DATURA
DATURA
DATURA
THESE
POUR LE DIPLOME D'ETAT
DE DOCTEUR EN PHARMACIE
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Membres du jury :
Professeurs Certifiés
Civ. NOM Prénom Laboratoire
M. HUGES Dominique Anglais
Mlle FAUQUANT Soline Anglais
M. OSTYN Gaël Anglais
AHU
Civ. NOM Prénom Laboratoire
M. LANNOY Damien Pharmacie Galénique
M. SIMON Nicolas Pharmacie Galénique
Faculté des Sciences Pharmaceutiques
et Biologiques de Lille
3, rue du Professeur Laguesse - B.P. 83 - 59006 LILLE CEDEX
Tel. : 03.20.96.40.40 - Télécopie : 03.20.96.43.64
http://pharmacie.univ-lille2.fr
Vous m’avez guidé et soutenu dans l’élaboration de cette thèse. Merci pour vos
conseils et la disponibilité dont vous avez fait preuve tout au long de l’élaboration de ce
projet.
Je vous prie de recevoir mes remerciements les plus sincères.
Merci pour le dévouement dont vous faîtes preuve pour vos étudiants,
Vous me faites l’honneur de présider ma thèse, recevez le témoignage de ma
profonde gratitude.
Les six mois passés dans votre pharmacie resteront un très bon souvenir
professionnel et humain. Merci à vous ainsi qu’à Mme Gosselin pour l’accueil au sein de
votre équipe,
Vous m’avez transmis votre passion et votre dynamisme pour le métier de
Pharmacien, je vous en suis infiniment reconnaissante. C’est un honneur pour moi que
vous soyez dans le jury de cette thèse quelque peu originale...
A mes parents,
Pour leur aide et leur soutien tout au long de mes études, vous m’avez montré
l’exemple et poussé vers la réussite. Merci pour votre patience et votre écoute.
A mes frères et sœurs,
Pour tous ces souvenirs passés et à venir, pour les fous rires, les disputes, les
soirées jeux, les discussions entres sœurs après les cours… Il y a des hauts, il y a des
bas, mais au fond c’est du bonheur les grandes fratries.
Un remerciement particulier à toi Elodie, pour ta compagnie et ta bonne humeur du
mardi, sans toi je n’aurais jamais clôturé cette thèse avant la fin d’année universitaire.
A mes grands-parents,
Pour vos conseils et votre soutien dans chaque étape de ma vie, pour votre vivacité
d’esprit. Vous êtes des grands-parents en or, pour rien au monde je ne changerai.
Un remerciement particulier à toi Dédée, pour les heures passées à relire ma thèse,
à la recherche des fautes d’orthographe. Il paraîtrait que c’est comme chercher des poux
dans la tête de tes élèves, on est toujours persuadé qu’il reste une faute.
A mes amis,
Merci pour ces bons moments passés ensemble, à l’école, en colonie de vacances,
au volley, au Pérou, à la revue et ailleurs.
Pour tous ces jours passés sur les bancs de la faculté, des souvenirs inoubliables.
Je ressens déjà la nostalgie de ces années pharma, vive la revue, vive l’amitié !
Je vous remercie pour l’accueil au sein de votre équipe, pour le partage de votre
expérience professionnelle et de vos connaissances, merci pour ces opportunités que
vous m’avez offertes.
SOMMAIRE
REMERCIEMENTS ........................................................................................................................................................ 7
INTRODUCTION .........................................................................................................................................................11
CONCLUSION .............................................................................................................................................................93
BIBLIOGRAPHIE..........................................................................................................................................................95
ANNEXES ...................................................................................................................................................................98
GLOSSAIRE ............................................................................................................................................................... 107
INTRODUCTION
Avant d’être une plante ornementale de nos jardins, le Datura stramonium est
une plante hallucinogène. Les hallucinogènes sont des substances provoquant des
distorsions des perceptions visuelles, auditives, spatiales et temporelles et de la
perception de son propre corps. On distingue les hallucinogènes synthétiques et les
hallucinogènes naturels dont fait partie le Datura stramonium.
Les espèces de Datura Stramonium sont répandues sur tous les continents. De
toute évidence, leurs utilisations remontent aux premiers pas de l’homme dans la
connaissance de son environnement végétal. Les effets provoqués par ces plantes
sont souvent étranges et inexplicables. Il n’est donc pas étonnant qu’elles aient joué
un rôle important dans les rites religieux des civilisations et qu’elles soient encore
vénérées par certains peuples dont les cultures perpétuent d’anciennes traditions.
En Europe, cette plante renfermait le secret de nos sorcières. D’abord rejeté
par les sociétés occidentales chrétiennes et colonisatrices, les mentalités ont évolué
et une prise conscience de l’importance de ces végétaux dans l’histoire et la
formation des diverses cultures est apparue à partir des années 70.
Riche en alcaloïdes, le Datura stramonium est incontestablement une plante
hallucinogène, toxique et dangereuse même à faible dose.
L’apparition du phénomène de drogues depuis les années soixante et la vogue
actuelle pour les plantes hallucinogènes, hausse cette plante facile d’accès au rang
de plante détournée en toxicomanie. Même si les champignons hallucinogènes
restent largement plus consommés, le Datura stramonium arrive avec la Salvia
divinorium dans les plantes les plus fréquemment expérimentées. La recherche
d’expérimentations variées, nouvelles, et le prétendu caractère plus anodin des
drogues dites naturelles en comparaison des drogues synthétiques, ont favorisé un
regain d’intérêt chez les usagers de produits psychoactifs pour ce type de
substances.
Internet qui se développe depuis les années 90, semble jouer un nouveau rôle
dans les pratiques des usagers de plantes hallucinogènes.
Nous nous intéresserons dans ce sujet à l’histoire de cette plante à travers les
siècles. Nous verrons comment s’explique la toxicité de cette plante et quels sont les
risques d’une intoxication au Datura stramonium. Puis nous aborderons le
phénomène émergent de la toxicomanie au Datura, en particulier l’état actuel des
consommations en France. Y-a-t-il lieu de s’inquiéter ? Quelles sont les motivations
11
d’une consommation récréative de datura ? Comment s’organise cette toxicomanie ?
Que dit la loi ? Quelle conduite tenir, nous professionnels de santé ?
12
13
1 Histoire du Datura stramonium
1.1 Origine du Datura
Pour retracer l’origine du Datura stramonium en France il est important de
situer le genre Datura dans le monde.
Une légende des Indiens Zuni du Sud-ouest des États-Unis décrit l’origine du
Datura inoxia (annexe 1). Ce Datura et d’autres espèces apparentées ont été depuis
longtemps utilisés comme hallucinogènes sacrés au Mexique et dans le Sud-ouest
des États-Unis. Ils ont joué un rôle important en médecine traditionnelle et dans les
rituels religieux.
Dans l’Ancien Monde, le Datura a une longue histoire de plante médicinale et
d’hallucinogène sacré, bien que ce genre n’y ait jamais joué le rôle cérémoniel qui
est le sien dans le Nouveau Monde. L’ancienne littérature chinoise et indienne
mentionne le Datura metel. Le Datura ferox est aussi une espèce asiatique très
répandue dans les régions chaudes des deux hémisphères. Ses propriétés sont
semblables à celle de Datura metel. Cette espèce est surtout employée en Afrique,
en Tanzanie.
Les Mexicains donnent le nom de Toloache au genre Datura. Son rôle religieux
et thérapeutique y est toujours important. On pense aujourd’hui que le Datura
stramonium est originaire de l’Est de l’Amérique où les Algonquins et d’autres tribus
l’auraient utilisé comme hallucinogène sacré. Au cours des rituels initiatiques des
Indiens de Virginie, on employait un mélange toxique appelé Wysoccan. Son
ingrédient actif était certainement le Datura stramonium. (1)
Les pratiques ancestrales des « plantes » hallucinogènes concernent de
nombreuses sociétés traditionnelles, car ces substances étaient perçues comme
ayant des pouvoirs de divination, ou comme véhicule pour accéder au domaine
transcendantal ou surnaturel. Le plus souvent, leur usage était réservé à certaines
castes de la société, comme les prêtres ou les chamans. Elles pouvaient également
être réservées à des occasions spécifiques comme les rituels d’alliance, et parfois
les sacrifices humains. Les pratiques rituelles des drogues fourmillent dans l’histoire
humaine à pratiquement toutes les époques, à différents endroits de la planète. Leur
consommation était institutionnalisée et certaines cultures traditionnelles leur ont
parfois attribué un rôle social central. (2)
14
Les contradictions de l’origine des espèces Datura dans le Vieux Monde
Des études phylogénétiques récentes ont montré que toutes les espèces de
Datura seraient originaires des Amériques et que les espèces de Datura présentes
sur les continents de l’Ancien Monde étaient absentes avant le 16e siècle ; les
européens les ayant rapportées de leur voyage de découverte de l’Amérique. Les
textes traditionnels citant la présence de datura dans le Vieux Monde seraient dus
selon ces auteurs, à une mauvaise interprétation des sources arabes et grecques.
Cependant un article de l’Indian academy of science met en avant ces preuves
historiques de la présence de datura dans l’Ancien Monde avant le 16e siècle. Il ne
réfute pas les preuves de l’origine américaine du genre Datura mais avance l’idée
d’une dissémination du genre Datura dans le Vieux Monde avant la conquête de
l’Amérique via l’espèce Datura metel, importée par les courants océaniques de
l’Amérique du Sud à la Polynésie ; puis par le biais de l’homme, elle se serait
répendue en Asie puis dans le reste du Vieux Monde. (3)
Ces deux hypothèses restent toujours en débat dans la communauté scientifique
à l’heure actuelle. Comme nous pourrons le voir par la suite, la plante de Datura est
citée à différentes époques. S’agit-il d’une mauvaise interprétation des textes ou la
plante était-elle bien présente en Europe avant la découverte des Amériques ? Je ne
peux répondre à cette question qui fait toujours débat. Mon travail aura été de
présenter ce que l’on peut trouver sur l’histoire de cette plante en Europe.
15
philtres d’amour. (4) Ce savoir, issu des traditions pré-chrétiennes, était marque et
preuve de sorcellerie et de fréquentation diabolique. (5)
Ces références antérieures à la découverte de l’Amérique sont un exemple
des contradictions que l’on peut trouver sur l’origine des espèces de Datura dans le
Vieux Monde
A cette époque, on découvrit que la combinaison des constituants de la plante
avec des huiles ou des graisses en facilitait l’absorption par les conduits de
transpiration comme les aisselles ou les orifices du corps (comme le vagin ou le
rectum). Ces voies alternatives à la voie orale, permettaient aux alcaloïdes
psychoactifs de gagner le flux sanguin ou le cerveau sans transiter par le tube
digestif, diminuant ainsi les effets secondaires qui les accompagnent. Plusieurs
documents rapportent les modes d’application des « baumes des sorcières » ou
« onguents ». Il existe des documents du XXe siècle rapportant les effets
hallucinogènes des baumes des sorcières, comme le récit de Will-Erich Peukert qui
prépara, à partir d’une recette datant du XVIIe siècle, un onguent pour voler,
contenant belladone, jusquiame et des espèces de Datura. Lui et ses collègues se
frottèrent l’onguent sur le front et les aisselles, et sombrèrent dans un profond
sommeil au cours duquel ils rêvèrent de « courses débridées » et de « danses
frénétiques ». Il est donc presque certain que les sorcières ont connu les sensations
de vol, principalement provoquées par les alcaloïdes atropiniques ; que le
consommateur se croit transformé en un animal ou bien qu’il ait l’impression de voler
et de danser frénétiquement, dépendait du genre de breuvage et des doses
d’alcaloïdes administrées. (4)
Le délire tantôt gai, tantôt triste, a valu au Datura stramonium (et à la
belladone) le nom d’herbe aux sorciers, herbe au diable, parce que les prétendus
sorciers faisaient assister aux séances du sabbat des gens superstitieux enivrés
avec ces plantes. C’est par le même moyen que les sorciers et enchanteurs
procuraient aux amants des jouissances imaginaires avec les philtres d’amour. (6)
Un peu plus tard, au 18e siècle, une compagnie de voleurs, connus sous le
nom d’endormeurs mêlait à du tabac de la poudre de graine de datura. Puis dans les
lieux publics ils se plaçaient à côté de gens à qui ils offraient du tabac. Ils profitaient
de l’inconscience et de l’amnésie antérograde qui en résultait pour les détrousser
sans obstacle. (2) Le même type de scénario est mis en œuvre en Colombie depuis
les années 1970 avec la Brugmansia, un genre proche de celui du Datura du point
de vue de la composition chimique de la plante. La scopolamine et autres
atropiniques de ces plantes fait perdre la volonté et est responsable d’une amnésie
16
antérograde. La soumission de la victime permet aux délinquants de la dépouiller en
toute tranquillité, tandis que l’amnésie leur assure l’impunité.
C’est également pour cette raison que la scopolamine a été utilisée comme
« sérum de vérité » pendant la Seconde Guerre Mondiale. (2)
Si on lit souvent que l’usage des substances « végétales » hallucinogènes a
disparu en Europe avec la fin du Moyen Age, une enquête ethnologique menée par
Prado dans les années 70 apporterait la preuve contraire car elle témoignerait de la
pratique du « jilgré » dans la société rurale bretonne, et l’auteur fait l’hypothèse que
cette pratique se retrouverait vraisemblablement dans d’autres régions d’Europe
sous des formes presque similaires, comme l’attesterait le vocable « endourmido »
en provençal par exemple, qui désignerait le datura. Le « jilgré » est un cidre dans
lequel ont macéré des graines de Datura stramonium. C’était une pratique
« secrète », recensée dans les campagnes et le milieu des ouvriers agricoles,
relativement âgés, qui parlaient breton. Cette pratique participait à une sociabilité
masculine dont les femmes étaient strictement exclues. La « bouteille à signe » (celle
marquée d’une croix contenant les graines de datura) permettait de servir un dernier
verre à certains des participants et compliquait le retour chez soi. Aucun délire visuel
de type hallucinatoire n’a été rapporté dans l’enquête. En effet, en Bretagne, le
« jilgré » n’est pas une plante hallucinogène, c’est une plante d’égarement.
Du point de vue linguistique, l’étymologie du terme « jilgré » tend à montrer
que ce breuvage existait depuis plusieurs générations car, par exemple, le cannabis
qui arrive en Bretagne au moment de l’étude au cours des années 60 n’a jamais reçu
de nom breton, sinon par moquerie précise l’auteur. Si cette plante était d'usage
récent elle aurait porté le nom français de « stramoine ». Cette pratique aurait
disparu avec l’évolution du milieu agricole après la Seconde Guerre Mondiale. (7)
Cette enquête ethnologique laisse elle aussi entendre via l’étymologie des
mots, le caractère ancien de la présence du Datura stramonium en France sans pour
autant préciser que sa présence date d’avant la découverte des Amériques.
17
manie, l’épilepsie, la danse de Saint Guy1. Ces pratiques furent vite abandonnées
face au faible taux de réussite. C’est dans l’asthme bronchique et d’autres affections
respiratoires que cette plante a donné le plus de résultat : fumée en cigarettes, en
« tubes anti-asthmatiques » ou à la pipe, mélangée à d’autres Solanacées comme le
tabac, la sauge, la belladone ou la jusquiame ou encore en inhalé en brûlant les
feuilles pour répandre la fumée dans le lieu de vie. (6) Un équivalent moderne de
cette utilisation est l’ipratropium (ATROVENT®) produit de synthèse de structure
analogue à l’atropine. (4)
Le datura fut aussi utilisé dans les névralgies et les douleurs de toutes sortes,
par voie orale avec la teinture ou l’extrait alcoolique ou en friction directement sur le
trajet de la douleur, mais aussi dans les inflammations aiguës et chroniques et en
tant que mydriatique. (6,8)
Le danger lié à l’usage de ces produits explique le retrait de l’Autorisation de
Mise sur le Marché des cigarettes anti-asthmatiques en 1992, dernier médicament à
base de Datura stramonium commercialisé en France. (7)
De nos jours, l’industrie pharmaceutique utilise d’autres espèces pour extraire
l’atropine et la scopolamine. (9) Les variétés utilisées sont Datura inoxia et
Brugmansia sanguinea. (10)
1
Rhumatisme articulaire et mouvement choréique, conséquence d’une infection à streptocoque bêta-
hémolytique du groupe A
18
pratiques mystiques traditionnelles des Indiens d’Amérique. Des intoxications au
datura sont d’ailleurs recensées au cours des années 60. (5) La recherche
personnelle au travers des drogues hallucinogènes et l’aspiration à des valeurs
qualifiées de plus « naturelles » étaient le moteur de cette « culture de soi ». Les
premiers tenants du psychédélisme expriment au travers de ces nouvelles
significations de l’usage des drogues le développement d’une culture libertaire et
sont le symbole d’une révolution culturelle contre l’asservissement à l’ordre
scientifique et technocratique. La consommation d’hallucinogènes en est une des
ses manifestations. Cependant ces usages de drogues idéologiquement orientés au
cours des années 60 et 70, restaient confinés dans des groupes sociaux plus
restreints qu’aujourd’hui, relativement en marge de la société. (5)
2
De l’allemand « Lyserg Säure Amid » soit l’amide de l’acide lysergique.
19
A coté de ces usages festifs, apparaît de plus en plus fréquemment
aujourd'hui un discours qui prône les préceptes du « néo-chamanisme », cadre de
pensée qui émerge aux États-Unis avec la vague psychédélique. (5)
20
le fait qu’ils ne font pas partie du New Age et expriment leur mépris pour ce
mouvement et le fait de commercialiser la spiritualité. Ils expriment leur embarras
d’être rattaché au mouvement, cela donne une mauvaise image et fait fuir les gens.
Il est difficile de définir quand a commencé le New Age. Certains auteurs
disent qu’il est né dans les années 1920 et tire ses racines des sciences occultes
occidentales et de la tradition métaphysique. D’autres disent qu’il serait né du
mouvement de contre culture des années soixante. D’autres encore placent l’origine
au Néo-Platonisme mystique d’un monde hellénistique.
Le New Age est très éclectique et semble compromettre les croyances sur les
origines. Il a était défini comme « une recherche des expériences primitives de
transformation ». Les principaux thèmes sont l’insatisfaction des sociétés
technocratiques, le rejet des religions institutionnalisées, l’expression libre comme un
retour à la nature et à un style de vie simple. On peut aussi remarquer une forte
conscience vis à vis de la destruction de l’environnement. Le centre du sujet tourne
autour de l’individu et de ses capacités à créer sa propre réalité comme si en
changeant soi-même, le monde pouvait changer. Cependant il manque un noyau
philosophique dans ce mouvement.
Le discours environnemental tend à présenter les peuples indigènes comme
un groupe homogène et leur connaissance comme universelle pour faire la
promotion du tourisme chamanique. Cependant on ne peut ignorer que ce sont les
occidentaux qui ont défini ces concepts et qui parlent au nom des indigènes. Le New
Age et le néo-chamanisme sont présentés sous un faux jour, et ont sous-estimé les
pratiques indigènes, et de manière indirecte renforcé les idées racistes. (13,15)
22
2 Botanique et pharmacognosie de Datura
stramonium
2.1 Dénomination de la plante
Datura vient du nom arabe de la plante : Tatôrah ou Datora venant lui même
de Tat qui signifie piquer, à cause du fruit épineux.
L’étymologie de stramonium est douteuse. Il y a plusieurs hypothèses : de
Strymonios une région de Thrace en Grèce où elle est connue depuis l’Antiquité, ou
de stremma monia = « gâteau insensible » pour ses propriétés stupéfiantes, ou
encore de Strychnos manikos qui signifie « morelle qui rend furieux » pour son action
enivrante.
Le datura est connu sous de nombreux noms vernaculaires :
Noms français : Datura, Stramoine, Pomme épineuse, Herbe du diable, Herbe
aux sorciers, Endormie, Herbe aux taupes.
Noms anglais : Thorn-apple, Devils’s apple, Hedge-Hog-Nut, Trumpet’s angel,
Devil’s trumpet, Jimson weed (ou Herbe de Jamestown) en hommage au
premier cas d'intoxication collective qui remonte à 1676 : le général Smith afin
de maîtriser une rébellion à Jamestown (USA), distribua aux soldats des
feuilles de Datura qu'il pensait être des épinards. Cela entraîna un éclat
d'agitation collectif et laissa ce surnom à la plante. (4,19,20)
Noms allemands : Stechapfel, Dornapfel, Teufelsapfel
Noms espagnols (Pérou) : Estramonio, Manzana spinosa, Yerba (Hierba)
hedionda
Noms italiens : Stramonio, Noce spinosa, Pomo spinoso, Noce del diavolo
● Solandra
● Datura
25
2.2.3 Description macroscopique
26
La tige, pouvant atteindre plus d’un mètre de hauteur, est droite, creuse,
simple ou ramifiée, glabre, verte devenant parfois violette. (17,28)
Les feuilles alternes, de 8 à 25 cm de long sur 7 à 15 cm de large ont un limbe
ovale ou ovale triangulaire acuminé, souvent asymétrique à la base, et profondément
découpé en 5 à 7 lobes inégaux pointus. Ces feuilles sont d’un vert foncé brillant sur
la face supérieure, plus claires en dessous. La feuille âgée est pratiquement glabre,
les nervures des feuilles jeunes sont pubescentes. (23,29)
Les nervures sont pennées et déprimées sur la face supérieure mais
saillantes en dessous. Chaque feuille présente 3 à 5 paires de nervures latérales
inclinées à 45° et se terminant au sommet des lobes. (30)
27
Le calice tubulaire gamosépale à 5 lobes courts et anguleux, mesure environ
4 cm. Il est vert pâle ou violacé. Après floraison, il se rompt circulairement et
seule sa base persiste au-dessous du fruit, le calice est marcescent.
L’androcée est composé de cinq étamines à anthères jaunes étroites et
allongées, s’insérant sur le tube de la corolle.
Le gynécée est bicarpellé avec une région ovarienne à deux loges
antéropostérieures surmontée d’une longue colonne stylaire. (17,28)
Le fruit tout à fait caractéristique, est une capsule ovoïde dressée, de 3-4 cm
de long, entouré à la base par les restes du calice et couverte d’épines rudes
d’où le nom populaire de Pomme épineuse donné à la plante. Biloculaire à
l’origine, ce fruit devient tétraloculaire par formation d’une fausse cloison.
28
Figure 8 : Capsules déhiscentes de Datura stramonium (31,34)
Les graines sont réniformes, aplaties sur une face, de 4-5 cm de long sur 2-3
mm de large et 1 à 1,5 mm d’épaisseur. Le tégument est noirâtre, plus clair au
niveau du hile. La surface de la graine est chagrinée, réticulée, ponctuée. La
section longitudinale montre sous le tégument, un albumen huileux, blanc,
entourant l’embryon deux fois recourbé.
29
Elles ne dégagent pas d’odeur particulière si elles ne sont pas broyées. La saveur
est tout d’abord huileuse, puis âcre et nauséeuse. (29)
c : collenchyme
c.l : macles d’oxalates de calcium
id : cellules à sable
ph : phloème
xy : xylème
e: endoderme
30
Figure 13: Section transversale du limbe (36)
Les poils sécréteurs sont beaucoup plus courts : le pied est unicellulaire ou
plus rarement bicellulaire, la tête est composée de 2 à 7 cellules disposées en
rond.(36)
31
Figure 15 : Observation d’un poil sécréteur au microscope à balayage (36)
32
2.3 Composition chimique
Paris R.R., H. Horse et Garnier G. décrivent la composition du Datura. (19,29)
La feuille sèche contient :
8 % d’eau
15 à 18 % de matières minérales
des traces de scopolétol (une coumarine)
des pigments flavoniques comme l’anthocyanoside qui donne la coloration
violette des nervures chez la variété tatula.
des bases volatiles
des alcaloïdes tropaniques : hyoscyamine et scopolamine, dont la teneur en
alcaloïdes totaux est comprise entre 0,2 et 0,5 %. Les proportions
hyoscyamine/scopolamine sont très variables : généralement voisines de 2/3-
1/3 à 3/4-1/4. (23)
Les graines renferment :
8 à 9 % d’eau
3% de cendres riches en phosphore
15 à 30 % d’huile, l’acide daturique qui serait un mélange d’acide palmitique et
stéarique
0,2 à 0,3 % d’alcaloïdes totaux avec une proportion de scopolamine moins
élevée que dans la feuille.
Les daturas renferment également une famille de composés de nature
stéroïdique appelés withanolides. Ils auraient des propriétés amnésiantes et
anorexigènes. (36)
33
Dans le Datura stramonium, l’hyoscyamine est le principal alcaloïde au
moment de la floraison et après. La jeune plante contient principalement de la
scopolamine. La proportion relative de scopolamine et d’hyoscyamine ne varie pas
seulement avec l’âge de la plante mais aussi fonction de différents facteurs comme
la durée d’ensoleillement, l’intensité de la lumière, les conditions climatiques. Elle
dépend aussi des engrais chimiques, des hormones, de l’espèce de Datura, de la
partie de la plante et de sa période de récolte. (36,37)
Une fleur de datura contient approximativement 0,2 mg d'atropine et 0,65 mg
de scopolamine. Sachant que la dose thérapeutique d'atropine et scopolamine est de
0,5 mg en moyenne pour un adulte, l'ingestion de 10 fleurs (soit une dose de
scopolamine d’environ 65 mg) peut causer la mort. (38)
Une étude a été réalisée afin de comparer les teneurs en atropine et en
scopolamine de différentes espèces sauvages et ornementales du genre Datura
récoltées en France dans la région Poitou Charente. (37) Le tableau 1 répertorie les
résultats de cette étude.
Tableau 1: Teneurs en atropine et scopolamine des différents plants récoltés (en µg/mg de matière
sèche) (37)
34
Graine 0,41 2,3
Péricarpe 0,33 1,7
Datura stramonium var. stramonium f. stramonium (Bassac)
Feuille 2,21 0,27
Graine 1,83 0,28
Péricarpe 0,27 0,32
Racine 1,49 0,03
Datura wrightii (Blossac)
Feuille estivale 0,14 1,15
Feuille d'octobre 0,78 0,51
Fleur d'octobre 0,12 3,97
Racine estivale 1,54 1,74
Datura wrightii (Jardin des plantes)
Feuille 0,37 3,25
Les deux premières espèces de Datura stramonium d’Oléron ont été récoltées
sur un terrain vague de l’île au mois d’août. Ce sont des spécimens adultes avec des
fleurs et des fruits.
Deux espèces de Datura différentes ont été recueillies dans la même
commune de Touches de Périgny : le Datura inoxia et le Datura stramonium var.
stramonium f. stramonium. Ces deux plants sont adultes, en fleurs. Le Datura inoxia
porte des fruits mais pas le Datura stramonium.
Le Datura stramonium var. stramonium f. stramonium de Bassac se développe
en terrain marécageux. Les deux espèces de Datura wrightii ont été récoltées dans
des parcs de Poitiers : l’étude du parc de Blossac porte sur les feuilles et les racines
estivales ainsi que sur des feuilles et des fleurs récoltées à l’automne.
Quant au Datura wrightii du jardin des plantes, ce sont des feuilles et des
fleurs récoltées au début de l’automne.
Il ressort de cette étude que pour les espèces sauvages, de fortes
concentrations en atropine sont observées dans les feuilles et les graines de Datura
stramonium. En revanche les concentrations en atropine sont faibles pour l’espèce
Datura inoxia. Pour l’espèce ornementale Datura wrightii, les concentrations en
atropine retrouvées sont relativement faibles mais les concentrations en scopolamine
sont plus élevées que chez le Datura stramonium. Cependant, ces plants ne
contiennent pas de fruits. On a également constaté une diminution de la teneur en
scopolamine entre l’été et l’automne dans les feuilles. Ce phénomène s’explique par
la migration des alcaloïdes vers la fleur.
35
Il n’existe pas de cas d’intoxication au Datura wrightii décrit dans la littérature.
Mais il est fort probable qu’une partie des intoxications supposées au Datura
stramonium soit due en réalité au Datura wrightii ces espèces étant proches au
niveau des fleurs et des fruits. Une dose de 5 mg d’atropine entraîne une intoxication
nette, sachant qu’une graine de D. stramonium f. stramonium pèse environ 9 mg et
considérant une biodisponibilité de 100 %, une centaine de graines pourrait donc
suffire à intoxiquer un adulte.
Les alcaloïdes possèdent une grande diversité dans leur origine botanique et
biochimique, leur structure chimique et leur action pharmacologique. La classification
phytochimique des alcaloïdes est basée sur l’origine de l’acide aminé utilisé pour
fabriquer cet alcaloïde. (36)
Les acides aminés en C4 et en C5, ornithine et lysine, sont à l’origine de
nombreux alcaloïdes dont la structure peut-être plus ou moins complexe. La
complexité dans ce groupe se traduit par la formation, à partir de plusieurs molécules
de l’acide aminé, d’édifices polycycliques : pyrrolizidines, indolizidines, quinolizidines
(bi-, tri-, tétra-, pentacycliques). La complexité peut également trouver son origine
dans l’intervention d’autres précurseurs : acétate (tropanes, homotropanes,
élaeocarpine), phénylalanine (phénanthroindolizidine, phénanthroquinolizidine),
tryptophane (élaeocarpidine), acide nicotinique (nicotine, anabasine), acide
phénylpropanoïque (alcaloïdes des Lythraceae).
15
L’utilisation d’acides aminés marqués à l’azote N montre que c’est l’azote
terminal (δ ou ε) qui est incorporé et le marquage au tritium permet de démontrer
qu’en règle générale le proton en 2 est retenu, ce qui exclu que les α-cétoacides (2-
oxo-5-aminopentanoïque) soient les précurseurs des cycles : ce sont plus
vraisemblablement les aldhéhydes (4-aminobutanal et 5-aminopentanal), en équilibre
avec les formes cycliques (Δ1-pyrrolidéine et Δ1-pipéridéine) qui sont les véritables
précurseurs des structures pyrrolidiniques et pipéridiniques.
37
Figure 18 : Types structuraux les plus fréquents biosynthétiquement rattachés à l’ornithine et à la
lysine (30)
39
Cette racémisation s’explique facilement par le fait que l’acide tropique
possède un carbone asymétrique. (2) (Figure 20)
40
2.3.4 La biogenèse des alcaloïdes tropaniques
41
D’autres voies sont possibles : l’hygrine peut aussi servir de précurseur au
noyau tropanol et le groupe N-méthyl peut aussi être donné par la méthionine, qui
doit être inséré à un stade précoce de la biosynthèse du noyau tropanol. La
putrescine et son dérivé N-méthylé servent aussi de précurseur conjointement à
l’incorporation stéréospécifique de l’ornithine. L’association des deux conduit à la
formation du noyau tropanol comme le montre la figure ci -dessous :
42
Figure 24: Synthèse de l’acide tropique à partir de la phénylalanine (30)
Protocole de la réaction(16) :
Agiter 1 g de feuille de stramoine pulvérisée (180) avec 10 mL d’acide
sulfurique 0,05 M pendant deux minutes et filtrez. Au filtrat, ajouter 1 mL
d’ammoniaque concentré R et 5 mL d’eau R. Agitez ce mélange avec 15 mL d’éther
exempt de peroxydes R, avec précaution pour éviter la formation d’émulsion.
Recueillez la phase éthérée et desséchez-la sur du sulfate de sodium anhydre
R. Filtrez dans une capsule de porcelaine, puis évaporez l’éther. Ajoutez 0,5 mL
d’acide nitrique R, puis évaporez à siccité au bain-marie. Ajoutez 10 mL d’acétone R
et, goutte à goutte, une solution d’hydroxyde de potassium R à 30 g/L dans l’éthanol
à 96 pour cent R. Il se développe une coloration violette.
44
Protocole :
Solution à examiner : A 1,0 g de feuille de stramoine pulvérisée (180) ajoutez 10 mL
d’acide sulfurique 0,05 M, agitez pendant 15 min et filtrez. Lavez le filtre avec de
l’acide sulfurique 0,05 M jusqu’à obtention de 25 mL de filtrat. Au filtrat, ajoutez 1 mL
d’ammoniaque concentrée R et agitez avec 2 fois 10 mL d’éther exempt de
peroxydes R. Séparez par centrifugation si nécessaire. Réunissez les phases
éthérées et desséchez-les sur du sulfate de sodium anhydre R, filtrez et évaporez le
filtrat à siccité au bain-marie. Dissolvez le résidu dans 0,5 ml de méthanol R.
Solution témoin : Dissolvez 50 mg de sulfate d’hyoscyamine R dans 9 mL de
méthanol R. Dissolvez 15 mg de bromhydrate de scopolamine R dans 10 mL de
méthanol R. Mélangez 3,8 mL de la solution de sulfate d’hyoscyamine et 4,2 mL de
la solution de bromhydrate de scopolamine puis complétez à 10 mL avec du
méthanol R.
Plaque : plaque au gel de silice G pour CCM R.
Phase mobile : solution d’ammoniaque concentré R 3 mL, d’eau 7 mL et d’acétone R
90 mL
Dépôt : 10 µL et 20 µL, en bandes de 20 mm sur 3 mm, distantes de 1 cm.
Développement : Parcours de 10 cm.
Séchage : à 100-105°C pendant 15 min ; laissez refroidir.
Détection A : pulvérisez environ 10 mL de solution d’iodobismuthate de potassium R2
pour une plaque de 200 mm de côté, jusqu’à apparition de bandes oranges ou
brunes sur fond jaune.
Résultat A : Les bandes des chromatogrammes obtenus avec la solution à examiner
sont semblables quant à leur position (hyoscyamine dans le tiers inférieur,
scopolamine dans le tiers supérieur des chromatogrammes) et leur coloration à
celles des chromatogrammes obtenus avec la solution témoin. La dimension des
bandes des chromatogrammes obtenus avec la solution à examiner n’est pas
inférieure à celle des bandes correspondantes dans le chromatogramme obtenu
avec le même volume de solution témoin. Des bandes secondaires de faible intensité
peuvent apparaître en particulier au centre du chromatogramme obtenu avec 20 µL
de solution à examiner ou près du dépôt dans le chromatogramme obtenu avec 10
µL de solution à examiner.
Détection B : pulvérisez de la solution de nitrite de sodium R jusqu’à ce que la
couche devienne transparente et examinez après 15 min.
Résultat B: la coloration des bandes dues à l’hyoscyamine dans les
chromatogrammes obtenus avec la solution témoin et la solution à examiner vire au
45
brun-rouge mais pas au bleu-gris (atropine) et les bandes secondaires éventuelles
disparaissent.
Éléments étrangers
Cendres totales
2.5 Pharmacocinétique
Les alcaloïdes hallucinogènes du datura sont rapidement absorbés à partir du
tube digestif, ils exercent de ce fait très vite leurs effets pharmacologiques. Leur
métabolisme est essentiellement hépatique et contribue pour 50% à leur élimination,
la fraction non métabolisée étant éliminée sous forme inchangée dans les urines. (2)
Atropine Scopolamine
(D,L-hyoscyamine) (L-hyoscine)
Volume de
1à6 1,4
distribution (l/kg)
Concentrations
thérapeutiques 2 à 25 0,1 à 1,0
(ng/ml)
Concentrations
20 à 30 .
toxiques (ng/ml)
Concentrations
˃ 200 .
létales (ng/ml)
46
2.6 Pharmacologie
Il est produit par des substances de type atropine qui inhibent les effets de la
stimulation de la fibre post-ganglionnaire du parasympathique et possèdent à doses
élevées une action excitatrice centrale. Elles s’opposent donc par un blocage
compétitif et réversible des récepteurs périphériques et centraux, à l’action de
l’acétylcholine. Elles inhibent l’effet bradycardisant de celle-ci, ont une action
antispasmodique au niveau des fibres musculaires lisses du tube digestif, des voies
biliaires et urinaires, ralentissant la vidange gastrique et diminuant les sécrétions
digestives, lacrymales et sudorales. Les signes et symptômes du syndrome
anticholinergique qui sont liés à un blocage périphérique sont : mydriase, sécheresse
de la peau et des muqueuses, vasodilatation, hyperthermie, rétention urinaire, iléus
et tachycardie. Les signes de blocage central sont : confusion, agitation,
tremblements, convulsions, coma et dépression respiratoire.
La gravité du tableau clinique est très variable fonction du toxique en cause et
de la quantité ingérée. Les formes bénignes sont les plus fréquentes, se limitant à
une mydriase, une sécheresse buccale et une tachycardie sinusale, alors que les
formes graves sont déterminées par la présence de signes neurologiques parfois
dangereux sur le plan vital. Les alcaloïdes des Solanacées peuvent provoquer des
intoxications sévères avec signes cardiaques et neurologiques. (2)
2.6.2.1 Atropine
Cet antagonisme supprime donc les effets (de façon réversible) de la mise en
jeu du système parasympathique et entraîne au niveau des organes concernés, des
effets d’apparence sympathomimétique :
47
Au niveau cardiaque : à doses faibles, elle ralentit le cœur par stimulation du
centre cardiomodérateur bulbaire. A des doses plus fortes, elle antagonise les effets
muscariniques de l’acétylcholine et supprime ainsi l’activité frénatrice du vague, d’où
l’apparition d’une tachycardie.
Au niveau vasculaire, les effets tensionnels sont peu marqués. Mais, aux
doses toxiques elle est hypotensive. On observe donc une vasodilatation des
vaisseaux capillaires cutanés, surtout au niveau de la face (flush atropinique).
Au niveau des fibres lisses, l’atropine induit un relâchement des fibres, une
inhibition motrice: diminution du tonus, de l’amplitude et de la fréquence des
contractions péristaltiques intestinales, paralysie des uretères, induction d’une
rétention urinaire, diminution du tonus des voies biliaires, opposition à l’activité
broncho-constrictrice de l’acétylcholine.
Au niveau de l’ensemble des sécrétions : L’atropine tarie toutes les
sécrétions : salivaires, sudorales, bronchiques, lacrymales et gastriques. Aux doses
toxiques, l’inhibition de la production de sueur provoque une fièvre importante.
Au niveau oculaire, l’alcaloïde induit une mydriase passive, par paralysie des
muscles constricteurs iriens et du muscle ciliaire du cristallin. On note également une
paralysie de l’accommodation (ou cycloplégie) consécutive à la perte de tonus des
muscles ciliaires (l’œil reste réglé pour la vision des objets lointains) et une
augmentation de la pression intraoculaire.
A côté de ces effets sur le système nerveux autonome, l’atropine exerce des
effets consécutifs à son interaction avec les récepteurs muscariniques centraux. Ces
effets ne se manifestent généralement qu’aux doses toxiques : excitation importante,
agitation, désorientation, exagération des réflexes, hallucinations, délire, confusion
mentale, insomnie. (23) L’emploi de doses plus élevées conduit après une phase de
stimulation à une phase de paralysie et de coma puis à une dépression avec
défaillance circulatoire et dépression respiratoire. L’atropine est davantage prescrite
en raison de ses effets beaucoup plus limités sur le système nerveux central que la
scopolamine. (2)
2.6.2.2 Hyocyamine
C’est un isomère de l’atropine, deux fois plus actif et aussi plus toxique. Les
effets nerveux sont comparables à l’atropine.
48
2.6.2.3 Scopolamine
Ses effets sur le système nerveux central sont nets et différents: action sédative,
tranquillisante, hypnotique, amnésiante. (23) Elle est également susceptible de
causer une certaine euphorie à l’origine d’abus. A plus fortes doses, les effets sont
voisins de ceux constatés avec des doses toxiques d’atropine, à type de stimulation
centrale avec agitation, hallucinations ou délire. (2)
Un enfant de 12 ans confondit son père avec un camarade de classe, vit des
serpents sur le bras de sa mère et caressa un manteau qu’il prit pour sa mère.
50
Les décès liés à l’intoxication par datura sont très rares et la grande majorité
d’entre eux sont la conséquence d‘actes inconsidérés induits par l’état mental
perturbé des intoxiqués. Comme l’exemple de deux individus qui se rendirent à la
piscine à la « recherche de dauphins aux yeux rouges » et se noyèrent à la suite
d’une profonde somnolence. (9)
51
Protocole d'évaluation de la gravité du syndrome anticholinergique (44)
Figure 26 : Symptômes observés dans les cas d’exposition au datura comme seul agent impliqué
(n=447) (10)
52
2.7.2 Signes cliniques de l’intoxication chronique
Dans le datura, la teneur en alcaloïdes oscille entre 0,2 et 0,6 %. Le datura est
riche en scopolamine il atteint 33 % des alcaloïdes totaux contre 67 % pour l’atropine
et la L-hyoscyamine. La dose toxique chez l’enfant est de 2 à 5 g de graines (0,1
mg/kg exprimé en scopolamine) en sachant que 1 graine pèse environ 8 mg, 1 g =
125 graines donc la dose toxique est atteinte pour 250 à 625 graines. La dose létale
de l’adulte est de 10 à 12 g de graines ce qui fait 1250 à 1500 graines (soit plus de 2
à 4 mg de scopolamine). (2)
Pour les graines de stramoine, les quantités toxiques peuvent être appréciées
à partir de la teneur en alcaloïdes. Le taux scopolamine/atropine varie de façon
importante selon la variété. Une centaine de graines représenteraient donc de 1,6
mg à 2,7 mg d’alcaloïdes, en prenant un taux moyen. Il a cependant été observé que
30 à 50 graines induisent mydriase et hallucinations visuelles chez la majorité des
sujets concernés. (9)
53
Les examens toxicologiques par des techniques rapides immuno-
enzymatiques éliminent des causes toxiques possible (ecstasy, cocaïne,
amphétamine) et orientent souvent vers un contexte de poly-toxicomanie. (45)
Les principes actifs des plantes toxiques sont pour la plupart détectables par
chromatographie liquide couplé à la spectrométrie de masse (CL-SM) et la
chromatographie liquide couplée à la spectrométrie de masse tandem (CL-SM/SM).
Le principal atout de cette dernière méthode est la combinaison d’une technique
chromatographique presque universelle et robuste, à la spécificité et la sensibilité de
la spectrométrie de masse. Cette technique permet des extraits moins purs avec de
meilleurs rendements et des gradients plus courts en s’appuyant sur la spécificité de
la spectrométrie de masse tandem et sa très grande sensibilité pour la recherche de
traces. (46)
54
Coefficient de variation (%) à
Rendement LD
Composé d'extraction (ng/ml)
10 100
0,1 ng/ml 1 ng/ml (%) (n= 30)
ng/ml ng/ml
Les principes actifs sont extraits par une triple extraction en phase liquide,
l’extrait final est repris par l’acétonitrile. La séparation chromatographique est
réalisée sur colonne C18-ODS avec un gradient de phase
(tampon/acétonitrile/méthanol). La détection est effectuée en mode positif. La figure
27 montre le chromatogramme d’un extrait de sang total dans un cas d’intoxication
par datura.
55
Figure 27: Chromatogramme sur colonne ODS d’un extrait de sang total. Pics 1a et 1b = atropine (m/z
290,3 et 124,2), 2a et 2b = scopolamine (m/z 304,3 et 156,2)(2)
56
qui permet de quantifier la scopolamine dans le sang en suivi thérapeutique. Grâce
à cette technique on peut atteindre une limite de quantification de 0,02 ng/mL. (2)
Les dosages de scopolamine et atropine par CL-SM/SM sur des prélèvements
à différents stades de l’évolution permettent la bonne compréhension des tableaux
cliniques. La pratique des prélèvements sanguins sur lithium héparine pourrait rentrer
dans la pratique aux urgences pour mettre en œuvre les méthodes d’analyses de
référence. (45)
Le Remedi®
3
Rapid drug emergency identification Biorad
57
collecte d’éléments recueillis auprès de l’entourage (contexte, consommation
collective...) ou les effets personnels de l'intoxiqué (sachets de graines, fleurs, tisane
préparée....)
Avant toute administration un ECG doit être réalisé ainsi qu'un ionogramme
sanguin afin de dépister une éventuelle hyponatrémie secondaire à une potomanie
favorisée par la sécheresse buccale induite par le datura. (44)
Contre-indications relatives
Une étude a été réalisée aux États-Unis de 1997 à 2003 afin de comparer la
durée de l'hospitalisation en soins intensifs après l'intoxication au Datura stramonium
59
fonction du protocole de prise en charge d'urgence suivi : physostigmine versus
benzodiazépine(s) et lavage gastrique versus absence de lavage gastrique.
La conclusion de l'étude est que l'utilisation d'une méthode par rapport à
l'autre n'a pas influencé significativement le temps d'hospitalisation du patient pour
les deux points comparés. Le problème de l'étude est la reproductibilité. Les
personnes utilisées pour l'enquête n'avaient pas ingéré la même quantité de datura
et n'ont pas été pris en charge à la même heure après l'ingestion.
Les limites de cette étude méritent considération, à savoir, la réalisation
rétrospective qui empêche la randomisation, le nombre de feuilles ingérées et
l'intervention pratiquée. De plus le faible nombre de patients de l'échantillon pour qui
on a administré la physostigmine (3 patients/17) et fait subir un lavage gastrique (14
patients/17) induit un risque d'erreur statistique. (48) Cependant cette étude n’est pas
pour autant sans poids scientifique car elle rend compte de la difficulté du traitement
de l’intoxication.
60
3 Le problème de la toxicomanie au Datura et la
place d’internet sur la consommation
3.1 Niveau de consommation en France : état des
lieux
Parmi les hallucinogènes naturels, les champignons hallucinogènes occupent
incontestablement la part la plus importante des consommations. Cependant, le
phénomène marquant de ces dernières années est la vogue des autres plantes
hallucinogènes.
Le développement de cette consommation a été interprété comme s’inscrivant
dans une mode de consommation privilégiant les produits naturels ou biologiques.
Parmi les plantes hallucinogènes, la salvia et le datura sont les plus fréquemment
expérimentés. (5)
61
3.1.1.1 Matériel et méthodes pour le recueil des données
Tableau 5 : Périodes de contribution des systèmes d’information base nationale des cas d’intoxication
(BNCI) du SICAP (10)
62
3.1.1.2 Résultats
Figure 28 : Répartition géographique des cas d’expositions issus des CAPTV (n=537) (10)
Au total quelles que soient les circonstances d’expositions, 537 cas ont été
rapportés au réseau des CAPTV. Il s’agit de 380 hommes et de 155 femmes, soit un
sexe ratio homme/femme de 2,5. Le sexe du patient n’est pas renseigné dans 2 cas.
Concernant les expositions survenues dans un contexte de toxicomanie/addiction,
271 cas ont été rapportés (228 hommes et 45 femmes soit un sexe ratio
homme/femme de 5,3).
63
3.1.1.2.2 Répartition des cas d’exposition en
toxicomanie/addiction
Figure 29 : Répartition par année des cas d’exposition en toxicomanie/addiction issue des CAPTV
(n=271) (10)
Figure 30 : Répartition mensuelle des cas rapportés aux CAPTV toutes circonstances confondues
(n=537) (10)
64
3.1.1.2.3 Répartition par classes d’âge
Figure 31 : Répartition des circonstances volontaires selon les classes d’âge (CAPTV n=324) (10)
Tableau 6 : Répartition des circonstances volontaires selon les classes d’âge (10)
65
3.1.1.2.4 Répartition des cas selon la voie d’exposition
Les cas sont répartis selon la voie d’exposition pour les circonstances de
toxicomanie/addiction.
Figure 32: Répartition des cas selon la voie d’exposition pour les circonstances de
toxicomanie/addiction (n=271) (10)
Figure 33: Produits associés au datura, dans 59 cas de toxicomanie/addiction (n=59) (10)
66
Lors de consommation à visée récréative, le datura est à priori consommé seul
dans la majorité des cas. Toutefois, lorsque qu’il y a une notion d’association à un
autre produit (59 cas), il s’agit d’une substance psychoactive avec en premier lieu
l’alcool, suivi par le cannabis. Dans les 3 cas nommés « drogue », hors médicament,
la substance n’est pas précisée.
« Du datura ? Je n’en ai pris qu’une fois ! Un truc comme ça, sur trois jours, tu captes
rien, tu maîtrises rien ; moi, je n’aime pas trop, c’est un peu trop violent ! »
« J’ai appris après, j’aurais dû me renseigner mieux que ça avant, que ça pouvait
être assez dangereux, finir en psychiatrie ou même, mourir carrément, ou être dans
le coma, donc... »
« Une fois j’ai pris du datura, et ça m’a bien traumatisée on va dire »
67
« Le datura, j’ai essayé légèrement mais alors ça m’a vraiment fait peur ! Non tu ne
maîtrises plus rien du tout. Déjà avec le reste tu ne maîtrises rien, mais là c’est
vraiment... Moi, je n’ai pas aimé du tout. En fait si tu veux savoir, je me suis calmé
avec de la rabla [héroïne] derrière ! »
Parmi les cinq personnes qui en ont pris plusieurs fois, deux ne veulent plus
recommencer. L’une en a consommé à trois reprises et réalise qu’à chaque fois les
hallucinations étaient « glauques » et qu’un accident grave a été évité de justesse ;
l’autre en a intensivement consommé, jusqu’à en prendre quotidiennement, et a
cessé l’usage depuis une année au jour de l’entretien, à la suite du choc ressenti lors
de la perte d’un ami, renversé sur la route alors qu’il était sous datura : « Pendant
deux, trois mois ça a été tous les jours, tous les matins, huit graines, les autres
l’après midi, tu les mâches et tout, et puis c’est parti. Après voilà, c’était deux fois huit
graines par jour et une petite infu de cinquante centilitres […] Le datura, non j’en
prendrai plus, parce que voilà, je sais ce que ça donne ».
Il n’y a donc que trois personnes sur les treize expérimentateurs qui sont
usagers actifs de datura au moment de l’entretien.
Le datura peut être recueilli sur le site de Lille, mais son usage est rarissime.
Des récits sont occasionnellement relatés, soit par des « touche-à-tout » qui ne
réitèrent pas leur expérimentation, soit par des usagers appartenant à des milieux
alternatifs. (49)
Deux témoignages sur le datura ont été recueillis en 2007 et aucun en 2008 ;
le premier l’a été lors du festival de Dour en juillet 2007. Le datura et les graines de
LSA ont été évoqués mais par de rares usagers uniquement. Le datura n’avait pas
été acheté sur le site du festival mais ramené par un petit groupe d’amis qui le
gardait pour consommation personnelle.
Le second émane d’un usager et rend compte d’une expérience ancienne :
« Le datura, j’en ai goûté une fois, mais je pense que ça ne devait pas être la bonne ;
ça ne m’a pas fait d’effets. C’était une sorte de datura qui pousse dans les bacs
municipaux ; je me suis fait des graines et je n’ai rien senti. Il y a plein de sortes de
datura. Sur Internet on en trouve facilement ; il y a des forums d’échange. Sur Lille,
on peut en trouver dans des milieux de travellers, des gens qui vivent dans des
squats, qui vivent de revente et de deal. Musicalement, le plus souvent c’est des
68
mouvements teknomanes, hardcore, free parties. La plupart du temps c’est des
jeunes qui cherchent à faire la fête, qui sont en recherche de sensations fortes, qui
recherchent toujours quelque chose de plus puissant, parce qu’ils ont franchi une
étape ». [Sébastien un étudiant de 19 ans]
Données du CAPTV de Lille
4
Aisne, Oise, Somme, Nord, Pas-de- Calais, Eure, Seine-Maritime
69
Le caractère récent de ces pratiques permet d’inscrire leur discours dans
l’époque actuelle et de s’intéresser aux motivations des usagers d’aujourd’hui. Le
revers de ce choix d’enquête, est qu’elle n’a pas pu s’intéresser aux personnes qui
ont cessé l’usage, et qui auraient pu exposer les raisons de leur choix ; ni aux
usagers très occasionnels qui ont vraisemblablement des motivations différentes de
ceux qui répètent les prises régulièrement.
Autre point négatif pour notre sujet, cette enquête ne concerne pas seulement
les usagers de datura mais les usagers de champignons et de plantes
hallucinogènes en général dont le datura. Ainsi sur les trente personnes interrogées
dans cette enquête, vingt-huit sur trente personnes ont consommé des plantes
hallucinogènes mais seulement treize personnes ont consommé du datura.
Le problème est que les consommateurs de datura sont pour la plupart des
poly-toxicomanes. D’où la difficulté de trouver des données en grand nombre. Cela
dit, le sérieux de l’enquête réalisé par le dispositif TREND nous permet à travers ces
treize cas de consommateurs de datura d’avoir une idée du contexte de sa
consommation.
5
Littéralement « mauvais voyage », soit un épisode d’angoisse qui peut confiner à la terreur et qui
résulte de l’effet d’une plante hallucinogène.
70
Tableau 7 : Classement des principaux effets ressentis des champignons et des plantes
hallucinogènes (5)
Les grandes catégories d’effets le plus souvent recherchés sont les effets
stimulants, euphorisants et de perturbation des sens, mais aussi ceux qui apportent
la sérénité ou qui suscitent la réflexion, et les effets déroutants qui surprennent ou
qui déstabilisent. Cependant ces deux derniers types d’effets, sont plus ambigus car
ils peuvent être ressentis sans être désirés. Les effets ténébreux sont quant à eux
jamais recherchés car ils suscitent la peur.
A ces principaux effets peuvent s’ajouter ceux dits « inconfortables », qui ne
sont pas forcément mal vécus mais peuvent perturber péjorativement la sensation
des effets recherchés : diarrhées, vomissements, palpitations...
Les usagers insistent toujours sur l’importance du dosage d’une même
substance pour obtenir l’un ou l’autre des effets.
Nous nous intéresserons particulièrement aux effets ressentis lors de la
consommation de datura par les jeunes poly-toxicomanes interrogés lors de
l’enquête du dispositif TREND. (5)
Ils sont caractéristiques de toutes les plantes consommées, sauf si les prises
génèrent un état de perte de conscience ou d’incapacité à se mouvoir du fait de
l’utilisation de produits aux effets violents comme le datura, ou du fait d’un
surdosage.
71
Le datura suscite souvent le désir irrépressible de marcher sur de longues
distances.
Ces effets sont très rarement décrits. Ils ont été cependant relatés à l’occasion
d’une prise de datura par une personne lors de l’enquête. « Je me suis endormi et je
me suis réveillé peut-être cinq heures après m’être endormi, et j’avais fait, enfin c’est
comme si j’avais fait un voyage quoi, c’était... On aurait dit un rêve initiatique […]
J’avais vraiment des sensations de grandeur, sur une montagne, sur un rocher...
Vraiment une sensation d’être grand, d’être puissant ».
« Le datura, moi il me démonte la gueule ! [Il rit] Je suis perdu, y’a plus aucun truc
qui marche dans le même sens […] Y’a des anecdotes de fou quoi ! Une pote à moi
qui cherchait une pote en soulevant les plaques d’égout en criant « Margoooot ! »,
moi j’essayais de grimper sur les murs... »
« C’est vrai que là, oh putain ! J’ai fait fort ! A un moment je passais par une rue, je
disais « c’est bizarre et tout ! Normalement, la rue est droite pour rentrer chez moi » ;
je la voyais en virage ! […] Et en fait mon chien, heureusement qu’il était là, quoi tu
vois, comme quand on dit des fois, « la voiture connaît le chemin ». Ben mon chien,
tu lui dis « cherche l’appart ! Cherche la maison ! » Tu le suis, il t’emmène à l’appart,
il y a pas de problème. Et du coup, j’ai été obligé de suivre mon chien pour rentrer à
72
la maison, moi je croyais que je m’étais perdu […] et la rue pour moi je la voyais,
wou, wou, wou, alors qu’elle est droite quoi ! »
Ce sont les états désirés par les consommateurs tout en étant redoutés. Les
effets déroutants vont surprendre, étonner. Ils peuvent susciter une réaction d’hilarité
ou de stupéfaction au moment de l’effet ou, a posteriori, lorsque l’épisode est
raconté.
De nombreux effets déroutants sont relatés au sujet du datura, comme le fait
de parler tout seul à des interlocuteurs imaginaires ou bien à un objet ou un être
inanimé : le mur, un arbre. Voici quelques extraits des paroles de consommateurs de
datura :
« On en prenait un peu tous les jours. Ça allait dans la journée quand on faisait la
manche entre nous, on rigolait entre nous, mais arrivé au soir, il suffisait qu’on boive
un peu d’alcool après le soir, voilà, c’est folklo, quoi, tu parles tout seul, pourtant il y a
les copains à côté, mais non tu es tout seul, moi j’ai couru après mon chien, il était
pas là, pleins de truc comme çà ».
« Tu fais des choses insensées, mais tu les fais bien. Par exemple tu montes des
escaliers, tu vas les monter très bien, pas comme quelqu’un qui est défoncé, mais tu
ne seras pas conscient que tu montes les escaliers, tu ne sauras pas pourquoi tu le
fais, ni où tu vas […] comme si tu étais possédé, t’étais en dehors de ton corps,
t’étais mis sur la touche quoi, et pendant ce temps, quelqu’un prend le contrôle de
ton corps, et fait des choses sans que tu le saches. Tu dis des mots qui ne veulent
rien dire, dans une langue inconnue... »
« On marchait dans Lyon, on discutait avec des gens alors qu’il n’y avait personne,
c’est tout là-dedans quoi, on a l’impression qu’il y a du monde alors qu’il n’y a
personne des fois ».
Ces effets déroutants sont souvent vécus comme étant à la limite des effets
ténébreux, Il y a la crainte du bad trip, la peur d’hériter d‘un état de conscience qui
reste modifié après la prise, mais aussi la peur des accidents(5) :
« C ‘est pas spécialement parce que la datu m’apporte quelque chose ; tu délires
avec les potes, tu pars dans tous les sens, y’a des anecdotes de fou […] J’essayais
de grimper sur le mur, et je lisais les trucs au fur et à mesure. [Rires] Le datu c’est
73
chaud en fait, c’est chaud parce qu’il faut vraiment doser bien, parce que si tu doses
mal, ça peut-être mortel déjà, ou alors ça peut te percher la gueule comme pas
possible ! […] Parce que ça me fait peur maintenant, parce que j’ai vu les états dans
lesquels on était. Franchement quand tu as fini ta perche, pfff tu réalises : « Mais
qu’est-ce qui vient de passer ? » En fait ces trois jours tu les as oubliés, comme si tu
étais dans une autre sphère, y’avait plus de jour, y’avait plus de nuit, y’avait plus rien,
et c’est tout, tu vivais, tu mourrais... »
Ce sont des effets non désirés ressentis comme des sensations glauques
voire morbides. Le datura est surtout présenté comme une plante provoquant des
visions qui créent la peur, l’angoisse, le stress, la panique. Les visions évoquent
généralement l’histoire personnelle dans ses aspects les plus sombres ou font appel
à la mythologie populaire pour exprimer et donner corps à l’angoisse : les chats
noirs, les corbeaux... Les effets dits ténébreux sont ressentis après les prises, par le
fait que rien n’a été maîtrisé ou que le souvenir des événements a pu s’effacer. Voici
des témoignages de consommateur de datura(5) :
« Les corbeaux, c’est pas super. En plus c’est revenu les trois fois ce genre de
visions […] c’est super glauque, quoi c’est clair, c’est dangereux en plus c’est clair
aussi »
« Comme je connaissais pas la plante [le datura], et que je ne me connaissais pas
moi même, ces hallucinations elles étaient très... Très lugubres. Je voyais des
monstres […] l’arbre se transformait en monstre, ou en mon père, beaucoup de
choses qui ressortent de vous-même en fin de compte, c’est surtout ça. C’était un
combat de moi contre moi on va dire […] Mon père se transformait en monstre ! Je
me voyais moi-même, en plus jeune, en beaucoup plus vieux, mais en ne me
reconnaissant pas non plus. Je savais que c’était moi mais ce que je voyais c’était
pas moi non plus ».
« Tu va voir passer des chats noirs, ou des animaux noirs vite fait, et tu tournes la
tête, il n’y a rien ».
« Tu vois, je m’en allais, je ne sais pas ce que j’ai fait pendant deux jours. C’est bien
simple quoi, voilà. Et puis ce n’était pas mes fringues, ce n’était pas mes fringues à
moi, j’étais toute crado, je m’étais roulée par terre, j’en sais rien. […] On m’en avait
tellement parlé avant. C’est un produit méchant, tu peux rester perché […] J’ai
74
vraiment flippé de prendre du datura, j’ai vraiment eu peur, j’ai eu plus ou moins des
trous. Et je ne sais pas ce que j’ai fait ».
A travers ces témoignages on comprend que le datura n’est pas la plante
privilégiée par ces gens en recherchent de sensation fortes. Il n’est le plus souvent
testé qu’une seule fois et suit la peur de recommencer.
Cependant sa grande accessibilité (plante ubiquitaire), sa simplicité de
préparation et d’administration pour des effets psychotropes très forts, bien que
dangereux peuvent en faire une drogue de choix chez des populations très
défavorisées et marginalisées, l’emploi de cette drogue sort alors clairement du
cadre du « néo-chamanisme ».
Les espaces urbain et festif techno auxquels ont été adjoint l’espace festif gay
en 2007, constituent les deux grands domaines d’observation des populations et des
usagers de drogues du dispositif TREND.
A ces deux espaces correspondent, le plus souvent des populations d’usagers
différentes auxquelles sont attachées des perceptions, des expériences des drogues
et des pratiques distinctes.
Cependant, l’apparition depuis les années 2000, d’une population « errante »
qui transite entre ces deux espaces et l’entrée dans la dépendance de certains
usagers ayant débuté leur consommation de drogues dans l’espace festif, tend
progressivement à rendre plus floues leurs frontières et leurs spécificités. De plus le
micro trafic et l’achat sur Internet, entraînent actuellement une diffusion
géographique de la disponibilité des drogues qui participe à une dispersion plus
importante des usages.
Afin de mieux comprendre comment sont obtenues ces données et les
populations concernées, voici la définition des espaces et des populations observées
par le dispositif TREND.
76
de manière plus occasionnelle que d’autres usagers. Les usagers de drogues les
mieux insérés fréquentent quant à eux encore plus rarement les CAARUD.
Le profil de ces usagers de l’espace urbain a été étudié en 2008 voici un
résumé des statistique réalisés. (18)
La moyenne d’âge est de 34,1 ans. Il s’agit d’une population très
majoritairement masculine à 78,3%. La part des femmes est plus importante chez les
plus jeunes. Plus de la moitié des personnes rencontrées vivent seules, 55,6% et
18,9% vivent en couple. Les autres vivent avec des amis, des parents ou seuls avec
leurs enfants. Ces usagers présentent une vulnérabilité sociale importante, 49,3%
connaît des conditions de logement instables, 60% d’entre eux sont sans domicile
fixe ou vivent en squat. Les autres ont un mode de logement provisoire. Un quart
dispose d’un salaire ou d’allocations de chômage. Plus de la moitié perçoivent un
revenu social : le RMI (Revenu minimum d’insertion) pour 35,2% ou une allocation
adulte handicapé pour 13,9%. L’autre quart ne dispose d’aucun revenu licite
(mendicité, ressources illégales, prostitution). 1,1% sont aidés par de la famille ou
des tiers. Point de vue scolaire, 23,4 % seulement ont atteint le niveau bac (avec ou
sans l’examen). 63,6 % dispose d’un diplôme professionnel du secondaire (CAP,
BEP) ou n’a pas été au delà du collège. 11% se trouvent sans papiers d’identité,
parmi eux la moitié se trouve en France illégalement, l’autre moitié a égaré ou s’est
fait voler ses documents d’identité.
Ces personnes sont de forts consommateurs de produits psychotropes en tout
genre. Les consommations d’hallucinogènes, parmi les usagers des structures de
première ligne, restent principalement le fait de ceux qui fréquentent également le
milieu festif techno (à l’exception de certains hallucinogènes naturels). Parmi les
usagers de l’espace urbain, nous nous attarderons sur une sous-population qui
concerne d’avantage notre sujet, à savoir les jeunes en errance.
L’espace festif techno regroupe l’espace festif alternatif (free parties, rave
parties, teknivals) et l’espace festif commercial (bar et clubs programmant de la
musique techno, discothèques, etc). Nous nous intéresserons en particulier à
l’espace festif alternatif qui concerne plus les consommateurs de datura.
Les manifestations festives alternatives se structurent autour d’un ou de plusieurs
sound system et présentent différentes formes(18) :
Les raves parties : payantes, rassemblant en général plusieurs milliers de
personnes, organisées dans des établissements de nuit principalement, et
soumises à autorisations.
Les free parties : rassemblent un nombre moindre de personnes (une
centaine) et se déroulent souvent en extérieur ou dans un bâtiment
« détourné » type usine désaffectée. Elles se déroulent sur une ou deux nuits,
de manière « sauvage », sans autorisation. Elles sont gratuites ou sur
donations.
78
Les tecknivals : manifestations de grande ampleur en plein air, gratuites,
attirants un public plus large (jusque 80 000 personnes) et pouvant durer plus
de trois jours.
Pour identifier des populations, à travers ces lieux ou ces événements, une
étude ethnographique menée en 2004 et 2005 dans plusieurs agglomérations a fait
apparaître des logiques d’organisation de la population festive similaires dans
l’ensemble des sites.
Ainsi on retrouve quatre groupes d’affinité, lesquels constituent des sous
populations homogènes tant par leur vécu identitaire que par la perception du groupe
par les observateurs extérieurs (18).
80
3.2.3 Perception du risque
Globalement la notion de risque n’apparaît pratiquement jamais spontanément
dans le discours des usagers de champignons et de plantes hallucinogènes. Les
liens entre pratiques et risques ne sont pas immédiats. Les individus préfèrent parler
d’abus et de limites à ne pas dépasser. (51)
81
risque. Pour les autres, le fait de percevoir des risques ne les conduit pas à cesser
leur pratique mais plutôt à développer des conditions favorables pour éviter
d’éventuels problèmes. Tout d’abord de veiller au dosage du produit, ensuite de
consommer dans un contexte approprié c’est à dire être entouré de personnes de
confiance dans un lieu sécurisant et/ou sécurisé, le plus souvent non confiné et de
veiller à ne consommer que lorsque son état psychologique est bon. (5)
Cette façon de s’initier en groupe semble la plus répandue, que ce soit en
milieu festif privé ou public. Certains observateurs ont même décrit des « cessions
datura » pratiqué sous l’égide d’un initiateur non consommateur permettant de
prévenir des accidents graves et qui ne va pas sans rappeler des rituels
chamaniques. (11)
Ce n’est pas tant le bad trip qui effraye les usagers, celui-ci apparaît souvent
comme un risque assumé, c’est surtout le fait de « rester perché » qui les inquiètent.
Le fait que la recherche volontaire de l’expérience psychotique temporaire devienne
involontairement un état permanent. Il est perçu comme le risque extrême dans le
sens où contrairement au bad trip, le fait de « rester perché » s’inscrit dans la durée.
Cette crainte n’est pas seulement un fantasme, elle provient aussi de l’observation
des pairs. Plusieurs personnes racontent comment un ami ou une connaissance a pu
« rester perché », être interné dans un service de psychiatrie, sans forcément
d’ailleurs que l’entourage familial et médical ait véritablement conscience des raisons
qui ont suscité son état. Ces récits se rapportent souvent à des prises de datura. (5)
Les discours montrent également la perception d’une échelle du
risque fonction du type de substances consommées, dans laquelle le datura
représente le risque le plus élevé. Il est décrit comme la « bête noire ».
« Là [avec le datura] c’est vraiment flippant, de te dire que pendant un moment tu vas
rien maîtriser, tu ne vas plus être toi même, tu vas plus te souvenir de ce que tu as
fait, même pas tu te souviens de tes parents parce que tu es dans un autre monde,
et bon, tu te souviens de rien quoi ».
« Le datura il y en a qui sont vraiment restés scotchés, je connaissais un gars il
reconnaissait plus son père, il paraît que c’est de la folie, le datura, ça peut être
dangereux »
« [Pour toi, c’est quoi prendre un risque ?] Prendre du datura !... par exemple »
Plus la substance est associée à un risque élevé, plus les personnes qui la
consomment néanmoins vont veiller à respecter les précautions précédemment
citées et plus la question du dosage apparaît comme essentielle « Le datu c’est un
82
hallucinogène, mais l’effet qu’il a, pour moi, il est bien plus puissant qu’un
champignon, il est bien plus violent que... c’est vraiment pour moi, c’est violent, si tu
le doses pas c’est violent […] tu sais plus ce que tu fais. C’est pour ça qu’il faut doser
[…] Pour moi c’est dangereux, c’est vraiment dangereux ».
Notons que cette échelle du risque est bâtie sur des constats empiriques de la
propre expérience des usagers ou de l’observation des pairs, ainsi que sur les récits
qui sont lus sur Internet. Cela signifie que finalement peu de crédit est réellement
attribué au discours qui ne provient pas de personnes qui participent de près ou de
loin à ces groupes de consommateurs. Le datura est considéré comme la substance
la plus dangereuse et cette perception s’accorde avec le discours scientifique sur les
effets de l’atropine et de la scopolamine qu’il contient.
La lecture d’ouvrage comme Le serpent cosmique de Jérémy Narby suscite
des envies d’expérimentation dans l’usage des drogues naturelles aujourd’hui. A cela
s’ajoute Internet qui permet de véhiculer de nombreuses idées et pratiques plus ou
moins vraies et qui ne tiennent pas compte du danger. Il y a alors bien dans ce cas
un phénomène d’engouement pour le néo-chamanisme dont nous aborderons le
sujet dans la suite de ce travail. (5)
83
ensemble floral urbain par les personnes qui le consomment, ou dans un lieu
inculte, ou la préparation de base de datura leur est offerte.
La seconde est l’achat par Internet, ou auprès de quelqu’un qui s’en est
procuré via la Toile, ou de s’en faire offrir par lui. Dans ce cas il peut y avoir
une phase de production si le datura est reçu sous forme de kits pour cultiver
soi-même. (5)
Un dernier moyen est cité, tout simplement un achat chez certains fleuristes la
plante est disponible entre juillet et octobre. (18)
« Ce que j’ai encore fait cet été là, là ça a été grave cet été, c’est... Je les avais
croquées, c’était des graines, je les avais croquées et je les avais gardées dans la
bouche, pareil le coup des muqueuses, comme je fais je te dis avec pleins de
produits […] je me suis retrouvé dans un état à une vitesse ! »
« J’ai bu la décoction, ça devait faire soixante-dix centilitres, à peu près. Je me
souviens, j’ai bu d’un coup. Et c’est très amer, c’est très difficile à boire. On m’avait
parlé qu’il fallait mettre pas mal de sucre, pour atténuer le goût, ou même des fois
mettre du thé pour casser un peu... Ça a une odeur très, très prenante »
La décoction est idéalement faite avec les graines, qui se trouvent dans les
capsules. Ce serait « le seul moyen de doser une perche au datura ». Cependant, on
ne les trouve qu’en automne et l’infusion procure des effets tout aussi puissants si
elle est réalisée avec les autres parties de la plantes, comme les fleurs, mais aussi
avec les parties qui se trouvent tout au long de l’année : les feuilles, les tiges et les
racines qui ont la réputation de procurer les effets les plus violents. Le problème
majeur dans ce cas est de contrôler le dosage.
84
« D’une plante à l’autre, c’est très variable la concentration en produit actif […] Même
au cours de la vie d’une même plante, sa concentration en produit actif, elle varie
beaucoup et... Donc c’est imprévisible quoi... Et puis en plus ces plantes-là sont des
plantes qui produisent des tropanes, les produits chimiques qui font les effets. Et les
effets qui sont recherchés, hallucinogènes, sont très près de la dose... De l’overdose
je veux dire. Donc c’est très dangereux, c’est dur à doser quoi, c’est dur d’atteindre
cet effet là sans en prendre trop ».
« Le rachacha, normalement c’est pour le pavot, c’est pour l’opium, mais c’est
possible avec le datura. Faire une infusion, plutôt une décoction, et la laisser réduire
au maximum, pour que toute l’eau s’évapore, qu’il ne reste qu’une pâte. Et cette pâte
là, une fois qu’elle sèche un peu, elle est un peu gluante. Vous en prenez une petite
quantité, vous la mettez dans une feuille à rouler, et vous l’avalez […] Ce sont les
graines qui sont séchées, broyées, style avec un moulin à café, pas trop en poudre
non plus, mises dans l’eau, montée au maximum, et ça diminue jusqu’à un moment
où ça fait une sorte de caramel un peu, et là ça, c’est ce qu’on appelle rachacha ».
« On avait pris de l’alcool à 45°... On avait mis du datu dedans, des champignons, et
ça avait macéré pendant deux, trois mois quoi ; et après, on mettait ça sur un sucre,
on le flambait, et on le mangeait ». (5)
6
Habituellement utilisé pour l’opium, le rachacha est un concentré de décoction de tête de pavot
après incision pour en faire ressortir le suc.
85
Tous ceux qui précisent le dosage s’accordent à peu près, deux cents graines
pour une prise, mais la dose peut être revue à la baisse quand la fréquence d’usage
devient quotidienne, ce qui n’est rapporté dans l’enquête que par une seule personne
qui raconte avoir consommé seize graines et une infusion de cinquante centilitres par
jour pendant trois mois. Il ne précise pas combien de graines contenait l’infusion.
Les doses sont associées à des durées d’effet plus ou moins longues, souvent
deux ou trois jours, avec la plus longue durée recensée de onze jours d’effets
consécutifs.
Le datura est consommé la plupart du temps sans autre produit associé. Les
personnes interrogées mettent en avant les précautions sanitaires en premier lieu.
Des mélanges sont quand même rapportés mais ils sont rares comme la macération
dans l’alcool.
Cette plante est rarement prise dans un contexte de soirée festive. Son statut
à part tient aussi au degré de risque qui lui est attribué. (5)
Ainsi la MIVILUDES
observe et analyse le phénomène sectaire
coordonne l’action préventive et répressive des pouvoirs publics à l’encontre
des dérives sectaires
informe le public sur les risques et les dangers auxquels il est exposé
Chaque année un rapport est rendu au premier ministre. (52)
Dans ses rapports de 2005 et 2006, la MIVILUDES avait attiré l’attention des
pouvoirs publics et de la population sur les graves dangers liés à l’utilisation de
substances dangereuses par certains groupes chamaniques ou issus de la
mouvance New Age. Elle avait a ce titre expliqué comment l’usage qui était fait de
l’ayahuasca et de l’iboga s’inscrivait dans une logique de mise sous emprise des
« patients » avec, dans la plupart des cas, une dérive sectaire comme définie ci-
dessus.
L’ayahuasca et l’iboga sont désormais classés au tableau des stupéfiants
(tableau B) par arrêtés parus au Journal Officiel en 2005 pour l’ayahuasca et 2007
pour l’iboga. La très grande réactivité des services de l’État, a contraint les
organisateurs de ce types de pratiques utilisant des produits désormais interdits, à
renoncer à l’usage de ces substances et de leur dérivés. Cependant ils ont su
s’adapter à ce nouveau contexte législatif en recherchant des produits de
substitution, peut être moins exotiques mais tout aussi dangereux pour la santé.
Et c’est le datura qui est maintenant utilisé pour ses propriétés hallucinogènes, car
cette plante ne fait pour le moment l’objet d’aucune législation précise. Un véritable
phénomène de mode entoure sa promotion, notamment via Internet, et les
personnes sensibles aux théories du chamanisme sont manifestement celles qui
montrent le plus d’intérêt pour le datura.
88
Des adeptes de mouvements chamaniques parlent du datura sur leurs blogs
et donnent de nombreux détails sur son mode d’administration, ses effets, et ils
justifient son image par l’histoire de cette plante et son rôle dans « l’art sorcier ».
Le recours à cette plante est également souvent évoqué dans des stages dits
de médiation où il est systématiquement rappelé que le datura est utilisé par les
chamans d’Amérique du Sud au même titre que l’ayahuasca.
Il a été constaté que plusieurs groupes qui prônent un retour au culte de la
nature font l’apologie du datura sur leurs sites et donnent même des détails précis
sur le mode d’utilisation de cette plante. Là encore, la justification de l’utilisation du
datura repose sur son usage très ancien, notamment dans le chamanisme
amazonien.
La publicité faite à cette plante via le web, au travers de son usage rituel par
de véritables chamans est particulièrement dangereuse. En effet la diffusion de
l’ayahuasca et de l’iboga était relativement confidentielle parce qu’il n’était pas aisé
de s’en procurer, alors que le datura est très facile à obtenir. C’est pourquoi il est
irresponsable de diffuser sur le net des conseils d’utilisation de ce type de substance
sous couvert de thèses chamaniques ou au motif du retour aux croyances anciennes
comme le druidisme, la mythologie grecque, latine... (14)
Quel que soit le jugement porté sur ces substances, dans notre pays, il faut bien
voir qu’elles obéissent essentiellement à un phénomène de mode, bien souvent basé
sur la recherche d’un changement de personnalité, d’un changement d’état de
conscience induit par leurs effets désinhibant en ce qui concerne les utilisateurs.
Le chamanisme Nord ou Sud-Amérindien contribue à la cohésion d’une tribu et il
s’appuie sur des rituels ancestraux parfaitement maîtrisés et qu’il n’appartient à
personne de juger, faute d’être en mesure d’en appréhender toute la portée. Les
motivations des chamans européens autoproclamés sont donc bien loin de ces
concepts. Leur capacité à s’adapter aux changements de la législation sur l’emploi
de certaines plantes les conduit pour sauver leur commerce à recourir à de nouvelles
substances comme le datura pour lesquelles ils ignorent les effets secondaires et
pour lesquelles ils ne possèdent aucun antidote. Le chamanisme « occidental »
mérite donc une vigilance particulière car il se développe sans cesse dans de
nouvelles voies.
89
3.4 Le réseau Internet et l’ambivalence de l’usage
Le réseau Internet met en valeur l’ambivalence de l’usage des plantes
hallucinogènes. Lorsque l’on s’adresse à des individus déjà initiés, voire des usagers
réguliers qui selon eux, ont de « bonnes raisons » de le rester, les messages, sur les
méfaits des drogues ou sur la réduction des dommages liés à leur consommation, ne
seront écoutés que si l’on admet par ailleurs les bénéfices que les usagers retirent de
ces pratiques. Internet constitue de plus un interlocuteur « déréalisé », avec lequel la
question du jugement et de la stigmatisation ne se pose pas.
La diffusion de substances comme le datura grâce à Internet, dont la vente est
présentée en miroir de conseils de production, de consommation et de réduction des
dommages, illustre finalement l’ambivalence des usages de substances
psychoactives. Le réseau Internet met les substances à disposition, informe sur les
effets recherchés et ressentis, tout en mettant en garde sur leurs méfaits et sur les
risques de l’usage. Les jeunes générations habituées à faire des recherche sur la
Toile peuvent aisément faire la différence entre un site, bien idéologiquement orienté,
dont le contenu est réfléchi et argumenté et des pages personnelles délirantes. Il est
plus difficile de différencier des sites réalisés par des profanes mais qui se veulent
scientifiques, les informations fausses peuvent alors être noyées au sein
d’informations fiables.
Il est difficile sans recherche empirique portant sur ce sujet de déterminer si
ces sites de vente et d’information ont pu favoriser l’expérimentation chez des
novices, ou si seuls des usagers déjà expérimentateurs y ont recours. Il serait
souhaitable d’effectuer un travail de grande ampleur sur les moteurs de recherche,
de façon à ce que les usagers en quête d’information sur les substances puissent
simultanément trouver à côté des sites déjà existants des informations vérifiées
scientifiquement. (5)
Aux États-Unis deux études ont été réalisées afin d’évaluer cet impact
d’Internet sur les consommations de datura.
La première réalisée entre 2002 et 2003 examine la relation entre les
informations sur les drogues véhiculées par Internet, et l’attitude d’un groupe de
douze adolescents consommateurs de drogues (âgés de 13 ans à 25 ans) face à ces
informations. Les items étudiés comprennent le sexe de l’individu, ses origines
ethniques, la fréquence d’utilisation d’Internet, le type d’information obtenue en ligne,
les drogues concernées par les recherches en ligne, l’effet des informations
90
recueillies sur l’opinion de l’individu, l’initiation ou la modification de l’utilisation de
cette drogue après recherche sur Internet, les sites consultés pour trouver
l’information, les autres sources d’information utilisées par l’individu interrogé et sa
perception de la validité de l’information recueillie.
Il en ressort de cette étude que les douze adolescents interrogés ont rapporté
un changement de comportement dans leur utilisation des drogues suite à la
consultation d’Internet. Dix des douze participants disent préférer l’information
recueillie sur des encyclopédies des drogues comme Erowid (www.erowid.org) aux
autres sources d’information comme les sites de lutte contre la drogue
gouvernementale, les manuels électroniques médicaux, les sites de ventes en lignes
des substances psychoactives, les forums... Seule une personne a vérifié
l’information en utilisant des sites scientifiques.
Ces données suggèrent qu’Internet influencerait le comportement d’une
grande partie des consommateurs de substances psychoactives. Bien que les sites
les concernant soient divers, il semblerait que les consommateurs préfèrent les sites
qui font la promotion de la consommation des drogues. On comprend donc l’ampleur
du danger auquel sont exposés ces consommateurs non avertis. Des études
complémentaires seraient utiles pour trouver les mécanismes par lesquels
l’information sur les drogues est disséminée sur Internet. (53)
Dans la seconde étude les auteurs ont fait simuler la démarche faite par ces
individus qui vont chercher des informations sur Internet. Sur le moteur de recherche
google (www.google.com) les mots clefs « Datura », « jimson weed » et « Datura
seed » ont été testés successivement. Les 200 premiers résultats pour chaque mot
clef ont été analysés.
Il en ressort que seize sites recommandent une utilisation du datura à visée
récréative sans mise en garde des dangers de cette pratique, avec diverses
recommandations sur l’administration et la description des effets psychotropes du
datura. Douze sites sont spécialisés dans la vente de graines du genre Datura. Un
site fait à la fois la promotion de la consommation de Datura et vend les feuilles de
Datura stramonium. A cela s’ajoute cent soixante-seize pages de vente de graines de
datura sur le site de vente en ligne ebay (www.ebay.com) et six pages sur celui
d’amazon (www.amazon.com). (54)
La diffusion comme drogue récréative du datura est récente. Soit, elle reste
marginale, mais elle semble être en augmentation chez les adolescents et les jeunes
adultes ces dernières décennies. Internet autorise la diffusion d’information sur le
91
datura auprès d’un public qui méconnaît les propriétés anticholinergiques de cette
plante. Son achat s’effectue le plus souvent par Internet. (5)
Alors que certains sites mettent en avant les effets néfastes de sa
consommation d’autres les minimisent, voire les omettent complètement et font une
promotion de la consommation de datura, ce qui est bien sûr très dangereux face un
public non instruit. (54)
Enfin et surtout, son usage n’est pas prohibé : un usager de psychotrope
prend plus de risques en transportant du cannabis que du datura. Le fait que la
substance ne soit pas interdite à l’usage, comme la production, relève plus souvent
pour les usagers d’une autorisation plus qu’un vide juridique. Ce paradoxe contribue
aussi chez eux à discréditer le discours officiel de prévention et de répression. (5)
92
CONCLUSION
93
Faut-il pour autant interdire ce produit ? Le classement du Datura stramonium
au tableau des stupéfiants n’est pas évident à réaliser, notamment en raison de sa
présence un peu partout en Europe. Cette mesure n’empêcherait pas l’apparition de
nouvelles plantes dans les rituels chamaniques C’est pourquoi, plus qu’une
interdiction, c’est la prévention par voie d’information, et de formations auprès de
différents acteurs de santé, des personnels de l’enseignement et des services de
sécurité qui semble, en l’état, la plus à même d’enrayer le phénomène.
Même si à l’heure actuelle la consommation semble anecdotique voir en
diminution, l’engouement actuel pour les produits « naturels » et les sensations qu’ils
sont susceptibles de procurer, laissent imaginer une progression dans les années à
venir.
Il est vrai qu’au regard de la diversité qu’offre la nature en plantes
psychoactives, la mise en œuvre d’une politique répressive en matière d’usage des
substances psychoactives naturelles serait une tâche difficilement réalisable. C’est
pourquoi une information et une sensibilisation aux risques de l’utilisation de Datura
stramonium serait préférable pour une prévention des risques liés sa consommation.
94
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97
ANNEXES
Annexe 1 : Légende des Indiens Zuni décrivant l’origine de leur plante la plus
sacrée, le Datura inoxia. (1)
« Dans les temps très anciens, un garçon et une fille, frère et sœur, vivaient à
l’intérieur de la Terre. Le garçon s’appelait A’neglakya et la fille A’neglakyatsi’tsa. Ils
venaient souvent dans le monde extérieur et s’y promenaient beaucoup, observant de
près tout ce qu’ils voyaient et entendaient pour le rapporter à leur mère. Leurs bavardages
incessant ne plurent pas aux Êtres Divins, fils jumeaux du Père du Soleil. Un jour où ils
rencontrèrent le garçon et la fille, les Êtres Divins demandèrent : « Comment allez-
vous ? » et le frère et la sœur répondirent : « Nous sommes heureux ». Ils racontèrent aux
Êtres Divins comment ils pouvaient endormir quelqu’un et lui faire voir des fantômes, le
faire se déplacer ça et là et débusquer des voleurs. Après cette rencontre les Êtres Divins
décidèrent qu’A’neglakya et A’neglakyatsi’tsa en savaient trop et qu’il fallait les bannir de
ce monde à tout jamais. Ils les firent donc disparaître dans la Terre pour toujours. Des
fleurs poussèrent à l’endroit où ils s’étaient enfoncés, des bleues, quelques-unes rouges
et d’autres encore, entièrement blanches. Ces couleurs sont celles des quatre points
cardinaux. »
98
Annexe 2 : Organisation et modalité de fonctionnement du dispositif TREND (55)
99
Le dispositif TREND exprime en plus la volonté d’intégrer au côté des acteurs
institutionnels, des professionnels du terrain mais aussi des ex-usagers et des usagers
afin d’avoir un réseau interactif.
En termes de population le réseau s’intéresse plus spécifiquement à des groupes de
personnes particulièrement consommatrices de produits psychoactifs, illicites, ou
détournés, qui tendent à échapper généralement aux dispositifs classiques d’observation
en population générale. Six thématiques principales ont été définies et structures les
stratégies de collecte et d’analyse des informations :
Les groupes émergents d’usagers de produits
Les produits émergents
Les modalités d’usage de produits
Les dommages sanitaires et sociaux associés à la consommation de drogues
Les perceptions et représentations des produits
Les modalités d’acquisition de proximité
Les espaces d’investigation du dispositif TREND concernent principalement l’ « espace
urbain » et l’ « espace festif techno ». Ces cadres, en plus de permettre l’observation des
pratiques de trafics et de consommation, permettent d’y rencontrer une part importante
des usagers de drogues et présentent une forte probabilité de repérer parmi les usagers
qui les fréquentent, des phénomènes nouveaux ou jamais observés jusqu’alors. Le
dispositif se concentre en effet sur des groupes de populations spécifiques beaucoup plus
consommatrices de substances psychotropes que la population générale d’âge équivalent.
Les constats qui en découlent ne peuvent donc pas être généralisés à l’ensemble de la
population.
L’ « espace urbain » défini par le dispositif TREND recouvre essentiellement le
dispositif des structures de première ligne réuni aujourd’hui sous le nom de CAARUD
(Centres d’accueil et d’accompagnement à la réduction de risques des usagers de
drogues).
L’ « espace festif techno » désigne les lieux où se déroulent des événements organisés
autour de ce style musical. Il comprend l’espace techno dit « alternatif » (free parties, rave
parties, teknivals) mais aussi les clubs, les discothèques ou les soirées privées.
100
l’application de la loi comme par exemple les CEIP (Centre d’évaluation et d’information
sur la pharmacodépendance), l’OCRTIS (Office central pour la répression du trafic illicite
des stupéfiants) ou l’INPES (Institut national de prévention et d’éducation pour la santé) et
l’OFDT pour les enquêtes en population générale.
Un rapport publié chaque année par le dispositif TREND est le résultat de la
confrontation des données recueillies au niveau local. Chaque site fournit à l’équipe de
l’OFDT responsable du réseau TREND une synthèse des observations de l’année, qui
deviendra en suite un rapport local ainsi qu’une base de données qualitatives indexées
selon une stratégie commune. Une synthèse générale et ainsi réalisée intégrant aussi les
informations produites par les systèmes partenaires, ce qui permet de réaliser un
croisement de l’information. (55)
101
Annexe 3 : Liste (non exhaustive) et structure chimique d’un certain nombre
d’alcaloïdes tropaniques de la plante (39)
Atropine ou 3-atropoyloxytropane
hyoscyamine
Apoatropine ou 3-apotropoyloxytropane
Aposcopolamine ou 3-apotropoyloxy-6,7-époxytropane
102
7-hydroxyapoatropine
Hygrine
Aponorscopolamine
Tropine
103
Littorine
Scopoline
Scopine
3-(hydroxyacétoxy) tropane
3-hydroxy-6-(2-méthylbutyryloxy) tropane
3α-tigloyloxy-6-hydroxytropane
3,7dihydroxy-6-tigloyloxytropane
3-tigloyloxy-6-propionyloxytropane
3-phénylacétoxy-6,7-époxytropane,
3-phénylacetoxy-6-hydroxytropane
3-phénylacetoxy-6,7-époxynortropane
3α,6α-ditigloyloxytropane
7-hydroxyhyoscyamine
3α,6α-ditigloyloxy-7-hydroxytropane
6-hydroxyhyocyamine
Pseudotropine
3α-tigloyloxytropane
Hydroxy-6-tigloyloxytropane
3-phénylacétoxytropane
3-tigloyloxy-6-(2-méthylbutyryloxy)tropane
3-tigloyloxy-6-isovaléroyloxy-7-hydroxytropane
Tropinone
6-hydroxyacétoxytropane
3,6-diacétoxytropane
3-tigloxyloxy-6-acétoxytropane
104
3-tigloyloxy-2-méthylbutyryloxytropane
3α,6α-ditiglotoxytropane
3-acétoxy-6-isobutyryloxytropane
3-(2-phénylpropionyloxy)tropane
6-hydroxyatropine ou 3-tropoyloxy-6-hydroxytropane
6-hydroxyapoatropine ou 3-apotropoyloxy-6-hydroxytropane
3α,6αditigloyloxy-7-hydroxytropane
3-tropoyloxy-6-acétoxytropane
3,6-dihydroxytropane
3α-tigloyloxytropane
3-tigloyloxy-6-propionyloxy-7-hydroxytropane
3α-apotropoyloxytropane
3α,6α-ditigloyloxytropane
3-(3’acétoxytropoyloxy)tropane
3α-tigloyloxy-6-hydroxytropane
3-acétoxytropane
3-hydroxy-6-acétoxytropane
3-hydroxy-6-méthylbutyryloxytropane
3-tigloloxy-6-isobutyryloxytropane
aponorscopolamine
7-hydroxyhyoscyamine
Météloidine
3α,6α-ditigloyloxytropane
105
Annexe 4 : Les substances vénéneuses
106
GLOSSAIRE
107
Université de Lille 2
FACULTE DES SCIENCES PHARMACEUTIQUES ET BIOLOGIQUES DE LILLE
MEMOIRE de DIPLOME D’ETUDES SPECIALISEES
(tenant lieu de Thèse en vue du Diplôme d’Etat de Docteur en Pharmacie)
Année Universitaire 2011/2012
Nom : MARTEL
Prénom : Cécile
Membres du jury :