Match
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UN DOSSIER DE
HASSAN HAMDANI ET
SOULEÏMAN BENCHEIKH
AVEC DRISS BENNANI
MOHAMMED BOUDARHAM
FADOUA GHANNAM
ABDELLAH TOURABI
ET YOUSSEF ZIRAOUI
“L
ui c’est lui, moi c’est moi”. C’était l’une des toutes influence) ont évolué d’un siècle à l’autre. Il n’est pas
premières déclarations de Mohammed VI, sitôt évident non plus de dresser le bilan comparé de deux
LE MATCH
monté sur le trône. Le nouveau roi faisait réfé- “imams”, sachant que le premier n’a pas eu à gérer la
rence à son défunt père, et voulait sans doute si- même pression intégriste que le second…
gnifier par là que toute comparaison entre les Les deux règnes ont cependant un point commun qui,
deux hommes était malvenue. C’était en 1999 – et en effet, à à notre sens, transcende toutes leurs dissemblances :
l’époque, il n’y avait pas grand-chose à comparer. Hassan II venait sous Hassan II comme sous Mohammed VI, la marche du
tout juste de rendre l’âme, après un règne de 38 ans. Mohammed Maroc est, d’abord et avant tout, celle que lui imprime
VI, lui, n’avait aucune expérience à faire valoir. Mettre en balance son roi. Autrement dit, les époques ont changé, mais pas
les bonnes intentions du second avec le long et riche parcours du le degré de personnification du pouvoir. Dresser un ta-
premier eût alors, effectivement, été dénué de sens. bleau comparatif des deux monarques (y compris dans
Depuis, 10 ans sont passés. Mohammed VI a désormais une leurs dimensions personnelles) revient à comparer le Ma-
solide expérience de chef d’Etat à faire valoir. Une expérience marquée roc d’hier à celui d’aujourd’hui. En cette fin d’“année-bilan” c’est, plus
de succès, de revers, d’hésitations et de tâtonnements, mais aussi de qu’utile, nécessaire. Pour voir où nous avons avancé, où nous avons
questionnements et de zones d’ombre. Cela fait-il sens, pour autant, de reculé, et où nous faisons encore du surplace.
comparer un règne complet avec son introduction, son développement et Puisse ce dossier de TelQuel vous apporter une nouvelle perspec-
sa conclusion, à un tout autre, qui n’a achevé que sa phase de “rodage” ? tive, et vous donner matière à réflexion… I ARB
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LE MATCH
LE POLITIQUE
Alors que Hassan II a guerroyé … Mohammed VI, qui a hérité de
pendant 40 ans pour diviser partis discrédités, tente de les
la classe politique issue du “remodeler par le haut”. Pour
mouvement national… l’instant, il n’arrive qu’à les perturber.
sentiel” : la préservation du de son règne ne déçoit pas ces
AFP
AFP
trône alaouite, plus solide que attentes : l’irréductible oppo-
jamais sous son successeur. sant Abraham Serfaty est enfin
Hassan II a donc réussi de autorisé à rentrer d’exil, et
son vivant à soumettre la clas- Driss Basri, grand vizir honni,
se politique, mais au prix est prestement limogé. Tout le
d’une violence politique extrê- monde s’attendait à ce que,
me, à la fois réelle et symbo- dans la foulée, le successeur
lique. Et non sans imagination, de Hassan II tende la main aux
voire une pointe de perversi- hommes politiques pour les
té… Ainsi, parce qu’il refuse associer démocratiquement
d’avaliser l’option du référen- au pouvoir, enfin.
dum d’autodétermination au
Sahara en 1981, Abderrahim Un ouragan nommé PAM
Bouabid est envoyé en exil à Mais ce n’est pas ainsi que
Missour, réputée “capitale des les choses ont tourné. En 2002,
ânes”. Quant au leader isla- malgré la victoire officielle de
miste Abdeslam Yassine, qui l’USFP aux législatives, Mo-
publie en 1974 son célèbre hammed VI nomme Driss Jet-
pamphlet L’islam ou le déluge, tou Premier ministre, cédant,
Hassan II répond par… un in- comme son père en 1993, à la
ternement en asile psychia- tentation d’un gouvernement
trique ! Pour soumettre le peu technocratique. Les analystes
d’opposants que son père lui a politiques dénoncent immé-
légués, Mohammed VI n’aura, diatement un choix non dé-
dates-clés lui, nul besoin d’user des
mêmes méthodes. Il ignorera
mocratique – ce qui ne gêne
nullement le nouveau roi. Et dates-clés
Mars 1965. Les émeutes lycéennes du 23 mars sont durement répri- superbement le cheikh Yassine puis, qu’à cela ne tienne ! Cinq Octobre 2002. L’USFP et l’Istiqlal se disputant la victoire des
mées à Casablanca. En juin, Hassan II proclame l’état d’exception. quand, libéré en 2000, il lui ans plus tard, Jettou est rem- législatives, c’est Driss Jettou, ex-ministre de l’Intérieur (et donc
Mehdi Ben Barka est enlevé en octobre. conseillera dans son Mémoran- placé par Abbas El Fassi, chef non partisan), qui accède à la primature.
Novembre 1975. Grâce au succès de la Marche verte, le roi retrouve dum à qui de droit, d’utiliser du parti vainqueur aux légis- Avril 2004. Création officielle de l’Instance équité et réconciliation,
le chemin de la concorde nationale. son héritage pour “éponger la latives. Même la presse offi- chargée d’apurer le passif des “années de plomb”.
Octobre 1978. Après avoir nommé Premier ministre Ahmed Osman, dette extérieure du Maroc” (!) cielle pavoise et salue le Août 2007. Le ministre délégué à l’Intérieur et ami du roi,
son beau-frère et camarade du collège royal, Hassan II le pousse à Au contraire, avant même respect de la “méthodologie Fouad Ali El Himma, démissionne de ses fonctions pour se
créer le Rassemblement national des indépendants (RNI). d’accéder au trône, Moham- démocratique”. Mais en surfa- présenter aux législatives.
Septembre 1996. La Constitution proposée par le roi est approuvée lors de la sanglante répression med VI est déjà auréolé d’une ce seulement car, d’une part, d’épaisseur d’El Fassi, et Octobre 2007. Les deuxièmes élections législatives du règne de
par référendum. Pour la première fois, les partis d’opposition font Mohammed VI consacrent la victoire de l’Istiqlal. Abbas El Fassi
des émeutes rifaines de 1958. étiquette de “roi démocrate”. tout le monde s’accorde sur d’autre part, Fouad Ali Him-
campagne en faveur du “oui”. est nommé Premier ministre.
Octobre 1997. Hassan II nomme Abderrahmane Youssoufi Premier ministre. Sa première décennie de D’ailleurs, la première année l’inconséquence et le manque ma est dépêché tel un Promé-
Juin 2009. Le PAM, parti créé par Fouad Ali Himma, remporte
C’est la première fois depuis 1958 que la gauche accède au pouvoir. règne, dite “les 10 affreuses”, thée parmi les hommes les communales et devient le premier parti du royaume.
sera à l’avenant et s’achèvera, politiques, le regard braqué
S oui… mais…
changé entre les deux avait juré, “la main sur le Co- la trahison et le bain de sang. c’est bien l’ex-ministre délé- san II avait, par deux fois, ai- lait peut-être la chandelle :
règnes, c’est bien le ran”, de faciliter la transition, Vient alors la gué à l’Intérieur et ami intime dé des proches à créer des c’était, après tout, un trône
caractère absolu de la Hassan II est parvenu à pacifier Marche verte qui de Mohammed VI, qui fait la partis politiques : en 1963, le qu’il fallait sauver. Mais au-
monarchie. Hassan II et à dédramatiser sa propre unit le peuple au- • Il a opté dès le début pour le • C’était un adepte de la politique du royaume. Moins FDIC, de son conseiller et ami jourd’hui, que peut gagner la
s’est échiné à briser des leaders succession : le roi est mort, tour de son roi et… multipartisme “à l’occidentale”. manière forte : prison, torture et de deux ans après avoir dé- Ahmed Réda Guédira, et en Couronne à discréditer da-
politiques encombrants et ré- mais ses institutions lui ont désunit les oppo- • A la fin de son règne, il a prôné disparitions d’opposants. missionné du gouvernement 1978, le RNI, de son Premier vantage une scène politique
calcitrants, Mohammed VI, lui, survécu. Et, par un incroyable sants au régime, qui une ouverture politique (quoique • Il a poussé à l’inflation des partis et, pour se faire élire député, ministre et beau-frère Ahmed qui l’est déjà suffisamment ?
a reçu en héritage une classe tour de passe-passe, ses adver- ne s’en remettront jamais sous contrôle de Driss Basri). par contrecoup, à leur décrédibilisation. “Si Fouad” se retrouve à la tê- Osman. Mohammed VI mar- Les partis pourront-ils pal-
politique en débandade, encore saires d’hier sont devenus les complètement. D’où l’héritage te du premier parti politique cherait-il sur les traces poli- lier leur manque actuel de
occupée à savourer la tardive remparts du trône. de Mohammed VI : une classe du royaume, qui a réalisé une tiques de son père, même si leadership et faire émerger
ouverture de l’ancien règne. politique subjuguée par le trô- • Il a conduit les premières élections • Il a ignoré la classe politique, véritable razzia l’époque a changé et que de nouvelles élites, mili-
Car l’Alternance, préparée Une classe politique ne et paralysée par la “cause véritablement libres du royaume. souvent jusqu’à l’humiliation. aux communales l’appel mondialisé à la dé- tantes et technocrates ? Et
avec soin par Hassan II à l’orée domestiquée nationale”. Au crédit de Has- • Il a mis à plat le passif de son père • Avec son ami El Himma, il tente de 2009. Du coup, mocratie est plus pressant ? puis, d’abord, Mohammed VI
des années 1990, était assuré- Lorsqu’il monte sur le trône san II l’homme politique, on en matière de violations de droits de reconfigurer la classe politique on parle ouverte- Aurait-il lui aussi la tentation y a-t-il vraiment intérêt ? Ou
ment un coup de maître. En en 1961, Hassan II a déjà une peut ainsi mettre ce qu’il consi- de l’homme. autour du Palais. ment de “hassani- de remodeler le champ poli- plus simplement : en a-t-il
obtenant le soutien de Abder- réputation de guerrier, forgée dérait lui-même comme “l’es- sation du régime”. tique à sa convenance ? Sous vraiment envie ? I
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LE MATCH
LE MILITAIRE
Alors que Hassan II a été … Mohammed VI a modernisé
deux fois trahi par une les FAR sans rien céder sur
armée qu’il avait lui-même l’essentiel : une obéissance
mise au monde… aveugle et totale.
Une armée au service du roi en son temps. Il est chef
DR
AFP
Mohammed VI hérite donc suprême des armées et d’un
d’un pays pacifié. Le cessez-le- état-major qu’il connaît sur le
feu au Sahara dure depuis bout des doigts, au moins de-
1991, et les premières lignes puis 1985. Cette année-là, il a
marocaines sont protégées par été nommé coordinateur des
un gigantesque mur construit bureaux et services de l’état-
sous Hassan II. De surcroît, le major des FAR. L’apprentis-
roi défunt lègue à son fils une sage est garanti et, à la clé, le
armée mise au pas et des hauts futur roi a déjà un grade de
gradés tout à son service, des général de division octroyé
hommes de confiance à l’ima- en 1994 par son père. Six ans
ge des généraux Bennani, plus tard, le nouveau chef su-
Benslimane et Arroub. Figu- prême promeut son frère,
rant parmi les premiers si- Moulay Rachid, au grade de
gnataires de l’allégeance, général de brigade.
Mohammed VI sait qu’il peut
compter sur leur (coûteuse) L’uniforme fait le militaire
loyauté, même s’il doit toujours A l’image des dictateurs afri-
(comme son père) faire preuve cains, Hassan II adorait se
d’une extrême intransigeance montrer à la télé vêtu d’un ru-
au moindre manquement. Il tilant uniforme militaire.
n’hésite ainsi pas à “se débar- Question d’époque, peut-être.
rasser” du général Driss Ar- En tout cas, les Marocains se
chane, patron de la Santé souviennent encore du roi sor-
militaire. Il choisit d’éconduire tant de sa “tchaboula” (habita-
dans la foulée deux poids- tion de fortune des soldats au
lourds du renseignement mili- Sahara), en treillis, goûtant au
taire : le général Mohamed pain rond qui accompagne le
Belbachir et le général Ahmed repas de ses fantassins. Mais,
Harchi, qu’il remplace par son quand il recevait ses collègues
camarade de classe au collège chefs d’Etat, Hassan II a tou-
royal, Yassine Mansouri, à la
tête de la puissante DGED
jours préféré les costumes
chamarrés, qui ont fait sa ré-
dates-clés
dates-clés (renseignements extérieurs).
Car, ne nous-y trompons
putation d’élégance, au strict
uniforme militaire. A une ex-
1985. Nommé coordinateur des services et bureaux de
l’état-major de l’armée.
1963. Moulay Hassan et Oufkir créent les Forces armées royales (FAR). 1994. Promu général de division.
pas, Mohammed VI est le seul ception près : quand, dans les
1963. Le Maroc sort vainqueur de la guerre des Sables. 1999. Prend le titre de chef suprême des armées le jour de
1971. Premier putsch manqué. Des mutins attaquent le palais de Skhirat. du Boeing royal l’année chef à bord, comme Hassan II années 1980, il accueille un co- lonel Mouammar Kadhafi en
son intronisation.
1972. Deuxième putsch manqué. Sain et sauf, le roi décapite l’armée. d’après. Blessé dans son treillis… pistolet à la ceinture !
2002. Crise de l’îlot Leïla. Le conflit armé avec l’Espagne est évité
1975. Début de la guerre au Sahara. amour propre, le monarque Contrairement à son père,
1991. Cessez-le-feu avec le Polisario et envoi de troupes en Irak. ne fera pas dans la dentelle.
Les mutins de 1971 sont fu-
le m atch Mohammed VI opte rarement
pour l’habit militaire, qu’il ré-
grâce à la médiation américaine.
2006. Mohammed VI supervise la célébration du cinquantenaire des FAR.
L
royales (FAR) ont été of- Oufkir) avec acharnement, Le pacte de confian- chaque année en grande pom- pour la marine par-là... placements et passe-droits sont
ficiellement créées sous presque sans discernement. ce est rompu et la • Ses troupes l’ont trahi à deux reprises pe. Fidèle à son habitude, le Pourtant, ceux qui espé- plus que jamais d’actualité.
• Il est le vrai fondateur des Forces au moins, en 1971 et 1972.
Mohammed V, dès Après la première véritable méfiance s’installe, armées royales. nouveau roi semble faire peu raient du “nouveau règne” une En définitive, les vieilles mé-
1956. Mais tout le mon- épreuve de la guerre des depuis, dans le • Il a perdu des batailles au Sahara de cas de la symbolique de réforme profonde du fonction- thodes ont toujours cours, et le
• Il passait pour un fin stratège où l’armée marocaine a subi de
de sait que c’est le futur Has- Sables contre l’Algérie (1963), cœur de Hassan II. et a mené plusieurs guerres. chef suprême des armées. Et nement des Forces armées silence de la grande muette est
san II qui a piloté l’opération. Hassan II est aux petits soins Pour tenir son armée à distan- lourdes pertes. ce, au profit d’un travail de mo- royales en sont pour leurs frais : toujours aussi assourdissant.
On le crédite ainsi d’un grand pour son armée. Les privi- ce, le roi se résout alors à l’oc- dernisation souterrain et de les vieux généraux sont tou- Pour avoir osé briser l’omerta,
rôle dans l’opération Ecou- lèges sont la règle. Les galon- cuper en l’envoyant sur longue haleine. Depuis son ac- jours là, et ont toutes les des Adib, Zaïm et Jalti se re-
villon pour mater l’Armée de nés font alors la pluie et le d’autres fronts (le Golan, en- • Il n’a pas mis fin aux passe-droits cession au trône, Il chances de mourir de leur bel- trouvent derrière les barreaux
• Il a fait souffler un vent de dont bénéficient certains hauts gradés.
libération du Sud, début 1958. beau temps. Jusqu’au jour où suite le Sahara) et, surtout, en modernité sur l’armée. a engagé la mue des le mort, au faîte de leur pou- pendant de longues années.
Quelques mois plus tard, ce les canons se retournent enrichissant ses principaux • Les dépenses militaires en hausse grèvent casernes et, surtout, voir. Et, comme du temps de La confirmation qu’au sein du
• Il répond à la menace militaire le budget de l’Etat et se font au détriment
sont les émeutes du Rif que le contre le chef, le roi lui-même, gradés : ne dit-on pas qu’un of- algérienne en achetant des armes. signé des contrats Hassan II, Mohammed VI bras armé de l’Etat, il n’y a
prince héritier Moulay Hassan d’abord dans son palais de ficier riche ne cherche pas à des priorités sociales (santé, éducation, etc.) d’armement : un chouchoute ses gradés : prises toujours pas de place pour les
s’en va réprimer (en compa- Skhirat en 1971, puis à bord prendre le pouvoir ? paquet d’avions par- en charge médicales, loge- voix discordantes. I
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LE MATCH
LE DIPLOMATE
Alors que Hassan II, interlocuteur inévitable … Mohammed VI brille par son absence
dans le conflit israélo-palestinien, a donné lors des grands sommets internationaux,
l’image d’un grand diplomate, tout en mais a marqué un point décisif avec son
s’enlisant dans une guerre ruineuse… plan d’autonomie pour le Sahara.
internationaux. Là où le père se a contribué à la légende has-
AFP
AFP
plaisait à donner la réplique à sanienne. C’est aussi un évé-
ses pairs chefs d’Etat, le fils a nement qui a permis à Hassan
choisi un chemin fait d’influen- II d’isoler son opposition inter-
ce et de discrétion : sous son ne tout en remportant une vic-
règne, les lobbies pro-maro- toire (symbolique et non
cains ont essaimé par-delà les militaire) sur une puissance
frontières, et les cadres du mi- coloniale, l’Espagne. Pourtant,
nistère des Affaires étran- avec 35 années de recul, la
gères ont opéré leur mue. A la Marche verte a en fait ouvert
vieille école, incarnée par un conflit que le Maroc échoue
l’ancien ministre Mohamed encore à résoudre. Un lourd
Benaïssa, a succédé une jeu- héritage pour Mohammed VI,
ne vague de diplomates pro- dont le trône est certes solide,
fessionnels, qui gèrent au mais dont le royaume reste
jour le jour la politique étran- menacé d’amputation.
gère du pays. Car, si Hassan II
attirait les projecteurs, il en Priorité au Sahara
privait aussi ses collabora- Hassan II fait la guerre com-
teurs. A l’opposé, Mohammed me il prône la paix, et il a la di-
VI, tout en se retirant médiati- plomatie des grands seigneurs
quement et physiquement de féodaux, le sens du geste ma-
la scène internationale, a mis gnanime… et pas forcément
en place un appareil diploma- payant. Comme en 1963, lors-
tique à la fois plus visible et qu’il mène contre l’Algérie une
moins personnalisé. guerre des Sables conclue par
Mais pour quel résultat ? Le une victoire militaire, mais
fils a-t-il réussi là où le père a achevée par une capitulation
échoué ? Rien n’est moins sûr. diplomatique aux allures che-
Les deux règnes sont riches en valeresques. La postérité salue
péripéties et rebondissements sa politique de rapprochement
diplomatiques. Incontestable- dans le conflit israélo-palesti-
ment, la Marche verte a été pour nien, et l’autorité morale qu’il a
dates-clés Hassan II un grand moment de
rayonnement mondial : précé-
pu parfois représenter dans le
monde arabo-musulman. Mais
dates-clés
Octobre 1963. Hassan II déclenche la guerre des Sables contre la timidité. Non seulement il dent historique à l’échelle in- c’est là sans doute une stature à assez d’années de règne au Juillet 2002. Six militaires marocains débarquent sur l’îlot Leïla.
l’Algérie. Malgré son succès militaire, il opte pour un cessez-le-feu. n’a aucun goût pour la diplo- ternationale, le succès de cette laquelle l’âge n’est pas étran- compteur pour jouer au “sa- Le Maroc et l’Espagne frôlent le conflit armé.
Novembre 1975. Sous couvert de la Marche verte, Hassan II récupère matie-spectacle, mais il la dé- marche populaire et pacifique ger. Mohammed VI n’a pas ge”. Après 10 ans de pouvoir, Mars 2005. Mohammed VI se rend à Alger au sommet de la
le Sahara espagnol par une conquête militaire éclair. nonce même ouvertement, les grands faits d’armes du Ligue Arabe. Il y rencontre longuement Abdelaziz Bouteflika.
Août 1979. Les populations de Oued Addahab et de Saguiet Al comme on l’a vu dans la cé- nouveau roi ne se trouvent
Avril 2007. Le Maroc propose aux Nations Unies un plan
Hamra jurent allégeance au trône alaouite.
Septembre 1991. Cessez-le-feu entre le Maroc et le Polisario. Début
lèbre lettre qu’il a envoyée à
un sommet de la Ligue Arabe,
le m atch pas sur la scène internationa-
le, mais bien dans le pré car-
d’autonomie pour le Sahara.
Juin 2008. Echec du quatrième round de négociations à Manhasset.
du travail de la Minurso (corps militaire détaché par l’ONU). Le Polisario se retire.
Juillet 1999. Quelques semaines avant sa mort, Hassan II déplorant ces sommets “qui
mettent en avant les
oui… mais… ré du royaume : IER ou
Moudawana, les deux ré-
Novembre 2009. Dans son discours anniversaire de la Marche verte,
Mohammed VI hausse le ton vis-à-vis des ennemis de l’intégrité
assiste au défilé des troupes marocaines sur les Champs Elysées :
son ultime consécration. personnes et relè- formes phares de la décennie territoriale : “Ou on est patriote, ou on est traître” !
guent les vrais pro- • La Marche verte, son coup de génie • Il n’est jamais parvenu à sont maroco-marocaines.
blèmes au second diplomatique, éclipse l’appropriation résoudre le conflit du Sahara, dont il Mohammed VI a en fait tardé
n bon adepte de Ma- son charisme diplomatique plan”. Et vlan ! Les militaire du Sahara. a pourtant fait l’affaire de son règne. à briller dans le théâtre diplo- re. Sauf qu’en 2007, le Maroc a quitté la table des négocia-
E
chiavel et en admira- transcenderait les frontières. approches diploma- • Ses talents diplomatiques en ont fait • Sa “diplomatie-pastilla” s’est finale- matique mondial. L’annonce proposé un plan d’autonomie tions et, cerise sur le gâteau, le
teur assumé de Louis De fait, il est devenu le facili- tiques du fils et du père ne pou- un incontournable “grand de ce monde”. ment révélée contre-productive. de la découverte de gisements pour le Sahara qui a soulevé de représentant “pro-marocain”
XI, Hassan II avait un tateur incontournable des vaient être plus éloignées… de pétrole importants à Talsint nombreux espoirs. Approuvé de l’ONU pour le conflit du Sa-
goût prononcé pour pourparlers israélo-palesti- a en effet brouillé l’image in- par les grandes puissances, le hara, Peter Van Walsum, a été
l’activité diplomatique. Rom- niens et (à ce titre ?), la tête de L’ombre et la lumière • Il a permis l’émergence d’une diplo- • Physiquement, il est quasiment absent ternationale du jeu- plan ne peut cependant être remplacé. Le vent aurait-il
pu aux joutes verbales, la ré- pont des Etats-Unis en Afrique Là où un Hassan II extraver- matie professionnelle et compris les de la scène diplomatique internationale. ne roi, de même que adopté et appliqué qu’après des une fois de plus tourné en
partie qui tue toujours au bord du Nord, voire dans le monde ti médiatisait ses rencontres vertus du lobbying international. • La flambée patriotique qu’il a récemment la crise maroco-es- négociations à l’ONU. Mais notre défaveur ? Une chose est
des lèvres et doté d’un pen- arabe. Mohammed VI, en avec les grands de ce monde, • Il a marqué un point avec le plan initiée n’a servi qu’à crisper le dossier saha- pagnole de l’îlot Leï- voilà que le quatrième round sûre, diplomatiquement, c’est
chant immodéré pour la ma- comparaison, a toujours fait Mohammed VI, plus introverti, d’autonomie du Sahara. rien. Point d’orgue : l’affaire Aminatou Haïdar. la, durant l’été 2002, de négociations de Manhasset encore le Maroc qui a la main.
nipulation, il était écrit que preuve d’une réserve frisant boude la plupart des sommets a fait craindre le pi- a échoué, que le Polisario a Pour le moment… I
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LE MATCH
LE COMMUNICANT
Alors que Hassan II était un … Mohammed VI parle peu, préférant
orateur hors pair, maîtrisant communiquer par l’image plutôt que
le jeu des médias au sens par les mots – et sévit contre les
propre comme au figuré…. médias qui “l’asticotent” de trop près.
digés dans un arabe classique ra de télévision. Tout le contraire
DR
DR
lénifiant – là où son père passait de son père, qui aimait manifes-
sans complexe à la darija et re- tement prendre des risques avec
gardait la caméra en face, les médias. Maniant la langue de
quand il avait quelque chose Molière souvent mieux que ses
d’important (voire de menaçant) interviewers, Hassan II leur en
à dire à son peuple… remontrait sur leur propre ter-
Il suffit d’un petit tour sur rain linguistique, ponctuant ré-
Google ou Youtube pour se gulièrement ses propos de
rendre compte du gouffre mé- références à sa large culture
diatique qui sépare les deux rois. classique. Message subliminal :
Après 40 ans au pouvoir, Hassan “Si je maîtrise les philosophes des
II est devenu une clé de re- lumières, c’est que je suis conscient
cherche fournissant une matière de mes atteintes aux droits de
riche en interviews écrites et té- l’homme, mais que je les assume
lévisées. Le roi défunt parlait aux en tant que despote éclairé” – un
journalistes avec humour et en- concept parlant pour les médias
train, se plaisant à commenter français, ses interlocuteurs privi-
toutes les facettes de son règne. légiés. Hassan II avait aussi une
Au bout de dix ans sur le trône, manière très efficace de botter
Mohammed VI a un bilan d’étape en touche quand les questions
beaucoup plus mitigé. Excep- dérangeantes se faisaient trop
tions faites de ses discours télévi- insistantes. “Ce qui était fasci-
sés, dont on ne sait vraiment nant avec lui, c’était qu’il entre-
comment les perçoit un auditoi- laçait avec beaucoup d’habileté
dates-clés
dates-clés re par nature captif et interdit de
commentaires, le nouveau roi
les vrais détails, son étonnante
capacité à éluder et celle de ne 2000. Première interview de Mohammed VI accordée à Time.
1971. Hassan II tient une conférence de presse le lendemain de la n’a accordé qu’une demi-douzai- pas dire la vérité”, a témoigné Le magazine américain titre “The Cool King”.
tentative de putsch de Skhirat. Extrait : “Il fallait exécuter tous les ne d’entretiens à des journalistes dans le quotidien Le Soir Eric Janvier 2005. Premier grand entretien de Mohammed VI, accordé au
putschistes immédiatement.” étrangers qui, par droit et devoir, Laurent, qui a recueilli le té- quotidien espagnol El Pais. Il n’y en aura qu’une demi-douzaine en 10 ans.
1976. Hassan II se lance dans l’essai politique en publiant Le défi. peuvent lui demander des moignage du roi défunt dans Mars 2005. Al Jarida Al Oukhra publie un portrait intimiste de Lalla Salma.
1984. Discours royal suite à des émeutes réprimées dans le sang. comptes. Et même là, il s’est tou- son ouvrage Hassan II, la mé- Le chef du protocole royal fustige le “voyeurisme” de l’hebdomadaire.
Il traite les émeutiers de “awbach” (insectes). qu’en matière de communica- jours protégé en n’acceptant moire d’un roi. C’était un “per- Le choc des photos 2005. Paris Match a la primeur historique d’une photo de groupe
Mai 1993. Invité de “7 sur 7” sur TF1, le roi déclare : “Il n’y a, tion, le père et le fils ne pou- d’accorder que des interviews former” (homme de spectacle sans le poids des mots de la famille royale.
à Kelaât M’gouna, que des roses” (il y avait aussi un bagne secret). 2007. Le roi fait un coup de com’ en recevant 2 magazines féminins
vaient être plus différents… écrites (c’est-à-dire contrô- et de représentation), suren- Mohammed VI, quant à lui, a
Décembre 1993. Parution de Hassan II, La mémoire d’un roi, livre marocains pour une séance photo (expédiée en quelques minutes) –
d’entretiens entre le souverain et le journaliste Eric Laurent. lables), sans jamais se prêter au chérit fort justement Abdellah initié une démarche aux anti-
pour la première et dernière fois.
Je parle, donc je suis jeu risqué des questions-ré- Laroui dans Le Maroc et Has- podes de celle de son père :
Hassan II a parlé jusqu’à plus ponses en live, devant une camé- san II, un témoignage. toujours mutique, il a en re-
ssis sur le coin d’une ter à pieds joints dans le 21ème soif, à l’aise avec les médias, vanche, et très tôt, encouragé Alaouites, c’est le choc des ne permettait pas aux journa-
A
table, en 1961, Hassan siècle, prêt à faire une croix sur même quand il a fallu assumer la diffusion de photos person- photos sans le poids des mots ; listes marocains de lui poser
II, roi depuis quelques
mois, répond de maniè-
les années de plomb dans la
foulée de son jeune roi. Mo-
les casseroles des droits de
l’homme accumulées lors de
le m atch nelles habillé “cool”, taguia
sur la tête, à la pêche, à la
juste du “light” sur la vie de fa-
mille, les goûts artistiques des
des questions. Mohammed VI
perpétue cet héritage en n’ac-
re naturelle aux ques-
tions de journalistes français.
hammed VI renvoie alors une
image quasi conforme à celle
son règne. Mohammed VI, lui,
s’est très vite montré
oui… mais… chasse ou encore chevauchant
son jet-ski. Il a ainsi cassé
uns et des autres, etc.
Encouragée par la commu-
cordant aucun entretien à des
journalistes marocains – consi-
Ils sont curieux de savoir qui est de son père, quatre décennies avare de ses mots. Il l’image du “roi mythique” telle nication “people” internationa- dérés avant tout comme des su-
ce jeune homme de 32 ans, hé- plus tôt : celle d’un roi moderne, partait pourtant avec • Il parlait sans hésiter, et avec • Il biaisait et éludait les questions qu’incarnée par son père, en le autour de la famille royale, jets corsetés par leur devoir
ritier d’un royaume millénaire partisan de l’ouverture démo- une image extrême- aisance, aux médias étrangers. embarrassantes, les noyant dans des devenant abonné des pages la presse indépendante maro- d’allégeance. Le nouveau roi a
et indépendant depuis peu. cratique. “Hip, mod, charming” ment positive, vierge • Il émaillait ses discours références érudites. people de Paris Match. La fa- caine a tenté de pénétrer dans certes ouvert ses portes - une
Hassan II est élégant dans son (sympa, à la mode, charmant), de tous les dérapages d’improvisations en darija qui • Il n’hésitait pas à menacer son peuple, mille royale pluri-séculaire est la brèche. Mal lui en a pris. fois seulement - à deux maga-
costume gris dernier cri, sorte commente à son propos le ma- imputés à son père. Mais Mo- captivaient les Marocains. en direct à la télévision. ainsi devenue une royauté qui Lettres de menaces du proto- zines féminins marocains. Mais
de John Kennedy du Tiers- gazine américain Time, qui hammed VI a préféré se faire fait rêver, de celles que l’on cole royal, saisies et interdic- là encore, pas d’interview au
Monde, encore quasiment vier- réussit en juin 2000 à décro- discret, et communiquer par peut afficher en Une, à l’instar tions, procès pour raisons programme. Juste une séance
ge de toute atteinte aux droits cher la première interview du l’image plutôt que par la parole. • Il prend des bains de foule, • Ses discours télévisés, prononcés dans un des familles ré- détournées… les médias lo- photo expresse… et l’interdic-
de l’homme. 40 ans plus tard, à tout nouveau roi. Encore en Même les discours royaux télé- communiant avec les Marocains plus arabe classique châtié, restent impersonnels. gnantes d’Angleter- caux ont vite pris conscience tion de rapporter la moindre
son accession au trône, son état de grâce, communicatif. visés, figure obligée de tout mo- par le geste que par la parole. • Interviews, reportages intimistes re et de Monaco. que le Palais les tenait dans le parole prononcée par lui ou un
successeur est dans les mêmes Mais, si les débuts média- narque, semblent un exercice • Il a ouvert son intimité aux médias fouillés… il refuse aux médias marocains Mais à la différence même dédain qu’à l’époque de membre de sa famille pendant
starting-blocks. Il est à la tête tiques des deux rois sont pro- qu’il n’affectionne guère, se étrangers, démythifiant la famille royale. ce qu’il accorde aux médias étrangers. de ces dernières, Hassan II. Dans ses confé- cette même séance. Le cadenas
d’un royaume désireux de sau- metteurs, la suite montrera contentant de lire des textes ré- quand il s’agit des rences de presse, le roi défunt n’est pas près de sauter… I
76 TELQUEL 26 DÉCEMBRE 2009 AU 8 JANVIER 2010 TELQUEL 26 DÉCEMBRE 2009 AU 8 JANVIER 2010 77
LE MATCH
L’IMAM
Alors que Hassan II a utilisé … Mohammed VI l’a
la religion pour combattre employée pour justifier
la gauche et consolider tantôt les réformes,
son pouvoir…. tantôt l’immobilisme.
traditionnel de la bey’a (allé- nettoyer les écuries d’Augias et
DR
DR
geance). L’acte a ainsi été rédi- trouver l’équilibre adéquat entre
gé à la hâte par Abdelouahab la nécessaire modernisation de
Benmansour, l’historiographe la société marocaine et l’existen-
du royaume. Autre exemple : ce d’un fort courant conserva-
lors de la rédaction de la Consti- teur, dont le mouvement
tution de 1962, le fameux statut islamiste est le fer de lance.
d'Amir al Mouminine (Com-
mandeur des croyants) n’a été M6, réformateur religieux
ajouté qu’à la fin, et encore, à la Instruit par l’expérience de
demande de Allal El Fassi et Ab- son père, Mohammed VI a tout
delkrim Khatib. Pour les deux de suite compris l’intérêt de
nationalistes marocains, ce titre s’appuyer politiquement sur la
ne devait avoir qu’une portée religion. Dès son premier dis-
honorifique et marquer la natu- cours, le nouveau monarque se
re musulmane de l’Etat. Mais réfère à sa qualité de Com-
Hassan II ne tardera pas à en mandeur des croyants. Puis il y
faire un tout autre usage… a régulièrement recours pour
C’est ainsi que le roi, dans son justifier ses décisions. Les
bras de fer avec la gauche, pro- proches du roi assurent que
cède dès la fin des années 1970 à l’homme a pour intention de
une véritable opération de “tra- mener “une révolution tran-
ditionalisation” de l’enseigne- quille” au niveau du champ re-
ment, et par conséquent, de la ligieux marocain et qu’il
société marocaine. L’Etat se met dispose dans ce domaine d’une
ainsi à fermer successivement “vision progressiste”.
les facultés de philosophie et de C’est dans le registre des
sociologie, considérées comme droits de la femme que Moham-
des foyers de subversion et de med VI va engager pleinement
dates-clés dissidence, tout en ouvrant des
facultés d’études islamiques et
son statut religieux, pour impo-
ser la réforme de la Moudawa-
dates-clés
1962. Rédigée par Hassan II, la première Constitution du Maroc affirme de théologie. Comme le docteur na. Le 10 octobre 2003, dans son 1999. Deux femmes signent la bey’a (acte d’allégeance). Une première.
que le roi, “Commandeur des croyants”, “veille au respect de l’islam”. Frankenstein, qui crée un discours au parlement, Moha-
16 mai 2003. Attentats kamikazes à Casablanca. Bilan : 42 morts et
1974. Abdeslam Yassine envoie une lettre d’admonestation à Hassan II. des dizaines de blessés.
monstre qui se retournera med VI endosse ses habits de
Premier signe de contestation du pouvoir royal par les islamistes. 10 octobre 2003. Mohammed VI réforme la Moudawana, en procédant
contre lui, Hassan II a préparé, chef de la communauté reli- à une relecture moderne du Coran.
1981. Création du Conseil supérieur des ouléma. Hassan II réorganise
l’islam officiel pour contrer la gauche. seulement Mohammed VI par ce choix, le nid de l’islamis- gieuse pour faire passer la ré- les associations féministes, les 2004. Discours royal à Tétouan, considéré comme la “feuille de route”
1985. Le pape Jean-Paul II est invité par le roi du Maroc - qui se n’a pas cette prétention, me radical. Son successeur a forme phare de son règne. Les modernistes, et même les laïcs de la nouvelle politique religieuse.
positionne, du coup, comme son “alter ego musulman”. mais il n’a clairement pas le donc hérité d’une lourde tâche : militants des droits de l’homme, applaudissent à tout rompre 2009. Le Maroc rompt ses relations diplomatiques avec l’Iran en
1993. Inauguration de la mosquée Hassan II à Casablanca. même goût que son père cette réforme menée au nom invoquant “le prosélytisme chiite” de son ambassade à Rabat.
pour la chose religieuse. Il d’une lecture éclairée et libéra-
R oui… mais…
lais royal de Rabat. sé dans son exposé la version niennes. Alors qu’il aurait pu réforme et de la modernité ? (du dispositif) té la pierre angulaire de sa poli-
Hassan II, en jellaba la plus connue du hadith. Le leur accoler son Pas toujours. Mohammed VI a Mais pour les deux rois, le tique religieuse. Après les
blanche et tarbouche cheikh reconnaît la justesse de nom, il a conservé souvent rappelé sa qualité de Maroc a une spécificité religieu- attentats du 16 mai 2003, attri-
rouge, écoute attenti- la remarque du roi, et les deux l’intitulé officiel • Il a positionné le Maroc comme un modèle • Il fait de son statut de Commandeur Commandeur des croyants se fondée autour d’un triptyque : bués au salafisme jihadiste et au
vement le cheikh Youssef hommes s’engagent dans une des causeries “has- de tolérance et de modération religieuse. des croyants le fondement constitutionnel pour balayer les demandes de ascendance prophétique de wahhabisme, Mohammed VI ré-
Qardhaoui, invité du mo- discussion autour du sujet. saniennes”. Un • Il a bien “géré” les islamistes, qui n’ont d’un pouvoir sans limites. modernisation de la monar- l’imam, rite malékite et tradition affirme la place du malékisme
narque aux traditionnelles Cette histoire, que Youssef signe révélateur… jamais présenté de danger pendant • En utilisant les islamistes contre la gauche, chie et de rééquilibrage des soufie. Hassan II avait mis cette en tant que rite officiel de l’Etat
causeries religieuses télévisées Qardhaoui relate dans ses mé- son règne. il a fait le lit de l’intégrisme et du terrorisme. pouvoirs. Aux contempteurs de particularité au service de ses et replace le soufisme au cœur
du mois sacré. Le célèbre pré- moires, nous informe sur un Islam vs “péril rouge” l’archaïsme du baisemain et activités diplomatiques, et pour de la pratique religieuse offi-
dicateur égyptien explique le aspect assez méconnu de Has- Le début de règne de Hassan de la cérémonie de la bey’a, positionner le Maroc sur l’échi- cielle. Mais cette unité du rite
sens d’un hadith annonçant san II : son savoir religieux et II ne présageait pourtant pas • Il s’est laissé surprendre par les Mohammed VI op- quier international. En conviant affirmée s’oppose parfois au
• Il a réformé le droit des femmes grâce radicaux islamistes, avant de les
qu’au début de chaque siècle, son goût pour les discussions d’une telle importance donnée à à une lecture éclairée du Coran. pose le respect de la le pape Jean-Paul II à Casablan- discours officiel sur la liberté
Dieu envoie un grand réforma- théologiques. Le roi défunt se la religion officielle. Lors de son réprimer avec une férocité excessive. tradition musulma- ca en 1985, il s’est ainsi position- de culte et le pluralisme reli-
• Il a réhabilité le soufisme pour faire • Le soufisme, son nouveau credo, pourrait
teur qui donne à l’islam une considérait comme un alem intronisation en 1961, le succes- contrepoids à l’islamisme. ne, et se réclame de né, de facto, comme son alter gieux. La chasse au chiisme en
nouvelle vie. A la fin de la cau- (théologien) et tenait à le faire seur de Mohammed V n’a mê- se révéler une arme à double tranchant… la figure de l’imam ego musulman - damant le pion avril 2009 est un exemple fla-
serie, Hassan II fait remarquer savoir aux Marocains. Non me pas pensé à organiser le rite et du guide. à Khomeiny, au passage. Son hé- grant de cette contradiction. I
78 TELQUEL 26 DÉCEMBRE 2009 AU 8 JANVIER 2010 TELQUEL 26 DÉCEMBRE 2009 AU 8 JANVIER 2010 79
LE MATCH
LE BÂTISSEUR
Alors que Hassan II a initié … C’est sous Mohammed VI que
la politique des grands barrages, ces projets ont réellement vu le
des 200 000 logements et de jour, avec une cadence de réalisation
l’électrification du monde rural … jamais atteinte auparavant.
pérenniser son règne et lutter jusqu’au bout de ses pro-
MARADJI
DR
contre les “complots” et at- grammes ambitieux”, affirme
taques en tous genres. Les cet économiste. D’ailleurs, mê-
grands chantiers ne sont clai- me lorsqu’il décide de construi-
rement pas une priorité pour re une autoroute entre Rabat et
lui. Pire, quand il en lance un, Casablanca, cela prend plus de
ce n’est pas forcément sous dix ans et provoque la faillite
l’adhésion générale. Un ancien d’un fleuron marocain du bâti-
ministre de l’Agriculture ra- ment et travaux publics.
conte : “Lorsque Hassan II met
sur la table sa politique des bar- In GSM we trust
rages, il est critiqué par plu- Le dénouement de la situa-
sieurs pays voisins et même par tion aura finalement lieu en
certains leaders politiques lo- 1998 quand le Maroc reçoit l’un
caux. Quelques années et plu- des plus gros chèques de son
sieurs cycles de sécheresse plus histoire. Un milliard de dollars,
tard, le pari de Hassan II s’est fruit de la vente de la seconde
avéré être d’une clairvoyance licence de téléphonie mobile du
rare. L’expérience marocaine pays. Hassan II place l’argent
en la matière a même été ensei- dans un fonds d’investissement
gnée dans plusieurs universités qui porte son nom, et qui servi-
prestigieuses de par le monde”. ra à améliorer les infrastruc-
Au milieu des années 1980, tures publiques. Ce sera donc
le roi lance deux nouveaux là l’une des priorités du jeune
programmes restés mythiques : Mohammed VI. Très vite, le
le plan 200 000 logements et le nouveau monarque se met au
programme national pour travail et s’entoure d’une arma-
l’électrification du monde ru- da d’ingénieurs et de hauts
ral. Faute de bonnes volontés fonctionnaires de valeur. A la
ou de moyens, les deux pro- tête de ce bataillon, un éminent
grammes trébuchent et conseiller de son père : Abdela-
n’aboutissent réellement que ziz Meziane Belfqih. Les grands dates-clés
dates-clés sous Mohammed VI. “Hassan II
avait plusieurs laits sur le feu,
chantiers deviennent dès lors
une véritable politique d’Etat. A 2001. Lancement de la construction du barrage Hassan II à Midelt.
1979. Inauguration du barrage d’El Massira (région de Settat). avec une guerre ouverte avec le l’international, Mohammed VI 2004. Lancement de deux chantiers modèles : Tanger Med et la ville
1989. Création de la Société nationale des autoroutes du Maroc. Polisario, et une situation poli- n’hésite pas à jouer aux VRP de nouvelle de Tamansourt, près de Marrakech.
1992. Début des travaux de Sala Al Jadida. 2007. Agrandissement de l’aéroport Mohammed V de Casablanca.
tique au bord de l’implosion. luxe pour attirer les géants
1994. Lancement du plan 200 000 logements. 2008. Ouverture du tronçon autoroutier Casablanca - Marrakech.
1998. Un milliard de dollars pour la seconde licence GSM. litologue : “Il y a les barrages, Cela ne l’a pas aidé pour aller mondiaux du BTP. Depuis, tout va plus vite. Au-
2009. Accord pour un projet de TGV.
évidemment, mais pas seule- jourd’hui par exemple, le Ma-
ment. Lorsqu’on le surnomme le roc construit 160 kilomètres
i Mohammed V a été sonnellement de près. Des in- bâtisseur, on fait également ré- le m atch d’autoroutes par an, contre 40 verture sur l’Atlantique. Mo- grandes que Sala Al Jadida,
S
le “libérateur” et Has- frastructures, mais pas seule- férence à la mise en place des au début du règne de Moham- hammed VI déplace le projet inaugurée en grande pompe
san II le “rassembleur
et réunificateur” du
ment. Le nouveau roi ne ressent
par exemple aucune gêne à
institutions, de l’administration,
de tout ce qui fait un
oui… mais… med VI et moins de 10 kilo-
mètres sous Hassan II. Goûtez
en Méditerranée et en fait un
moyen de contrebalancer le
par son père.
Mohammed VI n’a pas peur
Maroc moderne, Mo- inaugurer une peu coûteuse Etat moderne. N’ou- la différence. Les routes rurales succès économique de Sebta des projets pharaoniques.
hammed VI devait théorique- “maison de l’étudiante” ou un blions pas qu’il a pris • Il a couvert le Maroc de • Beaucoup de ses ambitions n’ont avancent pratiquement à la et de Melilia, tout en dopant Hassan II a construit la gran-
ment se trouver une “nouvelle petit centre de formation pro- les rênes alors que le barrages qui, même décriés, pas été réalisées, à cause de limites même cadence. l’économie du Nord, région de mosquée qui porte son
niche” pour marquer, voire fessionnelle. “La bâtisse n’est pays n’était indépen- se sont avérés nécessaires. budgétaires et de priorités politiques. hier honnie par Hassan II. Le nom ? Mohammed VI fait
marqueter son règne. Il sera le qu’un prétexte, mais de tels bâ- dant que depuis six • Il a pensé plusieurs projets • Ses idées étaient bonnes, mais L’un pense, l’autre réalise port a d’ailleurs à peine dé- pousser des marinas un peu
roi “démocrate et solidaire”. timents peuvent changer toute ans et que tout restait à faire”. d’infrastructure de base pour le Maroc. budgétairement, très mal ficelées. Le même schéma (initiation marré son activité qu’une ex- partout dans le pays, met du
Mais en réalité, c’est dans un une vie”, assure un respon- par Hassan II, concrétisation tension, dite Tanger Med 2, foncier à disposition des plus
autre registre, moins contes- sable de la Fondation Moham- Un royaume à construire par Mohammed VI) se repro- est déjà en chantier. Quant au grands promoteurs immobi-
table que celui-là, que le fils a med V pour la solidarité. Au départ, c’est vrai, le pays • Il a transformé le Maroc en un • La crise internationale fait planer de duit avec le port de fameux plan des 200 000 loge- liers du monde et participe à
dépassé le père : celui du “bâ- Mais alors, qu’a donc bâti manquait de tout, et surtout de chantier à ciel ouvert. sérieux doutes quant à l’aboutissement Tanger Med. Initia- ments (toujours pas atteints), l’émergence de champions
tisseur”. Dès ses premières Hassan II si l’essentiel de l’in- ressources, de compétences et • Il n’hésite pas à multiplier les de plusieurs grands chantiers. lement pensé par Mohammed VI le remplacera nationaux qui rivalisent
années de règne, Mohammed frastructure et des grands tra- de stabilité. Pendant les an- “descentes” sur le terrain et à • Son action fait de l’ombre à celle l’ancien roi, il de- par un concept beaucoup plus d’ambition. Résultat, en 10
VI fait le tour du pays et y lan- vaux a été réalisé sous son nées 1960 et 1970, Hassan II réorienter les projets mal engagés. du gouvernement. vait offrir au Maroc audacieux : celui des villes ans : un Maroc économique-
ce des projets qu’il suit per- successeur ? Réponse d’un po- concentre tous ses efforts pour une nouvelle ou- nouvelles, six à sept fois plus ment métamorphosé. I
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LE MATCH
LE BUSINESSMAN
Alors que Hassan II … Mohammed VI, qui a la fibre
n’a accumulé les économique, a consolidé son
richesses que pour asseoir héritage jusqu’à devenir le
sa domination politique … premier entrepreneur du royaume.
(mais avec 13% seulement de dustrie”, écrit ainsi le grand prises royales, se diversifie, se chés colossaux se succèdent,
DR
DR
son capital), avait, tout comme sociologue Paul Pascon dans modernise et investit la plu- et les grands groupes étran-
Mohammed VI aujourd’hui, son livre Le Haouz et Marrake- part des secteurs-clés de gers ne sont pas les derniers à
ses hommes de confiance. Il y ch. Le pays se transforme en l’économie nationale. prendre leur part du gâteau.
avait bien évidemment Ahmed une énorme vache à lait ex- En 10 ans, de grandes opéra-
Réda Guédira, dont le détail de ploitée par les hommes forts Real economic tions de privatisation et d’in-
la fortune personnelle a du régime, avec la bénédiction A son accession au trône, en troduction en Bourse sont
nourri la chronique judiciai- du monarque – en échange, 1999, Mohammed VI hérite de menées (Maroc Telecom, Ad-
re du pays après sa mort. Il y bien entendu, d’une allégean- finances publiques en piteux doha…) au ravissement d’une
avait surtout les frères Frej, ce totale et inconditionnelle. état, d’une bourgeoisie d’af- place boursière qui voit sa ca-
l’un secrétaire particulier et Pendant les années 1970, des faires traumatisée par la pitalisation multipliée par 4.
l’autre chambellan du roi, fortunes colossales sont ainsi “campagne d’assainissement” Sur le plan macro-écono-
mais surtout chargés de la amassées par un petit cercle de de sinistre mémoire de mique, le Maroc retrouve des
gestion de sa fortune. privilégiés, alors que l’écono- 1995/96… et d’un holding fa- couleurs, de moins en moins
mie du pays va, lentement milial, Siger (anagramme de liées aux aléas des saisons
Réflexe de survie mais sûrement, vers l’apo- Régis, roi en latin), qui tient agricoles. En 2006, et pour la
Mais tout cela ne se fera que plexie. La Banque Mondiale et plus de la caisse noire que du première fois depuis des di-
sur le tard, car au début de son le FMI obligent alors le Maroc holding structuré. Le jeune roi zaines d’années, le pays enre-
règne, le jeune Hassan II avait à adopter une politique d’ajus- va agir simultanément sur ces gistre un excédent budgétaire.
d’autres chats à fouetter. En tement structurel, menée trois fronts, non sans succès. Mais en même temps, et dès
1965, quatre ans après son in- tambour battant durant les Dès la nomination de Driss le début
tronisation, Casablanca se années 1980. Les grands Jettou à la primature, un vaste
soulève. Désormais, le main- équilibres sont retrouvés non programme de “nettoyage” des
tien du trône prime sur tout le sans mal, mais pendant ce établissements financiers pu-
reste. Les deux coups d’Etat temps-là, des milliards d’ar- blics est mis en œuvre. Cela
ratés du début des années gent public continuent à être prendra du temps, mais au ter- intérêts privés du
1970 ne font que renforcer cet- dilapidés – toujours par souci, me du mandat Jettou, l’opéra- roi. Moins d’un an après son in-
te priorité. Pour la monarchie, pour la monarchie, de fidéli- tion est un indéniable succès. tronisation, Mohammed VI
politiquement fragilisée, il de- ser sa clientèle d’élites. A Aux entrepreneurs du royau- nomme au poste de PDG de Si-
vient impératif d’engranger le coups de faveurs et de crédits me, le roi annonce parallèle- ger, son nouveau secrétaire
maximum de soutiens, notam- sans garanties, des établisse- ment son intention, non particulier, Mounir Majidi, qui
ment auprès de la grande ments financiers publics seulement d’améliorer l’envi- s’entoure d’une poignée de
bourgeoisie. Le 4 août 1971, comme le CIH, le Crédit Agri- ronnement des affaires, mais quadras bardés de diplômes. Ce
moins d’un mois après le coup cole, la BNDE ou encore la de booster l’économie par un sera le point de départ d’une
d’Etat manqué de Skhirat, Banque Populaire creusent programme de “visions” d’ave- décennie d’expansion fulgu-
Hassan II annonce dans un des trous financiers farami- nir, déclinées en autant de rante de la fortune royale. Et
discours à la nation le début neux. Pendant ce temps-là, grands chantiers d’une am- gare à ceux qui prétendraient
de la “marocanisation” des
terres agricoles, jusque-là
l’ONA, tête de pont des entre- pleur sans précédent. Les mar- faire concurrence aux hommes
d’affaires de Sa Majesté ! Neuf dates-clés
dates-clés laissées en exploitation aux
anciens colons français. Offi- le m atch
ans après avoir essayé, Othman
Benjelloun panse encore ses
2000. Mounir Majidi nommé secrétaire particulier du roi, puis PDG de Siger.
2000. Vivendi acquiert 35% de Maroc Telecom pour 23, 3 milliards
1971. Début de la marocanisation des terres de colons, offertes ciellement, le peuple maro- plaies. Maîtres incontestés du de DH. C’est le plus gros chèque jamais encaissé par le royaume.
pour la plupart à des courtisans. 2003. Siger verrouille son contrôle sur l’ONA et la SNI.
1973. Marocanisation du secteur privé et commercial,
cain récupère enfin ses
richesses. Dans la
oui… mais… capitalisme marocain, Majidi et
ses hommes créent la plus Les dividendes royaux quadruplent.
notamment des banques. 2003. La fusion de la BCM et de Wafabank accouche de la plus
réalité, les dizaines grosse banque privée du pays
1995/96. Campagne d’assainissement dans les milieux • Il a orienté l’économie vers le libéralisme, • Il a installé les bases d’une grande banque privée du pays - sous contrôle de l’ONA.
d’affaires menée par Driss Basri. de milliers d’hec- (Attijariwafa), raffermissent
tares concernés par lui épargnant les affres du socialisme d’Etat. économie de rente anti-sociale leur monopole ou leur domina-
2005. L’ONA crée Wana et se lance dans la téléphonie,
1999. Cession de la 2ème licence GSM pour un milliard de dollars. secteur le plus rentable du pays.
ces transferts mas- • Son orientation agricole du pays l’a et contre-productive. tion sur des marchés de pre-
sifs de propriétés al- démarqué des expériences d’industriali- • L’industrie, le commerce et les mière nécessité (sucre et
n 1992, Moumen Douiri francs français (près de 15 mil- laient revenir au petit cercle sation calamiteuses des pays arabes. services sombrent sous son règne. laitages) et investissent dans à tion boursière, et pas moins se positionne clairement com-
E
publie en France un livre liards de dirhams à l’époque), des familles proches du sérail. peu près tous les secteurs ren- de 6% du PIB du pays !! me un acteur économique pri-
qui fait grincer beaucoup la famille royale contrôlait déjà “Gouverneurs, pachas, super- tables du pays : énergie, immo- Avec tout cela, on est loin de vé qui cherche, à l’instar de
de dents. A qui appartient les secteurs-clés de l’économie caïds ; mais mieux encore, gé- • Il a stabilisé les agrégats • Il a créé un mastodonte économique bilier, téléphonie… la conception hassanienne, se- tous les autres, à maximiser
le Maroc ? s’interroge marocaine : agriculture, néraux, colonels, ministres et macro-économiques du pays. qui domine le grand capitalistisme marocain. Aujourd’hui, Siger, lon laquelle l’argent n’avait ses richesses - quitte à s’aliéner
l’opposant à Hassan II en ten- pêches, agroalimentaire, princes ont acquis l’essentiel des • Ses “visions” d’avenir et ses grands • L’appétit sans limites de ses hommes de loin le premier d’intérêt que dans la mesure la bourgeoisie d’affaires, qui
tant de dresser l’inventaire des mines, services financiers. fermes coloniales ou ont pris chantiers font tourner l’économie et d’affaires suscite l’hostilité des holding privé du où il servait à raffermir le pou- supporte de moins en moins
bien royaux. Avec une fortune Pour gérer sa fortune, Hassan des participations dans des so- créent des milliers d’emplois. entrepreneurs nationaux. Maroc, représente le voir royal en entretenant sa les appétits gargantuesques
estimée à 10 milliards de II, qui contrôlait déjà l’ONA ciétés anonymes de l’agro-in- tiers de la capitalisa- clientèle. Mohammed VI, lui, d’un tel compétiteur… I
82 TELQUEL 26 DÉCEMBRE 2009 AU 8 JANVIER 2010 TELQUEL 26 DÉCEMBRE 2009 AU 8 JANVIER 2010 83
LE MATCH
L’AMI
Alors que Hassan II … Mohammed VI concilie son
considérait l’amitié statut de chef d’Etat et ses
comme une faiblesse affinités personnelles, au
interdite pour un roi absolu… risque du mélange des genres.
Hassan II ou le ses culottes courtes au collège
TIME - LIFE
DR
voyage en solitaire royal avec des “potes” aux-
Une fois souverain, vieilli quels il a fait appel une fois
trop vite sous le harnais des roi, comme pour se rassurer.
luttes de pouvoir, Hassan II En dix ans de règne, il a placé
découvre une vérité vieille une bonne partie de ses
comme le monde : un roi ne condisciples dans l’appareil
peut pas avoir d’amis car le d’Etat. Exemple le plus mar-
pouvoir suprême est un exer- quant, Fouad Ali El Himma,
cice solitaire. Quant aux proche entre les proches, a été
autres, ceux qui ont côtoyé ministre délégué à l’Intérieur,
Hassan II avec une stature avant de se lancer en politique
d’homme d’Etat, à l’instar de en créant le PAM, un parti qui
Ahmed Réda Guédira, le roi se doit sans doute son succès mé-
contentait de leur tendre une téorique à l’image d’“ami du
Ahmed Réda oreille, sans apprécier pour roi” de son fondateur.
Ghédira, conseiller
de Hassan II, mais autant qu’ils se fassent trop
pas plus. critiques. “Bien qu’il eût affir- M6, ami mais avant tout roi Fouad Ali El
Himma, ami et
mé à plusieurs reprises qu’il Il n’en demeure pas moins vecteur politique
n’avait pas besoin de “voix de que Mohammed VI, contraire- de Mohammed VI.
son maître”, il ne se sentait à ment à son père, a un “sens de
l’aise que parmi les techniciens, l’amitié fort et durable”, confie
ceux qui se contentaient de l’un de ses proches, lecteur
trouver des solutions aux pro- privilégié de la psychologie
blèmes qu’il leur posait”, ana- du souverain. Sauf qu’entre-
lyse avec pertinence Abdellah temps, l’ami est devenu chef
Laroui dans Le Maroc et Has- d’Etat : “Quand je suis monté
san II. Au fond, c’est là toute la sur le trône, j’ai dit à mon frè-
différence entre Hassan II et re : si je change, préviens-moi.
son fils. L’un n’avait plus au- Il y a quelques temps, je lui ai
cune confiance en son entou- demandé si j’avais changé. Il dates-clés
rage, dépourvu d’amis m’a répondu oui, un petit peu 1973. Le prince héritier intègre le collège royal où il rencontre Fouad
d’enfance à l’exception de Ah- (…) Au début, je pensais que Ali El Himma, Yassine Mansouri, Hassan Aourid et les autres.
dates-clés med Osman, son condisciple
au collège royal, son coloca-
je resterais le même. Mais le
pouvoir change un homme et
1980. Toute la promotion de Mohammed VI redouble sa terminale
avec le prince, sur ordre de Hassan II. Un an plus tard, la plupart
1958. Hassan II devient compagnon d’armes du général Oufkir lors coups ensemble. Hassan II a taire lors de leurs études en je ne fais pas exception”, te mue, inévitable pour un s’inscriront à l’Université Mohammed V de Rabat, pour “tenir
du soulèvement du Rif. Ils étaient déjà compagnons de loisirs. confié avant le coup d’État avorté France, et son futur beau-frè- confiait Mohammed VI au Fi- puissant, le roi n’en est pas compagnie” au futur roi.
1963. Ahmed Réda Guédira, conseiller le plus proche de Hassan II, et d’Oufkir : “Nous passâmes, lui re. Son fils, a contrario, a usé garo en septembre 2004. Cet- “coupable”. Par contre, il est 1999. El Himma est nommé secrétaire d’Etat à l’Intérieur.
le plus écouté par lui, crée le FDIC pour contrer l'hégémonie de l’Istiqlal. jeune officier, moi célibataire, des responsable d’avoir perpétué Il deviendra le n°2 officieux du régime.
1967. Le général Oufkir est nommé ministre de l’Intérieur. années agréables”, rapporte Ste- le cordon ombilical entre 2005. Mohammed VI confie la DGED (contre-espionnage) à Mansouri.
1972. Ayant trahi son roi et compagnon, Oufkir meurt “suicidé”.
A partir de là, Hassan II n’aura plus aucun ami proche. phen Smith dans sa biographie
du général putschiste. Niant les
le m atch sphère privée et sphère pu-
blique. Si bien qu’aujourd’hui,
2009. Aourid est nommé historiographe du royaume, hagiographe
de Mohammed VI.
“M
dez moi de coup d’État de 1972, reniant mê- moire l’époque où le de classe est au cœur du fonc- meilleurs sentiments, ils d’adolescence du prince héri-
mes amis. me sa proximité avec son mi- “serviteur de son pè- tionnement du régime… tout acceptent de bon cœur leur tier, chargé de faire fructifier
• Il a assumé la solitude inhérente • Il a fait le vide autour de lui,
Quant à mes nistre de l’Intérieur. Dans ses re” pouvait pénétrer en restant - et c’est là où le retour en grâce, sans com- sa fortune, et l’ami d’enfance,
au pouvoir, ne laissant pas ses personne n’osant remettre en
ennemis, je confessions recueillies par Eric son intimité sans se mélange des genres intervient mentaires superflus. Une vecteur politique du roi, les
affinités personnelles lui dicter cause ses choix - même ceux qui
m’en charge !”, a écrit Voltaire. Laurent, il évacue le général en faire annoncer, gar- - une affaire éminemment pri- situation inédite et pas forcé- bisbilles se multiplient et sont
sa conduite politique. étaient contestables.
Même s’il ne partageait pas les parlant de lui comme d’un “servi- der ses lunettes de soleil assis vée. Quand le roi est de mau- ment saine, à équidistance nuisibles à la marche du
idées du philosophe des Lu- teur” qu’il a hérité de son père, un en face de lui, partager les vaise humeur, ses proches entre l’amitié, la courtisane- pays. Comme coincé entre
mières, Hassan II aurait pu faire simple employé qui a commis mêmes sorties et les mêmes collaborateurs et amis d’en- rie… et les intérêts supérieurs les deux, Mohammed VI
sien son adage, à force de cumu- une faute professionnelle. “Je loisirs… “C’était alors un héri- • Il entretient la confusion entre son cercle fance doivent sup- de la nation. En coulisses, les semble s’être fait une raison.
• Il est fidèle en amitié. privé et la sphère de la décision publique.
ler les “infidélités amicales”. A ce n’ai eu aucune relation personnel- tier plein d’espoir, que les frac- • Ses colères contre ses amis porter ses colères amis du roi se battent avec fé- Conscient d’une réalité que
titre, la trahison du général Ouf- le avec lui”. Un mensonge d’Etat tures politiques n’avaient pas • Ses grâces et disgrâces sont le seul (homériques, dit- rocité pour avoir ses faveurs, son père avait découverte
sont toujours limitées vrai baromètre de la vie politique
kir est sans aucun doute celle qui parmi tant d’autres car, dans leur encore aigri”, écrit dans ses dans le temps. on) sans broncher. à l’image d’un Mounir Majidi avant lui, à savoir que le chef
l’a le plus marqué. Profondé- jeunesse, le futur roi et le futur mémoires Malika Oufkir, la et économique nationale. Et, enjeux de pou- et d’un Fouad Ali El Himma, d’Etat prime toujours sur le
ment blessé, Hassan II s’est fer- général avaient bien fait les 400 fille du général. voir obligent, dès depuis longtemps ennemis “pote” ? A voir… I
84 TELQUEL 26 DÉCEMBRE 2009 AU 8 JANVIER 2010 TELQUEL 26 DÉCEMBRE 2009 AU 8 JANVIER 2010 85
LE MATCH
LE FILS
Alors que Hassan II a été … Mohammed VI a longtemps vécu
un roi avant l’heure, régnant à l’ombre d’un père à l’autorité
aux côtés de son père et lui étouffante. Cela a-t-il changé sa
faisant parfois de l’ombre... vision du métier de roi ?
Mohammed VI avec son père se connaître. D’abord à l’occa-
AFP
AFP
n’ont pas toujours été évidentes”, sion de la lutte pour l’indépen-
analyse notre politologue. Les dance, durant laquelle Moulay
deux monarques (Hassan II et Hassan était chargé des rela-
Mohammed VI) continueront tions avec le Mouvement natio-
pourtant à vouer une réelle fas- nal ; puis durant l’exil à
cination à leurs géniteurs. Madagascar de la famille roya-
le, pendant lequel il a été le
Un roi avant l’heure premier confident du sultan dé-
Malgré toutes ces similitudes, chu. Ce n’est pas un hasard si la
Mohammed VI et Hassan II ont littérature officielle lui attribue,
eu des trajectoires diamétrale- d’ailleurs, le surnom de “com-
ment opposées à l’ombre de pagnon de la libération”.
leurs pères respectifs. Si Sidi Durant les premières années
Mohammed a longtemps été te- de l’indépendance, Moulay Has-
nu par son père à l’écart de la san, prince héritier depuis 1957,
gestion effective des affaires a tellement de pouvoir qu’il de-
courantes, Moulay Hassan a vient l’ennemi déclaré des lea-
carrément joué le rôle de vice- ders historiques du Mouvement
roi, surtout lors des dernières national. Méticuleusement or-
années de Mohammed V. ganisé, il monte une “garde” fai-
En 1956, alors que le Maroc te de jeunes fidèles comme
n’est indépendant que depuis Ahmed Réda Guédira, supervise
quelques mois, Mohammed V la création des FAR en 1956 et en
gouverne un pays qui reste à devient le premier chef. La mort
construire. A ses côtés, un prin- subite de Mohammed V, en 1961,
ce héritier frêle et élégant. Sans le propulse au devant de la scè-
en avoir le titre, ce dernier est, ne. Mais il est préparé. Mieux, il
déjà, le premier conseiller de est prêt à aller de l’avant, et à en
dates-clés
son père. “Il n’hésitait pas à dé-
fendre ardemment ses positions.
découdre au besoin.
dates-clés
Et Mohammed V étudiait tou- Apprentissage sous contrôle 1974. Sidi Mohammed représente son père aux obsèques de
1953. Déportation de la famille royale en Corse, puis à Madagascar. jours ses recommandations Deux ans après son accession Georges Pompidou.
1957. Moulay Hassan devient prince héritier. premiers mois, vu les tensions avant de trancher”, écrit Abdel- au trône, Hassan II a un premier compagnons du prince héri- 1993. Doctorat en droit en France.
1959. Le prince héritier échappe à un présumé “complot” visant qui tiraillaient le pays”. Il rè- hadi Boutaleb dans ses mé- garçon : Sidi Mohammed, futur tier au collège royal sont, eux 1994. Promu général de division.
à attenter à sa vie. 1998. Encore prince héritier, il lance sa campagne de “solidarité
gnera finalement 38 ans pen- moires. C’est qu’au fil des roi du Maroc. L’encadrement de aussi, choisis selon de stricts
1960. Devient vice-Premier ministre. avec les démunis”.
1961. Hassan II devient roi après le décès de son père. dant lesquels il a été un années et des épreuves, les ce dernier est confié à des édu- critères d’excellence. “La com-
monarque absolu, le “père de deux hommes ont bien appris à catrices triées sur le volet. Les paraison entre les deux rois est 1999. Mohammed VI devient roi après le décès de son père.
tous les Marocains”. tronquée. Le destin de Sidi Mo-
a relation d’un roi à son son père. Y cherchait-il un quel- Pendant les premiers mois de hammed a été entièrement déci- 1994”, fait remarquer un militai- dès 1998, il lance, encore prince
le m atch
L
père n’est jamais anodi- conque réconfort ? En profi- son règne, Mohammed VI joue- dé par son père. Ce qui n’était re. Le prince héritier est visible- héritier, la fameuse campagne
ne. Au lendemain des fu- tait-il pour solder des comptes ra quant à lui la rupture totale - pas tout à fait le cas pour Moulay ment différent de son père. Ses de “solidarité avec les démunis”.
nérailles de Mohammed
V, Hassan II avait par
avec un père qu’on disait sévè-
re et autoritaire ? Personne ne
du moins au niveau de l’image.
Lui est plus proche
oui… mais… Hassan avec Mohammed V”,
analyse un observateur.
goûts sont plus populaires, son
style plus décontracté. Il souffre
Quelques semaines après son
intronisation, une blague popu-
exemple affirmé avoir “enterré le saura jamais. Une chose de son peuple, moins Hassan II a choisi, pour son en silence à l’ombre de Hassan II laire s’est très vite répandue, ré-
trois personnes : le roi du Maroc, reste sûre : succéder à Hassan regardant sur le pro- • En exil avec son père, il a acquis une • Bras droit de son père après l’indépen- fils, d’y aller lentement, gra- et sème régulièrement sa garde sumant toute la philosophie de la
le père … et le prince héritier”. Un II est loin d’être une sinécure. tocole, sensible à la expérience politique certaine lors de dance, il ne tarde pas à le supplanter. duellement. Sidi Mohammed rapprochée pour pouvoir “souf- transition, la désormais fameuse
règne plus tard, Mohammed VI “Mais attention, prévient ce souffrance des plus la lutte pour l’indépendance. • Alors que Mohammed V joue les représente son père à certaines fler”. A cette époque, ses diffé- “rupture dans la continuité” : ar-
apparaissait à la télévision, les politologue, il ne faut pas avoir démunis. Un peu • Devenu roi, il rétablit très vite le pou- équilibres démocratiques, son fils traite cérémonies officielles, fait le rents avec son père ne sont un rivé à un carrefour, le chauffeur
yeux encore rouges de larmes, la mémoire courte. Hassan II a, comme son grand-père, dont il voir jusque là branlant de la monarchie. les politiques comme ses ennemis. tour du monde en compagnie secret pour personne. demand e à M o h a m m e d V I
pour faire part aux Marocains lui aussi, eu à gérer une succes- donne le nom à sa fondation de ses hommes liges. “Même En fait, le futur Mohammed VI quelle direction prendre. “Quel
du décès de son père. En privé, sion difficile. Après l’indépen- pour la solidarité. “S’identifier sur le plan militaire, Hassan II y n’hérite de ses véritables chemin prenait mon père ?”, ré-
le nouveau monarque se rend dance, Mohammed V avait au grand-père de la nation, sur- • Prince héritier, il a suivi les • Il a attendu son heure dans l’ombre de est allé doucement. grandes missions qu’à la fin des pond le jeune roi. “Il tournait à
régulièrement, pendant les accédé au rang de héros de la tout pendant ces premières an- négociations secrètes avec le Polisario. son père. Du coup, il était mal préparé. Sidi Mohammed a années 1990. Il reçoit par gauche, Majesté”, rétorque le
deux premiers mois suivant la libération. Et à seulement 32 nées de règne, a été bénéfique. Il y • Tout en s’inscrivant dans la • Malgré le courageux processus d’apure- d’abord été coordi- exemple des leaders du Polisario chauffeur. Hésitation, puis dé-
mort de Hassan II, au mausolée ans, plusieurs observateurs ju- a plus d’unanimité autour de continuité de son père, il a opéré ment des années de plomb de son père, il nateur des FAR, pour des négociations secrètes cision de Mohammed VI : “Met-
Mohammed V pour se recueillir raient que le jeune monarque Mohammed V. Et puis, comme une nette distinction sur la forme. n’a pas présenté d’excuses aux victimes. avant de devenir autour du Sahara (mais dûment tez le clignotant à droite et
discrètement sur la tombe de ne passerait pas le cap des six pour Hassan II, les relations de général de division en chapeauté par Driss Basri). Et, prenez à gauche”… I
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LE MATCH
LE CHEF DE FAMILLE
Alors que Hassan II était un … Mohammed VI ne rechigne pas à
patriarche qui gérait son clan dans médiatiser sa famille, notamment
la discrétion et se réservait l’exclusivité sa femme, qui joue un vrai rôle
des apparitions publiques… dans l’image de la royauté.
que comme de simples Dans tous les cas, Moham-
DR
PARIS MATCH
hommes, maris et pères de med VI semble plus enclin que
famille. Cela a changé du tout son père à faire bénéficier
au tout aujourd’hui. son épouse de son royal
rayonnement. Comme lors-
Et Dieu créa Lalla Salma qu’il autorise certains maga-
En prenant pour épouse zines étrangers à pénétrer
une femme instruite, diplô- l’intimité de son couple, pho-
mée en ingénierie et issue to-reportages à l’appui. Mais il
d’une famille ancienne mais est fidèle à son père sur au
désargentée, Mohammed VI a moins un point : sa mère, Lal-
sérieusement modifié les la Latifa, est encore un per-
codes de l’organigramme et sonnage inconnu du grand
du protocole des Alaouites. Là public, toujours dans l’ombre
où son père et son grand-père de son défunt époux, et désor-
avaient fait de leurs mariages mais dans celle de son fils.
le moyen de sceller des al-
liances traditionnelles, Mo- Pater familias
hammed VI s’est choisi une Mohammed VI, comme Has-
épouse moderne, élégante san II, sont par contre des
ambassadrice du nouveau pères très diserts sur leur pro-
règne. Mais le Maroc n’est pas géniture. Dans son livre de
la Jordanie, et Salma n’est pas mémoires Le Défi, le défunt
Rania : si elle a le statut officiel monarque s’est fendu de tout
et convoité de princesse, elle un chapitre sur l’éducation. Il
n’est ni reine, ni mentionnée en ressort qu’il a été l’adepte
dans le classement des 100 assidu d’une éducation à la du-
femmes les plus influentes re, allant jusqu’à justifier les
réalisé chaque année par le châtiments corporels pour ses
magazine Forbes. Qu’à cela ne enfants. Divers observateurs
tienne, notre First lady natio- de la monarchie se sont
dates-clés nale préside une Association de d’ailleurs faits l’écho des bri-
1963. Naissance de Sidi Mohammed, premier fils de Hassan II.
lutte contre le cancer, et joue le
rôle d’ambassadrice de bonne
mades dont a pu être victime le
futur roi. Mais un proche du
dates-clés
La continuité de la dynastie alaouite est assurée. toujours très discret, très volonté pour le compte de l’Or- sérail tempère : “Ça se passait le en plus. Le petit-déjeuner était 1999. Dès son accession au trône, Mohammed VI se brouille
1964. Naissance de Moulay Hicham, fils de Moulay Abdellah “protecteur” envers son ganisation mondiale de la san- exactement comme dans toutes le moment privilégié de la fa- avec son cousin Moulay Hicham.
et neveu de Hassan II. épouse, Lalla Abla. A cette té. Des fonctions qu’elle prend les familles marocaines, avec mille royale. On y voyait par- 2002. Mariage avec Salma Bennani. Pour la première fois,
1967. Smiyet Sidi entre à l’école princière, avant d’intégrer l’épouse du roi prend le titre de princesse.
démarche conservatrice des d’ailleurs très au sérieux. sans doute une dose de protoco- fois Hassan II réprimander ses
plus tard le collège royal. 2003. Naissance de Moulay Hassan, prince héritier.
1970. Naissance de Moulay Rachid, second fils de Hassan II. deux premiers rois du Maroc fils pour leurs résultats sco-
2007. Naissance de Lalla Khadija, deuxième enfant du roi.
indépendant, il faut tout de laires ou pour des broutilles”.
1983. Mort de Moulay Abdellah, frère cadet de Hassan II.
même ajouter un élément
important : du temps de
le m atch Et aujourd’hui, qu’est-ce qui a
changé ? “Sous Mohammed VI,
2009. Mariage de Moulay Ismaïl, cousin du roi.
u soir de sa vie, Hassan informations, rien de plus. Ce Hassan II, et plus encore sous
oui… mais… l’ambiance est plus détendue. Le cun membre de la famille ré- narchique, il est bien le seul,
A
II était dépeint comme n’est évidemment pas un ha- Mohammed V, roi insiste par exemple pour gnante contester son autorité parmi les descendants de Mo-
un authentique pa- sard. Hassan II a toujours pris la presse people que le prince Moulay Hassan ou ses choix. Moulay Abdel- hammed V, à prétendre à une
triarche. En plus le parti de très peu mettre en n’avait pas les • Dès son plus jeune âge, • Il a été particulièrement sévère fasse la bise aux hôtes du Pa- lah, son cadet de six ans, n’a existence politique hors de
d’être, selon la termi- scène l’intimité de sa vie de moyens d’investi- il s’est affirmé comme le chef et autoritaire avec sa famille, et lais”, poursuit notre source. jamais montré de goût parti- l’ombre tutélaire du roi. Heu-
nologie officielle, le “père de famille. Il était en quelque gations dont elle de sa fratrie. surtout ses enfants. Mais le roi n’est pas qu’un culier pour la chose publique. reusement, Mohammed VI
tous les Marocains”, il était sorte la vitrine et le porte-pa- peut se targuer au- • Il est resté discret et pudique • Il a maintenu la mère des princes père, il est également le chef Prince réputé fêtard et géné- peut compter sur son frère,
aussi, bien entendu, le père de role, le seul, de tout son petit jourd’hui. En d’autres termes, sur sa vie de famille. dans une totale invisibilité. de file de tout un clan, l’ordon- reux, il n’a de fait jamais été Moulay Rachid, qui ne re-
cinq enfants…et de deux ne- monde. Son épouse, Lalla La- si la vie familiale de Hassan II nateur des affaires de la famil- associé au pouvoir par son chigne pas à représenter le
veux et une nièce, enfants de tifa, dont le public n’a jamais ou Mohammed V n’intéres- le alaouite. Et de ce point de frère. A l’opposé, Mohammed roi aux mariages et décès qui
Moulay Abdellah, élevés vu le visage, est ainsi restée sait pas trop les médias, c’est • Il a accordé à son épouse un rôle • La mésentente entre Mohammed VI et vue, Hassan II a eu VI a dû gérer un cousin font aussi la vie d’une famil-
comme s’ils étaient les siens. cantonnée dans son statut de qu’elle n’intéressait pas les institutionnel, donnant ainsi une Moulay Hicham n’est pas près de prendre fin. la tâche plutôt faci- quelque peu encombrant, le, ou encore sur Moulay Is-
Sur la vie de famille de tout ce “mère des princes”. En ce foules non plus. Les deux image plus moderne de la monarchie. • Une tante maternelle du roi a défrayé le. Très tôt désigné Moulay Hicham, d’un an son maïl (28 ans), dont le récent
petit monde, jamais rien n’a sens, Hassan II n’a pas rompu premiers rois du Maroc indé- • Chef de famille, l’entente avec son la chronique en se croyant au-dessus prince héritier, il a cadet. Surnommé le prince mariage a été un moment de
filtré. Des rumeurs, des avec les habitudes de son pè- pendant étaient davantage frère et ses sœurs semble parfaite. des lois, sans être sanctionnée. vite appris le métier rouge en raison de ses cri- communion de toute la fa-
bruits de couloir, des demi- re, Mohammed V, lui aussi perçus comme des divinités de roi et n’a vu au- tiques envers le système mo- mille… ou presque. I
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LE MATCH
LE SPORTIF
Alors que Hassan II surexposait à … Mohammed VI est passionné par
la télévision sa passion pour le golf, le jet-ski, sport tout aussi élitiste
sport élitiste, et utilisait le football que le golf, mais délègue la gestion
comme outil pour gouverner… du ballon rond aux spécialistes.
sique. Un monde de différence… nationale relève des mes préro-
DR
DR
Le père et le fils se rejoignent gatives. C’est mon jardin secret”,
tout de même sur un point : le a-t-il un jour déclaré. Comme
sport, cela se pratique toujours à certains ministères, le choix du
domicile. C’est ainsi que Mo- sélectionneur des Lions de l’At-
hammed VI a équipé ses palais las a toujours relevé, sous Has-
de salles de musculation, tandis san II, de sa “souveraineté”
que Hassan II y implantait de personnelle. Le roi défunt s’est
luxueux parcours de golf. Pour le ainsi mêlé de la composition des
reste, à savoir l’essentiel, les onze nationaux successifs,
deux rois ont deux visions “poli- rayant des noms, en ajoutant
tiquement” opposées du sport. d’autres... avec des méthodes
originales, parfois même dou-
Hassan II, entraîneur teuses. C’est ainsi que le roi dé-
number one funt avait un jour eu une lubie,
S’agissant de football, sport censée pallier le manque de “vi-
populaire par excellence, les sion du jeu” de ses joueurs : les
schémas tactiques choisis par obliger à s’entraîner avec des mi-
l’un et l’autre diffèrent en tous nerves… Bien entendu, le “pre-
points. Le “dernier sultan” mier footballeur” se devait
qu’était Hassan II avait ainsi dé- d’avoir “son” équipe, hors de la
cliné le vieil adage des empe- sélection nationale. Ce sera celle
reurs romains, à savoir que le des Forces armées royales
peuple a avant tout besoin “de (FAR), qu’il créera peu après l’in-
pain et de jeux”. Et quoi de dépendance et propulsera direc-
mieux que le foot pour calmer tement en seconde division pour dates-clés
2002. Brahim Boulami, contrôlé positif à l'EPO, est suspendu.
dates-clés les Marocains, leur servir de dé-
fouloir dans l’espace restreint
ne pas perdre de temps en vaines
qualifications. Vu les moyens illi- Le dopage éclabousse l’athlétisme marocain.
1971. Création du trophée Hassan II de Golf. d’un stade, là où ils peuvent dé- mités qu’il lui a accordés, l’équi- Février 2004. Les Lions de l’Atlas disputent la finale de la CAN en
1984. Saïd Aouita et Nawal El Moutawakil, médaillés d’or aux JO verser impunément leurs frus- pe des FAR est vite passée en Tunisie. Leur meilleur résultat depuis 1976 – et à ce jour.
de Los Angeles. trations de toutes sortes ? première division, et a longtemps Mai 2004. Pour la troisième fois, l’organisation de la Coupe du Mon-
1986. Le Maroc est le premier pays arabe et africain à accéder aux Amoureux de foot (à moins qu’il dominé le football national. de de football est refusée au Maroc.
huitièmes de finale d’un Mondial de football. n’ait été amoureux du levier po- Août 2004. A Athènes, Hicham El Guerrouj devient double champion
1994. Le général Housni Benslimane est nommé à la tête de la Fédération à des ministres, tout comme litique que le foot constitue), Technocrate vs militaire son agenda. Il y traînait le prin- olympique (1500 et 5000 mètres).
royale de football, suite à la débâcle du Maroc au Mondial américain. 2008. Débâcle des athlètes marocains aux JO de Pékin.
d’associer qui que ce soit à son Hassan II le fut à coup sûr. Au Assidu, Hassan II n’a jamais ce héritier qui, sur les photos
1996. Grand favori du 1500 mètres d’Atlanta, Hicham El Guerrouj 2009. Housni Benslimane est remplacé par Ali Fassi Fihri à la tête de
trébuche en finale. loisir favori, qu’il pratique de point de s’en mêler souvent de raté une finale de Coupe du d’époque, semble s’ennuyer à
la Fédération de football.
préférence sur les plages du trop près… “Je vous concède ce Trône - les dates en étaient périr… Manifestement, dans
nord du royaume. A peine le que vous voulez, mais l’équipe d’ailleurs fixées en fonction de ces matchs, le futur roi ne
es surnoms des deux rois sant son goût pour le golf (qu’il premier cercle de ses intimes voyait rien d’autre qu’une as- coup de fil au sélectionneur, me surtout connu pour sa maî-
L
sont révélateurs de leurs considérait, à l’instar de l’équi- l’accompagne-t-il sur la plage, sommante activité protocolai- Baddou Zaki à l’époque. Mais trise du business et du marke-
conceptions respectives
du sport. D’un côté, Has-
tation, comme des “humanités”
dans lesquelles tout souverain
condamné à observer ses
prouesses de loin.
le m atch re. Depuis son avènement,
Mohammed VI n’a d’ailleurs
ce n’est pas pour autant que le
nouveau roi ignore la dimen-
ting. C’est d’ailleurs là son
cahier des charges : appliquer
san II s’était autoprocla-
mé Arriyadi Al Awal (“premier
accompli se doit d’exceller),
Hassan II avait choisi de capita-
Deux règnes, deux concep-
tions du sport, donc.
oui… mais… jamais assisté à une finale de
Coupe du Trône, déléguant
sion politico-sociale du foot.
Sauf qu’il y applique une mé-
ses compétences managé-
riales au sport national n°1
sportif”) pour marquer sa pré- liser sur son image de seigneur Tandis que l’ancien cette assommante obligation à thode de gestion plus à son pour en faire, à terme, une
séance, dans ce domaine comme fortuné – élément de pouvoir s’il roi faisait de sa pas- • Il a su canaliser la passion • Féru de foot, il empiétait allègrement sur les son frère Moulay Rachid. Cela image : placer des techno- “machine à rêve” qui attire
en toute chose. De l’autre, Mo- en est. Surtout qu’il aimait “tra- sion du golf un show populaire pour le football. prérogatives des sélectionneurs nationaux. n’a peut-être pas de rapport, crates aux postes sportifs clés. des centaines de milliers de
hammed VI a été qualifié de “Sa vailler” sur les greens, donnant politique visant à le • Sous son règne, l’athlétisme • Exclusivement individuels, les exploits mais le foot marocain a vécu, Après des années de bons et spectateurs au stade, et des
Majetski” par l’humoriste Bziz, audience à ses collaborateurs montrer à son avan- marocain a accédé à la des sportifs marocains n’ont jamais rien ces 10 dernières années, une royaux services, le général centaines de millions de di-
un surnom dont le roi se serait courbés, dossiers sous le bras, tage (il le pratiquait toujours tiré classe mondiale. dû à une politique étatique de formation. lente descente aux enfers… Le Housni Benslimane a ainsi rhams en droits télévisuels et
bien passé. Cela n’a pas que des entre deux swings… Du coup, à quatre épingles, avec une élé- seul fait d’armes notable de transmis les clés de la Fédé- publicitaires - comme en Eu-
inconvénients, cela dit : chevau- l’effet de Cour a joué à plein, et gance toute royale), son succes- l’équipe du Maroc a été l’acces- ration royale marocaine de rope. Nous n’y sommes pas
chant les vagues à cheval sur la pratique du golf est devenue seur se jette littéralement à l’eau, • Il n’a jamais instrumentalisé • L’équipe nationale de foot n’a jamais sion à la finale de la football à Ali Fassi Fihri, tech- encore, mais le positionne-
une puissante “moto de l’eau”, sous son règne un must de l’élite s’astreignant à des heures de politiquement sa pratique été aussi faible que sous son règne. Coupe d’Afrique nocrate pur jus, jusque-là pa- ment royal, en tout cas, est
comme disent les Marocains, de Cour - ou de ceux qui aspi- musculation pour se préparer personnelle du sport. • Sa politique de “sur-capitalisation” 2004 - et c’est aussi tron de l’Office national de clair : Mohammed VI a défini-
Mohammed VI renvoie l’image rent à y entrer. Difficile, en physiquement à une pratique • Il tente de professionnaliser le foot du sport laisse craindre des la seule occasion où l’électricité. Seconde étape : tivement abandonné le rôle
d’un roi moderne, “cool”. revanche, pour Mohammed VI sportive solitaire, dans le seul en y injectant des capitaux colossaux. dérives affairistes. Mohammed VI s’est confier le ministère des Sports de numéro 10, et laissé les
En surexposant et en médiati- de faire chevaucher des jets-ski souci de parfaire sa forme phy- astreint à passer un à Moncef Belkhayat, un hom- spécialistes mener le jeu… I
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LE MATCH
L’ARTISTE
Alors que Hassan II était mélomane … Mohammed VI booste la peinture par
et jouait au mécène avec les ses achats personnels, fait souffler un
artistes et musiciens chantant vent de liberté sur le cinéma et contribue
le mieux ses louanges… à l’essor des festivals musicaux.
fausse note ! Pour marquer sa quand il ne dessinait pas la plus
DR
AFP
désapprobation, le souverain belle conquête de l’homme,
défunt avait des armes autre- Hassan El Glaoui brossait le
ment plus redoutables que portrait du plus beau conqué-
des sifflets ou des tomates… rant des Marocains, Hassan II,
tel un artiste de Cour honorant
M6, une palette une commande du Médicis lo-
plus colorée cal. Mais la situation du peintre
Mohammed VI, lui, n’est a radicalement changé avec
nettement pas dans la veine l’avènement de Mohammed VI.
“Borgia”. Le jeune roi est un Non seulement le nouveau roi
amateur de peinture, au sens apprécie l’œuvre d’El Glaoui,
que le dictionnaire donne au mais il respecte le peintre, lui
mot amateur : “personne qui a achète ses toiles au lieu de se
du goût pour quelque chose, les faire offrir, et trouve
l'apprécie, le recherche et en pos- régulièrement le temps
sède une certaine connaissance, d’échanger longuement avec
sans chercher à en tirer profit”. lui sur “les intentions, les
Aux artistes, jamais il ne se per- teintes et les proportions”…
met de donner, comme le faisait Un point commun entre les
son père, des “petits conseils à deux rois, cependant : leur sta-
prendre en compte” - aimable tut de prescripteur. Tout com-
litote, quand on connaît la per- me les goûts de Hassan II
sonnalité du défunt roi. Le devenaient ceux de l’élite,
peintre Hassan El Glaoui, inlas- l’amour de Mohammed VI pour
sable figurateur de chevaux, les arts picturaux a boosté le
illustre à lui seul la différence marché de la peinture marocai-
d’approche artistique des deux ne comme jamais auparavant. Si
rois. Le fils du pacha de Marra- aujourd’hui les galeries d’art
kech a côtoyé Hassan II, mais ce fleurissent, les ventes aux en-
dernier ne l’a jamais considéré chères se multiplient et les prix
comme un artiste à part entière. ne cessent de flamber, c’est dates-clés
dates-clés En raison de son ascendance, il
était juste assigné à un job ali-
avant tout grâce à l’effet de le-
vier royal. Parmi les courtisans
2001. Première édition du Festival international du film de Marrakech.
2006. Un demi-million de festivaliers envahissent Essaouira pour le
1960. Création du Festival des arts populaires de Marrakech, dédié aux tidiennement en son hon- mentaire, celui de “secrétaire et l’élite, c’est à qui accrochera à La fiesta remplace le folklore Festival gnaoua.
chants et danses traditionnels. neur. Les chanteurs ? Le roi particulier chargé de mission”, son salon les œuvres les plus Dur, dur de mettre fin au sui- Mai 2008. Le secrétaire particulier du roi, Mounir Majidi, dope le
1964. Le compositeur Ahmed El Bidaoui signe Al far’ha al koubra (“La défunt les voyait, en quelque spécialisé dans le golf. Dans “tendance” et les plus chères - visme, règle de vie des élites budget du festival Mawazine.
grande joie”), première chanson à la gloire de Hassan II. sorte, comme un juke-box l’enceinte du palais royal, “comme Sa Majesté”… sous tout régime autocratique. Et Juin 2008. Mahi Binebine vend une sculpture à 1,5 million de
1971. Nass El Ghiwane triomphe au théâtre Mohammed V de Rabat qu’on fait tourner non avec cela, malgré la meilleure volonté dirhams. Le marché de l’art flambe.
1975. Jil Jilala compose Laâyoune Aïniya (“Laâyoune, prunelle de des pièces de monnaie, mais du monde et la “rupture artis- Janvier 2009. Sortie en salles de Casanegra, qui connaîtra un
mes yeux”) au lendemain du discours de la Marche verte.
1998. La porte close de Abdelkader Lagtaâ est banni du grand écran
à coups d’enveloppes de cash.
De Abdelwahab Doukkali à
le m atch tique” opérée depuis le change-
ment de règne. Avec le nouveau
triomphe et une avalanche de prix internationaux.
Juin 2009. Mohammed VI fait un chèque de 2 millions de dirhams
car le film parle d’homosexualité. à L’Boulevard, temple des arts alternatifs.
Nass El Ghiwane, Hassan II
s’est offert tous les
oui… mais… monarque, pas de soirées “mo-
hammediennes” calquées sur les
i Hassan II et Mo- touré de ménestrels chargés artistes marocains “soirées hassaniennes.” “M6” compte le verdict du public, et le orientalisantes pour donner le
S
hammed VI n’étaient de tromper son ennui. Il invi- majeurs de son • Il était généreux avec les artistes • L’expression musicale marocaine est un homme de son temps qui public a des goûts particulière- change. Après l’avènement de
pas devenus rois, ils tait, lors de ses soirées restées temps, en concerts nationaux… qui lui plaisaient. est restée cantonnée aux goûts du roi. préfère le rap et, de son propre ment éclectiques, loin de la seule Mohammed VI, acteurs cultu-
auraient pu être ar- célèbres, tous les chanteurs privés dans ses pa- • Ses nombreux palais ont permis aux • La chape des “années de plomb” était aveu, la “musique commerciale”. musique andalouse, qui était de- rels et artistes hument l’air du
tistes. Le premier qui comptaient au Maroc, dé- lais. Et le maître artisans marocains de rester aussi culturelle : d’où une érosion de Surtout, le credo culturel de la venue la bande-son mortifère de temps et y perçoivent un fumet
adorait la musique et maîtri- cidant qui était “in” et qui était impitoyable, car il avait actifs et créatifs. la créativité des artistes nationaux. nouvelle ère n’est plus le mécé- l’ancien régime. Sous Hassan II, démocratique, qui les convainc
sait l’accordéon, tandis que était “out”, à l’instar d’un l’oreille musicale. Stressant, nat, mais les festivals. Vu leur foi- les ihtifalate al akalim (“festivi- que désormais, un autre mon-
le second tâte du pinceau à chroniqueur branché, pres- très stressant, “Al Fanane Al sonnement et leur variété depuis tés des régions”), cérémonies in- de est possible. Sans oublier les
ses heures perdues. A cha- cripteur du goût musical de Awal” (“le premier artiste”)… • Son goût pour la peinture a donné • “L’effet de Cour” reste le moteur 10 ans, il est impos- dexées au calendrier officiel et cinéastes de la nouvelle géné-
cun ses goûts, donc, mais à tout un peuple – plus particu- Il était exigeant avec les un coup de fouet au marché de l’art. principal du marché de l’art. sible pour leurs ini- dûment télévisées le samedi soir, ration, acteurs principaux
chacun, aussi, ses rapports lièrement, de l’ensemble des musiciens, se joignant • Les festivals musicaux gratuits, • Les festivals sont devenus un outil tiateurs, même s’ils se taillaient la part du lion avec d’une movida en images, qui
avec les hommes de l’art. téléspectateurs qui devaient occasionnellement aux plébiscités par le public, se sont politique, entre les mains des courtisans l’avaient voulu, de un programme unique : fanta- “osent” de plus en plus… et
Hassan II se comportait se farcir les chansons patrioti- orchestres, un bendir à la multipliés depuis son avènement. les plus puissants et les plus riches. “coller” aux goûts du sias et musique andalouse - avec qu’on censure de moins en
avec les artistes tel un roi en- co-laudatrices diffusées quo- main. Et gare au couac ou à la souverain. Seul quelques guest-stars locales moins. Tant mieux ! I
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LE MATCH
LE PEOPLE
Alors que Hassan II, plutôt discret … Mohammed VI s’est immédiatement
sur sa vie privée, fascinait les médias imposé en “people”, allant jusqu’à
occidentaux par son aura et son faire de la famille royale un sujet
allure de despote oriental éclairé… de “Unes” sur papier glacé.
suis le pape”. Crédible ou pas, Kalthoum, Mohamed Abdel-
MARADJI
AFP
l’information a fait, pendant wahab, et autres Farid Al Atra-
quelques jours, les délices de ch étaient ainsi des habitués
la presse hexagonale. des soirées royales. Durant sa
Fin 1999, Mohammed VI, jeunesse, Hassan II n’est pas à
amateur de hip hop US, ren- proprement parler un people,
contre le rappeur Jay Z dans terme anachronique pour
une discothèque en vogue de l’époque. Les médias étant en-
New York. Ni une ni deux, le core à leurs balbutiements, le
jeune roi lui fait parvenir un visage du roi est peu connu,
plateau de fraises à la crème même au Maroc. Le roi défunt
“pour lui témoigner son admi- raconte dans Le défi (Ed. Albin
ration”. Cette fois, les faits sont Michel, 1976) que, lors de la
rapportés par le New York tentative de coup d’Etat de
Post. Comme quoi, même à 1971, les cadets, originaires de
l’autre bout du monde, le roi du la campagne pour la plupart,
Maroc est une “celebrity”, qui a ne l’ont pas reconnu. En ville
aussi son diminutif branché : où son visage est plus familier,
M6. A Paris, le monarque aime Hassan II éprouve un grisant
poser ses royales valises à l’hô- plaisir à faire des sorties inco-
tel Crillon, où il croise des stars gnito. “Dissimulé sous la jellaba
à l’aura internationale, comme d’un esclave, le roi conduisit lui-
Jennifer Lopez ou Madonna. même notre calèche. Dans la
Le roi du Maroc possède aussi médina, il marchanda les ca-
un chalet dans la très select deaux qu’il nous offrit. Personne
station de Courchevel, the pla-
ce to be pour la jet-set mondia-
ne le reconnut”, raconte Malika
Oufkir dans La prisonnière (Ed.
dates-clés
1999. Le Journal publie une photo de Mohammed VI en jet-ski,
dates-clés le, où il aime faire la fête avec
les people de France et de Na-
Grasset & Fasquelle, 1999). Si
ce n’est pas là une coquetterie un cliché qui provoque l’ire royale.
Avant l’indépendance. Encore prince héritier, le futur Hassan II est varre, comme Johnny Hallyday de star, cela y ressemble beau- 2001. Mohammed VI accorde une interview people au magazine
attaqué par la presse du protectorat qui le qualifie de “grand noceur”. Paris Match, où il évoque son futur mariage.
ou Gérard Depardieu. coup. Pourtant, pas de paparaz-
1965. Hassan II reçoit au Maroc Oum Kalthoum, grande star et Juillet 2002. Mohammed VI épouse une fille du peuple et la
première “people” du monde arabe. Vie de rêve zi pendant les déplacements de rumeur, il aurait été furieux de
présente aux Marocains. Début du mythe Lalla Salma.
1971. Hassan II invite pour son anniversaire des célébrités au palais Prince héritier, Moulay Hassan II, célèbre mais discret Hassan II hors du royaume, en- voir un cliché de lui (pourtant Novembre 2002. Le rappeur P. Diddy fête son anniversaire avec la
de Skhirat. Une tentative de putsch transforme la sauterie en carnage. Hassan a dû faire face à plu- Hassan II aussi fréquentait core moins au Maroc, juste des anodin) en jeans et lunettes jet-set mondiale au palais royal de Marrakech.
2009. Hassan II meurt, tous les médias du monde en font leurs gros titres. sieurs reprises aux remon- les stars. Mais plutôt qu’aller à photographes attitrés. Moham- noires, un paquet de Marlboro 2003. Lalla Salma fait sa première apparition publique.
trances de son père, qui lui leur rencontre, il préférait les med VI aussi a son service pho- à la main, publié par un maga-
reprochait de mener une vie recevoir chez lui en guest stars to, mais il n’est pas à l’abri des zine français. Car le roi, qu’on
eople, Mohammed VI pavé. Dans le monde, et à frivole. Hassan II a reproduit de soirées pharaoniques. Oum voleurs d’images. D’après la dit pourtant friand de presse venu le roi tout court”, pour re- hammed VI épouse Lalla Sal-
P
l’est devenu sur plus forte raison au Maroc, on le même schéma avec son people, souhaite très tôt prendre le mot d’un journalis- ma et la présente à son
le tard. Question ne suit pas - ou si peu - les fils. Mais une fois roi, Mo- contrôler son image. te. Aux photos volées, le roi peuple. Une première sous la
d’époque d’abord.
Timorés sous Hassan
aléas de la vie privée des célé-
brités, et notamment des têtes
hammed VI n’a pas tout de
suite enterré sa vie de night-
le m atch M6 superstar
préfère les photo-reportages.
Depuis son intronisation en
dynastie alaouite. Sept ans
plus tard, quand Al Ayam de-
II, les titres de presse maro-
cains font aujourd’hui leurs
couronnées. Du temps où il
était prince héritier dans un
clubber, lui qui aimait tant les
dancings de Paris et
oui… mais… Ces derniers temps, Mo-
hammed VI a adopté une ligne
1999, le monarque multiplie
les apparitions, aussi bien sur
mande au Palais l’autorisation
de publier la photo de Lalla
choux gras des sujets dédiés à Maroc sous protectorat, Has- de Londres. Ses es- de conduite qui tranche avec papier glacé que sur des titres Latifa, mère de Sa Majesté,
la famille royale. Ici, un re- san Ben Mohammed n’avait capades nocturnes • Il fréquentait les stars internationales • Une fois roi, il est devenu beaucoup les premières années de son de presse réputés “sérieux”. En l’hebdomadaire arabophone
portage photo sur la princesse droit qu’aux articles peu ne passent pas in- et s’affichait en leur compagnie quand plus discret, préférant les soirées règne. Lors d’une récente visi- juin 2000, le magazine améri- essuie une violente réaction
Lalla Soukaïna, là, une man- amènes de La Vigie et du Petit aperçues, même il était prince héritier. privées dans ses palais. te privée en France, il aurait cain Time, à qui Mohammed de Rabat. Le local de la ré-
chette sur le mariage de Mou- Marocain, organes de la pres- hors du royaume. • Il a fait les choux gras de la presse • Le personnage politique charismatique a exigé de ses accompagnateurs VI a accordé sa première in- daction est passé au peigne
lay Ismaïl, ou encore une se colonialiste, qui traînaient Ce qui ne se passe pas toujours en son temps. occulté le personnage privé, plus complexe. qu’ils ne fréquentent pas les terview, titre “The Cool King”, fin, les journalistes sont tra-
cover story sur les hobbies de dans la boue le prince héri- sans heurts. Le très satirique boîtes de nuit parisiennes. “Le dépeignant un roi “hip, mod, qués par la BNPJ et interro-
Sa Majesté. Impensable sous tier, alors qualifié de “grand Canard Enchaîné rapporte un mot d'ordre était la discrétion : charming”, comme il aurait pu gés pendant des dizaines
• Ses vacances prolongées à l’étranger
le règne du père. Question noceur”. Mais les temps jour l’anecdote suivante : à • Il aime skier à Courchevel, sont de plus en plus critiquées par
oui pour le shopping décrire une star du showbiz. d’heures. Message adressé
d’époque, là encore. Car changent. Aujourd’hui, les ta- l’entrée d’une discothèque ul- repaire de la jet-set mondiale. et les restaurants, Un monde auquel le roi du aux médias : “Ma femme,
les acteurs politiques.
lorsque Moulay Hassan de- bloïds qui parviennent à déni- tra-branchée à Paris, Moham- • Il adore les bolides et • Le parc automobile du Palais consomme à
mais pas de night- Maroc appartient, et auquel mes frères et sœurs, et même
vient Hassan II en 1961, la cher un scoop royal sont med VI se présente comme le notamment les Ferrari. club !”, confiait l’un son père aurait sans doute ap- moi, passe encore. Mais pas
presse people internationale assurés de se vendre comme roi du Maroc. Réponse du vi- lui seul plus de 60 millions de dirhams par an. d’eux à TelQuel. “Le partenu s’il était né 30 ans touche à ma mère”. Même le
ne tient pas encore le haut du des petits pains. deur incrédule : “Et moi, je roi des pistes est de- plus tard. En juillet 2002, Mo- people a des limites. I
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LE MATCH
malgré tout,
le Maroc va
mieux
PHOTOS AFP
ans après sa mort, les Marocains transition”. Sous Hassan II, on savait où on Le temps efface les nuances…