Lucien Herr Bibliothecaire
Lucien Herr Bibliothecaire
Lucien Herr Bibliothecaire
Anne-Cécile Grandmougin
Mes remerciements vont aussi à Mme Evelyne Cohen, professeure à l’Enssib, qui m’a
suggéré d’intéressantes et de fructueuses pistes de réflexion.
Lucien Herr est célèbre pour avoir été le directeur de la bibliothèque de l’Ecole
collections dans tous les domaines, et où il fut un guide pour les jeunes
Jean Jaurès et Léon Blum. Il fut aussi pendant dix ans directeur du Musée
Descripteurs :
Abstract :
Lucien Herr is famous because he was the director of the Ecole Normale
Superieure Library from 1888 to 1926. He improved very much the collections in
all areas of general culture, and he was a guid for all young generations. As an
intellectual actor, he took part to the Dreyfus Affaire, and to the socialist
movement. He influenced the main socialiste leaders, like Jean Jaures or Leon
Blum. He managed also the Musée pédagogique, which was a very original
institution, and where he was an inovator for the libraries world. He preferred
Keywords :
Droits d’auteurs
INTRODUCTION.......................................................................................................9
SOURCES .................................................................................................................67
BIBLIOGRAPHIE ....................................................................................................69
« Tout mon rêve, toute mon ambition, c’est la bibliothèque de l’école... C’est la
seule chose que je désire, mais celle-là, je la rêve et je la désire depuis des années.
... Je ne considèrerais pas cette situation comme transitoire, mais bien comme
définitive... Y a-t-il d’autres conditions que vous considériez comme nécessaires ?
J’y souscris d’avance : je suis prêt à tout ».
C’est en ces termes étranges que Lucien Herr soumet à Georges Perrot, directeur de
l’Ecole Normale Supérieure, sa candidature au poste de bibliothécaire, le 11 décembre
1887 1. Le ton, anxieux et pressant, ne laisse pas de doute sur l’importance cruciale qu’il
attache à cette fonction. Herr est alors un jeune agrégé de philosophie, qui rentre
d’Allemagne où il a été envoyé, comme chaque années les meilleurs Normaliens de leur
promotion, pour rédiger un rapport sur la situation de la philosophie à l’université.
Charles Andler, l’ami le plus intime de Herr, socialiste comme lui, et qui lui a consacré
une biographie peu de temps après sa mort, raconte qu’à son retour, Lucien Herr vit une
sorte de crise mystique de plusieurs mois, au cours de laquelle il lit beaucoup, et rompt
avec ses amis. C’est à l’issue de cette période mystérieuse qu’il prend la décision de
consacrer sa vie à la Bibliothèque de l’Ecole.
Paradoxalement, c’est précisément la ferveur de cette « vocation bibliothécaire » qui
vaudra à Herr un premier refus. Dans une lettre datée d’avril 1888, Perrot confie à
Joseph Bédier, lui aussi candidat au poste, qu’il conçoit la place de bibliothécaire
comme une commodité provisoire, permettant à un agrégé de « profiter du traitement et
des loisirs qu’elle assure pour terminer une thèse ou un livre »2. Tout le contraire en
somme du projet de vie affirmé par Herr. Andler raconte qu’il faudra l’intervention
personnelle de Louis Liard, alors Directeur de l’Enseignement supérieur, pour que Herr
soit nommé à ce poste.
De fait, contrairement à ses prédécesseurs, Jules Chantepie de Dézert, et Alfred Rébelliau,
tous deux agrégés, qui quittèrent la Bibliothèque après quelques années pour briguer,
respectivement, l’Inspection générale des Bibliothèques universitaires, et la chaire de
littérature française de l’Université de Rennes, Herr refusa la plupart des postes qui lui seront
proposés. Il n’acceptera que le poste de directeur du Musée pédagogique, établissement
polymorphe où il sera nommé en 1916. Il cumulera cette fonction avec la bibliothèque de la
rue d’Ulm. Nommé à l’Ecole en novembre 1888, il y restera 34 ans, jusqu’à sa mort, le 18
mai 1926. « Je compte rester fidèle jusqu’au bout à ma vielle tâche de l’Ecole » déclare-t-il à
Andler dans une lettre datée du 20 mai 19253. L’Ecole se souvient de ce long magistère : le
buste de Lucien Herr, inauguré en 1928, trône toujours dans la salle de lecture de la
Bibliothèque de Lettres.
Pourtant, peu de traces demeurent, et dessiner le portrait de Herr bibliothécaire relève du défi.
La quasi-absence de sources primaires concernant directement la bibliothèque, ou pire encore,
le Musée pédagogique, rend la reconstitution de la carrière de Herr extrêmement malaisée.
Quatre fonds d’archives4 auraient été susceptibles de contenir des informations. Le fonds
administratif conservé à la Bibliothèque de la rue d’Ulm, les archives de l’Ecole et le fonds du
1
Cette lettre se trouve dans le fonds conservé aux Archives nationales. Elle est reproduite intégralement en annexe 1.
2
Lettre à Joseph Bédier, citée par Charles Andler, La Vie de Lucien Herr, François Maspero, Paris, 1977, p. 71
3
Fonds Lucien Herr à Sciences Po, LH2, dossier 4.
4
Le contenu de ces fonds est détaillé dans l’état des sources.
On peut donc dire que si le « Herr socialiste » est assez bien connu, le « Herr Bibliothécaire »
en revanche est une personnalité centrale mais mal connue, qui acquiert ainsi une dimension
presque romanesque, de héros mystérieux à la science inouïe, sachant toutes les langues,
5
Vu la rareté des sources directes sur les activités de Herr à la bibliothèque, nous avons choisi de reproduire en annexes
plusieurs de ces documents.
6
Etienne VERLEY, « Lucien Herr et le positivisme », Romantisme, n°21-22, p. 221
7
Daniel LINDENBERG et Pierre-André MEYER : Lucien Herr, le Socialisme et son destin, Calmann-Lévy, Paris, 1977
8
Antoinette BLUM : Correspondance entre Charles Andler et Lucien Herr 1891-1926, Presses de l’Ecole Normale Supérieure,
Paris, 1992.
Contexte
Les deux dernières décennies du 19 ème siècle sont marquées par une forte polarisation du
monde de la pensée. Du point de vue philosophique, comme du point de vue politique, la
géographie qui persistera pour plusieurs décennies entre la droite et la gauche, entre un
élan réformateur, et des valeurs conservatrices, est en train de se mettre en place.
Il est intéressant de constater que trois grands historiens de l’histoire intellectuelle,
Michel Winock, Pascal Ory et Jean-François Sirenelli, trouvent dans le roman de Barrès
(1862-1923), Les Déracinés, premier volume de la trilogie du Roman de l’Energie
nationale, l’illustration du clivage en train de se constituer9. Le personnage principal de
ce roman figure les valeurs qui s’opposent au tournant du siècle. Paul Bouteiller est un
professeur de philosophie, boursier, provincial, qui emmène avec lui à Paris certains de
ses élèves. Son secret espoir est d’y devenir député. Il est le prototype de l’intellectuel
républicain, qui annonce l’espèce, honnie par Barrès, de l’agrégé entré en politique et
acteur de premier plan de la « République des professeurs », revendiquant l’ascension
sociale par le mérite, le savoir et le diplôme. Pacifiste et universaliste, défenseur des
valeurs républicaines, son opportunisme se dévoile dans sa course pour entrer à la
Chambre, où il se retrouve finalement éclaboussé par les scandales d’une classe
parlementaire corrompue. Face à lui, la pureté du moralisme de l’auteur, affirme un
nationalisme attaché aux racines, à la terre natale, à l’armée.
Jusqu’à la fin du siècle, et son engagement comme chef de file du camp antidreyfusard
fin 1897, Barrès jouit d’un formidable prestige auprès de la classe intellectuelle. Son
anticonformisme et l’exaltation de ses romans de la fin des années 1880 en font le
maître à penser des jeunes esprits, soulevés contre les normes imposés par la tradition.
Blum lui-même ira consulter le « maître » pour tenter de rassembler autour de lui les
dreyfusards. Ce sera le moment de la rupture, et de la radicalisation. Mais c’est dire
assez l’influence de Barrès, et sa capacité à incarner, sur le terrain des idées, le côté
droit de la France intellectuelle.
Parallèlement, sur le terrain politique, le boulangisme sert de catalyseur aux adversaires
de la Troisième République. Le général Boulanger, ou « Général Revanche » est un fer
de lance de l’antiparlementarisme. Ses soutiens voient en lui l’occasion d’engager de
profondes révisions constitutionnelles, voire de renverser la République par un coup
d’état. Son bellicisme militaire nourrit les déçus de l’immobilisme parlementaire après
9
Voir à ce sujet les premiers chapitres de : WINOCK, Michel : Le Siècle des Intellectuels, Seuil, Paris, 1999, et de ORY, Pascal
et SIRENELLI, Jean-François : Les Intellectuels en France, de l’Affaire Dreyfus à nos jours, Perrin, 1987
Lucien Herr entre à l’Ecole normale supérieure en 1883. Agrégé à 22 ans, il prend la
direction de la bibliothèque deux ans plus tard, en 1888. C’est pour l’Ecole, et pour
l’enseignement supérieur en général, une période charnière. Louis Liard (1846-1917),
normalien agrégé de philosophie, qui devient directeur de l’Enseignement supérieur au
Ministère de l’Instruction publique en 1884, attribue la défaite de 1871 au retard
intellectuel de la France sur l’Allemagne. Il écrit dans son Histoire de l’enseignement
faut s’atteler au « relèvement de l’enseignement supérieur, car la force d’une nation ne
réside pas seulement dans ses armées, mais aussi dans ses écoles savantes »10.
Le positivisme, qui gagne la jeune génération des intellectuels, est encouragé. De grands
intellectuels progressistes, comme Paul Vidal de la Blache (1845-1918), normalien
agrégé d’histoire et de géographie, et Gabriel Monod (1844-1912), agrégé d’histoire,
font leur entrée. Ils deviennent professeurs à l’Ecole respectivement en 1877 et 1879. Ils
cherchent à introduire dans leur enseignement de l’histoire les méthodes critiques et
scientifiques appliquées dans les universités allemandes. L’effort de rénovation se
heurte cependant à la réaction anti-scientiste. Reflet de la polarisation de la société, un
conflit entre Anciens et Modernes se joue à l’Ecole dans les dernières décennies du
19 ème siècle. Quand Herr arrive à l’Ecole, les humanités classiques se taillent toujours la
part du lion dans les enseignements. Les programmes des conférences de 1883 pour les
lettres, reproduits par Lindenberg11 en témoignent. Le français, le latin et le grec
occupent 18 heures de cours sur les 25 ou 26 hebdomadaires en première et en deuxième
année. Les cours de philosophie, 3 heures par semaine, sont assurés par Léon Ollé-
Laprune, farouche défenseur de l’Eglise, catholique militant et réactionnaire. Il
privilégie un enseignement classique, sur la ligne Platon-Descartes-Leibniz-Kant et la
tradition spiritualiste française, et ignore la philosophie anglaise et allemande du 19 ème
siècle (comme le hégélianisme). L’histoire se limite à l’histoire ancienne, avec trois
heures de cours par semaine également. La grammaire et la géographie sont considérées
comme des sciences auxiliaires, et ne font pas l’objet d’une conférence spéciale. Les
langues et les sciences sociales ne sont pas étudiées.
Herr rejoindra dès l’Ecole le camp des positivistes. Parmi les élèves, une nouvelle
génération est en train d’émerger. Leur libéralisme politique se confirme lorsque,
pendant la crise boulangiste, ils votent les manifestations contre le Général. Nourris de
philosophie allemande et de rationalisme, ils rejettent le spiritualisme d’un Ollé-
Laprune, et le mysticisme égotique de l’auteur du Culte du Moi. Herr est parmi les plus
farouches défenseurs du rationalisme. Au début de son texte Le progrès et
l’Affranchissement, il fustige le « sentimentalisme mystique », et renvoie dos à dos les
« sentimentaux » et les « intellectualistes ». L’esprit nouveau, « l’état nouveau de la
pensée » doit être : « immanence, rationalisme, autonomie »12.
C’est dans cette perspective que Herr, alors qu’il sera bibliothécaire, fera son possible
pour donner droit de cité aux sciences sociales à l’Ecole, et surtout, l’ouvrir sur le
monde contemporain. Que le savant soit aux prises avec le réel c’est le cœur de la
conception herrienne de l’intellectuel.
10
Louis LIARD, Histoire de l’enseignement supérieur, 1888-1894, tome 2, p. 337, cité par Daniel LINDENBERG, op.cit., p. 29.
11
Daniel LINDENBERG, op.cit., p.36
12
Lucien HERR, Choix d’écrits II, Philosophie, Histoire, Philologie, Rieder, Paris, 1932, p.11
Le socialisme
Car ces « beaux esprits » doivent être tout entiers tournés vers la réalité sociale. « Je
n’appelle intellectuels, écrit Lavrov, que ceux qui servent le développement de la
solidarité humaine, quelle que soit l’étendue de leurs connaissances et le métier où ils se
trouvent. Un ouvrier qui tend à mieux comprendre, à servir son idéal social, a beaucoup
plus droit au titre d’intellectuel qu’un professeur, auteur d’ouvrages multiples, qui reste
étranger à toutes les questions de son temps »18. Herr dira aussi le mépris qu’il porte à
« la débauche d’érudition sans but ». En ces matières dit-il, il faut se garder du « joli »,
pour se consacrer à « l’utile »19. « Mon esprit et mon cœur ne sont plus là, écrit-il à
Andler à l’automne 1902, je ne m’intéresse plus assez aux choses qui sont purement
spéculatives ; je ne suis plus capable d’intérêt passionné que pour ce qui aboutit à de la
pratique, à de l’élargissement intellectuel et social »20.
L’engagement bibliothécaire de Herr a la forme d’une mission : faire sortir la
bibliothèque de l’élégante érudition pour la tourner vers le monde.
Le hégélianisme
Le grand projet de Herr, dont Andler regrette tant qu’il n’ait jamais vu le jour, est un
Hegel en trois volumes. Ecrasé par ses nombreuses besognes, court-circuité lors de son
voyage en Allemagne par les ayant-droits de Hegel qui refusent de le laisser accéder au
manuscrits inédits du maître21, Herr n’écrira à ce sujet que l’article « Hegel » de la
Grande Encyclopédie22. S’y ajoutent des fragments « deux liasses inégales », qui portent
le titre Le progrès intellectuel et l’affranchissement avec le sous-titre Le progrès en
conscience et en liberté. Retrouvés par Andler, ainsi qu’il le raconte lui-même dans sa
biographie23., ils sont ensuite publiés, à titre posthume, par Mario Roques dans les Choix
d’écrits de Lucien Herr24. Très teintés de hégélianisme, ils constitueraient, selon Andler,
l’ébauche d’une œuvre mystérieuse, plus personnelle, dont Herr aurait parlé à un petit
18
Cité par Georges LEFRANC, op.cit., p. 81
19
Fragments réunis sous le titre La Révolution sociale, fonds d’archives du Centre d’Histoire de Sciences Po, carton LH5,
dossier 1, p. 113
20
Antoinette BLUM, op.cit., lettre 10, p. 64. Cette lettre est fondamentale pour comprendre le sens de l’engagement
bibliothécaire de Herr. Sa partie la plus importante est reproduite en annexe 4.
21
Charles ANDLER, op.cit., p. 64-65
22
Marcellin BERTHELOT (dir.), La Grande Encyclopédie, Inventaire raisonné des sciences, lettres et des arts, Article “Hegel”,
Société anonyme de la Grande Encyclopédie, Paris, 1886-1902. Cet article est intégralement reproduits dans Lucien Herr, Choix
d’écrits II, op.cit., p. 109-146
23
Charles ANDLER, op.cit., p. 91
24
Lucien HERR, op.cit., p. 9 à 47
nombre d’amis, et dont le Hegel aurait dû être une introduction. Andler en date
l’écriture des années 1888-1890.
Le hégélianisme de Herr élève le progrès de l’esprit au rang moteur historique. Si cette
conception est habitée par l’idéal socialiste de libération du prolétariat, elle a aussi une
dimension encore plus essentielle de véritable philosophie de l’histoire, de
compréhension de la marche des civilisations vers leur accomplissement.
Ce texte, d’une trentaine de pages, alterne aphorismes et développements plus longs
(n’excédant pas toutefois deux ou trois pages). C’est une source précieuse pour
comprendre la philosophie de l’histoire de Herr, et sa conception du progrès de l’esprit
humain.
Le texte commence par une déclaration éminemment hégélienne, qui nous installe dans
une philosophie du progrès, et de l’immanence :
« Il n’y a point de vérité. Il n’y a pas d’idéal réalisé hors de nous, et vers lequel
nous gravitons par approximations successives ; il n’y a pas une vérité que nos
moyens de connaître puissent et doivent atteindre et s’approprier, lambeau par
lambeau. Il n’y a pour l’homme qu’une vérité, la vérité humaine »25.
Cette phrase nous inscrit d’emblée dans un rationalisme qui refuse toute transcendance. La
science en effet ne vise pas au dévoilement d’une vérité qui nous serait jusque là demeurée
inaccessible, en raison de l’insuffisance de notre connaissance. L’esprit humain évolue, par
moment successifs, mais pas vers un but qui lui préexisterait et qui lui serait supérieur. Il suit
sa loi propre, et construit progressivement sa propre vérité.
Ce préalable est explicité par ce très beau passage sur la libération de l’esprit :
« [Le Progrès] c’est en réalité le sentiment critique, devenant, devenu l’esprit
critique, la conscience maîtresse. C’est l’assurance souveraine de l’esprit sachant
enfin, comme autant de moments abolis et dépassés, les étapes qu’il a dû franchir,
les contraintes qu’il a subies et qu’il s’est imposées, les dogmes dans lesquels il
s’est momentanément reposé, les puissances qu’il a dressées en face de lui-même,
et devant lesquelles il s’est incliné. C’est ... l’esprit maître enfin de lui-même, et se
jouant des fantômes qu’il s’est donnés à lui-même et dont il a eu peur »26.
L’instrument de conquête de cette vérité est la critique, qui permet à l’esprit de s’affranchir
des dogmes, et de prendre conscience de sa propre libération, de sa marche vers la conscience
de lui-même. C’est le mécanisme du Progrès. S’il est désirable, c’est qu’il nous fait la vie
meilleure :
« La vie est bonne, et la vie que les progrès de l’esprit nous ont faite est la
meilleure et la plus précieuse qu’on ait encore vécue »27.
A échelle humaine, c’est en générations que le progrès se mesure, la condition du progrès
étant « d’augmenter l’indépendance de chaque génération nouvelle »28.
La vérité humaine dont parle Herr, et vers lequel l’esprit progresse, c’est le mouvement par
lequel il se défait, en conscience, des mensonges historiques, et accomplit, en se connaissant
lui-même, son propre affranchissement.
Ces duperies, ces fantômes, quelles sont-ils ? Les doctrines, la religion, ce qui pour Herr
signifie : les systèmes de pensée qui expliquent les faits accomplis, qui les justifient, et qui les
présentent comme naturels. Autrement dit, une doctrine « constate un état et le systématise,
l’explique métaphysiquement. C’est donc un mensonge »29. La doctrine, comme la religion,
25
Lucien HERR, op.cit., p. 13
26
Lucien HERR, op.cit., p. 17
27
Lucien HERR, op.cit., p. 16
28
Lucien HERR, op.cit., p. 27
29
Lucien HERR, op.cit., p. 28
30
Lucien HERR, op.cit., p. 34
31
Lucien HERR, op.cit., p. 27
instruments de travail y font défaut. Un premier fonds est composé, qui contient surtout
des lexiques, des textes classiques, et quelques ouvrages de sciences, de philosophie.
Les acquisitions sont extrêmement réduites, et la Bibliothèque ne reçoit pas de dons.
En 1814, l’Ecole déménage. Elle quitte l’ancien collège du Plessis, rue Saint Jacques,
pout s’installer dans les bâtiments de la Congrégation du Saint Esprit, rue des Postes
(actuelle rue Lhomond). L’insuffisance de cet embryon de bibliothèque se fait sentir de
plus en plus. Le Conseil de l’Instruction publique recommande de faire transférer dans
ces locaux la Bibliothèque de l’Université, que les élèves de l’Ecole partageront avec
ceux de la Sorbonne. C’est finalement le directeur d’alors de l’Ecole, M. Guéneau de
Mussy, favorable à la constitution d’une bibliothèque propre pour l’Ecole, qui a gain de
cause. Quatre ans plus tard, la Bibliothèque bénéficie d’une réelle reconnaissance, en se
voyant attribuer, en propre, une somme d’argent annuelle. La Bibliothèque de
l’Université l’aide à accroître ses collections en lui donnant ses doubles.
A partir de ce moment, la Bibliothèque connaîtra des périodes d’expansion notable
(période de la révolution de juillet 1830), et de ralentissement (1851). Mais les
collections se développent à mesure que les études se diversifient à l’Ecole, en histoire
et en littérature française notamment. De plus, la Bibliothèque commence à se voir
attribuer des fonds de chercheurs décédés, ou à recevoir des dons. En 1832, l’Etat
récupère la Bibliothèque Cuvier à la mort du scientifique ; il partage les collections entre
différents établissements, dont l’Ecole. En 1887, un an avant l’arrivée de Lucien Herr,
l’historien Charles Caboche lègue à la Bibliothèque une collection de 2500 volumes,
riche en littérature et en mémoires historiques. Le nombre d’ouvrages conservés
augmente rapidement : de 20 000 volumes en 1845, on passe à 60 000 en 1878, 77 000
en 1882, plus de 100 000 en 1895.
Les principes d’acquisition font de la Bibliothèque de l’Ecole une bibliothèque faite
pour l’étude. La bibliothèque s’interdit les acquisitions de pure curiosité, et évite les
ouvrages de simple vulgarisation. Fustel de Coulanges (1830-1889), directeur de l’Ecole
de 1880 à 1883, juste avant l’arrivée de Herr à l’Ecole comme élève, est réputé veiller
attentivement et sévèrement au contrôle des achats 32.
32
Paul VIDAL DE LA BLACHE, « La Bibliothèque de l’Ecole », in Le centenaire de l’ENS 1795-1895, Ecole Normale
Supérieure, Paris, 1895, p. 447-453,
33
Georges CANGUILHEM, in Bulletin de la société des amis de l’ENS, n°138, mars 1977, p. 25
Même si Herr n’a pas formalisé, ou n’a pas laissé derrière lui de document formalisé
concernant sa « politique documentaire » pour la Bibliothèque de la rue d’Ulm, on peut
néanmoins en reconstituer le fonctionnement, et les grands principes.
C’est Herr lui-même, qui qualifie sa pratique frénétique de la lecture, et d’étude, de
« curiosité vorace »34. On pourrait aussi parler d’une incroyable science encyclopédique,
ou d’encyclopédie vivante, comme Hubert Bourgin, cadet de Herr de dix ans et
compagnon dreyfusiste de la première heure, le dit à son propos. Non content de savoir
l’allemand, l’anglais, le latin et le grec, Herr a appris l’italien, plusieurs langues slaves
dont le russe, ainsi que plusieurs langues celtiques : le gallois, appris scientifiquement,
l’irlandais ancien et le breton. Il connaissait ces langues suffisamment pour pouvoir
écrire sur elles des articles de recherche et prendre part aux débats philologiques
contemporains extrêmement pointus 35. Ses « spécialités » disciplinaires sont
innombrables. Ainsi, en philosophie, il couvre aussi bien la philosophie hégélienne que
platonicienne. Il avait en effet projeté d’écrire une somme bibliographique contenant
toutes les interprétations menée sur Platon depuis les origines, et de faire de cette glose
colossale une présentation systématique. L’ouvrage devait s’appeler Bibliotheca
Platonica. On trouve d’ailleurs dans ses archives environ 200 fiches bibliographiques
manuscrites, qui concernent les commentateurs platoniciens de la Renaissance et de la
Réforme, qui sont sans doute l’ébauche d’un état des lieux de la littérature platonicienne
pour cette période36. Ses articles de recension d’ouvrages, parfois très longs, attestent
plus largement, d’une grande maîtrise de Rousseau, de l’idéalisme allemand, du
libéralisme anglais, de la science économique en générale, de la philosophie antique, de
la géographie en train d’émerger en tant que telle, de l’histoire politique des pays
européens... L’étendue des connaissances de Herr est réellement inouïe. Cette
constatation stupéfaite se retrouve dans l’immense majorité des témoignages portés sur
lui.
Cette « qualité » intellectuelle de s’intéresser à tout se double d’une capacité de lecture
étonnante, et ce dès son entrée à l’Ecole. Daniel Lindenberg et Pierre-André Meyer ont
dressé une liste des lectures de Herr, à partir des registres de prêt aux élèves conservés à
la Bibliothèque de l’Ecole. La liste des emprunts de Herr est si longue qu’aux gros
registres il a fallu rajouter pour lui des feuillets supplémentaires. Ainsi, sur l’année
1885-1886, Herr a emprunté : novembre : 106 documents ; décembre : 28 ; janvier : 18 ;
février : 16 ; mars : 10 ; avril : 2 ; mai : 58 ; juin : 37 ; juillet : 12 ; août : 11. Les
lectures de Herr sont essentiellement allemandes. Herr lit les œuvres de Hegel bien sûr,
celles de ses disciples (Feuerbach, Rosenkrantz), ainsi que Fichte, Goethe, Schelling,
Schlegel, Leibniz et Kant. Les philosophes allemands contemporains sont présents
également dans les collections de la bibliothèque, et dans ses emprunts (Schopenhauer,
Duhring, Hartmann). L’influence du positivisme se voit dans les nombreux emprunts de
Darwin (Origine des espèces, Descendance de l’homme), ou Stuart Mill (Le positivisme
logique). Parmi les philosophes français, Herr s’intéresse aux Lumières, en particulier à
Rousseau et à Diderot, mais aussi à Condorcet. Le 19 ème siècle français est représenté
par Tocqueville, Comte, Renan, ou Taine. Herr emprunte aussi Fouillée (La Science
sociale contemporaine, Critique des systèmes de morale : Propriété sociale et
démocratie, l’Idée moderne de droit), Renouvier (Logique, Essais de critique).
34
Voir l’importante lettre adressée à Andler le 25 septembre 1905, reproduite en annexe 4.
35
Voir par exemple l’article « De la transcription des noms slaves » in Annales de géographie, 1921, n° 166, reproduit dans
Lucien HERR, op.cit., p. 159-167
36
Fonds Lucien Herr, Centre d’histoire de Sciences Po, LH5 D4
Ces lectures attestent d’un intérêt pour la science allemande d’une part, pour le
positivisme, et les sciences sociales et humaines d’autre part. Les œuvres socialistes ne
sont pas encore disponibles à l’Ecole. Le Kapital de Marx (1867) sera acheté par Herr
lui-même, en 1890 37.
Cette capacité de lecture démesurée sera son premier outil de travail. Un intéressant
témoignage de Charles Andler, dont l’intimité avec Herr s’est resserrée depuis leur
entrée commune « en socialisme » en 1889, nous donne un portrait vivant du
bibliothécaire au travail. Nous choisissons de reproduire ce témoignage en entier,
malgré sa longueur, car la finesse de son analyse nous donne des détails précieux, et trop
rares, sur la pratique que Herr avait de son métier au quotidien :
« Sa Bibliothèque, il l’aimait. C’est pourquoi il y est toujours resté attaché.
Expliquons-nous cet amour, à qui il a tout donné de sa vie. Le matin, quand il
s’installe à son grand bureau, il trouve les ballots volumineux de livres envoyés
par les libraires français ou par les entrepositaires de livres étrangers de toute
langue. Il les ouvre, fait un premier choix. Pas un livre ne lui passe sous les yeux,
sans qu’il l’ait dépouillé sommairement. Les plus importants, les plus coûteux, il
les examinera à fond. Ce sera toujours le cas des périodiques nouveaux, dont les
abonnements engageront des dépenses annuelles pour longtemps. A d’autres jours,
afflueront les thèses de doctorat étrangères, par centaines à la fois. Il n’y aurait
qu’à les classer, puisque le service en est fait d’office à l’Ecole, en vertu de
conventions d’échanges internationales. Herr les parcourt, prend note de ce qui
peut intéresser quelque camarade, qu’il sait occupé d’un sujet analogue. Il réserve
une lecture approfondie pour les livres vraiment novateurs, ceux des savants déjà
notables, ceux surtout des maîtres de demain.
Il est arrivé ainsi à connaître sa Bibliothèque par le dedans, comme aucun de ses
devanciers. Il ne savait pas seulement vous indiquer les volumes dont il disposait
en chaque discipline, mais les chapitres des volumes, les articles des revues. Les
nouveaux venus, il les menait droit au rayon, où ils étaient sûrs de trouver le
renseignement cherché »38.
On trouve dans ce passage les premiers éléments constitutifs de sa pratique
bibliothéconomique des acquisitions, liée à sa pratique de la lecture : rapide, massive, et
critique. Il en résulte, semble-t-il, un exercice solitaire des achats. A lire Andler, Herr
travaille dans un rapport direct au livre, dès l’office du libraire. Les sources manquent
pour savoir s’il se sert lui-même d’outils professionnels comme des catalogues des
éditeurs ou des recensions d’ouvrages. On ne sait pas non plus s’il tenait compte des
37
Daniel LINDENBERG et Pierre-André MEYER, op.cit., p. 211
38
Charles ANDLER, op.cit., p. 105-106
Mais Herr semble avant tout tourné vers les usagers de la bibliothèque. La prise de notes
à la lecture atteste que le conseil bibliographique, l’orientation du lecteur en somme, est
le cœur de sa conception du métier de bibliothécaire. Le tri et la sélection des ouvrages
ne se fait pas qu’en fonction de leurs qualités intrinsèques ; mais aussi en fonction de la
lecture qui pourra en être faite, de l’usage qu’il prévoit que les élèves en auront. C’est
une conception « utilitaire », qui est défendue ici, non dans le sens péjoratif, mais dans
le sens de l’utilité intellectuelle et sociale que ces livres pourront avoir.
Une excellente connaissance des élèves rend possible ce repérage. Andler rappelle que
le bibliothécaire est plus proche des élèves que ne le sont les professeurs. Emile Gau, un
ancien élève de l’école devenu directeur général de l’Instruction publique et des Beaux-
arts en Tunisie en 1930, raconte :
« Il quittait sa Bibliothèque un peu avant midi et venait, dans le réfectoire des
« archicubes » prendre la place qui lui était réservée ; le petit bout de la longue
table, d’où il voyait tout le monde. Je crois que là vraiment il se détendait un peu ;
il vivait véritablement de notre vie de jeunes gens, s’intéressant à tout, à nos
amusements comme à nos travaux, nous guidant dans nos recherches, nous
signalant des publications et se renseignant en même temps par nous sur leur
contenu... Plus tard il m’a dit qu’il trouvait lui-même profit à ce contact permanent
avec « les jeunes » qui, tous, travaillaient à des recherches originales »39.
Hubert Bourgin ne dit pas autre chose quand il détaille le mécanisme du conseil donné
par Herr :
« Cet homme là, qui vous interroge avec sa curiosité pressante et pourtant
réservée, avec une nette et incisive discrétion, qui paraît divinatrice, il sait tout
d’une science totale, dont chacun de ses mots résume les bibliographies, les
références et les fiches, d’une science écrasante, qui étouffe les incertitudes, les
indécisions, les maladroits tâtonnements. Il sait la science déposée dans tous les
livres et la science en gestation dans les esprits de tous ses contemporains. Quoi
que vous fassiez, quelque travail que vous ayez entrepris, il connaît les tenants et
les aboutissants». 40.
L’excellent connaissance que Herr semble avoir à la fois de ses lecteurs et de ses fonds
rend possible un conseil éclairé, « personnalisé » pourrait-on dire si l’on ne craignait pas
l’anachronisme, en tous cas susceptible de faire du bibliothécaire l’interlocuteur
incontournable, central, de tout travail de recherche. Si Herr mène les nouveaux venus
« droit au rayon où ils étaient sûrs de trouver le renseignement recherché », il encourage
aussi le libre accès aux ouvrages. Il donnait aux élèves « le droit de muser eux-mêmes le
long des rayons, d’explorer les fonds volume par volume, d’acquérir par eux-mêmes
l’expérience des livres »41.
39
Lettre datée du 29 décembre 1930 de Emile GAU à Mme Lucien Herr, LH8 dossier 1.
40
Hubert BOURGIN, De Jaurès à Léon Blum, l’Ecole normale et la politique, Fayard, Paris, 1938, p. 109
41
Charles ANDLER, op.cit., p. 106
« Ses fusées de joie, son rire homérique qui éclate, soudain, le secoue et le fait
pleurer, ses bourrasques d’impatience où retentissent les jurons en chapelet,
feraient trembler les vitres, s’il y en avait, des armoires grillagées, et elles
surprennent le lecteur, proche ou lointain, s’il n’est initié. Mais les initiés sont
nombreux, et de tout rang : élèves, anciens élèves de tout âge, professeurs, érudits,
étrangers de tout pays »45.
Ce témoignage vivant des cercles d’habitués formés à la bibliothèque permet du même
coup de saisir la coloration si affective de très nombreuses évocations de Lucien Herr.
Le portrait de Herr en géant moustachu et tonitruant s’écrit souvent avec des mots
romanesques, épiques, si bien qu’on croit parfois avoir à faire à un personnage, croisé au
cœur d’un récit du Paris intellectuel du début du 20 ème siècle. Cette dimension
légendaire qui entoure la littérature « herrienne » permet de se faire une idée de la
fascination, réelle et profonde, qu’il a exercée depuis la Bibliothèque, au sein de laquelle
il a laissé une empreinte si personnelle.
Les crédits accordés à la Bibliothèque sont, on le verra, trop restreints pour suffire à
l’ambition bibliothéconomique de Herr. Une partie de son activité consiste donc à
compléter ses acquisitions onéreuses par divers approvisionnements, au gré ses activités
42
Célestin BOUGLE, Essai sur le régime des castes, Paris, Alcan, 1908
43
Lettre de 1899 de Lucien Herr à Célestin Bouglé, LH3 dossier 4
44
Lettre datée du 12 février 1900 de Lucien Herr à Célestin Bouglé, LH3 dossier 4.
45
Hubert BOURGIN, op.cit., p. 109
La guerre interrompt les relations avec les éditeurs allemands, même pour des
abonnements à certains périodiques, payés d’avance pour une année au début 1914.
Cette interruption dure six années, et désorganise complètement la collection de la
bibliothèque.
En raison de ses bonnes relations et de sa connaissance du monde intellectuel allemand,
Herr est chargé par la Direction de l’Enseignement Supérieur, après la guerre, de
renouer avec les éditeurs allemands pour rattraper l’immense retard des collections, et
de mener les négociations pour toutes les bibliothèques de France. Une lettre du
Ministre de l’Instruction publique, datée du 6 décembre 1921, remercie Herr de ses
efforts pour les deux wagons pleins de livres, envoyés par l’Allemagne à titre de
réparation 52. L’on ne connaît malheureusement pas le détail de ces tractations et Andler
lui-même est assez rapide quand il relate l’épisode53. C’est le témoignage toutefois du
pacifisme et des efforts de Herr pour favoriser l’échange des biens intellectuels et pour
relancer la coopération entre la France et l’Allemagne après-guerre.
Dans son rapport daté de 1902, Herr expose l’ambition qu’il a pour la Bibliothèque de
l’Ecole, et qui lui sert de principe pour œuvrer à son développement. Une double
fonction s’y affirme : la bibliothèque doit être d’abord une bibliothèque d’apprentissage,
et fournir les outils nécessaires pour permettre aux élèves de suivre leurs cours.
L’ouverture de nouvelles sections enseignées à l’Ecole a entraîné un développement
considérable de la bibliothèque, qui a dû créer, de toutes pièces, des nouveaux fonds.
Je ne veux que rappeler les créations et les innovations qui firent indispensables la
constitution ou l’accroissement rapide, presque immédiat, de catégories de livres
qui n’existaient qu’à peine, ou étaient fort mal représentées. Ce fut d’abord
l’organisation à l’Ecole de l’enseignement et de l’étude des sciences naturelles...
Ce fut ensuite la création de sections de langues vivantes, qui, tout à fait
dépourvues au début d’instruments de travail, durent être outillées très rapidement,
en profitant d’occasions pour combler les lacunes trop graves, en constituant sans
délai le premier stock indispensable de textes classiques et de livres d’études,
etc...Ce fut ensuite le développement très rapide des études d’histoire
contemporaine, qui rendit nécessaire l’acquisition rapide d’un assez grand nombre
d’ouvrages entièrement absents de la bibliothèque. ce fut le développement continu
des études géographiques, qui exigea l’enrichissement coûteux d’une section très
pauvrement représentée lorsque je fus appelé à la bibliothèque »54.
Ces matières témoignent de la volonté de l’Ecole de prendre enfin le virage de la
modernité, en accordant à la science en train de se créer la place qu’elle mérite. Herr lui-
même est un farouche partisan des nouvelles sciences sociales, et il leur accorde dans
son budget, on le verra, une priorité particulière.
Mais la bibliothèque doit être aussi une bibliothèque de recherche, le lieu où l’esprit doit
trouver les conditions requises pour élaborer des idées neuves. Ainsi :
52
Ces documents se trouvent dans le carton LH2 dossier 3
53
Charles ANDLER, op.cit., p. 312
54
Rapport de 1902, voir annexe 3
C’est aussi un choix éclairé parmi la production scientifique ; l’idée n’est pas, d’une
part, de tout avoir, ni, comme Vidal de la Blache le décrivait déjà, de privilégier
l’érudition spéciale, les monographies sur des sujets très pointus. La bibliothèque, telle
que Herr la conçoit, est plutôt un aiguillon, qui excitera la curiosité des jeunes
chercheurs. Ainsi :
« Je n’ai procédé ni en bibliomane, ni en collectionneur maniaque, mais j’ai donné
tous mes soins à ce que pour tous les travaux, aujourd’hui plus différenciés et plus
variés que jamais, que l’on entreprend à l’Ecole, il y eût là les premiers, les
meilleurs instruments indispensables. Je savais qu’il serait toujours impossible
qu’on achevât un travail d’érudition spéciale avec nos seules ressources, mais je
pensais qu’il devait être possible d’entreprendre et d’ébaucher, avec nos
ressources, tout travail »
La composition des collections doit réaliser ce tour de force d’offrir une représentation
extensive de la connaissance en maintenant une complémentarité entre les ressources
(« tout travail »). Il est frappant de voir que Herr emploie souvent des termes comme
instruments, outils : le bibliothécaire est celui qui travaille cette matière première, et qui
la rend disponible pour l’usage.
La citadelle dreyfusisme
Depuis 1888 Herr est donc devenu socialiste. Autour de lui, et de la bibliothèque, une
vaste prise de conscience politique va s’organiser. Son influence est très grande parmi
les jeunes Normaliens, qui, souvent issus de la bourgeoisie républicaine, auraient eu
plutôt tendance à se tourner vers quelqu'un comme Clémenceau. Ils rencontrent à la
Bibliothèque de l’Ecole un intellectuel d’un genre entièrement nouveau, un personnage
55
Rapport de 1902
C’est à la bibliothèque de l’Ecole, fin 1889, que Herr fait la connaissance de Jean
Jaurès. Ce dernier vient d’être battu aux élections du Tarn. Il profite de cette pause
forcée dans sa carrière politique pour reprendre la préparation de ses thèses de doctorat.
Il vient à la bibliothèque pour s’approvisionner en livres. L’influence que Herr a eue sur
la conversion de Jaurès du républicanisme au socialisme est avéré. Pendant deux ans
Jaurès fréquente assidument la bibliothèque, et est en contact fréquent avec Herr, de
cinq ans son cadet. Dans ses Souvenirs sur l’Affaire, Blum écrira que, plutôt que de
parler d’une « conversion » de Jaurès au socialisme par Herr, il est plus exact de dire
que c’est Herr qui a amené Jaurès à prendre conscience qu’il était socialiste57.
Léon Blum, lui aussi, a rencontré Herr à la Bibliothèque de l’Ecole. Une célèbre
anecdote raconte qu’un jour de 1893, les deux hommes se rencontrent par hasard place
de la Concorde. Blum a relaté cet épisode, où Herr a aussi le rôle d’accoucheur, qui fait
se révéler en son interlocuteur la conviction socialiste :
« Un jour, en 1893, je l’ai rencontré, place de la Concorde. Il allait à la Revue de
Paris. Nous nous sommes promenés deux heures dans les Champs-Elysées. Notre
amitié se transforma en intimité. C’est Herr, déjà mêlé à toute la vie socialiste,
inscrit chez les allémanistes, qui a cristallisé toutes les tendances diffuses en moi,
et a opéré le revirement de mon esprit individualiste et anarchiste vers le
socialisme »58.
C’est par Lucien Herr, qui lui rendait chaque jour visite à vélo à son domicile de
vacances dans les environs de Paris que, courant septembre 1897, Léon Blum sut que
Dreyfus était innocent. Son analyse de l’influence que Herr pouvait avoir sur les esprits
est intéressante, puisqu’elle réfute l’argument du prosélytisme ou de la domination
intellectuelle, pour parler d’une force de conviction toute méthodique, qui laisse à
l’interlocuteur sa liberté :
« La force de Herr, sa force incroyable et vraiment unique, car je ne l’ai jamais
constatée au même degré chez personne, tenait essentiellement à ceci : en lui, la
conviction devenait évidence. La vérité était conçue par lui avec une puissance si
complète, si tranquille, qu’elle se communiquait sans effort et comme de plain-
pied à son interlocuteur. De tout son être émanait cette assurance : « Oui, je pense
ceci, je crois cela », et l’on s’apercevait qu’en effet, on pensait, on croyait comme
lui ; on avait même l’impression, ou l’illusion, d’avoir toujours porté secrètement
cette même pensée, ou cette même croyance. On ne savait plus s’il vous avait
persuadé ou révélé à vous-même... Tel était l’homme qui m’avait affirmé à brûle-
pourpoint, pendant que nous marchions ensemble dans une allée du jardin
56
Daniel LINDENBERG et Pierre-André MEYER, op.cit., p. 138
57
Léon BLUM, Souvenirs sur l’Affaire, Gallimard, Paris, 1935, p. 28
58
Louis LEVY, Comment ils sont devenus socialistes, cité par Daniel LINDENBERG, op.cit., p. 138
Le recruteur du socialisme ?
59
Léon BLUM, op.cit., p. 519
60
Cette liste se trouve dans le carton LH2 dossier 1
61
Texte reproduit dans Lucien HERR, Choix d’écrits 1, Politique, Rieder, Paris, 1932, p. 39
Le texte de Bourgin à propos de Herr est étonnant et paradoxal. S’il soutient la thèse
d’un certain embrigadement des esprits de l’Ecole, il est aussi un des contemporains de
Herr qui nous a laissé à son sujet les pages les plus intéressantes et les plus détaillées.
Peut-être la défiance qu’il éprouva, à 60 ans passés, à l’encontre du légendaire
bibliothécaire de la rue d’Ulm, fut-elle à la mesure de son admiration passée. Peut-être
aussi faut-il y lire, comme le suggèrent Lindenberg et Meyer, des motifs peu avouables,
dans la mesure où L’Ecole normale et la politique a été publié en 1938 64.
Il est inutile de prétendre trancher le débat à partir de sources qui sont pour la plus
grande part de seconde main. On peut cependant mettre en perspective plusieurs
éléments. Dans son article déjà cité, Robert John Smith estime que « l’influence du
bibliothécaire fut plus culturel que politique. Il fut plutôt un savant qui se donna à
développer la bibliothèque et à conseiller d’autres jeunes savants. Les élèves, qui
rejetaient ses opinions politiques cherchèrent et apprécièrent quand même ses conseils
universitaire, car son..., sa dévotion et sa droiture furent respectées »65.
De nombreux témoignages corroborent cette interprétation. Raoul Blanchard, géographe
élève de Vidal de la Blache à partir de 1897, ami de Péguy, mais guère socialiste,
raconte :
« Je ne puis le revoir que dans sa bibliothèque, siégeant derrière un haut comptoir
où s’entassaient les livres et les catalogues, immense front et long visage déjà
sabrés de rides vigoureuses, un aspect un peu rude qui inquiétait les nouveaux
venus, mais son obligeance, disons sa bonté, se révélait vite à travers ses manières
brusques. Il lui importait de renseigner les pauvres garçons qui ne savaient pas, car
lui, Lucien Herr, savait, et son érudition était immense. Cette complaisance, cette
science, et jusqu’à son allure lui valait nos sympathies : il était très populaire
parmi nous... Nous l’aimions et il nous aimait ; mais nous ne le suivions pas »66.
Ernest Tonnelat (1877-1948), normalien germaniste et historien, recruté par Péguy au
moment de l’Affaire, écrit en 1928 :
« J’ai été frappé dès ce début de voir avec quelle réserve il ménageait les pensées
et les âmes. Bien des fois par la suite j’ai entendu dire ou j’ai lu que Herr avait
pratiqué une sorte de recrutement des jeunes, qu’il les avait endoctrinés, qu’il était
une sorte de chef occulte. Je me rappelais alors la discrétion, le véritable respect
intellectuel qu’il avait toujours eu pour ceux de nos camarades qui, comme moi,
essayaient timidement de l’approcher. L’accuser de chercher à dominer, c’était une
62
Hubert BOURGIN, op.cit., p. 140
63
Hubert BOURGIN, op.cit., p. 105
64
Daniel LINDENBERG, op.cit., p. 59
65
Robert JOHN SMITH, « L’atmosphère politique à l’ENS à la fin du 19 ème siècle », Revue d’histoire moderne et contemporaine,
avril-juin 1973, n°20, p. 251
66
Raoul BLANCHARD, Sous l’aile de Péguy, Paris : Arthème Fayard, 1961. p. 191
De son côté, Andler raconte que Herr ne lui a appris sa sensibilité socialiste qu’après
que lui-même se soit déclaré. On peut, bien sûr mettre en doute, et doublement, ce
témoignage : d’abord parce qu’il vient d’un ami, qui cherche à rendre hommage à un
grand homme injustement oublié, et ensuite parce qu’il vient d’un socialiste, lui-même
partie prenante dans la diffusion de ces idées à l’Ecole normale. Cependant, Andler
s’explique assez longuement sur le cas de conscience qui s’est posé à Herr et à lui, quant
à la compatibilité entre leur obligation de neutralité liée à leur statut de fonctionnaire, et
leur engagement politique68. « Nous pensions qu’en dehors du service nous avions le
droit de professer telle opinion politique et sociale qui nous paraissait vraie »,
s’explique-t-il. C’est d’ailleurs dans le souci de discrétion et de cloisonnement entre ces
deux activités que Lucien Herr écrira dans le Parti ouvrier, organe du POSR, sous le
pseudonyme de Pierre Breton.
Ajoutons enfin que la correspondance de Herr à de jeunes gens qui lui demandent
conseil est un argument de sa bonne foi et de sa neutralité. A une jeune fille de sa
famille qui sollicite ses conseils sur son engagement politique, Herr répond, avec
beaucoup de douceur et de bienveillance :
« En ces matières, on ne dicte pas une solution et une formule toute faite à un autre
que soi. Je te l’ai déjà dit, personne n’a le droit d’empiéter sur toi, d’user de son
ascendant, de son âge, de son autorité extérieure, pour exercer sur toi une pression
ou une direction. Il faut qu’en toi les choses se classent et s’éclaircissent par ton
propre effort »69.
De manière éclatante, Herr montre à un jeune esprit le chemin de la critique et de la
liberté, qui sont au fondement même de sa pensée.
Si Herr a consacré une grande partie de sa vie à l’action socialiste, la portée stratégique
de sa place à la rue d’Ulm est plus large que le seul engagement partisan. En d’autres
termes, c’est plutôt la conception globale que Herr a du progrès collectif qui contient le
socialisme, que le contraire. Le socialisme est vu comme une réalisation concrète
possible de cet idéal. Mais la notion d’affranchissement ne concerne pas que le
prolétariat. Elle est le ressort d’une conception plus essentielle de l’histoire.
Herr s’affirme donc comme le maître en sa Bibliothèque. Mais cela ne va pas sans peine.
67
Lettre datée d’octobre1928 d’Ernest TONNELAT à Charles ANDLER, LH3 dossier 6
68
HERR, p. 119
69
Lettre du 19 février 1915, citée par ANDLER, p. 340
Les trois principaux documents qui nous permettent de comprendre la conception que
Herr avait de son rôle à la Bibliothèque sont reproduits en annexe. Le premier, un
rapport daté du 22 novembre 1890 adressé au Directeur de l’Ecole, fait état des graves
difficultés financières de la bibliothèque. Le second rapport, daté du 15 octobre 1902
insiste encore, douze ans après, sur la pauvreté des ressources. Ces deux lettres ont une
nette tonalité de justification. Andler l’explique par l’exercice quelque peu
« autocratique », le mot est de lui, de la direction de Herr, qui est peut-être la
contrepartie nécessaire de celui qui sait si bien manier « l’art de l’achat opportun du
bibliothécaire », mais qui lui vaudra de nombreux rappels à l’ordre de la part des
bureaux du ministère70.
Le rapport de 1890 est un des premiers que Herr ait écrit. Nommé bibliothécaire en août
1888, il découvre peu à peu le fonctionnement des crédits qui lui sont attribués. A un
budget fixe, d’environ 8.000 francs, une somme variable, prise sur le reliquat du budget
général de l’Ecole, s’ajouter en fin d’exercice. Depuis une dizaine d’années, les
dépenses annuelles de la Bibliothèque sont égales, ou supérieures le plus souvent, à
12.000 francs. Pour sa première année d’exercice, 1888, Herr indique qu’il est parvenu à
respecter cette moyenne : avec une débit de 12.000 francs, il est parvenu à faire face à la
dépense.
Dès la deuxième année de son exercice, le bibliothécaire se trouve face à un déficit qu’il
ne sait comment juguler : la baisse du crédit complémentaire, qui n’est pas compensée
par un relèvement de l’attribution fixe, menace les comptes des années à venir. Les
efforts d’économie, de « ladrerie » même, évoqués par Herr, portent d’abord sur le
traitement physique destiné à la conservation des documents, en particulier la reliure. La
priorité de Herr est de consacrer un maximum d’agent aux achats. Herr en appelle à la
générosité du directeur Perrot pour augmenter la dotation de la bibliothèque.
Ce crédit complémentaire est un problème majeur : son attribution en fin d’année ne
correspond pas au rythme naturel des acquisitions en bibliothèque, qui se calque, surtout
pour quelqu'un comme Herr si attaché à l’actualité, sur le calendrier de la production
éditoriale pour la publication des monographies ; sur celui des abonnements, souvent à
honorer en une seule fois au début ou à la fin de l’année ; sur celui des suites d’ouvrages
qui rendent captifs, d’année en année, une partie des fonds. Le bibliothécaire dispose de
peu de marge de manœuvre, et se refuse à sacrifier les acquisitions récentes, qui
constituent précisément le cœur de la politique documentaire qu’il s’est lui-même fixé.
Le rapport de 1902 a un ton encore plus pressant. Pendant ces douze années d’exercice,
et malgré les demandes répétées de Herr, la bibliothèque n’a pas obtenu de crédits
supplémentaires. La dotation fixe est restée aux alentours de 8.000 francs, et le crédit
extraordinaire continue de baisser. La bibliothèque se trouve alors dans un état
alarmant : le déficit s’est énormément creusé et atteint environ 12.000 francs. Son
énormité tient au choix stratégique fait par Herr, qui préfère étaler sur plusieurs années
la dette correspondant à la constitution des nouvelles collections, créées de toutes
pièces, pour ne pas immobiliser à cette seule fin le budget de la bibliothèque. Il n’en
demeure pas moins que les reports successifs des déficits sur l’année suivante, et que la
lourdeur des frais consacrés aux nouveaux fonds auxquels Herr donne la priorité,
nécessiteraient une augmentation des ressources pour être couverts. Mais les crédits
tendent au contraire à être diminués.
La lecture de ces rapports nous apprend que Herr est le contraire d’un gestionnaire, au
sens où on l’entend aujourd’hui. S’il tient ses comptes consciencieusement, la logique
qui prévaut n’est pas celle de l’équilibre des fonds, mais celle de la veille de la
production scientifique. Herr est d’abord un savant, pour lequel il est tout bonnement
70
Charles ANDLER, op. cit., p. 107
71
Rapport de 1902
72
Rapport de 1902
73
Rapport de 1890
74
Rapport de 1902
75
Hubert BOURGIN, op.cit., p. 109-110
mieux les principes qui président à l’activité de Herr76. Ce dernier s’insurge violemment
contre le déséquilibre des ressources entre les bibliothèques de recherche et la
Bibliothèque Nationale, et les méthodes d’achats fantaisistes de cette dernière, en
particulier pour ce qui concerne les livres allemands (domaine qui ne rentre donc pas
dans le cadre du dépôt légal). A cet égard, la Nationale semble faire preuve d’une
grande désinvolture, doublée d’une méconnaissance à peu près complète, dans la
sélection de ses achats.
« Le scandale par excellence, c’est la bibliothèque nationale. Il y a plus de trente
ans que je parcours avec stupeur la liste de ses acquisitions. Je ne me faisais une
idée précise ni de sa richesse, ni de l’absurdité de cette richesse, ni de l’incroyable
gravité de ses lacunes... . Elle est hantée par l’idée – chimérique, mais raisonnable
jusqu’à un certain point en ce qui concerne la production française – que l’idéal
serait de tout avoir. Ne pouvant tout avoir, elle prendre du moins de tout un peu, le
plus possible, sans critique, sans le moindre souci de l’utilité ni des besoins de la
recherche et de l’étude, et puis, une fois ses crédits dépensés, elle s’arrête, attend
l’année suivante, et recommence... . Sur 1500 périodiques allemands qu’elle reçoit,
j’ai l’entière certitude que 1000 au moins se trouvent pas un lecteur par an. Et,
comme il est plus aisé de persévérer dans ce qu’on a une fois commencé, et que les
bibliothécaires se résignent rarement à interrompre une série, il en résulte qu’on
continue imperturbablement de recevoir une masse de périodiques surannés, et
qu’il ne reste pas un sou pour des périodiques jeunes et vivants. Quant aux achats
de livres nouveaux, la médiocre portion de crédit qui y est consacrée paraît être
dépensée au hasard, au gré de ce qui est fortuitement offert, ou sur la demande de
je ne sais quel maniaques curieux de singularités bizarres ».
L’attaque est vive. Qu’elle soit ou non justifiée, elle permet en tous cas de poser
clairement deux modèles bibliothéconomiques opposés dans l’esprit de Herr : une
pratique patrimoniale mal comprise, conduite par une exhaustivité illusoire : « prendre
de tout, un peu », et surtout « sans critique, sans le moindre souci de l’utilité ». Et une
politique de choix sévère, tournée vers l’actualité.
Cette sélection drastique s’impose de toutes façons à la rue d’Ulm pour des raisons
financières. Le bibliothécaire doit alors aiguiser son regard pour n’acheter que le
meilleur. Mais elle est aussi un élément fondamental pour la composition d’une
bibliothèque de qualité, et surtout, qui soit tournée vers ses usagers. L’important pour
Herr est de rendre sa bibliothèque vivante, c'est à dire utilisable et accessible.
La tragédie du bibliothécaire
76
Cette lettre se trouve dans le Fonds Sciences Po, LH1 dossier 6. Le teste en est reproduit en annexe 4.
C’est ce qui me désole le plus, dans ma vie manquée. Je sais bien les services que
j’ai rendus, et je n’ai pas besoin d’être consolé, mais je sais aussi tout ce que j’ai,
vraiment, appris, su et compris – au moins à ma manière – de choses, et combien il
est absurde que la collectivité ne puisse pas profiter de ces longues années de
travail, et que d’autres soient obligés de les refaire. Que sera ma vie, si j’arrive à la
réorganiser, – et me laissera-t-elle le loisir et le goût de reprendre en mains, une à
une, les choses que j’ai sues, et de les pousser davantage et de les fixer, – et
parviendrai-je à en tirer quelque chose qui soit communicable et qui vaille d’être
communiquée ? Je n’en sais rien, et j’en doute. (...)
Sur chacun des sujets, gros ou petits, auxquels je touchais, par un besoin
irrésistible, et par une curiosité vorace, je me suis vu chaque fois entraîné à
pousser l’étude aussi loin que possible, à ne pas me contenter des choses toutes
faites, à reprendre en mains les documents et à refaire le travail critique. J’ai, en
cours de route, trouvé sur des points assez nombreux (notamment en patristique, en
histoire religieuse, en celtisme), des choses qui ont été depuis découvertes par
d’autres, pour mon plus grand plaisir ; mais je ne m’en suis jamais beaucoup
soucié.
J’ai fait diverses spécialités, mais je n’ai jamais été spécialiste, et je me suis
toujours tenu pour satisfait lorsque j’ai eu compris (ou cru comprendre) l’ensemble
ou le détail qui m’avait arrêté ou séduit (...)
Tu sais tout cela aussi bien que moi. Cela est vrai même des deux gros sujets
auxquels j’avais, il y a vingt ans, rêvé de consacrer une partie de ma vie, l’histoire
de l’hégélianisme, et l’histoire du platonisme. Que trouverai-je lorsque je remuerai
vraiment toutes ces cendres depuis si longtemps éteintes et oubliées ? Sans doute
bien peu de choses. – Et puis, mon esprit et mon cœur ne sont plus là, je ne
m’intéresse plus assez aux choses qui sont purement spéculatives, je ne suis plus
capable d’intérêt passionné que pour ce qui aboutit à de la pratique, à de
l’élargissement intellectuel et social... ».
77
Lettre datée du 25 septembre 1905 de Lucien HERR à Charles Andler, reproduite dans Antoinette BLUM, op.cit., lettre 10.
Cette lettre qui dit avec tant de précision et d’émotion la « condition bibliothécaire » est reproduite en annexe 5.
Dans son livre sur L’Ecole normale et la politique, Bourgin appelle Herr le
« bibliothécaire bibliographe consultant » de la rue d’Ulm 78. Cette plaisante appellation
résume bien la forme que Herr a donné à sa fonction de bibliothécaire, enrichie
d’activités complémentaires prenant tout leur sens lorsqu’elles convergent vers le foyer
lumineux de la bibliothèque. La vocation bibliographique qui s’exprime dans les
recensions d’ouvrages que Herr donne à la Revue critique d’histoire et de littérature et à
la Revue universitaire pendant six ans est en quelques sortes la version formalisée de la
pratique que l’on vient d’évoquer. La bibliographie transforme la vision profane de
l’activité bibliothéconomique ordinaire – enrichir le fonds à partir des recommandations
des professeurs – et rend au bibliothécaire toute sa légitimité pour constituer lui-même
la bibliothèque idéale. La recension d’ouvrages donne le modèle d’une pratique qui
organise la description du contenu des nouvelles parutions, et favorise l’émergence d’un
esprit nouveau.
Définition du corpus
D’avril 1888 à mai 1893, Lucien Herr a collaboré à plusieurs revues. En avril 1888,
Arthur Chuquet, le germaniste de la rue d’Ulm, le recrute pour faire des recensions
d’ouvrages dans sa Revue critique d’histoire et de littérature. Il quitte la revue cinq ans
plus tard, en mai 1893, après le vif désaccord que l’on sait avec Chuquet.
Depuis janvier 1893, Herr est chargé d’une rubrique analogue à la Revue universitaire,
fondée par le normalien, docteur ès lettres, Paul Crouzet. Herr soutient ce travail
jusqu’en juillet 1894.
Ernest Lavisse l’a recruté entretemps, le 1 er janvier 1894, comme secrétaire de rédaction
cette fois, à la Revue de Paris. Aucun article de cette revue ne porte la signature de Herr.
Il y restera dix ans, jusqu’au 30 janvier 1904.
L’activité de journaliste de Herr79 ne s’est pas limitée à ces journaux de recherche
scientifique. Il a aussi une intense activité de journaliste politique. Collaborateur, sous le
nom de Pierre Breton, au Parti ouvrier, l’organe quotidien du parti allémaniste,
chroniqueur du « Journal de l’Etranger » à La Volonté, quotidien socialiste fondé par
Franklin-Bouillon, un jeune journaliste, en 1898, il est également l’un des principaux
artisans et un rédacteur attitré de L’Humanité de 1904. Pendant un an, il donne
régulièrement en page deux des articles sur la politique extérieure.
Des années plus tard, alors qu’il est devenu directeur du Musée pédagogique, il donne
au Journal de psychologie normale et pathologique une dizaine d’articles de recension
d’ouvrages, très courts, entre 1925 et 1926.
On a choisi de limiter notre corpus d’articles aux recensions de la Revue critique
d’histoire et de littérature, et de la Revue universitaire. Les articles partisans, les
commentaires de réunions socialistes ou de politique internationale ne nous intéressent
78
BOURGIN, op.cit., p. 137
79
Voir à ce sujet l’article de Simone FRAISSE, « Lucien Herr, journaliste 1888-1905», Le Mouvement social, n°92, juillet-
septembre 1975
Que nous révèlent donc ces articles ? D’abord, le dépouillement des textes de critiques
permet de se confirmer, « sur pièces » si l’on peut dire, la fabuleuse compétence
encyclopédique de Herr, et son étonnante capacité de lecture. Les ouvrages recensés
sont écrits en français, en anglais, en allemand, en latin, en grec, en italien ou en russe,
sur des thèmes extrêmement nombreux, aussi divers que : l’histoire, qu’elle soit antique
ou moderne, byzantine ou occidentale ; la philosophie : allemande ou anglaise ; antique
ou contemporaine ; analytique, cartésienne, ou rousseauiste ; la musique ; l’archéologie ;
l’épigraphie ; la géographie ; la pédagogie ; la philologie ; l’histoire littéraire ; l’histoire
religieuse ; l’économie ; la sociologie.
Le dépouillement systématique de ces articles nous fait mesurer l’immense travail
effectué par Herr pour ses lecteurs. Entre janvier et mai 1893, période où sa
collaboration aux deux revues se chevauchent, les compte-rendu se multiplient. 49 titres
sont recensés pour le seul mois de janvier, 229 entre janvier et mai, très peu de titres se
retrouvant d’une revue à l’autre. De juin 1893 à juillet 1894, 208 recensions de la main
de Herr sont publiées dans la seule Revue universitaire.
Ce qui frappe, c’est aussi la différence de ton entre les deux revues, les recensions
n’ayant pas, de l’une à l’autre, le même objectif. Dans la Revue critique d’histoire et de
littérature, les articles sont souvent plus sévères, parfois franchement cassants. On est
d’ailleurs étonné d’une telle liberté de jugement chez un homme si jeune. Herr n’a que
24 ans en 1888, quand commence sa collaboration à la revue. Dans cette revue, entre 10
et 20 articles par semestre s’étendent sur plusieurs pages, sur des ouvrages
méticuleusement analysés.
Dans la Revue universitaire, les articles sont plus courts, mais plus nombreux. Herr
définit lui-même les modalités de sa critique en janvier 1893 :
« Il ne sera fait mention ici ni des manuels scolaires, qui vont d’eux-mêmes à leur
public, ni de livres de simple vulgarisation, ni des ouvrages tout à fait mauvais, ni
des travaux relatifs à de très petits points d’érudition, dont les intéressés cherchent
et savent trouver l’indication dans les périodiques spéciaux. On se propose pour
idéal de signaler dans chaque numéro de la Revue les plus importants des travaux
historiques, philologiques et philosophiques parus au cours du mois précédent. Les
titres d’ouvrages seront accompagnés, lorsqu’on le jugera utile, de quelques lignes
destinées à en dire sommairement le contenu, et parfois les lacunes »80.
Herr se positionne dans une démarche de diffusion du savoir et de conseil, mais aussi
d’usage : informer ses lecteurs des nouveautés, de l’avancée de la production
scientifique, et trier les « bonnes lectures », c'est à dire à la fois les lectures de haute
qualité, et, on le verra, « utilisables », c'est à dire susceptibles d’enrichir un travail
scientifique.
80
Revue universitaire, janvier 1893, n°6, p. 51
On trouve dans cette déclaration des échos avec la politique d’acquisition décrite plus
haut par Vidal de la Blache pour la Bibliothèque de l’Ecole normale, et également avec
la lettre de 1905 où Herr exprime ses principes de gestion de la bibliothèque. De plus,
les lecteurs visés par ces recensions ne sont ni les scolaires, ni le public habituel de la
vulgarisation, fût-elle de bon niveau, ni les érudits très spécialisés. Ce sont donc les
élèves de l’Ecole, les étudiants, et les chercheurs. L’activité du bibliographe semble
directement orientée vers la bibliothèque de la rue d’Ulm.
Le bibliothécaire bibliographe
Pour confirmer cette intuition de solidarité étroite entre les deux fonctions, on a
effectué, pour l’année 1893, une comparaison systématique entre les articles des deux
revues, et les titres figurant dans le registre d’acquisitions des archives de la
bibliothèque de l’ENS. 1893, on l’a vu, ayant été la période la plus intense de
production journalistique de Herr.
Cette confrontation a montré qu’une corrélation bien réelle semble exister entre les
recensions et les acquisitions. Environ cent ouvrages achetés en 1893 par la
Bibliothèque avaient fait l’objet d’une critique positive de Herr la même année.
L’approximation quant au nombre d’ouvrages achetés tient au doute qui subsiste pour
certains cas : Herr avait semble-t-il l’habitude d’user des abréviations pour tenir le
compte de ses entrées. Les ouvrages d’épigraphie écrits en latin, ou d’histoire écrits en
allemands ont souvent des titres très proches les uns des autres : « Inscript. Lat. » pour
« Inscriptiones latinae » ou « Gesch. » pour « Geschichte ». La notation en abrégé ajoute
à la confusion.
A la lecture des articles, on a cherché à attribuer à chaque ouvrage une valeur
correspondant à l’appréciation de Herr : « excellent », « très bon, « bon », « aucune
mention », ou « à éviter ». Si ce classement manque de barème objectif, il permet
toutefois d’établir que l’immense majorité des livres achetés par la bibliothèque après
recension ont reçu une très bonne critique : c’est le cas de 53 d’entre eux (excellente ou
très bonne critique) ; 27 ont été jugés « bons », et, pour 20 ouvrages, seule la parution
est mentionnée, sans plus de précisions. Aucun n’a de critique négative. Constatons
aussi que certains ouvrages, dont Herr reconnaît l’intérêt scientifique, les mérites
méthodologiques, la clarté de l’expression, mais pour lesquels il dit clairement son
désaccord interprétatif ou idéologique, sont achetés. C’est le cas par exemple de d’un
livre allemand de pédagogie, Deutschlands Höheres Schulwesen im 19 Jahrhundert,
d’un certain Rethwisch, acheté en mai, qui prône une éducation qui suive strictement les
principes catholiques. Un argument supplémentaire pour dire que Herr ne tente pas de
faire de la bibliothèque de l’Ecole un repaire du socialisme.
Ajoutons enfin qu’il est presque certain que certaines entrées n’apparaissent pas sur le
registre, mais entrent par don de la revue, ou des auteurs, après la critique faite par Herr.
A partir de 1890 en effet, le registre des acquisitions n’indique plus que les ouvrages
entrés dans les collections à titre onéreux, alors que le début du registre (1888) indiquait
les documents entrés par dons, d’auteurs ou d’institutions. Les différents volumes de
L’Histoire générale, du IV siècle à nos jour dont la publication (1892-1901) a été
dirigée par Lavisse, et à la correction desquels Herr a d’ailleurs activement collaboré81,
reçoivent une excellente critique lors de leur parution. Ils figurent dans le catalogue
topographique, mais sans mention de date d’entrée. Ces recoupements renforcent
81
Des épreuves corrigées de la main de Herr sont consultables dans le carton LH1 dossier 8 dans le fonds Lucien Herr du Centre
d’Histoire de Sciences Po.
Herr est trop modeste quand il annonce en janvier 1893 que « les titres d’ouvrages
seront accompagnés, lorsqu’on le jugera utile, de quelques lignes destinées à en dire
sommairement le contenu ». Même dans la Revue critiques, les articles parfois
substantiels et engagent de véritables discussions polémiques, sur un pied d’égalité avec
leurs auteurs. La lecture des textes de recension permet de faire émerger les grandes
lignes d’une démarche critique, capables de discriminer entre les bons et les mauvais
ouvrages, et recelant des résonances très claires avec les fragments du Progrès. D’une
certaine manière, la rédaction des articles semble être une application concrète du projet
d’esprit critique contenu dans le Progrès. Il est donc particulièrement fécond d’en mener
une lecture conjointe, pour faire surgir la pensée du bibliothécaire-bibliographe.
82
A propos de Bruno WILLE : Philosophie der Befreiung durch des reine Mittel, Berlin, 1894, in Revue universitaire, juin 1894,
n°15, p. 186
83
A propos de Charles BENOIST, L’Etat et l’Eglise, in Revue critique d’histoire et de littérature, mars 1893, p. 358
84
A propos de Clemens BAEUMKER, Beiträge zur Geschichte der Philosophie des Mittelalters, Bonn, 1891, in Revue critique,
mai 1892, p. 152
85
A propos de George Adam SMITH, The historical geography of the Holy land, London, 1893, in Revue universitaire, juin
1894, p. 179
C’est en effet cette inscription dans un univers bibliographique avéré, et vérifiable, qui
est un gage de sérieux, de scientificité de l’ouvrage.
Enfin, la méthode d’exposition du texte, et son organisation analytique, sont regardés
avec minutie.
« Un recueil de ce genre serait utile s’il était commode. Or, celui de M. T. ne l’est
pas. La disposition matérielle de l’ouvrage est d’une complication qui en rend
l’usage fort difficile »86.
Ce qui est visible ici, c’est le souci de l’usage qui sera fait du livre en question. Les
index, glossaires, sommaires, rendent-ils l’ouvrage commode, réellement utilisable ?
qu’ils soient composés en vue de l’usage : c’est l’indice que les livres ne sont pas
considérés comme entités finies, closes sur elles-mêmes, mais au contraire comme des
œuvres ouvertes sur leur propre dépassement, aptes à se prêter, de bonne foi pourrait-on
dire, à leur propre critique ou à leur propre enrichissement. Autrement dit, les livres
réussis sont ceux qui s’inscrivent dans le processus toujours en marche du Progrès.
La critique contextuelle
Le commentaire de la composition interne des ouvrages est donc un exercice d’esprit
critique : il apprend au lecteur à exercer sur ses propres lectures un regard scientifique,
pour évaluer la fiabilité de l’auteur. C’est là le premier enseignement du bibliographe.
Le second, qui requiert une formidable compétence encyclopédique propre au
bibliothécaire, est celui de la contextualisation. Une manière de formuler la question à
laquelle Herr répond dans ses critiques serait : comment ce livre se positionne-t-il dans
la bibliographie universelle ? Autrement dit, de quel progrès de la connaissance est-il
porteur ?
On se souvient de l’importance revêtue par « l’idée neuve » dans le système herrien, et
hégélien, du Progrès. C’est le signe de l’affranchissement de la pensée, et de son
acheminement vers l’esprit nouveau. C’est donc au repérage de la nouveauté que Herr se
livre méthodiquement, dans un grand nombre de ces critiques. C’est un des principaux
critères qui vont décider de la qualité d’un livre :
« Le livre de M. P. Souriau est très riche d’idées précises et neuves, présentées
avec une méthode singulièrement ingénieuse et claire... Certains chapitres sont tout
à fait nouveaux et parfaits »87.
« ... Surtout, certains chapitres, celui sur Herder, celui sur Fichte, celui sur
Frédéric Schlegel, sont neufs et parfaits »88.
Mais pour repérer le nouveau, le progrès accompli, encore faut-il connaître l’ancien,
pour mesurer le chemin parcouru. C’est là que l’encyclopédisme de Herr va être si
précieux. Le bibliothécaire connaît le contenu de ses livres. Il sait où en est chaque
discipline. Il fait ainsi souvent référence à une sorte d’état général des collections d’une
bibliothèque universelle :
« Le livre de M. Alfred Weber est la meilleure histoire de la philosophie que nous
possédions en langue française »89
86
A propose de TROOST, Zenonis Citiensis de rebus physicis doctrinae fundamentum, 1892, in Revue critique, mai 1892, p. 153
87
A propos de Paul SOURIAU, L’esthétique du mouvement, Paris, Alcan, 1889, in Revue critique, septembre 1890, p. 517
88
A propos de Richard FESTER, Rousseau und die deutsche Geschichtsphilosophie, Stuttgart, 1890, in Revue critique, janvier
1892, p. 32
89
A propos de Alfred WEBER, Histoire de la philosophie européenne, Paris, 1892, in Revue critique, mars 1892, p. 115
Le bibliographe fait aussi œuvre prospective. Son travail d’inventaire et de recension lui
permet aussi de signaler les lacunes, pour susciter de nouveaux travaux. Il en appelle
ainsi à la communauté intellectuelle :
« Il est incontestable qu’à l’heure qu’il est notre connaissance de la philosophie du
moyen-âge ne peut plus progresser que par une association de bonnes volontés
nombreuses et agissantes. La description d’ensemble en est aujourd’hui achevée.
L’exécution du détail est à peu près toute entière à faire. Nous n’avons aucun des
instruments de travail qui seraient nécessaires : les travaux critiques manquent, les
attributions restent à examiner, la chronologie des œuvres reste à établir, les
éditions elles-mêmes restent à faire ou à refaire. La masse des œuvres encore
inconnues, ou à peine explorées, qui dorment dans les bibliothèques, est infinie »91.
Cette bibliographie appliquée est la concrétisation du projet contenue dans le Progrès
intellectuel et l’affranchissement. La bibliographie s’affirme comme la meilleure arme
de la critique, et ce au-delà du choix des livres. Car elle est ce qui permet à l’esprit de
n’être pas dupe des constructions sociales dressées devant lui, de ne pas les considérer
comme des choses naturelles, mais comme des systèmes humains élaborés dans un but
de domination. L’analyse systématique de la genèse des faits sociaux permet de les
combattre, et, au premier titre, la religion. « Nous avons sous les yeux la genèse
complète d’une religion » dit Herr dans Le Progrès. En d’autres termes :
« Nous en savons exactement les origines littéraires et philosophiques, les motifs
diplomatiques, politiques »92.
90
A propos de Carl SCHMIDT, Gnostische Schriften in koptischer Sprache, Leipzig, 1892, in Revue universitaire, janvier 1893,
p. 57
91
A propos de Paul CORRENS, Die dem Boethius faelschlich zugeschriebene, in Revue critique, mai 1892, p. 133
92
Lucien Herr, op.cit., p. 20
Que faut-il entendre ici sinon que l’on peut reconstituer d’une manière bibliographique,
c'est à dire en allant chercher dans les textes qui nous précèdent, ce qui a fait l’état
actuel de la religion. Faire ce travail génétique, c’est contextualiser les textes, dévoiler
leur véritable statut, et, au besoin, être capable de les dénoncer comme escroquerie. En
ce sens, c’est bien dans la bibliothèque que se trouvent les instruments nécessaires à
l’affranchissement de l’humanité. Le bibliothécaire assume son rôle au sein de la
communauté des intellectuels. Compagnon de route du Progrès humain, il recense,
classe, rend disponible et compréhensible la production scientifique déposée dans les
livres. Par la bibliographie, il est celui qui rend l’esprit conscient de lui-même, de son
passé, de ses progrès, des duperies qu’il a vaincues, et lui indique les nouvelles
directions où se développer encore.
LE CONSEILLER
Le secrétaire de rédaction
De 1894 à 1904 Lucien Herr est collaborateur à la Revue de Paris. Nouvellement fondée
par la librairie Calmann-Lévy, la Revue fait appel en 1893 à Ernest Lavisse pour
remplacer son directeur scientifique. Celui-ci exige alors un secrétaire de rédaction de
choix. Il impose Lucien Herr, dont il a remarqué les comptes-rendus vigoureux dans la
Revue universitaire et la Revue critique. La Revue de Paris s’affirme alors comme une
concurrente de la conservatrice Revue des deux Mondes, dirigée depuis 1893 par
Brunetière. La Revue de Paris n’est pas révolutionnaire, elle laisse place aux idées
neuves et libérales. Elle est toutefois un élément du cercle mondain de la bourgeoisie
intellectuelle.
La position de Herr à la bibliothèque de l’Ecole, au contact des jeunes esprits, le désigne
tout particulièrement pour reconnaître, parmi les jeunes talents, ceux qui comptent.
Informé de tous les travaux en train de naître, son rôle est d’établir un lien entre Ernest
Lavisse et les jeunes savants qui allaient bientôt représenter la science française. Cette
position permet à Herr de se situer en amont de la production scientifique, pour lui
assurer une diffusion dans les cercles intellectuels. Herr publie Renan, les historiens
Gabriel Monod et Alphonse Aulard. Il introduit Anatole Le Braz (1859-1925), écrivain
et folkloriste de langue bretonne, avec lequel il a entretenu une correspondance assidue93
au moment où il apprend le breton et s’intéresse aux différences entres les langues
celtiques ; Daniel Halévy (1872-1962), historien et politiste, qui deviendra ensuite
directeur de collection chez Grasset, membre de l’Académie des sciences morales et
politiques ; Emile Mâle (1862-1954), historien, normalien de la même promotion que
Herr, ou encore Victor Bérard (1864-1931), normalien lui aussi, spécialiste de la chose
grecque et chroniqueur politique, qui donne à la revue des articles sur l’histoire et la
situation politique en Angleterre. Herr amène aussi Romain Rolland (1866-1944), alors
jeune talent, qui donne à la revue quelques uns de ses premiers drames.
Pour autant, la collaboration n’est pas sans nuages, et Herr, malgré sa force de
conviction et l’autorité que lui confère sa situation reconnue par tous au sein de l’Ecole,
93
Fonds Lucien Herr au Centre d’Histoire de Sciences Po, LH1 Dossier 4
Le lecteur conseiller
Malgré cette fin malheureuse, qui, aux dires d’Andler, affecta beaucoup Herr98, la
participation à la revue aura eu ceci de bénéfique qu’elle aura créé ou renforcé des liens
entre Herr et des chercheurs qu’il n’aurait pas eu l’occasion de rencontrer à l’Ecole
normale supérieure. Pour certaines collaborations, la revue aura été un tremplin.
C’est le cas de Sébastien Charléty (1867-1945), agrégé d’histoire non normalien,
spécialiste du saint-simonisme, qui, après avoir exercé comme professeur de la faculté
de Lettres de Lyon devient directeur de l'Instruction publique et des Beaux-Arts à Tunis.
L’abondante correspondance99 entre Herr et Charléty commence en janvier 1902, et ne
se termine qu’en 1926, à la mort de Herr.
94
L’auteur n’a pas pu être identifié. Les deux lettres en question se trouvent dans le dossier 4 du carton LH3, censé contenir la
correspondance avec Célestin Bouglé. Mais le ton, et les informations contenues dans ces lettres ne semblent pas convenir au
contenu habituel de la correspondance entre Herr et Bouglé.
95
Lettre de 1903, LH3 dossier 4
96
Lettre de 1903, LH3 dossier 4
97
Lettre du 23 janvier 1904 à Célestin Bouglé, LH3 dossier 4.
98
Charles ANDLER, op.cit., p. 138
99
LH3 dossier 1
Tout commence en 1902, quand Herr demande à Charléty le manuscrit de son article,
réclamé par Lavisse. La fin de cette courte lettre indique que les deux hommes n’ont pas
encore noué de relations véritables : Herr assure l’historien qu’il « conserve toujours
l’espoir et le désir de faire un jour [sa] connaissance personnelle ».
Quelques années plus tard, les deux hommes semblent devenus des amis. Herr écrit à
Charléty de très longues lettres, et le conseille sur la rédaction de son ouvrage sur
L’histoire du saint-simonisme100. Quand Charléty répond à Herr, on sent son admiration
et sa gratitude pour l’ampleur et la précision du travail effectué par ce dernier.
« Votre travail m’inspire du respect... Personne ne me lira jamais comme vous
m’avez lu »101.
Herr en effet lit deux fois le texte qu’on lui soumet : « J’ai terminé, en seconde lecture,
votre premier volume »102, avant de soumettre, en notes, ses observations :
« J’ai noté, au courant de ma lecture, et à mesure qu’elles s’offraient à moi, toutes
les observations que me suggéraient votre texte. Je vous envoie directement tout ce
dossier. Vous le jugerez volumineux ».
A voir la minutie extrême avec laquelle Herr s’acquittait de ses recensions, on peut
aisément imaginer l’ampleur des observations renvoyées à l’auteur. Qu’on juge aussi de
sa rapidité, déjà évoquée à propos des recensions : à peine un mois plus tard, le 30
janvier 1914, un deuxième pli recommandé est envoyé à Charléty :
« J’ai terminé la lecture de votre deuxième volume. Vous recevrez peut-être en
même temps que le manuscrit les remarques que j’ai notées au cours de ma
lecture »103.
L’intérêt de cette correspondance, que l’on peut suivre sur plusieurs années, est de
montrer un Herr qui participe pleinement à l’écriture des livres. Si les volumes corrigés
ne se trouvent pas dans le fonds Lucien Herr, les lettres résument bien les orientations
que ce dernier souhaite voir prendre à l’ouvrage en train de s’élaborer. Ces observations
ne sont pas anecdotiques ; elles réclament des parties entières encore manquantes, disent
les lacunes de mise en perspective de plusieurs phénomènes, suggèrent des éléments
d’interprétation.
« D’une manière générale, ce qui m’a le plus frappé (comme lacune) c’est la
brièveté avec laquelle sont indiquées les affaires et l’histoire de l’Europe, durant
notre époque. Non seulement le cours de l’histoire française requérant je crois une
lumière de l’histoire – tracée à grands traits – des mouvements parallèles, des
développements contemporains, des échanges d’influence, du progrès de l’opinion
européenne – mais je crois que les affaires extérieures de la France en recevraient
des éclaircissements, et apparaîtraient un peu moins sèches et difficiles à suivre ».
S’il n’est pas lui-même l’auteur d’ouvrages scientifiques, Herr participe à mettre en
forme une pensée, à la rendre la plus pénétrante, la plus neuve, possible. Il l’incite à
défricher les ramifications encore inexplorées du réel. Les encouragements qu’il écrits à
Charléty reprennent les mêmes termes, et les mêmes thèmes, que l’on trouvait dans le
Progrès et dans les critiques :
100
Sébastien CHARLETY, Histoire du saint-simonisme, Hachette, 1931, à partir d’une thèse Essai sur l’Histoire du saint-
simonisme également publiée par Hachette en 1896.
101
Lettre du 26 décembre 1913 à Lucien Herr, LH3 dossier 1
102
Lettre du 23 décembre 1913 à Sébastien Charléty, LH3 dossier 1
103
Lettre du 30 janvier 1914 à Sébastien Charléty, LH3 dossier 1
104
Lettre du 23 décembre 1913 à Sébastien Charléty, LH3 dossier 1
105
Lettre du 30 janvier 1914 à Sébastien Charléty, LH3 dossier 1
En 1916, tout en restant bibliothécaire de la rue d’Ulm, Lucien Herr devient directeur du
Musée pédagogique. Il y restera jusqu’à sa mort en 1926. Pendant ces dix années, il
cumule les deux fonctions, où il a en charge deux bibliothèques de genre tout à fait
différents. Si la rue d’Ulm est une bibliothèque de recherche somme toute assez
classique, le Musée pédagogique est une institution multiforme, une sorte de laboratoire
où une bibliothèque d’un genre nouveau est en train de s’inventer.
CONTEXTE
106
Charles ANDLER, op.cit., p. 281
107
Archives Nationales, carton 61 AJ/157
108
Texte reproduit dans la Revue pédagogique, premier semestre 1879
A partir des années 30, les crédits d’acquisition diminuent. Le musée déménage rue
d’Ulm. Des travaux de réforme aboutissent à la constitution, en 1932, du Centre national
de documentation pédagogique, sous l’impulsion duquel la recherche pédagogique
progressa dans les années qui suivirent la Seconde Guerre mondiale.
Après le rattachement du Centre international d’Etudes pédagogiques et du Centre
national d’enseignement par correspondance, l’institution prend en 1956 le nom
d’Institut pédagogique national (IPN). L’IPN rassemble les collections historiques, et est
également un organisme d’information et de documentation au service des enseignants.
En 1970, l’IPN est divisé en deux organismes : l’INRDP (Institut National de la
Recherche et de la Documentation Pédagogique), et l’OFRATEME (Office Français des
Techniques Modernes d’Education).
En 1976, c’est la naissance de l’INRP (Institut National de Recherche Pédagogique), qui
recueille le double héritage, de lieu d’accueil et de développement de la recherche, et de
centre de ressources documentaires en éducation.
La scission de 1980 aboutit à la situation que l’on connaît aujourd’hui. Les documents à
caractère muséographique, regroupant des livres, des objets, des images, sont attribués
au Musée de l’Histoire de l’Education, à Rouen. Les livres et les périodiques sont à la
Bibliothèque de l’INRP, installée à Lyon depuis 2005. Enfin, les documents à caractère
plus archivistique sont dévolus aux Archives nationales.
109
Voir à ce sujet Nelly KUNTZMANN, Des images pour le dire, des mots pour le voir. Prémisses de la culture audiovisuelle,
éducation et bibliothèque, 1895-1940, Mémoire DCB, ENSSIB, 1995, p. 84
La lettre où Herr expose à Andler son programme pour le Musée date du 27 octobre
1920 112. L’allusion est courte ; s’agit-il d’un réel projet, ou du rêve d’une institution
idéale ? Il est difficile de se prononcer. Les détails sont assez précis en tous cas pour
fournir un cadre d’analyse, ou du moins des éléments d’interprétation, à son activité de
directeur :
« Le grave défaut du Collège de France, tu le sais comme moi, c’est la rupture
fatale avec les jeunes gens. Tu te créeras un public, mais il sera d’amateurs, de
quelques spécialistes, de badauds et d’étrangers. Sera-ce un champ d’action
véritable, – nul ne peut le prévoir. Et ce sont des matières où il faut que l’action
utile soit prochaine, immédiate. Le mieux serait qu’un institut de pédagogie, libre
de ses mouvements, assez souple et indépendant pour grouper des hommes de
toutes classes sociales, et de tous ordres d’enseignement, fût annexé à la Sorbonne,
comme un laboratoire d’études pour les réformes et les rénovations nécessaires. Ce
serait le germe autour duquel se ferait petit à petit l’organisation de demain... Tout
cela serait parfaitement à sa place au Musée pédagogique ».
Herr suggère ici qu’il souhaite une réforme qui abattrait les cloisons entre les différents
ordres de l’enseignement, obstacle à toute forme de démocratisation réelle. Le Musée
110
Tous ces documents se trouvent dans le fonds du Musée pédagogique aux Archives nationales, dans le carton 71 AJ 2.
111
Rapport du 7 mai 1920 adressé à Monsieur le Directeur de l’Enseignement primaire.
112
Antoinette BLUM, op. cit., lettre 76, p. 183
C’est dans cette perspective qu’il faut replacer l’action de Herr à la direction du Musée.
On verra que sa lettre de 1920 est contemporaine de deux autres documents où il expose
différents projets pour les services du Musée. On peut donc faire entrer ces visions en
résonance, et penser qu’ils participent d’un même projet global de renouveau, par cet
institut si particulier, et par les bibliothèques. Les documents postérieurs (1924-1926),
paraissent moins optimistes. Ils ne signent pourtant pas l’échec des visions de Herr.
La Bibliothèque
113
Antoine PROST, Histoire de l’enseignement en France 1800-1967, Colin, Paris, 1970, p. 405
114
Pierre MERLE, La démocratisation de l’enseignement, La Découverte, Paris, 2009, p. 16-26
La grande œuvre de Herr concernant la Bibliothèque est surtout le dépôt légal des
manuels scolaires. Il préconise que le dépôt légal des manuels de l’enseignement
primaire soit attribué au Musée. Plusieurs rapports ont été rédigés en ce sens 115. La loi
du 19 novembre 1925 institue la bibliothèque centrale de l'Instruction publique comme
dépositaire du dépôt légal des manuels scolaires de l'enseignement primaire. Cependant,
ce n'est que par un simple accord verbal avec la bibliothèque Sainte-Geneviève que
Lucien Herr, quelques jours avant sa mort (28 juin 1926), obtient que les manuels
scolaires de l'enseignement secondaire, réglementairement attribués à la bibliothèque
Sainte-Geneviève, soient reversés à la bibliothèque centrale de l'Instruction primaire : au
terme de l'accord, les manuels universitaires sont - et restent encore aujourd'hui -
attribués à la bibliothèque Sainte-Geneviève.
La Bibliothèque circulante.
115
« Les manuels scolaires à l’INRP », Dossiers ressources en histoire de l’éducation,
http://www.inrp.fr/vst/Dossiers/Histoire/manuels.htm. On connaît l’existence de ces rapports, mais ils n’ont pu être retrouvés.
116
Rapport de 1920
L’Office de documentation
En 1903, le Musée fusionne avec l’Office d’informations et d’études, créé en 1901. Cet
office avait pour mission de réunir, classer, répertorier les documents officiels et les
autres documents de nature à faire connaître la législation et l’administration de
l’instruction publique françaises à l’étranger, et de collecter ces informations à
l’étranger pour renseigner le Ministère public. Sa tâche est aussi de diriger des enquêtes
sur des questions à l’ordre du jour, et d’en publier les résultats. Le monde de
l’enseignement est en effet, à tous les niveaux, en profond renouvellement depuis la
défaite la Révolution, puis depuis la défaite de 1870. La réforme de l’université de la fin
du 19 ème siècle bouleverse profondément le paysage traditionnel. Elle offre aux
établissements des ressources élargies, ouvre de nouvelles sections, crée de bourses
d’agrégation, transforme les facultés en universités en les dotant de la personnalité
civile, favorisant ainsi leur capacité d’innovation. Cela entraîne une hausse des effectifs,
une diversification des publics (notamment les femmes et les étrangers), un
élargissement du recrutement de l’enseignement supérieur118.. De même, les lois Ferry
du primaire remplissent les classes, suscitent de nouvelles pratiques et de nouveaux
parcours. Un organisme chargé de collecter l’information pour comprendre, mesurer,
évaluer, la portée des différentes réformes, et en préparer de nouvelles, apparaît donc
indispensable. Cette fusion fait en tous cas du Musée pédagogique un précurseur : on est
en effet en plein âge d’or de la documentation.
117
Jean HEBRARD « Les bibliothèques scolaires : l’impossible pari des bibliothèques circulantes », in Dominique VARRY
(dir.) : Histoire des bibliothèques françaises, tome 3, Les bibliothèques de la Révolution et du 19 ème siècle, Paris, Cercle de la la
Librairie, 2009, p. 741-745
118
Christophe CHARLE, Jacques VERGER, Histoire des universités, PUF, Paris, 2007, p. 87-98
Une première phase d’innovation, entre 1880 et 1919 119, voit les activités documentaires
se multiplier et s’affirmer. Un double mouvement, dans les idées et dans les pratiques,
fait émerger ce nouveau rapport à l’information. D’abord, la prise de conscience dans
les milieux professionnels (industries naissantes, entreprises) et dans les institutions
(administrations, universités) du besoin en information spécialisée. Les organismes se
multiplient pour répondre à ce besoin, selon des modalités diverses : bibliothèques
spécialisées, bureaux, offices, centres de documentation. La synthèse entre la
bibliothèque du musée et l’Office crée un établissement moderne, dont les services
permettent à plusieurs fonctions de se compléter.
Du côté des savants, ensuite : la formidable croissance de l’information scientifique et
technique, et l’accélération de la production, entraîne des critiques de la part des
scientifiques, qui voient les bibliothèques devenir des réservoirs où s’entassent les
livres, sans que les voies d’accès nécessaires à leur contenu ne soient crées 120. Le
problème se pose avec une acuité toute particulière avec les périodiques scientifiques :
les livres se font trop lentement pour rester au courant d’une science qui marche très
vite. Aussi est-ce dans les périodiques qu’il faut suivre le mouvement : l’enjeu des
bibliothèques sera le dépouillement et la mise à jour de l’information immédiate, pour
rendre accessible la nouvelle unité scientifique, qui n’est plus la monographie, mais
l’article.
Mais la représentation nouvelle de l’information naît réellement entre 1895 et 1914,
sous l’impulsion de grandes figures, parmi lesquelles Paul Otlet (1868-1944) est la plus
exemplaire. 1895 est l’année de la fondation de l’Institut International de bibliographie,
créé à Bruxelles par Otlet et par Henri Lafontaine (1854-1943). Chargé des études
théoriques et techniques concernant la coopération bibliographique internationale, le but
de cet institut est l’organisation du Répertoire Bibliographique Universel (RBU).
Otlet donne une définition extensive de l’information :
« Nous entendons par le terme général d’informations les données de toute nature,
faits, idées, théories nouvelles, qui, parvenus à l’intelligence humaine, constituent
des notions, des éclaircissements, des directives, pour la conduite et l’action ;
d’autre part, nous entendons par documentation l’ensemble des moyens propres à
transmettre, à communiquer, à répandre les informations (livres, périodiques,
journaux, circulaires, catalogues, textes et images, documents de toute espèce) »121.
C’est la prise de conscience que l’information est l’ensemble de la production
intellectuelle mondiale, et qu’elle se diffuse sur des supports multiples. La
documentation donc est l’action d’organiser l’information selon les modalités adaptées,
pour la communiquer.
Herr documentaliste
119
Bruno DELMAS, « Une fonction nouvelle : genèse et développement des centres de documentation », in Martine POULAIN
(dir.), Histoire des bibliothèques françaises, tome 4 : Les Bibliothèques au 20 ème siècle, 1914-1990, p. 239-261
120
Sylvie FAYET-SCRIBE, Histoire de la documentation en France, , Culture, science et technologie de l’information 1895-
1937, CNRS, Paris, 2000, p. 41
121
« L’information et la documentation au service de l’industrie », Bulletin de la Société d’encouragement pour l’industrie
nationale, mai-juin 1917, p. 517-547, cité par Sylvie FAYET SCRIBE, op. cit., p. 75
122
Jules STEEG, « Le Musée pédagogique », Revue pédagogique, 2 ème semestre 1896, p. 42
123
Edouard PETIT, « Cours d’adolescents et d’adultes. Les œuvres complémentaires de l’école, l’éducation populaire en 1895-
1896, rapport adressé au ministre de l’Instruction publique », Revue pédagogique, 2 ème semestre 1896, p. 104 et suivantes ;
124
Armelle SENTILHES, « L’audiovisuel au service de l’enseignement : Projections lumineuses et cinéma scolaire, 1880-1940 »,
La Gazette des Archives, 2 ème trimestre 1996, n°173, p. 165-183.
125
Rapport de 1925
126
Nelly KUNTZMANN, op.cit., p. 44
127
Nelly KUNTZMANN, op. cit, p. 48
Le Cinématographe de l’Ecole
L’idée d’utiliser le cinéma à des fins d’enseignement est née avant la Grande Guerre.
Dans les années 1910, quelques précurseurs commencent à faire des recommandations
pour créer des organismes de conservation et de diffusion des films pédagogiques. Léon
Riotor (1865-1946), vice-président du Conseil municipal de Paris et du Conseil général
de la Seine, exprime en 1912 le souhait d’une création d’une cinémathèque
d’enseignement qui desservirait les écoles de Paris 130. C’est en 1915 que l’initiative
devient gouvernementale. Convaincu peut-être par le succès remporté dans les classes
par les Vues sur verre, et prévoyant surtout l’immense effort que devra accomplir l’école
publique au lendemain de la guerre, le Ministère institue le 23 mars 1916, en pleine
guerre, une commission extra-parlementaire dite du Cinématographe de l’Ecole, chargée
de rechercher les meilleurs moyens de généraliser l’utilisation du cinématographe dans
les différentes branches de l’enseignement. Dans son rapport au Président de la
République, le Ministre exposait avec netteté les raisons qui justifiaient cette
commission et indiquait quel devait être son rôle.
128
Ce graphique est reproduit dans l’article de Armelle SENTILHES, op.cit.
129
Rapport du 7 mai 1920
130
Cité par Christophe GAUTHIER, A l’école de la mémoire, La constitution d’un réseau de cinémathèques en milieu scolaire
1899- 1928, Mémoire DCB, ENSSIB, 1997, p. 33
131
Ces éléments sont indiqués en introduction de la publication du Rapport Bessou, Rapport général sur l’emploi du
cinématographe dans les différentes branches de l’enseignement, reproduit dans la Revue pédagogique, premier trimestre 1920
132
Christophe GAUTHIER, op.cit., p.43
Depuis 1921 en effet, les écoles qui en faisaient la demande pouvaient être remboursées
de tout ou partie des frais engagés dans l’équipement en projecteurs. Mais les écoles
sont le plus souvent équipées en appareils recevant des bobines de 9,5mm, alors que le
Musée ne fournit que des films de 17,5mm. Une harmonisation est donc engagée à partir
de 1927. La commission du cinématographe est la référence pour le conseil technique.
Herr fera jouer au Cinématographe son rôle de pionnier. Dès sa note de 1920, il exprime
son souhait de la régionalisation, à la fois pour soulager le Musée, mais surtout pour
mieux desservir les écoles en province, et pour diffuser le plus efficacement les
nouvelles méthodes d’apprentissage. Il en sera l’artisan. L’enthousiasme suscité par le
film provoque de nombreuses initiatives, d’autant plus que le Musée pédagogique ne
peut satisfaire à toutes les demandes. Les municipalités, conseils généraux, associations,
contribuent par leurs subventions et leurs dons à la mise en place du cinéma à l’école.
Des « filmathèques » scolaires voient le jour dans certains départements, comme à Lyon,
où une filmathèque de plus de 700 films fonctionne dès 1922 sous la responsabilité d’un
agent qui apprend aux instituteurs le maniement des appareils. Son activité s’étend sur
quatre départements : Rhône, Isère, Loire, Ain. Mais cet organisme doit compléter par la
location des films à titre onéreux les subventions qu’il reçoit du Ministère de
l’Instruction publique. C’est en 1926, par la circulaire du 2 janvier, que le service des
films décentralise ses prêts en organisant des dépôts départementaux ou régionaux, sous
la responsabilité des recteurs et des inspecteurs d’académie. Cette fois, la gratuité du
prêt et la franchise du port sont assurés. Au début des années 30, le cinéma éducateur a
bien pénétré le territoire. Le sous-directeur du musée pédagogique, Lebrun, estime à
10.000 le nombre de projecteurs en circulation du fait du Musée pédagogique134.
Mais malgré ces nombreux relais, le Musée ne parvient pas à satisfaire le dixième des
demandes. Ses collections se dégradent de plus en plus et deviennent obsolètes : le
Musée manque par exemple l’adaptation au cinéma parlant. Globalement, à partir du
milieu de la décennie, l’intérêt pour le cinéma éducatif se ralentit sensiblement. La
cherté de la production des films scolaires et leur absence de rentabilité est aggravée par
l’éclatement des formats, et le caractère inflammable du support, qui le rend peu sûr.
Les tentatives pour donner une cohérence au réseau de distribution des films
d’enseignement est un échec. La validité pédagogique des films commence même à être
remise en cause135.
A propos du Musée pédagogique, Nelly Kuntzmann 136 se demandait déjà si l’on pouvait
considérer cette institution comme une médiathèque avant l’heure. Il est vrai que du
temps de Herr, le musée semble avoir été le lieu idéal de la cohabitation des fonctions
traditionnelles des bibliothèques, et des nouveaux services en train de s’inventer : le
Musée favorise l’accès le plus large possible aux documents, aussi bien sur place qu’à
133
Lettre du 14 avril 1927 de M. le Ministre de l’Agriculture à Monsieur le Ministre de Instruction publique (direction de
l’Enseignement primaire) concernant les films prêtés dans les écoles, in La Revue pédagogique, deuxième trimestre 1927.
134
Christophe GAUTHIER, op.cit., p. 50
135
Armelle SENTILHES, op.cit., p. 178
136
Nelly KUNTZMANN, op.cit., p. 41
Au tournant du siècle, Lucien Herr est la cheville ouvrière d’une révolution dans le
monde des idées et de l’information. Du côté de la production des idées comme du côté
de leur diffusion, il sera un représentant à la fois exemplaire et atypique des nouveaux
modèles en train de se mettre en place.
Du côté de la production des idées tout d’abord : il est l’artisan de la nouvelle catégorie
en train de se constituer pendant l’Affaire Dreyfus : les intellectuels. C’est dans
l’affrontement entre des valeurs conservatrice et militaristes d’une part, un idéal de
justice et de vérité d’autre part, que cette force sociale émerge tout à coup sur la scène
publique. C’est la thèse de l’ouvrage fondateur de Pascal Ory et de Jean-François
Sirinelli dans leur histoire des Intellectuels en France, De l’Affaire Dreyfus à nos jours :
à la fin du 19 ème, les intellectuels modernes font peau neuve en entrant dans le siècle.
Pour ces deux auteurs, est intellectuel « cet homme du culturel, créateur ou médiateur,
mis en situation d’homme du politique, producteur ou consommateur d’idéologie. Il
s’agit d’un statut, transcendé par une volonté individuelle, tourné vers un usage
collectif »137. L’Affaire Dreyfus est le moment de son émergence comme personnage
social.
Herr est le type exemplaire de cette définition performative et si historiquement
circonstanciée : toujours il lutta contre un modèle obsolète d’érudition élégante pour
défendre une conception utile de l’intelligence tournée vers le progrès collectif. Il sera
celui qui constituera la première liste des pétitionnaires pour exiger la révision du procès
du capitaine ; qui mettra sur pied l’armée des dreyfusards normaliens et universitaires ;
qui prendra publiquement la plume contre Barrès pour reprendre fièrement à son
compte, au nom de tous les autres, le qualificatif d’intellectuels : qui donnera en somme
à cette nouvelle catégorie la légitimité de sa propre existence.
Il est frappant pourtant de voir combien le livre de Ory et de Sirinelli est tout à la fois
prolixe et très allusif sur le cas Lucien Herr : s’il est reconnu comme personnage clé, et
même comme chef de file ce cette émergence, sa participation n’est que brièvement
mentionnée au détour d’une phrase, qui concerne souvent un autre que lui. C’est que les
intervention publiques, et les productions propres du bibliothécaire ont été très limitées.
Il est moins celui qui défend une idée sur la scène publique que celui qui, dans l’ombre,
lui donnera sa force, sa consistance, sa légitimité. Le bibliothécaire est en quelques
sortes un intellectuel de l’ombre.
Simultanément, de nouveaux modèles de diffusion de l’information se constituent, pour
devenir plus souples, plus divers, plus adaptés à la démocratisation de la pensée, et à
l’alphabétisation qui se développe. On se situe là du côté technique de cet élargissement
considérable du savoir commun. Ici encore, on sait que Herr est à la pointe du
mouvement, qu’il tente de réaliser une synthèse encore inconnue de toutes les
potentialités de la documentation, et d’en généraliser les nouvelles pratiques. La
diffusion sous toutes ses formes est au cœur de sa pratique bibliothécaire. Avec un
temps d’avance, il est un bibliothécaire, et un bibliographe de son temps. Même si
aucune trace directe ne permet de restituer ses conceptions et ses possibles prises de
position dans les débats qui agitent alors la profession.
Il y a chez Herr une tension irrésolue entre les différentes missions sociales qu’il s’est
assignées : une omniprésence sur tous les fronts et un effacement perpétuel des traces de
son action. C’est la contrepartie de son engagement bibliothécaire, qui exigea qu’il
137
Pascal ORY et Jean-François SIRINELLI, Les Intellectuels, de l’Affaire Dreyfus à nos jours, Perrin, Paris, 2004, p. 15
138
Charles ANDLER, op.cit., p. 251
139
Leçon terminale du 19 mai 1973, « Etudes de civilisation germanique : Réflexions et perspectives », Chaire de langues et
littératures d’origine germanique, Collège de France, p. 23, cité par Antoinette BLUM, op.cit., p. 31
Les Archives Nationales conservent également le dossier personnel de Herr, sous la cote
AJ 16 1137. La consultation de ce dossier était soumis à dérogation. Le délai de
communication nous a interdit de pouvoir consulter ces documents à temps.
Recensions d’ouvrages :
Revue critique d’histoire et de littérature, du mois d’avril 1888 au mois de mai 1893,
rubrique « Bibliographie »
Articles
ANDLER, Charles : « Lucien Herr », Journal de psychologie normale et pathologique,
15 juillet 1926, p. 779-787
SCHOYER, Georges P : “Lucien Herr, Librarian and Socialist”, The Journal of Library
History (1974-1987), 1975
CHARLE, Christophe, et VERGER, Jacques : Histoire des universités, PUF, Paris, 2007
Articles
JOHN SMITH, Robert, « L’atmosphère politique à l’ENS à la fin du 19 ème siècle »,
Revue d’histoire moderne et contemporaine, avril juin 1973, n°20.
Travaux d’étudiants
GAUTHIER, Christophe : A l’école de la mémoire, La constitution d’un réseau de
cinémathèques en milieu scolaire 1899- 1928, Mémoire DCB, ENSSIB, 1997
KUNTZMANN, Nelly : Des images pour le dire, des mots pour le voir. Prémisses de la
culture audiovisuelle, éducation et bibliothèque, 1895-1940, Mémoire DCB, ENSSIB,
1997
Webographie
Dossiers ressources en histoire de l’éducation, disponibles sur le site de l’INRP
« Les bibliothèques en France » :
http://www.inrp.fr/vst/Dossiers/Histoire/Bibliotheques/bib_france.htm
ANNEXE 1 ................................................................................................................74
ANNEXE 2 ................................................................................................................75
ANNEXE 3 ................................................................................................................78
ANNEXE 4 ................................................................................................................81
MONSIEUR LE DIRECTEUR,
Je suis malheureusement d’une timidité inouïe. Vous me demandiez hier, avec votre
infinie bienveillance, ce que je désire, ce que je rêve. Ma visite n’avait d’autre objet que
de vous le dire, et je ne vous l’ai pas dit.
Vous le savez déjà. Je vous l’ai écrit il y a plus de six mois. Tout mon rêve, toute mon
ambition, c’est la bibliothèque de l’école. Lorsque je prenais date, comme prétendant,
dans une lettre datée d’Allemagne, je n’ai point obtenu de vous de réponse sur ce point.
Je n’ai pas osé insister. Il a fallu M. Boutroux, que j’ai entretenu de mes ambitions, pour
m’encourager à vous en reparler.
C’est la seule chose que je désire, mais celle-là, je la rêve et je la désire depuis des
années. Veuillez prendre ma demande en considération avec toute la bonté que vous
n’avez cessé de me témoigner. Je vous le dis très naïvement, vous me feriez une peine
infinie en opposant à ma demande un refus catégorique. Si l’espérance n’est pas permise
pour un avenir prochain, laissez-la moi pour plus tard. J’attendrai, très patiemment.
J’ai peut-être quelques titres. M. Rébelliau pourrait vous dire que je connais bien la
bibliothèque, et que je l’ai beaucoup pratiquée. Puis, comme je ne considérerais pas
cette situation comme transitoire, mais bien comme définitive, du moins pour de longues
années, j’accepterais d’avance d’entreprendre le long travail que serait le remaniement
du catalogue – chose que je sais très nécessaire. Tout mon dévouement est, ou serait
acquis d’avance.
Exigez-vous d’autres titres que ceux que je puis avoir ? Si vous voulez absolument que
mes thèses soient faites pour le jour où la vacance serait déclarée, j’accepte
l’engagement d’avance. Y a-t-il d’autres conditions que vous considériez comme
nécessaires ? J’y souscris d’avance : je suis prêt à tout.
Vous sentez bien, Monsieur le directeur, combien je désire sérieusement la chose. Vous
ne sauriez croire le prix que j’y attache. Voilà des mois et des années que je vis dans
cette espérance. Je vous demande, au nom de toute votre bienveillance à mon égard, de
ne pas me l’ôter d’un mot. Je vous demande de prendre ma démarche en considération,
et de songer à mes intentions très sincères, vous le savez bien, de travail sérieux.
Je me recommande à vous, avec confiance ; mais vous ne sauriez imaginer l’état
d’anxiété où je suis en attendant votre réponse.
Veuillez croire, Monsieur le directeur, à mes sentiments de reconnaissance et de
respectueux dévouement.
Monsieur le Directeur,
J’ai eu l’honneur de vous faire part, à la fin du premier trimestre de cette année, des
inquiétudes que me donnait la comparaison entre les crédits ouverts à notre Bibliothèque
et les chiffres des dépenses à prévoir, dépenses dont les unes étaient engagées
antérieurement, et les autres, soit indispensables, soit très utiles. Je vous exposais alors
que, d’une part, le crédit régulièrement attribué à la bibliothèque étant notoirement
insuffisant, et, d’autre part, les reliquats du budget général de l’Ecole étant entraînés
dans une progression rapidement descendante qui ne permet plus aucune illusion sur une
reprise possible, il devenait impossible de faire face à une découvert croissant autrement
que par une réduction dans les achats qui équivaudrait à un suicide ; je me permettais
d’ajouter qu’il se trouverait difficilement quelqu’un qui voulût consentir à laisser périr
entre ses mains une bibliothèque comme la nôtre, qui est chose unique.
Vous avez accueilli ces doléances désespérées avec bienveillance, et vous m’avez
demandé de faire pour l’année l’expérience de l’économie poussée jusqu’à la ladrerie. Je
l’ai poussée jusqu’au bout, sans faiblesse ; je me suis cuirassé contre les récriminations
et les injures, qui, comme vous le savez, ne m’ont point manqué. Je vous soumets
aujourd’hui les résultats budgétaires de cette année de privations.
Les dépenses annuelles de la bibliothèque, dans ces dix dernières années, ont été
constamment supérieures à 12.000 , et le plus souvent à 13.000 francs. Je ne parle point
des années exceptionnelles, où l’on a pu aller jusqu’à 16.638, 65 francs ou jusqu’à
15.501, 50 francs. Je m’en tiens aux années moyennes. Lorsque les reliquats ont
commencé à décroître, le budget ordinaire a été élevé de 5.600 à 8.000 francs. La
somme totale des dépenses jugées nécessaires a pu ainsi rester la même.
L’exercice 1888 m’a donné des résultats identiques. Les reliquats ont permis de faire
face à une dépense légèrement supérieure à 12.000 francs. Cette première expérience, et
les données des années antérieures me traçaient les limites que je pouvais considérer
comme fixées. L’exercice 1889 a démenti mon attente : le chiffre total des dépenses a
été de 12.473, 45 ; la somme des ressources disponibles s’est trouvée n’être que de
10.823, 35. Le déficit, de 1650, 10 a dû être reporté sur l’exercice 1890, qui se trouvait
ainsi gravement menacé.
J’étais prévenu que la somme des reliquats disponibles, qui avait si fort faibli l’an passé,
devait subir cette année une nouvelle diminution qui la porterait aux approches de zéro.
Les dépenses ont été restreintes au delà de toute restriction acceptable.
En voici la preuve. La somme des dépenses de l’année, en y comprenant l’évaluation
approximative devant résulter, d’ici au 31 décembre, de renouvellements d’abonnements
et des achats indispensables, sera d’environ 9.500 francs, ce qui constitue, en y ajoutant
les 1.650 francs de découverts de l’exercice passé, une charge totale de 11.150 francs.
La Bibliothèque a pour y faire face son crédit ordinaire de 8.000 francs. Si les reliquats
sont nuls, nous nous trouverons en présence d’un déficit de 3.150 francs qui viendra
obérer lourdement l’exercice 1891.