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L'Emigration Toucouleur Du Fleuve Senegal A Dakar: Office de La Recherche Scientifioue Et Technioue Outre-Mer

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A.

LERICOLLAIS

M. VERNIÈRE

L'EMIGRATION TOUCOULEUR
DU FLEUVE SENEGAL A DAKAR

1974

OFFICE DE LA RECHERCHE SCIENTIFIOUE ET TECHNIOUE OUTRE-MER

CENTRE O.R.S.IO.M. DE DAKAR .


L'EMIGRATION TOUCOULEUR :
DU FLEUVE SENEGAL A DAKAR.

par

André LERICOLLAIS
Marc VERNIERE

ORSTOM
Centre de DAKAR
1974
-1-

INTRODUCTION

Depuis plus de 30 ans les Toucoul~ur partent en grand nombre de la


vallée du Sénégal pour s'établir dans la région du Cap-Vert. Actuellement,
v
rien ne freine ce mouvement migratoire dont l'ampleur est telle qu'il a
a~jà pour résultat le transfert d'une partie importante de cette popula-
tion : un Toucouleur sur trois vit maintenant à Dakar.

Les causes économiques de cette migration ont été mises en évidence


et la nature de l'insertion réalisée dans l'agglomération dakaroise a
été analysée vers les années 1960, par A.B.DIOP~lJous ne disposons pas
d'une information suffisante pour actualiser cette étude complète. En
effet, au n~veau de la région d'origine les. faits que nous allons présen-.
ter ne concernent qu'un seul village, le village de Guia. Cette ébauche
monographique permet de préciser les traits essentiels de la migration
et de l'illustrer. L'insertion des Toucouleur dans l'agglomération daka-
roise sera l'objet d'une approche plus générale la reliant aux étapes
de la croissance urbaine.

(1) A.B.DIOP. Société Toucouleur et migration - IFAN , DAKAR, 1965, 232 p.


-2-
1- DU VILLAGE A LAV1LLEL 'EXEMPLE DE GUlA

1-1- GUlA un village Toucouleur traditionnel

GUlA est l'un des plusanciens villages Toucouleur de la régidnj il


se situe au coeur de la vallêë inondable (walo) sur la rive de l'un des bras
du fleuve Sénégal - Le Doué,~, à 10 km au sud de la petite ville de Podor
(voir carte 1).
Les 938 habitants se répartissent dans 94 habitations, abritant
151 ménages ,unités d~ base pour la production et la consommation.
La population se répartit dans le village même, et dans les hameaux
proches de Ganki, Wali-Diala; quelques familles habitent dans les villages voi-
sins de Kodit et Adabaye. Tous ces lieux d'habitation, situés sur les levées
alluviales, se trouvent à prox~ité des terrains de culture du walo.

LES CULTURES ET LES RESSOURCES (carte 1)

Les cultures dominantes sont celles de saison sèche : mats, patates,


tomates, melons.·~.qui viennent dans les chatnp) de berge (falo) situés sur les
versants à pente douce du lit mineur du fleuve notamment dans la courbure'des
méandres; sorgho et haricots niébé dans les plaines et cuvettes (collengal)
de la vallée inondable, semés au moment de la décrue.
Pendant l'hivernage, quand il pleut - environ 300 mm par an à Podor -
les terres hautes du walo (fondé) et les dunes des lointaines bordures de la
vallée alluviale (diéri) sont encloses et semées en petit mil, en sorgho, hari-
cots niébé, melons scc~ ••••Ces cultures, aléatoires du fait des pluies très .
irrégulières, distantes de 10 ou 15 km du village pour les champs de diéri -
donc nécessitant l'installation des familles dans un autre habitat - ne sont
pas pratiquées par tous les gens du village.
Par ailleurs l'élevage est une activit~ importante. Le village compte
en 1973 :
775 chèvres) é" . ." ~
: . . , )r partis eut~ 114 'nlenages •
147 moutons)
320 bovins détènus par seulement 29 ~énages •
13 chevaux.
Carte "1

:rERROIR DE ,GlUA

Il Habitat permanent

Habitat saisonnier
0

,~ Culture de decrue

~ Cultur~ d~ I:Jèrge>

@
.1 Culture sous pluie

0
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1 ,
3 4, 51<m.
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-3-

Le troupeau est donc très important, surtout si l'on tient compte du


fait qu'il s'agit des animaux rescapés de la sécheresse de 1972 (1). Le gros
bétail appartient à une minorité de paysans "notables" tandis que la majorité
des céoages détiennent du pétit bétail. La p~che n'est une activité permanente
que pour une minorité de familles.

Sur un total de 151

151 ménages, soit 938 habitants font la culture de décrue


129 " soit 804 " " la culture de berge
100 " soit 607 " " la culture sous pluie (diéri et
soit 731 fondé)
114 " " " l'élevage
11 " soit 64 " " la p~che.

L'éventail des productions et des ressources sur lequel se fonde


l'économie de chaque ménage est variable. Les compléments les plus fréquents de
la culture du sorgho de décrue - pratiquée par tous - sont par ordre d'importan-
ce :
la culture de berge,
l'élevage,
les cultures d'hivernage,
la p~che enfin.
Près de la moitié des gens du village associent les cultures de
saison sèche - berge et décrue - les cultures d'hivernage ct l'élevage. C'est
la combinaison la plus fréquemment pratiquée par les paysans Toucouleur dans
cette région (voir le tableau suivant).
L'agriculture Toucouleur demeure traditionnelle par ses productions
et ses techniques. Elle a pour fondement l'utilisation d'éléments naturels
différents :
-le fleuve et les mares sont les réserves à poisson,
-les argiles imbibées d'eau des berges et des plaines?où
s'est répandue la crue, permettent la croissance d6 mats et
du sorgho en saison sèche,
-les pluies d'hivernage reconstituent le pSturage sur les
Unmensités sahéliennes et autorisent certaines années la
culture.
Les paysans, grftce à une activité soutenue, étalée sur pres~ue toute
l'année et par des échanges locaux souvent encore à base de troc, couvrent
leurs besoins vivriers - sauf accident climatique exceptionnel - comme dans le
passé.
-
(1) Lors des années de sécheresse - de 1968 à 1973 - les troupeaux de la région ont subi
des pertes pouvant toucher plus de 50% de l'effectif.
-4-
Tableau 1
GUIA POPULATION, CULTURES ET RESSOURCES

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'nb. ·popU- 1 culture culture culturE
~e. ;latiOn: de de élevage sous p~che
1m~nag.es·- décrue pluie
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1 151 1 938
\
1.2 Les besoins nouveaux et l'émi&ration à l'échelle du village

Par contre les besoins monétaires croissants, apparus avec la colonisa-


tion n'ont jamais pu ~tre satisfaits dans le cadre de cette économie villageoise
à base vivrière.
C'est avec le risque de compromettre les équilibres anciens que l'on
a commercialisé les surplus agricoles des bonnes années : mil et bétail, que
l'on a p~ché du poisson pour le vendre à Podor ou à Dakar.
L'analyse de l'activité non agricole révèle un désêquaibre croissant.
S'ajoutant aux artisans traditionnels - tresseurs de nattes, maçons, tailleurs -
sont apparus de véritables professionnels de la p~che, du commerce du bétail
et quelques "captureurs" d'oiseaux quiapprovisionnent les oiseleurs de Dakar.
Quelques perso~nes ont trouvé un emploi sur le bac qui fait traverser le fleuve.
Pourtant, ~'est curieusement le petit commerce de détail qui s'est surtout
développé: 10 villageois pratiquent cette activité à Podor et 14 à Guia.
Ceci traduit une volonté d'insertion de plus en plus marquée dans l'économie
marchande malgré l'absence de ressources locales capables d'en ~tre le moteur.
Cet élément explique aans doute pourquoi' depuis plus de 30 ans les jeunes gens
de Guia émigrent, principalement en direction du Cap Vert où peuvent se réaliser
toutes leurs aspirations à la vie moderne.
Ce mouvement très important peut se résumer aux deux chiffres sui-
vants
Guia compte 938 habitants
Les émigrés originaires du village et leur descendance
344 habitants.

La population émigrée se compose de (tableau 2,) :

42 ménages considérés comme fixés (emploi et habitation stables).


18 ménages mobiles, le plus souvent hébergés, parfois avec l'homme
seul résidant.
enfin 26 jeunes hommes partis du village, célibataires, sans domicile
ni travail fixes.

Les 57 hommes et 45 femmes émigrés (tableau:), dont les principaux


évènements de l'itinéraire migratoire ont été repérés, sont la presque totalité
des gens partis du village. hormis quelques émigrés décédés, quelques omis-
sions et quelques personnes dont l'itinéraire n'a pu ~tre relevé -,Ils forment
donc, avec leur descendance, la quasi totalité du groupe des 344 personnes,
issu du village.
-6-
1 Tableau 2
[ EMIGRES DE GU1A FIXES A DAKAR 1

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.7-
Tableau 3

GUlA : POPULATION. DU VILLAGE ET POPULATION IHIGREE (par lignage)

r f ,
'LIGNAGE' POPULATION ! EMIGRES FIXES , EMIGRES NON FIXES; POPULATION MOBILE f
, ! DU VILLAGE ! ! . ;vivant à revemje 1
, ! ménages POP .. !
ménages POP. 1 ménages POP. 'lllext~rieur P~ïiie~e!
,----------------------_._._--------------------------------------------------------------
• 1 ! , ! !
DIA ! 10 53 6 32 1 3 2!
!
DIAK 24 155 3 17 6 12 3
DIALLO! 7 48 1 10 2 9
!
DIENG 2 9 1 9 1 1
DIOP 4 20 1 8 1 6
DJIGO 11 77 3 22 1 1
FALL 1 5
HANNE 3 14 2 15 2 2
NDIAYE ! 21 126 33
,
1
. PAM 1 8 52
3
4 32
3 3 2
2
1
1
1
SALL 14 76 2 4 3 7 2 2
!
SOW 3 15 3 24 1 1
Sy 3 13 1 18 1 2 2 1
TALL 4 22 1 8 1 1
HADB 2 13 1 5
WATT 34 235 10 4IJ 2 2 6 3

151 938 42 277 18 41 26 16


~-

Dakar et le Cap Vert sont la destination dominante, mais non exclusive,


du flux migratoire.
Sur un total de 60 ménages d'émigrés (fixés et non fixés)
-34 résident à Dakar et dans le Cap Vert.
- 9 dans les villes riveraines du fleuve sénégal. (3 à St Louis,
~

2 à Richard-To1l, 1 à Rosso, 2 à Matam, 1 à Kayes).


-13 dans d'autres villes du Sénégal (5 à Thiès~ 5 à M'Bour, 2 à
Diourbel, 1 à Ziguinchor).
- 3 à Nouakchott.
- 1 enfin en COte d'Ivoire.

L'émigration a commencé vers 1940; le courant a pris progressivement


de l'ampleur, c'est après 1960 que le nombre des émigrés parvenant à se fixer
chaque année en ville est le plus élevé.

1 Année de la fixation en ~111e


1930-39 1940 -49 1950-59 1960-69 1910-73
HOmQ~s 1 7 10 29 10

Femmes 1 12 19 13

Ce sont des hommes jeunes célibétaires qui ont les premiers tenté
l'aventure. Ce n'est qu'après plusieurs séjours en ville et des retours au vil-
lage qu'ils sont parvenus à se fixer; la sécurité, c'est-à-dire la découverte
d'un emploi stable et d'un logement, n'intervient qu'à un age souvent avancé.
La fixation des premiers émigrés a contribué à réduire les difficultés
pour les suiva~ts; ainsi pour les émigrants les plus jeunes - nés depuis 1940 -
la fixation intervient plus vite; ils quittent le village le plus souvent avant
l'age de 20 ans et ila sout établis en ville avant d'avoir 30 ans.
Les femmes n'émigrent que pour rejoindre leur mari~ leur départ est
lié à la réussite des hommes. Les premières émigrées ne partaient que plusieurs
années après leur mariage avec un ou plusieurs enfants nés au village, mais
depuis une quinzaine d'années la venue des femmes en ville tend à co!ncider
avec le mariage: presque toujours l'année du mariage ou l'anné suivante.
-9-

A présent la migration se normali&e :

Une proportion élevée de départs dans les classes de jeunes actifs :


environ 5 jeunes gens s'établissent en ville chaque année depuis 1960
-Les hommes partent dtabord (entre 15 et 25 ans).puis ils Be matient au
village et leur épouse les rejoint à la ville.
-L'hébergement, assuré par les parents déjà établis, peut se prolonger
pendant plusieurs semaines voire plusieurs mois. L'émigrant rencontre de ce
fait des conditions relativement favorables pour se mettre en qu~te d'un err.
ploie

Seule une tranformation profonde des conditions de la vie agricole


dans la vallée 'pourrait infléchir le courant migratoire. Le périmètre irrigué
en cours d'aménagement près de Guia maintient au village en ce moment 16 jeunes
hommes qui ont déjà tenté d'émigrer. Leur maintien définitif au village
n'est pas acquis mais ils sont décidés à travailler dans la rizière. A l'échel-
le de la vallée cesopérations,ponctuelles pour 'le moment, sont Sans effet
sur les flux migratoires.

Les causes du départ étant entendues l'émigration n'a pu prendre


de l'ampleur qu'avec l'insertion des émigrants en milieu urbain.
Les réussites modestes des pionniers qui ont fini par obtenir un
emploi, acquérir un logement et constituer une famille en ville, puis
quelques réussites plus spectaculaires, connues de tous, ont ouvert la voie
et demeurent un encouragement à émigrer.
-10-
1-3 Biographie de migrants : l'analrs~ qualitative d'insertions réussies
en milieu urbain.

(1) DJIBI PAM - UNE MIGRATION EXEMPLAIRE

C'est en mai 1939 que Djibi Pam se rend à Dakar pour la première
fois; il a 21 ans. Son père, qui est chef du village, l'a autorisé à partir
pour gagner de l'argent.
Djibi Paro quitte Guia après la récoltetrincipalc. celle du sorgho
de décrue. Il se joint aux bergers chargés d'acheminer du bétail du village
destiné à la vente, jusqu'au Cap-Vert. Ils partent en pleine saison sèche,
avec leurs sacs de couscous sec additionné de sel , parcourent les bordures
de la vallée jusqu'au lac de Guiers, puis se dirigent à traVQT8 le Cayor
vers Mbaké, qui est l'un des gros marchés du bétail. Ils continuent ensuite
d'acheminer le troupeau pour le compte du courtier, jusqu'à Thiaroye, tout
près de Dakar.
Au terme de ces longues semaines de marche, Djibi Pam perçoit une
rétribution et se rend à Dal<ar chez Harnatel Diak, son oncle maternel; un ancien
combattant originaire de Guia qui s'est établi à la rue 10 de la Médina à
son retour de France.
Le vieux l'emploie, ainsi que deux autres jeunes du village, comme
marchand ambulant ( Il bana-bana"). Ils parcourent les rues avec un présentoir
garni de parfums et de produits divers, l'épaule chargée d'étoffes. Chaque
soir ilspartagent leur recette avec le vieux qui les nourrit et les loge.
Djibi, bon vendeur, ne ~epartira qu'en novembre; avec son magot,
trois compagnons, une petite provision de pain et de sucre et la crainte de
se faire détrousser dans les villages où ils passent la nuit.
A l'arrivée, il remet son argent au chef de la maison qui achète
des v~tements pour tous. Les premières journées se passent en visites; on met
les habits neufs, on se rassemble pour prendre le thé. Puis après la f~te,

tout le monde reprend le chemin des champs du "~'1alo". r

Deux ans après, en 1941 Djibi Paro retourne à Dakar pour un séjour
identique.
C'est en 1944 gu' il retourne ensuite, mais cette fois il ne rentre
\pas en novembre. Il continue de travailler pour son oncle dont il s'affranch!t
Ipeu à peu de la tutelle; dès 1945, avec six compagnons du village, il loue une
\chambre; puis il en louera une pour lui seul, en 1950, dans le quartier de
1 imzatt.
.•..
-11-
En 1960, il obtient un emploi à la mairie de Dakar, au service
du nettoiement.
En 1966, il achète une parcelle dans le quartier de Nimzatt et y
construft une baraque.
Depuis sa fbtation à Dakar, i l retourne passer régulièrement quel-
ques semaines à Guia. Il envoie de l'argent - 1500 à 2000 F. CFA par an; il
acquiert m~e du bétail - des moutons et des chèvres - qui est gardé au
village.
Djibi Pam va constituer sa propre famille. Dès 1952 son père entre--
prend des démarches dans le village et rassemble la dot. C'est en 1957,
que Djibi Pam épouse Mariam Pam, une fille de Guia, conformément à la tradition.
Il lui envoie régulièrement de l'argent chez ses parents où elle continue
à vivre. En 1959 nait le premier enfant. C'est finalement en 1960 que Marimm
et l'enfant viennent vivre à Nirnzatt.
Djibi Paro devenu tout à fait dakarois envoie tous les ans sa famille
qui s'est agrandie - deux garçons et trois filles - passer qua1ques semaines
à Guia au début de l'hivernage, saison préférée des Toucouleur. Les enfants
profitent des laitages revenus après les pluies.

(~) QUELQUES REUSSITES EN MILIEU URBAIN

D.T. L'oiseleur.

Il vient à Thiès en 1938 pour travailler chez S.A. W. qui expédie


des oiseaux en France. Pendant quatre ans, il parcourt la brousse avec sa
cage sur la t@te·comme "captureur"; puis il est chargé de s'occuper des oj.seaux
entreposés avant l'expédition.
Il se marie au village en ~949, son épouse le rejoint l'année suivan-
te à Thiès.
En 1960 S.A. W. meurt; son frère oiseleur à Thiaroye prend D.T. à
son service. Il vient habiter à Dakar au quartier de Nirnzatt puis au quartier
Deroba Diop (en 1973) vers Cambérène.
En 1972 D.T. retourne au village à l'occasion de la f@te musuLmane
du Maou1oud après 21 ans d'absence.

Tierno P .\'1. : Le marabout des douaniers.

C'est à l'âge de 42 ans que Tierno p.W. effectue son premier voyage
à Dakar.
·12·
Précédé d'une réputation d'homme religieux, il exercera pendant
8 mois les fonctions de marabout chez un douanier qui l'héberge.
De retour au village, il ne restera que 4 mois: il devra repartir
à Dakar appelé par ses fidèles et ses clients.
Imam de la mosquée des douaniers, il est logé par eux et reçoit
une attribution de 8.000 F. par mois.
Il séjourne à nouveau au village pour se marier; son épouse le
rejoint à Dakar . en 1960.

T.P.: te millionnaire.

Venu à Dakar à l'âge de 17 ans, en 1948, il sera d'abord avec ses


trois compagnons de voyage porteur de peSson au marcné Kermel. Puis il prend
un emploi de jardinier chez un européen (7.000 F. par mois) en 1949. Dès
cette époque, il va sur le port au marché clandestin; ce qui devient sa seule
activité après le retour de son patron en France en 1951. En 1958, il ouvre
un compte bancaire, en 1959 i l est notoirement connu co.mme ''millionnaire''.
Il fait quelques voyages à l'extérieur pour ses affaires, suit des
cours du soir, obtient son certificat d'Etudes en 1960.
Sa fortune s'arrondit (4 millions à la banque en 1965).
En 1970, il se rend au village pour le décès de son père, par la
·m@me occasion il épouse sa cousine (mariage traditionnel préférentiel) paie
1ui-m~e la dot et règle les dépenses du mariage.
Il installe sa famille mcdestement dans une baraque de deux pièces
louée 3.000 F. par mois à Usine Niari-Tali dans la banlieue de Dakar.
Il prend oontact avec des grands commerçants en C8te d'Ivoire où il
cherche à établir un réseau de commerce.

y .D.: Le cursus aux Travaux Pub lies.

Y.D. né en 1920,.vient à Dakar à l'age de 32 ans, laissant femme et


enfants au village pour remplacer un parent à un emploi de manoeuvre aux Tra-
vaux Publics.
Sa famille le rejoint en 1954. Il habite ''Usine Niari-Tali", achète
un terrain à Nimzatt en 1958, y construft: une baraque en 1963, puis achète
autre terrain à Rufisque où il construit une maison de trois pièces qu'il ha-
bite dès 1964 tandis qu'il loue celle de Nimzatt 2000 F. par chambre et par;
mois.
-13-
A.S. : Le petit fonctionnaire.

A.B. Vient à Dakar à l'aBe de 19 ans en 1939, obtient un emploi à la mai-


rie (4000 F. par mois) en 1942, puis un emploi sur le port (6000 F. par mois)
en 1945. Il loue une chambre à Darollkhane, puis à Nimzatt.En 1963, il s'instal-
le dans un logement HLM qu'il paie en location vente. Il prendra sa retraite en
1975.

T.D. : Le salarié de l'industrie.

T.D. vient à Dakar en 1944 à 18 ans. Il est embauché en 1945 à la biscuite-


rie de Médina avec un salaire de 9000 F. Il habite "Gueule Tapée" puis "Grand-
Dakar", achète une parcelle (35.000 F.) à "Yararakh" en I960 p et y construit
une baraque de trois pièces.
Il devient machiniste spécialisé, en 1973 son salaire mensuel at-
teint 50.000 F.

D.F.D. Le Chauffeur'.

D.F.D. effectue son premier séjour à Dakar à 29 ans en 1954.


D'abord journalier à la biscuiterie de M.édina. Ensuite, il se fait
embaucher à la mairie de Dakar en 1955 comme balayeur (6000 F. par mois). Il
apprend à conduire et devient chauffeur d'un camion poubelle en 1970 avec un
salaire mensuel de 17.000 F.
Après avoir résidé en location à Usine ''Niari Ta li" , il s'installe
1

en 1967 dans sa maison à Pikine.

S.D. à l'ombre de la politique puis la spéculation ~obi1ière.

S.D vient à Dakar en 1951 à l'~ge de 21 ans. Son oncle lui obtient
un emploi aux Travaux Publics avec un salaire de 6.000 F. par mois; en 1954, il
devient chef d'équipe (12.000 F. par mois). En 1958, il revient au village,
fonde une boutique sur le marché. de Podor et devient "responsable politique"
de Guia. En 1961, il confie la boutique à son frère, pour faire campagne poli-
tique avec le député A.Kane dans le département de Podor. Il repart à Dakar, la
m~e année prendre un emploi de planton à l'Assemblée Nationale.
11 suit les cours du soir, obtient son certificat d'Etudes Primaires
en 1969 et devient ronéotypiste de l'Assemblée Nationale (27.000 F. de salaire
mensuel).
-14-
Il habite sa maison à Dieupeu1 puis, en 1971, achète un terrain à
Thiaroye pour construire une 2 ème maison. En 1972, il achète un autre terrain à
Grand-Yoff; il y fait b~tir une maison qu'il habite tandis qu'il loue celle
de Dieupeu1. A la fin de 1972, il vend la maison de Thiaroye pour racheter une
maison des SICAP louée à un européen.

A travers ces réussites apparaissent les étapes habituelles d'une


insertion de l'émigrant en ville:

··11 arrive jeune, vers l'age de 20 ans •


•11 prend d'abord des emplois sans qualification mal rétribués (ma-
noeuvre, porteur, marchand ambulant ••• ) jusqu'à la découverte d'un emploi sta-
ble offrant des possibilités de promotion.
-Il se marie au village.
-En ville, il est d'abord hébergé puis il loue une pièce, puis il
achète une parcelle pour y construire une baraque ou une maison où il installe
sa famille •
•11 lui faut plusieurs années pour parcourir cet itinéraire au terme
duquel sa situation en ville est assurée.
-15-

II-LES ET@ES.DE LA FIXATiON DES tMMtGRANTS TOUCOVLEUR A DAKAR:


UNE NOUVELLE REDISTRIBUTION SPATIALE DANS L'AGGLOMERATION.

Le cas du village de GUIA permet de discerner, en profondeur, l'tmpor-


tance et la nature de la migration Toucouleur vers la capitale du Sénégal. Un
travail mené dans le Cap Vert (1) et concernant, en général, les modalités
d'implantation des immigrants d'origine rurale et les longues tribulations
intra-urbaines que subissent ces derniers avant fixation définitive, permet
aussi de particulariser les types de migrations Toucouleur dans la capitale,
en actualisant les études de A.B. DIOP (2).
Campons tout d'abord la physionomie urbaine du Cap Vert en 1974 et les
étapes de la formation de l'agglomération actuelle.
Depuis les années cinquante, et surtout depuis l'Indépendance du Sénégal,
l'afflux d'immigrants originaires des campagnes assure à la capitale une crois-
sance démographique spectaculaire (près de 10% par an, soit un doublement de
population tous les 10 ans); les nouveaux arrivants s'entassent dans les vieux
quartiers centraux taudifiés, où peuplent les nombreux bidotlvilles qui joux-
tent la zone industrielle portuaire (voir carte 1). Dès 1952, mais surtout à
partir de 1960, DAKAR "éclate" dans le Cap Vert sous une forme double :
(~) - A partir du Centre-ville surpeuplé (MEDINA) que l'on veut res-
tructurer et des bidonvilles que l'on veut détruire, des dizaines de milliers
de prolétaires dakarois expulsés sont recasés dans des lotissements d'urgence de
banlieue;peup lée de ces "déguerpis", la ville nouvelle de DAGOUDANE PIKINE-
GUEDJ AWAYE et ses annexes passe ainsi de 0 à plus de 200.000 habitants entre
1952 et 1974 (voir carte 2).
Ci) - Mais cette urbanisation périphérique régulière, car conforme
au Plap Directeur d'Urbanisme du Cap Vert se double, depuis 1960 déjà d'une
forte urbanisation spontanée. De nombreuses implantations hors la loi se réa-
lisent après achat de terresde culture (qui deviennent terres à b3tir) aux
villageois autochtones Lebou dont les villages contr8lent encore le CapJVert
rural (voir carte 2). Ainsi un front pionnier irrégulier, semi rural semi-urbain.

(I)Volont8J:1sme d'Etat et spontanéisme populaire dans l'urbanisation du Tiers-Monde •••• "


M.VERNIERE 1973 - EPHE-CNRS - 223 p. + cartes.
(2)-A.B. DIOP - "Enqu~te sur la migration Toucouleur à DAI<AR~ Bull. IFAN nO 34.
1960 DAKAR.
-A.B. DIOP - "Société Toucouleur et migration" IPAN 1965 - DAKAR - 232 p.
carte N- 2 L~URBANISATION-RECENTE DU CAP VERT VERT

LEGENDE

fOë'Ol ZÔ:les administratives ou residel1tielles


l...2...2..2J peu denses el ~itês

Quartiers centraux d'Bcceuil pcur les


ilTtll igr aots. (Huilfll, ' .....ri:"t u )

Bidonvillea deguerpis entre 1969 et 1973

Bidonvilles subsistants en 1974

i~ Lotissel1lents périphêriques de "deguerpis"


~
-16-
déleste-t-il aussi DAKAR de son trop-plein démographique.
Comment ces déplacements importants, ce rejet des plus défavorisés
des dakarois, sont-ils, dans le temps, subis par les Umnigrants1. Dans ce
bouleversement d'ensemble, les Toucouleur ont-ils une attitude spécifique1~

Notre enqu~te,réa1isée dans la banlieue de DAGOUDANE PIKINE et dans


PIKINE-IRREGULIER, frange d'urbanisation spontanée, comportait, entre autres,
le recueil des "biographies rétrospectives" de 400 chefs de ménage, presque
tous chefs de "parcelles" et, en moyenne, âgés de plus de 40 ans. Depuis leur
arrivée, j~~nes villageois célibataires, à DAKAR, jusqu'à leur implantation,
vieux chefs de famille, à PIKINE, nos'enqu~tés'bnt pu ainsi évoquer des sé-
jours à la ville mouvementés qui, souvent, se sont déroulés sur plusieurs
dizaines d'années. Il est clair que le fait d'avoir été refoulés du bidonville
vers la ban1ieuQ,témoigne, pour les chefs de ménage enqu~tés, d'un relatif
échec en milieu urbain. Seuls les représentants du niveau économique le plus
faible, c'est-à-dire en majorité les ünmigrés d'origine rurale, sont concer-
nés par notre travail.
Pour ces déshérités qui veulent faire souche en ville, une seule
obsession dès leur arrivée accéder à la propriété d'une parcelle pour loger
la famille qu'ils désirent fonder. Les biographies de nos 400 chefs de ménage
témoignent de la longue qu~te de cette forme sécurisante de stabilité. Le
schéma classique de cette promotion de bas niveau est généralement le sui-
vant : en arrivant du village, le jeune Umnigrant célibataire et encore sans
travail est hébergé et nourri par la branche dakaroise de sa famille ou par
des amis villageois déjà implantés; ayant trouvé un emploi il loue une cham-
bre, soit individuellement soit avec plusieurs amis du m~me âge, dans les
quartiers centraux; .il fond une famille et doit disposer de plus d'espace
habitable; il loue alors un local en bidonville, là où les loyers sont de
loin moins coOteux; il accédera ensuite peut-~tre à la prop~iété d'une par-
celle en bidonville avant d'en ~tre "déguerpi". Il recevra alors, après vint
ou trente années de séjour en ville, un lot de 150 m2 en banlieue, à charge,
pour lui, d'y installer la baraque en bois qu'il a sauvée lors de la destruc-
tion du bidonville (1).
Seuls ceUR qui, spontanément, décident de s'implanter dans la péri-
phérie irrégulière Dakaroise (PIKINE-IRREGULIER), parviennent plus rapidement,
mais sans garanties officielles, à une forme de propriété individuelle d'un
terrain: leur esprit d'entreprise leur permet de réduire le nombre des étapes
intra-urbaines sur la voie de la stabilité.

- (1) - Pour l'analyse détaillée de ces migrations, voir M.VERNIERE : "Campagne, ville
bidonville, banlieue: les migrations intra-urbaines vers PIKINE". In. ORSTOM.
Cahiers Sciences Humaines 1974.
-17-
Dans ce double contexte, quelle est la place des Toucouleur de
DAKAR, presque tous ~igrants d'origine rurale, donc particulièrement représen-
tés au sein de l'échantillon que nous avons étudié?
Leur originalité repose sur deux éléments
-Bien plus que les représentants d'autres ethnies sénégalaises, les
Toucouleur se regroupent entre eux. A.B.DIOP signalait ainsi de très fortes
concentrations de Toucouleur, vers 1960, dans les bidonvilles centraux de
DAKAR (BAYE LAYE, BAYE GAINDE, M'BOO, WAHINANE).
-Dans une période très récente (à partir de 1967), et, en partie'
du fait des déguerpissements des bidonvilles Toucouleur du Centre Ville, en
partie du fait de liens privilégiés (parenté "à plaisanterie l l )_ entre les Lebou
autochtones et les Toucouleur, les gens du Fleuve se trouvent occuper, actuel-
lement, une position très forte à la périphérie de DAKAR et non plus dans DAKAR.
Quelques chiffres témoignent de l'importance de ce phénomène Isui-
vant l'enqu~te de l'O.M.S. de 1969, DAKAR compte actuellement moins de 15%
de Toucouleur, alors que d'après les ro~roes sources complétées par nos enqu~tesJ

les extensions régulières récentes .de PIKINE en comptent 30~ et surtout la


frange irrégulière plus de 40%.
Enisolant le cas des 87 chefs de ménage Toucouleur de notre échantil-
lon Pikinois nous pouvons cerner de plus près la spécificité de ces derniers,
les causes et les modalités de leur nouvelle répartition dans l'agglomération.

11-1 - Du village à la banlieue dakaroise "via" les bidonvilles


centraux: les "déguerpis" Toucouleur à PIKINE-EXTENSrON.

Contrairement à d'autres villageois qui s'élancent dans l'aventure


urbaine, le jeune tmmigrant Toucouleur ne part pas à la ville sans quel~ues

assurances. Le cas du village de GUIA prouve l'existence, pour l'ado~escent qui


va s'essayer à la ville, de réseaux, familiaux ou ethniques, d'entr'aide bien
organisés, souvent m~e contraignants pour le jeune épris d'une certaine liber-
té. Les récits de nos chefs de ménage précisent le caractère bien réglé de ces
migrations.
Le "vieux" qui a réussi à s'implanter en ville, et a fait carrière dans
l'administration, l'année ou le commerce (les "Dioula", marchands de bétail
sont souvent cités) fait venir les jeunes de son lignage comme travailleurs
saisonniers. Le plus souvent il les héberge chez lui, mais parfois aussi leur
paie le loyer d'une chmnbre collective. Par ses soins, un petit travail attend
les jeunes tmmigrants :i18 aident le vieux comnlerçant ou sont apprentis chez
l'artisan - tisserands notamment -. Le "vieu:c" contre le toujours leur vie
quotidienne de façon extr~ement stricte, gardant pratiquement tout l'argent
-18-
qU'ils gagnent et leur imposant, à la date du départ annuel pour le Fleuve
(d'aoOt à octobre pour travailler dans les champs de DIERI; avant de revenir
à DAKAR) la liste des cadeaux - notamment des habits - à acheter pour la
famille. Les jeunes, ainsi assistés, pourront revenir, cinq ou six années
consécutives, comme saisonniers dans la capitale, avant de se fixer de façon
définitive. M~e alors, en cas de ch6mage, ils peuvent compter sur l'aide
de la famille et seront toujours nourris en cas de besoin. Dotés d'un emploi
sOr, ils continueront de verser leu1B économies au "Vieux"; en contrepartie,
ce dernier remettra lui-m~e l'argent de la dot à la famille villageoise qui
mariera le jeune néo-citadin aux alentours de la trentièœe année. Le mariage
endog~üique, au sein du m~e village reste une règle à peu près absolue.
Chargé de famille, agé de plus de 30 ans, le nouveau chef de ménage
commence se qu~te de la propriété d'une parcelle: le chemin sera en général
long (voir carte "biographique" n03) et entrecoupe de nombreux changements
de domiciles (1), correspondant à la nécessité de loger sa famille qui s'a-
grandit, ou de s'installer dans un nouveau bidonville, l'ancien venant d'~tre

détruit. Durant cette période, le chef de ménage est un locataire et Ce n'est


que beaucoup plus tard qu'il parviendra à acquérir une parcelle dans un bidon-
ville récemment créé •
Pendant toutes ces années, l'tmmigré garde toujours un contact
étroit avec sa famille et tous les autres Toucouleur. Les représentants des
autres ethnies, chez lesquels les "regroupements" ont moins cours (sauf sans
doute chez les Diola) cherchent, eux aussi à acquérir une parcelle à batir;
mais peu leur importe sa localisation. Rien de tel chez les Toucouleur qui,
dans leur choix, privilégient un environnement Toucouleur. Ainsi s'expli-
quent les fortes concentrations enregi~trées par A.B. DIOP dans les bidon-
villes intra-urbains longeant l'autoroute.
Les déguerpissements massifs de ces quartiers spontanés vers PIKINE
EXTENSION en 1967-70 expliquent la prééminence des Toucouleur dans ce lotis-
sement récent : d'après A.B. DIOP en effet, pas moins de 80% des Toucouleur
Dakarois habitaient les taudis centraux, ils se retrouvent naturellement rejetés
globalement vers la périphérie. L'emprise des Toucouleur était telle, dans
ces quartiers de départ, qu'à PIKINE EXTENSION, zone d'arrivée, tous les chefs
de quartier étaient, en 1971, des natifs de la région du Fleuve.
Alors qu'ailleurs, récemment à GUEDJ-AWAYE , on peut constater
que le peuplement de la périphérie ne se réalise que très lentement (bien des
chefs de ménage refusant de s'implanter aussi loin (15 km ) des lieux d'emploi
et préférant, quoique titulaires d'une parcelle, rester en tant que locatai-

(1) Près de 4, en moyenne, pour l'ensemble des chefs de m~nage de notre échantillon.
-19-
res à Dakar-Centre), il faut noter que PIKINE EXTENSION a très rapidement fa!t
son plein d'habitants. L'autorité des chefs de quartiers, l'efficacité de
l'entr'aide collective ont permis, en z8ne Toucouleur, une n.)rmalisation assez
rapide des conditions de vie, malgré les traumatismes engendrés par la bruta-
lité des déguerpissements.
Ainsi peut-on dire que, du fait d'une politique urbaine volontaire,
DAKAR s'est en grande partie "vidé" de Sa population Toucouleur, et qu'à la
périphérie les gens du Fleuve occupent une situation de force.

11-2- Complices des Lebous, les Toucouleur entreprennent la "conquête"


de la frange urbaine périphérique spontanée.

Si les Toucouleur sont nombreux et influents dans les lotissements


de banlieue.' ils le sont plus encore dans cette sorte de "ville illégale"
qui, au Nord-Est de PIKINE s'accole à la nouvelle banlieue, et compte sans
..... J ..

doute plus de 50.000 habitants.


C'est dans cette z6ne-tampon entre la ville et la campagne que
l'on mesure le mieux l'originalité de l'implantation récente des Dakarois
Toucouleur. A la fin de la seconde guerre mondiale, lorsque débute, avec une
certaine ampleur, le mouvement d'exode rural à partir du Fleuve vers la capi-
tale, bien des Toucouleur, plut6t que de gagner le Centre Ville, s'installent
directement à proximité des villages Lebou de Thiaroye Kao et de Yembeul. Cette
transition villageoise caractérise les Toucouleur et seulement eux. Cultivant
la terre, ayant des relations de bon v9isinage avec les Lebou, ils consti-
tuent, dès les années cinquante de3 noyaux de peuplement. Ils montrent l'exem-
ple aux habitants des bidonvilles centraux qui, moyennant une somme symbolique,
achètent aux Lebou une parcelle à b~tir. Ces implantations spontanées, peu
nombreuses, jusqu'en 1964, s'accélèrent brutalement à cette date: la "Loi
sur le Domaine Nationa 1" vient d'entrer en vigueur. EHe menace les terrains
de culture en friche des Lebou, non enregistrés aU Cadastre , mais assure que
toute terre mise en valeur sera enregistrée et que son possesseur recevra un
titre de propriété. Les Lebou divisent grossièrement leurs champs en parcelles
à bStir et les vendent aux Daka~oisen quête de propriété; des tas de parpaings
s'élèvent à travers champs dans tout le Cap Vert et rendent inapplicable,
en quelques mois, le Plan Directeur d'Urbanisme.
Ce mouvement spontané qui n'a fait que s'accélérer depuis les années
1966-67 peut ~tre considéré comme d'''inspiration'' Toucouleur: le plus récent
de ces quartiers irréguliers n'a-t-il pas pour nom MEDINA GOUNASS (1)1. Non

(1) MEDINA-GOUNASS. , petit centre religieux proche de VELINCARA, en Casamance, est


exclusivement peuplé de Toucouleur. Il a donné son nom à ce quartier.
-20-
seulement les Toucouleur sont majoritaires dans PIKINE IRREGULIER, mais encore
ils y imposent vraiment leur style d'organisation. Dans un cadre plus aéré, pro-
ches des villages Lebou, les néo-citadins Toucouleur se souviennent de leur
origine paysanne: 80% d'entre eux en effet sont natifs d'un village, contre
un peu plus de 50% seulement pour l'ensemble des 400 chefs de ménage pikinois
de notre enqu~te. Certes le Centre Ville est très éloigné et pour les travail.-
leurs se pose le problème quotidien du transport vers les lieux d'emploi : du
moins les Toucouleur vivent-t-ils entre eux, dans un cadre qu'ils ont choisi.
Les chefs de ménage qui se sont implantés dans cette périphérie
spontanée présentent des caractéristiques très différentes de celles des
"déguerpis" de PIKINE EXTENSION. Ils ont choisi, lorsqu'ils le désiraient, et
n'ont pas subi. Si la moyenne d'age des chefs de ménage "déguerpis" Toucouleur
est supérieure à 50 ans (voir cartes 3 et 4), celles des "spontanés" est
un peu inférieure à 40 ans. La carte n 0 4 prouve que, pour ces derniers, l'ac-
cession a la propriété a été moins longue, les étapes intra-urbaines moins
nombreuses. Après avoir été assisté par la famille, l'~igrant s'est rapide-
ment mis en qu~te d'une. parcelle, sans se poser le problème de la légalité
de son implantation. Il est certain que l'entr'aide ethnique, d'essence tra-
ditionnelle, mais appliquée à une forme d'intégration à la ville moderne, 'lui
a été d'un grand secours.
L'ethnie Toucouleur a quitté DAKAR-VILLE à son corps défendant
(cas des "déguerpiS") ou volontairement (cas des propriétaires "irréguliers"):
elle se regroupe désormais à la périphérie de la capitale. Il ne faudrait
pourtant pas en déduire que ce mouvement constitue un pas en arrière, de la
part de ces néo-citadins, ou à un refus de s'intégrer à la ville: parmi les
87 chefs de ménage Toucouleur de notre échantillon Pikinois, 40 sont des sa-
lariés à DAKAR m&1e (1), 50 ont b§ti des maisons en"dur", signe évident d'une
volonté d'installation définitive dans le Cap Vert. A peine peut-on noter, chez
les Toucouleur de PIKlNE, un désir assez marqué de retourner un jour au village
pour y mourir (1 chef de ménage sur 4, contre 1 sur 8 pour l'ensemble de
Pikine) : mais, pour eux, ce souhait ne se réalisera peut-~tre qu'après une
vie active entièrement passée à DAKAR. Il ne faut certes pas compter sur un
éventuel retour des Toucouleur Dakarois sur le Fleuve pour qu'ils y retrouvent
le chemin des champs, même irrigués : ils sont des citadins qui travaillent
et vivent au rythme de la ville, même si chez certains d'entre eux, implantés
à proximité des villages Lebou, se manifeste une certaine nostalgie pour un
cadre rural.

(1) Soit. en moyenne, la m~e proportion que parmi les autres chefs de ménage de PIKINE:
face au problème de l'emploi, les Toucouleur n'ont pas d'attitude spécifique et
profitent, ni mieux ni plus mal, que les autres immigrants des sources d'activités
-modernes" de la capitale. Les revenus monétaires des ménages Toucouleur (20-300 F.
CFA/Ménage/mois) se situent également, d'après notre enqu~te, exactement dans la norme
pikinoise, tout cormne les "signes extérieurs de richesse 'l dont disposent les chefs de
ménage (62% d'entre eux possèdent une montre, 73% un "transistor".).
!fI Médina
PL Plateau
GD GZ'&Z1d Dakar
IR Biaonvilles
VL Villages tabou
FR F:Il:8nce
PK! Pikine Ancien
PIŒ Pikine Extensions
PKI Pikine Imgul1er

®Age ~tuel du C.b! "JtOf' lOC ~[I llf.U O~


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œ .. e r: ..... !ffiu.. r ..Ts O"tll,U'lOI


Mais ce mouvement centrifuge des chefs de ménage Toucouleur "citadins"
ne saurait concerner les jeunes ruraux originaires du Fleuve qui désirent s'ins-
taller à leur tour dans l'agglomération. Récemment arrivés, ils sont en qu~te

d'un emploi et demandent l'assistance à la famille; ils doivent demeurer tout


près des lieux d'embauche, et PIKINE, à 15 km, de là, n'est pas attractif pour
eux. Une enqu~te récente (a~il-mai 1974) que nous a~~ns réalisée dans les
quartiers centraux de FASS, prouve que les jeunes Touco~leur ne bénéficient
plus aussi efficacement qu'auparavant de l'aide familiale escomptée.L'organisa-
tion de l'hébergement des immigrants a en partie disparu, du fait du transfert
des bidonvilles déguerpis. Les jauoesToucouleur, locataires le plus souvent,
et non plus hébe~gés, à leur premier domicile, s'entassent désormais à 5 ou 6
(et m~e à 13, chiffre extr~me de notre échantillon) dans une seule pièce de
12 m2. En cas de besoin pressant, ils sont néanmoins pris en charge par la
famille Pikinoise.
Malgré la péjoration des structures d'accueil à DAKAR, il semble
pourtant peu probable que les jeunes villageois du Fleuve cessent de prendre,
toujours plus nombreux, le chemin de la capitale. Seul un changement radical
des conditions économiques dans la zone de départ pourront infléchir les flux
migratoires dans l'avenir.

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