Le Stress Au Travail
Le Stress Au Travail
Le Stress Au Travail
FACTEURS DE RISQUES,
EVALUATION ET PREVENTION
Mai 2004
2
AVANT PROPOS
Bien que les gens aillent généralement travailler de bon cœur, le stress au travail
est toujours ressenti comme un grave problème. Dans cette problématique, les
conséquences pour le travailleur et l’entreprise ne doivent pas être sous-esti-
mées. Il ressort cependant d’une évaluation du Service public fédéral Emploi,
Travail et Concertation sociale que les entreprises et les secteurs trouvent diffi-
cilement la voie de l’implémentation d’un plan d’action contre le stress.
Effectuer une analyse des risques ne constitue ici qu’un obstacle de « moindre »
importance. Les choses sont, par contre, plus difficiles lorsque les résultats de
cette analyse des risques doivent être convertis en points d’action et lorsque ces
derniers doivent être implémentés. Les entreprises, les comités pour la préven-
tion et la protection au travail, les conseillers en prévention, les responsables
HRM – en bref, les personnes-clefs dans l’approche du stress au travail – avouent
ressentir un manque d’expertise pour entreprendre réellement les démarches
nécessaires. Néanmoins, il apparaît également que seuls les niveaux entrepreu-
narial et sectoriel permettent de s’attaquer au stress au travail.
Lors de l’élaboration d’une politique anti-stress, il convient de parler de situation
gagnant-gagnant. Des travailleurs satisfaits améliorent le climat de l’entreprise,
augmentent sa productivité et la qualité de la société. Et inversement: une entre-
prise saine connaît un climat plus ouvert où les travailleurs peuvent s’épanouir.
Tous les acteurs – employeurs, travailleurs, conseillers en prévention, etc – sont
partenaires dans le développement d’une politique anti-stress / du bien-être. Une
approche participative est toute indiquée, bien que la réalisation concrète de
cette approche soit déterminée par les caractéristiques spécifiques de l’entre-
prise et par l’expertise spécifique des parties concernées. Par exemple, dans cer-
taines situations, le choix peut se porter sur une approche de petite ampleur au
travers de groupes de travail là où dans d’autres situations une analyse des
risques globale aurait tout d’abord été effectuée à l’aide d’un questionnaire. Une
approche participative signifie également que chacun doit prendre ses propres
responsabilités à condition qu’elles soient décrites clairement.
3
Cette brochure fournit des explications sur une méthode appartenant à l’ap-
proche participative. En effet, le but n’est pas de donner un aperçu de toutes les
méthodes d’analyse des risques existantes (1). Elles sont reprises dans la bro-
chure « L’analyse des risques » du Service public fédéral Emploi, Travail et
Concertation sociale, qui est retravaillée actuellement de telle sorte que la char-
ge psychosociale du travail obtienne l’attention qu’elle mérite. Dans cette bro-
chure, quelques exemples pratiques permettent d’expliquer la méthode du Cites
Prévert, sans pour autant oublier l’avertissement suivant : il n’existe pas de recet-
te toute faite. Nous ne pouvons, pour le moment, apprendre que des expérien-
ces sur le terrain. Il importe donc de favoriser les échanges d’expérience entre
les entreprises et les secteurs et ce non seulement au sujet d’une seule métho-
dologie, mais également en ce qui concerne les différentes approches appliquées,
les mesures développées et introduites ainsi que l’évaluation de ces mesures.
4
TABLE DES MATIERES
Avant propos . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .3
Table des matières . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .5
1. Le Stress . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .7
1.1 Qu’est-ce que le stress? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .7
1.2 Evolution du concept de stress et mécanismes importants . . . . . . . . .8
1.2.1 Le stress selon Selye ou“le modèle de réponse” . . . . . . . . . . . . . . . . .8
1.2.2 L’émotion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .9
1.2.3 “Le modèle du stimulus” . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .9
1.2.4 Le concept transactionnel du stress . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .9
1.3 Mécanismes importants . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .10
1.3.1 Le contrôle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .10
1.3.2 L’évaluation cognitive de la situation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .12
1.3.3 Les stratégies d’adaptation ou coping . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .13
5
5. Le changement organisationnel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .73
5.1 Qu’est-ce que le changement organisationnel? . . . . . . . . . . . . . . . . . .73
5.1.1 Le changement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .73
5.1.2 Le changement organisationnel du point de vue de l’organisation . . .74
5.1.3 Le changement organisationnel du point de vue de l’individu . . . . . .74
5.2 Quelle est l’origine du changement organisationnel? . . . . . . . . . . . . .75
5.2.1 Apport de l’approche systémique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .75
5.2.2 Les facteurs externes et internes du changement . . . . . . . . . . . . . . . .75
5.3 Comment se déroule un changement organisationnel? . . . . . . . . . . . .77
5.4 Vécu d’un changement organisationnel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .78
5.4.1 Les étapes dans la réponse humaine du changement organisationnel 78
5.4.2 Les éléments importants lors de la mise en oeuvre d’un
changement organisationnel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .79
5.4.3 Les conséquences d’un changement organisationnel sur
les individus . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .83
6
1. Le stress
7
Enfin, le concept de problème pour expliquer comment certaines situations
deviennent stressantes pour un individu. Un problème est une situation marquée
par l’écart entre ce que le sujet souhaite qu’il arrive ou s’attendait à ce qu’il arri-
ve et ce qui arrive réellement, sans aucune solution immédiate pour réduire
cette différence. Le stress psychologique est défini par Ostell comme “un état qui
survient lorsque l’on perçoit la situation comme étant un problème qui a un coût
significatif pour soi-même et va engendrer un effort ou un débordement de ses
propres ressources pour y faire face” (2).
8
la réaction d’alarme, la phase de résistance et la phase d’épuisement sont alors
reconnus. Selye a en effet une conception biologique du stress, à ne pas confon-
dre avec le processus émotionnel du stress. Il n’y a, selon Selye, qu’un seul type
de stress alors que les agents de stress peuvent être multiples. Le syndrome
général d’adaptation est en effet une réaction unique et globale à différentes sor-
tes d’agressions: traumatique, chimique, biologique, thermique, électrique et
même “commotions nerveuses” c’est-à-dire d’ordre psychologique (7). Pour
Hans Selye, la réaction de stress a pour objet de corriger toute rupture d’ho-
méostasie provoquée par un agresseur quelconque. Selye écrit en 1956, “Le
stress est la réponse non spécifique de l’organisme à n’importe quelle demande
de l’environnement”.
Mason (8) montre qu’en réalité la réponse n’est pas liée aux stimuli nocifs mais
à la réaction psychologique engendrée par les stimuli. Même chez l’animal, le type
de réaction physiologique est variable selon la situation (9). Il semble donc que
les réactions physiologiques soient au contraire spécifique de l’individu et de la (8) E.ALBERT, Gestion du stress: illusion ou
situation dans laquelle il se trouve. La critique centrale faite à ce modèle est de efficacité, dans L. CHNEIWEISS et E.
ALBERT (Eds.), Stress et anxiété : les faux-
minimiser le rôle essentiel de la psychologie et plus particulièrement des cogni- semblants, Editions Jean-Pierre Goureau,
tions dans l’éveil provoqué par le stress. Malheureusement, ce que l’on a retenu Château du Loir, 1993.
de Selye, plutôt que ce syndrome général d’adaptation, apport essentiel, c’est
(9) Ibid.
l’emploi du mot “stress”, qui médiatisé avec grand succès, va être à l’origine d’une
(10) A. CHAMOUX, Stress professionnel
grande dérive sémantique, et devenir finalement source d’une grande confusion.
ou stress individuel ? Management par le stress
ou vulnérabilité particulière ? Actes de la jour-
née d'étude, Mardi 21 octobre 1997, Erreur
1.2.2 L’émotion humaine, stress, fatigue et burnout …
Expressions de dysfonctionnements profession-
Entre 1914 et 1932, Cannon a démontré que l’émotion pouvait placer un indivi- nels. Approche multidisciplinaire des facteurs
du dans un état particulier, en expliquant l’apparition de cet état par l’activation de risques humains, techniques et organisa-
du système sympathique (point de départ central au niveau de l’encéphale et non tionnels. La recherche fédérale au service d'une
amélioration des conditions de travail, Services
pas périphérique au niveau des organes) (10).
fédéraux des affaires Scientifiques, Techni-
Canon insiste aussi sur le fait que cette activation du système sympathique est ques et Culturelles, Bruxelles, 1997.
stéréotypée, non spécifique, en réponse à tout stimuli présentant un caractère (11) E.ALBERT, Gestion du stress: illusion ou
émotionnel. L’émotion provoque ainsi des manifestations viscérales et le senti- efficacité, dans L. CHNEIWEISS et E.
ALBERT (Eds.), Stress et anxiété : les faux-
ment subjectif de l’émotion. Enfin, la finalité de ce système est de préparer l’or- semblants, Editions Jean-Pierre Goureau,
ganisme à l’action. Château du Loir, 1993.
(12) T. COX et E. RIAL-GONZALEZ,
Stress lié au travail : panorama européen, dans
1.2.3 “Le modèle du stimulus” Travailler sans stress, Agence européenne
pour la sécurité et la santé au travail, 2002.
Le modèle du stimulus présente le stress comme une demande psychosociale qui COX et al, Research on work-related stress,
conduit à une tension individuelle (11). Ce modèle postule que le stress, l’évé- Agence européenne pour la sécurité et la
nement de vie, conduit de façon prévisible aux symptômes de stress comme cer- santé au travail, 2000.
taines maladies. Il fait cependant l’impasse sur les cognitions face aux stresseurs. (13) R. S. LAZARUS, The stress and coping
paradigm, dans C. EISDORFER, D. COHEN,
A. KLEINEMAN et P. MAXIM (eds.), Models
for clinical psychopathology, MTP Press
1.2.4 Le concept transactionnel du stress Limited, International Medical Publishers,
Les modèles transactionnels voient le stress comme une interaction entre la per- 1981.
R. S. LAZARUS, Stress, appraisal and coping,
sonne et son environnement. Ils expliquent que le stress ne réside ni dans la situa-
New York, Springer, 1994.
tion, ni dans la personne, mais dans la transaction entre l’environnement et la per-
(14) A. CHAMOUX, Stress professionnel
sonne. Lazarus est le principal représentant de cette approche cognitive.
ou stress individuel ? Management par le stress
Des travaux de Cox (12) et Lazarus (13) émergent un concept mettant en rela- ou vulnérabilité particulière ? Actes de la jour-
née d'étude, Mardi 21 octobre 1997, Erreur
tion l’individu et son environnement (14). Face à un obstacle, le sujet évalue la humaine, stress, fatigue et burnout …
menace ou le défi par rapport à ses propres possibilités de réponse. C’est l’adé- Expressions de dysfonctionnements profession-
quation ou non entre la demande extérieure perçue et les ressources également nels. Approche multidisciplinaire des facteurs
perçues ou auto-évaluées par le sujet qui déterminera l’apparition ou non de de risques humains, techniques et organisa-
stress. tionnels. La recherche fédérale au service d'une
amélioration des conditions de travail, Services
fédéraux des affaires Scientifiques, Techni-
ques et Culturelles, Bruxelles, 1997.
9
Il revient à Lazarus et Folkamn d’avoir parlé pour la première fois de modèle
transactionnel (15). Il s’agit tout d’abord d’un modèle qui conçoit la personne et
l’environnement dans une relation dynamique, mutuellement réciproque et bi-
directionnelle. Des caractéristiques séparées du sujet et du milieu convergent
pour donner de nouvelles significations via le processus d’évaluation de la situa-
tion. Ensuite, ce modèle reconnaît un processus impliquant des changements au
fil du temps, en différenciant les conséquences immédiates des conséquences à
long terme du stress sur l’adaptation (aspect temporel). En outre, le stress est
conçu comme un processus constamment réitéré au fur et à mesure des situa-
tions de confrontation rencontrées dans la vie quotidienne. Enfin, Lazarus et
Folkman ont beaucoup insisté sur les trois niveaux du stress inclus dans une per-
spective transactionnelle : le niveau social, psychologique et physiologique (16).
Dans la même lignée, Mackay et Cooper (17) conçoivent le stress non comme
une composante fixe de l’environnement ou de l’individu mais comme un pro-
cessus évoluant dans le temps. Il s’agit en quelque sorte d’un modèle cyberné-
tique où, outre les composantes elles-mêmes, les relations entre celles-ci et leur
évolution dans le temps en fonction de certains facteurs influencent l’apparition
de stress (18).
En fait, le concept de stress est à la croisée de l’individu et de l’environnement
dans lequel il évolue. La gestion du stress au sens strict limite les interventions
aux individus. Il est donc clair que la conception du stimulus n’ouvre pas la porte
aux programmes de gestion du stress et que celle de la réponse les limite aux
techniques de relaxation ou aux traitements médicamenteux. Par contre, la
notion de transaction suppose que chaque personne a une manière propre de
vivre et de gérer cette transaction. Les programmes de gestion du stress peu-
vent alors leur permettre d’optimiser cette transaction sujet-environnement
grâce à leurs propres ressources. Il s’agit alors d’améliorer ses modes de coping
(action face au problème du stress par des méthodes cognitivo-comportemen-
tales individuelles ou en groupe de travail). Nous verrons également qu’agir seu-
lement sur l’individu ne suffit pas. Une action sur l’environnement se révèle tout
aussi indispensable.
10
De Keyser et Hansez ont mis au point un questionnaire (le “Woccq” ou the
Working Conditions and Control Questionnaire) sur les conditions de travail liées au
contrôle. L’hypothèse de cet outil est que le sentiment de non-contrôlabilité des
facteurs liés au travail influence la génération de stress. Il se compose de 80 items
répartis en six dimensions :
• Contrôle des ressources disponibles (ressources cognitives, informationnel-
les ou relationnelles nécessaires à l’accomplissement de la tâche);
• Contrôle des exigences contradictoires liées à la gestion de la tâche (conflits
interpersonnels, conflits de rôle, et incertitude quant aux tâches incombant à
la personne);
• Contrôle des risques (risques personnels, pour autrui et responsabilités
envers d’autres personnes);
• Contrôle de la planification du travail (répartition de la charge de travail);
• Contrôle des contraintes temporelles (échéances à respecter, cadences de
travail imposées, vitesse de travail dépendante des autres…);
• Contrôle de l’avenir (perspectives d’évolution et stabilité de l’emploi).
12
Photo: Eric Audras
13
De plus, selon Chamoux (30), il existe deux sortes de coping: le coping qui prend
pour objet le traitement méthodique et froid des problèmes (focalisé sur le pro-
blème) et le coping qui prend pour objet la réduction de la composante émoti-
ve (focalisé sur l’émotion). Ces deux fonctions s’influencent mutuellement.
Dans le modèle de Lazarus, le principe de coping est conceptualisé à travers
deux grandes catégories (31):
• La résolution de problèmes, qui est constituée par tous les plans d’action diri-
gés vers une modification, un évitement ou une minimalisation de l’impact du
stresseur et où les activités cognitives permettent de penser que le stresseur
peut être contrôlé;
• Le coping focalisé sur l’émotion qui consiste à palier ou à éliminer les émo-
tions engendrées par un stresseur en utilisant des mécanismes comme le
déni et les pensées permettant d’éviter la confrontation directe avec le stres-
seur. Ce dernier est considéré comme primitif et mal adapté.
Schwartz et Stone (32) définissent différentes sortes de coping: la distraction, la
redéfinition de la situation, l’action directe, la catharsis, l’acceptation de la situa-
tion, la recherche de support social, la relaxation et la religion.
Bruchon-Schweitzer et al. (33) précisent que certaines de ces stratégies d’adap-
tation sont efficaces et que d’autres non, ces stratégies inefficaces pouvant
entraîner des dysfonctionnements aux niveaux psychique et physique de l’indivi-
du. Ils expliquent également qu’un coping centré sur le problème a des effets
positifs plus marqués dans le cas de situations perçues comme contrôlables alors
qu’une stratégie émotionnelle est davantage bénéfique si la situation est évaluée
comme incontrôlable.
Donc un individu face à une situation de confrontation dispose de ressources.
L’incertitude et la perception de contrôle sont ainsi deux éléments influençant
l’évaluation de la situation et par-là les stratégies d’adaptation de l’individu. La
prise en compte du coping et de ses diverses stratégies a permis d’offrir des pos-
sibilités d’action face aux problèmes de gestion du stress.
14
2. Le stress professionnel
15
2.1 Qu’est-ce que le stress dans la sphère du travail?
Le stress est une réaction qui se produit en réponse à l’exposition à des facteurs
de stress. Si cette réaction est appropriée lorsque l’homme se trouve face à un
danger réel ou si elle permet l’adaptation, elle n’est pas adéquate lorsque des tra-
vailleurs s’efforcent de s’adapter à des conditions de travail difficiles, monotones
ou exigeantes. La notion de “stress collectif” est donc importante.
D’après le NIOSH (35),“on peut définir le stress au travail comme les réactions
physiques et émotionnelles négatives qui se produisent lorsque les exigences au
travail ne concordent pas avec les capacités, les moyens ou les besoins du tra-
vailleur. Ce stress peut se traduire par des problèmes de santé, voire des acci-
dents”.
De même, la Convention collective du travail (inspirée de la définition de l’OMS)
définit le stress au travail comme “un état perçu comme négatif par un groupe
de travailleurs, qui s’accompagne de plaintes ou de dysfonctionnements au niveau
physique et/ou social et qui est la conséquence du fait que les travailleurs ne sont
pas en mesure de répondre aux exigences et attentes qui leur sont posées par
leur situation de travail”.
Nous pouvons donc définir le stress lié au travail comme une réaction émo-
tionnelle, cognitive, comportementale et physiologique aux aspects néfastes et
négatifs de la nature du travail, de son organisme et de son environnement. Cette
réaction, qui peut devenir un état, est caractérisée par des degrés élevés d’éveil
et de souffrance et, souvent, par le sentiment de ne pas s’en sortir.
Enfin, De Keyser et Hansez (36) envisagent le stress psychologique dans la sphè-
re du travail comme “une réponse du travailleur devant des exigences de la situa-
tion pour lesquelles il doute de disposer des ressources nécessaires, et auxquel-
les il estime devoir faire face”. Cette définition, que nous retiendrons dans le
contexte de ce manuel, insiste sur l’évaluation subjective des ressources, sur l’im-
plication du travailleur, et sur l’incertitude de l’issue, comportant une probabilité
d’échec. Elle est directement liée à la notion de contrôle de l’environnement de
travail.
16
l’entreprise (absentéisme, congé maladie, turn-over, avec comme conséquence la
gestion des formations et des compétences).
Quoi qu’il en soit, le stress coûte toujours à l’individu et à l’entreprise. Aubert (38)
identifie quatre niveaux où la réaction de stress peut être produite ou amortie
dans la relation que l’homme entretient avec le travail.
s Niveau organisationnel
Le niveau organisationnel concerne tout ce qui a trait à la structure de l’organi-
sation de la société et de l’entreprise. Chacun est d’accord pour reconnaître que
nous vivons dans une “société fortement productrice de stress”. Les valeurs tra-
ditionnelles tendent à disparaître (valeurs de solidarité et d’entraide), d’autres
apparaissent (la compétition, la consommation, etc.). Nous assistons au déve-
loppement d’un débat réinterrogeant la société sur la place et l’avenir réservés
au travail. Le travail lui-même évolue, il devient de plus en plus abstrait. L’espace
homme - machine se distend; l’utilisation de nouvelles technologies ne rend plus
indispensable la présence des travailleurs dans un même lieu. Face à cette évo-
lution accélérée, l’individu perd le sentiment de pouvoir contrôler son activité
professionnelle. De plus, certaines entreprises génèrent des systèmes de valeurs
et conçoivent des objectifs qui sont parfois en contradiction avec ceux des tra-
vailleurs.
s Niveau interpersonnel
La qualité des relations et de la communication entre les personnes au sein de
l’entreprise est liée étroitement à l’ambiance professionnelle. Le sentiment d’êt-
re reconnu, compris et aidé représente pour chaque travailleur l’occasion de
confirmer sa propre identité et est donc essentiel à l’activité du groupe de tra-
vail. Dans des situations de forte compétitivité, la perception par le travailleur de
la remise en cause de son rôle suscite en lui le sentiment de perte de contrôle
et peut l’amener à commettre des agressions psychologiques violentes qui ren-
forcent, dans un cycle malsain, le dysfonctionnement de la communication.
s Niveau professionnel
Ce niveau concerne le travail lui-même, ses spécificités et les conditions dans les-
quelles il s’exerce (39).
Les qualités ergonomiques de la tâche sont en étroite relation avec le sentiment
de bien-être du travailleur. Le bruit, la pollution, l’éclairage, les produits chi-
miques, etc. de même que le travail posté et le travail à la chaîne, conditionnent
dans une large mesure la relation de l’homme à son travail. Le “travail absurde”,
ne correspondant à rien dans la vie imaginaire du sujet, représente une contrain-
te psychologique et une frustration narcissique importantes. Dans certaines acti-
vités professionnelles (employés des agences postales et bancaires, pompiers,
policiers, etc.), le danger est fréquent, la confrontation avec la mort est souvent
présente et engage intensément les émotions des travailleurs. Nous retrouvons
cette dimension émotionnelle chez les personnes dont la relation humaine est
l’objet de l’activité professionnelle (infirmiers, travailleurs sociaux, enseignants, (38) N. AUBERT, Stress, motivation et
hôtesses, etc.). management: enjeux et paradoxes, dans S.
Moors (ed.), Stress et travail, Institut
s Niveau individuel
National de recherche sur les Conditions
de Travail (INRCT), Bruxelles, 1994.
Ce niveau fait référence aux potentialités propres du sujet, à son histoire per- (39) A. RAIX et C. MIGNÉE, Psychopa-
sonnelle et à l’état physique et psychologique dans lequel il se trouve (40). thologie du travail et du chômage, Paris, Ed.
Techniques-Encyclopédie Médicale, 1995.
Chaque individu possède un seuil de sensibilité, de compréhension et de vulné- (40) R. S. LAZARUS, The stress and coping
rabilité propre qui conditionne ses modalités et ses capacités à faire face aux paradigm, dans C. EISDORFER, D. COHEN,
événements. Le sujet apprécie la situation et ses ressources propres, et de cette A. KLEINEMAN et P. MAXIM (eds.), Models
appréciation dépend son sentiment de contrôle ou de non contrôle. for clinical psychopathology, MTP Press
Limited, International Medical Publishers,
1981.
17
Dans la relation spécifique du travailleur avec son entreprise, nous rencontrons
ces quatre niveaux qui génèrent leurs facteurs de stress propres mais également
leurs “facteurs – tampons”. A titre d’exemple, un sujet particulièrement vulnéra-
ble (niveau personnel) qui travaille dans des conditions difficiles (niveau profes-
sionnel) peut garder un bon sentiment de contrôle de la situation si le système
de valeurs de l’entreprise est proche du sien (niveau organisationnel) et si la com-
munication entre les travailleurs est de bonne qualité (niveau interindividuel).
18
tes à risques (au travail, en voiture). Ces comportements peuvent aboutir à la
maladie voire au décès et le suicide n’en est qu’un exemple.
L’être humain réagit également sur le plan physiologique : tension artérielle et
rythme cardiaque accélérés ou irréguliers, muscles crispés et douleur à la nuque
et à la tête, aigreurs d’estomac, etc.
Cancer Si le stress lié au travail n’est pas en soi une cause de cancer, on sait
toutefois qu’il favorise des comportements qui augmentent le
risque de cette maladie: tabagisme, trop manger, manger trop gras,
vie déréglée…
(42) Ibid.
19
Le stress peut avoir des conséquences sur la quasi-totalité des aspects de la
santé. Le stress peut se traduire par les troubles les plus variés, un mal-être mais
aussi, pour l’entreprise, une perte de productivité. En outre, le stress a des
répercussions sur le plan cognitif. En cas de stress lié au travail, de nombreux tra-
vailleurs vont avoir du mal à se concentrer, à mémoriser, à apprendre, à être créa-
tifs, à prendre des décisions. Enfin, les autres effets concernent les accidents de
travail: les travailleurs surmenés, distraits ou frustrés sont plus enclins à ignorer
les précautions de sécurité, à prendre des risques inutiles ou à ne pas tenir
compte d’un danger imminent (43).
Burn-out ou syndrome de l’épuisement professionnel
Une autre conséquence particulière du stress professionnel peut être, chez cer-
tains travailleurs, le burn-out. L’individu est alors littéralement consumé par une
exposition trop prolongée au stress. Il a des difficultés à séparer sa vie profes-
sionnelle, sociale et familiale. Le stress s’insinue lentement, de façon évolutive jus-
qu’à devenir une pathologie liée au travail engendrant un désastre social.
Pour Perlman (44), ce syndrome se traduit par un ensemble de signes physiques
et comportementaux tels que l’épuisement, le sentiment de toute puissance, la
paranoïa… Il se traduit également par une inefficacité grandissante face aux
objectifs professionnels. Pour Maslach (45), le burn-out serait un syndrome d’é-
puisement physique et émotionnel comprenant une image négative de soi-même,
une attitude négative envers le travail et une perte d’intérêt.
Toutefois, le burn-out n’est pas une conséquence du stress en soi mais est plu-
tôt dû à une mauvaise gestion de celui-ci. Il se retrouve particulièrement dans les
professions où il y a un lien avec la clientèle (grandes surfaces, hôpitaux, services
de garde, enseignement…) et où il faut faire sans cesse face à l’urgence. Les tra-
vailleurs “touchés” ont tous une prédominance à s’investir dans leur travail, au
cours d’une période relativement longue avec un engagement personnel, affectif
et émotionnel important. Et malheureusement, cet investissement est souvent
peu reconnu et récompensé par autrui (collègues, supérieurs, hiérarchie…).
Cependant, tout individu soumis à un stress professionnel ne développe pas un
burn-out pour autant. Divers facteurs individuels (vulnérabilité de l’individu, per-
sonnalité, support social…) interviennent aussi comme protecteur, modérateur
ou au contraire comme potentialisateur.
(43) Ibid.
(44) Y. LOUVRIER, Contribution des per-
2.4 Quelles sont les facteurs susceptibles
ceptions individuelles et des mécanismes d’a- de provoquer du stress professionnel ?
justement à l’état de stress. Mémoire de
Licence en Sciences Psycho-Pédagogiques Deux enquêtes réalisées à l’échelle communautaire montrent qu’une forte pro-
non publié, Université de Mons-Hainaut, portion des 147 millions d’actifs présents sur le marché du travail de l’UE sont
Mons, 1996. exposés à une diversité d’exigences liées au travail (facteurs de stress) qui sont
(45) Ibid. connus pour induire du stress et des maladies ou fortement soupçonnées d’en
(46) COMMISSION EUROPENNE, Ma- être la cause (46). De même, des études menées sur les conditions de travail
nuel d’orientation sur le stress lié au travail: réalisées par la Fondation européenne en 1996 et 2000 montrent que 28% des
Piment de la vie … ou coup fatal ?, Direction travailleurs font état de problèmes liés au stress. D’autres études (47) au
générale de l'emploi et des affaires sociales, Royaume-Unis révèlent qu’entre 50% et 60% de l’ensemble des journées de tra-
1999.
vail perdues sont liées au stress. Le coût que cela représente est considérable.
(47) Ibid. Les coûts peuvent se calculer en terme de souffrance humaine et familiale, de
dysfonctionnements de l’organisation du travail et de dépenses pour la société
entière qui prend à sa charge, par l’intervention des mutuelles, les frais médicaux
et les payements des assurances contre l’incapacité de travail.
20
Outre ses graves conséquences sur la santé mentale et physique des travailleurs,
l’impact du stress lié au travail est évident dans les “symptômes organisationnels”
tels que les taux élevés d’absentéisme et de rotation du personnel, les faibles
performances en matière de sécurité, le manque d’enthousiasme des salariés, le
manque d’innovation et la faible productivité (48).
En Belgique, le coût de l’absentéisme lié au stress, sans compter le salaire garan-
ti, se situe dans une fourchette de 11 à 33 milliards de FB par an (49). L’étude
Belstress (50) portant sur 12.708 participants confirme l’hypothèse selon laquel-
le il existe une relation entre stress au travail et absentéisme pour cause de mal-
adie.
A l’origine du stress se trouvent une inadéquation entre l’homme et son travail,
des conflits entre ses rôles dans le travail et en dehors du travail et le fait qu’il
ne possède pas un degré normal de maîtrise de son travail et de sa vie.
Le stress au travail peut être dû à une multitude de facteurs (51), par exemple :
• Charge de travail excessive ou insuffisante;
• Temps insuffisant pour achever le travail à son entière satisfaction et à celle
des autres;
• Absence de description de poste précise ou de chaîne de commandement;
• Aucune reconnaissance, ni récompense pour un travail bien fait;
• Aucune possibilité d’exprimer des doléances;
• Nombreuses responsabilités, mais peu d’autorité ou de pouvoir décisionnel;
• Supérieurs, collègues ou subordonnés peu coopératifs ou n’apportant guère
de soutien;
• Aucune maîtrise, ni fierté du produit fini de son travail;
• Insécurité de l’emploi, poste non permanent;
• Exposition aux préjugés concernant l’âge, le sexe, la race, l’ethnie ou la reli-
gion ;
• Conditions de travail physiques dangereuses ou désagréables;
• Aucune possibilité d’exploiter efficacement ses aptitudes ou ses dons per-
sonnels;
• Présence d’un risque d’erreur qui peut avoir des conséquences graves voire
(48) Ibid. catastrophiques;
(49) S. MOORS, Organisation et stress: ori- • Toute conjonction de ce qui précède.
gine et approche, dans S. Moors (ed.), Stress
et travail, Institut National de recherche sur Il va de soi que les conditions de travail qui viennent d’être citées ne traduisent
les Conditions de Travail, Bruxelles, 1994. pas toutes un stress ou des problèmes de santé liés au stress chez tous les tra-
(50) Le projet 'BELSTRESS' a été mis sur vailleurs exposés, pas plus que tous les problèmes de santé liés au travail ne sont
pied par un réseau de scientifiques de nécessairement liés au stress. Par contre, il paraît probable que la liste des pro-
l'Université de Gand et de l'Université blèmes de santé liés au stress provoqué par le travail est bien plus longue que
Libre de Bruxelles. Via des listes de ques-
celle des doléances de santé présentées dans les enquêtes auprès des tra-
tions standardisées, des travailleurs mascu-
lins et féminins âgés de 35 à 59 ans ont été vailleurs (52).
interrogés sur le lien entre le stress lié au
travail et les maladies cardiaques et sur le
lien entre le stress lié au travail et l'absen-
téisme.
2.4.1 Classifications des facteurs de stress
(51) COMMISSION EUROPENNE, Ma- Il existe diverses manières de classer en catégories les conditions de travail qui
nuel d’orientation sur le stress lié au travail: peuvent être des facteurs de stress.
Piment de la vie … ou coup fatal ?, Direction
générale de l'emploi et des affaires sociales, A. Le modèle de Cooper et Marshall
1999. Pour évaluer les facteurs de stress (parce que c’est à ce niveau que la prévention
(52) Ibid. va agir), nous pouvons exploiter le modèle de Cooper et Marshall (53). Celui-ci
(53) Modèle de Cooper et Marshal, classe les causes du stress en six grandes catégories.
1986. C. J. MACKAY et C. L. COOPER,
Occupational stress and health: some current Ces causes de stress agissent alors sur l’individu et ont des répercussions tant
issues, dans International Review of Industrial au niveau individuel qu’organisationnel.
and Organizational Psychology, Cooper &
Robertson Ed, John Wiley and Sons Ltd.,
1987.
22
Modèle de Cooper et Marshall
Manifestations au niveau
Structure et climat de l’organisation
dans l’organisation Grèves prolongées
- Absentéisme
Accidents graves
- Turnover
Interface entre Apathie
- Mauvaises relations industrielles
travail et maison - Faible qualité de contrôle
23
Interface entre travail et maison
La sphère familiale peut être aussi bien un agent modérateur du stress (quand le
soutien attendu est présent) qu’une source de stress. Les tensions naissent des
difficultés à concilier vie privée et vie professionnelle. Les conflits sont souvent
liés aux préoccupations financières, au temps passé sur le lieu de travail.Tensions
également très présentes lorsque les deux partenaires font carrière.
Facteurs physiques Ils jouent un rôle d’agent stressant secondaire. Ces facteurs
sont de deux types : charge physique (soulever des charges
lourdes, maintien d’une posture ou d’une charge pendant de
longues durées) et ambiance physique de travail (bruit, tempé-
rature, éclairage, poussières, vibrations).
Les premiers provoquent une fatigue musculaire mais non assi-
milée à un stress. On pourra néanmoins parler de stress pos-
tural si l’organisation de travail est telle que l’organisme n’a pas
le temps de se rétablir.
L’ambiance physique de travail, quant à elle, par le fait qu’elle
plonge l’organisme dans un état de tension permanente est plu-
tôt considérée comme fragilisante.
Facteurs Les stimuli en provenance de l’environnement social (ou de la
psycho-sociaux représentation que l’individu s’en fait) et l’anticipation que l’in-
dividu fait de la chaîne des événements à venir auront un reten-
tissement sur son psychisme. On compte, parmi les facteurs
psycho-sociaux, la charge mentale (qui croît au fur et à mesure
des évolutions technologiques), la personnalité (l’histoire de
chacun, le niveau d’anxiété, de tolérance à la frustration, les évé-
nements stressants antérieurs), les relations interpersonnelles
(elles vont constituer l’un des éléments essentiels de la satis-
faction au travail ou au contraire de stress potentiel telle que
l’absence du choix des collègues de travail) et l’organisation.
De plus, les emplois impliquant l’exposition à la souffrance, à la
maladie ou à des accidents (par exemple les policiers, les urgen-
tistes, les médecins) ou ceux où le personnel est lui-même
exposé à un risque physique (plongeurs, marins-pêcheurs) ou à
des menaces de violence (vigiles, transporteurs de fonds) impo-
sent parfois aux salariés de graves contraintes émotionnelles et
génèrent du stress (56).
Facteurs On entend ici l’incertitude liée à l’emploi, l’apparition des nou-
socio-économiques velles technologies, la compression du personnel, le salaire au
rendement et l’appartenance à une catégorie socio-profession-
nelle à risques.
25
Enfin, la nécessité d’une flexibilité maximale recherchée par les entreprises pour
répondre aux exigences de l’évolution de la société occasionne chez le tra-
vailleur des tensions et une émergence du stress (58).
s Facteurs de stress
Nature de l’activité
• Complexité de la tâche: du stress peut naître aussi bien d’une tâche complexe
qui exige un investissement de la personne que d’une tâche routinière;
• Autonomie reliée à la tâche: l’autonomie est liée à la responsabilité de l’indi-
vidu face à sa tâche (la relation entre autonomie et stress n’est pas linéaire).
Les tâches impliquant la responsabilité de vies humaines sont sources de
stress importants. Les individus doivent disposer d’une certaine autonomie à
condition que celle-ci soit balisée;
• Rôle inhérent à la tâche: le stress peut naître d’une surcharge ou d’une sous-
charge de travail, de l’imprévisibilité ou de “l’incontrôlabilité” de la tâche, d’un
conflit de rôle (lorsque l’individu est coincé entre des attentes et des devoirs
contradictoires quant à leur réalisation), d’une cadence de travail (par exem-
ple rapide mais avec des impératifs de grande vigilance);
• Participation aux décisions: l’absence de participation crée des tensions et de
l’insatisfaction;
• Risques de l’activité.
Environnement de l’activité
• Contexte physique: charge physique de l’activité (bruit, chaleur, polluants, vibra-
tions, etc.), horaire et travail de nuit (bouleversements des rythmes nycthémé-
raux et conséquences négatives sur les relations familiales et sociales), heures
supplémentaires non souhaitées ou excessives et densité de population;
• Structure d’organisation: c’est la trame sur laquelle se greffent les relations,
les rapports de pouvoir et la communication. L’inadéquation de cette struc-
ture avec les besoins et attentes de l’individu peut être un facteur de stress;
• Possibilité de carrière et politique: avenir bouché et politiques ambiguës;
• Système de récompense: un travail basé sur des récompenses liées à la per-
formance entraîne une motivation, mais aussi un stress important. Mais une
non-reconnaissance du travail effectué engendre des frustrations et de l’ennui;
• Relations interpersonnelles au travail: tantôt source de stress tantôt support
de l’individu.
s Variables modératrices
A côté de ces facteurs de stress, certaines variables jouent un rôle de tampon
entre ces facteurs et la réaction de stress de l’individu. Ces variables modératri-
ces sont en rapport avec des facteurs individuels et socioculturels.
Facteurs individuels et socioculturels
• La vie privée: peut diminuer ou aggraver le stress de la sphère de travail;
• Les traits de personnalité: l’autonomie de la personne, sa flexibilité, son locus
de contrôle interne, sa tendance à l’extraversion et une personnalité de type
(58) Perilleux, 1993, et De Keyser, 2000. B semblent être des facteurs favorisant la gestion adéquate des réactions de
(59) Gaussin, Karnas et Karnas, 1995. G. stress;
KARNAS, Evaluation du stress dans une per- • Les valeurs et besoins de l’individu: plus les attentes du sujet sont élevées,
spective ergonomique, dans Médecine du tra- plus il risque de subir des échecs et donc des frustrations;
vail et ergonomie, 1997, 34, 2, pp.69-74.
26
Photo: Eric Audras
27
2.6 Quel est le coût du stress pour l’entreprise?
Dans certaines entreprises, la direction, consciente de son rôle social autant que
de ses intérêts, prend en charge la santé et le bien-être de ses collaborateurs.
Elle peut en effet apporter une aide morale et physique conséquente au tra-
vailleur. De plus, elle a la possibilité de fournir des ressources administratives et
psychologiques avant que les tensions n’apparaissent.
L’Institut national de recherche sur les conditions de travail (INRCT) a réalisé en
1993 (62) une étude sur le coût du stress qui stipule que le stress professionnel
touche un travailleur sur trois, et est autant dommageable et coûteux pour le
travailleur, sa famille, l’employeur, l’entreprise ou la société en général. Ce point
examine donc l’influence des effets du stress sur l’organisation, l’entreprise.
Au niveau de l’entreprise, des comportements actifs tels que la grève, l’expres-
sion de revendications peuvent être exprimés face à un environnement de tra-
vail stressant. Passivement, le stress peut se traduire par le manque de motiva-
tion, la diminution de la capacité de travail, la qualité du travail amoindrie. Face
à la surcharge de travail, les individus se concentrent souvent sur la tâche prin-
cipale et négligent celles qui leur paraissent plus secondaires. Il n’est pas rare que
face à des contraintes excessives, les travailleurs expérimentés modifient les pro-
cessus (les simplifient par exemple) afin de réduire la surcharge de travail et d’a-
baisser ainsi le niveau de stress induit.
L’entreprise peut aussi devoir faire face à l’absentéisme et à la rotation du per-
sonnel. En effet, les attitudes de retrait sont liées à l’insatisfaction au travail.
De plus, Shephard (63) explique qu’une réduction de l’absentéisme et des rem-
placements de collaborateurs permettrait une économie salariale de l’ordre de
0,35%. Une diminution du nombre de démissions et du nombre d’engagements
de nouveaux travailleurs à former permet une économie salariale de 2,2% (par
travailleur et par an). Les entreprises prenant en charge le bien-être de leurs tra-
vailleurs obtiennent une réduction de 0,5 à 5 jours d’absence par travailleur et
par an. Il paraît évident que l’environnement de travail et le mode de manage-
ment animent des comportements forts différents face à l’absentéisme.
Ingvar et Sandberg (64) décrivent en outre comment une entreprise et une orga-
nisation, ainsi que leurs travailleurs, peuvent avoir un degré d’excitation minimal,
optimal ou maximal. Au degré minimal, l’entreprise dans son ensemble et l’indi-
vidu sont trop peu stimulés, s’ennuient, leur rendement, leur efficacité et leur
productivité sont faibles. Au degré optimal, la motivation est élevée, comme l’est
la disposition aux initiatives créatrices et la souplesse de comportement. Cela est
particulièrement le cas si l’entreprise et les travailleurs fonctionnent dans la
confiance réciproque.
Par contre, la “sur-stimulation” (surcharge de travail, d’informations…) des
entreprises comme des hommes aboutit à la perte de créativité, à l’incapacité de
prendre des décisions efficaces, à la confusion et à l’effondrement. Cette situa-
tion peut entraîner des coûts directs et indirects considérables, non seulement
pour l’individu et pour la société, mais aussi pour l’entreprise ou l’organisation.
(62) C.VIATOUR, La flexibilité au travail et
ses conséquences en terme de stress profes- Toutes les organisations ou entreprises existent pour fabriquer des produits ou
sionnel, Mémoire de licence en psychologie fournir des services. Leur survie dépend de leur capacité à atteindre leurs objec-
non publié, Université de Liège, Liège, 2001. tifs de manière efficace et efficiente. Pour cela elles disposent de moyens divers,
(63) Ibid. dont le plus important est le capital intellectuel et social de leurs salariés (65).
(64) COMMISSION EUROPENNE, Ma- Employeurs et salariés œuvrent pour un but commun dans le cadre d’un rapport
nuel d’orientation sur le stress lié au travail:
d’échange complexe (“contrat social”). Les travailleurs attendent une rémunéra-
Piment de la vie … ou coup fatal ?, Direction
générale de l'emploi et des affaires sociales, tion et des avantages en échange de leur participation à la production de l’en-
1999. treprise et ils attendent des lieux de travail sains et des possibilités de promo-
(65) Ibid. tion et d’évolution de carrière en récompense. La santé des hommes est l’une
28
des conditions de la santé de l’entreprise, et la santé de l’entreprise favorise la
santé des hommes par la satisfaction des besoins et des possibilités de progres-
sion et d’évolution (66).
Les entreprises saines pratiquent l’auto-examen et l’auto-renouvellement en ce
qui concerne les hommes, la structure, la technologie et les tâches, les différents
acteurs travaillant en harmonie, faute de quoi il peut y avoir une incidence néga-
tive sur des résultats importants du point de vue de l’employeur comme des tra-
vailleurs.
Les coûts directs englobent la participation et l’adhésion. Si un travailleur ne par-
ticipe pas ou quitte l’entreprise, cette dernière paie le prix du travail qui n’est pas
exécuté (par exemple, absentéisme, manque de ponctualité, grèves, arrêts de tra-
vail, rotation dysfonctionnelle).
Les coût indirects englobent les phénomènes suivants et leurs effets: perte de
vitalité, de réactivité et de capacité de récupération, moral et motivation faible
et mécontentement élevé, rupture de communication, prise de mauvaise décision (66) Ibid.
29
avec jugement altéré, baisse de la qualité des rapports de travail (méfiance,
manque de respect, animosité), agression et violence (verbales et physiques) et
“coût de substitution” entraînés par des salariés affligés qui ne tirent pas profit
des occasions qui se présentent car ils consacrent toute leur énergie à s’en sor-
tir (67).
Paradoxalement, le présentéisme (c’est-à-dire le contraire de l’absentéisme) peut
créer des problèmes pour les entreprises comme pour les travailleurs. Le tra-
vailleur faisant preuve de présentéisme présente quatre caractéristiques:
• L’insécurité quant à son emploi;
• Le besoin de montrer qu’il s’investit dans l’entreprise, même au détriment de
sa vie privée, familiale ou sociale en prestant des heures excessives, en tra-
vaillant la nuit et les week-ends…;
• Le besoin d’être présent à toutes les réunions très importantes, même si sa
présence est superflue;
• Le besoin qu’on le voie arriver tôt et partir tard.
Dans ce cas de figure, des personnes “malades” peuvent se sentir obligées d’al-
ler travailler. Ce présentéisme peut se traduire par des résultats sub-optimaux,
le refus de donner à l’organisme la possibilité de récupérer, l’exposition des col-
lègues à des comportements dysfonctionnels et l’augmentation du risque d’inca-
pacité de travail.Tout cela peut contribuer à une mauvaise qualité et quantité de
travail, à des griefs et à des accidents augmentant le coût des soins et le paiement
d’indemnités.
Le coût pour l’entreprise peut se résumer en plusieurs point importants:
• Diminution de la satisfaction au travail, du dynamisme de l’organisation et
donc de la production et du rendement affectant directement les résultats;
• Tensions et conflits entre collègues et à tous les niveaux, ambiance de travail
dégradée ainsi que des structures de contrôle onéreuses;
• Perte financière (cotisations d’assurance accident, perte due aux arrêts de
travail, dégâts matériels divers dus par exemple aux accidents du travail…);
• Absentéisme, rotation du personnel, démissions, grèves…;
• Présentéisme.
(67) Ibid.
30
(68) C. J. MACKAY et C. L. COOPER,
Occupational stress and health: some current
issues, dans International Review of Industrial
and Organizational Psychology, Cooper &
Robertson Ed, John Wiley and Sons Ltd.,
3. Modèles explicatifs de
l’émergence du stress
1987.
(69) G. KARNAS, Evaluation du stress
dans une perspective ergonomique, dans
Médecine du travail et ergonomie, 1997, 34, 2,
pp.69-74.
(70) Modèle d'interprétation de Comper-
professionnel nolle, 1992. T. COMPERNOLLE, Individueel
stressmanagement, dans S. Moors (ed.),
Un seul modèle ne peut rendre compte de la diversité des facteurs expli- Stress et travail, Institut National de recher-
catifs du stress. Ce chapitre développe donc brièvement plusieurs modèles che sur les Conditions de Travail, Bruxelles,
théoriques : le modèle de MacKay et Cooper (68), le modèle d’analyse du 1994. T. COMPERNOLLE, De cruciale rol
van het management in de strijd tegen stress,
travail de Karnas (69) et le modèle d’interprétation de Compernolle (70).
Colloque du 12 février 2001, La lutte contre
Nous présentons également le “Job strain model”, le modèle INRCT (71) et le stress: du diagnostic à l'intervention collecti-
le modèle de Lazarus et Folkman (72). ve, Ministère de l'Emploi et du Travail avec le
soutien du Fonds Social Européen, 2001.
(71) S. MOORS, Organisation et stress :
source et approche, dans S. Moors (ed.),
Stress et travail, Institut National de recher-
3.1 L’approche transactionnelle de MacKay che sur les Conditions de Travail, Bruxelles,
1994.
et Cooper
(72) Modèle de Lazarus et Folkman,
Le modèle de MacKay et Cooper (présenté ci-dessous) reprend le concept d’é- 1984. R. S. LAZARUS, The stress and coping
quilibre entre les demandes et les ressources. Il distingue les demandes internes paradigm, dans C. EISDORFER, D. COHEN,
A. KLEINEMAN et P. MAXIM (eds.), Models
(ambition, rigueur…), les ressources internes (capacité physique, habileté, expé- for clinical psychopathology, MTP Press
riences…), les demandes externes (production, qualité…) et les ressources Limited, International Medical Publishers,
externes (machines, outils, assistance…). 1981.
Photo: Eric Audras
31
Modèle transactionnel du stress professionnel de MacKay et
Cooper (73)
Actions,
Demandes
comporte-
internes
ments
+ Ressources
Changements
Stress ressenti affectifs et
externes
d’humeur
Evaluation
Phase de Mécanismes Changements
cognitive de Déséquilibre Santé altérée
perception de coping physiologiques
la situation
- Demandes
Réévaluations
cognitives de
externes
la situation
+ Ressources
personnelles
32
• La vitesse à laquelle les différentes composantes changent (en secondes ou
en années) influence la manière dont l’individu réagit;
• Le feed-back, mécanisme important comprenant des implications d’un point
de vue méthodologique.
Caractéristiques de l’opérateur
Conséquences
pour l’opérateur
Conditions de travail
Activité
Tâche
Conséquences
pour le système (75) G. KARNAS, Evaluation du stress
dans une perspective ergonomique, dans
Médecine du travail et ergonomie, 1997, 34, 2,
pp.69-74.
33
Ainsi, les caractéristiques de la tâche (travail prescrit), des conditions de travail
et de l’opérateur, à un moment donné, déterminent l’activité (travail réel). Celle-
ci a des conséquences particulières tant pour l’opérateur que pour le système.
Ces conséquences pour le système ont des effets directs sur la tâche et sur les
conditions de travail, qui, à leur tour, ont des effets sur la tâche; le tout détermi-
nant à nouveau l’activité.
Ce modèle semble avoir connu des développements ultérieurs reflétés à la figu-
re ci-dessous. Il établit une distinction entre le rapport exigences / attentes du
système qui détermine les contraintes de la situation de travail (contraintes
externes) et le rapport exigences / attentes du sujet qui détermine les contrain-
tes internes, individuelles, cognitives et sociales. Il est ainsi à rapprocher du
modèle de MacKay et Cooper car il introduit également les notions de contrain-
tes externes liées au système et liées aux conditions de vie hors du travail.
Exigences
Contraintes Conduite Effets
Attentes
Contraintes
pour le systè-
me (externes)
Evaluation
Conduites
de l’opérateur
Evaluation
Contraintes
pour l’opérateur
(hors travail)
34
3.3 Le modèle de Compernolle
Le modèle de Compernolle n’est pas un modèle théorique mais plutôt un modè-
le d’interprétation.
Le schéma suivant représente le rendement de la personne (en ordonnée) en
fonction du niveau de stress (en abscisse).
Efficacité,
motivation,
créativité,
bien-être
100%
Plaisir Tâche
Ennui Charge
Exigences
0%
Menace
Mort
35
l’aide…), les opérations (la complexité, la qualité, la quantité) et les circonstan-
ces (les contraintes physiques, psychiques, sociales, temporelles…).
STRESS
La crainte Le sentiment
de perdre de ne pas être
sa position à la hauteur
Les aptitudes sont tous les moyens dont dispose le sujet pour affronter la situa-
tion. Il s’agit d’outils externes et d’outils internes (aptitudes propres, expérience,
formation).
L’auteur propose les schémas suivant pour illustrer les évolutions, au cours du
temps, des aptitudes et exigences. Dans le schéma b, les exigences varient consi-
dérablement au fil du temps. A une période avec exigences faibles (ayant ten-
dance à causer la baisse des aptitudes) succède une période avec des exigences
élevées. Si les aptitudes sont dépassées (comme c’est le cas dans le schéma b),
du stress en résulte.
Aptitudes
Aptitudes
Exigences Exigences
Heures de travail Heures de travail
36
de menace ne semble présente dans aucun autre modèle où la notion de qua-
lité de vie paraît plus fréquente.
Un quatrième aspect intéressant, et pourtant non discuté par les auteurs, appa-
raît dans ce modèle: l’idée que le rapport exigences/capacités de travail avec des
exigences très inférieures aux capacités de la personne est également source de
stress… sans toutefois qu’il y ait menace.
Exigences psychologiques
Stress
Latitude décisionnelle
Par la suite, une troisième dimension fut ajoutée au modèle : la perception par
le travailleur du soutien social au travail (81). Un soutien social élevé aurait un
effet modérateur favorable alors qu’un soutien social faible amènerait un effet
défavorable.
On ne distingue pas ici le soutien social venant du supérieur hiérarchique de
celui provenant des collègues de travail.
De même, le modèle de Karasek prédit l’apparition de certains traits de per-
sonnalité induits par les comportements au travail.Ainsi, l’adaptation à des situa-
tions de travail passives avec une faible demande de contrôle peut amener à
réduire les capacités à résoudre des problèmes ou à affronter des défis, et engen-
drer des sentiments de dépression.
A l’opposé, des demandes élevées de travail combinées à un grand pouvoir de
décision et la possibilité d’usage de ses compétences conduit à développer de
(80) R. KARASEK et T. THEORELL, plus grandes capacités d’apprentissage actif.
Healthy work – stress, productivity and recons-
truction of working life, Basic Books, New
York, 1990.
(81) Ibid.
38
Interpétation du “Job strain model” de Karasek
Les risques pour l’individu seront d’autant plus élevés qu’il dispose d’un faible
degré de contrôle et que les exigences de la tâche sont importantes (82).
Karasek définit quatre types de travail selon les combinaisons de ces deux fac-
teurs. Leurs répercussions sur le bien-être des travailleurs seraient les suivantes:
Travail monotone: il s’agit de postes passifs à faible charge de travail et aux pos-
sibilités de contrôles réduites. Si l’opérateur est confronté à un problème, il doit
faire appel à un supérieur afin de le résoudre. Cette passivité professionnelle est
rarement compensée par la pratique de loisirs actifs. A la longue, une baisse de
motivation et de satisfaction professionnelle peut apparaître ainsi qu’une aug-
mentation de l’absentéisme.
Travail éreintant: il s’agit de postes à forte charge de travail et peu de possibi-
lité de contrôle. Ces postes s’avèrent très stressants.
Travail facile: il s’agit de postes à faible charge de travail et où l’opérateur dispo-
se de nombreuses possibilités de contrôle.
Travail exigeant et dynamique: il s’agit de postes très actifs, à forte charge de
travail, engendrant beaucoup de tensions, tout en laissant de grandes possibilités
de contrôle. Le travailleur jouit d’une grande autonomie et prend seul les déci-
sions importantes. Il peut exploiter ses connaissances et ses compétences.
Karasek a affiné son modèle en le rendant tridimensionnel. Il a ajouté un axe
dédié au soutien social. Si celui-ci est important et associé à un contrôle élevé,
la situation est favorable pour l’individu. Nombre d’études démontrent l’utilité du
soutien social et lui attribuent différents rôles tels que le support information-
nel, l’aide à l’accomplissement de tâches lors de surcharges, le support émotion-
nel et la guidance.
(82) Ibid.
39
3.6 Le modèle de Lazarus et Folkman
Lazarus et Folkman (83) ont beaucoup insisté sur les trois niveaux du stress
inclus dans une perspective transactionnelle : le niveau social, psychologique et
physiologique. Même si l’aspect psychosocial focalise notre attention, il est
important d’avoir une vue d’ensemble sur toutes les variables de chaque niveau
inclues dans le processus de stress.
Dans ce modèle, les réponses aux agents stresseurs peuvent être influencés par
deux processus cognitifs qui médiatisent les réactions au stress : l’évaluation
cognitive de la situation et les stratégies d’adaptation (coping). L’évaluation cogni-
tive est influencée par les buts et croyances de chaque personne. Ces buts et
croyances varient d’une personne à l’autre mais également d’un moment à l’au-
tre chez une même personne.
Lazarus présente donc l’évaluation cognitive comme un phénomène subjectif car
la même situation ne sera pas vécue de la même manière par la même person-
ne à des moments différents. De ces processus d’évaluation et de coping va
dépendre l’intensité du stress développé.
On constate donc que, dans ce modèle, ni l’environnement, ni les individus ne
sont figés.
(83) V. DE KEYSER et I. HANSEZ, Vers
une perspective transactionnelle du stress au
travail: pistes d’évaluations méthodologiques,
dans Cahiers de médecine du travail, 1996,
XXXIII-3, pp. 133-144.
40
4. Méthodes d’évaluation
4.1 Evaluation
4.1.1 Outils d’évaluation
Il existe des outils qui s’intéressent aux effets, aux symptômes psychosoma-
tiques, bref à la recherche des signes de stress. Ces méthodes permettent uni-
quement un constat sans rechercher les causes de l’état de stress ni proposer
de solutions. Par contre, il en existe d’autres qui proposent, au-delà, des condi-
tions d’amélioration.
On trouve deux types d’outils d’évaluation: les questionnaires et les groupes d’a-
nalyse des problèmes rencontrés au travail. Ces outils peuvent être utilisés seuls
ou en batterie si l’on veut affiner son diagnostic.
A. Les questionnaires
La plupart des questionnaires existants ont été développés dans le cadre de la
lutte contre le stress. Ils peuvent mesurer des choses différentes: les stresseurs
ou le stress ressenti par les personnes. Les avantages des questionnaires sont :
la confidentialité et le fait qu’ils livrent des chiffres, matériel que l’employeur à
l’habitude d’utiliser dans les autres domaines de sa gestion. Cela le met en
confiance quant au sérieux de la démarche. Les inconvénients des questionnai-
res sont: l’aspect réducteur par rapport à la réalité, le fait que certains facteurs
sont aggravants pour certains et réducteurs de stress pour d’autres et enfin le
coût lié au fait qu’ils peuvent nécessiter un investissement en temps important.
41
Les types de questionnaires davantage utilisés sont :
s Les questionnaires individuels sur les conditions de travail
Ces questionnaires se penchent sur le jugement personnel des individus concer-
nant leurs conditions de travail. On retrouve aussi bien des questionnaires qui
peuvent être “auto-passés” individuellement par un groupe de personnes que
des questionnaires qui vont être administré lors d’un entretien singulier. Parmi le
panel de questionnaires existant, on peut en trouver allant de 2 à 255 questions
(items).
Ces questionnaires analysent au niveau individuel, les caractéristiques du travail,
les conditions de travail, l’organisation de travail ou les relations dans le travail.
Ils s’orientent vers la recherche de facteurs susceptibles de générer du stress.
Cependant, ils ne fournissent pas directement d’éléments permettant d’orienter
l’utilisateur vers des actions de prévention.
Le recours aux questionnaires est courant lorsqu’il est question d’évaluer une
situation. Néanmoins, le principe de base “la quantification conduit aux solutions”
peut être discuté. La quantification du détail peut nuire à l’ensemble et ainsi se
borner à des constatations stériles.
De même l’opinion “ce qui n’est pas quantitatif n’existe pas”, souvent prêtées aux
décideurs, doit être combattue. La quantification prend du temps et de l’argent
sans apporter nécessairement de solutions. Certes, elle peut être utile pour éta-
blir des comparaisons entre secteurs, ou des comparaisons avant/après instaura-
tion de changements. Mais il est important de garder en tête qu’une quantifica-
tion ne suffit pas ; et qu’une fois la quantification effectuée, le travail reste à faire.
Faire un recueil de données permet de justifier le fait que l’on tente de faire
quelque chose et que l’on s’intéresse au problème, mais cela ne constitue pas
une véritable recherche de solutions.
D’un point de vue éthique, il serait préférable de recourir à une personne neu-
tre et extérieure pour mener à bien les enquêtes et questionnaires. En effet, il
est important de garantir au travailleur la confidentialité et de le préserver d’un
risque d’utilisation abusive. Le risque d’une déviation du but premier et d’un
usage, notamment lors de restructuration, pour une sélection est bien réel.
Cependant, ceci nous emmène inéluctablement vers des coûts auxquelles l’en-
treprise va devoir faire face.
s Les check-lists
Les check-lists permettent de faire une analyse des conditions de travail de façon
collective. On en recense différentes méthodes.
42
Les inconvénients des groupes d’analyse de problèmes sont: la difficulté, pour
certaines personnes, de s’exprimer en public, la peur de dire certaines choses
devant les collègues par crainte d’un manque de confidentialité et enfin, la peur
de donner du pouvoir à l’autre en parlant.
43
Ce modèle, développé par l’administration, intègre les facteurs psychosociaux
dans l’analyse des risques (cadre conceptuel).
Danger
Individuels
Facteurs
de risques
Collectifs
Risque Dommage
s Risque
Le risque est la probabilité de survenance du dommage évaluée en fonction du
danger et des facteurs de risque. Le risque est un concept qu’on emploie pour
exprimer les craintes à l’égard des effets probables d’un environnement incer-
tain. Les conséquences sont les répercussions tangibles des risques sur les déci-
sions, les événements et les processus.
s Facteurs de risques
Les facteurs de risques sont les différents éléments qui codéterminent le risque.
Ils peuvent être de différents types:
• Collectif: facteurs qui déterminent l’exposition comme l’intensité, la fréquen-
ce, la durée, facteurs liés à l’environnement comme l’organisation du travail,
les facteurs d’ambiance (bruit, chaleur, froid, vibrations, éclairage) ou les fac-
teurs psychosociaux (relations);
• Individuel: facteurs liés à l’état physiologique ou psychologique de l’individu, à
son comportement, à son hérédité.
s Risques
Probabilité de survenance des dommages suivants:
• Pour les personnes: dépressions, névroses, alcoolisme et autres assuétudes,
suicide, somatisation (maux de tête, maux d’estomac), perte d’emploi, exclu-
sion sociale, burn-out, accidents;
• Pour le groupe: rupture de la cohésion, de la solidarité, des conflits, de dispa-
rition de la créativité, de la perte de confiance dans le management, de la
perte de motivation;
• Pour l’entreprise: perte de motivation, absentéisme, baisse de qualité, baisse
de productivité, turn-over et grèves.
s Facteurs de risques
• Individuels: fragilité psychologique, manque de capacités d’expressions,
manque de capacités relationnelles;
44
• Collectifs: manque d’autonomie, manque de soutien social, manque d’identifi-
cation au groupe, formes négatives de leadership (management par la peur),
structures déficientes de concertation, conflits entre services, système de
promotions injuste, formations inadéquates, intensivité du travail trop gran-
de, contrôles inadaptés.
Lorsqu’on se trouve au niveau des mesures de prévention à prendre, il est tou-
jours nécessaire de prendre en compte l’ensemble de la situation et d’agir sur
l’ensemble des dangers et facteurs de risques.
4.1.4 En conclusion…
A. Le processus
La recherche de mesures à prendre pour éliminer ou limiter les risques doit se
faire de façon participative et globale (systémique). Les personnes, qui lors de la
phase diagnostic, ont exprimés les problèmes qu’elles vivent sont les mieux à
même d’élaborer des propositions de solutions. Le dialogue avec les personnes
concernées enclenche une dynamique, qui, si elle est bien gérée peut déboucher
sur un processus permanent d’amélioration dans lequel tout le monde peut être
gagnant (employeurs et travailleurs).
La démarche doit être globale (systémique). Elle doit aborder les structures de
l’entreprise, ses sous-systèmes, leurs résistances, leurs modes de fonctionne-
ment, les canaux de communication, la dynamique interne, la culture, l’identité.
Une démarche qui voudrait faire l’économie de tout ou d’une partie de ces élé-
ments serait suspecte.
Lorsqu’on entreprend ce type de démarche, il faut tenir compte d’un certain
nombre de facteurs qui en détermineront le succès:
• Il faut, lorsqu’on se trouve devant un problème, mettre en œuvre des méca-
nismes de recherche de solutions plutôt que de recherche de coupables;
• Il faut éviter que les personnes ne se sentent atteintes dans leur identité et
reconnaître leur droit à l’erreur. Quand les comportements d’une personne
posent problème, il faut bien lui expliquer que ce n’est pas elle en tant que
personne qui est en cause mais bien certains de ses comportements qui sont
perfectibles;
• Il faut être conscient du fait que toute la démarche passe par des mots, que
ceux-ci sont ambivalents et qu’ils essaient parfois d’exprimer l’inexprimable;
• Il faut savoir faire la part du dit et du non-dit, percevoir ce que le travailleur
parfois ne sait pas ou n’ose pas exprimer;
• Il faudra que les services externes de prévention et de protection aient en
leur sein des spécialistes en gestion des ressources humaines pour permett-
re la prise en compte des facteurs psychosociaux dans les PME.
46
• Tous les acteurs ont-ils suffisamment conscience des côtés positifs possibles
de la démarche ? Ont-ils également conscience des lacunes dans nos
connaissances dans ces matières et des difficultés que cela induit lorsque
nous voulons planifier ou harmoniser des objectifs contradictoires?
4.2 Intervention
4.2.1 Comment aborder le stress lié au travail?
Comme le souligne Christina Roberts (89), “l’information doit servir à dévelop-
per des actions permettant de traiter le problème du stress au travail. Par exem-
ple, les études de cas sur les bonnes pratiques dans une entreprise peuvent inspi-
rer des méthodes pour gérer le stress dans d’autres, et les données sur l’éva-
luation des risques devraient servir de fil conducteur aux personnes chargées
d’effectuer des évaluations”.
Ainsi, à défaut de recettes de cuisine, nous avons souhaité exposer, dans ce cha-
pitre, des expériences menées sur le terrain, par des acteurs de terrain.
Pour être efficace, les intervenants se sont rendus compte que c’est en analysant
chaque problématique particulière que l’action et le changement sont possibles.
C’est en partant du terrain que les clés adéquates peuvent être trouvées. Leurs
interventions mettent l’accent sur la prévention primaire au niveau de l’organi-
sation.
Dans cette optique de prévention, nous pensons qu’il ne faut pas mettre l’accent
sur la quantification (à l’aide de questionnaires, par exemple) car la quantification
risque d’attirer l’attention sur le score et de le détourner de la réflexion sur les
raisons de cet état et les moyens de l’améliorer. La quantification n’aboutit bien
souvent qu’à un constat sans pouvoir dire pourquoi les choses en sont là et ce
qui pourrait améliorer cet état. Tout en sachant que la quantification peut être
utile à certaines fins, telles que la comparaison entre secteurs, la comparaison
avant/après et l’argumentation pour convaincre les dirigeants, il est cependant
préférable d’utiliser des méthodes davantage orientées vers la prévention.
L’objet de ces interventions est davantage d’agir sur l’organisation de l’entrepri-
se que sur l’individu. Ces interventions vont par la suite donner des clés d’action
aux travailleurs.
47
s La prévention organisationnelle ?
Afin de prévenir les risques psychosociaux et ses répercussions sur la santé de
l’individu et de l’entreprise, au-delà de l’entraînement à une meilleure gestion
individuelle des facteurs de stress, quelles pourraient être les interventions au
niveau de l’organisation ? La prévention organisationnelle peut être décrite par
les cinq rubriques suivantes (91). La plupart de ces conditions de travail négati-
ves peuvent faire l’objet d’interventions de prévention primaire.
• La reconception du poste par la réorganisation d’une ou plusieurs dimen-
sions essentielles du travail afin d’améliorer l’adéquation entre la personne et
le poste. Faire en sorte que le travail soit vécu comme chargé de signification
pour le travailleur, que les résultats du travail soient visibles et que le tra-
vailleur s’en sente responsable sont tout autant de facteurs qui vont favori-
ser un motivation pour le travail, une meilleure qualité d’exécution, un degré
de satisfaction élevé mais aussi une diminution de l’absentéisme et de la rota-
tion (92);
• La gestion participative consiste en l’accroissement de la marge de discrétion
et d’autonomie dont dispose l’individu. L’une des composantes importante de
la participation est ce qu’on appelle l’habilitation c’est-à-dire le partage du
pouvoir au sein d’une entreprise. L’habilitation rend le travailleur conscient
de son efficacité, lui donne foi en sa compétence, ses performances, son effi-
cacité et ses responsabilités. Si le salarié trouve parfois assez difficile de
répondre aux impératifs de responsabilité et d’autogestion qui accompagnent
le processus d’habilitation, il est cependant moins sujet à la détresse associée
à un environnement de travail restrictif et étroitement définis;
• Les horaires de travail flexibles permettent au travailleur de faire face à l’en-
semble des exigences que sa vie lui impose (conduire les enfants à l’école,
aller rechercher son conjoint au travail, s’occuper d’un parent malade, etc.);
• L’évaluation de possibilité d’évolution dans sa carrière;
• La conception du cadre physique. Les facteurs de stress liés au cadre physique
fréquemment pris en compte sont le bruit et les vibrations, les machines et
outils, les odeurs, l’éclairage, les facteurs climatiques ainsi que les bâtiments
et locaux (93). Ces facteurs favorisent grandement le stress au travail, agis-
sent comme une menace pour la santé et le bien-être et diminuent la pro-
ductivité.
Il n’est pas question ici de révolutionner l’organisation de l’entreprise, révolution
qui serait vécue comme génératrice de stress par l’ensemble des travailleurs, mais
bien de proposer des pistes pour tenter d’améliorer les conditions du travail.
Comme le souligne la Commission européenne (2000), il est indispensable que
ces interventions soit bien gérées et bien appliquées sinon, elles peuvent finir par
accroître le stress au lieu de le réduire. Seule une intervention exhaustive et pla-
nifiée faisant l’objet d’un suivi et d’une évaluation peut être réellement efficace.
Il est possible de mettre en place des programmes de prévention efficaces, à coût
réduit et ayant pourtant des répercussions positives sur l’économie de l’entre-
prise par le biais du mieux-être du travailleur et d’une meilleure organisation de
son travail.
Il est intéressant de s’arrêter un instant sur la Déclaration du Luxembourg pour
la promotion de la santé sur le lieu de travail (PST) dans l’Union européenne qui
a été adoptée par le Réseau européen pour la promotion de la santé au tra-
vail (94). La PST repose sur une collaboration plurisectorielle et pluridisciplinai-
re. Les grands principes à appliquer afin qu’une politique de prévention soit effi-
cace et qu’elle ait des chances de faire évoluer les choses dans l’entreprise sont
(91) Ibid. les suivants:
(92) Ibid. • L’ensemble du personnel doit participer;
(93) Ibid. • La PST doit être intégrée dans toutes les décisions importantes et dans tous
(94) Ibid. les secteurs de l’entreprise;
48
Photo: Patrick Sheándell O’Carroll
• Toutes les mesures et tous les programmes doivent être adaptés à un cycle
de résolution de problèmes : analyse des besoins, fixation des priorités, pla-
nification, application, contrôle et évaluation constants.
Ainsi, les maîtres-mots d’un projet de prévention efficace sont participation, inté-
gration et gestion de projet.
B. Niveaux d’intervention
Trois niveaux d’intervention sont possibles dans la gestion du stress:
• Un niveau primaire, où l’on cherche à réduire les agents agresseurs. Il y a
donc ici une “modification des facteurs de stress liés à l’entreprise et au lieu
de travail” (95);
• Un niveau secondaire, avec gestion individuelle du stress, visant une sensibili-
sation et une augmentation des ressources physiques et psychologiques de
l’individu pour lui permettre de minimiser les effets négatifs du stress et de
gérer son stress de manière plus efficace. Ici, on vise à “modifier les réactions
individuelles à l’exposition à des facteurs de stress” (96);
• Un niveau tertiaire, caractérisé par des programmes d’assistance collective au
personnel, avec un rôle plus curatif que préventif. Ici, on tente de “réduire au
minimum la détresse des hommes et des entreprises engendrées par l’expo-
sition aux facteurs de stress” (97).
La suppression des nuisances sur les lieux de travail ou la protection des hom-
mes face à ces dangers fait partie de la prévention. Mais comme tous les agents
stressants ne peuvent pas être supprimés, l’entraînement des travailleurs à des
méthodes d’ajustement efficaces leur permettant de mieux réagir face aux
agents stressants peut être bénéfique dans la réduction du niveau de stress. (95) Ibid.
L’idéal est cependant d’agir sur les causes. Dans ce sens, les actions entreprises (96) Ibid.
visent à favoriser l’adéquation individu et environnement. (97) Ibid.
49
ILLUSTRATION 1: PREVENTION DU STRESS POST-TRAUMATIQUE
Action menée par le Cites prévert, Centre d’informations, de théra-
peutique et d’étude sur le stress, dans le cadre de la prévention du
stress post-traumatique en milieu professionnel à risques.
Prévention secondaire
La prévention secondaire consiste essentiellement à détecter et à maîtriser
rapidement le stress éprouvé en augmentant la prise de conscience et, en amé-
liorant les aptitudes de l’individu à gérer le stress.
Dans le cas de la prévention d’un stress aigu, la gestion du moment critique de
l’accident va se faire lors d’un “defusing” ou d’un “debriefing”. Lors du “defu-
sing”, les personnes référentes formées par le Cites Prévert (ou l’équipe, elle-
même du Cites prévert),interviennent dans les premières heures auprès de la
personne ou du groupe de personnes afin d’apporter un soutien, de faciliter les
démarches administratives et de permettre le désamorçage des réactions de
stress aigu. Le “debriefing”, quant à lui, s’effectue dans les 72 heures après l’ac-
cident afin de permettre à la (ou les) personne(s) de témoigner de leur vécu et
de les informer des signes et symptômes possibles après un incident. Cette
50
intervention a pour objectif de prévenir les conséquences de l’incident critique.
Un suivi post-critique est également proposé durant les semaines qui suivent
l’accident ou l’incident critique. Le but étant d’amortir les troubles “normaux”
consécutifs à la situation de stress aigu afin de minimiser le risque de chronifi-
cation et l’installation d’un stress post-traumatique.
51
lyse peut en effet faire ressortir que la solution à un problème lié à une situa-
tion de travail particulière provient d’un autre poste de travail ou de l’orga-
nisation d’un service ou même de la politique de formation d’une entrepri-
se”;
• Le but de l’intervention: il s’agit d’analyser les situations de travail qui posent
problème avec l’intention de les transformer. Il est important que le milieu
s’approprie la démarche ainsi, le pôle “organisation du travail” est touché;
• Le déroulement temporel: la plupart des interventions en entreprise sont
“discrètes” plutôt que continues car la présence dans l’entreprise est un
temps fort dans l’implantation de la démarche. Selon ce que l’entreprise fait
de l’approche proposée, on peut observer ou non une continuité après l’in-
tervention;
• L’implication des acteurs peut varier selon la constitution des groupes: on
peut imaginer des groupes constitués de certains travailleurs du poste ou du
service étudié (“participation directe partielle”). Un autre groupe, par exem-
ple celui du comité de pilotage, va être constitué des représentants de la
direction, des syndicats, etc. et des représentants de différents services (ingé-
nierie, entretien, ressources humaines, etc.). On parlera ici de “participation
représentative”;
• Le couplage: on parlera de “couplage direct” pour signifier que les idées des
participants influencent fortement la démarche comme dans le cas où des
travailleurs reconçoivent eux-mêmes une situation de travail. Toutefois, les
52
membres du groupe doivent en débattre et obtenir une autorisation pour
que les propositions retenues soient mises en application. Le “couplage à dis-
tance” traduit plutôt le fait que les travailleurs sont consultés mais que leurs
idées sont ensuite filtrées;
• Le type de participation: la participation doit être volontaire, même s’il est
vrai qu’il est peut-être difficile d’en être assuré pour les cadres. L’atteinte des
objectifs suppose une certaine mobilisation des acteurs au sein de l’entrepri-
se, laquelle s’obtient essentiellement par la mise en place de structures d’in-
tervention et par des modes d’interactions avec les travailleurs de l’entrepri-
se.
Comme nous l’avons déjà cité plus haut, on peut distinguer deux structures
engagées dans l’intervention. Premièrement, un groupe qui a pour fonction de
piloter l’intervention et deuxièmement, un ou plusieurs groupes qui ont pour
mandat de participer à l’analyse des situations de travail et à l’implantation de
transformations.
Le groupe de travail
Les groupes de travail peuvent être constitués de manière à regrouper des com-
pétences différentes et complémentaires (membres de la production tels que
travailleurs ou superviseurs; des services techniques tels que les techniciens ou
les ingénieurs; du service de santé et de sécurité au travail). La composition hété-
rogène des groupes permet une synergie dans l’action mais soulève parfois éga-
lement des difficultés.
Le nombre de participants varient (sans cependant dépasser une douzaine) et la
composition du groupe n’est pas nécessairement paritaire.
Ils sont sensibilisés aux problématiques psychosociales et font l’apprentissage de
l’analyse de l’activité de travail, de la recherche et de l’implantation de solutions.
Le comité de pilotage
Ce groupe joue un rôle d’interface entre les intervenants, les groupes de travail
et la direction. Il est composé des acteurs clés de l’entreprise : représentants de
la direction, représentants des travailleurs, représentants des participants au
groupe de travail et dans certains cas, représentants des services techniques ou
représentants des services de santé et sécurité.
C’est là que se négocient les libérations des personnes appelées à participer aux
groupes de travail ainsi que les sommes d’argent nécessaires à la réalisation des
changements. Le comité de pilotage joue également un rôle important pour ajus-
ter les interventions au contexte et également pour assurer la reconnaissance
du travail du ou des groupe(s) de travail.
Ils sont informés tout au long de l’intervention du déroulement des travaux par
un dépliant d’information, par l’intranet, par la transmission lors de réunions
régulières, etc.
Grâce à une démarche participative, les participants développent des connais-
sances (la formation donnée), sont impliqués activement dans les prises de déci-
sion, leur savoir-faire est reconnu et finalement, toute la démarche met l’accent
sur la communication entre les différents acteurs de l’entreprise. De plus, la
démarche participative peut concourir à accroître le sentiment de contrôle des
travailleurs.
53
ILLUSTRATION 2 : ACTION DE PRÉVENTION MENÉE
PAR UN INTERVENANT EXTERNE
“La gestion du stress dans une institution hospitalière X”
(action menée par le CITES Prévert)
Lorsqu’une loi sur le bien-être des travailleurs vient d’être créée, les représen-
tants du CPPT et la direction se retrouvent avec la nécessité de mener des
actions pour lesquelles ils ne sont pas outillés.
Planification de l’action
Il est indispensable de programmer l’action future et de réaliser un projet de
collaboration. L’intention est de rencontrer les différents partenaires et d’éva-
luer le retentissement de la réunion préliminaire, de définir les modalités de l’in-
tervention en tenant compte des disponibilités (intégration dans le mode de
fonctionnement de l’institution, le mode d’invitation, le nombre de participants,
le choix d’un espace, etc.), explorer les locaux, l’environnement matériel, l’amé-
nagement de l’espace et considérer les conditions de travail et enfin définir le
cadre global de la recherche (situation de l’hôpital, composition des équipes,
mode de fonctionnement, philosophie commune de travail, etc.)
Réalisation de l’action
Nous ne pouvons pas fournir un modèle type de réalisation de l’action dans la
mesure où celle-ci est déterminée par la spécificité et la nature de la demande
de l’entreprise où on est appelé à intervenir. Cependant certaines grandes lignes
peuvent être dégagées.
54
La mise en place de “groupes” (appelés “groupes Prévert”)
Ces ateliers sont le lieu d’une sensibilisation plus approfondie aux probléma-
tiques du stress. A l’intérieur de cet espace, des travailleurs se regroupent en
tenant compte de la réalité fonctionnelle de leur entreprise (différents niveaux
hiérarchiques représentés). Ces groupes sont basés sur la relation et ont pour
objectif la gestion du stress au travail. Ils sont constitués de ± 12 participants.
Ils constituent le creuset de changements internes susceptibles d’être repro-
duits à plus grande échelle dans l’entreprise.
A côté des exposés théoriques interactifs viennent se greffer d’autres tech-
niques dont notamment:
• Le jeu “D Stress” qui permet la consolidation sur un mode ludique et actif
des connaissances sur le stress;
• Le jeu de rôle qui constitue une méthode active d’exploration du vécu de
l’individu. Lors des jeux de rôle, l’intervenant suscite l’observation de cha-
cun et l’exposé des vécus en provocant le raisonnement sur le plan inter-
personnel et organisationnel;
• Le sculpting qui permet la mise en évidence de certaines interactions (ou du
moins l’idée que peut en avoir le “sculpteur”). Cette technique permet aussi
d’obtenir une série d’instantanés sur le langage analogique et non-verbal de
situations du système professionnel;
• La métaphore permet de représenter le rôle et les fonctions de chacun dans
le groupe ou dans l’organisation de façon inhabituelle, voire poétique. Elle
favorise une redéfinition du problème, elle permet de représenter ou dra-
matiser une dynamique relationnelle, elle explicite le fonctionnement du sys-
tème. Ainsi se précise progressivement l’élaboration d’un contenu nouveau
qui permet de mieux définir la réalité du groupe;
• L’organigramme fournit un canevas précis, sous forme graphique, pour dis-
cuter de toute la gamme des expériences. L’entretien pour établir l’organi-
gramme porte l’attention du groupe sur l’ensemble du système de l’entre-
prise;
• Les techniques corporelles (relaxation, auto-massage, respiration, etc.) per-
mettent d’aborder le corps, réceptacle des tensions et des émotions expri-
mées dans le groupe comme pouvant être une des conséquences du stress
au travail. La relaxation permet à chaque participant de prendre conscience
de ses tensions, de mettre en place la technique adéquate pour lui et d’es-
sayer de l’appliquer au sein même de l’entreprise.
Ces différents outils sont utilisés de façon variable, en fonction de la sensibilité
du groupe en formation. Quelles que soient les techniques développées, l’ob-
jectif consiste d’une manière générale à limiter les risques de production de
stress et à potentialiser les ressources aux différents niveaux professionnel,
interpersonnel, organisationnel et personnel.
Concrètement, pour en revenir à l’exemple de l’intervention menée au sein de
cet hôpital X, la formation proposée a concerné l’ensemble du personnel de
l’hôpital et la participation s’est faite sur base volontaire, en partant de la moti-
vation et de l’intérêt de chacun pour la problématique du stress. Comme la for-
mation doit concerner l’ensemble du personnel, différentes catégories profes-
sionnelles doivent être représentées (tous services confondus, un représentant
par service) : nettoyage, infirmière en salle, infirmière urgentiste, aide-soignan-
te, personnel administratif, logistique, paramédical, représentants de la policli-
nique, médecin. L’intervention va se faire en collectivité.
Deux groupes de formations sont ainsi planifiés de chacun 15 participants. La
mise en place du calendrier prévoit 6 séances de formation de 6 heures chacu-
ne. Celles-ci auront lieu tous les 15 jours. Le commencement de la formation
pour le second groupe débutant deux mois et demi après la dernière séance du
55
premier groupe. Il est ajouté une demi-journée pour les deux groupes afin de
les solidariser et de faire la jonction finale entre les deux groupes. La moyenne
globale de participation des deux groupes aux 6 séances programmées est de
84% de présence. En dehors des “malades” ou “en congé”, certains ont été dans
l’impossibilité de venir à cause de la surcharge de travail pour les collègues ou
de la non-collaboration du chef de service : “débrouille-toi pour te faire rem-
placer !”.
Analyse de risques
EXIGENCES RESSOURCES
Rentabilité Moyens
Pression Temps
Complexification Espace
des taches
Manque de personnel
Au niveau personnel
Les sources de stress sont perçues de manière différente selon la personnalité
du travailleur. Certaines personnalités (manque de confiance en soi, perfection-
nisme, etc.) sont plus vulnérables au stress. Certains travailleurs sont doulou-
reusement conscients de ne pas avoir les moyens d’offrir les soins ou l’accueil
qui correspond à leur idéal professionnel.
Les participants des groupes organisés relèvent de personnalités “préjudicia-
bles” qui ont tendance à induire le stress ou à l’exacerber. Ils peuvent devenir
des “agents stresseurs”. Il s’agit donc d’éviter de les renforcer en ce sens.
Les rapports familiaux sont également pour certains source de stress supplé-
mentaire dans la mesure où des conflits naissent à cause des conditions de tra-
vail éprouvantes (notamment l’imprévisibilité des horaires).
Au niveau interpersonnel
Le niveau interpersonnel comporte le plus de risques de situations de stress
mais également devient le niveau le plus porteur pour la prévention en matiè-
re de stress.
57
s Risque entre travailleurs de statuts différents
Les participants ressentent un manque de concertation avec la hiérarchie (prise
de décision parfois en dépit du bon sens sans consulter les gens de terrain). Les
remontrances ou remarques peuvent être mal vécues. Des menaces de préavis
engendrent des tensions renforcées par le sentiment d’insécurité d’emploi.
Certains parlent de harcèlement et de culpabilisation comme “modes de com-
munication” entraînant des relations peu positives et un climat général de ten-
sion et d’agressivité. Certains problèmes sont évoqués en rapport avec le pou-
voir sur les autres: des décisions sont perçues comme arbitraires, injustes
(“deux poids, deux mesures”).
Le stress est répercuté en cascade d’une personne à l’autre vers le bas.
Certaines attitudes entraînent à la longue des sentiments de dévalorisation et
une démotivation du personnel: exigence de la perfection, manque de recon-
naissance de l’investissement au travail, manque de valorisation du positif (“dire
aussi quand ça va bien, pas seulement le négatif”), impression d’être “taillable et
corvéable à merci”.
Au niveau de la tâche
En dehors de la complexification globale des professions, il y a de plus en plus
de tâches à honorer correctement dans un temps limité. La difficulté peut
consister à hiérarchiser des priorités.
Certaines tâches sont délicates, il existe un danger inhérent au travail avec des
personnes humaines; l’assumer seul comme par exemple les infirmières seules
58
la nuit constituent un véritable problème à résoudre. Un service peut faciliter
ou rendre plus difficile la tâche des autres.
59
La gestion du temps
La charge de travail a globalement augmenté, le “timing” est des plus serré, les
patients étant plus nombreux, il n’y a plus autant de temps pour bien s’en occu-
per. Les priorités peuvent être différentes pour chaque service: ainsi, aux
“urgences”, le stress n’est pas, comme dans les autres services, une question du
nombre de patients mais la gravité de l’urgence. D’autre part, rien n’est pro-
grammé. La perception du temps n’étant pas la même d’un secteur à l’autre:
certains ont des échéances à respecter (exemple: tarification de la bonne mar-
che financière de l’hôpital). Les services ne sont pas toujours conscients des
impératifs inhérents aux autres et peuvent amplifier le stress (exemple: labora-
toire et urgences).
L’environnement
Le nombre de patients, de médecins, d’instruments techniques ayant augmenté,
malgré une extension des locaux, la surface est exiguë.
Certains bureaux sont petits et très encombrés (services administratifs). Il
n’existe pas toujours de local où se retirer (impression de n’être jamais tran-
quille) ni de lieux de rencontre entre services ou d’espace où s’expliquer.
“L’espace manque ! Une grande proximité engendre des problèmes de cohabi-
tation et de stress”.
60
Fonctions et responsabilités
Les rôles pourraient être mieux définis. Chacun saurait: où est sa place, qui déci-
de, qui fait quoi et pourrait mieux assumer ses propres responsabilités. Par
ailleurs, au sein d’un cadre mieux défini, les travailleurs prônent une plus gran-
de autonomie pour exprimer sa créativité et exploiter davantage les potentia-
lités de chacun dans la résolution de certains problèmes (concertation plus
importante à partir de données de terrain utiles).
Moyens
En hospitalisation, le petit matériel manque pour réaliser “une économie de
bout de chandelle”. Cela provoque beaucoup de stress: il faut savoir courir à
gauche à droite pour trouver le matériel (perroquet…). Avec peu d’investisse-
ment, une remédiation est possible.
Surcharge
Stress
Communication - Ambiance
Dépression - Burnout
Découragement
Démotivation
Absentéisme
Départ du
personnel
61
Ils estiment nécessaire une supervision après six mois de fonctionnement afin
de réajuster s’il y a lieu, le bon emploi des outils et les objectifs poursuivis. Ce
groupe rencontrerait le CPPT afin d’exposer le fruit de sa réflexion. Ce grou-
pe pourrait continuer le processus de réflexion entamé et trouver des straté-
gies face aux situations problèmes suivantes: la sécurité et le problème des vigi-
les, le problème de l’infirmière de nuit, le manque d’espace et de temps pour la
facturation, que prévoir pour le stress-post-traumatique du personnel, l’agressi-
vité de certains patients, les problèmes liés à l’informatique.
Un autre projet qui tient également les participants à cœur est la rédaction
d’une charte reprenant des recommandations concrètes visant à améliorer la
communication et la solidarité. Les participants souhaitent la diffuser par l’in-
termédiaire des fiches de salaire. Des affiches pourraient reprendre les thèmes
clés sous forme d’une campagne de sensibilisation. D’autre part, ils souhaite-
raient répercuter à l’ensemble de l’hôpital certaines conclusions de la formation
et informer le personnel par l’intermédiaire du journal syndical de la liste des
personnes relais en matière de stress. Ils suggèrent aussi une information pour
les responsables. Ils représentent en effet des personnes-ressources car ils
occupent une position privilégiée en matière d’amortissement du stress.
La demande s’oriente aussi vers un espace de parole et de détente au sein du
milieu de travail. Cela permettrait d’amortir le stress au niveau individuel et
constituerait une véritable avancée dans le souci de l’institution de promouvoir
le bien-être au travail. Il s’agirait d’un lieu aménagé où les personnes pourraient
venir se relaxer ou parler ensemble ou simplement écouter de la musique. En
effet, de nombreuses études démontrent combien le support social est suscep-
tible de réduire l’impact des événements stressants et est considéré comme
facteur de protection face au stress.
En résumé…
Dès sa conception, le Cites prévert a voulu situer son action entre santé et mal-
adie.Toute la difficulté est d’appréhender les situations de stress vécues par les
travailleurs avant la survenue de maladies (insomnie, maux de dos, ulcères gas-
triques…), de troubles psychiques (dépression, phobies, recours aux médica-
ments, abus d’alcool…) ou encore de troubles relationnels ou organisationnels.
L’identification des circuits de stress est un préalable à toute action de préven-
tion et de prise en charge du problème.
Nous insistons sur le fait que le milieu du travail, par la contrainte qu’il consti-
tue, représente déjà une source de stress. La contrainte spécifique à la nature
de la tâche, ainsi que celle liée aux relations interpersonnelles, en constituent
une source supplémentaire. Par ailleurs, il n’est pas possible d’identifier des
modèles de stress professionnel spécifique, et les réactions de stress varient en
fonction de l’individu, de son histoire singulière et de sa relation à son activité.
L’intervention d’un tiers, extérieur à l’entreprise, permet de faire évoluer la rela-
tion entre le sujet et son travail. Elle offre une alternative au système de com-
munication en cours et permet d’adopter de nouvelles “règles du jeu”.
Des techniques d’évaluation du stress, des programmes d’information et de for-
mation, des stratégies thérapeutiques centrées sur l’individu et sur le groupe de
travailleurs sont les moyens mis en place par le Cites prévert pour atteindre les
objectifs qu’il s’est fixé.
Les options méthodologiques de l’intervention s’accordent avec la conception
de la recherche-action avancée par Susman et Evered. En effet, la méthode ci-
dessus “se présente comme un ensemble de phases organisées en un processus
cyclique ou spirale”.
62
La figure ci-jointe reproduit la représentation du processus cyclique de la
recherche-action qui s’inscrit dans un processus circulaire en 5 phases: le dia-
gnostic, la planification de l’action, la réalisation de l’action, l’évaluation, la défi-
nition de connaissances nouvelles. Certaines de ces phases sont plus près du
pôle “recherche”, d’autres du pôle “action”. La méthode se présente comme un
processus récursif en 5 étapes c’est-à-dire que le processus peut être répété de
façon indéfinie.
Le diagnostic
Identification ou
définition du problème
Développement
de l’infrastructure
d’un système-client
63
ILLUSTRATION 3 : “PRÉVENTION DU STRESS :
L’EXPÉRIENCE D’UNE ENTREPRISE BELGE”
Action de prévention menée par un conseiller en
prévention interne à l’entreprise.
Cette expérience fait suite à la loi belge du bien-être au travail. Elle est mise en
place par le service interne de prévention et de protection du travail (SIPPT).
Le conseiller en prévention étant en quelque sorte le consultant interne. Les
objectifs de cette expérience sont donc d’améliorer le bien-être et la satisfac-
tion et de diminuer et prévenir le stress des collaborateurs.
Selon la loi du bien-être, les actions en faveur du bien-être doivent se situer à
différents niveaux: sécurité, hygiène de travail, ergonomie, charge psychosociale,
protection de la santé, environnement, embellissement des lieux de travail et
également la lutte contre la violence, le harcèlement moral et sexuel. La tech-
nique, l’organisation du travail, les conditions de vie au travail, les relations socia-
les et les facteurs ambiants du travail sont intégrés dans la planification de la
prévention et l’exécution de la politique de prévention mise en place.
L’action va se faire sur les causes organisationnelles, c’est-à-dire les facteurs qui
dépendent de la structure de l’organisation, et du fonctionnement même de
l’entreprise, du département et de l’équipe. Il est question d’analyser les causes
du stress internes à l’entreprise et non les causes à un niveau individuel ou
sociétal.
Le service interne de prévention et protection au travail (constitué de
conseillers en prévention et de médecins du travail) et le(s) comité(s) de pré-
vention et protection au travail (constitué(s) des représentants de l’employeur
et des représentants du personnel) ont un rôle de conseil auprès des acteurs
privilégiés de l’entreprise qui sont l’employeur, la ligne hiérarchique et le per-
sonnel. La méthode participative est retenue.
Le système d’analyse qui est mis en place se base sur le “système dynamique de
gestion des risques”.
Elaboration de la politique
Evaluation Programmation
(critères) Système dynamique Méthodes,
+ de gestion des risques moyens,
Pistes obligations
Mise en oeuvre
64
stress, d’analyser la charge de travail et l’organisation de travail, les conséquen-
ces de ces facteurs sur le bien-être et enfin, de mettre en place des mesures
d’amélioration du bien-être au travail. Elle s’effectue d’une part à l’aide de ques-
tionnaires et d’autre part sur base d’interviews de groupe. Cette entreprise se
divisant en plusieurs secteurs d’activité ou business line avec contexte de tra-
vail spécifique et éventuellement source propre de stress, un plan d’action est
ainsi proposé par business line.
Idéalement ce plan d’action comprend deux axes: un axe transversal (actions à
travers les différents métiers) et un axe vertical (à l’intérieur de chaque busi-
ness line). Chacune des business line a remis un (des) projet(s) de changement
pour remédier et prévenir le stress dans leur terrain spécifique: formation à la
communication afin d’être mieux armé à gérer le stress occasionné par les rela-
tions à la clientèle devenues plus difficiles, facilitation du travail de chacun par
différentes actions sur base d’une résolution de problème, diminution des notes
de service, information, etc.
DIRECTION
Groupe
Réflexion Equipe du projet de réflexion
paritaire
66
Rôle de l’équipe de coordination
Son rôle est de coordonner les projets des équipes de terrain, de proposer des
actions transversales, d’informer la hiérarchie, de suivre la réalisation globale du
projet de changement, de diffuser des bonnes pratiques, d’apporter un soutien,
une assistance, des outils.
Dans cette équipe, le conseiller en prévention, aidé par des collègues des res-
sources humaines, va “coacher”, c’est-à-dire accompagner les chefs des diffé-
rentes business line dans l’élaboration et la réalisation des projets. Par leur
écoute et leurs questions, ils tentent d’augmenter la qualité des projets.
• Nul ne sait mieux que le personnel de la business line, quelle est la com-
plexité de la situation qu’il vit en tant que responsable du terrain. Il est très
compétent au niveau de sa spécialité (production, comptabilité…) et a l’au-
torité pour faire avancer le projet dans le métier. Par contre, pour l’aider à
ce que ses projets soient bien des projets d’amélioration du bien-être
psychosocial et répondent aux besoins des collaborateurs en ce sens, l’é-
quipe de conseillers en prévention, aidée par l’équipe de coordination, peut
jouer un rôle.
• Idéalement, le conseiller en prévention est catalyseur des différents groupes
d’acteurs de l’entreprise au niveau du bien-être. Il va aider à l’échange d’in-
formation, à partager une politique commune, il coordonne les différentes
actions, rappelle l’importance et stimule la réalisation des actions.
67
Rôle de l’équipe de terrain
Coordonner des actions au sein du secteur et entretenir des contacts avec l’é-
quipe de coordination du projet. L’équipe de terrain, idéalement est composée
d’un responsable qui est écouté et a un poids hiérarchique pour faire avancer
les choses. L’équipe de terrain coordonne les différentes actions comme un ges-
tionnaire de personnel qui apporte sa vision de consultant interne en ressour-
ces humaines.
68
Il ne faut bien entendu pas s’arrêter en si bon chemin. Il est question mainte-
nant de passer de cette phase de connaissance, où l’accent est mis sur le savoir,
à une phase d’action, où l’accent sera mis sur la démarche, sur la stratégie, la
communication et la réalisation des projets.
Outils ayant permis l’analyse de terrain et la mise au point de plans d’action
concrets
Deux types d’outils psychosociaux ont été utilisés: des “workshops” et un
“mode d’emploi”, un guide, pour le plan d’action. Les différentes sessions de
workshops ont permis d’informer, d’aider et d’outiller les responsables de sec-
teur. Le mode d’emploi, quant à lui, reprenait le modèle causal (les causes prio-
ritaires identifiées) détaillé et un questionnaire aidant à l’analyse de la situation
de chacun des départements, services ou équipes dans les business line (causes
de stress, causes d’insatisfaction et de satisfaction, éléments de motivation,
recherche de solutions, etc.).
Modifier le fonctionnement
Dans un second temps, avec en tête les causes générant le stress sur lesquelles
il faut agir en priorité, il va être question de définir l’action, d’analyser et de
rechercher des solutions sur le terrain. C’est au contact des différents chefs des
business line que vont être définies les actions à mener. Les causes de stress
peuvent être intrinsèques à la tâche, en lien avec le développement de la car-
rière, avec les relations dans le travail, avec le climat et la structure de l’organi-
sation, avec le rôle dans l’organisation. L’équipe de coordination avec le
conseiller en prévention interne va aider à trouver les outils adéquats et la
façon de mettre en application les actions de changement souhaitées. Le
conseiller en prévention va soutenir, coordonner les actions menées.
Pour espérer un changement, il est indispensable de sensibiliser à la probléma-
tique du stress les gestionnaires du personnel, les délégués syndicaux, la hiérar-
chie, les délégués des ressources humaines.
Enfin, une évaluation du résultat et du processus mis en place est nécessaire. Il
ne faut pas omettre de donner une visibilité maximale à toute l’entreprise des
actions effectuées (par exemple, par le biais du journal d’entreprise, par une
rubrique au sein de l’intranet, etc.).
PRIORITES
• La définition et la hiérarchisation des priorités.
69
SOLUTIONS
• Suite aux priorités, il s’agit de rechercher de manière créative les solutions
qui peuvent amener à l’amélioration souhaitée.
PLANIFICATION
• La conception du plan d’actions: dénomination, définition des résultats à
atteindre, étapes, timing (début et fin), moyens et budget(s), responsable(s),
autres secteurs concernés, dispositif d’évaluation, plan de communication et
plan de participation.
REALISATION
• Les actions sont mises en place. Petit à petit, les réalisations se concrétisent.
L’EVALUATION
• L’évaluation se fait, en cours et/ou en fin de projet, sur base de sa pertinen-
ce, de sa faisabilité, de son impact, de son ambition, de ses effets dans le
temps, de sa forme (participative, top-down, bottom-up);
• La relance de nouvelles pistes.
70
Un changement personnalisé est favorisé par un climat de liberté, par une infor-
mation adéquate, par une participation active et par la possibilité donnée à cha-
cun de donner son avis et de décider.
L’expertise:
Le conseiller en prévention interne a une vision et des actions plus en profon-
deur et développe son expertise dans l’organisation qui l’emploie. Il est spécia-
liste de ce fait dans un seul type d’entreprise.
Le conseiller en prévention externe est davantage généraliste, il intervient dans
des milieux et des problématiques diversifiés qui lui procurent une grande poly-
valence. Il a une vision et des actions plus en largeur.
La demande et le mandat:
• Le conseiller en prévention interne doit avoir reçu un mandat de son
employeur et l’accord du CPPT. Dans ces actions, il ne répond pas néces-
sairement à une demande définie, bien souvent, il suscite le besoin. Son man-
dat n’est pas toujours très bien compris par les intervenants;
• Le conseiller en prévention externe intervient toujours suite à la demande.
Il peut analyser celle-ci et éventuellement la refuser.
Enfin…
Il est important de rappeler qu’il n’est pas différent de gérer le stress que de
gérer autre chose. C’est de la résolution de problèmes avec la mise en place
d’un plan d’action. L’accent doit être mis sur la participation, sur une participa-
tion apprenante.
71
Les points suivants favorisent le succès des interventions collectives contre le
stress (101):
• La détermination des objectifs, des tâches, des responsabilités, du planning
et des moyens financiers;
• L’analyse de ce qui motive le dirigeant d’une entreprise à se lancer dans la
prévention du stress au travail;
• L’implication de toute la hiérarchie et de tous les travailleurs;
• Le soutien permanent du top management;
• La définition d’un plan de communication;
• L’analyse des risques et un diagnostic pertinent;
• La mise sur pied de techniques d’intervention en adéquation avec les pro-
blèmes identifiés dans l’analyse du risque;
• L’évaluation des résultats.
72
5. Le changement
organisationnel
De tout temps, les hommes ont été confrontés à des changements tant
individuels, interindividuels que sociaux. En effet, ces changements tou-
chent autant les conditions sociales, économiques et politiques de notre
société qu’à nos groupes particuliers d’appartenance et à notre expé-
rience individuelle. Ainsi certains auteurs (102) considèrent que les
entreprises sont vouées à connaître des changements organisationnels
importants et à les intégrer afin de rester compétitives, de suivre et de
s’adapter aux changements spécifiques de leur environnement. Par
conséquent, les individus composant ces organisations doivent eux aussi
apprendre à faire face à ces multiples changements (implantation de
nouvelles technologies, restructuration…).
Dès lors, au sein de cette partie, nous allons tenter de comprendre la
nature d’un changement organisationnel, la raison de ce changement, le
déroulement et les étapes d’un changement organisationnel et la façon
dont ce type de changement est vécu et l’émergence de résistance.
73
De plus, Côté, Bélanger et Jacques définissent le changement comme “le passage
d’un état actuel à un état désiré, d’une situation originelle actuelle, jugée inadé-
quate, à une autre considérée comme étant plus adaptée, qui répond mieux aux
exigences du milieu ou aux nouvelles aspirations des personnes concernées”. Ce
passage implique donc une rupture avec un équilibre existant. Dans cette per-
spective, le changement est considéré comme une évolution, comme un inter-
médiaire permettant l’atteinte d’un état meilleur ou d’une situation dési-
rée (104).
S’il apparaît que le changement est un passage d’un état d’équilibre à un autre,
nous pouvons supposer que les individus en situation de changement doivent à
un moment donné affronter une situation de déséquilibre, d’instabilité.
En outre,Watzlawick,Weakland et Fisch (105) avancent que le changement et la
permanence, généralement opposées, sont en réalité complémentaires. Il existe
selon eux deux types de changement: le changement de type 1 et le changement
de type 2. Les changements 1 font que “plus cela change, plus c’est la même
chose” et les changements 2 modifient la situation, c’est-à-dire le système. Nous
pouvons plus simplement parler de changements qui ne font que perpétuer une
situation et d’autres qui la modifient.
Ainsi, nous pouvons d’une part analyser les modifications des composantes du
système, voire le changement de l’intérieur du système. Et d’autre part, nous
pouvons analyser le changement du système même en prenant une position
extérieure.
De ces définitions, nous pouvons retenir que le changement est une modification
d’un état d’équilibre à une nouvelle situation par le passage à un état de dés-
équilibre. Le changement peut également être analysé à deux niveaux: l’évolution
du système ou les modifications au sein du système.
74
5.2 Quelle est l’origine du changement
organisationnel?
5.2.1 Apport de l’approche systémique
L’approche systémique définit un système comme “un ensemble d’éléments qui
interagissent et qui forment un tout organisé”. Elle se développe autour de la
notion de dynamisme (développement, individus acteurs et changements d’état),
des interactions complexes et réciproques entre individus et environnement, du
concept de temps, de processus et de la notion de contexte, de plus en plus lar-
ges et généraux.
A partir de ces notions, nous pouvons définir une organisation comme un sys-
tème car elle se compose de plusieurs éléments en interactions. Elle fait elle-
même partie d’un système plus large qui correspond à son environnement, à la
société dans laquelle l’organisation évolue et se développe. Tout comme l’orga-
nisation influence et est influencée par les individus qui la composent, elle inter-
agit avec son milieu, elle agit et réagit en fonction des changements et modifica-
tions de son environnement politique, social, économique et/ou technologique.
Pour comprendre un système, il faut tenir compte de son environnement. Ce
dernier est dynamique, il se modifie sans cesse et les liens entre le système et
son milieu évoluent.
Différents comportements sont alors possibles face à une modification de l’en-
vironnement (109):
• La réaction c’est-à-dire l’adaptation à posteriori aux nouvelles exigences du
contexte;
• L’inaction correspondant à l’obstruction active ou passive par rapport à un
changement externe;
• L’interaction qui se caractérise par un comportement tourné vers l’avenir à
partir du passé.
Il faut donc tenir compte des structures de l’ensemble, des individus, du tout et
de son environnement. Le système (l’entreprise ou plus généralement, l’organi-
sation) a plusieurs possibilités d’action face à un changement de son milieu.
Jusqu’à présent, nous avons réfléchi aux raisons d’un changement organisation-
nel par rapport à son environnement. Toutefois, certains auteurs s’intéressent
aussi aux raisons d’organiser et de réorganiser, aux facteurs internes et externes
du changement organisationnel.
75
Cependant, les auteurs reconnaissent que ce schéma ne suffit pas à expliquer la
complexité de la vie d’une organisation puisque l’entreprise, l’institution, l’asso-
ciation… ne vit pas hors du temps, elle interagit avec son environnement. Les
organisations doivent donc affronter des contraintes internes et externes, des
changements influençant le processus organisationnel et modifier leurs structu-
res au fur et à mesure de leur évolution.
Face aux modifications externes et aux contraintes internes, les entreprises ont
deux manières possibles de réagir (112):
• Soit l’organisation tente d’influencer son milieu, d’agir activement face à lui;
• Soit elle agit sur les facteurs internes et met en place les aménagements
nécessaires. Loin d’être un comportement passif, cette manière d’agir est une
adaptation active de “l’intérieur” du système, afin qu’il puisse continuer à sub-
sister.
Ces manières d’agir ne sont pas exclusives. Rien n’empêche les organisations d’a-
gir à la fois vers l’extérieur et vers l’intérieur. Selon Probst et al. (113) “la réor-
ganisation devient un outil de modelage du cadre de référence en fonction de ce
vers quoi l’on tend” et que “le choix d’un changement organisationnel dépend
alors de la volonté et de la capacité de l’entreprise, d’une part d’épouser les évo-
lutions de son milieu ou de ses composantes (…), et d’autre part à tenter de les
adapter à ses politiques”.
Les auteurs citent comme principaux facteurs internes et externes de réorgani-
sation: la technologie, la stratégie, les pouvoirs et enfin, la configuration de l’or-
ganisation.
Pour comprendre les circonstances d’un changement organisationnel, nous
citons quelques raisons d’une réorganisation énoncées par les auteurs. Ainsi et
de manière non exhaustive, une organisation peut être amenée à se réorganiser
notamment:
• Si elle doit adapter ses structures aux évolutions technologiques externes ou
si elle doit préparer ses structures pour utiliser ses propres découvertes
technologiques;
• S’il lui faut adapter ses structures à des stratégies fondamentalement diffé-
rentes, influencées par les valeurs de société ou si elle doit se doter de struc-
tures flexibles adaptables à de futures et probables modifications straté-
giques;
• Si les valeurs du monde l’y conduisent ou si elle cherche à modifier sa culture;
• Si elle doit adapter son fonctionnement aux forces et aux pouvoirs en place
afin de leur donner des moyens pour développer les projets ou si l’environ-
nement semble désapprouver activement les styles de pouvoirs qui la cons-
tituent;
• Si la configuration est inadaptée à l’organisation générale ou si l’environne-
ment nécessite une certaine configuration spécifique (bureaucratisation, flexi-
bilité…). La configuration d’une entreprise correspond à l’ensemble des
règles, des caractéristiques et des ressources organisées qui s’expriment par
les activités des acteurs de l’entreprise;
• En lien avec l’approche systémique, si l’un ou plusieurs de ses facteurs orga-
nisationnels ne répondent plus aux exigences de l’environnement, si on sou-
haite influencer l’environnement en modifiant l’ordre interne d’un ou plu-
sieurs de ces facteurs, si les échanges d’information entre l’entreprise et son
environnement laissent prévoir un manque futur d’adéquation entre son
fonctionnement et ses buts.
Nous reconnaissons, comme les auteurs, le caractère arbitraire de cette seg-
mentation mais il est important de comprendre les mécanismes sous-tendant
une réorganisation c’est-à-dire le jeu entre les influences du milieu et les actions
(112) Ibid. des facteurs internes correspondants.
(113) Ibid.
76
Buchanan et Huczynski (114) voient, quant à eux, le changement comme un
impératif stratégique. Les organisations qui ne sont pas capables de mettre en
place les changements stratégiques appropriés ou qui ne sont pas capables de
s’ajuster rapidement auront des difficultés à survivre. Ils ont répertorié de
manière non exhaustive les facteurs internes et externes pouvant amener des
changements organisationnels.
77
priorités et ensuite, réaliser le plan d’action. A cette étape, il peut être mis
en place, dans les organisations, un projet pilote afin de diminuer les risques
d’échec et d’assurer une meilleure diffusion des nouvelles attitudes et com-
portements;
• La dernière phase est celle de la stabilisation des attitudes, valeurs et com-
portements nouvellement adoptés. Un nouvel équilibre s’installe alors de
manière provisoire. Il faut veiller au maintien des conditions de travail phy-
siques, financières et humaines qui doivent renforcer le changement mis en
place.
Ces trois phases du changement organisationnel concernent les acteurs du chan-
gement et peut-être davantage les décideurs que les autres acteurs de l’organi-
sation.
Le point suivant étudie le vécu des travailleurs face à un changement organisa-
tionnel. Ce vécu diffère d’une personne à l’autre, du niveau de changement, de la
stratégie adoptée…
78
pes mises en évidence semblent aider à comprendre d’une part le vécu d’un
changement organisationnel et d’autre part, les éléments importants lors de la
mise en place d’un changement.
Buchanan et Huczynski (118) s’appuient sur la théorie du cycle de réponse de
Kubler-Ross (119). Ce cycle de réponses pourrait être utile pour comprendre
les réponses humaines au changement organisationnel pouvant être particuliè-
rement stressant pour les individus. Les cinq étapes du cycle de réponse de
Kubler-Ross sont les suivantes:
• Le déni (“mauvaise volonté” de confronter à la réalité);
• La colère (étape où l’individu retourne l’accusation sur les responsables appa-
rents);
• Le marchandage (l’individu essaye de négocier, de diminuer les pertes);
• La dépression (l’individu “apprécie” la réalité de la perte);
• L’acceptation (accepter la situation et ses multiples implications).
Cette “séquence universelle” cache des différences individuelles et certains sta-
des peuvent être omis ou “revisités”. Le changement peut être étudié à diffé-
rents niveaux: individuel, groupal, organisationnel, social et/ou global. Les change-
ments organisationnels influencent les conditions de travail, les identités et divi-
sions occupationnelles, le travail et l’expérience des employés et les relations
hiérarchiques. Les différents niveaux, à partir desquels les changements organi-
sationnels sont étudiés, sont intimement liés et cela rend difficile la distinction
entre les causes et les effets. Par conséquent, le changement est difficile à étudier
dans la mesure où il n’est pas simple de prendre du recul par rapport à un pro-
cessus dans lequel des personnes sont impliquées afin d’examiner la situation
objectivement.
Pèlerin (120) propose la séquence suivante quant au vécu de changements orga-
nisationnels du point de vue de l’individu:
• Le choc (prise de conscience suite à l’annonce du changement);
• La remise en question (l’individu réalise que le changement est inévitable);
• L’engagement (l’individu est disposé à adopter de nouveaux comportements);
• L’appropriation (la maîtrise du changement par la personne).
En outre, il est important de répondre aux besoins de l’individu en fonction de
l’étape à laquelle il se trouve.
Ces deux perspectives ne définissent pas des étapes identiques mais sont com-
plémentaires. La perspective de Pèlerin se rapproche sensiblement des trois éta-
pes du processus de changement. Dans les deux cas, la première étape cor-
respond à la prise de conscience du changement, suivie par une étape d’engage-
ment vers de nouveaux comportements pour arriver à accepter et approprié le
changement. L’approche de Buchanan et Huczynski apporte davantage d’élé-
ments sur les émotions ressenties par un individu face à un changement organi-
sationnel. Ces éléments paraissent importants car ils permettent de cibler ce
qu’il faut mettre en place lorsqu’une entreprise est amenée à se réorganiser.
(118) A. GRISARD, Etude psychologique de
la réforme des services de police. Impact d’un
changement organisationnel sur la qualité de
5.4.2 Les éléments importants lors de la mise en œuvre d’un vie. Mémoire de licence en psychologie non
changement organisationnel publié, Université de Liège, Liège, 2001.
A. La communication (119) Celle-ci explique que l'être humain
réagit à une perte ou à l'imminence de
Il ressort, des deux théories précédemment présentées, que la communication celle-ci en une série d'étapes, chacune
est un élément essentiel dans la mise en œuvre d’un changement organisation- caractérisée par une réponse émotionnel-
nel. le.
Ainsi des comportements clés pourraient être les suivants: (120) A. GRISARD, Etude psychologique de
la réforme des services de police. Impact d’un
• Présenter clairement le changement, sa nécessité, les appuis disponibles, le changement organisationnel sur la qualité de
plan prévu, ce qui change ou ne change pas; vie. Mémoire de licence en psychologie non
publié, Université de Liège, Liège 2001.
79
• Donner la même information à tout le monde, éviter de laisser se propager
les rumeurs, informer des avantages et des inconvénients du changement;
• Veiller à la mise en place de mécanismes de communication;
• Informer du déroulement du changement et finalement de sa réussite.
Le manque d’information peut entraîner des résistances au changement. La
transmission d’informations incomplètes ou incorrectes entraîne de l’incertitude
et des rumeurs empêchant la compréhension du changement organisationnel.
B. La confiance
Un autre élément important selon les deux approches précédentes est celui de
la confiance accordée et confirmée aux employés. Il est essentiel que les diri-
geants fassent confiance aux travailleurs, quant à leurs compétences, et qu’ils en
fassent part afin d’assurer le bon déroulement du changement organisationnel au
niveau des aspects humains.
C. Le contrôle et l’incertitude
Le changement organisationnel a un impact sur le sentiment de contrôle de la
situation et sur l’incertitude pouvant être ressentie par les individus.
Le climat d’incertitude et les trois dimensions associées (communication, senti-
ment d’injustice et “job insecurity”) apparaissent liés au stress et semblent avoir
un impact important sur celui-ci.
La communication est en fait la première dimension du climat d’incertitude
perçu par les travailleurs lors d’un changement organisationnel. En effet, plus les
travailleurs ont le sentiment de ne pas être informés par leur organisation des
événements futurs et plus ils se sentiront incertains de leur avenir au sein de l’or-
ganisation (121).
La seconde dimension mise en évidence par les équipes de la recherche
“Flexihealth” du climat d’incertitude correspond au sentiment d’être traité de
façon injuste durant la mise en œuvre du changement. Le sentiment d’injustice
semble contribuer au climat d’incertitude.
La troisième dimension du climat d’incertitude concerne le “job insecurity” ou
l’inquiétude quant à son avenir professionnel. La menace continue de perte de
son emploi est considérée comme la première cause de la détérioration du bien-
être psychologique sur le lieu de travail et rend compte de plusieurs maladies du
stress, comme les maladies cardiaques et les ulcères (122). De Witte (123)
confirme l’association entre l’inquiétude professionnelle et un plus faible bien-
être psychologique.
Le support social apparaît également comme une variable importante pour la
compréhension du vécu lors d’un changement organisationnel et du stress.
Rascel et al. (124) mentionnent différents types de soutien social: le soutien émo-
tionnel, le soutien d’estime, le soutien matériel ou financier et le soutien infor-
matif. Le soutien social peut provenir de plusieurs sources telles que les collè-
gues, les supérieurs ou les relations externes au travail. Ces auteurs précisent en
outre que le soutien social perçu prédit le mieux la qualité de vie ultérieure. Le
soutien social est aussi considéré comme une variable modératrice entre le
stress et la santé et joue ainsi un rôle tampon. Sous l’effet du stress, les sujets
ayant un faible soutien social perçu sont plus vulnérables. Les auteurs cités pré-
(121) Ibid. cédemment observent que les divers concepts cités dans cette partie du manuel
(122) Ibid.
sont associés au stress et dans certains cas, à la qualité de vie des travailleurs ou
du moins à leur bien-être psychologique.
(123) Ibid.
(124) Ibid.
80
Photo: Eric Audras
82
• L’intérêt: la perte de pouvoir, de respect, d’arrangements et avantages obte-
nus avec beaucoup de temps et d’efforts… peut entraîner des résistances au
changement;
• L’incompréhension et le manque de confiance: le manque d’informations et
de confiance des décideurs envers leurs employés peut engendrer des résis-
tances;
• Les évaluations contradictoires: les différences dans les perceptions du chan-
gement et l’organisation peuvent être sources de résistances, a fortiori si
elles s’accompagnent d’un manque d’informations;
• La faible tolérance pour le changement: l’anxiété et les appréhensions liées à
la difficulté de gérer l’incertitude générée par le changement peuvent amener
les individus à s’opposer à des changements potentiellement bénéfiques.
D’autre part, Dolan et Lamoureux (127) emploient le terme “force” pour dési-
gner les résistances et distinguent quatre types de résistance au changement:
• Les objections logiques et rationnelles: le temps requis pour s’adapter, l’effort
demandé pour un nouvel apprentissage, les coûts du changement…
• Les causes d’ordre psychologique et émotif: la peur de l’inconnu, le manque
de confiance dans les intervenants, la peur de la perte d’autonomie…
• Les facteurs d’ordre sociologique: les oppositions aux valeurs du groupe, le
désir de conserver ses relations interpersonnelles, la perte de pouvoir pour
les syndicats…
• Les facteurs d’ordre structurel et conjoncturel: les conditions de travail, le
fonctionnement de l’entreprise, la façon d’introduire le changement…
E. La participation
Côté, Bélanger et Jacques (128) relèvent l’impact de la participation au change-
ment organisationnel. Suite à un changement organisationnel, la productivité était
plus importante dans des groupes où les membres avaient participé à la mise en
place du changement que dans les groupes sans possibilité de participation. La
participation est d’ailleurs une méthode facilitant le dépassement des résistances
au changement organisationnel
(127) Ibid.
(128) Ibid.
83
Cadre conceptuel de la recherche “Flexihealth”
Modérateurs personnels:
• estime de soi
• locus of control
• caractéristiques démo-
graphiques
Evaluation Réponses
Indicateurs empiriques Climat organisationnel
de changement organi-
Evaluation des change- Réaction de stress
sationnel (changement
ments
de supérieur, de lieu de
travail, ...) Caractéristiques du travail Satisfaction au travail ...
Contrôle de la situation
Modérateurs situationnels:
• support social
• contraintes ou res-
sources situationnel-
les...
Cette recherche montre tout d’abord que les organisations sont actuellement
de plus en plus amenées à être flexibles et capables de s’adapter rapidement aux
contraintes externes et internes.
Ces chercheurs font également remarquer la double face de cette flexibilité.
D’un côté, elle favorise la productivité et pourrait améliorer la qualité de vie des
travailleurs par le développement de nouvelles compétences ou encore un amé-
nagement du temps de travail. De l’autre côté, la flexibilité peut entraîner des
réductions d’effectifs, une précarité de l’emploi, une exposition grandissante aux
risques physiques et psychosociaux et peut avoir des répercussions pour les tra-
vailleurs notamment en termes d’horaires et d’intensification du travail.
Selon cette étude, il apparaît que les changements sollicitent auprès des tra-
vailleurs une adaptation au changement lui-même, mais aussi aux nouvelles
conditions de travail et modifications conséquentes à ce changement.
Le modèle que nous présentons ci-dessus met en évidence l’importance de l’é-
valuation des individus quant au changement organisationnel et la présence de
modérateurs personnels et situationnels influençant cette évaluation. Selon son
évaluation du changement, du climat et des caractéristiques du travail, du contrô-
le qu’il a sur la situation, l’individu réagit de manière différente. Les réponses de
la personne peuvent être des réactions de stress, de l’absentéisme, de la satis-
faction au travail…
84
6.
Photo: Eric Audras
La qualité de vie
des travailleurs
85
croyances personnelles et ses relations avec les événements de son environne-
ment.
Pour d’autres auteurs encore, la qualité de vie se définit par “l’ensemble des satis-
factions/insatisfactions éprouvées par le sujet (ou un groupe de sujets) à propos
de sa vie actuelle en général” (130).
Finalement, Dupuis et al. (131) définissent la qualité de vie comme un état cor-
respondant à un niveau atteint par une personne dans la poursuite de buts orga-
nisés hiérarchiquement, un moment donné. La qualité est donc définie autour de
quatre notions: le but, le contrôle, les feed-back positifs et négatifs et l’ordre hié-
rarchique de plans de vie.
Ces définitions mettent au premier plan plusieurs éléments: l’importance de l’in-
dividu quant à sa qualité de vie, la complexité du concept recouvrant plusieurs
domaines (participation sociale, état émotionnel, performance, fonctionnement
physique, satisfaction au travail, etc.) et les interactions entre ces domaines.
86
6.2.3 Modèle conceptuel de la qualité de vie (135)
Dupuis et al. proposent un modèle en partant de concepts de base de l’appro-
che systémique. Ces concepts sont donc: le but, le contrôle, le feed-back et l’or-
dre hiérarchique des buts.
Selon ces auteurs, nos actions sont toujours tournées vers un but, celui-ci orien-
te et donne un sens à celles-là. Par rapport à ses buts, une personne va évaluer
la distance existant entre ceux-ci et ce qu’il vit. Si la personne atteint un but, elle
essaye de maintenir la situation idéale dans laquelle elle se trouve. C’est à ce
mécanisme d’évaluation perpétuelle que Dupuis et al. renvoient le concept de
contrôle.
De plus, nous pouvons parler de rétroaction positive ou négative lorsque la per-
sonne évalue la distance entre ce qu’elle veut et ce qu’elle vit. Si la distance est
réduite, la rétroaction est négative car les comportements de l’individu vont
entraîner la diminution de l’écart entre la situation réelle et la situation souhai-
tée. Par contre, lorsque la distance est grande (ce qui peut être dû à des buts
trop élevés), la rétroaction est positive et la personne peut se sentir frustrée,
anxieuse, en colère ou dépressive car les rétroactions positives entraînent un
sentiment d’inefficacité. En d’autres termes, si les feed-back positifs sont plus
nombreux, les affects seront négatifs. Si les feed-back négatifs sont plus nomb-
reux, les affects seront positifs. (135) Ibid.
87
La qualité de vie est enfin, selon Dupuis et al., pondérée par l’importance don-
née par la personne à tel ou tel domaine de sa vie (hiérarchie des buts). Si la per-
sonne connaît des expériences positives dans son travail et que ce domaine est
important pour elle et fait partie de ses priorités, l’impact sur sa qualité de vie
sera conséquent. Et inversement, on peut aisément imaginer les conséquences
fâcheuses d’expériences négatives sur la qualité de vie.
Aussi, un individu peut se trouver dans une situation de conflit de buts si deux
événements se produisent simultanément dans deux domaines de vie prioritai-
res. Ainsi nous pouvons rejoindre l’idée de “conflit famille-travail” où les expé-
riences dans l’un de ces domaines influencent souvent l’autre domaine.
Dupuis et al. ont créé un modèle à partir de ces différents concepts constitutifs
de la définition de la qualité de vie. De ce modèle, les auteurs ont également
construit un questionnaire appelé ISQV qui a pour but d’évaluer la qualité de vie
globale des individus.
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