Pierre Bourdieu

Stratgies de reproduction et modes de domination

Citer ce document / Cite this document : Bourdieu Pierre. Stratgies de reproduction et modes de domination. In: Actes de la recherche en sciences sociales. Vol. 105, dcembre 1994. pp. 3-12. doi : 10.3406/arss.1994.3118 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/arss_0335-5322_1994_num_105_1_3118

Zusammenfassung Reproduktionsstrategien und Arten der Beherrschung Um besser zu verstehen, wie die soziale Ordnung sich perpetuiert, wird sinnvollerweise eine bersicht des Systems der Reproduktionsstrategien (Strategien biologischer, die Nachfolge oder die Erziehung betreffender Investitionen, solche konomischer oder sozialer Investitionen, Strategien des Heiratens oder symbolischer Investitionen, solche sozialer Positionierung) und des Systems der Reproduktionsmechanismen (Arbeitsmarkt, Nachfolgerecht, Eigentumsrecht, schulische Einrichtungen) erstellt. Zahlreiche, aus ganz unterschiedlichen sozialen Bereichen herausgegriffene Beispiele, wie die Weitergabe von Vornamen in Kabylen oder im Italien der Renaissance, oder die husliche Politik der Bauernfamilien, lassen die sehr tiefgehenden Unterschiede zwischen denjenigen Gesellschaften deutlich werden, in denen die Einrichtungen zur Reproduktion und die durch sie hervorgerufenen Reproduktionsstrategien in den objektiven Gegebenheiten der sozialen Struktur keinen anderen Ansatzpunkt als die Familienstrukturen als wesentlichem, wenn nicht gar ausschlielichem Instrument der Reproduktion finden, und denjenigen Gesellschaften, in denen diese sich auerdem auf die Strukturen eines organisierten Staates sttzen knnen, deren wichtigste unter dem Aspekt der Reproduktion - diejenigen der schulischen Einrichtungen bilden. Abstract Reproduction strategies and modes of domination In order to understand how the social order perpetuates itself, it is necessary to establish a table of reproduction strategies (biological investments, inheritance, education, economic investment, social investment, marriage alliances, symbolic investment and sociodicy) and of the system of reproduction mechanisms (labor market, inheritance laws, property rights, schools). Various examples taken from remote social contexts, such as the transmission of first names in Kabylia and Renaissance Italy or the domestic policy of peasant families, show the profound differences between, on the one hand, societies in which the arrangements for reproduction and the reproduction strategies they engender are wholly based, in the objectivity of social structures, on family structures, the main if not exclusive instrument of reproduction, and must therefore be organized around educational and matrimonial strategies, and, on the other hand, societies in which these strategies can also count on the structures of an organized state, the most important of which, from the point of view of reproduction, are those of the educational system. Rsum Stratgies de reproduction et modes de domination Pour comprendre comment se perptue l'ordre social, il faut construire un tableau du systme des stratgies de reproduction (stratgies d'investissement biologique, successorales, ducatives, d'investissement conomique, d'investissement social, stratgies matrimoniales, d'investissement symbolique et stratgies de sociodice) et du systme des mcanismes de reproduction (march du travail, droit successoral, droit de proprit, institutions scolaires). Diffrents exemples retenus dans des univers sociaux trs loigns, comme la transmission des prnoms en Kabylie et dans l'Italie de la Renaissance ou la politique domestique des familles paysannes, montrent les diffrences trs profondes entre les socits o les dispositions la reproduction et les stratgies de reproduction qu'elles engendrent ne trouvent d'autre appui, dans l'objectivit des structures sociales, que les structures familiales, instrument majeur, sinon exclusif de reproduction, et doivent donc s'organiser autour des stratgies ducatives et matrimoniales, et les socits o elles peuvent s'appuyer la fois sur les structures d'un tat organis, dont les plus importantes, du point de vue de la reproduction, sont les structures de l'institution scolaire.

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Stratgies et

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Reproduction de Domination

Modes

du monde social est la fondamentales pour ne des questions les plusquestion de savoirpropos sitions ( la reproduction) et c'est dans la relation entre ces deux principes que se dfinissent les diffrents quoi et comment ce monde dure, persvre dans modes de reproduction, et en particulier les stratgies de l'tre, comment se perptue l'ordre social, c'est--dire reproduction qui les caractrisent. l'ensemble des relations d'ordre qui le constituent. Pour rpondre vritablement cette question, il faut refuser tant la vision structuraliste, selon laquelle les struc Avant de m'engager dans les abstractions, invitables, tures, portant en elles le principe de leur propre perpt de la tentative de formalisation ou, si ce n'est pas trop uation, se reproduisent avec la collaboration oblige emphatique, d'axiomatisation laquelle je vais me livrer d'agents soumis leurs contraintes, que la vision interac- devant vous, je voudrais rappeler brivement les condi tionniste ou ethnomthodologique (ou, plus largement, tionsdans lesquelles sont nes et se sont dveloppes les marginaliste) selon laquelle le monde social est le pro rflexions thoriques qui m'ont conduit construire le duit des actes de construction qu'oprent, chaque concept de systme de stratgies de reproduction. Il me moment, les agents, dans une sorte de cration conti parat ncessaire, notamment en prsence d'auditeurs nue Il faut, en d'autres termes, rcuser la question de appartenant pour la plupart une autre discipline l'his savoir si les signes de soumission que les subordonns toire - et une autre tradition intellectuelle nationale, de accordent continment leurs suprieurs font et refont rendre explicite le contexte historique dans lequel et sans cesse la relation de domination ou si, l'inverse, la contre lequel - j'ai t amen penser toute une classe relation objective de domination impose les signes de d'actions comme des stratgies - et non comme des soumission. En fait, le monde social est dot d'un cona- mises en uvre de rgles - objectivement orientes vers tus, comme disaient les philosophies classiques, d'une la reproduction de ce corps social qu'est la famille (ou la tendance persvrer dans l'tre, d'un dynamisme maison ) et constituant un systme. interne, inscrit la fois dans les structures objectives et Mais plus que les malentendus inhrents la commun dans les structures subjectives, les dispositions des ication interdisciplinaire et internationale, je crains ceux agents, et continuellement entretenu et soutenu par des qui peuvent rsulter de la dralisation que produit la actions de construction et de reconstruction des struc tures qui dpendent dans leur principe de la position * Ce texte est la transcription du cours du Collge de France donn occupe dans les structures par ceux qui les accompliss Gttingen le 23 septembre 1993. Les communications prsentes la ent. socit repose sur la relation entre les deux suite de ce cours au sminaire de la Mission historique franaise en Toute servi de principes dynamiques, qui sont ingalement importants Allemagne, organis par Patrice Veit et Olivier Christin, ont D'autres base ce numro d'Actes de la recherche en sciences sociales. selon les socits et qui sont inscrits, l'un dans les struc travaux prsents ce sminaire seront publis ultrieurement, notam tures objectives et, plus prcisment, dans la structure de mentles articles d'Alf Ldke, Jrgen Schlumbohm, Hans Medick et chercheurs du Max-Planck Institut fr Geschichte, ainsi qu'un la distribution du capital et dans les mcanismes qui ten d'autres d'ensemble sur l'histoire sociale en Allemagne avec notamment tableau dent en assurer la reproduction, l'autre dans les des contributions de Carola Lipp et d'Etienne Franois. . ;

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formalisation. J'ai souvent pens, par exemple, que la portait au jour ce mcanisme, une sorte de Dieu horlog extrieur et suprieur sa cration. Il m'apparaissait pense de Max Weber a eu beaucoup souffrir des lec er, tures thoricistes favorises par les tentatives de formali en effet que, tant dans le cas de la Kabylie que dans le sationqu'il a prsentes, la fin de sa vie, dans Wirt cas du Barn, la norme officielle, le mariage prfrent schaft und Gesellschaft et que nombre des dformations iel la cousine parallle ou le droit d'anesse, avec que son uvre a subies lui auraient sans doute t par n'tait qu'une des contraintes, et pas la plus imperative, gnes si nombre de ses lecteurs (Talcott Parsons notam avec lesquelles les agents devaient compter pour conce ment) avaient eu une vue plus exacte du contexte histo voir leurs stratgies successorales ou matrimoniales ; et qu'il fallait donc abandonner la vision hautaine et le rique spcifique (l'espace des possibles scientifiques) par rapport auquel elle s'tait constitue et des recherches regard loign qui caractrisaient la vision structuraliste historiques dans lesquelles elle s'tait affirme. En outre, pour se placer, par un changement radical de para du fait que les principes d'erreur contre lesquels ils ont digme (au sens de Kuhn), symbolis par le recours la t construits sont toujours en vigueur, les concepts les notion de stratgie, au principe mme de la pratique, au plus rigoureusement contrls restent exposs faire point de vue des agents - ce qui ne veut pas dire, l'objet d'emplois distraits et superficiels qui, comme cela comme l'a parfois suggr Lvi-Strauss, dans leur arrive quotidiennement des notions comme capital conscience, par une rgression vers une phnomnol culturel ou capital symbolique, tendent dtruire le pou ogie subjectiviste, servant de fondement une vision navement spontaniste de l'ordre social 3. Ce change voir de rupture qu'ils enferment. du Il n'est pas facile de reconstituer de manire exacte ment rapport aux agents - moins distant - et la pra tique moins intellectualiste - impliquait une tran l'espace des possibles thoriques en face duquel je me profonde du regard port sur les pratiques, trouvais plac lorsque, dans les annes soixante, j'ai sformation commenc m'intresser, propos du cas de la Kabylie c'est--dire la construction d'une thorie de la pratique et du Barn, la logique des changes matrimoniaux et fonde sur une thorie reflexive du regard thorique (ou des pratiques successorales. Ce qui est sr, c'est qu'il du scholastic bias ) qui impliquait une transformation tait domin par la vision structuraliste qui, la faveur profonde de la manire de mener l'enqute sur les str de l'ambigut de la notion de rgle, pouvait donner les atgies matrimoniales et successorales. C'est ainsi par apparences d'une rvolution thorique une restaura exemple que, dans le cas de la Kabylie, j'ai pu montrer, tion juridisme qui, ds l'origine, avait hant les du recherches ethnologiques, en matire de thories de la 1 - Cf. J. Yver, galit entre hritiers et Exclusion des enfants dots. parent, comme l'a bien montr Louis Dumont, mais Essai de gographie coutumire, Paris, Sirey, 1966. E. Le Roy Ladurie, aussi et surtout en matire de thories de la dvolution Structures familiales et coutumes d'hritage en France au xvie sicle des biens. Typique de cette vision, la lecture qu'Emman systme de la coutume , Annales ESC, nos 4-5, p.1972, p. 825-846, repris in Le Territoire de l'historien, Paris, Gallimard, 222-251. uel Ladurie fera des travaux de Jean Yver et qui Le Roy nos Cf. avril-septembre 1962, p. 32-136. Sur ce travail tudes rurales, conduit dfinir des aires gographiques l'intrieur 2 - 5-6, P. Bourdieu, Clibat et condition paysanne, et ses prolonge et desquelles s'imposent des normes successorales in ments perfectionnements dans la tradition ethnologique, voir le flexibles ne laissant aucune place aux accommodements numro spcial de la revue tudes rurales la terre, succession et hri tage, 1988, p. 110-113. ou aux ngociations1. Sans doute parce que je partici 3 - La notion de stratgie telle que je l'ai employe avait pour vertu pre pais ce mood thorique, incontestablement li au mire de prendre acte des contraintes structurales qui psent sur les de (contre certaines formes d'individualisme mthodologique) en prestige extraordinaire que dtenait alors, aux yeux de agents temps que de la possibilit de rponses actives ces contraintes mme tous les chercheurs en sciences sociales, l'uvre de (contre certaine version mcaniste du structuralisme). Comme l'indique Claude Lvi-Strauss, et tout particulirement Les Struc la mtaphore du jeu, ces contraintes sont inscrites, pour l'essentiel, le capital c'est--dire tures lmentaires de la parent, j'avais essay, dans un dans la position disponible (sous ses diffrentes espces), structure de dans occupe par une unit dtermine dans la premier travail sur le cas du Barn, de construire un la distribution de ce capital, donc dans le rapport de forces avec modle liant les changes matrimoniaux aux traditions d'autres units. En rupture avec l'usage dominant de la notion, qui stratgies conscientes et successorales2. Mais une tude plus approfondie de considre les individuel, comme des visesconcept pour long terme d'un agent j'employais ce dsigner les mariages concrets, et en particulier de cas de msall ensembles d'actions ordonnes en vue d'objectifs plus ou moins long ncessairement qui iances, tant en Kabylie qu'en Barn, m'avait conduit terme et non d'un collectif tel poss comme tels (Cf. sont produits par les membres que la maisonne P. Bourdieu, Les peu peu mettre en doute la vision structuraliste, qui stratgies matrimoniales dans le systme de reproduction, Annales, devait peut-tre une part de sa sduction au fait qu'elle 4-5, juillet-octobre 1972, p. 1105-1127; Cl. Lvi-Strauss, L'ethnologie 6, 1217-1231 tendait rduire le fonctionnement social une sorte de et l'histoire , Annales ESC,aux novembre-dcembre 1983, p.Paris, d. de P. Bourdieu, De la rgle stratgies , in Choses dites, mcanisme d'horlogerie et faire de l'ethnologue, qui Minuit, 1987, p. 75-93.) -. ; :

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avec Abdelmalek Sayad, que cet lment fondamental du capital symbolique qu'est le prnom tait l'enjeu de stratgies extrmement complexes, tant parmi les ascen dants qu'entre les descendants - stratgies que d'autres ont pu observer en des lieux et des traditions trs diff rents4. Parler d'enjeu, c'est abandonner la logique mcaniste de la structure pour la logique dynamique et ouverte du jeu, et s'obliger prendre en compte, pour comprendre chaque nouveau coup jou, toute la srie des coups antrieurs, tant en matire matrimoniale qu'en matire successorale. Bref, c'est s'obliger rin troduire le temps - que Leibniz dfinissait comme l'ordre des successions ... - et aussi, la faon des agents eux-mmes, l'ensemble (ou le systme) des stra tgies de tous ordres, matrimoniales et successorales, mais aussi conomiques, ducatives, etc., qui sont au principe de l'tat du jeu et du pouvoir sur le jeu, et, tra vers celui-ci, de toute nouvelle stratgie. Le corps de propositions thoriques que je vais essayer d'exposer s'appuie donc sur toute une srie d'analyses historiques tout fait prcises des stratgies que, dans des contextes trs diffrents, des agents trs diffrents - des paysans kabyles ou barnais, des patrons d'industrie soucieux d'assurer la perptuation de leur entreprise ou des employs dsireux de transmettre leur capital culturel en assurant sa conversion en capital sco laire - mettent en uvre, et travers lesquelles s'accomp lit le conatus de l'unit domestique. De mme que les analyses dites ethnologiques que j'ai menes propos du Barn ou de la Kabylie n'ont pas cess d'orienter mes recherches sur les stratgies ducatives que les diff rentes catgories sociales mettent en uvre, aujourd'hui, dans toutes les socits avances, pour reproduire leur position dans l'espace social, de mme, ces analyses dites sociologiques m'ont permis de comprendre plus adquatement les transformations des stratgies matri moniales des socits paysannes qui ont t dtermines par l'unification du march des biens symboliques et par la transformation profonde du systme des mcanismes de reproduction lie l'accroissement extraordinaire du poids du systme scolaire 5. On peut dresser une sorte de tableau des grandes classes de stratgies de reproduction (engendres par ces dispositions) qui se retrouvent dans toutes les socits, mais avec des poids diffrents (selon notamment le degr d'objectivation du capital) et sous des formes qui varient selon la nature du capital qu'il s'agit de trans mettre et l'tat des mcanismes de reproduction dispo nibles (par exemple, les traditions successorales). Cette

construction thorique permet de restaurer dans l'ana lyse scientifique l'unit de pratiques qui sont presque toujours apprhendes en ordre dispers et l'tat spar par des sciences diffrentes (droit, dmographie, conomie, sociologie). Bien qu'elles soient, dans la pratique, interdpen dantes et entremles, on peut distribuer les stratgies de reproduction en quelques grandes classes. Parmi les stra tgies d'investissement biologique, les plus importantes sont les stratgies de fcondit et les stratgies prophyl actiques. Les premires sont des stratgies trs long terme, qui engagent tout l'avenir de la ligne et de son patrimoine, et qui visent contrler la fcondit, c'est-dire augmenter ou rduire le nombre des enfants et, par l, la force du groupe familial mais aussi le nombre des prtendants potentiels au patrimoine matriel et symbolique selon l'tat des moyens disponibles notam ment, elles peuvent emprunter des voies directes, avec les techniques de limitation des naissances, ou indirectes, avec par exemple le mariage tardif ou le clibat, qui a le double avantage d'empcher la reproduction biologique et d'exclure (au moins en fait) de l'hritage (c'est la fonc tion de l'orientation vers la prtrise de certains des enfants dans les familles aristocratiques ou bourgeoises sous l'Ancien Rgime, ou du clibat des cadets dans cer taines traditions paysannes favorisant le premier-n). Les stratgies prophylactiques sont destines maintenir le patrimoine biologique en assurant les soins continus ou discontinus destins maintenir la sant ou carter la maladie et, plus gnralement, en assurant une gestion raisonnable du capital corporel. Les stratgies successorales visent assurer la trans mission du patrimoine matriel entre les gnrations avec le minimum de dperdition possible dans les limites des possibilits offertes par la coutume ou le droit - ftce en recourant tous les artifices et tous les subterfuges disponibles dans les limites du droit ou tous les passedroits (comme la transmission directe et invisible de liquidits ou d'objets). Ces stratgies se spcifient selon l'espce de capital qu'il s'agit de transmettre, donc selon la composition du patrimoine. Les stratgies ducatives, dont les stratgies scolaires des familles ou des enfants scolariss sont un cas parti4 - P. Bourdieu, Esquisse d'une thorie de la pratique, Genve, Droz, 1966, p. 82-83, 133-137; Christiane Klapisch-Zuber, La Maison et le Nom, stratgies et rituels dans l'Italie de la Renaissance, Paris, cole des hautes tudes en sciences sociales, 1990. 5 - Cf. P. Bourdieu, Reproduction interdite. La dimension symbolique de la domination conomique, tudes rurales, nos 113-114, janvierjuin 1989, p. 15-36; Le patronat, Actes de la recherche en sciences sociales, n 21, mars-avril 1978, p. 3-82. :

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culier, sont des stratgies d'investissement trs long terme qui ne sont pas ncessairement perues comme telles et qui ne se rduisent pas, comme le croit l'cono mie capital humain , leur seule dimension cono du mique, ou mme montaire en effet, elles tendent avant tout produire des agents sociaux dignes et capables de recevoir l'hritage du groupe, c'est--dire de le transmettre leur tour au groupe. C'est le cas notam mentdes stratgies thiques qui visent inculquer la soumission de l'individu et de ses intrts au groupe et ses intrts suprieurs et qui, de ce fait, remplissent une fonction fondamentale en assurant la reproduction de la famille qui est elle-mme le sujet des stratgies de reproduction. Les stratgies d'investissement conomique au sens large du terme sont orientes vers la perptuation ou l'augmentation du capital sous ses diffrentes espces. Aux stratgies d'investissement conomique au sens res treint, il faut en effet ajouter les stratgies d'investiss ement orientes vers l'instauration ou l'entretien de social, relations sociales directement utilisables ou mobilisables, court ou long terme, c'est--dire vers leur transforma tion en obligations durables, subjectivement ressenties (sentiments de reconnaissance, de respect, etc.) ou institutionnellement garanties (droits), donc en capital social et en capital symbolique, qui est opre par l'alchimie de l'change - d'argent, de travail, de temps, etc. - et par tout un travail spcifique d'entretien des relations. Les stratgies matrimoniales, cas particulier des prcdentes, doivent assurer la reproduction biologique du groupe sans menacer sa reproduction sociale par la msalliance et pourvoir, par l'alliance avec un groupe au moins qui valent sous tous les rapports socialement pertinents, l'entretien du capital social. Les stratgies d'investissement symbolique sont toutes les actions visant conserver et augmenter le capital de reconnaissance (aux diffrents sens), en favo risant la reproduction des schemes de perception et d'apprciation les plus favorables ses proprits et en produisant les actions susceptibles d'tre apprcies favorablement selon ces catgories (par exemple mont rerla force pour ne pas avoir s'en servir). Les strat gies sociodice, qui en sont un cas particulier, visent de lgitimer la domination et son fondement (c'est--dire l'espce de capital sur laquelle elle repose) en les natur alisant. Les stratgies de reproduction ont pour principe non une intention consciente et rationnelle, mais les disposi tions l'habitus qui tend spontanment reproduire de les conditions de sa propre production. Du fait qu'elles dpendent des conditions sociales dont l'habitus est le :

produit, c'est--dire, dans les socits diffrencies, du volume et de la structure du capital possd par la famille (et de leur volution dans le temps), elles ten dent perptuer son identit, qui est diffrence, en maintenant des carts, des distances, des relations d'ordre et en concourant ainsi en pratique la reproduct iontout le systme des diffrences constitutives de de l'ordre social Les stratgies de reproduction engen drespar les dispositions la reproduction inhrentes l'habitus peuvent se doubler de stratgies conscientes, individuelles et parfois collectives, qui, tant presque toujours inspires par la crise du mode de reproduction tabli, ne contribuent pas ncessairement la ralisation des fins qu'elles visent. Les stratgies de reproduction constituent un systme et, ce titre, elles sont au principe de supplances fonc tionnelles et d'effets compensatoires lis l'unit de fonction, les stratgies matrimoniales pouvant par exemple suppler aux rats des stratgies de fcondit. Du fait qu'elles s'appliquent des points diffrents du cycle de vie comme processus irrversible, les diffrentes stratgies de reproduction sont aussi chronologiquement articules, chacune d'elles devant chaque moment compter avec les rsultats atteints par celle des autres qui l'a prcde ou qui a une porte temporelle plus courte c'est ainsi par exemple que, dans la tradition barnaise, les stratgies matrimoniales dpendaient trs directement des stratgies de fcondit de la famille, par l'interm diaire nombre et du sexe des enfants, prtendants du potentiels une dot ou une compensation, mais aussi des stratgies ducatives, dont la russite tait la condition de la mise en uvre des stratgies visant carter de l'hritage les filles et les cadets (les unes par le mariage appropri et les autres par le clibat ou l'migra tion), enfin des stratgies proprement conomiques et visant entre autres choses au maintien ou l'augmenta tion du patrimoine. Cette interdpendance s'tendait plusieurs gnrations, une famille pouvant tre contrainte de s'imposer pendant longtemps de -lourds sacrifices pour compenser les sorties qui avaient t ncessaires pour doter en terres ou en argent une trop nombreuse famille ou pour rtablir la position matrielle et surtout symbolique du groupe aprs une msal liance7. Les mmes analyses s'appliquent aux grandes familles aristocratiques et aux familles royales, dont les . 6 - L'habitus tend en effet se perptuer selon sa dtermination interne, affirmant son autonomie par rapport la situation (au lieu de se soumettre la dtermination directe de l'environnement, comme la matire). 7 - Cf. P. Bourdieu, Clibat... , loc. cit., et Les stratgies... , loc. cit. :

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stratgies domestiques deviennent des affaires d'tat (guerres de succession, etc.) 8. Une histoire compare des systmes de stratgies de reproduction doit prendre en compte d'une part la comp osition du patrimoine qu'il s'agit de transmettre, c'est-dire le poids relatif des diffrentes espces de capital, et d'autre part l'tat des mcanismes de reproduction (mar ch, notamment march du travail, droit, notamment droit de succession ou de proprit, institution scolaire et titre scolaire, etc.). Par exemple, le poids dterminant que dtient le capital symbolique dans le patrimoine des paysans kabyles (en raison de la tradition d'indivision de la terre et de la place eminente accorde aux valeurs d'honneur, donc la rputation du groupe) fait de cette socit une sorte de laboratoire pour l'tude des strat giesd'accumulation, de reproduction et de transmission du capital symbolique les stratgies qui entourent la transmission des prnoms des anctres prestigieux telles que je les ai analyses ou l'importance premire vue dmesure qui est accorde aux jeux de l'honneur s'e xpliquent sans doute par le fait que l'accumulation de capital symbolique, forme extrmement fragile et labile de capital, reprsente la forme principale d'accumulat ion9. Ces stratgies se retrouvent chez les paysans bar nais, soucieux de conserver, d'augmenter et de trans mettre le nom et le renom de la maison, mais elles sont compliques par le fait que la terre possde assigne une limite aux stratgies, et en particulier au bluff qu'autorise la logique des jeux symboliques10. Et d'autres contraintes, juridiques notamment, mais aussi politiques, viennent donner leur physionomie particul ire stratgies des familles royales ou aristocra aux tiques, bien que la familiarit avec les stratgies des maisons paysannes permette d'en comprendre immd iatement le principe11. Mais les diffrentes stratgies de reproduction ne se dfinissent compltement qu'en relation avec des mca nismes de reproduction, institutionnaliss ou non. Le sys tme des stratgies de reproduction d'une unit domest ique dpend des profits diffrentiels qu'elle peut attendre des diffrents placements en fonction des pouv oirs effectifs sur les diffrents mcanismes institutionnal iss conomique, march scolaire, march (march matrimonial) que lui assurent le volume et la structure de son capital. A travers notamment la structure des chances diffrentielles de profit qui sont objectivement offertes ses investissements par les diffrents marchs sociaux, s'imposent des systmes de prfrences (ou d'intrts) diffrents et des propensions tout fait diffrentes investir dans les diffrents instruments de reproduction. Par exemple, toute la longue priode de transition de :

l'tat dynastique l'tat bureaucratique est marque, tant en France qu'en Angleterre, par la lutte entre ceux qui ne veulent connatre et reconnatre que les stratgies de reproduction base familiale (les frres du roi), fondes sur les liens du sang, et ceux qui invoquent les stratgies de reproduction bureaucratiques (les ministres du roi), fondes sur la transmission scolaire du capital culturel. Dans nos socits, o diffrents instruments de repro duction sont disponibles, la structure de la distribution des pouvoirs sur les instruments de reproduction est le facteur dterminant du rendement diffrentiel que les diffrents instruments de reproduction sont en mesure d'offrir aux investissements des diffrents agents et, par l, de la reproductibilit de leur patrimoine et de leur position sociale, donc de la structure de leurs propens ions diffrentielles investir sur les diffrents marchs. On a montr par exemple que le systme scolaire ne peut contribuer la reproduction de la structure sociale et, plus prcisment, de la structure de la distribution du capital culturel en vouant les enfants une limination d'autant plus probable qu'ils sont issus de familles plus dmunies de capital culturel, que dans la mesure o ces enfants (et leurs familles) ont d'autant plus de chances d'avoir des dispositions qui les inclinent l' auto-limina tion l'indiffrence ou la rsistance aux incita (comme tions scolaires) qu'ils sont situs en une position plus dfavorise dans la structure de la distribution du capital culturel12. De mme aujourd'hui, on voit s'opposer, au sein du champ du pouvoir et mme au sein du champ du pou voir conomique, des agents qui, en fonction de la structure du capital qu'ils possdent, plutt conomique ou plutt culturel, s'orientent vers des stratgies de reproduction fondes plutt sur V investissement dans l'conomie ou plutt sur l'investissement dans l'cole: avec d'un ct, chez les patrons familiaux, la trans8 - Pour d'autres exemples, cf. la bibliographie de Marie-Christine Zelem, in tudes rurales, nos 110-112, 1988, p. 325-357, et aussi Kojima Hiroshi, < A Demographic Evaluation of P. Bourdieu's "Fertility Stra tegy" , The Journal of Population Problems, 45(4), 1990, p. 52-58. 9 Cf P. Bourdieu, Esquisse..., op. cit. 10 - Cf. P. Bourdieu, Clibat... , loc. cit., p. 32-136, et Le Sens pratique, op. cit. 11 - Cf. P. Bourdieu, Esprits d'tat, Actes de la recherche en sciences sociales, nos 96-97, mars 1993, p. 49-62. 12 Ce qui conduit rvoquer aussi la distinction ordinaire entre mthodes quantitatives et mthodes qualitatives on ne peut rell ementdmonter de tels mcanismes qu' condition de mener simultan ment l'analyse que l'on peut dire qualitative des dispositions - par exemple, les schemes de perception et d'apprciation que les agents individuels mettent en uvre dans leur choix d'une discipline - et l'analyse statistique des structures - par exemple, les distributions selon le sexe et l'origine sociale entre les diffrentes disciplines. . :

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mission entirement contrle par la famille d'un droit de proprit hrditaire, et, de l'autre ct, la transmis sion, ou moins assure et contrle par l'tat, d'un plus pouvoir viager, fond sur le titre scolaire, qui, la diff rence du titre de proprit ou du titre de noblesse, n'est pas transmissible hrditairement. Et plus gnralement, la propension investir dans le systme scolaire dpend du poids relatif du capital culturel dans la structure du patrimoine la diffrence des employs ou des institu teursqui concentrent leurs investissements sur le mar ch scolaire, les patrons familiaux, dont la russite sociale ne dpend pas au mme degr de la russite sco laire, investissent moins d' intrt et de travail dans leurs tudes et n'obtiennent pas le mme rendement de leur capital culturel. Les transformations de la relation entre le patrimoine considr dans son volume et sa structure et le systme des instruments de reproduction, avec la transformation corrlative des chances de profit, tendent entraner une restructuration du systme des stratgies de reproduct ion dtenteurs de capital ne peuvent maintenir leur les position dans la structure sociale qu'au prix d'une recon version des espces de capital qu'ils dtiennent en d'autres espces, plus rentables et plus lgitimes dans l'tat considr des instruments de reproduction tel est le principe par exemple de la reconversion, dans l'Al lemagne du xixe sicle, d'une aristocratie foncire en bureaucratie d'tat. Dans des univers sociaux o les dominants doivent sans cesse changer pour conserver, ils tendent ncessai rement se diviser, surtout dans les priodes de transfo rmationrapide des modes de reproduction, selon le degr de reconversion de leurs stratgies de reproduction les agents ou les groupes les mieux pourvus des espces de capital permettant de recourir aux nouveaux instruments de reproduction, donc les plus enclins et les plus aptes entreprendre une reconversion, s'opposent ceux qui sont les plus lis l'espce de capital menace (par exemple, la veille de la rvolution de 89, les petits ari stocrates de province sans fortune ni culture s'opposent la noblesse et la bourgeoisie de robe ou, en 1968, les professeurs des disciplines les plus directement subor donnes aux concours de recrutement des professeurs grammaire, langues anciennes ou mme philosophie s'opposent aux professeurs des disciplines nouvelles, comme les sciences sociales). Nombre des grandes oppositions qui sont au centre des dbats idologiques d'une poque (par exemple, aujourd'hui, les discussions sur la culture ) ne sont que l'affrontement de diff rentes formes de la sociodice conservatrice celles qui visent avant tout lgitimer le mode de reproduction : : : : :

ancien, en disant ce qui allait sans dire jusque-l et en transformant la doxa en orthodoxie, s'opposent celles qui visent rationaliser, au double sens, la reconversion en htant la prise de conscience des transformations et l'laboration des stratgies adaptes et en lgitimant ces stratgies aux yeux des intgristes Ainsi, la vertu majeure de la construction de la notion de mode de reproduction comme relation entre un sy stme de stratgies de reproduction et un systme de mcanismes de reproduction, c'est qu'elle permet de construire et de comprendre de faon unitaire des ph nomnes appartenant des univers sociaux trs loi gns, comme la transmission des prnoms en Kabylie et dans l'Italie de la Renaissance13 ou la politique des grandes dynasties royales et la politique domestique des familles paysannes (et de faire disparatre du mme coup l'opposition ruineuse entre la sociologie, l'histoire et l'ethnologie). Mais elle ne doit pas faire oublier pour autant (par cette sorte d'ethnologisme qui a affect la dernire cole des Annales) les diffrences trs pro fondes entre les socits o les dispositions la repro duction et les stratgies de reproduction qu'elles engen drent ne trouvent d'autre appui, dans l'objectivit des structures sociales, que les structures familiales, instr ument majeur, sinon exclusif de reproduction, et doivent donc s'organiser autour des stratgies ducatives et matrimoniales, et les socits o elles peuvent s'appuyer la fois sur les structures du monde conomique et sur les structures d'un tat organis, dont les plus import antes, du point de vue de la reproduction, sont les struc tures de l'institution scolaire. Les socits prcapitalistes ou protocapitalistes se di stinguent des socits capitalistes en ce que le capital y est beaucoup moins objectiv (et codifi) que dans les socits capitalistes et beaucoup moins inscrit dans des institutions capables d'assurer leur propre perptuation et de contribuer par leur fonctionnement la reproduct ionrelations d'ordre qui sont constitutives de l'ordre des social. Il s'ensuit que, dans ces socits, le problme de la perptuation des relations sociales, et tout spcial ement relations sociales de domination, se pose de des manire particulirement dramatique comment est-il possible de tenir quelqu'un durablement? Comment peut-on instaurer des relations de travail, d'change, etc., et tout particulirement des relations dissymtriques de 13 - Cf. P. Bourdieu, Esquisse..., op. cit., p. 82-83, 133-137. Christiane Klapisch- Zuber, La Maison et le Nom, op. cit. : .

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domination qui soient capables de se perptuer durable (et encore dans les socits contemporaines), pour assu ment, voire au-del des limites de la vie de ceux qu'elles rer reproduction du capital social et du capital symbol la engagent 14 ? On peut ici citer Marx qui oppose les soci ique en sauvegardant le capital conomique. tout ts lesquelles les rapports de production prennent dans la forme de rapports de dpendance personnelle et les socits o ils reposent sur l'indpendance des per Dans des socits o les agents sont de plus en plus sonnes fondes sur la dpendance matrielle 15. Et de durablement tenus (notamment en position domine) fait, aussi longtemps que des structures objectives telles par l'effet de mcanismes gnraux tels que ceux qui que le march du travail (et le travailleur libre au sens rgissent le monde conomique et le monde culturel (et de Weber) et l'ensemble des institutions tatiques, dont o l'on peut dire que, grosso modo, le capital va au capit la plus importante, de ce point de vue, est l'institution al), le poids des stratgies matrimoniales tend globale scolaire, n'existent pas, les dominants doivent se consa ment diminuer, bien qu'il reste encore important lor crer un travail de cration continue des relations sque la famille possde le contrle entier d'une entreprise sociales, rduites des relations personnelles. Cela se agricole, industrielle ou commerciale (en ce cas, les stra voit bien dans le cas des relations entre le fellah et son tgies par lesquelles la famille vise assurer sa propre khamms, mtayer au quint le patron doit entretenir reproduction - stratgies de fcondit, stratgies ducat continment la relation, par toute une srie d'changes ives, stratgies successorales et surtout stratgies matri - tendent se subordonner aux stratgies pro visant l'identifier une relation entre parents (il peut moniales aller jusqu' donner une de ses filles un enfant du prement conomiques). khamms). En l'absence de ce que Sartre appelait la A mesure qu'un champ conomique dot de ses violence inerte des mcanismes conomiques et propres lois de dveloppement se constitue et que s'y sociaux tels que ceux du march du travail et de la vio instaurent des mcanismes qui assurent la reproduction lence lgitime des rgles de droit, il est oblig de recourir durable de sa structure et dont l'tat contribue garantir ces formes douces ou euphmises de la contrainte qui la constance (comme ceux qui sont lis l'existence de dfinissent la violence symbolique, avec notamment la monnaie et qui fondent la confiance ncessaire pour toutes les ressources du paternalisme (et qui peuvent rendre possibles les investissements transgnrationn s'associer la violence physique la plus brutalement els), direct et personnel sur des personnes le pouvoir exerce, comme dans la vengeance)16. tend cder de plus en plus la place au pouvoir sur des Ainsi, les socits prcapitalistes et protocapitalistes mcanismes qu'assure le capital conomique ou le capit n'offrent pas les conditions d'une domination impersonn al culturel (le titre scolaire). ellemoins encore, d'une reproduction impersonn et, L'mergence de l'tat, qui organise la concentration et ellerapports de domination. Elles ne disposent pas la redistribution des diffrentes espces de capital, co des de la violence cache des mcanismes objectifs qu'il suff nomique, culturel et symbolique, entrane une transfo itde laisser faire, comme le march du travail ou le mar rmationdes stratgies de reproduction, dont on peut voir ch scolaire. Il s'ensuit que la perptuation des relations un exemple, pour le capital symbolique, dans le passage sociales repose presque exclusivement sur les habitus, c'est--dire sur les dispositions socialement institues par 14 - Comment, pas de recours possible la justice ou des stratgies mthodiques d'investissement ducatif, qui police, peut-onlorsqu'il n'y a un dbiteur? Comme l'observe Renou, la contraindre il inclinent les agents produire le travail continu d'entre n'y a pas d'autre recours, bien souvent, que la magie ou, plus prcis tien relations sociales (avec notamment le travail ment,la maldiction magique (arme des faibles, souvent des femmes). des symbolique de construction et de reconstruction gnal 15 - K. Marx, Principes d'une critique de l'conomie politique, in uvres, I, Paris, Gallimard, Pliade, p. 210. ogique), donc du capital social, et aussi du capital sym 16 - On voit quelle simplification Norbert Elias fait subir la ralit histo bolique de reconnaissance que procurent les changes rique lorsqu'il rduit l'histoire de l'volution de la violence un modle rgls et, en particulier, les changes matrimoniaux. Et si linaire de dprissement continu si tant est que les grands modles aient un intrt un sens, il faudrait au moins les stratgies matrimoniales occupent une place aussi d'volution dans nombre deetsocits archaques, la violenceprendre acte du fait que, physique la importante dans le systme des stratgies de reproduct plus brutale (notamment dans les relations avec Y out group) concide de symbol ion, que, sans tre ncessairement codifie de avec des formes hautement euphmises et stylisesces violenceraffines c'est ique(avec par exemple l'change de dons), que formes manire aussi parfaitement rigoureuse que le laissent (dont le paternalisme est sans doute la survivance) ont dpri mesure croire certaines thories de la parent, la liaison matri que s'instaurait la violence inerte des mcanismes du march du travail dans les socits avances, la violence moniale apparat comme un des instruments les plus srs et enfin que, un correctif dans laconomiquementdu management clair inerte trouve violence douce qui se trouvent proposs, dans la plupart des socits toutes les fois que l'tat du rapport de forces l'impose. : :

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de l'honneur fodal, fond sur la reconnaissance accor de les pairs et par les roturiers, et sans cesse par conqurir et maintenir, aux honneurs bureaucratiquement confrs par l'tat. Un processus analogue s'ob serve dans le domaine du capital culturel. L'histoire des socits europennes est trs profondment marque par le dveloppement progressif, au sein du champ du pouvoir, d'un mode de reproduction composante sco laire, dont on voit d'abord les effets dans le champ du pouvoir lui-mme avec le passage de la logique dynas tique de la maison du roi , fonde sur un mode de reproduction familial, la logique bureaucratique de la raison d'tat, fonde sur un mode de reproduction scol aire. Un des facteurs de cette volution est l'ensemble des contradictions et des conflits ns de la coexistence, au sein de l'tat dynastique, de deux catgories d'agents, le roi et sa maisonne d'une part, les fonctionnaires du roi d'autre part, c'est--dire de deux modes de reproduct ion deux pouvoirs, un pouvoir hrit et hrdita et de irementtransmissible par le sang, donc fond sur la nature (avec le titre nobiliaire), et un pouvoir acquis et viager, fond sur le don et le mrite et garanti par le droit (avec le titre scolaire). Le processus de dfodalisation qui conduit de l'tat dynastique l'tat bureaucrat ique tre dcrit comme un processus de dnaturali peut sation, rupture progressive des liens naturels, des une loyauts primaires base familiale. L'tat moderne est d'abord antiphysis et la loyaut envers l'tat suppose une coupure avec toutes les fidlits originaires. L'tat issu d'un tel processus d'radication de tout vestige de liens naturels - qui survivent malgr tout dans le npotisme et le favoritisme - favorise et garantit le fonctionnement au sein du champ du pouvoir d'tat, mais aussi au sein du champ du pouvoir conomique, du mode de reproduction scolaire dont on peut apprhen der la logique spcifique en la comparant au mode de reproduction familial qui se perptue malgr tout (dans une opposition qui n'est pas sans voquer celle qui s'ta blissait entre la maison du roi et les fonctionnaires royaux). Dans les grandes firmes bureaucratiques, le diplme cesse d'tre un simple attribut statutaire (comme le diplme de droit d'un patron priv) pour devenir un vritable droit d'entre Y cole (sous la forme de la grande cole ) et le corps, groupe social que l'cole produit en apparence ex nihilo (mais en fait partir de proprits lies la famille), prennent la place de la famille et de la parent, la cooptation des condisciples sur la base des solidarits d'cole ou de corps jouant le rle qui revient au npotisme et aux solidarits claniques dans les entreprises familiales. :

Toute stratgie de reproduction implique une forme de numeras clausus en ce qu'elle remplit des fonctions d'inclusion et d'exclusion en limitant soit le nombre des produits biologiques du corps (mais seule la famille peut le faire), soit le nombre des individus habilits en faire partie (ce qui peut conduire exclure une partie des pro duits biologiques du corps, femmes, cadets, etc.). Le plus important, c'est que, dans le mode de reproduction famil ial, la responsabilit de ces ajustements incombait la famille. Avec le mode de reproduction composante sco laire, auquel les patrons technocratiques doivent leur position, celle-ci perd la matrise des choix successoraux et le pouvoir de dsigner elle-mme les hritiers. Ce qui caractrise le mode de reproduction scolaire, c'est la logique proprement statistique de son fonctionnement. La responsabilit de la transmission n'incombe plus une personne ou un groupe, contraints ou orients par la tra dition (droit de primogeniture, etc.), comme dans la tran smission familiale, mais tout un ensemble d'agents individuels ou collectifs dont les actions isoles et statis tiquement agrges tendent assurer la classe dans son ensemble des privilges qu'elle refuse tel ou tel de ses lments pris sparment l'cole ne peut contribuer la reproduction de la classe (au sens logique du terme) qu'en sacrifiant certains des membres de la classe qu'par gnerait un mode de reproduction laissant la famille le plein pouvoir sur la transmission. La contradiction spci fique du mode de reproduction scolaire rside dans l'op position entre les intrts de la classe que l'cole sert st atistiquement et les intrts des membres qu'elle sacrifie. Et aussi dans le fait que la surproduction, avec toutes les contradictions qu'elle implique, devient une constante structurale lorsque, avec le mode de reproduction com posante scolaire, des chances thoriquement gales sont offertes tous les hritiers, filles autant que garons, cadets autant qu'ans, d'obtenir des titres scolaires, en mme temps que l'accs des non-hritiers ces titres s'accrot aussi (en chiffres absolus) et que l'limination brutale, ds l'entre dans l'enseignement secondaire, cde la place une limination en douceur. La crise de 1968 est sans doute, pour une part, l'effet de cette contradiction. Il faut se garder toutefois de rduire l'opposition entre les deux modes de reproduction l'opposition entre le recours la famille et le recours l'cole. Il s'agit plutt, en fait, de la diffrence entre une gestion purement famil iale des problmes de reproduction et une gestion famil iale qui fait entrer un certain usage de l'cole dans les stratgies de reproduction. En effet, outre que l'action de reproduction qu'exerce l'cole s'appuie sur la transmis sion domestique du capital culturel, la famille continue mettre la logique relativement autonome de son cono:

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mie propre, qui lui permet de cumuler le capital dtenu par chacun de ses membres, au service de l'accumulation et de la transmission du patrimoine. Autre erreur possible, celle qui consisterait conclure, selon un schma volutionniste simple, que les deux modes de reproduction correspondent deux moments d'une volution insparable de celle qui conduit, selon certains auteurs, d'un mode de domination fond sur la proprit et les owners un autre, plus rationnel et plus dmocratique, fond sur la comptence et les manag ers.En fait, la dfinition du mode de reproduction lgi time est un enjeu de luttes, notamment au sein du champ du pouvoir conomique, et il faut se garder de considrer comme la fin de l'histoire ce qui n'est qu'un tat d'un rap port de forces susceptible d'tre renvers. Et ces luttes prennent souvent la forme d'une lutte pour le pouvoir sur l'tat et sur le pouvoir qu'il est en mesure d'exercer sur le systme des instruments de reproduction, conomiques ou scolaires notamment. Et il faudrait analyser longuement les effets de la transformation du mode de reproduction sur le fonc tionnement de la famille comme instance responsable de la reproduction et, inversement, les effets des tran sformations de la famille (avec, par exemple, l'lvation du taux de divorce) sur le fonctionnement du mode de reproduction composante scolaire. La crise de la famille est-elle lie des transformations des stratgies de reproduction tendant rduire le besoin de l'unit domestique ? Mais nombre d'indices portent croire que la famille bourgeoise continue cultiver son intgration sociale, qui est la condition majeure de sa contribution la perptuation de son capital social et de son capital symbolique et, par l, de son capital conomique. On est loin encore de l'agent conomique isol tel que le dcrivent les conomistes. Ce qui conduit se demander qui est, en dfinitive, le sujet des stratgies de reproduction. Il est certain que la famille et les stratgies de reproduction ont partie lie sans famille, il n'y aurait pas de stratgies de reproduct ion stratgies de reproduction, il n'y aurait pas de ; sans famille (ou de corps et de Stand comme quasi-famille). Il faut que la famille existe - ce qui ne va pas de soi - pour que les stratgies de reproduction soient possibles ; et les stratgies de reproduction sont la condition de la perp tuation de la famille, cette cration continue. La famille dans la forme particulire qu'elle revt en chaque socit est une fiction sociale (souvent convertie en fiction jur idique) qui s'institue dans la ralit au prix d'un travail visant instituer durablement en chacun des membres de :

l'unit institue (notamment par le mariage comme rite d'institution) des sentiments propres assurer l'intgration de cette unit et la croyance dans la valeur de cette unit et de son intgration. On voit que les stratgies ducatives ont une fonction tout fait fondamentale comme tout le travail symbolique, thorique (gnalogique notamment) et pratique (changes de dons, de services, ftes et cr monies, etc.), qui incombe particulirement aux femmes et qui transforme l'obligation d'aimer en disposition aimante et qui tend doter chacun des membres de la famille d'un esprit de famille ce principe cognitif de vision et de division est en mme .temps principe pratique de cohsion, gnrateur de dvouements, de gnrosits, de solidarits, et d'une adhsion vitale l'existence d'un groupe familial et de ses intrts. Ce travail d'intgration est d'autant plus indispensable que la famille, si elle doit, pour tre conforme, fonction ner un corps, tend toujours fonctionner comme comme un champ, avec ses rapports de forces physiques, cono miques et surtout symboliques (lis notamment au volume et la structure du capital possd par les diff rents membres) et ses luttes pour la conservation ou la transformation de ces rapports de forces. C'est seulement au prix d'un travail constant que les forces de fusion (affectives notamment) parviennent contrecarrer ou compenser les forces de fission. L'unit de la famille est faite pour et par l'accumulation et la transmission. Le sujet de la plupart des stratgies de reproduction est la famille agissant comme une sorte de sujet collectif et non comme un simple agrgat d'indi vidus. Pour comprendre les stratgies collectives des familles (dans le cas du mariage kabyle par exemple ou dans le cas de l'achat d'une maison dans la France d'au jourd'hui), il faut connatre d'abord la structure et l'histoire du rapport de forces entre les diffrents agents et leurs stratgies. Mais il faut connatre aussi le volume et la struc ture du capital qu'elles ont transmettre, donc la position de chacune dans la structure de la distribution des diff rentes espces de capital. C'est en effet cette position qui oriente les stratgies (et qui en est le vritable sujet) - ce qui explique que, en suivant son propre conatus, chacune des familles contribue la reproduction de l'espace des positions constitutives d'un ordre social, donc l'accom plissement du conatus inscrit dans cet ordre 17. 17 - Dans le cas des socits tat, il faut aussi connatre l'histoire du travail d'institutionnalisation dont la famille telle que nous la connais sons l'aboutissement. Cette chose trs prive est en fait une affaire est publique, dans la mesure o elle dpend d'actions publiques telles que la politique du logement ou, plus directement, la politique de la famille et le droit familial garantie par l'tat, ratifie par l'tat, elle reoit de l'tat les moyens d'exister et de subsister. ; : ;

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On voit mieux comment rpondre la question, pose en commenant, des conditions de la permanence de l'ordre social. Le monde social n'est pas cet univers radicalement discontinu qui tait celui de Hobbes, selon Durkheim ( Pour Hobbes, c'est un acte de volont qui donne naissance l'ordre social et c'est un acte de volont perptuellement renouvel qui en est le sup port ), et que proposent aujourd'hui tous ceux que le souci de restituer sa place au sujet conduit rduire les relations sociales, y compris les rapports de domination, aux actes (de soumission notamment) qu'accomplissent chaque moment les agents. Comme l'univers physique selon Leibniz, il a en lui-mme le principe de son dyna misme et de sa logique. Cette vis nsita, qui est aussi une lex nsita, est inscrite la fois dans les structures objec tives (et les mcanismes qui en assurent la reproduction, comme ceux qui favorisent la reproduction de la distribu tion capital culturel) et dans les structures de l'habitus du ou, plus prcisment, dans la relation entre les unes et les autres ; elle est dans les probabilits objectives qui sont inscrites dans les tendances immanentes aux diffrents champs sociaux (comme tendances produire des fr quences stables et des rgularits, souvent renforces par des rgles explicites) et dans les esprances subjectives, grossirement ajustes ces tendances, qui sont inscrites dans les inclinations de l'habitus.