L'arbuste Calotropis Procera, Un Épisode de Son Histoire Dans Le Bassin Du Lac Tchad
L'arbuste Calotropis Procera, Un Épisode de Son Histoire Dans Le Bassin Du Lac Tchad
L'arbuste Calotropis Procera, Un Épisode de Son Histoire Dans Le Bassin Du Lac Tchad
Christian Seignobos
Dessin C. Seignobos
2 Cet arbuste a toujours intrigué le voyageur. A. Gide (2001 : 246), passionné de botanique, en
offre la description littéraire la plus accomplie lors de son séjour à Bol au nord du lac Tchad
en février 1921 :
« Du sable, presque uniquement agrémenté par cette étrange plante gris-vert [Calotropis] […], le
fruit : un beignet énorme, bivalve, tenant suspendu en son centre, au milieu d’une matière feutrée,
filigranée, un paquet de graines […]. Rien de plus ingénieux et de plus bizarre. Les graines sont
d’abord si étroitement juxtaposées, à la manière des tuiles d’un toit, que l’on ne soupçonne rien
de ce duvet qu’elles protègent ; on ne voit d’abord qu’une carapace, une coque […]. Dès qu’on
presse cette coque, elle crève ; les graines se disjoignent, laissant paraître un trésor soyeux […],
un émerveillement argenté qui tout aussitôt bouffe, foisonne, s’émancipe et se prépare à se laisser
emporter au premier souffle »1.
3 Dans ses Méharées, Th. Monod (1989 : 102) parle à propos de Calotropis de :
« […] véritable provocation végétale en des lieux où on ne s’attendrait jamais à de telles
apparitions […], plante admirable de vigueur, de netteté, de franchise ; port résolument dressé […],
feuilles entières, arrondies, épaisses, charnues, vernies et comme laquées d’un vert légèrement
bleuté, fleurs en corymbes terminaux, de velours mauve […], fruit globuleux, allongé, vert, puis
jaunâtre, contenant rangées à la façon des écailles d’un poisson, les graines, argentées d’abord,
puis brunâtres… ».
4 H. Gillet (1968 : 544) dans sa Note écologique et ethnobotanique sur Calotropis procera,
signale que dans l’Ennedi, au Tchad, « les forêts de Calotropis » ont ceci en commun d’être
installées « sur l’emplacement d’anciens campements de nomades ». Cette relation avec la
matière organique fait (qu’à cette latitude ?) « l’arbuste apparaît ainsi comme un psammophyte,
anthropophile, nitratophile ». Par ailleurs H. Gillet le présente en « colonisateur des terres
ruinées » où les individus les plus prospères se remarqueraient sur les sols les plus pauvres, ce
qui situe Calotropis hors de toute association végétale.
5 Pour E. Bernus (1981 : 30), les peuplements de Calotropis commencent à devenir importants
dans les régions du Niger, là où les autres espèces ont été éliminées par l’homme.
6 Dans les récits des coloniaux prenant pour cadre le sahel bien peu se sont abstenus de l’évoquer.
Lors de sa première rencontre à Niormo, au sud d’Abéché, P. Fabre2 (1933 : 247) le signale :
« Le jour s’est levé sur des vallonnements broussailleux, où régnait par endroits la verdure
vénéneuse de l’arbuste « âcher », dont les larges feuilles sont gonflées d’un latex qui dégoutte
abondamment lorsqu’on les blesse ou les casse ». « Sid el Djouad » [le maître du cheval,
palefrenier] affirme que le lait de l’«âcher» rend aveugle le cheval dont la tête heurte par mégarde
le feuillage débordant de poisons ».
7 La dangerosité de Calotropis revient sans cesse dans les récits des coloniaux.
que si les Kotoko étaient ainsi dépendants des gens du nord du lac c’est que Calotropis (peshi)
était chez eux absent ou peu abondant. Blangwa, poste avancé kotoko sur le Bas Chari, les rives
du lac étant peu sûres, recevait là des cargaisons de rouleaux de cordelettes apportées par les
Buduma jusqu’à l’arrivée, au milieu du XIXe siècle, des cordelettes d’Hibiscus cannabinus dont
on crédite les Peuls venus de l’ouest de sa diffusion. Pour ces mêmes informateurs, une brusque
poussée visible de Calotropis au sud du lac serait intervenue après l’épisode de sécheresse
concomitant « avec l’arrivée des blancs » en 1900. Calotropis aurait encore cherché à coloniser
en végétation pionnière le fond du lac asséché en 1908 :
« […] steppe désolée, au sol gris-ardoise, profondément fendillé sous l’effet du soleil, où déjà la
végétation arbustive est représentée par quelques oschars (Calotropis procera) » (Carbou 1912 :
106).
12 G. Nachtigal, en 1869 au Bornou entre Kouka et Marte décrit une végétation monotone de
palmiers doums et de Calotropis. Au Baguirmi (1880 : 371, 372) il se plaint : « Hors des villes,
ce sont les termites, qui y sont le cauchemar éternel du voyageur […]. Veut-on camper en
plein air […] on dispose, si possible, tout autour du campement […] certains branchages que
l’insecte en question ne peut sentir. L’ochar […] réputés souverains en ce cas ». Il livre cet
aparté à Manjafa sur le Chari, mais rend-il compte de la situation présente ou des précédentes
étapes plus septentrionales ? Le Calotropis à Manjafa signerait une présence déjà visible sur
le Chari à la fin du XIXe siècle.
13 En 1893, à Yola, capitale de l’Adamawa et aboutissement sur la Bénoué des routes
caravanières, principalement du Bornou, S. Passarge (2010 : 566) signale cette Apocynaceae
(sic).
14 Au Cameroun, à Maroua, sous le lamido Abduramani Suudi (1901-1908), des informateurs
signalent que l’on n’osait déterrer Calotropis à cause de sa dangerosité, ce qui militerait pour
une faible présence de cette Asclepiadaceae à cette époque.
15 Calotropis ne semble pas avoir participé à des descentes méridionales d’essences sahéliennes
à des époques ante, comme Hyphaene thebaica par exemple. Le palmier doum a laissé des
peuplements redevables à des formes de paléo-climats. On le retrouve en inclusions végétales
résiduelles maintenues dans « des poches de sécheresse » selon J. Guillard (1965), dans la
gouttière du Mayo Kebbi à la latitude de Léré comme sur les piémonts des Mandara au niveau
de Méri, sur les hauts mayo Ranéo et Motorsolok.
16 Calotropis se présenterait comme un des meilleurs marqueurs de sahelisation de la zone
soudanienne. Aussi G. Magrin (2000 : 64) a-t-il raison d’enregistrer la présence de Calotropis
pour renseigner cette descente du sahel. Au Tchad, il observait ainsi en janvier 1999 :
« les premiers Calotropis procera à une quarantaine de kilomètres au sud de Bongor, mais ils ne
devenaient omniprésents qu’à une trentaine de kilomètres au sud de Guelengdeng ».
17 Les grands axes routiers qui polarisent le peuplement et accroissent l’appauvrissement des sols
tout en concentrant la circulation de véhicules et de bétail multiplient les facteurs de descente
de Calotropis.
18 Au Cameroun, sur l’ensemble de l’axe du nord Maltam-Maroua-Figuil Calotropis est présent
sur les bas côtés de la route et de là il se manifeste comme une espèce invasive sur les champs.
Très ubiquiste il pousse sur les sols sableux comme sur les vertisols, jachères appauvries
dans un cas comme dans l’autre. Calotropis pourrait faire partie du cortège de plantes post-
culturales manifestant des caractères xériques plus accusés que les formations végétales
primitives : Guiera senegalensis, Combretum spp., Piliostigma reticulatum… à ceci près qu’il
n’aime pas la concurrence de recrû même peu dense. Cette singularité lui fait coloniser de
préférence les terres usées. Sur les sols vertiques il se révèle plus dangereux à cause de
son puissant système racinaire par lequel il pompe l’eau au détriment des sorghos repiqués,
plus que ne le font les formations à Piliostigma reticulatum, pourtant souvent omniprésentes.
L’extirper sur une parcelle relèverait d’un impossible combat.
19 Sur des itinéraires plus méridionaux on enregistre sa récente progression. À Ngong, au sud
de Garoua, Calotropis se signale dans un grand nombre de cornières de cours d’habitations.
En 2004-2005 il apparaît dans les champs proches des villages et également sporadiquement
confiné aux talus de la route jusqu’à Mayo-Bokki. Plus au sud il ne se rencontre qu’à l’intérieur
des cours, invité par le propriétaire. Absent au sud de Gouna il n’est visible chez les Dii
que dans le village de Karna-Manga (2010). Encore inconnu sur le plateau de l’Adamawa il
accompagnait dès avant 2000 certains périmètres de migrants venus depuis l’extrême Nord
dans la région de Touboro3.
20 Comme pour tout phénomène de diffusion on se trouve confronté à la perception des
interlocuteurs hésitant entre le cas index, celui d’une diffusion pionnière, et une vulgarisation
qui marque le paysage. Mais partout il s’agit du même mode de progression. Les hommes
implantent des pieds pionniers dans leur voisinage, leurs jardins de plantes médicamenteuses
bien avant que quelques péjorations climatiques n’entraînent une diffusion spontanée de
Calotropis toujours prêt à s’engouffrer, selon le mot de J. Guillard (1965 : 48) dans « une ligne
de moindre résistance écologique ».
Figure 2 : Carte de situation
© L. Venot
23 Le présent article ne peut qu’apporter crédit aux assertions de R. Portères car de semblables
mécanismes se révèlent encore à l’œuvre dans la partie méridionale du circum tchadien.
l’arbuste. Après les battages il rapporte la branche à l’arbre (midiya kulfaya : la mère kulfaya)
avec cette phrase : « Voilà ton enfant, le travail a été bien fait ».
29 Le Calotropis, toujours celui de la maison, permet de porter une agression occulte contre un
tiers. Un Giziga brûle une branche et va enterrer les cendres près de la maison, généralement
l’entrée, de celui dont il souhaite la perte. La famille visée voyant ses enfants tomber malades
et après consultation des devins s’engage alors à régler, en chèvres et en linceuls (zana), le
contentieux avec celui qui a déposé les charmes. Ce dernier ira alors récupérer, en cachette,
les cendres de son kulfaya, avec quelques incantations codifiées.
30 L’utilisation de la branche ou des feuilles de Calotropis fonctionne soit pour mettre en branle
le kuli, soit comme un exhausteur dans une démarche d’agression ou de protection engagée.
Elle active une force dès lors irréversible après des sorts jetés avec d’autres cendres, un peu
en guise d’intimidation (Guitard 2014 : 148).
31 Selon certains informateurs les feuilles disposées à l’entrée de l’habitation de celui qui se
voit accusé de vol ou de sorcellerie sont devenues à ce point dangereuses que l’on ne peut
ni les toucher ni même les enjamber… C’est un acte posé qui ne saurait être ignoré par la
communauté villageoise. La famille visée ouvrira entre temps un autre passage dans la clôture
de son habitation.
32 Nous avons pu suivre le fonctionnement du kuli kulfaya en 20085. Dans le village giziga
de Médemtéré au nord de Maroua, un homme avait disposé une branche de kulfaya pour
protéger sa récolte de courges contre les voleurs. Ils survinrent, c’étaient des jeunes gens qui
lui étaient apparentés. Lorsque sa femme meurt brutalement, les devins interprètent ce décès
comme relevant bien du kuli kulfaya mais qui s’était retourné contre son commanditaire. Il
ne manquerait pas de frapper indistinctement la famille comme s’il se trouvait déboussolé
ne sachant qui choisir entre les différents agnats. Le diagnostic de « mauvaise mort »
comparable à celle des suicidés empêche la famille de cette femme de l’enterrer. Le corps est
confié à des forgerons fossoyeurs. Comme souvent dans la région les forgerons devenus les
premiers « missionnaires », i.e. adeptes des missions, ici protestantes adventistes, déclinent la
proposition. C’est alors qu’un enfant décède à son tour, déclenchant un grand désarroi dans
toute la parentèle. La famille se réunit et, à travers force séances de devins et réunions de prières
dans différentes chapelles, tenta de faire dévier la marche de ce kuli devenu incontrôlable.
33 L’intrusion des religions abrahamiques chez les Giziga a apporté, comme ailleurs, une donne
perturbatrice. Le mouvement de profanation entrepris par les missions chrétiennes et par
l’islam, jamais complètement achevé, n’en mine pas moins ces sociétés encore formellement
dominées par une gérontocratie fortement misonéique. La « peur du sacré » entretenue autour
du Calotropis a prolongé une sorte de croyance partagée, rendue toutefois moins univoque
dans ses attendus. L’appartenance « missionnaire » n’ayant pas annihilé les rituels chez les
paroissiens vieux adultes (« les pauvres en la foi »), elle les a rendu plus complexes.
34 De nombreux Giziga islamisés, christianisés et même demeurés païens, manifestent le désir
de sortir du jugement par le kulfaya. La croyance n’est en rien émoussée, paradoxalement il
s’agit plutôt du contraire. On craint que cette force immanente ne soit plus manipulable comme
dans le passé. La communauté villageoise n’est plus unanime et une partie d’entre elle réside
en ville. Comment dès lors pratiquer des ordalies, en tirer enseignement pour démasquer et
punir ?
35 Toutefois kulfaya, trop ancrée dans les institutions juridiques giziga, refait spontanément
surface devant toute affaire à trancher. Pour mes interlocuteurs, il sera difficile de se passer
du recours à kulfaya tant que le fond de sorcellerie ambiant se maintiendra.
36 « Missionnaires » et adeptes des kuley s’accordent néanmoins sur un point : pour déclencher
une pareille force occulte il faut y être préparé, sous-entendu « mystiquement »6. Avec kulfaya
il s’agit d’une puissance ambivalente, vorace, quelle que soit la nature du conflit. Il faut savoir
guider sa marche jusqu’aux fins désirées, l’empêcher de se muer en puissance perturbatrice
néfaste et, enfin, éteindre son action mortifère. Les familles « dépassées » par de telles dérives
font alors appel aux chefs, qui mobilisent les grands ritualistes, comme ce fut le cas dans
l’affaire de Médemtéré.
37 Les chefferies giziga Bwi Marva (de second degré) comme celle du canton de Mambang7
disposent de deux types de référents juridiques. Les Giziga islamisés s’adressent à un alkali
et jurent sur le Coran. Pour les « Julata » – ceux qui ne prient pas – le masahay, maître de la
terre, continue d’officier8. En cas d’accusation de vol et de meurtre on jure de son innocence
avec kulfaya et on « mange le kuli » en mastiquant en public une de ses feuilles.
38 L’ordalie sublimale se déroule ainsi : l’accusé doit déterrer un Calotropis en présence d’une
délégation conduite par le masahay. Il devra extirper toutes les racines sans jamais rompre la
racine principale. Il effritera une à une les mottes de terre pour en libérer racines secondaires
et radicelles. Si une racine se brise elle est mise dans l’eau et il boira ce macéré. Après
cet exercice, s’il ne meurt pas au cours de l’année probatoire il est reconnu innocent. Une
cérémonie de clôture confirmant l’arrêt du processus ordalique : buzluma kuli a kulfaya (ôter
le kuli kulfaya) aura lieu chez le chef.
Dessin C. Seignobos
40 Ce rituel, dans son principe comme dans son déroulement, existe chez les Musgum Kalang (à
Girvidig) et ceux de Pouss. On « fait croquer la feuille de Calotropis » (a luma muhur) à celui
qui doit jurer de son innocence devant une accusation de vol, de meurtre ou de sorcellerie.
Coupable il mourrait, et à sa suite les uns après les autres tous les membres de sa famille. La
dangerosité du serment allait ici jusqu’à atteindre les témoins. À Pouss on dénonce également
Calotropis comme un « médicament » doté d’une force telle qu’elle se révèle difficile à
contrôler, pouvant devenir autonome et pernicieuse. Seul le recours à un rite puissant permet de
se dégager de son emprise. On extirpe encore la racine pivot et aussi les extrémités racinaires
du Calotropis dont on avait prélevé les feuilles pour le jugement. Les extrémités de toutes
les racines, métaphore de la parentèle éloignée, seront données à consommer à chacun et leur
amertume salvatrice fera fuir les maléfices. Puis l’ensemble des deux familles brûleront tout
le Calotropis. De nombreux Musgum de Pouss ont été confrontés, dans leur jeunesse, à ce
rituel, dont ils ont gardé le souvenir d’une atmosphère d’effroi. Dans les années 2000 l’islam,
y compris dans ses formes intégristes, et le protestantisme ont pénétré ces communautés, aussi
ces manifestations se seraient-elles raréfiées.
41 À Maroua, ces pratiques des Giziga, perçus comme les autochtones de la ville, semblent avoir
contaminé l’ensemble des communautés, celles demeurées païennes comme celles chrétiennes
ou islamisées. Les Giziga étant réputés voleurs invétérés, leurs voisins, Peuls, Bornouans,
Mofu disposaient alors des branches de Calotropis sur le moindre tas de mil, de coton ou de
patates douces. Ils laissent aussi croître à l’angle de leurs habitations un Calotropis à l’encontre
des voleurs et toutes les sorcelleries en maraude.
42 Alors que j’enquêtais dans les saare à bil-bil (i.e. cabarets à bière de mil) en février 2002 à
Maroua, j’assistais à une scène mettant en cause Calotropis. Dans un cabaret fameux, « le
cabaret Zazou », parmi les mieux achalandés du grand quartier à bière de Domayo Pont-Vert,
un grand Calotropis protecteur trônait à côté de « l’usine », partie de la concession où se brasse
la bière.
Figure 4 : Cabaret à bière, Maroua
Dessin C. Seignobos
43 Un dénommé Bouba, un jeune « clando », taxi-moto, de son état, après avoir bu sa bière entre
deux courses et payé avec une pièce de 500 Fcfa attend sa monnaie. La tenancière, occupée
auprès d’autres clients, l’oublie. Le jeune taxi-moto réclame sa monnaie, mais Madame Zazou
lui dit n’avoir rien reçu de lui, ni pièce de 100, ni de 500. Furieux le jeune homme se précipite
sur le kulfaya et tend alors une pièce pliée dans une feuille de Calotropis, qu’il veut obliger
la cabaretière à prendre. Des clients s’interposent pour que Madame Zazou n’en fasse rien.
Devant cette forme sauvage d’ordalie la situation est jugée grave. On envoie chercher le baaba
lawaale qui règle les conflits dans les cabarets de chaque quartier à bière. Il est absent. Tout le
saare à bil-bil, soit ce jour-là une quarantaine de personnes, est en émoi. Deux clients décident
de payer la tenancière et demande expressément à Bouba d’aller enterrer la feuille de kulfaya
pour clore l’affaire. Cet incident démontrait que tous les participants étaient avertis du rôle de
l’arbuste dans les jugements et de sa dangerosité. Les protagonistes ne sont pas giziga. Bouba
est un Mofu Duvangar, et Madame Zazou, si sa mère est giziga, son père est tupuri. Quant aux
clients qui ont bien voulu payer pour Bouba, l’un est sara, l’autre mafa.
44 Calotropis est une manifestation forte de ces hybridations d’héritages cognitifs dont rend
compte toute cohabitation urbaine.
45 On peut être tenté de faire l’historisation des rituels concernant Calotropis procera. Ils
viendraient du nord, les Kotoko d’Afadé et ceux de Makari les auraient pratiqués et avant eux
les Bornouans. Via les Mandara ils gagnent les pays musgum et giziga. Alors que l’islam,
le rouleau compresseur des paléocroyances, efface ces pratiques ordaliques9. Le Calotropis
« porteur de sacré » descend toujours plus vers le sud. Les Giziga Bwi Marva en assurent la
promotion. Ces pratiques touchent les Mundang et les Masa s’arrêtant sur cet ultime front de
descente du Calotropis lui-même. Les lignes d’isocroyances concernant Calotropis ont ainsi
évolué dans le temps en se déplaçant vers le sud.
46 Selon nos informateurs l’apparition de ces pratiques ne pouvait se réaliser qu’à des époques
où Calotropis était peu abondant. Ainsi le rite de l’extraction totale de l’appareil racinaire, en
contradiction formelle d’interdire l’abattage sans raison de cet arbuste, renforçait-il ce geste.
Calotropis va peu à peu remplacer dans le sud une plante à latex, Euphorbia unispina, qui sert
de protection occulte et pour les ordalies. Les deux plantes peuvent encore « coopérer » dans
certains groupes mundang et masa alors que, plus au sud, chez les Marba et les Musey, on
s’en tient à la seule Euphorbia unispina. Dans le pays masa, Caloropis (furuda) a pris le nom
de l’Euphorbia unispina (furu). Cette dernière plante a dû être requalifiée en furu ma jufna
(Calotropis / qui / mâle) (Melis 2006 : 142). La mention « mâle » apposée au nom de la plante
est une marque d’antériorité dans toutes les langues de la région pour distinguer deux espèces
présentant quelques ressemblances et dont on requiert les mêmes services.
en chevrons serrés. Épargnés par les termites ils soutiennent le revêtement de la toiture. Ses
branches souples sont également requises pour les tores des toitures coniques sur lesquels on
liera les perches.
51 Après avoir recouvert de vannerie les silos souterrains on y étendra une couche de feuilles
de Calotropis avant d’y verser le sable. Grâce au latex qui les lie entre elles, elles assureront
une fermeture hermétique contre les infiltrations. À Goudoum-Goudoum, dans le Diamaré
(mai 2001), lors de la fermeture d’un de ces silos souterrains et alors qu’un plastique devait
permettre l’imperméabilité, le propriétaire a tenu à rajouter quelques feuilles de Calotropis…
contre les voleurs.
52 Le charbon de bois de Calotropis mélangé à du soufre et du salpêtre compose la poudre
pour les fusils de traite. On l’utilise également pour l’encre contenue dans les encriers des
élèves coraniques. Cette encre apporterait un adjuvant bénéfique aux sourates écrites sur les
planchettes coraniques que l’on lavera et dont on boira l’eau.
53 Le carquois en Calotropis, bois dur et léger est affectionné par les chasseurs professionnels
(gaw). Le poison des flèches s’altérerait moins à l’intérieur. On utilise également les feuilles
fraîches pour donner la forme de l’arc à double courbure…
54 Les utilisations les plus courantes de Calotropis restent celle d’emballage de produits et de
nourritures. On place les grains de sorgho mis à germer pour la confection de la bière sous des
feuilles de banbambe qui entretiennent l’humidité recherchée. On mouille la farine des fruits
de jujubier que l’on enveloppe de feuilles de Calotropis avant de la mettre dans une poterie
sur le foyer où elle prendra forme. Cette galette solide (yaa’baande) est commercialisée sur
les marchés. Ces feuilles sont également requises dans la fabrication de petits pains de sel.
55 Les Calotropis issus de défrichements des vertisols sont mis à sécher puis brûlés. La cendre
donnera, après lixiviation, un sel de potasse apprécié. Dans le « classement » de ces sels aqueux
de la région de Maroua il arriverait en troisième position pour le goût après ceux de Balanites
et des tiges de petit mil. Toutefois la cendre de Calotropis présente un autre intérêt, celui
de « coupage » avec d’autres cendres afin de les bonifier. L’une des combinaisons les plus
appréciées serait l’association d’un tiers de cendre de Calotropis pour deux tiers de cendre de
cannes de sorgos rouges (Langlois et al. 2013 : 287) (…).
56 De nombreux auteurs s’accordent à présenter cette Asclepiadaceae comme une véritable base
de produits à verser dans différents compartiments de la pharmacopée. Th. Monod signale,
dans Méharées, la migration de substances toxiques du Calotropis : la calotropine et la
calactine à travers la chenille d’un certain papillon (Danaus plexippus) qui, ayant ingéré
des substances toxiques, engendre des imagos toxiques pour les oiseaux qui en les ingérant
s’intoxiquent à leur tour. Les Mofu Gudur désignent le « criquet puant », débauche de
couleurs, Zonocerus variegatus, comme « le criquet/Calotropis » toxique par sa proximité
avec la plante hôte (Barreteau 1999 : 148). Un autre criquet jaune pâle, légèrement moucheté,
Poekilocerus bufonis hieroglyphicus, inféodé lui aussi aux Asclepiadaceae, appelé « criquet/
poison », entretient la même réputation. Au contact de Calotropis ces deux criquets ne seront
pas consommés et serviront d’additifs à certains poisons sagittaires.
57 Pour P. Malzy (1954) :
« L’ingestion des fleurs [de Calotropis] est pratiquée pour chasser les vers intestinaux. Les fruits
cuits avec du mil rouge et des racines cuites avec du mil chandelle sont réputés pour redonner des
forces aux vieillards. La racine est utilisée comme vomitif contre la syphilis ! ».
58 A. Vaillant (1945 : 44), ingénieur d’agriculture coloniale à Maroua semble encore en exagérer
l’efficacité :
« [Calotropis procera] exsude un latex caustique (calotropine), dont le principe actif est plus
puissant que le Strophantus et se conserve assez longtemps à l’état desséché. Sert comme poison
de flèche12 et poison d’épreuve. L’écorce des racines est médicamenteuse et renferme des principes
amers (mudarine ou asclépine) […]. Le latex est utilisé pour le traitement de la gonorrhée et de
la syphilis ».
59 La médication suit ici parfaitement la théorie des signatures : le fruit de Calotropis comme
scroton…
60 Une majorité de soins passe, en effet, par le latex de Calotropis, souvent appelé, comme chez
les Giziga, la larme de Calotropis (t’way a kulfaya). Pour les intéressés « c’est comme l’alcool
à 90° ». On soigne aussi et cautérise les plaies avec les feuilles jouant le rôle d’antiseptique.
Elles se collent entre elles, et fournissent de meilleurs pansements que celles de Combretum
glutinosum (buski) ou de Combretum molle (sankiita saare). Ces feuilles enraieraient même
le tétanos ! Pour les plaies de saison sèche, « celles qui ne guérissent pas » par opposition à
celles de saison des pluies, plus conjoncturelles, on emploie alors les racines de Calotropis
broyées dans quelques égrugeoirs. Pour la réduction des fractures on appose des cataplasmes
de feuilles chauffées sur des applications préalables de beurre ou d’huile. Partout les feuilles
de banbambe mises sur des braises puis sur la partie malade « calment la douleur ». Chez
les Mofu les feuilles de Calotropis chauffées sont appliquées sur les brûlures, chez les Masa
elles soignent les morsures de serpent, ailleurs plutôt les piqûres de scorpions. On utilise le
latex contre la lèpre, mais toujours associé à l’écorce de Sterculia setigera (bo’bori), le grand
référent dans tout le bassin du lac Tchad pour traiter cette maladie. On soigne la varicelle
(ngaadiga) en frottant le corps avec le liquide issu de la lixiviation des cendres de Calotropis13.
Ce même filtrat, convenablement dosé, est donné aux enfants atteints de rhumes et de quintes
de toux. Enfin les macérations ou les décoctions de racines servent de multiples applications
médicales, comme vermifuge, diurétique…
61 Au Cameroun, la pharmacopée vétérinaire la plus développée concerne les équidés. Elle
possède dans le Diamaré des spécialistes, des Peuls Suudu Dembo (affranchis et intronisateurs
des Ardo’en ngara de Pété) comme ceux résidant à Balaza-Domayo et qui, depuis des lustres,
élèvent et soignent les chevaux. Ils traitent le murgude, mal de dos des chevaux, piquant
les reins à l’aide d’un petit poinçon tout en y appliquant du beurre fondu. Des feuilles de
Calotropis chauffées recouvrent ensuite cette partie de l’animal à la façon d’un cataplasme,
plusieurs fois renouvelé. Ils soignent également tuusaare (ga’e puccu : la syphilis du cheval),
en fait la lymphangite épizootique des équins. Dès leur apparition les pustules sont percées
avec des épines de Balanites que l’on aura auparavant laissées durant trois jours plantées dans
le tronc d’un banbambe pour recueillir le pouvoir de sa sève. Calotropis n’est requis qu’en
soins externes.
62 Les Musey soignent leurs poneys avec de la poudre de feuilles de Calotropis sur les plaies
dorsales. Ils utilisent la sève pour faire cicatriser les plaies des bubons provoqués par la morve
ou à la dourine en renouvelant les applications tous les trois jours. Le Calotropis étant peu
présent dans le paysage, ces posologies ont été empruntées aux Peuls.
63 Une pommade composée de beurre et d’un macéré de racines de Calotropis est requise contre
la gale des petits ruminants. E. Bernus (1981 : 193) le signale également chez les Touaregs
du Niger. Dans les bergeries infestées de puces, après balayage du sol, on brûle des feuilles
de Combretum glutinosum avant d’étaler un tapis de feuilles de banbambe, dont « l’odeur »
doit tuer les puces.
64 Pour favoriser la fécondité du bétail chez les Giziga et certains Musgum on attache les brebis
chacune à une branche de Calotropis plantée au-dessus d’un lot de quatre-vingt-dix-neuf fruits
de Ziziphus mucronata, l’épineux aux épines réputées les plus accrocheuses, mis en terre. Mais
nous entrons là dans l’infini registre des charmes…
ignifuge est d’autant plus surprenante que la « soie/laine » de Calotropis se voit partout
reconnue comme un excellent amadou. Les fibres issues du liber, en revanche, partout tressées
en cordelettes, auraient pu être tissées. R. Mauny (1961 : 235) dit avoir fait l’expérience du
caractère non ignifugé de la plante. Toutefois la prétendue propriété d’amiante de la « laine »
ne relèverait-elle plutôt du registre des protections occultes ?
68 Peu d’essences ont autant fait l’objet de manipulations occultes que Calotropis de la fleur
mauve pâle en capitule à la racine rougeâtre via sa feuille charnue, son écorce subéreuse, son
latex éclatant et jusqu’aux Loranthus qui le parasitent. Même Piliostigma reticulatum, barkehi
(l’arbre de la barka) des Peuls n’a jamais répondu à autant de sollicitations.
69 Les recettes relevées multiplient à l’envi le choix des jours, des heures de cueillette, des
orientations, des chiffres concernant les graines, les feuilles à prélever et des ingrédients
d’accompagnement. Se mêlent héritages musulmans et pratiques païennes pour des usages
occultes passant par tous les modes d’administration possibles, macération, potion, décoction,
lixiviation, fumigation…
70 Calotropis n’est pas pour autant un medium neutre comme le sont les Cissus quadrangularis
ou les géophytes de type Crinum, patrimoine familial, qui se bouturent, s’héritent, s’échangent
et s’achètent. Ils se montrent capables d’endosser n’importe quel charme pour n’importe
quelle posologie. Calotropis représente, nous l’avons vu, une force difficile à domestiquer,
principalement dans son rôle judiciaire. Il répond néanmoins aussi à des sollicitations
domestiques. Les paysans giziga Bwi Marva, par exemple, enduisent, avant chaque campagne
agricole, le manche de leur houe avec du latex de Calotropis. Il se prête surtout à la rédaction de
« traités » concernant la fabrication de phylactères, philtres, charmes, pour des « blindages »,
des enrichissements, l’obtention de faveurs… avec des formules aussi alambiquées que celles
que l’on peut recueillir auprès de chasseurs professionnels (Seignobos 2011).
71 Nous ne mentionnerons que quelques exemples pris parmi des communautés islamisées. Tout
ou partie de Calotropis, y compris le charbon, est retenu pour des formules de « blindage ».
Les épiphytes, assez rares il est vrai, sont particulièrement recherchés pour des phylactères
contre les armes blanches. Les graines préparées avec celles de sorghos rouges seront ingérées
régulièrement pour entretenir un « blindage » initial à base de Calotropis. Satisfaire un désir
de lucre et de réussite peut aboutir aux démarches les plus saugrenues. Dans la Bénoué, un
« rituel d’enrichissement » recommande de se rendre nu, la nuit, pour accrocher des lanières
de viande sur un Calotropis. Une fois sa demande formulée, il faut fuir sans se retourner.
Par la suite il n’est pas rare d’être sujet à des hallucinations… Certains reviennent, toujours
nuitamment, reprendre cette viande pour la consommer14. La quintessence de la puissance du
Calotropis tient à ses racines. Un quidam peut déterrer une racine traçante d’un banbambe,
il la coupe et la réintroduit intégralement dans l’autres sens, l’extrémité près de la souche et
la recouvre de terre. Il revient une semaine plus tard, toujours la nuit, tout en dominant sa
peur car quelques prodiges peuvent se manifester. Il emporte la racine chez lui, ce puissant
« remède » répondra à bien des attentes.
72 On cueille les fruits de Calotropis choisis à partir de sept pieds différents et que l’on fait éclater.
Ceux qui ne font pas de bruit sont conservés. Les graines sont ingérées selon un certain rythme.
Les enveloppes des fruits, séchées puis pilées avec des racines d’Abrus precatorius (belemhi)
et plongées dans du lait caillé seront bues. Le but : détourner de soi le mauvais sort, l’injustice
et s’attirer les bonnes grâces de puissants. Une démarche semblable intéresse la lutte contre
les sorciers. Sur sept pieds de Calotropis on prélève des fragments de racines situées dans
l’ombre portée de l’impétrant, on les écrase avec celles d’indigotiers, de Cassia occidentalis
(kaccu-kaccunga) et de elelihi, toutes plantes réputées efficaces contre la sorcellerie. Puis on
prépare une décoction…
Conclusion
73 Calotropis semble avoir eu sur les hommes l’étrange pouvoir de stimuler leur imagination.
Il exalte une fantasmagorie liée à ses attributs, renforcée par les mouvements d’ombres et
de lumières ou encore du jeu du vent nocturne. Il émanerait de lui des signaux acoustiques,
chuchotements, paroles étouffées…tels que prêtés aux humains. Même P. Fabre (1935 : 181),
autour d’Abéché, parle des « euphorbes arborescentes » qui la nuit « semblent rôder autour
des promeneurs, en des clartés de souterraines aurores ». On fait encore peur aux enfants en
rappelant que la nuit les Calotropis se transforment en fantômes et en ogres pour hâter leur
retour à la maison. Leurs silhouettes effraient non seulement les enfants et les ivrognes qui se
sont attardés dans quelque marché à bière mais elles poussent à des visions hallucinatoires.
À Balaza-Alkali on se gausse encore d’un chasseur (gaw) de passage la nuit il y a quelques
décennies, qui, à la sortie du village, croyant être assailli par des coupeurs de route aurait vidé
le contenu de son carquois sur un groupe de Calotropis.
74 Ses attributs, son fruit en forme de scrotum et son latex ont toujours alimenté une grande
fécondité métaphorique. L’extraordinaire, pour Calotropis, est d’avoir conservé intacts à la
fois l’épouvante et l’espoir qu’il inspire sur un temps aussi long. Ce sont bien sûr aussi les
services rendus dans le domaine des soins et dans celui infini des activités occultes qui ont,
durant des générations, animé les chroniques judiciaires. Ce constat éclaire la diffusion de
ce végétal singulier dans sa descente méridionale avant de voir en lui les stigmates d’une
désertification en marche.
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Notes
1 Les aigrettes attachées aux graines, évanescentes et argentées, pouvaient évoquer la légèreté et la
brillance de la soie, d’où le nom de « arbre à soie du Sénégal » parfois donné à Calotropis.
2 Premier fonctionnaire civil à Abéché P. Fabre fonda une école après la guerre de 14-18. Il traversa
le Tchad à pied, à cheval et en bœuf porteur. Il décrit son voyage dans « La randonnée », ouvrage
malheureusement peu connu.
3 À Bafia, bourg au contact forêt/savane, dans le quartier hausa, on note en 2010 dans les concessions
un panel de flore sahélienne : henné, jujubier, Moringa oleifera, tamarinier et Calotropis.
4 Il s’agit de sorciers « anthropophages », mujuuri.
5 Informateurs : Paul Djouldé Adama (Maroua) et Ali Dawa (Médemtéré).
6 « Mystique » est depuis deux décennies régulièrement employé dans les discours en français. Accolé
à une personne le terme n’est pas forcément négatif, il renvoie à des pouvoirs ésotériques captés
éventuellement après un cheminement plus ou moins long, parfois à travers plusieurs cultures.
7 Le chef de canton Wassili Hamidou (décembre 2008) fut un de nos principaux informateurs, quant
aux enquêtes dans l’aire de peuplement giziga Bwi Marva, mentionnons également, entre 2000 et 2008,
Njidda Kitikil, Douboula Amani et Akouli Bouba de Kossewa ; Hamadou Bouba à Jebbé et Yaya
Gournay à Houloum-Marva Maliki Wassili était notre interprète.
8 Les chrétiens appartiennent généralement à une autre sphère juridique. Issus de la scolarisation ils
s’adressent aux tribunaux publics souvent après avoir tâté de la justice traditionnelle.
9 On peut en retrouver des bribes concernant le Calotropis auprès de divers groupes musulmans. Chez
les Mandara et divers Foulbéisés, les gens suspectés de sorcellerie sont fouettés à l’aide de branches
de Calotropis. Seuls ces fouets peuvent les contraindre à libérer ceux qu’ils « bouffent ». Mandara et
Bornouans se rendant sur les marchés mettent dans leurs poches des fleurs, toujours ouvertes jamais
fermées, de Calotropis voire son gui, pour favoriser les négociations. On frappe avec une branche de
Calotropis mouillée le bétail que l’on va vendre pour qu’il flatte le regard des acheteurs. Des résidus
d’utilisation de charmes protecteurs peuvent se retrouver jusque chez les Arabes Showa. On dispose par
exemple une branche de Calotropis devant la maison d’une femme qui vient d’accoucher (P. Jullien de
Pommerol 1999 : 1227) moins pour signaler l’événement que pour protéger le nouveau-né de quelques
djinn potentiellement menaçants.
10 Nom de nature idéophonique pour évoquer les gros follicules creux de ses fruits, banbambe est le
pluriel de wanbambi et la feuille wanbamho. C’est sous la forme du pluriel que Calotropis est le plus
souvent désigné. Tous les termes utilisés dans cette troisième partie seront en fulfulde, la langue peule.
11 Rappelons que lekki en fulfulde veut également dire « arbre » et « arbuste ».
12 Le latex de Calotropis est un substitut de celui d’euphorbe non comme principe actif mais comme
excipient et conservateur de poison sagittaire de Strophantus sarmentosus dont on enduit les barbules
sous la pointe de la flèche.
13 Les musulmans reprennent souvent par analogie des pratiques thérapeutico-magiques païennes. La
cendre du feu de l’école coranique, là où le soir on lave les planchettes, servait à frotter le corps des
malades touchés par la varicelle (E. Guitard 2014 : 239).
14 E. Guitard (2014 : 527) relate une semblable recette à Garoua afin d’acquérir de la richesse auprès
de Calotropis, « la maison des Jinn ». On découpe une lanière de viande de la hauteur de l’arbuste
choisi. À minuit on l’enroule autour du tronc, puis on vient la récupérer, toujours la nuit, pour ensuite
la consommer.
Référence électronique
Christian Seignobos, « L'arbuste Calotropis procera, un épisode de son histoire dans le bassin du lac
Tchad », Revue d’ethnoécologie [En ligne], 9 | 2016, mis en ligne le 01 juillet 2016, consulté le 05
juillet 2016. URL : http://ethnoecologie.revues.org/2462 ; DOI : 10.4000/ethnoecologie.2462
À propos de l’auteur
Christian Seignobos
Géographe. Directeur de recherche émérite IRD
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Résumés
Venu des marges du désert Calotropis procera descend progressivement vers le sud,
conséquence tout à la fois d’une diffusion anthropique et d’une dégradation du milieu.
Crédité de pouvoirs qu’il tirerait de son étrangeté, rarement arbuste n’a autant été sollicité par
l’homme. Dans le nord du Cameroun il sert une infinité de rituels de protection, d’ordalies…
et fournit le long registre de la pharmacopée.
Entrées d’index