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Gestes Professionnels de L'enseignant

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Éducation et didactique

vol 3 - n°3 | Octobre 2009


Varia

Les gestes professionnels et le jeu des postures de


l’enseignant dans la classe : un multi-agenda de
préoccupations enchâssées
Teaching skills: a multi-agenda of embedded concerns, a set of dynamic
interactions between teacher’s scaffolding postures and pupils’ learning ones

Dominique Bucheton et Yves Soulé

Édition électronique
URL : http://journals.openedition.org/educationdidactique/543
DOI : 10.4000/educationdidactique.543
ISBN : 978-2-7535-1622-9
ISSN : 2111-4838

Éditeur
Presses universitaires de Rennes

Édition imprimée
Date de publication : 1 octobre 2009
Pagination : 29-48
ISBN : 978-2-7535-1060-9
ISSN : 1956-3485

Référence électronique
Dominique Bucheton et Yves Soulé, « Les gestes professionnels et le jeu des postures de l’enseignant
dans la classe : un multi-agenda de préoccupations enchâssées », Éducation et didactique [En ligne],
vol 3 - n°3 | Octobre 2009, mis en ligne le 01 octobre 2011, consulté le 30 avril 2019. URL : http://
journals.openedition.org/educationdidactique/543 ; DOI : 10.4000/educationdidactique.543

Tous droits réservés


LES GESTES PROFESSIONNELS ET LE JEU DES
POSTURES DE L’ENSEIGNANT DANS LA CLASSE: UN
MULTI-AGENDA DE PRÉOCCUPATIONS ENCHÂSSÉES

Dominique Bucheton & Yves Soulé


Lirdef, IUFM, UM2 Montpellier

Résumé : l’article présente une synthèse de travaux de recherche du LIRDEF relatifs à l’agir enseignant dans la classe. Il
développe le modèle théorique du multi-agenda mis en évidence par l’équipe pluridisciplinaire : ERT 40 de Montpellier 1(
2003-2007). Il expose ensuite comment cette première modélisation a ouvert la voie à l’analyse du jeu dynamique des
postures d’étayage des enseignants et des postures d’étude des élèves (travaux LIRDEF de 2007 - 2008). Elle s’achève par
une étude de cas : deux débuts d’ateliers dirigés en CP.
Mots clé : gestes professionnels, postures d’étayage de l’enseignant, postures d’apprentissage , ajustement, multi-agenda

Dominique Bucheton & Yves Soulé

La nécessité d’un modèle théorique et Les chercheurs - enseignants - formateurs qui ont
technologique de l’agir enseignant dans la contribué aux travaux présentés ici ont tous inscrit
classe leurs recherches dans cette urgence éthique et poli-
tique visant à instrumenter mieux la formation des
Un contexte idéologique et politique pressant enseignants. Nous ne développerons cependant pas
dans cet article les retombées déjà importantes pour
Partout en Europe et en Amérique, la question la formation de leurs travaux.
de l’école et de la formation des maîtres devient une
question politique et idéologique de premier plan. Les Le modèle d’analyse de l’agir enseignant (le multi-
cursus de formation sont rallongés ici, raccourcis, là. agenda) que nous présentons a en effet pour visée
Les institutions de formation sont prises dans la tour- de fournir une grammaire complexe de concepts,
mente permanente de remises en cause, de campa- permettant une analyse approfondie des situations
gnes médiatiques, de prescriptions institutionnelles, didactiques, de leur évolution, dans leur dimension
elles-mêmes soumises au maelström d’une pensée située. Il cherche à faciliter la compréhension des
politique qui puise plus ses arguments dans des logi- gestes professionnels des enseignants pour s’ajuster
ques économiques, technocratiques, supranationales à la grande diversité des variables de toute situa-
que dans la culture accumulée par les enseignants, tion (gérer le temps, les interactions, les savoirs, les
par les formateurs et les travaux de recherche. En tâches, le rapport au savoir, les attitudes des élèves,
même temps, l’évolution sans précédent des savoirs les artefacts, etc.). Il cherche à rendre compte de la
et des moyens de leur diffusion, la transformation manière dont diverses configurations de gestes (des
dans nos pays développés des modes de vie (travail, postures) peuvent générer différentes dynamiques
loisirs, mentalités) questionnent en profondeur la cognitives et relationnelles dans la classe.
place de l’école, ses visées et ses modes d’enseigner.
Transformer la formation, accompagner les change-
La transposition nécessaire d’un ensemble très
ments et les ruptures nécessaires dans l’école est une
riche de travaux théoriques
urgence pragmatique, un défi pour la recherche en
éducation. Saurons-nous doter la formation d’instru-
ments d’analyse des pratiques, performants, accessi- L’analyse du travail de l’enseignant n’est pas
bles, cohérents, permettant d’en améliorer l’efficience ? nouvelle. Depuis plus de cinquante ans, elle a fait
Saurons-nous ne pas perdre de vue un certain nombre l’objet de nombreux travaux très divers et très
de principes humanistes et démocratiques, fondateurs féconds qui ont exploré une multiplicité d’aspects.
d’une éthique de l’instruction et de l’éducation, fonda- Cependant, l’ensemble très vaste de ces travaux a été
teurs aussi de la culture et de son devenir. peu diffusé, peu vulgarisé et surtout peu transposé et

Education & Didactique, 2009, Vol 3, n°3, 29-48 29


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mis en perspective pour la formation des enseignants. tion, ils sont cependant dissociés, comme ils le sont
Le modèle du multi-agenda s’est donc élaboré dans d’ailleurs dans les diverses listes de compétences
une culture et un contexte scientifique d’autant plus professionnelles. Or, se préparer à agir dans la classe,
riche que les chercheurs de l’équipe relevaient de c’est apprendre à combiner les différentes variables
disciplines différentes (psychologie sociale, sciences d’une situation d’enseignement et d’éducation. Dans
du langage, didactique de plusieurs disciplines, les instituts de formation de maîtres en France, les
didactique générale, sciences de l’éducation). Nous didacticiens des différentes disciplines rencontrent
ne pouvons présenter ici le large arrière-plan théo- peu leurs collègues spécialistes de « pédagogie »,
rique dans lequel le modèle a largement puisé 2. diversement appelée formation générale ou transver-
sale. Au stagiaire dans sa classe de se débrouiller pour
Force est de constater que peu nombreux sont les tisser les liens entre les différents points de vue. Ainsi
formateurs ou les enseignants capables aujourd’hui de des questions telles que l’autorité, la violence, la
synthétiser l’ensemble de ces travaux pour conduire gestion du temps ou l’usage du tableau peuvent être
une analyse de pratiques à la hauteur de ce que l’on sait traitées sans que soient évoquées les situations d’en-
des différentes facettes de l’agir enseignant. Le résultat seignement, les rapports au savoir ou à l’institution
en est que les étudiants, les stagiaires reçoivent en qu’elles mettent souvent en scène (ou en pièces !).
formation des conseils, des prescriptions, des éléments
de théorisation, très éclatés, voire contradictoires, dont
la complémentarité et la cohérence sont loin d’être L’élève et le maître : des personnes et pas seulement
évidentes, ce qui contribue à augmenter parfois leur des sujets épistémiques
désarroi devant la difficulté croissante du métier.
S’il est contre-productif de séparer didactique
Une première visée pragmatique de nos travaux et pédagogie, de séparer l’appropriation des savoirs
a donc été de contribuer à la transposition, la didac- de leurs contextes d’apprentissage, considérer les
tisation et la mise en perspective pour la formation, élèves et les maîtres simplement comme des sujets
de l’ensemble éclectique de ces divers travaux de épistémiques, des sujets déréalisés, ne facilite pas la
recherche en sciences humaines afin de résoudre un compréhension de la diversité des obstacles que posent
certain nombre de problèmes qu’en tant que forma- les apprentissages. Nous postulons au contraire que
teurs et chercheurs nous avions identifiés. pour comprendre le développement cognitif de sujets
en formation, il est nécessite de ne pas dissocier ce
développement du développement langagier, psycho-
Des obstacles théoriques et praxéologiques bien socio-affectif et identitaire (Bucheton 1994). Élèves
identifiés et maîtres sont à considérer pour la compréhension
de leurs relations et comportements, comme des
La commande d’une recherche à caractère techno- personnes, porteuses d’une histoire, d’une culture, d’un
logique est en effet d’identifier des problèmes, de les rapport à l’institution, d’un rapport au savoir enseigné.
analyser et d’apporter les instruments théoriques et Elles vivent en classe des émotions et manipulent des
technologiques pour les résoudre. Nous en avons repéré registres langagiers, identitaires et cognitifs multiples.
cinq, très urgents pour la formation et son évolution. La vie est aussi dans l’école. C’est elle qui donne tout
son sens au désir d’apprendre et de grandir.
Rompre en formation et dans la recherche avec la
partition didactique / pédagogie Identifier la singularité de l’agir de l’enseignant, sa
créativité au cœur de formes sociales et scolaires
pérennes
Dans l’ordinaire de l’agir dans la classe, les
contenus d’enseignement (que ce soit des objets de
savoir, des méthodes, des pratiques, des attitudes, La singularité et la créativité de l’action du maître
etc.) sont indissociables et même inextricablement sont très vite identifiées par les élèves (Durand
liés aux conditions de leur enseignement et appro- 1996). En revanche elles sont encore mal expliquées
priation. Dans les curricula et dispositifs de forma- théoriquement. Tel est le troisième challenge auquel

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Dominique Bucheton & Yves Soulé

nous avons travaillé en prenant notamment appui sur logique des artefacts et langages à l’œuvre dans la
les travaux ergonomiques, en particulier la clinique classe, sur l’importance de ce que Jorro (2002-2004)
de l’activité d’obédience française (Clot 1999). Après appelle le corps parlant de l’enseignant.
Bakhtine (1984), ces travaux montrent comment
l’agir et la parole humaine s’inscrivent dans une
Rendre compte de l’évolution des significations
culture, des cadres d’expérience partagés (Goffman
partagées pendant la leçon, théoriser les imprévus
1991) et en même temps les dépasse pour les recréer
et les développer. Pour l’école, cet agir est stabilisé
dans des formes scolaires descriptibles, historique- Comprendre comment le sens avance cahin-caha
ment et socialement construites (Thévenaz-Christen dans la classe, au travers de toutes sortes d’imprévus
2005). La question est alors de comprendre mieux où est un rude défi ! De nombreux didacticiens se sont
s’origine la dimension irréductiblement singulière de attaqués à ce problème central 3. Les concepts de
cet agir, ce que parfois on appelle le charisme propre topogénèse, mésogénèse, chronogénèse élaborés par
de l’enseignant. Quels en sont les ressorts princi- Sensévy & Mercier, 2007, la notion de microgénèse
paux : les logiques d’arrière-plan (Bucheton 2009 a située (Saada-Robertet § Baslev 2004) ont ouvert
p. 27-68) plus ou moins conscientes ? la voie. Nous abordons cette question par l’étude
du rapport entre les gestes des enseignants et les
Face à cette question, décisive pour la forma- gestes d’étude des élèves. Nous postulons en effet
tion, plusieurs travaux de recherche de l’équipe ont que l’émergence et le développement des significa-
pu apporter des éléments de réponse. Ils ont mis en tions (des références) plus ou moins partagées par
évidence divers éléments constitutifs de ces logi- l’ensemble de la classe et du maître sont tributaires
ques d’arrière-plan : le rapport au savoir enseigné de l’engagement réciproque des acteurs. On ne peut
(Broussal 2006), la représentation plus ou moins donc dissocier l’étude du développement des signi-
déficitaire des possibles intellectuels des élèves fications pendant le cours, de celle des postures et
(Brunet § Liria 2004). Ces logiques orientent, colo- gestes qui les actualisent et les permettent. Derrière
rent à l’identique les décisions prises dans l’urgence ces gestes et postures, une double dynamique se
des ajustements provoqués par la dynamique de l’ac- joue. Elle manifeste côté maître et côté élèves des
tion et ses imprévus (Jean 2008). formes, des degrés d’engagement dans les tâches, des
finalités parfois fort différentes : par exemple faire
le travail demandé pour comprendre un problème,
Donner un statut aux divers langages dans la classe
pour se débarrasser de la tâche ou pour faire plaisir
au professeur, n’a pas le même sens et ne produit pas
Une quatrième perspective, et non la moindre du le même apprentissage chez l’élève. Cette dynamique
travail présenté, est celle qui concerne la place du complexe est-elle descriptible ? Est-elle modélisable ?
langage dans l’agir de la classe. Dans le numéro 30 Les premiers résultats (Soulé, Bucheton 2007, Dupuy
de la revue Repères / INRP consacré au langage dans 2009) montrent des régularités identifiables dans les
la formation (Bucheton, Bronner, Broussal, Jorro, corrélations et configurations de gestes et postures
Larguier 2004), nous attirions l’attention sur la entre le maître et les élèves. Nous approfondirons ce
dimension trop minorée, voire impensée du rôle du dernier point plus loin.
langage dans les cursus de formation des maîtres. Le
langage, pourtant, façonne l’arrière-plan épistémolo- Cette dynamique singulière de l’avancée d’une
gique de la discipline enseignée, ses modes d’énon- leçon est émaillée d’imprévus 4 qui surgissent
ciation, spécifiques (Jaubert, Rebière 2001). Il est le constamment dans le cours de l’action. Ils sont des
vecteur principal du travail partagé et des relations indicateurs de ce cheminement non tranquille de la
entre le maître et les élèves. Il est un révélateur, une construction des significations au travers d’engage-
fenêtre sur l’avancée des significations en train de ments instables de la part des acteurs dans l’action.
s’élaborer (Bucheton 2007), le levier principal du (Jean 2008).
développement de la réflexivité et de la conceptua-
lisation visée (Chabanne, Bucheton 2002). Nous Tout formateur en a fait souvent l’expérience lors
insistions aussi dans cet article sur la diversité sémio- de visites : préparer la classe selon une chronologie

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d’objectifs, de tâches pour y parvenir, de dispositifs et rencontres et les filiations : travaux en didactiques
artefacts pour en préparer la mise œuvre judicieuse ne des disciplines, en psychologie cognitive et sociale,
règle pas le problème de la tension entre le déroule- en ergonomie, apports de la phénoménologie, de la
ment programmé et le surgissement nécessaire de ces sociologie de l’école, ancrage fort dans l’interaction-
imprévus. Enseigner c’est apprendre à gérer et tirer nisme, l’ethnométhodologie, les sciences du langage
profit de la zone d’incertitude inhérente au partage dans leur articulation aux contextes de l’école, mais
d’une activité entre des humains très différents par aussi ancrage dans les théories de l’action située,
l’âge et la culture. C’est se préparer à accueillir et à
traiter comme événements porteurs de sens ce que les - un modèle heuristique : son but est de permettre
élèves apportent, ce qu’ils savent déjà ou ont compris de dérouler la pelote de ce qui se joue dans la classe
autrement dans leur expérience passée. Mais ces ajus- pour pouvoir mieux rendre compte de la complexité
tements ne doivent pas faire perdre de vue la nécessité et l’épaisseur de l’agir du maître,
de maintenir l’orientation générale de la trame du récit
préparé, pour y incorporer les significations tempo- - un modèle praxéologique et non normatif : l’his-
raires afin d’aller jusqu’à la chute de la leçon. Elle toire de ce modèle est inscrite dans les préoccupa-
assoit le sens en reprenant, réinterrogeant ses étapes tions de la formation des enseignants. Sa vocation
intermédiaires. La métaphore de la classe comme un est de l’instrumenter mieux en construisant un
texte qui déroule un récit à plusieurs voix (Decron réseau des concepts, un langage commun, non pour
2007), empruntée à Labov (1976), mais aussi à Bruner formater des pratiques mais pour les questionner
(2000) permet de penser l’événement c’est-à-dire l’im- en profondeur. Son écriture se veut donc simple,
prévu comme une des sources même de la dynamique visuelle, accessible. Les concepts de base – gestes
du sens se construisant. Une dynamique qui naît de professionnels, ajustement, pilotage, tissage, étayage,
l’inter-élaboration, évolution des significations entre atmosphère, postures – ont été nommés à partir de
les acteurs et les objets manipulés. La représentation de termes à fort pouvoir métaphorique. La métaphore
l’imprévu comme révélateur d’une préparation insuf- est un instrument poétique puissant pour donner à
fisante ou d’une professionnalité chancelante se doit comprendre, à imaginer, à relier des univers d’expé-
d’être mise en doute ou tout au moins interrogée. rience, d’émotion et de réflexion, disjoints.

Conclusion intermédiaire : la nécessité d’un modèle


Le modèle du multi-agenda, une architecture
fédérateur, heuristique, qui soit praxéologique mais
de cinq macro-préoccupations conjuguées
non normatif
(travaux de 2004-2007 de l’ERTE 40)

La mise en perspective d’un large empan de cadres Cinq préoccupations centrales constituent selon
théoriques pour analyser des situations de classe et nous la matrice de l’activité de l’enseignant dans la
les problèmes didactiques et pédagogiques qu’elles classe, ses organisateurs pragmatiques dominants
posent ont permis l’élaboration d’une modélisation (Pastré, Mayen § Vergnaud 2006) : 1) piloter et orga-
de l’agir enseignant dans la classe. La nécessité de la niser l’avancée de la leçon, 2) maintenir un espace de
vulgarisation de ce modèle auprès de publics d’en- travail et de collaboration langagière et cognitive, 3)
seignants et formateurs nous a conduit à accorder la tisser le sens de ce qui se passe, 4) étayer le travail en
plus grande attention au choix des termes désignant cours, 5) tout cela avec pour cible un apprentissage,
les préoccupations des enseignants. Nous avons sélec- de quelque nature qu’il soit. Ces cinq préoccupations
tionné un réseau réduit de concepts au fort pouvoir qui se retrouvent de la maternelle à l’université, sont
heuristique pouvant permettre à des chercheurs, des cinq invariants de l’activité et constituent le substrat
formateurs, des stagiaires et enseignants de penser des gestes professionnels. Par geste professionnel,
et travailler ensemble sur des problèmes identifiés. nous désignons de manière métaphorique l’action de
Nous avons cherché à élaborer un modèle qui soit : l’enseignant, l’actualisation de ses préoccupations.
Le choix du terme geste traduit l’idée que l’action
- un modèle fédérateur : il trouve sa source dans du maître est toujours adressée et inscrite dans des
une culture théorique vaste dont il théorise les codes. Un geste est une action de communication

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inscrite dans une culture partagée, même a minima. nécessité de pilotage : cadrer la séance et ses enjeux.
Il prend son sens dans et par le contexte scolaire. L’étayage par contre peut y être plus ténu.

Nous postulons que ces cinq préoccupations sont Elles sont hiérarchiques. Il est clair que selon les
les piliers autour desquels s’élaborent l’agir ordinaire dispositifs ou enjeux de la situation mise en place
dans la classe, les savoirs professionnels, l’expérience (une sortie scolaire en début d’année par exemple) le
et les compétences. souci de mettre en travail des savoirs spécifiques peut
passer au second plan parce que l’objectif central est
Ces cinq préoccupations, présentées dans la avant tout de créer les conditions relationnelles de la
figure 1 page suivante ne sont jamais isolées. poursuite du travail.

Elles sont systémiques dans le sens où elles co- Elles sont dynamiques. Leur mise en synergie,
agissent, rétroagissent les unes avec les autres : leur organisation interne évoluent pendant l’avancée
décider ou non de rectifier la réponse d’un élève s’ins- de la leçon. Elles sont plus ou moins embryonnaires,
crit aussi bien dans ce qu’on appellera étayage, que développées et précises selon le degré d’expérience
dans ce qui relève de l’atmosphère et de la gestion des et selon la culture des enseignants. Le jeu disponible
faces, comme dans le souci de ne pas trop retarder le des gestes professionnels pour installer ou maintenir
pilotage de la leçon. une atmosphère ou simplement son autorité, est ainsi
très variable d’un maître à l’autre. On verra plus loin
Elles sont modulaires : en début de cours le souci comment le principe de modularité (emprunté à la
atmosphérique de construire un climat de classe pour psychologie cognitive) explique l’organisation de
engager les élèves dans l’action est fortement lié à une configurations de gestes en postures.

Donner du sens, de la pertinence


à la situation et au savoir visé

Tissage

L’ethos
Faire comprendre Objets Créer, maintenir
Faire dire Étayage de savoir, Atmosphère des espaces
Faire faire Techniques dialogiques

Pilotage des
tâches
Gérer les
contraintes
Espace temps de la
situation

Figure 1: un multi-agenda de préoccupations enchâssées

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Le pilotage de la leçon : L’atmosphère

Sa visée centrale est d’organiser la cohérence et L’atmosphère c’est l’espace intersubjectif qui
la cohésion de la séance, d’assurer la chronogénèse organise la rencontre intellectuelle, relationnelle,
de la leçon, de passer d’un début où on se contente affective, sociale entre des individus confrontés à une
de cadrer la visée de savoir parfois de probléma- situation contenant des enjeux à gérer en commun.
tiser, parfois d’organiser la dévolution du savoir à Cet ethos (Maingueneau 1997) est le liant dans lequel
travailler jusqu’à une clôture où l’objet de savoir sera baignent les interactions et qui en même temps les
plus ou moins conceptualisé, nommé, institutionna- colore d’une certaine tonalité : sérieuse, ludique,
lisé quelquefois par une trace écrite. Ce parcours tendue, ennuyeuse, voire inquiétante etc.
nécessite d’organiser les tâches, les instruments
de travail, la disposition spatiale, les déplacements Les maîtres mots en sont relations, engagement,
autorisés ou non. Cette préoccupation, centrale éthique, langages, espace pour penser.
pour les débutants, s’inscrit dans un ensemble de
contraintes plus ou moins négociables (la classe, Récemment, deux écrivains, Frank Mac Court
les habitus de l’établissement, les prescriptions et dans Teacher man, (2006), et Daniel Pennac dans
programmations). La temporalité factuelle de la « Chagrins d’école », (2007), racontant l’un et l’autre
leçon inscrite sur la montre et l’emploi du temps leurs souvenirs d’enseignants dans des contextes
est en fait la résultante de nombre d’autres tempo- difficiles, les lycées professionnels du Bronx pour le
ralités institutionnelles, didactiques, subjectives qui premier, des élèves en rupture pour Pennac, mettent
font en partie l’objet de la préparation de la leçon et tous les deux en scène cette atmosphère décisive pour
qui sont l’objet de dilemmes constants pendant son capter l’attention des élèves, les faire entrer dans l’in-
déroulement. Aurai-je le temps de faire cet exercice ? dicatif présent de la classe (Pennac), susciter et main-
Combien de temps leur faudra-t-il pour écrire cette tenir leur engagement affectif, relationnel, intellec-
phrase ? Dois-je avancer même s’ils n’ont pas terminé ? tuel. Ils y décrivent ces joies et chagrins partagés entre
Allons-y pour une digression, une anecdote, elle me fera les maîtres et les élèves, cet art difficile de la gestion
gagner du temps en explication. Stop ! je m’arrête : ils des faces, de la négociation des rôles, des rituels pour
ne me comprennent pas, ils sont ailleurs. Stop, là il ne contractualiser les places, les statuts de chacun. Ils
faut pas que je rate cette remarque. Cette gestion du racontent les ratés, les marges de manœuvre encore
temps, du rythme (dilatation, accélération, pauses) plus réduites quand on est un enseignant contractuel.
s’accompagne d’une autre préoccupation non moins Ce concept d’atmosphère concentre ainsi un certain
forte qui est pour le maître celle de ses déplacements nombre de travaux relevant de l’interactionnisme
et de ceux des élèves, de ses gestes corporels, de la symbolique, de l’ethnométhodologie, de l’analyse des
maîtrise des artefacts de base : manuels, tableaux, discours s’intéressant aux interactions langagières,
affichages, disposition des tables et place des élèves. intersubjectives, en classe (François 1990). Il fait
La maîtrise progressive du pilotage général dès lors aussi la part belle au rôle de l’émotion vecteur de la
que celui-ci n’est plus une angoisse constante, ouvre rencontre, de l’engagement, du désir, mais aussi de
à l’enseignant la possibilité de se rendre disponible la peur et de l’inhibition (Damasio 1995), (Berthoz
pour des moments de communication particuliè- 2003). Tant il est vrai qu’il ne peut y avoir d’appren-
rement heureux où le temps de la classe semble tissage sans désir, sans appétit, ni motif !
suspendu : des micro-scénarios improvisés, des
moments d’attention conjointe provoqués par un Ce concept prend également en compte les travaux
événement qui vient de surgir et dont on se saisit de la psychologie sociale (Perret Clermont 1988) qui
(l’art du « kairos » dont parle Jorro 2004). Le pilo- ont montré l’importance du conflit sociocognitif pour
tage conjugue ainsi la dynamique tranquille de la dépasser, déplacer l’espace de sa propre pensée.
durée, nécessaire à l’incorporation des savoirs avec
la force de l’instant, de la rencontre qui déstabilise Mais le concept renvoie aussi aux travaux de
et avive la curiosité. l’équipe de Blanchard Laville (2003) qui ont su montrer

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par exemple comment la dimension psychanalytique labile et sensible aux moindres intempéries. On peut
peut expliquer des assignations de place, spécifiques imaginer qu’atmosphère de classe et climats intérieurs
(fils chéri, bouc émissaire pour certains élèves). des cerveaux des élèves sont fortement corrélés.

Les gestes d’enrôlement, de maintien de l’atten-


tion, (Bruner 1984), le souci de la gestion de la face Le tissage
de l’élève lors de l’évaluation, l’écoute attentive, les
plaisanteries ou réprimandes en sont l’ordinaire. Par tissage nous nous référons à l’activité du
maître ou des élèves pour mettre en relation le dehors
Ajoutons aussi combien ces gestes d’atmosphère et le dedans de la classe, la tâche en cours avec celle
relèvent d’une éthique professionnelle : laisser aux qui précède ou qui suit, le début avec la fin de la
élèves un espace de parole pour parler, penser, leçon. Ces opérations affichent une constance de 7 %
apprendre et se construire, leur apprendre à être à des gestes des enseignants dans de nombreuses situa-
l’écoute de l’autre. Ainsi lire un texte d’élève sans tions analysées en primaire ; elles montent à plus de
prendre le stylo rouge mais d’abord simplement pour 40 % dans l’enseignement technique.
entendre ce que l’élève, l’enfant vient de dire, relève
de cette atmosphère et de cette éthique qui fait de Les travaux sur le CP (Brunet Liria, Bucheton
l’élève une personne pour laquelle l’enseignant a du 2004-2005) montrent que les bons élèves tissent
respect mais aussi un devoir et un désir : celui de le eux-mêmes les liens laissés à l’état implicite par
faire progresser. l’enseignant. Ils savent nommer les tâches et objets
de savoirs qu’elles travaillent et sont capables d’en
La gestion de l’atmosphère de la classe se joue comprendre le pourquoi et la succession. Les élèves
souvent conjointement ou successivement sur moyens peuvent souvent retrouver les tâches en
plusieurs scènes : scène collective et frontale, scène termes de « faire », en repérer l’ordre ; les élèves
d’arrière-plan où se règlent les petits accords ou faibles, quant à eux n’arrivent ni à les nommer ni à
conflits entre les élèves, scène duale entre le profes- en retrouver l’ordre bien qu’ils les aient accomplies
seur et un élève, scènes de groupes ou les élèves sont de manière routinière un très grand nombre de fois.
en autonomie collective, scène d’atelier où le maître
s’est rendu disponible pour quatre ou six élèves, scène Ainsi ce concept de tissage se veut une méta-
intérieure que l’enseignant surveille en observant le phore de l’activité centrale du cerveau qui consiste à
regard, les jeux de mains ou les tics de ses élèves. multiplier dans une alchimie encore bien obscure, les
Chacune de ces scènes organisant une atmosphère synapses entre les neurones, pour favoriser le renfor-
cognitive et langagière différente et permettant des cement des traces, câblages, associations, sensibilisa-
formes d’engagement, une présence, différentes pour tions. Il renvoie surtout aux travaux de la sociologie
les élèves et le maître. et l’anthropologie culturelle qui montrent comment
tout savoir, toute expérience nouvelle, tout discours
Cette atmosphère est sous la responsabilité de (Bakhtine 1984) s’inscrit dans une continuité, dans
l’enseignant. Il est clair que les élèves tentent parfois des genres, des habitus déjà construits, des stéréo-
de faire se détériorer ce climat de classe et d’en types, des formes de l’imaginaire déposées dans la
reprendre le leadership. Les effets cognitifs de ces culture et l’histoire. Tisser c’est d’abord raviver les
« intempéries » de la classe sont probablement de empreintes que l’expérience a laissées. L’école très
première importance. Les travaux de la psychologie souvent sous-estime cette dimension ou la gère mal.
cognitive attirent notre attention sur le fait que la Les savoirs y sont souvent trop vite décontextua-
pensée se développe dans un certain climat intérieur lisés, déréalisés ou cloisonnés. Ce qui ne pose pas
du cerveau. Jean Didier Vincent (2007) parlant de problème aux bons élèves qui refont en partie eux-
l’activité cérébrale parle d’un État Central Fluctuant : mêmes ou avec l’aide des parents les contextualisa-
un état parce que toujours en devenir, en équilibre tions, décontextualisations et recontextualisations
instable, central, parce que son activité renvoie à la nécessaires. Tisser c’est réveiller, raviver des traces
totalité de notre système nerveux qui déploie notre déjà là, (les fameux brain-storming) pour planter
présence au monde et fluctuant comme hautement le décor, construire le milieu d’une séance. Ainsi,

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les moments d’ouverture de séance, où la mémoire tiques au sens où ils visent un but didactique spéci-
didactique (Mathéron 2000) est ravivée comme ceux fique, ils sont pédagogiques au sens où ils sont l’ins-
de clôture sont des moments clés du tissage. trument pour y parvenir. L’étayage est donc au cœur
du métier, impulse, régule la dynamique de ce qui
se joue dans la classe. Mais une dynamique dont les
L’étayage : un organisateur central de l’agir règles demeurent encore très obscures. L’enseignant
enseignant gagne quand l’élève gagne dit Sensévy (2008). La
compréhension des règles cachées de ce jeu partagé,
L’étayage est, dans le modèle proposé, un concept est l’objet de nombreux travaux actuels. Elle est au
central, hiérarchiquement supérieur aux autres. On centre des préoccupations du réseau international de
verra plus loin qu’il peut être pensé comme l’organi- recherche : OPEN (contrat 2008-2012). La deuxième
sateur principal de la co-activité maître-élèves. matrice conceptuelle que nous présenterons cherche
à éclaircir quelques-unes de ces dynamiques.
Nous avons repris à Bruner, ce concept d’étayage
pour désigner toutes les formes d’aide que le maître
s’efforce d’apporter aux élèves pour les aider à faire, à Les savoirs visés : une cible floue
penser, à comprendre, à apprendre et à se développer
sur tous les plans. La métaphore de Bruner « scafol- La cible visée par la situation d’enseignement/
ding » montre bien toute l’ambiguïté de cette relation apprentissage est assez souvent floue, peut-être l’est-
d’aide. Indispensable, mais aussi vouée à disparaître. elle nécessairement. La problématique des objets de
savoir, des attitudes, du savoir-être, savoir-faire a
« Scafolding », c’est l’échafaudage qu’on enlève donné lieu à une littérature considérable en sciences
quand la maison est construite, mais c’est aussi l’étai humaines. Enseigne-t-on des concepts, des tech-
pour creuser des galeries dans la mine. Il a besoin niques, des attitudes, des méthodes, des stratégies,
d’être fiable, durable, il nécessite la confiance. des comportements scolaires, sociaux, des pratiques
sociales, des formes d’adaptation et d’ajustement aux
Bruner parlant d’apprentissage manuel avec de situations etc. ? Chevallard (1999), dans son quadru-
jeunes enfants insiste particulièrement sur le main- plet distinguant les tâches, des techniques pour les
tien de l’orientation de l’activité, sur le pointage de faire, des technologies : les discours et conceptuali-
la difficulté ou de l’erreur, sur la nécessité parfois sations qui sous tendent l’action et les théories dont
de gestes de monstration. Après Vygotsky, il insiste ces technologies sont issues ou qu’elles mettent en
beaucoup sur la dissymétrie fondamentale de la place évidence, tente de mettre un peu d’ordre. Mais ce
qu’occupe celui qui sait, qui enseigne ou accompagne. modèle anthropologique ne prend pas assez en compte
Celui dont le rôle est d’être un passeur, cherchant des la dimension socio-affective et expérientielle, consti-
gués, tenant la main de l’apprenant pour les franchir, tutive du rapport au savoir et de son évolution.
mais aussi celui qui doit souvent contrôler sa frus-
tration et se retenir d’expliquer, ou de faire à la place Si on ajoute à cela le fait que dans le primaire
de l’élève (le geste d’impatience du maître qui pose la les maîtres enseignent des savoirs pour lesquels ils
question et n’attend pas la réponse). ont une culture très réduite et parfois une expé-
rience douloureuse, on comprend alors pourquoi le
Les gestes d’étayage offrent une grande diversité de savoir enseigné est souvent pensé par les élèves et
réalisation selon les disciplines, l’avancée de la leçon, les maîtres plus comme un « faire quelque chose »
l’hétérogénéité plus ou moins grande du public, la (Crinon, Marin, Bautier 2008) que comme la réponse
nature de la tâche ou des savoirs que celle-ci cherche à une question qu’on s’est posée. Les jeunes stagiaires
à mettre en évidence. Ils actualisent toutes sortes de « font » le programme sans être en mesure de s’auto-
dilemmes. Ils traduisent des décisions dont l’équilibre riser à en questionner la pertinence (Bucheton
est fragile. Leur examen attentif et comparé, dans diffé- Chabanne 2002).
rentes situations d’enseignement, montre qu’ils sont
le lieu même où s’articule ce qu’on pourrait appeler le Les savoirs visés sont aussi fondamentalement
didactique et le pédagogique. Ils sont toujours didac- hétérogènes, tout particulièrement en didactique

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du français. Leur objectivation, leur conceptualisa- INRP sur l’écriture au CP, co-piloté par D. Bucheton
tion intermédiaire ou institutionnelle en est rendue et Yves Soulé (contrat 2007-2008) se poursuivent
d’autant plus difficile. actuellement dans le cadre d’une recherche sur
la mise en œuvre d’ateliers dans les classes des
Donnons un exemple pris dans une séance de Réseaux Ambition Réussite (ex ZEP) de collège :
lecture-écriture en maternelle. L’enseignante veut (programme 2008-2009, soutenu par le centre A.
faire écrire « alligator », mot vu dans un album. On Savary de l’INRP).
constate que toutes sortes de savoirs sont convo-
quées, parfois nommés. Les premiers résultats de ces divers travaux laissent
apercevoir des motifs réguliers dans les ajustements
1) des concepts tels que « son », « syllabe », des gestes professionnels des maîtres. Ils contribuent à
« mot », sont nommés plusieurs fois, la compréhension des heurts, bonheurs, malheurs de la
communication (François 1990) et de la co-construc-
2) des techniques (des gestes d’étude) sont mises tion de significations pendant la classe. Ils ont permis
en place pour les repérer, discriminer auditivement le l’élaboration d’une deuxième matrice conceptuelle :
[G] du [K], les associer (on frappe dans ses mains), celle du « jeu des postures d’étayage » du maître.
on les cherche dans les « mots » affichée sur le mur,
Nous présentons d’abord la méthodologie adoptée
3) des savoirs culturels : « alligator, je sais le lire puis le jeu des postures observées chez les maîtres.
parce que c’est dans le titre de la couverture de l’album, Dans un second temps, au travers de l’étude compa-
dit un élève ». rative de deux débuts d’ateliers d’écriture en CP
nous analysons les premières configurations obser-
4) une pratique sociale (savoir écrire) est verbalisée. vées entre les postures d’étayage de deux maîtres et
Elle constitue l’arrière-plan socioaffectif et identitaire les postures et gestes d’étude des élèves. Ce dernier
de la leçon : « regarde, dit une élève en montrant à la exemple a pour but de donner un aperçu des
caméra sa feuille, je sais déjà écrire tout ça ! » méthodes d’analyse, du type de résultats attendus,
comme de leurs limites.
Mais pour entrer dans la compréhension et la
manipulation de l’écrit, c’est l’ensemble de ces savoirs
que l’élève doit s’approprier en les conjuguant. Éléments de méthodologie : le principe de la
comparaison
La question de l’identification des savoirs visés,
de leur complexité, de leur nécessaire imbrication, de La méthodologie d’analyse adoptée s’appuie sur
leur évolution en cours d’action, en même temps que le principe de la comparaison. Après avoir iden-
celle de la possibilité pour les élèves d’y avoir accès (la tifié les éléments communs du « genre scolaire »
Zone de Proche Développement de Vygotsky1985) observé, nous cherchons à repérer les zones de
est une question centrale pour déterminer la nature variation, d’ajustement dans l’action pour tenter d’en
de l’étayage apporté par l’enseignant. comprendre les raisons et ceci de deux façons : 1) en
observant l’activité des élèves en regard de cet agir,
2) en confrontant ce que nous avons constaté avec ce
Postures d’étayage des maîtres, postures qu’en disent les enseignants concernés lors d’entre-
d’apprentissage des élèves : un jeu dynamique tiens d’auto-confrontation à la vidéo de la séance. Le
(travaux de 2007-2008) dispositif étudié : l’atelier dirigé, sorte de mini-classe,
permet une observation quasi exhaustive des interac-
Nous présentons maintenant les nouvelles tions des acteurs.
recherches conduites à partir de la matrice concep-
tuelle du multi-agenda. Elles visent à identifier des Nous avons dans un premier temps enregistré et
régularités dans les co-ajustements de l’agir du analysé plusieurs séances d’ateliers d’écriture en CP
maître avec celui des élèves. Ces travaux, réalisés à en début d’apprentissage du lire-écrire entre octobre et
l’occasion d’un programme de recherche LIRDEF - décembre. Nous avons ensuite choisi de travailler d’un

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point de vue clinique et qualitatif, linguistique, didac- leur texte pendant une demi-heure alors que les
tique et ergonomique sur deux enseignantes également autres sont en autonomie, est très peu familier pour
anciennes dans le métier, exerçant chacune dans des les enseignants ou les élèves de CP. Pourtant, dès les
classes très hétérogènes. La durée de l’atelier n’excède premières mises en œuvre, on retrouve d’emblée un
pas une demi-heure. Le regroupement des six élèves synopsis commun comportant 3 ou 4 scénarios : A) la
dans chacun des ateliers s’est fait sur la base de cette négociation du texte (en général une phrase), B) un
hétérogénéité. Aucune consigne spécifique, exceptée long temps sur les deux ou trois premiers mots, C)
celle de ne pas trop dépasser la demi-heure, n’a été l’écriture de la fin de la phrase, D) la clôture de l’ate-
donnée aux enseignantes. Les données ont été collec- lier. Autrement dit les lois de l’atelier dirigé comme
tées dans des classes ordinaires à l’intersession d’un « genre » s’imposent vite. Nous interprétons cette
stage de formation continue de deux fois deux jours. organisation dynamique commune (pilotage général)
Les séquences filmées ont donné lieu à une analyse comme un indicateur chez les enseignants experts
collective lors des deux dernières journées de stage un de la maîtrise de gestes de métiers montrant des pré-
mois plus tard. Des auto-confrontations immédiates et construits professionnels communs pour gérer la
des entretiens ont accompagné la prise de vue 5. tache et surtout le temps, notamment les ralentisse-
ments en B ou accélérations en C qu’elle demande.
L’analyse s’est opérée en plusieurs rangs : Cependant le pilotage de ces ateliers révèle aussi des
variations signifiantes relatives à la durée des scéna-
1) Les synopsis des séances : la succession des rios de début et de clôture très courts chez l’une des
scénarios et leur temporalité précise. deux enseignantes observées, beaucoup plus longs
chez l’autre. Mais avant de poursuivre la présentation
2) L’identification pour chacun de ces scénarios de ces résultats, il nous faut revenir sur des travaux
des gestes professionnels et savoirs mobilisés à partir plus anciens.
du cadre conceptuel du multi-agenda,
Retour sur le terme posture aujourd’hui très à la
3) L’identification de configurations de gestes
mode :
(des postures) tant chez les élèves que chez le maître,
à partir d’analyses linguistiques sur les formes de l’in-
terpellation et leurs effets. Le concept de posture tel que nous l’utilisons
depuis fort longtemps pour des travaux relevant de
4) la mise en perspective des analyses avec ce la didactique du français, (Bucheton, Bautier 1997)
que les enseignants disent de la séance dans les prend sa source dans la théorie des concepts en actes
auto-confrontations. de Vergnaud (1996).

5) La reprise ultérieure de ces résultats en nous La définition que nous avons donnée du terme
intéressant de plus près aux gestes évaluatifs et aux « posture » est la suivante : « Une posture est un
formes énonciatives de l’enseignant (Soulé, Bucheton schème préconstruit du « penser-dire-faire », que le
2007). sujet convoque en réponse à une situation ou à une tâche
scolaire donnée. La posture est relative à la tâche mais
6) La confrontation à plusieurs reprises des résul- construite dans l’histoire sociale, personnelle et scolaire
tats obtenus à d’autres situations d’ateliers chez des du sujet. Les sujets disposent d’une ou plusieurs postures
enseignants débutants (stagiaires IUFM) pour vérifier la pour négocier la tâche. Ils peuvent changer de posture
pertinence de la grille d’analyse des postures d’étayage au cours de la tâche selon le sens nouveau qu’ils lui
construite à partir des pratiques des enseignants experts. attribuent. La posture est donc à la fois du côté du sujet
dans un contexte donné, mais aussi de l’objet et de la
Premiers résultats : des gestes de métier situation, ce qui en rend la saisie difficile et interdit tout
installent vite un genre commun et son pilotage : étiquetage des sujets (Bucheton 1999 - Bucheton 2006).
Les travaux que nous avons menés sur les postures
L’atelier dirigé d’écriture pendant lequel le maître des élèves dans des conduites de lecture littéraire
reste avec 5 ou 6 élèves qui écrivent individuellement ou d’écriture montrent cependant que les élèves

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les plus en réussite sont ceux qui disposent d’une Comme pour les postures des enseignants, les
gamme plus variée de postures. Ils savent changer élèves circulent tous dans plusieurs postures d’étude.
de posture dans la difficulté. On constate aussi qu’à Ces postures ont toutes deux versants : un versant
niveau scolaire égal, devant la même tâche, la variété positif et un versant contre productif. Par exemple,
plus ouverte des postures est corrélée statistiquement sans posture première, il n’y a pas d’engagement
à l’appartenance à un milieu favorisé. On peut alors rapide dans la tâche. Pour penser, il faut parfois
faire l’hypothèse que ce n’est pas l’école qui construit d’abord essayer, brouillonner. À l’opposé, à trop
la diversité et l’ouverture des postures des élèves : la secondariser, analyser, il n’y a parfois plus d’inven-
diversité de leurs maniements cognitivo-langagiers. tion possible dans l’action. Savoir refuser est parfois
une question de survie.

Bref rappel sur les postures d’étude des élèves Aujourd’hui, les recherches menées à l’occasion
du travail sur les ateliers dirigés conduisent à se
Nous avons récemment complété l’inventaire des demander si ce n’est pas le choix d’un jeu restreint
postures des élèves à l’occasion des multiples entre- de postures par les maîtres qui enfermerait les
tiens que nous avons eus avec des enseignants et élèves dans un nombre lui aussi réduit de postures
assistants pédagogiques, lors de stage de formation d’étude. Les premiers résultats obtenus apportent des
(Bucheton Soulé 2009). éléments de confirmation à cette hypothèse.

Nous avons ainsi identifié chez les élèves un jeu


possible de 6 postures (réflexive, première, ludique/ La posture d’étayage du maître : une
créative, scolaire, de refus, dogmatique) traduisant les organisation modulaire et finalisée de gestes
grandes caractéristiques de l’engagement des élèves
dans les tâches. Un premier constat s’est imposé très vite lors de
nos analyses : si les élèves sont sensibles et réactifs
Par posture première on décrit la manière dont les à des gestes isolés (une réprimande, une demande
élèves se lancent dans la tâche sans trop réfléchir, lais- d’explication, un sourire, le ton d’une réponse), ces
sant jaillir toutes sortes d’idées ou de solutions sans micro-gestes ne modifient pas fondamentalement le
y revenir davantage. La posture scolaire caractérise cours de leur activité et la nature de leur engagement.
davantage la manière dont l’élève essaie avant tout En revanche, ils identifient très vite l’évolution ou
de rentrer dans les normes scolaires attendues, tente les inflexions des attentes de l’enseignant pendant la
de se caler dans les attentes du maître. La posture leçon. Ils repèrent vite s’ils ont droit à l’erreur, si l’en-
ludique-créative traduit, elle, la tentation toujours seignant attend d’eux une réponse précise ou approxi-
latente et plus ou moins assurée de détourner la tâche mative, s’ils ont le droit de discuter avec leur cama-
ou de la re-prescrire à son gré. rade, de donner ou non leur point de vue, s’il faut
écouter avec la plus grande attention ou simplement
La posture dogmatique manifeste une non-curio- être en mesure de répéter, etc. Ils s’ajustent plus ou
sité affirmée. Le « je sais déjà », le « mon ancien moins à ces attentes, parfois les refusent ou les détour-
maître, ma mère, etc... me l’ont déjà dit ». nent. Nous avons nommé « postures d’étayage » la
diversité de ces conduites d’étayage de l’activité des
La posture réflexive est celle qui permet à l’élève élèves par les maîtres pendant la classe. Ce sont des
non seulement d’être dans l’agir mais de revenir sur organisations récurrentes de gestes faisant système,
cet agir, de le « secondariser » pour en comprendre orientant et pilotant l’action des élèves de façon
les finalités, les ratés, les apports. La posture de refus : spécifique. Nous retrouvons donc notre définition
refus de faire, d’apprendre, refus de se conformer est première d’une organisation systémique et modulaire
toujours un indicateur à prendre très au sérieux. Elle des gestes. Le choix des postures et de leur succes-
renvoie souvent à des problèmes identitaires, psycho- sion n’est pas aléatoire, ce que les auto-confrontations
affectifs, à des violences symboliques ou réelles confirment. Les élèves savent rapidement décoder la
subies par les élèves. grammaire implicite des postures possibles de leurs

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enseignants, la nature de leurs attentes, les change- discussions entre les élèves, la recherche des réfé-
ments d’étayage qu’elles manifestent. rences ou outils nécessaires. Il se retient d’intervenir,
observe plus qu’il ne parle,

Un inventaire limité des postures d’étayage et - une posture d’enseignement : l’enseignant formule,
leurs gestes constitutifs structure les savoirs, les normes, en fait éventuelle-
ment la démonstration. Il en est le garant. Il fait alors
Les travaux menés pour l’instant sur la conduite ce que l’élève ne peut pas encore faire tout seul. Ses
des ateliers dirigés nous ont permis d’identifier plu- apports sont ponctuels et surviennent à des moments
sieurs postures par lesquelles la nature de l’aide spécifiques (souvent en fin d’atelier) mais aussi
apportée par l’enseignant peut varier fortement. lorsque l’opportunité le demande. Dans ces moments
spécifiques les savoirs, les techniques sont nommés.
- une posture de contrôle : elle vise à mettre en place La place du métalangage est forte. Cette posture
un certain cadrage de la situation : par un pilotage d’enseignement s’accompagne de gestes d’évaluation
serré de l’avancée des tâches, l’enseignant cherche à à caractère plutôt sommatif.
faire avancer tout le groupe en synchronie. Les gestes
d’évaluation constants (feed-back) ramènent à l’en- - une posture de lâcher-prise : l’enseignant assigne
seignant placé en « tour de contrôle », la médiation aux élèves la responsabilité de leur travail et l’autori-
de toutes les interactions des élèves. Les gestes de sation à expérimenter les chemins qu’ils choisissent.
tissage sont rares. L’adresse est souvent collective, Cette posture est ressentie par les élèves comme un
l’atmosphère relativement tendue, gage de confiance. Les tâches données (fréquemment
des fichiers) sont telles qu’ils peuvent aisément les
- une posture de contre-étayage : variante de la résoudre seuls ; les savoirs sont instrumentaux et ne
posture de contrôle, le maître pour avancer plus vite, sont pas verbalisés.
si la nécessité s’impose, peut aller jusqu’à faire à la
place de l’élève. - une posture dite du « magicien » : par des jeux,
des gestes théâtraux, des récits frappants, l’enseignant
- une posture d’accompagnement : le maître capte momentanément l’attention des élèves. Le
apporte, de manière latérale, une aide ponctuelle, en savoir n’est ni nommé, ni construit, il est à deviner.
partie individuelle en partie collective, en fonction
de l’avancée de la tâche et des obstacles à surmonter. Dans le tableau suivant nous montrons comment
Cette posture à l’opposé de la précédente ouvre le chaque posture architecture de manière modulaire
temps et le laisse travailler. L’enseignant évite de les divers gestes identifiés dans la matrice concep-
donner la réponse voire d’évaluer, il provoque des tuelle du multi-agenda.

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Posture d’étayage Tâche élèves


Pilotage Atmosphère Tissage Objets de savoir
de l’enseignant postures
« Faire et discuter
Détendue et Très important Dévolution
Accompagnement Souple et ouvert sur » : posture
collaborative Multi directif Émergence
réflexive, créative
Collectif
Contrôle Tendue et « Faire » :
Synchronique Faible En actes
hiérarchique Posture première
Très serré
Confiance,
Confié au groupe, refus Laissé à l’initiative Variables : faire
Lâcher prise En actes
autogéré d’intervention du de l’élève Discuter sur
maître
Verbalisation
Liens entre les
Enseignement Le choix du bon Concentrée, post-tâche
tâches Nommés
Conceptualisation moment très attentive posture réflexive
Retour sur
(secondarisation)
Devinette,
Manipulations,
Théâtralisation, tâtonnement
Magicien Aucun Peu nommés Jeu : posture
mystère, révélation aveugle,
ludique
manipulation

Figure 2 : Les postures d’étayage : une organisation modulaire de gestes et leurs visées

La dynamique réciproque des postures : un


double ajustement

L’étude de nombreux ateliers d’écriture menés L’ajustement des postures se fait à partir d’indica-
par des enseignants experts ou plus novices montre teurs perçus dans la dynamique de la situation : (bâille-
que jamais les enseignants ne se cantonnent dans ments de plus en plus fréquents, réponses inexactes,
une seule posture pendant le laps de temps d’environ demandes d’aller aux toilettes, dépassement du temps
une demi-heure que dure l’atelier. Pourtant certaines prévu, agitation dans la classe ou au contraire silence
l’emportent sur d’autres. Ainsi, les jeunes stagiaires pesant, etc.). Comme on change de braquet en vélo pour
ont le plus grand mal à abandonner les postures de gravir une côte ou la redescendre, l’enseignant change
contrôle et d’enseignement même s’ils en ressentent de système d’étayage pour s’adapter à l’avancée de la
les limites. leçon, aux difficultés perçues ou du moins à la repré-
sentation momentanée qu’il se fait de la situation. De la
Nous observons aussi que la circulation entre même façon, de leur côté, les élèves changent de posture
ces diverses postures à l’intérieur de brefs scéna- en fonction de leur vécu, perçu de la difficulté pour eux
rios est fréquemment l’apanage des maîtres très de la tâche, en fonction aussi de la manière dont l’ensei-
chevronnés sachant moduler les formes de leur gnant conduit le travail commun. Eux aussi se construi-
« médiation » (en fonction de ce qu’ils perçoivent sent pendant la leçon une représentation dynamique,
et observent de l’activité des élèves). Nous consta- plus ou moins proche de la réalité, de ce qu’ils peuvent
tons souvent que ce souci de cadrage, de contrôle, ou veulent faire. Ces ajustements réciproques entre les
de sur-étayage parfois est une préoccupation changements de postures des enseignants et les postures
surdéterminante dans nombre de situations obser- d’apprentissage des élèves sont particulièrement visibles
vées en ZEP. La posture dominante de cadrage et (effet loupe) dans le dispositif atelier à faible effectif.
de contrôle développe alors une atmosphère très Il nous restait alors à nous demander s’il existait des
spécifique. Elle peut parfois volontairement être invariants identifiables dans ces systèmes d’ajustements
sur-jouée en début de cours chez les débutants réciproques. Leur mise en évidence permettrait alors de
pour permettre ensuite d’installer un accompagne- comprendre certains mécanismes de « l’effet maître » ou
ment plus tranquille (RIA 2007). de « l’effet élèves ».

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Postures de l’enseignant Postures des élèves

Langage

Scolaire
Accompagnement Première (faire)
Contrôle Tâches Ludique,
Lâcher-prise Techniques Créative
Enseignement Savoirs Réflexive,
Magicien Seconde
Contre étayage Refus
Dogmatique

Figure 3 : Hypothèse de l’ajustement réciproque des postures des enseignants et des élèves

Les changements de postures : le jeu entre coup dans une post-réflexivité différente de celle qui
dynamique de surface (contexte) et logiques est opérative pendant le cours de l’action.
profondes
L’ensemble de ces savoirs et logiques d’arrière-
Les méthodologies multiples mises en œuvre plan contribue à une représentation des possibles
par notre équipe ont permis d’avoir partiellement de la situation, lesquels permettent de convoquer
accès à ce que nous nommons les logiques d’arrière- les postures afférentes : des concepts pragmati-
plan constitutives de l’identité professionnelle et de ques, une réflexivité en actes qui entre dans le jeu
l’éthique propre de chaque l’enseignant, marques de l’agir partagé. De sorte qu’enseigner est toujours
aussi de sa singularité. un compromis entre sa propre culture, les savoirs
que l’expérience a accumulés, les gestes, artefacts
Les décisions de l’enseignant dans l’instant T sont et petites méthodes que l’on a mis au point et le
ainsi le produit des contraintes de la dynamique de devenir toujours incertain du déroulé de la séance :
surface : les événements qui se sont produits dans « Aujourd’hui rien à faire, ça dort ! Ils ne sont pas là ! »,
le déroulement de la séance mais tout autant le fruit dit une collègue très experte lors d’un entretien.
des cohérences, convictions ou dilemmes profonds
qui se jouent à l’arrière-plan : un rapport conflictuel
aux instructions de la discipline, une érudition dans Postures d’étayage des enseignants, postures
un domaine de savoir une ignorance assumée ou non d’étude des élèves : quels liens ? Une étude de
dans un autre, des souvenirs d’école douloureux, etc. cas
Ces conflits ou cohérences profondes ne sont qu’en
partie conscients ; leur conceptualisation se fait Nous n’avons pas encore mis en évidence de
fréquemment à l’occasion des entretiens ou des auto- manière évaluée les liens entre les postures des ensei-
confrontations croisées qui les font émerger après gnants et celles des élèves. Les travaux menés actuel-

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lement en collège ZEP montrent des corrélations ne connaissent pas même encore toutes les lettres :
fortes : un jeu de postures plus ouvert, le maintien Bonjour papa et maman, est-ce que vous pouvez nous
plus long en posture réflexive chez les élèves lorsque donner des pots de (yaourts).
les enseignants sont davantage dans la posture
d’accompagnement lors des ateliers. Mais il reste à Dans ce premier scénario et dans les suivants la
évaluer les effets de ces attitudes sur les résultats et posture d’accompagnement domine. Elle cédera la
le développement des élèves (projet de recherche en place en fin de séance à une posture d’enseignement
cours). Nous nous contenterons donc de présenter et d’évaluation : moment où l’enseignante fait le bilan
un cas ponctuel : la comparaison de l’agir de deux avec chaque élève de ce qu’il a réussi, essayé ou raté.
enseignantes lors d’un atelier d’écriture en CP et ce « Des pots : là il faut un S , il en a plusieurs, et toi Zélie,
qu’il nous permet de comprendre sur les mécanismes il faut qu’on revoie le P et le B en remédiation.
de la co-activité enseignant - élèves. L’exemple est
heuristique. Il sera ici brièvement présenté pour Dans l’entretien Isabelle explique :
montrer comment la modélisation proposée permet
de comparer deux scénarios en apparence identique Enquêteur : au départ de l’atelier, tu savais que tu
chez deux enseignantes et permet d’en analyser les voulais leur faire écrire à tous la même phrase ?
effets induits sur les élèves.
- Isabelle : Non/ non/ je ne sais jamais/ mais ça peut
Il s’agit pour les deux enseignantes de décider varier. Faut pas que ce soit ma phrase à moi/ parce que
du texte qui va être écrit collectivement pendant la c’est toujours le danger/ ils sont en début de CP. L’idée
durée de l’atelier (trente minutes). Isabelle conduit c’est qu’ils aient envie d’écrire et puis qu’ils aient du
de tels ateliers depuis longtemps, Sophie, bien plaisir à le faire/ mais tout ce qui se passe au niveau
qu’enseignante très expérimentée est novice pour ce de la langue orale c’est essentiel aussi hein/ ils vont/ ils
dispositif spécifique. C’est la deuxième fois qu’elle le négocient entre eux (…)
pratique.
En même temps je les mets en situation de/ de futurs
Isabelle : une posture d’accompagnement domi- écrivains : je sais pas (rires…) alors là l’idée hein /
nante dans le premier scénario c’est le brouillon hein, / c’est que dans la vie on fait des
brouillons et puis euh// parce que je sais pas/ pour avoir
Le scénario dure 7 minutes chez Isabelle et un peu écrit en groupe d’adultes je sais que c’est hyper difficile
moins chez Sophie. Isabelle laisse les élèves lentement de négocier parfois un mot /
et tranquillement inventer le texte en leur donnant
toute liberté pour tisser toutes sortes de liens avec (…) Je suis persuadée que / l’écriture/ la lecture c’est
leur famille, avec ce qu’ils ont déjà écrit, avec la nature lié à l’affectif et le nier ça serait/ ça serait oui ça serait
du projet d’écriture. L’atmosphère est détendue, mi- même pas pédagogique je trouve.
ludique, mi-sérieuse. L’enseignante plaisante, sourit.
Assise parmi les élèves, elle est occupée à tranquille- Sa posture d’accompagnement est aussi sous-tendue
ment défaire le film plastique qui couvre une gomme. (niveau des logiques d’arrière-plan) par une théorie de
Elle est dans une posture d’accompagnement : elle l’apprentissage : l’idée qu’il faut amener les élèves à s’es-
veille cependant à garder la direction du récit inventé, sayer, à chercher à résoudre un problème au-delà de ce
ce n’est pas de bouchons qu’on a besoin mais de pots de qu’ils savent déjà, en sachant que son rôle est alors de
yaourts, fait répéter la phrase plusieurs fois, explique les accompagner. Les laisser partir à l’aventure mais en
ce que les élèves ne peuvent pas savoir : « Eh bien moi restant extrêmement vigilante et présente. Isabelle est
je vais vous le dire, vous ne pouvez pas le savoir, on va très consciente de cet équilibre fragile !
faire un premier jet, on va chercher les mots et puis on
écrira joli et on signera tous (geste imaginaire sur la Et là je me dis tout le temps parle pas trop, parle
feuille). Les élèves sont avec elle, ils se sont engagés pas trop. ….
dans ce qui va être leur histoire, leurs problèmes à
résoudre. Et quels problèmes ! En 35 minutes, ils Voilà oui/ c’est/ en fait c’est toujours en tension
vont écrire (sauf le dernier mot), eux dont certains entre ma place, pas ma place/ est-ce que c’est trop/ je

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me réajuste sans cesse quoi/ j’essaie de/ d’aller à leur Ses représentations des possibles de l’atelier
rythme pour que ce soit une expérience/ aussi un bon d’écriture, des possibles de ses élèves, sont diffé-
souvenir pour eux. rentes. À ce moment-ci de l’année et de sa forma-
tion en cours (sur les ateliers d’écriture) elle cadre,
Les postures des élèves d’Isabelle : pendant pilote, régule pas à pas l’activité des élèves dans une
tout ce premier scénario et dans ceux qui suivent forme de sur-étayage dont elle est consciente. Elle la
d’ailleurs les 5 élèves oscillent entre des postures justifie par son expérience : « En ZEP, il faut cadrer
ludique-créative et réflexive. Les gestes d’étude mis beaucoup ». Cette représentation est fréquente. Elle
en place sont aussi bien cognitifs (inventer, planifier justifie aussi cette mise sous tutelle de la parole et de
un texte, choisir une énonciation, se souvenir de que la pensée des élèves par son souci de pilotage (faire
l’on sait déjà écrire) que sociaux (s’autoriser à parler avancer la séance) et l’accrocher au travail du groupe
de soi, écouter les autres, négocier avec eux le texte précédent. « Moi mon projet, en fait, j’avais déjà un
à écrire). projet dans la tête, c’était que la deuxième phrase devait
concerner les transports. Donc j’ai essayé de recadrer
Nous identifions lors de ce premier scénario pour que la phrase soit sur ce sujet-là ; (…) J’oriente ça
une relation entre la posture d’accompagnement c’est clair …Que les élèves s’expriment ça c’est très bien
du maître et les postures réflexive et créative des mais on ne va pas en une séance pouvoir tout dire ce
élèves. Nous n’observons aucun élève en posture qu’ils ont envie de dire(…) Il faut que je recadre : dans
de refus. L’hétérogénéité du groupe est positive et un premier temps, on part du transport, ensuite il faut
dynamique. décrire ce qu’on a vu, ensuite ce qu’on a entendu, donc
euh, la structure du texte c’est moi qui l’ai en tête, c’est
Sophie : une posture de contrôle dominante, la clair ». Le dilemme didactique classique (centration
parole des élèves en partie confisquée sur le résultat : la production d’un texte achevé plus
que sur le processus) peut aussi en partie expliquer
Dans ce premier scénario, beaucoup plus court les stratégies adoptées.
ici (3 minutes), Sophie de la même façon doit négo-
cier le texte à écrire. Elle se heurte à une difficulté. Cette posture de contrôle est aussi ici justifiée par
Elle veut faire écrire la suite d’un texte écrit par un un souci de différenciation. Commentant ses dépla-
autre groupe (projet d’article de journal scolaire sur cements pour correction, derrière les élèves, elle dit :
la visite au Corum de Montpellier) mais les élèves « J’essaie d’individualiser l’aide que j’apporte à chacun :
eux ont envie de raconter ce qu’ils ont vécu lors de pour l’un, lui apprendre à espacer les mots, pour l’autre
leur visite. Elle tranche et impose sa propre phrase. montrer la graphie d’une lettre ».
« Nous avons pris le bus »
Elle s’accompagne cependant pour deux élèves
L’ensemble des gestes de Sophie nous amène à d’une posture que nous avons qualifiée de « lâcher
penser qu’elle est le plus souvent dans une posture prise » : « Quand on a un groupe comme celui-ci,
de contrôle des élèves, de contrôle de l’avancée de la qui est un groupe trop hétérogène : la différence entre
tâche, des contenus qui y seront travaillés. Dans ce Joachim et Hanam qui trouvent très vite comment écrire
premier scénario d’invention planification du texte, et les autres qui rament un peu, cette différence est
son souci premier semble être le pilotage visant à trop importante. J et H étaient tellement à l’aise que ça
arriver très vite vers l’épisode suivant : le corps à empêche les autres de chercher. Je me suis dit : tous les
corps, lettre après lettre avec l’écriture. Du coup, deux sont lancés, je les envoie en autonomie ».
la parole de certains élèves est confisquée, l’atmos-
phère est contrainte, les opérations premières de Les postures des élèves de Sophie :
l’écriture (organiser une pensée, la mettre en mots)
sont écrasées au profit d’une centration qui va suivre Dans ce cours scénario, on observe diverses
sur l’encodage des sons. C’est l’enseignante au final postures chez les élèves : la créativité et l’engagement
qui impose le texte à écrire. La suite de la séance la qu’ils manifestent d’abord dans le désir de raconter
verra occuper une posture fréquente d’enseignement s’éteignent très vite. Des formes de refus se manifes-
appuyée sur des gestes d’évaluation. tent par un léger chahut de deux élèves ou par le

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silence des autres. Tous rentrent momentanément Mais une grammaire à poursuivre. L’étude
en posture scolaire : les normes dont données. Il faut de l’agir enseignant ne peut être véritablement
écrire « en attaché » dans « le rail » dessiné au préa- convaincante que si elle ausculte attentivement
lable par l’enseignante sur la feuille. comment ces diverses préoccupations, postures
d’étayage s’actualisent dans les diverses situations
La configuration dominante de ce premier didactiques, comment elles mettent en travail
scénario montre une corrélation entre une posture diverses postures ou gestes d’étude spécifiques des
de cadrage /contrôle forte et des postures faiblement disciplines, comment elles permettent de résoudre
réflexives des élèves. Ce cadrage fort de l’atelier à son des problèmes d’apprentissage des élèves. C’est en
début installe ici la posture scolaire, voire momenta- travaillant au plus près des préoccupations didacti-
nément une posture de refus. Deux élèves en avance ques du cycle 2 en français que nous avons aperçu la
s’en échappent. L’hétérogénéité du groupe n’est plus densité de cet agir, qui articule toujours les dimen-
une ressource mais devient un obstacle que l’ensei- sions sociales, interactionnelles, langagières, éduca-
gnante n’arrive à gérer qu’en excluant (positivement) tives, didactiques et cognitives.
les deux élèves.
D’où une triple visée pour la recherche et la
formation
Conclusions et perspectives :
- un observatoire pour approcher mieux la
Une grammaire de l’agir enseignant à poursuivre complexité et la singularité de l’agir enseignant ordi-
D’une description statique des composantes de l’agir naire, sa dynamique, ses ajustements constants en
enseignant (l’ensemble de cinq préoccupations orga- situation et dans l’action.
nisatrices de son action), nous avons proposé une
conceptualisation de l’organisation modulaire, systé- - un conservatoire : pour identifier, nommer,
mique et dynamique des gestes professionnels (le jeu classer les grandes formes, genres, modèles didacti-
des postures d’étayage des maîtres). Celle-ci éclaire ques construits dans la longue histoire de la culture
en partie la dynamique du sens et de l’engagement professionnelle. En repérer les points communs et
des acteurs dans le déroulement de la situation. Elle variations. Permettre la compréhension fine des
contribue à repenser l’effet maître. Les entretiens et raisons pour lesquelles, selon les contextes ils fonc-
auto-confrontations montrent aussi que cette dyna- tionnent ou dysfonctionnent.
mique de « surface » est sous-tendue par un système
de représentations et conceptualisations d’arrière- - un chantier pour l’invention technologique-
plan assez rarement questionnées en formation et ment raisonnée, d’une nouvelle professionnalité, de
pourtant décisives. L’ensemble du réseau de concepts nouvelles formes scolaires, de nouvelles situations,
que ces deux modélisations proposent ouvre des de nouvelles tâches qui répondent aux contextes
perspectives importantes sur l’identification des liens nouveaux, publics nouveaux, savoirs nouveaux
entre les GP et postures d’étayage du maître et les auxquels le métier enseignant va devoir s’adapter.
gestes d’étude et postures des élèves dans des situa- Les travaux exploratoires que nous menons actuel-
tions didactiques précises. lement avec des enseignants au collège et en cycle
2 sur l’atelier dirigé comme possible stratégie pour
Les deux niveaux de conceptualisation proposés répondre à la très grande hétérogénéité des élèves 6
devraient permettre de mieux identifier les conditions vont dans cette visée d’élaboration de pratiques
favorables du développement des élèves. En ce sens alternatives, accompagnées technologiquement par
elles s’avèrent des instruments pour la formation. la recherche.

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NOTES
1. Équipe dirigée par Dominique Bucheton et composée de : Accardi Jocelyne, Asdhi Carole, Bronner
Alain, Brénas Yolande, Broussal Dominique, Brunet Lisa Marie, Chabanne J. Charles, Decron Alain, Deyrich
M.Christine, Dupuy Catherine, Etienne Richard, Jean Alain, Jorro Anne, Jaubert Martine, Larguier Myrène,
Liria Aurélie, Pelissier Chrysta, Rebière Maryse , Soulé Yves, Veyrunes Philippe
2. Nous (Bucheton, Jorro , p. 7-24) avons longuement développé nos sources théoriques et leur articulation
dans le premier chapitre de l’ouvrage collectif : L’agir enseignant : une question d’ajustement, Bucheton (dir),
Octares (2009)
3. Journées d’étude de Lyon : la construction de la référence 2006, organisées par l’association internationale
de recherche en didactique comparée (ARCD).
4. Cette question de la gestion des imprévus par les enseignants débutants est apparue si importante pour
l’équipe qu’elle a fait l’objet de la thèse d’Alain Jean 2008
5. L’analyse du développement professionnel auquel a donné lieu ce stage a été réalisée dans le cadre d’un
mémoire du Master Professionnel Conseil et formation, Montpellier III : Aurélie Liria (2005) Premiers pas dans
la lecture écriture au CP. Professionnaliser des formés et professionnalisme des formateurs
6. Ces travaux, menés avec la collaboration étroite d’enseignants, sont conduits en partenariat avec l’Institut
National de la Recherche Pédagogique. Ils s’inscrivent dans le programme de recherche de l’INRP dirigé par
Luc Ria. « Vers une nouvelle professionnalité des enseignants ».

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