2021 Qccs 1466
2021 Qccs 1466
2021 Qccs 1466
CANADA
PROVINCE DE QUÉBEC
DISTRICT DE MONTRÉAL
NOS : 500-17-108353-197
500-17-109731-193
500-17-109983-190
500-17-107204-193
______________________________________________________________________
500-17-108353-197
ICHRAK NOUREL HAK
et
NATIONAL COUNCIL OF CANADIAN MUSLIMS (NCCM)
et
CORPORATION OF THE CANADIAN CIVIL
LIBERTIES ASSOCIATION
Demanderesses
c.
PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC
Défendeur
et
WORLD SIKH ORGANIZATION OF CANADA
et
AMRIT KAUR
et
AMNISTIE INTERNATIONALE, SECTION CANADA FRANCOPHONE
500-17-108353-197 et Als PAGE : 2
et
LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE
et
QUÉBEC COMMUNITY GROUPS NETWORK
500-17-109731-193
ANDRÉA LAUZON
et
HAKIMA DADOUCHE
et
BOUCHERA CHELBI
et
COMITÉ JURIDIQUE DE LA COALITION INCLUSION QUÉBEC
Demanderesses
c.
PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC
Défendeur
ASSOCIATION DE DROIT LORD READING
Intervenante
500-17-109983-190
ENGLISH MONTREAL SCHOOL BOARD
et
MUBEENAH MUGHAL
et
PIETRO MERCURI
Demanderesses
c.
PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC
Défendeur
500-17-108353-197 et Als PAGE : 3
500-17-107204-193
FÉDÉRATION AUTONOME DE L’ENSEIGNEMENT
Demanderesse
______________________________________________________________________
JUGEMENT
______________________________________________________________________
1. Les parties 7
1.1 Les demanderesses et les intervenantes en demande 7
1.2 Les défenderesses et les intervenantes en défense 13
2 La Loi 21 14
2.1 Le contenu de la Loi 21 14
2.2 Les impacts de la Loi 21 17
3 La preuve 19
3.1 Considérations générales quant à l’instance 19
3.2 Les demandes de rejet d’expertise et de radiation 21
3.2.1 Les principes juridiques relatifs à l’expertise 21
3.2.2 La demande en rejet du PGQ 25
3.2.3 Les demandes en rejet du rapport de Yolande Geadah 27
3.2.4 La demande en rejet des paragraphes 107, 108 et 112 du rapport d’expertise de
Marc Chevrier 30
3.2.5 La demande en rejet du rapport de Benoît Pelletier 31
3.2.6 La demande de rejet de 26 extraits du rapport de Stefanini-Taillon 32
3.2.7 La demande en radiation de certains paragraphes de la déclaration sous
serment de Guy Rocher 33
3.2.8 La demande en rejet de l’expertise de Jacques Beauchemin 36
4 Un résumé de la position des parties 38
4.1 Les parties demanderesses 38
500-17-108353-197 et Als PAGE : 4
[4] En résumé, pour les motifs qui suivent le Tribunal conclut que :
1 Dossier 500-17-108353-197 (le dossier Hak), dossier 500-17-109731-193 (le dossier Lauzon),
dossier 500-17-109983-190 (le dossier English Montreal School Board), dossier 500-17-107204-193
(le dossier Fédération autonome de l’enseignement).
2 L.Q. 2019, c. 12, intégrée au RLRQ, c. L-0.3 (ci-après « Loi 21 »).
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3 30 & 31 Vict., c. 3 (R.-U.), reproduite dans L.R.C. 1985, app. II, n° 5 (ci-après « L.C. 1867 »).
4 RLRQ, c. C-12 (ci-après « Charte québécoise »).
5 Annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, c. 11 (R-U.) (ci-après « L.C. 1982 »).
6 14 Geo. III, c. 83 (R.-U.), reproduit dans L.R.C. 1985, app. II, n° 2.
7 Acte pour abroger cette partie de l’Acte du Parlement de la Grande-Bretagne passé dans la trente-
unième année du Règne du Roi George Trois, chapitre trente-un [Acte constitutionnel de 1791], qui se
rapporte aux Rectoreries et à la nomination des titulaires à icelles, et pour d’autres fins liées aux dites
Rectoreries, (1852) 14-15 Vict., c. 175.
8 Acte pour déclarer que les Personnes qui professent le Judaïsme ont le bénéfice de tous les droits et
privilèges des autres sujets de Sa Majesté en cette Province, (1831) 1 Guil. IV, c. 57.
500-17-108353-197 et Als PAGE : 7
- La règle du stare decisis fait en sorte que l’arrêt Ford9 doit recevoir application.
Par conséquent, l’utilisation des clauses de dérogation par le législateur s’avère
juridiquement inattaquable;
- L’article 28 de la Charte canadienne, qui garantit l’égalité des droits pour les
deux sexes, ne possède pas une portée autre qu’interprétative et il ne permet
pas d’invalider des lois de façon autonome;
1. LES PARTIES
[5] Marocaine d’origine11, Ichrak Nourel Hak (Hak) arrive à Montréal en 1994 et
complète présentement sa scolarité pour obtenir un baccalauréat en éducation du
français comme langue seconde à l’Université de Montréal. Elle considère
l’enseignement comme une vocation et affirme que ses plans d’enseigner, notamment
[6] Ce choix, qui reflète ses propres convictions religieuses, participe tant de son
identité que de sa spiritualité et l’aide selon elle à combattre les stéréotypes à l’égard
des femmes musulmanes qui perpétuent, entre autres, l’image de la femme musulmane
opprimée du simple fait qu’elle porte le voile.
[7] Elle déclare qu’elle ne peut s’imaginer enlever son voile parce qu’une loi l’oblige
à choisir entre sa pratique religieuse et son droit d’enseigner au Québec. Pour elle, le
fait de porter un vêtement qui reflète cette pratique ne possède aucune relation avec
ses habiletés d’enseignante, ou de façon plus générale, sa contribution à la société
québécoise.
[8] Elle se sent donc exclue et affirme recevoir le message suivant : pour pouvoir se
sentir acceptée comme une citoyenne à part entière, elle doit prendre l’apparence de la
majorité. Pour elle, cela constitue une forme de pression psychologique qui indique que
l’exercice de sa religion et les moyens expressifs qui s’y rattachent la rendent incapable
d’occuper des rôles importants dans la société québécoise.
[9] Originaire d’Angleterre, Amrit Kaur (Kaur) émigre au Canada en 1995 avec ses
parents et vit presque exclusivement au Québec depuis lors. Elle y fait toute sa scolarité
et complète un baccalauréat en anthropologie et sociologie à l’Université Concordia
en 2017. En 2019, elle termine un baccalauréat en éducation à l’Université d’Ottawa.
[10] Kaur pratique le sikhisme amritdhari et sa foi l’oblige à porter divers objets ou
vêtements en l’occurrence un dastar (turban), un kara (bracelet) en métal à chacun de
ses bras, un kirpan (poignard), des sous-vêtements longs et un peigne en bois. Pour
elle, le port du turban reflète son engagement pour une vie de spiritualité et de
discipline tout en reflétant le fait qu’elle possède la même obligation de responsabilité
qu’un homme et, donc, qu’en ce sens, il représente un symbole d’égalité.
[11] Elle souligne que le turban lui permet « d’organiser » ses cheveux qu’elle ne
coupe pas, tout comme ses autres manifestations de pilosité, car pour les Sikhs le fait
de ne pas les couper reflète une acceptation du divin. Les karas servent à lui rappeler
qu’elle doit faire le bien en tout moment alors que le kirpan représente le refus de
[12] Elle témoigne que les sikhs amritdhari n’enlèvent pas leurs symboles religieux et
[16] Pour elle, sa foi chrétienne participe à son identité, ce qui inclut le choix de
s’habiller de façon à respecter ses valeurs, en revêtant, par exemple, des robes et des
jupes ainsi que certains objets religieux qu’elle porte en tout temps sur elle, en
l’occurrence une chaîne autour de son cou avec une médaille de la Vierge Marie et un
crucifix. Ces objets lui permettent de se rappeler au quotidien de la présence de Dieu,
d’implorer l’approbation divine et de s’identifier en tant que catholique, notamment afin
de recevoir les derniers sacrements en cas d’urgence.
[17] Elle considère la Loi 21 comme un affront à sa dignité, qui la stigmatise en tant
que personne croyante et viole son droit d’exercer pleinement sa foi, tout en lui
interdisant toute mobilité professionnelle.
[19] De confession musulmane, elle témoigne qu’elle porte le hijab lorsqu’elle sort de
chez elle depuis 31 ans, car cela lui permet de rester en lien avec sa foi et constitue un
geste indissociable de ses pratiques religieuses. Désirant obtenir un transfert de poste
dans la région de Gatineau afin de se rapprocher de son frère qui vit à Ottawa, elle se
trouve empêchée d’obtenir ce transfert ainsi que toute modification à son statut, qu’il
s’agisse d’une promotion ou d’un changement de fonction, à cause de la Loi 21.
[20] Elle se sent traitée comme une citoyenne de seconde classe simplement à
cause de ses croyances et pratiques religieuses vestimentaires en tant que
musulmane.
[22] Première femme de sa famille et de son quartier à porter le hijab à 17 ans pour
des raisons religieuses, elle subit des pressions de son entourage pour qu’elle cesse de
le porter, mais elle refuse encore et toujours, car elle considère que le port du foulard
fait partie intégrante de ses croyances et devoirs en tant que femme musulmane, tout
en lui procurant un sentiment de plénitude qui lui permet d’affirmer sa liberté et son
autonomie. Pour elle, ce vêtement exprime le contrôle qu’elle exerce sur sa vie, son
corps et ce qu’elle décide de montrer à autrui.
[23] La Loi 21 l’empêche d’obtenir une plus grande stabilité, par exemple dans un
poste de gestion ou un autre poste d’enseignement. Déjà exposée à des commentaires
insultants et haineux, elle en craint une recrudescence.
[24] Commissaire élue en tant que parent à la Commission scolaire English Montreal
School Board (EMSB) depuis 2018, Mubeenah Mughal (Mughal) participe à ses
activités depuis plusieurs années. Pratiquante de la religion musulmane, ses trois
enfants reçoivent leurs scolarités dans des établissements de cet organisme.
Également élu en tant que parent commissaire depuis la même date, Pietro Mercuri
(Mercuri) envoie un de ses enfants dans une école secondaire de la EMSB. Ces deux
parents jouissent des droits constitutionnels qui découlent de l’application de l’article 23
de la Charte.
500-17-108353-197 et Als PAGE : 11
[26] L’Association Canadienne des Libertés Civiles (ACLC), organisme national sans
but lucratif, non partisan et indépendant, voit depuis 1964 à promouvoir les droits et
libertés des citoyens canadiens. À ce titre, elle prend part régulièrement, tant comme
partie principale que comme intervenante à des procédures judiciaires ou à des
contributions législatives.
[29] Cette dernière compte plus de sept millions de membres et sympathisants dans
plus de 150 pays, alors que ce chiffre s’établit à 400 000 pour le Canada. Amnistie
intervient régulièrement devant les autorités gouvernementales et les tribunaux pour
mener sa mission.
[32] Elle intervient régulièrement dans des dossiers judiciaires, de toutes instances,
qui soulèvent des questions constitutionnelles et de droits et libertés fondamentales.
500-17-108353-197 et Als PAGE : 12
[34] La CCDP intervient parce qu’elle se dit préoccupée par l’adoption d’une loi qui
viole la liberté de religion des fonctionnaires provinciaux, des personnes aspirant à
travailler dans la fonction publique et qui se trouvent visées par la Loi 21 ainsi que des
membres du public devant se découvrir le visage pour recevoir des services de ces
institutions publiques.
[35] Également, ses préoccupations portent sur l’effet négatif d’entraînement qui
risque de survenir, selon elle, du fait que les fonctionnaires fédéraux travaillant au
Québec se verraient exposer à des critiques, ou même à une pression conformiste, ce
qui les empêcherait de jouir pleinement de leur liberté de conscience et d’expression,
au même titre que leurs autres collègues dans le reste du pays.
[37] Elle se dit préoccupée pour la population qu’elle dessert en ce que la Loi 21
entraînera des impacts sur plusieurs minorités religieuses qui se retrouvent dans la
communauté anglophone, puisque 20 % des minorités visibles font partie de cette
communauté13.
[38] Fondée en mars 2019, la Coalition Inclusion Québec (CIQ) rassemble des
individus de divers milieux qui s’opposent à la Loi 21. Elle participe le 16 mars 2019 à la
Commission des institutions de l’Assemblée nationale dans le cadre des consultations
particulières et auditions publiques sur le projet de la Loi 21. Ses représentants
s’inspirent largement des commentaires entendus lors de la consultation populaire
qu’elle organisa en mai 2019.
[39] La CIQ incorpore à titre d’organisme sans but lucratif le Comité juridique de la
Coalition Inclusion Québec (CJCIQ), notamment afin d’instituer le présent recours.
création découle notamment de l’interdiction d’accès faite aux juifs d’accéder à l’hôtel
où se tenait, cette même année, le congrès du Barreau du Québec. Elle compte aussi
parmi ses membres des personnes d’autres confessions ou religions. Elle vise la
promotion de la diversité sociale, culturelle et religieuse des membres de la société
[41] EMSB, établie en 1998 en vertu de l’article 111 de la Loi sur l’instruction
publique14, compte environ 42 000 étudiant.e.s dans 75 écoles et centres, constituant
ainsi le plus gros organisme de ce type au Québec.
[42] Il appert que dans ses écoles et centres les femmes occupent 88 % des postes
d’enseignant.e.s au niveau préscolaire et primaire et 67 % au niveau secondaire. Celle-
ci se plaint d’une pénurie d’enseignant.e.s au Québec, ce qui l’affecte tout comme les
communautés qu’elle doit servir.
[43] Elle affirme que trois enseignantes qualifiées ne peuvent pas travailler pour la
EMSB en tant que professeures parce qu’elles portent le hijab. De plus, la clause
d’antériorité, en l’occurrence l’article 31(5) de la Loi 21, la limite sévèrement dans la
promotion d’enseignant.e.s à des postes de directeur.trice ou directeur.trice adjoint.e,
postes qui s’avèrent habituellement déjà difficiles à combler.
[46] Organisme sans but lucratif, dont la création remonte à 1977, le Mouvement
laïque québécois (MLQ), au départ appelé l’Association québécoise pour l’application
du droit à l’exemption de l’enseignement religieux, vise à promouvoir la laïcité comme
valeur publique et source de cohésion sociale, ainsi qu’à promouvoir et revendiquer le
caractère laïque de l’État, de ses institutions et des agents de l’État et de s’opposer à
toute atteinte au caractère de neutralité de l’État, de ses institutions et des services
publics.
14 RLRQ, c. I-13.3.
500-17-108353-197 et Als PAGE : 14
[49] PDF compte aujourd’hui plus de 600 membres, tant des femmes que des
hommes, d’origines diverses et de toutes confessions religieuses, engagés pour
défendre le droit des femmes à l’égalité, et ce, dans une perspective féministe.
[50] L’intervenant amical Libres penseurs athées (LPA), une association de défense
des droits des athées fondée à Montréal en 2010, compte plus de 1650 sympathisants
et vise à promouvoir le matérialisme philosophique, l’athéisme, la laïcité et la pensée
critique.
2 LA LOI 21
[…]
[…]
[55] L’article 4 énonce le droit de la personne à recevoir des services publics laïques
par l’entremise d’institutions parlementaires, gouvernementales et judiciaires laïques.
6. Le port d’un signe religieux est interdit dans l’exercice de leurs fonctions aux
personnes énumérées à l’annexe II.
[57] L’article 8 oblige les membres du personnel d’un organisme à exercer leurs
fonctions à visage découvert et toute personne qui requiert un service fourni par ce
membre du personnel, doit interagir à visage découvert, pour la vérification de l’identité
ou pour des motifs de sécurité. L’annexe I énumère les organismes visés, alors que
l’annexe III définit ce qui constitue un membre.
[58] À titre d’exemple, le Tribunal note que l’annexe I inclut de façon générique dans
les organismes :
[59] La Loi 21 modifie16 également la Charte québécoise pour que l’article 9.1 se lise
maintenant comme suit :
9.1. Les libertés et droits fondamentaux s’exercent dans le respect des valeurs
démocratiques, de la laïcité de l’État, de l’ordre public et du bien-être général des
citoyens du Québec.
[62] Son article 31 établit de façon générale, pour les fins de l’exercice, une clause
d’antériorité pour une série de personnes occupant déjà certaines fonctions avant
le 27 mars 2019, ce qui en pratique, signifie que celles-ci peuvent porter un signe
religieux.
16 Art. 18 et 19.
17 Art. 20 à 30.
18 RLRQ, c. R-26.2.01 (ci-après « Loi 62 »).
500-17-108353-197 et Als PAGE : 17
[64] De façon pratique, les impacts de ses articles 6 et 8 sur des personnes
pratiquant leur foi, notamment par le biais du port de symboles religieux ou de
- Pour Hak qui porte le hijab, elle ne pourra pas enseigner le français dans une
école publique tel qu’elle le souhaite19;
- E.E.20 et Ghadir Hariri21 se retrouvent dans la même situation;
- Hakima Dadouche doit exercer la même fonction, dans la même commission
scolaire, pour pouvoir continuer porter le hijab22;
- Pour Basir Naqui, musulman pratiquant, qui porte la barbe et un couvre-chef,
il ne pourra devenir un procureur de la Couronne23;
- Pour Imane Melab, elle ne pourra pratiquer le droit dans le secteur public
puisqu’elle porte le hijab24;
- Pour Carolyn Gehr, de confession juive, une carrière d’enseignante dans le
secteur public devient impossible parce qu’elle porte un foulard pour des
raisons reliées à sa foi25;
- Pour Fatima Ahmad, elle ne peut enseigner dans une école publique à cause
du port du hijab, ce qui la fait réfléchir quant à son lieu de résidence au
Canada26;
- Pour Gregory Bordan, portant des symboles religieux juifs, tels des tzizits
(cordes) et un couvre-chef, il ne pourra offrir de services juridiques aux entités
gouvernementales27;
- Finalement, Amrit Kaur, femme sikh pratiquante qui porte de nombreux
symboles religieux, tels que le turban et le kirpan entre autres, accepte un
poste d’enseignante à l’extérieur de la province vu l’impossibilité pour elle
d’enseigner au Québec28.
[65] Cette exclusion de la simple possibilité d’exercer la carrière envisagée, pour
laquelle on possède toutes les qualifications, représente plus qu’un simple déni d’une
chance, car elle transmet le message que les personnes qui exercent leur foi ne
méritent pas de participer à part entière dans la société québécoise.
[66] Pour Hak, le message du premier ministre François Legault affirmant qu’il existe
« d’autres emplois de disponibles » entraîne un délitement sérieux du tissu social,
contrevenant ainsi à l’enseignement suivant de la Cour suprême dans Syndicat
Northcrest c. Amselem29 :
[67] De plus pour elle, la preuve révèle que cette politique d’exclusion, puisqu’on doit
l’appeler ainsi, entraîne des conséquences disproportionnées pour les femmes
musulmanes30.
[68] Il ne fait aucun doute que la Loi 21 entraîne des conséquences sérieuses et
négatives pour toutes les personnes qui arborent les signes religieux en public. De
façon générale, d’une part, toutes celles qui occupent un emploi visé par la Loi 21 se
retrouvent coincées dans leur position actuelle puisqu’elles ne peuvent en changer sous
peine de perdre le bénéfice de la clause d’antériorité, à moins de décider de ne plus
porter de signes religieux en public.
[69] D’autre part, toutes ces personnes qui aspirent à occuper l’un de ces emplois se
trouvent placées devant le dilemme suivant : ou bien elles agissent en fonction de leur
âme et conscience, en l’occurrence leurs croyances, ou bien elles travaillent dans le
métier de leur choix. On peut aisément comprendre qu’il s’agit là d’une conséquence
cruelle qui déshumanise les personnes visées.
[70] Pour plusieurs, le législateur envoie le message explicite que leur foi et la façon
qu’ils la pratiquent n’importent pas et qu’elle n’emporte pas la même dignité ni ne
requiert la même protection de la part de l’État. Pour eux, la Loi 21 postule qu’il existe
quelque chose de fondamentalement mal ou nocif avec les pratiques religieuses,
particulièrement certaines d’entre elles, et que l’on doit prémunir le public. Ainsi, elle
transmet un message explicitement exclusif à l’égard des personnes qui se font dire
qu’elles ne peuvent participer pleinement dans les institutions publiques de l’État
seulement à cause de leurs convictions intimes.
[71] La FAE souligne que la grande majorité de ses syndicats affiliés constatent une
recrudescence d’actes de harcèlement ou de propos dénigrants et insultants à l’endroit
de leurs membres de confession musulmane portant un signe religieux 31 et que certains
citoyens manifestent ouvertement leurs préjugés envers eux32.
[72] Voilà pourquoi elle plaide que la conception de la laïcité véhiculée par cette
législation contrevient au principe constitutionnel fondamental de la protection des
minorités énoncée dans la jurisprudence de la Cour suprême et qu’elle constitue une
rupture de l’ordre constitutionnel canadien établi, ce qui ne peut se faire que par une
[73] Hak affirme que la Loi 21 ne répond pas aux préoccupations fondamentales33
qu'évoquent certains membres de la société civile depuis le dépôt du projet de loi,
notamment :
3 LA PREUVE
[74] Le Tribunal convient avec la PGQ qu’il relève, à priori, de l’Assemblée nationale
du Québec de décider, en fonction des caractéristiques propres de la nation
québécoise, des rapports qui doivent exister ou subsister entre la religion et la société
civile. Ce faisant, celle-ci exerce ses prérogatives en fonction des pouvoirs dévolus par
notre ordre constitutionnel.
[75] Cependant, la tâche de valider la stricte légalité de ces gestes revient aux
tribunaux judiciaires. Ceux-ci agissent en arbitre neutre et impartial d’un débat social qui
trouve son aboutissement dans un acte, en l’occurrence législatif, que certains
membres de la société contestent. Il s’agit là de leur droit le plus strict. Le devoir des
tribunaux vise à résoudre le contentieux, ni plus ni moins.
[83] Quant aux rôle et devoir de l’expert.e, dans White Burgess, la Cour suprême
énonce :
35 Pièce PGQ-12.
36 Pièce EMSB-REP-3.
37 R. c. Mohan, [1994] 2 R.C.S. 9; White Burgess Langille Inman c. Abbott and Haliburton Co.,
2015 CSC 23.
38 White Burgess Langille Inman c. Abbott and Haliburton Co., 2015 CSC 23, par. 10.
500-17-108353-197 et Als PAGE : 22
[85] Le plus haut tribunal ajoute ceci quant au lien que peut entretenir l’expert avec la
partie qui propose son témoignage :
[86] À cet égard, le Tribunal doit agir à titre de gardien de l’admissibilité de ce type de
E) dans le cas d’une opinion fondée sur une science nouvelle, contestée ou
utilisée à des fins nouvelles, la fiabilité des principes scientifiques étaye la
preuve devant faire l’objet d’une démonstration.
A) La pertinence
B) La nécessité
leur technicité, soit se former une opinion juste sur une affaire
sans l’aide de personne ayant des connaissances particulières ».44
[91] Puis, quant à l’objectif que doit viser l’opinion de l’expert, elle ajoute dans R. c.
[94] Personne ne plaide qu’il existe d’autres règles d’exclusion qui militeraient en
faveur du rejet des rapports d’expertises contestées et des témoignages qui en
découlent. Le Tribunal en convient.
[95] L’arrêt Mohan enseigne que l’expert.e doit posséder des connaissances
spéciales ou particulières grâce à des études ou une expérience relative aux questions
visées dans son témoignage. À cet égard, le Tribunal peut répondre aux questions
suivantes :48
[98] Finalement, l’arrêt White Burgess enseigne qu’au bout du compte, l’utilité
possible du témoignage de l’expert doit convaincre le Tribunal qu’elle l’emporte sur les
risques reliés à celui-ci49.
[99] De plus, le Tribunal ne se trouve pas lié par l’opinion des experts. Il doit en
soupeser la valeur probante et analyser son impact tout comme il le fait pour la preuve
profane.
[100] Le PGQ demande le rejet des rapports d’expert de Thomas Dee 50 et de Richard
Bourhis.
[101] Quant au premier, il plaide que les recherches du professeur Dee apparaissaient
très éloignées des enjeux du litige, d’une part, parce que les données utilisées par lui
proviennent d’écoles américaines et, d’autre part, parce que son étude porte
exclusivement sur l’impact de la diversité raciale du corps enseignant sur les résultats
des étudiants issus de minorités raciales.
49 White Burgess Langille Inman c. Abbott and Haliburton Co., 2015 CSC 23, par. 54.
50 Pièce EMSB-23-47.
500-17-108353-197 et Als PAGE : 26
[102] Il ajoute que puisqu’aucune de ses études ne porte sur l’impact de la diversité
religieuse du corps enseignant sur les étudiants appartenant à des minorités religieuses
et, plus précisément, qu’il n’étudie pas les impacts de la Loi 21, le tout conjugué à son
absence d’études canadiennes, fait en sorte de rendre son rapport irrecevable.
[104] Avec égards, le PGQ confond la pertinence avec la valeur probante d’un rapport
d’expert.
[105] Ici, il ne fait aucun doute qu’en toute logique, les études du professeur Dee
possèdent une pertinence quant à l’effet de la Loi 21 sur les élèves puisque cette
preuve peut rationnellement toucher à la vraisemblance d’un fait important, en
l’occurrence l’impact de l’absence de certaines personnes issues de minorités
religieuses sur les élèves issus des minorités. De plus, pour le Tribunal, la
méthodologie de l’expert Dee ne peut faire l’objet de sérieuse remise en question qui
entraînerait son rejet.
[106] Le Tribunal rejette la demande de rejet du rapport Dee du PGQ pour le motif de
non-pertinence.
[108] À titre d’exemple, il cible le paragraphe 4 du rapport alors que l’expert affirme :
pour soutenir qu’en ce faisant, Bourhis usurpe la fonction du juge, qui seul pourrait se
prononcer sur le caractère discriminatoire d’une loi.
[110] À ce sujet, le PGQ fait fausse route. Les qualifications qu’apporte l’expert
n’usurpent pas le rôle du Tribunal. Elles constituent plutôt l’opinion, tranchée certes,
d’un expert en psychologie sociale qui analyse la Loi 21 en fonction de sa perspective
découlant de sa science, et des effets qu’entraînera, selon lui, la Loi 21. Ce faisant, il
n’usurpe pas le rôle du Tribunal, qui, à charge de redite, ne se trouve pas lié par cette
opinion.
[111] Le PGQ attaque également le rapport Bourhis en soutenant que ses conclusions
ne reposent sur aucune étude empirique sur les effets de la Loi 21, ou sur les effets du
dénombrement, tout en énonçant son opinion personnelle en émettant des hypothèses
sur les effets de la Loi 21 sans procéder à aucune vérification.
[112] Le Tribunal ne peut pas retenir ces arguments du PGQ, car, encore une fois,
l’expérience et l’expertise de Bourhis lui permettent de tirer des conclusions qui
découlent logiquement de la situation factuelle qu’il constate.
[116] Également, elle énoncerait des opinions juridiques tout en émettant des
hypothèses quant à l’intention du législateur59.
[117] Au sujet du manque de rigueur scientifique, ils plaident que son rapport repose
majoritairement sur des sources non scientifiques telles le Journal de Montréal, La
Presse et le magazine Châtelaine60 et sur du ouï-dire61. Ils ajoutent que ses publications
ne font l’objet d’aucune vérification par des pairs.
[118] Finalement, au sujet du manque d’impartialité, ils soumettent que son rapport
contrevient aux obligations d’objectivité et de rigueur imposées aux experts par
l’article 22 C.p.c.62, car il s’apparente plus à une argumentation écrite visant à soutenir
la thèse de PDF63 qu’à un rapport scientifique qui permettra d’éclairer le Tribunal.
[119] À cela, PDF réplique que l’arrêt Danson c. Ontario (Procureur général)64
assouplit les règles de preuve dans un litige constitutionnel lorsqu’il s’agit de
comprendre le contexte social, économique et culturel dans lequel s’inscrit une loi
faisant l’objet d’une contestation en vertu de la Charte65.
[120] Le Tribunal tient à préciser que l’arrêt Danson dont se réclame PDF ne soutient
pas sa position, car celui-ci traite de la nature de la preuve recevable dans un litige
portant sur la Charte et non pas des qualifications d’un expert.
[121] Elle ajoute que la décision Fédération des travailleurs du Québec (FTQ –
Construction) c. Procureure générale du Québec66 assouplit également la règle quant à
l’expression d’une opinion qui peut s’apparenter à une opinion juridique en énonçant :
[16] Plus encore, l’expert peut se prononcer sur une question de droit
que le juge aura à trancher. Son opinion ne peut remplacer celle du
juge sur une question de droit, mais le fait que l’expert puisse
formuler une opinion sur un aspect légal n’aura pas automatiquement
pour effet de le disqualifier ou de rejeter l’ensemble de son expertise.
Voir Jean-Claude Royer et Catherine Piché : « La preuve civile, 5e
[124] De plus, il ne faut pas confondre nécessairement le fait d’exprimer des opinions,
même tranchées, avec la partialité. Le Tribunal doit constater que dans un contexte
particulier, semblable à celui de l’instance, il apparaît plus sage de permettre aux
parties notamment par le contre-interrogatoire, tant sur les qualifications de l’experte
que lors de son témoignage, de miner sa crédibilité ou la force probante de son rapport
et de son témoignage que d’écarter d’entrée de jeu son rapport ou son témoignage.
[125] Également, en qualifiant la Loi 21 telle qu’elle le fait, Geadah n’usurpe pas le rôle
du Tribunal. Encore une fois, cette qualification ne se situe pas au niveau juridique,
mais plutôt au niveau de la perspective de l’experte.
[127] EMSB requiert le rejet des paragraphes 107, 108 et 112 du rapport d’expertise
67 Pièce PGQ-7.
500-17-108353-197 et Als PAGE : 31
[128] Pour bien situer le débat, rappelons que Chevrier témoigne en tant qu’expert en
pensées politiques et en régimes politiques. À l’évidence, les passages précédents
s’inscrivent assurément dans son champ d’expertise et ils possèdent une pertinence
pour expliquer de quelle façon la Loi 21 s’insère dans une certaine conception de
l’organisation sociale et politique. Ainsi, le Tribunal ne peut conclure à l’absence totale
de pertinence, entre autres, sur la base que ces passages ne posséderaient qu’une
seule utilité, en l’occurrence celle de permettre à l’État de justifier la Loi 21 au regard de
l’article 1 de la Charte.
68 Pièce EMSB-23-48.
69 Pièce PGQ-10.
500-17-108353-197 et Als PAGE : 32
[133] Or, dans une affaire semblable à celle de l’instance, il importe que le Tribunal
puisse adjuger en toute connaissance de cause de l’évolution des institutions
constitutionnelles canadiennes et des instruments qui leur donnent vie. Cela requiert
une incursion dans l’historique du fédéralisme canadien, éclairé tant par les choix
[138] Aussi, tel que l’affirme la décision dans l’affaire FTQ-Construction72, le Tribunal
bénéficie assurément de l’aide d’un expert en cette matière afin de voir comment
s’articulent les principes de la Loi 21 en regard du droit international. Ainsi, il devient
incontournable que l’expert en traçant des parallèles, et en faisant des comparaisons
opine sur la portée de la Loi 21. Cela apparaît inévitable.
[139] Cependant, d’une part, ces remarques, commentaires ou opinions ne lient pas le
Tribunal et, d’autre part, il apparaît que dans un tel contexte la possibilité de produire
une contre-expertise et celle de contre-interroger le témoin permettent d’obtenir un
éclairage adéquat qui sert l’intérêt de la justice.
70 Pièce PGQ-12.
71 Holding Tusculum, B.V. c. S.A. Louis Dreyfus & Cie, 2006 QCCS 2827, par. 15-16.
72 Fédération des travailleurs du Québec (FTQ - Construction) c. Procureure générale du Québec,
2018 QCCS 4548, par. 9 et 20.
500-17-108353-197 et Als PAGE : 33
[145] Dans le cas de Rocher, il ne s’agit pas d’une demande de déposer un rapport
d’expert puisque le PGQ ne produit aucun avis en vertu de l’article 293 C.p.c., ni ne
demande-t-il au Tribunal de l’autoriser à ce faire, encore là en fonction du même article.
[146] Il s’agit donc d’une demande qui vise un témoin ordinaire, à l’égard de certains
paragraphes de sa déclaration sous serment uniquement, car les parties conviennent
de son admissibilité pour le reste. Elles s’entendent également que l’état de santé du
500-17-108353-197 et Als PAGE : 35
témoin l’empêche de témoigner, viva voce, hors Cour ou devant le Tribunal, par tous
moyens.
[147] Le PGQ prend appuie sur la décision Laval (Ville de) c. GBC Peaux international
[148] Notons que les personnes déclarantes auxquelles réfère cet extrait agissent
respectivement en tant que chef d’équipe du ministère de l’Environnement et ingénieur
chimiste analyste.
[150] En effet, ici le témoignage de Rocher s’effectue au moyen d’une déclaration faite
hors de l’instance et en l’absence de consentement de toutes les parties. Il s’agit de
ouï-dire dans la mesure où la partie qui produit cette déclaration la présente dans le but
de faire preuve de son contenu74.
[151] Cependant, le Tribunal peut l’autoriser en vertu de l’article 2870 C.c.Q. dans la
mesure où les circonstances entourant la déclaration donnent à celle-ci des garanties
suffisamment sérieuses de fiabilité. Dans cette optique le droit au contre-interrogatoire
prend une importance certaine. Ainsi, le contexte permet de trouver des indices de la
fiabilité de la déclaration extrajudiciaire. On peut penser, par exemple, à des
interrogatoires hors cour non produits que l’on demande ensuite de produire vu
l’impossibilité du déclarant de se présenter au tribunal, ou de déclarations faites dans le
cadre d’un processus relativement formel et balisé. Dans ce contexte, la présence de la
partie adverse, d’un contradicteur ou d’une personne neutre agissant dans le cadre de
ses fonctions peut servir d’indice quant à la fiabilité de la déclaration. Il existe aussi les
documents ou déclarations qui relèvent de la présomption établie au 3e alinéa de
l’article 2870 C.c.Q.
[152] Cela dit, il convient d’analyser chacun des paragraphes visés par la demande en
radiation séparément, bien qu’à l’évidence tous et chacun constituent, à priori, du
ouï-dire inadmissible.
[154] Les paragraphes 27 et 28 peuvent faire l’objet d’une analyse conjointe. Tout
d’abord la première phrase du paragraphe 27 relève d’une constatation factuelle du
témoin. Encore une fois, les témoignages d’autres experts entendus à l’audience vont
dans le même sens. Rien ne milite en faveur de l’exclusion de cette phrase.
[157] Le paragraphe 44 ne relève rien de plus que du dépôt d’une allocution faite par
le témoin dont le Tribunal peut prendre connaissance, sans pour autant que son
contenu fasse preuve de sa véracité. Le Tribunal ne le radiera pas.
[160] Elle base sa demande relativement à l’irrégularité sur la prémisse que l’expert
s’aventure manifestement et à répétition sur la crédibilité des parties, qu’il interprète les
déclarations de témoins pour en tirer ses propres conclusions sans les relier à son
domaine d’expertise et qu’il interprète des lois et l’intention du législateur.
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[164] Quatrièmement, il ne fait aucun doute que son analyse du système scolaire
public ainsi que celle de l’analyse comparative des systèmes scolaires ontariens et
québécois comporte une certaine pertinence, qui permet d’expliquer du point de vue
sociologique, le choix du législateur.
[165] Finalement, quant à la demande de rejet basé sur la partialité, le Tribunal conclut
que le fait que l’expert semble épouser la thèse du MLQ ne le disqualifie pas. En
science sociale, contrairement aux domaines où l’expérimentation et la validation
participent à l’élaboration à la fois d’une méthodologie et d’une vérité scientifique,
l’analyse de phénomènes sociaux ne requiert pas un degré absolu de neutralité.
Chacun y apporte sa perspective. Il importe que le Tribunal demeure conscient de cette
réalité pour qu’il puisse en appréhender les conséquences pour les déterminations qu’il
doit tirer de la preuve.
[166] Par exemple, un sociologue qui analyse les données d’un sondage qu’il conçoit
pour les fins de sa recherche se doit de respecter des règles quant à la façon de
concevoir et d’administrer ce sondage, car celles-ci servent à légitimer le processus et
relèvent des règles de l’art en semblable matière. Cependant, sa perspective sur les
résultats peut lui faire émettre certaines opinions quant à la façon de comprendre ces
résultats, alors qu’un autre expert peut opiner différemment en fonction d’une
perspective différente. Il ne s’agit pas là d’un biais qui disqualifie l’un et l’autre d’agir
comme expert.
[167] Voilà pourquoi le Tribunal ne donnera pas suite à la demande de rejet du rapport
de Beauchemin.
500-17-108353-197 et Als PAGE : 38
[170] Elle ajoute que l’Assemblée nationale ne possède pas la compétence pour
adopter ces types de changements fondamentaux aux institutions politiques qui
composent l’architecture de la Constitution canadienne.
[171] Finalement, elle plaide que les articles 5 et 6 de la Loi 21 tels qu’appliqués aux
tribunaux judiciaires et aux personnes énumérées au deuxième paragraphe de l’annexe
II violent l’indépendance judiciaire, alors que l’application de l’article 8 aux personnes
occupant une fonction élective viole de façon injustifiable l’article 3 de la Charte.
[172] En somme, Hak invoque l’invalidité de la Loi 21 pour les motifs suivants :
[177] La FAE recherche également une déclaration voulant que les articles 33 et 34 de
la Loi 21 ne respectent pas les conditions prévues aux articles 33 de la Charte
canadienne et 52 de la Charte québécoise.
[178] Cette demande vise à élargir les critères d’application des clauses de dérogation
notamment en les interprétant à la lumière des obligations internationales du Canada,
de la jurisprudence du Comité des droits de l’Homme des Nations Unies et de certains
jugements récents de la Cour suprême du Canada.
75 16 décembre 1966, [1976] R.T. Can. no 47 (entrée en vigueur au Canada le 19 mai 1976).
76 16 décembre 1966, [1976] R.T. Can. no 46 (entrée en vigueur au Canada le 19 août 1976).
500-17-108353-197 et Als PAGE : 40
[179] La FAE demande au Tribunal, d’une part, qu’il déclare les demandes
ministérielles de novembre 2018 et janvier 2019 qui cherchait, en substance, à
connaître le nombre d’enseignant.e.s portant des signes religieux contraire, notamment,
aux droits garantis par la Charte canadienne et la Charte québécoise quant à la liberté
[180] Quant aux parties intervenantes, en plus de soutenir les arguments des
demanderesses77, elles soumettent d’autres motifs qui permettraient de conclure à
l’inconstitutionnalité de la Loi 21.
[181] Selon WSO et Kaur, une loi sur les « rectoreries » adoptée en 1852 par le
Parlement du Canada-Uni rend invalides et inopérants les articles 4 à 6, 8, 10, 14 à 16
de la Loi 21. Loi fédérale toujours en vigueur, cette loi de 1852 s’appliquerait en vertu
de la doctrine de la prépondérance fédérale.
[182] Lord Reading considère que la Loi 21 contrevient à la Loi Hart, une loi adoptée
par le Parlement du Bas-Canada en 1832. Sous le volet de l’incohérence de la Loi 21,
l’article 6 de la Loi 21 constituerait selon Lord Reading « l’antithèse de l’obligation de
tout employeur »78 de protéger la dignité du salarié conformément à l’article 2087
C.c.Q., disposition d’ordre public de direction à laquelle l’État ne peut pas se soustraire.
De plus, l’article 16 de la Loi 21 ferait rétroagir ses dispositions avant sa promulgation.
[183] Amnistie plaide que la Loi 21 viole les obligations internationales du Canada et
du Québec en matière des droits de la personne. Elle invite le Tribunal à considérer la
violation des Chartes par la Loi 21 à la lumière du droit international.
[184] Pour QCGN la Loi 21 viole les droits de la communauté anglophone au Québec,
restreint l’accès aux institutions publiques des membres des minorités religieuses
appartenant à cette communauté et participe à l’effacement de la diversité. De plus, la
Loi 21 porte atteinte aux droits des minorités en vertu du droit international.
[185] La CCDP prétend que la Loi 21 imposerait implicitement des obligations aux
personnes travaillant pour la fonction publique fédérale au Québec.
77 L’AFPC réitère la violation injustifiée par la Loi 21 des articles 2a), 2d), 15 et 28 de la Charte, ainsi que
le caractère excessivement vague de l’interdiction du port des signes religieux en milieu de travail.
Amnistie soutient les prétentions suivantes : le caractère excessivement vague de l’interdiction
concernant les signes religieux et l’impossibilité de l’appliquer uniformément; la violation de
l’architecture interne de la Constitution, des articles 28 et 50.1 des chartes, du principe de
l’indépendance judiciaire, des articles 2d) et 3 de la Charte, des exigences de forme et de fond quant
à l’utilisation de clauses de dérogation; la possibilité d’obtenir une déclaration d’inconstitutionnalité et
des dommages-intérêts malgré l’utilisation de clauses de dérogation.
78 Acte d’intervention de Lord Reading, par. 98.
500-17-108353-197 et Als PAGE : 41
[186] Se recoupant dans une certaine mesure, les arguments en demande peuvent se
regrouper en deux grandes catégories : 1) ceux non reliés directement aux chartes et 2)
ceux rattachés aux chartes. Le Tribunal abordera les questions en litige dans cet ordre.
[190] Le MLQ prétend que le port d’un signe religieux par le personnel enseignant
d’une école publique laïque équivaut à imposer aux élèves et à leurs parents une
pratique religieuse. En plus de contrevenir au principe de neutralité de l’État en matière
religieuse, cela porterait atteinte à l’exercice de l’autorité parentale au regard de
l’éducation religieuse et morale des enfants.
[191] Pour le MLQ la Loi 21 ne porte pas atteinte à la liberté de religion des
enseignant.e.s. Au contraire, en leur imposant un devoir de neutralité religieuse elle
protège la liberté de conscience et de religion des élèves et de leurs parents.
L’interdiction du port d’un signe religieux par certains représentants de l’État, dont les
enseignant.e.s, ne constituerait qu’une règle de conduite conforme à l’obligation de
neutralité religieuse de l’État.
[192] Dans la même veine, PDF voit dans la Loi 21 une réponse aux préoccupations
des parents qui s’opposent à la transmission des valeurs religieuses à leurs enfants par
des enseignant.es. portant un signe religieux. Ainsi, le droit à la liberté de conscience
des enfants et des parents devient la limite du droit à la liberté de religion des
enseignant.e.s.
[193] PDF met également en opposition le droit des femmes à l’égalité et le droit à la
liberté de religion. Partant du postulat que les religions « visent le contrôle des femmes
500-17-108353-197 et Als PAGE : 42
et de leur corps par les hommes »79, imposer l’interdiction de porter un signe religieux
participe au respect du droit des femmes à l’égalité, et ce faisant, l’État refuse de
promouvoir la soumission des femmes.
[197] Ainsi, ils soutiennent que la Loi 21 ne constitue pas une atteinte aux libertés
religieuses, mais qu’à tout évènement la Loi 21 se justifie même en l’absence de clause
de dérogation, en vertu des chartes.
[198] Avant d’aborder ces questions, il convient de rappeler les principes qui guideront
le Tribunal tout au long de son analyse, notamment dans le contexte où les parties
l’invitent à plusieurs reprises à s’éloigner des enseignements des arrêts qui le lient ou
encore, à appliquer le droit international.
[199] Il ne fait aucun doute que l’application de la règle du stare decisis joue un rôle
fondamental en l’instance particulièrement au regard de l’utilisation des clauses de
dérogation par le législateur. Également, il importe de tracer, de façon précise, les
règles d’interprétation constitutionnelle propres à un contentieux semblable à celui-ci.
précédents d’une juridiction supérieure et de celui que l’on appelle « horizontal » qui
s’applique pour les décisions d’une même cour de justice.
[201] Règle provenant du droit anglais, elle vise à assurer la certitude du droit en
[202] Le stare decisis ne s’applique qu’au ratio decidendi de l’arrêt qui sert de
précédent82, ce qui présuppose la détermination précise du contexte factuel dans lequel
l’arrêt s’inscrit ou, en matière d’interprétation législative, au texte de la loi visée par
l’interprétation. D’une part, seule une trame factuelle similaire ou analogue entraîne son
application alors que, d’autre part, elle ne vaut que pour un seul et même texte législatif
puisque l’utilisation des mêmes mots dans un autre texte législatif n’en permet pas
l’application. Dans ce dernier cas, il s’agira possiblement d’un argument d’interprétation
persuasif, sans plus83.
[203] Quant à l’application de la règle du stare decisis à l’égard d’une décision d’une
autre province, l’arrêt Wolf84 énonce le principe selon lequel une cour d’appel
provinciale ne doit pas obligatoirement suivre, ni en droit ni en pratique, une décision de
la cour d’appel d’une autre province autrement que parce qu’elle croit devoir le faire à
cause de la valeur intrinsèque de la décision ou pour d’autres raisons indépendantes85.
[204] Cette règle s’applique également à l’égard des tribunaux de première instance
qui ne se trouvent pas liés par les décisions des cours d’appel d’autres provinces86.
[205] Le Tribunal inférieur ne peut refuser d’appliquer le précédent liant 87 que dans
des circonstances exceptionnelles dont traitent les arrêts Bedford88 et Carter89 de la
Cour suprême. Il s’agit : 1) de l’existence d’une nouvelle question juridique ou 2) d’une
modification de la situation ou de la preuve qui « change radicalement la donne ».
[206] À cet égard, le critère à appliquer pour justifier un tel exercice s’avère
particulièrement exigeant90.
[54] Dans l’arrêt R. c. Bernard, le juge en chef Dickson relève quatre raisons
justifiant la rupture avec un précédent : 1) la décision est antérieure à la
Charte et n’est pas conforme aux valeurs consacrées par celle-ci;
2) l’évolution subséquente du droit remet en question la validité du précédent;
3) la décision antérieure crée de l’incertitude, allant ainsi à l’encontre des
valeurs de clarté et de certitude que suppose le principe du stare decisis; 4) la
décision antérieure joue contre l’accusé en accroissant sa responsabilité
criminelle au-delà des limites normales. Il s’agit d’une énumération non
exhaustive. Plus récemment, dans R. c. Henry, le juge Binnie établit que les
raisons suivantes peuvent justifier d’écarter un précédent : 1) la décision
antérieure n’est pas conforme à l’objet d’une disposition de la Charte défini
dans un précédent; 2) la décision est inapplicable en pratique, car son
application s’est révélée inutilement complexe et formaliste; 3) elle est
contraire à des principes valables; 4) elle est contraire à l’équité.
(Références omises)
[209] Quant au stare decisis horizontal qui porte sur l’application du précédent
jurisprudentiel par les membres du même tribunal, l’arrêt Lapointe spécifie qu’il ne traite
pas de cette question à l’égard de la Cour supérieure, mais uniquement au sein d’un
tribunal d’appel, en l’occurrence la Cour d’appel du Québec92. Ainsi, ses énoncés, en
les transposant à la Cour supérieure, possèdent certainement une forte valeur
persuasive dans l’interprétation de la règle, mais n’entraînent pas un devoir d’adhésion.
If none of these situations exist I think a trial Judge should follow the decisions of
his brother Judges.»
(Références omises)
[214] Bien qu’il semblerait qu’au Québec le juge de première instance se sentirait
moins lié par les décisions de ses collègues99, en pratique il se conforme le plus
souvent à la jurisprudence établie par le tribunal d’abord et avant tout par souci d’une
meilleure administration de la justice100.
[31] Dans l’affaire R. c. Lebel, le juge Boilard écrit ce qui suit au sujet de la
courtoisie judiciaire :
[U]ne cour est censée avoir une voix unique. Un juge pourra refuser d'endosser
l'opinion formulée par un collègue et adoptée subséquemment par les autres
[217] Il s’agit maintenant de voir comment le Tribunal doit effectuer son analyse dans
le cadre d’un litige constitutionnel.
[220] Cette préséance du texte permet d’éviter d’aller au-delà de l’objet du droit109,
sans pour autant faire preuve de « textualisme »110.
[222] Troisièmement, la Charte accorde une protection à tout le moins aussi grande
que celle qu’offrent les dispositions similaires des instruments internationaux en matière
de droits de la personne ratifiés par le Canada. Il s’agit là de la présomption de
conformité112. En effet, la ratification rend contraignants ces instruments internationaux
puisque le Canada s’oblige à assurer à l’intérieur de ses frontières la protection de
certains droits et libertés fondamentaux qui figurent aussi dans la Charte. Il s’agit là d’un
indice important quant à la protection qu’accorde la Charte113. Cependant, comme il
s’agit d’une présomption, elle demeure réfutable et elle ne permet pas d’écarter
l’intention claire du législateur114.
[223] Quatrièmement, les sources non contraignantes, par exemple les instruments
internationaux que le Canada ne ratifie pas, ne donnent pas naissance à la présomption
de conformité et ils ne possèdent aucune valeur persuasive dans l’interprétation de la
Charte115.
[224] Cinquièmement, lorsque les tribunaux se fondent sur des instruments non
contraignants, ils doivent veiller à expliquer pourquoi ils le font et comment ils utilisent
ces instruments116.
[227] Pour les fins de notre étude, notons que le Pacte international relatif aux droits
« It follows that the courts of Canada (and of other countries with British-derived
constitutions) will not give effect to a treaty unless it has been enacted into law by
the appropriate legislative body; or, to put the same proposition in another way:
the courts will apply the law laid down by statute or common law, even if is
inconsistent with a treaty which is binding upon Canada. In a case where
Canada’s internal law is not in conformity with a treaty binding upon Canada,
then Canada is in breach of its international obligations and may be liable in
international law to pay damages or suffer other sanctions, but the breach of a
treaty is irrelevant to the rights of the parties to litigation in a Canadian court. The
only concession which the Canadian courts have been prepared to make in
recognition of Canada's international obligations is to interpret statutes so as to
conform as far as possible with international law. But where the language of a
statute is clearly and unmistakably inconsistent with a treaty or other rule of
international law, then there is no room for interpreting it into conformity with the
international rule and the statute must be applied as it stands. »121
(Références omises)
[229] Dans Capital Cities Comm. c. C.R.T.C.122, la Cour suprême explique qu’il faut
qu’une loi canadienne applicable donne effet à un instrument de droit international pour
qu’elle puisse entraîner un effet juridique au Canada123.
[230] Cependant, le droit international peut servir d’outil interprétatif aux tribunaux
canadiens, mais uniquement lorsque les circonstances s’y prêtent sans pour autant
créer une contrainte pour le Tribunal124.
[231] Bien que le Canada se trouve partie aux Pactes internationaux et que le Québec
s’y déclare lié par décret, rien ne les incorpore au droit interne applicable au Québec.
2039.
124 Schavernoch c. Commission des réclamations étrangères et autres, [1982] 1 R.C.S. 1092, p. 1098.
500-17-108353-197 et Als PAGE : 49
[235] Les réponses obtenues indiquent que plusieurs centaines de personnes portent
de tels « symboles religieux », aussi bien des professeurs que des membres du
personnel administratif126. On apprend que :
[236] Il faut noter que cette constatation s’effectue hors de la connaissance des
principaux intéressés, en l’occurrence ceux ou celles qui portent des signes religieux.
125 Pièce PGQ-1 : Enquête sur la gestion en contexte de diversité ethnoculturelle, linguistique et
religieuse dans les établissements scolaires du Québec 2018.
126 Pièce P-4, dossier Hak.
127 Pièce P-5, dossier Hak.
500-17-108353-197 et Als PAGE : 50
[240] La FAE plaide que les demandes ministérielles violent la liberté de religion parce
qu’elles participent d’une interdiction qui joue avec le concept juridique de neutralité
religieuse puisque l’État doit non seulement respecter les croyances religieuses, mais
aussi de ne pas tenter de les faire disparaître. Elle ajoute que ces demandes s’avèrent
discriminatoires, car elles engendrent un traitement différentiel et arbitraire qui génère,
entre autres, chez les enseignants une crainte raisonnable de perdre leurs emplois.
[241] Elle invoque que leur dignité s’en trouve affectée, car le droit d’exprimer sa foi et
celui de travailler se voient opposés et entraîne un dilemme gordien entre le respect
des convictions religieuses et celui des exigences professionnelles. Pour la FAE, la
justification de ce dénombrement découle de la volonté d’interdire le port des signes
religieux.
[242] Elle s’attaque aussi à l’article 12 de la Loi 21 qui permet également au ministre
responsable de dénombrer les membres du corps enseignant qui porte un signe
religieux pour le motif que ces demandes et cet exercice de dénombrement potentiel
violent le droit à la liberté de religion et le droit à l’égalité des personnes visées. Elle
ajoute que l’article 18.1 de la Charte québécoise prévoit l’interdiction de requérir d’une
personne des renseignements visés par son article 10, qui traite des motifs de
discrimination, dont la religion fait évidemment partie.
[243] Elle demande donc que le Tribunal déclare inconstitutionnelle les demandes
ministérielles de novembre 2018 et de janvier 2019 et de les annuler.
[244] Selon le PGQ, la FAE invoque la liberté de religion et le droit à l’égalité des
enseignant.e.s pour soutenir leur demande de déclarer illégale la cueillette d’information
effectuée. Il plaide que pour démontrer une atteinte à la liberté de religion au sens des
chartes, on doit établir premièrement une croyance sincère dans une pratique ou une
croyance en lien avec la religion et que la conduite reprochée à l’État nuit d’une
manière plus que négligeable ou insignifiante à sa capacité de se conformer à cette
pratique ou croyance.
[245] Pour le PGQ, la FAE ne démontre pas une atteinte à l’article 15 de la Charte
canadienne et à l’article 10 de la Charte québécoise, car elle ne fait pas la preuve de
[247] Pour le Tribunal il ne fait aucun doute que les minorités religieuses, peu importe
leurs dénominations, mais particulièrement les femmes musulmanes portant le voile,
ressentent un effet de stigmatisation à la suite de l’opération de dénombrement
effectuée par le ministère de l’Éducation.
[248] Rien non plus ne permet de remettre en question la peur, l’humiliation, le stress,
l’anxiété et le rejet que certaines d’entre elles affirment vivre depuis qu’elles
connaissent l’existence de cet exercice de recensement130.
[249] Et, bien qu’à priori le fait de tenir un tel recensement puisse sembler contrevenir
à l’article 10 de la Charte québécoise, qui prévoit que :
129 Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Atir) c. Systématix Technologies
de l'information inc., 2010 QCTDP 18, par. 12, 74 et 75, 111 et 112.
130 Déclarations sous serment de : Dalila Matoub, par. 14, 17, 22 et 23; Messaouda Dridj, par. 20; Rana
El-Mousawi, par. 15 et 16.
500-17-108353-197 et Als PAGE : 52
[251] En effet, il ne fait aucun doute que l’État, dans sa fonction de régulateur social,
doit connaître les divers éléments qui composent le tissu social, ce qui englobe à
l’évidence les employés de l’État. Il s’agit là d’une mission difficile et complexe qui met
en cause plusieurs paramètres. À priori, on ne peut lui reprocher de tenter de la remplir.
[252] Dans ce contexte, une preuve convaincante, donc fondée sur la prépondérance
de preuve, devra permettre de conclure dans un sens ou dans un autre à l’égard des
intentions de l’État. À ce sujet, la FAE se réclame de l’opinion de l’expert Bourhis qui
affirme :
[253] Elle ajoute que la collecte de novembre 2018, effectuée à l’insu des
enseignant.e.s, en démontre le caractère préjudiciable, car elle s’inscrivait dans une
démarche sommaire et subreptice qui ne répond à aucune justification.
[254] Encore une fois, le contexte permet de placer le débat dans une perspective plus
juste. Celui-ci nous montre que le ministre Jolin-Barrette reconnaît, dans une entrevue
du 28 janvier 2019, que cette demande d’information visait à éclairer le gouvernement
sur l’état de la situation en matière du port de signes religieux dans le corps enseignant
en vue de la mise en œuvre de l’interdiction de ceux-ci132.
[255] La preuve révèle aussi que la Coalition avenir Québec (CAQ) 133 annonçait
préalablement à son élection comme gouvernement vouloir faire de même. Le Tribunal
convient que le ministère n’annonce pas publiquement son intention de ce faire, mais il
ne peut conclure pour autant qu’il devait le faire.
[257] Il en va de même pour les personnes portant un signe religieux. À priori, le fait
de s’enquérir du nombre qu’elles représentent peut assurément servir un but légitime
de l’État. Dans certains cas, il faudra peut-être débusquer les intentions réelles de l’État
qui pourrait les cacher sous de faux semblants.
[259] De plus, la preuve ne permet pas de conclure qu’en faisant cet exercice de
dénombrement, l’État agit de façon oblique, par exemple en sachant ou en voulant
nommément agir de façon discriminatoire à l’égard de certaines personnes.
[262] Le Tribunal ne peut conclure que l’État commet une faute ou pose un geste
répréhensible en agissant tel qu’il le fait. La preuve ne permet pas de l’établir.
[263] Finalement, le Tribunal ne peut convenir, comme le plaide la FAE, que l’exercice
de dénombrement violerait l’article 18.1 de la Charte québécoise, car celui-ci traite
[265] Lauzon plaide que compte tenu de son caractère véritable, la Loi 21 ne relève
pas d’une matière réservée aux pouvoirs législatifs des provinces puisqu’elle ne relève
pas de l’article 92(4) de la Loi constitutionnelle de 1867 qui traite de « la création et la
tenue des charges provinciales, et la nomination et le paiement des officiers
provinciaux », ni de l’article 92(13) relatif aux droits civils, ni de l’article 92(16) qui
s’adresse aux matières de nature purement locale ou privée, et ce, compte tenu des
objectifs et de la portée de la Loi 21.
[266] Hak soutient que dans leur essence les articles 6 et 8 de la Loi 21 constituent
des dispositions de droit criminel au regard de l’article 91(27) de la Constitution et
s’avèrent donc ultra vires de la juridiction de l’Assemblée nationale du Québec. Pour
elle, le but de la Loi 21 vise à encadrer la relation entre l’État et la religion tels que
l’affirment le préambule de la Loi 21 ainsi que le premier ministre Legault134 et le
ministre Simon Jolin-Barrette135.
[267] Pour elle, ces dispositions législatives comportent toutes les caractéristiques
d’une loi de nature du droit criminel parce qu’elles comportent chacune une prohibition,
celle de porter des signes religieux (l’article 6), ainsi que celle de fournir des services
publics avec le visage couvert (l’article 8) et des sanctions, qui se retrouvent notamment
à l’article 13. Celui-ci délègue le pouvoir pour s’assurer du respect de la Loi 21 au
responsable administratif de l’organisme public en question qui peut prendre les
mesures disciplinaires, ou d’autres sanctions, appropriées en cas de non-respect de la
Loi 21.
[268] L’article 12 quant à lui permet aux différents ministères de s’assurer du respect
de la prohibition énoncée à l’article 8 de la Loi 21 de surveiller les entités
administratives dont ils assument la responsabilité et de leur imposer des mesures
correctives le cas échéant.
[269] Elle affirme que la finalité qui sous-tend la Loi 21, en conjonction avec les
interdits et les sanctions qu’elle crée, indique clairement que l’énoncé de la Loi 21 vise
l’imposition d’une vision morale de la société québécoise qui entraîne l’éradication des
pratiques religieuses au sein des organismes publics. Ce postulat s’appuie sur ce
passage de l’arrêt Renvoi relatif à la Loi sur la non-discrimination génétique136 :
[270] Elle plaide que selon les arrêts Saumur v. City of Quebec137, Henry Birks & Sons
(Montreal) Ltd. v. City of Montreal138 et R. c. Big M Drug Mart Ltd139 la régulation de
l’observance religieuse à des fins morales relève de la juridiction entérinée du
Parlement du Canada en vertu de l’article 91(27) de la Constitution.
[271] Au sujet du caractère véritable des articles 6 et 8 de la Loi 21, le PGQ rappelle la
présomption de validité et le fait que, dans la mesure du possible, le Tribunal doit
favoriser les interprétations qui la soutiennent140.
[272] Pour le PGQ, la Loi 21 ne comporte aucun aspect de compétence fédérale et les
demandeurs ne peuvent démontrer que la Loi 21 ne comporte aucun aspect relevant de
la compétence de l’Assemblée nationale.
[273] Il plaide que l’argument voulant que la Loi 21 relève du droit criminel apparaît
comme une prétention de dernier recours qui demanderait au Tribunal de se substituer
au législateur québécois puisque, selon lui, jamais le débat social ne se situait au
niveau de la répression d’une conduite moralement répréhensible ou du droit criminel.
[275] À cet égard, le Tribunal ne peut s’empêcher de noter l’incongruité d’y voir là
l’affirmation d’une reconnaissance de ces dernières libertés puisque la Loi 21
représente, à l’évidence, avec l’utilisation des clauses de dérogation, à priori, une loi qui
porte atteinte à certaines libertés fondamentales. De plus, le fait qu’elle pourrait se
justifier, en vertu des articles le permettant dans les chartes, ne peut faire l’objet d’une
[276] S’appuyant sur l’arrêt Ward c. Canada (Procureur général)141, le PGQ souligne
[279] Quant à la preuve extrinsèque, le PGQ plaide qu’aucun extrait des débats
parlementaires ou des déclarations publiques ne démontre que la Loi 21 possède un
objet différent de celui ressortant du texte de la loi lui-même. Pour lui, cette preuve
établit qu’on présente la Loi 21 comme une mesure parmi d’autres permettant d’affirmer
la laïcité de l’État québécois en tant que principe fondamental.
[280] Au sujet de l’effet de la Loi 21, le PGQ se borne à affirmer qu’il s’avère difficile
d’en analyser les effets juridiques et pratiques puisqu’elle existe depuis peu.
l’Assemblée nationale, 1re sess., 42e légis., 29 mai 2019, « Adoption du principe du projet de loi n° 21
– Loi sur la laïcité de l’État », 17h01 (M. Jolin-Barrette) : « Une réalité s'impose : actuellement, la
laïcité demeure inachevée au Québec, en fait comme en droit. Ce projet de loi vise à lui donner corps
et à franchir une étape significative. Ce que nous proposons, c'est un modèle de la laïcité à la
québécoise qui se distingue autant de la laïcité à la française que du multiculturalisme à la
canadienne. De ce modèle québécois découlent des mesures législatives qui sont de nature à
spécifier les exigences reliées au choix d'un État laïque par le Québec. ».
144 Louis-Philippe LAMPRON, « L’impact de la Loi sur la laïcité de l’État sur les conditions de travail des
[283] Pour lui, il apparaît manifeste que cela relève au premier chef des compétences
législatives provinciales en vertu des articles 92(4), 92(13) et 92(16) de la Loi
constitutionnelle de 1867. Puisque l’article 45 de la Loi constitutionnelle de 1982 permet
à l’Assemblée nationale de modifier sa constitution interne dans la mesure où cela
n’affecte pas les intérêts des autres provinces ou du fédéral145, la Loi 21 se trouve donc
à appartenir à la compétence provinciale.
[284] Ainsi selon le PGQ, l’article 92(4) de la Loi constitutionnelle de 1867 qui traite de
la création et de la tenure des charges provinciales de même que de la nomination et
du paiement des officiers provinciaux viserait tous les employés provinciaux, tant des
réseaux publics que parapublics, ce qui inclut les enseignants, les directeurs et les
directeurs adjoints des écoles.
[285] L’article 92(13) qui traite de la compétence provinciale sur la propriété et les
droits civils permet de rattacher les articles 13 à 16 de la Loi 21, qui traitent des
conventions collectives et des conséquences du non-respect de la Loi 21.
[286] Finalement, l’article 92(16) attribue une compétence aux provinces pour toutes
les matières d’une nature purement locale ou privée dans la province, établit ce même
lien avec la compétence de l’Assemblée nationale pour traiter de la question de la
laïcité de l’État québécois.
[287] Le PGQ plaide à bon droit que les critères de validité d’une disposition législative
fondée sur la compétence fédérale sur le droit criminel reposent sur la démonstration
qu’une telle disposition constitue en réalité une interdiction assortie d’une sanction tout
en poursuivant un objectif valable du droit criminel.
[288] Il ajoute cependant qu’il n’apparaît pas approprié, pour contester la validité d’une
règle de droit provinciale, de vérifier si celle-ci correspond à ces critères. Pour ce faire, il
145 Renvoi relatif à la réforme du Sénat, [2014] 1 R.C.S. 704, par. 47 et 48.
500-17-108353-197 et Als PAGE : 58
En l'espèce, par contre, les activités politiques envisagées par les dispositions
contestées ne sont pas déclarées illégales. Ces dispositions tiennent de
règlements détaillés. Y désobéir constitue un motif de renvoi. Aucune autre
sanction n'est prescrite. Le fonctionnaire qui n'est pas disposé à les accepter
peut démissionner. Je ne pense pas non plus que ce fonctionnaire soit ainsi
privé d'un "droit" à moins qu'on ne croie qu'il a un droit à sa charge. […]149
[292] Le PGQ ajoute que la L.C. 1867 n’attribue pas la religion comme une
compétence fédérale ou provinciale. Ainsi, selon lui, cette matière doit s’encadrer en
fonction des compétences provinciales ou fédérales en cause.
146 Renvoi relatif à la Loi sur la non‑discrimination génétique, 2020 CSC 17, par. 67.
147 Renvoi relatif à la Loi sur la procréation assistée, 2010 CSC 61, par. 35.
148 R. c. Malmo-Levine; R. c. Caine, [2003] 3 R.C.S. 571, par. 73 à 78.
149 SEFPO c. Ontario (Procureur général), [1987] 2 R.C.S. 2, p. 51.
150 Loi sur les fabriques, RLRQ, c. F-1; Loi sur les Églises protestantes autorisées à tenir des registres de
l’état civil, RLRQ, c. E-2 (abrogée depuis 1994-01-01); Loi sur les inhumations et les exhumations,
RLRQ, c. I-11 (abrogée depuis le 2019-01-01); Loi sur les corporations religieuses, RLRQ, c. C-71; Loi
sur les évêques catholiques romains, RLRQ, c. E-17; Loi sur la constitution de certaines Églises,
RLRQ, c. C-63; Loi sur les terrains de congrégations religieuses, RLRQ, c. T-7; Pièce PGQ-7 :
Rapport Chevrier, p. 55.
151 Jacques-Yvan MORIN et José WOEHRLING, Les constitutions du Canada et du Québec du régime
français à nos jours, Montréal, Éditions Thémis, 1992, p. 154. Voir également : Eugénie BROUILLET,
L’identité culturelle québécoise et le fédéralisme canadien, thèse de doctorat, Université Laval, 2003,
p. 301.
500-17-108353-197 et Als PAGE : 59
[294] Pour le PGQ, les arrêts Saumur et Henry Birks s’inscrivent dans un contexte bien
particulier alors que les tribunaux suppléaient à l’absence d’instrument constitutionnel
protégeant les droits fondamentaux et s’appuyaient sur une analyse qui s’articule autour
du partage des compétences. Au soutien de cet énoncé, il cite l’enseignement doctrinal
« Comme on l’a mentionné précédemment, les tribunaux ont parfois tenté, avec
succès dans certains cas, de suppléer à l’absence d’une Déclaration des droits
constitutionnelle en utilisant le contrôle fondé sur la répartition des pouvoirs pour
invalider des lois restreignant certaines libertés non enchâssées dans la
Constitution, principalement la liberté d’expression et celle de religion. Les
limitations et les inconvénients de cette façon de procéder ont cependant fait
qu’elle a pratiquement été abandonnée depuis la fin des années soixante-dix.
D’ailleurs, à cette époque, cette forme d’activisme judiciaire était devenue plus
ou moins inutile dans la mesure où le Parlement fédéral et les législatures
provinciales avaient adopté, dans leurs domaines respectifs, des lois relatives
aux droits de la personne auxquelles les tribunaux ont fini par reconnaître une
certaine primauté sur les lois ordinaires ou, pour reprendre l’expression parfois
utilisée par la Cour suprême, une valeur « quasi constitutionnelle ». »152
[296] Ainsi une des questions qui subsiste, posée de façon pragmatique, se formule
ainsi : l’avènement des chartes, incluant les clauses de dérogation, évacue-t-il
l’application des principes reconnus dans les arrêts Saumur et Henry Birks?
[297] Selon le PGQ, il n’existe aucun aspect fédéral à la question de la laïcité de l’État,
car, même s’il existait des considérations morales au soutien de la Loi 21, cela ne
constitue pas un frein à l’exercice par les provinces de leurs compétences législatives.
Sur cet aspect, il invoque l’extrait suivant de l’arrêt Siemens :
152 Jacques-Yvan MORIN et José WOEHRLING, Les constitutions du Canada et du Québec du régime
français à nos jours, Montréal, Éditions Thémis, 1992, p. 369-370.
500-17-108353-197 et Als PAGE : 60
cit., le jeu contrôlé par l’État peut avoir des conséquences sociales néfastes,
dont la dépendance, la criminalité, la faillite et le déclin des activités de jeu
organisées à des fins de bienfaisance. Le gouvernement provincial peut
légitimement tenir compte de ces coûts sociaux pour décider comment
[298] Le PGQ s’appuie de plus sur les arrêts Rio Hotel Ltd c. Nouveau-Brunswick
(Commission des licences et permis d’alcool)154, qui traite des symboles de nudité,
Bédard v. Dawson155 quant aux « maisons de désordre », et Nova Scotia Board of
Censors c. McNeil156, au sujet de la censure des films.
[299] Il faut noter que dans Siemens c. Manitoba (Procureur général)157, la Cour
suprême rappelle que le fait d’imposer des amendes ou d’autres sanctions pour
s’assurer de l’application d’une loi provinciale valide, ne représente pas nécessairement
une tentative de légiférer en matière criminelle, puisque les provinces peuvent créer,
dans leurs domaines de compétence législative, d’innombrables infractions assorties de
sanctions158. L’article 92(15) de la LC 1867 le permet d’ailleurs spécifiquement.
[300] En effet, dans O’Grady v. Sparling159, le plus haut Tribunal valide la législation du
Manitoba traitant de la conduite négligente d’un véhicule automobile, alors que dans
Ross c. Registraire des véhicules automobiles et al.160, il déclare que l’Ontario peut
légiférer pour qu’une déclaration de culpabilité à une infraction de conduite avec les
facultés affaiblies entraîne une suspension du permis de conduire.
My conclusion is that s. 55(1) of the Manitoba Highway Traffic Act has for its true
object, purpose, nature or character the regulation and control of traffic on
highways and that, therefore, it is valid provincial legislation.161
[302] Le PGQ ajoute que les provinces peuvent légiférer, entre autres sur des sujets
qui constituent également des matières auxquelles s’intéresse le droit criminel, par
[305] Pour ce faire, il faut examiner l’objet et les effets juridiques et pratiques de la loi.
Déterminer l’objet de la loi nécessite l’analyse de la preuve tant intrinsèque (les
dispositions énonçant expressément l’objet visé, ainsi que le titre, le texte et la structure
de la loi) qu’extrinsèque (les débats parlementaires et les publications
gouvernementales)170.
[306] Quant aux effets de la loi, « les effets juridiques correspondent aux effets directs
des dispositions de la loi elle-même », alors que les effets pratiques correspondent
« aux effets secondaires de son application »171.
162 Hodge v. The Queen, [1883] 9 A.C. 117; Rinfret v. Pope, [1886] 12 Q.L.R. 303; Schneider c. La Reine,
[1982] 2 R.C.S. 112; Canada (Procureur général) c. PHS Community Services Society, [2011] 3
R.C.S. 134; RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1995] 3 R.C.S. 199, par. 32-26.
163 R. c. Furtney, [1991] 3 R.C.S. 89.
164 R. c. Hydro-Québec, [1997] 3 R.C.S. 213, p. 298-299.
165 R. v. Dyck, 2008 ONCA 309, par. 43, 44, 46, 60 et 61.
166 Association canadienne pour les armes à feu c. Procureure générale du Québec, 2019 QCCA 755.
167 Rothmans, Benson & Hedges Inc. c. Saskatchewan, [2005] 1 R.C.S. 188.
168 Renvoi relatif à la Loi sur la procréation assistée, 2010 CSC 61, par. 22.
169 Renvoi relatif à la Loi sur la non-discrimination génétique, 2020 CSC 17, par. 28-29 : « Notre Cour a
exprimé la notion de matière ou de caractère véritable de la loi de plusieurs autres façons, notamment
en la décrivant comme l’« objet principal », l’« idée maîtresse », la « caractéristique principale ou la
plus importante » de la loi, […] le caractère essentiel de l’objectif de la loi et de la manière dont il est
atteint ».
170 Id., par. 34.
171 Id., par. 51.
500-17-108353-197 et Als PAGE : 62
[308] À cet égard, l’effet juridique se révèle une bonne indication de l’objet du texte et
ce peu importe si cela découle de l’intention, avouée ou non, du législateur 173. Il ne se
compose pas uniquement des effets juridiques directs, mais aussi des objets sociaux
ou économiques que la loi vise à révéler, de son contexte et des circonstances de son
adoption174.
[309] Le Tribunal note qu’une loi peut entraîner des effets accessoires sur une
compétence attribuée à l’autre ordre de gouvernement sans pour autant en entacher sa
validité175. Dans certains cas, la doctrine du double aspect permet un certain
chevauchement des compétences législatives176.
[310] Il s’agit donc d’examiner le but et les effets des dispositions contestées en
analysant la structure de la Loi 21 et les dispositions qui en énoncent les objectifs, ce
que l’on appelle la preuve intrinsèque, tout comme la preuve extrinsèque, en
l’occurrence les circonstances entourant son adoption.
[311] Comme indiqué précédemment, dans le cadre de cet examen, il faut déterminer
l’objet et les effets des articles visés177 en adoptant une approche flexible évitant un
formalisme indu178. De façon générale, il s’agit d’établir avec précision la matière de la
Loi 21 et donc, en l’instance, de déterminer cette matière quant aux articles 6 et 8 de la
Loi 21.
[312] Structurée en six chapitres, dont trois portent sur les dispositions diverses,
modificatives, transitoires et finales, la Loi 21 affirme la laïcité de l’État (les articles 1 à
5), interdit de porter un signe religieux (l’article 6) et impose l’exercice des fonctions à
visage découvert (les articles 7 à 10).
relatif à la Loi sur les valeurs mobilières, [2011] 3 R.C.S. 837, par. 66.
177 Renvoi relatif à la Loi sur la non-discrimination génétique, 2020 CSC 17, par. 30.
178 Id., par. 32.
500-17-108353-197 et Als PAGE : 63
6. Le port d’un signe religieux est interdit dans l’exercice de leurs fonctions aux
personnes énumérées à l’annexe II.
[317] Pour Hak, cela démontre sans l’ombre d’un doute qu’il s’agit là d’un objectif de
protection d’une valeur fondamentale de la société québécoise, ce qui correspond à la
description d’un objet législatif relevant du droit criminel, en l’occurrence celui de
protéger des règles morales ou des valeurs sociales fondamentales.
[318] Comme l’affirme l’arrêt Renvoi génétique180, les finalités relevant des valeurs
sociales fondamentales constituent l’exercice d’un pouvoir relevant du droit criminel. Au
sujet de l’existence de ces valeurs dans la Loi 21, voici comment s’exprimait le ministre
Jolin-Barrette lors des débats en commission parlementaire :
179 Pièces P-12, p. 2, 4 et 10, p. 17, p. 21, p. 31, p. 33 et 34, p. 47 et p. 111, dossier Hak.
180 Renvoi relatif à la Loi sur la non-discrimination génétique, 2020 CSC 17.
500-17-108353-197 et Als PAGE : 65
[320] Hak plaide qu’en pratique la Loi 21 oblige les personnes portant des symboles
religieux à les enlever, à défaut de quoi elles ne peuvent se trouver un emploi dans le
secteur public. Ce faisant le législateur québécois donne effet à son objectif183.
Soulignons que la Loi 21 prévoit que même les symboles religieux invisibles au regard,
parce que la personne les porterait sous ses vêtements, font l’objet de la même
obligation184.
[321] Par exemple, une personne catholique ne peut porter une croix sous ses
vêtements, tout comme un homme de confession juive ne peut porter des tzizits sous
sa chemise.
[322] À ce sujet, le PGQ reconnaît à l’audience que la Loi 21 s’applique bel et bien aux
signes religieux invisibles portés par les personnes qu’elle vise. Le MLQ quant à lui
prétend que cette position s’avère absurde et que le Tribunal ne devrait pas la
reconnaître.
[323] Le Tribunal convient avec les demanderesses que pour certain.e.s le port de
symboles religieux participe à la croyance religieuse et qu’ils n’en reflètent pas
uniquement l’existence, mais également la nature fondamentale de la foi qui les
anime185.
181 Pièce P-17, p. 42, dossier Hak : QUÉBEC, ASSEMBLÉE NATIONALE, Journal des débats de la
Commission des institutions, 1re sess., 42e légis., 4 juin 2019, « Étude détaillée du projet de loi n° 21 –
Loi sur la laïcité de l’État », 15h30 (M. Jolin-Barrette).
182 Pièce P-17, p. 31, dossier Hak : QUÉBEC, ASSEMBLÉE NATIONALE, Journal des débats de
l’Assemblée nationale, 1re sess., 42e légis., 29 mai 2019, « Adoption du principe du projet de loi n° 21
– Loi sur la laïcité de l’État », 17h01 (M. Jolin-Barrette).
183 Renvoi relatif à la Loi sur la non-discrimination génétique, 2020 CSC 17, par. 64.
184 Déclarations sous serment de N.P., par. 18, de Hak, par. 13-14 et de Lauzon, par. 20.
185 Voir l’article 6 de la Loi 21.
500-17-108353-197 et Als PAGE : 66
Devant une loi qui comporte principalement trois volets, à savoir l’affirmation de la
laïcité l’État, l’interdiction du port de signes religieux par ses agent.e.s et l’obligation
d’exercer ses fonctions à visage découvert, la question du caractère laïque ou religieux
de l’objet de la Loi 21 s’impose naturellement. La distinction s’avère fondamentale aux
fins de l’étape de la classification de Loi 21.
[328] Notons que dans Morgentaler, il s’agissait de déterminer si une loi visant à
interdire les avortements dans les cliniques médicales de la Nouvelle-Écosse découlait
des compétences de cette province. La Cour suprême conclut que l’objet central de la
loi et sa caractéristique dominante résidaient dans la limitation de l’avortement en tant
qu’acte socialement indésirable qu’il convenait de supprimer ou de punir.
[330] Également, dans Big M Drug Mart Ltd, toute personne enfreignant la Loi sur le
dimanche de l’Alberta ou tout employeur ordonnant d’enfreindre la loi, ainsi que toute
[331] Rappelons que, dans le cadre d’une analyse constitutionnelle, tout objet
[333] La Cour suprême ajoute qu’une loi qui vise à réglementer la pratique religieuse,
y compris les peines à imposer en cas de violation, fait partie du droit criminel au sens
le plus large et relève de la compétence exclusive du Parlement du Canada en vertu de
l’article 91(27) de la Loi constitutionnelle de 1867194.
[334] Cet énoncé porte assurément à conséquence. Le Tribunal, peu importe son
opinion sur le sujet, se trouve lié par les énoncés de la Cour suprême du Canada. Ici, il
ne fait aucun doute que la Loi 21 vise à empêcher l’expression légitime d’une croyance
religieuse par le biais du port d’un symbole religieux puisqu’à l’évidence le fait de porter
un tel symbole s’inscrit dans la possibilité d’affirmer sans contrainte sa croyance
religieuse.
[335] Le fait que la Loi 21 promeuve la laïcité, et non une religion en particulier comme
dans Big M, ou se veuille contre un mouvement religieux, comme dans Saumur, ou
qu’elle adopte une conception morale de la société, comme dans Morgentaler, ne
modifie en rien l’approche analytique du Tribunal. En effet, l’analyse de la jurisprudence
montre que des lois qui veulent forcer ou interdire certains comportements pour des
[336] En voulant imposer la laïcité telle qu’il le fait, le législateur québécois se trouve
[…]
[338] Ici, il ne s’agit pas, comme dans l’affaire d’Edwards Books195, de mettre en
œuvre, dans un but strictement d’ordre laïque, un avantage ou une protection à certains
individus, en l’occurrence dans cette affaire un jour de congé pour tous les employés du
commerce de détail. À l’évidence, le fait de prévoir le dimanche comme jour de repos
obligatoire peut apparaître comme une manifestation d’une certaine « catho-laïcité »,
puisqu’elle comporte des avantages pour les personnes pratiquant leur religion le jour
de repos du dimanche par rapport aux autres dénominations religieuses. Mais il n’en
demeure pas moins, essentiellement, qu’il s’agissait d’une loi qui ne visait pas
fondamentalement le respect de principes découlant d’une religion.
[339] Exprimé autrement, on peut dire que le fait d’accorder un jour de congé n’évoque
pas et n’invoque pas, de façon inéluctable, un lien avec la religion. Par exemple, si le
législateur choisissait le mercredi comme jour universel de repos, cela évoquerait-il des
considérations d’ordre religieuses? Bien sûr que non. Par contre, le fait de se réclamer
de la laïcité équivaut, de façon incontournable, à se réclamer d’une absence de la
religion dans le domaine en question, peu importe la façon avec laquelle on aborde la
question.
Par le passé, on s’est fondé surtout sur le partage des pouvoirs prévu
aux art. 91 et 92 de la Loi constitutionnelle de 1867 pour contester la
[342] Cependant, bien qu’il s’agirait d’une erreur fondamentale pour un tribunal
d’instance de ne pas suivre un énoncé particulièrement précis de la Cour suprême sur
le même sujet qui fait l’objet de l’adjudication judiciaire, à charge de se répéter, le
contexte doit baliser l’analyse du tribunal198.
[343] Ainsi, tel que l’enseigne l’arrêt Lapointe199 de la Cour d’appel, le contexte factuel
dans lequel s’inscrit la ratio decidendi prend toute son importance.
[344] À cet égard, il faut noter que ce qu’affirme la Cour suprême dans Edwards Books
porte spécifiquement sur la détermination de la question de savoir s’il existe une
compétence exclusive en matière de religion ou de liberté religieuse.
[346] De plus, une lecture attentive de l’arrêt Big M confirme que cet énoncé, qui
apparaît lapidaire, ne se conçoit pas de façon désincarnée, mais qu’il relève d’une
analyse des composantes fondamentales d’une loi mettant en cause la liberté de
religion.
[347] Tout d’abord, au sujet de la caractérisation de la Loi sur le dimanche elle pose le
problème ainsi :
196 R. c. Big M Drug Mart Ltd, [1985] 1 R.C.S. 295, p. 301, lignes a et b.
197 R. c. Edwards Books and Art Ltd., [1986] 2 RCS 713.
198 Voir : Edmonton Journal c. Alberta (Procureur général), [1989] 2 R.C.S. 1326, p. 1355 et 1356 et les
commentaires de Danielle PINARD, «La "méthode contextuelle"», (2002) 81 R. du B. can. 323 p. 338
et 339.
199 R. c. Lapointe, 2021 QCCA 360.
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[348] Voilà pourquoi il devient nécessaire d’identifier la « matière » sur laquelle porte la
loi pour décider duquel des chefs de compétence énumérés aux articles 91 et 92 de la
L.C. 1867 elle relève201. Dans le cadre de son analyse de la Loi sur le dimanche de
l’Alberta dans Big M., la Cour suprême retrace les fondements historiques de lois
semblables202. Puis elle affirme que depuis la confédération jusqu’à l’arrêt du Conseil
privé dans Hamilton Street Railway203, l’avis généralement partagé accordait aux
provinces la compétence pour légiférer sur la question de l’observance du dimanche en
vertu des paragraphes 92(13) et 92(16) de la L.C. 1867204.
[349] Ce faisant, elle indique que le Conseil privé semble reconnaître qu’il s’agit d’une
loi visant d’abord à promouvoir l’ordre, la sécurité et les bonnes mœurs plutôt que de
réglementer les droits civils des particuliers205, bien que l’extrait du jugement qu’elle cite
porte sur la compétence fédérale en matière de droit criminel.
[350] Puis elle traite de l’arrêt Ouimet v. Bazin206, qui affirme qu’une loi québécoise
visant à interdire certains actes de nature à nuire l’observance normale du dimanche,
relève du droit criminel en estimant, entre autres, qu’elle visait à promouvoir la moralité
publique et à pourvoir au maintien de la paix et de l’ordre public207.
[351] Le passage qui suit ces considérants comporte assurément un intérêt et une
portée interprétative plus importante pour notre affaire, alors que le juge en chef
Dickson souscrit spécifiquement à l’énoncé suivant du juge Duff exprimé dans Bazin :
Il n’est peut-être pas nécessaire de dire qu’il ne s’ensuit pas que toute la
question de la réglementation de la conduite des gens, le premier jour
de la semaine, est du ressort exclusif du Parlement du Canada. Il n’est
aucunement nécessaire en l’espèce de se prononcer sur la question de
200 R. c. Big M Drug Mart Ltd, [1985] 1 R.C.S. 295, p. 316, lignes g à j.
201 Id., p. 317, lignes g à h.
202 Id., p. 317 à 319.
203 Attorney-General for Ontario v. Hamilton Street Railway Co., [1903] A.C. 524.
204 R. c. Big M Drug Mart Ltd, [1985] 1 R.C.S. 295, p. 319, lignes g à i.
205 Id., p. 319, ligne j.
206 (1912) 46 S.C.R. 502.
207 R. c. Big M Drug Mart Ltd, [1985] 1 R.C.S. 295, p. 321, ligne j à p. 322, ligne a.
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savoir jusqu’à quel point les règlements édictés par une législature
provinciale qui régissent la conduite des gens le dimanche, mais qui
visent uniquement un certain objet qui n’a rien à voir avec le caractère
religieux de ce jour, constitueraient un empiétement sur la compétence
[353] Il n’apparaît pas anodin, bien au contraire, de noter qu’il cite ensuite avec
approbation le passage suivant du juge Rand dans l’arrêt Saumur :
[354] Il importe donc de souligner que ce qui constituait jusqu’alors une opinion d’un
seul juge apparaît recevoir l’imprimatur de cinq juges de la Cour suprême. Cela devrait
normalement emporter des conséquences.
[…] a été adoptée à des fins religieuses; elle prescrit ce qui constitue
essentiellement une obligation religieuse.212 […]
[…] Par conséquent, une loi qui prescrit l’observance de ces jours,
comme celle qui nous intéresse en l’espèce, est forcément une loi qui
Dans notre pays, il n’existe pas de religion d’État. Personne n’est tenu
d’adhérer à une croyance quelconque. Toutes les religions sont sur un
pied d’égalité, et tous les catholiques comme d’ailleurs tous les
protestants, les juifs, ou les autres adhérents des diverses
dénominations religieuses, ont la plus entière liberté de penser comme
ils le désirent. La conscience de chacun est une affaire personnelle, et
l’affaire de nul autre. Il serait désolant de penser qu’une majorité puisse
imposer ses vues religieuses à une minorité. Ce serait une erreur
fâcheuse de croire qu’on sert son pays ou sa religion, en refusant dans
une province, à une minorité, les mêmes droits que l’on revendique soi-
même avec raison, dans une autre province.215
[358] Ensuite, lorsqu’il traite de l’objet et de l’effet de la Loi sur le dimanche, il énonce :
[359] Il rejette ensuite les prétentions du procureur général de l’Alberta voulant que
seul l’effet et non l’objet de la loi contestée qui importe, en affirmant que tant un objet
qu’un effet inconstitutionnel peuvent l’un et l’autre rendre une loi invalide, 217 car il
apparaît difficilement concevable qu’une loi avec un objet inconstitutionnel puisse
entraîner des effets constitutionnels218. Il s’ensuit donc que si le tribunal détermine
qu’une loi possède un objet inconstitutionnel il ne s’avère pas nécessaire d’en étudier
davantage les effets puisque son invalidité s’en trouve dès lors prouvée 219.
Bien que l’effet d’une loi comme la Loi sur le dimanche puisse être plus
laïque aujourd’hui qu’il ne l’était en 1677 ou en 1906, cela ne peut
permettre de conclure que son objet a changé pareillement. En
définitive, la Loi sur le dimanche doit donc être qualifiée, comme elle l’a
toujours été, de loi qui a principalement pour objet de rendre obligatoire
l’observance du dimanche.222
[363] Il faut noter que le juge en chef Dickson convient que bien que l’« évolution et la
réévaluation » dues à de nouvelles situations sociales permettent de justifier une
nouvelle interprétation de l’étendue du pouvoir législatif, puisque ce changement
pourrait avec le temps contribuer à modifier la portée des différents chefs de
compétence et changer ainsi la classification d’une loi, cela ne permet aucunement de
modifier la caractérisation de l’objet d’une loi223.
220 Attorney General for Ontario v. Canada Temperance Foundation, [1946] A.C. 193.
221 R. c. Big M Drug Mart Ltd, [1985] 1 R.C.S. 295, p. 335, lignes c à e.
222 Id., p. 336, lignes b et c.
223 Id., p. 335, lignes h à j.
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[366] De tout ceci, le Tribunal en tire les enseignements suivants pour les fins de
l’instance.
[367] Il ne fait aucun doute que l’objet de la Loi 21 vise un objet religieux, en
l’occurrence non seulement l’effacement dans un certain espace public de la religion,
mais également, entre autres, l’interdiction dans certaines situations pour l’État de
contracter avec un juriste qui porte un signe religieux. Le fait que la Loi 21 s’affiche
comme une loi portant sur la laïcité et disant vouloir en faire une des bases de la
société québécoise n’y change rien, car toutes ses dispositions pertinentes à cet égard
requièrent l’exclusion du port d’un signe religieux.
[368] Il apparaît tout aussi indéniable que l’effet de la Loi 21 emporte les mêmes
conclusions.
[369] Pour paraphraser la citation du juge Rand dans Henry Birks, à laquelle le
Tribunal réfère au paragraphe [355] de son jugement, on voit bien que : « le législateur
adopte la Loi 21 à des fins laïques; elle prescrit ce qui constitue essentiellement une
obligation laïque ». En ce faisant, on se rend bien compte que le vocable, et même le
concept de « laïcité », comporte la même essence que celui de la « religion ».
[370] Pour certains, il s’agit d’une perspective positive, pour d’autres, une perspective
négative. Il n’en demeure pas moins qu’il s’agit là des deux pôles d’une même notion
philosophique et sociale.
[372] D’entrée de jeu, il importe de noter que le juge en chef Dickson énonce :
[373] Puis il cite avec approbation les passages suivants de l’arrêt Big M :
Dans l’arrêt de cette Cour Big M Drug Mart Ltd., les juges formant la
majorité prennent soin, dans leur définition de la liberté de ne pas se
conformer à des dogmes religieux, de restreindre son applicabilité aux
cas où la loi attaquée a été motivée par un objet religieux :
[374] Selon Hogg, ces propos permettent d’affirmer que l’impact d’une loi sur la
religion ne constitue pas nécessairement le facteur déterminant aux fins de la
classification de la loi. En ce sens, une loi qui touche la liberté de religion ne se
distingue pas des lois portant sur les autres droits et libertés fondamentaux :
[375] Il s’ensuit que, de manière générale, les effets d’une loi relatifs aux libertés
fondamentales, y compris la liberté de religion, constituent un élément accessoire lors
de la classification de la loi, l’accent se trouvant sur l’activité encadrée par la loi :
[376] Pour illustrer ses propos, le professeur Hogg offre un exemple en matière de
discrimination raciale :
229 Peter W. HOGG, Constitutional Law of Canada, vol. 2, 5e éd., feuilles mobiles, Toronto, Carswell,
2007, par. 42.1.
230 Id., par. 34.4(b).
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[378] Voilà pourquoi, pour paraphraser ce qu’énonce la Cour suprême quant au texte
applicable à des législations semblables à celle de la Loi 21, il s’agit de déterminer si
celle-ci vise à accorder aux personnes visées les mêmes droits qu’aux autres membres
de la collectivité ou si elle constitue une tentative déguisée, dans un texte
soigneusement rédigé, de promouvoir l’observance d’une position morale, en
l’occurrence la laïcité, partagée par un groupe historiquement dominant ou de lui
accorder la préférence232.
[379] En tout respect, on peut utiliser le mot laïcité à satiété à la place du mot religion,
cela n’exclue pas le fait que cette notion sous-entend l’absence de religion. Ici, par le
biais de la Loi 21, le bannissement de la religion se fait sans aucune promotion de la
laïcité de façon formelle puisqu’elle ne vise qu’à enlever des droits aux personnes qui
portent des signes religieux.
[380] D’aucuns pourraient rétorquer que le simple fait de prévoir la laïcité entraîne sa
promotion. Cela demeure vrai. Mais cette existence de la laïcité ne se produit qu’en
prônant l’inexistence de la religion. Ainsi, si l’on suit les enseignements d’Edwards
Books et qu’on les transpose à notre affaire, on se doit de conclure que puisque le fait
de prévoir un jour de repos hebdomadaire n’entraînait pas, de facto, la disparition de la
manifestation d’une croyance religieuse, une conclusion inverse s’impose ici puisque le
fait d’imposer la laïcité amène inéluctablement, la disparition d’une manifestation
religieuse.
[381] Donc, toujours en s’appuyant sur cet arrêt233, le Tribunal doit conclure que le
traitement distinctif réservé pour la Loi 21 aux signes religieux entraîne sa qualification
comme une loi de nature religieuse. À l’évidence, il ne fait aucun doute que la loi visée
par la contestation judiciaire dans Edwards Books ne possédait aucun effet direct sur la
croyance religieuse, alors qu’en l’instance il s’avère indéniable que les personnes
pratiquant une religion requérant une certaine orthopraxie ressentent directement l’effet
total et inhibiteur de la Loi 21.
231 Id.
232 R. c. Edwards Books and Art Ltd., [1986] 2 RCS 713, p. 744, lignes b à d.
233 Id., p. 742, lignes e à f.
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[382] Ainsi, sans conteste, la Loi 21 empiète plus que minimalement sur la liberté de
manifester ou de mettre en pratique des croyances religieuses. En ce sens, en fonction
de son contexte et la question particulière qu’elle vise, il s’agit d’une loi qui traite de
moralité publique.
[385] Notons que dans son argumentation, le PGQ se réclame de l’arrêt Edwards
Books uniquement pour soutenir qu’il faut éviter de sauter facilement aux conclusions
voulant qu’une loi sur les fermetures le dimanche constitue une tentative déguisée
d’assurer ou d’encourager l’observance religieuse239. Il ajoute qu’en l’instance, puisque
la Loi 21 vise uniquement la mise en œuvre de la laïcité, elle ne vise pas l’interdiction
de certaines pratiques religieuses.
[386] Avec égard, cette position comporte, à tout le moins, une incohérence
fondamentale. En effet, en société, la laïcité n’existe comme concept que parce que la
religion existe en réalité. Il s’agit des deux faces d’une même médaille, du négatif et du
positif d’une photographie, par exemple. En l’absence de l’existence de la religion, point
besoin de parler de laïcité.
[387] Cependant, le fait d’accorder un jour de congé, tel que dans l’affaire d’Edwards
Books, ne comporte aucune signification qui renvoie de façon consubstantielle à la
religion, alors que le fait d’interdire le port de signes religieux relève,
consubstantiellement, vue d’une certaine perspective de l’existence de la religion ou,
vue de la perspective inverse, de la mise en œuvre de la laïcité. Il s’agit donc, en
réalité, du même concept, décrit de façon différence et ce, en fonction de la perspective
que l’on entretient.
[…] La liberté religieuse est inévitablement diminuée par une loi qui a
pour effet d’entraver une conduite qui fait partie intégrante de la pratique
[389] Cela dit, l’arrêt Edwards Books énonce que la qualification historique des lois
relatives à la fermeture le dimanche, comme une infraction criminelle, découle de la
considération que la profanation du sabbat la rendait telle241. Cette qualification provient
d’une perception sociale, propagée par les fidèles des groupes religieux dominants,
qu’il apparaissait moralement répugnant de violer certains préceptes religieux 242.
[390] Pour le Tribunal, cela s’apparente assurément à la position défendue par le PGQ
et le MLQ selon laquelle la majorité des Québécois se dit en faveur de la Loi 21 parce
qu’elle considère que la morale laïque empêche à la fois le port de signes religieux et la
violation des principes de laïcité que la Loi 21 met de l’avant. En affirmant cela, le
Tribunal paraphrase le passage suivant d’Edwards Books qui énonce que les lois
relevant du droit criminel visent « à imposer un comportement que l’idéal religieux
prédominant jugeait approprié pour le dimanche »243.
[391] Dans Edwards Books, la Cour suprême réfère à la Loi sur le repos
hebdomadaire dans les établissements industriels (S.C. 1935, chap. 14) en affirmant
que le fait d’accorder un jour de repos aux travailleurs ne constitue pas un objectif de
droit criminel, mais bien un objectif relatif à la propriété et aux droits civils dans la
province244.
[392] Ici, on voit mal comment on pourrait affirmer que la Loi 21 accorde un
quelconque avantage aux personnes visées par l’obligation de ne pas porter des signes
religieux ou qui subissent une restriction sévère de leur mobilité professionnelle si elles
en portent un, à moins que l’on ne soutienne, comme le font les défenseurs de la Loi
21, que l’avantage se retrouve, entre autres, dans le fait que les élèves ou leurs parents
ne verront pas leurs libertés de religion ou de conscience atteintes par le port d’un signe
religieux par un.e enseignant.e, ou pour le fait de se voir servir par un.e employé.e de
l’État qui porte un.
l’interdiction de porter des signes religieux. En effet, cette interdiction ne porte pas sur
les « droits civils » des personnes qui affirment que le port des signes religieux viole
certains de leurs droits fondamentaux, contrairement à l’avantage que recevaient les
employés dans Edwards Books de bénéficier d’une journée commune de repos et de
[394] Avec égard, on ne peut pas, à strictement parler, référer à des « droits civils »
lorsque l’on parle de laïcité ou de religion, tel que l’entend la définition actuelle de
« droits civils » pour les fins de classification constitutionnelle. En affirmant cela le
Tribunal convient qu’il se démarque de l’opinion de trois juges dans l’arrêt Saumur246,
mais il le fait, car dans Renvoi procréation la Cour suprême précise :
[397] De cette perspective, le Tribunal ne peut faire abstraction que la Cour suprême
réfère aux notions de « paix » et « d’ordre » et de moralité publique dans le cadre de la
l’Assemblée nationale, 1re sess., 42e légis., 29 mai 2019, « Adoption du principe du projet de loi n° 21
– Loi sur la laïcité de l’État », 17h01 (M. Jolin-Barrette).
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détermination du caractère véritable d’une loi semblable à la Loi sur le dimanche, pour
en conclure qu’elle relève du droit criminel.
[398] Ainsi, à titre d’exemple, et le Tribunal précise qu’il demeure conscient qu’il s’agit
[399] Donc, la concession de la liberté de religion pour les catholiques en 1774 trouve
assurément sa justification dans le maintien de la paix et de l’ordre dans la colonie.
[403] Plus particulièrement la preuve des experts et témoins du PGQ et MLQ, entre
autres, démontre clairement que la régulation de l’exercice de la religion participe au
maintien de la paix et de l’ordre dans notre société.
[405] Dans une allocution qu’il prononce le 28 avril 2010, il réitère plus précisément la
même idée :
[…] Et, de ce point de vue, c’est cette laïcité sans adjectif qui est pour
l’avenir le meilleur gage de paix sociale. C’est cette laïcité qui, pour
l’avenir, est le meilleur gage d’un climat social de paix et d’intégration
sociale. Car, ce n’est pas nécessairement en reconnaissant de toutes
les manières les diversités qu’on les intègre le mieux dans la société.251
[406] Également dans un ouvrage auquel il participe il expose les raisons pour
lesquels la laïcité qu’il préconise semble plus garante de la paix sociale :
[…]
devant les tribunaux. Une laïcité claire, sans être absolument garante de
toute paix sociale, lui est plus favorable qu'une laïcité gérée au cas par
cas.252
[…]
Je soumets donc que, pour l'avenir, comme ce fut le cas dans notre
passé récent, la « paix religieuse » exige que la priorité soit accordée au
respect des convictions religieuses de toutes les « clientèles » de toutes
les institutions publiques financées par des fonds publics. C'est parce
que le présent projet de Charte de la laïcité s'inspire de cette
perspective d'avenir que je lui apporte mon appui.
[…]
[…]
[408] Le professeur Chevrier montre bien que l’État moderne vise à « pacifier les
passions religieuses »254. Il conclut ceci en réponse à la question de savoir quel rôle
celui-ci joue dans son rapport aux religions et quant aux relations entre elles :
pour conclure ainsi quant aux finalités que recherchent les États qui font le choix de la
laïcité :
[…] Les buts de l’État ont aussi évolué, allant d’une politique de
répression ou d’endiguement de ce pluralisme à une politique qui cultive
une coexistence des croyances et des convictions propices à la paix et à
la cohésion sociale. […]258
60. Ce propos est bien complété par le professeur Marc Chevrier qui fait
lui aussi état des finalités qui sont recherchées par les États laïques.
Parmi celles-ci figure la préservation de la capacité de l’État à gouverner
et de l’autonomie des religions elles-mêmes. Qui plus est, des objectifs
d’intérêt général, d’ordre public, de paix sociale, de bonne entente entre
les communautés de foi, d’intégration sociale et de fraternité sont
poursuivis. La laïcité, souligne Chevrier, aide les États à arbitrer des
conflits entre liberté de conscience et liberté de religion, et plus
[413] Dans la même veine, le rapport Proulx qui se trouve en annexe au rapport de
l’expert Beauchemin énonce :
[414] L’expert Beauchemin n’utilise pas les vocables « paix » ou « ordre », mais il
utilise celui de « tension »262 ou de « discorde »263 pour affirmer qu’il s’agit d’un truisme
de parler du lien entre la manifestation du religieux et les tensions sociales 264. Pour le
Tribunal, il s’agit là de l’évocation de la même problématique, évoquée avec des
synonymes, en l’occurrence celle reliée au maintien de la paix sociale.
[415] Pour paraphraser à nouveau les enseignements de la Cour suprême 265, on peut
assurément affirmer que d’une perspective axée en 2021 il peut sembler incongru de
considérer que la règlementation de la religion soulève des questions de « paix » et
« d’ordre », notamment vu le fait que la société québécoise se transforme, en une
génération, d’une société très majoritairement catholique pratiquante en une société où
l’irréligiosité prédomine. Cependant, il n’en demeure pas moins que de se placer dans
la perspective historique, particulièrement de celles des années 1950 ou de celles
de 1920 n’entraîne pas le même constat, notamment à la lecture des nombreuses
décisions des tribunaux traitant de religion. En effet, on constate qu’alors la
règlementation de la pratique religieuse, précisément quant à la liberté de religion, sert
comme moyen de maintenir la « paix », « l’ordre » ainsi que la moralité publique.
[416] D’ailleurs, une telle qualification date au moins depuis l’arrêt Hamilton Street
Railway de 1903266. Le Tribunal ne peut se sentir autorisé de modifier une telle
[417] Par conséquent, le Tribunal doit conclure que les articles 6 et 8 de la Loi 21
[418] Il s’agit maintenant de déterminer s’ils en contiennent les autres attributs pour se
voir qualifier ainsi.
[420] Elle comporte, cependant, de nombreuses sanctions. Tout d’abord, à l’article 12,
en cas de contravention à la Loi 21, le ministre concerné peut requérir de l’organisme
ou de la personne contrevenante d’apporter des mesures correctives et il peut les
soumettre à toute autre mesure, dont des mesures de surveillance et
d’accompagnement.
[421] À l’article 13, la personne qui exerce la plus haute autorité administrative doit
prendre les moyens nécessaires pour assurer le respect des mesures prévues aux
articles 6 et 8, ce qui inclut une mesure disciplinaire ou toute autre mesure découlant de
l’application des règles régissant l’exercice de ses fonctions.
[422] À l’article 16, la Loi 21 sanctionne de nullité absolue toute disposition d’une
convention collective ou de tout autre contrat relatif à des conditions de travail
incompatible avec ses prescriptions.
[423] Il ne fait donc aucun doute que la Loi 21 comporte un aspect comminatoire.
[424] Pour éviter que le Tribunal qualifie la Loi 21 de loi de matière criminelle, le PGQ
s’appuie sur l’arrêt Siemens c. Manitoba (Procureur général)267 où la Cour suprême,
après un rappel des trois caractéristiques d’une loi de matière criminelle qu’il convient
de reprendre pour fins de commodité, en l’occurrence l’existence (1) d’une interdiction
(2) assortie d’une sanction et (3) d’un objet relevant du droit criminel, énonce que la loi
contestée ne comporte aucune conséquence pénale et donc que son objet ne relève
pas du droit criminel268 pour soutenir qu’il en va de même pour la Loi 21. Dans
Siemens, la Cour suprême opine au sujet d’une loi du Manitoba autorisant les
municipalités à tenir des référendums décisionnels relativement à l’interdiction des
appareils de loterie vidéo sur leur territoire.
[426] Voyons comment un arrêt plus récent, celui sur le Renvoi génétique269, qui
comporte plusieurs groupes de motifs traite de cette question. Trois juges traitent des
critères pour établir si les articles 1 à 7 de la loi en cause constituent des dispositions
de droit criminel valides en appliquant les trois caractéristiques énoncées
précédemment270, sans toutefois spécifier nommément de quel type de sanction il doit
s’agir. Cependant, on doit comprendre de ces motifs qu’en déclarant qu’elles
comportent des sanctions pour la violation des interdictions271, ils réfèrent à une de leur
constatation antérieure énonçant que l’article 7 de la loi impose des peines sévères
pour la violation de ces interdictions272.
[427] Deux autres juges opinent également que les articles 1 à 7 de la loi constituent
un exercice valide du pouvoir du Parlement de légiférer en matière de droit criminel,
mais pour des motifs différents273. Ils affirment cependant que cette qualification repose
sur le fait que la loi comporte des interdictions, assorties de peines, qui visent comme
objectif de droit criminel la suppression d’une menace pour la santé274.
[428] Quant aux quatre juges minoritaires, il faut noter que ceux-ci constatent que la loi
comporte des peines sévères, tant en termes d’amende que d’emprisonnement275. Au
sujet de sa classification à titre de loi criminelle valide, ils notent la nécessité d’une
interdiction, d’une sanction liée à cette interdiction et un objet valide de droit criminel,
tout en spécifiant que les deux premiers éléments constituent des exigences formelles
alors que le troisième s’avère une exigence de fond276.
[429] De tout ceci, le Tribunal conclut que la Cour suprême ne discute jamais, de
façon directe et approfondie, de la notion de ce qui peut constituer « une sanction »
pour les fins de classification, possiblement pour la simple et bonne raison que toutes
les législations analysées dans les décisions que mettent de l’avant les parties ainsi que
celles que le Tribunal peut recenser, comportent des sanctions qui prévoient des
amendes et/ou des peines d’emprisonnement.
[431] L’argument a contrario de Hak, indiquant qu’une province peut légiférer pour
imposer des amendes et d’autres formes de punition incluant l’emprisonnement, on
peut penser à l’outrage au tribunal prévu à l’article 62 C.p.c. par exemple, ne rendent
pas de telles dispositions des lois de nature criminelle constitutionnellement parlant
apparaît séduisant. À ce titre, elle se réclame d’un passage de l’arrêt Siemens279
affirmant que la seule existence d’une interdiction et d’une sanction n’invalide pas
l’exercice par ailleurs acceptable d’une compétence législative provinciale.
[432] Exprimé autrement, l’argument de Hak propose que l’existence d’une peine, par
exemple l’emprisonnement en matière d’outrage au Tribunal, n’entraîne pas la
classification d’une telle loi comme une loi de nature criminelle. Ainsi, selon elle,
l’existence d’une sanction pour conclure à une loi de nature criminelle ne requiert pas
nécessairement que la sanction comporte une peine qui s’articule autour de
l’emprisonnement ou d’une amende.
[433] Elle ajoute que même le Code criminel prévoit des sanctions autres que des
amendes ou l’emprisonnement280. Ainsi, la seule façon de déterminer si le critère de la
sanction possède une signification particulière pour les fins de la classification
constitutionnelle réside dans la détermination de savoir si elle s’inscrit, tout comme la
prohibition à laquelle elle se rattache, à l’adoption d’une loi qui poursuit un objectif de
droit criminel légitime281.
[434] Le Tribunal doit convenir que ces arguments possèdent un certain mérite.
Cependant, confronté à des jugements clairs de la Cour suprême sur cette question qui
réfèrent nommément à une peine, le Tribunal se trouve lié par le stare decisis.
Conséquemment, il se doit de conclure que la Loi 21 ne comporte pas de sanctions de
la nature de celles qui permettraient sa classification comme relevant du droit criminel.
[435] Ainsi le Tribunal ne peut conclure que les articles 6 et 8 de la Loi 21 relèvent du
Parlement en vertu de l’article 92(27) de la L.C. 1867. Il ne peut également conclure
que ces articles relèvent du législateur québécois en vertu de l’article 92(13) pas plus
que la loi dans son ensemble d’ailleurs. En fait, en l’absence de rattachement avec une
[436] Cependant, pour le reste, la Loi 21 relève plutôt de l’article 92(4) qui traite de la
création et de la tenure des charges provinciales, de la nomination et du paiement des
officiers provinciaux, alors que les articles 13 à 16 de la Loi 21 relèvent effectivement de
l’article 92(13) puisqu’ils traitent des conventions collectives ainsi que de l’article 45 de
la L.C. 1982 en ce qu’elle modifie la Charte québécoise et donc la Constitution du
Québec.
[437] Le Tribunal analysera ensuite les arguments qui traitent de l’impact de trois lois
préconfédératives sur la validité de certaines dispositions de la Loi 21. Selon les
demanderesses, ces lois constitutionnalisent la liberté de religion et permettent
d’invalider des dispositions législatives qui en restreignent l’exercice.
[438] Pour ce faire, le Tribunal présentera la position des parties à ce sujet, pour
ensuite tracer le contexte historique général qui entoure l’adoption et la mise en œuvre
de ces lois, ce qui l’amènera à discuter de l’effet de chacune d’entre elles.
[440] Lauzon soutient que l’invalidité de la Loi 21 découle d’une contravention au droit
de libre exercice de la religion consacré aux articles V et VII de l’Acte de Québec. Selon
elle, ces dispositions demeurent toujours en vigueur au Canada, revêtent un caractère
constitutionnel et font partie de la Constitution du Canada aux termes de l’article 52(2)
de la Loi constitutionnelle de 1982. Par conséquent, Québec ne peut ni les modifier ni
282 14 Geo. III, c. 83 (R.-U.), reproduit dans L.R.C. 1985, app. II, no 2.
283 Acte pour déclarer que les Personnes qui professent le Judaïsme ont le bénéfice de tous les droits et
privilèges des autres sujets de Sa Majesté en cette Province, (1831) 1 Guil. IV, c. 57.
284 Acte pour abroger cette partie de l’Acte du Parlement de la Grande-Bretagne passé dans la trente-
unième année du Règne du Roi George Trois, chapitre trente-un [Acte constitutionnel de 1791], qui se
rapporte aux Rectoreries et à la nomination des titulaires à icelles, et pour d’autres fins liées aux dites
Rectoreries, (1852) 14-15 Vict., c. 175.
500-17-108353-197 et Als PAGE : 92
les abroger unilatéralement et le Tribunal doit déclarer la Loi 21, et notamment ses
articles 6 et 8, invalide en vertu de l’article 52(1) de la Constitution. Lauzon ajoute qu’à
titre de principe constitutionnel, le droit au libre exercice de la religion permettrait le
recours au contrôle judiciaire en cas de violation.
[442] Bien que, d’une part, le droit au libre exercice de la religion consacré par cet
article ne paraisse s’appliquer textuellement qu’aux catholiques romains, elle soutient,
d’autre part, que le droit du libre exercice de la religion qu’il garantit incarne une norme
constitutionnelle qui protège tout autant les personnes d’autres confessions religieuses.
[443] Avec égards, cet argument ne mérite pas qu’on s’y attarde longuement. En effet,
si l’article V de l’Acte de Québec possède les attributs dont elle se réclame, il s’ensuit
que, comme la Loi 21 prohibe le port de signes religieux catholiques romains, le
Tribunal devrait invalider les dispositions de la Loi 21 à l’égard de tous et non
seulement à l’égard des catholiques romains, ce qui bénéficierait à l’ensemble des
personnes portant des signes religieux, peu importe leurs confessions. Ainsi, le Tribunal
verra ultérieurement à discuter brièvement des arguments soumis par Lauzon285 au
soutien de sa position voulant, entre autres, que l’existence de législations
subséquentes autorise le Tribunal à conclure que les effets de l’article V de l’Acte de
Québec s’appliquent à toutes les religions.
[444] Elle plaide aussi que l’Acte de Québec constituerait tout de même une loi
fédérale valide, qui, au regard de la doctrine de la prépondérance fédérale, rendrait la
Loi 21 invalide dans la mesure de ce conflit, en présumant même que la Loi 21
n’excède pas la compétence provinciale. Par conséquent, comme la clause de
dérogation de l’article 33 de la Charte ne peut recevoir application dans de telles
circonstances, Lauzon réclame que le Tribunal déclare les articles 6 et 8 de la Loi 21
nuls, invalides et inopérants tout comme les articles 4, 7, 9, 10 et 13 à 16 qui s’en
trouvent indissociables.
[445] WSO et Lord Reading avancent des arguments similaires. Selon WSO, la liberté
de religion garantie par la Loi de 1852 sur les « rectoreries » se trouve spécifiquement
enchâssée dans la Constitution du Canada. De même, Lord Reading prétend que la
Loi Hart, toujours en vigueur au moment de la Confédération, fait également partie de la
Constitution du Canada.
[446] Subsidiairement, ils soutiennent que l’Acte de Québec et la Loi de 1852 sur les
« rectoreries » font partie de la législation fédérale en vigueur et par conséquent la
doctrine de la prépondérance fédérale oblige le Tribunal à déclarer la Loi 21 inopérante.
[448] Selon le PGQ, en édictant une charte protégeant les droits fondamentaux et des
procédures de modifications constitutionnelles, la Loi constitutionnelle de 1982 met fin
au régime de suprématie parlementaire absolu qui prévalait jusqu’alors, en limitant
dorénavant la possibilité pour les parlements fédéral et provinciaux de modifier certains
éléments de la Constitution. Toutefois, cette loi préserverait à travers l’article 33 de la
Charte canadienne, un pan fondamental du modèle de la souveraineté parlementaire
quant à plusieurs des droits et libertés prévus à cette Charte. Elle écarterait donc le
modèle du constitutionnalisme absolu rendant ainsi possible l’adoption de la Charte
canadienne.
[450] Le PGQ soutient que les lois invoquées ne font pas partie de la Constitution au
sens de l’article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982 et qu’elles ne possèdent aucune
valeur supralégislative qui leur permettrait d’invalider une loi du Québec. Il ajoute que
leur intérêt demeure limité à expliquer une partie de l’histoire institutionnelle et juridique
du Canada.
[451] De façon subsidiaire, le PGQ plaide que rien ne démontre leur incompatibilité
avec les dispositions de la Loi 21. Dans la mesure où le Tribunal leur reconnaîtrait une
valeur juridique résiduelle ou interprétative, les demanderesses, de l’avis du PGQ, leur
donnent une portée anachronique qui en dépasse largement le sens et le contexte.
[452] Pour le PGQ, il faut distinguer ce qui constitue la constitution formelle du Canada
et la constitution matérielle. La première se composerait uniquement des règles
jouissant d’une primauté sur toute autre norme juridique. Elle se retrouverait sous
l’égide de l’article 52 de la L.C. 1982. La seconde regrouperait toutes les règles qui
définissent les organes de l’État ainsi que les rapports de ceux-ci entre eux et avec les
personnes sur son territoire.
[453] Il reconnaît que l’Acte de Québec fait partie, à l’époque, de cette dernière
catégorie et qu’il possède son caractère prépondérant,286 mais uniquement en ce qui
traite des inhabiletés pouvant découler du droit public ou du droit criminel anglais287.
Selon lui, seul l’article XV de l’Acte de Québec qui prévoit que :
[455] Il en conclut que, selon la procédure de l’article XLII, cela ne transforme pas une
loi coloniale en loi du Parlement impérial, car ce dernier ne jouirait que du droit
d’interdire au souverain de donner la sanction royale. Il ajoute, à tout évènement,
qu’en 1854 le Parlement impérial adopte l’Act to empower the Legislature of Canada to
alter the Constitution of the Legislative Council of that Province, and for other
purposes290 dont l’article VI prévoit :
[456] Pour le PGQ, il n’existait donc aucune restriction après l’union de 1867, fondée
sur l’article V de l’Acte de Québec. Le parlement de la province pouvait même modifier
sa propre constitution sous certaines réserves, notamment quant au maintien du lien
colonial, de l’extraterritorialité et de l’effet de toute loi impériale à l’égard de laquelle le
parlement provincial ne disposait pas d’un pouvoir d’amendement exprès.
[457] Ainsi, selon lui, dans la mesure où l’article V de l’Acte de Québec survit à l’union
de 1867, le parlement provincial pouvait en permettre la modification puisque le
Parlement fédéral n’existe que par la création de cette union. À tout évènement, il
ajoute que l’entrée en vigueur du Statut de Westminster en 1931 fait en sorte qu’il ne
subsiste aucun doute quant au fait que les provinces peuvent modifier ou abroger toute
loi impériale dans la mesure de leurs compétences législatives telles que distribuées
par la partie VI de la L.C. 1867.
religion catholique et, par l’application de l’article 129 de la L.C. 1867, l’autorité
législative compétente, selon le partage des compétences législatives, peut la modifier
comme bon lui semble.
[461] De plus, si cette disposition vise à éliminer des inhabiletés civiles, cela relèverait
de la compétence provinciale relative à la propriété et aux droits civils.
[465] De plus, il faut noter que dans sa défense, le PGQ affirme que la L.C. 1867
instaure un nouveau régime constitutionnel en vertu duquel la liberté de religion se
trouve restreinte aux garanties précises notamment prévues à l’article 93 de la
L.C. 1867294.
[466] Or, dans son argumentation écrite295, il affirme qu’il s’agit de la L.C. 1982 qui
rend caduc le droit au libre exercice de la religion consacré par l’Acte de Québec en
vertu du principe d’interprétation selon lequel l’adoption des lois postérieures peut, dans
certaines circonstances, abroger de façon implicite des lois antérieures incompatibles.
[467] À cet égard, Lauzon plaide que le PGQ n’identifie aucune telle incompatibilité, ce
qui démontrerait qu’il n’en existe pas. De plus, en référant à l’article 26 de la Charte, qui
prévoit en substance que la Charte ne constitue pas une négation des autres droits et
libertés qui existent au Canada, elle ajoute que les règles d’interprétation dont se
[…] Il ne peut y avoir de doute que cette loi continue de s’appliquer pleinement et
que les droits qu’elle confère sont expressément préservés par l’art. 26 de la
Charte. Cependant, étant donné que j’estime que la présente situation relève de
la protection constitutionnelle que fournit la Charte canadienne des droits et
libertés, je préfère fonder ma décision sur la Charte.297
[…]
Ainsi, la Déclaration canadienne des droits conserve toute sa force et son effet,
de même que les diverses chartes des droits provinciales. Comme ces
instruments constitutionnels ou quasi constitutionnels ont été rédigés de diverses
façons, ils sont susceptibles de produire des effets cumulatifs assurant une
meilleure protection des droits et des libertés. Ce résultat bénéfique sera perdu si
ces instruments tombent en désuétude. Cela est particulièrement vrai dans le
cas où ils contiennent des dispositions qu’on ne trouve pas dans la Charte
canadienne des droits et libertés et qui paraissent avoir été spécialement
conçues pour répondre à certaines situations de fait comme de celles en cause
en l’espèce.298
[470] Lauzon peut certainement affirmer que la Cour suprême reconnaît expressément
dans l’arrêt Singh299 que la Déclaration canadienne des droits continue de s’appliquer
pleinement après l’adoption de la Charte canadienne puisque son article 26 en préserve
[472] Soulignons que selon les principes reconnus, il faut que l’application d’une loi
exclue, explicitement ou implicitement, celle de l’autre pour conclure à une
incompatibilité, puisque le simple fait qu’elles s’appliquent à la même matière n’entraîne
pas cette conclusion301. De plus, le fait que l’on puisse se fonder sur une loi plus
récente quant à l’attribution d’une certaine compétence ou l’existence de certains droits,
n’entraîne pas comme conséquence une abrogation implicite des dispositions
antérieures puisque la dernière loi peut s’inscrire dans la continuité de la précédente.
[476] Il apparaît important de noter que dans le cours de cette évolution, les lois
traitant des questions religieuses reçoivent un traitement spécial avant de devenir la
responsabilité unique des parlements coloniaux.
[477] En effet, l’article XV de l’Acte de Québec de 1774 prévoit que les ordonnances
concernant la religion relèvent du bon plaisir de Sa Majesté. L’article XLII de l’Acte
constitutionnel de 1791 prévoit également une approbation de cette nature pour les lois
du Parlement du Bas-Canada qui traitent de religion. Enfin, l’Acte d’Union de 1840, à
l’article XLII également, reconduit la même règle pour le Parlement du Canada-Uni.
[478] Par contre, en 1854, une loi du Parlement impérial abroge l’article XLII de l’Acte
d’Union, 1840 et laisse donc la sanction des projets de loi contenant des dispositions
touchant les différentes religions au gouverneur du Canada-Uni. Ainsi, à compter de
1854, le domaine des matières religieuses relève de la loi ordinaire du Canada-Uni,
sans procédure spéciale308.
[479] En 1865, le Colonial Laws Validity Act du Royaume-Uni prévoit que les lois
adoptées par les législatures coloniales ne demeurent valides que dans la mesure où
elles s’avèrent conformes aux lois impériales applicables. Cette loi réaffirme ainsi
l’incapacité des colonies de modifier les lois impériales qui font partie de leur droit. Il
s’agit là pour le Canada-Uni ce de qui se rapproche le plus de l’enchâssement
supralégislatif de certaines règles constitutionnelles309.
Province, and, for other purposes, 17 & 18 Vict., c. 188, art. VI (R.-U.).
309 Colonial Laws Validity Act, (1865) 28 & 29 Vict., c. 43 (R.-U.); Peter W. HOGG, Constitutional Law of
Canada, vol. 1, 5e éd., feuilles mobiles, Toronto, Carswell, 2007, p. 3-3 et 3-4.
500-17-108353-197 et Als PAGE : 101
plusieurs égards, car l’article 129 de la Loi constitutionnelle de 1867 vient réitérer la
règle voulant que les législatures de la fédération nouvellement créée ne peuvent
modifier les lois impériales. D’ailleurs, la Loi constitutionnelle de 1867 constitue elle-
même une loi impériale que seul le Parlement du Royaume-Uni peut modifier, sauf en
[482] Toutefois, son article 7 énonce une exception à ces nouvelles règles et empêche
la modification ou l’abrogation des seize « Actes de l’Amérique du Nord britannique,
1867 à 1930 » par le Parlement canadien ou par les parlements provinciaux312.
[483] À ce moment, il apparaît clair que les seules lois possédant une portée
supralégislative par rapport aux parlements fédéral et provinciaux se trouvent
mentionnées à l’article 7 du Statut de Westminster. À l’exception de ces 16 lois, en
l’occurrence les Actes de l’Amérique du Nord britannique adoptés entre 1867 et 1930,
une simple loi peut modifier toutes les autres lois s’appliquant au Canada.
[484] Puis l’adoption de la Loi de 1982 sur le Canada par le Parlement britannique
permet au Canada de reprendre les rênes de sa Constitution en se détachant de la
tradition britannique sur le plan constitutionnel, tout en préservant, la souveraineté du
parlement et des législatures provinciales au travers de l’article 33 de la Charte
canadienne.
[485] Ce portrait général brossé, il s’agit maintenant de discuter de chacune des lois
préconfédératives dont se réclament les opposants à la Loi 21.
310 Jacques-Yvan MORIN et José WOEHRLING, Les constitutions du Canada et du Québec du régime
français à nos jours, Montréal, Éditions Thémis, 1992, p.374 et 375; Peter W. HOGG, Constitutional
Law of Canada, vol. 1, 5e éd., feuilles mobiles, Toronto, Carswell, 2007, p. 3-3 et 3-4.
311 Statut de Westminster, (1931) 22 Geo. V, c. 4 (R.-U.).
312 Peter W. HOGG, Constitutional Law of Canada, vol. 1, 5e éd., feuilles mobiles, Toronto, Carswell,
fait partie d’un ensemble de lois impériales314, adoptées entre la Proclamation royale de
1763315 et l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, 1867316, portant sur les limites
territoriales, l’organisation du pouvoir législatif, exécutif et judiciaire, les lois applicables,
les droits civils et politiques, etc., dans la colonie.
[488] En matière de religion, les dispositions de l’Acte de Québec portent sur le libre
exercice de la religion catholique et la perception de la dîme par l’Église catholique
(art. V), l’utilisation des dîmes excédentaires pour la promotion de la religion protestante
(art. VI), le remplacement du serment du test par un serment de fidélité pour les
catholiques (art. VII). Il assujettit de plus l’entrée en vigueur des ordonnances
concernant la religion seulement à l’approbation du roi (art. XV).
[489] Lauzon fonde ses arguments sur les articles V et VII de l’Acte de Québec qu’il
convient de reproduire :
V. « Et pour la plus entiere sureté et V. “And, for the more perfect Security
tranquillité des esprits des habitans de la and Ease of the Minds of the
dite province, » Il est par ces présentes Inhabitants of the said Province," it is
314 Voir notamment : Acte de Québec de 1774, 14 Geo. III, c. 83 (R.-U.), reproduit dans L.R.C. 1985,
app. II, no 2; Acte constitutionnel de 1791, 31 Geo. III, c. 31 (R.-U.), reproduit dans L.R.C. 1985,
app. II, no 3; Acte d’Union, 1840, 3-4 Vict., c. 35 (R.-U.), reproduit dans L.R.C. 1985, app. II, no 4;
Acte pour abroger la partie [de l’Acte d’Union, 1840] qui a rapport à l’usage de la Langue Anglaise
dans les Instruments relatifs au Conseil Législatif et à l’Assemblée Législative de la Province du
Canada, [1848] 11-12 Vict., c. 56 (R.-U.), reproduit dans Statuts refondus du Canada 1859, p. xxxii;
Acte pour autoriser la législature du Canada à changer la constitution du conseil législatif de cette
province et pour d’autres objets, [1854] 17-18 Vict., c. 118 (R.-U.), reproduit dans Statuts refondus du
Canada 1859, p. xxxiii; Colonial Laws Validity Act, 28-29 Vict., c. 63 (R.-U.).
315 Reproduit dans L.R.C. (1985), app. II, no 1.
316 30-31 Vict., c. 3 (R.-U.), reproduit dans L.R.C. (1985), app. II, no 5.
317 Une assemblée représentative avait été prévue par la Proclamation royale, mais « [i]l était impossible
de constituer une Assemblée à partir des quelques centaines de protestants qui vivaient à Montréal et
à Québec et il était tout aussi impossible, compte tenu des préjugés religieux prévalant en Angleterre
et dans les colonies anglaises, d’octroyer à quatre-vingt mille Canadiens français catholiques des
privilèges dont leurs coreligionnaires ne jouissaient pas en Grande-Bretagne et leur permettre de
siéger dans une Assemblée élue » (Sir John George BOURINOT, « Le Canada sous le Régime
britannique, 1760-1900 », dans Guy LAFOREST, Eugénie BROUILLET, Alain-G. GAGNON et Yves
TANGUAY (dir.), Ces Constitutions qui nous ont façonnées. Anthologie historique des lois
constitutionnelles antérieures à 1867, Québec, Presses de l’Université Laval, 2014, p. 23, à la page
30).
500-17-108353-197 et Als PAGE : 103
Déclaré, que les sujets de sa Majesté hereby declared, That his Majesty's
professant la Religion de l'Eglise de Subjects, professing the Religion of the
Rome dans la dite province de Québec, Church of Rome of and in the said
peuvent avoir, conserver et jouir du libre Province of Quebec, may have, hold,
VII. Pourvu aussi, et il est Etabli, Que VII. Provided always, and be it enacted,
toutes personnes professantes la That no Person professing the Religion
Religion de l'Eglise de Rome, et qui of the Church of Rome, and residing in
résideront en la dite province, ne seront the said Province, shall be obliged to
point obligées de prendre le serment take the Oath required by the said
ordonné par le dit acte, passé dans la Statute passed in the first Year of the
première année du regne de la Reine Reign of Queen Elizabeth, or any other
Elisabeth, ou quelqu'autre serment Oaths substituted by any other Act in
substitué en son lieu et place par aucun the Place thereof; but that every such
autre acte; mais que toutes telles Person who, by the said Statute, is
personnes, à qui par le dit statut, il est required to take the Oath therein
ordonné de prendre le serment qui y est mentioned, shall be obliged, and is
contenu, seront contraintes, et il leur est hereby required, to take and subscribe
ordonné de prendre et souscrire le the following Oath before the Governor,
serment ci-après, devant le Gouverneur, or such other Person in such Court of
ou telle autre personne dans tel greffe, Record as his Majesty shall appoint,
qu'il plaira à sa Majesté d'établir, qui who are hereby authorized to
sont par ces présentes autorisés à le administer the same; videlicet,
recevoir, ainsi qu'il suit:
"I A.B. do sincerely promise and swear,
« Je A.B. promets sincerement et affirme That I will be faithful, and bear true
par serment, que je serai fidel, et que je Allegiance to his Majesty King George,
porterai vraie foi et fidelité à sa Majesté and him will defend to the utmost of my
le Roi George, que je le defendrai de Power, against all traitorous
tout mon pouvoir et en tout ce qui Conspiracies, and Attempts
dépendra de moi, contre toutes perfides whatsoever, which shall be made
conspirations et tous attentats against his Person, Crown, and Dignity;
quelconques, qui seront entrepris contre and I will do my utmost Endeavor to
sa personne, sa couronne et sa dignité; disclose and make known to his
500-17-108353-197 et Als PAGE : 104
et que je ferai tous mes efforts pour Majesty, his Heirs and Successors, all
découvrir et donner connaissance à sa Treasons, and traitorous Conspiracies,
Majesté, ses héritiers et successeurs, de and Attempts, which I shall know to be
toutes trahisons, perfides conspirations, against him, or any of them; and all this
[490] Dans un premier temps, Lauzon prétend que ces articles garantissant le libre
exercice de la religion « n’ont jamais été abrogés de quelque façon que ce soit »318 et
que par conséquent, ils s’appliquent au Canada, y compris au Québec.
[491] Cette affirmation ne se révèle pas entièrement exacte. En effet, l’article VII de
l’Acte de Québec se trouve expressément abrogé par The Statute Law Revision Act,
1872319 qui énumère, dans son annexe, une liste de dispositions non en vigueur en
raison de leur caducité, ainsi que l’indique son préambule :
[…] it is expedient that certain enactments (mentioned in the schedule to this Act)
which may be regarded as spent, or have ceased to be in force otherwise than
by express and specific repeal, or have, by lapse of time and change of
circumstances, become unnecessary, should be expressly and specifically
repealed […]
Her Majesty’s Dominions ») depuis 1872. Le Tribunal ne peut donc retenir l’argument
de Lauzon voulant que la Loi 21 viole l’article VII de l’Acte de Québec.
[493] Notons que l’abrogation de l’article VII ne signifie pas la disparition du serment
[494] Il faut se rappeler que l’Acte d’Union, 1840321 réunit les Provinces du Haut et du
Bas-Canada sous le nom de Province du Canada et abroge les dispositions de l’Acte
constitutionnel de 1791 relatives à la constitution et à la composition du Conseil
législatif et de l’Assemblée, ainsi qu’à l’adoption des lois. Dès lors, l’obligation des
membres du Conseil législatif ou de l’Assemblée de la Province du Canada de prêter le
serment d’allégeance se retrouve maintenant à l’article XXXV.
[495] De plus, l’article XXXVI de l’Acte d’Union prévoit la possibilité pour les
personnes autorisées par la loi de faire une affirmation au lieu de prêter serment. Enfin,
la L.C. 1867322, prévoit à l’article 128 et à la 5e annexe le serment d’allégeance pour les
membres du Parlement du Canada ainsi que pour les membres des assemblées
législatives provinciales.
320 31 Geo. III, c. 31 (R.-U.), reproduit dans L.R.C. (1985), app. II, no 3.
321 3-4 Vict., c. 35 (R.-U.), reproduit dans L.R.C. (1985), app. II, no 4.
322 30-31 Vict., c. 3 (R.-U.), reproduit dans L.R.C. (1985), app. II, no 5.
323 An Act to dispense with the necessity of taking certain Oaths, and making certain Declarations in the
cases therein mentioned; and also to render it unnecessary to receive the Sacrament of the Lords
Supper as a qualification for Offices, or for other temporal purposes, (1833) 3 Will. IV, c. 13.
324 Acte pour établir une loi uniforme au sujet de la prestation de certains serments officiels et autres en
cette province, et pour d'autres fins y mentionnées, (1850) 13-14 Vict., c. 18, intégré aux Statuts
refondus du Canada de 1859, titre 2 (Gouvernement exécutif et officiers publics en général) sous le
titre Acte concernant les Commissions des Officiers Publics, les serments d'office qu'ils doivent prêter,
et les cautionnements qu'ils sont tenus de donner, S.R.C. 1859, c. 12.
500-17-108353-197 et Als PAGE : 106
[499] Lauzon insiste sur le lien intrinsèque entre l’abolition du serment du test et le
libre exercice de la religion dans l’Acte de Québec 328 afin d’en inférer une analogie
voulant que la Loi 21 introduit un nouveau serment du test. Or, l’abrogation de l’article
VII et l’adoption de la législation fédérale relative aux serments d’allégeance constituent
des indices d’une évolution législative distincte des deux dispositions invoquées par
elle. De plus, permettre aux catholiques français de prêter serment selon une formule
remplaçant le serment du test visait notamment l’obtention du droit de siéger au sein du
Conseil législatif, car de facto ils occupaient déjà certaines charges civiles329.
138-139.
329 Jacques LACOURSIÈRE, Jean PROVENCHER et Denis VAUGEOIS, Canada-Québec, Synthèse
[503] Quant à l’Acte d’Union de 1840, il prévoit le libre exercice de la religion toujours
à l’intérieur de l’article XLII en formulant l’exigence de soumettre devant le Parlement
britannique les lois, adoptées par le Parlement du Canada-Uni, « qui pourront en
aucune manière affecter ou avoir rapport à la jouissance ou exercice d’aucune espèce
de culte religieux, ou qui imposeraient aucune pénalités ou charges, ou pourront créer
quelqu’incapacité ou disqualification, par rapport à tel culte », ainsi que les lois relatives
aux droits du clergé331. Cette disposition se trouve également abrogée en 1854 par une
loi impériale conférant au Parlement du Canada-Uni le pouvoir d’adopter des lois
modifiant la constitution de son Conseil législatif332. Ainsi, dorénavant, le processus
d’entrée en vigueur de toute loi de la colonie, y compris en matière de religion, se limite
à la sanction donnée par le Gouverneur au nom du roi ou encore, par le roi, lorsque le
Gouverneur « réserve » la loi « pour la signification du plaisir de Sa Majesté »333.
[504] Libre exercice de la religion et privilèges du clergé vont de pair aussi dans les
lois de la Province du Canada, la Loi de 1852 sur les « rectoreries »334 invoquée par
WSO en constituant l’illustration parfaite. Le Tribunal reviendra sur les arguments de
WSO un peu plus loin. Il suffit à cette étape de noter la présence du droit au libre
exercice de la religion dans les lois impériales postérieures à l’Acte de Québec
applicables dans la colonie, ainsi que dans celles adoptées par la colonie.
330 The Statute Law Revision Act, 1872, 35-36 Vict., c. 63 (R.-U.). D’ailleurs, l’entièreté de l’Acte
constitutionnel de 1791 est abrogée à cette occasion, à l’exception des articles XXXVIII à XL et XLIII
à XLV portant entre autres sur les « rectories ». Ces dispositions (devenues The Clergy Endowments
(Canada) Act, 1791 par Short Titles Act, 1896, 59-60 Vict., c. 14) seront éventuellement abrogées en
1966 par Statute Law Revision Act 1966, c. 5 (R.-U.).
331 Acte d’Union, 1840, 3-4 Vict., c. 35 (R.-U.), reproduit dans L.R.C. 1985, app. II, no 4, art. XLII.
332 Acte pour autoriser la législature du Canada à changer la constitution du conseil législatif de cette
province et pour d’autres objets, (1854) 17-18 Vict., c. 118 (R.-U.), reproduit dans S.R.C. 1859, statuts
impériaux, p. xxxiii.
333 Id., art. VI.
334 Acte pour abroger cette partie de l’Acte du Parlement de la Grande-Bretagne passé dans la trente-
unième année du Règne du Roi George Trois, chapitre trente-un [Acte constitutionnel de 1791], qui se
rapporte aux Rectoreries et à la nomination des titulaires à icelles, et pour d’autres fins liées aux dites
Rectoreries, (1852) 14-15 Vict., c. 175.
500-17-108353-197 et Als PAGE : 108
[507] Selon elle, malgré les multiples références expresses à la religion et au clergé
de l’Église de Rome, l’Acte de Québec n’accorde pas le droit au libre exercice de la
religion exclusivement aux catholiques, qui ne reçoivent pas un traitement privilégié,
mais se voient plutôt octroyer les mêmes droits que les fidèles d’autres religions.
[508] Le Tribunal ne peut retenir cette interprétation large qui fait paraître l’Acte de
Québec comme « libéral », voire avant-gardiste, puisque le contexte historique ne
permet pas de retenir cette proposition. Il faut savoir qu’en 1774 la religion catholique
demeure proscrite à l’échelle de l’Empire britannique. Octroyer l’émancipation aux
catholiques canadiens336, en pleine contradiction avec la politique d’assimilation337
établie par la Proclamation royale, équivaudrait à leur concéder des privilèges afin
d’obtenir leur loyauté devant l’imminence de la Révolution américaine de 1775 338. Il
s’agissait là d’un pur calcul politique, dans le sens premier du terme.
Historical Studies, Montreal, November, 1890, revised and reprinted from Canadiana, vol. II, no. 10),
p. 19-20 : « It is likewise a strange anomaly to find England pursuing so different a course in the
treatment of her conquest of Canada to that which she had universally adopted hitherto. Dealing with
such populous countries as Ireland and Wales she enforced the adoption of her laws and customs.
Conquering New Netherland she not only made the Hollanders replace their laws by hers, but she
added the greater change of transforming it into a new country by altering the name to New York. In
her other conquests made in this very war, of Florida, Dominicana and other places in the West Indies,
she substituted English, for the Spanish and French laws and customs in use. Foreign languages
likewise received no official recognition elsewhere as they did in Canada; while the Roman Catholic
religion wherever existent was proscribed as a religion of state : tolerated in Maryland, persecuted in
Ireland, but established in Canada! »; Voir aussi sur l’expulsion des catholiques Sheldon J. GODFREY
et Judith C. GODFREY, Search Out the Land. The Jews and the Growth of Equality in British Colonial
America, 1740-1867, Montréal et Kingston, McGill-Queen’s University Press, 1995, p. 95 : « In dealing
with the French Catholic Acadians in Nova Scotia just a few years earlier, Britain had used the
traditional European method of expelling those who did not conform to the state religion. The status of
the Acadians, who found themselves in a British colony in North America after the founding of Halifax
in 1749, had been doubtful because of their religion. Moreover, they had been reluctant to swear
allegiance to the British king. In 1755 Britain therefore decided to deport or expel all the Acadians to
ensure that Nova Scotia would be a Protestant colony. At this time all of the Thirteen Colonies also
excluded Catholics from civil rights. ».
338 L’historien Séraphin Marion cite les professeurs Arthur R. M. Lower (« It was the shadow of the
American Revolution that brought forth the Quebec Act ») et Stanley B. Ryerson (« The key to the
Quebec Act is to be found in the American Revolution ») quant au lien entre la genèse de l’Acte de
500-17-108353-197 et Als PAGE : 109
[510] Également, le fait que les huguenots et les juifs intégraient déjà l’administration
de la colonie342 n’élargit pas la portée de l’article V de l’Acte de Québec. Fort
minoritaires, ils représentent les seuls non-catholiques de la colonie et les autorités
britanniques comptaient sur leur loyauté :
There were so few English and non-Catholic residents that the Jews made up a
significant and “loyal” population. […] The need of the administration for loyal
supporters meant that Jews in Quebec were allowed considerable economic and
civil equality with the other English settlers and were central to the British efforts
to administer their new colony. […]
« croit en effet très important de gagner la sympathie des Canadiens. À son avis, la vallée du Saint-
Laurent peut constituer un excellent poste stratégique d’où une armée de 10 000 hommes pourrait
surveiller les Américains. […] Il entend aussi favoriser le rétablissement des lois civiles françaises et
accorder pleine liberté à l’Église catholique » (Jacques LACOURSIÈRE, Jean PROVENCHER et
Denis VAUGEOIS, Canada-Québec, Synthèse historique 1534-2015, Québec, Septentrion, 2015, p.
176 et 198).
340 Séraphin MARION, « L’Acte de Québec, concession magnanime ou intéressée », dans Guy
LAFOREST, Eugénie BROUILLET, Alain-G. GAGNON et Yves TANGUAY (dir.), Ces Constitutions qui
nous ont façonnées. Anthologie historique des lois constitutionnelles antérieures à 1867, Québec,
Presses de l’Université Laval, 2014, p. 213.
341 Jacques LACOURSIÈRE, Jean PROVENCHER et Denis VAUGEOIS, Canada-Québec, Synthèse
[…]
In August 1763 Aaron Hart became probably the first Jewish office holder in the
new British colony of Québec when he received an appointment as postmaster of
[511] De plus, l’exercice par les juifs de certaines charges civiles avant 1774
s’explique par l’absence d’instructions royales relatives à l’application des serments du
test et d’abjuration344 pour des postes publics, à l’exception du Conseil du gouverneur :
Faced with a British colony whose population was almost entirely Catholic, the
Colonial Office made an exception and did not include the usual provision in the
instructions to James Murray in 1763. While Governor Murray was directed to
call a council and administer the state oaths and declaration against
transubstantiation to them, there was no requirement for subscribing the
declaration or taking the state oaths as a condition of assuming other offices.
Membership in the governor’s council therefore was to be restricted to Anglicans,
though not other offices. An amendment to the governors’ instructions in 1775,
after the Quebec Act had been passed, allowed them to appoint French-
Canadian Roman Catholics to the council without requiring them to make the
declaration against transubstantiation. But for all other offices, the Old Province
of Québec was unique in that it did not have the Test Act restrictions during the
entire period from the conquest of Quebec in 1760 until the reconstitution of the
colonial government by the Constitutional Act of 1791, thus allowing anyone to
hold office.
[…] It was the lack of these restrictions that had enabled Aaron Hart to be
appointed postmaster of Trois-Rivières in August 1763 […].
[…]
The Old Province of Quebec, unlike Britain’s other colonies in America, did not
apply the restrictions of the Test Act or the state oaths against the Roman
343 Sheldon J. GODFREY et Judith C. GODFREY, Search Out the Land. The Jews and the Growth of
Equality in British Colonial America, 1740-1867, Montréal et Kingston, McGill-Queen’s University
Press, 1995, p. 97-98.
344 Pour un tableau comparatif entre les serments applicables au Royaume-Uni et les colonies
britanniques en Amérique du Nord, voir Sheldon J. GODFREY et Judith C. GODFREY, Search Out
the Land. The Jews and the Growth of Equality in British Colonial America, 1740-1867, Montréal et
Kingston, McGill-Queen’s University Press, 1995, p. 132.
500-17-108353-197 et Als PAGE : 111
[512] Cependant, contrairement aux catholiques canadiens qui se voient accorder par
Then, in 1774, the Quebec Act officially removed these disabilities […] by
allowing Catholics to swear a short form of oath of allegiance in substitution for
the state oaths and declaration against transubstantiation. […] Moreover, French-
Canadian Catholics, unlike other Catholics, Protestant Dissenters, and Jews,
could now be appointed to the new legislative council […].
[…]
Nevertheless, the long-term effect of the act of 1766 was not entirely clear for
Jews in Quebec, and this difficulty was not resolved by legislation as it was for
Catholics in the Quebec Act.347
[513] Il apparaît donc plus exact et conforme à la réalité historique d’affirmer que
l’article V de l’Acte de Québec porte exclusivement sur le droit au libre exercice de la
religion catholique et que l’égalité confessionnelle ne se trouve consacrée
constitutionnellement qu’à partir de 1791, respectivement par les articles XLII de l’Acte
constitutionnel de 1791 et de l’Acte d’Union, 1840.
question de l’éligibilité des Juifs à l’assemblée législative coloniale est présentée au conseil législatif
en vertu de l’acte 31, Geo. III, chap. 31 [l’Acte constitutionnel de 1791]. […] Le gouverneur en chef
James H. Craig constitue un comité afin de régler cette question, sous la présidence de Sewell. Les
conclusions du comité sont qu’un « Juif peut-être élu pour la Chambre d’assemblée de cette
province », s’appuyant sur le statut 13, Geo. II, chap. 7, où « il est décrété que tous les étrangers
naturalisés en vertu de cete [sic] acte « seront considérés et reconnus à tous égards et de toutes
façons sujets naturels de Sa Majesté, comme si tous et chacun d’eux étaient nés dans le royaume »,
les Juifs étant « compris comme les autres ».
500-17-108353-197 et Als PAGE : 112
394. Une loi ou une disposition législative est remplacée lorsque, au moment
même où il la révoque, le législateur lui substitue un nouveau texte portant sur le
même sujet.
[…]
398. Pour cerner les effets du remplacement, il faut distinguer selon qu'il vise à
reformuler le droit ou à le réformer.
399. Si un texte est remplacé par un autre qui énonce des règles identiques à
celles du texte remplacé, le remplacement a valeur de refonte, avec les
conséquences qui suivent […]
400. La loi nouvelle peut énoncer des règles différentes de celles que prévoit la
loi ancienne. On a alors affaire à un remplacement qui opère réforme du droit.
402. Première hypothèse : le texte nouveau ne reprend pas une règle contenue
dans la loi ancienne. L'effet du remplacement est alors assimilable à celui de
l'abrogation pure et simple du texte ancien.
403. Deuxième hypothèse : le texte nouveau contient des règles qui peuvent
s'analyser comme de simples modifications des règles antérieures. Au plan
substantiel, un tel remplacement a les mêmes effets que la modification d'un
texte : il opère suppression des règles correspondant au texte antérieur et
édiction des règles correspondant au nouveau texte.
348 Pierre-André CÔTÉ avec la collab. de Stéphane BEAULAC et Mathieu DEVINAT, Interprétation des
lois, 4e éd., Montréal, Éditions Thémis, 2009, EYB2009THM201 (La Référence).
500-17-108353-197 et Als PAGE : 113
[516] Donc, réitérant le libre exercice de la religion pour toute « espèce de culte
religieux », le remplacement de l’article XLII l’Acte constitutionnel de 1791 par l’article
[518] Jusqu’en 1931, elle conserve son statut supralégislatif dont bénéficiaient les lois
impériales par rapport aux lois coloniales. Durant cette période, on pouvait invoquer
l’Acte de Québec, comme toute autre loi impériale, pour invalider des lois fédérales ou
provinciales. Selon la « doctrine of repugnancy », la législation adoptée par les
parlements coloniaux doit se conformer au droit anglais et une loi coloniale non
conforme peut se voir invalidée par les tribunaux.
The Colonial Laws Validity Act was intended to remove doubts as to the capacity
of colonial legislatures to enact laws that were inconsistent with English law. By
narrowly defining the class of imperial statutes, and thereby confining the
doctrine of repugnancy, the Act was intended to extend rather than restrict the
powers of the colonial legislatures. Nevertheless, the Act did leave the colonial
legislatures powerless to alter any imperial statute which by its own terms applied
to the colony. If the colony wished to alter or repeal such an imperial statute it
had to persuade the imperial Parliament to enact the required law.351
[520] L’adoption de la L.C. 1867 n’y change rien, car cette loi impériale réitère à
l’article 129 la règle voulant que les législatures de la fédération nouvellement créée ne
peuvent modifier les lois impériales.
[521] Ainsi, le Tribunal ne peut retenir l’argument subsidiaire de Lauzon voulant qu’au
moment de la Confédération « l’Acte est devenu une loi fédérale »352 en vertu de
l’article 129, ce qui donnerait lieu à l’application de la doctrine de la prépondérance
fédérale. En 1867, comme aujourd’hui, l’Acte de Québec conserve son statut de loi
[524] Dès lors, à l’exception de ces seize lois adoptées par le Parlement britannique
entre 1867 et 1930, les lois impériales en vigueur au Canada perdent leur statut
supralégislatif et deviennent modifiables par une simple loi.
[525] Enfin, l’adoption de la Loi de 1982 sur le Canada357 par le Parlement britannique
marque la fin de l’autorité de celui-ci sur le Canada. Il cesse de légiférer pour le Canada
et la partie V de cette loi prévoit la procédure de modification de la Constitution.
L’article 7 du Statut de Westminster se trouve abrogé sans que la Constitution perde
son rang de loi suprême, car l’article 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 assure sa
primauté, même sur les lois impériales, à l’exception de celles incorporées à l’Annexe
de cette loi :
that it was an imperial statute protected from alteration by the Colonial Laws Validity Act. Therefore,
when it was proposed to destroy the protected status of imperial statutes generally, Canada insisted
on the exemption of its constituent statute. That was the reason for s. 7 of the Statute of
Westminster ».
357 1982, c. 11 (R.-U.), reproduite dans L.R.C. 1985, app. II, no 44.
500-17-108353-197 et Als PAGE : 115
This provision serves exactly the same function as s. 7(1) of the Statute of
Westminster formerly served. Section 7(1) preserved the doctrine of repugnancy
expressed in the Colonial Laws Validity Act in its application to the B.N.A. Act
and its amendments. Now s. 52(1) directly enacts a similar doctrine of
[526] Les seize Actes de l’Amérique du Nord britannique adoptés entre 1867 et 1930
se voient intégrés à l’Annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, ainsi que le Statut de
Westminster et quelques lois impériales adoptées entre 1931 et 1975. Aucune loi
préconfédérative n’y figure.
[527] Néanmoins, Lauzon soutient que les Tribunaux interprètent le droit garanti à
l’Acte de Québec comme un droit constitutionnel permettant l’exercice du contrôle
judiciaire. Certes, la jurisprudence antérieure à 1931 doit se lire dans le contexte
d’applicabilité de la doctrine de l’incompatibilité (repugnancy), telle qu’établie par
Colonial Laws Validity Act, et d’égalité entre les lois impériales applicables dans la
colonie. D’ailleurs, l’extrait de Mignault cité par la demanderesse va dans ce sens :
358 Peter W. HOGG, Constitutional Law of Canada, vol. 1, 5e éd., feuilles mobiles, Toronto, Carswell,
2007, par. 3.4.
359 Pierre-Basile MIGNAULT, Le Droit civil canadien, tome premier, Montréal, Whiteford & Théoret, 1895,
p. 556-558.
500-17-108353-197 et Als PAGE : 116
[528] Quant à la jurisprudence des années 1950360, la Cour suprême qualifie sans
doute le droit à la liberté de religion de droit fondamental et retrace sa genèse aux
articles des capitulations, au Traité de Paris et à l’Acte de Québec de 1774, sans
toutefois prononcer l’invalidité des dispositions contestées ou accorder des dommages
[529] Lauzon ajoute que la publication de l’Acte de Québec à l’Appendice II des Lois
révisées du Canada de 1985, sous le titre « Lois et documents constitutionnels »,
marque une indication additionnelle de la nature constitutionnelle de cette loi361.
[531] Il ne fait aucun doute que l’Acte de Québec de 1774 s’avère un document
important pour comprendre l’évolution constitutionnelle du Québec et sa spécificité au
sein du Canada. D’ailleurs, son importance fondatrice historique explique le fait
qu’aucune législature n’oserait abroger expressément la toute première loi concernant
le Québec, la source même du bijuridisme et du caractère distinct de la nation
québécoise au sein de la Confédération. Cependant, en 2021, l’Acte de Québec de
1774 doit s’interpréter comme un document constitutionnel historique qui ne possède
pas d’effet supralégislatif.
360 Saumur v. City of Quebec, [1953] 2 S.C.R 299; Henry Birks & Sons (Montreal) Ltd. v. City of Montreal,
[1955] S.C.R. 799; Chaput v. Romain, [1955] S.C.R. 834.
361 Plan d’argumentation de Lauzon, par. 158-159.
362 La première révision des lois ontariennes de 1818 comprend les lois adoptées par le Parlement du
Haut-Canada, ainsi que les lois impériales et les ordonnances de l’ancienne Province of Québec dans
la mesure de leur applicabilité au Haut-Canada (« History of Statute Revisions in the Provinces of
Upper Canada, Canada and Ontario », dans Revised Statutes of Ontario 1980, p. 631). Au Québec,
les Statuts révisés du Bas-Canada de 1845 comprennent une Table des Actes et ordonnances non
insérés dans l’ouvrage des lois révisées, qui indique par domaine de droit toutes les lois du Parlement
du Canada-Uni, ainsi que les lois impériales les plus importantes qui s’appliquent au Bas-Canada. On
retrouve sous la rubrique « Constitution » la mention suivante : Actes Imp. 14 G.3. c. 83-18 G. 3. c.
12-31 G. 3. c. 31-1 Guil 4. c. 4-3 & 4 V. c. 35-et non en vigueur, 1 V. c. 9-2 & 3 V. c. 53.
363 Pour une liste des lois impériales en vigueur au Canada en 1901 voir l’Appendice IV des Revised
364 Pièce WSO-1 : Rapport du prof. David Gilles, p. 49 : « Pour les protestants s’opposant à l’Acte, toute
concession faite par le gouvernement aux catholiques confirmait que le roi et ses ministres
s’apprêtaient à revenir sur les acquis de la glorieuse révolution et à "permettre la tyrannie et l’emprise
du papisme dans l’empire" ».
365 Id., p. 57 : « Les articles 35 à 42 organisent l’appropriation des terres à des fins religieuses. Celles-ci
étaient des terrains réservés à l’entretien du clergé protestant, un septième de toutes les terres
domaniales furent réservées au bénéfice de ce clergé, c’est-à-dire que pour chaque township, le
septième des territoires était réservé par le gouvernement pour le soutien du clergé protestant. La
Couronne, à l’article 38, obtient le droit de constituer, ériger et doter les parsonages ou rectories
suivant l’établissement de l’Église anglicane et également de présenter des ministres (incumbents) de
l’Église anglicane, « duement ordonnés suivant les rites de ladite Église, lesquels en jouiront aussi
pleinement et avec les mêmes droits et conditions qu’un bénéficier d’un bénéfice en Angleterre »;
Pièce PGQ-7 : Rapport du prof. Marc Chevrier, par. 87 : « […] l’Acte constitutionnel de 1791 avait
tenté de favoriser une religion, en prévoyant la création de cures « suivant l’établissement de l’Église
Anglicane » pour le soutien et l’entretien d’un « clergé protestant dans la province » et l’affectation à
cette fin d’une portion des terres publiques, sous la forme de réserves ou « rectoreries » […] ».
366 Pièce WSO-1 : Rapport du prof. David Gilles, p. 108-109.
367 Pièce PGQ-7 : Rapport du prof. Marc Chevrier, par. 87 : « […] Pour calmer le mécontentement suscité
parmi les autres confessions chrétiennes exclues du bénéfice de la vente des réserves permise
depuis 1817, Londres adopte une loi en 1840 pour en distribuer le produit des ventes également entre
toutes ces confessions […] ».
368 Pièce PGQ-8 : Rapport du prof. Yvan Lamonde, p. 5.
369 Comme mentionné précédemment, ces dispositions disparaissent du corpus législatif britannique lors
370 Acte pour faire de meilleures dispositions pour, l'appropriation des Deniers provenant des Terres
jusqu'ici connues sous le nom de Réserves du Clergé, en les rendant disponibles pour des objets
municipaux, (1854) 18 Vict., c. 2., dont l’article 3 prévoit « qu’il est désirable de faire disparaître toute
apparence d’union entre l’Église et l’État et de disposer entièrement et finalement de toutes matières,
réclamations et intérêts provenant des réserves du clergé, par une distribution aussi prompte que
possible des revenus des dites réserves […] ».
371 Pièce PGQ-7 : Rapport du prof. Marc Chevrier, par. 87.
372 Acte concernant les Rectoreries, S.R.C. 1859, c. 74.
500-17-108353-197 et Als PAGE : 119
[538] Lors de la refonte des lois du Québec de 1925, les dispositions sur le libre
exercice de la religion et celles sur l’interdiction d’ériger de nouvelles « rectoreries » se
trouvent séparées et incluses dans deux lois distinctes, la Loi de la liberté des cultes et
du bon ordre dans les églises378 et la Loi des rectoreries379. Au fil des refontes des lois
du Québec380, le libellé de la disposition garantissant l’égalité du libre exercice de la
religion ne subit que des modifications de style381, de sorte qu’aujourd’hui, présente
dans la Loi sur la liberté des cultes382, elle demeure très semblable à sa version
originale de la Loi de 1852 :
373 La Loi de 1854 deviendra l’Acte concernant les réserves du Clergé, S.R.C., 1859, c. 25 intégrée dans
la refonte sous la rubrique « Terres publiques » du titre 3 « Départements publics, revenus et
propriétés ».
374 Statuts révisés du Canada 1886, app. no 1, p. 2418.
375 An Act respecting Rectories, R.S.O. 1877, c. 215, sous le titre XIV intitulé “Religious Matters”.
Devenue Religious Freedom Act, R.S.O. 1990, c. R.22, cette loi comprend aujourd’hui un seul article
sur le libre exercice de la religion, toujours en vigueur en Ontario. Notons le langage quasi identique à
celui utilisé en 1852 :
Whereas the recognition of legal equality among all religious denominations is an admitted principle of Provincial
legislation; And whereas, in the state and condition of this Province, to which such principle is peculiarly applicable, it
is desirable that the same should receive the sanction of direct legislative authority, recognizing and declaring the
same as a fundamental principle of the civil policy of this Province:
Therefore, Her Majesty, by and with the advice and consent of the Legislative Assembly of the Province of Ontario,
enacts as follows:
1. The free exercise and enjoyment of religious profession and worship, without discrimination or preference, provided
the same be not made an excuse for acts of licentiousness, or a justification of practices inconsistent with the peace
and safety of the Province, is by the constitution and laws of this Province assured to all Her Majesty’s subjects within
the same. R.S.O. 1990, c. R.22, s. 1.
376 Status refondus de la Province de Québec 1888, art. 3439 à 3442, sous le 2e chapitre « Des
Rectoreries » du titre IX « Du culte religieux ».
377 Status refondus de la Province de Québec 1909, art. 4387 à 4390, sous le 2e chapitre « Des
Rectoreries » du titre IX « Du culte religieux »; Status refondus de la Province de Québec 1925, c. 198
et c. 200; Status refondus de la Province de Québec 1941, c. 307 et 310; Status refondus de la
Province de Québec 1964, c. 301; Lois refondues du Québec 1977, c. L-2.
378 S.R.Q. 1925, c. 198, art. 2.
379 S.R.Q. 1941, c. 310. Cette loi sera omise lors de la refonte suivante en 1964 (S.R.Q. 1964, Table de
concordance, p. 34).
380 Loi de la liberté des cultes et du bon ordre dans les églises, S.R.Q. 1925, c. 198, art. 2, devenue Loi
de la liberté des cultes et du bon ordre dans les églises, S.R.Q. 1941, c. 307, art. 2, devenue Loi de la
liberté des cultes, S.R.Q. 1964, c. 301, art. 1, devenue Loi sur la liberté des cultes, L.R.Q. 1977, c. L-
2, art. 1.
381 Voir à titre d’exemple, la Loi concernant l’harmonisation au Code civil des lois publiques, L.Q. 1999, c.
40, art. 168 qui remplace les mots « à tous les sujets de Sa Majesté » par les mots « à toutes les
personnes ».
382 RLRQ, c. L-2.
500-17-108353-197 et Als PAGE : 120
The effect of s. 129 was to avoid a vacuum of law. With respect to matters within
provincial legislative authority, each province retained its existing body of laws.
That body of laws had five sources: (1) the laws "received" from England or (in
the case of Quebec) France […]; (2) laws enacted for the province under the
royal prerogative; (3) statute law enacted for the province by the imperial
Parliament; (4) judicial developments in the common law (or civil law) since the
date of reception; and (5) statute law enacted by the predecessor colonial
Legislature. With respect to matters within federal legislative authority, there was
no single body of law in 1867; such matters were regulated by a part of each of
the five kinds of pre-confederation laws which were continued in force by s. 129.
Gradually, of course, after 1867 the federal Parliament enacted statutes on the
matters coming within its authority, and thereby supplanted the diverse pre-
confederation laws with a body of statute law which was usually uniform across
the country.
[544] En 1886, lors de la première révision des lois du Canada, la liste des lois
préconfédératives adoptées par les différentes provinces se retrouve à l’Appendice
No. 1 « Tableau des actes passés avant la confédération par les différentes provinces
qui forment aujourd’hui le Canada, et des actes de la Puissance du Canada, indiquant
ce qui reste en vigueur dans chacun d’eux, et ce qui a été fait de chacun ». Le chapitre
74 des Statuts refondus du Canada-Uni de 1859, à savoir la Loi de 1852 sur les
« rectoreries », demeure entièrement en vigueur et devient « Provincial »386.
[545] Par conséquent, le législateur fédéral pouvait choisir d’inclure à cette étape la
Loi de 1852 dans les statuts révisés du Canada, comme le montre la législation sur le
serment d’allégeance, par exemple387. En l’absence de tel choix, le sort de la Loi de
1852 se retrouve donc entre les mains du législateur provincial qui, en l’intégrant à sa
législation, peut la modifier conformément à l’article 129 de L.C.1867.
385 Peter W. HOGG, Constitutional Law of Canada, vol. 1, 5e éd., feuilles mobiles, Toronto, Carswell,
2007, par. 2.4.
386 Statuts révisés du Canada 1886, app. no 1, p. 2418. Corrélativement, le même chapitre n’y figure ni à
l’Annexe A (Actes et parties d’actes abrogés à compter de la date de l’entrée en vigueur des Statuts
révisés du Canada, en tant que ces actes et parties d’actes se rattachent à des matières du ressort du
parlement du Canada), ni à l’Annexe B (Actes et parties d’actes d’une nature publique générale, qui
affectent le Canada et se rattachent à des matières ne tombant pas sous le contrôle législatif du
parlement, ou à l’égard desquelles le droit de légiférer est contestable ou a été contesté, et qui en
conséquence n’ont pas été refondus; et aussi, actes d’une nature publique générale dont la refonte
n’a pas été, pour d’autres raisons, jugée à propos) des Statuts révisés du Canada (Le Tribunal
souligne).
387 Supra, par. [498].
388 Loi concernant la liberté des cultes et le bon ordre, S.Q. 1954, c. 15. En l’absence d’une poursuite, la
Cour suprême refuse de se prononcer sur la validité de cette loi (Saumur et al. v. Procureur général
du Québec, [1964] R.C.S. 252).
389 S.R.Q. 1941, c. 307.
500-17-108353-197 et Als PAGE : 122
[549] Traitant directement de cette loi, l’arrêt Saumur391, rendu par la Cour suprême
en 1953, demeure le plus pertinent. Quel enseignement peut-on en tirer?
[551] Plus précisément en lien avec la Loi de 1852 les juges majoritaires rédigent
leurs opinions de manière très différente. Sans se prononcer si la loi provinciale
remplace la Loi de 1852, le juge Kerwin393 énonce qu’aucune loi provinciale ne permet
d’abroger les dispositions relatives à la liberté de la religion. Puisque les attaques des
Témoins de Jéhovah contre les autres cultes religieux ne constituent pas des actes
servant d’excuse à la licence ou des pratiques incompatibles avec la paix et la sûreté
au Québec, il déclare le règlement non applicable à Saumur, sans toutefois le
prononcer ultra vires. Il estime inutile de recourir aux lois impériales et que le droit au
libre exercice de la religion tombe sous l’article 92(13) de l’Acte de l’Amérique
britannique du Nord 1867.
390 Loi modifiant diverses dispositions législatives eu égard à la Charte des droits et libertés de la
personne, S.Q. 1986, c. 95, art. 175.
391 Saumur v. City of Quebec, [1953] 2 S.C.R 299.
392 S.R.Q. 1941, c. 307.
393 Saumur v. City of Quebec, [1953] 2 S.C.R 299, p. 320-325.
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[552] Le juge Rand394 rappelle que depuis 1760 « religious freedom has, in our legal
system, been recognized as a principle of fundamental character » et que l’affirmation
des croyances religieuses demeure « of the greatest constitutional significance
throughout the Dominion ». Il termine son analyse du droit à la liberté de religion par la
l’adoption et certaines phrases du Traité de Paris et de la Loi de 1852 pour inférer que
les deux visaient à garantir la paix, l’ordre et le bon gouvernement dans l’ensemble du
pays. De plus, il ajoute ceci :
[555] Droit individuel « sacré », la liberté de religion devrait faire partie des droits
habilitant le Parlement fédéral à légiférer pour la préservation de la paix, l’ordre et le
bon gouvernement. Il réitère le motif basé sur l’article 93 de la L.C. 1867. Relevant de la
compétence fédérale sous l’article 91, la législature provinciale ne saurait abroger ou
modifier la Loi de 1852. Et, puisque le Parlement fédéral n’y apporte aucune
modification, la Loi de 1852 demeure en vigueur. Il rappelle la genèse de la Loi de 1852
dans le débat sur les réserves du clergé et précise que ses dispositions ne font pas
obstacle à l’adoption par le législateur provincial de lois qui « may affect the right of
religious profession and worship » dans la mesure où elles relèvent de son champ de
compétence.
[556] Le juge Locke398 refait le chemin législatif de la Loi de 1852 à la loi provinciale
invoquée par Saumur, et débute son analyse par le postulat suivant : « If this section
[section 2 of chapter 307 of the Revised Statutes of Quebec 1941] was an attempt to
confer substantive rights and not merely recital of the rights declared by the Statute of
1852, the section dealt with matters which were beyond the powers of the Province
unless, […] under Head 13 of section 92 of the British North America Act the Province
was empowered to legislate as to the free exercise and enjoyment of religious
profession and worship within the Province ». Il considère que le règlement contesté
vise à censurer la distribution des publications, que la question en litige porte sur « [the]
right of censorship of the contents of religious publications » et que cela ne nécessite
pas de décider « whether the right to religious freedom and the right to free public
discussion of matters of public interest and the right to disseminate news […] differ in
their nature ». Puisque la Loi de 1852 demeurait en vigueur au moment de l’adoption de
la L.C. 1867, le libre exercice de la religion constitue un droit constitutionnel, et non un
droit civil au sens de l’article 92(13), qui peut toutefois se voir limité par des dispositions
de droit criminel (« while the exercise of [the right to freedom of religious belief and
worship] might be restrained under the provisions of the saving clause of the statute of
1852 by criminal legislation passed by Parliament under Head 27 of section 91 it was
otherwise a constitutional right of all the inhabitants of this country »). Donc, pour lui,
l’effet combiné de la Loi de 1852 et de la L.C. 1867 participe à la continuité du droit à la
liberté de religion à titre de droit constitutionnel qui « did not fall within the category of
civil rights under Head 13 of section 92 ».
[557] Pour les quatre juges dissidents qui n’invalident pas le règlement, la Loi
concernant la liberté des cultes et le bon ordre dans les églises et leurs alentours
« n’est rien autre chose qu’une loi déclaratoire »399 de la Loi de 1852 et le législateur
provincial peut modifier les effets de cette dernière dans la mesure où il légifère à
[558] Une lecture attentive de cet arrêt permet donc de constater qu’un seul des neuf
juges de la Cour suprême, à savoir le juge Kellock, prononce l’invalidité du règlement
en raison de son conflit avec la Loi de 1852. Un des juges majoritaires conclut à
l’inapplicabilité du règlement à Saumur sans le déclarer ultra vires et les trois autres
tranchent la question d’invalidité du règlement sur les principes du partage des
compétences. En ce sens, le droit à la liberté de religion reçoit le qualificatif de droit
constitutionnel par opposition aux droits civils rattachés à la compétence provinciale,
sans pour autant que la Loi de 1852 sur les « rectoreries » acquière une
valeur supralégislative.
[559] En 1808, Ezekiel Hart, un homme d’affaires prospère de religion juive, seigneur
de Bécancour, devient député élu de la circonscription de Trois-Rivières, mais se voit
expulsé de l’Assemblée en raison de son appartenance religieuse. Plus précisément, il
prête le serment d’office sur la Bible hébraïque (l’Ancien Testament) plutôt que sur les
Évangiles (le Nouveau Testament), en remplaçant le terme « Chrétien » par « Juif »
dans la phrase finale du serment se lisant « sur la foi véritable d’un Chrétien ».
[560] Le débat sur la possibilité pour les personnes de religion juive de siéger au
Parlement du Bas-Canada se clôt en 1832 lorsque ce Parlement adopte la Loi Hart. Le
Bas-Canada devient ainsi le premier territoire de l’Empire britannique à affirmer l’égalité
juridique des personnes juives. Le titre401 et l’unique disposition de la Loi Hart se
montrent révélatoires :
[…] il est par le présent déclaré et statué […] que toute personne professant le
Judaïsme, et qui sont nées sujets Britanniques, et qui habitent et résident en
cette Province, ont droit, et seront censées, considérées et regardées comme
ayant droit à tous les droits et privilèges des autres sujets de Sa Majesté […] à
toutes intentions, interprétations et fins quelconques, et sont habiles à pouvoir
posséder, avoir ou jouir d’aucun office ou charge de confiance quelconque en
cette Province.
[561] Après l’union des Provinces du Haut et du Bas-Canada en 1840, la Loi Hart
demeure inchangée et continue de s’appliquer seulement au Bas-Canada. En effet, elle
399 Id., p. 319 (juges Rinfret et Taschereau).
400 Id., p. 379 (juges Cartwright et Fauteux).
401 Acte pour déclarer que les Personnes qui professent le Judaïsme ont le bénéfice de tous les droits et
privilèges des autres sujets de Sa Majesté en cette Province, (1831) 1 Guil. IV, c. 57.
500-17-108353-197 et Als PAGE : 126
figure dans les Actes et ordonnances révisés du Bas-Canada de 1845 en tant que droit
politique402.
« 7. Toutes les personnes qui professent le Judaïsme, et qui sont nées sujets
Britanniques, et qui habitent et résident en cette province, peuvent jouir de tous
les droits et privilèges des autres sujets de Sa Majesté, à toutes fins et intentions
quelconques, et occuper des places ou charges de confiance en cette
province. »
[564] Enfin, en 1888, la première refonte postconfédérative des lois du Québec omet
l’inclusion de la disposition équivalant à la Loi Hart. Cela s’explique par deux
évènements législatifs : (1) l’adoption de la Loi sur les « rectoreries » en 1852 et (2)
l’adoption du Code civil du Bas-Canada en 1866. Ces deux lois affirment, d’une part,
l’égalité juridique de toutes les dénominations religieuses et, d’autre part, la
reconnaissance que chaque personne possède « la pleine jouissance des droits
civils »406.
[565] Par leur effet combiné, ces deux lois rendent caduques les dispositions de la Loi
Hart sur les droits civils et politiques des Juifs au Bas-Canada407. Conséquemment, la
402 Acte pour déclarer que les Personnes qui professent le Judaïsme ont le bénéfice de tous les droits et
privilèges des autres sujets de Sa Majesté en cette Province, A. O. R. B.-C., Classe A, no 6 (Juifs,
leurs droits politiques).
403 Acte concernant certains droits personnels, S.R.B.-C. 1861, c. 34.
404 Id.
405 Statuts révisés du Canada 1886, app. no 1, p. 2423.
406 Acte pour abroger cette partie de l’Acte du Parlement de la Grande-Bretagne passé dans la trente-
unième année du Règne du Roi George Trois, chapitre trente-un [Acte constitutionnel de 1791], qui se
rapporte aux Rectoreries et à la nomination des titulaires à icelles, et pour d’autres fins liées aux dites
Rectoreries, (1852) 14-15 Vict., c. 175; C.c.B.-C., (1866), art. 6; David ROME, compilé par, Samuel
Becancour Hart and 1832, Montréal, Archives nationales, Congrès juif canadien, 1982, p. 115-116.
407 David ROME, compilé par, Samuel Becancour Hart and 1832, Montréal, Archives nationales, Congrès
disposition refondue en 1861 se trouve abrogée dans le cadre de la refonte des Statuts
révisés de la Province de Québec de 1888408.
[567] Or, l’article 129 de la Loi constitutionnelle de 1867 constitue une disposition
transitoire et non pas attributive d’un statut constitutionnel aux lois en vigueur lors de la
Confédération. Il prévoit que les lois adoptées précédemment demeurent en vigueur et
pourront faire l’objet de modifications par le Parlement, fédéral ou provincial, qui
dispose de la compétence pour le faire selon le partage des compétences législatives
établi par la nouvelle loi constitutionnelle :
129. Sauf toute disposition contraire prescrite par la présente loi, toutes les lois
en force en Canada, dans la Nouvelle-Écosse ou le Nouveau-Brunswick, lors de
l’union […] continueront d’exister dans les provinces d’Ontario, de Québec, de la
Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick respectivement, comme si l’union
n’avait pas eu lieu; mais ils pourront, néanmoins (sauf les cas prévus par des lois
du parlement de la Grande-Bretagne ou du parlement du Royaume-Uni de la
Grande-Bretagne et d’Irlande), être révoqués, abolis ou modifiés par le
parlement du Canada, ou par la législature de la province respective,
conformément à l’autorité du parlement ou de cette législature en vertu de la
présente loi.
[568] Ainsi, il serait pour le moins curieux qu’une loi adoptée et abrogée par la
législature provinciale s’incorpore dans la Constitution du Canada simplement en vertu
de son objet et sans aucune disposition expresse en ce sens.
408 Extraits des Appendices A, B, C des Statuts refondus de la province de Québec de 1888; David
ROME, compilé par, Samuel Becancour Hart and 1832, Montréal, Archives nationales, Congrès juif
canadien, 1982, p. 115-116.
409 Acte d’intervention de Lord Reading, par. 39.
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[570] Lauzon, WSO et Lord Reading prétendent que la liberté de religion garantie par
les lois préconfédératives qu’elles invoquent fait partie de la Constitution en vertu du
52. (1) La Constitution du Canada est la loi suprême du Canada; elle rend
inopérantes les dispositions incompatibles de toute autre règle de droit.
c) les modifications des textes législatifs et des décrets mentionnés aux alinéas
a) ou b).
[572] Elle renferme des règles écrites et non écrites411, comme les conventions
constitutionnelles et les rouages du Parlement412, les privilèges inhérents au bon
fonctionnement des organismes législatifs canadiens413, l’indépendance judiciaire414 les
caractéristiques essentielles de la Cour suprême415 ainsi que les principes sous-jacents
aux règles de la succession au trône britannique416.
410 Renvoi relatif à la sécession du Québec, [1998] 2 R.C.S. 217, 239, par. 32; Renvoi relatif à la Loi sur
la Cour suprême, art. 5 et 6, 2014 CSC 21, par. 97-100; Renvoi relatif à la réforme du Sénat, [2014] 1
R.C.S. 704, par. 24.
411 Renvoi relatif à la rémunération des juges de la Cour provinciale (Î.-P.-É.), [1997] 3 R.C.S. 3, 68, par.
92.
412 Renvoi relatif à la sécession du Québec, [1998] 2 R.C.S. 217, 239, par. 32.
413 New Brunswick Broadcasting Co. c. Nouvelle‑Écosse (Président de l'Assemblée législative), [1993] 1
R.C.S. 319.
414 Renvoi relatif à la rémunération des juges de la Cour provinciale (Î.-P.-É.), [1997] 3 R.C.S. 3.
415 Renvoi relatif à la Loi sur la Cour suprême, art. 5 et 6, 2014 CSC 21.
416 Motard c. Procureur général du Canada, 2019 QCCA 1826; Voir aussi O’Donohue v. Canada, 2003
The Canadian framers of the B.N.A. Act even eschewed the alluring American
precedent of a bill of rights, and instead left the civil liberties of Canadians to be
protected by the moderation of their legislative bodies and the rules of the
common law — as in the United Kingdom.419
[578] Pour le PGQ, cela fait en sorte que cette protection de la liberté de religion se
révèlerait absolue et donc plus importante que celle garantie par les deux chartes
puisqu’elle ne pourrait faire l’objet d’aucune limite. Pour lui, cela revient à dire qu’il
existerait au Canada une protection constitutionnelle absolue de la liberté de religion
découlant de lois préconfédératives.
[581] Lauzon rétorque qu’elle ne recherche pas la reconnaissance d’un droit absolu,
mais plutôt l’existence autonome du droit au libre exercice de la religion, un droit,
certes, non susceptible de se voir limité par les clauses dérogatoires ou visé par le
cadre de justification des chartes, mais sujet à l’interprétation des tribunaux, qui
peuvent en fixer les contours et lui imposer des limites internes424.
[582] Avec respect, pour le Tribunal, cela avaliserait une certaine forme d’incohérence
interne similaire à celle que Lauzon elle-même reproche à la Loi 21. Car si le Tribunal
devait reconnaître le raisonnement proposé par Lauzon, ce problème d’incohérence se
manifesterait lors de l’analyse de l’architecture interne de la Constitution. En effet
comme la Constitution se compose d’éléments individuels liés les uns aux autres et
[584] De tout ceci, le Tribunal conclut que l’Acte de Québec de 1774, la Loi Hart ou la
Loi de 1852 sur les « rectoreries » ne peuvent servir de base pour invalider des
dispositions législatives adoptées par l’Assemblée nationale et donc les dispositions
attaquées de la Loi 21.
[585] Dans le même spectre analytique que celui portant sur la Constitution non écrite,
les demanderesses soumettent que son architecture interne et certains de ses principes
sous-jacents se trouvent bafoués par la Loi 21.
[586] Selon Hak, l’imposition par la Loi 21 d’une telle vision de la sécularisation qui
empêche la participation de personnes religieuses à la vie de l’État, altère la nature
juridiquement inclusive des institutions politiques du Québec, ce qui modifierait de façon
inacceptable l’architecture de la Constitution canadienne, ce qu’une province ne peut
faire unilatéralement. Elle s’appuie sur l’arrêt Renvoi relatif à la sécession du Québec427
qui reconnaît comme éléments fondateurs de la Constitution canadienne les principes
de la démocratie, du constitutionnalisme, du fédéralisme, de la primauté du droit ainsi
que celui du respect des minorités.
[587] Elle plaide que les principes de démocratie et du respect pour les droits des
minorités s’étendent au-delà des droits garantis par la Charte, car ils participent à la
425 Renvoi relatif à la sécession du Québec, [1998] 2 R.C.S. 217, par. 50.
426 Québec (Procureure générale) c. Canada (Procureure générale), 2011 QCCA 591, par. 124 à 132.
427 [1998] 2 R.C.S. 217 (ci-après « Sécession du Québec »).
500-17-108353-197 et Als PAGE : 132
[588] Elle soutient que tant la participation que la représentation de toute personne,
peu importe leurs caractéristiques personnelles, aux affaires de l’État, tant aux niveaux
électifs qu’administratifs, s’inscrit notamment dans la reconnaissance du
multiculturalisme et de l’égalité des hommes et des femmes prévues aux articles 27
et 28 de la Charte. Ainsi, en empêchant de façon précise la participation aux affaires de
l’État de personnes qui portent un signe religieux, la Loi 21 va délibérément exclure ces
minorités de toute participation aux organismes de l’État qui doivent la représenter et
les servir. Ce faisant, elle modifie de façon fondamentale la nature inclusive des
institutions politiques québécoises.
[591] Pour Hak l’arrêt Sécession du Québec428 reconnaît que la Constitution possède
une « stature constitutionnelle fondamentale » faisant en sorte que chaque élément
individuel se trouve lié aux autres et doit s’interpréter en fonction de l’ensemble de sa
[593] Elle en tire l’argument431, notamment en se basant sur l’arrêt SEFPO c. Ontario
(Procureur général)432, qu’aucune législature, tant fédérale que provinciale, ne peut
modifier la société d’une façon si fondamentale puisqu’elle s’en trouverait à altérer
l’architecture de la Constitution :
[594] Rappelons que SEFPO porte sur la contestation de l’interdiction faite aux
fonctionnaires ontariens d’exercer des activités politiques sur la scène fédérale et
repose sur une analyse d’arguments fondés sur le partage des pouvoirs législatifs et
l’application de l’arrêt Fraser c. Commission des relations de travail dans la Fonction
publique434.
[596] Selon Hak, la clause de dérogation n’entraîne aucun impact sur la question de
l’architecture constitutionnelle parce que celle-ci repose sur des principes
fondamentaux de notre société et qu’elle constitue la pierre d’assise de la Charte
canadienne, et donc, par conséquent, que l’architecture constitutionnelle préexiste la
[597] Elle plaide qu’en arriver à une conclusion contraire ferait en sorte, par exemple,
qu’une simple majorité parlementaire pourrait à sa guise éliminer la protection contre la
détention arbitraire prévue à l’article 8 de la Charte, celle contre la torture consacrée à
l’article 12 ou celle contre des meurtres commis de façon aléatoire par des agents
gouvernementaux couverte par l’article 7.
[598] À l’égard de cette dernière illustration, Hak ajoute que l’utilisation de la clause de
dérogation ne pourrait permettre au pouvoir législatif de violer le droit à la vie et à la
sécurité en permettant qu'il accorde à l’État le droit de tuer « légalement », sans raison,
des citoyens dans la rue.
[600] Un autre exemple mis de l’avant par Hak repose sur l’existence d’une certaine
dichotomie entre, d’une part, la protection accordée au discours politique, qui entrerait
dans les valeurs se trouvant au cœur de l’architecture constitutionnelle et, d’autre part,
le discours de nature commerciale qui n’en ferait pas partie, bien que les deux se
trouvent protéger par l’article 2b) de la Charte. Ainsi, le législateur ne pourrait jamais
écarter la première, mais il pourrait le faire dans le cas de la seconde, vu sa moindre
importance sociétale.
[601] Pour elle, la clause de dérogation ne peut servir à de telles fins puisqu’il ne s’agit
pas uniquement d’invoquer « le mot magique », en l’occurrence le mot nonobstant, pour
jouir d’une carte blanche pour démanteler des protections démocratiques
fondamentales437.
[603] Pour ce faire, elle s’appuie sur les arrêts suivants de la Cour suprême :
- SEFPO438 où on lit :
151. Dans mon esprit, il ne fait aucun doute que la structure fondamentale de
notre Constitution établie par la Loi constitutionnelle de 1867 envisage l'existence
de certaines institutions politiques dont des corps législatifs librement élus aux
niveaux fédéral et provincial. Pour reprendre les termes du juge en chef
Duff dans Reference re Alberta Statutes, à la p. 133, [TRADUCTION] "l'efficacité
de ces institutions découle de la libre discussion publique des affaires...» et,
selon le juge Abbott dans Switzman v. Elbling, à la p. 328, ni une législature
provinciale ni le Parlement lui-même ne peuvent [TRADUCTION] "abroger ce
droit de discussion et de débat". De manière plus générale, je conclus que ni le
Parlement ni les législatures provinciales ne peuvent légiférer de façon à porter
atteinte sensiblement au fonctionnement de cette structure constitutionnelle
fondamentale. […] 439
- Sécession du Québec440;
[604] Avec égards, ces trois derniers arrêts ne supportent par la position avancée par
Hak quant à l’existence du modèle d’architecture constitutionnelle qu’elle propose
puisqu’ils traitent, en substance, de la nécessité d’examiner de façon stricte toute
dérogation à un droit démocratique que le législateur soustrait à l’application de la
clause de dérogation de l’article 33 de la Charte.
[605] Quant à l’affaire SEFPO, elle s’inscrit dans le cadre d’une analyse du rôle des
institutions démocratiques dans notre structure constitutionnelle et le rôle que doit jouer
la libre discussion de nature politique dans la légitimation de celles-ci. Pour le Tribunal,
cet arrêt ne possède pas la portée que veut lui donner Hak.
[607] Voilà pourquoi elle plaide que le Tribunal doit décider, dans le cadre d’un débat
portant sur l’utilisation de la clause de dérogation, quels droits découlent des articles 2
et 7 à 15 de la Charte et quels droits en cause proviennent de l’architecture
constitutionnelle. Selon elle, le recours à la clause de dérogation n’immuniserait pas le
législateur contre l’application de ces derniers droits.
[609] Plus prosaïquement, Hak soutient que les droits de la troisième couche444, en
l’occurrence ceux protégés par la Charte, représentent des droits à « valeur ajoutée »
par leur inclusion dans la Charte et, comme la clause de dérogation ne s’applique
qu’aux articles 2 et 7 à 15 de la Charte, cela fait en sorte que les droits « vraiment »
fondamentaux existent nonobstant la Charte.
[610] Voilà pourquoi, selon elle, la raison de l’inclusion de l’article 26 de la Charte, qui
énonce :
26. Le fait que la présente charte garantit certains droits et libertés ne constitue
pas une négation des autres droits ou libertés qui existent au Canada.
[612] Selon Hak, l’assurance que l’on ne peut empêcher les individus de participer à la
société en fonction de leur religion transcende les droits prévus par les articles 2a) et 15
[613] Cette protection s’inscrirait dans la reconnaissance par la Cour suprême dans
[614] Voilà pourquoi, selon Hak, entre autres, l’inclusion des articles 25 et 35 à la
Charte, qui ajoutent des garanties relatives aux droits des autochtones, reflète
l’importance de la valeur constitutionnelle sous-jacente du respect des minorités449.
[616] Tant Hak que la FAE se réclament des enseignements suivants de l’arrêt
Mouvement laïque québécois c. Saguenay (Ville)450 :
[617] Pour elles, cet idéal se retrouve à l’évidence dans la Charte, mais il existait bien
avant, car il fait partie des valeurs qui se trouvent au cœur de l’architecture
constitutionnelle canadienne.
[…] From 1760, therefore, to the present moment religious freedom has, in our
legal system, been recognized as a principle of fundamental character; and
although we have nothing in the nature of an established church, that the
untrammelled affirmations of religious belief and its propagation, personal or
institutional, remain as of the greatest constitutional significance throughout the
Dominion is unquestionable.452
[619] À titre d’autre précédent à cet égard, il faut remarquer qu’en 1899, dans l’affaire
Johnson v. Sparrow et al453, la Cour supérieure affirmait que notre Constitution ne
permettait pas des distinctions fondées sur la race ou la classe sociale et que de le faire
s’avérait incompatible avec nos institutions démocratiques. Il s’agissait dans cette
affaire de déterminer les droits d’un homme noir face à ceux des propriétaires d’un
théâtre où, après l’acquisition de deux billets, on lui refusa l’accès pour des motifs
clairement et uniquement reliés à sa race.
[620] Cependant, il convient de noter que dans cette affaire la Cour d’appel refuse
d’endosser ces considérants quant à la portée de la Constitution, car elle confirme le
jugement d’instance pour des motifs reliés aux droits contractuels et non pour des
raisons de droit constitutionnel454.
[621] Dans Sécession du Québec, la Cour suprême rappelle que la protection des
droits des minorités constitue clairement un facteur essentiel dans l’élaboration de notre
structure constitutionnelle, existant même à l’époque de la Confédération et qu’il s’agit
d’un principe continuant à influencer l’application et l’interprétation de notre
Constitution455.
[622] De tout cela, Hak en conclut que l’architecture constitutionnelle accorde à tous
les membres de la société un niveau élémentaire d’accès et de participation à la vie
politique, sans considération pour leurs caractéristiques personnelles, incluant à
l’évidence les croyances religieuses, tout autant que la race, le sexe ou l’orientation
sexuelle par exemple. Par conséquent, elle postule que des lois abrogeant les droits de
certaines personnes basées sur ces caractéristiques constituent l’antithèse de notre
structure constitutionnelle et ce, peu importe l’existence des protections spécifiques
inscrites nommément à la Charte.
[623] Pour Hak, la laïcité ne fait pas originalement partie des principes centraux de la
[625] Ainsi, selon elle, si un gouvernement peut favoriser la laïcité, un autre peut tout
autant favoriser une religion tels le catholicisme, l’hindouisme ou l’islam.
[626] Pour Hak, la Loi 21 s’attaque au cœur de la vie publique du Québec en excluant
certaines personnes d’organismes publics à cause de considérations reliées aux
valeurs qu’entretiennent ces individus, ce qui entraîne une reconstruction de la sphère
publique québécoise qui modifie unilatéralement l’architecture constitutionnelle
canadienne.
456 Pièce P-17, p. 31-34, dossier Hak : QUÉBEC, ASSEMBLÉE NATIONALE, Journal des débats de
l’Assemblée nationale, 1re sess., 42e légis., 29 mai 2019, « Adoption du principe du projet de loi n° 21
– Loi sur la laïcité de l’État », 17h01 (M. Jolin-Barrette).
457 Mouvement laïque québécois c. Saguenay (Ville), [2015] 2 RCS 3.
458 Id., par. 72.
459 Colombie‑Britannique c. Imperial Tobacco Canada Ltée, [2005] 2 R.C.S. 473, par. 66 et 67.
500-17-108353-197 et Als PAGE : 140
9.1.2 L’analyse
[628] Le PGQ invoque l’arrêt Westmount (Ville de) c. Québec (Procureur général)460
où la Cour d’appel énonce que les quatre principes constitutionnels directeurs
[630] Ce faisant, la Cour suprême affirme qu’il ne faut pas compromettre la légitimité
du contrôle judiciaire fondé sur la Constitution en reconnaissant des conceptions de la
primauté du droit analogues à celles défendues par les compagnies de tabac dans cette
affaire466. Cette même conception selon le Tribunal, s’apparente en partie à celles
défendues par Hak en l’espèce. La Cour suprême ajoute que la démocratie et le
constitutionnalisme militent très fortement en faveur de la confirmation de la validité des
lois qui respectent les termes exprès de la Constitution467.
66 […] Autrement dit, les arguments soulevés par les appelants ne reconnaissent
pas que, dans une démocratie constitutionnelle telle que la nôtre, la protection
contre une loi que certains pourraient considérer injuste ou inéquitable ne réside
pas dans les principes amorphes qui sous-tendent notre Constitution, mais dans
[633] Le Tribunal, en vertu de la règle du stare decisis, se trouve lié par ces énoncés
de la Cour d’appel et de la Cour suprême. Cet argument de Hak doit échouer.
[634] En effet, tant la Cour d’appel que la Cour suprême nous enseignent la primauté
de la Constitution écrite. Avec égard, l’argument qui repose sur l’architecture
constitutionnelle, dans l’état actuel du droit ne vaut que pour des situations que cette
même Constitution ne prévoit pas déjà expressément.
[635] Or, à l’évidence, il ne s’agit pas d’un tel cas en l’espèce. Voilà pourquoi le
Tribunal rejette ce motif de contestation de la Loi 21.
[638] De par son libellé même, et comme l’affirme la FAE d’ailleurs, il ne fait aucun
doute que l’article 27 de la Charte ne peut servir que de façon interprétative à l’égard
des autres droits et libertés qu’elle garantit et non pour faire invalider une loi.
[642] Pour Hak, le caractère intelligible d’une loi constitue un des principes fondateurs
de la primauté du droit, notamment en ce que cela le permet de traiter tous les acteurs
de la société, tant l’État que le citoyen, en fonction de la même règle objective, alors
que la Loi 21 transgresserait cette obligation en favorisant une application arbitraire de
ses dispositions. Ainsi, selon elle, la définition de signes religieux de l’article 6 apparaît
vague et intrinsèquement contradictoire entraînant du même coup une application
arbitraire.
[643] Bien que le ministre Jolin-Barrette déclare que cette définition appelle une
interprétation fondée sur « le sens commun des choses », il n’en demeure pas moins,
selon elle, que certains individus peuvent porter certains objets ou vêtements pour
différents motifs : religieux pour certains, laïques pour d’autres. À titre d’exemple, elle
énumère les cas de figure suivants :
- les personnes qui portent un foulard sur la tête pour des motifs religieux, alors
que d’autres les portent en raison de leur état de santé ou simplement parce
qu’elles aiment cela;
500-17-108353-197 et Als PAGE : 143
- les femmes de confession sikhe qui portent le turban et des bracelets alors que
ces objets peuvent constituer des éléments purement décoratifs pour de
nombreuses autres femmes qui portent l’un et/ou l’autre;
[644] Considérant que selon Statistiques Canada471, le Canada compte 108 religions
qui chacune possède ses propres signes et symboles religieux, Hak soutient que la
détermination de ce qui constitue « objectivement » un signe religieux devient, en
réalité, un exercice subjectif qui dépend des connaissances personnelles de ce qui peut
raisonnablement constituer un signe religieux et les raisons pour lesquelles la personne
porte cet objet. Ainsi, en laissant chaque responsable de chaque organisme public
décider individuellement ce qui constitue un signe religieux et pourquoi il.elle le
considère ainsi, cela mènera inévitablement à un certain chaos alimenté par des
interprétations divergentes et potentiellement changeantes, ce qui entraînera une
application asymétrique de la Loi 21 et démontrera ainsi son caractère imprévisible.
[645] Quant à la question de déterminer les raisons pour lesquelles une personne
porte un objet ou un vêtement qui rencontre, à priori, la définition d’un signe religieux, il
faudra que l’autorité administrative chargée de l’application de la Loi 21 s’enquière de la
possible existence des motifs subjectifs qui animent la personne qui les porte, de façon
visible ou non, ce qui empiète sur le droit à la vie privée notamment prévue aux
articles 33 et suivants du Code civil du Québec tout comme à l’article 5 de la Charte
québécoise et les articles 7 et 8 de la Charte canadienne.
[646] Pour elle, cela risque d’entraîner une application arbitraire de la Loi 21 parce que
certaines organisations pourraient refuser de poser de tels gestes. De plus, en
l’absence de paramètres clairs quant à ce qui constituerait une contrainte conforme à la
Loi 21 ainsi que quant à la nature des mesures disciplinaires envisageables, elle plaide
qu’il s’avère presque certain que ces interdits feront l’objet d’une application arbitraire
par des centaines d’organismes auxquels la Loi 21 s’applique.
constitue un signe religieux et comment les autorités doivent appliquer les interdits. À
ce sujet, Hak conclut que la primauté du droit requiert que les justiciables puissent
déterminer à l’avance le caractère prohibé d’un geste qu’ils désirent poser ainsi que les
conséquences qui en découlent.
[649] Pour le Tribunal, il ne fait aucun doute que la primauté du droit vise à protéger
les citoyen.e.s contre l’arbitraire de l’État. Les arrêts Roncarelli et Saumur en donnent
une illustration claire. Il s’agit plutôt de savoir quelle portée le Tribunal peut, d’une part,
lui donner et, d’autre part, ce qu’englobe cette règle.
[650] Hak soutient que la Loi 21 s’avère si vague quant à certains de ses aspects,
notamment quant à la définition des « symboles religieux » et qu’elle ne fournit pas
d’indications sur la façon d’en arriver à des décisions uniformes, ce qui entraîne
l’exercice d’une discrétion illimitée et donc l’implantation d’un certain arbitraire, violant
ainsi le principe de la primauté du droit474.
[651] Selon elle, le Tribunal devrait se montrer encore plus exigeant à l’égard du
législateur dans le cadre d’une contestation judiciaire reposant sur le caractère imprécis
d’une loi lorsque celui-ci utilise la clause de dérogation pour soustraire cette loi au test
des chartes, notamment en s’appuyant sur l’arrêt R. c. Levkovic475.
[652] Avec égard, cette dernière proposition ne comporte aucun mérite puisque cet
arrêt ne permet aucunement d’en tirer un tel enseignement.
croyance religieuse. Elle soutient que cette définition s’étend tout à fait à des signes
invisibles, par exemple dissimulés sous des vêtements, qu’à des signes portés de façon
visible.
[655] Selon elle, ces quatre principes fondamentaux, interprétés conformément avec la
Constitution s’avèrent incompatibles avec l’interdiction de porter des signes religieux
édictée à l’article 6 de la Loi 21. Pour elle, il devient impossible pour les institutions de
l’État d’appliquer l’interdiction prévue à l’article 6 de porter des signes religieux tout en
respectant les principes fondamentaux, car toute application de l’interdiction de porter
des signes religieux viole également la dernière exigence de la laïcité prévue
spécifiquement par la Loi 21. Ce faisant, la Loi 21 impose le devoir de respecter
simultanément deux obligations contradictoires, ce qui ne peut constituer une règle de
droit.
[656] Elle ajoute que l’article 4 de la Loi favorisant le respect de la neutralité religieuse
de l’État et visant notamment à encadrer les demandes d’accommodements pour un
motif religieux dans certains organismes476 (Loi 62), qui ne se trouve pas visé par les
clauses de dérogation de la Loi 21, montre une incompatibilité manifeste avec la mise
en œuvre d’une interdiction absolue pour les personnes croyantes de porter un signe
religieux, ainsi qu’avec le devoir de respecter une telle interdiction. Il convient de
reproduire cette disposition de la Loi 62 :
[657] Selon Lauzon, il existe une contradiction fondamentale entre, d’une part,
l’interdiction de porter des signes religieux et « l’exigence » de respecter celle-ci et,
d’autre part, les principes fondamentaux, le principe de la laïcité et les trois autres
« exigences » de la laïcité prévues aux articles 3 et 4 de la Loi 21. Pour elle, il apparaît
impossible de respecter et d’appliquer ces deux ordres de normes et d’obligations
simultanément tel que la Loi 21 le requiert, ce qui viole la primauté du droit.
6. Le port d’un signe religieux est interdit dans l’exercice de leurs fonctions aux
personnes énumérées à l’annexe II. Au sens du présent article, est un signe
religieux tout objet, notamment un vêtement, un symbole, un bijou, une parure,
un accessoire ou un couvre-chef, qui est :
[660] Hak plaide que confrontés à des questions sur la portée de la définition, les
officiers gouvernementaux, ainsi que le ministre Jolin-Barrette par exemple477, s’en
remettent au « sens commun des choses ». À l’évidence, la caractérisation de certains
symboles religieux tombe sous le sens. En effet, un crucifix, une kippa, un kirpan ne
peuvent se dissocier de leurs connotations religieuses.
[661] Cependant, il n’en va pas de même pour plusieurs autres objets ou apparences
physiques.
[662] Il n’apparaît pas inutile de rappeler que selon Statistiques Canada 478 il existerait
plus d’une centaine de religions au Canada, ce qui relativise de beaucoup l’application
du « sens commun » comme critère de détermination de ce que l’on doit entendre
comme faisant partie des symboles religieux, quand on sait que certains éléments
propres à une religion proviennent d’un historique particulier et de traditions spécifiques
à celle-ci.
[663] À titre d’exemple, on peut penser aux perruques portées par certaines femmes
juives pour des raisons religieuses dans certaines communautés. À l’évidence, à
l’intérieur de celles-ci, le port de ces perruques comporte une signification religieuse,
alors que pour d’autres personnes, cela peut tout simplement représenter autre chose,
variant possiblement d’un effet de la mode à des conséquences d’une certaine
condition médicale particulière.
[664] Cependant, on peut noter que le ministre Jolin-Barrette affirme que des cheveux
ne constituent pas un symbole religieux479, alors que l’on sait que pour certains
hommes de confession musulmane le fait d’afficher une pilosité particulière reflète leur
foi. Également, celui-ci soutient que les anneaux de mariage ne font pas partie des
symboles religieux480. Le témoin Bellerose affirme la même chose481 en expliquant que
certaines personnes s’échangent des anneaux lors de cérémonie d’union civile, ce qui
rend donc ces symboles laïques.
[666] Ainsi, certains centres prohibent le port de tout symbole catholique 482, d’autres
permettent le port d’une petite croix et d’un anneau483, alors que d’autres ne permettent
que le port d’une alliance484. Également, plusieurs excluent les barbes, cheveux longs
et tatouages des symboles religieux485 bien qu’un certain nombre considèrent que les
tatouages en font partie486.
[669] Voilà pourquoi Hak s’appuie sur l’arrêt Roncarelli493 pour conclure que cela
établit une application arbitraire et capricieuse de la Loi 21 puisque les institutions
publiques chargées de l’appliquer possèdent une discrétion absolue en fonction de ce
qui apparaît le mieux dans les circonstances.
[670] Pour Hak, cette différence dans l’application de l’article 6 de la Loi 21 ne fait
qu’en exacerber le caractère arbitraire et donc contraire à la primauté du droit.
[671] Quant à la question de savoir si une loi peut s’avérer si imprécise qu’un tribunal
[672] En effet, le débat judiciaire ne requiert pas beaucoup plus que deux parties
possédant une vision différente du même objet, en l’espèce un objet législatif. De plus,
cet arrêt enseigne que dans le cadre de législation visant la réalisation d’objectifs
sociaux légitimes, on ne peut exiger que la loi atteigne un degré de précision qui ne
convient pas à son objet puisqu’une certaine généralité peut parfois favoriser davantage
le respect des droits fondamentaux qu’un texte précis496.
[675] Ainsi, le Tribunal ne peut retenir les prétentions des demanderesses à ce sujet.
[676] Finalement, le Tribunal tient à préciser qu’il ne retient pas l’argument du PGQ
voulant que l’utilisation de la clause de dérogation, qui stérilise l’application de l’article 7
de la Charte, dispose de la question à ce sujet. En effet, tel que l’enseigne la Cour
suprême dans Nova Scotia Pharmaceutical, la théorie de l’imprécision repose sur le
principe de la primauté du droit, un principe qui subsume l’article 7 de la Charte.
[677] La FAE plaide que la définition d’un « signe religieux » contenue à l’article 6 et
les mécanismes d’application de la Loi 21 prévus aux articles 12 à 14 se révèlent
[678] Ainsi, selon elle, des enseignants de confession musulmane peuvent continuer
d’arborer la barbe rituelle, qui possède chez certains croyants une signification
religieuse, alors que les enseignantes musulmanes ne peuvent porter le voile, ce qui
désavantage ces dernières par rapport à leurs collègues coreligionnaires masculins.
[679] Pour étayer sa position, la FAE produit des lettres497 adressées à certains
employeurs des membres de ses syndicats affiliés qui visaient à obtenir des
clarifications notamment quant aux questions suivantes :
[682] Le PGQ plaide que la plus haute autorité administrative ou son délégué doivent
exercer leur pouvoir en suivant les balises de l’article 13 en assurant le respect des
mesures prévues à l’article 6 et au premier alinéa de l’article 8.
[683] Il plaide que dans l’exercice de ses pouvoirs de gestion l’employeur dispose
d’une grande discrétion dans le choix des mesures disciplinaires à prendre, tout en
respectant les règles de proportionnalité et la gradation des sanctions, sachant qu’il ne
peut modifier la Loi 21 et ainsi exercer un pouvoir législatif.
[684] Le PGQ souligne que la plus haute autorité administrative se compose non pas
de personnes « inconnues, non-identifiées ou raisonnablement non-identifiables », mais
plutôt de personnes qui, habituellement, imposent des mesures disciplinaires pour
assurer l’application d’autres lois. Il ajoute que le recours à des mesures disciplinaires
se trouve balisé par les conventions collectives applicables. Quant aux employés non
syndiqués, leurs conditions de travail devraient normalement prévoir leurs recours à
l’encontre d’une mesure disciplinaire.
[686] Il ne fait aucun doute que dans la mesure où le législateur respecte ses
obligations constitutionnelles, le législateur demeure maître de ses choix.
Dans notre tradition, les tribunaux judiciaires ont un pouvoir de contrôle sur la
légalité des actes de l'Administration. Cette réalité juridique bien reconnue est saine
500 Richard TREMBLAY, Éléments de légistique. Comment rédiger les lois et les règlements, Éditions
Yvon Blais, Montréal, 2010, p. 174 et 175.
500-17-108353-197 et Als PAGE : 151
[688] Comme indiqué plus haut, il semble tout autant prématuré qu’inopportun pour le
Tribunal de conclure que le pouvoir discrétionnaire conféré par la Loi 21 s’avère
détaché de toute règle de droit et impropre à remplir sa fonction « d’assurer l’adaptation
de celle-ci à la réalité des circonstances et du moment »502.
[692] Le PGQ soutient à raison que la Loi 21 doit recevoir une application immédiate
et qu’elle ne possède qu’un effet rétrospectif et non rétroactif contrairement à ce que
prétend Lord Reading.
501 Bellefleur c. Québec (Procureur général), 1993 CanLII 4067 (QC CA).
502 Pierre-Claude LAFOND, Le recours collectif, le rôle du juge et sa conception de la justice: impact et
évolution, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2006, p. 151, référant à la note 537 à l’ouvrage de Jean-
Claude VENEZIA, Le pouvoir discrétionnaire, L.G.D.J., 1959, p. 157.
500-17-108353-197 et Als PAGE : 152
[693] D’une part, il s’appuie sur la présomption qui veut que lorsque le législateur
désire donner un effet rétroactif à une législation il le mentionne expressément 503.
D’autre part, une loi possède des effets rétroactifs lorsqu’elle remet en question les
effets produits dans le passé, en l’occurrence à une date antérieure à son entrée en
[694] Pour lui, comme la Loi 21 ne remet pas en cause des évènements ou des faits
existants avant l’entrée en vigueur de la Loi 21, elle ne possède pas d’effet rétroactif.
Elle doit cependant recevoir une application immédiate, car : « elle régit non seulement
les situations entièrement créés après son entrée en vigueur, mais aussi celles qui à ce
moment sont en cour de création, d’extinction ou d’existence505. »
[695] Le PGQ convient que la Loi 21 possède un effet rétrospectif. À cet égard,
Driedger enseigne :
« [TRADUCTION] Une loi rétroactive est une loi qui s’applique à une époque
antérieure à son adoption. Une loi rétrospective ne dispose qu’à l’égard de
l’avenir. Elle vise l’avenir, mais elle impose de nouvelles conséquences à l’égard
d’évènements passés. Une loi rétroactive agit à l’égard du passé. Une loi
rétrospective agit pour l’avenir, mais elle jette aussi un regard vers le passé en
ce sens qu’elle attache de nouvelles conséquences à l’avenir à l’égard d’un
évènement qui a eu lieu avant l’adoption de la loi. Une loi rétroactive modifie la
loi par rapport à ce qu’elle était; une loi rétroactive rend la loi différente de ce
qu’elle serait autrement à l’égard d’un évènement antérieur. »506
503 Pierre-André CÔTÉ avec la collab. de Stéphane BEAULAC et Mathieu DEVINAT, Interprétation des
lois, 4e éd. Montréal, Éditions Thémis, 2009, p. 144, 145 et 170.
504 Id., p. 126.
505 Richard TREMBLAY, Éléments de légistique. Comment rédiger les lois et les règlements, Cowansville,
[698] Le PGQ souligne, à bon droit, que l’article 2087 C.c.Q. ne possède aucune
portée constitutionnelle ou quasi constitutionnelle et qu’il ne peut servir à invalider une
loi. Il en va de même pour les instruments internationaux auxquels réfère entre autres
Amnistie tout comme l’article 46 de la Charte québécoise.
[700] Hak prétend que les obligations contenues aux articles 5 et 6 de la Loi 21
enfreignent sur l’indépendance judiciaire, tant au niveau individuel qu’institutionnel.
[703] Se réclamant de l’arrêt Valente c. La Reine508, elle soutient que dans la mesure
où ces balises comportementales appelées à devenir des balises déontologiques
existent, elles deviennent susceptibles de compromettre la garantie d’inamovibilité des
juges.
[704] Le Tribunal ne peut avaliser cette prétention. Avec égard, elle ne comporte
aucun mérite dans l’état actuel des choses, car on ne peut présumer de ce que fera le
Conseil de la magistrature. En elle-même, cette disposition législative ne viole pas la
garantie d’inamovibilité des juges de nomination provinciale.
[707] Le PGQ reconnaît que le principe de l’indépendance judiciaire fait en sorte que
le contenu des règles de conduite applicables aux juges dans le cadre du régime
déontologique applicable aux membres de magistrature relève de la compétence
exclusive du pouvoir judiciaire511, mais plaide que l’article 5 de la Loi 21 préserve
l’autonomie du Conseil de la magistrature à l’égard du contenu des règles de conduite
des juges visés.
509[1997] 3 R.C.S. 3.
510Ell c. Alberta, [2003] 1 R.C.S. 857, par. 28.
511Québec (Conseil de la magistrature) c. Québec (Commission d'accès à l'information),
2000 CanLII 11305 (QC CA).
500-17-108353-197 et Als PAGE : 155
[709] Il ne fait aucun doute que l’indépendance judiciaire, un principe applicable à tous
les tribunaux judiciaires, constitue un pilier de la démocratie en garantissant au pouvoir
judiciaire une liberté d’agir sans ingérence de la part de quelque autre entité512.
3. La laïcité de l’État exige que, dans le cadre de leur mission, les institutions […]
judiciaires respectent l’ensemble des principes énoncés à l’article 2, en fait et en
apparence.
[…]
6. Le port d’un signe religieux est interdit dans l’exercice de leurs fonctions aux
personnes énumérées à l’annexe II.
[713] Selon le Tribunal, Hak fait fausse route puisqu’à moins d’une démonstration
[714] En effet dans la mesure où l’État fournit le personnel suffisant pour permettre un
fonctionnement adéquat des tribunaux visés, rien ne permet de conclure que l’article 6,
en lui-même, comporte des effets délétères sur l’autonomie administrative de la
magistrature. À priori, cet article ne comporte aucun effet nocif quant au contrôle
judiciaire sur l’assignation des juges aux causes, les séances de la cour, le rôle de la
cour ainsi que les domaines connexes reliés à l’allocation des salles d’audiences et la
direction du personnel administratif qui exerce ces fonctions, tous des éléments
généralement considérés comme faisant partie de ce que l’on doit entendre comme une
exigence minimale de l’indépendance institutionnelle ou collective 514.
[716] Selon elle, il existerait une pratique constitutionnelle selon laquelle seule une
décision unanime de l’Assemblée nationale peut mener à ce résultat. Ces modifications
violeraient l’article 2a) de la Charte ainsi que le préambule de la Loi constitutionnelle de
1867 tout comme les articles 1, 3, 4, 10, 10.1, 11, 12, 13, 16, 17, 18, 18.1, 20, 49, 52 et
54 de la Charte québécoise et les articles 2, 18, 19, 26 et 27 du Pacte international
relatif aux droits civils et politiques515.
[717] Lauzon soutient que la Loi 21 modifie la Charte québécoise et l’article premier de
la Loi 62 afin d’y introduire le principe de laïcité, tel que définie à l’article 2 de la Loi 21
et, puisque ceci ne peut référer qu’à la laïcité des institutions, ce principe se trouve
donc en conséquence incompatible avec une interdiction de porter des signes religieux
ou avec d’autres mesures qui pourraient porter atteinte à des droits et libertés
fondamentaux garantis par la Charte d’une manière qui ne peut se justifier aux termes
de l’article premier de cette Charte.
[718] Le PGQ plaide, à raison, que l’Assemblée nationale peut modifier la Charte
québécoise, comme toute autre loi, et que la procédure législative d’exception constitue
un exercice valide du pouvoir législatif qui ne peut servir à remettre en cause la validité
constitutionnelle des lois adoptées ou modifiées de cette façon.
[721] Estimant qu’en adoptant les articles 33 et 34 de la Loi 21, le législateur recourt
aux clauses de dérogation de manière non conforme ni au droit interne ni au droit
international, les demanderesses recherchent une déclaration d’inconstitutionnalité tant
des dispositions comportant la dérogation aux chartes que de celles qui violeraient les
articles 2a), 2b), 2d) et 15 de la Charte canadienne et leurs pendants de la Charte
québécoise.
[722] La FAE prétend pouvoir démontrer que le recours aux clauses de dérogations ne
peut se justifier par de simples conditions de forme. Elle soutient que le Tribunal devrait
revoir les précédents établis il y a plus de trente ans dans les arrêts Ford c. Québec
(Procureur général)516 et Devine c. Québec (Procureur général)517, notamment à la
lumière des engagements internationaux souscrits par le Québec et le Canada depuis
lors, ainsi qu’en tenant compte des développements de la jurisprudence du Comité des
droits de l’homme de l’ONU et de la Cour suprême du Canada. Elle propose donc que,
dans le contexte actuel, des conditions de fonds devraient s’ajouter aux conditions de
formes existantes avant de donner plein effet aux dispositions de dérogation des
chartes canadienne et québécoise.
[724] La Cour suprême enseigne que l’article 33 établit des exigences de forme
seulement. Ainsi, dans Ford, on lit :
Au cours des débats, différentes opinions ont été exprimées sur la perspective
constitutionnelle à adopter pour étudier la question du sens et de l'application de
l'art. 33 de la Charte canadienne des droits et libertés. Selon un point de vue, l'art.
33 traduit l'importance que continue de revêtir la souveraineté des législatures,
[725] Lauzon soutient que le simple fait de reproduire fidèlement les mots figurants à
l’article 33(1) de la Charte, en l’occurrence par le biais de l’article 34 de la Loi 21, ne
constitue pas un blanc-seing qui permet tout et n’importe quoi. À ce sujet, elle affirme
que la Loi 21 ne remplit pas les exigences de clarté, de publicité et de respect du
[726] Pour elle, il s’agit d’une forme de novlangue qui ne saurait satisfaire aux
conditions minimales de l’article 33 de la Charte. À tout évènement, elle plaide que
l’utilisation de la clause de dérogation doit se justifier dans le cadre d’une société libre
et démocratique en vertu de l’article premier de la Charte.
[728] Quant au droit interne, le recours aux clauses de dérogation prévues aux deux
chartes illustre cette situation de façon claire. En effet, pourquoi recourir à de telles
clauses, avant même une quelconque adjudication judiciaire sur la légalité des mesures
adoptées, si à priori, on ne suppute pas déjà le caractère attentatoire et injustifiable,
selon les chartes, de ces mêmes mesures?
[729] Le fait de vouloir prétendument éviter des débats juridiques inutiles relève du
faux-semblant. Les présentes instances le démontrent aisément, non quant à l’utilité, le
Tribunal tient à le préciser, mais plutôt quant à leur existence même.
[730] L’expert Pelletier soutient que l’un des principaux dangers qui guettent le
Québec, comme toutes les autres minorités nationales à travers le monde, réside dans
l’effet uniformisateur des décisions judiciaires522. Avec égard, il fait fausse route.
519 16 décembre 1966, [1976] R.T. Can. no 47 (entrée en vigueur au Canada le 19 mai 1976), art. 2, 3, 18
et 26 par exemple.
520 16 décembre 1966, [1976] R.T. Can. no 46 (entrée en vigueur au Canada le 19 août 1976), art. 2, 3, 6
et 7c).
521 Rés. 217 A (III), Doc. Off. A.G. N.U., 3 e sess., suppl. n° 13, p.17, Doc. N.U. A/810 (1948), art. 2, 7 et
18.
522 Pièce PGQ-10 : Rapport d’expertise de Benoît Pelletier, p. 69.
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[734] Cela amène donc à voir en quoi le droit externe, ici le droit international, peut
influer ou modifier l’interprétation du droit interne. De façon directe, selon la FAE, il
s’agit de déterminer si la forme persuasive de la norme internationale doit l’emporter sur
la détermination de sa force contraignante en droit interne.
[735] Cette proposition repose sur l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté
et de l'Immigration)523 où la Cour suprême déclare que les tribunaux peuvent tenir
compte des valeurs exprimées dans le droit international des droits de la personne dans
l’approche contextuelle de l’interprétation des lois524.
[736] Le Tribunal ne possède aucune raison d’en disconvenir, d’autant plus que les
arrêts Hape525, Németh526 et Vavilov527 abondent dans le même sens.
[738] À ce sujet, la FAE reconnaît que les normes édictées par le droit international ne
lient pas les tribunaux lorsqu’ils interprètent la Charte, bien que celui-ci constitue une
source pertinente et persuasive pour ce faire528.
[741] Quant à l’utilisation des clauses de dérogation, le PGQ plaide que leur usage ne
relève d’aucun critère de fond puisqu’en pratique, si les tribunaux pouvaient en
constater l’usage pour de tels motifs, cela ferait en sorte de réintroduire indirectement
au débat les critères applicables des chartes qu’elles visent à écarter.
[742] La FAE affirme, en s’appuyant sur la doctrine529, que les tribunaux retiennent
cinq principes d’interprétations de la Charte. Il s’agit de l’interprétation :
i) Non technique;
ii) Téléologique;
528 Renvoi relatif à la Public Service Employee Relations Act (Alb.), [1987] 1 R.C.S. 313, par. 57 à 59.
Plan d’argumentation de la FAE, par. 156.
529 Henri BRUN, Guy TREMBLAY et Eugénie BROUILLET, Droit constitutionnel, 6e éd., Cowansville,
Éditions Yvon Blais, 2014, p. 999-1002.
500-17-108353-197 et Als PAGE : 162
[60] L’état actuel du droit international sur les réparations destinées aux victimes
de torture ne modifie pas la loi et ne la rend pas ambiguë. On ne saurait utiliser
le droit international pour étayer une interprétation à laquelle fait obstacle le texte
de la loi. De même, la présomption de conformité ne permet pas d’écarter
l’intention claire du législateur (voir S. Beaulac, « “Texture ouverte”, droit
international et interprétation de la Charte canadienne », dans E. Mendes et S.
Beaulac, dir., Canadian Charter of Rights and Freedoms (5e éd. 2013), p. 231-
235). De fait, la présomption voulant que la loi respecte le droit international ne
demeure que cela — une simple présomption. Or, selon la Cour, celle-ci peut
être réfutée par les termes clairs de la loi en cause (Hape, par. 53-54). En
l’espèce, la LIÉ énumère toutes les exceptions à l’immunité des États. L’ordre
juridique interne du Canada, tel qu’instauré par le Parlement, prévaut.
[749] Ici, l’application du droit tel qu’il existe à ce jour et tel que l’exprime la Cour
suprême du Canada, ne permet pas au Tribunal d’accorder une portée autre
qu’interprétative aux instruments de droit international. Or ceux-ci ne trouvent aucune
utilité en l’espèce.
[750] De tout ceci, le Tribunal conclut que l’arrêt Ford dispose de cette question et que
la règle du stare decisis s’impose. L’instance ne pose pas plus une question juridique
nouvelle à ce sujet qu’il existe à l’heure actuelle un contexte factuel qui milite en faveur
d’une nouvelle détermination de cette question. De plus, l’arrêt récent Ontario
(Procureur général) c. G.533 souligne que l’article 33 permet au législateur de soustraire
530 Rés. 217 A (III), Doc. Off. A.G. N.U., 3e sess., suppl. n° 13, p.17, Doc. N.U. A/810 (1948).
531 16 décembre 1966, [1976] R.T. Can. no 46 (entrée en vigueur au Canada le 19 août 1976).
532 Kazemi (Succession) c. République islamique d’Iran, [2014] 3 R.C.S. 176.
533 2020 CSC 38.
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temporairement une loi à l’application des droits et libertés garantis par les articles 2 et
7 à 15 de la Charte, et ce, même pour des motifs purement politiques 534.
[751] Ainsi, on voit mal comment le Tribunal devrait assujettir l’utilisation des clauses
[752] La règle du stare decisis s’applique donc. Le Tribunal doit s’en remettre aux
enseignements de la Cour suprême à ce sujet.
[753] Le Tribunal convient avec le PGQ que les parties demanderesses tentent de
contredire la Constitution écrite, en l’occurrence l’article 33 de la Charte, qui établit le
pouvoir de dérogation, pour y introduire des principes sous-jacents qui n’existent qu’à
titre interprétatif, car ceux-ci ne permettent pas de contrôler la constitutionnalité des lois,
à moins qu’il n’existe un silence à ce sujet dans la Constitution écrite.
[754] Cependant, par définition, dans une société soucieuse de respecter les droits
fondamentaux qu’elle accorde à ses membres, l’utilisation de la clause de dérogation
devrait se faire de façon parcimonieuse et circonspecte. D’aucuns peuvent penser que
l’utilisation faite dans le cas à l'étude par le législateur québécois la banalise d’autant
plus que la dérogation intervient avant tout débat judiciaire sur la validité
constitutionnelle des dispositions de la Loi 21.
[756] Avec égard, bien qu’il s’agisse là d’une prérogative du législateur, que le Tribunal
ne remet aucunement en question, le Tribunal se voit néanmoins interpellé par
l’amplitude de l’exercice et l’indifférence qu’il affiche à l’égard de certains droits et
libertés touchés.
faveur d’une utilisation plus ciblée de ce pouvoir qui, après tout, doit demeurer
exceptionnel.
[758] Ainsi, bien qu’il apparaisse logique, qu’afin que la Loi 21 produise ses effets à
[759] En effet, comment expliquer la suspension des garanties juridiques relatives aux
fouilles, perquisitions ou saisies prévues à l’article 8 de la Charte canadienne? À celles
relatives à la détention ou l’emprisonnement de l’article 9? Aux droits découlant d’une
arrestation ou d’une détention de l’article 10? À ceux relatifs aux affaires criminelles et
pénales qui englobent, entre autres, le droit à un procès dans un délai raisonnable
(11b)), la présomption d’innocence (11d)), la non-contraignabilité de l’accusé (11c)),
ainsi que celui de pouvoir retrouver sa liberté (11e))? Au droit à l’interprète (14)?
[760] Quant à la Charte québécoise, on peut faire le même exercice à l’égard du droit
au secours d’une personne dont la vie se trouve en péril (2), à celui relatif à la
jouissance paisible des biens (6), à l’inviolabilité de la demeure (7) et au respect de la
propriété privée (8). On retrouve également la même suspension à l’égard des droits
judiciaires énumérés précédemment.
[761] Mais, ce qui apparaît le plus troublant réside dans la suspension de droits qui
participent de façon fondamentale à la règle de droit, telle qu’on la conçoit de nos jours.
Par exemple, comment expliquer la suspension du droit au secret professionnel prévu à
l’article 9 de la Charte québécoise? De celui prévoyant une audition impartiale par un
tribunal indépendant que prévoient à la fois l’article 23 de la Charte québécoise et
l’article 7 de la Charte canadienne? De l’assistance à un avocat énoncé à l’article 34 de
la Charte québécoise et 10b) de la Charte canadienne? Du recours à l’habeas corpus,
prévu à l’article 10c) de la Charte canadienne et 32 de la Charte québécoise, alors que
ce droit fait partie de notre système juridique depuis la Magna Carta de 1215?
[763] Interrogé par le Tribunal quant aux raisons qui justifieraient un exercice
dérogatoire aussi large, le représentant du PGQ affirme qu’il fallait se prémunir contre
l’inventivité des personnes qui voudraient contester la Loi 21. Voilà une bien mince et
troublante explication.
[765] Le fait qu’il ne s’agit pas de la première fois que le législateur déroge à des droits
fondamentaux ne change rien à ce constat, bien au contraire. En effet, il ne fait que
renforcer l’importance pour les tribunaux, gardien de la Constitution, de souligner qu’en
semblable matière, la circonspection s’impose.
[766] D’ailleurs, l’utilisation des clauses de dérogation dans la Loi 21 rappelle l’époque
suivant l’entrée en vigueur de la Charte canadienne où le législateur, dans un geste de
nature politique tout à fait légitime, visait à souligner le fait que cette entrée en vigueur
se faisait sans l’accord formel du Québec. Ainsi toutes les lois provinciales adoptées
entre 1982535 et 1985536, indistinctement de leur objet, produisaient leurs effets
indépendamment des articles 2 et 7 à 15 de la Constitution. Cependant, à l’évidence, et
il s’agit là d’une différence fondamentale et très significative, les protections
correspondantes de la Charte québécoise demeuraient en vigueur.
[767] Avec la Loi 21, il s’agit en effet de la première législation adoptée par
l’Assemblée nationale depuis 1986 qui déroge à l’ensemble des articles susmentionnés.
Il faut noter que la Loi 21 et la Loi concernant la Loi constitutionnelle de 1982537, qui
pour nos fins ne possèdent pas d’objet, représentent les deux seules lois, présentement
en vigueur au Québec, qui prévoit une dérogation à l’égard des articles 2 et 7 à 15 de la
Charte canadienne.
[768] Cependant, de façon plus remarquable et pertinente pour notre propos, la Loi 21
constitue le premier texte législatif qui déroge simultanément aux articles 1 à 38 de la
Charte québécoise et 2 et 7 à 15 de la Charte canadienne538. Donc, on ne peut que
constater qu’en agissant ainsi le constituant suspend, à l’égard de la Loi 21, presque
l’ensemble des droits et libertés dans la province de Québec. Peu importe la
perspective que l’on entretient face à la Loi 21, il faut souligner qu’il ne s’agit pas là
d’une mince affaire, bien au contraire. Voilà pourquoi le Tribunal évoquait plus haut une
certaine banalisation et indifférence quant à la portée réelle de l’exercice de dérogation.
[771] En ces matières, alors que l’on suspend des libertés fondamentales, il semble
que le moins que l’on puisse s’attendre du législateur, lui aussi normalement gardien de
l’intérêt public, réside dans un usage le plus circonscrit possible de ce pouvoir
d’exception. Pour faire image, le Tribunal considère qu’en semblable matière le « sur
mesure » l’emporte assurément sur le « prêt-à-porter ».
[772] L’historique législatif révèle qu’un tel exercice semble entièrement possible, et
ce, même en matière de relation entre la liberté de religion et l’éducation. À titre
d’illustration, le législateur choisit de déroger aux articles 3 et 10 de la Charte
québécoise et 2a) et 15 de la Charte canadienne afin de préciser qu’accorder des droits
et privilèges à une confession religieuse, dans le contexte de l’instruction publique, ne
constitue pas une atteinte à la liberté de religion ou au droit à l’égalité 539. Certes, ici la
Loi 21, en substance, retire plutôt qu’elle n’accorde des droits, mais, en tout respect,
cela devrait d’autant plus inciter le législateur à faire preuve de circonspection.
539 Adoptée entre 1982 et 1985, la Loi sur l’enseignement primaire et secondaire public, L.Q. 1984, c. 39,
art. 80 et 654 déroge aux articles 3 et 10 de la Charte québécoise et 2 et 7 à 15 de la Charte
canadienne. Adoptées après 1985, les lois suivantes dérogent aux articles 3 et 10 de la Charte
québécoise et 2a) et 15 de la Charte canadienne : Loi modifiant de nouveau la Loi sur l’instruction
publique et la Loi sur le Conseil supérieur de l’éducation et modifiant la Loi sur le ministère de
l’Éducation, L.Q. 1986, c. 101, art. 10-12; Loi sur l’instruction publique, L.Q., 1988, c. 84, art. 571 et
572; Loi sur les élections scolaires, L.Q. 1989, c. 36, art. 283 et 284; Loi sur l’enseignement privé,
L.Q. 1992, c. 68, art. 175 et 176; Loi concernant certaines dispositions dérogatoires des lois relatives
à l’éducation, L.Q. 1994, c. 11, art. 1; Loi concernant certaines dispositions dérogatoires dans les lois
relatives à l’éducation, L.Q. 1999, c. 28, art. 1; Loi modifiant diverses dispositions législatives dans le
secteur de l’éducation concernant la confessionnalité, L.Q. 2000, c. 24, art. 67 et 68; Loi modifiant
diverses dispositions législatives de nature confessionnelle dans le domaine de l’éducation, L.Q. 2005,
c. 20, art. 16 et 17.
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[773] À tout évènement, cela ne change pas la conclusion du Tribunal quant à la façon
dont le législateur peut invoquer les clauses de dérogation, entre autres au regard de la
règle du stare decisis. Mais en l’absence de ces précédents le liant, il demeure possible
que cette conclusion pourrait se voir moduler par la façon avec laquelle le législateur
[774] En effet, encore une fois sans remettre en question le droit d’utiliser la clause de
dérogation, on peut penser qu’un usage abusif de celui-ci pourrait se voir limité à sa
portée la plus congrue, car, comme le plaide lui-même le PGQ, aucun droit n’existe et
ne s’exerce de façon absolue.
[775] Certains pourraient rétorquer que le législateur jouit du pouvoir absolu de rédiger
et d’adopter les lois. Cela demeure vrai. Mais dans la mesure où seul le recours à l’urne
constitue le remède approprié à l’égard de l’exercice de ce pouvoir, il convient que la
société civile connaisse, d’une part, la façon dont ce pouvoir s’exerce et, d’autre part,
les conséquences qu’entraîne un tel exercice, et ce, a fortiori, lorsque l’on traite de
droits et libertés fondamentaux.
dialogue entre les tribunaux et les législateurs. Pour l’instant, à ce niveau, elle relève de
lege ferenda.
[781] Malgré l’obstacle érigé par l’utilisation des clauses de dérogation, les
demanderesses plaident la violation de leurs droits visés par ces clauses, notamment
de la liberté de conscience et de religion.
[783] Le PGQ plaide que l’utilisation des clauses de dérogation empêche le Tribunal
d’appliquer les articles 2 de la Charte canadienne et 3 de la Charte québécoise et qu’il
ne peut donc exister une atteinte aux libertés fondamentales sur lesquelles le Tribunal
doit adjuger.
[784] Pour les motifs qui précèdent, à l’évidence les demanderesses ne peuvent
réussir puisque l’utilisation de l’article 33 stérilise le recours aux dispositions pertinentes
de la Charte.
[785] La FAE cherche à obtenir un jugement déclaratoire voulant que les dispositions
de la Loi 21 portent atteinte aux articles 2 et 15 de la Charte canadienne et aux articles
3 et 10 de la Charte québécoise malgré le recours aux clauses dérogatoires par le
législateur. Selon elle, cette demande et le jugement qui en résulterait permettraient
d’attirer l’attention des membres de l’Assemblée nationale et de la population
québécoises sur la nature des droits et libertés violés afin que ceux-ci puissent réagir
en conséquence par voie du processus démocratique à la fin du délai de cinq ans prévu
à l’article 33(3) de la Charte canadienne.
(2) La loi ou la disposition qui fait l’objet d’une déclaration conforme au présent
article et en vigueur a l’effet qu’elle aurait sauf la disposition en cause de la
charte.
(3) La déclaration visée au paragraphe (1) cesse d’avoir effet à la date qui y est
précisée ou, au plus tard, cinq ans après son entrée en vigueur.
[787] Lauzon invite le Tribunal à déclarer que la Loi 21 porte atteinte à la liberté de
conscience et de religion, à la liberté d’expression et au droit à l’égalité garantis par les
chartes canadienne et québécoise d’une façon qui ne se justifie pas dans le cadre
d’une société libre et démocratique parce que l’utilisation des clauses dérogatoires
permet uniquement qu’on ne donne pas effet à une loi qui porte atteinte à un droit
protégé. Selon elle, le libellé des articles 33 de la Charte et 52 de la Charte québécoise,
tout comme la compétence inhérente des Cours supérieures et leurs devoirs
d’interpréter les lois, y compris celles qui font l’objet d’une clause de dérogation, ainsi
que l’article 24(1) de la Charte autorisent le Tribunal à accorder le jugement déclaratoire
recherché.
[788] Elle argue que ces déclarations constituent une intervention judiciaire nécessaire
dans les circonstances exceptionnelles qui sous-tendent la contestation judiciaire.
D’une part, elle postule que celles-ci serviraient à informer le débat public, ce qui
s’avèrera nécessaire dans l’éventualité où l’Assemblée nationale devrait débattre de
l’opportunité de renouveler l’utilisation de la clause de dérogation et, d’autre part, ces
déclarations prendraient effet sans délai dans l’éventualité d’un non-renouvellement de
l’application des clauses de dérogation. Finalement, à ce sujet, elle ajoute que ces
déclarations d’inconstitutionnalité informeraient l’analyse du Tribunal quant au bien-
fondé de la demande pour dommages-intérêts réclamés par les demanderesses.
[789] Pour le PGQ, comme le jugement déclaratoire repose sur une contestation d’une
violation des articles 2 et 15 de la Charte et que l’utilisation de la clause de dérogation
500-17-108353-197 et Als PAGE : 170
[791] Elle énonce que l’article 24(1) de la Charte peut assurément servir d’assise au
prononcé d’un jugement déclaratoire543. Ainsi, à l’évidence, dans la mesure où le
Tribunal reconnaît la violation de droits constitutionnels, normalement, il doit pouvoir
accorder une réparation544.
[792] La Cour d’appel affirme que les tribunaux peuvent rendre des jugements
déclaratoires sans cause d’action et peu importe si une mesure de redressement
consécutive peut suivre545. Cependant, il importe de souligner qu’en ce faisant, la Cour
d’appel rappelle le caractère discrétionnaire d’un tel remède546.
[793] Bien qu’il ne faille pas appliquer une démarche procédurière rigide 547, le Tribunal
ne donnera pas suite à la demande de jugement déclaratoire notamment parce que,
d’une part, contrairement à l’affaire El-Alloul, il existe bel et bien un débat de nature
constitutionnelle entre les parties en l’instance.
[794] D’autre part, avec l’utilisation des clauses de dérogation, le législateur place le
débat constitutionnel dans un contexte bien particulier. Le Tribunal ne se retrouve pas
dans une impasse procédurale comme dans El-Alloul. De plus, dans cette affaire, le
contexte factuel militait fortement pour l’émission d’un remède, alors qu’ici, à charge de
redite, l’utilisation des clauses de dérogation enlève toute effectivité réelle à cet égard.
doit éviter d’utiliser le pouvoir discrétionnaire qu’il possède en la matière pour émettre
ce qui s’apparente, à plusieurs égards, à une opinion judiciaire qui porte sur une
question purement théorique reposant de plus sur des considérations hypothétiques. En
effet, le substrat factuel repose sur la prémisse voulant que le législateur pourrait
[796] Le Tribunal exerce sa discrétion judiciaire pour ne pas donner suite à une telle
demande.
[797] Premièrement, parce que la question posée s’avère théorique puisqu’elle vise à
contourner le contexte factuel existant à ce jour pour en suggérer un, hypothétique, qui
repose sur l’absence de l’utilisation des clauses de dérogation par le législateur.
[798] Deuxièmement, et de façon plus importante, parce que bien qu’en apparence, il
faut donner un sens aux mots utilisés à l’article 33 qui ne parle que de l’effet de
l’utilisation de la clause de dérogation, ce qui n’exclurait pas une demande de jugement
déclaratoire, il n’en demeure pas moins que de faire un tel débat constitue une façon
indirecte de faire quelque chose que l’on ne peut faire directement.
[799] Avec égard, bien que les droits et libertés constituent un sujet de la plus haute
importance, il faut éviter d’hypothéquer un système judiciaire déjà suffisamment occupé
avec des recours qui ne débouchent pas sur un résultat concret.
[801] Pour Lauzon, la Loi 21, tant par ses objets que ses effets, mine le droit
constitutionnel des femmes à la liberté de religion et d’expression et la garantie contre
la discrimination de manière disproportionnée par rapport aux hommes, ce qui violerait
l’article 28 de la Charte qui prévoit :
[803] De plus, il ne fait aucun doute que le principe d’interdiction du port d’un signe
religieux découle du port de celui-ci par les femmes de confession musulmane. D’une
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part, avant la présence plus marquée de cette pratique dans l’espace public, on ne
retrouve aucune préoccupation tangible à ce sujet dans le discours social. D’autre part,
le port de signes religieux par les femmes musulmanes constitue une des causes de
l’adoption de la Loi 21 notamment parce que certains les qualifient de symbole de
[804] À cet égard, d’ailleurs la focalisation de PDF et MLQ sur cet aspect de la
question démontre bien à quel point on peut voir dans la Loi 21 une volonté de faire
disparaître cette réalité, alors qu’on ne traite pas du port d’une croix, de la kippa ou
d’une médaille religieuse par exemple. De plus, le port de la barbe par les musulmans
ou les sikhs ne semble pas comporter la même signification pour les défenseurs de la
Loi 21, alors que nul ne peut ignorer qu’il s’agit là pour les hommes de ces convictions
religieuses, d’une orthopraxie révélant une forte religiosité.
[807] Le Tribunal souligne que la preuve révèle indubitablement que les effets de la
Loi 21 se répercuteront de façon négative sur les femmes musulmanes d’abord et avant
tout. D’une part, en violant leur liberté de religion et d’autre part, en faisant de même à
l’égard de leur liberté d’expression puisque la tenue vestimentaire constitue à la fois
une expression pure et simple, mais elle peut également constituer la manifestation
d’une croyance religieuse.
[808] La FAE plaide que comme l’égalité des deux sexes prévue à l’article 28 de la
Charte ne peut faire l’objet d’une dérogation, il en découle que lorsqu’un gouvernement
adopte une loi qui permet la violation des droits garantis, il ne peut le faire si des
personnes s’en trouvent disproportionnellement touchées en raison de leur sexe, tel
qu’en l’espèce.
[809] Dans cette perspective, il en découle que les articles 4, 6, 12, 13, 14 et le
paragraphe 10 de l’annexe II constituent une violation flagrante de la liberté de
conscience et de religion protégée par les chartes. L’application de ces articles se
[811] Comme les déclarations sous serment montrent clairement que l’application de
l’article 6 par les commissions scolaires à travers la province se fait quasi
exclusivement à l’égard des femmes musulmanes qui portent le hijab, Hak plaide que
l’impact réel de l’article 6 de la Loi 21 entraîne la négation de leur droit de pratiquer leur
religion, alors que cela n’entraîne pas les mêmes conséquences pour la très grande
majorité de la population.
[812] Quant à l’article 8, il vise selon elle uniquement les femmes musulmanes qui
portent le niqab, ce qui à l’évidence viole le droit à l’égalité de ces personnes prévu aux
articles 28 et 50.1 des Chartes canadienne et québécoise.
[814] EMSB plaide que le Tribunal doit donner une interprétation généreuse à l’article
28 de la Charte afin de lui donner une portée effective et non une simple valeur
interprétative. Ainsi, comme il prévoit le traitement égal entre les hommes et les
femmes et que la clause de dérogation ne s’applique pas à son égard, il s’ensuivrait
que la Loi 21 ne peut survivre pour ce simple motif.
[815] Comme la Cour suprême énonce que l’on doit donner une interprétation large et
libérale aux dispositions de la Charte tout en tenant compte du contexte historique et
500-17-108353-197 et Als PAGE : 174
philosophique de son adoption552, et ce, en distinguant les termes utilisés dans les
articles 25, 27 et 29 de la Charte, qui selon la EMSB traitent de la façon dont on doit
interpréter la Charte dans les cas des deux premiers articles et du fait que l’article 29
contient en réalité une prohibition, elle postule que l’article 28, contrairement aux autres
[816] Elle s’appuie sur la décision Syndicat de la fonction publique du Québec inc. c.
Québec (Procureur général)553 qui affirme que l’article 28 accorde une protection
particulière contre la discrimination entre les sexes et qu’elle vise à renforcer l’égalité
des genres554.
[820] Exprimés autrement, cela veut dire que dans la mesure où le législateur retire de
la protection constitutionnelle certains droits ou libertés en utilisant la clause de
dérogation de l’article 33, il ne subsiste plus de substrat de droit ou de liberté sur lequel
l’article 28 puisse ensuite s’appliquer pour garantir cette égalité entre les hommes et les
femmes.
552 R. c. Big M Drug Mart Ltd, [1985] 1 R.C.S. 295, p. 344; Andrews c. Law Society of British Colombia,
[1989] 1 R.C.S. 143.
553 2004 CanLII 76338 (QC SC).
554 Id. par. 927 et 1432.
555 Plan d’argumentation de EMSB, par. 40.
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du droit à l’égalité fondé sur le sexe aux termes de l’article 15, alors que la Loi 21 y
déroge spécifiquement.
[822] Son raisonnement s’appuie, par analogie, sur l’arrêt R. c. Cornell556 alors que la
[824] Le PGQ plaide, avec raison, que les mots « indépendamment des autres
dispositions de la présente charte » ne signifient pas qu’aucune disposition de la Charte
ne peut restreindre l’application de l’article 28. À titre d’exemple on ne saurait prétendre
que l’article 28 s’applique au rapport de droits privés, parce qu’il jouirait d’une
autonomie propre, alors que l’article 32(1) de la Charte énonce clairement qu’elle
s’applique au Parlement fédéral et aux législatures des provinces.
[826] Le MLQ plaide, entre autres, que puisque l’article 28 se situe dans la section de
la Charte canadienne intitulée « Dispositions générales », mais non dans celle intitulée
« Droits à l’égalité », cela confirme que cet article constitue une disposition
interprétative et non un droit autonome que l’on peut invoquer seul, sans le combiner
avec un autre droit applicable prévu à la Charte559.
[827] EMSB conteste cette position en se basant particulièrement sur les énoncés du
juge Bastarache dans R. c. Kapp560, notamment au paragraphe 88, qui énonce :
[88] Quoi qu’il en soit, j’estime, comme Wildsmith, que la différence dans le
libellé n’est pas décisive. Premièrement, l’art. 25 est très différent de l’art. 27, la
seule disposition générale de la Charte à porter clairement la marque d’une
simple disposition interprétative. Deuxièmement, il établit une primauté, ce qui
ne cadre pas avec l’idée d’une pondération des deux droits. Notre Cour a
examiné une disposition analogue de la Déclaration canadienne des droits,
L.R.C. 1985, app. III, art. 2, ainsi rédigée : « Toute loi du Canada [. . .] doit
s’interpréter et s’appliquer de manière à ne pas supprimer, restreindre ou
enfreindre l’un quelconque des droits ou des libertés reconnus et déclarés aux
présentes . . . ». Dans R. c. Drybones, 1969 CanLII 1 (CSC), [1970] R.C.S. 282,
le juge Ritchie a dit qu’il faut donner aux mots en cause un sens plus réaliste,
c’est-à-dire que si une loi ne peut être « raisonnablement interprétée et
appliquée » (p. 294) sans enfreindre le droit, elle doit être déclarée inopérante.
Ce principe a été réaffirmé dans Procureur général du Canada c. Lavell, 1973
[828] Cependant, il faut noter que ses huit autres collègues affirment ceci :
[829] Si on porte l’analyse sur l’article 29 de la Charte qui se trouve dans le même
chapitre et qui énonce :
29. Les dispositions de la présente charte ne portent pas atteinte aux droits ou
privilèges garantis en vertu de la Constitution du Canada concernant les écoles
séparées et autres écoles confessionnelles.
On note que dans Renvoi relatif au projet de Loi 30, An Act to Amend the Education Act
(Ont.)563, la Cour suprême conclut :
62. Toutefois, cela ne signifie pas que ces droits ou privilèges peuvent être
contestés en vertu de l'al. 2a) et de l'art. 15 de la Charte. J'ai indiqué que les
droits ou privilèges garantis par le par. 93(1) ne peuvent faire l'objet d'un examen
en vertu de l'art. 29 de la Charte. J'estime que cela est clair. Ce qui est moins
clair, c'est la question de savoir si l'art. 29 de la Charte était nécessaire pour
atteindre ce résultat. J'estime que la réponse est non. Je crois qu'on l'a placé là
simplement pour souligner que la Charte ne porte pas atteinte au traitement
63. En d'autres termes, l'art. 29 est là pour protéger contre tout examen en vertu
de la Charte les droits ou privilèges qui autrement, n'était-ce de cet article,
pourraient faire l'objet d'un tel examen. […]
[830] Pour EMSB, cela fait en sorte que l’article 29 constitue une disposition qui
possède plus qu’une simple portée interprétative puisqu’elle recèle une vertu
particulière. Pour le Tribunal cet argument possède un certain poids.
[831] Tout comme celui qui traite plus spécifiquement du texte même de l’article 28 de
la Charte. Pour fins de commodité, en voici le texte dans les deux langues officielles :
28. Notwithstanding anything in this Charter, the rights and freedoms referred to
in it are guaranteed equally to male and female persons.
[832] Les termes de l’article 28 peuvent certainement servir d’indice quant à sa portée.
À l’évidence, « garantir » un droit entraîne des conséquences. Ainsi, le texte de
l’article 1 utilise le même vocable pour enchaîner ensuite avec une énonciation d’un
processus juridique qui permet spécifiquement d’anéantir ou de limiter cette garantie,
alors que l’article 28 précise que cette garantie s’applique « indépendamment des
autres dispositions de la présente charte ».
[833] Il s’agit là d’une utilisation d’un langage particulièrement affirmatif. Cette Cour le
reconnaît dans l’affaire Syndicat de la fonction publique du Québec inc. c. Québec
(Procureur général)564. Il s’agit là d’un précédent qui met en jeu le stare decisis
horizontal. Le Tribunal ne possède aucune raison de ne pas suivre le raisonnement
d’autant plus que la preuve en l’instance concorde avec celle faite dans cette affaire.
[834] Bien que fastidieux, l’énumération des passages pertinents de cette décision à
ce sujet permet de comprendre les raisons qui entraîne la conclusion du Tribunal à
l’égard de la portée de l’article 28 :
[1409] Elles ont obtenu la protection accordée par l’article 15. Toutefois elles
s’inquiétaient de la portée de l’article 1 interprété comme restreignant les droits
protégés par la Charte canadienne566 :
[1412] Cette garantie n’a pas été incorporée à l’article 1. Elle est apparue sous
la forme de l’article 28, le 21 avril 1981. Il vise à assurer l’égalité des personnes
des deux sexes indépendamment des autres dispositions de la Charte
canadienne.
565 Gwen BRODSKY et Shelagh DAY, La Charte canadienne et les droits des femmes: progrès ou recul?,
Ottawa, Conseil consultatif canadien sur la situation de la femme, 1989.
566 Id., p. 16 et 17.
567 Gwen BRODSKY et Shelagh DAY, op. cit., note 565, p. 16.
568 Id. p. 17; Peter W. HOGG, Constitutional Law of Canada, vol. 2, éd. feuilles mobiles, Toronto,
Carswell, 1997, p. 52-54; John B. LASKIN et al., The Canadian Charter of Rights Annotated, vol. 6,
Aurora, Canada Law Book, 1982 (mise à jour décembre 1998), par. 33:10000.
500-17-108353-197 et Als PAGE : 179
[1416] De façon générale, les auteurs abondent dans le sens d’une primauté
accordée à la protection de l’égalité des sexes par l’article 28. Ainsi, bien que le
principe d’égalité prévu à l’article 15 puisse être écarté par le législateur en vertu
de l’article 33, aucune loi ne pourrait opérer, même expressément, une
distinction fondée sur le sexe sous peine d’invalidité.
(nos soulignements)
569 John B. LASKIN et al., id.; William F. PENTNEY, «Les principes généraux d'interprétation de la
Charte» dans Gérald A. BEAUDOIN et Edward RATUSHNY, (dir.), Charte canadienne des droits et
libertés, 2e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 1989, p. 26 à la page 59.
570 André TREMBLAY, «Le principe d'égalité et les clauses anti-discriminatoires», (1984) 18 R.J.T. 329,
341.
500-17-108353-197 et Als PAGE : 180
«Cet article 28 fait en sorte que l'article 33, qui s'applique à l'article
15, ne peut, selon nous, s'appliquer au principe d'égalité des deux
sexes; aucun législateur ne peut, en recourant à la clause
«nonobstant», édicter une mesure violant l'égalité entre hommes
et femmes.» 573
(nos soulignements)
«Il en résulterait, pour l'égalité des sexes édictée par l'article 15,
un statut plus élevé que celui qui est accordé aux autres motifs de
discrimination et cela permettrait sans doute à l'article 28
d'atteindre son but, en rendant plus significative et plus effective
l'égalité garantie par l'article 15. Selon nous, c'est le rôle minimum
qui puisse être attribué à l'article 28. S'il n'a pas au moins pour
effet d'assurer la protection la plus forte possible à l'égalité des
sexes en vertu de l'article 15, il constituera une disposition
superflue et son insertion dans la Charte aura été une cruelle
imposture.»574
(nos soulignements)
[1422] Ainsi selon les auteurs, en raison du contexte historique de son adoption
et des objectifs visés, l’article 28 protégerait de façon particulière le droit à
571 Gérald A. BEAUDOIN, «Étude des différents secteurs de la Charte» dans Service de la formation
permanente, Barreau du Québec, La Charte canadienne des droits et libertés, Cowansville, Éditions
Yvon Blais, 1982-83, p. 72.
572 John B. LASKIN et al., op. cit., note 568, p. 672.
573 Gérald A. BEAUDOIN, Les droits et libertés au Canada, Montréal, Wilson & Lafleur, 2000, p. 715.
574 William F. PENTNEY, loc. cit., note 569, 58.
500-17-108353-197 et Als PAGE : 181
1ère inst.).
500-17-108353-197 et Als PAGE : 182
580 Shewchuk c. Ricard, (1986) 28 D.L.R. (4th) 429 (B.C.C.A.), autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée
(1987) 28 C.R.R. 192; Blainey c. Ontario Hockey Association, (1985) 21 D.L.R. (4th) 599 (Ont. H.C.J.).
581 André TREMBLAY, loc. cit., note 570; Gérald A. BEAUDOIN, op. cit., 573; Katherine J. DeJONG,
«Sexual Equality: Interpreting Section 28» dans Anne F. BAYEFSKY et Mary EBERTS, Equality
Rights and the Canadian Charter of Rights and Freedom, Toronto, Carswell, 1985, 493, 525; William.
BLACK et Lynn. SMITH, «Les droits à l'égalité» dans Gérald A. BEAUDOIN et Edward RATUSHNY,
(dir.), Charte canadienne des droits et libertés, 2e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 1989, p. 621, à la
page 668; Gil RÉMILLARD, «Les règles d'interprétation relatives à la Charte canadienne des droits et
libertés et à la Charte des droits et libertés de la personne du Québec» dans Institut canadien d'études
juridiques supérieures, Perspectives canadiennes et européennes des droits de la personne, Actes
des Journées strasbourgeoises, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1984, p. 205, 227; voir au même
effet Marc GOLD, «A Principled approach to Equality Rights: A Preliminary Inquiry» (1982) 4 Supreme
Court L.R. 131, 152.
582 Henri BRUN et Guy TREMBLAY, Droit constitutionnel, 4e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2002,
p. 934 et 935.
500-17-108353-197 et Als PAGE : 183
(nos soulignements)
[1429] Cela dit, l’opinion dominante est favorable à la primauté de l'article 28 sur
l’article 33.
(Les caractères gras et italiques, ainsi que le souligné se trouvent dans l’original.
Les références, intégrées au présent jugement, comportent des numéros de
notes infrapaginales différents dans l’original).
583 Syndicat de la fonction publique du Québec inc. c. Québec (Procureur général), 2004 CanLII 76338
(QC CS), par. 1408 à 1434.
500-17-108353-197 et Als PAGE : 184
[835] De tout cela, le Tribunal doit cependant constater que l’affaire SFPQ ne conclut
pas, spécifiquement, au caractère autonome de l’article 28 de la Charte, mais plutôt
qu’il énonce que cet article renforce la garantie de l’égalité entre les sexes et marque
l’interprétation de l’article 15 tel que cité auparavant. Ainsi, dans son analyse d’une
[836] Pour le Tribunal, le langage utilisé par le législateur : « les droits et libertés qui y
sont mentionnés / the rights and freedoms referred to in it » ne permet pas d’affirmer
qu’il crée, de facto, de façon générale et indépendante un droit à un traitement égal
entre les sexes.
[837] À ce sujet une courte digression s’impose, car il convient de traiter de l’énoncé
suivant que l’on retrouve à l’arrêt Commission scolaire St-Jean-sur-Richelieu c.
Commission des droits de la personne585 :
[838] Avec égard, le Tribunal ne peut y voir là une affirmation claire voulant que
l’article 28 de la Charte, s’il s’agit bien de la disposition à laquelle la Cour d’appel
semble référer sans la mentionner explicitement, constitue un principe substantif et non
interprétatif. D’une part, le texte de l’article 28 réfère aux « droits et libertés qui y sont
mentionnés » et, d’autre part, elle ne discute pas de la nature et de sa portée, ce qui
module substantiellement la portée de cet énoncé.
[841] L’arrêt Hak590, prononcé dans le cadre d’un appel portant sur l’opportunité de
surseoir à l’effet de la Loi 21, demeure, avec égard, une décision qui doit s’interpréter
en fonction de ce cadre de référence. Ainsi, en gardant à l’esprit qu’il décide
uniquement que l’interaction entre les articles 1, 28 et 33 de la Charte canadienne
constitue une question sérieuse à juger, une seule juge opinant que l’interdiction
contenue à l’article 6 de la Loi 21 entraîne, selon la preuve fournie alors, une
discrimination basée sur le sexe qui pourrait apparaître contraire à l’article 28, ce qui
militait en faveur du sursis de l’application de cet article de la Loi 21591 selon elle.
[842] En tout respect, le Tribunal en conclut qu’il s’agit là d’un arrêt avec une portée
contraignante limitée.
[64] The plaintiffs assert that this section “buttresses” s. 15 of the Charter and
also that the Indian Act contravenes this section. I am unable accept either
argument. Section 28 is a provision dealing with the interpretation of the Charter.
It does not, by itself, purport to confer any rights, and therefore cannot be
“contravened”. Further, the equality rights set out in s. 15 explicitly encompass
discrimination on the basis of sex; they are incapable of being interpreted in any
manner which would be contrary to s. 28. In my opinion, s. 28 of the Charter is of
no particular importance to this case.
[844] Avec égard, l’étude de cette question dans cet arrêt repose sur ce seul énoncé.
Évidemment cela peut suffire pour emporter l’adhésion, mais cela apparaît un peu court
en termes d’analyse historique de l’existence de cette disposition, bien que cela puisse
s’expliquer par l’application à l’espèce de l’article 15 de la Charte.
[845] Ainsi, quant à l’arrêt McIvor, le Tribunal se doit de conclure qu’il ne comporte
qu’un énoncé de principe, sans que celui-ci ne dévoile les raisons qui militent en faveur
d’une telle détermination. On n’y retrouve aucune analyse du contexte historique de
[846] Le MLQ affirme que la Cour suprême indique dans de nombreux jugements le
caractère non autonome de l’article 28 et que celui-ci doit se combiner à un autre article
de la Charte pour posséder un quelconque effet. Cependant, le passage pertinent de
l’arrêt R. c. Osolin593 dont il se réclame ne l’affirme pas, se contentant de citer les
articles 15 et 28 de la Charte dans une même phrase qui traite de la garantie à l’égalité
des hommes et des femmes. Les références aux arrêts R. c. Shearing594, Symes c.
Canada595, Assoc. des femmes autochtones du Canada c. Canada596, R. c. Hess; R. c.
Nguyen597 qu’il soumet ne supportent aucunement sa prétention. Quant à l’arrêt R. c.
Seaboyer; R. c. Gayme598, il s’agit, d’une part, de la citation d’un passage d’une opinion
dissidente et, d’autre part, le fait d’affirmer que l’article 28 de la Charte constitue un
appui additionnel en faveur d’une analyse plus large des droits invoqués dans cette
affaire, en l’occurrence ceux découlant des articles 7 et 11d), ne permet pas de
conclure tel que le propose le MLQ.
[847] Pas plus d’ailleurs que son interprétation de l’utilisation du singulier dans le
passage suivant de l’arrêt R. c. Darrach599 où la Cour suprême énonce qu’« en
imposant » des limites raisonnables au contre-interrogatoire de la plaignante, il y a lieu
de tenir compte du droit à l’égalité que garantissent à cette dernière les articles 15 et 28
de la Charte. En effet doit-on comprendre qu’il fallait référer aux droits à l’égalité si l’on
voulait pouvoir conclure à deux protections distinctes?
[848] Le Tribunal ne le croit pas. En tout respect, l’argument du MLQ à cet égard
relève d’un exercice d’interprétation déraisonnable et dénature le sens commun des
mots employés. Le fait que deux articles d’une loi traitent d’un même sujet ne permet
aucunement de conclure que parce qu’on réfère à ceux-ci en utilisant le singulier, il
s’ensuit logiquement que l’un d’eux, en l’occurrence l’article 28, ne constitue pas un
droit ou une garantie autonome600.
[849] Au niveau des principes interprétatifs, il ne fait aucun doute que l’utilisation par le
constituant d’un certain vocable, plutôt qu’un autre, peut entraîner des conséquences.
Également le fait de retrouver certaines dispositions dans une section particulière d’un
acte législatif peut entraîner des conclusions en fonction de cet élément.
[851] Cependant, l’article 27 qui le précède indique expressément qu’il s’agit d’une
clause qui vise l’interprétation de la Charte alors que l’article 28 parle de garantie des
droits et libertés égale aux personnes des deux sexes. On peut vraisemblablement en
conclure que l’affirmation d’une garantie emporte plus que celle traitant d’une
interprétation.
[852] À l’évidence, on peut soutenir que si le législateur voulait donner une portée
purement interprétative à l’article 28, il pouvait le faire. Ainsi, dans le cadre de son
analyse, le Tribunal doit aussi assurément accorder une valeur interprétative au
contexte de l’historique législatif qui mène à l’inclusion de l’article 28, avec son libellé
actuel, dans la Constitution.
601 Pièce P-5, dossier Lauzon : Extrait des débats de la Chambre des communes du 20 novembre 1981,
p. 12992-12993.
602 2012 CAF 159.
603 Id., par. 33.
500-17-108353-197 et Als PAGE : 188
n’existe pas une discrimination plus sévère de par l’existence d’une surimposition de
plus d’une caractéristique discriminatoire604.
[857] Par exemple, le fait qu’une femme pratique une religion particulière peut
[858] Ainsi, Lauzon en tire l’argument que l’article 28 de la Charte vise justement à
s’assurer que les femmes ne subiront pas de façon disproportionnée les effets de la
violation de leurs autres droits garantis par la Charte. Pour elle, l’utilisation de la clause
de dérogation empêche, par exemple, les femmes musulmanes de jouir en toute égalité
des protections conférées par les articles 2 et 15 de la Charte, ce qui entraîne une
violation de l’article 28.
[860] Bien que le Tribunal reconnaisse qu’il faille analyser le sens d’un droit ou d’une
liberté garanti.e par la Charte au moyen d’une analyse de son objet, pour que les
personnes puissent bénéficier pleinement de la protection accordée par la Charte605, il
ne s’ensuit pas nécessairement qu’il doit faire abstraction du texte clair de l’article 28 de
la Charte.
604 Voir Radek v. Henderson Development (Canada) and Securiguard Services (No. 3),
2005 BCHRT 302, par. 464-465; Brewers’ Distributor Ltd c. Kenworthy, 2015 BCSC 1670, par. 19.
605 Hunter et autres c. Santham inc., [1984] 2 R.C.S. 145; R. c. Big M Drug Mart Ltd, [1985] 1 R.C.S. 295,
p. 344; Renvoi sur la Motor Vehicle Act (C.-B.), [1985] 2 R.C.S. 486, p. 499-500.
606 Renvoi sur la Motor Vehicle Act (C.-B.), [1985] 2 R.C.S. 486, p. 500.
500-17-108353-197 et Als PAGE : 189
[863] Voilà pourquoi, ce faisant, la Cour suprême conclut que les articles 8 à 14 de la
Charte qui en découlent ne pouvaient offrir un contenu plus considérable que le concept
général énoncé à l’article introductif de la section titrée « Garanties juridiques », en
l’occurrence l’article 7 de la Charte607.
[864] Or, l’utilisation des mots « les droits et libertés qui y sont mentionnés » vient
assurément en limiter la portée, sinon ces mots ne possèderaient aucun sens logique.
[868] À titre comparatif, l’article 7 de la Charte ne comporte pas une telle balise dans
son énoncé du droit à la vie, la liberté et la sécurité de la personne. Ainsi, en l’espèce,
contrairement à ce que requérait l’analyse de l’article 7 de la Charte, qui ne contenait
pas de limite intrinsèque dans sa formulation même, l’analyse de l’article 28 doit d’abord
et avant tout s’appuyer sur une étude des mots qui le composent.
[869] Voilà pourquoi, il apparaît logique de conclure que le texte même de l’article 28
en définit la portée et qu’il limite son application aux autres droits et libertés mentionnés
à la Charte. Conclure autrement ferait en sorte que tous les droits et toutes les libertés,
connus dans notre système de droit, qui ne se trouvent pas énoncés à la Charte, on
peut penser à certains droits économiques ou sociaux par exemple, se verraient
garantis également aux personnes des deux sexes.
[870] Or, bien que ce résultat puisse paraître aller de soi, une application aveugle
d’une telle détermination mènerait à un affaiblissement de la reconnaissance de
l’égalité des femmes dans notre société, car plusieurs programmes mis en place par les
différents législateurs visent à pallier des carences systémiques dans cette même
reconnaissance de l’égalité des femmes.
[872] Cependant, il apparaît évident que la mécanique juridique que prévoit l’article 15
constitue une disposition d’exception permettant justement de prendre en considération
tous les facteurs entourant la discrimination basée sur le sexe afin de permettre
d’améliorer le sort des femmes, alors qu’une application « mécanique » ou rigide d’une
égalité homme-femme formelle ne permettrait pas d’atteindre ce but.
[873] Par conséquent, le Tribunal ne peut conclure que l’article 28 constitue une
disposition possédant une autonomie propre permettant d’invalider des dispositions
législatives.
[874] Donc, en utilisant l’article 33 de manière très large, le législateur fait en sorte qu’il
n’existe juridiquement plus de droits et libertés qui se trouvent visés par l’article 28 de la
Charte.
[876] Dit autrement, même en tenant pour acquis que la Loi 21 comporte des effets qui
empêchent les femmes, et surtout les femmes musulmanes, ce que le dossier permet
de conclure selon la prépondérance de la preuve, dans le domaine de l’enseignement
uniquement, d’exercer leur liberté de religion et viole l’article 15 de la Charte, l’usage de
la clause de dérogation empêche tout recours à l’article 28 pour contourner les effets de
son application contenu aux paragraphes 33 et 34 de la Loi 21.
[878] Il s’agit d’une lapalissade d’affirmer qu’il n’existe aucun droit absolu, tant en
matière de liberté de religion608, qu’en matière d’égalité des sexes, puisque le
législateur prévoit justement à l’article 15(2) de la Charte la possibilité d’implanter des
programmes de discrimination positive en faveur des femmes.
26. Le fait que la présente charte garantit certains droits et libertés ne constitue
pas une négation des autres droits ou libertés qui existent au Canada.
[…]
3. Tout citoyen canadien a le droit de vote et est éligible aux élections législatives
fédérales ou provinciales.
[884] La simple lecture de l’article 33 de la Charte convainc que l’on ne peut appliquer
une clause de dérogation à l’encontre de l’article 3. Comme le premier alinéa de
l’article 8 de la Loi 21 s’applique à l’égard de tous les membres de l’Assemblée
nationale en vertu du premier paragraphe de l’annexe III, il prive de façon effective toute
personne qui couvre son visage de la possibilité réelle de se présenter à une élection
provinciale.
[885] Par l’effet conjugué du premier paragraphe de l’annexe III et du premier alinéa
de l’article 8 de la Loi 21, aucun député de l’Assemblée nationale ne peut siéger
autrement qu’à visage découvert. Également, le président et les vice-présidents de
l’Assemblée nationale, tout comme le ministre de la Justice et procureur général, ne
[886] D’emblée, le Tribunal ne peut retenir la prétention du PGQ voulant qu’il ne faut
pas confondre le droit de siéger avec celui de se porter candidat à une élection.
[889] Cependant, celui-ci ne crée pas, de facto, une infraction qui empêche une
personne de siéger à l’Assemblée nationale du fait qu’elle porte un vêtement qui couvre
son visage comme le fait la Loi 21. La discipline des députés et l’encadrement de leur
travail relèvent en fait d’une analyse du comportement du député après son élection
pour savoir si on doit lui appliquer des mesures disciplinaires.
[890] Ici, l’effet de la Loi 21 entraîne inéluctablement que la personne élue portant un
vêtement lui couvrant le visage ne pourra jamais siéger. Il n’en va pas de même
directement pour tout député qui aspire à devenir président ou vice-président de
l’Assemblée nationale ou ministre de la Justice et procureur général. En effet, une
personne qui aspire à remplir ces fonctions doit recevoir l’aval d’une majorité de
membres de l’Assemblée nationale pour occuper les premières fonctions, alors que
l’autre relève du bon vouloir du premier ministre.
[891] On peut affirmer que le fait d’occuper ces fonctions relève d’un certain privilège
et non d’un droit. Certes, tous et toutes devraient pouvoir occuper ces fonctions, mais
cette prohibition ne relève pas, à strictement parler, de l’article 3 de la Charte et de la
possibilité même de siéger à l’Assemblée nationale. En effet l’article 8 ne prive pas une
personne de se porter candidat, mais une fois élue, cette personne ne pourra pas
occuper son siège si elle compte le faire à visage couvert.
500-17-108353-197 et Als PAGE : 193
[893] Cela dit, il demeure vrai que le législateur québécois peut décider de codifier
dans une loi l’exercice de certains privilèges parlementaires. Cela relève de l’exercice
de l’article 45 de la L.C. 1982. Les articles 42 à 56 de la Loi sur l’Assemblée
nationale609, notamment l’article 55, le Règlement610 de l’Assemblée nationale et le
Code d’éthique et de déontologie des membres de l’Assemblée nationale611 relèvent de
cette prérogative.
[895] Cependant, tel que l’enseigne cet arrêt, ainsi que Chagnon c. Syndicat de la
fonction publique et parapublique du Québec615 qui traite spécifiquement des privilèges
de l’Assemblée nationale, pour exister, le privilège parlementaire doit se relier à
l’exercice fondamental de la fonction de l’assemblée ou de chacun de ses membres
individuellement616 :
[25] […] La nature inhérente du privilège parlementaire signifie que son existence
et sa portée doivent être fermement ancrées dans sa raison d’être. […]617
[…]
dans la mesure où cela est « indispensable pour protéger les législateurs dans
l’exécution de leurs fonctions législatives et délibératives et de la tâche de
l’Assemblée législative de demander des comptes au gouvernement relativement
à la conduite des affaires du pays » (Vaid, par. 41; voir aussi New Brunswick
[898] De plus, il faut que l’activité visée se trouve plus que simplement en lien avec les
fonctions de l’Assemblée législative, car elle doit s’avérer nécessaire au rôle
constitutionnel de l’assemblée621. À cet égard, la partie qui invoque le privilège et
l’immunité qu’il confère doit en établir l’existence622.
[900] Dans cet exercice, il importe donc de voir s’il existe certains indices qui militent
en faveur de l’une ou l’autre des possibilités. Tout d’abord, notons que dans Harvey c.
Nouveau-Brunswick (Procureur général)624, deux juges énoncent que l’article 3 de la
Charte garantit que les candidats à une élection ne peuvent se voir refuser une charge
d’élu pour un motif de discrimination fondée notamment sur la race, la classe sociale ou
[902] Ensuite, il n’apparaît pas que le port d’un signe religieux, ou d’un vêtement qui
couvre en partie seulement le visage, fasse partie des privilèges historiques des
assemblées législatives puisque la preuve ne l’établit pas de manière directe ou
indirecte.
[905] Ici, le PGQ invite le Tribunal à la prudence arguant que l’Assemblée nationale ne
fait pas partie des procédures judiciaires et qu’il faut éviter de statuer sur ses privilèges
en son absence.
[907] Il s’ensuit donc que le Tribunal ne peut obvier à son devoir de trancher cette
question.
[908] De tout cela, il appert que le PGQ ne se décharge pas se son fardeau de
démontrer que l’Assemblée nationale doit détenir un pouvoir non susceptible de
révision à l’égard de la gestion du port des signes religieux ou de vêtement concernant
le visage afin d’assurer sa souveraineté en sa qualité d’assemblée législative
[909] Ainsi, l’effet combiné du premier paragraphe de l’annexe III et le premier alinéa
de l’article 8 de la Loi 21 violent l’article 3 de la Charte. Le Tribunal doit donc déclarer
cette conséquence invalide aux termes de l’article 52 de la Charte.
[910] Ainsi, le Tribunal conclut qu’il s’agit là d’une violation de l’article 3 de la Charte
puisque l’effet du premier alinéa de l’article 8 mène à une seule conclusion
raisonnable : une personne qui se voile le visage ne peut envisager siéger à
l’Assemblée nationale même après son éventuelle élection, ce qui manifestement fait
en sorte que bien qu’elle puisse, à strictement parler, se présenter à un poste électif,
elle ne pourra donner suite à un éventuel mandat reçu des électeurs.trices.
[912] Il ne fait aucun doute que l’article 3 de la Charte prévoit des droits qui s’inscrivent
au cœur même de la démocratie canadienne. En ce sens, toute violation devient plus
onéreuse à justifier. Hak soutient que dans la mesure où le Tribunal conclut que
l’objectif visé par cet article de la Loi 21 apparaît légitime, une telle disposition
législative, qui par son effet, constitue un empêchement dirimant à toute candidature
d’une personne qui se couvre le visage pour quelque motif qu’elle trouve approprié,
demeure une mesure extrême pour laquelle on peut difficilement imaginer une
justification raisonnable.
[913] Pour elle, il n’existe aucune preuve que cette disposition législative répond à un
problème ou un risque de problème qui subsisterait en l’absence de cette prohibition.
De plus, quand bien même le PGQ en ferait la preuve ou la démonstration, elle ne
constituerait pas une atteinte minimale aux droits des personnes visées et il existe
assurément des moyens moins attentatoires, bien sûr, dans la mesure où l’expression
d’une quelconque croyance par ce moyen empêcherait ou minerait l’objectif de
neutralité religieuse de l’État.
[915] En substance, le PGQ plaide que la contestation qui repose sur l’article 3 de la
Charte repose sur un substrat factuel inexistant et que conséquemment, le Tribunal
devrait s’abstenir de se prononcer sur une situation théorique et hypothétique 630.
[917] En effet, on voit mal comment les droits en cause pourraient se moduler en
fonction d’une situation factuelle précise qui empêcherait une adjudication judiciaire,
car, par exemple, le simple fait de savoir qu’une personne se voilant le visage ne pourra
pas siéger à l’Assemblée nationale suffit pour établir le syllogisme nécessaire à la
détermination des droits prévus à l’article 3 de la Charte.
[918] Dans Frank c. Canada (Procureur général)631, la Cour suprême enseigne que
l’article 3 de la Charte canadienne doit recevoir une interprétation large et toute
dérogation à ce droit démocratique fondamental doit s’examiner en fonction d’une
norme stricte en matière de justification632.
[919] À l’évidence, il découle logiquement du fait que si une personne élue qui porte
un vêtement qui couvre le visage ne peut siéger à l’Assemblée nationale, le fait qu’elle
puisse pour autant demeurer éligible à une élection provinciale au Québec constitue en
réalité la reconnaissance d’une situation tout aussi absurde qu’intenable à l’égard de
l’article 3 de la Charte. En effet, il ne fait aucun doute que la conséquence logique de
l’interdiction comporte en elle-même la réalisation effective de la négation du but
recherché par l’article 3 de la Charte.
[920] Exprimé autrement, on peut dire qu’on voit mal comment le fait d’empêcher une
personne élue qui porte le niqab, par exemple, de siéger à l’Assemblée nationale ne
peut pas constituer, de facto, une violation du droit de se présenter à une élection
provinciale. En agissant ainsi, on se trouverait à obvier de façon patente à la finalité
recherchée par l’article 3 de la Charte canadienne.
630 Phillips c. Nouvelle-Écosse (Commission d’enquête sur la tragédie de la mine Westray), [1995] 2
R.C.S. 97, par. 12; Danson c. Ontario (Procureur général), [1990] 2 R.C.S. 1086, p. 1099 à 1102;
Mackay c. Manitoba, [1989] 2 R.C.S. 357, p. 361 et 362.
631 [2019] 1 R.C.S. 3.
632 Id., par. 25.
500-17-108353-197 et Als PAGE : 198
6. (1) Tout citoyen canadien a le droit de demeurer au Canada, d’y entrer ou d’en
sortir.
(4) Les paragraphes (2) et (3) n’ont pas pour objet d’interdire les lois,
programmes ou activités destinés à améliorer, dans une province, la situation
d’individus défavorisés socialement ou économiquement, si le taux d’emploi dans
la province est inférieur à la moyenne nationale.
[923] L’arrêt Richardson633 établit que la protection de l’article 6 se trouve axée sur
l’individu et vise à atteindre un objectif en matière de droits de la personne 634 afin de ne
pas entraver la liberté des individus de poursuivre leurs intérêts personnels et
économiques635 au moyen d’un traitement inégal fondé sur le lieu de résidence, par les
lois en vigueur dans le ressort où la personne visée gagne sa vie636.
633 Office canadien de commercialisation des œufs c. Richardson, [1998] 3 R.C.S. 157.
634 Id., par. 60.
635 Idil ATTAK, « L’article 6 de la Charte canadienne des droits et libertés : La liberté de circulation et
d’établissement » (2013) 61 S.C.L.R. (2 d) 607, par. 3 (Lexis Advance Quicklaw).
636 Id., par. 66.
500-17-108353-197 et Als PAGE : 199
[924] Notons que dans le cadre de son analyse de l’article 6 de la Charte, qui doit
recevoir une interprétation libérale637, la Cour suprême réfère à divers instruments
juridiques internationaux pour en définir la teneur638.
[929] De plus, dans Skapinker642 la Cour suprême enseigne que l’alinéa 6(2)b) de la
Charte ne crée pas un droit distinct au travail qui ne possède pas de lien avec les
dispositions relatives à la liberté de circulation et d’établissement643.
637 Black c. Law society of Alberta, [1989] 1 R.C.S. 591, p. 612, ligne i.
638 Office canadien de commercialisation des œufs c. Richardson, [1998] 3 R.C.S. 157, par. 58.
639 Id., par. 167; Black c. Law society of Alberta, [1989] 1 R.C.S. 591, p. 619.
640 Office canadien de commercialisation des œufs c. Richardson, [1998] 3 R.C.S. 157, par. 74.
641 Id., par. 52. Peter W. HOGG, Constitutional Law of Canada, vol. 2, 5e éd., feuilles mobiles, Toronto,
[930] La FAE plaide que certaines enseignantes de confession musulmane qui portent
le hijab ne pourraient décider d’aller exercer leur profession ailleurs au Canada
puisqu’elles ne pourraient pas retourner au Québec et reprendre leur poste sans se
conformer à la Loi 21644. Elle plaide que celles-ci bénéficient de « droits acquis » aux
[931] Il en va de même, selon elle, pour les personnes des autres provinces
canadiennes portant des signes religieux et voulant venir travailler au Québec. À cet
égard, une analyse de la portée de l’article 27 de la Charte canadienne s’impose.
[932] La FAE reconnaît que l’article 27 de la Charte ne crée pas de droit645, mais elle
plaide que l’interprétation des droits et libertés énoncés à la Charte doit concorder avec
l’objectif de promouvoir le maintien et la valorisation du patrimoine multiculturel du
Canada. Cet article prévoit :
[933] S’appuyant sur les arrêts Big M646, Oakes647 et Bruker c. Marcovitz648, la FAE
plaide que l’un des éléments déterminants du caractère national canadien provient du
droit de s’intégrer dans la société, avec et malgré les différences de chacun, puisque la
liberté de ce faire repose sur le respect de la dignité et des droits inviolables de l’être
humain qui existent en dehors même des droits enchâssés par la Charte.
644 Déclaration sous serment de Dalila Motaf, par. 18 et 21; Messaouda Driji, par. 10 et 19 et de Rana El-
Moussawi, par. 1, 6 et 10.
645 Plan d’argumentation de la FAE, par. 43.
646 R. c. Big M Drug Mart Ltd, [1985] 1 R.C.S. 295, p. 301-302.
647 R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103, p. 138.
648 [2007] 3 R.C.S. 607, par. 1.
649 Id., par. 2.
500-17-108353-197 et Als PAGE : 201
[937] Le Tribunal voit mal comment cet article peut servir d’assise à la prétention de la
FAE à ce sujet. À tout évènement, il apparaît inutile d’en décider vu l’existence de
l’article 27 de la Charte canadienne.
[939] EMSB plaide que l’article 23 de la Charte, qui accorde des droits constitutionnels
aux minorités linguistiques dans la gestion de leurs écoles doit recevoir une
interprétation généreuse pour lui donner une portée effective.
[940] Il s’agit donc de voir comment s’articule cette garantie au regard des principes
énoncés par la Cour suprême dans divers arrêts traitant, entre autres, de l’article 23 de
la Charte. Il faut noter tout d’abord que dans l’arrêt P.G.(Qué.) c. Quebec Protestant
School Boards650 elle souligne, en 1984, que cette disposition de la Charte constitue,
dans sa spécificité, un ensemble unique de dispositions constitutionnelles651.
[941] Puis en 1990, dans une décision fondatrice pour la compréhension de la portée
de l’article 23, Mahe c. Alberta652, elle en enseigne toute l’importance, notant le rôle
primordial que joue l’instruction dans le maintien et le développement de la vitalité
linguistique et culturelle653. En effet, puisque la langue fait partie intégrante de l’identité
et de la culture du peuple qui la parle, cette dernière se trouve véhiculée par la
première654. Ce disant, elle renvoie avec approbation aux travaux de la Commission
Laurendeau-Dunton quant à l’importance de dispenser un enseignement qui convienne
particulièrement à l’identité linguistique et culturelle655.
[942] La Cour y souligne aussi la fonction réparatrice de l’article 23656. Bien qu’à priori
il peut sembler que cet aspect de la portée de cette garantie apparaît moins pertinent
au présent débat, il n’en demeure pas moins que la bataille constante contre la
discrimination des minorités, peu importe leur nature, permet d’envisager un certain rôle
[943] Rappelant que l’histoire canadienne montre que la majorité ne tient pas toujours
compte des préoccupations linguistiques et culturelles des minorités linguistiques 657, la
haute instance en conclut que ces dernières doivent détenir une certaine mesure de
contrôle sur leurs établissements d’instruction et le programme éducatif658 et plus
particulièrement :
[…]
[945] Notons qu’en 1999, dans R. c. Beaulac662, elle enseigne que, dans tous les cas,
[948] L’ensemble des principes déjà énoncés, se voient tous réitérés dans Nguyen c.
Québec (Éducation, Loisir, Sport)673 en 2009.
[949] Plus récemment en 2015 dans l’affaire Association des parents de l’école Rose-
des-vents c. Colombie‑Britannique (Éducation)674, elle énonce que les changements
démographiques et l’évaluation du rôle des établissements religieux font des écoles
locales de la minorité linguistique des centres communautaires essentiels675. Puis
en 2020 dans Conseil scolaire francophone de la Colombie-Britannique c. Colombie-
Britannique676, elle actualise dans les termes suivants ses enseignements relativement
à l’importance de l’article 23 :
[13] L’importance de l’art. 23 ne s’explique toutefois pas uniquement par son rôle
[950] Elle rappelle que dans le Renvoi relatif aux droits linguistiques au Manitoba677
elle souligne le rôle essentiel que joue la langue dans l’existence, le développement et
la dignité de l’être humain et son importance en tant que pont entre l’isolement et la
collectivité puisque, bien qu’il n’existe pas d’adéquation entre la langue et la culture, la
première s’avère indispensable à la préservation de la seconde 678. Le Tribunal se
permet d’ajouter que la culture, au sens sociologique de ce qui inclut la manifestation
de croyances religieuses ou autres, joue assurément le même rôle que la langue quant
à ces finalités exposées précédemment.
[951] La Cour suprême précise aussi que l’article 23 vise non seulement la protection
de droits sur le plan individuel, mais également sur le plan collectif 679, en invitant les
tribunaux à leur donner plein effet de façon claire et transparente 680 pour favoriser
l’épanouissement des communautés linguistiques officielles681.
[953] EMSB soumet, qu’à l’évidence ces énoncés s’appliquent à une commission
scolaire créée lorsque le nombre le justifie puisque celle-ci ne pourrait jouir de moins de
droits que ceux d’une minorité linguistique visée par les propos de la Cour suprême.
Pour elle, les minorités visées par l’article 23 doivent pouvoir jouir « du contrôle sur les
aspects de l’éducation qui concernent ou qui touche sa langue et sa culture »682.
par. 14
679 Id., par. 17.
680 Id., par. 19.
681 Id., par. 18.
682 Mahe c. Alberta, [1990] 1 R.C.S. 342, p. 375, lignes i à j.
683 [2000] 1 R.C.S. 3.
500-17-108353-197 et Als PAGE : 205
[956] Cependant, il plaide que la Loi 21 ne porte pas atteinte au droit de gestion et de
contrôle des commissions scolaires puisque celui-ci comporte des balises et qu’on doit
l’interpréter en fonction de son objet et de la garantie qu’elle vise à mettre en œuvre, tel
que l’énonce l’arrêt R. c. Poulin687.
[957] Le Tribunal souscrit à l’évidence à cet énoncé, tout comme à celui qui veut que
les provinces peuvent, dans le cadre de l’article 23 de la Charte, réglementer le contenu
et la qualité des programmes d’enseignement, la taille des écoles, le transport et le
regroupement d’élèves688, ainsi qu’encadrer, dans une certaine mesure, l’exercice des
fonctions de directeur.trice ou d’enseignant.e.
[959] Selon le PGQ, la position de EMSB postule que le droit de gestion et de contrôle
qui découle de l’article 23 comprendrait un droit à l’embauche et à la promotion de
personnel reflétant l’idée qu’elle se ferait de la diversité confessionnelle qui comporterait
la possibilité de porter un signe religieux dans l’exercice de leurs fonctions.
[960] Ainsi, pour lui, la culture que l’article 23 cherche à promouvoir demeure
intrinsèquement liée à la langue de la minorité, sans plus689. Or, avec égard, la Cour
suprême dans Mahe, dont se réclame précisément le PGQ à ce sujet, souligne que
l’enseignement doit convenir particulièrement à l’identité linguistique et culturelle de la
minorité690.
[961] En utilisant ces deux vocables, la Cour suprême n’enseigne pas que la langue
de la minorité subsume sa culture, mais bien plutôt qu’il s’agit là de deux concepts
distincts qui participent également et séparément à la même garantie juridique. Tel que
le montre la citation de l’arrêt Conseil scolaire francophone de la Colombie-Britannique
[962] Le PGQ argue qu’aucune décision judiciaire ne reconnaît que l’article 23 confère
une protection à l’idée que certains des membres d’une minorité se feraient de la
diversité confessionnelle ou du rapport entre les individus, les institutions scolaires et
les religions. Il ajoute que EMSB tente d’inclure à l’article 23 de la Charte une certaine
protection liée à la confessionnalité, alors qu’il n’enchâsse qu’une garantie linguistique.
[965] Pour le PGQ, il n’existe pas de différence marquée d’attitude entre la majorité
francophone et la minorité anglophone sur les questions de diversité, d’ouverture et de
tolérance, puisqu’elles se trouveraient présentes dans toutes les écoles du Québec tant
francophone qu’anglophone. Selon lui, les quelques déclarations sous serment
produites ne suffisent pas à accréditer la prétention qu’il existerait une telle fracture.
[966] Avec égard, une remarque s’impose. La reconnaissance des droits garantis par
l’article 23 de la Charte ne passe pas par l’existence d’une fracture sociale, comme le
plaide le PGQ. En effet, historiquement cet article vise à assurer la préservation de
certains droits pour les minorités linguistiques francophones et anglophones au
Canada.
[969] À tout évènement, le PGQ conclut que le choix démocratique du législateur, qui
découle d’un long débat sociétal, ne peut faire l’unanimité et que EMSB ne peut
prétendre à un droit de veto sur ce choix, d’autant plus qu’elle ne peut prétendre
représenter de façon exclusive l’opinion de toute la communauté anglophone du
Québec.
[970] Le Tribunal convient avec le PGQ qu’il doit respecter le choix du législateur, mais
quitte à le redire, il doit en vérifier la stricte légalité lorsqu’on lui demande de ce faire.
EMSB possède des droits, le fait qu’elle ne représente seulement que certains
anglophones ne change rien au devoir du Tribunal.
[971] Selon la Cour suprême, les droits prévus à l’article 23 de la Charte participent au
maintien et à la valorisation de l’instruction et de la culture de la minorité tout en
s’assurant que les besoins spécifiques de la communauté linguistique minoritaire
constituent la première considération dans toute décision touchant des questions
d’ordre linguistique ou culturel692.
[973] Comme les minorités linguistiques doivent pouvoir contrôler tous les aspects de
leur éducation linguistique et culturelle694 et que le gouvernement ne peut affecter de
façon négative les préoccupations linguistiques et culturelles de la minorité 695, elle
692 Mahe c. Alberta, [1990] 1 R.C.S. 342, p. 372; Arsenault-Cameron c. Île-du-Prince-Édouard, [2000] 1
R.C.S. 3, par. 45.
693 Plan d’argumentation de EMSB, par. 113.
694 Mahe c. Alberta, [1990] 1 R.C.S. 342, p. 375-376.
695 Arsenault-Cameron c. Île-du-Prince-Édouard, [2000] 1 R.C.S. 3, par. 53.
500-17-108353-197 et Als PAGE : 208
38. […] Dans ce sens, que nous faisons nôtre, la culture est une manière globale
d’être, de penser, de sentir; c’est un ensemble de mœurs et d’habitudes, c’est
aussi une expérience commune; c’est enfin un dynamisme propre à un groupe
qu’unit une même langue. Chose certaine, les deux cultures désignées par notre
mandat sont celles qui sont associées à la langue anglaise et à la langue
française au Canada. Comme il y a deux langues dominantes, il y a deux
cultures principales, dont l’influence s’exerce, à des degrés très différents, dans
l’ensemble du pays.698
[978] Dans le contexte actuel, il ne fait aucun doute que la religion participe à l’identité
culturelle d’une communauté. À titre d’exemple, personne ne saurait raisonnablement
soutenir qu’à tout le moins jusqu’au milieu des années soixante la religion catholique ne
biculturalisme.
699 Mahe c. Alberta, [1990] 1 R.C.S. 342, p. 372, lignes a) à c).
500-17-108353-197 et Als PAGE : 209
Le Québec forme une nation qui a des caractéristiques propres et des valeurs
sociales distinctes, ce qui est particulièrement vrai en ce qui a trait aux enjeux en
lien avec la laïcité de l’État et le rapport aux religions. […]
[981] Mais, le Tribunal se trouve tout autant lié par la règle du stare decisis quant à
l’application de l’article 33 qu’à l’égard de l’article 23 de la Charte. Ainsi, il ne peut
ignorer les enseignements clairs de la Cour suprême au sujet des raisons soutenant
l’existence de cette disposition constitutionnelle que ceux relatifs à sa finalité et sa mise
en œuvre.
700 Westmount (Ville de) c. Québec (Procureur général), 2001 CanLII 13655, par. 88 (QC CA).
500-17-108353-197 et Als PAGE : 210
[984] Ainsi, on doit constater l’existence de ce que l’on peut appeler, à défaut de
[986] Par exemple, Eastern Townships School Board adopte le 24 novembre 2009 une
politique portant sur l’éducation multiculturelle et multisociale. On lit :
The Eastern Townships School Board recognizes the contribution of the various
cultural, racial, ethnic and religious communities within the Board, and is
committed to a multicultural/multiracial education, which would enable students,
parents, personnel and commissioners to learn to live together in a pluralistic
society.
[…]
1. The Eastern Townships School Board (ETSB) affirms and promotes the
dignity and fundamental worth of all human beings regardless of racial,
religious or socio-cultural background.
3. The ETSB recognizes that ethnic and cultural diversity is a positive feature of
Quebec and Canadian societies. 703
4. The Board shall assist teachers in developing programs reflecting the reality
of a multicultural/multiracial Quebec society, giving emphasis to the
701 Déclarations sous serment de : Donna Marcos, pièce EMSB-23-11, par. 13; Caroline Beaulieu, pièce
EMSB-23-1, par. 7 à 9; Nick Katalifos, pièce EMSB-23-6, par. 8 et 10; Rosana Caplan, pièce EMSB-
23-3; Elisabeth Lagadich, pièce EMSB-23-7, par. 9; Thomas Rhymes, pièce EMSB-23-16, par. 8.
702 Déclarations sous serment de : Giuseppe Cacchione, pièce EMSB-23-2, par. 6, 8 et 9; Jim Daskalakis,
pièce EMSB-23-4, par. 4; Guanna Geneveros, pièce EMSB-23-5, par. 6 et 10; Sujata Saha, pièce
EMSB-23-17, par. 7; Sonia Marotta, pièce EMSB-23-13, par. 7; Nadia Sammarco, pièce EMSB-23-18,
par. 9; Caroline Beaulieu, pièce EMSB-23-1, par. 9, Roana Caplan, pièce EMSB-23-3, par. 5 et 7;
David Lee, pièce EMSB-23-9, par. 9; Coleen Lauzier, pièce EMSB-23-8, par. 6.
703 Pièce EMSB 23-22, p. 1.
500-17-108353-197 et Als PAGE : 211
The Lester B. Pearson believes that schools and centres should provide a
respectful environment for each student along with a commitment to work in
partnership with the students, parents and community groups to focus on building
a common culture that takes diversity into account. Schools and centres should
also have a commitment to actively pursue partnerships with organizations that
promote awareness of multiculturalism and cultural diversity to focus on building
common goals with combined resources.
1. Principles
1.1. The Lester B. Pearson School Board affirms and promotes the dignity,
equality and fundamental worth of all human beings regardless of
age, capabilities, ethnic origin, gender, language, race, religion, or
sexual orientation.
1.2. All Board policies shall foster acceptance and understanding of all
persons and encourage an appreciation of human diversity as a
positive feature of Quebec and Canadian societies.
1.3. The Board affirms and promotes equality of opportunity for all persons.705
[989] Pour le Tribunal, il ne fait aucun doute que la diversité des appartenances
[990] Pour certains, il pourra apparaître ironique de noter qu’en 1998, un mémoire
produit par le ministère de l’Éducation du Québec, alors dirigé par le ministre François
Legault, faisait ainsi la promotion de la diversité religieuse et ethnique :
[992] À tout évènement, l’expert Maclure conclut qu’une analyse des mémoires
déposés par les commissions scolaires anglophones, ainsi que les procès-verbaux de
leurs assemblées tenues préalablement aux travaux des commissions parlementaires
consacrées aux projets de la Loi 60 et 21, témoignent d’une opposition institutionnelle
unanime à l’interdiction du port de signes religieux visibles pour les enseignants des
écoles publiques709. Le Tribunal conclut de même à la suite de sa propre étude.
707 Id., p. 4.
708 Pièce EMSB 23-48 : Rapport Maclure, p. 7 et 8.
709 Id., par. 43.
500-17-108353-197 et Als PAGE : 213
[994] Sans crainte de se tromper, le Tribunal peut affirmer que le bon sens, qui fait
partie de l’attirail judiciaire, permet de conclure que l’absence systématique dans un
espace social de personnes auxquelles une autre, partageant les mêmes
caractéristiques, peut s’identifier constitue à la fois un obstacle dans la reconnaissance
sociale de la valeur de ces caractéristiques, tout autant qu’un facteur de marginalisation
pour tout individu qui visa à obtenir cette reconnaissance.
[995] L’opinion du professeur Thomas Dee quant aux effets des interdictions découlant
de la Loi 21, qui entraîneront inévitablement un effacement de cette réalité visuelle dans
le corps enseignant, va dans le même sens :
[…]
62. The stigmatizing effect of the ban is also likely to increase some students’
uncertainty about their belongingness in school settings. Experimental studies
indicate that such "belongingness uncertainty" can degrade academic motivation
and achievement (e.g., Walton & Cohen, 2007).
[…]
[…]
500-17-108353-197 et Als PAGE : 214
71. Even if teachers were simply to remove their religious symbols as a result of
the ban and the teacher workforce otherwise did not change, the ban would still
be likely to harm the academic engagement and educational outcomes of
minority students. This could occur because the suppression of visible religious
symbols could both exacerbate students’ experience of stereotype threat and
attenuate the role-model effects created by the visible social identities of
underrepresented teachers.710
[21] Bill 21 bans the wearing of all religious symbols by certain public sector
employees and is therefore likely to be perceived as conveying a norm about
people who wear religious symbols. Moreover, to the extent that the Bill 21 ban is
particularly associated by the public with religious minorities, especially women
who wear a hijab, it would be expected to signal a norm concerning these social
groups specifically, and therefore to result in increased prejudice toward these
social groups and more negative outcomes for individuals belonging to these
groups.711
[997] Ainsi la preuve démontre clairement, d’une part, que les commissions scolaires
anglophones désirent intégrer les minorités culturelles qui portent des signes religieux
afin, d’autre part, faciliter cette même intégration et la réussite scolaire de ses élèves
issues de groupes religieux minoritaires qui portent des signes religieux, en assurant
une représentativité de ces minorités dans le corps enseignant et les dirigeants
d’établissement scolaire.
710 Pièce EMSB 23-47 : Rapport d’expertise de Thomas Dee, par. 59, 62, 70 et 71.
711 Pièce EMSB 28-18 : Rapport d’expertise de Eric Hehman, par. 21.
712 Pièce EMSB 28-18 : Rapport d’expertise de Eric Hehman, p. 13.
500-17-108353-197 et Als PAGE : 215
[999] En effet, les motifs soulevés par le PGQ ou le MLQ pour ce faire ne
convainquent pas puisqu’ils reposent, en substance, sur le fait que l’expert Dee tire ses
conclusions en basant son analyse sur des études faites dans le cadre des relations
entre la minorité noire américaine et la majorité blanche. Pour eux, vu le contexte social
[1000] Le Tribunal ne peut avaliser une telle prétention. Il va de soi que le contexte
social joue un rôle certain dans la dynamique sociale, mais les mécanismes
psychologiques et émotifs de l’être humain, demeurent une composante qui permet une
transposition des phénomènes dont discute l’expert Dee.
[1002] L’expert Dee opine que l’absence de diversité chez les professeurs, et
particulièrement l’absence de référent visuel marqueur d’une certaine identité
entraînera, en toute probabilité, une dynamique inverse715 à l’égard des élèves issues
de minorités, mais également que cela entraînera des conséquences néfastes à l’égard
des étudiants de la majorité. Il énonce :
65. […] reduced diversity is likely to increase prejudice among majority students
by reducing their "intergroup" contact with teachers wearing visible religious
symbols (Carver-Thomas, 2018). Both psychological and neuroscientific studies
(Chekroud et al., 2014; Cloutier et al., 2014; Devine et al., 2012; Pettigrew et al.,
2011; Pettigrew & Tropp, 2006; Telzer et al., 2013) present empirical findings
that such intergroup contact is highly effective in reducing prejudicial attitudes.716
[1003] Le Tribunal conclut donc qu’il ne fait aucun doute que le premier alinéa de
l’article 4, les articles 6, 7, 8, 10, le premier et le deuxième alinéa de l’article 12, les
articles 13, 14 et 16 lus en conjonction avec le paragraphe 7 de l’annexe I, le
paragraphe 10 de l’annexe II et le paragraphe 4 de l’annexe III de la Loi 21, violent
l’article 23 de la Charte.
713 Pièce EMSB 23-47 : Rapport d’expertise de Thomas Dee, par. 8 à 49.
714 Id., particulièrement par. 6, 33, 39 et 71.
715 Id., par. 66 à 69 et 71.
716 Id., par. 65.
500-17-108353-197 et Als PAGE : 216
[1005] Avant de ce faire, le Tribunal se doit de délimiter les paramètres qui le guident
dans cette démarche au regard des droits garantis par l’article 23 de la Charte, et ce,
avant d’entrer spécifiquement dans l’analyse en vertu de l’article 1 de la Charte,
puisque la jurisprudence enseigne que l’on doit entreprendre cet exercice justificatif
d’une manière particulière dans le cas d’une violation à l’article 23.
[148] Deuxièmement, l’art. 23 n’est pas visé par la clause de dérogation prévue
à l’art. 33 de la Charte. Cette décision témoigne de l’importance accordée à ce
droit par les rédacteurs de la Charte et de leur intention d’encadrer de façon
stricte les dérogations à celui-ci. Dans l’arrêt Frank c. Canada (Procureur
général), 2019 CSC 1, [2019] 1 R.C.S. 3, qui portait sur le droit de vote des
Canadiens et des Canadiennes résidant à l’étranger, j’ai réitéré les propos
formulés par la juge en chef McLachlin dans l’arrêt Sauvé c. Canada (Directeur
général des élections), 2002 CSC 68, [2002] 3 R.C.S. 519, selon lesquels en
excluant le droit de vote du champ d’application de la clause de dérogation, les
constituants ont souligné l’importance privilégiée de ce droit. J’ai ajouté qu’en
raison de cette exclusion, toute dérogation à ce droit doit être examinée en
fonction d’une norme sévère en matière de justification (Frank, par. 25; Sauvé,
par. 11 et 14). Ces propos s’appliquent également dans le contexte de l’art. 23.
cependant que sa preuve d’expert, entre autres, par l’entremise des professeurs
Lamonde, Beauchemin, Gagné, Dufresne et du témoin Rocher, peut servir à expliquer
le choix législatif qui engendre la Loi 21, ce qui correspond, entre autres, au premier
critère justificatif en vertu de l’article 1.
[1010] Dans ce cadre, il apparaît utile de rappeler le fardeau qui pèse normalement sur
l’État dans le cadre de l’analyse de l’article 1 de la Charte :
128 Deuxièmement, pour s'acquitter du fardeau que lui impose l'article premier
de la Charte, l'État doit établir que la violation comprise dans une loi se situe à
l'intérieur de limites «dont la justification puisse se démontrer». Le choix de
l'expression «puisse se démontrer» est important. Il ne s'agit pas de procéder
par simple intuition, ou d'affirmer qu'il faut avoir de l'égard pour le choix du
Parlement. Il s'agit d'un processus de démonstration. Cela renforce la notion
propre au terme «raisonnable» selon laquelle il faut tirer une inférence rationnelle
de la preuve ou des faits établis.
[1011] Cependant, cela place le Tribunal devant une situation pour le moins inusitée en
ce que le législateur affirme ne pas vouloir défendre sa loi en vertu de l’article 1 de la
Charte, tout en produisant une preuve qui pourrait permettre de faire cet exercice, mais
en ne plaidant rien de spécifique à cet égard, affirmant même, dans ses défenses
écrites, qu’il n’entend pas faire de démonstration en vertu de cet article de la Charte.
[1012] De plus, il apparaît incongru que des tiers intervenants, en l’occurrence le MLQ
et PDF, s’attaquent seuls à cette tâche. À charge de faire erreur, cette situation apparaît
inédite. Usant de prudence, le Tribunal conclut que cela ne lui enlève cependant pas le
718 RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1995] 3 R.C.S. 199, par. 128-129.
500-17-108353-197 et Als PAGE : 218
devoir de décider en fonction de la preuve et des arguments soumis par toutes les
parties aux débats judiciaires719.
[1013] Cette mise en contexte terminée, il convient de rappeler que l’analyse en vertu
[1014] Dans Frank c. Canada (Procureur général)721, la Cour suprême précise que
l’examen de la proportionnalité se veut à la fois normatif et contextuel, ce qui oblige les
tribunaux à soupeser les intérêts de la société et ceux de particuliers et de groupes722.
[1015] Il ne fait pas de doute que dans cet exercice le Tribunal doit faire preuve de
déférence à l’égard du législateur lorsque celui-ci s’attaque à un problème social
complexe et qu’il vise à enrayer ce qu’il considère un mal qui nécessite la violation de
droits fondamentaux723. Dans le cadre de cette analyse, il importe de tenir compte du
fait que les principes inhérents à une société libre et démocratique modulent la
détermination de la gravité de la restriction au droit protégé et l’ampleur de l’atteinte 724.
L’historique législatif
719 À cet égard, l’intervention amicale des LPA ne permet pas de faire cette même conclusion sur la
nature de son intervention.
720 Carter c. Canada (Procureur général), [2015] 1 R.C.S. 331, par. 94.
721 [2019] 1 R.C.S. 3.
722 Id., par. 38.
723 Canada (Procureur général) c. JTI-MacDonald Corp., [2007] 2 R.C.S. 610, par. 41 à 43.
724 Id., par. 87.
725 [2009] 2 R.C.S. 567.
726 Id., par. 37 et 53.
500-17-108353-197 et Als PAGE : 219
[1019] Dans cet historique s’inscrit de façon contemporaine ce qu’il convient d’appeler
la Commission Bouchard-Taylor, de son vrai nom la Commission de consultation sur les
pratiques d’accommodement reliées aux différences culturelles. Son rapport intitulé
« Fonder l’avenir : le temps de la conciliation » fait suite à une vaste consultation
populaire à la grandeur de la province, à la réception de plus de 500 mémoires, ainsi
qu’à la tenue de 328 audiences et de 22 forums de citoyens.
[1022] Ces délibérations sociales se poursuivent à l’Assemblée nationale alors que l’on
recense sept projets de loi depuis 2010731 qui traite de la question des signes religieux,
émanant de formations politiques différentes. Le constituant n’en adopte que deux : le
projet de Loi 62 le 18 octobre 2017 et le projet de Loi 21 le 16 juin 2019.
[1024] Ainsi, plaide le PGQ, le législateur s’inspire de tout ce bagage historique pour
présenter et adopter la Loi 21. Selon lui, il s’agit d’un compromis entre les différentes
727 À l’audience, le représentant du PGQ reconnaît que cette preuve ne possédait pas d’autre utilité que
celle d’occuper « une partie du terrain » afin de ne pas laisser aux adversaires de la Loi 21 tout
l’espace dans le débat judiciaire quant à la nature et la portée de la loi.
728 Pièce PGQ-8 : Rapport d’expertise de Yvan Lamonde, p. 1; Pièce PGQ-11 : Rapport d’expertise des
professeurs Dufresne et Gagné, p. 18 à 45; Déclaration sous serment de Guy Rocher.
729 COMMISSION DE CONSULTATION SUR LES PRATIQUES D’ACCOMODEMENT RELIÉES AUX
DIFFÉRENCES CULTURELLES, Fonder l’avenir : le temps de la conciliation, Rapport de Gérard
Bouchard et Charles Taylor, 2008, p. 122 et 260.
730 CONSEIL DU STATUT DE LA FEMME, Avis - Affirmer la laïcité, un pas de plus vers l’égalité réelle
entre les femmes et les hommes, 2011, p. 131, recommandations nos 2 et 6.
731 Projet de Loi no 94 (2010), projet de Loi no 60 (2013), projet de Loi no 398 (2013), projet de Loi 491
(2014), projet de Loi 492 (2013), projet de Loi no 62 (2015) et le projet de Loi 21 (2019).
500-17-108353-197 et Als PAGE : 220
propositions débattues et il s’appuie sur une vision largement partagée par la population
québécoise et sur le pluralisme religieux, tout en ne se démarquant pas
fondamentalement des solutions à ces questions retenues par d’autres États
démocratiques732.
[1026] Pour clore l’analyse sur ce premier volet de l’objectif législatif, on peut ajouter
que selon le PGQ, le modèle de la Loi 21 s’inscrit dans la continuité de la Révolution
tranquille où le Québec passe d’une société où l’Église remplit un rôle de « quasi-État »,
notamment dans les domaines des services sociaux, de la santé de l’éducation et des
registres d’état civil734, à un État marqué par son irréligion.
[1028] Les autres mesures visant à atteindre la laïcisation de l’État, qu’il apparaît inutile
d’énumérer ici, s’inscrivent dans cette même tendance. Tout cela mène donc à une
conclusion qui s’impose d’emblée : le législateur québécois atteint assurément un
objectif législatif réel et urgent aux termes de la jurisprudence en adoptant la Loi 21.
PGQ-8 : Rapport d’expertise de Yvan Lamonde, p. 4 et 7; Déclaration sous serment de Guy Rocher.
500-17-108353-197 et Als PAGE : 221
13.3.3.2 La proportionnalité
[1032] Puis, plus récemment, elle réitère ainsi ces principes dans Frank736 :
[59] Selon moi, les avocats de M. Bird et des intervenants soulèvent des
préoccupations réalistes à propos de l’accessibilité et de la rapidité du recours
devant la Cour fédérale. Lorsque la liberté d’un individu est en jeu, l’accessibilité
et la rapidité sont d’autant plus importantes. Or, il importe qu’il existe un
mécanisme qui procure un recours suffisamment accessible et rapide pour ceux
qui sont privés de leur liberté. À la lumière du dossier porté à notre
connaissance, je ne suis pas en mesure d’affirmer qu’un contrôle judiciaire aurait
constitué un tel recours pour M. Bird.737
[1033] Il existe assurément une volonté du législateur de bannir d’un certain espace
public la manifestation d’une appartenance religieuse par le port de signes associés à
celle-ci. Il importe cependant de voir comment s’inscrit cette volonté, à la fois dans la
Loi 21 et dans la réalité.
[…]
[…]
[1035] Pour arriver à atteindre cet objectif, le législateur modifie même la Charte
québécoise pour y inscrire le préambule suivant :
ainsi que pour y ajouter la laïcité de l’État comme l’un des critères d’évaluation
énumérés à la clause justificative que représente l’article 9.1.
[1036] Il s’agit là de gestes législatifs forts, visant à transmettre toute l’importance qu’on
doit, ou devrait accorder, au principe de la laïcité. Ainsi, on peut certainement en
conclure que puisse qu’il s’agit là d’un des fondements de la société québécoise, ce
principe devrait recevoir une application conséquente.
[1037] Bien que l’on puisse s’interroger sérieusement sur le fait qu’il existe des
exceptions notables à l’application de la Loi 21 qui vise à promouvoir un principe
sociétal fondamental, en l’occurrence, entre autres, celle prévue à l’article 31 de la Loi
21, on peut conclure que l’objectif visé par la Loi 21 favorise logiquement la réalisation
des objectifs légitimes et importants du législateur puisque ces lacunes n’obvient pas de
façon dirimante à ces objectifs.
[1038] On en arrive donc au prochain volet du test de l’article 1, à savoir celui qui vise à
déterminer si la Loi 21 porte atteinte de façon minimale au droit en question.
500-17-108353-197 et Als PAGE : 223
[1040] Quant à la preuve de PDF, elle focalise sa preuve et ses représentations sous
deux seuls thèmes : 1) toutes les religions entraînent un asservissement des femmes à
un régime patriarcal puisqu’il s’agit là d’une composante fondamentale des religions; 2)
le port du voile constitue un exemple clair de cette situation.
[1041] Le Tribunal n’entend pas épiloguer longuement sur cette prétention de PDF à
l’égard des religions et du sort qu’elle réserve aux femmes puisque cela apparaît inutile
de s’y étendre pour les fins du jugement. Il importe de noter cependant que le judaïsme
requiert que les hommes juifs orthodoxes ou qui suivent une tradition conservatrice
doivent se couvrir la tête pour faire preuve d’humilité envers leur Dieu738.
[1042] Avec égard, cette preuve et ces représentations présentent une portée très
limitée dans le contexte de la détermination de l’atteinte minimale sous l’article 1, car, à
l’évidence, le port de signes religieux par des personnes de sexe masculin ne se trouve
pas visé par ces représentations. De plus, il existe beaucoup d’autres manifestations de
religiosité par des femmes qu’uniquement le port du voile. On peut penser au port du
crucifix ou d’une médaille tel que le fait Lauzon par exemple. En tout respect, on voit
mal comment le port de ces symboles comporterait une signification d’asservissement
pour une femme, mais pas pour un homme. Voilà pourquoi le Tribunal conclut à la très
faible utilité de la preuve de PDF.
[1043] Le MLQ présente des arguments à priori plus pertinents pour cette analyse, bien
que sa preuve focalise très majoritairement son attention sur le port du hijab. À tout
évènement, le Tribunal considérera, pour les fins de son analyse, que son
argumentation porte sur l’ensemble des signes religieux.
[1044] Tout d’abord, le MLQ soutient que dans la mesure où on permet à des
enseignantes de porter le hijab, les élèves se verront privés du droit à des services
laïques et on bafouera le droit des parents d’élever leurs enfants dans les croyances ou
valeurs de leur choix739. Ce faisant, il s’appuie sur l’arrêt B. (R.) c. Children’s Aid
Society of Metropolitan Toronto740 qui énonce que jusqu’à un certain âge, en
l’occurrence celui qui permettra à l’enfant de prendre ses propres décisions sur ses
738 Déclaration sous serment de Alan W. Bright du 22 novembre 2019, par. 12 à 15.
739 Plan d’argumentation du MLQ, par. 175.
740 [1995] 1 R.C.S. 315.
500-17-108353-197 et Als PAGE : 224
[1045] Or ici, le simple fait de voir un enfant en présence d’une éducatrice portant le
[1046] Également, il ne faut pas banaliser le sens des mots. Le terme prosélytisme
comporte une notion « active », plutôt que « passive ». En effet, on en trouve les
définitions suivantes :
Larousse : Zèle ardent pour recruter des adeptes, pour tenter d’imposer ses
idées.
Le Grand Robert : Zèle déployé pour faire des prosélytes, recruter des adeptes.
[1047] Ainsi, on voit mal comment le Tribunal pourrait conclure que le simple port d’un
signe religieux bafoue le droit à des services laïques ou le droit des parents d’élever
leurs enfants selon les valeurs de leur choix. Ici nous ne nous trouvons pas en
présence d’un contexte semblable à celui de la récitation d’une prière comme dans
l’arrêt Saguenay742, puisqu’il s’agissait là d’un geste actif de la part d’un représentant de
l’État soutenant une religion en particulier.
[1048] Le simple port passif d’un signe religieux ne peut bafouer les droits dont se
réclame le MLQ et, indirectement le PGQ.
[1049] De plus, une lecture attentive de l’arrêt Children’s Aid mène le Tribunal à une
conclusion inverse de celle que propose le MLQ puisqu’on y lit ceci :
231 Les appelants ont agi en tenant pour acquis que Sheena est de la même
religion qu'eux et qu'elle ne saurait donc subir une transfusion sanguine.
Pourtant, Sheena n'a jamais adhéré à la foi des témoins de Jéhovah ni, quant à
cela, à aucune religion, en supposant qu'une telle adhésion serait valable. Il y a
donc une atteinte à la liberté de conscience de Sheena, qui, pourrait-on soutenir,
comprend le droit de vivre assez longtemps pour faire son propre choix raisonné
sur la religion à laquelle elle souhaite adhérer, de même que le droit de n'avoir
aucune croyance religieuse. En fait, refuser à une enfant en bas âge des soins
médicaux nécessaires pourrait empêcher cette enfant d'exercer ses droits
constitutionnels, puisqu'il se peut qu'en raison des croyances de ses parents elle
ne vive pas assez longtemps pour faire des choix sur les idées qu'elle aimerait
exprimer, la religion qu'elle souhaiterait professer, ou les associations auxquelles
elle souhaiterait adhérer. La «liberté de religion» ne devrait pas comprendre une
[1051] De plus, dans S.L. c. Commission scolaire des Chênes744, la Cour suprême
énonce, dès le paragraphe introductif de son arrêt, que les changements sociaux,
depuis le milieu du siècle dernier, apportent une nouvelle philosophie sociale qui met de
l’avant la reconnaissance des droits des minorités745. Elle ajoute que de nombreux
États occidentaux perçoivent maintenant la neutralité religieuse comme une façon
légitime d’aménager un espace de liberté dans lequel les citoyens de diverses
croyances peuvent exercer leurs droits individuels746.
[1053] En traçant les principes applicables au regard du droit à la liberté de religion, elle
reprend748 les énoncés de l’arrêt Canadian Civil Liberties Association c. Ontario
(Minister of Education)749 voulant qu’un programme scolaire qui prodiguerait un
enseignement religieux et moral sans toutefois tendre à endoctriner dans une foi
particulière n’enfreindrait pas la Charte750.
[1054] Pour le Tribunal, on peut certainement inférer de cet énoncé que le simple port
d’un signe religieux ne peut constituer, en lui-même, une violation de la liberté de
743 B. (R.) c. Children’s Aid Society of Metropolitan Toronto, préc., [1995] 1 R.C.S. 315, par. 231.
744 [2012] 1 R.C.S. 235.
745 Id., par. 1.
746 Id., par. 10.
747 Id., par. 10 à 16.
748 Id., par. 20.
749 (1990) 71 O.R. (2d) 341.
750 Id., p. 344.
500-17-108353-197 et Als PAGE : 226
[1055] Dans S.L., la Cour suprême énonce que la neutralité de l’État existe lorsque
[1056] Il importe de reprendre, in extenso, les passages de cet arrêt qui traite de
l’impact sur les enfants à l’exposition à des croyances différentes des leurs :
[39] Dans l’arrêt Chamberlain c. Surrey School District No. 36, 2002 CSC 86,
[2002] 4 R.C.S. 710, la Cour a eu l’occasion de se prononcer sur les
dissonances cognitives que peuvent vivre les enfants qui grandissent dans une
société diversifiée. La Juge en chef y a fait les commentaires suivants (par. 65-
66) :
En tant que membres d’un corps scolaire hétérogène, les enfants y sont exposés
tous les jours [à certaines dissonances cognitives] dans le système
d’enseignement public. À l’heure des repas, ils voient leurs camarades de
classe, et peut-être aussi leurs professeurs, manger des aliments qui leur sont
interdits, que ce soit en raison des restrictions religieuses de leurs parents ou
d’autres croyances morales. Ils voient leurs camarades porter des vêtements
dont leurs parents désapprouvent les caractéristiques ou les marques. Et ils sont
également témoins, dans la cour d’école, de comportements que leurs parents
désapprouvent. La dissonance cognitive qui en résulte fait simplement partie de
la vie dans une société diversifiée. Elle est également inhérente au processus de
croissance. C’est à la faveur de telles expériences que les enfants se rendent
compte que tous ne partagent pas les mêmes valeurs.
[40] Les parents qui le désirent sont libres de transmettre à leurs enfants leurs
croyances personnelles. Cependant, l’exposition précoce des enfants
à des réalités autres que celles qu’ils vivent dans leur environnement familial
immédiat constitue un fait de la vie en société. Suggérer que le fait même
d’exposer des enfants à différents faits religieux porte atteinte à la liberté de
religion de ceux-ci ou de leurs parents revient à rejeter la réalité multiculturelle de
la société canadienne et méconnaître les obligations de l’État québécois en
matière d’éducation publique. Bien qu’une telle exposition puisse être source de
frictions, elle ne constitue pas en soi une atteinte à l’al. 2a) de la Charte
canadienne et à l’art. 3 de la Charte québécoise.751
751 S.L. c. Commission scolaire des Chênes, [2012] 1 R.C.S. 235, par. 39 et 40.
500-17-108353-197 et Als PAGE : 227
[1057] La règle du stare decisis s’applique à un tel énoncé. Ce prononcé lie le Tribunal.
Il s’ensuit qu’en le transposant à notre affaire, les parents d’élèves ne peuvent
juridiquement soutenir que l’exposition de leurs enfants à des signes religieux portés
par un.e enseignant.e à l’école porte atteinte à leurs libertés de conscience ou de
[1059] Dans Mouvement laïque québécois c. Saguenay (Ville)752, la Cour suprême trace
les contours de l’obligation de neutralité de l’État en matière de liberté de conscience et
de religion en rappelant que la Charte protège les minorités religieuses contre la
menace de la « tyrannie de la majorité »753. Elle rappelle que l’évolution de la société
canadienne engendre une conception de la neutralité suivant laquelle l’État ne doit pas
s’ingérer dans le domaine de la religion et des croyances et que ce devoir de neutralité
exige qu’il ne favorise ni ne défavorise aucune croyance pas plus que l’incroyance754.
[1060] Elle conclut que la religion constitue le prisme à travers lequel une personne
perçoit et explique la réalité qui l’entoure, tout en définissant le cadre moral qui guide sa
conduite. Elle fait partie intégrante de l’identité de chaque croyant. Ainsi, en interférant
avec celle-ci, il hiérarchise les individus :
[73] Dans « Freedom of Religion Under the Charter of Rights : The Limits of
State Neutrality » (2012), 45 U.B.C. L. Rev. 497, p. 507, le professeur R. Moon
fait observer qu’une croyance religieuse est plus qu’une opinion. Elle est le
prisme à travers lequel une personne perçoit et explique la réalité qui l’entoure.
Elle définit le cadre moral qui guide sa conduite. La religion est partie intégrante
de l’identité de chacun. Lorsque l’État adhère à une croyance, il ne fait pas
qu’exprimer une opinion sur le sujet. Il hiérarchise les diverses croyances et
remet en cause la valeur de celles qu’il ne partage pas. Il hiérarchise aussi les
individus qui portent en eux ces croyances :
[1061] Elle précise qu’un espace public neutre ne signifie pas l’homogénéisation des
acteurs privés qui s’y trouvent puisqu’il s’agit de neutralité des institutions de l’État et
non celle des individus. Cet espace public neutre, libre des contraintes étatiques tend
plutôt à préserver la liberté et la dignité de chacun. Ce faisant, cette neutralité favorise
la préservation et la promotion du caractère multiculturel de la société canadienne756.
[1062] Elle ajoute que la neutralité de l’État lui impose de ne pas encourager ni
décourager toute forme de conviction religieuse757.
[1064] À cet égard, si l’objectif législatif réside dans la volonté de rendre l’enseignement
laïque, puisqu’il s’agit là d’un des fondements de la société québécoise, comment peut-
on rationaliser le fait que l’interdiction du port de signe religieux ne s’applique qu’aux
trois secteurs d’enseignement précités? Certes, il s’agit là d’une prérogative du
législateur. Certains peuvent même arguer qu’il s’agit là d’une mesure attentatoire qui
se trouve limitée et donc minimale. Mais rien dans la preuve ni dans l’argumentation
des parties qui défendent la Loi 21 ne vient supporter un tel choix en regard de l’objectif
d’obtenir la laïcité de l’État.
[1065] Le même raisonnement vaut pour toutes les autres personnes à qui l’on interdit
le port de signe religieux dans l’exercice de leurs fonctions.
[1066] En toute logique, si le principe de laïcité constitue une des bases fondamentales
de la société québécoise, on peut raisonnablement se demander en toutes
circonstances pourquoi il ne s’applique pas à tous.
[1067] Cela entraîne comme conséquence qu’il devient plus difficile pour les défenseurs
de la Loi 21 de se décharger de leurs fardeaux de démontrer le caractère justifiable
[1069] Il ne fait aucun doute que les interdictions de porter de signes religieux et les
conséquences qui s’y attachent s’avèrent des plus graves pour les personnes qui en
portent en raison de leur foi. On peut même affirmer qu’il s’agit là pour elles d’une
certaine forme de négation de leur être dans ce qu’il recèle de plus intime et de plus
fondamental.
[1070] Vue d’une perspective opposée à celle du PGQ, du MLQ et de PDF, il apparaît
évident de conclure que pour toute personne qui se voit obligée de poser un geste
contraire à sa croyance fondamentale, il s’agit là d’une action qui porte gravement
atteinte à sa liberté de conscience.
[1071] Le Tribunal ne peut convenir, tel que le plaide le MLQ759, que la Loi 21 ne fait
que protéger la liberté de conscience et qu’elle ne porte pas atteinte à la liberté de
religion. Il s’agit là à la fois d’un retournement et d’un détournement de sens, non
seulement du texte de la Loi 21, mais également de ses effets.
[64] À mon avis, la position des appelants doit prévaloir. Le parrainage par l’État
d’une tradition religieuse, en violation de son devoir de neutralité, constitue de la
discrimination à l’endroit de toutes les autres (S.L. c. Commission scolaire des
Chênes, 2012 CSC 7, [2012] 1 R.C.S. 235, par. 17). Si l’État favorise une religion
au détriment des autres, il crée en effet une inégalité destructrice de la liberté de
religion dans la société (R. c. Big M Drug Mart Ltd., 1985 CanLII 69
(CSC), [1985] 1 R.C.S. 295, p. 337). Dans un cas comme celui-ci, la pratique qui
consiste à réciter la prière et le Règlement qui l’encadre entraînent l’exclusion de
M. Simoneau sur la base d’un motif énuméré, soit la religion. Cette exclusion
compromet son droit à l’exercice, en pleine égalité, de sa liberté de conscience
et de religion. La discrimination dont il se plaint est directement tributaire, d’une
part, du caractère religieux de la prière, et d’autre part, du droit de la Ville de la
réciter comme elle le fait. […]761
[1074] Encore une fois, le simple fait de porter un signe religieux n’entraîne pas la
conclusion que l’État favorise une religion au détriment des autres ou qu’il obvie à son
devoir de neutralité, bien au contraire, car il ne compromet pas le droit de quiconque à
sa liberté de conscience.
[1075] Au niveau des conséquences de la Loi 21, le MLQ nie que celle-ci empêche
l’embauche des personnes qui portent un signe religieux, dont Hak à titre d’exemple,
puisque celle-ci ne doit que retirer ses signes religieux dans l’exercice de ses fonctions,
ce qui démontrerait que la Loi 21 ne constitue pas un obstacle à son embauche. Ainsi,
exprimé autrement, selon le MLQ, selon une lecture littérale de la Loi 21, rien
n’empêche que l’on puisse embaucher cette personne, mais il faudra qu’elle retire ses
signes religieux pour pouvoir enseigner.
[1076] Avec égard, cet argument relève d’un pur sophisme, car il occulte l’élément
fondamental de la personne utilisée à titre d’exemple : une personne dont la foi lui dicte
de porter en tout temps un signe religieux, en l’occurrence le hijab. Ainsi, il ne fait aucun
doute que l’effet de la Loi 21 entraîne, pour des personnes telles Hak, qu’elles ne
pourront jamais enseigner au niveau préscolaire, primaire ou secondaire publique.
Affirmer le contraire nie l’évidence. Ainsi, il s’ensuit logiquement que l’embauche d’une
telle personne mène à un cul-de-sac et que l’argument de texte du MLQ mène à un
non-sens. En effet, qui voudra engager une professeure qui ne peut enseigner?
[1078] Pourtant, le Tribunal y trouve là des énoncés clairs auxquels il faut attacher toute
l’importance requise quant au choix des mots utilisés et il doit constater que cela ne
supporte pas la position du MLQ. Ainsi, pour le Tribunal, on ne peut conclure que le
simple port d’un signe religieux par un enseignant démontre une volonté pour l’État, de
professer, d’adopter ou de favoriser une croyance à l’exclusion des autres et que cette
pratique viole la liberté de conscience ou de religion d’une personne.
[1079] En concluant ainsi, le Tribunal demeure conscient que l’on peut assimiler
l’enseignant à un représentant de l’État, mais cette qualification ne change pas le fait
que celui-ci doit poser des gestes positifs pour contrevenir à son devoir de neutralité,
car le simple fait de s’habiller en conformité avec les principes d’une religion ne
contrevient pas à ce devoir.
[1080] De plus, en reconnaissant aussi que les élèves peuvent se trouver en situation
de vulnérabilité face aux messages transmis par les enseignants763, le Tribunal ne peut
conclure que le simple fait pour un enseignant de porter un signe religieux place l’enfant
dans une telle situation. D’une part, aucune preuve n’étaye une telle proposition et,
d’autre part, cela revient à affirmer que ce simple geste viole la liberté de conscience de
l’élève, proposition dont les motifs qui précèdent disposent.
[1082] Il importe d’expliciter davantage les raisons pour lesquelles le Tribunal ne retient
pas l’opinion de l’expert Legault. À l’audience, le Tribunal le reconnaît expert en éthique
professionnelle. Son rapport764 et son témoignage s’articulent autour de la prémisse
que le raisonnement éthique repose sur l’évolution des différents impacts sur
l’ensemble des parties prenantes, ce qui implique donc un jugement de valeur765,
sachant que la relation enseignant.eélève constitue une relation de nature
[1083] Rappelant que la mission de l’école vise à instruire, socialiser et qualifier les
élèves767 et ce, dans un cadre où la relation de confiance s’avère primordiale768, il note
que le terme « socialiser » signifie apprendre à vivre avec les autres769. Ainsi, il faut
selon lui mettre en place à l’école un fonctionnement démocratique, ce qui veut dire
apprendre à construire et à utiliser les attributs et les comportements qui ne conduisent
pas à l’exclusion770.
[1084] Quant à la socialisation, il précise qu’il s’agit en réalité de voir à développer les
capacités des élèves à comprendre les différences et à trouver des façons de coopérer
et d’agir ensemble malgré les différences771.
[1085] Il note que le port d’un signe véhicule trois formes différentes de signification : la
subjective, l’objective et celle qu’on lui attribue dans l’espace public 772, tout en spécifiant
que n’importe qui peut imposer son éthique personnelle dans l’enseignement et que le
fait de porter un signe religieux n’équivaut pas à faire passer son éthique personnelle
au détriment de l’éthique professionnelle773.
[1086] Cependant, de l’avis du Tribunal, il se place en porte à faux avec ces énoncés
lorsqu’il affirme que le port du signe religieux crée une tension importante entre
l’éthique personnelle et l’éthique professionnelle et ce, en s’appuyant, notamment, sur
la déclaration d’une parente d’élève774.
765 Id., p. 5.
766 Id., p. 6.
767 Id., p. 7.
768 Id., p. 9.
769 Id., p. 10.
770 Id., p. 13.
771 Id., p. 26, par. 2.
772 Id., p. 15.
773 Id., p. 19, par. 3.
774 Id., p. 20 par. 1.
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la méfiance peut alors s’installer et que l’on peut craindre un impact775 et que tout cela
peut soulever un doute sur la capacité de réaliser un dialogue.
[1088] Toute cette potentialité ne repose sur aucune information objective concluante,
[1089] Également, son affirmation voulant qu’au Québec, les visées pédagogiques
reposent sur le principe de la neutralité religieuse parce que celle-ci permet d’accomplir
le projet éducatif de la socialisation en ne limitant pas le dialogue avec les élèves, car il
favorise la compréhension plutôt que l’imposition de façon autoritaire d’une vision du
« bien »776, ne repose sur aucune démonstration convaincante, tant factuelle que
rhétorique.
[1090] Il en va de même quant à son affirmation que le port d’un signe religieux entraîne
des impacts directs sur la qualité de la relation éducative777. Pour le Tribunal, on peut
difficilement réconcilier cette affirmation avec l’énoncé de ce même témoin qui affirme
que la socialisation découle de l’apprentissage de l’autre et donc, inéluctablement de la
différence.
[1093] Les défenseurs de la Loi 21 affirment que pour pouvoir bénéficier du privilège
d’agir comme enseignant, les personnes qui arborent des signes religieux doivent
laisser ceux-ci lors de leur entrée à la porte des écoles, pour les reprendre par la suite,
à la sortie. Cette prétention présuppose que ces signes religieux ne constituent qu’un
simple artifice qu’il convient de mettre de côté afin de respecter le principe de laïcité de
l’État.
[1094] Vu de la perspective d’une personne non croyante ou de celle qui pratique une
religion qui ne requiert aucune orthopraxie particulière, cette demande apparaît simple,
pratique et aucunement attentatoire aux droits d’autrui. Cependant, elle méconnaît de
[1095] Que certains croient qu’il faille se soumettre uniquement à la loi édictée par des
[1096] Il ne fait aucun doute que la Loi 21 comporte des effets inhibiteurs importants et
qu’elle empiète lourdement sur les droits à la liberté de conscience et de religion. Dans
ce contexte, il n’apparaît pas incongru de transposer l’enseignement suivant de l’arrêt
Little Sisters778 quant à la façon dont le Tribunal doit aborder et apprécier la
démonstration que doit faire l’État pour bénéficier du plein effet de l’article 1 de la
Charte :
[1097] Pour le Tribunal, il ne fait aucun doute que la liberté de religion et la liberté de
conscience participent, à tout le moins au même caractère fondamental de l’individualité
d’une personne et, par conséquent, cet énoncé et le principe juridique qu’il affirme se
transposent assurément à notre affaire.
[1098] À cet égard, on peut même affirmer que les libertés de conscience et de religion,
dans la mesure où celles-ci requièrent une certaine orthopraxie, comportent un aspect
plus fondamental que la liberté d’expression. À titre d’exemple, on peut comprendre, en
faisant un parallèle avec l’arrêt SEFPO, qu’en empêchant un fonctionnaire de porter un
signe politique on viole sa liberté d’expression. Cependant, cette violation n’atteint pas
l’âme ou l’essence même de cette personne, alors qu’en empêchant le port d’un signe
religieux pour des personnes dont l’exercice de leur religion requiert une certaine
orthopraxie, on se trouve à leur nier l’un de fondement même de leur être.
[1100] Il importe de garder à l’esprit que l’exercice de justification vise à protéger les
valeurs et les principes essentiels d’une société libre et démocratique ce qui inclut :
778 Little Sisters Book and Art Emporium c. Canada (Ministre de la Justice), [2000] 2 R.C.S. 1120.
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[1102] Il ne fait aucun doute qu’en l’espèce la négation par la Loi 21 des droits garantis
par les Chartes entraîne des conséquences sévères sur les personnes visées. Non
seulement ces personnes se sentent ostracisées et partiellement mises à l’écart de la
fonction publique québécoise, mais en plus certaines voient leur rêve devenir
impossible alors que d’autres se trouvent coincées dans leur poste sans possibilité
d’avancement ou de mobilité. De plus, la Loi 21 envoie, en outre, le message aux
élèves issus des minorités portant des signes religieux qu’ils doivent occuper une place
différente dans la société et qu’à l’évidence la voie de l’enseignement public, au niveau
préscolaire, primaire et secondaire n’existe pas pour eux.
[1104] De l’autre côté, les effets bénéfiques apparaissent pour le moins ténus. En effet,
bien qu’il puisse exister certaines tensions qui s’avèrent minimales au regard de la
preuve782, elles relèvent plutôt de l’épiphénomène783 que d’une problématique qui
mérite une solution législative aussi attentatoire aux droits fondamentaux.
[1105] À cet égard, la preuve du MLQ et de PDF relève, d’une part, du ouï-dire, qui bien
que cela ne la rende pas nécessairement irrecevable pour les fins de l’exercice, cela en
amoindrit néanmoins la force probante et, d’autre part, elle fait état de gestes
prétendument prosélytes posés par des personnes autres que des enseignants.es, en
l’occurrence certains membres du personnel de certaines écoles que la Loi 21 ne vise
pas784.
[1107] En effet, d’autre part, comment justifier cette interdiction à l’endroit des
directeurs.trices d’école qui n’entretiennent que des relations pour le moins
épisodiques, pour ne pas dire minimales, avec les élèves? Comment justifier
l’interdiction de mobilité professionnelle des personnes qui subissent les effets de
l’interdiction? Comment justifier l’anéantissement des dispositions d’une convention
collective de travail qui se trouvent en porte à faux avec les dispositions de la Loi 21?
[1109] Le Tribunal conclut que les défenseurs de la Loi 21 ne se déchargent pas de leur
fardeau de démontrer par une démonstration convaincante, qui peut se fonder sur une
preuve prépondérante, que l’interdiction du port des signes religieux participe à la
neutralité de l’État dans son sens formel.
[1110] Donc, il s’ensuit que les effets préjudiciables de la Loi 21 contenus au premier
alinéa de l’article 4, aux articles 6, 7, 8, 10, au premier et au deuxième alinéa de l’article
12, aux articles 13, 14 et 16 lus en conjonction avec le paragraphe 7 de l’annexe I, le
paragraphe 10 de l’annexe II et le paragraphe 4 de l’annexe III ne s’avèrent pas
proportionnées et ainsi l’atteinte à l’article 23 de la Charte ne peut se justifier aux
termes de l’article premier.
[1113] Dans Ontario (Procureur général) c. G.785, la Cour suprême vient tout récemment
de décider dans quelles circonstances le tribunal peut suspendre l’effet d’une
784 Déclaration sous serment de Ines Hadj Kacem du 20 février 2020, par. 4; Ferroudja Si Hadj
Mohamed, du 21 février 2020, par. 8 et 9.
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[1117] Cela suffit à sceller le sort de cette question. Mais, à tout événement, en
appliquant les enseignements de la Cour suprême, le tribunal ne pourrait émettre une
telle suspension. En effet, la violation de droits constitutionnels milite fortement en
faveur d’une déclaration d’invalidité avec effet immédiat, car compte tenu du libellé
impératif de l’article 52(1) de la Charte, seules des raisons impérieuses justifient une
telle suspension790.
[1119] Le Tribunal conclut qu’il ne s’agit manifestement pas d’un tel cas en l’instance.
[1120] Normalement, la partie qui défaille doit supporter les frais de justice. Le Tribunal
fera exception à cette règle pour les raisons qui suivent.
[1122] Ainsi, dans la mesure où le Tribunal donne raison à EMSB, on peut affirmer que
tant Hak, Kaur ainsi que plusieurs organisations intervenantes pourront bénéficier des
conséquences du jugement obtenues dans le dossier de EMSB. Il s’ensuit qu’il convient
de ne pas imposer des frais de justice à ces parties pour ces raisons, bien que le
Tribunal rejette leur recours.
15 LES CONCLUSIONS
[1126] RADIE la partie qui suit la première phrase du paragraphe 27, le paragraphe 28
et le paragraphe 49 tout en permettant la production de la pièce GR-10;
[1129] DÉCLARE que le premier paragraphe de l’Annexe III de la Loi sur la laïcité de
l’État, RLRQ c. L-0.3, lu en conjonction avec le premier alinéa de l’article 8 de cette
même loi, viole l’article 3 de la Charte canadienne des droits et libertés;
[1131] DÉCLARE inopérant le premier paragraphe de l’Annexe III de la Loi sur la laïcité
de l’État, RLRQ c. L-0.3, en vertu de l’article 52 de la Charte canadienne des droits et
libertés;
[1138] DÉCLARE que le premier alinéa de l’article 4, les articles 6, 7, 8, 10, le premier
et le deuxième alinéa de l’article 12, les articles 13, 14 et 16, lus en conjonction avec le
paragraphe 7 de l’annexe I, le paragraphe 10 de l’annexe II et le paragraphe 4 de
l’annexe III de la Loi sur la laïcité de l’État, RLRQ c. L-0.3, violent l’article 23 de la
Charte canadienne des droits et libertés;
[1139] DÉCLARE que ces violations ne peuvent se justifier aux termes de l’article 1 de
la Charte canadienne des droits et libertés;
[1141] Avec les frais de justice, incluant les frais d’experts, au bénéfice des
demanderesses.
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