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CHAPITRE 1 La Création de La Lettre de Change PDF

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CHAPITRE 1

La création de la lettre de change

6. La création de la lettre de change est soumise à deux séries principales de


conditions. Les unes sont relatives à la forme même du titre (section 1)
et sont d’une grande importance. En effet, le formalisme de l’obligation
cambiaire, qui en est l’un des traits caractéristiques majeurs, rend particu-
lièrement fondamentale la régularité formelle du titre. Les autres condi-
tions se rapportent au fond, dans ce sens qu’elles doivent être réunies
aussi bien par les parties impliquées dans la relation cambiaire que par les
rapports juridiques qui en justifient l’établissement (section 2).

Section 1. — Les conditions de forme de la lettre de change


7. La lettre de change est créée par le tireur en établissant sous sa signature
un titre. Le règlement CEMAC relatif aux systèmes, moyens et incidents de
paiement exige que le contenu de celui-ci soit conforme aux prescriptions
légales. Les différentes mentions à porter sur la lettre de change à l’occa-
sion de son établissement, et qui constituent ainsi son contenu, doivent en
conséquence être examinées (§ 1). Mais au-delà, il convient aussi d’évoquer
d’autres questions qui ont trait à la pluralité d’exemplaires et aux copies.
Elles sont également relatives à la forme du titre, bien que concernant
davantage le support qui le renferme (§ 2).

§ 1. Le contenu du titre
8. Le contenu de la lettre de change est défini avec précision par la loi. Ce
formalisme strict s’explique par le fait que, pour circuler rapidement et en
toute sécurité, elle doit révéler clairement les caractères de l’opération ; il
24 DROIT COMMUNAUTAIRE DES AFFAIRES DE LA CEMAC

faut pouvoir se fier à sa seule apparence. En pratique, les lettres de change


sont établies sur des formules pré-imprimées. Il suffit donc le plus souvent
au tireur de remplir les cases prévues à cet effet et d’apposer sa signature.
Mais la loi n’exige pas une forme matérielle obligatoire. Toujours est-il que
ce formalisme cambiaire se caractérise par l’exigence de deux séries de
mentions. Les unes sont obligatoires et constituent donc des conditions de
validité du titre lui-même (A). Les autres sont facultatives, dans ce sens que
leur utilisation est laissée à la libre volonté des parties (B).

A. Les mentions obligatoires


9. L’énumération des mentions obligatoires de la lettre de change est faite par
l’article 79 du règlement CEMAC relatif aux systèmes, moyens et incidents
de paiement (1). Leur importance pour la validité du titre justifie que leur
non-respect soit sanctionné (2).

1. L’énumération des mentions obligatoires


10. Aux termes de l’article 79 du règlement relatif aux systèmes, moyens et inci-
dents de paiement : « La lettre de change contient : 1o) – La dénomination de lettre
de change insérée dans le texte même du titre et exprimée dans la langue employée pour
la rédaction de ce titre ; 2o) – Le mandat pur et simple de payer une somme détermi-
née ; 3o) – Le nom de celui qui doit payer, dénommé tiré ; 4o) – L’indication de
l’échéance ; 5o) – Celle du lieu où le paiement doit s’effectuer ; 6o) – Le nom de celui
auquel ou à l’ordre duquel le paiement doit être fait ; 7o) – L’indication de la date et
du lieu où la lettre est créée ; 8o) – La signature de celui qui émet la lettre, dénommé
tireur. Cette signature est apposée, soit à la main, soit par tout procédé non manu-
scrit ». Il résulte de cette disposition que la lettre de change doit comporter
au total huit mentions obligatoires jouant chacune un rôle précis et qui
sont successivement examinées ci-après.

a. La dénomination de lettre de change


11. La première mention exigée par l’article 79 du règlement CEMAC est la
dénomination de lettre de change, laquelle doit être insérée dans le texte
même du titre. La finalité de cette formalité est de protéger les signataires
en attirant leur attention sur la gravité des engagements à souscrire. Ce qui
se justifie amplement, car un titre qui a un statut propre se doit d’être
dénommé pour être dissocié des autres de même nature. La loi exige en
outre que cette mention soit exprimée dans la langue employée pour sa
rédaction, ce qui doit être compris comme la langue utilisée pour la formu-
lation de l’ordre de payer1.

1. Ch. GAVALDA et J. STOUFFLET, op. cit., no 13, p. 26.


LA CRÉATION DE LA LETTRE DE CHANGE 25

Étant donné que la lettre de change est également appelée traite dans la
pratique, il s’est posé la question de savoir si la mention de ce dernier
terme pouvait suffire. La cour d’appel de Montpellier, saisie d’un litige se
déclinant dans ce sens, avait ainsi jugé que le mot « traite » pouvait être
l’équivalent de l’expression « lettre de change »2. Cependant, même s’il
est vrai que l’utilisation du mot « traite » peut ne pas susciter d’ambiguïté
sur la nature du titre, notamment à l’égard des commerçants profession-
nels, il demeure néanmoins que le formalisme cambiaire serait écorné si
l’on se passait de l’expression « lettre de change »3. Cette possibilité doit
d’autant plus être écartée que le législateur communautaire, chaque fois
qu’il a voulu admettre le recours à un formalisme par équivalent, l’a expres-
sément indiqué4.

b. Le mandat pur et simple de payer une somme déterminée


12. Cette deuxième exigence de l’article 79 du règlement CEMAC se décom-
pose en réalité en deux éléments. Le titre doit d’abord comporter un man-
dat, c’est-à-dire un ordre de payer qui peut être impératif (payez) ou plus ou
moins courtois (veuillez payer ou je vous prie de payer). Le caractère pur et sim-
ple que doit présenter ce mandat signifie que l’ordre ne saurait être condi-
tionnel, qu’il s’agisse d’une condition suspensive (payez si...) ou d’une
condition résolutoire (payez sauf si...). En d’autres termes, un ordre de
payer assorti de réserves rendrait aléatoire le paiement à l’échéance et
entraverait de ce fait la circulation du titre. Il est cependant soutenu que
cette prohibition ne s’applique que si la condition stipulée altère l’ordre
de payer. Ce qui revient à admettre que certaines conditions puissent être
stipulées, notamment lorsqu’elles ne remettent pas en cause le principe
même de l’obligation cambiaire. Tel est le cas de la lettre de change docu-
mentaire qui oblige le porteur à remettre au tiré, lors du paiement, certains
documents qu’il détient5.

2. CA Montpellier, 24 nov. 1953, Banque 1956, no 520, obs. MARIN. V. aussi B. R. BOUDIALA, op. cit.,
no 19, p. 18.
3. V. Ch. GAVALDA et J. STOUFFLET, op. cit., no 13, p. 26.
4. Il en est ainsi en ce qui concerne la mention de l’endos, notamment à l’article 92 du règle-
ment CEMAC. L’alinéa 1er de ce texte dispose ainsi que : « Lorsque l’endossement contient la men-
tion valeur en recouvrement, pour encaissement, par procuration ou toute autre mention impliquant
un simple mandat, le porteur peut exercer tous les droits dérivant de la lettre de change, mais il ne peut
endosser celle-ci qu’à titre de procuration ». Quant à l’alinéa 4, il en ressort que : « Lorsqu’un endos-
sement contient les mentions valeur en garantie, valeur en gage ou toute autre mention impliquant
un nantissement, le porteur peut exercer tous les droits dérivant de la lettre de change, mais un endosse-
ment fait par lui ne vaut que comme un endossement à titre de procuration ».
5. P. LE CANNU, Th. GRANIER et R. ROUTIER, op. cit., no 355, p. 290 ; G. RIPERT et R. ROBLOT, par
Ph. DELEBECQUE et M. GERMAIN, op. cit., no 1939, p. 20.
26 DROIT COMMUNAUTAIRE DES AFFAIRES DE LA CEMAC

Le mandat de payer doit ensuite porter sur une somme déterminée. Il en


résulte que l’ordre ne doit pas avoir pour objet une prestation non moné-
taire. Il doit nécessairement s’agir d’une somme d’argent. Compte tenu des
dispositions de l’article 108 du règlement, lequel prévoit les règles relatives
au paiement d’une lettre de change stipulée dans une monnaie n’ayant pas
cours au lieu de paiement6, il y a lieu d’admettre que le montant peut être
libellé dans une devise étrangère. Cette exigence implique en outre que le
montant doit être parfaitement déterminé. La simple indication des élé-
ments de nature à permettre le calcul du montant de la lettre de change
au moment du paiement ne saurait donc suffire. Ce qui a pour consé-
quence l’interdiction de principe d’assortir le nominal d’une clause d’inté-
rêts, sauf à les calculer à l’avance en les intégrant dans le montant global
inscrit sur l’effet. Toute clause d’intérêts est réputée non écrite. L’article 82
du règlement CEMAC, qui prescrit cette interdiction, autorise cependant la
stipulation des intérêts au profit du porteur lorsque la lettre de change est à
vue ou à un certain délai de vue7. Auquel cas, le taux doit être impérative-
ment indiqué dans la lettre, sous peine de voir la clause réputée non écrite,
et les intérêts courent à partir de la création de la lettre si une autre date
n’a pas été indiquée8.
L’indication du montant de la lettre de change peut être indifféremment
faite en chiffres ou en lettres. Toutefois, dans la pratique et sans doute pour
lutter contre les tentatives de falsification, il est d’usage de faire figurer le
montant à la fois en chiffres et en lettres. Le règlement communautaire,
comme le fait en France le Code de commerce, a prévu des règles pour
permettre de régler les difficultés qui pourraient résulter d’une discor-
dance entre ces deux indications. Ainsi, selon son article 83, en cas de diffé-
rence entre le montant en lettres et celui en chiffres, la lettre de change
vaut pour la somme en toutes lettres. Le même texte envisage l’hypothèse
où le montant de la lettre de change est écrit plusieurs fois soit en toutes
lettres, soit en chiffres. Il est prévu qu’un tel titre ne vaut, en cas de diffé-
rence, que pour la moindre somme.

6. V. infra, no 137.
7. V. infra, no 14.
8. L’article 82 du règlement CEMAC dispose exactement que : « Dans une lettre de change payable à
vue ou à un certain délai de vue, il peut être stipulé par le tireur que la somme sera productrice d’intérêts
(alinéa 1er). Dans toute autre lettre de change, cette stipulation est réputée non écrite (alinéa 2). Le taux
d’intérêts doit être indiqué dans la lettre ; à défaut de cette indication, la clause est réputée non écrite
(alinéa 3). Les intérêts courent à partir de la date de création de la lettre de change si une autre date
n’a pas été indiquée (alinéa 4) ».
LA CRÉATION DE LA LETTRE DE CHANGE 27

c. Le nom du tiré
13. Le tiré est celui à qui la lettre de change doit être présentée à l’échéance
pour paiement. La mention de son nom sur le titre est en conséquence
logiquement imposée par la loi. Il est en effet nécessaire que le porteur
de l’effet sache à qui s’adresser le moment venu. Il convient du reste de
relever que cette exigence est appliquée de manière assez stricte par la
jurisprudence française. Elle a ainsi refusé que l’indication du domicile du
tiré ou sa signature sur le titre puisse suppléer l’absence d’indication de son
nom9. En revanche, le législateur n’ayant apporté aucune précision, la dési-
gnation peut bien être faite par le nom commercial, dès lors qu’il n’existe
aucun risque de confusion ou d’erreur10.
L’article 79 du règlement CEMAC n’exige cependant que l’indication du
nom du tiré. En conséquence, la mention de son adresse ne s’impose pas,
même si dans la pratique celle-ci vient habituellement compléter son iden-
tification. Il convient de signaler que rien ne s’oppose à ce que le tireur de
la lettre de change se désigne lui-même comme tiré. L’article 81, alinéa 2
admet d’ailleurs expressément cette éventualité en permettant que la lettre
de change puisse être tirée sur le tireur lui-même. La possibilité de désigner
plusieurs personnes comme tirés d’une même lettre de change doit de
même être laissée ouverte. Il suffit pour cela que le mandat de payer soit
adressé à chacune d’elles de façon à ce que le porteur puisse à l’échéance
réclamer le paiement à l’une ou à l’autre11.

d. L’indication de l’échéance
14. L’importance de cette mention est indéniable, puisqu’elle permet au por-
teur de connaître l’époque à laquelle il pourra présenter la lettre de change
au paiement. Cette exigence formulée par l’article 79 est complétée et pré-
cisée par les dispositions des articles 101 et suivants. L’article 101 indique en
particulier que l’échéance ne peut être fixée que de quatre manières. Une
lettre de change peut en effet être tirée à vue, à un certain délai de vue, à
un certain délai de date ou à jour fixe. Il est expressément prévu que les
lettres de change utilisant d’autres modes fixation de l’échéance, notam-
ment les échéances successives, sont nulles12.

9. Com., 24 févr. 1965, Gaz. Pal. 1965.1. 336 ; Banque 1965, 557, note MARIN ; contra : Paris, 7 févr.
1962, JCP 1962, II, 12956, note LESCOT.
10. Amiens, 15 oct. 1993, JCP 1994, II, 22258, note MASSOT-DURIN.
11. Ch. GAVALDA et J. STOUFFLET, op. cit., no 13, p. 28.
12. Il convient de relever que la lettre de change qui ne comporte pas d’échéance n’est pas nulle
de ce fait. L’article 80, alinéa 2 exclut cette solution en prévoyant que la lettre de change dont
l’échéance n’est pas indiquée est considérée comme payable à vue. Il s’agit, autrement dit,
d’une des hypothèses de suppléance légale (v. infra, no 23).
28 DROIT COMMUNAUTAIRE DES AFFAIRES DE LA CEMAC

La lettre de change peut d’abord être tirée à vue et il en est ainsi, aux ter-
mes de l’article 102 du règlement CEMAC, lorsqu’elle est payable à sa pré-
sentation au tiré. Ce texte précise que cette présentation doit nécessaire-
ment intervenir dans un délai d’un an à partir de la date de création du
titre. La possibilité est cependant donnée au tireur d’abréger ce délai ou
d’en stipuler un plus long. Les endosseurs, en ce qui les concerne, ne peu-
vent que l’abréger. Il est par ailleurs permis au tireur d’une lettre de
change payable à vue de stipuler qu’elle ne pourra pas être présentée au
paiement avant un terme indiqué. Auquel cas, le délai de présentation
d’un an ne court qu’à partir de ce terme.
La lettre de change peut ensuite être stipulée à un certain délai de vue. Il
résulte des termes de l’article 103, alinéa 1er que dans ce cas de figure, elle
est alors payable à l’expiration d’un délai, fixé librement dans le titre, qui
ne commence à courir qu’à compter de la date de l’acceptation ou, en cas
de refus d’acceptation, de la date du protêt. Bien entendu, pour permettre
la détermination de cette échéance, il est nécessaire que l’acceptation soit
datée. Toutefois, si elle ne l’a pas été, et en l’absence de protêt, elle est
réputée, à l’égard de l’accepteur, avoir été donnée le dernier jour du
délai de présentation à l’acceptation13. Selon la doctrine, il revient en
revanche au porteur de prouver la date de présentation lorsqu’une lettre
de change payable à un certain délai de vue est dispensée de protêt et n’a
pas été acceptée14. L’article 103 édicte dans le même temps, en ses alinéas 3
à 7, dès règles d’interprétation au cas où l’échéance serait exprimée en des
termes susceptibles de discussion. C’est ainsi que l’échéance d’une lettre de
change tirée à un ou plusieurs mois de vue a lieu à la date correspondante
du mois où le paiement doit être effectué. À défaut de date correspon-
dante, l’échéance a lieu le dernier jour de ce mois. Quand une lettre de
change est tirée à un ou plusieurs mois et demi de vue, on compte d’abord
les mois entiers. Dans le cas où l’échéance est fixée au commencement, au
milieu ou à la fin du mois, on entend par ces termes le 1er, le 15 ou le der-
nier jour du mois. Enfin, les expressions « huit jours » ou « quinze jours »
s’entendent, non d’une ou deux semaines, mais d’un délai de huit ou de
quinze jours effectifs, alors que celle de « demi-mois » indique un délai de
quinze jours.
La lettre de change peut encore être tirée à un certain délai de date. Dans
cette hypothèse, qui est de loin la plus fréquente en pratique, l’échéance est
fixée en tant de jours ou en tant de mois et court à partir de la date de sa
création qui doit aussi figurer obligatoirement sur le titre. Les règles

13. Art. 103, al. 2 du règlement CEMAC.


14. Ch. GAVALDA et J. STOUFFLET, op. cit., no 13, p. 29.
LA CRÉATION DE LA LETTRE DE CHANGE 29

d’interprétation évoquées ci-dessus, prévues par les alinéas 3 à 7 de l’arti-


cle 103 du règlement, sont également applicables.
La lettre de change peut enfin être payable à jour fixe, ce qui signifie que le
jour du paiement est fixé par le tireur et aucun calcul de délai n’est néces-
saire. Cela revient concrètement à préciser le quantième du mois. La doc-
trine semble cependant admettre que l’indication d’une fête déterminée
puisse suffire, alors qu’elle exclut la possibilité de retenir un terme certain,
c’est-à-dire un événement dont la réalisation est certes certaine mais la date
cependant indéterminée. Ce serait le cas par exemple du décès15. L’arti-
cle 104 du règlement contient des règles permettant de résoudre les difficul-
tés pouvant résulter de la différence des calendriers en usage. Ainsi, quand
une lettre de change est payable à jour fixe dans un lieu où le calendrier est
différent de celui du lieu de l’émission, la date d’échéance est considérée
comme fixée d’après le calendrier du lieu de paiement. Si une lettre de
change tirée entre deux places ayant des calendriers différents est payable
à un certain délai de date, le jour de l’émission est ramené au jour corres-
pondant du calendrier du lieu de paiement et l’échéance est fixée en consé-
quence. Il faut cependant mentionner que ces règles ne sont pas applicables
s’il résulte d’une clause de la lettre de change ou même des simples énon-
ciations du titre que l’intention a été d’adopter des règles différentes.

e. L’indication du lieu du paiement


15. Le paiement de la lettre de change, comme l’est en principe tout paiement,
est quérable et non portable16. Il est dans ces conditions indispensable au
porteur de connaître où il va réclamer le paiement à l’échéance ; d’où
l’obligation qui est faite au tireur de mentionner sur le titre le lieu du paie-
ment. Cette indication doit être suffisamment précise pour renseigner uti-
lement le porteur sur le lieu. Bien que le lieu du paiement soit une mention
obligatoire, l’article 80, alinéa 3 prévoit toutefois qu’à défaut de son indica-
tion, le lieu désigné à côté du nom du tiré est réputé être le lieu du paie-
ment, en même temps que le domicile du tiré.
Dans la logique de la règle que pose par l’article 1247, alinéa 3 du Code civil
français, le lieu désigné pour le paiement sera souvent le domicile civil ou
commercial du tiré. Le règlement CEMAC permet cependant, avec les dis-
positions de son article 81, alinéa 4, que la lettre de change puisse être
payable au domicile d’un tiers. Il s’agit de la clause de domiciliation17. En
pratique, celle-ci est le plus souvent faite aux guichets d’un établissement de
crédit.

15. Ibid., no 13, p. 29.


16. Art. 1247, al. 3 du Code civil français.
17. V. infra, no 31.
30 DROIT COMMUNAUTAIRE DES AFFAIRES DE LA CEMAC

f. Le nom du bénéficiaire
16. La lettre de change doit comporter le nom du bénéficiaire qui, comme le
précise l’article 79, 6o) du règlement CEMAC, est « celui auquel ou à l’ordre
duquel le paiement doit être fait »18. En l’exigeant, le législateur a indirecte-
ment interdit l’émission de lettres de change en blanc ou au porteur. Il
convient cependant de reconnaître que cette prohibition n’est en pratique
d’aucune efficacité. Car, en permettant au tireur de se désigner lui-même
comme bénéficiaire19 et en autorisant dans le même temps l’endossement
en blanc ou au porteur20, le règlement communautaire, comme c’est du
reste le cas en droit français, ouvre largement la voie pour éluder l’inter-
diction qu’il a édictée. En effet, il suffit seulement au tireur de se désigner
comme bénéficiaire et d’endosser ensuite le titre en blanc ou au porteur
pour créer en fait une lettre de change en blanc ou au porteur21.
L’indication du nom du bénéficiaire n’est soumise à aucune exigence par-
ticulière. Il va cependant de soi qu’elle doit être suffisamment précise pour
permettre d’identifier de façon certaine la personne en faveur de laquelle
le titre a été émis. C’est ainsi que, si l’utilisation du nom commercial est
admise22, le fait de ne faire figurer que les initiales sur la lettre de change
est en général considéré comme insuffisant23, à moins que ce mode de dési-
gnation ne laisse planer aucune incertitude sur l’identité du bénéficiaire24.
Toutefois, rien ne s’oppose a priori à ce que plusieurs bénéficiaires soient
désignés pour recevoir le paiement de la lettre de change soit collective-
ment, soit individuellement25.

g. L’indication de la date et du lieu de création de la lettre de change


17. La mention de la date de création de la lettre de change présente plusieurs
intérêts pratiques. D’une part, elle permet de vérifier la capacité et, éven-
tuellement, les pouvoirs du tireur au moment de l’émission de la lettre de
change. D’autre part, elle permet de déterminer le délai de présentation au

18. Il convient de préciser que même si l’article 79-6o) évoque aussi celui « à l’ordre duquel le paie-
ment doit être fait », la clause à ordre n’est pas pour autant indispensable. Car, en raison de
l’article 87, alinéa 1er, selon lequel « toute lettre de change, même non expressément tirée à ordre, est
transmissible par la voie de l’endossement », cette clause est sous-entendue et seule une clause non
à ordre interdit l’endossement (v. infra, no 67).
19. V. art. 81, al. 1er du règlement CEMAC.
20. V. art. 87 et 88 du règlement CEMAC.
21. P. LE CANNU, Th. GRANIER et R. ROUTIER, op. cit., no 359, p. 293 ; S. PIEDELIÈVRE, op. cit., no 66,
p. 67.
22. Paris, 28 oct. 1982, RTD com. 1983, 257, obs. CABRILLAC et TEYSSIÉ.
23. Com., 20 janv. 1981, Bull. civ. IV, no 38.
24. Com., 12 nov. 1992, D. 1993, somm., 517, obs. CABRILLAC.
25. Ch. GAVALDA et J. STOUFFLET, op. cit., no 13, p. 31.
LA CRÉATION DE LA LETTRE DE CHANGE 31

paiement pour les effets créés à un certain délai de date ainsi que, pour
ceux créés à vue, le point de départ du délai au cours duquel ils doivent
être présentés au paiement. La date peut figurer à un endroit quelconque
du titre et ne doit pas être indiquée d’une manière particulière. Elle est
opposable aux tiers sans que l’enregistrement du titre soit nécessaire26,
mais ces derniers peuvent en établir l’inexactitude par tous les moyens.
Dans tous les cas, l’inexactitude de la date n’a pas d’incidence sur la validité
du titre27.
La lettre de change doit également indiquer le lieu où elle est créée. Cette
mention présente cependant moins d’intérêts pratiques, notamment dans
les relations internes. L’article 80, alinéa 4 du règlement CEMAC dispose en
en effet qu’« à défaut d’indication spéciale, la lettre de change est considérée comme
souscrite dans le lieu désigné à côté du nom du tireur ». En d’autres termes, le
règlement communautaire, comme c’est le cas en droit français, institue
une hypothèse de suppléance légale qui prive pratiquement cette exigence
de toute incidence. En définitive, ce n’est que pour des considérations de
droit international privé que cette mention est utile, car elle permet de
déterminer la loi applicable aux différents engagements et aux recours
cambiaires28.

h. La signature du tireur
18. L’article 79 du règlement CEMAC exige en dernier lieu que soit portée sur
la lettre de change la signature de celui qui l’émet, autrement dit le tireur.
Cette exigence est tout à fait logique, car c’est par la signature qu’il appose
sur le titre que le tireur matérialise l’engagement cambiaire qu’il souscrit et
authentifie la lettre de change. Cependant, la loi n’exige que la signature
du tireur, ce qui fait que l’indication de son nom et de son adresse n’est pas
toujours nécessaire. Il est néanmoins indéniable que ces mentions supplé-
mentaires sont de nature à faciliter l’identification du tireur et par consé-
quent la circulation du titre.
19. Le règlement CEMAC précise, à l’instar de la législation française, que
« cette signature est apposée, soit à la main, soit par tout procédé non manuscrit ».
Ce qui permet d’admettre, outre la signature manuscrite, les « griffes » ou
les « impressions », qui sont notamment utilisées dans les grandes

26. La formalité d’enregistrement est prévue, pour les actes sous seing privé, par l’article 1328 du
Code civil français, lequel dispose que : « Les actes sous seing privé n’ont de date certaine contre les
tiers que du jour où ils ont été enregistrés, du jour de la mort de celui ou de l’un de ceux qui les ont
souscrits, ou du jour où leur substance est constatée dans des actes dressés par des officiers publics, tels
que procès-verbaux de scellés ou d’inventaire ». Les effets de commerce et les chèques sont cepen-
dant soustraits de cette formalité.
27. P. LE CANNU, Th. GRANIER et R. ROUTIER, op. cit., no 360 ; S. PIEDELIÈVRE, op. cit., no 67, p. 68.
28. V. à ce sujet Ch. GAVALDA et J. STOUFFLET, op. cit., no 13, p. 31.
32 DROIT COMMUNAUTAIRE DES AFFAIRES DE LA CEMAC

entreprises. L’emplacement de la signature n’est pas défini par la législa-


tion communautaire. Il reste qu’elle figure généralement au recto du titre
et en bas du document. La jurisprudence a cependant admis que l’absence
de signature au recto puisse être suppléée par la signature du tireur au
verso lors du premier endossement29.

2. La sanction des irrégularités formelles de la lettre de change


20. Le non-respect du formalisme cambiaire prescrit par l’article 79 du règle-
ment CEMAC peut se matérialiser par diverses irrégularités. La distinction
peut cependant être faite entre l’omission pure et simple d’une mention
obligatoire (a) et les autres irrégularités qui peuvent affecter la forme de
la lettre de change (b).

a. L’omission des mentions obligatoires


21. Il y a en la matière une règle de principe, la nullité du titre irrégulier,
laquelle est cependant considérablement atténuée par l’existence des hypo-
thèses de suppléance légale et par l’admission de la possibilité de régulari-
ser une lettre de change incomplète.

• La nullité de la lettre de change incomplète


22. Aux termes de l’article 80, alinéa 1er du règlement CEMAC : « Le titre dans
lequel une des énonciations indiquées à l’article précédent fait défaut ne vaut pas
comme lettre de change [...] ». Il résulte clairement de cette disposition que le
titre qui ne comporte pas toutes les mentions exigées par l’article 79 n’est
pas une lettre de change. Ce qui revient à dire que tout titre incomplet est
frappé de nullité en tant que lettre de change. La doctrine considère que le
formalisme cambiaire étant imposé dans le but de protéger les porteurs
d’effets et donc de garantir le crédit, cette nullité a un caractère d’ordre
public. Il s’agit par conséquent d’une nullité absolue que non seulement
tout intéressé peut invoquer, mais qui peut même être relevée d’office par
le juge. Elle est par ailleurs de droit, dans ce sens que le juge n’a pas en
principe de pouvoir d’appréciation en la matière30.
La formule utilisée par le législateur communautaire, selon laquelle « le titre
dans lequel une des énonciations indiquées à l’article précédent ne vaut pas comme
lettre de change », n’est pas neutre. Car, si le titre incomplet est nul comme

29. Paris, 5e ch., 25 juin 1982, D. 1982.IR.427. La Cour de cassation semble cependant plus stricte
en refusant de reconnaître cette application du formalisme par équivalent (Com., 3 mars
1975, Bull. civ. IV, no 64).
30. Sur ces différentes questions, v. G. RIPERT et R. ROBLOT, par Ph. DELEBECQUE et M. GERMAIN, op.
cit., no 1942, p. 21 ; P. LE CANNU, Th. GRANIER et R. ROUTIER, op. cit., no 363, p. 296 ; Ch. GAVALDA
et J. STOUFFLET, op. cit., no 17, p. 35.
LA CRÉATION DE LA LETTRE DE CHANGE 33

lettre de change, rien ne s’oppose, eu égard aux termes de l’article 80, ali-
néa 1er, à ce qu’il soit valable comme un acte juridique de nature différente.
Il s’agit là de la théorie de la conversion des actes juridiques dont la juris-
prudence française fait souvent application en admettant qu’un titre frappé
de nullité en tant que lettre de change puisse avoir une valeur juridique
sous une autre qualification. Ainsi, il a été admis qu’une lettre de change
incomplète peut valoir comme billet à ordre si toutes les mentions imposées
pour la validité de ce dernier titre sont réunies31. De même, en application
du droit commun des obligations, une lettre de change incomplète peut
être considérée comme une promesse de payer émanant du tireur ou
comme une reconnaissance de dette de la part du tiré si ce dernier a
accepté l’effet. La lettre de change irrégulière peut par ailleurs être utilisée
comme élément de preuve, le titre incomplet étant alors considéré comme
un commencement de preuve par écrit. En définitive, il en résulte que si la
nullité de la lettre de change paralyse les recours cambiaires, elle ne permet
pas en général d’échapper aux engagements souscrits sur le terrain du droit
commun32.

• Les suppléances légales


23. L’article 80, alinéa 1er du règlement CEMAC visé ci-dessus, en précisant in
fine « sauf dans les cas déterminés par les alinéas suivants », admet la possibilité
d’éviter la nullité de la lettre de change malgré l’absence d’une mention
obligatoire. C’est ce que font d’ailleurs les alinéas 2, 3 et 4 qui suivent en
énonçant quelques hypothèses de suppléance légale. Ce qui revient à éta-
blir une équivalence entre la mention omise et une autre énonciation figu-
rant sur le titre. Ainsi, la lettre de change qui ne comporte pas d’échéance
est réputée payable à vue. De même, en l’absence d’une indication spéciale,
le lieu désigné à côté du nom du tiré est réputé être le lieu du paiement en
même temps que celui du domicile du tiré. Enfin, la lettre de change qui
n’indique pas son lieu de création est considérée comme souscrite au lieu
désigné à côté du nom du tireur. Autrement dit, dans ces différentes hypo-
thèses, le règlement communautaire exclut la nullité en recourant à un for-
malisme de substitution.

31. Com., 23 janv. 2007, Bull. civ. IV, no 9 ; D. 2007, 437 ; RTD com. 2007, note D. LEGEAIS ; 18 mars
1959, Bull. civ. III, no 148 ; RTD com. 1959, 909, obs. BECQUE et CABRILLAC ; Orléans, 6 mars 1963,
JCP 1963, II, 13618, note GAVALDA.
32. V. P. LE CANNU, Th. GRANIER et R. ROUTIER, op. cit., no 363, p. 296.

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