Pierre Brunel - Le Commentaire Et La Dissertation en Littérature Comparée - Jericho
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PRÉSENTATION
3. Rédiger le commentaire
3.1. Molière, Dom Juan (début de l’acte I, scène 1)
3.2. Le texte
3.3. Méthode
4.3. La conclusion
2.3. Le commentaire
2.3. Le commentaire
3. Rédiger la dissertation
3.1. L’introduction
1. Le roman de la ville
1. L’épopée guerrière
1.1. Travail préliminaire : l’examen de la citation
1.2. L’introduction
2. Le théâtre du monde
2.1. Examen du sujet
2.2. Développement
CONCLUSION
COMPLÉMENT BIBLIOGRAPHIQUE
Index
PRÉSENTATION
LE COMMENTAIRE
DE LITTÉRATURE GÉNÉRALE
ET COMPARÉE
Le commentaire composé, présent dès les épreuves du baccalauréat,
constitue un exercice oral ou écrit courant à tous les niveaux des filières
littéraires à l’université. Il fait partie des épreuves imposées dans les
concours de recrutement d’élèves-professeurs : concours d’entrée à
l’École normale supérieure (le commentaire d’un texte français est une
épreuve écrite de l’option « lettres modernes »), agrégations externe et
interne de lettres modernes (le commentaire d’un texte du programme
spécial – littérature comparée – est une épreuve orale). Certains pays
étrangers, à l’écoute de ce qui se fait en France, imposent une épreuve
similaire aux futurs chercheurs en littérature, au niveau de ce qu’est notre
Master 2. À beaucoup d’égards, il a pris le relais de la dissertation dans
l’étape de formation, tantôt en se substituant à celle-ci, tantôt en
constituant une épreuve parallèle dans un choix laissé au candidat. On le
comprend d’autant mieux que, composé, le commentaire se rapproche
beaucoup de la dissertation. Il obéit aux mêmes exigences de rigueur, de
mise en forme et d’ardeur démonstrative.
CHAPITRE I
MÉTHODE DU COMMENTAIRE
1. COMMENT PRÉPARER LE COMMENTAIRE ?
3. RÉDIGER LE COMMENTAIRE
3. RÉDIGER LE COMMENTAIRE
3.2. LE TEXTE
SGANARELLE, tenant une tabatière. – Quoi que puisse dire Aristote et toute
la philosophie, il n’est rien d’égal au tabac : c’est la passion des honnêtes
gens, et qui vit sans tabac n’est pas digne de vivre. Non seulement il
réjouit et purge les cerveaux humains, mais encore il instruit les âmes à la
vertu, et l’on apprend avec lui à devenir honnête homme. Ne voyez-vous
pas bien, dès qu’on en prend, de quelle manière obligeante on en use
avec tout le monde, et comme on est ravi d’en donner à droite et à
gauche, partout où l’on se trouve ? On n’attend pas même qu’on en
demande, et l’on court au-devant d’un souhait des gens : tant il est vrai
que le tabac inspire des sentiments d’honneur et de vertu à tous ceux qui
en prennent. Mais c’est assez de cette matière. Reprenons un peu notre
discours. Si bien donc, cher Gusman, que Done Elvire, ta maîtresse,
surprise de notre départ, s’est mise en campagne après nous, et son cœur,
que mon maître a su toucher trop fortement, n’a pu vivre, dis-tu, sans le
venir chercher ici. Veux-tu qu’entre nous je te dise ma pensée ? J’ai peur
qu’elle ne soit mal payée de son amour, que son voyage en cette ville
produise peu de fruit, et que vous eussiez autant gagné à ne bouger de là.
GUSMAN. – Et la raison encore ? Dis-moi, je te prie, Sganarelle, qui
peut t’inspirer une peur d’un si mauvais augure ? Ton maître t’a-t-il
ouvert son cœur là-dessus, et t’a-t-il dit qu’il eût pour nous quelque
froideur qui l’ait obligé à partir ?
SGANARELLE. – Non pas, mais, à vue de pays, je connais à peu près le
train des choses, et, sans qu’il m’ait encore rien dit, je gagerais presque
que l’affaire va là. Je pourrais peut-être me tromper ; mais enfin, sur de
tels sujets, l’expérience m’a pu donner quelques lumières.
GUSMAN. – Quoi ! ce départ si peu prévu serait une infidélité de Dom
Juan ? Il pourrait faire cette injure aux chastes feux de Done Elvire ?
SGANARELLE. – Non, c’est qu’il est jeune encore, et qu’il n’a pas le
courage…
GUSMAN. – Un homme de sa qualité ferait une action si lâche ?
SGANARELLE. – Eh oui, sa qualité ! la raison en est belle, et c’est par là
qu’il s’empêcherait des choses !
GUSMAN. – Mais les saints nœuds du mariage le tiennent engagé.
SGANARELLE. – Eh ! mon pauvre Gusman, mon ami, tu ne sais pas
encore, crois-moi, quel homme est Dom Juan.
3.3. MÉTHODE
INTRODUCTION
Dom Juan commence sur ce qui peut paraître une entrée en matière
inattendue, dont il faut découvrir la justification dramatique.
1. Une question d’actualité. Le tabac avait été découvert par
Christophe Colomb en Amérique, et introduit en Europe par les
Espagnols et par les Portugais. Au XVIe siècle, les plantations se sont
développées en Amérique du Nord, aux Antilles et à Cuba, et le tabac
s’est même acclimaté en Europe à partir de 1561. Il est alors censé avoir
une vertu médicinale : on le respire, on le fume, on le suce, on le boit en
décoction. Le diplomate Jean Nicot en envoie à la reine Catherine de
Médicis pour la soulager de ses migraines. Sganarelle, qui se déguisera
en médecin au début de l’acte III (et qui porte le même nom que le futur
« médecin malgré lui »), s’abrite plaisamment, comme un docte, derrière
l’autorité d’Aristote, si souvent invoqué par les médecins de Molière.
Mais il se donne le luxe d’en prendre le contre-pied. C’est plaisant, si
l’on veut bien considérer qu’Aristote, au IVe siècle avant Jésus-Christ, n’a
pu connaître le tabac. Molière ouvre sa pièce sur un anachronisme qui, à
lui seul, a un effet comique.
Au début du XVIIe siècle, la France a institué un impôt sur le tabac,
d’abord modeste, puis sensiblement élevé par Richelieu. En 1635, il a été
ordonné qu’il n’en serait plus délivré que chez les apothicaires. Enfin, il
faut rappeler que le pape et les dévots en condamnaient l’usage. Cet
éloge intempestif pouvait donc apparaître comme une insolence dans une
pièce où, après Tartuffe l’année précédente et la cabale des dévots,
Molière continue la lutte.
2. Un morceau de rhétorique parodique. L’éloge est un morceau de
rhétorique dont les exercices scolaires s’inspirent encore bien souvent à
l’époque de Molière. En le plaçant dans la bouche d’un homme sans
instruction, d’un valet qui sait tout au plus imiter ce qu’il a pu entendre,
Molière présente la caricature du genre. Mais dès l’Antiquité, l’éloge
s’est développé comme genre paradoxal : l’Éloge de la calvitie de
Synésios de Cyrène, aux IVe-Ve siècles, pour réfuter l’Éloge de la
chevelure de Dion de Pruse, l’Éloge de la mouche par Lucien, l’Éloge de
la poussière par Fronton, l’Éloge de la folie d’Érasme (Moriae
Encomium, 1509), si grave en sa fin, l’Éloge de l’ivrognerie par
Christophe Hegendorf, l’Éloge de la goutte par Jérôme Cardan, l’Éloge
du pou de Heinsius (un aristotélicien !) ont continué une tradition à
laquelle Rabelais a sacrifié avec le célèbre éloge du pantagruélion, qui est
aussi une herbe, dans le Tiers Livre (chap. 49 à 52. Voir Patrick Dandrey,
1997, L’Éloge paradoxal de Gorgias à Molière, coll. « Écriture », Paris,
PUF).
Le mouvement de cet éloge du tabac est aussi une progression, sans
aller toutefois jusqu’à l’élargissement grandiose de l’éloge du
pantagruélion. Tout commence par un refus de toute comparaison (« il
n’est rien d’égal au tabac »), qui place le tabac dans l’absolu. Il se définit
par les privilégiés auxquels il est destiné (c’est la passion des honnêtes
gens, c’est-à-dire des hommes du monde). Un véritable vers-formule
(« et qui vit sans tabac n’est pas digne de vivre »), à scander comme un
alexandrin, est un clin d’œil à la tragi-comédie, qui se trouve parodiée
(cf. Le Cid : « À qui venge son père il n’est rien d’impossible »).
Une gradation, calquant le tour rhétorique le plus fréquent (non solum,
sed etiam), permet de passer de considérations encore physiologiques
(« Non seulement il réjouit et purge les cerveaux humains ») à des
considérations morales (« mais encore il instruit les âmes à la vertu, et
l’on apprend avec lui à devenir honnête homme »). Sganarelle, qui
n’appartient pas à la catégorie sociale des « honnêtes gens », espère-t-il
de cette façon y accéder ? Le tabac serait l’instrument d’un rêve, le
fournisseur déjà d’un paradis artificiel pour le valet-gentilhomme…
Avant de conclure fortement sur une note morale et aristocratique
(« honneur » et « vertu »), Sganarelle développe la vertu sociale du
tabac ; il permet de se conduire d’une manière « obligeante » avec tout le
monde, il inspire courtoisie et générosité.
3. Fonction dramatique de l’éloge. Cette notation insistante
s’organise en une petite comédie, une saynète que le discours
monologique de Sganarelle fait vivre devant les yeux d’un spectateur
qu’il prend à témoin (« Ne voyez-vous pas ? »). La manière dont on en
use avec le tabac en société a quelque chose de mécanique dans le respect
du rituel de politesses, avec un empressement supplémentaire que justifie
la passion pour le produit consommé. Le comique est bien ici « du
mécanique plaqué sur du vivant », comme l’a défini Henri Bergson dans
Le Rire.
Le tabac est l’occasion d’un échange, et même d’un échange
perpétuellement devancé. Michel Serres, dans son livre sur La
Communication (1968, Hermès I, Éd. de Minuit), a vu très clairement
l’implication de ce rituel dans le scénario donjuanesque et la signification
positive ou négative dont il peut être chargé. « Dès l’ouverture, écrit-il (et
cette ouverture est précisément le texte commenté), la loi qui va dominer
la comédie, loi transgressée pour partie au bilan final, loi bafouée en
toute péripétie est prescrite sur un modèle réduit. Comment devenir
vertueux, honnête homme ? Par l’offrande avant le souhait, par le don qui
anticipe la demande, par l’acceptation et le retour. Étrange sujet que ce
pétun, investi d’une puissance de communication, d’une vertu liante qui
mène à la vertu ».
Dom Juan est celui qui ignore les vertus de l’échange, qui ne sait pas
pratiquer ce don spontané. Mépriser le tabac et le rituel social qu’il
appelle, c’est déjà être « méchant homme », même si l’on est « grand
seigneur », parce que, comme l’écrit Serres, c’est refuser de « se plier à
sa loi, à l’obligation et à l’obligeance de l’échange et du don ». L’éloge
du tabac contient donc déjà un portrait en creux de Dom Juan. Il permet
d’épingler, en face des vertus développées par le tabac, son vice
fondamental, qui est le refus du don, l’absence du sens de l’échange.
Bien plus, il contient le schéma d’ensemble de la comédie. Les trois
conduites de Dom Juan seraient, selon Serres, « trois variations parallèles
sur le thème du tabac » : conduites « vis-à-vis des femmes, du discours,
de l’argent ». Il orienterait vers le dénouement, nécessairement
catastrophique pour celui qui refuse la communication.
Transition. Cette présentation a pour seul inconvénient de durcir
d’entrée de jeu la position de Sganarelle vis-à-vis de son maître. La suite
de la scène confirmera sans doute qu’il en dénonce violemment les vices,
mais cela ne va pas sans une certaine fascination. Se dissociant de lui,
Sganarelle s’associe pourtant à lui quand il parle sur le mode du « nous »
au moment où cesse l’éloge du tabac et où il reprend le cours de la
conversation engagée avec Gusman, conversation dont nous
n’entendrons jamais le début.
Conclusion
The Ganges, though flowing from the Le Gange, quoique coulant des pieds
foot of Vishnu and through Siva’s de Vishnu et à travers la chevelure de
hair, is not an ancient stream. Siva, n’est pas un très vieux fleuve.
Geology, looking further than La géologie, voyant plus loin que la
religion, knows of a time when religion, connaît une époque où
neither the river nor the Himalayas n’existaient ni le fleuve ni les
that nourish it existed, and an ocean Himalayas qui lui ont donné
flowed over the holy places of naissance, et où l’Océan s’étendait
Hindustan. The mountains rose, their sur les lieux saints de l’Hindoustan.
debris silted up the ocean, the gods Les montagnes s’élevèrent, leurs
took their seats on them and débris comblèrent l’Océan, les dieux
contrived the river, and the India we y prirent leur place et créèrent la
call immemorial came into being. rivière, et l’Inde que nous disons
But India is really far older. In the immémoriale naquit. Mais il y a en
days of the prehistoric ocean the réalité une Inde beaucoup
southern part of the peninsula plus vieille. Aux jours de l’Océan
already existed, and the high places préhistorique, la partie sud de la
of Dravidia have been land since péninsule existait déjà ; les sommets
land began, and have seen on the de Dravidia avaient été de la terre
one side the sinking of a continent depuis que la terre existait. Ils
that joined them to Africa, and on the avaient vu d’un côté l’effondrement
other the upheaval of the Himalayas des continents qui les reliaient à
from a sea. They are older than l’Afrique, et de l’autre, le
anything in the world. No water has soulèvement de l’Himalaya
ever covered them, and the sun who surgissant de la mer. Rien au monde
has watched them for countless n’est aussi vieux. Aucune eau ne les
aeons may still discern in their recouvrit jamais, et le soleil, qui les
outlines forms that were his before contemple depuis d’innombrables
our globe was torn from his bosom. millénaires, peut encore discerner
If flesh of the sun’s flesh is to be dans leurs contours des formes qui
touched anywhere, it is here, among furent siennes avant que notre globe
the incredible antiquity of these hills. ne fût arraché de son sein. Si l’on
Yet even they are altering. As peut toucher quelque part la chair de
Himalayan India rose, this India, the la chair du soleil, c’est là, dans ces
primal, has been depressed, and is collines d’une incroyable antiquité.
slowly reentering the curve of the Et cependant, elles-mêmes changent.
earth. It may be that in aeons to Pendant que s’élevait l’Inde
come an ocean will flow here too, himalayenne, cette Inde, la primitive,
and cover the sun-born rocks with s’affaissait, et lentement, elle rentre
slime. Meanwhile the plain of the dans la courbe terrestre. Il est
Ganges encroaches on them with possible que, dans des millénaires à
something of the sea’s action. They venir, un océan doive s’étendre là
are sinking beneath the newer lands. aussi et couvrir de boue les roches
Their main mass is untouched, but at solaires. Pour l’instant, la plaine du
the edge their outposts have been cut Gange empiète sur elles avec quelque
off and stand knee-deep, throat-deep, chose de la mer dans son action.
in the advancing soil. Elles s’enlisent sous les terres
There is something unspeakable in naissantes. Leur masse centrale
these outposts. They are like nothing demeure intacte, mais les sentinelles
else in the world, and a glimpse of avancées ont été coupées et se
them makes the breath catch. They dressent, plantées jusqu’au genou,
rise abruptly, insanely, without the plantées jusqu’à la gorge, dans la
proportion that is kept by the wildest terre envahissante.
hills elsewhere, they bear no relation Il y a en elles quelque chose
to anything dreamt or seen. To call d’indicible. Rien ne leur est
them “uncanny” suggests ghosts, comparable au monde ; un simple
and they are older than all spirit. coup d’œil jeté sur elles suspend
Hinduism has scratched and votre respiration. Elles se dressent,
plastered a few rocks, but the shrines abruptes, déraisonnables, sans la
are unfrequented, as if pilgrims, who proportion que gardent les
generally seek the extraordinary, had montagnes les plus sauvages partout
here found too much of it. Some ailleurs, sans comparaison possible
saddhus did once settle in a cave, but avec rien de rêvé et de vu. Les
they were smoked out, and even qualifier d’hallucinantes fait penser à
Buddha, who must have passed this des fantômes, et elles sont plus
way down to the Bo Tree of Gaya, vieilles que tout esprit. L’hindouisme
shunned a renunciation more a gratté et plâtré quelques rocs, mais
complete than his own, and has left les châsses sont délaissées comme si
no legend of struggle or victory in les pèlerins qui, d’habitude,
the Marabar. recherchent l’extraordinaire, en
The caves are readily described. A avaient trouvé là par trop. Quelques
tunnel eight feet long, five feet high, Saddhus un jour s’installèrent dans
three feet wide, leads to a circular une grotte, mais y furent enfumés. Le
chamber about twenty feet in Bouddha lui-même, qui dut passer
diameter. This arrangement occurs par là dans sa marche vers l’arbre
again and again throughout the Bô, a fui sans doute un renoncement
group of hills, and this is all, this is a plus grand que le sien, et n’a laissé
Marabar cave. Having seen one such aucune légende de lutte ou de
cave, having seen two, having seen victoire à Marabar.
three, four, fourteen, twenty-four, the Les grottes sont vite décrites. Un
visitor returns to Chandrapore tunnel de huit pieds de long, cinq
uncertain whether he has had an pieds de haut et trois de large conduit
interesting experience or a dull one à une chambre circulaire d’environ
or any experience at all. He finds it vingt pieds de diamètre. Cette
difficult to discuss the caves, or to disposition se répète sans cesse tout
keep them apart in his mind, for the au long des collines. C’est tout. Voilà
pattern never varies, and no carving, une grotte de Marabar. Après avoir
not even a bees’ nest or a bat, vu une de ces grottes, après en avoir
distinguishes one from another. vu deux, après en avoir vu trois,
Nothing, nothing attaches to them, quatre, quatorze, vingt-quatre, le
and their reputation – for they have visiteur retourne à Chandrapore, ne
one – does not depend upon human sachant pas bien s’il a fait une
speech. It is as if the surrounding expérience curieuse ou terne, ou
plain or the passing birds have taken même s’il a fait une expérience
upon themselves to exclaim quelconque. Il lui est difficile de
“Extraordinary !” and the word has parler des grottes ou de les distinguer
taken root in the air, and been dans son esprit, car la disposition ne
inhaled by mankind. change jamais : pas un relief aux
They are dark caves. Even when they murs, pas même un nid d’abeille ou
open towards the sun, very little light une chauve-souris qui les différencie
penetrates down the entrance tunnel l’une de l’autre. Rien, rien qui les
into the circular chamber. There is rende attachantes. Leur réputation –
little to see, and no eye to see it, until car elles en ont une – ne semble pas
the visitor arrives for his five dépendre de ce qu’en disent les
minutes, and strikes a match. hommes. Tout se passe comme si la
Immediately another flame rises in plaine environnante ou les oiseaux de
the depths of the rock and moves passage s’étaient exclamés : « Quelle
towards the surface like an chose extraordinaire ! » et que le mot
imprisoned spirit ; the walls of the demeuré dans l’air eût été respiré par
circular chamber have been most les hommes.
marvellously polished. The two Ce sont des grottes obscures. Même
flames approach and strive to unite, lorsqu’elles s’ouvrent au soleil, il ne
but cannot, because one of them plonge que très peu de lumière dans
breathes air, the other stone. A la chambre circulaire par le tunnel de
mirror inlaid with lovely colours l’entrée. Il y a peu à voir, et nul œil
divides the lovers, delicate stars of ne le voit jusqu’au moment où un
pink and gray interpose, exquisite visiteur entré là, pour les cinq
nebulae, shadings fainter than the minutes coutumières, frotte une
tail of a comet or the midday moon, allumette. Aussitôt une seconde
all the evanescent life of the granite, flamme s’allume dans les
only here visible. Fists and fingers profondeurs de la roche et s’avance
thrust above the advancing soil – vers la surface comme un esprit
here at last is their skin, finer than emprisonné : les murs de la chambre
any covering acquired by the circulaire ont été miraculeusement
animals, smoother than windless polis. Les deux flammes
water, more voluptuous than love. s’approchent et luttent pour s’unir,
The radiance increases, the flames mais n’y parviennent pas, car l’une
touch one another, kiss, expire. The respire de l’air et l’autre de la pierre.
cave is dark again, like all the caves. Un miroir où s’étalent des couleurs
Only the wall of the circular délicieuses sépare les deux amants ;
chamber has been polished thus. The de délicates étoiles grises et roses
sides of the tunnel are left rough, s’interposent, d’exquises nébuleuses,
they impinge as an afterthought upon des brouillards plus faibles que la
the internal perfection. An entrance queue d’une comète ou la lune de
was necessary, so mankind made midi, toute la vie évanescente du
one. But elsewhere, deeper in the granit, visible là seulement. Des
granite, are there certain chambers poings et des doigts lancés à travers
that have no entrances ? Chambers la terre envahissante, voici enfin la
never unsealed since the arrival of peau, plus belle que n’importe quelle
the gods ? Local report declares that robe animale, plus lisse qu’une eau
these exceed in number those that tranquille, plus voluptueuse que
can be visited, as the dead exceed the l’amour. L’éclat augmente, les
living – four hundred of them, four flammes se touchent, se joignent,
thousand or million. Nothing is meurent. La grotte est de nouveau
inside them, they were sealed up obscure comme toutes les grottes.
before the creation of pestilence or Seul le mur de la chambre circulaire
treasure ; if mankind grew curious est ainsi poli. Les parois du tunnel
and excavated, nothing, nothing sont encore rugueuses ; elles frappent
would be added to the sum of good comme une addition rétrospective à
or evil. One of them is rumoured la perfection intérieure. Il fallait une
within the boulder that swings on the entrée, les hommes en ont fait une.
summit of the highest of the hills ; a Mais ailleurs, plus profondément
bubble-shaped cave that has neither dans le granit, y a-t-il des chambres
ceiling nor floor, and mirrors its own sans entrée, des chambres jamais
darkness in every direction infinitely. descellées depuis l’avènement des
If the boulder falls and smashes, the dieux ? La tradition locale veut que
cave will smash too – empty as an ces dernières soient en nombre plus
Easter egg. The boulder because of grand que celles visitées, comme le
its hollowness sways in the wind, and nombre des morts surpasse celui des
even moves when a crow perches vivants, qu’il y en ait quatre cents,
upon it ; hence its name and the quatre mille ou millions. Elles ne
contiennent rien, elles ont été
name of its stupendous pedestal : the scellées avant que fussent créés la
Kawa Dol. peste ou les trésors ; si les hommes,
These hills look romantic in certain devenus curieux, creusaient le roc,
lights and at suitable distances, and rien, rien ne serait ajouté à la somme
seen of an evening from the upper des biens ou des maux. La rumeur
veranda of the Club they caused publique en place une à l’intérieur du
Miss Quested to say conversationally roc qui oscille au sommet de la plus
to Miss Derek that she should like to haute colline ; une grotte en forme de
have gone, that Dr Aziz at bulle, sans plafond ni parquet qui
Mr Fielding’s had said he would mire sa propre obscurité dans toutes
arrange something, and that Indians directions à l’infini. Si le roc tombe
seem rather forgetful. She was et s’écrase, la grotte s’écrasera aussi,
overheard by the servant who offered vide comme un œuf de Pâques. La
them vermouths. This servant roche creuse se balance dans le vent,
understood English. And he was not et même remue lorsqu’un corbeau
exactly a spy, but he kept his ears vient s’y poser : d’où son nom et
open, and Mahmoud Ali did not celui de son étonnant piédestal : le
exactly bribe him, but did encourage Kawa-Dol.
him to come and squat with his own Sous certains éclairages et à une
servants, and would happen to stroll distance convenable, ces collines
their way when he was there. As the prennent un aspect romantique ;
story travelled, it accreted emotion, Miss Quested, en les regardant au
and Aziz learned with horror that the crépuscule, de la plus haute véranda
ladies were deeply offended with du club, dit incidemment à
him, and had expected an invitation Miss Derek qu’elle aurait bien aimé
daily. He thought his facile remark les aller voir, que le docteur Aziz,
had been forgotten. Endowed with chez Mr Fielding, avait promis
two memories, a temporary and a d’arranger quelque chose, et que les
permanent, he had hitherto relegated Hindous paraissaient oublier bien
the caves to the former. Now he aisément. Ces paroles furent
transferred them once for all, and recueillies par le domestique qui leur
pushed the matter through. They offrait des vermouths. Ce domestique
were to be a stupendous replica of entendait l’anglais. Ce n’était pas
the tea-party. He began by securing proprement un espion, mais il avait
Fielding and old Godbole, and then l’ouïe bonne, et Mahmoud Ali, sans
commissioned Fielding to approach proprement le soudoyer,
Mrs Moore and Miss Quested when l’encourageait à venir s’accroupir
they were alone – by this device avec ses domestiques et se trouvait
Ronny, their official protector, could passer par là au cours de sa visite. En
be circumvented. Fielding didn’t like voyageant, l’histoire se teinta
the job much ; he was busy, caves d’émotion, et Aziz apprit avec
bored him, he foresaw friction and horreur que les dames anglaises,
expense, but he would not refuse the profondément offensées de son
nothing, nothing would be added to silence, avaient attendu chaque jour
the sum of good or evil. One of them une invitation. Il pensait que sa
is rumoured within the boulder that remarque, pour lui sans importance,
swings on the summit of the highest avait été oubliée. Doué de deux
of the hills ; a bubble-shaped cave mémoires, une temporaire et une
that has neither ceiling nor floor, and permanente, il avait déjà relégué les
mirrors its own darkness in every grottes dans un coin de la première.
direction infinitely. If the boulder Il dut une fois pour toutes les
falls and smashes, the cave will ramener et se résoudre à pousser
smash too – empty as an Easter egg. l’entreprise. Elle allait être une
The boulder because of its réplique effrayante du thé de
hollowness sways in the wind, and Fielding. Il s’assura d’abord la
even moves when a crow perches présence de ce dernier et celle du
upon it ; hence its name and the vieux Godbole, puis chargea Fielding
name of its stupendous pedestal : the d’approcher Mrs Moore et
Kawa Dol. Miss Quested au moment où elles
These hills look romantic in certain seraient seules – on devait, par ce
lights and at suitable distances, and moyen, tourner l’opposition de
seen of an evening from the upper Ronny, leur protecteur officiel.
veranda of the Club they caused L’affaire n’était pas trop du goût de
Miss Quested to say conversationally Fielding ; il avait du travail, les
to Miss Derek that she should like to grottes l’ennuyaient, il prévoyait du
have gone, that Dr Aziz at frottement et des dépenses, mais il ne
Mr Fielding’s had said he would voulut pas refuser le premier service
arrange something, and that Indians que son ami lui demandait et obéit.
seem rather forgetful. She was Les dames acceptèrent. La chose
overheard by the servant who offered soulevait bien quelques difficultés à
them vermouths. This servant cause de leurs multiples invitations,
understood English. And he was not et cependant elles espéraient en venir
exactly a spy, but he kept his ears à bout après avoir pris l’avis de
open, and Mahmoud Ali did not Mr Heaslop. L’avis de Ronny fut
exactly bribe him, but did encourage qu’il n’y avait pas d’inconvénient,
him to come and squat with his own pourvu que Fielding prît la pleine
servants, and would happen to stroll responsabilité de leur effort. Il
their way when he was there. As the n’avait pas beaucoup d’enthousiasme
story travelled, it accreted emotion, pour ce pique-nique, mais à vrai dire
and Aziz learned with horror that the les dames n’en avaient pas plus –
ladies were deeply offended with personne n’en avait plus, et
him, and had expected an invitation cependant on le monta.
daily. He thought his facile remark Aziz était terriblement tracassé. Ce
had been forgotten. Endowed with n’était pas une grande expédition –
two memories, a temporary and a un train les prenait à Chandrapore
permanent, he had hitherto relegated avant l’aube, un autre les y ramenait
the caves to the former. Now he pour le déjeuner –, mais il n’était
transferred them once for all, and qu’un petit fonctionnaire et craignait
pushed the matter through. They de s’en tirer à son déshonneur. Il dut
were to be a stupendous replica of demander un jour de congé au major
the tea-party. He began by securing Callendar, qui le lui refusa à cause de
Fielding and old Godbole, and then sa maladie récente : désespoir ; une
commissioned Fielding to approach nouvelle approche du major
Mrs Moore and Miss Quested when Callendar, par l’intermédiaire de
they were alone – by this device Fielding, obtint une permission
Ronny, their official protector, enveloppée de mépris hargneux. Il
could be circumvented. Fielding dut emprunter de l’argenterie à
didn’t like the job much ; he was Mahmoud Ali sans l’inviter. Puis il
busy, caves bored him, he foresaw fallut résoudre la question des
friction and expense, but he would alcools ; Mr Fielding et peut-être les
not refuse the first favour his friend dames buvaient ; fallait-il donc se
had asked from him, and did as munir de whisky-soda et de porto ? Il
required. The ladies accepted. It was y avait le problème du transport de la
a little inconvenient in the present halte de Marabar aux grottes. Il y
press of their engagements, still, they avait le problème du professeur
hoped to manage it after consulting Godbole et de sa nourriture, et celui
Mr Heaslop. Consulted, Ronny du professeur Godbole et de la
raised no objection, provided nourriture des autres – deux
Fielding undertook full responsibility problèmes et non pas un seul. Le
for their comfort. He was not professeur n’était pas un hindouiste
enthusiastic about the picnic, but très strict, il prendrait du thé, des
then no more were the ladies – no fruits, de l’eau de seltz et des
one was enthusiastic, yet it took sucreries quel qu’en ait été le
place. cuisinier, des légumes et du riz à
Aziz was terribly worried. It was not condition qu’un brahmane les ait fait
a long expedition – a train left cuire ; mais pas de viande, pas de
Chandrapore just before dawn, gâteaux, de peur qu’ils ne continssent
another would bring them back for des œufs, et il ne permettrait à
tiffin – but he was only a little personne de manger du bœuf : une
official still, and feared to acquit tranche de bœuf sur un plat éloigné
himself dishonourably. He had to ask ferait s’effondrer son bonheur. Les
Major Callendar for half a day’s autres pouvaient manger du mouton,
leave, and be refused because of his pouvaient manger du jambon. Mais
recent malingering ; despair ; au mot de jambon, la propre religion
renewed approach of Major d’Aziz élevait la voix : il ne pouvait
Callendar through Fielding, and imaginer ses compagnons mangeant
contemptuous snarling permission. du jambon. Ennuis après ennuis
He had to borrow cutlery from surgirent sur son chemin parce qu’il
Mahmoud Ali without inviting him. avait voulu lutter avec l’esprit de la
Then there was the question of terre hindoue qui veut maintenir les
alcohol : Mr Fielding, and perhaps hommes en compartiments étanches.
the ladies, were drinkers, so must he À la fin, le moment arriva.
provide whiskey-sodas and ports ? Ses amis tinrent Aziz pour
There was the problem of transport extravagant d’aller rechercher la
from the wayside station of Marabar compagnie des dames anglaises, et
to the caves. There was the problem l’avertirent de prendre toutes les
of Professor Godbole and his food, précautions contre un défaut de
and of Professor Godbole and other ponctualité. En conséquence, il passa
people’s food – two problems, not la nuit du départ à la gare. Les
one problem. The Professor was not domestiques, massés pêle-mêle sur le
a very strict Hindu – he would take quai, reçurent l’ordre de ne pas
tea, fruit, soda-water and sweets, s’écarter, tandis que lui-même passait
whoever cooked them, and le temps en va-et-vient en compagnie
vegetables and rice if cooked by a du vieux Mohammed Latif, désigné
Brahman ; but not meat, not cakes comme majordome. Un sentiment
lest they contained eggs, and he d’insécurité et même d’irréalité
would not allow anyone else to eat l’envahit. Lorsqu’une auto apparut, il
beef : a slice of beef upon a distant espéra que Fielding en descendrait
plate would wreck his happiness. pour lui prêter de sa fermeté. Mais
Other people might eat mutton, they elle contenait Mrs Moore,
might eat ham. But over ham Aziz’s Miss Quested et leur domestique
own religion raised its voice : he did goanais. Il se précipitait à leur
not fancy other people eating ham. rencontre, brusquement heureux :
Trouble after trouble encountered – Mais vous êtes donc venues malgré
him, because he had challenged the tout. Comme vous êtes bonnes !
spirit of the Indian earth, which tries s’écria-t-il. C’est le moment le plus
to keep men in compartments. heureux de ma vie.
At last the moment arrived.
His friends thought him most unwise
to mix himself up with English ladies,
and warned him to take every
precaution against unpunctuality.
Consequently he spent the previous
night at the station. The servants
were huddled on the platform,
enjoined not to stray. He himself
walked up and down with old
Mohammed Latif, who was to act as
major-domo. He felt insecure and
also unreal. A car drove up, and he
hoped Fielding would get out of it, to
lend him solidity. But it contained
Mrs Moore, Miss Quested and their
Goanese servant. He rushed to meet
them, suddenly happy. “But you’ve
come after all. Oh how very very
kind of you !” he cried. “This is the
happiest moment in all my life.”
4.3. LA CONCLUSION
LE COMMENTAIRE EN LICENCE
1. Joseph Conrad, Heart of Darkness, Au cœur des ténèbres
(chap. I)
1.1. LE TEXTE
CONCLUSION
2.1. LE TEXTE
PANDORA. Unaussprechlich !
PROMETHEUS. Was hub im Tanze Quand, aux sons du chant et de la
deinen Körper musique
Leicht auf vom Boden ? Tous mes membres émus, se
PANDORA. Freude ! mouvaient,
Wie jedes Glied gerührt vom Sang Je me fondais en mélodie.
und Spiel PROMÉTHÉE. – Et tout s’est enfin
Als du im Wald den Dorn dir in Sont les joies et les douleurs de la
Ferse tratst, vie.
Eh’ ich dich heilte. PROMÉTHÉE. – Et ton cœur sent
PANDORA. Mancherlei, mein Vater, ist Qu’il existe encore bien des joies
des Lebens Wonn’ Et des douleurs
Und Weh ! Que tu ne connais pas.
PROMETHEUS. Und fühlst an deinem PANDORE. – Oh ! oui – Souvent, ce
Herzen, cœur est plein du désir
Dass noch der Freuden viele sind, De n’être nulle part et d’être partout !
Der Schmerzen viele, PROMÉTHÉE. – Il est un instant qui
Die du nicht kennst. accomplit tout,
PANDORA. Wohl, wohl ! – Dies Herze Tout ce que nous avons désiré, rêvé,
sehnt sich oft espéré,
Redouté, Pandore –
Ach nirgend hin und überall doch C’est la mort.
hin ! PANDORE. – La mort ?
PROMETHEUS. Da ist ein Augenblick PROMÉTHÉE. – Quand au plus profond
der alles erfüllt, de toi-même,
Alles was wir gesehnt, geträumt, Ébranlée toute, tu ressens tout
gehofft,
Ce que jamais joies et douleurs t’ont
Gefürchtet, Pandora, – fait sentir,
Das ist der Tod ! Que ton cœur impétueusement gonflé
PANDORA. Der Tod ? Veut s’alléger par des larmes
PROMETHEUS. Wenn aus dem innerst Et brûle d’une ardeur croissante,
tiefsten Grunde
Que tout en toi résonne, frémit et
Du ganz erschüttert alles fühlst tremble,
Was Freud’ und Schmerzen jemals Que tous tes sens défaillent,
dir ergossen,
Et que toi-même te sens défaillir,
In Sturm dein Herz erschwillt,
Que tu tombes,
In Tränen sich erleichtern will,
Qu’autour de toi, tout s’abîme dans
Und seine Glut vermehrt, la nuit,
Und alles klingt an dir und bebt und Que dans ton être le plus intime,
zittert,
Tu sens que tu embrasses un monde,
Und all die Sinne dir vergehn,
C’est alors que meurt la créature.
Und du dir zu vergehen scheinst
PANDORE (se jetant à son cou). – Oh !
Und sinkst, mon père, mourons !
Und alles um dich her versinkt in PROMÉTHÉE. – Pas encore !
Nacht
PANDORE. – Et après la mort ?
Und du, in inner eigenstem Gefühl,
PROMÉTHÉE. – Quand toute chose –
Umfassest eine Welt : désir et joie et douleur
Dann stirbt der Mensch. Se sera anéantie dans l’impétueuse
PANDORA (ihn umhalsend). O, Vater, jouissance,
lass uns sterben ! Puis revivifiée par un délicieux
PROMETHEUS. Noch nicht. sommeil –
PANDORA. Und nach dem Tod ?
PROMETHEUS. Wenn alles – Begier Alors tu revivras, toute jeune tu
und, Freud’ und Schmerz – vivras à nouveau,
Im stürmenden Genuss sich Pour craindre, espérer, désirer à
aufgelös’t, nouveau.
Dann sich erquickt in Wonneschlaf, –
Dann lebst du auf, auf’s jüngste
wieder auf,
Von neuem zu fürchten, zu hoffen, zu
begehren !
Conclusion
3.1. LE TEXTE
Nastagio degli Onesti, amando una Nastagio degli Onesti, pour l’amour
de’ Traversari, spende le sue d’une Traversari, dilapide ses biens
ricchezze senza essere amato. sans être payé de retour. À la prière
Vassene, pregato da’ suoi, a Chiassi ; de sa famille, il se retire à Chiassi, et
quivi vede cacciare ad un cavaliere il y voit une jeune femme
una giovane e ucciderla e divorarla pourchassée et tuée par un cavalier,
da due cani. Invita i parenti suoi e puis dévorée par deux chiens. Il
quella donna amata da lui ad un invite à un repas ses parents et amis
desinare, la quale vede questa ainsi que sa bien-aimée. Celle-ci
medesima giovane sbranare ; et assiste au martyre de la même jeune
temendo di simile avvenimento femme et, dans la crainte de subir un
prende per marito Nastagio. traitement semblable, elle prend
Come Lauretta si tacque, così, per Nastagio pour mari.
comandamento della reina, cominciò Dès que Lauretta se tut, à l’injonction
Filomena. de la reine, Filomena commença
Amabili donne, come in noi è la pietà ainsi :
commendata, così ancora in noi è – Aimables amies, de même que la
dalla divina giustizia rigidamente la pitié en nous mérite louange, la
crudeltà vendicata ; il che acciò che justice divine punit sévèrement la
io vi dimostri e materia vi dea di cruauté. Pour vous le démontrer et
cacciarla del tutto da voi, mi piace di vous inciter à la chasser
dirvi una novella non men di complètement de votre cœur, j’ai
compassion piena che dilettevole. plaisir à vous raconter une histoire
In Ravenna, antichissima città di aussi émouvante qu’agréable.
Romagna, juron già assai nobili e À Ravenne, ville très ancienne de
ricchi uomini, tra’ quali un giovane Romagne, il y eut jadis de nobles et
chiamato Nastagio degli Onesti, per riches citoyens, parmi lesquels un
la morte del padre di lui e d’un suo jeune homme, appelé Nastagio degli
zio, senza stima rimaso ricchissimo. Onesti qui, à la mort de son père et
Il quale, sì come de’ giovani avviene, d’un oncle, était resté immensément
essendo senza moglie, s’innamorò riche. Comme il advient à cet âge,
d’una figliula di messer Paolo celui-ci, n’étant pas encore marié,
Traversaro, giovane troppo più tomba amoureux d’une fille de
nobile che esso non era, prendendo messire Paolo Traversari, parti qui
speranza con le sue opere di doverla était d’un lignage beaucoup plus
trarre ad amar lui ; le quali, élevé que le sien ; mais il espérait par
quantunque grandissime, belle e ses actes amener la demoiselle à
laudevoli fossero, non solamente non l’aimer en retour. La cour qu’il lui
gli giovavano, anzi pareva che gli faisait, au moyen d’actions élégantes
nocessero, tanto cruda e dura et et louables, non seulement n’avait
salvatica gli si mostrava la aucun effet, mais encore semblait le
giovinetta amata, forse per la sua desservir, tant sa bien-aimée se
singular bellezza o per la sua nobiltà montrait cruelle, dure et farouche à
sì altiera e disdegnosa divenuta, che son égard : peut-être en raison de sa
né egli né cosa che gli piacesse le rare beauté et de sa noblesse, elle
piaceva. était devenue si altière et
La qual cosa era tanto a Nastagio dédaigneuse que ni lui ni rien de ce
gravosa a comportare, che per qu’il voulait n’était de son goût. Cela
dolore più volte, dopo molto essersi était si pénible pour Nastagio que,
doluto, gli venne in disidèro par excès de douleur, il eut plusieurs
d’uccidersi. Poi, pur tenendosene, fois envie de se donner la mort ; et
molte volte si mise in cuore di puis, y renonçant, à maintes reprises
doverla del tutto lasciare stare, o, se il résolut de se détourner d’elle tout à
potesse, d’averla in odio come ella fait, ou bien, dans la mesure du
aveva lui. Ma invano tal possible, de la haïr à son tour. Mais
proponimento prendeva, per ciò che c’est en vain qu’il prenait cette
pareva che quanto più la speranza résolution, car moins il avait
mancava, tant più moltiplicasse il d’espoir, plus son amour semblait
suo amore. grandir.
Perseverando adunque il giovane e Comme le jeune homme continuait
nello amare e nello spendere donc à aimer et à dépenser sans
smisuratamente, parve a certi suoi mesure, il apparut à ses amis et
amici e parenti che egli sé e’l suo parents qu’il était en train de ruiner
avere parimente fosse per sa propre existence et son
consumare ; per la qual cosa più patrimoine ; c’est pourquoi ils
volte il pregarono e consigliarono l’engagèrent à quitter Ravenne et le
che si dovesse di Ravenna partire e pressèrent de partir demeurer en
in alcuno altro luogo per alquanto quelque autre lieu, de sorte que son
tempo andare a dimorare ; per ciò amour diminue en même temps que
che, così faccendo, scemerebbe ses dépenses. Plusieurs fois, Nastagio
l’amore e le spese. Di questo se moqua d’un tel conseil ; mais,
consiglio più volte fece beffe pressé par eux et ne pouvant toujours
Nastagio ; ma pure, essendo da loro rejeter leurs avis, enfin il accepta. Il
sollicitato, non potendo tanto dir di fit de grands préparatifs, comme s’il
no, disse di farlo ; e fatto fare un partait pour la France ou l’Espagne
grand apparecchiamento, come se in ou en quelque autre pays lointain,
Francia o in Ispagna o in alcuno monta à cheval et, accompagné de
altro luogo lontano andar volesse, ses nombreux amis, il sortit de
montato a cavallo e da’ suoi molti Ravenne et se rendit en un lieu, à
amici accompagnato, di Ravenna environ trois miles de là, nommé
uscì e andossene ad un luogo forse Chiassi. Ayant fait venir des
tre miglia fuor di Ravenna, che si pavillons et des tentes, il dit à ceux
chiama Chiassi ; e quivi, fatti venir qui l’escortaient qu’ils pouvaient
padiglioni e trabacche, disse a s’en retourner en ville et que lui
coloro che accompagnato l’aveano resterait là. Installé ainsi sous la
che star si volea e che essi a tente, Nastagio commença à y mener
Ravenna se ne tornassono. la vie la plus agréable et la plus
Attendatosi adunque quivi Nastagio, magnifique que l’on puisse imaginer,
cominciò a fare la più bella vita e la invitant tantôt les uns et tantôt les
più magnifica che mai si facesse, or autres à déjeuner ou à souper, selon
questi e or quegli altri invitando a ses habitudes.
cena e a desinare, come usato s’era. Or, un vendredi, presque au début du
Ora avvenne che uno venerdì quasi mois de mai, où il faisait très beau et
all’entrata di maggio, essendo un où, plongé dans la pensée de sa
bellissimo tempo, ed egli entrato in cruelle dame, il avait ordonné à tous
pensiero della sua crudel donna, ses domestiques de le laisser seul,
comandato a tutta la sua famiglia afin de mieux s’absorber dans ses
che solo il lasciassero, per più potere rêveries, pas à pas il s’engagea dans
pensare a suo piacere, piede innanzi la pinède. Comme il était presque
piè sé medesimo trasportò, midi et que Nastagio s’était avancé
pensando, infino nella pigneta. Ed d’un demi-mile au cœur de la forêt,
essendo già passata presso che la sans se soucier de manger ou de rien
quinta ora del giorno, ed esso bene d’autre, soudain, il lui sembla
un mezzo miglio per la pigneta entendre de grands sanglots et de
entrato, non ricordandosi di hautes plaintes exhalés par une
mangiare né d’altra cosa, femme. Tiré ainsi de sa douce
subitamente gli parve udire un songerie, il leva la tête pour voir ce
grandissimo pianto e guai altissimi que c’était, et il fut tout surpris de se
messi da una donna ; per che, rotto il trouver au milieu de la pinède. De
suo dolce pensiero, alzò il capo per plus, regardant en avant, il vit courir
veder che fosse, e maravigliossi nella vers lui, à travers d’épais fourrés
pigneta veggendosi ; e oltre a ciò, d’arbustes et de ronces, une très belle
davanti guardandosi, vide venire per jeune femme, nue, échevelée et toute
un boschetto assai folto d’albuscelli déchirée par les branches et les
e di pruni, correndo verso il luogo épines, qui pleurait et criait grâce. En
dove egli era, una bellissima giovane outre, il vit bondir deux gros et
ignuda, scapigliata e tutta graffiata féroces mâtins qui furieusement la
dalle frasche e da’ pruni, piagnendo poursuivaient et la harcelaient de
e gridando forte mercé ; e oltre a leurs cruelles morsures. Derrière, sur
questo le vide a’ fianchi due grandi e un cheval noir, il vit un sombre
fieri mastini, li quali duramente cavalier, au visage tout empreint de
appresso correndole, spesse volte courroux, une épée à la main, qui la
crudelmente dove la giugnevano la menaçait de mort en l’invectivant de
mordevano, e dietro a lei vide venire paroles terribles et injurieuses. Ce
sopra un corsiere nero un cavalier spectacle jeta la stupeur et
bruno, forte nel viso crucciato, con l’épouvante dans l’âme de Nastagio,
uno stocco in mono, lei di morte con en même temps que la compassion
parole spaventevoli e villane pour la malheureuse, ce qui lui
minacciando. inspira le désir de la délivrer, si cela
Questa cosa ad una ora maraviglia e se pouvait, d’aussi cruelles angoisses
spavento gli mise nell’animo, e et de la mort. Mais, comme il était
ultimamente compassione della sans armes, il courut se saisir d’une
sventurata donna, dalla qual nacque branche en guise de bâton et
disidèro di liberarla da sì fatta commença à marcher en direction
angioscia e morte, se el potesse. Ma, des chiens et du cavalier.
senza arme trovandosi, ricorse a Mais ce dernier, à peine l’eut-il
prendere un ramo d’albero in luogo aperçu, de loin lui cria : « Nastagio,
di bastone, e cominciò a farsi ne t’en mêle pas, laisse faire aux
incontro a’cani e contro al cavaliere. chiens et à moi-même ce que cette
Ma il cavalier che questo vide, gli mauvaise femme a mérité. »
gridò di lontano : Sur ces entrefaites, les chiens se
jetant à ses reins immobilisèrent la
– Nastagio, non t’impacciare, lascia jeune femme ; et le cavalier, les ayant
fare a’ cani e a me quello che questa rejoints, mit pied à terre. Nastagio
malvagia femina ha meritato. s’approcha et lui dit : « Je ne sais qui
E così dicendo, i cani, presa forte la tu es, toi qui me connais. Je peux
giovane ne’ fianchi, la fermarono, e seulement te dire que c’est grande
il cavaliere sopraggiunto smontò da vilenie de la part d’un homme armé
cavallo. Al quale Nastagio de vouloir tuer une femme sans
avvicinatosi disse : défense et d’avoir lancé tes chiens à
ses trousses comme si c’était une
– Io non so chi tu ti se’, che me così
bête. Moi, je t’assure, je vais la
cognosci ; ma tanto ti dico che gran
défendre autant que je le pourrai. »
viltà è d’un cavaliere armato volere
uccidere una femina ignuda, e averle Le cavalier dit alors : « Nastagio, je
i cani alle coste messi corne se ella fus de la même cité que toi, et tu
fosse una fiera salvatica ; io per étais encore petit enfant lorsque moi,
certo la difenderò quant’io potrò. qui me nommais Guido degli
Anastagi, j’étais encore plus
Il cavaliere allora disse :
amoureux de celle-là que tu ne l’es
– Nastagio, io fui d’una medesima de la fille des Traversari. À cause de
terra teco, ed eri tu ancora piccol son orgueil et de sa cruauté, mon
fanciullo quando io, il quale fui infortune devint telle qu’un jour,
chiamato messer Guido degli avec cette épée que tu me vois
Anastagi, era troppo più innamorato brandir, je me suis tué de désespoir,
di costei, che tu ora non se’ di quella et ainsi suis-je condamné aux peines
de’ Traversari, e per la sua fierezza e éternelles. Il ne se passa guère de
crudeltà andò sì la mia sciagura, che temps que cette fille, qui s’était
io un dì con questo stocco, il quale tu réjouie de ma mort outre mesure,
mi vedi in mano, corne disperato mourut à son tour. Pour son péché de
m’uccisi, e sono alle pene etternali cruauté et pour la joie qu’elle avait
dannato. Né stette poi guari tempo ressentie de mes tourments sans
che costei, la qual della mia morte fu l’ombre d’un repentir, croyant en
lieta oltre misura, morì, e per lo cela avoir mérité et non péché, elle
peccato della sua crudeltà e della fut pareillement vouée aux peines de
letizia avuta de’ miei tormenti, non l’enfer. Sitôt qu’elle y fut descendue,
pentendosene, come colei che non il nous fut donné pour châtiment à
credeva in ciò aver pecato ma elle de fuir devant moi et à moi, qui
meritato, similmente fu ed è dannata jadis l’ai tant chérie, de la
alle pene del ninferno. Nel quale poursuivre, comme une mortelle
come ella discese, così ne fu e a lei e ennemie et non pas comme ma bien-
a me per pena dato, a lei di fuggirmi aimée. Autant de fois je la rejoins,
davanti e a me, che già cotanto autant de fois avec cette même épée
l’amai, di seguitarla come mortal qui m’a servi pour me tuer je la tue,
nimica, non come amata donna ; e j’ouvre son échine et je lui arrache ce
quante volte io la giungo, tante con cœur dur et glacé, où n’entrèrent
questo stocco, col quale io uccisi me, jamais ni amour ni pitié, et ses autres
uccido lei e aprola per ischiena, e viscères, comme tu vas le voir sur
quel cuor duro e freddo, nel qual mai l’heure, et les jette en pâture aux
né amor né pietà poterono entrare, chiens. Ensuite, il ne se passe guère
con l’altre interiora insieme, sì come de temps que, suivant ce que veulent
tu vedrai incontanente, le caccio di la justice et la puissance divines, elle
corpo, e dòlle mangiare a questi ne se relève, comme si elle n’avait
cani. pas été tuée, et à nouveau
Né sta poi grande spazio che ella, sì recommence sa douloureuse fuite, et
corne la giustizia e la potenzia les chiens et moi-même nous nous
d’Iddio vuole, come se morta non remettons à la poursuite. Chaque
fosse stata, risurge e da capo vendredi, à la même heure, je la
incomincia la dolorosa fugga, e i rejoins ici, et j’en fais le carnage que
cani e io a seguitarla ; e avviene che tu vas voir. Ne crois pas, cependant,
ogni venerdì in su questa ora io la que nous soyons en repos les autres
giungo qui, e qui ne fo lo strazio che jours ; je la retrouve en d’autres lieux
vedrai ; e gli altri dì non creder che où elle avait pensé et agi avec
noi riposiamo, ma giungola in altri cruauté à mon égard. D’amant
luoghi né quali ella crudelmente devenu ennemi, comme tu vois, il me
contro a me pensò o opérò ; ed faut ainsi la pourchasser durant un
essendole d’amante divenuto nimico, nombre d’années égal au nombre de
come tu vedi, me la conviene in mois qu’elle s’est montrée cruelle à
questa guisa tanti anni seguitare mon égard. Laisse-moi donc être
quanti mesi ella fu contro a me l’exécuteur de la justice divine et ne
crudele. Adunque lasciami la divina t’oppose pas à ce que tu ne pourrais
giustizia mandare ad esecuzione, né empêcher. »
ti volere opporre a quello che tu non À ces paroles, saisi de crainte et,
potresti contrastare. pour ainsi dire, sans un cheveu qui ne
Nastagio, udendo queste parole, tutto se dressât sur sa tête, Nastagio recula
timido divenuto e quasi non avendo et, observant la jeune femme, attendit
pelo addosso che arricciato non avec épouvante ce qu’allait faire le
fosse, tirandosi addietro e cavalier. Son discours à peine
riguardando alla misera giovane, terminé, celui-ci, tel un chien enragé,
cominciò pauroso ad aspettare se précipita avec son épée vers elle
quello che facesse il cavaliere. Il qui, à genoux, et retenue par les deux
quale, finito il suo ragionare, a guisa mâtins, lui criait grâce et, de toute sa
d’un cane rabbioso, con lo stocco in force, il la frappa au milieu de la
mano corse addosso alla giovane, la poitrine et la transperça. Le coup
quale inginocchiata e da’ due sitôt reçu, la jeune femme tomba face
mastini tenuta forte gli gridava contre terre, toujours pleurant et
mercé ; e a quella con tutta sua forza hurlant. Le cavalier mit la main à une
diede per mezzo il petto e passolla dague, la plongea dans le dos, il en
dall’altra parte. Il qual colpo come tira le cœur et les autres viscères et
la giovane ebbe ricevuto, così cadde les jeta aux deux mâtins, lesquels
boccone, sempre piagnendo e affamés les dévorèrent sur-le-champ.
gridando ; e il cavaliere, messo Peu de temps après, comme si rien de
mano ad un coltello, quella aprì tout cela n’avait eu lieu, la jeune
nelle reni, e fuori trattone il cuore e femme se releva et se mit à courir
ogni altra cosa dattorno, a’ due vers la mer, et les chiens lui
mastini il gittò, li quali affamatissimi donnaient la chasse tout en la
incontanente il mangiarono. Né stette déchirant. Remonté à cheval, le
guari che la giovane, quasi niuna di cavalier, épée en main, reprit sa
queste cose stata fosse, subitamente poursuite, et tous bientôt disparurent,
si levò in piè e cominciò a fuggire de sorte que Nastagio les perdit de
verso il mare, e i cani appresso di lei vue.
sempre lacerandola ; e il cavaliere, Témoin de cette scène, il resta
rimontato a cavallo e ripreso il suo longtemps partagé entre la pitié et la
stocco, la cominciò a seguitare, e in peur. Mais, après un moment, il lui
picciola ora si dileguarono in vint à l’esprit que ces choses
maniera che più Nastagio non gli pouvaient lui être d’un grand profit,
poté vedere. puisqu’elles se répétaient tous les
Il quale, avendo queste cose vedute, vendredis. Ayant repéré l’endroit, il
gran pezza stette tra pietoso e s’en retourna vers ses gens. Ensuite,
pauroso, e dopo alquanto gli venne lorsque bon lui sembla, il envoya
nella mente questa cosa dovergli chercher plusieurs de ses parents et
molto poter valere, poi che ogni amis, et il leur dit : « Vous m’avez
venerdì avvenia ; per che, segnato il longtemps engagé à cesser d’aimer
luogo, a’ suoi famigli se ne tornò, e mon ennemie et de dépenser pour lui
appresso, quando gli parve, mandato plaire. Je suis donc prêt à agir ainsi, à
per più suoi parenti e amici, disse condition que vous m’obteniez la
loro : grâce que voici : que vous fassiez en
– Voi m’avete lungo tempo stimolato sorte que, vendredi prochain, messire
che io d’amare questa mia nemica mi Paolo Traversari, sa femme et leur
rimanga e ponga fine al mio fille, toutes les dames de leur parenté
spendere, e io son presto di farlo et d’autres encore à votre gré
dove voi una grazia m’impetriate, la viennent ici déjeuner avec moi. Vous
quale è questa : che venerdì che comprendrez alors pourquoi je veux
viene voi facciate sì che messer qu’il en soit ainsi. »
Paolo Traversaro e la moglie e la Cela leur parut chose aisée. De retour
figliuola e tutte le donne lor parenti, à Ravenne, au moment voulu, ils
e altre chi vi piacerà, qui sieno a invitèrent ceux que Nastagio désirait
desinar meco. Quello per che io recevoir et, bien que ce ne fût point
questo voglia, voi il vedrete allora. entreprise facile que d’y amener la
A costor parve questa assai piccola jeune fille aimée par Nastagio,
cosa a dover fare e promissongliele ; néanmoins, elle s’y rendit en
e a Ravenna tornati, quando tempo compagnie des autres invités.
fu, coloro invitarono li quali L’amant fit apprêter un repas
Nastagio voleva, e corne che dura magnifique et disposer les tables à
cosa fosse il potervi menare la l’ombre des pins, dans les lieux
giovane da Nastagio amata, pur mêmes où il avait vu le supplice de la
v’andò con gli altri insieme. cruelle femme. Ayant fait placer
Nastagio fece magnificamente hommes et dames à table, il fit en
apprestare da mangiare, e fece le sorte que la jeune fille fût assise en
tavole mettere sotto i pini dintorno a face de l’endroit où devait se
quel luogo dove veduto aveva lo dérouler la scène.
strazio della crudel donna ; e fatti Comme le dernier plat était déjà
mettere gli uomini e le donne a servi, les pleurs de la jeune femme
tavola, sì ordinò, che appunto la pourchassée commencèrent à se faire
giovane amata da lui fu posta a entendre. Fort étonnés, tous
sedere dirimpetto al luogo dove demandaient ce que c’était ; mais,
doveva il fatto intervenire. personne ne sachant le dire, ils se
Essendo adunque già venuta l’ultima levèrent, cherchant à voir ce que cela
vivanda, e il romore disperato della pouvait être, et ils aperçurent la
cacciata giovane da tutti fu malheureuse, le cavalier et les chiens,
lesquels se trouvèrent bientôt au
cominciato ad udire. Di che milieu de la compagnie. On cria
maravigliandosi forte ciascuno e beaucoup contre les chiens et le
domandando che ciò fosse, e niun cavalier, et plusieurs des convives
sappiendol dire, levatisi tutti diritti e s’avancèrent pour porter secours à la
riguardando che ciò potesse essere, jeune femme. Mais le cavalier leur
videro la dolente giovane e’l répondit comme il l’avait fait à
cavaliere e’ cani ; né guari stette che Nastagio : non seulement il les fit
essi tutti juron quivi tra loro. reculer, mais il les épouvanta tous et
Il romore fu fatto grande e a’ cani e les remplit de stupeur. Il fit les
al cavaliere, e molti per aiutare la mêmes choses que la fois précédente,
giovane si fecero innanzi ; ma il et toutes les dames présentes (il y en
cavaliere, parlando loro come a avait beaucoup qui étaient parentes
Nastagio aveva parlato, non de la malheureuse ou du cavalier et
solamente gli fece indietro tirare, ma qui se souvenaient de la passion de
tutti gli spaventò e riempié di celui-ci et de sa fin) pleuraient
maraviglia ; e faccendo quello che comme si on le leur avait fait à elles-
altra volta aveva fatto, quante donne mêmes. Parvenue à son terme, la
v’avea (ché ve ne avea assai che femme et le cavalier ayant disparu,
parenti erano state e della dolente cette scène suscita chez ceux qui y
giovane e del cavaliere e che si avaient assisté des commentaires
ricordavano e dell’amore e della nombreux autant que variés. Parmi
morte di lui) tutte così miseramente ceux qui en éprouvèrent la plus
piagnevano come se a sé medesime grande frayeur, il y eut la cruelle
quello avesser veduto fare. jeune fille. Elle en avait vu et
entendu distinctement chaque
La qual cosa al suo termine fornita,
péripétie, et reconnu que ces choses
e andata via la donna e’l cavaliere,
la concernaient plus que toute autre,
mise costoro che ciò veduto aveano
se rappelant la cruauté dont elle avait
in molti e vari ragionamenti ; ma tra
toujours usé à l’égard de Nastagio.
gli altri che più di spavento ebbero,
Bien plus, il lui semblait fuir à son
fu la crudel giovane da Nastagio
tour devant son soupirant furieux et
amata, la quale ogni cosa
avoir les mâtins à ses trousses.
distintamente veduta avea e udita, e
conosciuto che a sé più che ad altra La peur qu’elle en ressentit fut si
persona che vi fosse queste cose grande qu’afin d’échapper à ce
toccavano, ricordandosi della supplice, dès qu’elle en eut le loisir,
crudeltà sempre da lei usata verso le soir même, sa haine ayant cédé à
Nastagio ; per che già le parea l’amour, en secret elle envoya une de
fuggir dinanzi da lui adirato e avere i ses fidèles servantes à Nastagio,
mastini a’ fianchi. laquelle le pria, de la part de sa
E tanta fu la paura che di questo le maîtresse, de venir la trouver, car elle
nacque, che, acciò che questo a lei était prête à faire tout ce qu’il lui
non awenisse, prima tempo non si plairait. Nastagio lui fit répondre que
vide (il quale quella medesima sera cela le remplissait d’aise, mais qu’il
prestato le fu) che ella, avendo l’odio voulait être heureux dans le respect
in amore tramutato, una sua fida de son honneur et que c’était en
cameriera segretamente a Nastagio l’épousant, si elle y consentait.
mandò, la quale da parte di lei il Sachant qu’il n’avait jamais tenu
pregò che gli dovesse piacer qu’à elle de devenir la femme de
d’andare a lei, per ciò ch’ella era Nastagio, elle lui fit dire que cela lui
presta di far tutto ciò che fosse agréait. Elle annonça elle-même la
piacer di lui. Alla qual Nastagio fece nouvelle à ses parents, ce qui les
rispondere che questo gli era a réjouit beaucoup.
grado molto, ma che, dove le Le dimanche suivant, Nastagio
piacesse, con onor di lei voleva il l’épousa et célébra ses noces, puis
suo piacere, e questo era sposandola avec elle il vécut longtemps. Cette
per moglie. peur n’eut pas pour seul effet cet
La giovane, la qual sapeva che da heureux dénouement : toutes les
altrui che da lei rimaso non era che dames de Ravenne en furent si
moglie di Nastagio stata non fosse, alarmées qu’elles devinrent par la
gli fece risponder che le piacea. Per suite beaucoup plus accessibles au
che, essendo ella medesima la désir des hommes qu’elles ne
messaggera, al padre e alla madre l’avaient été auparavant.
disse che era contenta d’esser sposa
di Nastagio, di che essi furon conteni
molto ; e la domenica seguente
Nastagio sposatala e fatte le sue
nozze, con lei più tempo lietamente
visse.
E non fu questa paura cagione
solamente di questo bene, anzi sì
tutte le ravignane donne paurose ne
divennero, che sempre poi troppo più
arrendevoli a’ piaceri degli uomini
furono, che prima state non erano.
3.2. LE COMMENTAIRE
LE COMMENTAIRE À L’AGRÉGATION
1. CHARLES BAUDELAIRE, « SPLEEN II » : TROIS
LECTURES PRÉPARATOIRES ET ESQUISSE
DU COMMENTAIRE
LXXVI. – « Spleen »
[1] J’ai plus de souvenirs que si j’avais mille ans.
Un gros meuble à tiroirs encombré de bilans,
De vers, de billets doux, de procès, de romances,
Avec de lourds cheveux roulés dans des quittances,
[5] Cache moins de secrets que mon triste cerveau.
C’est une pyramide, un immense caveau,
Qui contient plus de morts que la fosse commune.
– Je suis un cimetière abhorré de la lune,
Où comme des remords se traînent de longs vers
[10] Qui s’acharnent toujours sur mes morts les plus chers.
Je suis un vieux boudoir plein de roses fanées,
Où gît tout un fouillis de modes surannées,
Où les pastels plaintifs et les pâles Boucher,
Seuls, respirent l’odeur d’un flacon débouché.
[15] Rien n’égale en longueur les boiteuses journées,
Quand sous les lourds flocons des neigeuses années
L’ennui, fruit de la morne incuriosité,
Prend les proportions de l’immortalité.
– Désormais tu n’es plus, ô matière vivante !
[20] Qu’un granit entouré d’une vague épouvante,
Assoupi dans le fond d’un Sahara brumeux ;
Un vieux sphinx ignoré du monde insoucieux,
Oublié sur la carte, et dont l’humeur farouche
Ne chante qu’aux rayons du soleil qui se couche.
1.1. LE TEXTE
Les trois lectures que nous venons de présenter donnent une idée du
travail préliminaire au commentaire composé. La première lecture
s’efforce de comprendre le mouvement global du texte. Puis, à partir de
la totalité du texte, il devient possible de proposer une hypothèse sur son
unité (la Weltangst pour Jauss, l’intention allégorique pour Benjamin, le
chant du cygne du sujet pour Jenny…) qui servira de support au
commentaire. Le travail historique sur l’œuvre (à son époque, puis dans
les interprétations successives qui en ont été données) permet enfin de
préciser cette hypothèse, d’en infléchir, voire d’en écarter, certains
aspects contestables. Enfin, une fois que la progression du texte a été
comprise, qu’une unité de signification fondamentale a été identifiée et
que l’on a une connaissance suffisante de l’histoire de l’œuvre, on peut
construire le commentaire.
Plusieurs éléments sont apparus déterminants lors des trois lectures :
– l’énigme d’une thématique du souvenir illimité évoluant selon des
inflexions qui permettent malaisément de la rattacher à la consistance
lyrique du poème (1re lecture), même si le principe d’ambiguïté poétique
(J. D. Hubert, 3e lecture) en rend partiellement compte ;
– corrélativement, un moi poétique difficilement saisissable, dont
l’évolution s’avère problématique, comme le montre le « squelette
narratif » identifié par L. Jenny (3e lecture) ;
– un usage particulier de l’allégorie (les interprétations de
W. Benjamin puis de G. Hess, 3e lecture) ;
– l’interprétation, due à H. R. Jauss, du spleen comme angoisse devant
le monde (2e lecture) ;
– une série d’interprétations du spleen qui se réfèrent au contexte
culturel : le désenchantement nihiliste selon P. Bourget, le refus
baudelairien du romantisme (Gautier, Jauss), les éléments biographiques
(J. D. Hubert) (3e lecture).
Nous partirons de l’hypothèse de H. R. Jauss sur le spleen. Il nous
semble intéressant de construire à partir de là un plan de type dialectique
s’interrogeant sur ce qu’est le spleen et notant la contradiction entre une
expérience lyrique qui cherche à se dire et un moi qui ne réussit pas à se
saisir et tend même à disparaître. À des fins de clarté, nous mentionnons
les trois étapes de cette dialectique :
– 1. À lire ce poème au titre énigmatique, il semble bien que le spleen
désigne l’angoisse devant le monde, Weltangst provoquant une rupture de
l’expérience intervenant au milieu des actions et des états d’âme propres
au monde familier. Ce sentiment s’exprime dans une plainte lyrique dont
on peut d’abord étudier les éléments.
– 2. Toutefois, ce lyrisme est différent de celui de la première
génération des romantiques (Lamartine, Hugo…), car cette angoisse
semble atteindre l’identité même du moi du poème. De comparaison en
comparaison, il la sent vaciller à cause du spleen, de telle sorte que le
texte relate aussi une aventure du sujet spleenétique qui vient contredire
le mouvement d’affirmation lyrique.
– 3. C’est qu’en réalité, le poème tout entier peut se lire comme la
présentation des effets du spleen sur le moi, cette intemporelle monotonie
où disparaît le sentiment de la vie et de sa propre vie. Ni simple lyrisme
mélancolique, ni pure évocation d’un moi s’évanouissant, le texte trouve
son unité dans l’intention allégorique. Il est une allégorie de la Beauté
spleenétique, à la fois tentative de personnification de ce sentiment
étrange qu’est le spleen et image du Beau incompris dont il est la source.
Établissons l’esquisse d’un plan dialectique :
2.1. LE TEXTE
– « Este ungüento con que las brujas « Cet onguent dont nous nous
nos untamos es compuesto de jugos graissons, nous autres sorcières, est
de yerbas en todo extremo fríos, y no composé du suc de certaines herbes,
es, como dice el vulgo, hecho con la refroidi à l’extrême, et non point,
sangre de los niños que ahogamos. comme dit le vulgaire, du sang des
Aquí pudieras también preguntarme petits enfants que nous égorgeons. Tu
qué gusto o provecho saca el pourrais, au demeurant, me
demonio de hacernos matar las demander ici quel plaisir ou quel
criaturas tiernas, pues sabe que profit le démon peut bien tirer de
estando bautizadas, como inocentes nous faire tuer de tendres créatures,
y sin pecado, se van al Cielo, y él puisqu’il sait qu’étant baptisées,
recibe pena particular con cada innocentes et sans péché, elles iront
alma cristiana que se le escapa ; a lo tout droit au ciel, et qu’il éprouve un
que no te sabré responder otra cosa singulier déplaisir de chaque âme
sino lo que dice el refrán : que tal chrétienne qui lui échappe. Je ne
hay que se quiebra dos ojos porque saurai te répondre que par ce que dit
su enemigo se quiebre uno ; y por la le proverbe : “Il est des gens qui se
pesa-dumbre que da a sus padres crèvent deux yeux pour que leur
matándoles los hijos, que es la ennemi s’en crève un.” Ce lui est
mayor que se puede imaginar. Y lo assez du chagrin qu’il donne aux
que más le importa es hacer que parents en leur tuant leurs enfants,
nosotras cometamos a cada paso tan qui est le plus grand qu’on puisse
cruel y perverso pecado ; y todo esto imaginer. Et ce qui lui importe
lo permite Dios por nuestros davantage, c’est de nous faire
pecados : que sin su permisíon yo he commettre à chaque pas un si pervers
visto por experiencia que no puede et si cruel péché. Tout cela, Dieu le
ofender el diablo a una hormiga ; y permet pour notre perte : sans sa
es tan verdad esto, que rogándole yo permission, j’ai vu par expérience
una vez que destruyese una viña de que le diable ne saurait offenser une
un mi enemigo, me respondió que ni fourmi. Une fois que je le priais de
aun tocar a una hoja della no podía, détruire une vigne d’un mien ennemi,
porque Dios no quería ; por lo cual il me répondit qu’il ne pouvait
podrás venir a entender cuando seas toucher à une seule de ses feuilles,
hombre que todas las desgracias que parce que Dieu ne le voulait pas. De
vienen a las gentes, a los reinos, a quoi tu pourras colliger, lorsque tu
las ciudades y a los pueblos, las seras homme, que tous les malheurs
muertes repentinas, los naufragios, qui arrivent aux nations, aux
las caídas, en fin, todos los males royaumes, aux cités et aux peuples,
que Ilaman de daño, vienen de la les morts subites, les naufrages, les
mano del Altísimo y de su voluntad chutes, enfin tous les dommages
permitente ; y los daños y males que qu’on appelle par accident
Ilaman de culpa, vienen y se causan proviennent de la main du Très-Haut,
por nosotros mismos. Dios es de sa volonté et de son autorisation.
impecable, de do se infiere que Et les maux qu’on appelle de coulpe,
nosotros somos autores del pecado, c’est nous-mêmes qui les causons.
formándole en la intención, en la Dieu est impeccable, et nous sommes
palabra y en la obra, todo les auteurs du péché, c’est nous qui
permitiéndolo Dios, por nuestros le formons en intention, en parole et
pecados, como ya he dicho. Diras tú en œuvre. À présent, mon enfant, tu
ahora, hijo, si es que acaso me demanderas, si d’aventure tu me
entiendes, que quién me hizo a mi comprends, qui me fit théologienne
teóloga, y aun quinzá diras entre ti : et peut-être diras-tu à part toi :
« – ¡Cuerpo de tal con la puta vieja ! “Corbleu ! le diable soit de la vieille
¿Por que no deja de ser bruja, pues putain ! Que ne laisse-t-elle d’être
sabe tanto, y se vuelve a Dios, pues sorcière puisqu’elle en sait tant, et ne
sabe que esta más prompto a revient-elle à Dieu, puisqu’elle
perdonar pecados que a n’ignore point qu’il est plus prompt à
permitirlos ? » A esto te respondo, pardonner des péchés qu’à les
como si me lo preguntaras, que la permettre !” À quoi je répondrai,
costumbre del vicio se vuelve en comme si tu me l’avais demandé, que
naturaleza, y éste de ser brujas se l’accoutumance au vice se
convierte en sangre y carne, y en transforme en nature et que notre état
medio de su ardor que es mucho, de sorcières se change en chair et en
trae un frío que pone en el alma, tal, sang : au milieu de son ardeur, qui est
que la resfría y entorpece aun en la infinie, il apporte un froid qui glace
Fe, de donde nace un olvido de sí l’âme et l’assoupit pour la foi, d’où
misma, y ni se acuerda de los naît un oubli de soi ; elle ne se
temores con que Dios la amenaza, ni rappelle plus ni les épouvantes dont
de la gloria con que la convida ; y, Dieu la menace, ni la gloire où il
en efeto, como es pecado de carne y l’invite. C’est un péché de chair et de
de deleites, es fuerza que amortigüe délices, aussi a-t-il assez de
todos los sentidos, y los embelese y puissance pour amortir tous les sens,
absorte, sin dejarlos usar sus oficios les ravir et les absorber sans les
como deben ; y así, quedando el laisser s’exercer justement. L’âme,
alma inútil, floja y desmazalada, no ainsi, demeure inutile, lâche et sans
puede levantar la consideración contenance ; elle ne peut plus
siquiera a tener algún buen s’élever à considérer quelque bonne
pensamiento ; y así dejándose estar pensée ; et se laissant abîmer dans les
sumida en la profunda sima de su profondeurs de sa misère, elle ne
miseria, no quiere alzar la mano a la tente plus de tendre la main vers celle
de Dios, que se la está dando, por que Dieu, par sa seule miséricorde,
sola su misericordia, para que se lui offre pour la relever. Et moi, j’ai
levante. Yo tengo una destas aimas une de ces âmes que je t’ai peintes :
que te he pintado : todo lo veo y todo je vois tout, je l’entends, mais les
lo entiendo ; y como el deleite me délices ont mis ma volonté dans les
tiene echados grillos a la voluntad, fers ; j’ai toujours été, je serai
siempere he sido y seré mala. toujours mauvaise.
« Pero dejemos esto, y volvamos a lo « Brisons là, et revenons à nos
de las unturas : y digo que son tan onctions. Je dis qu’elles sont si
frías, que nos privan de todos los froides qu’elles nous privent de tous
sentidos en untándonos con ellas, y nos sens ; nous restons étendues
quedamos tendidas y desnudas en el toutes nues sur le sol, et c’est alors
suelo, y entonces dicen que en la qu’on dit que par la fantaisie nous
fantasia pasamos todo aquello que vivons toutes ces choses que nous
nos parece pasar verdaderamente. croyons vivre véritablement.
Otras veces, acabadas de untar, a D’autres fois, après que nous nous
nuestro parecer, mudamos forma, y sommes ointes, il nous paraît que
convertidas en gallos, lechuzas o nous changeons de forme et que,
cuervos, vamos al lugar donde transformées en coqs, chouettes ou
nuestro dueño nos espera, y allí corbeaux, nous nous rendons au lieu
cobramos nuestra primera forma, y où notre maître nous attend ; là, nous
gozamos de los deleites que te dejo recouvrons notre premier état et
de decir, por ser taies, que la jouissons de délices que je passerai
memoria se escandaliza en sous silence ; elles sont telles que la
acordarse dellos, y así, la lengua mémoire se scandalise à s’en
huye de contarlos ; y, con todo esto, souvenir et que la langue se refuse à
soy bruja, y cubro con la capa de la les rapporter. Et pourtant, je suis
hipocresía todas mis muchas faltas. sorcière, et je couvre toutes mes
Verdad es que si algunos me estiman fautes du manteau de l’hypocrisie. Il
y honran por buena, no faltan est vrai que si certains m’estiment et
muchos que me dicen, no dos dedos honorent comme vertueuse, il n’en
del oído, el nombre de las fiestas », manque pas qui me disent, à deux
que es el que les imprimío la furia de doigts de l’oreille, les noms de tous
un juez colérico que en los tiempos les animaux, n’ayant pas oublié les
pasados tuvo que ver conmigo y con outrages publics d’un juge assez
tu madre, depositando su ira en las colérique à qui nous eûmes affaire
manos de un verdugo, que, por no jadis, ta mère et moi, et qui déposa
estar sobornado, usó de toda su son ire dans les mains du bourreau ;
plena potestad y rigor con nuestras celui-ci, n’étant pas suborné, usa de
espaldas. Pero esto ya pasó, y todas ses pleins pouvoirs et de sa pleine
las cosas se pasan : las memorias se rigueur aux dépens de nos deux dos.
acaban, las vidas no vuelven, las Mais tout ceci est passé, et toutes les
lenguas se cansan, los sucessos choses passent, les mémoires
nuevos hacen olvidar los pasados. s’achèvent, les vies ne reviennent
Hospitalera soy ; buenas muestras pas, les langues se lassent, les
doy de mi proceder ; buenos ratos nouveaux font oublier les anciens. Je
me dan mis unturas ; no soy tan vieja suis hospitalière ; je donne des
que no pueda vivir un año, puesto marques excellentes de mon genre de
que tengo setenta y cinco ; y ya que vie, et mes onguents me donnent
no puedo ayunar, por la edad, ni d’excellents moments ; je ne suis pas
rezar, por los vaguidos, ni andar si vieille que je ne puisse vivre
romerías, por la flaqueza de mis encore un an, puisque j’en ai
piernas, ni dar limosna, porque soy soixante-quinze. Je ne puis plus
pobre, ni pensar en bien, porque soy jeûner, à cause de mon âge, ni prier, à
amiga de murmurar, y para haberlo cause de mes vapeurs, ni courir les
de hacer es forzoso pensarlo pèlerinages, à cause de la faiblesse de
primero, así que siempre mis pensa- mes jambes, ni faire l’aumône, à
mientos han de ser malos, con todo cause que je suis pauvre, ni avoir de
esto, sé que Dios es bueno y bonnes pensées, parce que j’aime
misericordioso, y que El sabe lo que trop la médisance : ce que l’on dit, il
ha de ser de mi, y basta ; y quédese le faut d’abord penser, et mes
aquí esta plática, que pensées sont toujours mauvaises. Et
verdaderamente me entristece. Ven, si je sais que Dieu est bon et
hijo, y verásme untar ; que todos los miséricordieux, Il sait, Lui, ce qu’il
duelos con pan son buenos ; el buen adviendra de moi ; cela suffit.
día, meterle en casa, pues mientras Laissons là ce discours : en vérité, il
se ríe, no se llora ; quiero decir, que m’attriste. Viens, fils, tu me verras
aunque los gustos que nos da el oindre ; les chagrins, avec un pain,
demonio son aparentes y falsos, sont supportables ; quand la journée
todavía nos parecen gustos, y el se présente bien, il la faut saisir par
deleite mucho mayor es imaginado les cheveux, car tant qu’on rit, on ne
que gozado ; aunque en los pleure pas ; je veux dire que, bien
verdaderos gustos debe de ser al que les faveurs que nous fait le
contrario. » démon soient apparentes et fausses,
Levantóse en diciendo esta larga elles nous semblent encore des
arenga, y tomando el candil, se entró faveurs, et le plaisir est encore
en otro aposentillo más estrecho ; meilleur, imaginaire que réel.
seguíla, combatido de mil varios Pourtant, dans les véritables plaisirs,
pensamientos y admirado de lo que il doit en être au contraire. »
había oído y de lo que esperaba ver. Elle se leva sur cette longue
Colgó la Cañizares el candil de la harangue et, prenant le lumignon,
pared, y con mucha priesa se entra dans un réduit plus obscur ; je
desnudó hasta la camisa, y sacando la suivis, l’esprit combattu de mille
de un rincón una olla vidriada, metío pensées contraires et fort surpris de
en ella la mano, y murmurando entre tout ce que j’avais entendu et de tout
dientes, se untó desde los pies a la ce que je m’attendais à voir. La
cabeza, que tenía sin toca. Antes que Cañizares accrocha sa lampe au mur
se acabase de untar me dijo que, ora et, avec une rapidité extraordinaire,
se quedase su cuerpo en aquel se déshabilla jusque de sa chemise ;
aposente, sin sentido, ora puis elle tira d’un coin un pot de terre
desapareciese dél, que no me vernissé, y plongea la main et,
espantase, ni dejase de aguardar allí murmurant entre ses dents, s’oignit
hasta la mañana, porque sabría las depuis les pieds jusqu’à sa tête sans
nuevas de lo que me quedaba por coiffe. Avant d’achever de s’oindre,
pasar hasta ser hombre. Díjele elle me recommanda, soit que son
bajando la cabeza que si haría, y con corps demeurât inanimé dans cette
esto acabó su untura, y se tendió en chambre, soit qu’il en disparût, de ne
el suelo como muerta. Llegué mi pas avoir peur ni de laisser d’attendre
boca a la suya, y vi que no respiraba, là jusqu’au matin, car elle me
poco ni mucho. Una verdad te quiero rapporterait la nouvelle des aventures
confesar, qu’il me restait à souffrir avant de
Cipión amigo : que me dio gran devenir homme. Je lui répondis, en
temor verme encerrado en aquel inclinant la tête, que je ferais ainsi ;
estrecho aposento con aquella figura là-dessus, elle acheva son graissage
delante, la cual te la pintaré como et s’étendit par terre comme morte.
mejor supiere. Ella era larga de mas J’approchai ma gueule de sa bouche
de siete pies ; toda era notomía de et vis qu’elle ne respirait ni peu ni
huesos, cubiertos con una piel negra, prou. Il faut que je te confesse une
vellosa y curtida ; con la barriga, vérité, ami Scipion : c’est qu’une
que era de badana, se cubría las terreur effroyable me saisit, lorsque
partes deshonestas, y aun le colgaba je me vis enfermé dans cet étroit
hasta la mitad de los muslos : las réduit avec cette forme devant moi,
tetas semejaban dos vejigas de vaca que je vais essayer de te peindre. Elle
secas y arrugadas, denegridos los avait plus de sept pieds de long : ce
labios, traspillados los dientes, la n’était toute qu’une anatomie d’os
nariz corva y entablada, recouverts d’une peau noire, velue et
desencasados los ojos, la cabeza tannée ; de son ventre, qui était de
desgreñada, las mejillas chupadas, basane, elle se couvrait les parties
angosta la garganta y los pechos déshonnêtes ; et même, il lui pendait
sumidos ; finalmente, toda era flaca jusqu’à mi-cuisse ; ses mamelles
y endemoniada. Púseme de espacio a semblaient deux vessies de vache,
mirarla, y apriesa comenzó a apode- sèches et plissées ; elle avait les
rarse de mí el miedo, considerando lèvres noires, les dents serrées, le nez
la mala vision de su cuerpo y la peor mince et crochu, les yeux déchâssés,
ocupación de su alma. Quise la tête échevelée en mèches, les joues
morderla, por ver si volvía en si, y no sucées, étroite la gorge et les seins
hallé parte en toda ella que el asco enfoncés ; enfin, tout en elle était
no me lo estorbase ; pero, con todo décharné et diabolique. Je me mis à
esto, la así de un carcaño y la saqué l’examiner lentement, et une terreur
arrastrando al patio ; mas ni por soudaine s’empara de moi ; je
esto dio muestras de tener sentido. considérai l’affreux spectacle de son
Allí, con mirar al cielo y verme en corps et la pire occupation de son
parte ancha, se me quitó el temor ; a âme. Je voulus la mordre, pour voir
lo menos, se templó de manera, que si elle revenait à elle, mais je ne
tuve ánimo de esperar a ver en lo trouvai aucun point en elle où le
que paraba la ida y vuelta de aquella dégoût ne m’en empêchât ;
mala hembra y lo que me contaba de néanmoins, je la saisis par un jarret et
mis sucessos. En esto, me preguntaba la traînai jusque dans la cour : elle
yo a mí mismo : « ¿Quién hizo a esta n’en continua pas moins dans le
mala vieja tan discreta y tan mala ? même état. Toutefois, quand je me
¿De dónde sabe ella cuáles son vis sous le ciel et dans un lieu plus
males de daño y cuáles de culpa ? vaste, la peur me quitta, ou tout au
¿Cómo entiende y habla tanto de moins s’adoucit en sorte que j’eus le
Dios, y obra tanto del diablo ? courage d’attendre ce qu’il
¿Cómo peca tan de malicia, no adviendrait du voyage de cette
excusándose con ignorancia ? » maudite femelle et ce qu’elle m’en
conterait. Et je me demandais en
moi-même : « Qui donc a fait cette
vieille si discrète et si méchante ?
D’où sait-elle la différence des maux
par accident et des maux par coulpe ?
Comment entend-elle et parle-t-elle
tant de Dieu et œuvre-t-elle tant du
diable ? Comment pèche-t-elle avec
tant de malice et sans l’excuse de
l’ignorance ? »
2.3. LE COMMENTAIRE
Il est bien question ici de regard (« vieren/ils verront »), d’une vision
percevant les orgueilleux comme les humbles selon leur exacte nature.
L’exemplarité de la nouvelle résiderait alors dans l’évocation du regard
qu’il convient de porter sur un univers gangrené par le mal : un regard
distancié, ne se fiant pas aux propos et aux pratiques du monde, mais
gardant la sagesse de ne pas trop éclairer ses parties les plus cachées.
Tel est le programme rempli par Berganza, qui écoute la servante du
diable, la regarde durant son immonde extase, puis prend quelque
distance vis-à-vis du corps diabolique pour l’exposer aux yeux des
passants avant de repartir vers de nouvelles aventures. Ce regard pourrait
être celui de l’écrivain qui montre sans juger, soumettant par son récit le
monde à l’interprétation d’autrui.
CONCLUSION
LE COMMENTAIRE COMPARÉ
1. COMMENT PRÉPARER LE COMMENTAIRE
COMPARÉ ?
Nous partirons des similitudes de ces passages. Dans les deux cas nous
est contée une « transaction péremptoire » entre des représentants du
commerce colonial (français) et des Africains. Le spectacle des
mécanismes quotidiens d’exploitation économique du petit peuple
africain nous est donné, puisque, dans les deux cas, le personnage du
vendeur autochtone, venant proposer le fruit de son travail, se voit spolié
et même, chez Céline, ridiculisé par le commerçant. On peut donc
identifier le principal élément commun de nos passages : ce sont des
récits de la spoliation coloniale.
Il importe cependant de signaler de grandes différences. Avec Voyage
au bout de la nuit, paru en 1932, nous abordons une époque où la
domination coloniale française est rarement remise en question. Après
l’Exposition coloniale de Paris (1931), la colonisation fait pratiquement
l’unanimité dans l’opinion publique. Quoique les témoignages
accusateurs d’écrivains qui ont voyagé dans les colonies commencent à
fleurir (André Gide, 1927, Voyage au Congo, 1928, Retour du Tchad ;
Georges Simenon, 1932, L’Heure du Nègre), ils n’ont encore qu’un
retentissement limité. En revanche, Ville cruelle est publié à une période
qui précède de peu les indépendances africaines et où la contestation de
la domination coloniale se fait de plus en plus vive. Ce moment est aussi
celui d’une floraison des littératures francophones, dont certaines ont
conquis une grande notoriété, particulièrement celles d’Aimé Césaire et
de Léopold Sédar Senghor, fondateurs avec Léon-Gontran Damas du
mouvement de la Négritude (dont l’Anthologie de la nouvelle poésie
nègre et malgache de langue française, publiée en 1948 avec une
retentissante préface de Jean-Paul Sartre, fut l’un des signes notoires). Le
contexte est donc nettement plus favorable à une dénonciation du
colonialisme, même si, à l’époque, on ne saurait négliger les risques
encourus par un auteur africain se dressant contre la puissance qui
soumet son pays.
La différence dans les situations d’énonciation n’est pas moindre. Le
texte de Céline est écrit par un auteur qui, même s’il n’est guère
favorable au colonialisme, appartient au pays colonisateur et qui a pu de
surcroît, servir le système colonial puisque l’auteur fut un temps
l’employé d’une compagnie forestière au Cameroun. Le second texte est
l’œuvre d’un Africain qui a souffert de la tutelle coloniale et qui continue
alors de la subir.
Les deux textes cependant appartiennent aux premiers romans
d’auteurs critiquant l’idéologie et les pratiques françaises en Afrique
occidentale, l’un dans un style d’une musicalité inédite, avec une force de
dérision n’épargnant personne, le second dans une œuvre à l’engagement
peut-être plus traditionnel, mais mieux averti des drames quotidiens
inhérents à l’Afrique coloniale.
Le travail d’identification du thème central du commentaire et
d’approche des principales différences entre les textes doit se compléter
d’une étude de leurs structures.
Plusieurs modèles structuraux s’amalgament dans les deux passages :
2.3. LE COMMENTAIRE
Conclusion générale
À partir de là, on peut introduire les deux arts poétiques retenus qui,
appartenant l’un et l’autre à la poésie du XXe siècle, illustrent eux aussi la
théorie par l’exemple.
Né à Tours en 1923, Yves Bonnefoy est l’un des plus grands des poètes
français vivants, et reconnu comme tel. L’année du prix Nobel attribué à
Pasternak, il publiait au Mercure de France son deuxième recueil : après
Du mouvement et de l’immobilité de Douve qui, en 1953, avait fait
entendre une voix nouvelle en poésie, Hier régnant désert pouvait
paraître plus sombre et plus serein à la fois. Pierre écrite (1965), son
troisième recueil, s’achève sur un « Art de la poésie », qui sera le second
texte retenu :
« Art de la poésie »
Dragué fut le regard hors de cette nuit.
Immobilisées et séchées les mains.
On a réconcilié la fièvre. On a dit au cœur
D’être le cœur. Il y avait un démon dans ces veines
Qui s’est enfui en criant.
Il y avait dans la bouche une voix morne sanglante
Qui a été lavée et rappelée.
Pasternak n’est pas de ces poètes que Bonnefoy se plaît à citer, et les
deux textes ne sont nullement en relation dans l’histoire littéraire.
Pourtant, Shakespeare et Rimbaud réunissent quelque part les deux
écrivains.
1. Pasternak a traduit et commenté Hamlet, qui est pour lui le drame
non d’un caractère indécis, mais de la volonté : le prince danois doit se
conformer aux injonctions de son père. Il accepte de jouer le rôle qui lui
est donné, il l’aime même, mais il préserve les droits de la liberté, dont le
théâtre lui donne l’exemple. C’est la condition pour que « vivre une vie
[ne soit] pas rien7 ».
Bonnefoy est, lui aussi, traducteur de Hamlet. Mais c’est à une autre
pièce de Shakespeare, The Winter’s Tale, Le Conte d’hiver, qu’il a
emprunté l’épigraphe de Pierre écrite :
On croit en entendre l’écho dans « Ce sont les pois suaves d’une rame
abandonnée » (vers 5). Dans les deux cas, une image familière, potagère
même, s’allie au sens du mystère.
« Art de la poésie », le poème de Bonnefoy, est bien davantage
imprégné de Rimbaud, et il bénéficie du Rimbaud par lui-même que
l’écrivain a publié aux éditions du Seuil, dans la collection « Écrivains de
toujours », en 1961. « Dragué », le premier mot, vient du « dragueur » de
« Mémoire », autre poème de 1872 (« un vieux, dragueur, dans sa barque
immobile, peine », vers 32). Les « mains séchées », qui ne sont ni à
plume ni à charrue, font penser au « poing desséché » dans Une saison en
enfer (« Mauvais sang »). C’est ce « mauvais sang » qu’illustre aussi
l’image du démon dans les veines. « On a réconcilié les fièvres »
continue d’une manière différente le deuxième alinéa de « Dévotion »,
dans les Illuminations :
« À ma sœur Léonie Aubois d’Ahsby. Baou – l’herbe d’été
bourdonnante et puante. – Pour la fièvre des mères et des enfants. »
Le passage s’effectue par le poème « Dévotion » qu’à son tour,
Bonnefoy a composé en 1959 en reprenant le modèle rimbaldien9. Quant
à la volonté de purification, on en trouverait l’expression principalement
dans « Génie », le poème que les éditeurs placent le plus souvent à la fin
des Illuminations.
PROLONGEMENTS
LA DISSERTATION
DE LITTÉRATURE GÉNÉRALE
ET COMPARÉE
Perpétuellement menacée, la dissertation reste un exercice fondamental ;
elle s’impose peut-être plus que jamais en littérature générale et
comparée, où la synthèse est nécessaire au terme d’approches de textes
divers. Pour ceux qui sont rompus à la technique de la dissertation
française, la dissertation de littérature comparée apportera peu de
surprises. Elle n’en est qu’une variante. Pourtant, elle passe pour être
déroutante, difficile ; elle est redoutée en particulier par les candidats aux
concours de recrutement. Ce livre veut constituer une aide et, pour cela,
contribuer à l’apprentissage de la rigueur. Sans la culture littéraire, sans
la connaissance des textes, rien n’est possible. Mais il faut éviter de se
perdre dans le foisonnement des œuvres et des citations. La discipline
que s’impose l’esprit à partir de là ne doit pas non plus déboucher sur de
stériles taxinomies. Elle n’a de sens que si elle permet de mieux conduire
une réflexion juste et personnelle. Elle doit aider à s’élever au-dessus de
la description pure qui, dans le cas le pire, est paraphrase.
Cette partie du livre rassemble des éléments empruntés à une
expérience de trente ans dans l’enseignement supérieur. La
diversité des programmes traversés a permis d’éviter une sclérose
que pouvait laisser craindre un exercice de toute façon beaucoup
moins figé qu’il ne paraît. L’autre source de jouvence a été la
lecture de travaux d’étudiants toujours intéressants, parfois
excellents, et instructifs par leurs défauts même. Leur qualité est le
meilleur encouragement pour ceux qui doutent encore, professeurs
moroses à la pensée du bon vieux temps, candidats intimidés. Plus
que des règles étroites, c’est le contact avec la vie de la littérature
qui entretient celle de l’esprit, c’est aussi la confiance dans les
pouvoirs de l’intelligence.
CHAPITRE I
MÉTHODE DE LA DISSERTATION
1. COMMENT PRÉPARER LA DISSERTATION ?
3. RÉDIGER LA DISSERTATION
On pourrait établir à partir de là deux plans, dont le premier est plus (et
sans doute trop) immédiat, dont le second est plus dirigé par la
problématique même.
Premier plan
Deuxième plan
A. Éléments de sympathie :
a) sympathie d’artiste : l’éloge de la composition romanesque ;
b) sympathie d’homme vivant dans un corps : la souffrance appelle un
cataplasme ;
c) sympathie intellectuelle : Tchekhov est prêt à admettre,
intellectuellement, qu’un homme âgé ait le désir de dormir avec une
jeune fille.
B. Éléments d’antipathie :
a) antipathie à l’égard de Clotilde, qui accepte une fonction qui la
réduit à une utilité ;
b) antipathie à l’égard du Dr Pascal, qui ne se rend pas compte qu’il est
trop tard pour mûrir encore ;
c) antipathie à l’égard de Zola, et de sa complaisance à l’égard d’une
situation et d’une conduite que Tchekhov réprouve au nom de la morale.
C. Les vraIes exigences :
a) l’adéquation de la forme et du fond ;
b) l’accord des âges ;
c) la justesse dans les définitions : l’utilisation par Zola du mot
« amour ».
À travers cette analyse, Tchekhov remet en question le sursaut
d’optimisme de Zola à la fin des Rougon-Macquart, et on conçoit que la
possibilité en échappe à l’écrivain russe, connu pour son profond
pessimisme.
A. LE DÉSENCHANTEMENT
a) Sentiment d’avoir été frustré par le destin. Saint-Preux, dans La
Nouvelle Héloïse : « Il me semblait que la destinée me devait quelque
chose qu’elle ne m’avait pas donné. » Werther, dans le roman par lettres
de Goethe, Die Leiden des Jungen Werthers : « Nous restons là dans
notre pauvreté, dans nos étroites limites, et notre âme assoiffée se tend
vers le rafraîchissant breuvage qui lui a échappé. »
b) La passion a été déçue. Julie, dans La Nouvelle Héloïse : « L’amour
est éteint, il l’est pour jamais, et c’est encore une place qui ne sera point
remplie. » Goethe, dans un poème envoyé à Charlotte von Stein, le
14 avril 1776 :
B. L’ASPIRATION À L’INFINI
a) Révolte qui pousse à briser le cadre où l’on est enfermé, la société,
qui « est l’ennemi nécessaire des individus (Ugo Foscolo, Ultime lettere
di Jacopo Ortis), et à laquelle Jean-Jacques Rousseau n’a cessé de
s’attaquer.
b) Instable, indésirable, le héros est contraint au voyage. Il peut être le
voyage réel : Saint-Preux rêve d’être englouti dans la mer immense dont
les flots pourraient recouvrir son cœur agité ; Werther se lance dans des
courses effrénées à travers la campagne.
c) Le héros peut aussi aspirer à s’envoler vers l’ailleurs, vers l’infini
même : Troisième lettre à Malesherbes de Jean-Jacques Rousseau ; Faust
dans l’Urfaust ; appel lancé aux constellations par Jacopo Ortis ;
Coleridge, Ode à la Liberté.
C. LA VOLUPTÉ DE LA DOULEUR
a) Un dolorisme qui ne va pas sans une certaine complaisance.
Rousseau juge que « les blessures de la sensibilité sont aimées pour elles-
mêmes, car elles font vivre et leur amertume est savourée ». L’Oberman
de Senancour jugera que cette « volupté de la mélancolie » est « la plus
durable des jouissances de son cœur », un « charme plein de secrets qui
le fait vivre de ses douleurs et s’aimer encore dans le sentiment de sa
ruine » (lettre XXIV).
b) Enchantement devant les richesses du moi : « l’univers entier
disparaît devant moi » (Rousseau, Confessions) ; « Je rentre en moi-
même et j’y trouve un monde (Goethe, Les Souffrances du jeune
Werther).
c) Plénitude atteinte grâce à la limite indécise qui s’est établie entre le
moi et la nature. Cinquième des Rêveries du promeneur solitaire de
Rousseau. Werther : « Tout flotte, tout vacille à tel point devant mon âme
que je ne puis serrer un contour. »
« Arracher » le plan à la description pure
Sans doute trouvera-t-on encore bien descriptif sous cette forme un
plan qui pourrait être celui d’une leçon plus que celui d’une dissertation.
L’effort supplémentaire consistera précisément à arracher, en quelque
sorte, le plan descriptif à la description, en tout cas à la description pure,
même si l’on n’est pas aidé par la formulation toute scolaire du sujet. On
y parviendra en donnant une forme plus problématique à chacun des trois
centres d’intérêt ainsi dégagés :
A. LE DÉSENCHANTEMENT
Comment l’enchantement procuré aux précurseurs du romantisme par
la lecture de Rousseau peut-il être conciliable avec leur
désenchantement ? Et le désenchantement préromantique exclut-il un
certain enchantement (voir le chapitre sur Chateaubriand
« L’Enchanteur », dans le livre d’Yves Vadé, L’Enchantement littéraire.
Écriture et magie de Chateaubriand à Rimbaud).
B. L’ASPIRATION À L’INFINI
Le préromantique peut sembler impatient de la limite, et pourtant, son
aspiration à l’infini, parfois si théâtrale (René : « Levez-vous vite, orages
désirés »), est compatible avec le culte du petit (mis en valeur par Jean-
Pierre Richard dans son livre Paysage de Chateaubriand :
« Chateaubriand aime la petitesse, il le professe en maint passage des
Mémoires. Son goût naturel le porte vers le menu, vers l’insignifiant :
“qu’il fallait peu de chose à ma rêverie” »). D’où la tentation de la
clôture, qui s’oppose à celle du désert, dans Atala et dans René.
C. LA VOLUPTÉ DE LA DOULEUR
Elle est paradoxale dans son essence même. Mais elle est surprenante
aussi parce que, née chez Rousseau de l’intimité de l’être, elle se trouve
remise en question quand la douleur naît de l’histoire, donc de l’extérieur.
Faut-il admettre, avec Robert Mauzi dans L’Idée du bonheur dans la
littérature et la pensée françaises au XVIIIe siècle, que « le plus significatif
est que l’élaboration voluptueuse porte non sur les états d’âme, mais sur
les objets. La volupté n’est pas une technique de la vie intérieure. Elle
s’aménage exclusivement de l’extérieur » ?
En définitive, la sensibilité de Jean-Jacques Rousseau, qui est sans
doute une source de la sensibilité préromantique, en est aussi un miroir,
et il n’est pas sûr que le reflet se confonde toujours avec l’image.
3. RÉDIGER LA DISSERTATION
3.1. L’INTRODUCTION
3.1.1. Préambule
« Le roman du poète, c’est le texte qui ne tolère qu’un seul lecteur : le double de
l’homme qui écrit. Celui sans lequel il n’aurait pas existé. »
(Préambule)
Au XXe siècle, la critique littéraire s’est montrée plus soucieuse
qu’auparavant d’étudier, à propos d’une œuvre, les conditions de sa
lecture. L’enquête a pu prendre des dimensions sociologiques : évaluation
du nombre des lecteurs, statut de ces lecteurs. On a pu, à travers elle,
chercher à faire l’histoire de la réception de l’œuvre dans la critique, à
apercevoir ce que Hans Robert Jauss a appelé un « horizon d’attente », à
partir de l’œuvre même.
(Présentation de la citation)
Daniel-Henri Pageaux s’est ainsi placé à l’intérieur de l’œuvre pour
voir dans Les Cahiers de Malte Laurids Brigge, dans Portrait de l’artiste
en jeune homme et dans Le Lotissement du ciel des livres où l’auteur ne
s’adresserait qu’à lui-même et ne chercherait pas d’autre lecteur. « Le
roman du poète, écrit-il, c’est le texte qui ne tolère qu’un seul lecteur »
(et on sent une volonté d’insistance dans cette manière de pléonasme) :
« le double de l’homme qui écrit. Celui sans lequel il n’aurait pas
existé. »
(Annonce du plan)
L’idéal, pour pouvoir en juger, serait que le lecteur fût représenté dans
les œuvres mêmes. S’il se confond avec l’auteur, le livre risque de
s’enfermer dans un autisme qu’on reproche bien souvent au poète, même
si ce lecteur est son double – « Hypocrite lecteur, mon semblable, mon
frère », comme l’écrivait Baudelaire au seuil des Fleurs du mal. Mais
peut-on, précisément, rester sur ce seuil ?
Elle constitue une prise de position aussi ferme que possible par
rapport à la citation proposée par le sujet. C’est pourquoi il est tout
d’abord souhaitable d’y faire allusion, ou d’en faire un discret rappel. On
est en droit d’attendre une réponse au problème posé dans l’introduction
ou, à tout le moins, un jugement définitif.
3.3.3. Un élargissement
LA DISSERTATION EN LICENCE
1. LE ROMAN DE LA VILLE
1. LE ROMAN DE LA VILLE
I. L’IMPOSSIBLE DESCRIPTION
1) Parce que la ville est une totalité dans l’espace inépuisable : c’est
vrai pour une ville tentaculaire comme New York (Dos Passos), ou pour
une capitale comme Berlin (Döblin), mais aussi pour une ville qui ne
devrait être que d’importance moyenne comme Bleston (Butor). Jacques
Revel a pourtant l’impression, dans L’Emploi du temps, que la ville
anglaise et provinciale où il est venu faire un stage d’une année est reliée
à d’autres villes, et que le tissu urbain est continu.
2) Parce que la ville se modifie à chaque instant. Elle est extrêmement
mobile, transformable dans le temps de l’histoire (c’est très sensible dans
le roman de Butor, avec toutes les allusions inventées au passé de
Bleston, à l’époque romaine de Belli Civitas, au Moyen Âge, au
XVIIIe siècle, etc. : des strates successives se constituent, que l’écrivain,
même s’il se veut archéologue, n’a pas le pouvoir de dégager).
3) Parce que la ville est un ensemble extrêmement complexe de textes
(Butor a écrit à ce sujet un essai important dans Répertoire V) et que le
roman n’a pas le pouvoir de les reproduire. Il peut tout au plus y faire
allusion (les inscriptions des rues, les affiches des théâtres et des
cinémas), en imiter des fragments (articles de journaux dans Manhattan
Transfer ou dans L’Emploi du temps).
Introduction
I. LA DÉCEPTION
Cela ne veut pas dire pour autant qu’il soit aussi fluent, aussi multiple
que le temps qui s’écoule, que le livre doive être un livre de sable.
Conclusion
Étude du sujet
Organisation du plan
Le plan chronologique constituerait une maladresse, même si l’on peut
avoir l’impression d’une évolution, à travers le XVIIIe siècle, vers le
« voyage sentimental ». Il est évident qu’Addison ou Montesquieu, au
début du siècle, ont une personnalité plus affirmée que Volkmann, dans
sa seconde moitié.
Un plan dialectique partant de la « thèse » de Heine risquerait de faire
trop dévier le développement vers les Reisebilder.
Le mieux est peut-être de suivre le mouvement d’une libération
progressive :
– 1) Un sujet écrasant.
– 2) La libération du moi.
– 3) L’épanouissement de la personnalité littéraire.
INTRODUCTION
I. UN SUJET ÉCRASANT
(1. L’explosion)
Une réaction était nécessaire, et l’on comprend que Heine ait été
excédé par ces ouvrages et en soit venu à ne plus vouloir entendre parler
de l’Italie dans un Voyage d’Italie. Avec les Reisebilder, le moi reprend
ses droits ; il fait éclater le carcan érudit : il devient même envahissant.
Délaissant les descriptions de paysages ou de tableaux, Heine laisse libre
cours à ses méditations, à ses rêveries, à ses souvenirs d’enfance et de
jeunesse. Tout devient prétexte à une autobiographie capricieuse, et l’on a
pu dire que, de tous les Voyages en Italie, son Italien était « le plus
pauvre en faits ». Mais n’est-ce pas tomber d’un excès dans un autre, et
s’exposer au reproche même qui a été fait à Volkmann : comme les
Historisch-kritische Nachrichten, les Reisebilder auraient pu être écrits
sans que leur auteur se donnât la peine de mettre les pieds en Italie.
CONCLUSION
(Conclusion générale)
La formule de Heine (où l’on sent d’ailleurs beaucoup de coquetterie)
est tout aussi excessive que celle des statisticiens déjà ridiculisés par
Goethe. Elle est même inapplicable.
(Élargissement du sujet)
Parce qu’ils sont des chantiers littéraires et jamais des œuvres
littéraires pleinement achevées, les Voyages en Italie nous permettent
d’assister aux métamorphoses de la réalité dans la vision ou dans le style
d’un artiste, parfois même à la métamorphose de cet artiste lui-même.
3.2.2. Développement
Introduction
(Préambule)
Le statut du personnage de théâtre est ambigu. On lui cherche un
modèle humain, et pourtant, il semble porteur d’une vérité plus haute.
Tristan peut représenter Wagner, et Isolde Mathilde Wesendonck. Mais
une semblable identification se révèle vite fragile, et ce que nous
cherchons en eux, comme en Roméo et Juliette, comme en Mesa et Ysé,
c’est un absolu de l’amour.
(Annonce du plan)
La diversité du spectacle ne peut sans doute pas cacher des constantes,
et on est tenté de rattacher ces constantes à une transcendance. Mais il
n’est pas sûr que la tension qui en résulte pour le personnage se situe en
dehors de l’humain.
I. DIVERSITÉ
(Préambule)
Prenons un instant, et comme par jeu, la citation proposée au pied de la
lettre. Elle supposerait que tous les représentants de l’amour-passion au
théâtre se ressemblent quand ils ne font qu’incarner l’amour-passion.
Roméo et Juliette, Tristan et Isolde, Mesa et Ysé seraient coulés dans le
même moule – celui des statues d’or commandées par Montaigu et par
Capulet. Or les pièces étudiées font apparaître au contraire une belle
diversité : l’enracinement historique et social ne peut être éludé ; les
personnages sont des êtres humains qui ne se laissent pas réduire à
l’amour-passion ; enfin l’amour-passion même, et la façon dont ils le
vivent, les font apparaître comme des êtres en devenir.
II. TRANSCENDANCE
(Préambule)
« Quoiqu’en soi vivants et individuels, ils représentent uniquement la
puissance qui a poussé ces caractères déterminés à s’identifier avec
quelque côté particulier du fond substantiel de la vie » : cette remarque
de Hegel à propos des personnages tragiques semble trouver une
formulation nouvelle, et plus particulière, dans la citation à commenter.
Cette citation est marquée par l’idéalisme, par un dualisme de l’esprit (la
passion) et de la chair (l’incarnation). Les personnages de Wagner, les
représentants de l’amour-passion au théâtre incarneraient pour nous,
pendant la durée de la crise dramatique, une puissance supérieure conçue
comme une transcendance. Les pièces étudiées sont des tragédies, et une
transcendance assurément y est à l’œuvre, mais il n’est pas sûr qu’elle se
confonde toujours avec l’amour-passion.
(3. La conciliation)
Le personnage ne sera-t-il alors qu’un « chevalet » (l’image se trouve
dans le texte de Claudel) où ces différentes forces s’affrontent et
s’emploient à le torturer en le tiraillant en des sens différents ? Dans la
pièce de Shakespeare, l’amour, que nous avons tendance à mythifier,
n’aura peut-être été qu’un instrument de l’ordre social – une
préoccupation essentielle pour le dramaturge élisabéthain. Dans Partage
de midi, il a été un instrument pénitentiel entre les mains de Dieu. Dans
Tristan et Isolde, le Liebestrank apparaît comme un autre mode du
Todestrank. Tristan a développé ce sophisme dans l’hymne par lequel il
célèbre le « philtre » (sans préciser lequel) à l’acte II. Isolde a compris
que Frau Minne est la déesse de la vie et de la mort. Les personnages
wagnériens deviennent dès lors la passion de la mort incarnée, passion
d’abord contrariée par l’amour puis triomphant grâce à lui.
(Préambule)
Dans Partage de midi, Amalric représente le destin des quatre
personnages du drame comme « tricoté » par eux-mêmes. L’image est
familière, même si elle reprend le motif mythique du fil des Parques. Elle
rappelle aussi qu’une pièce de théâtre est tissée de ces fils qui
correspondent à chacun des personnages. Les considérer comme « des
passions incarnées », c’est les déshumaniser. Les considérer comme
« plus qu’humains », c’est, si l’on peut dire, les « surhumaniser ». Mais
vivre la passion, c’est peut-être aller jusqu’au bout de l’humain.
(1. Déshumanisation)
La scène 3 de l’acte II de Tristan et Isolde peut donner l’impression
qu’en face d’un roi Marke profondément et douloureusement humain,
Tristan, malgré un regard de compassion, et Isolde, qui fixe Tristan avec
une ardeur passionnée, ont perdu toute humanité et se dirigent vers « un
pays étranger », qui serait étranger à l’homme et au monde. En fait, cette
déshumanisation s’explique avant tout par une passion de la mort, et
Tristan d’ailleurs se laisse blesser par Mélot.
Juliette peut sembler aussi inhumaine quand elle accepte le scénario
imaginé par Frère Laurent : elle va plonger dans le deuil sa famille
entière, sans imaginer un seul instant qu’elle puisse plonger dans le deuil
Roméo lui-même. La déshumanisation ne vient pas ici d’une façon de
vivre la passion amoureuse jusqu’à un point extrême, mais d’une façon
de se mettre entre parenthèses de l’humanité pour ruser avec les
obstacles.
Inhumaine, Ysé l’est à sa manière, qui est plus banale : elle laisse aller
son mari à l’aventure et à la mort, elle abandonne ses enfants, et elle finit
d’ailleurs par se le reprocher. La manière dont Mesa accueille la mort de
leur enfant et dont elle-même bientôt s’en détourne a quelque chose de
choquant. Ces deuils, ces souffrances semblent pour eux de peu de prix
auprès de leur passion.
(Surhumanisation)
Sont-ils pour cela plus grands, et méritent-ils le nom de héros qu’on
donne si volontiers aux personnages de théâtre ? La fausse mort de
Juliette suppose, il est vrai, un courage peu commun, et Roméo, venant la
rejoindre dans le tombeau, s’expose avec témérité à une mort qu’il n’a
jamais crainte et qu’il n’a plus de raison de craindre. Dès le moment où il
avait franchi le mur pour parler à Juliette, le jeune homme avait fait
preuve de son mépris des limites de la condition humaine. Tristan, le
vainqueur de Morold, était déjà un héros sans peur et sans reproche.
L’adultère pourrait ternir son prestige, mais la blessure que lui fait Mélot
le fait accéder d’une autre manière à la surhumanité : c’est, comme dans
l’épopée, une véritable descente au pays de la mort, une initiation au
terme de laquelle il est prêt à tout renier de la vie humaine, même le désir
amoureux. La venue de Mesa dans la maison minée, le retour d’Ysé sont
encore des actes de courage, et il y a quelque chose de grandiose dans la
manière dont ils affrontent la mort. C’est comme une transfiguration
anticipée.
CONCLUSION
(Conclusion générale)
La formule à commenter est donc dangereusement simplificatrice. Elle
n’est acceptable que si l’on met l’accent sur l’incarnation, qui est une
manière de vivre la passion amoureuse dans sa chair, mais aussi de la
représenter, au théâtre, dans des êtres de chair.
(Élargissement du sujet)
Peut-être est-ce le spectateur qui a besoin de cette distance. Dans son
livre sur Shakespeare dramaturge élisabéthain, Henry Fluchère faisait, à
propos de John Ford, une remarque qui va dans le même sens que la
citation à commenter : « Le spectateur ne s’intéresse à ses personnages
que s’il les abstrait comme des figures idéales, qui transcendent
l’humanité commune pour devenir objet de contemplation et de
satisfaction esthétique. » Mais cette mise à distance n’exclut pas
l’identification profonde, le spectateur pratiquant, à la suite du
dramaturge, ce que Wagner a appelé « l’art de la transition » dans sa
lettre à Mathilde Wesendonck du 29 octobre 1859. Cet art de la
transition, il le revendiquait bien plus qu’une représentation « plus
qu’humain[e] ».
3.3.2. Développement
INTRODUCTION
(Préambule)
Un poète peut-il être la « conscience critique de son temps » si l’on
considère, comme condition du poète et comme condition de sa présence
active au monde, ce qu’Octavio Paz appelle le « temps de la poésie », cet
« autre temps » ?
(Exposé de la citation)
Dans son essai Los hijos del limo, traduit en français sous le titre Point
de convergence, il oppose au « temps de l’histoire » à la fois le « temps
de la révolution » et le « temps de la poésie ». Mais si le temps de la
révolution reste le « temps daté de la raison critique, le futur des
utopies », il est un temps linéaire, comme le temps historique. Le temps
de la poésie serait plutôt un temps circulaire, ramenant à un « temps
d’avant le temps », « celui de la “vie antérieure” qui réapparaît dans le
regard de l’enfant, le temps sans dates ».
(Annonce du plan)
Sans doute Paz n’a-t-il pas voulu dire qu’il allait éviter de parler de son
temps : toute son œuvre et son existence sont là pour démentir une telle
assertion. C’est la manière du poète qui est en cause. Il convient donc de
partir, comme il y invite, de l’enfance telle qu’elle a pu être évoquée par
des adultes, qu’ils se nomment Blake, Hölderlin, André Breton ou
Octavio Paz. De ces paradis enfantins, les poètes reviennent à leur temps.
Encore faut-il comprendre comment et dans quelle mesure ils peuvent
vivre leur temps « autrement ».
(Préambule)
Robert Schumann a bien précisé, à propos de ses Kinderszenen op. 15,
qu’elles n’étaient composées ni par des enfants ni pour des enfants, mais
par un adulte qui jetait des regards sur le monde de l’enfance. De même,
les poètes contemplent les enfants qu’ils voient, celui qu’ils furent ou
celui que, par éclairs, ils redeviennent.
(1. Blake)
Même les « scènes d’enfant » de William Blake passent par le dialogue
entre le poète et l’enfant que constitue l’« Introduction » des Chants
d’innocence. « Chante – pipe – assieds-toi pour écrire », dit l’enfant rieur
sur son nuage, et le Pipeur (Piper) écoute, obéit. « J’écrivis alors, dit le
poète, des chants heureux/Que tout enfant ait joie d’entendre. » C’est un
moment de bonheur personnel, les scènes évoquées sont pleines de joie,
de rires et de jeux. Dans « Joie nouveau-née » (« Infant Joy »), le seul
mot de « joie » est lancé comme une balle en tête en attribut inversé, en
apostrophe, mis en attribut plusieurs fois, renvoyé, reflété par la mère qui
est ici, selon l’expression de Paz, « vacuité et présence », n’existant que
pour son enfant. Cette joie, qui se passe fort bien d’un nom, est la joie
originelle, jaillissement pur.
Dans les Chants d’innocence, ce n’est pas seulement la mère, mais ce
sont tous les adultes qui, par la vue de l’enfant, sont vidés de leur passé et
rajeunis en l’enfant : les vieillards du « pré tintant » (« The Ecchoing
Green ») sourient en pensant à leur jeune temps, la nourrice indulgente
promet d’autres aurores, et le petit enfant noir, à qui sa mère dit qu’ici-
bas il faut apprendre à supporter le soleil pour que les âmes supportent
l’ardeur de l’amour divin plus tard, le « petit Noir » déclare qu’alors le
petit Anglais blanc l’aimera – libérés qu’ils seront, l’un du blanc, l’autre
du noir nuage. Car l’enfant est le familier des plus vastes symboles :
l’agneau est l’image du Créateur qui a voulu devenir agneau. Si bien que
l’enfant est ici le véritable sage, enseignant aux adultes qu’ils sont
« enfants » pour Dieu, quelle que soit leur « forme humaine » – Turc,
Juif, païen –, puisque les « vertus exquises », elles, ont « visage
humain ».
(2. Hölderlin)
Dans la poésie de Hölderlin, l’enfant est celui des rêves de l’écrivain –
non pas l’enfant bourgeois que l’on prépare à devenir pasteur, dans des
paroisses luthériennes déviées vers le moralisme, ayant perdu le message
fondamental de la « grâce » retrouvé par Luther, mais l’enfant élu, objet
d’une éducation de choix de la part des dieux qu’il ne sait pas encore
nommer. Il est remarquable, là encore, que la pure joie ignore les noms.
Par la suite, le poète ne pourra plus séparer le Christ d’Héraklès et des
autres dieux qu’il aura appris à nommer – non sans mauvaise conscience,
car il percevra alors le désaccord avec son temps. « Quand j’étais un
enfant » (« Da ich ein Knabe war »), poème placé en tête de l’anthologie
réunie par Philippe Lacoue-Labarthe, dit cet état privilégié de l’enfant élu
des dieux. Sans doute ne sait-il pas nommer, mais nommer n’est pas
connaître…
(Préambule)
Blake, en passant de l’innocence à l’expérience (on sait qu’en fait,
certains poèmes des deux groupes ont été conçus ensemble), annonce
dans un texte liminaire qu’il voit passé, présent, avenir. C’est de nouveau
le temps linéaire. L’expérience est rendue possible par le temps, et la
rencontre du temps est inéluctable, car l’enfant grandit. Mais la poésie
rencontre le temps avec un regard d’enfant, devenu expert à déceler tout
ce qui est scandaleux.
(Préambule)
La rencontre du temps pur et du temps de maintenant révèle une
mauvaise vision : c’est l’expérience. Mais il ne s’agit pas de s’inscrire
dans une fatalité ; il s’agit bien plutôt, de chercher comment dépasser
l’expérience, créer du nouveau. À travers le travail du langage, le poète
veut placer l’homme dans des conditions nouvelles qui lui permettent de
retrouver le sens de son existence. C’est sa manière, à lui, de faire la
révolution.
(Conclusion générale)
Revenir à l’enfance, c’est revenir à l’enfant. Il ne suffit pas de
l’évoquer avec attendrissement. Il faut se placer à son point de vue, au
point de vue de cette enfance, pour reconsidérer le monde. Pour cela – et
c’est bien un point de convergence pour Blake, Hölderlin, Breton et
Paz –, la poésie semble devoir se dissocier de toute forme d’action
mondaine, donc d’engagement politique, qui l’obligerait à se
compromettre avec la révolution et avec l’histoire.
(Orientation nouvelle)
Il est même probable que ce n’est pas le rôle d’une poésie libre que de
donner des directives. Octavio Paz l’a bien dit dans un autre de ses livres,
Le Singe grammairien : la poésie, y écrit-il, « ne considère pas le langage
comme un chemin, car ce n’est pas la quête du sens qui l’oriente. La
poésie n’a cure de savoir ce qui se trouve au bout du chemin ; elle
conçoit le texte comme une série de strates translucides ». Son
mouvement est autre ; il est moins progressiste que récurrent, et « le
changement n’est rien que la forme métaphore réitérée, et toujours
différente, de l’identité ». Par conséquent le poète, même lorsqu’il parle
de son temps, reste poète. Il parle dans le temps de la poésie. Il reste le
langage, même s’il sait que le langage n’est pas la seule expression de la
vie.
CHAPITRE III
LA DISSERTATION À L’AGRÉGATION
1. L’épopée guerrière
2. Le théâtre du monde
1. L’ÉPOPÉE GUERRIÈRE
1.2. L’INTRODUCTION
(Conclusion partielle)
Alain présente la guerre comme le sursaut de liberté de l’humanité.
Mais l’homme peut se trouver possédé par l’esprit de la guerre. Alors,
comme le dit Héraclite (fragment 53), Polemos est vraiment « le père, le
roi de tout ».
(1. Un ordre)
La masse guerrière apparaît comme un flux de désordre à endiguer.
Plus cette masse est énorme, plus l’effort de composition est grand.
Comme on l’a noté justement dans une copie, « la rigueur du traitement
semble être à la mesure de l’ampleur du combat, la régularité du rythme
épique à celle du désordre de l’exploit héroïque ». L’épopée met en ordre
les ressources de la taxinomie (les catalogues [voir les laisses 93 et
suivantes dans La Chanson de Roland : la description de la mêlée se fait
par l’addition de combats singuliers juxtaposés], de la sélection [il y a
une manière de « gros plan » sur le combat d’Énée ou d’Achille dans le
chant XX de l’Iliade qui se déroule pourtant en même temps que la mêlée
générale], de l’amplification [voir l’amplification des bruits pour
l’évocation du combat dans La Pharsale VII, 175 sq.] ; la progression
dans l’horreur à la fin du Nibelungenlied).
Il serait illusoire pourtant de retrouver dans cet ordre l’ordre même de
la guerre. L’ordre qui préside à la description du combat dans La
Pharsale n’est pas calqué sur celui des opérations militaires (même si cet
ordre est indiqué par le poète, VII, 506 sqq.). Même si le narrateur, dans
À la recherche du temps perdu, éprouve un plaisir esthétique à assister
aux manœuvres à Doncières, même si « l’enfoncement du centre à
Rivoli » apparaît à Saint-Loup comme aussi beau que l’Iliade, il faut un
intermédiaire, en particulier les démonstrations du commandant Duroc.
Alors seulement de la masse confuse des événements surgit un ordre
analogue à celui que peut révéler ou créer l’épopée. « Si tu sais lire
l’histoire militaire, dit Robert de Saint-Loup au narrateur, ce qui est récit
confus pour le commun des lecteurs est pour toi un enchaînement aussi
rationnel qu’un tableau pour l’amateur qui sait regarder ce que le
personnage porte sur lui, tient dans les mains, tandis que le visiteur ahuri
des musées se laisse étourdir et migrainer par de vagues couleurs » (Le
Côté de Guermantes).
Si, comme le dit Aristote, l’ordre épique se compose « autour d’une
action », cette action n’est pas nécessairement une action guerrière : c’est
la colère d’Achille dans l’Iliade ou l’injure faite à Kriemhild dans le
Nibelungenlied. Ainsi qu’on l’a encore noté dans une copie, « l’épopée
commence généralement à un moment décisif de l’action qui détermine
la naissance du conflit épique et progresse de manière à réunir les
conditions de sa résolution en ne traitant que les péripéties strictement
nécessaires au progrès de l’action ».
(2. Rythme)
« Un rythme solide », dit Alain, un rythme qui « n’attend pas », et cela
parce qu’il est « égal ». L’important n’est donc pas de savoir s’il est
rapide ou lent, problème qui a souvent été posé et qui me paraît
sensiblement différent.
a) Ce rythme est celui d’une action dont les étapes sont scandées. Celui
du récit dans La Chanson des Nibelungen en fait bien un modèle de récit
linéaire. Les épisodes s’enchaînent, également nécessaires. Il n’est pas
vrai que l’épisode de la lutte contre les Saxons soit superflu, comme on
l’a écrit quelquefois : il est la condition de l’admiration que Kriemhild
voue au vainqueur Sigfrid.
b) La progression pourrait sembler brisée, ralentie par les éléments
itératifs. C’est le « retardement épique » dont parlait Schiller. Maus
Auerbach a bien montré, à propos de La Chanson de Roland, comment la
plus étroite répétition peut se trouver associée à la plus régulière
progression. Une copie a fort bien analysé, à la suite d’Auerbach, les
laisses 40-41-42 (la négociation de Marsile et de Ganelon progresse en
dépit, ou à cause de la constante allusion à la vieillesse et à la lassitude de
Charlemagne) et les laisses 133-134-135 (combinaison de la sonnerie du
cor avec l’évolution graduelle des réactions de Charles et des barons).
c) Mais tout aussi caractéristique de l’épopée est le système des
annonces. Il y a un perpétuel devancement à la faveur des prophéties
(Achille connaît à l’avance son destin ; c’est la justification de l’épisode
de la consultation d’Erichto dans La Pharsale, des rêves de Charlemagne
dans La Chanson de Roland, de l’épisode des ondines dans La Chanson
des Nibelungen) ou d’autres ponctuations du discours qui permettent de
dire à l’avance ce qui va se passer (elles sont particulièrement fréquentes
dans le Nibelungenlied). L’auditeur ou le lecteur d’épopée sera prévenu.
(3. Efficace)
Je ne dis pas « efficacité », car il ne s’agit pas de suggérer que l’épopée
incite à l’action guerrière (c’était la tâche d’un poète lyrique comme
Tyrtée, non du poète épique), mais « efficace ». C’est-à-dire que, selon
Alain, l’épopée a une vertu sur l’auditeur ou le lecteur.
a) Une vertu de préparation à la sérénité : prévenu, le lecteur attend
sans hâte le dénouement ; prévenu, le héros attend avec soumission
l’accomplissement de son destin. Il en résulte que l’échéance lointaine
tend à s’effacer au profit des échéances les plus proches. Le guerrier sait
qu’il est voué à la mort, et ne voit plus dès lors d’échéance que proche :
venger Patrocle, ou même trouver un gîte pour le soir (voir La Chanson
des Nibelungen, XXVI, 1636). « Sans aucune espérance » pour l’avenir
le plus lointain, le guerrier a pourtant l’espoir du lendemain : c’est une
correction qu’il faut apporter à la formule d’Alain.
Schiller disait d’Homère qu’il montrait « uniquement la tranquille
existence des choses agissant selon la nature ». C’est cette sérénité
qu’apportera l’épopée.
b) Une leçon d’énergie. « Le rythme épique n’attend pas. » Tout
mouvement de pathos se trouve aboli au profit de l’action qui, elle, doit
continuer. Cela ne signifie pas que l’épopée soit inhumaine. Mais elle
laisse place seulement à des moments d’attendrissement : la rencontre
d’Hector et d’Andromaque au chant VI de l’Iliade : le désir de pleurer
sur son père que Priam fait naître dans le cœur d’Achille au chant XXIV.
Le passage des pleurs à la vengeance se fait en une laisse du début de la
seconde partie de La Chanson de Roland (laisse 178). J’ai plaisir à citer
ici un bon passage dans une copie :
« “Le rythme épique n’attend pas”, dit Alain. Cela ne veut pas dire que
l’épopée nous entraîne dans ses tourbillons d’actions multiples que
l’esprit s’essoufflerait à suivre, que le cœur suivrait en brûlant de
passions diverses. Non, l’épopée n’excite ni terreur ni pitié. Ce que le
rythme épique ne permet pas justement, c’est cette émotion du cœur. Il ne
permet pas que l’auditeur ou le lecteur ait le temps de se prendre au jeu
de la mort de Patrocle ou d’Hector : il indique le moment de la
déploration comme le moment de la peur, comme un moment logique qui
doit être immédiatement dépassé par un autre. La faute d’Achille, c’est
précisément celle-ci : de vouloir attendre, de vouloir prolonger la mort,
transformer le deuil qui est une cérémonie communautaire, un deuil
privé. »
La Pharsale pourrait être à cet égard l’exception qui confirme la règle.
Les effets pathétiques et déploratoires y abondent. Mais il s’agit
précisément d’une de ces épopées d’imitation qui, paradoxalement,
s’écartent du modèle fondamental.
c) Une leçon de vie unanime. « L’épopée est d’abord une action en
commun » : la formule resserrée mérite d’être commentée longuement :
– il y a l’assimilation déjà signalée de la guerre, premier poème
épique, et de l’épopée. Même si elle est l’occasion de prouesses
individuelles, la guerre est une action collective, où le sort d’une
communauté se trouve engagé. Hagen ne peut pas ne pas suivre Gunther
au pays des Huns. Achille lui-même doit mettre un terme à sa retraite et
rentrer dans le rang. Roland est le défenseur de la chrétienté contre les
Sarrasins. Pompée ne défend pas seulement la troupe, d’ailleurs
hétérogène, de ses partisans, mais les institutions de Rome que César a
décidé de mettre à bas.
– Le poète participe à cette action commune. Il est imprégné de l’esprit
de la collectivité qu’il défend. Le cas le plus net est La Chanson de
Roland, où les Sarrasins servent de repoussoir. Il y aurait des réserves à
faire sur l’Iliade (Homère fait une présentation très équitable des
Troyens, qui ne sont en rien des Barbares), sur La Pharsale (puisque la
victoire revient à ceux-là mêmes que Lucain a en haine), sur le
Nibelungenlied (où le roi des païens, Etzel, est finalement le plus digne
et… presque le seul survivant).
– La définition d’Alain reste tributaire de la conception « romantique »
de l’épopée fondatrice de l’esprit national. On sait les réserves qu’il y a à
faire à cet égard, celles par exemple que fait Hegel lui-même au sujet de
La Chanson des Nibelungen. D’ailleurs, peut-on être à la fois partisan et
objectif ? Cette question peut introduire la troisième partie du
développement.
CONCLUSION
(Conclusion générale)
Ainsi compris, le propos « De l’épique » dans le Système des beaux-
arts n’apparaît plus comme une simple reprise de la mimèsis
aristotélicienne. Alain sait que ce n’est pas le combattant qui écrit
l’épopée, qu’elle n’est possible qu’après l’événement, qu’elle correspond
à l’extinction, non à l’irruption de l’énergie guerrière. Il sait aussi que les
origines du genre nous échappent. Mais il lui plaît de retrouver l’élan de
la liberté humaine par-delà les contingences.
(Ouverture)
Dans ces contingences, l’épopée nous apprend pourtant à lire
également la ligne d’une dure nécessité. Elle ne nous arrache au
« désordre » et au « désespoir » que pour nous décrire une action
héroïque, mais « sans espérance ». C’est passer, en tout cas, de la révolte
à l’acceptation.
2. LE THÉÂTRE DU MONDE
La comparaison entre le théâtre et le monde remonte à l’Antiquité. Elle
s’est prolongée jusqu’au XVIIe siècle par l’intermédiaire des Pères de
l’Église. Jean Jacquot a écrit à ce sujet un article substantiel et essentiel,
qui doit être le point de départ d’une information et d’une réflexion sur
cette question : « Le Théâtre du Monde de Shakespeare à Calderón »
(1957, Revue de Littérature comparée, XXXI, p. 341-372).
Shakespeare et Calderón ne peuvent qu’être représentés dans un
programme de textes concernant cette question. Étaient retenus, dans le
cadre d’une préparation à l’agrégation, Hamlet, tragédie
vraisemblablement jouée pour la première fois au cours de la seconde
partie de l’année 1601, et El Gran Teatro del Mundo, Le Grand Théâtre
du monde, auto sacramental habituellement daté, sans certitude aucune,
de 1634. S’y ajoutait, tout aussi attendu, Le Véritable Saint Genest de
Rotrou, dont la première eut lieu en 1645 ou 1646. Les éditions utilisées
étaient, pour Hamlet, le volume bilingue d’André Lorant (1988, Aubier) ;
pour Le Grand Théâtre du monde, l’édition, également bilingue, de
Mathilde Pomès (1957, Klincksieck) ; pour Le Véritable Saint Genest,
l’édition critique très riche de José Sanchez (1991, Mont-de-Marsan, éd.
José Feijoo, devenues par la suite éd. Interuniversitaires).
Il était conseillé de se référer aux travaux de Didier Souiller, 1988, La
Littérature baroque en Europe, PUF, et 1992, Calderón et le Grand
Théâtre du monde, PUF.
Ce topos ancien est aussi un topos polyvalent, qui a pu prendre des
significations différentes et servir de support à des valeurs diverses (sur
la notion de topos, voir CURTIUS Ernst-Robert, 1948, Europäische
Literatur und lateinisches Mittelalter, Berne, Francke ; trad. fr., 1956, La
Littérature européenne et le Moyen Âge latin, PUF). On peut distinguer
trois grands aspects :
– 1) l’illustre théâtre du monde, c’est-à-dire le monde, création de Dieu
qui va servir de théâtre à l’homme : c’est la scène que le Monde (El
Mundo) propose à l’Auteur (El Autor) dans Le Grand Théâtre du monde ;
– 2) la brevitas vitae : « la vie humaine étant un drame », comme le dit
l’Auteur dans l’auto sacramental de Calderón, elle a la brièveté d’une
représentation dramatique ;
– 3) le théâtre du monde comme monde des apparences, où
curieusement le théâtre proprement dit va jouer un rôle désenchanteur et
permettre d’accéder à un monde plus vaste. Saint Genest doit être
accueilli par les « hôtes du ciel » et les « saintes légions d’anges »,
comme le dit Anthyme dans la pièce (acte IV, scène 5). Hamlet lui-même
affirme devant son ami Horatio (acte I, scène 5) :
2.2. DÉVELOPPEMENT
INTRODUCTION
(Préambule)
À Aristote qui dans la Poétique recommandait la mimèsis au théâtre,
semble s’opposer Platon : dans la République, il condamne les poètes – et
parmi eux les dramaturges – qui, se proposant d’imiter le réel, ne font
que reproduire les ombres trompeuses sur la paroi de la caverne.
(Exposé de la citation)
Didier Souiller semble se placer entre la mimèsis et la condamnation
de la mimèsis quand, dans les dernières pages de son livre sur La
Littérature baroque en Europe, il écrit qu’à l’âge de Shakespeare, de
Calderón et de Rotrou, « réfléchir le monde n’est rien d’autre, pour le
théâtre, que réfléchir du théâtre : la scène est reflet d’un reflet. Ainsi
arrive-t-on à la perte de la réalité ».
(Recherche du problème)
Le théâtre, dont on attend qu’il nous fasse voir le monde, ne nous
présenterait donc, à l’âge baroque, qu’une apparence du monde. Le
syllogisme, auquel ne manque que la proposition sous-entendue « Le
monde est un théâtre » ou « Le monde est du théâtre », est poussé jusqu’à
l’extrême de ses conséquences : la perte de la réalité. Mais peut-il exister
un reflet sans modèle, les ombres de la caverne sans monde premier des
Idées ?
(Annonce du plan)
Hamlet, Le Grand Théâtre du monde, Le Véritable Saint Genest
invitent à reprendre l’itinéraire du critique, à se pencher sur le miroir du
théâtre pour se demander si la réalité est irrémédiablement perdue, ou si
le théâtre est conçu pour que cette réalité soit retrouvée, peut-être grâce à
lui.
I. LE MIROIR DU THÉÂTRE
(Préambule)
Avant la représentation de la pièce-souricière, « Le Meurtre de
Gonzague », Hamlet recommande aux comédiens d’éviter les excès de
toute sorte, et il leur rappelle que « le but » du théâtre « dès l’origine et
jusqu’à nos jours, était et demeure, de tendre pour ainsi dire un miroir à
la nature ; de révéler à la vertu ses propres traits, à ce qui est méprisable
son vrai visage, au siècle même et au corps vivant du temps leurs formes
et empreintes » (III, 2). Cette tâche de reproduction change de sens à
partir du moment où il ne s’agit que de reproduire de l’illusoire, et c’est
peut-être pourquoi, comme par dérision, le théâtre finit par se reproduire
lui-même.
(Conclusion partielle)
Sans être abolie, la réalité du monde se trouve mise en question et
affaiblie par la représentation qu’en donne le théâtre de la première
moitié du XVIIe siècle. Elle l’est d’autant plus qu’elle se reflète, non pas
dans un mais dans deux miroirs, dont l’un est lui-même une manière de
reflet de l’autre.
(Préambule)
Que le théâtre reflète un monde-théâtre, ou qu’il se reflète lui-même, le
spectacle semble dévalué. Dans un cas, il est, comme le dit D. Souiller,
« reflet d’un reflet » ; dans l’autre, il est reflet du reflet du reflet. Il s’agit
donc bien d’une perte, au profit de ce qui pourrait n’être que gratuité, fête
pure.
(1. Le reflet d’un reflet)
Dans le monde de la caverne, l’homme erre parmi des ombres. Il ne
comprend pas pourquoi tel accessoire lui est attribué plutôt que tel autre
(le Laboureur, dans Le Grand Théâtre du monde). Il est à la recherche
d’une vérité dont il ne peut être assuré : si Hamlet a de fortes raisons de
croire à l’assassinat de son père, il n’en a pas la certitude absolue (d’où le
caractère comme policier de l’intrigue), il est la proie de songes qui le
déconcertent et qu’il ne comprend pas.
Il y a bien des lumières, mais elles sont fausses : l’éclat de la Beauté, la
pourpre du roi dans Le Grand Théâtre du monde, la beauté d’Ophélie
dans Hamlet, les faveurs de l’Empereur dans Le Véritable Saint Genest.
L’image du miroir se trouve donc détournée du sens que lui donnait
Hamlet. À dire vrai, le détour est immédiat dans la tragédie de
Shakespeare car, à peine le Prince danois a-t-il donné des conseils de
simplicité aux comédiens, et voilà que commence « Le Meurtre de
Gonzague » sur des propos insincères et outrés : du théâtre, au pire sens
du mot.
(3. La fête)
En se représentant lui-même, le théâtre se représente comme fête.
Hamlet a un goût particulier pour le théâtre. À l’acte II, Rosenkrantz et
Guildenstern, ainsi que Polonius comptent là-dessus pour le dérider. Et il
commence par exprimer le plaisir qu’il prend au théâtre. Dans Le
Véritable Saint Genest, le spectacle est donné à l’occasion d’une fête
officielle, pour l’union de Valérie et de Maximin – et il est à noter que le
plaisir sera avant tout un plaisir dû au raffinement de l’imitation. Dans Le
Grand Théâtre du monde, la fête que se donne l’Auteur est à l’image de
la fête que constitue pour le public populaire espagnol, à l’occasion de la
Fête-Dieu, la représentation sur chars de l’auto sacramental.
(Conclusion partielle)
La réalité semble donc se diluer au fur et à mesure que la pièce se
déroule. La mise en abyme ne fait qu’aggraver le processus. Et pourtant,
il subsiste une volonté d’éviter de se perdre dans un labyrinthe de reflets.
(Préambule)
On ne peut nier qu’en tant qu’institution, le théâtre est une réalité
d’époque dont la pièce baroque se fait le miroir. Mais ce n’est peut-être
pas la seule réalité que permette d’atteindre la pièce dans la pièce. La
pièce elle-même rappelle la triste réalité de la mort. Elle peut aussi
renvoyer à une réalité transcendante, qui se trouve au-delà du monde, de
la vie et de cette mort elle-même.
(Conclusion partielle)
La pièce, sinon la scène, est donc bien plus que reflet du reflet. Non
seulement la réalité ne s’y trouve pas perdue, mais elle permet d’accéder
à une réalité plus vraie, du moins quand le message est clairement
religieux et même quand, comme dans Hamlet, il ne l’est pas
explicitement.
CONCLUSION
(Conclusion générale)
Dans les brillantes formules qu’il a proposées, Didier Souiller a poussé
à l’extrême le sentiment du desengaño. Elles tendent aussi à suggérer que
ce théâtre dit « baroque » s’édifie à la manière d’une vaine construction
sur du néant. Mais le dépouillement permet d’accéder à une réalité,
presque toujours transcendante, qui donne sens au spectacle. Ainsi la
perte de la réalité, ou de l’apparence de réalité, se trouve-t-elle dépassée.
(Orientation nouvelle)
Il est vrai que cette réalité retrouvée n’échappe peut-être pas à la
théâtralité. Spectre en scène, Ange souffleur, Dieu premier spectateur
sont là pour le laisser craindre. Du moins ne peut-on pas dire dans ces
cas-là que le spectacle soit seulement le « reflet d’un reflet ».
3.1. SOURCE
3.2. DÉVELOPPEMENT
INTRODUCTION
(Préambule)
Étudier le récit fantastique, c’est essayer de retrouver l’effet qu’il
produit. Peut-être faudrait-il pour cela interroger des lecteurs ou mettre
en question sa propre lecture. L’analyse littéraire part du principe que
l’effet fantastique est déjà prévu, inscrit dans le texte, signalé par les
procédés de l’énonciation.
(Préambule)
Le retrait de l’auteur ne signifie pas renoncement. L’obliquité est une
conduite de puissance, illustrée par l’antique mythe d’Apollon. Et un
écrivain comme Edgar Poe a admirablement montré que le récit
fantastique vivait de cette puissance-là, de la tentative d’un auteur
apparemment absent pour posséder le lecteur. Les récits fantastiques de
l’époque romantique nous donnent à lire ce retrait. Il n’est même pas sûr
que les récits à la troisième personne fassent exception à cet égard. Mais
en le donnant à lire, ne montrent-ils pas cette absence même ?
(1. Le retrait progressif)
Le procédé du « manuscrit trouvé » est fréquent dans la littérature
fantastique du début du XIXe siècle. L’exemple le plus immédiat est le
Manuscrit trouvé à Sarragosse de Jan Potocki. C’est aussi l’un des plus
frappants par les différents biais que fait apparaître l’avertissement :
l’auteur se déguise sous les traits d’un officier français de l’armée
espagnole, le « roman bizarre » doit être traduit de l’espagnol par le
capitaine qui le tient prisonnier, et il est attribué à un ultime narrateur
fictif, son auteur proprement dit, qui est censé être l’un des aïeux du
capitaine.
Dans Les Élixirs du Diable, Hoffmann a mis en œuvre le même
procédé. Il l’a fait aussi avec un grand raffinement et une complexité
d’un autre type. Simple « éditeur » dans l’avertissement, il remet entre
les mains de son lecteur un livre tiré des papiers du frère Médard, tels
qu’il les a découverts et lus au cloître des capucins de B. Mais Médard
lui-même a eu une expérience analogue quand, dans un couvent italien
où il était réfugié, il avait trouvé le parchemin de son ancêtre le vieux
peintre. Hoffmann donne donc d’autant plus à lire le retrait de l’auteur
qu’il le met en abyme. Mais il en obtient un effet qui est proprement
fantastique, puisque – et il le note lui-même (p. 272) – le parchemin du
vieux peintre contient déjà à l’avance l’histoire de Médard.
Gogol n’a pas recours d’une manière voyante à ce type de présentation
dans le Journal d’un fou. Il ne nous dit pas où il a trouvé ce journal, car il
sait qu’il est inutile de faire comprendre – en affirmant le contraire –
qu’il est né de sa propre imagination, et peut-être de lui-même.
(Transition)
S’il donne à lire son retrait, et parfois d’une manière appuyée, c’est
pour établir la marge qui est nécessaire entre le fantasmatique et le
fantastique proprement dit.
(Préambule)
En laissant « libre cours » au discours du personnage-narrateur,
l’auteur lui en laisse aussi apparemment la responsabilité. Ce n’est pas
lui, c’est son personnage qui cherche à convaincre le lecteur. Mais on
peut s’étonner de voir que Tournier semble faire de ce discours, comme
nécessairement, un discours de la folie.
(Transition)
Cette puissance mauvaise de Pétersbourg, il est vrai, n’apparaît pas
seulement à la faveur de la superposition des fantasmes de Poprichtchine
(la royauté) et de sa situation réelle (l’asile). Elle est présente tout aussi
bien dans les récits à la troisième personne du recueil de Gogol. Ce va-et-
vient du « je » au « il », favorisant la conjonction du réalisme et du
fantastique, encourage aussi l’émergence du fantastique dans le réalisme.
(Préambule)
À dire vrai, quel est le critère de la folie ? Les paysans, le chirurgien
croient que Raymond de la Cisternas est en état de délire. Lui-même
prétend pourtant avoir vu le spectre de la Nonne sanglante. Médard veut
être un non-fou parmi les fous : et cependant, il est enfermé à l’asile,
comme son double Victorin et comme son autre double Pietro Belcampo.
Est-il fou ? N’est-il pas fou ? Telle est l’alternative devant laquelle se
trouve placé le lecteur de ces récits fantastiques. Il est donc moins pris
« de plein fouet » par le discours torrentiel du personnage-narrateur,
comme le dit Tournier, que placé dans une situation d’écartèlement. C’est
cette situation, peut-être, qui véritablement, « donne toutes ses chances
au fantastique ».
CONCLUSION
(Conclusion générale)
C’est peut-être le lecteur qui fait les frais de cette présentation
excessive. Le voilà pris dans le tourbillon du discours du narrateur-
personnage, entraîné vers lui. Le récit fantastique ne l’abandonne pas de
cette manière. Il cherche moins à le convaincre qu’à faire miroiter des
possibilités de conviction, et cela tout en multipliant les résistances : c’est
pourquoi le récit à la troisième personne reste possible ; c’est pourquoi la
folie elle-même, explicite ou supposée, peut faire obstacle à une adhésion
naïve qui ruinerait l’effet fantastique.
(Orientation générale)
Le récit fantastique se présente moins comme un flux que comme un
jeu subtil avec un lecteur qui, en définitive, en reste bien le maître.
1. Sur l’épopée, voir notamment MADELÉNAT Daniel, 1986, L’Épopée, PUF ; NEIVA Saulo (éd.), 2009,
Désirs et débris d’épopée au XXe siècle, Berne, Peter Lang.
CONCLUSION
Pour mémoire
En usage actuellement
B
baroque 1, 2, 3
C
casuistique 1
catharsis 1
classicisme 1
comédie 1, 2
comique 1
comparaison 1, 2, 3
contemplatif 1
Contexte 1
Cultural Studies 1
D
déisme 1
description 1
didascalie 1, 2
Don Juan (mythe de) 1
E
égotisme 1
élégiaque 1
éloge 1
épigraphe 1
épique 1, 2, 3, 4, 5
épopée 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11
exotisme 1, 2
exposition 1
F
fantastique 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7
G
Gender Studies 1
genre 1, 2
gradation 1
H
herméneutique 1, 2
héros 1, 2
humour 1
hybris 1
I
intertextualité 1, 2
ironie 1, 2, 3, 4, 5
L
literature of the Raj 1, 2
littérature de voyage 1, 2, 3
littérature engagée 1
littératures francophones 1
lyrisme 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9
M
mélancolie 1
merveilleux 1
métaphore 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8
mimèsis 1, 2, 3, 4, 5, 6
mise en abyme 1
Modèle actanciel 1
modernité 1, 2
monologue 1, 2
mythe 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9
N
New Criticism 1
nihilisme 1
nouvelle 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10
O
ordre négatif 1
P
panthéisme 1
paradoxe 1, 2, 3
paratexte 1
périphrase 1, 2
personnification 1, 2
postcolonial (critique) 1, 2, 3
prosopopée 1
psychocritique 1
R
réalisme 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14
rhétorique 1
roman 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7
roman de la ville 1, 2
roman du poète 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8
roman précieux 1
romantisme 1, 2, 3
rythme poétique 1
S
satire 1, 2
sensibilité préromantique 1, 2
spleen 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17
stéréotype 1, 2
structuralisme 1
Sturm und Drang 1, 2
syllepse 1
synesthésie 1
T
traduction 1, 2, 3
tragédie 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9
tragi-comédie 1
tragique 1
V
voix narrative 1, 2, 3, 4