Planète N° 27
Planète N° 27
Planète N° 27
LE JO U R N A L DE PLANÈTE DIRECTEUR
LOUIS PAUWELS
163 La vie et les idées / Les savants contre la
COMITÉ DE DIRECTION
science LO UIS PAUW ELS
A LIRE JACQUES BERGIER
FRANÇOIS R IC HA U DEA U
167 Librairie / La critique de Bernard Gros
170 Sociologie / Manuel du parfait technocrate RÉDACTEUR EN CHEF
JACQUES M OUSSEAU
Littérature / Un écrivain fantastique: Dino
Buzzati DIRECTEUR ARTISTIQUE
PIERRE CHAPELOT
171 Histoire / La vieille Chine est-elle morte?
SECRÉTAIRE DE RÉDACTION
A SAVOIR ARLETTE PELTANT
173 Religion / Vatican II commence demain
É D ITIO N S PLANÈTE
176 Philosophie / Teilhard et Einstein à
l'UNESCO ADMINISTRATION
42 RUE DE BERRI, PARIS 8
177 Biologie / Guérir le mal des radiations
RÉDACTION
178 Sociologie / L'industrie des monstres en ET RENSEIGNEMENTS
Amérique 114 CHAMPS-ÉLYSÉES. PARIS 3
Ce n’est pas Le progrès général, en O ccident, des connaissances, des techniques, des
m oyens, des avoirs, des libertés, est une réalité. C hez les clercs, il est de bon
la civilisation ton de nier la réalité: c’est un certificat d ’âm e sensible. M ais je ne puis jo u e r
à ce je u sans, du m êm e coup, me d ém ettre de mes fonctions de tém oin et de
de la machine, critique. Je dois anno n cer que rien de ce que je dirai n’au ra p artie liée avec
le réel. Je ne vois pas ta n t d ’ho n n êteté. Je vois au co n traire le clerc p réten d re
c'est ma to u t à la fois au droit de nier le réel et de p arler com m e hom m e engagé.
La réalité nous ap p arten an t, il d épend de nous, de notre intelligence, de notre
civilisation volonté, de notre am our, q u ’elle soit bonne ou m auvaise, agrandissante ou
contraignante. T el est le co n stat sim ple, viril, hors duquel il n’est pas
d’activité publique positive. Je pense que l’on peu t ju g e r là-dessus de la
sincérité ou non de to u t engagem ent.
P our moi, je suis fier d ’être un hom m e de mon tem ps. C haque fois que je
décolle en Boeing, je rem ercie les dieux de m’avoir fait naître en ce siècle
et j ’éprouve pour l’hum anité du respect et de l’affection. Je ne suis pas naïf.
Je vois la fragilité de cette civilisation naissante, et ses périls. M ais, en me
calant dans m on fauteuil, en a ttac h an t m a cein tu re, je me dis que ce n’est pas
une civilisation m ythique qui m ’arrach e du sol: c’est la m ienne. Ce n’est pas,
com m e on dit, « la civilisation de la m achine »; c ’est la civilisation des hom m es
capables de fabriquer la m achine. C ’est ma civilisation. Ce qui est mien me
ressem ble. C ’est ma ressem blance que je dois d’abord ch e rch er en elle: ce
qui exprim e l’hom m e éternel, ce qui annonce l’hom m e futur. Ce qui est mien
est mon miroir. D ans le passager que je suis, sous ce réseau de lum ières dans
Projet de dôme la nuit, dans le ronflem ent des énergies, isolé dans l’espace et cep en d an t
géodésique
couvrant New York,
par l’architecte
Buckminster Fuller.
Positions Planète
relié à q uantité d ’intelligences au travail, je reconnais en moi des dispositions
de l’âm e, des figurés de l’esprit, des rem u em en ts de l’inconscient, qui me font
un autre hom m e que le voyageur des diligences. O n ne m e fera pas réciter les
leçons de l’hum anism e classiq u e1. F o n çan t sous les étoiles peuplées, à
quelque distance de la T erre en activité accélérée, v ibrante d ’efforts, enve
loppée de radiations nouvelles, je suis pareil à u ne corde ten d u e entre
l’hom m e m agique et le surhom m e à venir. J ’en tends la houle p rofonde du
passé. J ’entends aussi le ressac du futur. S urvolant les peuples agités, to u t
ce m onde en changem ent, je me dis encore que ce qui est m ien est l’épreuve
de m a liberté, se tie n t à la disposition de m a volonté. C e tte civilisation
d épend du sens que je lui donne. Un hom m e n’a pas de destin, il n’a que des
accidents, s’il n ’a pas donné d ’abord un sens à sa vie. D e m êm e, il d épend
de moi que ce tte civilisation ait un destin. Il n ’est pas vrai qu e je ne puisse
pas agir sur elle et en elle. N ous som m es liés. N ous som m es ensem ble de
l’hom m e. N ous som m es ensem ble de l’âm e. R ien ne nous sépare, rien ne
paralyse nos échanges, que mes propres peurs, mes faiblesses, m es ignorances,
et l’habitude an cestrale de cré er des m ythes de séparation. L ’action seule
nous sauve, q u ’elle s’exerce au-dedans de nous-m êm es ou au-dehors. L’action
seule nous justifie, ca r nous som m es l’énergie m êm e de ce m onde. R ien
d’autre que nous-m êm es ne précipite ce m onde dans sa c o u rs e 2. T o u t hom m e
qui cesse de croire cela provoque une chute, change le destin en accident.
Si les q uatres réacteu rs cessent de croire en eux-m êm es, nous to m b ero n s
dans l’océan.
Je refuse C ertes, il est difficile de se sentir solidaire d ’un m onde qui, sem ble-t-il, se
fait, change, se développe, s’accélère com m e à n o tre insu. C e que nous
ce sentiment appelions hier les grandes questions, où nos idées, nos sentim ents, nos
convictions étaien t engagés, ne sont plus, en réalité, que des superstructures,
paralysant des écrans décoratifs derrière lesquels l’élan tech n iq u e travaille et modifie
les sociétés. E t cet élan technique, je crois, a p artie liée avec un co u ran t
de fatalité évolutif accéléré, p arti des origines, d o n t nous ne percev o n s pas le sens. N ous
avons, com m e citoyens, le sentim ent p aralysant que le m ouvem ent qui nous
entraîne ne passe pas p ar nous. P o u r saisir ce qui se passe, tro u v er une foi
1. N o u s p e n so n s g é n é ra le m e n t q u e les g ran d s c h a n g em e n ts du m o n d e, su rv en u s à l’o c c asio n d u d é v e
lo p p em e n t ex p lo sif d es sc ie n c e s e t d es te c h n iq u e s, n e so n t q u e d es ch a n g em e n ts e x té rie u rs à l’h o m m e.
A u tre m e n t d it, q u ’il y a m o d ificatio n d es c o n d itio n s d e vie, m ais p e rm a n e n c e d e la n a tu re h u m ain e in ch an g ée,
in ch a n g e a b le . L à-d essu s se fo n d e la réflexion h u m an iste tra d itio n n e lle , celle d e C a m u s co m p rise.
C ’e st faux, m e sem b le-t-il. A u niv eau d e l’ê tre d e l’h o m m e, c o m m e au n iv eau d e l’ê tre d e l’h u m an ité. E t
c e la a p p e lle u n e m o d ificatio n d e la p lu p a rt d e nos c o n c e p ts p h ilo so p h iq u e s, m éta p h y siq u e s, p o litiq u es.
J e re v ie n d ra i lo n g u em e n t là-d essu s: c ’e st l’esse n tie l d e ce q u e j ’ai à d ire . Je ren v o ie p o u r l’in sta n t le le c te u r
a u ssi b ie n à T e ilh a rd d e C h a rd in q u ’à A u ro b in d o G h o se , p o u r c ite r d es « s p ir itu e ls » . M ais du c ô té des
p h ilo so p h e s m o d ern e s, c e tte m êm e réflexion a p p a ra ît c o m m e c ru c ia le . A rn o ld G e lh e n : « L ’a c tio n ré c i
p ro q u e d e la p o p u la tio n et d e la te c h n iq u e a in tro d u it un p ro ce ssu s m éta b io lo g iq u e p ro fo n d é m e n t nou v eau
qu i exige u n e n o uvelle c o n c e p tu a lis a tio n » (d an s l'A ven ir de la culture). H e in sen b e rg , rap p e lle E d g a r M o rin
(o u v ra g e cité), d é c la ra it en 1955: « L a te c h n iq u e n ’est p a s ta n t le ré s u lta t d es e ffo rts d e l’h o m m e p o u r
é te n d re sa p u issa n c e m a té rie lle q u ’un p ro ce ssu s b io lo g iq u e au c o u rs d u q u e l les s tru c tu re s d e l’o rg an ism e
h u m ain so n t p eu à p e u tra n s fé ré e s d a n s le m ilieu en v iro n n a n t, p ro ce ssu s b io lo g iq u e q u i, en ta n t q u e tel,
é c h ap p e a u c o n trô le h u m ain . » « Ici, é c rit M o rin , s'e x p rim e la g ra n d e m o d ificatio n d ’an g le d e vue, p o u r ne
p as d ire d e rév o lu tio n c o p e rn ic ie n n e , d e p u is M arx . M a rx c o n c e v a it la te c h n iq u e co m m e l’in stru m e n t de
l’h o m m e m a rc h a n t v ers la m aîtrise d u m o n d e. H e isen b e rg , H e id e g g er, s e n te n t au c o n tra ire q u e l’h o m m e
est q u a si l’in stru m e n t d ’u n p ro ce ssu s q u i s 'ex p rim e à tra v e rs le d é v e lo p p e m en t tec h n iq u e . » O n tro u v e ra ,
La philosophie de Planète
et une conduite adap tées au m ouvem ent, voir en celui-ci s’esquisser une
grande figure hum aine, éprou v er q u ’il est une force d o n t la d irectio n n ’est
indépendante ni des aiguillages de m a conscience ni de mes actes sociaux,
je dois sans doute o p ére r une véritable conversion. Je dois changer. C ’est p ar
une conversion radicale que je peux déjo u er l’alién an t sentim ent de fatalité,
fût-elle une fatalité de l’opulence. Il nous est b eau co u p donné. N ous croyons
q u ’il nous est peu dem andé, sinon de ren o n c er à quelques vieilles habitudes.
E ncore se passera-t-on de notre co n sentem ent. M ais je crois q u ’en réalité il
nous est dem andé infinim ent. Et d ’abord de nous ap ercev o ir q u ’il nous est
beau co u p dem andé. Je pense que cette conversion est com p arab le au difficile
passage à l’âge adulte, que m anquent d ’ailleurs ta n t d’hom m es.
Po sitio ns Planète 9
dans ce vol entre deux continents, à l’idée d ’hum anité, de civilisation, de
progrès, ce feu naïf mais puissant. Q uelques tech n o crates, p eu t-être, font
des rêves froids d ’am énagem ent. D es ingénieurs ou des co m m erçan ts
calculent. La plupart songent à leurs biens, à leurs am ours, à des fêtes à
l’écart, à des projets de tranquille jouissance de la vie. En chacun de nous
l’absence de foi a creusé un puits obscur. Un vaste m ouvem ent nous em porte.
M ais dans le siècle com m e dans ce t avion, nous ne som m es que des personnes
en déplacem ent. Et, p ar la m étam orphose explosive, com m e en déco llan t
to u t à l’heure, c ’est à peine si nous nous som m es sentis soulevés.
Le m onde a changé, et si rapidem ent, q u ’il n’est déjà plus celui q u ’a connu
Je n'ai pas m on père. L ’être de l’hum anité a changé aussi, mais nous n’en avons pas
beaucoup conscience. Le changem ent s’est produit avec une rapidité telle que sa
m esure m’échappe, que sa natu re m êm e me dem eure invisible. Ainsi, les
roues ont à peine quitté la piste que les grands ensem bles sont déjà pareils
d'ancêtres qui à des boîtes d ’allum ettes posées sur des billards. Si j ’en trep ren d s de calculer,
ont su lire la stupéfaction me saisit. Je dois avoir d errière moi, com m e homo sapiens,
quelque cinquante mille années. D eux mille générations, à peu près, m ’ont
formé. M ille huit cen t quatre-vingts ont vécu avant l’âge du fer. Six ou huit
ont su lir e 4. Et je suis dans le m onde des applications de la physique einstei-
nienne et de la biologie m oléculaire. Sur mes deux mille ancêtres, mille
neuf cen t soixante ont adoré un em p ereu r divin, une cité, une ch o u ette, un
b œ u f ou la Lune, et les autres un dieu ou une idée. N ous n’avons pas encore
pris l’habitude de penser que les créations hum aines sont à l’image et au
service des hom m es. N ous n’avons pas m êm e encore l’idée que l’am our de la
vie sert la vie: la plupart de nos progrès viennent des guerres; c’est dans les
vertiges de la m ort que nous cherchons nos biens 5.
Nous croyons N ous n’avons pas encore renoncé aux m ythes de séparation. N ous rep o rto n s
sur la science et la technique l’idée ancestrale d ’une loi extérieure im placable,
que la servie par des prêtres sacrificateurs. Ainsi n’est-il pas éto n n an t q u ’un siècle
d ’éclatantes réussites visibles s’accom pagne, au niveau du non-responsable,
bombe atomique d ’une m orale et d ’une philosophie de l’abandon et de l’échec. N ous faisons
offrande à la m achine de nos ignorances, de nos craintes, de nos dém issions.
tue N ous perpétuons la notion prim itive de sacrifice. N ous faisons des m achines,
qui sont nos créations et nos aides, des m ythes de l’inhum ain. N ous avons
La philosophie de Planète
nos T rônes et nos D om inations. N ous croyons que la bom be atom ique tue,
com m e la foudre au poing de Jupiter. M ais ce n’est pas le poing de Ju p iter,
c’est le nôtre. L’hum anité com m ence d ’avoir des pouvoirs adultes. M ais la
conscience de nos pouvoirs ne l’est pas. D e sorte que to u te prise de conscience
insuffisante ne nous ouvre que les portes de la nostalgie.
Une conception Il est vrai qu ’il y a des nostalgies. Je suis un hom m e qui se réjouit p ro fo n
dém ent de revoir N ew York. M ais la d o u ceu r du village m’ém eut. Je p o rte en
positive de la moi le sentim ent de paradis perdus. Le m onde, tel q u ’il se dessine, m ’est
un environnem ent à la fois plus dense et moins chaud. Je vis parm i des m éca
nostalgie niques et des abstractions. D ans l’univers des te ch n o c ra tes et des scientistes
livrés à eux-mêmes, je sais bien que le T o u t de l’hom m e n’est pas à l’aise. N os
sources instinctives risquent de geler, notre goût du rituel de s’éteindre,
notre besoin de com m union de s’affadir, nos facultés ém otionnelles de
dégénérer. O r, cela aussi, c’est l’hom m e. Ce n’est pas seulem ent le vieil
hom m e. C ’est dans le bagage de l’hom m e futur. Je ne m ’en convaincrai jam ais
assez. M ais la nostalgie, qui est un des sentim ents vifs de notre tem ps, ne
doit pas me conduire au regret du passé, elle doit m ’inviter au réveil et à la
co nstruction de l’avenir. Je dois travailler à un m onde où le te ch n o c ra te et
le scientiste ne sont ju stem e n t pas livrés à eux-m êm es. Je dois travailler à
faire, avec la m odernité tech n iq u e et scientifique, un m onde dans lequel
s’intégrent et s’épanouissent ces élém ents ap p arem m en t m enacés du T o u t de
l’hom m e. M ais ce m onde éta n t dans un autre état, sans d oute faut-il que ces
élém ents, p o u r s’y intégrer, soient portés à un autre degré. Je ne les p o rterai
à un autre degré q u ’en élevant le niveau d ’inform ation sur le réel p résen t et
le niveau de réflexion sur la direction générale. « Les choses basses, dit
P laton, se retro u v en t dans les choses hautes, mais dans un au tre état. » De
m êm e, la n ature de l’hom m e ancien doit se retro u v er dans la n atu re de
l’hom m e futur, mais dans un au tre état.
H ors d ’une telle conception positive de la nostalgie, les vers de Goethe
sonnent le glas de l’intelligence et de la volonté :
Non, le monde Il d épend d ’une conscience adulte que des pouvoirs adultes nous m èn en t au
bien de ce m onde. C ’est, p ar exem ple, une conscience adolescente, plus
ne s'uniformise prom pte à se pro jeter dans la révolte q u ’à se définir elle-m êm e, qui nous fait
rép é ter que le m onde s’uniform ise. Or, je co n state bien p lu tô t que notre
pas ignorance du m onde se réduit, que nos co n tacts avec la diversité se m ul
tiplient. Voici cinquante ans, la distance m oyenne p arco u ru e p ar un O cci
dental était de cinq mille kilom ètres. Elle est au jo u rd ’hui de cinq ce n t mille.
Je dois dire que la diversité du m onde, en chaque conscience, est au jo u rd ’hui
plus sensible. A insi chaque ju g em en t de frustration, porté sur la m odernité,
peut-il se transform er, dans une conscience adulte, en ju g em en t d ’enrichis-
Po sitio ns Planète
Une seule fois réunis: ceux
E. SCHROEDINGER E. VERSCHAFFELT W. PAULI W. HEISENBERG R. H. FOWLER L. 8RILLOUIN
Le rêve des N ous vivons dans un m onde où le « d ém o n du faire», que j ’ai p récéd em m en t
essayé de décrire, se développe de plus en plus rapidem ent et librem ent, à
architectes de l’abri des observations et des opinions de l’hom m e ordinaire qui. n’est consulté
que sur des principes, des idées, des program m es sans relation réelle avec
l'humanité les puissances m odificatrices de la société, d ont la nature est essentiellem ent
technique. U ne dém ocratie sans consultation sur l’essentiel, ou une aris
to cratie des plus capables, appuyée sur un parti, ne sont jam ais que des
cryptocraties. D ans un rap p o rt de plusieurs volum es envoyé au président des
6. L’augm entation du confort ne peut m anquer d’am ener la Russie à un niveau si proche de celui des
nations occidentales qu’on ne les distinguera plus les unes des autres — à part, peut-être, cette petite dif
férence, qu’on verra le dim anche, au pays des Soviets, une plus grande affluence au cours de marxisme-
léninisme qu’à la messe. A ce m om ent, ce qui nous divise actuellem ent se sera évanoui dans l’indifférence.
L’indifférence et le temps sont les grandes panacées.
«E n 1648, la guerre de T rente Ans prit fin par pur épuisement des adversaires. Lorsqu’elle com mença, il
paraissait évident qu’une Europe à moitié catholique et à moitié protestante ne pouvait exister. Quand
elle se termina, il fut non moins évident que l’Europe allait rester divisée ainsi. C ependant, il n’y eut plus
de guerre de Religion en Europe, bien qu’il fallût attendre plus de trois cents ans avant que le chef d ’une
Église protestante eût un entretien amical avec le pape. La tolérance, ou, pour em ployer un mot plus
modeste, l’indifférence, a depuis longtemps abaissé les passions religieuses au-dessous du niveau des hosti
lités arm ées. »
Dennis G abor: Inventons le futur (éd. Pion, 1964), ouvrage déjà cité, Planète 26, p. 13.
La philosophie de Planète
États-U nis, l’U niversité de C arbondale ten te de con sid érer la civilisation
m oderne com m e une usine à fabriquer des richesses, des facilités d ’existence
et des lo isirs'. Elle dresse le bilan des ressources m ondiales actuelles. Elle
étudie la possibilité d ’une conversion de to u tes ces ressources au profit
exclusif d ’un m ieux-être de l’hum anité. Elle expose ainsi, d ’une m anière
claire, com plète et généreuse, un rêve technique réalisable. D ans ce rap p o rt
que je n’ai pas en ce m om ent sous les yeux, une phrase m’a p articu lièrem en t
frappé: « L a politique a été très ju stem en t définie com m e l’art du possible.
L'homme C ’est une définition dépassée. Mille im possibilités d ’hier sont des possibilités
d ’aujo u rd ’hui. La politique est désorm ais l’art de choisir parm i to u tes les
ordinaire possibilités nouvelles, celles d ont nous nous servirons pour bâtir le m onde de
dem ain.» Il s’agit de bâtir un m onde du plus grand b o n h eu r m atériel co n ce
n'est pas vable. A lire un tel rapport, on a l’idée de ce q u ’une intelligence froide,
solide, p o u rrait obtenir de l’organisation et de la distribution des ressources
consulté sur actuellem ent mises au jour, des moyens adultes de la science et de la technique,
pour dépasser dans la réalisation les m eilleures utopies sociales. On voit alors
les choix que to u t ce qui em pêche cette intelligence de fonctionner, c ’est le co n stan t
recours des hom m es à des idéologies, des doctrines, des religions, ou sim
à faire plem ent des habitudes héritées d ’une au tre ère de l’histoire hum aine. On se
prend à im aginer une révolution des m entalités, dans laquelle la passion se
convertirait en une volonté passionnée de réduire les obstacles qui s’opposent
au succès de cette intelligence objective, où la chaleur des hom m es s’em
ploierait à faire triom pher l’esprit froid. Je ne crois pas q u ’une telle révolution
soit impossible. M ais dans l’état actuel de l’inform ation et de l’éducation, le
tech n o c ra te supérieur, ou p lu tô t « l’arch itecte en hum anité », qui est un
nouveau type d ’hom m e à l’œ uvre d errière les pouvoirs apparents, ne saurait
consulter l’hom m e ordinaire sur les choix à faire. Telle est, à mon sens, une
prem ière vraie question politique. La politique de la tech n iq u e déjà, plus
agissante que toute autre, se fait sans consultation. Il ne saurait en être
au trem en t sans risque de régression. M ais, en m êm e tem ps, ses m eilleures
intentions ne sont pas perçues. Ses dangers non plus. C ette prem ière question
m et en évidence un élém ent de fragilité de notre civilisation: la g ran d eu r et
les potentialités de celle-ci ne sont sensibles q u ’à une faible m inorité. En ce
sens, il est plus urgent de produire des êtres hum ains inform és que de nou
velles inventions m atérielles. C ’est pourquoi je crois profo n d ém en t que notre
sort se jo u e sur les m éthodes d ’enseignem ent, l’éd ucation et l’inform ation;
7. Projet de «révolution géosociale» élaboré à la Southern Illinois University, Carbondale, sous la direction
de l’ingénieur et architecte R. Buckm inster Fuller, l’inventeur des dômes géodésiques, et du professeur
John M cH ale. Le rapport, qui nous a été com muniqué par notre ém inent ami Boris Prégel, l’un des patrons
de l’industrie atomique am éricaine, com porte quatre volumes. En quoi consiste la « révolution géoso
ciale»? A reconnaître d’abord que la révolution industrielle est finie et que nous disposons désormais de
toutes les ressources perm ettant de donner à tous les êtres du globe le niveau de vie le plus riche des
Américains. Seulement, ces ressources ne sont pas utilisées de façon rationnelle. Et la civilisation globale
fonctionne comme une machine à frustrer les hom m es de ce a quoi ils ont droit.
Le rapport fait l’inventaire des ressources de l’humanité, en énergie, en m atière, en information.
Exemple: Un porte-avions vaut 12 000 écoles - Une usine à torpilles 26 hôpitaux et 160 lits - Une base de
fusées balistiques vaut un barrage de un million 743 mille kW h par an — Un des bom bardiers nouveaux que
les USA s’apprêtent à lancer correspond, soit à 250 000 salaires d’instituteurs, soit à 30 universités de mille
étudiants, à 50 000 tracteurs ou à 15 000 moissonneuses.
Po sitio ns Planète
que le destin de notre civilisation repose sur la philosophie, les arts et les
industries de com m unication de l’esprit.
Mais il nous Si nous regardions au to u r de nous com m e des hom m es éveillés, nous
com prendrions que cette politique de la tech n iq u e, qui se substitue à la
faut savoir politique to u t court, et déjà nous introduit en des tem ps post-historiques,
est une condition nécessaire de cet âge adulte. M ais nous com prendrions aussi
aussi que ce que ce n’est p eu t-être pas une condition suffisante. Elle postule en effet des
options, des directions, qui ne sont pas de son ressort, mais de celui d ’une
n'est pas politique de l’hom m e non enco re esquissée. L’U niversité de C arb o n d ale nous
m ontre que le m eilleur des m ondes terrestres est possible, que nous pouvons
suffisant en tre p re n d re m ain ten an t la révolution géosociale. C e serait d éjà un e im m ense
révolution, et qui m érite tous nos efforts. M ais elle n ’est pas forcém ent
gagnante, m êm e si l’effort aboutit. L’organisation et la ju ste rép artitio n des
avoirs est une chose. L a vision de l’être de l’hom m e, de sa natu re, d e sa
diversité, de ses besoins fondam entaux et de sa destinée, est un e au tre chose.
O n p eu t échouer à la dégager. O n p eu t aussi ra te r l’ajustage. C ’est ici que
nous retrouvons, sur un autre plan, la nécessité d ’une inform ation et d ’une
consultation qui rem e tte n t en cause, une nouvelle fois, nos philosophies, nos
m orales, et sans do u te nos m étaphysiques. N orm an C azan, m athém aticien
new yorkais, vient de publier une nouvelle d ’anticipation. C ela se passe dans
vingt ans. L a révolution tech n icien n e est faite. C ’est une sorte d ’âge d ’or.
C hacun profite largem ent de l’organisation parfaite. L’usine hum aine fonc
tionne pour l’hum anité. D es m achines et une m inorité à fo rt q u o tien t
intellectuel travaillent pour u n e m ajorité d ’oisifs. Il s’agit d e ren o u v eler le
8. Ja m e s T h u rb e r, « L a n tern s a n d L a n c e s ». P en g u in B ooks.
La philosophie de Planète
gouvernem ent. O n inform e com m e il convient, sur les vrais problèm es, sur les
options entre divers plans. V oulez-vous le grand a c cé lé ra teu r de p articules à
construire sur un satellite de Jupiter? Vous en tirerez tel et tel avantage.
P référez-vous que l’économ ie s’oriente vers des supercerveaux électroniques?
Vous en bénéficierez com m e ceci et com m e cela. L a m ajorité rép o n d : on s’en
fout, on vote p o u r K afka, on ne veut rien, on veut du rêve, de l’am our et de
la fête, un sens à la destinée, un m ystère à adm irer, un supplém ent d’âm e,
de la foi, de la ch a le u r au cœ ur.
Ce mouvement Je crois que nous traverserons q u an tité de crises, m oins nettes que celle de
c ette fable, avant de prendre un e co nscience positive de la réalité double
se développe du m ouvem ent qui nous em porte. C ’est une réalité d o u b lem en t exigeante:
sur le plan horizontal du dév eloppem ent des avoirs, sur le plan vertical de
sur deux plans l’élévation de l’être. C ’est la croix, som m e to u te, et l’hom m e au cen tre, en
transform ation.
Je viens d ’aller voir l’équipage au travail, dans le poste traversé p ar q u antité
de voix lointaines. Je poursuis ce tte m éditation. On étein t les plafonniers.
N ous allons nous endorm ir à l’in térieu r de cette croix co u ch ée, brillante et
bruyante, qui vogue entre la m er et les astres.
LOUIS PAUWELS.
à suivre
Positions Planète 17
Le dossfa'de la
contraception
Michel Friedman
D o ssie r Planète
l’approuvons entièrem ent, ta n t dans ses buts que
dans ses m oyens, écrivaient-ils. L orsque le m ou
v em ent que vous présidez et que vous anim ez L'ordre des médecins :
au ra attein t ses objectifs, b ea u co u p de fem m es et ce problème ne nous regarde pas
b eau co u p d’hom m es co n n a îtro n t une existence
plus harm onieuse et plus équilibrée, beau co u p de
tragédies seront évitées et, en particulier, ces
milliers d ’avortem ents clandestins do n t l’exis
ten ce m ôme condam ne une société. M ais ce n’est pas M. M ichel D eb ré qui était visé.
« C eux qui vous com battent, en feignant d ’ignorer C’est au très au stère et tro p co n serv ateu r
la d ure réalité, les dram es, les m utilations et les C onseil national de l’O rd re des m édecins que
m orts, p o rte n t une lourde responsabilité. N ul ne s’en p ren a ien t im plicitem ent les prix N obel de
devrait avoir le droit de sacrifier le bonheur, la m édecine. C elui-ci v enait d ’adresser à ses
santé et la vie d ’êtres hum ains à des principes m em bres un e longue et confuse circulaire
personnels, aussi sincères et nobles soient-ils, à co n d am n an t l’activité des cen tres de planning
des convictions respectables, certes, m ais que fam ilial et rep ren a n t la thèse publiée en 1962
tous ne p arta g en t pas, ou à des im pératifs éco dans son bulletin: « L e m édecin n’a aucun
nom iques ou dém ographiques, en l’espèce m ons rôle à jo u e r et aucune responsabilité à assum er
trueux et, de plus, dépourvus de fondem ent. » dans l’application des moyens anticonceptionnels,
Ce d ern ier p aragraphe aurait ce rtain e m e n t fourni dans les conseils au public ou les dém onstrations
un sujet de conversation anim ée au cours des relatives à l’em ploi de ces moyens. »
déjeuners protocolaires des lauréats, invités à U ne prise de position bien rigoriste qui ne
l’Élysée et à l’hôtel M atignon. Il a dû sonner m asque, m alheureusem ent, q ue la to tale igno
d u rem en t aux oreilles du nouveau m inistre de ran ce en la m atière d ’un e large fraction du corps
l’É conom ie, M. M ichel D ebré, qui —dans le style m édical. Igno ran ce qui s’explique aisém ent,
coléreux et to n n a n t qui lui est fam ilier — s’est fait puisque — ju sq u ’en 1964 — il n’existait pas de
l’avocat des thèses natalistes. cours sur la co n tracep tio n , m êm e au program m e
« N ous avons connu une baisse de la natalité qui des certificats de gynécologie; m ais une ignorance
est à l’origine des dram es nationaux que nous qui ne s’excuse pas.
avons vécus et do n t nous supportons encore les
conséquences: m althusianism e économ ique, insuf P our ce dixièm e anniversaire, le cadeau q u ’a tte n
fisance des équipem ents collectifs, invasions alle dait le « M o uvem ent français p o u r le planning
m andes», déclarait-il, il y a quelques mois, à un fam ilial» et ses trois illustres parrains, c’était
hebdom adaire. E t d ’ajo u ter: «N ous n’existerions l’abrogation d ’un e loi. U ne vieille loi étriq u ée,
m êm e plus en ta n t que nation si l’im m igration usée et poussiéreuse, qui m ériterait to u t ju ste
étran g ère n’avait partiellem ent corrigé le plus d ’être laissée au vestiaire du M usée de l’H om m e:
m alsain des individualism es: celui qui sacrifie, la loi de 1920.
p o u r le plaisir du présent, l’essentiel de l’avenir. » C ’est un texte bleu horizon. D u bleu des vareuses
A ffirm ations reprises le 5 novem bre devant du C hem in des D am es; co u leu r du ciel au-dessus
l’A ssem blée nationale, assez curieusem ent, de la ligne bleue des Vosges; de la te in te des
lorsque l’on sait que le contrôle des naissances lay ettes des petits garçons dans lesquels on voyait
est p rôné dans ce d ép artem en t (français) d ’ou tre déjà de futurs guerriers. L a F ra n ce s’était mal
m er d o n t il était lui-m êm e d ép u té: l’île de La rem ise de la brèch e sanglante o u v erte p ar la
Réunion. E t cela avec l’appro b atio n et les encou P rem ière G u erre m ondiale dans sa population.
ragem ents prodigués l’an d ernier, au cours d ’une U n seul souci: q ue l’on p ro crée. A u socialiste
nouvelle nuit du 4 août, p ar M. Louis Jacquinot... M oricci, qui suggère tim idem ent que « l’É ta t doit
alors m inistre d ’É tat. p ré p a re r le b erceau avant de réclam er l’enfant»,
20 La contraception
ne fero nt écho que les approbations du pro co m m ettre le crim e d ’avortem ent, alors m êm e
fesseur Pinard, inventeur du « q u art de rouge » que cet av o rtem en t n’au rait été ni consom m é ni
des soldats. E t il se trouve des hom m es pour tenté et alors m êm e que ces rem èdes, substances,
rép é ter l’incroyable réplique d ’un député du instrum ents ou objets q u elconques proposés
R hône: « Ceux qui ne veulent pas réc o lter n ’ont com m e m oyens d ’av o rtem en t efficaces seraient
qu’à ne point sem er. » en réalité inaptes à le réaliser.
E t l’on adopte, sur proposition de M M . Ignace de « S era puni d’un mois à six mois de prison et d ’une
M oro-G iafferi et R o b ert Schum an, m algré am ende de 100 à 5 000 francs, quiconque, dans
l’opposition de M M . V incent A uriol, L éon Blum un b u t d e pro p ag an d e antico n cep tio n n elle, au ra
et Paul V aillant-C outurier, p a r 521 voix contre p a r l’un des m oyens spécifiés aux articles I et II,
55, un certain 23 juillet, m arqué à to u t jam ais d écrit et divulgué, ou offert de révéler des p ro
d ’un e p ierre blanche dans les annales de la cédés pro p res à prévenir la grossesse, ou encore
bêtise, des form ules reprises intégralem ent dans facilité l’usage de ces procédés. Les m êm es
le d éc ret du 5 octo b re 1953. peines seront applicables à quiconque, p ar l’un
des m oyens énoncés à l’article 23 de la loi du
29 ju illet 1881, se sera livré à une propagande
an ticonceptionnelle ou co n tre la natalité.
On se bat autour d'une vieille loi « S eront punis des m êm es peines les infractions
aux articles 32 et 36 de la loi du 21 G erm inal
datant de 1881 A n II, lorsque les rem èd es secrets sont désignés
p ar les étiq u ettes, les annonces ou to u t autre
m oyen com m e puissant spécifique-préventif de
la grossesse, alors m êm e que l’indication de ces
Laissons p arle r ce style juridique qui exprim e vertus ne serait que m ensongère. »
si bien ses propres lim ites:
« Sera puni d ’un em prisonnem ent de six m ois à
trois ans et d ’une am ende de 100 à 3 000 francs
quiconque, soit p ar des discours proférés dans des On entretient la confusion
lieux publics ou réunions publiques; soit p a r la
vente, la mise en vente ou l’offre même, en public, entre contraception et avortem ent
ou p ar l’exposition, l’affichage ou la distribution
sur la voie publique ou dans les lieux publics, ou
par la distribution à dom icile, la rem ise sous
bandes ou sous enveloppes ferm ées ou non Singulier m orceau d ’anthologie pénale, l’un des
ferm ées, à la poste ou à to u t agent de distri rares à stipuler un délit d ’intention, et qui
bution ou de tran sp o rt, de livres, d ’écrits, condam ne l’escroquerie com m e m oyen d e p ro p a
d’im prim és, d ’annonces, d ’affiches, dessins, gande. D éjà, la juxtaposition des deux prem iers
images et em blèm es; soit p ar la publicité de articles sur l’av o rtem en t avec les deux derniers
cabinets m édicaux ou soi-disant m édicaux; aura sur la co n tracep tio n crée ce tte confusion qui n’a
provoqué le crim e d ’avortem ent, alors m êm e pas disparu près d ’un dem i-siècle plus tard. U ne
que cette provocation n ’aura pas été suivie équivoque, un clim at d ’om bre que l’on a to u t fait,
d’effet. au co n traire, p o u r en treten ir; qui évoque l’am al
« S era puni des m êm es peines quiconque aura gam e te n té plus tard en tre les pilules contra-
vendu, mis en vente ou fait vendre, distribué ou ceptives et les au tres m éthodes de co n trô le des
fait distribuer de quelque m anière que ce soit, naissances.
des rem èdes, substances, instrum ents ou objets Son éch ec condam ne ce tte loi plus que to u t
q uelconques, sach an t q u ’ils é ta ie n t destinés à désaveu: de 22,3 naissances p o u r 1 000 h abitants
D o ssie r Planète 21
lors de son vote, la natalité devait to m b er à 19,9
en 1930 et 14,2 à la veille de la S econde G u erre
m ondiale. Le point de vue des amis de M oricci
allait se tro u v er confirm é, au b out d ’un q u art de
siècle, de façon éclatan te: c’est l’o rd o n n an ce
du 4 m ars 1945 (réorganisant le systèm e des allo
cations familiales) qui réussira le redressem ent
de l’expansion dém ographique auquel la « poli
tique du gros bâton» avait piteusem ent éch o u é:
nous som m es rem ontés à 18 naissances p o u r
1 000 habitants actu ellem en t — co n tre 22 aux
États-U nis, où la p ropagande an ticonceptionnelle
ne fait l’objet d ’aucune répression.
Ce texte p eu t néanm oins servir à ju g er illégale
la p arution de l’article que vous êtes en train de
Aucun commencement lire. Son au teu r et ses éditeurs en co u ren t les
peines énoncées. Aussi a-t-il fallu b eau co u p de
de preuve n'est venu étayer courage aux prem iers journalistes qui — tel
Jacques D erogy, dès 1955 - ont pris position
l'hypothèse d'une action en faveur du contrôle des naissances. L eu r
argum ent, ju ridiquem ent, était très m ince: il
cancérigène de la pilule. s’agit d ’inform ation et non de propagande. La
m arge, on le sait, est étroite, en tre les deux. Il a
Au d irec te u r de l’in stitu t national d ’études néanm oins fait jurisp ru d en ce. E t c ’est à sa faveur
dém ographiques, M. Raym ond M arcellin (alors
m inistre de la Santé publique et de la Population)
que les centres d ’inform ation du planning familial
avait posé deux questions: «Q u elles m esures ont pu se développer.
législatives p o u rraie n t favoriser le dévelop
p em en t de la natalité? Q uel serait l’effet sur
la n atalité d ’une politique plus libérale en
m atière de contrôle des naissances? Le docteur Lagroua W eill Hallé
C eci p o u r la doctrine. C ôté exam en des
m oyens, le m inistre avait fait appel à un socio
part en guerre contre l'hypocrisie
logue, M. C ho m b art de L auw e, et à douze
m édecins. L a p résidence de la com m ission
é ta it confiée à un gynécologue, M. M aurice
L ac o m m e . P arm i les a u tre s m em b res, La loi n’est pas, p o u r autant, tom bée en désué
M. É tienne B eaulieu est spécialiste des m éta tude. Ses deux prem iers articles ont été appliqués
bolism es; M. Jea n -P ierre B enham ou, expert quelque qu atre cents fois, dans la seule année
en physiologie du foie; M. Paul L echat, p h a r dernière, au cours de procès d ’assises. Elle fait
m acologue; M . G eorges M athé, spécialiste des partie d ’un arsenal répressif dirigé co n tre les
m aladies du sang et du cancer; M . P ierre prévenus les plus lam entables, que la loi ait
D enoix, c ancérologue; M. Jean F rézat, p é
à faire co m p araître . L am en tab le. C o m m en t
diatre; M. H u b e rt T uchm ann-D uplessis, biolo
giste; M . R aym ond T urpin, p éd iatre; M. R ené désigner au trem en t ce couple Bac qui, en 1953,
M oricard, gynécologue; M . A lbert N e tte r, était à la b arre p o u r avoir laissé m ourir faute de
endocrinologue-gynécologue; et M. H enry soins son quatrièm e bébé? La jeune mère, infirme
Ey, psychiatre. d ’une main, com m e folle, n ’avait pu sup p o rter
l’app ro ch e de la naissance du cinquièm e en cinq
ans.
La contraception
Sept ans de réclusion, décidèrent les juges. Mais année, il s’est trouvé de nouveaux locaux: si la
ce procès n’était pas tout à fait com m e les autres. F éd ératio n nationale d em eure au 2, rue des
C ar dans la salle se tro u v ait une doctoresse, C olonnes, le centre de consultation s’est installé
m ère de trois enfants, M m e L agroua W eill H allé, to u t près de là au 10, rue Vivienne (2' arrondis
qui fit, de ce banal fait divers, le thèm e d ’une sem ent), égalem ent à côté de la place de la
com m unication passionném ent discutée à l’aca B ourse à Paris.
dém ie des Sciences m orales et politiques. La F au te de l’abrogation de la loi de 1920, le « M o u
presse s’em para de l’affaire. T rois ans plus tard, v em ent français p o u r le planning familial»
une poignée d ’am ies fondait une institution très pouvait bénéficier de la publicité assurée, d éb u t
discrète: « L a M atern ité heureuse». D epuis, une mars, au rap p o rt sur la pilule co n tracep tiv e,
volonté te n ace a fait, insidieusem ent, progresser déposé p ar la com m ission M arcellin. Ce rap p o rt
la cause. En 1961, G renoble, ville-pilote, accueil m arque en effet la fin d ’une longue période de
lait le p rem ier centre de planning familial. Paris silence en F rance, et in tro d u it un peu de lum ière,
eut le sien en o cto b re de la m êm e année. L’année à la surprise générale, dans le problèm e du
suivante, ce fut le to u r de Lyon, puis de Lens... contrôle des naissances.
La F ran ce com porte aujourd’hui plus de 70 centres, Les cinq jo u rs qui éb ra n lèren t la F ran ce étaie n t
perm anences ou correspondants. D e quatre, ses cinq jo u rs de cam pagne électorale. Plusieurs fois
m édecins, proscrits et prescripteurs, sont devenus pressé p ar ses amis de p ren d re publiquem ent
quatre cents. E t près de 80 000, les consultantes. position sur la question, M. F ran ço is M itteran d
P ourtant, faute d ’agir au grand jo u r, le « M ou se récriait: « Je suis un ad ep te convaincu du
vem ent français p o u r le planning familial» planning, mais c’est sûrem ent un très m auvais
échouait à p én é trer dans les m asses populaires. argum ent électoral. » U ne p etite p hrase lâchée,
Soixante-dix assistantes sociales étaie n t form ées presque p ar hasard, et dans le feu d ’un discours à
dans ce b u t en 1964, près de six cents l’année ses m andants de N evers, le 24 octo b re, allait lui
dernière. M ais cela ne suffit pas pour quelque p ro u v er le contraire.
dix millions de femmes. «V ous devez avoir le droit, si bon vous sem ble,
« Ce qui nous fait le plus de tort, expliquait d ’avoir un, deux, trois, qu atre, cinq enfants ou
l’autre jo u r, à un industriel invité au M usée de de ne pas en avoir du tout! » avait-il proclam é aux
l’H om m e, l’une des créatrices de l’organisation, électrices; son co u rrier dou b la de volum e en
c’est cet é tat de sem i-clandestinité. N ous som m es q u aran te-h u it heures. E t ses adversaires red o u
un peu dans la m êm e situation que, p en d a n t la b lèren t de zèle. D ès le lendem ain, M. Jean-L ouis
guerre d ’A lgérie, les réseaux de soutien. » D u T ixier-V ignancour est le p rem ier à réagir: « Les
moins, le m ouvem ent aura-t-il, désorm ais, son vieilles interdictions de la loi de 1922 o n t fait
m anifeste des 121: la pétition d ’ém inents signa leur tem ps», dit-il, se p osant ainsi en cham pion
taires en sa faveur que vous trouverez ci-contre, de l’abrogation d’une loi d o n t il ignore ju sq u ’à la
réunis p ar Planète. véritable date.
Soucieux de ne pas s’aliéner l’élec to ra t c a th o
lique, le can d id at s’em presse d ’ailleurs de
rap p eler la récen te d éclaratio n de Paul VI devant
La récente campagne électorale l’O .N .U .: «N ul ne p eu t in terd ire l’accès au
b an q u et de la vie. » D éclaratio n qui n’em p êch era
a fait avancer le problème pas, dès le lendem ain, M. L ecan u et d ’affirm er:
« Je ne verrai aucun inconvénient à ce q u ’une
m ajorité p arlem en taire modifie la loi de 1920. »
Le 27, c ’est M. Paul A n tier qui ne p eu t plus taire
Ainsi, 1966 m arq u era une d ate charnière dans ses positions: «B ien sûr, je suis partisan du
l’histoire du m ouvem ent. A vec la nouvelle planning fam ilial», déclare-t-il. M. M arcilhacy
D o ssier Planète 23
assure que la question retien t to u te son attention.
M. B arbu, père de douze enfants, n’est pas
défavorable.
1
i
R estait à passer aux actes. Ce sera le fait de
quelques jo u rn ées d ’octobre. En bonne logique,
M m e Jacqueline T h o m e-P aten o tre, dép u té de
Paul VI Seine-et-O ise, donne le signal; M . F rançois
M itteran d , sur sa lancée, dépose une proposition
a écarté le problème de loi qui rep ren d l’esprit et presque la lettre
des textes déposés en 1956, puis en décem bre
« T o u t ce qui co n cern e la m orale sexuelle du 1964 par M. D éjean - au nom du groupe socia
couple date du xvc ou du x v r siècle», faisait liste; le M .L .P .F . adresse aux différents groupes
rem arq u er l’abbé M arc O raison aux d ern ières son pro p re projet, d éb u t novem bre; et les
« Jo u rn ées de la Santé m entale », à Paris. com m unistes, encore hostiles, fourbissent le leur.
« Saint T hom as d ’A quin ignorait com p lètem en t
que la fem m e ait une p a rt active dans la
conception. Pour lui et p o u r ses co n te m
! porains, la sem ence m asculine é ta it une liqueur
sacrée co n te n an t l’enfant to u t entier. On
Une commission de « sages »
com prend alors p ourquoi co n tra ce p tio n et a été chargée d'étudier la question
av o rtem en t o n t été considérés com m e éga
lem ent graves. »
A ctuellem ent, la position de l’Église se fonde
sur l’encyclique « C asti C onnubli » prom ulguée M ais, dans ce tte période électorale, le gouver
en 1930 p a r le pape Pie X I. C elle-ci d éclare n em en t n’en ten d ait pas rester inactif. D ès le
notam m ent: « T o u t usage du m ariage, quel
27 octobre, M. Raym ond M arcellin, alors m inistre
q u ’il soit, dans l’exercice duquel l’acte est
privé, p a r l’artifice des hom m es, de sa puis de la Santé publique et de la Population, déclare:
sance naturelle de p ro c ré e r la vie, offense la « L ’affaire est ex trêm em ent délicate. Le m inis
loi de D ieu et la loi naturelle, et... ceux qui tère de la Justice et le m ien l’étu d ien t avec le
a u ro n t com m is q u elque chose de pareil se sont souci, non de l’éluder, mais de le régler posém ent.
souillés d ’une fau te grave. » Les problèm es sanitaires posés p ar la pilule nous
P o u rtan t, Pie XI p re n ait soin de distinguer le préo ccu p en t grandem ent... »
c a ra ctè re d ’union m ystique de l’acte sexuel, E t il an n o n çait ensuite la création d ’une com m is
de sa fonction de reproduction. E t Pie X II
sion de «sages» chargée d ’étu d ier la question,
p récisera, en 1951, dans son « D isc o u rs aux
sages-fem m es», les cas de dispense. C ’est im itant en cela la position du pape, qui avait
à c ette occasion que sero n t e n térin ées les disjoint ce d éb at des travaux du concile. Les
m éthodes de continence p ériodique, à savoir spécialistes de la dém ographie seraient consultés
la m éthode O gino-K naus et celles des tem p é par ailleurs.
ra tu re s — qui sem blent so u m ettre les conjoints L ’affaire parasssait mal engagée: les reproches
aux rythm es naturels. faits à la pilule co n tracep tiv e sont, nous le
Les progrès de la c o n tra ce p tio n , et en p a rti verrons, déjà nom breux; or, une d épêche de la
culier ceux de la pilule, posent encore, en très sérieuse agence britannique « R eu ter» venait
revanche, un p roblèm e aux théologiens.
Paul VI a é ca rté ce p roblèm e du schém a X III
de publier une mise en garde de la non moins
examiné par le C oncile et créé, en m ars dernier, sérieuse « F o o d and D rug adm inistration» am é
une com m ission d’étude laïque et religieuse ricaine.
— qui n’a pu ab o u tir à une conclusion nette. Un rap p o rt publié dans les « A rchives d ’ophtal
I m ologie» p ar le d o cteu r F ran k B. W alsh,
im portant professeur à l’école m édicale de
24 La contraception
l’hôpital John H opkins, avait p rovoqué ce tte mise n’était venu étay er l’hypothèse d ’une action
en garde: il avait relevé 61 cas de troubles can cérig èn e de ces substances chez les hum ains.
oculaires, plus ou m oins graves, parm i celles de Le professeur N e tte r lui-m êm e, si réservé lors de
ses p atien tes faisant usage de la pilule. L a respon son exposé à la télévision, m ontrait que les effets
sabilité de cette dern ière n ’était nullem ent secondaires (hém orragies, prise de poids, gonfle
dém ontrée, mais la « F o o d and D rug» jugeait m ent des seins) observés, après absorption, chez à
néanm oins plus p ru d en t d ’en inform er les peu près un cinquièm e des fem m es, ne m ettaien t
m édecins. celles-ci nullem ent en danger.
En F rance, d’intéressants et im portants travaux A ux doses m inim es nécessaires, le professeur
sont en cours sur les pilules; m ais on ne dispose T uchm ann-D uplessis ne co n statait aucun effet
pas en core du m atériel ni du recul nécessaire sensible sur d ’éventuels em bryons. E t le p ro
pour tra n c h e r la d élicate question de leur fesseur L ech at pouvait s’appuyer sur un e statis
nocivité. Les A m éricains, en revanche, expé tique b ritannique (p o rtan t sur q u atre c e n t mille
rim en tent depuis une dizaine d ’années, avec près patientes), p o u r prouver que l’on n’assistait à
de huit millions de fem m es; la rigueur des déci aucune recru d escen ce de ces throm boses coro
sions de la « F o o d and D rug» é ta n t p lu tô t supé naires évoquées p ar le m inistre de la Santé.
rieure à celle des organism es français corres Ce rap p o rt doit donc co n stitu er un véritable
pondants, on voit mal com m ent les sages de verdict d ’acq u ittem en t. Bien sûr, il faudra
M. M arcellin au raien t pu faire au tre m en t que de a tten d re des années p o u r être certain de l’inno
se ranger à son avis. cuité à très longue éch éan ce; mais on sait déjà
H eureusem ent, dès le 24 novem bre, la presse que la fécondité redevient norm ale après arrêt
am éricaine reproduisait un nouveau com m u des traitem en ts et que quelques-unes des
niqué de l’organisation am éricaine. A yant soumis horm ones de synthèse incrim inées o nt m êm e un
à l’analyse électronique 15 000 cas de troubles de effet régressif sur certains types du cancer. On ne
tous ordres observés parm i les utilisatrices de dispose certain em en t pas d ’au tan t de p ré
pilules, ses spécialistes y avaient retrouvé som ptions favorables p o u r la p lu p art des m édi
exactem ent les m êm es p ourcentages de m aux cam ents com m ercialisés depuis peu.
que chez des sujets ne les ayant pas expéri D e to u tes façons, un v erdict en sens contraire
m entées. C onclusion: rien ne s’opposait à la n ’au rait pas sonné le glas du « planning familial ».
com m ercialisation des pilules contraceptives. La sensibilité très prim itive, presque m agique
du public (et m êm e d ’une p artie des spécialistes)
à ces questions, aurait perm is de cré er une
confusion en tre la condam nation de la pilule
La commission de savants français et celle des au tres anticonceptionnels, voire du
vient d'acquitter la pilule co n trô le des naissances en général. M ais cette
position n’au rait pas résisté à un exam en objectif.
Si les pilules sont parm i les plus efficaces de ces
m oyens, elles ne sont ni le p rem ier ni le seul.
L orsque la com m ission M arcellin se réunit, un A ucun d ’en tre eux n’est absolum ent p arfait; le
mois plus tard, elle ne pouvait que s’aligner choix d épend des individus com m e des circons
sur ce point de vue. B eaucoup de ses m em bres, tances.
d’ailleurs — et con trairem en t à ce q u ’avait laissé Le d ern ier en date (on p o u rrait p resque dire: en
en ten d re une partie de la presse — ne sont vogue) des m oyens an ticonceptionnels, c’est le
nullem ent, en privé, des adversaires de la stérilet. Il fait p artie de la catégorie des
con traception. co n tracep tifs intra-utérins (C.I.U .) inventés, vers
A ussi les professeurs D enoix et A m iel allaient-ils 1920, p ar le gynécologue allem and E rnst
indiquer q u ’aucun com m encem ent de preuve G ràfenberg. Les petits anneaux d ’arg en t q u ’il
D ossier Planète 25
posait à ses patientes do n n aien t des résultats
satisfaisants; mais le m étal était mal toléré, et
d o nnait lieu à d ’innom brables inflam m ations,
hém orragies et accidents gynécologiques. Aussi
ce tte m éth o d e contribua-t-elle puissam m ent au
Les communistes discrédit je té sur les an ticonceptionnels; les
m édecins l’ab an d o n n èren t ju sq u ’à une ép o q u e
et la contraception très récente.
Le progrès des m atières plastiques devait to u t
L ’hostilité c o n tre l’économ iste anglais du changer. M ieux supportées p ar l’utérus, certaines
X IX ' siècle T hom as R o b e rt M althus a long d’en tre elles o nt la p ro p riété de rester rigides
tem ps pesé sur l’a ttitu d e du p a rti com m uniste quelques instants avant de rep ren d re leur form e
français à l’égard du c o n trô le des naissances. d ’origine. Le m odèle expérim enté en F ra n ce
M arx et Engels avaient vigoureusem ent com perm et d ’introduire dans le col de l’u téru s
b a ttu les thèses de l’a u te u r de l’« Essai sur les (p en d an t une très brève anesthésie générale) une
principes de la p o pulation». Ils l’accusaient m ince tige qui se referm e en spirale une fois
de « d é to u rn e r le peuple de sa lutte co n tre
le capitalism e et ses tares».
posée à l’in térieu r.
C ’est sous ce prétex te, et avec force citations Le m ode d ’action en est encore mal connu.
tirées de L énine, que M aurice T horez c ondam On discute toujours pour savoir si ce corps
nait, en m ai 1956, « D es enfants m algré nous», étran g er em pêche réellem ent la fécondation ou
l’excellent livre que Ja cq u es D erogy venait de s’il la perm et, mais interdit ensuite la nidification
c o n sa cre r à ce problèm e. Q u a n t à M m e Je a n de l’ovule fécondé. Ce fait, difficile à établir,
n e tte T horez-V erm eersch (m ère de trois im porte peu aux m édecins; mais il p eu t to u t
enfants), c’est au nom du « d ro it à la m ater changer p o u r les patientes. D ans le p rem ier cas,
nité» q u ’elle c ondam nait un p ro jet de loi
socialiste déposé à l’assem blée, en ces term es:
en effet, l’Église catholique n’y verrait sans doute
« D epuis quand les fem m es travailleuses récla aucun inconvénient; dans le second, elle l’assi
m eraient le d ro it d ’a cc éd e r aux vices de la m ilerait à un av o rtem en t - et le proscrirait sans
bourgeoisie? » équivoque possible.
P o u rta n t, l’a vortem ent légal é ta it devenu p rati D e to u tes façons, les C.I.U ., instrum ents adaptés
q u e m e n t libre dans la plu p art des pays de l’E st aux problèm es des pays sous-développés, ne sont
depuis 1955. La H ongrie en en registrait m êm e prescrits en F ran ce que dans des cas très rares,
un nom bre record, et la P ologne d evenait le à titre expérim ental.
but d ’un certain n om bre de .« circuits touris
Parm i leurs avantages, le p rem ier est, en effet,
tiques m édicaux». En U nion soviétique m êm e,
cette m esure, considérée com m e exception de dispenser d ’installations d’hygiène et de ne
nelle et provisoire, d oit ê tre supprim ée dès d em an d er aucun effort intellectuel à la p atiente.
que les p rogrès de la c o n tra ce p tio n le P our les nom breux pays qui p ratiq u en t la stéri
p e rm e ttro n t. lisation chirurgicale, ils co n stitu en t donc un
A ussi le p a rti com m uniste français s’est-il progrès indéniable. Ils sont gén éralem en t très
décidé, à la fin de l’année dern ière, à déposer bien accep tés p ar l’organism e, qui les reçoit de la
à son to u r un p ro jet d ’abrogation de la loi de m êm e façon que des tro n ço n s d ’artères ou valves
1920, distinct de celui de M. François M itterand.
Ce projet prévoit l’autorisation de la vente de
cardiaques en plastique (aujourd’hui couram m ent
produits a nticonceptionnels sous con trô le mis en place). A utres avantages: ne dem an d an t
m édical, m ais in terd it to u te publicité. Il léga aucune p rép aratio n avant les rapports, ils sont
lise en ou tre l’av ortem ent dans certains cas aussi absolum ent insensibles.
sociaux reconnus. G ran d inconvénient: b ea u co u p de fem m es les
rejetten t. U ne petite m inorité ne peu t jam ais les
su p p o rter; un beau co u p plus grand nom bre doit
La contraception
changer une ou deux fois de m odèle. In terv en an t norm alem ent, une fois l’ovulation term inée.
le plus souvent en m êm e tem ps que les règles, L’organism e, abusé p ar leu r p résence, fait ainsi
l’expulsion risque fort de passer inaperçue et de l’économ ie d ’u ne ovulation com plète.
laisser à la fem m e une fausse im pression de secu Si les pilules bicolores sont en co re relativem ent
rité. Aussi certains types sont-ils m unis désorm ais rares, les autres substances, délivrées sur simple
de m inces cordons de contrôle. D ans un certain ordonnance, sont prescrites p ar de nom breux
nom bre de cas — très rares — le stérilet peut, au m édecins. Le « M o uvem ent français p o u r le
contraire, chem iner vers l’in térieur de l’utérus planning familial », assez réservé à leu r égard, ne
et créer des com plications gynécologiques. les conseille que dans les cas où d ’autres
m éthodes éch o u en t — en p articu lier chez les
jeu n es fem m es vierges.
Les avantages de ce tte m éthode, p u rem en t
Ce qu'est la pilule chim ique, sont ex actem en t les m êm es que ceux
et com m ent elle fonctionne des C .I.U . Aussi le choix des fem m es se fait-il
su rto u t p o u r des raisons affectives — en co re que
la sécurité soit, p eu t-être, légèrem ent plus grande
qu ’avec un stérilet. L’Église au ra en to u t cas fort
C’est pourquoi la plu p art des m édecins p réfèren t à faire p o u r d ém o n trer que la m odification du
actu ellem ent s’en ten ir aux pilules d ’horm ones de cycle de féco n d atio n est plus « an tin atu relle »
synthèse. Un grand nom bre de celles-ci sont déjà que celle ap p o rtée à l’organism e p ar n ’im porte
en vente, sous des nom s divers, dans toutes les quel m édicam ent.
pharm acies. Elles sont, en effet, essentiellem ent Si to u t risque p o u r la santé — en p articu lier p o u r
utilisées dans la lutte contre la stérilité. la fécondité — sem ble, p o u r le m om ent, devoir
Le pouvoir d ’une horm one naturelle, la proges être éc arté , les pilules p résen ten t, p o u r certaines
térone, sur la régulation de l’ovulation avait de leurs utilisatrices, un inconvénient m ajeur:
été d ém ontré, dès 1927, p ar le biologiste cré an t un é ta t de grossesse artificielle, elles
M akeplace. M ais il n’y a q u ’une dizaine d ’années pro v o q u en t parfois des nausées et des h ém o r
que l’on a mis au point des substances de synthèse ragies qui disparaissent plus ou m oins vite. Elles
possédant (à plus faible dose, et m êm e p ar voie resten t to ta le m en t insupportables p o u r une
buccale) le pouvoir de bloquer le cycle m enstruel, infime m inorité de fem m es — encore que les
et qui ont été essayées aux É tats-U nis p ar les pilules bicolores de la m éthode séquentielle
d octeurs R ock, Pincus et G arcia. sem blent créer m oins de com plications.
D ossier Planète 27
qui sem ble inexact; d ’autre part, l’ovulation se Les plus grands risques de fécondation accid en
pro d u irait instantaném ent en cas d ’oubli d ’une telle vien n en t d ’un m auvais em ploi: utilisation
seule pilule — ce qui n’est partiellem ent vrai d ’un appareil de taille inadéquate, om ission de
(sans que ce soit autom atique, et p o u r des oublis gelée, m auvaise mise en place, retrait p rém atu ré
plus prolongés) que dans la période de fécondité (avant expiration du délai de huit heures). Ils ont
du cycle norm al. Ni avant, ni après. p o u r origine, le plus souvent, de m auvaises
connaissances anatom iques ou physiologiques.
A ux fem m es q u ’inquiètent ces dangers ou que D e nom breux utilisateurs de préservatifs ne s’en
reb u te l’ingestion de produits chim iques, le m unissent q u ’après le d éb u t du coït, ou le
M .L .P .F . suggère, le plus souvent, un recours à négligent lorsqu’ils o nt des rap p o rts plusieurs fois
un m oyen strictem ent m écanique: les p réser de suite — persuadés, p o u r des raisons aussi peu
vatifs. C o n trairem en t aux pilules vendues com m e scientifiques que possible, que les sperm atozoïdes
traitem en t contre la stérilité — co n trairem en t à ne sont actifs q u ’au m om ent de l’éjaculation —
leurs hom ologues m asculins, les condom s (en voire lors de la p rem ière éjaculation seulem ent.
vente libre sous p réte x te de prophylaxie des
m aladies vénériennes), les pessaires (diaphragm es
ou capes fém inins) n’ont pas trouvé d ’usage
m édical reconnu. Aussi est-il p ratiq u em en t La méthode des tem pératures
impossible de les trouver en F rance. O n se les rem plit les pouponnières
p rocure à l’étra n g er ou on en dem ande l’expé
dition p ar poste à l’« International P aren th o o d
planning A ssociation» de L ondres — d o n t le
«planning» français est devenu une section M êm e en l’absence de telles naïvetés, des féco n
nationale. Les gelées et suppositoires vaginaux dations exceptionnelles reste n t possibles. D es
sperm icides (qui d ésactivent le sem en m asculin) sperm atozoïdes p articu lièrem en t vigoureux
com m andés en com plém ent et p a r la m êm e peu v en t être épargnés p ar les sperm icides
occasion, se trouvent, en revanche, dans toutes et réussir à co n to u rn e r les diaphragm es. Aussi
les pharm acies —vendus com m e antiseptiques. certains m édecins conseillent-ils, p ar surcroît de
D e m êm e que les préservatifs masculins, les p récaution, une co n tinence périodique p en d an t
pessaires se b o rn en t à em p êch er la ren co n tre du la p ério d e de fécondité maximum.
sperm e m asculin avec les glaires sexuelles fém i L a m éth o d e des tem p ératu res, accep tée p ar
nines. Le sperm atozoïde se h eurte à une m em l’Église et expliquée p ar certains organism es
bran e de cao u th co u c sur son passage dans sa confessionnels com m e le C .L .E .R ., p erm et de
quête de l’ovule. L a gêne physique est néanm oins rep é re r cette période. A condition de p ren d re sa
nettem ent m oindre q u ’avec les condom s — encore tem p ératu re rectale tous les m atins, une fem m e
que, chez certains couples, un singulier souci p eu t présum er q u ’elle en tre dans la phase stérile,
d’égalité pousse les conjoints à « prendre leurs le cycle de repos que la p rogestérone naturelle
p récautions» chacu n à to u r de rôle. lui m énage, lorsque sa te n p ératu re s’élève de 1 à
Les inconvénients de ces m éthodes sont évidents. 2 degrés.
Elles req u ièren t des installations d ’hygiène suffi
santes. Elles nécessitent u ne certain e interruption Elle p eu t présum er, mais p résu m er seulem ent.
dans les rapports, au détrim en t de leur harm onie, Ses patien ts calculs sont à la m erci d ’une fatigue
ce qui explique que b eaucoup de fem m es (m algré passagère, d ’un accès de grippe, com m e d ’une
une gêne légère) p réfèren t conserver leurs p réser fantaisie de la nature. C a r l’organism e p eu t
vatifs en place en perm an en ce. La présence du d éclen ch er une ovulation-surprise sous l’effet
d iaphragm e est en ou tre sensible p en d a n t les d’un choc psychologique, du seul hasard, ou
rapports. d’une étrein te particulièrem ent passionnée. O utre
28 La contraception
les inconvénients que rep rése n te l’exam en quoti qu’il ne serait plus n écessaire d e p ren d re q u ’une
dien, la fem m e n ’a d onc m êm e pas de certitude. fois p ar cycle, voire moins. O n travaille sur la mise
Au moins, dans ce cas, apprend-elle à connaître au po in t de substances q u ’il ne serait indis
avec précision son p ro p re cycle m enstruel bio pensable d ’in g érer q u ’après avoir eu des rapports.
logique. C ar la m éthode très schém atique et On songe à stériliser provisoirem ent les hom m es
approxim ative des docteu rs O gino et K nauss n ’a par des inhibiteurs chimiques. Si réticents soient-ils
a son ac tif que la bénédiction de l’Église: son à laisser p o rter attein te à leu r intégrité, ceux-ci ne
calendrier, basé sur des chiffres m oyens, ne tie n t sont pas, au moins, tributaires d’un cycle com plexe.
aucun com pte des différences individuelles, L’arm e absolue so rtira un jo u r des laboratoires.
p o u rtan t considérables. C e sera sans do u te un vaccin. U n vaccin capable
d ’im m uniser l’ovule co n tre la p én étratio n du
Un hom m e de lettres connu aim ait à p résen ter sperm atozoïde. O u réciproquem ent.
ses enfants aux amis en visite en leur disant: M ais, en atten d an t, un énorm e travail d ’infor
« Voici O gino I, O gino II, O gino III. E t voici m ation et d ’éd u catio n reste à faire. B eaucoup de
m ain tenant m a p e tite fille-tem pérature. » C e n’est fem m es fuient en co re, dans le co n trô le des nais
pas to u t à fait une boutade. E t de tels déboires sances, la prise de responsabilité dans l’acte
ne se co m p ten t m êm e plus. am oureux q u ’il rep résen te p o u r elles; d ’autres
N ’ayant d ’autre efficacité que statistique — ce qui craignent de p erd re leu r époux en « d ép o étisan t »
convient mal aux individus m alchanceux — ces leurs rap p o rts; d ’au tres « sab o ten t» incons
m éthodes o n t au m oins l’avantage de n ’être pas ciem m ent les m éthodes q u ’on leu r a expliquées,
dangereuses. O n ne p eu t en dire au tan t des pro dans un désir secret d ’avoir des enfants.
cédés traditionnels: coït in terrom pu ou étrein te L’éd u catio n des m aris, elle aussi, reste à faire.
réservée. P rônées p ar les F rançais qui aim ent à E t en F ra n ce plus que p a rto u t ailleurs. C ar le
passer p o u r gens avertis des « techniques am ou F ran çais est, plus que to u t autre, vaniteux et
reuses », elles ont réussi à faire déclin er la natalité convaincu de son génie dans ce dom aine.
entre les deux guerres. M ais à quel prix ! Un m ythe qui s’effondre d ev an t les trois cen t
Les savants ont dém ontré que des sperm ato cin quante mille à un million d ’avo rtem en ts clan
zoïdes particu lièrem en t résistants sont ém is par destins présum és en F ran ce ch aq u e année.
l’hom m e dès avant l’éjaculation. O n im agine les D ev an t dix mille avortées m ortes — plus d e m orts
dram es provoqués dans les foyers où l’hom m e, que n’en a jam ais fait la gu erre d ’A lgérie.
convaincu de son habileté, ne p eu t expliquer E t au-delà de to u te technique, c’est une affaire
une brusque grossesse que p a r une infidélité de m orale. C ertain s anim aux possèdent déjà des
de son épouse. E t ceci alors m êm e que ces m éthodes de régulation de leu r fécondité — en
m éthodes b arbares sont fréquem m ent généra fonction de la population de l’espèce et de la
trices de frigidité et de troubles nerveux qui, eux, n o u rritu re disponible. L a fécondité p ay an te et
n’ép argnent pas les hommes. obligatoire ira b ie n tô t rejoindre dans les sottisiers
D ’innom brables autres m éthodes de rem pla le fam eux: « T u enfanteras dans la souffrance. »
cem ent ont été inventées au cours des siècles. C ar l’hom m e n’est pas un animal, il est bon de
Les m oins ridicules sont les douches vaginales p ro clam er l’évidence. Il n’est pas soumis aux
et les tam pons intravaginaux. A ucune n ’est réel m êm es rythm es, aux m êm es ruts. E t la survie de
lem ent efficace, com pte tenu du fait q u ’aucune son espèce ne s’assurera pas p ar une explosion
des m éthodes — m êm e les plus sûres — ne dém ographique sans p récéd en t, mais p a r un
réussit à 100 %. ren fo rcem en t des liens du couple.
La seule arm e absolue est irréversible: la stérili
M ICH EL FRIEDM AN.
sation. D u m oins les chercheurs travaillent-ils à
m ettre au point des techniques chirurgicales
réversibles. O n expérim ente aussi des pilules
D o ssier Planète 29
naissance
de l'homme
à la
naissance
de l'homme
cosmique
Voir page 35
l'étude de
A.C. Clarke
« L'année
où l'homme
a marché
dans l'espace »
Photo Lennart-Nilsson.
Photo Usis.
Photo Usis.
Photo Usis.
L'année où l'homme
a marché dans l'espace
Arthur C. Clarke, président de la Société britannique d'Astronautique
Les U .S.A. ont term iné 1965 par un exploit qui ciser que l’exploit a eu lieu alors que la vitesse
fait plus que jam ais de l’année qui vient de des capsules é ta ien t de 20 000 kilom ètres à l’heure,
s’éco u ler un to u rn an t dans l’histoire de l’astro soit 7 800 m ètres à la seconde. D ans une prem ière
nautique: le rendez-vous spatial G em ini 6-G em ini 7. phase, to u tes les indications ont été fournies par
Jusqu’à présent, depuis le lancem ent du prem ier calcu lateu rs électro n iq u es restés à te rre (cinq
Spoutnik en 1957, les A m éricains avaient laissé IB M 7094) sur des program m ations que les A m é
bien m algré eux la prem ière place aux Russes à ricains ju g en t les m eilleures du m onde 3. D ans une
chacune des grandes étapes de la course à l’espace: deuxièm e phase, quand les deux capsules n ’étaient
la revanche q u ’ils viennent de p re n d re , ou tre plus q u ’à quelques centaines de kilom ètres l’une
qu’elle servira d ’in contestable doping psycholo de l’au tre (exactem ent 370), c ’est le radar, installé
gique, constitue l’événem ent que l’on a tte n d ait à b ord m êm e des G em ini, qui p rit le relais des
pour confirm er l’espoir des hom m es en une véri ord in ateu rs terre stres et a ctio n n a d irec te m en t un
table « a stro n au tiq u e» , soit au sens p ro p re du o rd in ateu r em barqué à bord. Les pilotes n ’avaient
term e une navigation intersidérale. O n a pu écrire ' toujours q u ’à suivre ce qui leur é ta it dicté, mais
que, « en tre G agarine et Schirra, il y a a u ta n t de il est arrivé un m om ent où o rd in ateu rs et rad ar
différence q u ’en tre un obus et un avion ». é ta ie n t im puissants: p o u r les ultim es m anœ uvres,
C ’est le m ercredi 15 décem bre, à 20 heures 34 place à l’hom m e, enfin chez lui dans l’espace.
heure française, à 270 kilom ètres au-dessus de la
T erre, à la v erticale des îles M ariannes dans le 1. G é r a rd B o n n o t, d an s l’E x p ress, n u 757, 20-26 d é c e m b re 1965.
2. L e « ren d ez-v o u s sp atial » so v ié tiq u e d e ju in 63, e n tre V aléry
Pacifique, que les capsules G em ini 6 (F ran ck B ykow ski e t V a le n tin a T e re c h k o v a , n ’é ta it en ré a lité q u ’un ex p lo it
B orm an et Jam es L ovell) et G em ini 7 (W alter p u re m e n t b a listiq u e , les d eu x o rb ite s a y a n t é té p ré a la b le m e n t
c a lcu lées p o u r se tro u v e r ra p p ro c h é e s à u n c e rta in m o m e n t à
Schirra et T hom as Staffort), propulsées par la 4 800 m è tre s l’u n e d e l’a u tre.
F usée T itan 2, se sont ap p ro ch ées l’une de l’autre 3. L es R usses c o n serv e n t leu r a v a n ce en m atière b alistiq u e. Ce
à 1 m ètre 80 de distance, après des m anœ uvres n’e st p as l’in cid e n t su rv en u lo rs d u la n c e m e n t d e G e m in i 7, d o n t
la p re m iè re m ise à feu a é c h o u é , qu i a p u l’infirm er.
effectuées p a r les pilotes e u x -m ê m e s2.
C ’est là le point crucial de l’affaire. Il faut p ré ARLETTE PELTANT
N ostalgie 43
ma vie, depuis le réveil matinal mort abolit la mémoire. Est-ce
jusqu’à la chute du soir dans le d ’ailleurs de mémoire qu’il s ’agit?
puits des songes, n ’étaient que J ’avais cinq ans. J ’étais un enfant
promesses furieuses et espérances débordant d ’énergie. Le maître
comblées, et cela depuis un temps parlait, et je l’écoutais en regar
infini, cinq ans, me disait-on. dant l’ombre des feuilles sur ma
Et puis il y eut cette brûlante main. Et soudain quelque chose en
après-midi d’été. Pour la dernière moi s ’est effondré. Je n ’ai plus vu
fois de ma vie, je jouai. Pour la le soleil, ni le gazon, ni l’ombre
dernière fois, j ’eus conscience des feuilles sur ma main, ni ma
d’appartenir aux choses, et que les main. Je n’ai plus été que douleur,
choses m ’appartenaient. Le maître et le son de cette voix, lointain,
ayant décidé de faire la classe en comme la fenêtre éclairée au fond
plein air, nous avions monté quatre du bois du Petit Poucet.
à quatre les marches de la rue en Quand le lendemain je retrouvai la
pente jusqu’aux cerisiers du cime lumière, ce fu t pour découvrir la
tière, au pied du rocher, et là, solitude. Je voulus bouger la main
sagement assis en rond, dans le et ne pus pas. Ni la main, ni le
gazon de la petite prairie om bras, ni les jambes, ni la tête, ni
bragée, nous écoutions notre leçon rien. Je n ’avais plus rien de tout
en silence. Oui, où sont-elles, les cela. Ce qui la veille était un corps,
minutes qui passent? Car cette maintenant n ’était plus que dou
leçon-là, je n ’aurai pas assez de leur. Une douleur compacte énorme
l’éternité pour l’entendre. Je ne et immobile, comme un fauve en
sais ce que nous disait le maître, digestion. Un fauve noir, d ’une
et sans doute étais-je trop petit patience et d ’un poids infinis,
pour comprendre. Mais le son de s ’était couché sur moi et dormait.
sa voix n ’a jamais depuis lors Je pouvais hurler: je hurlai. Tout
cessé de résonner à mon oreille. Il ce qu’il en résulta fu t le visage de
faudra, pour que sa leçon prenne ma mère penché sur moi, boule
fin, que je meure, si toutefois la versé.
N ostalgie 45
de plus en plus vague et déchirant se dérouler devant les yeux ouverts.
à mesure qu’il se mue en absence. Et c’est précisément là ce qui
Quel amour défunt n ’est pas une m ’advint à l’âge de cinq ans: je
image de l’enfance perdue? Quand m ’éveillai au fond du rêve par la
Rousseau vieillissant écrit ses grâce du virus de Salk. Immobilisé
Confessions, c’est avec son en dans mon lit, paralysé des pieds
fance qu’il nous touche. N ’est-ce jusqu’au cou, j ’ai vu se dérouler en
pas parce que l’écho quelle éveille pleine lumière devant moi et en
en nous, nous ne nous lassons pas moi la longue, l’interminable fa n
de l’entendre? tasmagorie de l’enfance.
De même qu’au fond de certains
songes nous ouvrons les yeux, à Je me suis levé de mon bureau et
travers je ne sais quelle porte j ’ai marché jusqu’à la fenêtre. Il
transparente, sur un envers inac est huit heures du matin. Derrière
cessible et sacré de nous-mêmes, la vitre, le vent hurlant emporte la
de la même façon notre enfance un neige en rafales. Il fa it moins
instant ressuscitée à l’âge adulte douze. De l’autre côté du vallon,
nous livre — trop tard — à l’émer cinq petites silhouettes noires pro
veillement d ’avoir été. La plupart gressent lentement à travers la
des hommes confondent cela avec tempête dans le jour naissant. Ce
le bonheur et soupirent sottement sont les enfants du hameau qui
qu’alors ils étaient heureux, comme vont à l’école, petits devant, grands
s ’ils pouvaient le savoir. L ’enfance derrière. Les mains aux poches, le
est un songe: tout ce que l’on peut cache-nez claquant horizontale
en dire n ’est que souvenir de réveil. ment comme un drapeau, la neige
Si le mécanisme du réveil efface jusqu’au ventre, un tourbillon plus
quelque chose d ’essentiel, nous épais les ensevelit parfois pendant
n ’en saurons jamais rien. A moins quelques secondes, mais je sais
qu’une péripétie particulière pro qu’ils ne ralentissent pas leur
voque l’éveil au fond même du marche. A huit heures trente, tous
songe, et que ce songe continue de seront là, ceux des hauts hameaux
J'a i traversé les yeu x ouverts, en pleine conscience,
le pays perdu des vertes années.
Ma douloureuse et prophétique enfance
Photo James Stamp.
Nostalgie
comme ceux du village, docilement les yeux de l’adolescence, elles
rangés devant la porte de l’école, auront été depuis longtemps vac
attendant qu’on leur ouvre. Quel cinées de leur étrangeté par le lan
ques-uns auront ramé près d ’une gage et toutes les idées implicites
heure dans l’épaisse couche blanche, que ce langage véhicule. Ainsi le
et parmi eux des bambins de six sommeil de l’enfance introduit-il
ans. Ils seraient bien étonnés d ’ap celui de l’âge mûr. Les «explica
prendre que ce qu’ils font est extra tions» apprises en dormant entre
ordinaire. Extraordinaire? Pour tiennent dans la conscience éveillée
quoi? Ne le font-ils pas matin, les mécanisme du sommeil. A l’âge
midi et soir, et pendant tout l’hiver? de mon fils, je savais bien, moi,
Mon fils fait partie de la petite que la neige n’était à personne, et
troupe. Quand, à midi et quart, il quelle est infime, la part des
rentrera pour déjeuner, les seuls choses dont on peut changer le
épisodes de la matinée dont il se cours. Allongé dans mon lit, ayant
souviendra concerneront la classe. retrouvé la sensibilité mais non le
— Et la neige? mouvement, j ’avais appris à en
— La neige? Ah, oui, il y avait de durer la mouche qui vient marcher
la neige. sur votre visage et qui revient aus
Mais comment aurait-on l’idée sitôt quand quelqu’un, appelé, la
d’en parler? Cela fa it partie du chasse. ■S ’il en était ainsi des
décor inanimé, c’est-à-dire, au mouches, que dire alors des étoiles
fond du songe, de ce qu’il y a de que je voyais, à travers ma fenêtre,
plus enfoui dans le sommeil ori lentement tourner au cours des
ginel. Derrière le père et la mère nuits, tandis qu’autour de moi,
tout-puissants et infaillibles, les tout, sauf moi, dormait? Seule ma
choses n ’ont pas encore révélé leur pensée n ’obéissait peut-être qu’à
présence propre, puisque toutes moi, sous la réserve cependant
elles obéissent à papa et maman, qu’il n ’était pas en mon pouvoir
y compris la neige, bien entendu. d ’en arrêter le cours. Cétait mon
Quand elles apparaîtront devant unique jouet, et le fa it que je n ’en
N ostalgie 49
là, toujours conscient que ce qu’il de fièvre. De temps à autre, elle
exprime n ’est qu’un aspect des pousse un bref et presque imper
choses et que le langage a été ceptible gémissement. Je ne l’en
donné aux hommes pour dissi tendrais pas si je n ’avais pas
muler leurs pensées, j ’ose dire l’oreille exercée du père de fa
qu’une certaine attention vigilante mille. Je sais pourquoi elle gémit:
à l’inexprimable, à l’invisible, à c’est que la fièvre excite en elle des
l’improbable et au non-humain ne phantasmes et quelle se retourne
cessera jamais de m ’habiter. Quand dans son berceau pour les chasser.
on a une fois éprouvé que la pre Mais pourquoi suis-je si attentif à
mière inclination des mots est d ’in ses plaintes? Chaque fois que l’une
venter des cohérences superficielles, d ’elles me parvient, il me semble
on ne cesse plus de se méfier des que je l’attendais, l’oreille tendue,
mots et des faciles évidences qu’ils depuis une seconde ou deux. In
servent à notre paresse. trigué, je laisse là une pointe Bic
Il est nuit, et tout le monde repose et dirige mon attention vers les
dans la grande maison. La chambre bruits du couloir. En vain. Je ne
où je veille en réfléchissant à tout remarque rien de particulier. Tout
cela est située entre la salle de est silencieux.
bains où dort le dernier-né, âgé de Et soudain je comprends: chaque
cinq mois, et un long couloir tor plainte de la petite fille est an
tueux au bout duquel un ménage noncée, une seconde ou deux
ami s ’est installé pour quelques avant, par un soupir du bébé qui
jours. Les bruits, pour arriver chez dort là, derrière la porte de la
le bébé endormi, passent par chez salle de bains. Je retiens mon
moi. Il ne peut rien entendre que je souffle. Vingt fois peut-être en une
n ’entende. Autour de la maison, demi-heure, l’incroyable synchro
c’est le grand silence de la neige nisme se déclenche. Un soupir der
et de la forêt. rière la porte et, une seconde ou
Nos amis ont une petite fille d ’un deux plus tard, le gémissement de
an qu’agite en ce moment un peu la fillette. Comment expliquer cela?
« Nous tombons tous de notre enfance.
Toi, tu t'es brisé en tom bant », m e disait Cocteau.
Ma douloureuse et prophétique enfance
G ise lla », p h o to d e G iu se p p e A lario .
Nostalgie 51
Entendrait-elle le bébé dans son moi qui ne pouvais que regarder!
sommeil? Je sors dans le couloir et M ais je n’ai jam ais soupçonné que
referme la porte. Impossible; même la possibilité de réaliser ce vœu
l’oreille collée à la cloison, je dorm ait au fo n d de mon cerveau.
n’entends rien. E t de cette cloison J ’écoute le bébé dorm ir et m ’ém er
jusqu’à la fillette, il y a un escalier, veille de savoir tout cela si simple,
quatorze m ètres de couloir et une quoique provisoirement hors de
lourde p o rte de chêne. Comment notre atteinte. Quand je l ’entends
un soupir de bébé pourrait-il a t soupirer, je lève le doigt, l’oreille
teindre son oreille à travers trois tendue vers le couloir. Et infailli
portes closes? blement, la plainte douce, natu
Pourtant le fa it est là: entre ces relle monte du fo n d de la maison
deux enfants qui dorment quelque silencieuse. Un jour, la science
chose de fantastique est en train de connaîtra et domestiquera cela.
se passer. Fantastique à notre La voie royale vers notre enfance
esprit d ’adulte, s ’entend — car eux ensevelie s ’ouvrira devant nous,
qui sont plongés dans le m ystère en libérant une surhumanité scellée
traversent la vague sans y prendre avant que d ’être découverte. Ne
garde. L e rêve fiévreux de la fil serait-ce point là, par hasard, ce
lette atteint et stimule, d ’une cer que voulait dire Jésus quand il exi
taine façon que rien dans notre geait que l ’homme nouveau devînt
actuelle connaissance de l ’univers «sem blable à ces p etits enfants»?
ne nous perm et d ’imaginer, le cer L ’enfant qui ne sait pas, et pour
veau endormi du bébé de cinq mois. cause, séparer le cœur de la raison,
E t ce sont nos enfants. Et nous- ne serait-il pas, pa r hasard, la p ré
mêm esfûm es ce qu’ils sont. J ’avais figuration de l’homme futur? E t le
cinq ans lorsque la conscience d ’être prochain seuil de la pensée, après
s ’éveilla en moi, et déjà tout cela le règne de la raison seule dont
était loin: de quel désir forcené j ’ai nous voyons maintenant le triom
parfois souhaité sentir pa r le corps phe, ne serait-il pas l ’intégration
des autres, jouer, remuer par lui, de la morale dans la science?
Nostalgie 53
L ’adulte ne cesse de se dem an d er s’il n’est pas te rrestre co m m en cen t de refuser de devenir des
dupe. D oit-il croire à cet am our qu’on lui m ontre? hom m es...
É ternelle sophistication, thèm e toujours renou M ais ai-je besoin de conclure? La fusée S aturne
velé de la littératu re universelle, objet m êm e de tém oigne à sa façon qu’un homme néoténique est
l’ultim e inquiétude sur le lit de m ort. La confiance en train de germ er parm i nous au sein de la
spontanée de l’enfant, sa certitude d’ê tre aim é, sélection la plus avancée de l’hum anité. « Si vous
c’est là notre paradis perdu. ne devenez sem blables à ces enfants, vous
Ah, D ieu! s’il était vrai que no tre enfance fût une n ’obtiendrez jamais le royaume des deux. » Voilà
prom esse, s’il é tait sûr que nous som m es ju sq u ’à un m ot que von B raun a p arfaitem en t com pris,
cinq ou six ans ce que nous serons dans quelques semble-t-il.
siècles ou quelques m illénaires, n’aurions-nous
pas là de quoi justifier tou tes les m arches dans L'enfance n'est pas un paradis
la tem pête? M ais p eu t-être notre lucidité d ’adulte
est-elle le prix q u ’il faut payer dans le grand froid perdu, mais à chercher
de la raison, notre seul guide.
Q ue, d’ailleurs, il existe chez l’enfant une ard eu r
à franchir to u te borne établie, qui le niera? Ce
que nous avons oublié, nous, les adultes, c ’est
T outes les grandes actions des hom m es ont ju sq u ’où p eu t aller cette ardeur, en nous plus ou
d’ab o rd été des rêves d ’enfant. Voyez la conquête m oins étein te. L’histoire nous rap p o rte des cas
de l’espace. Elle est condam née p ar les sages. de m ouvem ents collectifs d ’enfants d o n t il faut
Les prix N obel am éricains ont adressé au p ré reg retter que le m ystère n’ait pas été mieux
sident Johnson un appel affirm ant q u ’elle ne étudié. P ar exem ple, les deux croisades d ’enfants
présente q u ’un in térêt scientifique m ineur. Les au d éb u t du treizièm e siècle. En 1212, un jeu n e
économ istes la ju g e n t ruineuse. L a plu p art des b erger du nom d’É tienne se m et à p rêc h er la
astronom es (point tous, il est vrai) affirm ent que croisade. En quelques mois, il rallie environ
l’on ne tro u v era rien d ’intéressant dans le système tren te mille enfants qui d escen d en t à trav ers la
solaire et que le voyage ju sq u ’aux étoiles est F ra n ce ju sq u ’à M arseille où des arm ateu rs leur
impossible. A lors? A lors, il y a cette fureur p ro p o sen t de les tran sp o rter g ratu item en t en
secrète d ’y aller quand m êm e qui anim e des T erre sainte. Les trente mille enfants em barquent.
centaines de milliers d ’hom m es, en A m érique et Les arm ateu rs alors trav ersen t sim plem ent la
en Russie, parce q u ’ils lurent un jo u r De la Terre M éd iterran ée p o u r les vendre aux m archands
à la Lune. On aura com pris la fusée S aturne V d ’esclaves arabes. L a p lu p art périrent. Q uelques-
(108 m ètres de haut, poussée du p rem ier étage uns seulem ent ren trero n t longtem ps après. Mais
3 400 tonnes, quelques centaines de milliards au même moment où E tien n e rassem ble ses tren te
de francs), et l’on cessera, com m e le faisait mille com pagnons en F ran ce, un au tre enfant du
naguère encore G iono à la télévision, d ’en appeler nom de N icolas prêch e égalem ent la croisade en
au bon sens de ses prom oteurs, quand il sera A llem agne. Ils sont b ien tô t vingt mille de l’autre
adm is p a r tous q u ’elle n’est rien d’au tre q u ’un côté du Rhin, qui eux aussi descen d en t vers le
gigantesque joujou, et qu’on ne fait to u t cela que sud, franchissent les A lpes, trav ersen t l’Italie
p arce que c’est prodigieusem ent am usant. ju sq u ’à G ênes où ils ch erch en t à s’em barquer.
— M ais est-il raisonnable que la fine fleur des Plus heureux que leurs petits cam arades français,
techniciens de l’hum anité passent leur vie à ils n’y réussissent pas et se dispersent.
s’am user, p lutôt q u ’à faire œ uvre utile? Q ue se passa-t-il en cette année 1212 dans la
— L ’hom m e n’est peut-être apparu que p a r le cervelle des enfants? C om m ent expliquer ces
refus du bébé-singe de devenir adulte. Si donc les cin quante mille bam bins ro m p an t soudain irré
esprits qui sont le fer de lance de la pensée sistiblem ent leurs attach es et d escen d an t com m e
Nostalgie 55
un to rre n t vers la m er? E t pense-t-on à la persé N icky L o u w eren s, assistan te à l’un iv ersité
vérance, à la somm e d ’héroïsm e, de sang et de d ’U trech t, Van Bussbach, in sp ecteu r hollandais
larm es que co û tèren t ces équipées? Sur les autres de l’E nseignem ent, m etten t au po in t une b atterie
croisades, les historiens p eu v en t gloser: il y a les de tests p o u r d éceler d’éventuelles com m uni
intérêts économ iques, les raisons politiques, etc. cations télép ath iq u es de m aître à élèves dans les
M ais des enfants? écoles prim aires des Pays-Bas: ils font plus de
tren te mille expériences qui co n clu en t à la
constance de ces com m unications. Ces expé
riences sont reprises aux États-U nis, en A ustralie
N ous écoutons leu r bavardage d’une oreille dis et dans d ’au tres pays avec des résultats iden
traite, nous leur faisons parfois l’hon n eu r de p ar tiques: une part impossible à évaluer de l'ensei
tag er leurs jeux, nous les prom enons le dim anche, gnement dispensé dans les écoles emprunte les voies
nous leur donnons des fessées, et c ’est ainsi paranormales du transfert télépathique.
depuis toujours. Les m ots enfantin, puéril, infantile E t ce n’est là q u ’un fait en tre cent autres. Je
o n t dans to u tes les langues u n e résonance péjo connais plusieurs personnes qui ont eu p en d an t
rative. Ils sous-entendent l’inachèvem ent: l’enfant to u te leu r enfance le don de visualisation inté
n’est q u ’un hom m e incom plet, un hom m e sans rieure absolue. C ertains o nt pu le g ard er to u te
sérieux, sans volonté ni raison. N ous ne pensons leur vie. C ’é tait le cas du calcu lateu r prodige
jam ais que, ces qualités é ta n t celles que l’on L idoreau (et p ro b ab lem en t le secret de son don).
atten d d ’un adulte, la co n statatio n de leur C ’est le cas de m on am i G ervais B lanc, qui passa
absence chez l’enfant ne fait que traduire l’impuis son enfance à visiter des paysages im aginaires
sance de l’esprit à sortir de lui-m êm e et à juger d ont tous les détails lui étaien t aussi clairem ent
de rien autrem en t que p a r rap p o rt à soi. C ertes, visibles que s’il s’y était réellem en t prom ené.
il est vrai que l’oiseau n’a pas de bras: mais c ’est Ces paysages pouvaient s’éten d re indéfinim ent,
q u ’il a des ailes. E t que la m arche n’est pas son m ais restaien t indélébiles. Ils co m p o rtaien t des
fort. M ais il vole. Si nous consentons à nous personnages aussi nom breux que dans la vie
a tta rd e r un instant à ce que l’enfant a et que nous réelle, avec leurs attitudes, leurs gestes, leurs
n’avons plus, p lutôt que de ne voir toujours en com p o rtem en ts particuliers. Le p etit G ervais
lui que ce q u ’il n’a pas encore, eh bien! je crois pouvait passer une après-m idi à exam iner le cos
que nous som m es obligés d’ad m ettre que ce petit tum e d ’un seul de ces personnages, ou-le feuillage
être qui nous tient, nous, les adultes, pour des d’un arbre. Q uoiqu’il m aîtrisât g én éralem en t to u t
dieux, représente ce que la T erre a fait de plus cela com m e s’il se fût agi d ’un jo u et, il lui arriva
h au t et de plus précieux dans l’ordre de l’esprit. cep en d an t u ne fois, p en d an t la fièvre d ’une
N ous som m es les adultes du X X ' siècle. M ais m aladie, d ’assister à l’hallucinante révolte de son
l’enfant du x x' siècle est déjà l’enfant de l’an 3000. univers im aginaire. É pilogue: G ervais B lanc est
L’ethnologue V ellard recueille dans la forêt am a m ain ten an t ingénieur photographe, et ses inven
zonienne une petite Indienne abandonnée, enfant tions sont en train de tran sfo rm er l’industrie de
d ’une tribu de culture paléolithique. E m m enée la ca rte postale.
en E urope, la fillette préhistorique fait de bril C iterai-je d ’au tres exem ples? Ils rem pliraient un
lantes études et devient à son to u r ethnologue. livre. Un de m es amis, m usicien célèbre, am ène
L’en fant à qui vous tirez les oreilles se trouverait un jo u r ses enfants visiter le palais de Versailles.
sur-le-cham p de plain-pied avec l’hom m e de Le plus je u n e, un bam bin de q u atre ans, déclare
l’espace, votre arrière-petit-neveu, qui vous soudain très calm em ent:
tiendrait, vous, pour un irrécupérable sauvage. — J ’étais là avant, quand j ’étais grand.
Il n’est d’ailleurs que d’être un peu a tte n tif à ce E t le voilà qui com m ence à guider sa famille
qui s’agite dans l’âm e de l’enfant pour y voir le m édusée: on m onte p ar ici, on to u rn e p a r là,
prodige quotidien à la rech erch e de lui-m êm e. là-bas, derrière, il y a ceci et cela, etc. T out
60 L'espionnage industriel
jugé nécessaire d ’y inclure un certain nom bre de La m iniaturisation p erm et de véritables exploits:
références à l’espionnage industriel — com m e si il p araît que des m icro p h o n es-ém etteu rs auraient
désorm ais on ne pouvait plus im aginer un espion été placés dans des olives lors d ’un cocktail. En
se désintéressant de ce dom aine possible d ’acti F rance, assez récem m ent, d ’honorables ingénieurs
vité. On apprend a in si5 que les agents soviétiques et hom m es d ’affaires japonais, à qui l’on faisait
au C anada rec h erch aien t des renseignem ents sur visiter une usine de m atériel électronique ultra-
les appareils ultrasoniques à couper, sur l’exploi m oderne, o nt été surpris en train de p ren d re
tation des dépôts de to u rb e souterrains et sur la des m icrophotographies de plans q u ’on leur
fabrication continue de la m argarine aux établis m ontrait.
sem ents Lever. Le reco rd d ’astuce ap p artien t n atu rellem en t aux
É tats-U nis: une firme am éricaine d ’électronique,
Un peu plus lo in 6, on voit Penkovsky lui-m êm e, m algré de m ultiples p récau tio n s, voyait ses
à Londres, s’o ccu p er d ’acq u érir des inform ations secrets filer chez un co n cu rren t. L ’en q u ête pié
sur les instrum ents électroniques de m esure et tinait, ju sq u ’à ce que, com m e dans un rom an
de contrôle. E n fin 7, on révèle que les agents policier, l’affaire fut éclaircie p ar un d étective
soviétiques aux É tats-U nis ont rech erch é des privé: des agents du co n c u rre n t avaient branché
inform ations sur la fabrication p ar la société une d érivation sur la m achine à écrire électrique
am éricaine K atsell & C° de fourrures artificielles du p résid en t-d irecteu r général. A quelques cen
avec doublure en tissu: l’astuce du procédé taines de m ètres de là, dans un b ureau ap p a
consiste dans l’em ploi d ’une colle spéciale. rem m ent vide, lettres et rap p o rts confidentiels
On se souvient aussi de l’affaire Pavlov: nom m é étaien t enregistrés sur bande p erforée. Ces
en 1963 directeu r de la com pagnie soviétique b andes com m andaient ensuite une m achine à
A eroflot. Serguei Pavlov fut vite soupçonné d ’es écrire identique à la prem ière.
pionnage p ar les services secrets français. Et c’est T oujours en A m érique, on m ’a cité une tentative
p arce q u ’il avait inclus l’espionnage industriel de p ren d re des photos à l’in térieu r d ’un bureau
dans ses activités que Pavlov put être dém asqué. p a r une fenêtre, du h au t d ’un hélico p tère — ce qui
En effet, il s’intéressait de très près au suppose un éq u ip em en t p h o tographique vraim ent
« C oncorde » et on acquit un jo u r la preuve q u ’il rem arquable et des dons de « rep o rter» non
avait ten té de se faire com m uniquer les plans du m oins considérables.
train d ’atterrissage du supersonique franco- H élico p tère encore, dans cette histoire survenue
anglais. Ce qui perm it au gouvernem ent français à la G en eral M otors: le jo u r m êm e où le grand
de l’expulser im m édiatem ent. p atro n de Pontiac, l’une des firm es du groupe,
E lliott Estes, visitait un cen tre tech n iq u e ja lo u
Comment les choses se passent sem ent gardé, un h élico p tère espion s’appro ch a
de si près de l’usine que l’on p ut distinguer les
C om m ent les choses se passent-elles? Le moins p erch es so u ten an t les cam éras télescopiques. Les
sim plem ent du m onde... On peut classer les nouveaux m odèles étaie n t rangés à l’air libre. On
m oyens em ployés en q uatre grandes catégories: y je ta rap id em en t des bâches. M ais le mal était
l’espionnage classique avec ses « tru cs » te c h fait...; il est à peu près certain que c ’était au
niques, la trahison (spontanée ou provoquée), profit d ’un co n cu rren t am éricain.
l’ac h at d ’inform ations à des « agences» et enfin... L’in térêt de ce genre d ’o pérations est g én éra
les revues spécialisées! lem ent tactiq u e: la firme qui espionne veut
La panoplie de l’espion industriel est le plus parfois s’ap p ro p rier un secret technique, mais,
souvent assez ahurissante d ’ingéniosité. Il serait plus souvent, le fait diffuser p a r tel ou tel journal.
p ratiq u em ent impossible de citer tous les m oyens Le résultat est im m édiat: en atten d a n t la sortie
em ployés. du nouveau m odèle, désorm ais connu, et avant
5. Page 101. - 6. Page 115. - 7. Page 116. que sa fabrication en série soit com plètem ent
62 L'espionnage industriel
M. X... ne dit pas conseil en quoi. Si vous font que même les secrets les plus précieux et
dem andez des renseignements sur son activité, la les plus rares doivent bien être imprimés et
secrétaire vous dit que cela ne vous regarde pas; publiés. Mais, même à tirage limité et à diffusion
si vous insistez, elle appelle la police. Si vous confidentielle, une revue n’en reste pas moins une
avez la recom m andation idoine, vous pouvez voir revue: elle circule! Les services occidentaux de
M. Y... (M. X... n’existe que sur la plaque en contre-espionnage estiment officiellement que
cuivre). 90 % des informations considérées comme espion
Vous pouvez alors lui d em and e r les plans d ’un nage industriel sont tirés de revues, de dépliants
avion, des échantillons d ’un catalyseur, le texte ou de notices.
d ’une dem ande de brevet déposée en secret, le La chose n’a pas échappé aux Russes: ils
plan d’une campagne de publicité... Ne demandez prennent des abonnem ents massifs à toutes les
pas de choses trop faciles; M. Y... haussera les revues techniques du m onde entier, q u ’ils
épaules et dira: « C h e r Monsieur, ces plans ont dépouillent ensuite systématiquement. Les A m é
paru dans telle revue, tel numéro, telle page. ricains, en guise de riposte, en sont arrivés à
Achetez-en un exemplaire. » refuser de prendre des abonnem ents dem andés
Ne demandez pas non plus les plans d’une usine: par les Russes pour certaines revues. Précaution
M. Y... ne s’occupe que de renseignements te ch illusoire: car rien n’em pêche de prendre cet
niques et ne tient absolument pas à être mêlé à abonnem ent au nom d ’un Français, d ’un Alle
des affaires d ’espionnage ou de sabotage mand ou de tout autre. Les Russes, d ’autre part,
Au dem eurant, c’est le plus honnête hom m e de la sont souvent des participants scrupuleux et
terre. Il traitera avec vous en exclusivité totale studieux aux congrès internationaux: à un récent
et vous fournira les renseignements sous une congrès américain, deux des techniciens sovié
forme qui ne risque pas de vous causer d ’ennuis. tiques présents auraient, paraît-il, emporté quelque
Vous recevrez, par exemple, un dossier complet 120 kilos de documents!
sur: « La voiture paraissant la mieux adaptée au On peut d ’ailleurs rendre aux Russes la monnaie
marché Scandinave.» Est-ce la faute de M. Y... de la pièce: eux, qui sont méfiants et qui, sous
si cette voiture est identique en tous points à celle Staline, K hrouchtchev et autres Brejnev, ont
que votre concurrent com pte sortir en 1967? Les toujours plus ou moins fait de l’« espionnite »
services de M. Y... vous co ûteront cher: 20% aiguë, publient abondam m ent. Il suffit de lire leur
environ de ce que l’étude originale a coûté à presse spécialisée pour y trouver des rensei
votre concurrent. gnem ents que l’on paierait des centaines de
C om m ent fonctionne M. Y...? Com me tout sys milliers de dollars par ailleurs.
tème de renseignements, avec des agents, des Un seul exemple: un laboratoire am éricain avait
réseaux et un bon service de docum entation mis au point la fabrication du diamant artificiel
générale. Son information est toujours authen et dem andait 50 millions de dollars pour le
tique et souvent accom pagnée de suggestions s e c r e t 10. C ’est alors que les Russes, sachant que
pour l’amélioration du procédé q u ’il vous l’espionnage industriel faisait rage autour de
transmet. Il existe des agences de ce genre un l’affaire, en vain d ’ailleurs, révélèrent dans une
peu partout: Lausanne, Paris, Allemagne de b r o c h u r e 11 leur propre procédé mis au point
l’Ouest. 8. O n tro u v e ra la d e scrip tio n d e ces p ra tiq u e s d a n s le c h a p itre « Le
m arc h é d ’e scla v e s» d e l’ou v rag e d u p ro fe sse u r L e p rin c e -R in g u e t, Des
atomes et des hommes.
L'art de lire les revues techniques 9. J e p a rle ra i du sa b o ta g e in d u striel u n e a u tre fois.
10. C elu i-c i co n siste à tra v a iller d an s u n e c h a m b re à ré a c tio n en
b éryllium . C e m éta l, trè s d u r, est tra n s p a re n t aux ray o n s X et
Il semble étonnant à première vue que des revues p e rm e t d o n c d e su iv re e t d e rég le r l’o p é ra tio n , qui n é c essite d e h a u te s
puissent servir à l’espionnage industriel. Et te m p é ra tu re s e t d e h a u te s p ressio n s, en v é rifian t l’é ta t m o lé c u la ire du
n ick el em p lo y é c o m m e cata ly se u r.
pourtant rien de plus vrai. Les nécessités de 11. N ’im p o rte qui en F ra n c e a pu la lire : elle é ta it en v e n te au prix
l’information et du «recyclage» des techniciens d e 20 ce n tim e s!
64 L'espionnage industriel
d’un e m achine en usage dans un autre tru st ou et la co n v ertit en un m élange de lettres brouillées
dans un autre institut, a p réte n d u ensuite l’avoir qui ne p eu v en t ensuite être rem ises en p lace que
inventé de façon indépendante. On dit fré p ar un second dispositif D atag u ard . Les signaux
quem m ent q u ’il ne faut pas esp érer vendre plus de D atag u ard p eu v en t passer p a r n’im porte quel
d ’un m odèle ou plus d ’une installation indus circu it: télex, téléty p e ou m achine à écrire élec
trielle en U .R.S.S. à cause de ce copiage constant trique. L’appareil est peu en co m b ran t. Il a
entre instituts, bien que ces pratiques y soient 500 000 variations qui ne p eu v en t être décodées
lourdem ent sanctionnées. que si on possède un au tre D atag u ard ou une
m achine à calcu ler électro n iq u e très com plexe.
Le contre-espionnage industriel est né Le D atag u ard n ’est pas vendu, m ais loué à 165
dollars p ar mois. On considère que cet appareil
A nouvel espionnage, nouveau contre-espionnage. est la réponse à l’espionnage industriel. »
On imagine bien, en effet, que les ripostes n’o n t U ne des réponses, ajouterons-nous. L’espionnage
pas tardé à cette offensive de l’espionnage indus industriel se renouvelle tous les jours. M ais, en
triel. Q uelles peuvent-elles être? E ssentiellem ent to u t cas, le « tru c » de la m achine à écrire est
de deux ordres: techniques et policières. m ain ten an t brûlé et q u iconque le rép é tera ne
Aux hélicoptères et aux téléobjectifs indiscrets tro u v era sur sa m achine-pirate q u ’un m essage
rép o n d ent les rideaux m étalliques qui s’abaissent D atag u ard to ta le m en t incom préhensible.
autom atiquem ent. A ux m icrophones-ém etteurs
m iniaturisés s’o pposent les dispositifs « A ntibug», M ais il n’y a pas que des «gadgets» techniques;
mis au point p ar la D ec tro n Industries C° en F ran ce, notam m en t, on utilise un ensem ble de
(Californie). précau tio n s pratiq u es — qui valent d ’ailleurs ce
A u fait q u ’il est pratiq u em en t im possible de q u ’elles valent! Un savant ém inent qui visitait les
rech erch er et de d éc eler la p résence de ces usines M ichelin fut d éco n certé de voir les th e r
micros, il apparaît plus simple d ’en brouiller les m om ètres m arqués en degrés M ichelin. L a cor
émissions et de rendre ces dern ières incom pré respondance en tre les degrés M ichelin et les
hensibles. C’est pourquoi la D ec tro n Industries a degrés centigrades est un secret soigneusem ent
réalisé des appareils portatifs, m iniatures et gardé de la m aison et doit (th éo riq u em en t) g êner
autonom es, du type « M ark ». Il suffit de m ettre le travail des espions industriels. O n utilise aussi
en service cet appareil lors de chaque entretien un codage de plans, ce qui fait que ce n’est pas
confidentiel p o u r être assuré du secret de ce la pièce m arquée n° 1 qui va avec la pièce n° 2,
dernier, et il n’en coûte que 200 dollars, hors mais, p ar exem ple, avec la pièce n° 107, et ainsi
taxes, pour le m odèle « M ark II ». de suite.
Aux visiteurs étrangers, co urtoisem ent reçus,
mais suspects de nature, sont réservés des dispo Portrait du contre-espion industriel
sitifs qui arrosent de rayons X to u te personne ne
faisant pas partie de la m aison. Les rayons D ’autre part, de m êm e q u ’il y a des agences
voilent les pellicules des cam éras photographiques d ’espionnage industriel, il y a m ain ten an t aussi
m iniatures qui p o u rraien t être transportées. Ils des agences de contre-espionnage industriel.
tuent égalem ent les globules rouges des visiteurs... L’une des plus célèbres est dirigée en G rande-
Aux astucieuses dérivations électriques, la défense B retagne p ar M r. Tim M attew s. Elle s’ap
n’a pas été longue à être trouvée. Je cite m ot à pelle M an ag em en t Investigation Services Ltd.
m ot l’hebdom adaire am éricain «N ew sw eek», M r. M attew s donne égalem ent des conférences
de novem bre (page 68): « L a société D ata sur la défense co n tre l’espionnage industriel.
C om m unications, Inc., de M oorestow n, N.J., T ren te-cin q à q u aran te d irecteu rs ou présidents-
vient de m ettre en vente, sous la m arque Data- d irecteu rs généraux de l’industrie anglaise p arti
guard, un dispositif qui em brouille l’inform ation cipent à chacune de ces conférences. M r. M attew s
66 L'espionnage industriel
Sur le plan national, en ce qui co ncerne les inci
dences de l’espionnage industriel sur la vie d ’un
pays et de ses habitants, regardons ce qui se passe Ce que coûte la panoplie
en France. d'un espion industriel
Il suffit de lire la presse quotidienne pour voir des
incidents se rap p o rtan t au contrôle de tel groupe Il est p eu t-être bon de citer le prix de
de m achines à calculer, de telle industrie tradi divers «joujoux» d ’un espion industriel.
tionnelle. Au niveau gouvernem ental français, Les chiffres sont donnés par la plus récente
les déclarations sur l’ingérence économ ique édition de l’ouvrage « T he N aked Society »,
étrangère et la nécessité d ’em p êch er l’im plan de V ance P ack ard . Ce sont des prix am é
tation de capitaux extérieurs sont fréquentes. ricains trad u its en francs 1966: les prix
M ais il faut bien se dire que tous ces évé français, anglais ou allem ands ne doivent
nem ents 13 sont précédés et suivis d ’espionnage pas être très différents:
industriel sur une large échelle. C ’est parce que • B retelle (reliant un télép h o n e à un
l’on sait q u ’une société X... a un produit très enregistreur m agnétique): 20 F.
supérieur à la concu rren ce que les banques se • D ispositif avec en reg istreu r: 125 F.
d éto u rn en t de son co n cu rren t Y... C ’est parce • É m etteu r tran sm ettan t p ar radio des
que l’on sait q u ’Y... est à rep ren d re q u ’une com m unications téléphoniques captées:
bataille com m ence à se livrer. 1 000 F.
Q ue dire de to u t cela, quelle conclusion, quelle • C am éra dissim ulée tran sm ettan t des
leçon tire r de ces pratiques? Je ne sais trop. Il im ages: 1 100 F.
est sûr que l’espionnage industriel à l’in térieur • É m etteu r m iniature pouvant être dissi
des États-U nis ou du M arché com m un ou de telle mulé sur soi: 750 à 1 100 F.
grande unité économ ique ou politique co n tre • D ispositif autom atique d éclen ch an t un
balance fâcheusem ent les proclam ations de m agnétophone lorsqu’on com m ence à
co opération ou d ’alliance. Il ne p eu t que contri p arler sur une ligne téléphonique et
b u er à accroître les frictions entre pays, ou leurs l’a rrêta n t q u and c’est term iné : 500 F.
m alaises intérieurs. P eut-être est-ce là une des • On p eu t disposer d ’une cam éra p h o to
rançons de la m étam orphose actuelle des sociétés graphique dans un b riq u et pour 2 000 F.
hum aines: notre m onde est en pleine croissance C ’est p eu t-être le jo u jo u le plus cher.
et, avec lui, sa zone d ’om bre. • Le film de 1 mm est ch er égalem ent et
JACQUES BERGIER. tout le m onde n ’est pas en m esure de le
développer.
F inalem ent p o u r 5 à 10 000 F, on devrait
pouvoir posséder une panoplie assez com
p lète d ’espion industriel. É videm m ent il
ne faut pas com p ren d re dans ces prix des
appareils réellem ent com pliqués et faits
sur m esure, tels que l’ém etteu r en form e
d ’olive et m unie d ’un cu re-d en t qui est en
réalité une antenne.
Q u an t au d étec teu r d ’appareils électro
niques de surveillance c ’est-à-dire la
panoplie d’un anti-espion industriel, le
moins ch er co û te: 1 500 F.
13. D ésignés suivant les cas co m m e « c o n c e n tr a tio n » , « r e p r is e en
m ain », « liq u idation d ’u ne e n tre p rise fam iliale fra n ç a ise au profit
d ’un tru s t é tra n g e r ». ,
Un voyage
dans
le monde perdu.
Il y a 300 millions d ’années,
les reptiles, encore munis de nageoires
sont sortis des océans.
Pélycosaure ou reptile à crête.
Depuis 150 ans seulement l’humanité
a découvert ces seigneurs colossaux
qui régnèrent sur la terre 100 millions
d’années et disparurent mystérieusement.
Henri Prat, professeur à la faculté des Sciences de Marseille Photos Dorka
M y s tè re s du m o n d e a n im a l 75
Celui-cifu t le dernier roi de la jungle
avant l’apparition des mammifères.
Tyrannosaure dévorant une proie : hauteur 5 mètres;
longueur 14 mètres, poids 10 tonnes.
Ce cuirassé pesait 10 tonnes
et était végétarien.
Stégosaure protégé
par des plaques dorsales.
I:• I;•
En Provence : des millions d'œufs de dinosaures
C ’est grâce à l’anticonform ism e du professeur des terrain s du C ré ta cé supérieur, époque g éolo
Raym ond Dughi, conservateur du m usée d ’Histoire gique m arquant la fin de l’ère secondaire, rép o n
n aturelle d ’A ix-en-Provence, que le m ystère de dan t à d ’anciennes berges au pied de la m ontagne
l’extinction des dinosaures a été éclairci. Ne s’em Sainte-V ictoire qui se dresse au nord du bassin
b arrassant pas de la d o ctrin e classique selon d ’Aix depuis le plissem ent jurassique. Au troisièm e
laquelle les restes de reptiles fossiles ne se tro u v en t coup de pioche, le prem ier œ u f é ta it dégagé.
que dans les grès, il ad o p tait une hypothèse de Les rech erch es visaient à e n richir deux lots de
travail personnelle et déco u v rait en 1950 un fragm ents de coquilles a p p arten a n t au m usée
gisem ent d ’œ ufs de dinosaures unique au m onde. d ’H istoire naturelle d ’Aix. A u jo u rd ’hui, ce m usée
D e l’avis des paléontologistes qui ont visité le site p eu t s’enorgueillir de la plus belle collection
de R oques-H autes, dans le bassin d ’Aix, les œ ufs d’œ ufs de dinosaures existant au m onde. Le p ro
de dinosaures sont enfouis p a r m illions dans la fesseur R aym ond D ughi a distingué dix espèces
m asse des sédim ents. Bien que ces œ ufs soient certain es et ces espèces p ré sen te n t entre elles de
a u jo u rd ’hui m ieux connus que les bêtes qui les telles discontinuités q u ’il soupçonne, sur des
p ondaient, ils ont fourni les prem ières données indices plus restreints, l’existence d ’au m oins cinq
I positives sur l’hécato m b e de dinosaures, à autres espèces. C om m ent, après un règne étendu
l’extrêm e fin de l’ère secondaire. sur plus de cent m illions d ’années, à p a rtir du
M ésotrias, les dinosaures ont-ils pu disparaître
b rutalem ent, « com m e coupés au c o u te au » pour
rep ren d re l’expression de R ichard S. Lull?
T outes les hypothèses émises sur les facteurs im m é
diats de la disparition des dinosaures en traîn en t
l’idée d ’un effacem ent progressif. O r c ’est p ré ci
sém ent le c o n tra ire qui a été constaté dans le
bassin d ’A ix: la quantité des œ ufs fossiles va
augm entant ju sq u ’au som m ent du C ré ta cé pour
Les prem iers fragm ents de coquilles ont été
s’a rrê te r net, sans aucune transition. M ais com m e
trouvés en 1869 p a r le géologue Philippe M atheron
c ette q uantité va en augm entant, les coquilles
dans les grès de R ognac, en basse Provence.
p ré sen te n t des anom alies fréquentes.
P endant près d ’un siècle, c ette d éco u v erte servira
Ces anom alies sont constituées par des strates qui
de base à la doctrine classique. Il s’agissait pourtant
d ’un véritable défi à la logique, et le professeur p rouvent une in terruption de la sécrétion du ran t
D ughi s’a tta ch a à le dém o n trer. l’é laboration de la coquille. Ces in terru p tio n s sont jj
L ’œ u f des reptiles et des oiseaux se distingue des brèves, m ais la plupart des coquilles sont stratifiées
œ ufs des poissons et des batracien s p a r des annexes deux ou trois fois, certain es six et sept fois. Il
e m bryonnaires nouvelles: le chorion, l’am nios sem ble donc que l’explication la plus plausible
empli d ’un liquide dans lequel l’em bryon flotte, et repose sur des oscillations therm iques aggravées
l’allantoïde qui jo u e le rôle d ’un organe respi par un refroidissem ent lent du clim at. Les pointes
ratoire et d ’un organe d ’excrétion. Ainsi, l’œ u f des de froid suspendaient b ru talem en t le m étabolism e
reptiles est un organe aérien et terre stre, l’organe des m onstres. L’alerte passée, les dinosaures
m êm e de la c o n q u ête et de l’invasion des co n rep ren aien t leur processus biochim ique et p o u r
tinents. En vertu de la loi de l’irréversibilité de suivaient l’élaboration de la coquille. Parce que
D ollo, les dinosaures, com m e nos reptiles actuels le progrès organique d ’un groupe est lié à la p ro
ou nos to rtu e s de m er, é taien t obligés de pondre tectio n des germ es, le professeur D ughi est p e r
à l’air libre, sur les berges, et non dans la vase sonnellem ent convaincu q u ’une ou plusieurs pointes
ou dans les sables entraînés p a r les courants. de froid plus rigoureux ont am ené dans un tem ps
géologiquem ent très b re f l’extinction des dino
Les sables sont à l’origine des grès. Les lim ons
saures. Les conditions exceptionnelles du gisem ent
qui recouvraient les berges au m om ent des crues
d ’Aix p e rm e ttro n t, grâce à la sédim entologie et à
sont a u jo u rd ’hui transform és en m arnes. D onc le
professeur D ughi re ch e rch a les fossiles dans les la p a lé o tem p éra tu re , de p réciser cette thèse.
m arnes. M ais p our situ er les lieux de ponte avec
plus de précision, il devait en co re re p é re r les
ad rets les plus favorables p our l’incubation des
œufs par la chaleur solaire — les reptiles ne.: couvent
rorraaa»EÜ*92a«:î3îîîtîm«ft««a«l«B«imHHiBBI8«M08SHÏiRSS35EraaHïïHSIÎKa«flS{l5U.iU.H
M y s tè re s du m o n d e a n im a l 79
humide, étaient favorables à l’établissement des
animaux. Les forêts préfiguraient la future jungle
tropicale avec les lépidodendrons et les sigillaires
de 20 mètres de haut, largement ramifiés ou cou
ronnés de feuilles étroites et longues. Au pied
de ces arbres croissaient mousses, hépatiques et
lycopes, ainsi que certaines fougères qui s’enro u
laient, à la recherche du soleil, autour des troncs.
Bientôt, en quelques centaines de milliers
d ’années, les nageoires de l’E ustenopteron se
transform eront en membres terminés par des
doigts palmés. Les amphibiens ne retourneront
dans l’eau que p our y pondre leurs œufs.
Cent millions d ’années s’écoulent encore, pendant
lesquelles ils se développent parmi les fougères.
La progéniture de l’Eustenopteron s’est divisée
en espèces qui ont pour nom lézards, sala
mandres, crocodiles et qui devront subir un
im portant changem ent de climat.
L’air chaud et humide s’asséche considéra
blement, les continents sont envahis par le sable
et les amphibiens doivent se réfugier dans les
marécages et les oasis qui subsistent. Les moins
étroitement spécialisés de ces animaux se
recouvrent d ’un épiderme corné pour protéger
leur corps de l’évaporation et s’adaptent à la vie
en terrain sec. Ils cessent de déposer leurs œufs
dans l’eau et pondent des coquilles dures emplies
d ’un liquide amniotique où baigne l’embryon.
Ainsi naissent les reptiles du Permien, dernière
époque de l’ère paléozoïque ou primaire, il y a
215 millions d ’années.
La plupart des reptiles de l’époque permienne ont
la taille de nos chiens. Certains cependant
sont énorm es et gauches, avec une ossature très
forte des membres et de la queue. D ’autres sont
minces et rapides. Tous doivent vivre en com pé
tition avec les amphibiens — dont l’Éryols, qui est
l’ancêtre du crocodile et mesure moins de deux
mètres. Leur paradis est le sud-est de l’Amérique
du Nord. Depuis la plaine du Texas jusqu’au
golfe du Mexique, la région est baignée par
des deltas humides et boisés. Les périodes sèches
et humides alternent, l’activité volcanique est
intense et la mer mord sur les continents,
influençant profondém ent l’évolution des orga
nismes vivants.
Ce géant des géants pesait autant
que dix éléphants et
vivait dans les marécages.
Sauropode broutant dans l’eau.
■ j m m .
C ertains crocodiles, com m e, p ar exem ple, le proie facile p o u r les D im etrodons. Pour toujours,
M ystriosuchus, long de six m ètres, retransfor le problèm e est de m anger sans être dévoré.
m ent leurs m em bres en nageoires. L’Edapho- En q u ête de nourriture ou de lieux plus clém ents,
saurus, qui est apparu très tôt, est le m aître les dinosaures passent d ’un co n tin en t à l’autre.
resp ecté des lieux. C ’est un anim al étrange qui On peut suivre leur trace d ’Asie ou d ’A frique
vit au bord des grands m arécages. U ne crête ju sq u ’en A m érique. Ils sont couverts de parasites
énorm e, hérissée de pointes osseuses et bosselées et, dans leur sillage, vivent des petits m am m i
co u rt to u t au long de son dos. C ette p ro tu b é fères — de la taille d ’une souris, mais qui ont
rance est due au développem ent extrêm e des l’avantage d ’une fourrure et d ’un sang chaud -
apophyses épineuses des vertèbres. C et herbivore capables de mieux faire que le plus agile des
inoffensif au corps de lézard a des dents très carnivores; de petits reptiles, qui se disputent
pointues et groupées qui poussent sur un palais leurs restes; de larges tortues. Alors apparaissent
dur, e t ses nageoires sont reco u v ertes d ’une les prem iers géants.
p eau épaisse. Le p rem ier est le Plateosaurus, long de 7 à
10 m ètres, aux form es rondes et à la peau
Les premiers dinosaures rugueuse. Il se tient sur ses p attes postérieures,
bien plus longues et plus m usclées que ses p attes
fuient d'un continent à l'autre,
antérieures, et son corps est équilibré p ar une
poursuivis par les carnassiers longue et puissante queue. Sa tête, étroite et
profonde, se to u rn e dans tous les sens à la
Son unique ennem i est le petit D im etrodon, à rech erch e de quelque victim e. C ertes, il est végé
tê te d ’aligator, un carnassier qui piège les tarien et se nourrit gén éralem en t de plantes
anim aux au bord des m arais et attaq u e en aquatiques, mais ses m âchoires sont arm ées de
groupe. Lui aussi est pourvu d ’une crête osseuse deux mille dents qui b ro ien t les coquillages
qui le distingue des autres anim aux primitifs. accro ch és aux plantes et, à l’occasion, il ne
A insi les reptiles sont bien établis à la fin de l’ère dédaigne pas les petits dinosaures com m e le
prim aire et ils d o m ineront toute l’ère secondaire. Coelophysis, quand il p eu t en attrap er.
Les conditions clim atiques leur p erm e ttro n t de Ce qui est rare. Le Coelophysis est bâti pour
devenir les «lézards terribles» que sont les la course. Il repose sur de fines p attes bien
dinosaures. fuselées et m esure près de trois m ètres. Proche
cousin des sauriens et des oiseaux, ce reptile
L ’oiseau de L eninabad, retrouvé dans le Tur- carnivore est considéré com m e l’an cêtre général
kestan, vivait au d éb u t de l’époque triasique, la des géants puisqu’il est à l’origine des deux
p rem ière de l’ère secondaire, il y a 190 millions principales b ranches de dinosaures: les Orni-
d ’années. D es nuages de cendres, provoqués par tischiens et les Saurischiens.
les volcans, obscurcissent un ciel de plom b aux Les deux b ran ch es se distinguent aux os du
teintes rougeâtres. La m ajeure partie de l’E urope bassin, à la form e des hanches. Les O rnitischiens
est subm ergée et les continents sont recouverts ont des hanches com m e les oiseaux. L eur épine
d ’un e jungle épaisse et d ’une végétation luxu dorsale est solidem ent liée aux os des pattes
riante. Les prem iers dinosaures restent en postérieures, ce qui est la conséquence d ’une
com pétition avec les crocodiles et d ’autres station verticale et de l’utilisation rare des pattes
reptiles plus petits et plus délicats. La tem p é an térieu res. Ainsi les os des jam bes sont devenus
ratu re n’est pas extrêm em ent chaude, les vents ne de plus en plus forts et de plus en plus grands.
sont arrêtés p ar aucune b arrière m ontagneuse, P our gagner la force de su p p o rter le poids du
des trom bes d ’eau accom pagnées d ’éclairs noient corps, la colonne vertéb rale, à la h au teu r des
la n atu re et les Phytosaures, qui ressem blent hanches, repose sur le jo in t des p attes p o sté
aux crocodiles, prostrés dans la boue, sont une rieures. Les Saurischiens o n t les hanches com m e
M y s tè re s du m o n d e a n im a l 83
signes, les appels, les odeurs et de transm ettre
ces impressions au centre nerveux, lequel
s’occupe de chercher la nourriture, de marcher,
de rem uer la queue. Chaque pas lui fait parcourir
quatre mètres. Trop lents pour attaquer ou se
défendre, les doux Sauropodes qui offraient
50 tonnes de chair sans autre défense que celle
de l’eau ont permis aux carnivores de se déve
lopper et d ’atteindre la taille des géants.
L’ennemi intime des Sauropodes est le fantas
tique Allosaurus. L’Allosaurus est sans conteste
le tueur le plus brutal de la période jurassique.
Sa mâchoire est énorme. Ses dents aiguës ont
vingt centim ètres de long. Il marche sur des
pattes arrière, puissantes, rapidement. Il a
12 mètres de haut. Ses membres antérieurs,
atrophiés, sont armés de griffes, mais sa poigne
est d ’acier. Sa queue lui sert de balancier.
D ’un coup de dents il peut broyer la tête d ’un
Brachiosaure qu ’il dévore sur place.
M y s tè re s du m o n d e a n im a l 87
Henri Prat. professeur de botanique
à la Faculté des Sciences de M ar
seille. Né le 20 août 1902 à Saint-
Germain - en - Laye. Agrégé de
sciences naturelles et docteur ès
sciences. Carrière : professeur à
Oran, Montréal, Marseille. Publi
cations: L'homme et le sol (Gal
limard, 1949). Microcalorim étrie
(Masson, 1956). Métam orphose
explosive de l'humanité (SEDES
1961, Encyclopédie Planète 1966).
Le champ unitaire en biologie (PUF
1964). Plus 130 mémoires ou
articles divers.
Le nouveau volume de
L 'B H C V C L O M O I E
*»I.A il Ê f m,
LA MÉTAMORPHOSE
EXPLOSIVE
DE L'HUMANITÉ
p a r H e n ri P ra t,
professeur à la Faculté des Sciences de Marseille.
P ré fa c e d e A n d ré d e C a y eu x
professeur à la Sorbonne.
L ’évolution et l ’histoire,
une formidable accélération.
LE V O L U M E : 17 F T .L .I.
\
i
Le diable dans le beffroi
Edgar Allan Poe Traduction de Charles Baudelaire
Illustration de Kley.
Littérature différente
v-'> : ' /. - V;
R elativem ent à l’étym ologie du nom V onder- plates) s’éten d un rang continu de to u tes p etites
votteim ittiss, je me confesse, non sans peine, maisons. Elles sont appuyées p ar d errière sur les
égalem ent en défaut. Parm i une m ultitude collines, et n atu rellem en t elles reg ard en t toutes
d ’opinions sur ce point délicat — quelques-unes le cen tre de la plaine, qui est ju ste à soixante
très subtiles, quelques-unes très érudites, yards de la po rte de face de chaque habitation.
quelques-unes suffisam m ent inverses —, je n’en C haque m aison a devant elle un p etit jard in , avec
trouve aucune qui puisse être considérée com m e une allée circulaire, un cad ran solaire et vingt-
satisfaisante. P eut-être l’idée de Grogswigg q u atre choux. Les constructions elles-m êm es
— qui coïncide presque avec celle de K routa- sont si p arfaitem en t sem blables, q u ’il est im pos
plenttey — doit-elle être prud em m en t préférée. sible de distinguer l’une de l’autre. A cause de
Elle est ainsi conçue: Vondervotteimittiss - Vonder, son extrêm e antiquité, le style de l’arch itectu re
lege Donder, - Votteimittiss, quasi und Bleitziz, est quelque peu bizarre; mais, p o u r cette raison
- Bleitziz, obsoletum pro Blitzen. C ette étym ologie, m êm e, il n’est que plus rem arq u ab lem en t p itto
p o u r dire la vérité, se trouve assez bien con resque. Elles sont faites de p etites briques bien
firm ée p ar quelques traces de fluide électrique, durcies au feu, rouges avec des coins noirs, de
qui sont encore visibles au som m et du clocher sorte que les murs ressem blent à un échiquier
de la M aison-de-Ville. T outefois, je ne me soucie dans de vastes proportions. Les pignons sont
pas de me com prom ettre dans une thèse d ’une to u rn és du côté de la façade, et il y a des cor
pareille im portance, et je prierai le lecteur niches, aussi grosses que le reste de la maison,
curieux d ’inform ations d ’en référer aux Oratiun- aux reb o rd s des toits et aux p o rtes principales.
culae de Rebus praeter Veteris, de D undergutz. Les fen êtres sont étro ites et profondes, avec de
Voyez aussi B lunderbuzzard, De Derivationibus, to u t petits carreau x et force châssis. Le to it est
de la page 27 à la page 5 010, in-folio, édition reco u v ert d ’une m ultitude de tuiles à oreillettes
gothique, ca ractères rouges et noirs, avec roulées. La ch arp en te est p arto u t d ’un e couleur
réclam es et sans signatures; consultez aussi dans som bre, très ouvragée, mais avec peu de variété
cet ouvrage les notes m arginales autographes de dans les dessins; car, de tem ps im m ém orial, les
Stuffundpuff, avec les sous-com m entaires de sculpteurs en bois de V ondervotteim ittiss n’ont
G runtundguzzell. jam ais su tailler plus de deux objets — une horloge
M algré l’obscurité qui enveloppe ainsi la date de et un chou. M ais il les font adm irablem ent bien,
la fondation de V ondervotteim ittiss et l’étym o- et ils les prodiguent avec une singulière ingé
logie de son nom, on ne p eu t dou ter, com m e je niosité, p arto u t où ils tro u v en t une place pour
l’ai déjà dit, q u ’il n’ait toujours existé tel que nous le ciseau.
le voyons p résentem ent. L’hom m e le plus vieux
du bourg ne se rappelle pas la plus légère diffé Les h abitations se ressem blent au tan t à l’intérieur
rence dans l’aspect d ’une partie quelconque de sa q u ’au dehors, et l’am eublem ent est façonné
patrie, et en vérité la simple suggestion d ’une d ’après un seul m odèle. Le sol est pavé de tuiles
telle possibilité y serait considérée com m e une carrées, les chaises et les tables sont en bois noir,
insulte. Le village est situé dans une vallée p ar avec des pieds tors, grêles et am incis par le bas.
faitem ent circulaire, dont la circonférence est Les chem inées sont larges et hautes, et n’ont pas
d ’un q u art de mille à peu près, et com plètem ent seulem ent des horloges et des choux sculptés
environnée p ar de jolies collines do n t les habi sur la face de leurs cham branles, mais elles sup
tan ts ne se sont jam ais avisés de franchir les p o rten t au milieu de la ta b lette une véritable
som m ets. Ils d onnent d ’ailleurs une excellente horloge qui fait un prodigieux tic-tac, avec deux
raison de leur conduite, c ’est qu’ils ne croient pots à fleurs co n ten an t ch acu n un chou, qui se
pas q u ’il y ait quoi que ce soit de l’autre côté. tient ainsi à chaque b o u t en m anière de chasseur
A u to u r de la lisière de la vallée (qui est tout à fait ou de piqueur. E ntre chaque chou et l’horloge,
unie et pavée dans toute son éten d u e de tuiles il y a en co re un p etit m agot chinois à grosse
Littérature différente 93
cadrans sont vastes et blancs, les aiguilles lourdes de ses yeux, avec l’ébahissem ent de l’effroi, sur
et noires. Au beffroi est attac h é un hom m e dont le phén o m èn e, g ard an t toujours l’au tre œil fixé
l’unique fonction est d ’en avoir soin; mais cette sur l’horloge du clocher.
fonction est la plus parfaire des sinécures — car, Il était midi m oins trois m inutes, q uand on
de m ém oire d ’hom m e, l’horloge de V ondervottei s’ap e rçu t que le singulier objet en question était
mittiss n’avait jam ais réclam é son secours. Jusqu’à un jeu n e hom m e to u t p etit, et qui avait l’air
ces derniers jours, la simple supposition d ’une étranger. Il descendait la colline avec une très
pareille chose était considérée com m e une hérésie. grande rapidité, de sorte que ch acu n p ut bientôt
D epuis l’époque la plus ancienne do n t fassent le voir to u t à son aise. C ’était bien le plus précieux
m ention les archives, les h eures avaient été régu p etit personnage qui se fût jam ais fait voir dans
lièrem ent sonnées p a r la grosse cloche. Et, en V ondervotteim ittiss. Il avait la face d ’un noir de
vérité, il en était de m êm e pour toutes les autres tab ac, un long nez crochu, des yeux com m e des
horloges et m ontres du bourg. Jam ais il n ’y eut pois, une grande bouche et une magnifique
pareil endroit pour bien m arquer l’heure, et en rangée de dents q u ’il sem blait jaloux de m ontrer
m esure. Q uand le gros b a tta n t ju g eait le m om ent en rican an t d ’une oreille à l’au tre. A joutez à cela
venu de dire: « M idi!» tous les obéissants servi des favoris et des m oustaches, il n’y avait, je
teurs ouvraient sim ultaném ent leurs gosiers et crois, plus rien à voir de sa figure. Il avait la tête
rép o n daient com m e un m êm e écho. Bref, les nue, et sa chevelure avait été soigneusem ent
bons bourgeois raffolaient de leur choucroute, arrangée avec des papillotes. Sa to ilette se co m
mais ils étaient fiers de leurs horloges. posait d ’un habit noir collant term iné en queue
Tous les gens qui tien n en t des sinécures sont d ’hirondelle, laissant pendiller p ar une de ses
tenus en plus ou m oins grande vénération; et, poches un long b out de m ouchoir blanc — de
com m e l’hom m e du beffroi de V ondervottei culottes de casim ir noir, de bas noirs et d ’escarpins
m ittiss a la plus parfaite des sinécures, il est le qui ressem blaient à des m oitiés de souliers, avec
plus p arfaitem ent respecté de tous les m ortels. d ’énorm es bouffettes de ruban de satin noir pour
Il est le principal dignitaire du bourg, et les cordons. Sous l’un de ses bras, il p o rtait un vaste
cochons eux-m êm es le considèrent avec un sen claque et, sous l’au tre, un violon presque cinq
tim en t de révérence. La queue de son habit est fois gros com m e lui. D ans sa main gauche était
beaucoup plus longue, sa pipe, ses boucles de une tab atière en or, où il puisait incessam m ent
souliers, ses yeux et son estom ac sont beaucoup du tabac de l’air le plus glorieux du m onde,
plus gros que ceux d ’aucun autre vieux m onsieur p en d an t q u ’il cabriolait en d escen d an t la colline,
du village; et, quant à son m enton, il n’est pas et dessinait to u tes sortes de pas fantastiques.
seulem ent double, il est triple. Bonté divine! C ’était là un spectacle p o u r les
J ’ai peint l’é tat heureux de V ondervotteim ittiss; ho n n êtes bourgeois de V ondervotteim ittiss!
hélas! quelle grande pitié q u ’un si ravissant P our p arle r n ettem en t, le gredin avait, en dépit
tableau fût condam né à subir un jo u r un cruel de son ricanem ent, un audacieux et sinistre
changem ent! caractère dans la physionom ie; et, p en d an t q u ’il
C ’est depuis bien longtem ps un dicton accrédité galopait to u t droit vers le village, l’asp ect bizar
parm i les plus sages habitants, que rien de bon ne rem ent tro n q u é de ses escarpins suffit pour
peut venir d’au-delà des collines, et vraim ent il faut éveiller m aints soupçons; et plus d ’un bourgeois
croire que ces m ots conten aien t en eux quelque qui le contem pla ce jo u r-là aurait donné quelque
chose de prophétique. Il était midi moins cinq, chose p o u r je te r un coup d ’œil sous le m ouchoir
— avant-hier — quand apparut un objet d’un de batiste blanche qui p endait d ’une façon si irri
aspect bizarre au som m et de la crête, du côté tan te de la poche de son habit à queue d ’hiron
de l’est. Un tel événem ent devait attirer l’a tte n delle. M ais ce qui occasio n n a prin cip alem en t une
tion universelle, et chaque vieux petit m onsieur ju ste indignation fut que ce m isérable freluquet,
assis dans son fauteuil à fond de cuir to u rn a l’un to u t en b ro d an t ta n tô t un fandango, ta n tô t une
Littérature différente 95
opiniâtre sonnerie de « D raisse! Draisse! D raisse! »
et dans un tel trém oussem ent et rem uem ent de
leurs balanciers, que c ’était réellem ent épouvan
table à voir.
Mais, pire que tout, les chats et les cochons ne
pouvaient plus en d u rer l’inconduite des petites
m ontres à répétition attach ées à leurs queues,
et ils le faisaient bien voir en d étala n t tous vers
la place, égratignant et farfouillant, criant et
hurlant — affreux sabbat de m iaulem ents et de
grognem ents! — et s’élan çan t à la figure des gens,
et se fourrant sous les cotillons, et créan t le plus
ép ouvantable charivari et la plus hideuse confu
sion q u ’il soit possible à une personne raison
nable d ’im aginer. Et le m isérable p etit vaurien R am sey C am pbell, est né en 1946
installé dans le clo ch er faisait évidem m ent tout à Liverpool. Il est un fanatique de
son possible pour rendre les choses encore plus L ovecraft depuis l’âge de dix ans.
navrantes. On a pu de tem ps à autre apercevoir L’univers du grand écrivain fantas
tique a excercé une fascination sur
le scélérat à travers la fum ée. Il était toujours
un grand nom bre d ’autres auteurs,
là, dans le beffroi, assis sur l’hom m e du beffroi, et le plus extraordinaire des dis
qui gisait à plat sur le dos. D ans ses dents, l’in ciples est ce jeu n e A nglais de vingt
fâme tenait la corde de la cloche, qu ’il secouait ans. Planète présente le prem ier
incessam m ent, de droite et de gauche avec sa conte de cet a u te u r à ê tre trad u it
tête, faisant un tel vacarm e que mes oreilles en
tin ten t encore, rien que d ’y penser. Sur ses
genoux reposait l’énorm e violon q u ’il raclait sans en français.
accord ni m esure, avec les deux mains, faisant N icole Claveloux qui l’a illustré a
affreusem ent sem blant — l’infâm e paillasse — 25 ans. Elle est née le 23 juin
de jo u e r l’air de Judy O ’F lannagan et Paddy 1940 à S aint-É tienne où elle a suivi
O ’Rafferty! les cours des beaux-arts. Seules,
Les affaires étant dans ce m isérable état, de deux ou trois de ses cam arades
dégoût je quittai la place, et m aintenant je fais a vaient vu ses dessins avant que
un appel à tous les am ants de l’heure exacte et nous les découvrions.
de la fine choucroute. M archons en masse sur le
bourg, et restaurons l’ancien ordre des choses à
V ondervotteim ittiss en p récip itan t ce petit drôle
du clocher.
ED G A R ALLAN POE.
Littérature différente 97
— A vez-vous entendu p arle r des vrais cultes? tableaux de Bosch, C lark A shton Smith et Dali,
poursuivit la voix. Non pas les serviteurs m oyenâ et des œ uvres ésotériques. Et d ’au tres objets plus
geux de Satan, mais ceux qui adorent les dieux difficiles à définir. Au cen tre de la pièce, un
qui existent. objet ovoïde qui ém ettait un sifflem ent de tem ps
— C ela dépend de ce que vous voulez dire par en tem ps. Q uelque chose d ’étran g e recouvert
« les dieux qui existent », répondit Gillson. d ’une toile, sur un piédestal, dans un coin.
L’hom m e ne sem bla pas entendre sa rem arque. « A sseyez-vous p en d an t que je fais du café, dit
« Ils fondèrent ce culte p arce q u ’ils cherch aien t Fisher. Je vais vous expliquer et, si vous p er
quelque chose. Peut-être avez-vous lu certains m ettez, je b ran ch e un m agnétophone. »
de leurs livres: pas ceux que vous trouvez dans
les kiosques? Il disparut dans la cuisine et co n tin u a à parler:
— Il m ’est arrivé en effet de je te r un coup d ’œil « J ’étais un gosse bizarre. Je préten d ais que les
sur certains ouvrages au British M uséum . gargouilles des églises me p o urchassaient en rêve.
— Le Necronomicon, je présum e? dit l’autre d ’une Les m édecins me tro u v aien t m orbide. A l’école,
voix presque am usée. Et q u ’en pensez-vous? j ’eus m a grande idée. En classe de physique. On
— J ’ai été assez pertu rb é, avoua Gillson. Je n ’ai étudiait la stru ctu re de l’œil et je me suis mis à
pas to u t com pris. réfléchir. Il me sem bla que ce que nous voyions
— C ’est un peu trop vague, dit l’autre. Mais à travers un systèm e aussi com pliqué: la cornée,
perm ettez-m oi de me présenter. M on nom est le cristallin et les hum eurs, devait certain em en t
H enry F isher et vous pouvez m’appeler être déform é. C ’est très joli de dire que ce qui
« occultiste ». se form e sur la rétine est sim plem ent une image
— Vous m ’intéressez, dit Gillson. com m e dans un télescope fait de m atière inerte,
— Pourquoi? Vous cherchez quelque chose? mais personne ne l’a vérifié et cette affirm ation
— Plus ou moins. M ais, depuis m a jeunesse, j ’ai ne me convainc pas. Je n ’ai pas osé en p arler
été convaincu que rien ne correspond aux ap p a au professeur qui se serait m oqué de moi. Je me
rences. S’il y avait un m oyen de voir les choses suis confié, quand je fus à l’université, à un
sans utiliser les yeux, to u t serait différent. » étu d ian t appelé Taylor. Celui-ci m’a fait en trer
Fisher dit, d ’une voix où la surprise et un certain dans une secte de sorciers. Pas vos d égénérés
triom phe se m êlaient: to u t nus, mais ceux qui avaient appris à se
« Il est étrange que vous disiez cela. J ’ai eu la b ran c h er sur les forces prim aires. J ’ai appris un
m êm e idée pendant pas mal de tem ps et j ’ai certain nom bre de choses: p ar exem ple à quoi
trouvé un moyen de voir les choses sans utiliser servent les parties non utilisées du cerveau, et
les yeux, mais c’est un m oyen dangereux et qui ce qui est en terré dans un cim etière pas loin
exige deux personnes pour obtenir le relief... d ’ici...
M ais, pardonnez-m oi, c ’est là que je descends. » » Là-dessus la secte s’est fait rep érer, et tous
Ils étaien t arrivés devant un im m euble. ceux qui o nt été pris fu ren t expulsés de l’uni
« C ’est là que j ’habite, dit Fisher, et il com m ença versité. H eureusem ent pour moi, je n’étais pas
à régler le taxi. présent à cette réunion-là. Fait en co re plus
heureux, un des étudiants expulsés ab an d o n n a
— A ttendez une m inute! dit Gillson. Votre la sorcellerie et me céd a tous ses livres. Parm i
rem arq ue sur certaines expériences p erm ettan t eux, il y avait les Révélations de Glaaki, et c’est
de voir les choses com m e elles sont réellem ent, là que j ’ai d éco u v ert la m éthode que nous allons
est-ce sérieux? em ployer. »
— Sérieux, m ais dangereux, dit Fisher.
— C ela m ’est égal», dit Gillson. Là-dessus Fisher ren tra dans la pièce, p o rtan t
Et il le suivit. F isher habitait au rez-de-chaussée. deux tasses et une cafetière sur un plateau. Les
Un studio m oderne, avec des reproductions de ayant déposés sur la table, il enleva la toile qui
L’im m euble trem bla, puis ils surent que l’o ccu
p an t du pentagone était parti. F isher dit:
« Lorsque je vais allum er la lum ière, nous verrons
les objets tels qu’ils sont. Il est encore tem ps
d ’y ren o n cer: j ’ai là du scotch noir que vous
pouvez vous coller sur les yeux.
— Vous ne m ’effrayez pas, dit Gillson.
— Prenez garde une d ernière fois, dit Fisher.
D ans la voiture qui nous ram enait vers A nkara, to u rn an t de la politique in térieu re tu rq u e. Il
nous gardions le silence. Sans cloute mes com m anifestait un revirem ent to tal p ar rap p o rt à la
pagnons de voyage étaient-ils encore, com m e vision politique im posée depuis plus de q u aran te
moi, hypnotisés p ar le to u rn o iem en t des d er ans p ar K em al P ach a A tatu rk - d o n t l’effigie
viches. N ous quittions K onya, la ville sainte du trô n e en co re p a rto u t en T u rq u ie — et ses
soufisme, avec le sentim ent d’étran g eté que crée successeurs im m édiats.
le fait à la fois d ’avoir déco u v ert un m onde dif D epuis 1923, année de l’accession d ’A tatu rk à la
féren t et d’y avoir séjourné tro p peu de tem ps présidence de la R épublique, la T urquie a connu
p o u r que sa com préhension soit totale. D ans nos une p ersécution religieuse larvée. A tatu rk regar
esprits, les im pressions et les inform ations se d ait vers l’O ccid en t d o n t les progrès scientifiques
classaient, ch erch an t leur place définitive. A et techniques faisaient à ses yeux l’h éritier histo
l’extérieur, il faisait froid et nuit: les phares rique des grandes civilisations disparues. La
n’éclairaient que l’épaisse couche de neige. E ntre T urquie lui paraissait tro p to u rn ée vers l’O rien t et
K onya et A n k ara le décor, p en d a n t deux cent son passé. O bsédé p ar son rêve de tran sfo rm er
cin quante kilom ètres, est form é — nous le savions rapidem ent le pays d o n t il avait pris la tête en
p ar le voyage aller — d ’une succession de m onts un é ta t m oderne, c’est-à-dire occidental, il a
arrondis, arides et nus. N ous ne rencontrerions œ uvré de to u tes ses forces p o u r d éb arrasser le
pas une ville, pas un village, seulem ent quelques peuple de ses nostalgies. A vant le Brésil, il a
m asures isolées. Le plateau d ’A natolie, du m oins voulu, p o u r m anifester sa foi en une m utation
en cette partie que nous avions traversée, est sans nécessaire, créer une nouvelle capitale politique
vie et sans âm e. presque to talem en t artificielle, sans lien avec le
Les cinq heures de route dans le cham p de neige passé. A n k ara s’est développé ainsi par la volonté
d ésert avaient form é pour nous, quelques jours d ’un hom m e qui avait décidé de to u rn er le dos à
plus tôt, une heureuse transition en tre les villes l’E m pire ottom an et à Istanbul, la ville aux huit
de tum ulte et d ’appétits m atérialistes d ’où nous cen ts m oquées, qui en était le symbole. A tatu rk
venions et la m ystique islam ique à laquelle des rangeait l’élan religieux parm i les élém ents qui
amis turcs devaient nous initier. Le trajet du freinaient sa mission rénovatrice, et su rto u t les
reto u r constituait m aintenant une seconde et chefs religieux dans lesquels il voyait des adver
utile transition dans le sens inverse. saires attach és à la tradition.
Soudain une longue file de voitures noires jaillit Le so u fism e1, qui p eu t être défini com m e
de l’obscurité. Les carrosseries im peccablem ent l’excroissance m ystique de l’islam, subit ainsi
en treten u es se d étac h aie n t sur le fond de neige. toutes sortes d’oppressions et de vexations des
C hacune p o rtait à l’avant un fanion officiel. Ce tinées à d ém an teler son organisation et à saper
défilé dans la nuit confirm ait l’inform ation son influence. E x altan t la vie intérieure, le d é ta
q u ’avait donnée la presse du m atin. Le P rem ier ch em en t des biens m atériels, la rech erch e de
m inistre turc, six des m em bres de son cabinet et l’extase, il pouvait d ’au tan t plus irriter le m oder-
cen t d éputés se ren d aien t à K onya p o u r assister nisateur de la T urquie q u ’il n’était pas un foyer
aux cérém onies de clôture de la sem aine sainte clos de vie m ystique, mais m aintenait et déve
du soufisme. Le p hén om ène politique rejoignait loppait un co n tact étro it avec les couches p o p u
le phénom ène religieux. Nul ne l’a m entionné laires dans to u t le pays.
dans le m onde, et p o u rtan t ce déplacem en t P our je te r le peuple tu rc bon gré mal gré dans
m assif de dignitaires du régim e m arquait un l’avenir, A tatu rk avait interdit aux fem m es de se
En tournant inlassablement,
les derviches arrachent leur âme à la matière.
La vie spirituelle 11 3
ou qu atre à l’endroit où la fin de la danse les avait qui brillait dans les yeux de ce vieillard de quatre-
immobilisés. Q uand les nays, les kudum s et les vingt-douze ans, la ferm eté de sa main et de son
rebabs se tu ren t à nouveau, le m êm e rituel recom m aintien, la vivacité de son esprit et la sûreté
m ença: la m arche en file indienne, l’accolade du de sa m ém oire m’o nt im pressionné. J ’étais en
m ürchid, la révérence au suivant im m édiat, et mêm e tem ps ém u par la profonde sagesse et
l’éch appée souple et allègre en un tourbillon. l’extrêm e hum ilité qui se d égageaient de lui. A
Le cérém onial se rép éta ainsi trois fois, d u ran t au to u te question, il rép o n d ait p ar une parole, un
total plus d ’une heure. La croyance en la vertu aphorism e ou une an ecd o te de M evlana. Et l’on
de la répétition est inhérente à la religion isla sentait que ce grand m ystique avait ainsi attein t
mique. C haque musulm an, dans ses prières, répète le b u t d e sa vie: s’identifier à la pensée d e son
inlassablem ent le nom d ’Allah. M evlana lui- M aître, se d étac h er de sa p ro p re p ersonne p o u r
m ême donnait à ses disciples ce conseil qui est se noyer dans un co u ran t spirituel le dépassant.
inscrit dans son m ausolée: « Dis le nom d ’Allah Q uand la cérém onie fut term inée, le flot hum ain
jusqu’à ce que tu deviennes fou. » C hacune des trois s’écoula silencieusem ent com m e hors d’un tem ple
périodes giratoires, cepen d an t, m arque une pro ou d ’une cathédrale. Peu avant, le ch a n te u r
gression et a un sens particulier : la prem ière sym aveugle avait repris sa m élopée et les to u rn eu rs
bolise la quête de D ieu p ar le savoir, la seconde avaient revêtu leur m an teau n o ir: ce geste
sa vision intuitive, la troisièm e la fusion en lui. indiquait que la fin de l’évasion était p ro ch e et
Peu à peu, la fascination de la danse nous tran s q u ’ils réendossaient leur personnalité terrestre
form ait à notre tour. Le silence paraissait avoir avec ses tares et ses soucis.
attein t un autre degré, une autre qualité, com m e P en d an t une sem aine, les derviches qu’une poli
si to u te l’assistance participait, spirituellem ent tique avait voulu b annir attirèren t ch aq u e nuit
du moins, à la giration et avait épousé son une foule fervente. Il sem blait que les uns et les
rythm e. Le d éc o r était to talem en t oublié, et, pour autres n’avaient, à aucun m om ent, cessé de se
nous O ccidentaux, le m otif de tout ceci. Sans fréquenter. Jam ais, depuis q u aran te ans, le
doute le m ouvem ent sur lequel nos yeux dem eu soufisme ne s’était m anifesté avec au tan t d ’éclat.
raien t fixés devait-il, à la longue, nous hypnotiser A l’évidence, il ren co n tre une adhésion p o p u
et nous m odeler. M ais il faut aussi poser des laire massive. N ous ne pouvons que co n stater le
questions à la science sur ces hom m es, les uns phénom ène et à son propos nous poser des
très jeunes, les autres très âgés, qui se livraient, questions. Q uelle p art faut-il lui réserver dans
ap p arem m ent sans lassitude, à c e t exercice. l’avenir de la T u rq u ie d o n t les problèm es poli
C om m ent pouvaient-ils virevolter aussi long tiques sont nom breux et les difficultés éco n o
tem ps sans trouble physique? C om m ent parve- m iques perm anentes? Faut-il rap p ro ch er cette
naient-ils à s’a rrê te r brusquem ent et à retrouver résurgence d ’un puissant co u ran t m ystique de
une attitu d e norm ale, p arfaitem e n t m aîtres de l’aspiration à un renouveau spirituel qui se
leur équilibre? Q ue signifiaient leurs yeux clos, m anifeste un peu p arto u t?
les visages extatiques de certains d ’entre eux? N ous reconnaissons cette aspiration aussi bien
Ces hom m es étaie n t devenus derviches tourneurs dans l’influence exercée par la pensée du Père
p ar choix et vocation; ils avaient répondu à un T eilhard de C hardin ju sq u ’en U .R .S.S., dans la
appel in térieur au mysticisme. C ertains étaie n t de ten tatio n de l’O rien t com m e foyer de vie spiri
simples artisans, d ’autres d ’ém inents professeurs tuelle, éprouvée p ar nom bre de nos co n tem
d’université. Sous la bure, sem blables aux m oines porains, dans la renaissance des croyances afri
de nos m onastères, ils ne se différenciaient pas. caines que dans l’in térêt suscité par les travaux
Et celui auquel le tourn o iem en t p ro cu rait l’extase du C oncile. Il faut sans doute analyser le dévelop
la plus forte n’était pas le plus savant, mais celui p em en t des m ouvem ents religieux en T urquie
dont l’élan vers l’absolu était le plus généreux. dans le cadre de cette poussée plus générale.
J ’ai, par la suite, ren co n tré le shaïkh: la flamme JACQUES MOUSSEAU.
UN ÉVÉNEMENT
dans les habitudes culturelles
ARC
COMITÉ LO U IS P AU W E LS
Ce récit L e document dont nous donnons ci-après des extraits a paru dans
la revue soviétique « Science et Religion » (juillet-août-septem bre
1965), organe de la Société soviétique pour la lutte contre la
extraordinaire religion. Elle se présente comme « revue mensuelle athéiste». Elle est
éditée depuis six ans. «Science et Religion» n ’est pas l’équivalent
soviétique de «A bas la calotte». A u contraire, cette revue attaque
a p a ru d a n s violemment tous ceux qui se m ontrent grossiers dans leur lutte
contre la religion. Cette lutte, les dirigeants de « Science et Religion »
la revue russe la considèrent comme nécessaire, mais ils entendent la mener avec
courtoisie et modération. Bien entendu, c ’est une revue super
rationaliste; aussi, peut-on adm ettre que les fa its extraordinaires
« Science décrits par W olf M essing sont exacts.
W olf M essing est télépathe. Il lit les pensées. Il possède également
des dons de clairvoyance. Il se produit sur la scène d ’un music-
et religion » hall et procède aussi à des expériences scientifiques sous le contrôle
de spécialistes en psychologie. Il ne prétend pas expliquer les
phénom ènes q u ’il produit. Il pense seulem ent que l ’explication
est d ’ordre énergétique et que ces phénomènes sont transportés
par un agent traversant tous les obstacles et déjà connu par les
physiciens, peut-être le champ gravitationnel.
Les p h o to g ra p h ie s d e W o lf M essing,
n ous o n t é té c o m m u n iq u ée s p a r
le B ureau S o v iétique d ’in fo rm a tio n .
Personnages extraordinaires 1 37
L orsque les blindés hitlériens franchirent la fron j ’eus l’idée d e m ’inscrire au S yndicat des artistes
tière polonaise le 1" septem bre 1939, je me et de d em an d er du travail com m e télép ath e dans
trouvais en Pologne. M a tê te avait été mise à les music-halls. C ela ne me fut pas facile, ca r il
prix p ar les nazis: 200 000 m arks. Ils avaient y avait un scepticism e général en m atière de té lé
d ’excellentes raisons pour cela: en 1937, devant p athie en U.R.S.S. M ais j ’ai to u t de m êm e réussi
des milliers de sp ectateurs d ’un th é âtre de V ar à me faire engager et j ’ai d onné un certain
sovie, j ’avais annoncé une m ort désastreuse pour nom bre de dém onstrations co ncluantes à Brest,
le F ührer. N on pas que je puisse prédire l’avenir à M insk, à G om el. C ’est à G om el que l’aventure
en quelque façon que ce soit, mais je savais à la plus extrao rd in aire de m a vie m’arriva: un soir,
quel point H itler était superstitieux et je pensais deux hom m es en casq u ette v erte in terro m p iren t
faire œ uvre utile. m a dém onstration et me d em an d èren t de les
J ’ai bien connu le «m ystique» favori d ’H itler, suivre. Ils p o rtaien t le red o u tab le uniform e de la
H anussen. Bien que ju if (son oncle était diacre police politique, mais j ’ai senti q u ’ils ne me
dans une synagogue), il avait gagné la confiance v o ulaient pas de mal. Ils me d iren t:
d’H itler. Ceux qui dirigeaient H itler s’en servaient — Suivez-vous, nous avons payé votre h ô tel et
p o u r lui do n n er des conseils sous la form e de récu p éré votre valise.
révélations prétendues surnaturelles. Il fut ensuite On me tran sp o rta d’abord dans une cham bre
supprim é. H anussen était un curieux m élange d ’hôtel, puis nous repartîm es p o u r une desti
d’escroc et de véritable télépathe. Il avait réel nation in co n n u e: une cham bre te rn e dans un
lem ent des dons télépathiques, mais il com m ençait b âtim en t officiel. Un hom m e à m oustaches en tra
toujours ses dém onstrations avec deux com pères, et m e salua cordialem ent. C ’était Staline. Troublé
après quoi, ayant pris confiance en lui-m êm e, p ar sa p résence, j ’ai dit la prem ière bêtise qui me
il donnait sans truquage des résultats authentiques. passa p a r la tê te:
M ais revenons-en à mes aventures en Pologne. — Je viens de vous p o rter dans m es bras.
J ’ai d’abord réussi à me cach er à Varsovie, mais — Q uoi? dit Staline.
j ’ai fini p ar être arrêté. J ’avais laissé pousser mes — Le prem ier mai, à la dém o n stratio n du Parti,
cheveux et m e faisais passer pour un peintre assez à G om el, je portais votre p o rtrait dans m es bras.
excentrique. Q uand je fus confronté avec l’affiche A près quoi Staline m’in terro g ea sur la situation
me rep résentant, l’officier qui m’in terrogeait dit: en Pologne, sur les ren co n tres qu e j ’avais eues
— T u es W olf M essing. C ’est toi qui a annoncé avec les dirigeants polonais, sur la situation géné
la m ort de notre F ührer. rale, et il me dit ensuite,:
Et il me d onna un coup de poing, le plus beau que — T u peux p artir, nous allons vérifier.
j ’aie jam ais reçu. Je crachai six dents d ’un seul On co m m ença alors à vérifier soigneusem ent mes
coup en un flot de sang. U ne fois en cellule, je capacités anorm ales, hypnotiques et télépathiques.
ten tai l’effort suprêm e de m a carrière. P ar
co n cen tratio n de m a volonté, je fis en tre r la senti
nelle dans m a cellule, je l’ai hypnotisée et je lui
On fit systématiquement vérifier
ai ordonné de rester im m obile, puis je suis sorti mes pouvoirs paranormaux
dans la rue. L a R ésistance polonaise me fit
ensuite sortir de Varsovie, dans une ch arrette L a prem ière expérience fut tragique. O n me
pleine de foin. d em an d a de to u ch er cen t mille roubles à la
B anque d ’É ta t p ar suggestion hypnotique. En
Q uelques mois après, en novem bre 1939, j ’ai tra présen ce de tém oins, je me suis approché du
versé la rivière Bug pour atteindre l’U nion sovié caissier et je lui ai ten d u une feuille de papier
tique. H eureusem ent, j ’avais em porté pas mal blanc en m êm e tem ps q ue je co n cen trai sur lui
d ’arg ent sur moi. Je couchai la prem ière nuit m a pensée. Il me ten d it cen t liasses d e mille
dans une synagogue avec d ’autres réfugiés, puis roubles. Je les ai enfournées dans un e valise.
Personnages extraordinaires 14 3
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Le Teilhard de Chardin de l'Orient
La vie
foeuvre
la pensée
de
SRI AUROBINDO
Voici quinze ans disparaissait, dans l’A shram m oderne qu’il avait
fondé à Pondichéry, le plus grand penseur m oderne de l’Inde.
La revue Synthèses vient de publier un num éro spécial sur Sri Auro-
bindo (num éro 235 de D écem b re 1965) et nous a aim ablem ent
com m uniqué plusieurs éléments de l’étude que vous allez lire.
Raym ond de Becker, qui prépare pour l’Encyclopédie Planète le
volume sur l’hindouisme, présente notre cahier spécial.
G r a n d s c o n t e m p o r a in s 151
il faut que ceux-ci saisissent ju sq u ’à sa nature et se fractu re le fém ur. Le 5 d écem b re 1950, il
physique et sexuelle. Ce saisissem ent correspond-il succom be à une crise d ’urém ie. A la surprise des
à la « sublim ation » envisagée p a r ta n t de saints m édecins, il sort toutefois à plusieurs reprises du
traditionnels, sinon p ar quelques psychanalystes? profond com a où il était tom bé, au po in t que ses
On en p eu t douter. C ’est que la croyance d ’A u ro disciples p arlen t d ’un retrait yoguique conscient
bindo en la transform ation possible du corps se hors d ’un in stru m en t co rp o rel tro p endom m agé.
trouve dans la logique de sa d ém arch e: si, com m e D eux jo u rs et dem i après q u ’eû t été délivré le
il le pense, la m atière n ’est q u ’une solidification perm is d ’inhum er et alors qu’en des circons
de l’énergie et celle-ci une densification de tan ces analogues et dans les conditions clim a
l’Esprit, si la stru ctu re atom ique fondam entale de tiques de l’O rient le corps noircit rap id em en t
to u t existant perm et d ’envisager des différences avant de se décom poser, le sien conserve cette
d ’arrangem ent dans ses com posants et si, plus belle co u leu r d ’or blanc qui l’avait caractérisé
encore, ainsi que beau co u p de savants finissent d u ran t sa vie. L a M ère parle d’une « co n cen
pas le croire, il existe une conscience étouffée tratio n de lum ière supram entale » et fait reta rd e r
jusque dans nos cellules et dans l’atom e, il est l’en terrem en t. C elui-ci n’au ra lieu que le 9, après
norm al que la C onscience centrale de l’être que cette lum ière y ait intégralem ent subsisté
puisse com m uniquer avec ce que nous appelons p en d an t quatre-vingt-dix heures. D ans une lettre
en co re l’inconscience physique et o p érer sa trans à France-Asie, Philippe Saint-H ilaire, secrétaire
form ation. D ans un de ses écrits, A urobindo a général français de l’ashram et l’un des plus
fait allusion à une tradition secrète d ’après proches co llab o rateu rs de Sri A urobindo et de la
laquelle, au d éb u t des cycles cosm iques, la p ro M ère, explique que « l’effort de transform ation
création ne se serait point faite au m oyen des exigé p a r le yoga intégral de Sri A u robindo avait
organes génitaux tels que nous les connaissons, a tte in t les c o u c h es les plus p ro fo n d e s de
mais p ar une sorte de caresse énergétique et l’in co n scien t» . « C ’est un dom aine, ajoutait-il,
lum ineuse entre êtres com plém entaires. Est-ce qui n’avait jam ais été to u ch é p ar la L um ière
à une transform ation physique p roche de celle-ci supram entale. O bscur et rebelle, sa tran sfo r
q u ’aboutit la conception aurobindienne du m ation n’avait jam ais été envisagée, m êm e p ar les
S urhom m e et faut-il im aginer ce d ern ier en ce yogis les plus hardis. » É chec donc? N on, car,
« corps de gloire » et de lum ière placé p ar la au dire de la M ère, la lutte continue et la vie
T rad ition chrétien n e en de lointains paradis, mais terrestre d ’A urobindo ne serait que le p o in t de
que le p ro p h ète de P ondichéry entrevoit sur cette d ép a rt d ’une aventure im m ense en laquelle
T erre m êm e? Il p araît légitim e de le penser. l’hum anité entière s’engagera b ientôt.
Q uoi q u ’on pense de pareille vie et de pareille
M êm e mort, ce sage a continué œ uvre, on ne p eu t d o u te r q u ’elles se tro u v en t
a poser des énigmes parm i les plus vastes et les plus toniques de
no tre tem ps. Loin du pessimisme des gourm ands
U topie? D élire narcissique? Science-fiction? On d ’apocalypse, elles tém oignent de cette « poussée
im agine q u ’à ce point un dialogue avec la psycho do rée» , de ce lum ineux enthousiasm e propres
logie des profondeurs serait utile. Il n’a pas été aux grands bâtisseurs. « L ’A ge de F e r est fini»,
entrepris. A urobindo a jugé avec h au teu r l’œ uvre an nonçait A urobindo dans son grand poèm e,
de F reud. Il sem ble avoir mal connu celle de Savitri. P our cette seule prom esse d ’une conscience
Jung. C ’est sur ce plan de la transform ation ayant pressenti les réconciliations d ont nous avons
physique et de l’inconscient q u ’il buta. besoin, les noces de la Science et de la Foi, de
D éjà, l’idéal form el de la réalisation spirituelle l’O rient et de l’O ccident, de la T erre et du Ciel, du
dans les Védas se trouvait être la conq u ête de la Passé et du F utur, le sage de P ondichéry m érite
vieillesse et de la m ort. Mais, dès 1938, A urobindo notre attention.
traverse une p rem ière crise physique: il tom be RA YM O N D DE BECKER.
%
Grands contemporains 153
La vie spirituelle et son but
2
L a société norm ale considère essentiellem ent
S ri A u r o b in d o
G r a n d s c o n t e m p o r a in s 155
De l’Ashram de Pondichéry, qui est ville dans la ville, aux installations
les plus modernes, nous avons reçu cette dernière photo de Sri Aurobindo.
"L'homme a besoin
156 Sri Aurobindo : sa vie, son œuvre, sa pensée
Chaque jour, les disciples de l’Ashram se réunissent
autour du tombeau du sage, mort le 5 décembre 1950.
G r a n d s c o n t e m p o r a in s 159
celle qui va de l’avant et qui fait l’H istoire, en C ep en d an t, une nostalgie l’habite et, quoique
hom m e détach é de toutes les traditions contrai conquérant, il se sent vieillir... Sa propre tradition,
gnantes d ’un passé révolu. gréco-latine et chrétien n e, ne paraît plus ali
L’O rient, c’est la partie fém inine de notre être; m en ter son âm e, et sa sensibilité exige un sti
celle qui veut vivre en harm onie avec elle-m êm e m ulant et un renouveau (l’Église catholique l’a
et avec l’ensem ble des choses. Elle ne désire pas com pris en voulant se m ettre à « l’ordre du
faire l’H istoire. Elle est l’approche intuitive de la jo u r» ...). Son instinct l’oriente vers l’A sie, vers
vie, celle qui veut voir les choses par l’intérieur la co n trep artie fém inine de Yanimus masculin.
et avant toute dichotom ie intellectuelle. C onser Vers cette Asie qui a continué très longtem ps à
vatrice p ar essence, elle tien t à p réserver — tout explorer les chem ins qui m ènent vers l’A bsolu '.
en la renouvelant régulièrem ent — une « révé En ce tem ps de transition et de remise en question
lation» qui fut faite à l’hom m e à l’origine, in illo du destin m êm e de l’hom m e, en ce tem ps de
tempore, révélation transfiguratrice qui lui p erm et désespoir et parfois de dégoût pour des form es de
de s’insérer parfaitem en t dans le cosm os et de vie qui se rapprochent avec une rapidité effrayante
participer à une économ ie divine qui fonde sa vie de la term itière, deux questions s’élèvent avec
et celle de l’univers. une force accru e en tous ceux qui n’ont pas
C et élém ent fém inin qui rech erch e le co n tac t abdiqué co m p lètem en t d evant le déferlem ent
et l’harm onie correspond, dans une grande d ’un m atérialism e et d ’une collectivisation im pla
m esure, à la pensée «prim itive» ou archaïque. cables. Ces deux questions réapparaissent toujours
C ’est, en effet, le privilège de l’hom m e archaïque aux époques de grandes crises et de passage: quel
d ’avoir une conscience im m édiate de l’ensem ble sens faut-il d o n n er à notre vie sociale, à l’His-
ou totalité, avec laquelle il dem eure sans cesse toire? Q uel est la nature exacte de notre être
relié (religion, ne l’oublions pas, vient de religare). et son destin?
Le yoga, catégorie to u t à fait particulière à En O ccid en t, b eaucoup, depuis S chubart,
l’Inde, que beaucoup d ’orientalistes considèrent Spengler, B erdiaeff, T oynbee et bien d ’autres,
com m e un exercice de ré-intégration, n’est rien se sont efforcés de saisir l’o rien tatio n secrète
d ’autre que la « religion » à l’é ta t pur ou naturel. du d év eloppem ent hum ain. T o u t près de nous, le
T oute l’aventure orientale de l’hom m e se situe P. T eilhard de C hardin, sen tan t com bien nous
dans cette perspective. On peut donc dire que som m es en cosm ogenèse, nous a fait p art de ses
l’O rient c’est, avant tout, la pensée archaïque intuitions sur cette orientation. A p art quelques
poussée à sa plus grande perfection, une pensée exceptions, aucune de ces tentatives ne nous
qui dem eure en co n tac t étroit avec l’originel, satisfait pleinem ent, car nulle d ’entre elles ne
c’est-à-dire avec ce qui est an térieu r à la culture s’est em parée de Yhomme intégral, nulle d ’entre
et aux conquêtes d ’une intelligence qui n’est plus elles n’a considéré notre aventure sous tous ses
« reliée». D ’où le désintérêt — ju sq u ’hier — de aspects depuis l’apparition de la pensée. Pour le
l’O rient pour l’H istoire. faire avec to u te l’am pleur voulue, il fallait non
seulem ent reco n sid érer soigneusem ent les mul
Au contraire, l’aventure de l’hom m e blanc, tiples solutions proposées, et quelques-unes
fondée sur la pensée spéculative des G recs, est vécues avec plus ou moins de bonheur, mais aussi
incom préhensible sans un m ouvem ent en avant, les revivre, les éprouver à nouveau, avant de
sans la recherche, et sans la pensée eschatologique suggérer les voies où p o u rrait s’engager l’hom m e
au jo u rd ’hui m uée dans ce que l’on appelle le p lanétaire (et non plus, cette fois, occidental ou
progrès. Q ue l’hom m e blanc se soit séparé depuis oriental) pour poursuivre sa route... Sri A urobindo
longtem ps du prim ordial, en affirm ant toujours sem ble bien avoir été l’un de ces êtres très rares
davantage une liberté autonom e, est une évi qui v écu ren t avec une intensité extraordinaire la
d ence qui crève les yeux. Aussi est-il entièrem ent 1. E x tra it d e le Cycle humain (ch ap . 21) q u i fu t é c rit e n tre 1914 e t 1918
m aître de son destin et tout lui est permis. p o u r la rev u e Arya. Il n’a p as e n c o re é té tra d u it en fra n ç a is.
G r a n d s c o n t e m p o r a in s 161
et non d ’un glossateur. Aussi a-t-il rejeté catégo p ar infraction, les hom m es rares auxquels nous
riquem ent ce qui ne p eut passer p ar le creuset de devons les livres révélés, les prophéties, les
l’expérience, par ce qui se vit et dont on peut grandes «idées-forces».
faire la preuve. O ui, je sais bien, certains me T outefois, p o u r p arvenir à son parfait dévelop
d iront que cette preuve ne s’apparen te pas à la pem en t et éclairer co m p lètem en t la connaissance
preuve scientifique dite objective, c’est-à-dire dans l’ig n o ran ce, qui est la nôtre, la m atière ne
extérieure à l’hom m e, mais si notre culture, notre peu t plus faire obstacle. N on seulem ent elle ne
religion et notre société sont agonisantes n’est-ce peu t plus être opposée à l’esprit, mais elle doit se
point pas excès d ’objectivation? E t de quoi tran sm u er en esprit, afin de nous libérer de son
s’agit-il si ce n ’est de l’hom m e s’éprouvant inertie qui correspond à l’in c o n sc ie n t3. T o u t
com m e sujet de l’hom m e qui, de tou tes ses forces, doit être réconcilié au m oyen d ’un pouvoir de
veut retro u v er son essence et la vivre? conscience plus vaste, plus enveloppant. Il existe
A vec Sri A urobindo, nous nous purgeons de de to u te étern ité, mais il ne s’est pas en co re plei
to u tes les constructions factices qui se sont nem en t m anifesté, ca r il n’existait pas de créatu re
érigées sur les intuitions qui perm irent aux capable de le contenir. C e tte créatu re, c’est
grandes traditions de naître. Si elles m eurent l’hom m e non tel que nous le connaissons, mais un
d ’épuisem ent, cela ne signifie pas que ces intui hom m e en quelque sorte agrandi, plus vaste et
tions furent fallacieuses, mais sim plem ent, comme plus équilibré qui en sera le réceptacle.
to u t organism e vivant, q u ’elles doivent naître à U topie, dira-t-on p eut-être, mais l’im possibilité
nouveau. U ne grande partie de la jeunesse est d’au jo u rd ’hui n’est-elle pas la possibilité de
au jo u rd ’hui éprise d’authentique au point de tout dem ain? Jam ais Sri A urobindo n’a été plus ca té
rejeter afin de ne se leu rrer sur rien. C ’est à elle gorique que lorsqu’il a affirmé sa certitu d e que le
que parle Sri A urobindo, c’est elle qui doit faire m om ent était venu où les règles du je u allaient
le point et poursuivre la navigation. C ’est à nous changer: l’hom m e voit sa conscience p rendre
aussi, écrasés sous le poids de la culture, qu’il plus de cham p, elle saisit mieux ce qui se passe
s’adresse. N ous devons to u t revoir, absolument à un niveau universel et, du m ême coup, cela
tout, de fond en com ble. p erm et à l’espèce hum aine de s’unifier psychi
q u em en t et physiquem ent.
Il annonce la réconciliation N e l’oublions pas: après avoir com pris ce qui se
de la raison et de l'intuition passe, la tâch e est double. T ravail personnel et
travail de l’invisible (p o u r lui d o n n er un nom),
Où allons-nous et que faire? disais-je en com chacun œ u v ran t p o u r re c ré e r une unanim ité
m ençant. P our Sri A urobindo, l’option est claire: entre l’individu et le groupe, entre l’hom m e et
l’homme ne pourra poursuivre sa route et dom iner la société. L’unanim ité existait à l’origine, avant
les conquêtes de la science et de la technique l’avèn em en t de l’hom m e historique; elle sera
que si un pouvoir plus grand que celui de la rétablie lorsque l’hom m e se sera co m p lètem en t
pensée réfléchie dirige celle-ci dans l’avenir. En réalisé dans l’H istoire qui, à l’instant mêm e,
effet, si les capacités m entales ont perm is ces cessera d’exister. Et alors, suivant les anciennes
conquêtes, il n’est pas dans leur nature d'instru traditions, s’étab lira un nouvel âge de Vérité où
ments de m aîtriser les forces mises à leur dispo to u t rep ren d ra sa place, où to u t redeviendra
sition, forces qui nous conditionnent et nous sacré. P eu t-être est-ce là le règne de la troisièm e
en serrent de toute part. P our poursuivre et personne, le Saint-Esprit, annoncé p ar Joachim
achever l’évolution s’il en est une, l’hom m e doit de Fiore?
JA C Q U E S M A SU I.
faire descendre en lui et éten d re à un groupe de ( Copyright revue Synthèses).
plus en plus large la couche supérieure de l’esprit,
3. In u tile d e d ire q u e l'in c o n s c ie n t d e Sri A u ro b in d o n’e st pas
celle que Sri A urobindo a appelée supramentale, e x a cte m e n t celu i d e la psy ch o lo g ie c o n te m p o ra in e , c e tte scien ce
couche où a c cè d en t par interm ittence et com m e « b é g a y an te » co m m e il aim ait la qualifier.
163
1 64
La vie et les idées
c o n tre le pouvoir excessif des faudra, pour envoyer un A m éricain
grands trusts qui exploitent le en E nfer. »
cosm os. L ord B ow den n’épargnait C ette brusque crise de conscience
pas l’A ngleterre dans ses critiques: des savants est-elle fondée? S’agit-il
les dépenses faites par la G rande- de cas isolés, de quelques pessi
B retagne p our sa contrib u tio n au m istes com m e il en a toujours
C .E .R .N . ont dépouillé les univer existé? Ou s’agit-il de l’éclatem en t
sités anglaises de fonds d o n t elles au grand jo u r de courants sou
avaient le plus urgent besoin, ce terrains chem inant depuis long
qui a conduit à l’arrêt de recherches tem ps? Les prises de position sont
e xtrêm em ent intéressantes. Le trop récentes p our qu’il soit déjà
C .E .R .N ., déclarait-il, est l’équi possible de recueillir l’écho qu’elles
valent m oderne des Pyram ides, et ont rencontré. Il nous a paru néces
les savants qui le dirigent croient saire de seulem ent les signaler sans
que nous som m es obligés de les les com m enter, car il s’agit, faut-il
aider. C om m e les bâtisseurs des le souligner, d ’indices im portants.
Pyram ides, ils ab so rb en t un p oten Mais nous garderons notre attention
tiel im portant. O r la science, qui to u rn ée vors ce brassage d’idées,
est m ain ten an t respectable, le sera- ces oppositions de principes qui
t-elle toujours? enflam m ent soudain les sphères les
plus élevées de la science.
l’autom ne dern ier à F on tain eb leau A u nom de la science, Jacques Mousseau.
à l’in stitu t e uropéen d ’Adm inis- ferait-on n 'im p o rte quoi?
tration en s’é crian t: «Se trouvera- 2. L ’analyse en q u e stio n a é té faite d an s un
é d ito ria l d e la sé rie u se rev u e anglaise
t-il un V oltaire du xx* siècle pour C ertain s savants, com m e le p ro « S c ien c e R eview », n" 477, du 6 ja n v ie r 1966.
dire de l’adm inistration am éricaine fesseur P latt qui lui reproche 3. C e tte é tu d e , in titu lé e « A u jo u rd ’hui la
de l’espace: É crasez l’infâm e!» Un d ’oublier l’hom m e parfois, pa scien ce, d e m a in l’h o m m e », a p aru d an s « Le
autre savant ém inent venait de se raissent avoir quelques doutes à ce c o u rrier d e l’U N ESC O », n u m éro d e d écem b re
1965.
m uer en accu sateu r de la science sujet. Ou encore l’am iral R ickover, 4. L ’essen tiel d es p ro p o s d e c e tte leço n in au
c o n te m p o ra in e 1. L ord Bow den, le p ère du sous-m arin atom ique g u rale a é té p u b liée d an s « S cien ce R eview »,
qui était à l’époque m inistre de la Nautilus, qui provoqua récem s e p te m b re 1965.
5. C es p ro p o s o n t é té p u b liés p a r le « N ew
Science de son pays, c o n statait m ent un scandale aux É ta ts-U n is5. Y o rk H e ra ld T rib u n e », du 27 o c to b re 1965.
d’abord que la science ne pouvait A son to u r, il a accusé la science
pas c o ntinuer à grandir com m e elle — en fait, la technique plus que la
le fait. Pour des raisons a rith m é science — de m épriser l’hom m e. Il
tiques d ’abord: une extrapolation a révélé qu’on lui avait dem andé de
sim ple de la courbe in d iq u erait réduire l’épaisseur du blindage
qu’en 1990 tous les A nglais seront an tiradiations dans les sous-m arins
des savants. M ais plus encore pour a tom iques am éricains. C e qui
des raisons psychologiques: les c o m p tait pour les m ilitaires et les
savants, estim e lord B ow den. sont ingénieurs qui ont fait cette
devenus une classe privilégiée. Or, dem ande, c’é ta it de faire m arch er
il faut se souvenir de l’histoire: un sous-m arin plus vite. L a sécurité
les am bitions de l’aristo cratie et du des êtres hum ains et leur santé
clergé étaient devenues tellem en t passaient au second plan. L ’am iral
exorbitantes que le p euple se Rickover, bien entendu, s’est opposé
révolta et les détruisît. à la dim inution de l’épaisseur des
blindages, m ais c ette discussion l’a
La science se ra -t-e lle plongé dans d ’am ères réflexions:
toujours respectable? « N ous som m es prêts à faire n’im
p o rte quoi, sans réfléchir un instant,
L’adm inistration am éricaine de pour devancer les Russes. Q ue l’on
l’espace gaspille des ressources qui ap p ren n e dem ain m atin que les
auraien t pu p e rm e ttre de n o u rrir et R usses ont envoyé un hom m e en
de vêtir la m oitié de la population E nfer et je m e fais fort dans la
des pays en voie de développem ent. jo u rn ée de ré u n ir une com m ission
D éjà le président E isenhow er avait du S énat et le lendem ain d ’ap
mis en garde ses co m p atrio tes p o rte r a u ta n t d ’argent q u ’il en
165
La vie et les idées
HUMOUR
• Le m onde réel, situé au-delà des • Q uant à la bande dessinée, que santés trouvailles. Ses dessins en
apparences, révélé p a r les physiciens l’on disait m audite en F rance, Eric pleine page et en couleurs surna-
et les m athém aticiens, inqu ièten t et Losfeld sem ble décidé à la sortir du turelles sont assez frappants,
inspirent les hum oristes. E lizabeth tom beau. A près le succès que connut
S artoris vient de publier « Le m onde - et que connaît en co re — l’agui- • A utre offensive im p o rtan te que
p lat de M onsieur G rap h » (éditions chante et im pudique B arbarella, m ènent les éditions D upuis avec la
de M inuit) avec en tête cet apho- foudroyée p a r une censure tatillonne, collection « G ag de Poche » qui
rism e d ’E luard: « Il y a un au tre le T erra in Vague a publié l’histoire tient non seulem ent ses prom esses,
m onde, mais il est dans celui-là», en collages de Saroka la Géante vue mais les dépasse parfois. En m arge
Son personnage, M onsieur G rap h , se par C arelm an et publie les Aven- des bandes dessinées publiées dans
déplace dans un m onde relativiste, tures de Jodelle qui feront, sinon cette collection, on retrouve au
abstrait, infini, avant de tro u v er le scandale, du m oins du rem ous. A ne m oins deux grands nom s de la cari-
paradis sur une bande de M oebius. pas m anquer. cature d ’ou tre-A tlan tiq u e: Tom
L ’ère scientifique est-elle en train de H enderson, grand spécialiste des
d o n n er naissance à une nouvelle • Si la revue Mad est en vente ennuis dom estiques, et surtout Virgil
form e d ’h um our — au troisièm e ou parto u t, il est m alheureusem ent plus P artch que l’on peu t considérer
q u atrièm e degré? difficile de se p ro c u re r le p re m ier com m e le dessinateur le plus délirant
recueil consacré à l’œ uvre géniale de ce siècle qui en a p o u rtan t vu des
du dessinateur am éricain G a h an vertes et des très m ûres. Le contre-
W ilson (A ce P ocket Books). Le livre poids andante à ce fortissim o de
m érite un d é to u r et quelques l’hum our déchaîné, on p eu t le
recherches. D epuis C harles A ddam s, tro u v er dans les dessins du doux et
qui en est arrivé à se plagier lui- acide Copi, publiés dans la collection
m êm e depuis cinq ans, personne « H um our secret». E st-ce à dire que
n’avait exploité avec plus de bonheur l’hum our graphique se porte bien?
et d’im agination les dom aines hantés Pas m al, c’est vrai. M ais les éditeurs
du fantastique, du m acabre, de la ne sem blent vraim ent pas très
te rre u r et de la science-fiction. Inu- pressés et de donner à voir l’œ uvre
tile de signaler le label G ahan W ilson com plète de dessinateurs aussi éton-
à tous les lecteurs de la revue Playboy. nants que Topor, G ourm elin, Folon,
D epuis longtem ps, ils ont rep éré ce Serre, p o u rn e cite r que quelques noms,
nom qui est synonym e d’éblouis- Jacques Sternberg.
166
Humour
hom m es de foi et d ’énergie qui, en
des tem ps barb ares, ont voulu p ré H IS T O IR E L IT T É R A IR E
par B E R N A R D G R O S server dans sa pu reté — et une
indiscutable du reté — les grandes S ainte-B euve: Mes Poisons (U nion
leçons du christianism e, et qui g énérale d’É ditions, 10/18) 4,50 F.
fu ren t parfois, com m e C assiodore Le titre n’est pas de Sainte-B euve,
R E L IG IO N ET R E L IG IO N S et ses com pagnons, les prem iers mais il répond bien au c ontenu de
hum anistes. R appelons, sur ces ce recueil de boutades, d’aveux, de
tem ps lointains: R aym ond O ursel, jugem ents vengeurs ou jaloux, de
M ichel M o u rre: Histoire vivante des les Pèlerins du Moyen Age, A nselm e rosseries littéraires, qui jo u è re n t le
moines, tome I (le C enturion) D im ier, les Moines bâtisseurs, chez rôle de « soupape » p our un hom m e
18,60 F. Fayard, dans la collection « R ésur prisonnier de ses relations et pour
A p a rtir d’une com pilation de rection du Passé (1963 et 1964). et un critique ligoté par le lieu de ses
textes rares, en to u t cas rarem en t R. Philippe, la Barbarie (Planète). productions. Mes Poisons, c’est le
réunis dans une bibliothèque privée, c œ u r et l’esprit mis à nu. L a confé
anciennes chroniques, vies de saints, C arlo F alconi: le Silence de Pie X II rence de ces textes avec le reste de
règles m onastiques, con féren ces ou (le R ocher) 26 F. l’œ uvre et avec la vie de Sainte-
lettres de direction, voici une très U ne nouvelle condam nation du si Beuve inspire au préfacier, H enri
précieuse histoire du m onachism e, lence du V atican devant les m ons G uillem in, des pages sévères.
des Pères du D ésert à Cluny. Voici truosités nazies, fondée cette fois sur
reco n stitu ée la m entalité des a n a de nouveaux docum ents d ’archives G uillaum e H an o tea u : l’Age d ’Or de
chorètes, faite de vie intérieure, de polonaises et yougoslaves. Selon Saint-Germain-des-Prés (D enoël)
m acération volontaire et excessive, le chro n iq u eu r concilaire q u ’est 18 F.
m enacée par Vakedia et les rem ontées Falconi, Pie X II fut bien inform é Q uelque Balzac é crira bien un jo u r
de l’inconscient sous form e de des crim es de g uerre hitlériens. le rom an de ce q u a rtier de Paris
visions dém oniaques. Voici les p re Pie X II devait parler. O r, son m es qui, entre 1945 et 1950, fut une
m ières com m unautés d’Egypte, puis sage de N oël 1942 d em eu ra trop pépinière de vedettes, et d o n t
l’aventure érém itique des station- général, non p a r lâcheté ou indif G. H an o teau a utilem ent entrepris
naires, des stylites et autres « brou- férence, mais par habileté diplom a d ’esquisser la « g éographie». Son
teurs». N ous som m es aux lim ites tique. C e livre est un com plém ent livre, largem ent illustré, co n tien t la
de la sainteté et de la frénésie, do cu m en taire au dossier rassem blé préhistoire du peuplem ent littéraire
voire de la pathologie m entale. naguère p a r Ja c q u es N o b é co u rt et artistique de Saint-G erm ain-des-
C ’est Basile qui to u rn e c ette p re sous le titre le Vicaire de l ’Histoire Prés. Il d é crit la faune du Flore. Il
m ière page du m onachism e et ins (Le Seuil, 1964). Il perm et de résister rend à c ette zone bavarde et tap a
titue une véritable vie com m u à la plaidoirie d ’Alexis C urvers geuse une a u th en ticité que la lé
n autaire fondée sur l’obéissance, dans Pie XII, le pape outragé (R obert gende avait gauchie. D ans ces lieux
l’h ospitalité et la bienfaisance. Laffont). Il confirm e le Pie X II et le où se côtoyaient tous les sexes, il
Puis saint B en o ît règle la vie m ona III c Reich, de Saül F rie d la n d er (Le m ontre que passèrent aussi tous les
cale p our des siècles, les Irlandais Seuil) et p erm et de n u an cer le p o r talents, tous les arts, avant que le
- C olom ban notam m ent — essaim ant tra it du S aint-P ère brossé par R olf com m erce ne s’en em pare. Il ja
le m onachism e celte, fait d ’ardeur, H occhuth dans le Vicaire (Le Seuil). lonne les ères de cette aire féconde.
d’héroïsm e, parfois de violence. T ous ces livres posent et reposent D es m ots y restent cu rieusem ent
Enfin, G uillaum e le F o rt et B ernon d ’ailleurs des problèm es de th éo a ttach és: néant, angoisse, absurde,
fondent C luny qui va ray o n n er logie m orale qu’il est m alaisé de existentialism e, m ais ils trahissent
du ran t des siècles sur la F ran ce et résoudre p a r une form ule. Surtout la natu re d’un sol, d ’un clim at
l’E urope. Un beau livre, sur des pour qui n’est pas le pape! surtout, si favorables à la vie.
167
M ichel S anouillet: Dada à Paris H avelock Ellis: Études de psycho
(J.-J. Pauvert) 49,50 F. L ’H O M M E IN T É R IE U R logie sexuelle (T chou).
S aint-G erm ain-des-P rés doit b e au Si l’hom m e n’est pas que sa sexua
coup au dadaïsm e et à ses suites, C arl-G ustav Jung: YHomme et ses lité, il ne s’en découvre pas m oins
mais «D ada» fait aujourd’hui partie symboles (Pont-R oyal) 57 F. largem ent par une prise de cons
de ces « terres inconnues » dont on A vant sa m ort, en 1961, et cédant à cience de son érotique et de son
p arle le plus souvent par ouï-dire et d’am icales pressions, Jung a ccep ta érotism e. C ’est ce q u ’avait bien
à travers quelques m ythes com de p ré sen te r ses théories au grand com pris H avelock Ellis, dont l’œ uvre
m odes. Un universitaire vient de lui public. Il é ta b lit le plan de cet p a ru t p our la prem ière fois en
co n sacrer une thèse très im por ouvrage, rédigea l’un des chapitres F ran ce en tre 1908 et 1938. R api
tante. Le titre du livre m arque les et confia le reste — exposé des dem ent épuisée, elle est réim prim ée
lim ites de l’e n q u ête, m ais l’in tro m ythes, du processus d’indivi- p a r le « Club du L ivre précieux »,
duction de M ichel Sanouillet résum e duation, é tude du véhicule artis et c’est heureux m êm e si elle n’est
fort brillam m ent la flam bée dadaïste tique ou onirique des sym boles — à qu’a pproche partielle de l’hom m e
dans le m onde, en Suisse, aux États- ses m eilleurs disciples, H enderson, intérieur, m êm e si elle est actu el
Unis, en A llem agne, etc. A Paris Franz, Jaffé et Jacobi. A dm irable lem ent dépassée par la psycha
m êm e, l’infiltration du m ouvem ent travail de vulgarisation, qui p erm et nalyse m oderne. C e tte nouvelle
com m ence dès 1917, m ais c’est le au lecteu r a tte n tif de descendre édition est enrichie de préfaces qui
« M anifeste D a d a 1918 » qui décide avec aisance dans la psychologie soulignent son ap p o rt à la science
l’adhésion de B reton et, com m e dit des profondeurs, d ’explorer l’in actuelle. Elle rep ren d la prem ière
S anouillet, « m arque le point de conscient collectif, grâce aux trad u ctio n intégrale d’A rnold Van
d é p art du dadaïsm e tel que nous « im ages prim ordiales », à ces G ennep. Ellis a puissam m ent con
l’entendons a u jo u rd ’hui». R évolte, « résidus archaïques » que sont les tribué à la connaissance de l’im
m odernism e agressif, processus de archétypes d ont est nourri notre pulsion sexuelle, de la sélection
libération esthétique et m orale, m onde intérieur. C e d ern ier se sexuelle, de l’érotism e considéré
goût du scandale et de l’aventure, peut a p p réh e n d er grâce aux rêves, dans ses m écanism es, ses sym boles
groupe soucieux de « l’im portance à ces rêves qui, selon la th éo rie et ses perversions. Dix volum es,
des g estes», parfois sorte d’auberge de Jung, travaillent à notre m atu d o n t l’in té rêt historique est indis
espagnole où chacun tro u v ait ce ration psychique. Jung voulut cutable.
q u ’il y a pportait, D a d a est tout a p p o rte r au m onde un nouvel
cela. Le dadaïsm e est a u ta n t une hum anism e puisque sa psycha
éthique qu’un m ouvem ent littéraire nalyse tend à aider l’hom m e à LIV RES D ’A R T
et artistique. s’ob ten ir lui-m êm e, à s’accom plir.
De son agonie sortit l’option surréa Son œ u v re vieillira sans doute
liste, dont les racines « plongent au rythm e des déco u v ertes de M arco Valsecchi: Londres, National
dans la m êm e glèbe, en l’o c cu r psychologie, m ais pro b ab lem en t Gallery (L arousse) 38 F.
rence le m êm e « esprit nouveau » m oins vite que celles de F reud. « Le m usée qui présente le pano
qui, longtem ps dilué dans l’époque, ram a le plus étendu et le m ieux
finit p a r se cristalliser soudain en com posé de la pein tu re eu ro
1918 au to u r du vocable m agique péen n e» , dit l’a u te u r dans son
Dada». Presque to u t l’art m oderne introduction, qui est un résum é
est sorti de c ette flam bée an ar de l’histoire de la célèbre galerie
chique, ju sq u ’au Pop-A rt. londonienne. Les tableaux sont
M ais la preuve est faite que l’issue présentés p a r ordre chronologique,
de to u te révolte co n tre l’A rt est si bien que cet album de re p ro
fatalem ent l’A rt, que pour rejeter ductions est, à sa m anière, une
les m ots il faut encore des m ots, histoire de la peinture, des Siennois
que p o u r brû ler les livres il faut ju sq u ’à C ézanne. O uvrage im prim é
d’au tres livres. Le travail de Sa en Italie. C ouleurs à dom inante
nouillet dépasse ainsi l’histoire lit rouge. N oirs et blancs assez fins.
téraire, m êm e s’il rend com pte de C ollection soignée, fort agréable
m anière inouïe des innovations et fort utile.
typographiques de D ada, m êm e s’il
traite du « vitalism e » dadaïste, M anuel L o ren te: le Prado, 2 vol.
m êm e — ce qui est parfaitem en t (L arousse) 76 F.
neuf - s’il établit tout ce qui sépare M êm e collection des « M usées et
D ada de ses épigones surréalistes. m o n u m e n ts» . M êm e p rin c ip e :
Un livre de base. Jung: un nouvel humanisme. grouper en deux volum es les repro-
168
A lire
ductions des tableaux d ’un m êm e livre de référence couvre la période
haut lieu de l’art. C om m e on le de 1900 à nos jours. Ses notices
Ce qui se lit : sait, le Prado est particulièrem ent sont consacrées aux peintres, sculp
riche en œ uvres de Bosch, le Titien, teurs, etc., m ais aussi aux m ou
Cette rubrique est rédigée en collabo
ration avec M. Paul Callens, directeur de V éronèse, R ubens, V élasquez, le vements, aux anim ateurs, aux écoles,
la librairie « le Furet du Nord », à Lille. G reco , G oya, etc. C om m e dans le à certain es œ uvres p articulièrem ent
volum e précéd en t, reproductions célèbres, aux critiques, aux his
G râ c e aux statistiq u es de v en te
établies p a r « le F u re t du N o rd », il en co u leu r p a r l’Istitu to G eogra- toriens d ’art, au dessin anim é.
est aisé de c o n sta te r q u e les Prix fico de A gostini, N ovara. M êm es
littéraires on t co n serv é u n e g rande qualités, m êm es défauts. ROM AN
partie de leu r prestige. O n a a ch e té
l ’Adoration, de Jac q u e s B orel (G a l M. G auffreteau-Sévy: Jérôme Bosch
lim ard), la Confession mexicaine, (le T em ps) 10 F. G eorges P é re c: les Choses (Julliard,
d’Alain B osquet(G rasset), les Choses,
D ans la petite collection « l’Œil du Col. « L ettres N ouvelles») 9 F.
de G e o rg e s P érec (Julliard). Les
livres d o n t on p arle ou d o n t on é crit Tem ps», une tentative d’exploration Un rom an (ou, com m e le d it avec
se ven d en t bien aussi: les Nouvelles du fantastique pictural de Bosch équivoque l’au teu r lui-m êm e:
des Yeux, de Paul M o ran d (G a l p a r une analyse m inutieuse des « U ne histoire des années 60 »)
lim ard), les Deux Cavaliers de toiles. B onnes re p roductions en qui illustre un des traits cardinaux
l ’Orage, de G io n o (G allim ard ), le noir et blanc (plus huit planches en de notre époque: le g oût p our les
Palais d'Hiver, d e R o g er G re n ie r couleur). En appendice, précieuses objets, le m atériel, les biens de
(G allim ard) ou le Livre des Snobs,
notices sur les œ uvres de Bosch. consom m ation, pour to u tes ces
du duc de B edford (Stock). M ais, à
la b arb e des critiques, les lecteu rs choses qui com pensent l’angoisse
ont d ’a u tres c ritè re s de choix. tem porelle et la disparition des
Ils vont parfois à un nom co n n u et valeurs idéales. Mais le «chosism e»
aim é, à G e o rg e s B rassens, p ar de Pérec est à bonne distance du
exem ple, à YIntégrale de ses chansons- «nouveau rom an». L’au teu r ne
poèmes (Seghers-C lub). Ils v o n t à gom m e pas son histoire; il esquisse
l’utile : le Charme à votre portée, p ar
M ary Y oung (G a u tie r-L a n g u ere a u ), au m oins l’aventure d’un jeu n e
YA Imanach Hachette, 1 001 réponses à couple qui ten te de p réserver son
tout, 1966 (H a c h e tte ), Quid? 1966. anarchique liberté to u t en rêvant
de D om inique Frém y (Pion), /' Astro d ’une vie m atérielle m eilleure.
nomie moderne, de R obert T o cq u et Jérôm e et Sylvie céderont pourtant,
(P roductions de Paris), les Alpes que eux aussi, à la séduction des
j ’aime, p a r divers (éd. S.U .N .), la
choses. C ette analyse sociologique
Prostate, p a r le D r Valensin (Jeune
P arque). Ils vont au cu rieu x : la JKA.VMAHC CAMPAGNE
p a r le biais du rom an a la séche
Cuisine exotique, insolite, érotique. resse et la précision d’un rapport.
de E.C. Izzo (R o b ert Laffont). Elle n’eût sans doute rien perdu de
A vant to u t, ils vont à l’histoire et sa vigueur si Pérec ne nous eût pas
à la politique. D ans le d ésordre, voici infligé ce puéril artifice q u ’est la
les gagnants des deux d ern iers m ois : Jean-M arc C am pagne: Clovis Trouille rédaction au futur.
Roland B acri, J. Lap, A. A y ach e: le (J.-J. Pauvert) 37 F.
Guide de Colombey (Jeune Parque);
Jean F ern io t: De Gaulle et le 13 mai E xcellente étude sur le p eintre du C laude N éro n : la Grande Marrade
(Pion); Jacques L au ren t: Année 40: fétichism e à sym bolisation érotique. (G rasset) 21 F 50.
Londres, De Gaulle, Vichy (la Table C om m entaires des tableaux donnés U ne rigoureuse mise en accusation
R onde); P ierre R o u an e t: Mendès- en reproduction. Biographie. Extraits de la société contem poraine. Un
France au pouvoir (R o b ert Laffont); des Propos de T rouille. A nalyse rom an dans lequel un hom m e a mis
Jean B o u rd ier: le Comte de Paris. Un graphologique p a r le D r Rivière toutes ses ran cœ u rs et son pessi
cas politique (la T a b le R o n d e); On n’y a tte n d ait pas m oins sur ce misme. On pense à C éline, m ais il
B enoist-M échin: Histoire de iArm ée
allemande. T o m e V (A lbin M ichel);
pein tre surréaliste, p ro v o c ateu r et n’en est rien, m êm e si l’auteur
K onrad A d e n a u e r: Mémoires, 1945- naïf, visionnaire et obsédé. L’œ uvre é crit com m e parle un titi parisien.
1953 (H a c h e tte ); V. B ataille, Pierre de Clovis T rouille y apparaît comm e C ’est « triste, grotesque, tragique»,
P aul: Des mutineries à la victoire, une sorte de m usée G révin de la com m e il dit, m ais il m anque à ce
1917-1918 (R o b ert Laffont); Roland luxure. réquisitoire to u t le lyrism e célinien;
G a u c h e r: les Terroristes. De la en revanche, on n’y trouve pas
Russie tsariste à l ’O.A.S. (A lbin R aym ond C h a rm e t: Dictionnaire de l’étro itesse polém ique célinienne.
M ichel); P ierre D a rc o u rt: De Lattre
au Viêt-Nam. l ’Art contemporain ( L arousse) 14 F. C ’est l’histoire de cinq couples qui
P artant des artistes du xix° siècle sem blent bien, dans l’esprit de
qui ont influencé notre tem ps, ce N éron, représenter tous les échelons
169
Librairie
de l’hum anité. T out le m onde triche,
en affaires, en am ours, en idéo SOCIOLOGIE LITTÉRATURE
logies. T ous ces « pantins» (le m ot
revient plusieurs fois à la fin du
livre) sont des ratés, des m édiocres. Un petit manuel Un grand écrivain
C e n’est pas à C éline, en définitive, du parfait technocrate fantastique: Dino Buzzati
qu’on pense, m ais à P révert.
M arcel, V incent, le père M agloire, Sur le ton de l’hum our, G eorges D ino Buzzati nous ap p o rte dans
Paul ou Jacques sont des « tê te s» . Elgozy, dans son nouvel ouvrage son d e rn ie r ouvrage l’essentiel du
Ils défilent dans la respectabilité ou « Le paradoxe des tech n o cra tes » m erveilleux inséparable de sa p e r
le cynism e avec leurs m ensonges, (D enoël), traite un sujet sérieux: sonne et de son œ uvre. A près le
leurs lâchetés et leurs filouteries. Il les o u tran ces du fonctionnarism e et Désert des Tartares (un des plus
y a de quoi se m arrer. D ’où le titre de la tec h n o cra tie . S’il a adopté ce beaux rom ans de la littéra tu re fan
de ce rom an de dérision. ton, c ’est par tem p é ra m en t sans tastique), l’Écroulement de la Bali-
d o u te; c ’est aussi p our que ses verna, Barnabo des montagnes, l’Image
A lfred E lton Van Vogt: les Armu flèches p o rten t m ieux. C et hum our de pierre et Un Amour, En ce moment
reries d’isher. Les Fabricants d ’Armes. n’est pas du badinage; c ’est un précis (R o b e rt L affont) nous donne
(deuxièm e volum e du nouveau acide corrosif. L’a u te u r dénonce jo u r après jo u r, année après année,
« C lub du Livre d’A n ticipation », les indécences, les travers, les in le lent m ûrissem ent d ’un talent qui
Ed. O pta) 30 F. cohérences d’une technocratie saisie nous paraît sans équivalent dans
Le 3 ju in 4784 de Père d ’Isher, un par le pouvoir. Rien ne m anque à la littéra tu re d’au jo u rd ’hui.
hom m e en provenance de l’an ce « petit manuel du grand comm is »:
1973 p é n ètre dans une boutique ni les astuces p our m ériter les m eil U n e vo ix différente
d’a rm urerie de G reenw ay. C et leures places aux concours de
hom m e est dangereux. Il vient de l’É cole nationale d ’A dm inistra- Il s’agit, c ette fois, de notes, d ’im
faire un saut de 7 000 ans dans le tion, ni les conseils p o u r choisir pressions, d ’ébauches, de rém i
T em ps, et il est chargé d’une form i son parti, son épouse, sa m aîtresse, niscences, de réflexions qui, en
dable énergie tem porelle. M ais son ses am is, et m êm e ses convictions quelques lignes, acquièrent la gran
po tentiel é n erg étiq u e peut devenir politiques le cas éch éan t. Ni les d eu r d’un conte, d’un rom an ou
l’arm e absolue pour la guilde des r e n s e ig n e m e n ts p r é c ie u x q u i d’une m éditation. Et ces an n o
A rm uriers dans sa guerre secrète s’adressent to u t spécialem ent aux tations s’avancent avec l’âge vers
c o n tre l’im périale M aison d ’Isher, apprentis-fonctionnaires. D ans ce une m élancolie souriante où le
qui gouverne alors to u t le systèm e catéchism e pour R astignac de la fantastique, l’étrange, l’inattendu
solaire. Le C onseil suprêm e décide politique et de l’adm inistration, effacent to u te rid ee tto u te am ertum e.
donc de le renvoyer dans son G eorges Elgozy brosse le p o rtrait Avec B uzzati, nous nous éloignons
Tem ps d’origine, gardant en réserve des re p résen tan ts les m oins sou de l’hum our grinçant des Anglo-
cette « apocalypse am bulante» riants d ’un m ilieu q u ’il connaît Saxons, du désespoir de K afka, de
q u ’il lib é rera en cas de besoin. La adm irablem ent puisque, pendant l’insolite intellectuel des su rré a
guerre est dure, en effet, en tre les une dizaine d ’années, il a participé listes. On a envie de connaître,
F ab rican ts d’A rm es et la reine à une dem i-douzaine de cabinets d’aim er cet hom m e sim ple qui nous
Innelda. On se dispute les agents. m inistériels. Il le fait dans le style en traîne dans son rêve, sans efforts
On utilise les arm es les plus extra qui lui est p ro p re: celui de la et sans arrière-pensées. Le tapis
ordinaires, y com pris les arm es phrase courte qui est presque un volant, le canari m élancolique, les
psychologiques et les « M aisons aphorism e. Ses form ules soigneu rem parts d’A nagoor. le ro ch er sus
d’illusions». On fait beaucoup de sem ent polies se fixent dans la pendu, la ch ance d ’A dèle nous
politique à l’échelle galactique m ém oire com m e des leçons à ne ap p artien n en t au fur et à m esure
dans ces deux rom ans réim prim és jam ais oublier: « Un haut fonction que nous nous abandonnons à la
pour la plus grande joie des am ateurs naire a souvent besoin d ’un plus m agie de nos propres rêveries et
(prem ière édition française: G alli insignifiant que soi; rarem en t d ’un que nous accom pagnons un être
m ard, 1961). Van Vogt y jo u e plus qualifié » — « Un m andarin p ro devenu ch er vers le déclin de sa
m agistralem ent de l’E space et du lixe est un m auvais m andarin; un vie. En ce siècle de « bruits et de
Tem ps. Il s’y révèle com m e le m inistre discret, un p iètre d é m o fureur», il est bon d ’en ten d re une
rom ancier de la volonté a u tan t que c ra te » . « Le paradoxe des tech n o voix qui nous tran sp o rte sans nous
com m e au te u r hum oristique. Le crates» est un des plus a u th e n h a n te r ou nous hum ilier.
jo u r viendra où une thèse m o n trera tiques tém oignages sur les m œ urs Jacques Ménétrier.
que, sous le couvert de la fiction, de c ette aristocratie m oderne: la
l’illustre C anadien a b ourré son haute bureau cratie.
œ uvre d ’allusions politiques. J .M.
170
A lire
HISTOIRE
La vieille Chine est-elle morte?
La C hine a q u a tre mille ans, son tro p longues... les officiels chinois Q u a tre spécialistes
régim e actuel — th éo riq u em en t é ta ien t trop souriants et pas assez
com m uniste — en a seize. L a C hine bavards... M. Jules Roy n’a pas T out autres sont les q uatre ouvrages
de q u a tre m ille ans et la C hine supporté que les C hinois ne lui que j ’aborde à p ré sen t: Mao Tsé-
de seize ans ont-elles des points m anifestent pas la m êm e respec toung, par A ndré M igot, livre de
com m uns, l’une p ro cède-t-elle de tueuse d éféren ce que les garçons base p our « c om prendre » la C hine
l’autre? D epuis seize ans, une de café de Saint-G erm ain-des-Prés. p opulaire, son passé, son présent et
C hine nouvelle est née officiel Je n’ai pas eu plus de chance, pour son avenir; Marx, Mercure et Mars:
lem ent, m ais sa gestation a duré d ’autres raisons, avec les récits de l'Asie, aujourd’hui et demain, par
tren te ans, il ne faut jam ais voyage en C hine de Sven et C ecilia R ichard Lew insohn, é tu d e d ’un
l’oublier. D epuis 1949, deux cent L indqvist: la Chine familière; de spécialiste de l’Asie, sociologue,
cinquante m illions de C hinois sont M au rice L elong: Il est dangereux m édecin et économ iste, qui nous
nés et trois cents autres m illions de se pencher au-dehors; de C a th e offre une source de d o cum entation
ont a tte in t l’âge de m aturité m en rine Van M oppès: A chacun sa à la fois agréable, succincte et
tale. D epuis 1964, la C hine p o p u Chine. Les auteurs ont fait des com plète sur les problèm es que
laire possède l’arm e atom ique. Q ue m illiers de kilom ètres, mais ils ont posent et que poseront les É tats
se passe-t-il dans ce pays gigan raté leur voyage: ils n’ont rien vu, nouveaux de cet imm ense continent
tesque dom iné p a r le d rapeau ou si peu! C urieusem ent, ils ont et, en p articulier, l’im broglio du
rouge frappé de cinq étoiles tous rap p o rté les m êm es anecdotes, Sud-E st asiatique où la C hine
blanches? Q ue font, que veulent, a m usantes m ais sans intérêt. Ils com m uniste a une influence consi
que peuvent les « fourm is bleues » sont d ’accord p our louer l’hospi dérab le; Dans trente ans, la Chine.
de M ao T sé-toung? Où en est la talité la plus g énéreuse et la par R o b ert G uillain, livre qui fera
C hine? E st-elle la R ussie sovié plus souriante, mais ils ne paraissent au to rité par l’h o n n ê te té de l’ana
tique des années 20? Ou l’Allem agne pas avoir com pris q u ’ils avaient été lyse, la richesse de l’observation,
nazie des années 30? D ’où vient et aim ablem ent « co n d itio n n és» . Ils l’intelligence des problèm es posés
où va la C hine de M ao? Il d evrait n’ont rien com pris à la C hine nou et de leurs solutions possibles; la
être facile de rép o n d re à ces velle, p arce que la C hine nouvelle Chine surpeuplée, tiers monde
questions, car il est relativem ent ne fait aucun effort p o u r être affamé, p a r R ené D um ont, étude-
aisé de franchir a u jo u rd ’hui le com prise, parce q u ’elle se m oque reportage qui est un m odèle du
« rideau de bam bou ». M aints voya de la com préhension ou de l’incom g enre et qui m et l’accent sur les
geurs occidentaux, reto u r de C hine, préhension occidentale. perspectives d ’avenir: e n tre le
écrivent le récit de leur périple.
Les devantures des librairies re
gorgent de volum es de souvenirs de
voyages et d ’études sur la Chine.
E t pou rtan t...
172
A lire
R E L IG IO N
Vatican II commence demain
Jean XXIII pensait que le Concile durerait trois mois, le temps m unications seront am éliorées entre
d ’une session. Le pape est mort avant que son œuvre fût achevée. les divers degrés de la hiérarchie.
Vatican II aura duré, avec quatre sessions, plus de trois ans. Dès Les évêques, déjà rassem blés en
les premiers jours d ’octobre 1962, le plan de la Curie romaine, C om ités nationaux ou régionaux,
d ésigneront leurs délégués au
avec ses 16 volumes de documents, ses schémas, ses décrets, ses Synode épiscopal, qui sera l’organe
constitutions dogmatiques préparés d ’avance, s’est écroulé sous c o n su lta tif suprêm e du Saint-Siège
la poussée de l’épiscopat. et qui se réu n ira sur convocation
Avec V atican I (1869-1870), à un D e nom breux textes ont été votés à du pape. Les laïcs ne sero n t plus
siècle d ’intervalle, V atican II (1962- c ette fin. R etenons su rto u t la C ons seulem ent des ouailles dociles: ils
1965) form e un singulier diptyque. titu tio n dogm atique sur l’Église, au ro n t désorm ais sur les affaires
Le prem ier est sous le signe de prom ulguée le 21 novem bre 1964, de l’Église le d ro it d ’exprim er
l’« anti-m oderne », le second sous le et l’institution du Synode épiscopal, leur avis et une certaine liberté
signe de l’ouverture au m onde décidée p a r Paul VI en octo b re d ’action, dans le respect de la hié
m oderne. Le prem ier définit et 1965. C ertains observateurs s’a tte n rarchie. Le C oncile rappelle,
condam ne, le second affirm e et d aien t à une dém o cratisatio n des com m e aucun texte ne l’a jam ais
dialogue. C ’est un v éritable re n stru ctu res ecclésiastiques et le m ot fait, la participation des laïcs au
versem ent d ’attitudes. Le pasteur de «collég ialité» a suscité long sacerdoce du C hrist, à sa fonction
l’em porte sur le d o c te u r, la do c tem ps bien des illusions. Si le p rophétique et à sa dignité royale.
trine devient m oins scolastique et prem ier C oncile du V atican, en C ’est le schém a sur les prêtres qui
plus apostolique. La m ain tendue 1870, qui a proclam é l’infaillibilité a soulevé le plus de difficultés et
rem place l’anathèm e. du Souverain Pontife dans l’exer donné le m oins de satisfaction; le
Ce C oncile est une p rojection de cice de son m inistère doctrinal, a C oncile des prê tre s est encore à
l’Église vers l’avenir. On ne peut en été appelé le C oncile de la P apauté, venir. Le pape a coupé co u rt aux
parler en term es de bilan. Il n’a V atican II devait être le C oncile discussions sur le célibat des prêtres
rien innové en d o c trin e; il annonce des Évêques. Il con sacrerait, et s’est réservé l’étude de la ques
ce qui com pte p eu t-être le plus: un pensait-on, leur responsabilité col tion, non sans confirm er aussitôt
changem ent in té rieu r de l’Église. lective sur l’Église universelle, en avec énergie les positions tra d i
D ans son discours d ’ou v ertu re, le tan t que corps constitué successeur tionnelles de l’Église d ’O ccident.
11 octo b re 1962, Jean X X III o bser des douze A pôtres. En réalité, rien
vait que « le m onde est en m ou n’a été changé dans les relations L 'œ c u m é n ism e à venir
vem ent vers un nouvel o rdre de qui unissent l’épiscopat au p o n ti
rap p o rts en tre les hom m es». ficat rom ain. C om m e l’a déclaré Le second o b jec tif de V atican II
L’œ uvre de V atican II, pour la Paul VI dans son discours du 18 no é tait de ten d re à l’u nité des ch ré
résum er brièvem ent, dev rait d é te r vem bre 1965, l’Église garde son tiens. Le d é cre t sur l’œ cum énism e,
m iner un nouvel o rdre de rapports « c ara c tè re m onarchique et h ié ra r prom ulgué le 21 novem bre 1964,
à l’in té rieu r de PÉglise, de m êm e ch iq u e» ; sa direction ne devient ni résum e les progrès officiels réalisés
q u ’en tre l’Église e t le m onde dém ocatique ni collégiale.' dans ce sens. Pour en a p p réc ie r la
extérieur. M ais si les stru ctu res d e m e u ren t p o rtée p ratique, il faut a tte n d re les
Com m e prem ier objectif, le Concile inchangées, quelle que soit la réactions de l’Église à certain es ini
s’est proposé de « définir plus com réform e de la C urie que décidera tiatives, et des m esures d ’appli
p lètem en t et de vivifier l’É glise». seul le Souverain Pontife, les com cation, com m e pour le cas des
173
Religion
P^T“ m ariages m ixtes. M ais un résultat n ’est pas une nouveauté d octrinale,
est acquis: on ne saurait plus con m ais un nouveau désaveu de c e r
cevoir ni espérer un œ cum énism e taines p ratiques abusives du passé.
qui serait un re to u r à l’u nité du Elle réclam e enfin des É tats la
tem ps passé. L ’unité de tous les liberté religieuse, non seulem ent
chrétiens ne p re n d ra force et vie pour elle, m ais p our tous les cultes:
que dans l’avenir et sous une form e c ette innovation prouve que les
qui reste en co re à découvrir. Le m alheurs de l’H istoire font parfois
m ouvem ent est lancé. G râ ce à un a vancer les idées.
dialogue continu et à des actions
com m unes en tre les diverses c o n U n e théologie doit précéder
fessions chrétiennes, certaines la pilule
convergences de cœ u r, de pensée,
d ’action p o u rraie n t se m atérialiser On a gén éralem en t éprouvé une
peu à peu dans une u nité ecclé très grande déception devant l’ab
siale. V atican II, loin de s’en ten ir sence d ’une décision conciliaire sur
aux condam nations passées, a solen l’un des problèm es les plus débattus
n ellem ent d éclaré que certains de l’heure, le contrôle des nais
schism es s’é taien t pro d u its « p a r la sances. V atican II s’est co n ten té
faute des personnes de l’une et de de m ettre l’a ccen t sur l’une des fins
l’autre p a rtie » ; il a confirm é la vali du m ariage, le perfectio n n em en t
dité de baptêm es reçus et l’effica m utuel des époux dans l’am our,
cité de m oyens de salut mis en alors que la doctrine traditionnelle
œ uvre en dehors de l’Église ro m ettait p lu tô t en avant le devoir
m aine. Il est vrai que le C oncile de p ro créatio n . T oute relation
ajoute que leur « force dérive de sexuelle devant être sous un c er
la p lénitude de grâce et de vérité tain contrôle de la raison p our
qui a été confiée à l’Église c ath o re ster un acte hum ain et m oral, le
lique » raisons. En rejetan t légitim em ent con trô le des naissances est un prin
des co nceptions de Dieu erronées, cipe indiscutable. M ais la valeur
Les valeurs de l'incroyance l’athéism e oblige les croyants à m orale de ce contrôle dépend des
purifier leurs p ropres idées. « Les raisons qui l’inspirent et des
Le troisièm e o b jec tif élargit les hérésies sont utiles», disait un Père m oyens q u ’il em ploie. C ’est ici que
visées de V atican II au m onde de l’Église, quand elles p e rm e tte n t le m onde a tte n d ait des décisions:
entier. L ’Église veut rép o n d re aux de corriger certains excès et elles ne sont pas venues. Le pape
besoins du m onde présen t. Il lui d ’a p profondir la d octrine. Une s’est réservé la question et il a
a p p artie n t de lever d ’abord c er com m ission a été instituée pour confié à une com m ission consul
tains obstacles q u ’ont dressés entre re ch e rch e r les form es et les m oti tative le soin d ’en é tu d ie r tous les
elle et une vaste p artie du m onde vations de l’athéism e co n tem aspects et to u tes les conséquences.
certaines attitu d es historiques. Le porain. Le problèm e des contraceptifs,
C oncile a « d éploré » to u tes les pilules ou autres m oyens, est su b o r
m anifestations d ’antisém itism e. Il a Les éq uivoques de la liberté donné à une théologie. La m orale
reconnu officiellem ent certaines ch rétien n e n ’est pas un sim ple
valeurs authentiques contenues dans On in te rp ré te ra it de travers le code, réduit dans ce cas à une
les religions non ch rétien n es: le d é cre t sur « la liberté religieuse », an n o tatio n du Codex. C ’est une
« grand patrim oine com m un » des si l’on croyait que l’Église consi théologie revue, et p eu t-être cor
juifs et des chrétiens, la libération dère désorm ais com m e légitim e rigée, de la sexualité, qui fera
des angoisses dans l’hindouism e, l’adhésion à n’im porte quelle reli co m p ren d re pourquoi la c o n tra
l’insuffisance radicale de ce m onde gion. Elle d énonce toujours, et ception est perm ise ou interdite.
changeant dans le bouddhism e, avec la m êm e force, l’indifférence Le fam eux schém a 13 sur « l’Église
l’ado ratio n du D ieu Un dans et le subjectivism e. D ans ce d écret et le m onde m oderne », a u tan t que
l’islam, l’inquiétude du cœ u r si discuté, le C oncile réaffirm e le l’insipide « D é cre t sur les M oyens
hum ain dans to u tes les religions. d evoir de chacun de re ch e rc h e r la de com m unication sociale», a déçu
Il éprouve to u te discrim ination. vérité e t de suivre sa conscience tous les espoirs. M ieux vaut le
V atican II tém oigne de discer d ûm en t éclairée. C ette lum ière dire avec franchise et avec respect
nem ent et de com préhension devant devrait n o rm alem ent conduire à que de s’extasier sur des lieux
le p h énom ène de l’athéism e aux l’Église. M ais celle-ci re je tte toute com m uns. Un savant balancem ent
m ultiples visages et aux m ultiples co ercition en la m atière : ce qui e n tre des form ules littéraires et de
17 4
A savoir
prudentes mises en garde n’arrivent nom bre de «dialogues», d ’« ouver
pas à m asquer l’indécision de la tu res» , de m esures d ’aggiorna-
pensée. Pourtant, de nom breux mento. E ngager le dialogue, n’est-
groupes d ’études, à trav ers le ce pas, à certains veux, e n tre r
m onde, s’étaient penchés avec dans la voie de la « relativisation »?
ard eu r sur ces problèm es. L eur Jusqu’où aller? Le Souverain Pontife
Il ne suffit pas
message m anquait-il de perspi indique les deux d irections que de découvrir l'archéologie
cacité ou de m aturité, ou bien p o u rrait p re n d re la « mise à jo u r»
n ’est-il pas parvenu à R om e? Peut- de l’Église, p o u r interdire l’une et On reprend actuellem ent l’affaire
être les rapports de l’Église et du p our re co m m a n d e r l’a u tre : la p re des m anuscrits de la m er M orte,
monde m oderne appellent-ils moins m ière est « selon la m entalité du non pas la série de 1945, mais
des d éclarations d octorales que des m onde», la seconde « selon l’esprit celle qui avait été proposée au
attitudes pastorales d ’éveil et du C oncile». R econnaissons q u ’il British M uséum en 1883. Le British
d ’attention, de confiance et de ne pouvait en aller au trem en t. M uséum avait évidem m ent refusé
com préhension de ces attitudes Nous som m es parfaitem en t avertis, avec la d ernière én ergie: n’était-il
qui ne prolongent pas indéfinim ent et je cite les paroles de Paul VI: pas absurde d ’im aginer que des
l’enfance du baptisé, m ais qui « Aggiornamento signifiera donc m anuscrits d a ta n t de bien avant
l’aident à m ûrir lui-m êm e ju s désorm ais p o u r nous p é n étratio n le tem ps du C hrist aient pu se co n
q u ’aux responsabilités de l’âge éclairée dans l’esprit du C oncile server dans une grotte ju sq u ’à nos
adulte. et fidèle mise en application des jours! Le vendeur s’est suicidé.
directives q u ’il a trac ée s d ’une Les m anuscrits fu ren t achetés p our
Préparer le ch a n g e m e n t m anière si heureuse et si sainte. » 10 livres sterling par un m archand
Le dialogue avec le m onde pren- de livres d ’occasion qui les a re
D ans l’a tte n te des d é cre ts d ’appli drait-il fin à la clôture du C oncile? vendus en 1887. Où sont les m anus
cation, que conclure? D ans Eccle- L’Église entre-t-elle de nouveau crits en ce m om ent? On voudrait
siam suam déjà, Paul VI d é co u dans une période de repliem ent sur bien le savoir. L’« O bserver » du
vrait la lutte ém ouvante que se sa pro p re réorganisation, en fonc 19.12.1965 raconte l’histoire.
livrent en lui-m êm e l’au dace et la tion d ’une ligne définitivem ent M orale: Il ne sert à rien de faire
p rudence. Avec ses discussions fixée? On ne voudrait pas le croire; des d écouvertes si la pression des
hardies et ses votes p ondérés, le mais il est probable que, p o u r un bonzes en place est trop forte.
C oncile a rendu le m êm e tém o i certain tem ps, la pru d en ce va l’em C om m e le disait M ax Planck, « la
gnage. M ais ouvrir le dialogue p o rte r sur l’audace. vérité ne triom phe jam ais, mais
n’est-ce pas a cc ep te r des échanges? Jean Chevalier. ses adversaires finissent p a r m ourir».
N ’est-ce pas a cc ep te r de se tra n s 11 faut m alheureusem ent a jo u te r:
form er soi-m êm e, év entuellem ent, « Ses défenseurs aussi quelquefois. »
à la lum ière de l’au tre? Si Vaggior-
namento préconisé par Jean X X III
a un sens, c ’est bien d ’inviter à un Un monde inconnu
discernem ent en tre l’accessoire et
l’essentiel et de p ré p are r en consé Le Pérou se révèle décidém ent
quence un changem ent d ’attitude. com m e é ta n t la région du m onde
O r un m ot a été lancé p a r la voix la plus riche en civilisations dis
la plus au torisée de l’Église c ath o parues. On vient de d écouvrir
lique, qui sera certain e m e n t des dans la jungle trois villes ab an
plus em ployés dans les années à données. D ’après les légendes
venir p a r les adversaires infati locales, ces villes ont été cons
gables du changem ent. Ce m ot tru ites par des hom m es blancs aux
servira de c o ntrepoids à Yaggior- yeux bleus, qui résistaient aux
numento. D ans son discours au Incas, m ais qui p riren t la fuite
C oncile du 18 novem bre 1965, lorsque les Espagnols débarquèrent.
Paul VI a mis en garde co n tre le Le p rofesseur Luis E. V alcarcel,
danger de « relativiser» les dogm es, l’ém inent archéologue péruvien, a
les lois, les stru ctu res el les tra déclaré, ra p p o rte le « New H erald
ditions de l’Église. On voit d ’emblée T ribune» du 6 jan v ie r: « N ous
l’abus qui sera fait de ce m ot, si som m es au seuil d ’un m onde in
p rofondém ent juste à certains connu. Les ruines sont partiel
égards, p our frap p er de suspicion, lem ent recouvertes p a r la jungle
p o u r con d am n er et p o u r a rrê te r et on est en train de les dégager. »
175
Archéologie
PHILOSOPHIE
TeilhardetEinsteinàl'UNESCO
Le p rem ier m arqua fo rtem en t la Celui qui est Intelligence pure et
d ifférence en tre la visée de la E xistence absolue.
science du x v i i p siècle et celle de Et, sans d oute, les exposés du p ro
la science du xxc siècle. Il y a deux fesseur K edrov et du professeur
cents ans, les savants s’o ccu p aien t Piveteau ne se situent-ils pas sur le
de classer, de diviser, de circons m êm e plan. Celui-là ne q uitte pas
crire les différentes disciplines le dom aine expérim ental de l’his
scientifiques. Il s’agissait, p o u r eux, toire des sciences, celui-ci nous
de dresser un véritable tableau des em porte dans une vision grandiose
connaissances et d ’affecter à chaque qui em brasse la natu re e t la sur
case un o bjet et une m éthode. Les nature, la raison de l’hom m e et
cases é taien t nettem en t séparées: l’âm e de l’U nivers. Et p o u rtan t,
ici, les m athém atiques, là, la phy ces deux attitudes vont de pair,
sique, plus loin, la zoologie: ces toutes deux font é ta t d ’un m êm e
divisions ont servi à organiser nos m ouvem ent, d ’une m êm e m arche
universités et, au jo u rd ’hui encore, en avant. Les sciences intercalaires
to u t notre enseignem ent secon naissent, se développent et se
daire et une bonne partie de notre fortifient dans le sillage m êm e de
enseignem ent supérieur sont restés l’accélératio n scientifique, et la
Teilhard, témoin d ’une crise fidèles à c ette conception cad as vision de T eilhard de C hardin est
trale de la science. le term e d ern ier d ’une série qui
Mais voici qu’au cours du xxc siècle, s’accum ule dans le tem ps. La
sous la poussée du développem ent synthèse des sciences n’est pas un
Sur le th èm e de « Science et Syn scientifique, les frontières de chaque systèm e de relations, statique,
thèse, l’U N ESC O a organisé du dom aine se sont effacées, et des rigide, im m obile, m ais une fusion
13 au 15 décem bre 1965 un col sciences in tercalaires viennent vivante que nous créons nous-
loque auquel ont pris p art to u r à c om bler les interstices. Il n’est pas m êm es dans l’élan com m un à nos
to u r: M M . F erdinand G o n seth , de seulem ent question de je te r des recherches.
l’École polytechnique fédérale de ponts en tre la chim ie et la biologie
Z urich; R o b e rt O ppenheim er, ou en tre la physique et l’astro A lle r par-delà les choses
directeur de PInstitute for A dvanced nom ie, m ais v éritablem ent d ’e n tre
Studies de P rinceton; sir Julian lacer et de fondre les disciplines A vec d ’autres m ots, m ais dans le
H uxley; le R.P. D u b arle; M M . fondam entales. La synthèse, alors, m êm e esprit, Planète a parlé du
G iorgio de Santillana, du M assa n’est pas le fruit d ’une générali Point de C onvergence, p oint lim ite
chusetts In stitute of T echnology; sation philosophique, d ’une vue de où viennent se rassem bler les
G erald H olton, de l’université de l’esprit, com m e on dit quelquefois, form es de pensée les plus diverses
H arvard; W ern er H eisenberg, mais d ’une nécessité objective qui en ap p aren ce, les m athém atiques
d irec te u r du M ax Planck Institut est engendrée p a r le progrès scien supérieures, la créatio n poétique,
de M unich; B. K edrov, de l’Aca- tifique lui-m êm e. l’archéologie des hautes époques,
dém ie des sciences de l’U .R .S.S.; M. Piveteau réussit en quelque la psychologie des profondeurs. Si
Jean Piveteau, de l’A cadém ie des trente m inutes à donner exactem ent nous le rappelons, ce n’est ni pour
sciences de Paris. C ette réunion a et clairem ent l’essentiel de la nous glorifier ni p our nous justifier,
été placée sous le signe de trois pensée de T eilhard de C hardin. Il mais p our souligner les buts p e r
anniversaires: le dixièm e anniver exposa la ligne d irec tric e d ’une m anents de cette revue qui sont de
saire de la m ort d ’A lbert Einstein; évolution d o n t l’hom m e est devenu ten d re vers le « p a r-d e là» des
le cinquantièm e anniversaire de la le relais principal et dont le point choses. C om m e si chaque objet,
th éo rie de la R elativité généralisée; ultim e est un c en tre d ’énergie chaque être, chaque activité
le dixièm e anniversaire de la m ort d ’une puissance infinie. Il m ontra hum aine é taien t entourés d ’une
de T eilhard de C hardin. N ous com m ent la pensée de T eilhard de au ra qui fait q u ’ils sont plus que
voudrions a ttire r plus p a rticu liè C hardin, dépassant les oppositions leurs apparences visibles, il est une
rem en t l’atten tio n des lecteurs de stériles de la science et de la foi, form e de recherche par imagination
Planète sur les deux d ern iers prend au c o n traire appui sur les qui vise un horizon de relations
exposés: celui du professeur Kedrov déco u v ertes scientifiques les plus tran scen d an tes qui seul confère un
et celui du professeur Piveteau. m odernes p o u r ouvrir la voie vers sens et une caution à ce que nous
176
A savoir
voyons, à ce que nous touchons, à Q uand M oseley com m ença ses tra
ce que nous faisons. Peu im porte le
BIOLOGIE vaux, les recherches anglaises et
nom que l’on donne à cet horizon. am éricaines m enées sur les bactéries
C ertains philosophes l’appellent avaient déjà donné quelques résultats.
l’E tre, tém oin Jean B eaufret qui Les biologistes La p artie de la cellule qui sem ble la
parle de « l’Ê tre qui se p orte envisagent plus m enacée par les radiations est
caution de to u t existant» (Hei l’A .D .N . des chrom osom es: in te r
degger et le problème de la vérité, la guerre nucléaire versions de segm ents, cassures, hydra
dans « F ontaine», N° 63, novem bre et cherchent à guérir tation des bases, les effets sont m ul
1947, p. 765). Q u’il nous suffise de tiples et n ’ont pas en co re été tous
rappeler q u ’à l’heure présen te la le mal des radiations précisés. M ais, en 1962, R ichard et
pensée occidentale éprouve l’urgent Jan e Setlow , du lab o rato ire national
besoin non plus d ’accu m u ler des 11 y a vingt ans, à H iroshim a, une d ’O ak Ridge, ont précisé l’effet des
faits, mais de retro u v er une unité nouvelle m aladie terrifiante faisait rayons ultraviolets: ils p rovoquent la
perdue dans l’ém iettem ent de l’acti son apparition, une m aladie créée dim érisation, c’est-à-dire la soudure
vité scientifique. N ous faisons tout p a r l’hom m e: le « m al des rayons». de deux bases voisines. Et ce boule
juste les prem iers pas dans cette D epuis, il cherche le m oyen de versem ent em pêche la réplication de
voie et, p o u r avancer, il faudra c o m b a ttre ce fléau q u ’il a libéré. Aux l’A .D .N .2, b loquant du m êm e coup
vaincre les résistances d ’un ra tio U .S.A ., en A ngleterre, en U .R .S.S., la division cellulaire indispensable à
nalisme dém odé et d ’une objectivité en F ran ce, des drogues « anti la vie. M ais c ette sensibilité de
de courte vue. E t, sans doute, est- radiations » ont été découvertes. l’A .D .N . p a raît varier en fonction de
ce prendre un risque que d ’aller M ais to u te s ont un grave d éfaut: la p ro portion des q u a tre bases qui
ch erc h er le « par-delà» des choses, elles n ’agissent que préventivem ent, le com posent. Si le couple cytosine-
puisque jam ais on ne p o u rra p ré et e n co re faut-il q u ’elles soient guanine dom ine, la résistance est
sen ter une chose qui soit une pièce absorbées très peu de tem ps avant plus faible, mais s’il ne rep résen te
à conviction. Et p o urtant l’O ccident l’irradiation. que 34% des bases (66% étan t
est au jo u rd ’hui en é ta t de crise: il rep résen tés par le couple thym ine-
doit dépasser une certain e c o n ce p Les rayons s'attaquen t adénine), la résistance est élevée. Du
tion de la science sous peine d ’être aux gènes de l'hérédité m oins à l’égard des radiations ioni
déchiré entre une su rproduction santes (rayons X, rayons gam m a),
technique et le vide des fins. U ne fois le m al fait, n ’y a-t-il aucun c ar c ’est l’inverse qui se produit vis-
L ’O ccident a to u t donné au m onde m oyen de le rép arer? C ’est ce que à-vis des rayons ultraviolets: une
m oderne, sauf une raison d ’être. Et c h erch e à d écouvrir un biologiste abondance de cytosine-guanine donne
c ’est pourquoi le colloque de anglais, Bevan E.B. M oseley, de une grande résistance à l’égard de
l’U N ESCO est le signe de cette C am bridge, en étudiant une bactérie ces rayons. C ’est dire que la résis
prise de conscience et vient e n co u p a rticu lièrem en t résistante aux ra tance aux radiations ionisantes et la
rager ceux qui ch erch en t, dans et diations. Celle-ci, le Micrococcus résistance aux ultraviolets ne sau
par la synthèse du savoir, le sens radiodurans, fut déco u v erte il y a raient coexister dans le m êm e
de l’existence hum aine. environ dix ans dans des conserves organism e.
A ndré A mar. de viande p o u rtan t irradiées à
3 000 k r a d s 1. C ’est dire q u ’elle U n e bactérie
supporte des doses p a rticu lière m en t qui récupère très vite
élevées, puisque la p lupart des
m am m ifères su ccom bent à 500 rads, A son grand éto n n em en t, M oseley
voire m oins. d écouvrit que le Micrococcus radio
D epuis quelques années, plusieurs durans, très résistant aux radiations
re ch e rch e s ont été m enées sur les ionisantes, contenait 67 % de cyto
b actéries. Celles-ci p ré sen te n t plu sine-guanine, ce qui contredisait les
sieurs avantages: organism es uni- résultats de ses prédécesseurs. F orce
cellulaires, elles p erm ettent d ’étudier
les effets des radiations au niveau le 1. L e rad est u n e u n ité d e do se u tilisée p a r les
plus sim ple, celui de la cellule. En biologistes. Il m esu re le m o n ta n t d ’én erg ie
outre, elles p e rm e tte n t d ’obtenir des a b so rb é e p a r l’org an ism e irra d ié p lu tô t q u e la
ra d ia tio n elle-m êm e. U n k rad = 1 000 rads.
résultats statistiq u em en t p robants: 2. L o rs d e la rép lica tio n , la m o lé c u le en d o u b le
un m illièm e de litre de bouillon de h élice de l’A .D .N . se scin d e en d eu x , e t c h a q u e
cu lture renferm e 1010 b actéries, soit m o itié rég é n è re celle qui lui m an q u e. C e p h é n o
m èn e d ’a u to -fa b ric a tio n , qui se p ro d u it lors de
beaucoup plus d ’individus que n ’en la division cellu la ire , p e rm e t à c h a c u n e d es deux
com pte la population m ondiale. n o u v elles cellu les d ’av o ir son c o m p te d ’A .D .N .
177
Biologie
!■*■* lui fut de conclure que la com position
de l’A .D .N . n’était pas déterm in an te
dans la résistance aux radiations. Il
■ESB Ü B & B l Les affaires
fallait envisager un a u tre facteu r: la
faculté d ’au to -reco n stru ctio n de D ollar pour dollar, on v endra en 1966 aux États-U nis au tan t de
l’A .D .N . endom m agé. M oseley m onstres que de réfrigérateurs. Au d éb u t de l’année, M onsieur
découvrit que ce qui donne au Jam es W arren, président d ’une Société d ’É dition qui vient de
Micrococcus radiodurans son excep m ettre sur le m arché un p etit m anuel: « F abriquez vous-m êm e votre
tionnelle résistance, ce n ’est pas une
quelconque p ro tec tio n , c ’est sa rapi m onstre», d éclarait au très sérieux «W all S treet Jou rn al» que
dité de « ré c u p é ra tio n » . En effet, ce m anuel qui est vendu 60 cents (3 francs) se vendait dix fois
après irradiation à 350 krads, la mieux q u ’il n ’avait prévu:
bactérie cesse de se diviser: elle est 500 000 exem plaires avaient été réservations p o u r le réveillon. Elle
donc bien lésée. M ais au bout de vendus la sem aine où il avait est équipée avec une installation de
cinq heures environ, la division acco rd é son interw iew au jo u rn a m onstres qui a coûté 150 000 dollars.
reprend au m êm e rythm e q u ’avant liste R onald Buel, économ iste du Vous appuyez sur un bouton:
l’irradiation. Et si l’on irradie de « W all Street Journal ». le m onstre de F ran k en stein sort de
nouveau les m êm es b actéries, à la La société de M onsieur W arren sous la table. Vous appuyez sur un
m êm e dose, après une nouvelle publie déjà deux revues fortem ent au tre et la c ré a tu re du Lagon N oir
in terru p tio n de 5 heures, la division instructives: Les M onstres fam eux sort du plancher. F ondé en juillet
cellulaire red ém arre à nouveau. du Pays du Film : 50 cents l’exem 1965, ce club eut un tel succès qu’en
C ’est dire que ce qui favorise cette plaire, et le M onde des M onstres: février 1966 il a ouvert une su ccu r
b actérie, c ’est une rem arquable 45 cents. Elle vend égalem ent des sale à Las Vegas. A Los A ngeles,
faculté de récupération. bandes dessinées re p ré se n tan t des il s’est fondé une société vendant
m onstres. D es volum es reliés con des shakers p o u r secouer les
M a is l'h o m m e ten a n t des rep ro d u ctio n s de ces coktails, en form e de m onstre, ainsi
a -t-il le m êm e pouvoir? bandes dessinées sont vendus p a r que des cuillers en form e de
des éditeurs im portants tels que m onstre. 250 000 de ces charm ants
R estait à tro u v er à quoi elle la doit. B allantine Books à des m illions objets sont vendus chaque mois.
Les travaux am éricains sur la d im é d ’exem plaires. Ils p o rten t des titres Il faut égalem ent signaler com m e
risation de la thym ine d o n n e n t à réjouissants tels que: C ontes du objet d ’un goût parfait une b o u
pen ser que cette « récu p é ratio n » est C aveau, Le Caveau de l’H orreur, teille re p ré se n tan t le p résident
le fait de certaines enzym es: l’une etc. Au total ces bandes et ces K ennedy criblé de balles. Le
décrocherait de la m olécule d ’A.D.N. livres se vendent p o u r tren te m il whisky ou le gin coulent par les
les deux thym ines soudées, l’autre lions de dollars courant. trous des balles lo rsq u ’on secoue
a p p o rte rait deux thym ines de rem M ais ce n’est là que le début. Des la bouteille. T rois cents restau ran ts
placem ent. Ces processus enzym a disques, des films d ’am ateurs, des servent des glaces spéciales à
tiques rép arateu rs, déco u v erts p our boîtes « F a ite s-le vous-m êm e», m anger avec la cuiller à m onstre,
la thym ine, sont-ils égalem ent ceux des portefeuilles, des chem ises re ces glaces étan t recouvertes d ’une
qui ré p are n t tous les dom m ages p ré sen te n t égalem ent des m onstres, crèm e à la fraise ressem blant à du
causés à l’A .D .N . p a r l’irradiation? et ainsi de suite. La publicité des sang. Un million de taille-crayons en
M oseley le pense. revues spécialisées dans le m onstre form e de têtes de m onstres ont été
Il reste à isoler p récisém en t ces recom m andent tout particuliè vendus. Plusieurs program m es de
enzymes. Il reste surtout à rechercher rem en t l’attirail du parfait vam pire, télévision spécialisés dans les
si des processus équivalents existent la grenade à fragm entations q u ’il m onstres o n t un très grand succès.
chez les m am m ifères et chez faut je te r parm i ses amis, les ballons Le phénom ène sem ble avoir d é
l’hom m e. M ais une nouvelle voie est q u ’on peut gonfler à un m ètre de m arré il y a une dizaine d ’années
ouverte dans la rech erch e d ’une pro diam ètre et sur lesquels les m onstres avec l’ascension du d essinateur
tection contre les radiations: non sont im prim és en encre lum ineuse C harles A ddam s d o n t les e x tra o r
plus celle de drogues préventives, la nuit (la publicité précisant q u ’il dinaires dessins de m onstres ont
peu efficaces (car si la bom be devait faut p lac er cela dans la cham bre fait la fortune. D epuis, le phéno
être utilisée un jo u r, il est peu d ’un ami et le réveiller) et fina m ène s’est amplifié dans des p ro
probable que ses victim es en lem ent le m asque d o u b le: vous portions inquiétantes à tel point que
seraient prévenues), m ais celle de venez à une réunion, vous enlevez les psychiatres, com m e Edith
substances curatives, des enzym es, votre m asque, il y en a un autre Baxbaum . s’en in quiètent sérieu
équivalentes à celles qui « guérissent» en-dessous sem ent su rto u t en ce qui co ncerne
les bactéries. A H ollyw ood, une boîte de nuit, les enfants. A vrai dire, les bandes
Claude Giraud. la M aison H antée, a refusé 5 000 dessinées les plus épouvantables
178
A savoir
vont monstrueusement bien
ont été interdites et celles qui sur m illion. Il a p p araît de plus en plus
vivent ne font que se parodier. II de bandes dessinées m ettan t en
est certain d ’autre p a rt que les scène des m onstres tolérés par la
véritables clients des m onstres sont censure. Q uant aux bandes des
adultes: les jeu n e s se passionnent sinées qui ont paru avant q u ’une
plutôt p our la science-fiction, la censure volontaire ne s'établisse
fusée et l’é lectronique. On a essayé aux É tats-U nis, elles atteignent au
d’expliquer cette passion de l’adulte m arché noir des prix fantastiques,
am éricain p our les m onstres. difficiles à im aginer en F rance.
D ans « Play-Boy » de jan v ie r 1966,
U ne passion d'adulte le d essinateur co llectio n n eu r S.R.
Powell signale q u ’on lui a offert,
Parm i ces explications, la plus d’un volume relié contenant 52 exem
étrange et la plus inqu iétan te est plaires (une année) d ’une bande
celle proposée p a r l’écrivain de dessinée de m onstres non censurés,
science-fiction am éricain Fritz la fabuleuse som m e de 500 dollars:
L eiber. L eiber est su rto u t connu 2 500 F.!!
en F rance p a r son livre « A L’industrie des films dont le héros q u ’un gadget a tte in t la pointe du
l’A ube des T énèbres» (G allim ard, est un m onstre est certain em en t succès et que la courbe de vente
collection le Rayon fantastique) dans ce secteu r des m onstruosités se m et à d é cro ître , les fabricants
ainsi que p a r un c ertain nom bre celle qui fera le plus de chiffre m etten t en vente des objets de très
de nouvelles et de rom ans publiés d ’affaires en 1966: 100 m illions de m auvais goût le c o m p létan t: jeu de
dans les revues « Fiction » et dollars peu t-être. fausses dents p o u r avoir l’air d ’un
«G alax ie» . Il p a rt de l’idée d ’un Il y a, à vrai dire, dans ces films vam pire, ossem ents, etc.
inconscient collectif mis en avant des m onstres am éricains, quelques On retrouve dans to u t ce que je
par C .G . Jung. D ’après Jung, l’in classiques indiscutables com m e viens de dire les thèm es classiques
conscient co llectif peu t quelquefois « King K ong», « la C ré atu re du de la psychologie anorm ale, mais
a n ticiper sur l’avenir et il p e rm e t Lagon N oir» ou, plus récem m ent, dans des p roportions d ém esurées:
de découvrir l’im age et le relief quelques courts m étrages tirés de il ressort en effet de c et ensem ble
futurs d ’une société. C ’est ainsi que l’œ uvre d ’E dgar Poe où des nou de chiffres d ’affaires q u ’un A m éri
le disciple de Jung, le psychologue velles de H .P. L ovecraft. M ais la cain sur qu atre est gravem ent
allem and Siegfried K rakauer, dans plu p art de ces films sont d ’une anorm al. Taux incroyable? On a
un ouvrage intitulé « D e C aligari stupidité absolum ent désarm ante. p o u rtan t appris assez récem m en t
à H itler» , a m ontré d’une façon Les program m es de télévision sont q u ’un conscrit sur cinq aux U.S.A.
assez co n vaincante que le ciném a le plus souvent m oins ignobles que était réform é po u r « débilité m en
fantastique allem and de 1923 à les films, non en raison d ’une cen tale » (au sens clinique du term e).
1933 a anticipé sur les h o rreurs sure, m ais parce que les dirigeants De grandes e nquêtes socio-psycho
du régim e hitlérien. De m êm e, des firm es publicitaires, qui sont le logiques ont, d ’autre p art, mis en
pour L eiber, la vague de m onstres plus souvent des gens intelligents et évidence le m asochism e excessif du
est l’om bre pro jetée d ’un futur cultivés, ont leur m ot à dire. «m âle » am éricain. A priori donc,
sinistre, pro b ab lem en t un futur de L orsqu’un film ou un program m e à titre de prem ière hypothèse va
m utations provoquée p a r l’abus de de télévision rem porte un succès, lable, on peut avancer que cette
l’énergie nucléaire. E spérons que la période du gadget en m atière « épidém ie » de m onstres trah it un
L eiber se trom pe! D es tentatives plastique com m ence et dure sou m asochism e qui se satisfait de
sont faites, non sans succès, pour vent plusieurs années après que le m anière p rim aire: l’industrie des
fabriquer des m onstres bienveillants film a disparu. Les gadgets les plus m onstres en A m érique ou l’art de
ou drôles. C ’est le cas de plusieurs fam eux p ré sen te n t F rankenstein, se faire peur quand on a une m en
ém issions de télévision et de plu D racula ou la C ré atu re du Lagon talité débile... Q uant à c ette débi
sieurs bandes dessinées. noir. O n en vend p o u r 50 m illions lité et à ce m asochism e, ce sont
En a tte n d an t, une nouvelle idée de dollars par an aux États-U nis, des faits psychologiques c ertai
de m onstres naît chaque jo u r. Il non com pris l’e xportation sur le nem ent en relation avec la grande
paraît de plus en plus d ’a n th o reste du m onde. Les É tats-U nis crise fém inine qui sévit aux U.S.A.
logies d ’h o rreu r ou d ’épouvante. im p o rten t en outre beaucoup de M ais ceci est une autre histoire...
Souvent, leur vente a tte in t le m onstres fabriqués au Japon. L ors Jérôme Cardan.
179
Sociologie
e n te n d re
...O s - _
<3—
M U S IQ U E
Un prophète: Edgar Varèse
La m ort récen te du com positeur Edgar Varèse, F rançais am éri
canisé, ainsi que les concerts d ’hom m age qui ont suivi viennent A lbert Roussel à la grave Schola
d’attirer l’attention du grand public non seulem ent sur un hom m e cantorum, avait alors été soutenu
d o n t l’œ uvre prophétique avait été com plètem ent négligée, voire par M assenet et W idor, puis par
D ebussy lui-m êm e et p a r R om ain
ignorée de son vivant, mais encore, p ar contre-coup, sur un phé
R olland qui l’avaient recom m andé
nom ène général de notre dem i-siècle, phénom ène que b eaucoup à R ichard Strauss et à G ustav
ont voulu m inim iser, nier ou entraver, mais qui a cep en d an t M ahler, lesquels l’avaient pré
conquis sa place envers et co ntre tout. senté à F erru ccio Busoni avec
L ’a p p o rt p ro p h é tiq u e d ’E dgar consistant en une exploitation du qui Varèse travailla plusieurs années
V arèse et le phénom ène en ques son en soi p our une rech erch e de à Berlin.
tion consistent d ’une p art en un l’« inouï » au m oyen de l’écla Busoni é ta it un au tre p rophète de
culte du son en soi, d ’au tre part tem ent de la tonalité traditionnelle la révolution en m arche, et son
en l’introduction de sons nouveaux en m odalité, en polytonalité, ou en p etit livre Esquisse pour une nou
dans le m atériau m usical, d ’où il a tonalité. Il convient d ’ailleurs velle esthétique de la musique (1907),
résulte une m odification profonde d’observer en passant que ce besoin considéré p a r les académ iques
et un enrichissem ent de la façon de ren ouvellem ent et d ’extension com m e « le signal d ’alarm e d’un
traditionnelle d ’entendre, de sentir a été si puissant et profond que péril futuriste», entrevoyait to u t
et de com poser la m usique. m êm e des com positeurs nullem ent ce qui s’est passé depuis dans le
É tant donné ces faits q u ’il est vain assoiffés de révolution et fonciè dom aine de l’atom isation du son
de contester aujourd’hui, une partie rem en t conservateurs ont m ani et de la syntaxe m usicale. Il encou
du public fam ilier avec la m usique festé des velléités en ce dom aine: ragea V arèse qui se m it alors à la
traditionnelle, m ais non hostile par ainsi le bon G rabriel F auré, dont re ch e rch e « de la bom be qui ferait
principe à la nouveauté, est cep e n le langage harm onique a sans cesse exploser le m onde m usical et y
dan t un peu déso rien tée et se évolué vers une équivoque tonale laisserait entrer tous les sons par la
dem ande parfois si l’on ne p orte poussée très loin vers la désinté brèche — sons qu’à l’époque on
pas la m usique au-delà de ses gration de la tonalité traditionnelle, appelait bruits ». M obilisé en 1914,
frontières. ce qui lui faisait dire, non sans puis réform é, V arèse s’installa en
une naïve fierté: « J ’ai été aussi 1916 aux É tats-U nis où il a vécu
U n besoin de ren ouvellem en t loin q u ’il est possible dans ce qui ju sq u ’à sa m ort, le 6 novem bre, et
est perm is p a r les règles conser- où il a com posé la presque totalité
Pour quiconque est de bonne foi, vatoriales. » de la douzaine d ’œ uvres consti
la c aractéristiq u e la plus frappante T andis que Debussy, Stravinsky, tu a n t sa p roduction dont l’essentiel
du d é b u t du xxc siècle est, p o u r la Schônberg, puis leurs disciples, date des années 1925-34.
m usique com m e p our les arts plas accom plissaient leurs révolutions
tiques, le besoin généralisé d ’un p en d an t le prem ier q u art du De nouveaux instrum ents
renouvellem ent du vocabulaire et XX' siècle, E dgar V arèse subissait Les « T ro is G ra n d s» ont fait leurs
de la sensibilité. Ce besoin s’est une impulsion intérieure semblable, révolutions avec les instrum ents
essentiellem ent trad u it chez les mais plus radicale encore, p o u r la traditionnels et des langages m usi
« T ro is G ra n d s» , D ebussy, Stra- co nquête d ’un univers sonore nou caux dérivant de la tradition bien
vinsky et Schônberg. Il s’est traduit veau. Il é ta it né à Paris en 1883, que souvent en rupture avec
chez eux selon différents procédés avait fait ses études m usicales clas celle-ci. V arèse, lui, a cherché une
ayant en com m un des buts voisins siques avec V incent d’Indy et rupture plus com plète, a bousculé
180
A entendre
plus rad icalem ent la sensibilité, a n é o -ro m a n tism e d o n t se sont
em ployé les instrum ents selon des am usés des m usiciens tels que
procédés rom pant avec les schém as le Soviétique M ossolov avec ses
de l’o rchestre alors connu, et a fini Fonderies d ’acier, ou H onegger
par faire appel à des sources avec sa locom otive de Pacific 231.
sonores nouvelles (m usique con Le propos de V arèse est to u t autre,
crète et m usique électronique). et en cela il est prop h étiq u e, qua
« Les instrum ents traditionnels, rante ans à l’avance, de ce que
é c riv a it-il, s o n t-ils en m esure font au jo u rd ’hui nos jeu n e s com po
d’exprim er ce que nous exigeons siteurs sériels et électroniciens.
d’eux aujourd’hui? Si perfectionnés Il faut to u t réviser et réinventer
soient-ils, je crois pouvoir affirm er à tous les échelons de l’esthétique,
que nos instrum ents sont faibles et de la sensibilité, de l’utilisation
lim ités, et que leur g roupem ent m atérielle et com positionnelle du
a rbitraire en orch estre est loin son. C ’est un peu com m e ce qui
de pouvoir ren d re ce que la sensi s’est passé en p e in tu re: on sait ce
bilité d’au jo u rd ’hui pressent et que Picasso faisait avant le cubism e
réclam e. L a richesse des sons in ou Kandinsky avant l’abstrait. C ’est
dustriels, les bruits de nos rues, ce que Jean C octeau résum ait de
de nos ports, les bruits dans l’air façon approxim ative mais imagée
ont certain em en t développé et D iscographie récente en disant à peu près: «A vant on
changé nos percep tio n s auditives. » — Choix d ’œuvres par l ’En- pren ait un objet et on en faisait
Ici, il faut ouvrir une p arenthèse semble d'instruments à vent de de la peinture, et a u jo u rd ’hui on
po u r éviter un m alentendu: ne pas New York et l ’Orchestre de prend de la p ein tu re et on en fait
confondre avec les expériences far percussion Juilliard, sous la un o bjet.» C ’est un peu le m êm e
felues des bruiteurs fu tu riste s direction de Frédéric Waldman phénom ène qui se pro d u it avec
italiens avant la guerre de 1914, (Intégrales, D ensité 21,5, Ioni V arèse et sa descendance chez les
tentatives plus in tellectuelles que sation, O ctan d re, enregistrés en jeu n es m usiciens actuels qui l’ont
m usicales et acoustiques. N e pas présence de l ’auteur en 1950): adopté p our l’un de leurs parrains.
croire non plus q u ’il s’agit d ’in 1 disque 30 cm, Boîte à musique, Varèse prend des sons, des couleurs
venter une m usique descriptive du BAM LD 024. sonores, des form es sonores au
clim at m écanisé et industriel de — Choix d ’œuvres par le Co bruit de no tre civilisation m oderne,
no tre époque, form e artificielle de lumbia Symphony Orchestra, m ais les com bine en des objets
sous la direction de Robert Craft sonores qui n’ont plus rien à voir
(D éserts, O ffrandes, A rcanes): avec la copie des sources initiales
1 disque 30 cm, C.B.S., 72.106. de ces sons et de ces form es. A jou
— Choix d ’œuvres par l’En- tons que V arèse opère aussi parfois
semble de bois, cuivres et per dans l’esprit des « collages » où
cussion, sous la direction de l’élém ent collé devient com plè
Robert Craft (Ionisation, D en tem e n t é tra n g er à son é ta t originel.
sité 21,5, O ctan d re, Intégrales, A vant de poursuivre, je citerai
H yperprism e): 1 disque 30 cm, d’abord les titres de quelques-unes
Philips, A 01.489 L. des principales œ uvres de V arèse,
— Poèm e électro n iq u e, créé titres qui c o m p o rten t déjà c er
directement par le compositeur taines indications d’ordre esthétique
sur bande magnétique, en colla et expressif: Ionisation, Hyper-
boration avec Le Corbusier à prisme, A rcanes, Intégrales, Densité
l’intention du pavillon Philips 21,5, Octandre, etc.
de ïExposition internationale Q u ittan t l’échelon des principes
de Bruxelles en 1958. Inclus p o u r nous p lac er à celui de la
dans le disque précédent, Philips, consom m ation de l’auditeur, une
A 01.489 L. question se pose: q u ’est-ce que la
m usique? R éponse de L arousse:
Tous ces enregistrements, réa
lisés avec l'approbation de l ’au « A rt de co m biner les sons d ’une
m an iè re a g réa b le à l’oreille. »
teur (quand ce n ’est pas avec sa
participation) sont également à R éponse de L ittré: «S cience ou
em ploi des sons de la gam m e. »
conseiller.
La réponse de L arousse serait
181
Musique
risible si elle n’é ta it dangereuse E t to u t ceci, dira-t-on, po u r quoi sa d ém arch e quelque chose de
du fait de sa présence dans un faire, po u r quoi dire? C ’est ici que rom antique - m ais non pas de
in strum ent de culture. L arousse est l’artiste rep ren d la parole au tec h néo-rom antique: il n’illustre pas
exclusivem ent p o u r la m usique nicien. A cet égard, H enry M iller im itativem ent la clam eur de son
aim ablem ent digestive, ce qui n’a pas to rt de considérer Varèse tem ps, mais, com m e l’artiste rom an
est m onstrueux, ce qui revient à à l’égal de ces « c o m b a tta n ts soli tique é ta it inspiré p a r un spectacle
re je te r la Messe de Notre-Dame de taires qui, avec des idées po u r de la nature, V arèse m étam o r
M achault, les dernières sonates et to u te arm e et parfois m êm e une phose la réalité de notre tem ps
derniers quatuors de B eethoven, seule idée, font sau ter des époques à travers son art, avec ses angoisses
la Symphonie fantastique de Berlioz, entières où nous som m es enferm és et ses espoirs. L’audition de cette
ou le Sacre du printemps de Stra- com m e dans des cocons». C ’est m usique requiert, p o u r le m élo
vinsky, d o n t je ne sache pas que ce ce que Pierre Schaeffer, le saint m ane non p ré p aré , une certaine
soient des œ uvres « agréables à Jean-B aptiste de la m usique con acco u tu m an ce d ’oreille (elle vient
l’oreille». C hez L ittré, cela va crète, com plète en disant: « Il a vite, com m e elle est venue relati
m ieux, m ais c’est en co re un peu sauté à pieds jo in ts dans l’univers vem ent vite après les grands inven
restrictif, c ar c ette référen ce aux des sons. Il a fait une m usique teurs de langages sonores nou
« sons de la gam m e » revient à qui rom pt rad icalem en t avec l’atti veaux). E t il est vite inconstestable
exclure les instrum ents à percu s tude rom antique du com positeur p o u r lui q u ’il y a dans c et art une
sion lesquels, em ployés cep en d an t trad itio n n el, une m usique-décou- présence, et une volonté, et une
depuis plusieurs siècles, sont dits verte, une m usique-révélation, une générosité hum aine très puissantes
« à son indéterm iné ». m usique qui vient d ’ailleurs et que ainsi q u ’un jaillissem ent lyrique
le m usicien n’est là que p our tran s d ’une auth en ticité irrésistible.
U n e arm e révolutionnaire m ettre. C ’est lui qui, le prem ier,
a vécu et assum é la grande libé Varèse, tém oin de son tem ps
V arèse a en co re d éclaré: « J ’ai ration sonore de n otre siècle. »
toujours senti, dans m on travail S chaeffer a raison d ’a ttrib u er à Le phénom ène varésien a été p ra
personnel, le besoin de nouveaux l’im agination de V arèse une fonc tiq u em en t m éconnu ju sq u ’en 1950
m oyens d ’expression. Je refuse de tion en quelque sorte m édium nique. (sa m usique n’a pas été jo u ée en
ne m e soum ettre q u ’à des sono C eci recoupe les propos q u ’H enry F ran ce plus de deux ou trois fois
rités déjà entendues. Ce que je M iller a recueillis auprès du avant cette date). L a signification
rech erch e, ce sont de nouveaux m usicien: « Je veux ren d re la puis de cet a rt a été com p lètem en t
m oyens techniques qui puissent se sance de choc de notre époque, ignorée p a r les m usiciens cepen
p rê te r à n ’im porte quelle expres dépouillée de tous ses m aniérism es dan t rem arquables qui fu ren t ses
sion de la pensée et la soutenir. » et de tous ses snobism es. Je p ro contem porains, qui avaient eu
En disant cela, il est d ’ailleurs pose d ’utiliser çà et là des bribes l’occasion de p arler avec lui (il est
injuste et peu clairvoyant envers de phrases em p ru n tées aux révo vrai que cette génération d ’entre-
lui-m êm e: d’une p a rt ses œ uvres lutions des étoiles filantes, et des deux-guerres com prit D ebussy to u t
les plus originales et les plus nou m ots qui tom bent comm e des coups de travers, considéra l’œ uvre de
velles — citées plus h au t — sont de m arteau-pilon. J ’aim erais un ton Schônberg com m e une im passe,
p our la p lupart écrites avec des exalté, pro p h étiq u e, incantatoire, et ignora W ebern). D epuis une
instrum ents figurant presque tous l’é critu re restan t toutefois sèche quinzaine d ’années, la m usique de
au traité d’orchestration de Berlioz, et dépouillée [...] Je voudrais V arèse prend sa revanche grâce
par conséquent instrum ents trad i em brasser to u t ce qui est hum ain, aux jeu n es com positeurs arrivés
tionnels, m ais q u ’il sait em ployer depuis ce q u ’il y a de plus prim itif à la m ajorité vers 1945, notam
de façon nullem ent trad itionnelle ju sq u ’aux plus lointaines frontières m ent Pierre B oulez, K arl-H einz
(y sont généralem ent utilisés les de la science [...] D es voix dans le Stockhausen, et Iannis X enakis.
instrum ents à vent et de très im ciel, com m e si des m ains m agiques Ceux-ci n’ont pas ignoré quelles
portan ts ensem bles de percussion et invisibles to u rn aien t les boutons sont les faiblesses de la production
qui, com m e dans Ionisation, vont de postes de radio fantastiques, varésienne. C eci leur a évité de
ju sq u ’à trente-six instrum ents à des voix em plissant to u t l’espace, ch erc h er à l’im iter. M ais ils ont
p ercussion de bois, de peau et de se croisant, se chevau chant, s’in te r su en faire fructifier l’esprit et en
m étal). D ’autre p art, quand, vers la pénétrant, se brisant, se superposant, tire r des conséquences techniques
fin de sa vie, il a pu disposer des se repoussant, s’écrasant, se broyant et esthétiques qui p e rm e tte n t au
progrès accom plis p a r les sources les unes c o n tre les autres. » jo u rd ’hui au m essage fantastique
sonores électro-acoustiques, il n’a E t il ne l’a pas fait seulem ent en de V arèse de faire p artie de l’héri
pas toujours su en tire r un ren o u savant ou en ingénieux rêveur de tage général de la m usique.
vellem ent aussi original et convain science-fiction, m ais en artiste et Claude Rostand.
can t que le précédent. en hom m e. C ’est ce qui donne à
182
A enténdre
C IN É M A
Les recettes du miracle anglais
L’année ciném atographique 1965 aura été m arquée p ar l’ép a bagarre, Ben Jonson ivrogne, m en
nouissem ent sur le plan artistique d ’abord, com m ercial ensuite, teur, em prisonné pour dettes, Daniel
d ’un «m iracle britannique». L’A ngleterre a ceci de con stan t D efoe, exposé au pilori et lord
Byron qui fut l’am ant de sa sœ ur.
que ces sursauts qui surviennent périodiquem ent dans son
histoire ou dans son art, tro u v en t leur source dans le fond de Paris à l'heure de Londres
« l’âm e nationale».
C ette année, l’école anglaise, ça a m atism e. Pas d’ivresse m étaphy D e to u t cela l’A n g leterre parfois se
été James Bond, c’est-à-dire un sique, m ais un sentim ent sûr de la souvient. On peut dire que to u t
pro d u cteu r H arry Saltzm an; the gravitation des m ondes. A p artir cela a créé une « m anière de vivre » :
Knack, Help, c’est-à-dire une école, de là, le m ode de vie anglais est un m anque de culture qu’un silence
le « free ciném a», re p ré se n tée aussi avant to u t une économ ie de m oyens: poli a de la peine à m asquer, une
bien par C arroll Reiss, Laurenstein, l’A nglais parle s’il a quelque chose brutalité contenue que l’éducation
Tony R ichardson, A lb e rt Finney à dire, il bouge s’il a quelque chose dissim ule. H arry Saltzm an, le p ro
et, « last but not least», R ichard à faire, il adopte face à la vie une ducteur des James Bond, a le m érite
L ester. C ette école avait déjà fait m orale critique. Il est pratiquem ent d ’avoir com pris que dans l’œ uvre
Samedi soir et Dimanche matin, the le seul peuple qui sache s’accuser de Ian Flem m ing il y avait sous une
Sporting Life, Un goût de miel, Tom de ses fautes et ne pas re p ro c h e r à form e caricaturale, m êlés pêle-
Jones. R ichard L ester y a ajouté l’adversaire ses p ropres défaites. m êle, tous ces sentim ents enfouis,
son style libre et le sel de l’anarchie M ais, de tem ps en tem ps, to u t toutes ces hantises cachées. Il ne
à travers les B eatles. explose. Les deux clefs de l’explo faut pas oublier que James Bond a
A nalyser ces films sans avoir cons sion anglaise sont la violence et été d’abord un succès anglo-saxon
tam m ent à l’esprit ce que sont la l’hum our. et, bien après seulem ent, un succès
nation et le style anglais serait une P arlons de la violence d’abord. Ce européen. Il y a dans les James
erreur. L ’A ngleterre se réveille tra peuple qui fut longtem ps un peuple Bond le regret de l’E m pire colonial,
d itionnellem ent dans des orgies de pirates c o u ran t les m ers et le racism e sous-jacent des insu
extraordinaires. La plus im portante, fondant son em pire m ondial sur la laires, le goût du m eurtre, du stupre,
celle du x v r siècle, a m arqué à to u t bru talité et la force, ce peuple est de la violence sexuelle et physique
jam ais les lim ites et la {orme des encore actuellem ent un peuple roya h érités du xvic siècle. M ais, hélas!
révoltes ultérieures. Elle fut l’épopée liste. O r la couronne d ’A n gleterre
de l’O ccident, et to u t A nglais doué a enfanté la plus sanglante des
d’esprit c ré a te u r et libre rêve par dynasties. Les m eurtres de fem m es,
fois de la réinventer. d ’enfants, les étranglem ents d’adver
saires politiques dans les cachots
D eux clefs : de la to u r de L ondres y furent
violence et h u m o u r m onnaie co u ran te. C e tte couronne
fut p o rtée par le plus grand nom bre
N ietzsche écrivait: « L ’hom m e de fous sanglants et de b ourreaux
n’aspire pas au b onheur, il n’y a hallucinés que l’histoire du m onde
que PA nglais qui y aspire. » Il a ait connus. L a grande littéra tu re
peu t-être encore raison. T oute anglaise fut tém oin et actrice de
l’éd u catio n anglaise, to u te la vie ces violences. Il n’est que de se
anglaise sont basées sur le prag ra p p eler M arlow tué dans une
183
Cinéma
L'avant-garde se
ces films sont décolorés p a r le plus
som ptueux des technicolors et P E IN T U R E
c hâtrés par le plus hypocrite des
dialogues. Il est p eu t-être dans le
destin de notre tem ps de copier La saison artistique avait bien mal d éb u té: échec plastique de la
m aladroilem ent le passé. En tout
4r B iennale de Paris, o u tran ce des coups de b o u to ir individuels
cas, Jam es B ond répond parfai
tem ent à une élém en taire psycha et collectifs portés par la N ouvelle Figuration, etc.
nalyse des m asses. Jam es Bond est Puis, au m om ent où l’on s’y attendait plus en plus intim e et directe au
parfaitem en t anglais, dans ses le m oins, Paris s’est ressaisi: à la réel, l’im pact du langage de la
m oindres défauts. Et p a r c ette charnière de l’année nouvelle, coup technologie au niveau de la création
auth en ticité il a tte in t le plus grand sur coup, plusieurs m anifestations artistique et sur les divers plans de
nom bre. N ul au tre pays, pas m êm e m ordent sur la m arge confusionniste la com m unication de masse, qu’elle
les É tats-U nis, n’au rait pu inventer et les séquelles c o n trad icto ires soit polém ique, critique ou essen
ce p ro to ty p e dérisoire de pauvre nées de la crise de l’art abstrait. tiellem ent objective. Il ne suffit
et, au fond, ingénue obsession 1966 est à la rech erch e du tem ps pas de p ren d re conscience d’un
sexuelle. perdu en 1965: dédaignant les sens nouveau de la n ature m oderne
L’au tre clef de la révolte anglaise ten tatio n s nostalgiques du passé, la et de la m utation conséquente de la
est l’hum our. D epuis Shakespeare, jeu n e g énération entend tire r la sensibilité: encore faut-il m aîtriser
D an iel D efo e, Sw ift e t Lew is leçon d’un bilan trop longtem ps ces évidences et les o rd o n n er en un
C arroll, l’Anglais a l’habitude de retardé. processus logique de co m p o r
m arch er sur les m ains p o u r se tem en t social, un langage effectif
donner une contenance. Il est clown U n S alo n enfin jeune et efficient de la com m unication et
p a r tim idité. Avec L ester, the de la participation.
Knack, Help, les Quatre Garçons Le 17e Salon de la Jeune P einture 1 C om m ent l’artiste, naguère exclu,
dans le Vent, avec les B eatles, le m arque avec éclat ce virage positif séparé, voué à la solitude in té
« free ciném a» a retrouvé la trad i de la tendance. C ette m anifestation rieure, va-t-il réin tég rer le corps
tion des grands p itres anglais (d’où, prend en 1966 son vrai c ara c tè re : social en pleine m utation? C ’est à
il ne faut pas l’oublier, descend une exposition-rencontre des ten c ette interrogation capitale de
C harlie C haplin). A vec un m ot, un dances les plus vives de la recherche notre époque que ré p o n d en t les
geste, une m im ique, ren d re évi actuelle, un libre d é b at sur le réa gestes d ’a ppropriation d irec te du
dents, par le com ique, les rapports lisme contem porain. Les « assassins» N ouveau Réalism e. E t l’on a urait
entre les hom m es et les rapports de M arcel D ucham p, A illaud et aim é voir dans un Salon aussi
avec l’univers. Là où Jam es Bond Arroyo notam m ent, se sont c alm és2. « jeu n e » une représen tatio n plus
est une fin en soi, les B eatles sont Leur action personnelle a été d éter fournie de ce courant, un choix
une ouverture, et c’est p a r eux que m inante dans le changem ent d’orien significatif d ’œ uvres inspirées par
le m iracle b ritannique obtien t sa tation du Salon et, à ce titre, bien ce regard neuf sur le m onde: en un
victoire la plus concluante. des présom ptions négatives qui m ot, m oins de tableaux réalistes-
Le « B us Paladium » de L ondres p esaient sur eux tom b en t d’elles- expressionnistes et plus d’assem
exporte ses im itateurs à Paris, m êm es. Il ne s’agit pas bien sûr blages, d ’environnem ent, de sculp
New York ou Berlin. Il y a quelques d ’avaliser en bloc l’ensem ble des tu res-h ab ita c le s, de propositions
années, on exportait de Paris, m ain œ uvres présen tées ni m êm e le d’espace.
ten an t on reçoit de L ondres. C ’est dosage interne p ratiqué en tre les N éanm oins l’esprit y est: c ’est tout
dans ce contexte londonien q u ’il diverses fam illes spirituelles du à l’honneur du Salon de la Jeune
faut ju g er les œ uvres du « free réalism e. Peinture d’avoir réussi là où la
ciném a». La « N ouvelle V ague» M ais il se dégage de ce parcours B iennale de Paris, prisonnière de
française se perd dans des m éandres orienté une impression de fraîcheur, l’officialité et du conform ism e, a
d ’introspection, dans des fum ées de recherche ardente, de renouveau échoué.
m étaphysiques. La « N ouvelle expressif. A ce niveau, la qualité
V ague» anglaise a tte in t la liberté im porte assez peu, face à la nette U n nouveau chapitre
p ar le sourire. Elle se libère en affirm ation des intentions. D es réa de l'aventure de l'objet
jo u a n t la tim idité to u ch a n te et, lisations plus tangibles suivront-
to u t en restan t originellem ent elles l’exposé du program m e? Le problèm e de l’expressivité intrin
anglaise, elle a tte in t et com ble le L’avenir nous le dira. Pour l’ins sèque de l’o bjet de série, en tan t
désir du plus grand nom bre. L ’E m tant, des problèm es cruciaux sont q u’élém ent de base d’un langage
pire anglais se re b âtit a ctuellem ent posés, et c’est ce qui im porte: la social de l’artiste, est de plus en
dans les salles obscures. p articipation sociale de l’artiste à plus à l’ordre du jo u r. C ertains
Frédéric Rossif. la vie actuelle, son intégration de esprits que l’on peut croire honnêtes
184
A voir
remet en marche
s’in quiètent de la prolifération des
recherches en ce sens. C ’est le cas
de la d irectrice d’une sym pathique
galerie de la rive gauche, D enise
B reteau, qui a ten té de « réh a
biliter» l’objet, c’est-à-dire de le
rendre à sa destination fonction
nelle prem ière, de la soustraire au
contexte esthétique de sa présen
tation. R ech e rch a n t des analogies
frappantes et faciles, avec Yves
K lein ou C ésar p a r exem ple,
M me B reteau a exposé dès éponges
bleues du B azar de l’H ôtel de
Ville et des com pressions de fer
raille, factures à l’appui. Vaine
entreprise: a u tan t o p po ser un uri
noir de la m aison Jacob-D elafon au
ready-made de D ucham p. A u-delà
du geste d’ap propriation, to u t
réside dans le langage de l’objet,
dans le langage que lui fait parler
son « in v en te u r» : c ’est à travers
ce traitem en t particu lier, à travers
l’am énagem ent d’une syntaxe
expressive originale que la pensée
créatrice rep ren d tous ses droits,
que jaillit la poésie. D ans ce
laboratoire m ental le voyeur devient
dém iurge.
C ’est ce propos q u ’A lain Jouffroy
a voulu illustrer, cinq ans après
moi, en pro p o san t sa version revue
et corrigée de l’aventure de l’objet:
cinq « o b jec teu rs» ré p o n d en t à
l’o bjection de M m e B reteau dans
trois galeries de Saint-G erm ain-
des-Prés. Aux côtés d ’A rm an et de scène sur un fond de panneaux piscine ou votre baignoire, ils sont
Spoerri, classiques du N ouveau laqués d’une éclata n te blancheur, lavables et pliables.
R éalism e, et du Japonais Kudo, p ercen t l’hygiénique sérénité de Mais la palm e revient sans contredit
p ro p h ète d ’une hum anité post l’espace de to u te la stridence de à C ésar qui a créé l’événem ent de
atom ique vouée à la survie larvaire, leur cruauté ambiguë. Divin m arquis l’année en présentant, lors d ’une
on enregistre deux « prem ières » de Prisunic, Jean -P ierre R aynaud brillante exposition de sculpteurs
officielles: celles de Daniel Pomme- s’inscrit brillam m ent au palm arès sur le thèm e de la M ain, le moulage
reulle et de Jea n -P ierre R aynaud. de nos m ythologies quotidiennes. de son pouce — agrandi à 40 cm de
Aux subtiles créations d ’am biance A u tre rebondissem ent de l’aven h au teu r et en plastique rose tran s
du prem ier (couche vide discrè tu re de l’ob jet: A lain Ja c q u et, le parent. Il ne s’agit là que d’une
tem e n t éclairée; rideau vibrant peintre industriel, cham pion de la étape interm édiaire dans l’agran
sous l’effet d ’un co u ran t d’air production en sé rie 3, fait à nouveau dissem ent, le stade final de la
invisible), s’opposent les cons parler de lui. Il a mis au point une sculpture devant attein d re 1,80 m.
tructions dialectiques du second. chaîne de production de tableaux-
1. M u sée m u n icip al d ’A rt m o d ern e.
Les psycho-objets de R aynaud, à gadgets, im pressions sur m atière 2. Cf. Planète 26 (Jo u rn al).
base d’élém ents tran c h an ts ou plastique avec bord gonflable. Ces 3. Cf. Planète 23, p. 181 : « Q u a n d la p e in tu re
conto n d an ts rouge vif et mis en « tableaux » flottent dans votre d e v ie n t in d u strielle ».
185
C ésar est en train de réaliser dans seul biais du choix et du con trô le Un peintre vagabond
les m êm es p roportions le m oulage des m oyens. ---------------------------- -------------
m onum ental de sa tête, qui sera
exposé à la galerie C laude B ernard Et les pessim istes? R ao u f Z arro u k , qui vient de p a rti
en mai prochain. A près la « T ête ciper à la Biennale de Sào Paulo,
de C ésar» , le scu lp teu r m arseillais D é cid é m e n t Paris bouge, en proie puis à l’exposition française de Rio
envisage la « F em m e am éricaine », à l’exaltation d ’un hum anism e de Jan eiro et expose en ce m om ent
superm oulage c o u le u r chair, de neuf. Et les pessim istes, m e direz- à B eyrouth, au Liban, est un de ces
Jane F onda, allongé sur trois vous? Les pessim istes p a te n tés qui jeu n es p eintres vagabonds à qui
m ètres. Ainsi, un peu plus de cinq refusent le réel, les réfractaires au les définitions d ’école, les étiq u ettes
ans après ses fam euses voitures m onde des m utants, les spécia de p eintre abstrait ou figuratif ne
com pressées qui firent scandale au listes de « la navigation intérieure »? peuvent plus s’appliquer. C ’est un
Salon de M ai 1960, C ésar affronte- Eh bien! ils n’ont pas renoncé à solitaire, c h erc h an t, hors des cha
t-il à nouveau les feux croisés de ten ir boutique d’absolu. Seulem ent pelles dites d ’avant-garde, un m oyen
l’actualité et de la controverse. leurs tours d ’ivoire d écaties ont d ’expression p o u r des réalités encore
A yant attein t dans ses com pres pris l’allure pauvre et digne des indicibles, mais qui, dans les p ro
sions d’autom obiles un stade tentes bédouines dans un désert fondeurs, rejoint le souci d ’un m onde
nouveau du m étal, il s’était refusé d’indifférence. U n triste Salon éca rte lé en tre un passé en ruines
à exploiter sa déco u v erte et à en (« S chèm es»...) a réuni les épigones et un avenir confinant à la science-
faire un style. A u jo u rd ’hui, en de la révolution non figurative de fiction.
passant ses p ropres em preintes à 1945 au M usée m unicipal d’A rt N é à C arthage le 14 m ai 1941 et
l’agrandisseur, il inaugure super m oderne. Les grands abstraits sont installé à Paris depuis 1959, R aouf
b em ent un second chap itre de la a b se n ts. Z arro u k n’est plus co m p lètem en t in
sculpture m écanique. A vec quel A utres explorateurs professionnels connu en F rance puisqu’il y a déjà
sûr raffinem ent dans la précise du moi profond, les surréalistes présen té deux expositions, dont la
adéqu ation du form at et de la o rthodoxes nous ont gratifiés d ’un prem ière fut saluée par Jean C octeau,
m atière! Le polyester tran sp aren t festival idéologique et p oussiéreux4. et q u ’il p articip a à la IIP Biennale
donne la préciosité de l’onyx à L eu r riposte au vaste p anoram a de Paris. D éjà, en 1963, P ierre
c ette form e colossale to u t im pré historique du m ouvem ent brossé à Im bourg pouvait écrire q u ’« il se
gnée de la m agie narcissiste des la galerie C h a rp en tier en 1964 par m eut dans le fantastique avec une
rituels antiques. T el est le génie P atrick W aldberg s’est op érée sous sûreté stupéfiante», et M ax-Pol
des grands, qui est de viser le signe de « l’É ca rt absolu». Ils Fouchet décrire ses prem ières œ uvres
toujours à l’essentiel, à la qualité, l’illustrent bien mal. Les purs tel un « piranésism e en m ouvem ent».
libre de to u te sujétion ro u tin ière: p oètes du rêve ont cédé la place Ce qui frappe, en effet, chez ce jeune
dom iner le m étier au point de aux glossateurs-fonctionnaires. Ces peintre, c ’est une absence de « sta
pouvoir n’y recourir que par le ennem is des « cabrioles spatiales » tism e » qui s’é tend ju sq u ’aux ruines
cultivent leurs jard in s de curé et ou aux univers de m ort dont les
re je tte n t au nom de leur Église les thèm es sont fréquents chez lui. Ces
im m enses ouvertures actuelles de ruines ou ces univers pétrifiés vibrent
la Science. A u cirque des illusions, d ’une vie secrète, sont brûlés d ’un
leur É cart absolu s’est transform é feu transfigurateur, qui en font déjà
en G ran d E ca rt: albatros res- des signaux du futur, la m atière en
sasseurs, leurs ailes paralytiques les fusion de l’avenir. Parfois, dans ses
m aintiennent à terre , dans la pos vallées infernales ou sous-m arines,
ture de l’autruche. Q ue de peine une brusque éclaircie, une d o u ceu r
p erdue! Il était grand tem ps que de lointaine, des ébauches squelettiques
jeu n e s artistes re m e tte n t le m onde de cités radieuses se dressent soudain.
sur pied et am énagent l’avenir. Z a rro u k utilise l’aquarelle et les
Pierre Restany. encres de C hine qu’il travaille grâce
à des techniques nouvelles et rapides.
4. L ’e x p o sitio n « le S u rréalism e, S o u rces,
H isto ire, A ffinités » (g alerie C h a rp e n tie r, Il com pte ab o rd er b ien tô t la gravure
1964) av ait eu lieu c o n tre l’avis d ’A n d ré et l’huile. S’il parvient à poursuivre
B reto n q u i é ta it allé ju s q u ’à ré c u s e r ex p re s ju sq u ’au bout la ro u te douloureuse
sé m e n t la q u alific a tio n d e l’o rg an isa te u r. La
XI* E x p o sitio n in te rn atio n ale du S u rréalism e, q u ’il a com m encé de p arcourir, la
« L ’É c a rt a b s o lu » (g alerie l’Œ il, d é c . 1965 m aîtrise et l’éclat d o n t il tém oigne
- j a n v . 1966), se p ré s e n te co m m e la rip o ste peuvent faire espérer dans quelques
officielle du g ro u p e à la m an ifesta tio n p ré c é
d e n te : un en sem b le id éo lo g iq u e, u n e ex p o années un grand peintre.
sition de c o m b a t... R.D.B.
186
A voir
T É L É V IS IO N
Que cherche la recherche?
Si la Télévision française dem eure dans son ensem ble un sym bole de jeu n es réalisateurs ou de réali
de l’usage inadéquat que peuvent faire d ’une invention nouvelle sateurs sur lesquels le Service de la
re ch erch e a parié.
des hom m es qui n’en saisissent ni la p o rtée ni les possibilités, il Le Banc d ’Essai est à n 'e n point
sem ble que ce soit de la R echerche qu’on doive atten d re les d o u ter la série qui a obtenu le
impulsions et les d écouvertes qui p erm e ttro n t de rem édier à ses m oins de succès auprès du public.
maux. Il faut dire to u t de suite que les
Il existe à la R .T .F . un Service de que, la T élévision se tro u v an t un films d o n t il en trep ren d la présen
la rech erch e qui, bien q u ’ayant sp ectacle, on conçoit m al que tation n’ont jam ais été conçus
débuté au profit de la radio, s’oc to u tes ces recherches, y com pris p our le p etit écran. Film s abstraits
cupe égalem ent au jo u rd ’hui de la « les essais et erreu rs » qui lui sont ou « d ’avant-garde », certains se
T élévision. C e service est peu liés, ne finissent point par ab o u tir sont proposés de purs exploits ou
connu du public. C ertain es de ses à quelque chose que le public de p ures singularités techniques,
productions p araissent c ep en d an t à puisse apprécier. tels les effets de lum ière diffractée
l’antenne, le plus souvent sur la p a r des éclats de verre sur écran
deuxièm e chaîne ou à des heures T ro is séries d'ém issions dans Les A chalanes de R ené Laloux
de faible éco u te, quoique certaines et Jacq u es B rissot, ou les images
d’e ntre elles aient re n co n tré une T rois types distincts d ’ém issions obtenues sur pap ier en y versant
audience plus large et un certain sont actu ellem en t p résentés par le des produits chim iques, dans Chimi-
succès. En to u te hypothèse, il n’en Service de la re ch e rch e : une série grammes de R ené B lanchard, etc.
est point qui, parm i elles, aient appelée Un certain Regard, sorte de Parm i ces productions, certaines
provoqué le choc, la surprise, m agazine centré le plus souvent o nt a tte in t un assez large public
l’enthousiasm e ou l’indignation que sur des expériences de télévision, com m e Féminin-Pluriel de Sylvain
suscitent gén éralem en t les nou de th é â tre ou de ciném a; Les D hom m e et Luc H anneaux, ou la
veautés absolues ou ce qui en Conteurs, s’efforçant de retro u v er Jetée de C hris M ark er, voire c er
donne l’im pression. au p etit écran, grâce aux récits de taines réalisations de Jacques Brissot
Pour ê tre ju ste, il faut préciser personnages pittoresques, l’antique (Égypte, ô Égypte ou Les Pèlerins)
dès l’abord q u ’on ne p e u t ju g er un a tm osphère de la veillée au coin de R o b e rt L apoujade (Les Foules
service de rech erch e par ses p ro du feu; Le Banc d’Essai où sont ou Prison), de Piotr K am ler, de
ductions à l’antenne. Il est naturel p résentés, au public, les œ uvres G érard Patris, etc. D ans l’ensemble,
et indispensable q u ’une grande
partie de l’activité d ’un service
de ce genre app artien n e au labo
ratoire. U ne telle activité de labo
rato ire d o it n écessairem ent se
poursuivre selon des critères é tra n
gers au succès im m édiat, d’après
aussi des m éthodes p ro ch es des
m éthodes scientifiques, c ’est-à-dire
p a r la tech n iq u e h abituelle des
« essais et erreurs ». Il faut ad m ettre
qu’en ce dom aine puissent ê tre mis
au p oint des appareils ou des
engins destinés à am éliorer l’im age
et le son et dont seuls les tec h n i
ciens p o u rro n t m esurer la p ortée.
D e fait, le Service de la rech erch e
a mis au p oint certains appareils,
tel que l’anim ographe destiné à
révo lu tio n n er la tech n iq u e des
dessins anim és, et il aurait con
tribué à l’étude de la Télévision
en couleur dont M. H enri de France
s’est fait le cham pion. Il dem eure
Les doubles images du sculpteur Boulogne
il s’agit néanm oins de films trop v érité» transform e l’ancien docu celle-ci com m e la clé absolue de la
« intellectu els» p our q u ’ils puissent m entaire qui proposait avant tout Télévision. C ette im pression se
attein d re le grand public. la b eau té des im ages en un confirm e lorsque Jeannesson avec
T out autre, bien enten d u , est la docum ent pris sur le vif, à la fois ses Comédiens sans personnages
série Un certain Regard. Le souci tém oin et provocateur. Le voilà qui atte in t d ’un coup une ém otion qui
s’y trouve m anifestem ent d’établir assem ble des extraits, non seu lui fait crever l’écran.
un dialogue avec ce grand public lem ent d ’ém issions telle que Faire
sur un m ode de respiration plus face, de L alou et B arrère, La Sociolo gie ou spectacle?
large, pouvant attein d re une heure Caméra invisible ou Cinq colonnes à
ou une heure et dem ie, et p a r une la Une, m ais de films com m e Joli Le c a ra ctè re exceptionnel de cette
m éditation sur certains des person Mai, de C hris M arker, ou Un cœur réussite m e p a raît poser des
nages ou des techniques qui ont le gros comme ça, de R eichenbach. questions im portantes. A vec Les
plus frappé les téléspectateurs. On voit bien qu’en cette série, le Sociologues, P ierre Schaeffer et
A insi E dgar M orin, en accord Service de la re ch erch e tourne A ndré Voisin avaient donné aux
avec Alexis K lem endieff, ch erch e à sans cesse au to u r de la technique productions du Service de la
m o n tre r co m m en t le « ciném a- de l’interview et sem ble considérer re ch erch e un ton qui est celui de
188
A voir
l’observateur, de l’hom m e de fut ce réveil — ou cette naissance.
science, de i’ingénieur de l’âm e. LES E X P O SIT IO N S La donation d’une collection p a rti
M ais ce ton est nécessairem ent un culière à l’etat, sa non-dispersion,
ton « au dern ier degré » et qui est l’im p o rtan ce unique des œ uvres
incapable de to u ch e r le grand q u’elle com prend, tout cela fait de
Balthus c ette exposition l’un des grands
public: celui-ci exige plus de p a rti
cipation et d’am our que d ’o bser M usée des A rts décoratifs, salles événem ents de l’année picturale.
vation et d ’expérim entation. Je Rivoli.
Le dadaïsm e
dirai que c’est p e u t-ê tre à une Il n’y a plus guère que le grand
difficulté de c et ordre que tien t public français pour ignorer l’œ uvre M usée d ’A rt m oderne.
égalem ent l’a p p o rt parfaitem en t de B althus. G râ ce aux grandes La « rév o lte de pap a» peut-elle
nul du Service de la re ch e rch e à collections am éricaines, le M usée apprendre quelque chose aux jeunes
la qualité visuelle des ém issions. des A rts décoratifs p ré sen te ra du peintres? C ’est toujours la m êm e
Les rares innovations a pportées en 22 avril à la fin du m ois de juin une question qui se repose p ériodi
ce dom aine l’ont été p a r des rétro sp ectiv e des rech erch es e n tre quem ent — et à quoi des rétros
hom m es com m e A verty, c ’est-à- prises p a r le pein tre depuis 1930. pectives com m e celle-ci te n te n t de
dire en dehors du Service de la C e tte exposition sera de celles qui répondre.
recherche. D ans la série Les p e rm e tte n t d ’e n tre r en co n ta ct
Conteurs, d ’A ndré Voisin, la p ri avec une avant-garde irriguée de T ré so rs du M u sée de Bagdad
m auté est a cco rd ée d élibérém ent à sève. M usée du Louvre.
l’oreille, au récit, au langage. Le succès des expositions consa
L’im age est négligée, a bandonnée à Dix siècles de peintures chinoises crées aux arts non occidentaux
elle-même, livrée aux seuls pouvoirs M usée Cernuschi. trah it une sorte de nouvelle sensi
des yeux, des rides, du sourire ou C ette exposition com porte uni bilité du public, dont le regard
des tics du conteur. Nul m ontage, quem ent les œ uvres d’une collection tend à p erd re ses habitudes de p e r
nulle intention artistique, ce qui, en particulière, celle de M. John ception esthétique conditionnée.
théorie, d evrait con férer le charm e M. Craw ford Jr, com posée avec un En outre, à c ette exposition des
de la vérité b ru te; de m anière goût, une érudition et une téné- T résors du M usée de B agdad, qui
paradoxale, c’est le co n traire qui, cité exem plaires. Elle perm et de d u re ra ju sq u ’à la fin du m ois de
souvent, surgit: une im pression de com prendre le message fondam ental mars, s’attache un halo rom anesque
faux naturel, de sophistiqué, de de l’artiste oriental de toutes les de M ille et U ne N uits qu’il serait
Parisien à la cam pagne. époques: la form e — la technique — absurde de dédaigner.
Je ne voudrais pas que de ces n’est pas seulem ent le moyen de
réactions très personnelles on tirâ t l’expression, elle en est d’une cer
une condam nation du Service de la taine m anière l’essence. Seule la
recherche. A près tout, cette réaction m usique, de tous les arts occi
n’est pas celle d ’un hom m e de dentaux ju sq u ’à présent, peu t se
recherche, m ais d ’un sp e c ta te u r ou définir de c ette façon. En ex tra
d’un critique. 11 n’em pêche q u ’elle p olant à peine, on peu t dire qu’une
m e p a raît p oser des questions peinture chinoise se regarde comm e
utiles. Celle, p a r exem ple, de une sym phonie de M ozart s’écoute...
savoir si la prim auté a cco rd ée à
C o llectio n W a lte r-G u illa u m e
l’observation distante, de type
sociologique, ne d oit pas néces O rangerie
sairem ent m ener à l’im puissance L’O rangerie devient désorm ais, « Le poète et la mort »
créatrice et artistique; celle, encore, après des am énagem ents financés dessin de Michel Ciry.
de savoir s’il est ju ste que le souci p a r M adam e D om enica W alter
elle-m êm e, le m usée de la collec « Les Français »
du verbe doive passer avant celui
de l’im age; celle, enfin, de savoir tion W alter-G uillaum e, et ce à Au M usée G alliera, les « peintres
quels sont les critères e t les circons titre perm an en t. A u nom m êm e de tém oins de leur tem ps » présen ten t
tances de l’accès des collaborateurs c ette collection s’a tta ch e n t tan t leur quinzièm e exposition sur le
du Service à l’antenne, et de leur de rém iniscences sur la grande thèm e « Les Français». Les tableaux
e n tré e dans la G rande M aison. époque et les grands nom s de la (tous d ’un form at identique) sont
Ces questions m o n tren t que ces p ein tu re française des 19e et 20* signés: Alaux, Carzou, Ciry, Am bro-
notes ne doivent être prises q u ’à siècles que la confrontation désor giani, Brayer, C athelin,' Com m ère,
titre d ’introduction à un problèm e. m ais stru ctu rée des œ uvres les plus G eorgein, Hélène G irod de l’Ain,
Raymond de Becker. représentatives dira, com m e cela G rau-Sala, Hilaire, Joffrin, Le Colas,
n’avait pas encore été fait, ce que N akache, etc. Du figuratif cru 66.
THÉÂTRE
La bouffonnerie fait mouche
En dépit de toutes les m enaces qui pèsent sur le T h éâtre, cette et le charm e opère. T outefois, le
saison s’annonce active et diverse. N ous avons assisté à l’effon rideau tom bé, quel souvenir gardons-
d rem ent de la com édie m usicale im portée d ’outre-A tlan tiq u e 1 nous du récit et des personnages?
Une image floue car, à force de
et m esuré la distance qui sépare certains ouvrages, d atan t à peine réalism e, ce théâtre devient abstrait.
d ’une quinzaine d ’années, des dernières créations du th éâtre En ou tre, je ne me sens guère
d’au jourd’hui. concerne par cette m ère dévorante,
En quinze ans, il est vrai, n otre A la m êm e époque, on pouvait pas plus que ne me to u ch a it la
goût a subi les assauts d ’avant- en ten d re un langage to u t différent, bourgeoise étro ite de II faut passer
gardes à p résen t suivies p a r le et re n c o n tre r sur la scène une p ré par les nuages3. Le cas de ces dam es
gros des troupes des écrivains d ra sence singulière. Q uels que fussent m ûres retien t l’a ttention sans rien
m atiques. Ionesco, Beckett, Adam ov, les personnages, d’H e cto r de la enseigner, alors que l’enlisée de
G e n êt nous ont accoutum és à une Guerre de Troie au ja rd in ie r O les beaux jo u rs4, personnage
liberté d’expression qui fit d ’abord d 'Électre, tous portaient l’em preinte sym bolique, m ythique, ne cesse
scandale. G râ ce à eux, l’écrivain inim itable de Giraudoux. Son m anié d’exister dans nos m ém oires. D ès
qui ro m pt avec les règles établies risme agaçait autant que ses précio que je pense à M adeleine R enaud,
est a ccep té au jo u rd ’hui pourvu sités, m ais il était présent, incisif, c ’est la leçon de B eckett, transm ise
q u ’il fasse preuve de tem péram ent. agile. La Folle de Chaillot, reprise par elle un soir, que j ’attends de
Ja cq u es D eval, m aître-orfèvre en ou p lu tô t recréée par la tro u p e du sa bouche.
technique théâtrale, nous donna avec T .N .P., nous p erm et de retro u v er
Ce soir à Samarcande 2 une œ uvre intacts les charm es, la suggestion et D u neuf avec du vieux
parfaitem en t agencée, mais qui n ’a la vérité d ’une œ uvre dont la grâce
plus la séduction d’antan. L ’in térêt m asque trop souvent la ferm eté. Il Du vent dans les branches de sassa
de l’action n’est pas m oindre, la suffit de se laisser attein d re p a r le fr a s 5, p erm et à O baldia de nous
science de la stru c tu re d ram atique merveilleux véhicule théâtral qu’est offrir un agréable divertissem ent.
toujours évidente, et p o u rtan t le la langue de G iraudoux pour que La cocasserie de c et auteur-poète,
co u ran t ne passe pas. C e qui frappe l’acuité de l’intelligence nous pé son sens de l’hum our noir, sa langue
c’est le m anque de style; l’au teu r nètre, et que nous frappe, dans qui sut être ailleurs plus frappante
est absent. A u co n tra ire P inter, cette œ uvre au moins, le ton m o qu’ici, sont des atouts de poids. Il
Shisgal, A lbee et chez nous D uras, derne de la pensée. La satire des trouve au T h éâ tre G ra m o n t une
O baldia, B illetdoux, D ubillard, tares de notre société est ici vigou audience plus vaste que sur les
V authier sont sans cesse présents reuse. G iraudoux, nous le savons petites scènes de ses débuts, au
sur la scène. A ujourd’hui, le théâtre désorm ais, est l’un de nos clas dience que son talen t m érite. P our
m et d irec te m en t en présence un siques, la Folle de Chaillot une de tant, la seconde p artie de la pièce
au teu r et son public, alors q u ’a u p a ses œ uvres clés. D ans ce beau fait trop souvent place au cab aret;
ravant c ette re n co n tre se produisait spectacle, m alheureusem ent mal la pochade en pâtit. M ais nous
par l’interm édiaire des personnages. déco ré, Edwige F euillère est exem devons à O baldia to u te notre grati
plaire. En face de cette réussite à tude, car il nous perm et de retrouver,
G ira u do u x s'affirm e c o m m e p o rter au crédit de G eorges Wilson, dans ce w estern p our rire, le m er
un de nos classiques que peut-on reten ir des ouvrages veilleux M ichel Simon. A voir
proposés p a r nos contem porains? évoluer cet acteur, à rep ren d re
Q uand jad is l’a u te u r parlait en son M arguerite D uras réussit, avec Du co n ta ct avec sa force, à m esurer
nom , on lui tenait rigueur d’un vent dans les arbres, le long m ono sa présence, nous regrettons q u ’il
propos personnel. Le public exigeait logue d’une m ère âgée, abusive,
que le personnage parlât selon son envahissante. Le succès de la repré 1. Boy-friend, au T h é â tr e A n to in e; le Jour
tem p é ra m en t p ro p re qui n’était pas sentation doit beaucoup aux in te r de la Tortue, au T h é â tre M arigny.
2. R e p ré se n té au T h é â tre d e Paris.
forcém ent celui du créateu r. On prètes, tous rem arquables, et à la 3. D e F ra n ç o is B illetd o u x , re p ré s e n té au
appréciait le natu rel des person mise en scène de Jean-L ouis Bar- T h é â tr e d e F ra n c e . L a p ièc e la m ieux
nages de B ernstein, la justesse de rault. Le texte lui-m ême est, comm e a ccu eillie et la m oins p e rso n n e lle d e l’a u te u r
d e Comment va le monde... Im p re ssio n d e la
ton des héros de B ou rdet. Sacha à l’accoutum ée chez M arguerite re p ré s e n ta tio n : les Affaires sont les Affaires,
G uitry faisait exception, qui incar Duras, d’une sim plicité quotidienne m o n té p a r le B e rlin e r E nsem ble.
nait à lui seul to u t son th é â tre et désarm ante. Longtem ps je lui fus 4. O les beaux jours, d e S am uel B e c k e tt,
dont on aim ait à la scène l’exhibi hostile, m ais ici, p arce q u ’il a de dineteFrprarén ctée . p a r M a d ele in e R e n a u d au T h é â tre
tionnism e m ondain. tendu, de vrai, l’ém otion l’em porte 5. A u th é â tre G ra m o n t.
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A voir
ait attach é son nom au trêle Clo- toire, un tém oignage to u t aussi
clo de Jean de la Lune et non pas précieux sur n otre tem ps. L a c ari ARCHITECTURE
à L ear ou à M acb eth auxquels il cature et la paro d ie habillent ici la
avait droit. P eut-on e sp érer le voir satire. L ’au te u r se m oque systé Un séminaire
un jo u r in te rp réte r Shakespeare? m atiquem ent de tous les poncifs du
Ce serait étonnant. th é â tre co ntem porain et de tous les
sur la recherche
H arold Pinter est à la m ode. J ’ai tics de l’époque. C e tte brillante Nous avions annoncé (Planète
entendu les deux pièces que re p ré variation sur le thèm e éculé du trio N° 24) la création du G IA P (G roupe
sente le T h éâ tre H é b e r to t6 avec doit beaucoup à la vigueur du texte, International d’A rc h ite ctu re Pros
intérêt, sans jam ais p a rticip e r p ro bien rendu p a r Éric K ahane. Les pective) et défini son program m e.
fondém ent à l’action. On fait du répliques fusent, im prévues, drôles, T out l’hiver, le G IA P a tenu une
neuf avec du vieux, c ar c ette tec h les situations se renversent dans suite de co nférences au M usée des
nique, économ e de m ots, procédant l’instant. On assiste avec bonne A rts décoratifs à Paris, qui cons
par flashes, utilisant l’ellipse cin é hum eur aux éclats d ’un esprit sar titu e n t un véritable «sém inaire»
m atographique, technique visuelle castique qui s’éb at sur la scène en de la rech erch e contem poraine.
qui redonne toute sa valeur au si to u te liberté. A lors que Pascale de C ’est ainsi q u ’en d écem b re 65
lence et à l’évolution des acteurs Boysson et L aurent T erzieff in Jacques B ardet, Biro et F ernier,
- date d’avant-hier. Charles Vildrac d iquent leurs personnages avec W alter Jonas et Y ona F riedm an
et Je a n -Jac q u e s B ern ard a tta esprit sans toutefois les incarner, ont d’abord fait le p oint d ’un
chèrent leur nom à c ette form e B ernard N oël est vrai, hum ain, p ré urbanism e évolutif et ch erché à
théâtrale. D euxièm e cara cté ris sent. M ais c’est l’auteur qui gagne com prendre « com m ent naissent
tique: to u te phrase p rononcée doit en nous donnant envie de l’entendre les villes». Puis l’accen t a été
être en tendue dans un sens dif à nouveau. mis sur les nouvelles technologies
férent. C e tte am biguïté n’est pas de l’arch ite c tu re , n otam m ent celles
sans a ttrait, le sp e c ta te u r y puise U n m onde fou, fou,fou des m atières plastiques. C hanéac,
la sensation ré co n fo rtan te d’avoir qui p oursuit à A ix-les-Bains des
l’esprit vif, puisqu’il ne perd pas le O n le voit, à l’heure du pop’A rt, le rech erch es solitaires d’h abitat cel
fil et sait qui est qui, du m ari, de ton des spectacles change. Au lulaire en m atières plastiques, a
l’am ant, to u r à to u r se succédant. ciném a, G o d ard , Reisnais, T ruffaut com m enté ses œ uvres. En janvier,
e n te rren t R ené Clair. A u th éâtre, F riedm an et G uy R o ttie r ont parlé
La parodie habille la satire Obaldia, Shisgal rejoignent Ionesco, de l’arch ite c tu re m obile; Schoffer,
effacent Deval. Seuls dem eu ren t le D r M é n é trier et Jacques B ureau,
M ais où nous retrouvons-nous, au présents ceux qui inventèrent un de l’urbanism e et la cybernétique;
bout du conte? D evant le tableau langage: G iraudoux, Claudel, M on Patrix, G u itet, Vasarely, de l’u rb a
cen t fois brossé de l’absurde quoti therlant. Le th é â tre d’a ujourd’hui nism e coloré et de l’a rch itectu re
dien, de l’incom m unicabilité entre trouvera-t-il son poète? A udiberti sculpture. Le 10 février, U tudjian a
les êtres et les personnalités m ul laisse une place libre à laquelle consacré une soirée à l’urbanism e
tiples que chacun p orte en soi. Ce O baldia peut p ré te n d re. Le public souterrain et, le 24, Sarger a parlé
spectacle qui d oit son agrém ent à dem ande à l’écrivain dram atique des stru ctu res dynam iques.
un subtil jeu de chausse-trappes et une im age exacte de sa condition Les trois d ernières conférences, les
de m iroirs déform ants ap p o rte une dans un m onde fou, fou, fou, où 10, 17 et 24 m ars, toujours à
satisfaction cérébrale. T rès b ritan il est de plus en plus urgent de 21 heures, au M usée des A rts
nique de ton et d’allure, il est fort rétablir le sens de l’éternité. Pour décoratifs, 109, rue de Rivoli,
bien réglé par C laude Régy. Jean balayer les tabous qui nous condi seront consacrées, la prem ière, aux
R ochefort le sert à m erveille auprès tio n n en t: le sexe, le dollar, la stru ctu res spatiales avec la p a rti
d’une D elphine Seyrig douce et sen psychanalyse, la violence et la cipation de l’ingénieur S téphane du
suelle qui charm e à coup sûr to u te sottise, la bouffonnerie est efficace: C hateau et de M akovski; la seconde,
oreille sensible à sa voix chan tan te Shisgal en fournit la preuve. M ais, à l’in stitu t, de la Vie dans ses
et brisée. P in ter: un th éâ tre pour venue avant lui, la Folle de G ira u rapports avec l’urbanism e, avec la
esthètes, acide, qui aiguise l’a tte n doux a tte in t les m êm es cibles, à sa pa rticipation du professeur M arois
tion mais ne la satisfait. m anière et dans un style dont ne et de J. F ourastié; la dernière confé
Bien plus riche, neuf, profond, se souviennent guère nos auteurs rence te n te ra de tire r les con clu
ap p araît M urray Shisgal dont la contem porains. sions de ce « sém inaire» sur le thèm e
com édie Love 7 nous a p p o rte le N ous som m es quelques-uns à penser « C om m ent vivrons-nous dem ain? »
rire, la m orgue et le sens aigu de qu’ils ont tort. Pour tous renseignem ents sur le
l’observation. Voilà aux antipodes Roger Iglésis. G IA P et le program m e des confé
du th é â tre allem and, qui tran s 6. La collection et l ’Amant. rences, s’adresser à l’A telier Patrix,
posait sur scène des tranches d ’his 7. A u th é â tre M o n tp a rn a sse . 99, rue de Vaugirard, Paris-222.17.62.
191
C O U R R IE R
A C T IV IT E S P L A N E T E D ES L E C T E U R S
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nom e, aussi bon chim iste que phy B ergier ne co n ce rn en t en rien les N ous parlons sans doute des mêmes
siologiste, et com bien psychologue! com posants p e u t-ê tre organiques choses, m ais pas avec le m êm e
Quel hom m e en noir disait donc de ces m étéorites, et n’ont trait que langage. Vous vivez (c ’est une
q u ’une tête bien faite vaut m ieux de façon très générale au problèm e exploitation) de la curiosité du
q u ’une tête bien pleine? de leur com position. Les citer pêle- public, de son goût du m ystère et
D onc, je suis ignorant. Je l’adm ets, m êle, p o u r se d o n n e r de l’autorité, de l’inconnu: il se to u rn e vers les
et m êm e m ’en honore. Qui ignore a est un exem ple de fausse m éthode lectures scientifiques, où il cherche
beaucoup à apprendre. Q ue Jacques scientifique. (Je rem arq u e dans le une ou des explications de tous les
B ergier me p e rm e tte cependant même ordre d ’idées les cautions p hénom ènes inconnus ou mal
quelques rem arques. citées page 22 du n" 25 de Planète, connus. A c ette a tte n te , vous
Je dirai d ’abord m a fierté à cons cautions to u tes valables, m ais à qui répondez par une m ystification.
ta te r que, parm i les différents on fait cau tio n n er des textes dont Vous offrez une nouvelle religion
argum ents que soulevait m on a r je suis certain, connaissant p erso n que vous baptisez science et qui
ticle, Une fo i qui rapporte, Jacques n ellem ent plusieurs d ’entre ces n’a rien à voir avec la science. La
B ergier ne relève que deux insuffi savants, q u ’ils les désapprouvent.) vérité, p our Jacques B ergier, est
sances. O r, m êm e dans ces deux Enfin, Jacques B ergier m ’accuse affaire de foi. Les « ignorants», eux,
cas, une lecture des textes tend à ironiquem ent de ferm er les yeux à se p e rm e tte n t des doutes, le scep
p rouver que ce que disent les l’évidente existence des extra ticism e, une p erm an en te rem ise en
m eilleurs auteurs n ’a rien à voir terrestres. Je me p e rm e ttra i les question... N ’est-ce pas m êm e cela
avec ce que B ergier voudrait leur quelques citations suivantes. qu’ils appellent la recherche scienti
faire dire. Les planètes p a r D ans l’une, l’au teu r affirm e q u ’« on fique? Jacques Bergier, lui. affirme.
exem ple... Jacques B ergier sait p rép are d éjà les écoutes du ciel». La science est chose bien ard u e; il
q u ’on connaît (je ne nie pas q u ’il y D ans l’autre, on dit que « le cham p n ’est pas drôle de travailler à la
en ait b eaucoup plus) au m axim um est ouvert à to u t un dom aine de faire et à la défaire, et je prétends,
une dem i-douzaine de systèm es rech erch es, théoriques aussi bien to u t habillé d ’un noir rationalism e,
planétaires dans l’U nivers; et p our q u ’expérim entales, car aux p ro ê tre du côté des gens tristes et
ceux-ci, on connaît l’ordre de blèm es astronom iques viennent sérieux. Jacques B ergier, lui, po rte
g ran d eu r de la m asse des p lanètes... s’a jo u ter les problèm es biologiques à ravir le m aillot d ’A rlequin... Je
M ais les caractéristiq u es de leur qui déjà tourm entaient nos ancêtres. ne perdrai plus de tem ps à un dia
ro tatio n ? L eu r m om ent angulaire? Q uelles sont les conditions néces logue inutile; nous ne parlons pas
A ucune m esure, ailleurs que dans saires à l’apparition de la vie sur la m êm e langue. Je le laisse m ettre
le systèm e solaire... D ans ce seul ces planètes qui peuplent l’Uni- un point final à cet échange, par
cas, on peut donc dire quelque vers?»... Voilà qui donne raison qu elq u ’un de ses ricanem ents
chose, on peut essayer de lier aux thèses de Bergier! Or, ces fam iliers. M oi, je re to u rn e à m on
m esure et théorie. Et alors, s’il y textes ont été publiés respective laboratoire.
a des liens q u antitatifs entre la m ent en 1960 et 1954 - bien a n té Jean-Claude Pecker.
ro tatio n solaire et notre systèm e rieurs donc à la création de Planète.
plan étaire, c ’est dans le cadre L eur auteur? Jean-C laude P ecker!
d’une th éo rie sur l’origine du Et je citerai, du m êm e au teu r, ce»
système solaire. Et de telles théories texte, em prunté à l’article m êm e
(qui ont des exigences très précises) incrim iné p a r Jacques B ergier, et
ne sont encore q u ’ébauchées; il n ’y qui lui fait affirm er que « la pensée
a d ’ailleurs pas q u ’une seule des ex tra-terrestres relâche mes
th éo rie qui soit suggérée. Et quant entrailles» ... Je cite: « Q u ’on ne me
aux passionnantes généralisations à fasse pas dire ce que je n’ai pas dit:
d ’autres systèm es solaires, elles aucun scientifique ne refuse la pos
relèvent de développem ents de la sibilité de vie, m êm e très évoluée,
th éo rie de la stru ctu re interne des dans l’U nivers... m ais en aucun cas,
étoiles (faisant intervenir par ils n’ad m e tte n t une suggestion
exem ple les éjections équatoriales com m e une d ém onstration... »
au-delà de la lim ite de R oche) et Il est donc clair que, quelques
n’ont pas ce c a ra ctè re de certitu d e années avant Planète, et encore
m ystique qui flotte dans la vision récem m en t, j ’ai affirm é, avec des
Planète de l’U nivers, et qui justifiait argum ents à l’appui, que la vie
m a critique... e x tra -te rrestre et m êm e la vie
En ce qui co n cern e la m étéorite ex tra -te rrestre intelligente étaient
d ’O rgueil, je me bornerai à n o ter possibles, étaient probables.
que plusieurs des articles cités par Pourquoi alors cette opposition?
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Courrier des lecteurs
P lA N Ê T i
D I R E C T E U R L O U I S P A U W E L S
1. le flamenco
2. le soufisme
'événements 3. le vaudou
qui
constituent 4. la recherche en europe
un
"événement1 5. l’art noir aux u.s.a.
Ces « événements» auront lieu à Paris
du 15 mars au 26 mai.
Association pour la
Rencontre des
Pour vous inscrire,
Cultures voyez page 115 de ce numéro.
LOUIS PAUWELS / CLAUDE PLANSON
COMITÉ:
JEAN VILAR / MAURICE BÉJART / JEAN DARCANTE / JEAN DUVIGNAUD
EDGAR MORIN / GEORGES ELGOZY / BAMMATE / JACK BORNOFF / JAN KOTT
P a ra ît to u s les d e u x m o is A b o n n e m e n t 6 n u m é ro s 3 3 F. Le n u m é ro 6,50 F. / 8 6 F .B . / 7 ,1 5 F .S .
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