Maroc Villes
Maroc Villes
Maroc Villes
ABREVIATIONS ET ACRONYMES
TAUX DE CHANGE
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Programme « Villes sans bidonvilles » du Maroc – Rapport de l’analyse d’impact social et sur la pauvreté
Préface…………………………………………………………………………….. 1
Remerciements........................................................................................................ 2
Résumé analytique.................................................................................................. 3
Introduction………………………………………………………………………. 7
ANNEXES : ………………………………………………………………………. 62
Bibliographie générale…………………………………………………………...126
iii
Programme « Villes sans bidonvilles » du Maroc – Rapport de l’analyse d’impact social et sur la pauvreté
Préface
La présence dans les villes marocaines de l’habitat insalubre, et des bidonvilles en particulier,
constitue un véritable défi quant à l’intégration sociale des populations à bas revenus dans
l’espace urbain, et à la capacité des pouvoirs publics de satisfaire les besoins essentiels de
l’ensemble des citoyens.
Le Gouvernement a affiché très clairement dès 2003 sa volonté d’œuvrer d’une manière plus
efficace et plus intégrée afin d’éliminer l’existence des bidonvilles, en offrant aux populations
concernées de meilleures conditions d’habitat. Des nouvelles politiques ont été mises en
place, accompagnées par une augmentation substantielle des ressources financières
disponibles.
Comme dans toute intervention publique d’envergure, il y a sans doute des risques dans la
mise en œuvre du programme de lutte contre l’habitat insalubre, liés notamment à la
complexité de la tâche, à la mobilisation nécessaire de structures et d’organisations, et aux
résistances locales.
C’est pour cela qu’il nous paraît essentiel d’intégrer le point de vue des populations
concernées, parmi celles souffrant le plus de l’exclusion sociale, et de nous assurer tout le
long de la mise en œuvre du programme que leurs attentes sont satisfaites. Ceci demande une
capacité institutionnelle d’écoute et de restitution de la perspective des habitants, leur
permettant ainsi de prendre une part active dans la préparation et la réalisation des opérations.
L'Analyse d’impact social et sur la pauvreté du programme « Villes sans bidonvilles » a été
conçue comme une contribution à cet effort d’écoute. Elle est le résultat d’une collaboration
étroite entre les équipes du Ministère de l’Habitat et de l’Urbanisme et de la Banque
mondiale, accompagnées par des professionnels marocains actifs dans le domaine de la
recherche sociale.
Nous espérons que cette étude pourra apporter quelques éclaircissements sur les dynamiques
sociales des quartiers ciblés par le programme et sur les impacts attendus des opérations de
résorption. Notre ambition étant de contribuer à l’effort de réflexion en cours pour améliorer
et affiner les instruments et les modalités d’intervention du programme « Villes sans
bidonvilles ».
Theodore O. Ahlers
Directeur du Département du Maghreb
Banque mondiale
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Programme « Villes sans bidonvilles » du Maroc – Rapport de l’analyse d’impact social et sur la pauvreté
Remerciements
Les travaux de l’analyse d’impact social et sur la pauvreté (AISP) du programme Villes sans
bidonvilles du Maroc ont été conduits pendant l’année 2005 par une équipe dirigée par
Anthony G. Bigio (MNSIF) et comprenant Liane Asta Lohde (SDV), Françoise Navez-
Bouchanine et Tom Dichter (consultants), ainsi que Bachir Oussibla, Nacira Laoujari et
Abdelkarim Chengui du Ministère chargé de l’Habitat et de l’Urbanisme. Le travail d’enquête
de terrain a été réalisé par le bureau d’études marocain AREA, dirigé par Abdesselam Tazi.
L’équipe souhaite également remercier toutes les personnes qui ont pris part à la recherche :
les représentants des institutions et autres parties prenantes qui ont bien voulu être
interviewées ; les fonctionnaires et le personnel des agences régionales et locales qui ont
soutenu les travaux de terrain dans les villes d’Agadir, Casablanca et Larache ; les chercheurs
qui ont conduit le travail d’enquête ; les résidents des bidonvilles qui les ont accueillis et qui
ont partagé en grande liberté leurs opinions, espoirs et préoccupations ; et enfin les
participants à l’atelier du 9 et 10 mai 2005, qui ont enrichi l’analyse en y apportant leurs
perspectives et expériences personnelles.
Le rapport a été écrit par Anthony G. Bigio avec Liane Asta Lohde, en consultation avec
d’autres membres de l’équipe, et il a été substantiellement achevé en décembre 2005. Les
collègues examinateurs ont été Coca del Castillo (MNSRE), Judy Baker (TUDUR) et Anis
Dani (SDV). La traduction française du rapport a été assurée par Nicole Wautiez de Blaye
(MNCO1). Le Ministère de l’Habitat et de l’Urbanisme a exprimé ses remarques et
commentaires en février 2006, qui ont été incorporés dans cette version finale du rapport,
achevée en avril 2006. La production du rapport en juin 2006 a été suivie par Najat Yamouri
(MNAEX) et Imane Ikkez (MNCMA).
Anthony G. Bigio
Spécialiste principal en urbanisme
Département de l’infrastructure,
du secteur financier et du secteur privé
Bureau Régional Moyen-Orient et Afrique du Nord
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Programme « Villes sans bidonvilles » du Maroc – Rapport de l’analyse d’impact social et sur la pauvreté
Résumé analytique
Pour répondre à ces questions, une analyse des parties prenantes et une enquête qualitative sur
les ménages et les attitudes individuelles dans un échantillon de six bidonvilles urbains à
Agadir, Casablanca et Larache ont été réalisées avec l’intervention d’une entreprise
marocaine et de deux consultants internationaux. Un atelier national des parties prenantes
s’est tenu conjointement avec le Ministère de l’Habitat et de l’Urbanisme en mai 2005 pour
valider et discuter les résultats de ces deux premiers produits. Une analyse des avantages et
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Programme « Villes sans bidonvilles » du Maroc – Rapport de l’analyse d’impact social et sur la pauvreté
des impacts négatifs a été réalisée par l’équipe de la Banque mondiale, ce qui a conduit à la
formulation de leçons de politique et de recommandations en vue de l’amélioration du
programme.
L’analyse des parties prenantes a révélé que de nombreux acteurs clés avec des niveaux
d’influence élevés appuient VSB. Il y a beaucoup d’enthousiasme pour la nouvelle approche
au niveau de la ville du programme « Villes sans bidonvilles ». Il existe toutefois des défis
systémiques qui pourraient ralentir l’exécution de VSB telle qu’elle est prévue et qui
pourraient compromettre ses chances de réussite. Une collaboration inadéquate et
l’incohérence qui en résulte au sein des organes nationaux, régionaux et des collectivités
locales posent une menace pour la réalisation des objectifs du programme.
L’urgence de l’achèvement du programme VSB semble exacerber le niveau insuffisant de
coordination institutionnelle ainsi que l’attention des acteurs, qui est axée sur les aspects
techniques plutôt que sur l’accompagnement social et la participation dont le besoin se fait
tellement ressentir. Des incitations insuffisantes sont actuellement en place pour déclencher la
participation active des habitants des bidonvilles, l’intervention des banques et des institutions
de micro-finance pour fournir le crédit, et motiver les promoteurs à s’engager dans la
construction de logements.
L’enquête qualitative a révélé la grande hétérogénéité de la population ciblée, qui s’installe
dans les bidonvilles sur des trajectoires descendantes ou ascendantes, liées à la migration des
zones rurales, aux mouvements à l’intérieur de la ville, au déplacement en provenance
d’autres bidonvilles ou à la recherche d’un logement plus abordable. Leur revenu varie d’un
niveau de misère pour environ 15 à 30 pour cent des résidents, à un niveau à peine suffisant
pour un autre tiers, et à un niveau suffisant pour le reste. Leur attitude vis-à-vis du crédit est
caractérisée par la méfiance générale envers les banques et les transactions financières
formelles.
L’organisation sociale dans les communautés des bidonvilles est faible et ponctuelle, se
traduisant souvent par des tentatives spécifiques d’amélioration de l’accès aux services. Les
attitudes diverses vis-à-vis de l’organisation communautaire sont liées à l’âge, au sexe, au
niveau d’éducation, à l’accès à l’information et aux liens familiaux, les résidents les plus
vulnérables étant également les moins enclins à la participation sociale.
Les espoirs des habitants des bidonvilles par rapport au programme VSB sont tout à fait
déterminés par leurs expériences avec des interventions publiques précédentes et par la qualité
de l’interaction avec les représentants des autorités qui ont réglementé leur statut précaire
d’occupation et leurs tentatives d’améliorer la permanence des logements. Les résidents
semblaient mal informés ou non informés sur le programme au-delà des promesses publiques
du Roi, et ils n’ont pas ressenti de changement par rapport aux modalités dirigistes antérieures
de résorption des bidonvilles. L’espoir, la méfiance et la résistance potentielle au programme
varient, mais il existe une volonté d’intervenir dans la définition des opérations de résorption.
L’analyse des avantages et des impacts négatifs a fait comprendre les pour et les contre des
quatre modalités de résorption appliquées par le MHU : restructuration in situ, production de
parcelles partiellement viabilisées, production de parcelles entièrement viabilisées et
production d’appartements, révélant que chacune d’entre elles a des impacts négatifs
involontaires, tels que la diminution de l’accès aux emplois et aux services sociaux. Le degré
d’adaptation des modalités de résorption à la demande des différents segments sociaux de la
population a montré que la restructuration in situ et les parcelles entièrement viabilisées
répondent à la demande du plus grand nombre des groupes sociaux vivant dans les
bidonvilles.
L’accessibilité des solutions de résorption varie du niveau élevé pour les moins chères
(restructuration in situ) au niveau faible pour les plus chères (production d’appartements). Le
coût subventionné des solutions de résorption tient la comparaison avec les coûts de
l’acquisition d’un logement de bidonville, à l’exception des appartements, qui sont de deux à
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Programme « Villes sans bidonvilles » du Maroc – Rapport de l’analyse d’impact social et sur la pauvreté
trois fois plus chers. En fonction de l’information qualitative sur les revenus des résidents, il
apparaît qu’un tiers d’entre eux ne sont pas en mesure de se permettre une contribution
financière, alors qu’un autre tiers serait en mesure de se permettre l’achat d’un appartement.
La résorption entraîne souvent des pertes économiques telles que le coût ajouté des services,
la perte du revenu et les coûts du transport en raison de l’éloignement de certains sites de
réinstallation, et ces éléments contraignent ultérieurement les budgets déjà très serrés des
résidents.
Les prêts hypothécaires garantis devraient accroître l’accessibilité aux solutions de résorption,
car ils rendraient possible la participation financière des ménages des bidonvilles pour tous,
sauf pour ceux qui sont dans la misère. Toutefois, à fin 2005 le Fonds de garantie n’a appuyé
que 2.900 prêts, dont à-peu-près 600 seulement ont été destinés aux bénéficiaires du
programme VSB. Les banques commerciales ont été réticentes à s’aventurer dans un marché
qui leur est inconnu et dans lequel les coûts des transactions et les risques politiques sont
élevés. Le Gouvernement a préparé un programme de formation au crédit qui devrait être
utile, sauf qu’il ne l’a pas encore mis en œuvre. Les dispositifs d’épargne logement n’ont pas
encore été créés, en attendant la définition de l’incitation financière qui encouragerait les
chefs des ménages à épargner en vue de la future acquisition d’un logement.
Pour résumer, il semble que l’appui national global au programme est atténué par une certaine
résistance locale à ses objectifs et ses modalités déclarées et que certaines parties prenantes
importantes, telles que les habitants des bidonvilles eux-mêmes, les promoteurs privés et les
institutions financières responsables des mécanismes de crédit, ne se sont pas engagés
réellement dans la poursuite des objectifs du programme.
Il apparaît également que les modalités de résorption ne sont que partiellement adaptées aux
besoins divergents des divers segments sociaux existant au sein de la population des
bidonvilles et qu’elles sont appliquées avec une connaissance préalable très limitée des
demandes ou des préférences des ménages habitant dans les bidonvilles. Un pourcentage
important de ces habitants, qui vivent dans la misère, ne peut pas contribuer aux coûts du
programme, et l’accessibilité d’ensemble de certaines modalités de résorption, la plus notable
étant les appartements, est douteuse.
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Programme « Villes sans bidonvilles » du Maroc – Rapport de l’analyse d’impact social et sur la pauvreté
1. Une approche plus flexible de l’offre des solutions d’habitat pour les ménages
individuels des bidonvilles devrait être développée et appliquée.
2. Les besoins du segment le plus vulnérable de la population des bidonvilles qui ne
peut se permettre aucun type de participation financière devraient être traités dès le
stade de la planification des opérations.
3. L’accompagnement social et la participation devraient être rapidement intensifiés
aux niveaux central et local et devenir partie intégrante des opérations de
résorption.
4. En partenariat avec l’INDH, il faudrait répondre aux besoins d’accès aux services
municipaux et communautaires et aux activités génératrices de revenus des
ménages des bidonvilles.
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Programme « Villes sans bidonvilles » du Maroc – Rapport de l’analyse d’impact social et sur la pauvreté
Introduction
Le présent rapport est l’aboutissement de la collaboration entre la Banque mondiale et le
Ministère marocain de l’Habitat et de l’Urbanisme, qui s’est établie en janvier 2005 pour
évaluer les impacts probables du Programme Villes sans bidonvilles en termes de
développement social et d’atténuation de la pauvreté. L’étude a été menée en parallèle à la
préparation et l’évaluation du Prêt de Développement du Secteur de l’Habitat, qui appuie
l’agenda du Gouvernement dans le secteur de l’habitat, dont le programme national de Villes
sans bidonvilles. Les résultats préliminaires de l’analyse d’impact social et sur la pauvreté
ont été intégrés dans la formulation du Prêt, et les résultats définitifs devraient peser sur son
exécution.
Pour répondre à ces questions, l’étude comprenait une analyse des parties prenantes et une
enquête qualitative sur les ménages et les attitudes individuelles dans un échantillon de
bidonvilles urbains. Ces dernières ont fourni la base pour une analyse détaillée des avantages
et des impacts négatifs. Des leçons de politique ont été tirées de cette série d’analyses et des
deux cas internationaux de résorption, et ont permis de cerner les risques et les limitations de
la formulation actuelle du programme et de faire des recommandations en vue de son
amélioration.
La Partie II résume les résultats de l’Analyse d’impact social et sur la pauvreté menée sur le
programme Villes sans bidonvilles et ses instruments financiers apparentés. Les résultats de
l’analyse des parties prenantes et ceux de l’enquête qualitative, menée dans six bidonvilles
échantillons, sont également présentés. Sur cette base, les avantages probables et les impacts
négatifs du programme sur la population cible sont discutés, en analysant l’adaptation des
modalités de résorption aux besoins des résidents. L’accessibilité de ces options de résorption
est examinée, à la fois en l’absence et en présence d’accès au financement de l’habitat.
La Partie III décrit les principaux risques et les principales limitations de la formulation du
programme actuel, et présente deux cas internationaux de résorption qui ont un intérêt pour
l’expérience marocaine dans les domaines de l’accompagnement social et de la participation
des communautés à la formulation et l’exécution des opérations, et dans l’intégration des
améliorations de l’infrastructure physique dans les investissements pour le développement
social. Le rapport se conclut par une série de recommandations de politique qui ont pour but
de contribuer à l’amélioration de la formulation du programme Villes sans bidonvilles.
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Programme « Villes sans bidonvilles » du Maroc – Rapport de l’analyse d’impact social et sur la pauvreté
Au cours des 20 dernières années, l’habitat informel s’est développé plus rapidement que
l’habitat formel et ce, en dépit des efforts du Gouvernement pour résoudre le problème. Les
principaux problèmes du marché de l’habitat sont de nature structurelle, tant du côté de
l’offre, du fait que la production de logements abordables a été entravée par un nombre de
facteurs systémiques du secteur, que du côté de la demande, étant donné que les familles à
revenus modestes n’ont pas été aidées de manière adéquate.
Les principaux problèmes du secteur qui ont été identifiés dès le début de la réforme
comprenaient : a) procédures de titres fonciers et d’enregistrement longues et lourdes menant
à une pénurie de terrains urbains pour l’aménagement ; b) urbanisation et pratiques de zonage,
normatives d’aménagement et de construction qui mènent à des coûts élevés d’aménagement
urbain ; c) une baisse brutale de la disponibilité de logements résidentiels du fait que le cadre
juridique en place est interprété comme favorisant les droits des locataires par rapport aux
droits des propriétaires ; d) un accès limité aux produits et crédit hypothécaires pour les
ménages à revenus modestes du secteur formel, et pas d’accès au crédit hypothécaire pour les
ménages à revenus modestes ayant des revenus informels ou irrégulier, qui n’étaient par
conséquent pas en mesure d’avoir accès au marché régulier de l’habitat ; e) une série de
subventions et d’allégements fiscaux au secteur de l’habitat, dont nombreux d’entre eux sont
régressifs et qui représentaient en 2003 un coût budgétaire d’environ 5 milliards de DH par
an, soit 1,2 pour cent du PNB ; f) un cadre institutionnel caractérisé par une coordination
insuffisante entre le Ministère de l’Habitat et de l’Urbanisme (MHU) et le Ministère des
Finances et de la privatisation (MFP) et une mauvaise performance globale des compagnies
parapubliques de l’habitat ; g) des programmes de logements sociaux qui se sont avérés
insuffisants pour satisfaire la demande et la satisfaction de leurs populations cibles.
En 2004, le GM a initié un programme de réforme très complet dans une tentative de tenir
compte à la fois du côté de l’offre et du côté de la demande du secteur de l’habitat. La
nouvelle stratégie se fonde sur la volonté de laisser le secteur privé jouer le rôle de chef de file
dans l’offre d’habitat, d’améliorer l’environnement institutionnel et réglementaire du secteur
de l’habitat, et d’accroître l’accessibilité à l’habitat par les ménages à revenus modestes au
1
Le reste comprenait 540.000 logements construits illégalement mais d’une qualité de construction
appropriée, et 90.000 logements menaçaient de s’effondrer, principalement ceux concentrés dans les
centres historiques urbains.
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Programme « Villes sans bidonvilles » du Maroc – Rapport de l’analyse d’impact social et sur la pauvreté
a) Réformer le cadre juridique de l’aménagement urbain pour réduire les coûts des
terrains viabilisés et promouvoir un aménagement urbain régulier, créer un
environnement juridique et budgétaire pour le marché locatif et réformer la
taxation de l’immobilier et les subventions au logement ;
b) Formuler et appliquer une nouvelle approche du logement social faisant
intervenir un programme national de résorption de bidonvilles et d’aménagement
de parcelles viabilisées ou semi viabilisées pour satisfaire la demande de
logements à faible coût ;
c) Mieux cibler les subventions publiques et élargir l’accès au financement
hypothécaire pour les groupes à revenus modestes, en particulier les ménages
ayant des revenus irréguliers ou informels, en infléchissant en leur faveur le
soutien du Gouvernement.
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Programme « Villes sans bidonvilles » du Maroc – Rapport de l’analyse d’impact social et sur la pauvreté
marchés financiers de l’habitat qui aiderait à atténuer les risques et à renforcer la volonté de la
communauté des donateurs à appuyer le programme de réforme du Gouvernement.
Les efforts du Gouvernement pour formuler et exécuter un programme national de
résorption des bidonvilles ont abouti en 2004 au lancement du programme Villes sans
bidonvilles (VSB) qui est devenu depuis le programme phare des réformes du secteur de
l’habitat. Pour en assurer la réussite et afin de favoriser un meilleur accès au logement en
général par les ménages ayant des revenus modestes et/ou irréguliers, le Gouvernement a
également appuyé diverses réformes du financement hypothécaire.
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Programme « Villes sans bidonvilles » du Maroc – Rapport de l’analyse d’impact social et sur la pauvreté
L’emplacement des bidonvilles varie, pour aller d’enclaves au sein du tissu urbain qui datent
parfois d’avant l’Indépendance de 1956, à des bidonvilles plus récents à la périphérie des
villes, souvent situés dans des sites dangereux tels que des ravins, des terrains instables ou
dans la proximité immédiate de rails de chemin de fer et autres infrastructures principales.
L’accès aux services de santé et d’éducation, aux marchés, au transport urbain et aux
possibilités d’emploi dépend fortement de l’emplacement et de l’âge des bidonvilles mais il
est en général insuffisant.
Le programme national Villes sans bidonvilles a comme but celui de fournir un logement
décent aux 212.000 ménages vivant dans des bidonvilles urbains à travers le Maroc d’ici
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DHSAF (2004) Etude relative à la résorption de l’habitat insalubre – redéfinition des méthodes
d’intervention – Synthèse générale
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Programme « Villes sans bidonvilles » du Maroc – Rapport de l’analyse d’impact social et sur la pauvreté
2010.3 Ce programme phare a été officiellement soumis au Roi en juillet 2004, trois ans après
le Discours Royal du 20 août 2001, dans lequel le logement social et les efforts du
Gouvernement pour lutter contre l’habitat insalubre ont été élevés au rang de priorité
nationale. Les résultats des évaluations d’interventions antérieures en matière de résorption de
l’habitat insalubre ont donné lieu à une série de leçons et de suggestions, donnant un nouvel
élan à un réengagement intégral dans la lutte contre l’habitat insalubre. Les bombes de
Casablanca en mai 2003, qui ont été lancées par des terroristes dont la plupart vivaient dans
ces bidonvilles, ont instillé une notion de l’urgence encore plus grande dans l’engagement à
éliminer les bidonvilles en tant que pépinières de comportements antisociaux.
Contrairement à des interventions antérieures qui peuvent avoir ciblé seulement certains
bidonvilles ou des besoins localisés de résorption, Villes sans bidonvilles adopte une
approche au niveau de la ville. Tous les bidonvilles doivent être rassemblés dans une
solution intégrée basée sur la maille urbaine de la ville et les réserves de terrains disponibles.
Tout en restant un programme du Ministère de l’Habitat et de l’Urbanisme, VSB est présenté
comme un partenariat avec les principales parties prenantes, tout particulièrement les autorités
locales et régionales, les promoteurs immobiliers des secteurs public et privé, ainsi que les
bidonvillois. Le Manuel d’opérations du programme stipule les règles de cette approche de
mise en œuvre et définit les responsabilités devant être couvertes par les différents partenaires
concernés. Pour chacune des villes concernées, les accords contractuels clarifient et exposent
les responsabilités des différents acteurs publics aux niveaux national et local.
Villes Sans Bidonvilles englobe toutes les opérations de résorption, incluant celles qui
étaient conçues ou exécutées par le MHU et les opérateurs publics de l’habitat avant le
lancement du programme en 2004. Elles représentent environ un tiers de tous les ménages
bidonvillois sous considération. Les deux tiers restants devaient être programmés à compter
de 2004, avec environ 30 pour cent à programmer en 2004 seulement, et le reste devant suivre
(voir Tableau 1).
3
Les 58.000 ménages restants vivant dans des bidonvilles ruraux ne sont pas couverts par ce
programme.
4
Zones d’aménagement progressif (ZAP), où l’infrastructure in situ sera fournie au fil des années alors
que les ménages construisent sur leurs parcelles.
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Programme « Villes sans bidonvilles » du Maroc – Rapport de l’analyse d’impact social et sur la pauvreté
29 % 35 % 15 % 21 % 100 %
Cette injection importante de terrains urbains a deux objectifs principaux : tout d’abord,
fournir des terrains à Villes sans bidonvilles; et ensuite, mettre sur le marché une offre
suffisante de terrains en ouvrant de vastes zones nouvelles à l’aménagement dans les Zones
d’urbanisation nouvelle. La quantité de terrains requise pour exécuter le programme national
de résorption des bidonvilles a été estimée à environ 5.180 ha par le MHU. Sur les 70 villes
couvertes par le programme, la moitié sont concernées par les transferts de terrains du
domaine public : 19 ont des terrains publics en excès des besoins de résorption, et 16 ont un
montant de terrains publics qui est suffisant pour la moitié seulement des besoins du
programme. Toutefois, les contrats ne sont signés avec les villes que lorsque tous les besoins
fonciers des opérations locales ont été satisfaits et si le foncier public est insuffisant, les
collectivités locales apportent leurs propres réserves foncières et dans certains cas, des
terrains privés sont achetés.
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Programme « Villes sans bidonvilles » du Maroc – Rapport de l’analyse d’impact social et sur la pauvreté
Holding Al Omrane (HAO) a été établi en 2004 en tant que successeur de l’Agence
nationale de lutte contre l’habitat insalubre (ANHI) dans le but d’incorporer tous les
opérateurs publics de l’habitat, et sa structure de gestion sous forme d’une Holding Company
sous la tutelle d’un Comité de surveillance a été établie en 2005. HAO a incorporé en 2004
deux autres entreprises publiques de logement et se prépare à incorporer les sept entreprises
régionales qui restent.
Une division a été établie au sein du Département du logement social du MHU pour la
gestion du programme, et compte cinq employés. Sa fonction est de contrôler le processus de
signature et administratif des conventions opérationnelles avec les opérateurs publics et privés
(en liaison avec les services responsables au Ministère des Finances et de la Privatisation),
d’assurer le suivi et évaluation du programme, et de gérer un futur observatoire de l’habitat
informel au Maroc.
A partir de la fin 2005, 41 contrats de villes ont été signés entre le MHU et les parties
concernées. De nouvelles conventions pour les opérations de résorption ont été signées avec
des opérateurs publics et privés couvrant 61.000 ménages au cours de 2004 (par rapport à une
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MHU, Programme Villes sans bidonvilles, Plan de mise en oeuvre, mai 2005
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Programme « Villes sans bidonvilles » du Maroc – Rapport de l’analyse d’impact social et sur la pauvreté
cible de 62.000), et 69.000 ont été signés au cours de 2005, amenant à 60 pour cent la
programmation globale des opérations. Cependant, en ce qui concerne leur achèvement, les
données disponibles au MHU indiquent qu’à la fin 2005, 24.500 unités seulement ont été
livrées aux ménages bidonvillois, par rapport à une cible de 43.000, tandis que 11.000 unités
de résorption restaient à commercialiser, faute de volonté des ménages-cible de les acquérir.
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Programme « Villes sans bidonvilles » du Maroc – Rapport de l’analyse d’impact social et sur la pauvreté
Plusieurs fonds de garantie hypothécaire ont été créés par le Gouvernement au début de
2004, dont l’un, FOGARIM, cible spécifiquement les ménages à revenus modestes et/ou
irréguliers. Les banques commerciales sont maintenant invitées à étendre le crédit
hypothécaire à cette clientèle. Il leur est garanti un recouvrement de 70 pour cent du capital
restant dû en cas de défaut, qui proviendrait d’un fonds géré par la Caisse centrale de garantie
(CCG), agence publique sous la tutelle du MFP. A cette fin, CCG gère actuellement un fonds
de 200 millions de DH mis à disposition par le MHU avec des ressources affectées par le
Fonds de solidarité de l’habitat (FSH). Conformément aux accords initiaux entre le MHU et le
MFP, la capitalisation du fonds triplerait d’ici 2008, atteignant 600 millions de DH.
Dans le contexte de Villes sans bidonvilles, l’accès au financement hypothécaire par les
ménages bidonvillois semble revêtir une importance particulière, étant donné le niveau de la
contribution financière attendue d’eux (70 pour cent des coûts globaux du programme en plus
des coûts de la construction des logements7), et leur faible niveau de revenus et d’épargne.
L’accès au crédit semble particulièrement critique pour les ménages destinés à être transférés
dans des appartements, qui représentent environ 20 pour cent du total.
Au cours de sa première année et demi d’opération (mars 2004 à décembre 2005), environ
2.900 prêts hypothécaires ont été accordés par les banques avec l’aval de FOGARIM,
essentiellement par la Banque centrale populaire et le Crédit immobilier et hôtelier, les deux
plus grosses banques publiques. Ce modeste résultat, en particulier par rapport aux besoins de
logement social et au niveau de capitalisation du Fonds, s’explique principalement par : a)
l’information insuffisante de la population cible concernant la possibilité d’acquérir un crédit
hypothécaire ; b) l’accessibilité réduite des logements actuellement sur le marché ; et c) le
manque de familiarité de la population cible avec le système bancaire en général et
réciproquement le manque de familiarité des banques commerciales avec cette clientèle à
revenus modestes.
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Les critères incluent : nationalité marocaine ; preuve d’une activité génératrice de revenu, même si
elle est irrégulière mais excluant l’emploi du secteur public ; preuve que le bénéficiaire ne possède pas
d’autre propriété ; le bénéficiaire ne doit pas avoir bénéficié précédemment d’un prêt pour l’acquisition
d’un logement social.
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Dans le contexte de la restructuration in situ et des parcelles partiellement ou entièrement viabilisées.
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Programme « Villes sans bidonvilles » du Maroc – Rapport de l’analyse d’impact social et sur la pauvreté
Les banques ont commencé à approcher les ménages plus aisés avec des revenus irréguliers
ou informels (épiciers, chauffeurs de taxi, etc.) qu’ils connaissent mieux. L’accès au
financement hypothécaire par les groupes à revenus plus modestes de la population informelle
ne se produira que s’il y a un effort délibéré de leur transmettre davantage d’information et de
combler le manque actuel de confiance entre la population cible (spécialement dans les cas
des habitants de bidonvilles) et les institutions bancaires. Par conséquent, à la mi-2005 un
programme de formation au crédit a été préparé par le MHU avec l’appui technique de la
Banque, qui entrera en vigueur en 2006. Il ciblera en priorité les ménages bénéficiaires du
programme Villes sans bidonvilles qui seront relogés dans des appartements et qui auront
besoin de crédit pour faire face aux coûts relativement importants de l’acquisition du
logement.
Les accords entre le Gouvernement et la Banque stipulés au titre des conditions pour
l’approbation du PDSH incluaient la définition de l’incitation financière publique pour la mi-
2005 et son inclusion dans le projet de Loi de finances pour 2006, de sorte que les banques
commerciales seraient en mesure d’offrir les mécanismes d’épargne logement aux ménages
intéressés dès le début de 2006. Cependant, aucune mesure financière en appui de la création
de l’épargne logement n’a été introduite dans la Loi de Finances 2006, et la mise en place de
ce mécanisme de solvabilisation de la demande a été donc retardé d’au moins un an.
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Programme « Villes sans bidonvilles » du Maroc – Rapport de l’analyse d’impact social et sur la pauvreté
de l’intervention accélérée des IMF dans le secteur de l’habitat social, dans l’espoir
d’atteindre un nombre important de ménages nécessitant un appui financier pour construire ou
réhabiliter leur logement. Deux protocoles d’accord ont été préparés par le MHU avec les
deux IMF principales, et ils sont actuellement en cours d’examen par le MFP.
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Programme « Villes sans bidonvilles » du Maroc – Rapport de l’analyse d’impact social et sur la pauvreté
L’objectif de l’analyse d’impact social et sur la pauvreté (AISP) est d’évaluer la réduction
de la pauvreté et les impacts sociaux escomptés de certaines des réformes appuyées par le
PDSH. Afin d’assurer la réussite des réformes et de maximiser leur probabilité de réaliser
leurs objectifs de développement, il faut qu’il y ait une meilleure compréhension des
caractéristiques et des attentes des bénéficiaires et des rôles des parties prenantes concernées.
Au vu de l’importance du programme national de résorption des bidonvilles en tant que
programme phare de la réforme du secteur de l’habitat, il a été décidé d’axer l’AISP
essentiellement sur Villes sans bidonvilles. En raison de leurs complémentarités avec ce
programme, les réformes du financement de l’habitat décrites ci-dessus ont également été
incluses dans le travail de l’AISP.
L’AISP avait pour intention d’analyser qui sont les gagnants et les perdants des réformes
proposées. L’étude devait examiner si les produits de l’habitat de Villes sans bidonvilles et les
services financiers connexes répondent aux attentes et aux besoins des bénéficiaires visés.
Elle devait apporter une meilleure compréhension du contexte et des circonstances de vie des
bénéficiaires visés et permettre ainsi de mieux évaluer et anticiper des réponses probables de
comportement aux réformes proposées. L’AISP devait également déterminer quels seraient
les groupes qui pourraient appuyer les réformes et quels groupes pourraient s’y opposer, afin
de forger des alliances des parties prenantes clés et de réduire les résistances.
Les principales questions de recherche auxquelles devait répondre l’AISP étaient les
suivantes :
19
Programme « Villes sans bidonvilles » du Maroc – Rapport de l’analyse d’impact social et sur la pauvreté
Les sites de la recherche de terrain étaient six bidonvilles dans trois villes différentes,
Larache, Casablanca et Agadir, et ils avaient été choisis conjointement avec le MHU. Les
critères suivants étaient utilisés dans la sélection de l’échantillon des bidonvilles, pour
maximiser la variabilité entre les emplacements : taille de la ville (petite, moyenne, grande) ;
emplacement et taille du bidonville dans la ville (central, périphérique) ; bilan des opérations
réalisées ou prévues (la signature des contrats de villes VSB en étant un indicateur). Deux
bidonvilles par ville ont été sélectionnés, l’un situé dans le centre ville et l’autre à sa
périphérie. Les bidonvilles situés au centre ville à Larache, Casablanca et Agadir, étaient
respectivement Jnan El Bacha, Douar Skueila et Khiam Larrab. Les bidonvilles à la
périphérie de Larache, Casablanca et Agadir étaient respectivement : Guadaloupé, Nakhil et
Bakchich (voir un profil résumé des caractéristiques des bidonvilles à l’Annexe 1).
La première phase (janvier -- février 2005) portait sur une analyse des parties prenantes qui
examinait le paysage institutionnel par rapport au programme VSB et les mécanismes
apparentés de financement hypothécaire. Les parties prenantes institutionnelles comprenaient
environ 80 représentants des différentes couches de gouvernement, du secteur privé et des
organisations de la société civile. Cette phase incluait également du travail de terrain
préliminaire dans les bidonvilles sélectionnés afin de développer une liste plus pointue de
thèmes directeurs pour la recherche qualitative qui serait faite pendant la deuxième phase. Ce
travail de terrain a été réalisé au moyen de marches transversales parmi les bidonvilles de
l’échantillon, avec environ 30 réunions de groupe informelles qui comprenaient 125
personnes au total, et les visites d’environ 20 baraques. Les résultats préliminaires de la
première phase ont été présentés aux dirigeants des départements concernés du MHU et ont
été discutés avec eux. Deux membres du MHU ont pris une part active au travail de terrain de
la première phase et ont fourni un apport important à la préparation de la deuxième phase.
La deuxième phase (mars -- avril 2005) consistait en une recherche qualitative sous la forme
de groupes focaux et d’entrevues en profondeur avec les résidents et personnes ressource dans
les six bidonvilles sélectionnés. L’objectif était d’examiner la situation des bidonvillois plus
en détail en collectant l’information dans les cinq domaines suivants qui avaient émergé
comme particulièrement pertinents lors de la première phase de recherche : a) moteurs des
stratégies résidentielles des habitants des bidonvilles ; b) accès aux ressources financières et
gestion de ces ressources, et attitudes vis-à-vis de l’épargne et du crédit ; c) structures
communautaires et collectives présentes dans les bidonvilles ; d) attentes vis-à-vis du
programme VSB et perceptions de ce programme ; e) attentes vis-à-vis de l’accompagnement
social et la participation dans les opérations de résorption. Dix-neuf entrevues de groupes
focaux et 66 entrevues individuelles en profondeur ont été faites avec des femmes, des
hommes et des jeunes séparément. En fonction de ces donnés qui étaient préparées pour
analyse par le bureau d’études marocain, un consultant international a préparé un rapport de
synthèse (Annexe 3). Des extraits importants des entrevues avec les bidonvillois, articulés
autour des cinq thèmes mentionnés ci-dessus, sont présentés à l’Annexe 2.
La troisième phase (mai -- octobre 2005) consistait en un atelier de parties prenantes pour
présenter et discuter les résultats du travail de terrain des première et deuxième phases, avec
l’intervention active des consultants internationaux et du bureau d’étude marocain ; la
préparation des rapports des consultants et le rapport de l’atelier pour dissémination nationale,
qui ont été revus et approuvés par le MHU en septembre, et la préparation du rapport par
l’équipe de la Banque, en consultation étroite avec la direction du MHU.
20
Programme « Villes sans bidonvilles » du Maroc – Rapport de l’analyse d’impact social et sur la pauvreté
La recherche de terrain effectuée était de nature qualitative pour plusieurs raisons clés. Les
données quantitatives sur la population des bidonvilles, leur emplacement géographique et
leurs caractéristiques socioéconomiques sont contradictoires et insuffisantes. Alors que le
recensement mené à bien en 2004 offre une information plus détaillée sur la population des
bidonvilles du Maroc, ses résultats ne seront disponibles qu’à la fin de 2005 seulement, et les
recensements antérieurs ne couvrent pas adéquatement les habitants des bidonvilles. De plus,
l’objectif de l’examen des impacts sociaux probables des réformes sur la population
bidonvilloise requiert essentiellement une compréhension de sa complexité et diversité
concernant les caractéristiques socioéconomiques, les événements négatifs de la vie, les
stratégies de survie ainsi que les attentes et les espoirs des habitants. L’emphase du travail qui
en résulte est par conséquent de présenter des preuves sous la forme de typologies
(d’habitants des bidonvilles, de stratégies résidentielles, etc.) basées sur l’échantillon étudié, à
partir desquelles des déclarations générales de l’impact attendu peuvent être formulées.
L’atelier du 9 et 10 mai 2005 a aidé à valider les conclusions du travail de terrain, mais il a
également offert une opportunité de communiquer quelques messages clés aux décideurs et
aux spécialistes techniques qui participaient aux débats. L’atelier a eu une large audience et
une participation de haut niveau. Le Ministre chargé de l’Habitat et de l’Urbanisme et le
Ministre du Développement social, de la Famille et de la Solidarité ont ouvert l’atelier auquel
ont participé environ 120 représentants des parties prenantes institutionnelles du programme
Villes sans bidonvilles. La télévision et la presse écrite marocaines ont couvert l’atelier de
consultation de manière très complète.
Les résultats de l’atelier et le travail analytique ont eu un impact immédiat sur le dialogue
de politique et ont renforcé la conception opérationnelle du PDSH du fait qu’il s’est tenu à la
clôture de la préparation du Prêt. Les conclusions de la recherche ont mis en relief les lacunes
spécifiques des mécanismes d’accès au crédit par les ménages des bidonvilles, ainsi que les
limitations, les problèmes de définition et opérationnels de l’accompagnement social et de la
participation à la résorption des bidonvilles. En particulier, l’atelier a permis aux autorités du
MHU et du MFP de convenir du besoin d’accélérer la préparation et l’exécution du
programme de formation au crédit, appuyé par le prêt de la Banque. Il a également fourni une
plate-forme pour venir à bout éventuellement des blocages concernant l’incorporation de
l’accompagnement social et de la participation dans la mise en œuvre du programme VSB.
21
Programme « Villes sans bidonvilles » du Maroc – Rapport de l’analyse d’impact social et sur la pauvreté
Le paysage des acteurs liés au secteur de l’habitat en général et au programme Villes sans
bidonvilles en particulier est extrêmement complexe. En tandem avec la réorientation
périodique et le changement des priorités qui ont caractérisé les approches de politique de
l’habitat informel au cours des dernières décennies, le contexte institutionnel a également
évolué. Après une période d’évaluation intensive à la fin des années 90, il a été reconnu que le
succès des interventions était sévèrement compromis par le manque de collaboration entre les
acteurs clé sur les plans national, régional et local et le manque d’engagement actif et de
communication de la population ciblée.
Le Plan de mise en œuvre de Villes sans bidonvilles stipule quatre conditions desquelles
dépend le succès du programme, incluant : a) le renforcement de partenariats institutionnels
; b) le travail de proximité et l’engagement avec la population bidonvilloise ; c) les efforts
soutenus de prévention de la prolifération des bidonvilles ; et d) l’exécution complète du
programme de réforme de l’habitat. L’analyse des parties prenantes révèle que de nombreux
acteurs clés avec des niveaux élevés d’influence appuient le programme et qu’il y a un
enthousiasme général envers un partenariat accru et une collaboration générale entre niveaux
administratifs, régionaux et sociétaux. Malgré cet important appui toutefois, il y a des défis
systémiques à la création de véritables partenariats fonctionnels.
Les obstacles structurels ainsi que les points actifs de résistance dans le paysage
institutionnel complexe peuvent devenir critiques car la coopération entre les parties
prenantes, comme le stipulent les contrats de villes, sera indispensable à l’exécution sans
heurts et à la réussite du programme. Des efforts accrus pour incorporer les préoccupations
sociales et assurer l’accompagnement social et la participation dans la conception et
l’exécution de Villes sans bidonvilles jouissent de l’aval formel mais souffrent d’une capacité
insuffisante et d’un appui inégal de la part des différentes parties prenantes institutionnelles.
Des habitudes enracinées de mesurer les résultats avec l’achèvement physique des travaux et
un calendrier pressant peuvent être contreproductifs pour l’achèvement des objectifs déclarés
de satisfaire la demande sociale des ménages bidonvillois de logements décents et abordables,
et requièrent l’attention des décideurs.
L’analyse des parties prenantes a identifié plusieurs sources d’enjeux et de risques qui ont
été corroborés lors de l’atelier AISP des parties prenantes. Les sources identifiées de risque
pour établir des partenariats fonctionnels incluent : l’incohérence et la fragmentation entre
niveaux administratifs, le manque de coordination entre principales parties prenantes, et les
mécanismes de redevabilité insuffisants. Les éléments suivants représentent les principaux
obstacles qui ont émergé de l’analyse et de l’atelier des parties prenantes pour réaliser
l’accompagnement social et la participation effectifs : un manque de définition claire de
l’accompagnement social et des activités de participation à réaliser au titre de l’exécution du
programme, une capacité inadéquate des agences d’exécution à cet égard, ainsi qu’une
déficience des ressources humaines et financières consacrées à l’accompagnement social et la
participation.
Ces conclusions ont été tirées en analysant les moteurs de l’appui et de l’opposition à Villes
sans bidonvilles tels qu’ils varient par partie prenante. La conception et l’exécution du
programme dépendent de l’influence de chaque acteur et de ses enjeux et intérêts dans le
programme. La matrice suivante résume les caractéristiques clés des parties prenantes
institutionnelles ainsi que leurs intérêts déclarés et non déclarés dans l’exécution de VSB,
allant du Roi du Maroc à la société civile et la communauté des donateurs.
22
Programme « Villes sans bidonvilles » du Maroc – Rapport de l’analyse d’impact social et sur la pauvreté
Partie prenante Intervention dans la Appui aux Niveau de Attitudes envers les
formulation et l’exécution objectifs du confiance mécanismes
de VSB programme envers les d’accompagnement social et de
bidonvillois participation
Sa Majesté le Roi du A initié le nouvel agenda de Niveau élevé Elevé Favorise l’accompagnement social
Maroc réforme pour améliorer la vie d’appui comme souligné par le lancement
des habitants des bidonvilles récent de l’initiative de
développement humain
Ministère de l’Habitat et Central aux réformes et Niveau élevé Moyen Orientation technique vers
de l’Urbanisme (MHU) organisateur clé de VSB d’appui l’exécution de VSB ; capacité et
ressources humaines/financières
insuffisantes
L’accompagnement social et la
Les Walis et Gouverneurs participation des bidonvillois est de
supervisent l’exécution des Appui à l’exécution peu d’importance
programmes publics, ponctuelle de VSB
Ministère de l’Intérieur
(MICL) coordonnent les acteurs Faible
institutionnels locaux
Collectivités locales Partenaires dans l’exécution de Niveaux variés Moyen Attention variée à
VSB comme stipulé dans les d’appui car les l’accompagnement social mais
accords contractuels ; intérêts locaux des principalement orientation
contributions importantes CL peuvent technique
attendues contredire VSB
23
Programme « Villes sans bidonvilles » du Maroc – Rapport de l’analyse d’impact social et sur la pauvreté
Société civile Intervention non explicite ni Niveau élevé Elevé Concernée par l’accompagnement
prévue dans VSB d’ONG d’appui mais social des bidonvillois
marocaines locales ou influence limitée
internationales
Communauté des Contributions financières et Niveau élevé Elevé Très concernée par
donateurs techniques et appui à la d’appui l’accompagnement social et la
conception et l’exécution de participation
VSB
Sa Majesté le Roi a élevé l’éradication des bidonvilles au statut de priorité depuis 2001, et a
accru son soutien et son engagement public à la réalisation des objectifs de résorption des
bidonvilles avec son intervention personnelle et sa présence visible à travers des visites aux
bidonvilles, l’ouverture de sites de construction et des cérémonies de livraison des produits de
l’habitat aux pauvres. Son implication personnelle est extrêmement puissante pour transmettre
un message d’espoir et d’engagement aux habitants des bidonvilles, ainsi que pour maintenir
la dynamique des institutions et administrations intervenant dans l’exécution du programme.
24
Programme « Villes sans bidonvilles » du Maroc – Rapport de l’analyse d’impact social et sur la pauvreté
institutionnels au niveau local et à exercer un contrôle sur les Collectivités locales. L’urgence
que le Roi a instillée dans le programme national de résorption des bidonvilles est palpable
dans l’attention qu’ils portent aux questions techniques et à la mise en œuvre des actions. La
dimension sociale de VSB n’a pas grande importance pour eux et les habitants des bidonvilles
sont ressentis comme pouvant frustrer potentiellement les objectifs nationaux d’éradication
des bidonvilles et de prévention de leur prolifération. Les représentants au plus bas niveau du
Ministère au niveau de quartier, les caids et moqaddems, sont souvent en désaccord avec les
bidonvillois et sont une source de tension sociale en raison de leurs pratiques souvent
corrompues et autoritaires.
Les Collectivités locales sont des partenaires du programme et sont requises de faire des
engagements spécifiques au titre de chaque contrat de ville, allant de la mobilisation de
terrains municipaux aux contributions financières, à celle de ne pas permettre la prolifération
ultérieure des bidonvilles. Toutefois, les conseils municipaux sont étroitement liés aux intérêts
locaux et réactifs aux forces financières et politiques qui peuvent aller à l’encontre des
objectifs du programme et qui pourraient préférer voir les ressources municipales limitées
investies dans d’autres domaines. Les politiciens locaux sont connus pour avoir exploité la
présence des bidonvilles en retour de votes et de corruption, soit en promettant aux résidents
une opération de résorption, soit la tolérance des autorités concernant leur occupation illégale
des sites, soit en permettant l’accès à l’infrastructure sur site tant nécessaire comme
l’approvisionnement en eau et l’électricité (en dépit de la nature illégale des bidonvilles). Les
promoteurs informels qui profitent de la vente de terres rurales pour établir des bidonvilles
seraient également opposés au VSB, et pourraient utiliser leur influence politique locale pour
contrecarrer les objectifs du programme.
Les Opérateurs publics de l’habitat (OPH) ont jusqu’à récemment dominé l’aménagement
des terrains, la construction de logements sociaux et l’exécution des programmes de
résorption des bidonvilles. Holding Al Omrane, créé en 2004, est chargé de l’élimination des
redondances et de la restructuration des dix entreprises parapubliques en un groupe unique,
chargé de l’exécution de presque toutes les opérations de VSB. L’objectif du Gouvernement
est que HAO s’occupe de plus en plus de l’aménagement des terrains et se désengage de la
construction de logements sociaux, dans laquelle le secteur privé devrait intervenir davantage.
Quant au programme VSB, HAO affiche essentiellement une approche d’ingénierie civile de
la mesure de ses résultats, par laquelle les opérations de résorption des bidonvilles sont
réalisées conformément à des paramètres techniques et financiers, laissant la responsabilité de
l’accompagnement social et la participation, et même le transfert des ménages dans les
nouveaux logements, au MHU, aux Collectivités locales et aux autorités.
25
Programme « Villes sans bidonvilles » du Maroc – Rapport de l’analyse d’impact social et sur la pauvreté
financières et humaines posent des difficultés à son intervention dans les projets de résorption
des bidonvilles, et l’agence fait de l’équilibrisme pour gérer le travail catalytique et
opérationnel. Il est clair que l’incorporation de l’accompagnement social et la participation
aux opérations VSB ne peuvent pas se fonder uniquement sur l’intervention de l’ADS.
Les entrepreneurs et promoteurs privés sont invités à accroître leur rôle dans la production
de logements sociaux, et en particulier la construction de blocs d’appartements dans le
contexte du programme VSB. A travers HAO, le Gouvernement est prêt à leur transférer des
terrains viabilisés à une valeur inférieure à celle du marché, à condition que la subvention soit
transférée aux acheteurs sous la forme de prix de vente inférieurs à ceux du marché, afin de
les rendre abordables. Jusqu’à présent, les entrepreneurs et les promoteurs privés ont
manifesté de la réticence à conclure ces accords, essentiellement par crainte de la ponctualité
du recouvrement des coûts, qui est critique pour leur trésorerie dans des opérations qui par
définition n’ont que des petites marges de profit. La demande pour ces logements sociaux par
les bidonvillois n’est pas perçue comme fiable ni aisément prévisible. Les soucis quant à la
capacité des ménages des bidonvilles d’accéder au crédit motivent également la réponse tiède
des entrepreneurs et des promoteurs au programme VSB jusqu’à présent.
Les banques commerciales pourraient jouer un rôle clé dans le programme VSB en tant que
fournisseurs de crédit hypothécaire, garanti par FOGARIM et appuyé à l’avenir par les
mécanismes d’épargne logement. Etant donné que la population ciblée devrait assumer la
majorité du coût financier du programme, l’accès au crédit est crucial à la réussite de VSB.
Les prêts garantis par FOGARIM peuvent être considérés par les banques comme une
opportunité à faible risque de développer un nouveau marché potentiellement lucratif.
Toutefois, les banques commerciales hésitent à le faire en raison de risques variés :
connaissance restreinte de la population ciblée; méfiance à établir des engagements financiers
de longue durée avec des clients économiquement faibles ; et les coûts de transaction pour
atteindre une population non éduquée et non informée. Les banques ont également peur des
défauts épidémiques lorsque les habitants des bidonvilles prennent connaissance des garanties
de l’Etat. Par conséquent, malgré la pression du Gouvernement, les banques ne sont pas
activement engagées dans l’exécution du programme VSB.
Les organisations de micro-crédit ont été autorisées à prêter au logement depuis 2004 avec
un plafond de 30.000 DH par prêt pour acheter, construire ou améliorer des logements. Les
organisations de micro-crédit ont pour mandat de servir les pauvres, elles ont une bonne
connaissance de leurs clients et l’accompagnement social est implicite et intégré dans la
relation de prêt. Comme ces organisations se renforcent et gagnent une plus grande
indépendance des institutions qui les ont appuyées dans le passé, elles expriment un intérêt
croissant à forger des relations avec les banques pour l’établissement de lignes de crédit pour
l’octroi de prêts à petite échelle. Etant donné leur connaissance unique des bidonvilles, leur
rôle dans l’exécution du programme VSB pourrait être très positif, mais elles sont
actuellement marginalisées du fait du montant limité de ressources financières qu’elles
peuvent mobiliser à cette fin.
Société civile. Le secteur volontaire est relativement sous-développé au Maroc, même s’il
s’est développé considérablement au cours des dix dernières années, période d’ouverture
politique. Quelques ONG marocaines, appuyées par les donateurs internationaux, travaillent
déjà dans les bidonvilles, mais elles n’ont pas été introduites dans le programme VSB. Les
bidonvillois minimisent généralement la valeur de leurs propres associations de voisinage,
quand elles existent, par rapport aux organisations de la société civile gérées par des groupes
externes, qu’ils considèrent comme ayant une plus grande légitimité. Il est clair toutefois que
le réseau d’ONG et d’associations ‘formalisées’ n’est pas largement développé et que les
organisations communautaires provenant des zones de bidonvilles ne sont pas engagées dans
la planification et la préparation des opérations VSB d’aucune façon marquante. Il n’y a pas
26
Programme « Villes sans bidonvilles » du Maroc – Rapport de l’analyse d’impact social et sur la pauvreté
5.3 Influence des parties prenantes : impact probable sur Villes sans bidonvilles
Les intérêts déclarés ou non déclarés d’une partie prenante peuvent ou non influencer
l’exécution ou la performance de la réforme. Alors que les intérêts d’une partie prenante
donnent la direction sur la façon dont l’influence est exercée, l’impact des acteurs clés sur
l’exécution et la performance de VSB dépend de leurs ressources politiques, sociales et
financières.
• Les parties prenantes avec la plus grande influence sur la formulation et l’exécution
de VSB se situent au centre du pouvoir politique. La majorité de ces parties prenantes
ont une perspective technique plutôt que sociale de la résorption des bidonvilles ;
• Certaines parties prenantes sont cruciales pour la réussite de VSB mais ont un intérêt
minimal à y participer à cause d’incitations insuffisantes ou de l’attention insuffisante
accordée à leurs besoins (habitants des bidonvilles, promoteurs, banques et
institutions de micro-crédit). Leur manque d’engagement met à risque la réussite du
programme.
27
Programme « Villes sans bidonvilles » du Maroc – Rapport de l’analyse d’impact social et sur la pauvreté
Les citoyens marocains s’installent dans les bidonvilles pour une grande variété de raisons.
Comprendre les trajectoires qui mènent les gens à entrer ou sortir des bidonvilles peut aider à
comprendre leurs calculs économiques et stratégies de survie qui détermineront leur demande
d’un logement meilleur et leur réactivité au programme national de résorption des bidonvilles.
Les résultats du travail de terrain ont identifié les sept trajectoires suivantes qui mènent les
individus et les ménages dans les bidonvilles : a) une recherche d’optimisation des maigres
ressources financières et de l’espace habitable ; b) le désir d’établir une identité urbaine et des
racines urbaines en migrant à la ville ; c) l’anticipation d’une intervention future de résorption
des bidonvilles ; d) une contraction des moyens économiques à la suite d’un événement de la
vie crucialement négatif, tel qu’un accident, la perte de l’emploi ou le divorce ; e) le
déplacement forcé par les autorités d’un autre habitat précaire ; f) la recherche de logement
locatif bon marché ; et g) le désir ou le besoin de quitter le ménage familial d’origine. Ces
trajectoires peuvent être classifiées comme ascendantes ou descendantes, qu’elles représentent
une amélioration de la qualité de la vie des individus et des ménages, ou au contraire, une
détérioration :
8
Malheureusement, il n’y a pas de données d’enquête disponibles sur les caractéristiques de l’ensemble
de la population bidonvilloise qui permettraient des ventilations plus détaillées le long de lignes
sociales, culturelles et de revenus. Toutefois, toutes les recherches de terrain sur les bidonvilles
individuels confirment leur hétérogénéité.
28
Programme « Villes sans bidonvilles » du Maroc – Rapport de l’analyse d’impact social et sur la pauvreté
• Pour certains des groupes sociaux et des typologies des bidonvillois, venir habiter
dans le bidonville représente une amélioration : c’est le cas des familles qui cherchent
à optimiser l’usage des maigres ressources financières et trouvent plus avantageux
d’acheter un logement dans le bidonville que de payer un loyer pour un logement plus
petit, et qui par conséquent font un meilleur usage de leur budget limité. C’est
également le cas des migrants ruraux qui en s’installant dans un bidonville (souvent
situé dans les zones périphériques) prennent pied dans le milieu urbain et sont en
mesure de survivre tout en recherchant un emploi et peut-être un meilleur logement
en ville, et en maintenant souvent des liens saisonniers avec la région d’origine. La
trajectoire semble ascendante également pour les ménages qui conservent la propriété
d’un habitat dans le bidonville, tout en ayant déménagé ailleurs, dans le but
spécifique d’obtenir un logement subventionné grâce aux interventions publiques.
• Pour certains des groupes sociaux et des typologies des bidonvillois, venir habiter
dans le bidonville représente par contre une détérioration de leurs conditions de vie :
c’est le cas des individus et des ménages qui sont impactés par un événement
crucialement négatif, tel qu’un grave accident, la perte de l’emploi ou de la source de
revenu, un divorce (dans le cas des femmes), la retraite en l’absence d’un soutien
familial, etc. Les ménages qui ont souffert l’éviction forcée d’un autre lieu précaire
aux mains des autorités, dans le contexte d’un projet d’aménagement foncier ou de
développement d’infrastructure, sont également sur une trajectoire descendante. Les
jeunes couples, les hommes célibataires jeunes et les étudiants ont souvent recours à
l’achat ou la location d’un logement dans un bidonville en raison des loyers
inabordables des logements formels, lorsqu’ils veulent s’établir à leur propre compte.
Ces différentes trajectoires et moteurs doivent être pris en compte lors de la planification de
la résorption des bidonvilles, du fait que les demandes et réponses de chaque segment social
varieront avec leurs stratégies résidentielles. Certains seront par conséquent désireux et en
mesure de s’engager avec les représentants du programme VSB dans le but d’obtenir un accès
à un meilleur logement et seront disposés à engager des ressources en vue de cet objectif,
alors que d’autres seront soit non intéressés soit incapables de le faire.
29
Programme « Villes sans bidonvilles » du Maroc – Rapport de l’analyse d’impact social et sur la pauvreté
Les habitants des bidonvilles sont parmi les groupes sociaux les plus marginalisés du
Maroc, et ils connaissent à la fois la pauvreté des revenus et l’exclusion sociale. Leur
présence est perçue comme une menace potentielle sur l’environnement, la santé publique et
la sécurité. La nature illégale des bidonvilles empêche leur inclusion dans les plans de
développement de l’infrastructure urbaine et dans la fourniture d’installations de santé et
d’éducation. L’accès à l’emploi formel et aux systèmes publics d’accompagnement social est
également souvent refusé aux habitants des bidonvilles en raison de leur manque de papiers
officiels de résidence.
Le manque de ressources financières adéquates est l’une des raisons principales qui
empêche leur départ éventuel des bidonvilles. Alors qu’il n’y a pas de données d’enquête sur
les revenus et les ressources financières des bidonvillois, plusieurs études convergent dans
leur évaluation de la distribution du revenu et établissent des seuils parmi la population
générale des bidonvilles. Dans la recherche de terrain de l’AISP comme dans d’autres études,
il a été demandé à la population bidonvilloise d’identifier ce qui caractérise la pauvreté et la
misère ; ces définitions ont ensuite été traduites en équivalents monétaires approximatifs et en
seuils de pauvreté, selon ces paramètres.
Les ménages peuvent être divisés en gros en cinq groupes de revenus, dont l’inférieur,
représentant environs 17 pour cent de la population, vit dans la misère. L’Enquête
Nationale sur la Consommation et les Dépenses des Ménages réalisée en 2000-01 par la
Direction de la Statistique du Haut Commissariat au Plan fournit des données de
consommation et dépense par personne et par type d’habitat, et dans le tableau 5 ces données
ont été converties en niveaux par ménage en appliquant la taille moyenne des ménages
urbains (4,8 personnes). Sur cette base, on indique les montants des payements hypothécaires
mensuels abordables par ces ménages, ainsi que leur capacité hypothétique d’épargne. Des
études séparées de profil des bidonvilles de Rabat et Agadir confirment cette distribution
approximative du revenu (ADS, 2004; AREA, 2005). Les victimes d’événements de la vie
négatifs (divorcés, retraités âgés, personnes qui ont subi un accident majeur ou la perte de
l’emploi et du revenu) sont disproportionnellement représentés dans le cinquième du bas.
Revenus < 1.416 < 2.012 < 2.818 < 4.352 > 4.352
Pourcentage 16.8 22.5 23.0 26.8 11.3
des ménages
Paiement --- 500 700 1.000 > 1.000
hypothécaire
abordable
Capacité --- 250 350 500 > 500
d’épargne
Source : Enquête Nationale sur la Consommation et les Dépenses des Ménages 2000-2001 (HCP)
Le montant du revenu mensuel est une évaluation incomplète de la précarité sociale des
habitants des bidonvilles, car la qualité de l’activité génératrice de revenu compte
également. La grande majorité des habitants des bidonvilles est officiellement au chômage,
inactive ou employée de manière saisonnière seulement. Les activités économiques pour les
hommes et les femmes comprennent le travail en usine, le travail d’artisanat à la maison, le
travail saisonnier dans les campagnes, les services de nettoyage, des activités de commerce au
30
Programme « Villes sans bidonvilles » du Maroc – Rapport de l’analyse d’impact social et sur la pauvreté
détail à petite échelle dans le bidonville ou ailleurs dans la ville à l’aide d’éventaires
transportables.
Les femmes ont tendance à avoir un traitement préférentiel par rapport aux hommes dans
le processus de recrutement pour le travail en usine, et la recherche montre qu’elles sont
préférées à cause des salaires plus bas et les demandes moins insistantes de sécurité de
l’emploi qu’elles font. Les hommes jeunes semblent disproportionnellement affectés par les
niveaux élevés de chômage, en raison de la perception répandue selon laquelle ils sont un
groupe social potentiellement dangereux et déstabilisant. Un grand nombre d’entre eux
cachent le fait qu’ils habitent dans un bidonville lorsqu’ils font une demande d’emploi, en
raison de la stigmatisation sociale attachée à leur statut résidentiel.
Les revenus et autres avoirs économiques sont distribués plus inégalement dans les
bidonvilles situés dans le centre des villes que dans ceux des périphéries. La raison de cet
état de chose se trouve dans le fait que les bidonvilles centraux sont généralement plus
anciens, et que la population qui y habite a une plus longue histoire d’accumulation,
d’investissements et d’héritages. L’héritage d’un logement dans un bidonville central, comme
Douar Skuela à Casablanca, est également plus important que celui d’un logement semblable
dans un bidonville de périphérie, tel que Nakhil dans la même ville.
L’attitude des bidonvillois envers le crédit des banques est liée à la fois à leur niveau limité
de solvabilité et de capacité d’épargne, ainsi qu’à une méfiance générale des banques et
aux anxiétés causées par le manque d’information. En général, les habitants des bidonvilles
semblent ignorants du fait que le Gouvernement a autorisé les banques commerciales à leur
prêter de l’argent pour l’achat ou la construction d’un logement, même si les hommes et les
jeunes en particulier semblent avoir été quelque peu exposés à ces changements à travers les
médias. Les banques elles-mêmes, comme décrit dans l’analyse des parties prenantes,
retournent cette méfiance et ne sont pas empressées de promouvoir leurs services auprès des
bidonvillois, en raison des risques perçus et des coûts de transaction impliqués.
L’attitude envers l’épargne est à la fois une question de capacité et de choix. Pour l’échelon
inférieur des groupes de revenus, l’épargne pour un investissement dans l’habitat est tout
simplement impossible; pour les deux échelons intermédiaires, elle devrait provenir de leur
budget de consommation de base, mais pourrait atteindre 250 jusqu’à 350 DH par mois; pour
les deux échelons supérieurs, la préférence ira dans la consommation à court terme à cause
des niveaux importants d’insécurité concernant les remboursements futurs, mais l’épargne
pourrait atteindre 500 DH et plus par mois. Pour de nombreux bidonvillois toutefois, leur
logement représente leurs épargnes et leurs investissements, et tout excédent de cas est
généralement investi dans l’entretien ou des améliorations au logement.
L’accès au crédit dans le contexte des hypothèques garanties par FOGARIM et l’acceptation
de la part des habitants des bidonvilles des mécanismes d’épargne logement que le
Gouvernement lancera sous peu dépendront grandement de la façon dont ces mécanismes
financiers sont adaptés à la solvabilité de la population ciblée, ainsi que du travail de
proximité des institutions financières pour surmonter les craintes d’accords basés sur des
menaces implicites de saisie qui entraîneraient la perte de l’abri familial.
31
Programme « Villes sans bidonvilles » du Maroc – Rapport de l’analyse d’impact social et sur la pauvreté
Il y a une grande variabilité dans la qualité, la densité et les types de réseaux sociaux et
d’organisations communautaires dans les bidonvilles, et il semble qu’il n’y ait pas de
corrélation avec des caractéristiques spécifiques du bidonville, dont son emplacement (centre
ville/périphérie), la similitude du lieu d’origine de la population, ou différentes trajectoires
menant les résidents au bidonville.
Au sein des bidonvilles, les réseaux interpersonnels sont les liens sociaux les plus
importants et les plus robustes, mais leur qualité, force et envergure peuvent varier d’une
rue à la suivante. Ces réseaux interpersonnels au niveau de quartier dépendent de la
participation active de leurs membres, favorisant ceux qui sont physiquement plus capables
car ils tournent souvent autour de la coopération immédiate pour améliorer les conditions de
vie (comme le partage de l’approvisionnement en eau ou des branchements électriques, ou
l’évacuation des eaux usées). Ces initiatives l’emportent souvent sur les allégeances ou
qualités individuelles qui pourraient autrement former la base des réseaux sociaux.
La solidarité est éphémère dans les bidonvilles : le jeune, l’homme et le mieux éduqué
semblent être plus impliqués dans les réseaux sociaux en général, alors que les personnes
âgées, les handicapés et autres marginalisés et miséreux ont plus de chances de ne pas être
impliqués et d’être exclus. Les arrivants plus récents, en particulier ceux qui viennent de
communautés rurales, ressentent souvent leur nouvelle vie dans le bidonville comme une
amélioration et par conséquent s’engagent avec plus d’empressement dans les réseaux
sociaux. Contrairement aux réseaux interpersonnels, la vie associative organisée autour d’une
cause spécifique ou par un segment particulier de la population bidonvilloise n’est pas
fréquemment manifeste dans le tissu social des bidonvilles marocains. Les associations
formelles, si elles existent, sont généralement organisées par des acteurs extérieurs et sont
spécifiquement ciblées sur des problèmes sociaux particuliers, tels que la santé, l’éducation ou
les questions nutritionnelles.
Les manipulations des organisations communautaires par les autorités locales et les
autorités publiques chargées de s’occuper des bidonvilles ont généré des expériences
individuelles et collectives négatives avec la corruption et l’incompétence, ont alimenté la
méfiance des tentatives externes pour promouvoir des activités communautaires particulières,
et ont créé des tensions entre bidonvillois. Les ONG internationales, nationales ou formelles
et les associations sont souvent perçues avec suspicion par la population du bidonville car ils
sont considérés comme des représentants des autorités d’une façon ou d’une autre.
32
Programme « Villes sans bidonvilles » du Maroc – Rapport de l’analyse d’impact social et sur la pauvreté
Les espoirs des résidents des bidonvilles vis-à-vis du programme Villes sans bidonvilles sont
beaucoup déterminés par leurs expériences de tentatives antérieures d’intervention de
résorption et dans certains cas d’élimination forcée de leurs bidonvilles. L’anxiété, le
scepticisme et la méfiance sont rampants. Le manque d’une information adéquate et fiable, et
de communication transparente des règles de procédure, modalités, calendrier et coûts du
programme, ont renforcé ces sentiments, en dépits des efforts notables faits par le
Gouvernement pour publiciser le programme à travers différents médias.
La compréhension des objectifs et des avantages du programme est variée parce que les
circuits de communication internes et originaires des communautés bidonvilloises peuvent
n’avoir pas été utilisés efficacement. En l’absence de campagnes de communication par le
MHU faisant usage des réseaux communautaires, les médias établis (radio, TV, presse) n’ont
pas réussi à faire passer efficacement les détails importants et les messages politiques clés
dans un langage compréhensible par les résidents. La confusion est considérable et des
rumeurs circulent sur les modalités et paramètres réels de VSB, ce qui est en partie une
réaction compréhensible à un legs d’interventions et de programmes contradictoires dans la
lutte du Gouvernement contre les bidonvilles. Les espoirs de succès des opérations de
résorption et du programme dans son ensemble sont également teintés par le scepticisme des
résidents concernant l’horizon temporel auquel le Gouvernement s’est engagé pour son
achèvement.
L’espoir entre les bidonvillois que le programme VSB offre une solution à leur problème de
logement est généralement de faible à moyen, répercutant le sens de résignation et
d’exclusion économique et sociale qui prédomine dans les bidonvilles. Les habitants
célibataires et vulnérables et les jeunes au chômage ont des niveaux d’espoir encore plus bas à
cause des perspectives plus mornes de survie économique et de promotion. Les habitants de
longue date et les familles élargies ont des réseaux sociaux et des ressources qui peuvent les
soutenir et sur lesquelles ils peuvent compter, ce qui leur donne plus d’espoirs de changer les
circonstances de leur vie. Les derniers arrivants qui n’ont pas d’expérience de projets de
résorption espèrent plus des avantages qu’ils peuvent tirer des interventions publiques.
33
Programme « Villes sans bidonvilles » du Maroc – Rapport de l’analyse d’impact social et sur la pauvreté
Résistance à la
résorption des
Moyenne Faible Neutre Moyenne Faible
bidonvilles
Les habitants de longue durée des bidonvilles peuvent également ne pas vouloir coopérer à
des opérations fondées sur une réinstallation en raison des investissements qu’ils ont fait à
leur logement. Les résidents célibataires et vulnérables peuvent être en désaccord avec les
interventions proposées mais leurs ressources – financières, politiques et sociales – sont
insuffisantes pour appuyer une résistance de poids. Les hommes jeunes, au chômage
expriment souvent des niveaux élevés de frustration à cause du manque de perspectives
économiques et se méfient généralement de l’État. Ces divers segments ont différents niveaux
d’influence sur le comportement d’autres résidents, et donc leur résistance indirecte peut être
amplifiée, selon ce qu’ils attirent comme suiveurs.
Bien que la population soit hétérogène, les espoirs et les demandes de la nouvelle approche
sociale de VSB sont assez cohérents entre bidonvilles. Ils sont toutefois atténués par
l’expérience du passé avec les autorités et par des cas de promesses non tenues d’assistance à
l’accès à un logement décent de la part des autorités.
Il ressort que les bidonvillois aimeraient être inclus bien plus tôt dans le processus de
décision, par exemple quand la taille de la population du bidonville est évaluée et que des
recensements des zones individuelles de bidonvilles sont dressés. Etant donné que ces
enquêtes servent de base pour prévoir le type d’opération de résorption par les autorités
34
Programme « Villes sans bidonvilles » du Maroc – Rapport de l’analyse d’impact social et sur la pauvreté
Les liens entre les objectifs déclarés du programme de Villes sans bidonvilles, le rôle et les
attitudes des différentes parties prenantes et les problèmes et espoirs de la population ciblée
offrent la base pour l’analyse des avantages attendus et des impacts négatifs du programme.
Cette analyse évalue tout d’abord les quatre modalités opérationnelles de Villes sans
bidonvilles, avec une référence particulière à la façon dont elles affectent les différents
segments de la population bidonvilloise, et détermine les avantages et les impacts négatifs
prévus. L’accessibilité des opérations de résorption est ensuite examiné, par rapport aux
revenus de la population ciblée et aux instruments financiers mis en place par le
Gouvernement pour appuyer l’accès au crédit par les ménages ayant des revenus irréguliers
et/ou informels.
Les modalités de résorption de Villes sans bidonvilles ont été héritées des programmes
antérieurs de logement social et de résorption des bidonvilles, même si elles font maintenant
partie d’un cadre plus intégré et cohérent dans lequel elles sont appliquées. La restructuration
in situ et la fourniture de parcelles partiellement ou entièrement aménagées et d’appartements
ont été la base des programmes antérieurs d’éradication des bidonvilles au Maroc pendant les
deux dernières décennies. Plusieurs études et évaluations ont été réalisées pour examiner les
impacts différentiels des divers types d’intervention sur la population ciblée, incluant leurs
effets sociaux et économiques. A cet égard, nombreuses des conclusions de la recherche AISP
reflètent les principales observations découlant de ces études.
35
Programme « Villes sans bidonvilles » du Maroc – Rapport de l’analyse d’impact social et sur la pauvreté
Environ 20.000 ménages doivent être transférés dans ces zones. Cette approche est utilisée
soit pour loger les résidents des bidonvilles, soit pour prévenir la prolifération des bidonvilles,
ou les deux. De nouvelles subdivisions sont tracées, l’infrastructure primaire est installée et
les familles sont invitées à s’installer et à construire leur logement alors que le reste de
l’infrastructure est prévu et éventuellement réalisé au cours des années. A un certain point les
bidonvillois reçoivent des titres fonciers du fait que les ZAP sont généralement établies sur
des terrains publics ou municipaux. Une étude d’évaluation a indiqué que les bénéficiaires
sont généralement critiques de ces opérations, du fait de la distance des nouveaux logements
par rapport à leur emplacement original, de l’absence d’infrastructure et de services
appropriés, de l’incertitude quant à l’achèvement des travaux d’infrastructure, et des coûts
supplémentaires des services auxquels ils font face. Ces facteurs peuvent encourager la
revente des parcelles aux familles disposant d’un revenu plus élevé qui sont en mesure
d’investir plus rapidement dans la construction, ou d’attendre que tous les travaux
d’infrastructure soient terminés.
Des problèmes se sont posés dans certains bidonvilles à cause des conditions imposées par les
autorités voulant que les logements du bidonville soient d’abord démolis pour que les
ménages puissent se qualifier pour acheter les parcelles et/ou les occuper. La période de
temps entre la démolition des baraques et l’achat des parcelles a dans les pires cas duré
plusieurs mois. Ceci crée une transition très difficile pour les ménages qui sont obligés de
trouver un logement provisoire, alors qu’ils subissent un déplacement de leur emplacement
original, la perte des réseaux sociaux et qu’ils ont un accès plus difficile aux services de santé
et d’éducation, ainsi qu’à des activités productrices de revenu. Les quartiers émergeant en
résultat de subdivisions de parcelles viabilisées souffrent d’une qualité plus faible des services
et du transport public pendant une longue période. Les coûts supplémentaires de l’accès
formel à l’eau et l’électricité sont des fardeaux supplémentaires que doivent confronter les
ménages.
La taille limitée des appartements et leur emplacement sont les principaux effets négatifs, et
avec les pertes économiques, ils semblent peser plus lourdement que la perte des réseaux
9
La cohabitation n’est pas très importante, car en 1994, l’occupation par un seul ménage représentait
93 pour cent des cas (MHU, 2001). Toutefois, il peut y avoir de grandes variations régionales, en
particulier dans les zones de bidonvilles. La cohabitation de deux familles ou plus existe dans plus de
60 pour cent des bidonvilles de la préfecture de Skhirat-Temara, alors que pour la zone du Grand Casa
elle est d’environ 25 pour cent (MHU, 2001: 62).
36
Programme « Villes sans bidonvilles » du Maroc – Rapport de l’analyse d’impact social et sur la pauvreté
sociaux dans ces opérations. Le transfert dans un immeuble d’appartements se traduit souvent
par une baisse des activités économiques et des moyens d’existence pour certains ménages, du
fait que les activités commerciales informelles ne peuvent plus se faire de leur logement ou
dans le voisinage immédiat de leur logement. L’accès formel à l’eau et l’électricité est
inévitable dans les nouveaux lieux, et les coûts apparentés peuvent être importants. Toutefois,
pour d’autres résidents, en particulier les jeunes et les femmes, des opportunités d’emploi plus
urbaines et tournées vers les services peuvent devenir disponibles.
Les résidents les plus vulnérables et les ménages les plus pauvres bénéficient le plus de la
restructuration in situ à cause de son faible coût, et ils bénéficient disproportionnellement de
la restructuration et de la fourniture de nouveaux services, même si leurs économies, leurs
revenus ou les niveaux d’énergie ne leur permettent pas d’investir dans l’amélioration de leur
logement en conséquence des opérations de restructuration. D’autre part, les trois autres
modalités opérationnelles sont ressenties comme n’étant pas adaptées à leurs besoins car elles
impliquent de plus gros efforts financiers, le déplacement et la construction nécessaires du
logement dans le cas de parcelles à aménagement progressif, ou un changement majeur de
mode de vie dans le cas de la vie en appartement.
Les jeunes couples et les familles nucléaires donneront préférence à l’appartement, car les
limitations de l’espace ne seront pas une préoccupation immédiate et qu’il peut y avoir
davantage de propension à des modes de vie et des agréments plus modernes. Pour ce groupe
social, des parcelles entièrement viabilisées représenteraient également une option attrayante,
contrairement à la restructuration in situ ou aux parcelles à aménager progressivement. La
10
Ces segments ne sont toutefois pas mutuellement exclusifs, et leurs chevauchements varieront
conformément aux caractéristiques sociales de chaque bidonville.
37
Programme « Villes sans bidonvilles » du Maroc – Rapport de l’analyse d’impact social et sur la pauvreté
restructuration ne règlera pas le problème de la cohabitation avec la famille élargie, qui est de
moins en moins souhaitée par la génération plus jeune des Marocains.
Pour les hommes jeunes et les étudiants, qui sont en majorité des garçons, la restructuration
in situ sera la modalité préférée, étant donné qu’ils louent souvent et que la vie dans le
bidonville est probablement transitoire. Les autres options impliquent toutes un
investissement beaucoup plus important que la restructuration in situ, et sont par conséquent
moins intéressantes pour ce segment de la population.
Pour les migrants ruraux, l’installation dans les bidonvilles traduit souvent une montée et
une suite de circonstances de pauvreté et de privations économiques. Ce groupe social
bénéficiera le plus de l’accès à la restructuration in situ et aux parcelles entièrement
viabilisées, qui sont considérées comme offrant un rendement élevé et des réponses de longue
durée aux besoins de logement de la famille. Les migrants ruraux sont également le groupe
social qui est le moins adapté à la transition à la vie en appartement. Les grandes familles
polynucléaires, qui représentent entre un et deux tiers des ménages, préféreront également les
options de restructuration in situ et de parcelles entièrement viabilisées qui sont mieux
adaptées à leurs besoins.
Il ressort de cette analyse que la restructuration et les parcelles entièrement viabilisées sont
les deux modalités qui répondent au plus grand nombre des groupes sociaux de l’enquête,
car les deux ont la préférence de trois groupes sociaux sur cinq. Les corrélations entre
caractéristiques sociales et préférences pour les solutions de résorption favoriseraient une
approche basée sur l’assignation de différentes solutions aux différents groupes de ménages
dans chaque bidonville, contrairement à l’imposition de la même modalité de résorption à
tous les ménages d’un bidonville donné, quels que soient leurs besoins et leurs préférences de
logement, tel que cela se pratique actuellement. Ces considérations doivent être pesées contre
d’autres facteurs, tels que les caractéristiques physiques des bidonvilles existants qui
pourraient empêcher leur résorption, l’emplacement des bidonvilles dans des zones à risque
environnemental et la disponibilité de terrains pour la fourniture des parcelles.
Les quatre modalités de résorption illustrées ci-dessus ont des niveaux très différents de
contributions financières attendues des bénéficiaires. Par conséquent, leur accessibilité
constitue un autre filtre analytique important en plus des préférences et adaptations par groupe
social. Sur la base des opérations effectuées à présent par les opérateurs publics de l’habitat
dans le programme Villes sans bidonvilles, les coûts moyens pour les ménages bénéficiaires
ont été calculés pour chaque modalité de résorption et sont présentés au tableau suivant.
MODALITE DE RESORPTION DH
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Programme « Villes sans bidonvilles » du Maroc – Rapport de l’analyse d’impact social et sur la pauvreté
Les bidonvillois ont utilisé différentes stratégies pour couvrir les coûts des opérations de
résorption : a) en mobilisant leur épargne liquide ; b) avec la vente d’autres avoirs familiaux
tels que terrain, animaux ou bijoux ; et c) en empruntant aux membres de la famille ou à des
prêteurs d’argent informels. L’épargne liquide variera, mais étant donné les niveaux
d’épargne mensuelle probable (voir Tableau 5 à la page 31), ils ne seront pas très importants.
Les mêmes sources financières s’appliquent dans l’acquisition de baraques dans les
bidonvilles, avec la différence que dans ce cas, le remboursement des prêts est généralement
négocié (et éventuellement renégocié) au sein de la famille, des réseaux sociaux ou de
voisinage. Comme déjà mentionné, dans le cas des parcelles à aménagement progressif ou
entièrement viabilisées, le ménage bénéficiaire peut également augmenter la disponibilité de
liquidité nécessaire en se mettant d’accord informellement avec un autre ménage sur le
développement conjoint de la parcelle ; ceci soit produira davantage de liquide pour
l’acquisition du terrain, soit constituera le capital nécessaire pour la construction des
logements. Cet accord privé, qui est toléré par les autorités, rend cette modalité de résorption
plus abordable.
L’accessibilité des différentes modalités de résorption variera avec les capacités financières
de chaque ménage. En termes généraux, il est évident que plus est élevé le niveau de
contribution financière requis des ménages, plus bas est le nombre de ménages qui seront en
mesure de se permettre la dépense d’investissement. En référence aux trois tranches de revenu
identifiées dans leur ensemble parmi la population des bidonvilles (voir Tableau 5 à la page
31), les ménages dans la tranche la plus élevée, avec un revenu mensuel du ménage de 3.000
DH ou plus, auront le plus de chance d’être en mesure de se permettre les contributions
financières pour la restructuration in situ et pour les parcelles à aménagement progressif ou
entièrement viabilisées, et certains de ces ménages seront également en mesure de payer un
appartement.
A l’autre extrême, les ménages dans la tranche inférieure avec des revenus inférieurs à
1.000 DH par mois, et constitués principalement par les ménages vulnérables et miséreux, ne
seront probablement pas en mesure de se permettre une participation financière aux
opérations de résorption, quelle que soit la modalité opérationnelle appliquée. Entre ces deux
extrêmes, il y a la tranche intermédiaire constituée de ménages ayant un revenu mensuel
compris entre 1.000 et 3.000 DH, et dont la capacité à se permettre les options de résorption
est variée, et dépend essentiellement de leur niveau d’épargne et d’autres avoirs à mobiliser.
Il a été promis aux résidents qui sont trop miséreux pour contribuer financièrement qu’ils
seraient aidés par des initiatives différentes11. Toutefois, à présent le Gouvernement n’a pas
donné une orientation détaillée sur la façon de traiter les cas des personnes extrêmement
vulnérables, parmi lesquelles en particulier les veuves, les femmes divorcées, les infirmes et
les personnes âgées. A moins qu’un autre mécanisme de financement ou programme d’aide
sociale ne soit introduit pour ces groupes particulièrement marginalisés, il est probable que les
avantages de Villes sans bidonvilles éluderont le tiers inférieur de la population ciblée.
11
Comité de suivi des fonds de garantie pour le logement social, ‘Rapport d’évaluation du Fonds de
garantie pour le logement social FOGARIM’ (mai 2005).
39
Programme « Villes sans bidonvilles » du Maroc – Rapport de l’analyse d’impact social et sur la pauvreté
La contribution financière demandée aux bénéficiaires de Villes sans bidonvilles se fonde sur
un principe valide de partage des coûts, par lequel les subventions publiques sont maintenues
à un niveau global d’un tiers des coûts du programme. Toutefois, de la perspective d’une
analyse d’impact négatif, les contributions financières doivent être inscrites au titre des
impacts négatifs du programme, à mesurer par rapport aux avantages que la population ciblée
recevra. En fonction de l’analyse des quatre modalités de résorption et des différents coûts
pour les bénéficiaires de chacune, le tableau suivant résume tous les impacts négatifs et
l’intensité de l’importance de chacun d’entre eux.
Le tableau illustre la façon dont le niveau des coûts et des impacts négatifs augmente en
allant de la forme la plus simple et la moins coûteuse de résorption, qui est la restructuration
in situ, vers la forme la plus coûteuse, le transfert en appartement. En particulier, il soulève
des préoccupations quant aux compromis entre les avantages des appartements, qui peuvent
être considérables pour quelques groupes sociaux, et leurs coûts, qui sont très importants. En
raison des revenus limités de la population ciblée, le succès probable des opérations de
résorption basées sur la construction et la livraison d’appartements devrait être étudié plus en
détail avant que des engagements majeures ne soient pris à cet égard.
L’accessibilité des opérations de résorption peut être fortement améliorée par l’accès au
crédit pour lequel le Gouvernement a créé le fonds de garantie FOGARIM, qui permet aux
ménages à revenus modestes et/ou irréguliers d’accéder aux hypothèques pour l’acquisition
ou la construction d’un logement.
A ce jour toutefois, l’incorporation des crédits bancaires dans le contexte des opérations de
Villes sans bidonvilles a été quasiment nulle12. Ceci s’explique principalement par : a) le
manque d’information de la population ciblée concernant la possibilité d’obtenir un crédit
hypothécaire ; b) le manque de familiarité de la population ciblée avec le système bancaire en
général ; c) la crainte des prêts qui pourraient menacer la propriété du logement en cas de
12
Selon le Comité de suivi de FOGARIM, la grande majorité des logements achetés à ce jour ont une
valeur marchande de 175.000 à 200.000 DH, et ne font pas partie par conséquent des opérations de
Villes sans bidonvilles.
40
Programme « Villes sans bidonvilles » du Maroc – Rapport de l’analyse d’impact social et sur la pauvreté
Aux conditions de prêt actuelles que les banques commerciales sont disposées à appliquer
(prêts avec une échéance jusqu’à 25 ans, et un taux d’intérêt moyen à échéance fixe de 7,5
pour cent), voici quelques exemples des investissements et des remboursements mensuels qui
pourraient s’appliquer aux bénéficiaires de Villes sans bidonvilles.
Les impacts du crédit hypothécaire sur la mise en œuvre de Villes sans bidonvilles peuvent
être importants, mais ne devraient pas être surestimés, étant donné les niveaux de
remboursements mensuels que les habitants des bidonvilles peuvent se permettre, qui ne
devraient pas dépasser 25 pour cent des revenus disponibles d’un ménage. En se référant au
tableau 5 de ce rapport, l’échelon inférieur de la population bidonvilloise ne se qualifierait pas
pour un prêt hypothécaire en raison de sa misère et de sa marginalité sociale. Les deux
échelons intermédiaires seraient en mesure de rembourser mensuellement un montant se
situant entre 250 et 350 DH. Les deux échelons supérieurs seraient en mesure de rembourser
des montants mensuels de 1.000 DH ou plus.
Mis à part les contraintes systémiques qui entravent l’accès au crédit hypothécaire par les
bidonvillois, certaines restrictions inhérentes à la garantie FOGARIM limitent davantage
leur accès. La condition selon laquelle le dernier remboursement mensuel du prêt doit être
fait au plus tard au 60e anniversaire de l’emprunteur sera une contrainte pour les résidents
âgés de 35 ans et plus, qui devront emprunter à des échéances plus courtes que 25 ans et qui
auront donc des remboursements mensuels plus élevés. Le manque de flexibilité dans les
remboursements mensuels pourrait également devenir un facteur contraignant pour les
ménages à revenus modestes et/ou irréguliers, qui pourraient payer davantage à certaines
époques de l’année et moins à d’autres. Le plafond de 1.000 DH au remboursement mensuel
41
Programme « Villes sans bidonvilles » du Maroc – Rapport de l’analyse d’impact social et sur la pauvreté
stipulé actuellement par FOGARIM pourrait dans ces cas devenir une contrainte
supplémentaire.
La certification requise actuellement des revenus des ménages par un représentant local des
autorités représente un autre facteur faisant obstacle à la présentation de demandes de crédit
hypothécaire par les ménages de Villes sans bidonvilles, car elle peut ouvrir la porte aux abus
et à la corruption. Le Comité de Suivi de FOGARIM est en train de revoir ces conditions et
ces contraintes, dans le but de faciliter l’accès aux crédits hypothécaires qu’il garantit et
d’accroître la participation des ménages de Villes sans bidonvilles.
En résumé, il y a beaucoup à faire pour que FOGARIM joue un rôle efficace dans
l’amélioration de l’accès au crédit et dans les opérations de résorption de Villes sans
bidonvilles par les habitants des bidonvilles. Un an et demi après le commencement de la
garantie, il y a un risque que les banques financent essentiellement l’acquisition
d’appartement dont le prix est de 200.000 DH, dont il y a à présent une grande quantité.
Toutefois, cette clientèle diffère considérablement de celle originalement ciblée par
FOGARIM.
Les mécanismes d’épargne logement n’ont pas encore été créés par les banques pour les
ménages à revenus modestes et/ou irréguliers, qui constituent la majorité des bidonvillois.
Une incitation financière devra être établie par le Gouvernement dans la Loi de Finances 2007
et entrera donc en vigueur au début de 2007. Ceci encouragera les banques commerciales à
créer ces produits financiers. Les mécanismes d’épargne logement sont censés aider les
bénéficiaires à constituer leur histoire de crédit avec une institution financière avec l’appât
d’incitations publiques. Sur la base des calculs faits par le Ministère des Finances qui est
chargé de définir l’incitation financière, elle serait probablement inférieure à la probable
montée des prix des logements durant la période d’épargne.
Pour les ménages qui ne sont pas imposables, l’incitation pourrait consister en 1.000 DH et
pour ceux qui le sont, elle pourrait s’élever à 10.000 DH. Une estimation prudente de la
hausse des prix pour un appartement valant actuellement 120.000 DH pourrait amener ce prix
à 160.000 DH trois ans plus tard. Toutefois, pour les ménages qui n’ont aucune chance
actuellement d’accéder au crédit, les mécanismes d’épargne logement représenteront la
possibilité de venir à bout de ces obstacles et d’acheter un logement formel. Etant donné le
montant des variables pouvant affecter le comportement des banques et des ménages en ce qui
concerne les mécanismes d’épargne, leurs impacts éventuels sur la population bidonvilloise
n’ont pas été évalués.
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Programme « Villes sans bidonvilles » du Maroc – Rapport de l’analyse d’impact social et sur la pauvreté
L’analyse des parties prenantes révèle que de nombreux acteurs clés avec des niveaux
élevés d’influence soutiennent VSB, et qu’il y a un enthousiasme de grande portée pour un
partenariat accru et une collaboration généralisée entre niveaux administratifs, politiques et
sociétaux. Toutefois, la collaboration et le partenariat généralisé s’avèreront probablement
difficiles face aux blocages structurels et aux points de résistance actifs qui passent à travers
le panorama institutionnel, ce qui rend difficile de satisfaire la condition d’établir des
partenariats véritables et fonctionnels, tels que décrits dans le Plan de mise en œuvre de VSB.
L’engagement à l’accompagnement social et la participation est beaucoup plus limité, mais
néanmoins souligné par le MHU comme étant une innovation cruciale.
43
Programme « Villes sans bidonvilles » du Maroc – Rapport de l’analyse d’impact social et sur la pauvreté
qualité de vie des bidonvillois et réduira leur exclusion sociale et leur marginalité. Ceci est
certainement vrai pour les segments de la population à tendance ascensionnelle, car ils sont en
mesure de capitaliser sur leurs nouveaux avoirs physiques et de les utiliser pour une
amélioration réelle de leurs moyens d’existence.
Ainsi, l’une des conséquences involontaires de la résorption des bidonvilles est le risque
d’accroître la précarité des vies de parties de cette même population qu’elle soutient au
moyen d’une amélioration des conditions d’abri. L’accès au logement formel signifie une
acceptation sociale plus importante et la promesse d’une vie plus intégrée dans la
communauté urbaine. Mais s’il s’accompagne d’une détérioration de l’accès aux services et
des moyens d’existence, l’acceptation et la satisfaction des ménages bénéficiaires peuvent être
faibles. Ceci s’est souvent produit dans le passé, selon les évaluations réalisées par le
Ministère de l’Habitat et de l’Urbanisme lui-même.
En la présence d’un marché de l’habitat plus fonctionnel que celui en place actuellement
au Maroc, où l’accès au foncier, aux produits de l’habitat et au crédit serait plus facile et
meilleur marché, on pourrait s’imaginer que les investissements physiques dans la résorption,
tels que réalisés aujourd’hui avec le programme VSB, pourraient être complétés par des
efforts de développement économique local. Ils seraient destinés à améliorer les revenus de la
population à tendance ascensionnelle, leur permettant de pouvoir éventuellement se permettre
avec leurs propres moyens l’accès à des options de logement formel disponibles sur le
marché, plutôt que résultant des interventions du secteur public. Le logement public
subventionné dans ce scénario hypothétique se limiterait aux ménages les plus nécessiteux.
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Programme « Villes sans bidonvilles » du Maroc – Rapport de l’analyse d’impact social et sur la pauvreté
Villes sans bidonvilles représente une rupture majeure avec les politiques du passé à
certains égards, mais « le cours normal des affaires » avec d’autres. Les innovations
concernent surtout : a) l’approche nationale intégrée par laquelle le Gouvernement s’engage à
éliminer les bidonvilles d’ici 2010 et réserve les moyens financiers à cette fin ; b) l’approche
de ville par laquelle tous les bidonvilles d’une ville donnée sont intégrés dans un plan global
pour leur résorption ou élimination, qui répondra à tous les besoins fonciers et impliquera les
collectivités locales; c) le rôle que les promoteurs du secteur privé devraient jouer dans la
construction de logements ; et d) les politiques concomitantes de prévention de bidonvilles et
de production à grande échelle de logements pour décourager la prolifération des bidonvilles.
La typologie des interventions et la manière dont elles sont appliquées aux communautés
des bidonvilles, représentent la continuité avec les pratiques du passé. Du point de vue des
communautés bidonvilloises, les aspects novateurs de VSB sont essentiellement perçus
comme un engagement plus fort des plus hautes autorités du pays de tenir leurs promesses de
soutien. Mais dans la pratique, c’est la continuité des approches antérieures qui prévaut, du
fait que les communautés sont confrontées aux mêmes modalités opérationnelles et aux
mêmes acteurs locaux quand il s’agit de leurs propres perspectives de résorption.
L’interaction entre les ménages et les acteurs institutionnels a suivi généralement les
mêmes modalités établies dans le passé, que les opérations de résorption aient été définies
contractuellement avant 2004 et le lancement du programme ou après : décisions du haut vers
le bas des solutions de résorption à être appliquées aux bidonvilles (prises essentiellement par
le personnel technique des opérateurs de l’habitat public en consultation avec le Ministère de
l’Habitat et de l’Urbanisme, les autorités régionales et locales), et peu de consultations avec
les résidents sur les modalités ou le calendrier des opérations et sur la volonté ou la
disposition à payer pour leur part des coûts.
45
Programme « Villes sans bidonvilles » du Maroc – Rapport de l’analyse d’impact social et sur la pauvreté
Un niveau élevé de méfiance semble continuer à caractériser la relation entre les ménages
et les représentants locaux des municipalités et des institutions du gouvernement central
(Ministère de l’Intérieur en particulier). Le lancement du programme VSB et l’engagement
national à l’élimination des bidonvilles ne semblent pas avoir changé les attitudes des acteurs
locaux vis-à-vis des communautés de bidonvillois. En fait, certains acteurs locaux ont des
incitations à garder la population des bidonvilles dans leur état de précarité et de profiter de
leurs insécurités, et ces acteurs continuent à être ressentis par les communautés bidonvilloises
comme des antagonistes à la satisfaction de leurs besoins de logement.
L’élément le plus frappant de la continuité avec les pratiques du passé est le manque
d’accompagnement social et de participation dans les opérations de résorption des
bidonvilles au titre du programme VSB, marquant une différence importante entre les
objectifs récemment déclarés du programme et la pratique en cours sur le terrain. En fonction
des résultats de l’évaluation des pratiques du passé, le Ministère de l’Habitat et de
l’Urbanisme a conclu que l’accompagnement social et la participation doivent être incorporés
dans la conception du programme global et dans chaque opération de résorption des
bidonvilles. Toutefois, un an après le lancement formel du programme, l’accompagnement
social et la participation n’ont pas été beaucoup plus loin que ces déclarations d’intention, et
seulement cinq opérations en cours profitent des interventions de personnel social spécialisé,
à travers des contrats que le Ministère de l’Habitat et de l’Urbanisme et le Holding Al Omrane
ont établi avec l’Agence de Développement social.
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Programme « Villes sans bidonvilles » du Maroc – Rapport de l’analyse d’impact social et sur la pauvreté
Les limitations décrites ci-dessus soulignent les risques qu’affronte le programme en ce qui
concerne l’atteinte de ses objectifs. Ces risques restent gérables si le Ministère de l’Habitat et
de l’Urbanisme est décidé à les prendre en mains et à introduire les révisions nécessaires à la
conception du programme et aux mécanismes d’exécution. Les principaux risques identifiés
dans le contexte de l’Analyse d’impact social et sur la pauvreté pour la réussite du programme
sont les suivants :
• Le risque que certains des acteurs institutionnels de qui dépend le programme peuvent
ne pas éprouver le même degré d’appropriation de l’approche du programme, ou
peuvent ne pas avoir les incitations ou la capacité de s’acquitter de leurs
responsabilités ;
• Le risque que les quatre modalités de résorption ne soient pas compatibles avec la
réalité socioéconomique des habitants des bidonvilles, et que chacune puisse être
appliquée à tous les résidents d’un bidonville donné, indépendamment de leurs
demandes et des niveaux abordables de contribution ;
• Le risque que les pratiques institutionnelles du passé, y compris l’inertie, les intérêts
de l’économie politique et la méfiance mutuelle entre acteurs locaux et habitants des
bidonvilles éclipsent les innovations du programme ;
• Le risque que les délais impartis trop ambitieux ne donnent pas aux acteurs impliqués
dans l’exécution du programme un temps suffisant pour expérimenter, apprendre et
innover afin de rendre le programme véritablement effectif.
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Programme « Villes sans bidonvilles » du Maroc – Rapport de l’analyse d’impact social et sur la pauvreté
Le programme reconnaît les investissements importants que les communautés ont déjà faits
sur leurs logements, et impose aussi peu de conditions que possible afin de leur donner la
liberté de concevoir leurs propres programmes. Des subventions à l’infrastructure par famille
de 625 $EU sont disponibles pour la restructuration in situ, de 1.125 $EU pour re-
parcellisation (i.e., réallouer le terrain existant pour mieux héberger toutes les familles selon
des alignements plus rationnels dus à l’introduction de l’infrastructure municipale) et de 1.625
$EU pour la réinstallation. Les familles peuvent obtenir des prêts à faible taux d’intérêt de
CODI ou de banques pour le logement, et il y a un don égal à 5 pour cent de la subvention
totale à l’infrastructure pour aider à financer les coûts de gestion soutenus par l’organisation
locale ou le réseau local.
Les organisations des communautés pauvres urbaines et leurs réseaux sont les acteurs clés
et ils contrôlent le financement et la gestion du programme. Ils (plutôt que des
13
Source : Somsook Boonyabancha “ Baan Mankong: going to scale with “slum” and squatter
upgrading in Thailand” in Environment and Urbanization, Vol. 17. N. 1 avril 2005
48
Programme « Villes sans bidonvilles » du Maroc – Rapport de l’analyse d’impact social et sur la pauvreté
Le programme est fondé sur la participation active et les rôles responsables des communautés
des bidonvilles dans sa conception et son exécution et commence par identifier les parties
prenantes et expliquer le programme, organiser des réunions de réseaux, qui peuvent
comporter des visites de personnes d’autres villes, organiser des réunions dans chaque
communauté pauvre urbaine, impliquant le personnel municipal si possible ; et établissant un
comité conjoint pour contrôler l’exécution, qui inclut les dirigeants communautaires et des
réseaux, la municipalité, les universités locales et les ONG. Ce comité conjoint se réunit avec
les représentants de toutes les communautés pauvres urbaines, organise un recensement
détaillé et développe le plan de résorption de la communauté.
Une approche intégrée de la résorption urbaine a été appliquée dans le quartier de Ribeira
Azul dans la ville de Salvador, Etat de Bahia, Brésil depuis 1999 dans le cadre d’un
programme appelé Viver Melhor, ou Vivre mieux. Ce programme combine infrastructure et
interventions sociales et a été considéré comme très réussi en termes de son exécution et de
l’impact positif sur les conditions de vie. L’approche intégrée et participative a été exécutée
par l’Etat avec le financement de dons du Gouvernement italien à travers l’Alliance des Villes
pour la fourniture d’assistance technique et d’activités de développement social.
Ribeira Azul couvre approximativement 4 kilomètres carrés le long d’une anse côtière avec
40.000 familles et 135.000 personnes, et fait partie d’une zone plus vaste qui a été caractérisée
comme zone à ‘haut risque’ prédisposée aux inondations, avec un grand nombre de quartiers
informels, un statut foncier précaire, un environnement fortement pollué par les déchets
ménagers et industriels, de mauvais indicateurs sociaux (les pires de la ville) et un accès très
limité à l’infrastructure et aux services de base.
Le Programme Ribeira Azul combine des interventions physiques avec des investissements
pour améliorer les conditions sociales et économiques de la population de la zone. Ceci
inclut des améliorations aux logements et à l’infrastructure (routes, eau, assainissement,
éclairage public), et des programmes dans les soins de santé, la nutrition infantile, l’éducation,
la formation et la génération d’emplois à travers des coopératives. La participation
communautaire a constitué un aspect fondamental du programme. Le projet a été exécuté par
CONDER (Société d’aménagement urbain de l’Etat de Bahia), l’ONG italienne AVSI et
l’ONG locale CDM. Cette approche intégrée forme maintenant la base de la stratégie
d’aménagement urbain de l’Etat et elle sera exécutée au niveau de l’Etat à travers un projet
financé par la Banque mondiale.
14
Source : Judy Baker “ Integrated urban upgrading: the experience of Ribeira Azul, Salvador, Brazil
– Poverty and Social Impact Analysis” , Banque mondiale, juillet 2005
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Programme « Villes sans bidonvilles » du Maroc – Rapport de l’analyse d’impact social et sur la pauvreté
services d’assistance sociale n’a pas été généralisé, le niveau de satisfaction des ménages et
résidents qui en ont bénéficié était élevé et il y avait une demande globale pour un soutien
public continu à ces investissements sociaux. Il semble également que ces programmes ont
fortement contribué à décourager les ménages de récupérer les coûts des améliorations
physiques apportées à leur logement et en revendant les logements.
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Programme « Villes sans bidonvilles » du Maroc – Rapport de l’analyse d’impact social et sur la pauvreté
A. Une approche plus flexible de l’offre des solutions d’habitat pour les ménages
individuels des bidonvilles devrait être développée et appliquée.
Le Ministère devrait adopter des moyens de répondre aux diverses demandes et aux divers
besoins des ménages dans chaque bidonville, au lieu d’appliquer indistinctement à tous la
même solution de résorption comme c’est le cas actuellement. Etant donné qu’une approche
de ville est appliquée par le programme VSB dans laquelle différents types d’opérations
coexistent, il n’y a pas de raison d’assigner une seule opération de résorption à tous les
ménages d’un bidonville individuel. Au lieu de cela, en fonction de la compréhension de la
nature des ménages du bidonville, de leurs préférences et de leur capacité de payer, le
Ministère, les opérateurs publics et les promoteurs privés travaillant dans le logement social
devraient être en mesure de fournir aux ménages individuels la restructuration in situ, des
parcelles viabilisées ou des appartements selon leurs préférences, leur capacité à payer et les
contraintes techniques objectives des cas spécifiques.
Cette approche aurait l’avantage d’intensifier la réactivité du programme aux besoins des
ménages des bidonvilles et éventuellement leur participation financière aux coûts du
programme, en raison du niveau plus élevé de satisfaction et d’adaptation de la solution au
problème du logement. Cette approche ne peut s’appliquer que s’il y a un investissement
suffisant dans l’accompagnement social et la participation qui permet une connaissance en
profondeur des communautés ciblées et de la conception de logements qui tiendrait compte de
cette connaissance. Les opérations qui ont été programmées avant ou pendant 2004 ne
seraient pas affectées par ce changement d’approche, de façon à ne pas retarder l’exécution du
programme. D’autre part, les opérations restant à programmer au niveau de la ville ou pour
lesquelles des ressources ont été allouées sans que la conception ne soit initiée, pourraient
bénéficier de ce changement. Le Ministère pourrait commencer par identifier une ville où
cette approche pourrait être expérimentée, tirer les leçons appropriées des consultations et de
l’exercice de re-programmation, et ensuite généraliser éventuellement cette approche.
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Programme « Villes sans bidonvilles » du Maroc – Rapport de l’analyse d’impact social et sur la pauvreté
Des solutions adéquates, subventionnées devraient être trouvées pour répondre aux besoins
particuliers de logement des ménages ou des résidents qui sont trop pauvres pour prendre
une part active au programme. Etant donné que chaque bidonville contient probablement un
certain pourcentage de ces ménages ou résidents, ces solutions devraient être identifiées et
financées, ce qui nécessitera une autre injection des ressources publiques, y compris des
autorités locales et différentes modalités opérationnelles telles que la location-accession qui
est à l’étude du Ministère de l’Habitat et de l’Urbanisme. L’exclusion de ces ménages
nécessiteux des opérations « normales » de résorption des bidonvilles permettrait aux
opérateurs et aux promoteurs privés des logements publics de préparer et de mettre en œuvre
des opérations financièrement plus sûres, où le risque d’un recouvrement des coûts incomplet
serait minimisé.
Cette attention aux segments les plus vulnérables des communautés des bidonvilles ne peut
prendre place que s’il y a un investissement suffisant dans l’accompagnement social et la
participation qui permettrait une connaissance en profondeur des communautés ciblées et la
volonté du secteur public de reconnaître et de satisfaire les besoins des résidents les plus
vulnérables. La question d’aléa moral est importante, du fait que dispenser les conditions de
contributions financières pour certains ménages et résidents découragera inévitablement les
autres de respecter la condition de contribution financière. Toutefois, au sein de chaque
communauté il existe une bonne connaissance locale des résidents les plus nécessiteux, et des
circuits clairs de communication sociale devraient fournir les sauvegardes nécessaires pour
assurer que le reste des ménages respecte ses obligations financières.
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Programme « Villes sans bidonvilles » du Maroc – Rapport de l’analyse d’impact social et sur la pauvreté
D. En partenariat avec l’INDH, il faudrait répondre aux besoins d’accès aux services
municipaux et communautaires et aux activités génératrices de revenu des ménages des
bidonvilles.
Le Gouvernement devrait faire en sorte d’assurer que la réhabilitation des bidonvilles est
intégrée avec d’autres formes d’accompagnement social et économique, reconnaissant que
l’exclusion sociale et la marginalité qui sont la condition des ménages des bidonvilles ne
peuvent pas être résolues seulement qu’avec un meilleur logement. Les Ministères sectoriels
tels que la Santé, l’Education et le Développement social devraient être encouragés à prévoir
des investissements dans le voisinage des communautés des bidonvilles restructurés in situ et
des nouveaux quartiers résultant des opérations de résorption, afin de garantir que
l’amélioration du logement ne s’accompagne pas d’une détérioration de l’accès aux services
de base. Il faudrait également mettre en œuvre des programmes pour le développement
économique local, incluant l’accès à la formation professionnelle ainsi que l’espace physique
pour mener à bien des activités productives et commerciales.
Au vu du fait qu’un pourcentage important des ménages des bidonvilles ne sera pas en mesure
de contribuer financièrement à son exécution, les projections financières et les allocations de
ressources publiques actuelles devront être révisées par le Ministère de l’Habitat et de
l’Urbanisme. Les engagements par les Collectivités locales à contribuer financièrement aux
coûts des opérations de résorption des bidonvilles, s’ils sont confirmés au cours de
l’établissement des contrats de ville ou à une phase ultérieure, doivent être inscrits au budget
du programme, ainsi que d’éventuelles contributions de dons que le Gouvernement peut
recevoir des organismes de développement, en particulier pour faire face aux coûts du
relogement des segments les plus vulnérables de la population des bidonvilles. Des prévisions
financières réalistes à une phase initiale du programme VSB sont largement préférables au
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Programme « Villes sans bidonvilles » du Maroc – Rapport de l’analyse d’impact social et sur la pauvreté
risque de subir plus tard une insuffisance budgétaire qui pourrait saper la crédibilité du
programme et des institutions qui en sont responsables, et mettre en danger la santé financière
des opérateurs publics et des promoteurs privés intervenant dans le programme.
L’allocation des ressources humaines et des outils de gestion devrait être augmentée, étant
donné les partenariats institutionnels complexes requis pour l’exécution du programme et les
enjeux critiques que représente la production d’un logement décent pour les ménages des
bidonvilles. Ces ressources devraient être alignées sur l’importance de l’investissement et de
la tâche à accomplir. Jusqu’à présent, Holding Al Omrane a ajusté ses structures et ses
modalités opérationnelles pour faire face aux nouveaux défis que représente l’exécution de
VSB et des autres programmes que le Ministère lui a confiés.
Le Ministère lui-même doit étendre sa capacité pour faire avancer le programme VSB et
suivre son exécution et ses progrès, et ceci nécessitera l’établissement de structures de
gestion appropriées et de dotation en personnel avec un nombre adéquat de personnes
hautement qualifiées. Au cours des deux premières années de l’exécution, le Ministère a
perdu un nombre de cadres de haut niveau en raison du programme de retraite anticipée, et
l’unité chargée des Villes sans bidonvilles ne semble pas encore dotée d’un personnel
adéquat. De plus, plusieurs initiatives visant à améliorer la gestion du programme et à le doter
des outils appropriés attendent la disponibilité de dons de bailleurs à exécuter, tels que
l’Observatoire de l’habitat insalubre. Le montant des ressources publiques investies dans
l’exécution du programme VSB justifie pleinement qu’un montant plus élevé de financement
soit mis à disposition pour sa gestion.
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Programme « Villes sans bidonvilles » du Maroc – Rapport de l’analyse d’impact social et sur la pauvreté
H. Le calendrier du programme devrait être révisé pour s’aligner sur des projections
de livraison plus réalistes et éviter les incitations potentiellement perverses du calendrier
actuel.
Alors que la fin de la deuxième année de mise en oeuvre du programme s’approche, il semble
que la cible consistant à terminer toutes les opérations de résorption d’ici la fin de 2010 n’est
pas réaliste. Il est important de ne pas perdre la dynamique et l’engagement de toutes les
parties intervenant dans la réussite du programme, mais le Gouvernement devrait également
évaluer les effets pervers de ce sens d’urgence sur le comportement des principaux acteurs.
En particulier, ce calendrier encourage les partisans d’une exécution technique plutôt que
participative du programme, car les efforts de consultation avec la population et de
concertation avec les résidents sur les modalités préférées de réhabilitation sont perçus
comme un besoin de temps supplémentaire. En réalité, cet investissement de temps au départ
sera probablement compensé à l’achèvement des opérations, lorsque les bénéficiaires ciblés
seront plus disposés à acquérir les produits du programme et à être transférés du bidonville
aux nouveaux sites.
Dans l’ensemble, le MHU devra également introduire une culture de résultats plutôt que de
produits, par laquelle une opération de résorption des bidonvilles serait déclarée réussie non
seulement si les travaux physiques ont été réalisés dans les temps et le budget impartis, mais
aussi conformément au degré des impacts sur les moyens d’existence et la qualité de vie de la
communauté ciblée, au taux d’occupation et aux améliorations aux parcelles ou aux
logements par les ménages identifiés à l’origine, et au degré de recouvrement des coûts et de
participation financière des bénéficiaires. Ceci en soi nécessitera un changement de culture
qui ne peut se produire que s’il est le résultat d’un effort concerté d’introduction de nouvelles
approches, d’applications des compétences appropriées et de redevabilité des institutions
essentiellement vis-à-vis de la satisfaction des citoyens qu’elles servent.
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Programme « Villes sans bidonvilles » du Maroc – Rapport de l’analyse d’impact social et sur la pauvreté
ANNEXE 1
Profil des six bidonvilles examinés dans le cadre de l’Analyse d’impact social et
sur la pauvreté du programme Villes Sans Bidonvilles
Les sites de la recherche de terrain étaient six bidonvilles dans trois villes différentes,
Larache, Casablanca et Agadir, et ils ont été sélectionnés conjointement avec le MHU. Dans
chacune des trois villes, deux bidonvilles ont été sélectionnés, l’un situé dans le centre ville et
l’autre à sa périphérie. Les bidonvilles situés dans le centre ville de Larache, de Casablanca et
d’Agadir, étaient respectivement Jnan El Bacha, Duar Skueila et Khiam Larrab. Les
bidonvilles à la périphérie de Larache, de Casablanca et d’Agadir étaient respectivement
Guadaloupé, Nakhil et Bakchich.
Les villes et les bidonvilles ont été sélectionnés afin d’assurer un maximum de variabilité tout
en maintenant un niveau élevé de comparabilité. Les critères suivants ont été utilisés dans la
sélection : la taille de la ville, un bilan de réformes réalisées ou prévues (la signature de
‘Contrats de Ville’ VSB est une indication d’activité de réforme), et l’emplacement et la taille
des bidonvilles dans la ville. L’emplacement est un facteur symptomatique d’autres
différences dans les caractéristiques des bidonvilles et de leurs habitants.
Les portraits des bidonvilles présentés ici se fondent sur la première phase de recherche au
cours de laquelle l’équipe a effectué des marches transversales parmi les bidonvilles de
l’échantillon, a tenu environ 30 réunions de groupe informelles qui comprenaient 125
personnes au total, à la fois dans les baraques et dans les rues, et a visité environ 20 baraques.
Larache est une ville côtière située au Nord du Maroc, d’environ 100.000 habitants. Selon le
Plan de mise en œuvre de VSB, environ 5.000 ménages bidonvillois devraient bénéficier de la
résorption d’ici 2008. La majorité des ménages sera déplacée à des parcelles aménagées et le
reste bénéficiera de restructuration in situ. Larache a été choisie pour l’étude parce que la
planification et l’exécution des opérations de résorption sont à un stade avancé par rapport
aux autres villes. La ville a été parmi les premières à signer un contrat de ville, indiquant une
relation de coopération et de collaboration avec le Gouvernement et le Ministère de l’Habitat
et de l’Urbanisme en particulier. Les deux bidonvilles choisis, Jnan El Bacha et Guadeloupé
situés dans le centre et à la périphérie, comptent 1.500 et 500 ménages respectivement.
Jnan El Bacha est un bidonville âgé, qui a des baraques faites de matériaux permanents, les
rues sont bétonnées, l’assainissement est présent et les compteurs d’eau et d’électricité sont
installés. Les rues sont relativement larges. Un dispensaire local et une école sont proches du
bidonville, ainsi qu’un hammam. Les habitations sont relativement spacieuses et certaines ont
plusieurs étages pour accueillir plusieurs familles. Toutefois, la qualité de l’habitat varie
considérablement à travers le bidonville, avec des femmes seules ou des familles jeunes
habitant dans des logements de très mauvaise qualité. La plupart des familles ont des liens de
longue date avec le bidonville et demandent surtout l’amélioration des services.
Les bidonvillois ont des stratégies multiples de moyens de survie, des activités génératrices de
revenu ainsi que des stratégies de logement qui maximisent l’utilisation de l’espace. Tant à
Jnan El Bacha qu’à Guadeloupé, mais avec une fréquence moindre, de nombreuses familles
ont indiqué qu’elles reçoivent des contributions à leur revenu provenant des membres de leur
famille qui travaillent à l’étranger en Europe.
Guadeloupé est un bidonville bien plus nouveau. Il a été créé en 1996 et il a attiré de
nombreux paysans des zones rurales avoisinantes qui ont quitté leurs moyens d’existence
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Programme « Villes sans bidonvilles » du Maroc – Rapport de l’analyse d’impact social et sur la pauvreté
Avec peu de variations entre les deux bidonvilles, leurs habitants sont peu informés du
programme Villes sans bidonvilles, se méfient des autorités, ne sont presque pas organisés et
ils ont en substance des demandes modestes pour l’établissement ou l’amélioration des
services de base.
Casablanca est une ville côtière située au Sud de la capitale, Rabat, et elle est la ville la plus
peuplée du Maroc avec plus de 3 millions d’habitants. Elle a également la plus grande
population de bidonvillois avec environ 50.000 ménages, soit un quart de l’ensemble de la
population nationale de bidonvillois urbains. Selon le Plan de mise en œuvre de VSB, la
majorité des ménages sera soit transférée dans des appartements soit les bidonvilles feront
l’objet d’une restructuration. Casablanca été incluse dans l’étude à cause du nombre important
de bidonvillois en termes absolus, de la concentration de baraques par rapport à l’habitat
régulier ainsi que de la relation complexe entre collectivités locales et autorités centrales. De
plus, Casablanca est devenue un point de focalisation particulier pour le GM à la suite des
bombes de Casablanca jetées par des résidents fondamentalistes de bidonvilles.
Douar Skueila est parmi les plus gros bidonvilles de Casablanca avec environ 5.000
ménages, et il se trouve au centre de la ville. Le bidonville est relativement bien équipé avec
l’électricité, un système d’assainissement et l’accès à l’eau. Dans sa plus grande partie, Douar
Skueila a des baraques faites de matériaux permanents et des rues bétonnées, mais des
quartiers distincts avec une qualité variable de baraques et de propreté. Une partie de Douar
Skueila est un conglomérat de ménages réinstallés d’ailleurs par les autorités avec la
promesse que la réinstallation ne serait que temporaire.
Douar Skueila a fait l’objet de nombreuses interventions prévues mais pas encore mises en
œuvre, et de nombreux recensements ont été réalisés au cours des trois dernières décennies
pour évaluer la population éligible. Entre temps, des appartements pour les ménages des
classes moyennes ont été plutôt construits autour du bidonville, et les résidents sont frustrés
du manque d’attention à leurs besoins. Maintenant, le bidonville devrait faire l’objet d’une
restructuration in situ et certains ménages seraient également relogés dans des appartements ;
la population n’est pas seulement sceptique, mais elle se méfie également des autorités en
conséquence des expériences négatives du passé, notamment les promesses d’avoir accès aux
appartements qui avaient été construits précédemment. Un grand nombre de bidonvillois
semblent être totalement ignorants des interventions prévues.
Etant donné la longue existence du bidonville et de la population qui y est née, Douar Skueila
est stable, et les mailles sociales semblent être plus fortes, la preuve en étant une mosquée et
une école coranique apparemment dynamiques ainsi que quelques groupes d’intérêt local.
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Programme « Villes sans bidonvilles » du Maroc – Rapport de l’analyse d’impact social et sur la pauvreté
La majorité des habitants du bidonville sont des militaires à la retraite avec des pensions
réduites qui ne sont pas nécessairement originaires de la zone de Casablanca. En fait, la
population bidonvilloise semble provenir de tout le Maroc. En termes de moyens d’existence,
les résidents cherchent des emplois comme nettoyeurs et porteurs à l’aéroport, qui est
l’employeur le plus proche. Toutefois, non seulement l’emploi est irrégulier, mais il est
souvent refusé aux habitants des bidonvilles en raison de la stigmatisation liée à leur
résidence. De nombreuses femmes font de l’artisanat qui est acheté plusieurs fois par mois par
des commerçants et revendu à Casablanca. Les autorités prévoient de développer un
complexe industriel de production dans le voisinage du nouveau complexe d’appartements,
qui devrait donner un emploi aux bidonvillois.
Comme la population de Douar Skueila, les habitants du bidonville de Nakhil sont très peu
informés de la nature et du calendrier de l’intervention future, ils suspectent les autorités
locales et en ont peur. Le tissu social de ce bidonville semble assez faible et il n’existe
visiblement pas d’organisation communautaire.
Ville de taille moyenne, Agadir est située au Sud du Maroc et a été choisie pour son cadre
économique, culturel et social qui diffère des autres villes. Agadir est une ville d’immigrants,
au dit d’un cadre administratif selon lequel la plupart des gens proviennent des régions rurales
environnantes et travaillent comme ouvriers saisonniers. Agadir dépend de l’industrie
halieutique, de l’agriculture et de plus en plus du tourisme. Ceci a également multiplié
l’attraction des personnes vers la ville. Agadir a le quatrième chiffre le plus élevé de ménages
vivant dans un bidonville dans le pays, environ 12.000 selon les estimations.
Khiam Laraab, situé au centre ville, comprend 800 ménages et est entouré par des logements
de classe moyenne, et sur un côté du bidonville, la construction de connections
d’assainissement est en cours. Les rues sont relativement larges, même si elles ne sont pas
bétonnées, les habitations sont faites de pierre et relativement bien entretenues. Il y a un
dispensaire du Croissant Rouge au bord du bidonville qui fournit des soins de santé aux
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Programme « Villes sans bidonvilles » du Maroc – Rapport de l’analyse d’impact social et sur la pauvreté
résidents. Une partie du bidonville a déjà fait l’objet d’une enquête qui contient des dossiers
sur l’information de base concernant la taille et la composition du ménage. Les résidents ont
l’impression que le fait de signer ces dossiers signifie leur accord à toute solution de
résorption qui sera décidée pour eux. La réinstallation à des parcelles aménagées est le seul
type d’intervention envisagée, et une proportion importante de la population résiste à cette
solution car elle craint les distances plus longues, les coûts, la perte des activités qui les
nourrissent. Egalement, il a été demandé aux ménages de détruire leur baraque afin de se
qualifier pour la réinstallation aux parcelles aménagées où l’auto-construction est encouragée.
Toutefois, des retards importants au niveau de la disponibilité des parcelles ont créé des
problèmes.
Les efforts de recensement par les autorités ont également connu des résistances parce que les
questionnaires sont perçus comme trop simples pour saisir les caractéristiques socio-
économiques et les besoins et préoccupations émergents. Les expériences d’une petite
organisation locale illustrent la façon dont les efforts que fait la population bidonvilloise pour
s’engager elle-même dans la résorption ont été ignorés. A la suite de plusieurs demandes
écrites pour considérer des caractéristiques d’une plus grande multidimension lors de la
planification des interventions, il n’y a pas eu de réponse des autorités.
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Programme « Villes sans bidonvilles » du Maroc – Rapport de l’analyse d’impact social et sur la pauvreté
ANNEXE 2
Pendant la deuxième phase de l’étude, l’équipe du BET marocain AREA dirigée par
Abdesselam Tazi a conduit des entretiens approfondis et des focus groups avec les habitants
des bidonvilles et des personnes ressources de Jnan El Bacha et Guadaloupé (Larache),
Skuela et Nakhil (Casablanca), Khiam Larrab et Bakhchich (Agadir), qui avaient été visités
durant la première phase par l’équipe. Les outils méthodologiques et l’analyse ont été
conduits par Françoise Navez-Bouchanine, sociologue.
Le document ci-après est une sélection de fragments d’entretiens, classés en fonction des cinq
grands volets d’exploration qui ont été retenus suite à la première mission et aux discussions
élargies qui ont suivi. Cette sélection a été opérée, dans le cadre de la préparation de l’atelier
de Rabat du 9 et 10 mai 2005, pour rendre plus présente la parole des habitants, avec sa vérité,
mais aussi ses lacunes, ses convergences, ses contrastes ; sa force, ses analyses marquées de
bon sens, ses argumentations rationnelles, mais également ses contradictions, et les
souffrances que ce discours véhicule.
La sélection tente de donner des exemples les plus représentatifs tant des convergences que
des différences notables sur le terrain. Elle ne se prétend pas être toutefois totalement
représentative. L’objectif principal de ce document est de rendre plus proche les expériences
des bidonvillois et en conséquence de focaliser les discussions sur les enjeux les plus
pertinents.
Afin de garantir l’anonymat des entretiens, aucune référence n’a été faite dans le texte qui suit
aux villes ou aux bidonvilles d’appartenance des personnes interviewées.
«…Je louais une pièce à 700 DH dans le quartier X. Je suis resté dans la même pièce jusqu’à
ce que j’aie acheté ici. C’était dur de payer 700 DH de loyer, l’eau et l’électricité chaque
mois. J’ai économisé et j’ai acheté ici pour m’échapper du loyer. J’ai acheté une division
d’une grande parcelle qui appartenait à mon père, je n’ai pas donné la somme au comptant, je
lui ai donné la moitié du prix au début, et je lui ai donné le reste petit à petit, par mois. En fait,
c’est mon mari qui l’a acheté. Je travaille dans une société de confection comme couturière.
Je préfère habiter ici que de rester locataire, parce que j’ai plus de superficie, mes enfants ont
plus d’espace, j’ai mes toilettes, je ne fais pas la queue pour y aller, et je profite avec mes
enfants de mon salaire. Avant ce que je gagnais partait à moitié dans le loyer. Mais habiter ici
a aussi quelques inconvénients. On souffre quand il pleut : la boue et les toits qui fuient sous
la pluie. L’été, on n’arrive pas à rester à l’intérieur tellement que c’est brûlant, on respire la
poussière. Les habitants déposent les ordures n’importe comment et à n’importe quelle heure.
On balaye la rue et même pas deux heures plus tard, elle est plus sale qu’avant. Mais quand je
louais, je ne me sentais pas libre car les co-locataires sont sans cesse en train de te regarder :
quand je cuisine, quand je lessive, elles me regardent (…). Je suis revenue ici, parce que je
connais tout le monde et personne ne me causera de problème. On a toujours vécu ici avec
l’espoir d’être relogé un jour. Les habitants qui ont des relations dans la commune, nous
assurent qu’il y aura un relogement. La seule crainte des habitants est le paiement. Ils disent :
ils vont nous demander de mettre 20000 DH comme avance, et puisqu’on ne l’a pas, ils vont
nous déplacer ailleurs, on sera loin de notre travail, de la ville… » (Femme)
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Programme « Villes sans bidonvilles » du Maroc – Rapport de l’analyse d’impact social et sur la pauvreté
«…Les causes de la venue ici sont d’abord la pauvreté et la sécheresse pour les gens de la
campagne, ils viennent ici même s’ils ne vendent que des bottes de menthe, ils peuvent
gagner 10 ou 20 DH c’est mieux que rien. Le problème c’est que les gens ne trouvent plus de
travail, car on a maintenant un excès de main d’œuvres. Puis il y a les cas comme nous, qui
nous sommes épuisés à payer des loyers » (Homme)
« C’est grâce aux élections que les familles sont installées à ce lieu, il y avait que 10 familles,
qui avaient une situation financière très précaire et habitaient la médina, X, ou Y, alors un élu
leur a proposé de s’installer ici pendant les élections de 1996, 300 ménages en un mois. Ces
familles ont construit leurs baraques en plastique. Les autorités ont ensuite essayé de les
évacuer, mais les familles n’ont jamais déménagé, car elles n’ont pas les moyens de payer ni
le loyer, ni la nourriture, en plus elles sont des familles nombreuses, et vous trouvez que dans
une famille de 8 ou 10 personnes seules la femme ou sa fille travaillent (…). Les autorités ont
fini par accepter, mais en revanche, nous ne jouissions pas de plusieurs droits, comme celui
d’avoir un certificat de résidence, d’être alimenté en eau potable, et électricité et d’avoir un
système d’assainissement. Alors, les habitants de ce quartier ont fait des manifestations, pour
avoir leur droit comme tout citoyen » (Personne ressource)
«Six mois après la naissance du bidonville, les autorités sont venues nombreuses avec des
tracks, les gens ont cru qu’on allait leur accorder des terrains et lançaient des vivats pour le
roi. Mais ils ont vite arrêté quand une personne a demandé : où est mon numéro pour le lot de
terrain ? Pour toute réponse, il a été maltraité par un agent d’autorité. Alors les habitants ont
compris qu’ils risquaient d’être dépossédés sans contrepartie. Chacun a pris son enfant dans
une main et une hache dans une autre, plusieurs personne ont menacé de se faire tuer plutôt
que quitter leurs habitations, les autorités ont décidé de se retirer pour faire revenir le calme.
Après que le gouvernement ait été mis au courant, des promesses de réponse ont été données
aux habitants, cela fait maintenant 10 ans, la situation est inchangée… » (Femme)
«…La maison de mon père, sa propriété avant d’être saisie, était en dur avec l’eau et
l’électricité ainsi que l’assainissement. Le logement que j’ai occupé avec mon premier mari à
X. était également en dur et équipé, on payait 1500 DH de loyer. Celle que j’ai occupée après
mon divorce et après avoir quitté la maison conjugale était en dur et équipée convenablement.
Mais ce dernier loyer (750 DH plus 200 DH pour eau et électricité) pesait trop dans mon
modeste budget et particulièrement pour mon ménage de femme seule avec enfant, je
travaillais dans un atelier d’exportation de produit agricoles. (..) Ma voisine m’a encouragée
et m’a introduite auprès d’une personne à qui j’ai acheté le droit de monter ma baraque. J’ai
fait un grillage et je me suis installée avec ma fille. A X.(autre bidonville de la ville), le prix
était élevé, jusqu'à 40000 DH, il m’aurait fallu travailler des années pour économiser, d’autres
endroit était également au dessus de mes moyens, le maximum que je pouvais emprunter était
15000 DH. Ici l’endroit était très marginalisé, alors on pouvait acheter à des prix
abordables...» (Femme)
«… Je suis venu en 1973, j’avais 14 ans. Avant de venir, j’avais demandé à mon père de me
laisser partir pour travailler, mais il a refusé, avec un ami de mon age, on avait prévu de nous
enfuir de Tata, on s’est mis d’accord avec un chauffeur de taxi pour nous enfuir ; à l’époque,
ça valait seulement 30 DH, on a prévu le départ à minuit. Comme les harraga, maintenant,
c’est d’un pays à l’autre, alors que nous c’était pour venir à Casa, nous sommes partis sans le
dire à personne (…) On a habité différents endroits, toujours à Casa, on a loué des chambres
avec des voisins ou seuls. Mes conditions de vie étaient difficiles, j’étais peu payé, le SMIG
comme on dit, tu manges au moins 900 DH par mois, il ne reste pas grand-chose donc tu
passes le temps à chercher un loyer abordable. J’avais entendu parler du quartier X. depuis
très longtemps, mais je n’avais pas la possibilité de venir m’y installer à cause de mes revenus
limités. Alors, on s’est décidé avec un ami, nous avons acheté directement, 20000 DH
chacun; en fait, j’ai emprunté, j’ai acheté et je l’ai rendu comme si c’était un loyer. On a mis
du temps avant de nous habituer, c’était l’époque des pluies, on habitait une rue en pente et
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Programme « Villes sans bidonvilles » du Maroc – Rapport de l’analyse d’impact social et sur la pauvreté
les inondations ont rempli la baraque. Après, on a regretté et on a commencé à nous demander
pourquoi on est venu habiter là… On a commencé à demander comment on pouvait partir et
on a su qu’il y aurait un projet pour les bidonvilles mais seulement pour les premiers blocs,
pas les derniers (…). Mais si jamais il y a une opportunité d’un lot ou d’un appartement ça
serait une bonne solution. Chez nous on dit « celui qui tombe peut se relever...» (Homme)
«…Les habitants de ce quartier constituent un mélange, ils sont venus de toutes les régions du
royaume. Ils travaillaient dans une société qui avait une ferme. Ils n’étaient pas nombreux au
début. Ils ont ramené leurs proches et leurs amis pour de multiples raisons : éviter la
sécheresse, éviter le loyer… C’est l’autorité qui les a déplacé parce que le propriétaire est
apparu et voulait récupérer ses terres. L’autorité les a persuadé qu’ils seront tranquilles sur
les terres de l’Etat. Ils les ont dédommagés, 1500 DH la baraque. L’autorité leur a désigné
120 m chacun. Il a ramené les matériaux (ciment, sable…) et il leur a construit les murs. C’est
aussi l’autorité qui a ramené les autres blocs : ce sont les bidonvillois qui occupaient les
alentours de la région. Il les a tous regroupés ici. L’autorité sait tout ce qui se passe ici.
Personne ne fait quoi que se soit sans l’avertir. Le bon exemple est que toi-même tu es rentrée
dans le bidonville avec eux et tu n’es pas venue sans passer par eux. Quand ils vendent,
l’autorité reçoit sa part, c’est répandu dans tout le maroc. C’est souvent le besoin qui à la fois
oblige des habitants à vendre et qui ramène des gens pour y habiter. Par exemple, un chef de
ménage qui a 7 enfants et qui loue une pièce à 600 DH ou à 700 DH trouve que c’est une
solution raisonnable de venir habiter ici...» (Personne ressource)
«…Les bidonvilles sont d’un côté un problème mais de l’autre, ils résolvent aussi certains
problèmes pour les habitants, car ce type de logement dispense de payer un loyer, le montant
économisé s’ajoutant ainsi aux maigres ressources des ménages pour subvenir aux dépenses
de nourriture. Ca reste néanmoins une solution provisoire, et elle est d’ailleurs abandonnée
dès que la personne dispose de quoi acquérir un logement salubre...» (Homme)
- Femme 1 : «…Ici, l’habitant qui perdait sa source de revenu ou avait un gros problème à
régler faisait une division de son lot et vendait. Il y avait aussi ceux qui le faisaient parce
qu’ils voulaient s’en aller ...».
- Femme 2 :«…Parmi ceux qui ont été relogés à X., il y a des anciens qui avaient une très
grande parcelle, qui ont morcelé et vendu 2 voire 3 baraques. Ils ont acheté comptant...»
«…Les baraques des habitants qui sont partis dans le relogement ont été occupées par de
nouveaux venus; il y a eu aussi des baraques détruites et reconstruites, et d’autres qu’ils n’ont
pas détruit et fermé. Surtout, dans le bloc à coté de la mosquée, tout a été reconstruit. Ce
projet de relogement n’était pas dans l’intérêt de l’habitant qui a de nombreux enfants. Il
préfère rester ici parce qu’au moins il a une bonne superficie. C’est vrai qu’on souffre dans
une baraque : il fait très chaud l’été et on est arrosés l’hiver, mais c’est mieux que d’aller
payer le loyer ou la traite (…). Il y a des bidonvillois, ici, qui ont des maisons à X, Y., ou
autre. Mais ils ne veulent pas déménager pour bénéficier de l’opération de relogement. Le
moquadem sait tout ça et il peut te donner toute cette information, le nombre d’habitants et
tout le reste...» (Homme)
«…Parmi les nouvelles personnes ou ménages qui sont venus loger ici viennent des gens de
X. ou d’endroits proches de ce quartier. Ils entendent parler de relogement, et qu’ils
bénéficieront de logement ou d’un lot de terrain, c’est pour ça qu’ils achètent ici. Ils achètent
à 10000 DH ou 15000 DH, et ils sont ainsi propriétaires d’un N° qui leur est alloué (…) Les
habitants qui vendent leur logement font selon leur situation financière, celui qui a de l’argent
achète un lot de terrain pour le construire, ou achète carrément un logement fini… Mais tout
cela est connu des autorités...» (Homme)
«…Les paysans viennent dans la ville et ce type d’habitat leur convient parfaitement Il y a
aussi les locataires qui changent leur statut en propriétaire ici. Mais il y a des personnes qui
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Programme « Villes sans bidonvilles » du Maroc – Rapport de l’analyse d’impact social et sur la pauvreté
habitent ici et qui ont un autre logement ailleurs. Ils veulent seulement bénéficier d’un
nouveau logement. Il faut arrêter la spéculation et l’extension du douar. Si l’Etat était
intervenu il y a longtemps, le problème ne serait pas de cette ampleur. (…) Il faut trouver une
solution car une partie du quartier est devenue actuellement un repère de criminels de drogués
…. Du coup, on a une mauvaise réputation, mais ce n’est pas le cas, nous, on veut seulement
vivre comme le reste du monde...» (Jeune homme)
«…Il n’y a pas de travail, et je constate que c’est la femme qui travaille, l’homme reste oisif,
mais où peut-il travailler ? Il n’a pas de métier, il travaille comme ouvrier saisonnier un jour
ou deux, il y a une usine qui n’embauche que les femmes. Il y a des femmes qui travaillent
dans les champs de fraise, de pommes de terre, au moukaf , aux usines de poisson. (…) Dans
une famille, c’est la femme et la fille qui travaillent, c’est la femme qui est chef de ménage,
lui garde les enfants, la femme travaille de 5 h jusqu'à minuit ou 1h du matin, alors, comment
cette femme peut accomplir son rôle maternel ou conjugal ? A cause de cette situation
plusieurs enfants deviennent délinquants (Personne-ressource, commerçant) ...»
- Homme 1 : «…Ce bidonville est un abri pour des gens qui n’ont pas de moyens. Il y a des
femmes veuves, divorcées et des gens sans travail...»
- Homme 2 : «…Oui je suis d’accord, il n’y a pas de travail, même pour ceux qui travaillent,
il s’agit principalement de commerçants ambulants. Il y a des personnes qui ont une activité
ou un métier mais qui n’ont pas où l’exercer. Le problème qui se pose c’est que même ces
commerçants clandestins sont talonnés par les autorités. Alors que ce travail est la seule
source de vie pour ces habitants. Moi-même, actuellement, à cause des autorités je ne travaille
pas depuis 2 semaines. J’attend jusqu’à 6 h pour qu’ils partent, puis je commence seulement
les ventes. Mais après 6 heures, il n’y a plus d’acheteurs...»
«…On peut cotiser dans un projet de relogement qui sera à notre portée : personnellement, je
n’ai pas d’avance à donner. Il y a des habitants qui peuvent, mais moi pas. Je n’ai pas d’argent
pour construire un lot. Je n’ai pas un travail stable, je n’ai pas de fils âgé qui peut m’aider à
supporter les charges. Je n’ai personne qui peut m’aider à payer. Mais par exemple, je peux
ramener quelqu’un d’autre pour me construire! (…) Moi, tout ce que je peux payer, c’est une
traite de 100 ou de 150 DH jusqu’à ce que mon fils grandisse et à ce moment là, lui pourra
payer. Je n’ai pas un travail continu : si par exemple je gagne aujourd’hui 20 DH, je
consomme 10 DH et j’économise 10 DH pour le lendemain. Il y a des fois que j’attends un
mois avant de trouver un travail. Avant, je pouvais faire des lessives chez des gens. Mais
maintenant, une très grande majorité des gens ont des machines à laver. Donc, au lieu de
travailler à 50 DH, on travaille à 20 DH. (…) Je peux aussi faire du commerce quand j’ai les
moyens. Mais il y a une grosse contrainte, c’est que l’autorité peut me prendre la
marchandise. Ça m’est déjà arrivé. J’ai essayé de vendre cette année des habits et la police
m’a piqué ma marchandise. J’ai perdu 1500 DH. (…) Dans ce pays, il y a trop de corruption.
Tu leur donne 5 DH, ils te laissent étaler ta marchandise. Mais si tu ne le fais pas, ils
t’emportent tout. C’est absurde que je lui donne de l’argent alors qu’il a déjà un salaire de
l’Etat. ...» (Femme)
«…Les voisines font des tontines de 10 DH la semaine pour acheter une table, une banquette
ou une cocote. Moi je ne l’ai jamais fait parce que je n’ai pas les 10 DH à mettre toutes les
semaines. Je n’ai pas d’idée si les hommes le font ou non. Je ne crois pas que mes voisines
prennent des crédits d’une banque ou d’une association ou si elles ont des épargnes à la poste.
Je ne connais pas Zakoura, j’ai rien pour prendre un crédit. On n’a pas de garanties à donner à
cet organisme. Celui qui peut avoir un crédit est celui qui a un travail stable ou un
fonctionnaire. Ils ne sont pas nombreux ici. Je préfère rester ici, c’est mieux pour moi, car les
traites sont comme le loyer. Si je n’ai pas de quoi payer, ils vont me mettre dehors comme les
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Programme « Villes sans bidonvilles » du Maroc – Rapport de l’analyse d’impact social et sur la pauvreté
propriétaires quand j’étais locataire. Quand la banque me mettra dehors, je ferai quoi,
m’installer dans la rue? ...» (Femme)
«…Je ne crois pas que les habitants épargnent de l’argent, car ils ne sont plus sûrs de la
réalisation du projet. Personne n’est venu leur dire qu’il y a un projet. S’ils étaient sûrs, ils
vont être obligés à faire des économies. Les habitants n’ont pas de raison de prendre des
crédits (bancaires), je n’ai jamais entendu que l’un de mes voisins en ait pris un. La somme
que les habitants pourraient demander comme crédit, c’est un maximum de 5000 DH, disons
même jusqu’à 10000 DH. Et même cette somme, il n’y a aucun organisme qui voudrait la leur
donner parce qu’ils n’ont pas de garanties. Je donne chaque mois un peu d’argent à mon père
parce qu’il est malade. Si je suis sûre que l’Etat nous a prévu un projet, je vais faire des
économies. (…). On a l’esprit de compétition entre les habitants. Personne, ne voudra être
dans une situation faible par rapport aux projets. (…) Il faut que les habitants aident l’Etat à
réaliser ce projet : celui qui peut payer comptant, il faut qu’il le fasse et qu’il ne se cache pas
derrière les pauvres. Ceux qui peuvent donner une avance feront la même chose. Il restera que
les plus pauvres, pour cela il faut que l’état leur fasse des traites selon leurs
moyens...» (Femme)
«…Ici, la plupart des gens sont pauvres, ou très pauvres, par exemple moi, on me doit plus de
20000 DH. Les uns disent que le jour où ils travailleront, ils rembourseront, les autres disent
qu’il faut que j’attende, mais, moi je dois de l’argent à mes fournisseurs. (…). Les activités
des gens, vous avez dû les remarquer : un a une charrette, l’autre vend des légumes, le
troisième est porteur au marché…..et les chômeurs, c’est ce qu’il y a de plus, quand ils ont
faim, ils ne peuvent même pas s’acheter un sandwich, on essaye de les aider mais on ne peut
pas toujours (..). X. (qui était avec nous hier), il est licencié, le pauvre. Il m’a dit qu’il aurait
bien voulu travailler avec Ittissalat Al Maghreb, revendre les cartes de recharge et gagner 3
DH sur chaque carte mais il n’a pas de sous, il ne peut pas avoir de mobylette pour bouger,
pour aller proposer ses cartes ailleurs, là où il n’y a pas de concurrence. Et là où ils vont, les
portes sont fermées, sauf les filles, mais elles travaillent pour 750 DH ou 800 DH. Elles
doivent s’habiller avec, faire vivre la famille avec…..etc. (…) Si il y a un projet d’habitat auto
construit, les jeunes pourraient travailler comme maçon ou ouvrier… même pour 40 ou 50
DH par jour ça serait bien ...» (Personne ressource, épicier).
«…En général, les gens ici sont pauvres. Il y a ici 3 classes différentes, les plus pauvres, ils
achètent 1 DH de sucre, 1 DH de thé, 1 pain et une bougie d’1 DH, ça te permet de constater
que cette personne vit vraiment une vie de misère et c’est le cas de la plupart des familles,
c’est rare que quelqu’un achète un paquet de sucre ou 5 litres d’huile. Pour moi, j’équipe mon
épicerie selon la demande et la capacité des habitants, maintenant, je sais très bien ce que
chaque personne veut, soit acheter soit emprunter quelque chose. Il y a des gens qui ne m’ont
jamais remboursé, mais je ne dis rien, car je connais très bien leur situation (…). Vous ne
pouvez pas savoir exactement ce que les gens pensent ou ont. Il y a des personnes qui ont des
terres à la campagne, d’autres n’ont absolument rien. Mais d’après ce que je vois, pour 1200
personnes du quartier, à peine 200 peuvent bâtir leur maison...» (Personne ressource,
commerçant)
«…Il y a plusieurs catégories par rapport aux ressources: ceux qui vivent soit de commerce
alimentaire soit de vente de drogue ; il y a ceux qui ouvrent une petite épicerie dans leur
baraque, gagnent 10dhs par jour et vivent avec. Moi, je suis bricoleur : peinture, électricité et
plomberie. J’ai un diplôme en électricité et plomberie, je travaille chez les gens à domicile
donc sans aucune couverture sociale ni retraite ni rien du tout, aucune garantie et par
conséquent j’angoisse pour moi. Je voudrais pour mes enfants qu’ils aient un rôle dans la
société parce que moi je me sens inutile, je ne suis pas un élément producteur dans la société.
Pour trouver du travail, on passe toujours par des intermédiaires qu’il faut soudoyer. (…). Ma
femme travaille dans une société. Si la société a du travail, elle peut garder les ouvrières
jusqu’à 21 heures, mais s’il n’y en a pas, elle peut leur dire de partir à 10 h du matin. Des fois,
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Programme « Villes sans bidonvilles » du Maroc – Rapport de l’analyse d’impact social et sur la pauvreté
il est arrivé qu’elle travaille avec un contrat de 3 mois et puis après, rien. Moi, ce n’est pas
fixe, l’été je gagne bien mais l’hiver moins, des fois je reste 2 mois sans travailler. Alors, je
m’occupe du ménage, et des repas, comme une maman. Moi, je gagne entre 500 et 2500 DH.
500 DH quand il y a peu de travail, 1000 ou 1500 DH en moyenne et 2000 ou 2500 DH en
haute saison. Quand elle travaille, ma femme, elle, a un salaire fixe de 1600 DH plus 300 DH
des allocations familiales ...» (Homme)
«…Chaque habitant a fait des réparations selon ses moyens. Il y a des habitants qui n’ont pas
de quoi se payer un dîner. Il y a d’autres qui ont construit un R+1, qui ont fait la mosaïque ou
du carrelage, qui ont bien meublé leur baraque. Il y a un tiers d’habitants qui ont fait ces
réparations mais le reste ne pourra pas se le permettre par manque de moyens. Je te donne
mon exemple, j’ai 8 enfants, je ne travaille pas parce que je suis malade, j’ai une seule fille
qui travaille et qui nous nourrit. On est des parasites...» (Homme)
«…La grande majorité restera ici s’il n’y a pas de grandes facilités de paiement. On cherche à
bénéficier selon nos propres moyens sans faire de crédit. On préfère rester ici que d’aller
habiter un endroit qui n’est pas fini. Ça m’est déjà arrivé. Je suis l’un de ceux qu’on a déplacé
de l’autre côté en 1981. On avait une construction en bois et le sol en sable. L’autorité nous a
promis de nous construire dans les 6 mois. On a attendu un an et chacun a commencé à
construire selon ses moyens. On n’aura plus confiance de se déplacer dans un lotissement qui
n’est pas fini. (…) La plus part disent que si l’Etat leur fait une traite de 100 ou de 150 DH,
elle les encouragera à se déplacer rapidement. Il y a des habitants qui ne peuvent pas avancer
2500 DH et il y a des habitants qui peuvent beaucoup plus...» (Homme)
«…La solution du crédit, c’est qu’il faudrait que le terrain soit donné en garantie et avec un
crédit, après, les gens pourront construire, faire en bas un petit magasin pour y travailler, ou
louer une ou deux pièces pour arrondir les fins de mois...» (Personne ressource)
«…Nous ne connaissons pas le FOGARIM. Le crédit n’est possible que pour ceux qui
peuvent présenter des garanties, pour la majorité d’entre nous on se heurte toujours à ce même
problème. Une issue possible consisterait à nous donner des lots de terrain, enregistrés à notre
nom. Nous pourrions alors présenter les titres de propriété comme garanties pour bénéficier
auprès des banques, ou organismes, de crédits à la construction. Dans ce cas, je pourrais
réserver une partie soit pour construire une chambre à louer, soit un magasin que
j’exploiterais comme commerce afin que les revenus puissent me permettre de régler les
échéances des traites du crédit...» (Homme)
«…FOGARIM est un crédit qui se donne sur la base d’une garantie, et je ne pense pas que les
gens puissent supporter ce genre de crédit et surtout la garantie, car ils n’ont pas quoi garantir,
et ils ne pourront pas assumer...» (Jeune homme)
«…J’attends que les autorités décident de nous aider, sinon je ne pourrai pas, j’espère par
exemple qu’il y ait un projet mais seulement avec des traites et je demanderais à bénéficier du
logement si c’est dans les limites de 100000 DH, quitte à manger moins...» (Homme)
«…On n’a pas d’électricité, on a une télévision qu’on regarde peu parce que la recharge de la
batterie qui sert à la faire marcher nous revient très cher. On s’éclaire avec le butane de gaz, et
quelque fois on utilise les bougies. La recharge de la batterie et le butane de gaz d’éclairage
coûtent à peu près 200 DH mensuellement. Mais il y a des inconvénients avec la butane de
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Programme « Villes sans bidonvilles » du Maroc – Rapport de l’analyse d’impact social et sur la pauvreté
gaz, c’est qu’en été elle dégage beaucoup de chaleur, et de plus, la lumière issue du gaz rend
la vision trouble, ce qui nous pose un problème pour lire et travailler la nuit. Moi qui suis
étudiant, j’en souffre énormément parce que la nuit je n’arrive pas à lire ni à travailler. Pour
l’approvisionnement en eau, c’est gratuit, mais ça coûte humainement ; il y a un problème de
transport, on utilise une charrette pour transporter les bidons d’eau, et comme la route est
presque impraticable, on a du mal à faire ce chemin. En plus quand on arrive à la fontaine on
doit remonter notre pantalon pour qu’on ne se mouille pas et il faut avoir des sandales en
plastique et non pas des chaussures. Une fois de retour, il faut porter les bidons d’eau jusqu’à
la maison, donc on perd une moyenne de 2 heures par jour pour se procurer de l’eau. Côté
assainissement, il y a une camionnette de la municipalité qui se charge d’aspirer le contenu
des toilettes mais elle le rejette juste derrière ce quartier, à coté des habitations, donc cette
opération n’a vraiment aucun résultat positif. C’est gratuit...» (Jeune homme)
«…Avant, on avait des fosses septiques. L’autorité nous l’interdisait par crainte d’une chute
d’un enfant. Donc les habitants les creusaient en cachette. En 1996, 1997, tous les habitants
avaient des toilettes chez eux. Le problème c’est quand ces fosses se remplissent, elles
dégagent de mauvaises odeurs. Donc les habitants, ne supportaient plus leur situation. Ils sont
partis à la commune pour voir une solution. A la commune, ils étaient d’accord de nous aider
à installer l’assainissement. Donc, on a mis 350 ou 400 DH par baraque pour installer les
canaux d’égout. (…) Il arrive que les canaux des égouts se bouchent ; chaque baraque cotise
30 DH et on ramène un réparateur...» (Homme)
«…Moi aussi, j’ai une responsabilité dans la situation, comme les autres, j’ai élargi ma
baraque de 2m que j’ai pris sur la rue. Avant, on avait de grandes rues, les camions les
empruntaient, mais à force que chacun en prenne des petits bouts, elles sont devenues étroites.
Mais ça, ça c’est toujours fait avec l’accord de l’autorité. Ils reçoivent une somme d’argent
pour cela. Ils sont au courant de tout ce qui se passe ici. La preuve, c’est bien l’autorité qui
nous donne un certificat de résidence pour faire la carte nationale...» (Femme)
«…Moi, je n’ai pas de connaissance dans ce quartier, mes seules connaissances sont celle de
la faculté, c’est à dire les étudiants qui sont avec moi en cours. Je ne fréquente pas les gens du
quartier. Les gens ont des formes d’entraide, en cas de décès, les voisins cotisent pour la
famille du défunt, pour faire le nécessaire pour les obsèques car les gens sont pauvres, il y a
aussi de l’entraide en cas de mariage, ou de nouvelle naissance. Il n’y a aucune association,
mais avant il y en avait, ses membres étaient des habitants de ce quartier, des gens
respectables, mais ils étaient opposés aux autorités, ce qui fait qu’ils n’ont jamais obtenu
satisfaction. Et avec le temps cette association s’est dispersée...» (Jeune homme)
«…Pour la borne fontaine, le gérant, c’est mon voisin, collecte environ 6000 DH/mois, il
garde pour lui 3000 DH et paye l’eau 2500 à 3000 DH, mais au bout de 2 ans, il a commencé
à garder toute la somme, sous prétexte qu’il ne gagnait pas assez. Nous avons changé ce
gérant par un autre, mais nous avons trouvé le même problème. De plus, nous pouvons avoir
accès à l’eau qu’a partir de 9heure selon l’humeur du nouveau gérant, alors qu’en principe,
l’eau doit couler dès 7 ou 8h (…). Il doit faire une bonne gestion, c’est pour cela, nous avons
décidé de ne plus payer ; alors les gérants nous ont interdit d’avoir accès à l’eau potable, mais
nous nous sommes alimentés de force et nous avons dit aux gérants d’aller déposer une
requête auprès du caid, ce qu’il a fait. Ce dernier a été gentil et lui a demandé de payer lui-
même les factures ; Ce caid, c’était un homme qui faisait bien son travail surtout au niveau de
la sécurité...» (Personne ressource, commerçant)
«…Je ne connais pas l’existence d’une association dans ce bidonville. Ce n’est qu’hier que
j’ai entendu parlé de Zakoura quand tu nous as regroupé pour nous interroger et je ne savais
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Programme « Villes sans bidonvilles » du Maroc – Rapport de l’analyse d’impact social et sur la pauvreté
pas qu’elle était connue des femmes des autres blocs. Une association peut être utile à la
population. Par exemple, une association qui donnera des cours d’alphabétisation. Un club
féminin où la femme peut apprendre à faire la cuisine ou un métier, apprendre aux femmes
des techniques de communication. Pour les jeunes, ils peuvent prévoir des terrains sportifs,
une formation en coiffure. Tout être humain souhaite évoluer. Je crois que s’ils prévoient ces
centres dans le projet, l’habitant va s’y intéresser (…). Quand on a un événement important,
deux hommes âgés et raisonnables font le tour de la rue pour informer tous les habitants de
l’événement et après ils font un autre tour pour les informer des décisions prises. Pour un
événement lié aux femmes, ce sont deux femmes âgées font la même chose...» (Femme)
- Homme 1 : «…On dit beaucoup de choses sur l’avenir de ce quartier, mais rien n’est vrai...»
- Homme 2 : «…On a constitué une Jmaâa pour améliorer les conditions de notre habitat, la
première priorité c’était les bornes fontaines...»
- Homme 3 : «…C’est un groupement et pas une association...»
- Homme 4 : «…Mais en fait, nous avons besoin d’une amicale, parce que l’association est
insuffisante pour faciliter les tâches et les problèmes des habitants avec l’autorité...»
- Homme 5 : «…Les associations ici sont insuffisantes. On a besoin d’aide et d’entraide.
Depuis 5 ans, on a essayé un programme d’alphabétisation pour les femmes. Mais les
hommes ne s’y intéressent pas. Et c’est un étudiant qui s’est porté volontaire pour leur
apprendre à lire et à écrire...»
- Homme 6 : «…Il ne faut pas oublier que nous avons besoin de l’aide de l’autorité mais
l’aide des habitants d’abord ...»
«…Tu veux que je te parle de ma démarche politique ? J’ai débuté ce travail depuis que
j’avais 16 ans ; ici, ils avaient une association réservée seulement à la mosquée, et nous
sommes venus leur dire de discuter avec nous pour régler cette affaire. Mais les dirigeants de
l’association n’avaient pas accepté et ils avaient quitté. Nous nous sommes retrouvés devant
une situation embarrassante parce que nous avons trouvé que les anciens membres de
l’association trouvaient des difficultés pour faire remplir la caisse de l’association. On a donc
essayé de faire des activités pour remplacer l’association. ...» (Personne ressource, élu)
- Femme 1 : «…On ne s’adresse pas à l’élu parce qu’il a changé ses rapports avec nous. Il y a
une grande différence entre le passé et le présent. (…) Il a fermé sa baraque et il est parti
.Aujourd’hui il nous menace en attaquant nos enfants. Il nous dit, à nous et à nos enfants, que
nous ne sommes bons à rien. Dès qu’il a gagné les élections, il a ignoré tout le monde...»
- Femme 2. «…Il nous promettait d’améliorer notre situation et que l’avenir va être meilleur.
Mais lorsqu’il a été avec le président X., il est devenu contre les baraques...»
«…Nous n’avons pas une vraie association qui a son statut. Ce sont des familles qui se sont
groupées et ont fait l’association. D’abord une association doit avoir un local. Certains
membres de l’association, pour des raisons politiques ont exploités l’analphabétisme et
l’ignorance des habitants du quartier pour les manipuler et escroquer de l’argent collecté pour
le système d’assainissement ou l’argent de l’adhésion. C’est pour cela que nous ne nous
intéressons pas à cette association car ses membres n’ont pas d’expérience. Ce sont des
voleurs, certains membres exploitent l’association pour favoriser leur parti. Nous avons
suggéré de constituer une association, avec les habitants du quartier seulement, mais ils ne
manifestent aucune volonté. Nous voulons des personnes qui parlent en notre nom, par
exemple, nous voulons l’électricité, il faut que quelqu’un se charge de cette mission selon le
désir des habitants, pas comme les membres de cette association qui se sont imposés à nous,
moi je ne suis pas satisfait de leur travail...» (Homme)
«…Il y a une très bonne relation entre les voisins. Les habitants sont « populaires ». On se
rencontre dans la rue, à la borne fontaine. La distance entre les maisons est faible, ce qui fait
qu’on est obligé de se rencontrer et d’avoir des bonnes relations. La relation entre les
habitants n’a pas changé au fil des années. Quand on a un deuil ou un malade, on s’entraide
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Programme « Villes sans bidonvilles » du Maroc – Rapport de l’analyse d’impact social et sur la pauvreté
entre nous, ceux qui ont les moyens cotisent. Mais je ne connais l’existence d’aucune
association dans le quartier. Je ne sais pas ce que c’est qu’une association d’habitants. Sinon,
il y a des associations extérieures. Les femmes reçoivent les cours d’alphabétisation à l’école
primaire. Je ne peux pas y aller, car je n’ai personne qui peut garder mon fils, mais c’est
important. Tout organisme qui peut porter un intérêt pour la population est bien. Je n’ai
jamais emmené mon fils à une association, mais une fois, j’avais déposé un dossier à Rabat
pour avoir un agrément de taxi puisque son père ne travaille pas. J’ai été au Secrétariat d’Etat
chargé de la famille et de l’handicapé qui est à Agdal. Ils m’ont envoyé un gendarme pour
qu’il fasse une confirmation des renseignements que je leur avais donné, mais je n’ai rien vu
venir. Je ne connais que trois handicapés dans ce bidonville. Je ne sais pas s’il y en a d’autres.
Nous voudrions bien avoir une association d’handicapés dans le bidonville comme cela elle
m’aiderait à supporter ces charges...» (Femme)
«…On s’est organisé par exemple, pour l’éclairage, quand on était branché illégalement, il y
avait un seul câble et des fois le voltage n’était pas vraiment au niveau. Les habitants se sont
organisés pour cotiser et ont ramassé à peu près 70000 DH ; ils ont donné cette somme à
quelqu'un qui devait acheter les câbles et refaire l’alimentation, mais ça n’a jamais abouti et
l’argent est parti, on n’a jamais su où…. Suite à ça, la Bachaouia, pour calmer tout le monde,
a mis l’ONE dans le coup et ils ont décidé de faire l’alimentation et d’équiper l’électricité
moyennant une somme pour chacun –donc une nouvelle somme à payer- et c’est donc revenu
très cher...» (Homme)
«…Les habitants peuvent cotiser pour aider d’autres habitants dans le besoin ; ils se sont
également mis d’accord pour la construction de la mosquée ; des vieux du quartier ont fait le
tour et ont collecté de l’argent. (…) Les gens font plus confiance aux personnes âgées, les
jeunes seront soupçonnés d’utiliser l’argent pour d’autres raisons (alcool et autre). Et pourtant
ce sont les jeunes qui ont construit la mosquée ici (…). Il n’y a pas d’associations, il n’y a
qu’une maison de jeune à X, mais elle est trop loin d’ici...» (Jeune)
«…L’assainissement, même s’il existe, constitue un grave problème pour le quartier, car dans
chaque ruelle, les canaux usés évacuent en plein air. Imaginez les odeurs et la pollution que
cela provoque (…) Le financement et le travail a été assuré par les habitants alors que la
commune a assuré la fourniture du matériel nécessaire. Le problème c’est qu’après cela, il n’y
a pas d’entretien ni de suivi...» (Jeune homme)
«…Il n’y a pas d’association dans ce quartier. On a aidé cet élu et voté pour lui pendant ces
élections, une fois qu’il a eu les élections, on ne l’a plus vu. Il a juste travaillé pour ses
intérêts. Et ça va être exactement la même chose si on crée une association...» (Homme)
«…Quand on a des problèmes à propos du logement, on s’adresse à l’élu du quartier qui nous
a promis d’améliorer nos conditions de vie lors des élections, mais depuis 2 ans qu’on a voté
pour lui, il n’a rien fait à part la construction de terrain de foot, d’ailleurs je ne comprend pas
pourquoi, parce que les gens n’ont pas besoin d’abord de terrain de foot mais d’équipements
de base. (…) Il peut jouer un rôle dans le projet en étant un intermédiaire entre les autorités et
les bidonvilles, il peut informer les autorités sur les problèmes que vivent les gens, quels sont
leurs souhaits et donc il peut jouer un rôle positif dans la réussite du projet...» (Jeune homme)
«…Les habitants n’ont aucune responsabilité si un projet n’a pas abouti. C’est l’autorité qui
est responsable de l’extension d’un bidonville. L’habitant ne peut pas chasser un nouveau
venu. On n’a pas assez confiance pour confier aucune tâche à l’un des habitants. Il faut
convoquer tous les habitants à l’arrondissement, les informer de tous les détails du projet et
écouter leurs réponses. A ce moment, ceux qui pourront partir, vont le confirmer et ceux qui
ne sont pas intéressés vont le confirmer aussi. Il vaut mieux convoquer groupe par groupe et
chaque habitant doit présenter son cas devant l’autorité lui-même, sans qu’il soit représenté
par quelqu’un. Les habitants peuvent se mettre d’accord sur quelqu’un qui communiquera
avec l’autorité en leur présence ; s’ils sont d’accord avec ce qu’il dit, ils confirmeront, sinon
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Programme « Villes sans bidonvilles » du Maroc – Rapport de l’analyse d’impact social et sur la pauvreté
ils contrediront ce qu’il dit, c’est la seule façon de s’organiser devant l’autorité. L’autorité
n’est pas sérieuse dans son travail et les habitants, eux, ne sont pas d’accord sur les différents
points. Il faut avoir la volonté royale pour arriver à mobiliser les différentes parties
responsables du projet...» (Homme)
«…Il y avait une association de quartier, mais…elle a échoué car elle était opposée au Caïd.
Elle demandait des droits, pour le logement, c’est pour ça qu’ils l’ont supprimée et n’ont pas
voulu qu’elle existe. Elle ne peut donc plus rien pour nous, puisqu’elle est arrêtée. Le
responsable de l’association, a été mis en prison parce que ce qu’il racontait ne les arrangeait
pas. Elle réclamait des choses sur lesquelles on s’était mis d’accord, mais
malheureusement...» (Homme)
«…Quand ils nous ont crées des problèmes à l’association des habitants, on a travaillé avec
l’association des retraités. Je suis membre de cette association et en fait, on l’a créée pour
cette raison. X. est le vice-président de cette association, qui est forte puisque c’est une
association de retraités militaires. On ne travaille plus au nom de l’association des habitants
mais ce qui n’empêche pas que ses membres sont actifs et travaillent en coulisse. On empêche
encore les habitants de faire des aménagements dans leurs logements, par exemple il y avait
des dégâts du dernier hiver et ils n’ont pas pu reconstruire ce qu’était démoli même si en ce
moment, on a un caïd compréhensif qui écoute les habitants, et leur donne de l’espoir...»
(Homme)
«…Il faut que les responsables soient conscients et qu’on nous donne le droit de contrôler
l’élu ou bien même le changer. J’aurai préféré qu’il y ait une femme élue, elle devrait bien
travailler et parce qu’on croit qu’elle est plus responsable...» (Personne ressource)
- Homme 1 : «…Les autorités n’ont jamais discuté avec nous dans le domaine de l’habitat. Il
y a une association qui était chargée de cela pour les gens du quartier. Elle assistait aux
réunions et tout ça. Mais elle ne nous rapporte rien. Ils ne viennent pas nous dire « voilà ce
qu’ils disent », « voilà ce que demandent ces gens »… par exemple ils vont distribuer des
maisons. Mais que fait cette association ? Elle se met au courant elle-même. Elle ne voit pas
l’intérêt du quartier…ils y sont pour leur propre intérêt…On n’a jamais vu l’intérêt pour le
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Programme « Villes sans bidonvilles » du Maroc – Rapport de l’analyse d’impact social et sur la pauvreté
quartier (intervention de l’animatrice : cette idée de X., vous la partagez ?) des hommes :
oui...»
- Homme 2 : «…J’ai été membre de cette association de solidarité, j’ai été élu président, on a
fait l’assemblée générale…On s’est organisé, on a obtenu la reconnaissance juridique et nous
avons fait des requêtes….Depuis, ils ont commencé à donner les extraits d’acte de naissance,
ils nous ont dit celui qui veut inscrire son fils peut le faire (contestation des autres), certificats
de résidence. (Contestations des autres : on n’a pas de certificat de résidence !). J’ai tout
dans un dossier dans mon bureau....si vous veniez dans mon bureau, je vous montrerais
tout...»
- Homme3 : «…Celui qui parle et qui dit être le président, ce n’est pas le vrai président, ce
n’est qu’un président temporaire, il n’a pas l’aval des habitants des quartiers ...»
«…Il y avait une association, mais entre l’autorité qui tirait d’un côté et les différents partis
politiques, ils nous l’ont débitée en morceaux de brochettes...» (Homme)
«… L’ancien Caïd m’a convoqué et il a insisté pour que cette association dépende de
l’autorité. Je lui ai répondu que j’étais élu par les habitants et non par les mokhaznis et, que
s’ils veulent avoir une association ils n’ont qu’à la constituer eux-mêmes. Ils m’ont proposé
une fonction, juste que je serai à leurs côtés mais j’ai tout refusé. Ils m’ont alors convoqué au
tribunal ; quand je me suis rendu compte de leur pouvoir, j’ai changé ma méthode de
travail...» (Homme)
«…J’ai vu à la télé, le roi distribuer des appartements ou des lots à Ain Aouda, à Skhirat, et à
Fès…c’est une bonne chose. Nous ne sommes pas le Polisario, nous sommes le peuple de ce
pays ! (…). On reste optimiste pour la réalisation de ces projets. C’est les responsables locaux
et surtout les élus qui ont fermé leurs yeux depuis les années 80. Personne ne parlait en faveur
des habitants, même pas faire disparaître les poubelles, aménager des jardins pour nos
enfants…par exemple, cet élu (X.) nous ne l’avons plus revu depuis les élections. Si tu veux
un papier de la commune, il faut lui donner un bakchich pour avoir ce que tu veux. Mais il y a
des gens qui le soutiennent. Moi, je préférais Y. parce qu’il n’y avait pas de corruption. Il
avait interdit aux gens de donner du bakchich aux fonctionnaires parce que tout le temps, il
disait qu’ils ont un salaire pour faire leur travail. Il aidait aussi les orphelins : il restait à tes
cotés et donnait ses ordres aux fonctionnaires pour qu’ils te préparent tes papiers C’est pour
cela qu’on préfère un responsable de confiance, qui viendra de Rabat pour coordonner
l’opération de relogement. Car si on laisse ça dans les mains des élus, le pauvre sera humilié.
Ce responsable doit prendre en considération les moyens existants des gens et faut qu’il ait la
volonté de reloger toute les catégories. Et qu’il ne soit pas quelqu’un de corrompu...»
(Femme)
«…La première fois ou j’ai entendu parler de projet c’est lorsque le Roi est venu inaugurer un
projet à Casa pour éradiquer les bidonvilles, et donc pour notre quartier on entendait que ce
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Programme « Villes sans bidonvilles » du Maroc – Rapport de l’analyse d’impact social et sur la pauvreté
projet se réaliserait dans 2 ou 3 ans. On nous a dit que ces logements qui sont en cours de
constructions étaient destinés à nous reloger, il y a même un panneau où écrit « relogement
des bidonvilles de X. ». Mais personne n’est venu nous informer, donc on sait que le projet
est réalisé pour ce bidonville, mais on ne sait pas qui va en bénéficier, ni combien de
superficie ou de mètres, on ne sait rien du tout...» (Jeune homme)
«…L’architecte est venu faire ses plans. Il nous a communiqué les superficies, il y a 100
appartements de 36 m, il y a aussi des superficies de 48m et de 58m, et il y a des appartements
de 62 m qui ne sont pas nombreux. C’est ce qu’ils ont prévu pour le relogement, et chaque
appartement à son prix. C’est grâce à la péréquation qu’ils vont nous construire nos
logement : ils ont aménagé 320 lots pour vendre et sur les terrains qui restent, ils vont
construire des immeubles et aussi ils vont construire un marché de 100 boutiques à vendre. Et
comme ça ils vont contribuer et vont aider l’opération de relogement ; Tout ceci je l’ai dans
mes documents. Mais les habitants n’acceptent absolument pas ce projet. Il est incomplet, car
il n’y avait pas de concertation avec les habitants, la superficie ne convient pas aux habitants.
On doit avoir la même superficie, un prix symbolique mais on ne demande pas la gratuité.
Seulement, là, on a des logements, et on a fait beaucoup de dépenses pour les entretenir. On a
subi beaucoup de mauvaises choses. Il faut qu’ils nous dédommagent. Donc, ce qu’on préfère
c’est qu’ils nous laissent nos logements, qu’on reste ici, et qu’ils nous délivrent nos titres. On
ne veut pas quitter ici. Ils vont nous dire : vous allez partir, vous payerez 120000 DH et après
50000 DH, mais on sera étranglé avec la banque à 700 ou 800 DH… alors que là on est
tranquilles...» (Homme)
- Jeune 1 : «…Les autorités doivent intervenir pour arrêter les bénéficiaires qui revendent
leur baraque ou leur lot et vont se réinstaller dans des bidonvilles...»
- Jeune 2 : «…L’autorité doit faire bien son travail et prendre sa responsabilité pour mettre
fin à tous les spéculateurs. Le ministère d’habitat doit bien contrôler de façon continue. Les
habitants doivent participer comme des décideurs au projet et au contrôle, participer aux
réunions publiques et donner leurs avis...»
- .Jeune 3 : «…Ils doivent travailler beaucoup pour la réussite du projet. Toutes les familles
doivent être bénéficiaires...»
- Jeune 4 : «…Mais les anciens d’abord, leur situation est très difficile...»
«…Il faut que l’Etat aide les pauvres pour qu’ils puissent construire leurs logements, par
exemple, une veuve qui n’a pas les moyens de construire un logement, elle est obligée de
vendre son lot ou bien elle est influencée par les gens qui lui disent de laisser tomber
puisqu’elle doit vendre son lot d’une façon ou d’une autre. Pour distribution des logements,
je préfère le tirage au sort mais avec égalité et légitimité loin de la présence de relations
personnelles et de la corruption, comme au lotissement X., ils ont vu que toutes les places qui
se trouvent au coin des rues sont habitées par les bourgeois ou par les fonctionnaires, par
contre les pauvres sont refoulés à l’intérieur du quartier. L’habitat ne convient pas aux
habitants. Vu leurs coutumes, leurs mentalités et le nombre élevé des personnes dans leurs
familles, le logement individuel est convenable pour nous. Un projet est possible. S’il faut
reloger les habitants, il faut un contrôle, l’accord et la consultation des habitants concernés et
en présence des personnes compétentes pour que tout soit fait dans le cadre de la loi. Si on ne
prend pas en considération l’avis des habitants, ça ne sert à rien...» (Personne ressource)
- Femme 1 : «…Nous voulons un lot parce que l’appartement ne convient pas aux habitants
des baraques : ils possèdent des animaux dont ils ne peuvent se détacher parce que c’est leur
gagne-pain (âne, poules,..) ...»
- Femme 2 : «…Oui, nous voulons un logement individuel. Chaque famille doit bénéficier
séparément. Les enfants mariés ne doivent pas habiter avec leurs parents...»
- Femme 3 : «…Pour ce qui est du logement nous voulons l’aide de l’Etat pour payer un
montant décidé par traites, par exemple 200 DH. (Animatrice : avec toutes ces exigences,
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Programme « Villes sans bidonvilles » du Maroc – Rapport de l’analyse d’impact social et sur la pauvreté
vous pensez qu’un tel projet peut aboutir ?) oui, il peut aboutir avec la participation des
habitants. La prise en compte de leurs priorités et de leurs besoins...»
- Femme 4 : «…Non, ce projet ne peut pas réussir parce que les habitants ne sont pas
d’accord. Et le douar n’a pas une association qui parle en son nom et qui le représente. Et
c’est à cause du désaccord entre nous...»
- .Homme 1 : «…On doit avoir des papiers établis dans les règles et à notre nom. Nous avons
peur du flou : on ne veut pas quitter un bidonville pour un autre, ou tomber dans des
problèmes de co-propriétés insolubles...»
- Homme 2 : «…Hormis le problème financier, les difficultés que nous rencontrons et
appréhendons lorsque nous envisageons la participation à un projet de relogement sont
l’absence de confiance dans les responsables administratifs ou élus locaux, la corruption qui
gangrène nos différentes relations d’échanges commerciales, comme administratives.
Combien vous me donnez pour telle ou telle faveur ? Combien vous me donnez pour avoir
telle chose ? Que ce soit une faveur ou un droit. Il est arrivé de donner 1000,00 DH pour avoir
un certificat de résidence...»
- Homme 3 : «…Un autre facteur que craignent les habitants est l’éloignement du site de
relogement du lieu de leur travail. Un tel cas occasionnerait une charge supplémentaire de
transport pour les ménages et des retards éventuels à l’arrivée au travail qui seraient
préjudiciables pour le maintien de l’emploi.
- Homme 4 : Il y a également, les conflits entre membres d’une famille face au changement :
l’un souhaite un appartement, l’autre un logement individuel, le troisième un terrain à
construire...»
- Homme 5 : «…Et en plus, il faut réfléchir à ce qu’on fait : affecter à une famille contenant,
un grand- père âgé, le dernier étage d’un immeuble sans ascenseur pose problème, je connais
des cas, le grand père en question passait souvent la journée dehors, les enfants devant lui
apporter son déjeuner en bas de l’immeuble...»
«…Pendant les élections, l’élu aborde tous les sujets même le logement. Les habitants
peuvent avoir confiance au ministère d’habitat mais pas aux élus. (..) Mais le ministère, lui,
peut étudier les cas qui sont dans le bidonville et trouver des solutions pour reloger les
bidonvillois. C’est l’Etat : Il a de quoi nous faire un projet et il n’est pas contraignant pour le
remboursement : s’il te fait par exemple 100 DH comme traite, il peut la diminuer à 50 DH si
tu lui dis que tu ne l’as pas et que tu ne peux payer que ces 50 DH (…). Cet élu n’avait même
pas une bicyclette, maintenant il a 5 maisons...» (Homme)
«… En cas de facilités de paiement, c’est mieux qu’on change vers un quartier plus reposant.
Mais si on demande 600 DH comme traite à quelqu’un qui ne travaille pas, à ce moment-là,
c’est mieux qu’on reste ici. Si on sera amené à se déplacer d’ici, il ne vaut mieux pas faire des
réparations. Par contre, si le projet sera ici, on aimerait bien que l’état élargisse les rues et aide
les habitants à construire les toits...» (Homme)
«…Un bon projet, c’est d’abord, une bonne localisation, c’est important. Tous les Services
doivent être proches du projet (école, dispensaire, administration, … On doit nous considérer
comme des êtres humains...» (Homme)
«…Un appartement, non, pour moi, je ne peux pas y dormir moi, ma femme, tous les garçons
et les filles de tous âges au milieu, tout ça ne peut pas satisfaire les habitants. Les habitants
voudraient bénéficier d’un lot de terrain quel que soit le métrage décidé par l’état, parce que
pour une famille nombreuse, un lot de terrain, c’est ce qui convient bien, on peut construire le
rez-de-chaussée, l’étage….et on peut même louer l’étage pour payer le crédit, et même bien
vivre...» (Homme)
- Homme 1 : «…Ceux qui ont bénéficié du projet de relogement sont en partie des familles
qui exploitaient la Karyan : ils prenaient des terrains, construisaient des baraques et
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Programme « Villes sans bidonvilles » du Maroc – Rapport de l’analyse d’impact social et sur la pauvreté
vendaient ; ces familles ont pu avoir les moyens financiers de participer au projet. D’autres
avaient la possibilité d’emprunter des fonds aux membres de leurs familles. D’autres encore
ont vendu l’or de leurs épouses. Mais les habitants qui n’ont même pas de quoi manger et
personne pour les aider, et ceux-là constituent la majorité, n’ont pu participer au projet...»
- Homme 2 : «…Il faut préciser que seules les familles recensées en 1984 avaient le droit de
participer au projet, tous ceux qui avaient acheté après 1984 comme moi et mon ami n’avions
pas le droit de participer au programme...»
- Homme 3 : «…Pour faire réussir un projet de relogement, il faut tout d’abord que les
responsables chargés de la programmation de projets soient à la fois compétents et dignes de
confiance. Ces responsables doivent prendre en compte les intérêts des habitants à reloger :
les familles qui ont des enfants mariés doivent se voir proposer des espaces adéquats à leurs
besoins : appartement ou terrain. Les familles nécessiteuses doivent se voir proposer des
traites en rapport avec les revenus du ménage. S’il faut fixer le montant à 100 DH
mensuellement, pourquoi pas ? En somme, les responsables du programme devraient
commencer par l’écoute des besoins et capacités des gens...»
«…L’urbanisation progressive, on peut être pour, mais il ne faut pas confondre progression et
lenteur, c’est pas parce que l’urbanisation est programmée progressivement qu’il faut attendre
des années pour passer d’une étape à une autre dans l’attribution et l’aménagement des lots.
Ce dernier cas serait de nature à semer des peurs chez les habitants, et qui dit peur dit colère et
désordre...» (Femme)
«…C’est possible de se déplacer vers un projet qui n’est pas tout à fait fini, mais il faut qu’il
contienne tous les équipements primordiaux, eau, électricité. Mais ils peuvent par exemple ne
pas aménager les rues, ne pas mettre l’électricité dans la rue. Autrement pour nous, c’est
vraiment un retour en arrière, c’est pire que de rester dans la baraque. Et puis, ils risquent de
nous oublier une fois déplacés, c’est arrivé, ça, j’en ai entendu parler...» (Femme)
«…Les gens ne peuvent pas avoir avis sur ce projet, car ils n’ont aucune information.
Personne n’est jamais venu en parler publiquement. Ce projet peut ne pas réussir, parce que
les gens n’ont aucun renseignement, ils peuvent être surpris par le montant à payer, ou par la
superficie du logement qu’on va leur offrir. (…) Il peut y avoir le problème de superficie,
c'est-à-dire que l’Etat peut donner une superficie de 60m pour une famille de 11 à 12
personnes, ça sera insuffisant. Il y a aussi, qu’entre l’époque où l’Etat a procédé au
recensement de ces bidonvilles et aujourd’hui, des mariages, des naissances donc comment
seront traitées ces familles fondées après le recensement? (…) Et comme ils n’ont aucune
information, ils ne s’y préparent pas, par exemple pour l’épargne...» (Jeune homme)
«…Je sais que d'ici 2008, on dit qu’il n'y aura plus de bidonvilles, mais je ne le crois pas, car
les travaux n'ont pas commencé. Si les travaux commencent, par exemple dans ce quartier,
vous trouverez que les gens de la ville achèteront le terrain ici. Vous avez de l'argent, vous
pouvez acheter. En ce qui me concerne, je suis sur un lieu stratégique, le boulevard, je ne me
déplacerai jamais, il ne peuvent pas amener quelqu’un d’autres et le mettre à ma place parce
qu’il aurait donné plus d’argent, moi je vis ici depuis plus de 10 ans personne ne me
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Programme « Villes sans bidonvilles » du Maroc – Rapport de l’analyse d’impact social et sur la pauvreté
déplacera, s’il faut donner plus d’argent je le ferai. J’ai acheté ce lot à 100 DH/m², j’ai choisi
ce lieu qui donne sur le boulevard, je ne veux pas que mes enfants vivent loin, en plus mon
commerce est rentable. Maintenant, si je veux vendre ma maison, on m’en donne 80000,00
DH le problème c’est que si j’achète un lot avec les 80000,00 DH avec quoi je vais la
construire, autant rester chez moi que de reconstruire une autre baraque...» (Homme)
«…Aucune institution ni personne n’a bougé le doigt pour changer la situation de ce quartier.
C’est moi et quelques amis du quartier qui avons pris l’initiative de nous réunir chez moi et de
distribuer nos fonctions pour bien servir ce quartier : on a aidé un de nous pour devenir un
élu. Moi, j’ai préféré travailler en coulisses. Cette terre est au patrimoine des logements des
Forces Armées. Parce que comme je t’ai dis, les terres de Nouasser sont partagées en trois :
une partie des Forces Armées, une partie de la commune et une partie de l’agence urbaine,
qui n’existait pas avant que la commune ne lui cède une grande partie de ses terres au prix de
8 DH. Avec cet argent, il a été construit 5 maisons pour fonctionnaires. Rien ne se fera ici, car
quand on fait des demandes, ils disent tous que ce n’est pas leur terrain. Celui là est le seul
bout de terrain qui est prévu pour résorber l’habitat insalubre. Les architectes viennent d’une
façon hebdomadaire pour faire leur plan. Maintenant, ils veulent nous reloger là-bas mais
jusqu’à présent, on attend, on n’a aucune information...» (Homme)
«… Moi, comme beaucoup de gens ici, on ferait surtout confiance au Ministère de l‘Habitat,
en collaboration avec l’association du quartier. Surtout pas les gens de la commune. Les
habitants doivent jouer un rôle aussi, il faut qu’ils soient unis, qu’ils ne tombent pas en
désaccord et ne baissent pas les bras devant quoi que ce soit ( …). Le projet devrait aussi
consulter les femmes du quartier, ce sont elles tout de même qui passeront le plus de temps
dans ce nouvel habitat...» (Femme)
«…Une opération a été décidée pour notre quartier, et c’est le wali qui a décidé pour en finir
avec ce problème (le bidonville). Parce que le bidonville est près de la route et se trouve au
centre de la ville. C’est une place stratégique pour l’avenir de cette ville...» (Homme)
«…Dans ces conditions de vie difficile, les habitants des baraques souffrent du regard des
autres parce qu’ils considèrent que le fait d’habiter une baraque est l’équivalent d’être
misérable, criminel, pauvre et sale, et après les attentats du 16 mai à Casablanca, les
bidonvilles sont devenus dans l’opinion des autres comme une source de terrorisme et ce
n’est pas vrai. Le regard méprisant et méfiant des autres habitants sur les gens des baraques ne
pourra changer que si on bénéficie d’un habitat décent et c’est une solution pour sortir de
cette grave situation...» (Femme)
«…Jusqu’à maintenant, personne n’est venu nous proposer de discuter des projets ou de nous
faire participer dans un projet. C’est donc aux responsables de savoir par qui ils doivent
commencer : par les anciens, ou les nouveaux, par les plus pauvres ou les moins pauvres…
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Programme « Villes sans bidonvilles » du Maroc – Rapport de l’analyse d’impact social et sur la pauvreté
nous, on ne sait pas. C’est nous les plus pauvres qui te disons cela : parce que pour nous, on
sera de toutes façons obligés de mettre le vêtement qu’ils nous auront cousus. (….) On n’a pas
confiance dans le secteur privé. On a confiance en le Roi, quand on le voit inaugurer. C’est
vrai que le Roi ne suit pas toutes les opérations mais il délègue le travail au ministre d’habitat.
Et surtout, on n’a pas confiance dans les responsables de la commune...» (Femme)
«… Villes sans bidonvilles, il s’agit de faire disparaître les bidonvilles d’ici l’an 2010, et tous
les bidonvillois seront relogés dans des maisons avec tout le nécessaire pour une vie normale.
On l’a appris par la radio et les journaux. C’est un programme intéressant, mais le problème
qui se pose, c’est que les habitants des bidonvilles n’ont pas d’épargne pour pouvoir
construire la maison. (….) La solution des parcelles de terrain ne marchera pas car ces gens
n’ont pas les moyens pour construire, il reste la solution des appartements à condition que
l’Etat trouve un arrangement avec les acheteurs pour un paiement adapté de leur logement...»
(Jeune homme)
«…Ils disent que d’ici 2006 il n’y aura plus un bidonville. Je l’ai entendu à la télé et je l’ai lu
dans les journaux. Je crois que c’est un projet qui est bien. S’ils le réalisent comme ils le
disent, ils nous auront secouru. Les enfants d’un bidonville ont une mauvaise réputation. Si un
jeune veut travailler, ils ne lui donnent pas de travail par ce qu’il a X. sur sa carte d’identité.
Le cas d’une société qui est à coté, refuse les jeunes du bidonville et accepte d’autres jeunes
qui viennent d’ailleurs. Ce projet peut réussir si l’état fait des facilités de paiement : ils ne
demanderont pas une avance pour ceux qu’ils ne l’ont pas et ils prévoiront une traite
raisonnable. Les habitants peuvent contribuer à la réalisation de ce projet en mettant tout
l’argent qu’ils ont ...» (Femme)
«…Il faut que les constructions soient faites selon les normes. Ce n’est pas parce qu’on est
des bidonvillois, qu’ils peuvent nous construire n’importe quoi et n’importe comment.
Comme ce qui est arrivé à Fès. On a vu à la télé qu’ils habitaient les tentes. Ou par exemple,
une fois installé, deux mois plus tard, avoir des fissures dans les murs. Nous aussi on va
donner de l’argent.
Ils disent qu’il y a des aides, qu’on donne des aliments pendant le ramadan. On a beaucoup
d’orphelins. Mais je n’ai jamais vu un habitant d’ici recevoir ces aides. Il y des veuves qui
s’inscrivent, elles y vont mais elles restent toute la journée sous le soleil et elles reviennent
sans rien ramener. Il faut que l’Etat prévoie des gens qui expliquent à ceux qui ne
comprennent pas quels sont les papiers administratifs qui leur faut et leur indiquer où aller,
pour les aides, pour le travail et pour tout…. Et puis on a beaucoup de chômeur, surtout des
hommes. C’est des diplômés chômeurs qui vendent la menthe et autres herbes dans le marché
de légumes...» (Femme)
- Jeune 1 : «…Ville sans bidonville, c’est une bonne idée, mais il faut d’abord aider les
jeunes, trouver du travail pour les chômeurs. L’Etat doit aider la population, c’est comme ça
qu’on peut avoir des villes sans bidonvilles. L’éradication du chômage permet d’éradiquer les
bidonvilles...»
- Jeune 2 : «…Pour les crédits, il faut avoir un travail permanent. Le problème réside donc
toujours dans le travail. Si on ne résout pas d’abord ce problème on risque d’avoir le
contraire, des bidonvilles sans villes (…)...»
- Jeune 3 : «…L’accompagnement social, c’est bien si cela peut servir les intérêts du quartier
et des habitants ...»
«…Nous aimerions être consultés sur les équipements prioritaires et sur le montant des traites
à payer. Mais par ailleurs, il existe dans le quartier des compétences dans les différents corps
des métiers du bâtiment, qui peuvent participer au projet et régler ainsi leur problème
économique...» (Homme).
81
Programme « Villes sans bidonvilles » du Maroc – Rapport de l’analyse d’impact social et sur la pauvreté
«…Tout le monde ici a entendu parler du projet Villes sans bidonvilles et qu’il n’y aura plus
d’habitat insalubre mais je ne sais pas comment ils vont faire pour réaliser ça. Les bidonvillois
de X. ont été relogés à 50.000 DH, ceux de Y. à 100.000 DH. La somme de 50.000 DH est
parfaite pour un bidonvillois et surtout s’il la paye en traites. Mais il ne faut pas non plus
construire des cages à ce prix. Si l’Etat veut la réussite de ce programme, il faut qu’il mobilise
la Wilaya, l’autorité et le ministère d’habitat. Et surtout qu’il soit suivi par le roi. Il faut que
l’autorité vérifie les biens de chaque habitant. S’il a une autre maison ailleurs ou il a des
terres, il ne faut pas qu’il bénéfice avec les bidonvillois, et puis, celui qui peut payer, il ne faut
pas qu’il mente...» (Jeune fille)
«…Je n’ai jamais entendu parler de ce programme. Une ville sans bidonville, c’est bien, cela
peut même changer la mentalité des gens physiquement et moralement. Mais ce qu’on gagne,
on le mange, on va rembourser avec quoi ? Pour les commerçants ambulants, c’est difficile,
moi-même les autorités viennent de me confisquer ma charrette, je n’ai plus rien alors que
toute ma famille ne peut compter que sur moi. (…) L’accompagnement social ? Il n’y a pas
d’accompagnement, en tous cas, il n’y a aucune mise en pratique, c’est seulement des paroles
de politiciens...» (Jeune homme)
«…Le social, et la participation des gens, ce serait d’abord l’Etat qui devrait le faire à travers
la société civile et les associations. Ils doivent en même temps lutter contre la corruption, il
faut absolument empêcher que ça dure, empêcher le clientélisme et essayer d’être impartial
dans la distribution des lots et des appartements. (…) Il faut que les gens de Rabat viennent
refaire le recensement et les habitants doivent prévenir les autorités quand ils apprennent que
quelqu’un vend ou revend...» (Personne ressource)
«…L’aide particulière qu’il faut apporter aux gens, c’est avant tout les reconnaître. Les
habitants des blocs non recensés en 1984 continuent à être considérés comme des
clandestins….dans leur propre pays : ils n’ont pas de carte d’identité nationale. La première
aide sociale qu’on peut leur apporter est d’agir auprès des autorités pour faciliter l’octroi
d’une carte d’identité à ces personnes. Nous nous sentons ignorés, oubliés dans ce
bidonville...» (Homme)
«…Il faut que les autorités étudient les moyens financiers de chaque famille, son mode de vie,
et voir si elle peut s’adapter à un autre mode de vie ou pas, et à partir de là, je pense que le
projet réussira. Je pense que l’accompagnement social est très important pour la réussite d’un
projet surtout s’il y a transparence au niveau de la création d’emploi, sans oublier que les
membres qui assurent cet accompagnement doivent avoir un niveau d’instruction assez élevé
(…) ; des associations dont les membres sont issus de ce quartier pourraient jouer ce rôle (…).
Il faudrait que les autorités ou les responsables aillent vers les bidonvillois, les informer du
projet, prendre leur avis sur certains points, leur expliquer ce qui va se réaliser, comment et
quand (…). Il y a beaucoup de jeunes sans emploi, ce projet peut être une occasion de les faire
travailler dans la construction par exemple...» (Jeune homme)
«…Je pense que les femmes doivent être plus impliquées dans les projets de recasement des
bidonvilles, parce que l’habitat et le logement, ça concerne d’abord les femmes, car c’est sur
elle que repose l’organisation de la famille. Le rôle de l’accompagnement social est expliquer
aux femmes comment changer le mode de vie car la vie dans les bidonvilles n’est pas la vie
dans les maisons construites en dur. (…) Il faut aussi penser à tous les équipements sociaux
pour l’accompagnement social, car c’est une population qui vivra toujours dans la précarité,
qui aura toujours des problèmes de chômages… Il faut avoir des complexes où on pourrait
donner des cours d’alphabétisation, les renforcements scolaires pour les enfants, la
sensibilisation pour les femmes, des formations de couture, de broderie, cuisine. Et pour les
hommes la plomberie, la menuiserie. Il faut réhabiliter la population, résoudre l’habitat n’est
pas le seul problème du bidonville...» (Personne ressource)
82
Programme « Villes sans bidonvilles » du Maroc – Rapport de l’analyse d’impact social et sur la pauvreté
- Homme 1 : «…L’état doit envoyer de Rabat une commission pour contrôler l’opération de
l’attribution de logement et lots, parce que les responsables ici ne sont pas sérieux, et
manquent de sens de responsabilité dans l’opération de l’attribution...».
- Homme 2 : «…Nous vivons la Hogra...»
- .Homme 3 : «…Je propose qu’on recourre aux 12 témoins en plus du recensement 1998,
plus la CIN, les reçus, les adresses, les actes adulaires. Pour les nouvelles familles qui sont
arrivées après 1998, c’est à l’Etat de trancher...»
«…Les habitants peuvent aider en étant honnêtes et en disant la vérité. Il ne faut pas que les
riches se cachent derrière les pauvres. Mes voisines et moi sommes contre une femme qui
veut se faire passer pour une mendiante alors qu’elle peut payer. On l’a engueulée, on lui a
expliqué que c’est des gens comme elle qui peuvent faire rater tout le projet...» (Femme)
«…Je ne sais pas ce que c’est que l’accompagnement social, et même si on venait pour
m’alphabétiser, je n’irais pas. J’ai bien trop de problèmes et je n’ai pas la tête à ce genre de
choses...» (Femme)
«…Nous avons besoin de l’action associative pour la formation des femmes et des jeunes,
par l’organisation de réunions dans lesquelles on pourra discuter de tous les problèmes et
échanger des informations et des points de vue, ex ; j’étais volontaire au programme de
l’alphabétisation, et dans le délai d’un mois le nombre des femmes avait augmenté dans les
classes et elles avaient appris l’alphabet. Mais nous avons rencontré des résistances de la part
de la mentalité masculine et maintenant toutes nos activités ont été arrêtées (…). Il faut
encourager tous les habitants des deux sexes pour participer, mais il faut que la participation
des habitants soit faite par un groupe ou une association qui les représente, tous ne peuvent
pas faire réussir une réunion, en plus il faut choisir quelqu’un qui nous représente auprès des
responsables. La manière, c’est qu’il faut que tout le monde soit bénéficiaire et de donner des
facilités aux habitants pour améliorer leur condition de vie...» (Personne ressource)
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Programme « Villes sans bidonvilles » du Maroc – Rapport de l’analyse d’impact social et sur la pauvreté
ANNEXE 3
juin 2005
CHAPITRE 1
L’objectif étant de compléter, corriger ou actualiser les connaissances15 et de tirer des pistes
de réflexion, nous mettrons l’accent sur les peuplements, les situations résidentielles et leurs
évolutions, et sur le rôle et les effets des actions des pouvoirs publics sur ces stratégies. Nous
conclurons en soulevant ensuite les questions cruciales à affronter pour optimiser le
programme VSB.
Un des traits qui caractérisent le mieux le peuplement actuel des 6 sites enquêtés, quel que
soient leurs spécificités est la diversification des types de population et surtout des raisons qui
les ont conduit à résider au bidonville. Nous avons identifié 7 « trajectoires » principales qui
se retrouvent à des degrés d’intensité divers selon les villes et sites, mais qui peuvent, en
partie, expliquer l’hétérogénéité de comportement éprouvée face aux interventions passées.
Fuir le loyer : C’est un des comportements les plus consistants, en termes d’argumentation
par les habitants et aussi les plus représentés en masse. Il consiste à quitter un logement le
plus généralement co-loué -1 à 2 pièces- dans une construction en dur dans un quartier
« légal » et acquérir un droit d’usage d’une parcelle ou une baraque déjà construite. Une des
raisons qui expliquent l’importance de cette « trajectoire » est que ce comportement est au
moins aussi ancien que le bidonville lui-même et que son importance actuelle reflète le
décalage croissant entre niveau de l’offre de logement et ressources. Ce comportement ne doit
pas nécessairement être vu comme négatif, ou comme l’expression de la plus grande
précarité, qui sera, elle, évoquée pour les trajectoires 3 et 6. Elle exprime plutôt un « choix »
de populations certes pauvres, à revenus généralement faibles, mais qui optent pour une
utilisation optimisée de leurs revenus réels 16
15
Cf. notamment Dansereau et Navez-Bouchanine, 2002 ; Navez-Bouchanine, 2002,b ; Arrif, 1991 ;
Benkirane, 1993
16
Ce comportement ne semble pas, dans notre échantillon, être plus représenté dans un des types de
localisation – centrale versus périphérique-. La date d’arrivée des habitants interrogés et le
renchérissement, avec le temps, des coûts dans les sites centraux mériteraient sans doute d’être
considérés comme facteurs influant sur cette localisation mais il aurait fallu une enquête quantitative
avec possibilités de stratifier l’échantillon sur ces critères pour pouvoir « prouver » quoi que ce soit
84
Programme « Villes sans bidonvilles » du Maroc – Rapport de l’analyse d’impact social et sur la pauvreté
d’origine ; elle est plus représentée, aujourd’hui, dans les « poches » d’exode les plus
périphériques mais elle explique, en leur temps, l’occupation des localisations intra-muros qui
n’étaient à l’époque, eux aussi, que des faubourgs. Cette trajectoire n’est pas non plus perçue
comme entièrement « négative » par ceux qui l’ont pratiquée puisque ce qui est recherché ici
est l’ancrage à la ville et le droit qu’il donne à un accès aux commodités, équipements et
marché de travail ou à ces opportunités de « débrouilles » que nous évoquions ci-dessus. On
notera un croisement fréquent de cette filière avec la première : des immigrants d’origine
rurale ont pu (ou peuvent encore) « entrer » en ville dans des quartiers en dur comme
locataires et ils craignent de perdre leur ancrage urbain ; leur déplacement vers un bidonville
constitue donc une protection de cet ancrage.
Etre rejeté de l’urbain formel : cette trajectoire se différencie nettement des deux
précédentes, même si au premier coup d’œil17, elles pourraient être confondues car il s’agit ici
de carrières sociales véritablement descendantes. On les retrouve tous sites confondus ; elles
concernent notamment des femmes veuves ou divorcées, mais de manière plus générale, des
ménages touchés par un événement malheureux qui a « cassé » leur trajectoire antérieure et
face auquel ils n’ont pas trouvé de parades ou de « rebonds ». C’est notamment le cas
d’accidents du travail, d’accidents de la circulation, ou encore de maladies … qui ont atteint
le porteur économique du ménage, le plus souvent un homme chef de ménage.
Etre déplacé par « les autorités » : l’enquête met en évidence la présence, dans chaque site,
d’au moins un petit groupe d’habitants (et plusieurs à Skuela et Nakhil – Casablanca-) qui a
été déplacé d’un autre endroit ; pour des raisons de transaction foncière, ou pour raison
d’apport d’aménagement ou d’infrastructure sur le terrain où ils étaient auparavant…. On
notera d’assez grandes variations dans les motifs de ces déplacements : de la ferme de
colonisation passée dans d’autres mains et dont le propriétaire réclame la jouissance, à la
nécessite de réaliser de grands équipements d’infrastructure à vocation urbaine,
métropolitaine ou régionale en passant par les justifications de type sécuritaire (terrains
dangereux) ou la récupération d’un terrain donné en concession provisoire. Les promesses
faites18 aux gens sont également très variables, mais ont en commun d’avoir généré des
attentes qui malgré leur non-réalisation non seulement continuent à entretenir des espoirs,
mais alimentent également la construction individuelle ou collective d’arguments légitimés
pour « négocier » avec les autorités.
Se mettre en position de bénéficier : on retrouve dans tous les sites l’évocation (le plus
souvent renvoyé à un tiers, assez rarement au locuteur !) de ménages venus exclusivement
dans le but de bénéficier de l’opération de résorption. L’indicateur est souvent la réputation
qu’ont tels ou tels habitants d’être propriétaires ou locataires ailleurs dans la ville, le baraque
n’étant occupée que ponctuellement ou « gardée » par un membre de la famille. Mais de là,
certains habitants dénoncent « les riches qui se cachent derrière les pauvres », à savoir des
ménages qui, habitant toujours là, pourraient voler de leurs propres ailes et restent pour
bénéficier. Selon les habitants, ce sont des pratiques réputées faciles à identifier, pour peu que
l’autorité fasse vraiment son travail. Nous estimons qu’hormis les cas patents (de propriété
extérieure), il est assez difficile d’établir une ligne de partage entre ceux qui se trouveraient
complètement dans cette seule trajectoire et ceux chez qui des motivations autres (filière 1 et
2 notamment) seraient renforcées, mais non déterminées par cette seule raison.
Trouver un loyer accessible : le bidonville offre apparemment des loyers qui apparaissent
comme les plus compétitifs du marché urbain, certaines rues de bidonvilles intra-urbains
pouvant même évoluer vers des « boites à loyer ». Les trajectoires de ce type reflètent une
précarité particulièrement forte et sont l’indicateur soit de très faibles ressources, soit d’une
17
C’est ce qui justifie l’approche qualitative, seule à même, dans un temps aussi court, de distinguer les
différences fondamentales entre ces trajectoires.
18
Dont on peut se demander s’il ne s’agit pas de simples arguments utilisés pour faire partir les gens
85
Programme « Villes sans bidonvilles » du Maroc – Rapport de l’analyse d’impact social et sur la pauvreté
Décohabiter : il s’agit de trajectoires qui ont conduit des jeunes couples à se séparer de la
famille parentale (après avoir tâté de la co-habitation, ou dès constitution du couple). La
faiblesse des moyens et le marché immobilier tendu ont conduit le ménage au constat du peu
d’alternatives possibles à leur demande. A Skuela (Casablanca) et à Guadaloupé (Larache), on
note que nombre de ces jeunes couples sont eux-mêmes enfants de ménages venant de
bidonvilles plus anciens et/ou plus centraux qui n’ont pas trouvé à décohabiter dans leur
bidonville d’origine ce qui illustre clairement l’idée selon laquelle les bidonvilles
appartiennent bien à un « marché » urbain structuré où même les différents bidonvilles se
situent sur une échelle de valeurs économiques très hiérarchisée. Enfin, cette trajectoire nous
renseigne aussi sur la force des modèles de référence en termes d’individuation et de
nucléarisation : elle nous éclaire donc sur le caractère lourd de ce qui sous-tend les
revendications d’éclatement des ménages lors des opérations sur les bidonvilles.
Cette typologie des trajectoires remet, d’une certaine manière, en cause une vision
monolithique du bidonville comme problème résidentiel. Il semble toutefois pertinent de
distinguer les situations de départ et les évolutions possibles et de ne pas s’en tenir à une
« coupe » dans le temps qui s’arrêterait à la primo-installation du ménage.
« Le bidonville est un problème » : Ceci s’avère incontestablement vrai pour les trajectoires
descendantes et pour les déplacements autoritaires d’endroits qui étaient occupés
«légitimement », du moins aux yeux de ceux qui y habitaient. Pour les autres trajectoires, il
apparaît, en tous cas au moment où le « choix » est posé, davantage comme une solution,
même si c’est un « pis-aller ».
« Le bidonville est une solution » Nous avons notamment montré la volonté de réduire le
poste « dépenses-logement » et l’optimisation des revenus. Mais il faut noter que cela peut
aller plus loin sur le plan qualitatif et toucher des questions d’habitabilité peu apparentes au
regard de l’observateur normatif : le « plus » en terme d’espace, l’absence de contraintes
quand on est « maître » chez soi et la diminution de la promiscuité dans le cas des multi-
locataires sont ainsi avancés comme des avantages auxquels il faut ajouter, dans certains cas,
la gratuité de l’eau. Par ailleurs, le bidonville, « abri » pour le ménage comme pour les
activités qui peuvent être déployées à partir de là est un facteur attractif pour les migrants
ruraux. Enfin, pour ceux qui, parmi ces derniers perçoivent leur venue en ville comme une
trajectoire ascendante et pour les citadins qui utilisent le bidonville comme un passage obligé
vers la propriété d’un logement, le bidonville peut apparaître comme un tremplin.
Le premier est de niveau collectif et il est lié à la densification par rapport aux premières
installations ; il est donc vécu et ressenti surtout par de habitants installés de longue date et
qui renvoient généralement à un espace dont la qualité était supérieure: densification de
l’habitat par morcellement, densification de l’espace public par empiètement sur les voiries.
S’y ajoutent les nuisances de divers ordres (saleté, poussière, manque d’équipements..) et les
effets négatifs de l’image du bidonvillois qui enferme les habitants dans une stigmatisation de
plus en plus lourde à porter. Le « coup final » à cette dernière est incontestablement la
généralisation invraisemblable qui a suivi les attentats de Mai 2003 (« tous terroristes » !) et
l’impact particulièrement négatif que ces derniers ont eu sur les liens entre la société dans son
ensemble et les bidonvillois comme catégorie.
86
Programme « Villes sans bidonvilles » du Maroc – Rapport de l’analyse d’impact social et sur la pauvreté
Le deuxième est lié à l’apparition des impasses aux stratégies résidentielles esquissées. Elle
concerne davantage les ménages à titre individuel et se traduit par l’impossibilité ressentie à la
longue d’échappe au destin bidonvillois chez ceux qui avaient espéré qu’ils trouveraient
ensuite les moyens d’améliorer, itinéraires que l’on retrouve en creux dans l’évocation de
quelque voisin chanceux, parti grâce à l’aide familiale, à un gain ou héritage exceptionnel ou
encore à une opportunité de vente juteuse de la baraque (par exemple, en morcelant cette
dernière) pour acquérir une parcelle dans le clandestin (Casablanca) ou même dans un
lotissement (Larache) ou logement collectif (Skuela) légaux…
Enfin, le troisième concerne les déplacés par l’autorité qui connaissent une impasse collective
aux améliorations promises : ce qu’on leur avait annoncé comme « provisoire » s’avère
durable et ils finissent par perdre espoir tant la densification du bidonville et la diversification
du peuplement a noyé leurs spécificités dans l’ensemble (particulièrement perceptible à
Skuela et à Khiam Laarab) : la plupart de ceux qui évoquent cette situation exprime des
formes un peu faibles de revendication, tant ils ont intériorisé le pari difficile que constitue,
aujourd’hui et avec l’écoulement du temps, cette revendication qui ne concernerait qu’une
partie des habitants dans un quartier plus important dont les autorités parlent aujourd’hui de
manière globale.
L’amélioration des logements : elle relève d’une démarche individuelle mais procède par
« essais et erreurs » (on tente des coups et si ça passe face aux autorités, on consolide) et par
imitation, donnant par là une dimension collective même si l’initiative de départ est purement
individuelle.
Les améliorations urbaines résultent plutôt de démarches collectives. Les travaux sur le
limitrophe sont généralement le fait d’arrangements interpersonnels qui procèdent eux aussi
par « essais et erreurs ». Ceux qui touchent davantage les espaces publics, l’équipement et les
services mêlent du travail de revendication et de lobbying, quêtent les opportunités (les
élections étant dans tous les sites le « moment majeur ») mais engagent aussi, le cas échéant,
des contributions financières des ménages.
Contrairement à une idée assez répandue et aux positions « légalistes » que celle-ci engendre
chez les acteurs publics actuels, les bidonvilles ne résultent pas que de mouvements
spontanés, d’invasions illégales ou de tractations entre privés19 qui auraient évolué avec le
temps. Les installations initiales semblent avoir eu une grande visibilité et ont joui au
minimum d’une tolérance publique, ou de la tolérance privée et monnayée d’agents publics.
Mais un rôle plus actif et plus déterminant apparaît dans plusieurs cas (les plus évidents étant
19
Location de terrains qui ont cessé avec le temps et la force du nombre. Les demandes de récupération
du foncier par le propriétaire, ayant abouti à une évacuation et à un déplacement sont notamment
évoquées pour Skuela. A Skuela, la première implantation était liée au travail, puisqu’il s’agissait
d’ouvriers agricoles travaillant dans une ferme coloniale. A Jnane El Bacha, les premiers occupants qui
se revendiquent de droits d’installation concédés sous l’autorité coloniale renvoient la responsabilité de
la bidonvillisation sur les autorités en raison de l’introduction ultérieure de ménages ne possédant pas
ce statut et placés là « en attente ». Ce renvoi de responsabilité a déjà été rencontré dans d’autres
études, cf Navez-Bouchanine, 2002a.
87
Programme « Villes sans bidonvilles » du Maroc – Rapport de l’analyse d’impact social et sur la pauvreté
La « visibilité » qu’a constituée leur « occupation » du point de vue des acteurs publics
apparaît donc comme une première évidence et elle semble assez constante dans le temps, du
«loyer » ou de la «prestation » patronale, à la tolérance monnayée ou aux « voix » en passant
par le déplacement autoritaire. Une volonté affichée de reprise en mains récente est évoquée
dans la quasi-totalité des sites, mais sa mise en œuvre semble variable. La perpétuation d’une
certaine incohérence des comportements et les messages contradictoires que portent, d’une
part, les annonces « d’assainissement » et de mise à la norme des situations et d’autre part, le
maintien de comportements privés de certains échelons de l’autorité locale ou des élus
conduisent à réduire la crédibilité accordée aux changements, même si aucune occupation
récente de nouveaux terrains n’est signalée
Enfin, il faut s’arrêter un moment sur la question des déplacements involontaires dits
« provisoires » menés pour libérer des terrains reconnus d’utilité publique –grands
équipements, passage de canalisation- ou pour libérer un bien privé revendiqué par son
propriétaire. Ces déplacements apparaissent comme une technique récurrente de gestion des
problèmes à très court terme, toujours en vigueur aujourd’hui, mais apparemment dans
l’ignorance de l’impact démesuré de ces enchaînements de petites décisions qui ont contribué
soit à la création (cas de Skuela) soit au renforcement ou à l’attraction (Kiam Laarab) de gros
noyaux aujourd’hui ingérables. En effet, le simple fait que l’autorité ait jeté son dévolu sur tel
ou tel lieu pour déplacer des ménages face auxquels elle s’est mise dans une position
d’obligation (puisqu’elle promet que ce sera provisoire) désigne le lieu comme relativement
protégé pour d’autres déplacements plus volontaires.
Cette dernière remarque nous conduit à regarder de plus près les impacts divers et variés des
promesses antérieures et des nombreux effets d’annonce qui encombrent les relations entre
acteurs publics et population. Ces « effets d’annonce » -attentes, comportements anticipatifs,
arguments et légitimations - sont perceptibles principalement à partir des discours nationaux
(royaux, ministériels) mais peuvent aussi découler de promesses locales (commune, élus,
autres acteurs locaux).
A cet égard, on notera que les récits sont non seulement convergents – intra-site et inter-site-
et répétitifs dans le temps. On en est même amené à se poser la question de la réalité des
promesses et annonces au moment où elles sont énoncées. En effet, deux hypothèses sur
l’enlisement de ces dernières peuvent être avancées : les promesses étaient réelles, mais elles
n’ont pu être mises en œuvre pour des raisons diverses ; l’autre hypothèse est que ces
promesses ont été utilisées dès l’origine comme une simple technique de déplacement pour
éviter la résistance ou les révoltes.
Dans les deux cas toutefois, les déplacements et le fait que les promesses ne se réalisent pas
ont un coût social et politique non négligeable qui vient s’ajouter aux conséquences déjà
relevées au paragraphe précédent et qui visaient essentiellement des questions de gestion
urbaine.
88
Programme « Villes sans bidonvilles » du Maroc – Rapport de l’analyse d’impact social et sur la pauvreté
Le déplacement provisoire semble en effet, du point de vue habitant, considéré avec une
certaine désinvolture par une grande partie des acteurs publics. Déplacer une baraque semble
une opération facile et légère en raison de la précarité des matériaux. Déplacer une activité
considérée comme informelle et illégale ne semble pas générer plus d’égards. Or, les récits
des habitants déplacés témoignent tous à la fois du coût économique engendré (destruction de
matériaux rendus non réutilisables dans le nouveau lieu d’implantation, laquelle génère des
dépenses de remplacement certes négligeables du point de vue des couches moyennes qui
prennent la décision de déplacement, mais lourdes pour les ménages concernés) et un coût
social non moins lourd (dissociation d’un milieu relativement solidaire, perte des échanges
avec l’environnement, perte d’urbanité, les déplacements éloignant toujours les concernés de
places plus centrales et plus urbanisées).
Mais l’analyse des habitants va plus loin : au-delà de l’absence de considération des impacts
matériels et sociaux, c’est une mise en cause du mépris dont ils se sentent l’objet, à travers ce
jeu de pions sur un échiquier urbain, qui est exprimée soit en recourant de manière
synthétique au terme hogra (mépris) beaucoup utilisé à Casablanca) soit en l’exprimant
davantage avec leurs propres mots et au détour de longues phrases. L’apparente montée en
puissance de ce terme –qui était tout à fait absent des interviews de bidonvillois jusqu’au
milieu des années 90- porte un poids et un message politiques qui nous paraissent urgents à
prendre en considération20.
Toutefois, les effets d’annonce et les promesses ont des effets multiples, positifs mais aussi
négatifs par rapport aux projets et politiques eux-mêmes sur les comportements résidentiels
qui méritent d’être explorés dans le cadre de la présente étude d’impact.
L’évasion sociale : les récits attestent bien, dans tous les sites, de certains départs de voisins
« solvables », puisqu’ils ont pu, par leurs propres moyens trouver à améliorer leurs conditions
de logement. Si la capitalisation d’un bien souvent acquis, construit ou amélioré par la vente
de biens divers (d’origine rurale –terres, bétail- ou autre –bijoux, tapis..) est un phénomène
constant, qui a donc peu à voir avec les effets d’annonce, on notera toutefois l’existence de
success stories réellement bâties sur l’anticipation : promesses et effets d’annonce font en
effet monter le marché des baraques et poussent même ceux qui disposent d’assise foncière
20
Dans nos propres travaux, nous ne voyons apparaître ce terme que dans les années 90 même si les
stigmates de la situation sont présents et exprimés dès nos premières enquêtes. Cf. aussi L.Zaki, à
paraître, Benkirane (1993) et Arrif (1991).
21
Il serait très intéressant de calculer au niveau national la probabilité de bénéficier réellement d’un
projet quand on entre en bidonville, le nombre de populations dans les paléo-bidonvilles depuis la
première moitié du 20è siècle relativise largement la vision en seuls termes de « profit ».
89
Programme « Villes sans bidonvilles » du Maroc – Rapport de l’analyse d’impact social et sur la pauvreté
plus large à morceler et vendre 2 voire 3 entités pour quitter le bidonville. On notera le même
effet de certaines opérations (qu’on peut qualifier d’écrémage) qui ne touchent pas la totalité
des ménages et, qui, procédant par sélection, attisent ce phénomène d’évasion. A Skuela, qui
en constitue sans doute un exemple caricatural, l’accès aux logements collectifs privés
proposés à la fin des années 90 comme solution partielle au problème du bidonville aurait
ainsi généré des cas de morcellement et vente pour payer l’accès au relogement.
L’attentisme et le gel des stratégies individuelles des «solvables » : Ce premier effet semble
en produire un autre, complètement à l’opposé22. En effet, d’autres ménages, dont l’enquête
nous fait apparaître qu’ils ne sont pas tout à fait démunis, réagissent par l’attentisme et ne
cherchent donc pas à quitter : ils choisissent de s’appuyer principalement sur les promesses.
Mais on notera quelques cas individuels où l’attentisme est généré par une sorte de crainte et
de conscience du risque à vendre sa baraque (prédations, non-paiement) dans un marché où
n’existe aucune « règle » protégeant la transaction23.
Dé-crédibilisation des instances opératoires : A un autre niveau, cet effet est largement à
prendre en compte, car les habitants ont tendance à attribuer l’absence de réalisation des
promesses à la corruption ou au clientélisme –que ceux-ci soient avérés ou non- ou encore à
l’incompétence de ceux qui sont chargés d’appliquer les politiques et les directives royales.
22
Sans que le type et le niveau de cette enquête ne permette de distinguer ce qui explique la différence,
dont nous faisons l’hypothèse qu’elle renvoie ici à des caractéristiques individuelles des ménages
23
Ceci rejoint un constat fait lors de l’évaluation faite en 2000 de ce qu’on appelle « les reliquats » : A
Salé, des habitants concernés par le déplacement à Hay Rahma ont préféré rester par crainte d’être
accusé de malhonnêteté en vendant leur baraque. Or, ils ne disposaient pas de la somme nécessaire
pour accéder et espéraient négocier un paiement étalé, mais ont été pris de court par la décision de les
rayer des listes d’attributaires. Ils regrettaient, au moment de l’évaluation, d’avoir été ce qui leur
semblait « correct » et déploraient la hâte avec laquelle les autorités avaient attribué leur lot à des non-
bidonvillois
24
On notera toutefois que la diffusion de légitimations identitaires locales semble en compétition
aujourd’hui avec la mise en avant de légitimations plus universelles comme le droit au logement ou la
valeur foncière « produite » par la combinaison de la longueur du temps d’occupation du terrain avec le
caractère précaire de l’installation( cf. Navez-Bouchanine, dir, 2004).
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Programme « Villes sans bidonvilles » du Maroc – Rapport de l’analyse d’impact social et sur la pauvreté
Bacha et à Skuela où des décalages de réalité apparaissent entre les focus groupes et les
interviews individuelles d’une part, et où d’autre part, les jeunes reproduisent des récits
collectifs qui ne correspondent pas nécessairement à l’itinéraire de leurs propres parents.
III. Conclusion
Nous ne prétendons pas ici couvrir l’entièreté du champ des questions que posent à l’acteur et
au décideur public les analyses qui précèdent, ni non plus fournir les réponses pratiques à ces
questions, celles-ci restant du domaine strict de la décision politique. Mais il nous semble que
certaines questions sont plus cruciales que d’autres. Si nous les évoquons ici, c’est aussi parce
que ces questions sont souvent plus latentes, plus sous-jacentes qu’explicites ou évidentes au
moment des décisions. Elles nous paraissent donc nécessaires à éclairer afin que tous les
enjeux soient bien présents et que les conséquences négatives de certaines décisions soient
intégrées, bien évaluées et arbitrées.
Faut-il continuer, au motif qu’on veut éviter les complications, à « reconnaître » tous les
habitants « recensés » au bidonville ? Faut-il au contraire distinguer et trier la légitimité
des occupations en établissant des règles a minima basées sur les normes reconnues par
les habitants?
Ces questions sont réellement au centre du débat car la désignation d’un espace sur lequel on
agit détermine, comme on l’a montré, certaines trajectoires qui alourdissent les projets. A
l’inverse, trier les ayant-droit et leur légitimité exige une rigueur exemplaire et une cohérence
totale entre annonces publiques et exécution à tous les échelons de l’action publique
concernés. Les recensements tels qu’ils ont été pratiqués jusque là et le traitement des
éventuels litiges y afférents25 continuent à semer le trouble plus qu’ils ne règlent les
problèmes. Toutefois, puisqu’il semble s’établir une sorte de consensus dans les focus
groupes sur les limites inadmissibles à la légitimité des ayant-droit (dont l’existence d’une
propriété en dehors du bidonville) on peut se demander s’il n’y a pas là une porte de sortie
pour mettre fin aux abus qui sont aussi ressentis comme des « inéquités » voire des
« magouilles » par les habitants ? Assurer à ces règles minima une large publicité et les
mettre en application de manière transparente pourraient dès lors engendrer de sérieux
changements pour les bidonvilles présents et à venir. On y reviendra plus loin, mais un
incident récent dans un projet pousse à se poser la question : une distribution et un tirage au
sort transparent –et avec mise en scène de cette transparence, dans un esprit de démonstration
de la nouvelle gestion de projets- a entraîné une réaction immédiate de la part d’un groupe de
femmes qui ont dénoncé le fait de l’attribution à des ex-bidonvillois qui avaient entre-temps
accédé à un logement à l’extérieur.
Ces premières questions renvoient à une deuxième série, tout aussi capitale : comment
assurer une gouvernance cohérente – dans le temps et à tous les échelons- qui pose elle-
même la question de la nécessité, très explicitement appelée par les voeux des habitants
interrogés, de mettre un terme à certaines pratiques des acteurs : le double discours, la
pratique des ruses, des promesses fallacieuses, de l’inégalité de traitement et de l’alternance
carotte/bâton dans le règlement des conflits. Il est évident que des transformations de ce type
demandent énormément de temps, sont soumises à beaucoup d’aleas et méritent que soient
étudiés les moyens d’établir un distinguo entre pratiques réellement déviantes et discours
stéréotypés des habitants, lesquels ne servent que comme exutoires au mal-être de ces
derniers. Il ne faut pas négliger non plus le fait qu’une partie des habitants a par contre tout
intérêt au maintien d’une certaine opacité de la gouvernance locale. Mais on perçoit d’ores et
25
Le cas récent des commissions de litige conduites à Douar Koura ne semble pas démontrer que, dans
le contexte actuel, on puisse très facilement atteindre un niveau de clarté, de transparence, d’équité ou
de communication suffisant pour mettre un terme à l’atmosphère un peu trouble qui entoure la
définition des ayant-droit.
91
Programme « Villes sans bidonvilles » du Maroc – Rapport de l’analyse d’impact social et sur la pauvreté
déjà sur le terrain que des signaux forts peuvent très vite introduire une dynamique de
changement. La tenue de réunions publiques (plutôt que des formes de négociation
individuelle ou encore transitant par des « représentants » à l’égard desquels une défiance
peut s’exprimer, notamment parce qu’ils ne représentent qu’un type d’itinéraire ou de type
d’ancrage au bidonville), la présence d’un acteur public tiers, comme l’ADS, qui n’aurait pas
d’objectifs propres autres que ceux générés par ce besoin de régulation, d’information, de
changement dans la gestion des projets, ou encore le changement, amorcé dans certains lieux,
du comportement des agents d’autorité… sont autant de signes d’ores et déjà repérés par les
habitants. Ils les constatent, mais sont encore sceptiques et méfiants quant à leur issue : ils
surveillent donc, voire même « guettent » les pratiques des uns et des autres, et sont
actuellement dans une phase attentiste à cet égard.
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Programme « Villes sans bidonvilles » du Maroc – Rapport de l’analyse d’impact social et sur la pauvreté
CHAPITRE 2
Malgré les travaux existant sur ces sujets, le bidonville marocain et le niveau économique de
ses habitants continuent à faire fantasmer les classes moyennes et les élites urbaines comme,
d’ailleurs, un certain nombre d’acteurs publics. Les perceptions d’une réelle pauvreté sont
ainsi constamment « couvertes » par des perceptions de leurs « richesses cachées » ou de leur
étonnant pouvoir de dissimulation. On notera de manière symptomatique que c’est désormais
souvent au pied du mur, à savoir devant l’impasse que constitue le non-paiement de sommes
importantes pour une opération précise, que des acteurs qui n’avaient jamais remis en cause la
question de la pauvreté, exhibent tout à coup ces représentations généralisantes, et suggèrent
du coup de faire pression sur les ménages pour leur faire « sortir » leurs billes. La résolution
du problème des bidonvilles passe, nous semble-t-il, non seulement par la reconnaissance
d’une hétérogénéité sociale que nous avons tenté de montrer au chapitre précédent, mais aussi
par la fin des hésitations entre des interprétations monolithiques contradictoires, où tantôt
l’hypothèse de pauvreté absolue domine et où tantôt c’est la thèse des « moyens cachés » de
cette population qui encombre le débat comme l’action. Il faut donc reconnaître la part de
pauvreté, à des degrés divers, sans occulter l’existence de « solvables » dont la précarité
dans la solvabilité ne doit pas être ignorée, explorer les pistes de « solvabilisation »
nouvelles suggérées par les gens eux-mêmes s’il en est, et enfin reconnaître la part
d’insolvabilité26. Ce sont les objectifs du présent chapitre.
C’est un lieu commun que de constater une tendance à la sous-déclaration des revenus dans
les enquêtes et nous ne ferons pas l’exception en disant que nous retirons l’impression, d’une
bonne partie des enquêtes, que les ménages ne déclarent pas nécessairement toutes leurs
ressources.
26
On notera que cette enquête, largement basée sur des focus groupes, n’a pas de prétention à atteindre
le niveau socio-économique individualisé –qui n’a pu être exploré que dans les quelques interviews
individuelles approfondies. Par contre, fondées sur les contradictions possibles des focus et des
compléments d’enquête, elle donne des moyens de croisement et de vérification de certains facteurs
d’analyse qui apportent du nouveau à cette question problématique.
27
Ce qui soit dit en passant conduirait plutôt à des sous-déclarations, puisque ce genre d’enquête ne
permet pas d’entrer en détail dans les frais engagés pour mener l’activité.
93
Programme « Villes sans bidonvilles » du Maroc – Rapport de l’analyse d’impact social et sur la pauvreté
Elles correspondent aux déclarations des épiciers, enquêtés ici comme personnes-ressource,
qui font à la fois état des niveaux d’achat comme de crédit auxquels recourent leurs clients et
de leur propre « solvabilité ». Dans le même ordre d’esprit, elles sont enfin compatibles avec
les déclarations des autres ménages qui s’estiment eux-mêmes moins défavorisés mais qui,
lorsqu’ils sont pourvus d’un revenu régulier, affichent au maximum un revenu nominal de
2500 dh, allocations familiales comprises quand elles sont versées, le revenu du ménage
pouvant monter à 4000 ou 5000 DH si plusieurs actifs y contribuent. Elles sont enfin rendues
plausibles par l’évocation des récits décrivant les variations saisonnières, les difficultés
rencontrées pour déployer l’activité (éloignement, faiblesse des flux locaux et coût des
transports pour les plus périphériques ; la densité des concurrents pour ceux qui ont des
localisations plus centrales) et les risques du métier pour tous les commerçants ambulants qui
se font régulièrement taxer ou confisquer les marchandises et/ou les moyens de travail
On peut d’ailleurs, sans risque de généralisation hâtive tant le propos est récurrent, en retenir
que la question de l’activité économique, de l’accès à l’emploi et des nombreux obstacles à la
génération de revenus apparaît partout au cœur du débat, à la limite de manière plus aigüe que
celle du logement, alors même que les enquêtes sont bien perçues comme une démarche liée
à l’habitat. Cet aspect des choses sera traité au chapitre V puisqu’il apparaît central dans les
demandes d’assistance et de soutien à l’accès au projet. On peut toutefois à ce niveau du texte
rendre compte de l’analyse des problèmes auxquels les habitants se sentent confrontés dans ce
domaine.
En ce qui concerne l’accès à un emploi salarié, deux problèmes majeurs sont évoqués dans
tous les sites et dans tous les focus groupes :
L’absence d’opportunités dans la ville en général, le stigmate particulier qui touche les
hommes, et en particulier les jeunes identifiés « bidonvillois » qui seraient victimes de
préjugés : paresse, indocilité, contestation sociale
A contrario, est avancé l’idée que seules les femmes et les jeunes filles trouvent du travail
salarié, principalement dans des usines de confection (Casablanca, Agadir) ou de
conditionnement de fruits ou légumes (Larache, Agadir) ou de poisson (Agadir). Les
arguments expliquant cette situation sont inverses des précédents, mais on notera que le
stigmate bidonvillois semble moins affecter les femmes. Notons aussi que les salaires
nominatifs déclarés sont faibles (limite minimale 700 dh/mois, en fait calcul sur un salaire
horaire ; maximale 2100dh/mois y compris les allocations familiales)
La « concurrence » trop forte, que d’autres décrivent plutôt en termes de trop grande
« densité » « on est devenus trop nombreux » est une phrase qui revient assez fréquemment
partout, culminant à Skuela. Pas assez de demande, donc, mais ceci renvoie aussi à des
éléments explicatifs plus profonds : une évolution sociologique de la demande, ou du rapport
offre/demande qui ne peut, pour des raisons de compétence ou de capital, engendrer
d’ajustements de l’offre. Ainsi une dame spécialisée en lessive au mouqf évoque l’apparition
généralisée de la machine à laver et la baisse consécutive de la journée de travail qui passe de
50 dh à 25 dh.28. Autre exemple significatif, un marché s’est ouvert qui s’est immédiatement
saturé tant l’offre s’est multipliée, celui de la carte de téléphonie. Un jeune homme en est
28
Qui correspond en fait à une descente de la demande, de la couche moyenne à aisée qui achète une
machine à laver, vers une strate sociale inférieure qui peut accéder à une journée de femme de ménage
mais à un prix moindre que la première.
94
Programme « Villes sans bidonvilles » du Maroc – Rapport de l’analyse d’impact social et sur la pauvreté
conscient et il sait même ce qu’il pourrait faire : aller prospecter dans des quartiers
périphériques. Obstacle majeur : l’achat d’un vélomoteur financièrement hors de portée.
Les variations –saisonnières ou autres- et l’absence de filet social : c’est donc de précarité et
d’incertitude liées aux activités elles-mêmes que nous parlent les habitants. Les gains peuvent
varier de 1 à 5 selon les saisons voire selon les jours, et dans l’entre-deux, aucun filet social
n’existe. Cette situation est accentuée par le déséquilibre dans la négociation entre l’offre et la
demande, les salaires journaliers des prestataires de service restant très bas29.
Enfin, un dernier obstacle spécifique concerne les commerces ambulants, dont l’activité est
sérieusement entravée par la répression officielle et la prédation officieuse dont ils font
l’objet. Les pertes de marchandise voire de matériel (charrettes à bras30, balance …) sont
fréquentes ; la surveillance des lieux publics l’est tout autant, réduisant la tranche horaire
d’exposition et la rendant aléatoire ; enfin, les taxations informelles abondent.
Faire ce constat ne dispense toutefois pas de relever que même ainsi, une certaine
hétérogénéité est perceptible et vivement ressentie par les habitants eux-mêmes. En effet,
même si on considère une tranche uniforme plafonnée à hauteur de 2000 dh. (soit à peine au-
dessus du SMIG), cela constitue une différence appréciable d’être marchand de menthe
produisant un gain maximal de 20 à 25 dh. les jours où tout va bien ou chauffeur ou gardien
dans une société avec un salaire déclaré à 1800 ou 2400 dh. Certains emplois offrent des
opportunités d’arrondir le « fixe » par des petits services rendus ou pourboires –chauffeur de
société, serveur, coiffeur, facteur…
29
50 dh journalier semble vraiment le maximum de ce que peut obtenir un aide- maçon ou une femme
de ménage à Larache et Agadir, avec des variations plus importantes à Casablanca (pointes à 100
dh/jour), sans doute due à des qualifications ou spécialisations différentes. Un peintre au mouqf peut,
en recourant au travail à la tâche, arriver assez facilement à un salaire journalier de 150 Dh., mais n’est
évidemment pas assuré de trouver de la demande pour tous les jours de la semaine !
30
Cf. M.P. Anglade, à paraître.
31
C’est une réelle question de société et elle dépasse de loin les seuls bidonvilles même si elle y
apparaît plus criante en raison de la pauvreté ambiante (cf. la revue Parades, Janvier 2004, pp. 24 à 27)
95
Programme « Villes sans bidonvilles » du Maroc – Rapport de l’analyse d’impact social et sur la pauvreté
ponctuelles ou aides familiales peuvent introduire des variations importantes dans des
ménages où les actifs principaux exercent la même activité dans les mêmes conditions.
On notera que la déclaration d’autres patrimoines est très variable. En ce qui concerne le
patrimoine rural, il semble souvent loin derrière, comme un lointain souvenir, à Casablanca
et à Larache32, et de manière générale chez tous les ménages « de deuxième génération »
(Skuela, Jnan Bacha) mais plus présent à Agadir. Encore faut-il souligner qu’il s’agit de
« petits patrimoines » comme un petit lopin de terre, un verger ou quelque têtes de bétail. En
ce qui concerne le patrimoine urbain, l’information ne s’obtient que par allusions ou
informations indirectes. Contrairement au patrimoine rural, qui sans être complètement
transparent, est dicible, on note une absence totale de déclaration directe en même temps que
l’émergence d’un jugement moral réprobateur à l’encontre des propriétaires de logements,
ceci expliquant sans doute cela.
Plus accentuée dans les bidonvilles intra-muros, que dans les périphériques –dont elle n’est
toutefois pas absente – cette hétérogénéité est reconnue, voire parfois « dénoncée » par les
habitants les plus pauvres qui estiment qu’elle leur est nuisible à double titre : d’abord en
brouillant leur « image de pauvres » auprès des autorités et ensuite parce que, lors de la mise
en œuvre des projets, les riches sont réputés « se cacher derrière les pauvres » pour bénéficier
(en particulier cas de Skuela), voire pour se mettre en avant pour négocier ce qui leur
conviendrait le plus à eux (cas évoqué à Nakhil et à Guadaloupé).
Certains focus groupes ou personnes-ressources tentent de chiffrer les « strates » perçues par
eux comme différenciant les habitants de leur bidonville. La répartition en trois tiers est la
plus fréquente. En croisant l’ensemble des détails donnés, et nos propres constats au cours de
cette enquête, cette répartition pourrait se décliner comme suit
- 1/3 est vraiment pauvre : a du mal à vivre, achète par petits bouts ses
consommations de base (« 1dh de sucre, 1 dh de thé, 1dh de bougie », comme nous le dit un
épicier), est incapable d’épargner ou capitaliser quoi que ce soit, et pourrait difficilement
payer plus de 100 à 200 dh de traite mensuelle pour un logement.
- 1/3 est « à l’étroit » : sans être défavorisés, ils s’en sortent de manière un peu
juste. Ils ont toutefois été capables dans le passé de mobiliser/emprunter des sommes allant de
10000 à 30000 dh pour acquérir leurs baraques ; ils seraient capables de payer de 300 à 1000
dh par mois pour une traite.
- 1/3 est plus à l’aise. « Riches » du point de vue des bidonvillois et à quelques
exceptions près, ils rentrent plutôt, en termes de comparaison avec la société dans son
ensemble, dans ce qu’on pourrait qualifier de tranches inférieures de la couche moyenne. Des
traites dépassant 1000 dh par mois ne leur paraîtrait pas insurmontables.
32
Où on peut le retrouver en creux lors de l’achat passé d’une baraque
96
Programme « Villes sans bidonvilles » du Maroc – Rapport de l’analyse d’impact social et sur la pauvreté
Cette estimation de bon sens rejoint assez, du moins en ce qui concerne les plus pauvres, les
estimations particulières qui peuvent être faites dans les bidonvilles où des actions sont
actuellement en cours, et où apparaît un pourcentage ouvert –de 15% à 30 % d’insolvables-
qui confirme bien les perceptions qu’en ont les habitants33.
Face aux arguments du reste de la société ou des acteurs publics dont ils sont aujourd’hui
conscients qu’ils les accusent de dissimuler leurs moyens, et, dans une moindre mesure, par
acrimonie contre ceux qui, parmi eux, s’en tirent mieux, une pressante demandes d’enquêtes
approfondies sur leurs conditions réelles est formulée tant dans les focus que dans les
enquêtes individuelles. Par ailleurs, les débats sur les revenus et la pauvreté font émerger
quelques critères issus en quelque sorte du vécu des habitants, qui concernent surtout la
pauvreté absolue:
- Ainsi, la plupart des femmes veuves et divorcées, ou les ménages dont les enfants en bas-âge
sont non scolarisés et/ou en quête de « débrouilles » sont considérés par les autres comme les
plus pauvres.
- Ne pas avoir de quoi acheter le mouton de l’Aid (entre 800 et 2000 dh selon les années et
selon la taille de l’animal) constituerait un autre critère de grande pauvreté reconnu par tous.
- Ne pas avoir apporté d’améliorations à l’habitat apparaît également un critère qui
différencie les plus pauvres des autres. Ce critère est toutefois à pondérer d’une part avec
l’époque où ont été apportées les améliorations et d’autre part, avec l’attitude des autorités et
le degré d’insécurité dans lequel ils ont vécu.
- Dans les bidonvilles où la durcification s’est généralisée (Jnane Bacha en étant le meilleur
exemple), la dominance de la tôle dans le logement est considérée comme un vrai signe de
pauvreté.
- L’absence de frigo34 ou de télé couleur dans les bidonvilles électrifiés est également
avancée pour démontrer sa propre pauvreté.
- Enfin, un dernier critère est également intéressant mais ne concerne que les femmes : ne pas
être à même de participer aux tontines par incertitude sur la possibilité d’assurer une
participation régulière est également vécu comme un signe de pauvreté.
Sans vouloir anticiper sur d’autres éléments dont disposeraient aujourd’hui les acteurs ou
institutions responsables des projets, ces critères pourraient être utilisé par les décideurs et de
manière plus générale par le MHU pour mieux cerner la partie la plus pauvre de la population,
celle qui n’aurait pas les moyens de participer financièrement à l’opération de résorption du
bidonville.
Ainsi, quête argumentée d’identification de la pauvreté par les autorités et énoncé des
critères qui permettraient de séparer ceux qui sont insolvables tissent une trame fortement
imbriquée qui se complète par une mise en cause de ceux qui « savent et ne font rien » :
autrement dit, et nommément citées, les autorités de proximité qui seraient parfaitement à
même de définir qui est pauvre, et qui ne l‘est pas, qui est un « honnête » bidonvillois et qui
est un infâme usurpateur. Mais l’intérêt personnel et les stratégies privées de ces derniers les
empêcheraient de jouer franc jeu. Ce type de discours, devenu assez familier dans les
bidonvilles au cours des dernières années, débouche dans les focus groupes sur une demande
pressante et répétée de régulation : sécurité, police, justice, fin de la corruption.
33
Pour le projet Guich Temara, le montage des dossiers de crédit montre que 15% n’ont pu remplir les
critères d’éligibilité ; ceci représente toutefois un pourcentage minimum, à compléter après retour des
dossiers acceptés, lequel produira immanquablement un supplément d’insolvables.
34
C’est un appareil électroménager désormais tenu (avec l’électricité, car le coût des frigos à gaz était
auparavant jugé trop élevé) pour indispensable dans les baraques en raison de la grande chaleur qui y
règne l’été (confort et économie des aliments).
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Programme « Villes sans bidonvilles » du Maroc – Rapport de l’analyse d’impact social et sur la pauvreté
En fait, les difficultés d’allocation des ressources sont récurrentes ; l’instabilité des rentrées
étant de plus un facteur très lourd en termes de démobilisation. Il faut ajouter la pression
généralisée à une consommation « comme les autres urbains» se répand comme modèle,
transitant entre autre par les moyens de communication –la télévision- et est relayée par la
pression interne qu’exerce la jeune génération, née en ville, et avide d’être assimilée aux
autres citadins.
La faiblesse de l’épargne « spontanée » est confirmée par l’existence de tontines chez les
femmes, où la capitalisation est limitée (le chiffre le plus souvent cité est 10 dh par semaine à
Skuela, mais par mois à Bakhchich). Notons toutefois que la plupart des tontines sont
constituées avec de stricts objectifs d’achat différé: petit électroménager, petit mobilier,
vêtements…
Dans certains focus groupes et interviews d’hommes adultes (Skuela, Jnane Bacha, Kiam
Laarab) des liens sont explicitement établis entre réalité/ conviction de réalisation d’un projet
et stimulation à une épargne spécifique. Encore faut-il préciser que ces hommes évoquent
bien une épargne- privation, qui consisterait donc à réduire des dépenses, pourtant jugées par
ailleurs difficilement compressibles. Mais un objectif logement proche, et dont ils seraient
sûrs de pouvoir bénéficier, semble à même de mobiliser la volonté d’épargne forcée. Quant
aux montants déclarés qui pourraient être ainsi épargnés, ils restent assez faibles : de 200 à
500 dh par mois pour la plupart, 1000, voire 1500 dh pour quelques cas.
Par ailleurs, quand on analyse la manière dont ils ont pu, par le passé, acquérir leurs baraques
ou le droit d’usage de la parcelle où édifier cette dernière, on note que lorsqu’ils ne pouvaient
mobiliser un bien vendable, presque tous ont recouru à des emprunts remboursés a
posteriori ou à des facilités de paiement lorsqu’il s’agissait d’un vendeur familier (ami ou
famille).
Le crédit continue à constituer un véritable spectre ou repoussoir et rares sont les personnes
interrogées qui envisagent sereinement la perspective de s’engager à en contracter un.
Confirmant des enquêtes passées, la présente met en évidence que le problème principal est la
peur de ne pas pouvoir rembourser, avec les conséquences analysées sous un angle double :
le risque de perte du logement acquis et les suites pénales.
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Programme « Villes sans bidonvilles » du Maroc – Rapport de l’analyse d’impact social et sur la pauvreté
La question religieuse du rejet de l’intérêt est assez peu évoquée35 ; celle du coût réel de
l’argent emprunté que le taux d’intérêt entraîne l’est bien davantage. Ceci ne laisse pas de
surprendre quand on sait à quels taux usuraires l’argent peut être prêté, en cas de coup dur, à
ces populations, entre autre par des commerçants. On peut à ce titre se demander s’il n’y a
pas là, face à des actions de l’Etat, une argumentation tendue vers une forme de négociation
d’un taux d’intérêt préférentiel.
Enfin, il est important de préciser que ce qui était (ou a dans le passé souvent été) compris
comme de « l’aide familiale » s’avère être assez généralement un « crédit » et qu’à ce titre, il
connaît un peu les mêmes limites « d’attribution » que le crédit extérieur, (à savoir, s’il est
connu dans votre famille que vous n’êtes pas capable de rembourser, le crédit n’a pas lieu)
mais par contre des conditions beaucoup plus flexibles de recouvrement : délais plus longs,
absence d’intérêt, voire remise de la dette ou d’une partie soit de manière négociée à
l’amiable, soit décidée de manière unilatérale par le débiteur au risque –apparemment
assumé- de provoquer un conflit intrafamilial. Cette situation semble loin d’être nouvelle
puisqu’elle a engendré des comportements « ajustés » de la part des membres prêteurs :
comme le disent plusieurs des personnes enquêtées : quelqu’un de ta famille qui pense que tu
ne pourras pas rembourser ne va pas te prêter autre chose que de toutes petites sommes
On note une apparition –qui reste assez timide- de connaissances du micro-crédit et quelques
rares cas d’usage, soit du fait direct d’une personne interrogée, soit d’une personne connue de
ceux ou celles qui sont interrogés. Le point maximal de cette connaissance est enregistré chez
les femmes à Douar Skuela, et c’est la fondation Zakoura qui est le seul organisme cité.
Cette double image est positive ; l’idée d’étendre ce micro-crédit au logement n’est jamais
suggérée par les enquêtés eux-mêmes mais à la question de savoir si ce serait intéressant
(posée en focus groupes et en approfondi), la majorité des personnes enquêtées y semble
favorable. Curieusement, et alors que les taux d’intérêt ont été largement critiqués pour leur
hauteur lorsqu’il s’agissait du crédit en général, très peu de personnes soulèvent la question de
la hauteur du taux, à l’exception de quelques hommes instruits.
Le FOGARIM est pratiquement inconnu, que ce soit comme nom ou sigle, ou que ce soit
comme nouvelles dispositions ou modalités. Il semble, suite à l’atelier MHU des 9 et 10 Mai,
qu’il n’y ait rien là que de très logique puisque des campagnes d’information massives n’ont
pas été lancées.
Notons toutefois que quelques personnes –des hommes, instruits- à Casablanca et Agadir en
ont entendu parler, essentiellement par les media. La compréhension exacte du mécanisme
n’apparaît que dans une seule interview approfondie (Khiam Larrab, Agadir). Les autres qui
35
Sans vouloir nous aventurer dans une « psychanalyse » du rapport à l’intérêt, cela ne signifie
nullement que la question religieuse ne puisse travailler ou informer de l’intérieur les positions des
habitants.
99
Programme « Villes sans bidonvilles » du Maroc – Rapport de l’analyse d’impact social et sur la pauvreté
en ont entendu parler ne connaissent pas les caractéristiques exactes et dans un cas (Nakhil),
on le confond avec le micro-crédit.
IV. Conclusion
Le cas cité à maintes reprises durant ces journées (et en passe de devenir emblématique
puisqu’il a fait l’objet d’un accompagnement social) est celui du déplacement du bidonville
de Oued Akreuch : près de 400 ménages ont déjà été déplacés sur ce site nouveau –et
certainement très prometteur à terme- sans qu’aucune réflexion ou action n’ait été engagée.
Les déplacés (à plus de 15 km du site initial) en sont donc réduits à bricoler leurs propres
solutions, jugées plus insatisfaisantes les unes que les autres, tout en sachant que le pire est à
venir puisque la modernisation et le déplacement de la décharge va encore aggraver la
situation de ceux dont les ressources sont entièrement ou partiellement dépendantes de ce site.
On est ainsi conduit à penser d’une part, que sans une accélération de la transversalité
effective entre secteurs en charge des questions sociales, d’emploi, de formation et d’habitat
et d’autre part, sans une inscription très en amont de la question du développement socio-
économique des sites d’intervention, la politique VSB n’atteindra au mieux que des objectifs
spatiaux, matériels, et que les problèmes relatifs à la pauvreté resteront inchangés.
100
Programme « Villes sans bidonvilles » du Maroc – Rapport de l’analyse d’impact social et sur la pauvreté
Enfin, du croisement des réponses à ces deux premières questions, en jaillit une, qui reste le
grand impensé de toutes ces opérations : que faire de l’insolvabilité réelle? Ce qui signifie
d’abord comment l’identifier avant de chercher à comment y répondre d’une manière plus
« sociale » que ne l’ont fait les politiques urbaines précédentes –lesquelles l’ont ignorée,
s’exposant aux glissements sociaux bien connus. Les tentatives d’identification se heurtent en
effet aux pratiques traditionnelles de gestion des opérations comme des quartiers, pratiques
bien connues qui renvoient aux remarques sur la « gouvernance » que nous avons déjà
formulées à la fin du chapitre 1. On reviendra plus loin aux suggestions qui émanent de la
population elle-même37 .
Vient ensuite la question du comment gérer cette insolvabilité dans un contexte où les
subventions sont uniformément réparties sur l’ensemble des produits, où la marge de
manœuvre semble très faible et où les contraintes de bonne gestion qui s’appliquent aux
opérateurs ne permettent pas nécessairement une synchronie entre projets et moyens des plus
pauvres. En tout état de cause, cette question doit être mise sur les agendas, et il ne semble
pas que ce soit là une étape si aisée à franchir que celle de faire admettre à l’ensemble des
acteurs publics l’idée théorique comme les conséquences pratiques qui en découlent qu’il
existe dans ces quartiers d’intervention une part de pauvreté incompressible, part
incompatible avec les projets actuellement imaginés, mais part qui reste de la responsabilité
publique. En même temps, cette question doit être traitée avec une grande prudence car la
mise en place de conditions plus favorables pour les plus défavorisés, risque d’avoir des effets
« tache d’huile » et d’attraction sur les populations solvables. La reconnaissance et la
légitimité du statut de « pauvre » dans l’action publique est donc au centre du débat mais
celui-ci ne nous paraît pas suffisamment avancé pour ouvrir à des recommandations et
propositions faciles. Nous reviendrons au chapitre 5 sur quelques suggestions émanant des
habitants qui pourraient servir d’hypothèses de départ à la recherche de solutions pratiques
adaptées.
37
Il faut rappeler ici que la préoccupation de reconnaître les vrais pauvres est très présente chez les
habitants eux-mêmes, qui se sentent suspectés, déniés dans leur pauvreté. Ceci a déjà été relevé dans
des travaux antérieurs (cf notamment Navez-Bouchanine, 2002a). On peut aussi évoquer l’inventivité
dont certains ont fait preuve par le passé pour revendiquer leur droit à de l’aide ; on évoquera en
particulier, la mobilisation, par une femme pauvre, d’autres femmes encore plus démunies qu’elle qui,
outrée de voir quels ménages du bidonville restructuré de Douar Doum (Rabat) avaient bénéficié des
aides alimentaires destinées aux plus défavorisés d’entre eux, est allée de maison en maison voir les
bénéficiaires. Frappant à la porte et se présentant avec ses compagnes d’infortune, elle leur tenait en
substance ce discours : si vous estimez que vous êtes plus pauvres que nous, gardez l’aide que vous
avez reçue; mais si vous êtes d’accord avec le fait que nous sommes plus pauvres que vous, alors
donnez-la nous ! Cette tactique qui fait penser aux méthodes d’Alinski et de Trapp à Chicago –mais
initiée ici sans aide d’animateur d’aucune sorte- doit faire réfléchir sur les ressources sociales internes
mobilisables.
101
Programme « Villes sans bidonvilles » du Maroc – Rapport de l’analyse d’impact social et sur la pauvreté
CHAPITRE 3
Par un curieux retournement des choses, beaucoup d’espoirs sont fondés aujourd’hui sur
l’organisation des habitants et leur capacité de porter des projets collectifs ou de s’approprier
des transformations initiées de l’extérieur. Il semble loin le temps où la moindre initiative
locale était combattue de même que les tentatives d’améliorer les conditions d’habitation ou
d’environnement. Toutefois, ce retournement n’est pas toujours accompagné d’une grande
compréhension des choses et les transformations attendues, parfois sans proportion avec ce
qui peut réellement être fait ; l’intention reste très « top-down » dans son inspiration et la
volonté du haut continue à vouloir modeler la pensée de l’action du bas. C’est une des raisons
essentielles qui a conduit à s’intéresser de manière plus détaillée à tous ces aspects liés à la
vie sociale et aux modes d’organisation collective.
De nombreux travaux ont montré l’importance dominante, dans les années 80 et 90, du
voisinage comme forme sociale opérante de micro-changement dans l’environnement
construit et, de manière corollaire, la faiblesse des formes associatives classiques sur de
mêmes objectifs ou à des échelles immédiatement supérieures38. Les aménagements
reposaient en large partie sur des arrangements interindividuels, le plus souvent à l’échelle du
derb ou de la rue. L’observation des pratiques liées à la propreté et notamment le rapport aux
ordures retrouvait aussi l’unité de voisinage comme échelle la plus significative de prise en
charge locale. On pouvait toutefois s’attendre dans ce domaine à des évolutions dues tant à la
diversification du peuplement –lequel peut impacter les relations de voisinage en les
distendant quelque peu- qu’à la montée du mouvement associatif.
A cet égard, la présente enquête montre que si tout change, beaucoup reste identique. Ainsi,
les relations interpersonnelles, les aménagements micro gérés par une initiative de voisins
et le souci/la contrainte de garder le limitrophe propre restent totalement à l’œuvre dans les
sites observés. On note la persistance d’une solidarité interne qui fait qu’un aménagement du
derb (rigole d’assainissement ou cimentage) repose sur une cotisation ou sur une participation
directe qui exclut d’emblée les veuves, les divorcées, les vieux ou les handicapés. Les mêmes
solidarités en cas de maladie ou de mort se répètent. Les mobilisations de fond pour construire
une simple salle de prière ou une mosquée continuent à s’appuyer préférentiellement sur des
« vieux » -au grand dam des jeunes qui soulignent pourtant leur participation active à
l’amélioration de l’espace mais expriment le déficit de confiance et d’image dont ils font
l’objet au sein même de leur quartier.
Toutefois, on note ici que cette persistance est sélective. Autrement dit, toutes les parties des
6 bidonvilles enquêtés ne suivent pas nécessairement le même modèle : cette persistance du
voisinage et des pratiques solidaires peut être très représentée dans une rue ou un « bloc » et
être absente de celui d’à côté (le phénomène atteint son sommet à Skuela). L’ancienneté de
cohabitation ou un sort commun (par exemple avoir été déplacés ensemble, ou avoir un
même « statut » d’occupation comme à Nakhil) peut renforcer ces liens mais ce n’est pas
exclusif puisque les bidonvilles plus récents, brassés dès l’origine (comme Guadaloupé par
exemple) font apparaître les mêmes schémas et les mêmes différenciations internes. Enfin, et
cet élément est capital pour la suite, nul besoin d’une même origine, régionale, culturelle ou
villageoise pour fonder ce voisinage : il s’instaure d’emblée dans le brassage urbain.
38
Cf. Ameur et alii, 1996 ; El Inani, 1994 ; Rihani, 1995 ; Navez-Bouchanine, 1991, 1992, 1994, 2000
102
Programme « Villes sans bidonvilles » du Maroc – Rapport de l’analyse d’impact social et sur la pauvreté
Ce qui caractérise ces actions de voisinage et/ou interpersonnelles, c’est d’abord qu’elles ne
sont jamais formalisées, qu’elles sont labiles et non exclusives d’autres arrangements
sociaux (par exemple, les retombées locales d’un recours à une forme d’organisation à une
échelle supérieure –association de quartier, ONG, groupe de pression religieux….) et
qu’enfin, si elles ont leurs figures tutélaires, elles n’ont ni véritables « chefs » si organisation
de pouvoir structurée.
Le voisinage a aussi sa « face noire ». Faire avec le voisin, c’est aussi faire avec la
promiscuité et la porosité des murs et des limites privées. Notons toutefois que la situation
doit toujours être analysée par rapport à ce qui était vécu auparavant ; ainsi les urbains venant
de la colocation ou les ruraux issus d’une fratrie abondante considèrent qu’ils ont gagné en
intimité et autonomie. Pour les autres, et notamment les plus anciennement implantés, les
mouvements de densification qui ont affecté tous les bidonvilles sans exception sont à cet
égard à peine compensés par une certaine durcification et cette promiscuité leur paraît
extrêmement contraignante : grande visibilité et contrôle social d’une part, mais d’autre part,
et apparemment de plus en plus39, une impossibilité de réguler les conflits.
Si les relations solidaires aux grandes occasions et si une certaine capacité de gérer
l’environnement proche est toujours active, produisant des traces visibles sur le terrain, le
contrôle social dans ce qu’il pouvait avoir de positif –instauration de « codes » de
comportements, régulation des conflits…- paraît en recul et, surtout, semble n’avoir été
remplacé par aucune forme plus élaborée, plus sociétale, de régulation, hormis celles qui
émanent de nouveaux pouvoirs religieux40.
39
Mais c’est le vécu des habitants, nous ne disposons d’aucune étude comparative qui permettrait de
trancher On ne dispose par exemple d’aucune statistique localisée permettant d’apprécier l’évolution
ou même la situation actuelle de la délinquance avérée. Une enquête récente menée par la cellule MOS
de Sidi Messaoudi, quartier réputé « repère de délinquants » enregistre environ 60 cas de délits ayant
valu peines d’emprisonnement pour un quartier comptant 400 ménages, soit moins de 2000 habitants.
40
Mais sur ce dernier point, notre enquête n’a pas pu réellement se pencher pour deux raisons : l’une
est le manque de temps et la nécessité qu’il y aurait à aborder ces questions avec beaucoup de
sensibilité et de finesse ; l’autre est la persistance de l’effet « 16 Mai 2003 » qui continue à peser tant
sur l’expression locale des affiliations et des divers déploiements matériels qui en découlent (ainsi, par
exemple, on nous dit que les bienfaiteurs religieux qui offraient des moutons à l’Aid n’osent plus se
manifester de peur d’être confondus avec les islamistes radicaux) que sur la simple « parole » à leur
sujet en situation d’enquête.
103
Programme « Villes sans bidonvilles » du Maroc – Rapport de l’analyse d’impact social et sur la pauvreté
Constats et limites
Face à une certaine capacité de mobilisation matérielle du voisinage, souple et efficace mais
irrégulière, on est confronté à une situation beaucoup moins claire s’agissant d’organisations
plus structurées et plus pérennes. Si les associations se sont multipliées sous divers impacts –
montée de la société civile, impact des ONG étrangères, jeux politiques en « sous-main »,
initiatives et impulsion des autorités locales …- et sont désormais présentes dans le paysage,
leur faiblesse et les avatars qui marquent leurs actions ou tentatives d’intermédiation avec les
pouvoirs publics sont patentes dans tous les sites, pour diverses raisons mais qui reviennent
toujours aux mêmes sources d’explication : problèmes internes de structuration et
manipulations externes.
Ainsi, si une certaine efficacité ponctuelle et à petite échelle existe pour des aménagements, si
une compétence avérée existe en matière de manifestation publique, de mise à profit
d’opportunités pour exercer un « lobby » pour obtenir des améliorations, voire de résistance
collective en cas de pression au déplacement41, on note peu d’organisation réellement
structurée et pérenne.
Au niveau interne, on doit avant tout souligner l’absence de compétences, voire de simple
intérêt pour une formalisation et une permanence d’action. Le conflit entre subsistance
quotidienne et disponibilité associative est dans la plupart des cas une des explications
majeures. S’y ajoute, presqu’au même niveau, une méfiance systématique entre habitants dès
que de l’argent ou des intérêts privés sont en en jeu à une échelle dépassant le voisinage.
Toutefois, il semble bien que ces attitudes ne soient pas seulement le reflet d’une résistance au
changement social : des expériences négatives, passées ou plus récentes, sont évoquées soit de
manière un peu timide (à Agadir, notamment à Khiam Laareb) soit de manière directe, en
focus groupe ou interview individuelle (Guadaloupé et Nakhil). Elles nourrissent fortement
les représentations et attentes des habitants à cet égard et paraissent fortement
démobilisatrices. Les déficiences dénoncés de manières les plus répétitives vont de la
confusion des intérêts privés de ceux qui s’engagent dans l’action collective à leur
incompétence de gestion de l’association (absence de communication à la base,
analphabétisme, prise de décision immature ou peu tactique et opposée aux intérêts
collectifs….) en passant par la malhonnêteté ou la collusion avec des forces extérieures au
quartier (politiques, autorités, groupes de pression religieux…).
Au niveau externe, les problèmes majeurs viendraient au mieux du fait que l’impulsion top-
down en faveur d’une organisation des habitants privilégie ses propres visées en ignorant ou
reléguant au second plan celles des habitants, voire en leur substituant leurs propres
objectifs (cas notamment des associations de quartier « créées » par l’autorité) mais au pire à
la manipulation pure et simple du regroupement ainsi opéré pour des objectifs de pouvoir
(partisan ou autre). C’est à Jnane Bacha qu’une personne-resource utilise la formule la plus
synthétique de cette manipulation « ils ont réduit notre association en « bouts de brochette ».
Autrement dit, les tiraillements et manipulations des « ils » (à savoir, les partis politiques, les
groupes de pression religieux et les autorités locales) ont divisé et réduit en miettes les
tentatives d’organisation des habitants dont la majorité aurait voulu rester « ciblée » sur les
seuls objectifs d’amélioration du quartier42. Enfin, les expériences passées de la confrontation
41
Nous retrouvons par exemple les mêmes « registres » culturels et symboliques de menace publique et
« sacrifice » de la vie de leurs enfants comme geste de résistance contre des tentatives d’éviction ou de
destruction à Guadaloupé et à Skuela
42
Ceci rejoint tout à fait les conclusions de deux enquêtes comparatives menées en 2000 et 2003 à
Tanger, (recasement du bidonville Haouma Nçara), où les habitants se réunissaient à la mosquée, lieu
considéré comme neutre et suppliaient les membres du comité de quartier de laisser l’association hors
104
Programme « Villes sans bidonvilles » du Maroc – Rapport de l’analyse d’impact social et sur la pauvreté
directe avec les autorités locales (allant jusqu’à un emprisonnement à Nakhil) ne sont pas de
nature à encourager ou inciter les habitants à se mobiliser et à tenter d’agir au niveau collectif.
Méfiance et peur des autorités dominent toujours le paysage même si on oppose les autorités
locales au gouvernement central et au roi, ces derniers étant toujours dotés d’un certain capital
de confiance.
On peut en retirer, comme conclusion, que l’«association de quartier » est le lieu de tous les
conflits de compétence et d’intérêt et que les acteurs publics devraient sans doute mieux
réfléchir aux conséquences de la création de« leurs » propres associations comme outil
d’intervention et d’encadrement de la population. Un des éléments à tenir en compte serait
notamment les changements d’attitude nécessaires par rapport à des habitants méfiants,
échaudés, sceptiques voire cyniques sur le bon usage des associations de quartier.
Toutes ces considérations concernent les habitants qui répondent de manière informée à la
question des associations. Car il faut bien souligner que des perceptions et des
compréhensions fort variables de ce qu’est ou de ce que pourrait être une association
coexistent dans tous les bidonvilles enquêtés. Les premières lectures que nous pouvions en
faire au vu des comptes-rendus détaillés d’enquête renvoyaient grossièrement à des
distinctions d’âge, de sexe et de niveau d’instruction. Toutefois, au-delà de ces distinctions
déjà rencontrées dans des enquêtes précédentes, deux « interprétations » paraissent assez
récurrentes et en même temps « nouvelles » par rapport aux connaissances acquises jusque là.
L’association comme milieu d’action « réservé » aux élites Cette autre représentation trouve
son point culminant dans un focus groupe femmes d’Agadir (Bakchiche) où l’analphabétisme
est avancé comme caractéristique commune aux femmes locales, laquelle rendrait ridicule
toute tentative de s’associer et où l’on renvoie l’enquêtrice aux femmes des quartiers aisés
pour cette « question »! Si nous pensons utile de souligner ce point, c’est qu’une telle
représentation se rencontre dans un quartier où les tontines de femme sont très développées :
elles ne sont donc pas regardées, par les femmes interrogées, comme une forme possible
d’association. Cette sous-estimation de formes de regroupement existantes ne concerne
toutefois pas que les femmes et leurs tontine : ainsi, les « résidus » de jemaa, ou les
association de parents d’élève sont pareillement rejetées du champ des « associations »
possibles. Cet écart entre pratiques et représentations nous paraît un des résultats les plus
significatifs de la présente enquête car elle pose une question cruciale sur laquelle nous
reviendrons, faut-il mieux prendre en compte les formes d’initiatives locales les plus
embryonnaires, les plus informelles plutôt que de continuer à faire descendre des formes top-
down à ancrage très hypothétique sur les terrains de l’action ?
de débats de politique partisane et d’aller régler ailleurs leurs différends et luttes de pouvoir. Ce qui,
bien sûr, n’a pu être atteint (Navez-Bouchanine, 2003, 2004).
105
Programme « Villes sans bidonvilles » du Maroc – Rapport de l’analyse d’impact social et sur la pauvreté
L’image dominante de cette institution locale et de ses représentants est globalement négative.
Une convergence d’une image, quasi « cliché » d’élus à uniques préoccupations électorales ou
enrichissement personnel et d’incompétence, impuissance et corruption de l’échelon
communal unit les 6 sites enquêtés de manière assez troublante.
Toutefois, au-delà de récits qui prouvent ou illustrent ces « images » ou clichés et qui
reposent incontestablement (vu la convergence des récits) sur des faits43, il nous semble
important de faire l’hypothèse que cette présence de proximité porte en fait de facto le
chapeau pour l’ensemble de ce qui ne s’est pas fait alors que dans bien de cas, ils ont été les
seuls à être présents et à apporter des réponses (certes critiquables, bricolées, et certainement
génératrices de profits personnels directs –monnayés- ou indirects –voix aux élections) sur le
front de l’amélioration quotidienne .
La présente enquête confirme les enquêtes précédentes et les résultats de la mission Dichter.
La méfiance, la peur et la rancœur contre les autorités locales est assez généralisée et ne
connaît que quelques exceptions liées soit à des personnalités clairement identifiées et sorties
du lot pour leur justice et leur honnêteté soit à l’expression d’un début de changement qui
serait donc plus lié à une évolution collective, globale, répondant à une transformation
sociopolitique peut-être envisageable aujourd’hui par les habitants. Mais dans les deux cas,
les exemples et expériences négatives semblent l’emporter sur les positives.
Il nous semble toutefois que le caractère arbitraire de certaines décisions et la corruption ainsi
que les pratiques clientélistes de certains agents sont des facteurs au moins aussi lourds, dans
la construction de cette image négative, que la « surveillance » et le contrôle dont certains –
plus jeunes, plus instruits, plus politiquement « conscientisés »- se plaignent par ailleurs. S’il
y a donc bien « peur », il nous semble que la méfiance et la rancœur sont plus lourdes,
aujourd’hui, dans la détermination des attitudes à l’égard des autorités que la simple « peur ».
En fait, la question mérite, ici aussi, d’être traitée avec toute l’ambiguïté qu’elle révèle sur le
terrain. Les autorités apparaissent en effet, bien plus que la commune, les vrais médiateurs du
rapport à la citoyenneté : ils sont en fait à la fois la clé et l’obstacle majeur à la
reconnaissance du « citoyen ». La question épineuse de la citoyenneté commence en effet à
la reconnaissance de l’existence urbaine et des papiers et elle n’est que de manière
secondaire liée aux élections et à la représentativité politique. Certains habitants sont ainsi des
43
Mais ceux-ci sont connus et décrits par ailleurs
44
Même si on peut s’interroger parfois sur le caractère peu « durable » de ces aménagements et le fait
que pour de mêmes énergie et coût , un peu plus de « pensé » et d’imagination et un peu moins de hâte
électorale auraient probablement fait mieux ! On pense en particulier au cas de Nakhil où les résidus
d’assainissement et les ordures ont juste été « déplacées » n’améliorant que de manière très partielle les
conditions environnementales et sanitaires de la population.
106
Programme « Villes sans bidonvilles » du Maroc – Rapport de l’analyse d’impact social et sur la pauvreté
« sans –papiers » dans la mesure où les certificats de résidence et les cartes nationales ne
peuvent être obtenues que si la résidence dans le bidonville est « reconnue » ce qui pose
problème dans les ajouts récents, lors de changements de propriété de baraque étant
intervenus après des recensements officiels (tous les sites), et de manière plus spécifique dans
les bidonvilles datant des années 90.
La méfiance est par ailleurs expliquée par l’instabilité de décisions prises à leur égard soit
dans le temps, soit comme émanation de niveaux ou secteurs de décision différentes. La
demande d’un règlement institutionnel confié au technique du problème du bidonville paraît
en ce sens une expression du souhait de le voir « désimbriqué » certes des questions
électorales mais aussi et surtout des rapports avec l’autorité. On voit toutefois dans les
quelques expériences récentes d’introduction de la MOS comment, en même temps, les
populations ont constamment besoin d’être rassurées par les autorités et comment elles
n’hésitent pas, non plus, à provoquer des rapports de force avec ces « techniciens » pour
obliger l’autorité à se positionner. On nage donc en pleine ambivalence comme nous le
soulignions au départ.
Toutefois, il faut peut-être revenir sur cet autre motif de rancoeur fréquemment dénoncé qui
pourrait permettre de mieux comprendre cette ambivalence. On note en effet une
dénonciation rageuse mais apparemment impuissante du « double jeu » de certains acteurs
publics. Ils devraient, selon les locuteurs, être poursuivis en justice ou administrativement
punis pour avoir orchestré ou monnayé eux-mêmes les installations, morcellements, ou
empiètements etc. par des habitants que ces mêmes autorités désignent publiquement comme
usurpateurs, fraudeurs ou profiteurs…. Dans cette complexité de jeux où tout le monde, à un
moment, à eu quelque chose à gagner en corrompant, on comprend que les arrangements
puissent continuer à constituer, comme cela a été brillamment démontré sous d’autres cieux,
une des solutions les plus faciles et les plus rapides de réguler la rareté…
Le seul élément de nature à casser ce cercle vicieux paraît dans la capacité des individus de
discerner et dissocier des destins individuels porteurs de nouveaux comportements. A cet
égard, les autorités gagnent plus en image positive que les élus et trois changements relevés
chez des personnes appartenant à ces structures (et concernent dans l’enquête tantôt un
gouverneur –Nakhil- tantôt un caid ou un moqqadem (Skuela, Khiam Laareb). Cette image
positive est construite autour de 3 changements perçus comme « réels » chez certains
représentants des autorités mais encore « attendues » chez les autres :
45
A cet égard, on peut s’interroger sur le zèle (maîtriser l’extension des bidonvilles comme on le leur
demande en haut lieu) ou la mauvaise foi (argument pour générer des rentrées privées) des échelons
les plus bas de l’autorité puisque dans deux « récits » l’intervention d’un gouverneur, et d’un caïd ont
fait apparaître l’évidence ou la légitimité de cette demande de « papier » et de reconnaissance de
citoyenneté.
107
Programme « Villes sans bidonvilles » du Maroc – Rapport de l’analyse d’impact social et sur la pauvreté
IV. Conclusion
L’une est le changement dans les représentations que la majorité des acteurs publics se fait
du travail avec les associations ; celles-ci sont de simples outils ou medias au service des
seuls objectifs envisagés par ces acteurs. Rarement explicitées comme telles, et donc sous-
tendant ces mentalités sans être débattues, ces représentations sont largement perceptibles
dans les discours, dans les échanges avec le milieu associatif et dans les demandes qui lui sont
formulées. Il y a donc là un travail de sensibilisation des acteurs publics qu’un renforcement
des capacités des réseaux et lobbys associatifs actifs pourrait accélérer mais qui nécessite
aussi un vrai travail de lobbying au niveau des Ministères et notamment du Ministère de
l’Intérieur.
L’autre est la formation des cadres associatifs. A cet égard, il faut bien souligner que la
première condition ci-dessus évoquée est très présente dans les offres de formation de la
plupart des programmes, y compris chez des acteurs publics pourtant très sensibles au risque
d’instrumentalisation comme l’ADS par exemple. La conformation des associations pour
qu’elles puissent rentrer dans les cadres d’action pré-fixées par les acteurs publics reste
l’horizon le plus commun. Une aide directe à la formation des associations et réseaux,
indépendamment de leur inscription dans des projets d’accompagnement social pré-formatés
apparaît comme une nécessité. Des réseaux d’associations casablancaises ont déjà entamés
des démarches dans ce sens ; le Forum des alternatives Sud travaille à la création d’un institut
de formation …autant d’initiatives que VSB devraient soutenir sans chercher d’emblée à les
instrumentaliser.
108
Programme « Villes sans bidonvilles » du Maroc – Rapport de l’analyse d’impact social et sur la pauvreté
Etablir les règles de fonctionnement d’une gouvernance cohérente avec des règles a
minima reconnaissables comme telles par les habitants : on voit bien émerger des jugements
critiques convergents (sur les « faux pauvres », en particulier, mais aussi sur le détournement
privé de positons publiques, ceci intégrant les responsables d’associations) ainsi que des
critères légitimés par les habitants (notamment sur les ayant-droit), de même, enfin, que des
revendications rationnelles et raisonnables sur des « droits » dont ils seraient privés en tant
que citoyen, en tant que « marocain », voire en tant qu’homme. Le meilleur exemple est celui
des activités ambulantes et de la revendication de droits économiques dont elle est porteuse. A
terme, ces quelques règles a minima engendrent des dynamiques, comme dans des exemples
que nous citions plus haut (cf. notamment les effets de la transparence et de sa mise en scène
qui génèrent des comportements de demande d’ajustement pour peu qu’il y ait un « tiers » en
face des autorités concernées. La mise en place de contrepoids, de tiers investis au moins
d’une fonction d’observation et de transmission peuvent suffire à changer, au niveau micro,
les manières de conduire le jeu…Bien sûr, ces dispositifs sont à double tranchant : en effet,ils
peuvent générer aussi des dysfonctionnements dès lors qu’il n’y a pas, à un échelon
quelconque de l’autorité un maillon acquis à cet esprit de réforme. De plus, le comportement
des élus est plus difficile à réguler dans la mesure où leurs intérêts, légitimités et objectifs ne
sont pas nécessairement négociables avec ces figures du « tiers » décrites ci-dessus.
Il nous semble enfin qu’il existe aujourd’hui des moyens de dépasser les situations actuelles
encore dominées par une gestion par la seule ruse, par l’alternance carotte/bâton et dans un
contexte décisionnel qui reste pour longtemps46 -sectorialisé, fragmenté et, qui plus est,
variable dans le temps. On voit bien que même les meilleures intentions sont « gangrénées »
par la corruption et le clientélisme, puisque dans le discours populaire, les moindres
anicroches, problèmes, revendications non abouties sont irrémédiablement renvoyées à ces
dernières même quand elles n’y sont pour rien….
Dans cette perspective, il nous semble que le programme VSB a tout intérêt à rechercher des
effets de synergie avec les programmes d’amélioration de la gouvernance urbaine et de ce
qu’ils vont générer comme actions de formation, animation, débats….au niveau local. Il
faudrait donc accepter, dans une stratégie d’amélioration progressive, une certaine inégalité
de traitement des innombrables sites inscrits au programme et privilégier une concentration
d’efforts dans des cas où la jonction peut être faite entre des projets VSB relativement
« ouverts » et la mise en place locale de programmes d’amélioration de la gouvernance locale
et d’empowerment de la société civile organisée.
46
Même si on peut saluer les efforts de transversalité actifs notamment dans les programmes du
Ministère du Développement Social, avec les PDST (Programmes de Développement Social
Territorial). On notera aussi l’impact du tout dernier discours royal dans ce même sens (INDH).
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Programme « Villes sans bidonvilles » du Maroc – Rapport de l’analyse d’impact social et sur la pauvreté
CHAPITRE 4
Ce chapitre avait pour objectif de voir comment les attentes des habitants face aux projets de
résorption des bidonvilles, en général, et du leur, en particulier, pouvaient avoir évolué face
au programme Villes sans bidonvilles. Il nous semblait donc nécessiter une entrée en matière
par le rapport aux projets, passés ou présents, dont les perceptions, représentations,
évaluations…tissent la toile de réception des nouvelles initiatives.
C’est le constat le plus remarquable de cette enquête47 : il est impossible, à partir des
informations données par les habitants sur les projets qui les concernent, d’esquisser de
manière claire le contenu exact de ces derniers. L’image chaotique renvoyée est à peine
croyable, du point de vue de Sirius qui est le nôtre, puisque dans les sites où des options ont
été prises, voire un projet définitif arrêté ou relativement avancé en termes de réalisation (par
exemple, Guadaloupé et Nakhil), l’information que nous pouvons en retirer auprès des
instances en charge du projet est relativement claire et les grandes décisions semblent
définitivement fixées. Or, sur le terrain, à quelques rares exceptions individuelles, ce qui
domine c’est la confusion, l’amalgame entre des projets différents, la variabilité extrême dans
les compréhensions exprimées par les différentes personnes interrogées quand les gens ne
nous répondent que par la négative dans le style: on en a une vague idée, mais on n’en sait pas
plus, et notamment un flou sur des éléments concrets ayant trait à l’accessibilité de la chose.
L’information semble donc faire défaut à tous les niveaux : caractéristiques formelles et
spatiales du projet, coût, modalités d’accès, délais, obligations des bidonvillois et même la
liste des ayant-droit.
En lieu et place, on observe une information caractérisée d’abord par son caractère
fragmentaire et par les contradictions qui émergent entre représentations des différents
locuteurs, soit en interview soit même dans le focus. A cet égard le focus groupe homme de
Guadaloupé reste un modèle du genre car il fait apparaître des compréhensions parfois
opposées et fournit, en même temps, une des clés de cette information problématique :
l’association de quartier censée faire l’intermédiation entre les autorités et la population ne
semble en effet pas consciente de ce qu’impliquerait une réelle mission d’information. Mais
ceci rejoint bien des analyses précédentes où il apparaissait que techniciens comme autorités
s’accordaient à penser qu’une simple émission de messages (par crieur public jusqu’aux
années 90, par réunions publiques ou envoi d’émissaires - techniques ou autres- dans les
bidonvilles mêmes après) était amplement suffisante pour obtenir une population informée.
La deuxième caractéristique de cette information telle qu’elle ressort des enquêtes est
qu’elle est très passive. Rares sont les habitants qui utilisent des formules actives de rapport à
l’information montrant qu’ils se sont déplacés, ont contacté, sont allés s’informer :
l’information est donc comme une denrée qui lorsqu’elle vient, tombe en pluie fine sur le
bidonville, à moins qu’elle ne soit acheminée par des canaux plus personnalisés (un ouvrier à
la municipalité, quelqu’un qui connaît quelqu’un de bien renseigné etc…). L’ouï-dire est plus
47
Dont les interviews ont été menées par des sociologues non liées en aucune façon au Ministère de
l’Habitat et pour qui c’était la première enquête, non sur le bidonville, mais sur les opérations
d’habitat : elles n’ont donc pas pu, en cours d’enquête, informer ou influer en aucune façon sur le
niveau de connaissance des projets par les habitants, chose qui arrive fréquemment lorsque ce sont des
« spécialistes » qui interviennent. Le résultat est saisissant, par la mise en lumière très brute qu’il donne
sur les carences d’informations du milieu.
110
Programme « Villes sans bidonvilles » du Maroc – Rapport de l’analyse d’impact social et sur la pauvreté
important que toute autre formulation. Il n’y a apparemment pas de lieu où le tout-venant
saurait qu’il puisse s’informer dans des conditions d’accueil facile.
Il faut ajouter que la confusion résulte aussi des fluctuations dans les intentions de projet et
de l’usure du temps qui peuvent maintenir, au même moment, des informations qui ne sont
plus synchrones. Tous les sites concernés, sans aucune exception ont en effet connu des
intentions, esquisses et libellés de projet multiples, abandonnés ou maintenus, partiellement
ou totalement, bien difficiles à suivre lorsqu’on n’est pas au cœur des processus. La
circulation de messages contradictoires résulte donc en partie de cette « histoire ».
Toutefois, les carences d’information, les informations erronées ou les rumeurs peuvent aussi
résulter d’intentions délibérées, fait clairement dénoncé par certains enquêtés. On sait, par
ailleurs, que la rétention d’informations est une doctrine d’action chez certains acteurs
publics persuadés que le succès de l’intervention viendra de la surprise et que moins on en dit,
mieux on évite les spéculations.
Mais elles doivent également retenir notre attention pour d’autres raisons :
La première est le décalage qui peut exister entre l’abstraction du projet et le niveau
d’instruction des habitants. L’analphabétisme est très important et on imagine bien les
difficultés de compréhension d’informations parfois très abstraites qui caractérisent le
discours administratif ou technique.
La seconde est le niveau d’incertitude et d’appréhension sur leur avenir dans lequel ces
populations « baignent » : dans tous les sites, il y a eu, à un moment ou un autre, des
menaces d’éviction sans garantie de solution définitive. Les peurs des habitants sont donc
étroitement corrélées avec l’information dont ils disposent ou ne disposent pas : la
convergence de ces « peurs » est très grande et mérite donc qu’on s’y attarde.
Contrairement au FOGARIM (cf. chap 2) et à la MOS (cf. chap.5), le programme Villes sans
bidonvilles a fait l’objet d’une grande diffusion et semble susciter un très grand intérêt de la
part des habitants. C’est une initiative attribuée au Roi Mohamed VI et les habitants disent en
avoir pris connaissance par les medias : télévision, radio, journaux. Nombreux sont ceux qui
expliquent la mise en place de ce programme comme une réponse aux événements du 16 Mai
2003. C’est notamment le cas à Casablanca : les autorités auraient compris que le problème
religieux est en fait un problème social d’où l’idée de combattre la pauvreté dont l’habitat
constitue une des dimensions48.
48
Pour être objectif, il faut rappeler que ceci est le versant positif de la question car pour nombre
d’habitants l’évocation la plus fréquente des attentats du 16 Mai est rattachée à la stigmatisation dont
ils font l’objet depuis lors, puisque le stigmate « terroriste » est venu se surajouter aux autres stigmates
plus habituels (criminalité, prostitution, drogues, saleté etc.)
111
Programme « Villes sans bidonvilles » du Maroc – Rapport de l’analyse d’impact social et sur la pauvreté
Les niveaux de compréhension de ce nouveau programme sont par contre très hétérogènes.
Cela va de la simple question d’horizon de réalisation du programme (les uns ont entendu
2007, d’autres 2008 ou 2010, on enregistre même un 2015 !) à la traduction concrète en types
de programmes et conditions d’accès (il y la version « on aura tous des lots », celle de la
construction généralisée d’immeubles, d’autres enfin disent qu’ils ne savent pas). Mais ce qui
est certain, c’est que l’Etat providence revient en force, même si des versions « corrigées » de
l’effet providentiel abondent. Ainsi, la notion de gratuité est presque absente, elle n’est
mobilisée que pour souligner le cas particulier des plus pauvres. Par contre, cette nouvelle
image de l’Etat fait une part importante à des concepts providentiels nouveaux : celui de
« coût symbolique », celui de flexibilité et de bienveillance face aux problèmes de
remboursement ou encore l’idée de la nécessité de mettre en place un étalement extrême dans
le temps des remboursements qui rendraient ces derniers totalement accessibles à tous. On
rejoint donc ici l’idée de « traite », une forme de location-vente, jugée à même de solvabiliser
sinon la totalité, au moins une plus large majorité.
Quant aux chances de réalisation de ce programme, on peut dire que la plupart des enquêtés
restent un peu sceptiques : en effet, passé le moment de restitution de ce qu’ils en ont
compris, moment plutôt teinté d’espoir, voire d’euphorie chez certains, la question concrète
de l’horizon et des conditions de mise en œuvre ramène en quelque sorte « sur terre ».
C’est d’abord l’horizon temporel (réel ou compris) avancé pour la disparition des bidonvilles
qui déclenche une évaluation négative : les horizons les plus couramment entendus (au
maximum 2010) ne sont pas jugés très réalistes. C’est ensuite la nécessité –et en même temps,
les obstacles qui s’y opposent- de changement dans la conduite des projets qui soulève
beaucoup de doutes. En fait, les habitants en appellent à des changements dans les modalités
opératoires, institutionnelles et politiques de la gestion urbaine en général et de la question
des projets en bidonvilles en particulier. Nous reviendrons plus en détail au chapitre 5 sur les
détails de ces changements attendus, nous contentant ici de souligner à quel point une grande
partie des habitants lient la réussite de VSB à des évolutions qui rejoignent finalement assez
bien les analyses d’une partie des acteurs publics49. C’est enfin aux effets non-intentionnels de
ce programme qu’une partie des bidonvillois –les moins vulnérables, les plus instruits-
réfléchit déjà en s’inquiétant notamment du renforcement de l’effet attractif du bidonville sur
des couches sociales plus élevées, attirées par la promesse d’accès à la propriété. Ce risque
apparaît d’autant fort que la croyance en une modification importante dans la gestion urbaine
est relative.
Enfin, il est une dernière perception explicite qui mérite notre attention. Dans tous les sites, il
se trouve au moins deux ou trois personnes enquêtées qui attirent l’attention sur le retour de
l’espoir que leur a donné la médiatisation autour de ce programme. Le premier espoir
exprimé est celui d’une amélioration plausible de leurs conditions matérielles d’existence et
ils concernent surtout ceux qui jugent négativement leur habitat et leur environnement
actuel50.. Mais de manière plus généralisée, ce sont des niveaux moins matériels et donc plus
symboliques que VSB semble avoir touché (avec chez la plupart, la mise en avant que ce
n’est qu’un espoir, et qu’il sera peut-être aussi décevant que les précédents) : c’est alors d’une
part, la reconnaissance citoyenne et la sécurité qu’elle leur donne en tant que membre à part
entière de la communauté des urbains (voire des humains suggèrent certains) ; c’est d’autre
part l’espoir de dé- stigmatisation par rapport au reste de la société, le maintien dans ce genre
de quartiers empêchant ce processus. Une femme (Skuela) nous dit même, en semblant
d’ailleurs regretter qu’il faille en passer par là, que « tant qu’on ne vivra pas dans les mêmes
49
On pense ici notamment, mais pas exclusivement, aux analyses et orientations de la Direction de
l’Habitat Social, cf. les différents documents cités en référence.
50
Il est nécessaire ici de rappeler que d’autres en appellent au non-projet ou à la simple régularisation
sur place et que cela va, chez certains, jusqu’à l’expression de la peur d’avoir moins bien que ce qu’ils
ont.
112
Programme « Villes sans bidonvilles » du Maroc – Rapport de l’analyse d’impact social et sur la pauvreté
logements qu’eux, ils nous déconsidéreront ». Cette dernière note ne manque pas d’interroger
les sciences sociales : sommes-nous en présence d’une adhésion réelle à l’idée, ou d’une
obligation ressentie de se conformer aux canons d’une société urbaine qui refuse le droit à la
différence ?
Il ne faut donc pas s’étonner de la liste impressionnante des conditions de réussite avancées
comme indispensables pour que les choses changent. A bien des égards, nous aurons
l’impression qu’au-delà de la situation d’enquête, les habitants sont déjà entrés dans un
processus de négociation. On notera que l’essentiel des changements concerne l’extérieur :
c’est à l’Etat, aux opérateurs, aux bailleurs, aux autorités …de « changer ». En mode mineur,
toutefois, émerge une conscience d’une responsabilité des habitants qui se décline sur
plusieurs registres.
Côté Etat, il y a, sur tous les sites, une demande claire de changement des comportements des
acteurs de proximité : autorités locales et élus sont renvoyés dos à dos tantôt pour leur
incompétence et leur absence de gestion claire, tantôt pour leur pouvoir de nuisance (capacité
à semer la discorde et/ou manipulation du « double discours »). Il y a d’autre part, une
demande impérieuse de comprendre et d’adapter les projets et leurs modalités d’accès
financier aux conditions réelles de la population. Une mention toute particulière est faite aux
aspects économiques et à la crise de l’emploi à laquelle ils se trouvent plus exposés que
d’autres. L’un des jeunes d’Agadir nous met même en garde : « attention, à vouloir trop faire
la ville sans bidonvilles en ne vous souciant pas de l’activité économique, vous allez en fait
créer des bidonvilles sans villes…. ». Derrière ces différentes demandes, teintées de
« réalisme » chez certains, se glissent toutes les demandes quelque peu idéales d’autres qui
conditionnent, du coup, la réussite du projet à une liste de pré-requis impressionnante51. Mais
on note toutefois la faiblesse de suggestions alternatives et l’empreinte profonde du modèle de
« recasement » sur des lots individuels à construire dans des zones déjà urbanisées, modèle
défendu pour sa viabilité sociale et économique.
On notera enfin une dichotomie, qui peut paraître un peu excessive à l’observateur extérieur,
entre les mentalités, comportements et « nocivité » basique des échelons et pouvoirs locaux et
le crédit très large, assorti d’espoirs de changement notables, accordé aux échelons centraux
et aux techniciens, en particulier au Ministère de l’Habitat. Cette dichotomie pose question
car on la retrouve même dans des sites où ce sont ces derniers qui gèrent des projets,
imminents ou déjà en réalisation, lesquels sont eux-mêmes critiqués (Guadaloupé et Nakhil en
étant les deux exemples les plus clairs). A ce point, il nous est difficile de dire si la prégnance
de la gestion « locale » domine la figure du projet, ou si une partie significative des habitants
ignore qu’ils ont affaire à tel ou tel opérateur, ou encore si « l’encensement » des niveaux
centraux n’a pour objectif que la disqualification des locaux, ceci justifiant alors cela.
Côté population, sont d’abord stigmatisés les comportements inciviques et/ou jugés négatifs à
l’égard du projet. Ces comportements sont toutefois dénoncés exclusivement chez les autres52
et pas chez les locuteurs eux-mêmes. Ils concernent les « profiteurs » qui essayent de s’insérer
51
Le sommet est atteint à Guadaloupé sur le mode « il faut que ; l’Etat doit ; etc. » … qui finit par
attirer de la part de l’animatrice du focus une question qui réoriente ensuite les débats : vous pensez
qu’avec toutes ces exigences, n’importe quel projet pourrait jamais réussir ?
52
Ainsi, à Skuela, une femme, en interview individuelle, revient sur le focus groupe tenu la veille pour
épingler une des participantes qui a, selon elle, essayé de se faire passer « pour une mendiante », alors
qu’elle n’est certes pas riche mais qu’elle pourrait contribuer. Cette femme affirme ensuite sans
ambiguïté que des comportements de ce genre sont de nature à tuer toute tentative sérieuse de projet.
Mais nous n’avons, dans aucun site, des déclarations d’autocritique personnelle ou d’ordre collectif
(« nous » plutôt que « moi ») de cet ordre ! Il y a donc là un travail à faire.
113
Programme « Villes sans bidonvilles » du Maroc – Rapport de l’analyse d’impact social et sur la pauvreté
dans le bidonville, ceux qui possèdent déjà un logement dehors et restent au bidonville pour
bénéficier, ceux qui veulent se faire passer pour plus pauvres qu’ils ne sont, ceux qui font
courir des bruits et des rumeurs de manière irresponsable, voire, plus rarement, sciemment.
Mais un deuxième ordre « d’exigences » portent sur les relations internes des habitants et elle
nous paraît passible d’une double interprétation. Ainsi, les habitants sont nombreux à
souligner la discorde et les conflits qui émaillent leurs propres relations ainsi que l’impact
que cela a sur les projets. Mais deux « directions » semblent toutefois en découler : l’une est
celle de l’organisation interne avec une responsabilisation et un appui au projet pour sa
réussite ; l’autre est plus conçue dans la pensée d’une résistance plus solidaire et plus
organisée aux actions ou décisions publiques qui seraient jugées négatives pour eux. On
pressent, à partir de là, à quel point la synchronie entre changements potentiels dans la
gouvernance et la gestion urbaines et changements potentiels dans l’attitude des habitants à
l’égard des autorités et acteurs publics en général sera difficile et longue à atteindre.
III. Conclusion
Les questions cruciales qui ressortent de ce chapitre particulier tournent, nous semble-t-il, de
manière prioritaire autour de la question de l’information et de l’adaptation des projets aux
conditions réelles des populations concernées
Quand, sur quoi et comment informer, pour en finir avec les carences d’information et
excès d’effets d’annonce?
Cette question ne peut malheureusement pas se traiter seule et on sait que les questions
d’information –donnée, pas donnée ; claire, obscure ; équitable, restreinte à des réseaux
sociaux particuliers- sont indissociables des questions de gouvernance : elles constituent
l’essence même du pouvoir exercé sur les populations comme le remède –illusoire et combien
factice- contre les spéculations. En effet, puisque de l’information filtre toujours d’une
manière ou d’une autre, elle engendre des mouvements -anticipation, ventes, résistance- dont
la particularité est qu’ils sont visibles et ont donc à leur tour des effets. Il est donc temps
d’amener les opérateurs à avoir une politique à la fois moins frileuse, et moins machiavélique,
à l’égard de l’information sur le projet, quitte à mieux diffuser l’idée d’un projet en voie
d’élaboration sur lequel les informations sont maigres. Par contre, presque par opposition,
il faudrait mieux prendre conscience des effets des discours nationaux qui promettent
des lendemains meilleurs sans les assortir de règles du jeu, de conditions d’accès et
d’affichage de principes de gouvernance et de gestion plus clairs
Pour répondre aux exigences imposées par le déficit, de nombreux projets sont d’ores et déjà
programmés dans une optique et selon des choix qui n’ont pas fait une part sensible aux
préoccupations sociales : ils risquent dons de reproduire les conditions ds opérations passées :
réussite pour les uns, échec pour les autres -généralement les cas sociaux les plus graves. Il y
a donc à distinguer, dans les projets :
• les coups partis : où la question centrale est comment obtenir les adéquations optimales
entre produits offerts et demande et réduire le pourcentage de ménages rejetés, tout en
cherchant éventuellement des solutions de rechange pour ces derniers.
• les projets à venir : où la question importante devient : comment répondre dès l’origine à
l’hétérogénéité des demandes et à la demande des plus pauvres et quels dispositifs mettre
en place pour qu’ils puissent s’y maintenir?
114
Programme « Villes sans bidonvilles » du Maroc – Rapport de l’analyse d’impact social et sur la pauvreté
CHAPITRE 5
Dans ce contexte de changements introduits par VSB, les dimensions sociales ont fait l’objet
de débats importants, dont l’issue n’est pas toujours si claire ni univoque. Il nous a paru
important de compléter les approches précédentes par celle des changements concrets –ou au
moins perspectives de changements- perçus par les populations des sites à cet égard. Sachant
aussi que peu d’actions réelles ont été entamées, nous avons complété cette approche par
l’examen de leurs attentes explicites ou implicites à l’égard de cette nouvelle prise en compte
qu’affichent certains projets depuis la fin des années 90 et qui prendra désormais une
dimension de réelle politique urbaine avec VSB.
La deuxième remarque, c’est l’absence de liens établis entre VSB et cette nouvelle
orientation politique, alors que comme pour VSB, les mêmes circonstances politiques sont
évoquées pour expliquer cette apparition : évolution politique générale, avec reconnaissance
des droits des pauvres et des droits de l’homme, et enfin, prise de conscience que le terrorisme
est un problème social avant d’être religieux.
Enfin, la perception de ce changement est plutôt favorable mais la plupart de ceux qui
s’expriment sur cette question font preuve d’un attentisme prudent (« comment vous dirai-je
mon avis sur quelque chose que je ne connais pas ?») qu’ils justifient par le décalage auxquels
ils ont été habitués entre « les paroles politiques » et la réalité du terrain.
II. La prise en compte des dimensions sociales : une carence pourtant ressentie à
plusieurs niveaux
La discussion étant, à partir de ce premier constat, engagée sur les projets actuels ou annoncés
et la capacité/volonté de ceux qui les ont conçu ou les réalisent de prendre en compte les
dimensions sociales, l’expression des analyses et des attentes est beaucoup plus facile et riche
53
Nous n’avons toutefois pas d’études comparatives récentes avec des sites où un AS formalisé existe ;
ainsi nous postulons qu’une information plus adaptée, systématique et transparente produit des
habitants informés, mais encore faudrait-il évaluer ce que cela donne réellement sur le terrain.
54
La consigne était donnée, pour l’accompagnement social, de d’abord interroger « à froid » sur la
question, mais ensuite, puisque l’essentiel ici était d’obtenir des attentes –et non seulement de vérifier
si les gens en avaient entendu parler- d’expliquer aux personnes interrogées ce que c’était, et ensuite
leur demander leur avis. La même consigne avait été donnée pour VSB, mais contrairement à l’AS, elle
s’est révélée inutile : aucune explication n’a du être donnée puisque la quasi-totalité des habitants en
avaient entendu parler
115
Programme « Villes sans bidonvilles » du Maroc – Rapport de l’analyse d’impact social et sur la pauvreté
de commentaires analytiques ou affectifs qui montrent, s’il en était encore besoin, les
carences ressenties par la population à cet égard. Il faut noter sur ce dernier point les
convergences remarquables qui relient ces analyses des concernés aux analyses de certains
observateurs extérieurs, notamment au Ministère de l’Habitat et de l’Urbanisme et au
Ministère du Développement Social. Ces carences sont essentiellement axées autour des
points suivants :
C’est d’abord la question de la pauvreté qui est remise ici en avant : les pouvoirs publics en
charge de concevoir des projets ne tiendraient pas suffisamment compte de la réelle pauvreté
d’une partie des habitants. Les locuteurs attribuent d’abord cette méconnaissance à
l’hétérogénéité de leurs sites en particulier, mais dont ils pensent qu’elle est généralisable à de
nombreux bidonvilles. Mais ils l’attribuent aussi, faisant ainsi preuve d’une certaine
pertinence dans l’analyse, au fait que la société extérieure et en particulier les responsables
publics, les soupçonnent assez facilement de mensonge et de dissimulation. Il en résulte des
commentaires, non dénués d’une certaine emphase, voire de théâtralité, qui invitent les
responsables à venir les voir de plus près, à venir mettre regarder ce qu’il y a « dans leurs
casseroles » et dans leurs comptes de ménage. Au passage, nombreux sont ceux qui se
plaignent d’un déficit d’enquêtes sérieuses (sous-entendu comme celles que nous faisons en
ce moment même!), remettant en cause la technique de recensement 55 et son ignorance de ce
qu’ils sont.
Enfin, ils soulignent l’ignorance dont font preuve les responsables tant sur leurs capacités
réelles que sur la spécificité des « efforts » qu’ils sont néanmoins prêts à consentir.
L’hétérogénéité mais aussi les moyens auxquels certains d’entre eux ont recouru par le passé
pour répondre à des exigences qui les dépassaient sont dénoncées comme absurdes, parce
qu’elles conduisent à de nouvelles aberrations (nouveaux bidonvilles, morcellements, densité
des logements…) : ces moyens évoqués sont la vente ou le morcellement de leurs baraques, la
vente anticipative du lot ou logement, la recherche d’un associé.
C‘est principalement sur le plan économique que l’ignorance leur paraît difficilement à ce
point persistante et c’est sur les modalités de génération de leurs ressources qu’ils ont le plus à
reprocher aux projets et ce, à deux niveaux :
• pour les montants qu’on leur demande de débloquer et qu’une partie ne peut mobiliser que
comme un prêt remboursable (et non comme une épargne préalable; cf. ce qui en est dit au
chapitre 2) ainsi que pour l’accès au crédit (inaccessibilité et/ou taux trop élevés).
Mais l’absence de prise en compte est également avancée au niveau socioculturel où les
constellations familiales complexes et les pratiques habitantes « marocaines », parfois
qualifiées de « populaires » par nos interlocuteurs pour les distinguer des pratiques des
55
Certains ne s’arrêtent pas à cette remise en cause et suggèrent l’implication/responsabilisation des
habitants dans ce processus. Il semble même qu’à Agadir, cela ait déjà été proposé par les habitants –
mais refusé par les autorités.
116
Programme « Villes sans bidonvilles » du Maroc – Rapport de l’analyse d’impact social et sur la pauvreté
classes aisées, sont considérées comme absentes des préoccupations de ceux qui ont conçu les
projets. Ainsi, à Casablanca, (où nous enregistrons un changement d’attitude positif à l’égard
des logements collectifs par rapport aux études précédentes), on souligne, de manière
convergente, que l’appartement convient mais seulement aux familles nucléaires classiques
pourvues d’un nombre limité d’enfants et suffisamment aisées que pour pouvoir faire une
avance significative. Enfin, les projets, mais la gestion urbaine en général, semblent ignorer,
selon les habitants le fait qu’ils sont eux aussi des citoyens, des urbains et des humains.
Sur le mode de la citoyenneté, c’est la mise en avant de droits qu’ils estiment avoir et dont ils
considèrent que certains comportements publics, voire certains projets les privent. Ces
« droits » puisent soit dans la légitimation de la nationalité marocaine soit dans la diffusion de
droits universellement reconnus et que les bidonvillois ont commencé à intérioriser : ainsi
l’éviction pure et simple est considérée comme contraire à un droit au logement qu’ils ont
toujours considéré –en témoignent leurs actes- comme existant mais qui aujourd’hui fait
partie d’une culture diffuse sur les droits de l’homme. Cette attitude inspire la résistance
orchestrée (par exemple le cas de Guadaloupé) ou le refus d’admettre que les nouveaux-venus
(généralement après recensement) n’existent pas au titre que s’ils sont là, c’est que
« quelqu’un » l’a autorisé.
Sur le mode de l’urbanité, les réclamations sont très claires : l’entrée en ville, l’ancrage et le
temps passé ont conduit à un certain niveau d’urbanité qui leur paraît désormais, à eux, mais
aussi aux enfants qui ont grandi en ville, normal et dont ils n’entendent donc pas être privés .
L’argument existait déjà dans les enquêtes précédentes ; ce qui paraît nouveau ici est
l’importance grandissante de cet argument et les décisions potentielles auxquelles ils peuvent
conduire : ainsi, dans tous les sites nous enregistrons la même expression d’un souhait qu’on
les laisse là où ils sont plutôt que de les entraîner vers un horizon inconnu et peu urbanisé.
Enfin, sur le mode de l’humanité, c’est aux besoins fondamentaux qu’il est le plus souvent
fait appel, ceux qui concernent les équipements et services minima pour être considérés
comme un être humain comme les autres -l’eau, l’assainissement etc… Mais on note aussi,
dans la même veine, un rejet du déplacement provisoire au nom de droits humains à une
stabilité et à une sécurité d’occupation. En écoutant tous ces arguments, on comprend mieux
pourquoi les ZAP génèrent si peu d’enthousiasme de la part de bidonvillois installés. Mais on
saisit également mieux comment, en processus d’enquête, les habitants sont déjà entrés en
négociation et qu’ils utilisent l’enquête comme un moyen de faire entendre leur point de vue.
Une grande hétérogénéité marque les attentes des habitant en termes de prise en compte de
dimension sociale dans les projets à venir. Ces attentes sont néanmoins classées, on dirait
même stratifiées soit en raison des importances relatives que les habitants leur accordent soit
parce qu’ils soumettent certaines de ces attentes à la réalisation d’autres pré-requis sans
lesquels avancer à une étape supérieures leur semble impossible.
Information et équité
C’est un niveau de requête élémentaire mais beaucoup semblent considérer qu’ils pourraient
s’en contenter. Cela renvoie d’abord à la nécessité de clarté, de publicité, et de
transparence sur les décisions qui sont prises à leur égard. Autrement dit, le bidonvillois
estime qu’on doit lui expliquer tous les éléments qui l’aideraient à prendre sa décision et à
savoir, de manière sûre, s’il satisfait aux critères et conditions nécessaires à réunir pour avoir
accès au projet.
117
Programme « Villes sans bidonvilles » du Maroc – Rapport de l’analyse d’impact social et sur la pauvreté
Cela renvoie ensuite à une demande d’équité et de justice sociale. La question est toutefois
bien compliquée. Pendant longtemps, les bidonvillois n’avaient qu’une et une seule réponse à
la question de l’injustice dans les projets : donner le même produit rigoureusement identique à
tout le monde. Avec une diversification toujours plus importante des trajectoires et des
compositions de ménages, une certaine ouverture à la diversité des produits offerts est
perceptible. Mais elle pose alors le problème du contrôle de l’équité, rendu bien plus ardu. Il y
a donc une contradiction entre les différentes aspirations. La réponse suggérée est parfois
dans la concertation, mais elle est plus souvent dans la réclamation d’une expertise sociale
que nous détaillerons ci-dessous.
La demande est explicite et elle peut étonner. En effet, ce n’est pas d’abord vers la
participation ou la concertation que se tournent les demandes des habitants mais bien vers
une expertise extérieure, qualifiée, impartiale et échappant largement aux instances
locales. Des enquêtes « sérieuses », le recours à des témoignages croisés, et surtout la prise en
compte de ce qu’ils sont dès le début du projet.
Certains évoquent clairement une conception de projet adapté, d’autres, seulement des
inflexions apportées en vue de l’adaptation. On se situe donc, avec cette demande, dans un
modèle de décision où les habitants semblent encore rentrer dans une sorte d’autoritarisme
d’en haut, toutefois éclairé et bienveillant, un peu « paternaliste » donc.
Ce n’est toutefois pas l’avis de tout le monde, c’est seulement une tendance majoritaire qui
s’esquisse là. Pour d’autres, avec une légère prédominance de jeunes instruits (mais une
femme analphabète, à Nakhil, revendique haut et fort qu’on demande l’avis des femmes
puisque c’est elles qui vivent et entretiennent le plus le logement et son environnement), il
faut plus que de l’information et de l’expertise, dont la nécessité n’est pas discutée : il faut
aussi demander l’avis des habitants sur certaines décisions, les associer dès le début pour
d’autres.
Les modalités de mise en œuvre d’une telle évolution restent quelque peu confuses
Les associations pourraient servir à cela –mais alors il leur faut, disent--ils, de « vraies
associations », pas des groupes d’analphabètes ou de gens seulement orientés vers leur intérêt-
mais on sent que la méfiance reste très vive.
56
C’est la seule opération où les habitants ont été confrontés à un promoteur immobilier privé. C’est le
seul où on en appelle à assainir les pratiques des privés ; magouilles et dessous de table sont alors cités
en appui à l’argumentation.
118
Programme « Villes sans bidonvilles » du Maroc – Rapport de l’analyse d’impact social et sur la pauvreté
public, délié de tout engagement politique local et sans intérêt personnel –bref une sorte de
« juste » neutre !
Enfin, une participation « à la base » est même proposée pour des phases d’étude du projet :
à Agadir, il est proposé d’associer les habitants au recensement, voire même de lui confier
cette tâche.
Autant les trois demandes précédentes s’emboîtaient parfaitement en une progression logique,
autant il nous est difficile de classer les deux dernières demandes. Elles sont en effet
présentes dans tout le dispositif de manière forte. Si elles ne sont pas quantitativement
reprises avec autant de répétition dans les questions relatives à l’accompagnement social,
c’est nous, semble-t-il, parce que certains l’ont compris comme limité au seul problème de
logement.
D’autres, au contraire, mettent ces deux derniers facteurs en avant en soulignant avec force
que VSB ne débouchera sur rien s’il n’y a pas, d’une part, un grand souci économique
« sous » ou à côté des projets et si d’autre part, une aide sociale ciblée destinée aux plus
fragiles n’est pas mise en place.
Sur la question économique, ce qui est demandé s’articule autour de 3 axes : l’aide à la
recherche d’emploi et notamment pour vaincre la stigmatisation dont est victime l’homme
bidonvillois ; la liberté d’exercice de l’informel et son éventuelle organisation sur les sites
d’accueil ; et enfin, l’aide à la création de micro-activités.
Quant à l’aide sociale directe, elle tend à vouloir pallier au manque de filet social ; elle est
évoquée pour les veuves, les divorcées, et tous les « cassés » de la vie. Elle peut concerner
uniquement la question du logement, mais confine plus souvent à une demande de prise en
charge des incapacités globales.
IV. Conclusion
La nécessité d’introduire une meilleure prise en compte du social apparaît donc comme une
évidence et il ne nous paraît pas nécessaire d’envisager, au regard de tels résultats, un
scénario VSB « sans » aucune forme de prise en compte. Si nous entamons ces questions
cruciales de la sorte, c’est bien parce qu’aujourd’hui certains sites enquêtés qui devraient
disposer au moins d’une forme rudimentaire de prise en charge sociale en sont démunis :
l’exemple de Guadaloupé en est le meilleur et il est d’autant plus paradoxal que la question
semble avoir été évoquée dans ce sens, mais sans déboucher ….
Toutefois, il nous paraît tout aussi nécessaire de souligner que ces résultats en appellent peut-
être à des actions de prise en compte réfléchies et adaptées à chaque contexte et qu’il faut
être prudent, en matière de mise en place, pour ne pas glisser vers de approches
« standard ». Ainsi, la spécificité et la clarté des objectifs de l’action sociale à entreprendre
devraient idéalement être déclinées par projet, ou par type de projet.
A ce titre, et comme nous l’avons déjà suggéré à la fin du chapitre 3, il paraît inévitable de
devoir introduire des différences de traitement : difficiles à justifier en termes d’équité
sociale, elles sont malheureusement indispensables dans une perspective réaliste de mise en
place d’une stratégie progressive et efficace d’adaptation sociale des projets urbains. Une
typologie des interventions doit donc être établie57, chaque « projet » d’action sociale devant
57
L’ADS et Al Omrane ont essayé dans le cadre de l’établissement d’une convention nationale de
réfléchir dans cette perspective.
119
Programme « Villes sans bidonvilles » du Maroc – Rapport de l’analyse d’impact social et sur la pauvreté
faire l’objet d’un bref diagnostic amont permettant d’évaluer les conditions de déploiement
des projets en fonction, notamment, de leur état d’engagement mais aussi de leur flexibilité
possible. Des actions sociales adaptées à chaque type de cas pourraient alors être élaborées.
L’importance du suivi, de l‘évaluation et de la capitalisation –sous des formes diffusables à
grande échelle- de ce qui se fait ou s’est fait jusqu’à présent fait donc également partie des
« travaux » incontournables sur lesquels il faut investir.
Car à côté de ce premier écueil à éviter – la standardisation – pour lequel nous venons
d’esquisser les parades, il faut également en éviter un deuxième, qui est celui de
l’incohérence entre les marges de manœuvre existantes (matérielles, financières, sociales…)
dans un projet et l’action sociale définie et le risque de porte-à-faux qui risque d’en découler.
Il ne sert à rien, par exemple, dans un contexte où la participation n’est ni une exigence ni
même une priorité du point de vue des habitants de l’introduire alors que les flexibilités du
projet sont réduites : on courrait en effet un risque de réelle « contre-productivité » de l’action
sociale face aux objectifs : conflits, surenchères, négociations sans issues etc.
Une troisième question vitale est celle de la place des activités de développement ou
d’animation socio-économique dans les projets ainsi que celle de leur inscription par rapport
au temps du projet. Le chapitre 2 avait déjà largement annoncé cette importance. C’est une
question centrale qui devra être résolue de manière claire au niveau du programme
VSB malgré le souhait de certains opérateurs de s’en laver les mains et d’en renvoyer la
responsabilité à d’autres. A cet égard, il est plus que temps de rappeler aux opérateurs que le
passage de la planification urbaine (où on se contente de prévoir des emplacements pour les
équipements et les activités) à la planification stratégique et au projet urbain a eu un sérieux
impact, dans de nombreux pays du Nord comme du Sud, sur la définition des tâches d’un chef
de projet.
Ce dernier doit en effet allier les compétences traditionnellement attendues à des compétences
en matière de développement qui manquent dramatiquement à la plupart des chefs de projet
actuellement en place. Si la question de l’antériorité d’une réflexion, voire d’actions, orientées
sur les questions de développement local est une évidence dans les milieux de connaissance et
d’action ayant intériorisé ces nouvelles tendances de la planification, on ne peut au Maroc
esquiver une autre question : celle de rechercher les moyens d’agir de manière efficace même
en montant des actions socio-économiques simultanées, voire postérieures au projet spatial.
La nécessité de renforcer les savoirs –expertise et pratique- dans le domaine de la micro-
économie et du développement local apparaît ainsi comme capitale, et de fait, comme la
pierre angulaire d’un programme aussi vaste qui a pourtant totalement sous-estimé cette
dimension. Des avancées en terme de diagnostic ont été faites dans certains projets (ADS en
particulier) mais bloquent actuellement sur la mise en œuvre sur laquelle plusieurs acteurs
sont appelés à se pencher.
Enfin, et leur position en 4ème rang ne signifie nullement leur aspect secondaire, mais
témoigne seulement d’une difficulté plus grande à prévoir aujourd’hui des actions immédiates
à ce sujet, il est urgent d’agir sur l’image des bidonvillois. Etant donné le vécu négatif de leur
propre identité, laquelle ne relève ni de la littérature ni du romantisme comme on l’oppose
souvent au sociologue, mais génère des vexations frustrations, conflits ou blocages
quotidiens , face aussi aux difficultés internes –organisation, conflits, régulations…- évoquées
par les habitants, il paraît indispensable d’accorder une place centrale aux actions
d’implication active, de mobilisation socioculturelle, de dé-stigmatisation et de formation
même si elles paraissent, à première vue, assez éloignées des objectifs des opérateurs et du
Ministère de l’Habitat et de l’Urbanisme. Cela renvoie de manière évidente à la nécessité
d’actions transversales de développement social, économique, culturel, urbain, mais renvoie
aussi aux rôles et missions des cellules d’accompagnement social qui doivent le plus
rapidement sortir ou déborder des carcans administratifs où des conventions instrumentales
avec les seuls opérateurs spatiaux risquent de les confiner.
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Programme « Villes sans bidonvilles » du Maroc – Rapport de l’analyse d’impact social et sur la pauvreté
CONCLUSIONS GENERALES
Pour clore de manière brève ces longs développements sur les 5 thèmes d’analyse comme
contribution à l’évaluation sociale des impacts attendus du programme VSB, nous voudrions
attirer l’attention sur 3 pistes décisives. Elles portent sur la conception et gestion des projets,
sur la nécessité de s’inspirer du principe de précaution appliqué à l’activité économique, et sur
le principe de responsabilité appliqué à l’action sociale.
Différents niveaux doivent ici être distingués car VSB est avant tout un ensemble de projets
assez disparates, dont certains sont des opérations en cours non modifiables alors que
d’autres, encore flexibles ou encore à venir, pourraient prendre de nouvelles orientations.
Un travail appuyé sur l’information, ce que signifie « informer », quand, sur quoi et
comment informer - apparaît à l’évidence comme la priorité majeure et comme un des
dénominateurs communs qui pèsera le plus lourd dans la balance. Cela signifie une réflexion
à la fois sur ce qu’il faut absolument communiquer tant au niveau programme VSB qu’au
niveau des projets. Mais cela signifie aussi que l’information doit être étudiée pour ne pas
générer d’effets d’annonce indésirables , autrement dit, elle ne doit pas s’arrêter à des
généralités et doit veiller de très près au vocabulaire utilisé et au sens que les gens pourraient
donner aux messages. Elle doit donc naviguer entre corrections des carences d’information et
prudence face aux excès des effets d’annonce.
Quelles que soient les précautions prises en amont, la réalisation des projets peut révéler des
décalages imprévus qui peuvent aussi mettre en difficulté le projet et son opérateur. Les
manières habituelles de faire s’arrêtent le plus souvent à la résolution des problèmes du seul
point de vue de l’opérateur. Si la régulation des contradictions entre produits offerts et
demande trouve assez facilement une issue en laissant faire le marché et en répondant à la
pression des autres couches sociales, elle n’en laisse pas moins entier le problème de la
résorption des bidonvilles. Il serait donc logique que les projets s’intéressent à ce qu’il advient
réellement de cette question : la mise en place de procédures d’évaluation rapide et
pendant la réalisation du programme apparaît à cet égard comme une exigence
minimum58.
58
Rappelons que lors des débats du 9 Mai 2005, plusieurs participants ont souligné la nécessité
d’évaluer tout de suite –plus donc par un dispositif de suivi évaluatif que par un ex post tardif- les
premiers programmes initiés par VSB car leur crainte, face à la reconduction des méthodes de
conception et de mise en œuvre antérieure, était la duplication des échecs antérieurs.
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Programme « Villes sans bidonvilles » du Maroc – Rapport de l’analyse d’impact social et sur la pauvreté
Enfin, tant dans le projet qu’autour de ce dernier, l’ensemble des constats sur les différents
thèmes renvoient de manière convergente sur le besoin de gouvernance cohérente avec des
règles a minima basées sur des normes reconnues ou appropriables par les habitants.
Ce principe de précaution, version minimale, doit, dans le cadre de certains projets VSB et
dans les perspectives des nouveaux programmes de développement social récemment initiés
au Maroc (PDST et INDH) monter en puissance. Se pose notamment la question de l’amont
des projets où les précautions doivent porter sur des actions pensées en antériorité des
interventions spatiales ainsi que sur un véritable travail de « préparation » développemental
(incluant des formations et des réflexions pragmatiques, et « pensées » par site sur les liaisons
formation/emploi).
Mener une politique d’habitat très social ne garantit pas automatiquement que l’on atteigne
les objectifs sociaux fixés. Malgré les nombreuses évaluations existantes, cette « maxime »
n’a pas encore suffisamment produit d’effets en termes de décisions. En cela, la crainte,
ouvertement exprimée par certains bidonvillois, d’avoir à affronter une situation plus difficile
après intervention qu’avant, rejoint d’une certaine manière les craintes exprimées par
certains responsables du Ministère de l’Habitat et de l’Urbanisme. L’introduction d’une prise
en compte du social a pour objectif évident de réduire l’incertitude attachée aux résultats des
actions entreprises.
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Programme « Villes sans bidonvilles » du Maroc – Rapport de l’analyse d’impact social et sur la pauvreté
La spécificité et une grande clarté des objectifs de l’action sociale à entreprendre par projet
apparaissent ainsi comme des conditions impératives devant préluder à toute décision
d’action. Elles ne devraient pas relever d’une expertise sociale isolée mais faire l’objet d’un
diagnostic partagé, sans lequel aucune convention entre opérateur social et spatial ne devrait
se conclure. Ce diagnostic partagé devrait entre autre comporter une évaluation ex ante des
éventuels effets négatifs pour proposer d’y faire face. La raison pour laquelle ce diagnostic
ne peut avoir lieu actuellement tient pour une large part au fait qu’on ne voit pas à quel
acteur ou décideur adresser les résultats d’une telle évaluation. Il y a donc à réfléchir sur la
« destination » de ces mises en garde et suggestions de correctifs ou palliatifs.
Enfin, peu d’acteurs publics semblent conscients des dimensions symboliques complexes qui
sont en jeu dans les interventions en bidonville. Nous avons insisté sur le rôle central des
actions d’implication active, de dé-stigmatisation, de formation, d’action socioculturelle,
autant de pistes d’action qui, pour certains observateurs, semblent totalement hors du champ
des interventions actuelles. Les résultats présentés ici rappellent de manière utile que le
rétablissement d’images positives et de régulations sociales et civiles, entre habitants et avec
les acteurs en charge des projets et de la gestion urbaine, constitue une dimension
fréquemment avancée par les habitants eux-mêmes. Il serait dommage de ne pas l’entendre.
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Programme « Villes sans bidonvilles » du Maroc – Rapport de l’analyse d’impact social et sur la pauvreté
Bibliographie
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