CHAPITRE 1 La Création de La Lettre de Change PDF
CHAPITRE 1 La Création de La Lettre de Change PDF
CHAPITRE 1 La Création de La Lettre de Change PDF
§ 1. Le contenu du titre
8. Le contenu de la lettre de change est défini avec précision par la loi. Ce
formalisme strict s’explique par le fait que, pour circuler rapidement et en
toute sécurité, elle doit révéler clairement les caractères de l’opération ; il
24 DROIT COMMUNAUTAIRE DES AFFAIRES DE LA CEMAC
Étant donné que la lettre de change est également appelée traite dans la
pratique, il s’est posé la question de savoir si la mention de ce dernier
terme pouvait suffire. La cour d’appel de Montpellier, saisie d’un litige se
déclinant dans ce sens, avait ainsi jugé que le mot « traite » pouvait être
l’équivalent de l’expression « lettre de change »2. Cependant, même s’il
est vrai que l’utilisation du mot « traite » peut ne pas susciter d’ambiguïté
sur la nature du titre, notamment à l’égard des commerçants profession-
nels, il demeure néanmoins que le formalisme cambiaire serait écorné si
l’on se passait de l’expression « lettre de change »3. Cette possibilité doit
d’autant plus être écartée que le législateur communautaire, chaque fois
qu’il a voulu admettre le recours à un formalisme par équivalent, l’a expres-
sément indiqué4.
2. CA Montpellier, 24 nov. 1953, Banque 1956, no 520, obs. MARIN. V. aussi B. R. BOUDIALA, op. cit.,
no 19, p. 18.
3. V. Ch. GAVALDA et J. STOUFFLET, op. cit., no 13, p. 26.
4. Il en est ainsi en ce qui concerne la mention de l’endos, notamment à l’article 92 du règle-
ment CEMAC. L’alinéa 1er de ce texte dispose ainsi que : « Lorsque l’endossement contient la men-
tion valeur en recouvrement, pour encaissement, par procuration ou toute autre mention impliquant
un simple mandat, le porteur peut exercer tous les droits dérivant de la lettre de change, mais il ne peut
endosser celle-ci qu’à titre de procuration ». Quant à l’alinéa 4, il en ressort que : « Lorsqu’un endos-
sement contient les mentions valeur en garantie, valeur en gage ou toute autre mention impliquant
un nantissement, le porteur peut exercer tous les droits dérivant de la lettre de change, mais un endosse-
ment fait par lui ne vaut que comme un endossement à titre de procuration ».
5. P. LE CANNU, Th. GRANIER et R. ROUTIER, op. cit., no 355, p. 290 ; G. RIPERT et R. ROBLOT, par
Ph. DELEBECQUE et M. GERMAIN, op. cit., no 1939, p. 20.
26 DROIT COMMUNAUTAIRE DES AFFAIRES DE LA CEMAC
6. V. infra, no 137.
7. V. infra, no 14.
8. L’article 82 du règlement CEMAC dispose exactement que : « Dans une lettre de change payable à
vue ou à un certain délai de vue, il peut être stipulé par le tireur que la somme sera productrice d’intérêts
(alinéa 1er). Dans toute autre lettre de change, cette stipulation est réputée non écrite (alinéa 2). Le taux
d’intérêts doit être indiqué dans la lettre ; à défaut de cette indication, la clause est réputée non écrite
(alinéa 3). Les intérêts courent à partir de la date de création de la lettre de change si une autre date
n’a pas été indiquée (alinéa 4) ».
LA CRÉATION DE LA LETTRE DE CHANGE 27
c. Le nom du tiré
13. Le tiré est celui à qui la lettre de change doit être présentée à l’échéance
pour paiement. La mention de son nom sur le titre est en conséquence
logiquement imposée par la loi. Il est en effet nécessaire que le porteur
de l’effet sache à qui s’adresser le moment venu. Il convient du reste de
relever que cette exigence est appliquée de manière assez stricte par la
jurisprudence française. Elle a ainsi refusé que l’indication du domicile du
tiré ou sa signature sur le titre puisse suppléer l’absence d’indication de son
nom9. En revanche, le législateur n’ayant apporté aucune précision, la dési-
gnation peut bien être faite par le nom commercial, dès lors qu’il n’existe
aucun risque de confusion ou d’erreur10.
L’article 79 du règlement CEMAC n’exige cependant que l’indication du
nom du tiré. En conséquence, la mention de son adresse ne s’impose pas,
même si dans la pratique celle-ci vient habituellement compléter son iden-
tification. Il convient de signaler que rien ne s’oppose à ce que le tireur de
la lettre de change se désigne lui-même comme tiré. L’article 81, alinéa 2
admet d’ailleurs expressément cette éventualité en permettant que la lettre
de change puisse être tirée sur le tireur lui-même. La possibilité de désigner
plusieurs personnes comme tirés d’une même lettre de change doit de
même être laissée ouverte. Il suffit pour cela que le mandat de payer soit
adressé à chacune d’elles de façon à ce que le porteur puisse à l’échéance
réclamer le paiement à l’une ou à l’autre11.
d. L’indication de l’échéance
14. L’importance de cette mention est indéniable, puisqu’elle permet au por-
teur de connaître l’époque à laquelle il pourra présenter la lettre de change
au paiement. Cette exigence formulée par l’article 79 est complétée et pré-
cisée par les dispositions des articles 101 et suivants. L’article 101 indique en
particulier que l’échéance ne peut être fixée que de quatre manières. Une
lettre de change peut en effet être tirée à vue, à un certain délai de vue, à
un certain délai de date ou à jour fixe. Il est expressément prévu que les
lettres de change utilisant d’autres modes fixation de l’échéance, notam-
ment les échéances successives, sont nulles12.
9. Com., 24 févr. 1965, Gaz. Pal. 1965.1. 336 ; Banque 1965, 557, note MARIN ; contra : Paris, 7 févr.
1962, JCP 1962, II, 12956, note LESCOT.
10. Amiens, 15 oct. 1993, JCP 1994, II, 22258, note MASSOT-DURIN.
11. Ch. GAVALDA et J. STOUFFLET, op. cit., no 13, p. 28.
12. Il convient de relever que la lettre de change qui ne comporte pas d’échéance n’est pas nulle
de ce fait. L’article 80, alinéa 2 exclut cette solution en prévoyant que la lettre de change dont
l’échéance n’est pas indiquée est considérée comme payable à vue. Il s’agit, autrement dit,
d’une des hypothèses de suppléance légale (v. infra, no 23).
28 DROIT COMMUNAUTAIRE DES AFFAIRES DE LA CEMAC
La lettre de change peut d’abord être tirée à vue et il en est ainsi, aux ter-
mes de l’article 102 du règlement CEMAC, lorsqu’elle est payable à sa pré-
sentation au tiré. Ce texte précise que cette présentation doit nécessaire-
ment intervenir dans un délai d’un an à partir de la date de création du
titre. La possibilité est cependant donnée au tireur d’abréger ce délai ou
d’en stipuler un plus long. Les endosseurs, en ce qui les concerne, ne peu-
vent que l’abréger. Il est par ailleurs permis au tireur d’une lettre de
change payable à vue de stipuler qu’elle ne pourra pas être présentée au
paiement avant un terme indiqué. Auquel cas, le délai de présentation
d’un an ne court qu’à partir de ce terme.
La lettre de change peut ensuite être stipulée à un certain délai de vue. Il
résulte des termes de l’article 103, alinéa 1er que dans ce cas de figure, elle
est alors payable à l’expiration d’un délai, fixé librement dans le titre, qui
ne commence à courir qu’à compter de la date de l’acceptation ou, en cas
de refus d’acceptation, de la date du protêt. Bien entendu, pour permettre
la détermination de cette échéance, il est nécessaire que l’acceptation soit
datée. Toutefois, si elle ne l’a pas été, et en l’absence de protêt, elle est
réputée, à l’égard de l’accepteur, avoir été donnée le dernier jour du
délai de présentation à l’acceptation13. Selon la doctrine, il revient en
revanche au porteur de prouver la date de présentation lorsqu’une lettre
de change payable à un certain délai de vue est dispensée de protêt et n’a
pas été acceptée14. L’article 103 édicte dans le même temps, en ses alinéas 3
à 7, dès règles d’interprétation au cas où l’échéance serait exprimée en des
termes susceptibles de discussion. C’est ainsi que l’échéance d’une lettre de
change tirée à un ou plusieurs mois de vue a lieu à la date correspondante
du mois où le paiement doit être effectué. À défaut de date correspon-
dante, l’échéance a lieu le dernier jour de ce mois. Quand une lettre de
change est tirée à un ou plusieurs mois et demi de vue, on compte d’abord
les mois entiers. Dans le cas où l’échéance est fixée au commencement, au
milieu ou à la fin du mois, on entend par ces termes le 1er, le 15 ou le der-
nier jour du mois. Enfin, les expressions « huit jours » ou « quinze jours »
s’entendent, non d’une ou deux semaines, mais d’un délai de huit ou de
quinze jours effectifs, alors que celle de « demi-mois » indique un délai de
quinze jours.
La lettre de change peut encore être tirée à un certain délai de date. Dans
cette hypothèse, qui est de loin la plus fréquente en pratique, l’échéance est
fixée en tant de jours ou en tant de mois et court à partir de la date de sa
création qui doit aussi figurer obligatoirement sur le titre. Les règles
f. Le nom du bénéficiaire
16. La lettre de change doit comporter le nom du bénéficiaire qui, comme le
précise l’article 79, 6o) du règlement CEMAC, est « celui auquel ou à l’ordre
duquel le paiement doit être fait »18. En l’exigeant, le législateur a indirecte-
ment interdit l’émission de lettres de change en blanc ou au porteur. Il
convient cependant de reconnaître que cette prohibition n’est en pratique
d’aucune efficacité. Car, en permettant au tireur de se désigner lui-même
comme bénéficiaire19 et en autorisant dans le même temps l’endossement
en blanc ou au porteur20, le règlement communautaire, comme c’est du
reste le cas en droit français, ouvre largement la voie pour éluder l’inter-
diction qu’il a édictée. En effet, il suffit seulement au tireur de se désigner
comme bénéficiaire et d’endosser ensuite le titre en blanc ou au porteur
pour créer en fait une lettre de change en blanc ou au porteur21.
L’indication du nom du bénéficiaire n’est soumise à aucune exigence par-
ticulière. Il va cependant de soi qu’elle doit être suffisamment précise pour
permettre d’identifier de façon certaine la personne en faveur de laquelle
le titre a été émis. C’est ainsi que, si l’utilisation du nom commercial est
admise22, le fait de ne faire figurer que les initiales sur la lettre de change
est en général considéré comme insuffisant23, à moins que ce mode de dési-
gnation ne laisse planer aucune incertitude sur l’identité du bénéficiaire24.
Toutefois, rien ne s’oppose a priori à ce que plusieurs bénéficiaires soient
désignés pour recevoir le paiement de la lettre de change soit collective-
ment, soit individuellement25.
18. Il convient de préciser que même si l’article 79-6o) évoque aussi celui « à l’ordre duquel le paie-
ment doit être fait », la clause à ordre n’est pas pour autant indispensable. Car, en raison de
l’article 87, alinéa 1er, selon lequel « toute lettre de change, même non expressément tirée à ordre, est
transmissible par la voie de l’endossement », cette clause est sous-entendue et seule une clause non
à ordre interdit l’endossement (v. infra, no 67).
19. V. art. 81, al. 1er du règlement CEMAC.
20. V. art. 87 et 88 du règlement CEMAC.
21. P. LE CANNU, Th. GRANIER et R. ROUTIER, op. cit., no 359, p. 293 ; S. PIEDELIÈVRE, op. cit., no 66,
p. 67.
22. Paris, 28 oct. 1982, RTD com. 1983, 257, obs. CABRILLAC et TEYSSIÉ.
23. Com., 20 janv. 1981, Bull. civ. IV, no 38.
24. Com., 12 nov. 1992, D. 1993, somm., 517, obs. CABRILLAC.
25. Ch. GAVALDA et J. STOUFFLET, op. cit., no 13, p. 31.
LA CRÉATION DE LA LETTRE DE CHANGE 31
paiement pour les effets créés à un certain délai de date ainsi que, pour
ceux créés à vue, le point de départ du délai au cours duquel ils doivent
être présentés au paiement. La date peut figurer à un endroit quelconque
du titre et ne doit pas être indiquée d’une manière particulière. Elle est
opposable aux tiers sans que l’enregistrement du titre soit nécessaire26,
mais ces derniers peuvent en établir l’inexactitude par tous les moyens.
Dans tous les cas, l’inexactitude de la date n’a pas d’incidence sur la validité
du titre27.
La lettre de change doit également indiquer le lieu où elle est créée. Cette
mention présente cependant moins d’intérêts pratiques, notamment dans
les relations internes. L’article 80, alinéa 4 du règlement CEMAC dispose en
en effet qu’« à défaut d’indication spéciale, la lettre de change est considérée comme
souscrite dans le lieu désigné à côté du nom du tireur ». En d’autres termes, le
règlement communautaire, comme c’est le cas en droit français, institue
une hypothèse de suppléance légale qui prive pratiquement cette exigence
de toute incidence. En définitive, ce n’est que pour des considérations de
droit international privé que cette mention est utile, car elle permet de
déterminer la loi applicable aux différents engagements et aux recours
cambiaires28.
h. La signature du tireur
18. L’article 79 du règlement CEMAC exige en dernier lieu que soit portée sur
la lettre de change la signature de celui qui l’émet, autrement dit le tireur.
Cette exigence est tout à fait logique, car c’est par la signature qu’il appose
sur le titre que le tireur matérialise l’engagement cambiaire qu’il souscrit et
authentifie la lettre de change. Cependant, la loi n’exige que la signature
du tireur, ce qui fait que l’indication de son nom et de son adresse n’est pas
toujours nécessaire. Il est néanmoins indéniable que ces mentions supplé-
mentaires sont de nature à faciliter l’identification du tireur et par consé-
quent la circulation du titre.
19. Le règlement CEMAC précise, à l’instar de la législation française, que
« cette signature est apposée, soit à la main, soit par tout procédé non manuscrit ».
Ce qui permet d’admettre, outre la signature manuscrite, les « griffes » ou
les « impressions », qui sont notamment utilisées dans les grandes
26. La formalité d’enregistrement est prévue, pour les actes sous seing privé, par l’article 1328 du
Code civil français, lequel dispose que : « Les actes sous seing privé n’ont de date certaine contre les
tiers que du jour où ils ont été enregistrés, du jour de la mort de celui ou de l’un de ceux qui les ont
souscrits, ou du jour où leur substance est constatée dans des actes dressés par des officiers publics, tels
que procès-verbaux de scellés ou d’inventaire ». Les effets de commerce et les chèques sont cepen-
dant soustraits de cette formalité.
27. P. LE CANNU, Th. GRANIER et R. ROUTIER, op. cit., no 360 ; S. PIEDELIÈVRE, op. cit., no 67, p. 68.
28. V. à ce sujet Ch. GAVALDA et J. STOUFFLET, op. cit., no 13, p. 31.
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29. Paris, 5e ch., 25 juin 1982, D. 1982.IR.427. La Cour de cassation semble cependant plus stricte
en refusant de reconnaître cette application du formalisme par équivalent (Com., 3 mars
1975, Bull. civ. IV, no 64).
30. Sur ces différentes questions, v. G. RIPERT et R. ROBLOT, par Ph. DELEBECQUE et M. GERMAIN, op.
cit., no 1942, p. 21 ; P. LE CANNU, Th. GRANIER et R. ROUTIER, op. cit., no 363, p. 296 ; Ch. GAVALDA
et J. STOUFFLET, op. cit., no 17, p. 35.
LA CRÉATION DE LA LETTRE DE CHANGE 33
lettre de change, rien ne s’oppose, eu égard aux termes de l’article 80, ali-
néa 1er, à ce qu’il soit valable comme un acte juridique de nature différente.
Il s’agit là de la théorie de la conversion des actes juridiques dont la juris-
prudence française fait souvent application en admettant qu’un titre frappé
de nullité en tant que lettre de change puisse avoir une valeur juridique
sous une autre qualification. Ainsi, il a été admis qu’une lettre de change
incomplète peut valoir comme billet à ordre si toutes les mentions imposées
pour la validité de ce dernier titre sont réunies31. De même, en application
du droit commun des obligations, une lettre de change incomplète peut
être considérée comme une promesse de payer émanant du tireur ou
comme une reconnaissance de dette de la part du tiré si ce dernier a
accepté l’effet. La lettre de change irrégulière peut par ailleurs être utilisée
comme élément de preuve, le titre incomplet étant alors considéré comme
un commencement de preuve par écrit. En définitive, il en résulte que si la
nullité de la lettre de change paralyse les recours cambiaires, elle ne permet
pas en général d’échapper aux engagements souscrits sur le terrain du droit
commun32.
31. Com., 23 janv. 2007, Bull. civ. IV, no 9 ; D. 2007, 437 ; RTD com. 2007, note D. LEGEAIS ; 18 mars
1959, Bull. civ. III, no 148 ; RTD com. 1959, 909, obs. BECQUE et CABRILLAC ; Orléans, 6 mars 1963,
JCP 1963, II, 13618, note GAVALDA.
32. V. P. LE CANNU, Th. GRANIER et R. ROUTIER, op. cit., no 363, p. 296.