu'un problème d'ordre strictement interne. Mais la solidarité des pays
24 Ali A. Mazrui
1. Cette définition est celle qui a été adoptée par le Comité d'organisation de la conférence
internationale sur l'histoire de l'Afrique australe, Université nationale du Lesotho,
ler-8 août 1977. Voir également : Note de la rédaction, Mohloni, Journal of Southern
African historical studies, vol. II, M o n j a Printing W o r k s , 1978.
2. L e président de la République-Unie de Tanzanie, Julius Nyerere, est président et
porte-parole des présidents des pays de la « ligne de front » directement intéressés par la
lutte de libération au Z i m b a b w e , en Namibie et en Afrique du Sud.
26 Elleck Kutakunesu Mashingaidze
1. Les native reserves (réserves d'indigènes) aménagées dans les pays dominés par des colons
blancs, c o m m e la Rhodésie du Sud, l'Afrique du Sud et le Sud-Ouest africain, avaient
plusieurs raisons d'être : maintenir les communautés africaines dans des zones où elles
pouvaient être plus facilement contrôlées, les séparer des Blancs, créer des réservoirs
illimités de main-d'œuvre bon marché ou semi-servile appelée à travailler dans les
exploitations agricoles des colons blancs, dans les mines et les usines.
Le rôle des mouvements de libération 27
dans la lutte pour l'Afrique australe, 1955-1977
ment général qu'attisait encore le fait de savoir que c'était à leur sueur et
parfois m ê m e à leur sang que les colons devaient leur niveau de vie élevé. Les
Africains commençaient à protester contre la façon dont ils étaient traités par
leurs oppresseurs et exploiteurs.
L e nationalisme africain tel que nous le connaissons aujourd'hui est
donc inséparable de la prise de conscience noire. Les Africains c o m m e n c è -
rent à se sentir opprimés et exploités en raison simplement de la couleur de
leur peau. L e nationalisme africain se manifesta et s'exprima alors de
multiples façons : les manœuvres noirs, par exemple, exigeaient d'être traités
en êtres humains et d'être pleinement reconnus en tant que travailleurs par
leurs employeurs et exploiteurs ; les chrétiens et prêtres noirs exigeaient
d'être mis sur le m ê m e pied que les chrétiens et missionnaires blancs ; les
simples villageois de districts reculés demandaient que leurs administrateurs
coloniaux écoutent leurs avis sur la manière dont les Africains voulaient être
gouvernés. Cette opposition au régime colonial et à ses structures finit par
s'exprimer plus ouvertement et plus éloquemment par l'intermédiaire
d'organisations telles que syndicats, organisations religieuses africaines
indépendantes, associations culturelles, et parfois m ê m e de groupes
politiques organisés de façon encore assez floue. Ces organisations furent les
véritables précurseurs des mouvements politiques nationalistes tels qu'ils se
sont développés par la suite dans les divers pays de l'Afrique australe1. Plus
les autorités coloniales cherchaient à étouffer ce ferment de nationalisme
africain par des tactiques brutales, plus les partis nationalistes africains se
développaient et mieux ils s'organisaient.
Si le nationalisme africain a réussi à décoloniser le Zaïre, la Tanzanie,
le Malawi, la Zambie, le Lesotho, le Botswana et le Swaziland, il a été en
revanche tenu en échec dans d'autres pays de la région : en Afrique du Sud,
en Namibie, en Angola, au Z i m b a b w e (Rhodésie) et au M o z a m b i q u e . Les
gouvernements minoritaires blancs de ces pays étaient en effet résolus à
lutter pour la survie du type de colonialisme qu'ils représentaient. D ' u n e
certaine façon, on peut avancer qu'il régnait dans ces pays des types de
colonialisme différents de ceux qui existaient ailleurs dans la région. Ainsi,
depuis que le R o y a u m e - U n i , en 1910, avait abandonné les intérêts des
peuples noirs d'Afrique du Sud, il s'était instauré dans ce pays une sorte de
colonialisme interne en vertu duquel les colonisateurs (la minorité blanche)
vivaient dans le m ê m e pays que les colonisés (la majorité noire) et
prétendaient en faire partie2. Si presque personne ne conteste les prétentions
des Blancs à être considérés c o m m e sud-africains, beaucoup cependant
refusent de leur reconnaître de ce fait le droit de soumettre la population
1. Le premier d'entre eux fut le South African National Congress, fondé en 1912.
2. H . Walpole, « The theory of internal colonization : the South African case ».
28 Elleck Kutakunesu Mashingaidze
1. E . Mondlane, The struggle for Mozambique, réimpression, p. 121, Penguin Library, 1970.
30 Elleck Kutakunesu Mashingaidze
1. Les Occidentaux ont tenté d'aider les éléments contre-révolutionnaires de l'Angola pour
faire échec au M P L A . L'Afrique du Sud, elle aussi, a jeté le poids de ses armées contre le
M P L A et le Frelimo, mais sans succès. Les manœuvres américaines par l'intermédiaire
de la C I A ont également échoué.
Le rôle des mouvements de libération 33
dans la lutte pour l'Afrique australe, 1955-1977
E . L. Ntloedibe
Introduction
et pleine participation aux affaires publiques de leur pays, privés des droits
fondamentaux de l ' h o m m e par l'imposition de l'arbitraire dans ce pays. Tous
ces actes commis par le régime en place en Afrique du Sud constituent une
violation flagrante, collective et méprisante du droit des Africains à disposer
d'eux-mêmes, du caractère sacré de leur souveraineté nationale et de
l'intégrité territoriale de leur patrie bien-aimée. Ces droits sacrés ne
souffrent ni trahison ni compromis. Notre peuple ne saurait renoncer à son
destin national ni se résigner à l'asservissement, quels que soient les obstacles
qui se dresseront sur son chemin. Son devoir national est de trouver une
solution historique au problème des relations internes dans ce pays.
Le statut actuel
Il existe plusieurs interprétations du statut politique international actuel de
l'Afrique du Sud. La première est ce que nous pourrions appeler 1' « optique
de l'apartheid ». Selon Chris Jooste1, le gouvernement actuel de l'Afrique
du Sud s'est fixé pour tâche de « rendre leur indépendance à ceux qui ont été
privés de la liberté par le R o y a u m e - U n i et qui ont été placés en 1910 dans
une situation d'assujettissement sous le gouvernement de l'union ». L a
situation, telle que la conçoit et la définit le régime actuellement au pouvoir,
est donc la suivante : « Le gouvernement de l'union a été formé en tant que
gouvernement blanc chargé d'administrer les anciennes républiques boers du
Transvaal et de l'État libre d'Orange, les anciennes colonies britanniques du
C a p de Bonne-Espérance et du Natal, les territoires bantous annexés et
incorporés à l'Afrique du Sud britannique, ainsi que les populations non
blanches vivant sur les territoires blancs, c'est-à-dire principalement les
Indiens et les métis qui vivent au Natal et dans la colonie du C a p 2 . »
Autre interprétation : le point de vue libéral. Parlant de ce qu'elle
appelle l'essentiel du problème racial, Ellen Hellman, du South African
Institute of Race Relations, signale que « l'Afrique du Sud a été comparée
aux autres puissances coloniales, à ceci près que ses sujets coloniaux vivent à
l'intérieur m ê m e des frontières de leur patrie », et elle ajoute : « L'appareil
général du colonialisme, tel qu'il s'était développé au début du xx e siècle,
avait aussi été mis en place en Afrique du Sud... où les colons d'origine
européenne dominaient les autochtones et ne les admettaient dans la société
blanche que dans la mesure où ils en avaient besoin c o m m e main-d'œuvre
bon marché. » L'historien Eric Walker 3 ajoute pour sa part : « La nouvelle
union se vit attribuer le statut prestigieux mais mal défini de dominion
1. Chris Jooste, South African dialogue, p. 5, Johannesburg, McGraw-Hill.
2. Chris Jooste, op. cit., p. 4.
3. Eric Walker, History of Southern Africa, p. 538, Longmans, 1967.
38 E. L. Ntloedibe
la Déclaration Balfour qui fut adoptée par la suite devaient figurer dans le
Statut de Westminster adopté en 1931, qui accordait légalement la liberté
d'action à ceux des dominions qui le souhaitaient.
Le général Hertzog, alors premier ministre, se félicita de ces
dispositions, car elles consacraient « l'indépendance souveraine et la liberté
définitive du pays1 ». C e changement constitutionnel fut considéré c o m m e
liant le statut international du pays à la question « indigène ». Jusqu'alors,
les Britanniques estimaient que « les intérêts des Noirs devaient passer en
premier là où les Blancs étaient en minorité parmi une population nombreuse
de Noirs » 2 . E n réponse à l'appel du général Smuts, le général Hertzog aurait
établi, lors de la Conférence impériale, des contacts étroits avec les
délégations des autres colonies, notamment celle du Kenya, en « demandant
que les gouvernements intéressés se consultent avant que l'un d'eux n'adopte
une politique indigène sensiblement différente de celle du gouvernement de
l'union3 ».
Le Status Act de 1934 proclama que le Parlement de l'Union
sud-africaine était 1' « organe législatif souverain » sans le consentement
duquel aucun monarque britannique futur (ou son représentant) ne pourrait
agir sans l'avis, ou m ê m e contre l'avis, de ses ministres de l'union lors m ê m e
que ce pouvoir était « prévu expressément ou implicitement, ni bénéficier
des conventions existantes qui lui donnaient le droit de convoquer, de
proroger ou de dissoudre le Parlement ». L e Coronation Oath Act de 1937
faisait obligation au roi de Grande-Bretagne de « gouverner les Sud-
Africains conformément aux statuts acceptés par le Parlement de l'union et
selon leurs propres lois et coutumes ». Cette position fut celle qui prévalut
jusqu'en 1961, époque où le docteur Verwoerd se sépara du C o m m o n w e a l t h
et où la république remplaça la monarchie. Jusque-là, le chef suprême avait
été le roi de Grande-Bretagne agissant par l'intermédiaire de son
représentant local, le gouverneur général. L e dernier gouverneur général de
l'Afrique du Sud, Charles Roberts Swart, fut aussi le premier président de la
République.
La position du Royaume-Uni
Edmond Jouve
A u cours des dernières années, l'Afrique australe est devenue une région
d'une importance stratégique pour les pays occidentaux. L'indépendance de
l'Angola et du Mozambique, la montée des luttes de libération, le
soulèvement des populations noires d'Afrique du Sud ont modifié les
données du problème. Celui que pose le régime de Pretoria prend, à plus
d'un titre, un caractère particulièrement aigu. Sur le plan interne, en
particulier, la minorité blanche doit de plus en plus tenir compte des
« non-Blancs ». Selon une estimation de 1975, l'Afrique du Sud compte
quelque 25 millions et demi d'habitants répartis en quatre groupes raciaux :
communauté blanche (16,6 % ) , communauté noire (71,2 % ) , métis (9,3 % ) ,
Indiens (2,9 % ) . Les non-Blancs constituent donc un réservoir considérable
de main-d'œuvre. D'après une statistique de 1975, sur 2 676 974 travailleurs
recensés en Afrique du Sud dans l'industrie, 573 483 seulement étaient de
race blanche. E n dépit de cela, les « foyers nationaux » dans lesquels vivent
49 % de la population noire n'occupent que 12,8 % du territoire de la
république... Face à cette situation, les dirigeants de Pretoria ont d'abord
tenté d'assouplir leur politique d'apartheid. Mais, devant l'aggravation des
conflits, ils ont dû abandonner cette tactique. Sur le plan économique,
également, la conjoncture ne leur est plus aussi favorable que par le passé.
Quant à la communauté internationale, son hostilité à l'égard du régime
raciste ne fait que croître. L'Afrique du Sud s'est donc donné pour objectif
de relever un triple défi : politique, économique et diplomatique.
L e défi politique
Dans une interview publiée par le Sunday tintes de Lagos le 30 mars 1975,
B . J. Vorster, premier ministre d'Afrique du Sud, déclarait : « M o n objectif
est de normaliser les relations entre pays africains... mais la politique de m o n
gouvernement demeure celle du développement séparé, c'est-à-dire de
l'apartheid. » Et il précisait que la politique de discrimination raciale de son
pays pourrait au mieux être infléchie mais non remise en cause. Depuis,
l'attitude n'a guère changé quant au fond. Tout au plus les responsables
48 Edmond Jouve
1. Le 29 septembre 1978, B . J. Vorster (au pouvoir depuis 1966) est élu président de la
République par le Parlement réuni en session extraordinaire au Cap.
2. D . Breillat, « Vers des changements institutionnels après les élections du 30 novembre 1977
en Afrique du Sud », Pouvoirs, n° 5, 1978, p. 167 et suivantes.
L'Afrique du Sud face à ses défis 51
Le durcissement de la répression
Devant la montée des luttes, le gouvernement a pris des mesures. E n vertu
d'une loi votée en 1974, il peut interdire tout groupement soupçonné de se
livrer à une activité subversive o u de recevoir des fonds de l'étranger. E n
1975, le Christian Institute, qui réunit des clercs de toutes les confessions
chrétiennes, tombe sous le coup de ce texte. L a loi de 1967 contre le
terrorisme figure, elle aussi, en bonne place dans l'arsenal juridique. Voté
avec effet rétroactif, ce texte permet aux officiers de police, à partir du grade
de lieutenant-colonel, de faire arrêter sans preuve tout citoyen jugé suspect
L'Afrique du Sud face à ses défis 55
dix détenus en vertu des lois sur la sécurité, sont assassinés. Les arrestations
se multiplient également : arrestation de 576 Africains dans la région du C a p ,
en janvier ; arrestation, au Transkei, du secrétaire national d'un parti
d'opposition en février ; arrestation du fondateur et de cinq dirigeants de la
Convention du peuple noir en mars ; arrestation de trois dirigeants de
Conscience noire en juillet ; arrestation de dirigeants étudiants à Soweto en
août ; arrestation de quatre prêtres noirs en octobre ; etc. Des condamna-
tions sont évidemment prononcées : condamnation à cinq ans de prison de 31
jeunes Noirs qui avaient participé aux émeutes de Port-Elisabeth en 1976,
condamnation à la prison à vie de cinq m e m b r e s du Conseil national africain,
assignation à résidence du secrétaire général du mouvement antiapartheid
B P C en juillet, etc. Des fermetures d'écoles sont décidées : le 4 février dans
des cités africaines du C a p , le 6 septembre à Soweto, le 5 octobre dans le
bantoustan Venda. Dans le m ê m e temps, deux publications sont interdites :
le World et le Weekend world, les deux plus grands journaux faits et lus par
des Noirs. L e m ê m e jour — le 19 octobre 1977 — dix-huit organisations se
réclamant de Conscience noire ou soutenant ses orientations sont mises hors
la loi. E n dépit des protestations qui s'élèvent alors, la répression se poursuit
en 1978. L e 19 janvier, on annonce la « disparition » du dirigeant de
l'opposition au Transkei, Hector Ncokasi. Le 3 avril suivant, 165 personnes
sont arrêtées dans ce m ê m e bantoustan. L e 14 avril, de vastes opérations de
police ont lieu à Johannesburg à la suite du meurtre de deux écoliers blancs.
D'autres opérations de police se produisent dans la région de Durban. Le 4
mai, des dirigeants de l ' A Z A P O sont arrêtés. Quelques jours plus tard, le 15
juin, l'hebdomadaire œcuménique noir The voice est interdit. L e « pouvoir
pâle » répond ainsi, da façon brutale, au défi politique qui lui est lancé.
Le défi économique
La République d'Afrique du Sud n'est pas une puissance c o m m e les autres.
Sa politique raciste lui vaut d'être mise au ban des nations « civilisées ». C'est
ainsi qu'elle s'est vu, à plusieurs reprises, imposer un embargo sur les
livraisons d'armes et qu'elle est tombée sous le coup de consignes de
boycottage données par les Nations Unies. Cela ne l'empêche pourtant pas
de commercer avec la plupart des pays du m o n d e , y compris les pays
socialistes. Cependant, sa balance des paiements accuse un déficit depuis
quelques années : de 1972 à 1974, ce déficit est passé de 781 à 1 561 millions
de rands. Le développement spectaculaire de l'Afrique du Sud a néanmoins
permis à ce géant économique de le résorber sans trop de mal.
L'Afrique du Sud face à ses défis 57
U n géant économique
1. Pour plus de précisions, voir : E . Jouve, Relations internationales du tiers monde, Paris,
Éditions Berger-Levrault, 1976.
L'Afrique du Sud face à ses défis 59
trafic peut atteindre jusqu'à 22 000 tonnes par mois. A u retour, les trains
rapportent divers produits, notamment du charbon sud-africain. Les
exportations sud-africaines vers le Zaïre atteignaient, en 1976, 40 millions de
rands, soit le dixième des exportations de l'Afrique du Sud en Afrique. Elles
ont progressé depuis de 15 à 20 % par an. E n 1977, l'Afrique du Sud a
consenti au Zaïre un nouveau crédit de 20 millions de rands destiné à couvrir
les importations de Pretoria. Ainsi, l'Afrique du Sud constitue u n véritable
empire économique, mais cet empire est aujourd'hui menacé.
Le défi diplomatique
Dans l'ensemble, l'opinion internationale est évidemment hostile à la
politique d'apartheid m e n é e par l'Afrique du Sud. Tout au plus certains pays
ont-ils tenté de favoriser une diplomatie du dialogue qui, d'ailleurs, a échoué
en partie.
à l'Afrique noire, elle est trop divisée et trop faible pour envisager une
confrontation généralisée. L'Afrique du Sud se prépare pourtant à une
éventualité de cet ordre, notamment, en étoffant de façon considérable son
arsenal militaire. Cette situation ne m a n q u e d'ailleurs pas d'avoir des
incidences sur le plan budgétaire. L e budget de la défense pour 1977 s'est
élevé, en effet, à 1,8 milliard de rands (soit plus de 12 000 milliards de francs
français)1. E n outre, la durée du service militaire des Blancs a été portée à
deux ans en avril 1977. L e lendemain de cette décision, on annonçait la
création d'une nouvelle base aérienne dans le sud-ouest du Transvaal, près
du M o z a m b i q u e . Quant à la force de frappe sud-africaine, elle a été à
l'origine de nombreuses prises de position. L e 22 février 1977, un
c o m m u n i q u é officiel a démenti les bruits selon lesquels l'Afrique du Sud
pourrait devenir une puissance nucléaire. Quelques mois plus tard, Pik
Botha s'est inscrit en faux contre les déclarations soviétiques affirmant que
Pretoria mettait au point des armes nucléaires. Pourtant, le ministre des
finances a déclaré, le 30 août 1977, que l'Afrique d u Sud avait le droit
d'utiliser c o m m e elle l'entend son potentiel nucléaire. Et, tandis que
l'événement se préparait, le gouvernement, le 11 novembre 1977, a remis en
vigueur la loi de 1970 autorisant la réquisition du secteur privé au profit de la
défense nationale.
L a violence est donc partout et chacun se prépare à une explosion. Les
auteurs noirs de la jeune génération se trouvent, eux aussi, confrontés à ce
p h é n o m è n e . Leurs œuvres en portent témoignage. C'est vrai pour Ezekiel
Mphalele, auteur du roman intitulé Au bas de la Deuxième Avenue. C'est
vrai pour Dennis Brutus, auteur de Sirens, Knuckles, Boots, Letters to
Martha et A simple lust. D e son côté, l'acteur et dramaturge C o s m o Pieterse
s'attache à faire connaître les poètes sud-africains en exil, dont Bessie H e a d ,
qui vit depuis 1964 au Botswana. Désormais, donc, des écrivains sont à
pied d'oeuvre pour chanter la longue marche d'un peuple qui, après avoir
longtemps souffert en silence, s'est décidé à prendre les armes face au plus
redoutable des ennemis.
Bibliographie
David Chanaiwa
1. J'ai traité ailleurs des premières phases de la résistance des Africains à la conquête et à
l'occupation coloniales, ainsi que de l'administration coloniale. Il s'agit ici de la lutte de
libération des Africains contre le régime colonial après la deuxième guerre mondiale.
Voir David Chanaiwa : The Zimbabwe controversy : a case of colonialist historiography,
Syracuse, Eastern African Studies Program, 1973, VIII ; Profiles of self-determination,
African responses to European colonialism in Southern Africa, 1652-present, Northridge,
California State University Foundation, 1976 ; « T h e Premiership of Garfield T o d d :
racial partnership versus colonial interests », Journal of Southern African affairs, vol. 1,
n° 1, décembre 1976.
74 David Chanaiwa
1. Pour le texte du Règlement interne, voir : Rhodesian constitutional agreement. 3rd March
1978, Salisbury, Government Printer, 1978 (Nr. 44). Voir également : Department of
State, Bureau of African Affairs, AF. press clips, vol. XIII, n° 10, 7 mars 1978, p. 3.
2. Rhodesian constitutional agreement, section A , article premier, paragraphe a, p. 2.
3. ¡bid., art. 2, p. 3.
Zimbabwe : le Règlement interne 75
dans son contexte historique
1. ¡bid., sections B et C , p. 3 et 4.
2. Ibid., section D , article premier, p. 4 et 5.
3. Ibid., section D , art. 2, p. 5.
76 David Chanaiwa
qu'ils acceptent la tenue d'une conférence réunissant toutes les parties selon
la formule anglo-américaine.
E n décidant de reconnaître et de soutenir une faction de préférence
aux autres, les États de la zone du front ont déterminé la durée et la viabilité
de la plupart des factions à l'extérieur du Zimbabwe. Chacun sait en effet
que, si le Front patriotique est né en octobre 1976, lors de la Conférence de
Genève, ce fut avant tout en raison des pressions et des bons offices exercés
par les présidents de ces États, notamment Kenneth Kaunda, en vue
d'accroître les chances de N k o m o de devenir le premier président de ce qui
serait le Zimbabwe indépendant. N k o m o , président de la Z A P U , s'allia alors
avec M u g a b e , à l'époque secrétaire général de la Z A P U , pour se partager la
direction du Front patriotique. N k o m o et M u g a b e n'ont p u jusqu'ici
s'entendre sur le point de savoir qui des deux serait président ou
vice-président du Front patriotique et ils n'ont pas réussi non plus à faire
l'unité de leurs armées privées.
Cependant, les États de la ligne de front et l'Organisation de l'unité
africaine ( O U A ) ont formellement reconnu N k o m o et M u g a b e , le Front
patriotique et leurs armées respectives ( Z I P R A et Z A N L A ) c o m m e seuls
représentants des masses du Zimbabwe. Ces États ont recouru à la
« diplomatie du gros bâton » pour isoler Sithole et Muzorewa et pour
affaiblir leur position auprès de l ' O U A et des Nations Unies. Sithole et
Muzorewa ont donc de bonnes raisons de nourrir un sentiment de rancune et
d'hostilité, sinon de vengeance, envers ces États, tout particulièrement
envers la Zambie et le Mozambique. D e leur côté, les présidents de ces États
ont d'amples motifs de redouter le Règlement interne et le gouvernement par
la majorité prévu pour le 1 er janvier 1979, en raison des insultes qu'ils ont
lancées naguère à Sithole et Muzorewa 1 . Il n'est pas douteux que, si Kaunda
et Machel soutenaient le Front patriotique dans une lutte armée contre le
Règlement interne, et en particulier contre un Zimbabwe indépendant,
Sithole et Muzorewa répondraient en portant la guerre sur le sol de la
Zambie et du Mozambique. Selon toute probabilité, les armées de la Zambie
et du Mozambique seraient toutes deux rapidement écrasées par celle du
Zimbabwe. C o m m e l'a dit Muzorewa : « Personne (que ce soit la Zambie, le
Mozambique ou le Front patriotique) ne peut vaincre le Zimbabwe par les
armes. O n aurait pu vaincre Smith dans le passé, mais pas le Zimbabwe 2 . »
D'après ce que rapporte Africa confidential, Sithole préférerait en fait
une confrontation militaire afin de régler ses comptes avec N k o m o , qui a
1. Voir par exemple : « Rhodesia : fraught with imponderables », Africa confidential, vol. 19,
n° 6, 17 mars 1978, p. 1-3. Voir également : Richard R . Leger, « All-parties Rhodesian
peace conference eludes team of U . S . », AFpress clips, vol. XIII, n° 17, 26 avril 1978.
2. Godwin Matatu, « A consensus of suspicion », Africa, n° 80, avril 1978, p. 23.
Zimbabwe : le Règlement interne 81
dans son contexte historique
1. « Rhodesia II : what O w e n really told Sithole », Africa confidential, vol. 19, n° 7, 31 mars
1978, p. 3.
2. Ibid., p. 2.
82 David Chanaiwa
1. Ibid., p. 3.
Zimbabwe : le Règlement interne 83
dans son contexte historique
américaines », mais « la difficulté est qu'il ne peut pas rompre avec Robert
M u g a b e avant d'avoir reçu une offre concrète1 ».
1. Ibid., p. 2.
2. Godwin Matatu, « A consensus of suspicion », p. 22 ; A F press clips, vol. XIII, n° 17,
26 avril 1978 : The times (Londres), 13 avril 1978.
84 David Chanaiwa
1. Ibid., p. 22.
2. Correspondance personnelle.
Zimbabwe : le Règlement interne 85
dans son contexte historique
1. Ibid., p. 14.
Zimbabwe : le Règlement interne 87
dans son contexte historique
1. Pour plus de détails sur le nationalisme africain au Zimbabwe après la deuxième guerre
mondiale, voir : Eshmael M l a m b o , Rhodesia : The struggle for a birthright, Londres,
C . Hurst and C o . , 1972 ; Larry W . B o w m a n , Politics in Rhodesia, Cambridge, Harvard
University Press, 1973 ; George M . Daniels, directeur de publication, Drums of war :
the continuing crisis in Rhodesia, N e w York, the Third Press, 1974 ; Enoch
Dumbutshena, Zimbabwean tragedy, Nairobi, East African Publishing House, 1976 ;
Ndabaningi Sithole, African nationalism, Londres, Oxford University Press, 1968.
88 David Chanaiwa
1. Davis B . C . M ' G a b e , « The nationalist movement of Zimbabwe », dans Daniels (dir. publ.),
Drums of war, p. 23-28.
2. « Southern Rhodesia Africa National Congress, statement of principles, policy and program,
September 1957 », dans T . R . M . Creighton, The anatomy of partnership, p. 235,
Londres, Faber and Faber, 1960.
3. Ibid., p. 246.
Zimbabwe : le Règlement interne 89
dans son contexte historique
1. Ibid., p. 245.
2. Ibid., p. 237.
3. Ibid., p. 240.
4. Pour plus de détails sur la fédération et la participation, voir : Creighton, The anatomy of
partnership ; M l a m b o , Rhodesia ; Nathan Shamuyarira, Crisis in Rhodesia, Londres,
André Deutsh, 1965.
90 David Chanaiwa
propriété foncière privée accordée aux Africains dans les zones rachetées
(African purchased areas).
La troisième des caractéristiques de l ' A N C est qu'il s'agissait d'un
mouvement réformiste, partisan d'une action progressive et non violente. Ses
efforts visaient essentiellement à exposer, à des fins éducatives, les faiblesses
et les hypocrisies de l'association, les fléaux que constituaient la discrimina-
tion raciale, la pauvreté et la maladie, dans l'espoir fallacieux que des
électeurs blancs libéraux et éclairés répondraient par une législation et des
pratiques équitables et dépourvues de tout racisme. Les réunions de l ' A N C
consistaient avant tout en une succession de discours protestant contre le
Land Apportionment Act, le Land Husbandry Act, les laissez-passer, le droit
de vote, d'association, le chômage, les conditions de logement et d'hygiène et
les brutalités policières. L ' A N C organisait également des manifestations et
des « occupations » non violentes, à la manière de Gandhi, dans des hôtels,
des restaurants, des églises, des terrains de sport ou des gares. Bien qu'on ait
fréquemment parlé du principe du vote égalitaire « un h o m m e , une voix »
dans les réunions de l ' A N C , les principales revendications portaient sur la
suppression de la discrimination raciale et le gouvernement démocratique et
multiracial.
La quatrième caractéristique de l ' A N C est que ses objectifs de base et
sa structure organique se sont transmis tels quels aux divers mouvements
successifs, jusqu'à l'actuel Règlement interne. L a différence essentielle entre
l ' A N C et les organisations actuelles — Z A P U , Z A N U et U A N C — tient au
passage de la non-violence et de l'action progressive à la lutte armée, et de
l'unité du m o u v e m e n t national à sa division en factions.
Le 25 février 1959, le régime colonial d'Edgar Whitehead interdisait
l ' A N C , lançait un raid dit « Operation Sunrise » et emprisonnait 500
dirigeants du parti afin de calmer les appréhensions de l'électorat blanc.
N k o m o échappa à l'emprisonnement parce qu'il était « mystérieusement »
parti pour Londres. L'United Federal Party et le Central African Party
conjuguèrent leurs efforts pour « extirper le nationalisme africain » par des
campagnes d'adhésion parmi les h o m m e s d'affaires et les m e m b r e s des
professions libérales africains. Il y eut alors un bref afflux d'Africains au sein
de partis dirigés par des Blancs. Des Africains arrivèrent presque à la tête du
Central African Party dirigé par Garfield T o d d 1 , la personnalité la plus
connue étant Stanlake Samkange, qui en devint le vice-président.
Le 1 er janvier 1960, trois jeunes gens, Michael M a w e m a , Nazario
Marondera et Sketchley Samkange (le jeune frère de Stanlake), organisèrent
dans la c o m m u n e africaine de Highfields, à Salisbury, une réunion où fut
1. Pour plus de détails sur le ministère de Garfield Todd et le nationalisme africain, voir : David
Chanaiwa, « The Premiership of Garfield Todd ».
Zimbabwe : le Règlement interne 91
dans son contexte historique
La Constitution de 1961
La suite de l'histoire du N D P tourne autour de la Constitution de 1961. Le
Royaume-Uni convoqua la conférence prévue à Londres, le 16 décembre
1960, sous la présidence de Duncan Sandys, secrétaire d'État pour les
relations avec le Commonwealth 1 . Les délégués du N D P étaient N k o m o et
Sithole ; Chitepo et Silundika leur servaient de conseillers. La délégation la
plus nombreuse était celle de l'UFP, dirigée par Whitehead, qui réclama avec
insistance la suppression des clauses de la Constitution de 1923 relatives à la
discrimination raciale, aux affaires étrangères et à la défense nationale, afin
de parvenir à une indépendance complète pour les colons. Apparemment,
N k o m o et Sithole s'employèrent davantage à empêcher l'avènement de
l'indépendance pour les Blancs qu'à obtenir le pouvoir pour la majorité
africaine. Ils réclamaient un gouvernement autonome, multiracial, mais
dirigé par les Blancs, fondé sur le suffrage universel des adultes, la
représentation des Africains au Parlement et l'abolition de la discrimination
raciale.
Q u a n d la conférence s'acheva à Salisbury le 7 février 1961, N k o m o et
Sithole avaient apposé leur signature sur un texte qui prévoyait la
constitution d'une Assemblée législative comportant 60 sièges pour les
Blancs et 15 pour les Africains, un mécanisme électoral complexe
comportant des listes A et des listes B , un Conseil constitutionnel composé
1. Rhodesia, Southern, Southern Rhodesia Constitution, Part I. Summary of proposed changes,
C m n d . 1399, et Part II. Detailed provisions, C m n d . 1400, Londres ; Her Majesty's
Stationary Office, 1965.
Zimbabwe : le Règlement interne 93
dans son contexte historique
1. John Day, « Southern Rhodesia African nationalist and the 1961 Constitution », Journal of
modern studies, vol. 7, 1969, p. 230.
Zimbabwe : le Règlement interne 95
dans son contexte historique
qu'un certain nombre d ' h o m m e s ont aujourd'hui des intérêts personnels liés
au factionnalisme, et que les rivalités, les antagonismes et les intransigeances
sont d'autant plus intenses et exacerbés que le jour de l'indépendance paraît
plus proche et plus inévitable.
Ces hautes personnalités symboliques se distinguent par des différences
si ténues et sont si parfaitement interchangeables que le moindre petit détail
concernant le protocole, les alliances, les amitiés et les origines ethniques
prend d'emblée une importance exagérée, à seule fin d'embarrasser ou
d'aliéner les adversaires tout en impressionnant et en confortant les
sympathisants. D u m ê m e coup, le gouvernement par la majorité des
Africains au Z i m b a b w e est devenu une équation politico-électorale nulle
dans laquelle le gagnant ramasse tous les enjeux. Pour Sithole et Muzorewa,
faire place à N k o m o et M u g a b e dans le gouvernement de transition
impliquerait le partage de charges politiques lucratives avec ceux-ci aux
dépens des lieutenants qui les ont soutenus loyalement dans toutes les luttes
entre factions. Et un arrangement est tout aussi pénible et embarrassant pour
N k o m o et M u g a b e puisqu'il leur faudrait se trahir l'un l'autre, en m ê m e
temps que leurs lieutenants et leurs cadres.
C'est donc prendre une position fausse, simpliste et partisane que de
présenter le Règlement interne c o m m e le produit de l'action de Smith, ou de
celle des gouvernements du R o y a u m e - U n i , des États-Unis ou de l'Afrique
du Sud. C e serait donner du crédit au mythe de la supériorité blanche et faire
injure à l'intelligence, à l'intégrité et au dévouement des dirigeants africains.
Sithole et M u z o r e w a ne sont ni des « bradeurs » ni des « pantins
néocolonialistes », pas plus que N k o m o et M u g a b e ne sont des pantins des
États de la ligne de front ou des Cubains. Sithole et Muzorewa sont les
vainqueurs politiques d'une lutte historique féroce pour le pouvoir entre les
nationalistes du Z i m b a b w e . Replacé dans cette perspective, le Règlement
interne concrétise les grands objectifs historiques du mouvement nationaliste
africain du Z i m b a b w e . Sithole et M u z o r e w a ont réalisé ce que les
programmes nationalistes ont toujours prévu et réclamé. Ils n'ont certaine-
ment pas trahi les partisans de N k o m o et de M u g a b e puisque ceux-ci ont
souscrit à ces m ê m e s objectifs qu'on retrouve dans le Règlement interne.
M ê m e les révolutionnaires en chambre ne peuvent prétendre avoir été trahis
puisque ni Sithole, ni M u z o r e w a , ni N k o m o ou M u g a b e n'ont jamais promis
un changement vraiment révolutionnaire au Z i m b a b w e .
E n outre, dans le contexte des institutions sociales et économiques de
la société coloniale et de sa culture colonialiste, le Règlement interne
représente un véritable bouleversement. L e gouvernement par la majorité, le
suffrage universel, la non-discrimination raciale, la Charte des droits du
citoyen (Bill of Rights) tels qu'ils sont effectivement prévus dans ce
règlement sont pour le peuple du Z i m b a b w e l'expression d'un héritage
Zimbabwe : le Règlement interne 101
dans son contexte historique
La lutte armée
La véritable lutte armée est née de la scission et des rivalités entre la Z A P U
et la Z A N U . Pour la première fois, les Africains colonisés du Z i m b a b w e se
battaient, bombardaient et tuaient au n o m de la libération, de l'anticolonia-
lisme et de la liberté. A u plus fort de la désastreuse lutte fratricide de 1963 et
1964, un mouvement clandestin qui s'appelait La voix des femmes, mais qui
était en fait constitué de jeunes gens, avait déjà c o m m e n c é à incendier des
installations électriques, des maisons et des trains1. Les rivalités et la lutte
pour le pouvoir entre les factions ont créé le dynamisme et l'orientation
voulus pour que s'opère la mobilisation massive de partisans militants.
Pratiquement, tout Africain du Z i m b a b w e a dû tenir compte de ces factions
et prendre parti pour ou contre leurs dirigeants rivaux. M ê m e si cette lutte
fratricide était destructrice, la nécessité qui en découlait de « faire vraiment
quelque chose » pour obtenir et conserver le soutien des masses aux dépens
des autres factions a fait naître des mouvements de guérilla efficaces. Les
cadres de la Z A P U , de la Z A N U , du Frolizi et de la Z I P A ont souvent pris
1. M l a m b o , Rhodesia, p. 195.
102 David Chanaiwa
1. The Minnesota Coalition on Southern Africa, Zimbabwe People's Army ; Africa confidential,
vol. 19, n° 7, 31 mars 1978 ; Henriques, « The struggles of the Zimbabweans », The
observer, 7 mars 1976, et The guardian, 9 mars 1976 et 29 juin 1976.
2. Zimbabwe People's Army, p. 1.
3. Ibid., p. 10.
Zimbabwe : le Règlement interne 103
dans son contexte historique
Conclusion
Les programmes de tous les principaux mouvements nationalistes du
Z i m b a b w e (depuis l ' A N C , le N D P , la Z A P U , la Z A N U et le Frolizi jusqu'à
l ' U A N C ) n'ont jamais envisagé ni préconisé de changements révolution-
1. Africa confidential, vol. 19, n° 7, 31 mars 1978, p. 1 et 2 , et 17 mars 1978, p. 1-3.
104 David Chanaiwa
1. The Minnesota Coalition on Southern Africa, Zimbabwe People's Army, Minneapolis, 1976,
p. 10.
2. Ibid., p. 7.
Zimbabwe : le Règlement interne 105
dans son contexte historique
Introduction
Abstraction faite des luttes menées en Afrique australe, les conflits dont la
Corne de l'Afrique est le théâtre sont les plus explosifs de tous ceux que
connaît ce continent. L a Corne a été de tout temps un lieu de rencontre de
peuples et de cultures et constitue à ce titre un foyer constant de conflits et
d'assimilation1. L a Somalie moderne est profondément impliquée dans
certains de ces conflits, notamment avec ses voisins, l'Ethiopie et le Kenya.
O n ne peut comprendre cette situation que si on la replace dans le cadre de
relations mutuelles s'exerçant sur un vaste territoire et historiquement très
anciennes, et dans un contexte de tension entre nationalités, d'oppression
historique, de luttes contre la domination et d'opposition aux injustices
économiques.
Je m e bornerai ici à examiner brièvement quatre questions :
a) l'histoire de la Somalie avant l'ère coloniale ; b) l'expérience du
d é m e m b r e m e n t et de la domination coloniale2 ; c) la séparation et la
dispersion territoriale des Somalis par suite de la décolonisation ; d) les
facteurs qui pourraient contribuer à la solution de la question somalienne et
des conflits de la Corne dans son ensemble.
1. Plus qu'une entité politique, la Corne de l'Afrique est une métaphore qui désigne la partie
saillante que le continent africain projette vers l'est à proximité de l'équateur. Sans
frontières précises à l'ouest ni au sud, cette région englobe la Somalie, l'Ethiopie (y
compris la Somalie occidentale et l'Erythrée), Djibouti, le nord-est du Kenya, et parfois
le Soudan.
2. Voir : I. M . Lewis, The modem history of Somaliland, N e w York, Frederick A . Praeger,
Inc., 1965 (chap. II, « Somaliland before partition », p. 18-39).
110 Said Yusuf Abdi
entre Somalis et Éthiopiens remonte donc au début du xvie siècle, lorsque les
canons fournis par le Portugal vinrent soutenir l'expansionnisme éthiopien.
Bien que le caractère fluctuant du pouvoir en Ethiopie ait rendu
impossible le tracé d'une frontière bien définie, il est généralement reconnu
que, jusqu'aux alentours de 1870, l'Ogaden (ou Somalie occidentale) ne
faisait pas partie du royaume d'Ethiopie. Après avoir revendiqué divers ports
de la mer R o u g e , la Turquie remit ses pouvoirs en 1866 au khédive égyptien
Ismail. Ayant pris pied dans plusieurs petits ports somaliens tels que Zeila,
Bulhar et Berbera, les Egyptiens pénétrèrent dans l'intérieur du pays pour
établir une garnison dans l'ancienne ville commerçante de Harrar. Ils
désignèrent c o m m e sultans des chefs somalis élus par les assemblées de
clans1. Mais ils se retirèrent à la suite de la révolte mahdiste survenue au
Soudan en 1886, qui exigeait une concentration des forces égyptiennes et leur
imposait une réduction considérable de leurs autres engagements. Faible et
désarmée c o m m e avant l'occupation égyptienne, la ville de Harrar dut alors
se défendre à plusieurs reprises contre les agressions de l'Ethiopie
expansionniste.
1. E n dépit de leurs ancêtres c o m m u n s et de leurs liens culturels, les Somalis étaient divisés en
cinq grands clans : Hawiye, Isaaq, Darod, Dir et Digil-Rahanweyn (très proches l'une de
l'autre). Les plus grands clans se subdivisaient en tribus plus petites, divisées elles-mêmes
en familles patriarcales. Si les distinctions et les allégeances fondées sur ces
appartenances claniques sont maintenant illégales dans la République Somalie, elles
furent autrefois des sources de frictions internes et de segmentations. E n parlant de
l'unité des Somalis, l'auteur ne méconnaît ni ne sous-estime la thèse de George Simmel
selon laquelle contradictions et conflits sont constamment présents au sein m ê m e de
l'unité. Les luttes intestines entre groupes somalis ont toujours existé et persisteront sans
doute. Mais l'essentiel, c'est que les Somalis sont unis par leur langue, leur culture, leurs
institutions sociales, politiques et économiques égalitaires, leurs ancêtres c o m m u n s et
l'occupation millénaire de territoires contigus.
2. E n proclamant la mobilisation en 1935, Haïlé Sélassié prononça ces mots clés : « L'Italie se
prépare à violer une seconde fois notre territoire... Soldats, rassemblez-vous autour de
vos chefs et repoussez l'envahisseur. V o u s aurez des terres en Erythrée et en Somalie ! »
112 Said Yusuf Abdi
leur mot à dire : l'Egypte, bien que sa présence dans la région ait été brève
(1866-1886), et ultérieurement l'Ethiopie, plus directement intéressée. L a
ruée des Européens coïncida avec la consolidation du pouvoir en Ethiopie
par Ménélik II et avec l'extension de l'autorité centrale. Les campagnes
expansionnistes de cet empereur se déroulèrent au m o m e n t m ê m e où les
Européens se partageaient la côte Somalie.
Ménélik pénétra dans les territoires habités par les Somalis en 1886,
peu de temps après que les Égyptiens se furent retirés de Harrar. C'est alors
qu'apparurent au grand jour les conflits intermittents qui, depuis près de cinq
cents ans, opposaient les Somalis aux occupants du plateau éthiopien. Sous
les Egyptiens, Harrar avait servi de tampon entre Éthiopiens et Somalis.
Mais, en 1887, les Éthiopiens s'étant emparés de la ville (jusque-là habitée
seulement par des Somalis), Ménélik n o m m a c o m m e gouverneur son cousin,
le ras M a k o n n e n , et établit son c a m p fortifié plus à l'est, à Djidjiga. Les
grands troupeaux somalis étaient attaqués par les groupes armés envoyés en
razzia pour procurer de la viande à la garnison affamée de Harrar. Les
Somalis étaient obligés de payer tribut et de fournir du bétail aux forces
éthiopiennes. Pendant ce temps, les Italiens, qui s'étaient installés en
Erythrée, cherchaient à procurer des armes à l'Ethiopie, estimant que le
traité italo-éthiopien de 1889 (traité Ucciali) avait fait de l'Ethiopie un
protectorat italien.
E n 1890, l'Italie patronna la participation de l'Ethiopie à l'accord
général de Bruxelles qui autorisait l'Ethiopie, en qualité d'État, à importer
légalement des armes, légitimant ainsi le commerce d'armes prospère qu'elle
faisait depuis quelques années avec les trafiquants français. L'apport d'armes
modernes déséquilibra complètement les rapports entre les forces autoch-
tones et permit au négus Ménélik de consolider son emprise sur le plateau
dans le cadre de la mission qu'il s'était fixée. E n dix années, il doubla la
superficie du royaume d'Ethiopie. L'importation d'armes aboutit à l'occupa-
tion des terres appartenant à diverses nationalités qui, auparavant, ne
faisaient pas partie du royaume. Cependant, les Britanniques, qui tenaient la
côte Somalie, ne permettaient pas l'importation d'armes, laissant ainsi les
Somalis, en dépit de leurs tentatives de résistance, sans défense devant les
soldats éthiopiens. Enfin, les Éthiopiens, grâce aux nouvelles armes
italiennes, mirent les Italiens en déroute à la bataille d ' A d o u a en 1896,
forçant ainsi les puissances européennes à reconnaître en eux une force avec
laquelle il fallait compter.
L'année suivante, 1897, fut une année favorable pour l'Ethiopie.
Chacun de ses voisins coloniaux européens chercha à gagner son amitié et
chacun conclut un accord avec l'Ethiopie touchant ses revendications sur la
Somalie. Mais, si ce fut une bonne année pour l'Ethiopie, il n'en fut pas de
m ê m e pour les Somalis, qui ne furent pas préalablement consultés, ni m ê m e
La décolonisation dans la Corne de l'Afrique 113
et les conséquences des aspirations des Somalis
à l'autodétermination
idées de tutelle sur les Somalis en proposant d'acheter les zones de pâturage
des clans somalis du Sud et de l'Ouest, mais Haïlé Sélassié repoussa cette
idée. Autre événement significatif de l'après-guerre pour les Somalis : les
Alliés occidentaux voulurent encourager les Italiens, leurs anciens ennemis,
et les récompenser d'avoir renoncé au fascisme, tout en les dissuadant de se
rapprocher du c o m m u n i s m e , en faisant en sorte que l'ancienne Somalie
italienne fût de nouveau placée sous administration italienne dans le cadre du
régime de tutelle des Nations Unies, dans l'attente de l'indépendance qui
devait intervenir au bout de dix ans.
1. A propos de la lutte pour la Somalie occidentale, voir : « The Western Somali Liberation
Front », par Hussein M . A d a m et Bobe, dans Halgan, septembre 1977 ; « A n interview
with W S L F », par un professeur américain anonyme, dans The Horn of Africa, vol. I,
n° 2, avril-juin ; « Voices of the Ogaden », dans West Africa, février 1978.
116 Said Yusuf Abdi
partie éthiopienne, en particulier dans les zones les plus basses et les plus
sèches, ne sont jamais passés sous le contrôle effectif de l'administration
éthiopienne, dont les représentants ne peuvent exercer leur autorité sur ces
semi-nomades, fiers de leur culture et résolus à résister.
Après l'accession à l'indépendance de deux secteurs de leur ancien
territoire politique, la résolution des Somalis d'obtenir la libération de leurs
frères dont ils étaient séparés s'est encore renforcée. D è s qu'elle a été
autonome, la Somalie a eu avec l'Ethiopie des accrochages frontaliers, assez
limités toutefois. E n revanche, c o m m e le Kenya n'avait pas encore acquis
son indépendance, l'objectif principal fut alors d'assurer l'auto-
détermination des Somalis rattachés au Kenya, dans le district frontalier du
Nord ( D F N ) 1 . L e D F N bénéficiait depuis longtemps d'une administration
autonome tout en étant gouverné par le Kenya. Avant l'indépendance du
Kenya, les Britanniques organisèrent un référendum d'où il ressortit que les
populations de ce district étaient presque unanimement favorables à une
sécession du Kenya, leur objectif ultime étant la réunification avec la
République Somalie. O r le gouvernement colonial britannique refusa de s'en
tenir à ce verdict et ne fit aucun cas des aspirations de la population Somalie
du D F N . N o n seulement les Britanniques insistèrent pour que le Kenya
conservât le D F N , mais ils isolèrent de la nouvelle région d'autres groupes
ethniques apparentés aux Somalis et qui partageaient leurs aspirations.
Lorsque les Somalis prirent les armes pour se libérer eux-mêmes, les
Kényens, avec l'aide des Britanniques, eurent recours à des méthodes de
répression brutales pour écraser ce mouvement national. Pendant une
période de quatre ans, qui c o m m e n ç a juste avant l'accession du Kenya à
l'indépendance en décembre 1963, les Somalis n'en menèrent pas moins une
lutte armée et lancèrent une série d'attaques contre les installations du
gouvernement kényen, notamment les postes de police de R h a m u et de
Liboi, et pénétrèrent encore plus profondément en territoire kényen en
attaquant Marsabit, Isiolo, L a m u et d'autres localités de l'intérieur. E n 1963
puis en 1967, des négociations pacifiques s'amorcèrent entre la Somalie et le
Kenya, mais elles n'aboutirent pas. Quant la guerre éclata dans l'Ogaden en
1977, le Kenya craignit qu'en cas de succès la prochaine cible de la Somalie
ne fût le nord-est du Kenya. Le gouvernement kényen prit alors des mesures
qui rappellent celles du début des années soixante, lorsque les Somalis se
livraient à la guérilla dans la province du Nord-Est. Il renforça le dispositif de
sécurité, m e n a campagne contre le soutien occidental à la Somalie dans le
1. A u sujet des premiers signes de mécontentement chez les Somalis dans le D F N , voir :
E . R . Turton, « The Isaq Somali diaspora and poll-tax agitation in Kenya, 1936-41 »,
African affairs, vol. 73, n° 292, juillet 1974. O n trouvera aussi une abondante
documentation dans les journaux et périodiques parus à cette époque en Afrique de
l'Est, en Somalie, en Ethiopie, ainsi qu'en U R S S et en Occident.
La décolonisation dans la Corne de l'Afrique 117
et les conséquences des aspirations des Somalis
à l'autodétermination
1. Said Yusuf Abdi, « Independence for the Afars and Issas : complex background, uncertain
future », Africa today, vol. 24, n° 1, janvier-mars 1977 : « Mini-Republic of Djibouti :
problems and prospects », The Horn of Africa, avril-juin 1978.
118 Said Yusuf Abdi
1. « Tous les peuples ont le droit de disposer d'eux-mêmes. E n vertu de ce droit, ils déterminent
librement leur statut politique et assurent librement leur développement économique,
social et culturel ».
120 Said Yusuf Abdi
B . W . Andrzejewski
1. Parmi les plus importants travaux sur l'histoire de la Somalie, on trouve ceux de Jaamac
C u m a r Ciise 1965 a, 1965 b, 1972 et 1976 ; les trois premiers sont écrits en arabe et le
dernier en somali. Il existe également deux autres ouvrages d'histoire écrits en somali :
A x m e d Faarax Ibraahin 1974 et Faarax M a x a m e d J. Cawl 1978 ; ce dernier livre est un
ouvrage de vulgarisation qui fait bon usage de la poésie orale c o m m e matériel de base.
Les ouvrages étrangers traitant de l'histoire de la Somalie qui présentent un intérêt
particulier sont : Cerruli 1957 et 1959, Hess 1966, Kostecki 1966, Lewis 1965 et Martin
1976 ; les bibliographies qu'ils contiennent peuvent être complétées en consultant
M a x a m e d Khaliif Salaad 1977 et Castagno 1975.
2. Jaamac C u m a r Ciise 1965 a, p. 12. L e texte original est le suivant :
. ¿¿¿¡\ jL^Ni ^ J} j rJUJi jLx-Vi ui t ^i J ».Í j. j¿¿ j, r> b- M \ji\¡ i¡¿i ¿yji ¿¿J* ^ \
jM f 4—iil ^1 jj^Jkjj J I - S J I ¿K*Í ¡S*^ jJáu> ¿JJ¿ -t*íj »>:...» U h * j - & j L - * lyijlj Hr>$—*3 *^—l>v* 'jj-^
122 B. W. Andrzejewski
n'eût été le zèle et le travail désintéressé des poètes, des dramaturges et des
compilateurs de littérature orale somalis.
mesure liés à la vie pastorale. Les jeunes qui fréquentaient les écoles
publiques, préoccupés qu'ils étaient par la préparation d'examens étrangers,
n'avaient pas le temps de rester en contact avec l'héritage poétique de leur
pays et les jeunes travailleurs des villes en plein essor étaient pour cela trop
éloignés de leur environnement traditionnel ; aussi une rupture culturelle
totale aurait-elle pu se produire si les poètes modernes n'étaient pas venus
relever le défi de l'époque. A la fin des années 1940 et au début des années
1950, un nouveau genre poétique se développa, principalement dans les
villes, et fut bientôt connu sous le n o m de heello, lequel provient des mots
dénués de sens heellooy, Heelleellooy — qui, c o m m e une sorte d'indicatif
musical, servaient toujours d'introduction à la récitation de ces poèmes. L e
heello attira bientôt des poètes de talent et parvint à u n très haut niveau
artistique, bien qu'il se soit profondément dégagé des contraintes de scansion
propres aux genres classiques. E n se libérant dans une large mesure du poids
d'un vocabulaire et d'un langage archaïques, il devint intelligible à un public
qui n'avait plus de racines dans la vie rurale. Il est à noter que les poètes
du heello, loin de s'opposer aux poètes pratiquant les genres classiques,
les admiraient beaucoup et s'en inspiraient souvent, en particulier pour
ce qui est de l'imagerie poétique. Certains poètes du heello composaient
parfois aussi des poèmes de genre classique, établissant ainsi un pont vivant
entre la culture rurale et la culture urbaine de la Somalie, qui divergent peu
à peu 1 .
L e succès du heello tient également au fait que, poésie de l'amour au
départ, elle devint bientôt celle du forum, avec des thèmes apparemment liés
à l'amour mais utilisés c o m m e une couverture c o m m o d e pour la diffusion
d'une propagande politique patriotique, une couverture si bien déguisée
qu'elle échappait souvent aux censeurs. Ces poèmes constituaient aussi un
excellent matériel pour des programmes de radio, ou pour des divertisse-
ments dans les cafés, les restaurants, voire chez les coiffeurs, dans la mesure
1. Johson 1974, p. 110. Dans l'original, le refrain est Af. calaad accontu miyaa ? Les deux vers
cités sont : Af Shisheeye addoon ayaynu addoon u naheelWaan asqaysannahee. Il
convient de noter que le second vers se prête à plusieurs interprétations, ce qui explique
que m a traduction soit différente de celle de Johnson.
2. L'introduction de Xasan Sheekh M u u m i n 1974 donne un aperçu de l'art dramatique somali et
de son développement.
3. Xasan Sheekh M u u m i n 1974, scène 5.
128 B . W. Andrzejewski
iyo kalahaad (Éloignés et séparés dans les airs) traite des conséquences
néfastes qu'a l'absorption d'alcool pour le héros1.
Certaines pièces ont un caractère franchement contestataire, c o m m e
Samawada, pièce à laquelle A x m e d Cartan Xaange a donné pour titre le n o m
de l'héroïne et dans laquelle il condamne l'insolence des enseignants
étrangers. L'héroïne est une écolière qui fait partie d'un mouvement
clandestin patriotique, au début de l'administration italienne de l'après-
guerre ; dans l'une des scènes, elle quitte la classe, ulcérée par ces paroles de
son professeur :
« E n matière de culture, aucun pays, aucune nation ne sont supérieurs
à l'Italie. N o u s avons apporté à l'Europe entière le flambeau du savoir. Nous
avons porté ce flambeau si haut qu'il a éclairé toutes les régions, y compris
l'Afrique. Jules César, Michel-Ange, Dante, Garibaldi, qui ne connaît ces
h o m m e s immortels ! Être liée à l'Italie a été la grande chance de la
Somalie2. »
Références bibliographiques
Dans la liste ci-dessous, les n o m s somalis sont donnés dans leur ordre habituel, le
prénom et le n o m de famille n'étant pas intervertis puisque ce dernier n'est
normalement pas utilisé en Somalie. Lorsqu'ils écrivent dans une langue étrangère,
les Somalis adaptent habituellement l'orthographe de leur n o m aux conventions
phonétiques de la langue en question, ce qui, s'ajoutant à l'absence d'orthographe
officielle jusqu'en 1972 et à la nécessité de translittérer les transcriptions non latines,
peut entraîner des confusions. Dans le présent article, l'orthographe des n o m s somalis
qui correspond à l'orthographe nationale est considérée c o m m e la norme. Dans la
liste ci-dessous, toute autre orthographe d'un n o m est également indiquée.
L'orthographe correspondant à la norme est donnée en premier, tandis que l'autre
version est précédée du signe //.
Dans les notes, les éléments bibliographiques sont identifiés par le n o m de
l'auteur et l'année de parution. Dans le cas d'auteurs non somalis, seul le n o m de
famille est indiqué, alors que les n o m s somalis sont cités en entier. Les publications du
gouvernement somali pour lesquelles le n o m des auteurs n'est pas indiqué figurent
sous la rubrique « Somalie ». Les traductions de titres entre crochets sont
explicatives ; elles ne figurent pas sur les pages de titre des ouvrages concernés.
Richard Pankhurst
Introduction
Bien que l'Ethiopie soit l'un des plus vieux États d'Afrique et l'un des rares
pays de ce continent qui aient été membres de la Société des Nations avant la
guerre, elle a connu, au cours des quinze années qui nous intéressent, de
graves problèmes de décolonisation qu'on a encore souvent tendance à
sous-estimer. L a lutte pour la décolonisation o u , selon les conceptions
d'alors, pour le recouvrement de la souveraineté nationale, ainsi que pour la
restitution de ce que l'Ethiopie considérait c o m m e des territoires perdus, a
en fait constitué un élément essentiel de la politique du gouvernement
éthiopien au cours de la période d'après-guerre, l'emportant ou presque sur
toute autre considération.
M o n propos est de montrer qu'en Ethiopie la décolonisation n'a
nullement été aussi rapide et automatique qu'on le croit généralement, mais
qu'il s'est agi, au contraire, d'un long processus en plusieurs étapes, qui n'a
pu être réalisé qu'en bravant une forte opposition extérieure.
messages radio à Khartoum. « Il n'est pas exagéré de dire, fit-il observer plus
tard, que la capture de cette armée aurait immédiatement permis une percée
réussie sur Addis-Abéba. Mais nos appels restèrent sans réponse . »
Il est indéniable que, c o m m e le pense Leonard Mosley, le refus de
continuer d'assurer un soutien aérien s'explique par des motifs essentielle-
ment politiques. L a question, dit-il, était de savoir « qui allait prendre
Addis-Abéba... L e caïd de Khartoum et ses forces stationnées à Keren ne
pouvaient absolument pas y parvenir à temps. Mais que dire de Wingate et
de l'armée G é d é o n , l'armée de patriotes dont le commandant en titre était
l'empereur lui-même ? " M o n cher ami, déclarèrent les autorités du Soudan,
pouvez-vous imaginer les conséquences d'une telle éventualité ? Si l'on
permet aux Habachis de prendre e u x - m ê m e s leur capitale, non seulement ils
violeront et ils tueront, mais ils ne seront plus jamais les m ê m e s . . .
Retenez-les, pour l'amour de Dieu, retenez-les !" Ainsi, au m o m e n t où
l'armée de Gédéon aurait pu exploiter ses succès et avancer irrésistiblement
jusqu'à Addis-Abéba, l'aide dont elle avait besoin ne vint pas. La prise d'un
royaume de Noirs devait être l'affaire des Blancs, et elle fut confiée à l'armée
sud-africaine. Les messages réitérés de Wingate demandant quelques
renforts supplémentaires furent ignorés 2 . »
Les Sud-Africains entrèrent dans Addis-Abéba — où ils continuèrent
d'appliquer la politique de ségrégation raciale instaurée auparavant par les
fascistes — le 6 avril ; le m ê m e jour, à une journée de route vers le nord,
l'armée de l'empereur occupait Debra Marqos, ville principale du G o d j a m ,
ce qui ne fut pas un mince exploit en l'absence de tout soutien aérien. Malgré
cela, les Éthiopiens avaient été distancés dans la course à la capitale : c'était
la conception britannique de la décolonisation, et non la conception
éthiopienne, qui avait triomphé.
Lorsque Addis-Abéba eut été occupée par les Sud-Africains, les
autorités britanniques décidèrent de retarder l'avance de l'empereur à partir
de Debra Marqos. Mosley rapporte que, « le 6 avril, l'armée de G é d é o n
reçut un message radio des supérieurs de Wingate à Khartoum l'informant
que les troupes sud-africaines entraient dans Addis-Abéba. Ils lui ordon-
naient d'arrêter toute progression 2 ».
Mosley, qui s'est fondé sur les souvenirs d'Akavia, l'aide palestinien de
Wingate, pour examiner la suite des événements, poursuit en ces termes :
« Sa première réaction fut le dépit et la colère. " Il savait que nous
aurions pu y arriver nous-mêmes et que, moralement, c'eût été juste", dit
Akavia. Mais il se reprit presque aussitôt pour envoyer un message de
félicitations accompagné d'une requête. Il demandait qu'un avion fût
immédiatement envoyé, afin que Haïlé Sélassié pût s'envoler pour sa capitale
et recevoir ainsi l'hommage et l'accueil de son peuple.
» L a requête fut repoussée. Il reçut l'ordre de veiller à ce que
l'empereur restât où il était. Lorsqu'il protesta, on lui répliqua : "Il y a 5 000
Italiens à Addis-Abéba. D e s Blancs. Si l'empereur arrive, les indigènes vont
être saisis de panique. Ils deviendront fous et se mettront à piller et à violer,
et ils tueront tous les Italiens. Aussi, gardez le petit h o m m e à l'écart1." »
Puis Wingate reçut l'ordre de « s'opposer à toute tentative de
l'empereur de s'approcher d'Addis-Abéba » et, pour reprendre les termes du
général Cunningham, d'utiliser « tous les moyens à l'exception de la force2 ».
E n fait, l'entrée de l'empereur dans la capitale fut retardée d'un mois
entier ; à la fin d'avril, impatient, il décida de marcher sur Addis-Abéba, en
bravant la réprobation des Britanniques, mais, c o m m e dit Mosley, « avec
l'approbation active bien que strictement officieuse de Wingate 3 ». L e
général Cunningham n'eut d'autre choix que de s'incliner, car, c o m m e devait
l'admettre plus tard lord Rennell of R o d d dans un rapport officiel sur cette
période, « la présence de l'empereur dans le pays... et ailleurs que dans sa
capitale ne pouvait que créer une situation embarrassante pour toutes les
personnes concernées4 ».
Le 5 mai, l'empereur fit son entrée dans Addis-Abéba, mais il pouvait
difficilement se considérer c o m m e un souverain indépendant, car la capitale
et, du reste, tous les territoires « libérés » étaient maintenant sous
occupation britannique.
signature d'un traité entre les deux pays était différée aussi longtemps. L e
premier ministre, peu désireux de donner à penser qu'il tentait d'exercer une
coercition sur le premier — et à cette époque-là le seul — pays libéré de la
domination de l'Axe, décida d'éluder la question en répondant que le retard
était dû au désir du gouvernement britannique de s'assurer que rien dans le
projet ne « pourrait être interprété c o m m e une ingérence dans votre
souveraineté ou c o m m e une limitation de l'indépendance éthiopienne1 ».
1. Ibid., p. 10.
2. U S A , Foreign relations of the United States, diplomatie papers, III, p. 104, Washington,
1943.
148 Richard Pankhurst
L ' a c c o r d anglo-éthiopien d e 1 9 5 4
La politique étrangère de l'Ethiopie à la fin des années 1940 fut
principalement axée sur la question de l'avenir de l'ancienne colonie
italienne d'Erythrée, dont l'intégration était considérée c o m m e revêtant une
importance majeure, tant sur le plan économique que sur le plan stratégique.
L'avenir du territoire, qui avait fait l'objet de longs pourparlers entre les
grandes puissances et nombre de petits pays, fut finalement décidé par une
résolution des Nations Unies en date du 2 décembre 1950, en vertu de
laquelle l'Erythrée et l'Ethiopie étaient fédérées sous la souveraineté de la
couronne éthiopienne.
Après la création de la fédération, l'année suivante, le gouvernement
éthiopien aborda la question de l'Ogaden et de la zone réservée, pour
lesquels la « souveraineté fondamentale » de l'Ethiopie avait été explicite-
ment reconnue dans l'accord de 1944. La guerre, qui avait été invoquée dans
le traité c o m m e motif justifiant l'administration de ces territoires par les
Britanniques, était depuis longtemps terminée. L e gouvernement britanni-
que ne pouvait donc faire autrement que de les restituer aux autorités
éthiopiennes. C'est ce qu'entérinait l'accord anglo-éthiopien du 29 novembre
1954, dont l'article premier stipulait que « la souveraineté entière et
exclusive de l'Ethiopie sur les territoires spécifiés dans l'annexe jointe au
présent accord (ci-après d é n o m m é s " les territoires " ) , qui a été reconnue
150 Richard Pankhurst
Discussion générale
A u cours des débats, des thèmes globaux sont apparus qui concernent
l'ensemble de la rédaction du volume VIII de VHistoire générale de l'Afrique
aussi bien que les discussions sur les points spécifiques soumis aux experts.
U n premier souci, fréquemment exprimera été que ce volume ne
rompe ni avec la continuité ni avec le ton historique des précédents, sans que
l'on renonce, évidemment, à l'apport des diverses sciences qui doivent
converger en vue de la rédaction d'une histoire globale de l'Afrique au x x e
siècle. La perspective historique postule, sur la longue période considérée,
qu'on s'attache à dégager les traits structurels d'ensemble, sans traiter des
faits en fonction des événements tout à fait contemporains, et de la
coloration provisoire que ceux-ci semblent donner aux évolutions passées.
C e volume doit être assez solide dans ses structures pour être lu, sans risque
de se démoder, pendant des années.
D e nombreux experts ont jugé impossible d'appliquer à l'étude de cette
histoire une méthode qui fractionne la réalité en « séries isolées ». Ils ont
estimé que l'analyse marxiste devrait être pleinement utilisée en vue de
réaliser une étude globale et réellement explicative.
Pour certains experts, cette analyse présente un tel degré de pertinence
qu'elle permet d'envisager logiquement l'évolution certaine des événements
dans les régions concernées du continent et peut-être dans le m o n d e entier :
c'est une vue plus philosophique et plus politique des choses. Pour d'autres,
plus sensibles aux rapports de force, cette analyse a une grande valeur
politique et provoque aussi l'engagement politique, mais elle ne comporte
peut-être pas des développements événementiels aussi évidents et néces-
saires que pour les premiers.
D'autres experts ont estimé qu'il faudrait accorder une grande
attention aux différences qui existent entre les transformations économiques
et sociales des sociétés africaines sous le régime colonial. Ces différences
pourraient être analysées sur le plan des structures sociales et des structures
économiques et d'après le rôle joué par divers groupes sociaux au cours du
processus de décolonisation. Il a donc été proposé d'étudier ce processus
historique en fonction de la connaissance précise des structures sociales et
économiques des pays concernés, c o m m e l'ont suggéré certains spécialistes1.
A u c u n e analyse des stratégies politiques, des conditions de passage d'une
société de type précapitaliste à une société socialiste n'a été esquissée, alors
que l'accent était mis sur les différences qui existent, de ce point de vue,
entre le cas de l'Afrique australe et celui de l'Ethiopie, par exemple.
1. Voir par exemple sur cette question : T h o m a s Sentes, Political economy of developing
countries, Budapest, 1970 ; L . Tjaquwienko, Developing countries : regularities,
problems, perspectives, Moscou, 1974 ; Colin Leys, African capitalism in Kenya.
162 Compte rendu des débats
de la réunion d'experts
1. A ce propos, certains participants ont cité les ouvrages de référence suivants : A . Cassese et
E . Jouve (dir. publ.), Pour un droit des peuples, Paris, Éditions Berger-Levrault, 1978 ;
C . Chaumont, « Le droit des peuples à témoigner d'eux-mêmes » : Annuaire du tiers
monde, 1976, Paris, Éditions Berger-Levrault, 1977 ; K . Marx, Misère de la philosophie ;
F. Fanon, Les damnés de la terre, Paris, François Maspero ; V . I. Lénine, Œuvres
complètes, Éditions de Moscou. Voir notamment les développements suivants : « Sur les
questions nationale et coloniale », « Bilan d'une discussion sur le droit des nations »,
« L e socialisme et la guerre », etc. ; « L'impérialisme, stade suprême du capitalisme ».
« Essai de vulgarisation ». Œuvres, t. 22, Paris, Moscou, Éditions sociales, Éditions du
Progrès, 1973, L e IIe Congrès de l'Internationale communiste, 19 juillet-7 août 1920,
Rapport de la commission nationale et coloniale, 26 juillet. Œuvres, tome 31, Moscou,
Éditions du Progrès, 1976 ; Lin Piao, Vive la victorieuse guerre du peuple ! Pékin,
Éditions en langues étrangères, 1967 ; Rosa Luxemburg, Œuvres (I, II, III et IV), Paris,
F. Maspero ; M a o Tsé-toung, Œuvres choisies, Pékin, Éditions en langues étrangères,
tome I, 1966 ; tome II, 1967 ; t. III, 1968 ; t. IV, 1969 ; Karl Marx, Le capital. Critique
de l'économie politique. Livre premier. Le développement de la production capitaliste,
t. I, Paris 1975 ; Die Künftigen Ergebnisse der britischen Herrschaft in Indian, Marx K .
und Engels, F . W e r k e , B d . 9, Berlin, Dietz, 1960 ; K . Marx ; F. Engels, Manifeste du
parti communiste, Moscou, Éditions du Progrès, 1978, J. Staline. Des principes du
léninisme, Lyon, Éditions de l'Avenir, 1968, p. 54 et sq. ; L . Trotsky, Où va
l'Angleterre ? Le marxisme et notre époque ; L'agonie du capitalisme et les tâches de la W
Internationale ; « L a guerre impérialiste et la révolution » (discours pour le troisième
anniversaire de l'Université d'Orient).
Compte rendu des débats 163
de la réunion d'experts
théorique, pour plus d'un expert, mais les positions étaient plus nuancées,
en général, lorsqu'on abordait l'analyse de situations concrètes.
Les experts ont, en général, admis les propositions du directeur de
volume et du Comité sur la définition de la période qui devrait être couverte
par le volume : 1935-1980.
D'autre part, l'attention du directeur de volume a été vigoureusement
appelée sur la structure de la table des matières et sur les intitulés des
chapitres et des paragraphes. Diverses recommandations lui ont été
présentées et il a promis d'en tenir compte dans la nouvelle table des
matières.
évident chez les experts, ceux-ci ont préféré explorer des voies plus pro-
metteuses de paix.
U n exemple assez saisissant de l'acuité de certains problèmes mais
aussi de la possibilité qui existe de les résoudre a été fourni à propos de la
langue Somalie elle-même. L a République de Somalie en a fixé la graphie en
caractères latins voici plusieurs années ; cette langue écrite constitue la base
d'une alphabétisation rapide et d'un enseignement scientifique — marxisme
compris — en langue nationale. Après la révolution éthiopienne, la décision
de reconnaître l'égalité des huit langues parlées en Ethiopie ayant été prise,
la graphie amharique a été utilisée pour écrire ces langues : la chose a
évidemment été vivement ressentie en milieu somali.
U n tel exemple montre probablement à la fois combien les oppositions
peuvent être facilement exacerbées par une volonté d'affrontement, mais
aussi combien elles peuvent être apaisées dans un climat différent.
Les relations entre la Somalie et le Kenya n'ont fait l'objet d'aucune
analyse.
Pour l'Erythrée, l'opinion d'un expert a été que ce problème pourrait
trouver sa solution à partir du m o m e n t où les éléments d'oppression
linguistique, culturelle et religieuse, hérités des situations coloniales et
postcoloniales passées, auraient disparu. Si le gouvernement éthiopien tenait
ses engagements, l'idée de sécession devrait disparaître en Erythrée.
Au-delà des analyses de situation, la majorité des experts a estimé que
la décision de l ' O U A concernant l'intangibilité des frontières africaines
jusqu'à la libération complète du continent était la solution la plus sage. S'il y
a eu discussion des mots « nationalismes ethniques » proposés par le
directeur de volume, la tendance dominante parmi les experts était de
chercher à rendre les frontières « non opérantes », pour qu'elles ne briment
plus les peuples, par des efforts d'association et d'unification.
L e débat s'est automatiquement déplacé, à partir des questions
soulevées, vers un effort de clarification de la position des gouvernements en
cause par rapport au socialisme ou au progressisme.
Il a été mentionné que l'œuvre du gouvernement somalien était
importante en matière d'alphabétisation, d'enseignement, d'unification
nationale, d'émancipation de la f e m m e et de réforme de l'héritage.
D e s résultats comparables ont été portés au crédit du gouvernement
révolutionnaire éthiopien en matière d'égalité linguistique et de développe-
ment de l'instruction pour les enfants des classes pauvres, de séparation de
l'Église et de l'État, d'accession à l'égalité des musulmans, de réforme
agraire. Sur ce dernier point et sur l'enseignement, des informations précises
ont été fournies au directeur du volume VIII et enregistrées par tous les
experts présents avec beaucoup d'intérêt.
D e s réserves ont été faites sur les relations du gouvernement éthiopien
Compte rendu des débats 171
de la réunion d'experts
avec les syndicats et les étudiants et des questions ont été posées sur la place
de l'intelligenzia dans la vie politique éthiopienne.
Il ressortait de ce tableau assez contrasté que de gros problèmes
existaient en Ethiopie où s'est produit rapidement le passage des structures
économiques et sociales archaïques que connaissait l'empire à une société
traversée de contradictions et où les réformes se sont développées
radicalement. L'analyse de la structure sociale éthiopienne et des rapports
entre les classes et le pouvoir d'État n'a pu être poussée très loin. C e fait a été
déploré par plusieurs experts qui ont estimé impossible de tenter un examen
sérieux de la situation éthiopienne en l'absence des études de base et
s'agissant d'une société qui a subi beaucoup de transformations en très peu
de temps.
C o m m e dans le cas de l'Afrique australe, l'attitude de l ' O U A a été
diversement appréciée. D o n n é e parfois c o m m e une organisation représenta-
tive de la petite bourgeoisie africaine, l ' O U A a été d'autre part considérée
c o m m e l'un des éléments clés pour la solution du conflit somalo-éthiopien.
C e conflit était interne à l'Afrique ; il est souhaité qu'il soit réglé entre
Africains.
L ' O U A avait apporté une contribution qui pourrait se révéler positive
au règlement des conflits en Afrique lorsqu'elle avait lancé à Khartoum,
quelques semaines avant la réunion, l'idée d'un c o m m a n d e m e n t militaire
africain unifié.
U n e autre question intéressante a été soulevée à propos de l'influence
exercée par Haïlé Sélassié sur la constitution et le fonctionnement de
l ' O U A ; qu'en était-il de l'héritage laissé par l'empereur déchu et quelle était
l'influence de l'Ethiopie sur l ' O U A ?
Il y a eu un échange de vues sur la politique de rapprochement entre le
Moyen-Orient et la Corne de l'Afrique. Bien que cette dernière ne soit pas
aussi bien dotée que l'Afrique australe sur le plan économique, elle influe
sur les voies d'approvisionnement d'importance vitale qui relient le m o n d e
occidental au Moyen-Orient. Sa valeur stratégique s'est progressivement
accrue au cours de la période couverte par le volume VIII. Les principales
étapes de cette évolution ont été les conséquences de la guerre de Suez de
1956, l'occupation par Israël de territoires arabes après la guerre de 1967, les
conséquences de l'embargo pétrolier décidé par les États arabes en 1973, et
le pouvoir croissant de l ' O P E P . Ces événements ont fait apparaître plus
clairement à l'Ouest en particulier l'importance de la Corne de l'Afrique
dans l'économie mondiale.
Les informations apportées par les experts sur la situation dans l'océan
Iadien n'ont permis que de recenser les bases françaises, anglaises et
américaines dans cet océan, sans clarifier pour autant les rapports
d'ensemble de la Corne de l'Afrique avec l'océan Indien.
172 Compte rendu des débats
de la réunion d'experts
Said Yusuf Abdi, 1580 Logan 37, Denver, Colorado 80203 (États-Unis d'Amérique).
J. F. A d e Ajayi, International African Institute, 210 High Holborn, London W . C . 1
(Royaume-Uni).
B . W . Andrzejewski, 15 Shelley Court, Milton Road, Harpenden, Herts, A L 5 5 L L ,
(Royaume-Uni).
M ™ T . Buttner, Université Karl Marx, Centre d'études sur l'Afrique et le
Moyen-Orient, 701 Leipzig, Karl-Marx Platz 9 (République démocratique
allemande).
David Chanaiwa, History Department, California State University, Northbridge,
California 91364 (États-Unis d'Amérique).
Apollon Davidson, Institut d'histoire générale, Académie des sciences de l'URSS, 19
Dmiti Ulianoff Street, Moscou (URSS).
Jean Dévisse, 14, avenue de la Porte-de-Vincennes, 75012 Paris (France).
E d m o n d Jouve, chargé de conférences au département de science politique de
Paris-I, 3, rue Marié-Davy, 75014 Paris (France).
Artem Letnev, Institut africain, Académie des sciences de l'URSS, 16 Starckonuche-
ny, Moscou ( U R S S ) .
M . Malinowski, Université de Varsovie, Varsovie (Pologne).
M m e Joanna Mantel-Niecko, Al. Wojsha, 01-554 Varsovie (Pologne).
Christian Maehrdel, Université Karl Marx, Centre d'études sur l'Afrique et le
Proche-Orient, Karl-Marx Platz, 701 Leipzig (République démocratique
allemande).
E . K . Mashingaidze, National University of Lesotho, P . O . R o m a (Lesotho).
Ali A . Mazrui, Centre for Afroamerican and African Studies, University of
Michigan, A n n Arbor, Michigan 48109 (États-Unis d'Amérique).
Jan Milewski, Ul. Czesnika 12/18 m . 2 , 02-929 Varsovie (Pologne).
E . L . Ntloedibe, P A C , Box 2412. Dar es Salaam (République-Unie de Tanzanie).
Richard Pankhurst, 22 Lawn Road, London N W 3 2 X R (Royaume-Uni).
Zygmunt Pióro, Chocimska 33-1 5 Varsovie 00-791 (Pologne).
Jerzy Prokopczuk, Polish Institute of International Affairs, Warecka la, P . O . Box
1000, Varsovie (Pologne).
Nathan Shamuyarira, Patriotic Front ( Z A N U ) , caixa postal 743, Maputo (Mozam-
bique).
M . T . Tymowski, Université de Varsovie, Varsovie (Pologne).
180 Annexes
Secrétariat de l'Unesco
Maurice Glélé, chef de la section « Cultures africaines », Division des études des
cultures (Secteur de la culture et de la communication).
Monique Melcer, Division des études des cultures.
[II 28] C C . 80/XXX. 5/F