2015 Petitguide Sante Numerique
2015 Petitguide Sante Numerique
2015 Petitguide Sante Numerique
au pays de
la santé numérique
En partenariat avec
Mathias Béjean, Maître de conférences,
Jean-Paul Dumond, Maître de conférences habilité à
diriger des recherches,
Johana Habib, Maître de conférences
Sommaire
Propos liminaire ....................................................................................................................................... 3
Fiche « transversale » .............................................................................................................................. 5
Les grands enjeux du monde de la santé ............................................................................................. 5
La santé numérique et ses dispositifs technologiques ......................................................................... 6
Les capacités transformatives des dispositifs technologiques à leur utilisation .................................. 7
Le modèle de Venkatraman (1994) ..................................................................................................... 8
De nouveaux repères pour la réflexion stratégique............................................................................. 9
Fiche #1 - « Patients » ............................................................................................................................ 11
Enjeux actuels .................................................................................................................................... 11
Opportunités numériques ................................................................................................................. 12
Risques ............................................................................................................................................... 13
Prospective ........................................................................................................................................ 14
Fiche #2 - « Producteurs de soins » ....................................................................................................... 15
Enjeux actuels .................................................................................................................................... 15
Opportunités numériques ................................................................................................................. 16
Risques ............................................................................................................................................... 16
Prospective ........................................................................................................................................ 17
Fiche #3 - « Assurances » ....................................................................................................................... 18
Enjeux actuels .................................................................................................................................... 18
Opportunités numériques ................................................................................................................. 18
Risques ............................................................................................................................................... 19
Prospective ........................................................................................................................................ 20
Fiche #4 - « Industriels » ........................................................................................................................ 21
Les enjeux actuels .............................................................................................................................. 21
Opportunités numériques ................................................................................................................. 22
Risques ............................................................................................................................................... 23
Prospective ........................................................................................................................................ 25
Fiche #5 - « Laboratoires pharmaceutiques » ....................................................................................... 26
Enjeux actuels .................................................................................................................................... 26
Opportunités numériques ................................................................................................................. 27
Risques ............................................................................................................................................... 29
Prospective ........................................................................................................................................ 29
2
Propos liminaire
Amorcé dès les années 70 par l’informatisation des fonctions de gestion et par les premiers projets de
dossier patient numérisé, le recours aux « nouvelles technologies de l’information et de la
communication » dans le champ de la santé a connu depuis quarante ans à la fois, un intérêt soutenu –
les investissements en la matière ont été considérables – et des échecs retentissants, nombreux et
répétés. C’est que la mise à disposition d’une technologie ne signifie pas son utilisation par des
professionnels possédant de lourdes contraintes, une assez large autonomie, des pratiques tacites et
une tradition respectable.
La situation, cependant, en ce milieu des années 2010 pourrait avoir brusquement et positivement
changé. La mutation des générations pourrait s’être effectuée laissant la place à des praticiens tout
autant attachés au métier que leurs prédécesseurs, mais plus sensibles aux contraintes économiques et
aux ouvertures technologiques ; les patients, eux-mêmes, deviennent moins passifs, plus éduqués,
toujours connectés et si, vieillissants, ils ne le sont pas, leurs enfants le sont pour eux ; en dépit
d’utilisations encore souvent éphémères et d’une maturité technologique parfois incertaine, les objets
connectés se diffusent et les entreprises mondiales les plus puissantes qui soient s’intéressent au Big
Data sanitaire. Une sorte de « conjonction des astres » semble se construire et la floraison étonnante
de rapports sur la santé numérique parue en 2014 en témoigne avec clarté.
L’objet de ce « petit guide d’exploration au pays de la santé numérique » à l’usage des profanes vise à
synthétiser la multitude de matériaux produits et des perspectives tracées ces dernières années dans le
but de permettre au mouvement mutualiste de se positionner. Le choix peut être celui de l’attente
(apparemment peu satisfaisant, il est parfois le plus efficace), celui d’un engagement et d’un
investissement dans un domaine particulier ou avec des partenaires privilégiés ou, encore, celui de la
défense d’une conception particulière de la santé numérique au nom des conceptions mêmes dont le
mouvement mutualiste est porteur. Les alternatives diffèrent donc par leur contenu et leur profondeur
d’engagement pour la mutualité française.
Pour éclairer ces différentes voies, ce petit guide met en scène le développement de la santé
numérique. Celui-ci se fonde, ni sur les capacités miraculeuses d’une technologie, ni sur le pouvoir
politique d’un acteur, mais sur leur rencontre, c’est-à-dire sur la jonction entre un nouveau possible et
une volonté, entre une opportunité technologique et un enjeu. Cette jonction n’est pas qu’une
étincelle ; elle est plutôt une série d’interactions entre les facultés opératoires d’un outil et le champ de
préoccupations d’un groupe d’acteurs et, souvent, les mondes de plusieurs acteurs opportunément et
plus ou moins durablement coalisés. Dans cet espace technique et politique où règne l’incertain se
profilent pour chaque acteur, les assurances, les établissements et les professionnels, les patients et les
industriels, des perspectives de développement de la santé numérique dont on ne sait jusqu’où elles se
poursuivront et comment elles interagiront entre elles. Ces perspectives sont présentées pour chaque
acteur avec la gradation nécessaire qui donne à l’incertitude et au choix toutes leurs places. Une fiche
générale, placée en introduction, trace les perspectives envisageables pour l’ensemble du système de
santé.
Ces perspectives de développement sont concrètes. Elles sont porteuses de technologies, de données,
de nouvelles organisations, et de comportements requis. Elles laissent entrevoir des nécessités et des
possibles, des choix et des investissements. Néanmoins, à l’égard de ces développements futurs, il
semblerait que trois orientations, trois grandes options se dessinent qui font écho à des archétypes de
l’action organisée.
3
Trois logiques bien connues animeraient ainsi le développement de la santé numérique :
une logique de contrôle et de normalisation des comportements ouvrant sur des prescriptions
et des injonctions plus serrées ; déjà à l’œuvre à l’égard de nombreux professionnels, cette
logique pourrait s’étendre aux patients et, partant, à l’ensemble de la population ;
une logique d’expression et d’affirmation des intérêts individuels régulés par des transactions
explicites ou implicites ; cette logique pourrait se traduire, notamment, par une
individualisation croissante de la couverture contre le risque maladie, par la marchandisation
accrue des données de santé et par l’apparition de nouveaux acteurs sur différents segments
d’activité ;
une logique de mise en commun et de partage sous la forme de dons entre des individus se
rattachant à des communautés physiques ou virtuelles ; la mise en commun peut concerner des
données échangées entre patients et associations et le partage porter sur les savoir-faire, les
expertises et les expériences entre professionnels au sein de communautés épistémiques et de
pratique ; la médecine participative en est une illustration.
la loi, c'est-à-dire la prescription par la législation des comportements des acteurs de la santé
numérique, y compris ceux des usagers ;
Au regard de ces logiques qui, toutes, seront présentes dans le développement de la santé numérique
et qui se concrétiseront avec plus ou moins de vigueur, le mouvement mutualiste a sans nul doute sa
voix à faire entendre.
4
Fiche « transversale »
Cette première fiche vise à introduire les enjeux actuels du système de soins en France et de la santé
numérique et à identifier les capacités transformatives des usages du numérique au sein du système de
santé.
L’analyse des dynamiques de transformation pour chaque type d’acteurs se structure sous la forme de
« fiche acteur » et aborde systématiquement les points suivants : les acteurs concernés, les enjeux
actuels, les opportunités et les risques induits par les usages du numérique, et enfin une analyse
prospective des tendances futures envisageables dans le champ sectoriel.
Pour structurer l’analyse prospective et appréhender les différents niveaux de décision stratégique
possibles pour chaque type d’acteurs, le modèle des transformations organisationnelles associées aux
usages des technologies de l’information de Venkatraman (1994) est mobilisé comme canevas
théorique. Il est présenté dans cette première fiche.
Un enjeu symbolique : le secteur de la santé et les professionnels qui s’y dédient témoignent de
la solidarité entre les humains et les générations en les traitant de manière aussi semblable que
possible face à la souffrance et la mort ; les activités de santé ancrent les logiques du vivant
dans le champ de la culture.
5
La santé numérique et ses dispositifs technologiques
La santé numérique (ou e-santé) fait référence à « l'application des technologies de l'information et de
la communication (TIC) à l'ensemble des activités en rapport avec la santé » (définition retenue par la
Commission européenne).
Les systèmes d’information en santé permettant une meilleure coordination des soins au sein
d’un établissement de santé (Systèmes d’information Hospitalier ou SIH, Dossier Patient
Informatisé ou DPI, etc.) ou d’un territoire de soins (Systèmes d’Information partagé de santé).
La télésanté intégrant des services de suivi et de prévention des individus dans un objectif
principal de bien être (objets connectés, applications mobiles d’auto-mesure, plateforme web,
…)
En fonction des utilisateurs, il est possible de distinguer au sein de ces champs d’application trois types
de dispositifs technologiques génériques :
Des dispositifs technologiques centrés patient ou grand public : m-health ou m-santé (M pour
Mobile) applications de santé mobiles, applications de santé web, objets connectés, réseaux
sociaux (communautés de patients), portail d’information de santé, etc.
Des dispositifs technologiques centrés offreurs de soins tels les établissements de santé et les
professionnels de santé : les SIH internes, systèmes d’information partagés, systèmes
d’information embarqué (ex : SMUR), dispositifs de télémédecine, etc.
6
Les capacités transformatives des dispositifs technologiques à leur utilisation
Des dispositifs technologiques, utiles selon toute vraisemblance, sont, en effet, restés en jachère
pendant de longues années. La télémédecine et le dossier patient informatisé, par exemple, s’appuient
sur des technologies relativement mûres ; leurs apports ont été maintes fois précisés et, en dépit de
leurs atouts, ces dispositifs restent très largement sous-utilisés au regard de leurs potentialités ou de
leurs capacités transformatives.
C’est qu’il convient de distinguer les fonctionnalités d’un dispositif, les transformations possibles dont
il est porteur que nous nommons ses capacités transformatives et son utilisation effective. Entre une
potentialité et une utilisation, se glissent une étape et une notion fondamentales, celles de l’usage du
dispositif technologique. L’usage est un emploi effectif et particulier d’un outil. Il diffère de la mise en
œuvre du mode d’emploi imaginé par les concepteurs du dispositif, pour plusieurs raisons :
l’usage est une création : le mode d’emploi ne peut prévoir toutes les situations que les
utilisateurs rencontreront, auxquelles ils devront faire face et qui les conduiront à imaginer des
solutions et des pratiques ad hoc, non anticipées par le concepteur ;
l’usage est une re-création : le dispositif technologique s’insère dans un monde préexistant de
préoccupations professionnelles, de valeurs, de schèmes cognitifs dont la spécificité propre à
chaque univers professionnel particularisent ces mondes ; les fonctionnalités du dispositif sont
sélectionnées en fonction de cette spécificité et sont parfois détournées de leur fonction
première pour servir à d’autres emplois (de même que l’on peut utiliser un livre pour servir de
cale à une table).
L’usage d’un dispositif technologique n’est donc pas immédiat comme l’activité réalisée d’un agent n’est
jamais la seule et la stricte application des prescriptions qui lui sont fournies. L’usage est une création
et une recréation dont l’ampleur varie selon l’intérêt de l’acteur à s’y engager ou de sa capacité à ne
pas s’y engager s’il y est plus ou moins contraint.
L’utilisation effective d’un dispositif technologique dépend donc de la capacité politique des acteurs à
le refuser (s’il le rejette) ou à pouvoir en disposer (s’il le souhaite en bénéficier), notamment en
pratiquant des alliances, et de leur capacité à inventer des usages permettant d’insérer l’outil dans leur
monde professionnel particulier. Entre le refus ou l’acceptation politique d’un outil et le déploiement
d’une capacité inventive n’existe aucun séquencement prédéfini. Les usages peuvent, par exemple, être
minimalistes conduisant à une première et timide acceptation qui, elle-même, peut favoriser
l’exploration de nouveaux usages ; une technologie peut être promue par intérêt par un groupe
d’acteurs, puis appropriée par d’autres acteurs qui construiront des usages différents de cette même
technologie. Se forment des échos ou, plus exactement, des correspondances entre le plan politique et
celui de l’inventivité ; ces correspondances animent les dynamiques de diffusion d’un dispositif
technologique dont l’arrêt peut être rapide ou dont le cours peut se poursuivre dans la durée.
De ce fait, selon l’importance des nouveaux usages inventés, les capacités transformatives d’un
dispositif technologique peuvent conduire à des transformations organisationnelles d’ampleur variée.
7
Le modèle de Venkatraman (1994)
Les usages du numérique en santé transforment aujourd’hui de nombreux aspects du système de santé,
de ses modes de production à ses modes de consommation. Ils tendent à modifier tant le
comportement des patients que les pratiques des professionnels de santé. De nouveaux marchés
émergent (objets connectés, télémédecine, hébergeurs de données, etc.) et la concurrence entre et
avec les acteurs historiques du système de santé s’intensifie.
Ces usages du numérique et les changements qu’ils induisent peuvent être appréhendés à travers le
modèle de Venkatraman (19942). Dans une approche graduelle, il propose une lecture des
transformations numériques selon deux axes, celui des degrés de transformation organisationnelle (axe
1) et celui des bénéfices potentiels différents en fonction de leurs niveaux d’intégration dans
l’organisation (axe 2). Ces usages du numérique sont appréhendés comme des niveaux de décision
stratégique. A partir de ces deux axes, il distingue cinq types de transformation organisationnelle
associés aux technologies de l’information.
Figure 1 - Dynamiques de transformation du modèle de Venkatraman (1994)
Élevé
Degré de transformation des affaires
Intégration interne
Exploitation locale
Faible
Les deux premiers types de transformation sont qualifiés de changements mineurs induisant une
évolution dans l’organisation, tandis que les trois derniers sont appréhendés comme des changements
majeurs produisant une révolution (au sens de bouleversement) dans l’organisation :
2Venkatraman N. (1994). «IT-enabled Business Transformation: from Automation to Business Scope Redefinition ». Sloan Management
Review, vol. 35, n°2 p. 73-87
8
Les transformations organisationnelles majeures de type « révolution » : le troisième niveau de
transformation se rapporte à la réingénierie des processus d’affaires. Il s’agit de reconcevoir les
processus organisationnels en profitant des opportunités technologiques dans un objectif
d’amélioration de leur performance en termes de coûts, de délais et/ou de qualité. Ce niveau
de transformation est toutefois difficile à distinguer de l’intégration interne. Les expériences de
déploiement d’application d’entreprise (ERP, CRM, etc.) montrent que les deux niveaux de
transformation sont étroitement liés. Si la distinction n’est pas aisée, il faut donc davantage
concevoir l’intégration interne des systèmes d’information comme un prérequis à des
changements majeurs dans l’organisation. Le quatrième niveau de transformation relève de la
reconception des réseaux d’affaires dans une démarche d’intégration externe ou d’entreprise
étendue. Il s’agit ici de déployer des systèmes d’information inter-organisationnels en amont
(fournisseurs) ou en aval (distributeurs ou clients). L’organisation s’attache à développer un
couplage fort avec ses partenaires pour garantir notamment la fiabilité de ces activités
externalisées. Les projets d’intégration de la chaine logistique illustre bien ce niveau de
transformation. Le cinquième et dernier niveau de transformation, le plus ambitieux mais
également le plus périlleux, concerne la redéfinition du modèle d’affaires. Ici, l’entreprise
entreprend un changement de paradigme dans la conception de sa mission, de son métier et
de ses activités. La stratégie d’Orange dans la santé (Orange Healthcare) illustre ce type de
transformation. En profitant de ses compétences et ressources autour des réseaux de
télécommunication, Orange se positionne aujourd’hui comme l’un des leaders français de la
santé numérique en développant des systèmes d’information de santé connectés à destination
des patients, des médecins libéraux et des établissements de santé. Cela constitue un nouveau
métier, relai de croissance, pour le groupe.
9
Le règne de la donnée – Les usages numériques et connectés des acteurs du système de santé
ont généré une explosion des données de santé. Ces données proviennent de recherches sur le
web, d’applications de santé ou d’objets connectés utilisés par les patients, de données
médicales issues de dossier patient informatisé, de résultats d’imagerie, de biologie, … et de
données transactionnelles telles que les prescriptions pharmaceutiques, les remboursements
de l’assurance maladie ou des mutuelles. Il s’agit donc à la fois de nouvelles données de santé
comme les données personnelles, les sites de santé crées par des communautés de patients ou
encore les traces de mots clés sur le web, et de données de santé déjà existantes (comptes
rendu médicaux, imagerie, etc.) dont le stockage électronique permet désormais une
exploitation plus fine et systématique. Le vocable de « big data santé » qualifie cette explosion
des données de santé et les potentialités d’exploitation offertes aux acteurs du système de
santé. A titre illustratif, la disponibilité de ces données peut autoriser une meilleure
personnalisation de la prise en charge médicale et préventive, une réorganisation de l’offre de
soins sur le territoire grâce à une connaissance améliorée des besoins de santé ou encore des
études épidémiologiques de plus grande ampleur ou de nature prédictive.
L’acteur de santé 2.0 – Ces dernières années de nouveaux acteurs ont fait leur apparition dans
le secteur de la santé en proposant de nouveaux services numériques et en ouvrant de
nouveaux marchés. Qu’il s’agisse d’opérateurs de télécom, d’éditeurs de logiciel, de
concepteurs d’application, de géants du numérique ou de fabricants d’objets connectés, ces
acteurs redistribuent les cartes du jeu concurrentiel. Comme dans les autres secteurs
économiques impactés par le numérique, la transition numérique s’opère dans une logique
d’innovation ouverte et collaborative où des alliances inédites émergent. A titre d’exemples, il
est possible de citer l’alliance entre Google et le ministère américain de la santé pour la
prédiction de l’évolution de la grippe H1N1, celle entre IBM et les hôpitaux de Caroline du Nord
pour le suivi post-hospitalisation des patients, ou enfin celle entre Samsung et le groupe
pharmaceutique américain Merck & Co pour la fabrication et la commercialisation de dispositifs
biopharmaceutiques.
On peut faire l’hypothèse que la santé numérique est conduite ou tirée par l’attrait du quantified self,
par le règne de la donnée et l’arrivée de nouveaux entrants qui, poussés à leur terme, conduiraient sans
nul doute à une redéfinition du système de santé et à une « révolution » de son fonctionnement et de
son organisation. Une autre force à l'œuvre devrait également révolutionner le modèle :
l'individualisation de la médecine et des traitements qu'offre le décryptage du génome. La dimension
prédictive d'un tel décryptage peut donner une toute nouvelle dimension à l'approche prévention (avec
le décryptage du génome la probabilité d'un risque santé est "connue", la prévention a dès lors plus de
sens) et introduire des transformations majeures dans le champ assurantiel. Aurons-nous demain une
couverture santé proportionnelle aux probabilités de maladies que nous annonce notre décryptage
génomique ?
Les transformations à l’échelle de chacun des acteurs utilisent ainsi l’un ou plusieurs de ces inducteurs,
accélérateurs ou attracteurs de la transition numérique.
10
Fiche #1 - « Patients »
Cette fiche concerne les patients des établissements de santé et médico-sociaux. Avec le
développement de postures beaucoup plus actives, de nouvelles formes d’organisation de ces acteurs
de la santé sont également à envisager dans l’évolution globale du système. Il s’agit par exemple de la
poursuite du mouvement d’associations de malades sur internet conduisant à de nouvelles formes de
communautés et de partenariats avec les établissements, les professionnels de santé et certains
industriels.
Comment ces acteurs peuvent-ils se saisir des opportunités du numérique pour répondre à leurs enjeux
? Quels risques peuvent émerger de ces stratégies et usages du numérique ? Quelles dynamiques
globales cela permet-il de dessiner ?
Enjeux actuels
Pour les patients, trois grands enjeux socio-économiques actuels peuvent être relevés :
Avoir accès aux soins et à l’information de santé sur tous les territoires : avec la reconfiguration
de l’organisation des soins sur les territoires, les patients sont de plus en plus sensibles aux
enjeux d’accès aux soins et à l’information de santé. Au niveau du système, cela renvoie
notamment à des problématiques de lutte contre les déserts médicaux, de gestion des
expertises de santé à l’échelle du territoire à des coûts maîtrisés (expertise médicale à distance),
de développement d’alternatives à l’hospitalisation classique (hospitalisation à domicile,
ambulatoire), ou au recours à la prévention et aux politiques de santé publique.
Bénéficier d’une prise en charge globale et individualisée : d’un point de vue épidémiologique,
le développement de nouvelles maladies systémiques (ex : polypathologies gériatriques,
maladies chroniques, …), transforment les pratiques de santé et incitent tant les structures et
professionnels de santé, que les patients à s’inscrire dans des modes de prise en charge globaux
et individualisés. Au niveau du système, cela renvoie notamment à des problématiques de
trajectoires de santé, à la constitution de « nœuds » d’information individualisés et accessibles
au plus grand nombre (dossier patient partagé, dossier pharmaceutique,…), voire au
développement de mode d’accompagnement et de coaching de ces patients tout au long de
leur parcours de soins.
Devenir un acteur de « ma » santé et de celle des autres : dans un contexte de maîtrise des coûts
et de rationalisation de l’offre de soins, les citoyens sont de plus en plus sollicités dans la gestion
de leur santé, mais aussi de celle des autres (ex : le rôle des « aidants »). Au niveau du système,
cela renvoie à des problématiques d’éducation thérapeutique, d’autonomisation des patients
dans l’observance de leur traitement et leur parcours de soins, et de révision de la relation
médecin-patient traditionnelle. En outre, cela renvoie aussi au développement de réseaux de
malades et d’aidants, permettant de mobiliser des savoirs « profanes » conjointement aux
expertises médicales et soignantes dans le but d’améliorer la prise en charge et la connaissance
médicale (remontée d’informations et de données de patients).
11
Opportunités numériques
Face aux enjeux précédents, le numérique semble offrir des opportunités sérieuses de développement,
que l’on peut regrouper en deux espaces interdépendants :
Le quantified self – Devenir producteur de données de santé : en comparaison avec les « smart
grids » du secteur de l’énergie, les dispositifs numériques pourraient bien faire du patient l’un
des premiers producteurs de données au sein des réseaux de santé. Les objets connectés
(smartphones, bracelets, vêtements intelligents, …) participent déjà d’une « auto-mesure de
soi » (constantes physiologiques, alimentation, sommeil, exercice physique, …) connu sous
l’expression anglaise de « quantified self ». Ce mouvement, qui pour certains signifie le passage
d’un « internet des objets » à un « internet des corps », est apparu en 2007 dans la Silicon
Valley. Il a été popularisé par Gary Wolf et Kevin Kelly, tous deux rédacteurs de la célèbre revue
Wired. Depuis, le mouvement s’est beaucoup développé et se présente comme une
« collaboration entre utilisateurs et fabricants d’outils qui partagent un intérêt pour la
connaissance de soi à travers la traçabilité de soi »4. Le projet « transhumaniste » va même
jusqu’à promouvoir un nouvel homme idéal, connecté et augmenté. A plus court terme,
certaines initiatives de systèmes d’information partagés semblent vouloir s’appuyer sur le
patient pour assurer la « portabilité » de l’information médicale.
3 Baromètre Orange-TerraFemina, Vague 5 - La santé à l’heure d’Internet : demain, l’automédication en ligne ?, n°1100068 –Février 2011
4 “The Quantified Self is an international collaboration of users and makers of self-tracking tools”, source quantifiedself.com
12
Risques
Certains risques importants peuvent être identifiés :
Confidentialité et fiabilité des données : la confidentialité des données est un enjeu de première
importance pour les patients. De nos jours, beaucoup d’utilisateurs de smartphones semblent
ne pas se poser encore beaucoup de questions et fournissent assez facilement des données sur
eux-mêmes. Dans le cas de la santé, la CNIL a alerté sur les dérives possibles de ces
comportements et les dangers que pourraient constituer les « wearables » (objets connectés)5
en termes de respect de l’intimité et de la vie privée (effet « Big Brother »). Par ailleurs, la
fiabilité des données fournies sur soi ou celles mises en ligne par des « profanes » fait également
courir des risques de santé publique, notamment en termes de désinformation de certains
malades ou d’amplification de comportements déviants.
Pratiques de santé et crise des savoirs : avec ces transformations, la vision de la relation patient-
médecin change. Le raisonnement clinique et le projet thérapeutique doivent être explicités de
plus en plus aux patients qui souhaitent être acteurs de leur santé et qui s’informent par ailleurs
sur internet. Certains estiment que l’on est en train de passer d’un modèle « vertical » à un
modèle plus « horizontal », où le patient questionne et développe des « savoirs profanes ».
Cette transformation pourrait donc affecter certains comportements des patients et les risques
d’automédication pourraient s’accroître dans certains cas. En outre, les informations extraites
des flux de données collectées (ex : big data), pourraient amener des patients, ou des groupes
de patients, à contester les diagnostics médicaux. Par exemple, des signes précurseurs de
dysfonctionnements physiologiques, non détectés par un professionnel de santé, pourraient
être analysés après coup grâce à des outils de datamining sophistiqués. Il peut en résulter une
déshumanisation entre les patients et leur environnement médical, soignant, et même familial.
13
Prospective
A partir des éléments d’analyse précédents, il est possible de qualifier une double évolution (voir
schéma). D’une part, on peut imaginer le passage de stratégies d’exploitation locale des technologies
de l’information à des reconceptions des réseaux d’affaires, voire des valeurs et modèles d’affaires
existants. D’autre part, on peut imaginer que du point de vue des patients, cette évolution sera polarisée
entre, d’un côté, une demande d’individualisation de l’offre assurantielle permise par les technologies
du « quantified self » et sous-tendue par des logiques de transactions, et, d’un autre côté, une volonté
de contribuer à des formes de fabrique de la santé beaucoup plus solidaires et participatives sous-
tendues par des logiques de don.
Figure 2 - Dynamiques de transformation pour les patients
Élevé
14
Fiche #2 - « Producteurs de soins »
Cette fiche concerne les établissements de santé et médico-sociaux et les professionnels de santé. A
leurs enjeux d’une territorialisation renforcée et d’une mondialisation accrue, la santé numérique peut
apporter toute une gamme de solutions allant du dossier patient informatisé au datamining et du
télédiagnostic ponctuel à l’utilisation de la télémédecine pour préparer les hospitalisations et assurer
leur suivi.
Comment ces acteurs peuvent-ils se saisir des opportunités du numérique pour répondre à leurs enjeux
? Quels risques peuvent émerger de ces stratégies et usages du numérique ? Quelles dynamiques
globales cela permet-il de dessiner ?
Enjeux actuels
Outre les enjeux permanents de nature économique et d’intégration des nouvelles technologies, les
producteurs de soins sont confrontés à une double évolution à laquelle il leur faut s’adapter :
Une territorialisation renforcée : elle correspond à la mission première des services de santé de
répondre aux préoccupations de la population vivant sur un territoire donné et elle est portée
par l’ambition d’une rationalisation accrue des activités de santé. Elle a été soutenue par les
politiques ministérielles (SROS II et suivants) et par les évolutions législatives. Alors que les
systèmes de santé se sont fortement développés autour de l’hôpital, elle vise à coordonner tous
les acteurs qui contribuent à la santé de la population vivant sur un territoire : hospitaliers,
professionnels « ambulatoires », acteurs sociaux, familles, notamment. Elle peut prendre
plusieurs formes jusqu’à accorder une responsabilité populationnelle aux établissements de
santé.
Une internationalisation accrue des activités de santé : elle résulte de la transformation des
activités de santé en « prestations » (LFSS du 18/12/2003), de l’importance des frais fixes dans
les budgets hospitaliers, de la constitution de groupes sociaux fortunés ou aisés dans des pays
à protection sociale naissante, de la baisse des prix des transports aériens et des possibilités de
prise en charge croisée entre régimes d’assurance maladie à l’intérieur de l’UE (directive 2011
relative aux soins de santé transfrontaliers). Les activités de santé donnent lieu progressivement
à un marché mondial de prestations de services.
15
Opportunités numériques
Les dispositifs numériques peuvent permettre de répondre aux enjeux de la sorte :
Dispositifs Opportunités / territorialisation Opportunités / mondialisation
Assurer la transférabilité des données patients entre les
professionnels d’un même territoire (objectif de base du plan
Hôpital numérique).
« Créer des parcours patient 100% numérique : prise de rendez-
vous en ligne, prescription en ligne, ordonnance dématérialisée,
dématérialisation des résultats d’analyse, paiement en ligne des
consultations, etc. » (Lemoine 2014)7 Analyser les données
Systèmes
Planifier de manière plus précise les soins à l’intérieur d’un patients pour mener des
d’information
établissement et entre professionnels d’un même territoire. actions de prévention et
hospitaliers
Fédérer les professionnels par des réseaux sociaux d’échange d’éducation pour la santé.
(SIH)
de pratiques entre professionnels de santé d’un même territoire
ou autour « de cabinets médicaux connectés, pour innover en
permanence et permettre aux innovations de répondre au
mieux aux besoins des professionnels de santé » (Lemoine
2014).
Analyser les données patients pour mener des actions de
prévention et d’éducation pour la santé sur un territoire donné.
Permettre de nouvelles formes de collaboration entre Vendre des diagnostics ou
professionnels en additionnant les expertises, malgré les d’autres prestations à
distances. distance.
Télémédecine Pour les établissements, redéfinir les modalités de coopération Préparer des
entre eux et avec les professionnels (diagnostic et surveillance à hospitalisations de
distance, formation d’acteurs et de patients), en particulier patients distants et assurer
entre les EHPAD et les hôpitaux. leur suivi.
Risques
Le recours aux différents dispositifs numériques représente les principaux risques suivants pour les
producteurs de soins :
7 Lemoine Philippe, La nouvelle grammaire du succès : la transformation numérique de l'économie française, rapport au gouvernement
français, novembre 2014
16
Un appauvrissement accentué de la relation clinique (par le manque de présence en face à face
des patients et des professionnels) et le passage d’une relation soignant-patient fondée sur
l’autorité et la confiance à une relation de négociation et de contrôle (risque déjà présent)
Prospective
La santé numérique peut soutenir les deux orientations qui semblent façonner le monde des
producteurs de soins, la territorialisation et la mondialisation.
La territorialisation peut être renforcée par le développement des SI selon une montée en
puissance schématique s’amorçant par un DPI et l’interopérabilité des données. Celle-ci peut être
organisée par les établissements ou conduite par les patients. Elle peut être accentuée par une
intégration numérique et organisationnelle des acteurs de santé sur un territoire. Enfin, elle peut
donner lieu à une politique de datamining. Parallèlement, la télémédecine peut faciliter la
coopération des acteurs de santé autour du patient selon également une montée en puissance de
l’intensité de l’utilisation de la télémédecine dans les pratiques professionnelles.
Élevé
Datamining
Degré de transformation des affaires
17
Fiche #3 - « Assurances »
Cette fiche concerne les acteurs historiques de l’assurance à savoir : la Sécurité Sociale, les mutualités
et les acteurs assurantiels privés lucratifs. De nouveaux acteurs peuvent également intervenir dans cet
écosystème assurantiel, notamment autour des applications du « Big data » (entreprises qui collectent
et traitent des données de masse).
Comment ces acteurs peuvent-ils se saisir des opportunités du numérique pour répondre à leurs enjeux
? Quels risques peuvent émerger de ces stratégies et usages du numérique ? Quelles dynamiques
globales cela permet-il de dessiner ?
Enjeux actuels
La transformation socio-économique de la santé soulève deux grands enjeux actuels pour les acteurs
de l’assurance :
L’adéquation de l’offre de soins aux besoins évolutifs des patients : les assureurs sont
directement intéressés à agir sur l’offre de soins afin de : 1) répartir celle-ci en fonction de la
demande et de rendre égales les conditions d’accès aux services de santé, 2) améliorer
l’efficacité clinique des prises en charge, notamment par une personnalisation accentuée des
prestations proposées et 3) renforcer l’efficacité organisationnelle du système de santé dans le
but de réduire le coût exigé par les offreurs et le montant des primes.
Opportunités numériques
Face aux enjeux précédents, le numérique offre des opportunités de développement, que l’on peut
regrouper en deux espaces interdépendants :
Le « big data » - Accroître la capacité de prévention et de suivi des comportements des assurés :
le big data consiste en la collecte puis l’analyse de données de masse grâce à des algorithmes
de plus en plus sophistiqués. Il offre des opportunités importantes en termes de prévention et
d’études épidémiologiques. Par exemple, un outil Google8 s’est fait connaître pour le suivi des
épidémies de grippe qu’il propose quasiment en temps réel via une cartographie dynamique de
la situation. En comparaison, les outils traditionnels de suivi réagissent souvent avec un
décalage de deux semaines à partir de symptômes évoqués lors de consultations à l’hôpital.
Pour les acteurs assurantiels, ces données offrent également la possibilité d’individualiser le
suivi de leurs assurés qui accepteraient de fournir des données sur leurs comportements de
18
santé. Ces acteurs ont ainsi un intérêt à financer et rembourser des objets connectés, afin de
collecter des données de santé qui leur font défaut à ce jour. Par exemple, suite à ses
expérimentations dans le champ de l’assurance automobile (« Axa Drive »), Axa se positionne
sur le marché de la prévention avec le lancement d’une offre conjointe avec Withings, acteur
de la santé connectée. Autrement dit, de telles applications devraient se multiplier dans le
monde de la santé (messages de prévention envoyés en « push » sur les smartphones, pilotage
de la relation client de type CRM9 en fonction de la consommation de soin, orientation de la
prise en charge, …) et pourraient, à terme, intéresser de nouveaux acteurs, tels que les
employeurs ; ces derniers pourraient par exemple signer des contrats d’entreprise avec des
assurances en s’engageant sur des normes de comportements de leurs salariés, qu’ils seraient
alors en charge de contrôler.
L’ « open data » - Ajuster les taux de remboursements en fonction de l’efficacité des dispositifs
diagnostiques et thérapeutiques : la Sécurité Sociale est un acteur majeur de la régulation des
données. La base de données de la SNIIRAM constitue à ce titre une vraie « mine d’or », à
laquelle beaucoup d’acteurs aimeraient avoir accès. Par exemple, bien que moins souvent que
les laboratoires de recherche ou certains industriels, les assurances demandent parfois des
autorisations d’accès qu’elles obtiennent au compte-goutte. L’ouverture de cette base serait
donc un facteur de transformation important et ferait de la Sécurité Sociale l’élément central
d’un système où de multiples acteurs viendraient rechercher des données. Cela pourrait
conduire à un contrôle renforcé des prescriptions (producteurs de soins) et des consommations
(patients), dans le but d’ajuster les taux de remboursements en fonction de l’efficacité des
dispositifs diagnostiques et thérapeutiques. Les objectifs pourraient aussi être : un meilleur suivi
des traitements, un contrôle accru des fraudes à l’assurance maladie, ou encore la
rationalisation des coûts de santé. Une telle évolution changerait le réseau d’affaires et pourrait
mener à l’invention de nouvelles alliances.
Risques
La plupart des risques associés aux opportunités numériques portent sur la gouvernance des données.
Ils renvoient notamment à :
Une dérive des « Bio-Banques » – le risque est de voir se développer des « Bio-Banques » de
données, très rémunératrices et dont la transparence de fonctionnement pourrait échapper au
contrôle des régulateurs et des malades. Car cette connaissance du vivant soulève la question
du « bio-pouvoir » que le philosophe Michel Foucault relevait déjà à son époque, c’est-à-dire
une réflexion politique sur la manière dont peut s’organiser une telle « gouvernance des corps »
et des effets qu’elle peut avoir à long terme, tant sur les normes, que sur les pratiques de santé.
19
hypothèses sensibles sur la manière de traiter les données et d’arbitrer dans les champs
d’action qu’ils modélisent.
Prospective
Au regard des éléments d’analyse précédents, il semble bien que l’utilisation des données de masse
fournies par les technologies de la m-santé et par les réseaux sociaux puisse profondément modifier les
pratiques de prévention et de suivi des assurés. Deux grandes tendances futures peuvent être
représentées grâce au modèle de Venkatraman (voir schéma). D’une part, l’accroissement du contrôle
sur les comportements des assurés, d’autre part, l’individualisation de la tarification grâce à la
personnalisation de l’information. Ces deux tendances invitent à une course à la collecte de données de
santé, pour laquelle les géants du numérique (Google, Apple, Samsung, …) possèdent des atouts
certains.
« Big data »
Reconception des réseaux d’affaires
« Open data »
Intégration interne
Exploitation locale
Faible
20
Fiche #4 - « Industriels »
Cette fiche concerne les acteurs industriels du secteur de la santé à l’exception de l’industrie
pharmaceutique qui est abordée en Fiche 5. L’objectif est ici d’insister sur les acteurs émergents tels les
opérateurs télécoms, les hébergeurs de données, les géants du numérique, les fabricants d’objets
connectés, les concepteurs et développeurs d’applications mobiles et de serious games. L’écosystème
de la santé numérique a ces dernières années modifié les règles du jeu économique du secteur. Les
modèles économiques des nouveaux entrants et les logiques de « coopétition »
(coopération/compétition) à l’œuvre en constituent des illustrations intéressantes.
Comment ces acteurs peuvent-ils se saisir des opportunités du numérique pour répondre à leurs enjeux
? Quels risques peuvent émerger de ces stratégies et usages du numérique ? Quelles dynamiques
globales cela permet-il de dessiner ?
Pour les industriels concernés, la transformation socio-économique du système de santé soulève quatre
enjeux principaux :
Le développement des soins à distance : il représente un enjeu majeur pour maintenir la qualité
du système de soins tout en maitrisant les dépenses. La mutualisation des expertises et la
coordination des professionnels de santé à travers ces usages numériques constituent une voie
de réponse à la redistribution des compétences sur le territoire et à la prise en charge des
patients hors de l’hôpital. Le développement de la télémédecine dont les technologies sont
aujourd’hui relativement bien maitrisées est toutefois conditionné au partage de l’information
médicale, quelque en soit le support. Il s’agit de la pierre angulaire de la coordination des
professionnels de santé et de l’utilisation de tels dispositifs, la qualité du diagnostic et de la prise
en charge étant influencée directement par l’accès au dossier médical du patient.
21
Le patient « acteur » de sa santé : mieux informés et détenteurs de données personnalisées sur
leur état de santé, les patients deviennent acteurs de leur parcours de soins et de leur bien-
être. Ces nouveaux comportements ouvrent de nouveaux marchés dans le champ de la santé
numérique comme par exemple la « m-santé » (mobile-santé). Ces usages numériques sur
smartphone ou tablette recouvrent des offres très variées d’applications destinées au grand
public et, plus récemment, aux professionnels de santé. La m-santé est indissociable de
l’explosion de l’usage d’objets connectés par les individus (pèse-personne et montre
intelligentes, tensiomètre, glucomètre, …) et de l’incursion des géants du numérique dans la
santé (Google, IBM, Apple, Samsung, …) intervenant dans la collecte et l’analyse de ces
nouvelles données personnelles de santé. La « m-santé » peut constituer une réponse aux
difficultés de partage de l’information médicale dans notre système de santé. Elle offre
l’opportunité au patient de devenir le « référent » de ses données de santé en les transmettant
aux professionnels qui pourraient en avoir besoin.
Opportunités numériques
Les industriels de la santé peuvent se saisir de ces enjeux pour structurer des opportunités de
développement.
Se centrer sur une interface unique de portabilité du dossier patient : l’utilisation exponentielle
du smartphone (ou de la tablette) par les professionnels de santé et les patients constitue une
occasion remarquable pour stocker et diffuser l’information médicale. L’ensemble des systèmes
d’information partagés de santé devrait pouvoir être accessible depuis un tel support (ou
device). Assurer la portabilité du dossier patient en faisant du smartphone l’interface centrale
de la relation patient-médecin permettrait de passer d’un modèle gratuit de services connectés
à un modèle payant reposant sur l’interconnexion des applications.
22
Miser sur une stratégie de plateforme : s’établir comme la plateforme de santé mondiale et
incontournable à l’image de Facebook pour les réseaux sociaux ou de Google pour les moteurs
de recherche représente aujourd’hui la stratégie prioritaire des acteurs du quantified self
(Runkeeper Nike+ ou Withings) et des géants du numérique. A titre d’exemples, Google a lancé
récemment Google Fit Plateform permettant aux utilisateurs d’avoir un accès centralisé à leurs
informations de santé et Apple, dans une logique similaire, son carnet de santé connecté,
HealthKit. L’objectif est de passer d’une logique de monétisation des fonctionnalités de leurs
outils à une logique de monétisation des données personnelles de santé. Dans cette conquête
du marché des données de santé, le gagnant sera l’acteur qui arrivera à fédérer un écosystème
d’affaires autour de sa plateforme dans une double approche BtoC (business to customer) et
BtoB (business to business). Ces acteurs multiplient donc les partenariats avec les fabricants
d’objets connectés et les concepteurs d’applications mobiles pour centraliser leurs données. De
la même façon, mais sur une cible différente, Apple a conclu récemment des partenariats avec
des établissements hospitaliers américains pour centraliser et traiter leurs données médicales.
Les hébergeurs de données du système de santé ou les éditeurs de solution pourraient avoir
tout intérêt à se positionner sur une telle stratégie.
Prouver la performance des technologies de santé pour construire des sources de revenus
durables : La labellisation des produits et services de santé connectés (application mobile,
serious game, objet connecté, …) par des organismes indépendants permettrait d’évaluer
objectivement leur performance dans le cadre d’une prise en charge ou d’une action de
prévention. Tant la prescription par les médecins, que leur remboursement par les acteurs
assurantiels dépendent, en effet, de la démonstration de l’intérêt médical du dispositif et de sa
fiabilité technologique. Dans cette stratégie de développement, gagner la confiance des
médecins semble constituer un facteur clés de succès. Les difficultés du DMP en France
soulignent fort bien le fait qu’il ne peut y avoir de santé numérique sans adhésion des
professionnels de santé. Or, rares sont actuellement les médecins qui considèrent que les
données de santé recueillies en dehors du parcours de soins possèdent une valeur d’un point
de vue clinique. Pour les industriels de la m-santé, le défi est donc d’impliquer les médecins
dans une logique de co-construction des technologies de santé ou de s’allier à des laboratoires
pharmaceutiques dont l’expertise médicale est reconnue.
Fédérer les offres de santé numérique : ceci pourrait se faire par le biais d’associations
professionnelles ou de groupements publics pour les systèmes d’information des
établissements et professionnels de santé et par le biais de magasins (ou de pharmacies)
spécialisés virtuels et/ou physiques pour les objets connectés et les applications de m-mobile.
Pour les offres à destination du grand public, cela permettrait d’avoir une plus grande visibilité
de ces produits et services, de les comparer notamment dans une logique communautaire (avis
des internautes) ou encore d’obtenir les conseils de professionnels.
Risques
Comme dans tout marché émergent, les risques sont importants pour les industriels :
Une régulation des pouvoirs publics attendue : qu’il s’agisse de solutions informatiques à
destination des professionnels de santé, d’applications et d’objets connectés pour le grand
public ou encore de l’exploitation des données personnelles de santé, les industriels attendent
un positionnement des pouvoirs publics pour dessiner le contour de ces nouveaux modèles
23
d’affaires. Qui paie ces nouveaux services de santé ? Les individus sur un marché concurrentiel ?
La sécurité sociale ? Les mutuelles ? Les employeurs ? Les professionnels de santé ? De la cible
dépendent, notamment, le positionnement du produit et les exigences règlementaires et
techniques à respecter. Il en va de même pour les stratégies big data des nouveaux entrants.
Sous quelles conditions peuvent-ils exploiter et commercialiser les données personnelles de
santé ? L’absence de cadre réglementaire clair sur ces questions freine la croissance du secteur
de la santé numérique.
Des modèles d’affaires non stabilisés : malgré les estimations de croissance optimistes du
marché de la santé numérique, les modèles économiques des industriels sont loin d’être
stabilisés. A titre d’exemple, sur le marché de la m-santé plusieurs modèles économiques ont
vu le jour: le paiement de l’application lors du téléchargement ou l’achat de l’objet connecté,
l’abonnement à des services premium (fonctionnalités avancées) et enfin la revente des
données à des tiers. Si actuellement ces sources de revenus sont la plupart du temps
combinées, force est de constater que la diversification des sources de financement et des
clients (médecins et assureurs) est une priorité pour ces entreprises.
Sécurité et bon usage des données de santé : les données de santé sont particulièrement
sensibles. Leur piratage ou leur exploitation par des organisations mal intentionnées peut avoir
des conséquences importantes sur la vie des individus concernés. Cette problématique relative
à la sécurité et à la confidentialité des données, les hébergeurs de données de santé français
l’ont bien intégré. Mais qu’en est-il des nouveaux entrants qui se sont lancés dans une stratégie
de collecte de données massives de santé ? La revente de données agrégées et anonymes, est-
ce une garantie suffisante ? Des pratiques frauduleuses ou non éthiques dans l’exploitation des
données personnelles de santé pourraient décrédibiliser les industriels de la m-santé. Dans de
telles situations, il semble également possible d’envisager des répercussions négatives sur les
systèmes d’information médicaux, les patients devenant réfractaires au partage d’information.
La fin de l’ère du quantified self : Lassitude, nouvelle mode ou mesure du risque par les individus
sont autant de phénomènes pouvant opérer un « retournement du marché ». Les premiers
impactés seront directement les acteurs de la m-santé ne disposant pas de compétences
distinctives autres dans le secteur de la santé.
24
Prospective
A partir des analyses précédentes, il est possible d’identifier deux trajectoires d’évolution numérique
pour les industriels, d’un côté celle des géants du numérique et de l’autre celle des industriels de la m-
santé, des hébergeurs de données et des éditeurs de solution (voir schéma). Ces trajectoires illustrent
des positionnements stratégiques différents en fonction notamment de leur expertise initiale.
Pour les industriels de la santé numérique au regard de leur maturité technologique, seuls des niveaux
de transformations majeurs peuvent être considérés. Les stratégies actuelles situées sur la reconception
des réseaux d’affaires dans une logique de coopétition (ex : partenariats entre les fabricants d’objets
connectés pour fédérer un écosystème web autour de la m-santé) permettent d’envisager pour ces
acteurs une future redéfinition de leur modèle d’affaires. Cette transformation numérique s’oriente
dans deux directions stratégiques : la commercialisation de dispositifs thérapeutiques connectés et le
big data. Ces deux stratégies seront très certainement combinées pour les géants du numérique qui
disposent déjà de compétences et ressources pour l’exploitation des données massives.
Élevé
Stratégie de commercialisation
de dispositifs thérapeutiques
Stratégie Big data :
connectés
commercialisation à grande
Redéfinition du modèle d’affaires échelle des données de
santé
Exploitation locale
Faible
Faible Portée des bénéfices potentiels Élevé
25
Fiche #5 - « Laboratoires pharmaceutiques »
Cette fiche propose une lecture de la transition numérique qui s’opère dans l’industrie pharmaceutique.
A l’instar des autres acteurs de la santé, les usages du numérique sont susceptibles de modifier
profondément les relations entre les laboratoires, les médecins et les patients. A l’ère de la santé
connectée et du Quantified Self, certains industriels du médicament ont d’ores et déjà construit une
stratégie de digitalisation de leur chaîne de valeur, parfois en rupture avec les fondements de leur
business model traditionnel. Toutefois dans cette industrie, les entreprises qui ont développé ce niveau
de maturité dans l’utilisation du numérique sont encore peu nombreuses11. La plupart se contentent de
proposer une digitalisation de pratiques existantes. Centrées sur les actions de marketing et de vente,
ces initiatives numériques – une application, un site web, un serious game, un objet connecté – sont
encore peu connectées entre elles et ne s’intègrent pas toujours dans une démarche multicanal
cohérente.
Comment ces acteurs peuvent-ils se saisir des opportunités du numérique pour répondre à leurs enjeux
? Quels risques peuvent émerger de ces stratégies et usages du numérique ? Quelles dynamiques
globales cela permet-il de dessiner ?
Enjeux actuels
Pour les laboratoires pharmaceutiques, les transformations socio-économiques à l’œuvre dans le
champ de la santé induisent quatre enjeux importants :
Le passage d’un système de santé centré sur le soin à un système intégrant davantage la
prévention et le bien-être : les usages du numérique en santé autorisent une meilleure
connaissance des comportements de santé des individus, ainsi qu’un meilleur suivi de certaines
maladies, notamment chroniques. Cette transformation du système de santé amène à
concevoir une médecine plus globale dépassant la seule consommation de médicaments
comme dispositif de prise en charge.
Des besoins accrus en information et en formation : les patients comme les médecins sont
demandeurs, tant d’informations de santé sur les traitements, leurs conditions d’efficacité et
leurs effets secondaires, que de formations (ou de coaching) permettant de mieux appréhender
les ou leurs maladies. Par ailleurs, l’accès facilité des patients à des informations médicales de
11 « Les laboratoires pharmaceutiques face à la transformation digitale », juillet 2014, Les Echos Etudes en partenariat avec Meditailing.
26
qualité inégale (site web, forum, application,…) peut engendrer des pratiques d’automédication
qui constituent un risque réputationnel pour les laboratoires en cas d’utilisation non
appropriée, détournée ou abusive d’un médicament. Or pour l’instant peu de laboratoires ont
développé des initiatives numériques visant à améliorer l’information des professionnels et des
patients sur les médicaments et leur bon usage.
Opportunités numériques
Face aux enjeux précédents, la santé numérique semble offrir des opportunités intéressantes de
transformation pour les laboratoires pharmaceutiques. Ces opportunités se structurent en trois espaces
interdépendants :
12 La décision du Conseil d'Etat du 28/11/14 a, en effet, annulé deux arrêtés à l’initiative de l’assurance maladie qui conditionnaient le
remboursement de la Pression Positive continue (PPC) - traitement de référence de l'apnée du sommeil - à son observance. Le Conseil d'Etat
a estimé que le législateur ne pouvait pas lier le remboursement à une condition d'utilisation effective du dispositif par le patient.
27
@Diabetes_Sanofi aux Etats Unis et les comptes Facebook et Twitter de Roche intitulé la “Voix
des patients”) ou encore pour recruter des patients pour des essais cliniques (ex : la société
américaine Mytrus propose une plateforme de mise en relation). Ces usages numériques
invitent les laboratoires à construire une stratégie de communication multicanal intégrée
permettant de consolider les données autour d’un CRM. Les créations de poste de Chief Patient
Officer au sein des grands laboratoires témoignent de ces nouvelles perspectives de la relation
patient. Si le cadre réglementaire aujourd’hui en France (comme dans la plupart des pays
européens) n’autorise pas les contacts directs entre les laboratoires et les patients pour éviter
des dérives promotionnelles autour des médicaments, les laboratoires peuvent toutefois
récolter directement des données patients dans le cadre de programme numérique
d’information ou de sensibilisation ou encore développer des stratégies d’alliances avec des
partenaires autorisés à communiquer directement avec les patients (médecins, instituts de
recherche, acteurs assurantiels, voire les géants du numérique).
Se positionner sur les nouveaux marchés de la santé numérique en maitrisant les technologies :
le marché de la m-santé et des objets connectés a élargi l’écosystème de la santé à des
nouveaux entrants ayant une très grande expertise technologique (start-ups du Quantified self,
géants du numérique - Google, Apple, Samsung, …). Cette maitrise technologique constitue
aujourd’hui un pré-requis à la transformation des industriels du médicament. Proposer des
offres digitales innovantes alliant molécule et/ou services connectés, sources de création de
valeur demain, doit conduire les laboratoires à développer de nouvelles compétences
distinctives de type technologique. En opérant cette transformation de leur métier ou en
s’alliant à des partenaires disposant de ces compétences (ex : industriels de dispositifs
technologiques de santé ou encore fabricants d’objets connectés), les laboratoires pourront se
positionner sur la m-santé et concurrencer les géants du numérique dans leur offre. Ils ont, en
tout cas, la légitimité pour profiter de la monétisation des services de santé connectés,
notamment à travers la prescription médicale et le remboursement de ces offres par les acteurs
assurantiels.
Considérer la « data » comme une ressource stratégique : la santé numérique est productrice de
données de santé dont les industriels du médicament doivent se saisir. L’ensemble des
dispositifs de santé connectés – téléobservance, « smart pills » ou pilules intelligentes, objets
connectés, applications mobiles, etc. – génère des données qui constituent aujourd’hui une
ressource stratégique de premier ordre dans la transition numérique en santé. Les stratégies
de plateforme des industriels sur les données personnelles de santé (Runkeeper, Withings,
Apple HealthKit, Google Fit Platform, …) illustrent fort bien le jeu concurrentiel à l’œuvre. La
stratégie « data » des laboratoires peut se situer sur deux axes de développement. Le premier
concerne la constitution de bases de données « clients » consolidées (patients et médecins)
pour améliorer leur connaissance des thérapeutiques et diffuser l’information dans le système
de santé. En outre, en se positionnant sur le marché du bien-être et de la prévention, les
laboratoires pourraient disposer de bases de données stratégiques croisant des données
personnelles et médicales de santé. Ce qui n’est pas encore réellement possible pour les
nouveaux entrants de la santé numérique. Le deuxième axe est celui du big data ou de l’open
data. L’exploitation de certaines bases de données, comme par exemple celles de l’assurance
maladie (SNIIRAM) permettrait aux laboratoires d’évaluer ou de prouver l’efficacité de leurs
dispositifs thérapeutiques, élément essentiel dans une approche de remboursement à la
performance, d’ajuster en temps réel leurs vaccins (ex : grippe.net.fr), de réduire le temps de
développement de nouveaux médicaments par un meilleur suivi des études cliniques, ou
28
encore d’optimiser la production des médicaments en fonction de la demande. Les sociétés
spécialisées dans la collecte et la vente de données pharmaceutiques destinées aux
professionnels de santé (ex : Cegedim, Celtipharm,…) peuvent également être intéressées par
l’ouverture de certaines bases de données publiques pour enrichir leurs analyses.
Risques
Sources d’opportunités inédites, la santé numérique comporte toutefois deux risques principaux pour
les laboratoires :
La périlleuse étape de l’intégration externe pour profiter des données : les expériences de projet
d’intégration externe en systèmes d’information comme les projets CRM notamment, ont
relevé les difficultés inhérentes à leur mise en œuvre13. L’intégration organisationnelle et
technologique qui permet de développer progressivement une entreprise étendue et agile
bouleverse les structures organisationnelles et les ressources humaines, et peuvent affaiblir
l’organisation temporairement.
Prospective
A partir des éléments précédents, il est possible d’identifier deux trajectoires d’évolution numérique
(voir schéma). Ces trajectoires illustrent tant des niveaux de décision stratégiques que des stades de
maturité numérique différents au sein de l’industrie pharmaceutique.
13
Cf. « Marketing comment manager ses nouveaux clients » Actualités pharmaceutiques, mai 2006. Dans ce numéro, une étude montre les
difficultés de mise en œuvre des projets CRM engagés dans les entreprises pharmaceutiques.
29
laboratoires. Le développement d’une stratégie d’intégration de ces initiatives dans une
approche multicanal devrait amener les laboratoires à s’engager simultanément dans une
réingénierie de leurs processus d’affaires et une reconception des réseaux d’affaires.
Élevé
Fournisseurs de
technologies de santé
30