Adhuc Stat
Adhuc Stat
Adhuc Stat
« Une colonne brisée et tronquée par le haut, mais ferme sur sa base, avec cette devise ADHUC STAT »
« Elle se soutient encore ou elle est encore debout ou sa base est encore solide. »
« Que l’homme est dégradé, mais qu’il lui reste des moyens suffisants pour obtenir d’être rétabli dans son
état originel, et que le maçon doit apprendre à les employer. »
Les jours de réception d’un apprenti, on placera sur le devant de l’autel le tableau mobile correspondant à
ce grade.
Au Rite Ecossais Rectifié, il est dit que tout est « donné » au premier grade d’où l’importance de la
compréhension initiale du Tapis de Loge. Ce tableau semble être un point de départ puisque nous avons
chuté d’un état primordial et que nous voulons le retrouver, le restaurer. Dans quel état sommes – nous ?
Alors, en l’occurrence, ne devenons pas des dévots, soyons sincères dans notre « désir ». Sinon, comment
pourrions-nous être appelés ?
Au Rite Ecossais Rectifié, tout est « donné » au 1er grade. Cette affirmation sous entend que la colonne
brisée est pour l’apprenti un processus qui permet d’atteindre l’état recherché et non être l’état de départ.
« …et sitôt que les circonstances de son travail le permettront, il sera préparé à une nouvelle réception,
de telle manière que le but final de l’Ordre puisse être atteint. »
Dans les deux rites, la colonne brisée est le symbole de l’apprenti. Je dirai, le but à atteindre.
Qu’en est-il ?
Par quelle tempête, par quel assaut des éléments ou des hommes a-t-elle été bousculée, secouée jusqu'à en
perdre la tête, jusqu'à en être brisée ?
Dans un premier temps, elle me rappelle ces colonnes brisées surmontant, au cimetière, certaines tombes,
dont on me disait, enfant, qu'on les mettait sur la tombe d'êtres jeunes et enterrés civilement ;
Donc, même dans ce contexte « profane », cette colonne brisée était l'image d'une vie humaine brisée
avant l'heure normale.
Et pour nous ?
Considérons-la : sa base est solidement établie sur la terre, ancrée dans la terre. Elle est carrée, elle est un
parallélépipède rectangle, surmonté d'un cylindre. Le carré, dans à peu près toutes les traditions, dans
toutes celles que je connais un peu, est l'image de la terre, de la matérialité. Mais cette base, image du
matériel, du terrestre, du terreux, est surmontée d'un cylindre, d'une figure à base de cercle : le cercle,
image du ciel, donc du monde spirituel. Et ce cylindre, monolithique, et non fait de cylindres empilés,
comme dans les colonnes antiques, s'élève, se dresse à la verticale, vers le ciel, image du spirituel, du
divin.
Que nous dit-on dans la GENESE ? L'Homme a été créé à l'image de Dieu, et il a reçu mission de dominer
la terre et les créatures : il nomme les animaux, donc a fortiori, les plantes, je suppose. Il en prend ainsi,
selon la volonté d'Eloim, possession.
Créé à l'image de Dieu, donc conforme à l'Unité, mais avec tout de même un élément duel : « homme et
femme Il les créa, à l'image de Dieu, Il les créa ». A l'instar de Dieu qui est l'Un et le Tout, il inclut dans
une harmonie totale le féminin et le masculin.
Ce, dans le récit primitif, puis vient le second récit, plus tardif, qui introduit la notion de faute originelle,
ou, tout au moins, ce que la tradition religieuse a considéré comme tel.
Le Serpent, animal chthonien, donc quelque part féminin, liée à la Déesse Mère, présente à l'origine de
toutes les traditions, le serpent incite, initie la partie féminine, la plus subtile, à manger du fruit de l'Arbre
de la Connaissance, la connaissance du Bien et du Mal, ainsi, dit le Serpent, « vous deviendrez comme des
dieux, connaissant le bien et le mal » (Gen. III, 3)
La première conséquence de cet acte fut la prise de conscience de leur matérialité : « ils virent qu'ils
étaient nus » (Gen. III, 7) Ils l'étaient avant, et le voyaient, à moins d'être aveugles ! Mais ils n'en avaient
pas conscience. Ils vivaient dans une unicité inconsciente et voilà que, maintenant, ils distinguent entre la
matérialité et l'esprit.
Conséquence : le bannissement hors du Jardin d'Eden, la souffrance et la mort.
Or il y a contradiction : « Dieu dit : voilà que l'homme est devenu comme l'un de nous, pour connaître le
bien et le mal ! Qu'il n'étende pas maintenant la main, et ne cueille aussi de l'Arbre de Vie, n'en mange et
ne vive pour toujours ! Et Dieu les renvoya du Jardin d'Eden. » (Gen. III, 22). Comment concilier cela
avec la tradition qui veut que Adam ou plutôt Isch et Ischa ne dussent point connaître la mort ?
Il me semble qu'ayant eu un commencement, l'Homme devait avoir une fin - donc une mort - mais sans
doute, une fin douce qui aurait été un simple retour de son esprit, de son souffle, en celui de Dieu dont il
était issu, ce que le Hindous appellent le retour dans l'Atman. Mais, en Occident, nous n'avons pas cette
notion d'âme indifférenciée qui prend diverses formes, notre conception est celle d'une âme individuelle.
Autre point d'interrogation : cet Homme créé à l'image et ressemblance de Dieu, n'avait pas encore la
faculté de penser par lui-même. Il était une image, une image réfléchie, un reflet, un miroir. Cet acte le fait
entrer dans la liberté, dans l'autonomie de l'être qui pense et choisit par lui-même, avec tous les risques
que cela implique, mais dont notre tradition dit qu'elle a été voulue par Dieu, ce qui semble également
quelque peu contradictoire.
Donc, cette colonne, avant sa brisure, se dressait entre sa base et son chapiteau, inscrite entre ces deux
limites, comme l'Homme dans son état premier d'Être-image, d'Être-reflet, d'Être mû seulement par la
pensée de Dieu. C'est l'Homme-Neter des anciens Egyptiens : l'Homme sans calotte crânienne et sans
nombril, créé et non engendré, sans pensée personnelle.
Le chapiteau jeté à terre, avec une partie du fût de la colonne, comme un bel arbre frappé par la foudre, le
moignon du fût reste debout avec sa brisure en biseau, comme un tronc mutilé, mais où la sève circule
toujours tant que ses racines restent plantées en terre, capable de faire jaillir des surgeons ou d'accueillir
des greffons. Il me semble d'ailleurs que le biseau de la colonne ne correspond pas à celui du chapiteau,
comme s'il avait déjà poussé.
L'homme n'est plus limité dans sa pensée ou sa recherche, il peut et doit monter de plus en plus haut vers
le ciel, à la rencontre de cet Au-delà-de-lui-même, que toutes les traditions ont défini Dieu, quel que soit le
nom qu'elles lui aient donné.
Certes, en perdant son chapiteau, l'Homme-colonne a perdu quelque chose, à savoir, cette unicité, image
de la nature divine, mais il a maintenant la possibilité et le devoir de grandir sans limitation, de devenir ce
qu'il est, c'est à dire Fils, de faire naître en lui, en le découvrant, le Fils qui est en lui, qu'il est et de devenir
ainsi, non plus image, mais participant de la nature divine. « Nous Lui serons semblables, car nous Le
verrons tel qu'Il est », nous dit Jean dans sa 1ère Epître (I Joan. III, 2), mais « dès maintenant, nous
sommes enfants de Dieu, et ce que nous serons n'a pas encore été manifesté »affirmait-il dans la première
partie de ce verset. La charnière étant : « nous savons que lors de cette manifestation... » Cette
manifestation sera ou entraînera la vision qui parachèvera la...? Transmutation, quel mot convient ? Le
moins mauvais semble la participation, ce fait d'avoir part à, sans être tout à fait cet Autre sublime.
Et ceci nous ramène à l'Egypte, « Rien de nouveau sous le soleil » disait Qohélet, car l'Homme sans
calotte crânienne, mais avec nombril, est la figure de l'Initié Parfait, de celui qui « né de la femme » a
réintégré la nature divine et qui, maintenant en toute lucidité et libre volonté, non plus en Neter passif, agit
par Dieu, mais tellement devenu semblable à Dieu, agit en parfaite conformité avec Lui, en Fils qui n'a
plus d'autre pensée ou volonté que celle du divin Père. Ce me semble être aussi la pensée de Nietzsche
dans les trois Métamorphoses. L'Enfant - image du Surhumain (et non du Surhomme) est celui qui dit un
Oui conscient et volontaire, non plus le Oui bête de l'Ane, mais pour cela, il lui a fallu passer par le Non
du Lion.
A noter que ce chapiteau est ionique et que les spirales sont involutives. Ce me semble l'image de la
descente en soi du premier degré de la recherche spirituelle. Cette descente est pour une remontée, la
spirale doit s'inverser.
Ce qui me paraît rejoindre une ou la tradition juive qui dit que l'Homme est un arbre inversé dont les
racines sont en haut, en Dieu. C'est la même idée que la lame du Tarot : le Pendu.
Notre colonne se tient debout, évidemment puisque sa base est intacte. Cela ne signifie-t-il pas que nous
devons nous appuyer sur notre matérialité, sur notre corps pour nous élever vers le divin. Nier le corps,
dans une ascèse style Pères du Désert, conduit facilement au déséquilibre, aux fantasmes.
Adhuc stat !
J'ai dit
Dans le Rite Écossais Rectifié, Adhuc Stat est la devise figurant au tableau du
premier grade de l’Apprenti.
Ce terme latin surmonte une colonne solidement érigée sur sa base, mais brisée dans sa partie
haute.
Adhuc Stat se traduit littéralement par « elle est encore debout » ou aussi par « sa base est
encore solide » en allusion voilée à la survivance Templiére, et à l’image de l’homme Primordial.
Ainsi dès ce premier grade, le rituel détermine le but initiatique — L’entrée symbolique dans le
Temple et la fusion du Maçon avec celui-ci.
La clé du Rite Écossais Rectifié réside, dans l’assimilation analogique « Homme-Temple » figurée
par l’entrée dans ce Temple du Maçon, à la fois « Constructeur et Matiére ».
Le tableau symbolique de ce grade est d’une importance capitale, car il représente à lui seul, la
trame de la doctrine du Régime Écossais Rectifié.
Élément essentiel de l’architecture, la colonne est le Support et l’Axe d’un édifice, dont elle relie
les différents étages. Avec la Base et son Chapiteau elle symbolise aussi l’arbre de vie,ou la
colonne vertébrale qui érige le corps humain verticalement, dans l’affirmation de soi. C’est elle
aussi qui donne fondamentalement la vie et toute sa signification à l’édifice qu’elle supporte.
La colonne relie la Terre au Ciel, Le Haut au Bas, la Créature au Créé et à son Créateur ; elle est
à la fois un pivot et l’axe de rattachement aux niveaux de l'univers, et à la conscience humaine.
Adhuc Stat est l'emblème de l'homme déchu, fautif, qui ignorant de l'état de sa perfection
initiale, s’est engagé dans un processus de retour au « chaos primordial ».
La dégradation de l’homme déchu, n’est cependant pas irréversible, car il peut encore trouver
au plus profond de lui les ressources enfouies, pouvant lui permettre de se réhabiliter, en
travaillant sur lui-même, pour passer du cycle involutif, au stade de la maturité spirituelle.
Le péché originel étant déjà expié par le sacrifice universel, il incombe à l’homme déchu de
« chercher, persévérer et souffrir ».
Seules les âmes contemplatives de l'Eternel seront à même de rebâtir la colonne de lumière
dans sa splendeur originelle.
Adhuc Stat est une figure symbolique extraordinaire, sa puissance considérable inspire la plus
profonde humilité aux plus hauts dignitaires du Rite Écossais Rectifié.
La compréhension préalable s'avère essentielle, car c'est par ce nombre « matière » que
commence la quête initiatique et la voie de la gnose.
Adhuc Stat est le flambeau guidant l’homme de progrès, des ténèbres vers la pure lumière, si
celui-ci parvient réellement, à « chercher », « persévérer », et « souffrir ».