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Séminaire Régional Pour La Prévention de L'extrémisme Violent en Afrique Centrale Et Dans Le Bassin Du Lac Tchad

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Séminaire régional pour la prévention de

l’extrémisme violent en Afrique Centrale et dans


le Bassin du Lac Tchad

Yaoundé, les 27 et 28 novembre 2017

Rapport final

UNOCA/UNOWAS
Table des matières

I. Contexte, raison d’être et portée du séminaire régional ................................................... 2


II. Synthèse des travaux ................................................................................................................ 5
II. A La prévention de l’extrémisme violent : Concepts et défis .................................................... 5
i. Clarifications conceptuelles....................................................................................................................... 5
ii. Les défis liés à la prévention de l’extrémisme violent ............................................................................... 5
II.B Le diagnostic de la réalité et des risques de l’extrémisme violent en Afrique Centrale et
dans le Bassin du Lac Tchad .................................................................................................................... 6
i. La cartographie de la violence extrémiste dans la région .......................................................................... 6
ii. Les liens entre l’extrémisme violent et les conflits préexistants ............................................................... 7
iii. Les acteurs de la violence extrémiste ......................................................................................................... 7
iv. Les formes de la violence extrémiste .......................................................................................................... 8
v. Les causes concrètes de la violence extrémiste .......................................................................................... 8
II. C Agir : Comment les acteurs peuvent-ils individuellement et collectivement, agir pour
prévenir l’extrémisme violent (expériences réussies de prévention) ?............................................ 9
i. Quels sont les acteurs de la prévention ?.................................................................................................. 9
ii. Comment interagissent-ils ? ................................................................................................................... 11
iii. Quelles sont les démarches de la prévention : place du dialogue inclusif et des extrémistes violents ?.. 11
iv. Quelle communication pour une action de prévention ou comment relater et prévenir la violence dans
les médias, notamment communautaires et en ligne ? .................................................................................... 13
v. Quelle est l’expérience camerounaise en matière de PEV ? .................................................................... 13
II. D Structurer la prévention : Poser les bases de plans d’action nationaux de prévention de
l’extrémisme violent et lancer une dynamique régionale de prévention de l’extrémisme
violent en Afrique Centrale ................................................................................................................... 14
i. Etat des lieux de l’élaboration des stratégies nationales et régionales de prévention de l’extrémisme
violent .............................................................................................................................................................. 14
ii. Discussions sur les stratégies et plans d’action nationaux et régionaux de prévention de l’extrémisme
violent .............................................................................................................................................................. 15
III Principales leçons apprises, propositions et recommandations .................................... 17
IV Mise en perspective ................................................................................................................ 21
Annexe .............................................................................................................................................. 23

1
I. Contexte, raison d’être et portée du séminaire régional

Longtemps épargnée par la montée en puissance de l’extrémisme violent, l’Afrique


Centrale est aujourd’hui dans une situation d’extrême insécurité, en raison de la progression, tout
autour du Bassin du Lac Tchad, d’un groupe terroriste international : Boko Haram. D’autres
formes d’insécurité nourries par des groupes armés de toutes sortes existent également dans la
région notamment en République Centrafricaine (RCA), et pas très loin, en Libye, Soudan et
Soudan du Sud. La violence portée par ces groupes s’est progressivement propagée au-delà de
leurs zones d’action originelles. Ces débordements représentent un facteur déterminant du futur
des pays d’Afrique Centrale puisque ces groupes armés pourraient perturber les fragiles
gouvernances en place.

La prise de conscience de la réalité de l’extrémisme violent s’est traduite, aux niveaux


international et national, par des mesures de lutte contre le terrorisme axées principalement sur la
sécurité. Si de telles mesures permettent incontestablement de gérer la violence et ses effets dans
l’immédiat, elles se sont avérées insuffisantes sur la durée, quand elles n’ont pas simplement
alimenté le phénomène, lorsque la réponse sécuritaire s’accompagne de son lot de débordements
par exemple, ou lorsque les frustrations à l’origine des violences ne sont pas apaisées. C’est
pourquoi des mesures de prévention qui aident à remédier aux causes sous-jacentes de la
violence extrémiste sont indispensables ; elles sont complémentaires des premières et témoignent
de la nécessité d’agir en amont pour empêcher l’extrémisme violent de se propager davantage ;
elles doivent permettre aux Etats en particulier d’apporter, dans les zones considérées, des
solutions concrètes aux problèmes rencontrés, en étant attentifs aux besoins et aux droits des
populations concernées et à leurs revendications légitimes – afin qu’elles ne cherchent pas à
s’exprimer par la violence.

L’approche de prévention se fonde en effet sur la prémisse que la violence ne vient pas de
nulle part. La pauvreté, la corruption, l’injustice et l’oppression nourrissent le ressentiment. La
fragilité d’un Etat et l’absence de libertés civiles sont considérées comme des facteurs
prépondérants de l’émergence de violences politiques et extrémistes1. Une mauvaise gouvernance,
la non-satisfaction des besoins fondamentaux que devrait fournir l’Etat (éducation, santé,
prospérité) et des expériences de discrimination et d’exclusion peuvent être réunies sous la même
bannière de la fragilité, de même que le manque de participation politique et la répression
croissante des personnes ayant des convictions minoritaires. Sans surestimer la relation entre
violence politique et facteur économique, un aperçu des recherches actuelles indique que la sous-
occupation et le chômage sont parmi les facteurs générateurs d’extrémisme violent, tout comme
l’absence d'avenir, le sentiment d'enfermement, le désir d'ailleurs.

Face à de telles fragilités, la prévention de l’extrémisme violent (PEV) apparaît comme une
tâche importante et complexe visant à instaurer des conditions dans lesquelles personne ne sera
tenté de céder à la violence pour des motifs politiques ou idéologiques ou de se laisser enrôler par
des groupes extrémistes violents pour d’autres motifs encore. Parce que la prévention de

1 Voir par exemple l’édifiante étude du PNUD : Journey to Extremism in Africa: Drivers, Incentives and the Tipping
Point for Recruitment, UNDP, September 2017 - http://journey-to-extremism.undp.org/content/downloads/UNDP-
JourneyToExtremism-report-2017-english.pdf

2
l’extrémisme violent postule d’intervenir sur les racines du mal par une approche globale, elle doit
aller au-delà d’une réponse sécuritaire au phénomène de la violence extrême.

La promotion des approches préventives est consacrée dans le Plan d’Action du Secrétaire
général des Nations Unies pour la prévention de l’extrémisme violent (A/70/674) du 24 décembre
20152. Dans la résolution A/RES/70/291 adoptée le 1er juillet 2016, suite à la cinquième revue de la
Stratégie mondiale antiterroriste de 2006, l’Assemblée générale des Nations Unies a également
reconnu l’importance de l’approche préventive.

C’est résolument dans cette optique que s’inscrivirent les deux premières éditions des
Conversations régionales pour la prévention de l’extrémisme violent tenues à Dakar en juin
2016, et à N’Djamena en juin 20173, qui furent à l’origine du séminaire régional de Yaoundé. Lors
de ces rencontres, il a été reconnu que la démarche de prévention repose sur plusieurs ressorts :

 Le premier consiste à considérer que la prévention de la violence ne peut être efficace que si
elle tient délibérément compte des causes de cette violence. De nombreux travaux
académiques récents et la pratique quotidienne ont montré que les approches politiques et
sociétales qui se sont révélé les plus positives pour endiguer la violence extrême reposent
toutes sur une connaissance approfondie tant des raisons sociologiques et politiques de
cette violence et de l’endroit où elle se produit, que de l’histoire, et la perception de cette
histoire, par les communautés qui la vivent.

 Le deuxième ressort – et le cœur de la prévention –, c’est la volonté d’accepter des sociétés


plurielles, la diversité des identités, et la reconnaissance de la valeur de la tolérance et du
dialogue. Sans une écoute réelle, les revendications légitimes, convergentes ou divergentes,
de citoyens souhaitant participer à la vie publique, mais aussi les colères dues aux
inégalités, aux manques de débouchés, à la corruption, aux faiblesses de certains systèmes
politiques, au silence opposé aux demandes de justice, peuvent s’exacerber et tourner en
haine et en violence.

 Le troisième ressort c’est la centralité de l’être humain, des femmes et des hommes. Ce
sont eux qui font l’Etat, qui font la société civile, qui font l’université, qui font le
fonctionnaire ou la boulangère, le policier ou la soldate, le paysan ou la journaliste ! C’est

2 Plan d'action du Secrétaire général des Nations Unies pour la prévention de l'extrémisme violent (24 décembre 2015)
http://www.un.org/en/ga/search/view_doc.asp?symbol=A/70/674&referer=/english/&Lang=F / Plan of Action of
the United Nations Secretary-General to Prevent Violent Extremism (24 December 2015)
http://www.un.org/en/ga/search/view_doc.asp?symbol=A/70/674.
A noter que le DFAE suisse s’est également doté d’un plan d’action de politique étrangère pour la prévention de
l’extrémisme violent :
https://www.eda.admin.ch/dam/eda/fr/documents/publications/SchweizerischeAussenpolitik/Aussenpolitischer-
AktionsplanPVE160404_FR.pdf / Switzerland’s Foreign Policy Action Plan on Preventing Violent Extremism (April
2016) : http://www.news.admin.ch/NSBSubscriber/message/attachments/43587.pdf
3 « Investir dans la Paix et la Prévention de la Violence en Afrique de l’Ouest et dans le Sahel : Conversations sur le Plan

d’action du Secrétaire général de l’ONU pour la prévention de l’extrémisme violent », organisées par l’International
Peace Institute (IPI), le Bureau régional des Nations Unies pour l’Afrique de l’Ouest et le Sahel (UNOWAS) et le
Département fédéral des affaires étrangères de Suisse (DFAE) :
- Dakar, juin 2016: https://www.ipinst.org/wp-content/uploads/2016/09/1609_Investing-in-Peace-
FRENCH.pdf /English: https://www.ipinst.org/wp-content/uploads/2016/09/1609_Investing-in-Peace-ENGLISH.pdf
- N’Djamena, juin 2017: https://www.ipinst.org/wp-content/uploads/2017/08/IPI-E-RPT-Chad-Meeting-
NoteFrench.pdf / English: https://www.ipinst.org/wp-content/uploads/2017/08/IPI-E-RPT-Chad-Meeting-
NoteEnglish.pdf

3
dire l'importance de la notion de sécurité humaine, qui place au cœur des efforts collectifs
et individuels de paix et de sécurité, l’être humain, et non un discours abstrait. On oublie
souvent la place centrale de cet être humain dans la spirale de la violence, et les réponses
apportées pour le protéger sont trop souvent éloignées de cet objectif d'humanité. Au point
que certains considèrent les « dégâts collatéraux » que subissent les populations comme
secondaires, ou jugent certains acteurs de l'extrémisme violent comme « hors humanité ».

 Le quatrième ressort – c’est peut-être là l’enseignement majeur et la « marque de fabrique »


de ces Conversations régionales – se décline de la manière suivante : pour se comprendre il
faut s’écouter, pour s’écouter il faut se parler, pour se parler il faut se rencontrer. Ainsi, les
Conversations sont avant tout un espace le dialogue et de création de passerelles entre
acteurs multiples. Il faut que ce dialogue se prolonge et se démultiplie partout où cela est
possible.

C’est donc logiquement qu’il a paru important de poursuivre et d’approfondir ces échanges
régionaux en déplaçant le curseur vers l’Afrique centrale.

Et c’est ainsi que s’est tenu les 27 et 28 novembre 2017 à Yaoundé, au Cameroun, le «
Séminaire régional pour la prévention de l’extrémisme violent en Afrique Centrale et dans le
Bassin du Lac Tchad », organisé - avec le soutien du gouvernement du Cameroun – par le Centre
africain d‘Etudes Internationales Diplomatiques Economiques et Stratégiques (CEIDES), le
Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) de Suisse, le Bureau régional des Nations
Unies pour l'Afrique centrale (UNOCA) et le Bureau régional des Nations Unies pour l'Afrique de
l'Ouest et le Sahel (UNOWAS).

Cette rencontre de haut niveau, tenue en français et en anglais, a réuni une soixantaine de
représentants des gouvernements, des organisations internationales, de la société civile, des
médias, des forces de défense et de sécurité – des acteurs politiques –, des chercheurs et experts, en
provenance, pour l’essentiel de l’Afrique Centrale et de la région du Bassin du Lac Tchad, ainsi
que de l’Afrique de l’Ouest et Australe.

Ouvert par les allocutions de circonstance, du Représentant Spécial du Secrétaire général


des Nations Unies pour l’Afrique centrale, S.E.M. François Louncény FALL, du Représentant
Spécial du Secrétaire général des Nations Unies pour l’Afrique de l’Ouest et le Sahel, S.E.Dr.
Mohamed IBN CHAMBAS, de l’Ambassadeur de Suisse au Cameroun, en République
centrafricaine et en Guinée Equatoriale, S.E.M. Pietro LAZZERI, et du Président, du Centre africain
d’Etudes Internationales, Diplomatiques Economiques et Stratégiques (CEIDES), le Dr. Christian
POUT, ce Séminaire a été construit autour du principe suivant : « si nous comprenons mieux les
moteurs de l’extrémisme violent, nous pouvons adapter et affiner les mesures à prendre pour le
prévenir ».

Il s’est ainsi interrogé sur les motivations et les parcours que suivent celles et ceux qui
rejoignent les mouvements violents, à la lumière de travaux de divers experts et chercheurs, dont il
fut reconnu qu’ils étaient cependant encore trop rares et devraient être stimulés. Les participants
ont été invités à partager leurs expériences, individuelles ou collectives, de mobilisation offrant des
alternatives concrètes, tant économiques que politiques ou sociales, à l’attraction de l’extrémisme
violent, – puisqu’il en existe de nombreuses dans la région et qu’il s’agissait en particulier de les
mettre en exergue. La diversité socio-professionnelle des participants a favorisé la présentation

4
d’approches originales, complémentaires et dont l’efficacité a pu être comparée. Le rôle des forces
armées, celui de femmes et de jeunes, et celui des médias ont été particulièrement soulignés. Ces
échanges ont montré l’utilité évidente de croiser ces expériences et de les faire fructifier par la mise
en place de réseaux régionaux.

II. Synthèse des travaux


II. A La prévention de l’extrémisme violent : Concepts et défis

i. Clarifications conceptuelles

Pour prévenir un risque il faut le comprendre. C’est une évidence ! Pourtant, les concepts
qui gravitent autour de la prévention de l’extrémisme violent souffrent d’une absence de définition
précise et universellement acceptée. Cette absence de définition a amené les participants à
reconnaitre l’urgence d’un travail de conceptualisation en la matière. Car, plus qu’une simple
définition, la conceptualisation vise à rendre compte du réel et permet d’éviter de se perdre dans
le flou et l’imprécision. C’est dans cette perspective qu’une « intentionnalité collective » qui tend
asymptotiquement vers la construction d’un sens commun dans le processus de clarification de la
terminologie qui se rapporte à l’extrémisme violent a émergé des échanges : c’est de la
compréhension et de l’écoute fine de la réalité et de ses spécificités que la teneur des termes
émane, et non d’un accord normatif ou dogmatique.

L’extrémisme violent a des nombreuses causes et revêt une pluralité de formes. Si ce


caractère « global » et multidimensionnel exige d’éviter les amalgames qui consistent à assimiler
l’extrémisme à la violence, la violence extrémiste au terrorisme et le terrorisme à une religion
(l’islam ou aux musulmans), il a surtout l’avantage de situer la prévention au-delà du seul prisme
du « tout sécuritaire », hautement réducteur en matière de prévention de la violence extrémiste.

Ensemble de mesures prises pour empêcher la réalisation de certains risques, la prévention


vise à traiter les causes structurelles et les facteurs aggravants qui sont à l’origine de l’extrémisme
violent. Pour prévenir cette violence il faut en comprendre les moteurs et les buts. A ce niveau, les
travaux de recherche, – qui demeurent encore trop peu nombreux – mériteraient d’être
sérieusement encouragés. Ce point a été largement repris par les participants qui n’ont pas
manqué de souligner l’importance de conduire des études à partir de données empiriques claires
et de la compréhension de l’extrémisme violent du point de vue des acteurs qui le mettent en
œuvre. C’est la base indispensable à des politiques adaptées et reconnues comme telles.

ii. Les défis liés à la prévention de l’extrémisme violent

En Afrique Centrale et dans le Bassin du Lac Tchad, ces défis sont multiples :

 La croissance démographique rapide, qui a eu pour conséquence l’augmentation de la


proportion des jeunes dans la population totale avec pour corollaire le chômage des jeunes.
Comment transformer cette jeunesse en dividende démographique positif ?

 La faible autonomisation des femmes ;

5
 La pauvreté grandissante et une croissance qui n’est pas inclusive ;

 Les déficits de gouvernance et de démocratie ;

 Les trafics en tout genre (armes, drogues, êtres humains, migrants etc.) ;

 Les déficits de l’intégration régionale ;

 La trop faible place accordée à celles et ceux qui ont montré par leur propre dynamique
qu’il est possible de proposer des projets - tant politiques que sociétaux, - « qui remettent
la société à l’endroit » et de répondre à la violence par une réflexion et une action justes et
positives pour tous. A ceux-là, il faut également associer les gouvernants, ceux qui - et ils
sont chaque jour plus nombreux - comprennent que l’expression d’une volonté politique
claire et globale, est nécessaire pour accompagner la mise en place des mesures de
prévention ;

 La question des forces de défense et de sécurité (FDS) en tant qu’actrices de la prévention :


c’est un angle rarement envisagé qui est pourtant fondamental ;

 Le besoin d’un plaidoyer renforcé pour un engagement et un soutien publics et


gouvernementaux, ouverts et démonstratifs, à toutes les réflexions, discours et actions
orientés vers la prévention.

II.B Le diagnostic de la réalité et des risques de l’extrémisme violent en


Afrique Centrale et dans le Bassin du Lac Tchad

Pour comprendre la réalité et les causes de l’extrémisme violent en Afrique Centrale et dans
le Bassin du Lac Tchad, les participants ont construit leur réflexion autour de cinq principales
entrées : la cartographie de la violence extrémiste dans la région, les liens entre l’extrémisme
violent et les conflits préexistants, l’identification des acteurs de la violence, des formes de la
violence et des facteurs à l’origine de la violence.

i. La cartographie de la violence extrémiste dans la région

Les participants ont distingué les foyers chauds et les foyers latents ou hybrides de la
violence extrémiste. Les foyers chauds de l’extrémisme violent concernent les quatre (4) pays où
sévit particulièrement le groupe armé Boko Haram, à savoir le Cameroun, le Nigéria, le Niger et le
Tchad. La RCA a été identifiée comme un foyer latent voire hybride de la violence extrémiste, avec
des violences actives de groupes domestiques mais aussi des risques de transnationalisation en
lien avec d’autres groupes actifs en Libye, au Soudan ou encore au Soudan du Sud.

Au Cameroun, Boko Haram est actif dans le département du Mayo-Tsanaga, situé le long
de la frontière avec le Nigéria, du Logone et Chari dans le Lac Tchad et du Mayo- Sava. Au Tchad,
la violence attribuée à Boko Haram est perceptible au niveau de ses frontières : avec le Niger

6
(département de Fouli), la Libye, le Nigéria (département de Kaya), le Cameroun (département de
Mamdi) et la région du Lac (zone transfrontière entre le Tchad, le Niger et le Nigéria). Au Niger,
Boko Haram multiplie les attaques principalement dans les départements de N’Guigmi, de Mainé
et de Diffa, mais des risques d’extension semblent exister par exemple dans la région d’Agadez. En
RCA, les groupes violents sont principalement les Séléka et les anti Balaka, dont les affichages font
référence à des facteurs idéologiques et ethniques, mais où en fin de compte la violence «
extrémiste » est indissociable et souvent indifférenciable d’autres fondements socio-politiques ou
plus simplement économiques4, et dont la forme ne permet pas plus de la distinguer d’autres
violences – au point que l’appellation « forces du Mal » permet à certains d’éviter d’entrer dans des
tentatives de catégorisation assez vaines ; et où cet état de fait semble aussi susciter des craintes
d’alliances transnationales aussi peu regardantes sur les « étiquettes » des acteurs de violence.

ii. Les liens entre l’extrémisme violent et les conflits préexistants

L’extrémisme violent entretient avec les conflits préexistants dans la région un lien très étroit. Au
Tchad par exemple, Boko Haram est perçu - par une partie des jeunes qui y adhèrent - comme une
continuation de la rébellion qui a secoué le pays pendant plusieurs années. Au Nord du Nigéria, il
est entendu que l’émergence du mouvement armé Boko Haram s’est largement faite en réaction
aux comportements dysfonctionnels de l’Etat, de ses forces de défense et de sécurité en particulier,
sur zone. Un lien entre le conflit libyen et le risque d’escalade de l’extrémisme violent dans le
Bassin du Lac Tchad et en Afrique Centrale de manière plus générale a également été évoqué par
les panélistes. Les capillarités des conjonctures sécuritaires volatiles qui environnent l’Afrique
Centrale et le Bassin du Lac Tchad gagneraient ainsi à être mieux explorées en ce sens qu’elles
participent d’une manière incontestable à dégrader le climat sécuritaire, et qu’une réponse au titre
de la seule lutte contre le terrorisme comporte un risque d’inflammation et non d’apaisement des
causes multiples et interconnectées des violences actuelles ou possibles.

iii. Les acteurs de la violence extrémiste

Le groupe armé Boko Haram a été désigné par les participants comme le principal acteur de la
violence dans la région de l’Afrique Centrale et du Bassin du Lac Tchad. Mais il n’est pas le seul
acteur de la violence dans la région. Il faut aussi tenir compte des différentes ethnies et groupes
sociaux qui entretiennent entre elles des relations conflictuelles (les populations nomades se
liguent contre les populations sédentaires, les agriculteurs entretiennent des conflits avec les
éleveurs), des divers groupes politico-armés dans les pays de la sous-région défendant leurs
revendications par la force, ou menaçant de le faire, des groupes dits « djihadistes » qui, en
utilisant la religion, s’insurgent contre l’ordre sociétal actuel, mais aussi des groupes de
trafiquants, auteurs de nombreuses violences et violations des droits. L’Etat a également été placé
au banc des accusés : d’une part, il produit des inégalités qui nourrissent l’extrémisme violent ;
d’autre part, son action en vue de contrer la menace terroriste est souvent mal orientée. Enfin, la
dimension transnationale des violences et la difficulté d’y répondre pour des acteurs confinés aux
frontières étatiques ont été soulignées, tout comme les interventions d’acteurs extérieurs à la
région.

4Voir à cet égard le Rapport du Groupe d’experts des Nations Unies sur la République centrafricaine en date du 6
décembre 2017 - http://www.un.org/ga/search/view_doc.asp?symbol=S/2017/1023 -, lequel met avant tout en
évidence les leviers économiques de la violence.

7
iv. Les formes de la violence extrémiste

La violence extrémiste revêt des formes variables, et elle a évolué dans le temps,
notamment sous l’effet de l’intervention de la Force multinationale mixte face au groupe Boko
Haram. Elle est tout d’abord physique avec des assassinats, des prises d’otages, des arrestations,
des attaques armées, des explosions de kamikazes, des enlèvements, des razzias et vise des cibles
militaires autant que civiles. Elle est aussi économique, par le pillage de villes, villages ou
campements. Elle a aussi une forme psychologique : désormais la peur est instaurée dans la sous-
région, traduisant la plus dangereuse des formes de cette violence, celle qui se loge dans les
esprits. Elle est enfin liée au genre. En effet les femmes sont doublement exposées, d’abord, en tant
que victimes de la violence extrémiste, ensuite, comme cibles privilégiées des recrutements forcés
et/ou sous influence des extrémistes violents.

v. Les causes concrètes de la violence extrémiste

Plusieurs raisons peuvent amener des individus – les jeunes en particulier – à rejoindre un
groupe terroriste. Même si la recherche en la matière n'en est qu'à ses débuts, les échanges menés
lors du séminaire, basés sur des travaux ou des observations directes de praticiens de la région, ont
permis d’identifier six principaux éléments déclencheurs :

 Raisons psychologiques : l’espoir de pouvoir changer les choses, l’appartenance à un


groupe valorisant, l’enthousiasme, la peur des représailles, la vengeance etc.

 Raisons d’éducation et de formation : analphabétisme, absence des valeurs de référence


fortes et lisibles dans les contenus éducatifs.

 Raisons de croyances idéologiques : attractivité du discours entendu, ignorance des


préceptes religieux, radicalisation religieuse, multiplication des tendances rigoureuses de la
religion.

 Raisons socioéconomiques : désir d’enrichissement personnel ou de puissance


personnelle, dénuement et marginalisation (la plupart des recrues ont vaincu une certaine
frustration par rapport à leur situation économique, l’emploi étant le besoin le plus
pressant au moment de rejoindre un groupe), les catastrophes climatiques telles que les
sécheresses dans les zones touchées par la violence extrémiste, absence de perspectives
d’avenir.

 Raisons politiques et de gouvernance5 : faiblesse ou absence des pouvoirs publics, actes de


violence ou d’abus de pouvoir supposés de la part de l’État, corruption des agents de l’Etat,
justice dysfonctionnelle, marginalisation des zones frontalières ou de régions périphériques

5 Voir en particulier l’étude du PNUD, qui établit : « However, disaffection with government is highest by significant
margins among the Journey to Extremism respondents who were recruited by violent extremist groups across several
key indicators. These include: belief that government only looks after the interests of a few; low level of trust in
government authorities; and experience, or willingness to report experience, of bribe-paying. Grievances against security
actors, as well as politicians, are particularly marked, with an average of 78 percent rating low levels of trust in the
police, politicians and military. Those most susceptible to recruitment express a significantly lower degree of confidence
in the potential for democratic institutions to deliver progress or meaningful change ». PNUD, Journey to Extremism in
Africa: Drivers, Incentives and the Tipping Point for Recruitment, op.cit., p. 5.

8
qui souffrent depuis des générations de l’abandon de l’Etat. Les recrues éprouvent
également un ressentiment profond à l’égard des pouvoirs publics, elles estiment que le
gouvernement ne se soucie que des intérêts d’un petit nombre, et elles ne font confiance ni
à la classe politique ni à l’appareil sécuritaire de l'État. Il y a lieu de prendre également en
considération des facteurs tels que la contestation de la longévité viagère des dirigeants
politiques, la mauvaise gestion des crises politiques, la porosité des frontières des pays de
la sous-région, l’émergence de nouveaux moyens de communication – médias sociaux - qui
favorisent la diffusion d’une culture négative, etc.

 Raisons sécuritaires : besoin de protection, auquel ne répond pas l’Etat, et que peut offrir
comme un palliatif l’appartenance à un groupe extrémiste violent.

II. C Agir : Comment les acteurs peuvent-ils individuellement et collectivement,


agir pour prévenir l’extrémisme violent (expériences réussies de prévention) ?

i. Quels sont les acteurs de la prévention ?

Les acteurs de la prévention sont nombreux, mais ils n’ont pas souvent conscience du rôle
de prévention qu’ils jouent, ou leurs initiatives, lorsqu’elles existent, n’ont souvent pas la place et
la reconnaissance qu’elles méritent, ni les appuis nécessaires.

 L’Etat : en dépit de ses défaillances, il reste un acteur de premier rang en matière de


prévention. « Sans l’Etat, pas de solution ». Mais il a alors été souligné combien le besoin de
renouer la confiance entre les citoyens et les représentants de l’Etat était au cœur d’une
stratégie de prévention. Et que si l’Etat a un rôle prépondérant, il n’a pas un rôle exclusif : il
est fondamental qu’il joue un rôle de fédérateur des initiatives convergentes et diverses qui
sont prises par une large gamme d’acteurs socio-économiques, sans chercher à en être le
fournisseur unique. Et il doit prendre conscience de l’importance d’investir dans cette
approche de prévention, sans se focaliser uniquement sur la réponse sécuritaire.

 Les politiques : au-delà des représentants de l’Etat (le gouvernement, les institutions, les
administrateurs), les responsables politiques (élus, partis, etc.) ont aussi un rôle important
de porteurs d’une approche de prévention, étant donné leur rôle de premier plan et de
leviers au sein des sociétés.

 Les forces de défense et de sécurité (FDS) : elles ont un rôle important, mais souvent sous-
estimé, dans les différents aspects de la prévention. Ce sont elles qui sont au front, ce sont
elles qui, souvent, sont seules à représenter l’Etat sur le terrain. La sécurité de la population
et le sentiment de protection dont celle-ci a besoin dépendent largement de leurs actions.
Voilà pourquoi les relations des FDS avec la population locale sont au cœur de la
prévention contre l’extrémisme violent, au cœur de l’Etat de droit, au cœur de la résilience.
Comme l’a démontré le séminaire de Dakar6, la mission de protection donnée aux FDS, ne
se situe pas seulement à un niveau de réaction (en aval). Elle s’inscrit également et surtout

6Séminaire régional sur le rôle des forces de défense et de sécurité dans la prévention de l’extrémisme violent, organisé
par le Centre de Hautes Etudes de Sécurité et de Défense (CHEDS) du Sénégal et le Département fédéral des affaires
étrangères (DFAE) de la Suisse, les 9-10 octobre 2017 à Dakar, Sénégal.

9
dans une démarche d’anticipation qui en garantit la rapidité et l’efficacité (en amont). Les
FDS sont les premières à entendre les besoins et les plaintes de la population, y compris les
messages envoyés par les extrémistes violents. Sans la confiance de la population, les FDS
n’atteindront pas leurs objectifs. Pour ce faire, ces forces ont aujourd’hui besoin d’être
réformées, de se familiariser avec le concept de « sécurité humaine », afin de placer la
population au cœur de leur action. Mais les FDS ne peuvent pas accomplir leur mandat
toutes seules. Elles doivent être soutenues sans faille par les civils, les forces politiques, les
milieux économiques. En même temps, elles doivent gérer intelligemment tout d’abord
leur propre comportement, mais aussi leur coopération avec les milices ou les comités
d’auto-défense dont les objectifs et les actions ne sont pas définis par les mêmes règles que
les leurs. Enfin, par leur présence sur le terrain, elles prennent le risque ou créent
l’opportunité d’ouvrir des passerelles de dialogue avec les groupes armés extrémistes.
Quels sont alors la nature et l’objectif de ces points de contact et comment le rôle des FDS
s’imbrique-t-il avec celui d’autres acteurs ?

 Les femmes : les initiatives en faveur de la paix et de la prévention des conflits, pensées et
mises en œuvre par les femmes tant à l’échelle communautaire, nationale, régionale que
continentale, se comptent sur le bout des doigts. Pourtant, elles sont loin d’être cantonnées
au rôle de victimes ou de figurantes. Elles sont des actrices tant de la violence que de la
paix. Comprendre et soutenir leurs aspirations pour les amener à jouer un rôle social
positif, et encourager et soutenir leurs rôles majeurs de prévention, sont des éléments
primordiaux d’une stratégie de prévention. Les femmes ont un rôle central d’éducatrices et
de conseillères auprès de leurs enfants. Elles leur inculquent dès le bas âge les valeurs de
paix et de tolérance, de partage, le sens de l’honnêteté sans oublier le goût de l’effort. Les
salafistes et wahhabites eux-aussi pensent que pour qu’il y ait un bon musulman, il faut
une bonne épouse ; ceci exprime clairement le rôle majeur de la femme en matière
d’éducation. Mais elles jouent également des rôles sociaux, au sein des familles et des
communautés, et, dans une certaine mesure, politiques, qui devraient être au cœur d’une
stratégie de prévention de la violence. Mais, l’accomplissement de leur rôle de prévention
dépendra fortement de la correction de leur image dans la société. L’Etat doit créer les
conditions sociales, économiques et juridiques permettant à la femme de jouer pleinement
le rôle qui est le sien ; il est aussi nécessaire d’instaurer une prise en charge des femmes
ayant subi des traumatismes, de manière à ce qu’individuellement, mais également en tant
qu’acteur social, elles puissent assumer un rôle actif de prévention. Il est dès lors
indispensable de leur donner la parole et de les faire participer à toutes les initiatives visant
à fournir une assistance et une protection appropriées et efficaces non seulement à elles-
mêmes, mais aussi à leurs enfants et leurs familles. Leur implication dans la construction et
la consolidation de la paix est un facteur clé de succès, de changement social et
économique. A titre d’exemple, une dynamique forte a été enclenchée au Cameroun par
l’organisation de la société civile MediaWomen4Peace : en mars 2017, elle a réuni quelques
femmes ayant fui les localités frontalières sinistrées du Nord du Cameroun pour trouver
refuge dans les villes sécurisées ; après trois jours d’entretiens empreints d’émotions et
d’espoir, ces dernières ont décidé de s’investir dans la prévention de l’extrémisme violent
dans le cadre d’une association qu’elles ont dénommée « le cœur d’une mère ». Même si
elles ne bénéficient d’aucun accompagnement dans cette mission de reconstruction des
esprits, elles se rencontrent chaque semaine pour recréer la vie.

10
 Les jeunes : ils peuvent contribuer à la prévention car, ils sont la principale cible de
recrutement des groupes terroristes. Ils peuvent être les prescripteurs des valeurs de
tolérance et de vivre ensemble auprès de leurs communautés d’appartenance (famille,
amis, réseaux sociaux, etc.) Mais pour cela, ils ont besoin d’être pleinement reconnus et
responsabilisés dans ce rôle.

 Les comités de vigilance : les avis sur ces acteurs ont été marqués par une oscillation entre
appréciation positive dans certains cas particuliers et regard plus critique. Ces comités
aident les forces de défense et de sécurité dans leur mission de stabilisation, mais les
conditions dans lesquelles ils exercent leurs activités sont souvent entourées de flou, et les
conséquences socio-politiques de leurs actions souvent incertaines, ce qui peut représenter
d’autres formes de risques à l’avenir. Par exemple, les processus de recrutement de
personnes sans formation, dans le cadre de procédures rapides où n’existe pas le préalable
de l’enquête de moralité, ont notamment été identifiés comme comportant à terme les
germes de situations incontrôlables.

 Les chefs traditionnels et religieux : ils demeurent des partenaires de premier rang de
l’Etat en matière de protection des populations.

 Les laboratoires d’idées et centres de recherche : ils ont un rôle crucial lorsqu’il s’agit
d’apporter des éléments de connaissance pour éclairer des réalités complexes, de
sensibiliser les politiques et de proposer des recommandations en vue de stratégies de
prévention.

 Les médias : ils sont un important instrument d’influence et de contre-influence ; les


professionnels des médias doivent être plus conscients et sensibilisés au rôle de prévention
des violences dont ils sont dépositaires.

ii. Comment interagissent-ils ?

Relevant qu’il n’y a que très peu de synergies entre les acteurs - chacun agissant de manière
isolée -, les participants ont cependant estimé que petit à petit, la démarche de prévention et la
nécessité d’une plus grande interaction entre les acteurs commencent à être plus présentes dans la
région. Par exemple, les populations sont sensibilisées afin d’alerter les Forces de défense et de
sécurité lorsqu’elles sont confrontées à des situations prêtant à confusion. Mais un très long
chemin est encore nécessaire pour tirer de vrais bénéfices d’une démarche de prévention dans
laquelle les différents acteurs sont conscients des limites de la portée de leur action respective et de
la force d’une action collective reconnaissant pleinement la valeur ajoutée des uns et des autres.

iii. Quelles sont les démarches de la prévention : place du dialogue inclusif et des
extrémistes violents ?

En ce qui concerne les démarches de prévention de l’extrémisme violent, il a été retenu que le
dialogue revêt une importance capitale. Mais de quel dialogue s’agit-il ici ? Qui doit y participer ?
Et comment ce dialogue doit-il être mené ? Plus encore, quel est le contenu de ce dialogue ?

11
Il a été dit que toute prévention ne peut reposer que sur les notions de confiance et de
partage. Pour créer cette confiance et ce partage, il faut reconnaître la place de tous les acteurs
d’une société, et reconnaître leur rôle légitime et spécifique. L’Etat est le cœur du dispositif, il
incarne la régulation sociale et ses serviteurs sont en réalité au service de tous les citoyens. Mais
l’Etat ne peut rien sans et encore moins contre la volonté des citoyens. Un enjeu aussi fondamental
pour une société, pour toutes nos sociétés, que sa remise en question par les acteurs de
l’extrémisme violent, ne saura être résolue sans en passer par une réflexion commune, un objectif
partagé, une action collective et un bénéfice pour tous ; bien plus, il représente peut-être une vraie
opportunité de renouer certains de ces liens qui ont été abîmés par trop de dysfonctionnements
ou d’attitudes égoïstes.

Il s’agit donc d’engager un dialogue entre l’Etat et ses citoyens, entre les différentes
composantes d’une société, entre les communautés et les gestionnaires, y compris les forces
chargées de la gestion de la sécurité. Les incompréhensions voire les antagonismes entre les
différents corps d’une société malade ne peuvent qu’être des obstacles à la recherche d’une
solution aux déviances violentes d’une partie de cette société. Partant, toutes les formes de
dialogues inclusifs, et leur multiplication, constitueront autant de petits fils qui se tisseront et se
noueront pour renforcer le tissu sociétal.

Car le dialogue est une vertu en elle-même, même s’il ne saurait par lui-même répondre à
tous les besoins (car les besoins matériels doivent trouver une réponse propre). Par le dialogue se
transmet l’acceptation de l’autre et l’écoute de ses besoins et attentes, et réciproquement. Par le
dialogue se dégagent les espaces communs. A partir de là, il est plus facile d’engager une
discussion (toujours) sur le fond des problèmes – et il appartient alors aux interlocuteurs en
présence de déterminer la portée de leur échange. Il peut s’agir d’essayer de mieux comprendre
d’où vient cet extrémisme violent, de réfléchir ensemble aux mesures nécessaires pour « lui tirer le
tapis sous les pieds », et même à la façon de recomposer une société qui non seulement ne génère
pas cette exclusion suprême (ou cette auto-exclusion, comme certains l’ont dit), mais cherche à
inclure les exclus.

Car il a aussi été préconisé, par quelques participants, de réfléchir à engager un dialogue
avec ceux qui sèment la terreur. L’Etat (ses représentants, des intermédiaires) doit trouver le
moyen d’entrer en contact avec les membres de Boko Haram, par exemple, et pas seulement lors
d’une prise d’otage. Il devrait s’agir de chercher à décrypter le sens profond de leurs
revendications, à analyser et comprendre quelles sont leurs exigences sur la question de
l’éducation, de la religion, etc. Il pourrait aussi s’agir de voir si au-delà du contact peut émerger un
désir de dialogue. Mais attention, il ne s’agit pas d’être de « doux rêveurs » : rien de tout cela n’est
simple à envisager, ni à engager, et rien ne garantit une volonté partagée d’aller dans cette
direction. Le manque de volonté, et peut-être de savoir-faire, en matière de dialogue peut être le
fait de l’Etat – mais il faut dans ce cas l’y encourager et peut-être le seconder (les ressorts
traditionnels ou communautaires peuvent par exemple se révéler utiles dans ce sens bien compris)
– ; des communautés ; ou des groupes extrémistes violents eux-mêmes.

12
iv. Quelle communication pour une action de prévention ou comment relater et
prévenir la violence dans les médias, notamment communautaires et en ligne ?

Dans un paysage médiatique et informationnel marqué par un flux ininterrompu


d’informations diffusées par les médias classiques et interactifs, la communication stratégique
devient un puissant instrument de prévention de l’extrémisme violent. En effet, en assurant un
traitement journalistique professionnel de la violence extrémiste elle-même, de ses causes et de
ses conséquences, en veillant à la promotion d’une communication non violente sur les médias
sociaux, les journalistes et les professionnels des médias permettent aux individus d’acquérir une
compréhension approfondie de l’extrémisme violent et de développer un esprit critique face aux
discours alarmistes, stéréotypes, haineux, et aux informations non vérifiées qui pullulent,
notamment sur internet et les médias sociaux.

C’est dans cette optique que les médias ont été largement reconnus par les participants
comme catalyseurs des changements espérés. Toutefois, cette ressource est très souvent mal
mobilisée du fait de nombreuses insuffisances. Il est important de reconnaître que les angles de
traitement de l’extrémisme violent, ont jusqu’ici majoritairement privilégié les aspects politico-
militaires (la violence), ne réservant au mieux que quelques lignes à la résilience des populations et
à la compréhension des causes de la violence. L’influence des grands médias internationaux est à
cet égard lourde de conséquence. Mais il fut souligné qu’il existe aussi des exemples de médias de
la région qui ont su jouer, avec professionnalisme et un fort impact, le rôle de lanceur d’alerte et de
catalyseur d’éveil chez les populations sinistrées (comme par exemple le quotidien « L’Oeil du
Sahel » au Cameroun). Cet important travail, cependant, ne bénéficie la plupart du temps qu’à un
nombre restreint de lecteurs et auditeurs en mesure d’accéder à de tels médias et, aptes à lire et à
se faire une idée de l’évolution et des raisons de la crise.

Informer, éduquer, inspirer deviennent dès lors trois champs d’action qui doivent retenir
l’attention des acteurs médiatiques. A ce propos, il importe de relever l’activité de l’ONG Equal
Access International dans la région Afrique Centrale. Ses actions visent à accroître l'accès aux
informations crédibles et de qualité à travers des magazines et des émissions d’appels diffusées sur
des radios communautaires partenaires.

Les acteurs médiatiques locaux pourraient s’inspirer de cet exemple concret pour garantir
l’accès à l’information aux populations encore enclavées. De ce point de vue, il faudrait encourager
ces professionnels exerçant au Sahel à s’organiser en réseau et à inscrire dans leurs actions des
programmes de renforcement de leurs capacités ainsi que la production de contenus médias
destinés à une information de proximité et en langues locales. En effet, la communication de
proximité et le développement de contenus avec les acteurs locaux favorisent l’appropriation de la
prévention de l’extrémisme violent par les populations locales.

v. Quelle est l’expérience camerounaise en matière de PEV ?

Le Cameroun, à l’instar des autres pays d’Afrique Centrale s’est d’abord préoccupé d’une
réponse militaire à la question de la violence extrême. Dans ce contexte, il a établi une coopération
qualifiée de relativement fructueuse avec les pays voisins notamment le Nigéria et le Tchad pour
mener une guerre légitime contre Boko Haram. Néanmoins, ces derniers mois, l’idée d’une
« stabilisation » régionale post-opération militaire fait son chemin et dans ce sillage, la question des
défis et opportunités de la prévention de l’extrémisme violent est appelée à prendre une place de
choix. La note stratégique sollicitée par la Commission du Bassin du Lac Tchad auprès du CEIDES,
qui devra approfondir cette réflexion dans le prolongement tant de la première Conférence

13
régionale sur la stabilisation des zones touchées par Boko Haram (tenue les 4-5 novembre 2017 à
N’Djamena), que du présent séminaire, a été identifiée comme une piste à suivre.

Il est heureux de constater cette évolution faisant une place plus large à la réflexion et à
l’action portant non pas uniquement sur la gestion immédiate de la violence ou de ses
conséquences, mais aussi sur son origine. Les participants ont néanmoins aussi souligné que pour
ouvrir un tel chemin, le Cameroun, comme les autres Etats de la région, aura à relever le défi de
corriger certaines pratiques des forces engagées dans la légitime lutte contre l’extrémisme violent,
ou même dans la gestion des réfugiés ou personnes déplacées, afin de disposer d’un socle
d’adhésion suffisant à l’approche de prévention.

II. D Structurer la prévention : Poser les bases de plans d’action nationaux de


prévention de l’extrémisme violent et lancer une dynamique régionale de
prévention de l’extrémisme violent en Afrique Centrale

« Je suis convaincu que l’édification de sociétés ouvertes, équitables, inclusives et


pluralistes, fondées sur le plein respect des droits de l’homme et offrant des perspectives
économiques à tous, est le moyen le plus concret et le plus adapté d’échapper à l’extrémisme
violent ». Afin de traduire en acte cette affirmation du Secrétaire général des Nations Unies7, tout
un arsenal d’actions nouvelles, d’initiatives innovantes, d’interventions ciblées et globales doit être
mis en place. C’est dire qu’une stratégie coordonnant les actions et les interactions des acteurs à
l’échelle nationale et régionale s’impose comme solution aux écueils et contraintes des actions
éparses et isolées. Cet axe de la prévention de l’extrémisme violent a particulièrement été exploré
par les participants. Ils ont rappelé ce qui se fait déjà en la matière, avant de réfléchir et d’échanger
sur les besoins, la portée et la façon d’élaborer des stratégies et des plans d’action nationaux et
régionaux de prévention de la violence extrémiste.

i. Etat des lieux de l’élaboration des stratégies nationales et régionales de prévention


de l’extrémisme violent

 Au plan national

Etant donné le caractère multifactoriel de l’extrémisme violent, c’est d’abord au niveau


national qu’une réponse directe et adéquate doit être apportée. Ainsi, le rôle de l’Etat est central. Il
lui revient d’élaborer – avec le concours d’autres acteurs – une stratégie assortie d’un plan d’action
national afin d’instaurer un cadre de prévention de l’extrémisme violent. Le premier constat a été
qu’à ce stade, les Etats de la région ont avant tout renforcé leur arsenal législatif en matière de lutte
contre le terrorisme8. Mais une évolution récente démontre que la recherche de solutions
différentes est engagée : sans chercher à être exhaustif, il fut notamment mentionné que le Nigéria
s’est doté d’un plan national de prévention de l’extrémisme violent en novembre 2017(au moment
même où se tenait le séminaire), le Tchad tout comme le Niger y travaillent et ce dernier, comme le

7 Voir l’étude du PNUD: Journey to Extremism in Africa: Drivers, Incentives and the Tipping Point for Recruitment,
op.cit.
8 Le Cameroun, le Tchad et le Nigéria disposent désormais d’une loi antiterroriste. Au Tchad comme au Cameroun, la loi

prévoit la peine de mort pour les personnes commettant des actes terroristes, des zones floues dans les définitions et les
interprétations possibles ayant cependant créé polémique lors de leur adoption.

14
Nigéria, a engagé une politique de main tendue envers les membres de Boko Haram désireux de
quitter le groupe. Le Soudan a également adopté en 2017 un plan d’action PEV. Pour ce qui est du
Cameroun et d’autres pays de l’Afrique Centrale, la structuration de la prévention reste un
chantier à ouvrir en urgence, et ce chantier reste globalement balbutiant au niveau de sa mise en
œuvre : s’il faut saluer la volonté politique d’aller dans cette direction, les défis pratiques et les
freins concrets restent de taille.

 Au plan régional

L’Union africaine s’est dotée d’un arsenal complet d’instruments de lutte contre le
terrorisme, mais pas encore de prévention de l’extrémisme violent (mise à part la Convention de
l'OUA sur la lutte contre le terrorisme, datant de 1999, aucun texte régional ou continental ne
permet d'édifier une stratégie nationale).

La Stratégie régionale de stabilisation pour la région du Bassin du Lac Tchad actuellement


en cours d’élaboration par la Commission du Bassin du Lac Tchad et l’Union africaine, avec le
soutien de différents partenaires, est une fenêtre d’opportunité pour l’amorce d’un travail
d’appropriation de l’approche de la prévention de l’extrémisme violent par les acteurs régionaux.

ii. Discussions sur les stratégies et plans d’action nationaux et régionaux de


prévention de l’extrémisme violent

Les discussions menées en ce sens se sont notamment appuyées sur les conclusions de
l’étude empirique du PNUD susmentionnée (septembre 2017). Plusieurs implications politiques et
programmatiques ont été envisagées :

 Implications politiques

 Il est urgent de revoir la façon dont les législations ainsi que les interventions antiterroristes
axées sur la sécurité sont développées et appliquées, afin d’assurer leur plein respect des
droits de l'homme et de l’Etat de droit et l'amélioration globale de la gouvernance.

 Les solutions axées sur la construction de la paix et sur le développement sont essentielles
pour aborder les dynamiques et les moteurs de l’extrémisme violent. Seules, les solutions
militaires ne tiendront pas leurs promesses, voire alimenteront les cycles de violence.

 L’approche de prévention exige un changement de paradigme qui doit être discuté et


intégré à large échelle, tant par les structures concernées de l’Etat que par d’autres acteurs ;
l’élaboration de stratégies nationales ou régionales est un processus utile pour créer les
conditions propices à ce changement ; l’élaboration de plans d’action permet de mettre en
place un périmètre substantif d’interventions ainsi qu’un cadre opérationnel nécessaire à la
mise en œuvre de la stratégie ; la mise en œuvre d’un plan d’action devrait prévoir et
encourager le rôle des différents acteurs (Etat, société civile, secteur privé, etc.).

 Il importe d’expliciter les niveaux de corrélation entre l’Aide Publique au Développement


(APD) et la prévention de l’extrémisme violent et de résister à la tentation de requalifier les
programmes de développement en programmes de prévention de l'extrémisme violent.

 Il est primordial de créer des stratégies de sortie viables pour tous ceux qui cherchent à
quitter les groupes extrémistes violents. En cela, le terme « viable » implique d’aller au-

15
delà de la réconciliation ou du pardon, et d’aborder au fond les questions à l’origine des
déviances et du recours à la violence. Sans cela, les stratégies de « réintégration » risquent
de n’être que de courte vue et des boomerangs dangereux, pouvant créer de nouvelles
déceptions et alimenter de prochains cycles de violence.

 Implications programmatiques

 Il est primordial d’améliorer les résultats en matière de gouvernance et de développement


dans les régions périphériques et frontalières.

 Il importe de privilégier les canaux locaux. Dans la prévention de l’extrémisme violent, le


média c’est le message. Exprimé autrement, le messager porteur de la bonne parole est tout
aussi important que le message lui-même. Et ce messager doit être crédible et légitime aux
yeux des principaux destinataires, à savoir les recrues ou potentielles recrues des groupes
extrémistes violents. En effet, selon l’étude du PNUD susmentionnée, 48 % des recrues des
groupes extrémistes violents interrogées disent avoir eu connaissance d’initiatives visant à
empêcher les ralliements au moment de leur adhésion mais affirment les avoir largement
ignorées par méfiance à l’égard de ceux qui les leur avaient présentées.

 Tant dans le développement que dans la mise en œuvre de stratégies et plans d’action de
prévention de l’extrémisme violent, au plan national comme régional, il est fondamental de
s’appuyer sur quatre composantes sociales ont été identifiés comme des acteurs de premier
plan : les communautés, les institutions et leaders religieux, les femmes et les médias.

 La question d’Internet est à prendre avec précaution. D’une part, dans la région, l’Internet
ne joue pas (encore) un rôle primordial dans le recrutement au sein des groupes extrémistes
violents, les liens personnels, directs ou indirects, demeurant prévalants ; néanmoins, à
mesure que l’accès à l’internet progresse sur l’ensemble du continent, il se peut que son
influence en termes de capacité de recrutement s’accroisse également dans ces régions.
D’autre part, le focus de la prévention n’est pas la question du recrutement, mais bien des
raisons qui sont à l’origine du recours à la violence. Il n’est donc pas suffisant d’aborder la
question sous l’angle des véhicules disponibles (en l’occurrence, Internet) ou même du
message (et donc de proposer du « contre-message »). C’est la crédibilité d’un message
alternatif qui sera déterminante : si les offres alternatives sonnent creux, si elles ne sont
que de belles paroles sans action à la clé, elles ne sauront concurrencer l’attrait que
constitue l’extrémisme violent.

Enfin, la question du rôle respectif des Etats de la région et des organisations régionales ou
internationales, ainsi que des partenaires, fut discutée.

 Rôle des organisations régionales et des partenaires

 Le besoin fut ainsi exprimé de mieux connaître et de mieux prendre en compte les
initiatives en cours au niveau des divers Etats de la région en matière de prévention de
l’extrémisme violent.

 Ainsi que son corollaire : celui de faire en sorte que les initiatives des organisations sous-
régionales, régionales et internationales, ainsi que celles des partenaires, ne se substituent
pas mais visent à appuyer de tels efforts.

16
 Par exemple, un plaidoyer régional en faveur de l’approche de prévention, un appui au
renforcement des capacités nationales, des espaces permettant des échanges d’expériences
innovantes ou encore des analyses communes d’un phénomène transnational, de son
évolution et des réponses concertées, illustrèrent les besoins au niveau régional.

III Principales leçons apprises, propositions et recommandations

Réunis à l’occasion du « Séminaire régional pour la prévention de l’extrémisme violent


en Afrique Centrale et dans le Bassin du Lac Tchad », une soixantaine de participants d’horizons
fort divers avait pour objectif général de créer une dynamique progressive d’appropriation
effective d’une approche de prévention de l’extrémisme violent dans la sous-région Afrique
Centrale et dans le Bassin du Lac Tchad. Plus spécifiquement, il s’agissait de :

 Comprendre : Quelle est la réalité de l’extrémisme violent en Afrique Centrale et dans le


Bassin du Lac Tchad ? Et quelles en sont les causes ?

 Agir : Comment les acteurs peuvent individuellement et collectivement agir pour prévenir
l’extrémisme violent (expériences réussies de prévention) ?

 Structurer la prévention : Sur quelles bases des stratégies et des plans d’action nationaux de
prévention de l’extrémisme violent peuvent-ils être élaborés ? Comment lancer une
dynamique régionale de prévention de l’extrémisme violent en Afrique Centrale et dans la
région du Bassin du Lac Tchad ?

La qualité remarquable des intervenants et des participants, leurs connaissances des réalités
de la région et leurs propres expériences en matière de prévention de la violence, ont fait des deux
jours de séminaire un moment de riche partage et ont permis de dégager quelques enseignements
significatifs et enrichissants en vue de toute entreprise ultérieure :

Primo, la prévention de l’extrémisme violent n’est pas un choix ou une option mais une
nécessité qui met en emphase l’urgence d’agir en amont pour empêcher la production et la
reproduction de l’extrémisme violent. Une obligation qui appelle le concours d’une pluralité
d’acteurs tant à l’échelle nationale qu’à l’échelle régionale. Une obligation qui impose l’adoption
d’une stratégie de coordination de l’ensemble de mesures destinées à remédier aux causes
profondes de l’extrémisme violent.

Secundo, aborder sans tabou la question de l’extrémisme violent impose l’adoption d’une
double démarche : explicative et compréhensive. Une démarche explicative pour comprendre les
conditions structurelles de l’extrémisme violent telles que : ses causes, ses développements, ses
conséquences etc. Une démarche compréhensive pour prendre en compte la signification que
l’extrémiste donne au système dans lequel il est inséré, son regard sur son environnement, sur sa
place dans la société, l’image qu’il a de lui-même et de ceux qu’il combat et le mode de
gouvernance qu’il propose.

17
Tertio, la perception des causes de la violence extrême ne doit pas mettre sous le boisseau
les éléments suivants : la prise en compte de l’histoire « longue » de la région et des pays
concernés, la nature plus ou moins inclusive des institutions qui structurent la vie politique et
économique des pays de la région, les projets politiques des leaders, le contenu sociétal des
réponses données, ou non, par les gouvernements aux attentes de la population, les relations entre
la population et les Forces de défense et de sécurité qui combattent les extrémistes violents, l’image
que les citoyens ont l’Etat et de la gestion du combat que celui-ci mène contre les extrémistes.

Quarto, souligner l’importance de la recherche comme axe de la prévention. En effet, les


centres de recherche sont des instruments importants dans la mise en place d’un ensemble
d‘actions coordonnées de collecte, de traitement et de distribution, en vue de son exploitation, de
l’information utile à la prise de décision stratégique. Ressources pertinentes dans la réduction de la
part d’incertitude dans la prise de toute décision stratégique, les centres de recherche doivent être
considérés à leur juste valeur.

Quinto, la « nécessité de jouer collectif et de gagner en équipe ». C’est avec un ensemble


croissant d’acteurs de la communauté nationale et internationale, du gouvernement, des forces de
défense et de sécurité, de la société civile, des mondes académique et médiatique etc. que les
initiatives pour prévenir la violence, pour renforcer la résilience des citoyens, pour construire un
soutien mutuel dans la recherche d’alternatives à la violence brilleront par leur efficacité.

Et sexto, une invitation à ne pas succomber à la peur, la peur d’un ennemi « supposé » et
généralement « mal connu », la peur d’un « ennemi » souvent décrit par les médias comme un être
étrange, bizarre, imprévisible, sans foi ni loi, etc., comme un être contre lequel il faut agir avec
violence afin de rendre efficace cette antienne qui prescrit de « ne pas négocier avec les
terroristes », fussent-ils ou fussent-elles nos frères, nos pères ou nos filles.

Sur la base de ces enseignements, les recommandations suivantes ont été formulées.

 Recommandations relatives à l’importance de la recherche

 Mobiliser le concours des chercheurs et experts pour combler le déficit d’études fondées
sur des méthodes empiriques en matière de prévention de l’extrémisme violent ; pour
trouver, interpréter, rendre utilisable, et faire parvenir aux bons décideurs au bon moment,
l’information à valeur stratégique ;

 Accompagner et soutenir les initiatives prises en la matière par les centres de recherche, les
think tank, afin de comprendre les causes profondes de l’extrémisme violent et de proposer
des alternatives appropriées ;

 Capitaliser sur les résultats des recherches effectuées ;

 Initier une étude scientifique sur le rôle des femmes dans les groupes extrémistes violents
comme Boko Haram ;

18
 S’appuyer sur les think tanks pour contribuer à la structuration des échanges sur la PEV en
proposant des cadres méthodologiques toujours plus adaptés aux objectifs à atteindre dans
le cadre du dialogue des différentes parties prenantes.

 Recommandations relatives à la gouvernance et au rôle de l’Etat

 Saisir l’opportunité de l’approche de prévention de la violence pour promouvoir un


diagnostic commun du problème, promouvoir le dialogue et renforcer le contrat social ;

 S’investir dans des modes de fonctionnement aux différentes échelles utiles de l’Etat
(nationales, régionales, locales) permettant au citoyen de participer effectivement à la prise
des décisions le concernant. L’idée à promouvoir ici est celle d’une gestion inclusive des
affaires de la cité, facteur clé dans la consolidation du « vivre ensemble » ;

 Réinstaurer l’autorité de l’Etat dans les zones éloignées, marginalisées voire abandonnées
en misant sur le paradigme de l’utilité de l’Etat comme véhicule de l’établissement de
nouveaux rapports entre Etat, communautés et citoyens ;

 Etablir le cadre et les bases d’un dialogue ouvert impliquant toutes les parties prenantes –
gouvernement, forces de défense et de sécurité, société civile, groupes extrémistes violents,
etc. ;

 Promouvoir et fédérer les initiatives publiques, privées ou citoyennes contribuant à la


construction collective d’une paix et de l’appartenance à la nation comme alternatives à
l’extrémisme violent ;

 S’assurer d’un encadrement par l’Etat du système éducatif, qu’il soit laïc ou coranique, afin
de s’assurer du contenu des enseignements dispensés aux apprenants, en veillant en
particulier à l’introduction des valeurs de paix, de non-violence, de tolérance pour la
diversité, de démocratie et de citoyenneté dans les enseignements ;

 S’astreindre au respect de la répartition juste et équitable des richesses ;

 Mettre en place des politiques économiques et financières destinées à faire incuber, attirer
et retenir les activités économiques sur le territoire national -, condition sine qua non pour la
création d’emplois décents et pour le renforcement de la résilience des jeunes.

 Recommandations adressées aux femmes, aux jeunes et aux communautés

Les femmes sont appelées à :

 S’assurer de manière pro-active de leur implication effective dans la prévention de


l’extrémisme violent ;

 Prendre acte de l’importance accrue de leur rôle dans la diffusion de messages de paix. La
force de l’amour dont elles jouissent leur assure une certaine forme de reconnaissance vis-
à-vis de leur environnement qu’elles doivent capitaliser ;

19
 Affirmer sans ambigüité leur attachement au renforcement de leurs capacités de résilience
à l’extrémisme violent.

Du fait de leur position privilégiée dans la production et la reproduction de l’extrémisme


violent – sans le concours des jeunes, les groupes armés extrémistes n’atteindront pas leurs
objectifs –, les jeunes sont appelés à s’impliquer de manière toujours plus déterminante dans
l’élaboration et la mise en œuvre de stratégies susceptibles de :

 Favoriser leur insertion socioprofessionnelle ;

 Promouvoir une communication non violente sur les médiaux sociaux et au sein de leurs
différentes communautés d’appartenance (famille, amis, communautés religieuse, ethnique
etc.) ;

 Tenir le plus grand compte des mesures destinées à renforcer leur résilience face à l’attrait
de l’extrémisme violent.

Les communautés et la société civile devraient envisager de :

 Renforcer leurs efforts dans la reconstruction et la consolidation du lien social et du « vivre


ensemble » entre toutes les composantes de la société ;

 Promouvoir les comportements favorables au dialogue et dénoncer les attitudes contraires


aux valeurs acceptées ou souhaitées par tous (la culture de la paix, l’état de droit, la bonne
gouvernance, le développement etc.) ;

 S’investir dans l’éducation et la formation des individus sur les enjeux d’une appropriation
effective de l’approche de prévention de l’extrémisme violent tant à l’échelle locale, qu’aux
échelles nationale et régionale.

 Recommandations relatives aux forces de défense et de sécurité

 S’engager résolument dans la « conquête des cœurs et des esprits » à travers une stratégie
d’influence efficace, destinée à créer, développer et maintenir leur notoriété, leur image et
leur réputation auprès de la population. Car, l’établissement et l’entretien de relations
fructueuses et durables dont les forces de défense et de sécurité ont besoin pour conserver
leur acceptation sociale aux yeux de l’opinion est un adjuvant indispensable dans la
prévention de la violence extrémiste ;

 Veiller au respect scrupuleux des droits de l’homme en condamnant fermement les actes «
d'extrême cruauté » des FDS ;

 Adapter leur mandat à l’approche de prévention de l’extrémisme violent.

 Recommandations relatives aux médias

 Renforcer les capacités des professionnels des médias en matière de prévention de


l’extrémisme violent ;

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 Faire évoluer les esprits vers la compréhension des causes réelles de l’extrémisme violent,
de façon à ne pas tomber dans les pièges du manichéisme et à faire adhérer le public au
principe de l’inclusion. Utiliser à cet effet les médias de proximité (radios communautaires)
et les outils modernes (internet, médias sociaux) et traditionnels (contes) de communication
pour donner un message différent de celui développé par les extrémistes ;

 Veiller à la production et la diffusion de programmes en langues locales promouvant la


paix, la non-violence et la tolérance, et permettant de participer à l’articulation entre le
diagnostic du problème de l’extrémisme violent et la proposition de réponses appropriées ;

 Recommandations relatives à la dimension régionale de la Prévention de l’extrémisme


violent

 Mettre en place un cadre et une stratégie régionale d’information et de communication


dans le cadre de la prévention de l’extrémisme violent en Afrique Centrale ;

 Mutualiser les connaissances, les expériences et les produits là où possible ;

 Susciter un meilleur ancrage de l’approche de prévention par la promotion d’espaces de


dialogue inclusif multi-acteurs et d’échanges régionaux ;

 Mobiliser l’appui des organismes régionaux et/ou partenaires en vue du renforcement des
cadres nationaux de prévention de l’extrémisme violent ;

 Promouvoir et soutenir au plan régional le renforcement des capacités des différents


acteurs concernés en faveur d’une démarche de prévention de l’extrémisme violent ;

 Promouvoir et soutenir des initiatives ou cadres régionaux de mise en commun et de


collaboration en vue de travaux de recherche consolidant la compréhension de
l’extrémisme violent et des pistes de prévention à renforcer, et tenant compte également de
la dimension transnationale du phénomène.

IV Mise en perspective

Ce séminaire qui se présentait comme une suite des efforts engagés lors des Conversations
régionales de Dakar et de N’Djamena a permis de faire émerger un véritable consensus sur
l’importance de l’approche de prévention de l’extrémisme violent. De manière globale, il a
répondu à un besoin de mise à niveau et de mise en commun autour de l’approche et des
expériences de prévention ; il a permis d’approfondir la compréhension du concept de
« prévention », de mesurer l’importance du « jeu collectif » et de se rendre compte de la nécessité
d’adopter des plans nationaux et régionaux de prévention, à travers des processus inclusifs. Il a
donc fourni aux participants des outils permettant de prendre des décisions en meilleure
connaissance de cause, d’anticiper, d’optimiser le temps, l’énergie et les ressources en travaillant
sur des hypothèses crédibles, d’éviter de prendre de risques inutiles et de jouir d’une plus grande
liberté d’action.

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Partant, les appels à ce que les organisateurs n’abandonnent pas en chemin ceux qui se sont
réunis pour la première fois à Yaoundé furent clairs, en particulier de la part des participants
tchadiens, camerounais et centrafricains.

C’est donc logiquement qu’il fut décidé que ce travail soit poursuivi le plus activement
possible afin de soutenir et faire fructifier les nombreuses initiatives et projets évoqués. Un espace
de dialogue structuré, destiné à appuyer l’émergence de nouvelles initiatives efficaces et inclusives
en faveur de la promotion de la paix et de la stabilité, fut aussi préconisé. Les organisateurs du
séminaire s’assureront pour leur part d’y répondre dans la mesure de leur moyens, tout en invitant
toutes les parties prenantes à s’engager résolument, à quelque niveau que ce soit, à traduire en
action cet effort de prévention de la violence.

Les résultats du séminaire présentés dans ce rapport final seront largement diffusés, et
serviront également à alimenter les idées, les échanges d’expériences et la participation aux
prochaines Conversations régionales pour la prévention de l’extrémisme violent. Dans la même
logique, ils seront déposés sur la Plateforme en ligne PEV, lancée en janvier 2017 par le DFAE
suisse et le GCPS (https://pveplatform.forumbee.com) et sur le site internet du CEIDES
(www.ceides.org).

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Annexe

Photos

Allocution du RSSG UNOCA Interview du RSSG UNOWAS

Première session plénière Allocution de l’Ambassadeur de Suisse en République du


Cameroun, République centrafricaine et Guinée Equatoriale

Groupe de travail Session plénière

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