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Poemes D'esclavage

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MELLO MORAES FILS

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"Y

POEMES ~

DE L'ESCLA
ET

LÉGENDES DES INDIENS


TYP. DB O. LEUZINGER .t FIJ.1I0S, flUA n'OUVlrOR aI-RIO DE .fANEm..
À

VICTOR HUGO
Vn écho affaibli de ses chants de liberté!

H ommage Limidc et respectueux de

MELLO MORAES FILS.


MELLO MORAES FILS

POEMES
DE LJESCLAVAGE
ET LÉGENDES

DES INDIE S
Traduction de la RevIu COllllllu·cin.ü, Fillfl,ucib-c
et 111a1"itimc.

RIO DE JANEillO
B. L. GARNIER - Editeur
RUA. DO OUVIDO1\... J1
~SS4
INTRODUCTION

~
-~tête
ES Hgoes o"tai,"' P" des'io'" à fig",", '"
de ce livre: elles avaient été tracées en
temps pOUl" la Revue C017lmerciale, Fillancih'e et
Manfime, c' est assez dire qu' eUes sont l' expression
d'idées dont l'indépendance n'a jamais été mise en
doute jusqu'ici.
MI'. le Dr. MeUo Moraes fils nous ayant fait
l'honneur de naus demander une introduction à
ses Pocmes de l' Esclavage traduits en français par
la rédaction de la Revue, nous avons pensé que
notre opinion, relativement à ]' esclavage au .Brésil,
serait plus favorablement accueillie ici que déve-
loppée dans une feuüle qui s'occupe plus spéciale-
men t d' économie générale et ne marque' son passage
que durant le temps qui s'écoule entre un numéro
et un autre.
VIlI

Nous ne venons donc pas présenter au public


Mr. Mello Moraes fils; son nom seul est une re-
commandation pour ses contemporains et, iI nous
faut regretter en passant que les reuvres de Mr.
le Dr. Alexandre Mello Moraes pére n'aient pas
été traduites dans un idiôme plus répandu que ne
1'est la langue portugaise. Pere et fils laisseront
un nom vénéré des générations futures; tons deux
ont milité en faveur de la liberté non seulement
des esclaves, mais aussi des hommes libres de leur
patrie, ils ont il1ustré les lettres brésiliennes. A
la postérité de nous dire ce que 1'un et l'alltre ont
ou auront fait de profitable pour la grandeur de
leur pays.
La question de l'esclavage est aujourd'hui loca-
lisée: elle appartient tout entiere au Brésil à qui
iI convient à notre avis de la discuter sans contrôle.
Si au lien de résider dans l'Empire, nons
étions encore mêlé à la vie des nations qui s'agitent
aujourd'hui sous les cendres toujours fumantes de
l' éruption de 89 nous pourrions peut-être nous
associer à l'indignation que souleve le maintien de
l'esclavage dans un pays qui n'a cessé depuis 62 ans
de marcher à grands pas vers le progres. Nons
combattrions anx côtés de tons ces homl11es qui
font appel aux sentil11ents hUl11anitaires pour f1étrir
le pays qui sert aujourd'hui de dernier refuge à
I' esclavage.
IX

Si nous ne counalSSlOns pas l'esclave au Brésil


ou si nous ne le connaissions que par ce que nous
en aurions OUI dire dans les cabinets particuliers de
Brébant, alors que l'imagination est excitée et la
fibre lacryma!e plus tendue, nous ne blâmerions
pas ceux qui paraissent tenter une croisade contre
l'esclavage. Mais outre que nous vivons depuis des
années au milieu de ces esclaves de I' égo'isme
hUl11ain universel qui les a légués et relégués au
Brésil, tels qu' iI les a trouvé et volés dans les
terres inexplorées de I' Afrique, nous avons pu cons-
tater que ces êtres ne motivent pas la commisération
de bquelle ils sont I'objet.
II y a moins d'esclaves souffrant de I'esclavage
que d' hommes libres victimes de I' excés de liberté
et cela relativement bien entendu. Le négre africain
a fait place à une entité qui n'est ni classée ni sus-
ceptible d'aucune classification. La brute, le sauvage
5' est presque fait homme au coutact de la civilisa-
tion; moins l'instruction qui n'a pas été mise à ~a
portée pour une raisou facile à concevoir, les seusa-
tions primitives du négre se sont modifiées. S'j]
est honnête esclave, s'il accepte sans trop se révolter
les couditions de la situation qui lui a été faite
des le berceau, iI n'a pas à souffrir des conséquences
de cette situation plus qu'un honnête 'cito) en ne
souffrira de sa misere, de son infortune, de ses
espérances déçues !
x

Or pas de misere proprement dite, pas d'in-


fortune digne de ce nom, pas d'espérances déçues
pour l'esclave. Sa vie tout entiere est résumée eu
quatre périodes peu distinctes pour lui: nattre, tra-
vailler, vivre et mourir.
Est-ce sur les conditions de cette existence
singulierement simplifiée que s'apitoient les aboli-
tionnistes ou seulement paree que l' esclave n' est pas
comme eux, électeur ou éligible et qu'il ue jouit
pas de toutes les prérogatives de la liberté?
Nous ue le croyous pas.
Pour tout Brésilieu digne de ce nom, le Brésil
n'est pas préparé à une brusque émancipation telle
que paraissent la désirer quelques abolitionnistes.
La loi du 28 Septembre est là avec tous ses
effets et il su:ffit de savoir que depuis 1871, il ne
nait plns d'esclaves au Brésil, pour être convaiucu
que l'esclavage est mort. Mais pousser les derniers
rejetous de ce néfaste fait historique, à la révolte,
exploiter leur ignorauce et leur boune foi, faire
pression sur leur intelligence restreinte pour tenter
le renversement immédiat d'tme illStitutioll sur
laquelle est assis encare le Deus ex Maclziná du
pays, c'est là un crime de lese-patrie duquel ou n'a
pas la ressource de reudre respousables ceux qtÚ le
commettent. Ou ue peut, à notre avis, leur accorder
même l'imputabilité de leurs actes: ils sembleut
u'avoir pas conscience de leurs faits et gestes car
xr

ils ne paraissent aVOlr en vue que de précipiter leur


p~trie dans un abime dont ils sont iucapables de
mesurer la profondeur.
A côté de cette propagande ou plutôt la pré-
cédant nous avons eu les poetes. Castro Alves
entre autres dominant ses contemporains des hau-
teurs d'tm talent incontestable. Celui-là nous a
créé et présenté un esclave tel que nous ne l'avons
vu uuHe parto II a entouré les victimes de tous
les accessoires que lui prêtait une imagination aussi
fertile que la nature à laqueHe iI demandait ses
inspirations et dépouillant ses sujets de leurs côtés
abruptes et llaturels illes faisait parler sentir, aimer
et soupirer comme 1'0nt fait les poetes d'autres
régiolls et d'autres temps dont la lyre ne répercute
que les plaintes d'individus dont les souffrances
croissent en raison directe de la civilisation au
milieu de laquelle ils ont vécu.
Ce n' est plus, avec Castro Alves, le cri du
négre tombant sous le fouet, que nous entendons, ce
sont les derniers accents d'André Chenier conduit
à l' échafaud: « Et jourtallt iI y avait qltcZqlte c/lose
là l ... »
Quelque bonne volonté qu' on y mette, est-il
admiss'ible même pour ceux qui ne le connaissent
pas qu'un négre endme les tortures morales d' Andre
Chenier: celui-ci souffre-t-il, aime-t-il, meurt-il
comme celui-là 1. ..
XII

Faites-nous chanter le corbeau dont nous n'a-


vons jamais entendu que le croassement sinistre et
vous n' exciterez que notre hilarité.
S' en suit-il de là que nous ne nous apitoyions
pas sur le sort de I' esclave. Non! nous sommes
pris de pitié pour lui comme pour tous les déclas-
sés et est-ce seulement I' esclavage qui nous les
fournit? - Nous I'avons dit souvent: I'esclave au
Brésil n' est pas le martyr qu' on se plait à nous
représenter. II est plus heureux que I'homme libre
que I' 011 priverait de sa liberté pour le· cO/ldallltler
au travail. Nous avons affirmé quelque part et affir-
mons encore aujourd'hui, que I'esclave n'est pas
soumis en général à de mauvais traiternents. Le
maitre quelque dur et inhumain qu'il puisse être
du reste a tout intérêt à bien traiter ceux qui le
servent et nous ne sachions pas que le Brésilien
soit dépourvu plus que tout autre homme de sen-
timents humanitaires.
La cause de I'esclavage est gagnée, maIs ce
n'est pas la propagande intempestive à laquelle
nous assistons qui nous édifierait sur le sort de
I' esclave au Brésil. Ceux que nous plaignons sincé-
rement, sont les êtres libres, qui rebelles à la civili-
sation se retranchent derriére les murs inexpugnables
de la barbarie; ceux qui s'enfermant dans les déserts
sans horizons de ]' Afrique ne vivent que de guerres,
de despotisme, de cannibalisme et d'atrocités que
XIII

nous devinons sans pouvoir les définir, ce sont


ceux qui ont livré leurs [réres à la spéculation des
traitants alors que leurs appétits sanguinaires étaient
satisfaits; ce sont cellx en un mot qui sont réelle-
ment victimes de l'indifférence providentielle ou
humaine qui le3 abandonne tels que leur nature
spéciale, unique et primitive les a créés.
Mais nous n'avons que faire de plaindre l'es-
clave an Brésil, quand nous songeons qu'il pourrait
user lui aussi de la liberté que nous venons de
définir et qui est le seul apanage de ceux qui
vivent dans les pays qui l'ont fourni.
L'esclave brésilien est la résultante d'un crime
qui a enfanté une institution; iI nait esc1ave comme
nous sommes né libre, sans savoir pourquoi ni com-
ment, incapables I'un et l'autre de savoir, à lIn
moment donné, ce que nous ferions plns tard de
la liberté native ou de la chaine natale. L' esclave
vit esclave plus facilement par exemple que le cito-
yen libre 1t' embrasse la carriére de soldat. Tous
deux on t à se soumettre à des loi qu' ils n'ont
pas créées. Ils ont tOllS deux à se plier aux exi-
gences d'lIne discipline qui les condamne à temps
ou à perpétuité à des peines auxquelles iI ne leur est
pas donné de pouvoir se soustraire. C'est I'aliénation
temporaire de la liberté pour l'un, perpétuelle pour
l'autre et quel est celui qui souffre davantage: -
La réponse est écrite dans les annales du passé et
XIV

de l' esc1avage dans tous Ies tem ps, comme aussi dans
Ies archives des tribunaux militaires. Ou peut nous
croire, l' esc1ave brésilien se soumet facilement à sa
destinée et l' esc1ave africain à qui ii est donné de
se souvenir encore de la terre natale, préfere de
b~aucoup l' esc1avage brésilien 11. sa liberté africaine.
C' est en vain qu' on écrirait le contraire.
II nous faut laisser de côté le prisme à travers
lequel nous considérons non pas I' esc1avage mais
I'esc1ave. Celui-ci n'a pas à se plaindre dll sort
qui Iui a été fait, ii ne lui en avait pas été réservé
d'autre; ii ne saurait pour 1'iustant que faire de
la liberté telle que nous l'entendons pour nous,
elle ne peut s'adapter à son niveau intellechlel et les
abolitionnistes seraient lout étonnés et singlllieremen t
surpris qu' on plaçât à leurs côtés ces citoy<ms d'un
nouveau geme en leur imposant de vivre avec eux
apres leur avoir octroyé les bénéfices des immortels
principes!
Répétons-Ie, ii n'y a rien à dire, rien à faire
apres la loi du 28 Septembre I87!. L'esc1avage
est mort: le jour de la résurrection venll, la liberté
sortira du tombeau !
Poetes et pamphlétaires comme ceux dont
nous venons d'esquisser la maniere sont également
dangereux dans le momel1t achlel: les uns, parce
qu'ils nous présentent une anomalie, les autres parce
qu'ils sont nn péril constant pour leur pays. De
xv
tous les écrivains qUi ont traité la matiere, pas un
ae nous a paru aussi intéressant, aussi vrai, aussi
plein de son sujet que Mello Moraes et sa propa-
gande, si tant est qu'une propagande quelconque
fut encore nécessaire, est la seule qui eut quelque
chance de réussite.
Mr. Mello Moraes poursuit mais a' inaugure pas
une ceuvre de rédemption. 11 5' est renfermé dans
le cercle tracé par l' humanité et n' en a jamais
franchi les limites.
Tout ce qui a été écrit ailleurs et ici par d'au-
tres sur l'esclavage et sur l'esclave au Brésil n'avait
pu fixer notre attention. ous avons déploré qu'une
cause dont la justi e n'était plus discutable fut
compromise par le seul fait de ceux qui en ont pris
la. défense. Les articles des journaux abolitionnistes
sont d'une telle violellce, l'expression d'w1e im-
patience ttllement irascible et désordonnée, que
leurs auteurs tomberaient immédiatement, dans tout
autre pays, sous le coup de l'articlc du code penal
qui punit l' excitation à la révol te contre l' orme
des choses établi.
La propagande faite à l' étranger e t pire en-
core: elle est, nous ne dirons pas confiée, mais
accaparée par des bommes qui se disent Brésiliens
et qui com me tels, s'en vont froidement, cynique-
ment etaler au delà des mers la plaie qui ronge
leur patrie. Cette propagande aussi infructueuse
XVI

qu'anti-patriotique n'a qu'un but: mettre en évi-


dence leurs auteurs, appeler l'attention du journa-
lisme étranger sur leur personnalité et c10uer au
pilori de l'histoire un pays qui lutte constamment
pour prendre place au banquet de la civilisation
universelle.
Faire un crime au Brésil de ce qu' ii n' a pas
encore secoué le joug d'une institution que lui ont
légué les Portugais qui s' en débarrassaien t à leur
projit, c'est de l'ignorance au dernier chef, c'est
ne pas conna\tre les rouages économiques de l'Em-
pire, c'est laisser croire à l'extérieur que l'esc1ave
est plus esc1ave ici que dans son pays d'origine,
c'est s'apitoyer sur une infortune qui n'existe que
dans l'imagination des rêveurs ou d'hommes qui
n'ayant pas d'autres mérites veulent s'en faire un
en prenant en main une cause déjà jugée.
S'il reste une accllsation à diriger con tre le
Brésil, c'est d'avoir paru maintenir l'esc1avage
jllsqll'à nos jours et d'avoir perpétué l'usage d'un
mot qui devrait être rayé du vocabulaire de la
civilisation.
Plaçons-nous franchement en face de la ques-
tion et cherchons à la résoudre pour en tirer I' abso-
lution pleine et entiere de l'Empire Sud-Américain.
Tout d'abord, le Brésil considéré quant à son
autonomie n'est que le légataire de .J'institution et
la constitution de l'Empire ne fait pas la moindre
XVII

allusion à I'esclavage. C'était déjà faire ses réserves


pour l'avenir. Le cri d'indépendance n'atteignait
que la métropole portugaise et ne pouvait être en-
tendu des propriétaires d' esclaves. C' eD.t été là une
révolution venant s'ajouter à une révolution et José
Bonifacio de Andrade e Silva ne pouvait tout à la
fois faire déclarer libres et les Brésiliens et les
Africains.
Mais en supposant qu'en 1822, on eut rendu
la Iiberté aux esclaves importés jusqu' à cette époque,
iI eut fallu tout au moins Ies restituer à leur patrie
et la civilisation générale eut-elle gagné quelque
chose à cela. L' Africain resté en Afrique n' est-iI
pas exactement celui que nous aurions pu y trouver
en 1822? - N'est-ce pas la même barbarie,le can-
nibalisme ne s'y pratique-t-il plus, les prisonniers
de guerre faits de tribus à tribus ne subissent-ils plus
Ie sort qui était leur partage iI y a un demi siecle
et nous le demandons aux explorateurs de I' Afrique :
I' ont-ils trouvée prête à entrer dans le concert uni-
verseI ou disposée plutôt à résister à toute invasion
de quelque nature qu'elle soit?
Par contre, I'esclave brésilien né en Afrique
est-il supérieur aujourd'hui, nous ne dirons pas à
ses compatriotes mais à ses congéneres vivant libre-
ment sur les bords du haut Niger, du haut Sénégal,
du lac Tchad et dans le Darfour? - Assurément
oui, puisqu' iI est prêt des aujourd' hui à faire un
2
XVIII

citoyen brésilien, (a entrar no gremio social 1) dês


que les lois brésiliennes le lui permettront.
Quant à l'esclave africain, c'est-à-dire à celui
provenant de l' Afrique, nous doutons que si la
liberté lui fut restituée à la. senle condition d' être
réintégré au milieu des siens, il acceptât les béné-
fices d'une telle faveur. Quelque inférieur que soit
le niveau intellectuel de ces êtres déclassés, ils n'hé-
siteraient pas à préférer, leur vie durant, la situation
telle qu'elle leur est faite aujourd'hui.
En somme esclave africain ou esclave né au
Brésil, valent mieux que les Africains libres de
l'Afrique et le Brésil, qu'elle que soit la reute qu'il
ait prise pour cela, a plus fait pour l'hurnanité que
les nations qui n'ont, ou jamais pu ou jamais voulu
faire pénétrer leurs armées civilisatrices dans' le
centre de l' Afrique.
Ce que nous venons d' écrire sera stygmatisé
par tous les hommes qui ne connaissent de l' es-
clave que ce qu'on leur en a dit, mais mieux que
ceux-l~ nous avons pu juger des bienfaits de la
liberté, nous avons Vil l'Inde, les Indiens et les
Coolies employés libremmt dans les factoreries an-
glaises; nous connaissons les negres libres au Sénégal
et à Mozambique et nous affirmons que l' esclave
au Brésil jouit d'tme liberté beaucoup plus étendue
que tous les parias qui grouillent dans les terres
baignées par les flots bleus de l'Océan indien.
XIX

Dans le proces que nous venons de faire à


l'esclavage au Brésil, nous nous sommes placé comme
juge sévere et impartial d'une cause qui touche aux
intérêts immédiats d'un pays que nous étudions
depuis 12 années.
On calomnie le Brésil, et quelques Brésiliens
ont pris à tâche de lancer l'anatheme sur une insti-
tution de laquelle ils ont, sans aucun dou te, profité
plus que pas un de leurs compatriotes. II apparte-
nait à un étranger de faire justice de cette rétho-
rique de carrefour et de cabinets particuliers qui
s'est mise à inonder les rues de Rio de Janeiro et
l'asphalte des boulevards parisiens. Nous avons dit
ce que nous pensons de l'esclavage et nous faisons
l'émission de nos idées dans un moment ou tous
les esprits sont surexcités ici par une propagande
néfaste, inutile et dangereuse pour la société brési-
lienne et pour le pays tout entier.
Ces lignes resteront en tête d'une reuvre de
régénération. Mr. Mello Moraes fils ne demande
pas l'émancipation de l'esclave, iI Ie présente tel
qu'iI est et laisse aux Iégislateurs et à ses contem-
porains Ie soin de discerner si l' esclavage est mur
pour la libelté.
Ce sont les miseres, Ies douleurs., les sensa-
tions de ces deshérités que 1'auteur nous fait en-
tendre. II a dépouillé la poésie de ses effets alexan-
drins, ses vers ne sont pas des chants, mais bien
xx
de na'ives chansons douces et tristes que le negre
captif apprend et répete dans la senzala. L' écho
des grandes forêts nous apporte ces plaintes de
l' esclave, les soupirs de la mere, les vagissements
de l'enfant et nous sommes pris d'une douce pitié,
notre cceur saigne en entendant les lamentations
de ces âmes ou les émanations divines et humaines
se font déjà sentir. Ce n'est plus la brute africaine
que nous avons en face de nous, c'est l'homme
qui né esclave, il est vrai, a vecu et vit au contact
de la civilisation.
Mr. Mello Moraes sait bien qu'il n'a pas le
droit de dépouiller le maitre de sa propriéte, mais
iI excite sa compassion, il le rend plus doux, plus
humain j il l'implore par la bouche de tous les in-
fortunés et il fait plus pour la liberté et pour l'hu-
manité que tous les écrivains qui fomentent les
passions et des possesseurs et des possédés.
Quand on a lu les Poemes de I' Esclavage 011
devient meilleur: esclaves et maitres modifient leurs
sentiments vis-à-vis les tms des autres j ceux-là ac-
ceptent avec plus de résignation la condition qui
est leur apanage, ceux-ci sont plus pres de se laisser
emporter par des mouvements généreux, et de rendre
spontanément la liberté à tous ceux qu'ils croiraient
préparés à mourir sous le toit qui les a vus naitre
et les a abrités jusqu'ici.
Cette propagande est saine, sainte, inspirée et
XXI

plus profitable à l'esclave que celle inaugurée par


les abolitionnistes de nos jours. - Qui n'a pas de
profession au Brésil s'y fait abolitionniste aujourd'hui.
C'est presque un moyen d'arriver à la fortune. Les
théories développées par ces terrorristes d' un nouveau
geme sont d'autant plus dangereuses qu'elles peu-
vent parattre inspirées par le plus haut amour du
prochain en général et du negre en particulier.
Le philantrope qui n'entend que de loin ces
imprécations contre l'esclavage, se laisse entrainer
et condanme sans merci, à la honte} à 1'0pprobre
un pays, dont l'unique crime est d'avoir enfanté
des hommes libres qui font un si déplorable usage
de la liberté, dont le tort est de tolérer ces exces
d'imagination, de langage, de démagogie qui com-
promettent la sQreté du citoyen paisible et honnête
et mettent en péril la fortune publique et parti-
culiere.
Nous avons traduit partie des ceuvres de MT.
Mello Moraes fil.. : elles sont dignes d' être lues,
relues et méditées. L'auteur y a consacré toute son
intelligence, tout son talent, tout son génie et ii
est devenu le chansonnier unique du captif, le poete
de l'esclavej ii legue en outre à l'avenir un monu-
ment ethnographique, le seul qui survivra et dira
aux générations futures ce qu' était l' esclavage au
Brésil en l'an du Christ 1882.
On reprochera peut-être à Mr. Mello Moraes
XXII

de n' être pas toujours correct, de ne pas écrire dans


une langue tres pure, de ne pas se soumettre à toutes
les lois qui régissent la versification; mais, que nous
importe cette transgression à des préceptes littéraires
. si transgression il y a.
Mello Moraes a chanté comme chantent les
negres esc1aves et les mots ou leur syntaxe lui faisant
défaut iI a puisé largement dans le vocabulaire
inédit, à I'usage d'hommes se servant d'une langue
qu'aucune grammaire n'a jusqu'ici coordonnée.
Sertões e florestas, Cantos do Eqltador, Poemas
da Escravidão, Escravos verme/fIOs, lI1j;tflOS e Poe-
mas etc., sont autant de perles pour la littérature
brésilienne; pour cette littérature composée de mé-
langes si divers et qui a maintenu le mot portuguais,
a emprunté la syntaxe française, s'est enrichie et
s'augmente chaque jour d'expressions qui ne peuvent
être adaptées qu'à un pays dont la nature est excep-
tionnellement grandiose et incomparable.
Le Dr. Mello Moraes peut être considéré comme
le grand prêtre du réalisme brésilim: il n'imite
aucun de ses devanciers, et ne peut avoir de disciples
qu' au Brésil. Ce réalisme serait de l' idéalisme pour
les adeptes de Zola et les admirateurs des créations de
cet auteur qui a si brillalllillent inauguré une école.
Le réalisme dans I' esclavage, le réalisme dans
les légendes eles indiens, le réalisme dans le gron-
dement sourd des grands tleuves précipitant leurs
XXlll

eaux et faisant sentir leur puissance prodigieuse jus-


qu'au milieu de l'Océan, le réalisme de cette nature
qui n'a d'égale nul1e part au monde, c'est bien lã
pourtant le réalisme brésilien et cependant quel1e
distance le sépare de la maniere de Zola dans les
Rougon-Macquart. L'assommoir et ces tonneaux
d' eau-de-vie, ces appareils distil1ant le cynisme,
I' ivresse, la prostitution, le delirium tremens. lci
les grands horizons; le Jeqzdtz'bá séculaire des forêts
vierges, léché par les flammes de la cc queimada ») ,
allumée par l'e clave, et tombant brisé aux pieds
de l'bomme enchainé. Roi des forêts brésiliennes,
roi des déserts africains, tous deux couchés, l'un
par la hache, l'autre par le fouet; tous deux victimes.
de cette puissance qui s'appel1e la force!
Dans ce réalisme en littérature brésilienne, pas-
de tonneaux remplis d'alcool, mais l'eau des torrents
indomptés s'élançant des hautes montagnes; pas
d'appareils distil1ant l'ivresse, mais l'air pur péné-
trant ã pleins poumons dans des poitrines altérées
de liberté, d'espace et de vie; pas de prostitution
volontaire, mais simplement l'acte brutal de la repro-
duction sans amour mais sans baine, pas de grand
mere qui se vide, mais la mort naturelle, sans une
des contractions que la vie ait imprimée et laissée
sur la face du cadavre; pas de delirium tremens
enfin, mais les tortures dans la cc senzala » !
Voilà le réalisme ici et lã. Tous deux sont
XXIV.

vrais, réels, mais la scél1e et les acteurs SOl1t chal1-


gés, c' est le réalisme américain en opposition au
réalisme parisien.
C' est Paris et la liberté!
C' est le Brésil et l' esclavage !. ..
C'est là-bas Nana qui se vend, qui se donne,
qui se vautre sous des monceaux de soie et d' or,
sans profit pour l'avenir, avec laquelle finira l'huma-
nité, dont les effiuves du délire spasmodique iront
se perdre dans l'égout voisin; c'est ici la femm_
esclave que I' on prend, que l' on viole mais qui
enfante des générations libres. C' est Nana qui reven-
dique sa part des droits de l'homme, c' est l' esclave
qui tend le sein aux produits du ventre libre!
N' est-il pas vrai que c' est là le réalisme dans·
les deux mondes: l'ancien et le nouveau! Là-bas
Zola, ici Mello Moraes, créateurs d'une école tout-à
la fois similaire et dissemblable. Nana, résultante
des institutions du pays qui donna au monde la
liberté; 1'esclave mére semblant demander à l'enfant
qu' elle allaite d' être le régénérateur de cette liberté
conspuée, trahie, prostituée! de cette liberté dont
usaient les peuples contre les rois du monde mais
dont l'esclavage a si peu bénéficié.
Nous croyons avoir eu raison de dire que Mello
Moraes est le grand prêtre du réalisme brésilien si
tant est qu'Emile Zola soit le grand prêtre du
réalisme parisien. II y a entre eux la di[{érence qui
xxv

peut exister entre deux religions par exemple. Le


Catholicisme et le Boudhisme: c'est la Bible de
l'Inde en opposition à celle qu' on nous dit avoir
été dictée des hauteurs du SinaL C' est Zola officiant
dans l'étroit espace compris entre les fortifications
de Paris j c' est Mello Moraes, pontife de la nature
et des espaces sans limites.
Celui-Ià, fait réellcment du réalisme j pui qu' ii
a l'intention de peindre ce qui lui est donné de voir
à l'reil nu, ce qu'il entend d'une extrémité de
Paris à l'autre, et qu'il dépeint ce qui se pa se de
la barriére d'Enfer à celle de La Chapelle \
j celui-ci

fait plutãt du naturalisme, puisque c' est la nature


et l'homme vierge qui l'inspirent.
Ici cette différence que nous somme obligé
de noter entre le' réalisme et le naturalisme.
Zola fait du naturalisme, dit Mr. le Dr. Sylvio
Romero, mais ce professeur émérite a eu le tort de
tenter Ull rapprochell1ent entre Zola et tous les
hommes qui ont illustré, comme critiques de leur
temps, cette deuxieme moitié du dix-neuvieme siécle.
Dans son étude trop courte sur le naturalisme
en littérature Mr. Sylvio Romero a surtout consi-
déré les hautes personnalités, qu' ii passe en reV1le,
comll1e critiques et nous ne comprenons pas qu'Emille
Zola ait trouvé sa place à côté de ses devan-
ciers ou de quelques uns de ses contemporains. A
notre avis, à une même époque e même fait, la
XXVI

même individualité vis-à-vis de la critique chan-


gent avec la plume qui les peint et cette plume
est guidée par des idées modifiées par I'effet du
prisme mental à travers lequel elles sont tamisées.
L' individualité, le fait restent assurément les
mêmes et ne prennent un autre aspect que parce que
le jugement est la résultante d'interprétations, d'ap-
préciations différentes.
Les monuments que laissent apres eux ces grands
penseurs prendront divers noms en littérature. Les
uns auront fait du réalisme, d'autres du naturalisme
et c' est à cette derniere subdivision de I' ethnologie
qu'appartient des à présent Mello Moraes fils. Le
réali ·me de Zola ne peut être réel au Brésil, le
naturalisme de Mello Moraes ne pourrait s' inspirer
des éléments fournis par la nature parisienne.
Tous ces écrivains auront comme l'auteur de
I'histoire de Port Royal, fait de I'ethnologie appro-
priées au mOll1ent historique auquel ils ont demandé
leurs inspirations et ceci adll1is, I' etlmologie de
Saint-Beuve et de Gervisus, de Renan et de Buckle,
de Thierry et de Curtius, de Taine et de Karl
Frensel, de Macaulay et de Villell1ain, de Zola et
de Mello Moraes enfin, differera suivant la maniere,
I'opinion, l'époque, le lieu et les hommes, qu'ils
auront étudiés à travers le prisme propre à cbacun
d'eux.
Du Paris de l'Empire, les Rougon-Macquart
XXVII

et la pourriture impériale d'apl'es Zola et, cette


horreur physiologique si largement tl'acée ne fera
pas oublier l'esthétique de Taine, pl'ofessée à la
même époque.
ous sommes de l'avis de Pierre Véron contre
toux ceux qui n'ont pas qualifié Pot BOltille de chef
d' ceuvre régénérateur.
cc MI. Zola dit-il, se place toujours à un faux
point de vue. Selon lui, le laid seul est dans la
nature. »
Grosse errem!
II existait naguel'e, SUl' la place du Panthéon,
une boutique étrange que tous les passants de ce
qual'tier ont connue. Cette boutique était divisée en
deux. D'un côté, des water-closets. De l'autre, un
étalage de fleuriste.
Curoul bizarre, mais authentique.
Biell sillgulier aurait été le gbüt de celui qui
aurait mieux aimé élire domicile dalls le pl'emier
compartiment que dans le second. N'est-ce pas
I' histoire du llaturalisme.
Pour lui, les water-closets SOllt llaturels. Les
fleul's ne le sont pas. li se complait au parfum
documentaire des bum retiro. Les rases et les lilas
lui l'épugnent.
M. Zola 5' étonne que cette préfél'ence ne soit
pas universelle. Nous nous étonnons de son éton-
nement.
XXVIII

On lui dit qu'il a tort de s'acharner aux des-


criptions repoussantes et qu'il devrait au moins varier
son répertoire en y introduisant quelques floraisons.
II trouve le consei! outrageant.
Que répondre à cette monomanie?
Les générations qui nous suivront, auront à
choisir d'apres leurs goüts et leurs tendances entre
les diverses études faites de notre France par tous
les auteurs amis et ennemis, historiens, réalistes ou
naturalistes qui s'en sont occupés.
Les écrits de Mello Moraes fils seront dans un
siecle la peinture réelle et unique de l'Esclavage
quand le dernier esclave aura disparu pour jamais,
non seulement du Brésil, mais de la surface du
globe.
Les temps sont-ils proches1. ..

C. MOREL .


POEMES
DE L'ESCLAVAGE
POEMES
DE L'ESOLA V AGE.

AVE CiESAR!

Sire!

~
~
u mament ou l'éternel Océan, ce
perpétuel grondeur, ce fossoyeur sou-
verain qui attend les funérailles du monde,
lançait ses vagues sur le pont du navire
de Colomb, -le grand nautonnier gênois
eut un songe sublime; un cantique d'al-
légresse s'éveillait dans son âme!
Le tem ps, lyre grandiose entre lês
4

mains de l'immense Atlantique, sublime


ménestrel de deux mondes, résonna d'un
hymne colossal, - mot d'ordre aux âges
qui furent, et sa voix profonde retentit
jusqu'aux lointains rivages ou la tempête
mugissante secoue ses longs tourbillons
d'écume, - comme un oiseau qui, dans
son vol, laisserait tombe r ses plumes! ...
II songeait, Sire, ce nouvel Adamastor,
non à une terre d'esclaves, mais à d'opu-
lentes et libres contrées! sans cela, son
fragile esquif eut été le jouet des vents
et se fut transformé en catafalque, avec
les étoiles pour fiambeaux, et lui, la face
tournée vers le ciel, un mort dans sa
biere.... puis la nuit.. .. l'éternité....
II n'en fut pas ainsi, non, Sire; iI
aborda aux plages d'un splendide désert.
Dieu, Providence dont les lois sont immua-
bles, envoya le Nouveau-Monde, sous les
traits d'un sauvage dans sa pirogue, lui
dire: cc Viens Colomb! N e vois-tu pas
mes fôrets sans fin? Sous ces dômes
5

immenses, sous ces arcades s0l11bres, la


liberté célébre ses plus belles fêtes! »
Au sein des bois séculaires et 0l11breux
roulent les flots d'un fleuve dont les eaux
rebondissent et s'étendent... Le condor,
ce léviathan des airs, qu'il fend dans les
hautes profondeurs et 111i 11e oiseaux au
riche plumage, s'ébattent dans la pourpre
éclatante des rayons du soleil couchant,
ou leurs ailes vaporeuses prennent des
teintes ele neige et de nacre!
Le serpent frileux sous les plus arden-
tes zônes, se love et elort ele son lourel
s0l11meil.
Le roi des fleuves, l'Al11azone, le San
Francisco aux eaux abondantes; le grand
Paraná, coneluit jusqu'à la Plata les pas
vacillants ele l'indigéne!
SUl' l'horizon lil11pide se détache le
hau t pic de la l110ntagne, sel11blable au
doigt ele Dieu SUl' le livre de l'aven:r L..
Colomb et l'Amérique se sourirent à
cette pacifique victoire: c'étaient deux so-
3
6

leils dont la splendeur obscurcissait jusqu'à


celle de la gloire.
Mais vint l'ambition, vint la tyrannie,
l'Européen conquiert ce trône sauvage,
asservit toute la race, sa spoliation s'étend
à tout. Le Christ se voila ; l'autel se trans-
forma en comptoir et le moine conduisit
l'indigene captif au presbytere...
L'Évangile devint un appât qui prenait
les plus braves en les cathéchisant; le
pêcheur d'hommes pour la Foi, se fit
pêcheur d'esclaves!. ..
Comme une torche incendiaire, l'op-
pression étend ses ravages du sud au
nord; la mort, SUl' son livide coursier
dévaste et dépeuple les forêts.
Devant cette horrible hécatombe, les
tribus effrayées, les genoux aux dents,
serrant leurs jambes repliées, leurs bras
amaigris, se cachent au plus profond des
grands bois, et fuyant la clochette perfi.-
de de la mission commencent leur lugu bre
exode.
7

Les champs du moine et du colon ne


produisirent plus, mais le noir apparut;
alors coula le sang des peuples de l'Afrí-
que. Au delà, dans les mers ou briUe la
Croix du Sud, les voiles d'un navire, le
brick du négrier; un corps qui plonge,
les cris, l'horreur, l'angoisse... A la poupe
ua requin qui gllette à fIeur d'eau.
Puis vint la fievre, la peste; l'insur-
rection naquit: le Quilombo devint la e)
forteresse, la rédemption!
L' Afrique sanglotte; esclave, foUe,
errante, eUe cherche une treve à son
martyre; eUe appelle à son aide jus<qu'à
l'insurrection. L'insurrection, Sire, qui pour
elle est l'aurore de la liberté. Cette révolte
inconsciente allege pour le captif le poids
de sa chaine.
Vous savez, oui, vous savez combien
est rude le chemin que suit l'homme sans
patrie, sans famille; vous sentez les dou-
1 Endroit peuplé par les n~es marrons; ii y en a eu au Bresil
qui Dnt contcnu jusqu'à 30.000 fugatifs, ils n'ont été détruits que par la
force armée et apres de longs combnts. - (NOTE nu TRA.DUCTEUR.)
8

leurs de la pauvre mere qui songe avec


un tendre délire au moment ou elle va
bercer son enfant et qui trouve le ber-
ceau vide!
L'esc1ave reste étranger au banquet
de la vie, iI est le convive de l'infortune,
et n'entend que les hurrahs du malheur!
Pour ceux qui sont libres, tout est amour,
rires et chants; pour lui, la croix, le jar-
din des oliviers, le calice plein de ses
larmes! Le maitre abuse par force la
femme esc1ave; de l'épouse du noir, iI fait
sa concubine et iI déprave la vierge.
La vengeance traitresse, louche, sourde
s'allume: la maitresse offensée se trouve
en face de sa rivale captive! La morale
se corrompt et sur l'autel du vice, ce sont
toujours des creurs qui saignent au sa-
crifice 1....
Qu'est-ce que l'esc1ave, Sire?
Le droit outragé, la loi conspuée,
renfermée dans un étroit horizon; le cachot
de la raison: quel enfer de tourments!
C' est le Christ et Prométhée tou t à la
fois !. ...
Mais iI suffit! - Que vois-je? - Une
chambre mortuaire.... Une foule émue qui
se presse et s'agite, les cloches sonnent,
elles tintent un glas d'agonie .... En même
teOlps: hosanna! des cris de joie éclatent,
des f1eurs, une douce harmonie, emplissent
les cieux de mon pays jusqu'aux espaces
les plus reculés !.... Une faible lueur d'au-
rore commence à pénétrer sous les dra·
peries du lit mortuaire.... des chants de
fête s'élêvent du sein d'un peuple qui
prépare des arcs de triomphe!
La nue s'est entrouverte; - je vois
un bel ange resplendissant descendu du
ciel, de l'espace infini vers la couche funé-
raire. - L'obscurité se dissipe presque
entiêrement; iI dit: cc Je suis la Liberté;
cc dans le passé j'ai souffert, j'ai pleuré,
cc j'ai gémi au sein de l'amertume ; aujour-
cc d'hui je suis le Verbe des générations
cc futures. ))
10

Et pres de s'envoler vers la profonde


nuit de l'oubli, l'esclavage moribond te
salue, ô César!
DANS LES LIMBES
ÉLÉGIE

o Christ, Ô mon Seigneur! Voici deux


mille ans que je t'invoq ue du fond des
limbes, toi, la lumiere et la clarté. Jésus-
Christ, effroi cles tyrans!
Quancl clonc, ô mon Dieu ! quancl clonc
dans ton tempIe auguste, le temple de la
vérité, retentira la voix de la liberté brisant
mon esclavage?
Je trouvais beaux mes déserts sauva-
ges; patient et joyeux, i'ai tout supporté,
les sables et les guerres, les monstres et
le sirocco.
Quel est mon crime? Les sanglots ont
étouffé ma voix. Tyr et Carthage sont
l~

tombées; le temps abat les empires; l'es-


clavage seul res,te - comme le fou, perdu
dans d'étranges pensées, survit à l'escla-
vage de la raison.
O Jésus! du haut de ton trône d'étoi-
les, de ton trône éclatant posé dans le
cieI, ne distingues-tu pas dans ce navire
battu par la tourmente, ces ombres noires
et hideuses, ces forçats enchainés?
N'entends-tu pas les éclats du fouet
qui commandent la danse sur le pont de
l'affreux négrier? ne vois-tu pas la nos tal-
gie chercher un tombeau dans les f10ts ?
Reconnais-moi, mon Dieu! Je suis
l'Esclavage: ma postérité immense, ô
Christ jamais, jamais n'a le repos du
dernier sou pir.
J'ai assez souffert. Rachete mes enfants
de cet enfer, adoucis tes rigueurs; ou don-
ne-moi c1ans tes bras l'éternel repos.
Ton ceuvre a été incomplete: mis en
possession de ta gloire tu as abandonné à
leur affreuse destinée plus d'esclaves que
l.i

Ia nuit n'a de voiIes, et que Ies eieux n'ont


de cIartés.
C'est en vain que j'entends l'éeho de
l'Evangile, aux sept seeaux vivants, dire
que l'escIave. est libre. I'escIave ce misé-
rable fantôme devant tes regards aItiers.
J'arrose de mes pleurs Ia trace de tes
pas ... du fond des limbes, je guette Ie
nuage qui s'avanee, portant dans ses flanes
le foudre vengeur;
Je vois la Foi te eaeher son ealiee,
l'Espéranee perdre son anere et la Cha-
rité tout en larmes abandonner ses enfants.
Assez, Seigneur; Ia eoIêre de ton pêre
est-eIle impitoyabIe?
Une autre vision de Iumiêre m'appa-
rait ...
- C'est la priêre du soir, Ia priêre de
I'escIave, Ia priêre qui va monter jusqu'à
Dieu, d'un voI pIus rapide que l'oiseau
qui monte, monte toujours et disparait
dans Ies nues.
UN LOT D'ESCLAVES

La barriere de la plantation s'ouvre


et donne passage à trois cavaliers. Der-
tiere eux marche un troupeau d'esclaves.
Sans pitié, sans remords, des marchands
cruels vont les vendre au delà de la Serra
do Mar.
Dans la plantation, la souRrance est
sans treve, les condamnés de l'esclavage
y laissent tout espoir, le cep est insen-
sible à la pointe, et le fouet épuise lente-
ment la vie; mais qu'importe? le commerce
est lucratif, et iI y a longtemps que sur le
passage des trais cavaliers le. désert re-
tentit de gémissements.
Sont-ce des hommes, ces marchands?
- Ce sont des fossoyeurs, ce sont les
crieurs des funérailles d'une race rude et
lri

innocente qUI, dans ses amOllrs sublimes,


vaut mieux que ces freres de Joseph
l'inspiré !
Les esclaves arrivent du Nord; la
sécheresse, la misere et la mort les ont
amenés à Rio, en les tenant par la main.'
- O sanglant itinéraire! linceuil qui doit
servir de toile au peintre de l'esc1avage!
Savez-vous ce qu'ils ont souffert?
Savez-vous ce que ces pauvres victimes,
ces enfants de l'humanité marâtre souffrent
le long des chemins? Savez-vous quelles
intimes angoisses ces bandits qui les gui-
dent compriment à coups de fouet? Com-
bien de tristes êtres laissent, dans le
mystere c1es forêts, leurs cadavres sans
sépulture aux oiseaux de proie qui les
poursllivent de lellrs insultants croasse-
ments? -
Horreur! La nuit envahit le ciel, les
1 Allusion aux csclaves ccarenses, qui pendant la famine qui a Aagellé
la province du Ceará, émigraient vers les provinces du sud pour y être
vendus
Cette scênc se renouvelait joumellement alors dans lcs rues de la
Capitule de l'Empire et spécialement vis-à-vis de la préfecture de palice
ou les commissiollnaires visaient les passeports.
17

brises se taisent, malS dans les ombres


du soir, sur les flancs du triste convoi,
(la pensée voit l'invisible), je distingue en
croupe des marchands d'hommes, et les
suivant comme leurs ombres - la folie,
la douleur et la famine!
I1s s'avancent pas à pas, et le com-
mandeur les suit; iI est chargé de cordes
et porte à la ceinture un couteau et un
pistolet.
Le bourreau a son châtiment dans la
haine qu iI inspire, et qui l'oblige à toujours
craindre. Les negres marchent demi-nus;
quand la fatigue les arrête, le fouet les fait
avancer comme un troupeau. La rilere, les
bras croisés sur les seins, est suivie de
ses enfants, et porte son dernier né sur
son dos. Lieues et lieues se déroulent sur
la route maudite, les esclaves marchent
toujours, affamés. I1s passent la nuit dans
les cases ele la plantation indiquée par
leur chef.
Sinistre voyage! Parfois les vau tou rs
18

planent et s'abattent en nuées; un esclave


suicidé, penelu à un arbre, leur offre un
affreux festin.
Entenelez-yous cette elétonation? C'est
le crime qui veille à la conservation elu
convoi, c'est le terrible réveil eles songes
de liberté de l'esclave qui pense à la
fuite. Le fouet, la fatigue, la faim sont les
auxiliaires des vils marchands.
Nous vimes le lot d'esclaves entrer
elans la plantation; nous assistâmes à la
vente.
Le planteur arriva; iI regarda les ne-
gres, et entra en marché. O liberté! tu
versas encore des pleurs, en voyant ces
mains enchainées!
Une esclave agenouillée aupres ele la
porte, disait: - Maitre, vendez-moi!
« -Les enfants sont beaux, elit le plan-
tem, vous le voyez; je les vends pour
peu de choses, pou r rien. Amene tes en-
fan.ts, négresse?
19

« Seulement deux ! » demande l'un des


marchands.
« Et les autres? »
« Ceux-Ià? - Oui... ceux-Ià?
« Si vous le voulez, l'affaire est faite· je
garde les autres négrillons, ma femme
veut seulement que je me défasse de
ceux-cl. »
Le marchand d'esclaves paie son ac-
quisition, et met les enfants en croupe.
O ciel! ma plume se refuse à continuer;
les regards égaiés de la mere les suivi-
rent ... !
Avez-vous déjà vu le scorpion, ren-
fermé dans un cercle de feu, se tordre
en vaines convulsions, et dans cette lu tte
suprême, étouffant de rage, tourner contre
lui-même son dard funeste!
Ainsi, la mere esclave se tordait les
bras; pu is muette, immobile, elle se couvrit
le visage de ses mains, la malheureuse
était folle!
LA NOURRICE

On entendit frapper à la porte, c'était


quelqu'un qui venait prendre des infor-
mations. Elle était négresse bon teint, de
tailIe moyenne, de façons agréables, et
paraissait à peine avoir de dix-huit à
vingt ans.
« N'est-ce pas ici, dit le visiteur, que
l'on a annoncé une nourrice, dans le jour-
nal d'aujourd'hui? »
« Ou i, monsieur, répond de l'intérieur
la voix d'une vieille matrone. Holà! la
filIe, viens au salon - Asseyez-vous, mon-
sieur. C'est mon esclave; elle est fort active
pour le ménage; essayez-en, vous ne vou-
drez plus changer. Le médecin peut ga-
rantir sa santé; elle sait coudre, laver et
repasser, est adroite, et sait plaire aux
4
22

enfants camme bien peu d'autres, Je vaus


l'assure. San layer est paur rien; c'est
saixante mille reis. »
cc Et san enfant? »
La pauvre esclave se sentit défaillir et
murmura:
c( Maltre, man fils a été envayé aux
enfants trauvés! »)
LE LEGS DE LA MORTE

La chambre est nue; une planche as-


sise sur deux caisses, voilà son lit; l'an-
goisse crispe ses levres, ou tremble une
priere, un crucifix repose sur sa poitrine
et une faible lampe l'illumine de son vague
reflet.
Sous une natte, un corps noir se débat
sous l'étreinte de la maladie' une main
indécise tâte par moments un coffret de
bois blanc placé pres du chevet.
Quelqu'un pleure sous la varande: des
pas légers, des mots échangés à voix basse
redonnent pour un instant leur éclat aux
yeux presque éteints de la pauvre esclave.
Sa ma'itresse entre; elle allume le cierge
bénit et le met dans les mains de la mori-
bonde; l'approche de la mort est terrible,
le sépulcre a ses mysteres!
- Bonjour, maitresse - Bonjour, Thé-
rese - Je vais mourir - Non, espere
encore - On dit qu"au ciel iI n'y a pas
de tristesse, que Dieu reçoit l'esclave dans
sa gloire infinie ...
Et ma jeune maitresse? Elle ne vient
pas.? Oh 11' . me manque ...
. alr
« Elle changea de côté, et reprit d'une
voix entrecou pée. - Je lui laisse un sou-
venir. .. C'est tout ce que j'ai ... le mouchoir
que j'ai brodé pour le jour de ses noces ! »
LES ENFANTS

II avait vendu la mere et ses deux


enfants; le dernier n'avait que quinze jours
quancl fllt rendue la loi émancipatrice.
Pour la pauvre esclave, statue vivante du
malhem, ce fut un atroce supplice; son
dernier adiell fut un blaspheme, un cri de
malédiction contre le ciel.
Elle passa trois longues années de
larmes et de martyre, se répétant sans
cesse: « J'ai été mere, voilà mon crime;
c'est la loi de l'esclavage. L'esclave n'est-
el1e pas tenue d'être la femme de son
ma'ltre, quancl iI le vellt? »
Les mallvais traitements l'ava,ient épui-
sée; sa cruelle maitresse, prise d une sorte
de pitié, lui remit une liste de souscription
et lui dit:
2(j

« Prends-Ia; elle indique le montant


du prix d'affranchissement de tes enfants.
Pour toi, j'ai décidé par mon testament
que tu serais libre à la mort de mes
petits.fils ... »
ElIe sortit, vieilIie par la souffrance,
portant un de ses enfants et suivie de
l'autre chargé d'un plateau pour recevoir
les aumônes, et alIa par la vilIe implorer
la charité des passants.
Jlla rencontra, et s'arrêta en palissant;
mais elIe prit les deu x enfants c1ans ses
bras, et le regard éteint, la voix étouffée,
lui dit:
« Une aumône, ô mon ma'itre! une au-
mône pour la liberté de vos enfants! »
L'EMIGRANT

- « orci l'Amérique splendide! La


liberté doit être ici plus vigoureuse et
plus beBe' 1'oiseau au vaste essor semble
le dire aux cieux, la riviere à la brise et
le soleil à l' étoile !
II semble que la poitrine se dilate à
son souffle divin, les fils de ce pays n'ont
pas à pleurer sur leur destinée, Colomb,
le hardi penseur, 1'a découverte; le condôr
a plané dans. res cieux, et l' Amérique est
montée pour le contemple!!", sur le sommet
des Aneles!
Les lianes entrela{:ées eo€hainel'lt les
géants. des forêts; ~a forêt est un couvelllt,
dont les arbres somt les moines, la li~p}e
est un rosaire, elont les grains sont eles
fleu rs. (!!! )
28

cc J'ai quitté ma patrie, avec ma bêche


pour tout trésor, je me suis embarqué sur
la mer profonde, et suis venu demander
mon pain au Nouveau Monde, à la terre
de Cabral. )
(( Salut, Amérique! Le despotisme
mourrait à ton haleine. Au travail, émi-
grant! Le train part, et je m'enfonce avec
lui dans l'intérieur du Brésil. »
11 arriva à destination, dans unefazenda
couverte de champs de canne à sucre et
de café, terre promise de l'agriculture.
c( Pas une charrue ne se voit! La se-
mence confiée au sol inépuisable, germe et
donne la récolte. 11 y a tant de monde
sans foyer en Europe, et iI y a au Brésil
tant de terres qui n'attendent qu'un tra-
vailleur ! »)
(( Terre du travail, sois ma patrie!»
Quelqu'un qui l'entendit lui indiqua un
homme dans la cour de la plantation.-
«- Monsieur, je suis ém.igrant. Je fuis
mon pays en proie à la tyrannie.»
29

cc - C'est bien, attendez un peu, qu'on


mette aux fers cet esclave qui est arrivé
trop tard au travail.)) D'autres esclaves
subissaient divers supplices. L'émigrant
frissonna.
c( - Dn instant, monsieur. Quels sont
ces hommes? des assassins? ) - Ce sont
mes esclaves, des brutes. -
« O cruauté ! s'écria l'émigrant. Périsse

l'agriculture, si elle ne sert qu'à torturer


des esclaves! » La bêche échappe de ses
mains, iI la ramasse; et la rejette avec
horreur, en croyant y voir le symbole de
l' esclavage. »
L'ESCLAVE NOURRICE

Elle était déjà vieille, la pauvre né-


gresse; elle était esclave, mais tendre
comme la plus tendre mere; et quel amour
elle avait pour son jeune maltre qu'elle
avait nourri de son lait!
Elle en prenait tant de soin1. .. Quand
elle le voyait revenir de l'école, et lui
dire bonsoir, le bonheur, comme un rayon
de lumiere, faisait étinceler ses yeux.
Son fils, à elle, était mort tout petit ...
elle avait élevé l'autre, et son amour le
faisait deux [ois son enfant.
Un jour, on voulut l'affranchir, mais
elle prit comme un outrage l'offre de sa
liberté, en clisant: « Maitresse, par pitié,
ne me séparez pas de l'enfant que vous
m'avez clonné! ))
32

Elle rêvait, rêvait toujours à lui; elle


priait, priait pour lui; le jour, l'heure ou
elle ne le voyait pas étaient pour elle un
jour, une heure néfastes.
Mais les années passerent; tout finit,
et ainsi finit son doux rêve. II y ades
fils-reptiles qui crachent de la bave, et
la bave empoisonne un creur de femme.
II le fito II leva (ô meres i), iI leva sa
main sur le visage de celle qui avait
entendu les vagissements de son berceau,
qui avait veillé ses nuits, et apaisé ses
douleurs!
La pauvre vieille tomba à ses pieds:
« Mon lait d'esclave vous a donné la vie,
à vos genoux, mon ma'ltre, je vous de-
mande grâce!))
LE TESTAMENT

- Monsieur, un de mes amlS, dont


je pleure la perte, vient de mourir. II a
laissé par son testament une somme desti-
née à la rédemption des esc1aves et je
viens remplir iei le devoir dont iI m'a
ehargé à son lit de morto Vous avez, je
erols, un vieil esc1ave. Je voudrais l'af-
franehir; iI est âgé, iI a rendu bien des
serviees, deux raisons pour m'intéresser
à lui. Le prix de sa liberté ne peut être
bien élevé, et en outre un esc1ave si dévoué
vous I avouerez, monsieur, mérite qu'on
l'aide à reeouvrer sa liberté.
- J'ai eompris. Vous désirez done ...
- Que vous l'affranehissiez moyennant
indemnité.
34

Combien m'apportez-vous?
Dn conto. '
Dn conto? reprit Ie maHre stupé-
fait. C'est trop peu; iI y a quarante ans
qu'iI me sert. »

1 2,500 franes envlron.


LA SORCIÊRE

Il est minuit! La forêt vierge mur-


mure sous les caresses du vent; tout est
paix et repos', seule, l'esclave sent l'at-
traction de l'abime.
La prairie est à deux pas, la prairie
dont les fleurs donnent le poison et la
morto Horreur! être mére et être seule,
être vivante et n'avoir plus le fils de ses
amours!
Agonie interminable! Elle a passé
toute sa vie dans les lourdes chaines de
l'esclavage, voyant autour d'elle croitre
la vile foule de ses compagnons d'infor-
tune; pour lui rendre le bonheur, elle
s' est faite sorciére.
Oui! Dans les nuits tranquilles, à
l'heure oú le jaguar même dort, elle
affranchit les âmes, en leur versant l'é-
temeI sommeil.
La prairie est là, la rosée scintille sur
les brins d'herbe, les bceufs sont étendus
à terre, et ruminent le long des sentiers.
Elle allume la lampe fumeuse de sa
case. se dresse, et regarde l'immensité;
son regard est cruel et impitoyable; elle
sent redoubler la haine dans son sein.
Elle ouvre la porte; personne ne l'a
vue, elle sort et gagne la vaste prairie,
et la Médée esclave, au noir visage argenté
par la lune, choisit les plantes funestes.
Elle connait les racines et les lianes,
les solanées mortelles et la strychnine;
pas à pas elle glisse légerement, et seme
le poison.
Demain, dans les ruisseaux, dans les
fontaines limpides, on boira la mort et
l'éternel sommeil! ... Le ciel est pur, les
étoiles resplendissent; son âme seule re-
flete l'enfer.
Quelle vengeance poursuit la sorciere,
37

l'esclave ricanante qUi voudrait dans sa


fureur arroser la nature entiére d'un
breuvage empoisonné?
Mais silence, elle revient... ô pauvres
enfants, elle tire le philtre caché dans son
sein, et leur en humecte les lévres.
Elle se retire et entre dans l'appar-
tement eles travailleurs, le cruel bourreau
de la Jl1stice elivine, la noire sorciere de
la plantation!

5
LES FILS LIBRES DE MERE ESCLAVE

Monsieur, votre plantation est réel-


lement belle. Vos cultures sont prosperes,
vous avez un étang, de l'eau courante,
des moulins, et des terrains à perte de
vue. Vos champs ele canne à sucre sont
superbes.
- Oui, je crois qu'il n'y a pas de
meilleure plantation dans les environs et
la récolte de cette année a été plus mau-
vaise pour d'autres que pour moi. J'ai
six plantations (que vous appelez mines
dans le Nord), mais de toutes je prefere
celle-ci, et j'ai bien raison.
- Mais aussi que de travail! et qu'il
faut de monde et de bras! J'ai cent es-
claves aux champs, levés. avant le jour,
40

et qui travaillent jusqu'au SOlr, et je ne


leur épargne pas les veillées.
- Voilà leurs habitations, vastes, aérées
et disposées en face l'une de l'autre. Celle-ci
est celle des femmes, et celle-là ceIle des
hommes. De cette façon, tout est tran-
quille.
- Mais ou demeurent les autres, je
m'explique: ou sont les cases occupées par
les esclaves mariés?
- Depuis la loi du ventre libre I, qui
nous a ôté tout intérêt à cela, j'ai jugé
inutile qu'il y eut encore des ménages
chez moi!

1 La loi du 28 . cptcmbre t8;I, qui ::I. déclaré libres tous Ics fils de
mere esclave. nés apr~s sa promulgation.
LA FAMILLE

Tu pars, Josepha? - Non - Tu


ne pars pas? - Non, je reste. - Sais-tu
quel sera ton sort? - Celui de l'esclavage.
- Tu vas me quitter, tu vas m'aban-
donner! - Que dis-tu? N e suis-j e pas ta
femme? - O malheureuse esclave, ô mes
pauvres enfants, tristes oiseaux sans nid!
Hier soir, je t'embrassais, et me lais·
sais bercer par de doux rêves; aujour-
d'hui, je suis la prise du malheur; l'on
vient de me vendre aujourd'hui, Josepha!
Sainte Vierge! de te vendre! Ce n'est
pas vrai! dis-Ie moi. - Hélas si, triste
esclave, Jésus n'a pas fait le bonheur et
l'espérance pour nous.
Je t'aime de toutes mes forces. Ce
n'est que pour ton amour que j'ai suI1-
42

porté les rigueurs de l'esclavage! ne pllls


te voir, ce sera ma morto on, pardonne-
moi, j'aurai la force de vivre par ton
souventr.
- Et moi, infortunée, que sera-t-il de
moi, qlland demain tes enfants, ne te
voyant plus travailler, me demanderont:
« aú est notre pere? Est-ce qu'il est
parti?» Que leur répondrai-je? dit l' es-
clave en mêlant ses larmes à celles de
son mario - Tu leur répondras: « Mes
enfants, je ne le sais pas. »

Sur une pIage rocailleuse, un groupe


se montrait le lendemain un cadavre flot-
tant sur les flots argentés!
L'ESCLAVE MARRON

11 s'était enfui.... Ou trouver un re-


fuge? La forêt est infestée de serpents
et de jaguars; chaque rugissement, enten-
du dans les fourrés fait sentir la nécessité
d'lln gite.
Ou passer la nuit ? ... Les ombres cou-
vrent la terre, et voilent l'aspect du ciel....
11 marche à travers la sombre épaisseur
des bois, comme le génie du mal, comme
un° cOllpable que poursuit la vengeance
céleste!
Fiancé des ténebres, sa poitrine souffre
l'étreinte d'un crime qu'il ignore: « O
Cham, vers quels loÍntaÍns pays fuÍs-tu?
Esclave, qui a faÍt de toÍ un maudit? »
Les basses branches des arbres arrêtent
à chaque Ínstant ses pas fatigués; devant
44

lui les oiseaux effrayés s'envolent avec des


cris lugubres; tout, jusqu'à son propre
écho, lui est une terreur.
Voici une grotte, un antre. - Le ncir
fugitif s'enfonce dans ses f1.ancs ténébreux.
O ciel! destin affreux! se sentir esclave
devant la sublime liberté çle la nature!
Ceux qui l'arrêteront auront droit à
une forte récompense; n'est-ce-pas, maltres
cruels? On le cherche, des hommes à
l'âme vile trahissent pour ses oppresseurs
les droits sacrés de l'humanité.
Tyrans impitoyables, bourreaux au cceur
de pierre, pourquoi rouvrir encore la tombe
de l'esclavage ? N'a-t-elle pas assez dévoré
de victimes?
Qu'elle est sa vie? -- Seul, toujours
seul dans le désert, iI dispute à la bête
féroce un aliment incertain. Si la mort
pitoyable le surprenait dans ses déserts, iI
aurait du moins pour linceuil l'auguste
manteau des cieux.
La forêt balançant sa sombre cheve-
45

Iure; Ie torrent, la solitude, les brises et


Ies fieurs, tout augmente dans son âme
inquiete I'intensité de ses terreurs!
La douce profondeur des nues étoiIées
est une embGche pour Ie banni; iI n'ose
sortir; iI se cache; Ies broussailles servent
d'abri au pauvre fugitif.
Parfois, se glissant au dehors d'une
grotte obscure, iI étend son bras dans Ies
ténebres, guette I'état du cie1, et recuI€
effrayé à la pâIe clarté de la Iune; iI a
peur de la Iumiere.
Pourtant, queIqu'un I'a aperçu au mo-
ment du crépuscuIe. Les capitães do nzatto
sont à I'affGt, iIs dégalnent Ieurs couteaux
épauIent Ieurs carabines. - cc Rends-toi,
ou tu 'es mort; la résistance est inutiIe! »
A quoi bon résister? Au moment du
naufrage qui va I'engIoutir, est-ce que Ie
mateIot harassé ne se rattache pas à une
lueur d'espérance, en jetant . à la mer
des richesses pour aVOlr encore un mo-
ment de vie?
46

II fit de même. II tendit ses mains aux


liens, et ils partirent; on eut dit un fan-
tôme elu sépulcre cramponné au gouver-
nail elu vaisseau ele la vie.

L'horloge de la plantation sonnait mi-


nuit, quanel iI arriva elans la couro Le
commaneleur et le maitre viennent recevoir
le conelamné.
- Que l'on sonne la cloche, elit le
planteur, et que l'on assemble tous les
negres! Et les esclaves sortent un à un
de leurs cases.
- Qu'on allume le feu, et que le
supplice commence! Les compagnons du
fugitif baissent les yeux, et sentent leur
cceur se briser.
IIs forment les rangs, mornes, refou-
lant leurs larmes; c'était l'horreur des
ténebres pour les ténebres, ele la lumiere
pour la c1arté!
47

Le fouet s'abat en sifflant, le sang


coule; chaque coup est suivi d un gémis-
sement ou d'une imprécation; ce n'est
plus un corps humain - ce n'est qu'une
plaie, que des chairs déchirées!
Dans le délire du supplice, l'reil de
l'esclave étincelle dans son orbite, comme
on voit briser l'eau luisante clans la pro-
fondeur d une citerne sombre.
Le râle commence, la mort vient de
rengainer son poignarcl; le fouet siffle
toujours; mais le corps de l' esclave ne le
sent plus.
Il avait cessé de soufirir! - Son âme,
quittant son enveloppe mortelle, était allée
au devant de l'aurore qui commençait à
rouglr les cieux!
LE CHANT DU TRAVAIL

.o soleil, soleil dont les rayons portent


si loin, n'as-tu pas encore séché tO~lS mes
pleurs!
Mon corps est épuisé par le travail du
jour, et celui de la veillée commence une
autre agonie.
J'arrose de mes larmes les pieds du
caféier; aussi ses fruits sont-ils rouges
comme le sang, et le symbole de mes
tortures.
O terre! mere chérie, ne suis-je pas
aussi un de tes fils? Ouvre-moi ton sein
ô terre! Viens, ô mort! viens me donner
le repos.
L'oiseau va retrouver son nid, la forêt
étincelle de f1eurs; mais le sommeil n'a
50

pas été fait pour moi, la nuit n'apporte


que des souffrances.
La récolte sourit à mon tyran; l'aveu-
gle jouit au moins du parfum des fleurs,
rien ne pousse, rien ne murit pour l'es-
clave.
O terre! mere chérie, ne suis-je pas
aussi 11n de tes fils? Ouvre-moi ton sein,
ô terre! Viens, ô mort! viens me donner
le repos.
LA NEUVAINE 1

Le soleiI couchant, rougeâtre comme


un bassin de cuivre, illumine du milieu
des nuages les édifices et la com de la
plantation.
Les rayons allongés font étinceler les
toits de chaume des cabanes, nids semés
sous les grands arbres, le ruisseau rapi-
de fait tourner la "roue de l'usine.
Au loin chantent les oiseaux; le bou-
vier ramene son troupeau et son chien
fidele poursl.lit dans le bois la génisse
égarée.
Dans la cour, une échelle solide aux
pieds enterrés dans le sable, est placée
contre un muro Le crépuscule a fait place
à la nuit.

1 On donne ce nom J d:lns certaines plantations;l un chatimen


COrpOTe! administre pendant neuf joUTS consécutifs.
53

Une troupe sordide descend du côteau


et apparaí:t SUl' Ia route. Ce sont des
hommes au buste noir et amaigri, vêtus
d'une grossiere chemise.
Le hoyall pend à Ieur dos déchiré;
un carcan de fer garni de ,sonnettes qui
tintent à chaque pas, entoure lellr cou.
Les esclaves s'avancent... une femme
se tra'ine Ia derniere, serrant dans Ies
bras son enfant qui sourit SUl' son chaste
sem.
ElIe voi t I' échelIe don t le soleil dore
I'extrémité et songe avec terreur au sup-
plice.
Elle ne veut pas mourir!
On ne veut pas mourir quand on est
mere 1....

Huit jours de supplice ne suffisaient


pas à la crllallté dll maí:tre; la plantation
a ses lois; le su pplice doit durer nellf
. I
jOllrs.... E ncore un jour.
. I

011 arrache I'enfant des bras de l'es-


clave condamnée, iI roule dans la pous-
53

siere, se releve et le pauvre petit suit sa


mere el'un pas chancelant.
L'esclave est attachée à l'échelle; eleux
cc feitores )) retroussent leurs manches et
font siffler les lanieres elu fouet.
Horrible spectacle!
Des sanglots, eles cris étouffés, elu
sang. Scene révoltante!
Le sang jaillit... Bravo!· elit l'un eles
bourreaux: ce sont les roses écarlates ele
la neuvaine !
C'est là une eles scenes qu'offre ma
patrie ! - Quelle infamie mon Dieu ! Et
iI se elit libre le pays qui reconna'it l'es-
clavage ele ses enfants!
LA PRIÊRE

La cloche vient de faire entendre le


dernier coup de l'Angélus; les negres
quittent 'le travail et reprennent le chemin
de leurs cases. C'est l'heure ou le triste
esclave, rêvant à l'ombre des palmiers,
évoque le souvenir de sa patrie; iI croise
les mains SUl' le manche de la lourde bêche,
et envoie au cie1 de son pays sa mélanco-
lique chanson:
- cc O terres enchantées de l'Afrique
sauvage, ou rugit le lion en secouant sa
fauve criniere! Je -ne vous verrai plus, je
ne reverrai plus, ô désert, tes sables sans
fino et l'oasis ou le serpent énorme, notre
Dieu colossal, serre dans ses replis son
compagnon, comme une tendre mere em-
brasse ses enfants!. ...
56

Douces hirondelles qui rasez mon front,


dites: avez-vous passé sur les tentes de
mes parents? N'êtes-vous pas envoyées
par eux, comme des feuilles qu'arrachent
les rafales, pour transporter sur vos ailes
rapides mon âme jusqu'au pays ou je con-
naissais le sourire ? ... »
Ave, Maria.l C'est l'heure du calme
et de l'amour! La cloche de la plantation
appelle à la priere; les negres s'agenouil-
lent à l'ordre du commandeur, et contem-
plent leurs propres douleurs sur le visage
sanglant du Christ!
Les enfants au teint d'ébene, les hom-
mes noirs comme la nuit, dont le corps
tremble encore sous la douleur du fouet,
chantent des cantiques de foi, de grâce
et d'espérance - Gouttes de mieI qui
adoucissent l'amer breuvage du mall'leur!
Les granges sont désertes; la rosée
alourdit les fleurs; les vapeurs du soir
montent en spirales de la riviere; les feux
s'allument en crépitant sous les ranchos
57

des chemins; le caipóra bondit dans les


fourrés o.. c'est l'heure mélancolique et ten-
dre ou la légende prend un corps et tombe
des bras de la rruit pour éclairer vague-
ment les ténebres.
Salut, ô Marie glorieuse! C'est vers
toi que vole leur priere sous un voile de
larmes; tourne ton doux regard vers l'es-
clave qui t'implore; brise les fers de leurs
infortunes, seche, seche leurs pleurso
LÉGENDES
DES INDIENS
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h,1, IXI

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LÉGENDES
DES INDIENS

LA TAPÉRA DE LA LUNE 1

CRÉATION DE LA LUNE

oiA feux de l'aurore et les nuages


ES
- , rougis du eouehant l'illuminent à
l'horizon lointain. Sur ses Banes, lye1/êré
fait entenclre son ehant et le Ca11,g-ussÚ se
désaltere au bord du lae tranquille.
C'est la montagne géante, dont les
sombres croupes ressemblent à de noirs
1 Le mat Tapéra, composé de taón., village et ira, suffixe qui dans
la langue brésilienne indique un passé donl ii reste encare des traces si-
gnifie proprement: 71i/lage eu r1tincs. Appliqué à la lunc iI est d 1une
traduction difficile. (N. ou TJ<AO.)
62

crocodiles qui, la nuit, en troupes hideu-


ses, vont en rampant se plonger dans
l'eau des fleuves.

Son front contemple l'équateur. Les


amazones guerrieres qui la parcouraient
jadis la nommaient Taperé, aujourd'hui
elle s'appelle Ac2t1zan.

Un jour qu'un terrible combat l'avait


ensanglantée, deux êtres humains reste-
rent seuls et désolés sur la montagne.

C'étaient le frere et la sceur.

- Reste dans notre village détruit,


ô mon cher frere, elit la jeune Indienne;
je m'en vais habiter le borel du lac.

J'ai elressé ton hamac sous les gros


castan!teiros, en plaçant à côté ton arc et
tes plus belles fleches. Le parfum eles
orchidées, compagnes inséparables eles
branches séculaires, embaumera ton som-
meil.
63

Adieu! Adieu! - Jusqu'à quand?


jusqu'à la fin de la nuit et le lever
du jour - Puisse le chant des plus beaux
oiseaux te réveiller des I apparition de la
frakhe aurore.
L'Indienne descend lentement le vaste
Bane de la montagne; ses cheveux ruis-
sellent SUl' ses épaules nues et la pâleul'
couvre son visage. Le soleil touchait à
son déclin quand elle tendit sa couche et
s'y reposa.
La nuit descenelit des hauts sommets
et fit évanouir la clal'té elu cieI. La tête
aplatie eles reptiles rampant sur les arbres
ne fut plus éclairée que d'une lueur in-
décise. Les animaux eles bois aux pieds
craintifs faisaient bruire les feuilles; les
insectes essayaient un chant timide auquel
les habitants eles marais l'épondaient par
leur étourdissante fanfare.
AIors, seuIe au milieu de Ia nature,
elle entendit Ies tenelres et mystérieuses
64

paroles que le vent murmurait à la forêt,


et l'étoile au torrent et à la cascade; et
elle sentit l'ivresse de l'amour!

- J'irai à notre village. O mon tour-


ment, je veux t'assouvir! La nuit son
épouse et le jour sa sreur! - Allons
mon creur! Tupan! Tupan!

Une brise légere agitait le feuillage


du sassafras, le cie1 était sombre et l'air
pesant; les légers agoutis bondissaient
dans le bois, quand elle arriva pres du
hamac de son frere, tremblante et s'effor-
çant d'effacer de son esprit eles pressen-
timents funestes. Elle touche le hamac;
iI tressaille - Qui es-tu ?
U n baiser est la seuIe réponse.

Chaque nuit sur la montagne, - to-


lombe des forêts, elle venait trouver son
65

nid et le jour la retrouvait sur le bord


du lac tranquille.
- Qu'elle est celIe qui vient partager
ma solitude? Qui m'enivre de ses cares-
ses? Génie des montagnes bleues de
I autre monde, comment pourrai-je con-
templer ta splendeur à la c1arté du jour?
Dans notre village ruiné croit le rou-
couyer et dans la plaine, la rosée abreuve
le vert g-enipape. J'en tirerai une couleur
indélébile dont je peindrai tes belIes joues
et si tu me visites apres l'aurore, je re-
connaitrai ton visage.

Pour la troisieme fois l'Indienne, pu-


dique dans son crime, ressentit l'ivresse
de l'amour. La terre était voluptueuse
comme au premier jour de sa naissance.
- Que vais-je faire encore? - Elle s'a-
bime dans ses pensées et sonde la pro-
fondeur de la nuit qui couvre son âme.

Le lac frissonnait. A travers le feuil-


66

lage, les étoiles pâlies venaient se contem-


pler dans son miroir d'argent. La jeune
filIe se leve; elIe gravit la montagne et
s'approche du hamac.
Son frere, que la nuit faisait devenir
son époux, l'attendait. - Pourqlloi viens-tu
si tard? Les bienfaisants génies sont
jalollx de toi, jaloux de tes baisers ! Rap-
proche-toi; je t'aime!

11 la prend sur ses genoux, baise ses


levres au splendide incarnat et tout en
la caressant, passe sur son doux visage
la teinture du roucou.

L'Indienne troll blée porte la mam à


ses Joues qu'elIe est surprise de trouver
humides.
ElIe descendit avant le jour; les ra-
yons de l'aurore bordaient d'une frange
pourprée les sommets d'Acunan et les
lys de la valIée laissaient dégoutter les
perles de leur calice quand elIe atteignit
67

le bord du lac tranquille. Montant sur


une branche qui se projetait sur la sur-
face des eaux, elle pencha son front
rougissant et vit dans le dair ruisseau
les taches de son vlsage.
Alors elle tend son arc, son arc de
combat et décoche une fleche contre le
ciel: le trait reste fixé à la voGte du
firmamento
Fleches sur fleches s'envolent, frappant
l'une contre l'autre et finissent par former
une liane oscillante qui touche la terre.
Elle la saisit, s'y suspend et monte au
ciel, oú elle devient la pâle lune.
Depuis lors, l'Indienne affligée vient
se mirer la nuit dans les fontaines, les
mers, les f1euves et le cristal des lacs
tranquilles, afin de voir si les taches de
son visage n'ont pas disparu.
LE PALAIS DE LA MERE DES EAUX

LÉGENDE DU PARÁ

Sur une colline des environs de Portel,


ii se produit parfois un prodige, une mer-
veiI1e, un enchantement qui surprend Ie
voyageu r dans son batelet. Si, au Iarge,
cingle une igàra, si, plus pres, vogue une
pirogue, Ie rameur, apres un signe de
croix, s'agenouilIe sur Ia proue.
Profond mystere !,.. Qui peut sonder
un mystére... Qui? Sur Ia hauteur, per-
sonne n'a encore osé monter. La cascade
étonnée, qui s'accro'it en roulant de Ia
cime, s'accroche de pierre en pierre, avant
de se perdre dans Ia riviere!
II y a un prodige! - De nuit, dans
7
70

le courant frémissant, se réfléchit une


menaçante langue luisante.
11 est horrible l'éclat de cette lumiere
phosphorique. La riviere paratt un fantô-
me, qui, errant, allume sa lanterne.
Sur ce sommet incendié, au fond de
la brume claire, on ne voit point la flamme
qui produit la clarté dont la riviere s'é-
claire. Les oiseaux crient dans les airs,
au-dessus de l'onde qui reluit... Et les
canards sauvages secouent de leurs ailes
des gouttes de lumiere!
La croyance populaire elit que la « mere
eles eaux» vit sur ce sommet, elans un
palais el'or pur au bord ele la berge es-
carpée... Et quand la riviere réfléchit cette
clarté qui fascine, c'est que le palais
qu'elle habite s'illumine tout entier.
LA LÉGENDE DU COTON
FORMATION DE L'HUMANITÉ

Le hamac de l'indigene ne se balançait


pas encore entre les cocotiers; iI n'y avait
ni famille, ni cabane, ni peuples étrangers.
Les premiers rayons du jour dans les
bois étaient des anneaux détachés, qui,
roulant des monts jusqu'aux bosquets, se
perdaient dans l'herbe.
La mouette plongeait dans l'onde claire
des rivieres et de la mer; mais, SUl' la
vaste et lointaine étendue, ne voguait pas
la plus légere « igàra ». I
Puis vint Sacalbou, lui, le premier des
hommes, presque un dieu, entouré eles
1 Pirogue creusée d::m5 un tronc d'arbre.
72

génies, ses fils, - et iI fit une maison et


un enclos.
II sema le coton; peu apres, la terre
donna aux laboureurs le germe, l'arbuste,
pu is les fleurs et les fruits d' or et de
nelge.
Le cceur du pere répudiait le géant
Pralrou, celui-ci cependant, comme un être
inférieur, subalterne, faisait ce que son
pere ordonnait.
Dn soir le pere sortit... le ciel était
serein, et, sous un bosquet, en poussant
la pierre d'un rocher, iI lui prépara un
piege.
Puis iI lui dit: cc Pralrou, ne vois-tu
pas le sentier et le boa, tout écailleux,
qui pend des branches et se déroule
dans le piege bien dressé?
Allons le chercher; tu iras devant et
tu tireras le lacet; apres... moi je suis
Vleux, et mon bras se fatigue facilement. »
73

Et, sur son ventre nu, rampant avec


la main droite par terre, Prairou touche
au piege, mais d'un bond iI recule en
voyant surgir Rairou, qui dit à Sacaibou :
cc Si tu veux défricher la vallée et la
montagne, iI y a là dans les profondeurs,
des hommes et des femmes pour cultiver
la terre.
Viens avec moi et tu reviendras vite,
instantanément... e circule-t-il pas un
frémissement souterrain, comme la voix
d'un peuple étrange?

Penche-toi ici; attache au bord de l'a-


bime que tu as creusé la corde de coton
que tu as tressée, et descends le long de
cette corde! »

Quand Sacaibou fut revenu, un peuple


nombreux surgissait du fond par la corde,
en ondes pressées, formant une multitude
de capable de peupler le monde!
74

11 venait des tribus de divers milieux,


d'un autre climat et d'une autre race :
les femmes petites et sans grâce, les hom-
mes tous laids.
Difformes quelques uns, begues, rudes,
mal gracieux, noueux, incorrects, c'étaient
des ébauches rudimentaires, incompletes
de peuples primitifs.
II s'en hissait de plus en plus... puis,
des demeures profondes, iI en amua d au-
tres de formes belles, régulieres - tous
surgissaient du sein de la terre.
Les premiers monterent: ils formaient
un groupe valide, musculeux, robuste, le
tronc et le buste d'un modelé ferme,
énergique, et d'un ton de bronze clair.
Mais, sur cela, la corde éclate ... se
rompt! La multitude retombe! Voilàpour-
quoi iI y a tant de gens laids et pourquoi
les beaux sont si rares!
LA LÉGENDE DE GUANUMBY

LA MORT DU . OLEIL

Dans l'arcade bronzée des nuages au


couchant, la périssable f1amme du 'Soleil-
ce crâne ele feu - tremble d'une maniere
fantastique: ainsi que la f1amme rouge de
la lampe éternelle dans un temple go-
thique.

Tel qu'un fanaI dans les mains d'un


siecle, iI noie, elans une lumiere sans fin,
le ciel, l'espace, la terre, les forêts et les
bois; et, sur le point de s'éteindre, iI lance
de fulgurants éclats et se retire, comme
la vague apres la vague!
7li

Telles qu'un groupe errant, les roches


gigantesques de la haute cordilliere atten-
dent, dans une lugubre attitude que le
Soleil meure, et fléchissant sous le poids
du cercueil, el1es lui ouvrent, en se sépa-
rant, leurs seins de granito
Un dais tendu sur le ciel, avec ses
franges vert-de-gris, s'appuie sur l'obscur
horizon; convives du trépas les lles voient
se dédoubler lentement an-dessus de leurs
fronts altiers le plus pur azur de l'éther.
L'auguste nature est une pagode de
Siva les nuages rougis sont comme des
I
:

cavernes de ténebres et d'opale, ils teignent


d'un brun doré les hautes épaules des
gigantesques ombres; et comme le Christ
expirant, le Soleil tombe en s'inclinant.

II
Au sein des pénC?mbres transparentes,
triste, triste sans consolation, la sauvage
1 Dieu de la dcstruction el de la mort, chez les Indiens.
77

indigene berce, dans son petit hamac, son


enfant morto

Les larmes silIonnent sa face rayée,


bronzée, brunie! EIles sont de la mer des
profondes angoisses, les premieres pedes.

U n rameau vert à Ia main, eIle écarte


les insectes avides et piquants... Et les
fleurs de Ia vaIlée épient la nuit qui des-
cend lentement.

EIle module un chant sauvage; - chant


rude, douloureux, - dans la foi de ses
croyances, dans Ia langue de ses aieux.

« Le Guanumby' qui vole et qui revole,


parmi les fleurs de l'anajá n'est-il pas 2

venu se poser ici? et par trois fois, le


solei! est déjà venu! déjà!

Le Guanumby ... qui hume l'âme de


l'enfant, qui laisse son corps sans chaleur,

) Guanumby ou Oaincumby espece d'oiscau-mouche.


~ CochIeospermum insigne, espece de palmier.
78

et s' en va elormir au milieu eles parfums


ele la fIeur la plus VOlSll1e.

Oh! brises, qui passez dans ces mon-


tagnes, dans la montagne arrêtez-vous; et
penelant que je veille, oh! échos de ces
contrées, passez au loin, passez!

Le fils du guerrier a été cueilli en son


chemin par un génie ailé, comme l'oiseau
des bois s'éveille entre les serres ele l'éper-
Vier.

Rayons de soleil, clairs ele lune couleur


des eaux, qui sur les eaux scintillez, venez
enchanter, embellir la tombe légere ele plu-
mes elorées, que lui ont tissée ses parents.

Elle est suspendue aux branches d'ar-


bre, ou elle séduit l'oiseau qui passe;
changez en guirlande de lumiere les plu-
mes elu berceau tranquille.

Le Guanumby, qui vole et qui revole,


parmi les fIeurs de l'anajá, viendra humer
79

l'âme de l'enfant, avant la nuit, pour la


porter à Tupan '! »

III
Les brumes blanchissantes, emplissant
l'espace informe, déposent sur les sommets
comme un long cercueil de plomb, - au
chant funebre du splendide Océan, qui, en
se tratnant, fait glisser son énorme criniere
écumante.
Oh! beauté magique! Oh! mon climat
maternel!.... Nautonniers - les monts
chauves - élevant l'esquif dans les airs,
comme le défunt à borcl, aux fulgurantes
lumieres clu couchant, clonnent pour sépul-
cre au Soleil, le vaste sein des mers!

1 L'Esprit Suprême.
LA LÉGENDE DE LA COURGE
FORMATION DE LA MER

Les ombres, eomme de noirs pirates,


envahissent les forêts âpres et sauvages.
Le jaguar arrondit son dos eomme un°
are, en s'étirant sur ses pattes luisantes.
Des lumieres d'étoiles, en flammes
moelleuses, brillent sileneieuses et pâlis-
santes; des vents furieux gémissent, ils
sont pour les Tapuyos les orades de I

leurs aneêtres ? 2

1 Les Tapuyos ou Tapuyas passaient pour être le tronc de nom~


breuses tribus indlgenes répanducs sur les territoires, qui forment aujour.
d'hui les provinces de l\Iaranhao ct du Ceará ct la côte de Pernambuco ct
du C:lp Sant' Agostinho; i1s avaient le visnge plus plat que les autres indi-
genes, les chcveux noirs, durs ct lisses.
Ils étaient grands robustes ct bien proportionnés, ct parvenaient à
une extrême vieillessc. 6 n a remarqué parmi leurs coutumes ceUes de se
perecr les oreilles ct la levre inférieure pour y insérer dcs rondelles de bois,
de se peindre le corps ct de s'orner la tête de plumes de couleurs vives,
à l'occasion de lcurs jours de fête. Ils habitaient des cabanes faites de
branchages et de terre glaisc, couvcrtes de fcuilles ou d'herbe. TIs s'ali·
I11cntaient oe chassc, de pêche et de fruits, produits spontanés des forêts.
lls mangeaicnt en outre la chair des ennemis d~ leur natioo, et ne se re~
J,Iardaient comme vengês qu'apres avoir tué et mangé uo ennemi. Les·
Jésuites les convertirent facilement au christianismc, mais aprês l'cxpul-
sion de cet ordrc, i1s retournerent :\ leurs anciennes coutumes. (N. nu TRAD.)
2 L'auteur a employê ici [·expression de cc posthumos pa.1·cntes, II
d:ms le sens d·ancêtres. Cettc sorte de metonyltlic est assez rare mêrne eu
poésic. (N. ou TRAll.)
82

Au-dessus des feux de cent foyers de


cannibales pendent des branches chevau-
chées d'ombres; et les cc cabades » tristes I

et mélancoliques, retournent leurs bro-


ches qui sou tiennent des lambeaux de chair
humaine rôtissante.
Un rugissement fend l'air... Un ja-
care horrible fouette de sa queue les flancs
fauves d'une once 3! Mais cette queue a
été déchirée par la bête féroce, et le jacaré
s'enfuit, en laissant sur le sable une trace
sanglante.
Aux saturnales du carrefour, les sor-
ciéres se resserrent tremblantes, en atisant
la braise; cc l'âme perdue» 4 lance son cri
et les oiseaux étourdis ouvrent clans l'es-
pace rougi leurs ailes recourbées.
Les tribus craintives remplissent d'é-

1 Ce met, qui ~ d'abord désigné les iJleFgênes cuivrés, s'applique


aujourd'hui aux métis d'indigenes et de blancs ou de noirs. (N. nu TRAD.)
~ Espece de crocodile. (N. ou TRAO.)
8 Espece de jaguar. (N. ou TRAU.)
4, A u alma perdida .. est \ln oiseau qui appartient à la mythologie
des indigelles du Haul-Amazone. (N. OE L' AUTEUR.)
83

pouvante, par leur vacarme immense, les


espaces d'alentour; sur les corps nus des
mutilations et tatouages funéraiFes, vien-
nent ajouter aux lamentations et aux
sanglotso

Le hamac de Vaia, le chef puissant,


est là, dans la cabaneo - Jardin sauvage!
Du fond de leurs entrailles, 1es pleureuses
arrachent 1eurs gémissements, et accroupi,
le chef Vaia contemple son fi1s morto

II ne veut pomt . d e vases d' argl01 e oI


1es cc igaçabas )) sont à ses yeux de
I

misérab1es sarcophages; le c( marabá ))


exulte d'allégresse, et les rites s'accom-
2

p1issent au bruit des danses funebres des


an thropophageso
FL'<ées sur eles pleux élevés, les têtes

1 19<1ç.~h., selon Gonç.lves Di.s, désigne toute csp;'ce de poterie. Le


mel propre ul été l( igasS:lU:lS )', umes mortuaires. Ce mot n'est qu'une
corruption de (( iucaçana », qui signifie te lieu ou Pon enterre un mort cr,
p.r métonymie, I'ohjet dons lequel se fait I'inhum.tion. (N. DU TRAD.)
~ Lc 1\Iarabá était un fils de prisonnier de guerre qui devait fata-
lement suivrc te destin de son perc J c'est-à-dire êlre dévoré un jOUT de
fêLC ou de pompcs lustrnles. a joie provient de l'hollncuT qui va lui être
rair eu lui dOnn:lllt paur sépulture des estomacs humains. (N. DIIL'AUTEUH.)
84

des victimes ornent la (C maloca » '; les


cneurs soufflent dans leurs trompes, en
arriere, en penchant leurs fronts tatoués.
De temps en temps, par des contrac-
tions athlétiques, un bras armé tourne
rapidement; le captif résiste, et au mo-
ment de sa résistance la massue tombe,
un crâne vole en éclats!. ..
Avec de grands cris confus, les peuples
du voisinage vont dans les montagnes
chercher un traitre asile; et autour du
défunt les torches brulent pour éloigner
de l'obscurité les mauvais génies. 2

-,.
::: :::
Dans une courge informe, Vaia lui a
ouvert un sépulcre, iI l'a porté pres de
la cabane, sous la sapucaia. 3
1 Li m:tloc4l est une demeure, ce n'cst ni une case ni une maison;
cc n'est point 1I11 villagc , c'est·;\·dire une asscmblée de l1laisons; c'est uo
vaste édificc Oll loge toute la portioo de la tribu qui réside "u même lieu:
érigée par le travai! de tous, la propriété eo est cOlllmune à chaquc famille,
qui cependant y a sa demeure particulícrc. (N. nu THAD.)
!! La plUPi\rt des tribus indigencs croient que les resines ct les tor~
ches allumées autOl1r d'un cadavre font fuir les mauvais csprits. (N. DE
L'AUTEUR.)
~ (C Sapucai:l. 1), Lécythis alIaria, fam. des Lécylhidées. Arbre de 24
à 25 metres de hauteur. (N. DU TRAD.)
II l'a assis dans sa biere, iI lui a réuni
les genoux à la poitrine, iI lui a mis ses
colliers de dents et ses diademes rouges.
II lui a entouré les pieds d'une troupe
de pigeons sauvages morts, et d'un cauan
qui épouvante les serpents et combat les
crotales.
Les fleches, la massue, les membys I

entourent la chere momie; pOllr les com-


bats de la mort, iI emporte les armes de
la Vle.
A le voir si triste, si triste, pleurant
là son fils, les tourterelles gémi~saient su r
les palmes du licury. 2

:::
;;: *
Le chef descend la montagne: Des
I'aurore iI vellt visiter la tombe de son
enfan t; ici et là, mille troncs suan ts et les
insectes qui bOllrdonnent dans l'air matinal!

I Espece de Irompe ou de nüte. (N. ou TRAO.)


2 Espece de palmier tropicale. (N. ou TRAO.)
8
86

Des vape.urs s'élevent le long des


degrés du rocher, - escalier désert, vaste
et fumant L.. Le vautour chauve se cache
la tête sous son aile froide! ...
Yaya continue ... mais en revoyant par
ces chemins. la courge tumulaire, iI re-
marqua qu'il s'en échappait d'énormes
pOlssons.
Dans la terreur qui. l'agite, iI raconte
aux siens, à la tribu entiere le cas éto.n-
nant et néfaste !... Et les trompes réson-
nent au loin dans les vallons, cal' la nation
guerriere croit y voir un augure!
Quatre enfants jumeaux, qui obéis-
saient au chef, - partent sans demeure,
inquiets, affamés, nus, zébrés, haletants,
pom la grande pêche. dans leurs déserts.
Les pagés r, les vieillards, les femmes
se réunissent, ils ont· Ia levre déchirêe,
la face triste; tandis que les uns grim-
1 Sorte de dev.in5r. prêtresrndimentaires., :.tya'Dt" une grandeinfluence
sur ]'esprit des sauv~ ~N. ou 'liRAD\j
7

pent aux plus hauts arbres, d'autres s'é-


chappent d'étroites cavernes.
;:::::*
Les petits cabocles voient la courge
et sans crainte ils la soulévent avec
joie sur leurs petites épaules.
Pourtant du centre, le liquide suinte,
goutte, tombe, et des millions de pores
coule, oui, coule!
Sur cela, Yaya apparait, grave, sombre,
tranquille. Ils sont pris d'une peur terrible
et s'enfuient en courant.
Le fruit tombe et, en se brisant sur
le sol, inonde jusqu'aux foyers les plus
lointains... De cette eau, le mythe bar-
bare a fait la Genése des mers!
Dans la brochure que nous avons publiée demiêrement de 1105 Alj1thos
c!Poemas se trouve une traduction de la Tap/ra de la !t(,lIe faite par l\1r.
Emile Deleau, notre érudil et sincêre ami dll 1I1essarey d1(, Brésil.
Naus n'offrons pas cette nOllvel1e lraduclion à nos lecteurs avec l'in4

tention de la mettre en opposition avec la premicre: I'une et I'aune ou


uo mêrite indiscutable. - N. DR L' AUTBUR.
INDEX

11'TRODUCTIO~ , , " o... "Ir:\ XXVII

Poemes de l'esc1avage

Ave Cresar , " .. .. .. .. .. .. .. .. .. 3


D:ms les limbes " .. .. .. .. .. .. .. .. .. II

Un lot d'esclaves ,., , , , "........ 15


L'\ nourrice ,., ' " ., ,.. 21"

1.0 legs de la morte " .. .. .. 23


Les enf:mts " -, .. .. .. .. .. .. .. .. .. 25
L'émigrant " .. " .. .. .. .. .. .. .. 27
L'esclave nourrice " , , ., , , " '... '... " ..., o· , 31
Le testament.. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. 33
La sorciere " " " .. .. 35
Les fils libres de mere esclave .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. 39
La famille 4'
L'esclave nl:1rron lo , ., •• , o. •• .. •• .. •• 43
Le chant du travai! " .. .. .. 49
L'\ neuvnine , , , 51
La priere - " " " " .. .. 55

Légendes des indiens

La tapéra de la Itlne " .. " " " " " " " " " " " .. " .. "" 6I
Le palais de la mere des eaux " " " " " " " " 6g
La légende du coton " " .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. 7I
La légende de Gtlantlmby " " ., " " " " .. 75
La légende de la courge " " 8I

•••
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