Les Serer Et La Question Des Terres Neuves Au: Sénégal
Les Serer Et La Question Des Terres Neuves Au: Sénégal
Les Serer Et La Question Des Terres Neuves Au: Sénégal
J.-P. DUBOIS
à I’ORSTOM
Géographe
Centre ORSTOM, B.P. 1386 Dakar (Sénégal)
RÉSUMÉ ABSTRACT
Le Pays Serer porte les densités rurales les phs The Serer district has the highest rural densities in
fortes du Sénégal, et cette surpopulation entraîne une Senegal and this overpopulation brings wbout a
dégradation du système agraire traditionnel. Très peu deterioration of the traditional form of agriculture.
mobiles spontanément, les Serer n’ont guère participé Being rarely subject to spontaneous migration, the
au m.ouvement de colonisation des « terres neuves B Serer have hardly participated in the colonization of
de l’est du pays. the New Settlements in the Eastern part of the
Dans les années précédant la seconde guerre mon- country.
diale, une tentative d’émigration forcée était conduite During the years before the 2nd World War,
par l’administration coloniale. Elle aboutit à un an attempt to force emigration was carried on by
échec, mais fut l’amorce d’un mouvement contem- tlze colonial administration; it failed but il initiated
porain de migration spontanée. a more recen: movement of spontaneous migration.
D’une ampleur très limitée, ce mouvement S>ac- This movement, whose scale is very limited, is
compagne du passage à des méthodes culturales très accompanied by a change to very extensive agricul-
extensives, et se révèle assez décevant sur le plan tural methodr and maltes little contributions towards
de la réussite économique des paysans émigrés. Il the migrant farmers economic achievement. Besides
ne constitue pas une solution suffisante au problème it does not provide an adequate solution to the
du délestage des pays serer. problem of overpopulation in the Serer country.
C’est pourquoi les Pouvoirs Publics se préoccupent Consequently the government authorities are now
actuellement de promouvoir des migrations dirigées engaged in promoting guided and organized migrur-
et organisées. Une expérience est en cours (300 tions. An experiment is in progress: 300 settlers’
familles de colons installées en 1972-1974 au Sénégal families were established between 1972 and 1974 in
criemal). Cette phase <<pilote > doit préparer la mise Eastern Senegal. This pilot stage is to prepare the
en ceuvre d’un plan de décongestion des régions les implementing of a decrowding plan in the most
plus peuplées du bassin arachidier, tout en mettant densely populated parts of the ground-nut region,
l’accent sur l’intensification et la diversification des while stressing the process of intensifying and diver-
cultures dans les zones de colonisation. sifying the crops in the settlement areas.
Cah. ORSTOM, sér. Sci. Hutn., sol. XII, nDI - 1975 : 81-120
.- Limite de région
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du Niokolo- Kobo
L’ethnie serer, forte de quelque 600 000 personnes, Serer. Actuellement, la question du délestage des
est essentiellement concentrée dans les vieux terroirs pays serer s’inscrit dans le cadre plus général d’une
du Sine et du sud du Baol, où un système agricole politique de décongestion du bassin arachidier, de
remarquablement élaboré a permis la fixation de très mise en valeur des terres encore inexploitées du
fortes densités rurales (1). Dans une région où des Sénégal Oriental et de contrôle des mouvements mi-
sols sableux médiocres et une pluviométrie irrégu- gratoires spontanés. A l’initiative de la Direction de
lière ne sont guère favorabl$s là une agriculture inten- I-Aménagement du Territoire, des études ont été
sive, les paysans serer ont aménagé une campagne entreprises pour promouvoir une meilleure réparti-
souvent .citée en exemple ; le maintien de la fertilité tion des hommes dans l’espace national, et une plus
est assuré par l’association de l’élevage à l’agriculture grande adéquation aux potentialités agronomiques.
(fumure systématique des champs par le troupeau), Les récentes années de sécheresse,qui pnt durement
l’entretien d’un parc arboré d’Amciu albida, le res- &Prouvé les zones nord et ouest du bassin arachidier,
pect de rotations culturales éprouvées, l’adaptation donnent un regain d’actualité à ces préoccupations.
des cultures aux nuances pédologiques des terroirs. J’ai étudié au cours de deux campagnes agricoles
Ce système est en train de se détériorer sous - 1967-1.968 et 1968-1969 - l’immigration spon-
l’effet conjugué de la croissance démographique et tanée des Serer dans les terres neuves du Saloum
de l’extension de la culture arachidière. « Le Sine criental (3). Ce courant, très discret, n’intéresse
porte une charge humaine voisine de la saturation B de façon appréciable qu’une faible partie du vaste
(,P. Pélissier). Alors que vers le début du siècle les domaine de la colonisation arachidière ; il est sans
densités ne dépassaient sans doute pas 50 habitants aucune commune mesure avec le dynamisme spatial
au km2, on observe actuellement dans l’arrondisse- des Wolof. Cependant, une nette accentuation des
ment de Niakhar une densité moyenne de 85 au km2, départs depuis quelques années laisse penser que les
qui atteint 100 pour certains groupes de villages ; Serer prennent de plus en plus conscience de leur
le taux d’accroissement naturel a été évalué aà1,5 % situation de surpeuplement, et qu’une émigration
par an (2). L’arachide - seule source de reve- encadrée doit être possible, puisqu’un mouvement
nus monétaires - réclame des surfaces de plus en spontané se dessine. C’est surtout ‘a ce titre que les
plus importantes, ce qui entraîne la régression des modalités d’installation des Serer en zone de terres
jachères, la dégradation des successions culturales, neuves méritaient d’être étudiées.
la réduction de la fumure (le bétail devant en grande Dans cet essai, je tenterai de retracer l’origine de
partie être évacué hors des terroirs pendant I’hiver- la migration serer et de faire le point de la situation
nage). « Tout concourt à faire baisser le niveau de actuelle. Seront examinés ensuite les conditions spé-
la fertilité sur le terroir » écrit A. Lericollais. cifiques de l’agriculture dans les terres neuves et les
Dans ces conditions, le recours .à l’émigration sem- résultats agro-économiques obtenus par les émi-
ble s’imposer. Or les Serer sont restés jusqu’& présent grants. On évoquera enfin les projets de migrations
très attachés à leur terre ancestrale et, à la différence dirigées, dont une première phase de réalisation est
des Wolof, se sont montrés très peu mobiles. Ils maintenant en cours.
n’ont participé que tardivement, et de façon très
modeste, au grand mouvement de la colonisation
ar.achidière vers l’est du pays ; il n’en est résulté Les terres neuves du Saloum oriental
aucun allègement notable de la population. De longue
date, ce problème préoccupe les Pouvoirs Publics. Qu’appelle-t-on « Terres Neuves > au Sénégal?
Dès 1934, l’administration coloniale organisait une La réponse se lit sur la carte de densité du pays :
première tentative de déplacement volontaire des sur le flanc oriental des vieux pays wolof et serer,
s’étendent de vastes territoires qui, presque inoccupés
au début du siècle, se densifient progressivement par
le fait de la conquête arachidière. C’est un domaine
(1) Cf. l’ouvrage de P. Pélissier : « Les paysans du flou, sans limites marquées, ni du point de vue
SénéeralB. Imurimerie Fabrèrme. Saint-Yrieix. 1966. et la
monographie de A. Lericolla& : ’ « Sob, étude’ géographique
d’un terroir serer n. Atlas des structures agraires au sud du
Sahara, 7, ORSTOM-Mouton, 1972. (3) J.-P. Dubois : « L’émigration des Serez vers la zone
(2) P. Cantrelle : « Etude ’ démographique dans la région arachidière orientale. Contri&tion à l’étude de la colonisa-
du Sine-Saloum. a Travaux et documents de l’ORSTOM, tion agricole des Terres Neuves au Sénégal 8. ORSTOM,
n” 1, 1969. Dakar, mai 1971, 204 p. multigr.
physique : il s’étend des terres quasi désertiques du cies vieilles terres du bassin arachidier (Sine, Baol,
Ferlo aux forêts soudaniennes du sud ; ni du point Cayor). ,Les précipitations augmentent à la fois vers
de vue humain : des noyaux de population anciens, le sud et vers l’est, en direction de la Gambie et
d’ethnies diverses, ont été submergés par des immi- du Sénégal oriental. Plus que les moyennes de hau-
grants de toutes origines, e.ssentiellement de l’ouest teurs d’eau, ce sont surtout les variations inter-
du Sénégal mais aussi du Mali, de Guinée, de Haute- annuelles qui sont lourdes de conséquences; avec
Volta même. L’unité réside dans la disponibilité des l’amenuisement de ces variations du nord au sud,
terres, et dans le caractère pionnier et spéculatif de l.activité agricole connaît une plus grande sécurité.
l,activité agricole. Trois facteurs ont joué un rôle de A cet égard, un indice significatif est donné par le
première importance dans le mouvement de coloni- calcul du coefficient de variation moyen de la hau-
sation : les voies d’accès,(chemin de fer, puis routes) ; teur d’eau : il est de 19 % B Kaffrine, contre 27 %
les encouragements de l’administration coloniale (en à Thiès et 37 % àLouga (3).
particulier l’encadrement du mouvement des travail- ,Le paysage d’ensemble est celui d’un bas-plateau
leurs saisonniers, les « navétanes B) ; enfin le mouri- monotone, qui s’élève légèrement du sud au nord.
disme, moteur de l’expansionnisme wolof. L.e matériel géologique est constitué par les grès argi-
Actuellement, on ne peut guère parler d’un « front leux ou argiles sableuses du Continental Terminal
pionnier > progressant régulièrement comme dans les supérieur (ou assise du Ferlo). Au nord, ces forma-
débuts de la conquête des terres neuves. Mais la tions disparaissent sous la couverture des sables
colonisation agricole se développe toujours dans la quaternaires. Le modelé, de très faible ampleur, est
vaste bande de territoire comprise entre la voie ferrée commandé par la ,cuirasse ferrugineuse formée an-
et les forêts classées qui bordent le sud du Ferlo. ciennement sur le. Continental Terminal, et plus ou
Elle est encore active dans le Saloum oriental, où moins démantelée actuellement ; on passe au nord à
elle gagne du terrain en se glissant entre les forêts un modelé dunaire très amorti. Les axes de drainage,
classées, et se poursuit dans la région du Sénégal vallée fossile du Saloum au nord, petits affluents de
oriental, jusqu’aux abords de Tambacounda. la Gambie en direction du sud, ne présentent pas
Premier departement arachidier du Sénégal, avec de cours continu, même au plus fort de la saison
18 % de la production totale du bassin de l’arachide des pluies. La ligne de partage des eaux entre les
pour seulement 10 % de sa population rurale? le deux bassins est très peu marquée (50 m d’altitude
département de Kaffrine - qui couvre à peu près le au maximum).
Saloum oriental - représente l’essentiel, du point de On distingue trois grandes catégories de sols (4) :
vue économique, de la zone des a terres neuves » (1). - sols minéraux bruts et sols jeunes peu évolués,
C’est là que la culture arachidière atteint son maxi-
mum d’efficacité : on peut calculer que pour la cam- liés 3 la cuirasse ferrugineuse. ‘Les premiers, sur
pagne 1971-1972, la production d’arachide par habi- affleurements très indurés, sont totalement stériles ;
tant rural était de 1 130 kg ; .à titre de comparaison, les seconds, développés sur produits de démantèle-
elle était de 350 kg dans le département de Fatick ment de la cuirasse et matériaux résiduels divers,
(pays serer), la moyenne pour l’ensemble du bassin peuvent être de bons sols 2 mil et coton lorsqu’ils
arachidier étant de 650 kg (2). sont suffisamment épais ;
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FIG. 2. -Les densités de population dans le bassin de l’arachide.
sous le régime de l’administration indirecte jusque la surface totale), on obtient une densité réelle de
vers 1910, et furent le théâtre de rivalités entre les 17,6.
chefs traditionnels (1). Les dénombrements administratifs récents ont l’in-
Le chemin de fer atteint Kaffrine en 1914 ; à par- convénient de ne plus comporter de ventilation
tir de 1920, en relation également avec la hausse ethnique de la population ; la dernière que l’on puisse
des cours de l’arachide, la région commence & être retrouver date de 1956 : les Wolof représentaient
balayée par l’expansion pionnière des Wolof du Baol 78 % de la population totale.
et du Cayor, animée par le mouridisme. Il en résulte
le clivage très net dans la population actuelle entre Les origines de la migration serer
e Saloum-Saloum » (les autochtones) et « DiordDior »
(les gens de l’ouest et du nord, venus des terres C’est en 1934 que l’administration entreprit d’ins-
e dior >>). taller dans une zone qui fut dénommée « Terres
11 est difficile de reconstituer l’évolution de la Neuves B au nord de la vallée du Saloum et au
population, car les limites des circonscriptions admi- sud-est du front pionnier mouride, des paysans serer
nistratives ont varié à plusieurs reprises. Pour l’en- recrutés dans les cantons les plus peuplés du Sine (3).
semble de l’actuel département de Kaffrine, la popu- Les terres y étaient libres, ou du moins très faible-
lation serait passée d’environ 20 000 habitants en ment occupées par les Peul.
1904 à 45 000 vers 1935, 90 000 en 1950, 130 000 II semble bien que l’initiative venait uniquement
en 1960 et 160 000 en 1966. L’évolution récente par des autorités locales, et toute l’opération fut interne
arrondissement (2) serait la suivante (commune de au Cercle du Sine-Saloum. Dans les rapports d’ar-
Kaffrine non comprise) : chives, il n’est nulle part question de directives venues
d’une instance supérieure. En fait, il apparaît que
tout était dû à la volonté de deux Commandants du
Cercle, Reynier, qui quitta ce poste en août 1934,
et Louveau, qui continua le travail entrepris, jus-
qu’en juin 1936. Leurs successeurs semblent s’être
beaucoup moins intéressés $àla question ; il faut dire
qu’& l’approche de la guerre, l’administration devait
avoir d’autres soucis.
‘L’opération était entièrement dirigée, et vigou-
reusement. Les intentions sont nettement définies :
décongestionner le Sine, et grâce aux qualités pay-
sannes des Serer, implanter un peuplement stable
(*) Superficie des forêts classées déduite. dans une zone menacée par la poussée mouride. On
relève dans un rapport de Louveau cet exposé des
On constate que Malem-Hodar et Koungheul motifs :
ont connu un très gros accroissement ces dernières « Les Sérères sont attachés par ,le culte de leurs ancêtres,
années ; Birkelane, le premier touché par la migra- leurs traditions,’ leurs coutumes, à la terre natale... Leurs
terres risquent ainsi d’être frappées de stérilité... Par leur
tion, est à peu près entièrement occupé maintenant.
Le sud ,du département (N’Ganda mais aussi le sud
de Koungheul, bien que cela n’apparaisse pas dans (3) P. Pélissier («Les paysans du Sénégal », note, p. 309)
les chiffres), de peuplement plus ancien, n’évolue que signale qu’il n’a « eu accès à aucun document administratif
très lentement en dépit d’une densité relativement intéressant cette question, ni à Kaolack ni à Saint-Louis B
et pense que « de nouvelles recherches conduites dans les
faible. La densité moyenne du département était de archives désormais centr.alisées à Dakar, seraient sans
13,5 habitants au km2 en 1966 ; en déduisant la doute moins infructueuses B. J’ai procédé à ces recherches ;
superficie des forêts classées(qui occupent 22 % de malheureusement, les archives de cette époque ne sont pas
encore toutes répertoriées ; la majeure partie se trouve dans
des dépôts non accessibles au public. La sous-série 2G, qui
regroupe les rapports périodiques de l’Administration,
(1) Cf. M.A. Klein : « Islam and Imperialism in Senegal, s’arrête en 1940 ; elle ‘est très incomplète : si l’on y trouve
Sine-Saloum 1847-19 14 ». Stanford University Press, Califor- bien les rapports d’ensemble au niveau de la Colonie, en
nia, 1968. revanche les rapporta des Cercles font défaut, à quelques
(2) Les arrondissements ont remplacé les anciens cantons exceptions près Il est vrai’semblable d’ailleurs que beaucoup
en 1960. ont été égarés ou détruits.
attachement au sol, le respect religieux qu’ils portent aux gramme très ambitieux de creusement de puits avait
arbres, ils forment un grand élément de vitalité et de force Été établi, représentant plus de 6 millions de l’époque,
auquel on n’a peut-être pas toujours prêté I’intéret qu’il « imputables aux fonds d’emprunt ;D.
mérite.
« Les Ouolofs, volontiers attirés par le commerce et les Au début de 1934, deux nouveaux puits seulement
emplois administratifs, fiers d’une supériorité contestable étaient prêts à accueillir les colons, ,à N’l)ambol
dont la source se trouve dans leur foi musulmane, ne sont et Nelbel (ce dernier village a disparu ; il devait
que des agriculteurs médiocres. Aptes à tirer d’une terre être non loin de Boulel). Il s’y ajoutait un puits
toutes les ressources qu’elle peut immédiatement donner, ils
égrènent leurs villages à la recherche de terres non épui- ancien remis en état? dans le village peu1de Kouyané.
.
sees... Autour de ces trois puits furent installés 277 colons,
« Les Sérères. agriculteurs nés, sédentaires, sauront mettre dont 176 Serer du Sine : en effet, des Wolof venus
en valeur ces terres riches sans en faire disparaître la forêt se joindre aux Serer « importés B furent tolérés ; le
- bien dégradée il est vrai - qui les couvre encore. rapport précise : « Afin d’éviter des contestations
« La zone attribuée aux Sérères constitue une sorte de de terrains et des litiges entre indigènes de races
barrage contre le flot des Mouridesvenant du Baol, et qui différentes, la région située ti l’ouest de la vallée de
dévasterait les boisements du N’Doucoumane. »
N’Dambol a été réservée aux Sérères, la rive orien-
Initiateurs du projet, les Commandants disposaient tale étant libre à l’accès des Ouolofs. » II semble que
pour sa réalisation d’un instrument para-administratif ces Wolof n’étaient pas des immigrants du nord,
remarquable, la Société de Prévoyance du Sine- mais des Saloum-Saloum des vieux villages de la
Saloum (1). Elle prenait en charge l’aménagement région, attirés par les nouveaux puits. L’ensemble
des zones d’accueil, le transport des migrants avec de cette population s’était réparti en sept groupe-
ses camions, la distribution de semencessélectionnées ments, quatre serer et trois wolof.
et de vivres, pour nourrir les paysans en attendant Les services de l’agriculture effectuaient à cette
la première récolte. époque une « statistique des exploitations indigènes .,
Le premier souci du Commandant Reynier fut qui consistait :à choisir chaque année un certain
la réorganisation administrative du Cercle. 11 signale nombre de villages-témoins, dans diverses régions,
en 1933 que le Saloum oriental « est démuni de dont les champs étaient mesurés. En 1934, les colons
tout commandement indigène et européen perma- des Terres ,Neuvesfurent inclus dans cet échantillon ;
nent >. Par arrêté du 15 octobre 1934, furent créées on sait ainsi que les 145 contribuables serer mirent
ies quatre subdivisions du Cercle (Sine, Bas-Saloum, en culture 115 ha d’arachide et 87 ha de mil, soit
MoyenSaloum et Saloum oriental), et un adminis- par actif 0,79 ha d’arachide et 0,60 ha de mil, ce
trateur adjoint fut installé à Kaffrine (2). qui est considérable car leur arrivée fut tardive
Les travaux d’aménagement commencèrent en (de mars ‘à mai). La Société de Prévoyance faisait
1933. On entreprit d’abord, l’ouverture d’une piste des distributions mensuelles de rations de mil, jusqu’à
directe Kaffrine-Colobane, desservant les Terres la récolte (ration journalière de 500 g par adulte
Neuves ; une piste transversale venant de Babane à et 250 g par enfant).
l’est et aboutissant .à Guinguinéo était également pré- Il était prévu pour 1935 le creusement de six
vue. Le gros problème était celui de l’eau. Un pro- nouveaux puits et l’installation de 1 200 colons.
En fait, deux seulement furent achevés à temps à
Boule1 et Alouki. On put néanmoins installer 725
(1) Les sociétés de Prévoyance, créées dès 1910 à l’éche- nouveaux colons ; le rapport ne précise pas s’ils
lon des cercles, devenues en 1956 Sociétés Mutuelles de étaient tous serer ou si ce chiffre comprenait des
Développement Rural (SMDR), sont à ‘l’origine des Centres Wolof. Instruits par l’expérience de la première
Régionaux d’Assistance pour le DéveIoppement (CRAD)
de l’organisation actuelle, regroupés en 1968 sous Yappel- année, les promoteurs firent effectuer les premiers
lation d’Office National pour la Coopéraiton et l’Aide au défrichements par la main-d’œuvre pénale, pour
Développement (ONCAD). Première forme d’organisation accélérer l’installation des immigrants. 37 t de graines
coopérative au Sénégal, les S.P., instaurées par l’autorité sélectionnées furent distribuées, leur culture fut cons-
coloniale, étaient tenues sous une puissante tutelle adminis-
trative. Cf. M. Camboulives : « L’Organisation Coopérative tamment surveillée pour éviter tout mélange. La
au Sénégal », Paris, Editions A. Pedone, 1967. récolte fut de l’ordre de 700 t d’arachide (dont
(2) La subdivision du Saloum oriental comprenait les 270 de graines sélectionnées achetées par la S.P.),
cinq cantons de N’Doucoumane, Koungheul, Pakalla Man- evec un rendement de 800 kg/ha.
dakh, N’Guer ,@irkelane) et N’Gahayes (Colobane). La
population était estimée à 50 000 habitants (35 000 Wolof Un programme d’installatim d’un mil.lier de nou-
et 15 000 Peul), veaux colons serer est annoncé pour 1936. .Les
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intentions sont à nouveau ,définies ; il semble que créé ,en 1937, est un Wolof du Saloum, venu avec
l’immigration dans les Terres Neuves fut alors stric- les Serer ; il nous dit que <Lles toubab ne voulaient
tement réservée aux Serer : que ,des Serer », et qu’il s’est « engagé > à Kaolack
« L’unique but poursuivi n’a ,pas été une augmentation en se faisant passer pour Serer.
du tonnage de l’arachide. L’on s’est efforcé de créer dans On comprend que, dans cet état d’esprit, la plu-
ce pays nouveau un bloc serer compact qui y implanterait
ses traditions et ses coutumes, on l’a protégé contre l’Islam part des Serer transplantés s’efforcèrent de rentrer
envahisseur. On a créé entre la grande coulée mouride du chez eux au bout de quelques années. Au départ,
canton de Colobane à l’ouest et les Terres Neuves, la on espérait que le mouvement allait s’amplifier spon-
réserve forestière de M’Bégué, qui isole les Sérères des tanément, et qu’il n‘y aurait plus qu’à le contrôler.
influences musulmanes. Le pays a été uniquement peuplé
de Sérères qui se sont groupés par affinités d’origine, il a Il fallut bien se rendre à l’évidence : les Serer ne
reçu un chef sérère, et dans un avenir rapproché, il faudra s’étaient pas accoutumés et, & la faveur de la guerre,
envisager la création d’un nouveau canton, îlot du Sine les villages se vidaient. :L’échec est constaté dans
dans le Haut-Saloum. s le rapport annuel du Service de l’Agriculture pour
A partir de 1936, les chiffres manquent, mais on 1939, qui fait le bilan de l’opération.
est certain que l’opération de « repiquage » des « Un effort considérable a été fourni dans cette région...
Serer s’est poursuivie jusqu’en 1937 ou 1938, puisque 24 puits ont été creusés à une profondeur moyenne de 80 à
furent créés alors les villages de Diout N’Guel, 100 m... A la suite d’une propagande active, 3 500 personnes
Bondi& Goulokoum, Diakhao Saloum, Puits 19, s’étaient installées provisoirement. Cette population se com-
Galoulé, Horé, Lanel, Bodé, Dianké Kao, M’Bégué, ,uosait en uresaue totalité de Sérères, environ 3 100. Mal-
heureusement. Chaque année en saison sechez une très grande
Gnibi. Certains de ces emplacements étaient déjà partie des colons regagnent leurs pays d’origine et certains
occupés par des Peul, qui furent contraints de ne reviennent plus.
cohabiter avec les Serer immigrés. Ils disent encore « Une des principales raisons de cet abandon est celle
aujourd’hui que « les Serer sont venus en camion de l’approvisionnement en eau. Le débit de la plupart des
comme des sacs d’arachide >. Sans doute se sen- puits s’est révélé insuffisant et quelques-uns donnent de l’eau
taient-ils menacés, et ?t juste titre, si l’on en croit saumâtre... Les femmes. aui ont à parcourir de grandes
cette phrase du rapport de 1934 : « Le retrait distances et à tirer l’eau de 80 à 100 m de profondeur,
ne tardent nas à regretter le Sine et agissent auprès des
progressif .desPeulhs, qui ont fourni la main-#œuvre hommes pour qu’ils abandonnent la région. On avait prévu
pour construire pistes et campements, ne peut en pour remédier à cet inconvénient l’installation de forages
toute justice se faire que lentement. > profonds à grand débit, malheureusement la guerre a sus-
pendu l’exécution des travaux projetés.
Aucune indication, dans les rapports que nous
avons pu consulter, en ce qui concerne le recrutement « Il est une autre raison de l’abandon des Terres Neuves
par les colons, c’est le profond attachement que les Sérères
des migrants dans le Sine. Mais les paysans s’en ont pour leur pays d’origine. Tous les habitants des deux
souviennent fort bien, et il est certain que les métho- villages de Keur Moussa Diop (l), sans autre exception
des étaient très autoritaires. La plupart des anciens qu9.m gardien de secco, ont quitté le village dès l’arrivée de
que nous avons pu interroger reconnaissent être la saison sèche, bien qu’ils aient de l’eau en abondance et
à une profondeur relativement faible.
venus contraints et forcés. Les chefs de canton du
Sine étaient chargés du recrutement ; ils réclamaient « L’année prochaine, on s’est proposé de tenter la colo-
nisation des Terres Neuves au moyen de populations bam-
des CC volontaires » dans chaque village. Il semble bara, qui s’expatrient volontiers et font souche dans leur
que, du moms au début, furent désignés surtout nouvelle résidence. Il sera certainement bien plus facile de
des gens de castes inférieures. Des camions venaient les retenir sur le pays que les populations sérères. D
les prendre $ Fatick ; on s’arrêtait a Kaolack ou à
Kaffrine pour charger des vivres, et on continuait Z’année suivante, le rapport agricole précise :
jusqu’aux puits ; l’emplacement des concessions i<Un essai de colonisation Bambara a été tenté
était piqueté. Ensuite, un camion apportait de la en 1940 là Keur Moussa Diop avec plus de succès.
nourriture chaque mois, pendant la première année. La question de la colonisation des Terres Neuves,
L’opération était menée par des conducteurs de
travaux européens ; les paysans se souviennent
encore de leurs noms. (1) Ces deux villages, situés à quelques kilomètres à
Beaucoup d’anciens, qui ont connu cette époque, al’est de Eaffrine, au bord de la route, reçurent l’ultime
nous ont parlé d’un « engagement » de trois ans, contingent de Serer transplantés qui, effectivement, furent
très rapidement remplacés par des Bambara et d’autres
après lesquels on pouvait repartir, quand d:l’obli- ethnies du Soudan et de Haute-Volta, qui s’y trouvent
gation était terminée ». Le chef du village de Bodé, toujours.
entravée par la guerre, sera reprise en 1941 sur 1~. population des « Terres Neuves de Kaffrine 3,
un plan actuellement :àl’étude. » zone du Bloc comprise, était alors de 4 000 habitants,
Il semble qu’ensuite, l’échec étant reconnu, l’Admi- dont un millier de Serer. D’après le recensement
nistration se soit plutôt occupée de favoriser le administratif de 1955-1956 il n’y avait que 1 350
glissement des Serer vers les marges moins densément Serer dans le canton, pratiquement tous groupés
peuplées du Sine. Un rapport du Secrétariat Général dans la région de Boulel. En définitive, ce n’est
d’octobre 1942 évoque la situation dans le canton guère que depuis 1960 que le mouvement de migra-
de Gossas : tion des Serer s’est amplifié de façon notable.
« Un fait d’ex&knce montre que le Séri%e ne s’expatrie
pas. Les essais de colonisation dé Terres Neuves se- sont Situation actuelle et caractères généraux
heurtés à l’attachement du Sérère Four son pays d’origine.
Quand il va sur ces terres, il s’y compor?e- comme un de la migration
navétane, n’amenant uas de bétail avec lui, et repartant
dans le Sine apr& la rkolte. LOCALISATION
« Toutefois, si la colonisation à longue distance s’oppose
à son tempérament, le Sérère n’est pas incapable d’ezpan-
sion. Il lui faut, quand il défriche une terre nouvelle, pou- L’espace concerné par la migration Serer reste
voir garder le contact avec son akien village. Cette pro- jusqu’à présent limité .à la partie nord de l’arron-
gression lente est illustrée dans la partie ouest du Canton dissement de IMalem-Hodar, C¶estaà-direla zone des
de Gossas. Cz mouvement risque d’être bloqué par la Terres Neuves de Boule1 et son prolongement vers
migration mouride venant à la fois de Colobane et du
Baol. l’est. En effet, la situation se présente de la façon
« Il ne faut pas favoriser ce mouvement mouride sur suivante :
Gossas, mais le canaliser plutôt vers l’est. Le chef le plus
qualifié pour assurer lse commandement de Gossas serait - dans l’arrondissement de Birkelane, outre les
celui qui parviendrait à attirer de proche en proche les vieux villages du sud, qui dépendaient de la royauté
Sérères Sine dans la partie orientale du canton. n serer du Saloum, on relève la présence de Serer dans
le nord, où se sont installés des immigrants du Baol,
Mais en définitive, cet échec dans les Terres Neu- encadrés par des marabouts mourides, et souvent
ves n’était que temporaire, car les Serer n’avaient < wolofisés ». Ces implantations sont déjà anciennes,
pas rompu le contact. Dans presque tous les villages, et participent plutôt d’un glissement mouride vers le
sauf certains qui furent abandonnés pour cause de sud du Baol, incluant des minorités serer ;
détérioration des puits, les chefs étaient, demeurés - au sud, les Serer ne s’aventurent guère au-
serer, et après la guerre, les paysans du Sine et
du Baol reprirent petit à petit le chemin des Terres del& de la vallée du Saloum. On rencontre quelques
Neuves. (Comme le dit très justement P. Pélissier : isolés dans les villages ethniquement très composites
« ‘Les mouvements d’émigration contemporains de le long de la route Kaffrine-Koungheul (Wolof et
certains paysans du Sine vers le Saloum sont le pro- Soudanais d’origines diverses). Sur N’Ganda et
longement spontané du transfert autoritaire de leurs Koungheul-Sud, on n’en trouve pratiquement pas.
aînés. > Malgré l’afflux des Wolof, les Serer ont Cultivateurs des terres dior et de I’iler, les Serer
réussi ,à reconstituer dans cette zone des Terres répugnent ,à aller vers les terres plus lourdes du sud,
Neuves une sorte d’annexe du Sine, qui sert de où les autochtones utilisent le soklz-sokh (2), et où
point d’appui là la colonisation actuelle, ainsi que les immigrants soudanais et voltaïques ont acclimaté
l’avait espéréLouveau. leurs propres techniques (notamment la culture du
mil sur bilions, pratiquée par les Tourka) ;
‘Le retour des Serer fut cependant très lent. En - vers Yest, les Serer s’arrêtent à la lisière de
1947, la zone des « Terres Neuves » était encore
suffisamment vide pour que l’on décide d’y implan- la réserve sylvo-pastorale du SineSaloum ; à part
’ ter le « Bloc Expérimental de YArachide », sur une quelques isolés, très disséminés, ils n’ont pas débordé
emprise de 10 000 ha d’un seul tenant. 11fut recon- sur I’arrondissement de Koungheul. ,On constate
verti en 1’955, sous le nom de « Secteur Expérimen- actuellement une poussée vers le nord, dans l’espace
tal de Modernisation Agricole » (SEMA) ; la sur- resté libre entre les deux forêts classées (M’Bégué
face aménagéeatteignait 4 500 ha. Selon Bouchet (l), et réserve du Sine-Saloum). L’intense colonisation
que l’on observe dans cet espace est d’ailleurs essen-
(1) «Le Secteur Expérimental de modernisation agricole
des Terres Neuves de Boule1 ». L’Agronornie Tropicale, (2) Outil de sarclage à manche court, que l’on utilise
1955, no 2, pp. 174-216. en position accroupie.
tiellement le fait de grosses implantations marabou- ,Ce mouvement se prolonge vers le nord, au-delà
tiques ; les Serer y ont un rôle très marginal (1) ; de Babane, ainsi que nous l’avons signalé plus haut.
- il faut signaler enfin une présence notable Là, les Serer ont tendance $ se disperser en conces-
des Serer autour des grands forages sylvo-pastoraux sions isolées (pint-n-kop : les maisons de la brousse),
du Sud-Fer10 (Sadio, Gassane, Ribo, Guente Paté). en bordure de la forêt classée, où ils sont difficiles
Ii semble qu’il s’agisse là de familles venues avec & repérer. La plupart de ceux qui s’aventurent jus-
des troupeaux, un peu dans les mêmes conditions que-là le font là cause de leurs bêtes ; ils ne seraient
que les Peul, se tenant ,à l’écart des villages, en pas acceptés dans les zones densément peuplées
concessions dispersées. au sud. Bn saison sèche, ils mènent les troupeaux
*C’estdonc essentiellement vers la zone des villages sur les forages de Khelkom ou Gassane pour les
crées avant-guerre par I’Administration, que les abreuver.
migrants serer continuent de se diriger. Un certain
nombre de ces villages ont été abandonnés par
manque d’eau, et réoccupés ensuite par des immi-
grants wolof. Une concentration des Serer s’est En l’absence de renseignements d’origine adminis-
faite sur quelques gros villages : Boule& Diakhao, trative, il est assez malaisé de faire le décompte
Diout N’Gue!, Bondié... Tous sont pluri-ethniques ; du nombre de paysans serer actuellement installés
ils se composent d’un assez grand nombre de dans l’arrondissement de Malem-Hodar.
hameaux ou quartiers, de taille très variable ; au Nous avons pu dénombrer au total 667 conces-
noyau originel serer s’ajoutent *desinstallations peu1 sions serer, réparties dans 67 villages administratifs.
ou wolof. Près de Boulel, qui est un centre impor- En tenant compte d’oublis vraisemblables, disons
tant du fait de la présence des installations du environ 7,OOS’agissant de concessions réelles, et non
SEMA, on trouve également quelques étrangers, de carrés au sens administratif (2), on peut estimer
surtout bambara ; ils ne s’éloignent guère de la route. a 8 ou 9 le nombre de personnes par concession,
Les terroirs de ces gros villages sont divisés en ce qui donne environ 6 000 Serer installés dans
sous-unités, plus ou moins bien individualisées. l’arrondissement, soit entre 12 et 15 % de la popu-
Cependant, la chefferie demeure unique, au niveau lation résidente totale. A ce chiffre il convient
du village administratif ; on constate qu’elle est géné- d’ajouter les navétanes, dont le nombre varie selon
ralement restée serer, même là où les Wolof sont les années, vraisemblablement entre 1 000 et 2 000.
maintenant en grande majorité. A Goulokoum par En ce qui concerne l’origine de ces immigrants,
exemple, village de 75 carrés, tous les Serer sont les 667 chefs de carré se répartissent en 350 origi-
partis maintenant, là l’exception du chef, qui seul naires du Sjne, 277 du Baol, 21 du Diéghem et
est resté. 19 du Saloum ; appartenance religieuse : 488 se
Cette chefferie est demeurée strictement paysanne ; déclarent mourides, contre 132 tidjanes, les chrétiens
ce n’est plus le cas dans la zone de Gnibi, au nord- n’étant que 42 (la plupart à Louanga, village fondé
ouest, qui est occupée par de grosses créations en 1966 par les Pères des Missions du Sine et du
maraboutiques. Les villages (Darou Salam, Boki Baol), et les « animistes > : 5.
Puits, Taaba, Gnibi-Lambaye...) sont entièrement $L’évolution de cette population est à peu près
contrôlés par de grands marabouts mourides. Les impossible à mesurer, faute de repères dans le passé.
Serer ,(des Baol-Baol) y sont présents ; ils se grou- La date d’installation des résidents actuels pourrait
pent en quartiers séparés,à l’écart des Wolof. donner une indication, mais comment estimer les
A l’est de Boule1 et jusque vers le forage de retours ? Or les mouvements sont incessants dans
Dioum Gainte, les Serer s’installent maintenant dans les deux sens. On peut seulement constater une
des villages de création récente. Ce secteur était nette progression des arrivées au cours des dernières
resté très peu occupé, la cause principale é.tant sans années, surtout en 1967, à la suite de récoltes
doute l’abondance des affleurements de cuirasse ; catastrophiques dans le Sine en 1966.
la colonisation agricole y est intense depuis quelques
années, les derniers lambeaux de forêt sont en train
de disparaître rapidement.
(2) L’Administr.ation a en effet tendance à baser le recen-
sement sur ‘la notion de chef de famille, responsable de
(1) C’est dans cette zone que G. Rocheteau a étudié les l’impôt pour lui et les siens, ;olutôt que sur l’unité de
aspects pionniers du mouridisme actuel. (Cf. sa participation résidence. Le nombre de c car& » recensés doit se rap-
au présent cahier.) procher en fait du nombre d’exploitations agricoles.
lem- Hodar
d’accueil de tel village. Tout se passe très discrète- adaptation à des structures différentes de celles des
ment, parfois même subrepticement : on constate vieux terroirs. Les contraintes de l’environnement,
soudain qu’un ménage a quitté le village à l’aube. uotamment le caractère spéculatif de la production
A l’arrivée dans les Terres Neuves, les ménages agricole, s’imposent vigoureusement, et les distinc-
commencent le plus souvent par s’installer à titre tions ethniques perdent leur signification. Les moda-
provisoire chez un compatriote qui peut leur prêter lités de la vie agricole sont pratiquement les mêmes
des terres déjà défrichées pour semer du mil. Ensuite, pour tous, quelles que soient l’ethnie et la région
on cherche à créer son propre m’bind (1) : mais d’origine.
bien souvent, il ne s’agit pas dune installation vrai-
ment définitive. Les abandons quasi immédiats, au LE PROBLÈME DE L’EAU
bout d’un an ou deux, sont assez nombreux et
d’autre part la turbulence locale est très active : C’est le problème essentiel : il conditionne l’habitat
on déménage trPs facilement d’un village à un autre, et les défrichements ; il limite sévèrement les possi-
pour avoir plus de terres, ou pour se regrouper bilités d’élevage. ‘Les « séanes» traditionnels (puits
avec des parents. superficiels alimentés par les eaux d’infiltration) sont
Si dans les villages les plus anciens, les familles très vite asséchés après la saison des pluies, et
installées de longue date sont bien enracinées main- l’installation de villages permanents est subordonnée
tenant, il n’existe pas chez les nouveaux arrivants à l’exploitation dune nappe dont la profondeur est
la détermination nette de se fixer ;à demeure. Les de 70-80 m. ‘Ce fait explique la difficulté du peuple-
réponses sont très vagues Ià cet égard ; on saisit ment avant les techniques modernes de fonçage des
l’opportunité de s’installer & tel endroit, et on y puits. II a pour conséquence actuelle I’importance
restera « si Dieu veut ». Beaucoup avouent qu’ils que prend le rôle de chef de village : être chef de
retourneraient au pays « s’ils avaient de quoi y village, c’est un peu être le maître du puits, et par
vivre ». C’est souvent ce qui se passe lorsque le suite, le dispensateur des terres qui l’entourent. Le
décès du père, d’un frère aîné ou d’un oncle leur creusement de nouveaux puits entraîne non seule-
permet d’obtenir des champs au pays natal. ment l’arrivée d’immigrants, mais aussi une turbu-
‘Les retours saisonniers sont constants. Même lance locale considérable ; de nombreux paysans
pour les plus anciennement installés, les attaches se déplacent, attirés par la possibilité de mettre
demeurent très fortes avec le village d’origine ; il en culture des terres nouvelles. Ce fait est particu-
arrive fréquemment que les enfants soient partagés lièrement net autour de certains gros villages Saloum-
entre famille paternelle émigrée et famille maternelle Saloum qui sont en train de se dépeupler au profit
restée au pays, ou vice-versa. Durant la longue de nombreux puits périphériques creusés récemment.
inactivité de la saison sèche, tout le monde circule, Une deuxième nappe dite du Maëstrichtien, a
dans les deux sens. Les jeunes, en particulier les 2X-350 m, est exploitée par des forages profonds
navétanes, cherchent du travail dans les villes et les avec installation de pompage. Destinés à l’origine
escales, s’embauchent comme manœuvres dans les E Shydraulique pastorale, ces forages sont de plus
secco (2), pour charger les camions qui viennent en plus utilisés par les cultivateurs, en relation
chercher l’arachide. Certains tentent leur chance d’ailleurs avec la diffusion des charrettes : dans un
dans le petit commerce de détail : avec leur revenu vaste périmètre autour de chaque forage, les paysans
de la campagne, ils achètent un petit stock de viennent chercher l’eau avec des fûts de 200 litres.
marchandises. !Ceux qui réussissent en ville - ce Il en résulte même une certaine dispersion de l’habi-
qui est bien rare - ne reviendront pas. tat, l’attrait des nouvelles terres étant tel que des
concessions isolées s’installent loin des puits, et se
ravitaillent avec les charrettes.
Les conditions générales de la colonisation agricole
dans les Terres Neuves
LE CONTRÔLE FONCIER BT LESDIFFÉRENCIATIONS SOCIALES
%L’émigrationvers les Terres Neuves signifie pour Au plan foncier, la caractéristique essentielle est
le paysan serer un changement de milieu et une l’absence de droits traditionnels : pas de lamanes (1)
(1) M’bi~zd(pluriel : p&) : unité résidentielle. ,(l) Maîtres de la terre traditionnels, descendants des
(2) Points de groupage des récoltes d’arachide. premiers défricheurs.
comme dans les vieux pays, pas de redevances fon- récentes sont généralement le fait d’individus entre-
cières. Les seuls droits qui s’exerçaient autrefois prenants, qui investissent véritablement dans la cul-
étaient ceux des Peul. ‘Leurs défrichements étaient ture de l’arachide, et s’approprient de vastes sur-
dispersés et de très faible importance ; ils les aban- laces, là la mesure des moyens de production qu’ils
donnaient fréquemment pour aller s’installer ailleurs. peuvent mettre en œuvre. On les appelle généra- .
Leur domaine était donc essentiellement parcours lement les « gros producteurs :P.;. ils sont souvent
des troupeaux, et a toujours été considéré comme reconnus comme tels par 1’Admmrstration et par le
ferrn nulliru par I’Administration, française et séné- système coopératif, bénéficiant notamment d’attri-
galaise, donc libre à l’accès des cultivateurs, qui s’y butions spéciales de semences.
installent en vertu du seul droit reconnu : celui du
défricheur. Qui sont ces « gros producteurs B ? En premier
heu, et d’une façon générale, des personnes qui
La terre est donc ,à celui qui la défriche. Lors de jouissent d’une autorité reconnue, traditionnelle ou
la création d’un nouveau village, I’attribution des moderne. L’autorité est nécessaire pour être pris en _
terres est soumise à l’agrément de I’Administration. considération par l’administration et pour rassembler
Les limites sont fixées par accord avec les villages des forces de travail importantes. Il est bien plus
voisins déjà installés, sous l’arbitrage du chef d’arron- difficile de dominer. les hommes que de dominer
dissement. Le chef de village est reconnu comme la terre, ou plus exactement, la seconde proposition
le gestionnaire des terres ainsi définies : c’est à lui découle de la première, et c’est en ce sens qu’il
que s’adressent les nouveaux arrivants - les sin- vaut mieux ne pas parler de « grands propriétaires »,
tiane - pour obtenir le droit de dé.fricher ; c’est lui mais bien de « gros producteurs ». En second lieu, il
qui redistribue éventuellement les terres abandonnées faut être capable de mener ,a bien la campagne agri-
du fait des d6parts ; enfin il tranche tous les conflits cole sans avoir recours à des prêteurs, c’est-à-dire
qui peuvent se présenter. 11 est le « moderne maître avoir des réserves, en nourriture et en argent. Dans
de la terre » : en wolof, borom dek (chef de village) cette économie spéculative, où l’on travaille pour I’ar-
= borom sauf (maître de la terre). gent et où il est très vite dépensé, tout réside dans les
,Cette conception du rôle du chef de village dans disponibilités, qui permettent de nourrir les navé-
le domaine foncier est lourde de conséquences; elle tanes, de payer une main-d’oeuvre occasionnelle pour
est responsable d’une grande inégalité dans l’accès c!es travaux urgents. On comprend le parti que
h la terre. Un fondateur de village est pratiquement peuvent tirer de cette situation les marabouts, les
libre de se tailler un domaine aussi vaste qu’il le gros commerGants et transporteurs, certains agents
désire, et d’attribuer des lots importants aux premiers de l’administration, des anciens combattants pen-
arrivants. ~Cessuperficies sont défrichées le plus rapi- sionnés. De plus, ce sont eux qui bénéficient !e
dement possible, pour que les droits soient bien mieux des actions de vulgarisation : les agents de
affirmés. Souvent, on voit les défrichements se faire la SATEC (1) reconnaissent que les meilleurs résul-
d’abord sur le pourtour des terres, les parties non tats sont obtenus chez ces gros producteurs, qui
encore défrichées qui restent au centre se trouvant peuvent s’équiper en matériel agricole sans compro-
mises à l’abri des convoitises. Au fur et .à mesure mettre leur budget, et utiliser correctement ce
des arrivées, la taille des portions de brousse attri- matériel.
buées là chacun diminue, mais des compensations A leur activité de producteurs d’arachide, ils
se font par le jeu des prêts de terre ; les derniers ajoutent le plus souvent celle de prêteurs. Autrefois,
arrivés sont réduits à ne cultiver que des terres ce rôle était tenu par les traitants libanais, qui
empruntées. 11existe deux types de prêts : à caractère accordaient du crédit sur les récoltes. )Depuis l’instau-
définitif, pour la durée du séjour de l’emprunteur ration du monopole des coopératives, cette domina-
(si ce dernier quitte le village, la terre revient au tion économique passe dans le secteur plus ou moins
défricheur) et selon ses besoins (on peut lui repren- clandestin des prêteurs « privés » (en théorie, les
dre une parcelle s’il ne l’utilise pas) ; et prêts vala- prêts usuraires sont interdits). ‘Le petit paysan a
bles une année seulement, éventuellement renouve- toujours besoin de crédit, et il s’endette où il peut,
lable. Tout cela reste d’ailleurs assezinformel. dans des conditions plus difficiles que par le passé :
‘Dans le vas des villages anciens - vieux villages les prêts se font à 100 % d’intérêt sur quelques
Saloum-Saloum, créations volontaires de l’adminis-
tration lors .du déplacement des Serer - la reparti-
tion est encore assez égalitaire ; mais les créations (1) SATEC : Société d’Aide Technique et de Coopération.
mois, les prêteurs prenant un risque considérable Elle n’est souvent fumée que par les animaux du
puisqu’ils n’ont aucun recours en cas de non- carré, cheval ou âne, moutons. Le souna n’est pas
remboursement. recherché ; moins productif que le sanio ,(petit mil
Dans les conditions actuelles du contrôle foncier, tardif), il est également plus sensible :à l’attaque
on voit mal quelle pourrait être l’application de la des oiseaux. D’ailleurs, il est souvent remplacé par
Loi sur le Domaine National, promulguée en 1964. du bassi (sorgho). Le seul intérêt du souna est de
Elle tend essentiellement !à détruire les droits des fournir une récolte précoce, au moment où les
lamanes, et à faire disparaître les redevances fon- réserves commencent là manquer.
cières assorties :à ces droits. Or, nous l’avons vu, il Les cultures secondaires sont pratiquement inexis-
n’y a rien de tel dans les Terres Neuves. L’article 15 tantes (alors qu’elles revêtent une certaine impor-
de la Loi stipule : c Les personnes occupant et tance dans les vieux te.rroirs, notamment à proximité
exploitant personnellement des terres.>. continueront des marchés urbains ou semi-urbains) : un peu de
4 les occuper et .à les exploiter. Toutefois, la désaffec- manioc, à l’intérieur de la concession ou juste der-
tion de ces terres peut être prononcée... soit pour rière, et de niébé (haricot) associé au souna.
insuffisance de mise en valeur, soit si l’intéressé Après le cléfrichement, c’est toujours l’arachide
cesse d’exploiter personnellement, soit pour des qui est semée en premier, même aux abords immé-
motifs d’intérêt général. » Il faudrait savoir quelle diats des habitations. La première année de leur
est la limite de l’exploitation « personnelle ». installation, les paysans empruntent des champs
Il est prévu d’autre part (article ll), que dans le voisinage pour faire leur mil. Le mil suit
%les zones pionnières sont mises en valeur dans l’arachide, puis intervient une année de jachère ;
les conditions fixées par les plans de développement l’arachide occupe chaque fois les nouveaux défri-
et les programmes d’aménagement B. Cette dispo- chements. On obtient ainsi le schéma suivant :
sition est importante pour permettre des opérations
de colonisation planifiées, mais dans le cas de la Champs
colonisation spontanée que l’on observe actuellement,
elle n’intervient pas.
.
1 1 2 I 3
Jusqu’à présent, on ne constate qu’une seule
incidence réelle de cette loi, et elle nous semble 1’” année ............ AT
avoir un effet contraire à son esprit : certains déten- 2” année ............ Mil & z
teurs fonciers hésitent maintenant ,à prêter de la 3” année ............ Jach Mil Ar
1.
terre, de peur que l’emprunteur ne se l’approprie
au titre de la Loi. L’accès .à la terre des plus défavo- 11y a évidemment des variantes selon la quantité
risés, qui se faisait dans des conditions de prêt très de terre disponible ; il arrive que des parcelles restent
souples et relativement libérales, risque d’être gêné plusieurs années en jachère si l’on a la possibilité
de ce fait. Dans certains endroits où les terres d’en défricher de nouvelles. Progressivement, au fur
àeviennent rares (autour de ,Gnibi par exemple), les et à mesure que la population augmente, l’année
préts sont limités Làune année, et tendent même à de jachère a tendance à disparaître ; arachide et mil
être remplacés par des locations. alternent de façon continue. Les parcelles qui restent
en jachère résultent alors de la différence des super-
ficies cultivées en arachide et en mil : comme on
ELÉMENTS DU SYSTÈME AGRAIRE
cultive toujours plus d’arachide que de mil, une
L’activité agricole est essentiellement tournée vers partie des champs consacrés à l’arachide pour l’an-
la production de l’arachide ; grosso modo, la pro- née x restera en jachère pour l’année x $1, selon le
portion arachide/mil est inversée par rapport à celle schéma ci-dessous :
du Sine : 1,5 ha d’arachide pour 1 ha de mil dans
I I I I
les Terres Neuves, contre 1,5 ha de mil pour 1 ha
d’arachide. Ar Mil J
Arachide et mil sont cultivés en alternance sur
la quasi totalité de l’étendue des terroirs. L’auréole
de cuhure continue du petit mi1 précoce (Wolof
souna, Serer pod) autour des habitations sur terrain V v
fumé, est ici extrêmement réduite (1 ou 2 % de la M’il 3 AK
superficie du terroir contre 10 à 20 % dans le Sine).
Lorsque la pression sur les terres devient très sont très faibles évidemment) même avec un travail
forte, il arrive que l’on fasse arachide sur arachide ; insignifiant ; pour l’arachide, un minimum est néces-
mais nous n’avons rencontré ce cas que très rarement. saire, surtout en début de campagne, sinon la récolte
est absolument nulle. Ceci explique que dans les
Le paysage agraire est très peu différencié : terres neuves, c’est en général l’arachide qui est
champs d’arachide et de mil voisinent de façon sarclée en priorité, d’autant plus que la semence
très monotone ; on n’observe pas de spécialisation Û coûté cher au paysan.
de certaines parties des terroirs, comme c’est le cas
dans le Sine. Les limites pérennes sont rares et peu
marquées dans le paysage ; elles existent cependant, L'EXPLOITATION AGRICOLE
sous forme de lignes d’arbustes, qui délimitent des
blocs de terres assez vastes. A l’intérieur de ces L’organisation de l’exploitation agricole est iden-
blocs, les limites de parcelles ne sont marquées que tique chez les Wolof et chez les Serer. L’unité de
par des lignes d’herbes souvent difficiles 21discerner. résidence, matérialisée par une clôture qui enferme
Ce parcellaire est très fluctuant : chaque année en les diverses constructions, est appelée comme partout
effet, le chef d’exploitation procède à une nouvelle au Sénégal concession ou carré (Wolof Kezzr, Serer
repartition des terres disponibles, en fonction des m’bind). Y vivent un ou plusieurs ménages - ou
besoins de chacun des membres de l’exploitation. familles élémentaires - généralement apparentés
La taille des parcelles est extrêmement variable, mais pas obligatoirement. Parmi ces ménages, cer-
de quelques ares à plusieurs dizaines d’hectares. tains sont prédominants, d’autres sont en situation
En principe, le chef d’exploitation se réserve d’abord de dépendance ; c’est au niveau des premiers que se
un grand champ de mil et un grand champ d’ara- situe l’exploitation agricole, qui correspond à la
c.hide, et affecte à chacun une parcelle d’arachide c cuisine » ou « foyer >>(Wolof n’dieul, Serer Iz’guk).
(et éventuellement de mil) !à la mesure de ses forces Une cuisine comporte donc un ou plusieurs ménages,
de travail. Mais il n’est pas toujours aisé de trouver et il peut exister plusieurs cuisines dans une même
d’un seul tenant la surface nécessaire à chacun ; concession, totalement indépendantes les unes des
i! en résulte un morcellement assez compliqué. De autres sur le plan économique.
plus, la superficie semée en arachide par chaque
personne étant essentiellement fonction de la quantité La cuisine constitue la cellule de base :
de semencequ’elle a pu trouver (et l’on cherche à en - au plan foncier : le chef de cuisine répartit
obtenir le plus possible, .à n’importe quel prix), on
voit semer quantité de petits champs supplémen- les terres chaque année entre les membres de l’exploi-
taires, sur des parcelles parfois minuscules emprun- tation, qu’il en soit possesseurou qu’il les ait emprun-
tées ici ou l&-,dans le seul but de « finir la semenceB. tées ;
- au plan consommation : c’est le groupe de
D’une façon générale, les paysans sèment trop, personnes qui mangent ensemble ; le chef de cuisine
e.n mil et surtout en arachide. Toutes les superficies est donc responsable de la nourriture de tous ses
ensemencées ne peuvent être entretenues correcte- dépendants, ce qui se concrétise par la possession
ment. Ceci se marque dans le paysage par l’impor- de greniers à mil ;
tance des surfaces abandonnées en cours de culture
et envahies par les hautes herbes. L’aspect est bien - au plan production : c’est le groupe de per-
différent de celui de la campagne serer qui, en sonnes qui travaillent ensemble. du moins sur les
comparaison, paraît soigneusement jardinée. On champs du chef de cuisine, chaque actif disposant
touche ici le problème souvent signalé en Afrique d’une ou plusieurs parcelles personnelles. D’autre
du passage de méthodes intensives à des méthodes part, c’est généralement le chef de cuisine qui pré-
extensives lorsque les surfaces disponibles le per- side à la répartition des semences et de l’engrais,
mettent. Les paysans font un raisonnement écono- et ‘à la commercialisation de l’arachide, qu’il soit
mique tout à fait pertinent : à quantité de travail coopérateur lui-même ou qu’il utilise le compte
égale, la productivité est meilleure sur des surfaces coopérateur d’un parent ou d’un voisin.
aussi vastes que possible, avec des façons culturales
sommaires, que sur une surface réduite avec des L’exploitation agricole est donc facile à repérer,
soins minutieux. Ce raisonnement est surtout vrai d’autant plus que le chef de cuisine (Wolof bororn
pour le mil : on obtient une récolte (les rendements n’dieul, Serer yal n’gak), est également appelé dia-
tigui (l), terme qui nous semble correspondre très dernier. Le sourgu peut être aussi bien un célibataire
exactement à la notion de chef d’exploitation. Le qu’un chef de ménage, un membre de la famille
diatigui en effet possède le matériel agricole (donc aussi bien qu’un étranger : son statut reste le même.
les autres membres de I’exploitation dépendent de En général, les chefs de ménage qui ont le statut
lui pour pouvoir cultiver) et reçoit sur ses champs de sourgu sont des jeunes qui, malgré leur mariage,
une part du travail des sourga, en contre-partie de restent dans la dépendance du chef de famille, père,
leur subsistance. Le sourga (2), c’est l’inverse du oncle ou frère aîné. Mais certains restent sourga
cliatigui : il doit du travail sur les champs de ce toute leur vie.
(1) Le mot est bambara, et a été apporté par les navé- Les navétanes
tanes du Soudan. Cf. Gallais : « Le delta intérieur du
Niger . . p. 475 : diatigui ou dontigui = le maître de Le navétane est un travailleur saisonnier (du
maison. Chez les Dioula, le mot prend le sens de « logeur =, Wolof navete, hivernage). Il s’installe pour la durée
personnage de base de l’organisation commerciale des
Dioula. Les navétanes soudanais d’autrefois trouvaient bien des cultures dans le carré du diatigui qu’il a choisi ;
un c logeur = en la personne du diattgui, doublé. d’un il travaille pour ce dernier en contrepartie de son
« patron u. Ce sens de «patron » semble correspondre à entretien, et reçoit en outre une parcelle qu’il cultive
l’utilisation actuelle du terme au Sénégal ; d’aucuns tra- personnellement, dont le produit constitue le pécule
duisent par « tuteur n.
avec lequel il repartira chez lui.
(2) Le dictionnaire de Kobes et Abiven donne la défini-
tion suivante . « Sujet, celui qui est dans la dépendance:
soumis à une autorité, subordonné B. Autrefois, du temps II convient de souligner d’emblée que le mou-
des royautés traditionnelles, ce terme avait le sens étroit vement saisonnier des navétanes n’est plus aujour-
du sujet qui se donne à un maître par un engagement d’hui ce qu’il était dans le passé, c’est-à-dire l’immi-
personnel qui fait penser à une relation de type féodal. gration d’étrangers, soudanais et guinéens, qui
Aujourd’hui, le mot sowga est souvent employé dans le venaient au Séncgal faire la campagne de l’arachide.
sens de a célibataire ., ce qui est abusif, le statut d’un
chef de ménage dépendant n’étant pas différent de celui Ce mouvement est ,à peu près tari maintenant, et
d’un célibat~aire. les nombreuses descriptions qui en ont été faites
+ Prestation de travail
tf Entraide
Ne sont pas figurées les entraides possibles entre femmes et entre sourga.
ont surtout un intérêt historique (1). Seuls les Peu1 de région. Entre temps, il est retourné plusieurs fois
Fouta se rencontrent encore, et selon des modalités a.u pays d’origine, pour des durées variables ; s’il en
différentes : avec les difficultés de franchissement a eu l’opportunité, il a travaillé en ville, comme
de la frontière, ils viennent au Sénégal non plus manœuvre, ou commerçant ambulant. Tantôt il
saisonnièrement mais pour des séjours de plusieurs devient g parasite » d’un parent à tel ou tel endroit,
années.Désormais, les navétanes sont essentiellement tantôt au contraire, s’il a fait une bonne campagne,
des Sénégalais, originaires des vieilles régions de il aide la famille dans le besoin. De tels individus,
l’ouest ; le mouvement d’installation dans les Terres et ils sont nombreux, sont difficiles à classer dans
Neuves se double ainsi d’une migration saisonnière. des catégories ; il est pratiquement impossible. de
(Le rapport Marnay (2) parle de CInavétanisation leur attribuer un lieu de résidence.
des travailleurs autochtones a, formule qui nous Si la majeure partie des navétanes sont des jeunes
paraît heureuse.) gens, qui sont motivés surtout par la recherche de
Certains auteurs distinguent le statut du navétane l’argent pour la dot, un navétane n’est pas obliga-
de celui du sourga, considérant que le sourga est un toirement un célibataire. Des hommes mariés, même
membre de la famille alors que le navétane est un bgés, quittent leur famille pour la durée de l’hiver-
étranger. Cette distinction ne nous paraît pas justi- nage, par manque de terre ou lassitude des mau-
fiée : un parent, un propre fils du chef de carré vaises récoltes.
même, peut fort bien Ve>niren tant que navétane ; D’autre part. il arrive que l’on redevienne navé-
sur le plan de l’organisation du travail et de I’éco- tane à la suite d’un divorce. On rencontre également
nomie de l’exploitation, le fait d’être parent ou non des navétanes accompagnés de leur femme ; celle-ci
avec le diatigui n’entraîne aucune conséquence par- participe aux travaux de la maison avec les autres
ticulière. A notre sens, il n’y a de différence. entre femmes, et reçoit aussi un petit champ personnel.
sourga et navétane que sur le plan de la résidence : Dans ce cas, il s’agit le plus souvent de candidats
le navétane fait partie des sourga de la maison à l’émigration définitive, qui tentent une expérience
pendant la durée de son sejour. Il est d’ailleurs fort avant de s’installer.
possible qu’il y ait eu une évolution B ce point de
vue ; du temps où les navétanes étaient tous des Par ailleurs., il existe une autre catégorie de sai-
étrangers d’origine lointaine, d’ethnie et de langue sonniers, celle des nz’bindane (3) : il s’agit de « pen-
différentes, la distinction devait être plus nette ; sionnaires », qui s’installent dans un carré en payant
aujourd’hui, les choses se passent plus ou moins leur nourriture (en général, 10 ià 12 000 francs
< en famille 2. pour la saison, payés *a la traite). Ils ne doivent
Bien souvent, la distinction est difficile à faire aucun travail au diatigui, et cultivent uniquement
entre sourgn résident et navétane. Ceci relève de leur propre champ, emprunte soit dans le carré où
la grande mobilité des gens, particulièrement des ils résident, soit à tout autre possesseur de terres.
jeunes : beaucoup sont dans une situation très floue Ils constituent pratiquement des sous-exploitations
pour ce qui est de leur résidence. Prenons le cas indépendantes. Les m’bindane sont rares ; ce sont
d’un garçon qui quitte son carré d’origine pour aller le plus souvent des hommes âgés et isolés, veufs
habiter dans les Terres Neuves chez un oncle ou ou divorcés, ne pouvant donc fonder une concession,
un frère aînk ; il y passe quelques années, comme et ne voulant pas non plus travailler pour un diatigui.
sozlrgn. Pour une raison ou une autre, il quitte la Les navétanes constituent une part essentielle de
famille et devient navitane dans un carré étranger ; la main-d’œuvre dans les Terres Neuves ; le système
d’un hivernage à l’autre, il change de village, voire actuel de mise en valeur des terres ne peut se passer
d’eux. Ils sont donc très recherchés ; pratiquement,
tous les chefs d’exploitation cherchent à en avoir un
(1) Selon Fouquet : « La traite des arachides dans le pays ou plusieurs. A titre d’exemple, nous avons recensé
de Kaolack » (IFAN’, Etudes séné~ulnise, no 8, 19.58), à Tabakali, pendant l’hivernage 1967-1968, 57 hom-
I’immigration de navétanes a atteint le chiffre maximum mes résidents et 100 saisonniers. Pour la campagne
de 70 000 en 1938 ; en 1950, ils étaient encore 34 000.
Pour cette dernière année, 45 % des navétanes installés
dans le Sine-Saloum étaient des Bambara, 2.5 % des Marka,
22 % des Peu1 Fout,a, 5 % des Malinké et 2 % des (3) L’emploi de ce mot est curieux. A Dakar, une
Toucoulenr. nibirzdane est une bonne. une domestiaue. situation bien
(2) P. Marnay : CC Effets socio-économiques de l’opération différente de celle d’un ; pensionnaire D-. Le sens général
productivité dans les régions de Thiès, Diourbel et Kao- apparaît être : personne étrangère hébergée dans le carré,
lack ». Rapport d’enquête. SEDES, Paris, 1970, mzrltigr. à divers titres.
suivante, 1968-1969, il y avait 61 résidents et 57 celles. Les attributions de semencesde 1’ONCAD (1)
saisonniers seulement ; tout le monde se lamentait se font sur la base du recensement de l’année précé-
que les navetanes ne venaient pas. Effectivement, dente, ce qui entraîne des déclarations de navétanes
déçus par la campagne 1967-1968 (mauvaise récolte fictifs, les employeurs désirant toujours augmenter
d’arachide, baisse du prix de campagne et retards leur main-d’cruvre et obtenir le maximum de semen-
dans le financement des coopératives), ils étaient ces. L’entretien des cultures souffre également de
beaucoup moins nombreux : au recensement de 1967, cette situation ; le diatigui sème le plus qu’il peut,
il y avait 33 453 hommes imposables dans l’arron- et ensuite, si la main-d’oeuvre est insuffisante, les
dissement de Malem-Hodar, et 28 016 seulement champs seront ma1 entretenus, voire en partie aban-
au recensement de 1,968. donnés.
Dans ces conditions, les navétanes ont le choix
de leur diatigui ; ils se renseignent soigneusement Le régime dzr travail des sourga
avant de s’engager : qualité du logement, assurance Nous l’avons dit, le régime de travail est prati-
d’être correctement nourri, affectation d’une bonne quement le même pour tous 1e.ssozuga, qu’ils soient
parcelle, possibilité d’obtenir de la semence. Il va résidents ou navétanes. Etabli de longue date, ce
de soi que les exploitations des « gros producteurs a régime stipule que le sourga doit au diatigui quatre
aisés et bien organisés sont recherchées : ces derniers matinées de travail : les mardi, mercredi, samedi
peuvent ainsi choisir les meilleurs éléments, ce qui et dimanche. L’après-midi, il est libre de travailler
renforce leur efficacité. sur son propre champ, et toute la journée pour les
Il est fréquent qu’un navétane quitte son diatigui trois jours restants. Le lundi est en principe jour
en cours de campagne, pour cause de mauvaise de repos (2) J les sourga travaillent s’ils le veulent,
entente. S’il trouve là s’installer dans un autre carré ce qu’ils font en général, toujours soucieux de mener
(ce qui est géneralement facile), rien ne le retient, la culture de leur champ personnel le plus rapide-
il est entièrement libre de s’en aller. Chose impor- ment possible.
tante, il garde le champ que lui a attribué son Depuis la diffusion du matériel de culture attelée,
premier diatigui : ‘à partir du moment où ce champ ces dispositions ont évolué quelque peu : les sourga
est semé,il ne peut plus lui etre repris. donnent en plus la matinée du jeudi au diatigui, en
Les navétanes consacrent le moins de temps pos- compensation de l’utilisation sur leur propre champ
sible à la campagne agricole. Leur arrivée est sou- du matériel et des animaux de traction appartenant
vent tardive, en mai et même juin ; la main-d’oeuvre au diatigui. Le sourga a en effet le droit d’utiliser
manque alors pour le débroussage, et l’on voit semer l’équipement
. du carré :à son profit, en dehors des
nombre de champs trop hâtivement préparés. Nom- heures dues au diatigui. Mais si le travail est manuel,
breux sont ceux qui partent à la fin de la période le sowga a les trois journées libres.
des binages, pour revenir lors du déterrage de l’ara- Dans le cas de fils ou de neveux mariés vivant
chide. Il s’absentent ainsi pendant trois semaines, dans le carré et ayant le statut de sowga, il arrive
un mois, en octobre. Fréquemment, ils s’endettent que le chef de carré leur demande de travailler
pour payer ce voyage. Ensuite, dès la récolte termi- pour lui tous les matins, en compensation de la
née, ils s’en vont le plus rapidement possible, souvent nourriture offerte :à leur femme et à leurs enfants.
sans attendre que l’arachide soit payée par les coopé- Il existe une autre solution à ce problème : le chef
ratives, soit qu’ils se fassent porter leur argent par de ménage dépendant fait un champ de mil, et
un camarade, soit qu’ils vendent leur récolte à donne sa récolte au chef de carré. Mais en fait, on ne
perte, à 10 ou 12 francs le kilo (les acheteurs peut pas dire qu’il y ait des règles générales ; les
étant naturellement les e gros producteurs 2 dont arrangements sont variables selon les familles.
nous avons parlé).
Pendant la période des semis d’arachide, le régime
La présence de cette masse de main-d’œuvre flot- du travail est partic.ulier : les sourga sèment tous
tante constitue un facteur de désorganisation du
système agraire. Les diatigui ne savent jamais sur
quel nombre de navétanes ils pourront compter,
d’où la difficulté de prévoir les semences, les (1) ONCAD : (cf. note 1, p. 87).
commandes de matériel et d’engrais, d’organiser (2) Auzsi bien dans Ia société serer traditiormelIe que
convenablement la rotation des cultures sur les par- pour les islamisés.
les matins sur les champs du diatigui et l’après- le santané n’a jamais un caractère obligatoire, mais
midi sur les leurs. Cette disposition est récente disons qu’il est de bon ton de s’y rendre lorsque
et correspond à un travail effectué au semoir attelé ; le demandeur est un notable, un marabout, un
autrefois, en semis manuel, le sourga avait droit à homme puissant. De plus, le repas offert est en
trois journées complètes pour semer son champ, général de qualité - une personne considérée se
suivies d’une semaine entière pour l’employeur. doit de bien faire les choses - et l’opération prend
Le travail dû au diatigui s’arrête avec le déterrage une tillure de festin, de fete villageoise. L’invitation
des arachides et la mise en meules pour le séchage ; est lancée pour tout le village, voire plusieurs vil-
pour le battage et le vannage, les sourga ne lui lages ; dans un contexte général de manque de bras
doivent rien, bien qu’ils continuent à habiter dans par rapport à l’importance des surfaces ensemencées,
le carré. Ils ne participent au battage que lors des un tel afflux de travailleurs est extrèmement rentable,
santané (travail collectif sur invitation), et éventuel- même si la dépense est assez élevée. D’ailleurs, les
lement sous une forme rémunérée, dans les mêmes frais d’un santané sont proportionnellement moins
conditions que les firdozz (cf. ci-dessous). )Le van- lourds pour un gros producteur, qui dispose d’argent
nage est surtout l’affaire des femmes. comptant, que pour un paysan, qui doit le plus
ILes sourga s’intéressent essentiellement à l’ara- souvent s’endetter (achat de riz notamment).
chide ; cependant, certains font également un peu La différence est telle entre ces santané de gros
de mil. Ce sont surtout les Serer d’ailleurs ; il semble producteurs et les santané ordinaires, que prati-
que subsiste un plus grand attachement .5 la culture quement il n’est plus question de réciprocité ; les
vivrière de la part des Serer que des Wolof. Mais premiers se situent ,à un autre niveau. 11est d’ailleurs
ce sont de petites parcelles, souvent mal, cultivées ; difficile de faire la distinction entre ces santané et
les rendements obtenus sont très faibles. Ce mil les prestations de travail sur les champs des grands
est vendu, en général au diatigui, ou stocké pour marabouts (2) ; en effet, et contrairement a ce qui
la campagne ‘suivante lorsque le navétane a I’inten- se passe dans les vieux pays, où ce type de travail
tion de venir s’installer sur les Terres Neuves. est totalement gratuit (sur ce point, voir Couty),
dans les Terres Neuves, il est offert un repas. En
Suntané et Firdou somme, il s’agit dans les deux cas d’obtenir une
contribution en travail avec contrepartie sous la forme
Le recours à une main-d’œuvre extérieure au du repas ; le caractère d’obligation religieuse dans
carré se fait essentiellement sous deux formes : le second cas est certes important sur le plan des
organisation de santané et emploi des firdozc, sai- principes, mais n’entraîne guère de. différence dans
sonniers spécialisés dans les opérations de récolte 1a pratique.
de l’arachide.
Précisons un peu l’importance de ces travaux
Le suntané (sim en Serer) est une forme de travail collectifs : en août 1967, nous avons assisté à un
collectif correspondant à la notion couramment santané convoqué par le chef de village de Tabakali
reçue de g culture-invitation B, souvent observée dans pour le bayat (2’ sarclage) de son champ d’arachide
les sociétés rurales de l’Afrique des savanes (1). (33 ha). Il y avait 127 hommes et 18 femmes, ces
Cette invitation comporte la fourniture d’un repas dernières s’occupant de la cuisine.
aux participants, et implique Une certaine récipro-
cité : la personne qui convoque un santané répondra Le travail commença vers huit heures (mais il y
ensuite aux invitations de ceux qui sont venus. « Une avait beaucoup de retardataires...) ; ,à midi, on mange
fois mis en route, l’échange de santané a tendance du lakh (bouillie de mil, lait et sucre ; c’est un plat
à s’entretenir lui-même » (Couty) . de fête) ; le soir, on arrête vers dix-sept heures pour
Les santané prennent une importance particulière
dans les Terres Neuves, du fait que l’institution est
exploitée par les « gros producteurs », et quelque
peu détournée de son principe à leur profit. Certes, (2) Il s’agit des champsdu-m’ercredi (toi-alurba), cultivés
au profit des grands dignitaires d,e la confrérie (tidjane
aussi bien que mouride). En principe, tout musulman doit
fournir une iournée de travail pour chaam opération
(1) Voir sur ce sujet J. Copans, Ph. Couty, J. Roch, culturale (semis, deux binages, récolte). En dépit du nom,
G. Rocheteau : c Maintenance sociale et changement éco- ces iournées de travail collectif ont lieu le ~1~s souvent
nomique au Sénégal ». Travaux et Documents de l’ORSTOM, le dimanche. La resfponsabilité de ces champs est confiée
no 1.5. 1972. a un représentant du marabout.
le second repas : il y avait deux moutons et 100 kg EVOLUTION ACTUELLE VERS DES FORMES DE SALARIAT
de riz. On offre ensuite cola, cigarettes, bonbons. AGRICOLE
Le champ n’ayant pu être terminé, un autre santa&
de 52 hommes eut lieu quelques jours plus tard. On observe actuellement dans les Terres Neuves
Il s’agissait là ,de travail manuel, à l’iler. Mais un recours de plus en plus fréquent à des formes
il existe aussi des « santané-machine », beaucoup de travail rémunéré, qui ont l’intérêt de fournir un
plus efficaces : les gens sont priés de venir avec appoint de main-d’œuvre dans les périodes de façons
leur matériel de culture attelée. *En septembre 1968, culturales urgentes. Naturellement, le système fonc-
le même chef de village de Tabakali organise un tel tionne surtout au profit des « gros producteurs >,
santané pour le bayat de son mil (21 ha), qui est qui disposent d’argent ; le petit paysan, toujours
en retard. Il y avait 1320hommes et 40 houes, tirées démuni en hivernage, étant prêt à louer ses bras
par 32 chevaux et 8 ânes. pour s’en procurer un peu. C’est encore un élément
Les santané réunissent surtout une main-d’ceuvre qui tend à renforcer la position des (3gros produc-
masculine, mais pour le vannage, il y a des santané ieurs », qui s’assurent une bonne récolte en utilisant
de femmes. au mieux les diverses formes de main-d’oeuvre, alors
Les sourga se rendent aux santané de leur propre que le petit paysan peut étre amené à négliger ses
chef les jours où ils sont libres (jeudi et vendredi) ; propres champs pour gagner un peu d’argent en se
souvent, ils participent ainsi à de nombreux santané louant ailleurs.
dans le seul but de bien manger. Les autres jours, On peut distinguer :
ils peuvent être envoyés ,à un santané sur ordre de
leur diatigui, qui utilise comme il l’entend les heures - le sndl emploi à la journée ou à la demi-
de travail qui lui sont dues. journée : la matinée de travail est payée 100 francs,
Les firdou n’interviennent qu’au moment de la l’après-midi 50,75 ou 100 selon la durée ;
récolte de l’arachide. Originaires en quasi-totalité de - le snss, forfait :à la surface : on s’entend avec
Haute-Casamance et de Haute-Gambie, ils viennent l’employeur pour travailler une certaine surface:
s’embaucher dans la zone arachidiere à partir moyennant 500 francs, 1 000 francs, etc. 11 arrive
d’octobre. Ils mènent une vie très fruste, allant de que l’on se mette à plusieurs ; le contrat d’une
village en village leur valise sur la tête, campant équipe peut aller jusqu’à 10 000 francs. Le snss se
sous les arbres, mendiant leur nourriture. Le travail pratique beaucoup pour le débroussage, en début de
se fait à la tàche, le plus souvent en équipes menées campagne.
par un chef qui traite avec les exploitants. Ils se
chargent du déterrage, du battage et du vannage Ces locations ,de services concernent également
de l’arachide, pour une somme forfaitaire. Les prix la culture attelée : le travailleur vient avec son cheval
nous ont paru être de l’ordre de 1 500 francs l’hec- et son semoir, ou sa houe ; la matinée est payée
tare pour le déterrage, et 1 000 là 1 500 francs la 500 francs. Pour les semis, il existe aussi une rémuné-
tonne de gousses pour le battage. Avec la diffusion ration à la tâche : 100 francs la trémie, ce qui fait
du déterrage attelé (lames souleveuses montées sur 1 000 francs l’hectare semé. Même les paires de
houe Sine ou sur bâti Arara) (l), on fait de moins bœufs, et elles sont rares, peuvent se louer ; nous
cn moins appel aux firdou pour ce travail ; le plus 1,avons vu faire pour le déterrage (le déte.rrage avec
souvent, ils ne sont engagés que pour le battage, ies bœufs est particulièrement efficace), à raison de
opération pour laquelle la main-cœuvre manque 1 500 francs la journée.
le plus (rappelons que les sourga ne sont pas astreints On observe aussi un système qui permet à un
au battage sur les champs des diatigui). Encore paysan dépourvu de matériel ‘d’en emprunter en
est-il préférable d’organiser un santané de battage, échange de son travail. Avec le semoir ou la houe
solution moins onéreuse (2). de l’employeur, il travaille deux jours pour celui-ci,
et un jour chez lui.
(11 Matériels de culture attelée, diffusés par le canal des Ces formes de travail ont tendance à remplacer
coopératives. la forme traditionnelle du santané chez certains gros
(2) Cf. couty (op. cit.) : « L’emploi de firdou semble producteurs, qui en arrivent à se comporter en véri-
étre environ deux fois plus coûteux que le recours à un tables entrepreneurs, utilisant une main-d’œuvre sala-
~~~tarzé, et tout se passe comme ,si cette différence représen-
tait le prix du retard avec lequel les firdorr acceptent d’être riée, et accentuant ainsi le caractère monétaire de
payés. » l’économie arachidière dans les Terres Neuves.
Cah. ORSTOM, .sér. Sei. Hum., vol. XII, JP 1 - 1975 : &‘1-120
LES SERER ET LA QUESTION DES TERRES N.&UvES AU SÉNÉGAL 101
Formes d’installation des Serer dans les Terres sont plus récents et correspondent au style actuel
Neuves : quelques exemples de villages de la colonisation.
Bout N’GueE
Quatre villages ont été choisis à titre d’exemnles
de l’implantation des Serer dans ,les Terres Ne&es. Fondé en 1936, Diout N’Guel est un de ces
Les ,deux premiers ont été créés a l’époque du déplai villages de la zone des « Terres Neuves > où les
cernent forcé par I’rldministration. Les deux autres Serer sont restés nombreux. 11 compte aujourd’hui
120 carrés, répartis en une douzaine de hameaux, nord du ‘SEMA ‘(ex-Bloc de YArachide) ; la route
sur un très vaste terroir (1). Il se situe à la limite goudronnée Kaffrine-M’Backé le traverse dans sa
partie est.
(1) L’emprise de ce terroir était estimée à 1 800 ha
Le noyau ancien, où furent d’abord installés les
en 1954 par Bouchet (op. cit.), d’après la couverture aérienne colons serer, est situé près du premier puits ; on
au 1150 000. l’appelle D’eka Goumag (CCLe centre B), il comprend
Cah. ORSTOM, sér. Sci. Hum., vol. XII, 1~”I - 1975 : SI-120
102 J.-P. DUBOIS
maintenant un certain nombre d’installations récen- Le centre ancien, fondé en 1936 ou 1937, éga-
tes en bordure de la route, notamment quelques lement dénommé Goumag, est situé sur une petite
boutiques. A partir de ce noyau? les Serer se sont élévation de terrain, avec le puits au pied. Les
dispersés vers l’ouest, pour se rapprocher des concessions se serrent de façon désordonnée autour
champs ; les m’bind s’isolent les uns des autres, sous d’une petite place qui porte la case-mosquée et le
un couvert d’arbres resté assez dense. %et ensemble, penthye (lieu de réunion), puis s’étirent le long d’une
dénommé Toukar-Tok ou Thiérer (« le quartier des sorte de rue, vers le nord. Le quartier est resté
Serer Y>),se rapproche par son aspect de la « nébu- uniquement serer, à part un Toucouleur. On y
leuse > des vieux pays. Plus tard, lorsque fut creusé trouve aussi deux boutiquiers maures.
un puits *àFass (c’est un « village pilote », créé par
le SEMA), quelques concessions partirent s’ins- II se produit maintenant une certaine dispersion :
taller d l’extrémité ouest du terroir, en deux hameaux des chefs de carré qui s’installaient près de leurs
dénommés Kénialbi. Ce mouvement ressemble aux champs en période de culture prennent l’habitude
installations de pint-a-kop (c les concessions de la d’y résider complètement ; en outre, les nouveaux
brousse 2) observées dans le Sine, occupation récente arrivants ne trouvent plus de place dans le centre.
des marges des vieux terroirs. Sur 38 concessions, 12 sont réparties dans trois
petits hameaux périphériques, au nord et à l’ouest.
Tous les autres quartiers sont wolof ; ils se sont
installés .a partir de 1947. 11 s’agit d’originaires de Un second puits a été creusé en 1957 à quelque
Gandiole, du Walo et de Louga, bien groupés en distance au sud ; un nouveau quartier s’y est installé,
hameaux ramassés, chacun avec sa mosquée (qui comportant deux groupements bien séparés, l’un
n’est d’ailleurs qu’une simple case). A l’inverse des serer avec 25 concessions, l’autre wolof avec 11
Serer, qui ont tendance à se disperser, on observe concessions. Entre les deux puits, une vaste zone
un mouvement de concentration vers les puits : un basse, souvent. inondée en hivernage, n’est jamais
second puits a été creusé en 1958, et deux sites cultivée ; on y laisse les animaux.
d’habitat un peu éloignés ont été abandonnés récem-
ment. Trois autres quartiers wolof complètent l’ensemble.
On dénombre au total 120 carrés (en 1967) : Tous les Wnlof sont originaires de la région de
38 Serer, 77 Wolof, 3 Peu1et 2 Toucouleur. Louga, et là aussi sont arrivés à partir de 1947-1948.
Enfin, une dizaine de concessions peu1 sont éparses
,L’ensemble est commandé par un chef de village dans le nord du terroir. Les Peu1 étaient d’ailleurs
serer, vieil homme de 73 ans, venu en 1934, dès installés avant l’arrivée des Serer ; ils occupaient
l’ouverture des Terres Neuves. 11 était chef à le site depuis 1920 environ.
Kouyan& village aujourd’hui presque totalement
déserté par les Serer ; il est venu prendre le comman- Ici aussi, le chef de village est un simple paysan ;
dement de Diout N’Guel en 1961. C’est un simple toute la famille a émigré dès l’origine des c:Terres
paysan du Sine? ni marabout! ni affairiste ; son Neuves », et forme aujourd’hui une grosse concession
exploitation est modeste? il n’emploie que deux ou de 20 personnes. Le frère aîné est yal m’bind (chef
trois navétanes. Il s’estime trop vieux pour voyager, de carré), mais c’est le cadet, âgé de 45 ans seule-
et ne retourne plus au pays, mais la famille vient ment, qui est chef de village. 11 semble plus à l’aise
souvent en visite. Il est appelé à trancher tous les que celui de Diout N’Guel ; il a une maison en dur,
différends qui surgissent dans le village, notamment avec quelques meubles, où il reçoit les visiteurs.
en matière d’attribution des terres, et il semble que Bon musulman, mouride, il est très tolérant : un
son autorité soit entière, malgré la présence chez frère plus jeune, chef de ménage dans la concession,
les Wolof d’un marabout assezimportant. est catholique, et il a favorisé l’installation d’une
petite mission des Pères de Kaffrine. Un bâtiment
Bondié
en dur a été construit, qui sert d’école dans la
semaine et d’église le dimanche.
Situé plus au nord, à l’écart de la route, Bondi&
est resté très serer : 62 concessions sur 119. La Tabaknli
dispersion est moins grande qu’à Diout N’Guel (les
habitants se regroupent en 6 quartiers), et la sépa- Comparé aux villages anciens que l’on vient de
ration sur le terrain des Wolof et des Serer est décrire, Tabakali a un aspect nettement « pionnier z+.
encore plus nette. Situé près du forage de Dioum Gainte, loin des
voies de communication, dans une zone où la coloni- aes coins, où se trouve le puits, part une sorte de
sation est encore active, le village a 6té fondé en rue formée par les concessions plus récentes. Ce sont
1957. Les fondateurs sont deux frères? qui se disent les fondateurs qui ont imposé ce plan ; les immi-
wolof et marabouts ; en fait, ce sont des Serer grants sont tenus de s’installer en bon ordre.
B wolofisés p3 originaires du Baol. Une première Des .deux frères, l’aîné est le chef de famille, il
migration avait conduit leur père dans le dépar- exerce une autorité morale et se consacre surtout
tement de Gossas, où il fondait en 1922 un village aux activités maraboutiques ; il réside le plus souvent
egalement nommé Tabakali. Par manque de terre, à Kaolack, où la famille possède plusieurs maisons.
les deux frères poursuivent la migration, laissant le certaines étant destinées à la location. C’est le cadet,
commandement de l’ancien village à un cadet. agé de 57 ans, qui est le chef du village, où il régente
Le vihage est bien groupé au centre de son terroir ; à peu près tout. Leur concession occupe tout un côté
bien que les fondateurs soient tidjanes, son aspect de la place centrale ; plusieurs grands bâtiments
général est tout à fait celui des villages de coloni- en dur s’y élèvent, dont l’un réservé au <cprestige > :
sation mourides : une vaste place centrale sensible- trois pièces bourrées de meubles hétéroclites, de
ment carrée formée par l’alignement rigoureux des tapis, d’images pieuses et de photos ; les deux frères
concessions, ouverte aux quatre coins, avec la case- ne l’habitent pas, ils préfèrent une case de paille,
mosquée au centre, d’une propreté parfaite. De l’un plus fraîche, Ils se sont attribué une grande partie
des terres ,disponibles, qui a été défrichée rapidement Le village comprenait 30 concessions en 1968 :
par une main-d’œuvre nombreuse. En 1967, ils ont 5 Wolof (y compris le chef de village et son frère ;
employé une trentaine de navétanes. tous sont du Baol, et ont une ascendance serer),
11 convient de noter qu’ils se comportent en fon- 22 Serer et 3 Toucouleur.
dateurs de village et en exploitants agricoles, bien
plus qu’en marabouts : les habitants du village ne Keur Ibou M’Bow
sont pas leurs talibé (disciple), ,à deux exceptions Situé .à 13 km .à l’est de Boule& sur une piste
près ; ils ne doivent aucune prestation, en travail ou ouverte dès l’époque des a Terres Neuves de Kaf-
autre. S’ils se rendent nombreux aux santané orga- frine >9, le village est de création récente : 1962.
nisés par le chef de village, c’est dans le cadre habi- Toute cette zone entre Boule1 et Bodé était restée
tuel de cette institution, sans aucun caractere d’allé- intacte jusqu’à une date récente, sans doute à cause
geance religieuse. 11 n’y a pas d’école coranique. II de l’abondance des affleurements de cuirasse ; elle
semble que les deux marabouts ne se soucient guère est maintenant colonisée activement, surtout par des
de prosélytisme religieux. Les habitants du village Serer.
sont presque tous des Serer, qui sont arrivés pro-
gressivement et ont demandé des terres ; la plupart Le fondateur est un Wolof Saloum-Saloum, venu
se disent mourides, et leur Zè;le religieux est bien de Kaffrine, et le village porte son nom. 11 s’agit
faible : il y a très peu de monde à la prière du soir ; d’un ‘ancien chauffeur, âgé de 45 ans. Il travaillait
rares sont ceux qui font le ramadan. En 1968 s’est d’abord pour un Libanais, puis a été à son compte ;
installé un ménage catholique, ce qui ne plaît guère il a eu deux camions et plusieurs cars rapides. Il
au chef de village, mais il l’a accepté quand même. possède encore un taxi 404, et une 2 CV pour ses
déplacements personnels. Il y a plusieurs autres
chauffeurs dans la famille ; tous ses fils vont à l’école
et les aînés apprennent la mécanique à Kaolack.
I? possède une grande maison à Kaffrine, où la pre-
mière de ses quatre épouses reste en permanence ;
lui-même se déplace fréquemment, et passe la ma-
jeure partie de la saison sèche bà Kaffrine. Il est
également commerçant ; l’unique boutique du village
lui appartient. De confrérie Tidjane, il dirige la
prière au village, mais n’est pas marabout. C’est un
cas typique de ces « gros producteurs » aux activités
multiples qui investissent dans la culture de l’ara-
chide.
Il s’est naturellement approprié une vaste partie
des terres les plus proches du village. Les derniers
arrivants doivent aller assez loin pour défricher
maintenant. Le village est groupé autour du puits,
mais de façon désordonnée ; il n’y a pas de plan
imposé comme A Tabakali.
Il y avait 28 concessions en 1968 : 5 Wolof, tous
Saloum-Saloum et apparentés avec le chef de village,
groupés au nord-ouest, près du puits ; 3 Peu1 Fouta,
également groupés, au sud des Wolof ; et 20 Serer
installés le long de la piste et vers le sud, la plupart
arrivés très récemment. ,Les Peu1 Fouta sont là sur-
tout pour fabriquer le charbon de bois, qu’ils exploi-
tent dans la forêt aux alentours, depuis 4 ans, mais
Q Forgeron cultivent également. Quelques Serer se consacrent
/\ . :* Greniers aussi au charbon de bois, mais ils se contentent de
0 m couper le bois et de faire les tas, et payent les
I0
Peu1 Fouta pour faire la combustion, travail de
FIG 6. - Tabakali, le village en 1967 spécialistes.
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. . . . . . . . ,,
, ::x:::::. , oOONOIÉ olAEAKAll
I I . ..__. / I
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---7
FIG. 7. - Origine par arrondissement des chefs de ménage serer des quatre villages étudiés
(1 point = 1 ménage : total : 229 ménages).
Les différences sont nettes entre les deux villages frées qu’à Tabakali, où nous avons mesuré la super-
anciens et les deux villages de création récente. Dans frcie du terroir. 11#couvre815,5 ha, y compris I’em-
les premiers, l’organisation sociale est restée très prise du village qui est de 6,5 ha. Seul le chef de
proche de la situation « traditionnelle > ; la commu- village dispose d’une réserve foncière, non encore
nauté rurale garde sa signification ,habituelle, et ne défrichée, de 50 ha. Le reste du terroir est à peu
permet pas l’émergence de dominations &conomiques près totalement défriché et exploité, à part quelques
accusées.Les seconds au contraire sont entièrement affleurements de cuirasse incultes.
dominés par la personnalité de leur fondateur, et cor- Globalement, la superficie moyenne par conces-
respondent bien au style de la colonisation actuelle, sion était de 30 ha en 1967 (27 concessions). Mais
de plus en plus marquée par l’esprit spéculatif et la la distribution est très inégale ; on relève surtout la
réussite économique des individus les mieux placés. situation très particulière du chef de village, qui
Les disponibilités foncières ne peuvent être chif- « possède » a lui seul 223 ha. ‘Les 26 concessions
restantes exploitent donc 586 ha ; nous retiendrons route goudronnée, les communications sont difficiles,
ce dernier chiffre pour comparer les disponibilités et pendant l’hivernage, on circule peu ; il n’y a pra-
moyennes avec celles relevées à Sob par Lericollais : tiquement plus d’argent dans les villages, et guère
d’occasions de s’en procurer. ‘Chacun cultive ses
champs et attend la traite. Ce repli économique pen-
Tabakali (1967) Sob (1966) dant la période des cultures s’oppose à la vie de
586 ha 535 ha relations qui reste active dans les vieilles régions, où
se maintient toujours un certain volume de transac-
tions.
l-l I-I I Il n’y a pratiquement pas d’artisans dans les vil-
I lages que nous avons étudiés ; il est fréquent d’ail-
Concessions.. . . 26 22s 32 16,7
Exploitations. . 37 15.8 65 8,2 ieurs que des gens de caste artisanale n’exercent pas
Actifs (“) . . . . . 195 3,00 279 1,92 leur activité, et soient simplement cultivateurs. C’est
Habitants. . . . . 263 2,22 552 0,97 le cas notamment des griots (absence de fêtes tra-
ditionnelles, sauf dans les villages Saloum-Saloum).
(*) Sont considéréscomme actifs tous les adultes (plus de Seuls les forgerons ônt une certaine importance
14 ans). A Tabakali, saisonnierscompris. (fabrication des instruments de culture traditionnels
et réparation du matériel de culture attelée). On
Le chiffre le plus significatif est celui de la surface rencontre quelques tailleurs, mais le plus souvent les
exploitée moyenne par habitant : 2,22 ha à Tabakali, gens achètent leurs vêtements lors de leurs déplace-
contre 0,97 à Sob. ments de saison sèche.
A Diout N’Guel, on peut rapporter la population Comme petites activités annexes susceptibles de
actuelle, 1 100 habitants, à la superficie avancée par rapporter un peu cargent, il n’y a guère que les
Bouchet, soit 1 800 ha (cf. note ci-dessus). On obtient transports par charrettes, surtout au moment de la
1,6 ha par habitant, chiffre intermédiaire entre Sob récolte, pour livrer les sacs d’arachide aux coopéra-
et Tabakali, mais auquel nous ne pouvons accorder tlves, et la fabrication d’huile artisanale par les
qu’une valeur très approximative. Cependant, nous femmes, vendue au jour le jour. Quelques tressages
disposons de chiffres précis portant sur le « sous- de nattes aussi.
terroir >9de Kénialbi, que nous avons mesuré égale-
ment. La superficie exploitée étant de 95,5 ha, on
obtient 2,90 ha par actif et 1,68 ha par habitant. L’ÉLEVAGE
L’élevage n’a d’importance que pour les Peu1 ;
*** les Serer n’ont pas réussi à constituer de troupeaux
importants, même dans les villages les plus anciens.
Le problème de I’eau s’y oppose, et aussi le divorce
élevage-agriculture : rien n’est prévu dans les struc-
Une constatation s’impose vigoureusement dans tures agraires pour associer l’élevage. Pas de protec-
ces villages des Terres Neuves : c’est la rareté des tion des champs, pas d’itinéraires pour les troupeaux
activités autres qu’agricoles. Ce fait apparaît surtout (les ped ,du Sine), pas de groupement des jachères
par comparalson avec les villages du Baol étudiés pour y stationner les bêtes pendant la période des
par les économistes de I’ORSTOM ; les relevés quo- cultures (le tsss). Les incidents sont fréquents, et
tidiens de recettes et dépenses ont mis en évidence bien souvent les possesseurs de bétail cherchent à
l’importance des revenus provenant d’activités secon- s’installer à l’écart des terroirs, près des zones de
daires, artisanales et commerciales, liées à la proxi- bas-fonds, où l’on peut garder les animaux en hiver-
mité de centres urbains (Touba, M’Backé? Diourbel). nage sans danger pour les cultures. C’est ce qui s’est
Avec les accidents climatiques de ces dernières passé à Diout N’Guel avec l’installation des pint-&
années, beaucoup de paysans ont tiré de ces occu- kop de Kénialbi. Certains vieux disent qu’ils regret-
pations annexes un revenu monétaire supérieur d tent le temps où l’administration n’autorisait pas les
celui de leur champ d’arachide. Rien de tel dans Wolof .à s’installer près des Serer et des Peul.
les Terres Neuves ; les marchés, où les femmes peu-
vent écouler chaque jour une petite quantité de pro- A Bondié, où les Serer sont mieux groupés, il y
duits, n’existent pas. Dès que l’on s’éloigne de la a moins de problèmes, et les possesseurs de bovins
sont relativement nombreux ; nous en avons dénom- villages, à quantités égales (une mesure de lait contre
bré 25, sur 62 concessions. une mesure de mil). Mais nous n’avons pas observé
Certains chefs de village s’opposent à la présence d’association pasteurs-cultivateurs pour la fumure ;
de bovins ; c’est le cas à Tabakali, où il n’y en a pendant la saison sèche arrivent des Peu1 nomades,
pas un seul. 11 faut dire que le chef de village, qui descendent du Djolof : leur passage ne donne
serer d’origine, devenu marabout, se veut plus wolof lieu à aucune organisation de la fumure des champs.
que tout le monde ; il professe un idéal de vie selon
lequel la prière et la culture excluent toute autre
préoccupation. Bien que Tidjane, il adhère totale- LE COMMERCE
ment au schéma mouride.
La plus grande part du commerce de détail dans
A Keur Ibou, la situation est différente : le chef les villages des Terres Neuves est entre les mains
de village, wolof Saloum-Saloum, possède lui-même des boutiquiers maures, qui s’installent jusque dans
un petit troupeau, et emploie un Peu1 à l’année pour les endroits les plus reculés. Il est fréquent que des
s’en occuper (il convient de remarquer qu’à la diffe- paysans s’improvisent commerçants, et tiennent une
rente des originaires de l’ouest, les Wolof autoch- petite boutique dans leur carré, mais il est rare qu’ils
tones, Saloum-Saloum, s’intéressent à l’élevage). Mais puissent soutenir la concurrence des Maures.
les Serer, tous récemment installés, n’ont pas encore
de bovins. Les Maures ne sont pas propriétaires de leur bou-
Une constatation importante : les Serer n’em- tique ; ils la louent a un habitant du village (1 000
mènent pas dans les Terres Neuves leurs troupeaux à 2 000 francs par mois en général). Ils semblent
du Sine. D’abord parce qu’ils sont généralement être organisés en associations ; lorsqu’un tenancier
appropriés par les aînés des lignages, qui restent au rentre en Mauritanie, ce qui est fréquent, il est
pays, et aussi parce que les bêtes du Sine ne pour- aussitôt remplacé par un confrère qui prend la suite
raient pas vivre dans les régions de l’est, disent les des affaires. Leur réseau s’étend au rythme de la
paysans ,(nous ne savons pas si cette opinion est colonisation : dès qu’un nouveau village atteint une
fondée). Aussi, les troupeaux des Serer ont été cons- taille jugée suffisante, une boutique est installée, qui
titués sur place, petit ,à petit, par achats aux Peul. élimine les petits revendeurs locaux.
Ce fait a pour conséquence une évolution des règles Nous avons pu observer ce processus à Tabakali.
de l’héritage : alors que dans le Sine les bovins restent En 1967, il y a eu jusqu% 7 petites boutiques dans
toujours dans le lignage maternel, et se transmettent le village, dont 3 tenues par des saisonniers. Ce
d’oncle là neveu utérin, dans les Terres Neuves, c’est genre de boutiques s’improvise très vite, et est très
le plus souvent le fils qui hérite. La raison en est éphémère : il suffit de construire quelques rayon-
que le troupeau n’a pas été hérité maternellement, nages sommaires dans une case, et de se procurer
mais constitué par le ménage : la femme échappe a un petit stock ,de marchandises (souvent prises à
la sphère économique de sa famille, et met ses crédit chez les Maures). Ne sont offertes que quel-
ressources propres en commun avec son mari. Les ques denrées essentielles (huile, riz, sucre, savon,
bêtes qu’ils ont « travaillé ensemble B, selon l’ex- cola, cigarettes, biscuits...). Au début de 19,68, à
pression des paysans, iront au fils. A la génération l’ouverture de la traite, le boutiquier maure du vil-
suivante, il en sera naturellement de même. L’in- lage voisin de Kourou Lournbé demande au chef de
fluence de l’islamisation (même si elle reste très village de Tabakali de venir s’installer. Ce dernier fait
superficielle) est certaine en ce domaine. Mais cette construire une boutique sur la place du village ; dans
evolution n’empêche pas de suivre la coutume serer le même temps, celle de Kourou Loumbé est reprise
en ce qui concerne l’héritage des <troupeaux du par un confrère. Très rapidement, un stock impor-
Sine ;’ .à la mort de son tokor (oncle maternel), le tant et varié est disponible ; tous les autres petits
n’dokor (neveu) émigré héritera. En somme, il y a commerçants du village cessent alors leur activité.
deux catégories de bovins, qui ne se transmettent pas Pendant la saison des cultures, tout le monde achète
de la même façon. Les Serer paraissent d’ailleurs à crédit. En septembre, le boutiquer maure de
trouver tout $ fait normal de respecter d’une part Tabakali nous disait qu’il avait déjà 200 000 franes
les coutumes traditionnelles, et d’en adopter d’autres h faire rentrer. Ce qui pose d’ailleurs des problèmes
en milieu d’émigratio’n. dans une région où la population est très mobile ;
Au sujet de l’élevage peul, signalons l’échange lait les ,débiteurs qui disparaissent inopinément ne sont
contre mil, qui se pratique couramment dans les pas rares.
Cah. ORSTOM, st+. Sci. Hum, vol. XII, 11’ 1 - 1975 : SI-120
108 J.-P. DUBOIS
A Keur Ihou, c’est le chef de village qui est com- - en 1968, Tabakali (4 exploitations déjà suivies
merçant, en même temps que prêteur. C’est géné- l’année précédente), Bondié (5 exploitations) et Keur
ralement le cas dans les villages fondés par des Ibou (5 exploitations).
< gros producteurs » affairistes, qui seuls peuvent
rlsister à l’organisation commerciale des Maures. 11 La population de l’exploitation est en moyenne de
faut d’ailleurs remarquer que la boutique de Keur 48 actifs-exploitants (1) et 6,8 habitants. Les chiffres
Ibou était fort mal approvisionnée pendant l’hiver- correspondants pour Sob (2) sont 3,5 et 8. La pro-
cage 1968. portion d’actifs est donc beaucoup plus importante
Un autre aspect de I’activit& des Maures est l’achat dans les Terres Neuves (71 % contre 44 % à Sob),
des moutons vers la fin de l’hivernage, au moment notamment du fait de la présence de nombreux nave-
de la soudure, quand tout le monde cherche de tanes.
!‘argent pour acheter du mil. Par petits groupes, les A des fins de comparaison, et pour bien mettre en
Maures vont de village en village, et achètent les evidence les phénomènes de domination économique,
moutons au cours le plus bas ; leur troupeau grossit nous avons retenu également 2 exploitations de
de jour en jour, et progresse lentement vers l’ouest. « gros producteurs B, celles des chefs de village (et
Les animaux seront revendus à Kaolack et là Dakar, fondateurs) de Tabakali et Keur Ibou. Nous les
pour la fête de la Tabaski. appellerons « GP 1 » et « GP 2 2. La première sur-
tout est importante : elle employait 20 navetanes
en 1967 et 14 en 1968 : la seconde est plus modeste,
Les résultats agro-économiques de la migration et plus familiale par sa main-d’ceuvre .(4 navetanes
seulement).
L’exploitation agricole ‘serer dans les Terres Neu- Le tableau ci-dessous rassemble les principales
ves a été étudiée de façon approfondie par une données concernant la population et les surfaces.
enquête portant sur un échantillon de 11 exploitations
poÜr la campagne 1967-1968, et #de14 exploitations
pour la campagne 1968-1969. Ces exploitations
étaient réparties dans les quatre villages que nous (1) Est considérée comme active toute personne ayant
venons de présenter : mis en culture un ou phtsieurs champs personnels, d’où
I’expr,ession adoptée : « actif-exploitant ».
- en 1967, Tabakali (6 exploitations) et Kénialbi, (2) Nous nous efforcerons ici, uour tous nos résultats
un des hameaux du village de Diout N’Guel(5 exploi- chiffrés, de faire référence à la situation observée à Sob
tations) ; par A. LericoUais (OP. cit.).
Serer GP 1
GP 2
1967 1968 1968
1967 1968
(11 expl.) (14 expl.)
Actifs :
Hommes . . . . . . . . . . . . . . . . 36 42 23 17
Femmes . . . . . . . . . , . . . . . 18 25 9 8 4
Ensemble . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 54 25 12
Population totale . . . . . . . . . . . . . . . 70 li!l ii 36 24
Superficie Cultiv&e (ha) :
Arachide..................... 97,4 119,6 94,4 73.7 32,0
Mil . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 62,0 87,9 40,l 30,s 796
Total . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 159,4 207.5 134,5 104,5 39,6
Superficie cultivée par actif:
Arachide . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . l,so 1.79 2,95 2,94 2,67
Mil . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1,15 1,31 1.25 1,23 0,63
Total . . . . , . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2,95 3,lO 4,20 4,17 3,30
7; Arachide . , . . . . . . . . . . . , . . . . 61 58 70 70 81
LES SURFACES
CULTIVÉES
Nombre d-hectares Terres-Neuves
Sob
L’exploitation serer des Terres Neuves cultive en cultivés :
Serer GP
moyenne près de 15 ha, contre 6,5 là Sob. L’exploi-
tation GP 1 a cultivé 135 ha en 1967 et 105 ha en
1968, cette baisse. étant due à la diminution du - par semoir . . . . . . . 11,5 10,4
- par houe . . . . . . . . 11.5 i-i:; 17,7
nombre ,de navetanes ; l’exploitation GP 2 atteint - par unité de trac-
40 ha. tion (chevaux +
Les quotients de surface cultivée par actif et par ânes) . . . . . . . . . . . . 970 94 729
habitant font apparaître d’emblée le caractère exten-
sif #desméthodes culturales dans les Terres Neuves. On constate :
Pour les Serer, on obtient environ 3 ha par actif
(1,85 ,à Sob) et 2 ha par habitant (0,80 !à Sob). - que les « gros producteurs B sont mieux équi-
Dans l’exploitation GP 1, on atteint le chiffre de pés en matériel que les paysans serer ;
4,2 ha par actif. - que si l’équipement en houes est faible à SoO,
L’arachide occupe environ 60 %’ des surfaces par contre le rapport surface/semoir y est meilleur
cultivées chez les Serer des Terres Neuves, contre que chez les Serer des Terres Neuves ;
40 % à Sob ; un actif cultive en moyenne 1,80 ha - qu’il y a un déficit du cheptel de traction dans
d’arachide (O,&O‘à Sob) et 1,20 ha de mil (1,05 à les terres neuves par rapport à Sob.
Sob). Pour les deux « gros producteurs », la part de
l’arachide s’élève à 70 et 80 % . Eu égard à l’importance des surfaces qu’elles culti-
La répartition des surfaces cultivées selon le statut vent, les exploitations des Terres Neuves apparaissent
des attributaires des champs (diatigui, femmes et relativement sous-équipées ; la poursuite de l’effort
sourga) montre surtout l’importance des superfices de modernisation doit passer maintenant par la vul-
attribuées aux sourga dans les Terres Neuves ; ils garisation de la traction bovine.
ont plus de 35 % des terres mises en culture ; ils
exploitent près de la moitié de l’arachide, contre L’ENGRAIS
18 % à Sob. En revanche les femmes, peu nom-
breuses et très occupées par les tâches ménagères, L’utilisation de l’engrais chimique était l’un des
n’exploitent que 15 % de l’arachide contre 40 % à thèmes majeurs de l’action de la SATEC ; à partir
Sob. de 1965, les paysans furent vivement incités à com-
mander :de l’engrais aux coopératives. Il existe deux
L’ÉQUIPEMENT formules différentes, pour le mil et pour l’arachide,
la dose préconisée étant de 150 kg/ha dans les deux
La majeure partie du matériel de culture attelée cas.
est d’acquisition récente ; l’action .de la SATEC y est En 1967, pour l’ensemble de notre échantillon,
pour beaucoup {l). 11 en résulte un endettement 87 % des surfaces ont reçu de l’engrais, a la dose
important auprès des coopératives, surtout pour les moyenne de 148 kg/ha. C’était un succès certain.
nouveaux installés, qui sont le plus souvent depour- En revanche, l’engrais-mil n’intéresse guère les culti-
vus de matériel lorsqu’ils arrivent. ,Ce matériel de vateurs : 42 % des surfaces, à la dose minime de
culture attelée, utilisant la traction équine ou asine, 34 kg/ha en moyenne. L’effort financier demandé
comprend surtout le semoir (il n’y a pratiquement aux paysans pour l’engrais était essentiellement con-
plus de semis manuel de l’arachide et le semis méca- sacré ‘à la culture~de rente.
nique des mils et sorghos se pratique de plus en En 1968, à la suite d’une récolte médiocre, et alors
plus) et la houe, qui permet l’entretien des champs qu’étaient annoncées simdltanement Yaugmentation
semésmécaniquement. du prix de l’engrais et la baisse du prix au produc-
En 1968, on obtenait les taux d’équipement sui- teur de l’arachide, beaucoup renoncèrent .à l’engrais.
vants : Les commandes étaient fortement en recul, et il s’y
ajouta la revente à perte : le sac de. 50 kg, qui
coûtait 800 francs, était couramment bradé à 250-
m(l) La SATEC a été relayée à partir de 1969 par la
SODEVA (Société de Déve’loppement et de Vulgarisation 300 francs, les acheteurs étant les « gros produc-
agricole). teurs w qui se procuraient ainsi de l’engrais à bon
compte. Sur notre échantillon, l’utilisation de l’en- 11 convient de situer ces rendements par rapport
grais tombait en moyenne à 55 % des surfaces et aux conditions pluviométriques :
87 kg/ha pour ‘l’arachide, 29 % des surfaces et
28 kg/ha pour le mil. Les deux exploitations de Niakhar Boule1
« gros producteurs » sont pratiquement les seules à (Sine) (Terres Neuves)
avoir utilisé l’engrais de manière efficace, et seule-
1967 . . . . . . . . . . . 729 mm 681 mm
ment pour l’arachide.
1967 . . . . . . . . . . . 335 mm 486 mm
I
Utilisation de l’engrais ~
1967 T 1968 En 1967, les pluies étaient abondantes sur l’en-
semble du bassin arachidier ; à Sob, l’année peut être
Serer GP 1 Serer GPl GP2
. -- considérée comme bonne (alors que 1966 était catas-
trophique). Mais dans les Terres Neuves, l’excès
Arachide % surface . . 77 98 27 94 73 d’eau en début de saison a gêné considérablement le
Kg/ha ..,.. 115 174 71 98 96
Mil % surface . . 27 66 19 73 - travail des agriculteurs (l), et les rendements étaient
Kg/ha . . . . . 57 19 34 25 - en recul sur ceux de 1966.
-
En 1968, après un démarrage tardif, l’hivernage
L’engrais-mil est utilisé exclusivement sur les se caractérise par une sécheresse générale en août.
champs des diatigui ; pour l’engrais-arachide, sur 25 t Dans les Terres Neuves, les rendements en arachide
utilisées dans l’échantillon en 1967, la répartition se maintiennent à peu près au niveau médiocre de
était : diatigui 5 1 % , sourga 40 % et femmes 9 % . 1967. Le fort déficit global des pluies affecte surtout
les mils, dont les rendements tombent à un niveau
A Sob, on observait dès le début une utilisation dérisoire, aussi bien & Sob que dans les Terres
importante de l’engrais-mil par rapport à l’engrais- Neuves (2).
arachide. En 1968, Ile refus de l’engrais est total,
puis une reprise s’opère, mais essentiellement sur En moyenne, une pluviométrie moins irrégulière
l’engrais-mil : l’attitude du paysan est radicalement assure dans les Terres Neuves de meilleures récoltes
différente. d’arachide ; il n’en est pas de même pour les mils,
dont la culture prend un caractère très extensif. Alors
qu’.à Sob les paysans apportent tous leurs soins à
LES RENDEMENTS la récolte vivrière, les cultivateurs des Terres Neuves
cherchent d’abord à valoriser leur travail par ?a
:Les rendements obtenus pour les deux campagnes culture ,de rente, et comptent pour assurer la sub-
considérées, comparés %àceux observés à Sob, sont sistance sur l’étendue des surfaces semées, avec un
’ les suivants : travail d’entretien réduit au minimum et, par suite,
des rendements très faibles.
Arachide Mils
En kg à l’ha : -
1967 1968 1967 1968 (1) Cf. Dancette : « Influence du climat sur la produc-
--e- tion agricole en 1966, 1967, 1968 ». CNR4 Bambey,
nwltigr. : a Une pluviométrie excessive a eu une influence
IT.N. Serer . . . . .
GPl ..,...
580
1 190
690
1 080
280
440
160
320
dépressive sur les rendements en graines des cultures...
Dans les secteurs de vulgarisation où l’épandage des engrais
I GP2 . . . . . .
Sob . . . . . . . . . . . . . . 680
1 190
540 480
425
180
a été générahsi;, les vulgarisateurs ont pu constater une
très forte poussée des adventices devant laquelle les agri-
culteurs se sont trouvés parfois débordés et impllissants...
Nota: arachide en coques, mil et sorgho en grain (après battage
Des pluies violentes ou trop abondantes ont gêné la florai-
des épis ou panicules). son ou’la fructification de l’arachide. 1>
(2) On remarquera que les années 1967 et 1968 cor-
respondent au maximum de l’effort de modernisation
On remarque essentiellement le niveau général demandé ,au paysan par la SATEC. Devant faire face à
très bas des rendements en mil, et la faiblesse des des remboursements très lourds avec des récoltes d’arachide
résultats obtenus par les Serer dans les Terres Neuves, médiocres, contraints d’acheter du m?l pour assurer la
subsistance, et le plus souvent à crédit, dans des co,nditions
surtout si on les compare à ceux des « gros produc- désastreuses. il est certain que les paysans ont traversé
teurs 3. une période difficile,
Les disparités constatéesdans les rendements mon- exploitations à Sob et dans les Terres Neuves. Nous
trent bien que le système agricole des Terres Neuves l’appellerons « Produit Agricole Brut T,: c’est le chif-
prend toute son efficacité dans les grosses exploita- fre résultant de la valeur des productions agricoles,
tions. Il est certain que les gros exploitants de style diminuée du coût des semences et de l’engrais,
« entrepreneur » tirent le meilleur parti des amélio- c’estJà-dire des charges d’exploitations annuelles, à
rations techniques diffusées par l’opération SATEC ; l’exclusion de l’amortissement du matériel et des
les petits paysans ont beaucoup de mal à suivre. Les divers autres frais de culture. Il ne s’agit donc pas
chiffres sont encore plus significatifs si l’on compare d’un véritable compte d’exploitation, mais d’un cal-
les rendements obtenus par les seuls chefs d’exploita- cul à caractère théorique permettant d’utiliser les
tion (à l’exclusion des femmes et des sourga) : en données dont nous disposons. Les semences d’ara-
1968, Ile chef de village de Tabakali obtenait, sur chide sont estimées à 120 kg de coques à l’hectare
un champ. d’arachide de 28 ha, un rendement de en moyenne ; pour les mils, la semence est négli-
1780 kglha ; les six chefs d’exploitation serer étudiés geable. La valeur de l’arachide est celle du prix de
dans le village, qui totalisaient 21,5 ha d’arachide? campagne des années 1967-1968, soit 17,lO francs
obtenaient un rendement moyen de 790 kg/ha. A le kg. La valeur du mil est estimée, en l’absence de
Keur Ibou, le chef de village cultivait 17,5 ha avec prix officiel, à 20 francs le kg, prix moyen le plus
un rendement de 1 480 kg/ha ; les cinq chefs d’ex- souvent observé lors des transactions. Ce produit
ploitation serer étudiés, 11 ha avec un rendement a.gricole brut (PAB) peut ètre calculé par actif-
de 490 kg/ha. exploitant et par hectare cultivé.
Ces chiffres expriment l’opposition entre : On trouvera ci-dessous le calcul du revenu agri-
- à Sob, un système agricole là caractere intensif, cole des 11 exploitations serer étudiées en 1967, à
Tabakali et Kénialbi. Il est tenu compte dans les
avec predominance de l’économie vivrière. La grande charges d’exploitation du coût réel de la semence, y
sensibilité du mil aux variations des conditions clima- compris l’intérêt ,(25 % pour les semencesprises au
tiques est très vivement ressentie dans le produit glo- CRAD, jusqu’à 100 % dans le privé) ; de l’annuiti
bal ; de remboursement du matériel agricole ; du coût de
- dans les Terres Neuves, un système agricole 3 l’engrais (en déduisant éventuellement les sommes
caractère extensif, essentiellement tourné vers l’éco- récupérées par revente de l’engrais à bas prix) ;
nomie de marché. L’arachide assure un revenu moné- enfin des frais de culture payés en argent : salaire
taire toujours supérieur & celui de Sob, même avec des firdou, forgeron (réparation des machines et
de mauvais rendements, grâce à l’importance des sur- achat d’outils traditionnels), location de matériel agri-
faces. cole.
Si l’on rapporte le produit agricole brut à la popu- ,Les charges étant soit remboursées en arachide,
lation totale, l’écart est évidemment beaucoup plus soit payées en argent, on les imputera au poste
accusé : en 1967, 14 300 francs par habitant dans < arachide B, ce qui permet de faire apparaître un
les Terres Neuves et 7,650 francs à Sob ; en 196g, revenu monétaire, s’opposant au revenu du mil qui
14 100 francs contre 4 500 francs. est essentiellement autoconsommé.
Quant aux « gros producteurs », on constate que
leurs résultats par actif sont deux sàtrois fois supé-
rieurs fà ceux des exploitants serer : à « l’effet de Francs
surface >, ils ajoutent systématiquement un meilleur Valeur de la production d’arachide. . . . . . . . 971500
c<effet de rendement >. Total des charges d’wploitation . . . , . . . . . . . . 470 500
(% chargesbaleur arachide) . . . . . . . . . . . . . . (48 %)
*** Reste revenu monétaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . 501 000
Valeur de la production de mil . , . . . . . . . . . . 343 700
A ces calculs à caractère théorique, nous vou- Revenu agricole total . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 844 700
drions ajouter quelques indications sur le niveau réel Revenu agricole à l’hectare . . . . . . . . . , . . . . 5 370
des revenus wgricoles dans les Terres Neuves, c’est-à-
dire résultant de l’observation des dépenses d’exploi-
tation réellement supportées. On remarque l’importance des charges d’exploita-
‘Cette observation n’est pas aisée à mener. A pre- tion, qui représentent 48 % de la valeur de la récolte
mière vue, la question peut paraître simple, dans un d’arachide.
systeme agricole basé à peu près exclusivement sur Par actif-exploitant, on obtient en moyenne un
‘ le mil (destiné .à l’autoconsommation) et l’arachide revenu monétaire de 9 450 francs, et un revenu agri-
(destinée h la vente, et obligatoirement écoulée par cole total de 15 950 francs.
le canal coopératif depuis l’élimination des traitants
en 1966). En fait, il est très difficile d’établir de La répartition du revenu monétaire entre les divers
véritables comptes d’exploitation : le système de cré- membres de l’exploitation (diatigui, femmes, sourga)
dit #(avancesde semences; prêts ,à court terme et est extrêmement variable selon les cas. Les diatigui
moyen terme pour les produits et le matériel, rem- cultivent des surfaces plus importantes et reçoivent
boursables en arachide par annuités) est d’un fonc- sur leurs champs le travail des sourga ; mais ils
tionnement complexe, mal compris par les paysans ; doivent consacrer une part importante de ce travail
i! s’y ajoute l’endettement « privé a, pour lequel il P la production du mil, pour la nourriture du carré.
est souvent difficile de distinguer entre rembourse- D’autre part, ils supportent l’essentiel des charges,
ments imputables aux charges d’exploitation et rem- notamment le remboursement du matériel. Le résul-
boursements imputables à la consommation. D’autre tat-est que leur revenu monétaire tombe souvent très
part, étant donnée l’indépendance des sourga et des bas, et même au-dessous du revenu d’un sourga qui
femmes, qui disposent de leurs récoltes personnelles, s’est oocupé sérieusement de son champ et ne sup-
le compte d’exploitation est le résultat d’une addition porte que peu de charges.
de comptes individuels, ce qui ne va pas sans com- Nous donnerons deux exemples, choisis à Tabakali
pliquer les choses. en 1967.
vend du mil pour avoir un peu d’argent ; ce mil - remboursementengraiset matériel. 10800 kg
lui fera défaut au prochain hivernage et il s’endettera - commercialisation. . . . . . . . . . . . . . 147600 kg
encore plus. te matériel agricole est alors mis en
gage chez les commerçants pour garantir des dettes, Sur ce total, quelle part revient au diatigui ? Sur
et dans les cas extrêmes, par manque de quelques les 53,5 t qu’il a produites, 2 proviennent du champ
milliers ,de francs pour dégager ce matériel, on en cultivé pour son marabout (lequel réside à Diourbel ;
commande plutôt d’autre i la coopérative puisque il lui fait parvenir .la somme correspondante). Restent
c’est à crédit... En dernier lieu, on en arrive à la 51,5 t qui représentent sa récolte personnelle ; elles
vente (du cheval, si l’on en possède un ; on se sont intégralement vendues à son profit. Le rem-
contente alors d’un âne pour cultiver. boursement de sa part d’engrais et du matériel, soit
6,9 t, se trouve effectué avec de l’arachide provenant
des récupérations de dettes. La semence est prise sur
LE REVENU D’UN <( GROS PRODUCTEUR 1) le stock d’arachide dont il dispose en permanence ;
il ne participe donc pas au remboursement des 10 t
Bien évidemment, à cette situation d’endettement au CRAD. D’autre part, 7,5 t provenant également
du petit paysan s’oppose celle du gros producteur- de recupérations de dettes sont vendues *àson profit,
prêteur, qui retire les bénéfices du système. A titre et enfin 17,6 t, toujours de même origine. sont
d’exemple, nous allons tenter d’analyser les résultats conservées dans le carré pour les semences de la
&onomiques obtenus par le chef de village de prochaine campagne (pour lui-même et surtout pour
Tabakali, pour la campagne 1967-1965. prêter).
L’exploitation a récolté 1125 t d’arachide : 535 On obtient donc le compte suivant (qui n’a qu’une
pour le diatigui, 51,5 pour les vingt-deux sourga et valeur approximative, car certainement ‘beaucoup de
7,5 pour les neuf femmes. ,Chacun des membres de détails nous ont échappé ; nous ne pouvons donner
l’exploitation idispose de sa récolte personnelle ; nous que les grandes lignes) :
ne parlerons ici que de la part qui concerne le
diatigui. - arachidee<contrôléeI) a sonprofit
La difficulté est de démêler ce qui lui revient fina- - récolte personnelle. . . . . . . . . . . . . . . . . . 51,5 t
lement. En effet, il a en quelque sorte un rôle de - reçu en récupérationdes dettes . . . . . . . . 32,0 t
banquier (il possède d’ailleurs un énorme coffre-fort,
que l’on est surpris de découvrir dans une simple Total : 83,5 t
case en paille) : il commercialise toutes les récoltes (représentant
une valeur de 1400000francs)
du carré, et aussi ,de nombreuses autres personnes,
étrangères au carré et même au village, notamment - dont arachidecommercialisée:59 t (51,5récolte per-
des sourga qui ont pris leur semence chez lui. Il sonnelle + 7,5 récupération),soit un revenu monétaire
d!environ1 millions de francs.
dispose pour ce faire de trois comptes dans trois
coopératives différentes. ‘Chaque récoltant livre son La récolte de mil (15 t) est entièrement conservée,
arachide dans l’une de ces coopératives, et rapporte pour la consommation du carré et pour prêter.
un reçu. :Le diatigui encaisse ila valeur de tous ces
reçus, et répartit ensuite l’argent, déduisant pour Les frais de culture payés en argent et supportés
chacun le montant des remboursements qui lui sont par le diatigui se montent & 80 000 francs (fongi-
dûs, pour avance de semences, de mil de soudure cide 2 500, firdou 50 000, forgeron 15 000, achat de
ou d’argent. II se livre ainsi à une comptabilité effré- 50 sacs 12 500). Il paie enfin 8 500 francs d’impôt.
née, dans un grand désordre de papiers (il écrit 11convient de remarquer pour conolure, que beau-
en caractères arabes, et compte en français). coup de prêts ne lui sont jamais remboursés. En
effet, sa position comporte beaucoup d’ambiguïtés :
Pour 1967, les livraisons d’arachide effectuées sous il serait faux de ne voir en lui qu’un « homme
son contrôle se montent au total à 168!5 t : daffaires » qui exploite les avantages de sa situation
- remboursements de semences sociale ; il est également le fondateur du village, le
au CRAD .................... 10 100 kg (1) père de la communauté qui s’est rassemblée autour
-- de lui ,(il dit volontiers en patGtnt des gens du vil-
(1) Pour semences prises : convention de prêt de lage : « la famille X) et il a conscience de ses respon-
5 000 kg, de l’Agence ONCAD du Sine-Saloum,et attri- sabilités. La bonne marche de la communauté dépend
bution ordinairede 3 050kg. de lui, et il l’assume, d’une façon paternaliste qui
Cd. ORSTOM, se?. Sri. Hwu., vol. XII, no 1 - 1975 : 81-120
LES SERER ET LA OUESTION DES TERRES NEUVES AU SÉNÉGAL 115
n’est pas exempte de générosité ; il ne laisserait pas Trois points essentiels doivent être relevés : les
une famille dans la famine, même s’il sait qu’il ne migrants se conforment aux conditions spécifiques de
sera pas remboursé. Cette attitude complexe explique 1,agriculture des Terres Neuves,* mais maintiennent
par ailleurs qu’il soit impossible d’établir une compta- l’essentiel de leur personnalité ethnique ; ils ne se
bilité stricte de son activité agricole ; « moderne » à plaisent guère dans leur nouveau milieu, se sentent
bien des égards, il reste cependant trop « tradi- en exil et gardent toujours l’espoir du retour au
tionnel B pour relever ,de la pure rationalité écono- pays ; enfin les résultats économiques qu’ils obtien-
mique. nent sont relativement décevants. Il convient de
développer ces remarques :
{Le changement de milieu s’accompagne pour le
Conclusion sur l’émigration spontanée paysan serer de modifications profondes dans l’orga-
nisation de son activité agricole. Il ne cherche aucu-
D’un volume fort limité, l’émigration des Serer nement à reconstituer les structures agraires tradi-
n’intéresse .de façon appréciable qu’une petite partie tionnelles patiemment élaborées sur les vieux terroirs,
de la vaste zone des terres neuves, dans le nord de et s’adapte aux conditions qu’il trouve, dominées par
l’arrondissement de Malem-Hodar. le caractère extensif des techniques. C’est un fait
!Les causes de l’émigration sont incontestablement fréquemment souligné en Afrique que les techniques
économiques. ]Le manque de terres, l’insuffisance des intensives mises au point sous la contrainte d’une
rendements d’arachide, sur des champs où la jachère forte densité de population, ne s’exportent pas. Non
a tendance à disparaître, sont d’autant plus vivement plus ,d’ailleurs que l’attachement ‘à la terre qui, n’étant
ressentis que dans le même temps s’accentuent les plus celle des ancêtres, perd son caractère sacré et ,
besoins monétaires. C’est bien la recherche du revenu n’est plus entourée d’aucun rituel. A cet égard est
significative la déconvenue des responsables de l’opé-
monétaire qui pousse les Serer à partir : on va dans ration « Terres Neuves » des années 1935-1940.
les Terres Neuves pour faire de l’arachide, c’est-à-
dire de l’argent. La vie ,de relation est intense au Dans le ‘Sme, le souci premier du paysan est de
Sénégal, tout le monde circule, et l’économie mar- remplir les greniers à mil de la famille? et d’assurer
chande pénètre de plus en plus dans les campagnes. la restitution de la fertilité ,des terres. Dans les
Les jeunes ne peuvent plus se satisfaire d’une éco- Terres Neuves, c’est la production de l’arachide qui
nomie de subsistance, et le remarquable système passe au premier plan. ‘Les vastes surfaces dispo-
agraire mis au point sur les terroirs serer représente nibles incitent à semer le plus possible ; les sarclages
un équilibre maintenant dépassé, qui va en se dété- de l’arachide accaparent ensuite la plus grande partie
riorant du fait de la pression démographique et de des forces de travail, au détriment du mil. L’arbre
l’évolution des mentalités. L’action de vulgarisation n’est pas intégré au système agraire ; il est plutôt
de masse menée ces dernières années par la SATEC une gêne, surtout depuis la diffusion massive de la
a exercé un impact psychologique profond, et sans culture attelée. Le milieu est relativement hostile 3
doute a-t-elle aidé à cette prise de conscience. Il l’élevage : difficulté de l’abreuver, de lui fournir un
nous semble que se vérifient des idées depuis long- pâturage pendant la saison des cultures, fréquence
temps émises par P. Gourou : « L’agriculture de sub- des conflits qu’occasionnent les divagations des trou-
sistance est condamnée k la routine et à la pauvreté... peaux.
Il faut se garder de croire que certaines techniques Mais si le paysan change ses techniques et modifie
agricoles intensives observées en pays tropical puis- ses comportements économiques, si le plus souvent
sent avoir de l’avenir. Leur faible productivité les son nouveau m’bind est carré comme celui des Wolof
condamne > (1). et non plus rond, néanmoins le Serer reste lui-même.
L’émigration spontanée vers les Terres Neuves La cohésion ethnique demeure très forte ; parents et
apparaît donc comme la-recherche d’une solution au amis cherchent à se regrouper ; les retours au pays
blocage des structures agraires des vieux pays. Quels pour rendre visite à la familIe sont très fréquents,
en sont les résultats, et quelles conclusions peut-on m’ême chez les émigrés de longue ‘date. Tout le
en tirer ? monde parle wolof dans les Terres Neuves, quelle
que soit son origine, mais les Serer utilisent toujours
leur langue entre eux, y compris les enfants. La
(1) P. Gourou : « Les pays tropicaux », Paris, P.U.F., migration s’accompagne ,à peu près toujours de
1966, pp. 146-148. l’adhésion à l’Islam, et plus précisément au Mouri-
Cah. ORSTOM, sér. Sci. Hum., vol. Xi[, no I - 1975 : RI-120
116
- .~ -. J.-.P. DUBOIS
disme, mais en général cette islamisation reste très exploitations, absence de réserves, conduisent inévi-
superficielle et elle ne signifie pas « wolofisation >. tablement a tomber dans le circuit de I’endettement,
La religion traditionnelle. avec ses rites, ses lieux particulièrement ruineux dans un environnement éco-
de culte, ne peut être transplantée, mais elle reste nomique très dur, auquel les Serer ne sont pas habi-
profondément enracinée en chaque Serer, et nom- tués. L’insatisfaction qu’engendre cette situation est
breux sont ceux qui, lors des retours, participent aux nettement exprimée. Si le paysan serer émigre, et
fêtes religieuses traditionnelles. ‘Les « wolofisés >>, accepte de vivre dans un milieu qui ne lui plaît
c’est&-dire ceux qui se disent Wolof mais reconnais- guère, il entend en retirer un bénéfice substantiel.
sent une ascendance serer, sont toujours des origi- En bon paysan, il n’aime pas s’endetter, mais il est
naires du Baol déjà wolofisés sur place, ce qui semble contraint de le faire et lorsqu’il voit partir en rem-
prouver que ie glissement ethnique ne se fait que boursements la majeure partie de sa récolte, il ne
très lentement. se sent pas payé de sesefforts.
Les Serer n’acceptent pas de bonne grâce d’être Cependant, on ne doit pas perdre de vue que dans
contraints :à l’émigration. De nombreux entretiens les villages anciens de la zone de Boulel, les Serer
avec les paysans, se dégage une impression d’en- ont réussi ‘à se fixer de’façon satisfaisante. Premiers
semble très nette : on émigre « pour avoir de quoi », occupants des terres, qui furent ouvertes à leur inten-
parce qu’au pays la terre manque ou ne donne pas tion, détenteurs de la chefferie de village, ils se sen-
Fssez; mais si l’on obtient des satisfactions dans ce tent chez eux, en dépit de l’afflux ultérieur des
domaine, on regrette la vie des vieux pays : l’am- Wolof, qui sont aujourd’hui majoritaires. Les liaisons
biance villageoise, SIafamille. les fêtes, le tam-tam et sont faciles avec le Sine et le Baol, les liens fami-
les danses. La vie dans les Terres Neuves n’offre liaux restent très étroits ; les retours sont aussitôt
guère d’agrément : il fait plus chaud, on est isolé, compensés, et au-delà, par de nouvelles arrivées. En
l’eau est rare, on n’a pas de lait. « Ce qui manque somme, ces villages constituent une sorte d’annexe
ici, avons-nous relevé au cours d’un entretien, c’est serer dans les Terres Neuves, et il assument un rôle
tout ce qui réjouit le paysan. Mais si l’on n’a rien de relais : sans cette base sûre, le mouvement de
chez soi, pour avoir quelque chose ailleurs, il faut départ serait sans doute bien moins considérable.
souffrir. On n’a pas le choix. » L’idée d’un exil défi-
nitif est rarement acceptée, et tout le monde espère
rentrer au pays « si Dieu le veut ». Les projets de décongestion du Bassin Arachidier et
!Surtout, il y a le problème des femmes, qui sont de mise en valeur des Terres Neuves du Sénégal
beaucoup plus mécontentes que les hommes. La vie oriental
est dure pour elles dans les Terres Neuves ; peu
nombreuses, elles doivent puiser l’eau 2 des profon- ,Le problème de l’émigration serer est maintenant
deurs de 70 à 80 m, piler le mil pour nourrir de réenvisagé par les Pouvoirs Publics sous la forme
nombreux travailleurs [présence des navétanes). Les d’une colonisation encadrée et dirigée, dans le cadre
épouses ne sont pas aidées comme au pays par Ies d’une politique généraIe d’aménagement du territoire.
vieilles femmes et les jeunes filles. Elles sont coupées
de leur famille, ce qui est important dans la société
ORIENTATIONS GÉNÉRALES
serer, où la femme demeure malgré le mariage dans
la sphère économique de sa famille ; ses revenus per- Blles ont <étédéfinies dans le Troisième Plan de
sonnels alimentent une épargne avec son frère, et non développement économique et social (1969-1973),
avec son mari. Accaparées par les travaux domes- qui retient parmi les objectifs principaux dans le
tiques, elles ont peu de temps à consacrer à leur domaine ‘de la production rurale :
champ, et ne retirent guère ‘de bénéfices des aspects
positifs de la migration. ILes disputes conjugales sont - « réaliser dans les Terres Neuves des structures
fréquentes ; les femmes menacent sans cesse de d’exploitation adéquates permettant d’assurer une
retourner dans leur famille, et le font fréquemment. bonne rentabilité des cultures et une diversification
de la production agricole >,
Sur le plan des résultats économiques, il est certain - et « passer d’une agriculture extensive à une
que les Sererne tirent pas parti comme ils le devraient agriculture intensive >.
de l’abondance des terres, ni des possibilités d’amé-
lioration offertes par la vulgarisation agricole mise en Il est recommandé, parmi les priorités de la poli-
place ces dernières années. Mauvaise gestion des tique d’aménagement du territoire, e d’organiser pro-
Cah. 0 RSTOM, sér. Sci. Hrrm., vol. XII, no 1 - 1975 : 81-120
LES SERER ET LA QUESTION DES TERRES NEUVES AU SÉNÉGAL .-~- 117
.__ _-.-- -
gressivement les campagnes pour accélérer le déve- modeste. Dès 1969, le Sénégalprésentait à la Banque
loppement intégré du monde rural » et ce notam- Mondiale un dossier de financement proposant le
ment ci en orientant et intensifiant les migrations transfert de 1 000 familles en 4 ans, dans un péri-
intérieures vers les zones de plus grandes potentia- metre situé entre Koumpentoum et Maka, au Sénégal
lités (Terres Neuves) permettant ainsi de déconges- oriental. A la suite des premières evaluations, le pro-
tionner les zones denses du Bassin arachidier ». jet fut jugé trop ambitieux pour la phase initiale,
Récemment, dans son discours au Conseil Eco- et ramené à 300 familles, à déplacer en 3 ans.
nomique et Social de mars 1974, le Président Senghor ,Le démarrage de l’opération eut lieu au début de
déclarait : < Dans l’agriculture, le but à atteindre est 1972 ; la phase migratoire est maintenant achevée :
l’élimination progressive de notre déficit céréalier et 40 familles installées en 1972, 110 en 1973 et 150
!‘approvisionnement suffisant de nos industries. La en 1974. Les colons sont répartis en 6 villages de
modernisation des méthodes culturales, l’intensifica- 50 familles chacun (2). :La zone de recrutement était
tion des cultures vivrières et industrielles, liée à une limitée en première année là l’arrondissement de
diversification toujours plus poussée de nos produc- Niakhar, elle a été étendue ensuite à l’ensemble du
tions agricoles, et l’aménagement prudent des terres département de Fatick. 2es familles transplantées
vierges nous permettrqnt d’atteindre le but que nous sont en quasi totalité d’ethnie serer.
nous sommesfixé. » L’exécution du projet a d’abord été confiée par
Un travail publié par la Direction de l’Aménage- la STN à la Compagnie Française pour le Développe-
ment du Territoire (l), basé sur des modèles syn- ment des Fibres Textiles (CFDT) ; en effet, il se
thétiques d’exploitation, fixant des densités agricoles situe dans la zone d’intervention pour le développe-
à ne pas dépasseren fonction de plusieurs hypothèses ment de la culture cotonnière (est du Sine-Saloum,
de revenus paysans, fait apparaître un surpeuplement Sénégal oriental et HauteCasamance). Depuis le
minimum théorique actuel de l’ordre de 100 000 à début de la campagne 1974, cette convention a été
200 000 actifs dans le Bassin Arachidier. Compte dénoncée et la STN reste seul maître d’œuvre.
tenu par ailleurs de l’accroissement démographique, ‘La zone d’accueil a été choisie en fonction :
le rapport conclut à la nécessité de faire émigrer
200 000 actifs en 15 ans (soit 50 000 exploitations - de la disponibilité des terres ; la densité initiale
agricoles, cultivant 360 000 ha). etait de 4,2 habitants au km2 (en déduisant la super-
En application de la loi fondamentale sur le ficie de la forêt classée qui occupe la partie nord
Domaine National, les décrets no 72-043 et 72-045 du périmètre) ;
du 25 janvier 1972 portent classement en « zone - de la qualité de ces terres : d’après la pros-
pionnière » de terres du domaine national situées pection pédologique, sur 70 000 ha cartographiés,
dans les départements de Kaffrine, Tambacounda, 32 000 sont de valeur agricole satisfaisante, soit
Kédougou et Bakel ,(voir fig. 1). Ces vastes zones 45 %;
sont ainsi théoriquement protégées de la colonisation de la p:uviométrie, comprise entre les isohyètes
« sauvage >. 9OEt 1 000 mm,(normale 1931-1960).
Un établissement public sénégalais, la Société des
Terres Neuves (STN), a été créé par une loi du Ces nouvel!es terres, dont le potentiel agricole est
30 novembre 19781.Cette société a pour objet d’éla- important, doivent être mises en valeur de façon
borer des politiques globales de décongestion des rationnelle et intensive. Le projet a donc été établi
zones denses, de peupler et de mettre en valeur les sur la base d’objectifs de développement relativement
nouveaux territoires agricoles, de coordonner, d’exé- ambitieux : intensification et diversification des cultu-
cuter ou de faire exécuter tous programmes, actions res #(coton,arachide, mil, sorgho et maïs), techniques
ou projets dans le cadre de ces politiques. culturales perfectionnées (traction bovine et fumure
forte), encadrement très dense, fourniture de tous
LE PROJET-PILOTE KOUMPENTOUM-MAKA les facteurs de production.
Chaque famille reçoit 10 ha de terres cultivables,
Relativement à l’ampleur des objectifs envisagés, dont 2 ha sont défrichés mécaniquement et mis ?t
la première tentative de réalisation apparaît bien
-
(1) S.Y. Le Naelou : K Aménagement et mise en valeur (2) Une étude plédologique réalisée en 1971 par
des Terres Neuves au Sénégal, Eléments d’un programme !‘ORSTOM a permis de localiser les six blocs de coloni-
global n. Dakar, mai 1971. ss;tion (environ 5.50 ha de terres cultivables pour chacun).
cl
0 5 10 km.
Village5 de colonisation ( 1972.74) I.*.-:*.-.J
sa disposition dès son arrivée. L’extension de l’ex- qu’il soit un peu tôt pour se prononcer de façon
ploitation s’effectue ensuite par défrichement ma- définitive, un certain nombre de constatations peu-
nuel ; les terres cultivées doivent être réparties en vent être faites.
soles homogènes, selon un schéma théorique qui 11faut d’abord insister sur le bon niveau des résul-
prévoit 4 soles de 2 ha entrant dans la rotation tats économiques, surtout si on les compare à la
(coton, céréales, arachide, jachère) et 1 sole restant situation des agriculteurs du Sine (sécheresse grave
en réserve. Les colons s’engagent, par la signature en 1972 et 1973). Le produit agricole brut par
d’un contrat d’exploitation passé avec la STN, à res- actif est, en seconde campagne, de 47 000 francs
pecter les clauses d’un cahier des charges. pour les colons installés en 1972 et 32 000 francs
Le projet a mis l’accent sur l’aide matérielle pour pour les colons installés en 1973. Il faut l’attribuer
encourager les départs : prise en charge à domicile a la fois B l’importance des surfaces cultivéeso aux
par car et camion, attribution d’une indemnité de bons rendements de l’arachide, et à l’augmentation
subsistance de 40 000 francs par famille pour couvrir oes prix payés au producteur (29 francs pour l’ara-
les frais d’installation et l’achat de nourriture jusqu’à chide et 34 francs pour le coton, compte tenu des
la première récolte. Cette allocation est fournie en ristournes exceptionnelles décidées par le Gouverne-
nature : un compte est ouvert pour chaque colon ment). Aucune défection n’a eu lieu parmi les colons
d.ans une boutique d’approvisionnement gérée par jusqu% présent ; c’est la preuve que le bilan peut
le projet et pourvue de toutes les denrées courantes. étre considéré comme largement positif dans l’en-
Le projet prend également en compte la popula- semble.
tion existante de la zone (environ 250 carrés) ; des Les résultats agricoles sont en nette amélioration :
services de vulgarisation et de crédit doivent lui être en 1973, les rendements de toutes les cultures ont
fournis. eté supérieurs à ceux de 1972. L’arachide en parti-
Le coût total de l’opération s’élève à 493 mil- culier présente un rendement moyen très satisfaisant :
lions CFA, pour une période de 10 ans, dont 1 340 kg/ha. Le coton avec 930 kg/ha et les céréales
347 millions sont couverts par un prêt de I’AID avec 690 kg/ha n’atteignent pas les objectifs qui
(.Assoc.iationInternationale de Developpement). avaient été formulés. Des progrès sont évidemment
Des objectifs ambitieux, nécessitant des investisse- possibles et nécessaires,mais il est clair que le désir
ments élevés, sont responsables du style de colonisa- de la plupart des agriculteurs est de cultiver la sur-
tion adopté. Le projet apparaît en effet aà la fois face maximale d’arachide. On relève en effet, pour
comme : les exploitations en deuxième campagne, les sur-
faces suivantes : arachide 3,75 ha, coton 0,31 ha,
- une opération de productivité (intensification céréales 1,60 ha (total : 5,66 ha). C’est dire que le
et amélioration des techniques) ; coton occupe une place insuffisante et que l’objectif
- une opération de mise en valeur (aménage- de diversification est bien près d’échapper.
ment de terres vides) ; ‘La fixation du prix de l’arachide à 35 francs le kg
- une opération de migration (appel à la popu- pour la campagne 1974-3975 ne fera qu’affirmer
lation du Sine). encore davantage cette tendance. L’emploi de I’en-
grais laisse particulièrement à désirer, surtout sur les
céréales. Pour ces cultures, les agriculteurs n’ont pas
LES PREMIERS ENSEIGNEMENTS DU PROJET-PILOTE admis l’intérêt d’un travail profond du sol (le travail
à la charrue est lent et incompatible avec l’habitude
Le suivi de l’opération a été confié par convention de semer dès les premières pluies de grandes sur-
:i 1’ORSTOM ; l’équipe affectée à cette « étude d’ac- faces). .Les surfaces cultivées dépassent de beaucoup
compagnement » comprend un agronome. un socio- ce qui avait été prévu, et l’on peut d’ores et déjà
logue et un géographe. Les deux premières cam- affirmer que l’aménagement de sl’espacene suit que
pagnes agricoles ont fait l’objet de rapports (1). Bien de très loin le schéma initial (défrichements inconsi-
dérés et le plus souvent mal réalisés). Le plan d’asso-
lement et de rotation est donc entièrement à revoir,
l’équilibre entre les différentes cultures étant totale-
(1) J.P. Dubois, P. Milleville, P. Trincaz : « Opération ment rompu par rapport aux prévisions. Dans ces
Terres Neuves, Etude d’accompagnement ». Rapports de fin
de campagne 1972-1973 et 1973-1974, Centre ORSTOM conditions, il est à craindre que l’objectif d’intensi-
de Dakar, mzzhigr. fication ne soit pas atteint, et le risque est grand de
voir se dégrader une fertilité qui au départ peut être mérite de bien poser un certain nombre de pro-
considérée comme excellente. blèmes :
Les aides multiples dont ont bénéficié les migrants, - les possibilités en terres du Sénégal oriental
ainsi que le caractère dirigiste de la conception de sont assez modestes, face aux exigences d’une vaste
l’opération, contribuent à ,développer une mentalité colonisation organisée. En effet les premières pros-
d’assistés, Ce<saides étant perçues comme la contre- pections pédologiques n’ont abouti qu’à définir deux
partie normale du simple fait d’avoir accepté de implantations (secteur de Koumpentoum et secteur
quitter le Sine, La négligence manifestée pour les de Missira), éloignées l’une de l’autre, et ne four-
cultures vivrières est révélatrice de cet état d’esprit, nissant que la moitié des terres nécessaires. Deux
le paysan étant certain que l’encadrement pourvoira autres secteurs restent à trouver, par une équipe de
en cas de déficit aux besoins alimentaires de sa prospection que l’on propose d’inclure dans le projet.
famille. Ii semble que pour les réalisations ultérieures, il fau-
ch-a aller en Haute Casamance pour trouver des
L'EXTENSION DE L'OPÉRATION
surfaces de bonnes terres suffisamment vastes et
homogènes ;
L’objectif numériquement très limité du projet- - l’inclination des paysans du Bassin Arachidier
pilote a fait l’objet de critiques. Par son coût (un mil- à migrer au Sénégal oriental, et de plus en plus loin
lion et demi CFA par famille ‘déplacée), il est exclu de chez eux, n’est pas évidente. Si l’on a pu trouver
que l’opération-pilote devienne une opération de les 300 colons de l’opération-pilote, cela n’a pas
masse. D’aucuns considèrent que ce style de coloni- toujours été sans mal, et il n’a pas été possible
sation est inapproprié. et qu’il est urgent d’amorcer d’opérer une klection comme on pensait pouvoir le
des mesures de grande envergure, dans une optique faire. Jusqu’à présent, le recrutement n’a pas suscité
moins perfectionniste. un engouement de masse, et dans ce domaine nul
11 est envisagé actuellement une deuxième phase ne sait ce que réserve I’avenir ;
portant sur l’installation de 2 000 familles, au cours - enfin, on peut s’interroger sur la capacité des
des cinq prochaines années. L’étude de factibilité de migrants B créer dans les nouvelles terres une agri-
ce nouveau projet a été confiée à I’ORSTOM (1). culture moderne et productive. Le projet-pilote a
Cette étude conclut à la possibilité de réaliser montré qu’un encadrement même très densene garan-
l’opération avec un taux de rentabilité économique tit pas une intensification véritable, ni du point de
justifiant un nouv?au cr6dit de l’AZ0, mais le coût vue de l’utilisation de l>espace,ni du point de vue
d’installation .d”une famille s’élève cependant à des rendements.
785 000 francs ‘CFA, en dépit de I’emploi généralisé En définitive, si les expériences de colonisation
de solutions d’austérité ,(notamment la suppression méritent d%tre poursuivies, il ne faut pas s’attendre
du défrichement mécanique). Elle a d’autre part le à ce que tous les problèmes du Bassin Arachidier
s’en trouvent résolus, et la recherche d’améliorations
sur place ne doit pas être négligée.
‘(1) J. Maymxd : CJDeuxième projet de colonisation de
la région des Terres Neuves. Etude de factibilité P. Centre
ORSTOM de Dakar, mai 1974, nzultigr. Manuscrit reçu au S.C.D. le 18 mars 1975