0.1 Immunotoxicite
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Immunotoxicité
J. Descotes
Le système immunitaire est un organe cible de toxicité. L’immunotoxicologie étudie les interférences des
xénobiotiques avec le système immunitaire sous quatre aspects distincts : immunosuppression,
immunostimulation, hypersensibilité et auto-immunité. Les conséquences cliniques de
l’immunosuppression consistent en infections plus fréquentes, plus sévères, volontiers atypiques
(infections opportunistes) et en l’apparition de lymphomes et cancers viro-induits. Les conséquences
d’une réduction moins marquée de la réponse immunitaire (ou immunodépression) sont mal établies en
dépit de leur importance potentielle en termes de santé publique. Une immunostimulation peut conduire
à la survenue de réactions hyperthermiques plus ou moins sévères (réaction pseudogrippale ou syndrome
aigu des cytokines), au développement de maladies auto-immunes identiques aux maladies spontanées,
mais anormalement fréquentes, et de réactions allergiques dirigées contre des allergènes non apparentés,
et à l’inhibition du métabolisme des xénobiotiques par les cytochromes P450. L’hypersensibilité (ou
allergie) recouvre des mécanismes immunoallergiques et non immunologiques (pseudoallergie). Elle est
considérée aujourd’hui comme le principal effet immunotoxique des médicaments et autres
xénobiotiques. L’auto-immunité se caractérise par des réactions systémiques ou spécifiques d’organe.
Identiques aux maladies spontanées ou au contraire nettement différentes, elles sont relativement rares.
On dispose de modèles animaux assez bien validés pour détecter un effet immunosuppresseur inattendu.
En revanche, les modèles permettant de détecter un effet immunostimulant sont peu fiables et rares sont
les modèles permettant de prédire le risque d’hypersensibilité ou d’auto-immunité. L’absence de
marqueurs validés est un problème majeur pour évaluer l’impact immunotoxicologique des xénobiotiques
chez l’homme.
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La situation est plus ambiguë lorsque l’immunosuppression Réactions allergiques vis-à-vis d’allergènes
est moins profonde (« immunodépression »). Certes, des infec- non apparentés
tions opportunistes et des lymphomes ont été décrits chez des
patients traités par de faibles doses de méthrotrexate [13] ou Des manifestations allergiques (crise d’asthme, poussée
d’antagonistes du tumor necrosis factor a (TNF-a) (comme d’eczéma, etc.), dirigées contre des allergènes non apparentés,
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notamment en début de traitement avec des extraits bactériens (anémie hémolytique et a-méthyldopa, pénicillamine et myas-
préconisés pour leur activité immunostimulante et aujourd’hui thénie). En revanche, les réactions auto-immunes systémiques
retirés du marché français, ont été rapportées. Un seul exemple sont le plus souvent très différentes, cliniquement et biologi-
démontre indiscutablement ce potentiel : ce sont les réactions quement, de la maladie spontanée correspondante. Ainsi, on ne
d’hypersensibilité aux produits de contraste dont des essais doit pas parler de lupus érythémateux disséminé d’origine
méthodologiquement incontestables ont démontré qu’elles médicamenteuse, mais de syndrome lupique ou pseudolupus.
étaient plus fréquentes chez les patients traités par Comme mentionné précédemment, la réalité du risque auto-
IL-2 recombinantes [22]. immun associé aux expositions chimiques environnementales
Les lymphocytes auxiliaires T CD4 + sont subdivisés en ou professionnelles n’est pas établie. D’ailleurs, extrêmement
lymphocytes T H 1 et T H 2 en fonction des cytokines qu’ils
rares sont les cas documentés de réactions auto-immunes
libèrent (principalement IL-2 et interféron c pour les TH1, IL-4 et
associées à un toxique non médicamenteux [27].
IL-10 pour les T H 2 ). Une réponse de type T H 2 favorise les
réactions allergiques. L’induction d’une réponse TH2 pourrait
être invoquée dans la pathologie associée à la pollution atmos-
phérique. Le niveau de la pollution atmosphérique, notamment ■ Évaluation immunotoxicologique
dans les villes, a quantitativement beaucoup diminué depuis la
dernière guerre mondiale et les derniers résultats épidémiologi- préclinique
ques publiés sont bien loin des milliers de morts provoqués en
quelques jours par le smog londonien en décembre 1952 [23]. Le nombre de lignes directrices consacrées à l’évaluation
Toutefois, cette réduction s’est accompagnée d’une modification préclinique de l’immunotoxicité des médicaments et des
qualitative de la pollution atmosphérique et de conséquences xénobiotiques s’est nettement accru au cours de ces dernières
pathologiques différentes. Ainsi, les enfants vivant dans des années. Le premier pas a été franchi par l’adoption de la
zones à forte pollution industrielle (ex-Allemagne de l’Est et modification de la ligne directrice OCDE 407 imposant l’éva-
pays Baltes par exemple) développaient des infections respira- luation histologique des organes lymphoïdes pour toute étude
toires (probablement par diminution de la réponse TH1) tandis de 28 jours chez le rat en 1995 [28], tandis qu’une stratégie
que la fréquence de l’asthme augmentait régulièrement chez les d’évaluation immunotoxicologique des pesticides était publiée
enfants des zones à « faible » pollution (par augmentation de la par l’US Federal Register en 1997 [29]. Depuis, la Food and Drug
réponse TH2) [24]. Administration (FDA) a publié une ligne directrice concernant
l’évaluation immunotoxicologique des dispositifs médicaux [30]
Inhibition du système des cytochromes P450 et des médicaments [31], et l’EMEA en a fait de même pour les
À doses élevées, suprathérapeutiques, la plupart des substan- médicaments en 2000 [32]. L’adoption, en septembre 2005, de la
ces immunostimulantes inhibent le système des cytochromes ligne directrice S8 dans le cadre du processus d’harmonisation
P450 [25] . Le mécanisme d’action se situerait au niveau de ICH [33] démontre l’importance donnée à l’évaluation de
l’expression des gènes. Une telle inhibition a été également l’immunotoxicité, même si elle n’aborde pas la question de
décrite à doses thérapeutiques avec l’interféron a, le BCG et l’hypersensibilité ou de l’auto-immunité.
certaines formulations vaccinales, et quelques observations En 1979 était apparue la notion de protocoles en plusieurs
cliniques de surdosage par interaction médicamenteuse ont été étapes (« tiered protocols ») [7], aujourd’hui abandonnée au profit
rapportées. d’une approche simplifiée pour la détection d’un effet immu-
nosuppresseur inattendu [34]. L’élément constant est l’examen
Hypersensibilité histologique des principaux organes lymphoïdes (thymus, rate,
ganglions lymphoïdes et plaques de Peyer) dans le cadre d’un
Ce terme tend à remplacer celui trop galvaudé d’allergie. Bien
que les réactions d’hypersensibilité ne suivent pas les mêmes essai conventionnel de toxicologie, habituellement chez le rat.
relations dose-réponse que les effets immunosuppresseurs ou Les lignes directrices divergent ensuite en fonction du type de
immunostimulants, il est bien admis qu’elles constituent des produit testé : pour les pesticides et les dispositifs médicaux,
effets immunotoxiques. Cette revue n’a pas pour objectif l’évaluation de la production d’anticorps contre un antigène
d’aborder dans le détail les réactions d’hypersensibilité. Rappe- T-dépendant est requise dans tous les cas. Le test des plages
lons seulement qu’elles peuvent affecter tous les organes, d’hémolyse est le plus souvent utilisé. Pour les médicaments, ce
qu’elles relèvent de mécanismes immunologiques, humoraux test est de plus en plus souvent remplacé par la mesure par
(anticorps) ou cellulaires (lymphocytes T) – on parle alors de enzyme linked immunosorbent assay (Elisa) des anticorps sériques
réactions immunoallergiques – ou encore de mécanismes non dirigés contre la keyhole limpet hemocyanin (KLH), mais il n’est
immunologiques conduisant à la libération par d’autres voies de exigé que dans certains cas particuliers (en fonction de l’indica-
certains médiateurs impliqués dans des réactions immunoaller- tion thérapeutique, de la population cible, des données histolo-
giques, comme l’histamine, le système du complément, les giques...). D’autres tests fonctionnels sont envisagés ensuite au
prostaglandines et leucotriènes, et la bradykinine : ils caractéri- cas par cas : test de prolifération lymphocytaire (induite par des
sent les réactions pseudoallergiques [26]. mitogènes ou par une réaction lymphocytaire mixte), test
d’hypersensibilité retardée, mesure de l’activité des cellules
Auto-immunité natural killer (NK) ou du pouvoir phagocytaire des neutrophiles
ou des macrophages. Dans un dernier temps, des modèles de
Il faut distinguer les maladies auto-immunes plus fréquentes résistance (infections expérimentales) et des études mécanisti-
chez les patients traités par certaines substances immunostimu- ques pourront s’avérer nécessaires pour l’évaluation du risque
lantes (cf. supra) des réactions auto-immunes. Les maladies et
immunotoxique.
réactions auto-immunes sont traditionnellement divisées en
Il est admis qu’une telle stratégie, même simplifiée, est à
maladies et réactions systémiques, ou spécifiques d’organe.
Toutes les maladies auto-immunes, systémiques (lupus érythé- même de détecter un effet immunosuppresseur suffisamment
mateux disséminé par exemple) ou spécifiques d’organe (myas- marqué. La même approche est utilisée pour la détection d’un
thénie, anémie hémolytique auto-immune...) peuvent être plus effet immunostimulant, mais sa fiabilité n’est pas documentée.
fréquentes lors d’un traitement immunostimulant ; elles sont Bien que les réactions d’hypersensibilité constituent un
identiques aux maladies spontanées. Une réaction auto-immune problème majeur lors du développement des nouveaux médica-
spécifique d’organe est également identique à la maladie ments [35], très peu de tests sont disponibles pour prédire ce
spontanée, à la seule différence qu’elle guérit spontanément risque. En fait, seuls les tests d’hypersensibilité de contact, au
après l’arrêt du médicament responsable, mais seuls quelques premier rang desquels le local lymph node assay (LLNA) [36] ont
médicaments sont en cause et habituellement un médicament fait la preuve de leur validité et sont largement acceptés par les
donné ne provoque qu’un type de réaction spécifique d’organe autorités réglementaires.
Quant aux réactions d’auto-immunité, elles échappent à toute [7] Dean JH, Padarasingh NL, Jerrells TR. Assessment of
exploration [37] . La recherche d’autoanticorps au cours des immunobiological effects induced by chemicals, drugs or food additi-
études standards de toxicologie est habituellement négative. Des ves. I. Tier testing and screening approach. Drug Chem Toxicol 1979;
modèles expérimentaux, comme la glomérulonéphrite auto- 2:5-17.
immune provoquée par le chlorure de mercure chez le rat [8] Luster MI, Munson AE, Thomas PT, Holsapple MP, Fenters JD,
Brown-Norway n’ont aucune pertinence toxicologique dans la White KL, et al. Development of a testing battery to assess chemical-
mesure où le chlorure de mercure n’a jamais provoqué d’auto- induced immunotoxicity. National Toxicology Program’s criteria for
immunité chez l’homme. Seul le test du ganglion poplité [38] immunotoxicity evaluation in mice. Fundam Appl Toxicol 1988;10:
pourra, peut-être, s’avérer utile tant pour la détection du risque 2-19.
de réactions auto-immunes systémiques que de certaines [9] Klein NC, Go CH, Cunha BA. Infections associated with steroid use.
réactions d’hypersensibilité, ce qui souligne d’ailleurs la Infect Dis Clin North Am 2001;15:423-32.
communauté de mécanismes. [10] Kuratsune M, Yoshimura H, Hori Y, Okumura M, Masuda Y. A human
disaster caused by PCBs and related compounds. Kyushu: Kyushu
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■ Évaluation immunotoxicologique [11] Van Oostdam J, Donaldson SG, Feeley M, Arnold D, Ayotte P, et al.
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chez l’homme Canada: A review. Sci Total Environ 2005;351-352:165-246.
[12] Vial T, Descotes J. Immunosuppressive drugs and cancer. Toxicology
À la différence de la cancérogénicité ou de la tératogénicité 2003;185:229-40.
où les observations humaines ont été à l’origine du développe- [13] Georgescu L, Paget SA. Lymphoma in patients treated with rheumatoid
ment de modèles prédictifs, l’immunotoxicologie s’est presque patients. What is the evidence of link with methotrexate? Drug Saf
toujours cantonnée à l’animal. Les données humaines sont très 1999;20:475-87.
peu nombreuses et rarement fiables. Le développement de [14] Brown SL, Greene MH, Gershon SK, Edwards ET, Braun MM. Tumor
l’immunotoxicologie clinique est ainsi une nouvelle étape necrosis factor antagonist therapy and lymphoma development:
indispensable pour améliorer les procédures actuelles d’évalua- twenty-six cases reported to the Food and Drug Administration.
tion de risque immunotoxique chez l’homme et valider les Arthritis Rheum 2002;46:3151-8.
modèles expérimentaux [39]. [15] Vial T, Nicolas B, Descotes J. Clinical immunotoxicology of pesticides.
Les tentatives visant à introduire des paramètres immunolo- J Toxicol Environ Health 1996;48:215-29.
giques dans certaines études épidémiologiques sont restées sans [16] Vial T, Choquet-Kastylevsky G, Descotes J. Adverse effects of
lendemain [23]. La plupart des marqueurs proposés sont directe- immunotherapeutics involving the immune system. Toxicology 2002;
ment issus de la recherche immunologique et leur pertinence 174:3-11.
dans le contexte de l’évaluation immunotoxicologique critiqua- [17] Descotes J. Adverses consequences of chemical immunomodulation.
ble ou inconnue. Dans les années 1990, des groupes d’experts Clin Res Pract Drug Regul Affairs 1985;3:45-52.
avaient proposé des batteries de marqueurs [40, 41] associant le [18] Descotes J, Vial T. Acute cytokine syndrome. In: House RV, Descotes J,
editors. Cytokines in human health: immunotoxicology, pathology and
taux des immunoglobulines sériques, l’analyse des sous-
therapeutic applications. New York: Humana Press; 2006.
populations lymphocytaires, la recherche d’autoanticorps et la
[19] Kuschner WG, D’Alessandro A, Hambleton J, Blanc PD. Tumor
prolifération lymphocytaire ex-vivo. À ce jour, aucun marqueur necrosis factor-alpha and interleukin-8 release from U937 human
d’immunotoxicité n’a atteint un niveau suffisant de standardi- mononuclear cells exposed to zinc oxide in vitro. Mechanistic impli-
sation et de validation pour en recommander l’utilisation en cations for metal fume fever. J Occup Environ Med 1998;40:454-9.
routine. [20] Vial T, Descotes J, Braun F, Behrend B. Drugs acting on the immune
system. In: Aronson JK, Boxtel CJ, editors. Meyler’s side-effects of
drugs. Amsterdam: Elsevier Sciences; 2006.
■ Conclusion [21] Powell JJ, Van de Water J, Gershwin ME. Evidence for the role of
environmental agents in the initiation or progression of autoimmune
Les données disponibles, obtenues essentiellement chez conditions. Environ Health Perspect 1999;107(suppl5):667-72.
l’animal, démontrent que le système immunitaire est un organe [22] Shulman KL, Thompson JA, Benyunes MC, Winter TC, Fefer A.
cible de toxicité, ce qui devrait justifier une exploration Adverse reactions to intravenous contrast media in patients treated with
immunotoxicologique préclinique systématique des nouvelles interleukin-2. J Immunother 1993;13:208-12.
entités chimiques avant commercialisation. On dispose [23] Logan WP. Mortality in the London fog incident, 1952. Lancet 1953;
aujourd’hui de stratégies validées applicables à un certain 1:336-8.
nombre de situations, notamment à la détection d’un effet [24] Dybing E, Lovik M, Smith E. Environmental chemicals and respiratory
immunosuppresseur inattendu. La mise au point de modèles ou hypersensitization. Special issue. Toxicol Lett 1996(86):57-224.
de stratégies permettant de prédire le risque de réactions [25] Renton K. Hepatic drug metabolism and immunostimulation.
d’hypersensibilité ou de réactions auto-immunes est une Toxicology 2000;142:173-8.
urgence. La recherche de nouveaux marqueurs d’immunotoxi- [26] Solensky R. Drug hypersensitivity. Med Clin North Am 2006;90:
cité, correctement standardisés et validés, est tout aussi indis- 233-60.
pensable pour permettre, dans un avenir que l’on peut espérer [27] Vial T, Payen C, Descotes J. Autoimmunity and toxic exposures:
pas trop lointain, d’évaluer le risque immunotoxique chez overview of the current clinical evidence. Perspect Exp Clin
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Toute référence à cet article doit porter la mention : Descotes J. Immunotoxicité. EMC (Elsevier Masson SAS, Paris), Toxicologie - Pathologie professionnelle,
16-537-H-10, 2008.
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