Brochard Sur Le Banquet
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entreprise (203, G). Il n'est pas fils de Vénus, il est fils de Poros
et de Pénia. Par suite il n'est pas exact de dire qu'il soit un
dieu, puisqu'il est un mélange de bien et de mal, et qu'il peut
même être mauvais. Il est un démon, un grand démon, c'est-
à-dire un de ces êtres intermédiaires entre les dieux et le s
hommes, qui transmettent aux hommes les ordres des dieux
et aux dieux les prières des hommes. L'amour n'est pas un
bien par lui-même. Il n'occupe qu'un rang secondaire, il ne
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vaut que par la fin qu'il poursuit. Il n'est un bien que s'il estau
service de ce qu'il y a de meilleur, c'est-à-dire des Idées. C'est
pourquoi Socrate ne prétend pas faire un éloge de l'amour;
aussi, en terminant son discours, demande-t-il à Phèdre si ce
de dire peut être appelé un éloge. En un mot, si
qu'il vient
on nous permet d'exprimer ces idées anciennes en langage
moderne, la thèse des cinq premiers interlocuteurs est iden-
tique à celle qu'ont soutenue certains romantiques et que
soutiennent encore implicitement bon nombre d'écrivains.
L'amour est un bien par lui-môme. La passion justifie tout,
le sentiment n'a pas à chercher hors de lui-même sa règle et
1. Voir à ce sujet l
: ons sur VEroticos inséré sous le nom de Lysias
dans le Phèdre de Platon, Sgger (Paris, 1871, p. 22).
y
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teurs en commun, mais non pas également, car si Ton prête à tous deux
une attention commune, elle doit être plus grande à l'égard du plus savant
et moindre pour celui qui ne sait rien. Pour moi, si vous vouliez suivre
mes conseils, Protagoras, Socrate, voici une chose dont je voudrais que
vous convinssiez entre vous, c'est de discuter et non pas de vous quereller,
car les amis discutent entre eux doucement et les ennemis se querellent
pour se déchirer; par ce moyen, cette conversation nous serait à tous très
agréable. Premièrement le fruit que vous en retireriez serait, je ne dis pas
dans nos louanges, mais dans notre estime, car l'estime est un hommage
sincère que rend une àme véritablement touchée et persuadée, au lieu que
la louange n'est le plus souvent qu'un son que la bouche prononce contre
les sentiments du cœur, et nous autres auditeurs nous en retirerions, non
ce qu'on appelle du plaisir, mais de la joie; car la joie est le consentement
de l'esprit qui s'instruit et qui acquiert la sagesse, au lieu que le plaisir
n'est à. proprement parler que le chatouillement des sens, comme, par
exemple, le plaisir de manger. » —
Cf. Prot., 340, B; 358, B, D.
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1. Cf. dans le Prot. (337, E) le discours d'Hippias qui présente plus d'une
Propice aux bons, admiré des sages, agréable aux dieux, objet
des désirs de ceux qui ne le possèdent pas, père du luxe, des
délices, de la volupté, des doux charmes, des tendres désirs,
des passions, il veille sur les bons et néglige les méchants.
Dans nos peines, dans nos craintes, dans nos regrets, dans
nos paroles, il est notre conseiller, notre soutien et notre
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II
un pur intellectualiste.
Quant au texte du septième livre de la République (518, C),
l'interprétation qu'on en a donnée repose sur une simple
méprise. Si on veut bien lire le passage tout entier, on y
verra que Platon n'a pas un instant songé à considérer le
sentiment comme un élément de la croyance ou de la con-
naissance.
Quand on veut bien voir le soleil, il faut tourner vers lui son
regard et pour cela faire exécuter au corps tout entier un
mouvement de conversion. De même, pour contempler le
soleil du monde intelligible, il faut diriger vers lui l'œil de
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Brochard. — Études. 6
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617) OUTE CpUTSl OUTE Û'.OaXTOV, àXXà Oe''(X lACHCOC H'3.0 X'(l^0 U.s'vï) <XVEU
l
VOÎ)
III
(213, C). Si, un peu plus loin (218, A), Aristophane est compté
avec Phèdre, Pausanias, Eryximaque et Agathon, parmi les
amis de la philosophie devant qui on peut dire ce qu'on ne
dirait pas devant la foule, c'est peut-être simplement parce
qu'il était un des convives, à moins que ce ne soit encore une
mordante ironie. Aristophane peut aussi prendre sa part à
l'allusion jetée en passant par Platon, lorsque, après avoir
parlé du discours de Socrate où il est sans cesse question de
forgerons, de corroyeurs, de cordonniers, il ajoute qu'il pro-
voque le rire des sots et des ignorants aTCipoç xxi àvoriTo?
àvôpwTroç xaT<xyeXà<reie (221, E). —
Enfin le portrait de Socrate
se termine par une allusion directe, une citation expresse
des Nuées, sur laquelle nous reviendrons tout à l'heure et qui
suffirait à elle toute seule à mettre l'esprit en éveil et à révéler
polémique du dialogue.
l'intention
Pour mieux atteindre son adversaire Platon se place sur
son propre terrain. Il lui emprunte ses propres armes. C'est
sur le mode comique qu'il présente l'apologie de Socrate; de
même qu'il a parodié Lysias dans le Phèdre, et les sophistes
dans la première partie du Banquet, c'est maintenant Aris-
tophane lui-même qu'il entreprend en quelque manière de
parodier.
De là, sans doute, l'introduction dans le dialogue du person-
nage d'Alcibiade. Plusieurs motifs ont pu déterminer Platon
à prendre Alcibiade pour porte-parole. C'était, nous l'avons
vu, une occasion de répondre aux adversaires de Socrate qui
faisaient remonter jusqu'à lui la responsabilité des fautes
de son disciple. C'était, en outre, le moyen de faire accepter
un récit scabreux et des détails intimes, utiles à la fin que
l'auteur se proposait, mais qu'on n'aurait pu tolérer dans la
bouche d'un autre personnage qu'Alcibiade ivre. Mais c'était
surtout un moyen facile de répondre à Aristophane sur le
ton de la comédie et de le payer de sa propre monnaie. Le
poète philosophe a d'ailleurs bien soin de nous avertir que
toutes ces plaisanteries cachent un fond sérieux. Nous avons
montré tout à l'heure quelles précautions il a prises pour ne
laisser à ses lecteurs aucune illusion sur ce point.
On peut s'assurer, en examinant attentivement le portrait
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