Barzazbreizchant 01 Lavi
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BARZAZ BREIZ
CHANTS POPULAIRES
DE LA
HERSART DE LA VILLEMARQUÉ
EMBRE DE LINSTITUT
HUITIÈME EDITION
IDTER
MA TENDRE ET SAINTE MERE
COMTESSE DE LA YILLEMARQUÊ
dont j'ai trouvé les plus belles pièces écrites vers les
• M. Sainte-Beuve.
n PRÉFACE.
nus les uns aux autres et même séparés par les siècles,
née en eux; ils ont chanté jour par jour les faits et gestes
dentes.
yeux mouillés.
Une traduction soigneusement revue et qui serre le
texte de très-près, est placée cette fois, non en regard,
mais au-dessus du breton, comme dans les éditions clas-
eût passé, prés des savants du dernier siècle, pour une hypo-
thèse absurde ; les anciens Bretons étant à leurs yeux des
barbares « qui ne cultivaient point les muses, et leur langue,
à en juger par celle des Bretons d'aujourd'hui, un jargon
grossier qui ne paraît pas pouvoir se prêter à la mesure . à la
II
* Essai sur l'histoire de la langue bretonne depuis les temps les plus recuUs
jusqu'à nos jours, servant d'introduction aux Dictionnaires iVançais-brelon et
breton-français et à la Grammaire de le Gonidec, 2 vol. in-4°.
- A l'inappréciable Grammatica celtica de Zeuss, il faut joindre les belles études
tence sociale*.
Quoi qu'il en soit, cette institution paraît s'être conservée
plus longtemps et plus purement chez les Bretons insulaires
que chez les Gaulois, parmi lesquels elle avait été importée,
guère enrichi.
Les bardes insulaires subissaient déjà le sort des bardes
gaulois; quelques-uns d'entre eux prennent encore, il est
ont des droits et des privilèges, en même temps que des de-
voirs à remplir^.
* Myvyrian, t. I, p. 26 et 30. Cf. Prudence : non bardus pater aut avus augur
Rem docuere Dei (Apolh. v. 2'J6).
* Iliid., p. 23, 27, passim.
' Ibid., l. I, p. 4, 19, 53, 37, passim.
* Celeusmalis vicesub velorumfinibus cantantes. (Gildas, De E.vcidio Brilannlx.)
b
XVIII INTRODUCTION.
plus poli et le plus épuré; tout autour étaient attachés des an-
neaux de même métal, auxquels on voyait suspendus des cui-
rasses, des lances, des casques, des javelots, des freins, des
France au moyen âge, V, Stober, Elsassiches Yotksbiclilein, \>. iil ; Pr. Tarbé, Ro-
mancero de Champagne, l. I, p. 5; et J.Bugeaud, Chants popul. de VOucst, t. II, p. 273.
' La Dame du glaive, p. 74.
INTRODUCTION. xxni
i Myvyrian, t. I, p. 55 et 56.
* Lfiudihiis in longam, vales, dimittilis aevum,
Piurima, securi, fudistis csniiina, bardi.
(PAarsal., lib. I.)
sur une pierre, au soleil, il indique à son fils les engrais les
* Mcrliii-dedn, p. C3.
INTRODUCTION. xxvii
partient à Dieu * ! »
superstitions ^.
battirent pas tous ces arbres sacrés; ainsi les poêles nouveaux
ne brisèrent point la harpe des anciens bardes, ils y changè-
rent seulement quelques cordes. Ce fait, dont les monuments
gallois des temps barbares nous offrent la preuve, est appuyé
sur deux chants bretons de même date. L'auteur du premier
met en scène un saint doué, comme les anciens druides, de
l'esprit prophétique, et lui fait prédire au roi d'une autre So-
dôme la submersion de sa capitale'; le second fait prophétiser
à un barde chrétien l'invasion de la peste en Bretagne*.
* Loiza, p. 158.
' Jliss lîiooke, Irish Pneirii, p. 73. Cf. ma Légende celtique,
' Submersion de la ville d'is, p. 59.
* La peste d'Elliant, p. 52.
xxviii INTRODUCTION.
liculièrement populaire.
III
nature dans toute la force du terme, sans autre règle que son
caprice, souvent sans conscience d'elle-même, jetant comme
l'oiseau ses notes à tout vent; née du peuple, et vivant recueil-
• Mjvyrian, t. I, p. 27.
INTRODUCTION. xm
qui ont corrompu le bardisme primitif, en y mêlant des prin-
cipes hétérogènes. »
héros, ils la chantent; des nouvelles, ils ne cessent d'en forger; les
commandements de Dieu, ils les violent; les femmes mariées, ils les
flattent dans leurs chansons perfides, ils les séduisent par de tendres
paroles; les belles vierges, ils les corrompent; toutes les fêtes pro-
fanes, ils les chôment ; les honnêtes gens, ils les dénigrent ; leur vie
et leur temps, ils les consument inutilement ; la nuit, ils s'enivrent ;
le jour, ils dorment ; fainéants, ils vaguent sans rien faire ; l'église,
tout village, toute ville, toute terre, ils les traversent; toutes les frivo-
lités, ils les aiment. Les commandements de la Trinité, ils s'en
moquent; ni les dimanches, ni les fêtes, ils ne les respectent; le
jour de la néce^si!é (de la mort), ils ne s'en inquiètent pas ; leur
gloutonnerie, ils n'y mettent aucun frein : boire et manger à l'excès,
voilà tout ce qu'ils veulent.
« Les oiseaux volent, les abeilles font du miel, les poissons nagent,
les reptiles rampent.
« Il n'y a que les kler, les vagabonds et les mendiants qui ne se
donnent aucune peine.
« N'aboyez pas contre l'enseignement et l'art des vers. Silence,
misérables faussaires, qui usurpez le nom de bardes! Vous ne savez
pas juger, vous autres, entre la vérité et les fables. Si vous êtes les
' Ubi ainatoria cantantur. {Conc. Yen., ap. D. Morice. llisloirs de Bretagni
pr., .I,p.l84.)
* Ut iniia piovinciam, psallendi una bit consuetudo. {Ibidem, p. 184.)
' Prsconum ore ritu bacchantiuiii roncrepanle ad ludicra et ineptas saecu-
larium i'almlas strenuos et inientos... Cijnora Christi, tyronum voce suaviter modu«
Jante. (Gildas, Epist., p. 15 et 22, ap. Gale )
INTRODUCTION. xxsi
pour patron par les poètes de son pays; et enfin, ces légendes
rimées, en l'honneur des saints, que répétait le peuple dans
les cathédrales peu d'années après leur mort^
Les Bretons armoricains avaient donc, au sixième siècle,
IV
Yolksliedcr ans Venetien. M. Nigra est venu joindre son autorité à celle de ces
maîtres : « La poesia storica, popolaree tradizionale, è coeva, nello sue origini, al
fatlo per essa doscritlo. » (Canzoni pnpolari del Viemonte. Revisla conlempo-
runea- Genn., ISèiS, p. 51.)
INTRODUCTION. xxxni
- X. Marinier, Chants de guerre de la Suisse. {Revue des Deux Mondes, 1" sOrie
1.. 21 o, 1856.)
= Lais, en irlandais chanson, en gallois son, voix et chant, en breton son licjnbre
(V. Rostrenon, Dict.,t.I, p. 251.) Il n'est plus en usage que dans ce dernier sens,
miers. Quant aux vies de saints, comme ceux qui les riment
savent lire et écrire, et ont pu ne pas les emprunter à la tra-
dition orale, il nous semble nécessaire d'insister : la légende
de saint Efñamm nous offre un argument sans réplique.
En terminant le récit des aventures du saint et de sa fian-
cée, l'hagiographe populaire ajoute :
« Afin que vous n'oubliiez pas ces choses qui n'ont encore
été consignées en aucun livre, nous les avons tournées en
vers pour qu'elle soient chantées dans les églises. »
C'est dire assez que l'actualité et la bonne foi sont deux qua-
lités inhérentes au vrai chant populaire. Le poëte de la
mentir et doit à ses naïvetés des grâces par quoi ses œuvres
se comparent à la principale beauté de la poésie parfaite selon
Cette opinion est aussi celle des frères Grimm. Nous pou-
vons affirmer, observent-ils, que nous n'avons pu parvenir à
dans son état actuel, infaillible garant de son é(at passé, jettera
un plus grand jour sur la question. Voyons donc quel est au-
jourd'hui le mobile de cette poésie, eu égard à ses trois
preuve. C'est la foule qui lui indique les sujets qu'il doit trai-
a jetées dans les esprits, avant qu'on s'en soit emparé pour les
• Clirola britanna. {Veiuiiit. Foiiuuat., M). VII, p. 170.) Marie de Franco la dit
' Coelhren y Bcirdd. (Jones, Musical and poetkal Remams, t. III, p. 4.)
ÎÎSTRODUCTION. xr.i
que la cérémonie religieuse ail eu lieu. Ils ont leur part dans
les présents de noces. Ils jouissent d'une grande liberté de
parole, d'une certaine autorité morale, d'un certain empire
aux jeunes gens qui font leurs études pour entrer dans l'état ec-
clésiastique. Il correspond exactement au gallois kler, qui avait
ses premiers aveux,, qui sourit à ses joies d'enfant, qui essuie
ses larmes : naïves et mélancoliques existences qu'Emile
Souveslre a peintes d'après nature en des pages charmantes.
Ce qu'on vient de lire fera comprendre pourquoi le vieux
satirique que nous avons cité plus haut accuse les kloer de
son temps de flatter les femmes par des chansons perfides, et
bles libraires qui les fabriquent ou les refont. Les kloer préfè-
rent le siège rustique, mais solide, que leur élève dans son
cœur l'habitant des campagnes, au piédestal qu'une publicité
la même époque;
Enfin, des légendes de saints bretons des premiers siècles
'
L'opinion que nous comljatlons ici l'ut d'abord celle de Raynouard. .Micii\
' Myvyfian, t. 1, p. 4. Cf. mes Bardes Irctons du sixième siècle. 'i' éilit., p. 275.
- l'awiili, patescii, « Vc>ti^ spccies: manlelluin sine penna, et sendalo eî
VI
beauté est dans tout son éclat; le jour, on voit qu'elles ont
les leur font voler. Cette croyance, comme toutes celles qui
sont relatives aux fées, doit être fondée sur quelque événement
réel ;
peut-être sur les habitudes bien connues des sorcières et
des bohémiennes : aussi les fées sont-elles l'effroi de la pay-
sanne des vallées de l'Oder, comme celui de la paysanne d'Ar-
morique. Celle-ci met son nourrisson sous la protection de la
une large bourse en cuir qu'on dit pleine d'or, mais où ceux
qui la dérobent ne trouvent que des crins sales, des poils et
une paire de ciseaux. Ce sont les hôtes des dolmen ; ils pas-
peuvent dire comme leur frère Alvis, del'Edda: « J'ai été par-
nains bretons ;
plusieurs des traits qu'elle présente leur sont
communs avec les génies des autres peuples, particulièrement
avec les Courétes et Carikines% dont le culte, importé sans
doute par les navigateurs phéniciens, existait encore dans la
Gaule et dans l'île de Bretagne, au troisième siècle de notre
ère^.
La mythologie phènicieime nous ramène donc à la mytholo-
gie ceUique; les carikines et courôfes de l'Asie, aux korrigan
et korred bretons.
Les anciens bardes, en nous faisant connaître la déesse Kc-
ridgvvcn, l'associent à un personnage mystérieux qui a beau-
Stialjon, X, p. 172.
INTRODUCTION. lvii
qu'ils présentent.
VU
Ainsi, que ses acteurs aient à parler ou à agir, il les met con-
stamment en scène de la même manière. Il emploie mille fois
* Homère ne l'a pas dédaigné toujours, et nous pounions lui emprunter maint
exemple {Odi/ssiée, IV, v. i89; Ibid., VII, v. 104, 110 et 117) ; en voici un tiré de
l'ancienne poésie italienne :
VIII
du peuple qui la parle. Mais on peut voir qu'elle n'a pas tou-
jours été aussi dénuée ; ses haillons laissent briller parfois les
e
Lxvi ÎISTRODUCTION.
* il va sans dire que nous ne parlons ici que du breton tel qu'il existe dans 1»
' Voici quelques-uns do ceux qui m'ont le plus frappé : Gre (p. 2), impér. de nn,
A'
t:n gallois réponàve.— Edrec'hit {ihkl.), imp. de ednjc'h, en gall. voir.— '/.'(«/
(p. 81, prés, du Kijllijngu, on gall. décodu^r. —Morvarc'h (p. 21), clievai de mer,
en gai'. morfarck. — Morfjezeg (ibid.), clicvauii marins, en gall, moroesyg. — Ar
Penn-lu, (mal. imp. Par eim lu (p. 22); (recle, p. 50), le chef d'armée, en gall.
nnc. penllu. — BTenn (p. o3), roi, hrcnin, print-c (p. 485), en gall. hren'ui, ane.
hrenn, Cf. Brennus. — Paz nrc' liant (p. 57), monnaie, en gnll. arian haih, en corn.
bat. — Ha qlevaz-le? 59), as-tu (p. entendu? Cf. avec le début de l'anc. poëme gal-
lois A glyweis-li? — Araùadiat
: (p. -iO), faire des folies, en gall. araheddu. — Prit
(p. 41), manteau, en gall. paii (cf. pallium). — Laouer (ibid.), pleine, auj. leur, en
gall. lawr.— Gwell na (.5), mieux que, en gall. {iw-ll na, auj. c-.n breton rjwell
eged. —Slouniieaz cbamp de bataille. Cf. 7nepi arslovrm[^. ii').—Kad
(p. 48),
(p. 48 et 123), combat, en gall. cad.— Kadour (p. 50), guerrier, gall. cadwr.— Kadir
(p. 121 1, champ de bataille.— Arfa» (p. 50), dessous, gall. orforw, breton mod. dindaii.
—Ri (ibid.), rang, en gall. nombre.— iJre (ibid.), monlagne, gall. bre- — Glati (ibid.),
Miul'ne,àme, auj. halaii. —
Rong (ibid.), entre, gall. rhwng.—Am (ibid.), pour.gall.
am.—A.s (ibid.), âne, auj. azen, gall. as. —
Mael (ibid.), soMat, gall. mael.—Ra freo,
qu'il s'agite, subj. du verbe gall. ffroi, auj. ffrawdiuniaiv.—C'liouaziihiii. à la rime),
-ueur, auj. c'houei, gall. chwys. — Edi (p. 53), est, auj. edeo, gall. î/rf^/tt'.
— Laez-Roue (p. 58), pour Rove al laez. le roi des hauteurs : var. plus rnoderne.
lez Doue, la cour de Vwn.—Diogel (p. 59), sans crainte, sic dans le Calholicon,
danslevocab. corn, et en gall.'— Kaen (p- 61), brillant, gall. caU, anc. gaël.,
^ain.— Giearez (ibid.), il aide, gall. givareiddiuw, protéger, gaël. corain. — Loufreii
(p. 70), camérisle, en gall. /fl«i-/'ürwj/);(handmaid). — Dif.kel (p. 81), plat, gall. dijsgl.,
auc. dysgyl(0'.discus). — Tur3i«)J (ibid.), bouclier, tariic, auj. ïhvm, en gall. tarian.—
gwennek (ibid.) blanc, auj. gweiin, en gall. gwynig. — Lerek (ibid.), cuirasse, gall.
vorxtouv mor {f.^'iZ\ auj. wewr, gall. rnnwr, ga'él nar.— Tiern {ç. W'ô) chet,
ct,j3dnn-/(Vrn(p. 484) dans les Actes du neuvième siècle, mach-tiern ; en gall. teyrn_
en gaël. tiyern. — /Jis (p. 11G\ jamais; auj. iisfcoaî, gaW. by th.— Sellel-hu (p.
•118), voilii, forme aicli. aujourd'hui setu et chetii.'— Adar, (p. i'2'), à la rime, oi-
seaux, gall. ailmjn, pi. adar. — ilor-adar (ibid.) oiseaux de mer, etc. (foime
et mot iniisiics).
cet aveu : « Nous touchons cette époque de leur histoire d'aussi près et avec autant
IX
les a appris. »
l'un d'eux fut pris par un chef étranger qui, pour le punir,
lui fit crever les yeux et le jeta au fond d'un cachot, où il
cœur qui bal pour le pays; ils ont toujours la main qui lance
la flèche de la mélodie nationale. Pendant tout le moyen âge,
ils soutiennent de leurs accents patrioliques le courage des
Bretons menacés parla Normandie, par l'Angleterre ou par la
lant tout à coup avec les sons du tocsin, salue l'étendard pa-
roissial qui flotte au sommet des clochers, enflamme les
bandes guerrières des paysans devenus soldats, et retrouve,
pour chanter les compagnons des Cadoudal, des Tinténiac et
qui paraît avoir été jadis autorisé par leurs lois religieuses, est
devenue, depuis l'étabhssement du christianisme, l'objet des
qu'en effet le poëte a des chants pour calmer toutes les dou-
leurs : si la contagion a fait des orphelins; si l'incendie a dé-
d'un lit de mort, les linadek, où l'on tire le lin, qui, dit-on,
deviendrait étoupe, si l'on n'y chantait pas, mais surtout les
fileries du soir.
n'en reste que des débris sauvés à grand'peine par les associa
lions bardiques, ces gardiennes de la nationalité galloise, qui
vent, pour qu'il soit favorable aux habitants des iles qui
doivent venir le lendemain ; chacun étale ensuite, dans le lieu
recevoir; les croix, les bannières, les statues des saints se sa-
luent en s'inclinant, au moment où ils vont se joindre, tandis
que les cloches joyeuses se répondent à travers les airs.
CHANTS MYTHOLOGIQUES
HliP.OlQUES, HISTORIQUES
ET BALLADES
f
LES SERIES
LE DRUIDE ET L'ENFANT
-ECTE DE COflNOI
ARGUMENT
La pièce qui ouvre ce recueil est une îles plus singulières et pouf-
être la plus ancienne de la poésie bretonne. C'est un (lialo.üue i>cii;i-
ffogique entre un Druide et un enfant. Il contient une sorte do .ra- i
LE DnUlDE.
l'enfakt.
LE DRUIDE.
— Deux, bœufs attelés à une coque ; ils tirent, ils vont expi-
AU RANNOÜ
— Kan d'in
AR BDGEL. — Kan d'in euz a zaou rann
eiiz a eur ranii,
Ktn a otil'enn breman.
Ken a oufenn breman.
A.NN DllOLIZ.
DROUIZ.
A.NN
— Ueb rann ar lied heb-ken :
— Daou ejenn (iioc'h eur gibi
Ankou, lad ann AnUcii; sathat, o souheli;
l'enfant.
— Chante-moi la série du nombre trois, etc.
LE DRUIDE.
l'enfant.
LE DRUIDE.
AR BUG EL. j
— Kan d'in a hevar rann, etc.
l'ekfant.
LE DRUIDE.
l'enfakt.
— Chante-moi la série du nombre six, etc.
LE DRCIDE.
l'eisfant.
K LE DRUIDE.
l'enfant.
— Chante-moi la série du nombre huit, etc.
LE DRUIDE.
AR Dr G Et..
— Kaii d'il! euz a zeiz raini, etc. Kan d' in euz a ciz rani
AN N II R L" I Z.
ANN DROUIZ.
— Soiz heol ha seiz lo;ir,
— Eiz avcl o c'houibannat ;
Seiz planeden garni ar lar,
Eiz tan gand ann Tantad,
Seiz eU'en garni bleud ann ear.
E niiz mae e menez kad.
C'houec'h mabik aroat e koar, etc.
Eiz onner wenn-kann-eon,
Temp guuriz ann douar, etc.
puri enn enez don
Pevar mean liigolin, etc. ;
l'enfant.
— Chante-moi la série du nombre neuf, etc.
LE DRUIDE.
— Neuf petites mains blanches sur la table de l'aire,
l'enfast,
LE DRUIDE.
- Dix vaisseaux ennemis qu'on a vus venant de Nantes :
l'enfant.
— Chante-moi la série du nombre onze, etc.
LE DRUIDE.
— Onze Prêtres armés, venant de Vannes, avec leurs épécs
brisées ;
Nao dornik gwenn war dol leur, elc, — l'nnek Belek houarnesel,
Eiz avel o c'houibannat, elc. tonet euz a Wened,
Seiz lieol ha seiz loar, etc. Gand ho c'hiezeier torrel ;
CIIAÎSTS I'OPUL.\IUES DE L\ BRETAGNE.
l'enfant.
l'apprenne aujourd'liui.
LE DRUIDE.
Noire qui porte une étoile blancbe au front, sort de la Forêt des
Dépouilles;
Dans le zodiaque.
LES SÉRIES. 9
NOTES
Les Druides, on étaient les instituteurs de la jeunesse. Ils
le sait,
* Ad hos mognus adolescenlium numerus disciplinœ causa concurrit. {De bello gallico ,
lib. VI.)
sMagmim numerum vcrsuum... Multa de sideribus ek eorum nigtu, de muudi ac lenaruui
iiu-igailudine, de rerum natura, etc. (/tid.)
10 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAG^'E.
et sous forme de dialogue'. Diogène Laërce complète le témoignage de
César en disant qu'ils y employaient souvent l'énigme et la ligure-. Il
nous prouve en outre, par une citation, que leur rliythme privilégié était
le tercet, ou strophe de trois vers monorimes. Le chant armoricain offre
donc, quant au fond et quant à la forme, les caractères généraux des
leçons des Druides; on y retrouve les principales données de leur ensei-
gnement; il présente la même méthode technique, à savoir le dialogue et
le tercet, et les énigmes n'y manquent pas; essayons de les deviner.
I. L'Unité nécensaire, que le maître identifie avec la Mort^, pourrait
être la divinité ilont César rend le nom celtique par Dis, dieu des
ombres chez les Piomains. Les Gaulois, d'après les Druides, le regardaient
comme le ciief de leur race, et l'appelaient leur Père». C'est peut-être
aussi le Destin, le Fatum, dieu suprême de la plupart des peuples de
l'antiquité.
II. Les deux bœufs sont probablement ceux de Hu-Gadarn, divinité des
(Lib. VI.)
s MyvyrUm, Archaiology of Wnles, t. H. p. 57 et 74.
c Kib, boite, coque, pot (Le Gonidec, Did., p. 89); pluriel, kihou, kibi, cercles. En gallois
kib signilie vaisseau, coque, cosse d'un fruit, coquille. {V. Owen, Welsh dictionnary.j
'
Uyvyrian, Arch. of Wules, 1. 1, p. 76.
« Ibidem, p. 30.
» Kylch y Givynfijd (cf. l'armor. Gwenvidigez) .
foPour les preuves je prends la liberté de renvoyer le lecteur à mon livre intitulé: Uyrdhim
m l'enchanUur Merlin, p. et suiv. et aux fragments n* vin du présent recueil.
LES SERIES. a
tons. 8 Cette pierre, disent-elles, vint en héritage à Tudno Tedgled, fils de
Jud-Hael. chef armoricain. Il suffisait d'y passer légèrement les épées des
braves pour qu'elles coupassent même l'acier; mais, loin d'aiguiser celles
des lâches, elle les réduisait en poussière. De plus, quiconque était
blessé par la lame qu'elle avait aiguisée mourait subitement *. »
V. Les cinq zones de la terre étaient connues des anciens bardes,
comme les trois parties du monde. Un poëme attribué à Taliésin, et qui
présente plusieurs points d'analogie avec le chant armoricain, offre la
preuve de ce fait « La terre, dit-il, a cinq zones et se divise en trois parties:
la première est l'Asie; la seconde, l'Afrique; la troisième, l'Europe^. »
ne vois pas qu'elle est cette sœur emprisonnée sous cinq rochers.
Je
Il est possible qu'il y ait quelque rapport entre elle et la personne à
laquelle Merlin donne le même nom dans ses poésies.
VI. Les enfants de cire jouaient un grand rôle dans la sorcellerie du
moyen âge. Quiconque voulait faire tomber son ennemi en langueur
fabriquait une petite figure de cette est èce et la donnait à une jeune fille,
qui la portait emmailloltée durant neuf mois dans son giron les neuf ;
dun vol farouche comme il est au-dessus des chants du barde comme
! !
il est supérieur à tous les autres éléments! Dans les guerres, il n'est
point lent!... Ici, dans ton sanctuaire vénéré, ta fureur est celle de la
mer; tu t'élèves; les ombres s'enfuient! Aux équinoxes, aux solstices,
aux quatre saisons de l'année, je te chanterai. Juge brûlant, guerrier
sublime, la colère profonde*! »
Les Jmit génisses blanches de la Dame, qui paissent l'herbe de l'ile.
peuvent ne pas être sans rapport avec les génisses blanches consacrées
à une déesse celtique, adorée dans l'ile de Mon, à l'époque où vivait Ta-
cite. Si lépithète de don, profonde, par laquelle le poëte armoricain qua-
lifie l'île dont il parle, était une altération du mot Mon, l'identité serait
parfaite Quoi qu'il en soit, lais Mon signifie « l'île de la Génisse » dans
le dialecte breton du pays de Galles^.
'X. Une anticiue tradition relative aux côtes d'Aber-A'rac'h en Armo- ,
Myvyi'ian, t. I, p. 25.
CT. Giégoire de lioslre.icn, Dicl., p. 360, cl dom le Pellelfer, Dirt.. col. 174.
LES SERIES. 45
trouveras une laie couchée avec ses petits, tu bâtiras une église en
l'honneur de la sainte Trinité •. »
Deux poèmes politiques attribués à Merlin éclairent encore mieux le sujet.
Lepremier oi^tlnlitulC' la Pommeraie; le second ai)our lilrc les Marcassins.
Ces animaux tigurent dans l'un et dans l'autre, et le barde les conseille de
la même manièrequele vieux sanglier instruit ceux du poëme armoricain.
L'épithéte d'intelligents et d'éclairés qu'il leur doime, le nom de poè'te
des saiiglier--<, doui unliarde du treizième siècle s'honore, ne permet pas de
se méprendre sur le sens de l'expression mélapliorique employée par Mer-
lin. C'esi éviileniment à des disciples qu'il est censé pailer'.
« Poivimiors élevés sur la montagne, dit-il dnns une invocation aux
« Miinjrian, 1. 1. p. iso.
ilbid., p. 155.
'Reddidit Alfred M.icbtiern filius Gestin monachiam sancti Salvaloris (quam injuste per vim
tenebat), in mnnu abbali» cum virga corilina anie Salomonem regem tolius Britanniae magnae-
que pailis Gallianiin. (Carlulariuin F.olonensf; .nd ann. 867 ; D. Moiice, Preuvei, t. I, p. 30S
V. aussi sur le même symbole, dans Owen, Dictium., t. 1, p. 25i.]
* Tu Bajocasis slirpe Druidarum salus;
Beleni sacratum ducis e templo genus
Et inde robis mmina. (Auson., Profess-, 4.)
ment l'auteur cambrien connaissait une partie des secrets dont l'Ar-
moricain (ait un si pompeux étalage, et il avait puisé au même courant
traditionnel. Les bardes gallois du moyen âge, il ne faut pas l'ou-
blier, étaient les descendants convertis des DrLiidcs, prêtres du dieu
Bel, et les paysans du Gladmorgan, sans comprendre la portée du
terme, donnent encore à ceux d'aujourd'hui le nom très-caractéristique
à'inUiés de la vallée de Bélen^. Le barde armoricain le mériterait bien
plus.
Mais il est un fait qui donne à son œuvre une grande importance; c'est
qu'ilen existe une contre-partie laline et chrétienne. Je la trouve dans
un recueil de cantiques bretons du moyen âge, réédité, en 1650, par
Tanguy Guéguen, prêtre, le même qui publia la troisième édition du Grand
MYSTÈRE DE Jésus^, et on la chantait encore, il y a peu d'années, au séminaire
de Quimper. Le fait dont je parle prouve que les premiers apôtres des Bre-
tons firent aux monuments de la poésie païenne de ce peuple la même
guerre habile et une guerre du même genre qu'aux monuments maté-
riels de sa religion. On savait déjà que, dans tout ce qui n'était pas en
opposition directe avec le dogme catholique, ils s'étaient plutôt efforcés
de transformer que de détruire, fidèles aux instructions du pape saint
Grégoire le Grand, qui leur avait dit « Retrancher tout à la fois, dans
:
ces esprits incultes, est une entreprise impossible, car qui veut atteindre
le faîte doit s'élever par degrés et non par élans... Gardez-vous donc de
détruire les temples; détruisez seulement les idoles et remplacez-les par
des reliques. »
Les missionnaires transportèrent donc la forme, le rhythme, l'air,
la méthode élémentaire, toute l'enveloppe du chant païen dans la
contre-partie chrétienne; l'enseignement seul fut changé. L'apôtre
emprunte au Druide son système pour le combattre. Si l'un tire de
ses poèmes sacrés la doctrine qu'il inculque à ses disciples, au moyen des
douze premiers nombres, l'autre, adoptant les mêmes chiffres, atta-
che à chacun d'eux une vérité tirée de l'Ancien ou du Nouveau Tes-
tament que les jeunes néophytes retiendront aisément par l'effet
In Cana Galileœ.
Quinque libri Mojsis, etc.
Unus est Deus, etc.
— Duodecim aposloli ;
L'ndeciin stellae
A Josepho visae ;
La grande idée de
l'uniti'' divine est placée au début de la pièce chré-
1 Voir le rapport de M. Ampère sur les Poésies populaires de la France. [Bulklin du comité
des travaux historiques, année 1853, p. »33.)
LA PROPHÉTIE DE GWENC'HLAN
DlftLËCTE DE CORNOUAILLE
ARGUMENT
Comme nous l'avons dit dans l'introduction de ce recueil, il est, parmi
les chants populaires de la Bretagne, une pièce intitulée Prophétie de
:
DIOÜGAN GWENC'HLAN
; ERN E —
Pa oann iaouank me a gane ;
Pa'z ona deut koz, me gan ive,.
Pa guz ann heol, pa goenv ar mor. Me gao enn noz, roc gan enn de
Me oar kana war dreu» ma doi'. Ha me keuziet koulskoude.
20 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE.
Ce n'est pas que j'aie peur; je n'ai pas peur d'être tué.
II
Evid aoun me n'am euz ket, Hag hen gwall-gamra, gwallet lie droad i
Red eo d'ann lioU mervel teir gwes, Enn he benn kerniou arc'hanl.
Kent evid arzao enn-divez. Ann dour dindan han o virvi,
Gand anu tan daraa euz he f ri ;
LA PROPHÉTIE DE GWENC'HLAN, 21
Hag ar geot war lez ar staiik. Darc'h gand he benn, darc'h mat 'ta,
— Dalc'h mat 'ta! dalc'h mat 'ta ! mor- [darc'h . —
[varc'h ;
Ken a risk er goad ann treid noaz! Pa oann em bez ien, hunet dous,
Gwas-oc'h -was! darc'h 'ta! gwas-oc'h-was! 'Kleviz ann er 'c'hervel, enn nouz.
Darc'h mat'ta darc'h ta! ! gwas-oc'h-was! llag ann holl evned euz ann ne;
Me wel ar goad hed penn he c'iilin! Ha lavare dre he c'Iiervel :
tiens.
NOTES
Cette pièce est, par les sentiments, les croyances, les images, un débris
jirécieux de l'ancienne poésie bardique.
Comme Taliésin, Gwenc'lilancroit aux trois cercles de V existence et au
fin^! »
De même que Gwenc'hlan
représente le prince étranger sous la figui'e
d'un sanglier, et le prince breton, sous celle d'un cheval marin, Taliésin
parlant d'un chef gallois, l'appelle le « cheval de guerre^. »
L'histoire du barde aveugle d'Armoriqne chantant dans les fers son chant
de mort, offre quelque analogie avec celle d'Aneurin qui, ayant été lait
prisonnier à la bataille de Kaltraez, composa son poëme de Gododin durant
sa captivité a Dans cette maison souterraine, malgré la chaîne de fer
:
qui lie mes deux genoux, dit-il, mon chant de Gododin n'est-il pas
plus beau que l'aurore? » Le même poëme offre un vers qui se retrouve
presque littéralement dans le chant armoricain^: « On voit une mare
de sang monter jusqu'au genou*. »
Le sens des strophes 25'=, 24° et 25' du chant breton est exactement le
même que celui de deux stances d'une élégie où Lywarc'h-Hen décrit
les suites d'un combat :
«J'entends cette nuit les aigles d'Eli... Ils sont ensanglantés; ils sont
dans le bois... Les aigles de Pengwern appellent au loin cette nuit; on les
voit dans le sang humain » •''.
Mais les bardes que nous venons de citer étaient tous plus ou moins
chrétiens, et l'on doit croire que Gwenc'hlan ne l'était guère, en voyant
la complaisance avec laquelle il dévoue la « chair ciu'étienne » aux
aigles et aux corbeaux on se rappelle qu'une tradition populaire lui fait
:
Mlï.isjr
ARGUMENT
Ln indiquant précédemment le caractère général des fées chez les diffé-
rents peuples de l'Europe, et le caractère particulier des técs bretonnes, j'ai
essayé de prouver que celles-ci paraissent avoir emprunté aux druidesses
gauloises, non-seulement quelques traits essentiels de leur physionomie,
mais jusqu'à leur nom de Korrigan. Lsl ballade du seigneur Nann peut être
citée comme exemple, pour montrer ce qui leur est propre, et ce qu'elles
ont de commun avec les fées des autres peuples. Elle m'a été apprise,
ainsi que la suivante, par une paysanne Cornouaillaise. Depuis lors je l'ai
entendub chanter plusieurs fois en Léon: ce dialecte étant plus élégant que
celui de Gornouaille, j'ai cru devoir le suivre.
sous eux;
Ken rude ann dour diouc'h he dal, Dimczi d'in brema' refet,
lia dioucli he varc'h a heb koslez. Pe e-pad seiz vloaz e seac'hfct;
Ken a zeuaz ann abardaez; Te a-benn tri deiï e varfel.
LE SElGNEUri NANN ET LA FÉE. 27
allé?
— Dimezi d'hoc'h me na rinn ket, Gand eur Gorrigan ounn bel skoet,
na<; eur l)loaz-zo ounn dimezel; Hag-abenn tri dervez goude
Da zizeac"lii na jomminn ket, Ar c'hreg iaouank a c'houleDnc :
lantes et si gaies !
NOTES
La grotte auprès de laquelle le seigneur Nann rencontre la Korrigan, et
que le poète donne pour demeure au génie, est un de ces monuments
— Ma on fait
fille, la procession
Toui à l'entour de la maison.
» Pr. Tarbé, Romancero de Champagne, t. Il, p. 125. Cf. de Puïmaigre, Chants populaires, p.
ÔO CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE.
Et la fiancée disait ce jour-là
« : Dites-moi, pourquoi les cloches son-
nent-elles ainsi?
— coutume de notre
C'est la que chaque jeune amant sonne en
île
veille! Mallieur au cheval qui trouble les eaux de son lac! La Wila en
exige un terrible péage elle prend au héros ses deux yeux, et au cheval
:
I ARGUMENT
La tradition mentionnée dans ce chant, qui est encore relatif aux fées, est
une des plus populaires de la Bretagne. C'est, le plus souvent, un récit
en [uose mêlé de couplets, forme accusant évidemment une modifi-
cation postérieure. Nous avons donc recherché s'il n'existait sur le
même thème aucune œuvre complètement en vers, et nous avons été
assez heureux pour découvrir le précieux fragment qu'on va lire.
Une mère perd son fils les fées l'ont dérobé en lui substituant un nain
;
loin;
AR BUGEL LAEC'HIET
— lËS KERNE —
Mari poant a zo lieuziet ; i — Pa'z iz da vid dour d'ar stiva
Ile Loili lier e deuz kollet; Va Loik leziz er c'havel;
entre vos bras, vous êtes dans la joie, moi dans la tristesse.
promplement.
— Que faites-vous ma mère? disait le nain avec étonne-
là,
ll;ig enn lio zeiz vloaz e ma cet Pa eo bel Uemmet ki'n, a glemm ;
C'boaz ne ma kel c'hoaz dizonel. Pa eo klevet, be laminer lenim. »
r.wert'brz Vari, wai- bo tron erc'b, — Petra ril-hu aze, va mamm ?
Il se leva sur son séant, et lui tendant ses deux petits bras :
NOTES
Dans une tradition galloise analogue, la pauvre mère, trouvant aussi un
nain hideux et vorace à la place de son enfant, va consulter le sorcier, et
le sorcier lui dit « Prenez des coques d'œufs, fuites semblant d'y pré-
:
IM.
ARGUMENT
!^ n en comme des chants dont les fées sont
est des clianis sur les Nains
l'objet; ils sont très-rares, tandis que les traditions relatives à ces êtres
surnaturels sont multipliées à l'infini. Celui que nous donnons ici revêt
le plus souvent la forme d'un récit; il a tout l'air d'une satire contre les
tailleurs, cette classevouée au ridicule en Basse-Bretagne comme dans le
pays de Galles, en Irlande, en Ecosse, en Allemagne et ailleurs, et qui l'était
jadis chez toutes les nations guerrières, dont la vie agitée et errante s'ac-
cordait mal avec une existence casanière et paisible. En Basse-Bretagne
on encore proverbialement, qu'il faut neuf tailleurs pour faire un
dit
homme, et personne jamais ne prononce leur nom, sans ôter son chapeau et
sans ajouter « sauf votre respect. » La Très-ancienne Coutume de celte
:
province aurait pu les ranger dans la classe des « vilains natres, ou gens
qui s'entremettent de vilains métiers, comme être écorcheurs de chevaux,
de viles bestes, garsailles, truandailles, pendeurs de larrons, porteurs de
pastez et plateaux en tavernes, crieurs de vins, poissonniers; qui s'entre-
mettent de vendre vilaines marcliandises, et qui sont méneslriers ou
vendeurs de vent; lesquels ne sont pas dignes de eux entremettre de
droits ni de coustume. » On en jugera par le joli badinage suivant.
AR C'HORRED
— lES KERNE —
Paskou-Hir, ar c'hemener, i N'hclle mui ober Ijragou :
Zo eet (la ober al laer, Eet ann dud d'ann armeou
Abardae noz digwener. I Ouz rc Vro-C'hall hag ho rou.
36 CIIAISTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE.
Les voilà qui entrent dans la cour; les voilà qui dansent à
perdre haleine.
une trouée.
Tu es pris, mon pauvre ami; jette vite dehors le trésor.
trou;
Ann tonsaour mad a gavaz, Maint 'ober eunn loiill enn ei.
Seigneur Dieu un, deux ! et trois ! les voilà en danse sur l'aire !
mesure ;
NOTES
Une autre version de la même
chanson attribue l'aventure à un cer-
tain fournier nommé lannik-ann-Trevou. Plus fin que notre tailleur, en
Kemenerik
— it Dilun, dimeurs, dimerc'her,
« te zo laer.
« Chez lannik-ann-Trevou, nous avons brûlé nos pieds cornus, mais fait
bon marché de ses pots' » .
jeudi et vendredi. »
Un voyageur, attiré, dit-on, dans leur cercle, trouvant le refrain mo-
notone, et y ayant ajouté les mots «samedi et dimanche, » ce fut parmi
:
* E ti lannik-ann-Trevou
Hon euz rosiei lior c'Iiarnoo
Ha gret foar gand he bodou.
1 Daemones quos Duscios C.AU nuncupanl iDc cirit. Dei, lib. XV, c, xxinj.
» Lyfr goc'h o Heiijesl, col. 705,cf._ le Crciii.p, 2il,
VI
iF ARGUMENT
Il en Armorique, aux premiers temps de lère chrétienne, une
existait
ville, aujourd'hui détruite, à laquelle l'anonyme de Ravenne donne le nom
de Chris ou Keris. A la même époque, c'est-à-dire au cinquième siècle,
régnait dans le même pays un prince appelé Gradlon et surnommé Meur,
c'est-à-dire le Grand. Gradlon eut de pieux rapports avec un saint
personnage nommé Gwénnolé, fondateur et premier abbé du premier
,
IIVADEN GERIS
— lES KERNE —
1 I Pez a lavaraz den Doue
Ha glevaz-le, ha glevaz-te l D'ar roue Giadloa enn Ij be?
40 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE.
II
III
IV
NOTES
La tradition relative à la destruction de la ville d'Is remonte au ber-
ceau de la race ccltiiiue, car elle est commune aux trois grands rameaux
de cette race les poètes bretons, gallois et Irlandais Tout chantée; on la
:
Seithenin
« regarde la terre des guerriers,
! lève-toi 1 et 1 les campagnes
de Gwyddno sont envahies par l'Océan » 1
« Maudite soit la jeune fdle qui ouvrit, après son souper, l'huis de la
Les gémissements des ombres se sont élevés des plus hauts sommets
«
Lre ann heol splann, e ribl ann dour ? I Klemvanuz lonn ha kanaouen.
ARGUMENT
On n'ignore pas qu'au sixième siècle, les Bretons faisaient souvent des
courses sur le territoire de leurs voisins soumis à la domination des Franlis,
qu'ils appelaient du nom général de Gaulois. Ces expéditions, entreprises
le plus souvent par la nécessité de détendre leur indépendance, l'étaient
GWIN AR G'IÏALLAOUED
UA KOROL OR c'iILEZF
— I ES LEON
— Tan! tan! dir! oh! dir! tan! tnn!
Gwell eo gwin gweun bar L,lir l>alon!
'
Mieux vaut vin nouveau que bière; mieux vaut vin nouveau.
— feu! ô feu ! etc.
lant.
— Ofeu! ôfeu! etc.
Korol ar c'hieze.
Gwin ha goad a vev
Tan! lanl...
Neb a ev;
Gwin ha goad a vev. Kan ar c'hieze glaz
Tan! lan !... A gar l.iz ;
Roi!
— feu ! ô feu ! etc.
chêne !
—
NOTES
probable que l'expcdition à laquelle ce chant sauvage fait allusion
11 est
eut lieu sur le territoire des Nantais, car leur \in est blanc, cornu !
celui dont parle le barde. Les différentes boissons qu'il prèle aux Bre-
tons, le vin de mûre, la bière, l'hydromel, le vin de pommes ou le cidre,
sont aussi celles dont ils usaient au sixième siècle.
Sans aucun doute, nous avons ici deux chants distincts, soudés par
l'effet du temps. Le second commence à la treizième strophe, et est un
hymne guerrier en l'honneur du soleil, un fragment de la Ronde de lÉpée
des anciens Bretons. Comme les Gaëis et les Germains, ils avaient l'ha-
bitude de s'y livrer pendant leurs fêtes elle était exécutée par des jeunets :
taille ô glaive ô grand roi! » Ceci, on le voit, nous rejetterait en plein pa-
! !
ganisme. Il est du moins certain que la langue des sept dernières stroplics
est encore plus vieille que celle des douze autres. Quant à sa lormc, la
pièce entière est régulièrement allilérée d'un bout à l'autre, comme les
chants des bardes primitifs, et soumise, comme eux, à la loi du rhythme
ternaire. Je n'ai pas besoia de faire remarquer quel cliquetis d'armes
entrechoquées elle rappelle à l'oreille et quel souffle strident respire la
mélodie.
Kaneveden genl
— Tan! tan! dir! oh! dir! tan! tan dir lia tun!
Tann! tann ! tir ! lia tonn! lonn ! tann ! tir lia tir lia tann !
' 011.-ÎUS Magiius, Histor. septenl. geiilium (p. 403), de chorco gladialoria vel amifera ml-
talione.
VIII
LA MARCHE D'ARTHUR
— DIALECTE DE CORNOUAILLE —
ARGUMENT
La popularité dont jouit en Bretagne le nom d'Arthur est un des phô-
lioniènes les plus curieux de l'histoire de la fidélité bretonne. Ce nom,
primitivement porté par une divinité guerrière, le lut, au sixième siècle,
par un chef illustre, mort en défendant sa patrie, et auquel on attribua
plusieurs des vertus surhumaines de son liomonyme adoré. Les pères
invo(iuàient le dieu en allant au combat les (ils chantèrent l'homme
;
BALE ARZÜR
Des cavaliers qui passent montés sur des coursiers gris qui
reniflent de froid !
Rangs serrés six par six ; rangs serrés trois par trois ; mille
lances brillant au soleil.
Rangs serrés deux par deux, suivant les drapeaux que ba-
lance le vent de la Mort.
Mil goaf oc'h ann heol o lintri; « lia laz am blons, ha Iraon ha kret'hi
Stank-ha-lank, e ri, d;iou-ha-daou, « Ha am map, lia mamm am merc'h,
lad
vont da heul ar banii laou. . Marc'h am kazek, ha mul am as!
Uag a vraiisell glan ann Ankaou. « l'enn-lu am mael, ha den am goa^ !
NOTES
Cettedernière strophe, dont les généreux sentiments forment un
étrange disparate avec le reste de la pièce et qui y a sans doute été
ajoutée par une voix modorne, a dû contribuer à sauver de l'oubli la
Marche d'Arthur. Elle était toujours répétée trois l'ois par les chanteurs,
qu'elle enthousiasmait. Les autres ne leur offraient probablement qu'un
sens vague; la lettre et l'esprit sont si loin de la manière de parler et
de penser d'aujourd hui Rien n'empêclie de croire, comme on l'a pré-
!
LA PESTE D'ELLIANT
— DIALECTE DE CORNOUAILLE —
ARGUMENT
La peste qui désola toute l'Europe au sixième siècle fit de g:rands
ravag-es en Armoinque ceux qui en étaient frappés perdaient les
:
BOSEN ELLIANT
— lES KERNE —
Tre Langolen liag ar Faouet Eel 60 ar vosen a Elli.int,
Eur Darz santel a vcz kavet ;
llosen ne ket eet hcb forniant,
Ilag lien Tad Rasian hanvel. Elit zo gal-lii soiz-niil ha kant!
Dur eût élé le cœur qui n'eût pas pleuré, au pays d'Elliant,
quel qu'il fût,
Qui fera trois fois le tour de votre église, et trois fois le tour
de votre asile.
Eur c'hroegik kouz iri-ugent vloa lla triouec'h ail eno' tonet.
llag eur mah lieb ken e devoa,
Lec'h oa nao mab enn eunn tiad,
" Edi ai' vosen 'peun ma zi ; Eent d'ann douar enn eur c'nanad,
l'a gaio Doue '(eui enn ti
;
Hag ho mamm baour oc'h ho charrat.
Js'i iei "mez pa deui,» eine-z-hi.
Ho /ad adren o c'houibannat :
qu'aux degrés;
NOTES
La peste d'Elliant ne se chante jamais sans qn'on y joigne l'ét-range
légendfi que voici :
au gué avec ses chevaux, vil une belle dame en robe blanche, assise au
Lord lie la rivière, ime baguette à la main, qui le pria de lui faire passeï'
l'eau. — Oh! oui, sùi'ement, madame, ré, liqua-t-il ; et déjà elle était
en croupe sur sa bête, et bientôt déposée sur l'autre rive. Alors, Ja bel.'e
dame lui dit : —
Jeune homme, vous ne savez pas qui vous venez de pas-
ser je suis la Peste. Je viens de faire le tour de la Bretagne, et me
:
rends à l'église du bourg, où l'on sonne la messe; lous ceux que je frap-
l)erai de ma baguette mourront subitement; pour vous, ne craignez rien,
il ne vous arrivera aucun mal, ni à votre mère non plus. »
« Savez- vous, me disait un autre, comment on s'y prit pour lui fane
quitter le pays? On la chanta. Se voyant découverte, elle s'enfuit. Il n'y
a pas plus sûr moyen de chasser la Peste que de la chanter; aussi de- ,
l'on examine avec une sérieuse attention l'œuvre dans foutes ses parties,
peut-être pensera-t-on, comme nous, qu'il n'y a pas lieu de la croire pos-
térieure à l'événement dont elle nous a conservé le souvenir.
Ce que nous ne présentons ici que sous la forme du doute, a été pro-
clamé comme un fait et appliqué à la plupart des chants bretons, par
M. Ferdinand Wolf, dans un savant ouvrage où il a bien voulu donnera
nos idées 1 poids de son autorité -.
•
' Sanclus Kaliunus propler cladem suœ genlis deprecalus est Dominura, etsicinaliis locis
mutlis itael nunc exaudivil iltum Djminus quando custodivil locum ejus (Turc'h) a supra-
dicta inortalilate. {V. Carlut. abbat. Landeven. ap. D. Morice, Hiit. de Bretagne, t. 1, preuves,
col. 17.1; Cf. D. Lobiiieau, VicS des scwils deBretagne, Art. saint Gwénnolé; ei l'abbè liesvaui,
ibid ,
-1' éJiUuii, l. 1, p. 99.)
* Ùber de Lays, p. 356.
MERLIN
FRAGMENTS DE BALLADES
— DIALECTE DE CORNOUAILLE—
ARGUMENT
On a cru longtemps que deux bardes ont porté le nom de Merlin* ;
l'un, qui serait né d'une vestale chrétienne*, et d'un consul romain',
aurait vécu au cinquième siècle sous le règne d'Ambroise Aurélien, et
passé pour le premier des devins de son temps*;
L'autre, qui ayant eu le malheur de tuer involontairement son neveu, à
la bataille d'Arderiz où il portail le collier d'or, marque distinctive des
chefs cambrions, aurait perdu la raison, et se serait retiré du monde,
(vers la fin du sixième siècle).
Aujourd'hui les criiiques s'accordent à voir dans le personnage de Mer-
lin le héros unique d'une triple tradition, où il apparaît comme un être
mythologique, historique et légendaire.
Qu'il me soit permis de renvoyer le lecîeur, pour les preuves, au livre
que j'ai écrit sous le titre de Myrdhinn ou l'enchanteur Merlin, son his-
toire, ses œuvres, son influence.
Les Gallois possèdent des poésies de ce barde, mais malheureusement
rajeunies et même transformées aux douxième et treizième siècles, dans
un intérêt national.
Les Bretons d'Armorique ont seulement quelques chants populaires qui
le concernent.
J'en ai retrouvé quatre, débris altérés d'un cycle poétique dont de
nouvelles découvertes comjjleront sans doute les nombreuses lacunes. Le
premier est une chanson de nourrice. Quoique Merlin n'y soit pas nommé,
il s'agit évidemment de Yélre merveilleux que son nom rappelle et de
Dans le troisième, qui est une ballade complète, il n'est plus que barde
et joueur de harpe ;
< Les Gallois écrivent Mijrdhin, Merdliijn cl Mijrâui, et prononcent k peu prùs Mcr:'.in,\es
Armoricains, Marzin.
* Ann-ap-Uan, « le fils de la nonne » {Mijvt/riun, t. I, p. 78;. Nennius traduit kan \y.n-
vestalis.
' Unus de consulibus Komanorum pater meus est. (Nennius, éd. de Gunn, p. 7S.)
* PrifDèwin Ueridin-EniTys. (Myvyrian, t. I, p. 78.)
MERLIN. 57
MERLIN AU BERCEAU
charmé.
Dors donc, etc.
MÂRZIN
pas?
Dors donc, etc.
D'he heul pell, pell, pell, pell ez iz; — Tavit, lavit, koz lapousik,
Sioaz! iioaz d'ani iaouankiz ! C'houi zo gwall lik enn ho pegik.
Oli! Iiun eta, elc. Oh ! Iiun eta, etc.
— Merc'hik roue, e lavare, Ma ZL'lfe laez Boue ouz en
Kaer oiid evel gliz ar heure : Gant goulou-deiz man na lakfen.
Oli! liuu eta, etc. Oh! hun eta, etc.
Ar goulou-rteiz zo -iouezet Na lakfen man gand sell ann heol
l'a zell ouz it, na ouzcz ket. Kennrubeut gand sell ar hed holl.
Oh! huQ eta, elc. Oh ! hun eta, etc.
l'a bar ann heol, souezet e. Mar gomzet d'in oc'h dimizin
Na piou a vo da biied-te? Komzct deuz Roue ann env d'in.
Oh! huti eta, etc. Oh! hun élu, itc
MERLIN. 59
cristal !
Comme le petit Du2i n'était pas chez lui, j'étais sans frayeur
et joyeuse.
Dors donc, etc.
grotte.
Dors donc, etc.
porte.
Dors donc, etc.
l'heure où je m'endormis !
Mont da zigor ann nor d'ezhi. Malloz d'ann heur e oann kousket.
Oh! hun eta, etc. Oh! hun eta, etc.
Gwech war va skoaz, gwecli war va fenn, A-ioul vefe enn ifern skorn
Gwftch e ni je war va c'iierc'henn. Ann Duarded kig hag askorn !
les aide.
— Dors donc, etc.
A-ioul vefe gaou va hunvre! Etio ann env hag ann douar,
Na ouife den diouz va doare! Va zad zo ker kaen hag al loar ;
Tavit, va mamm,
na welet ket, Ra viro Doue da vikenn
Gan-in n'ho po preder e-bet. Va zad diouz puns ann ifern ien 1
!F,nLlN-DEVlN
creux du rocher.
I
— Merlin! Merlin! convertissez -vous, laissez le guy au
i
chêne,
[ou ! iou ou !
D'ar fesl-man na da fest t-bed ;
Vous n'irez point, s'il tient à moi ; vous avez pleuré en rê-
vant.
lia luc'hed gnd lifi zaouhgail, Gwennoc'h evit gloan war al lann;
Ha daic'h enn douar gad lie droail ; ll.ig hen gwisket gad eur ze c'hloan,
Ken a oa ar re-all trec'het, liordet penn-da-benn gad argant;
Uag ar c'hleun treuzel enn eur red. Hagjhcn enn tu deou d'ar Tioue,
— Otrou roue, 'vel peuz touet; Oul-han gourgomze, er pred oue.
Uo merc'h Linor lenkann kaouet. Ar Roue pa'n deuz lie glevet,
— Ma merc'h Linor n'ho pezo kel, Die deir gwech gand he vaz ncuz iknol ;
Eunn ozac'li koz a oa eno, Dalc'liel gant pider sug aour lin ;
peut-être. —
III
droite.
mariafre! —
Soiiezet, lia'nn holl cvel-l-han Ann holl vro Léon, dre ma wcnni
— Chetu gonet he c'Iiroek gant-han !
— Digas Miirzin-Darz tre em lez,
Hag hen mont eann tammig er niez, Da veuli ar briadelez. —
He vub d'he lieul liag ann oac'li kez.
Votre harpe n'est pas perdue, ni votre anneau d'or non plus.
ma harpe.
Lonkel en deuz tri aval ru Gand ann dud eno 'ioual fors?
Am euz poaet d'ean el ludu ; — C'hoari gaer a zo er gcr-ma :
PJa vanUo d'he kik nïi bara, lia kaikaniou aour a vo kant,
Ka gwin, na tlour-vel da eva, A vo roet d'ar varc'lieicn goant;
Daou c'iiant inar, ha kanl karo, lia kant soner war ho zonhen,
A geraent koad a zo er vro , son noz-de, war aiin dachen;
Daou c'hant ejenn, kant du kant gwenn, Ha Marzin-Barz e-kreiz al lez
Vo roet lio c'hrec'hin dre rann krenn. veuli ar briadelez.
IX
finie?
Merlin encore une fois est perdu, et l'on ne sait ce qu'il est
devenu. —
IV
t CONVEKSION DE MERLIN,
lant;
gnaient ;
NOTES
les quatre fiVj,ments qu'on vient de lire ont grand besoin chacun de
commenlaire. Sans répéter ici ce que j'ai dit dans un ouvrage spécial,
je me contenterai d'éclairer les hauteurs du sujet.
I. On ne peut s'empêcher d'être frappé de l'accent païen qui éclate
dant des Marses, j'allais dire un Druide. En compagnie d'un chien noir,
ou d'un loup familier, il parcourt dès l'aurore les bois, les rivages et
les prairies; il cherche « l'œuf rouge du serpent marin », talisman
que l'on devait porter au cou, et dont rien n'égalait le pouvoir.
Il va cueillir le cresson vert, l'herbe d'or et le guy du chêne. L'herbe
d'or est une plante médicinale; les paysans bretons en font grand cas, ils
prétendent iju'elle brille de loin comme de l'or; delà, le nom qu'ils lui
donnent. Si quelqu'un, par hasard, la foule aux pieds, il s'endort aus-
sitôt, et entend la langue des chiens, des loups et des oiseaux. On ne
rencontre ce simple que rarement et au petit point du jour pour le :
c'est que les belles paroles que le poëte met dans la bouche qui le gour-
mande se retrouvent dans plusieurs morceaux de poésie galloise, dont
deux de Lywarc'h-IIen Honnis Dieu, il n'y a pas de devin {Nainijn Dim
;
nid oes deviti*), a-t-il dit en faisant une profession de foi exactement
semblable à celle de notre pièce, et où il n'y a de changé que l'ordre de
la phrase et le dialecte.
1 :rqiia avec neuf autres bartlcs, disent les Triades, et on ne put parvenir
à savoir ce qu'il devint*. 11 nous apprend lui-même qu'il quitta la cour
et s'enfuit dans les bois-.
Notre ballade est aussi d'accord avec les traditions galloises, en lui
prêtant un gmlt tout particulier pour les pommes et en le faisant tom-
ber dans un piégé où ces fruits sont l'appât. 11 aimait tellement l'arbre
ijui les produit, qu'il lui a consacré un poëme :
« pommier! dit-il, doux et clier arbre, je suis tout inquiet pour toi ;
je Iremlilc que les bûcherons ne viennent, et ne creusent autour de ta
racine, et ne corrompent ta sévc, et que tu ne puisses plus porter de
Iriiits à l'avenir^.»
D'autre part, an douzième siècle, un poëte latin de Galles, écho do la
Iradition de son temps, fait tenir ce langage à Merlin « Un jour que :
l)r)ar boire. Oi% il y avait çà et là, parmi les herbes tendres, des pom-
mes odorantes, au bord du ruisseau... Je les partageai entre mes com-
pagnons, qui les dévorèrent mais aussitôt ils perdent la raison, ils fré- ;
jiients.
'( Ces fruits m'étaient destinés; je l'ai su depuis. Il y avait alors en ces
p;\rages une femme qui m'avait aimé autrefois, et qui avait passé avec
moi plusieurs années d'amour. Je la dédaignai, je repoussai ses ca-
resses elle voulut se venger
: et, ne le pouvant faire autrement, elle ;
ARGUMENT
Morvan, maciiliorn ou vicomte de Léon *, si célèbre dans l'histoire du
où l'amour des armes s'éveille forluiteiient dans son âme; le second re-
garde son retour; les autres, ses combats et sa mort, ou, pour mieux dire,
la péripéiie étrange en laquelle le patriolismo armoricain a changé le
dénoùmcnl avorté de l'histnire du héros breton. Après l'avoir montré
vainqueur d'un guerrier à qui le roi des Gaulois, c'est-à-dire des Franks,
avaitdonné mission de le tuer, puis d'un géant more doué de vertus ma-
giques, le poëte le met aux prises avec le roi lui-même, i)lus heureux que
ses ém'ssaires. Vaincu et blessé mortellement, Lez-Breiz disparait du
milieu du monde, mais non sans espuir de retour.
Arthur chez les anciens Bretons, Ihilgar chez les Danois, don Sébastien
en Portugal, l'empereur Frédéric Baiberousse chez les Allemands, et
Marco chez les Slaves, ont eu la même destinée poétique; leur vie, qui
appartient à l'histoire, s'est exhalée en poésies dans les traditions de leurs
compatriotes.
' domino imperainre HluJovico, .inno xxii regni ejus, Morman }lachtiem..-(CaT-
ne.2n;inte
lularium Hedonense. .nd aiin, KOO ;Ap. de Coiiisun, cf. D. Blorice. preuves, t. 1, col. 265.)
« Lfz-Breiz veut due à la lettre; Banche de la Bretagne (de Lez, iKinche, au figuré, soutien,
«I de Bieiz, UreLisne. V. Le Gonidec, au mot Lrz). On l'appelle aus.>ii quolquclois Lezou-
Breiz. Lezou est le pluriel, aujourd'hui inusité, de Lez.
' Uiiluire de Bretagne, p. 103,
KO CHANTS POPULAIRES DE LA BREiAG^-il,
LE DEPART.
point de mal !
LEZ-P.REÎZ
' II doit y avoir ici un mot mis pour un autre, les blancs ne datant que de l'nn 13bO environ,
Cependant il s'agit peut être de la monnaie appflée Kiinioc [gweiiuek )<inns les lois galloises di;
dixième siècle.
«^ CIIA.NIS l'UI'L'LAir.ES DE l,.\ lî P. ETA G NE.
rire.
Awalt'li he galon c'hoarzin a reuz. Ilag ar potr d'ar gcr cnn ciir redek : ,
I.avar ive ann lol-ma d'i-me; Draoc'h den hng ann olron Slikel
(liVL'laz-le eiinn «kn evel-d-on-ine? A zo enn hon iliz, ann arc'hel!
— Eunn (len evel-d-hoc'li am puzywelcl : — K' euz den, ma map, braoc'li kouU-
lia dre-ze ire, olrou, e mn eet. — Draoc'h evid elez hon l'oue. [koude,
LEZ-BUEIZ. 83
disent-ils, chevaliers;
connaissance.
II
LE RKTOUn,
Hag ben kuil da heul ar marc'hek ken; Pa zistroaz a-bcnn dek vloa krenn,
Kuit, ha limad, heb kimiada den; Kenvrudet eiouez ar varc'heieD.
84 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE.
maison,
Cette maison est allée à perte depuis que l'enfant l'a quit-
me fait pleurer :
un frère de
•l'avais votre âge, voilà dix ans qu'il est parli
pour mener la vie de chevalier ;
je ne dis pas :
Elle s'en alla de chagrin, quand mon frère parlit pour de-
venir chevalier, je le sais;
LE CHEVALIER DU ROI.
Ken he ziou vrec'ii d'Iie goug a lîolaz, Etre Lorgnez ha marc'hek I.ez-Breiz
lia? he vpk d'he begi;: a laka?; A zo bel lonket eunn emgann reix.
LEZ-DREIZ. 87
mon épée ;
maison?
Si ton sang venait à couler sur la terre, (pii mettrait un
terme à sa douleur?
— Au nom de Dieu! seigneur, si vous m'aimez, vous me
laisserez aller au combat.
Je n'ai pas peur des Franks; mou cœur est dui', tranchant
mon acier.
Doue (la rai poniil d'ar lîreizail. — Ha petra lavarl'e da vamm ger,
Ha <l'ar re zo ei- ger kelou niad ! Ma na zi^trofez kel mui d'ar ger?
Ann otron Lez-Breiz a lavare l'a redfe da wad war ann donar,
D'he floc'liig iaouaiig, eunn deiz a oc : l'iou lakefi! lermcn d'he glat'har?
— Dihun, va floc'li; ha suv alesc; — Han Doue! otiou, ma eni c'haret,
l'a ke (la spma d'in va c'hieze ;
D'ann emgann c'Iiui va lo.>ko monel.
Va zokliouarn, va goal' ha va skoed, N'am euz ked aoun rag ar C'haliaoued;
D'ho rusia e goad ar Cliallaoued. Kriz eo va c'Iialon, va iln lemmet.
Gand tkoazcl Houe ha ma diou-vrec'li, Beza drouk gand ann nidi a garo,
Me l'.o zavo c'hoaz liirio d'ann nec'h ! Elec'h m'a eot me a ie o ;
.SantezAnna 'r vor pa erruaz, lia teir d'boc'b iliz, teir d'bo pered ;
Tre 'barz lie iliz lien a ieaz. Ha teir d'ho louar; pa venn digouet ;
m
— Entendez-vous? voilà Lez-ïireiz qui arrive; il est suivi
sans doute d'une armée bardée de fer.
cou de chanvre;
un terrible homme !
—
Le jeune écuyer de Lez-Breiz, en les voyant, se serra de
plus en plus contre son maître.
eux. —
— Ke d'ann cmsann, ke, marc'hek Lcz- Tost-oc'li-toit d'he vestr en em riblaz :
[Breiz
—
:
— Sellel-hu! Lorgnez o lonl enn lient !
liant han eur strollad liag lien fardet ! Ma int o ligout gand ar c'iioad kcsten :
Beac'h a vo, mestr paour, en em zifenn!
lia!dindan lis;: Kunn azenik gwenn
Eur c'habestrik kanab eiin lie benn, — Gwelet pet zo anezho rit-te,
Ha;;eur lloc'h bilian enn he giolien ; Ta ho devo tanvel va dir-nic.
IIaghen,hervezarvrud,eurg\vjU-zen. — Slok da gleze, floc'h, ouz va c'iKeze,
Floc'li biiian Lez-Breiz dal' in'bo gwelaz, lia deomp-ni ai'og enn ho bete. —
CüAiNTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE.
pierre.
— N'onn ked deut d'ann emgann ma Hend-all, e likinn da wad ken ien
[unan ; Ha ma 'z co ann houarn pe ar men.
D'ann triigann ma unan ne dann ket, — Marc'hek Lez-Breiz, d'i-mc levurcl .
VI
Il n'eût pas été Breton dans son cœur, celui qui n'aurait
pas ri de tout son cœur,
Ile glezp braz en deuz iliwennct : Aemed kaout eur fetiiiteun, lielj >i;
— Ma ne t'euz ki'd anavel ann lad, '
— Tiz
lloc'h Lez-BiL'iz a lavare liel :
garder.
Il n'eût pas été chrétien dans son cœur, celui qui n'eût pas
pleuré à Sainte-Anne,
tronne de la Bretagne.
— Grâces vous soient rendues, ô mère sainte Anne! C'est
Krislen enn lie galon na vize, Da zerc'hel koun rnad euz ann emgann,
E Sanlez Anna, neb na oelze, Eo bel savet ar barzonek-man ,
welet ann iliz o leiza lia vezo kanet gant tud a Vreii
Gand daoulagad Lez-Breiz o oela, Enn enor d'ann oirou mad Lez-Breiz!-
IV
LE MORE DU UOI.
Olrou kez, na ouzoc'h ked eta? Cand eur c'hloarek koz'm cuz.he glovet,
Dre ardou ann diaol c'iioari a ra. Eunn deii Doue, mar zo, war ar bed;
à
LEZ-DP.EIZ. 95
III
l'a 7,cuio ai- Morian trc er zall, Ho koaf enn ho loin na vreo ket.
E tolo d'ami douar he vanlal.
Toled ked ho maniai d'ann douar,
Hü^cn lekel anuzlii war var. |
Hg c'iioaf enn he zorn na vreaz ket,
Mar laka he zilad war ho re, Dre neiz he ziou vrec'li hag ann Drinded I
Le roi frank, assis sur son trône, regardait avec sos nobles;
vaisseau,
Ile c'hoaf enii lie zorn na flachaz ket; Ken a gouezaz iMoiian ar roue,
Goal' ar Morian brevi e deuz gret. Hag lie benn gand al leur a sloke
Deuz penn he zibr en deuz lie stagct Eiizuzzell! duhe ziemm,g\venii liezent;
Dre lie varo louel ha nezet. Ken a sponle nelj a oa enn lient,
llag lien da bigiiat war he varc'h feu), Hag ann oliou I.ezBreiz, a-neuze
llag e inez, gand he floc'hik d'he heuf; A lavare ivc eveUe :
' La vue de la tête coupée de leur ennemi devait moins effrayer que réirtuir les Bretons,
Il est donc probable que l'original portait hetuz (agréablej au lieu d'etizuz, et liiouenne
(réjouissait) ai- usa de s sponle.
98 CHANTS POI'ULAIRES DE LA URLTAGNE.
— J'ai assisté à vingt combats, et j'ai vaincu plus de mille
hommes;
Eh bien, je n'ai jamais eu autant de mal que m'en a donné
le More.
le Léguer et le Guindy ^ —
IV
lE noi.
a Heiireu=e, lieiueusp la mnison q'ji sera bàlie entre rerinlioiichiiie ilii Léguer el la rivière
du Giiiiiily )) Le [1 lête popiikiire s'est souvenu de l'aiiti^pie prn|iliélie du bnrde. Au lieu
I
désigné, cjui est ouTrégjistül, sauileAnne a une église piesqueaissi frétpienlée ipu' son grand
sancluaiie d'Aiinoi, piés d'Auray, et offrant, dit M. du Motlay, tons les caiactèies de
transition du dou/iéme au treitiéine siècle. Lez-Breiz a laissé son nom au tertre voisin,
qu'on appelle Krec'ti Mor.vA».
LEZ-BBEIZ. 99
ui-mênie. (V. plus liant, p. 21.) La jeune tille fiit ici preuve de ce bon s'mis préc.iuliuni;
naturel aux lemmes, et qui p-issait pour don <le propliélie dans les suciélés priiniiives.
100 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAG^E.
l'ermite.
Ken a glev lie aeied, hag e lamm : Pa oa kousket lean koad ilellean.
Tec'h kuil, dispar, unik! tec'hdinaml Tri zol war he zor a skoaz unan.
— Bez a C'iiallaoued pcz a gaio! — Lean mad digoret ann nor d'in,
Me na dert'hann ket rog ai- inaro !
— M'am bo minic'hi a vinic'liinn.
maison. —
Le vieil ermite, entendant ces paroles, sauta à bas de son lit ;
Eolet gand Doue ne ma ket bel Al lean koz dal'm' en deuz klevet
Web a wast douar ar Vreioned : Sevel deuz he wele en deuz gret;
Hogen pez a zeu a-berz anii Diaol Hag eur boudik rusken enaouaz,
A zistio, vad, da houanra Pol, Ha da zigor ann nor a eaz.
Da bouarna Pol-goz a zistro, Hogen, pa oa ann nor digoret,
He droad ganl ban dibbuuarn ato. AryMa gand sponl en deveuz gret,
Leaii koz diioret ann nor d'in, \\e\el a tonel eunn tasman
M'arii bezo eur men bag azeinnl He benn être he zaouarn gant-han
— Lean koz digorel ann nor ri'i, — Tevet, krisien koz, na spontelket;
P'a-henl-all m'be zol ebarz ana ti. — Ann Oirou Doue liv eo deuz roel,
sorte :
dites, je le dis. —
Ann Otrou Doue liv en deuz roet lia dre nerz euz ann dour hcnniget,
1 D'am dibenna berr, d'ar C'hallaoueu, Ann lasmau da zen a zo deuel.
Ha liv a la liieman ive d'hoc'li Pa oe deuet ann ta^^man da zen,
!
D'am daspeiina, mai- plijfe gan-e-lioc'li, Al leaii a gomzaz evellienii :
1
— Mar ro d'in liv ami Olrou Doue Fur zae blom e-pad seiz vloa 'zouglel,
I
D'ho laspeiina, mar plij gan-i-me, Ilag e kerc'hen ho koug cliadennel;
Abalamour e oec'li truezuz Ha ('liui a iei pfb kreiz-tez war-iun,
E kever lio tud ha damantuz; Da vid dour da fcunleun-beg-ar-run.
Raviol-hui, va niap, daspennct — lia vezo gret liervez hoc'h ioul c'iilaa
i
''
Kemed ennn itron wenn lier greaz. vont gant he hent e koad Ilellean:
vont ebiou diiidan ar c'hoal glaz : — Evid me bout lazet he lazer,
Hag hi sellet oul-lian, ha goela : Me ara euz koUet va otrou ker.—
— Lez-Breiz, va mab kez, ha te eo'ta !
Evcl pa glevaz e penn ar c'iioat.
Deuz ama, va raab paour, deuz ama, Eur marc'h ez-kanvuz o c'houirinat.
LEZ-EREIZ. 105
sait ni ne buvait;
Seulement il flairait le gazon vert et il grattait avec les pieds.
NOTES
Il de comparer le dernier cliant de ce poëme avec un
serait curieux
récit latin du temps, ouvrage d'un religieux frank nommé Erniold le
Noir, qui suivit en Bretagne l'armée de Louis le Débonnaire, et qui a
chanté sa victoire sur les Bretons. Même esprit, mêmes rôles, même
caractères, et souvent mêmes faits. Je ne ferai qu'un rapprochement,
mais il est frappant. Après avoir raconté le résultat de l'expédition de
Louis le Débonnaire contre Morvan-Lez-Breiz, Ermold le Noir ajoute :
« Quand Morvan eut été tué, on apporta sa tête toute souillée de sang
à un moine appelé Witchar, qui connaissait bien les Bretons, et possédait
sur les frontières une abbaye qu'il tenait des bienfaits du roi Witchar ;
dit-il, son meurtrier, je n'en ai pas moins perdu mon cher seigneur » ;
Parmi les laits historiques qui ont simplement servi de point de départ
aux inventions populaires, j'indique la disparition du corps de Morvan,
enlevé parles Franks; les rapports qu'il eut après sa mort avec le moine
Witchar, et sa sépulture, dont l'empereur Louis crut devoir régler lui-
même le cérémonial, sans doute afin de dérober sa tombe à la piété re-
belle des Bretons. Ceux-ci, les plus superstitieux du moins, s'imaginèrent
a sèment que, si leur défenseur avait été rappelé à la vie par le moine
frank, comme le bruit en courait, il n'avait pu l'obtenir de lui qu'à des
conditions aussi dures que celles auxquelles la famille de Morvan et eux-
mêmes la recevaient du vainqueur. Ils supposèrent donc qu'il était re-
tenu captif par le moine dans quelque reiraite écartée où il subissait
une pénitence très-rude, à laquelle il se soumettait, conmie eux-mêmes
se soumcitaient à la loi de leurs conquérants. Mais, au milieu de
leurs humiliations et de leurs souffrances, qu'ils lui faisaient partager
avec eux en se personnifiant en lui, ils ne perd:iient pas l'espoir. De
même qu'ils croyaient au retour d'Arthur, mort en défendant son
pLiys contre les Saxons, ils crurent que la servitude de Lez-Breiz,
comme la un terme, et qu'il reviendrait se mettre à leur
leur, aurait
tête pour expulser
Franks. De là les recherches entreprises par son
les
é uyer, dans le poëme
populaire, et la découverte du souterrain oi'i il
dort de là son prochain réveil, et le cri de guerre qu'il va pousser,
:
jir le texte non rajeuni, dans Li Romans de Perceval, par Cliresliens do Troyes, ma-
it de lu Bibliothèque impériale. Cangé,n* 7536.
110 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE.
On sent ici avec évidence la périphrase et l'imitation, comme l'a
pas de frère sur la terre; dans le ciel, je ne dis pas.» Ce trait plein de déli-
catesse et de sensibilité, ce fauteuil maternel, vide, au coin dufoyer; celte
croix consolatrice, détails charmants, mais surtout cette question si pa-
thétique de la jeune fille au chevalier qu'elle voit pleurer lorsqu'elle lui
parle de sa mère « Votre mère, l'auriez-vnus aussi perdue, quand vous
:
I
LE TRIBUT DE NOMENOE
DIALECTE Di
ARGUMENT
Noménoë, que la Bretagne ait eu, poursuivit l'œuvre
le plus gi^and roi
de délivrance de sa pairie, mais par d'autres moyens que jes prédéces-
la
seurs. Il opposa la ruse à la force; il feignit de se soumettre à la domina-
tion étrangère, et cette tactique lui réussit pour arrêter un ennemi dix
fois supérieur en nombre. L'empereur Charles, dit le Chauve, fut pris à
ses démonstrations d'obéissance. Il ne devinait pas que le chef breton,
comme tous les hommes politiques d'un génie supérieur, savait at-
tendre. Quand vint le moment d'agir, Koménoë jela le masque; il
DROUK-KINNIG NEÜMENOIOÜ
— I ES K ERN E —
Brumenni rakUil cii deuz "roi.
Ann aour ieoten a zo fulc'liet; \
— Argad — 1
< I/herb<> d'or, ou le sélase, ne peut eue, ilil-on, alleint par le fer sans que le ciel
el qu'il .irrivc un grand malheur. Cf. p. 7G.
LE TRIBUT DE NOMÉNOË. tlT,
(jue fait-il?
— Den û !?ki:int. don a galon; Ha peg enn liiî gleav en deiiz Rrct,
Eel .cand ar c'iiirri da Uoazon.; Ha penn ho map en deuz troc liot ,
8
Ui CHANTS l'OPULAIilES DE LA BRETAGNE.
Puis il l'a prise par les cheveux, et il l'a jetée dans la ba-
lance. —
Le vieux chef de famille, à ces mots, pensa s'évanouir;
lâtres;
paule^
H.ig enn lie vlco en deuz krogel, Ann ozac'h-meur o vont e-biou
liag er ïkudel neuz lien tolet. — E-l)iou kci-veur Neunienoiou,
Ann ozac'h-meur o vont enn henl. Enn he zorn lie warek ganl-ha.
Gant han war he lerc'li lie gèrent ;
II ig eur penn-moc'h gwez war hit
LE TP.lDliT DE KOMEINOE. 115
(
ni
C'est Noménoë qui est ici avec des chariots pleins d'argont.
— Descendez, seigneur; entrez au château; et laissez vos
chariots dans la remise ;
Venez souper, et, tout d'abord, laver; voilà que l'on corno
l'eau ; entendez-vous '
?
sassin !
des Bretons.
— Bataille !
—
NOTES
Ce portrait traditionnel du chef dont le génie politique sauva T'inde-
pendance bretonne n'est pas moins fidèle, à son point de vue, que ceux
de l'histoire elle-même. Aussi, Augustin Thierry n'a-t-il pas hésité à le
placer dans la galerie que l'histoire contemporaine nous a conservée,
et qu'il a si admirablement restaurée. Celle-ci .justifie par son esprit
général, sinon par aucun Irait précis, l'exactitude de l'anecdote. Avant
Noménoë, depuis dix ans au moins, les Bretons payaient le tribut aux
Franks il les en délivre voilà le fait réel. Le ton de la ballade est au
; :
e,ijnuves, t. I, p. -2 8.
XIV
ALAIN-LE-RENARD
^DIALECTE DE CORNOUAILLE —
ARGU.ME1*>T
drapeau national les Bretons cachés dans les bois ou retranchés dans les
montagnes, il surprit l'ennemi près de Dol, au milieu d'une noce, et en lit
un grand carnage*. De Dol il s'avança vers Saint -Brieuc, où d'autres
étrangers se trouvaient réunis, qui éprouvèrent le même sort. A cette
nouvelle, dit un ancien historien, tous les hommes du Kord qui étaient
en Bretagne s'enfuirent du pays, et les Bretous, accourant de toutes parts,
reconnurent Alain pour chef (937).
Le chant de guerre qu'on va lire, et que j'ai recueilli, comme celui qui
précède, dans les montagnes d'Arez de la bouche d'un vieux paysan,
soldat de Georges Cadoudal, doit se rapporter à l'une des victoires d'Alain
Barbe-Torte.
guerre! guerre!
ALAN-AL-LOÜARN
— r ES K ERN E —
Al Louarn barveg a glip, glip, glip, glip, glip er c'Iioad;
Goa Uoiiikled arall-vro lemm-dremm he zaoulagad
! !
' Forliler aud,ix jprosetursos in silva. IChroiiicon Briocen. D. Mon ce, Preuves, t I, col. 27.)
' Cum suis Britannis qui ailhuc superstites er.int... repeiit turraam Normninium nuplias
celebiantem, quaiii ex impi aviso aggiediens detruncavit ümnes. {Chronkon Nannelen. Ibid.
I, p. 145.)
ALAIN-LE-P,ENARD. 121
non pas avec des faucilles ébréchées, mais avec des épées
d'acier ;
Non pas le froment du pays, non pas notre seigle, mais les
épis sans barbe du pays des Saxons, et les épis sans barbe du
pays des Gaulois.
Et ce n'est point avec des fléaux de bois que battent les Bre-
tons, mais avec des épieux ferrés et avec les pieds des chevaux.
KOTES
On surnomme, en basse Bretagne, ^/jzs sans barbe ou têtes rases, Icshom-
mes qui coupent leurs cheveux, contre l'usage nalional. Ce nom, dans le
bardit qu'on vient de lire, sert à distinguer les guerriers bretons des guer-
riers étrangers. Les premiers, selonErmoldle Noir, portaient, au neuvième
siècle, ks cheveux longs, comme les paysans aujourd'hui. Les Normands,
au contraire, se rasaient les cheveux et la barbe' Guillaume le Conqué- :
rant (il une loi de cette coutume aux Aiiglo-Saxons qu'il vain(|uiL^. Notre
pictc parle, à la vérité, de Gaulois (de Franlcs) et de Saxons, et non
û'lw?nmcs du Nord; mais on ne peut douter, d'après le sujet de la pièce,
que ces noms ne soient pour lui synonymes A'einiemis en général, cl
qu'ils ne regardent les étrangers vaincus par Alain Barbe-Torle.
(Jui le croirait? Les Bretons modernes ont appliqué à leur chef de
bandes le plus fameux les coupleis composées en l'honiieur du héros du
neuvième siècle Comme je demandais au paysan qui me les chantait
!
BRAN
ou LE PRISONNIER DE GUERRE
— DIALECTE DE LÉON-
ARGUMENT
I/a ballade suivante rappelle le souvenir d'un grand combat livré, au
tlixième siècle, nonloindeKerloan, village siluésur lacôtcdu pays de Léon,
par Even Grand', aux hommes du Nord. L'illustre chef breton les força à
le
la retraite, mais ils ne s'embarquèrent pas sans emmener des prisonniers
;
BRAN
— I ES LEON —
E kad Kerloan, étal ar mor,
Oe lizel mab bihan Bran-Vor.
Man'hek Bran a zn liet tizet; 1 Daoust d'hor gcmid oe kemeret,
Hag f kail Ker'o.in e ma bel. Ua f;laz-aleurcd oe kaset,
* D. Mnrice, Blstoire de Bretagne, Preuves, t. I, col. 333.
« Id., ibid., col. sus, 309, 515.
5 La cane le désigne sous le.nom de corps de garde de Bran.
m CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE.
souper.
vite.
III
IV
sonner?
Un vieillard répondit à la dame, quand il l'entendit :
tour.
Dislroi a reaz lie zreiimi u'iilaz, Enn eur redcg, o cela l>en,
Ha gand ann derzien a grenaz. Djspak-kaer gant-lii lie bleo gwenr
Si bien que les gens de la ville étaient étonnés, très-étoii -
nés de la voir,
De voir une dame étrangère mener un tel deuil par les rues.
tour :
seaux s'assemblent ;
Ils sont bien las tous deux, et leurs ailes sont mouillées •
NOTES
Dans les plus anciennes traditions brelonnes, les morts reparaissent
souvent sur la terre sous la poétique forme d'oiseaux. Cette opinion éiair
})articulièrement en vogue au dixième siècle époque où doit remonter ,
lui-même^.
On voit qu'il n'a fait que substituer l'amante à la mère, Iseult à la
Gaiil-lio, cur Vraiiez-yo/. loiiei, Ar c'han-/.o, 'nu uui- vouez lii h<
Bran, le nom dujeune guerrier, signifie corbeau dans tous les dialectes bro
;
Myvyi-ian, /Irrhaiologij ofWales, t. I, p. ns.
V. Les Romons de la Table ronde. 4» édil., p. 80.
J
BllAN. 129
fut jamais. Maintenant il n'est plus douteux qu'elle y ait été en usage.
IS'os Actes en fournissent d'ailleurs d'autres preuves que je m'étonne
lie n'avoir jamais vues citées. L'un d'eux, de l'an 1069, passé au
château d'.Auray, par le comte IIocl, prouve que ces musiciens occu-
paient à la cour des chefs armoricains le même rang honorable que dans
celle des princes gallois contemporains, car un joueur de harpe nommé
Kadiou [Kadiou Citharista) signe avant sept moines, dont deux olbés
crosses*.
' Voirie texte original dans le Roman de Tris an, éJit. de F. Michel, p. S3, U cl i
LE FAUCON
DIALECTE DE COF
ARGUMENT
Ge flroi I", duc de Br tagne, était parti pour Rome, laissant le gou-
vernement du pays à Etliwije, sa femme, sœur de Richard de Normandie
Comme il revenait de son pèlerinatre, le faucon qu'il portait au poing.
suivant la coutume des seigneurs du temps, s'étanl ajjaltu sur la poule
d'une pauvre f)aysanneet l'ayant éti'anglée, celte (emme saisit une pierre
et tua du même coup le faucon et le prince (1008). La mort du comte
fut le signal d'une effroyable insurrection populaire '. L'iiistoire n'en dit
pas la cause; la tradition l'attribue à l'euvaliissement de la Bretagne par
les étrangers que la duchesse douairière, veuve deGeoflroi, yattira, auxvi xr-
lions qu'ils exei'cùreiit conire les paysans, et à la dureté de leurs agens
fiscaux. On cliante encore dans les Montagnes Noires une chanson guer-
lièi-e sur ces é\énemenls et j'en dois une \cision à un sabotier du pays.
Singulière coïncidence! je l'ai entendu pour la première fois sifflera un
jeune bouvii r qui menait son bœul au houclier. L'air, me dit-il, est celui
de la circonstance, et on ne peut l'entendre sans pleurer.
AR FALC'HON
I ES KERN E
à Guerrande !
—
Sa femme marchait à ses côtés, au premier rang, portant
un croc sur Tépauh^. droite, et elle chantait en marchant :
« Ce n'est pas pour aller demander leur pain que j'ai mis au
monde mes trente fils ; ce n'est point poui' porter du bois de
chauffage, oh! ni des pierres de taille non plus!
lande verte, pour piler la lande rude avec leurs pieds nus.
« Ce n'est pas aussi pour nourrir des chevaux, des chiens
« Ne ket 'vit mont da glask ho boed — Timat! timat! boud! boud iou ! ! i
NOTES
Ainsi se vengeaient les campagnards bretons,
forcés de se faire justice
à eux-mêmes, à défaut de cliefs nationaux de leur race pour la leur
rendre. La sœur du duc de Normandie fit entourer, massacrer, disperser
et poursuivre, par ses hommes d'armes, selon l'expression d'un contem-
porain, les bandes insurgées des pauvres paysans*. Mais, plus tard, le
joug de l'étranger s'élant adouci en s' usant, comme il arrive toujours, un
duc, plus humain et plus juste, voyant l'oppression dont le peuple était
l'objet de la part des roturiers, que les nobles, revêtus du titre de ser-
gents féodés, chargeaient d'exercer leurs fonctions, publia l'ordonnance
suivante « Tour ce (jue au temps passé nos sergenlises ont esté données
:
Pa oant digouet daCeraran, Eunn tan kenfol, eunn tan kcn Ici
E oonl tregont mil ha Iric'liant; Ma teuze enn han ar ferc'hier,
Ua Kado a vennaz neuze : Ma stiake enn hm anii eskern
— Ai'ta: ama 'nn hani e !
— Evul re zaoned enn ifeiii.
K'oa ked lie goitiz peurla-aret, Ma iudent gant kounnar, enn noz,
Tri-c'hant karrad lann oa kasel Evel bleizi koezet ei' foz;
Ha lakel iro-war-dro d'ar ger, Ha tronoz pa zavaz ann heol,
Ilag anu lan eiin hi fol ha 1er; Oa 'r gwiraeiien hiduet holl.
chanteurs, on ne peut croire qu'elle ait pris naissance dans les Montagnes
Noires, car les Cornouaillais avaient leurs comtes particuliers au onzième
siècle et n'étaient pns encore réunis au domaine ducal. L'esprit de résis-
tance opiniâtre qu'ils ont si souvent montré leur aura fait attribuer
une levée de bâtons à laquelle ils ont dû rester étrangers, et qui regarde
principalement les paysans vannetais, leurs voisins. Partant, ils seraient
innocents du sac de Guerrande, que ces derniers ont fort bien pu faire,
à l'imitation des Normands.
HÉLOISE ET ABAILARD
— DIALECTE DE CORNOUAILLE —
ARGUMENT
L'histoire dllcloïse et d'Abailard a fourni un sujet à notre poésie popu-
laire; m;iis elle la clianlée à sa manière. Ce ne sont ni les amours, ni les
malheurs des deux amants qui Wn.t trappée. La métamoj-phosc qu'elle a
fait subir à cette femme célèbre est fort étrang^c; on voudrait pouvoir en
douter, mais il n'y a pas maiiére à l'ombre d'un doute. Les faits sont po-
sitifs la charmante liéloï-e est changée en aifrcuse sorcière.
:
La première drogue que je fis avec mon doux clerc, fut faite
Encore deux ou (rois ans, mon doux ami et moi, nous fe-
NOTES
L'auteur suppose qu'Iléloïse n'a que douze ans lorsqu'elle quitte la
maison paternelle pour suivre son amant. 11 y a, dans réiiumération
qu'elle fait de ses talents, un certain orgueil qui commence par être naît
et finit par devenir horrible. On y trouve un bizarre mélange d(/ pra-
tiques druidiques et de superstitions chrétiennes. Iléloïse est tort savante;
elle sait la langue romane et le latin. Elle lit l'Évangile; les abbesses seules,
entre les femmes, en avaient le droit au cliœur. Ce fait est important; il
prouve qu'lléloïse était déjà retirée au Paraclet lors delà composition du
chant. Elle n'est donc pas seulement sorcière, elle est reUgieuse, prêtresse
même, puisqu'elle prétend consacrer l'hostie.
Elle est alchimiste; elb' se mc'lainori liose à son gré: elle est tour à
tour chienne noire, corbeau, dragon ou feu follet. Les âmes des méchants
empruntent toutes ces formes.
Au pied du mont Saint-Michel, en Cornouaille, s'étend un vaste ma-
rais; si le montagnard voit passer, sur le soir, un grand homme maigre
et pâle, suivi d'une chienne noire, qui se dirige de ce côté, il regagne
bien vite sa cabane, il ferme sa porie au verrou et se met en prière, car
la tempc;e approche. Bientôt les vents mugissent, le tonnerre roule avec
fraca=, la monlagne tremble et paraît prête à s'écrouler; c'est le mo-
ment où le magicien évoque les âmes des morts.
Le porle-hrandononfcu follet est un enlant qui porte à la main un tison
qu'il tourne comme une roue enflammée; c'est lui qui incendie les villages
que l'on voit brûler, la nuit, sans que personne y ail mis le feu. Le clicval
malade qui se traîne vers l'écurie, c'est lui on croit le tenir, il s'écliappo
;
l'avenir; elle cliante, et la terre s'émeut. Elle sait la vertu des simples;
comme Merlin, elle cueille au point du jour l'herbe d'or ; elle jette des
sorts; elle fait couver des œufs de vipères qu'elle engraisse de sang hu-
main; elle bouleverserait le monde. Cependant il y a une limite qu'elle ne
franchit pas où finit son empire commence celui de Dieu. Il est curieux
;
teur du monde; de tenir enfermé dans ses livres bardiques Le trésor entier
des connaissances humaines*.
Le poëte est d'accord avec l'histoire en faisant vivre Hélo'ise et son
amant à Nantes ou aux environs; c'était le pays classique de la sorcelle-
rie. Le druidisme avait eu un collège de prêtresses dans une des îles si-
tuées à l'embouchure de la Loire, et leur science avait laissé de si pro-
fondes traces dans les esprits, qu'au milieu du quatorzième .siècle, elles
i;e s'étaient point encore ef acées. Le numbre des sorcières se multipliait
même tellement de jour en jour, que l'évêque diocésain crut devoir ful-
'
iner contre elles une bulle d'excommunication, avec toutes les cérémo-
rs d'usage, en pleine catliédrale, au son des cloches, en allumant, puis
éteignant les flambeaux, et foulant aux pieds le missel et la croix*.
Les druidesses de la Loire, comme les vierges de l'archipel armoricain
passaient aussi, pour être douée- d'un esprit surhumain; sans doutes
on croyait qu'elles pouvaient soulever par leurs chants la mer et
les vents, prendre à leur gré la forme d'animaux divers, guérir de mala-
dies incurables, connaître et prédn-e l'avenir-'.
Il est facile de voir, à ces traits, que le poëte a confondu Héloïse avec
les [U'êlresses du culte antique de ses pères; lui aurait-il mis dans la
bouche quelques débris de leurs hymnes, conservés par la tradition?
Nous sommes porté à le croire, et telle est la raison qui nous fait attri-
buera une partie du chant, en dépit de la langue qui est toute moderne»
une antiquité très-reculée et bien antérieure au douzième siècle, auquel il
semble appartenir.
Peu de pièces sont plus populaires; celle-ci se chante avec de légères
< Cœlo diripere liiiiam vocibiis possum meis. {Epoii. XVII, 78, j Cl, Virgil; : Caimina vcl
cuclo possuiit dediiceieluiiHin. {Eijlng. \lll. G9.)
» Preuves et antorik's de l'Iiisloire d'Abéiard, t. I, p. 17.
XVII
LE RETOUR D'ANGLETERRE
— DIALECTE DE CO R N O U A I LL CI —
AIÎGUMENT
Ce chant étant une épisode de la conquête de l'Angleterre par les Nor-
mands, nous ne saurions mieux faire que d'emprunter nos prolégomènes
à l'ouvrage d'Augustin Thierry, qui lui a donné place dans ses pièces
justificatives.
« Guillaume, dit le grand peintre que nous venons de nommer, fit
puhlier son ban de guerre (106(5). Il offrit une forte solde et le pillage
de l'Anglelerre à tout homme robuste et de haute taille qui voudrait
îe servir de la lance, de l'épée ou de l'arbalète. Il en vint une multi-
tude, par toutes les routes, de loin et de près, du nord et du midi. Il
eu vint du Maine et de l'Anjou, du Poitou et de la Bretagne, de la France
ci de la Flandre, de l'Aquitaine et de la Bourgogne, du Piémont et des
i ords du Rhin. Tous les aventuriers de profession, tous les enfants per-
iius de l'Europe occidentale accoururent à grandes journées.
« Le comtes Eudes de Bretagne envoya à Guillaume ses deux fils pour
le servir contre les Anglais. Ces deux jeunes gens, appelés Brian et
Alain*, vinrent au rendez-vous des troupes normandes, accompagnes
d'un corps de chevaliers de leur pays-. »
Parmi ces auxiliaires du duc de Normandie se trouvait un jeune Breton
dont nos poètes populaires nous ont conservé la touchante histoire.
Ahn, lils dHedwiie, à laquelle le chant qu'on va lire donne le nom de DttCftfSSe.
T. 1, liv. m, p. 323 et 528 \3° éditic}n).
iijns lafcaiede Douarncnez, â quatre lieues de Quimper, en Cürnouaille.
1 '.2 CllAM'S POPULAIRES DE LA BRETAGNE,
mon unique enfant, qui part avec l'arméo, à la suite des che-
valiers du pays.
Une nuit que j'étais couchée, et que je ne dormais pas, j'en-
tendis les filles de Kerlaz chanter la chanson de mon fils; et
reviendra.
NOTES
La conquête de l'Anglelerrc remontant au onzième siècle, il y a tout lien
lie croire (jue la rédaction première de cette ballade a été faite à hi
môme époque. C'est l'opinion d'Augustin Thierry, qui l'a jngée aussi inté-
ressante au point de vue historique qu'au point de vue poétique.
Plusieurs des chefs bretons, auxiliaires des Normands, se fixèrent dans
les domaines qu'ils devaient à la victoire d'autres ne revinrent en Bre-
;
ramant supplanté; mais l'amour qu'elle avait juré à son mari ne passait
pas. Elle en gardait toujours le gage, qui la suivait jusque dans la
tombe, comme un emblème d'éternelle foi.
La mère de Silvcstik avuit aussi snn nœud de rubans; mais il ne lui
ramena point son fils la colombe messagère ne lui rapporta qu'un rameau
:
qu'à la maison qui est là-bas, avec celte lettre sous ton aile elle est :
Mais les poésies d'origine celtique ne sont pas les seules qui confient de
doux messages aux oiseaux; de la Normandie à la Lorraine, ils font cet
ijffice près des amoureux; ils le font en Italie, en Espagne et en bien
10
XIX
L'ÉPOUSE DU CROISÉ
DIALECTE DE CORNOl
ARGUMENT
A {pielqiies lieues de deQuimperlé,qui semble floi ter
la jolie petite ville
sur eaux d'Izol et d'tUé, comme une corbeille de feuillage et de
les
Heurs sur un étang, on trouve, en allant vers le nord, le gros village du
Faouel. Les anciens seigneurs de ce nom, brandie cadette de la noble et
antique famille de Goulenn, ou Goulainc, selon l'ortliograplie vulgaire,
tiennent une assez grande place dans l'iiisloire de Bretagne, et la poésie
populaire les a pris pour sujet de ses cliants. D'après elle, l'un d'eux,
parlant pour la terre sainte, confia sa fenirne aux soins de son beau-
frère. Celui-ci promit d'avoir pour la dame tous les égards dus à son
rang; mais à peine les croisés eurent-ils quiité le pays, qu'il essaya de
la séduire. N'ayant pu y réussir, il la chassa de cliez lui, et l'envoya
garder les troupeaux. Une ballade trè^-r('pandue aux environs du Faouet
et dans toute la Cornouaille conserve le souvenir du luit, (ju'elle drama-
tise comme on va le voir.
GUKG AR C'IIROAZOUR
les garder. —
Pendant sept ans elle ne fit que pleurer; au bout des sept
ans, elle se mit à chanter.
dame, votre amie, votre épouse; oui, c'est moi qui m'appelle
la dame du Faouet.
Ma na ve ti ma mamm, ma na ve li ma zad;
Me lakefe va c'hlenv da ruia gand da wad !
—
150 CIIAISTS rOPUUlP.ES DE U B^ETAü^I
NOTES
La croix rouge que fait perler le poëte sur l'épaule à chaque clicvalier
indique la date de la ballade, et à laquelle des guerres saintes elle se
rapporte. La première est la seule où tous les croisés aient pris celte
croix aux suivantes chacun portait la couleur de son pays, et l'on sait
;
LE ROSSIGNOL
DIALECTE
AP.GIIMENT
ANN EOSTIK
. EON
Oreg iaouatig a Zant-Malo, deac'h, |
Va fostili paour a zo lazet!
D'he frenestr a oele, d'ann neac'h : _ ijyirit d'in va "re<< iicv
— Sioazl bioaz! me lo tizol! I Perjli 'ta savit kelliez,
152 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE.
si souvent à la fenêtre ;
Ce n'est point pour les regarder, non plus que la lune et les
étoiles;
— Ne d-eo ket, vad, evid eul lestr, Ne d-eo ket gevicr a fell d'e.
pris — !
bien tristement :
NOTES
« Quelle grâcequelle malice s'écrie un des plus fins critiques fran-
! !
çais; nu dirait-on pas une sœur de Juliette ayant laissé son Roméo dans
le jardin?* »
La paraphrase de cette ballade, dans Marie de France '',
coinmence par
lo préambule suivant :
n.ig ann coslig en deiiz paket, Me 'm euz hcn paket evid hoc'h;
Ha aotrou neuz heu kaset.
J'iie Me chans, va dous, e plijo d'e-hoc'h.
LA FIANCÉE DE SATAN
DIALECTE DE LEOt
ARGUMENT
« Quiconque sans se marier va brûler en enfer. «
est fiancé trois fois
Cet aphorisme, qui fait le thème d'une vieille ballade, a sans doute
son origine dans le respect que professaient autrefois les Bretons pour la
sainteté des fiançailles; sa forme rhythmique est celle des maximes bar-
diques, et nous ne serions pas étonné que c'en lût une rajeunie.
Selon les bardes, les âmes avaient trois cercles à parcourir le premier ;
Les pêcheurs et les autres babitanls des côtes de la Gaule qui sont en
C(
< F. la TBUDE TES cERCtEs. Owen's l'ugh., Dicl., t. Il, p. 214. Cf. les Barda l/retons. p. îâu.
a Myvyriaii, t. I, p. 74.
-
De Bell, golh., lib. IV, c. «.
* Claudian., in Rufin., lib. !..
LA FIANCÉE DE SATAN. 157
Après avoir lu ces observations préliminaires que nous avons crues in-
dispensables, on comprendra mieux la ballade qui suit.
Elle est l'œuvre d'un vieux poète qui se qualifie de barde ambulant. Ses
vers ont un caractère sombre et fantastique, tout à fait dans le goût des
poëmes que l'on prêterait aux Druides; et l'on dirait d'un écho de leurs
chants, si la foi chrétienne et les mœurs chevaleresques ne s'y mêlaient
l)izarrement aux superstitions galloises et armoricaines touchant la vie
future.
une fois.
Quand arriva ce que je vais dire, je n'avais pas douze ans finis,
nn'entendrez plus.
N'oani) kcd daouzek vloaz acliuet, Euz ar ger-ma 'm euz bel pevar,
Ha selu m'em zii-ugenlvet. Heb charrot nikun d'ann douar.
du lis;
aux pieds ;
épaules ;
n- -t;
voiict tre Ixiiz ann iliz, llay lien keii du evel ann noï ,
Oa ker kaer evel bleun al Hz; Eunn inkaiie, lan diouc'h h" dreid,
tont endro trezek dor-zal, Evel liini 'nn aotrou inarc'hek,
Ou kei- vaen hag eunn dui-zinal. .Ann aütiou Piar Izel-vet,
Sel 11 Hunn aolrou biaz licliet, (lîezcl ganci Doue paidonell)
\\:ig ponn-da-benn houarnesL'l
lifMi ; — Taolit d'i-nie ar plac'h neve,
llageunti lok-houarn aour war he benn, Da fias da welet d'atn zuil-ir.e ;
III
S.HU anu aotrou braz ficliet : Lenn ann Anken hag ann Eskern,
— C'iioari gaer ci- fest a zo bet? Ha pa oant e touU ann ifcrn.
— C'hoari gaer awalc'b enn eurcd, — Setu sonerien hoe'h oured
Med ar plac'h nevcz zo koUei. A zo deut evid ho kwclel.
— Ar jilac'h nevcz a zo kollet? l'elra rofac'h d'ann dud vad-ma,
Iki c'boanl vez gan-c-hoc'h d'he gwclet? A zo deut d'ho kwelet ama ?
— r.'hoaut awak'h hor be d'he gwelet, — Dalil seizcnen va eurcd,
vVan'iior bc poan na droug e-bcd.
— Kasit-lii gan-e-hoc'h, mar kerct:
LA FIANCEE DE SATAN. 161
Portez-le chez moi à mon mari, qui est veuf le jour de ses
noces.
de la rose;
u
1fi2 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE.
NOTES
Le fait qui a fourni le sujet de cette ballade fantastique au barde voya-
peur se devine c'est un enlèvement. L'enter, tel que le décrit ici le
:
1 la Bretagne contemporaine, p. 78, el \c NuMiiaire lireton, du M. île Comcy, i.ll, i' ttlil.
XXII
LE FRÈRE DE LAIT
— DIALECTE DE TRÉGUIER —
ARGUMENT
Cette ballade, qui est une des plus populaires de Bretagne,
et dont je
dois des variantes à M. l'abbé Henry, se chanle, sous des titres diflérents,
dans plusieurs parties de l'Europe. Fauriel la publiée en grec mo-
derne; Durger l'a n cueillie de la bouche d'une jeune paysanne alle-
mande, et lui a prêté une forme artilicicllc; Les morts vont vile n'est que
la reproduction artistique de la ballade danoise Aagé cl Elxé. Un sa-
;
vant gallois m'a aussi assuré que ses compatriotes des montagnes du
.Nord la possédaient dans le.u- langue. Toutes i-f posent sur l'idée d'un
devoir, l'oliéissance à la religion du serment. Le héros de la ballade alle-
mande primitive, comme le grec Constantin, comme le chevalier breton,
a juré de revenir, et il tient parole, quoique mort.
Nous ne savons à quelle époque remonte la composition des deux
chants allemand et danois, ni celle de la ballade grecque; la nôtre doit
appartenir aux belles années du moyen âge, le dévouement chevaleresque
y brillant de son plus doux éclat.
AR BREllR MAGER
1
LE FRÈRE DE LAIT. i65
—
Eh bien, prenez ma bague d'or, et dites à votre belle-
mère que vous êtes fiancée à un chevalier qui revient de
Nantes ;
II
— C'est toi, bien loi, vraiment! C'est toi, toi, mon cher
l'rôre !
—
Et elle de sortir et de fuir en croupe sur le cheval blanc de
son frère, l'entourant de son petit bras, assise derrière lui.
— Que nous allons vite? mon frère ! Nous avons fait cent
lieues, je crois! Que je suis heureuse auprès de toi! Je ne le
VI
blanche à la tombe..
NOTES
Comme on se le rappelle, la ballade allemande finit à la manière dos
histoires de rilikieii-lfucli, par une catastrophe qui eng-loutit les deux
héros; il en est de même de la ballade grecque publiée par Fauriel.
Nous avons vu que les anciens Bretons reconnaissaient plusieurs cercles
d'existence par lesquels passaient les âmes, et que Procope place l'Elysée
druidique au delà de l'Océan, dans une des îles Britanniques qu'il ne
nomme pas. Les traditions galloises sont plus précises; elles désignent
expressément cette île sous le nom d'île d'Avalon ou des Pommes.
C'est le séjour des héros; Arthur, blessé mortellement à la bataille de
Camlann, y est conduit par les bardes Merlin et Taliésin, guidés par Ba-
rinte, le nautonier sans pair*. L'auteur français du roman de Guillaume
au court nez y fait transporter par les fées son héros Rencard, avec les
héros bretons.
Un des lais armoricains de Marie de France y conduit de môme le da-
YI
moiscau Lauval. C'est aussi là, on n'en peut douter, qu'abordent le frère
de lait et sa fiiuicéo. Mais nulle âme, dit-on, n'y était admise qu'elle n'eût
reçu les honneurs funèbres; elle restait errante sur le rivage opposa'
jusqu'à l'heure où le prêtre recueillait ses os et chantait son iiymne de
mort. Cette opinion est aussi vivace aujourd'hui en Basse-Bretagne
qu'au moyen âge, et nous y avons vu pratiquer les cérémonies funèbres
qui s'y pratiquaient alors.
Dès qu'un chef de famille a cessé de vivre, on allume un grand feu
dansl'àlre, on brûle sa paillasse, on vide les cruches d'eau et de lait de
sa demeure (de peur, dit-on, que l'âme du défunt ne s'y noie). Il est
enveloppé de la tête aux pieds d'un grand drap blanc; on le couche sous
une tente funèbre, les mains jointes sur la poitrine, le front tourné
vers l'Orient. On place à ses pieds un petit bénitier, on allume deux
cierges jaunes à ses côtés, et on donne ordre au bedeau, au fossoyeur,
ou quelquefois à un pauvre, d'aller porter « la nouvelle de mort. » Cet
homme va de village en village, vêtu, en Tréguier, d'une souquenille
noire semée de larmes, agitant une clocliette et disant à haute vois
c(Priez pour l'âme qui a éié un tel; la veillée aura lieu tel jour, à telle
heure, l'enterrement le lendemain. »
De tous côtés, vers le coucher du soleil, on arrive au lieu indiqué. En
entrant, chacun vient tremper dans le bénitier un rameau qu'il secoue
sur les pieds du défunt. Lorsque la demeure est pleine, la cérémonie
commence on récite d'abord en commun les prières du soir ei l'office
:
des trépassés; puis les femmes chantent des cantiques. Le défunt reste
toujours envelopi^é. La veuve seule et ses enfants viennent soulever de
temps à autre un coin du drap et le baiser au front. A minuit, on passe
dans l'appartement voisin, où le « repas des âmes » est servi. Le men-
diant s'y assoit à côté du riche ils sont égaux devant la Mort. Au reste,
:
LE CLERC DE FiOÎIAN
. ECTE DE CORNOUAI
ARGUMENT
Jeanne de Rolian, fille d'Alain, cinquième du nom, -vicomte de l'.ohan,
et d'Aliéner de Porhoët, épousa, en l'an 1256, Mathieu, seignem' deBeau-
vau, fils de René, connétable de ISaples*. L'histoire ne nous en dit pas da-
vantage sur ces deux époux. Nos poètes populaires sont moins laconiques ;
KLOAREK ROHAN
Etre daouze? ha tri/ek vloaz,
Da oa d'ezhi kemer eur goaz,
Sîerc'hik koantig euz a Rohan; Da oa d'ezhi ober dilen
.\e oa merr;'h nemet hi unan. Tre faroned ha marc'heien,
rr
474 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE.
talie;
la bonne dame.
S'étant approchée de son mari, elle embrassa son genou,
Elle embrassa son genou et l'arrosa de ses larmes.
II
— Va otrou kcr, lia ! me Iio ped, Hag out-han ker kaer a zellaz :
Mar ve ma fricd barz ann ti, « Da hersai ann htMcz 'ma bel,
E dorfe d'id da izili. — Hag bo ki-red-gial zo kreouet. »
£i-red ann olrou neuz kavet, c Laret d'am greg kcl kemer ncc'h,
Uj gouzc^ug en deuz koiilcllet. Ni lion euz argant awalec'h •,
LE CLERC DE ROHAN. 177
III
Une clef neuve, à mon avis, vaut bien mieux qu'une vieille
clef.
.4r c'iiloareg evel m'he c'hlcvaz, c Choarvet eo eur reuz ail er ger,
D'ar niarchosi e-kuz a eaz, (Na deret ket, va otrou ker)
Marc'h unn olrou en deuz kavet, e tont euz eur fest-noz d'ar gcr
Kaeran oa er vro hed-da-hed ; Torret gant ho marc'h he ziou-sker. »
Gwinn evel vi ha flouroc'h c'hoaz; Ar baron en deuz askrivet :
Prim evel evn, ha kas-digas; « Ha gwireo ve va marc'h lazel!
IV
tellement. —
pleurer !
au bal,
Kiin lii lie uiian ar biigel, Ne kfid aze r;i d'in-me ^vas,
Eur vrec'li e-niez euz he gavel, „ jy_, i^g^j ^^^ ,..|jo d'iinc'h was :
. Ihiïtit, olrou, da zont d'ai- ger O.i o lonel deuz ann enigann,
[)a hiUal reiz enn ho maner; Oa lonet trczeg he vrou ;
« Lazei lie ki, hag ho naarc'h glaz, C'hoari-gaer gand ann drompillou.
LE CLERC DE ROUAN. 181
VI
— Seigneur prêtre, dites-moi, qu'avez-vous vu au château?
Ha ganJ he zent deuz hen ropet, Ha planta he c'hoaf enn lie vek,
Ha j^and treid lie varc'h mac'hellet. Ma teuazdre he ehoug ar bek.
— Priml trezek Breiz; pn'nioc'h-la,
Hac heu d'ann nec'h gand ann diri,
[floc'h!
Ha ire e-barz kampr ne hini,
Pe rae Liante va goaf enn hoc'h !
— Ha kent ma hellaz lavar ger,
Ann otrou er ger pa errujz.
Gand lie glenv he zreuzaz e-berr.
Tri zol war ann nor-borz a roaz, VI
War ann nor-borz a reaz tri zol, — Otrou helek, d'in leveret,
Ken a lakaz da grena 'nn holl. Er c'haàtel petra peuz gwelet.
182 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE
— J'ai vu une douleur telle qu'il n'en fut jamais sur la
terre ;
aux corbeaux.
NOTES
Le baron, dit le poëte populaire, partit, pour l'Orient après trois années
de mariage. L'histoire nous apprend effectivement qu'en 1259, trois ans
après l'époque où eurent lieu les noces de Mathieu de Beauvau et de
Jeanne de Rohan, le duc Pierre Mauclerc prit la croix, accompagné d'un
grand nombre de seigneurs bretons. La ballade ajoute qu'au bout d'un
an, la guerre étant finie, Mathieu revint en Bretagne; et ici encore elle
est conlorme à l'histoire, qui fait conclure une trêve au commencement
de 4241, entre les Sarrasins et les chrétiens, dont la plupart s'embar-
quèrent immédiatement à Joppé pour revenir en Europe. La même an-
née, nous voyons Mathieu de Beauvau cité, à la requête de l'évêque de
Nantes, à comparaître devant l'archevêque de Bourges, pour avoir à se
disculper d'excès dont il s'est rendu coupable •. Ces excès, que l'acte
d'assignation ne spécifle point, parce qu'ils étaient, je suppose, assez con-
nus, sont, à n'en pouvoir douter, le meurtre de Jeanne de Rohan et du
clerc, son infâme calomniateur.
Mais en admettant le fond de leur tragique histoire, je ne puis m'em-
pêcher, je l'avoue, de concevoir des doutes sur la l'éalitè des détails. Je
trouve en effet, quoiqu'un peu loin de la Bretagne, et même au bout de
l'Europe, une ballade où une femme, jalouse de la sœur de son mari,
et voulant le brouiller avec elle, tue successivement son cheval, son fau-
con et son propre enfant, triple meurtre dont elle accuse sa belle-sœur.
Le mari hésite d'abord à croire au crime ; puis, à la vue d'un couteau
sanglant qu'on lui montre caché sous l'oreiller de sa sœur, il l'attache à
la queue d'un cheval indompté. Mais le Ciel ne veut pas que l'innocence
soit punie : partout où tombe une goutte du sang de la victime pousse
une fleur, et, forcée d'avouer son crime, la coupable subit la peine du
talion. Alors, dans un tableau final, qui rappelle tout à fait l'espèce de
transfiguration de la ballade bretonne, on voit apparaître le cheval, le
faucon et l'enfant au berceau, sur un lac formé du sang de la belle-sœur
jalouse, et de ce lac sort le bras armé du couteau avec lequel elle a tué
son fils. S'il n'y a point ici d'imitation, il y a certainement un admirable
lieu commun de poésie populaire ^.
< Mandamus quatenus citetis vel citare facietis Bituris eoram R. P. archiepiscopo Bituril
Malheum de Belvalo, per episcopum Nannetensem super inquisitione excessuum- Dalum die
Veneri'j postobturam Assumptionis B. H. anno Dom. 1241 ^Acta eccles. Nann., ap. D. Morice>
Preuves, t. I, col. 22i.)
' Voir la traduction des Chants Surviens, de Wuk, par Madame Voïarl, 1. 1, p. 212.
XXIV
ARGUMENT
Les templiers ou moines rouges, comme les appellent les Bretons,
n'ct;iioiil pas plus populaires en Bretagne que dans les aulrfs parlies de
l'Europe occidentale. En Angleterre, les eniants s'en allaient criant par
les rues : « Gardez-vous de la bouche des templiers M » En France, on
dit encore aujourd'iuii proverbialement « Boire comme un templier. »
:
vêque arrivait;
Elle avait rongé ses deux bras, elle avait déchiré sa poi-
trine, elle avait déchiré sa blanche poitrine jusqu'à son cœur.
Ils ont été brûlés vifs, et leurs cendres jetées au vent; leur
corps a été puni à cause de leur crime.
NOTES
Le peuple croit voir encore, la nuit, les moines routes ils sont vêtus de
:
manteaux blancs et portent une grande croix écarlate sur la poitrine; ils
montent des squelettes de chevaux enveloppés dans des draps mortuaires.
Ils poursuivaient, dit-on, jadis les voyageurs, s'attaquant de préférence
aux petits garçons et aux jeunes filles, qu'ils enlevaient et conduisaient
Dieu sait où, car ils ne les ramenaient point. On raconte qu'une pauvre
femme attardée, passant près d'un cimetière, ayant vu un cheval noir,
couvert d'un linceul, qui broutait llierbo des tombeaux, puis tout à
coup une forme gigantesque avec une liguie verte et des yeux clairs
venir à elle, lit le signe de la croix qu'à l'iuslant ombre et cheval dispa-
;
Furent dans des tourbillons de flammes, et que, depuis ce jour, les moines
rouges (car c'en était un) ont cessé d'être redoutables en perdant le pou-
voir de nuire.
C'est peut être une allégorie de leur épouvantable fin.
XXV
JEANNE-LA-FLAMME
— DIALECTE DE CORNOUAILLE —
ARGUMENT
Depuis la fin du douzième siècle, la Bretagne avait cessé d'être g-ouvcr-
née par des chefs de nom et de race lirelonne. Deux partis la divisaient ;
l'un français, qui travaillait pour établir la suprématie de la France;
'autre anglo-normand, qui combattait |iour faire prévaloir les intérêts
de l'Angleterre. En l'année lô41, la famille de Blois représentait le pre-
mier, et celle de Montfort le second. Les de Blois curent d'abord l'avan-
tage Jean de Montfort, troisième du nom, reconnu par les Etats pour
:
légitime duc de Bretagne, assiégé dans la ville de Nantes, fut pris par le
frère du roi de France et conduit prisonnier à Paris. Mais la captivité du
duc ne devait pas abattre pour longtemps le courage de son parti une ;
Jeanne de Flandre, mais rien n'est perdu, ce n'était qu'un homme; voici
mon fils, qui sera, s'il plaît à Dieu, son restorier, et vous fera du bien
assez. D Puis elle s'enferma dans Ilennebont, que Charles de Blois attaqua
vainement; elle fit lever le siège aux Français et rétablit les affaires de
son mari.
L'incroyable audace dont cette femme extraordinaire donna des preuve>
au siège d'fiennebont, en allant elle-même mettre le feu au camp en-
nemi, l'a fait surnommer par le peuple Jeanne la-Flamme. C'est ce qu'at
teste le récit suivant de cette héroïque expédition.
JANNEDIK-FLAMM
I Eur rumm nieod liu gredann e;
— Eur rumm meod du n-ed eo ket;
Pelra a ia gad ar mené? | Soadarded, ne lavarann ket,
JEANNE-LA-FLAMME. 191
Nous avons des chaînes d'or pour les attacher l'un à l'au-
tre. —
Jeanne-la-Flamme leur répondit alors du haut des tours :
II
I
— Paket vo breman eiin ho c'heo,
'
III
« Plus d'un qui rit ce soir, pleurera avant qu'il soit jour;
noire et froide.
« Plus d'un qui verso du vin rouge, versera bientôt du sang
gras;
faron. ))
le feu !
terre, vraiment!
IV
camp détruit,
Jeanne-la-Flamme souriait :
NOTES
La haine du nom français éclate horriblement dans ce chant. L'ex-
clamation de la duchesse à la vue des ["rançais brûlés dans leurs
tentes, est le cri de la béte fauve, longtemps traquée, qui se re-
tourne contre le chasseur et le déchire avec joie. Froissart, le conteur
des chevaliers, n'a rien d'aussi rudement accentué. Chose extraordi-
naire! le poète rustique met dans la bouche de Jeanne de Flandre,
princesse de race étrangère, des imprécations contre les étrangers
qui lui disputent la Bretagne. Nous en verrons bientôt un autre mau-
dire le parti des Anglais, auquel Jeanne appartenait. Qu'en conclure,
sinon que l'ennemi, soit Français soii Anglais, était également odieux
au pcui»le breton, et que, s'il se mêlait aux querelles de l'un ou de-l'autre,
c'était par besoin de représailles contre celui-ci ou contre celui-là, et
non par sympathie pour aucun des deux? Un sentiment de nationalité lui
parlait au cœur ne pouvant échapper au premier sans tomber au pou-
:
ARGUMENT
On connaît la cause de la bataille des Trente. Malgré la trêve conclue
entre les 'Français du parti de Charles de Blois et les Anglo-^'ormands
aitachés Mcntfort, des aventuriers étrangers, auxiliaires de ce dernier,
ayant à leur tôle un chef de bande appelé L'embrough, ravageaient le
pays de Bretagne. « Bembrough avait pris Ploermel, dit un poète fran-
çais du temps, et menpit les Bretons au gré de son caprice, quand un
troisième de nuips de l'année 1550, le bon seigneur de Beau(i>a-
.jour, le
noir, commandant de Josselin pour Charles do Blois, se rendit vers les
Anglais et leur demanda raison. Or, il fut témoin d'un spectacle qui lui lit
grand' pitié il vit de pauvres paysans, les fers aux pieds et aux mains;
;
tous encliaînés deux par deux, trois par trois, comme vaches et
bœufs que l'on mène au marché. Beaumanoir vit cela, et son cœur sou-
pira. « Chevalier d'Angleterre, dit-il à Bembrough, vous êtes bien cou-
pable en tourmentant ainsi ceux qui sèment le blé, et qui nous procu-
rent la viande et le vin je vous le dis comme je le pense, s'il n'y avait pas
;
qui parlent le plus agissent le moins bien. Mais, si vous le voulez, pre-
nons jour pour nous battre; on verra bien, par le résultat de la bataille,
qui de nous a tort ou raison. —
J'y consens, » dit Bembrough.
Ainsi fut jurée la bataille. »
Ecoutons maintenant uu poëte populaire breton du temps.
II
III
Hogen ne ked he vorzoliou Mar deomp-ni d'ar ger war hor c'hiz,
War enebourien euz a Vreiz. Unan, daou, tri, pevar, pemp, c'houec'l
LA BATAILLE DES TRENTE. 197
seigneur: cinq, six, sept, huit, neuf, dix, onze, douze, treize,
quatorze et quinze.
quatre, cinq, six, sept, huit, neuf, dix, onze, douze, treize,
quatorze et quinze.
IV
pays!
y
lia bekai boeilen aiiczl>.'in. — ]
A be galon a c'hoarzaz
skrigri : I
— Sec'bed ani euz, sec'he! braz!
ia,
VI
Il n'eût pas été l'ami des Bretons, celui qui n'eût point ap-
plaudi dans la ville de Josselin, en voyant revenir les nôtres,
des fleurs de genêts à leurs casques ;
Celui qui n'eût point admiré, qui n'eût point applaudi, qui
n'eût point béni, et qui n'eût point chanté :
« Au paradis comme sur terre, saint Kado n'a pas son pareil ! »
NOTES
On peut dans Froissart (t. III, p. 54) une narration remarquable
lire
de celait d'armes célèbre. Les combattants, dit-il, « se maintinrent d'une
part et d'autre aussi Lien que tous fussent Rolands et Oliviers, » et il
lijoiite « Depuis, je vis seoir à la table du roi Charles de France un che-
:
valier breton qui été y avoit, messire Yvain Charnel; mais il avoit le
Kar d'ar Vretoned ua vize, Sant Kado n'en deuz ked he bar I
200 CHANTS POPULAIRES DE LA LRETAGNE.
viaire (visnge) si détaillé etdécoupé qu'il montroit bien que la besogne
fut bien combattue.
Il y a quelques difierences entre le récit du chanteur breton et le récit
du poëte français. Le trouvère assure que Bembrough fut blessé à mort
par Alain de Keranrais et achevé par Geoflroi du Bois selon lui encore, '
;
L'HERMINE
DIALECTE DE COBNOUAIULE
ARGUMENT
La ballade allégorique connue sous le nom de Chanson à danser de
l'Hermine est un des plus singuliers monuments nationaux de la poésie
;i'moricaine. Trois animaux y figurent un loup, un taureau et une lier-
;
ANiN ERMINIK
aiguës,
— Oh çà, kiss 1 kiss !
—
! ! !
Dans tous les prés où ils ont passé, ils ont brûlé l'herbe ;
NOTES
Dans une légende pieuse que nous citons plus loin, le senliment natio-
nal du peuple, victime des querelles des grands, se révèle sous une l'orme
moins satirique et plus chrétienne.
Un pauvre paysan qui se cache est découvert par une troupe de sol-
dats étrangers « De quel parti es-tu? lui demandent-ils d'un air mena-
:
LE BARON DE JAUIOZ
— DIALECTE DE CORNOUAILLE —
ARGUMENT
Louis, baron de Jauioz, en Languedoc, était fils de Randon I" et de
Flore de Cailus; son nom appartient à l'histoire du quatorzième siècle et
se lie souvent aux principaux événements c'e la fin de cette grande
époque. Nous le voyons sous les ordres du duc de Rerry, son suzerain, com-
liattre et chasser les Anglais de France (1378) nous le retrouvons sous
;
seau de la Mort :
BARON JAOUIOZ
Me sleve 'nn evn-glot huan.3t.
j
— Tinaik mad,
I
ne ouzoc'h kel?
Pa oatin er ster gant va dillad, | D'ar baron Jaouioz oc'li gwerzet.
ma sœur Hélène?
Ma robe rouge, ou ma robe blanche et mon petit corset de
velours noir?
Gwir, eo ma iriamiii, pez 'm eu/, klevet? liamont Lnit hcli-dale zo rci! ;
Elle vit des morts en foule; contre sa poitrine ses dents cla-
quaient.
sa suite;
nièrent ;
III
— Si j'en juge par vos paroles, j'ai peur que vous ne m'ai-
miez pas.
fou,
Assez fou pour vous acheter, quand rien ne peut vous con-
soler! —
IV
14
210 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE.
pardonne.
pour moi ;
Priez aussi et prenez le deuil : votre fdle est sur les tré-
teaux funèbres. —
NOTES
Les poêles bretons ne réussissent jamais mieux que lorsqu'ils peuvent se
mettre eux-mêmes à la place de leurs acteurs, et qu'ils ont à peindre
quelques-uns des sentiments les plus énergiques de leur race, l'amour
du pays, par exemple. Le poëme qu'on vient de lire en est une preuve
bien frappante.
L'oiseau de la Mort (un oiseau gris qui chante l'hiver, dans les
landes, d une voix douce et triste et que je crois être l'orfraie) prédit à la
eune fille ses malheurs, comme la corneille noire au berger de Virgile.
Elle interroge son père, sa mère, tout le monde; personne n'ose lui ré-
pondre. Enfin elle s'adresse à son frère, et la fatale vérité éclate comme la
foudre; elle l'apprend d'un cœur résigné. Bientôt elle part sans se plain-
dre elle a contenu jusque-là sa douleur. Mais les cloches de la paroisse se
;
font entendre ; elle n'y peut plus tenir son cœur se brise. Le poète touche
;
ici à une des plus chères affections du paysan breton ses cloches; ce :
^ont pour lui des sœurs. Leur baptême est une fête pour la paroisse;
LA FILLEULE DE DU GUESCLIN
DIALECTE DE TREGUIER
ARGUMENT
Bertrand du Gucscliu, uu Gweziikn, selon l'oiUioyraiihe bretonne, a
laissé dans les traditions ijopulaircs de la Bretagne un nom presque aussi
célèbre {|U(! dans riiistoire. Le peuple du pays de Tréguier, au milieu
duquel il habita et qui suivait son parti en niasse, a conservé le souvenii-
•le ses exploits chevaleresiiues, et redit encore de vieux chants ou on
comme des nids de vautours, sur nos rochers el nos montagnes. Doux de
ces chants sont particulièieinent répandus; l'un a pour sujet la ruine du
château de Trogoff. l'autre celle de Pestivien. Du Guesclin assiégea,
en lôüi, et enleva le premier; il prit aussi le second, qu'il rasa de
même de fond en comble. Selon les puëtes populaires, la ruine de Tro-
goff avait été amenée par l'outrage que le gouverneur du château voulut
l'aire à une jeune paysanne, lilleule do du Guesclin; et la destruction de
l'estivien par la félonie des Anglais à l'égard d'un des vassaux du con-
nétable. Je dois les deux ballades dont ces événemenls sont le sujet,
l'une, à une femme de la paroisse de Trégourez, l'autre à un vieillard
de Mael-Pestivlen, mais elles se chantent partout.
Il
3)a gas lez d'ann dud zo' varat. Anu olio vo enn lie wele. —
214 CHANTS POPULAIRES DE LA BP.ETAGISE.
III
IV
d'épouvante,
caillé.
Mac'liariilig, 'm eer war lie Icrc'h; — San'cl ho pek, plac'liik diod I
moi sortir!
levé.
— Ma penn-grec'h-lcou
c'hoiife ar « l'etra rinn, Jezus, ma Doue?
E m'onn dalc'hel gand Rojerson ; " Ma Doue, d'in-me Icvcret,
Ma c'houfe va zad-paeron mad. « l'e am lazinn, pe na rinn ketv
Heu lakafe da redeg goad. — « l.nn abck d'iioe'h, Gwerc'liez Var'
« Me a varvo gwerc'hez, heb si.
jeune fille,
chats.
En garde ! si tu as du loisir !
dit en deux.
VI
Bretons !
NOTES
• De Beaurepaire, Élude sur la poésie populaire en Normandie, p. 55. Migra, Canzoni popti-
lari del Piemunte, lasc. v, p. 261. De Puimaygre, Chants populaire» du pays Messin, p. 9i
Ratliery, Les Chants populaires de l'Italie, p. 22.
XXX
LE VASSAL DE DU GUESCLIN
DIALECTE DE TREGUIER
ÏI
II
Mais j'ai trois frères qui valent mieux que moi ; s'il plaisait
J 'étais aussi tué comme tant d'autres; j'ai sur moi le poi-
ru, sellet-hui! —
Gwesklen euz lavaret m'cntoue bent a Vreiz!
:
15
'2'2t; CliAlNTS POPULAIRES DE LA liUETAGNË.
— Esl-ro que vous venez au bal, quand vous êtes ainsi équi-
pés, vous et vos soldats?
—
Abenn ar c'hentan stok ai' vogtr zo piltt,
lia Ire-beleg ann douu ar gcr e deuz krenct;
NOTES
-Je n'ai pu retrouver dans l'histoire le nom obscur de Jean de Pon-
torson; niais les rapports que lui donne le poëte avec du Guesclin, la
protection qu'il lui fait demander au héros breton, comme à son sei-
gneur suzerain, ne permettent pas de douter de sa réalité historique.
Du Guesclin était, en elfel, capitaine des hommes d'ai^mes de fontor-
son, et il possédait,, près de cette ville, une terre provenant de la suc-
cession de sa mère. Le fait du séjour de Bertrand à C'iingamp, et de la
prière qu'on vint lui adresser pour qu'il allât détruire le repaire des
lirigands auxquels le pays de Tréguier était depuis longtemps livré, est
de même attesté par les écrivains contemporains-.
ne reste plus aucune trace ni du château de Trogoff ni de celui de
Il
ARGUMENT
de Blois avait péri à la bataille d'Aiiray (1564), et Jean de
Cliarlps
Montfoii, son rival, était resté maître de la Breta{?ne. Mais l'amour de
Jean pour les étrangers qui l'avaient aidé à conquérir le pays, l'accueil qu'il
leur fil à sa cour, les faveurs dont il les combla au préjudice desliommcs
nés sur le sol breton, ne tardèrent pas à snulever les passions nationales:
mis en demeure par ses barons ou de cbasser les Anglais de la Bretagne,
ou de quitter lui-même le pays, il cboisit le dernier parti, et se retira
en Angleterre. Charles V crut voir dans la conduite des barons révoltés
une preuve de sympathie pour la France, et voulut en profiter pour
(1 langer en pouvoir direct le droit de suzeraineté qu'il avait sur la Bre-
mal cette race, toujours rebelle au joug des conquérants *, comme s'e.x-
prime un vieil auteur. « Se croyant déjà maître de la Bretagne, dit un
poète contemporain, il avait mis sur pied d'élégantes compagnies toutes
fraîches de gentils Français élégants, qui se réjouissaient à l'idée de
voir les Bretons venir d'eux-mêmes se soumettre. 11 pensait avoir sans
débat la Bretagne et ses habitants, pour les tondre comme des moutons.
Ils avaient souffert tant de maux en défendant la France contre la ser-
était comme une écorce; leurs habits tombaient en lambeaux; leurs che-
vaux étaient morts, leur fortune perdue; ils étaient blessés tous, mais
plus blessés par devant que par derrière communément. Les Français,
au contraire, étaient bien peignés;' ils avaient la peau douce et fine, et
la barbe taillée en fourche; ils ne savaient pas de rivaux pour danser en
salles jonchées ; ils comme des sirènes ; ils étaient tout couverts
chantaient
de perles et de broderies étaient mignons et pimpants, et les Bretons,
; ils
cotte d'acier, hache, maillet ou gros bâton à tête ; chacun vendait son
bœuf et sa vache pour acheter coursier ou cheval (ils craignaient tant
les nouveaux maîtres!) c'est qu'ils voulaient défendre leur liberté jus-
:
qu'à la mort ! Car une chose délectable, elle est belle, elle
la liberté est
est bonne, elle est profitable! Ils avaient horreur de la servitude, quand
ils voyaient comment elle régnait en France Ils aimaient mieux
ANN ALARC'H
Eunn alarc'h, eunn alarc h tre-mor, Neventi vad d'ar Vreionedl
War lein tour moal kastel Arvor ! Ha malloz-ru d'ar G'hallaoued!
Dinn, dinu, daon! dann emgann! dann Dinn, dinn, daon! d'ann emgann! d'ami
[emjrana' [emgann! etc.
Oh! dinn, dinn, daon! d'ann emijann a Erru eul lestr, e pies sr niOT,
[cann! lie weliou gwenn j;ant han digor;
1
Chroninue du bon roy Jehan, édil. de M. Charrière, p. SU et passira.
250 CHAÎNTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE.
Bretons.
Dipouet ann olrou lann endro, Ann otrou lann a zo potr mad;
Digouet co (la ziwall he vro; Ker prim he droad hag he lagad.
D'hon (liwall doc'h ar C'hallaoucd, Lez eur Vreizadez a zunoz
V vac'liom war ar Yretoned. Eul lez ken jarc'h evel gwin koz.
Ken eur iouaden,
a losker Luc'h a dol he c'hoaf pa 'n horell,
V ra d'ann od eur grenaden; Ken a vrumenn ann neb a zelL
Le foin est mûr : qui faucbera? Le blé est mûr : qui mois-
sonni'ra?
L'égout des arbres sera l'eau bénite qui arrosera son tom-
beau !
NOTES
lement devenir odieux à ses compatriotes du jour où, les Anglais chas-
sés et le pays restant exposé aux seuls envahissements de la France, il
fit, lui Breton, cause commune avec les ennemis de la liberté bretonne,
les Bretons lui tournaient le dos. Ses parents mêmes étaient chagrins de
le voir, ainsi en révolte, amener Picards ou Genevois pour combattre son
vrai seigneur ce n'était pas très-noble guerre: ses propres soldats le
;
ARGUMENT
Owenn Glcndour, noble gallois, qui descendait des anciens chels
bretons de la Cambrie, résolu de délivrer sa pairie du joug de l'Angle-
terre, avait mis sou espoir dans l'appui de la France. Cet espoir, souvent
conçu par ses prédécesseurs, mais toujours trompé, se réalisa enfin,
grâce à l'intervention fraternelle des Bretons d'Armorique. Une assez
grande flotte partit de Brest, sous les ordres de Jean de Rieux, maréclial
de Bretagne, et alla rejoindre les Gallois, réunis au nombre de dix mille
hommes près de Caermarlhen (1405).
Après divers succès qui déterminèrent l'armée anglaise à la retraite-
les Rretons d'Armorique revinrent dans leur pays, se vantant d'avoir fait
une campagne que de mémoire d'homme aucun roi de France n'avait
osé faire*. La ballade qu'on va lire regarde cette expédition; c'est l'his-
toire à la fois railleuse et tragique d'une femme que sou inconstance
place entre deux maris.
SEIZEN EÜRED
— lES KERNE —
1
Preuves, p. 366.)
LA CEINTURE DE NOCES. 235
séparer d'elle.
de porte
la temps que
; il vous est je quitte, il est temps que
j'aille m'embarquer. —
Et il s'éloigna; et sur son passage les pies caquetaient : « Si
II
II
III
être veuve, et voilà que j'ai deux maris! — Vous pensiez mal.
ma belle, vous n'en avez aucun !
—
Et il tira un poignard qu'il tenait caché sous sa veste, et il
en frappa ladame au cœur si violemment, qu'elle tomba sur
ses deux genoux, la tête en avant : — Mon Dieu! dit-elle,
mon Dieu! — Et elle mourut.
IV
NOTES
Cette façon de dire que le chevalier, trahi dans ses affections ter-
restres, le ciel en prenant la Viei'ge pour dame,
tourna ses pensées vers
est délicate et charmante. La manière dont il apprend son malheur par
la rencontre fortuite des joyeux étreiineurs n'est pas moins curieuse.
On donne le nom â'élremieurs à de pauvres gens qui se réunissent toutes
les nuits par troupes, à l'cpoque de Noël, en plusieurs cantons des mon-
tagnes et ailleurs, et vont quêter de village en village, en chanlant une
vieille chanson dialoguée dont le refrain est Eghinanè! eghinauè! (dans
•
IV
16
XXXIII
AZÉNOR LA PALE
DIALECTE DE CORNOUAILLE —
ARGUMENT
Les titres généalogiques des Kermorvan nous apprennent qu'un seigneur
de cette famille, nommé Ives, épousa, en l'année 1400, une héritière de
la maison de Kergroadez, appelée Azénor '; mais ces titres n'entrent dans
aucun détail sur leur union. D'après un poëte populaire de Coniouaille,
Azénor, qu'il surnomme la Pâle, aimait un cadet de famille du manoir
de Mezléan, qu'on destinait à l'état ecclésiastique, et elle l'aurait épousé,
AZENORIK-C'HLAZ
— lES KERNE —
,
I
Ne d-eo ked d'hc niuia-liaret;
Azenonk-c'hlaz zo dimet,
Azcnorik-c'hlaz zo dimel, j
D'Iie dousik kioarek, ne d-eo ket.
II
gneur Ives,
III
— Où y un messager, que
a-t-il j'écrive à ma douce amie?
— Des messagers, on en trouvera, mais ils arriveront trop
tard.
Ha gaiil-hi eur vroz sei melen; l'e n'am lio, 'vit gwir, groeg e-bedl
Elle n'en pouvait venir à bout, tant elle avait de larmes aux
yeux.
vent?
bonne heure,
consolait;
VI
VII
VI VII
Setu aman broz ma eured, lia zalc'bfoc'h sonj cuz }io eiind. —
A dal, a gredann, tiegoiit skoed;
VIII
Ilou-man vo d'ar valez vihan,
E deuz bct gan-in kalzik poan, — Petra zo digouet er ger-me,
A zouge lizeriou koUet... Pa zon ar c'hloc'h warliegoste?
A Vtzlean d'hon zi, va fried. — Azenor mervel e deuz gret,
Setu eur vantel nuve flamm He fenn war barlen be iried. —
Zo bel brodet d'in gand va mamm; Maner Henan, war cunn d- 1 grenn,
Hou-man vo rocl d'ar veleien, E ma bel skrivet ar \ver.--men;
Da bedi Doue'vid oii-men. Maner Henan, 'tal Pond-Aven,
'Vil va c'hroaz ha va chapeled, Du vul kanel da virviken.
Ar re-ze vo d'iioc'li, ma fried; Barz ann olrou kouz he zavaz,
Mircl-ho mad, ha me ho ped, Ilageunn demezel he skrivaz.
AZENOR LA PALE.
NOTES
vu
J'ai la fontaine au bord de
laquelle Azénor cueillait des fleurs
ijour en faire un bouquet à « son doux clerc de Mezléan, » quand le
seigneur de Kermorvan passa et flétrit d'un regard son bonheur et ses
Heurs d'amour. Mezléan est en ruines il n'eu reste plus qu'un portail,
;
l
XXXIV
LES
ARGUMENT
Au siècle de l'union de la Bretagne à la France éclata, en Cornouaille,
une insurrection violente des campagnes contre les villes. Un chanoine
de Qiiimper, du temps de la Ligue, est le seul historien qui nous ait
transmis le souvenir de cet événement il assure en avoir « trouvé mé-
:
sible. Mais son amour pour sa ville natale, où les insurgés mirent le feu,
et sa hiiine pour la paysantaille, comme dédaigneusement les
il qualifie
braves habitants des campagnes, ne permettent pas de douter de sa par-
lialité.
« En l'an 1430 ou 1489 (la date lui paraît incertaine), il y eust, dit-il,
un grand soulèvement en cet évesché (de Cornouaille de la populace
contrela noblesse et communauté des villes, leur intention et but estant
pas les habitants, et firent tous les aultres actes d'hostilité qui sont
coustumiers à ces barbares. »
D'après un poëte paysan contemporain, dont les chants sont encore
populaires à Plouyé et aux environs, ou j'ai recueilli celui qu'on va lire,
la cause de l'insurrection fut la détermination prise par la noblesse fran-
çaise des villes de Cornouaille de substituer, à l'égard des colons de ses
domaines, la loi féodule de France au régime véritablement libéral de la
coutume du pays En basse Bretagne, où il n'y eut jamais de serfs,
comme M. A. de Courson l'a démontré, le contrat qui liait le propriétaire
A\i colon était tout à l'avantage de celui-ci : c'était le bail à domaine
LES JEUNES HOMMES DE PLOUYË. 251
étaient de la race des hardis paysans dont les fourches de fer el les bâtons
noueux repoussèrent, au onzième siècle, la tyrannie normande, .sous les
ordres de Kado le Batailleur et de ses trente fils; on oublia qu'ils chan-
taient encore le souvenir de la vengeance terrible de leurs aïeux on ne ;
prit pas garde que de pareils souvenirs donnent une incroyable audace '.
Aucun enseignement ne fut tiré de tout cela par les étrangers: aussi
reçurent-ils une leçon nouvelle leurs vexations mirent les armes à la
;
main des hommes des montagnes, ayant à leur tête les trois domaniers
de Plouyé dont parle le chanoine Moreau, el elles les portèrent à la ré-
volte autant que l'opinion erronée où plusieurs sont encore, qu'on n'avait
j.s le droit de les chasser de l'héritage paternel.
PAOTRED PLOÜIEO
Qui fait plus d'un père sans fils, plus d'une femme veuve,
plus d'un orphelin et d'une orpheline;
Qui jette sur les grands chemins plus d'un enfant qui
pleure en suivant sa mère.
II
de noHcf
Les bourgeois de Bret;igne i)Oilaient Rénéralementrau quinzième
»
siècle, le titre
Nous allons errer, exilés par la force, loin des lieux où nous
sommes nés,
m
Les jeunes hommes de Plouyé disaient : — Allons prendre
nous-mêmes des informations sur ce qui nous regarde. —
arrivés à Quimper, ils demandèrent à parler à leurs maîtres :
Poired Plouieou lio deuz laret: Ilogen, kievet eur seurt burzud:
— Tevet, merc'lieii, na oele.t ket, Ann eskern a zrask, evel tud;
'Vel den rag lie bcnn in deuz grct; — Deomp-ni da c'houi lion diga
Barz ar garnel e ma laniniel, E Kemper dal' ma erruzont,
E louez eskern ar Vretooed. Ho olrounez a c'houlenzont:
LES JEUNES HOMMES DE PLOU\È. 255
j
Hag a zalc'h mad d'hor C'hiziou reiz>
NOTES
Ce dernier couplet, si mélancoliquement, discret, cache une trisie
vérité que le chanoine de Quimper s'est chargé de nous révéler en détail :
CHANTS POPULAIRES
LA BRETAGNE
XXXV
LE SIÈGE DE GÜINGAMP
— DIALECTE DE TRÉGUIER —
ARGUMENT
La Bretagne, en l'année 1488, était tombée dans le plus déplorable
«tat attaquée au dehors, divisée au dedans, trahie par quelques-uns des
:
siens, réduite à créer une monnaie de cuir marquée d'un point d'or,
pour remédier à la ruine de ses finances, et sans autre chef qu'une
enfant. Mais toute vaincue et misérable qu'elle était, elle pouvait se
relever, car, bien que gouvernée, depuis plusieurs siècles, par des princes
de race étrangère, elle n'était pas encore tombée sous l'autorité immé-
diate des rois de France, et elle les repoussait toujours. A la tête des
déserieurs de la cause nationale se trouvait le vicomte de Hohan il vint
;
SEZIZ GWENCtAMP
lES TREGER-"
— ann nor-nian
Poi'zer, (ligoret ! Fe ve gan-in deuz lio c'iilevet:
Ann oU'o Uohan zo aman, Gwengamp na vo kct kemuret.
lia ilaoïizek mil soudard gant-han, Na pa vent triouec'h miz azc,
Da lakat seziz war W'engamp. Na ve ket kemeret gant-he;
— Ann nor-man na vo digoret Karget ho kaiiol poari lia hec'ii
; !
elle-même! —
NOTES
L'intention du poêle populaire n'est pas douteuse : il a voulu glorifier
Notre-Dame de Bon Secours, patronne de Guinj^amp, en lui attribuant la
levée du siège de la ville. A cette légende pieuse qui est l'âme même de
la ballade, sont venues se joindre, avec le temps, quelques erreurs de
di'tails. Si le siège fut soutenu pour la duchesse Anne, il ne le fut point
par elle en personne, et son portier ou canonnier, comme on appelle le
Ha garid i-on-viell ann lioU gleier, — Beg ann toui--|)!ad ed-onn-me bel,
sini ho unan e ker. Ha den e-bel n'eni euz gwelel;
— Pachik, pacliik, pacliik hihan, Ha den eno n'em euz gwelet,
Te 7.0 prim, lia ^kanv lia hulian, Nemed ar Werc'hez veniiiget,
Ke tim-id da veg ann tour-plad, At Werc'hez hag he mab, a-vad,
Da c'hout piou zo o vran»ellat. Re ze a zo vransellal. —
Euz da eur c'iileze,
go:-te zo Ar prens diwirion lavare
Mar kaez den-bennag aze, D'Iie zoudarded, pa he gleve :
Mar kaez den bennag o son, -=- Steinonip hor t'heiek, ba d'ann hent!
Plant da gicze enn lie galon! — lia loskomp ho zier gand ar zent. —
LE SIÈGE DE GUINGAMP. 261
capitaine Goiiikct, fut blessé d'un coup de pique et non d'un coup do
feu. Quant à l'aulcur de la blessure, qui aurait été un certaiu Goazga-
rani, il nous est tout à fait iuconnu; mais il n'est pas impossible de dé-
couvrir le personnaj^^e qu'on voulu désigner sous ce nom. Lors du
a
nouveau siège de Guingamp par le prince de Bombes, en 1591, un vieux
cavalier, appelé Coëigourhant, tua involontairement un des siens d'un coup
d'arquebuse, tiré non du camp, comme celui qui blessa Gouiket, mais de
la ville, de la fenêtre d'une chambre. M. Pol de Courcy, à qui je dois la
connaissance de ce fait intéressant, n'hésite pas à tenir Goazgaram pour
Coëtgourant. Il va plus loin, il tient l'assiégeant félon [diwirion ou dino-
blin) pour le prince de Dombes, et pense que la ballade, sous la forme
actuelle, convient plus au siège de 1591 qu'à celui de 1488. Son opinion
est consignée dans une lettre publiée par M. Ropartz à la fin de V Histoire
de Guingamp. Outre les i-aisons qu'il allègue, en voici une tirée de deux
couplets inédits dont il m'a fait obligeamment la communication :
LE CARNAVAL DE ROSPORDEN
— DIALECTE DE CORNOUAILLE—
ARGUMENT
Le:5 fêtes du carnaval étaient prohibées dès le cinquième siècle. Le
concile fie Tours punit de peines très-sévères, que les divers statuts
synodaux do l'Église de Bretagne ont fait revivre, ceux qui prennent part
à ses orgies. Les prédicateurs bretons citent, pour en délourner, mille
laitsépouvantables. Us racontent qu'un jeune homme ne yiut parvenir à
arracher son masque, et qu'il le porta toute sa vie collé sur son visage;
'ju'un autre ne put se dépouiller d'une peau de laureau dont il s'était
revêtu, fut changé en bête, et revenait la nuit rôder et mugir autour de
sa demeure; qu'un troisième fut puni d'une manière plus épouvantable
encore. La ballade dont son histoire fait le sujet fut chantée, dit-on.
pour la première fois, par un moine qui arrivait de Rosporden, et
prêchait un soir dans la cathédrale de Quimper. Il venait de tonner
contre les plaisirs du carnaval avec une telle véhémence, et s'était exalté
à un tel point qu'il était retombé dans .son fauteuil, la tête dans les deux
mains, épuisé de la.ssitude. Tout à coup il se aiesse de toute sa hauteur;
les lumières s'éteignent comme d'elles-mêmes; la petite lampe du sanc-
tuaire reste seule allumée. La foule, un moment immobile, lève les yeux
vers lui, et, au milieu des ténèbres et du silence général, il chante ce
qu'on va lire :
K^ED ROSPORDEN
— lESKERNE —
D'ar seizved île wai-n-ugent demeuz a viz c'houever
Euz ar bloa niil-pevar-c'liant-pevar-ugent-lia-c'tiouec'h,
Enn deveziou nieur-!arje, e ker a Rosporden
\ 10 c'houarvet eur reuz braz. — Silaouet, kiislenien;
LE CARNAVAL DE UOSPORDEN. 263
qu'ils buvaient à plein pot faisait bouillir leur sang. Quand ils
Ils avaient fait leur tour sans se rencontrer, quand ils arri-
NOTES
La tradition donne au moine cité plus haut le nom de Père Morin [Atin
Tad Morin], et lui attribue la ballade; mais nous pensons que c'fsl par
erreur, car le père Morin a dû mourir vers 1480. Le peuple en a fait un
prophète c'est lui qui prédisait aux Bretons leur union à la France en
:
ARGUMENT
Au milieu de la paroisse de Kizon, près de Pont-aven, en Cornouaille,
on voit s'élevr le château en ruines de Rnstéfan. Il est le sujet de quel-
ques traditions qui r,'^, sont pas sans intérêt. Ainsi le peuple dit qu'an-
ciennement on avait coutume de danser fort tard sur le terire du châ-
teau, et que si 1 usage a cessé, c'est que les danseurs aperçurent, un
soir, la tête chauve d'un vieux prêtre, aux yeux étincelants, s'avançant
pour les regarder, a la lUcarne du donjon. On ajoute à cela qu'on voit
vers minuit, dans la grand'salle, une bière couverte d'un drap mor-
tuaire, dont quatre cierges blancs, comme on en faisait brûler pour les
tilles nobles, marquent les quatre coins, et qu'on voyait jadis une jeune
demoiselle, en robe de salin vert garnie de ileurs d'or, se promener au
clair de la lune sur les murailles, chantant quelquefois, et plus souvent
pleurant. Quel mystérieux rapport peut-il y avoir entre ces deux vagues
ligures de prêtre et de jeune fdle ? La ballade qu'on va lire nous l'ap-
prendra.
JENOVEFA RUSTEFAN
I ES T REG E R
Les plus belles filles qui levaient la tête, sur la place, étaient
les filles de du Faou.
I)avé sonnaient;
l'a zeuaz he vamm ha larez d'eau : Voa merc'hed ann Faou, war ann da-
— Te a zo eur poir fin, ma mab lann ;
[ohen.
III
dentelle,
(Da c'boloi eur c'halir e veut koaui). Doue neuz hi digan-in lennei.
GENEVIÈVE DE RUSIÉFAN. 269
la messe,
cause de ma mort !
—
Pa oann digouet e-lal l'enn-al-Ienn, Ha Iri leor braz en deuz Ireuzet, 'vail.
vonet ive d'ann oferen, Gand ann daero euz he zaoulagad.
E weliz kalz a dud o redek, Ken a zeuaz ar plac'h redeU,
Hag hi ena cunn estlamm bm meur- Ha' gouezaz da zaoulin ar belek.
[bed. — Enn hanDoue! lann, distrocl cndrc
— >a c'hiii, gregik koz, d'in leveiet, C'hui zo kiriok, kiriok d'am maro! —
GENEVIEVE DE RUSTÉFAN. 27-1
YI
Messire Jeam Flécher est recteur, recteur maintenant au
bourg de Nizon;
KOTES
Les Fléclier habitent toujours la paroisse de Nizon; ce sont de bons et
Irinnêtes paysans. Ils se souviennent d'avoir eu un prêtre dans leur fa-
iiulle,ce qu'atteste d'ailleurs un calice sculpté sur le linteau de la porte de
leur maison, mais ils ne connaissent rien de son histoire ils savent seu- ;
.\nn otro lanu Flécher zo person, Meur wech m'cuz hen gwelet oc'h oela ;
NOTRE-DAME DU FOLGOAT
— DIALECTE DE LEOr
ARGUMENT
« En un vieil auteur, florissait en Bretagne, en sim-
l'année 1315, dit
plicité et sainieté de vie, un pauvre innocent nommé Salaün, issu de
parents pauvres, dont les noms nous sont inconnus, d'un village d'auprès
de Lesneven.
« Ce jeune enfant, croissant en âge, commença, après la mort de ses
parents, à chérir les douceurs de la solitude, choisissant pour sa retraite
ordinaire un bois, loin d'icelle ville d'une demi-lieue, orné d'une belle
fonlaine bonlée d'un très-beau vert naissant. Là, comme un passereau
solitaire, il solfiait à sa mode les louanges de la Vierge adorable, à
laquelle, après Dieu, il avait consacré son cœur; et de nuit, comme le
gracieux rossignol, perché sur l'épine de l'austérité, il chantait Ave
Maria.
« Il était misérablement vêtu, toujours nu-pieds ; n'avait pour lit, en
ce bois, que la terre, pour chevet iju'une pierre, pour toit qu'un arbre
tortu près de ladite iontaine. 11 allait tous les jours mendier son pauvre
pain par la ville de Lesneven ou es environs, n'importunant personne
aux portes que de deux ou trois petits mots ; car il disait Ave Maria, et
puis en son langage breton Salam a zebrè bara, c'est-à-dire « Salaün
:
18
274 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE.
duite en cendres?
Ha war ho taoulin, mar gell pad. — Selu ama eur c'had kignet,
Eno ludu gret
p kefot Pc eur bugelik gwalennet;
Diouc'h ar galoun lioc'h euz maget. Krougpt eo diouc'h skour ar wezen,
— Petra, va merc'h paour.hoc'h euz gret, E kerc'hen he c'houg ar zeizen. —
Pa viol evel-ze luduet? Hae hen da gaout he itroun,
— Eur bufrelik zo het lazet, sonjal du enn lie galoun.
Ha d'in, va zad, eo tamallet. — — Sellitl eur bugel paour lazetl
Piou, han Doue, neuz ben ganet ?-
NOTRE-DAME DU FOLGOAT. 275
ferme.
pousse à merveille.
C'est vous qui éles allée ce malin au bois; vos sabots sont
roufiis de sans;! —
III
leule. —
Dur eût été celui qui n'eût pas pleuré, sur la place du
Folgoat, quand elle arriva ;
Al- c'hrouger hag ho lillorez. — Roi a riun d'e-hoc'h, arc'hant lie fouez
NOTRE-DAME DU FOLGOAT. 277
poids de ma liaiiuenée,
'
IV
Elle est dans le feu jusqu'au sein, et elle rit de tout son cœur .
non vous ;
pécheresse. —
Ils passèrent tous à travers les flammes, et aucun d'eux ne
sourcilla ;
Pelra zo enn lan dho inirel? Tremenel holl heb iakat mail :
NOTES
( Votre fils est vivant comme ce coq et cette poule qui sont dans le
plat (ou à la broche.) » Les oiseaux, prenant la comparaison à leur
avantage, se mirent immédiatement à chanter et à battre des ailes. Il n'en
fallait pas moins pour impressionner le juge, qui alors consentit à laisser
LES LIGUEURS
-DIALECTE DE CORNOUAILLE—
ARGUMENT
Lorsque Louis XIT, la. de son mariage avec Anne de Bretagne,
veille
signa le traité d'union du duché à la France (1499), le peuple armoricain,
fatigué d'une guerre sans fin, crut voir luire l'aurore d'un avenir
meilleur, et, oubliant qu'il avait lutté contre la suzeraineté des rois
franks pendant sept siècles, et contre leur autorité immédiate durant
trois cents ans, consentit à accepter le roi pour seigneur direct; mais
les plus clairvoyants ne se soumirent qu'à regret, et à la mort d'Anne
de Bretagne ils songèrent secrètement à recouvrer leur existence natio-
nale. Chose remarquable, l'cxlinction de la famille ducale étrangère
qu'Anne représentait, famille sous latiuelle les Bretons avaient conservé
leurs vieilles libertés, causa presque autant de chagrin au peuple que
l'extinction de la race des chefs de nom et d'origine celtiques. Tomber
sous l'autointé directe des rois de France après avoir été gouvernés par
des ducs qui, moins dépendanis de ces rois que de leurs sujets, ne pou-
vaient promulguer aucune loi nouvelle, abroger aucune loi ancienne
sans le consentement du baronnagc de Bretagne, cette sauvegarde armée
des intérêts nationaux, parut aux patriotes urelons une calamité réelle
que dissimulait seulement le contrat par lequel leurs anciennes fran-
chises leur étaient maintenues. Ils cherchèrent donc l'occasion de secouer
le joug de la France :la Ligue la leur oifrit rattachant leur cause à celle
;
AR RE ÜNADED
ES KERN E
Hag hi disiroi war ho l'hiz enn eur larel 'nn sur vouez :
— Kenavo kleier Mari kenavo kleier kezl
!
Que Dieu secoue la gelée que le blé soit flétri, flétri dans
!
NOTES
Les ravages commis en Bretag'ne par ceux qu'on y regardait toujoui>
comme des étrangers, inspirent au poëte populaire la même aversion poiu-
eux qu'à SCS prédécesseurs elle emprunte un accent nouveau à l'indiyna-
;
Pontivy, qu'il défendit seul, pendant près d'une heure, contre six ou
sept cents arquebusiers ennemis, jusqu'à ce que, tentant un dernier
effort pour les chasser au delà, et « s'estanl avancé de furie, dit l'his-
torien déjà cité, sou cheval eut un des pieds de derrière pris entre
deux planches du pont, et tomba sous lui. Dans ce moment accourut
un soldat qui lui donna, au défault de la cuii'asse, de son espée au tra-
vers du corps... Et il trespassa à cheval, sur celui même qui avoit combattu.
Son corps lut rendu à Kemper, et enterré aux Cordeliers avec une grande
magnificence, et beaucoup de pleurs de toutes sortes de genz, car il
esloit fort aimé. »
L'ï.nlique usage de l'enlèvement de la bannière paroissiale de Saint-
Servet, auquel lait allusion le chantre des Ligueurs, existe encore aujour-
d'hui. La veille du jour du iiardon, qui a lieu tous les ans le 15 mai, et
qui attire une foule immeni^e de pèlerins, non-seulement du pays de
Cornouaille, de Tréguier et de Vannes, sur la limite desquels est bâtie la
chapelle du saint, mais même du pays de Léon. A l'issue des vêpres, au
moment où la procession va sortir, où croix et bannières se dressent, où
le prêtre, debout sur les degrés de l'autel et tourné vers le peuple, élève
* Lettres inùUtes de la reine de Navarre. Lettre xcix, p. 103 et 166. De la basse Eretagn»
— Ocluljie, 133:. Au r,oi.
280 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE.
le saint sacrement, les paysans de Vannes et ceux de Léon (car les Tré-
gorois et les Cornouaillais restent neutres) se séparent tout à coup en
deux camps, et, brandissant en l'air leurs terribles bâtons à tête, ils
s'écrient d'une voix tonnante :
C'est une prière à Dieu pour détourne des blés qui poussent les
qu'il
gelées dont ils sont menacés. La procession sort de l'église, et la niêléce
s'engage autour de la bannière, dont les deux partis rivaux, qu'on dis-
tingue à un morceau d'étoile rouge ou blanc croisé sur l'épaule gauche,
s'eflorccnt de disputer la possession au vigoureux Cornouaillais qui la
porte. Les vainqueurs s'en partagent les lambeaux, et la gelée, dit-on, est
pour les vaincus.
L'intervention des gendarmes ne saurait arrêter le désordre ; on peut
lit du ruisseau qui sépare les évêchés de Quim-
voir, après la bataille, le
per et de Vannes encombré de tronçons de sabres. En 1766, dit un écrivain
du dernier siècle, l'évêque de Corniiuaille fit défense au recteur de Duhot
d'ouvrir la chapelle de Saint-Servel et de célébrer le pardon. Le prêtre
voulut obéir; mais les Vannelais, s'étant l'endus au presbytère, l'enle-
vèrent de force, le placèrent sur leurs bàlons, avec lesquels ils avaient
formé une espèce de brancard, et le poilèrent jusqu'à la chapelle, où
ils le forcèrent de chômer la fête patronale. Ainsi, comme le i-emarque,
ARGUMENT
Un des plus fameux partisans qu'eut la Ligue en Bretagne était
la Fontanelle.
« Guy Eder de la Fontenelle, juveigneur de la maison de Beaumanoir.
que j'aime;
Pour mon petit frère de lait que j'aime, je cueille des fleurs
J'en ai ouï parler, j'ai ouï dire que c'est un bien méchant
homme, et qu'il enlève les jeunes fdies.
— Oui ! et surtout les héritières !
—
Il la prit dans ses bras, et l'embrassa ; puis il la mit en
croupe derrière lui, et la mena à Saint-Malo.
FONTANELLA
lES TREGER
Na erruje Fontanellan.
— Penn-herezik, d'in leveret,
Fonlanellan, a barrez Prad, Fonlanellan a anavcef?
l'ruv.iii ni;ip a wi^kas dulail, — Fonlanellan n'anaveann ket,
En deuz lammei eur benn-hereï Klevel komz anean 'm euz grel,
Diwar liarleii lie magerez.
Klevel koinz anean 'm euz gret,
— Penn-licrezili, d'in leveret, Laret oa gwall bolr, 'm euz klevet,
Pelia er c'iileuz-ze a ylasUel? Laret penoz e lanim merc'hed.
- - hlaskcl a ranu boukejo ban — la! lia dreist-holl penn-herezeil 1
II
ao
i'tO CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE.
III
ou trois hommes.
— l'âge, page, mon petit page, va vite à Coadélan, et dis à
ÏV
roué. —
Quiconque viendrait à Coadélan aurait le cœur navré, aurait
le cœur navré de douleur, en voyant le feu mort au foyer;
NOTES
Le clianoine Moicau assure que ce fut à l'île Tristan <\ao la Fdnteiielle
emmena l'iiéiilièie de Coadêlan, ajirès l'avoir enlevée. Le poëte la fait
conduire à Sainl-Malo, en un couvent de religieuses. Plusieurs raisons
me feraient préférer le témoignage du poêle. La ville de Saint-Malo
avait d'elle-même ouvert ses portes aux Liguem's, et tenait encore pour
eux à l'époque de l'enlèvement de l'héritière. Plus tard, elle les aban-
donna, se révolta contre son gouverneur, qu'elle soupçonnait de rap-
poris secrets avec les royalistes, et se donna un gouvernement libre.
Il est permis de croire, avec le poëte populaire, que Marie de Goadélan
finit par s'attacher à un homme qui l'avait enlevée par force; car la
famille de Kergariou possède un acte passé, le 17 février 1602, en son
nom et en celui du sieur de la Fontenelle. Après qu'inculpé dans la conspi-
ration de Biron, il eut été roué vif, malgré sa qualité de gentilhomme,
moins pour ce nouveau crime que pour ses déportements antérieurs,
Marie no rougit pas de se montrer comme sa veuve pour renoncer à la
communauté. Piien n'empêche de penser encore qu'elle ait demandé la
grâce de son mari, ou même qu'elle soit morte de chagrin, comme l'au-
teur paraît le donner à entendre, car, dès 1603, elle n'existait plus.
welet al lenad kreski Hag ami dud paour, ctin eur drt'men
Knn loult ani) nor liag et li:ur-zi Oc'h oelan, sivoaz, gand anken,
ILl leur-zi hag enn kreiz ar zal, Oc'h oelan, o komz evelhenn :
liag ann dud fall eno' vragal; — Setu maio mamm ar beorien!
XLI
L'HÉRITIÈRE DE KEROULAZ
O I ALECT E DE L EOr
ARGUMENT
L'histoire de Marie de Keroulaz, fille unique de François de Keroulaz,
de lui l'héritière.
Ma'îemoiselle Marie de Blois, fille du savant de ce nom, est l'auteur
delà découverte de la ballade qu'on va lire. La version que je publie m'a
été chantée par une paysanne de la paroisse de Nizon.
PENN-HEREZ KEROULAZ
Cette année, elle n'a point joué, car ses biens ne le lui
IK'rmeltaient pas; elle est orpheline du côté de son père; l'a-
f'^Ue porte une robe de satin blanc et des fleurs d'or sur la
(été.
mienne.
Ce que je vois me fait trembler; ce n'est point sans des-
sein qu'ils sont venus ici de Cornouaille, quand il y a dans la
maison une héritière à marier.
Gand lie vad hag he hanv brudet, Gand ann dour a c'hlib hedaou-droad.—
Ar maïkiz-ze d'in na blij ket;
llogen Keidomaz pellik zo III
A garann, a girinn ato. — Na Zalaun a zigouezaz
Nec'het oa ivez Kerdomaz, Da zadorii-noz e Keroulaz,
Gand ann dud deut da Geroulaz; War bo varc'bik du d'ar nianer,
Karoul eure ar benn-herez, 'Vel ma oa boazet da ober.
Hag a lavarc allez :
War ann nor borz pa neuz skoet,
— Me gnr.e beza eslik-noz Ar bemi herez neuz dlgoiet;
Er jardin war eur bodlk roz, Ar benn-herez, o tonter meaz
l'a zeufe da zastura bleuniaou. Orei eunn tainm boed d'i^ur paour keaz-
.M em welfe eno bon daou. — Penn-herezik, d'in leveret,
beza krak-liouad
"^le garji^ l'eleac'lieo lio tudjentiled?
AVar lenn a walc'li lie dillad,
al — El int da gas ar cba^ d'aun dour,
Kvit glibia va daou-lagad. Salaun ke prim d'iio sikour.
296 CHAiNTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE.
'
— Ce n'est pour faire boire les chiens que je suis venu à
Keroulaz, mais bien pour vous faire la cour; soyez plus gen-
tille, héritière. —
IV
épouserez le marquis. —
La dame de Keroulaz parlait ainsi à rhéritière, parce que
la jalousie était au fond de son cœur, et qu'elle aimait Kertho-
maz.
Dur eût été le cœur qui n'eût pas pleuré, à Keroulaz, à voir
la pauvre héritière embrasser la porte en sortant.
Je ferai l'aumône tous les jours; et, trois fois par semaine,
une charité de dix-huit quartiers de froment, et d'orge et
d'avoine. —
Le marquis de Mesle dit à sa jeune épouse, en l'entendant
parler ainsi :
— Pour cela, vous ne le ferez pas ; car mes biens n'y suffi-
raient point !
VI
!
— Va aolroii, heb kaoul ho re,
l'eorien ar barrez a oele, Me roio aluzen benide,
j
Ar benn-herez bo freaize : i
Evil dastumi pedennou,
— Tavit, poerien, na oelel ket, ! Goude lier maro, d'hon eneou. —
Da Gaslelgall deut d'am gwelet.
Ma a roi aluzen bemdez;
Teir gwecb sizuH, die garantez, Ar benn-berez a lavare,
Triouec'h palevarz a winiz, E Kastelgall, daoïi viz goude:
A gerc'li ivez ker kouls liag heiz. ! — i\'e gaffenn ked eur c'bannadcr,
At markiz Melz a lavare, '
Da zoueen d'am mamm
eul lizer?
L^HÊRITIÈRE DE KEROULÂZ. 299
NOTES
Le statue du marquis de Meslc se voit encore dans le reliquaire de
Landclo, à quelques lieues de Carhaix il était petit, gros et laid; on lui
:
ARGUMENT
Les Bretons que rambition et le désir de briller attirèrent à la cour
de France, comme autrefois du Guesclin, y apportèrent leurs vieilles
préventions, et souvent ils se prirent de querelle avec les courtisans
au point d'en venir aux mains. L'aversion qu'ils témoignaient pour
les manières recherchées des gentils Français bien polis, comme dit
Guillaume de Sainl-André, auxquels ils semblaient lourds et grossiers,
était généralement la cause immédiate des démêlés dont nous par-
lons. La tradition populaire nous a conservé à ce sujet une anecdote
intéressante. Elle prouve que les rois de France, dans les altercations
entre leurs pages, prenant lait et cause contre les Bretons, lors même
que ceux-ci n'avaient pas été les agresseurs et que le sort des armes
avait loyalement tranché la question, n'iiésitaient pas à jeter dans la
balance, pour contre-poids à l'épée du vainqueur, la hache du bourreau.
.A.U reste, depuis la fin du seizième siècle, ils pouvaient alléguer leurs
Le roi dont il va être question est Louis XIII, et non Louis XI, comme
le veulent mal à propos presque toutes les versions du chant, et le héros
de la ballade est François de Rosmadec, comte des Chapelles, décapité à
Paris, en 1627. Celte rectification est pleinement justifiée par la généa-
logie de la maison de Rosmadec, et par une variante de la pièce commen-
çant ainsi :
Konl euz ar Japel, breur ar inarkiz,
A zo bel dibennet e Panz,
Abalaraoui- li'eunn loi diaviz.
II
Eno na zeu den d'he \velet, Ha lavar d'ei era onn war var,
LE PAGE DE LOUIS XIII. 'ir.
gneur roi :
])cr.
War wir var da goU ma buhc, Gaiid tudjentil vraz euz ar vro.
Die genienn ann otrou ar roue :
Ilagenn he dorn eunn hanaf mar
Ma zeufe ma c'hoar bel' enii ou Leun a win-ru a wella barr.
Konfort a refe d'am c'halon. — — Floc'hik koanl demeuz a Gcrne,
l'enfeunteuniou dal 'm' lie glcvaz, Pe seurt kelou io gen-oud-de,
E-trezek Kemper e redaz; Pa 'm oud ker glaz hag ann askol.
Kaut leo ha tregont zo, war dro, Ken diflak hag eunn iourc'h \yar g
Erre Pariz ha Bodinio; — Ar c'helou zo gen-in, itron,
l'.'hoaz neiiz lio gret, ar polr Kernt Lakai stralill eun ho kalon,
E diou noz-hanter hag cunn de. Ho lakai da huanada.
Pa eaz tre er zall Bodinio, Hag ho taou lagad da oela :
gneur roi.
si troublée,
nuit à Paris !
War wir var da goH he vuhe, BuhanI daouzek marc'h! ha deomp d'cil
Dre gemenn ann olrou ar roue. Pa grefcnn unan e peb poz.
Ma iefec'h he\.' enn han, itron, Me ielo da Pariz fenoz;
C'hui refe konfort d'he galon. — Pa grefenn unan e peb heur,
Keraent e oe bel stravillet Fenoz ez inn beie va breur. —
Ann ilron gez, oc'h lie glevet,
sait-elle?
billot de mort.
IV
— Lazerien, otrou, n'em omii ket, — M:ir goût lie abeg a fell d'boc'b,
Ne denjenlil Breiz kenneubet, Silaouet ha me laro d'boc'b ;
Mar peuz c'hoant da zistroi d'ar ger. « IS'euz lutl e Dreiz, neniel moc'h-gwe. •
508 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGrsE.
— Si c'est là une vérité, j'en sais une autre, moi :
scellées.
11 roula des yeux aussi noirs que ceux d'un chat sauvage
pris au piège.
KiOTES
Le dernier couplet au siège si sanglant et si coûteux de
fait allusion
la Rochelle. 12 octobre de l'année où fut décapité François
Commencé le
LE MARQUIS DE GUÉRAND
D I ALECTE DE LÉO^
ARGUMENT
Louis-François de Guérand était fils de Claude de Névet et de Jean du
Parc, clievalier, seigneur de Locmaria, marquis de Guérand. Son père,
qui avait pris part au siège de la Roclielle et aux guerres d'Allemagne,
et présidé par élection les étals généraux de Bretagne, n'existait plus
en 1670.
Possesseur du marquisat à cette époque, riche, violent et livré à lui-
même, le jeune Louis était la terreur de la paroisse et désolait sa mère,
dont les larmes et les prières ne pouvaient rien sur lui on dit que, lors- :
MARKIZ GWERAND
— lES LEON —
— Enn he gwele 'ma koiisket dous,
Evesail; na rit kel Irouz !
II
mandez.
— Vous excuser! oh! certes, non! Je demande le clerc de
Garlan !
fiant han d'Iie dok eur blun paveri, War he varc'h raktal e lampaz ;
lia diouc'h lie gerc'hen eur cliaden; Ha d'al leur nevez ez eaz.
d\in paysan.
— Quoique le fils'd'un paysan, tu as le choix dos jolies
filles.
donnée. —
Annaïk Kalvez tremblait, en les entendant parler ainsi :
votre épée.
rv
Vous me ferez mon lit bien doux, car mon pauvre cœur va
bien mal.
l'y suivra. »
NOTES
Voilà ce qui se chantait en Bretagne, tandis que le jeune marquis,
« sortant de l'Académie, » dansait devant Louis XIV ces passe-pieds mer-
ARGUMENT
Le nom des Névet est aussi adoré du peuple des campagnes que celui
des Guérand est impopulaire. Dans ses amours comme dans ses haines,
le paysan breton est toujours mû par un sentiment remarquable de jus-
tice et d'impartialité. Jamais il ne lui est arrivé d'embrasser dans un
anathème général une famille entière, à cause du crime d'un des mem-
bres de cette famille. Ainsi, le fils coupable du marquis de Guérand peut
être maudit, mais la mère est bénie, et l'aïeul est depuis deux siècles
l'objet de la vénération des habitants des campagnes. L'herbe a reverdi
sous les larmes du pauvre autour de sa tombe; la pierre qui la recouvre
s'est usée sous les genoux des habitants de la paroisse; son oraison
funèbre a été composée par un mendiant, et la voici telle qu'on la chante
encore aujourd'hui.
— Ma den paour petra zo digouet, l'a 'z oe'h krr glaz hag ar maro;
Pa zeut d'ar ger ker stravillet? Petra zo digouet war ho tro?
ÉLÉGIE DE MO^SIEUR DE NÉVET. 517
gent.
II
nuit-là.
puis.
campagne,
Quand le blé est mûr, on le moissonne ;
quand l'âge vient,
il faut mourir!
— seigneur
Si le est au lit, malade, allons savoir de ses
nouvelles. —
Tevet, lud vad diwar ar mez, Bordel hejupen penn-da-benn,
Tevet, peorien kez ma farrez; He jupen voulouz ru glaou-tan
'Vel em euz bel sonj ac'hanoc'h, Bordel penn-ila-benn gand arc'lianl;
Ma fotrcd delinl sonj ouz hoc'h.
Pe oant o tigout gand ann ger, i Setu frcsk, aman, rouilou c'Iiari
Hi a gleve son ar c'Iileier. A zo eet d'Iie gas d'ann douar. —
Üigorcl fraiik ar perzier, Ilag hi da douch war ho ronsed,
lia den e-)>eii barz ar maner. Ha da zigoiU gand ar vcrcd.
— Mar'm oo'h deuei d'he zarcmpret, Pa oant digouel gand ar vered,
E bered ar vorc'li he galTel. lianne ho c'halon o welel,
NOTES
On ne saurait faire d'un homme un plus bel éloge. Les historiens de
Bretagne parlent de lui dans les mêmes termes que les poëtes populaires.
Un après être entré dans de grands détails sur l'origine de la
d'eux,
famille Névet, conclut ainsi « C'est une maison illustre, dont les sei-
:
lût Guy le Borgne, est assez connue pour estre une pépinière féconde de
seigneurs braves, galands et généreux ^» L'élégie qu'on vient de lire
est une pièce à l'appui du jugement qu'a porté l'illustre auteur de Yllis-
toire de la conquête de l'Angleterre par les Normands, sur les bons
rapports qui ont toujours existé entre l'aristocratie bretonne et les habi-
tants de nos campagnes.
« Les gens du peuple en basse Bretagne n'ont jamais cessé, dit-il, de
reconnaître dans les nobles de leur pays des enfants de la terre natale;
ils ne les ont point haïs de cette haine violente que l'on portait ailleurs
I
Armoriai breton, p. 43.
'
Augustin Thierry, t. III, p. 80. Cf. Michelet, Bisl. de France, t. 11, p. 19 et 20.
21
XLV
L'ORPHELINE DE LANNION
— DIALECTE DE TRÊGUIER
ARGUMENT
« Il y a trois sortes do personnes, dit un ancien proverbe breton, qui
n'arriveront point au pai^adis, tout droit, par le grand chemin; c'est à
savoir les tailleurs [sauf votre respect), dont il faut neuf pour faire un
:
lionime, qui passent leurs joui-nées assis, et qui ont les mains blanches,
les sorciers, qui jettent des sorts, soufflent le mauvais vent, et ont fait
liacte avec le diable; les maltôtiers (les percepteurs des contributions),
<|ni ressemblent aux mouches aveugles, lesquelles sucent le sang des
bêtes. »
Le maltôtier est d'ordinaire querelleur, bavard, bel esprit, beau par-
leur; il est même facétieux, et assaisonne volontiers de gros sel ses vexa-
resta confondu.
Mais toutes les histoires de maltôtiers ne sont pas aussi comiques; il
»11 est d'affreuses. En voici une que j'ai entendu chanter à des laveuses
EMZIVADEZ LANNIOÎN
— I ES TREG EB —
El- bloavez-iiiu mil c'Iiouec'h liant pevar-uj;cnt-liizek,
Er gerig a Lannion zo eur gvallciu- c'Iiouaivet;
L'ORPHELINE DE LANNION. 7,iTj
Quand je serais cent fois plus Ijelle; oui, cent fois plus
belle encore; je ne serais pour vous, messieurs, je ne semis
ni mieux ni pire.
— Je ne suis point de ces filles que l'on voit par les rues des
sang. —
NOTES
L'auberge où servait la pauvre fille se nommait l'hôtellerie du Pélican
blanc. Elle était orpheline; sa maîtresse lui tenait lieu de mère; son
frère était vicaire dans la ville. Ce fut lui qui conduisit le cortège
funèbre; toute la ville de Lannion assisiait à l'enterrement des jeunes :
MORT DE PONTCALEG
— DIALECTE DE CORNOUAILLE —
ARGUMENT
Les de ces hommes qui au seizième siècle prirent les armes pour
fils
pris et traités avec le plus dur mépris des formes judiciaires; le Régent,
désespérant d'obtenir un arrêt de mort de leurs juges naturels, les livra
à une cour martiale un étranger, un Savoyard, la présidait. Mais le
;
— Toi qui Tas trahi, sois maudit ! sois maudit! Toi qui l'as
Mais non pas les bourgeois qui sont tous du parti fran-
çais ;
MARO PONTKALEK
1 .\balamour aneo oa deuet;
l'ont trouvée! —
II
est vêtu?
I
Le Rét,ent avait fait venir des dragons des Cévennes.
MORT DE PONTCALEC. 329
braies de toile;
recteur de Lignol.
m
— Seigneur marquis, fuyez! fuyez! voici les dragons qu
arrivent !
Glaz lie jak, ha gwenn he jupeun; Ne rirap ket zo-ken perap gwenneli,
Bodrou-ler, ha bragou lien; Ha te rei d'omp kaoui Pùiilkalek.
Eunn tokik plouz neudennet-ru; — Dragoned ker, tnn bun Doue !
Je ne puis croire que l'usage soit venu que les dragons por-
tent la main sur les marquis !
—
Il n'avait pas fini de parler, qu'ils avaient envahi la salle.
Lbontl
Tre-barzar zal ho deuz lamiuct.
A-dreuz parrez Lignol pa ce,
Hag hen da beg'nn lie bislolenn :
Ar gouer paour a lavare :
— Keb a dosi ouz-in 'n defo 'nii tenu Laret a ree al Lignoliz :
Dur eût été le cœur qui ne se fût pas ému ; les dragons
eux-mêmes pleuraient;
Condamné, non pas par ses pairs, mais par des gens tom-
bés de derrière les carrosses ^
Ils demandèrent à Pontcalec : — Seigneur marquis, qu'a-
vez-vous fait?
IV
prône. —
Comme il montait en chaire, on lui remit une lettre dans
son livre :
NOTES
Les traditions d'honneur, nous en avons ici la preuve, se transmettent
de père en fils Pontcalec descendait en ligne directe de ce fier Jean
:
mon chapeau? —
Hé! qu'avons-nous besoin de chapeaux? répondit
M. de Pontcalec, on nous ôtera bientôt le moule des chapeaux » En !
injustice » La seule plainte qu'il proféra lui fut arrachée par le sen-
!
damner à mort sans qu'ils aient jamais tiré l'épée contre l'État voilà I
donc cette Chambre royale qu'on disait agir avec tant de douceur Quelle !
douceur! On disait que II. de Montlouis avait sa grâce; pourquoi donc lui
lier les mains comme à nous? » L'exécuteur, en arrivant à lui, fut si
ému, qu'il crut devoir « lui adresser une espèce de compliment ou d'ex-
cuse.» M. de Pontcalec lui dit « J'irai tranquillement à l'écliafaiid sans
:
iMalloz d'id-'la !
Doue, ho pet out-han truLz!
Traitour! ah 1
pour moi! » J'en vis plusieurs ôler leurs chupemix cl ii']i(iii(lro en si>
mettant à genoux « Oui, nous le ferons. » Comme je descendais de
:
de bon co^ur à tous ceux qui me font mourir, m Puis il ajouta en sou-
riant : «Voilà un compliment bien triste En penchant la lête sur le
))
haute voix Jesiis, Maria. Ses dernières paroles furent celle-ci « Mon :
LE COMBAT DE SAINT-CAST
,LECTE DE CORNOUAILLE —
.\UGUMENT
Au mois de septembre 1758, les Anglais firent une descente à Saint-
Cast, au nord de la Bretagne. Cette expédition se liait à un vaste plan
dont l'objet principal était d'assurer à l'Angleterre la navigation de la
Manche, et d'opérer une diversion en faveur des armées d'Allemagne,
ses alliées, en alarmant la France et en l'obligeant à employer des troupes
considérables à la défense de ses côtes. La défaite du général Bligh et
des huit mille hommes qu'il commandait, dont trois mille furent tués ou
pris par le général Morel d'Aubigny, de la noble famille normande de
ce nom, fit abandonner le système d'invasion*.
Le combat de Saint-Gast donna lieu à un événement peut-être unique
dans les annales de la guerre. «Une compagnie de bas Bretons des envi-
rons de Tréguier et de Saint-Pol-de-Léon, dit le petit-fils d'un témoin
oculaii'e'-, marchait pour combattre un détachement de montagnards
gallois de l'armée anglaise, qui s'avançait à quelque distance du lieu du
combat en chantant un air national, quand tout à coup les Bretons de
l'armée française s'arrêtèrent stupéfaits cet air était un de ceux qui
:
Les Bretons et les Anglais sont voisins, mais n'en sont pas
moins ennemis ; ils ont été mis au monde pour se combaltre
à tout jamais.
Comn '"
je dormais, l'autre nuit, un son détrompe retentit,
retentit dans le bois de la Salle : « Saxons ! Saxons ! maudits
Saxons ! »
EMGANiN SANT-KAST
I ES K ERN E
cœur.
lète haute, pas plus ému par les boulets que s'ils eussent été
des bouchons.
II
Ileiz
'.'"'." he
"" ""'""' huel he benn,
galon, """''"' ""'"'t
"
^"^ ma km
... « l^vgl „,3 viipril
„ l'.vp viient kud nnnri •
«< lies; à Guidel, ils sont enterrés, comme ils l'ont été à Ca-
< niarel.
fuyons, soldats! —
Et les Anglais de s'enfuir au plus vite vers leurs vaisseaux;,
mais il n'en échappa que trois.
111
NOTES
Si l'on eu croyait le poëte populaire, ce seraient les Bretons d'Armo-
rique qui auraient marché au combat en chantant, et l'air ainsi que les
paroles de leur chant qui auraient fait tomber les armes des inains de
leurs frères les Gallois. On choisira entre la tradition recueillie par M. de
Saint-Pern et celle de l'auteur breton. Mais ce qu'il y a de très-remar-
quable, c'est que l'air du Combat de Saint-Cast est populaire à la fois en
Brcing-iie et dans le pays de Galles'. Les anciennes défaites des Anglais,
dont le souvenir est rappelé par le poëte, se rapportent aux années 148C,
1694 et 1746. Il paraîtrait, d'après lui, que les ofliciers anglais de la com-
pagnie des archers gallois auraient attribué à la trahison, et non au patrio-
tisnie réveillé par l'identité de langage et d'airs nationaux, le refus de
marcher de leurs soldats. Faut-il croire que celte détermination décida
les ennemis à fuir? Cela n'est guère probable; mais l'armée française et
la marée montante concoururent bien certainement à les empêcher de
regagner leurs vaisseaux, et la plupart furent faits prisonniers. On ne
dit pas si lesCambriens lurent du nombre; dans cette hypothèse, leurs
frères d'Armorii|ue auront certainement adouci leur captivité les Gallois :
devaient eux-mêmes, trenle-cinq ans plus tard, adoucir celle des Bretons
prisonniers des Anglais.
Il y a plusieurs versions du Combat de Saint-Cast : l'une d'elles m'a
' Cet ,iir esl le même que celui du Siège de Guingamp. \oyei les Mélodies originales la fin
de ce volume.
XL VI II
lANNIK SKOLAN
AliGUMEÎNT
ûe Innnik Skolan se divise en rJeuv paiiio^: cImiis l'une. le
l.liisluire
1 lianicur poiiulaiie nous apprend commenl son liéiïjs lui. iiendu )
our
avoir assassiné une jeune liMe, sa cousine, nommée Moiiset; dansl'aulrc.
il nous le montre venant, après sa mort, demander Ja merri de l'àmc
LE ClllMK
lAMNIK SKOLAN
I
AR GWALL-DAOL
I
.\erneit enn oac'h peur e zoii klan;
j
I
Ha mar bad re biU he glenued,
Tro mare e sarre enn de, Dao vo d'eing mont de glask me boed.,
Teue enn drufereh du-ini'. Tapet ur skabel, korn enn ti,
Pe za enn drufcrcli enn ti,
Me c'homer, euil azei;
Doc'li enn holl del'e joloii :
Azeet anze, me c'homer,
— Doue d'ho pennigai enn ti-me, Ha kontet d'i-men eunn dra gaer.
Chili, grouegeh. ha c'hui, bubale — Traeu gaer awalc'h e zou digoiinl.
Dent on eiir werh hoah de vule ;
Me zonj, me t'homor, peuz kleuel,
Mad er bed gen hoc'h iro-zienie' Ne peuz ket kL'uct, me chômer,
— AUaz! me c'honier, ne c'IiuiUi] Pez zou (lisouet endro d'cr i;tT? —
342 CHANTS POPULAIRES DE LA BP.ETAGî^E.
I
Ne doa goelet meid cur wec'h 'nei
^ou bel tapel zou bel kroupet, Gwelet lii daon mont ged er blei ;
Krougct berr ar daclien Gwenned;
Nemeid eur wec'h ne doa goelet;
Torfedeu 'walc'h en defa groet.
Setudioii bremen e deuz groet;
— Mi; c'Iininei-, ne gicvon netra, Goelet e doa ha groet eur zon
N'iiallon kel mont mez enn ti-ma, E ve kanet dre er c'hanlon :
N'iiallon
Ged pridiri
mont neblec'h de vale,
me bugale
— «Kaon! kaon'- d'ara daonik gweno-
[gornik!
— Torfedeu 'walc'h en defa groel, Kaon kaon! d'am daonik penn-gwennik
! !
Diljoe eoe deul ar er bed Kaon siouab kaon, kaon d'am danvad,
! ! !
més.
III
lannik Skolan oe tont d'er ger, 11 i zad d'er ger ne oe ket bel,
une fille de Dieu, elle n'a pas voulu perdre sou Ame. —
IV
LA MERCI DE L'AME
— DfALECTE DE TRÉGUIER —
(le lias hi dougeii d'er pec'licd, Diverc lii goed doc'li er c'Iiarr,
Ha pcdal n'en deuz ket frallet; Tiid koll ha ieuang e oeleiii;
lli a oe ur diged Doue,
plac'li Ili zad, arlec'h, e hirvoudein.
l'ellc ket d'ci koll tii enc. Mar peiiz c'hoant de wert Morised,
Ar lieiit braz Melrand lii c'iiefet;
IV Sauct zou bet iir gruez tieue,
K Kas Morisetik d'enn doar, Lec'li e deuz kollet lii hulie.
lia c'houl Iruc d'snn onoo, — Noz vad ha joa, tud ann ti-man,
Da c'houl pardon d'ar bec'lie^jo. Ilag ed eur da gousket enn lian?
lAiNNIK SKOLAN. 345
Tons VOUS êtes ici couchés, il n'est resté que moi, moi seul
je suis resté ici, pour attiser le leu.
— Et par oîi êtes- vous entré? J'avais fermé mes portes ; mes
portes, je les avais fermées à clef, et mes fenêtres au verrou.
— Si vous aviez fermé vos portes à clef, je sais les ouvrir
minuit.
—-Calmez-vous, ma mère, n'ayez pas peur; c'est moi le
fils que vous avez mis au monde, qui >ma venu encore une
fois pour vous voir : j'ai perdu la bénédiction de ma mère.
— Je doute que celui-ci soit mon iils; je l'avais mis dans
un linceul blanc ; et le voilà qui vient vêtu de noir me voir;
serait-il donc en peine?
Ton cheval est noir, tu es tout noir toi-même ; son crin est
si rude, qu'il piquerait; je sens une odeur de cornes brûlées;
j'ai maudit mon fils Skolan.
— Je suis venu ici sur le cheval du diable ;
je m'en vais
avec lui en enfer; je m'en vais brûler en enfer, si vous ne
consentez à me pardonner.
que tu m'as faite : tu as mis le feu dans sept tas de blé, brûlé
sept églises et sept prêtres !
Va mamm, lio pei ouz in irue! Hogen. pa'm euz true Doue,
Penoz oufenn az pardonin? Va mamm, ho pet ouz in true
Braz eo ann droug a l'cuz giet d'in: — Penoz oufenn az pardonin?
Laket ann tan e ieiz linn cd, Braz eo ann drouj; a t'euz gret d'in:
Seiz iliz, seiz belek devet 1 Kollet l'eu? d'in v.i leor bilian.
M;i barz .ir mor tregont gourcd, Eiinn dra bennag e larfez d,'in
Kiir pesk alaouret d'he viret. Deineuz ar pez a l'euz gwelet
.Wniz crruel droug el)et gant-han Aboe m'oud eet diwar ar bed.
'Mot gant teir fcillen .inean; — Va marnm, va mamm, ma em c'hre-
l'nan die zour, un ail dre wad, Koiio d'ar gwener na refec'h ket; [det,
Uii-all dre zaero 'm daou-lagad. — ISeli verv lijo d'ar gwener,
a
Et parmi les charbons, elle vit des gouttes de sang qu'il avait
répandues avec ses larmes sur les cendres et sur le feu qu'elles
avaient éteint.
— Je sens une odeur de thym et d(! laurier : j'ai béni mon
fils Skolan. Son cheval est tout blanc, ilesttoutblanclui-mênie;
la crinière de sa monture est aussi brillante que le soleil.
NOTES
Autant première partie de l'histoire
était simple, précise et claire la
de laiinik Skolan, autant cette seconde partie est fantastique, vague et
obscure. Nous n'osons même nous flatter d'en avoir saibi tous les traits.
Nous ne devinons pas à quoi peuvent faire allusion ce petit livre qui a
été jeté dans la mer, celte buée du vendredi, ce coq enlevé à la poule,
et ce rouge-gorge. Nous savons seulement qu'im livre, surtout certain
livre, est, pour une famille de paysans bretons, un objet du plus
grand prix; qu'il faut, disent-ils, éviter de se souiller le vendredi, qui
est un jour par aucune action impure; enfin, que le coq a toujours
saint,
été pour eux le symbole de la vigilance. Il était l'oiseau du Mercure
gaulois il est maintenant l'oiseiiu de saint l'ierie, comme Jean le Rouge-
;
« Ton cheval est noir, noire est ta cape, la tète est noire, lu es tout
— Su dy varch, du dy capan
Du dy pen, du du hunan ;
ladu a e li Vscolan?
;
— Yscolan, yscoellieic,
Jli
Vsc-Hwiri y puill, Iscodic ;
Guae ni i)aul a gaul Guledic.
— loski e^luys, a lludd luicn yscol
A. Ilyfi- rod i' voddi ;
CreaLir y creadureu,
l'oilidon muyal,
Kynau di iun vyn geu !
lExlrail du Livre noir de Coennarlheii, fol. 40. Cf, l'édiiion du ilijujritm. [,|i.
l. 131.)
XLIX
LE PARDON DE SAINT-FIACRE
DIALECTE DE CORNOUAILLE
ARGUMENT
Sur le devant de l'ossuaire du Faouet, pai-mi les petits reliquaires qu'or»
y voit rangés, il en est un plus vieux que les autres, blanchi par la pluie
et sans croix, sur lequel on lit ces mots, grossièrement gravés Ci-git a : i
PARDON SAINT-FIAKR
laissez votre fils venir faire un tour avec nous; laissez-le ve-
nir avec nous au pardon, s'il vous plaît; nous verrons offrir
Il
IH
Le vieux Maurice et sa femme pleuraient amèrement, cher-
cliant partout leur petit fils Louis.
— Taisez-vous, Maurice, ne pleurez pas, dans peu votre
enfant sera retrouvé. —
Quiconque eût été là eût eu le cœur navré, en voyant
Louis Rozaoulet couché sur le dos dans la prairie; en
voyant le pauvre enfant mort, ses cheveux blonds épars sur
ses yeux ;
III
Moris koz gad glac'liai-,
liag lie liiui a oele
Okas ho niab Locizik lec'h hennag war aun douar:
kaoïil
— Tevel, na oelet kct,
Moi-is liaoualel, level,
Benn eur pennadig amzer, ho mab a vo kavet, —
Keineiil vije bel eiio dije het kalonail,
welet Loeiz Raoualcl war he gi'in kreiz ar prad,
welet ar bugol paour maro, c-liarz ar praii,
Di^pakeL lie vleo melon e kreiz lin zaoïi lagad;
Kcment vije bel eno dije bel kalonad,
welel ar liugel paour, war lie gein barz ar prad.
N'oa eno na lad n.i niamm, na knr na mignon-bed,
llag a zeuje d'bc zevel, 'met person Langonel.
NOTES
La tradition, dont nous allons reprendre le fil, ajoute que le vieux Mau-
l'ice, ne voyant pas reparaître son fils, le soir du pardon, passa la nuit
dans une grande angoisse. De temps en temps, il croyait entendre frap-
per à la porte, et se levait sur son séant pour écouter; mais son fils ne
revenait pas. Il dit à sa femme « Marie, dès (|ue le jour viendra, je
:
nietti ni le bât sur le cheval, j'emmènerai avec moi le cliien, et j'irai voir
ce (jnest devenu Loéizik. J'ai grand'peur qu'il ne lui soit arrivé
malheur »!
« Soyez en repos, mon hôte; avant que la nuit soit close, ma rnule
sera à ma porte. »
LA CHANSON DU PILOTE
— DIALECTE DE LA HAUTE CORNOUftIULE —
ARGUMENT
On quel enthousiasme excita en France la guerre d'Amérique; il
sait
ne fut pas moins vif en Bretagne. Le sort de trois millions d'hommes que
l'Angleterre, leur patrie adoplive, traiiait comme des esclaves, toucJia les
populations bretonnes. Toutes les classes de la société voulurent prendre
part à l'expédition destinée à la délivrance des Américains; aucune ;'i
époque on ne vit le pays ineltre sur pied un phis grand nombre d'auxi-
liaires et de volontaires. Le premier combat lut livré, au mois de jan-
vier 1780, à la hauteur de l'île dOuessant, entre la frégate française
la Surveillante, armée par un équipage breton, capitaine du Couëdic de
Kergoaler, et la frégate anglaise le Québec, capitaine Farmer; il dura
«luatre heures et demie.
« A peine les Bretons avaient mis le pied sur la frégate anglaise, dit
KÂNAOUEN AL LEVIEK
— lES KERNE-HUEL —
Da Zaniez Anna,
Da Zantez Anna e m'onn
Da Zaïilpz Anna,
lalk war vor e ma red mouel. «, »
ia Anna
Ann
,
ISeb la
Da Zantez Anna, ^'anlioua
LA CIIÂÎJSON DU PILOTE. 351
la belle frégate.
— A Sainte-Anne, etc.
rible ;
Hag hen frétât gantl koeor melen, Eul jestr zoz a zo erruet,
Splannoc'h hag aour pc argant gwenn. Eur gwall-vordad d'eoinp n'euz striiikel ,
Kt-n drant evid eunn deme/al Al lestr gant han eur banniel ru,
liag a ia da ober eur bal. lia e'houezek kunol a-bep tu"
— Mon petit timon, fais bien ton devoir, ne sois point re-
belle au timonier.
Les flancs des deux navires suent ; la mer bout tout autour.
mer.
11 y a plus de poulies sur le pont que de glands dans les
timon ;
.Na elian taram oe'h ober mad, Klevez ked ar Soz o laret:
r.vil.-h;iii fia redeg lie wad. — Ho zinel ho deuz diskennet.
Ile wad boulado
a red a ! — Dibkenn! diskenn ! oli! na rina ke
Kergoualer zo eiinn den mar zo! Keit a vo goad eni wazied !
—
War n'ehan den e-bed,
al lestr Er Mang a glev, ha' ma pignet
i:vid-omp boll bout gwall-diet. War ar wein-volosk, enn eui- red;
l'iet omp lioll nemed unan : Kreiz ar bolodou, sonn he benn,
hanvanii ked cr zonen-man. "-"' '
-N'Iier \ zisplegaz eur rnouchouer gwenn.
'
l'cmh troalad dour e don ar c'hal, Oli! nin'hon euz ked diskennet;
l'ijinb troatad dour, goad kenient-all: Sevel ar sinel bon euz gret.
— Kabitan ker, deuz, deuz ha sell! Ar Breton na ziskenn ncpred;
l'roc'het ann di'is; kouel ar sinell lannig-ar-Soz ne larann ked
360 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE.
de Dieu!
NOTES
« Dans cette pièce, qui est vraiment belle, a dit un critique français, et
dont quelques strophes rappellent un chant justement célèbre, le Combat
de la frégate la Sérieuse, par Alfred de Vigny, on est heureux de trouver
le vieux patriotisme breton complètement rallié au sentiment de la
grande unité française. »
Kergoaler mourut à Brest, le 17 janvier 1780, des suites de ses bles-
sures. Les états de Bretagne lui firent élever un monument, et son nom
fut cité avec éloge dans l'oraison funèbre dos officiers, soldats et matelots
bretons, prononcée solennellement devant les états assemblés. Ce que dit
le poëte populaire relativement au brave timonier le Mang, né à Kervi-
gnac, près d'IIennebont, est parfaitement exact. Voici comment l'abbé de
Boisbilly, qui prononça l'oraison funèbre, raconte l'événement :
a Les bornes que vous m'avez tracées, messieurs, m'interdisent ici les
détails; elles m'imposent le même silence sur ceux de nos compatriotes
qui, témoins de la mort des héros et compagnons de leurs dangers, par-
tagent ici avec eux les honneurs mêmes qu'ils leur rendent. Vos regards
réunis préviennent mes pensées, et dérogent pour moi à la loi rigourcnse
qui me défend de les exprimer. Si je pouvais moi-même y déi'oger.
combien aurais-je à vous rappeler, dans tous les grades militaires, de
noms qui vous sont chers? Je vous indiquerais des noms trop peu connus
et bien dignes de l'être; je vous rappellerais surtout les honneurs accor-
dés par le souverain à un homme qui semblait né pour obéir, et que son
intrépidité a montré digne de commander. Il voit le pavillon abattu par
les coups de l'ennemi; il le relève, le soutient seul, malgré tous les dan-
gers, et, dans un vaisseau où il occupait le dernier rang, devient la co-
lonne de l'honneur. »
ilû passer du pays de Vannes en Cornouaille, m'a été apprise par un vieux
teau, illa jeta aux pieds des conventionnels. « Quant à Vhotmeur, il m'ap-
l'uriient, personne ne me l'enlèvera! » En prononçant ces mois, il sortit,
laissant le Comité stupéfait de la sublime audace de son action.
Le Jlang est mort vice-amiral sous un gouvernement plus soucieux de,
lécompenser le mérite que n'était le régime odieux et jiiloux de la Ter-
veiu-.
LES LABOUREURS
DIALECTE DE
ARGUMENT
La des paysans bretons, qui nous intéressent spécinli^monl ici, se
claf^so
divise en luuvi-ts, fermiers, domaniers et propriétaires. Le pnuvrc (nous
en avons déjà parlé) n'est point, en Bretagne, le lebut de la société il est ;
aimé, estimé, honoré de tous. On sait que ses haillons peuvent se changer
un jour en vêtements de gloiro. Il h.iliite une cabane couverte eu genêts;
il n'a qu'un verger ou courtil. dans kciuel croit le chanvre dont il s'ha-
bille et l'herbe dont se nourrit sa vuclie, qui partage avec lui son toit;
il mendie, devenu vieux, et travaille lorsqu'il est jeuue. Le tcrniier, comuir
l'usufruit, mais non pas la pi'0jiii(''li'>; les édifices seuls lui appartiennent,
et lui peuvent être rembours--^ |i:ir inu^i''uient. Quelquefois il achète son
domaine, quil ne croit jamais jiaycr inip cher, si c'est le lieu de sa nais-
sance, et il entre dans la classe des propriétaires, classe peu nombreuse,
plus indépendante, et qui forme, dans la chaîne sociale, l'anneau qui lie
le paysan au bourgeois.
Il est triste de songer qu'à une époque où l'on parle tant d'améliorer
le sort du peuple, on ait encore si peu fait dans l'intérêt des classes
pauvres des campagnes bretonnes; elles sont peu à craindre, il est vrai,
car elles sont chrétiennes, et, tandis qu'ailleurs le paysan incrédule mau-
dit la terre qu'il travaille et le maître qu'il faut paver, agriculteur
1
AL LABOLREIUEN
payer son maître, si l'argent n'est pas [uêt, on fait bon marché
de son bien ; ici le chagrin !
Telle est notre vie, hélas ! notre très-dure vie; notre sort est
misérable, notre étoile funeste, notre état bien pénible; repos
ni jour ni nuit! mais prenons-le en patience pour mériter le
paradis.
Puis, quand il ne reste plus de sa cabane que les quatre murs, il va men-
dier de porte en porte, en chantant parfois lui-même son malheur, quelque
argent pour la rebâtir. Celle résignation le suit jusqu'au lit de mort; il
juitfe sans regret une vie misérable qu'il a prise eu patience pour mé-
riter le ciel.
LU
LE PRÊTRE EXILÉ
— DIALECTE DE VANNES —
AIICUMENT
C'est une sorte de royauté que le sacerdoce en Brelopno; on dirnii
que les descendants des Celtes ont conservé aux préires ca;lioliqur>
la vénération que leurs pères avaient pour les druides. Mais, à ii^ scnli-
celui-ci leur dévoue sa vie et reporte sur eux la leiehes^c <pi il cùi
vouée à desenl'ants selon la chair. Cet altachement rnuiuel éclata surloui
pendant la révolution. Nous allons tout à l'heure cnlendie les paysan^
liretons nous dire qu'ils « se sont levés pour défendrcleur pays et Iruts
prêtres; » écoutons d'abord le prêtre lui-même.
Parmi les ecclésiastiques bretons que le relus de serment à une consti-
tution qui était un attentat à la liberté de conscience, jeta sur les côtes
d'.\ng-leterre, d'Espagne ou de Portugal, se trouvait l'abbé iSoui'ri, i-ecteui'
de la paroisse de Bignan, dans l'évêché de Vannes; il composa, sur sou
exil et les malheurs de son pays, une élégie louchante qu'il adressa à ses
paroissiens. Son chant n'est point, il est vrai, tout à fait conçu dans la
forme ordinaire des poésies populaires; mais, comme il jouit d'une
extrême popularité, je ne puis l'exclure de ce recueil.
II m'a été chanté par une vieille femme de Bignan.
24
370 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE.
mon Dieu ! vous êtes irrité par nos péchés ; c'est nous qui
sommes les auteurs de tous les maux qui nous accablent.
Quand nous vous sommes fidèles, vous nous êtes fidèle; nous
nous sommes éloignés de vous, vous vous éloignez de nous.
NOTES
Le joui'où le i^ecteur de Bignan reparut dans son bourg fut pour le
pays un jour de Icle. Les cloches que l'on avait sauvées de la fonte furent
mises en branle; on accourait du plus loin qu'on apprenait la nouvelle.
Chacun le voulait voir, toucher sa soutane, lui baiser les mains; on
s'agenouillait sur son passage, on lui demandait sa bénédiction, comme
â un évêque. Le bon recteur, attendri jusqu'aux larmes, s'avançait suivi
de la foule; son front était pâle, ses joues amaigries, ses cheveux avaient
blanclii dans l'exil. On eût dit un de ces premiers prêtres chrétiens sor-
tant des catacombes.
Le lendemain, il chanta la messe. L'église avait été dépavée, les saints
décapités; les murs étaient revêtus d'un enduit verdàtre et le sol couvert
de débris, mais tous les fronts étaient joyeux. Tandis que le prêtre ofli-
ciait, le vent venait par les vitraux brisés agiter sa chevelure blanche; il
portail de vieux ornements, mais il avait le iront rayonnant comme ses
paroissiens. Ceux-ci revoyaient leur père et leur consolateur; il retrou-
vait son Dieu, sa patrie, ses enfants.
Mgr Le Joubioux, dont les poésies bretonnes sont aujourd'hui l'hon-
neur du dialecte vannetais, a consacré une intéressante notice à la mé-
moire du saint recteur; il termine par cette pathétique apostrophe aux
duquel il emprunte avec bonheur
Iiaroissiens de l'abbé Nourri, à l'élégie
une citation :
LES BLEUS
DIALECTE DE CORNOUAILLE—
\UGl'JIEIS'T
Les Bretons, dont royauté absolue avait opprimé les pères, clans sa
la
heurs et les espérances du peuple. Elle fit des héros de ces paysans que
les conventionnels traitaient d'animaux à face humaine, qu'ils ordon-
naient de traquer et de tuer comme des bêtes fauves, ou d'échanger con-
tre leurs bœufs, et qui les jetaient dans la stupeur par des paroles telles
que celles-ci « Guillotinez-nous donc bien vite pour que nous ressusci-
:
Ils ont incendié les maisons des pauvres; ils ont démoli
les manoirs; ils ont brûlé les blés, brûlé les foins, dans les
champs et dans les prairies.
Ils ont volé nos bœufs et nos vaches et nos génisses, hélas!
et ils les ont conduits pêle-mêle, avec les propriétaires, dans
les grandes villes, au boucher.
AR RE CnLAZ
— «ES KERN E —
Ar chas a glevann oc'h harzal! setu ar zoudarded C'hall !
Ils ont volé jusqu'aux vases sacrés des églises, abattu jus-
qu'à nos clochers, détruit jusqu'à nos ossuaires, et dispersé les
reliques.
La guillotine.
576 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE.
Adieu! Jésus et Marie; vos statues ont été brisées; elles ont
servi aux Bleus à paver les rues des villes.
drait. »
fois.
Je n'ai pas peur des balles : elles ne tueront pas mon âme;
si mon corps tombe sur la terre, mon âme s'élèvera au ciel.
Vive qui aime son pays! vive le jeune fils du roi! et que les
Vie pour vie! amis, tuer ou être tué; il a fallu que Dieu
mourût pour qu'il vainquît le monde.
Viens te mettre à notre tête, Tinténiac, vrai Breton d'à tout
jamais ; toi qui n'as jamais détourné la face devant la gueule
du canon.
Venez vous mettre à notre tète, gentilshommes, sang royal
du pays ; et Dieu sera glorifié par tous les chrétiens du monde.
NOTES
On attribue généralement cette pièce à un jeune montagnard appelé
Guillou Arvern, de Kervlézek, près Gourin, que la persécution força de
renoncer à l'état ecclésiastique, et jeta dans les rangs des défenseurs
armés de la liberté relig-ieuse et nationale. 11 est l'auteur des meilleurs
chants qu'on ait pour soutenir le courage de son parti, et ses vers,
faits
qu'il chantait lui-même en allant se battre, sont dignes des vieux bardes
guerriers de la Bretagne, dont il était l'imitateur et le représentant
moderne.
leurs lits et venir se mettre aux fenêtres pour l'écouter. Sa voix était
magnifique et sa mémoire imperturbable; il savait par cœur une foule
de chansons sur les combats livrés autrefois dans le pays, et l'on m'a
dit souvent « Ah! si Guillou Arvern vivait encore, il vous chanterait
:
LES CHOUANS
DIALECTE DU BAS VANNES —
ARGUMENT
La Bretagne, obéissant aux plus nobles instincts du cœur de l'homme,
l'amour de l'autel et du foyer, avait cent mille hommes sous les armes,
ot, suivant ses vieilles hermines nationales couchées parmi les fleurs de
lis de France, elle commençait cette guerre que Kapoléon a nommé la
leur général qui tomba mort dans les bras de Julien Cadoudal *. a
APt CHOUANTED
Julien Cudoudu
LES CHOUANS. 383
NOTES
Le beau chant qu'on vient de lire, par un hasard assez extraordinaire,
ne dit pas un mot de Georges, et ne consacre que deux couplets à la mort
de Tinténiac. Cependant la victoire des Blancs était l'œuvre du premier,,
qui, ayant fait porter rapidement une colonne sur les derrières de l'ar-
mée républicaine, y jeia le désordre et la mit en fuite*. D'un autre côté,
les détails de la mort de Tinténiac, frappé d'une balle en pleine poitrine,
au moment où il s'élançait sur un Bleu qui le couchait en joue^, étaient
poétiques, importanis, de nature à inspirer le poëte populaire, et il
semble étonnant qu'il les ait oubliés. Julien Cadoudal, le héros de la
pièce, l'est, au reste, lui-même en cette circonstance; car, si l'auteur
évêchés.
Le critique bienveillant et distingué qui a le mieux jugé ce recueil,
sous tous les rapports, le regrettable M. Cli. Magnin, a vu avec un sen-
timent pénihle l'éditeur y donner place à des poésies relatives à la
révolution. Après avoir bien voulu dire, avec trop d'indulgence « La :
première chose qui nous paraît mériter l'éloge dans le romancero breton
c'est le goût délicat de l'éditeur et sa judicieuse discrétion, » il ajoute,
un peu séi^rement peut-être « Nous ne voudrions rien retrancher du
:
* Notice, p. 25.
« Journal dis Savants, mai )847, p. 2G0.
LV
UNE bonne;leçon
— DIALECTE DE Lft HAUTE CO R N O U A I L L E -^
ARGUMENT
La pièce qu'on va lire est l'œuvre du paysan poëte dont j'ai parlé dans
l'introduction de ce recueil. Srlon la coutume des chanteurs rustiques,
il a décrit révénemenl qu'il cliantc avec la plus riffoureuse exactitude.
25
386 CHANTS POPULAIRES DE LA BP.ETAGKE.
—
Feu et flamme! j'ai passé cette nuit où Dieu l'a voulu
pour mon bit n?
Et un aulre lui disait : — Vous êtes un peu ivre, lann!
l'ancz Nizoi"., iro Kedoluk, — r.iit ein Piiz evet eur pnudaJ ;
— 1:11111 Mm-, k, \.Acii o.'li -hu liet, Ilag en deuz gronl vad d'am c'habn! —
Pa zig(jiir..l Ken .liv. cl? M'oc'li 'oni knit, a lare Loeiz-kam,
Pelec'li nc.'li-hii lict ciiii nouz-me, M'oc'h 'ont kuit, lann baour, iaouaiik-
Da fvo s.i;li' düu-, ciui yiz-zc? [flamml —
UiNE BOIN'NE LEÇON. 587
(erre.
Il
aller. —
Quatre semaines s'étaient écoulées, et il n'était pas encore
de retour chez lui ;
lann Marek n'avait pas reparu chez lui, quand arriva le jour
de Noël.
année. —
Kafr en tlefa sevel lie var, Da Gemper, pe Irezok Aljrr,
Stolie lie benn gaj anii douar. lien lare 'n defa c'hoaiit d'obcr. —
— Petia rinn ken da jomm ama? Pider zun a oa treri enet,
lAIe ia da gla^k eunn tamm bara. — Ne oa kcl c'iioaz er ger digouct;
lia;; e lare, benn gad ann heni, Oa kel bel er gcr lann Marek;
'Vont d'er ger lare tre he zeiil :
Ken a zonez de Aedelc k.
— Ar sistr dous-ze a oa ker mad !
De Nedelek, d'ann abcrde,
M cm befe evet dek poudad !
Tenez d'ann li poln.'il ^aiil-Vode.
— lec'lied-niad d'imc'li, linl aii;i ij-i
Il l'euz lion da wer/o dn-nia?
— Ne kpt (ligoucl ho tad er ger? — Neuz lamm niui ila \V( rzo ama;
— Ne kct di^nuel; oel da Gempcr; Gwerzet ma but er bldvc;-iiia. —
588 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE.
chées de sang.
lîl
Ses deux mains jointes sur sa tête; ses cheveux blancs épars
sur ses yeux.
Toucz ann erc'h e oa lann Marek, Bel oant d'he ziwal hed ann nouz :
Hag lien kouel eno war he vek; lia maer Kizon d'ann antronouz;
Nemed he dal n'en doa damant,. lieb son kleier na belck 'bed,
Abalamour d'ar vaiiiaat. Hag heb kroaz na dour bennigel;
Tan oa bel er c'hoad pad ann nouz; Hag hen tolez barz ann toull ien,
Ena he gicheu he c'hroegik kouz, He dok gat-han klok war he bena.
590 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGISE.
NOTES
Après avoir étudié dans celte rude ballade la manière dont composent
les poêles populaires bretons, il sera curieux de rechercher un jour
quelles altérations aura subies et quels développemenis aura éprouvés
/œuvre du chanteur, en passant de bouche en bouche. Déjà l'histoire
du malheureux ivrogne est enveloppée de nuages merveilleux. Sa femme
l'aenlendu gémir, au milieu d'une nuit d'orage, à la porte de sa chau-
mière. Une jeune fille en revenant le soir, avec sa vache, l'a vu à tra-
vers le feuillage, assis sur l'herbe, te dos tourné; de temps en temps, il
joignait ses i.eux mains sur sa tête, comme un homme au désespoir, et
s'écriait d'une voix déchirante « Mon Dieu! mon Dieu! ayez pitié de
:
ARGUMENT
Un poétique et gracieux usage existe sur la limite de la Cornouaille et
<lu pays de Vannes on sème de fleurs la couche des jeunes filles qui
:
Mais qui l'aurait vue siu' son lit eût pleuré de pitié pour
elle,
BLEÜNIOÜ MAE
II
la vie.
m
Jeffik, Jeffik, vous ne savez pas ce que le rossignol a dit
« Voilà le mois de mai qui passe, et les fleurs des haies avec
lui. ))
Quand la pauvre fille entendit cela, elle mit ses deux mains
en croix :
NOTES
Les Bretons Gallois du midi ont conservé, comme ceux de quelques
cantons de la basse Bretagne, l'usage de semer de fleurs le lit des
jeunes filles qui meurent dans le mois de mai cet usage doit donc ;
fidèle, parlumer ta tombe dos plus belles fleurs de l'été la fleur qui res-
:
LE TEMPS PASSÉ
—DIALECTE DE CORNOUAILLE—
ARGUMENT
Les regrets que nourrissent encore les plus énergiques des Bretons
modernes, principalement parmi le peuple des montagnes, ne se tradui-
sent plus guère aujourd'hui qu'en rustiques effusions l'esprit national
;
qui portait les pères à la révolte ne fait plus insurger les lils, mais
il les maintient dans une sorte d'opposition contre le présent. Il ne s'est
pas encore allié chez les paysans, comme chez les Bretons des classes
supérieures, aux idées larges et élevées qu'ont partout éveillées les pro-
grès de la haute civilisation. Le flambeau de ces idées n'éclaire pas
encore d'un jour vrai, pour les montagnards, les ruines d'un passé
qu'ils apprécient moins bien que leurs compatriotes instruits, en les
aimant autant grâce aux bienfaits d'une instruction donnée avec intel-
:
sacrée qu'ils foulaient, ces tombes des aïeux morts le fer à la main, cette
nature triste et sublime parlait-elle au cœur des montagnards, ou leur
émotion venait-elle seulement de la conversai ion animée à laquelle ils
avaient pris part? Je ne sais, mais elle élait forte; et, comme toutes
les grandes passions des races primitives, elle se traduisit inslinctive-
ment en une de ces chansons de danse improvisée, véritables ballades,
malheureusement trop rares aujourd'hui.
Un maître meunier, qu'on me dit être le plus célèbre chanteur de noces
des montagnes, menait le branle et la chanson pour collaborateurs, il
;
PREMIER MEUiMER.
Bretons, faisons une chanson sur les hommes de la basse
Bretagne.
— Venez entendre, entendre, ô peuple; venez entendre
entendre chanter. —
Los hommes de la basse Bretagne ont fait un joli berceau,
un berceau finement travaillé;
Les larmes coulent, des larmes amères : celui qui est de-
dans est mort !
SECOND MEUKIER.
Dans le vieux temps on ne voyait pas se promener ici cer-
tains oiseaux ;
tabac.
courir,
PREMIER riLLAOUER.
On n'envoyait pas autrefois nos jeunes gens dans les pays
étrangers ;
PREMIER LABOUREUR.
En bas?e Bretagne, dans les manoirs, il y avait des hommes
de bien qui soulenaient le pays;
gnent du manoir ;
SECOND LABOUREUR.
L'année où ma mère devint veuve, fut pour ma mère un-e
mauvaise année.
mon chien. —
Le chien lui fit peur, elle sortit et s'en allait pleurant le
Elle ne voyait pas bien son chemin, tant elle avait de larmes
dans les yeux.
meilleurs maîtres.
TROISIÈME PILLAOUER.
Les pauvres seront toujours pauvres; ceux des villes les
mangeront toujours.
PREMIER MEUNIER.
Toujours! pourtant on avait dit : « La plus mauvaise terre
rapportera le meilleur blé *
;
terre mauvaise.
Evid ann dud mad d'ar beoiien. Ann amzer goz na deui ket mui;
TI.IDE PILLAOUER. Trubardet onip, siouaz d'e-omp-ui 1
Que des feuilles jaunes comme l'or, pour faire le lit des
pauvres gens.
Chers pauvres, consolez-vous, vous aurez un jour des lits
de plume;
Vous aurez, au lieu de lits de branches, des lits d'ivoire
dans l'autre monde.
SECOiND ME UNI EU.
Ce chant a été composé la veille de la fête de la Vierge,
après souper.
Il a été composé par douze hommes, dansant sur le tertre
de la chapelle :
Diuz bcg ar gwe na goue nelra, Savet eo bet gand daouzek den,
Nemcil ami di liou sec'b na ra; Ena eur zansal war ann dacbeii :
Nomed ann deliou !-Ri;'b na goue, Tri glask pillou, seiz had si'gal,
Da obcr k'c'h d'ar re nevc. lie vala Uour a ra 'nu daou ail.
Kenied ann deliou nielen aour, — Ha selu gret, selu gret, gwilibunan;
Da ober gwelu d'ann dud paour. lia setu grel, betu gret ar c'hau —
! n cm gont'ortet, peorien geiz,
NOTES
Ainsi chantaient les montagrnards, se tenant par la main, et décrivant
perpétuellement nn demi-cercle de gauclie à droite et de droite à gauche,
en élevant et baissant à la fois leurs bras en cadence, et sautant à la
ritournelle.
J'ai déjà fait observer dans l'iniroduction de ce recueil que la plupart
des chants populaires se composent de celte manière, en collaboration.
Une conversation a ému les esprits quelqu'un dit;
« Faisons une :
ne regrette le vieux temps que parce qu'on avait alors le sel, le tabac et
le cidre à meilleur marché, qui prend toute chose par la pointe, nargue
les oiseaux verts, se moque des maltôliers, et vient, fidèle à son métieret
à son caractère, terminer la pièce par un compte; enfin le maître meu-
nier, ce choréographe rustique, si supérieur de toute manière à ses com-
pagnons, lui aussi regrettant avec eux le passé, avec eux pleurant sur le
présent, mais plein d'une résignation sublime et mettant son espoir
ailleurs : —
tous ces gens victimes de la légalité qui tue, maudissent et
bénissent tour à tour la main blanche ouverte ou fermée.
Un jour viendra, sans doute, où les esprits se calmeront. Alors la loi
sera moins rigoureuse, l'homme des villes moins exigeant, l'étranger
« Les Celtu au XIX* siècle, par M. Cn. de CauUe, p. 20. Paris, Aubry, éd., 1865.
400 CHANTS rOPULÂIIlES DE LA BRETAGNE.
naturalisé moins dur, l'habilant des campagnes lui-même plus pénétré
du sentiment de ses devoirs. Tout cœur qui b;itpour son pays doit sou-
lieureux progrès. Le Icmps seul pourra le réaliser complète-
liailer cet
ment, mais il est du devoir de l'homme de lui venir en aide. Des elforts
généreux, ouronnés du succès, ont déjà été tentés. Les anciens proprié-
<
— au premier, va trouver
Toi, dit-il se mette en plan-
l'adjoint; qu'il
ton au passage du gué, et qu'il arrête tous les montagnards qui vont y
aiTivcr pour se rendre à Spezet. Et loi, poursuivit-il en s'adressant à
.
veux épars, suivie de quatre petits enfants à demi nus, vint se jeter à ses
genoux, criant miséricorde. Mais il demeura impassible; et les gen-
darmes, qui :ivançaient toujours, allaient fouler aux pieds de leurs che-
vaux les enfants et la mère, quand les montagnards, indignés, poussant
un nouveau cri de fureur, et en agitant dans l'air leurs terribles penn-
baz, se ruèrent sur eux avec rage. En vain les agents de l'autorité
voulurent résister; leurs chevaux s'emportèrent, leurs sabres furent
brisés, eux-mêmes démontéset repoussés, les hommes de loi mis en
fuite, et le notaire emmené
prisonnier avec son fils dans une maison
voisine, où on le força de signer sur l'heure une renonciation à son projet
de congémeiit. Il jugea prudent de céder à la violence, et la foule se
dissipa, satisfaite et calmée.
Le soir, quelques-uns des paysans qui revenaient du bourg se rendirent
au château.
—Hé bien, tout est fini, dirent-ils triomphants à M. du Laz ; nous
avons gagné la partie nous avons bien su le forcer à se désister
: il a :
tiennent, en les éclairant, leurs frères des classes populaires qu'ils les
;
CHANTS DE FÊTES
E T
CHANTS D'AMOUR
I
ARGUMENT
en général, un tailleur qui est le bazvalan, ou messager d'amour
C'est,
du jeune homme, près des parents de la jeune iille; il a souvent pour ca-
ducée, dans l'exercice de ses fonctions, une branche de genêt fleuri, sym-
bole d'amour et d'union de là vient le nom qu'on lui donne '. Tout
;
des armes c'est moi qui reçus de Dieu la loi sur le mont Sinaï. Je
:
suis Moïse; c'est moi qui ai rétabli le^ Livres saints perdus à la prise de
Jérusalem; c'est moi qui ai fait les vers qu'on prête à Théocrite. J'étais
Virgile près d'Auguste ', » etc. Au premier moment., cette assimilation
du poëte à des personnages de l'antiquité paraît bizarre; mais on s'en
étonne encore bien plus en entendant Taliésin, qui croyait à la métem-
psycose, tenir le même langage, et dire sérieusement « C'est moi qui ai :
LE BAZVALAN.
Au nom du Père tout-puissant, du Fils et de l'Esprit-Saint,
LE BREUTAEU*.
Et qu'as-tu donc, mon ami, que ton cœur n'est pas joyeux?
LE BAZVALAN.
J'avais une petite colombe dans mon colombier avec mon
pigeon, et voilà que l'épervier est accouru, aussi prompt
qu'un coup de vent, et il a effrayé ma petite colombe, et l'on
'^e sait ce qu'elle est devenue.
LE BREUTAER.
Je te trouve bien requinqué pour un homme si affligé; tu
as peigné tes blonds cheveux, comme si tu te rendais à la
danse.
AR GOÜLENN
ES K ERN £•
AU BBEUTAER. AR BREUTABR.
Na petra 'leuz'ta, ma mignon,
l'a ncd- eo joauz da gulun? Meurbed da gavann kempennet
Evitbea ker glac'liaret;
AR BAZVAI.AN. Kribel e teuz da vleo melen,
Eur goulming emboa era c'houldri, 'Velma iefiiz d'ann abadea.
* Avocat, plaideur, défenseur.
414 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE.
LE BAZVALAN.
LE BUEUTAER.
LE BAZVALAN.
LE BREUTAER.
LE BAZVALAN.
LE BREUTAER.
AR BAZVALAN. AR BREUTAER.
Ma mignon, n'em godisel ket; Da poulmik n'em euz kit gwelel,
Ma t'houlmik wenn p'euz kel gwelel? Na da gudon wenn ken-neubed.
N'em Ijo, a-vad, plijatlur 'bed, AR BAZVALAN.
Ken n'ara bo ma c'houlmik kavet.
Ma c'hudon vo kavet niaio,
AR BREUTAER. Ma lia zpu ked he far endro;
Da goulmik, n'em euz ket gwelet, Meivel a rei ma c'hudon baour :
LE BAZVALAN.
LE BREÜTAER.
LE BAZVALAN.
LE BREUTAEI!.
Arrêtez, mon ami, vous n'irez point; vous saliriez vos beaux
souliers; j'y vais moi-même pour vous.
(Il revient avec la grand'mère.)
Merci, mon ami; pour être ridé, un bon fruit ne perd pas
son parfum; mais je n'ai que faire de votre pomme, de votre
fleur ni de votre épi; c'est ma petite colombe que je veux; je
vais moi-même la chercher.
LE BREÜTAER.
Seigneur Dieu! que celui-ci est fin! Viens donc, mon ami,
viens avec moi; ta petite colombe n'est pas perdue : c'est moi-
même qui l'ai gardée, dans ma chambre, en une cage d'ivoire,
dont les'barreaux sont d'or et d'argent; elle est là toute gaie,
toute gentille, toute belle, et magnifiquement parée.
(Le Bazvalan est introduit; il s'assoit un moment à tulile, puin \m
d'argent.
AR GOÜHIZ
Gwelet em euz enn eur flourea llag hen ken ampait ha ken drant!
Eur gazek vihan, hi laouen. He zillaila aour hag arc'bant.
NOTES
Après cette cérémonie vraiment primitive, le poëtc appelle sur la fiancée
la bénédiction de Dieu, de la sainte Vierge, des anges, de tous les aïeux,
de génération en génération jusqu'au grand-père, aux pieds duquel elle
sanglote agenouillée. La fille d'honneur la relève; le breutaer lui met la
main dans celle de son fiancé, leur liiit échanger leurs anneaux, et se jurer
d'être unis sur la terre comme le doigt l'est à la bague, afin de l'èlre dans
le ciel. Il récite ensuite à haute voix le Pater, VAve, le De profumUs. Peu
d'instants après, la fiancée paraît sur le seuil de la porte, conduite parle
garçon d'honneur, les bras entourés d'autant de galons d'argent qu'elle
reçoit de mille livres en dot. Le fiancé vient après avec la tille d'hon-
neur; les parents les suivent le bazvalan va prendre le cheval du futur,
;
l'amène au bas du perron, et le lui tient par la bride tandis qu'il monte;
le breulaer prend la fiancée dans ses bras, et la fait asseoir derrière son
futur. Les valets amènent ainsi successivement leur cJieval à chacune des
personnes de la maison; puis les barrières s'ouvrent, et tout le monde
part au galop pour l'église du bourg. Le premier rendu à un but fixé doit
gagner un mouton, le second des rubans.
En certains cantons, quand le recteur quitte l'autel pour se rendre à
la sacristie, les époux et les parnls l'y suivent; le garçon d'honneur
porte au bras un panier couvert d'une serviette blanche. Le prêtre en tire
lui poin blanc, sur lequel il fait le signe de la croix avec la pointe d'un
couteau, en coupe un morceau, le rompt et le partage entre les époux.
Ensuite il prend dans le môme panier une bouteille de vin, en verse
dans un lianap d'argent un bon coup au mari, qui boit, et passe le hanap
à sa femme.
C'est un reste des cérémonies religieuses du moyen âge. Un missel de
l'église de Léon, imprimé en 15-2IJ, les contient toutes. Sous le litre de
Ordo ad sponsam benedicendam, on y lit les instructions suivantes, rédi-
gées en latin et en breton :
prêtre dira : Aiilronez, gréai eo yan eomp ann embannou teir guez au
tud man; ha lioaz en greomp, egiiijl mar deitz den a goiiffe umpecliemant
na gallie an eijl criffoul eguile e diiniziff, en lauaro. » Ce qui signifie ;
« Seigneurs, nous avons fait trois fois les publications de ces gens-ci, mais
sncraniant a priadelez, e yechel liag e clefvet, bete ann marv, evel ma zeu
gant Doe gourchemmcnnet ha gant an ylis ordonnet. « Vous, un tel, et
vous, une telle, promettez de vous tenir l'un à l'autre fidèle compagnie
dans le sacrement de mariage, en santé et en maladie, jusqu'à la mort,
comme il a été commandé par Dieu et ordonné par l'Iglise. »
« Alors le piêire remettra l'anneau nuptial à l'époux, qui le passera au
LA CEINTURE. 419
primitif; les lois galloises leur donnent une part double dans les présents
de noces. Au quatorziènie siècle, ils bénissaient encore des unions. Dalydd
ab Gwylim nous apprend qu'il fut marié par son ami le barde Jladoc Pen-
vraz. Ces usages sont maintenant tombés en désuétude chez les Gallois;
mais la cérémimie principale, la lutte poétique des bardes, y avait encore
lieu, il y a cent ans. .\u miinionl où la suite du fiancé arrivait au galop
à la demeure de la future, dans l'intenlion de l'enlever, les gens de la
maison se hâtaient de fermer la porte; alors un barde, se détachant du
corlége, improvisait, comme en Ainionqiie, un chant auquel répondait
un autre barde du lii,i;is, iiiii ne tard^m p. is à èlre vaincu, et à voir le seuil
delà demeure forcé ]iar la puii^suicc d( s \ers de son antagoniste-.
On chante, aux repas de noces, mie chanson très en vogue, que nous
avons retenue.
Elle avait relevé sa coifte blanche : son œil est bleu, ses
cheveux blonds, sa joue rose comme la fleur de l'érable; elle
LOIZAIR.
Je vous ferai une réponse, jeune homme, puisque vous me
lademandez d'une manière si polie et si gentille; je ne veux
point vous mentir du tout c'est jeudi le jour de mes noces.
:
J'ai au village, sur la place, des ouvriers qui font des fables
Jeudi est lé jour de mes noces; vous êtes arrivé trop tard;
un autre a semé dans mon courtil la fleur d'amour.
PIARIK.
C'est moi qui l'y avais semée, et vous l'en avez arrachée, et
revenez plus. —
Et Piarik de s'en revenir aussi triste que la mort :
NOTES
Dans quelques canlons de Cornouaille, si une jeune fiHe agrée le
j une homme qui lui fait la cour, elle lui offre une brandie de bouleau ;
(!alles«.
Autrefois le coudrier était le symbole de la défaite par l'épée -.
Le jour de la noce, à minuit, on dosliabille la mariée et on la couche;
son mari se place auprès d'elle; on leur sert une soupe au lait symbo-
lique dont les tranches de pain sont liées par un fil des phis incommo-
des, et qu'ils mang;ent avec des cuillers percées, aux francs éclats de rire
des témoins; quelquelois on remplit le lit nuptial de petits enfants, doux
anges qui doivent voiler leurs amours.
Pendant cette joyeuse et naïve scène, biniou et bombarde jouent l'air
de /'/ soupe au lait, dont les jeunes gens et les jeunes filles chantent les
paroles, en partie reproduites dans une ballade qu'on a pu lire plus haut ^,
et que Brizeux a imitées avec son bonheur ordinaire :
bénissez ces cliers enfants comme vous avez béni Tobie et Sara daignez ;
les bénir ainsi. Seigneur; afin qu'en votre nom ils vivent et vieillissent,
et multiplient longtemps, par le Christ Notre-Seigneur. Ainsi soil-il. »
ARGUMENT
Le lendemain de la noce est le jour des pauvres il en arrive par cen-
:
taines, la cour et l'aire en sont remplies. Ils se sont revêtus non pas de
leurs beaux habits, mais de leurs baillons les plus blancs Ils mangent
es restes du festin de la veille; la nouvelle mariée, la jupe relroussée,
sert elle-même les femmes, et son mari les hommes. Au second service,
celui-ci oflre le bras à la mendiimle la plus respectable, h jeune femme
donne le sien au mendiant le plus considéré de l'assemblée, et ils vont
danser avec eux.
Il faut voir de quel air se Irémoussent ccz pauvres gens les uns sont I
KENTEL AR BEORIEN
— lES LEON —
„„,,,„
Sant Per da Jezuz lavare :
—
I
i
Tud ilivac'han, Per,
'
'
ha dourskan.
Sant lann lavare d'ar Werc'liez
Da Vrciz-izel il, va Doue? :
vitée.—
Le lendemain, dans la paroisse de Plouigneau, on entendit
des chants et des cris de joie, on entendit le ménétrier sonner
chez un digne chef de famille ;
Chez un riche chef de f;imille qui était bon pour les misé-
rables, et dont les biens allaient croissant à me^^ure qu'il fai-
sait l'aumône.
Mais une tendre amitié pour vous qui m'avez invitée de bon
cœur, qui m'avez invitée tendrement à venir aux noces de
votre fds.
NOTES
La nuit venue, les pauvres, avant de quitter les époux, leur souhaitent
toute sorte de prospérités, toute sorte de grâces de Dieu, autant d'enfants
qu'il y a de grillons dans le foyer de la cheminée, d'années que les pa-
triarches, et le paradis après leur mort. Puis le plus âgé prend la pa-
role, et, agenouillé au milieu de l'aire à battre, et s'appuyant sur son
bâton, il commence de longues prières pour les trépassés de la famille,
qu'on n'oublie jamais dans les fêtes. Les prières achevées, les pauvres se
lèvent et se retirent en continuant de prier. Le murmure monotone de
leurs voix se lait entendre encore quelque temps au dehors, à mesure
qu'ils s'éloignent, et meurt insensiblement dans les bois, tandis que les
époux, dont ils ont sanctifié l'union par leur présence, commencent une
vie nouvelle sous les auspices de la Charité.
ARGUMENT
Les cérémonies des noces sont à peu près les mêmes en Trég-uier qu'en
Cornouaille. Les mœurs sont plus graves en Léon; ici, le jour le pins
gai des noces est le troisième, où l'on porte chez le mari l'armoire de la
jeune fenmie. Cette armou'e est en noyer; elle est luisante à s'y mirer;
les ferrures sont de cuivre et brillent comme de l'or; quatre bouquets
en relèvent les quatre coins. Elle est placée sur une charretie traînée
par dos clievaux dont la crinière est tressée et ornée de rubans.
Mais lorsque les parents de la mariée veulent faire enirer le meuble
dans la demeure du mari, les gens de la maison le repoussent, et une
longue lutte s'établit entre eux. Enfui on fait la paix; la maîtresse
du logis couvre l'armoire d'une nappe blanche, y pose deux piles de
crêpes, un broc de vin et un hanap d'argent. Le plus vénérable des pa-
rents du mari remplit la coupe, la présente au plus âgé des parents de
l'épousée, puis l'invite à manger l'autre trempe ses lèvres dans la
:
LE JEUNE HOMME.
LA VEUVE.
LE JEUNE HOMME.
Pour le cloître, vous ne partirez point, en vérité; mais pour
mon village, je ne dis pas; la rose et toutes les fines fleurs
sont nées pour les jardins.
LA VEUVE.
La rose est née pour le jardin et l'if pour le cimetière; j'ai
LE JEUNE HOMME.
LA VEUVE.
A mon doigt, jamais je ne passerai d'autre anneau que
celui de Dieu ; c'est lui qui a reçu ma foi.
LE JEUNE HOMME.
LA VEUVE.
NOTES
Singulier motif de chanson de noces Que signifie cette veuve? Au-
1
ARGUMENT
La fêle du mois de juin est une des fêles les plus anciennes de la Bre-
tagne malheureusement elle ne se célèbre plus guère que dans quelques
,
r.inlur ul)i et vola vovenl el defenint. lunditus effodiaiilur. [Concil. Naiinel., ap. 1). Hoiice
Prevres de l'hisloire de Brelugne, t. I, col 229.)
« William Owea's, Baidism, p. 37, 39, 42.
CHANT DE LA FÊTE DE JUIN. 43t
L ANCIEN PATRON.
Bonjour à vous, ma commère, bonjour
belle à vous; c"est
un amour sincère qui m'amène ici.
l'ancienne patronne.
Ne pensez pas, jeune homme, que je sois votre liancée,
pour une bague d'argent que j'ai reçue de vous.
L'ANCIE^ PATRON.
Venez avec moi, douce belle, vous promener dans les bois;
nous entendrons le vent frémir dans les feuilles.
NOTES
Au coucher du garçons reviennent par les bois et les
soleil, filles et
lires,en se tenant par le petit doigt, et l'on répète en chœur les der-
nières stroplies de hi chanson.
Il îcmlile qu'à ce moment l'odeur des aubépines qui bordent la routo
28
III
ARGUMENT
L'aire neuve est par excellence la fête de l'agriculture. Lorsque la sur-
face de l'aire n'est plus unie, et que les cailloux et les crevasses défendent
au rouleau qui doit y recueillir le blé de glisser aisément, le laboui'eur
fait publier une aire neuve. La veille du jour indiqué, quelques heures
avant minuit, on voitdes charettes, rbargéesde terre glaise et de barriques
d'eau, se diriger en silence vers son liatjitation, et chercher derrière les
arbres une position telle, qu'elles puisseut, au coup de minuit, s'élancer
dans l'aire, et gagner des rubans qui sont destinés aux preniiirs rendus.
Dès que l'aurore se lève, chaque cultivateur vient, à tour de rôle, dé-
poser sur l'aire la terre dont sa charette est pleine; puis on y verse de
l'eau, et l'on fait galoper en cercle, parmi le mortier que produit ce mé-
lange, des chevaux dont les crins sont ornés de rubans aux couleurs écla-
tantes. Il est des cantons où l'on dresse une table au centre de l'aire;
sur cette table on place un fauteuil; on enlève la plus belle jeune fille de
l'assemblée; on l'y lait asseoir, et on ne la délivre que sur la promesse de
quelque gracieuse rançon.
Huit jours après, quand l'aire, suffisamment foulée par les pieds des
chevaux, est séchée, on y danse pour l'ajjlanir, et la fête recommence.
Quelquefois des jeunes filles, portant sur la tête des vases remplis de lait
bombarde y mêle ses notes plus sonores, et les chaînes des danseurs ne
tardent pas à se mouvoir. Ces chaînes s'allongent nisensiblcmcnt, se dé-
ploient, se croisent, au gré des instruments, s'enlacent, se replient sur
elles-mêmes, se fuient, reviennent, se fuient encore, se déroulent ets'élan-
cent avec une mesure parfaite.
Vers le soir, on se rend, au son de la musique, dans le verger voisin,
pour assister aux luttes. Le fils aîné du paysan qui donne l'aire neuve
marche en tête en élevant triomphalement une croix que domine un cha-
peau neuf orné de velours, de brillants et dechenille, et d'où flottent au
vent des rubans et des ceintures de laine de mille couleurs :cesimt les
prix; souvent on y ajoute un mouton. La croix est plantée au milieu du
verger, le mouton est couché à ses pieds on forme une enceinte au moyen
;
rière de la tête, un simple caleçon et les pieds nu3. Les enfants de douze
LA CHANSON DE L'AIRE NEUVE. 435
à quinze ans luttent d'abord, puis les jeunes gens, et enfin les hommes.
Le luUeur, en entrant en lice, s'empare de l'un des prix, fait le tour de
l'enceinte en le tenant élevé, et si personne ne se présente pour le lui
disputer, il lui appartient. Mais on ne tarde pas à répondre au défi les :
il faut que l'un des deux cliampions renverse l'autre sur le dos. Alors un
Cornouaille, et, si j'en juge par le reirain, elle a du être faite à Nizon.
SON AL LELIR-NEVEZ
Alors je vis danser une jeune fille. Elle était aussi éveillée
qu'une tourterelle;
Kea dianl evel eunn durzunal ; llag hi c'hoarzin, c'iioarzin kon don
He daoïilagad evel glizin llag eunn cl euz ar haradouz;
War ar lileun spern-gwenn, da vintiii, lia me montda c'hoarzin ont-hi;
Ilag he ker glaz evel l)leun-liii ;
lia ne garann mui ncmet-hi.
ile dent ker kaer evel mein-fin ; Me gwelet henoaz,
ielo d'hi
11« neuz kendraiitha ker laoueu : Eur voulouz gan-in, hag eur groaz ;
petit cou nu ;
NOTES
Saint Nicolas, patron des enfants dans toute la France, l'est en Bre-
tagne des amoureux ceux-ci lui font mille neuvaines pour qu'il les
:
exauce ils lui enfoncent aussi, par dévotion, des épingles sans nombre
;
dans les pieds, et ils ont l'habitude d'en remplir sa fontaine le jour de
sa fête.
Le bon saint n'accepterait d'eux aucun présent plus considérable, car
ilsait, disent de vieilles rimes bretornies, « que leur bourse est aussi vide
d'argent que leur cœur plein d'amour. » D'ailleurs, leur épingle a bien
quelque valeur sans elle, comme le remarque naïvement un poéie popu-
:
laire, le jeune homme ne peut souvent fumer sa pipe, le seul bien qu'il
ait en ce monde ; et, quant à la jeune fille, l'épingle qu'elle offre ferme
sa collerette.
La chanson qu'on vient de lire n'est autre chose qu'une satire,
quoiqu'elle n'ait pas l'air d'en être une le vieux tailleur fait narguer
;
LA CHANSON DE FÊTE
1 ES l'ETlTS PATUES
— DIALECTE DE CORNOUAILLE—
ARliUJIENT
Comme l'âge mûr et la jeunesse, l'enfance a sa fête en Basse-Bretagne;
elle se célèbre, principalement dans les montagnes, à la lin de l'automne,
et se nomme la Fêle des petits Pâtres.
Les parents amènent leurs enfanis des deux sexes, de neuf à douze ans,
au lieu du rendez-vous, qui est, en général, la lande la plus vaste de la
paroisse, celle où les peliis pâtres mènent d'ordinaire leurs Iroupeaux.
Chacun porte avec soi du beurre, des vases de lait, des fiuils, des crêpes,
des gâteaux, tout ce qui peut flatter davantage le goût des enfants; on
étend une na]ipe blanche sur la bruyère, et on leur sert une belle colla-
tion. A la fin du repas, quelque vieillard leur cliante une chanson morale
que j'ai entendu attribuer à saint Hervé, patron des bergers et des chan-
teurs bretons, mais qui a été sans doute bien remaniée, rajeunie et
allongée depuis son temps. Ensuite, les infants dansent jusqu'au coucher
du soleil sous les yeux de leurs parents, avec lesquels ils reviennent alors
en répétant eux-mêmes un autre chant intitulé hol aika ou V Appel des
Pâtres. La première pièce est tel ement réjiandue, que les nourrices des
châteaux, même dans la partie de la Bretagne où l'on parle français,
apprennent aux enfants à dire, après leurs prières, quelques-uns des
enseignements qu'elle contient je la lais suivre de VHollaika mais l'écho
: :
retenir.
Quand vous vous éveillez dans votre lit, offrez voire cœur
au bon Dieu; faites le signe de la croix, et dites avec foi, es'
l
érance et amour:
Ils les récitent bien, les petits oiseaux perchés dans les bois
Laret: « Me ma Doue,
ro d'hnc'h, lia pa eo ]ired noz d'ho distrei,
<t Ma c'halon, ma c'horf, ma ene : Distroit-he gand aon rag ar blei.
« Gret mavinn deii mad, ma Doue,
Na wall-bedet morse gal-he :
ANN HOLLAIKA
iNOTES
Tra oann bet gand ann otereu met sellel oul-hi na renn;
Seul vui-oc'h-vui out-qi zellenr, seul Tui-oc'ii-vui plije d'en.
Me 'm euz eur ween e liorz ^a rriamm a lo Karget a»alou,
Hag eunn dachennik c'hiaz dindan, hag eur voden tro-wai-drou:
Pa zeuio va dousik-koanlik, va muia-karet d'am zi,
Ni a ielo da zisheolia, va dous ha me, dindan hi.
Ann aval ruan a dapiun, hag eur boked rinn 'vit hi,
Hag eur rozinil a garaun e likinn ivez enn hi,
Eur rozinilik gwall c'hoenvet, abalamour d'am enkrez,
Rag n'ein euz ket bet c'hoaz gaiit-hi eur boueh a wir garanloz.
— Tavit gand ho son, va mignon, tavil prim, gand ho koiiizadu;
Ann dud o vont d'ann ofercn zo enn traon ouz hor silaoïi.
Eur wcch-all pa zeufiomp d'à! lann, lia vemp bon unan hon daou,
Eur bor.chig a wir garauicz a roinn d'hoc'h, unan, pe zaou. —
444 CHANTS POPULAIP.ES DE LA LRETAGNE.
Et y ajoutant le nom de la jeune fille qu'il veut appeler, le nom de —
Tina, par exemple, au cas où elle aurait pour patron saint Corentin ; il —
lui crie :
Tinaïk-la!
Deuz ama!
« Petite Tina ! viens ici ! n
Si elle ne veut pas l'écouter, elle répond sur le même ton mélanco-
lique :
Me iiï! ia!
De la montagne à la vallée,
La vuix par l.{ voix appelée.
: de pla
LA TOURNÉE DE L'AGUILANEUF
ou DES ÉTREN.^ES
DIALECTE DE CORNOl
ARGUMENT
Quand chaque condition comme chaque âge a ses plaisirs, dans les
campagnes bretonnes, les pauvres gens pourraient-ils ne pas avoir les
leurs? Ils les ont, et leur tète est celle du Dieu né dans l'élable. J'ai eu
occasion de dire précédemment qu'ils vont par bandes, le lendemain de
Noël, de village en village, précédés par un vieux cheval, orné de rubans
et de lauriirs, pour chei'cher leurs étrennes. Ils les demandent dans un
chant dont le thème ne varie guère, mais que les chanteurs inodifient au
gré de leur inspiration. Faisant halte devant chaque porte un peu riche,
le chef de la troupe entreprend avec un des habitants de la maison une
joyeuse lutte en vers, qui se termine toujours, après une longue résis-
tance, à son plus grand profit. J'ai recueilli, en Spezct, de la bouche
même des montagnards de l'.^rez, le dialogue suivant, où l'on trouvera
m modèle de ce badinage rustique.
voit de loin!
— Des étrennes! des étrennes!
vous défend.
crevé.
vent froid;
yeux?
— C'est, je le sais fort bien, la tète du grand chemin, dont
les yeux brillent de rosée.
Alc'houe ar c'hik, alc'houe al lez, — Mai- d-uc'h polred hag ho deuz beg,
Alc'houe pez zo enn titgez. Komzomp nebeud ha komzoïiip c'huek.
— Gen-omp zo eunn alc'houeer,
ileut Abarz dont tre 'barz ann ti-man,
Hag eur
heii enn he
niaiil viclier. Dibkolinet skolmou zo aman ;
— Abarz ma teufec'h ann 'barz ti, Distaget d'in enn eur ger krenn :
Skorno ar glao euz beg ho Iri. Piou zoug he gik war he groc'hen?
— Enn han Doue konizet seven ;
— Ann havrek koz warlerc'h ann denn,
Ann iioz zo du, ann avel ien. A zoug lie gik war he groc'hen.
Ma ann avel diwar Relek, — Piou a la kenta d'ar marc'had,
Pa na vresk na bioc'h na kazek. Ann daelou enn he zaou lagad?
Enn hau Doue, hasltt, tud ker, — Penn ann heiit nieur co, me oar'vad,
Ki neuz c'hoaz seiz leo da ober. Ar glouiz war he zaou-lagad.
U8 CIIANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE.
Kernel niez razarc'li dioc'h he zro. Hag ar c'hroueg eur gonttl gal-hi.
— Eunn plouz eur saoik incin,
liiU Gat-hi eur gontel enn hc dorn ;
29
450 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE.
— Quoique le recteur soit un homme excellent, c'est au
nom de Dieu que nous vous prions.
— Approchez donc, fds de sorcière, venez ici avec votre sac.
Avant que tu arrives chez toi ton dos sera cuit dans la
saumure.
— Poussons un cri de joie maintenant que nous avons reçu
notre étrenne;
blanche!
— Evil ban da veza den tre, Eur iouc'liaden d'ar vamm, d'ann lad,
Ni a c'houlenn enn haii Doue. lia da vugale aiin tiad !
— ÜKlo^t.iii 'ta 'ma, mal) ar wrac'h, C'houez ar iec'hed pad lio potred !
NOTES
On
sent que l'agrément de ce débat poétique, où la bonne liumeur
pourrait facilement dégénérer en farce, est surtout dans le tact des inter-
locuteurs ; ils justifient bien le mot du poëte breton :
s'écrient les clianleurs devant cliaque porte, et ils continuent dans leur
mieux tourné est l'œuvre d'un jovial curé poitevin, et conçu dans l'es-
prit indiqné par Noël du Fait. Le gentilhomme breton assure que « les
sorciers de Rétiers (en Bretagne) cherchoient du trèfle à quatre feuilles
pour aller à l'Aguilaneuf. » Ce simple merveilleux devait sans doute
lendre leur tournée plus fructueuse. Comme on l'a vu, on demande
encore aujoiii d'hui la fameuse Herbe d'or aux Etrenneurs, dans le dia-
logue bieton, mais il n'y est pas question du Gui. Une mauvaise étyino-
logie l'aura fuit introduire, avec les druides et leur prétendu cri pour
expliquer une coutume où il n'a rien à voir. Le mot celtique eginan,
(pluriel eu, e, ai, ou et o, selon les différents dialectes), qu'on retrouve
par toute la Fi'ance sous les (ormes de guillanné, guilanneu, giiilloneou,
guilloné, lioguinano, la guillotia, etc., en Espagne de ayuinaldo et en
Écos-ie de hoginanay, .«e retrouve aussi dans le gallois egimjn et egiitad,
l'irlandais eigean et le gaël-écossais eigin. Sa racine semble être eg,
force, poussf germe, et ce n'est qu'avec le temps qu'il a p is la signifi-
,
LE LÉPREUX
— DIALECTE DE TREGUISB-
ARGUMliNT
La lèpre parut en Bretagne vers la fin du douzième siècle ; tous ceux
qu'elle frappait étaient retranchés de la compagnie des hommes; on les
renfermait dans des -villes particulières ils avaient leurs pièlrcs, leurs
:
lirctague. M. Prosper Preux m'en a procuré une ass( z cui ieiise que je
regrette de ne pouvoir publier ici, n'ayant pu en conirùlcr lu texle par
aucune version diftérenie de la sienne.
Le sujet de cette pièce est un jeune paysan, si beau, que loisqu'il passe
le dimanche pour aller à la messe, ses cheveux blonds llottauts sur ses
lâcher, la belle, vous vous abusez vous n'aurez pomt monti.s, ni vous, :
LE JEUNE HOMME.
Créateur du ciel et de la terre ! mon cœur est accablé de
douleur; je passe mes jours et mes nuits à songer à ma douce
belle, à mon iirnour.
AR C'HAKOUS
— I ES T REG ER —
Mantrel va c'iialnn pant plac'liar
ANN DEN lAOUANE
G kounan eiin noz lias eiin tle
Krouei- aiin nenv hag ann douar! |
D'am doustk koaiu, <l'aiii c'harante.
LA JEUNE FILLE.
LE JEUNE HOMME.
Quand vous seriez plus noire qu'une mûre, vous seriez blan-
che pour qui vous aime.
LA JEUNE FILLE.
LE JEUNE HOMME.
A une pomme au bout de larbre rcsseuiblc le cœur de la
femme la pomme est belle
; à voir, mais elle cache un ver
dans son sein.
jeune fille;
tourne toujours.
L'eau entraînera la fleur, et l'oubli la mémoire du traître.
LA MEUNIÈRE DE PONTARO
— DIALECTE DE CORNOl
ARGUMENT
Hévin, baron de Kymerc'h, était, en l'année 1420, seigneur du château
de ce nom propriétaire du moulin de Pontaro, charmante chaumière
et
à demi perdue dans un bouiiuet d'aunes 1 de saules, au fond d'un val-
1
MELINEREZ PONTARO
lES KERNE —
E Bannalek zo pardon kaer
'r Ha ! ma meil a ia
Lec'h ia'r merc'licd koaiit gaJ al laer. Diga-diga-da.
perdue.
— Petit tailleur, consolez-vous, votre jolie Fantik se re-
trouvera.
cœur,
Et une coiffe plus blanclie que neige, que vous ne lui avez
pas donnée,
si beaux!
LE MAL DU PAYS
—DIALECTE DE CORNOUAILLE —
ARGUMENT
Un jeune paysan des montagnes cmbarqné comme matelot à
d'Arez,
bord d'un bâiiment de guerre, fut du mal du pays, et l'on fut
atteint
contraint de le laisser à quelques lieues de Bordeaux, où il mourut de
chagrin et do misère, sur la paille, dans une étable.
Cet amour pour le lieu natal est un des sentiments (pii in-pirent le
plus, cliaque jour, nos poètes populaires II n'est pas de conscrit qui ne
fasse composer sa chanson d'adieu en il y en a des
(juittant la liretagnc :
milliers sur ce sujet; toutes sont pleines de cœur, mais non de poésie.
Le matelot des montagnes fit lui-même la sienne; c'est un de ses cama-
F«des de bord qui l'a conservée et répandue dans le pays.
Je tiens ces détails d'un paysan de la paroisse de la Fouillée, sous
la dictée duquel je l'ai écrite; il l'avait apprise lui-même d'un vieux
garçon meunier, ami d'enfance du matelot, qui, s'il vivait encore, aurait
plus de cent soixante- dix ans.
ANN DROUG-JIIRNEZ
— lES KERNE —
Aiin eoriou zo bavet, setu ar ilik-lia-flok;
Krenvat ra ann avel, mont a reonip k.ier a-rog;
Stegna reeur argweliou, ann douar a bella :
Va c'halon, sinuaz d'in! ne ra nied huanada,
Kenavo neb am c'har em parrez üo war-dro;
Kenavo, dousik paour, Linaik, kenavo,
LE MAL DU PAYS. 461
NOTES
llélas ! les Bretons sont pleins de tristesse!
* Rapport d'iin voyage, fait dans les cinq départements de laBretagne, en 18*0 et en 18il, par
MM. Beiioislon de Cliiloauiifuf et Villfiiiié, membres de fAtuüérnie des sciences morales et
l)olilif|in"ï.
LE PAUVRE CLERC
;CTE DE T REGU I EF
ARGUMENT
Le lieu où a été rêvée cette douce clianson lui donne un prix de plus.
Dans l'épilogue de la version la plus complète, le poète nous apprend
qu'il l'a composée en traversant la grève de Saint-Michel, près de Lan-
iiion. Tout le monde sait combien la grève en question est dangereuse.
Mais une croix la domine, et tant que le signe du Saint étend ses deux
bras au-dessus des eaux qui montent, la plage est sûre La croix nous:
Et l'auteur des Derniers Bretons fait remarquer cette idée vraiment cliré-
tienne qui averlii les liomnies que là où la croix a disparu Dieu est absent.
et qu'il n'y a plus à compter sur lui Pour être plus profane, l'idée du
Pauvre clerc U'cyurrois n'est pas moins émouvante; on en va juger.
Ma douce est jeune comme moi; elle n'a pas encore dix-
sept ans; elle est fraîche et jolie; ses regards sont pleins de
feu, ses paroles charmantes; c'est une prison où j'ai enfermé
mon cœur.
AR C'HLOAREK PAOUR
— lES TREGER —
Va bolo-koad'm euz koUct, roget va zreidigo,
vont da heul va douzik d'ar parko, d'ar c'hoajo;
Pa ve ar glao, ar grizil, ann erc'h war aim douar,
Kemeni-ze ne ked eunn harz da zaou zen a 'n em gar.
Va dousik a zo eurplac'h iaouank-flamm evel-d-eii,
Ne deuz kel c'iioaz seiztek vloa, eui- plac'h koanl lia ru-benn
He sello zo leun a dan, hag lie c'Iiomzo mignon;
Meuz kemerel eur prizon da lakal va c'halon.
464 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE.
ARGUMENT
Basse-Bretagne de consteller de petits miroirs encadrés
C'est l'usage en
d'argent les coilfcs des nouvelles mariées. La crainte de ne jamais les
voir briller pour elle tourmentait la jeune Marguerite voici le testa- :
ment coquet et triste dont elle fit part à sa mère, en souriant à travers
ses larmes, et même en menaçant un peu. La Jeune fille du Pays Messin,
dans le recueil de M. de Puymaigre, la Jeune Piémontaise de M. Nigra,
la PernetteAe Lyon et la Fanfarneto de Provence ne sont pas si sombres
que la petite Bretonne ; celle-ci a plû pourtant davantage.
MELLEZOUROU ARC'HANT
ES GWEN N ED- IZEL '
pas.
LA CROIX DU CHEMIN
— DJALECTE DE CORNOL
\RGUMEN1
La croix dont va être question est celle du bord de la route de Quim-
il
de Pontcalec et avait son moulin sur un cours d'eau, non loin du manoir
seigneurial il rimait force zones en piquant sa meule, et peut-être faut-il
:
lui attribuer la belle élég-ie de son seigneur. Ouoi qu'il en soit, la pièce
suivante est digne du môme poëte, j'allais dire du chantre de Laure.
Ses yeux sont plus clairs que l'eau dans un verre ; ses dents
blanches et pures, plus brillantes que des perles;
je serais pauvre.
J'irai tous les lundis matin, sur mes deux genoux, à la croix
du chemin ;
j'irai à la croix nouvelle, en l'honneur de ma bien-
aimèe.
Gwelet em euz tal kroaz ann lient, ^'a pa zarjo war dieuz lion nour,
Dilun.eur plac'li evel ar zent; E-lec'h radeu glaz, bleuniou aour;
Me iei disul d'ann oferen, Na pa zafjent leiz ma liorz,
Hag lie gwelinn war ann dachen. Ma in'em euz ma dous, ne rann forz.
Ma he daou-lagad enn lie fcnn Kement tra dcuz he lezen red;
Skleroc'li eged dour er wereii, Ann dour deuz ar feunten a red,
Hag he dentigou net ha gwenii, Ann dour ia d'ann traon, d'ann izel,
Zo kaei'oc'h eget perlezen. Ann tan d'ann nenv ha d'ann uc'hel;
Iledaou-zorn hag hu diou-cliod ru, Ar goulm a c'houl eunn neizik klouz,
Gwennoc'h eged lez er pod du; Ar c'horf maro a c'houl ar fouz,
lal mar he gwelfec'h, va mignon, Hag ann ene ar baradouz.
Laouen a zeufe ho kalon. Ha me ho kalonik, va dous.
P'am hefe kemend a vil skoed, Me a ielo peb lun vintin,
Hag en deuz markiz Pontkalek; Da groaz ann hent, war ma dgoulin;
lia p'am hefe eur vein-gleuz anur, Me a ielo d'ar groaz n^vi^
Ma n'em euz ar plac'h me zo paour. Abalaraour d'am c'harantu,
XIII
LA RUPTURE
—DIALECTE DE LÉON-
ARGUMENT
Avec autant de fraîcheur et de chasteté dans l'expression que les trois
cantilènes précédentes, celle du jeune paysan léonard qui chante ses illu-
sions trompées a plus de gravité et de philosophie s'il ne sait ni lire ni
;
ANN DROÜK-RANS
- lES LÉON —
Ma oufena-me lenn ha skriva, evel a ouzounn rimel,
Me a refe eur zon nevez, eur zon, ha na venu ket pell.
Me wel erru, va ra(;strezik, donl a ra irezek hon li;
Mar gellann-me kaout ann lu, me a lirezego oul-hi.
— Droukiivel, va ineslrezik koani, droukiivet-braz ho kavann,
Aboe m'Iio kweliz cr pardon, e miz even divezan.
— Ha pa venn-me 'ta, den iaouang, ha pa venn-me drouklivetl
Ann derzien vraz zo bel gau-in, abaoe pardon Folgoet.
LA RUPTURE. 471
et des fruits ;
et voilà que la fleur est flétrie, que votre beauté est délruite.
Amzer omp bel o 'n em garout ne deuz ket padel gwall bel);
Tremen e deuz gieal, plac'h iaouang, cvcl eur barrad avel.
XIV
LES HIRONDELLES
— DIALECTE DE H A U T E-C O R N O U A L L E
I
—
ARGUMENT
attribue cette discrète élégie à deux jeunes paysannes, deux sœurs.
On
Toutes deux pourtant, si on les interroge, se défendent d'abord vivement
de l'avoir composée; puis, si on continue de les presser, elles s'en font
lage,
AU GWENNILIED
NOTES
Presque tous zones qu'on vient de lire ont eu une bonne fortune
les
à laquelle, certes, leurs obscurs auteurs étaient loin de prétendre :
comme les anciens lais bretons imités par Marie de France, ils ont lait
le tour de l'Europe. Aux traducteurs allemands, anglais et suédois de
nos Liebeslieder, ainsi qu'on ks nomme dans le Nord, sont venus se
joindre plusieurs poètes français de talent, dont l'un couronné par
LÉGENDES
ET
CHANTS RELIGIEUX
LÉGENDE DE SAINT RONAN
DIALECTE DE CORNOUAILLE
ARGUMENT
La tradition de l'église de Léon s'accorde avec celle de l'église de Cor-
iiouaillo pour faire naître Ronan en Irlande, où il aui'ait, par humilité,
quitté un siépe épiscopal. Elles le font passer en Armorique sous le règne
du roi Gradlon, à la lin du cinquième siècle. Un bréviaire léonnais im-
primé en 1516, et un bréviaire de Quimper reproduit par BoUandus.
donnent sa légende abrégée, que les bénédictins ont transcrite presque
en entier, d'après de très-anciens manuscrits laiins, dans le trente-
iiuitième volume de leur précieux recueil des Blancs-Manteaux. Quand
on compare avec elle la légende bretonne du saint, on reste convaincu
lie leur commune origiue populaire. Mais celle-ci, comme on va le voir,
lîro-zaoz, enn lu-all d'ar mor glaz, _ Ro„.,„_ Rg^an, kerz alèse;
Demeuz a benlie.en vraz.
Gourc-hemennet eo gand Doue,
Eiirwech ma oa enn lie beden, Evit savetci da ene,
Ea doa gwelel eur skloiijcn I Mont da chom e douar Kerne. —
478 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE.
NOTES
La lép-ende latine, tout en donnant aussi pour plus grande ennemie au
saint ermite cette Kt'ban, qu'elle qualifie justement de muUer irialefica
et représente pour ainsi dire comme la reine de la Forêt Sacrée, ne lui
fait point pousser la haine contre le elirëtien mort jus(|u'au paroxysme de
la fureur et de l'impiété. Mais pour errer très-proliablement quant au
fait, la légende rustique n'en est pas moins, je crois, dans le vrai par
l'idée, et elle me semble pemdre au vif la résistance opiniâtre, désespé-
rée, furieuse d'un certain paganisme sauvage conire la foi nouvelle qui
triomphe. De même, l'histoire des deux buffles et des trois personnnges
menant le deuil du saint est racontée dilféremment par le légendaire
latin, qui a confondu les funérailles de lionan avec la translation de ses
reliques faite depuis le neuvième siècle. Mais la narration monacale offre
un souffle presque épique que n'a point le rustique récit, et elle mérite
d'être mise en regard de l'esquisse populaire, assez maigre et même in-
suffisante en cet endroit.
Chassé par son humilité du pays de Cornouaille, comme il l'avait été
prmitivement de sa pairie, puis des côtes du Léon, et caché sur ses vieux
jours soit dans la forêt de Loudéac, soit dans celle de la Noué, lionan y
mourut, et les trois comtes de Rennes, de Vannes et de Coi'nouaille, aux
51
482 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE.
territoires de rpii elles confinaient, prétendirent posséder son corps. Pour
terminer le dilléient, ils consultèrent un vieillard vénrrable, qui leur
donna ce conseil « Faites chercher dans la forêt deux builles sauvages,
:
ARGUMENT
L'église de Trégiiier n'a pas de saint pl;is populaire qu'Efflamm, et en
le donnant pour patron à un hôpital de Morlaix, on n'en pouvait choisir
aucun qui fût aussi agréable aux malades de la contrée, si ce n'est
sainte Enora, sa femme, la patronne des nourrices bretonnes. Les ser-
vices que l'un et l'autre ont rendu au pays de Tréguier, pondant leur
vie, et les consolations qu'ils ne cessent de procurer à ses plus humbles
habitants depuis leur mort, voilà tout ce qu'il y a de certain dans ce qui
les regarde.
A leur légende, que l'austère bénédictin dom Denis Brian t Imitait
d'extravagante et où ilne voyait a qu'un monument de l'esprit de fable du
quatorzième siècle, » au lieu d'y voir un monument de poésie charmaiile,
la tradition a associé le héros breton par excellence, le fameux roi Arihui-,
dont nul pays plus longtemps que celui de Tréguier n'a chéri la mémoin'
et attendu le retour.
Met Inket c iloa enii he Ijcnn Ken a zav iz al loar enn nen,
Moiiet da ob v p niji'ii, Hug e wel.izcnii he giclien
Enn eiir minic'hi, eno eur t'Iioad, Euiin art'hik tonll hag hi koUet,
Ifa mont kuit fligand he c'iuoueg vad. 11 ig hi tolet ha dislolet.
Heiz ann eured, e-kreiz ann noz, Efdamm a giogaz enn ezhi,
Ann er swele koiukct kioz,
lioll Uag a bigi.az kerkent enn hi,
l)euz he c'hichen e na lammet, Ua n'oa ket c'hoiz ^avet ann deiz,
Ha niez dcuz ai- gainpr, didrouznet; Pa oa tostik-tostouz a Vieiz.
Ha mpz deuz ar pnltz paz, lireiz neuze a oa Irubuillel
\a den e-bi-d na zihiinaz; Gand lo>ned gwez ha dragoned,
Ua pell deuz ar gev skanv ha feul, llag a wall-guse ar c'hanlon
iNemed he gi-red enu he lieul; Ha, dreist ann holl, bio Lannion,
Hag hen digoui'Zet gaiid ann treaz, Kalz aneoa oa bel lazet,
Ha kla.k eul leslr bennag a reaz : Gand penn-tiern ar Vretoned
Kaei- en doa
hep- tu,
sillet :i Arzur, a neuz kavet he bar,
Wele iiikun uand ann noz du. Abaoe 'ma war ann douar.
SAINT EFFLAMM ET LE ROI ARTHUR. 4S5
11
consoler.
I»'al Ican am euz sonj nionel. Coflan goude koan devoa gret,
Mar plij gan-e-lioc'h, me a jomo lleb gallout hean diboanniet.
Er roz-man, keid ha ma vmii heo. Ktn a goueaz kousket skuiz tre,
Hag a zeuaz d'ei eunn hunvre :
Il
Gwelet lie goaz ean he c'hichen
Enoian oa souezet hraz, Kcr kaer evel ann heol melen,
SAINT EFFLAMM ET LE ROI ARTHUR. 4S7
votre
vailler à — salut.
mon
vailler à — salut.
Hag e lare : —
Deut-hu gan-e, — Me zo ho tous hag ho pried
Mar fell d'hoc'h miret ho ene; A zo gant Doue digabet. —
Deut, heb dale' bed, war ar niez,
Hag hen d'he anaout dioc'h mouez,
Da ober ho silvidigez. — Ihida zevel kerkent, ha mez;
lie
Hag hi, dre hun, da lavaret : Hag lie zorn 'nn lie dorn e lake,
— Mont a rinn gan-c-hoc'h, va fried; Gand konizo kaer demeuz Doue.
Lec'h a gerfet, da leanez,
Da ober va zilvidigez. — Goiide 'savaz eul lojik d'ei,
Tal lie hini, a gosle klei,
Ar re goz ho deuz lavaret Tal ar feunteun, gand balan glaz
l'enoz e oa hi bel douget, Eiin eur wasked, dren ar roc'h c'hlaz.
Hag hi kou>ket, dreist ar mor hraz, Pellik meure jomzont eno,
(••ind ann elcz, da zor lie goaz. Ken a ieazbrud dre ar vro
Toull dor goaz pa zilmua^
lie Kiiz ar burzudo devoanl gret,
Tri zol war ann nor a reaz : lia oant bemde darempredet.
488 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAG^"E.
Une nuit, les hommes qui étaient sur la mer virent le ciel
NOTES
Les églises dont il sont probablement celle de Ples-
est ici question
tin, où tombeau d'Efflamm, monument du seizième siècle
l'on voit le
qui en a remplacé un autre du dixième, et celle de Penoz-Guirec,
au portail de laquelle un sculpteur des premières années du douzième
siècle, peut-êti-e même du onzième, selon les meilleures autorités *, a re-
Eunn noz ann dud oa war ar mor Ili ker kaer hag ann heol melen ;
rièrc lui, tenant à la minn une épée qui semble prête à lui écliapper.
Moins sincère que le pocte breton, le rédacteur de la légende latine
prétend que la vie du saint a été écrite après sa mort, et même qu'on en
a trouvé la lettre dans son tombeau. Cette découverte aurait été faite par
un pieux ermite qui balayait par dévotion et ornait tous les dimanches
h grotte où priait le bieniieureux des gouttes de sang jaillirent un
:
On voit dans le sable, après les tem; êtes, des débris de chênes et de
bouleaux, reste de la grande forêt où il habitait. Les arbres de cette fo-
rêt étaient encore en telle vénération du temps où lut écrite sa légende
latine, que l'auteur assure qu'on n'aurait pas osé en couper un seul, ni
même en ramasser à terre une branche pourrie ^. Selon lui, c'est au saint
qu'il faudrait attribuer le culte dont elle est l'objet et les merveilles qui
s'y passent ;mais Lucain, par sa description de la fameuse forêt drui-
dique de Marseille, et les conciles des Gaules, par leurs anathèmes coni.rp
tous les bois sacrés, nous apprennent à quoi nous en tenir.
m
LA TOIR D'ARMOR
—DIALECTE DE CORNOUAILLE—
ARGUMENT
On ne absolument rien d'historitjue sur Azénor, sinon qu'elle eut
sait
pour père Audren, clief des Dretons Armoricains, fondateur supposé de
la ville de Cliàtel-Audren, mort vers l'an 404, et pour lils Budok, que
la tradition populaire a canonisé, comme sa mère. L'ancien bréviaire de
Léon, dans l'office qu'il lui a consacré, fait naîlre le saint d'un comle de
Goélo. Il est très-vénéré en Lasse Bretagne, particulièrement sur les
côtes on y célèbre tous les ans sa fête avec une grande solennilé; les
:
nêtre delà tour; ses joues étaient pâles, sa robe noire, et son
cœur calme cependant. —
ïl
II
étouffa d'envie :
jaune-ci !
III
III
IV
cepté sa belle-mère :
VI
— Toiitouik-lalla, va mabik;
Toutouik-lalla 'la, paourik.
VI
32
498 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETÂGINE.
est perdu celui qui l'était : ma mère pleure quand elle pense
à cela.
— Et qui mère,
est la et où est-elle, mon petit enfant?
— laveuse
C'est qu'elle est, seigneur; elle est là-bas avec
les nappes.
— Allons donc la trouver tous deux. —
Et lui de prendre l'enfant parla main, et celui-ci lui servait
KOTES
Le nom du fils de sninte Azénor (Budok, puis Buzok et aujourd'hui
Beuzek) signifie le noyé : son nom à elle-même veut dire honneur re-
trouvé : à la lettre, re-honneur.
ARGUMENT
Le moment solennel où l'âme quitte le corps ponr aller rendre compte
à Dieu de ses vertus ou de ses crimes a souvent été le suj(!. des médita-
lions du pjiilosoplie et des rêveries du poëte. Il devait siu'lout frapper
l'imafîiuation d'un peuple d:ins le cœur duquel la religion tient une
grande place. Aussi, peu de sujets ont été plus souvent traités, et avec plus
de bonheur, parles poètes populaires lirelons; peu de sujets leur plai-
sent davantage. Ils aiment, en leur n-iïve et loucliantc simplicité, à se
représenter rame arrivant au trilnmal de Dieu, cliargce de ses œuvres
bonnes ou mauvaises, comme une pauvre fermière qui vient, au terme,
payer son maître; ils voient l'archange saint Michel, l'intendant du Sei-
gneur, prenant en main, pour peser leurs mérites, sesbalanc. s d'or; ils
tremblent que le poids n'y soit pas. Mais voici la scène (jni. selon eux,
précède ce jugement; elle se passe entre le ciel et la terre.
l'ame.
LE CORPS.
ANN ENE.
Siouaz ! deut eo, va c'horf, ann terraen diveza;
Red eo d'in az kuitat, lia kullat ar bed-ma.
Klevet a rann loliou morzolig ann Ankou
Mevelet co da lienn, ien-sidas da vuzellou.
Ken euzuz eo da zremm, ker glaz da zaoulagad;
Siouaz d'id-de! va c'horf, red eo d'in az kuitat.
l'ame.
Je reviendrai, vraiment, je te le jure ;
je me retrouverai
avec toi au jour du jugement;
LE CJRPS.
Quand je serai, chère âme, étendu dans la tombe et détruit
AR C nORF.
Pa vinn-me, ene kez, enn eur liez astcnnet
lia dre vreignaduiez eiin douar disiieniiet;
l'ame.
Bonjour, mon pauvre corps, bonjour, je retourne la tête,
LE COUPS.
Cessez, chère âme, cessez de m'adresser des paroles dorées;
poussière et corruption sont indignes de pitié.
l'ame.
Sauve ta grâce, ô mon corps, tu en es vraiment digne,
digne comme le vase de terre qui a renfermé des parfums.
LE CORPS.
Adieu donc, ô ma vie, adieu, puisqu'il le faut; que Dieu
vous mène aux lieux où vous souhaitez d'aller.
l'a ME.
l'a ME.
SAINT PIERRE.
Oui, tu seras reçue dans le paradis de Jésus, car lorsque tu
étais au inonde, tu l'as reçu chez toi. —
L'âme, au moment d'entrer, détourne encore la tête, et
voit son pauvre corps, comme une taupinée.
l'ame.
ANN ENE.
- EsUemina drein garo £;and rozennou 'm euz gret
Ha gand mel meurbtd dons, eur vesll t'huero meurbed. —
Nfiuze, laouen ha skanv evel euun alc'huedcr;
Aiin ene zav, e sav, e ;av e-bar ann er.
Hag evel m'eo digouet, skoci a ra war ann non,
Ha d'ann oirou isarit Ver hi a c'iioulenn digor.
NOTES
Les paysans bretons, se figurent que l'âme monte au ciel sous la forme
d'un oiseau. Comme je suivais un jour de l'œil ime alouette qui s'élevait
en chantant dans les airs, un vieux laboureur trégorrois qui charruait
à quelques pas de moi, s'arrêta; et, s'appuyant sur la fourche de son
instrument aratoire, il me regardait en silence.
— Elle cliante bien gaiement, n'est-ce pas? me dil-il enfin; mais je
parie que vous ne comprenez pas sa chanson? Je l'avouai. —
— Eh bien, coutinua-t-il, voici ce qu'elle chante :
Birvilten na bec'liinn,
Na bec'hinn, na bec'hinn 1
—
« Saint Pierre, ouvre moi la porte ;
je ne pécherai plus jamais, plus
jamais, plus jamais! »
— Nous allons voir on ouvre, — continua
si lui le paysan.
Au bout de quelques minutes, comme l'oiseau descendait, il s'écria :
ARGUMENT
C'est le mois noir (novembre) que l'Église a choisi pour songer aux
morts et prier pour eux. Le soir delà Toussaint, le cimetière est envahi
par la foule, qui vient s'agenouiller lête nue sur l'herbe mouillée, près
de la tombe de ses parents défunts, remplir d'eau bénite le creux de leur
pierre funèbre, et dans quelques localités, y faire des libations de lait.
Cependant l'olfice commence et se prolonge les cloches ne cessent de
;
votre porte : c'est Jésus qui nous envoie pour vous éveiller,
si vous dormez ;
Mon fils, ma fille, vous êtes couchés sur des lits de plume
bien doux, et moi, votre père, et moi, votre mère, dans les
flammes du purgatoire.
Vous reposez là mollement, les pauvres morts sont bien
mal; vous dormez là d'un doux sommeil, les pauvres morts
sont dans la souffrance.
Un drap blanc et cinq planches, un bourrelet de paille sous
l'a sko .ir Maro war ann iior, Gand ar re lion euz-ni maget,
Stok er t'Iialunou ar c'Iiren-iiiui'; Ed oinp pell-zo ankounac'hct,
La douU ann iior pa zou 'r inaio, Gand ar re hon euz-ni karet,
l'iou gjnd ar maro a ielo? llep Iruez, cz omp dilezet.
[lauvres trépassés.
Sautez vite hors de voire lit, jetez-vous sur vos deux ge-
NOTES
lin eiiloïKÎant, ces voix Inmenlnbles. tout lo monde se lève dnns les chau-
mières; toui monde se jette à yenoux, et l'on ju io en coniniun poul-
le
Ni zo enn tan Iiog enn anki'n; Enn han Doue, hor ziküuret!
Tan dinilan-omp, Irm war Iior penn, Pedet ar Werc'liez bcnnigct
Ha tan war lac, ha tan d'aiin traun; I)a tkuilla eul lomm euz he lez,
l'edel evid ann anaon! Etil lomm war ann anaon kez.
L'ENFER
— DIALECTE DE LÉON —
ARGUMENT
Pour trouver la société cliréliemie telle qu'elle existait autrefois, une
réunion d'hommes à natures énerj,qques, à organisation puissante, à ima-
gination de feu; pour trouver un prêtre que la foule comprenne, qu'elle
aime, et qui soit de force à lutter corjjs à corps avec elle, à la terrasser,
iln'est pas nécessaire de remouler le cours du temps et d'aller jusqu'au
moyen âge on n'a qu'à venir en Basse-Bretagne. Les cantiques qu'y
;
chante lepeuple sont en harmonie avec ses mœurs, ses mâles croyances
et les doctrines qu'on lui prêche il a un secret penchant pour les sujets
:
qui traitent des vérités les plus effrayantes de la religion, comme s'il avait
gardé l'esprit dont les druides remplissaient ses ancêli'es au fond de la
forêt sacrée le cantique de l'enfer, l'un des plus anciens et peut-être
;
moins franche, l'ensemble moins empreint de rudesse. J'ai donc cru de-
voir suivre la version traditionnelle.
ANN IFERN
— 1 ES LEOI
jamais la plus petite clarté; les portes ont été fermées et ver-
rouillées par Dieu, et il ne les ouvrira jamais; la clef en est
perdue!
vent où fuir; partout des flammes! des flammes sur leur tête,
des flammes sous leurs pieds, des flammes de tous côtés, qui
les dévoreront à jamais.
Ann
ifern zo eunn touU don lean a devalijen,
Elec'h lia weler mo^^e bihana sklerijen,
Après qu'ils auront été laissés quelque temps dans les flam-
Le feu qui les bridera en enfer sera si vif que leur moelle
bouillira dans leurs os; plus ils demanderont grâce, plus ils
seront tourmentés; ils amont beau hurler, ils brûleront éter-
nellement.
NOTES
L'imagination de Michel-Ange est-elle allée plus loin? pour que rien
ne manque à la réalité du tableau, certains passages poussent l'horreur
jusqu'au dégoût, comme ces mystérieux recoins du Jugement dernier du
grand maître italien. Qu'on se rappelle maintenant que ce cantique est
chanté fréquemment par des chrétiens de tout âgeen Bretagne. Quel trou-
ble, quel terreur profonde ne doit-il pas jeter dans l'âme des enfants, des
jeunes filles et des vieillards! Mais, comme je l'ai remarqué, le paysan
jjrelon ne hait pas les peintures sombres; la tournure de son esprit l'y
invite au contraire, et son calme intérieur n'en est point troublé. J'ai dit
aussi précédemment que la pièce était fort intei'polée dans les versions
imprimées croirait-on, par exemple, que les éditeurs ont reculé
:
33
vil
LE PARADIS
— DIALECTE DE TBEGUIER-
ARGUMENT
Autanl le conlique de l'Enfer est terrible, autant celui du Paradis
est cliai niant. On l'attribue généralement à Micli(;l le >"obletz de
Kcrodcrn, missionnaire breton du seizième siècle, mais les poètes popu-
laires le réclament pour saint Hervé, leur patron, et la légende latine
du saint paraît leur donner raison. Il est dit en effet dans cette légende,
rédigée vers le onzième siècle, ((ue saint Hervé composa sur le Paradis
un cantique breton, dont les vers pour avoir passé dans la bouche du
vulgaire n'en sont pas moins vénérables et authentiques'. Ce qu'on
peut croire, c'est que l'œiwre du bienheureux barde, telle que nous
l'avons, a reçu sa forme moJerne du dernier apôtre des Armoricains,
et une nouvelle vogue, grâce aux Missions un curé de Plougonven. :
AU BAPiADOZ
— I ES TR EGER —
.]r7Ai/. ! ppgei- |jr;u co lierr gavaiïn .inn ain/or
I'iij;i liir ami eneo, llag ar |iûaiiio iii>UT.
l'it 'ziiit liirag Donc, soiijal (leu lia ikiz,
rE?prit saint.
Je verrai Jésus, d'un air plein de bonté, placer sur mon
front une belle couronne.
— Vos corps heureux, dira Jésus, étaient des trésors cachés
en une terre bénie.
Vous êles en ma cour comme des pieds de rosiers blancs,
de lis, ou d'aubépines, dans l'angle d'un jardin;
Vous êîes dans mon paradis comme des rosiers qui per-
dent leur fleur dans la saison, et fleurissent de nouveau. —
Evel eur vag goUet, Hag eno, evit mad,
Va c'horf deuz va c'haset Welinn Doue ann Tad
Ama, (Ire ami avel, Gand lit' Val) licnniget
Ai- glao har ar riel. llag ar Spered meulet.
Mai'o, le 'ïnn treizer Me a welo Jezuz,
A ziger d'in ar cnr, Enn eur c'hiz dndiuz,
l'a viuzun gand ann lier lakiit war va fenn
Elle sera belle à voir, la Vierge bénie, avec les douze éloilcs
NOTES
Le cantique du Paradis m'a été chanté, dans mon enfance, par
une mendiante assise au pied d'une croix, au boi'd d'un cliemin. La
pauvre femme pleurait en le chantant. Dieu me donnait en elle une
image touchante de la piété des Bretons. Leur façon de comprendre le
honheurdu ciel se distingue avec une délicate originalité de la manière
d'Orcagna, quand il pemt le ciel des mères et
vulg-aire, et rappelle celle
des enfants. Elle a éié remarquée d'un philosophe chrétien de nos jours,
auquel I'idéb de Dieu a inspiré les pages les plus éloquentes, et d'un
critique d'une tout autre école, dont le cœur s'attendrit, malgré lui,
aux réminiscences qui lui viennent de son enfance et de sou pays, ces
réminiscences poétiques où se croisent à la fois, dil-il délicieusement,
toutes les sensations de la vie, si vagues, si profondes, si pénétrantes,
que pour peu qu'elles vinssent à se prolonger, on eu mourrait, sans
qu'on pût dire si c'est d'amertume ou de douceur.
APPENDICE
qu'elles emportent chez elles pour le filer, au coin du feu, pendant les
longues veillées d'hiver. Debout, devant chaque maison, leur baguette
blanche à la main et leur besace en toile sur l'épaule, elles annoncent
leur arrivée par des complaintes, seules fleurs dont elles puissent orner le
seuil qui les reçoit en cette dure saison. Aucune n'ignore que parmi
leurs chants de bienvenue, ceux-là me plaisent entre tous qui gardent le
parfum du passé; et cependant elles chantaient une complainte nou-
velle. Mais les couplets,— elles le voyaient bien, —
tombaient comme des
larmes sur mon cœur.
Quand elle est avec la sainte Vierge, avec Jésus et les apô-
Ues, avec le saints et les saintes, avec ses deu.x filles, et son
époux.
Le prêtre qui était près de son lit parlait pour elle d'une
voix douce:
« Saints et saintes du ciel, venez recevoir mon âme;
« Oh ! venez , afin que je puisse pour tout de bon aimer,
avec vous, Dieu notre père, dans le Paradis, pendant l'éter-
nité. »
NOTES
Ne méritait-elle pas d'être ainsi chantée, de l'êti'e par un prêtre et
par les pauvres gens de la Rretagnc, celle dont la tendresse, au moment
suprême, s'épuisa dans ce cri suppliant « Mes enfants, si vous avez
:
lins; mes chers enfants, pensez aux peines des laboureurs; regardez le
ciel plutôt que la terre, l'éternité plutôt que le temps. »
Son élégie n'avail-elle pas droit à une place parmi les chants dont
elle a recueilli la fleur?
L'auteur, l'ancien vicaire de Riec, le bon et vénérable curé d'Eskibien,
M. Stanguénec, qui a prêté son cœur aux malheureux pour pleurer ma
mère et la leur, me pardonnera d'avoir tralii sa leconnaissance : j'ai
\oulu lui prouver la mienne.
ÉPILOGUE
peu importe ce qui arrivera, ce qui doit être sera: il faut que tous
meurent trois fois avant de se reposer pour jamais-. » Puis il pour-
suit d'imprécations l'étranger, oppresseur de son culte et tyran de
son pays. C'est le barbare aux passions effrénées, inspiré par une
« Les si'ries. p->ge 2 et suiv.
« LaprophitU de Cwenctilan, page 20 et suiv.
EPILOGIE. 523
a reçu, qu'une nouvelle loi vienne régler ses nobles instincts et met-
Ire un frein à ses passions mauvaises.
Cette loi, il la subit, et le premier cri qui s'échappe au jour de la
bataille, de son cœur où la foi du Christ commence de germer, est
un défi jeté à la mort, du milieu des eaux sanglantes du baptême,
une hymne où la résignation chrétienne triomphe déjà du fatalisme
païen'-*. Le même sentiment éclate en ses paroles, quand la peste
ciple des druides, il s'écrie, tout chrétien qu'il semble « Cœur pour :
gnation dans les fers, elle le coiisoleia, elle lui donnera l'espoir; et
un jour que tout le monde l'auia oublié, que personne ne le recon-
nailra plus sous la casaque de plomb dont l'étranger Taura chargé;
un jour que sa barbe, devenue grise, descendra jusqu'à sa ceinture,
et qu'il ressemblera à un chêne mort depuis sept ans, alors la foi
passera sous les Iraits de la sainte patronne du pays; elle le regar-
dera, elle le reconnaîtra, elle pleurera, elle coupera ses chaînes, el
lui,poussant son cri de guérie, il appellera son pays aux armes-. —
Aux armes! —
répondent h s gueriiers. Et pour tribut, il olfre aux
ennemis la tète du gouverneur chargé de percevoir In taxe^; il les
moissonne comme le blé dans les champs, il les bat tomme la paille
sur l'aire; el, toujours dévoué, il chante en l'honneur de ses cliels
nationaux un chant de triomphe qui s'étend depuis le mont Sainl-
Michel jusqu'aux vallées d Elorn *. Mais malheur au lils de ses
princes que les étrangers tout vaincus qu'ils sont
, emmènent ,
« Chantez, petits oiseaux, dit-il d'une voix douce et triste, vous n'êtes
pas morts loin de la Bretagne-» ! »
* Lci-liraz.
s llnd., p;iyes lOV et 10:;.
' Le IriVut de Notnàioi, pnge 118.
* Ahiin-le^Itennrd. p. 121.
» Bran, p. 128.
ÉPII-OGUE. 527
pousser le blé^. » Sans frein dans ses amours comme il l'est dans
ses haines, alors même qu'il maudit les étrangers qui l'attaquent, il
bénit ceux d'entre eux qui se sont faits Bretons pour le détendre il ;
les sert iidélement par le même esprit de dévouement qu'il avait pour
ses anciens chefs de clan, dût-il les chasser, s'il les voit violer la
loi du pays, et les rappeler, s'il a de nouveau besoin d'eux*. Toujours
sous les traits d'une sœur, pour le délivrer, le voile sanglant ex-
posé aux regards de ses compatriotes, comme autrefois la vue de la
robe des onze druides fugitifs, produira, il Tespère du moins, le
même effet sur eux ' !
1 Pages 50 et 303.
- Lt'!. liijiuun.
= Mort de Puutcalcc.
530 CHANTS POrULAIRES DE LA BRETAGNE.
« Vive qui aime son pays! vive le jeune flls du roi! et que les
Bleus s'en aillent savoir s'il y a un Dieu!
Vie pour vie! amis; tuer ou être tué! il a fallu que Dieu mou-
^(
blé est toujours mauvais dans la terre mauvaise bien fou est :
celui qui croiL que la fougère portera jamais des fleurs de lis,
ou que For tombe du haut des arbres. Du haut des arbres il ne
tombe rien que des feuilles sèches, que des feuilles jaunies pour faire
le lit des pauvres gens. » Et ils ajoutent, en élevant leurs yeux au
ciel « Chers pauvres, consolez-vous, vous aurez un jour, au lieu
:
les cœurs bretons sont remplis de Notre sort est misé- tristesse!...
rable; notre étoile, funeste; notre état, bien pénible repos ni jour :
elle les rend gais, d'une gaieté calme et tempérée; elle les rend bons
et sociables; elle vient, comme un ami grave et honoré qui partage
les goûts de la fimilie, s'asseoir à leur foyer; elle prend les enfants
sur ses genoux, et, joignant leurs petites mains, elle Lair enseigne
à prier ainsi :
Elle leur prêche le respect pour les gens d'Église, pour les pro-
priétaires, pour toutes les personnes d'une condition supérieure;
l'amitié pour toutes celles de leur rang. Elle leur inspire la con-
liance en Dieu, et leur promet une belle récompense dès ici-b:.is, et
une plus belle encore dans l'autre vie.
« Pensez, chers petits, leur dit-elle, que Dieu vous regarde,
comme le soleil, du haut du ciel ;
pensez qu'il vous fait fleurir,
la Fête-Dieu, ceux d'entre vous qui auront été bien sages seront choi-
sispour jeter des fleurs sur les pas du Sauveur, en attendant qu'ils
en jettent devant lui au ciel. «
viner qu'elle n'est pas loin. Mais elle revient le soir de la fête avec
eux; et les l'êtes nouvelles, les fêtes graves de l'âge mûr, auxquelles
celle-là n'est qu'un acheminement, elle les préside et leur donne sa
consécration divine « Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, »
:
tière je prierai Dieu jour et nuit, afin que nous nous retrouvions
:
dans le paradis, n
Toujours celte pensée consolante d'immortalité! L'imagination du
peuple la revêt sans doute, avec trop de complaisance, de mille for-
mes merveilleuses que la religion et la raison proscrivent comme
superstitieuses; qu'importe, si elle le rend meilleur en le rendant
heureux? Sa foi est crédule, à coup sûr, mais elle est sincère, elle
est inébranlable, elle est pratique, et fait la règle de ses mœurs.
D'ailleurs, aucune de ses croyances ne peut avoir de conséquences
fâcheuses; aucune ne ravale la dignité de l'homme; toutes, au con-
traire, sont de nature à élever l'esprit et le cœur. Les saints dont il
accueille les yeux fermés tous les miracles sont les héros à la fois
de sa religion et de sa patrie; c'est lui-même qui les a canonisés pour
la plupart ils lui ont été bons et secourables pendant leur vie; il
:
espère en eux après leur mort. L'un défend ses fils sur le champ de
bataille; l'autre, ses frères dans la tempête. Les âmes dont il peuple
l'air, et dont la voix gémit par la bouche des vents de la nuit, sont
gaie comme une alouette, son âme monte vers le ciel. Quelque
amer qu'ait été pour lui tout ce qu'il quitte, il ne peut s'em-
pêcher de jeter trois fois à la dérobée « un petit regard vers en
bas^. » On dirait que son aversion pour tout changement, que son
instinct de l'habitude le suit au delà du tombeau; on dirait que la
résignation est devenue tellement sa nature, qu'au moment de partir
il hésite à échanger sa misérable vie contre le bonheur même. Il re-
garde son corps, il lui fait les plus touchants adieux; il honore en
lui, « un vase de terre qui a contenu des parfums. » Il regarde avec
Pages
Pféface - I
IXTBOIiUCTIOX XI
PREMIÈRE PARTIE.
Texte Airs
et traductiun. notés.
La Prophétie de Gwenc'hlan 19 ii
Texic Airs
et traJuclion. notés.
L'Enfant supposé 51 m
Les Kains 55 m
Submersion de la ville (l'Is 58 iv
La Marche d'Arthur 48 v
La Peste dEUiant 52 v
Merlin, fragments de ballades 56 vt
I. — Merlin au berceau 57 vi
II. — Merlin-Devin C2 vi
III. —Merlin-Barde C5 vi
IL — Le Retour , . . . . 85 vn
m. — Le Chevalier du roi 80 vu
V._LeRoi 98 vu
VI. — L'Ermite 100 vn
Le Faucon 150 ix
Iléloïse et Abailard 155 x
Le Retour d'Angleterre 141 x
L'Épouse du croisé 146 xi
Le Rossignol 151 xii
DEUXIÈME PARTIE.
IL — La Ceinture 417
TROISIÈME PARTIE.
APPENDICE.
Épilogue 523
DE LA BRETAGNE
MUSIQUE
LES SERIES
TAR RANNOU:
Allegro.
-i^
SUBMERSION DE LA VIIU D'IS
(LIVADEN GERJ.Z.)
And-Jiite.
DPomii,'1c()inj),deomiv •
doomp, dconip, (loonip, d'ar
LA PESTE D'ELLIANT
(BOSlN ELLIANT.)
^
:û=^
Tre Lan - m, -
^m
\in liatr ar Fa
g: J ia4^-j-i=£^^F=^-^fe^
-ouet, Eur fiarz s;rii - tt'l a vez ka
-vt;t;
RIERLIN AU BERCEAU
(MARZIN ENN HE^GAVEL)
WERLIW-DEVINr-WERLiri-BARDE
fMARZlN-DIVINOUR-MARZIN-BARZ)
. "II'S
COnVERSION DE MEftLin.
(BISTRO MARZÏN)
LE TRIBUT OE NOnENOE.
ALAIR-LE-RENARD.
(ALAN AL LOUARN)
m
I-:o-ni-kled a- mil - vro! Lemmdremm Jie zaou -la^
Heligio
LE FAUCON..
fAR FALC^HON.)
fi »
E - vit mo nel d'nr bre - 7el. dia
\F
daii mal) ann Dn _ ke/.., En deuz das tu mel
V EPOUSE DU CROISÉ.
IGREG AR CHROAZOÜR.)
fANN EOSTIK.)
AUe^ro v'iracf.
g-J-fJ^^ E^e
iffg lann - ;ing Zant
m^=^=^^=^M-U-L^i
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LE FRERE OE LAIT.
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LE CLERC DE ROHüR.
fKLOAREK ROHAN.)
L'HERMINE.
(ANN ERMINIK.)
Allfgro
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XVI
LE e4ñON OF J^UIOZ
(BARON JAOUÎOZ)
LA FILLEULE OE DUGUESCLIN.
LE VASSAL DE DUGUESCLIN
(GV^AZ AOTROLl GVVESKLEN)
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IVIII
LA CEif^TURE DE NOCES
(SEIZEN EURED.)
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(AZENORIK CHLAZ)
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(PAOTRED PLOUIEO)
(SEZIZ GWENGAMP)
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LE CARNAVAL DE R05P0RDEN.
(ENED ROSPORDEN)
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GENEVIEVE OE RUSTEFAN.
(JENOVEFA RUSTEFAN)
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LES LIGUEURS.
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L'ORPHELINE DE LANNION.
(EMZIVADEZ LANNION)
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RIORT DE PQNTCALEK
(MARO PONTRALEK)
Schcvzaiiifo
W' N ,
J i- ^ r^-^
Eur wer - zeeu ue - ve zo sa vet:
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Trai-tour! ah! mal-Ioz d'id - ta!
LE COMBAT DE SI CAST.
(EMGANN S'KAST)
se chante sur Fair du SlÈCg DE EUIfiSâM?. Pags IS.
XXVI
lANNlK SKOLAN
iu^nn u\ ^^
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Doc'li
4
LA CHANSON DU PILOTE
(KANAOUEN AL LEVIER.)
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LES LABOUBEUBS.
(AL LABOUKEhIEN.)
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ued, dit sle vet eur g€U
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LE PRETUE EXIUE.
(AR BELEK FORBANNET.)
chante sn. Pui. de l^EPOUSE DU CROISE !>;,-« XI
LES BLEUS
(AR RE C^HLAZ.)
Tvwpo t/i mnt'i
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tu Hv zoudar - detl c'iidl! Ar clias
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LE TEWPS PASSÉ.
(ANT^ AMZER ÜREMENET)
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LA DEMâNOE en mariage.
(AR GOULENN.)
Reli^ioso.
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LA CEINTURE
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XXXIV
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CHANT DE Là FETE DE JUIN.
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LE LEPREUX.
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LA fllEUHIERE DE PONTÜRO
(MELINEREZ PONTARO)
Di - ga di - ga
LE MAL DU PAYS.
LE PAUVRE CLERC.
(MELLEZOUROU ARC'HANT)
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LA RUPTURE.
(km DROUKRANS)
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LES HIRONDELLES.
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se chante Mil- raii OU ROSSIGNOL l'a-e XIL
LA LEGENDE DE S' RORAN.
LA TOUR D'ARITiDR
^m ^ az,
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LE DEPART DE ÜAME.
(KIMIAD ANN ENE )
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XLI7
LE PARADIS.
lAE. BARADOZ.)
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APEENDICE.
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