Etude Migrations Mineurs
Etude Migrations Mineurs
Etude Migrations Mineurs
La présente étude constitue un premier pas sur la voie de la réflexion sur un nouveau phénomène migratoire au
Maroc. Il s'agit en l'occurrence de l'émigration des mineurs non accompagnés qui ont fait irruption en tant qu'acteurs
dans les processus migratoires internationaux. Ce sont des enfants et adolescents âgés de moins de 18 ans qui
émigrent seuls en Europe en traversant clandestinement les frontières et en utilisant les moyens à la fois les plus
divers et les plus risqués.
Aussi, cette étude se voudrait pour les institutions marocaines, espagnoles, européennes et internationales, un
des maillons pour l’élaboration d’instruments éducatifs et de prévention visant ce nouveau groupe de migrants.
Recueillant les violations de droits fondamentaux de ces mineurs dans tous les domaines, à la lumière des
législations nationales et du Droit International, elle constitue une dénonciation active des violations des droits de
l’enfance et un appel à l’application strictes des normes internationales – notamment la Convention des Droits de
l’Enfant – dans le traitement de ces mineurs immigrés et /ou retournés au pays d’origine.
Pour conclure, l’étude formule une dizaine de recommandations susceptibles de prévenir la migration clandestine
des mineurs, de dénoncer les violations des Droits fondamentaux des mineurs migrants et d’améliorer leur sort.
litograf@menara.ma
“
Je m’appelle Abdeslam B. et j’habite au quartier Dchar Bendibane. Je travaillais avec un forgeron,
mais ce travail a commencé à affecter mes yeux et j’ai changé de travail. J’ai travaillé comme
tailleur, mais je n’ai pas pu y rester parce que c’était trop dur. Maintenant je ne fais rien ni travail
ni études. Je suis arrivé jusqu’en troisième année du primaire mais j’ai abandonné parce qu’on nous
frappait, mais en vérité moi aussi je n’avais pas tellement envie d’étudier. J’avais des amis qui
m’encourageait à m'absenter et j’ai abandonné la classe, j’étais un peu fou et cela en est la conséquence.
Il y a quatre ans que je ne vais plus à l’école, j’ai 14 ans maintenant. Le jour suivant mon abandon
de l’école, mon grand père m’a dit qu’il connaissait un mécanicien et que si je le voulais, je pourrais
travailler avec lui. J’ai travaillé pendant huit ans avec lui jusqu’à ce que le propriétaire l’expulse du
local. J’ai passé trois ans avec le forgeron et deux ou trois mois avec le tailleur. J’ai huit frères et
sœurs et l’aînée est une fille ...
- Bon maintenant que nous te connaissons un peu, revenons au sujet dont je te parlais
avant, lorsque vous jouez ou bien au café est-ce que vous parliez d’aller en Espagne ?
- Oui, tout le monde rêve de s’en aller en Espagne, aussi bien les grands que les petits. Dans mon
quartier il y a un enfant qui est parti à l’âge de 12 ans. Ils l’ont mis dans une école, lui ont établi les
papiers. Lorsqu’il est revenu nous avons été ensemble et il nous a un peu raconté comment il vivait
en Espagne. Il travaille à Madrid avec un homme qui le traite très bien. Nos amis nous disent qu’il
y a des bonnes et de mauvaises choses. Parfois ils sont renvoyés. Cet ami était avec cet homme chez
lui et il lui demandait de ne pas sortir jusqu’à ce qu’il lui fasse les papiers. Moi, sincèrement je ne
crois pas tout ce qu’on me raconte, et il est normal que l’on souffre un petit peu même si on ne le
reconnaît pas par la suite, parce que si on le reconnaît les gens n’auront pas une bonne impression.
- Est ce que tu as tenté une fois d’aller en Espagne ?
- Oui, de temps en temps je descends au port pour tenter ma chance. Je veux aller vivre avec mon
frère, obtenir les papiers et un travail.
- Est ce que ton frère vit en Espagne ?
- Oui, il est parti clandestinement, il s’est couché sous un autocar et maintenant il est à Madrid.
- Tu m’as dit avant que tu avais essayé une fois d’émigrer.
- Oui, je descendais au port, on me donnait une raclée et je revenais au foyer.
- Qui vous frappait ?
- La police. Nous descendons en groupe et à la porte d’entrée au port, nous nous dispersons. Une fois
à l’intérieur chacun se débrouillait. ”
Parole d’enfant
Recherche-action réalisée par les équipes suivantes :
• EQUIPE CONSEILLER
Manuel Capdevila (Centre d'Estudis Jurídics i Formació Especialitzada)
Xavier Puig (Centre de Projectes i Estudis Socials)
Oriol Romaní (Universitat Rovira i Virgili)
Ismael Palacín (Casal dels Infants del Raval)
Asunción Llenas (Universitat de Barcelona)
1. RESUME ....................................................................................................................................................................................................................................................... 5
3. METHODOLOGIE .......................................................................................................................................................................................................................... 9
4. ETAT DE LA QUESTION :
LE CONTEXTE MIGRATOIRE DES MINEURS .................................................................................................................... 12
6. CO NCLUSIONS ............................................................................................................................................................................................................................. 45
8. BIBLIOGRAPHIE ......................................................................................................................................................................................................................... 49
La présente étude constitue un premier pas sur la voie de la réflexion sur un nouveau phénomè-
ne migratoire au Maroc. Il s'agit en l'occurrence de l'émigration des mineurs non accompagnés qui ont
fait irruption en tant qu'acteurs dans les processus migratoires internationaux. Ce sont des enfants
et adolescents âgés de moins de 18 ans qui émigrent seuls en Europe en traversant clandestinement
les frontières et en utilisant les moyens à la fois les plus divers et les plus risqués.
1- L'élaboration d'un guide d'action, instrument précieux pour la mise en œuvre d'actions
visant la prévention de l'émigration clandestine des mineurs marocains.
2- L'amélioration de la qualité de la prise en charge de ces mineurs immigrés par les systèmes
de protection espagnols et européens.
Le travail de terrain des trois équipes a consisté à réaliser des entretiens non directifs et à organi-
ser des focus groupes avec tous les intervenants institutionnels et non institutionnels dans ce domaine.
Ce travail de terrain a été fait essentiellement avec les concernés en premier lieu : les mineurs migrants
clandestins -dont les mineurs émigrant en “patera”-, les mineurs migrants potentiels, et leurs familles.
Cette recherche se voudrait, pour les institutions marocaines, espagnoles, européennes et internationales,
ainsi que pour la société civile, un des maillons pour l’élaboration d’instruments éducatifs et de prévention
visant ce nouveau groupe de migrants.
Recueillant les violations de droits fondamentaux de ces mineurs dans tous les domaines, à la lumière des
législations nationales et du Droit International, elle constitue aussi une dénonciation active de ces violations
flagrantes des droits de l’enfance et un appel à l’application des normes internationales – notamment la
Convention des Droits de l’Enfant – dans le traitement de ces mineurs immigrés et / ou retournés au pays
d’origine.
Pour conclure, l’étude formule une dizaine de recommandations susceptibles de prévenir la migration
clandestine des mineurs, de dénoncer les violations des Droits fondamentaux des mineurs migrants et
d’améliorer leur sort.
ainsi que les mineurs et leurs familles qui nous ont permis
2.1. Intitulé
NOUVEAU VISAGE DE LA MIGRATION : LES MINEURS NON ACCOMPAGNÉS.
Analyse transnationale du phénomène migratoire des mineurs marocains vers l’Espagne.
2.2. Partenaires
• UNICEF
• Fondation Jaume Bofill
• Junta de Andalucia
• Association Tadamon pour le soutien des enfants en situation difficile
2.3. Justification
Les mineurs en question possèdent des motivations et des profils variés, il est cependant important
de signaler leurs évidentes espérances d´obtenir un travail.
Risquant leur vie cachés sous les essieux des camions et des autobus, ces enfants ou adolescents
ont pour but d’atteindre l´Europe.
La plupart proviennent de quartiers périphériques des grandes métropoles marocaines surpeuplées
ou bien des zones rurales les plus pauvres. Ils sont issus de familles nombreuses souffrant de gros
problèmes économiques et de situations difficiles (divorce, violence familiale, second mariage…).
Beaucoup d´entre eux n´ont pas terminé l´école et ne possèdent aucune qualification professionnelle ;
ils ont souvent travaillé de manière précaire pour des salaires de misère ; ils passent la plupart de
leur temps dans la rue.
Parmi ce groupe nous trouvons aussi les enfants de la rue, ceux pour qui la rue est un mode vie,
enfants devenus de la rue après avoir tenté en vain d´émigrer, ceux qui déambulent dans le port de
Tanger, de Casablanca, aux frontières de Ceuta et Melilla et aussi les enfants rapatriés au Maroc en
violation des garanties fondamentales des législations nationales et internationales.
Dans tous ces cas, la violation des droits fondamentaux est flagrante et nécessite de manière urgente
et préventive un système de dénonciation et la mise en œuvre de mécanismes de protection.
2.4. Objectif
• L’analyse des itinéraires migratoires : lieux de provenance en contexte rural et urbain, principalement
Tanger, Tétouan, Chefchaouen, Larache, Rabat, Fès, Casablanca, Nador, Oujda, Marrakech. Analyser les
principaux pays de destination et les itinéraires suivis par le collectif, différenciant les pays ou régions de
passage, de ceux d´attache.
• La documentation des cas de violation flagrante des droits fondamentaux des mineurs pour
mener à bien des dénonciations systématiques : maltraitances, rapatriements sans garantie au pays d’origine,
non application des systèmes de protection, abus sexuels, stigmatisation.
• L'articulation des mécanismes de protection des droits fondamentaux. L'analyse du traitement de
ce phénomène migratoire dans le cadre du système de protection juridique de l’enfance au Maroc. L'analyse
des circuits de rapatriement des mineurs et de regroupements familiaux (police, procureur du Roi, Centres
de Sauvegarde, juges pour enfants, associations assurant la prise en charge) et proposition des mécanismes
plus appropriés à la spécificité juridique du mineur.
• La Proposition de mécanismes de prévention de l’émigration clandestine des enfants.
• L'examen de la situation des mineurs en Europe : (Belgique, Hollande, France, Italie), et spécialement
en Espagne, au niveau de la législation, de la tutelle, des documents, des programmes d’accueil, des
exemples des bonnes pratiques, des relations avec la famille, des espoirs des jeunes, de leurs attaches, de
la reformulation de leur projet migratoire, de la détérioration de la situation des jeunes due aux violations de
la législation, des cas de pouvoir discrétionnaire de l'administration et des violations des droits des enfants.
La méthodologie retenue a consisté à produire un état des lieux sur la problématique des mineurs non
accompagnés puis à réaliser une enquête de terrain.
L’état des lieux brosse, sur la base d’une revue de la littérature existante, un tableau général de la
migration des mineurs marocains vers l’Espagne et inclut le cadre législatif.
L’enquête de terrain a adopté une approche transnationale, enquêtant sur les deux rives au sujet des
mêmes mineurs. Nous nous expliquons ici sur ce choix.
Les mouvements de capitaux, la technologie, les formes institutionnelles et les innovations culturelles,
comme le signale Portes (1), traversent le monde dans différentes directions et s’influencent mutuellement.
Au delà des théories conventionnelles relatives aux différents aspects des migrations, la compréhension
de ces mouvements dans la complexité de l’économie politique internationale, constitue le principal défi
dans le domaine des études sur les migrations. Ceci est spécialement applicable à un groupe tel que
celui des mineurs migrants.
Au moment de penser l’espace sociopolitique et économique dans lequel se développe le nouveau
phénomène de la migration des mineurs, c’est l’analyse transnationale qui nous fournit une perspective
profonde et causale. Blasch , Glick-Schiller y Szanton Blanc (2)
définissent le transnationalisme comme
étant le processus à travers lequel les migrants forgent et maintiennent de multiples relations sociales
entrelacées qui unissent leurs sociétés d’origine et les sociétés où ils s’installent.
Nous définissons les espaces sociaux transnationaux (3), comme ceux qui suppriment les liens de la
société avec la conception de l’Etat-Nation. On répond au schéma de “vivre et agir à la fois ici et là-bas”.
Les processus migratoires analysés à partir de la perspective transnationale dépassent la vision tradi-
tionnelle de l’analyse linéaire de l’émigration divisée en phases et contextes. L’analyse transnationale
apparaît en tant que “troisième voie d'interrelation de vie et d’activité sociale qui sont régies par l’ici et
le là-bas”. Dans cette recherche-action, nous avons appliqué cette perspective transnationale et c’en
est le fondement théorico-méthodologique.
L’enquête de terrain menée sur 5 axes que nous avons voulu inscrire dans le schéma 1 :
(1) Portes, Alejandro y Borocz, Jozsef. Inmigración contemporánea: perspectivas teóricas sobre sus determinantes y
modos de acceso. En: Inmigrantes bajo sospecha. Editorial CIDUR. Pág 98.
(2) Basch, Linda; Glick Schiller, Nina y Szanton Blanc, Cristina, NATIONS UNBOUND. Transnational Projects, Postcolonial
predicaments and deterritorialized nations-states. 1999, Pennsylvania: Gordon and Breach Science Publishers. Pág 29.
(3) Beck, Ulrich, ¿Qué es la globalización? Falacias del globalismo, respuestas a la globalización. PAIDÓS, 1997. Barcelona.
Pág 57.
- L’axe 2, relatif à la situation socio-éducative des mineurs immigrés et des mineurs en quête
d'émigration s'est intéressé à leur situation du point de vue de l'éducation et du travail, aux facteurs
clés de l'insertion et aux facteurs d'exclusion.
Nous avons procédé à l'analyse de 65 entretiens ouverts avec des mineurs dans des circonstances
différentes (mineurs renvoyés, en possession de justificatifs administratifs et migrants potentiels).
Avec la Fondation Jaume Bofill, sur les 11 entrevues avec des mineurs vivant à Barcelone, 10 ont été
analysés (1 correspondant à un mineur qui est revenu en « patera » et fait partie de l'axe 5).
Des focus groupes ont été organisés avec des mineurs migrants potentiels. Et 37 entretiens concernant
la partie générale ont été quantifiés, dont 11 pour les mineurs migrants potentiels et 11 pour les
mineurs en Espagne.
-L’axe 3, relatif aux enfants de la rue s'est intéressé à la causalité éventuelle entre la vie dans la
rue au Maroc et la migration clandestine. 21 entretiens ont été réalisés avec des mineurs qui vivent
dans la rue. Les 21 entretiens réalisés ont été quantifiés.
-L’axe 4, relatif aux mineurs renvoyés au Maroc s'est intéressé aux circuits de retour, à la législation
et aux institutions responsables. 33 entretiens ont été réalisés avec des mineurs renvoyés.
Un focus groupe a été organisé avec des mineurs renvoyés. Des entretiens ont également eu lieu
avec les juges des mineurs de Tanger et de Tétouan, la brigade de police des mineurs, le directeur du
Centre de Protection de l'Enfance, le Procureur du Roi, la police du port, les moqadems des quartiers
(Bir Chifa / Bendibane)- d'où proviennent la majorité des mineurs migrants-, un directeur d'école à Tanger
et un maître artisan. 33 entretiens ont été quantifiés.
-L’axe 5 relatif aux mineurs ayant émigré en “pateras” s'est intéressé aux familles de ces
mineurs, à leur cadre de travail et éducatif et à la spécificité de ce circuit d'émigration (mafias, rançons, etc.)
Des entretiens ont été réalisés avec 20 mineurs qui ont traversé en « patera » -garçons et filles-
dans les centres de Cadiz, Almeria et Grenade, ainsi qu'avec 23 familles à Al Hoceima, Fès, Meknès,
Beni Mellal, Sidi Slimane et Kalaa Sraghna.
Deux focus groupes ont été organisés, l'un à Kalaa Sraghna, l'autre à Fès, et 19 entretiens ont été quantifiés.
(4) Dans cette recherche nous nous rapportons à la Convention des Droits de l'Enfant pour fixer l'âge mineur entre 0 et 18 ans. Au Maroc
il n'existe pas une majorité d'âge unifiée, il est permis aux personnes âgées de 16, 18, 20 et 21 ans de contracter des obligations
déterminées et/ou exercer des droits déterminés comme le mariage (18 ans), le vote (18 ans), la responsabilité pénale (16 ans), la
possibilité de travailler (15 ans). La majorité est fixée à 18 ans selon l'article 137 de la Moudawana.
(5) Soulignons le programme de l'Alliance Internationale Save the Children et le ACNUR, sur le “Programme de Mineurs Non Accompagnés
en Europe” ou le Programme d'Action Nationale que le gouvernement mexicain a introduit à la fin des années quatre vingt dix avec
l'appui de l'UNICEF et des organisations de la société civile travaillant avec des mineurs centre américains qui émigrent aux Etats-Unis.
(6) La Résolution du 26 juin 1997 relative aux Mineurs non Accompagnés ressortissants de pays tiers (97/C 221/03).
(7) Nous devons signaler que bien que le cadre légal interdise que les mineurs soient renvoyés sans garanties, nous savons que de multiples
expulsions ont eu lieu depuis la frontière de Ceuta et d'Algeciras, ainsi qu'à partir des Communautés Autonomes de Madrid, de
Catalogne et d'Andalousie. Le 27 octobre 2003, le Procureur Général de l'Etat a autorisé dans l'instruction 3/2003 le retour de mineurs âgés
de 16 ans en 48 heures. Cette instruction a constituée la réponse du Gouvernement à l'arrivée de 72 mineurs sur des “pateras” entre les
mois d'octobre et de novembre 2003.
Parmi les facteurs qui interviennent dans la prise de décision des mineurs, il y a le fait de pouvoir compter
sur un contact ou un parent dans le pays choisi. Quiroga (2003) signale qu'entre Tanger et Marseille et du fait
de l'existence d'une ligne de transport maritime, l'émigration des mineurs en France est entrain de se consolider.
Une fois à Marseille, c'est l'Association Jeunes Errants qui s'occupe d'eux. L'auteur indique aussi que des
mineurs provenant de Casablanca arrivent aussi à Marseille.
En ce qui concerne l'émigration des mineurs en Italie, nous devons souligner un profil concret de jeunes,
celui des mineurs intégrés dans des réseaux familiaux. Dans ce groupe, on relève l’existance de mineurs ayant
un lien direct avec des parents qui ont émigré en Italie. Lorsque le mineur arrive en Italie, ces parents adultes
le prennent en charge. Ils ont l'habitude d'utiliser les réseaux familiaux pour sortir du Maroc, ils sont introduits
directement par ces réseaux dans le contexte de destination. D'après le travail de terrain, la période de
l'année pendant laquelle les mineurs font la traversée est la période estivale. Ils profitent des déplacements
en automobile des parents qui passent leurs vacances dans leur région d'origine. Les garanties que ces
réseaux familiaux offrent au mineur le conduisent à rejeter expressément d'autres moyens de transport tels
que les camions ou pateras. C'est à ce groupe que se réfère Guessous (2002) dans son étude sur les mineurs
qui émigrent au Piémont italien à partir des villes de Khouribga, Kasba Tadla et Fkih Bensalah.
En indiquant les zones de provenance des mineurs, d'après Quiroga (2003), Giménez et Suarez (2000) et
Jiménez (2003), Tanger constitue le point principal d'origine des mineurs qui émigrent en Espagne et en
même temps le principal point de sortie des mineurs qui arrivent à la ville (Tanger) pour traverser le Détroit.
D'après le Centre des Etudes Juridiques du Développement de la Justice de la Generalitat de Catalogne
(Manuel Capdevila, 2002), 62,58 % des mineurs qui émigrent en Espagne, et spécialement en Catalogne pro-
viennent de Tanger. Les autres villes d'où proviennent les mineurs sont Tétouan, Chaouen, Larache, Fnideq,
Ksar El Kébir et Souk El Arbâa (Région de Tanger-Tétouan), Nador (Région de l'Oriental), Al Hoceima et
Ouezzane (Région de Taza-Al Hoceima-Taounate), Casablanca (Région du Grand Casablanca), Rabat et Kénitra
(Région de Rabat-Salé), Fès (Région de Fès-Boulmane), Meknès (Région de Meknès-Tafilalet), Beni Mellal
(Région de Tadla-Azilal), Marrakech (Région de Marrakech) et Zagora (Région du Souss-Draa).
Ce sont là les quatre portes de l'itinéraire migratoire utilisé par les mineurs qui vivent dans ces villes,
mais aussi par des mineurs arrivant de l'intérieur du Maroc spécialement pour émigrer.
Ces zones de passage ont en commun les caractéristiques générales suivantes : en premier lieu,
ce sont des centres de commerce international, de trafic aérien, maritime ou terrestre avec un grand
trafic international de marchandises. L'une des méthodes les plus utilisées par les mineurs consiste à
se cacher comme passagers clandestins sur les bateaux et surtout dans les essieux des camions et
les dessous des autocars. Les ports de Tanger et de Casablanca émergent, en tant que points clefs
de l'émigration. Tarfaya ne possède pas ces caractéristiques, car ce n'est pas un port international,
mais elle consolide sa position en tant que point de sortie des « pateras » se dirigeant vers les Iles
Canaries. En deuxième lieu, le voisinage de l'Espagne est important : de la Péninsule, des Villes
Autonomes ou des Iles Canaries. En dernier lieu, ce sont des noyaux urbains surpeuplés, du fait de
l'exode rural, en l'occurrence Tanger et de Casablanca. Les migrations internes de la campagne vers
la ville, comme le signale López García (2000), ont conditionné les modes de vie au Maroc. L'exode
rural a été initié au début des années 30 en direction de divers noyaux urbains. Actuellement, les pro-
vinces et préfectures ayant une grande densité démographique sont Casablanca (2.050 ha / km2),
Rabat /Salé (1.211ha / km2) et Tanger (473 ha / km2). Cet exode rural a généré un développement désor-
donné des villes et a suscité des problèmes de marginalité et d’exclusion sociale.
Tarfaya mérite une mention spéciale. C'est le point de sortie utilisé par les mineurs qui émigrent en
pateras vers les Iles Canaries. D'après González (2002) les mineurs qui arrivent aux Iles Canaries pro-
viennent des zones sahariennes urbaines et rurales, dans des proportions similaires. L'auteur souligne
un deuxième groupe de mineurs, en l'occurrence ceux qui viennent du Nigeria, de la Sierra Leone et de
la Guinée qui même s'ils embarquent ainsi dans les zones du Maroc mentionnées auparavant, doivent
au préalable parcourir des milliers de kilomètres à travers le continent africain jusqu'à Nouadhibou
(Mauritanie).
Il convient de mettre en relief la situation dangereuse et à haut risque social dans laquelle vivent les
mineurs, qui provenant de l'Afrique de l'Ouest traversent le Maroc avec l'objectif de rejoindre un pays
de l'U.E. Une étude approfondie de cette situation serait nécessaire, notamment en ce qui concerne les
jeunes filles, très souvent victimes de toute une série de chantage et contraintes à se prostituer (voir
même à être violées) par les mêmes intermédiaires qui ont organisés leur départ.
! La Déclaration des Droits de l'Enfant de 1959. Elle actualise et adapte la Déclaration Universelle des
Droits Humains de 1948, et considère l'enfant en tant que sujet de droit exigeant une protection spéciale.
! Le Pacte de 1984, contre la torture et autres mauvais traitements, peines cruelles, inhumaines
ou dégradantes. Il devient le premier instrument international consacré exclusivement à la lutte contre les
violations les plus graves des droits humains.
! La Convention des Droits de l'Enfant, approuvée par l'Assemblée Générale de l'ONU le 20 novembre 1989.
Elle reprend et développe les principes énoncés par la Déclaration des Droits de l'Enfant de 1959. Elle
constitue un instrument international contraignant par lequel les Etats qui l’ont ratifié (Maroc, Espagne), s'en-
gagent à respecter les droits et devoirs des enfants, faisant de ce fait partie du droit interne de ces pays.
! La Directive 1994 / 33 / Conseil de l’Europe, du 22 juin 1994, relative à la protection des jeunes
dans le travail.
! La Résolution du Conseil de l'Europe du 26 juin 1997 relative aux mineurs non accompagnés de pays tiers.
! La Charte des Droits Fondamentaux de l'U.E de décembre 2000. Cette charte réaffirme, en respectant
les compétences et missions de la Communauté et de l'Union ainsi que le principe de subsidiarité, les droits
reconnus spécialement par les traditions constitutionnelles et les obligations internationales communes des
Etats membres, le Traité de l'Union Européen et les Traités Communautaires, le Traité Européen pour la
Protection des Droits Humains et des Libertés Fondamentales, les Chartes Sociales Adoptées par la
Communauté et par le Conseil de l'Europe ainsi que par la Jurisprudence du Tribunal de Justice des
Communautés Européennes et du Tribunal Européen des Droits Humains.
! La Directive 2001 / 55 / Conseil de l’Europe du 20 juillet 2001, relative aux normes minima pour l'octroi
de la protection temporaire, en cas d'affluence massive de personnes déplacées et les mesures d'encou-
ragement d'un effort équitable entre les Etats membres pour accueillir ces personnes et assumer les
conséquences de leur accueil.
! La Convention Internationale relative à la Protection de tous les travailleurs migrants et leurs familles.
! La Résolution de la Commission des Droits Humains 2003 / 48, du 23 avril (ONU). Elle réitère la
préoccupation par la situation grave de vulnérabilité à laquelle sont confrontés les travailleurs migrants et
leurs familles, prend conscience de l'augmentation notable des mouvements migratoires qui a été enregis-
trée dans certaines parties du monde et reconnaît à la fois l'urgence d'intensifier les efforts partout dans le
monde pour améliorer la situation et garantir le respect des droits humains et la dignité de tous les tra-
vailleurs migrants et de leurs familles.
TEXTES CONSTITUTIONNELS
ESPAGNE MAROC
La Constitution espagnole de 1978. Elle stipule la res-
ponsabilité des pouvoirs publics à garantir la protection
sociale, économique et juridique de la famille et d'assurer
la protection totale des enfants. De la même manière, elle
se réfère à l'obligation pour les parents d'apporter toutes La Constitution marocaine de 1996.
sortes d'assistance aux enfants mineurs et dans les cas
légalement pertinents. Ainsi l'article 39, stipule que les
enfants bénéficient de la protection prévue par les accords
internationaux qui veillent à leurs droits.
CADRE CIVIL
ESPAGNE MAROC
Code Civil (réglementation de l'abandon art. 172.) La Moudawana, Code du Statut Personnel.
Loi 11/1981, du 13 mai, qui modifie le Code Civil. Modifié en février 2004. (devenu depuis lors Code de la
Famille)
Loi 21/1987, du 11 novembre qui modifie certains
articles du Code Civil et du Code de Procédure Civile en Le Dahir du 24/2/1958 prévoit à partir de la fonc-
matière d'adoption, accueil familial et autres formes de
tion publique des mesures visant la protection
protection
des intérêts familiaux.
Loi Organique1/1996, du 15 janvier de Protection
Juridique du mineur, qui en plus du fait de correspondre Le Dahir du 10/9/193 relatif aux enfants aban-
de manière spécifique avec certains droits de l'enfance
donnés
reconnus par les normes internationales, avance dans les
réformes introduites par la loi du 21/1987, déjà citée, de
Le Plan d'Action National pour l'Intégration de la
même qu'elle clarifie certaines questions qui n'avaient pas
été résolues par cette même loi. femme dans le Développement.
CADRE PÉNAL
ESPAGNE MAROC
Loi Organique 14/1999, du 9 juin, de modification du L'ancien Code Pénal se réfère spécialement à la protec-
Code Pénal de 1995 en matière de protection des vic- tion de la famille et des enfants, il encourage la cohé-
times de mauvais traitements et du Code de Procédure sion et l'intégrité du groupe familial. Le chapitre VII est
Pénale. consacré à la protection de l'enfance.
Loi Organique 6/1985, du 1er juillet relative au L'article 326 puni la mendicité.
Pouvoir Judiciaire, qui supprime le Conseil Supérieur de L'article 329 sanctionne le vagabondage
Protection des mineurs et créée les tribunaux de mineurs, Le nouveau Code Pénal, dans ses articles 512-514,
chargés des cas des mineurs, coupables de conduites parle pour la première fois des mineurs en situation
classées comme délits ou fautes selon la loi.
difficile. Il en parle aussi au Chapitre III, articles 419-
Loi Organique 4/1992, du 5 juin, relative à la réforme de 458.
la loi de régulation de la compétence et procédures des tri-
bunaux de mineurs Le Dahir du 26/11/1962 est celui qui consacre une
large gamme de dispositions visant la protection, la
Loi Organique 10/1995, du 23 novembre, de régulation sécurité et le développement de l'enfance.
du Code Pénal en vigueur qui fixe la majorité pénal à 18
ans et consacre le Chapitre III, du titre XII, du Livre II, aux Le Dahir du 2-6-1939, relatif aux tribunaux des
délits contre les droits et devoirs familiaux. Et de manière mineurs et à la liberté surveillée.
plus concrète, il consacre, sa section 1 à la violation des
devoirs de protection et l'incitation des mineurs à l'aban- Le Dahir du 19/10/1953, relatif à la Responsabilité
don du domicile (familial) et sa section 2 à l'abandon de la Pénale des mineurs aux circonstances atténuantes
famille, des mineurs ou des handicapés. et à la responsabilité pénale.
Loi Organique 5/2000, du 12 janvier, de régulation de la Le Dahir du 5-3-1959 relatif aux codes de la procé-
responsabilité pénale des mineurs, et ses modifications. dure Pénale pour les mineurs délinquants.
CADRE EDUCATIF
ESPAGNE MAROC
Loi Organique 10/2002, du 23 décembre relative à la quali- La Charte Nationale pour l'Education et la Formation
té de l'enseignement, en vertu de laquelle tous les élèves (2000) : Loi sur l’obligation de l’éducation 04-00 du 19 mai
jouissent des mêmes droits et devoirs sans aucune autre dis- 2000 modifiant et complétant le dahir n° 1-63-071 du 25
tinction que celles qui dérivent de leur âge et du niveau où ils joumada II 1383 H. correspondant au 13 novembre 1963,
étudient. Ils ont en plus le droit à ce que leur occupation et relative à l’obligation de l’Enseignement Fondamental.
effort soient jugés et reconnus avec objectivité et à recevoir (Enseignement obligatoire pour les 6 - 16 ans)
une orientation éducative et professionnelle.
CADRE MIGRATOIRE
ESPAGNE MAROC
Loi Organique 4/2000, du 11 janvier, relative aux droits, Le Dahir 8-11-1949 qui sanctionne le passage clandestin des
libertés et intégration sociale des étrangers en Espagne, frontières par les travailleurs.
modifiée par la loi organique 8/200, du 22 décembre et la
La Loi n° 2.03 du 11 novembre 2003 relative à la migration.
Loi Organique 14/2003, du 20 décembre
Nous nous référons aux mineurs étrangers non accompagnés, les mineurs sollicitant un asile ou un refuge
et tout ce qui concerne le regroupement familial, et complètons ce tableau par une revue des législations
régionales propres à l'Espagne (10).
(10) La Loi Organique 1/1996 du 15 janvier de protection juridique du mineur, indique dans son exposé des motifs, qu'elle « veut être
respectueuse du partage constitutionnel et statutaire des compétences ente l'Etat et les Communautés Autonomes ».Dans ce sens
la Loi réglemente des aspects relatifs à la législation civile et procédurale, et à l'administration de la Justice, en réglementant dans
une disposition finale spécifique, les compétences des Communautés Autonomes qui disposent de Droit Civil, ou spécial propre, pour
lesquelles la Loi est déclarée subsidiaire en ce qui concerne les dispositions spécifiques en vigueur dans ces Communautés ». : Arce
Jiménez, Elena, LEX NOVA, 1999.
ANDALOUSIE
LOI 1/98 du 23 avril : Des droits et des soins au mineur : ART.23.1 : La tutelle sur les mineurs aban-
donnés résidant ou se trouvant de façon transitoire sur le territoire de la Communauté Autonome
d'Andalousie, est du ressort de la Junta de Andalucia, à travers le conseil compétent, sans porter pré-
judice aux compétences que peuvent avoir sur ces derniers d'autres Administrations publiques.
Décret 42/2002, du 12 février, du régime d'abandon, tutelle et garde administrative selon
lequel des procédures ont été établies garantissant l'effectivité des droits des mineurs, par le biais
d'une intervention administrative dans le but d'éviter et, dans ce cas, de mettre fin à des situations de
maltraitance et d'absence de protection, et de collaborer avec la famille des mineurs pour leur fournir
l'assistance que cette dernière ne peut leur offrir temporairement.
CATALOGNE
LOI 37/1991, 30 Déc. Des Mesures de protection des mineurs abandonnés et l'adoption dans la
Communauté Autonome de la Catalogne : Article 1. La Generalitat de Catalogne, exerce par l'inter-
médiaire de l'organisme compétent, conformément à la présente loi et avec la loi 11 /1985, du 13
juin, dans sa partie encore en vigueur, la protection des mineurs abandonnés domiciliés ou se trou-
vant éventuellement en Catalogne. Loi 8 /1995 du 27 juillet Protection des Mineurs et Adolescents.
Adoption Article 1. Objet de la loi- La présente loi a pour objet les soins et la protection des enfants
et des adolescents résidant ou se trouvant de façon transitoire sur le territoire de la Catalogne, afin de
garantir l'exercice de leurs droits et leur développement intégral dans le cadre familial et social.
EXTREMADURE
LOI 4/1994, 10 Nov. Protection et soins des Mineurs. : Article 2. conformément aux effets de la pré-
sente loi, les mineurs feront l'objet de protection, quelle que soit leur nationalité, qu'ils aient un domi-
cile ou qu'ils se trouvent éventuellement sur le territoire de la Communauté Autonome de
Extremadure, dans ce cas sans préjuger des compétences pouvant être du ressort de l'autorité com-
pétente dans un autre territoire.
Quant aux mineurs de nationalité étrangère susceptibles de bénéficier des mesures de protection, les
dispositions des règles du Droit International Privé contenues dans le Code Civil et dans les conven-
tions ou les traités Internationaux ratifiés par l'Etat espagnol leur seront appliqués.
MADRID
LOI 6/1995, 28 mars. Droits de l'enfance et de l'adolescence dans la communauté de Madrid.
Garanties Article 1.Objet- La présente loi a pour objet : b) Déterminer les droits des mineurs se trou-
vant sur le territoire de la Communauté de Madrid dans le cadre des compétences de la même com-
munauté, les droits complémentaires de ceux, qui sont déjà reconnus dans la Constitution et autres
normes de l'Etat.
LA RIOJA
LOI 4/1998 du 18 mars : Article 2. Cadre d'application - Le conseil de la santé, de la consommation
et du bien être Social, par l'intermédiaire de la Direction Générale du Bien être Social, est l'organe com-
pétent en matière de protection des mineurs résidant dans la Communauté Autonome de La Rioja, de
même que les mineurs de passage, dans ce dernier cas, sans préjuger des pouvoirs pouvant corres-
pondre à l'autorité compétente dans un autre territoire.
CASTILLA LA MANCHA
LOI 3/1999 du 31 mars Du Mineur : Article 2.- Cadre personnel et territorial en application. Les
mesures prévues par la présente loi seront appliqués à tous les mineurs ayant un domicile ou se trou-
vant de façon transitoire sur le territoire de la Communauté Autonome de Castilla La Mancha, ainsi
qu'aux jeunes majeurs et auxquels on a appliqué une mesure administrative ou judiciaire en vigueur
prévus dans le Chapitre X du Titre II de cette loi, sans préjuger de l'application d'une autre réglemen-
tation en raison de l'origine ou de la provenance du mineur et des pouvoirs pouvant être du ressort
de l'administration compétente d'un autre territoire.
ILES CANARIES
LOI 1/1997, le 7 février. Mineurs Soin Intégral. Article 2.-Cadre d'application. La présente loi s'ap-
plique à tous les mineurs de 18 ans résidant ou se trouvant de façon transitoire sur le territoire de la
Communauté Autonome des Iles Canaries, sauf si ces derniers ont atteint la majorité conformément
aux dispositions de la loi qui leur est applicable.
Les 44 entrevues reprennent les différentes conditions familiales pouvant avoir un rapport avec le
mineur (des mineurs en Espagne -dans différentes villes-, des mineurs expulsés, des mineurs immigrés
potentiels, des mineurs qui ont obtenus leurs documents en Espagne et qui ont pu venir en vacances).
En collaboration avec la Fondation Jaume Bofill sur une liste originale de 10 familles, nous avons
interrogé 7 dont les enfants se trouvent à Barcelone. Les 3 familles restantes n'ont pas pu être
localisées : un mineur nous a demandé explicitement de ne pas interroger sa famille, deux autres ne
nous ont pas donné l'adresse exacte. Pour vérifier l'information tirée des entretiens, nous avons consti-
tué un focus groupe avec les familles ; et il a été particulièrement fécond.
Toutes les familles vivent à Tanger. 28 sur 37 familles interviewées ont vécu une situation d'exode rural.
Les familles sont installées dans trois points de la ville : dans les maisons des quartiers traditionnels (plusieurs
familles occupant la même maison) à la périphérie des villes dans des quartiers d'auto construction et des
bidonvilles. Il y a eu de grandes vagues d'établissement, une pendant les années 70 et l'autre au cours des
années 80. L'exode rural a donné lieu à l'apparition de quartiers d'”alluvion” qui vivent l'exclusion sociale, surtout
dans la Commune Urbaine de Beni Makada. Des quartiers “ruralisés” se forment, dans des espaces urbains où
l’exclusion sociale est plus accentuée qu'à la campagne parce que les liens familiaux disparaissent.
Ces quartiers souffrent d’insalubrité, de mauvais accès aux services sociaux de base, de violences dans
les rues, de baisse généralisée de la qualité de la vie, d’absence d'espaces publics de loisirs pour les mineurs
et les adultes...
Les quartiers de provenance des mineurs, selon la Commune Urbaine à laquelle ils appartiennent, sont les
suivants :
Pour ces 37 familles, 36 pères et 26 mères sont en possession d'une Carte d'Identité Nationale ; 3
familles n'ont pas de livret de famille. Cette situation a une influence sur l'identification ultérieure du mineur en
Espagne et rend difficile l'établissement de l’identité. Si le Consulat n’établit pas la filiation du mineur, ce der-
nier ne pourra obtenir ni passeport, ni permis de résidence.
Les documents nécessaires pour que le Consulat du Maroc en Espagne délivre un passeport sont les sui-
vants :
Cette documentation, traduite ou non, est exigée de manière discrétionnaire. Elle doit être légalisée par le
Consulat d'Espagne au Maroc dans la ville qui correspond au lieu de résidence du mineur. Signalons, que le
Consulat de Tanger a refusé la légalisation de la signature d'un document d'une famille, et il a été nécessaire
qu'un espagnol en fasse la demande, expressément par fax, au Consulat à partir du Centre dans lequel se
trouvait le mineur en Espagne.
a. Structure familiale :
Trente sept (37) familles sont composées du père, de la mère et des enfants. Les femmes seules (mères
célibataires, veuves) déclarent être entièrement sans protection devant la loi.
Vingt (20) sur trente sept (37) familles ont plus de trois enfants, 15 en ont 7 ou plus ; 29 familles vivent
avec 5 personnes ou plus dans leur logement.
Témoignages
DES FAMILLES
«… Est-ce que nous sommes d'accord pour l'émigration de notre fils ?... Au fond nous ne sommes pas d'ac-
cord, ici ils sont proches de nous et nous pouvons mieux prendre soin d'eux. S'il leur arrive quelque chose
nous sommes au courant, mon fils est venu à la maison et il est tombé malade. Là où il travaillait on lui a
demandé un certificat du centre où il est à Barcelone. Ils ont refusé de le lui délivrer, ils l'ont même accusé
d'avoir battu quelqu'un qui travaillait là-bas, je vous jure que mon fils ne ferait jamais pareille chose...»
« …J'espère qu'ils auront la chance et pourront tous partir. Ici nous n'avons pas les moyens pour qu'ils pour-
suivent leurs études. En Espagne ils les traitent comme s'ils étaient leurs propres fils, ce sont des gens bien
!».
« … Mon fils a 18 ans et on a déjà fait les démarches nécessaires pour l'obtention de ses papiers, le centre
où il travaillait s'en est occupé, il n'a pas eu beaucoup de difficultés car il se comporte bien. Je lui ai envoyé
les papiers qu'il m'a demandés et on a régularisé sa situation. Il est revenu une fois, pendant la fête de l'Aïd
al Adha (fête du mouton), je crois qu'il s'est déjà habitué au mode de vie de là-bas. Nous voulons qu'il ait
un meilleur avenir et qu'il ne fréquente ni les toxicomanes ni les personnes de cette espèce, c'est ce que nous
souhaitons.»
« … Oui. Nous préférons qu'ils soient là-bas. Ici il leur manque beaucoup de choses, nous préférons qu'ils
aillent là-bas et qu'ils obtiennent les papiers afin de travailler et d'assurer leur avenir ».
« … Bon, je vais te dire la même chose, nous voulons que nos enfants se portent bien, mais ici nous ne pou-
vons pas subvenir à leurs besoins, ils désirent tout ce qu'ils voient, et il n'a jamais été un bon élève . Lorsqu'il
a quitté le collège il a travaillé un certain temps avec un cordonnier qui ne le payait pas, ensuite son père
lui a cherché un travail chez un monsieur qui possédait un bateau, il le lui nettoyait, il était très généreux
avec lui, un jour il m'a appelé, en disant qu'il était en Espagne. Maintenant il dit qu'il est bien dans le centre
où il est, mais cela fait trois ans que je ne l'ai pas vu, ce que je veux pour l'instant c'est qu'on m'envoie mon
fils pour que je puisse le voir, ensuite s'il veut retourner là-bas qu'il retourne. Maintenant je dois m'occuper
de ses frères, ils sont neuf enfants. La responsabilité est très grande, avant j'avais plus de ressources, nous
avions un magasin qu'on louait à une boulangerie, mais maintenant à cause des mauvaises canalisations on
est inondé, cela fait quatre jours qu'il est fermé. Que veux-tu que je donne à manger à mes enfants ?
En outre, 10 entretiens ont été réalisés au Maroc et correspondent aux 11 entretiens réalisés par
la Fondation Jaume Bofill avec des mineurs se trouvant à Barcelone, (1 entretien correspond à un
mineur venu en « patera » et appartenant à l'axe 5 de l’étude).
Les causes les plus courantes de l'abandon scolaire sont les suivantes :
• l'éloignement du collège,
• les mauvais résultats scolaires,
• le manque de ressources économiques de la famille,
• la violence à l'école,
• l'intégration au monde du travail.
• Le cadre de travail :
C'est le deuxième point central. Après l'abandon scolaire, le mineur s'intègre dans le monde du travail,
mais dans des conditions précaires et avec un emploi sans qualification. Les mineurs travaillent comme
apprentis et aides pour des salaires de misère, avec des journées de travail très longues et presque sans
vacances. Cela entraîne une déception en ce qui concerne les perspectives de travail. Par ailleurs, il est signi-
ficatif que peu nombreux sont ceux qui se déclarent contents et fiers de leur travail.
Une fois que le mineur arrive en Espagne, un processus à la fois long et complexe commence. Dans ce
processus interviennent de nombreuses institutions, organismes, réglementations et autorités compétentes.
L'autorité compétente dans le domaine de la protection de l'enfance est le gouvernement autonome, alors
que la régularisation de la situation administrative est du ressort du gouvernement central. Un schéma du cir-
cuit d'accueil, de la documentation et du retour en Espagne est joint en annexe à l'axe 4, nous nous y réfé-
rons. L'obtention des papiers , c'est à dire la régularisation de la situation administrative est un objectif clair.
Mais, il arrive qu'une fois qu'on a obtenu les documents, comme nous a dit un jeune, que « les choses ne
changent pas pour autant ». Il se référait au fait que malgré la possession des papiers, à l'âge de 18 ans on
doit chercher une offre de travail pour pouvoir garder le permis de séjour.
Par ailleurs, la mobilité constitue l'une des caractéristiques de ce groupe. Elle est motivée par les réseaux
des pairs, les mineurs sont là où se trouvent leurs amis ou connaissances. L'obtention des papiers constitue
aussi l'une des causes qui fait que ces mineurs puissent se déplacer à travers tout le territoire espagnol. Parmi
les mineurs avec lesquels nous avons eu
EST-CE QUE TU AS ÉTÉ DANS LA RUE ? des entretiens, certains ont passé des
%
mois dans la rue. D'après eux, la cause
principale réside dans le fait qu'ils étaient
NON 64 % avec leurs amis et pouvaient gagner de
l'argent facile. Il arrive que certains
OUI 36 % mineurs finissent dans la rue à cause de
la mauvaise qualité des systèmes de pro-
TOTAL 100 %
tection.
Cette situation est encore plus grave pour les jeunes qui atteignent les 18 ans, et qui tout en ayant été
sous tutelle ne possèdent pas les documents nécessaires et sont abandonnés à leur sort et demeurent
«exclus du système».
Actuellement, des mineurs d'origine marocaine vivent dans les rues de Madrid, Barcelone ou Grenade.
Nous considérons que c'est un cri d'alarme social, en ce qui concerne ces mineurs (à Madrid ils sont connus
sous le nom de “la bande à la colle”).
A titre d'exemple, pour répondre à ces histoires de vie, on présente ci-dessous l'évolution en
Catalogne.
LA SITUATION EN CATALOGNE
Les origines géographiques des mineurs Marocains qui arrivent en Espagne ont évolué au fil des années depuis
l'apparition des premiers cas (1996) : le Nord du Maroc (surtout centré à Tanger avec 60 % et suivi, dans une
moindre mesure, par Tétouan et Larache) était au début, et continue d'être, le principal foyer d'émission.
Parallèlement, des jeunes arrivent en nombre plus réduit du Centre Atlantique (Casablanca et Rabat). A partir de
2002, des mineurs commencent à arriver des zones du Centre Sud (Béni Mellal, Errachidia et Kelaa Sraghna) et
du Sud (région de Marrakech, Laâyoune, Taroudant, Agadir).
Dans les comptes rendus des mineurs interviewés, ils décrivent le sentiment de désorientation des premiers jours
de leur arrivée. Sentiment dû à la méconnaissance de la langue, aux différences culturelles, à la solitude et à la
sensation de l'absence de protection.
Depuis l'année 2002, on constate que les mineurs ont, dès le départ, une information à la fois fiable et précise
sur la législation en vigueur en Espagne et les circuits de protection. Aussi, la désorientation qu'ils vivent pen-
dant les premiers jours ne peut être que plus passagère. Quelques témoignages relatent que ce sont les mineurs
eux-mêmes qui abordent les policiers, en leur demandant de les accompagner à un centre de protection. En fait,
cela est complètement différent des ces comptes rendus de méfiance et de clandestinité des premières années
(1996-2002). En effet, ce sont deux tendances qui coexistent car les jeunes qui viennent du sud ignorent la réa-
lité qu'ils auront à affronter ; tandis que ceux qui viennent du nord du Maroc et du Centre atlantique seraient
déjà dans une deuxième phase. La plupart de ces derniers ont des frères, des proches ou des amis résidant en
Espagne et c'est pourquoi ils ont une information directe sur la réalité du pays d'accueil.
Du fait de l'absence d'une politique étatique commune en matière de mineurs étrangers, les procédures des dif-
férentes communautés autonomes que le mineur traverse au cours de son itinéraire à travers la péninsule, ne
sont pas coordonnées.
L'évolution du circuit des soins dispensés par la Generalitat de Catalogne aux mineurs immigrés non accompagnés,
a été la suivante :
• Le processus migratoire :
Les mineurs descendent au port en bandes. Chaque quartier possède une “méthode” pour pouvoir
arriver en Espagne. Le mode le plus répandu consiste à se cacher en dessous des camions ou des
autocars. Il y existe divers types de techniques pour pouvoir accéder au bateau (certains mineurs y
accèdent en nageant pendant la nuit) ; et pour ne pas tomber de sous les autocars, ils utilisent un filet
qu'ils attachent aux axes des roues.
Normalement ces mineurs ne payent pas, même s'il y a des intermédiaires qui se font payer pour
les cacher. Au port, il y a des indicateurs de la police qui les dénoncent, ainsi que des mineurs qui se
dénoncent les uns les autres.
La question de la maltraitance qui est le fait de la police du port est une constante, et elle est
certainement très préoccupante. Non seulement des coups et de gifles, mais des cas de véritable
torture sont signalés. A travers les déclarations de certains mineurs, on constate des attitudes de
véritable acharnement contre ces jeunes qui se moquent constamment de la surveillance policière.
Les mineurs ont l'habitude d'entrer ensemble au port. Ils connaissent parfaitement les horaires des
bateaux, les types de remorques et la zone d'exportation où sont stationnées les camions. Il y a des
mineurs qui se cachent dans les autocars, mais en dehors de la zone du port à proximité des hôtels
de la plage.
La motivation la plus claire de l'émigration est celle de la solidarité familiale (le mineur veut aider sa famille),
ainsi que la présence d'amis et /ou de connaissances en Espagne.
“
En guise de conclusion, nous transcrivons un fragment de l'histoire d'une vie.
Je suis arrivé en 1996, j'avais 13 ans. Je suis allé à Valence, là-bas j'ai travaillé dans les oranges. Puis je suis parti
à Madrid à la recherche de mes amis. Nous vendions du hachich au Retiro et la police ne nous faisait rien. Nous
disions que nous étions algériens ou palestiniens. Nous étions une dizaine d'amis, nous travaillions dans la rue et
nous dormions dans une pension, ni centre ni rien. Pourquoi ? Parce qu'il y avait des adultes qui nous protégeaient.
En deux ans j'ai commencé la vente directe du hachich. Quand j'ai eu 16 ans je suis allé dans un appartement (il
se réfère à un centre d'accueil), j'avais la possibilité d'obtenir les papiers grâce à eux. J'y suis resté deux ans. La
première année, je vendais du hachich au Retiro, au cours de la deuxième année j'ai abandonné... Lorsque j'ai eu
17 ans, la loi a changé et ils ont commencé à expulser certains de mes amis... Si tu étais attrapé en train de vendre,
on t'expulsait..
Après avoir obtenu mes papiers, j'ai quitté le centre (appartement) et avec l'aide de cette asso-
ciation, j'ai obtenu un diplôme scolaire et j'ai suivi un cours de dessin de mode. J'ai commencé à
travailler et c'est moi qui ai obtenu l'offre de travail. Parce que j'avais la résidence mais pas le
permis de travail. Je suis resté six mois dans un atelier, on me payait 400 Euros par mois. Après
j'ai commencé à bosser dans un fast food, et maintenant j'y suis titulaire depuis deux ans. J'ai ache-
té un appartement, la traite est de 450 Euros et je loue deux chambres à 550 Euros. J'ai aussi ache-
té une voiture et j'envoie de l'argent à ma famille. Ce qui me manque le plus, c'est une femme.
Le Maroc ne me manque pas, j'aime venir pour voir si quelque chose a changé et pour voir ma
famille. Mais là-bas, il n'y a pas de droits, on nous traite comme des animaux. Là-bas tu dois te
taire. En Espagne non. Une fois j'ai pris le numéro de la plaque d'un policier, le type m'avait enle-
vé mon téléphone portable parce qu'il lui a plu, c'était un raciste, mais je l'ai dénoncé et j'ai gagné
le procès.
Un jour j'ai pensé “je vais avoir 18 ans”, et alors j'ai décidé de changer parce que je savais
qu'après tout serait plus difficile. J'ai commencé à travailler et à étudier. J'ai commencé à penser
à moi et à mes parents... avant je ne pensais pas à cela, je pensais seulement au présent. Je n'avais
pas peur de mourir, mais j'ai commencé à penser à l'avenir.
Maintenant, je pense que l'Espagne m'a tout donné. Moi j'ai payé 4000 Euros pour mon frère pour
qu'il vienne dans un camion caché dans la cabine, et maintenant je veux amener mon autre frère
qui veut étudier et mes parents.
Les gens de mon quartier disent que je suis un bon exemple. Ils disent “regarde le fils de ... qui
envoie de l'argent à ses parents chaque mois...”. Je ne te le dis pas pour le paraître, c'est la véri-
té, mais ce que je sens parfois c'est que je suis le”père” de mon foyer. J'ai 20 ans, mais parfois
j'ai l'impression d'en avoir déjà 60.
“
Analysetransnationale du phénomène migra
toire des mineurs marocains ve
rs l’Espagne
5.2.3.1. Les migrants potentiels
Les garçons dont les grands frères sont déjà en Espagne sont les principaux migrants potentiels ;
ils constituent un groupe à haut risque ; et d'habitude, ils sont âgés de 13 à 15 ans. Il est urgent d'en-
treprendre des actions de prévention de la migration des mineurs en direction de ce groupe.
Les mineurs n'ont pas l'habitude de combiner travail et études ; mais généralement ils mènent l'une
de ces activités avec celle de “descendre au port” . C'est par cette expression qu'ils désignent les
“
premiers pas de l'acte d'émigration.
- Je m'appelle Abdeslam B. et j'habite au quar tier Dchar Bendibane. Je travaillais avec un forgeron, mais ce
travail a commencé à por ter préjudice à mes yeux et j'ai changé de travail. J'ai travaillé comme tailleur, mais
je n'ai pas pu y rester parce que c'était trop dur. Maintenant je ne fais r ien, ni travail, ni études. Je suis arr ivé
jusqu'en troisième année du pr imaire mais j'ai abandonné parce qu'on nous frappait, mais en vér ité moi aussi
je n'avais pas tellement envie d'étudier. J'avais des amis qui m'encourageaient à m'absenter et j'ai abandonné la
classe, j'étais un peu fou, et voilà la conséquence. Il y a quatre ans que je ne vais plus à l'école, j'ai 14 ans
maintenant. Le lendemain de mon abandon de l'école, mon g rand père m'a dit qu'il connaissait un mécanicien
et que si je le voulais, je pourrais travailler avec lui. J'ai travaillé pendant huit ans avec lui jusqu'à ce le
propr iétaire l'expulse du local. J'ai passé trois ans avec le forgeron et deux ou trois mois avec le tailleur. J'ai
huit frères et sœurs dont l'aînée est une fille.
- Bon maintenant que nous te connaissons un peu, revenons au sujet dont je te parlais auparavant, lorsque
vous jouez ou bien au café est-ce que vous parliez d'aller en Espagne ?
- Oui, tout le monde rêve de s'en aller en Espagne, aussi bien les g rands que les petits. Dans
mon quar tier il y a un enfant qui est par ti à l'âge de 12 ans. Ils l'ont mis dans une école, lui
ont établi les papiers. Lorsqu'il est revenu nous avons été ensemble et il nous a un peu raconté
comment il vivait en Espagne. Il travaille à Madr id avec un homme qui le traite très bien. Nos
amis nous disent qu'il y a de bonnes et de mauvaises choses. Parfois ils sont renvoyés. Cet ami
était avec cet homme chez lui, et il lui demandait de ne pas sor tir jusqu'à ce qu'il lui fasse les
papiers. Moi, sincèrement je ne crois pas tout ce qu'on me raconte, et il est nor mal que l'on
souffre un petit peu même si on ne le reconnaît pas par la suite, parce que si on le reconnaît les
gens n'auront pas une bonne impression.
- Est ce que tu as tenté une fois d'aller en Espagne ?
- Oui, de temps en temps je descends au por t pour tenter ma chance. Je veux aller vivre avec
mon frère, obtenir les papiers et un travail.
- Est ce que ton frère vit en Espagne ?
- Oui, il est parti clandestinement, il s'est couché sous un autocar et maintenant il est à Madr id.
- Tu m'as dit avant que tu avais essayé une fois d'émigrer.
- Oui, je descendais au por t, on me donnait une raclée et je revenais au foyer.
- Qui vous frappait ?
“
- La police. Nous descendons en g roupe et à la porte d'entrée au port, nous nous dispersons. Une fois à l'inté-
r ieur chacun se débrouillait.
La majorité des mineurs qui émigrent sont des enfants, des adolescents et des jeunes liés à un groupe
domestique, à une famille, et seule une petite partie sont des enfants de la rue qui n'ont pas de liens avec
leur famille et font de la rue leur mode de vie. L'émigration de ce groupe possède des espaces et des carac-
téristiques propres. Dans la région de Tanger-Tétouan, ces mineurs émigrent principalement à Ceuta ; cepen-
dant le nombre des « enfants de la rue » qui arrivent à la péninsule est infime. Dans une enquête réalisée
par DARNA (association qui travaille à Tanger dans le domaine de la protection de l'enfance dans la rue)
avec des enfants de la rue à Tanger et Ceuta, on leur a demandé : Est-ce que tu aimerais bien traverser
le Détroit jusqu'en Europe ? L'as-tu déjà essayé une fois ? 90% des jeunes affirmaient qu'ils voulaient tra-
verser le Détroit, mais seulement 26% à Tanger et 25% à Ceuta l'ont essayé une fois. Le sujet de l'émi-
gration est une constante dans ce groupe, si on demande à n'importe quel enfant de la rue de Tanger :
Qu'aimerais-tu faire quand tu sera plus grand ? Il vous dira rapidement : « m'en aller en Europe ». Mais cela
ne veut pas dire pour autant qu'ils pourront mettre à exécution leur idée. L'enfant de la rue est trop lié à
la survie quotidienne pour élaborer la stratégie qu'exige le fait d'immigrer.
Pour les enfants de la rue de Tanger l'émigration temporaire à Ceuta est possible (même si cela est
plus fréquent chez les jeunes de Tétouan). Ils y arrivent avec l'intention de gagner un peu d'argent et
revenir chez eux. Cependant l'émigration à la péninsule n'est pas essentiellement le fait des enfants de la
rue, même s'il y a également des mineurs de la rue qui émigrent à partir des ports de Ceuta et de Tanger.
Contrairement à l'opinion répandue, la vie dans la rue n'est pas une option recherchée, mais la consé-
quence du cercle vicieux dans lequel se trouvent les jeunes. L'émigration des jeunes à Ceuta comporte un
grand risque de violation systématique de leurs droits. Le phénomène de l'émigration de ces mineurs est
le plus « sanglant ». L'idée « d'invasion » que les médias ont renforcée pendant le mois d'avril 2002 méri-
te de retenir notre attention. En comparant l'information publiée dans la presse, qui signalait « l'invasion
des mineurs marocains », avec le chiffre avancé par MSF sur le nombre de mineurs « dans la rue », nous
constatons qu'en février 2002 il y avait 40 mineurs dans la rue, 37 en mars et 38 en avril. Encore une
fois, nous sommes en présence de l'exagération de ce phénomène et de l'inquiétude /la peur sociale.
“ …J'ai quitté l'école, j'ai commencé à fumer et à sniffer de la colle. Ensuite, j'ai cessé d'aller à la maison
et j'allais au port pour émigrer, puis j'ai commencé à fréquenter des amis qui avaient l'habitude d'être à l'en-
trée du port, eux aussi sniffaient de la colle, comme moi. ”
“…Moi j'habitais dans ma maison et je vendais des mouchoirs, ensuite j'ai commencé à vendre des ciga-
rettes, un jour la police m'a tout enlevé et j'ai décidé de rester dans la rue cette nuit-là. Au début je ne snif-
fais pas la colle, les gens étaient très généreux à mon égard puis j'ai fait la connaissance de quelques gar-
çons qui m'ont appris à sniffer. J'ai cessé d'aller à la maison car ma mère est séparée de mon père, ils se
sont remariés tous les deux chacun de son côté, mais moi je ne m'entends pas bien avec ma belle-
mère…Dans les alentours du port on m'a raconté que si les enfants qui vont à Ceuta restent 3 ans là-bas,
on les emmène au collège, on régularise leur situation puis on les emmène en Espagne. J'ai donc décidé d'y
aller, mais j'étais jeune et je n'ai pas pu supporter. A Ceuta il y a un sentiment très fort de peur, ce n'est pas
comme ici… Au total j'y suis allé quatre fois…” .
“ A Ceuta j'étais dans le centre de San Antonio et on m'a donné des vêtements, mais lorsque la Guardia Civil
m'appréhendait elle me chassait. J'ai essayé de revenir à la nage mais on tirait sur nous des balles en caout-
chouc ”.
“ J'avais un ami qui m'encourageait à émigrer, il me disait qu'il fallait que je sois plus fort. J'ai suivi son
conseil et un jour nous nous sommes mis tous les deux sous un autobus, il été pris au poste de douane et
bien qu'il ait reçu une raclée il n'a pas voulu me dénoncer. Lorsque l'autobus est entré dans le bateau je suis
monté à la terrasse pour chercher quelque chose à manger et voir comment les poissons suivaient le bateau.
A partir du moment où j'ai commencé à voir Algeciras, je suis descendu au garage, je n'ai pas réussi à trou-
ver l'autobus, c'est la raison pour laquelle je me suis mis en dessous d'un camion. Là-bas un Guardia Civil
m'a attrapé, il était très gros et il m'a conduit au commissariat, là-bas il y avait un traducteur qui m'a
demandé des renseignements et il m'a demandé pourquoi je suis venu, je lui ai dit que c'était pour étudier,
mais ils m'ont dit qu'ils allaient me renvoyer, je les ai suppliés mais cela n'a servi à rien ”
• LA RÉGLEMENTATION
- LA RÉGLEMENTATION EN ESPAGNE :
- LA RÉGLEMENTATION AU MAROC :
La Loi n° 02.03 du 11 novembre 2003 relative à l'émigration clandestine.
Elle ne réglemente pas le rapatriement des mineurs. Il y a un vide juridique dans ce domaine.
Cette loi régit l'émigration clandestine, qui constitue un délit, sans distinction entre les mineurs
et les adultes.. Cette nouvelle loi applique des mesures strictes et met en place une politique de
sanctions.
L'Ancien code pénal chapitre III, article de 419 à 458.
Le Nouveau code pénal, article de 512 à 514.
Les mesures relatives à la protection des mineurs sont appliquées :
Le mineur est remis à sa famille après avoir été sanctionné (procès et amende).
Dans le cas où le mineur n'a pas de famille le juge le place au Centre de Protection de l'Enfance,
sans que cette mesure ne puisse dépasser trois mois avant de le diriger vers d'autres mesures
ou recours.
Il est possible d'encadrer le mineur dans une association habilitée après accord préalable à cet effet.
•Atitreexceptionnel seulement, le présumé mineur sans papiersintégre ra un centre •L'Institution Publique de la Protection des
deprotection sociale ou secours social adéquatquand il nécessite des soins immédiats Mineurscorrespondante de la Communauté
silaprocédureanté rieure n'a pas pu êtresuivie. Autonome.
• Le Procureur met
t
ra le mineur à la disposition des Services de Protection •Le Procureur
•Ouverture d'une enquête de protection et mesures des soins immédiats pour le •L'Organisme Public de la Protection des
mineur non accompagné et sans papiers. Mineurs de la CommunautéAu tonome
• Le mineur se présente ra au Bureau Consulaire de son paysd'origineprésumé; pour son •L'Organisme Public de la Protection des
identification et la localisation de sa famille ou la vé
rfi
i cation queladiteidentification Mineurs
ouleregroupement avecsafamille ne sont pas possibles. •Les Forces etCorps de Sécuri
tédel'Etat
Dans le cas où il n'y a de représentation diplomatique en Espagne, les démarches pour
•Ministère des AffairesEtrangères(àtrave
rs
ladétermination des ServicesdelaProtection des Mineurs du paysd'origine du mineur
la Sous délégation du Gouvernement)
seferontàtrave rs le canal du Ministère des AffairesEtrangères.
(10) Protocole élaboré par l'Observatoire de l'Enfance, il est joint à l'annexe des modifications suite à l'Instruction du Procureur Général
de l'Etat
• Unefois le mineur identifiéetsafamille localisée, ou à défaut les Services de •L'Organisme Public de la Protection des
Protection des Mineurs du pays d'origine, on le communiqueraàl'Administration Mineurs compétent de la Communauté
Généraledel'Etat,autorté
i compétente en matièred'étrange rs. Au
tonome.
•L'auto
rté
i gouvernementale compétente auto riseralerapatriement du mineur qu
i •Ministère de l'Inté rieur (Délégations et
seraexécutéparlesfonctionnaires du Corps de la PoliceNationale. Sous délégations du Gouvernement).
• Si le mineur n'a pas pu êtreidentifiénisafamille localisée, ou si dans son pays •L'Organisme Public de la Protection des
iln'existe pas d'organisme de tutelle des mineursilfaudra décider sa permanence Mineurs compétent de la Communauté
en Espagne. Au
tonome.
• Unefois sa permanence en Espagne décidée, l'abandon déclaréetlarésolution •L'Organisme Public de la Protection des
detutellesignée,l'organisme quiexe rceracet
tetutelle demanderaàl'autorité com- Mineurs compétent de la Communauté
pétentelepermis de résidence, conformément à ce questipulel'article35.4.dela Au
tonome.
Loi Organique 8/2000, pour ce mineur qui serarétroactif dans le temps au •Délégations et Sous délégations du
moment où il fut mis à sa disposition, tout cela est communiqué au Registre des Gouvernement.
MineursEtrange rs en situation d'abandon. •Corps National de la Police.
• Après l'écoulement de neuf mois depuis que le mineur a été mis à la disposition •Ministèredel'Inté
rieur
des services de la protection des mineurs, on procéderaàlaremise du permis de •Délégations et Sous délégations du
résidence (l'article 35.4 de la LO 4/2000 amendé par la L.O. 8/2000). Gouvernement.
• L'autori
té gouvernementale porte
ra à la connaissance du Procureurtoutes les •Ministèredel'Inté
rieur
actions menées à bien dans cet
teprocédure. •Délégations et Sous délégations du
Gouvernement.
• Acheminement du mineur ve
rs le Centre de Protection au cas où il n'auraitpas •Centre de Sauvegarde de l'Enfance
defamille
•Acheminement du mineur ve
rs une association habilitée à accueillir le mineur •Associations habilitées
après accordpréalable.
• Procès etve
rsement de l'amende •Procureur du Ro
i
•Juge des mineurs
Les irrégularités les plus courantes et les violations des droits fondamentaux
• Ni le mineur ni sa famille ne sont, le plus souvent, informés de la cause du rapatriement.
• Le mineur n'est pas, le plus souvent, entendu avant d'être avant d'être rapatrié.
• La manière dont la police effectue le rapatriement en Espagne est contraire à la loi dans 45% des cas.
• Au Maroc il n'y a pas d'intervention réellement cohérente et structurée ; il y a un pouvoir discrétion-
naire dans les démarches suivantes : déclaration, procès, paiement de l'amende, durée de la déten-
tion, assistance pendant la durée de la détention.
« Mon fils a été à Madrid pendant une année, lorsque les personnes avec qui il habitait sont partis en
vacances, il est parti à la maison chez sa tante à Barcelone. Il a été détenu pendant une semaine puis il fût
envoyé à Ceuta. Il est venu avec ses espadrilles, un pantalon court et un tricot de peau. Maintenant il est
désespéré… Il me dit toujours qu'il veut revenir, parce que là-bas il a ses affaires et son passeport …Il
passe la journée à pleurer et moi aussi… Il tombera malade s'il ne réussit pas à revenir… Il passe la jour-
née au port et je ne sais plus quoi faire avec lui… ».
« Non, moi je n'ai jamais été dans un centre, je restais dans la rue. Un jour nous sommes partis, moi et
celui-là, j'ai été arrêté le même jour. Ils ont attendu 24 heures, puis ils ont amené un traducteur. Ils ont rem-
pli un papier et nous ont renvoyé de nouveau au Maroc …A Algerisas nous avons été conduit au commis-
sariat, d'abord à celui du port puis à celui de la ville , là-bas on nous a donné une limonade qui nous a dro-
guée lorsque nous l'avons l'a bue ; nous nous sommes mis dans un petit coin et nous n'avions plus eu envie
de parler ni rien… Nous avons toujours la même sensation lorsque nous la buvons , lorsque nous nous
réveillons le matin nous avons un mal de tête terrible, comme si nous avions dormi pendant 20 ans. Arrivés
à Tanger le policier du bateau nous a mis les menottes, il a appelé le commissariat du port et nous y a
emmené. Ils nous ont détenu, rédigé un rapport et présenté au bureau du Procureur. Des fois ils nous main-
tiennent en détention pendant 3 jours »
« Moi qui suis plus jeune, j'ai été détenu pendant 2 jours comme de nombreux jeunes. Quand ma mère
venait pour me voir, ils le lui interdisaient. Ils lui disaient de leur laisser la nourriture qu'elle m'avait appor-
tée et qu'ils se chargeront de me la remettre. Quand mon père descendait au port pour me voir il leur don-
nait 20 dirhams, un paquet de cigarettes et ils me relâchaient ».
« … Cela faisait deux mois que j'étais à Madrid, j'étais sous tutelle et tout ce qui s'en suit. Un jour à
quatre heures du matin la police est entrée dans ma chambre pendant que je dormais, et sans aucune expli-
cation, ils m'ont réveillé en me demandant de les accompagner. Ils m'ont emmené directement à l'aéroport
de Barajas, nous avons attendu jusqu'à midi le départ d'un avion vers Tanger, au Maroc. A aucun moment
on ne m'a informé que j'allais être renvoyé au Maroc et ils ne m'ont même pas demandé si j'étais d'accord.
Ils ne m'ont même pas permis de téléphoner de l'aéroport pour contacter ma famille. Elle ne savait rien et
n'était pas au courant de mon arrivée. Personne n'a informé ma famille que j'allais être rapatrié et person-
ne ne lui a demandée si elle voulait que je revienne.
Arrivé à Tanger, on m'a emmené au Commissariat Central, j'ai donné à la police le numéro de télépho-
ne de ma famille. Ma sœur et ma mère sont venues me chercher au Commissariat Central de Police. »
« Nous n'avons pas les moyens de connaître la raison pour laquelle ils l'ont rapatrié. Il y a un mois que
mon fils Fettah est revenu et il se sent perdu. Quand il veut dormir il me dit qu'il s'est habitué à retirer ses
vêtements avant de se coucher et qu'en Espagne il portait un habit spécial pour dormir. Il se levait le matin
pour déjeuner à la salle à manger, il jouait au football, il étudiait, et prenait sa douche. Maintenant il ne
veut plus manger notre nourriture, il s'est habitué à manger du poulet, des œufs aux plats et des salades. Il
a appris la langue en cinq mois. Ici, il ne trouve rien de cela. La première semaine lorsqu'il a été renvoyé,
il prenait un stylo et une feuille et il écrivait en espagnol, mais après 15 jours il a cessé de le faire. Il n'ar-
rête pas de me dire tout le temps qu'il veut retourner là-bas, que s'il reste ici il sera perdu et que 200 per-
sonnes au Maroc seront perdues avec lui. Nous n'avons pas d'argent pour lui payer un autre voyage. Il y
a des gens qui vendent leur or, il y a ceux qui vendent leurs affaires, nous, nous n'avons rien à vendre. ».
• Les familles :
La grande différence entre l'émi-
COMMENT AS-TU EU L'ARGENT ? %
gration des mineurs en zones
urbaines et en zones rurales réside N/C 12 %
dans le fait que pour ces dernières
Ma mère a vendu ses bijoux 6%
nous pouvons affirmer qu'il existe
une stratégie migratoire familiale. La Ma mère a vendu une vache 18 %
famille parie sur le mineur, parfois, Mon père a vendu une voiture 6%
parmi ses frères majeurs.
Ils ont emprunté de l'argent 6%
Le profil de la famille en zone Quelqu'un de la famille me l'a donné 35 %
rurale est en majorité le couple avec
des enfants, des familles nombreuses Mon oncle me l'a donné 6%
et même très nombreuses qui vivent Autres 12 %
dans les douars et à la périphérie
TOTAL 100 %
des villes de l'intérieur. La vie dans
les douars est particulièrement dure
parce que l'accès aux services sociaux de base est difficile, ou extrêmement difficile (santé, éducation,
loisirs, transports) ; la majorité des foyers ne dispose pas d'eau potable.
La majorité des familles vit des travaux de la terre et les parents sont analphabètes. Le niveau
moyen de scolarisation des frères et sœurs est celui du primaire. Ce sont des familles très pauvres
avec des revenus de moins de 1000 dirhams par mois. Ce sont des familles traditionnelles qui ont un
mode de vie propre aux zones rurales (endogamie, réseaux de solidarité très forts, etc.). Une autre par-
tie des familles a émigré vers la périphérie des grands noyaux urbains (tel que Fès), et vit cette exclu-
sion que nous avons déjà mentionnée pour les familles établies dans la périphérie de Tanger.
Témoignages
DES FAMILLES
« En Espagne le niveau de vie est bon, ici nous n'avons pas cela. Les jeunes veulent étudier et s'habiller bien
mais ici ils ne peuvent pas avoir cela. Ils émigrent également pour aider un peu leurs familles et pour
prendre soin d'eux-mêmes. Ici il n' y a pas de travail, ici il n' y a rien. »
« …La cause de tout cela c'est la pauvreté. Par exemple, j'étais malade à l'hôpital pendant un mois, je devais
être opéré mais je ne pouvais pas me le payer. Cela fait 4 ans que je suis un régime spécial, j'espère que
lorsque mon fils travaillera, il pourra m'envoyer de l'argent pour que je puisse être opéré. J'espère qu'il me
sauvera de cette maladie. Nous vivons dans des conditions précaires, mon fils n'a jamais eu un pantalon
décent. »
« …Ici les familles n'ont rien et peu leur importe le risque de vendre l'unique vache qu'ils possèdent. Ici, on
dit c'est que si le jeune arrive, il pourra sauver sa famille. Les premières générations qui ne comprenaient
rien ont déjà tout perdu. Les jeunes d'aujourd'hui sont dégourdis. Ici beaucoup de gens meurent en été. Il y
a beaucoup de piqûres d'insectes et l'hôpital se trouve à 28 Km, il n' y a ni transport ni rien. Ils se mettent
sur la route nationale et attendent un taxi, mais la plupart du temps personne ne veut s'arrêter ; ils croient
que ce sont des voleurs ou quelque chose du genre. C'est à cause de tout cela que les jeunes n'ont pas peur
de perdre la vie dans le Détroit pour assurer un avenir meilleur. »
« S'ils renvoient le mineur… c'est une catastrophe… la pauvreté est doublée car dans ce cas le père de la
famille reste sans la vache qui servait pour subvenir à leurs besoins et sans le fils sur lequel la famille avait
parié. Elle reste sans rien et c'est le pire des scénari. C'est le contraire qui se produit, lorsque leur fils réus-
sit. Ils peuvent attendre pendant deux ans, dans la misère la plus absolue, jusqu'à ce que leur fils commen-
ce à leur envoyer de l'argent. Ici il y a beaucoup de gens, qui lorsqu'ils n'achètent pas un kilo de farine ne
dînent pas, ils ont vendu tout ce qu'ils avaient pour envoyer leurs enfants en Espagne pour que ces derniers
puissent leurs acheter par la suite des maisons, des parcelles de terrain et leur procurer du repos. Ici il y a
beaucoup de gens qui ne dînent pas, d'autres qui n'ont pas de quoi payé une facture de 10 dirhams, et un
grand nombre n'ont pas d'électricité. Le jour où notre maître (il fait référence au Roi) a dit dans un discours
que les banques prêteraient de l'argent pour acheter des terres agricoles, beaucoup de gens se sont endet-
tés et personne n'a encore rien payé … »
Une pratique des intermédiaires qu'il faut dénoncer, c'est « l'enlèvement » dont sont l'objet certains
mineurs (et quelques adultes) une fois la « patera » arrivée sur la côte espagnole. Trois mineurs inter-
viewés nous ont dit qu'ils en ont souffert. Une fois la “patera“ arrivée sur la côte quelqu'un “enlève“ ces
mineurs et ne les libère qu'une fois que la famille ait payé la rançon.
« … Nous nous sommes rassemblés, 5 garçons de mon village, et nous avons pris un taxi pour 300 dirhams
jusqu'à Al Hoceima. Là-bas un transporteur est venu nous chercher, nous avons passé la nuit du samedi chez
lui. Le lendemain nous sommes parti la nuit, nous avons quitté sa maison à 20 h 30. C'était le 14 décembre,
nous avons dévalé une montagne et embarqué sur la « patera », au total trois « pateras » sont sorties. Au
lever du jour j'ai pris une limonade et des biscuits pour manger, en vérité je n'avais pas très envie de man-
ger, les gens vomissaient tout le temps. Nous sommes arrivés à 2 heures du matin, et sommes restés plus de
24 heures avant de débarquer à Motril. Je suis parti directement sur la route nationale et la Guardia Civil
m'a arrêté tout de suite. Ils m'ont emmené au commissariat, et plus tard ils ont ramené les gens qui sont
venus avec moi en zodiaque. »
« Comment tu as été traité par la police?... Et bien, je ne les comprenais pas, il y avait un qui parlait fran-
çais et qui m'a demandé mon âge, j'ai répondu que j'avais 15 ans, il m'a embarqué en voiture et m'a mis les
menottes. Ils m'ont donné du café, le petit déjeuner et quand je suis allé à la salle de bain j'étais accompa-
gné. Les autres personnes qui m'avaient accompagné ont été renvoyées, mais moi j'ai été envoyé dans un
centre à Motril. Il n' y avait pas grand monde, ensuite j'ai été emmené de nouveau au commissariat. Je suis
tombé sur un jeune que je connaissais déjà et qui a voyagé sur une autre « patera », il avait le vertige et ne
m'a pas reconnu. J'ai téléphoné à ma mère pour la tranquilliser, elle était en train de pleurer. Maintenant je
les appelle beaucoup plus souvent ».
« J'ai eu très peur, je n'avais jamais vu la mer auparavant et quand je l'ai vue dans l'obscurité j'ai eu enco-
re plus peur. Une fois dedans, je me suis calmé mais quand nous nous sommes approchés des côtes espa-
gnoles nous nous sommes perdus. En plus, nous sommes restés presque sans carburant, le capitaine a arrê-
té les moteurs et nous sommes enfin arrivés, par miracle.»
Au Maroc, l'émigration est un phénomène structurel. Les mineurs sont les nouveaux acteurs de
cette émigration. Etant un phénomène international, il requiert un traitement transnational.
Ce phénomène migratoire a pour source les campagnes autant que les villes, mais avec des carac-
téristiques spécifiques. Les zones de provenance des émigrés sont : Tanger/ Tétouan, Al Hoceima et
Nador, Casablanca, Fès, Sidi Slimane, Beni Mellal et Kelaa Sraghna.
Les pays de destination sont les Pays Bas, la Belgique, l'Italie, l'Espagne et la France.
Le passage effectif des frontières a lieu pour le nord ouest au port de Tanger, à Ceuta, et par
« patera » à partir de Tanger et Oued Laou ; pour le nord-est au port de Nador, à Melilla, et en « patera »
pour la zone de Al Hoceima, pour le centre au port de Casablanca, pour le sud-est par « patera » depuis
Tarfaya vers les Iles Canaries.
D'après le Ministère de l'Intérieur (2002), il y a 6329 mineurs non accompagnés en Espagne (il n' y
a pas d'informations détaillées par pays d'origine). Le gouvernement du Maroc n'avance pas de chiffre
officiel à ce sujet.
Depuis janvier 2003 la présence des mineurs sur des « pateras » est devenue constante.
a) Les mineurs sont scolarisés, vivent avec leur famille dans un environnement stable, la famille a
une situation économique qui satisfait les besoins de base tels que, la nourriture, l'habille-
ment, le logement, l'éducation et la santé, et le travail des enfants n'est pas nécessaire.
b) les mineurs ont des problèmes au niveau de leur scolarisation, et ils ont déjà eu une premiè-
re expérience de travail, ils vivent dans un environnement familial affectivement stable, la
famille vit une situation économique précaire où les besoins de base ne sont pas satisfaits.
d) les mineurs vivent dans la rue et ne gardent pas de relation assidue avec leur famille.
Ces contextes familiaux ont des caractéristiques spécifiques dans le milieu urbain où les familles
sont victimes de l'exclusion sociale. Dans les contextes ruraux c'est la pauvreté rurale et le mode de
vie traditionnel qui constituent les caractéristiques majeures.
C'est un phénomène dont les acteurs principaux sont les garçons, mais une attention particulière
doit être accordée à la spécificité de la migration des filles.
L'émigration des enfants de la rue possède ses zones et ses caractéristiques propres. Dans ce groupe
nous devons distinguer les mineurs qui arrivent à Tanger, à partir d'autres zones, pour émigrer et passent un
certain temps dans la rue.
Les mineurs immigrés potentiels sont ceux dont les frères aînés sont déjà en Espagne. Il y a des « fractures »
importantes dans les processus d'intégration en Espagne.
Les retours effectués sans garanties consolident davantage la spirale de l'absence de protection et de
détérioration.
De nombreux pères et de nombreuses mères, vivent de véritables drames, devant le manque d'informa-
tions et l'absence de défense face à cette nouvelle réalité de l'émigration de leurs enfants
La prévention de cette émigration précoce constitue une tâche urgente que le Maroc, les organismes de
coopération au développement et les associations doivent s'assigner.
1. Le retour du mineur dans son pays d'origine aux fins de regroupement (si c'est avec sa famille) ou de
rapatriement (s'il est remis aux autorités de son pays) doivent avoir pour finalité unique et primordiale la
sauvegarde de l'intérêt supérieur du mineur. Cette sauvegarde de l'intérêt supérieur doit être justifiée et
suffisamment vérifiée. D'après le Procureur Général de l'Etat Espagnol (12) : « Le rapatriement n'est pas
un objectif absolu que l'on doit poursuivre à tout prix ; d'autres intérêts peuvent aussi être en jeu tel que
la vie, l'intégrité physique ou psychologique et le respect des droits fondamentaux du mineur, qui peuvent
faire que la balance de l'intérêt supérieur du mineur penche finalement en faveur de sa permanence dans
notre pays ». Cependant, le rapatriement ou le regroupement doit être vérifié, justifié et appliqué en tant
que mesure de protection de manière individuelle.
3. Le Mémorandum d'Entente, signé par le Maroc et l'Espagne, concernant le rapatriement avec assistance
des mineurs non accompagnés constitue un instrument insuffisant et limité pour faire face à cette réalité.
Dans son application et en respectant la Loi Organique 1 / 96, de Protection Juridique du Mineur (LOPJM),
nous recommandons en tout moment :
- Le mineur doit être entendu et son opinion prise en compte,
- L'intégrité physique du mineur doit être garantie,
- Il faut évaluer techniquement l’existance d’une situation familiale et un environnement social permettant
au mineur de se développer dignement dans le cas de regroupement ou rapatriement,
- Le regroupement familial ou le rapatriement ne doit pas être un objectif absolu, l'intérêt supérieur du
mineur doit toujours prévaloir de manière avérée,
Nous déconseillons la création de centres pour regrouper ou retourner des mineurs comme mesure d'application
de ce Mémorandum parce que il y a le risque d'appliquer de manière intense les mesures de regroupement
ou de rapatriement à une grande partie du groupe des mineurs non accompagnés, sans garantir pour autant
la sauvegarde de leur intérêt supérieur. A tout moment, la défense des droits fondamentaux des mineurs doit
prévaloir sur leur condition d'immigrés clandestins.
4. La Priorité des priorités : L'ARRÊT de la maltraitance des mineurs renvoyés dans les commissariats.
7. La mise en place d’une politique sociale intégrée pour les groupes en situation d'exclusion sociale.
8. La dénonciation active des retours sans garantie pour protéger les droits fondamentaux des mineurs expulsés
et la collaboration avec le Défenseur du Peuple en Espagne et la Justice marocaine pour dénoncer les cas de vio-
lations des droits fondamentaux de ces mineurs, en vue de permettre, entre autre, leurs retour volontaire et avec
garantie.
10. L'élaboration d'un guide juridique international sur le traitement des mineurs étrangers non accompagnés.
11. L'encouragement des organismes étatiques compétents à mener des études quantitatives et qualitatives sur
les mineurs migrants.
12. La mise en place d'un observatoire pour la dénonciation de toute violation des droits fondamentaux des
mineurs.
Jiménez Álvarez, Mercedes. “Buscar la vida : La emigración de los menores marroquíes” Trabajo de
investigación para el tribunal de estudios avanzados. Programa de Doctorado “Antropología Social”.
Departamento de Antropología Social y Pensamiento Filosófico. Facultad de Filosofía y Letras.
Universidad Autónoma de Madrid. 2003.
Lorenzo Villar, Manuel. “Migraciones en Marruecos, nuevas tendencias hacia España” Claves para
una estrategia de cooperación. Oficina Técnica de Cooperación, AECI, Rabat, 2002. Sous-presse
López García, Bernabé, “La evolución cronológica del asentamiento de los marroquíes en España”.
En : Atlas de la migración magrebí en España. López García, Bernabé ; Planet, Ana y Ramírez, Ángeles.
TEIM. UAM. Madrid 1996.
López García, Bernabé, “Marruecos en trance, Nuevo Rey, Nuevo siglo, ¿Nuevo Régimen?”,
Estudios de Política Exterior, Biblioteca Nueva, Madrid 2000.
Chakib Guessous, “L‘exploitation de l’innocence.Le travail des enfants au Maroc” 2003. Eddif.
Acuerdo entre el Reino de Marruecos y el Estado Español de la repatriación de menores migrantes. 2003.
Prensa española sobre el acuerdo hispano-marroquí sobre devolución de los menores inmigrantes no
acompañados.
Declaraciones del Delegado de Gobierno para la Extranjería, Ignacio Gónzalez. Mayo 2003. Rabat.
Denuncias de SOS racismo de retornos efectuados sin garantías.
Informe de Human Rigths Watch “Callejón sin salida : menores extranjeros no acompañados” 2002.
Informe de PRODEIN. 2004
“Menores en las fronteras : de los retornos efectuados sin garantías a menores marroquíes y de los
malos tratos sufridos”. SOS RACISMO y Colectivo Al Jaima. 2005. http.indymedia.estrecho.org
Traduction :
Loudiyi Abdelaziz - Multicom (Rabat)
Conception et impression :
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