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Philippe Gasparini-Est-il Je - Jericho

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CE LIVRE

EST PUBLIÉ DANS LA COLLECTION


POÉTIQUE
DIRIGÉE PAR GÉRARD GENETTE

ISBN 978-2-02-129132-2

© Éditions du Seuil, mars 2004

www.seuil.com

Cet ouvrage a été numérisé en partenariat avec le Centre National du Livre.

Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo.


Le processus de la composition littéraire une fois démonté et remonté,
le moment décisif de la littérature deviendra la lecture.
Italo CALVINO
TABLE DES MATIÈRES

Copyright

Stratégies de l’ambiguïté

1 - Identification

Identification onomastique

Identification biographique

Identification professionnelle

2 - Paratexte

Péritexte auctorial

Péritexte allographe

Épitexte

3 - Intertexte et métadiscours

Indications explicites : le métadiscours

4 - Énonciation

Narration

Il (ou elle) : voix hétérodiégétique

Il (ou elle) et je : voix combinées


Je et il (ou elle) : voix homodiégétique

Je : voix autodiégétique

Tu, vous : voix alterdiégétique

5 - Temps

Conjugaison

Temps remémoré

Moment de l’énonciation

Temps du journal intime

Brouillages

6 - Lieux de sincérité

Fiction et sincérité

Aveux

Combats

Héroïsation

7 - Questions d’histoire

Diachronie

Infortune critique

8 - Fonctions

Écriture du roman autobiographique

Lecture du roman autobiographique

Bibliographie

Index des auteurs cités

Index des œuvres citées


Index des notions
Stratégies de l’ambiguïté

L ES TEXTES dont il sera question ici se présentent à la fois comme des


romans et comme des fragments d’autobiographie. Leur lecteur est appelé à
se demander : « Est-il je ? », autrement dit : « Est-ce l’auteur qui raconte sa
vie ou un personnage fictif ? » Il a le sentiment qu’ils appartiennent, du fait
de cette ambiguïté, à une catégorie littéraire particulière ; mais il ne saurait
définir précisément ce genre, ni se référer à quelque étude qui lui soit
consacrée, ni même trouver un terme qui fasse l’unanimité pour le désigner.
Cette lacune peut s’expliquer. Ce genre hypothétique cumule en effet les
défauts aux yeux de la critique. D’abord, il partage le discrédit dont fut
longtemps frappée la littérature intime. Philippe Lejeune et Jacques
Lecarme ont esquissé l’histoire de cette exclusion du « moi » qui a
longtemps tiré sa légitimité théorique d’Aristote 1. En bon philosophe, celui-
ci définissait l’art par le niveau de généralité du propos, c’est-à-dire par sa
valeur d’exemple :

Aucun art n’envisage un cas individuel 2.

D’où sa distinction entre « poésie » et « chronique ». Si la poésie est


artistique par nature, c’est parce qu’elle représente allégoriquement « ce qui
pourrait avoir lieu » en tout temps. Au contraire, la chronique de « ce qui a
eu lieu » ne saurait relever d’une appréciation esthétique, car les faits
particuliers qu’elle relate ne sont aucunement généralisables 3. En vertu de
cette hiérarchie, les genres narratifs en première personne, qui apparurent et
se développèrent du XVIIe au XIXe siècle (Mémoires, lettres, journal intime,
autobiographie), étaient rangés, non seulement par les poéticiens, mais aussi
par les auteurs, dans le domaine prosaïque de la chronique, du particulier,
de la non-littérature.
Seconde tare de ces textes : leur bâtardise. Ils mélangent deux codes
incompatibles, le roman étant fictionnel et l’autobiographie référentielle.
Méconnaissant la plus élémentaire théorie des genres, ils échappent aux
critères de jugement applicables aux genres établis. C’est pourquoi de
nombreux critiques les ont purement et simplement passés sous silence,
tandis que d’autres réduisaient leur dualité de façon à pouvoir les classer
dans une catégorie déterminée.
Enfin, troisième handicap, le roman autobiographique, sans doute
honteux de sa bâtardise, avance masqué, sans s’annoncer. Son statut
générique ne peut être établi qu’a posteriori, à l’issue d’un processus
aléatoire de lecture et d’interprétation.
En dépit de ces obstacles, la perception d’une nouveauté générique s’est
traduite dans plusieurs langues, dès le milieu du XIXe siècle, par l’apparition
de termes tels que « roman autobiographique » ou « roman personnel ».
Dans une période où la théorie littéraire était en crise, nul ne se souciait de
définir précisément ce que recouvraient ces concepts. Les études publiées
par Joachim Merlant en 1905 4 et Jean Hytier en 1928 5 montrent que la
critique universitaire circonscrivait le phénomène de l’ambivalence
narrative à une époque révolue, le Romantisme. En France, faute de
recherche ultérieure, cette doctrine sera enseignée à plusieurs générations
de lycéens et d’étudiants.
Simultanément, des critiques aussi influents que Brunetière 6 et
Thibaudet 7 condamnaient fermement toute nouvelle intrusion de
l’autobiographie dans le roman, au motif qu’elle risquait de dénaturer
l’essence fictionnelle du genre. Le formalisme, le New Criticism, le
structuralisme ont en quelque sorte verrouillé le système en exigeant que les
textes soient lus et étudiés en eux-mêmes, de façon immanente,
complètement détachés de leur auteur. Et la narratologie a entériné le rejet
du roman autobiographique en accordant une attention exclusive au récit
fictionnel.
Cependant, un certain nombre de grands textes postérieurs au
Romantisme résistaient à ces postulats dogmatiques. Comment analyser
David Copperfield, Henri le Vert, Jacques Vingtras, Martin Eden, Portrait
de l’artiste en jeune homme, Les Carnets de Malte Laurids Brigge, les
œuvres de Colette, de Céline, de Knut Hamsun, de Henry Miller sans
aborder leur problématique générique ? Régulièrement récusé, redéfini ou
rebaptisé, le concept de roman autobiographique réapparaissait ainsi, en
marge des débats d’école, dans de nombreux commentaires
monographiques. Mais chaque texte, chaque auteur, étant étudiés isolément,
ce concept restait flou, sans rapport avec le système générique dominant, ni
avec l’horizon d’attente des lecteurs. De même, les éditeurs, les critiques de
presse et les enseignants n’hésitaient pas à employer la double étiquette,
roman et autobiographie, pour présenter à leur public les récits qui
cumulent les deux registres. Mais ils s’arrêtaient le plus souvent au constat
de cette mixité considérée comme une monstruosité originale et
indescriptible.
Dans les années 1970-1980, la critique s’est progressivement dégagée
du dogmatisme structuraliste. La théorie de la réception, la linguistique
pragmatique, l’étude de l’intertextualité et du paratexte, les essais de
Wolfgang Iser et d’Umberto Eco sur l’acte de lecture ont conduit à
réévaluer le rôle du lecteur, à considérer l’œuvre non plus comme un texte
clos mais comme un support de communication dont les potentialités sont
actualisées par l’interprétation du récepteur. D’autre part, le travail de
Philippe Lejeune sur l’autobiographie a remis en question l’exclusion du
récit référentiel du champ littéraire.
C’est dans ce contexte qu’un nouveau terme est apparu pour désigner la
réalité générique instable qui nous intéresse : « autofiction ». Lancé par
l’essayiste et romancier Serge Doubrovsky, le terme s’est rapidement
diffusé dans la critique universitaire puis au-delà, avec des définitions
variables. Celle de Doubrovsky contenait trois paramètres : une écriture
littéraire, une parfaite identité onomastique entre l’auteur, le narrateur et le
héros, et une importance décisive accordée à la psychanalyse. Vincent
Colonna et Gérard Genette ont ensuite proposé de réserver ce terme aux cas
de « fictionnalisation de soi », c’est-à-dire de projection dans l’imaginaire
d’un personnage portant le nom de l’auteur. L’usage n’a pas retenu ces
définitions et s’est contenté de transférer sur ce néologisme le contenu
sémantique approximatif du désuet « roman autobiographique ».
L’engouement suscité par ce mot a éveillé l’intérêt de la recherche pour
une catégorie autrefois ignorée ou méprisée. On s’est mis à étudier les
textes contemporains à travers la problématique de l’autofiction 8. Mais, à
l’instar de Doubrovsky, les zélateurs de ce nouveau genre le présentent
généralement comme une forme d’expression inédite, postmoderne, sans
antécédent, sans généalogie, sans histoire. Ce faisant, ils coupent les œuvres
qu’ils étudient de leurs racines génériques, ils escamotent leur filiation avec
le roman autobiographique traditionnel auquel elles empruntent pourtant la
plupart de leurs procédés.
Le présent travail se démarque de l’effet de mode induit par l’apparition
du concept d’« autofiction », car il vise à restituer au genre qu’il désigne
son historicité, son évolution et sa place dans l’horizon d’attente des
lecteurs depuis au moins deux siècles. Dans cette optique, j’ai tenté de
cerner la spécificité de cette configuration générique, donc de démontrer
qu’elle est régie par des conventions originales, distinctes de celles qui
régissent le récit de fiction, d’une part, et le récit autobiographique, d’autre
part.

En principe, le statut illocutoire de la fiction et celui de l’autobiographie


s’opposent, s’excluent absolument l’un l’autre. Le romancier autobiographe
ne réalise donc pas une impossible synthèse des codes antagonistes, mais il
les confronte, il les fait co-exister. Il respecte et dénonce alternativement les
clauses des deux contrats, il les discute, il les négocie, sans jamais choisir.
Cette ambivalence fondamentale s’articule autour de la question de
l’identité du protagoniste : tantôt il est identifiable à l’auteur et la lecture
autobiographique s’impose, tantôt il s’en éloigne et la réception retrouve
une dominante romanesque. Le texte est ainsi saturé par des signes de
conjonction et de disjonction des deux instances.
Ce double affichage générique ne requiert pas une lecture alternée, qui
serait épuisante, mais une double lecture simultanée. Si l’on en juge par le
succès de ces œuvres auprès du public, cette exigence de réception en partie
double entre dans l’horizon d’attente des lecteurs, dans leur système des
genres, dans leur poétique implicite. Loin de nuire au plaisir du texte, il est
probable qu’au contraire elle l’excite.
S’agissant d’une catégorie située sur une frontière, ou à un carrefour, le
problème de sa délimitation revêt une importance cruciale. Le premier
objectif de recherche que s’était fixé Philippe Lejeune en 1971 était de
distinguer l’autobiographie du roman autobiographique 9. Il a mis en
évidence la notion de pacte autobiographique pour poser cette limite : le
véritable autobiographe, au contraire du romancier, s’identifie avec le
narrateur et le héros du récit. Peut-on, à l’autre extrémité du spectre, trouver
un critère distinctif aussi opératoire entre le roman autobiographique et le
roman ? Malheureusement non. On ne peut que répertorier, de façon
pragmatique, les procédés par lesquels un auteur suggère que son roman a
une valeur autobiographique.
C’est pourquoi Philippe Lejeune soulignait que le roman
autobiographique, à la différence de l’autobiographie, comporte des degrés :
chaque texte adopte une position particulière sur l’axe fiction/référence. On
aurait donc davantage affaire, selon lui, à un « espace générique » qu’à un
genre stricto sensu. Mon travail milite néanmoins pour une conception
générique de cet espace. Ce genre regroupe à mon avis tous les récits qui
programment une double réception, à la fois fictionnelle et
autobiographique, quelle que soit la proportion de l’une et de l’autre. Dans
cette optique, le degré de véridicité des textes importe peu. C’est la richesse
rhétorique des procédés de double affichage qui devient, à l’intérieur de
cette classe de récits, un critère de classement et d’appréciation. J’ai donc
entrepris d’inventorier les figures de l’ambiguïté de façon à balayer la
totalité de ce champ générique. Et j’ai vérifié, chemin faisant, que ces
figures s’organisent toujours en une stratégie délibérée qui structure la
communication du récit dans son ensemble.
Cette stratégie consiste à émettre des prescriptions de lecture
contradictoires. Le recensement de ces signaux fera l’objet des trois
premiers chapitres. On observera d’abord comment l’identité du héros-
narrateur (nom, âge, profession, signes particuliers) peut renvoyer à celle de
l’auteur. On examinera ensuite le rôle du paratexte dans ce rapprochement
et, plus largement, dans la définition du genre du texte. Puis on étudiera,
dans la même perspective, la fonction de quelques dispositifs intertextuels
et les différentes valeurs du métadiscours.
À côté de ces indices de premier niveau, le texte contient, au sein même
de sa structure narrative, des indices de second niveau dont l’action est tout
aussi déterminante que celle des prescriptions explicites. Les chapitres 4 et
5 nous permettront d’étudier comment la procédure d’énonciation et le
traitement du temps concourent à l’ambiguïté du récit.
Cependant, le lecteur désire non seulement comprendre le dessein de
l’auteur mais aussi mesurer l’authenticité de son énoncé et, si possible, être
touché par son émotion. Il sera donc intéressant d’observer par quels
procédés les auteurs plaident la sincérité d’un énoncé dont ils ne
garantissent pas la véracité. L’avant-dernier chapitre esquissera une vue
cavalière de l’histoire d’un genre méconnu et de son infortune critique.
Enfin, et en guise de conclusion, se posera la question des fonctions de ce
dispositif littéraire.
J’ai conduit l’étude de cette configuration sur un large échantillonnage
de romans d’époques et d’aires linguistiques variées. La base de ce corpus
est constituée par des textes qui ont déjà été qualifiés, avant moi, de romans
autobiographiques, de romans personnels ou d’autofictions. J’y ai ajouté
des œuvres moins connues, plus récentes, qui permettent d’illustrer la
diversité et la fécondité de la duplicité générique. Dans ma perspective de
recherche, le genre est d’abord, suivant l’expression de Roland Barthes, un
« modèle hypothétique de description 10 », dont on ne peut démontrer la
validité qu’en produisant un grand nombre d’exemples collectés à cet effet.
Pour autant, ce corpus ne prétend nullement être exhaustif. À partir du
moment où le lecteur commencera à le contester, à regretter les omissions, à
s’interroger sur le statut de tel ou tel roman, ce modeste essai de poétique
aura atteint son but.

1. P. Lejeune, «Un siècle de résistance à l’autobiographie», dans Pour l’autobiographie,


Paris, Éd. du Seuil, coll. «La Couleur de la vie», 1998, p. 11-25. J. Lecarme, «L’hydre anti-
autobiographique», dans P. Lejeune (dir.), L’Autobiographie en procès. Actes du colloque
des 18 et 19 octobre 1996 à Nanterre, nº 14 de la revue RITM, université Paris X-Nanterre,
1997, p. 19-56.
2. Aristote, Rhétorique [vers 360 av. J.-C.], trad. fr. C.E. Ruelle revue par P. Vanhemelryck,
Paris, LGF, coll. «Le Livre de Poche», 1991, livre I, chap. XI, p. 86.
3. Aristote, Poétique, trad. fr. R. Dupont-Roc et J. Lallot, Paris, Éd. du Seuil, coll.
«Poétique», 1980, chap. 9, p. 65.
4. J. Merlant, Le Roman personnel de Rousseau à Fromentin, Paris, Hachette, 1905; rééd.,
Genève, Slatkine, 1978.
5. J. Hytier, Les Romans de l’individu. Constant, Sainte-Beuve, Stendhal, Mérimée,
Fromentin, Paris, Les Arts et le Livre, 1928.
6. F. Brunetière, «La littérature personnelle», La Revue des Deux Mondes, 15 janvier 1888;
rééd. dans Questions de critique, Paris, Calmann-Lévy, 1897, p. 211-246.
7. A. Thibaudet, «Les deux écoles», Nouvelle Revue française, 1er novembre 1928; rééd. dans
Réflexions sur la littérature, t. II, Paris, Gallimard, 1940, p. 123-128.
8. Citons:
– les actes du colloque Autofictions et Cie, publiés sous la direction de S. Doubrovsky, J.
Lecarme et P. Lejeune, nº 6 de la revue RITM, université Paris X-Nanterre, 1993;
– R. Robin, Le Golem de l’écriture. De l’autofiction au cybersoi, Montréal, XYZ, 1997;
«Confession à l’ordinateur. La trilogie de Henry Roth», dans J.-F. Chiantaretto (dir.),
Écriture de soi et sincérité, Paris, In Press, 1999, p. 101-112;
– L.-N. Aulagne, Et si c’était moi? Approches de l’autofiction dans la décennie 1980, thèse
sous la dir. de R. Robert, université Nancy II, 1998, inédite;
– M. Darrieussecq, «L’autofiction, un genre pas sérieux», Poétique, nº 107, septembre
1976, p. 369-380; Moments critiques dans l’autobiographie contemporaine: l’ironie
tragique et l’autofiction chez Serge Doubrovsky, Hervé Guibert, Michel Leiris et Georges
Perec, thèse sous la dir. de F. Marmande, université Denis Diderot-Paris VII, 1997, inédite;
– M.-L. Van Toonder, Qui est je? L’écriture autobiographique des nouveaux romanciers,
Berne, Peter Lang, 1999;
– A. Molero de la Iglesia, La autoficción en España. Jorge Semprun, Carlos Barral, Luis
Goytisolo, Enriquita Antolin y Antonio Muñoz Molina, Berne, Peter Lang, 2000.
9. P. Lejeune, L’Autobiographie en France, Paris, A. Colin, 1971, rééd., 1998, p. 17; Le Pacte
autobiographique, Paris, Éd. du Seuil, coll. «Poétique», 1975, rééd., coll. «Points», 1996,
p. 26; Moi aussi, Paris, Éd. du Seuil, coll. «Poétique», 1986, p. 25.
10. R. Barthes, «Introduction à l’analyse structurale des récits», Communications, nº 8, 1966;
rééd., Paris, Éd. du Seuil, coll. «Points», 1977, p. 8.
1

Identification

Identification onomastique

ROMAN

J’utiliserai le plus souvent, pour désigner les textes narratifs qui


s’inscrivent dans le double registre romanesque et autobiographique, le
terme le plus ancien, le plus courant et le plus clair dont nous disposions, à
savoir « roman autobiographique ». Il caractérise, en premier lieu, ces
textes comme des « romans ». Que la plupart de leurs auteurs revendiquent
ou entérinent cet étiquetage générique ne nous dispense pas d’examiner,
pour commencer, sa validité.
Le roman est un genre non réglé dont la définition a varié selon les
époques et variera encore dans l’avenir. On s’accorde néanmoins à
l’identifier, depuis deux siècles, sur la base de trois critères : narratif,
fictionnel et littéraire. Sans refaire la théorie des genres et des modes 1, on
peut considérer que la première condition est remplie à partir du moment où
l’énoncé est perçu comme une histoire, et non un discours, un poème ou
une pièce de théâtre. Les deux autres critères ont partie liée en ce sens que,
comme l’a démontré Gérard Genette, la fictionnalité d’un récit garantit sa
littérarité :

[…] une œuvre (verbale) de fiction est presque inévitablement reçue


comme littéraire, indépendamment de tout jugement de valeur, peut-
être parce que l’attitude de lecture qu’elle postule (la fameuse
« suspension volontaire de l’incrédulité ») est une attitude esthétique
au sens kantien, de « désintéressement » relatif à l’égard du monde
réel 2.

Pour bénéficier de ce préjugé favorable, auteur et éditeur argueront


volontiers de la fictionnalité du texte, notamment en l’étiquetant « roman ».
Il importe donc de vérifier ce type d’allégation. La fictionnalité s’oppose à
la référentialité. Qu’il soit d’ordre politique, religieux, scientifique ou
biographique, le discours référentiel requiert nécessairement la créance du
destinataire. C’est pourquoi il s’engage, par une sorte de contrat, à rendre
scrupuleusement compte de la réalité qu’il a observée, il cite ses références
et il produit des preuves de ce qu’il avance. Les romans autobiographiques
ne souscrivent aucun contrat de référentialité et se soustraient à tout
dispositif de vérification. Ils relèvent donc probablement, par défaut, des
énoncés fictionnels. Néanmoins, comme nous le verrons à propos de
l’intertexte, certains d’entre eux se démarquent du modèle romanesque en
avançant des preuves et des documents à l’appui de leur dire.
La narratologie postule un second critère définitoire de la fiction, qui est
le corollaire du premier : la disjonction de l’auteur et du narrateur.
Contrairement au discours référentiel, qui est pris en charge par son auteur,
le récit fictionnel est attribué à un narrateur fictif. La fictionnalité d’un
roman ne réside pas dans les situations, les décors, les personnages, qui
peuvent être empruntés à la réalité, mais dans son protocole d’énonciation :
il est raconté par une entité imaginaire qui n’a aucun compte à rendre au
réel. C’est sur ce point qu’un roman peut devenir « autobiographique » en
combinant ce protocole d’énonciation avec un autre, celui de
l’autobiographie.

AUTOBIOGRAPHIE
Comme l’a montré Philippe Lejeune, le protocole propre à
l’autobiographie est fondé sur l’identité onomastique de l’auteur, du
narrateur et du personnage 3. ‘Jean-Jacques Rousseau’ est à la fois l’auteur
des Confessions, puisque son nom figure sur la couverture du livre, celui
qui raconte et le personnage principal de l’histoire. À ce titre, il s’engage à
puiser dans ses souvenirs les matériaux d’un récit relatif à sa propre
expérience de la vie. Le lecteur ne croit pas nécessairement que Rousseau
dit toujours la vérité. Mais il le crédite d’un effort mémoriel pour retracer
son passé.
Ce « pacte autobiographique » a pour corollaire le mode d’énonciation
qui caractérise le genre : puisque héros et narrateur ne font qu’un, le récit
est, en principe, raconté à la première personne ; puisque l’auteur se tourne
vers son passé, son récit est, en principe, régi par une structure
rétrospective.
Un roman tel que René 4 peut être qualifié d’autobiographique à partir
du moment où Chateaubriand suggère délibérément qu’il raconte, lui aussi,
ses propres souvenirs. Non seulement le récit du héros imite le mode
narratif de l’autobiographie, première personne et rétrospection, mais
l’auteur transgresse la norme fictionnelle en encourageant le lecteur à
l’identifier avec ‘René’. Les moyens dont il dispose pour mettre en œuvre
cette stratégie d’identification, donc accréditer le caractère
autobiographique de son roman, sont nombreux et variés. La présente étude
a précisément pour objet de les recenser. Le premier consiste à rapprocher
leur identité onomastique : ‘René’ et son créateur ont un prénom commun.
Nous allons voir que le roman autobiographique se distingue
essentiellement des genres connexes par sa stratégie d’identification du
héros-narrateur avec l’auteur.

AUTOBIOGRAPHIE FICTIVE

Il est assez simple, pour commencer, de différencier, d’après ce critère,


le roman autobiographique de l’autobiographie fictive. En effet, cette
dernière simule une énonciation autobiographique sans prétendre qu’il y ait
identité entre l’auteur et le héros-narrateur. Bien connu des Anciens
(Apulée, Pétrone, Lucien), le roman rétrospectif en première personne a été
redécouvert par les conteurs picaresques 5. Il a donné naissance, dès la fin
du XVIIe siècle, à deux sous-genres narratifs, le roman-Mémoires et le roman
épistolaire.
La fictionnalité de ces romans en première personne se déduisait
d’abord de la disjonction onomastique de l’auteur réel et du narrateur
allégué. Elle se signalait ensuite, conventionnellement, par une préface dans
laquelle l’auteur réel prétendait reproduire un témoignage écrit ou oral
qu’on lui avait transmis 6. La fonction paradoxale de ce discours était
d’assurer à cette mimèsis d’autobiographie une réception romanesque. Pour
plus de sécurité, le texte multipliait les indices de disjonction auteur-
narrateur : ainsi Marivaux ne pouvait être confondu ni avec ‘Marianne’ ni
avec ‘Jacob’ ; Prévost se posait en juge de ‘Des Grieux’ et, plus encore,
Choderlos de Laclos de ‘Valmont’. En outre, les traits de littérarité qui
saturaient ces récits suffisaient à démentir leur statut supposé de document
brut.
Les quelques cas où le public, encore peu familier avec ce mode
d’énonciation romanesque, a cru à l’authenticité des documents relevaient
de la mystification. L’erreur n’était pas imputable à une confusion entre
auteur réel et narrateur mais à un mensonge quant à l’origine du texte. Ainsi
Guilleragues allégua-t-il qu’une véritable « religieuse portugaise » avait
écrit ses Lettres pour éviter le statut infamant de romancier, non parce qu’il
craignait qu’on lui imputât ces aveux amoureux 7.
Au XIXe siècle, le canevas de l’autobiographie fictive est resté
productif 8. Certains auteurs l’ont utilisé pour déguiser, tout en les signalant,
leurs propres confidences. Ainsi Senancour éditant les lettres d’‘Oberman’.
Ou encore Constant sous-titrant Adolphe « Anecdote trouvée dans les
papiers d’un inconnu et publiée par M. Benjamin de Constant ». Il a
également produit, par dérivation, le personnage de l’hétéronyme.
Toute autobiographie fictive crée, de fait, un hétéronyme, mais, pour le
créateur du terme, Pessoa, l’hétéronyme est avant tout un écrivain fictif
dont l’auteur prétend éditer les œuvres. Sainte-Beuve l’avait précédé dans
cette voie en attribuant à ‘Joseph Delorme’ ses propres poèmes intimistes et
ses réflexions sur le mal du siècle 9. Valery Larbaud a donné plus d’ampleur
au procédé : les Œuvres complètes d’‘A.O. Barnabooth’ 10 nous permettent
d’entrer de plain-pied dans l’intimité d’un jeune Américain, richissime,
comme l’était son créateur, oisif, cultivé, poète à ses heures, désabusé et
sarcastique, qui s’observe ironiquement dans le miroir que lui tend son
journal. À travers ce jeu spéculaire, c’est l’image de l’auteur que le lecteur
cherchera à capter.
La multiplication des hétéronymes ne peut que désamorcer cette
tendance à l’identification. À tous égards, la pratique de Pessoa tient
davantage du jeu autofictionnel que de la confidence transposée. Parmi la
douzaine de personnages-écrivains derrière lesquels il s’est caché, seul
peut-être ‘Bernardo Soares’, «auteur » du Livre de l’intranquillité 11, reflète,
très partiellement, la vie secrète de son créateur.

AUTOFICTION
L’autobiographie fictive reste un roman tant que l’identité du héros-
narrateur se distingue nettement de celle de l’auteur. Mais que se passe-t-il
si le narrateur porte le nom de l’auteur et lui est aisément identifiable ?
L’auteur peut-il encore soutenir qu’il s’agit d’un roman ? La prise en
considération de ce dispositif narratif particulier est récente. Le cas de
figure a d’abord été envisagé par Philippe Lejeune en tant que modèle
théorique virtuel :

Le héros d’un roman déclaré tel, peut-il avoir le même nom que
l’auteur ? Rien n’empêcherait la chose d’exister, et c’est peut-être
une contradiction interne dont on pourrait tirer des effets
intéressants. Mais, dans la pratique, aucun exemple ne se présente à
l’esprit d’une telle recherche 12.

Puis Serge Doubrovsky, romancier et critique, tomba sur ce passage du


Pacte autobiographique et décida, comme il l’expliqua plus tard dans une
lettre à Lejeune, de relever le défi :

J’ai voulu très profondément remplir cette « case » que votre


analyse laissait vide, et c’est un véritable désir qui a soudain lié
votre texte critique et ce que j’étais en train d’écrire 13.

Le « roman » qu’il était « en train d’écrire » parut en 1977 sous le titre


de Fils. Le héros-narrateur y décline à maintes reprises son identité qui
n’est autre que celle de l’auteur. Sur la quatrième de couverture figurait un
prière d’insérer qui signait l’acte de naissance, en France, du néologisme
« autofiction » :

Autobiographie ? Non. […] Fiction d’événements et de faits


strictement réels ; si l’on veut, autofiction, d’avoir confié le langage
d’une aventure à l’aventure du langage, hors sagesse et hors syntaxe
du roman, traditionnel ou nouveau 14.

Dans un texte d’autocritique intitulé


« Autobiographie/vérité/psychanalyse », Doubrovsky développa cette
première définition doublement négative :

Un curieux tourniquet s’instaure alors. […] Ni autobiographie ni


roman, donc, au sens strict, il fonctionne dans l’entre-deux, en un
renvoi incessant, en un lieu impossible et insaisissable ailleurs que
dans l’opération du texte 15.

Il ajoutait que l’autofiction a partie liée avec la psychanalyse :

L’autofiction, c’est la fiction que j’ai décidé, en tant qu’écrivain, de


me donner à moi-même et par moi-même, en y incorporant, au sens
plein du terme, l’expérience de l’analyse, non point seulement dans
la thématique, mais dans la production du texte 16.

Ce rôle moteur dévolu à la psychanalyse dans l’élaboration de


l’autofiction doubrovskienne est illustré, dans la partie centrale de Fils, par
une séance de cure qui donne au lecteur l’impression, ou plutôt l’illusion,
d’entrer en contact avec l’inconscient du personnage nommé ‘Serge
Doubrovsky’. La psychanalyse, technique d’accès à l’intériorité, est donc
ici mise au service d’une stratégie de l’aveu, du dévoilement, voire de
l’exhibition, qui excite la curiosité du lecteur et relance sans cesse le
processus d’identification de l’auteur au personnage homonyme.
Troisième trait définitoire de l’autofiction selon Doubrovsky : sa
littérarité. En effet, si l’auteur et le héros sont identifiables à tout point de
vue, jusqu’au niveau de l’inconscient, si le protocole d’énonciation est
autobiographique, qu’est-ce qui justifie la mention générique « roman » ?
Réponse : l’éclat du style, la sophistication structurale, la densité, bref, un
dessein littéraire. Mais peut-on constituer un genre sur la base de telles
revendications ? Et l’autobiographie n’a-t-elle pas assez démontré sa
capacité à les mettre en œuvre ?
En 1989 Vincent Colonna, sous la direction de Gérard Genette, soutint
une thèse intitulée L’Autofiction, essai sur la fictionnalisation de soi en
littérature 17. Partant, comme Doubrovsky, de la « case aveugle » de
Philippe Lejeune, Colonna démontrait que l’homonymie auteur-
protagoniste, loin d’être une hypothèse théorique, se rencontre dans quantité
de textes narratifs allant de La Divine Comédie aux romans de Céline,
Cendrars et Genet. L’« aveuglement » momentané de Philippe Lejeune a
donc permis, d’une part, à un romancier d’« inventer la pratique » de son
œuvre 18 et, d’autre part, à un chercheur de mettre en évidence la fécondité
d’un procédé jusque-là inaperçu.
Ceci dit, la thèse de Colonna posait un certain nombre de problèmes.
D’abord, elle détournait délibérément le concept de sa première acception :

la fictionnalisation de soi consiste à s’inventer des aventures que


l’on s’attribuera, à donner son nom d’écrivain à un personnage
introduit dans des situations imaginaires. En outre, pour que cette
fictionnalisation soit totale, il faut que l’écrivain ne donne pas à
cette invention une valeur figurale ou métaphorique, qu’il
n’encourage pas une lecture référentielle qui déchiffrerait dans le
19
texte des confidences indirectes .

Tandis que l’autofiction, pratiquée par son promoteur, semblait un


avatar sophistiqué du roman autobiographique ou de l’autobiographie,
Colonna en faisait « l’antithèse précise du roman personnel, de la fiction
d’inspiration autobiographique 20 ». Aussi privilégiait-il, parmi la centaine
d’œuvres de son corpus, des textes mineurs, voire des pochades, de Copi 21,
Blondin 22 ou Charyn 23, qui ne requièrent pas la créance du lecteur et
remplissent une fonction essentiellement divertissante. Mais, dans le même
mouvement, il annexait Loti, Proust, Céline et Genet sous sa bannière sans
s’aviser que ces auteurs s’écartent de la fiction pure et « encouragent une
lecture référentielle » de leurs œuvres.
Poisson-chat et Monsieur Jadis peuvent être reçus dans un registre
fictionnel dans la mesure où les aventures qui arrivent aux héros, ‘Jerome
Charyn’ et ‘Antoine Blondin’, ne paraissent pas être attribuables dans le
réel aux deux écrivains qui portent ce nom. Philippe Lejeune posait déjà
cette règle :

pour que le lecteur envisage une narration apparemment


autobiographique comme une fiction, comme une « autofiction », il
faut qu’il perçoive l’histoire comme impossible ou incompatible
24
avec une information qu’il possède déjà .

Ce critère distinctif, fondé sur la créance du lecteur, est contingent. Un


lecteur du XIVe siècle a pu croire que Dante avait réellement effectué un
voyage mystique dans l’au-delà, donc recevoir la Commedia dans un
registre référentiel. Le lecteur contemporain, baignant dans une culture
différente, jugera plus probablement « l’histoire comme impossible », donc
autofictionnelle.
En réalité, peu de cas d’homonymie auteur-narrateur répondent à la
double exigence posée par Colonna de production et réception strictement
fictionnelles. Pour que le concept d’autofiction débouche sur la définition
d’une catégorie consistante, il faut sans doute dépasser le cadre étroit de
l’homonymie. Pourquoi ne pas admettre qu’il existe, outre les nom et
prénom, toute une série d’opérateurs d’identification du héros avec
l’auteur : leur âge, leur milieu socioculturel, leur profession, leurs
aspirations, etc. ? Dans l’autofiction, comme dans le roman
autobiographique, ces opérateurs sont utilisés à discrétion par l’auteur pour
jouer la disjonction ou la confusion des instances narratives. Et c’est à partir
de leur degré de fictionnalité que l’on peut différencier les deux stratégies.
Cette acception du néologisme présente l’intérêt d’asseoir le
sémantisme du terme sur un parallèle solide avec « science-fiction », sur
lequel il semble calqué. Nous dirons alors que l’autofiction est au moi
créateur (« auto ») ce que la science-fiction est à la science et à la
technique : un développement projectif dans des situations imaginaires.
C’est là précisément le champ que lui alloue Gérard Genette quand il
évoque, dans Fiction et diction,

[le] pacte délibérément contradictoire propre à l’autofiction (« Moi,


auteur, je vais vous raconter une histoire dont je suis le héros mais
25
qui ne m’est jamais arrivée ») .

Cette définition rejoint l’intuition initiale du véritable inventeur du


terme, Jerzy Kosinski. Dans L’Oiseau bariolé 26, paru en 1965 aux États-
Unis, celui-ci racontait, à la première personne, l’errance d’un gamin juif
dans l’Europe orientale en guerre. Ce texte fut d’abord salué par de
nombreux critiques, dont Elie Wiesel, comme un témoignage
autobiographique de grande valeur. Kosinski s’empressa d’apporter un
démenti à cette interprétation : il avait bien souffert, enfant, des
persécutions antisémites, mais cette histoire était imaginaire. Il nomma
alors « autofiction » le travail littéraire qui lui avait permis de représenter, à
partir de son expérience, l’itinéraire d’une victime anonyme de la
sauvagerie humaine 27.
L’erreur de réception, qui avait assuré le succès du livre, provenait
d’une insuffisance des marques de fiction. Les lecteurs, portés à croire, ne
se sont pas avisés que de nombreux indices référentiels font défaut à ce
texte, notamment en ce qui concerne l’identité du narrateur, le lieu et le
temps du récit. Il a donc fallu que l’auteur rétablisse le texte dans son statut
d’autobiographie fictive.
Dans cette acception, l’autofiction ne fonctionne pas comme un genre à
part entière mais comme une catégorie romanesque. Dans le cadre de la
présente étude, je n’aborderai ses propriétés et son histoire que
tangentiellement, dans la mesure où son domaine jouxte celui du roman
autobiographique avec lequel il lui arrive de se confondre. Ceci dans
l’attente que des études approfondies lui soient consacrées.

Identité Autres opérateurs Identité


onomastique d’identification contractuelle ou
auteur-narrateur- fictionnelle
héros (vraisemblance)
Autobiographie nécessaire nécessaires contractuelle
(Confessions)
Autobiographie disjonction disjonction disjonction
fictive (La Vie de
Marianne)
Autofiction facultative nécessaires fictionnelle
(d’après Kosinski)
Roman auto- facultative nécessaires ambiguë (indices
biographique (souvent partielle, contradictoires)
(René) parfois complète)

Voici un tableau montrant comment l’analyse du rapport


auteur/narrateur/héros permet d’identifier les différents types de récits en
première personne. On voit tout de suite que le problème de la distinction
entre le roman autobiographique et l’autofiction se pose dans la dernière
colonne, au niveau de la validité de l’identification. Ce critère est
d’application simple lorsqu’il y a contrat, autobiographique ou fictionnel.
Mais, s’agissant de récits plus problématiques, il oblige à reformuler la
question en termes de vraisemblance.

LE VRAISEMBLABLE

Pour les Grecs, le vraisemblable était d’abord une catégorie logique


permettant au rhéteur d’articuler un cas particulier avec une règle générale :

Le vraisemblable est ce qui se produit d’ordinaire, non pas


absolument parlant, comme le définissent quelques-uns, mais ce qui
est, vis-à-vis des choses contingentes, dans le même rapport que le
général est au particulier 28.

Aristote prescrivait au poète de subordonner son invention à cette


exigence :

Le rôle du poète est de dire non pas ce qui a lieu réellement, mais ce
qui pourrait avoir lieu dans l’ordre du vraisemblable ou du
nécessaire 29.

Ainsi que le note Antoine Compagnon dans Le Démon de la théorie 30,


une hésitation se perçoit d’ores et déjà quant au sens et à la fonction du
vraisemblable dans l’œuvre littéraire. Il équivaut d’abord au possible
(eikôs), ce qui est envisageable, réalisable, probable, dans l’ordre de la
nature. Mais Aristote ajoute :

Un impossible persuasif est préférable au non-persuasif, fût-il


possible 31.
La nécessité de persuader, de convaincre, qui relève de la rhétorique,
abroge par conséquent l’exigence de vraisemblance au sens strict. Le critère
culturel, subordonné à l’opinion commune (la doxa), prévaut sur le critère
naturel. Et c’est bien cette valeur rhétorique que retinrent les poéticiens de
l’époque classique. La notion de vraisemblance est devenue, entre leurs
mains, une norme esthétique extrêmement contraignante, théoriquement
soumise au jugement immanent de la raison, en pratique aux contingences
des convenances, à l’appréciation des doctes et du public, bref à la doxa 32.
Derrière la norme se cachait en fait un ensemble variable de critères
idéologiques implicites.
La relation au vraisemblable ne suffit donc pas à définir un genre aussi
complexe que le roman, mais, en revanche, elle est d’un grand secours pour
y distinguer des sous-genres. Le romancier, à la différence de l’écrivain
référentiel, ne conclut avec son lecteur aucun pacte de vérité ; mais il peut
donner des gages de vraisemblance en respectant ce que son lecteur, d’après
son expérience, considère comme plausible. Nous sommes alors dans le
cadre du roman réaliste, au sens large, par opposition aux contes
merveilleux ou aux récits fantastiques. Tzvetan Todorov a fondé sa
définition générique du fantastique sur l’hésitation entretenue par le récit
entre le naturel et le surnaturel 33. Il situe donc le sous-genre fantastique sur
l’axe du vraisemblable, à mi-chemin entre le roman réaliste et le conte
merveilleux.
Parmi les genres référentiels, il est important de distinguer ceux qui
donnent une information factuelle, objective et vérifiable, comme l’histoire,
le discours scientifique, le journalisme, et ceux dont les références relèvent
de la subjectivité. Ainsi, le récit autobiographique, fondé sur la mémoire du
sujet, échappe largement aux procédures de vérification. Il tire
essentiellement sa validité référentielle de la relation qu’il instaure avec son
récepteur. C’est pourquoi il s’astreint, pour être cru, à respecter les critères
de vraisemblance admis par ce dernier.
Logé à la même enseigne, le roman autobiographique s’inscrit dans la
catégorie du possible (eikôs), du vraisemblable naturel. Il doit
impérativement convaincre le lecteur que tout a pu se passer logiquement
de cette manière. Faute de quoi il bascule dans un autre genre qui, lui,
mélange vraisemblable et invraisemblable, l’autofiction.
Le tableau page suivante propose un classement sommaire des genres
narratifs, comparés ici suivant les critères du vérifiable en abscisse et du
vraisemblable en ordonnée. Il fait apparaître la position instable du roman
autobiographique sur l’axe du vérifiable et, plus encore, de l’autofiction à
l’intersection de deux hésitations.
Pour que le lecteur ait le sentiment de lire un roman autobiographique,
il faut qu’il tienne tous les éléments du récit pour vraisemblables. Il ne
rangera pas Ferdydurke, par exemple, dans cette catégorie. Pourquoi ? Le
narrateur, écrivain, y présente pourtant son livre comme des « Mémoires
véridiques » dont il prescrit une lecture référentielle :

VÉRIFIABLE Référentiel : « ce Hésitation Fictionnel : « ce


VRAISEMBLAB qui a lieu qui pourrait avoir
LE réellement » lieu »
Naturel, autobiographie, roman roman réaliste,
vraisemblable histoire autobiographique autobiographie
(David fictive (La Vie de
Copperfield) Marianne)
Hésitation récits de voyage autofiction littérature
(type Marco Polo) (Ferdydurke) fantastique
Surnaturel, peu mythes, écrits épopée, merveilleux
vraisemblable religieux hagiographie

[…] je commence à écrire les premières pages de mon œuvre, mon


œuvre propre, semblable à moi, identique à moi, née de moi
directement 34.

Mais il installe de fait une situation invraisemblable, puisque, tout au


long du récit, il est supposé avoir trente ans et mener la vie d’un lycéen qui
en aurait dix-sept. Dès lors, le roman de Gombrowicz abandonne toute
prétention au réalisme : le lecteur considère qu’il s’agit d’une fable sur la
difficulté à devenir adulte. Cette interprétation allégorique est sans doute
conforme au dessein de l’auteur, qui n’ignore pas que la spécification
fictionnelle par l’invraisemblance oblitère l’allégation de référentialité
contenue dans le métadiscours.
Les intrigues de roman reposent souvent sur d’heureux hasards qui
permettent aux personnages de se rencontrer au bon moment. ‘David
Copperfield’ «tombe » inopinément sur les ‘Micawber’ ou ‘Miss
Murdstone’, personnages secondaires dont le retour assure unité et rythme
au récit 35. Le narrateur proustien rencontre M. de Charlus un soir de 1917,
puis l’aperçoit fortuitement, dans une chambre d’hôtel, « recevant les coups
d’un martinet […] que lui infligeait Maurice 36 ». Ces coïncidences ne seront
pas mises sur le compte de quelque maladresse mais bien plutôt au crédit
d’un affichage ostensible, et peut-être ironique, de la fictionnalité du récit.
Le vraisemblable n’exclut pas le rêve, voire le fantastique, à condition
que le lecteur soit à même de distinguer nettement le décrochage onirique
du fond référentiel. Ainsi Rilke, dans Les Carnets de Malte Laurids Brigge,
fait nettement le départ entre le séjour du héros à Paris et ses souvenirs
d’enfance peuplés de revenants et de visions terrifiantes :

Quand je pense maintenant à tout cela, je peux m’étonner de m’être


toujours retrouvé intact au sortir de ces fièvres et d’avoir repris ma
place dans la vie 37.
Plus le cadre de vie du héros est exotique par rapport à l’univers du
lecteur, plus les limites du vraisemblable deviennent incertaines. Pierre Loti
jouait de cette distance pour mêler des aventures amoureuses romanesques
à ses récits de voyages apparemment référentiels en Turquie (Aziyadé), à
Tahiti (Le Mariage de Loti) ou au Japon (Madame Chrysanthème). Selon
ses connaissances, le lecteur inclura ses romans dans le domaine du
vraisemblable ou les rangera au côté du Livre des merveilles du monde dans
lequel Marco Polo mêlait le véridique et le merveilleux.
Le romancier autobiographe soucieux de référentialité va au contraire
s’efforcer de colmater l’écart qui sépare l’univers du héros de celui du
lecteur afin d’adhérer au vraisemblable de ce dernier. Boudjedra, Fante,
Roth s’adressent de toute évidence à un destinataire français ou américain
moyen plus qu’à un membre de leur communauté d’origine ; ils utilisent
son langage et son outillage conceptuel pour expliquer, rendre intelligible,
l’attitude de leurs personnages d’origine algérienne, italienne ou juive. De
même, Dickens, London ou Istrati, lorsqu’ils décrivent les conditions de vie
misérables du héros qui leur ressemble, multiplient les notations concrètes
qui étayent la cohérence de déterminations sociales peu familières au
lecteur. Il y va de la crédibilité de leur histoire.

ÉCHOS ET REFLETS
Le roman autobiographique va se définir par sa politique ambiguë
d’identification du héros avec l’auteur : le texte suggère de les confondre,
soutient la vraisemblance de ce parallèle, mais il distribue également des
indices de fictionnalité. L’attribution à un roman d’une dimension
autobiographique est donc le fruit d’une hypothèse herméneutique, le
résultat d’un acte de lecture. Les éléments dont dispose le lecteur pour
avancer cette hypothèse ne se situent pas seulement dans le texte, mais aussi
dans le péritexte, qui entoure du texte, et dans l’épitexte, c’est-à-dire les
informations glanées par ailleurs.
S’agissant de l’identification purement onomastique, le premier indice
figure sur la couverture du livre où est inscrit le nom de l’auteur. La
superposition de ce nom et de celui du narrateur suppose par conséquent le
franchissement de ce que Philippe Lejeune appelle la « barre de séparation
du texte et du hors-texte 38 ».
Du reflet à l’écho, le romancier qui souhaite suggérer un rapprochement
entre son nom et celui du héros dispose de multiples possibilités
onomastiques. Chateaubriand en a inauguré une en baptisant son héros le
plus connu de son second prénom, ‘René’. Encore cette identité nominale
était-elle cryptée, puisqu’il signait ses œuvres « François-Auguste de
Chateaubriand » et n’avoua sa véritable identité, « François-René », que
dans les Mémoires qu’il voulait posthumes. ‘René’ assumait donc des
fonctions sémiotiques complexes : comme ses prédécesseurs (‘Marianne’,
‘Pamela’, ‘Julie’, ‘Werther’), il promettait une certaine intimité avec le
héros ; mais, en outre, il liait secrètement l’écrivain à son personnage et
réservait la révélation de cette identification à la postérité.
Dès ses origines, le double mouvement d’aveu et de déni est constitutif
du roman autobiographique. On le retrouve naturellement chez Proust ;
d’abord avec la préface dénégative qui devait introduire Jean Santeuil,
ensuite et surtout avec l’identité problématique du narrateur d’À la
recherche du temps perdu. On sait que, dans tout le roman, le prénom de
‘Marcel’ n’apparaît que deux fois, dont la seconde semble accidentelle 39 et
la première pour le moins retorse :

Elle retrouvait la parole, elle disait : « Mon » ou « Mon chéri »,


suivis l’un ou l’autre de mon nom de baptême, ce qui, en donnant au
narrateur le même prénom qu’à l’auteur de ce livre, eût fait : « Mon
Marcel », « Mon chéri Marcel » 40.
« Cette bizarre intrusion d’auteur, commente Philippe Lejeune,
fonctionne à la fois comme pacte romanesque et comme indice
autobiographique, et installe le texte dans un espace ambigu 41. » Après plus
de deux mille pages de Recherche, le lecteur trouve enfin, formulée
malicieusement par l’auteur lui-même, une indication quant à l’identité du
narrateur anonyme. Mais, cette hypothèse, personne n’a attendu la
proposition de l’auteur pour l’envisager, la soupeser et la confronter aux
différentes facettes du texte. D’ailleurs, le narrateur reconnaît au « lecteur »
un droit à l’hésitation sur ce point :

Tout ceci, dira le lecteur, ne nous apprend rien […] laissez-moi,


Monsieur l’auteur, vous faire perdre une minute de plus pour vous
dire qu’il est fâcheux que, jeune comme vous l’étiez (ou comme
était votre héros s’il n’est pas vous), vous eussiez déjà si peu de
mémoire 42.

Il n’en est pas moins vrai que la réticence à se nommer qui caractérise la
voix proustienne produit un effet de mystère, d’incertitude, d’attente. Cet
exemple montre bien que le roman autobiographique, contrairement à
l’autobiographie, ne peut pas se définir uniquement par un critère
onomastique. Son identification est avant tout un fait de réception, une
hypothèse fondée non sur des règles mais sur un faisceau d’indices.
L’observation d’une similitude entre le nom de l’auteur et celui du héros-
narrateur ne va donc constituer qu’une des données facultatives susceptibles
de faire naître ou de conforter une telle hypothèse. La divulgation tardive du
prénom, ‘René’ ou ‘Marcel’, peut certes confirmer une intuition, mais en
aucun cas ne suffit à établir ou à modifier le statut générique du texte.
La stratégie de Céline est intéressante à cet égard, car elle marque un
processus d’identification progressive avec le héros-narrateur. On sait que,
pour l’état civil, il se nommait Louis-Ferdinand Destouches. Dès Voyage au
bout de la nuit, il confère à ‘Bardamu’ son second prénom, ‘Ferdinand’.
Puis ‘Bardamu’ disparaît et laisse ‘Ferdinand’, sans nom de famille,
assumer les récits de Mort à crédit à Guignol’s band. Dans le même temps,
le pseudonyme de l’écrivain devient ‘Louis-Ferdinand Céline’. Un double
rapprochement s’opère donc entre l’auteur et son double.
Féerie pour une autre fois signale un nouveau saut référentiel, puisque,
désormais, c’est ouvertement ‘Céline’, ou parfois ‘Destouches’, qui se met
en scène en tant qu’écrivain relatant ses propres aventures. Pour Henri
Godard, cette évolution traduit un « insatiable désir de confondre – par
artifice, naturellement – romanesque et autobiographique 43 ».
La confusion des prénoms n’a pas pour seule fonction de suggérer un
rapprochement entre l’auteur et son double. Elle annonce aussi un
mouvement rétrospectif, dans la mesure où le « petit nom » renvoie au
temps révolu de l’enfance et de l’adolescence. Comme l’explique Henri
Godard, le prénom connote l’intime, l’« intérieur » qui renvoie à
l’« antérieur » :

Si Céline peut désigner le personnage par ce prénom qui est à moitié


le sien, c’est qu’il se réfère à des expériences qu’il a vécues à un âge
et dans des circonstances où lui-même était couramment appelé par
son prénom véritable, Louis : expériences strictement privées, à la
différence de celles qu’il prendra après 1944 comme base de ses
romans 44.

Le prénom peut aussi avoir une fonction allégorique. Contrairement à


l’identité complète – nom et prénoms –, il est partagé par un grand nombre
d’individus, en particulier au sein d’une communauté culturelle. Le
personnage romanesque qu’il désigne peut donc prétendre à incarner la
problématique de ses semblables, à devenir un symbole, ou plutôt un type.
Ainsi Chateaubriand s’est-il flatté, sous couvert de regret, d’avoir engendré
« une famille de René poètes et de René prosateurs 45 », re-nés grâce à lui.
Cette fonction universalisante du prénom tend à retenir le roman
autobiographique sur sa pente narcissique en le tirant du côté de la
métaphore. Le narrateur devient héros dès lors qu’il se pose en porte-parole
de son pays ou de sa génération. Son « je » se veut un « nous ». Le premier
roman de Driss Chraïbi, Le Passé simple 46, illustre cet investissement
allégorique du prénom : ‘Driss’ est celui qui se « dresse » en rebelle
solitaire et incompris contre l’ordre patriarcal et colonial du Maroc de
1954 ; son récit en première personne fonde sur son prénom la littérature
marocaine moderne.
Si l’auteur souhaite augmenter la distance qui le sépare du narrateur,
donc l’hésitation du lecteur quant à leur identité, il peut baptiser son héros
d’un prénom légèrement différent du sien. C’est le parti que prend Annie
Ernaux en confiant à ‘Anne’ le récit de Ce qu’ils disent ou rien 47. Que ce
choix relève d’une stratégie spéculaire, le texte le souligne par une mise en
abyme calculée. La narratrice, qui a seize ans, rêve d’écrire le « journal
intime » d’une jeune fille comme elle :

J’ai cherché un beau nom, Arielle, Ariane, Ania, que la première


48
lettre au moins me ressemble .

Le nom est chargé d’établir l’identité de l’héroïne, mais, dans le même


temps, il mesure le degré d’identité, c’est-à-dire de symbiose, que la
créatrice entend maintenir avec sa créature.

Je ne suis pas votre sosie. Vous êtes Claudine. Je suis Colette,

déclare la romancière à son personnage dans Les Vrilles de la vigne 49.


Les deux prénoms ont en commun les sons k, o, l, e, et une dentale, d ou t.
On sait que ces romans ont d’abord été publiés sous le nom de ‘Willy’,
pseudonyme du premier mari de Colette. L’allitération, qui conduit à
superposer les deux identités, a donc été introduite par l’auteur, non en vue
de la réception des textes, puisqu’elle ne comptait pas les éditer sous son
nom, mais comme un stimulant, un moteur de l’écriture. Cet exemple,
comparable à la relation qu’entretenait Chateaubriand avec ‘René’, montre
bien que l’identification onomastique n’est pas réductible à quelque jeu de
devinettes, ou de clefs, entre auteur et lecteur. C’est parce que la nomination
remplit une fonction d’engendrement du texte que le décodage des signes
d’identité permet réellement de mesurer l’investissement de l’auteur dans
son personnage.
Le nom de famille offre, semble-t-il, moins d’attrait et de plasticité que
le prénom aux auteurs de romans autobiographiques. Soit ils adoptent leur
nom patronymique, soit, pour diverses raisons, ils le laissent de côté, mais
rarement ils en jouent. Sous réserve d’inventaire, on ne voit guère, pour
oser l’altérer sans modifier leur prénom, que Lucien Bodard nommant le
héros-narrateur de Monsieur le Consul 50 ‘Lucien Bonnard’, et François
Weyergans baptisant son alter ego ‘François Weyergraf’ dans Franz et
François 51.
Au rayon des curiosités onomastiques, il faut citer la « naissance » de
Pierre Loti, dont le vrai nom était Julien Viaud. Le Mariage de Loti est
introduit par un incipit relatif au « baptême tahitien » du narrateur, un marin
anglais dont les lettres et le journal constitueront le texte du roman :

Loti, qui jusqu’à ce jour s’était appelé Harry Grant, conserva ce


nom, tant sur les registres de l’état civil que sur les rôles de la
marine royale, mais l’appellation de Loti fut généralement adoptée
par ses amis 52.
L’invention du pseudonyme littéraire est attribuée fictivement à la belle
Rarahu qui ne pouvait prononcer le nom de son amant. Ce baptême permet
à l’auteur de faire coïncider définitivement son pseudonyme d’auteur avec
celui de son narrateur tout en maintenant la fragile distinction de leurs
nationalités. Ensuite, tout au long de son œuvre, tantôt à la première, tantôt
à la troisième personne, ‘Loti’ se racontera et se construira inlassablement
en tant que personnage.

CODAGE

Le codage est un procédé d’agent secret. Il vise à réserver la


compréhension d’un texte à son seul destinataire et à en celer le sens aux
adversaires et aux importuns. En codant le nom du héros, le roman
autobiographique sollicite la sagacité du lecteur qu’il transforme en espion
d’une vie mise en énigme.
Ainsi, pourquoi ‘David Copperfield’ et ‘Jacques Vingtras’ portent-ils
les mêmes initiales que leurs créateurs, Charles Dickens et Jules Vallès, si
ce n’est pour mettre sur la piste de leurs points communs ? Pourtant, cet
indice ne suffira jamais à démontrer une intention autobiographique.
L’initiale commune à ‘Joseph K…’ et à Kafka joue, au contraire, en faveur
d’une lecture fictionnelle et allégorique du Procès. C’est sans doute que
‘K…’, en butte à un univers cauchemardesque, figure, jusque dans sa
typographie, une projection, un saut de l’auteur dans le gouffre de son
propre imaginaire où il ne subsiste, de son identité corrodée, qu’une seule
lettre et trois points de suspension 53.
Dans Femmes 54, sous-titré « roman », Philippe Sollers pose en
apparence une équation plus complexe, à deux inconnues : ‘Will’,
journaliste américain, utilise les services de ‘S’, écrivain renommé, pour
mettre en forme ses souvenirs amoureux. Un certain nombre d’indices
permettent au lecteur averti de réduire facilement cette dichotomie, ‘S’et
‘Will’ s’avérant interchangeables :

Je ne suis pas réellement écrivain, dis-je. C’est vous qui êtes mon
double au pays des doubles 55 !

De retour dans Le Cœur Absolu, ‘S.’ simplifie encore notre tâche


herméneutique en avouant d’abord être l’auteur de Femmes, puis en se
désignant par : « Ph. S. (écrivain) » 56.
Le décodage onomastique devient plus compliqué, et par conséquent
sujet à caution, lorsque le lecteur sagace ne peut invoquer, du nom de
l’auteur à celui du narrateur, qu’un écho sonore, une assonance. C’est le cas
entre Salman Rushdie et ‘Saleem Sinaï’ dans Les Enfants de minuit. Et c’est
également le parti pris par François Mauriac lorsqu’il fait rimer le nom
d’‘Alain Gajac’, narrateur d’Un adolescent d’autrefois 57, avec le sien.
Enfin, plus ténus encore, réduits à une seule lettre, le lien qui unit Hervé
Bazin à ‘Jean Rézeau’ 58, un z phonétiquement central, ou l’initiale
commune à Thomas Wolfe et son héros ‘George Webber’ 59. Il est évident
que, plus l’indice onomastique est ténu, plus il demande à être renforcé par
des indices concomitants. Ainsi, l’identification de ces trois personnages à
leur créateur respectif, Bazin, Mauriac et Wolfe, d’abord conjecturée, se
confirmera à mesure que s’affirmera leur vocation d’écrivain.
Les procédés de codage onomastique que nous avons envisagés jusque-
là pouvaient s’élucider sans sortir du texte romanesque. Si un
renseignement externe est nécessaire pour percevoir un indice
autoréférentiel dans le nom du narrateur, on nomme cette information une
« clef ». Ainsi, le nom du héros-narrateur créé par Knut Hamsun pour sa
trilogie (Sous l’étoile d’automne, Un vagabond joue en sourdine et La
Dernière Joie 60) se nomme ‘Knut Pedersen’. N’importe quel lecteur peut
remarquer l’identité de leur prénom ; mais le soupçon d’identité se renforce
si l’on sait que Hamsun se nommait réellement Knut Pedersen.
On trouve une variation sur ce procédé de codage onomastique dans
Portrait du joueur. Le nom du personnage-narrateur, ‘Philippe Diamant’, y
est codé par synecdoque avec le véritable nom de l’auteur, Philippe Joyaux,
que le lecteur n’est pas censé connaître. Le narrateur raconte par le détail
comment il a choisi pour pseudonyme ‘Sollers’ 61. Ce n’est donc pas son
identité d’écrivain qu’il crypte mais son nom patronymique.
Dans le jeu d’espionnage auquel se livrent l’auteur et le lecteur, le
codage constitue une arme aux mains du premier. En revanche, l’accès au
texte en train de se faire permet parfois au lecteur de surprendre l’écrivain
en flagrant délit d’altération, ou d’occultation, onomastique. Ainsi, le
brouillon du Premier Homme, tel qu’il est édité, trahit son inspiration
autobiographique par les lapsus qui soudain divulguent les noms réels 62.
Celui de la Recherche montre que Proust a raturé maintes occurrences de
‘Marcel’ : l’anonymat qu’il souhaitait conserver à son narrateur était bien
un procédé de codage 63.

ANONYMAT

L’anonymat du protagoniste peut évidemment relever d’une stratégie


fictionnelle. En refusant de nommer leurs héros, Alain Robbe-Grillet 64,
Samuel Beckett 65, Nathalie Sarraute 66 évidaient la notion traditionnelle de
personnage pour ne laisser subsister qu’une subjectivité, une voix,
incertaine, labile et sans cesse au bord de la dissolution, tenant de Kafka
plus que de Proust. Le miroir du protagoniste ne reflétait plus l’auteur, qui
s’en prétendait absent, mais était, au contraire, tendu au lecteur invité à se
reconnaître dans un individu dépersonnalisé, dans un observateur
impersonnel, inconsistant, qui se cherchait sans jamais être assuré de son
identité propre. C’est le dessein que Jean-Yves Tadié prête à l’auteur d’À la
recherche du temps perdu :

[…] pour que chaque lecteur puisse se lire dans le livre, le moi du
narrateur doit avoir une généralité suffisante : non seulement il n’est
pas celui de Proust, mais, dans son absence, il doit n’être celui de
personne pour l’être de tous 67.

Par le biais de l’anonymat, le roman à la première personne retrouverait


ainsi l’objectivité dont se pare le narrateur omniscient. Il s’affranchirait de
tout lien avec la confession autobiographique.
Mais ne peut-on pas soutenir, à l’opposé, que l’anonymat du narrateur
s’inscrit dans une stratégie autoréférentielle ? En refusant de nommer
l’instance énonciatrice, Proust l’élimine et s’apprête à assumer sans
intermédiaire son discours. Dans cette optique, le sujet qui se raconte,
dépourvu d’identité onomastique, renvoie inévitablement au seul individu
qui, dès la page de titre, accepte de prendre en charge le récit, l’auteur. Car
le lecteur a horreur du vide. Et, s’il n’est plus un enfant, il se refuse à entrer
dans le jeu des « livres dont vous êtes le héros ». Dans une de ses lettres,
Proust expliquait :

Je ne sais pas si je vous ai dit que le livre était un roman. Au moins


c’est encore du roman que cela s’écarte le moins : il y a un monsieur
qui raconte et dit je 68.

Fort bien. Mais, le roman étant représentation, comment le lecteur va-t-


il se représenter ce conteur qui est aussi acteur ? Va-t-il l’appeler
respectueusement « monsieur », techniquement « le narrateur », ou, en
narratologue averti, « le point de vue », « l’instance de focalisation » ? Non.
Des critiques aussi éminents que Gérard Genette (tout au long de
« Discours du récit » 69) et Dorrit Cohn (dans La Transparence intérieure 70),
que l’on ne peut suspecter de naïveté, l’appellent tout simplement
« Marcel ».
En laissant vacante la nomination du narrateur, nombre d’auteurs,
sciemment, laissent le champ libre à une interprétation autobiographique du
lecteur. Et, dans la mesure où cette interprétation est confirmée par d’autres
indices, le lecteur l’adopte. C’est ainsi qu’Alfred Roulin propose de Cécile,
roman de Benjamin Constant découvert en 1951, une lecture nettement
référentielle :

[…] Cécile, le second chef-d’œuvre autobiographique de Constant,


où l’on retrouve, sur un mode plus grave, toutes les qualités du
71
Cahier rouge .

Or le narrateur de Cécile reste parfaitement anonyme, tandis que celui


du Cahier rouge est clairement identifié puisqu’il s’agit d’une
autobiographie inachevée, que Constant souhaitait intituler Ma vie.
Remarquons que, d’un point de vue narratif, l’anonymat du « je »
autodiégétique est parfaitement conforme à la logique d’énonciation. Rien
n’oblige ce « je » à décliner son identité. C’est à autrui qu’il revient de le
nommer, soit en parlant de lui à un tiers, soit dans une situation de
communication teintée d’affect. On a vu que la première occurrence du
prénom du narrateur proustien intervient, sous forme exclamative, à la fin
d’une lettre que lui adresse ‘Albertine’ et la seconde dans un élan amoureux
de la même ‘Albertine’ envers ce narrateur 72.
L’identité du narrateur proustien se cherche et se construit au fil des
pages. À l’opposé, l’absence de nomination peut connoter la solitude du
héros, que nul n’appelle et dont l’identité est menacée. La Faim 73, de Knut
Hamsun, nous montre ainsi un personnage sans nom, sans passé et sans
ami, obsédé par la nécessité de cacher sa misère, de paraître un autre qu’il
n’est, de déguiser son identité afin de sauver son amour-propre. Il est
écrivain, mais l’impression de lire un texte autobiographique se dissout à
mesure que se dévoilent ses tendances pathologiques.
Ce refus de nommer le héros-narrateur se rencontre dans des romans
plus récents et plus probablement autobiographiques, en particulier lorsqu’il
s’agit d’un adolescent. Dans La Répudiation 74, de Rachid Boudjedra, par
exemple, l’anonymat du protagoniste synthétise trois dimensions de sa
problématique : d’une part il est en quête de son identité d’adulte ; d’autre
part cet effort est « brutalisé […], calciné […], écrasé » par la violence
paternelle ; enfin, comme ‘Driss’, il porte la voix des adolescents
maghrébins de sa génération. Le personnage se définit donc par ses
manques, sa révolte et sa véhémence revendicatrice. Symboliquement, il
refuse d’endosser le nom du père.
L’anonymat du héros peut très bien se combiner avec un mode de
narration à la troisième personne. À la première page de L’Amant de la
Chine du Nord, Marguerite Duras re-présente l’héroïne :

Elle, c’est celle qui n’a de nom dans le premier livre ni dans celui
75
qui l’avait précédé ni dans celui-ci .

Et elle reprend, en effet, pour la désigner, les termes généraux dont elle
usait dans L’Amant 76 : « l’enfant », « la petite fille », « la petite blanche »
et, surtout, le pronom « elle ». Dans ces textes ouvertement
autobiographiques, le refus de nommer l’héroïne semble parfois une
coquetterie de la romancière, se constituant ainsi, a posteriori, en
personnage de fiction, à la fois ordinaire (une enfant parmi d’autres, une
fille, une blanche) et, par le récit de son histoire d’amour, extraordinaire,
« héroïsée ».
CONSONANCE

Même s’il diffère apparemment de celui de l’auteur, le nom du


protagoniste peut être chargé de connoter leur communauté d’origine
ethnique et culturelle par sa consonance. Ainsi s’entend l’italianité du héros
de John Fante, ‘Arturo Bandini’ 77, ou l’ascendance allemande de ‘George
Webber’ dans La Toile et le roc de Thomas Wolfe. Les doubles de Philip
Roth ont un nom à consonance juive : ‘Eli Peck’ 78, ‘David Kepesh’ 79,
‘Nathan Zuckerman’ 80. Henry Roth, quant à lui, choisit le seul prénom de
‘David’ pour désigner le petit immigré juif de L’Or de la terre promise 81.
Fréquemment, les interlocuteurs du héros déduisent son origine de la
sonorité de son nom. Ainsi le professeur du Gone du Chaâba, après avoir lu
sa « fiche de renseignements » :

– Comment se prononce votre prénom en arabe ? demande-t-il sur


un ton amical.
[…] Comment lui dire que je n’ai pas envie de dévoiler ma nature à
tous ces élèves qui sont maintenant en train de m’observer comme
une bête de cirque ? […]
– On dit Azouz, m’sieur.
– Vous êtes algérien ? !…
[…] Maintenant je suis pris au piège. Plus d’issue possible 82.

Le prénom d’‘Alexander Portnoy’, héros de Portnoy et son complexe 83


de Philip Roth, et celui d’‘Henry Molise’, autre double de John Fante 84,
nous introduisent déjà dans la dimension dynamique de l’identité culturelle
dans la mesure où ils signalent un processus d’acculturation : les parents
juifs aussi bien qu’italiens ont souhaité donner un prénom bien américain au
fils né dans le pays d’accueil. Il doit désormais assumer une identité double.
Quant à la triple ou quadruple identité du héros des Années-lumière 85,
de Rezvani, elle fluctue au gré de ses tuteurs successifs : alors qu’il était
‘Boris’ pour sa mère russe, il est inscrit sous le nom de ‘Cyril Rubioza’
dans un internat de confession orthodoxe, et son père, d’origine iranienne,
l’appelle ‘Cyrus’.
Tous ces personnages ont en commun d’appartenir à des minorités
immigrées. Aux difficultés inhérentes à l’insertion dans le monde des
adultes s’ajoutent pour eux les problèmes liés à l’intégration dans une
société étrangère. Leurs créateurs se retournent vers leur passé d’immigrés,
ou de fils d’immigrés, et mettent l’accent, dans une langue d’emprunt, sur la
spécificité de leur double identité culturelle. Le nom du personnage exhibe,
à l’intention du public du pays d’accueil, les tensions interculturelles qu’a
dû affronter l’auteur en tant qu’individu et en tant qu’écrivain.
De surcroît, dans les cultures traditionnelles dont ils sont originaires, la
religion constitue l’élément fédérateur de l’identité du groupe. Celui-ci
intronise ses membres en les baptisant : ‘Nathan’ et ‘David’ sont juifs,
‘Driss’ et ‘Azouz’ musulmans, ‘Cyril’ orthodoxe. Cette étiquette
onomastique marque l’ancrage culturel par rapport auquel le héros va se
définir.
Enfin, il arrive que le nom de l’auteur convienne mieux au personnage
que son nom fictif. Tel est le paradoxe soutenu par Alfredo Bryce-
Echenique lorsqu’il entraîne ‘Martin Romaña’ sur les traces de ses ancêtres
originaires d’Écosse et du Pays basque 86. Or, de par la consonance de son
double nom, c’est évidemment Bryce-Echenique, non ‘Romaña’, qui peut
revendiquer ces deux origines. L’enquête généalogique renvoie le
personnage à son statut de prête-nom.

Identification biographique
Le mot « identité », fil d’Ariane de ce chapitre, est tressé de plusieurs
sens. Dans son acception administrative et policière il désigne les nom,
prénoms, date et lieu de naissance, adresse, qui figurent sur la « carte
d’identité ». Cette identité caractérise, en principe, chacun d’entre nous de
façon immuable. En termes de relation logique, « identité » est synonyme
de similitude, d’équivalence. Jouant sur cette polysémie, j’ai recherché
jusqu’à présent des signes d’équivalence entre l’identité onomastique de
l’auteur et celle du héros-narrateur.
Cependant, la superposition des deux instances d’un récit en première
personne peut se fonder sur d’autres critères que leurs nom et prénoms.
L’identité de tout un chacun ne se définit pas seulement par son état civil
mais aussi par son aspect physique, ses origines, sa profession, son milieu
social, sa trajectoire personnelle, ses goûts, ses croyances, son mode de vie,
etc. Cette identité-là, contrairement à la première, n’est pas statique, donnée
une fois pour toutes, mais dynamique, acquise, construite et, sans cesse,
évolutive. Or, qui dit évolution dit tensions, conflits et dialectique.
Les poéticiens, qui, jusqu’à présent, n’ont guère pris en considération la
pragmatique de la réception, ont érigé l’identité onomastique en critère
unique de la distinction entre fiction et autobiographie. Statique, ce critère
était d’un emploi commode. Mais, si on veut comprendre les processus de
superposition auteur-narrateur dans le roman, il est nécessaire d’aller au-
delà et d’étudier comment le romancier autobiographe suggère une analogie
entre la construction de sa propre identité et celle de son héros.
Pour comparer l’identité dynamique du personnage et celle de l’auteur,
le lecteur transgresse nécessairement les limites du texte. Comme nous le
verrons dans le chapitre suivant, il puise ses informations dans le péritexte
(préface, prière d’insérer, apparat critique) et, au-delà, dans toute son
« encyclopédie » personnelle. Selon l’édition dont il dispose, selon
l’étendue de ses connaissances, selon l’attention qu’il prête aux différentes
informations disponibles, le lecteur va avancer, sur l’identité du personnage,
des hypothèses diversement étayées. Et ce travail de « coopération
textuelle », pour reprendre l’expression d’Umberto Eco 87, peut
virtuellement se poursuivre indéfiniment, tant que de nouvelles
informations sur l’auteur et ses intentions sont disponibles.

DATE, LIEU, SIGNES PARTICULIERS, STATUT SOCIAL

À l’intersection de l’identité statique et de l’identité dynamique se situe


l’inscription dans le temps : notre date de naissance figure à titre définitif
sur notre carte d’identité tandis que notre âge change tout le temps. Le
romancier autobiographe dispose donc de deux catégories temporelles pour
faire coïncider sa position dans le temps avec celle de son héros. Ils peuvent
décliner la même date de naissance ou le même âge. Dans les deux cas, le
repérage de cette coïncidence dépend d’informations externes au texte.
Ainsi, en ce qui concerne la date de naissance, la première édition
française des Enfants de minuit nous informe, en quatrième de couverture,
que Salman Rushdie est né, comme ‘Saleem Sinaï’, en 1948, tandis que
l’édition de poche omet de le préciser. ‘Jerome Charyn’, héros de Poisson-
chat, est né en 1937 88, tout comme Jerome Charyn, l’auteur, dont la
biographie est résumée dans le prière d’insérer de l’édition française.
‘Patrick’, narrateur et enquêteur dans De si braves garçons, est né en
1945 89 : la première édition n’encourage pas de rapprochement avec l’année
de naissance de Patrick Modiano, ou suppose son lecteur suffisamment
informé, tandis que l’édition au format de poche est pourvue d’une courte
notice biographique précisant cette donnée.
Bien entendu, les indices temporels, pas plus que les indices
onomastiques, ne peuvent suffire à démontrer le caractère autobiographique
d’un récit. Il n’y a rien de remarquable à ce qu’un personnage de roman soit
contemporain de son créateur. En revanche, la moindre disjonction
temporelle suffit à ruiner l’interprétation référentielle que d’autres indices
suggéraient. On en trouve un exemple dans un autre roman de Modiano,
Les Boulevards de ceinture 90. Ce récit d’une quête du père présente
certaines marques d’autobiographie auxquelles le lecteur se laisse d’abord
prendre : narrateur écrivain, structure rétrospective, description de
documents d’époque, investissement affectif des lieux de mémoire,
problématique familiale. Il faut attendre la page 112 pour trouver une
indication claire de l’époque où se déroule cette enquête, l’Occupation :

Il ne se passe pas un jour sans que des rafles se produisent.

Au regard de la date de naissance de l’auteur, rappelée dans l’avant-


texte, toute interprétation étroitement autobiographique devient caduque. Le
récit de la rencontre avec le père s’avoue ensuite pour ce qu’il est,
imaginaire et, sans doute, autofictionnel :

On s’intéresse à un homme disparu depuis longtemps. […] Sur ce


qu’a été sa vie, on ne possède que de très vagues indications souvent
contradictoires, deux ou trois points de repère. […] Alors il ne reste
plus qu’à imaginer. Je ferme les yeux 91.

La structure rétrospective du roman autobiographique justifie souvent


que le narrateur indique son âge au moment de la rédaction de ses
souvenirs, suggérant ainsi d’opérer des recoupements. ‘Portnoy’ annonce
ainsi à son thérapeute qu’il a trente-trois ans 92. Le prière d’insérer de
l’édition « Folio » nous informant que « Philip Roth est né à Newark en
1933 », la mention du copyright initial, 1967, permettent au lecteur curieux
de calculer à quel âge il a composé Portnoy’s Complaint.
L’irruption de l’Histoire dans les histoires personnelles que retracent les
romans autobiographiques peut également soutenir leur réception dans un
registre référentiel, sous réserve que le lecteur dispose d’informations
suffisantes sur le contexte. Comment comprendre L’Insurgé, par exemple,
sans avoir présente à l’esprit la participation de Vallès à l’insurrection de la
Commune ? Comment sentir la menace que fait peser la guerre sur
l’Algérie dans Le Premier Homme sans rien savoir du drame alors vécu par
Camus ?
Pour des auteurs moins connus, ce type d’information historico-
biographique va faire défaut, ou bien ne va pas atteindre tous les lecteurs.
Ainsi, les circonstances dans lesquelles Doubrovsky et sa famille, porteurs
de l’étoile jaune, ont échappé à la déportation en 1943 n’ont pas, à notre
connaissance, été vérifiées. De même, trop peu de lecteurs sans doute ont eu
accès au « Petit historique du désastre de mai 1940 au 31e dragons » paru
dans la Revue des sciences humaines en 1990. Ce récit de Claude Simon,
précis, laconique et, jusqu’à preuve du contraire, véridique, éclaire pourtant
d’un jour singulier l’expérience de la guerre et de la défaite qui nourrit son
œuvre 93. On m’objectera qu’en principe le texte d’un roman se suffit à lui-
même. Mais l’expérience du lecteur démontre parfois le contraire.
Personnellement, j’avoue avoir lu Le Palace 94 jusqu’au bout sans deviner
que la scène se déroule à Barcelone pendant la guerre d’Espagne et qu’elle
est le fruit d’observations de l’auteur. Ce fut sans conteste au détriment de
l’intelligence et du « plaisir du texte » 95.

La position du personnage dans l’espace peut, comme sa position dans


le temps, rappeler celle de l’auteur. Il est des écrivains, en effet, qui ont tant
de fois mêlé leur ville ou leur terroir à leur œuvre qu’on n’imagine pas
qu’ils aient pu naître ailleurs. Qu’un de leurs personnages évoque son passé
en ces lieux et le lecteur suppose aussitôt que c’est l’auteur qui se souvient
et chante son élégie. L’enfance de ‘Stephen Dedalus’ à Dublin 96, celle de
‘Zuckerman’ à Newark 97, celle de ‘Claudine’ en Puisaye 98 et de ‘Jean le
Bleu’ en Provence 99, comment n’évoqueraient-elles pas les biographies de
Joyce, Roth, Colette et Giono ?
Cette remémoration du lieu de l’enfance va souvent de pair avec une
thématique de l’exil et du déracinement. Le personnage se cherche alors
dans un va-et-vient incessant : entre le Maroc et la France dans les premiers
romans de Chraïbi 100, entre Paris et New York chez Doubrovsky 101. Ou
bien, tels ‘Henry Molise’ dans Mon chien Stupide 102 et ‘Henry Zuckerman’
dans La Contrevie 103, ils rêvent de retourner dans le pays de leurs ancêtres.
À ce point précis, la problématique du roman autobiographique se
retourne. Nous n’avons plus affaire à des éléments biographiques factuels,
publics et vérifiables, mais à une symbolique affective qui est d’ordre
intime, donc invérifiable. Nous sommes passés, en ce qui concerne
l’histoire personnelle de l’auteur, du vrai au vraisemblable. Nous ne
pouvons plus contrôler l’exactitude des faits sur quelque site internet ; au
contraire, c’est le roman autobiographique qui, par la bande, construit
l’image que nous aurons de l’auteur.
C’est en considérant l’identité du héros comme un processus que l’on
peut entrer dans cette dialectique narrative. Car la dynamique de l’identité
ne peut se dire qu’à travers la dynamique d’un récit. Et nous savons bien
qu’il n’y a pas de récit sans volonté de capter la bienveillance du lecteur au
moyen d’outils rhétoriques ; pas de récit non plus sans discours
d’accompagnement, sans dessein démonstratif, sans tri et gauchissement
des faits ; pas de narration, par conséquent, sans procédés fictionnels. Dès
lors qu’il prétend retracer l’histoire d’un individu qui pourrait être l’auteur,
le roman autobiographique tend un piège référentiel auquel le lecteur, avec
délice ou avec réserve, va se laisser prendre.
L’aspect physique participe des deux dimensions de l’identité, statique
et dynamique : définitif, il caractérise suffisamment l’individu pour figurer
sur sa carte d’identité en tant que « signe particulier » ; évolutif, il trahit son
mode de vie, sa culture, sa trajectoire dans la société. Mais le signe
particulier peut aussi être un signe d’élection. Ainsi Balzac, adepte de la
phrénologie, amplifie-t-il le chef de deux héros auxquels il semble
s’identifier, ‘Louis Lambert’ et ‘Z. Marcas’ :
Sa tête était d’une grosseur remarquable. Ses cheveux, d’un beau
noir et bouclés par masses, prêtaient une grâce indicible à son front
[…] la beauté de son front prophétique […] 104.
L’animal de Marcas était un lion. Ses cheveux ressemblaient à une
crinière, son nez était court, écrasé, large et fendu au bout comme
celui d’un lion, il avait le front partagé comme celui d’un lion par
un sillon puissant, divisé en deux lobes vigoureux 105.

Il n’est que de se reporter aux portraits de l’écrivain pour lui reconnaître


cet aspect caractéristique. La situation se complique lorsque le texte situe le
parallèle au niveau psychologique, car l’intériorité, se dérobant aux
procédures de vérification, est toujours soupçonnable de fictionnalisation.
Le lecteur préférera s’appuyer sur les faits, la vie publique de l’auteur, sa
carrière professionnelle, son inscription dans la société, pour établir des
rapprochements fiables entre les deux histoires. Ainsi pourra-t-il superposer
‘David Copperfield’ à Dickens à partir du moment où il travaille en usine,
106
‘Redburn’ à Melville lorsqu’il est engagé comme mousse , ‘Martin Eden’
107
à Jack London dès qu’il se met à écrire après sa journée de labeur , et le
108
‘voleur’ à Genet en raison de leur itinéraire commun .
Ayant confondu le positionnement spatio-temporel de l’auteur et du
personnage, le lecteur risque alors d’embrayer sur une réception purement
autobiographique. Or, Jean Genet s’en explique dans le Journal du voleur,
le roman autobiographique ne pousse sur le terreau des faits que pour se
déployer dans le monde du mythe :

Le but de ce récit, c’est d’embellir mes aventures révolues, c’est-à-


dire d’obtenir d’elles la beauté, découvrir en elles ce qui aujourd’hui
suscitera le chant, seule preuve de cette beauté. […] Par l’écriture
j’ai obtenu ce que je cherchais. […] Non ma vie mais son
interprétation. C’est ce que m’offre le langage pour l’évoquer, pour
parler d’elle, la traduire. Réussir ma légende 109.

Qu’il magnifie la réussite de son héros, comme Dickens, son échec,


comme London, ou son aliénation, comme Genet, le romancier
autobiographe construit sa « légende », le blason de son moi. La forme du
roman lui permet de se représenter fictivement dans une attitude
d’affirmation publique de son identité personnelle.
Le danger d’illusion autobiographique disparaît lorsque la comparaison
tourne court. Ainsi, l’homologie entre auteur et personnage cesse à la mort
de ‘René’ et de ‘Louis Lambert’ 110. Que le narrateur de Pseudo 111 ou de
Poisson-chat 112 se laisse enfermer dans un hôpital psychiatrique restitue
également à ces récits un statut (auto) fictionnel. De même, aucun lecteur
n’imputera au doux Modiano le meurtre commis par le héros des
113
Boulevards de ceinture .
Ces divergences flagrantes marquent la volonté de l’auteur de couper
court au processus de lecture qu’il a induit et de brouiller les pistes. On
pourrait les comparer à des aiguillages qui, brusquement, modifient la
trajectoire de l’interprétation référentielle pour l’orienter sur une voie
fictionnelle. Ces changements de direction rappellent en tout cas au lecteur
que l’identification biographique ne peut pas constituer un critère stable et
suffisant de classement générique, car la plupart des données épitextuelles
sur lesquelles elle se fonde sont elles-mêmes entachées de fictionnalité.

Identification professionnelle
S’il est un trait biographique du personnage qui autorise, à lui seul, son
identification avec l’auteur, c’est l’activité d’écrivain. Cette identification
professionnelle présente l’avantage de ne nécessiter aucun recours au
paratexte : écrivain, l’auteur l’est, incontestablement, son livre l’atteste. S’il
attribue cette manie à son héros, il signale ipso facto, par le moyen le plus
simple et le plus efficace, un point commun entre eux ; il instaure un effet
de miroir qui va structurer leur relation, donc déterminer l’appréciation
générique du texte par le lecteur. Comment caractériser son fonctionnement
pragmatique ?
Premier point : il ne s’agit pas d’un critère nécessaire et suffisant. De
nombreux romans peuvent être reçus dans un registre référentiel, en raison
d’une convergence d’indices probants, sans que le héros soit écrivain. Soit
le récit s’en tient à la période de formation du personnage, enfance,
adolescence. Soit il est centré sur une crise affective qui maintient, pour un
temps, le héros à l’écart de sa vie professionnelle : c’est le cas du Premier
Homme, dans lequel le héros de Camus revient, toutes affaires cessantes,
sur les lieux de son enfance.
Cependant, lorsque l’absence d’identification professionnelle ne peut
être justifiée par aucune de ces deux contextures temporelles la teneur
autobiographique du roman tend à s’affaiblir. Benjamin Constant et Eugène
Fromentin, par exemple, ne font pas de leurs protagonistes des écrivains,
bien qu’ils suivent leurs destinées d’adultes sur plusieurs années. En
conséquence, si on détecte une intention autobiographique dans Adolphe,
Cécile 114 ou Dominique 115, ce ne peut être qu’en imputant les traits de
caractère des protagonistes aux auteurs sur la foi de documents paratextuels.
Il faut d’ailleurs observer que Constant, essayiste, homme politique, et
Fromentin, peintre, n’ont écrit qu’un ou deux romans. Cela explique sans
doute, d’une part, qu’ils ne caractérisent pas leur héros par cette activité et,
d’autre part, qu’ils choisissent un canevas d’autobiographie fictive. Dans ce
schéma conventionnel, en effet, l’auteur allégué est généralement un
écrivain d’occasion qui tient son journal ou livre le récit d’une aventure
exceptionnelle sans prétention littéraire. Et le contraste entre la littérarité du
texte et cette allégation d’amateurisme souligne la supercherie.
Inversement, tout personnage-écrivain n’incarne pas l’auteur. Nul ne
chercherait quelque intention autobiographique dans les Fictions où Borges
retrace successivement les carrières littéraires de ‘Pierre Ménard, auteur du
Quichotte’, d’‘Herbert Quain’ et de ‘Jaromir Hladik’ 116. Cependant, malgré
les signes de fictionnalité qui saturent ces nouvelles, le lecteur va déceler,
sous l’identité professionnelle des héros et de l’auteur, non seulement un
dessein satirique ou ironique, mais aussi une réflexion – dans les deux sens
du terme – sur le métier d’écrivain. C’est que le héros-écrivain comporte un
potentiel réflexif auquel l’auteur ne peut guère se soustraire. Selon le type
de réception qu’il recherche, il va s’efforcer de neutraliser ce potentiel ou,
au contraire, de l’utiliser à des fins autoréférentielles.

PROFESSION CONTIGUË

Pour affaiblir la connotation autobiographique de l’identification


professionnelle, l’auteur peut tenter une manœuvre de déplacement en
attribuant à son personnage une position professionnelle contiguë à sa
propre position de romancier. Dans la mesure où la structure du récit est
rétrospective, cette contiguïté risque de valoir antériorité : le lecteur
supposera que l’auteur en est passé par là.
Les professions liées à l’écriture en général et à la littérature en
particulier se prêtent bien à ce type de stratégie. Le héros peut être
journaliste, à l’image de ‘Jacques Vingtras’ ; comédien, tel ce héros de
Hanif Kureishi qui joue un rôle d’émigré de la seconde génération 117 ; ou
encore linguiste, comme ‘Geoffroy Gaiffier’ dans Blanche ou l’oubli 118 ;
toutes activités centrées sur un problème de représentation.
Plus proche encore de l’écrivain, le héros-narrateur de Fils enseigne la
littérature à l’Université. Chaque fois que le récit est interrompu par son
commentaire de telle ou telle œuvre, le lecteur entend la voix
métadiscursive de Doubrovsky défendant les valeurs qui fondent son propre
projet littéraire.
Lorsque le héros s’adonne à l’écriture, ce peut être par nécessité
intérieure, sans souci de publier, sous forme de journal ou de notes. On
rejoint alors le topos de l’autobiographie fictive, sauf si d’autres indices,
textuels ou péritextuels, attribuent à l’auteur allégué une stature d’écrivain.
Le narrateur de Louis Lambert 119, par exemple, considère le « Traité de la
volonté » écrit par le héros comme une œuvre de première importance dont
la perte constitue une « catastrophe ». Dans une préface fictive aux Cahiers
d’André Walter, ‘P.C.’ loue le talent de l’auteur allégué, son « ambition
littéraire » et la diversité de son œuvre 120. ‘Louis Lambert’ et ‘André
Walter’ ne sont donc pas des écrivains d’occasion, dont le témoignage ne
présenterait qu’un intérêt documentaire, mais, bien qu’ignorés, des auteurs
considérables. Les fragments de leur œuvre qui sont livrés au public
témoignent de la profondeur philosophique du premier, du style brillant et
passionné du second. Balzac et Gide appellent ainsi l’attention, et la
bienveillance, du lecteur sur leurs propres capacités professionnelles.
Louis Lambert met en œuvre un second procédé de déplacement : le
héros n’est pas romancier mais penseur, métaphysicien, « voyant ». Il
s’exprime dans un registre que l’auteur de La Comédie humaine semble
juger plus noble que le roman. En revanche, il est frappé d’impuissance au
seuil de l’âge adulte et ne laissera que des fragments quasi
incompréhensibles. Rien ne reste non plus des œuvres de ‘René’. Une seule
phrase suggère qu’il s’est adonné, en amateur, à la poésie : « Jeune, je
cultivais les Muses. » Rêveur, velléitaire et stérile, ‘René’, au contraire de
Chateaubriand, ne s’est pas engagé dans la carrière des lettres.
L’engagement dans un processus de communication littéraire marque la
limite au-delà de laquelle il est impossible de les confondre.
Le déplacement générique peut également s’opérer dans l’autre sens,
vers la littérature populaire. Ainsi, dans De si braves garçons de Modiano,
le narrateur principal, ‘Patrick’, prétend écrire « des romans policiers 121 »,
sans qu’on sache si cette activité désigne son métier ou, métaphoriquement,
l’enquête sur ses anciens camarades d’internat qui fournit la matière du
roman.
Jerome Charyn, lui aussi, impute à son héros, ‘Jerome Charyn’, la
pratique d’une littérature alimentaire lorsqu’il écrit, pour des revues
minables, des récits pseudo-historiques sur des célébrités oubliées, et « des
contes très simples sur les pirates et les brigands 122 ». Cependant, confronté
à des symptômes de dépersonnalisation, il abandonnera bientôt la
polygraphie pour l’asile, le ping-pong, divers métiers éreintants, quelques
cambriolages à main armée et, pour finir, la prison, toutes formes
d’aliénation. Simultanément le lecteur abandonnera ses hypothèses
d’identification entre les deux ‘Charyn’ pour se résigner à une réception
fictionnelle. Pour neutraliser le potentiel réflexif de l’identification
professionnelle, Charyn ajoute donc à la stratégie du déplacement celle de
la rupture de carrière, et, pour faire bonne mesure, multiplie, au fil des
chapitres, les signes d’invraisemblance. Ce n’est qu’à la fin de ses aventures
que le héros récupérera in extremis son identité d’écrivain pour commencer
à rédiger son histoire.

ÉCRIVAIN PERSONNAGE

Que le protagoniste ait pour vocation d’écrire des romans et la


probabilité d’aveu autobiographique augmente. Les répercussions de cette
identification professionnelle sont largement fonction du mode
d’énonciation. Si le récit est conduit à la troisième personne par un
narrateur omniscient, l’écrivain reste un personnage dépourvu d’autonomie.
C’est l’option que choisit Jack London pour ‘Martin Eden’ :
Ce fut alors que, dans un élan d’inspiration, naquit son grand projet.
Il écrirait. Il serait les yeux qui font voir le monde, les oreilles qui le
font entendre, le cœur qui lui donne l’émoi. Il écrirait sous toutes les
formes. […] Voilà la carrière qui lui permettrait de gagner Ruth. Les
hommes de lettres étaient les géants de ce monde 123.

Le style indirect libre fait assez sentir, dans ce court extrait, la distance
ironique qui sépare le narrateur, absent et indéterminé, du jeune héros
124
enthousiaste ; et il annonce ses désillusions. Huysmans, dans Là-bas ,
utilise de façon plus directe un personnage de romancier, ‘Durtal’, pour le
représenter. Alors que le narrateur de Martin Eden s’accorde le privilège de
125
connaître les pensées de différents personnages , Huysmans filtre tout son
récit à travers la conscience de ‘Durtal’. La focalisation permet de franchir
un degré supplémentaire dans la superposition de l’auteur et de son
personnage écrivain.
Zuckerman délivré et La Leçon d’anatomie, de Philip Roth, également
racontés à la troisième personne à travers le seul point de vue du héros,
ajoutent encore un indice propre à encourager cet amalgame. Philip Roth
invite en effet le lecteur à établir un parallèle entre son livre le plus célèbre
et le plus controversé, Portnoy et son complexe, et un roman de
‘Zuckerman’ intitulé Carnovsky dont le succès bouleverse la vie de son
auteur. Naturellement, il est impossible de ne pas projeter sur Roth le
lancinant sentiment de culpabilité ressenti par ‘Zuckerman’, accusé en
public d’antisémitisme et, en privé, de parricide. L’efficacité de ce signal
autobiographique est fondée sur l’aptitude du lecteur à l’intertextualité, sur
sa capacité à sortir du roman pour le confronter avec d’autres textes du
même auteur.

ÉCRIVAIN NARRATEUR
Second cas de figure : l’écrivain identifiable à l’auteur occupe
également la position de narrateur. Il détient tous les leviers de commande
du texte, et montre, à l’occasion, sa capacité à communiquer directement
avec le lecteur par-dessus la tête des autres personnages. Pour illustrer les
nombreuses possibilités ouvertes par cette configuration, je distinguerai
quatre types d’écrivain-narrateur : « l’enquêteur masqué », « le rêveur
incompris », « le romancier au travail » et « l’écrivain consacré ».
Le premier se rencontre, par exemple, dans les romans de Modiano, où
il s’avance incognito, expert en filatures, interrogatoires discrets,
recoupements et dépouillement d’archives 126. Est-ce la recherche d’un sujet
qui le pousse dans ces investigations minutieuses ou quelque nécessité
intérieure ? Alors qu’il se prétend artisan du langage, le non-dit semble à
tout moment submerger son récit. La tension s’instaure entre une écriture
neutre de procès-verbal et l’hypothèse que ces enquêteurs puissent
représenter l’auteur traquant son passé.
Le « rêveur incompris » est engagé dans un processus de formation,
d’apprentissage, d’éclosion. Son identité d’écrivain s’élabore au fil du texte.
Or, comme je l’ai noté précédemment, la reconstitution d’une construction
identitaire glisse facilement vers la fiction. Tous les épisodes situés entre le
désir d’écrire et la professionnalisation effective forment la trame d’une
légende dorée dont rien ne garantit la véracité. Le héros confie au lecteur
son désir d’écrire et le rend témoin de l’accueil que les autres réservent à
ses projets littéraires. Dans la mesure où ses livres ont été édités, son talent
reconnu, l’auteur soutient, dans le récit des débuts d’un écrivain, deux
discours parallèles : l’un, intradiégétique, qui s’adresse aux personnages
doutant des capacités du héros, l’autre, extradiégétique, au lecteur qui
prévoit son succès.
Ainsi, quand le narrateur proustien rêve d’entretenir Mme de
Guermantes de ses idées de poèmes, c’est en fait au lecteur qu’il confie
l’ancienneté de son désir d’écrire 127. Avoué aux personnages, ce projet se
heurte à leur hostilité (« mon père avait fait une constante opposition à ce
que je me destinasse à la carrière des lettres 128 »), ou à leur philistinisme
(« Jusqu’ici je m’étais seulement rendu compte que je n’avais pas le don
d’écrire ; maintenant M. de Norpois m’en ôtait même le désir 129 »), quand il
ne suscite pas des espoirs impatients (« Mes parents cependant auraient
souhaité que l’intelligence que Bergotte m’avait reconnue se manifestât par
quelque travail remarquable 130 ») ou des encouragements ironiques :

Une fois que je disais mon désir de me mettre au travail :


« Travaillez, devenez illustre, me dit-il. – De qui est cela ? lui
demandai-je. – De Fontanes à Chateaubriand 131.

Le narrateur (l’auteur ?), fort d’un texte enfin abouti, repousse les
marques d’incompréhension qui l’accablaient, et les doutes qui
l’assaillaient, dans un passé romancé et rend le lecteur témoin de son lent
cheminement vers la création. À la fin du Temps retrouvé, prenant le pas sur
ses personnages, c’est au lecteur qu’il expose, sur le mode du discours, les
conceptions esthétiques qui sous-tendent son œuvre.
Les apparitions de notre troisième personnage, le « romancier au
travail », marquent une forte intrusion du narrateur-écrivain dans le récit.
L’œuvre de Céline en offre maints exemples. D’abord dans ses préambules
au présent, émaillés d’anecdotes, de dialogues, puis de digressions
virulentes, de critique littéraire au vitriol. Ce discours autonome, qui diffère
le récit rétrospectif, va ensuite, dans la trilogie allemande, l’interrompre,
pour évoquer la vie et les opinions du protagoniste à l’heure où il écrit. Le
lecteur se verra ainsi notifié, de plus en plus directement, le caractère à la
fois référentiel et éminemment subjectif, passionnel, polémique et violent
du texte célinien.
Enfin, l’« écrivain consacré » se caractérise par sa stature : il occupe le
centre du récit et adresse ses tirades non seulement au lecteur mais aux
autres personnages. Ainsi, dans Regarde, regarde les arlequins !, ‘Vadim
Vadimovitch N.’ retrace sa carrière d’écrivain à l’intention de la femme
qu’il aime tout en donnant une « interview avec la postérité 132 ». Outre ce
double narrataire, ce qui frappe dans le dernier livre de Nabokov, c’est la
mise en place d’une stricte dichotomie des registres narratifs, la carrière du
héros étant traitée sur un mode référentiel alors que sa vie privée semble
entièrement fictionnelle.
En faisant de son héros un écrivain, l’auteur crée un effet de miroir que
le lecteur perçoit comme un indice d’implication personnelle dans le récit.
Il en va de l’identification professionnelle comme de l’identification
onomastique ou biographique : l’auteur a la possibilité de moduler la
prégnance de ce signe en déformant plus ou moins le miroir. La
caractérisation spatiale, temporelle, psychologique ou morale du héros, le
genre de littérature qu’il aime et qu’il produit, le degré de vraisemblance
des situations, le dosage de l’ironie lui permettent de spécifier à quelle
distance il souhaite se tenir de son personnage.
Cependant, il faut bien admettre que l’identification professionnelle
retentit plus profondément dans le texte du roman que toute autre similitude
entre l’auteur et son personnage. Que le héros soit lui-même romancier et
voilà justifiés les commentaires intertextuels et métadiscursifs dont la
portée générique sera étudiée en troisième partie ; voilà subordonnés à un
enjeu esthétique le mode d’énonciation et la structuration temporelle du
récit qui seront abordés par la suite.
Mais, dans l’immédiat, en quête de données complémentaires sur les
rapports qu’entretient l’auteur avec son protagoniste, nous allons sortir du
texte proprement dit pour rechercher dans son environnement des
indications génériques susceptibles d’orienter notre lecture.
1. Cf. Gérard Genette et Tzvetan Todorov (dir.), Théorie des genres, Paris, Éd. du Seuil, coll.
«Points Essais», 1986; T. Todorov, Les Genres du discours, Paris, Éd. du Seuil, coll.
«Poétique», 1978; Théorie de la littérature, textes des formalistes russes traduits par T.
Todorov, Paris, Éd. du Seuil, coll. «Poétique», 1965; T.Todorov, Introduction à la
littérature fantastique, Éd. du Seuil, coll. «Poétique», 1970, rééd. coll. «Points Essais»,
1967, chap. 1; J.-M. Schaeffer, Qu’est-ce qu’un genre littéraire?, Paris, Éd. du Seuil, coll.
«Poétique», 1989; Dominique Combe, Les Genres littéraires, Paris, Hachette, 1992.
2. G. Genette, Fiction et diction, Paris, Éd. du Seuil, coll. «Poétique», 1991, p. 8.
3. P. Lejeune, Le Pacte autobiographique, op. cit., p. 15.
4. F.-R. de Chateaubriand, René, 1802; nombreuses rééditions dont celle des Œuvres
romanesques et voyages, éd. M.Regard, Paris, Gallimard, coll. «Bibliothèque de la
Pléiade», 1969.
5. «Le Lazarillo pose d’emblée ce qui sera la condition essentielle de l’existence du roman
picaresque: l’autobiographie fictive» (D. Souiller, Le Roman picaresque, Paris, PUF, coll.
«Que sais-je?», 1980, p. 25).
6. Sur les préfaces qu’il qualifie de «dénégatives», voir G. Genette, Seuils, Paris, Éd. du Seuil,
coll. «Poétique», 1987; rééd., coll. «Points», 2001, p. 172-174 et 257-261.
7. G.-J. Guilleragues de la Vergne, Lettres portugaises, 1669, sans nom d’auteur; rééd., Paris,
Garnier, 1962, et Paris, Gallimard, coll. «Folio», 1990. L’attribution de ce texte a été
définitivement établie en 1962 par Frédéric Deloffre et Jacques Rougeot. Deux autres
exemples: La Vida de Lazarillo de Tormes [1554], anonyme, parfois attribuée à Diego
Hurtado de Mendoza, et Robinson Crusoé dont Defoe a d’abord refusé de reconnaître la
paternité. Cf. F. Ledoux, éd. de Robinson Crusoé, Paris, Gallimard, coll. «Bibliothèque de
la Pléiade», 1959, p. XII, et R. Demoris, «L’écrivain et son double: savoir et fiction dans le
texte classique (XVIIe et XVIIIe siècles)», dans Les Sujets de l’écriture. Textes réunis par
Jean Decottignies, Lille, Presses universitaires de Lille, 1981.
8. Le procédé est encore employé. Dans Seuils, op. cit., G. Genette mentionne notamment
Jean Santeuil de Proust, L’École des femmes de Gide, Madame Edwarda de Bataille,
L’Immortel de Borges et Le Nom de la rose d’Umberto Eco. On peut ajouter, sans prétendre
clore la liste, Aziyadé de Pierre Loti, Le Loup des steppes de Hermann Hesse.
9. C.A. Sainte-Beuve, Vie, poésies et pensées de Joseph Delorme, 1829; rééd., Paris,
Nouvelles Éditions latines, 1956. Wilhelm Wackenroder l’avait précédé dans cette voie:
Herzensergiessungen eines kunstliebenden Klosterbruders, paru anonymement à Berlin en
1797 (trad. fr. de J. Boyer, Effusions sentimentales d’un religieux ami de l’art, dans
Fantaisies sur l’art, Paris, Aubier, 1945), rassemble des essais d’esthétique, une lettre et
des poèmes attribués à ‘Joseph Berglinger’, ainsi qu’une notice biographique d’une
vingtaine de pages qui doit davantage à la mémoire de l’auteur qu’à son imagination.
10. V. Larbaud, A.O. Barnabooth, ses œuvres complètes, 1913; rééd., Paris, Gallimard, coll.
«Biblos», 1995.
11. F. Pessoa, Livro de Desassossego, écrit de 1913 à 1935, paru en 1982; rééd., 1998; trad. fr.
de F. Laye, Le Livre de l’intranquillité, Paris, Bourgois, 1988; rééd., 1999.
12. P. Lejeune, Le Pacte autobiographique, op. cit., p. 31.
13. Lettre du 17 octobre 1977 citée par Philippe Lejeune dans le chapitre «Autobiographie,
roman et nom propre» de Moi aussi, op. cit., p. 63.
14. S. Doubrovsky, Fils, Paris, Galilée, 1977; rééd., Gallimard, coll. «Folio», 2001. Dans la
réédition, la définition du genre ne figure plus en quatrième de couverture mais en
conclusion d’un résumé liminaire signé «S.D.».
15. S. Doubrovsky, «Autobiographie / vérité / psychanalyse», dans Autobiographiques: de
Corneille à Sartre, Paris, PUF, coll. «Perspectives critiques», 1988, p. 70.
16. Ibid., p. 77.
17. V. Colonna, L’Autofiction. Essai sur la fictionnalisation de soi en littérature, thèse inédite
sous la dir. de G. Genette, Paris, EHESS, 1989.
18. Cette efficience de la poétique répond au vœu formulé par G. Genette, Nouveau discours
du récit, Paris, Éd. du Seuil, coll. «Poétique», 1983, p. 109.
19. V. Colonna, L’Autofiction, op. cit., p. 3.
20. Ibid., p. 2.
21. Copi, La Guerre des pédés, Paris, Albin Michel, 1982.
22. A. Blondin, Monsieur Jadis ou l’école du soir, Paris, La Table ronde, 1970; rééd.,
Gallimard, coll. «Folio», 1972.
23. J. Charyn, The Catfish Man, 1980, trad. fr. de D. Mauroc, Poisson-chat, Paris, Éd. du Seuil,
1982; rééd., coll. «Points», 1999.
24. P. Lejeune, Moi aussi, op. cit., p. 65.
25. G. Genette, Fiction et diction, op. cit., p. 86. G. Genette revient sur ce problème de la
définition de l’autofiction dans Figures IV, Paris, Éd. du Seuil, 1999, p. 32.
26. J. Kosinski, The Painted Bird, 1965; trad. fr. de M. Pons, L’Oiseau bariolé, Paris,
Flammarion, 1966; rééd., «J’ai lu».
27. Cette mise au point générique figure en postface des éditions en langue originale sous le
titre «Afterward». Sur cette affaire, voir Dorrit Cohn, The Distinction of Fiction, Baltimore,
Johns Hopkins University Press, 1999; trad. fr. de C. Harry-Schaeffer, Le Propre de la
fiction, Paris, Éd. du Seuil, coll. «Poétique», 2001, p. 58-60.
28. Aristote, Rhétorique, op. cit., livre I, chap. II, 1357a, p. 88-89.
29. Aristote, Poétique, op. cit., chap. 9, 1451 a 36, p. 65.
30. A. Compagnon, Le Démon de la théorie. Littérature et sens commun, Paris, Éd. du Seuil,
1998, p. 108 et 112.
31. Aristote, Poétique, op. cit., chap. 25, 1461 b 11.
32. G. Genette, «Vraisemblance et motivation», Communications, nº 11, Le Vraisemblable,
1968, p. 5-21; rééd. dans Figures II, Paris, Éd. du Seuil, coll. «Poétique», 1969.
33. T. Todorov, Introduction à la littérature fantastique, Paris, Éd. du Seuil, 1970; rééd. coll.
«Points», 1976, p. 29 et 164.
34. W. Gombrowicz, Ferdydurke, 1937; trad. fr. de G. Sédir, Paris, UGE, coll. «10/18», 1973,
p. 19.
35. C. Dickens, The Personal History, Adventures and Experience of David Copperfield the
Younger, 1850, chap. XVII et XXVII en ce qui concerne les Micawber, chap. XXVI pour Miss
Murdstone.
36. M. Proust, Le Temps retrouvé, dans À la recherche du temps perdu, 1913-1927, rééd. sous
la dir. de J.-Y. Tadié, Paris, Gallimard, coll. «Bibliothèque de la Pléiade», 1987-1989, t. IV,
p. 394.
37. R.M. Rilke, Die Aufzeichnungen des Malte Laurids Brigge, Francfort, 1929; trad. fr. de C.
David, Les Carnets de Malte Laurids Brigge, Paris, Gallimard, coll. «Bibliothèque de la
Pléiade», 1993; rééd., coll. «Folio», 1991, p. 109.
38. P. Lejeune, Le Pacte autobiographique, op. cit., p. 37.
39. La seconde mention de ‘Marcel’ se trouve à la fin d’un «mot» envoyé par ‘Albertine’ au
narrateur: «Quelles idées vous faites-vous? Quel Marcel! Toute à vous, ton Albertine» (La
Prisonnière, dans À la recherche du temps perdu, publié de 1913 à 1927, nombreuses rééd.
partielles et complètes, dont l’éd. citée sous la dir. de J.-Y. Tadié, t. III, p. 663). Pour
Genette, cette «occurrence […] n’est pas sans réserve» («Discours du récit», dans Figures
III, Paris, Éd. du Seuil, coll. «Poétique», 1972, p. 257, n. 2). Pour Jacques Lecarme, il
s’agit d’«une regrettable inadvertance, d’ailleurs posthume» («L’autofiction: un mauvais
genre?», dans Autofictions et Cie, op. cit., p. 228). Pour Jean-Yves Tadié, ce passage
«n’appartient pas à la partie corrigée de l’œuvre, et Proust l’eût sans doute rayé, comme
ailleurs» (Proust et le roman, Paris, Gallimard, 1971, p. 30).
40. M. Proust, La Prisonnière, dans À la recherche du temps perdu, op. cit., t. III, p. 583.
41. P. Lejeune, Le Pacte autobiographique, op. cit., p. 29.
42. M. Proust, Sodome et Gomorrhe, dans À la recherche du temps perdu, op. cit., t. III, p. 51.
43. H. Godard, Poétique de Céline, Paris, Gallimard, 1975, p. 299.
44. H. Godard, Préface à L.-F. Céline, Romans, Paris, Gallimard, coll. «Bibliothèque de la
Pléiade», t. III, 1988, p. XII.
45. F.-R. de Chateaubriand, Mémoires d’outre-tombe, II, 1.
46. D. Chraïbi, Le Passé simple, Paris, Denoël, 1954; rééd., Gallimard, coll. «Folio», 1986.
47. A. Ernaux, Ce qu’ils disent ou rien, Paris, Gallimard, 1977; rééd., coll. «Folio», 1989.
48. Ibid., p. 106.
49. Colette, Les Vrilles de la vigne, 1908; rééd. dans Œuvres, Paris, Gallimard, coll.
«Bibliothèque de la Pléiade», t. I, 1984, p. 1030.
50. L. Bodard, Monsieur le Consul, Paris, Grasset, 1973.
51. F. Weyergans, Franz et François, Paris, Grasset, 1997.
52. P. Loti, Le Mariage de Loti, 1880, paru d’abord sous le titre de Rarahu; rééd. dans Romans,
Paris, Presses de la Cité, coll. «Omnibus», 1989, p. 137.
53. Dans un essai intitulé «H.H.», Maurice Blanchot a étudié la relation de Hermann Hesse
avec les nombreux personnages qui portent ses initiales (Le Livre à venir, Paris, Gallimard,
1959; rééd., coll. «Folio», 1986, p. 227-251).
54. P. Sollers, Femmes, Paris, Gallimard, 1983; rééd., coll. «Folio», 1985.
55. Ibid., p. 563.
56. P. Sollers, Le Cœur Absolu, Paris, Gallimard, 1987; rééd., coll. «Folio», 1989, p. 38-39 et
53.
57. F. Mauriac, Un adolescent d’autrefois, Paris, Flammarion, 1969.
58. H. Bazin, Vipère au poing, Paris, Grasset, 1948, et La Mort du petit cheval, Paris, Grasset,
1950; rééd., LGF, coll. «Le Livre de Poche», 1972.
59. Dans The Web and the Rock, 1939; trad. fr. de J. Michelet, La Toile et le roc, Lausanne,
L’Âge d’homme, 1984.
60. K. Hamsun, Sous l’étoile d’automne [1906], trad. fr. de R. Boyer, Paris, Calmann-Lévy,
1978; rééd., LGF, coll. «Le Livre de Poche», 1982; Un vagabond joue en sourdine [1909],
trad. fr. de R. Boyer, Paris, Calmann-Lévy, 1979; ; rééd., LGF, coll. «Le Livre de Poche»,
1983; La Dernière Joie [1912], trad. fr. de R. Boyer, Paris, Calmann-Lévy, 1979; rééd.,
Gallimard, coll. «Folio», 1994.
61. P. Sollers, Portrait du joueur, Paris, Gallimard, 1984; rééd., coll. «Folio», 1993, p. 76-78.
62. A. Camus, Le Premier Homme [1960], Paris, Gallimard, 1994, p. 138 et 189.
63. J.-Y. Tadié a relevé cinq suppressions de ‘Marcel’ dans les «Cahiers» de Marcel Proust
(Proust et le roman, op. cit., p. 30). Le parti pris de l’anonymat n’est parfois respecté qu’au
prix d’acrobaties remarquables. Ainsi, dans ce dialogue avec Gilberte, extrait de Noms de
pays: le nom (justement!): «“Vous savez, vous pouvez m’appeler Gilberte, en tout cas moi,
je vous appellerai par votre nom de baptême. C’est trop gênant.” Pourtant elle continua
encore un moment à se contenter de me dire “vous” et, comme je le lui faisais remarquer,
elle sourit et, composant, construisant une phrase comme celles qui dans les grammaires
étrangères n’ont d’autre but que de nous faire employer un mot nouveau, elle la termina par
mon petit nom. En me souvenant plus tard de ce que j’avais senti alors, j’y ai démêlé
l’impression d’avoir été tenu un instant dans sa bouche, moi-même, nu, […]» (Du côté de
chez Swann, dans À la recherche du temps perdu, op. cit., t. I, p. 396). Le «petit nom» pas
plus que le narrateur ne seront livrés nus au lecteur.
64. A. Robbe-Grillet, La Jalousie, Paris, Éd. de Minuit, 1957.
65. S. Beckett, L’Innommable, Paris, Éd. de Minuit, 1953.
66. N. Sarraute, Entre la vie et la mort, Paris, Gallimard, 1968; rééd., coll. «Folio», 1992.
67. J.-Y. Tadié, Proust et le roman, op. cit., p. 30.
68. Lettre de 1913 à René Blum, citée par L.P. Quint, Proust et la stratégie littéraire, Paris,
Corréa, 1954, p. 39.
69. G. Genette, Figures III, op. cit.
70. D. Cohn, Transparent Minds, Princeton, Princeton University Press, 1978; trad. fr. de A.
Bony, La Transparence intérieure, Paris, Éd. du Seuil, coll. «Poétique», 1981.
Spécialement la deuxième partie intitulée «La vie intérieure dans le récit à la première
personne».
71. A. Roulin, «Notice» pour Cécile, de Benjamin Constant, Paris, Gallimard, 1951; rééd., coll.
«Folio», 1988, p. 282.
72. Cf. supra, p.33, note 1.
73. K. Hamsun, Sult, Oslo, 1890; trad. fr. de G. Sautreau, La Faim, Paris, PUF, 1961; rééd.,
LGF, coll. «Le Livre de Poche», 1972.
74. R. Boudjedra, La Répudiation, Paris, Denoël, 1969; rééd., Gallimard, coll. «Folio», 1981.
75. M. Duras, L’Amant de la Chine du Nord, Paris, Gallimard, 1991; rééd., coll. «Folio», p. 13.
76. M. Duras, L’Amant, Paris, Éd. de Minuit, 1984.
77. Dans J. Fante, The Road to Los Angeles, 1985 (écrit vers 1935-1936); trad. fr. de B.
Matthieussent, La Route de Los Angeles, Paris, Bourgois, 1987; rééd., UGE, coll. «10/18»,
1987. Wait Until Spring, Bandini, 1938; trad. fr. de B. Matthieussent, Bandini, Paris,
Bourgois, 1985; rééd., UGE, coll. «10/18», 1988; et Ask the Dust, 1939, trad. fr. de P.
Garnier, Demande à la poussière, Paris, Bourgois, 1986; rééd., UGE, coll. «10/18», 1988.
78. P. Roth, Goodbye, Columbus, trad. fr. de C. Zins, Paris, Gallimard, 1962; rééd., coll.
«Folio», 1980.
79. P. Roth, The Professor of Desire, 1977; trad. fr. de H. Robillot, Professeur de désir, Paris,
Gallimard, 1979.
80. P. Roth, Zuckerman Bound, 1979-1985; trad. fr. de H. Robillot et J.-P. Carasso, Zuckerman
enchaîné, Paris, Gallimard, 1981-1987; rééd., coll. «Folio», 1987. Et The Counterlife,
1986; trad. fr. de M. Waldberg, La Contrevie, Paris, Gallimard, 1989; rééd., coll. «Folio»,
1991.
81. H. Roth, Call it Sleep, New York, 1933, rééd. 1964; trad. fr. de A. Albert et L. Rosenbaum,
L’Or de la terre promise, Paris, Grasset, 1968.
82. A. Begag, Le Gone du Chaâba, Paris, Éd. du Seuil, 1986; rééd., coll. «Virgule», 1996, p.
208-209.
83. P. Roth, Portnoy’s Complaint, New York, 1969; trad. fr. de H. Robillot, Portnoy et son
complexe, Paris, Gallimard, 1970; rééd., coll. «Folio», 1973.
84. Dans Les Compagnons de la grappe et Mon chien Stupide.
85. S. Rezvani, Les Années-lumière, Paris, Flammarion, 1967.
86. A. Bryce-Echenique, La vida exagerada de Martin Romaña, Barcelone, 1981; trad. fr. de
J.-M. Saint-Lu, La Vie exagérée de Martin Romaña, Paris, Éd. du Seuil, coll. «Points»,
1991, p. 46 et 105-106.
87. U. Eco, Lector in fabula, Milan, 1979; trad. fr. de M. Bouzaher sous le même titre, Paris,
Grasset, 1985, p. 82.
88. J. Charyn, Poisson-chat, op. cit., p. 10: «Je suis né en 1937.»
89. P. Modiano, De si braves garçons, Paris, Gallimard, 1982; rééd., coll. «Folio», p. 42.
90. P. Modiano, Les Boulevards de ceinture, Paris, Gallimard, 1972; rééd., coll. «Folio», 1978.
91. Ibid., p. 136.
92. P. Roth, Portnoy et son complexe, op. cit., p. 18 et 141.
93. Notamment La Route des Flandres, Paris, Éd. de Minuit, 1960, et Les Géorgiques, Paris,
Éd. de Minuit, 1981.
94. C. Simon, Le Palace, Paris, Éd. de Minuit, 1962.
95. John Fletcher, dans un article paru en 1981 («Claude Simon: autobiographie et fiction»,
Critique, nº 414, novembre 1981, p. 1211), estime ce parti pris congruent avec le genre
romanesque: «Ni Barcelone, ni l’hôtel Colon ne sont nommés dans Le Palace: c’est à La
Corde raide qu’il faut s’adresser pour ce complément d’information, banal sans doute et
qui n’a certes pas sa place dans le roman.» «La Corde raide, précise-t-il, est un livre
autobiographique de 1947.» Il est malheureusement épuisé.
96. J. Joyce, A Portrait of the Artist as a Young Man, 1914; trad. fr. de L. Savitzky, Dedalus,
Paris, Gallimard, 1943; rééd. avec trad. révisée par J. Aubert, Portrait de l’artiste en jeune
homme, coll. «Folio», 1982.
97. P. Roth, Zuckerman Unbound, 1981; trad. fr. de H. Robillot, Zuckerman délivré, Paris,
Gallimard, 1982; et La Contrevie, op. cit.
98. Colette, Claudine à l’école, 1900; La Maison de Claudine, 1922; Sido, 1930; plusieurs
rééd. dont celle des Œuvres, op. cit.
99. J. Giono, Jean le Bleu, Paris, Grasset, 1932; rééd., LGF, coll. «Le Livre de Poche», 1990.
100. D. Chraïbi, Le Passé simple, op. cit.; Succession ouverte, Paris, Denoël, 1962, rééd.,
Gallimard, coll. «Folio», 1979; et La Civilisation, ma mère…!, Paris, Denoël, 1972; rééd.,
coll. «Folio», 1988.
101. S. Doubrovsky, Fils, op. cit.; Un amour de soi, Paris, Hachette, 1982, rééd., Gallimard,
coll. «Folio», 2001; et, plus encore, Le Livre brisé, Paris, Grasset, 1989.
102. J. Fante, West of Rome, 1985; trad. fr. de B. Matthieussent, Mon chien Stupide, Paris,
Bourgois, 1987; rééd., UGE, coll. «10/18», 1989.
103. P. Roth, La Contrevie, op. cit.
104. H. de Balzac, Louis Lambert, 1836; nombreuses rééd., dont celle de La Comédie humaine,
Paris, Gallimard, coll. «Bibliothèque de la Pléiade», t. XI, 1980, p. 605.
105. H. de Balzac, Z. Marcas, 1840; rééd. ibid., t. VIII, 1977, p. 829 puis 834-835.
106. H. Melville, Redburn, ou Sa première croisière, trad. fr. de A. Guerne, Paris, Gallimard,
1976; rééd., coll. «Folio», 1980.
107. J. London, Martin Eden, 1909; trad. fr. de L. Postif reprise dans Œuvres, Paris, Gallimard-
Hachette, 1965; trad. fr. de C. Cendrée, Paris, G. Crès, rééd., UGE, coll. «10/18», 1973;
nouvelle trad. fr. de F. Kerline, Paris, Phébus, coll. «Libretto», 2001.
108. J. Genet, Journal du voleur, Paris, Gallimard, 1949, rééd., coll. «Folio»; et Notre-Dame-
des-Fleurs, Décines, Barbezat, 1948, rééd., Paris, Gallimard, coll. «Folio», 1976.
109. J. Genet, Journal du voleur, op. cit., p. 230 et 233.
110. H. de Balzac, Louis Lambert, op. cit.
111. R. Gary-É. Ajar, Pseudo, Paris, Mercure de France, 1976.
112. J. Charyn, op. cit.
113. P. Modiano, op. cit.
114. B. Constant, Adolphe, 1806, édité en 1816, nombreuses rééd., dont Paris, Gallimard, coll.
«Bibliothèque de la Pléiade», et coll. «Folio», 1988. Cécile, environ 1811, édité en 1951,
op. cit.
115. E. Fromentin, Dominique, 1806, nombreuses rééd. dont celle des Œuvres complètes, Paris,
Gallimard, coll. «Bibliothèque de la Pléiade», 1984.
116. J.L. Borges, Ficciones, Buenos Aires, 1956, 1960; trad. fr. de P. Verdevoye, Ibarra et R.
Caillois, Fictions, Paris, Gallimard, 1957, 1965; rééd., coll. «Folio», 1974.
117. H. Kureishi, The Buddha of Suburbia, 1990; trad. fr. de M. Courtois-Fourcy, Le Bouddha
de banlieue, Paris, Bourgois, 1991; rééd., UGE, coll. «10/18», 1993.
118. L. Aragon, Blanche ou l’oubli, Paris, Gallimard, 1967; rééd., coll. «Folio», 1972.
119. H. de Balzac, Louis Lambert, op. cit.
120. A. Gide, Les Cahiers d’André Walter, 1891; rééd., Paris, Gallimard, 1930, et coll.
«Poésie», 1986: «un roman […], des notes de voyage en Auvergne, des ébauches de
contes, quelques poésies» (p. 34).
121. P. Modiano, De si braves garçons, op. cit., p. 156.
122. J. Charyn, Poisson-chat, op. cit., p. 209.
123. J. London, Martin Eden, op. cit., p. 92-93.
124. J.-K. Huysmans, Là-bas, 1891; plusieurs rééd., dont Paris, Gallimard, coll. «Folio», 1985.
125. Dans Martin Eden, Jack London théorise d’ailleurs, par la bouche de Ruth, la position
omnisciente de l’auteur en tant que convention inhérente au genre romanesque: «Toute
forme d’art a ses limites […]. En peinture il n’y a que deux dimensions et, cependant, vous
acceptez l’illusion de la troisième dimension que l’artiste a su mettre dans son tableau. En
littérature, de même, l’auteur est tout-puissant. Vous acceptez qu’il rapporte les pensées
secrètes de l’héroïne tout en sachant parfaitement que celle-ci était seule au moment où elle
a formé ces pensées et que personne n’a pu les entendre. […] Il y a certaines incohérences
qu’il faut accepter» (op. cit., chap. 24, p. 223).
126. P. Modiano, Les Boulevards de ceinture, op. cit.; De si braves garçons, op. cit.; Fleurs de
ruine, Paris, Éd. du Seuil, 1991; et Dora Bruder, Paris, Gallimard, 1997.
127. M. Proust, Du côté de chez Swann, dans À la recherche du temps perdu, op. cit., t. I, p. 170.
128. À l’ombre des jeunes filles en fleurs, dans À la recherche du temps perdu, op. cit., t. I, p.
431.
129. Ibid., t. I, p. 444.
130. Ibid., t. I, p. 569.
131. Sodome et Gomorrhe, dans À la recherche du temps perdu, op. cit., t. III, p. 420.
132. V. Nabokov, Look at the Harlequins!, 1974; trad. fr. de J.-B. Blandenier, Regarde, regarde
les arlequins!, Paris, Fayard, 1978, p. 294.
2

Paratexte

J E REPRENDRAI ici la classification des différents éléments du hors-texte


qu’a établie Gérard Genette dans son ouvrage fondateur, Seuils 1, auquel ce
chapitre est plus que largement redevable. Il y regroupe d’abord, sous
l’appellation de « péritexte », tous les éléments textuels ou iconographiques
qui, dans un livre, entourent le texte proprement dit, à savoir : le titre, le
sous-titre, les noms de l’auteur et de l’éditeur, le prière d’insérer, la liste des
ouvrages du même auteur, la ou les préfaces, l’apparat critique, les
illustrations, la dédicace, les épigraphes, les titres des chapitres, les notes,
etc. Il range d’autre part dans l’« épitexte » toutes les informations
disponibles sur un livre : critiques et commentaires, études, interviews,
autres ouvrages de l’auteur, notoriété, etc. Le paratexte est donc constitué
du péritexte et de l’épitexte.
Cette distinction par la localisation doit être complétée,
transversalement, par une distinction fondée sur l’origine du paratexte, qui
peut être auctoriale ou allographe. À ceci près que de nombreux éléments
du péritexte ne sont expressément revendiqués ni par l’auteur ni par
l’éditeur. Le titre n’est pas toujours celui qu’a choisi l’auteur, surtout en cas
de traduction. Les préfaces ne sont pas toujours signées, ni approuvées par
l’auteur du texte qu’elles introduisent. Quant aux interviews, chacun sait
qu’elles peuvent être remaniées sans l’accord de la personne interrogée.
Cette difficulté à situer son origine obère bien souvent la fiabilité du
paratexte.
Quelles sont les fonctions du paratexte ? La première est, dans la
terminologie de Jakobson 2, « phatique » : le paratexte vise à établir un
premier contact entre le lecteur potentiel et le livre. Il met aussi en jeu la
fonction « conative » du langage puisqu’il s’efforce de peser sur l’attitude
du destinataire à l’égard du texte : il l’incite à le lire ou au contraire,
intentionnellement ou non, l’en dissuade ; il exerce fréquemment une
influence préalable sur l’horizon d’attente du lecteur ou une influence a
posteriori sur sa compréhension de l’œuvre.
En troisième lieu, le paratexte remplit une fonction référentielle, dans la
mesure où il fournit des informations sur le texte et sur son auteur.
S’agissant de ce dernier, le paratexte affiche son nom, réel ou pseudonyme,
les titres de ses autres ouvrages, le cas échéant son portrait ou des éléments
de sa biographie. À propos du texte, il peut préciser son genre, ce dont il
traite, pourquoi, comment, par qui, pour qui il est écrit, de quoi il parle.
Au-delà de son rôle de recommandation et d’information, le paratexte
est investi d’une mission d’intermédiaire, de passeur, sur laquelle insiste
Gérard Genette :

Le paratexte n’a pas pour principal enjeu de « faire joli » autour du


texte, mais bien de lui assurer un sort conforme au dessein de
3
l’auteur .

Sa fonction essentielle est donc métalinguistique : il est centré sur le


code qu’utilise l’émetteur pour transmettre son message au destinataire et il
propose à celui-ci des clefs de déchiffrement. Or la spécification générique
constitue, pour le lecteur, une clef de déchiffrement décisive,
particulièrement lorsque le texte se situe sur une frontière indécise entre
référentialité et fictionnalité. La réception d’un texte narratif dans l’un ou
l’autre registre va donc dépendre étroitement du paratexte en tant
qu’interprète du « dessein de l’auteur ». Et nous allons voir que celui-ci ne
dédaigne pas d’utiliser toutes les ressources du paratexte, toutes ses
fonctions, pour fournir des indications génériques. Mais l’éditeur, le
préfacier, le critique, le journaliste, interviennent également dans la zone
paratextuelle pour traduire, ou trahir, les intentions de l’auteur et engager le
lecteur sur la voie d’une appréciation plus ou moins fictionnelle ou
référentielle. Ainsi que nous en avertit Gérard Genette, ces différentes
indications sont susceptibles de se contredire :

Ce que pose un élément du paratexte, un autre élément du paratexte,


ultérieur ou simultané, peut toujours le déposer, et, ici comme
ailleurs, le lecteur doit composer l’ensemble et tâcher (ce n’est pas
toujours si simple) d’en dégager la résultante. Et la manière même
dont un élément de paratexte pose ce qu’il pose peut toujours laisser
entendre qu’il n’en faut rien croire 4.

On ne pourra donc pas faire l’économie d’une étude attentive de ces


entours si l’on veut déterminer les conditions dans lesquelles un roman est
susceptible d’être reçu, à tort ou à raison, dans un registre
autobiographique.

Péritexte auctorial

TITRE
Sous le nom de l’auteur, dont l’effet générique a été examiné dans le
chapitre précédent, figure le titre de l’ouvrage. Sa fonction est de créer une
attente qui s’inscrive dans l’horizon culturel, esthétique et affectif du
lecteur. L’argument d’un texte référentiel peut être résumé en quelques
pages, synthétisé en quelques lignes et, finalement, désigné par son titre qui
sera, idéalement, transparent à son contenu. Une œuvre littéraire, au
contraire, demeure irréductible à une formule ou à un concept. C’est
pourquoi son titre ne la résume pas mais pose une énigme que le texte
développe sans jamais la résoudre complètement. « Un titre doit
embrouiller les idées, non les embrigader », disait Umberto Eco à propos du
Nom de la rose. A fortiori, le titre d’un texte de statut volontairement
ambigu risque fort d’embrouiller nos idées génériques.
Genette oppose les titres thématiques, qui désignent le contenu de
l’ouvrage, aux titres rhématiques, qui annoncent sa forme 5. Ces derniers
sont en principe les plus prescriptifs : ils permettent, par exemple, à l’auteur
d’assigner à un roman, d’entrée de jeu, une forme non romanesque. Nous
parlerons alors d’un titre générique. On sait que le roman adopte volontiers
la stratégie du coucou qui pond ses œufs dans les nids d’autres espèces. Le
roman autobiographique perfectionne encore cette technique de
reproduction en investissant subrepticement des nids, c’est-à-dire des
genres, déjà colonisés par la fiction – la lettre, le journal, le testament, la
confession, les Mémoires –, dont il mimera plus ou moins le
fonctionnement. Ainsi va s’engager un jeu intertextuel, et même, si l’on
peut dire, intergénérique, qui ne prendra tout son sens qu’après le
décryptage sémiotique du texte que le titre encode.
Un titre comme Lettres aux années de nostalgie 6, de Kenzaburô Ôé,
n’annonce pas une forme strictement épistolaire, mais plutôt un ton de
confidence personnelle. Le complément du terme générique donne au titre
une valeur thématique : les « années de nostalgie » laissent prévoir un
discours tourné vers le passé, un point de vue rétrospectif. L’effet d’attente
se construit donc en sélectionnant certaines des connotations culturelles du
genre épistolaire.
Le narrateur de À l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie 7 n’adresse pas à
quelque destinataire une épître dédicatoire. Mais, en postulant d’emblée un
narrataire intime, Hervé Guibert propose au lecteur de surprendre un
discours privé. De même, dans Le Testament français 8, Andreï Makine
utilise les connotations du terme générique « testament » – passé, mort,
secret familial, legs, transmission de valeurs – pour suggérer la dimension
autobiographique du texte.
« Journal », comme « lettre », peut intituler une véritable chronique
intime ou un roman qui en adopte la forme autodiégétique et quotidienne.
Seule l’identité du diariste, comparée à celle de l’auteur, pourra indiquer
une intention autobiographique. Outre son utilité rhématique et thématique,
le titre remplit en effet une troisième fonction, qu’on pourrait nommer
fonction « héroïque ». Il lui suffit pour cela de nommer ou de caractériser le
personnage principal. Cette désignation, dans l’espace réduit de la page de
titre, voisine nécessairement avec la mention du nom de l’auteur : ils
apparaissent l’un en dessous de l’autre, parallèles, symétriques, ils se font
écho. Que, par le graphisme, la sonorité, ou quelque connotation virtuelle,
l’un vienne à refléter l’autre et le lecteur, aussitôt, sera tenté de superposer
les deux instances.
Avec Le Journal d’une femme de chambre, Octave Mirbeau écartait ce
risque : il y avait peu de probabilités qu’il ait exercé ce métier. La
dimension autoréférentielle, en revanche, est stipulée sans équivoque dans
le Journal du voleur par le rappel du passé notoire de Genet, ou dans le
Journal d’un vieux dégueulasse 9 par référence à l’image médiatique de
Bukowski. À ces stratégies d’annonce, on opposera la neutralité du Journal
intime d’A.O. Barnabooth et des Carnets de Malte Laurids Brigge, qui ne
donnent aucune indication sur l’identité du héros, si ce n’est la bizarrerie de
son nom.
Mentionnons au passage deux textes qui se réclament abusivement du
genre référentiel de la biographie. Dans Konjectural Biographie 10, Jean
Paul se livrait, dès 1799, à un exercice avoué, et précurseur, d’autofiction,
puisqu’il imaginait sa vie future d’époux et d’écrivain comblé. Dans
Biographie 11, en revanche, Yves Navarre retraçait sa propre existence
jusqu’au jour de ses quarante ans, ainsi que sa vie au jour le jour pendant la
période où il rédigeait. Dépourvu de déterminant, ce titre strictement
générique renverrait assez clairement au seul nom qui figure sur la
couverture, celui de l’auteur, si la mention « roman » ne venait compliquer
le jeu sémiotique. La même volonté d’illustrer les ambiguïtés d’un genre
référentiel en le faisant glisser sur la pente du roman préside sans doute à
l’intitulé d’Histoire par Claude Simon et des Antimémoires par André
Malraux.

L’emploi du terme « confession » dans un titre signale une intention à la


fois thématique, c’est un aveu, et rhématique, par référence au genre dont
saint Augustin et Rousseau ont établi les paradigmes. Il renvoie au discours
du pénitent dont le destinataire est d’abord Dieu, qui en garantit la sincérité.
La tradition chrétienne de l’examen de conscience prit la forme, en milieu
protestant, des journaux piétistes qui, en Angleterre et en Allemagne, aux
e e
XVII et XVIII siècles, étaient parfois publiés dans un but édifiant. En se

désacralisant, cette pratique a sans doute ouvert la voie à la pratique


moderne de l’autobiographie profane 12.
Ce processus de laïcisation s’est achevé au XIXe siècle. Dans sa préface
aux Confessions d’un mangeur d’opium anglais, qui datent de 1822,
Thomas de Quincey découplait d’ores et déjà confession et contrition :

[…] l’accusation que je porte contre moi-même n’équivaut pas à un


aveu de culpabilité. […] Pour ma part, je puis affirmer, sans porter
atteinte à la vérité ni à la modestie, que ma vie a été dans l’ensemble
la vie d’un philosophe 13.

Le héros de La Confession d’un enfant du siècle, quatorze ans plus tard,


se défendait de sa culpabilité en invoquant le poids des déterminations
historiques. L’auto-accusation n’était plus un préalable à la résipiscence
mais le moteur psychologique d’une intrigue romanesque. Le terme
sacramentel s’était transformé en signe générique purement littéraire, au
point que Melville pouvait sous-titrer Redburn ou Sa première croisière
« Confessions et souvenirs d’un fils de famille engagé comme mousse dans
la marine marchande américaine » sans que son héros ne se souciât de
religion ni ne s’accusât de quoi que ce soit. Il entreprenait simplement le
récit de ses « souvenirs » : les deux termes sont redondants. Néanmoins,
sous le sens acquis de récit mémoriel, la valeur fondamentale de
« confession », aveu en quête du pardon, reste le plus souvent perceptible.
14
Ainsi, la Confession d’un masque laisse prévoir un processus de
dévoilement d’une faute jusqu’alors masquée.
Le titre du roman peut aussi suggérer la spécularité de son propos en se
référant au code d’un genre pictural, l’autoportrait. On pense évidemment
au titre joycien Portrait de l’artiste en jeune homme [A Portrait of the Artist
as a Young Man] 15. Michel Beaujour a démontré que, dans tout autoportrait
16
littéraire, les procédés traditionnels de la persuasion sont à l’œuvre . Les
projets autobiographiques successifs de Joyce illustrent cette prégnance
rhétorique en déclinant les valeurs « héroïsantes » du titre : Portrait de
17 18 19
l’artiste , Stephen le Héros , Giacomo Joyce mettent tour à tour l’accent
sur le pouvoir créateur de « l’artiste », sa stature hors du commun, son
étrangeté. Toutes ces indications sont synthétisées dans le titre définitif qui
met en branle un tourniquet d’équivalences et de disjonctions entre quatre
instances : l’auteur, l’artiste, le jeune homme et le portrait.
Car le titre ouvre d’innombrables possibilités d’insinuation ambiguë.
Pseudo 20 de Romain Gary (alias Émile Ajar) annonce, par exemple, une
problématique de l’identité, tandis qu’Un amour de soi 21 de Doubrovsky
installe sans conteste, sous la référence à Proust, une thématique
narcissique. L’inscription du « je » grammatical sur la couverture intrigue
plus encore, sans doute parce qu’elle tend à supprimer la distinction entre
titre et texte. Ainsi, Je suis un chat est à la fois le titre et la première phrase
de la chronique de Natsume Sôseki 22.
On a vu combien l’attribution au héros de la profession d’écrivain
encourage son identification avec l’auteur. A fortiori, dès que le métier
d’écrire est mentionné en titre, comme dans Après-midi d’un écrivain 23,
L’Écrivain public 24 ou La Tante Julia et le scribouillard 25, le lecteur
s’attend à voir l’auteur dans le miroir du texte.
À la recherche du temps perdu, Un adolescent d’autrefois, Le Vin de la
jeunesse 26, Le Passé simple 27 ou Lettres aux années de nostalgie jouent sur
un ressort différent : l’annonce d’une démarche rétrospective. Le Petit
Chose 28, Le Bachelier, Un enfant 29 laissent prévoir un récit de formation.
La caractérisation par l’âge peut être renforcée ou remplacée par une
caractérisation fondée sur la position familiale ; ainsi dans Fils, Le Fils du
pauvre 30 ou Histoire de ma mère 31. Tout en spécifiant une thématique
générationnelle, le titre en souligne volontiers la généralité (Les Enfants de
minuit, Le Crime des pères 32), voire la banalité (Livret de famille 33).
De nombreux romans, bien que très autobiographiques, n’en laissent
rien transparaître dans leur titre et confient à d’autres signes le soin de
spécifier leur référentialité. Cette contradiction va souvent de pair avec une
attitude de déni, ou au moins de réticence. Ainsi peut-on expliquer que
Nabokov ait intitulé Look at the Harlequins ! (traduit en français par
Regarde, regarde les arlequins !) un texte qui se défend constamment
contre toute intention autobiographique, ou que Paul Auster ait choisi, pour
désigner son ambitieux premier roman, une formule abstraite convenant
mieux à un essai : L’Invention de la solitude 34.
Au lecteur, le titre tend une perche à saisir ou un piège où tomber. Pour
préciser ou contredire son message, il peut s’adjoindre un second signal
préliminaire, le sous-titre.

SOUS-TITRE

La pratique titulaire a connu un tournant vers 1800, lorsque Walter Scott


et Jane Austen ont adopté le titre lapidaire 35. Auparavant, les titres,
accumulant des indications rhématiques, thématiques et héroïques,
occupaient un large espace de la page de couverture. Ces intitulés à
rallonges, que la postérité, pressée, a élagués, avaient l’avantage de donner
une information sur le genre du texte.
Cette information est réapparue sous forme de sous-titres souvent peu
soucieux d’exactitude. Jane Eyre, en 1847, portait la mention trompeuse
« Autobiographie » 36. Et le recueil de souvenirs de Theodor Fontane Mes
années d’enfance était sous-titré, en 1894, « roman autobiographique ». La
mention « roman », dont Goethe et Moritz furent les précurseurs 37, ne s’est
répandue progressivement qu’à partir de 1920 pour indiquer le caractère
fictionnel d’un récit 38.
Cette fonction indicative du sous-titre est aujourd’hui largement
subvertie. On voit de nombreux textes autobiographiques sous-titrés
« roman » alors qu’ils proposent au lecteur, dès l’incipit, un pacte
référentiel. De ce passage en fraude on a avancé plusieurs explications.
D’abord, il n’y a guère d’alternative à l’étiquette « roman ». Ni la
référentialité ni l’ambiguïté ne s’annoncent communément par voie de sous-
titre. D’autre part, un tel avertissement permet de devancer les critiques de
détail portant sur la véracité des faits. C’est ainsi que Fontane justifiait le
sous-titre de Mes années d’enfance :
[…] je n’ai pas envie de me voir attaqué sur la question de
l’authenticité par quelque contemporain encore vivant. Pour les
sceptiques éventuels donc, que ceci soit un roman 39 !

L’allégation de fictionnalité protège aussi l’auteur contre d’éventuelles


récriminations de qui se jugerait diffamé sous les traits d’un personnage. Le
sous-titre remplit alors une fonction juridique et remplace l’avertissement
éditorial : « Les personnages et les situations contenus dans ce livre n’ont
40
aucun rapport avec la réalité . »
La raison principale est ailleurs : par un retournement dont l’histoire des
mentalités est coutumière, le roman, après avoir longtemps été considéré
comme un genre honteux, en est venu à symboliser la littérature par
excellence. Il s’en faut de beaucoup que l’autobiographie, le journal intime
ou le roman autobiographique soient mis sur le même pied. Leur statut, à
cet égard, pourrait se comparer à celui du roman avant 1800 : écrits,
publiés, lus, à l’ombre des grands genres, avec la caution de quelques chefs-
d’œuvre, mais non reconnus en tant que formes littéraires. De même que le
roman a jadis pu prétendre ressortir à des genres plus nobles tels que
l’épopée ou l’histoire, l’écrit autobiographique est tenté d’entrer par
effraction dans le sérail culturel en s’intitulant « roman ».
C’est sans doute pour pallier ce manque de rigueur typologique que le
sous-titre « récit » est apparu vers 1980 41. Il s’oppose, semble-t-il, à
« roman » et encourage par conséquent une lecture référentielle. Tout roman
étant récit, il n’est pas sûr que cette distinction soit perçue par la majorité
des lecteurs. L’avenir dira si, sous l’étiquette « récit », un nouveau genre,
qu’il vaudrait mieux nommer roman autobiographique, est enfin
identifiable. Pour l’heure, aucune définition ni, a fortiori, aucune poétique
ne préside à cette humble désignation générique. Tout comme « roman »,
elle est donc menacée de déperdition sémantique.
Certains auteurs – bien peu – ont été attirés par ce vide terminologique,
symptôme d’une véritable carence de la théorie des genres. Jacqueline
François proposa « roman de mémoire » pour spécifier, par une sorte
d’oxymore, le propos de Joue-nous « España » 42. Thomas Bernhard
caractérisait sèchement L’Origine par la mention « Simple indication » 43.
Jacques Roubaud, sous-titrant Le Grand Incendie de Londres « Récit avec
incises et bifurcations 44 », s’accordait par avance des droits à
l’autocommentaire et à la flânerie narrative.
Si, face à la confusion croissante des genres, les lecteurs se tournaient
vers les auteurs, plutôt que vers les éditeurs ou les critiques, pour obtenir
quelques informations préalables, le sous-titre pourrait retrouver une
véritable fonction d’annonce métadiscursive. Peter Handke répond-il à cette
attente quand il présente Mon année dans la baie de Personne comme « Un
conte des temps nouveaux 45 » ? Tout en se réclamant d’une tradition
narrative orale, il situe son dessein dans la perspective d’une littérature à
venir qui romprait avec les vieilles recettes pour mieux retrouver le plaisir
de raconter. Ainsi affiché comme un manifeste lapidaire, le sous-titre ne se
contente pas d’inscrire le texte dans l’horizon d’attente du public, il tente de
l’élargir.

INTERTITRES, NOTES, DÉDICACE, ÉPIGRAPHE, PRIÈRE D’INSÉRER

Outre le titre et le sous-titre, l’auteur dispose, s’il le souhaite et en


accord avec son éditeur, d’espaces péritextuels complémentaires pour
introduire et commenter son texte. Il faut prêter attention à ces écarts, même
les plus modestes, car ils délivrent souvent de précieux indices génériques.
Ainsi la lecture du sommaire, avec ses intertitres, peut être riche
d’enseignements. Comparons, par exemple, les titres de chapitres de
L’Enfant et ceux de La Toile et le roc. Vallès classe les souvenirs d’enfance
de ‘Jacques Vingtras’ par rubriques dotées de majuscules : « Ma Mère »,
« La Famille », « Le Collège », « La Petite Ville », « La Toilette », etc.
Dans son essai Sur les souvenirs-écrans 46, Freud observe que nos plus
anciens souvenirs apparaissent isolément, détachés de toute continuité
chronologique. Ce n’est qu’à partir de sept à dix ans, suivant les individus,
qu’ils s’inscrivent dans un enchaînement temporel. Vallès pallie cette
carence en adoptant un mode de classement thématique qui regroupe les
premiers souvenirs autour des figures parentales et des lieux familiers. Cette
juxtaposition cédera la place, dans la suite de Jacques Vingtras, à un
ordonnancement chronologique et causal.
Dans une construction plus sophistiquée, Thomas Wolfe subdivise La
Toile et le Roc en livres – dont les premiers sont « La toile et la racine »,
« Le limier de la nuit », « La toile et le monde », « L’année magique » – et
en chapitres intitulés, par exemple, « L’enfance de Caliban », « Deux
mondes à part », « La cité dorée ». La volonté d’ordonner, de remplir de
sens, d’amplifier et de poétiser la vie du héros s’exprime à travers tout un
arsenal de périphrases, de métaphores, d’allégories et d’allusions
mythologiques que le texte illustrera. Ces intitulés permettent de mesurer la
distance et le surplomb d’où le narrateur va raconter, à la troisième
personne, les mésaventures de ‘George Webber’. Ils contrastent avec le
parti pris de « simple indication » choisi par Vallès.
La division en chapitres peut aussi traduire un refus de la mise en récit
linéaire. La structure fragmentaire de Bourlinguer 47 apparaît dans son
(absence de) plan : « Venise », « Naples », « La Corogne », « Bordeaux »,
« Brest », etc., invitent, dans le sillage du titre, à une errance de port en
port. La segmentation n’est plus thématique mais spatiale, comme dans un
guide de voyage.

D’une façon générale, la note de bas de page est un signe générique


référentiel, une « technique d’accréditation du discours savant 48 ». L’auteur
d’un ouvrage scientifique y a recours pour ajouter une précision, discuter un
point de détail, montrer ses sources, ses « références » 49. Dans un roman,
elle tend à rompre le fil de l’histoire et à interposer, entre le lecteur et les
personnages, une instance critique 50. L’auteur peut déléguer ce rôle
intempestif à un personnage fictif tel que le pseudo-éditeur d’Oberman,
assez rustre pour interrompre une belle description de paysage par cette
observation :

Rien n’indique quel lac ce peut être : ce n’est point celui de Genève.
Le commencement de la lettre manque ; et j’en ai supprimé la fin 51.

Loin d’accréditer la réalité matérielle des lettres d’‘Oberman’, ces


interventions fictives signalent l’artifice du procédé épistolaire. D’ailleurs,
Senancour ne concède qu’épisodiquement à cette voix le droit de contester
son porte-parole. D’autres notes, plus nombreuses et plus bavardes,
campent au contraire un commentateur en plein accord avec le héros dont il
épouse et développe les idées 52.
Si elle n’est pas attribuée à un personnage, la note est une forme avouée
d’intrusion auctoriale valant attestation référentielle. Dans Corinne ou
l’Italie, Mme de Staël l’utilise pour faire état de sa documentation, gloser
son récit, l’illustrer de faits divers ou d’anecdotes tirées de son propre
journal de voyage :

Je demandais à une petite fille toscane, laquelle était la plus jolie


d’elle ou de sa sœur ? Ah ! me répondit-elle, il più bel viso è il
mio 53.

La note notifie au lecteur que le roman, bien que traditionnel dans sa


forme hétérodiégétique, est fondé sur des recherches et des expériences
personnelles. Dans L’Amant de la Chine du Nord, les notes auctoriales
remplissent des fonctions hétéroclites. Certaines fournissent des
explications complémentaires ou avouent une défaillance de la mémoire.
D’autres transgressent la limite temporelle que s’est fixée l’auteur, le départ
d’Indochine, pour évoquer l’existence ultérieure des personnages. Lorsque
‘la petite’ se promet d’écrire la vie de sa mère, la note autorise un saut
référentiel dans le temps :

* Le pari a été tenu : Un barrage contre le Pacifique 54.

La dimension autobiographique du roman qui a fait connaître


Marguerite Duras est ainsi attestée. Les autres notes indiquent comment
certaines scènes pourraient être filmées :

En cas de cinéma on aura le choix. Ou bien on reste sur le visage de


la mère qui raconte sans voix. Ou bien on voit la table et les enfants
racontés par la mère. L’auteur préfère cette dernière proposition 55.

Comme les didascalies d’un livret de théâtre, elles commentent le texte


en tant que représentation :

On filme les amants endormis. Le Roman Populaire du Livre 56.

Cette expression majuscule postule que le « Livre » n’est qu’une étape,


le synopsis d’un film à l’eau de rose. Par le jeu des notes, Marguerite Duras
relie d’abord son histoire d’amour au roman qui l’évoquait quarante ans
plus tôt, puis en imagine encore une autre transcription, sur grand écran et
pour un large public.

Les dédicaces de l’âge classique offraient aux auteurs un lieu où


exposer la poétique de leur ouvrage. Reprenant cet usage, Pierre Loti
profitait de sa dédicace de Madame Chrysanthème à la duchesse de
Richelieu pour plaider la référentialité de son propos :
C’est le journal d’un été de ma vie, auquel je n’ai rien changé, pas
même les dates, je trouve que, quand on arrange les choses, on les
dérange toujours beaucoup. Bien que le rôle le plus long soit en
apparence à Madame Chrysanthème, il est bien certain que les trois
principaux personnages sont Moi, le Japon et l’Effet que ce pays
m’a produit 57.

La dédicace peut devenir une clef si le dédicataire est identifiable à un


personnage du récit : ainsi Jour de silence à Tanger, qui raconte la vie
58
solitaire d’un vieil homme, est précédé de la mention « à mon père »,
Marie Cardinal offre le « roman » de sa psychanalyse « au docteur qui m’a
aidée à naître 59 », Panaït Istrati adresse Mikhaïl « à l’âme de Mikhaïl
60
Mikhaïlovitch Kazanski ». Autant de dédicaces qui substituent
explicitement des référents aux acteurs du « roman ».
Par un oxymore provocant, Hervé Guibert dédia Mes parents « à
personne ». Une absence de dédicace n’aurait pas été remarquée. Sa
négativité, en revanche, annonce une forte implication de l’auteur dans son
texte. Le texte se referme pourtant sur un déni : « La haine de la dédicace
61
du livre, bien sûr, était fictive . » Cette rétractation hypothèque
bizarrement le contrat de lecture que la dédicace installait.
Je citerai enfin un cas où la dédicace projette un éclairage référentiel sur
un autre livre dont elle devient l’épitexte. En 1997, Annie Ernaux dédie La
Honte 62 « à Philippe V. ». Quelques mois plus tard, est publié, chez le
même éditeur et sous la signature de Philippe Vilain, L’Étreinte 63,
« roman » racontant une histoire d’amour entre le narrateur et une écrivain,
‘A.E.’, qui l’a séduit par un livre intitulé Passion simple 64. La dédicace de
La Honte corrobore donc, par avance, la référentialité de L’Étreinte.

Entre le titre et le texte s’affiche souvent, outre la dédicace, une citation


qu’on nomme alors épigraphe 65. Quelle fonction peut-elle remplir dans un
roman autobiographique ? En tant qu’autobiographe, l’auteur hésitera à
placer d’emblée son histoire personnelle sous l’égide d’un tiers qui ferait
figure de père littéraire, de mentor, de commandeur dont l’autorité pourrait
s’avérer encombrante. En tant que romancier, en revanche, il sera enclin à
utiliser cet espace intertextuel pour inscrire son œuvre dans une tradition et
inciter le lecteur à chercher, sous la surface de l’anecdote personnelle, une
signification universelle. Dans cette optique, Patrick Modiano emprunte un
vers à René Char, « Vivre, c’est s’obstiner à achever un souvenir 66 », et
Paul Auster un aphorisme à Héraclite : « Qui cherche la vérité doit être prêt
à l’inattendu, car elle est difficile à trouver et, quand on la rencontre,
déconcertante 67. » Sans constituer un indice majeur, l’épigraphe est
susceptible d’indiquer, par une simple manipulation intertextuelle, l’angle
sous lequel l’auteur entend viser la réalité.

Passons au prière d’insérer, qui joue un rôle autrement important dans la


chaîne de la communication littéraire. Gérard Genette en a donné la
définition suivante :

[…] un texte bref (généralement d’une demi-page à une page)


décrivant, par voie de résumé ou tout autre moyen, et d’une manière
le plus souvent valorisante, l’ouvrage auquel il se rapporte – et
auquel il est, depuis un bon demi-siècle, joint d’une manière ou
d’une autre 68.

Après avoir été destiné à la presse, d’où son nom, puis, plus
spécifiquement, aux critiques, il apparaît aujourd’hui sur la quatrième page
de la couverture ou parfois sur les rabats. Dans cette zone étroitement
contrôlée par l’éditeur, la paternité du texte est presque toujours incertaine.
Néanmoins, la signature ou le style du prière d’insérer permettent parfois de
l’attribuer à l’auteur. Dans cette hypothèse, on y recherchera quelques
indications quant au genre du texte. Gérard Genette voit dans le prière
d’insérer de Fils, où Doubrovsky annonçait son projet autofictionnel, « le
seul cas de déclaration générique explicitée non dans une préface mais dans
une quatrième de couverture 69 ». Dans un prière d’insérer signé « F.N. »,
François Nourissier abordait bien la question du genre, mais avec
circonspection :

Il existe en littérature des genres, des tons, des styles. Bratislava,


dans l’esprit de l’auteur, appartient à la confidence plutôt qu’à la
harangue, à la comédie plutôt qu’à la tragédie. Il n’est donc pas
70
interdit de s’y amuser .

Le prière d’insérer de La Séparation, sans doute imputable à l’auteur,


Dan Franck, est un apologue à la deuxième personne qui emprunte à la fois
au code stylistique du roman et à celui de la publicité prescriptive. Le
lecteur y est entraîné d’autorité dans un mouvement de généralisation qui
fonde la nécessité d’écrire et de lire le roman sur une expérience vécue :

Vous choisissez d’écrire. […] Écrire le roman de tous ceux et celles


de votre génération.

Où l’on retrouve l’argument, décliné par Vallès en ses dédicaces, du


témoin porte-parole. Un nouvel usage éditorial veut que, en lieu et place du
prière d’insérer, un extrait du texte soit affiché. Le choix de cet extrait trahit
une certaine idée de l’horizon d’attente des lecteurs. La quatrième de
couverture de Rue des Archives, de Michel Del Castillo, reproduit ainsi les
premières lignes du « roman » :

Depuis des années j’enterrais ma mère. […] Je m’étais longtemps


raconté des histoires pour échapper à la nôtre. Naturellement la
vérité du récit a fini par me rattraper […] en rédigeant ces pages
[…] j’ai seulement désiré mettre un point final au texte qui, depuis
ma naissance, s’écrit en moi 71.

L’auteur promet de renoncer aux faux-fuyants fictionnels et de révéler


toute la « vérité du récit ». De ce vœu il dramatise l’enjeu en laissant
entendre qu’il risque de « mettre un point final » à son inspiration profonde.

En prenant connaissance du nom de l’auteur, du titre et du sous-titre de


l’ouvrage et, le cas échéant, de la dédicace, de l’épigraphe, du prière
d’insérer, le lecteur élabore ses premières hypothèses sur le genre du texte.
Il trouvera peut-être ensuite dans la préface des indications plus précises.

PRÉFACE

Ne traitant dans l’immédiat que de la préface auctoriale, j’examinerai


successivement comment elle peut soutenir la fictionnalité d’un texte que
d’autres indices proclament autobiographique, comment, à l’inverse, elle
peut en suggérer la référentialité, et enfin les effets de son absence.
Dès la fin du XVIIe siècle, l’autobiographie fictive s’annonçait
régulièrement par un avant-texte que Gérard Genette a nommé « préface
dénégative ». Cet avertissement présentait le texte comme un document brut
que l’auteur réel se contentait d’éditer afin de le porter à la connaissance du
public. La dénégation portait sur le genre du texte (ce n’est pas un roman),
et sur l’identité de son auteur (ce n’est pas moi). Elle fonctionnait par
antiphrase, c’est-à-dire qu’elle transmettait un message à l’inverse de son
sens : « C’est un roman dont je suis l’auteur. »
Ce code avait toujours cours au début du XIXe siècle, quand Senancour
et Constant l’ont adopté pour alléguer la fictionnalité d’Oberman et
d’Adolphe. On trouve ainsi dans les « Observations » qui ouvrent Oberman
quelques-uns des topoi du genre. D’abord « l’éditeur » prévient que ces
textes ne présentent aucun intérêt esthétique (« lettres sans art, sans
intrigue ») ou intellectuel (« on n’y trouve ni esprit, ni science »). Ensuite,
comme de juste, « ces lettres ne sont pas un roman », genre dont il
brocarde, en note, les « expressions rebattues ». En revanche, « on y
trouvera des longueurs » parce que « celui qui écrivit ces lettres […] a écrit
sa pensée […] dans l’intimité, et non pour son libraire ». Conformément
aux conventions du genre, cette préface assigne au texte un statut
autobiographique afin d’annoncer une mimèsis du discours intime. Mais
quand, dans un cadre illocutoire de ce type, ses prédécesseurs proposaient
un roman à la première personne, avec des personnages, des péripéties et un
mouvement dramatique, Senancour, au contraire, rapporte des rêveries de
promeneur solitaire, sans but, sans passion et sans intrigue. Quand, d’autre
part, les écrivains du siècle précédent attribuaient à leur narrateur une
identité en tout point différente de la leur, il trace de son héros un
autoportrait reconnaissable. Le lecteur va donc soupçonner un renversement
du code : plutôt qu’un roman fictivement déguisé en autobiographie, n’est-
ce pas une autobiographie dissimulée sous une forme romanesque ?
La préface dénégative classique n’envisage pas ce genre d’hypothèse.
D’où la nécessité ressentie par Benjamin Constant de faire précéder « l’avis
de l’éditeur », fictif, d’une « préface » dans laquelle il s’élève contre une
interprétation autobiographique de son œuvre :

Aucun des caractères tracés dans Adolphe n’a de rapport avec aucun
des individus que je connais. […] Au reste, des écrivains plus
célèbres que moi ont éprouvé le même sort. L’on a prétendu que
M. de Chateaubriand s’était décrit dans René ; et la femme la plus
spirituelle de notre siècle, Mme de Staël, a été soupçonnée de s’être
peinte dans Delphine et dans Corinne. […] Cette fureur de
reconnaître dans les ouvrages d’imagination les individus qu’on
rencontre dans le monde, est pour ces ouvrages un véritable fléau.
Elle les dégrade, leur imprime une direction fausse, détruit leur
intérêt et anéantit leur utilité 72.

Bien qu’elle puisse aussi être qualifiée de dénégative, cette préface


ultérieure diffère en tout point du modèle précédent : l’auteur assume la
paternité du texte et il soutient, sérieusement, sa fictionnalité. Mais il s’y
prend maladroitement : au lieu d’examiner ce qui a pu susciter la « fureur
de reconnaître » qu’il dénonce, Constant fustige en vain l’incompétence du
lecteur. Ce faisant, il lui désigne le point sensible du texte, à savoir la
fragilité du contrat fictionnel. Et, autour de ce problème de communication
littéraire, il opère un regroupement intéressant d’œuvres contemporaines
fondées sur la même problématique générique.
À l’opposé, un romancier peut-il nous déclarer simplement, d’emblée,
qu’il va traiter de sa propre vie ? Dans sa préface à Delphine, Mme de Staël
assignait au roman la fonction d’imiter le ton de l’aveu de façon à
convaincre le lecteur de sa vérité psychologique :

N’estimons les romans que lorsqu’ils nous paraissent, pour ainsi


dire, une sorte de confession, dérobée à ceux qui ont vécu comme à
ceux qui vivront.

Les principes qui sous-tendaient cette déclaration demeuraient


aristotéliciens puisque la préfacière situait le travail du romancier dans le
domaine du paraître, de la mimèsis, et en soulignait la portée universelle.
Mais, bien que triplement modalisé (« paraissent », « pour ainsi dire »,
« une sorte de »), le terme de « confession » ne valait-il pas promesse de
confidences personnelles dans la mesure où il évoquait, pour le lecteur de
1802, à la fois le rite religieux et le texte de Rousseau ?
Cette timide tentative de définition d’un nouveau genre restera sans
lendemain. Le roman autobiographique, au contraire du drame romantique,
ne peut se targuer d’aucune préface-manifeste. C’est sans doute qu’il
préfère recourir au pathos, plutôt qu’à la théorie littéraire, pour capter la
bienveillance du lecteur. Parmi les rares tentatives d’explication préalable, il
faut mentionner celle de Wole Soyinka dans son « avertissement » à
Ibadan, les années pagaille. Bien qu’il ait sous-titré son texte « Mémoires :
1946-1965 », Soyinka le range dans une autre catégorie :

Ibadan n’a pas la prétention d’être autre chose que du docu-roman,


ce genre si dénigré qui tente d’arranger les faits et les événements,
mêlant réalité et fiction en des proportions laissées à l’entière
discrétion de l’auteur. Je l’ai adopté en m’interdisant de franchir la
limite, de créer des faits et des événements ou de déformer l’histoire
73
et le caractère des personnages connus .

Le terme anglais docu-fiction a été créé pour désigner des


reconstitutions filmées d’événements réels. En avouant d’emblée qu’il
« adopte » un procédé analogue, et si peu littéraire, pour raconter une
période de sa vie, en donnant ensuite des exemples de distorsion imprimée
aux faits et aux personnages (par déplacement et condensation), Soyinka se
démarque d’un projet strictement, ou naïvement, autobiographique et
appelle l’attention du lecteur sur son travail de mise en récit.
La courte préface de L’Amant de la Chine du Nord fournit une
information sur sa genèse plus que sur son genre. Marguerite Duras
explique son récit, et « le bonheur fou de l’écrire », par le déclenchement
d’un travail de deuil du personnage éponyme. C’est en s’identifiant
passionnément avec ‘l’enfant’ qui en avait été amoureuse qu’elle a repris
contact avec son univers romanesque :
Je suis restée dans l’histoire avec ces gens et seulement avec eux.
Je suis redevenue un écrivain de romans.

La préface ultérieure est-elle plus propice que l’originale aux aveux


d’autobiographie ? On en trouvera peu d’exemples, parmi lesquels ce texte
écrit par John Fante à l’occasion de la réédition de Bandini :

Le vieil homme que je suis ne peut aujourd’hui évoquer ce livre


sans perdre sa trace dans le passé. Parfois, avant de m’endormir, une
phrase, un paragraphe, un personnage de cette œuvre de jeunesse
m’obsède ; alors, dans une sorte de rêve les mots émergent et tissent
autour de cette vision le souvenir mélodieux d’une lointaine
chambre à coucher du Colorado, de ma mère, de mon père, ou de
mes frères et sœur. […] Je redoute d’être mis à nu par mes propres
œuvres. Je suis certain de ne jamais relire ce livre 74.

Fante ne traite pas de l’intention qui présidait à son roman mais écoute
l’écho qu’il suscite dans sa mémoire. Cet écho renvoie aux souvenirs de
l’enfance désormais inséparables de leur traduction romanesque.
Parmi les rares postfaces, il faut encore citer les deux textes, intitulés
« Après-dire », qu’Aragon a choisi d’ajouter, quatre ou cinq ans après leur
publication, à La Mise à mort 75 et à Blanche ou l’oubli 76. L’objet de ces
commentaires est précisément de mesurer la distance qui sépare les héros de
leurs modèles avoués, ‘Elsa’ et ‘l’auteur’. Dans le premier, le romancier-
poète affiche en pleine page et en gros caractères :

J’avoue oui : Fougère, c’est Elsa Triolet 77

Puis il rapproche le nom de son héros, ‘Anthoine’, de son troisième


prénom, ‘Antoine’ 78. Toutes ses œuvres narratives, précise-t-il, « sont à
divers égards, mêlant la théorie à la pratique, des “arts romanesques” autant
que des romans 79 ». Dans le second, Aragon, comme ailleurs Marguerite
Duras, assigne à son écriture une fonction de deuil et de quête de l’être
aimé. Mais, pour lui, ‘Elsa’ demeurant toujours insaisissable et
inconnaissable, l’invention du personnage constitue un moyen de s’en
approcher par le biais d’expériences heuristiques :

Tout cela, ce sont des hypothèses : des hypothèses pour essayer de


comprendre ce que je n’ai pas su, pas compris, ce que j’ai cherché,
80
ce que je cherche…

Reste à examiner, toujours en compagnie d’Aragon, un dernier cas de


figure, le plus fréquent dans le genre qui nous occupe, à savoir l’absence de
toute préface. Peut-on pousser l’interprétation jusqu’à prêter à cette
abstention quasi générale une signification ? Tiendrait-elle à une spécificité
générique ? On trouve sur ce point dans les deux « Après-dire » le même
argument :

Le vrai est que toute préface à La Mise à mort, dans le principe


même, est une absurdité. Ce roman est à lui-même sa préface, je
veux dire perpétuellement, d’une page sur l’autre 81.
Il n’y a pas de préface possible à Blanche, comme il n’y a pas de
préface à la vie. Une préface à Blanche ne serait que le livre tout
entier répété. Sans en passer un mot 82.

Qu’est-ce à dire ? La préface est un lieu privilégié où stipuler une fois


pour toutes le pacte d’écriture, qu’il soit référentiel (« je vais dire ce qui
est ») ou fictionnel (« je vais inventer »). Or, dans un roman
autobiographique, le libellé de ce contrat se développe en un discours
complexe qui s’infiltre dans le texte lui-même et l’informe. La définition du
contrat devient un des enjeux du texte, qui vole, par conséquent, ses
prérogatives au paratexte. Puisque La Mise à mort, Blanche ou l’oubli, et
combien d’autres romans autobiographiques, élaborent un « art
romanesque », les préfacer reviendrait, pour l’auteur, à les réécrire. C’est
pourquoi les quelques préfaces originales que nous avons rencontrées se
dérobent à leur fonction générique. C’est pourquoi, aussi, les titres, sous-
titres et autres éléments paratextuels imputables aux auteurs n’apportent au
lecteur aucun élément d’appréciation définitif : ils se bornent à postuler
certains termes du contrat que le texte devra compléter, remanier et
négocier avec le lecteur afin d’assurer sa communication.
C’est pourquoi, enfin, l’éditeur va être tenté de se substituer à l’auteur
pour pallier ses carences en matière d’affichage générique.

Péritexte allographe
Nous n’avons envisagé jusqu’à présent, dans le processus de
communication de l’œuvre, que les rôles de l’auteur-émetteur et du lecteur-
récepteur. Or, entre ces deux pôles, le livre passe entre les mains d’un
certain nombre d’intermédiaires. Si l’imprimeur et le censeur ont vu se
réduire, depuis un siècle, leur capacité d’intervention sur le texte, le rôle de
l’éditeur, au contraire, n’a fait que s’accroître.
Bien avant que Jauss n’invente l’expression « horizon d’attente », le
concept était familier aux auteurs, évidemment désireux de rencontrer un
public, et, plus encore, aux éditeurs, dont le métier consiste à scruter et, si
possible, à rejoindre cet horizon. Dans sa fonction de vendeur, l’éditeur se
charge en effet de présenter un « produit » nouveau au « consommateur »
éventuel. Il va donc mettre en valeur la nouveauté et la singularité du livre.
Mais le lecteur ne se contente pas d’un simple dithyrambe. Il a besoin de
situer l’ouvrage dans son univers culturel. Il entend, avant d’acquérir et de
lire le texte, le localiser dans la galaxie de tous les textes disponibles afin de
former une première hypothèse sur sa nature. Ce travail de positionnement,
qui amorce le processus de communication, va se fonder essentiellement sur
la détermination générique. Le genre est le viseur qui permet au client de
situer le texte et au vendeur de « cibler » le client.

SOUS-TITRE, COLLECTION, REGROUPEMENTS, ICONOGRAPHIE

Quelles sont les attentes du public en matière d’information générique ?


S’agissant d’un texte narratif, le lecteur souhaite connaître sa position sur
l’axe fiction/réalité. Si l’auteur ne stipule pas expressément son engagement
personnel à décrire le réel, le lecteur conclura, par défaut, que la finalité du
texte est artistique et son registre fictionnel.
L’éditeur peut entériner cette politique d’information zéro. Sur une
couverture blanche n’apparaîtront que le nom de l’auteur et le titre de
l’ouvrage. Le péritexte sera réduit à sa plus simple expression. Il poussera
plus loin le zèle si, pour soutenir la littérarité du texte, il met en avant (en
gros caractères, en couleurs, en jaquette, en quatrième de couverture, en
devanture des librairies, en encarts publicitaires) le nom de l’auteur, un
succès antérieur, l’attribution de quelque prix, une critique flatteuse.
Occulte, l’influence exercée par l’éditeur sur le titre et sur le contenu du
texte n’est pas perceptible par le lecteur. En revanche, le dévoiement du
sous-titre est facile à mettre en évidence. Les éditeurs apposent
fréquemment l’étiquette « roman » sur des textes autobiographiques pour
signaler une intention esthétique étrangère au tout-venant des Mémoires
signés par telle ou telle célébrité du moment. Le résultat est de brouiller tout
le système générique du lecteur et de contraindre l’auteur, quand on lui pose
la question, à des explications embarrassées. Philippe Lejeune a analysé, en
prenant pour exemple Le Têtard, de Jacques Lanzmann, les effets de cet
abus sémantique sur la réception médiatique 83.
Le prestige du roman a conduit les maisons d’édition à créer des
collections intitulées « Roman », « Biblio-romans », « Points Roman »,
« L’Imaginaire », dans lesquelles elles n’hésitent pas à publier des textes
explicitement référentiels 84, ou au statut pour le moins ambigu 85. On
pourrait conclure de ces rangements typologiques que l’édition promeut le
roman en tant que genre et encourage toujours, au nom d’une certaine
conception de la littérature narrative, une réception exclusivement
fictionnelle des textes narratifs. Il n’en est rien. La majeure partie du
paratexte éditorial s’emploie au contraire à mettre en relief les dimensions
référentielles, et plus particulièrement autobiographiques, du texte.
Quels sont les moyens dont dispose l’éditeur pour soutenir cet argument
paradoxal de référentialité ? La première possibilité, symétrique du cas
précédent, consisterait à éditer un ouvrage fictionnel dans une collection
explicitement référentielle. Telle serait la situation de Roland Barthes par
Roland Barthes, paru dans la collection « Écrivains de toujours » consacrée
à des biographies critiques d’auteurs consacrés, et qui s’ouvre pourtant par
cette injonction en caractères manuscrits : « Tout ceci doit être considéré
comme dit par un personnage de roman. » En l’espèce, le rôle de l’éditeur
s’est borné à autoriser, ou à solliciter, l’usurpation de la fonction de
biographe-critique par l’auteur lui-même, donc la subversion des
conventions qui régissaient la collection. Autobiographe réticent, Barthes
coule ses Mémoires dans un moule éditorial destiné aux portraits et accepte
par là, malgré son incipit paradoxal, de s’inscrire dans un registre
référentiel.
L’éditeur va plutôt manifester sa préférence référentielle à la faveur
d’un regroupement de textes jusque-là épars. Opéré lors d’une réédition, ce
regroupement sera justifié par une préface allographe mettant en évidence
les points communs des textes ainsi mis en parallèle ou en continuité. Une
collection de poche reprend, par exemple, une édition de Constant établie
par Alfred Roulin en 1951. Adolphe y est suivi de Cécile, dont le manuscrit
venait d’être découvert, et du Cahier rouge, autobiographie inachevée.
Roulin entendait bien, par ce rapprochement, favoriser la comparaison entre
les romans et les Mémoires, car il partait du principe que les premiers se
comprennent et s’apprécient mieux à la lumière des seconds.

INFORMATION BIOGRAPHIQUE

Volontairement ou non, l’éditeur influence surtout la réception du


roman par les informations biographiques qu’il donne en prime. Se doute-t-
il, par exemple, qu’en nous communiquant la liste des œuvres « du même
auteur » il risque de confirmer son identité avec le héros-écrivain ? Nous
reportant à cette page, nous apprenons ainsi que le narrateur du Neveu de
Wittgenstein se confond avec Thomas Bernhard puisqu’ils ont écrit l’un et
l’autre un texte intitulé La Perturbation, et que le biographe de Dora
Bruder, dont le premier roman s’intitulait La Place de l’Étoile, n’est autre
que Patrick Modiano.
Quant à la petite notice biographique qui situe l’auteur dans son époque
et retrace sa carrière, elle semble parfois conçue pour être mise en parallèle
avec l’histoire du héros.
L’éditeur a aussi la faculté d’ajouter au texte des « illustrations »
susceptibles d’encourager les comparaisons entre l’image de l’auteur et
celle du personnage. Le procédé n’est pas nouveau : les premières éditions
de René étaient illustrées de gravures représentant le héros sous les traits
bien connus de Chateaubriand. On ignore la part qui revient à l’Enchanteur
dans cette opération de communication. En revanche, on ne saurait
suspecter Joyce d’avoir dirigé l’édition « Folio » 1995 du Portrait de
l’artiste en jeune homme, dont sa propre photo, en jeune homme, orne la
couverture. La quatrième de couverture affirme d’ailleurs que ce « portrait »
est bien un « roman autobiographique » 86.
De nombreuses rééditions comprennent en outre un dossier relatif à
l’œuvre qu’on nomme apparat (ou appareil) critique et qui inclut des
commentaires, des notes, des variantes, des citations de l’auteur et d’autres
écrivains, une bibliographie, divers documents et – mais rarement – un
raton laveur. Plus cet apparat fournit d’informations sur la vie de l’auteur,
sur ses intentions, sur les sources et la genèse de son œuvre, plus il facilite,
s’il ne le préconise pas, un rapprochement avec son héros.
La simple note de commentaire invite nécessairement le lecteur à sortir
du texte pour quérir une information externe. Elle présume que le texte seul
ne suffit pas à sa propre compréhension et nécessite des éclaircissements
intertextuels et référentiels. Si ce décodage tend à réduire le roman à une
série d’emprunts au réel, la réception référentielle s’en trouvera
évidemment encouragée.

AVERTISSEMENT, PRIÈRE D’INSÉRER

Chaque volume de l’édition française de À la merci d’un courant violent


s’ouvre sur cette précision :

Ce livre est une œuvre de fiction. Bien que certains de ses


personnages soient basés sur des personnes réelles, ce roman ne
peut être considéré comme une autobiographie au sens strict du
terme 87.

Comme le remarque Gérard Genette : « Dès l’origine la dénégation de


“toute ressemblance” a pour double fonction de protéger l’auteur contre les
éventuelles conséquences des “applications” et de lancer les lecteurs,
immanquablement, à leur recherche 88. » Que l’avertissement soit sérieux ou
non, et il a été abondamment pastiché, il incite toujours à envisager une
lecture référentielle.
Il en va de même du prière d’insérer : l’éditeur qui souhaite assurer au
texte une réception fictionnelle ne dira rien de son genre. Poser le problème
de la fictionnalité du roman, c’est déjà en suggérer une lecture référentielle.
L’édition française de Poisson-chat arbore en quatrième de couverture des
extraits de critiques dithyrambiques dont la première parut dans Elle sous la
plume de Françoise Ducout : « Plongez-vous dans le Poisson-chat. Roman
ou autobiographie ? C’est certainement le meilleur Charyn. » Entre une
injonction à lire et une appréciation superlative, la question du genre est ici
posée sans recevoir de réponse. L’ambiguïté générique constitue l’argument
central du critique et de l’éditeur, qui font de son élucidation l’enjeu d’un
acte de lecture euphorique.
Le commentaire éditorial se résout rarement à utiliser l’appellation
générique la plus courante, la mieux lexicalisée :

89
Ce roman autobiographique se lit d’une traite .

Il s’emploie davantage à suggérer le genre de l’œuvre qu’à la


cataloguer ; le texte doit conserver une part de mystère générique :

Redburn est peut-être le plus autobiographique des romans de


Melville 90.
Dans ce roman aux résonances autobiographiques, Mishima a peint
un personnage qui se bat continuellement contre ses penchants
homosexuels 91.
Il s’agit là d’une tentative d’autobiographie romancée 92.
Car il s’agit d’une sorte d’autobiographie transposée, mi-imaginaire,
mi-réelle, qui devient un vrai roman – et des plus brillants 93.

Le rédacteur du prière d’insérer s’ingénie à juxtaposer les deux


indications génériques, « roman » et « autobiographie », réputées
contradictoires, en lubrifiant son assemblage à l’aide d’expressions
modalisantes : « peut-être », « résonances », « une tentative de », « une
sorte de ». Il n’appuie pas ses assertions sur des indices textuels (signes
d’identité, intertexte, métadiscours, mode d’énonciation), mais se prévaut
implicitement d’une connaissance intime de l’auteur. C’est dans la mesure
où le lecteur lui reconnaît ce savoir que l’éditeur peut s’arroger le droit de
dicter la bonne approche générique du texte. Au stade ultime de la
prescription de lecture autobiographique, l’hypothèse d’une quelconque
fictionnalisation est abandonnée. Le prière d’insérer renonce à toute
dialectique pour imposer un point de vue résolument référentiel. L’éditeur
garantit la conformité du texte au réel et conclut, dans le dos de l’auteur, un
pacte autobiographique avec le lecteur :

On reconnaîtra ici sous un déguisement très apparent les débuts


dans la vie d’écrivain du jeune Henry Miller 94.
Pour la première fois, Mario Vargas Llosa parle ici à la première
personne et raconte son histoire : « Varguitas » n’est autre que lui et
la tante Julia, fraîchement divorcée, de quinze ans son aînée, a bien
existé. Malgré l’opprobre familial et le rocambolesque
95
bureaucratique, il finira par l’épouser .
Dans Une existence tranquille (1990), qui est une sorte
d’autobiographie détournée, il fait, en filigrane, le bilan de sa
96
création littéraire .

Ces citations témoignent d’une tendance lourde du discours éditorial à


tirer le texte dans le registre référentiel, à axer son accroche sur la personne
de l’écrivain. Ce tropisme tient pour une part à la spécificité du prière
d’insérer : le moyen le plus économique de présenter un roman en quelques
lignes, tout en le valorisant, consiste à superposer l’auteur et son héros, puis
à les réduire à leurs dénominateurs communs. Il tient aussi à des
considérations mercantiles. Mais pas seulement, puisque nous allons voir
des critiques éminents, donc peu suspects de complaisance à l’égard des
éditeurs, développer, dans leurs préfaces, une argumentation analogue.

PRÉFACES

L’édition française de La Faim est précédée de deux courtes préfaces


qui proposent du chef-d’œuvre de Knut Hamsun deux lectures radicalement
divergentes. Dans son « introduction » de 1895, Octave Mirbeau présentait
Knut Hamsun au public français en s’appuyant sur le récit qui venait d’être
traduit :

La Faim est le roman d’un jeune homme qui a faim, voilà tout. […]
Autobiographie, sûrement. […] À vingt-deux ans il quitta la
Norvège, chassé par la misère et la faim 97.

André Gide, en revanche, n’envisageait pas une seconde cette


hypothèse référentielle. Pour lui, ce « livre étrange » décrivait de façon
saisissante « un cas de clinique », un comportement aberrant et excessif
mais plausible. Il y reconnaissait un écrivain capable de repousser les
limites de ce que l’on peut dire sur l’homme 98.
Gérard Genette assigne à la préface allographe deux fonctions
essentielles : une fonction d’information et une fonction de
recommandation 99. Pour éviter de soulever la question de la référentialité,
Gide s’en tient à la fonction de recommandation. Il fonde son éloge sur
l’originalité du texte, sur la force de son analyse psychologique et sur la
place qu’il lui assigne dans l’histoire littéraire. Cette attitude, purement
fictionnaliste, est difficile à tenir lorsque le texte affiche de nombreux
indices d’autobiographie. Refusant de communiquer le moindre
renseignement sur l’auteur et sur l’origine du texte, elle inflige au lecteur un
commentaire abstrait qu’il risque fort d’écourter pour se faire sa propre
opinion sans délai. Mirbeau, au contraire, confond les deux fonctions : il
recommande le livre en tant que reflet de l’auteur et fait état d’informations
confirmant ce rapport spéculaire. La plupart des préfaciers s’inscrivent
entre ces deux pôles.
Les plus consciencieux entrent dans le détail du processus de
fictionnalisation et tentent de faire le départ entre le dessein déclaré et les
mobiles intimes. Henri Tonnelat, par exemple, a donné une préface très
convaincante à Henri le Vert en 1946. De façon tout à fait pragmatique, il
posait d’emblée la question du genre :

Autobiographie ou roman ? C’est une question que se pose presque


involontairement tout lecteur de ce livre, même s’il ne sait rien de la
100
vie de l’auteur .

Puis il retraçait comment le dessein et le genre du récit évoluèrent à


mesure qu’augmentait l’estime de Gottfried Keller pour lui-même et que
son goût de la fiction s’affirmait. Ces remaniements successifs ont
bouleversé l’équilibre générique du texte.
Dans sa préface à Martin Eden, Francis Lacassin se plaçait d’abord dans
la perspective fictionnaliste que Jack London assignait au texte :

Un de mes motifs, dans ce livre, était l’attaque de l’individualisme


(en la personne du héros). Je dois avoir raté mon coup, car pas le
moindre critique ne s’en est aperçu 101.

Puis il relevait les nombreux points communs qui ont légitimement


convaincu les lecteurs d’avoir affaire à un autoportrait. Et, avec la plus
grande habileté dialectique, il concluait : « Jack London n’était pas Martin
Eden mais il le devint », le suicide par lequel l’écrivain imita la fin de son
héros ayant tragiquement entériné leur identification.
Face à un texte ambigu, le préfacier peut se prévaloir d’une
connaissance approfondie de la biographie de l’auteur pour mettre le lecteur
en garde : « À bien des égards, note Sylvère Monod, David Copperfield
ressemble plus à celui que Charles Dickens aurait aimé être qu’à celui qu’il
était vraiment 102. » Et Philippe Garnier, présentant Pleins de vie de John
Fante, nous avertit que « le personnage du père est évidemment une version
idéalisée de son père 103 ».
Et, quand il optera pour une prescription de lecture référentialiste, il
l’assortira de quelque précaution modalisante. Par exemple, un adverbe de
probabilité chez Pierre Mac Orlan identifiant Melville à son narrateur au
détour d’une parenthèse : « Le jeune Redburn (Melville sans doute) pénétra
dans ce port muni d’un vieux plan de la ville 104 » ; ou un adverbe de
quantité impondérable dans une préface signée ‘N.C.’: «La vie de Knut
Hamsun ressemble beaucoup à celle du narrateur de Sous l’étoile
d’automne 105. »
C’est ainsi que la plupart des préfaciers parviennent, d’une façon ou
d’une autre, à éviter le piège tendu par un texte d’apparence
autobiographique : l’explication univoque de l’œuvre par la vie de l’auteur.
Pascal Bruckner n’a pas cette prudence lorsqu’il place à l’origine de
L’Invention de la solitude une circonstance biographique qui n’y est pas
mentionnée : « Paul Auster est devenu écrivain parce que son père, en
mourant, lui a laissé un petit héritage qui l’a soustrait à la misère. »
L’éditeur français reprend cette allégation douteuse en quatrième de
couverture et surenchérit : « Là se trouve – Pascal Bruckner le note
d’emblée dans sa lecture – la clef de voûte du système Auster. » Voilà une
assertion qui demanderait à être démontrée. On s’étonne de la voir assénée
sans preuve dans une préface qui, par ailleurs, s’élève contre
« l’envahissante prolifération de l’autobiographie » dans la littérature
contemporaine. N’y a-t-il pas quelque abus à fonder l’interprétation d’un
texte éminemment complexe sur un épisode d’ordre privé tout en contestant
aux écrivains le droit de se raconter par eux-mêmes ?
Il faut bien voir que le rapport du péritexte allographe au texte est un
rapport de pouvoir. Avant tout contrat de lecture, l’auteur signe un contrat
éditorial qui place son texte sous tutelle. Titre, sous-titre, collection,
présentation, iconographie, prière d’insérer et préface peuvent dès lors
échapper à son contrôle pour imposer au lecteur une interprétation erronée
ou réductrice. Et la traduction augmente encore, selon l’adage, les risques
de trahison.
Fort heureusement, il semble qu’une tendance se dessine en faveur
d’une meilleure information générique. Non que le livre doive être soumis,
comme toute autre marchandise, à une obligation d’étiquetage indiquant les
ingrédients et le mode d’emploi du produit. Ce serait dénier à la création
littéraire son goût du mystère, de l’ambiguïté et de la transgression. Mais il
faudrait admettre, une fois pour toutes, que le paratexte fait partie de
l’œuvre et que, par conséquent, sa maîtrise appartient de plein droit à
l’écrivain. On peut souhaiter, à cet égard, qu’une sorte de code de
déontologie éditoriale reconnaisse à celui-ci pleine et entière autorité sur le
choix du titre, du sous-titre s’il le juge nécessaire, et, pourquoi pas, du mode
de présentation. Les termes du contrat de lecture pourraient ainsi être
affinés, les enjeux génériques précisés. Le lecteur, assuré que le chemin
d’accès au texte a bien été balisé par son créateur, s’y engagerait en
connaissance de cause.
À ce rêve d’une relation directe entre l’émetteur du message et son
récepteur, on objectera judicieusement qu’il n’y a pas de communication
sans idée préconçue. Le lecteur dispose, avant d’ouvrir le livre et après
l’avoir refermé, d’une quantité d’informations externes sur l’auteur, sur le
texte et sur tous les thèmes qu’il aborde. Cette encyclopédie personnelle 106
détermine l’horizon d’attente et la faculté de réception de tout un chacun.
On doit donc, autant que possible, tenir compte de l’« épitexte » pour
mesurer l’effet d’une stratégie générique.

Épitexte
Dans Lector in fabula, Umberto Eco insiste sur la nécessité de sortir
d’un texte littéraire pour le comprendre :

Pour avancer son hypothèse, le lecteur doit recourir à des scénarios


communs ou intertextuels : « D’habitude…, Toutes les fois que…,
Comme cela se passe dans d’autres récits…, D’après mon
expérience…, Comme nous l’enseigne la psychologie… » En effet,
activer un scénario (surtout s’il est intertextuel) signifie recourir à
un topos. Ces échappées hors du texte (pour y revenir riche d’un
butin intertextuel), nous les appelons des promenades
inférentielles 107.

La notion d’épitexte désigne l’ensemble des territoires dans lesquels le


lecteur-promeneur part en quête de topoi, c’est-à-dire de lieux communs à
plusieurs discours. La reconnaissance du genre n’épuise certes pas la
promenade. Mais elle en constitue la première étape, celle qui détermine le
sens du voyage. Car le genre est un topos par excellence, un carrefour où
les textes se croisent et se séparent, une interface entre le texte et
l’encyclopédie du lecteur.
L’épitexte est une notion trop extensive pour être maniée sans
précaution dans sa généralité. Comment prétendre en effet rendre compte de
l’influence sur tous les lecteurs de tous les discours qui ont été tenus sur un
texte, de toutes les images qu’il a fait naître, de toutes les associations
d’idées qu’il a suscitées ? Un texte peut être mis en relation avec n’importe
quel point de son environnement, car toute perception est virtuellement
capable de modifier notre réception de n’importe quel ouvrage. Mais, si
l’épitexte regroupe tout ce qui n’est pas le texte, rien ne le distingue du
contexte ni du référent. Force est donc de fixer des bornes à ce champ
illimité, puis d’y tracer des lignes de démarcation entre des catégories
opératoires.
Les documents épitextuels se différencient d’abord selon leurs supports.
On peut prévoir qu’une part de plus en plus importante de l’information
disponible sur les livres et sur les écrivains sera, dans l’avenir, audiovisuelle
et télématique. Cependant, on s’en tiendra ici, pour l’essentiel, au sens que
dicte l’étymologie du terme, donc à l’épitexte formellement écrit, étant
entendu qu’une partie de ces écrits retranscrivent des propos tenus
oralement.
Dans ce cadre, je procéderai de la même manière que pour le péritexte,
en distinguant épitexte auctorial et épitexte allographe. Dans la première
catégorie, j’examinerai successivement le rôle de l’épitexte d’origine
privée, puis la fonction des interviews, qui sont des discours rapportés par
des tiers, enfin l’incidence des œuvres du même auteur.

ÉPITEXTE AUCTORIAL PRIVÉ

Que peut attendre un lecteur se demandant quelle est la part


d’autobiographie dans un roman des propos tenus par l’auteur en dehors de
ce livre ? Essentiellement trois types d’informations : d’une part, des
données factuelles concernant son identité, sa vie, etc. ; d’autre part, des
révélations sur les conditions d’élaboration du texte ; enfin, son propre
commentaire de l’œuvre, notamment quant à son genre.
L’épitexte privé – conversations, notes, brouillons, lettres, journal
intime – recèle virtuellement ces trois types d’aperçus sur l’origine du
texte : biographique, génétique et générique. Et les informations qu’il
délivre semblent d’autant plus précieuses qu’elles n’étaient pas destinées au
lecteur mais à un confident. L’épitexte intime figurerait donc l’envers du
texte littéraire, son référent dans l’ordre de la vérité. Gageons qu’à ce
schéma simpliste peu de lecteurs de romans autobiographiques adhèrent
sans restriction. Nul n’ignore les ruses que le conscient et l’inconscient
déploient pour que le sujet se mente à lui-même et leurre autrui. Chacun sait
qu’il n’y a pas plus de transparence, et peut-être moins, dans le propos
spontané que dans la parole remaniée. Tout au plus peut-on y repérer les
traces d’un cheminement conduisant de l’expérience individuelle à l’œuvre
littéraire.
Encodée dans le langage, la parole privée ne se lit pas comme le
référent du texte romanesque mais comme un autre texte sur un référent
inaccessible. Un « texte irrémédiablement lacunaire », dit Alain Buisine à
propos des correspondances d’écrivains, « en perpétuel état de
reconstitution, mais à jamais inachevé 108 ». Tandis que le péritexte s’inscrit
et s’appréhende dans le cadre d’un objet fini, le livre, qu’il contribue
d’ailleurs à circonscrire et à structurer, l’épitexte privé recouvre une activité
énonciatrice diffuse, dont la réception est fatalement fragmentaire et
décevante. Il n’est accessible au public que dans la mesure où il est
divulgué, cité, imprimé, par des intermédiaires qui le trient, le coupent et le
commentent selon leur point de vue particulier.
Ces diffuseurs d’épitexte sont des commentateurs qui utilisent les
confidences de l’auteur pour justifier leur analyse générique. Un seul
exemple. Dans l’édition « Pléiade » des œuvres de Colette, Michel Mercier
cite une lettre à André Billy dans laquelle l’auteur confesse la référentialité
de La Naissance du jour :

109
[…] vous avez flairé que dans ce roman le roman n’existait pas .
À propos de La Vagabonde, c’est une annotation portée par Colette en
marge d’un exemplaire imprimé qui est reproduite :

Ici j’entre enfin dans le roman, dans le mensonge. Maxime


110
Dufferein-Chautel ? Connais pas .

Dans sa préface à l’édition de ce texte dans « Le Livre de Poche »,


Nicole Ferrier-Caverivière s’appuie sur la même petite phrase épitextuelle
pour montrer où se greffe la fiction 111 : le soupirant de la narratrice est,
contrairement aux autres personnages, une construction imaginaire.
Néanmoins, ces deux commentateurs ne manquent pas de lui rechercher des
modèles dans la vie de Colette.

DISCOURS RAPPORTÉ
L’interview croise deux discours, dont l’un est auctorial. Elle peut être
orchestrée pour promouvoir un livre, comme celle que Proust donna au
Temps à la veille de publier Du côté de chez Swann 112. Ou, au contraire,
délibérément sabotée :

– Tous vos souvenirs de Voyage au bout de la nuit sont-ils vécus ?


– Si on vous le demande, dites que vous n’en savez rien 113.

Proust et son éditeur ont préparé, dirigé et contrôlé ce qu’on nommerait


aujourd’hui une opération de « communication », tandis que Céline,
craignant qu’on déformât sa pensée, s’est longtemps refusé à tout
commentaire oral.
Traitant de « L’image de l’auteur dans les médias », Philippe Lejeune a
souligné la tendance quasi générale des médiateurs à privilégier une
approche référentielle des romans :
La pente fatale de ce genre de spectacle est d’imposer à tous les
textes une lecture plus ou moins autobiographique : avant même
qu’il ait ouvert la bouche, la présence de l’auteur prend figure
d’aveu 114.

Ce constat appelle deux remarques. Premièrement, le journaliste joue le


rôle de porte-parole des lecteurs. Il suppose, à juste titre probablement, que
ceux-ci se posent, avant toutes les autres, la question du genre et que
l’auteur est susceptible d’y apporter une réponse. Seconde remarque,
l’auteur n’est pas « fatalement » piégé par la question. Certains plaident
avec éloquence pour la fictionnalité de leur histoire. D’autres, endossant la
référentialité de leur « roman », apportent un éclairage sur leur technique de
représentation. Plutôt que d’y voir une entreprise béotienne de réduction des
œuvres aux faits, ne pourrait-on pas, en toute candeur, considérer ces
institutions médiatiques comme des lieux d’information générique
permettant aux auteurs de préciser les termes du contrat dans lequel ils
s’inscrivent ?
Marguerite Duras a montré, après la sortie de L’Amant, le parti qu’un
auteur pouvait tirer des médias. Marc Saporta prétendit même que « les plus
belles pages de L’Amant ne sont pas dans le livre, elles sont dans l’émission
de Pivot, Apostrophes, images comprises 115 ». Cette tribune médiatique
permettait à Duras de proclamer spectaculairement sa nouvelle poétique
référentielle :

Le type de littérature que je pratique est scandaleux. J’écris dehors,


de façon indécente. Ce que d’ordinaire on cache, je l’écris au grand
jour 116.

La critique littéraire devra sans doute recourir aux outils de la


médiologie pour analyser ces nouvelles formes de discours d’escorte.
ÉPITEXTE AUCTORIAL INTERTEXTUEL

Venons-en maintenant à l’épitexte auctorial, le plus pertinent à tout


point de vue : le commentaire public et publié. Dès lors qu’un auteur publie
un second livre, puis un troisième, le lecteur est appelé à les comparer et à
les mettre en perspective. Une œuvre se dessine. Si, dans cette œuvre,
plusieurs romans affichent des signes d’autobiographie, le lecteur va en
rechercher les constantes et les variations. Son analyse portera d’abord sur
l’identité du personnage principal.
Jules Vallès, Panaït Istrati lui facilitent la tâche en regroupant leurs
récits sous le nom de ce héros (Jacques Vingtras, La Jeunesse d’Adrien
Zograffi), en les ordonnant chronologiquement (L’Enfant, Le Bachelier,
L’Insurgé ; Codine, Mikhaïl, Mes départs). D’autres (Céline, Philip Roth)
se contentent de donner le même nom aux héros de romans successifs.
En outre, ce héros n’est pas seul : il s’inscrit dans un système relationnel
qui lui aussi se perpétue ou évolue d’un volume à l’autre. La relation au
père constitue l’enjeu des premiers romans de Chraïbi, parcourt une partie
significative de l’œuvre de Roth et nourrit celle de Fante. Chez Ôé c’est le
fils handicapé qui joue ce rôle fédérateur, chez Aragon et Rezvani la femme
aimée, dans les derniers textes de Duras l’amant. Reliés au protagoniste par
un dense réseau textuel, ces personnages finissent par acquérir, eux aussi,
un statut référentiel.
Certaines scènes qui se constituent en motifs récurrents imposent au
lecteur la certitude que l’œuvre entière s’est construite à partir
d’expériences vécues. Comment ne pas observer, par exemple, que Claude
Simon revient fatalement à une scène de déroute devant l’ennemi et à la
description d’un cheval mort, qu’Hervé Guibert place la maladie au centre
de ses préoccupations, que Genet met inlassablement en scène de brutales
amours homosexuelles et Loti des idylles entre un Européen de passage et
une indigène ?
Toutes les œuvres romanesques jouent d’un petit nombre de ces thèmes
que Charles Mauron appelait des « métaphores obsédantes 117 ». Mais il est
évident que leur imputation à un seul personnage reparaissant et identifiable
à l’auteur rend ces leitmotive plus prégnants. Au lieu de se glisser dans la
fiction à l’insu de l’auteur, ils sont expressément revendiqués par son porte-
parole, le narrateur. Leur récurrence structure son discours. Le « mythe
personnel », que Mauron recherchait dans l’inconscient des œuvres de
Hugo, Mallarmé ou Baudelaire, se construit et s’exhibe méthodiquement
dans celles de Miller, Simon ou Bernhard, pour ne citer qu’eux. Non qu’ils
puissent, par l’écriture, nous donner accès à leur inconscient. Mais leurs
personnages scrutent leur passé, de livre en livre, avec tant d’obstination et
de perspicacité qu’ils nous donnent l’impression d’être parvenus à se
connaître intimement.
Le métadiscours véhiculé par tel ou tel roman possède, au même titre
que l’autocitation, une dimension transtextuelle. Quand le narrateur de La
Macération avoue avoir « quelque peu dramatisé l’effet » de ses récits
d’enfance et estime que « la mythomanie est une vertu » 118, cela n’est pas
sans influence sur la lecture des autres œuvres de Boudjedra. Il en va de
même lorsque ‘Céline’ s’avise soudain, en relatant son exil à Siegmaringen,
qu’il « vise l’effet 119 ». À l’inverse, les prises de position référentialistes
que l’on trouve de plus en plus fréquemment dans les textes d’Annie
Ernaux, de Peter Handke ou de Kenzaburô Ôé ont pour fonction
d’expliquer aux lecteurs l’évolution de leur poétique. À qui s’adresse, par
exemple, le chroniqueur de Mon année dans la baie de Personne quand il
déclare :

Dans les livres que j’ai écrits depuis que j’ai abandonné mon métier
de juriste, c’est moi, plus ou moins, qui suis le héros 120.
si ce n’est au lecteur de Peter Handke ? Enfin, je rappellerai pour
mémoire que l’épitexte auctorial ne se limite pas à l’œuvre romanesque. La
plupart des romanciers ont écrit des textes autobiographiques et des
commentaires critiques qui déterminent, dès que nous en prenons
connaissance, notre réception de leurs romans. Les premiers tendent,
presque fatalement, à confirmer nos soupçons de référentialité, tandis que
les seconds défendent le plus souvent une poétique fictionnaliste. Mais les
stratégies et leurs effets sont si divers, si complexes, que je ne tenterai pas
de les classer dans les limites de cet essai.
De même, il me semble prématuré d’engager une étude
phénoménologique de l’épitexte allographe. Il faudrait, au préalable,
analyser le rôle de la publicité sur la réception des œuvres, mesurer
l’influence des médias 121, celle de l’enseignement et de la critique
savante 122. Il faudrait également faire la part de l’idéologie, au sens large de
conditionnement culturel. D’une façon générale, l’impact du paratexte sur
la réception du texte varie, non seulement selon les lecteurs, mais aussi
selon les époques : un renouvellement des méthodes critiques, des
recherches biographiques plus approfondies, un aveu de l’auteur, la
publication d’inédits sont susceptibles de modifier la réception d’un texte
qu’on croyait définitivement catalogué. Il faut alors le relire.
Le rôle du paratexte dans le processus d’identification générique d’un
texte mérite donc d’être étudié méthodiquement ; mais il doit aussi être
relativisé, car on ne disposera jamais d’outils suffisamment fiables pour
mesurer son impact sur un public donné. À trop prêter l’oreille à ce discours
interminable, le critique risque de délaisser son objet, le texte proprement
dit.

1. G. Genette, Seuils, op. cit.


2. R. Jakobson, «Linguistique et poétique», dans Essais de linguistique générale, Paris, Éd.
de Minuit, 1963, chap. XI, p. 209-248.
3. G. Genette, Seuils, op. cit., p. 374.
4. Ibid., p. 170.
5. Ibid., p. 75.
6. K. Ôé, Lettres aux années de nostalgie [1987], trad. fr. de R. de Ceccaty et R. Nakamura,
Paris, Gallimard, 1993.
7. H. Guibert, À l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie, Paris, Gallimard, 1990; rééd., coll.
«Folio», 1992.
8. A. Makine, Le Testament français, Paris, Mercure de France, 1995; rééd., Gallimard, coll.
«Folio», 1997.
9. C. Bukowski, Journal d’un vieux dégueulasse, trad. fr. de G. Guégan, Paris, Grasset, 1996;
rééd., LGF, «Le Livre de Poche», 1998.
10. J.P. Richter, dit Jean-Paul, Konjectural Biographie, 1799; trad. fr. de R. Pierre, Biographie
conjecturale, Paris, Aubier, coll. «Bilingue», 1981.
11. Y. Navarre, Biographie, Paris, Flammarion, 1981; rééd., LGF, coll. «Le Livre de Poche», p.
10.
12. G. Gusdorf, Lignes de vie, t. I, Les Écritures du moi, Paris, O. Jacob, 1991, p. 235-237. Cf.
infra, chap. 7.
13. T. de Quincey, The Confessions of an English Opium-Eater, Londres, 1822; trad. fr. de P.
Leyris, Les Confessions d’un mangeur d’opium anglais, Paris, Gallimard, coll.
«L’Imaginaire», 1990, «Au lecteur», p. 36.
14. Y. Mishima, Kamon no kokuhaku, 1958; trad. fr. de la trad. angl. par R. Viloteau,
Confession d’un masque, Paris, Gallimard, 1971; rééd., coll. «Folio», 1983.
15. Op. cit.
16. M. Beaujour, Miroirs d’encre. Rhétorique de l’autoportrait, Paris, Éd. du Seuil, 1980.
17. J. Joyce, A Portrait of the Artist, 1904; trad. fr. de J. Aubert, Portrait de l’artiste, Paris,
Gallimard, coll. «Folio», 1982, avec Portrait de l’artiste en jeune homme.
18. J. Joyce, Stephen Hero, écrit vers 1904-1906; trad. fr. de L. Savitzky, Stephen le Héros,
Paris, Gallimard, 1948; rééd. dans Œuvres I, coll. «Bibliothèque de la Pléiade», 1982, et
dans la coll. «Folio», 1975.
19. J. Joyce, Giacomo Joyce, trad. fr. de A. du Bouchet dans Œuvres I, op. cit., p. 783-800.
20. R. Gary-É. Ajar, Pseudo, op. cit.
21. S. Doubrovsky, Un amour de soi, op. cit.
22. N. Sôseki, Wagahai wa neko de aru, 1906; trad. fr. de J. Cholley, Je suis un chat, Paris,
Gallimard-Unesco, coll. «Connaissance de l’Orient», 1978.
23. P. Handke, Nachmittag eines Schriftstellers, Salzbourg et Vienne, 1987; trad. fr. de G.A.
Goldschmidt, Après-midi d’un écrivain, Paris, Gallimard, 1988.
24. T. Ben Jelloun, L’Écrivain public, Paris, Éd. du Seuil, 1983.
25. M. Vargas Llosa, La tía Julia y el escribidor, Lima, 1977; trad. fr. de A. Bensoussan, La
Tante Julia et le scribouillard, Paris, Gallimard, 1979; rééd., coll. «Folio», 1985.
26. J. Fante, The Wine of Youth, New York, 1940; trad. fr. de B. Matthieussent, Le Vin de la
jeunesse, Paris, Bourgois, 1986; rééd., UGE, coll. «10/18», 2002.
27. D. Chraïbi, Le Passé simple, op. cit.
28. A. Daudet, Le Petit Chose, 1868; nombreuses rééd., notamment dans Œuvres, t. I, Paris,
Gallimard, coll. «Bibliothèque de la Pléiade», 1986.
29. T. Bernhard, Ein Kind, Salzbourg et Vienne, 1982; trad. fr. de A. Kohn, Un enfant, Paris,
Gallimard, 1984; rééd., coll. «Biblos», 1990, p. 399-505.
30. M. Feraoun, Le Fils du pauvre, Paris, Éd. du Seuil, 1954; rééd., coll. «Points», 1982.
31. Y. Inoue, Waka haha no ki, Tokyo, 1977; trad. fr. de R. de Ceccaty et R. Nakamura,
Histoire de ma mère, Paris, Stock, 1984.
32. M. Del Castillo, Le Crime des pères, Paris, Éd. du Seuil, 1993.
33. P. Modiano, Livret de famille, Paris, Gallimard, 1977; rééd., coll. «Folio», 1981.
34. P. Auster, The Invention of Solitude, New York, 1982; trad. fr. de C. Le Bœuf, L’Invention
de la solitude, Arles, Actes Sud, 1988; rééd. Paris, LGF, coll. «Le Livre de Poche», 1997.
35. G. Genette, Seuils, op. cit., p. 69.
36. Ibid., p. 91.
37. Anton Reiser, de Karl Philipp Moritz, roman largement autobiographique, est sous-titré
«roman psychologique» [1790]. Goethe a sous-titré Les Affinités électives «roman» [1809].
38. G. Genette, Seuils, op. cit., p. 91-96.
39. T. Fontane, Mes années d’enfance, roman autobiographique [1894], trad. fr. de J. Legrand,
Paris, Aubier, 1993, Avant-propos, p. 16.
40. Exemple tiré de l’édition «Folio» des Boulevards de ceinture de Patrick Modiano, op. cit.
41. Exemples: Jour de silence à Tanger, de T. Ben Jelloun, Paris, Éd. du Seuil, 1989; Le Neveu
de Wittgenstein de T. Bernhard, Paris, Gallimard, 1985; Lambeaux de C. Juliet, Paris,
P.O.L., 1995.
42. J. François, Joue-nous España, Paris, Mercure de France, 1980.
43. T. Bernhard, Die Ursache, Salzbourg, 1975; trad. fr. de A. Kohn, L’Origine. Simple
indication, Paris, Gallimard, 1981; rééd., coll. «Biblos», 1990.
44. J. Roubaud, Le Grand Incendie de Londres, Paris, Éd. du Seuil, 1989.
45. P. Handke, Mein Jahr in der Niemandschucht, Francfort, 1994; trad. fr. de C.E. Porcell,
Mon année dans la baie de Personne, Paris, Gallimard, 1997; rééd., coll. «Folio», 1999.
46. S. Freud, Ubert Deckerinne rungen, 1899; trad. fr. de J. Laplanche, Sur les souvenirs-
écrans, dans Névrose, psychose et perversions, Paris, PUF, 1973, p. 113-132.
47. B. Cendrars, Bourlinguer, Paris, Denoël, 1948; rééd., Gallimard, coll. «Folio», 1997.
48. R. Chartier, «Une nouvelle espèce de livre», dans «Le Monde des livres» du 28 mai 1999,
p. VII.
49. A. Grafton, Les Origines tragiques de l’érudition. Une histoire de la note en bas de page,
trad. fr. de P.A. Fabre, Paris, Éd. du Seuil, 1998.
50. D’après John Barrymore, «lire une note en bas de page est comme être obligé d’aller ouvrir
la porte en plein ébat amoureux»… Propos rapporté, en note, par Roger Chartier dans «Le
Monde des livres» du 10 avril 1998, p. IX.
51. Senancour, Oberman, 1804; 1re rééd. de Sainte-Beuve, Obermann, 1833; rééd. de Béatrice
Didier, LGF, coll. «Le Livre de Poche», 1984, lettre LXIII.
52. Ibid., lettres XXXII, XLVII, LV, LXIV.
53. G. de Staël, Corinne ou l’Italie, 1807; rééd., Paris, Gallimard, coll. «Folio», 1985, livre IX,
chap. 1, n. 22.
54. M. Duras, L’Amant de la Chine du Nord, op. cit., p. 97.
55. Ibid., p. 23.
56. Ibid., p. 81n.
57. P. Loti, Madame Chrysanthème, 1887; rééd. dans Romans, op. cit., p. 649-752.
58. T. Ben Jelloun, Jour de silence à Tanger, op. cit.
59. M. Cardinal, Les Mots pour le dire, Paris, Grasset, 1975; rééd., LGF, coll. «Le Livre de
Poche», 1977.
60. P. Istrati, Mikhaïl, Paris, Rieder, 1927; rééd. dans La Jeunesse d’Adrien Zograffi, Paris,
Gallimard, 1968, rééd., coll. «Folio», 1984.
61. H. Guibert, Mes parents, Paris, Gallimard, 1986; rééd., coll. «Folio», 1994, p. 169, avant-
dernier paragraphe.
62. A. Ernaux, La Honte, Paris, Gallimard, 1997.
63. P. Vilain, L’Étreinte, Paris, Gallimard, 1997.
64. A. Ernaux, Passion simple, Paris, Gallimard, 1991.
65. G. Genette, Seuils, op. cit., p. 145-149.
66. Épigraphe à Livret de famille.
67. Épigraphe à L’Invention de la solitude.
68. G. Genette, Seuils, op. cit., p. 98.
69. Interview parue dans le magazine Lire, nº 308, septembre 2002, dans le cadre d’un dossier
consacré au prière d’insérer, Les Livres vus de dos, p. 38-40.
70. F. Nourissier, Bratislava, Paris, Grasset, 1990, quatrième de couverture.
71. M. Del Castillo, Rue des Archives, Paris, Gallimard, 1994.
72. B. Constant, Adolphe, préface à l’édition de 1816 intitulée: «Pour répondre à un paragraphe
désolant du Morning Chronicle».
73. W. Soyinka, Ibadan, The Penkelemes Years. A Memoir: 1946-1965, Londres, 1994; trad. fr.
de E. Galle, Ibadan, les années pagaille, Arles, Actes Sud, 1997. Dans cette version
française, le sous-titre n’apparaît qu’en page intérieure.
74. J. Fante, Bandini, op. cit., Préface de 1983, p. 9.
75. L. Aragon, La Mise à mort, Paris, Gallimard, 1965; rééd. suivi de Le Mérou, Après-dire,
1970, coll. «Folio», 1993, p. 497-527.
76. L. Aragon, Blanche ou l’oubli, op. cit., p. 517-529.
77. L.Aragon, La Mise à mort, op. cit., p.501.
78. Ibid., p. 512.
79. Ibid., p. 508.
80. L. Aragon, Blanche ou l’oubli, op. cit., p. 521.
81. L. Aragon, La Mise à mort, op. cit., p. 499.
82. L. Aragon, Blanche ou l’oubli, op. cit., p. 524.
83. P. Lejeune, Moi aussi, op. cit., p. 38-53. Le Têtard est paru en 1976 aux éditions R. Laffont.
Jacques Borel, lors d’un débat organisé par l’Institut des textes et manuscrits modernes le
13 juin 1998 à Paris, se félicitait que les éditeurs n’imposent plus aussi systématiquement
le sous-titre «Roman», ce qui lui a permis de le retrancher des rééditions du Retour.
84. Citons le Journal de Kafka et Histoire d’une vie d’Elias Canetti, tous deux en «Biblio-
romans» au Livre de Poche; et Cytomégalovirus. Journal d’hospitalisation, d’Hervé
Guibert, Paris, Éd. du Seuil, coll. «Points Roman», 1994.
85. Par exemple: R.M. Rilke, Les Cahiers de Malte Laurids Brigge, Paris, Éd. du Seuil, coll.
«Points Roman», 1980; et R. Queneau, Odile, Paris, Gallimard, 1937, rééd., coll.
«L’Imaginaire», 1992. Dans la notice, ce texte est qualifié de «roman autobiographique».
86. Cette politique n’est pas seulement le fait des éditions de poche. G. Genette a analysé à cet
égard la fonction référentialiste des photos de Proust figurant en couverture des trois tomes
de la Recherche dans la collection «Bibliothèque de la Pléiade», 1954 (Seuils, op. cit., p.
33).
87. H. Roth, Mercy of a Rude Stream, 1994, 1995, 1996 et 1998; trad. fr. de M. Lederer, À la
merci d’un courant violent, Paris, Éd. de l’Olivier, sous les titres Une étoile brille sur
Mount Morris Park, 1994, Un rocher sur l’Hudson, 1995, La Fin de l’exil, 1996, et
Requiem pour Harlem, 2000.
88. G. Genette, Seuils, op. cit., p. 202.
89. Quatrième de couverture d’Un silence d’environ une demi-heure, de Boris Schreiber, Paris,
Le Cherche-Midi, 1996.
90. Quatrième de couverture de Redburn de H. Melville, coll. «Folio», 1980.
91. Quatrième de couverture de Confession d’un masque de Y. Mishima, op. cit., coll. «Folio»,
1983.
92. Quatrième de couverture des Années-lumière de Rezvani, op. cit.
93. Rabat de couverture de Regarde, regarde les arlequins! de V. Nabokov, op. cit.
94. Quatrième de couverture de Crazy cock de Henry Miller, écrit vers 1930, trad. fr. de A.
Defossé, Paris, Belfond, 1991; rééd., UGE, coll. «10/18», 1997.
95. Notice de La Tante Julia et le scribouillard de M. Vargas Llosa, rééd., coll. «Folio», 1985.
96. Quatrième de couverture d’Une existence tranquille, de Kenzaburô Ôé, trad. fr. de A.
Bayard-Sakai, Paris, Gallimard, 1995.
97. O. Mirbeau, Introduction à La Faim, op. cit. (éd. «Le Livre de Poche»), p. 9-12.
98. A. Gide, Préface à La Faim, op. cit. (éd. «Le Livre de Poche»), p. 5-8.
99. G. Genette, Seuils, op. cit., p. 245-247.
100. H. Tonnelat, Préface à G. Keller, Henri le Vert, trad. fr. de G. La Flize, Paris, Aubier, 1946,
p. 5-15; rééd., 1981 [éd. originale, Der Grüne Heinrich, 1880; 1re version, 1855].
101. Dédicace de l’exemplaire destiné à Upton Sinclair, citée par F. Lacassin, Préface à Martin
Eden, op. cit. ( éd. coll. «10/18»), p. 5.
102. S. Monod, Introduction à David Copperfield, 2 vol., Paris, Garnier-Flammarion, 1978, t. I,
p. 13.
103. P. Garnier, Préface à J. Fante, Pleins de vie, trad. fr. de B. Matthieussent, Paris, Bourgois,
1988; rééd., UGE, coll. «10/18», 1990, p. 15 [éd. originale, Full of Life, 1952].
104. P. Mac Orlan, Préface à Redburn, op. cit. (coll. «Folio»), p. 8.
105. Préface à Sous l’étoile d’automne, op. cit. (coll. «Le Livre de Poche»), p. 3.
106. U. Eco, Lector in fabula, op. cit., p. 154.
107. Ibid.
108. A. Buisine, «L’écrivain public», dans Les Sujets de l’écriture. Textes réunis par Jean
Decottignies, op. cit., p. 141-172.
109. Cité par M. Mercier dans Colette, Œuvres, op. cit., t. III, 1991, p. 1389.
110. Cité par M. Mercier, ibid., t. I, p. 1587.
111. Cité par N. Ferrier-Caverivière dans Colette, La Vagabonde, Paris, LGF, coll. «Le Livre de
Poche», 1992, p. XIV.
112. Le texte de cette interview du 12 novembre 1913 est reproduit dans H. Coulet (dir.), Idées
sur le roman, Paris, Larousse, 1992.
113. Interview de 1932 par Max Descaves, citée dans Cahiers Céline 1, textes réunis par J.-P.
Dauphin et H. Godard, Paris, Gallimard, 1976.
114. P. Lejeune, «L’image de l’auteur dans les médias», dans Moi aussi, op. cit., p. 94.
115. M. Saporta, dans L’Arc, nº 98, 1985, p. 24, cité par A. Armel, Marguerite Duras et
l’autobiographie, Pantin, Le Castor astral, 1990, p. 79.
116. M. Duras, dans une émission de Luce Perrot qui lui était consacrée, diffusée en juin-juillet
1988 sur TF1. Cité par A. Armel, ibid., p. 94.
117. C. Mauron, Des métaphores obsédantes au mythe personnel, Paris, J. Corti, 1963.
118. R. Boudjedra, La Macération, trad. de l’arabe par A. Moussali et l’auteur, Paris, Denoël,
1984, p. 90.
119. L.-F. Céline, D’un château l’autre, Paris, Gallimard, 1957; rééd. dans Romans, op. cit., t.
II, 1974, p. 112.
120. P. Handke, Mon année dans la baie de Personne, op. cit., p. 29.
121. Cf. P. Lejeune, «L’image de l’auteur dans les médias», art. cité, p. 87-99.
122. Cette question sera abordée au chapitre 7.
3

Intertexte et métadiscours

L E PÈRE de la théorie de la réception, Hans Robert Jauss, disait que


l’acception d’une œuvre par un lecteur est fonction de trois facteurs :

– les normes notoires ou la « poétique » spécifique du genre,


– les rapports implicites qui lient le texte à des œuvres connues […]
– et enfin l’opposition entre fiction et réalité, fonction poétique et
fonction pratique du langage, opposition qui permet toujours au
lecteur réfléchissant sur sa lecture de procéder […] à des
comparaisons 1.

Comment déterminer les normes, la poétique et le genre d’un récit qui


transgresse le clivage fictionnalité/référentialité fondant notre perception du
monde ? Les signes d’identité du héros avec l’auteur et les indications
délivrées par le paratexte donnent sans doute quelques éclaircissements.
Mais il reste un point à élucider, le second dans le processus de réception
selon Jauss : quelle est la place de ce bouquin dans ma bibliothèque, dans
ma culture ?
L’auteur, qui souhaite être compris, va le plus souvent répondre à cette
question dans le texte même. Tantôt, jouant de l’intertextualité, il le
confrontera avec d’autres formes d’écriture, de façon à préciser sa place
dans le système des genres. Tantôt, jouant du métadiscours, il y incrustera
un commentaire réflexif susceptible d’éclairer son dessein. Indications
implicites : l’intertexte
Quatre dispositifs intertextuels seront étudiés successivement en tant
qu’opérateurs d’ambiguïté générique : l’attestation documentaire,
l’intertextualité littéraire, au sens habituel du terme, l’autocitation et la mise
en abyme. Leur point commun est la mise en œuvre d’une procédure
consistant à relier le texte du récit à un ou plusieurs autres textes. La
critique des années 1960 a été tentée d’investir le concept d’intertextualité
d’une puissance explicative exorbitante. Julia Kristeva y voyait « l’indice
de la façon dont un texte lit l’histoire 2 ». Et Philippe Sollers postulait :

[…] tout texte se situe à la jonction de plusieurs textes dont il est à


la fois la relecture, l’accentuation, la condensation, le déplacement
et la profondeur 3.

Cette valorisation était sous-tendue par des débats idéologiques,


désormais historiques, sur la théorie du reflet et sur la production du texte.
On en retiendra pour notre propos que l’intertextualité, si elle ne produit pas
le texte, du moins influence profondément sa réception. Elle peut
effectivement y convoquer l’Histoire, avec une majuscule, et, plus
particulièrement, l’histoire de la littérature. Dans son acception actuelle, le
terme d’« intertextualité » recouvre tous les procédés qui permettent
d’introduire « la présence effective d’un texte dans un autre », procédés que
Gérard Genette a répertoriés dans Palimpsestes 4.
A priori, le discours autobiographique n’est guère enclin à pratiquer
cette « littérature au second degré » : un auteur qui fait de sa vie la matière
d’un récit en privilégiera les particularités plutôt que les lieux communs. Le
pastiche ou la parodie d’un autre texte biographique menaceraient
dangereusement l’autonomie et la crédibilité de son personnage, réduit à
l’état de calque d’un autre que lui-même. C’est pourquoi le roman
autobiographique, bien qu’il emprunte à d’autres genres leurs moyens
d’expression, évite l’imitation patente. En revanche, nous allons voir qu’il
ne répugne pas à mettre différentes formes de citations au service de sa
stratégie générique.
Dans la première partie de L’Invention de la solitude, Paul Auster décrit
des photographies et reproduit des articles de presse, tandis que, dans la
seconde, il cite, notamment, Le Livre de Jonas, Les Aventures de Pinocchio
et les Pensées de Pascal. D’un point de vue générique, ces deux types de
citation travaillent la réception en sens inverse : les premières assimilent
l’histoire à un fait divers, donc la tirent dans un registre factuel, tandis que
les secondes élèvent le texte en lui donnant des répondants prestigieux.
Nous allons examiner successivement ces deux types de citations.

ATTESTATION DOCUMENTAIRE

L’auteur d’un texte scientifique, journalistique ou biographique a la


faculté d’étayer ses dires en produisant des documents issus de différentes
sources : archives, témoignages, statistiques, photos, dessins, etc. Ces
documents sont chargés d’attester le caractère vérifiable de l’information
transmise. En revanche, la validité du texte littéraire n’est pas de l’ordre du
vérifiable. Mais chacun sait que le roman aime à imiter les procédures des
genres référentiels et notamment leur capacité à se valider par la citation
d’un document objectif. L’attestation documentaire va accroître
sensiblement ce que Thomas Pavel nommait « la densité référentielle du
texte 5 ».
Un document n’est pas nécessairement textuel. On pourrait imaginer un
roman autobiographique produisant à l’appui de son dire des photographies,
des dessins, des chiffres ou des graphiques. Mais, pour l’heure, le genre,
fidèle à sa maquette romanesque d’origine, semble exclure, sauf exceptions
sur ses marges 6, les illustrations insérées dans le texte. Si un document
visuel est mentionné dans un roman autobiographique, il sera donc cité,
décrit, commenté, bref mis en texte, mais rarement reproduit. Et un seul
type de document est mentionné avec une fréquence suffisante pour mériter
une analyse générique : la photographie, généralement sous forme de
portrait ou de carte postale.
Conservant l’image d’un passé révolu, le portrait photographique
constitue un objet de fascination pour l’écrivain rétrospectif. La poétique
traditionnelle, qui assignait une fonction mimétique à la littérature, répétait
inlassablement le précepte d’Horace : « Ut pictura poesis 7. » En occupant
le terrain de la représentation réaliste, la photographie et le cinéma ont
contraint les arts plastiques et la littérature à redéfinir leur relation au réel.
C’est ainsi que, dans la poétique implicite du roman contemporain, la photo
et le cinéma se sont substitués à la représentation picturale en tant que
métaphores de la mimèsis littéraire. Le récit rétrospectif, en particulier,
semble fasciné par le modèle photographique, au point qu’on pourrait
réactualiser à son propos le vieil adage en : « Comme la photographie, le
roman autobiographique. »
Au début de certains films, on voit d’abord les acteurs figés en un arrêt
sur image, puis s’animant progressivement pour entrer dans leur rôle.
Patrick Modiano a construit la trame des Boulevards de ceinture sur la
transposition verbale de ce procédé. Le narrateur décrit un instantané sur
lequel il reconnaît son père avant sa naissance. Sous son regard, et le nôtre,
les personnages s’animent, poursuivent leur conversation et le narrateur va
à leur rencontre… La photo se développe pour devenir roman.
Le roman autobiographique ne reproduit pas la photographie mais
l’invoque comme une métaphore du passé. Ainsi procède Tahar Ben Jelloun
dans L’Écrivain public, scrutant tour à tour des photos de son père enfant et
de lui-même jeune 8. Décrire une photo, ce n’est pas représenter le réel, mais
une image du réel saisie par l’objectif ; et cet « objectif » photographique,
cette fidélité au réel dont se targue l’image, innocente en quelque sorte le
narrateur, apporte au discours une garantie d’« objectivité ». Il notifie au
lecteur que le récit n’est pas seulement une construction verbale vouée à la
succession temporelle, mais aussi une icône dans laquelle se cristallisent
définitivement des configurations affectives complexes.
Dans L’Invention de la solitude 9, Paul Auster recourt aux photographies
pour tenter d’étoffer le souvenir du père. La photo agit également, dans ce
livre, comme un révélateur du manque lorsque le narrateur s’aperçoit que
celle de son grand-père paternel ne figure pas dans l’album de famille. Ce
chaînon manquant à sa généalogie, il le retrouve dans de vieilles coupures
de presse relatant son assassinat par son épouse. Le secret de famille est
révélé au petit-fils par la chronique judiciaire du journal local, le Kenosha
Evening News, dont il cite de larges extraits. Par cette manœuvre
intertextuelle, la référentialité du texte monte d’un cran : elle passe du
vraisemblable au vérifiable.
La photo seule a l’inconvénient d’être muette ; il faut la faire parler.
Avec la carte postale, qui a deux faces, on entre dans une relation
intertextuelle, un dialogue peut s’engager. Ainsi, celles que découvre le
narrateur d’Histoire stimulent sa mémoire et son imagination. Leurs
messages laconiques l’incitent à échafauder des hypothèses plausibles sur
l’« histoire » de sa famille. D’autant plus qu’il les associe à d’autres
documents découverts dans le même grenier : photos, affiches, journaux,
livres scolaires. En sondant ces sédiments, Claude Simon nous entraîne
dans trois strates temporelles distinctes : les souvenirs personnels, l’histoire
des ascendants et l’Histoire des peuples emblématisée par des épisodes de
la Révolution russe. Ce patient déchiffrement de vestiges, cette quête des
origines, cette volonté d’inscrire un destin individuel dans un contexte
collectif évoquent la démarche scientifique d’un paléontologue ou d’un
archéologue, donc suggèrent, sous le lyrisme, un dessein référentiel.

Plus diserte que la carte postale, la lettre parle d’elle-même. Il y a beau


temps que le roman se l’est appropriée et l’a transformée en outil fictionnel.
C’est sans doute pourquoi elle concourt, dans les premiers romans
autobiographiques, à incliner la réception vers la fictionnalité. Ainsi, il
apparaît peu vraisemblable que ‘René’ ou ‘Dominique’ 10 puissent, de
mémoire, citer de longs extraits de lettres. Chateaubriand et Fromentin
utilisent la lettre, non à titre de document biographique, mais pour faire
entendre la parole d’un personnage absent et introduire artificiellement un
effet dialogique dans le monologue de leur héros. Leur lecteur y voit
davantage une survivance du roman épistolaire du siècle précédent qu’un
gage de réalisme.
Dans Les Géorgiques de Claude Simon, au contraire, la lettre est
réellement promue au rang de document historiquement vérifiable. À aucun
moment le lecteur n’est incité à mettre en doute l’authenticité des courriers
de ‘L.S.M.’, général de la Révolution puis de l’Empire, dont de larges
extraits sont reproduits et développés. Juxtaposés et entremêlés avec des
récits de la débâcle de 1940 et des paraphrases des souvenirs d’un certain
‘O’, ces documents d’archives confèrent à l’ensemble du collage
intertextuel une valeur de témoignage véridique qui emporte l’adhésion. Ici,
le narrateur autobiographe fait également fonction de lecteur, d’archiviste,
d’historien et de critique. Dans chacune de ces positions, il produit ou cite
des textes qu’il entrecroise et met en parallèle en gageant sa subjectivité sur
l’objectivité de ses sources :
Tout ce qui est en romain dans ce Précis exprime un fait certain ou
le texte d’une loi 11.

Chez Claude Simon comme chez Modiano, l’histoire personnelle est


assujettie à l’Histoire collective. Et cette dépendance s’exprime au moyen
du dialogue intertextuel entre la voix du narrateur et les voix venues du
passé. Voix qui clament des titres de journaux, des slogans politiques ou
publicitaires, dans Le Palace 12 ; voix atone qui énumère une liste
13
d’enseignes de magasins disparus dans Fleurs de ruine , et, dans le même
roman, voix officielle détaillant « la procédure suivie du chef d’intelligence
14
avec l’ennemi » contre les collaborateurs après la guerre . Produisant
d’abord un simple « effet de réel », la diffusion de ces voix permet surtout
d’insérer une quête individuelle dans la polyphonie du monde.
Il peut alors y avoir concurrence entre le vérifiable des documents et le
vraisemblable des souvenirs personnels, entre le biographique et
l’autobiographique. Cette concurrence va jusqu’au « brouillage » dans Dora
Bruder :

Avec le recul des années les perspectives se brouillent pour moi, les
hivers se mêlent l’un à l’autre. Celui de 1965 et celui de 1942 15.

De ‘Dora’, le narrateur-écrivain ne retrouve que des lignes de fuite, des


traces de disparitions successives : fugues puis déportation définitive. Ce
vide biographique, il tente de le combler, d’abord par des règlements et des
rapports concernant le statut et l’arrestation des juifs sous l’Occupation,
puis en tentant de reconstituer le personnage. Mais, finalement, c’est à sa
problématique personnelle que renvoient ses recherches obstinées,
notamment à la figure du père, récurrente dans toute son œuvre, et, comme
celle de ‘Dora’, réelle, disparue et fictionnalisée :
Peut-être ai-je voulu qu’ils se croisent, mon père et elle, en cet hiver
1942 16.

Pour légitimer son discours, le romancier peut aussi en appeler à la


science qui traite de l’histoire individuelle, et non plus collective, la
psychologie. Dans Confession d’un masque, c’est à un ouvrage de
nosographie médico-psychologique d’un certain Hirschfeld, pré-freudien,
que recourt le héros pour, selon ses propres termes, éclairer son ignorance
sur l’« inversion » dont il souffre. Par trois fois, confronté à un souvenir
particulièrement pénible, il cite les théories de cet auteur qui, pour lui, fait
autorité sur la question. Il soulage son angoisse en constatant que ses
fantasmes ont déjà été décrits et répertoriés sous une forme scientifique. De
plus, le psychologue cite lui-même un écrit intime qui fait écho à sa
confession :

Ce désir pour l’éphèbe […] avait pris une forme nettement définie,
presque aussi répandue, ainsi que l’ont démontré les chercheurs.
L’impulsion que j’éprouvais n’est pas rare, paraît-il, chez les
Allemands. Le journal intime du comte von Platen en fournit un
exemple très représentatif 17.

Double référence intertextuelle, qui ne suffirait certes pas à établir


l’identité de ce narrateur avec Mishima, mais qui renforce, par sa naïveté
même, la vraisemblance de ses aveux. Citer Freud ou raconter sa cure
semble plus légitime, voire ordinaire. Dans la mesure où il explique un
comportement particulier par une règle générale qui fait l’objet d’un
consensus culturel, le discours psychanalytique valide la démarche
autobiographique. Mais le prêt-à-analyser comporte aussi des risques :
You are an open text-book, Serge. […] Un cas typique. J’existe dans
les manuels. Chapitre II, paragraphe 3 […] Un cas. Pas particulier.
Mais particulièrement difficile 18.

La parole du spécialiste étaye la vraisemblance du personnage, mais,


dans le même temps, elle le réduit à une illustration de « cas »,
mécaniquement déterminé, transparent, purement référentiel. Sa seule
marge de manœuvre réside dans sa capacité de résistance à la cure, dans sa
capacité, en tant qu’écrivain, à la dépasser en la racontant.

INTERTEXTUALITÉ LITTÉRAIRE

Les guillemets dont s’entoure la citation en font d’abord, suivant


l’expression d’Antoine Compagnon, « un repère de lecture » ; en effet :

[…] la citation est un lieu d’accommodation prédisposé dans le


texte. Elle l’intègre dans un ensemble ou dans un réseau de textes,
dans une typologie des compétences requises pour la lecture […]
son rôle est d’abord phatique 19.

Ce dernier terme renvoie à l’une des fonctions du langage selon


Jakobson, par laquelle un message permet d’« établir, prolonger ou
interrompre la communication 20 ». La citation interrompt le texte pour
interpeller le lecteur et lui proposer une aide dans son travail
d’interprétation. Telle une ampoule posée sur une pile, elle établit un
contact entre le pôle rétrospectif de la littérature passée et le pôle prospectif
du processus d’écriture.
Cependant, le récit, contrairement à l’« essai », répugne à la citation
complète qui ralentirait l’action et ferait concurrence au langage des
personnages. La citation s’y réduit donc le plus souvent à la mention d’un
titre ou d’un auteur qui « parlent » au lecteur. A fortiori, le roman
autobiographique, fondé sur la confusion et la transgression des cadres
génériques, ne pratique guère la citation académique. Si l’auteur y
convoque des modèles dans les domaines du roman ou de l’autobiographie,
ce sera plus fréquemment pour s’en démarquer que pour les démarquer.
Exigeant du lecteur qu’il dépasse ses références en matière de genres, il
établira la singularité de son texte en l’opposant dialectiquement aux règles
qui régissent ceux qu’il cite.
Les œuvres emblématiques sont comparables à des phares, ou à des
reflets, par rapport auxquels l’écriture navigue. C’est ainsi que les Contes
des Mille et Une Nuits constituent un « texte miroir » pour Paul Auster qui
les paraphrase longuement dans L’Invention de la solitude 21, tandis que le
narrateur des Enfants de minuit se compare à ‘Shéhérazade’ :

[…] je retourne à mes feuilles qui ont une petite odeur de safran,
bien décidé à achever le récit qu’hier j’ai laissé en suspens –
exactement comme Shéhérazade, dont la survie dépendait qu’elle
laisse le prince Shahryar dévoré de curiosité, faisait nuit après
nuit 22 !

Et c’est en les démystifiant que Boudjedra, dans La Macération,


reconnaît sa dette envers les Contes des Mille et Une Nuits. Dans
l’« adaptation » que ‘Rachid’ commet pour le cinéma, le père de
Shéhérazade détruit le manuscrit puis fomente un complot contre le tyran.
En fait, le héros-écrivain abandonne bientôt cette parabole pour une tâche
plus urgente :

Je passais de l’écriture du scénario des Mille et Une Nuits à des


tentatives de lier les différents fils qui constituent le tissage familial,
alors que mon père agonisait 23.
Voici donc trois auteurs, Auster, Rushdie, Boudjedra, traçant un
parallèle entre l’écriture du roman familial auquel le fils est enchaîné et les
histoires que Shéhérazade doit raconter pour survivre. Pour eux, le roman
autobiographique ne serait-il pas l’équivalent moderne des Contes des Mille
et Une Nuits ?
Que le texte cité soit fictionnel ou référentiel, cela n’a guère d’incidence
sur le registre dans lequel est reçu le roman : ‘Doubrovsky’ disserte
longuement sur le monologue de Théramène sans affaiblir d’un iota la
portée réflexive de Fils. La citation ne prend une valeur d’indice générique
qu’à partir du moment où elle s’inscrit dans un métadiscours. Encore la
portée du commentaire reste-t-elle limitée tant qu’il s’en tient à une lecture
interne du texte cité : dans les exemples précédents, le problème générique
ne se pose qu’accessoirement, métaphoriquement. Par contre, si l’auteur
met l’accent sur le référent de la citation, il donne un modèle de lecture
applicable à son propre texte.
Dans Le Jardin des Plantes, Claude Simon adopte tour à tour les deux
attitudes à propos de la Recherche du temps perdu. D’abord, il apprécie en
esthète l’art avec lequel Proust, décrivant des mouettes, évoque à la fois la
peinture de Monet et le lent écoulement d’une après-midi. Puis il traque
impitoyablement l’auteur à travers ses lettres à son éditeur, ses corrections
de détail, ses obsessions, ses désirs, ses secrets :

Des soldats en permission descendus du front pour quelques jours et


venus là pour se faire un peu d’argent en satisfaisant aux goûts de
Charlus (en fait, aux goûts de Proust) échangent leurs impressions
en attendant dans un salon du bordel pour hommes tenu par Jupien.
[…] Proust en train de transpercer d’épingles à chapeau les rats
enfermés dans leur cage, tout nu […] secoué par les assauts de
l’« apache » qu’il a choisi : « vous en avez un gros pétard ! » dit
amoureusement Jupien à Charlus avec une admiration mêlée de
respect 24.

Simon n’ignore pas que Proust eût désapprouvé à tous égards ce type de
lecture biographique, dont il récusa le principe dans Contre Sainte-Beuve et
contre lequel il protégea autant que possible son œuvre. Irrespectueuse à
l’endroit du texte aussi bien que de l’auteur, la réécriture de cette scène du
Temps retrouvé doit être mise en parallèle avec les scènes de bordel,
probablement référentielles, qui émaillent Le Jardin des Plantes. Il ne faut
sans doute pas seulement y voir une attaque contre l’écrivain, « planqué »
dans son texte comme à l’arrière du front, mais aussi l’affirmation que le
récit romanesque, quelle que soit son audace, cache la plus grande part de
ce qu’il prétend dévoiler.
L’intertextualité critique n’épargne pas les autobiographes. On trouve
ainsi, dans le chapitre XI de L’Enfant, une joyeuse parodie de Rousseau 25 :

Ici se place un acte de ma vie que je pourrais cacher. Mais non ! je


livre aujourd’hui, aujourd’hui seulement, mon secret, comme un
mourant fait appeler le procureur général et lui confie l’histoire d’un
crime. Il m’est pénible de faire cette confession, mais je le dois à
l’honneur de ma famille, au respect de la vérité, à la Banque de
France, à moi-même.

Cette charge un peu potache permet à Vallès de situer son projet


littéraire à l’opposé de la « confession » et de la culpabilité complaisantes.
S’il y a un mouvement autobiographique dans son récit, il ne doit rien au
sentiment chrétien de la contrition qui gouverne toute l’entreprise
rétrospective de Jean-Jacques.
D’autres auteurs, au contraire, font état de la fascination qu’exerce sur
leur héros les écrivains capables de se raconter. Ainsi ‘Hervé Guibert’ sur
un mode dépressif :

Moi, pauvre Guibert, je jouais de plus belle, je fourbissais mes


armes pour égaler le maître contemporain, moi pauvre Guibert, ex-
maître du monde qui avait trouvé plus fort que lui et avec le sida et
26
avec Thomas Bernhard .

Dans Le Livre brisé, ‘Doubrovsky’ entretient une relation plus


complexe avec le substitut paternel :

Avec Sartre, c’est un rapport différent, parfois proche, parfois


distant, toujours dans les fibres : de filiation 27.

Le narrateur relit Les Mots et les relie à sa propre histoire. Bientôt, les
deux récits s’engendrent et se superposent :

Tourner la page : c’est un fils à sa maman. Tendre, elle m’apprit la


tendresse ; ma solitude fit le reste et m’écarta des jeux violents.
Naturellement, Poulou-Pardaillan, Poulou-Strogoff, quand il s’y
met, occit cent reîtres, il désentripaille des régiments. Moi itou
devant ma glace. En plus je dessine des armadas de blindés […] 28.

Mais, derrière l’admiration imitative de l’autobiographie sartrienne, se


profile, dialectiquement, une objection :

Les Mots sont un récit d’enfance. Le malheur, un récit d’enfance est


impossible. Il est toujours fait par un adulte. Ça l’adultère… 29.

Le brillant récit lui apparaît bientôt comme une démonstration habile,


une manipulation :
Sartre s’empare de Poulou et en fait un écrivain en deux cents
pages. Pour lui, en un tournemain […] presque du passe-passe 30.

La critique du modèle sartrien vise en fait à requalifier le projet


doubrovskien ; elle permet de rappeler que toute autobiographie est
reconstruction a posteriori, donc fiction de soi : « Une autobiographie est
31
encore plus truquée qu’un roman . » Il est donc plus honnête, plaide
Doubrovsky, d’assumer l’aporie et de renoncer à conclure un pacte
autobiographique frauduleux.
On voit que la stratégie intertextuelle peut être mise au service d’une
réflexion générique conséquente. Marc Weitzmann, dans un « roman »
intitulé Chaos, reprend le procédé aux dépens de… Serge Doubrovsky. Son
héros-narrateur, nommé ‘Weitzmann’, est en effet le neveu d’un écrivain
nommé ‘Doubrovsky’. Après avoir expliqué ce que son oncle entend par
« autofiction », après avoir rappelé le suicide de sa femme, ‘Ilse’, pendant
la rédaction du Livre brisé, il s’interroge longuement sur les conséquences
familiales de la mise en roman de l’intimité. Là encore, l’ambivalence
filiale induit un double mouvement d’admiration et de contestation du
modèle :

Ilse tout comme moi s’était tenue devant Doubrovsky, dans l’attente
d’être dévorée par ses textes, sa mémoire vorace et sexuelle, ses
souvenirs, sinon mensongers, du moins fictionnalisés 32.

Cette critique du texte doubrovskien n’est pas sans influer sur la


réception générique du roman. Que l’auteur soit un proche du véritable
Doubrovsky, cela semble probable ; mais, que le frère du narrateur soit
prénommé ‘Marc’, et, bien que juif, propage des théories révisionnistes,
apparaîtra comme une fable, dans la mesure où l’étalage d’un tel problème
familial encourrait les reproches mêmes que Weitzmann adresse au Livre
brisé. Puis, à mesure que le narrateur descend aux abîmes et perd jusqu’à
son identité, le roman découvre sa construction fictionnelle en vue d’un
dénouement prévisible.

En raison de son statut hybride et instable, le roman autobiographique a


parfois besoin de miroirs ou d’échos qui lui renvoient son image.
L’intertextualité permet à l’auteur de préciser ou de problématiser la
position qu’occupe son récit sur l’axe fiction/référence par comparaison
avec des textes dont le statut est bien établi. Dans la même intention, il peut
aussi confronter son livre aux textes qu’il a écrits précédemment, en
pratiquant ce que Ricardou nommait une « intertextualité restreinte » 33.

AUTOCITATION

Le premier type d’autocitation, le moins probant du point de vue


générique, consiste, pour le narrateur, à alléguer un texte de jeunesse resté
inédit. Ainsi, le narrateur de Confession d’un masque entend prouver la
véracité de ses souvenirs, partant la continuité de son identité :

Pour qu’on ne m’accuse pas de prêter à l’être que j’étais à cette


époque un jugement que je ne possédais pas jusqu’à aujourd’hui,
qu’il me soit permis de citer ici un passage d’un texte que j’écrivis à
l’âge de quinze ans 34.

Au lecteur, ces extraits démontrent également que ce narrateur, bien


qu’il s’en cache, a toujours écrit. Non seulement l’écriture atteste ses
souvenirs mais elle constitue son identité. Pour autant, aucun élément
factuel n’autorise à attribuer ces textes au jeune Mishima. Ils ont pu être
écrits en même temps que le roman.
Le phénomène d’autocitation est établi lorsque les œuvres du héros-
écrivain se retrouvent dans la liste attribuée à l’auteur. Ainsi, dans Regarde,
regarde les arlequins !, Ardis renvoie à Ada, Le Pion prend la reine à Roi,
dame, valet, etc. Dans Blanche ou l’oubli, l’autocitation est avérée par un
double renvoi au péritexte. Le narrateur, ‘Geoffroy Gaiffier’, cite quelques
lignes d’un texte polémique contre la politique américaine qu’une note, en
bas de page, attribue à « Aragon, Le Neveu de M. Duval » ; le lecteur peut
vérifier en fin de volume que ce titre oublié figure bien dans la liste des
« Œuvres d’Aragon ». Commentaire du héros-narrateur :

Mon Dieu, comme, à le relire, ce langage me paraît aujourd’hui


démodé ! Nous étions déjà les gens d’un autre temps, il faut croire 35.

Par le jeu de la citation et de ce « nous » qui les rendent solidaires,


l’auteur et son narrateur amorcent ici un processus de confusion qui va
progressivement miner la fiction romanesque. Même s’il paraît fortuit, le
rappel de textes antérieurs tend à brouiller les distinctions entre
protagoniste, auteur et narrateur. Dans la série intitulée La Jeunesse
d’Adrien Zograffi, Panaït Istrati confie d’abord à son héros ‘Adrien’ le soin
de raconter l’histoire de Codine à la première personne ; puis un narrateur
anonyme raconte la rencontre d’‘Adrien’ avec ‘Mikhaïl’ et fait allusion à
plusieurs reprises aux personnages évoqués dans Codine ; enfin, le
narrateur du troisième volet, intitulé Mes départs, se nomme ‘Panaït’, et
avoue avoir écrit, à partir de ses souvenirs, les récits précédents :

[…] tels les habitants de la Comorofca dont je parle dans Codine.


[…] C’est là que je puisai, dès mon enfance, toutes ces impressions
voluptueuses qui devaient me servir plus tard à composer le cadre et
l’atmosphère de Kyra Kyralina 36.
Comment ne pas identifier l’auteur du cycle, ayant vécu dans ce quartier
de Braïla, avec ‘Adrien’, narrateur supposé d’un seul épisode mais héros
éponyme de l’ensemble ? ‘Adrien’ n’apparaissant pas dans Mes départs, la
cohésion de la série ne peut être sauvegardée que par le jeu de
l’intertextualité interne qui autorise à le confondre avec ‘Panaït’.
L’autocitation prend une valeur encore plus nettement métadiscursive
lorsqu’elle aborde la question du genre des textes qui sont mis en parallèle.
Ainsi Marguerite Duras inscrit-elle L’Amant dans une double perspective de
rupture générique et de continuité thématique :

J’ai beaucoup écrit de ces gens de ma famille, mais tandis que je le


faisais ils vivaient encore, la mère et les frères, et j’ai écrit autour
d’eux, autour de ces choses sans aller jusqu’à elles 37.

Ce faisant, elle invite le lecteur à restituer une dimension


autobiographique à ses romans en général et au Barrage contre le
Pacifique 38 en particulier ; d’abord par un rappel des faits :

C’est en son absence que la mère a acheté la concession. Terrible


aventure… 39.

Ensuite en rétablissant la réalité des épisodes qui avaient été romancés :

Ce n’est donc pas à la cantine de Réam, vous voyez, comme je


l’avais écrit, que je rencontre l’homme riche 40.

Enfin en donnant à ce premier roman la valeur d’un témoignage filial :

Une fois j’écrirai ça : la vie de ma mère 41.


Je vais maintenant aborder un dispositif plus complexe qui, lui aussi,
pourra s’analyser, au niveau formel, comme une pratique intertextuelle et,
au niveau sémantique, comme un métadiscours.

MISE EN ABYME

On dit qu’un récit est mis en abyme lorsque le narrateur y raconte


l’écriture ou la narration d’un autre récit. En représentant la transmission
d’un texte, la mise en abyme construit une mimèsis de la situation
d’énonciation. Ce n’est pas seulement par jeu que l’auteur met en place
cette structure analogique, mais aussi, et surtout, pour proposer un
commentaire de l’œuvre qu’il nous communique 42.
À première vue, le dédoublement réflexif qu’instaure la mise en abyme
déplace le centre d’intérêt de l’énoncé vers l’énonciation. Elle soutient par
conséquent la littérarité du récit. Son intrusion dans la structure d’un récit
mémoriel signalera d’abord une volonté de sophistication narrative, une
mise en roman affichée. Mais, dans le roman autobiographique, ce
dispositif fictionnel peut aussi servir, paradoxalement, à transmettre un
métadiscours relatif à la référentialité du texte.
La métaphore du miroir suggère que le récit second est un reflet, une
réduplication, du texte dans lequel il s’insère. Or, comme le montre Lucien
Dällenbach dans Le Récit spéculaire, la réduplication simple ne constitue
qu’une des modalités logiques empruntées par le dispositif. La
représentation spéculaire peut effectivement réfléchir le positionnement du
roman sur l’axe fiction/référence et confirmer ainsi les autres signes
génériques distribués par le texte. Mais il arrive aussi que le miroir soit
déformant ou à facettes. La mise en abyme a alors pour but d’infléchir ou
de troubler la réception en délivrant un message paradoxal. Enfin, il peut
refléter par antithèse un texte situé dans un autre registre, afin d’opposer
dialectiquement leurs traits antagonistes.
Compte tenu de leur extension sur plusieurs pages, voire plusieurs
chapitres, il est difficile de décrire et surtout d’illustrer ces procédures
d’inclusion. Commençons par la plus élémentaire, la réduplication simple :
le narrateur décrit un personnage qui raconte sa vie, examine les raisons, les
difficultés et les résultats de cette entreprise. La mise en abyme reflète alors
un moment de la réflexion que poursuit le narrateur sur sa propre démarche
mémorielle. Le mot « réflexion » définit économiquement le processus,
dans ses deux sens de méditation et de réfraction.
Ce procédé, devenu structure emblématique pour le Nouveau Roman et
la Nouvelle Critique, apparaît trop souvent comme un jeu cérébral et
spécieux. Sa description entraîne en effet, fatalement, dans un abîme de
considérations théoriques. Or il s’agit aussi, chez Gide notamment, d’un
procédé humoristique permettant à l’auteur de faire la satire de sa propre
activité. Dickens n’ignorait pas cette forme d’auto-ironie. Dans David
Copperfield il donne une partie de son nom, ‘Dick’, à un personnage qui
passe le plus clair de son temps à rédiger « un mémoire concernant sa
propre histoire 43 ». Cette tâche est malheureusement vouée à l’échec, car la
tête de ‘Mr. Dick’ est continuellement assaillie par « une partie des ennuis
qui étaient dans celle du roi Charles » en 1649 44. Ni « le ministre de la
Justice », ni « un de ces personnages qui sont payés pour qu’on leur adresse
des Mémoires 45 » ne recevront jamais ce récit autobiographique. Voilà une
parabole étonnamment cruelle sur l’écriture de soi.
Dans Les Carnets de Malte Laurids Brigge, la mise en abyme, qui était
anecdotique chez Dickens, devient cruciale. Le héros se plaint de n’avoir
jamais, dans son enfance, « entendu personne raconter 46 ». Puis lui
reviennent les récits de la vieille ‘Abelone’ évoquant l’attitude d’un de ses
ancêtres, le ‘comte Brahe’, quand il dictait ses Mémoires :

Ce qu’il ne voulait pas oublier, c’était son enfance. C’est à elle qu’il
tenait. Et il était tout à fait normal, selon lui, que cette époque très
éloignée fût celle qui reprenait le dessus en lui dès qu’il regardait à
l’intérieur de lui-même et qu’elle fût là devant lui, comme dans une
lumineuse nuit d’été nordique, nullement assoupie et plus réelle
qu’elle-même 47.

Dans cette première mise en abyme du récit d’enfance s’en ouvre


bientôt une seconde lorsque ‘Brahe’ se compare au comte de ‘Saint-
Germain’, alias ‘Belmare’, qui, lui, sans le secours d’aucun texte, gardait le
souvenir intact de ses existences antérieures ; d’où ce cri :

Les livres sont vides. […] Le sang, c’est cela qui compte, c’est cela
qu’il faut savoir y lire 48.

Aux yeux du narrateur, la force de ces personnages mythiques est


fondée sur leur capacité à contacter leur passé, leur enfance, leur « sang ».
En écrivant ses Cahiers, ‘Malte’ suit leur règle, s’inscrit dans leur lignée.
Son récit rétrospectif et généalogique n’est pas vain puisqu’il l’enracine :

À partir des racines de son être se développait la plante vigoureuse


d’une féconde joie, capable de survivre aux hivers 49.

La spécularité simple peut donc redoubler et conforter la référentialité


autobiographique du texte. Au stade ultime, on pourrait imaginer une mise
en abyme générique envahissant tout un roman mémoriel qui se
dédoublerait en récit et réflexion permanente sur la problématique
référentielle de ce récit. La structure des Géorgiques s’approche de ce
modèle binaire : à la mémoire du narrateur, fragile, subjective,
fragmentaire, à son enquête opiniâtre mais infructueuse sur son passé,
s’opposent constamment, d’une part, la correspondance du ‘général
L.S.M.’, dans sa matérialité, précise, datée, localisée, chiffrée,
administrative et péremptoire, dénuée d’affect, un modèle de document
référentiel, et, d’autre part, le récit de ‘O’ (George Orwell), entaché, d’après
le narrateur, d’une coupable naïveté sentimentale.
Dans Le Jardin des Plantes, le narrateur-écrivain relate un entretien
accordé à un journaliste qui ne s’intéresse pas tant à son œuvre qu’à
l’empreinte de la guerre et de la peur sur sa mémoire :

Le thème de la guerre revient avec insistance chez vous. On a même


avancé que c’est là la clef qui conditionne tout ce que vous avez
écrit. […] J’ai dit que Oui c’était vrai que ça revenait souvent
mais… Il a dit Pourquoi ? J’ai dit que Vous savez je n’ai pas
beaucoup d’imagination alors à part mes tout premiers bouquins qui
n’étaient pas très fameux les suivants ç’a toujours été plus ou moins
à partir de choses que j’ai vécues, de mes expériences personnelles,
50
ou encore de vieux papiers de famille, tout ça… .

La représentation de cette interview permet à Claude Simon de


reprendre la scène traumatique de la déroute pour en confirmer la réalité
incommunicable :

Je me demandais ce qu’il pouvait bien comprendre de ce que je lui


racontais 51.

Irréductible aux différents textes qui l’évoquent, l’expérience intime


recherche sans cesse de nouveaux modes d’expression :

J’ai sans doute mal raconté tout ça et il faudrait reprendre : heure,


état des lieux, personnages, bruit, actions… 52.
Alors que la réduplication simple permet d’étayer le diagnostic de
référentialité, le dispositif du miroir déformant tend à déstabiliser la
position du lecteur en la reflétant dans une facette biseautée. Cette
perturbation du processus de réception est obtenue par la représentation,
dans le texte mémoriel, d’une scène de narration problématique.
Un exemple. Le chapitre 44 de Redburn s’intitule « Où Redburn
présente à la bienveillante attention du lecteur le jeune maître Harry
Bolton ». Or, en fait de présentation, ce nouveau personnage se caractérise
essentiellement par son opacité. Ce qu’il raconte concernant son passé ne
semble guère crédible :

[…] je commençais à penser que mon ami Harry, après tout, était
quelque peu enclin à abuser de ma crédulité de Yankee. […] J’en
étais profondément désolé car il m’arrivait parfois de me sentir mal
à l’aise en sa compagnie et de ne pouvoir lui ouvrir mon âme sans
53
réserve .

Voilà donc une situation de communication faussée par le mensonge et


le doute. Si le lecteur suppute que cette mise en abyme contient une
prescription générique, plusieurs interprétations s’ouvrent à lui. Soit
Melville le met en garde contre sa propre « crédulité de Yankee » et lui
enjoint d’imiter la méfiance de ‘Redburn’, quitte à ce qu’il se sente lui aussi
« mal à l’aise ». Soit, au contraire, il oppose la franchise de son héros à la
mythomanie du faux héros ‘Bolton’, donc confirme la référentialité du récit
premier. Aucune mise en abyme n’est en fait réductible à une injonction
simple. Détecter une structure spéculaire, c’est entrer dans un système de
questionnement sans fin sur le statut du texte.
Un autre exemple. Octave, dans La Confession d’un enfant du siècle,
avoue un penchant pour la forfanterie qui doit alerter son lecteur :
Chose étrange ! je mettais de l’orgueil à passer pour ce qu’au fond
je n’étais pas du tout ; je me vantais de faire pis que je ne faisais, et
je trouvais à cette forfanterie un plaisir bizarre, mêlé de tristesse.
Lorsque j’avais réellement fait ce que je racontais, je ne sentais que
de l’ennui ; mais, lorsque j’inventais quelque folie, comme une
histoire de débauche ou le récit d’une orgie à laquelle je n’avais pas
assisté, il me semblait que j’avais le cœur plus satisfait, je ne sais
pourquoi 54.

Chez Melville, le miroir renvoyait l’image d’un autre récit, celui de


‘Harry Bolton’. ‘Octave’, lui, met son propre récit en abyme par un simple
changement de destinataire. Racontant sa vie à son entourage, il fabule pour
donner de lui l’image d’un grand pécheur. Le lecteur est confronté au
paradoxe du Crétois qui exige qu’on le croie quand il avoue mentir.
La représentation d’une scène de narration nous rappelle qu’un récit
répond toujours à une demande de récit et résulte d’une transaction.
L’auteur, au moyen de différents procédés, dont la mise en abyme, précise
de temps en temps les termes de cette transaction. La visite de ‘Ferdinand’ à
ses vieux parents est l’occasion pour le narrateur de Mort à crédit de nous
exposer en quelques mots sa démarche :

J’ai essayé un peu quand même de raconter mes propres histoires…


Les petites aventures… Pas toute la réalité !… des choses seulement
pour les distraire… 55.

Céline raconte ses « propres histoires », mais « pas toute la réalité »,


dans l’espoir de nous « distraire ». Le miroir déformant caricature la
situation d’énonciation pour rappeler que le degré de fictionnalité du texte
échappe au contrôle du récepteur. Cette spécularité déformante réfléchit une
facette du processus d’énonciation, tandis que la mise en abyme par
antithèse que nous allons aborder maintenant réfléchit, mais à l’envers,
l’ensemble du code.
Dans le prologue du même roman, le narrateur retrouve un texte qu’il a
écrit jadis, La Légende du roi Krogold :

J’étais bien déçu de la relire. Elle avait pas gagné au temps ma


romance. Après des années d’oubli c’est plus qu’une fête démodée
l’ouvrage d’imagination… 56.

Il la soumet à ‘Gustin’, «expert en joli style », qui lui conseillait de


« raconter des choses agréables… de temps en temps 57 », mais celui-ci
s’endort. Puis il la lit à ‘Mireille’, dont l’intérêt faiblit aussi rapidement 58.
Ce type de mise en abyme, dont le protagoniste-écrivain est le support,
développe le procédé de l’autocitation. Elle signale par conséquent
l’ancienneté de la vocation du personnage. Mais, au lieu de mettre en
évidence la continuité de son inspiration, elle oppose nettement la Légende
au récit rétrospectif qui va commencer. Mort à crédit ne sera pas un
« ouvrage d’imagination », genre « démodé », obsolète ; son héros ne sera
pas le ‘Roi Krogold’, ni ‘Gwendor le Magnifique, Prince de Christianie’ ; et
son narrateur, ayant abandonné ses « très beaux rêves », saura désormais
retenir l’attention du lecteur avec « son histoire… ses petits mensonges ».
La mise en abyme de la situation d’énonciation assume donc ici une
fonction de contre-épreuve, de négatif du récit qui s’amorce. Le livre s’y
reflète inversé. Tout au plus pourrait-on tracer un parallèle dérisoire entre la
trahison du ‘Roi’ par le ‘Prince’ et le conflit entre ‘Ferdinand’ et son père.
Si le scénario archétypique demeure, le prince s’est transformé en
grenouille et la « belle Légende » en sordides mésaventures. L’épopée a
changé de matière et de ton.
L’opposition dialectique sera perçue plus nettement si l’auteur met en
présence deux personnages-écrivains, A et B. A est le narrateur du récit que
nous lisons et peut être identifié à l’auteur réel. Il rencontre B, dont le
travail littéraire le fascine dans un premier temps puis lui répugne. A et B
incarnent deux conceptions différentes de la littérature, B étant le repoussoir
de A, sa contrefaçon. En critiquant l’écriture de B, l’auteur prend en charge
et précise le projet de son narrateur A.
Dans La Tante Julia et le scribouillard 59, Vargas Llosa oppose ainsi
l’ambition littéraire du narrateur A, ‘Varguitas’, à la production du
« scribouillard », B. Les deux écrivains se partagent le livre dans une sorte
de mise en abyme généralisée : entre les chapitres du récit autobiographique
de ‘Varguitas’ s’intercalent des épisodes tirés des innombrables feuilletons
radiophoniques du plumitif. En pastichant les clichés du roman populaire,
Vargas Llosa lui rend une sorte d’hommage intertextuel et suggère que le
roman de formation de ‘Varguitas’ tient aussi du feuilleton sentimental
désuet.

De tous les signes génériques que peut distribuer un roman pour


engendrer une lecture autobiographique, la mise en abyme est certainement
le plus complexe, le plus retors, le plus contradictoire. Loin de résoudre
l’ambiguïté générique du texte, elle la complique en la reflétant dans un jeu
de miroirs. Du moins nous persuade-t-elle que cette question mérite
réflexion.
Nous avons donc constaté que l’attestation documentaire,
l’intertextualité littéraire, l’autocitation, la mise en abyme peuvent délivrer
implicitement un commentaire de l’auteur sur son texte. Mais, si ce
commentaire se détache délibérément du récit pour être perçu comme un
discours autonome, explicite et sérieux sur son statut, il se définira comme
un métadiscours générique.

Indications explicites : le métadiscours


Tenu par l’auteur ou son porte-parole, le métadiscours mobilise
l’aptitude du langage à se retourner sur lui-même pour se référer à son
propre code et s’expliciter en tant qu’outil de communication. Il actualise
par conséquent ce que Jakobson appelait la fonction métalinguistique du
langage 60. Intervenant dans le cadre d’un récit, ou diégèse, dont il
problématise l’origine, la forme, la signification, ce type de discours peut
légitimement être caractérisé par l’épithète « métadiégétique », calquée sur
« métalinguistique ». Au risque de semer quelque confusion, ce néologisme
sera donc employé ici dans une acception différente de celle qu’entendait
Gérard Genette lorsque, dans Figures III, il le forgea pour désigner
paradoxalement, « à l’inverse de son modèle logico-linguistique 61 », « un
récit emboîté 62 ».
Le métadiscours sera analysé comme un outil de communication destiné
à assurer à l’œuvre une réception conforme au dessein de l’auteur. Lorsque
cette œuvre se situe à la frontière entre littérature fictionnelle et littérature
référentielle, on peut prévoir que le message métadiégétique va porter, au
moins en partie, sur la problématique de son positionnement générique.
Dans cette hypothèse, trois options sont envisageables : l’auteur intervient
pour soutenir la fictionnalité de son œuvre, pour soutenir sa référentialité,
ou pour soutenir sa double appartenance. Mais, avant d’étudier les
messages métadiégétiques en fonction de leur sens, il peut être intéressant
d’examiner leur place dans le texte du roman.

DISTRIBUTION

Pour que la valeur métadiégétique d’un discours soit perçue par le


lecteur, il faut qu’il se détache nettement du récit, qu’il soit mis en relief et
se signale par une position extradiégétique. Par ce coup de force,
l’énonciateur clive le texte, quitte un moment le registre fictionnel pour se
poser en médiateur entre le texte narratif et le lecteur. Il postule donc un
lecteur destinataire, désigné ou implicite, auquel il s’adresse, dont il quête
l’approbation. À la faveur du glissement du plan de l’énoncé au plan de
l’énonciation, on entend la voix de l’auteur expliquant son projet littéraire.
Ce faisant, comme le souligne Dominique Maingueneau, elle devient partie
intégrante de ce texte, elle le produit en même temps qu’elle le commente :

Loin de constituer une interprétation définitive du texte, le


processus d’autolégitimation n’en est qu’une des dimensions. Il
n’existe pas de « métadiscours » qui surplomberait l’œuvre, le
63
discours sur le dire s’inscrit dans le dire .

Il s’ensuit que l’intervention métadiégétique doit d’abord être analysée


comme un procédé rhétorique de narration. Que le héros-écrivain soit
l’instance la plus fréquemment mobilisée pour interpeller le roman de
l’intérieur n’aura rien pour surprendre. Il lui revient de démontrer sa
conscience professionnelle, ses scrupules esthétiques, sa hauteur de vue, en
s’exhaussant du texte pour le commenter, le critiquer ou le justifier. Il ouvre
ainsi un espace extra- et métadiégétique où est discuté le statut du texte, où
sont abordées les questions que pose la mise en récit, où est prescrit un
mode de réception. C’est pourquoi on retrouve bon nombre de prescriptions
métadiégétiques dans les positions spatiales remarquables où aime à
intervenir le personnage écrivant : en ouverture du roman, en conclusion et
en incise.
L’emplacement le plus conventionnel pour le métadiscours est
évidemment l’introduction. C’est dans l’exorde que l’orateur arguait de son
attachement à la vérité. C’est dans les premières lignes des Confessions que
Rousseau place son « entreprise » sous le signe de la sincérité et offre ainsi
le modèle du « pacte autobiographique ». Sur ce modèle référentiel, le
roman peut simuler d’emblée un pacte autobiographique. Ainsi Colette
entamant la série des Claudine :
Je m’appelle Claudine, j’habite Montigny ; j’y suis née en 1884 […]
c’est décidément un journal, ou presque, que je vais commencer 64.

Mais l’introduction peut aussi être le lieu où s’instaure le brouillage


générique, où naît une espèce de suspense touchant à l’origine du texte. On
se souvient de la première phrase déroutante de David Copperfield :

Vais-je devenir le héros de ma propre biographie, ou bien ce rôle


sera-t-il joué par quelque autre personne, c’est ce que le présent
ouvrage devra démontrer 65.

Le narrateur de Femmes joue lui aussi du paradoxe lorsqu’il refuse


d’être confondu avec ‘S.’, qui serait en quelque sorte son scribe :

Déjà dans ma famille… Ma famille, ne l’oublions pas, pas celle du


signataire de ce livre… Aucun rapport, aucune comparaison
surtout… Je le jure. J’ai dit que j’expliquerai notre accord à S. et à
moi. Une alliance technique. Puisque je ne suis pas français 66.

Sollers, comme Dickens, éveille l’intérêt et la perspicacité du lecteur en


problématisant d’entrée de jeu le statut du narrateur. Le modèle du roman
d’apprentissage semble au contraire reporter la spécification générique au
terme du processus d’éducation qui est aussi, pour le héros écrivain, un
processus de révélation progressive de son projet littéraire. Dans Le Temps
retrouvé, le narrateur proustien, se retournant sur son ouvrage, en allègue la
fictionnalité :

Dans ce livre, où il n’y a pas un seul fait qui ne soit fictif, où il n’y a
pas un seul personnage « à clefs », où tout a été inventé par moi
selon les besoins de ma démonstration, je dois dire que seuls les
parents millionnaires de Françoise […] sont des gens réels, qui
existent 67.

Outre leur fonction générique, les intrusions métadiégétiques peuvent


aussi être chargées de structurer, de découper et de relancer le récit. Jean
Genet intervient ainsi à plusieurs reprises dans Notre-Dame-des-Fleurs pour
préciser non seulement les circonstances de l’écriture mais aussi les
questions que lui pose le rapport entre l’imaginaire et le réel. Tandis que le
Journal du voleur revendique une référentialité « embellie » par le
« chant », Notre-Dame-des-Fleurs proclame d’emblée sa fictionnalité :

À l’aide donc de mes amants inconnus je vais écrire une histoire 68.

Ensuite, le récit des amours de ‘Divine’ va s’interrompre fréquemment


pour permettre au romancier de souligner son pouvoir discrétionnaire
(« S’il ne tenait qu’à moi j’en ferais un héros fatal comme je les aime 69 »),
ou de rechercher l’origine d’un personnage aléatoire (« C’est de là que part
ma rêverie où j’imaginais de l’appeler Roger 70 »), ou encore, plus près du
dénouement, pour soupeser, et rééquilibrer, la part autobiographique de
l’inspiration romanesque :

Il faut qu’à tout prix, je revienne à moi, me confie d’une façon plus
directe. Ce livre, j’ai voulu le faire des éléments transposés,
sublimés, de ma vie de condamné, je crains qu’il ne dise rien de mes
hantises 71.

Dans certains romans, par exemple La Mise à mort, L’Invention de la


solitude, L’Amant de la Chine du Nord ou Le Livre d’un homme seul, la
réflexion sur l’écriture en cours tend à envahir le texte. Entre le récit et son
commentaire, le rapport de subordination s’inverse. Le récit n’est plus là
que pour illustrer la méditation de l’auteur sur les rapports qu’entretient la
littérature avec le réel.
Faut-il voir dans ce phénomène la résurgence des tentatives de Sterne et
Diderot pour bousculer le statut du roman ? Faut-il l’inscrire dans
l’évolution générale de la fiction contemporaine vers une réflexivité
généralisée ? Oui et non. Le roman autobiographique s’est toujours
interrogé sérieusement, et sans doute davantage que l’autobiographie, sur le
fonctionnement de la mémoire, sur la possibilité de rendre compte du réel.
La fréquence de ces intrusions s’explique par la nécessité, pour l’auteur, de
repréciser constamment le statut instable du texte et ainsi d’entretenir avec
le lecteur une communication sur la nature du récit. Voyons d’abord
comment le métadiscours peut soutenir la fictionnalité d’un texte qui
semble pourtant largement référentiel.

MÉTADISCOURS FICTIONNALISTE

La désinence du néologisme introduit ici signale le caractère prescriptif,


ou « conatif » dans la terminologie de Jakobson 72, du métadiscours
générique : l’auteur, usant de son « autorité », fait irruption dans son propre
texte pour tenter d’influer sur sa réception. Son commentaire
métadiégétique n’indique évidemment pas la position exacte du roman sur
l’axe fiction/référence, mais l’attitude qu’il souhaite voir adopter par le
destinataire. Le lecteur ne s’en laissera d’ailleurs pas conter. En toute
objectivité, il confrontera cette prescription à toutes les autres indications
génériques fournies par le texte et le paratexte.
S’il y a contradiction entre la référentialité de ces indications et un
métadiscours soutenant la fictionnalité du texte, le lecteur aura tendance à
mettre en doute la bonne foi de l’auteur. Il se demandera pour quelle raison,
s’agissant d’un « roman », on lui enjoint tautologiquement de considérer
l’histoire comme fictive. Il supputera que cette pétition de principe vise
peut-être, par antiphrase, à souligner la vraisemblance du récit. En effet,
paradoxe pour paradoxe, peut-on se fier à qui affirme tout inventer ?
La position et la fréquence du métadiscours fictionnaliste détermineront
largement son impact et sa crédibilité. Plus il survient tardivement dans le
texte, comme chez Proust, plus il s’expose au doute d’un lecteur peu enclin
à réviser son optique générique. Symétriquement, un métadiscours
inaugural annonçant clairement un projet de fictionnalisation risque de
passer inaperçu s’il est aussitôt recouvert par des indices de référentialité.
Malraux a su jouer de ce phénomène d’accommodation dans ses
Antimémoires 73. Comme le relève Jacques Lecarme, le métadiscours
commence sur la couverture : « En fait les Antimémoires, dans leur titre
même, indiquent qu’il n’y a pas de frontières entre ce qui a été vécu et ce
qui a été imaginé, entre l’avenir rêvé et le souvenir retrouvé 74. » En
introduction, Malraux nous avertit que ses souvenirs ont subi un traitement
romanesque dont il détaille certains aspects :

Je reprends donc ici telles scènes autrefois transformées en fiction.


[…] Celle qui suit est transposée des Noyers de l’Altenburg, début
d’un roman dont la Gestapo a détruit trop de pages pour que je le
récrive. […] Les personnages s’appellent Berger parce que ce nom
est, selon sa prononciation, français ou germanique. Mais il est
75
devenu le mien deux ans durant .

Se dupliquant en personnage historique et en double fictif, l’auteur va


dès lors faire alterner sans crier gare récits mémoriels et épisodes inventés.
Cette stratégie quelque peu mythomaniaque abusa ses biographes, qui lui
ont longtemps attribué des hauts faits imaginaires. Preuve que le
métadiscours fictionnaliste initial ne suffit pas à mettre en garde le lecteur
contre les pièges tendus par l’apparence autobiographique d’un récit.
La dénégation du narrateur ne peut manquer d’éveiller, ou de confirmer,
la suspicion du lecteur. Ainsi ‘Zuckerman’ s’insurge-t-il en vain contre
l’interprétation littérale qu’une vieille dame fait de son roman quand elle lui
reproche d’y avoir outragé son amie ‘Laura’ :

Je dois vous le dire, Rosemary, je suis un peu choqué de constater


qu’une femme qui a enseigné la littérature pendant trente ans dans le
système scolaire de New York ne peut pas faire la distinction entre
76
l’illusionniste et l’illusion .

Or comment ‘Zuckerman’, en tant que romancier, pourrait-il ignorer


que le processus d’identification n’est pas fonction du niveau de formation
littéraire du lecteur mais de la stratégie du texte ? Le narrateur
autodiégétique de Regarde, regarde les arlequins ! se défend lui aussi à
plusieurs reprises d’écrire un récit autobiographique. D’abord, il annonce
qu’il s’en tiendra à la genèse de ses œuvres :

[…] la valeur du présent récit tient au fait qu’il constitue un


« catalogue raisonné » des racines et origines d’un grand nombre
d’images dans mes œuvres de fiction russes et (plus
particulièrement) anglaises, et des voies amusantes qu’elles ont
empruntées pour venir au monde 77.

Ensuite, il récuse, au nom de l’art, tout pacte référentiel :

[…] en écrivant cette autobiographie oblique – oblique parce qu’elle


délaisse l’histoire prosaïque pour jouer avec les mirages de la
littérature et du romanesque 78.

Puis il définit ironiquement l’attitude qu’il requiert de son lecteur :


J’étais de ces snobs qui présument que les mauvais lecteurs sont, par
nature, au fait des origines d’un auteur, mais qui espèrent que les
bons lecteurs s’intéressent davantage à leurs livres qu’à leur arbre
généalogique 79.

Enfin, il prêche d’exemple en citant sa propre approche pédagogique


des grands textes 80. Son métadiscours fictionnaliste s’inscrit dans la
poétique du New Criticism qui postulait le primat de la fiction et
l’autonomie du texte. On s’attendrait à ce que cette conception du roman
s’exprime sous forme d’essai critique, ou soit illustrée par quelque fable
métalittéraire à la manière de Borges. Le paradoxe consiste à la soutenir au
sein et à l’encontre d’un récit d’apparence autobiographique : le
personnage-écrivain qui est chargé de plaider pour sa propre fictionnalité ne
réussit qu’à confirmer son identité avec l’auteur, auquel ce discours revient
de droit.
Il y a donc une contradiction insurmontable à vouloir faire transmettre
au métadiscours un message exclusivement fictionnaliste. Car la forme du
discours, référentielle, prévaut alors sur son contenu et l’occulte. Pour que
la fiction accède à une dimension réflexive sans tomber dans le référentiel,
il faut qu’elle adopte un dispositif allégorique ou spéculaire. Mais, dès lors
qu’il consent à discuter explicitement de son statut, le roman ne peut
manquer d’avancer l’hypothèse de sa référentialité.

MÉTADISCOURS AMBIGU

Le métadiscours ambigu accepte effectivement de s’interroger sur la


référentialité du roman, mais refuse d’apporter une réponse. Il va donc
tenter de ménager la chèvre référentielle et le chou fictionnel. Comment ? Il
peut d’abord, comme Dickens en ouverture de David Copperfield, poser la
question du genre et reporter la réponse au terme d’une improbable
démonstration narrative 81. C’est déjà admettre que la perception générique
résulte d’une interaction entre écriture et lecture. ‘Barnabooth’ ouvre son
Journal intime par une réflexion théorique plus développée :

Le danger avec nous autres hommes, c’est que, lorsque nous


croyons analyser notre caractère, nous créons en réalité de toutes
pièces un personnage de roman, auquel nous ne donnons pas même
nos véritables inclinations. Nous lui choisissons pour nom le
pronom singulier de la première personne, et nous croyons à son
existence aussi fermement qu’à la nôtre propre. C’est ainsi que les
prétendus romans de Richardson sont en réalité des confessions
déguisées tandis que les Confessions de Rousseau sont un roman
82
déguisé .

L’hétéronyme de Valery Larbaud prétend opposer sa lucidité aux


illusions de Rousseau : n’a-t-il pas conscience que le « je » qui va
s’exprimer dans son Journal intime se détachera de lui pour devenir un être
de fiction ? Par son métadiscours sur les leurres de l’auto-analyse, ce
contemporain de Freud démontre sa capacité réflexive, son aptitude à
s’observer en train de se décrire, sa vigilance critique. Et du même coup il
promet au lecteur un autoportrait plus clairvoyant et pénétrant que ceux de
ses devanciers. Dénoncer dès l’incipit les pièges de l’autobiographie, c’est
en quelque sorte s’engager à les éviter. Puisque roman et confession sont
« en réalité » des genres mensongers et interchangeables, il se peut que
Larbaud-‘Barnabooth’, à son tour, « forme une entreprise qui n’eut jamais
d’exemple 83 », invente, pour « analyser » son « caractère », un genre fondé
sur une articulation inédite entre vécu et imaginaire.
Par leurs métadiscours ambigus, Dickens et Larbaud tentent d’esquiver
une lecture strictement autobiographique. Ils ne nient pas la référentialité de
leurs récits, mais ils avertissent qu’il s’y mêle, inévitablement, une
proportion impondérable d’invention. Ils se refusent pourtant à préciser sur
quel aspect du texte porte la distorsion fictionnelle, dans quel sens elle
remanie le réel. D’autres auteurs vont aller plus loin et fournir, dans le cours
du récit, quelques indications métadiégétiques sur le processus de
fictionnalisation ; mais elles seront ponctuelles, partielles et sujettes à
caution. Boudjedra, par exemple, avoue l’hyperbole :

[…] mon enfance dont je lui avais souvent parlé et dont j’avais
quelque peu dramatisé l’effet (la mythomanie est une vertu !) 84.

Déclaration singulière, qui invite soudain le lecteur à prendre quelque


distance par rapport à l’émotion qui déborde des souvenirs cuisants du
narrateur ; rappel salutaire qu’un « roman » tend d’abord à construire un
mythe. C’est pourquoi le narrateur est porté sur le cabotinage, ainsi que le
reconnaît ‘Céline’ dans D’un château l’autre :

Voilà !… voilà !… je batifole ! je vise l’effet ! je vais vous perdre…


85
.

Mais, à l’inverse, sur certains sujets, la mémoire est filtrée, soumise à la


discipline de la litote, de l’ellipse ou de la dissimulation.

Je vous cite que des noms de personnes mortes… je laisse les


survivants tranquilles… les morts suffisent 86 !…

En effet, comme l’explique Aragon dans Blanche ou l’oubli, la mise en


roman de l’expérience personnelle répond à un besoin de mettre ses
souvenirs en valeur et ne peut donc s’affranchir d’une propension
incoercible à gauchir la réalité pour la rendre à la fois intelligible et
intéressante :
On fait ainsi entrer la vie, sa vie, c’est-à-dire l’oubliable, dans un
nouveau système de références, un roman si vous voulez, c’est-à-
dire qu’on la fait passer dans l’inoubliable. Et la vie ainsi
s’explique, parce qu’elle cesse d’être hasard, pour s’éclairer de la
construction systématique où je l’ai introduite, d’appartenir, comme
disent mes confrères, à une structure 87.

Hyperconscient de ces glissements, Aragon a fait du métadiscours


ambigu l’élément structurant de ses romans en première personne. Si l’on
admet que Le Mentir-vrai, écrit en 1964, constitue à la fois le prototype et
l’« art romanesque » de cette veine autobiographique qui rompt avec la
poétique du Monde réel et des Communistes, on ne manquera pas d’y
relever quelques justifications théoriques de ce changement :

Je veux seulement parler des limites du roman. […] On est pour


écrire, dans ce troisième quart de siècle, plutôt gêné par ce qu’on
sait, qu’on a connu, vécu : ce sont là des difficultés internes du
réalisme, et parfois je me demande combien de temps encore il sera
possible de les surmonter. Les réalistes de l’avenir devront de plus
en plus mentir pour dire vrai 88.

Cette nouvelle prend d’abord l’apparence d’un énoncé d’enfant au


présent. Puis l’auteur casse ce discours pour en montrer la supercherie :

Je me répète. Cinquante-cinq ans plus tard. Ça déforme les mots. Et


quand je crois me regarder, je m’imagine. C’est plus fort que moi, je
m’ordonne. Je rapproche des faits qui furent mais séparés 89.

Dénonçant l’artifice du présent de narration hérité de Vallès et Colette,


rectifiant quelques points de détail, jouant de l’incompatibilité entre texte et
mémoire, arguant de son souci du détail, Aragon piège et déconcerte le
lecteur dans un réseau dilatoire d’incertitudes, de paradoxes, de palinodies
et de commentaires intertextuels sans renoncer à poursuivre, parallèlement,
le récit faussement naïf qu’aurait fait ‘Pierre’ de son existence, sans
renoncer non plus à comprendre, rétrospectivement, sa relation au père et à
la religion. Un voile de métadiscours sur le thème de l’illusion référentielle
s’interpose ainsi entre récit et réel.
À l’opposé de cette stratégie retorse, et parfois agaçante de virtuosité,
de nombreux narrateurs prétendent tout bonnement dire la vérité.

MÉTADISCOURS RÉFÉRENTIALISTE

Je qualifierai de « référentialiste » tout métadiscours dans lequel


l’auteur, ou son porte-parole, soutient la conformité de son récit à la réalité
de ce qu’il a vécu. Son but est de convaincre le lecteur qu’il n’a pas affaire
à une fiction mais à une sorte d’autobiographie. Le métadiscours
référentialiste dément par conséquent le caractère fictionnel du récit :

Vous n’attendez de moi ni des narrations historiques, ni des


descriptions. […] Un solitaire ne vous parlera point des hommes
que vous fréquentez plus que lui. Il n’aura pas d’aventures, il ne
vous fera pas le roman de sa vie. Mais nous sommes convenus que
je continuerais à vous dire ce que j’éprouve 90.

e e
Dans la droite ligne des critiques moralistes des XVII et XVIII siècles,
Senancour considère le roman comme un genre frivole, à quelques
exceptions près. Son personnage hésite à s’y risquer :

Je pense comme vous qu’il faudrait un roman, un véritable roman


tel qu’il en est quelques-uns. […] À plusieurs égards j’y serais assez
peu propre. […] Je crois que j’écrirai un voyage. […] Quel style
j’adopterai ? Aucun. J’écrirai comme on parle, sans y songer : s’il
faut faire autrement, je n’écrirai point 91.

Le choix d’un genre référentiel, le récit de voyage, va de pair avec


l’aspiration à un langage naturel, spontané et transparent. Double utopie, à
la fois absence d’ancrage dans un lieu géographique (topos) et refus de
toute rhétorique (topoi), qui condamne le projet à rester virtuel. Car la
validité du métadiscours référentialiste est évidemment indexée sur la
fiabilité de l’instance énonciatrice, sur son degré d’identification à l’auteur.
Par sa fermeté d’écriture, par le dispositif fictionnel qu’il adopte, le projet
de Senancour se démarque des velléités de son héros. Mais la poétique de la
sincérité à laquelle rêve ‘Oberman’ indique certainement au lecteur un des
objectifs poursuivis par le texte.
Du Romantisme à nos jours, le métadiscours référentialiste postule une
opposition nette entre langage fictionnel et langage référentiel. Ainsi le
chroniqueur de Mon année dans la baie de Personne, de Peter Handke,
affirme-t-il :

« Jamais n’est entrée en ligne de compte pour ma narration la


langue des romans, quels qu’ils soient : pour ce qui me concerne
j’aurais trahi par là, je n’ai pas tardé à m’en apercevoir, ma nostalgie
originelle au profit d’une imitation et d’un ressassement sans
vie 92. »

De même, Patrick Modiano situe Dora Bruder dans un au-delà du


roman :

[…] le manque que j’éprouvais m’a poussé à l’écriture d’un roman,


Voyage de noces, un moyen comme un autre pour continuer à
concentrer mon attention sur Dora Bruder 93.

Il a déjà imaginé une histoire à partir de ce qu’il savait de cette jeune


fille. Le livre qu’il propose maintenant, après un long délai de réflexion, est
d’une autre nature, et, sous-entend-il, d’un genre plus exigeant. Son statut
résulte donc d’un choix conscient fondé sur l’expérience et le refus de la
fictionnalisation. Le récit de cette expérience repousse la tentation
romanesque dans un passé révolu et atteste la volonté de l’auteur de s’en
tenir aux faits, ou plutôt, nuance importante, aux souvenirs, aux traces des
faits.
Cette problématique générique qui conduit nécessairement, et
dangereusement, à opposer fiction et référence, la plupart des auteurs
évitent de l’aborder de front dans leurs interventions métadiégétiques. Ils
font comme si le récit de soi allait de soi. Ainsi Thomas Wolfe, évoquant le
projet littéraire de ‘George Webber’ :

À partir de là, il avait conçu un livre, dans lequel il désirait présenter


l’image non seulement de sa jeunesse mais de toute la vie dont il
venait et de tous ses habitants, tels qu’il les avait connus […] sa
mémoire était totalement, triomphalement, en possession de chacun
des instants de sa vie 94.

Reste à donner une valeur littéraire à l’entreprise. Dan Franck, soucieux


de transformer sa chronique personnelle en œuvre artistique, va lui assigner
une portée universelle :

Il prend des notes. Il les écrit par nécessité et non pour le livre
qu’elles pourraient faire naître. […] Se relisant il perçoit une
dimension romanesque dans des faits et gestes que dix mille
personnes ont vécus avant lui. Parfois, elle, les enfants et lui
deviennent comme les personnages d’un roman dont il serait
l’instigateur plutôt qu’un des participants 95.

Le genre « roman » n’est plus défini par le critère de fictionnalité, mais


par sa capacité à représenter le réel et à généraliser le particulier. La
démarche de Marie Cardinal est exactement identique :

Pour le leur faire comprendre et pour aider ceux qui vivaient dans
l’enfer où j’avais vécu, je me promettais d’écrire un jour l’histoire
de mon analyse, d’en faire un roman où je raconterais la guérison
d’une femme qui me ressemblerait comme une sœur 96.

L’écriture s’autolégitime en revendiquant une fonction doublement


émancipatrice : elle libère le narrateur de son passé et, par la représentation
de cette libération, apporte un réconfort au lecteur. Mais le récit de soi n’a
pas toujours besoin d’être justifié par quelque visée altruiste. Il peut
simplement procéder d’une nécessité intérieure irrépressible. C’est en se
montrant à sa table de travail, habité par l’œuvre à venir que ‘Serge
Doubrovsky’ dramatise l’enjeu de sa production littéraire et exige qu’on la
prenne au sérieux :

Je tape ferme aussi, j’en suis à la page mille cinq cent de mon auto-
analyse. Mon self-roman prolifère comme une tumeur. Je ne peux
plus arrêter son excroissance. À force de fouiller mes profondeurs
volcaniques, je suis entré en éruption permanente, ma vie s’écoule
en une lave brûlante, infinie 97.

Dans Le Livre brisé, cette réflexion sur l’écriture de soi est


contemporaine de la narration. De plus, l’auteur y introduit un principe
dialogique en la personne d’‘Ilse’ qui contredit le narrateur, attaque son
livre précédent, critique le brouillon de celui-ci, dénonce ses oublis, sa
complaisance envers lui-même, sa tendance à fictionnaliser le réel pour se
préserver. Puis elle meurt, coupant net le récit de leurs conflits. Ce qui est
alors « brisé », dans le livre, c’est sa dimension temporelle, narrative,
anecdotique. Mais le métadiscours, lui, se poursuit. Travaillé par le deuil et
la culpabilité, le texte reprend le chemin du récit mémoriel. Par un
renversement dialectique, ce n’est plus le récit mémoriel qui suscite un
commentaire explicatif mais c’est une méditation sur les périls de l’écriture
du moi qui réactive la fonction narrative du roman.
Sans être consubstantiel à l’écriture du récit ambigu, le discours
métadiégétique n’en constitue pas moins un précieux instrument de
communication générique. Quel que soit son message, il signale d’abord, au
même titre que l’attestation documentaire ou l’intertextualité littéraire, une
intrusion de l’auteur dans son texte. Il manifeste une volonté de rompre le
fil du récit pour influer sur sa réception. Il trahit, plus qu’il ne lève, une
indécision ou une inquiétude quant au genre de l’œuvre. Il s’inscrit par
conséquent dans une stratégie d’autolégitimation du texte. En l’absence de
pacte référentiel, il est sans doute condamné à être mis en doute.
Néanmoins, il exerce indubitablement une sorte d’ascendant sur les autres
signes génériques.
J’ai recherché dans les pages qui précèdent comment le roman
autobiographique peut mettre à profit certains dispositifs textuels pour poser
la question de sa référentialité. Cédant à la démonstration, j’ai peut-être
négligé de souligner l’intérêt artistique de ces procédures. Or, mon but est
justement de démontrer que toute transmission au lecteur d’indications
génériques est un facteur d’enrichissement textuel. En effet, l’attestation
documentaire, l’intertextualité, l’autocitation, la mise en abyme ou le
métadiscours n’ont pas seulement pour fonction de porter un éclairage sur
l’œuvre. Dans le même temps ils la produisent. Ces différents dispositifs
ont ceci de commun qu’ils ouvrent dans le texte des portes, ou des fenêtres,
qui le mettent en contact et en perspective avec d’autres discours pourvus,
eux aussi, de portes et de fenêtres. Par ces ouvertures, le roman respire, se
déplie, se féconde et se démultiplie. Loin d’être incompatible avec un
dessein esthétique, l’indication générique interne accroît et raffine la
complexité structurelle et sémantique du texte. Non seulement il accède à
une profondeur réflexive éminemment littéraire mais il devient un objet
culturel, un vecteur d’échanges.
Cependant, le tissage du roman ne se limite pas à ces motifs que sont les
insertions intertextuelles et métadiégétiques. D’un point de vue structurel, il
est constitué d’une trame narrative dont le mode d’énonciation et le
déroulement temporel tendent la chaîne. Si les étapes précédentes – identité
du protagoniste, indications paratextuelles, métacommentaires – n’ont pas
suffi à déterminer le genre du texte, le lecteur, opiniâtre, va rechercher dans
cette infrastructure des informations supplémentaires.

1. H.R. Jauss, Pour une esthétique de la réception, trad. fr. de C. Maillard, Paris, Gallimard,
1978, p. 52.
2. J. Kristeva, citée par P. Sollers, «Niveaux sémantiques d’un texte moderne», dans Tel Quel,
théorie d’ensemble, Paris, Éd. du Seuil, 1968; rééd., coll. «Points», 1980, p. 279.
3. P. Sollers, «Écriture et révolution», ibid., p. 77.
4. G. Genette, Palimpsestes. La littérature au second degré, Paris, Éd. du Seuil, coll.
«Poétique», 1982; rééd., coll. «Points», 1992. Cette définition se trouve p. 8.
5. T. Pavel, Fictional Worlds, Cambridge (Mass.), Harvard University Press, 1986; trad. fr. de
l’auteur, Univers de la fiction, Paris, Éd. du Seuil, 1988, p. 129.
6. Nadja, d’André Breton, n’est pas un récit autobiographique puisqu’il ne raconte pas à
proprement parler la vie de l’auteur, et les photos qui l’illustrent ont, de l’avis de Breton,
une fonction descriptive, non rétrospective (Nadja, Paris, Gallimard, 1928, rééd., 1964;
rééd., coll. «Folio», 1990, «Avant-dire», p. 6). Roland Barthes par Roland Barthes (Paris,
Éd. du Seuil, coll. «Écrivains de toujours», 1975) inclut des photos, des manuscrits, des
dessins, une partition musicale, une courbe de températures, mais ce n’est pas un roman.
On n’abordera pas ici les modes d’expression dans lesquels l’image prime sur le texte, tels
que bande dessinée, vidéo, cinéma ou «installation» spatiale. La grille d’analyse que je
propose ici leur est applicable, mais demanderait évidemment à être complétée par une
connaissance approfondie de leur esthétique et de leur horizon d’attente spécifiques. Voir à
ce sujet:
– R. Robin, Le Golem de l’écriture. De l’autofiction au cybersoi, op. cit.
– J. Lecarme et E. Lecarme-Tabone, L’Autobiographie, Paris, A. Colin, 1997, chap. 3,
«Autobiographie et image», p. 253-261.
– La Faute à Rousseau [bulletin de l’Association pour l’autobiographie, 10 rue A. Bonnet,
01500 Ambérieu-en-Bugey], nº 22, Autobiographie et cinéma, octobre 1999, et différents
articles dans les nº 24, 26, 31, 32, 33…
– P.Lejeune et C.Bogaert, Un journal à soi, Paris, Textuel, 2003, p.198-203.
7. Horace, Ars poetica ou Épître aux Pisons, v. 361.
8. T. Ben Jelloun, L’Écrivain public, op. cit., p. 63 et 100.
9. P. Auster, L’Invention de la solitude, op. cit.
10. E. Fromentin, Dominique, op. cit., chap. VIII.
11. C. Simon, Les Géorgiques, op. cit., p. 410.
12. C. Simon, Le Palace, op. cit., p. 134-138, 66, 91, 101, 135, 147.
13. P. Modiano, Fleurs de ruine, op. cit., p. 29.
14. Ibid., p. 74-75.
15. P. Modiano, Dora Bruder, op. cit., p. 12.
16. Ibid., p. 65.
17. Y. Mishima, Confession d’un masque, op. cit., p. 233.
18. S. Doubrovsky, Fils, op. cit., p. 263.
19. A. Compagnon, La Seconde Main ou le travail de la citation, Paris, Éd. du Seuil, 1979, p.
23.
20. R. Jakobson, Essais de linguistique générale, op. cit., chap. XI, p. 102.
21. P. Auster, L’Invention de la solitude, op. cit., p. 154-159.
22. S. Rushdie, Midnight’s Children, 1981; trad. fr. de J. Guiloineau, Les Enfants de minuit,
Paris, Stock, 1983; rééd., LGF, coll. «Le Livre de poche», 1987, p. 34.
23. R. Boudjedra, La Macération, op. cit., p. 155.
24. C. Simon, Le Jardin des Plantes, Paris, Éd. de Minuit, 1997, p. 142.
25. Je dois cette observation à Pierre Pillu, «Lecture du roman autobiographique», dans M.
Picard (dir.), La Lecture littéraire. Actes du colloque de Reims (14-16 juin 1984), Paris,
Clancier-Guénaud, 1987, p. 259.
26. H. Guibert, À l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie, op. cit., p. 217.
27. S. Doubrovsky, Le Livre brisé, op. cit., p. 150.
28. Ibid., p. 120.
29. Ibid., p. 110.
30. Ibid., p. 111.
31. Ibid., p. 75.
32. M. Weitzmann, Chaos, Paris, Grasset, 1997, p. 142-143.
33. Actes du colloque de Cerisy-la-Salle de 1974, Paris, UGE, coll. «10/18», 1975, p.18 sq.
34. Y. Mishima, Confession d’un masque, op. cit., p. 106.
35. L. Aragon, Blanche ou l’oubli, op. cit., p. 411-412.
36. P. Istrati, Mes départs, rééd. dans La Jeunesse d’Adrien Zograffi, op. cit., p. 305.
37. M. Duras, L’Amant, op. cit., p. 14.
38. M. Duras, Un barrage contre le Pacifique, Paris, Gallimard, 1950; rééd., coll. «Folio»,
1978.
39. M. Duras, L’Amant, op. cit., p. 12.
40. Ibid., p. 36.
41. M. Duras, L’Amant de la Chine du Nord, op. cit., p. 97.
42. Sur la mise en abyme, voir notamment: L. Dällenbach, Le Récit spéculaire. Essai sur la
mise en abyme, Paris, Éd. du Seuil, coll. «Poétique», 1977; M. Bal, «Mise en abyme et
iconicité», Littérature, nº 29, février 1978, p. 116-128; et. D. Maingueneau, Pragmatique
pour le discours littéraire, Paris, Bordas, 1990, p. 178 sq.
43. C. Dickens, David Copperfield, op. cit., chap. XIV, t. I, p. 230.
44. Ibid., chap. XVII, t. I, p. 276.
45. Ibid., chap. XIV, t. I, p. 230.
46. R.M. Rilke, Les Carnets de Malte Laurids Brigge, op. cit., p. 151.
47. Ibid., p. 153-154.
48. Ibid., p. 156.
49. Ibid., p. 252.
50. C. Simon, Le Jardin des Plantes, op. cit., p. 76.
51. Ibid., p. 96.
52. Ibid., p. 101.
53. H. Melville, Redburn, op. cit., p. 334 et 337.
54. A. de Musset, La Confession d’un enfant du siècle, 1836, chap. II et IV, dans Œuvres
complètes en prose, Paris, Gallimard, coll. «Bibliothèque de la Pléiade», 1960, p. 133.
55. L.-F. Céline, Mort à crédit, 1936; rééd. dans Romans, op. cit., t. I, 1981, p. 969.
56. Ibid., p. 24.
57. Ibid., p. 17.
58. Ibid., p. 37.
59. M. Vargas Llosa, La Tante Julia et le scribouillard, op. cit.
60. R. Jakobson, Essais de linguistique générale, op. cit.
61. G. Genette, «Discours du récit», art. cité, p. 238-243, spécialement la note 1 de la p. 239.
62. Dès 1977, Mieke Bal jugeait «fort discutable» l’introduction par Genette du terme
«métadiégétique» dans cette acception et a proposé de le remplacer par «hypodiégétique»,
qui semble en effet plus étymologique. Cf. Narratologie, Paris, Klincksieck, 1977, 1re
partie, et «Mise en abyme et iconicité», art. cité, p. 119, n. 6.
63. D. Maingueneau, Pragmatique pour le discours littéraire, op. cit., p. 128.
64. Colette, Claudine à l’école, dans Œuvres, op. cit., t. I, p. 7.
65. C. Dickens, David Copperfield, op. cit., t. I, p. 23.
66. P. Sollers, Femmes, op. cit., p. 34.
67. M. Proust, À la recherche du temps perdu, op. cit., t. IV, p. 424.
68. J. Genet, Notre-Dame-des-Fleurs, op. cit., p. 16
69. Ibid., p. 39.
70. Ibid., p. 45.
71. Ibid., p. 204.
72. R. Jakobson, Essais de linguistique générale, op. cit., p. 101.
73. A. Malraux, Antimémoires, Paris, Gallimard, 1967; rééd., coll. «Bibliothèque de la
Pléiade», 1976, et coll. «Folio», 1996, en tant que première partie du Miroir des limbes.
74. J. Lecarme, article «Malraux» dans Encyclopaedia Universalis, vol. XIV. Voir également,
du même auteur, «L’autofiction: un mauvais genre?», art. cité, p. 240-241.
75. A. Malraux, Le Miroir des limbes, I, Antimémoires, op. cit., p. 11-12.
76. P. Roth, Zuckerman délivré, op. cit., p. 312.
77. V. Nabokov, Regarde, regarde les arlequins!, op. cit., p. 17-18.
78. Ibid., p. 114.
79. Ibid., p. 149.
80. Ibid., p. 174.
81. C. Dickens, David Copperfield, op. cit., t. I, p. 23; cf. supra, p.128.
82. V. Larbaud, A.O. Barnabooth, ses œuvres complètes, op. cit., «1er cahier», p. 101.
83. On aura reconnu les premiers mots des Confessions.
84. R. Boudjedra, La Macération, op. cit., p. 90.
85. L.-F. Céline, D’un château l’autre, op. cit., p. 91.
86. Ibid., p. 112.
87. L. Aragon, Blanche ou l’oubli, op. cit., p. 56.
88. L. Aragon, Le Mentir-vrai, texte daté de 1964, Paris, Gallimard, 1980; rééd., coll. «Folio»,
1997, p. 31.
89. Ibid., p. 12.
90. Senancour, Oberman, 1804, lettre LX.
91. Ibid., lettre LXXX.
92. P. Handke, Mon année dans la baie de Personne, op. cit.
93. P. Modiano, Dora Bruder, op. cit., p. 54.
94. T. Wolfe, La Toile et le roc, op. cit., p. 457-458.
95. D. Franck, La Séparation, Paris, Éd. du Seuil, p. 65.
96. M. Cardinal, Les Mots pour le dire, op. cit., p. 269.
97. S. Doubrovsky, Un amour de soi, op. cit., p. 304-305.
4

Énonciation

Narration
Résumé des chapitres précédents. Le mode narratif comprend des
genres fictionnels, tels que le roman, et des genres référentiels tels que
l’histoire et l’autobiographie. Cette bipartition est fondée sur un critère
pragmatique : la possibilité ou non d’identifier le narrateur avec l’auteur.
Nous avons vu que certains romans transgressent ce clivage en suggérant
que le héros est identifiable à l’auteur. Et nous avons constaté qu’ils
distribuent, ici, là et ailleurs, de mille manières, des preuves et des démentis
de cette identité.
Il faut maintenant se demander si cette ambiguïté générique est
repérable non seulement à des indices ponctuels mais dans la structure
même de la narration. Pour étudier cette structure, je considérerai, à la suite
de Gérard Genette, qu’un récit est « le développement […] donné à une
forme verbale, au sens grammatical du terme : l’expansion d’un verbe 1 ».
Ce qui permet d’analyser la grammaire narrative selon deux axes : la
personne (je, tu, il) et le temps (passé, présent, futur). La question est la
suivante : le clivage entre genres fictionnels et genres référentiels se traduit-
il à ce niveau structurel ? En d’autres termes, le roman se raconte-t-il de la
même manière que l’histoire ou l’autobiographie ? Et, si chaque genre
narratif se caractérise par un certain usage de la personne et du temps, le
roman, dont on connaît le mimétisme, ne peut-il pas imiter les formes
verbales de l’autobiographie et d’autres genres référentiels ?

L’Histoire est généralement régie par la « focalisation zéro 2 ». Le


linguiste Émile Benveniste observait que les faits y sont présentés « sans
aucune intervention du locuteur dans le récit 3 » :

Personne ne parle ici ; les événements semblent se raconter eux-


mêmes 4.

Même s’il interprète ses sources, même s’il avance des opinions
personnelles, l’historien reste invisible, transparent, de façon à écarter tout
soupçon de subjectivité.

On ne constatera donc dans le récit historique strictement poursuivi


que des formes de la troisième personne 5.

Les familiers de la terminologie introduite par Gérard Genette auront


reconnu dans ce narrateur occupant une position totalement extérieure à son
récit une voix à la fois « extradiégétique » et « hétérodiégétique ».
À l’inverse, l’autobiographe adopte une position de focalisation
interne : il ne rapporte en principe que ce qu’il perçoit, ce qu’il sait et ce
qu’il pense. Le champ de son récit est étroitement circonscrit à son champ
de conscience. Sur ce qui se passe en dehors de son champ de conscience,
en particulier sur ce que pensent les autres personnages, il ne peut que
rapporter des informations, des confidences, des conjectures. Son récit est
donc filtré par sa subjectivité. Parce qu’il raconte à la première personne
une histoire dont il est le protagoniste, sa position est dite
« autodiégétique ». Le romancier imite, mélange et subvertit ces deux
procédures de narration référentielle. Il élabore ainsi ce que Käte
Hamburger nomme « une mimèsis de l’énoncé de réalité 6 ». En effet, il ne
répond pas du sérieux ni de la véridicité de l’énoncé, mais en impute la
responsabilité à un narrateur fictif « qui n’est jamais l’auteur lui-même
littéralement 7 ».
Si son récit est à la troisième personne, le romancier mime le mode de
narration historique, à cette différence près qu’il peut se targuer de
connaître les pensées des personnages. Souvent comparé à Dieu, ce
narrateur « omniscient » jouit d’un savoir qui outrepasse, de loin, celui de
l’historien. Dans un souci de réalisme, l’auteur peut aussi limiter le champ
de connaissance du narrateur à ce que perçoit et comprend un seul
personnage, dont il adopte le « point de vue » selon le principe de la
focalisation interne. Le narrateur ne prétend plus représenter objectivement
le réel mais refléter la subjectivité du protagoniste. Le roman raconté à la
première personne imite, à l’évidence, le mode de narration
autobiographique. Il reste fictionnel tant que le narrateur et l’auteur sont
dissociés.
Ces deux modes d’énonciation peuvent se combiner de la manière
suivante : le narrateur est également un personnage secondaire de l’histoire
qu’il raconte. Il s’exprime donc à la première personne pour donner son
point de vue et à la troisième lorsqu’il décrit l’action du héros et des autres
personnages. Gérard Genette emploie alors le terme de « narration
homodiégétique ».
Si l’énonciation ne fournit pas de critères strictement définitoires des
genres narratifs, ses modalités entrent dans la plupart des conventions
pragmatiques qui les caractérisent. Comme l’observe Philippe Lejeune, le
lecteur attend d’un récit référentiel une expression qui offre l’apparence du
« naturel », c’est-à-dire, en fait, qui ne s’éloigne pas de certains modèles
stéréotypés :
Mais, paradoxe, l’autobiographe qui prend son art au sérieux et
tente d’inventer une forme originale court le risque de se voir
soupçonné d’artifice et d’affabulation, comme s’il ne pouvait y
avoir de vérité hors de la vraisemblance, c’est-à-dire hors de la
répétition des formes convenues 8.

À cet égard, l’autobiographie est incontestablement un genre plus codé,


conventionnel et contraignant que le roman. Aussi, une certaine
sophistication dans le dispositif d’énonciation sera parfois jugée
incompatible avec la sincérité attendue d’un énoncé mémoriel. On
soupçonnera l’auteur d’obéir à des considérations esthétiques étrangères à
son objet et par conséquent, en termes idéalistes, de sacrifier le « vrai » au
« beau ». Cette propension à convertir les marques de littérarité en signes de
fictionnalité est largement imputable à l’idéologie héritée d’Aristote :
puisqu’il n’y a de littérature narrative que fictionnelle, tout récit qui semble
littéraire semble également fictionnel.
Le roman autobiographique utilise les trois principaux modes narratifs :
tantôt il emprunte la structure du récit en troisième personne, tantôt il
adopte le point de vue d’un narrateur homodiégétique, tantôt il mime le
récit autodiégétique de l’autobiographie proprement dite. Et il montre une
certaine propension à combiner ces procédures. Il est donc indispensable
d’étudier les répercussions de la structure d’énonciation sur la réception
générique de tels textes.

Il (ou elle) : voix hétérodiégétique


Gérard Genette a défini le récit de type hétérodiégétique par l’absence
du narrateur de l’histoire qu’il raconte. Il a créé ce néologisme pour dissiper
l’équivoque pouvant naître de l’appellation habituelle. En effet, dans cette
catégorie narrative, qu’on nomme couramment « récit à la troisième
personne », rien n’interdit au narrateur de dire « je » pour présenter ou
commenter l’histoire. Tant qu’il n’y joue aucun rôle en tant que personnage,
on reste dans le cadre d’un récit hétérodiégétique où tous les personnages
sont effectivement désignés par la troisième personne. Selon Benveniste :

La « troisième personne » n’est pas une « personne » ; c’est même


la forme verbale qui a pour fonction d’exprimer la non-personne 9.

En l’absence de tout pacte référentiel, le lecteur attribuera sans


problème une existence fictionnelle à ces « non-personnes » manipulées par
un marionnettiste invisible. D’un point de vue théorique, la voix
hétérodiégétique ne constitue en aucun cas un critère distinctif du récit de
fiction puisqu’il y a évidemment quantité de romans à la première personne.
Michel Butor, s’interrogeant sur « L’usage des pronoms personnels dans le
roman », reconnaissait néanmoins à ce mode narratif une valeur de norme
romanesque :

La forme la plus naïve, fondamentale, de la narration est la


troisième personne ; chaque fois que l’auteur en utilisera une autre,
ce sera d’une certaine façon une « figure », il nous invitera à ne pas
la prendre à la lettre, mais à la superposer sur celle-là toujours sous-
entendue 10.

L’autobiographie, de son côté, n’ignore pas la troisième personne.


L’illustration la plus classique en est fournie par les Commentaires de Jules
César, récit historique de par son mode d’énonciation et autobiographique
de par son protagoniste, ‘Caesar’ renvoyant sans conteste à l’auteur-
narrateur. Les Commentaires ne sont donc pas hétérodiégétiques au sens
strict, puisque leur narrateur est le héros de l’histoire. Leur mode
d’énonciation devrait, logiquement, être analysé comme une variété
rhétorique du type autodiégétique transposé en troisième personne par
« énallage de convention 11 ».
Sur cet exemple, et quelques autres, Philippe Lejeune a fondé son rejet
de l’énonciation autodiégétique comme critère distinctif de
l’autobiographie 12. Il a montré ensuite que le mode d’énonciation
hétérodiégétique fonctionne alors soit comme une marque d’orgueil ou de
modestie, soit comme un signe fictionnel :

Dans le cadre d’un genre comme l’autobiographie […] l’emploi de


la troisième personne produit […] un effet frappant : on lit le texte
dans la perspective de la convention qu’il viole. Pour cela il faut que
le lecteur se souvienne de la convention. Si le texte est entièrement
écrit à la troisième personne, il ne reste que le titre (ou une préface)
pour imposer une lecture autobiographique. Et si ce texte est long le
lecteur risque de l’oublier. C’est ce qui explique qu’il y ait si peu
d’autobiographies modernes écrites entièrement à la troisième
personne 13.

Son argument est donc symétrique à celui de Butor, avec lequel il forme
système : le lecteur s’attend à ce que la fiction soit à la troisième personne
et l’autobiographie à la première ; il perçoit par conséquent les écarts
comme des figures.
Pour suggérer qu’il transgresse cette norme, le récit en troisième
personne peut distribuer les mêmes indices d’identité de l’auteur avec le
héros que le récit en première personne. Mais il possède un handicap : il lui
est beaucoup plus difficile de respecter la focalisation interne, c’est-à-dire
de restreindre son point de vue à ce que voit le héros, à ce qu’il sent, à ce
qu’il comprend 14. Pour rendre compte de cette subjectivité, il ne peut pas se
contenter d’alléguer les pensées du sujet. Il doit fonder son portrait intime
sur ce que le personnage lui-même exprime, donc sur son langage, sur ses
discours. Comme on le sait, ceux-ci peuvent être transcrits de deux
manières, en style direct ou indirect.
Le style indirect (« il dit qu’il… ») maintient le personnage dans un lien
étroit de subordination au narrateur. Le style direct, au contraire, restitue au
héros une part d’autonomie en lui accordant un espace de parole.
S’exprimant en première personne, entre guillemets, le personnage assume
alors son discours en tant que « personne ». Pour peu que ce discours soit
prégnant, qu’il prolifère et accapare l’attention du lecteur, les liaisons
hérétodiégétiques apparaîtront bientôt de pure forme et ce « je » tendra à
occulter celui du narrateur. Pour la plupart des lecteurs de René, le récit
autodiégétique du héros, au centre du roman, en délivre le genre et le sens.
On oublie que ce récit est encadré, sanctionné et fictionnalisé par les
commentaires de ses auditeurs et par ceux du narrateur omniscient qui
rapporte la scène.
Le discours en style direct ou indirect se présente comme un moment où
le narrateur adopte la voix du personnage. Pour qu’il y ait focalisation
interne, donc possibilité d’identifier tout au long du récit le héros avec le
narrateur, il faut que leurs points de vue coïncident constamment. Or la
recherche de cette coïncidence est une préoccupation relativement récente
dans l’histoire du roman hétérodiégétique. Il est donc normal que les
premières tentatives de roman autobiographique aient ignoré cette
possibilité technique. Premier exemple : Anton Reiser, dont le narrateur
hétérodiégétique adopte le ton d’un moraliste surplombant le récit de toute
la hauteur de son expérience. D’où la fréquence de ses jugements
normatifs :

Ainsi, à treize ans, ce garçon était devenu totalement


hypocondriaque. […] Il avait été scandaleusement frustré des
plaisirs de l’enfance 15.
Quel aliment de choix pour sa vanité 16 !
[…] il ne lui vint pas à l’esprit que […] 17.

Ces gloses assurent au narrateur une position de biographe extérieur à


l’histoire. Sa voix, distincte de celle du héros, que du reste on entend peu,
exerce une fonction monitoire d’interprétation et de commentaire de ses
faits et gestes. C’est en manifestant un intérêt passionné pour le héros que le
narrateur va alors suggérer qu’un lien profond l’unit à l’auteur. Les romans
plus ou moins autofictionnels de Mme de Staël (Delphine, Corinne) et de
George Sand (Indiana, Lélia) obéissent à cette formule. Elle connut un
regain de succès au début du XXe siècle et permit à des auteurs aussi
18
différents que D.H. Lawrence (Amants et fils ), Jack London (Martin
Eden), Hermann Hesse (L’Ornière 19), Thomas Wolfe (La Toile et le roc 20),
21
et Henry Miller (Crazy Cock ) de créer des personnages à teneur
autobiographique probable mais impondérable. Ces auteurs se posaient
parfois la question de l’adéquation du mode de narration choisi à son objet.
London place ainsi dans la bouche de l’ignorante Ruth une défense
maladroite de l’omniscience :

Toute forme d’art a ses limites. […] En littérature, de même,


l’auteur est tout-puissant. Vous acceptez qu’il rapporte les pensées
secrètes de l’héroïne tout en sachant parfaitement que celle-ci était
seule au moment où elle a formé ces pensées et que personne n’a pu
les entendre. […] Il y a certaines incohérences qu’il faut accepter.

Mais le héros-écrivain se montre plus exigeant en fait de réalisme :

Oui, je comprends ça. Tous les arts ont leurs conventions. […] Mais
même les conventions doivent être vraisemblables 22.
Le roman autobiographique hétérodiégétique invite le lecteur à
confronter le discours du narrateur avec celui du héros. Un héros docile et
taciturne, comme ‘William’ dans Amants et fils, ou ‘Hans’ dans L’Ornière,
semble le jouet des événements, donc de l’auteur. Son comportement, aliéné
par son environnement, est constamment décrit et expliqué de l’extérieur.
Les héros-écrivains de London et Wolfe, au contraire, prennent la parole
pour clamer leurs ambitions littéraires et amoureuses. On les sent
déterminés à rejoindre le point focal d’où le récit est produit. Ils sont
inspirés, aspirés, par cette origine, et bientôt les deux discours tendent à se
confondre.
Dans la seconde moitié du XIXe siècle est apparu un nouveau procédé
qui permettait justement de confondre l’énoncé du personnage avec celui du
narrateur : le discours indirect libre 23. Pour le romancier un tant soit peu
autobiographe, il ouvrait une intéressante possibilité d’identification des
deux instances. Joyce l’utilise abondamment dans le Portrait de l’artiste en
jeune homme pour traduire ce que ressent le héros sans lui donner la parole.
Dans le chapitre consacré à la confession de ‘Stephen’, le narrateur finit par
céder la parole au héros :

Enfin c’était arrivé. Il s’agenouilla dans l’obscurité silencieuse et


leva les yeux vers le crucifix blanc suspendu au-dessus de lui. Dieu
pouvait voir qu’il se repentait. Il allait dire tous ses péchés. Sa
confession allait être longue, longue. Alors chacun dans la chapelle
saurait quel pécheur il avait été. Qu’ils le sachent ! C’était vrai !
[…]
24
– Je regrette ! Je regrette ! Oh, je regrette !

Cette autonomisation progressive du personnage conduira Joyce à


adopter, par la suite, la technique du « monologue intérieur » : le narrateur
disparaît et le personnage communique simultanément au lecteur tout ce
qu’il pense. On observe ce glissement chez Henry Roth qui a subi
l’influence de Joyce. Strictement focalisé sur le jeune ‘David’, le récit de
Call it Sleep retranscrit ses perceptions et ses sentiments en passant sans
transition de la troisième à la première personne :

De la lumière ! De la lumière dans les rues ! Pouvait voir à présent :


pouvait regarder… Hommes là-bas… Pas un policier… Personne ne
le poursuivait… Pouvait marcher à présent […] Voudrais rue
différente… Pourrais prendre la prochaine… […] Peux rentrer […]
Mais il fallait qu’il arrive avant le retour de son père. Ferait bien de
25
se presser .

Dépourvus de sujet, les verbes indiquent à peine la personne qui les


régit par leur terminaison, du moins dans la traduction. Il en résulte que ces
personnes deviennent interchangeables : le narrateur s’identifie au
protagoniste en proie à la peur et semble participer à l’effort que fait cet
enfant pour verbaliser sa panique. « Il » incarne le Surmoi raisonnable qui,
sur l’enfant, a déjà un point de vue d’adulte.
Quand la focalisation interne est aussi strictement respectée, le maintien
du texte dans un registre fictionnel repose exclusivement sur la disjonction
des facteurs d’identité. Si le héros garde l’anonymat et, de plus, montre de
nombreux points communs avec l’auteur, la fiction du narrateur ne peut
plus être maintenue que comme un procédé rhétorique. Telle est la
configuration de L’Acacia, de Claude Simon, du moins jusqu’à la page 293,
où surgit soudain le « je » du narrateur.
Le Premier Homme illustre parfaitement cette difficulté de faire
coïncider troisième personne et suggestion d’identité. Dans la première
partie, intitulée « Recherche du père », le narrateur hétérodiégétique se
démultiplie en différentes voix : celle de l’imagination qui enjolive la
« nativité » de ‘Jacques Cormery’, celles de la mère, de l’oncle, de
l’instituteur, d’un colon, celle de l’Histoire. Mais ces « voix », impuissantes
à évoquer la figure du père, incapables de communiquer au fils un
sentiment d’identité, ni même de dialoguer avec lui, vont s’éteindre les unes
après les autres en le laissant seul face à son passé. La seconde partie,
justement consacrée au « Fils », ne se différenciera du classique récit
d’enfance que par son énonciation hétérodiégétique. Autant cette forme
apparaît juste et productive quand l’énonciation est polyphonique, autant
elle provoque, quand le récit bifurque vers la confidence lyrique, une
impression de malaise que l’inachèvement du livre n’est pas faite pour
dissiper.
Nombreux sont les auteurs qui vont pallier cette difficulté en combinant
deux modes d’énonciation.

Il (ou elle) et je : voix combinées


La propension générale de la troisième personne à céder la parole au
« je » du personnage dans lequel se reconnaît l’auteur a déjà été évoquée.
Toutefois, le discours rapporté en style direct et le discours indirect libre,
s’ils peuvent soutenir un processus de rapprochement du héros avec
l’auteur, ne remettent pas en cause l’unité et la cohésion de l’instance
narratrice. Les combinaisons de voix narratives dont il sera question
maintenant affectent au contraire la structure même de l’œuvre. En
subvertissant son unité narrative, ces procédures mixtes problématisent son
statut générique. Je tenterai de les répertorier par ordre de complexité
croissante.
Sainte-Beuve publia en 1829 Vie, poésies et pensées de Joseph
Delorme 26. Il y retraçait d’abord, sous une forme très romanesque, la Vie de
son « ami », puis prétendait éditer ses Poésies. Les lecteurs étaient
évidemment appelés à comparer le « je » du poète intimiste Sainte-Beuve et
celui de son hétéronyme. Le procédé fut jugé maladroit 27. Ce petit texte
mériterait cependant de figurer dans quelque anthologie pour son
raffinement dans le jeu énonciatif. Le pseudo-biographe y cite, par exemple,
un curieux extrait du « journal » de ‘Joseph’ commençant par :

Si l’on vous disait : Il est un jeune homme heureusement doué par la


nature et formé par l’éducation ; il a ce qu’on appelle du talent […].

Après deux pages de ce portrait dans le miroir, le diariste conclut :

Mais moi, qui écris ceci, je me sens défaillir ; mes yeux se voilent
de larmes, et l’excès de mon malheur m’ôte la force nécessaire pour
achever de le décrire… miserere 28 !

On aura reconnu dans cette hypothèse rhétorique une mise en abyme de


l’autoportrait en troisième personne que pratique précisément Sainte-Beuve
en écrivant la Vie de ‘Joseph Delorme’.
Naturellement, il est possible de juxtaposer des textes aux modes
d’énonciation hétérogènes sans mélanger les genres. Ainsi, Philip Roth a
regroupé sous le titre Zuckerman enchaîné quatre nouvelles plus ou moins
autobiographiques dont deux sont à la première personne et deux à la
troisième. Dans L’Écrivain fantôme, ‘Nathan Zuckerman’ raconte sa visite
« il y a plus de vingt ans » à un grand écrivain pour lequel il éprouvait une
« tendresse filiale 29 ». À cette sécurité affective et esthétique succède, dans
Zuckerman délivré et La Leçon d’anatomie, un conflit généralisé du héros
avec lui-même, ou plutôt avec ‘Carnovsky’, le personnage qu’il a créé. Un
narrateur impersonnel rend compte de la dépression qui conduit
‘Zuckerman’ au bord de la dépersonnalisation. Incapable d’écrire, il
ressasse et parle d’abondance pour recouvrer son identité. Rapportés en
style direct, indirect, indirect libre et en monologue intérieur, ses discours
envahissent le récit, ponctués par les commentaires, tantôt ironiques, tantôt
solidaires, du narrateur insituable. Enfin, L’Orgie de Prague redonne au
héros une fonction de narrateur, un voyage en quête d’improbables textes
yiddish marquant son retour à l’écriture.
Il est plus arbitraire sans doute de confronter l’énonciation de textes
parus isolément. Certains auteurs nous y invitent néanmoins, tel Peter
Handke racontant d’abord à la troisième personne les déambulations de
‘Gregor Keuschnig’ dans Paris (L’Heure de la sensation vraie 30), puis lui
laissant le soin de retracer son séjour en banlieue (Mon année dans la baie
de Personne). On a vu au chapitre 2 que l’articulation du texte avec le
paratexte permet couramment de mettre « je » et « il » en résonance. Il ne
s’agit ici que d’une application de cette stratégie dans le champ épitextuel.
Le lecteur sera plus surpris par un changement de mode d’énonciation
dans le cours même du récit. Comment comprendre, par exemple, l’éviction
du narrateur hétérodiégétique des dernières pages du Portrait de l’artiste en
jeune homme qui reproduisent, sans commentaire, le journal de ‘Stephen’ ?
Inversement, pourquoi Les Carnets de Malte Laurids Brigge abandonnent-
ils in fine la première personne au profit de la troisième ? On peut avancer
que ‘Stephen’, après avoir subi d’interminables discours, prend la parole en
même temps que son indépendance. Au contraire, ‘Malte’, qui s’était tourné
vers le passé pour découvrir l’origine de sa déréliction, réactualise la
parabole de l’enfant prodigue :

[…] c’était l’époque qui commença le jour où il se sentit


impersonnel et anonyme comme un malade sur le chemin de la
guérison 31.

Tout se passe comme si la première personne était la voix de


l’autonomie, à conquérir ou à préserver, et la troisième celle de la
communauté, matrice ou refuge. Mais ce type d’interprétation binaire perd
de sa validité lorsque la structure d’énonciation se complique. Dans
Biographie, par exemple, Yves Navarre alterne les chapitres
hétérodiégétiques consacrés à la vie d’‘Yves’ et les chapitres
autodiégétiques retraçant le journal de cette écriture autobiographique
pendant un an. La disjonction schizophrénique entre l’impossible
objectivité du romancier et la subjectivité angoissée du diariste engendre un
sentiment de malaise :

Notes saisies en écrivant le chapitre 13. « Je. J’ai tellement envie de


dire je. Mais je me l’interdis. Me censurer consisterait à me
l’autoriser. Or l’envie n’est pas le besoin d’écriture. Il me faut des
profondeurs de champ. Un enfant galope en moi qui n’a toujours
pas compris. Je me demande comment j’en suis arrivé là, si peu
pourquoi 32. »

Si ce livre doublement autobiographique mérite le sous-titre qu’il


affiche, « roman », c’est sans doute en raison du dispositif de contention
énonciative, qui non seulement témoigne d’un souci d’ordre formel, mais
aussi, plus profondément, instille une incertitude permanente quant à
l’identité des deux personnages, « l’enfant » et « moi ».
Plus arbitrairement encore, Alain Robbe-Grillet mêle, tout au long de la
trilogie intitulée Romanesques 33, les épisodes mémoriels, les discours
autocritiques et les aventures d’un héros improbable, ‘Henri de Corinthe’.
Bien qu’imbriqués, les segments textuels à la première et à la troisième
personne ne s’amalgament ni ne se contaminent ; au contraire, ils se
repoussent en dénonçant leur hétérogénéité générique. Il ne s’agit donc pas
tant d’un roman autobiographique que d’une tentative, un peu artificielle,
d’assemblage d’un roman avec une autobiographie.
Dans ces différents exemples de double énonciation, le passage d’une
personne à l’autre signale un changement de registre narratif : le « je » tire
le texte vers l’autobiographie et le « il » vers la fiction. L’alternance permet
ainsi de souligner la distance qui sépare le narrateur du personnage qu’il
était auparavant :

Aujourd’hui j’en parle en riant ; mais à l’époque, le Petit Chose ne


riait pas, je vous le jure, et tout cela se faisait très sérieusement 34.

Chaque fois qu’il passe à la troisième personne, l’auteur se substitue au


narrateur allégué, ‘Daniel Eyssette’, pour se moquer tendrement de ses
malheurs et de sa maladresse :

Cette année-là, le Petit Chose achevait sa philosophie.


C’était, si j’ai bonne mémoire, un jeune garçon très prétentieux, se
prenant tout à fait au sérieux comme philosophe et aussi comme
poète ; du reste pas plus haut qu’une botte et sans un poil de barbe
au menton 35.

Ces incises, toujours signalées par le surnom diminutif et réifiant,


maintiennent le récit misérabiliste dans un registre élégamment ironique. La
rupture énonciative est un procédé particulièrement efficace pour indiquer
que l’écoulement du temps a provoqué un véritable changement d’identité,
une mutation du personnage.

Plus la succession du « je » et du « il » est rapide, plus le héros-


narrateur semble confondre ses deux fonctions. Dédoublant sa conscience
en sujet racontant et objet observé, il se projette simultanément dans le
présent et dans le passé, à l’intérieur et à l’extérieur de lui-même, acteur et
spectateur du même film. Telle est la double position, rétrospective et
spéculaire, que Paul Nizon assigne au narrateur de son premier roman,
Immersion. Son leitmotiv, « je me vois », embraye sur les décrochements
narratifs de la première à la troisième personne :

Je me vois assis à l’une des tables. Un homme à la physionomie un


peu renfrognée, voire ombrageuse, on voit aussitôt qu’il est
étranger. Il fume […] 36.

Se re-voyant à Barcelone le narrateur observe son personnage tel que


son voyage l’a changé. Devenu étranger à celui qu’il était, il navigue à vue
entre l’adhésion et la déprise de lui-même. C’est dans ce va-et-vient
énonciatif que se jouent son expérience intime de la fêlure, son vertige
existentiel. De même, c’est un certain regard sur son visage d’autrefois qui
amorce et dirige la démarche rétrospectivement narcissique de la narratrice
de L’Amant :

Je pense souvent à cette image que je suis seule à voir encore et


dont je n’ai jamais parlé 37.

Détaché de l’album de photographies pour lequel il avait d’abord été


conçu, son texte ressuscite le visage perdu en convoquant le regard (et le
désir) des autres :
– d’abord le regard du lecteur, sommé de voir :

Sur le bac, regardez-moi 38.


Quinze ans et demi. Le corps est mince, presque chétif, des seins
d’enfant encore, fardée en rose pâle et en rouge 39.

– ensuite le regard de la mère :

[…] elle me regarde, ça lui plaît, elle sourit 40.


– mais surtout le regard de « l’homme élégant » :

Il regarde la jeune fille au feutre d’homme et aux chaussures


d’homme 41.

Autant d’objectifs, au sens photographique, qui autorisent la narratrice à


glisser du « je » au « elle », à varier les points de vue sur « la petite »,
« l’enfant », « la jeune fille blanche », à représenter certaines scènes d’où
elle était absente, et, enfin, à imaginer, dans L’Amant de la Chine du Nord,
ses héros projetés sur grand écran, offerts au regard public des salles
obscures. Le succès de ces deux romans montre que la mixité énonciative
ne fait pas obstacle à la lecture.
Il est des textes, pourtant, où la confusion des instances narratives,
parfois inexplicable, semble participer avant tout d’une stratégie de
brouillage énonciatif et générique. « Je » et « il » ne se conjuguent pas pour
donner de la profondeur au personnage, ils se divisent, se contrecarrent et
s’annulent. Leur rivalité corrode le narrateur pour ne laisser subsister de lui
qu’une voix insituable.
C’est ainsi que la plupart des romans de Claude Simon entretiennent un
doute quant à l’identité de leur narrateur. Ce doute tient non seulement à
l’anonymat des personnages mais aussi à l’emploi généralisé des tournures
impersonnelles qui contrarient le repérage de l’instance d’énonciation. Les
sautes inopinées d’un locuteur à un autre renforcent ce sentiment
d’incertitude narrative.
John Fletcher observait que Claude Simon « hésite en permanence entre
le “je” et le “il” dans La Route des Flandres jusqu’à l’adoption de la
troisième personne du singulier à partir des Géorgiques 42 ». Effectivement,
L’Acacia, paru en 1989, est hétérodiégétique – hormis quelques lignes en
première personne. Mais Le Jardin des Plantes, a contrario, intercale dans
un récit autodiégétique quelques paragraphes à la troisième personne. Il faut
suivre les allées et venues de cet itinéraire compliqué pour repérer, derrière
les structures impersonnelles, à travers la troisième personne, sous les
« je », une subjectivité identique à elle-même, dont le discours entrelace
obstinément des souvenirs, des sensations et des questions récurrentes.
D’abord réifiée, tenue en lisière, mise à distance, brouillée, éparpillée, cette
instance énonciative s’avoue de plus en plus distinctement
autobiographique. Néanmoins, le décrochage d’un système d’énonciation à
un autre demeure l’expression d’une méfiance vigilante envers toute
prétention à l’objectivité, ainsi qu’en témoigne, par exemple, cet extrait du
Jardin des Plantes, aussi bien par sa forme, brusquement hétérodiégétique,
que par son contenu :

Mais S. l’interrompt de nouveau et dit qu’il est impossible à qui que


ce soit de raconter ou de décrire quoi que ce soit d’une façon
objective, que, sauf dans des traités scientifiques comme par
exemple d’anatomie ou de mécanique ou de botanique (encore que
ce serait à discuter), il n’existe pas de style neutre ou comme on l’a
aussi prétendu d’écriture « blanche » ce qui revient d’une façon
assez naïve à entretenir le mythe d’un romancier dieu présenté
comme un observateur impassible au regard détaché, « le monde
comme si je n’étais pas là pour le dire » 43.

Coïncidence remarquable, cette contradiction entre deux modes


d’énonciation irréductibles l’un à l’autre va chercher à se résoudre, comme
chez Marguerite Duras, en une représentation cinématographique dont le
synopsis forme les dernières lignes du « roman ». Comme si les images
permettaient d’échapper à la terrible alternative du « je » et du « il »,
comme si elles offraient la possibilité de montrer objectivement ce qui s’est
passé.
Quelles sont, en résumé, les principales valeurs génériques de ces
combinaisons énonciatives ? D’abord, elles signalent l’ambition littéraire
des textes qu’elles régissent, donc instillent un doute sur la spontanéité de la
confidence. Elles témoignent d’un refus, exprimé ci-dessus par Claude
Simon, d’une écriture soi-disant neutre, innocente, naturellement sincère et
objective. Par le va-et-vient du « je » au « il », elles poursuivent la quête
d’une objectivité supérieure.
Quête interminable, sans doute, mais féconde, notamment au niveau
pragmatique où s’instaure un rapport nouveau avec le lecteur. Le tourniquet
des voix nous prévient en effet contre deux sortes d’illusions : l’illusion
référentielle et l’illusion fictionnelle. Et il nous prescrit en quelque sorte de
chausser des lunettes à double foyer, de façon à pouvoir accommoder sans
difficulté d’une lecture proche et identificatrice à une compréhension
distanciée. Il requiert par conséquent une réception vigilante, intelligente,
parfois inconfortable, toujours sur le fil de la question : « Est-il je ? »

Je et il (ou elle) : voix homodiégétique


Gérard Genette nomme homodiégétique un récit rapporté à la première
personne. Mais il divise aussitôt ce type en deux catégories :

Il faudra donc au moins distinguer, à l’intérieur du type


homodiégétique, deux variétés : l’une où le narrateur est le héros de
son récit (Gil Blas), et l’autre où il ne joue qu’un rôle secondaire,
qui se trouve être, pour ainsi dire toujours, un rôle d’observateur et
de témoin. […] Nous réserverons pour la première variété (qui
représente en quelque sorte le degré fort de l’homodiégétique) le
terme, qui s’impose, d’autodiégétique 44.
Guidée par un principe d’économie, cette classification manque de
clarté puisque le même terme, « homodiégétique », désigne à la fois
l’ensemble des récits énoncés en première personne et une des deux
« variétés » de cet ensemble. D’autre part, la distinction entre les deux types
de narrateurs repose sur la perception de leur rôle dans l’intrigue. On
introduit ainsi dans l’analyse une variable pragmatique qui a également une
incidence sur la réception générique du texte : si le lecteur estime que le
narrateur raconte essentiellement sa propre histoire, de façon
autodiégétique, le moindre indice d’identité de ce narrateur avec l’auteur
suffira à établir l’équation proprement autobiographique auteur = narrateur
= protagoniste. En revanche, si le lecteur considère le narrateur comme un
observateur homodiégétique, il pourra se passer d’élucider la nature de sa
relation à l’auteur.
Simple témoin, le narrateur strictement homodiégétique adopte en effet,
vis-à-vis du véritable héros, une attitude de biographe ou de conteur
extérieur à l’histoire. Il est alors tout près d’adopter la position externe du
narrateur hétérodiégétique. Dans Je suis un chat, de Natsume Sôseki 45,
l’animal observe en « ingénu », ou en « persan », les mœurs d’un
intellectuel japonais, le professeur ‘Kushami’. Il incarne le regard ironique
de l’auteur sur son petit univers. Ce subterfuge permet à Sôseki d’éviter
avec humour la complaisance de l’autoportrait sans tomber dans
l’affectation du portrait de soi à la troisième personne.
La configuration change si le narrateur joue dans l’histoire un rôle plus
important que le personnage identifiable à l’auteur et, de surcroît, exerce
une fonction critique à son encontre. Dans Une existence tranquille 46, par
exemple, l’écrivain ‘K’ prétend éditer le journal de sa fille. Pendant que ses
parents séjournent « tranquillement » aux États-Unis, elle assume
courageusement la responsabilité de son frère handicapé et échappe à un
viol. Voilà le personnage-écrivain dépossédé de ses deux prérogatives :
n’étant plus ni héros ni narrateur, il est poussé en marge de son propre récit.
Cette mise à l’écart se double d’une sévère mise en accusation. S’il est un
père irresponsable, l’écrivain est-il encore qualifié pour dire la réalité du
monde ?
Cette question de légitimité ne se pose pas dans Sujet Angot 47. La
culpabilité est tout entière assumée par le narrateur homodiégétique,
‘Claude’, que ‘Christine Angot’ vient d’abandonner après dix-sept ans de
vie commune parce qu’il l’a trompée. Il lui dit son admiration, son amour et
sa profonde détresse. Le « sujet » du « roman » n’est donc pas ‘Angot’, à
proprement parler, mais la passion, passée et présente, d’un homme pour
elle. Cependant, ce narrateur reste flou, indéterminé, alors que l’héroïne
cumule les indices de référentialité : marques d’identité avec l’auteur dont
la photo orne le bandeau, citations de ses livres, allusions à son succès,
extraits de critiques, etc. Forte de ces prises sur le réel, elle s’érige
effectivement en « sujet » du livre. Conformément à ce que claironne le
titre, le discours fictif de ‘Claude’ sur un « sujet » réel, ‘Angot’, va dévoiler
une part de vérité sur l’auteur. Selon ses attentes, le lecteur sera davantage
sensible au travail romanesque de reconstitution d’une voix masculine ou à
la machination audacieusement narcissique et exhibitionniste. Mais
prendra-t-il conscience que l’étrangeté du roman tient essentiellement à
l’originalité de sa structure d’énonciation 48 ?
Plus courante est la configuration dans laquelle un personnage-narrateur
affichant des indices d’identité avec l’auteur promeut au premier plan du
roman un autre personnage dont il raconte, et romance, les faits et gestes.
Ce récit n’est généralement pas fondé sur une enquête méthodique mais sur
une expérience subjective de relation avec le protagoniste. Le personnage-
narrateur va donc sélectionner, dans l’histoire de son héros, les épisodes
significatifs qu’ils ont vécus en commun. D’où un mode d’exposition
forcément autobiographique qui ne prétendra pas à l’objectivité d’une
véritable biographie. Au point que, dans certains cas, il sera bien difficile de
trancher : qui, du narrateur ou du personnage dont il parle, est en définitive
le personnage principal de l’histoire ? Rappelons-le en effet avec
Benveniste :

« Je » désigne celui qui parle et implique en même temps un énoncé


sur le compte de « je » : disant « je », je ne puis ne pas parler de
moi 49.

Le narrateur homodiégétique, pour peu qu’il soit identifiable à l’auteur,


va nécessairement être amené à nous parler de lui. Il n’y a pas de solution
de continuité entre les différentes variétés d’énonciation narrative. On a
rapproché le type homodiégétique précédent, dans lequel le personnage de
l’écrivain était perçu par un tiers, du récit hétérodiégétique ordinaire. Ce
deuxième type de narration homodiégétique fonctionne davantage comme
une énonciation mixte, puisque le narrateur use alternativement de la
troisième personne, pour dépeindre son héros, et de la première, pour
retracer son propre itinéraire.
Cédant au démon de la taxinomie, je vais esquisser un classement des
romans autobiographiques homodiégétiques en fonction d’un critère
thématique : le type de relation qu’entretient le narrateur avec son héros. En
effet, c’est ce rapport entre les deux instances fondamentales du récit qui
justifie le mode de narration choisi et qui détermine toutes les nuances de
l’énonciation.
La première catégorie regrouperait les récits dans lesquels le lien entre
le narrateur et son héros – ou son héroïne – est régi par l’amour. Hélas, ce
cas de figure reste largement hypothétique : il est rare que le narrateur se
fasse le biographe de l’objet de son désir. Nerval ne dévoile rien d’‘Aurélia’
ni Breton de ‘Nadja’, parce qu’elles doivent demeurer fictives et
désincarnées, icônes littéraires, embrayeurs poétiques.
Il y a des exceptions à cette politique de déréalisation, je pense à
L’Étreinte 50, Passion fixe 51, Journal amoureux 52, ou encore aux textes que
Yann Andréa a consacrés à Marguerite Duras 53, mais elles s’inscrivent
toutes dans une configuration très particulière : le héros étant écrivain, son
œuvre et son image appartiennent au domaine public, d’où, pour le récit,
une valeur de reportage, de témoignage, et même d’épitexte. Ce type de
relation pourrait-il se justifier dans un autre contexte professionnel ? Le
roman autobiographique semble disposer là d’une case vide, d’un champ
ouvert à l’expérimentation.
À l’opposé, existe-t-il, dans une deuxième catégorie, des romans fondés
sur la haine entre le narrateur et son personnage ? Quel « héros » suscite, du
début à la fin d’un livre, la haine, la répulsion et le ressentiment de l’auteur-
narrateur ? Là encore, il est possible d’innover. Je ne vois guère que la
figure du père indigne pour avoir déchaîné, chez Chraïbi 54 et Boudjedra 55
notamment, le réquisitoire d’un narrateur identifiable à l’auteur.
En revanche, le troisième type de configuration envisageable, une
relation familiale harmonieuse entre le narrateur et le héros, est bien attesté
dans la littérature autobiographique. On rangera dans cette catégorie les
récits de deuil, comme, par exemple, Seymour, une introduction 56 de
Salinger, où la souffrance se dissimule sous un humour saturé d’ironie
métadiscursive. Après le suicide de son frère, ‘Glass’ se rend compte qu’il
ignorait tout de sa vie. Son monologue se développe autour de ce vide.
Andreï Makine, au contraire, recourt à l’imagination pour étoffer son
portrait de ‘Charlotte’, la grand-mère francophile du Testament français 57,
tout comme Claude Simon, dans Les Géorgiques, comble les trous
biographiques de la correspondance du ‘général L.S.M.’ par un travail de
supputation créatrice.
Faute de s’accorder cette licence, le narrateur risque en effet de voir son
entreprise biographique tourner court. Confronté à l’opacité d’autrui, il se
retournera alors vers un personnage qu’il connaît mieux, lui-même. Que ce
type de récit pseudo-biographique glisse naturellement dans le mode
autodiégétique, Pierre Michon en a offert une excellente illustration avec
ses Vies minuscules. Le livre se compose de huit chapitres intitulés « Vie
de… ». Ces courtes biographies, qui semblent d’abord indépendantes,
tracent en fait autour de leur narrateur des cercles concentriques. Tant
qu’elles répercutent des anecdotes familiales, les histoires des ancêtres ne
demandent au conteur qu’un art de la retranscription, un art à la troisième
personne. Mais, dès que ses personnages se rapprochent et, par leur
présence ou leur absence, touchent à sa vie, comment éviterait-il de se
nommer, de se situer, de se raconter lui-même ? Au point que, de la « Vie de
Claudette », ‘Claudette’, qui l’aima, est presque absente ; et ‘la petite
morte’, disparue avant sa naissance, ne suscite le dernier récit que pour dire
le manque d’une âme sœur. Si l’effort du narrateur pour ennoblir les vies
minuscules de jadis bute sur ses difficultés à justifier la sienne, du moins
charge-t-il son écriture de témoigner d’une communauté de destins entre
elles et lui :

Qu’un style juste ait ralenti leur chute, et la mienne peut-être en sera
plus lente. […] J’ai failli naître souvent de leur renaissance avortée,
et toujours avec eux mourir 58.

Le récit homodiégétique consacré aux ascendants est conduit,


logiquement, à devenir autodiégétique à mesure que l’enfant grandit. Le
narrateur sélectionne et commente les épisodes biographiques en fonction
de leur retentissement dans sa vie. Il ne s’agit pas tant, pour lui, de
comprendre l’autre que de se comprendre à son contact. L’histoire d’un
parent ne vaut donc, le plus souvent, qu’en introduction, contrepoint ou
annexe à l’inévitable autobiographie du « je ».
Le dernier cas de figure homodiégétique, l’absence de liens familiaux
ou amoureux entre le biographe et son objet d’étude, entraîne une
problématique très différente. Un étranger va incarner un certain idéal aux
yeux du narrateur. Il va prendre les allures d’un modèle, d’un guide, d’un
héros, sans se prévaloir de quelque autorité instituée. Qu’il réfère ou non à
une personne réelle, il pourra, plus aisément que les personnages parentaux,
accéder à un statut fictionnel, voire mythique. Dénouant les rets
narcissiques, il fera souffler sur le récit personnel un vent de liberté qui le
déliera de son ancrage référentiel.
Tel est le procédé que choisit Balzac en 1832 pour Louis Lambert. Le
narrateur anonyme décrit en effet son camarade de collège, ‘Louis’, comme
un génie méconnu, « un vrai voyant », auteur précoce d’un « Traité de la
volonté » confisqué par ses maîtres. Ce héros, dont le portrait physique et
moral est à mettre en parallèle avec l’image que Balzac se faisait de lui-
même, connaît une fin prématurée sans que sa valeur ait été reconnue. Le
narrateur, qui a bénéficié de son enseignement, se fait un devoir de le
retransmettre. Il espère réussir là où ‘Lambert’ a échoué en recourant à une
forme non plus spéculative mais narrative : son récit va faire revivre le
héros et révéler au monde ses capacités psychiques exceptionnelles. Mais il
faut, pour retrouver ce que ressentait, percevait, comprenait ‘Lambert’,
avoir pénétré profondément dans son univers mental, donc, d’une certaine
manière, s’être identifié à lui.
Le narrateur, lui aussi, est identifiable à l’auteur : « passionné pour la
lecture », il était, se souvient-il, « surnommé le Poète en dérision » de ses
essais poétiques. Devenu écrivain, il insère ses souvenirs de collège dans un
cycle d’« études » dont il assume la paternité :

Ce fut en mémoire de la catastrophe arrivée au livre de Louis que,


dans l’ouvrage par lequel commencent ces études, je me suis servi
59
pour une œuvre fictive du titre réellement inventé par Lambert .

De fait, dans La Peau de chagrin, première des Études philosophiques,


un « Traité de la volonté » est attribué à ‘Raphaël de Valentin’. Cependant
c’est à la fin de Louis Lambert que l’on doit se reporter pour en trouver des
bribes sauvées de l’oubli par ‘le Poète’ 60.
Pour Michel Butor, l’intérêt de la situation homodiégétique réside
précisément dans ce face-à-face de deux projections concurrentes, l’une
dans le réel, l’autre dans l’idéal :

Par rapport à l’auteur, qui ne voit qu’alors le héros représentera ce


qu’il rêve, et le narrateur ce qu’il est ? La distinction entre les deux
personnages réfléchira à l’intérieur de l’œuvre la distinction vécue
par l’auteur entre l’existence quotidienne telle qu’il la subit, et cette
61
existence autre que son activité romanesque promet et permet .

Cette analyse s’applique remarquablement à l’utilisation que fait Panaït


Istrati de cette forme de narration. Il aime à ériger en héros des personnages
de rencontre qui incarnent un ailleurs d’aventures et de drames fascinants.
‘Adrien’ se glisse dans leur intimité, se met à leur école, complète auprès
d’eux son apprentissage de la vie. Il leur cède volontiers le premier rôle et
se contente alors d’une position d’observateur. Mais ces personnages hauts
en couleur viennent d’un autre monde que le sien, un monde brutal,
inquiétant, où ils devront retourner et se perdre. Sur la trame
autobiographique, ils ont pour fonction de tisser des destins romanesques et
d’introduire dans le récit personnel le « dialogisme » et la polyphonie chers
à Bakhtine 62.
L’œuvre de Patrick Modiano offre deux variantes intéressantes sur ce
schéma homodiégétique. Dans De si braves garçons, le narrateur évoque le
destin de ses anciens camarades et professeurs d’internat. Sur certains
d’entre eux, il a mené une véritable enquête qu’il poursuit, semble-t-il, en
interviewant ‘Edmond Claude’ devenu comédien. Les biographies qui
résultent de ces recherches sont toujours problématiques, lacunaires,
décevantes. Et, au moment où il pourrait en savoir plus, l’enquêteur
renonce :

Bien des années plus tard […] j’observais Philippe Yotlande de loin,
sans oser l’aborder. […] Je n’avais pas besoin de lui parler. Je
devinais ses états d’âme 63.

La biographie des autres n’a d’intérêt que ramenée à sa propre


expérience. De même, l’image floue de ‘Dora Bruder’, déportée, rayée de
toute mémoire, renvoie l’investigateur à sa propre jeunesse, à celle de son
père, à leur relation manquée et fictionnalisée :

j’avais commencé un livre – mon premier livre – où je prenais à


mon compte le malaise qu’il avait éprouvé pendant l’Occupation 64.
Le manque que j’éprouvais m’a poussé à l’écriture d’un roman 65.

Comme ‘Louis Lambert’, comme ‘Codine’ ou ‘Philippe Yotlande’,


‘Dora’ se dérobe au questionnement du récit, demeure opaque au lecteur. Si
le narrateur s’identifie un moment à ces personnages fragmentaires, ce n’est
pas tant pour les faire revivre que pour découvrir pourquoi ils l’ont fasciné.
Le détour biographique n’est alors qu’une figure du discours
autobiographique. Tant qu’il demeure homodiégétique, « il ne joue qu’un
rôle secondaire […] d’observateur et de témoin 66 ». Mais, s’il représente
l’auteur, imagine-t-on qu’il tienne la chandelle sans arrière-pensée ? À un
moment ou à un autre, le lecteur découvre que héros et roman sont
subordonnés à un projet qui les dépasse. Le narrateur finit par éliminer le
héros qu’il avait promu de façon à rétablir son hégémonie sur le récit. Il
retrouve alors le type d’énonciation le plus naturel quand on parle de soi, la
voix autodiégétique.
Je : voix autodiégétique
Si la voix hétérodiégétique imite celle du chroniqueur, si la voix
homodiégétique adopte la position du biographe, la voix autodiégétique,
pour sa part, mime soit l’énonciation orale soit l’écriture intime. Prenant la
forme d’un récit de voyage chez Apulée, d’une prière chez saint Augustin,
de hâbleries dans les romans picaresques, de « confessions » chez
Rousseau, de « confidences » chez Fromentin, de diatribes chez Vallès ou
d’une « insulte démesurée » chez Miller 67, l’écriture de soi se donne
fréquemment pour une parole vive adressée à Dieu, à un proche, à des amis,
à un auditeur complaisant. Et cet affichage de signes d’oralité soutient
régulièrement une pétition de sincérité.
Il en va de même lorsque la voix autodiégétique emprunte le ton de la
lettre, du journal intime ou des souvenirs familiaux. Souvent, le paratexte
ou le métadiscours se réfèrent explicitement à ces petits genres familiers :
‘Oberman’ écrit des « lettres, sans art, sans intrigue 68 », Barbusse, le
« journal d’une escouade 69 », Cendrars une « chronique 70 », Thomas
Bernhard des « notes 71 » ou une « simple indication 72 ». En alléguant ces
formes simples, l’écrivain autodiégétique installe l’illusion d’une écriture
spontanée, transparente, univoque, qui coulerait de source :

Celui qui écrivit ces lettres paraît n’avoir pas craint les longueurs et
les écarts d’un style libre. Il écrit sa pensée,

prétend le pseudo-éditeur d’Oberman 73. Et Hervé Guibert :

J’aime que ça passe le plus directement possible entre ma pensée et


la vôtre, que le style n’empêche pas la transfusion 74.
Métaphoriquement, l’écrivain injecterait sa pensée directement dans les
veines du lecteur. De cette relation fusionnelle est proscrite toute
préoccupation littéraire qui ferait obstacle à la communication immédiate de
l’émetteur au récepteur. Jack Kerouac 75 et Rachid Boudjedra 76 ont prétendu
écrire leurs livres d’un seul jet, en quelques jours et nuits de fièvre créatrice.
Qu’elles se réfèrent à des modes d’expression oraux ou écrits, ces
allégations confortent le lecteur dans ses attentes de sincérité subjective.
Tout auditeur escompte spontanément de l’autre un discours sincère, une
parole fiable. Dans la vie courante, cette compulsion à croire le « je » de
l’autre permet les échanges, écarte le soupçon et rompt la solitude. Mais,
transportée dans le domaine littéraire, où règne « la mythomanie du
texte 77 », elle trahit une certaine candeur. Car le « je », bien entendu, est un
séducteur qui, inlassablement, quête l’affection. Et il ne cherche à ébranler
l’incrédulité du lecteur que pour créer l’illusion d’une communication
réelle.
Pour obtenir cet effet de confidence, le narrateur autodiégétique doit
respecter la norme constitutive de l’énonciation autobiographique : la
focalisation interne. Il doit donc restreindre son champ descriptif à sa seule
capacité de perception, limiter sa compréhension des événements aux seules
possibilités de son entendement. Contention draconienne si l’on y réfléchit
bien : rien ne peut s’écrire qui n’ait été vu, entendu, senti, conceptualisé par
cette conscience unique. Contention difficilement conciliable avec la
polyphonie et l’ubiquité du roman traditionnel. À cet égard, les structures
narratives que nous venons d’examiner (hétérodiégétiques, mixtes et
homodiégétiques) ont souvent pour fonction d’esquiver cette lourde
contrainte référentielle.
Comme tout autre, ce code de communication est en effet susceptible
d’être transgressé. Et il le sera chaque fois que l’auteur estimera nécessaire
de transmettre un signe de fictionnalité. En introduisant dans le texte
autodiégétique une information qui n’émane pas du narrateur, l’auteur
postulera alors une autre source d’information. Il se dissociera de son
personnage, cassera l’illusion référentielle et récupérera ostensiblement la
maîtrise du texte.
Dans À la recherche du temps perdu, Proust a utilisé, pour faire craquer
le carcan autodiégétique, tous les types d’infraction au code. Dans Un
amour de Swann, le narrateur ne participe pas à l’action mais adopte le
point de vue du héros dont il reconstitue dans le moindre détail vie et
sentiments. Ouvrant la Recherche, cet épisode hétérodiégétique signale
d’emblée que l’auteur est décidé à exercer tous ses droits de romancier. Les
autres épisodes de la Recherche, bien qu’ils soient autodiégétiques,
trahissent à plusieurs reprises l’empreinte de l’auteur omniscient. La
perception focale est sauve lorsque le héros surprend et espionne, par le
plus grand hasard, les rencontres discrètes que l’auteur veut décrire 78. Mais
la transgression du mode autodiégétique devient manifeste quand le
narrateur rapporte des entrevues que les protagonistes ont tout intérêt à tenir
secrètes, des informations auxquelles il n’a pu avoir accès 79. Enfin, la
disjonction entre héros et narrateur est totale en cas d’incursion dans le
mental des autres personnages, car on change alors de point de vue :

Le prince se dit, comme quelqu’un qui vient d’essayer d’une autre


clef pour une serrure : « Ce n’est pas encore celle-ci », et se sentant
un peu essoufflé en reconduisant M. de Norpois, pensa : « Sapristi,
ces gaillards-là me laisseront crever avant de me faire entrer.
80
Dépêchons » .
« Voilà quelqu’un dont j’aimerais être accompagné dans mes
voyages et aidé dans mes affaires. Comme il simplifierait ma vie ! »
se dit M. de Charlus 81.
La princesse de Caprarola partie, Odette aurait bien voulu avoir dit
82
simplement la vérité .
Peu nombreuses au demeurant, ces infractions ne seront sans doute pas
toutes relevées par le lecteur. Elles surprendront davantage dans le texte de
La Fugitive, laissé par Proust à l’état de brouillon. Non seulement le
narrateur mentionne plusieurs conversations tenues chez les Guermantes en
son absence, mais il renonce à attester son témoignage :

« Mais oui, répondit étourdiment la Duchesse, c’est précisément


vot… ce sont de nos amis qui nous les ont fait acheter. C’est
admirable. À mon avis, c’est supérieur à sa peinture. » Moi qui
83
n’avais pas entendu ce dialogue, j’allais regarder le dessin .

Ces libertés prises avec le système de focalisation adopté sont de nature


à nous convaincre que la Recherche obéit effectivement, comme le voulait
son auteur, à une logique plus romanesque qu’autobiographique. Il faut
ajouter à ces indices patents les nombreuses assertions dont l’auteur ne
garantit pas la vraisemblance. Elles sont signalées par des formules
modalisantes, du type « peut-être », « sans doute », « comme si »,
« semblait », « paraissait » 84, dont la succession finit par échafauder un
discours probabiliste :

[…] et ce fut peut-être un malheur moins grand que je ne croyais.


Car la seconde de ces nouvelles n’eût probablement pas beaucoup
ajouté à l’efficacité, d’ailleurs incertaine, de la première. Pour
Odette, l’idée de sa propre vie et de sa demeure n’éveillant aucun
trouble mystérieux, une personne qui la connaissait, qui allait chez
elle, ne lui semblait pas un être fabuleux comme il le paraissait à
moi […] 85.

Le narrateur proustien, dérouté par le comportement énigmatique


d’autrui, cherche à restituer une logique au monde qu’il observe en
conjecturant inlassablement des liens de cause à effet. Car il est bien
davantage intéressé par les autres que par lui-même. Quand il étudie ses
propres réactions, le fonctionnement de sa mémoire et de ses affects, il en
tire sans difficulté des leçons et des règles, un sens. Mais l’attitude des
autres lui est toujours mystérieuse, opaque, incompréhensible. C’est
pourquoi il cherche à les surprendre dans leur intimité, et c’est aussi
pourquoi il romance en imaginant ce qui lui est celé. Gérard Genette avance
les termes de « double focalisation » et de « polymodalité » pour qualifier
ce type d’énonciation. Et, effectivement, le récit de la Recherche est
autodiégétique quand ‘Marcel’ parle de lui, homodiégétique dans ses
rapports avec les principaux protagonistes, hétérodiégétique, enfin, quand le
« je » se place en position d’observateur, ou plutôt de créateur, d’une
société 86.
Dans de nombreux textes, la transgression de la focalisation est motivée
par l’impossibilité du souvenir. La période prénatale, la scène de la
naissance et la petite enfance sont particulièrement favorables à ces détours
vers le roman. Avant de relater ses plus anciens souvenirs, ‘David
Copperfield’ campe avec brio les personnages qui ont présidé à sa
naissance. Les sentiments de la mère, dans ce moment critique, n’ont
apparemment pas de secret pour le fils :

C’est du moins ce que crut deviner ma mère, en l’observant à la


faible lueur tremblotante du feu… trop effrayée par Mlle Betsey,
trop mal en point elle-même, et trop soumise et déconcertée de toute
manière, pour observer très clairement quoi que ce fût, ou pour
87
savoir que dire .

Un autre moyen de contourner la loi d’airain de la focalisation interne


consiste à lancer un personnage quelconque dans une histoire sans rapport
avec celle du narrateur. On a alors une sorte de voix homodiégétique
installant provisoirement un héros de substitution sur l’avant-scène. Ainsi
procède Giono, autobiographe d’occasion, embarrassé face aux souvenirs
familiaux mais revenant à la fable dès que ‘Jean le Bleu’ prête l’oreille au
berger, aux voisins ou aux étrangers, qui racontent 88.
Certaines transgressions n’ont pas pour but de signaler un glissement
vers le roman, mais au contraire d’accréditer le réalisme du récit. L’auteur
prétend alors cumuler position autodiégétique et omniscience :

Antoine était saisi par l’un de ces instants que vous donne
l’opportunité d’une action dangereuse […]
– L’Échassier m’exaspère, pensa-t-il. Je ne peux plus voir tous ces
89
cons-là .
Pour la première fois depuis la fin de la Zone Libre, mon père se
sentait incapable de chasser l’appréhension qui l’avait assailli.
[…] Il s’en trouvait abasourdi, mais s’efforçait de dissimuler la
90
sensation de déséquilibre qui venait de le troubler .

Dans ces passages du Petit Garçon, le narrateur passe en force de la


première à la troisième personne, de ses vagues souvenirs aux affects précis
qui troublaient son frère et son père. Il les fait penser, sentir, réagir,
délibérer devant nous, il les représente monologuant à l’avant-scène dans
l’attente de leur destin. La transgression, injustifiée sur le plan générique,
piège le lecteur. Aux souvenirs d’enfance se substitue soudain une mise en
roman, aux silhouettes opaques des parents, des héros transparents. Philippe
Labro, imaginant ce qu’ont pu dire et penser des personnages donnés pour
réels, semble appliquer artificiellement une recette romanesque désuète.
On le sent bien à travers ces quelques exemples, il n’y a rien de plus
variable que l’appréciation de vraisemblance en matière d’énonciation. Un
narrateur autodiégétique n’est pas tenu de produire, à tout moment, les
preuves de ce qu’il avance. On attend de lui, au contraire, qu’il nous
communique ses sentiments les plus secrets, ses opinions, ses craintes, ses
fantasmes. Tout ce qu’il dit de lui-même peut être considéré par le lecteur
comme vraisemblable. En revanche, dès qu’il entre en relation avec
d’autres personnages dont il rapporte les propos et les attitudes, il devient
un intermédiaire suspect. Son discours n’est plus seulement censé exprimer
ses états d’âme ; il est chargé de décoder le langage des autres personnages
par un jeu de représentations, d’hypothèses, d’approximations. Il se trouve
donc dans une position analogue à celle du romancier manipulant ses
personnages. Que, dans ce travail d’élucidation, il sorte du code
autobiographique de focalisation interne et aussitôt s’installe un autre code,
celui de la fiction. Deux extraits, tirés de la même page d’Adolphe,
montreront la ligne de partage :

Je démêlai dans les traits d’Ellénore une impression de


mécontentement et de tristesse. […]
Ellénore craignait, en se montrant inflexible, de voir se renouveler
des imprudences qui l’alarmaient pour elle et pour moi. L’idée de
rompre n’approchait plus de son cœur : elle consentit à me voir
91
quelquefois seule .

‘Adolphe’ tente d’abord, plausiblement, de lire l’état d’esprit de


l’héroïne sur son visage. Mais, quelques lignes plus bas, par un coup de
force discursif, il prétend décrire son état d’esprit sans indiquer comment il
l’a décrypté. Cette transgression narrative signale une articulation
essentielle du récit de séduction tel que le roman l’a codé : voici le moment
où l’héroïne va céder. L’abandon d’une norme autobiographique au profit
d’une convention romanesque s’inscrit sans doute dans la stratégie de
double affiliation générique mise en œuvre par Constant. Mais elle trahit
aussi une sorte d’homologie entre l’hésitation narrative de l’écrivain et
l’inconstance de son héros.
Plus les lecteurs sont familiarisés avec la littérature intime, strictement
focalisée, plus ils sont sensibles aux ruptures de contrat. Que ‘Copperfield’
ou ‘Marcel’ nous racontent certains épisodes situés hors de leur champ
d’expérience sans préciser comment ils ont pu en avoir connaissance et le
lecteur averti perçoit aussitôt l’écart générique. Cette vigilance lui permet
de restituer aux textes de Dickens et Proust la dimension fictionnelle que les
contemporains pouvaient méconnaître. Ainsi s’affinent la compétence des
lecteurs et leurs exigences en matière de vraisemblance narrative.
Pour saisir la stratégie d’énonciation de l’auteur, cette compétence doit
considérer le processus de narration dans son ensemble. Il ne suffit donc pas
de déterminer qui raconte l’histoire. Il faut encore se demander à qui elle est
racontée.

Tu, vous : voix alterdiégétique


Benveniste définit le « tu » comme « la personne non subjective, en face
de la personne subjective que “je” représente ». Cette altérité lui permet de
prendre, dans de nombreuses langues, une valeur indéfinie analogue à celle
du « on » français. La deuxième personne peut donc désigner soit un
interlocuteur déterminé, soit une personne « fictive » 92.
Cette ambivalence ouvre évidemment des perspectives intéressantes aux
stratégies de l’ambiguïté. Car, d’une part, le « tu » va imposer au « je » une
forme de dialogue et, d’autre part, le lecteur va être interpellé par sa valeur
« indéfinie ». Je mentionnerai d’abord quelques exemples de voix
« alterdiégétiques » désignant le narrateur ou le héros. Puis j’examinerai
plus longuement la fonction habituelle du « tu » narratif qui est de
s’adresser au destinataire du récit.
Dans Le Pacte autobiographique, Philippe Lejeune note que
l’autobiographie n’emploie que « de manière fugitive » cette figure
d’énonciation qu’est la deuxième personne 93. Instaurant un dialogue fictif
entre le narrateur et le personnage, elle enfreint le principe
autobiographique d’identité 94. Tant qu’il reste occasionnel, ce
dédoublement respecte la vraisemblance du monologue intérieur, dont le
sujet s’observe et s’interpelle lui-même sur un mode ironique ou
autocritique :

Tu es là à espionner, pensais-je à mon propre sujet, tu t’imagines


qu’elle n’est que littérature pour toi, n’empêche que ton âme flétrie
95
s’est bien mise à fleurir. […] Je suis confus et honteux de toi .

Mais, conjugué tout au long d’un récit d’enfance, comme dans


Lambeaux de Charles Juliet 96 ou L’Enfant que tu étais d’Alain Bosquet 97, le
« tu » risque de sentir le procédé et d’empêcher l’adhésion du lecteur.
Gao Xingjian, dans Le Livre d’un homme seul 98, et Christa Wolf, dans
Trame d’enfance 99, ont assigné à la deuxième personne un rôle plus limité :
le narrateur et la narratrice ne se désignent par « tu » qu’au moment de la
remémoration, et ils utilisent la troisième personne pour se projeter dans un
passé lointain. Le « tu » actuel s’interroge sur son propre travail de
mémoire et d’écriture, tandis que « il » ou « elle » gouvernent une diégèse
classiquement linéaire. À travers cette alternance de discours et de récit, de
« tu » présent et de « il » passé, le lecteur va rechercher des liens de
causalité permettant de reconstituer l’identité du « je » que l’auteur esquive.
Si la deuxième personne est utilisée par le personnage-narrateur
identifiable à l’auteur pour s’adresser au héros de l’histoire, on a affaire à
une variante du mode homodiégétique. Telle est la configuration mise en
place par Yann Andréa pour M.D. :

La nuit vous buvez de plus en plus souvent. Un verre de vin apaise


le corps, diminue la peur. […] Vous n’osez plus vous montrer, vous
avez honte de vous-même, de votre corps grossi par l’alcool 100.

Le récit allègue la forme d’une lettre ou d’un journal destinés à une


femme dont l’auteur partage la vie, dont il observe la déchéance, qu’il tente
peut-être d’interpeller. Entre pitié et désespoir, remontrance et tableau
clinique, il tire sa force de l’ambivalence de sa destination.
Pour entrer dans la problématique de la destination, il faut considérer le
texte comme un message linguistique qui postule nécessairement un
récepteur. La forme du message est largement déterminée par l’idée que
l’auteur se fait de son récepteur. Le texte recèle donc toute une série
d’informations sur cette image. Même si le destinataire n’est pas désigné
dans le message lui-même, certains de ses traits peuvent s’inférer du
contexte, du style, de la visée, et donc du genre, de ce message. Mais la
réciproque est-elle vraie : l’identification du destinataire permet-elle de
définir le statut du message ?
Cette corrélation est évidente dans le cas d’une lettre, d’un journal
101
intime , d’un article scientifique, d’un discours politique, qui sont
nettement orientés vers leurs destinataires. Mais le texte narratif pose un
problème plus complexe parce qu’il a deux destinataires. Il s’adresse,
comme tout énoncé, à un récepteur réel, un public de lecteurs. De multiples
indices permettent de reconstituer, plus ou moins précisément, l’horizon
102
d’attente dans lequel il s’inscrit . Wolfgang Iser nomme ce destinataire
extradiégétique le « lecteur implicite » :

Il incarne la totalité des directives qu’un texte de fiction offre à ses


lecteurs possibles comme conditions de sa réception 103.

Pour accéder au texte et comprendre les intentions de son auteur, le


lecteur est appelé à s’identifier avec ce « lecteur implicite ». Mais, d’autre
part, le roman postule, face au narrateur fictif, un destinataire fictif du récit.
Il met en abyme son propre processus de communication de telle sorte que
le récit de la narration commande la narration du récit. Cette mise en scène
de la communication du récit réfrène la propension du lecteur à s’identifier
au destinataire : elle le repousse en position de spectateur d’une scène de
narration. Le terme de « narrataire » a été créé pour désigner ce destinataire
allégué par le récit 104.
Ambivalente, la procédure de destination va donc constituer un
instrument de choix pour les stratégies d’ambiguïté générique. Dans sa
forme la plus dépouillée, le roman potentiellement autobiographique
n’allègue pas de narrataire intradiégétique. Il vise à créer l’illusion d’une
communication directe de l’émetteur avec le récepteur. Michel Dentan a
étudié par exemple, dans Cécile, la stratégie de collusion entre le narrateur
et le lecteur poursuivie par Benjamin Constant :

L’ironie repose sur une connivence entre le narrateur et son lecteur,


par la référence implicite à une vérité commune, à un allant de soi,
qui n’est pas dit mais par rapport auquel s’interprète l’intention
(ironique ou non) du locuteur 105.

Connivence manipulatrice puisque, dans le même temps, le lecteur est


« piégé […] par un système déceptif qui récuse d’avance toute
interprétation 106 ». Il serait sans doute intéressant de rechercher, dans cette
optique, comment les œuvres de Knut Hamsun, Thomas Bernhard, Annie
Ernaux, par exemple, présupposent, modèlent et manipulent leurs lecteurs.
Ne pourrait-on pas espérer élucider, par ce biais, une partie du mystère de
leur séduction ? On découvrirait peut-être, dissimulé sous la banalité
apparente de leurs histoires, un leurre discursif qui, ayant ferré sa proie,
abolit la médiation du roman et simule une situation de communication non
seulement référentielle, mais personnelle, familière, intime.
On monte d’un degré sur l’échelle de la caractérisation lorsque le
destinataire est désigné par « on », « vous », « le lecteur », etc. D’un degré
ou plus selon la politique du narrateur. Se contente-t-il de solliciter la
bienveillance de son interlocuteur, d’user de formules rhétoriques
impliquant son consentement, de le prendre à témoin, le lecteur réel n’y
prête pas plus d’attention qu’à un tour de langage, à une marque de
politesse ou à une pointe d’ironie. En revanche, la recherche d’un contact
pathétique avec le destinataire plaide en faveur d’une réception
référentielle :

(Ami vaincu par la solitude, où que tu te trouves, dans ce monde,


ressaisis-toi et sois grand comme la joie, comme la douleur, devant
l’inconnu qui vient t’offrir promptement son cœur ! Ne marchande
pas le trésor que tu caches au trésor qui t’est offert ! – Quels que
soient les orages qui aient pu dévaster tes espérances, sois noble,
sois confiant […] 107.)

On voit ici à l’œuvre, chez Istrati, d’une part la fonction émotive du


langage qui, disait Jakobson, est « centrée sur le destinateur, vise à une
expression directe de l’attitude du sujet à l’égard de ce dont il parle », et,
d’autre part, la fonction conative, centrée sur le destinataire auquel le
narrateur prescrit une attitude d’ouverture à autrui, donc à son propre
message 108. En incise, le discours de l’auteur se substitue au récit du
narrateur pour camper, voire exiger, un lecteur à son image actuelle, un
double qui partage son point de vue sur ‘Adrien’. La fusion de toutes les
instances narratives – auteur, narrateur, protagoniste, narrataire, lecteur –
abolit les frontières génériques.
L’appel au lecteur trahit néanmoins une inquiétude : sachant qu’entre
l’énonciateur et le récepteur d’un message la connivence n’est jamais
parfaite, le narrateur ressent comme une menace la précarité du processus
de communication, exposé en permanence à l’échec. Plus il se confie au
texte, plus il est sujet à ce type d’angoisse. Ainsi le narrateur de Confession
d’un masque est-il assailli par les doutes qu’il prête au lecteur :

Le lecteur qui m’a suivi jusqu’ici se refusera sans doute à croire


quoi que ce soit de ce que je viens d’écrire. […] Si le lecteur
persiste dans ses doutes, alors l’acte d’écrire est devenu inutile dès
le début : il pensera que j’affirme une chose simplement parce que
j’en ai envie, sans aucune considération pour la vérité et que je me
permets de raconter n’importe quoi, du moment que mon histoire
demeure plausible. Néanmoins c’est en me fondant sur des
souvenirs très précis que j’affirme […] 109.

Jean Genet, lui aussi, perçoit un hiatus entre son discours et l’horizon
d’attente du lecteur :

Niant les vertus de votre monde, les criminels désespérément


acceptent d’organiser un univers interdit. […] Mais – les criminels
sont loin de vous – comme dans l’amour ils s’écartent et m’écartent
du monde et de ses lois 110.
[…] la victoire suivante qui dans votre langage prendrait
naturellement le nom de déchéance […] 111.
[…] ce livre décevra sans doute […] 112.

Le ‘voleur’ défend l’authenticité de son témoignage en refusant tout


compromis avec l’esthétique et la morale du lecteur. Plus retorse est la
relation de type sadomasochiste que le narrateur célinien, rogue, roublard et
obséquieux, entretient avec son lecteur présumé :
Pour parler franc, là, entre nous, je finis encore plus mal que j’ai
commencé. […] Je vous oubliais […] votre réflexion ! je vous
entends !… bien naturelle ! oh ! que ça vous arrivera pas ! rien de
semblable vous arrivera ! […] je me répète… on répète jamais assez
avec les durs têtus ! […] je rabâche ?… je gâtouille ?… j’ai le
droit ! […] Je m’excuse de parler tant de moi-même… […] je
m’appesantis… des déboires ?… vous avez les vôtres !… ces gens
de lettres sont terribles ! si affligés de moimoiisme !… […] Je vois
que je vous ennuie… autre chose !… autre chose !… […] Zut !… je
digresse… je vais vous perdre 113 !…

Il n’est pas nécessaire que le lecteur s’identifie avec l’image que le


narrateur projette de lui pour que ce discours l’interpelle. Il suffit qu’il
ressente ce souci de la réception comme émanant d’un individu en quête de
communication réelle.
À l’opposé, un texte qui mime la procédure du journal intime, comme
Les Carnets de Malte Laurids Brigge, supprime la place du narrataire en
alléguant un discours solitaire, autodestiné, introverti, à la limite de
l’autisme. Cette autodestination n’est au fond qu’un cas particulier de ce
qu’on pourrait appeler la pseudo-destination. Il y a pseudo-destination
lorsque l’adresse à un tiers apparaît comme une clause formelle accessoire,
un petit indice fictionnel sans conséquence. À peine mentionné, recevant
passivement le don du texte, le pseudo-narrataire n’a qu’une fonction de
dédicataire. C’est ainsi que les narrataires allégués dans Un adolescent
114 115
d’autrefois , Confession d’un porte-drapeau déchu ou Regarde, regarde
116
les arlequins ! n’ont guère d’existence : ‘Donzac’, ‘Arkadi’ et l’épouse
de ‘Vadim’ restent de vagues silhouettes sans prise sur les textes qui leur
sont destinés. Dans le moule de ces personnages virtuels, le lecteur a la
faculté de se couler pour remplir le rôle du destinataire. Il y est d’ailleurs
convié par Nabokov qualifiant son roman d’« interview avec la
postérité 117 ». D’autres sont purement et simplement réifiés, comme ce
portrait du ‘père’, accroché au mur, auquel le narrateur de Canto 118
s’adresse de temps à autre, puis qu’il emmène dans ses bagages.
Il arrive que l’importance du narrataire se révèle in extremis. Son
intervention sera alors susceptible de modifier radicalement le genre du
texte. C’est le coup de théâtre qui survient à la dernière ligne de Portnoy et
son complexe :

Pon (dit le docteur). Alors maintenant, nous beut-être bouvoir


119
gommencer, oui ?

Voilà le monologue d’‘Alex’ transformé en entretien, si ce n’est en


dialogue. Du même coup, le lecteur rétrograde de la position d’interlocuteur
privilégié à celle de spectateur clandestin d’un premier rendez-vous chez le
psychanalyste. La confidence se révèle roman. Cette mutation fait bien
mesurer ce qui sépare le destinataire externe du narrataire interne. Tandis
que le premier semble hypothétique, formel, ectoplasmique, le second est
un personnage à part entière occupant une position stratégique. Dans cette
position, non seulement il s’interpose entre le lecteur et le texte, mais il
prétend incarner le véritable destinataire du discours et, à ce titre, être
qualifié pour interpréter son message.
Il est aussi des narrataires ponctuels et fantomatiques : ‘Marcel’ évacue
rapidement la critique d’un ‘lecteur’ pointilleux 120, ‘Jean le Bleu’ s’adresse
soudain à ‘Louis’, victime de la guerre (« Je voudrais que tu sois là pour
moi. J’écoute 121 »), le narrateur des Boulevards de ceinture feint de raconter
à son père leur dernière entrevue ratée 122. Évoqué par un procédé oratoire,
le fantôme s’évanouit aussitôt entre les pages du texte, accentuant la
solitude du locuteur. Le lecteur assiste à ce simulacre de dialogue sans se
sentir bousculé de sa position de récepteur réel du texte.
L’influence du narrataire sur la réception du texte ne dépend pas
seulement de l’importance que lui accorde le narrateur. Elle est aussi
fonction de la manière dont le récit lui est communiqué. La transmission
écrite peut être motivée par un échange de lettres. Ainsi, Senancour choisit
la forme du roman épistolaire, héritée du XVIIIe siècle, sans accorder au
correspondant d’‘Oberman’ un statut de personnage. On a vu que Yann
Andréa postule un journal destiné à ‘M.D.’. Le troisième modèle bien
attesté de communication d’un récit écrit est le brouillon. Dans Biographie,
‘Yves Navarre’ soumet certains chapitres du texte à ses amis et à ses
éditeurs, puis il écarte leurs critiques et leurs suggestions car il n’attendait
d’eux que réassurance et légitimation 123. Le véritable destinataire de ses
Mémoires est un lecteur inconnu, virtuel, muet et bienveillant.
La communication orale du récit s’inscrit d’emblée dans un cadre plus
fictionnel, puisqu’elle tend à théâtraliser la narration. Ainsi, ‘René’ et
‘Dominique’, en scène, se racontent avec éloquence, tandis que leurs
confidents, à l’arrière-plan, enregistrent passivement leur monologue. C’est
le dispositif de la confession, désacralisé et transporté dans un paysage
« d’une inconcevable grandeur » chez Chateaubriand, dans le secret d’un
« cabinet » chez Fromentin. Au XXe siècle, le rôle du confesseur peut être
joué par un psychanalyste chez Philip Roth 124 et Serge Doubrovsky 125, un
« écrivain public » chez Tahar Ben Jelloun 126, ou encore une femme
aimante et compréhensive chez Boudjedra :

Maria croulait sous le déluge de mes mots liquides, fluorescents,


fluides. Je lui racontais le passé. Elle s’était pétrifiée. […] Je ne
voulais pas lui laisser le temps ni l’espace de s’intercaler entre les
mailles de ma narration. […] Elle essayait par son silence de me
vider de cette chiasse de mots et recomposer ma propre histoire avec
127
les fils de la mémoire à la fois fragile et féconde .
Voilà parfaitement définies les fonctions du narrataire muet, « pétrifié »,
captif du récit : il ouvre les vannes du passé, lève les censures et autorise
une restauration du narcissisme. Il incarne donc le lecteur idéal, réceptif,
impersonnel et compréhensif.
Tous les narrataires intradiégétiques ne restent pas confinés dans cette
position d’écoute approbatrice. Le ‘Père Souël’ face à ‘René’, ‘Ilse’ dans Le
Livre brisé, ou encore l’ordinateur ‘Ecclesias’ chez Henry Roth,
appartiennent à la catégorie des confidents réactifs. Dotés d’une fonction
dialectique, ces auditeurs se permettent d’interpeller le narrateur, de
contester sa version des faits, d’exiger davantage de sincérité :

Étendez un peu plus votre regard et vous serez bientôt convaincu


128
que tous ces maux dont vous vous plaignez sont de purs néants .
Tu as une façon de récrire l’histoire à ta convenance, d’en faire une
idylle, qui m’agace 129.
Tu as un conseil à me donner… Oui ou non ?
– Seulement que le non-dit et l’imprononçable doivent être dits et
prononcés, et le tabou brisé et ignoré. Ça s’est passé durant des mois
et des années.
Je l’ai parfaitement compris 130.

Leur intervention témoigne de l’honnêteté intellectuelle de l’auteur, de


ses doutes, de ses scrupules. L’artificialité du procédé allégorique, loin de
faire basculer le texte dans la fiction, exhibe au contraire les hésitations de
la mémoire aux prises avec plusieurs versions du passé. Le lecteur, flatté,
est alors appelé à s’identifier à un récepteur critique et perspicace. Plus
fiable qu’un simple figurant, ce destinataire critique cautionne en fin de
compte la démarche mémorielle du texte.
Ce contrepoint narratif se retrouve d’ailleurs dans des textes
revendiquant un statut strictement autobiographique, comme Les Faits de
Philip Roth, conclu par une postface sarcastique de ‘Zuckerman’, ou encore
Enfance, de Nathalie Sarraute, en forme de dialogue 131. Sous couvert de
vigilance dialectique, ces narrateurs s’adjoignent un collaborateur dévoué
qui doit, avant tout, attester leur effort de sincérité. Il s’agit donc bien d’une
manipulation rhétorique du processus de narration destinée à convaincre le
lecteur de la véracité de l’histoire.
La représentation du narrataire trahit, d’une façon générale, le désir de
l’auteur de contrôler la réception de son texte, donc sa propension à y
occuper toutes les positions. En se substituant au lecteur, il simule la
négociation d’un contrat aux termes duquel le récit est accepté, admiré et
compris dans toutes ses dimensions. Il s’agit bien sûr d’un pacte fictif et
léonin, qui n’engage que le personnage auquel il est imposé, mais que le
lecteur réel va devoir prendre en compte pour saisir les enjeux du récit.
L’analyse du narrataire revêt sans doute une importance particulière
dans la détermination générique des textes-limites. Comme toute mise en
abyme, le discours de destination délivre en effet un métadiscours. Il
complète et explique le dispositif d’énonciation en assignant au lecteur son
rôle dans la représentation. Cela dit, l’articulation des différentes fonctions
narratives – auteur, narrateur, héros, narrataire, lecteur – n’est jamais fixée
une fois pour toutes. Son évolution s’inscrit dans le processus de
déroulement narratif qui tisse le texte. Il est donc indispensable de prendre
en compte la structuration temporelle des récits pour affiner notre
compréhension de leur positionnement générique.

1. G. Genette, «Discours du récit», art. cité, p. 75.


2. Ibid., p. 206.
3. É. Benveniste, «Les relations de temps dans le verbe français», 1959, rééd. dans Problèmes
de linguistique générale, Paris, Gallimard, 1966; rééd. coll. «Tel», 1976, p. 239.
4. Ibid., p. 241.
5. Ibid., p. 239.
6. K. Hamburger, Der Logik der Dichtung, Stuttgart, 1957; trad. fr. de P. Cadot, Logique des
genres littéraires, Paris, Éd. du Seuil, coll. «Poétique», 1986, p. 289.
7. M. Butor, «L’usage des pronoms personnels dans le roman», dans Répertoire II, Paris, Éd.
de Minuit, 1964, p. 61-72; rééd. dans Essais sur le roman, Paris, Gallimard, coll. «Idées»,
1969.
8. P. Lejeune, «Peut-on innover en autobiographie?», dans Michel Neyraut (dir.),
L’Autobiographie. Actes des sixièmes Rencontres psychanalytiques d’Aix-en-Provence,
Paris, Les Belles Lettres, 1990, p. 68.
9. É. Benveniste, «Structure des relations de personne dans le verbe», 1946, rééd. dans
Problèmes de linguistique générale, op. cit., p. 228.
10. M. Butor, «L’usage des pronoms personnels dans le roman», art. cité, p. 61.
11. G. Genette, Figures III, op. cit., p. 252. G. Molinié, Dictionnaire de rhétorique, Paris, LGF,
coll. «Le Livre de Poche», 1992, p. 131: «On emploie quelquefois le même terme
d’énallage pour désigner tout changement dans l’usage des embrayeurs (articles, ensemble
des prédéterminants, pronoms, désinences personnelles, etc.), à l’intérieur d’une unité assez
rassemblée de discours, soit sans changement de la valeur de désignations correspondante,
soit de manière à produire ainsi un effet de brusquerie ou de brouillage assez saisissant.»
12. P. Lejeune, Le Pacte autobiographique, op. cit., p. 16-17.
1. M. Butor, «L’usage des pronoms personnels dans le roman», art. cité, p. 61.
2. G. Genette, Figures III, op. cit., p. 252. G. Molinié, Dictionnaire de rhétorique, Paris,
LGF, coll. «Le Livre de Poche», 1992, p. 131: «On emploie quelquefois le même terme
d’énallage pour désigner tout changement dans l’usage des embrayeurs (articles, ensemble
des prédéterminants, pronoms, désinences personnelles, etc.), à l’intérieur d’une unité assez
rassemblée de discours, soit sans changement de la valeur de désignations correspondante,
soit de manière à produire ainsi un effet de brusquerie ou de brouillage assez saisissant.»
3. P. Lejeune, Le Pacte autobiographique, op. cit., p. 16-17.
13. P. Lejeune, «L’autobiographie à la troisième personne», dans Je est un autre, Paris, Éd. du
Seuil, coll. «Poétique», 1980, p. 47.
14. G. Genette, «Discours du récit», art. cité, p. 209-210 (qui lui-même cite Jean Pouillon,
Temps et roman, Paris, Gallimard, 1946; rééd., coll. «Tel», 1993, p. 79).
15. K.P. Moritz, Anton Reiser, Ein Psychologischer Roman, 1790; trad. fr. de G.Pauline, Paris,
Fayard, 1986, p.84.
16. Ibid., p. 123.
17. Ibid., p. 246.
18. D.H. Lawrence, Sons and Lovers, 1913; trad. fr. de J. Fournier-Pargoine, Amants et fils,
Paris, Gallimard, 1932; rééd., coll. «Folio», 1980.
19. H. Hesse, Unterm Rad, 1905; trad. fr. de L. Jumel, L’Ornière, Paris, Calmann-Lévy, 1957;
rééd. dans Romans et nouvelles, Paris, R. Laffont, coll. «Bouquins», 1993, p. 115-237.
20. Op. cit.
21. Op. cit.
22. J. London, Martin Eden, op. cit., chap. 24, p. 223.
23. homas Pavel attribue l’invention du discours indirect libre à Jane Austen dans Emma
(1816), et ajoute que son œuvre «n’a été comprise que dans la seconde moitié du
e
XIX siècle». La Pensée du roman, Paris, Gallimard, 2003, p.272-273.

24. J. Joyce, Portrait de l’artiste en jeune homme, op. cit., p. 219.


25. H. Roth, L’Or de la terre promise, op. cit., p. 99-101.
26. C.A. Sainte-Beuve, Vie, poésies et pensées de Joseph Delorme, op. cit.
27. «À la tête du recueil on lit une notice sur la vie de l’auteur, écrite d’un style tellement
semblable à celui du défunt qu’on pourrait croire que c’est lui-même qui, depuis sa mort, a
fait son oraison funèbre» (critique parue dans La Pandore du 13 juin 1829 et citée par
Gérald Antoine dans son Introduction à l’éd. de 1956, p. XLIII).
28. C.A. Sainte-Beuve, Vie, poésies et pensées de Joseph Delorme, op. cit., p. 12-15.
29. P. Roth, The Ghost Writer, New York, 1979; trad fr. de H. Robillot, L’Écrivain fantôme,
Paris, Gallimard, 1981; rééd. dans Zuckerman enchaîné, op. cit., p. 57.
30. P. Handke, Die Stunde der Wahren Empfindung, Francfort, 1975; trad. fr. de G.A.
Goldschmidt, L’Heure de la sensation vraie, Paris, Gallimard, 1977.
31. R.M. Rilke, Les Carnets de Malte Laurids Brigge, op. cit, p. 250.
32. Y. Navarre, Biographie, op. cit., p. 114.
33. A. Robbe-Grillet, Le Miroir qui revient, Paris, Éd. de Minuit, 1985; Angélique ou
l’enchantement, Paris, Éd. de Minuit, 1988; Les Derniers Jours de Corinthe, Paris, Éd. de
Minuit, 1994.
34. A. Daudet, Le Petit Chose, op. cit., 1re partie, chap. 10.
35. Ibid., 1re partie, chap. 4.
36. P. Nizon, Untertauchen, Protokoll einer Reise, Francfort, 1972; trad. fr. de J.-L. de
Rambures, Immersion, Arles, Actes Sud, 1991, p. 26.
37. M. Duras, L’Amant, op. cit., p. 9.
38. Ibid., p. 24.
39. Ibid., p. 29.
40. Ibid., p. 32.
41. Ibid., p. 42.
42. J. Fletcher, «Claude Simon: autobiographie et fiction», art. cité, p. 1211-1217.
43. C. Simon, Le Jardin des Plantes, op. cit., p. 273.
44. G. Genette, Figures III, op. cit., p. 253.
45. N. Sôseki, Je suis un chat, op. cit.
46. K. Ôé, Une existence tranquille, op. cit.
47. C. Angot, Sujet Angot, Paris, Fayard, 1998.
48. Dans Hrabal könyve, 1990 (trad. fr. de A. Kahane, Le Livre de Hrabal, Paris, Gallimard,
1994), l’écrivain hongrois Peter Esterhazy confie une large part de la narration à ‘Anna’
qui, enceinte, hésite à se faire avorter. Cependant, l’auteur reste omniprésent, à travers ses
digressions fantaisistes, ses références à Bohumil Hrabal et, surtout, à travers le personnage
de ‘l’écrivain’, mari d’‘Anna’.
49. É. Benveniste, Problèmes de linguistique générale, op. cit., p. 228.
50. P. Vilain, L’Étreinte, op. cit.
51. P. Sollers, Passion fixe, Paris, Gallimard, 2000.
52. D. Rolin, Journal amoureux, Paris, Gallimard, 2000.
53. Y. Andréa, M.D., Paris, Éd. de Minuit, 1983; Cet amour-là, Paris, Éd. de Minuit, 1999.
54. D. Chraïbi, Le Passé simple, op. cit.
55. R. Boudjedra, La Répudiation, op. cit.
56. J.D. Salinger, Seymour, an Introduction, 1959; trad. fr. de B. Willerval, Seymour, une
introduction, Paris, R. Laffont, 1964; rééd., UGE, coll. «10/18», 1981.
57. A. Makine, Le Testament français, op. cit.
58. P. Michon, Vies minuscules, Paris, Gallimard, 1984; rééd., coll. «Folio», 1997, p. 247 et
248.
59. H. de Balzac, Louis Lambert, op. cit., p. 624.
60. Cf. J. Paris, Balzac, Balland, 1986, p. 237-252.
61. M. Butor, «L’usage des pronoms personnels dans le roman», art. cité, p. 63.
62. M. Bakhtine, «Du discours romanesque», dans Esthétique et théorie du roman, trad. fr. de
D. Olivier, Paris, Gallimard, 1978, p. 83-233 [éd. originale, Moscou, 1975].
63. P. Modiano, De si braves garçons, op cit., p. 79.
64. P. Modiano, Dora Bruder, op. cit., p. 73.
65. Ibid., p. 54.
66. G. Genette, Figures III, op. cit., p. 253.
67. H. Miller, Tropic of Cancer, 1934; trad. fr. de H. Fluchère, Tropique du cancer, Paris,
Denoël, 1945; rééd., Gallimard, coll. «Folio», p. 22.
68. Senancour, Oberman, op. cit., p. 17.
69. H. Barbusse, Le Feu, Paris, Flammarion, 1916, est sous-titré Journal d’une Escouade.
Roman (rééd., LGF, coll. «Le Livre de Poche», 1988, suivi de Carnets de guerre).
70. B. Cendrars, La Main coupée, Paris, Denoël, 1946; rééd., Gallimard, coll. «Folio», 1974, p.
339: «cette longue chronique».
71. T. Bernhard, L’Origine, op. cit., p. 40, p. 70. Der Atem, Salzbourg et Vienne, 1978; trad. fr.
de A. Kohn, Le Souffle, Paris, Gallimard, 1974, p. 213. Wittgenstein’s Neffle. Eine
Freundschaft, Francfort, 1982; trad. fr. de J.-C. Hémery, Le Neveu de Wittgenstein. Une
amitié, Paris, Gallimard, 1985; rééd., coll. «Folio», 1992, p. 31.
72. T. Bernhard, sous-titre de L’Origine, op. cit.
73. Senancour, Oberman, op. cit., p. 18-19.
74. H. Guibert, Le Protocole compassionnel, Paris, Gallimard, 1991, p. 105.
75. J.-L. Douin, «Kerouac, mère et fils», article paru dans «Le Monde des livres» du 27 février
1998, p. I, à propos de la biographie de Gerald Nicosia, Memory Babe (1983; trad. fr. de M.
Deschamps et E. Vonarburg, Memory Babe. Une biographie critique de Jack Kerouac,
Paris, Verticales, 1998): «lorsqu’il tapait à toute allure pendant trois jours et trois nuits,
suant tant qu’il changeait de tee-shirt toutes les deux heures».
76. A. de Gaudemar, «Boudjedra, le batailleur d’Alger», article paru dans Les Cent Livres de
l’année, numéro hors-série de Libération, mars 1992, p. 10: «Rachid Boudjedra écrit Le
Désordre des choses d’un seul jet, en quinze jours, comme le plus souvent.»
77. R. Boudjedra, cité par A. de Gaudemar dans l’article mentionné ci-dessus.
78. M. Proust, Sodome et Gomorrhe, dans À la recherche du temps perdu, op. cit., t. III, p. 4-
31; Le Temps retrouvé, ibid., t. IV, p. 394-399.
79. Le Côté de Guermantes, ibid., t. II, p. 554-559; Sodome et Gomorrhe, ibid., t. III, p. 376. G.
Genette mentionne plusieurs autres cas dans «Discours du récit», Figures III, op. cit., p.
221-222.
80. Le Côté de Guermantes, dans À la recherche du temps perdu, op. cit., t. II, p. 558.
81. M. Proust, Sodome et Gomorrhe, ibid., t. III, p. 257. D’autres exemples sont cités par G.
Genette, «Discours du récit», Figures III, op. cit., p. 222.
82. M. Proust, Sodome et Gomorrhe, dans À la recherche du temps perdu, op. cit., t. III, p. 264.
83. M. Proust, Albertine disparue, dans À la recherche du temps perdu, op. cit., t. IV, p. 163.
84. G. Genette, «Discours du récit», Figures III, op. cit., p. 217.
85. M. Proust, À l’ombre des jeunes filles en fleurs, dans À la recherche du temps perdu, op.
cit., t. I, p. 471.
86. G. Genette, «Discours du récit», Figures III, op. cit., p. 223-224.
87. C. Dickens, David Copperfield, op. cit., chap. I, t. I, p. 28 et 29.
88. J. Giono, Jean le Bleu, op. cit.
89. P. Labro, Le Petit Garçon, Paris, Gallimard, 1990; rééd., coll. «Folio», 1996, p. 159 et 160.
90. Ibid., p. 205 et 207.
91. B. Constant, Adolphe, op. cit., chap. III.
92. É. Benveniste, «Structure des relations de personne dans le verbe», art. cité, p. 232.
93. P. Lejeune, Le Pacte autobiographique, op. cit., p. 17. Depuis lors Nathalie Sarraute s’est
dédoublée pour retracer son Enfance (Paris, Gallimard, 1983; rééd., coll. «Folio», 1992;
texte étudié par P. Lejeune dans Les Brouillons de soi, Paris, Éd. du Seuil, coll. «Poétique»,
1998).
94. B. Morrissette, «Narrative “You” in contemporary literature», Comparative Literature
Studies, vol. II, nº 1, 1965, p. 7.
95. K. Hamsun, Un vagabond joue en sourdine, op. cit., p. 106.
96. C. Juliet, Lambeaux, op. cit.
97. A. Bosquet, L’Enfant que tu étais, Paris, Grasset, 1982.
98. Gao Xingjian, Yigeren de Shenjing, Taipeï, 1999; trad. fr. de L. et N. Dutrait, Le Livre d’un
homme seul, La Tour d’Aigues, Éd. de l’Aube, 2000.
99. C. Wolf, Kindheitsmuster, Berlin, 1976; trad. fr. de G. Riccardi, Trame d’enfance, Aix-en-
Provence, Alinéa, 1987; rééd., Paris, Gallimard, coll. «Folio», 1991.
100. Y. Andréa, M.D., op. cit., p. 11.
101. J. Rousset, «Le journal intime, texte sans destinataire?», Poétique, nº 56, 1983, p. 435-443.
102. Cf. R. Barthes, S/Z, Paris, Éd. du Seuil, 1970, rééd., coll. «Points», 1976, où Barthes
décrypte les «codes culturels» à l’œuvre dans Sarrazine et esquisse ainsi un portrait-robot
du lecteur réel pour lequel Balzac écrivait.
103. W. Iser, Der Akt des Lesens, Munich, 1976; trad. fr. de E. Sznycer, L’Acte de lecture.
Théorie de l’effet esthétique, Bruxelles, Mardaga, 1985, p. 72.
104. Cf. G. Prince, «Introduction à l’étude du narrataire», Poétique, nº 14, 1973, p. 178-196.
105. M. Dentan, Le Texte et son Lecteur, Lausanne, L’Aire, 1983, chap. 1, «Lire Cécile», p. 21.
106. Ibid., p. 32.
107. P. Istrati, Mikhaïl, op. cit., p. 183.
108. R. Jakobson, Essais de linguistique générale, op. cit., p. 100-101.
109. Y. Mishima, Confession d’un masque, op. cit., p. 139-140.
110. J. Genet, Journal du voleur, op. cit., p. 10.
111. Ibid., p. 29.
112. Ibid., p. 115.
113. L.-F. Céline, D’un château l’autre, op. cit., p. 1, 7, 17, 46 et 67.
114. F. Mauriac, Un adolescent d’autrefois, op. cit.
115. A. Makine, Confession d’un porte-drapeau déchu, Paris, Belfond, 1992; rééd., Gallimard,
coll. «Folio», 1996.
116. V. Nabokov, Regarde, regarde les arlequins!, op. cit.
117. Ibid., p. 294.
118. P. Nizon, Canto, Francfort, 1963; Canto, trad. fr. de G. Pauline sous le même titre, Nîmes,
J. Chambon, 1991.
119. P. Roth, Portnoy et son complexe, op. cit., p. 372.
120. M. Proust, Sodome et Gomorrhe, dans À la recherche du temps perdu, op. cit., t. III, p. 51.
121. J. Giono, Jean le Bleu, op. cit., p. 262.
122. P. Modiano, Les Boulevards de ceinture, op. cit., p. 137-150.
123. Y. Navarre, Biographie, op. cit.
124. P. Roth, Portnoy et son complexe, op. cit.
125. S. Doubrovsky, Fils, op. cit.
126. T. Ben Jelloun, L’Écrivain public, op. cit.
127. R. Boudjedra, La Macération, op. cit., p. 168.
128. F.-R. de Chateaubriand, René, op. cit., p.145.
129. S. Doubrovsky, Le Livre brisé, op. cit., p. 90.
130. H. Roth, À la merci d’un courant violent, t. II, Un rocher sur l’Hudson, op. cit., p. 154-155.
131. Sur Enfance, voir P. Lejeune, Les Brouillons de soi, op. cit., p. 269 sq.
5

Temps

D ANS n’importe quel roman, disait Michel Butor,

les structures chronologiques […] sont d’une complexité tellement


vertigineuse que les schémas les plus ingénieux utilisés […] dans
son exploration critique ne pourront être que de grossières
approximations 1.

Raconter, c’est rendre compte d’une succession d’événements,


l’histoire, par une succession de mots et de phrases, le récit. Les principaux
types d’articulations entre ces deux chaînes temporelles ont été
magistralement répertoriés par Gérard Genette dans « Discours du récit » 2.
Je reprendrai ses distinctions en sélectionnant les indications de temps et de
rythme les plus connotées d’un point de vue générique.
Afin de ne pas m’égarer dans la « complexité vertigineuse » du temps
narratif, je prendrai pour gabarit de référence la configuration
autobiographique classique. Elle est relativement facile à décrire pour peu
qu’on accepte de recourir à une métaphore spatiale. Un récit mémoriel se
développe normalement selon deux axes : un axe de régression-progression
qui est le temps remémoré, le temps du récit au passé ; et un axe, ou un
point, un moment, dans lequel s’exerce l’activité d’énonciation.
L’articulation entre le temps de l’histoire et le temps du récit doit donc
s’analyser sur chacun de ces deux axes. L’instant précis de la remémoration
ne constitue pas une sphère indépendante : soit il est situé dans le passé
raconté, comme l’épisode de la madeleine chez Proust, soit il est simultané
au moment de l’énonciation, comme l’évocation du père défunt chez Paul
Auster 3.
Le journal intime propose à l’écriture de soi une variation sur ce
modèle : en segmentant l’énonciation, il rapproche l’événement de son
compte rendu et de son commentaire. C’est pourquoi son dispositif
temporel est souvent utilisé pour alléguer la véridicité du texte. Enfin, nous
le verrons, certains auteurs n’hésitent pas à combiner et à bouleverser les
schémas conventionnels pour refléter plus fidèlement une conscience du
temps fragmentaire et problématique. Mais, en préalable à l’analyse
structurale, il est indispensable de se demander si les temps grammaticaux
eux-mêmes peuvent avoir une valeur d’indices génériques.

Conjugaison
Équivalant, dans une de ses acceptions, à « langage », « parole » ou
« discours », le « verbe », en tant que mot, est le pivot de la phrase et, dans
toutes les langues, le vecteur de la communication. La bonne réception d’un
texte dépend, pour une large part, de la capacité du lecteur à saisir le jeu des
flexions verbales, à repérer le sujet et l’aspect du verbe.
Morphologiquement, les deux déterminations sont étroitement solidaires, la
plupart des formes verbales fléchissant, dans les langues latines, selon la
personne qui les régit. Le syntagme verbal doit donc être appréhendé dans
son ensemble. Correctement décodé, il traduit l’inscription du sujet dans
son histoire et oriente par conséquent le sens de l’énoncé.
L’étude d’Émile Benveniste sur « les relations de temps dans le verbe
français 4 » a introduit une distinction fondamentale entre deux systèmes
d’énonciation : l’histoire et le discours. Cette bipartition innovait en
combinant un facteur d’énonciation et un facteur de temps : l’histoire se
caractérise par l’emploi de la troisième personne et la prééminence de
l’aoriste (ou passé simple), tandis que le discours s’énonce principalement
à la première personne du présent ou du parfait (en français le passé
composé). La ligne de partage ne passe pas exactement entre ce que nous
nommons habituellement récit et discours. Pour Benveniste, le mode
discursif n’exclut pas le récit, tant que le narrateur maintient un « lien
vivant » entre son acte d’énonciation et les événements qu’il relate, tant
qu’il reste présent et prégnant dans son énoncé. L’autobiographie relèverait
donc, selon lui, du discours plus que de l’histoire. Pour qu’il y ait histoire, il
faut que le narrateur s’efface derrière les faits qu’il évoque, derrière la
représentation qu’il suscite.
Cette distinction linguistique ne recoupe pas non plus l’opposition
générique entre fiction et référence. Tout discours est, en principe,
référentiel, puisqu’il suppose chez le locuteur « l’intention d’influencer
l’autre en quelque manière 5 ». Mais l’histoire, telle que la conçoit
Benveniste, n’est pas fictionnelle par nature puisque son modèle, et en
français son homonyme, n’est autre que l’Histoire en tant que science.
La distinction entre fiction et référence ne relève pas de la linguistique
mais de la poétique. Dans cette discipline, Käte Hamburger avait mis en
évidence, peu avant Benveniste, la fonction narrative de la troisième
personne du passé simple. Sa Logique des genres littéraires 6, parue en
1954, partait en effet de l’analyse du passé simple qu’elle nommait
« prétérit épique ». Ce temps lui fournissait un critère de répartition entre
l’énoncé de fiction et l’énoncé de réalité, c’est-à-dire, dans son système
aristotélicien, entre la langue littéraire et la langue ordinaire. Pour
qu’advienne la fiction, il faut, estimait Käte Hamburger, que la troisième
personne du passé simple vide le narrateur de toute substance personnelle et
projette événements et personnages dans l’atemporalité. Le passé simple ne
fonctionne plus, dans ce contexte, comme un indicateur temporel mais
comme un signe générique de déréalisation.
Dans son étude sur Le Temps 7, qui date de 1964, Harald Weinrich
remaniait le clivage linguistique mis en évidence par Benveniste de façon à
l’appliquer aux textes littéraires. Pour ce faire, il en excluait d’abord le
facteur énonciatif :

Je n’admettrai pas qu’un temps puisse passer d’un groupe à l’autre


selon la personne avec laquelle il se combine 8.

Il distinguait ensuite les temps « commentatifs » (présent, passé


composé, futur) des temps « narratifs » (passé simple, imparfait, plus-que-
parfait) 9. Pour mieux comprendre le statut des temps narratifs, il
s’interrogeait sur l’évolution du passé simple français qui, ainsi que l’avait
observé Benveniste, s’emploie surtout, de nos jours, dans la langue écrite et
à la troisième personne. Que son usage recule, Weinrich en convenait, mais,
pour lui, « la crise du passé simple » n’était pas nouvelle :

Le passé simple, en fait, a toujours été plus « faible » à la première


personne (surtout du pluriel) et à la deuxième, pour la simple raison
que l’on raconte normalement à ses auditeurs des faits qu’ils ne
connaissent pas déjà 10.

La spécialisation de ce temps dans le récit historique, mené en troisième


personne, a rendu sa conjugaison défective, donc plus rare. Il a dû subir,
dans l’art du récit, une concurrence croissante du passé composé, dont le
territoire est contigu. Les deux formes indiquent que l’événement est
terminé ; mais le passé composé relie toujours cet événement au moment de
l’énonciation, alors que le passé simple introduit une césure nette entre le
moment où l’on parle et l’événement relaté. Il supprime toute relation entre
narrateur et histoire au point que « les événements semblent se raconter
d’eux-mêmes 11 ».
L’évolution qui s’est dessinée au cours du XVIIIe siècle en faveur des
thèmes de l’intériorité a amplifié le déclin du passé simple au profit du
passé composé, de l’imparfait et du présent. La progression du présent que
l’on nomme « de narration » ou « historique » est sans doute la plus
remarquable. Cette valeur d’emploi permet de suggérer que le sujet est
marqué par ses souvenirs au point qu’ils lui apparaissent dans une éternelle
actualité proche de l’hallucination :

Ma sœur se couche sur le marbre ; on étend sur elle un drap


mortuaire ; quatre flambeaux en marquent les quatre coins. Le
prêtre, l’étole au cou, le livre à la main, commence l’Office des
morts ; de jeunes vierges le continuent. Ô joies de la religion, que
vous êtes grandes, mais que vous êtes terribles 12 !

Comme on le voit dans cet extrait de René, le présent de narration


n’offre pas seulement une alternative au passé simple. Il permet
d’embrayer, de façon imperceptible, du récit («… de jeunes vierges le
continuent ») au commentaire gnomique (« Ô joies de la religion, que vous
êtes… ») en enchaînant deux valeurs modales du présent. L’exclamation de
‘René’ transcende en quelque sorte la distinction entre passé et présent,
entre récit et discours.
Si Vallès 13, Colette et leurs émules ont généralisé l’usage du présent de
narration dans le récit autodiégétique, c’est sans doute pour emprunter au
langage parlé un peu de sa vivacité expressive ; ils évitaient du même coup
la connotation « littéraire » du passé simple. Mais c’est aussi parce que
l’ambivalence du présent engendre l’ambiguïté générique. En perturbant la
distinction entre le moment de l’énonciation et le temps remémoré, la
confusion des présents traduit l’assujettissement du récit à une subjectivité
intemporelle, dénuée d’esprit critique, et signale par conséquent au lecteur
un risque permanent de gauchissement fictionnel.
Menant un « double jeu », l’imparfait résiste aux bipartitions de
Weinrich et Benveniste 14. Quand il exprime la durée d’une action située
dans le passé, il forme indifféremment système avec les aspects ponctuels
du passé simple ou du passé composé. Mais il s’impose aussi pour spécifier
que l’action s’est répétée de façon habituelle. Cette valeur itérative
s’inscrira volontiers dans une démarche autobiographique 15.

Entre emploi des temps et intention générique il existe donc des


corrélations linguistiques auxquelles le lecteur est sensible. Sur le long
terme, il y a aussi des interactions, encore mal connues, entre l’évolution
des genres et celle de la langue. Voyons maintenant comment la
structuration du récit rétrospectif peut afficher des signes convaincants de
référentialité ou, au contraire, se démarquer du modèle autobiographique
pour mettre en œuvre une stratégie délibérément romanesque.

Temps remémoré
Abandonnant provisoirement le point de vue du lecteur, nous allons
analyser quelques-unes des difficultés auxquelles se heurte un auteur dans
la transcription de matériaux mémoriels. En effet, sa stratégie générique
découle pour une part de sa confrontation avec ces difficultés. Un texte bref,
poème, nouvelle ou entrée de journal, peut évoquer le surgissement d’un
seul souvenir. Mais tout se complique dès qu’il s’agit d’articuler dans le
temps plusieurs souvenirs apparus en ordre dispersé. Le romancier qui
souhaite raconter, ou faire raconter à son héros, une série de souvenirs devra
nécessairement résoudre un certain nombre de problèmes techniques relatifs
à la construction du récit, aux liens de causalité, au resserrement de
l’intrigue, aux retours en arrière, à l’itinéraire spatial, problèmes que nous
allons aborder dans cet… ordre.

ORDRE
Chacun sait que les souvenirs ne se présentent pas à la conscience selon
l’ordre chronologique des événements mais au contraire dans la plus grande
confusion. N’obéissent-ils pas, comme les rêves, aux lois mystérieuses du
refoulement, du déplacement, de la condensation et des associations
d’idées ? L’autobiographe, le romancier s’efforcent de donner un sens à ce
flux mémoriel incontrôlable, c’est-à-dire à la fois une direction et une
signification. Confier des souvenirs à l’aventure du texte, c’est d’abord leur
assigner une place le long de la chaîne langagière, une place significative.
Gide, rédigeant Si le grain ne meurt, se plaignait de cette contrainte,
obstacle, selon lui, à l’expression de la vérité :

[…] on ne dessine pas sans choisir ; mais le plus gênant c’est de


devoir présenter comme successifs des états de simultanéité
confuse. Les Mémoires ne sont jamais qu’à demi sincères, si grand
que soit le souci de vérité : tout est toujours plus compliqué qu’on
ne le dit. Peut-être même approche-t-on de plus près la vérité dans le
roman 16.

Le terme de « récit rétrospectif » suggère un cheminement à rebours,


qui remonterait le cours du temps en partant du moment présent. Mais, en
fait, ce type de narration, théoriquement réalisable, produirait un texte
inintelligible, car les conséquences y précéderaient systématiquement les
causes. C’est pourquoi chacune des actualisations d’un récit par l’écriture,
la lecture ou la narration orale, reconstruit l’histoire du début à la fin. Dans
la vie ordinaire, nous sentons notre passé derrière nous. Mais, que nous
nous retournions pour l’examiner et le raconter, aussitôt notre histoire est
devant nous. À tout conteur s’impose la nécessité pragmatique de respecter,
pour que le conte tienne debout, cet ordre successif qui s’accorde avec
l’ordre dans lequel le récepteur en prend connaissance, en superpose les
informations et le comprend.
Bien qu’il se fonde sur une démarche régressive, le récit mémoriel doit
donc, comme le récit d’imagination, restituer au passé une chronologie
progressive. Le procès narratif conventionnel, fondé sur la causalité, ne peut
tolérer la simple juxtaposition de matériaux hétéroclites et lacunaires. Le
travail de l’auteur faisant appel à sa mémoire s’apparente à du ravaudage : il
resserre la trame, raccommode les trous, emprunte, si besoin est, une pièce
de tissu ici ou là, brode par-dessus, et enfin trempe le tout dans un bain de
teinture…

SURDÉTERMINATION
Une progression logique et chronologique ne suffit évidemment pas
pour soutenir l’intérêt du récit. Il faut en outre assurer sa cohésion à tous les
niveaux (lexical, sémantique, métaphorique, idéologique), le structurer
autour de relations d’antithèse et de symétrie, y ouvrir des perspectives
latérales, transversales, obliques. Ce travail obéit au principe de
surdétermination.
Dans un roman, la surdétermination exige que chaque ligne narrative,
chaque personnage, chaque indication soient pris de toutes parts dans un
enchaînement de causes et d’effets qui concourt à la cohérence, à la densité
et à la force démonstrative de l’ensemble. Aucun mot du texte ne doit être
gratuit, aléatoire ou inexplicable. De surcroît, les informations essentielles
seront soulignées par leur redondance. Tout s’inscrira ainsi dans une
progression dramatique, convergera et se résoudra dans un dénouement
satisfaisant. En accord avec Aristote, Paul Auster note qu’un récit est
fictionnel à partir du moment où l’auteur cherche à dégager des faits une loi
générale, à créer « l’illusion de la vérité métaphysique 17 » :

Dans une œuvre de fiction, on admet l’existence, derrière les mots


sur la page, d’une intelligence consciente. Rien de pareil en
présence des événements du monde soi-disant réel. Dans une
histoire inventée, tout est chargé de signification, tandis que
18
l’histoire des faits n’a que celle des faits eux-mêmes .

Il n’est que d’ouvrir un journal ou une biographie pour vérifier que le


récit référentiel subit toujours, sur ce point, l’attraction du modèle
romanesque. Les narrateurs se sentent tenus de dépasser le cas particulier de
leur récit pour déboucher sur une généralisation signifiante.
Le récit personnel est encore plus enclin à s’organiser en un tout hyper-
signifiant. Freud a décrit ce processus en 1899 dans un texte étonnant, à la
fois théorie et pratique du roman autobiographique : Sur les souvenirs-
écrans. Il s’agit d’un dialogue dont les deux protagonistes sont identifiables
à l’auteur, l’un en tant que patient, l’autre en tant qu’analyste : « Un homme
de trente-huit ans […] qui n’est pas ou qui n’est que très peu névrosé » y
raconte un souvenir d’enfance à un ami doué pour la maïeutique. Par ses
questions, ce thérapeute amateur amène son patient à retrouver la trace d’un
fantasme plus lointain, et plus troublant, que le « souvenir-écran » avait
pour fonction d’occulter 19. Freud en conclut que l’inconscient élabore,
remanie et falsifie nos souvenirs de façon à les inscrire dans un déroulement
acceptable du double point de vue de la morale et de la logique. A
contrario, il invoque en faveur de « l’authenticité du souvenir d’enfance »
le plus archaïque la non-motivation de certains de ses éléments 20.
Le lecteur, dans son travail d’évaluation du récit rétrospectif, va utiliser
exactement le même critère. Il accordera un important coefficient de
véridicité à tout ce qui dépasse de la structure narrative, à tous les restes
irréductibles à un dessein concerté, à tous les éléments non motivés et non
signifiants : les questions sans réponse, les hypothèses abandonnées, les
échecs absurdes, les incohérences, les incongruités, les digressions, les
oublis, les maladresses. Ces souvenirs énigmatiques sont encore plus retors
que les notations concrètes apparemment inutiles à la conduite de l’intrigue
dans lesquelles Roland Barthes reconnaissait des « effets de réel » 21. Au
lieu de s’intégrer dans l’économie du récit, d’en lisser la surface, d’en
accréditer la vraisemblance, ils y jouent un rôle perturbateur en trahissant
l’incapacité du narrateur à comprendre son propre comportement, son
propre discours. Un exemple :

Il ne leva pas les yeux lorsque je passai devant lui. Je me demande


22
pourquoi je me le rappelle encore après toutes ces années .

De la même façon que la note dissonante déconcerte, le souvenir non


motivé dérègle la mécanique explicative ; il intrigue, à tous les sens du
terme.

CONDENSATION

Quelles que soient ses visées et ses méthodes, l’auteur doit fixer à son
récit un début et une fin. La durée qui sépare ces deux bornes peut donner,
en elle-même, une première indication générique. Reprenant l’opinion de
Sainte-Beuve 23, Joachim Merlant estimait que la durée de l’histoire
fournissait le premier critère de distinction entre roman autobiographique et
Mémoires. Tandis que ces derniers couvrent, sinon la vie entière, du moins
une longue période de l’existence, le roman que Merlant nommait
« autobiographie » isole et exemplifie un moment de crise dont il dramatise
les enjeux :

L’autobiographie chez Mme de Staël, Chateaubriand, B. Constant et


Sainte-Beuve répond bien à une idée romanesque de la vie. La vie
leur apparaît à tous en décor, en drame ; ils pensent tous qu’il fut
une période de leur existence où ils vécurent, en quelques instants
ramassés de douleur et de passion, plus qu’ils ne doivent vivre dans
24
toute la suite, si longue soit-elle .

Plus l’intrigue est concentrée dans le temps, plus le récit témoigne d’une
volonté de construction dramatique, d’une certaine exacerbation
romanesque. Si René ou David Copperfield, récits d’une vie, semblent plus
référentiels qu’Adolphe ou La Confession d’un enfant du siècle, c’est que
Chateaubriand et Dickens remplissent mieux le programme assigné à
l’autobiographie par Philippe Lejeune :

Récit rétrospectif en prose qu’une personne réelle fait de sa propre


existence, lorsqu’elle met l’accent sur sa vie individuelle, en
particulier sur l’histoire de sa personnalité 25.

Il est clair que Constant et Musset n’embrassent pas l’histoire d’une


personnalité mais se focalisent sur un épisode singulier, coupé de toutes ses
déterminations antérieures et postérieures, à la fois exemplaire et
incompréhensible. Au moment où ils racontent, ‘Adolphe’ comme ‘Octave’
sont encore sous l’emprise de ce passé qui les aliène, alors que ‘René’ et
‘David’ ont manifestement pris du recul.
La condensation de nombreux événements significatifs dans un laps de
temps limité confère à la plupart des romans autobiographiques une densité
supérieure au survol toujours un peu lâche, plat et répétitif d’une vie
entière. Toute une problématique existentielle se cristallise en quelques
jours, ou quelques semaines, de dénuement (La Faim de Knut Hamsun), de
fugue (Immersion de Paul Nizon), de travail (La Cave de Thomas
Bernhard), de séparation (La Séparation de Dan Franck), de deuil
(Succession ouverte de Driss Chraïbi), de fuite (la trilogie allemande de
Céline), d’agonie (Le Protocole compassionnel d’Hervé Guibert) ou
d’amour (Aziyadé de Loti). Ces moments de crise ne s’organisent jamais
tout à fait en intrigues autonomes conclues par un dénouement définitif. Ils
se donnent plutôt comme extraits d’une chronique interminable, comme les
moments forts d’une existence inachevée.
La dramatisation permet de rompre la monotonie du « sommaire », qui
broie le temps, au moyen de « scènes » qui en restituent la durée,
l’épaisseur. La technique employée par Henry Roth dans À la merci d’un
courant violent est exemplaire à cet égard : il retrace la jeunesse d’‘Ira
Stigman’ en sélectionnant et en reconstituant un petit nombre d’épisodes
emblématiques. Au mouvement rétrospectif, il substitue ainsi une
orientation prospective qui suspend le lecteur au déroulement de scènes
saturées de subjectivité, dont l’issue est toujours ajournée puisqu’elles se
sont reproduites à maintes reprises sans se résoudre ni être élucidées. Le
« spectateur » assiste à ces scènes avec, en voix off, le double commentaire
d’‘Ira’ – jeune personnage et narrateur âgé. Quelques instants résument la
problématique de toute une vie.
Le moment clef d’une « scène » de roman est souvent dialogué. Par le
dialogue, explique Michel Butor,

il se produit une coïncidence entre la durée de la lecture et la durée


de ce qu’on lit […] 26.
En alléguant une parole, le récit emprunte au théâtre sa stratégie de
représentation et d’actualisation du conflit. Mais dans quelle mesure un
discours mémoriel peut-il recourir à ce subterfuge mimétique ?
L’expérience quotidienne montre que, sauf effort particulier pour assurer
leur conservation, « les paroles s’envolent ». Quelques énoncés seulement,
au cours d’une vie, s’avèrent suffisamment redondants ou frappants pour
s’incruster dans la mémoire. Sauf à disposer de procès-verbaux ou
d’enregistrements, aucun autobiographe n’est en mesure de restituer en
style direct de longs discours ou des conversations suivies. S’il déroge à
cette règle, c’est qu’il a entrepris, à partir de bribes mémorielles, un travail
de reconstitution du passé. Le lecteur exigeant tient là un critère de
différenciation générique redoutable.
Peu d’écrivains du moi se privent des possibilités dramatiques ouvertes
par la parole rapportée. Il suffit d’ouvrir les livres de Thomas Bernhard, de
Peter Handke, de Claude Simon, pour mesurer la difficulté qu’ils affrontent
et, il faut le dire, imposent au lecteur. Le narrateur supporte seul le poids du
texte en un monologue interminable et compact. C’en est fini de la
polyphonie qui, pour Bakhtine, caractérise l’art du roman. Le lecteur
n’entend plus les voix extérieures qu’assourdies et filtrées par la prose
insistante du narrateur. Loin de donner à voir un passé minutieusement
reconstitué, ce discours obsessionnel tente de représenter le contenu
arbitraire d’une subjectivité.

Pour compenser ce handicap de l’autobiographie sur le roman, pour


restituer au texte mémoriel la surdétermination, la densité, la polyphonie
qui en feront un objet littéraire, l’auteur va généralement jouer sur la
stratification du passé remémoré.

RETOURS EN ARRIÈRE
Le retour en arrière permettait, traditionnellement, d’exposer, après un
début in medias res, le contexte nécessaire à l’intelligence du récit ou de la
pièce de théâtre. L’autobiographie n’utilise guère ce type d’entrée en
matière abrupte. Elle préfère le préambule explicatif suivi d’un déroulement
chronologique 27. Le roman, en revanche, se plaît à plonger d’emblée le
lecteur dans l’action. Colette fait ainsi commencer in medias res plusieurs
chapitres de La Vagabonde :

Dix heures et demie… Encore une fois, je suis prête trop tôt. […]
– Grouille-toi ! bon Dieu, Grouille-toi ! Jadin n’est pas là ! […]
«Décide-toi ou ne te décide pas, voyons. Ça te va, ou ça ne te va
pas ? » […] 28.

Façon de stipuler la préséance de la narration sur le commentaire ; mais


aussi manière de prévenir que la fiction prendra le pas sur la référence. Le
roman connaît, depuis ses origines (Métamorphoses, Décaméron, Contes
des Mille et Une Nuits), une autre tradition de retours en arrière :
l’emboîtement des histoires, qui permet d’enchaîner des épisodes non
consécutifs. On verra parfois le roman autobiographique reprendre ce
procédé pour cadrer de plus en plus précisément un événement significatif.
Dans tous les cas, le décrochement temporel fonctionne comme un indice
culturel de littérarité, donc, d’après la poétique commune, de fictionnalité.
D’une part, il affiche un parti pris de complexité, voire de sophistication,
dans la construction du récit. Le conteur y démontre sa compétence
technique. D’autre part, sur le plan du contenu, la rétrospection mémorielle
conduit, quasi mécaniquement, à développer le thème du regret. Elle distille
un lyrisme élégiaque qui inspire aussi bien Rilke que Cendrars, Miller,
Doubrovsky, Nizon, Modiano, Fante, Brautigan, etc.
Le retour en arrière est aussi un facteur de densité textuelle. Il construit
à peu de frais tout un réseau de correspondances entre les époques, les âges
de la vie, les personnages et, le cas échéant, les positions d’énonciation. Il
permet ainsi de resserrer la durée du récit principal : si Serge Doubrovsky
peut contenir l’histoire de Fils dans une journée tout en lui conservant un
caractère autobiographique, c’est évidemment en y insérant de nombreux
retours en arrière. De même, l’infrastructure d’Histoire, de Claude Simon,
tient en quelques heures, mais ce sont d’innombrables scènes passées qui se
déploient à partir des cartes postales que compulse le protagoniste.
Cependant, on ferait erreur en n’examinant ces dispositifs à tiroirs que
sous leur aspect technique. Ils ont aussi une fonction mimétique. Le flash-
back prétend en effet reproduire le mouvement naturellement associatif de
la pensée qui, sur un mot, rebondit dans une autre strate temporelle. Alors
que la plupart des autobiographes impriment consciencieusement un ordre
logique à leurs souvenirs, les romanciers savent, par la technique du
décrochement temporel, décomposer des événements que la conscience
avait « condensés ».
Le récit est condamné à la succession des mots et des faits. Les
structures en anachronie ont ceci de précieux qu’elles donnent l’illusion de
transcender cette contingence et de traduire, mieux qu’une reconstitution
opiniâtrement chronologique, le fonctionnement atemporel de la mémoire.
Par le décrochage mnémonique, le romancier réintroduit dans la ligne claire
de son récit un peu du désordre qui préside à l’irruption incontrôlée des
souvenirs. Nul n’ignore, à cet égard, l’épisode de la madeleine qui illustre la
théorie proustienne de la mémoire involontaire. Chez John Fante, c’est, plus
symboliquement, en s’allongeant sur le lit de sa mère qu’Henry Molise
retrouve le parfum du passé :

Sur l’oreiller mes narines ont discerné la douce odeur terreuse des
cheveux de ma mère qui m’a ramené vers cette autre époque où je
n’avais pas encore vingt ans et où je voulais m’enfuir loin du foyer.
Oui je suis parti […] 29.
Bouleversé par la réminiscence, le sujet plonge dans ses souvenirs
comme dans un rêve. Le processus mémoriel, échappant au contrôle de la
conscience diurne, procède par associations. En situant dans le passé cet
épisode de retour en arrière, l’auteur met en abyme la démarche
rétrospective qui préside à sa narration. La mémoire est alors souvenirs de
souvenirs. L’Été de Nakamura Shin’ichirô procède entièrement de cette
dynamique des rétrospections à tiroirs :

Or, comme mon regard se posait distraitement sur le garçon en


tenue blanche debout de l’autre côté de la caisse, une scène
inattendue surgit soudain, à une vitesse surprenante, des profondeurs
de ma mémoire.
Cela se passait – mais quand ? – dans un train de nuit […].

Suit le récit d’un voyage antérieur en wagon-restaurant, qui, au bout


d’une page, va entraîner un second décrochement régressif :

« Pas si souvent que ça… » étais-je en train de dire, en réponse à


cette banalité, quand soudain me revint à la mémoire une anecdote
que S. m’avait racontée récemment […] 30.

En filigrane, l’auteur suggère que l’écriture du roman obéit à la même


nécessité intérieure que ce travail mémoriel ; et il montre combien ses
matériaux rétrospectifs sont labiles, sujets à caution, sensibles aux
séductions de l’imaginaire.
Pour un auteur qui impute à l’anamnèse un rôle thérapeutique, le
souvenir est avant tout fonctionnel : sa valeur est indexée sur son efficacité
cathartique, sa vérité se mesure à l’aune de sa puissance d’intervention dans
le présent. Cette conception utilitariste sous-tend les récits de cure de Marie
Cardinal (Les Mots pour le dire) et de Serge Doubrovsky (Fils). Mais on la
discerne aussi dans les romans dont le héros, frappé de désarroi, d’angoisse
ou de culpabilité, n’a bientôt plus d’autre ressource que de chercher dans sa
mémoire les traces de son identité. Il en est ainsi du Toqué de Biély, sous les
assauts de la folie 31, d’Ira Stigman face à l’inceste 32, du Premier Homme de
Camus sur la tombe de son père 33, de ‘Zuckerman’ somatisant au niveau
des cervicales 34, de ‘John Fante’ au moment de devenir père 35, du mari
victime de La Séparation 36, etc. Volontaire ou non, le travail de la mémoire
relève alors d’un réflexe de survie. Le code psychanalytique implicite
postule que ces retours du refoulé aident le sujet à retrouver son équilibre.
La narration rétrospective témoigne du succès de l’entreprise : puisque la
crise est racontée, c’est qu’elle est dépassée. L’itinéraire suivi est modélisé
positivement.
Pourtant, ce protocole thérapeutique n’est pas universel. Ni le retour en
arrière ni l’écriture n’ont automatiquement une fonction réparatrice.
Certains textes rétrospectifs de Boudjedra, de Claude Simon, de Lobo
Antunes, ressassent et mettent à vif une souffrance inextinguible. Le passé
n’y délivre aucun sens. Le récit se refuse à mettre de l’ordre dans le va-et-
vient des réminiscences. Les souvenirs surgissent et reviennent sans crier
gare, les strates temporelles se bousculent, se superposent, s’entremêlent.
Ces auteurs entendent se tenir si près du fonctionnement mémoriel qu’ils
disloquent le continuum spatio-temporel qui ordonne le récit traditionnel.
S’ils ne compensent pas cette dispersion par des indications de régie, par
une certaine visibilité de leur schéma de montage, ils risquent de dérouter,
d’égarer et parfois de perdre leur lecteur.

HISTOIRE-GÉOGRAPHIE

Les pages qui précèdent témoignent, s’il en était besoin, que la


description des structures temporelles d’un texte est quasiment impossible
sans recourir à des métaphores spatiales. Le langage est ici tributaire d’une
constante de notre idée du temps qui, comme le disait Coleridge, « est
toujours mêlée à celle d’espace 37 ». Peinant à conceptualiser la dimension
temporelle dans laquelle elle s’inscrit, la conscience se la représente
spontanément sous formes de distances, de trajets, de perspectives, de
déplacements, de positions, d’allers et retours. A fortiori, la mémoire,
observait Ricœur, se structure en termes de lieux :

Ainsi les « choses » souvenues sont-elles intrinsèquement associées


à des lieux. Et ce n’est pas par mégarde que nous disons de ce qui
est advenu qu’il a eu lieu 38.

Le procédé de « spatialisation », qui consiste à organiser la trame


temporelle d’un récit rétrospectif le long d’un itinéraire, traduit cette
collusion sur le plan narratif. Le temps d’une randonnée en Suisse avec
‘Oberman’, d’un Voyage au bout de la nuit ou d’une fuite à travers
l’Allemagne avec Céline, d’une traversée des États-Unis 39 ou d’une
excursion en Slovénie 40 avec Peter Handke, ou encore d’un périple en
Chine avec Gao Xingjian 41, le roman se fait récit de voyage, l’histoire
géographie.
Chez Blaise Cendrars, l’espace subvertit le fil chronologique des
« Mémoires », comme il avait dynamité la langue poétique 42. Ainsi,
Bourlinguer juxtapose librement le récit d’un retour sur le site de l’enfance,
une longue navigation en Méditerranée, les souvenirs disparates liés à
quelques villes, dessinant à grands traits le portrait de l’artiste en aventurier.
Pour d’autres, au contraire, le voyage provoque une crise que le récit doit
élucider en dépliant douloureusement l’espace-temps qui l’a enclenchée.
Dans Immersion, par exemple, un séjour à Barcelone qui s’annonçait banal
bouleverse les repères temporels du héros de Paul Nizon. De retour en
Suisse, il ne pourra retrouver un peu de sens à son existence qu’en rédigeant
le « compte rendu » de cette fracture 43.
Si sa destination est un lieu investi de souvenirs, le voyageur court un
risque accru d’être embarqué et bousculé dans le toboggan de la mémoire.
Rien de plus significatif à cet égard que le brouillon du Premier Homme. La
première partie, intitulée « Recherche du père », se solde par une suite
d’échecs. Mais elle ouvre la voie à la seconde, inachevée, qui retrace la
jeunesse du « fils » sans père. Entre les deux, une note de Camus témoigne
de son hésitation entre la simple chronologie et une construction explicative
qui motiverait le retour en arrière :

Commencer ou bien par le départ au lycée et la suite dans l’ordre,


ou bien par une présentation de l’adulte monstre et revenir ensuite
44
sur la période départ au lycée jusqu’à maladie .

En l’état, le texte s’en tient à la première formule et saute, sans


transition, de « l’avion qui descendait maintenant vers Alger 45 » au passé
lointain du protagoniste. Cette fonction mnémonique du retour vers le pays
de l’enfance se retrouve fréquemment, par exemple chez Driss Chraïbi
(Succession ouverte), Christa Wolf (Trame d’enfance) ou John Fante (Les
Compagnons de la grappe) :

Ç’a été un vol confortable, méditatif et serein […] l’occasion idéale


pour savourer de la bonne bière en se laissant dériver vers le passé,
pour se préparer à l’émotion du retour au foyer. Je pensais à mon
père, car c’était désormais un vieillard. […] Sans famille à charge
mon père aurait été plus heureux. […] Il ne nous appréciait pas
particulièrement, et de toute évidence il ne nous aimait pas 46.

À mesure qu’il se rapproche du berceau familial, le narrateur recontacte


ses souvenirs et prend conscience des problèmes qu’il va affronter. Les
Carnets d’un toqué retracent un voyage de retour plus perturbant encore
puisqu’il rend fou. L’itinéraire de ‘Léonide Lédianov’, peu à peu happé par
la guerre qui vient d’éclater, est jalonné de réminiscences douloureuses, de
crises d’angoisse, d’accès de paranoïa. Son état s’aggrave en Norvège où il
vint jadis avec son amante. Puis les images d’enfance l’assaillent au
moment de passer la frontière russe qui devient, pour lui, celle de la
déraison. Bien que, de son propre aveu péritextuel, sa dépression ait duré de
1913 à 1916, Biély accroche les « souvenirs d’une maladie passée 47 » sur le
fil narratif de ce périple dramatique autour de l’Europe en feu.
Il y a en effet une sorte d’évidence métaphorique à associer un
mouvement de retour dans l’espace à une thématique de la régression dans
le temps. Mais le récit peut se refuser cette facilité symbolique et situer
d’emblée le héros dans un lieu de mémoire. Il y est revenu provisoirement,
comme le « je » de Boudjedra écrivant La Macération dans la maison
paternelle :

Je venais dans cette vieille maison et je m’installais dans la chambre


que j’avais occupée durant toute mon enfance 48.

Il y repasse malgré lui, comme Thomas Bernhard à Salzbourg :

[…] cette ville n’a toujours été qu’une ville qui m’a torturé. […] Car
tout en moi est esclave de cette ville, mon origine 49.

Ou, tel ‘Loti’, il s’y installe provisoirement comme chez lui. Le temps
s’arrête pendant son séjour à Stamboul 50, Tahiti 51, Nagasaki 52, pour ne
reprendre son cours qu’au moment du départ marquant la fin du récit. Les
décors se déploient comme des toiles peintes devant lesquelles passe
l’acteur. Son itinéraire ne retrace donc aucun trouble, aucune évolution,
aucun vieillissement. Un synopsis identique de séduction (ou simplement
d’achat) et d’abandon se rejoue en tout lieu, ne laissant pas d’autre
empreinte qu’un peu de nostalgie.
Il subsiste quelque chose de ces idylles dans L’Amant. Cent ans plus
tard, le romanesque se nourrit encore de la rencontre entre deux
personnages qui transgressent les clivages de la société coloniale. Le
fantasme exotique n’est pas relié au présent par un itinéraire mais séparé du
moment de l’écriture par un trou noir. De la même façon que le visage de la
narratrice est « détruit 53 », cette époque est révolue, l’Indochine a disparu. Il
est impossible de la reconstituer sans en faire un mythe, mythe de la
jeunesse, de la beauté et de la rencontre parfaite avec l’étranger.
La structuration spatiale ne constitue donc pas, en elle-même, un signe
générique de référentialité ou de fictionnalité, mais elle permet de
raccrocher le passé à un territoire connu, ne serait-ce qu’à travers sa
toponymie. Elle désigne la terre où les mots du texte plantent leurs racines.
Elle incite à relier l’auteur, son nom, sa biographie, ses autres livres, à cette
contrée. Cet ancrage référentiel est cependant contrecarré par la tendance du
conteur à enchanter le monde d’autrefois. Dès qu’ils sont mis en récit, les
lieux de mémoire se parent de valeurs métaphoriques, dérivent
inévitablement vers le romanesque.

L’auteur dispose d’un autre cadre, plus rigoureux, pour attester de son
ancrage dans l’espace-temps : l’Histoire collective. Dès lors qu’il s’inscrit
dans une perspective historique, c’est-à-dire scientifiquement vérifiable, le
récit en première personne brigue le statut des Mémoires. De fait,
L’Insurgé 54 sera lu comme un recueil de souvenirs sur la Commune, Vivre
avec une étoile 55 comme un récit de l’Holocauste, et Le Livre d’un homme
seul 56 comme un témoignage sur la Révolution culturelle. La mémoire
individuelle se rattache alors à une « mémoire collective » : elle témoigne
au nom de ceux qui ont partagé des idéaux, des événements, des sentiments
communs, et elle s’exprime sous leur contrôle dans une perspective
historique.
Cette interdépendance entre l’individu et le groupe vérifie la thèse de
Maurice Halbwachs selon laquelle « nos souvenirs demeurent collectifs »
car « l’histoire de notre vie fait partie de l’histoire en général 57 ». La
mémoire historique est certainement à l’œuvre, à des degrés divers, dans
tous les récits rétrospectifs où elle remplit une fonction pragmatique : plus
le narrateur s’efface et privilégie le point de vue du groupe, plus il cherche à
convaincre de son objectivité référentielle. Cependant, il n’y a pas de roman
sans tensions entre l’individu et le groupe. Alors que le mémorialiste
s’inscrit dans la mémoire collective, le héros romanesque subit l’Histoire. Il
en est ainsi de ‘Saleem Sinaï’, né le jour où l’Inde est devenue indépendante
et où s’est enclenché le drame de la partition :

[…] je fus enchaîné à l’histoire, à la fois littéralement et


métaphoriquement 58.
Pourquoi seul sur plus de cinq cents millions devrais-je porter le
59
fardeau de l’histoire ?

Ainsi de ‘Philip Roth’ assistant au procès d’un tortionnaire nazi en


Israël dans Opération Shylock 60. Ainsi de Thomas Bernhard rencontrant
partout en Autriche les survivances du nazisme. Ainsi du héros d’Alfredo
Bryce-Echenique en butte à la tyrannie d’un groupuscule gauchiste 61.
L’Histoire est donc à la fois l’alliée du narrateur, auquel elle fournit une
structure temporelle de référence, et son adversaire lorsqu’elle menace
d’engloutir sa trajectoire personnelle. Par son ambiguïté même, le roman
autobiographique donne du jeu à cette ambivalence. Croisant le temps
collectif avec le temps personnel, il les problématise l’un par l’autre. Et
quand s’enclenche cette dialectique si ce n’est au moment de
l’énonciation ?
Moment de l’énonciation

ANTICIPATION

Avant d’en venir aux fonctions référentielles du présent, et en guise de


transition, je traiterai brièvement du cas de l’anticipation. Il s’agit en effet
d’un dispositif temporel intermédiaire, et équivoque, qui présuppose le
moment de l’énonciation tout en l’escamotant.
Dans un roman-journal, le narrateur n’est pas censé connaître son
avenir. L’anticipation, occasionnelle, signalera l’angoisse ou une percée
visionnaire. Ainsi chez Mauriac :

Quel monstrueux état sera la vieillesse de l’homme que je suis 62.


[…] Je sais à qui je ressemblerai en 1970 […] 63.
[…] les orties autour de nous deviendraient dans mon souvenir de la
menthe dont je froisserais entre mes doigts les feuilles parfumées 64.

Elle travaille plus profondément la structure temporelle d’un récit


rétrospectif où elle amorce un mouvement vers le présent de l’écriture. Elle
rappelle en effet que le temps clos du récit s’inscrit dans un continuum
mémoriel. À la faveur de ce soudain élargissement focal, le narrateur atteste
que la vie de son héros continue au-delà des limites du livre :

Son naïf désarroi […] son désappointement sincère […] gagnèrent


le cœur de Mikhaïl mieux que le plus bel acte de générosité. Il
devait en faire plus tard un de ces délices 65.

L’anticipation rétrospective tisse des liens entre le héros d’autrefois et


son devenir. Elle postule et reconstitue une évolution cohérente du
personnage. Le conditionnel de Mauriac et l’imparfait d’Istrati permettent à
l’anticipation d’éviter le futur qui donnerait une impression de rigidité
déterministe. Mais, chez Jack London, le conditionnel traduit, mieux qu’un
indicatif, la force du caractère héroïque :

Il écrirait. Il serait les yeux qui font voir le monde, les oreilles qui le
66
font entendre, le cœur qui lui donne l’émoi .

Dans Ce qu’ils disent ou rien, ‘Anne’ énumère, au futur et au


conditionnel, les conditions à réunir pour réaliser son projet :

Plus tard, quand j’aurai vécu longtemps, ou quand j’aurai couché


avec un garçon, je pensais alors, je saurai m’exprimer. Je voyais
bien que le langage me manquait et des choses à connaître, mais je
me trompais 67.
J’écrirais, oui, un journal intime, je décrirais sa chambre, peut-être,
son sexe, avec d’autres mots […] 68.

L’anticipation aboutit naturellement à l’acte d’écrire, qui constitue, pour


le narrateur-écrivain, l’horizon du passé, son accomplissement :

Je me promis, si je survivais, d’écrire un jour un livre sur cette


journée. Je me disais qu’un écrivain, comme le destin, devait d’une
part créer un schéma ayant l’apparence de la réalité la plus banale et
de l’autre laisser libre cours aux puissances qui contrôlent le
monde 69.

Ces quelques lignes, empruntées à Isaac Bashevis Singer, montrent


comment l’anticipation jette un pont entre le passé raconté et le moment de
l’écriture, entre le protagoniste et l’écrivain ; comment elle propose, du
même coup, un discours sur le texte en train de se lire. Cependant, ce
commentaire anticipé, prenant sa source dans le passé, reste coupé du
moment de l’écriture. Il flotte dans un temps indéterminé, probablement
référentiel mais virtuellement fictif. Si le narrateur entend donner au
commentaire une plus grande force illocutoire, il faut qu’il situe
précisément son origine.

VALEUR DÉICTIQUE DU PRÉSENT

L’actualisation du moment de l’énonciation implique généralement


l’usage du présent. C’est en effet le seul temps qui permette à l’action
exprimée par le verbe de coïncider exactement avec le moment de la parole.
En ce sens, analysait Benveniste :

Le présent est proprement la source du temps. Il est cette présence


au monde que l’acte d’énonciation rend seul possible, car, qu’on
veuille bien y réfléchir, l’homme ne dispose d’aucun autre moyen de
vivre le « maintenant » et de le faire actuel que de le réaliser par
l’insertion du discours dans le monde 70.

On peut objecter que le présent sert aussi à rapporter des événements


passés. Dans cet emploi « de narration », ou « historique », il abandonne
effectivement, par énallage, sa valeur fondamentale d’actualité. Il revient
alors au contexte de fournir des repères temporels « justes », par exemple,
nous le verrons, en alléguant un journal intime. Mais, pour l’instant,
arrêtons-nous à la valeur essentielle du présent qui permet de décrire un
procès inachevé, contemporain du moment de l’énonciation.
Ce présent absolu introduit dans un récit au passé une rupture, un
changement de palier. Il marque le passage du récit au discours, du mode
narratif au mode commentatif. Le narrateur adopte alors une position de
simple « locuteur » ou, en termes rhétoriques, d’orateur. S’il veut
convaincre, il doit s’assumer en tant que sujet s’adressant à un
« interlocuteur ». Le présent n’est pas le seul indice susceptible de dénoter
cette position discursive. Il fait partie d’une catégorie plus vaste d’objets
linguistiques que Jakobson a baptisés shifters, terme traduit en français par
« embrayeurs ». On les nomme aussi « déictiques » dans la mesure où ils
permettent à l’énonciateur de se désigner, notamment par « je », et de
désigner le cadre spatio-temporel dans lequel il se situe : adverbes, articles
définis, démonstratifs, etc.
Tous les déictiques peuvent s’inscrire dans une stratégie d’ambiguïté
générique. Mais le rôle du présent, comme celui de la première personne, ne
se limite pas à embrayer sur le mode discursif ; il peut également faire
office de moteur, ou de pignon, du texte dès l’instant où il lui transmet un
régime générique. C’est en effet le temps du métadiscours, donc du
commentaire du récit. Il marque une pause dans le processus narratif, pause
au cours de laquelle va s’engager une réflexion sur l’instrument de la
rétrospection, c’est-à-dire sur la mémoire.

PRÉSENT COMMENTATIF ET FIABILITÉ DE LA MÉMOIRE

En effet, toute rétrospection est sous-tendue par une certaine conception


du passé, du souvenir, de la mémoire. Le moment de l’énonciation permet
au narrateur de formuler de façon métadiégétique ses théories ou ses doutes
personnels sur le sujet. Certains conçoivent la mémoire comme un simple
appareil enregistreur du passé. ‘David Copperfield’ est ainsi fasciné par sa
propre capacité à retrouver, et même à revivre, ses souvenirs. Dans son
esprit, leur prégnance suffit à attester leur véracité :

Cet incident est si bien imprimé dans ma mémoire que si j’étais bon
dessinateur je pourrais en reproduire maintenant la forme, j’en suis
sûr, exactement telle qu’elle était ce jour-là […] 71.
J’en frémis aujourd’hui encore, ayant la sensation redoutable que
j’assiste à cet accident 72.

Le narrateur du Petit Chose revit certaines scènes avec une telle


intensité qu’elle prouve sa bonne foi :

Je voudrais en parler sans rancune, ces tristesses sont si loin de


nous !… Eh bien, non, je ne puis pas ; et tenez ! à l’heure même où
j’écris ces lignes, je sens ma main qui tremble de fièvre et
d’émotion. Il me semble que j’y suis encore 73.

Mais d’autres lui échappent et ne figureront donc qu’en creux dans le


récit :

J’ai essayé bien souvent, depuis, de me rappeler l’impression exacte


que me fit Paris cette nuit-là ; mais les choses, comme les hommes,
prennent, la première fois que nous les voyons, une physionomie
toute particulière, qu’ensuite nous ne leur trouvons plus. Le Paris de
mon arrivée, je n’ai pu me le reconstruire. C’est comme une ville
brumeuse que j’aurais traversée tout enfant, il y a des années, et où
je ne serais plus retourné depuis lors 74.

Dans ces lignes à l’accent proustien, ‘Daniel Eyssette’, qui se fixait


pour tâche de « reconstruire » le passé, doit admettre les limites de son
entreprise. Conscients de ces difficultés, certains héros-narrateurs vont
s’appliquer à démontrer la véridicité de leur récit. Ils étaieront leur
reconstruction mémorielle sur un arsenal de preuves et de témoignages plus
ou moins vérifiables. Ainsi, Giono invoque, à l’appui des souvenirs de
‘Jean le Bleu’, non seulement des lettres qu’il aurait conservées 75, mais
aussi la mémoire collective de ses contemporains :

Les hommes de mon âge, ici, se souviennent du temps où la route


qui va à Sainte-Tulle était bordée d’une épaisse rangée de
76
peupliers .

Une enquête sur les lieux de l’enfance est chargée de corroborer son
témoignage :

Notre chambre donnait dans la cour aux moutons. Elle est


maintenant toute morte et bien froide. Il y a quelques mois, je suis
allé la revoir avec des amis. Il ne reste presque plus rien du papier à
chimères qui la tapissait 77.

Des témoins sont interrogés :

Je les ai revues toutes les trois, d’ailleurs, dans ces années dernières
et j’ai dit :
« […] Tu te souviens quand […]
– Ne m’en parle pas, elle a dit, ta mère doit encore en trembler » 78.

Mais, en définitive, la persistance de certains souvenirs, et la nécessité


d’en parler, ne peut s’expliquer, circulairement, que par la profondeur de
leur empreinte :

Si j’ai tant d’amour pour la mémoire de mon père, si je ne peux me


séparer de son image, si le temps ne peut pas trancher, c’est qu’aux
expériences de chaque jour je comprends tout ce qu’il a fait pour
moi 79.
La Confession d’un masque est, elle aussi, balisée par des plaidoyers, au
présent, en faveur de l’exactitude du souvenir :

80
Je n’exagère pas .
Mon plus ancien souvenir, indiscutable, celui-là, et qui a imprimé en
moi une image d’une intensité extraordinaire, date à peu près de
cette époque 81.
Mon souvenir se heurte brutalement à une scène qui est comme le
symbole de cette époque. Pour moi, tel que je suis aujourd’hui, cette
82
scène représente l’enfance elle-même, passée et à jamais disparue .

À ces narrateurs qui exigent d’être crus s’opposent ceux qui se méfient
de leurs capacités mémorielles. Leur embarras ne porte pas, dans un
premier temps, sur la fiabilité de leurs souvenirs, mais sur la difficulté à les
ordonner. Par exemple, le narrateur de Louis Lambert avoue un repentir :

Malgré moi, déjà, je viens d’intervertir l’ordre dans lequel je dois


dérouler l’histoire de cet homme 83.

Cette indication de régie trahit une conception étroite de la fonction du


narrateur : sa tâche se borne à organiser les matériaux mémoriels dont il
dispose.
Plutôt qu’un repentir, ‘Vingtras’ préfère, au détour d’une phrase de
L’Enfant, avouer son ignorance d’un détail sur lequel le lecteur devra se
contenter d’une hypothèse :

Ma mère dut repartir pour recueillir ou soigner une succession –


celle de la tante Agnès peut-être –, et je restai seul avec mon père 84.
La modalisation sied à la remémoration autobiographique. « Ou »,
« peut-être », ces hésitations prouvent la bonne foi du narrateur. Ne voit-on
pas qu’il exerce une vigilance de tous les instants sur son activité
rétrospective ? Qu’il est capable de séparer le certain du probable ? C’est
ainsi que le narrateur proustien pousse le scrupule jusqu’à renoncer à
reproduire « la conversation de M. de Norpois » faute de l’avoir
intégralement enregistrée :

Je regrette parfois de n’avoir pas retenu purement et simplement les


propos que je lui ai entendu tenir. J’aurais ainsi obtenu un effet de
démodé, à aussi bon compte et de la même façon que cet acteur du
85
Palais-Royal […] .

Mais comment aurait-il « retenu purement et simplement » le langage


de ‘Norpois’ sans prendre de notes ? Cette remarque ne peut que jeter un
doute sur le statut de tous les dialogues de la Recherche. Impossible de
croire un narrateur qui avoue soudain son incapacité à restituer fidèlement
ce qui a été dit. Dans un passage de Mort à crédit, ‘Ferdinand’ se joue lui
aussi de notre crédulité en attribuant ironiquement à son souvenir une
précision de catalogue :

Elle portait une voilette épaisse. Je lui voyais pas la figure. Je


retiens surtout dans mon souvenir la jupe en velours noirs à pesants
godets et le corsage mauve, façon « boléro » avec grands motifs
brodés… et semis de perles même couleur… Et parapluie soie
changeante… J’ai bien retenu tout ce tableau 86.

En dénonçant ainsi l’illusion référentielle, l’auteur secoue le lecteur


pour le rappeler à son devoir de vigilance. Il lui rappelle qu’une
représentation du passé à l’identique serait une supercherie, une illusion. La
littérature, comme le temps, dématérialise le réel. Témoin cet outil que
‘Knut Pedersen’ était fier d’avoir inventé dans Sous l’étoile d’automne, et
qui lui est devenu, au début d’Un vagabond joue en sourdine, indifférent :

À présent, cette scie, pour moi, c’est de la littérature. Voilà ce que


les années font de nous tous 87.

La mémoire n’est donc plus ce qu’elle était. Ce n’est pas pour rien que
la psychanalyse a mis en évidence son inlassable activité de déplacement,
de condensation, de censure et de fantasme. L’oubli ne se réduit plus à un
manque, à un creux du texte. Qu’on l’interroge, qu’on le dissèque, et il
apparaît plus significatif que le souvenir. ‘Serge Doubrovsky’ commence
ainsi Le Livre brisé par deux trous de mémoire que le texte ne comblera
pas. Il a oublié ce qu’il a fait le 8 mai 1945, que pourtant il commémore
chaque année, et, d’autre part, n’a gardé aucun souvenir de ses premiers
émois amoureux :

Il ne se PEUT PAS que je ne PUISSE PAS me rappeler. Je bats une


fois encore, une dernière fois, le rappel. Aucun souvenir. J’en reste
pantois, pantelant. Mon amnésie me coupe le souffle 88.

L’écriture, comme l’identité personnelle, se fonde sur la mémoire. Dès


qu’elle se dérobe, le narrateur redoute de se perdre, en tant qu’homme et en
tant qu’écrivain. D’autant que ce symptôme s’inscrit dans une tendance
générale à la déperdition :

J’ai le présent lézardé d’absences bizarres. Les gens me parlent,


j’écoute avec attention, soudain je décolle. […] Perdu là-bas, là-
haut. […] Cela empire avec l’âge. Maintenant ce ne sont plus des
absences que j’ai, ce sont des disparitions complètes 89.
Ces caprices de la conscience et de la mémoire projettent sur le texte un
éclairage ambigu : ils donnent du prix au témoignage tout en minant sa
crédibilité. Dans L’Invention de la solitude, Paul Auster dépasse cette
contradiction en assignant à l’écriture une fonction testimoniale de lutte
contre l’oubli :

[…] je savais qu’il me faudrait écrire à propos de mon père. […] Je


pensais : mon père est parti. Si je ne fais pas quelque chose, vite, sa
90
vie entière va disparaître avec lui .

Cependant, le récit événementiel de la première partie, intitulée


« Portrait d’un homme invisible », bute sur une tentative de remémoration à
la fois décevante et douloureuse :

J’avais une blessure, et je découvre maintenant qu’elle est très


profonde. Au lieu de la guérir, comme je me le figurais, l’acte
d’écrire l’a entretenue. […] Au lieu de m’aider à enterrer mon père,
ces mots le maintiennent en vie, plus en vie peut-être que jamais 91.

C’est en soumettant son récit à un ample commentaire polyphonique,


« Le Livre de la mémoire », que l’auteur posera effectivement « l’acte
d’écrire comme un acte de mémoire 92 ».
L’« équation » austérienne lie expressément l’effort de mémoire au
travail d’écriture. Dans certains romans, cette liaison est soulignée par un
commentaire contemporain de l’« acte d’écrire ». Parallèlement au récit
situé dans le passé, le scripteur rend compte de son entreprise mémorielle.
Dickens a peut-être inventé ce procédé dans les chapitres de David
Copperfield intitulés « A Retrospect ». Comme leur titre l’indique, ils
marquent un arrêt dans le déroulement du récit et projettent au premier plan
la position actuelle du narrateur tourné vers son passé. En voici deux courts
extraits :

[…] le passage de l’enfance à la jeunesse ! Voyons, en reportant


mon regard vers ce fleuve d’autrefois, qui n’est plus qu’un lit sec et
envahi par les feuilles, s’il y a le long de son tracé des marques qui
puissent me rappeler l’allure de sa course 93.
Et maintenant mon récit s’achève. Je jette un regard en arrière
94
encore une fois… pour la dernière fois, avant de clore ces pages .

Dans le « roman » intitulé Biographie, Yves Navarre, cent trente ans


plus tard, reprend et systématise le procédé, puisque les chapitres y sont
alternativement consacrés au récit autobiographique et au journal de son
écriture. L’analogie de structure n’entraîne évidemment pas une similitude
de contenu. Alors que ‘Copperfield’ n’interrompait son récit que pour y
introduire une respiration et une note élégiaque, ‘Navarre’ s’étend
longuement sur sa position présente, ses motivations, ses doutes et ses
inquiétudes 95. Sa technique de double narration superpose les deux genres
majeurs de la littérature intime, l’autobiographie et le journal, et cumule
leurs marques référentielles de façon à construire une instance
d’énonciation indéfectible.
Pour obtenir cet effet de réel à moindres frais, la plupart des auteurs se
contentent d’envoyer des signaux ponctuels de « présence ». On en trouve
dans la Recherche :

[…] et je peux en témoigner, moi l’étrange humain qui, en attendant


que la mort le délivre, vit les volets clos, ne sait rien du monde, reste
immobile comme un hibou et, comme celui-ci, ne voit un peu clair
que dans les ténèbres 96.
On en trouve aussi, incidemment, chez Claude Simon :

Aussitôt après avoir écrit cette phrase, il se rend compte qu’elle est à
peu près incompréhensible pour qui ne s’est pas trouvé dans une
situation semblable et il relève sa main. Entre la base du pouce et
celle de l’index le réseau de rides flasques puis crêpelées contourne
97
le porte-plume […] .

Le récit bute tout à coup sur une difficulté de communication. L’auteur


s’interrompt et, passant à travers le miroir, se découvre au lecteur dans sa
position actuelle d’écrivain au travail. Le temps faible du récit devient un
temps fort du discours ; la chute de tension accroche notre attention.
Le narrateur célinien, en revanche, part toujours de sa situation
présente. Il lui faut situer les circonstances qui entourent l’acte d’écrire
avant d’entamer son récit rétrospectif. Dans les derniers livres de Céline ce
discours contemporain de l’énonciation n’est pas limité à l’introduction
mais essaime dans tout le récit :

J’oubliais de vous situer les lieux, j’ai dû perdre des pages, j’avais
tout noté… nous n’étions plus dans la gare même… 98.
Oh, que vous vous dites, que ce vieux est assommant !… oh, certes,
je veux, j’admets, je débloque… 99.
Drrrng ! force est bien de m’interrompre… vous avez compris… la
N.R.F. !… que je réponde ! suspense !… Nimier veut me voir… 100.
Il faut dans l’état où je me trouve et à mon âge, rien vous omettre…
je vous dois des comptes, tant pis si je digresse un peu !… 101.

Ces quelques incises empruntées à Rigodon donnent un échantillonnage


des nombreuses fonctions que peuvent remplir les trous discursifs pratiqués
dans le récit : fonction phatique des appels et des aveux au destinataire,
fonction polémique évoquant le pamphlet, affichage de l’intime actuel,
métadiscours, protestations de sincérité et de référentialité.
Peu d’auteurs ont exploité aussi opiniâtrement les possibilités ouvertes
par le va-et-vient du présent au passé. Le plus souvent, le narrateur se
présente au moment où il se met au travail ou, au contraire, quand le temps
du récit rejoint le moment de l’écriture. La première option est retenue par
Marguerite Duras pour L’Amant et L’Amant de la Chine du Nord, qui
commencent au présent avant de plonger dans l’évocation du passé. La
seconde est celle de Nabokov attendant les dernières pages de Regarde,
regarde les arlequins ! pour donner quelques indications sur le moment où
‘Vadim’ a rédigé « cette interview avec la postérité 102 ».
En spécifiant la distance qui sépare les événements de leur narration,
l’auteur, dans tous les cas, notifie que le texte est produit par un acte de
mémoire. Dans L’Invention de la solitude ou Dora Bruder, cet acte devient
le principal objet du récit. Il est alors thématisé comme une enquête
laborieuse dont le texte détaille les causes, les circonstances, la progression
et les conséquences. L’intérêt du livre ne réside plus tant dans l’histoire
passée que dans le récit de sa reconstitution. Il se conclut par une sorte de
bilan du chantier de fouilles :

Il prend une nouvelle feuille de papier, la pose sur la table, et trace


ces mots avec son stylo.
103
Cela fut. Ce ne sera jamais plus. Se souvenir .
J’ai écrit ces pages en novembre 1996. Les journées sont souvent
pluvieuses. Demain nous entrerons dans le mois de décembre et
cinquante-cinq ans auront passé depuis la fugue de Dora. […] J’ai
l’impression d’être tout seul à faire le lien entre le Paris de ce
temps-là et celui d’aujourd’hui, le seul à me souvenir de tous ces
104
détails .
À la différence de Céline, ces narrateurs adoptent un ton distancié,
comme s’ils rédigeaient le compte rendu d’une expérience. Ils retracent une
confrontation récente, continue, et sans doute interminable, avec le passé.
Leur texte n’est donc plus structuré comme un conte, un roman ou une
autobiographie, mais plutôt comme un journal. Qu’est-ce que ça change ?

Temps du journal intime


Comme son nom l’indique, le journal intime s’écrit au jour le jour et en
privé. L’auteur y traite principalement d’événements récents qui l’ont, d’une
façon ou d’une autre, affecté. On y retrouve donc les deux lignes
temporelles du récit mémoriel, passé narratif et présent commentatif, mais
séparées par un laps de temps réduit à quelques heures, voire quelques
minutes. Cependant, le commentaire du présent et du passé récent peut à
tout moment déboucher sur une rétrospection plus lointaine, sur un morceau
d’autobiographie 105.
Cette construction fragmentée qui permet, selon l’expression de
Genette, une « narration intercalée 106 », attire les romanciers depuis
Richardson 107. Plus que la lettre, orientée vers son destinataire, le journal
offre en effet l’image d’une mise à nu du scripteur par lui-même, d’une
recherche obstinément réflexive et introspective de la vérité, d’une
confession sans complaisance. Alors que l’autobiographe remanie les
matériaux mémoriels pour donner un sens et une cohérence à sa vie, le
diariste se contente de noter ses impressions au jour le jour sans souci
d’ordonner, de convaincre, de justifier ni de conclure. Ses souvenirs sont
frais, son écriture spontanée et vibrante. Opposition que Georges Gusdorf a
résumée par la formule suivante :
Une autobiographie est un livre refermé. […] Le journal intime est
un livre ouvert 108.

Cependant, pour ces raisons mêmes, la transposition ou l’imitation du


journal par le roman soulève plus de difficultés que celles de la lettre ou de
l’autobiographie. En effet, son caractère inachevé, disparate, aléatoire,
répétitif, est largement incompatible avec la construction serrée d’un récit.
Pour pallier ce handicap, les romanciers vont s’efforcer de recentrer la
thématique du journal fictif. Le témoignage tirera alors son unité et son
intérêt d’une position d’observation (Journal d’une femme de chambre,
d’un curé de campagne), d’une situation de crise (Le Journal d’un fou, Le
109
Horla, La Nausée) ou d’une structure spéculaire (L’Emploi du temps) .
Pour le romancier du moi, la forme du journal offre, selon le mot de
Valérie Raoul, un « gain d’immédiateté 110 ». Mais, dès que le récit
personnel va prendre de l’ampleur, la discontinuité structurelle s’avérera
incompatible avec le mouvement rétrospectif. C’est pourquoi de nombreux
auteurs se contentent de postuler l’existence d’un journal hypothétique,
qu’ils mentionnent, retranscrivent, citent ou commentent, sans le reproduire
in extenso. Ils donnent ainsi à leur roman une origine référentielle sans
renoncer à l’ordre, à la surdétermination et à la densité du récit.

LA STRUCTURE DU JOURNAL

S’il affiche volontiers certains traits du journal intime, le roman


autobiographique ne renoncera donc jamais complètement ni à la liberté
d’énonciation qui caractérise le roman, ni à la perspective rétrospective qui
régit l’autobiographie. L’imitation du journal sera nécessairement
subordonnée à la stratégie générique de l’auteur. Sa structure sera mise à
profit pour segmenter, aérer et animer le récit, y ménager des effets de
surprise ou de redondance. Sa distribution dans l’espace de la page, les
blancs qu’il réserve, les précisions de dates et de lieux vaudront signes de
référentialité, indices d’intimité, promesses de secret.
Rien n’empêche de considérer ‘Werther’ et ‘Oberman’ comme des
diaristes plutôt que des épistoliers. Mais enfin il faut attendre Sainte-Beuve
pour que le journal intime s’inscrive nommément dans le schéma classique
de l’autobiographie fictive : la Vie de Joseph Delorme 111 inclut deux extraits
du journal que le défunt aurait légué à l’auteur-éditeur. Précédant des
poèmes que l’on doit évidemment attribuer à Sainte-Beuve, développant
des thèmes similaires dans un style comparable, ces confidences ne peuvent
guère être attribuées à un personnage fictif. Gide, avec Les Cahiers et les
Poésies d’André Walter, et Larbaud, avec les Œuvres complètes de
‘Barnabooth’, mettront en place la même configuration générique.
Ces mélanges traduisent l’attirance des romanciers pour le journal en
même temps que leur réticence à imposer sa structure morcelée et sa
tonalité contemplative à tout un livre. Pessoa concevait pourtant un tel
texte, dépourvu de narration, lorsqu’il écrivait les fragments du Livre de
l’intranquillité. Mais cette « autobiographie sans événements 112 »,
poursuivie pendant plus de vingt ans, était destinée à rester secrète, et
inachevée. Fragmentaires, parfois datées, souvent lapidaires, les notes de
‘Bernardo Soares’ exprimaient trop clairement la lucidité désespérée du
solitaire.
Aux antipodes, Loti va utiliser les différentes formes d’écriture intime,
et surtout le journal, pour agrémenter ses récits de voyages, les découper en
tableaux animés. Aziyadé se présente ainsi comme « des notes et lettres
d’un lieutenant de la marine anglaise » publiées par « son ami Plumkett ».
S’y combinent en effet, jusqu’à la confusion, roman épistolaire et roman-
journal. Le Mariage de Loti est, plus classiquement, un récit au passé que
viennent illustrer, au présent, quelques lettres et deux extraits du « Journal
de Loti ». Dans Mon frère Yves, Loti donne des indications de date et de lieu
au début de certains chapitres pour signaler des sauts dans le temps et dans
l’espace, des ellipses narratives. Économique, ce procédé lui épargne les
formules de transition et les indications de régie qui pourraient alourdir les
enchaînements 113.
Madame Chrysanthème, « c’est le journal d’un été de ma vie », dit Loti
en préface. En fait il ne suit pas plus strictement le découpage d’un journal
que dans ses autres romans mais innove en se montrant à sa table de
travail : « J’écris sous la véranda 114. » Comme le récit est mené au présent
de narration, il y a confusion entre deux valeurs de ce temps, l’une littérale,
l’autre figurée, et il devient parfois difficile de distinguer le moment de
l’énonciation du temps remémoré. Loti applique ainsi la technique du
double présent dont Philippe Lejeune a lumineusement analysé les effets
perturbateurs chez Vallès 115. Et on voit même apparaître un troisième type
de présent, métadiégétique et prospectif, lorsqu’il s’interroge sur l’écriture
en cours, sur son statut et sur son intérêt pour le lecteur :

Ici je suis forcé de reconnaître que, pour qui lit mon histoire, elle
116
doit traîner beaucoup .
[…] j’écris mes Mémoires, en somme. […] Il est vrai tout un
imbroglio de roman semble poindre à mon horizon monotone ; toute
une intrigue paraît vouloir se nouer au milieu de ce petit monde de
mousmés et de cigales […].
Mais nous sommes au Japon et, vu l’influence de ce milieu qui
117
atténue, rapetisse, drôlatise, il n’en résultera rien du tout .

Dès Claudine à l’école et Claudine à Paris, Colette annonçait sa


prédilection pour l’imitation du journal :

Je présenterai quelques autres camarades au cours de ce journal, car


c’est décidément un journal, ou presque, que je vais commencer 118.
Aujourd’hui, je recommence à tenir mon journal forcément
interrompu pendant ma maladie 119.

Pourtant ce jeu du roman-journal va bientôt lasser la narratrice et


l’auteur :

Mon journal est sans avenir. Je l’ai quitté voilà cinq mois sur une
impression triste, et je lui en veux 120.

Tenu irrégulièrement, le journal devient récit rétrospectif afin de


rattraper et de condenser le temps perdu. Il peut alors être assujetti à une
construction romanesque. C’est ainsi que, chez Rilke, Hamsun, Modiano ou
Nourissier, les marques de diarisme apparaissent comme des signes de
littérarité alors même que le journal reste, implicitement, un modèle
d’écriture intime. La mimèsis de l’écriture intime valant marque de fiction,
de nombreux auteurs vont se contenter de faire référence au genre, sans
l’imiter.

LA MENTION DU JOURNAL

La première manière de mentionner le journal est d’en faire un moteur


de l’intrigue, une sorte de personnage. Tel est l’usage que fait Musset de ce
concept encore assez nouveau à son époque. Lorsque ‘Brigitte Pierson’
avoue à ‘Octave’ :

«J’ai un gros livre où j’écris mes pensées, tout ce qui me passe par
la tête 121 »,

elle met en route le processus qui le conduira à écrire sa propre


Confession. Que son amante ait une face cachée, un langage secret, un autre
interlocuteur intime, voilà qui excite aussitôt sa jalousie jusqu’à la fureur.
Quand il a enfin accès à ce « gros livre », il n’y trouve que l’écho des
souffrances qu’il a infligées à la diariste. Sa colère se retourne alors contre
lui, se mue en un sentiment de culpabilité. La vérité prêtée au journal révèle
non seulement ‘Brigitte’ à ‘Octave’ mais ‘Octave’ à lui-même et au lecteur.
La faute et la « confession » de la faute sont donc imputables à ce langage
intime dont pas un mot ne nous est dévoilé. Le journal assume par là une
double fonction : au niveau de l’histoire, ce n’est qu’un artefact, un motif
romanesque autour duquel tourne l’intrigue ; mais, sur le plan de la
poétique, il figure le modèle d’une écriture référentielle privée,
transparente, innocente et impubliable.
La mention du journal peut aussi se limiter à un simple effet d’annonce :
Genet intitule Journal du voleur un texte de structure rétrospective, Henri
Barbusse sous-titre Le Feu « Journal d’une escouade ». Genet voleur n’a
pas tenu de journal et Barbusse n’a pas jugé ses Carnets de guerre dignes
de publication. Mais le terme désigne l’intention qui préside à leur travail
méthodique de reconstitution à la fois factuelle et littéraire.
Troisième catégorie de mention : le narrateur cite son journal comme
origine, référence ou archive du texte que nous lisons. Ce n’est pas un
brouillon mais, pour employer un terme genettien, un « hypotexte » 122
invoqué par le texte. Chez Nabokov, par exemple, le narrateur compte sur
ses cahiers pour pallier les défaillances de sa mémoire, mais ils sont loin de
répondre à son attente :

En fait, le compte rendu de ces premiers jours à la Villa Isis est si


fantaisiste dans mon journal et leur souvenir si confus dans mon
123
esprit, que je me demande […] .
[…] un salon-chambre à coucher dans un immeuble locatif, minable
mais tranquille, de la rive gauche, « au coin de la rue Saint-
Sulpice », rapporte mon journal de poche avec une sombre
imprécision 124.

Chez Hervé Guibert, au contraire, le « roman » prolonge le journal qui


lui-même prolongeait immédiatement l’événement :

Et j’étais tellement honteux et soulagé que je pris mon journal pour


l’écrire à la suite du compte rendu de mes précédentes visites. […]
De quel droit écrivais-je tout cela 125 ?
Chez moi, j’ouvris mon journal, et j’y écrivis : « Fibroscopie. » Rien
d’autre, rien de plus, aucune explication, aucune description de
l’examen, et aucun commentaire sur ma souffrance, impossible
d’aligner deux mots, le sifflet coupé, bouche bée. J’étais devenu
incapable de raconter mon expérience 126.

Le journal fait office de médium, d’étape intermédiaire, entre la vie et le


roman. Il est mentionné à la fois comme preuve de l’événement et comme
signe de son retentissement sur le sujet. D’où la nécessité de commenter et
de remanier cette première mouture du récit après un temps de réflexion et
de décantation. L’alternance du récit immédiat et du récit distancié va
ensuite résulter de cette relecture incessante du journal. Archivé,
l’hypotexte recèle quelque part le chaînon manquant entre le réel et le livre.
Sous-jacent, le journal justifie l’usage du présent et permet d’embrayer à
loisir sur le discours sans délaisser le récit. Il se trouve alors relégué au rang
de référent formel, d’absolu scriptural que le texte révère en passant et
mime distraitement, mais dépasse de toutes parts.

Brouillages
La structuration du récit rétrospectif selon deux axes, le temps
remémoré et le moment de l’énonciation, est évidemment susceptible d’être
subvertie. Lorsqu’il transgresse ce code, le romancier brouille les repères
temporels du lecteur et, par conséquent, ses repères génériques. Je
distinguerai deux types de transgression : par réduction et par extension de
cette bipartition.

RÉDUCTION

Considérons d’abord le cas où le texte omet le moment de l’énonciation


et se réduit au temps remémoré. Manquent alors les deux types
d’informations que dispense habituellement le narrateur à propos de son
acte d’énonciation : d’abord la date et les circonstances de la narration,
ensuite sa théorie ou ses doutes au sujet de la remémoration. Si rien ne nous
indique quand, où, pourquoi, comment, pendant combien de temps le
narrateur s’est attelé à sa tâche mémorielle, il y a chance pour que le récit
soit essentiellement romanesque. Pourtant cette lacune référentielle ne suffit
pas toujours à lui assurer une réception fictionnelle : avides de croire le
témoignage d’un rescapé de l’Holocauste, les premiers lecteurs de L’Oiseau
bariolé n’ont pas été alertés par son imprécision factuelle 127.
D’autres auteurs ne vont conserver qu’un aspect du moment de
l’énonciation. En représentant leurs séances de travail, les narrateurs
céliniens accèdent au premier niveau, les circonstances de la narration, mais
négligent le second, la définition de l’activité mémorielle. À l’inverse, le
narrateur proustien disserte volontiers sur les aléas de sa recherche du
passé, mais omet de situer sa position au moment de l’écriture. Céline
comme Proust découragent ainsi nos tentatives des les identifier à ces
personnages. Mais ils corrodent du même coup le crédit du narrateur.
La réduction du temps remémoré au profit du moment de l’énonciation,
et, plus particulièrement, de la théorisation du souvenir, procède d’une
démarche nettement plus référentialiste. Les auteurs qui s’engagent dans
cette voie n’interdisent pas qu’on les identifie avec le narrateur, mais ils
contestent la prétention du narrateur à se raconter. C’est dire qu’ils
remettent en cause la légitimité même du récit rétrospectif. Ce n’est pas un
hasard si Paul Nizon a intitulé un texte portant sur l’enfance Dans la maison
les histoires se défont :

Je ne vois pas d’histoire d’amour, d’histoire d’un couple, d’une


famille. Aucune histoire. Seule la maison. Et dans la maison, les
128
histoires se défont, les fils se dénouent, ceux de la vie .
La maison n’est pas un roman. Pas même une histoire, digne en tout
129
cas d’être contée, d’être vécue .

Alors que les impressions venues du passé se confondent et se


dissolvent dans une durée délétère, il serait mensonger, artificiel, artificieux
de les organiser en « histoire ». Thomas Bernhard, lui aussi, donne une
« simple indication », des « observations », des « notes », une
« description » de ses souvenirs, certainement pas un récit dont la pente
naturelle glisse toujours vers le roman. Dans Le Malheur indifférent, Peter
Handke s’avoue tétanisé par ce piège :

« Cela commença ainsi… » ; si l’on entamait un récit de cette façon,


tout aurait l’air inventé, on ne contraindrait pas le lecteur ou
l’auditeur à s’engager personnellement, on ne ferait vraiment que lui
proposer une histoire de pure fiction 130.
(À partir de maintenant, je dois veiller à ce que l’histoire ne se
raconte pas trop d’elle-même 131.)

Le récit est peut-être nécessaire pour captiver le lecteur, mais il fait


courir au texte le risque d’une réception strictement fictionnelle, d’une
appréciation uniquement esthétique. Plutôt que le discours et le
métadiscours, certains textes utilisent, contre le récit, la description. C’est
généralement le cas, nous l’avons vu, quand les repères spatiaux prennent le
pas sur les repères temporels. C’est le cas, également, lorsque les choses,
dans leur matérialité, sont chargées de transmettre la sensation éprouvée à
leur contact. Ainsi, chez Claude Simon, les moments vécus se répercutent
avec une telle intensité que leur succession se disloque. Le verbe prend
alors des formes impersonnelles pour traduire la simultanéité des multiples
impressions dans lesquelles le sujet s’abîme, de telle sorte que le temps
s’abolit :

[…] voletant çà et là poussant leurs cris discordants éraillés


sauvages la tour du vieux château se reflétant dans les eaux
tranquilles le pont se mettrait à trembler aux pulsations de la
machine je pourrais sentir ses lattes frémir sous mes pieds les roues
à aube commençant à tourner battant l’eau avec un bruit de moulin
et moi me penchant pour la regarder fuir écumeuse se tordant le
long de ses flancs pouvant sentir… 132.

Gérondifs, conditionnels hypothétiques, absence de ponctuation,


construction en parataxe, coupures et suspensions de la phrase, tout
concourt à ronger les articulations logiques, à pulvériser les liens de
causalité, à transformer le souvenir en expérience intemporelle.
Cependant, dans aucun roman le récit ne disparaît tout à fait. Dès que le
commentateur ou le « participant » relâchent leur emprise sur le texte,
l’histoire reprend ses droits. Il revient alors au lecteur de remplir les creux,
de compenser les ellipses, de renouer les fils d’une narration en lambeaux.
Le roman autobiographique moderne n’éradique pas le récit mais tente de
dépasser les conventions narratives qui fictionnalisent le témoignage.
EXTENSIONS

« Je me souviens que je me souvenais » ou « je me souviendrai alors


que… », tels sont les deux modes d’extension du schéma mémoriel, vers le
passé et vers l’avenir. En renvoyant à une tentative antérieure, la
réduplication de l’effort mémoriel construit une structure à tiroirs qui met la
situation narrative en abyme. Chez Rilke, par exemple, ce jeu de miroirs va
repousser le souvenir dans un passé inaccessible. ‘Malte’, évoquant la brève
existence de sa sœur ‘Ingeborg’, remonte à une époque où, déjà désireux de
percer ce mystère, il devait s’en remettre à la mémoire de sa mère :

Comment était-elle ? demandais-je alors. « Blonde, à peu près


comme toi », disaient-ils et ils énuméraient toutes sortes de détails
qu’ils se remémoraient ; mais cela ne faisait que la rendre plus
imprécise encore et je ne pouvais plus rien me représenter. Je ne la
voyais vraiment que quand Maman me racontait l’histoire que je
réclamais toujours… […] Elle me conjurait de la croire 133.

Or les récits peu fiables de la mère en disent plus sur elle-même, et son
deuil, que sur ‘Ingeborg’, dont la silhouette reste insaisissable. Au contraire,
les narrateurs de Confession d’un masque et des Carnets d’un toqué, déjà
cités, ont toujours été assaillis par des souvenirs oppressants. C’est
pourquoi ils assignent à leur autobiographie une fonction de catharsis.
En lui-même, le brouillage des repères temporels n’est pas un marqueur
générique. Dans les cas précédents, il prétendait refléter fidèlement le
fonctionnement régressif de la mémoire. Mais, dès qu’il outrepasse les
limites habituellement allouées à la conscience de soi, il entraîne le texte
dans la fiction, dans l’autofiction. Il en est ainsi des récits de naissance
(David Copperfield, Le Premier Homme) ou de gestation (Moi je de Claude
Roy 134). Ou de ce roman d’Andrzej Kusniewicz 135 dont le narrateur, mal
réveillé d’une anesthésie générale, parcourt deux siècles d’histoire de son
pays.
A fortiori, les mouvements d’autoprojection dans l’avenir relèvent, par
nature, de l’imaginaire. De faible amplitude, ils traduisent l’activité
fantasmatique du narrateur. Quand ‘Doubrovsky’ visualise une notice
posthume consacrée à son œuvre, puis s’observe dans sa tombe 136, quand
‘Gregor Keuschnig’ prévoit guerre civile ou tremblement de terre 137, le
récit, tout en décrivant des hallucinations, ne perd rien de sa référentialité.
En revanche, étendue à l’ensemble d’un roman, l’« autobiographie
prospective » prend nécessairement le parti de la fiction, de l’arbitraire 138.
Dans des textes complexes comme Les Carnets d’un toqué, Blanche ou
l’oubli, Dora Bruder ou L’Été 139, le brouillage temporel est provoqué
délibérément par la juxtaposition, le collage, l’entrelacement de plusieurs
récits se situant à des époques différentes. Le lecteur, privé de repères, finit
par perdre de vue la distinction entre référentialité et fictionnalité.
Les Géorgiques, de Claude Simon, cumule tous les procédés de
brouillage, puisque, non seulement il y a au moins cinq strates temporelles
distinctes, mais, de surcroît, les témoignages de plusieurs scripteurs sont
reproduits et paraphrasés. Leurs Mémoires se prêtent d’ailleurs à
vérification dans la mesure où ils s’inscrivent dans l’histoire politique et
militaire de leur époque. Mais c’est leur subjectivité qui intéresse l’auteur,
leur aveuglement, leurs échecs. Il entrechoque ces différentes voix qui se
répondent sans s’entendre d’un paragraphe à l’autre, d’une phrase à l’autre.
De sorte que le statut du texte se modifie sans cesse selon le degré de
fiabilité que l’on accorde à ces voix narratives. Gérard Genette a nommé
« achronie » l’organisation narrative, tout aussi déroutante, de la
Recherche :

La vérité, c’est que le narrateur avait les raisons les plus évidentes
pour grouper ensemble, au mépris de toute chronologie, des
événements en relation de proximité spatiale, d’identité de climat
[…], ou de parenté thématique […], manifestant ainsi, plus et mieux
que quiconque avant lui, la capacité d’autonomie temporelle du
récit 140.

Généralisé à ce point, le brouillage des strates temporelles manifeste un


dessein d’autonomie générique. En bousculant les conventions qui régissent
la représentation du temps mémoriel dans le roman et dans
l’autobiographie, ces auteurs déportent leurs œuvres en dehors des
catégories existantes. D’une part, ils rompent et emmêlent les fils
chronologiques, ce qui les éloigne des modes traditionnels de représentation
réaliste. D’autre part, ils prétendent transcrire fidèlement leur expérience du
temps et de la mémoire. Ils ne conduisent donc pas le lecteur vers
l’« achronie », qui serait une extinction du temps, mais plutôt vers une
« polychronie » dont ils éclairent alternativement les différentes facettes.

Ces quelques pages n’avaient pas pour ambition de dresser un catalogue


complet des techniques de structuration temporelle du récit, qui sont
innombrables, mais de montrer, à travers quelques exemples significatifs,
que le traitement du temps est susceptible de distribuer des indications
génériques. En imitant les procédures narratives du roman, de
l’autobiographie et du journal intime, en combinant les temps du récit et du
discours et en confrontant constamment l’histoire personnelle aux capacités
de la mémoire, en la faisant valider par l’Histoire collective, le narrateur
peut confirmer son identité avec l’auteur. Cette identité, le traitement du
temps n’est pas à même de l’instaurer comme peuvent le faire une
similitude onomastique, des indications paratextuelles, des réflexions
métadiégétiques ou intertextuelles. Mais, au même titre que le traitement de
l’énonciation, il ajoute ou retranche des arguments en faveur de
l’interprétation référentielle à laquelle nombre de lecteurs aspirent.
1. M. Butor, «Recherches sur la technique du roman», dans Répertoire II, op. cit.; rééd. dans
Essais sur le roman, op. cit., p. 109-129.
2. G. Genette, «Discours du récit», dans Figures III, op. cit., p. 78.
3. P. Auster, L’Invention de la solitude, op. cit., 1re partie.
4. É. Benveniste, «Les relations de temps dans le verbe français», 1959, art. cité, p. 237-250.
5. Ibid., p. 242.
6. K. Hamburger, Logique des genres littéraires, op. cit.
7. H. Weinrich, Tempus, Stuttgart, 1964; trad. fr. de M. Lacoste, Le Temps, Paris, Éd. du Seuil,
coll. «Poétique», 1973.
8. Ibid., p. 62.
9. Ibid., p. 21-22.
10. Ibid., p. 292.
11. É. Benveniste, Problèmes de linguistique générale, op. cit., p. 241.
12. F.-R. de Chateaubriand, René, op. cit., p. 139.
13. Cf.P. Lejeune, «Le récit d’enfance ironique: Vallès», dans Je est un autre, op. cit., p. 14.
14. Cf.A. Jaubert, La Lecture pragmatique, Paris, Hachette, 1990, p. 38.
15. Cf.G. Genette, Nouveau discours du récit, op. cit., p. 26.
16. A. Gide, Si le grain ne meurt, 1921; rééd. dans Journal 1939-1949. Souvenirs, Paris,
Gallimard, coll. «Bibliothèque de la Pléiade», 1954, p. 547.
17. P. Auster, L’Invention de la solitude, op. cit., p. 151.
18. Ibid., p. 150.
19. S. Freud, Sur les souvenirs-écrans, op. cit., p. 113-132.
20. Ibid., p. 128.
21. R. Barthes, «L’effet de réel», Communications, nº 11, 1968; rééd. dans Littérature et
réalité, Paris, Éd. du Seuil, coll. «Points», 1982, p. 81-90.
22. R. Brautigan, So The Wind Won’t Blow It All Away, 1982; trad. fr. de M. Chénetier,
Mémoires sauvés du vent, Paris, UGE, coll. «10/18», 1983, p. 150.
23. C.A. Sainte-Beuve, «Du roman intime», La Revue des Deux Mondes, 15 juillet 1832, et
article sur Valentine, paru dans Le National du 31 décembre 1832, cités par Claude Duchet
dans sa préface à La Confession d’un enfant du siècle, Paris, Garnier, 1968, p. V.
24. J. Merlant, Le Roman personnel de Rousseau à Fromentin, op. cit., p. XXXIII.
25. P. Lejeune, Le Pacte autobiographique, op. cit., p. 14.
26. M. Butor, Essais sur le roman, op. cit., p. 94.
27. Cf. anthologie de préambules stipulant le pacte autobiographique dans P. Lejeune,
L’Autobiographie en France, op. cit., p. 125-167.
28. Colette, La Vagabonde, 1910, début du premier, du troisième et du dixième chapitre.
29. J. Fante, Brotherhood of the Grape, 1977; trad. fr. de B. Matthieussent, Les Compagnons
de la grappe, Paris, Bourgois, 1988; rééd., UGE, coll. «10/18», 1990, p. 84.
30. Nakamura Shin’ichirô, Natsu, 1978 (de l’œuvre en quatre parties Shiki [Les Quatre
Saisons]); trad. fr. de D. Palmé, L’Été, Arles, Picquier / Unesco, 1993, p. 255-256.
31. A. Biély, Carnets d’un toqué [1922], trad. fr. de A.-M. Tatsis-Botton, Lausanne, L’Âge
d’homme, 1991.
32. H. Roth, À la merci d’un courant violent, 4 vol., op. cit.
33. A. Camus, Le Premier Homme, op. cit.
34. P. Roth, The Anatomy Lesson, 1983; trad. fr. de J.-P. Carasso, La Leçon d’anatomie, Paris,
Gallimard, 1985; rééd. dans Zuckerman enchaîné, op. cit., 1987.
35. J. Fante, Pleins de vie, op. cit.
36. D. Franck, La Séparation, op. cit.
37. S.T. Coleridge, Biographia Literaria, 1817, rééd. Londres, 1907, t. I, p. 87, cité par Ian
Watt, The Rise of the Novel, Londres, 1957; premier chapitre traduit par F. Deleuze sous le
titre «Réalisme et forme romanesque», Poétique, nº 16, novembre 1973; rééd. dans
Littérature et réalité, op. cit., p. 33.
38. P. Ricœur, La Mémoire, l’Histoire, l’Oubli, Paris, Éd. du Seuil, coll. «L’Ordre
philosophique», 2000, p. 49.
39. P. Handke, Der Kurze Briefzum Langen Abschied, Francfort, 1972; trad. fr. de G.A.
Goldschmidt, La Courte Lettre pour un long adieu, Paris, Gallimard, 1976; rééd., coll.
«Folio», 1986.
40. P. Handke, Wiederholung, Francfort, 1986; trad. fr. de C.E. Porcell, Le Recommencement,
Paris, Gallimard, 1989.
41. Gao Xingjian, Lingshan, 1990; trad. fr. de N. et L. Dutrait, La Montagne de l’âme, La Tour
d’Aigues, Éd. de L’Aube, 1995.
42. Cf. C. Grivel, «Biodégradable: Cendrars écrit», Revue des sciences humaines, université
Charles de Gaulle-Lille III, numéro consacré au Biographique, 1991, 4, nº 224, p. 72.
43. P. Nizon, Immersion, op. cit.
44. A. Camus, Le Premier Homme, op. cit., p. 185, n. a.
45. Ibid., p. 181.
46. J. Fante, Les Compagnons de la grappe, op. cit., p. 28.
47. A. Biély, Carnets d’un toqué, op. cit., «En guise de préface», p. 314.
48. R. Boudjedra, La Macération, op. cit., p. 36.
49. T. Bernhard, L’Origine, op. cit., p. 40 et 42.
50. P. Loti, Aziyadé, 1879; rééd. dans Romans, op. cit.
51. P. Loti, Le Mariage de Loti, op. cit.
52. P. Loti, Madame Chrysanthème, op. cit.
53. M. Duras, L’Amant, op. cit., p. 10.
54. J. Vallès, L’Insurgé [1886], Paris, Gallimard, coll. «Folio», 1975.
55. J. Weil, Zivot s hvezdou (Mlada Fronta), Prague, 1948; trad. fr. de X.Galmiche, Vivre avec
une étoile, Paris, Denoël, 1992; rééd. UGE, coll. «10/18», 1996.
56. Gao Xingjian, Le Livre d’un homme seul, op. cit.
57. M. Halbwachs, La Mémoire collective, Paris, PUF, 1950; rééd., A. Michel, 1997, p. 52 et
99.
58. S. Rushdie, Les Enfants de minuit, op. cit., p. 346.
59. Ibid., p. 558.
60. P. Roth, Operation Shylock, 1993; trad. fr. de L. Bitoun, Opération Shylock. Une
confession, Paris, Gallimard, 1995; rééd., coll. «Folio», 1997.
61. A. Bryce-Echenique, La Vie exagérée de Martin Romaña, op. cit.
62. F. Mauriac, Un adolescent d’autrefois, op. cit., p. 47.
63. Ibid., p. 177.
64. Ibid., p. 166.
65. P. Istrati, Mikhaïl, op. cit., p. 187.
66. J. London, Martin Eden, op. cit., chap. 9, p. 93.
67. A. Ernaux, Ce qu’ils disent ou rien, op. cit., p. 64.
68. Ibid., p. 123.
69. I.B. Singer, The Certificate, 1992; trad. fr. de la version anglaise par M.P. Bay, Le
Certificat, Paris, Denoël, 1994; rééd., Gallimard, coll. «Folio», 1998, p. 124.
70. É. Benveniste, «L’appareil formel de l’énonciation», dans Problèmes de linguistique
générale, op. cit., p. 83.
71. C. Dickens, David Copperfield, op. cit., chap. IV, t. I, p. 59.
72. Ibid., chap. VII, t. I, p. 115. J.H. Buckley fait cette observation, et en cite deux autres
exemples, dans son ouvrage The Turning Key. Autobiography and the Subjective Impulse
since 1800, Cambridge (Mass.), Harvard University Press, 1984, p. 122.
73. A. Daudet, Le Petit Chose, op. cit., 1re partie, chap. 7.
74. Ibid., 2e partie, chap. 1.
75. J. Giono, Jean le Bleu, op. cit., p. 126.
76. Ibid., p. 8.
77. Ibid., p. 97.
78. Ibid., p. 22-23.
79. Ibid., p. 143.
80. Y. Mishima, Confession d’un masque, op. cit., p. 11.
81. Ibid., p. 34.
82. Ibid.
83. H. de Balzac, Louis Lambert, op. cit., p. 594.
84. J. Vallès, L’Enfant, 1879, nombreuses rééd. dont celle des Œuvres, Paris, Gallimard, coll.
«Bibliothèque de la Pléiade», t. II, 1990, et coll. «Folio», 1978, chap. X.
85. M. Proust, À l’ombre des jeunes filles en fleurs, dans À la recherche du temps perdu, op.
cit., t. I, p. 429.
86. L.-F. Céline, Mort à crédit, op. cit., p. 422.
87. K. Hamsun, Un vagabond joue en sourdine, op. cit., p. 22.
88. S. Doubrovsky, Le Livre brisé, op. cit., p. 36.
89. Ibid., p. 33.
90. P. Auster, L’Invention de la solitude, op. cit., p. 10.
91. Ibid., p. 37.
92. Ibid., p. 146.
93. C. Dickens, David Copperfield, op. cit., chap. XVIII, t. I, p. 291.
94. Ibid., chap. LXIV, t. II, p. 433.
95. Henry Roth procède de la même manière dans À la merci d’un courant violent, op. cit.
96. M. Proust, Sodome et Gomorrhe, dans À la recherche du temps perdu, op. cit., t. III, p. 371.
97. C. Simon, Les Géorgiques, op. cit., p. 47.
98. L.-F. Céline, Rigodon, rédigé en 1960-1961, Paris, Gallimard, 1969; rééd., coll. «Folio»,
1973, p. 108.
99. Ibid., p. 176.
100. Ibid., p. 190.
101. Ibid., p. 204.
102. V. Nabokov, Regarde, regarde les arlequins!, op. cit., p. 294.
103. P. Auster, L’Invention de la solitude, op. cit., p. 179. Derniers mots du texte dont toute la
seconde partie est une méditation sur la quête du passé racontée dans la première.
104. P. Modiano, Dora Bruder, op. cit., p. 51.
105. Sur le genre du journal intime: Alain Girard, Le Journal intime, Paris, PUF, 1963, rééd.,
1986; Béatrice Didier, Le Journal intime, Paris, PUF, 1976; G. Gusdorf, Lignes de vie, t. I,
Les Écritures du moi, op. cit., chap. 7, p. 149-151, et chap. 8, p. 213-227; J. Rousset, «Le
journal intime, texte sans destinataire?», art. cité; Philippe Lejeune et Catherine Bogaert,
Un journal à soi, op. cit.
106. G. Genette, Figures III, op. cit., p. 229-230.
107. Sur cette innovation dans Pamela ou la Vertu récompensée (1741), voir T. Pavel, La
Pensée du roman, op. cit., p. 144-149.
108. G. Gusdorf, Lignes de vie, t. I, Les Écritures du moi, op. cit., p. 317.
109. Sur le roman-journal: Gerald Prince, «The diary novel: notes for the definition of a sub-
genre», Neophilologus, vol. LIX, nº 4, octobre 1975, p. 477-481; Yasusuke Oura, «Roman-
journal et mise en scène éditoriale», Poétique, nº 19, 1987, p. 5-20, extrait d’une thèse
soutenue en juin 1986 à Paris VII; et surtout Valérie Raoul, The French Fictional Journal.
Fictional Narcissism / Narcissistic Fiction, Toronto University Press, 1980; trad. fr. de A.
Scott, Le Journal fictif dans le roman français, Paris, PUF, 1999. Elle y propose
notamment de définir le journal comme un «chronographe» pour souligner «l’importance
du temps et de l’écriture» dans son économie (p. 99, n. 1).
110. V. Raoul, ibid., p. 107.
111. C.A. Sainte-Beuve, Vie, poésies et pensées de Joseph Delorme, op. cit.
112. F. Pessoa, Le Livre de l’intranquillité, op. cit., p. 48.
113. Observation empruntée à la Préface de Bruno Vercier dans P. Loti, Mon frère Yves [1883],
Paris, Gallimard, coll. «Folio», 1998, p. 12.
114. P. Loti, Madame Chrysanthème, op. cit., chap. 37.
115. P. Lejeune, «Le récit d’enfance ironique: Vallès», art. cité, p. 9-31.
116. P. Loti, Madame Chrysanthème, op. cit., chap. 16.
117. Ibid., chap. 37.
118. Colette, Claudine à l’école, dans Œuvres, op. cit., t. I, p. 11.
119. Colette, Claudine à Paris, 1901; plusieurs rééd. dont celle des Œuvres, op. cit., t. I, p. 221.
120. Colette, Claudine en ménage, 1902; plusieurs rééd. dont celle des Œuvres, op. cit., t. I, p.
420.
121. A. de Musset, La Confession d’un enfant du siècle, op. cit., 1re partie, chap. 1.
122. G. Genette, Palimpsestes, op. cit., p. 11-15.
123. V. Nabokov, Regarde, regarde les arlequins!, op. cit., p. 29-30.
124. Ibid., p. 107.
125. H. Guibert, À l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie, op. cit., p. 101.
126. H. Guibert, Le Protocole compassionnel, op. cit., p. 60.
127. Le livre de Zvi Kolitz, Yossel Rakover Wendung zu Gott, traduit par Léa Marcou sous le
titre Yossel Rakover s’adresse à Dieu (Paris, Maren Sell-Calmann-Lévy, 1998), a connu un
destin similaire. L’auteur, qui avait émigré à Jérusalem en 1937, a mis des années à faire
admettre qu’il ne s’agissait pas d’un témoignage sorti du ghetto de Varsovie mais d’un récit
imaginaire. Cf. «Le Monde des livres», 6 novembre 1998, p. III.
128. P. Nizon, Im Hause enden die Geschichten, Francfort, 1971; trad. fr. de J.-L. de Rambures,
Dans la maison les histoires se défont, Arles, Actes Sud, 1992, p. 204.
129. Ibid., p. 215. Ce sont les derniers mots du texte.
130. P. Handke, Wunschloses Unglück, Salzbourg, 1972; trad. fr. de A. Gaudu, Le Malheur
indifférent, Paris, Gallimard, 1975; rééd., coll. «Folio», 1977, p. 17.
131. Ibid., p. 107.
132. C. Simon, Histoire, Paris, Éd. de Minuit, 1967, p. 325.
133. R.M. Rilke, Les Carnets de Malte Laurids Brigge, op. cit., p. 95.
134. Cité par Philippe Lejeune, qui attribue à Salvador Dali (dans La Vie secrète de Salvador
Dali, 1941) l’invention de ce genre des «souvenirs intra-utérins» («Peut-on innover en
autobiographie?», art. cité, p. 67-100).
135. A. Kusniewicz, Stan Niewazkosci, Varsovie, 1973; trad. fr. de C. Jezewski et D. Autrand,
L’État d’apesanteur, Paris, Albin Michel, 1979; rééd., LGF, coll. «Le Livre de Poche»,
1983.
136. S. Doubrovsky, Fils, op. cit., p. 348-360.
137. P. Handke, Mon année dans la baie de Personne, op. cit., p. 361.
138. P. Lejeune, dans «Peut-on innover en autobiographie?», art. cité, mentionne Le Gâteau des
morts de Dominique Rolin (Paris, Denoël, 1982), Maria de Cavanna (Paris, Belfond,
1985), ainsi que le dernier chapitre du Musée de l’homme (Paris, Grasset, 1978) dans lequel
François Nourissier s’interroge sur la possibilité d’un tel genre.
139. Nakamura Shin’ichirô, L’Été, op. cit.
140. G. Genette, Figures III, op. cit., p. 120-121.
6

Lieux de sincérité

L ES TRAITS du roman autobiographique qui ont été répertoriés jusqu’ici se


répartissent en deux catégories : d’abord des indices explicites donnés par
l’identité du héros, le paratexte, l’intertextualité et le métadiscours ; ensuite
des signes de second niveau, encodés dans les structures d’énonciation et de
temps. Au cours du processus de lecture, ces indications se coordonnent
pour prescrire et doser une double réception du texte, à la fois fictionnelle et
autobiographique.
Suffit-il de s’en tenir à l’analyse et à la synthèse de ces différents
facteurs formels pour cerner la spécificité générique des textes frontaliers
qui nous intéressent ? Certainement pas. Si ces romans peuvent passer pour
des discours autobiographiques, ce n’est pas seulement parce qu’ils
adoptent les apparences de l’écriture intime. C’est aussi, et surtout, parce
qu’ils investissent ses lieux et en reproduisent le pathos. Je recours ici à des
concepts d’ordre rhétorique, car la meilleure manière, à mon sens,
d’aborder l’allégation de sincérité dans un texte est de considérer qu’elle
relève de l’art de persuader. On appliquera alors à la thématique du roman
autobiographique la cruelle définition que la Rhétorique à Herennius
donnait de l’art oratoire :
Ce qu’il faut savoir, c’est qu’une bonne pratique de l’action
[pronuntiatio bona] a pour effet de faire croire que la chose vient du
cœur [ut res ex animo agi videatur] 1.

Tout discours du moi ne met-il pas en jeu une batterie de procédés


destinés à « faire croire que la chose vient du cœur », autrement dit que
l’énoncé est sincère ? Si l’on veut analyser ces procédés, la première étape
consiste à déterminer à partir de quels « lieux » « ça » parle. Nous
découvrirons ainsi, sous la diversité des énoncés mémoriels, des modèles,
des archétypes, que l’on nommera à bon droit des « lieux communs ». Cette
métaphore spatiale (topos, pluriel topoi) permettait aux rhéteurs de classer
les différentes catégories d’arguments utilisables dans le discours judiciaire,
politique ou philosophique.
La critique moderne a redécouvert ce concept à la suite des travaux
d’Ernst Robert Curtius sur La Littérature européenne et le Moyen Âge
latin 2. Se référant à la théorie jungienne des archétypes, Curtius a donné à
ce terme, par extension, le sens de « configuration [de motifs] stable, qui
revient souvent dans la littérature 3 » et « appartient aux plus anciennes
4
images de l’inconscient collectif ». J’emploierai ici le mot « lieu » dans
cette double acception, oratoire et culturelle, de poncif argumentaire et de
paradigme thématico-narratif.
Quant au mot pathos, il désignait, chez Aristote, la « disposition des
auditeurs quand leurs passions sont excitées par le discours 5 ». L’orateur
devait prendre en compte et manipuler l’attitude psychologique du
destinataire. Mais, réciproquement, sa crédibilité était fonction de son èthos,
c’est-à-dire du caractère, de la vertu qu’on lui reconnaissait :

C’est le caractère moral [de l’orateur] qui amène la persuasion


quand le discours est tourné de telle façon que l’orateur inspire la
confiance 6.
Alors que le lieu, en tant qu’argument logique, fait appel à la raison,
l’èthos et le pathos s’adressent à la sensibilité, jouent sur l’affect, la
transaction, les émotions inconscientes. La rhétorique moderne s’est
progressivement désintéressée des genres oratoires pour se recentrer sur
l’énonciation littéraire et, plus particulièrement, fictionnelle. Dès lors,
l’auteur devant disparaître derrière sa création, la question de l’èthos a
perdu toute pertinence et on a regroupé sous le terme dépréciatif de pathos
l’ensemble des « moyens propres à émouvoir l’auditeur 7 ».
Or l’écriture du moi, qui replace avec force l’auteur au cœur du texte,
impose, sur ce point, un retour à l’approche rhétorique traditionnelle. En
effet, elle partage avec l’art oratoire la nécessité de faire croire à la sincérité
de l’énonciation. Et le jugement porté sur l’authenticité du témoignage
autobiographique va être déterminé par l’opinion du lecteur sur le
« caractère moral » de l’auteur, sur son èthos. Lequel auteur, pour « inspirer
la confiance », jouera sciemment sur la sensibilité de ses lecteurs, leur
pathos. Réservant le concept de pathos aux études de textes particuliers, je
privilégierai ici, dans une perspective générale de classement, la notion plus
opératoire de lieu.
La pragmatique complète, dans ce domaine, la conception rhétorique
traditionnelle en incluant dans l’analyse la réponse du récepteur. Dès lors
que l’émetteur s’estime apte à fournir une information, il charge
l’énonciation d’« une certaine valeur » qui en fait, selon Austin, un « acte
illocutoire ». S’il obtient « certains effets par la parole », c’est que son acte
est réellement doté d’une efficacité « perlocutoire » 8. Le romancier qui
souhaite convaincre le lecteur de son investissement personnel dans
l’écriture mobilise cette fonction performative du langage. Est « sincère »,
d’après le dictionnaire Robert,

Qui est disposé [1º] à reconnaître la vérité et [2º] à faire connaître ce


qu’il pense et sent réellement ([3º] sans consentir à se tromper soi-
même ni à tromper les autres) 9.

Loin de ramener la sincérité au simple fait de dire la vérité, le


sémanticien l’analyse comme une triple intention : de discrimination, de
déclaration franche, et de refus du leurre. Le sème central, « faire
connaître » le moi réel, marque bien que la sincérité est affaire de langage.
Non seulement elle se manifeste dans les processus de communication,
mais elle s’y élabore, elle s’y construit, elle s’y conteste et s’y développe.
C’est pourquoi Sartre postulait que

la sincérité se présente comme une exigence et par conséquent elle


n’est pas un état 10.

Exigence du locuteur, certes 11, mais aussi exigence de l’interlocuteur,


condition de la relation, tension permanente à l’encontre de la « mauvaise
foi ». Dans cette perspective, Jean-François Chiantaretto a défini la sincérité

comme l’effort pour affronter le mensonger : l’effort pour construire


une relation de confiance avec le langage, une confiance en le
langage pour s’éprouver et se dire dans la relation à autrui (aux
autres) 12.

Sartre jugeait cet effort « voué à l’échec » « puisque l’homme sincère se


constitue comme ce qu’il est pour ne l’être pas 13 ». À rebours, le romancier
se projette en ce qu’il n’est pas, un personnage, pour montrer ce qu’il est.
Avec les moyens dont il dispose, qui sont des techniques narratives et
rhétoriques, il décrit les efforts de ce personnage « pour affronter le
mensonger » et communiquer avec autrui. Il pose donc le problème de la
sincérité sur deux niveaux : celui du personnage dans le récit et celui du
narrateur dans sa narration.
Avant de visiter ces « lieux » de la sincérité, il semble indispensable
d’approfondir la poétique sous-tendant le processus de fictionnalisation
dans lequel ils s’inscrivent. Comment ne pas se demander, en effet,
s’agissant de « romans » autobiographiques, quelle est l’adéquation entre
forme fictionnelle et discours sur soi ? À cette question, de nombreux
auteurs répondent que la fiction, paradoxalement, garantit leur sincérité.

Fiction et sincérité
Pour justifier la forme romancée de récits affichant des indices de
sincérité autobiographique, les arguments sont de trois ordres : d’abord la
protection que l’alibi fictionnel assure à l’écrivain, ensuite la supériorité
artistique du roman sur l’autobiographie, et enfin la fonction cognitive de la
fiction.

PROTECTION

La fiction est un espace littéraire de liberté. Non seulement elle ouvre


un espace illimité au langage mais elle assure à l’auteur une autonomie
absolue vis-à-vis du lecteur. Chargeant un narrateur imaginaire de décrire
un monde virtuel, le romancier n’a pas de comptes à rendre au réel. À
l’inverse, l’autobiographe prend personnellement en charge l’énonciation et
s’engage à dire le réel. Le romancier-autobiographe, quant à lui, entend
protéger sa liberté de parole tout en assumant, jusqu’à un certain point, son
discours. Il met donc en place un dispositif romanesque défectueux,
notoirement insuffisant pour dissimuler sa présence dans le récit. Il sabote
son propre camouflage et crée les conditions du malentendu générique.
Le malentendu éclate lorsque l’auteur souffre d’être identifié, réduit, à
son personnage. Ainsi Constant reprochait-il au lecteur « cette fureur de
reconnaître dans les ouvrages d’imagination les individus qu’on rencontre
dans le monde 14 ». Il refusait de quitter sa position de romancier et niait
toute intention autobiographique. Musset, au contraire, admettait sa
responsabilité dans la réception référentielle de La Confession d’un enfant
du siècle, mais pour regretter de s’être montré « tout nu derrière un manteau
troué en mille endroits 15 ». Dans La Naissance du jour, ‘Colette’ avouait
qu’elle ressentait la même « hostilité » que Constant envers le lecteur-
voyeur mais concédait, en même temps, que la réception de ses romans
dans un registre autobiographique résultait bien de sa propre stratégie
générique :

Je ne pus lui dissimuler le découragement jaloux, l’injuste hostilité


qui s’emparent de moi quand je comprends qu’on me cherche toute
vive entre les pages de mes romans.
Laisse-moi le droit de m’y cacher, fût-ce à la manière de La Lettre
volée 16.

On se souvient que, dans cette nouvelle d’Edgar Poe, la meilleure façon


de cacher une lettre compromettante au regard des enquêteurs, qui vont
sonder chaque recoin de l’appartement, consiste à la placer en évidence sur
une cheminée. ‘Colette’ revendiquait le « droit » de se cacher en bonne
place dans ses livres de façon à ce que le lecteur, aussi perspicace que
‘Dupin’, l’y trouve. Mais il ne la trouvera que sous forme de « lettre
volée », c’est-à-dire d’écriture intime détournée de sa fonction. Le dispositif
romanesque instaure en effet une relation fondée sur la déception :
déception de l’auteur qui, tout en « comprenant » le désir de communication
du lecteur, se sent traqué(e), volé(e), violé(e) par son regard ; et déception
du lecteur, invariablement leurré par la « lettre » du texte qui promet
l’auteur « toute vive » mais n’en délivre que l’esprit. Le ressentiment à
l’égard du lecteur s’exprime parfois plus crûment :

Il m’est même arrivé d’utiliser la première personne et les


apparences de la confession afin de donner à un récit ce
frémissement inséparable de l’autobiographie (frémissement du
style et malsaine excitation du lecteur) […] (François Nourissier 17).
« Forcément, ton livre a du succès, les gens aiment le malheur des
18
autres » (Hervé Guibert ).
Le lecteur rate sa vie. Alors il cherche à la rattraper en lisant. Pas
n’importe quoi donc. Du fort, du violent, du sexuel, du cru, si
possible quasi biographique. Le lecteur a besoin d’un mur le plus fin
possible entre réalité et fiction lui aussi, si ça doit faire sa vie
19
(Christine Angot ).

Alors que ‘Colette’ se reprochait d’éprouver quelque « injuste


hostilité » envers son public, il y a plus que de l’animosité, du mépris, dans
ces trois représentations du lecteur en vulgaire amateur de faits divers se
repaissant du « malheur des autres ». Et l’image de l’auteur dans le miroir,
contraint de répondre à une demande « malsaine » qu’il réprouve, n’en
ressort pas grandie.
La fiction protège l’auteur et le lecteur de cette dérive sadomasochiste.
Mais elle protège aussi l’auteur de ses propres personnages ou, plus
exactement, de leurs modèles. Il arrive en effet que ceux-ci se révoltent
contre l’image que le texte donne d’eux. Un prêtre qui s’était senti
personnellement diffamé par Thomas Bernhard fit modifier quelques pages
de L’Origine 20. Suite à la parution du Têtard, Jacques Lanzmann fut
poursuivi par sa mère. Sa condamnation a suscité les commentaires de
Philippe Lejeune en tant que critique 21, et de Serge Doubrovsky en tant que
romancier 22. Les procès de ce type deviennent si courants que les grands
éditeurs soumettent les manuscrits suspects à des conseillers juridiques
avant de les publier 23.
L’affaire est encore plus grave quand la dénonciation prend un tour
public, devient cabale et mise au pilori. La publication du Passé simple a
ainsi suscité des accusations de trahison dans la presse marocaine qui
contraignirent Driss Chraïbi à renier, provisoirement, son premier roman 24.
Philip Roth a été mis au ban de la communauté juive américaine après la
parution de Portnoy. Plus récemment, Rachid Boudjedra citait, parmi les
causes des menaces de mort qu’il recevait, sa divulgation des « secrets
inavouables » de la société algérienne 25.
Ceci pour dire que la plupart des stratégies d’ambiguïté générique ne
poursuivent pas seulement des objectifs littéraires. Elles se définissent aussi
en fonction du contexte familial, social, juridique, éditorial. Ces contraintes
externes sont évidemment de nature à stimuler la créativité et le savoir-faire
des auteurs. Pour beaucoup, la nécessité de transposer, de louvoyer, de
dissimuler, d’expliquer, de justifier, constitue un facteur déterminant dans le
choix du genre.

LITTÉRARITÉ
La fictionnalisation de l’expérience personnelle est souvent justifiée par
la poétique commune selon laquelle le roman est crédité d’une valeur
esthétique intrinsèquement supérieure à celle de l’autobiographie. Quels
arguments sont donnés à l’appui de ce préjugé ?
Ils tiennent d’abord, nous l’avons vu dans le chapitre précédent, à la
structure temporelle du récit. Le roman se caractériserait par une
construction plus élaborée. Tous ses éléments, affirme Paul Auster, sont
« chargés de signification », répondent à une intention précise et sont
agencés en vue d’une démonstration. C’est à ce prix qu’il peut revendiquer
la portée générale et « philosophique » qu’Aristote reconnaissait à la
« poésie ». Le romancier prétend donc posséder une technique narrative
particulière qui lui permet de travailler la matière biographique, de la
reconstruire, de lui donner un sens, une densité, un style qui touchent la
sensibilité esthétique du lecteur :

Je me raconte, je me débite. Pas au hasard, par tranches choisies. Je


laisse de côté les bas morceaux. Je m’étale, opération à cœur ouvert,
je m’éventre, j’offre mes tripes au public. Mais le récit, moi qui
décide comment il commence, où je m’arrête. Pas les événements
qui me dictent : j’édicte. Ma vie n’est que de la matière première.
D’abord ouvrir, ensuite ouvrer 26.

Le romancier ne se fixe pas pour priorité de raconter sa vie mais de


ciseler (« ouvrer ») un texte artistique, dont sa biographie n’est que le
prétexte, la « matière première » contingente. Il met d’abord en jeu la
fonction poétique du langage, alors que l’autobiographe mobilise
essentiellement sa fonction référentielle, informative. On attend donc d’un
roman qu’il privilégie le récit sur le discours. S’il délivre un message, une
démonstration, qu’il l’assure par des moyens narratifs : descriptions, récits
d’actions, dialogues, transcriptions de pensées. Se déroulant du passé vers
le présent, l’histoire devra intéresser, surprendre, distraire. « Le lecteur veut
rire et c’est tout 27 ! » disait Céline. L’autobiographie, en revanche, est une
chose sérieuse : elle poursuit une visée explicative qui assujettit le récit au
commentaire selon le point de vue actuel de son auteur.
Le second atout littéraire du roman réside, comme le soutenait
Bakhtine 28, dans son aptitude à la polyphonie. S’emparant d’un matériau
autobiographique, le romancier pourra le soumettre au commentaire de
différents personnages, multiplier les points de vue et ainsi dessaisir le
« je » du monopole de la vérité. Henri Godard a montré que le
« polyvocalisme » du roman célinien le distingue de l’autobiographie
ordinaire 29. Mais on pourrait sans aucun doute en dire autant de Vallès,
Miller, Philip Roth, John Fante 30 ou Claude Simon. De façon générale, le
romancier, plus que l’autobiographe ou le diariste, s’emploie à représenter
l’environnement familial, social et culturel du héros sous forme de
personnages emblématiques qui s’affrontent et au contact desquels il va se
définir.
Se rattachent également à la polyphonie romanesque les figures du type
prosopopée qui permettent de dédoubler le protagoniste en « je » et « tu »
pour faire dialoguer des aspects divergents ou des âges successifs de sa
personnalité 31. Enfin, nous l’avons vu, la vocation dialogique du roman se
réalise tout particulièrement lorsque le narrateur identifiable à l’auteur
promeut un autre héros que lui-même ou quand le mode narratif oscille
entre « je » et « il ».
Il va de soi qu’aucune de ces techniques de narration ne constitue un
trait définitoire du genre. Certains romanciers renoncent à tout ou partie des
procédés habituels du roman, alors que les autobiographes les utilisent
couramment, par goût, par ruse ou par nécessité. Rien n’interdit au récit de
soi une construction rigoureuse et dense : qu’on pense aux Mots. Nulle
fatalité ne le condamne au discours monologique : voir par exemple
Autobiographie d’Alice Toklas de Gertrude Stein ou Enfance de Nathalie
Sarraute.
Ces a priori expliquent pourquoi l’autobiographie est encore enfermée
dans un modèle référentiel anesthétique dont elle ne peut sortir sans être
soupçonnée de fictionnalisation. Et ils constituent le fond idéologique qui a
si longtemps imposé au roman autobiographique une existence clandestine.
Dans un article publié en 1996 dans la revue Poétique, Marie Darrieussecq,
réagissant à Fiction et diction de Gérard Genette, justifiait le recours au
cadre romanesque par la nécessité pour les écrivains autobiographes de se
faire reconnaître en tant qu’artistes :
Le choix de la fiction n’est pas gratuit : pour faire sa place « à coup
sûr » dans le champ littéraire, en toute rigueur générique
aristotélicienne, l’autobiographe n’a pour solution que l’autofiction.
Puisque l’autobiographie est trop sujette à caution et à condition, et
puisque toute fiction est littéraire, faisons entrer l’autobiographie
dans le champ de la fiction : coup de force « ontologique » qui
assure par essence une place à mon livre dans la littérature.
Aristoteles dixit 32.

C’est en contrebande, dans les valises du roman, que l’autobiographie


est entrée dans le champ littéraire où elle était interdite de séjour.

CONNAISSANCE

Il ne faudrait pas réduire pour autant le choix générique de la fiction à


un simple calcul. Le roman n’offre pas seulement une protection contre la
curiosité du lecteur, des procédés de narration, une place dans le panthéon
esthétique et, en prime, la bienveillance de l’éditeur. Il permet avant tout à
l’écriture intime de prendre du jeu. Il raille le sérieux un peu naïf de
l’autobiographie en parodiant sa prétention à raconter sa vie.
Le roman autobiographique est toujours sous-tendu par cette idée que le
discours référentiel sur soi comporte une part d’illusion. Même s’il ne
dénonce pas ouvertement la supercherie de la sincérité il suppose connu
qu’il ne saurait y avoir de récit sans rhétorique manipulatrice. Sachant la
labilité et la multiplicité du Moi, les censures du Surmoi, les ruses de
l’inconscient, les phénomènes de condensation, de déplacement et de
scotomisation des affects, les leurres des « souvenirs-écrans » 33, les
traficotages des remaniements mémoriels et les illusions du « roman
familial » 34, le romancier autobiographe renonce sagement au pacte
référentiel sur un sujet aussi problématique et insaisissable que sa propre
histoire. Ainsi Thomas Bernhard :

La vérité, je le pense, n’est connue que par celui qu’elle concerne ;


s’il veut en faire part il devient automatiquement un menteur. […]
La volonté d’être véridique est, comme tout autre chemin, le plus
rapide pour fausser et falsifier une situation. Coucher sur le papier
une époque, une période de la vie et de l’existence, peu importe sa
longueur ou sa brièveté, c’est agglomérer des centaines, des
milliers, des millions, d’altérations, de falsifications qui sont toutes
familières à celui qui écrit et décrit comme autant de vérités, de
pures vérités. […] Nous voulons dire la vérité mais nous ne disons
35
pas la vérité .

S’il ne renonce point à se raconter, l’écrivain va prendre appui sur la


formidable compulsion du Moi à la fiction pour le représenter dans un
roman. La fiction étant inévitable, il va l’assumer et la revendiquer
hautement.
La psychanalyse a créé l’expression « roman familial » pour désigner la
propension du Moi à remanier imaginairement ses origines. La construction
délirante d’un couple parental fictionnel en tout point préférable au couple
réel a d’abord été considérée par Freud comme un symptôme de névrose 36.
Puis il reconnut la généralité, la fonctionnalité, donc la normalité de ce
« roman » dans le processus de maturation de l’enfant et de l’adolescent.
Lacan en tirait les conséquences lorsqu’il partait du principe que le sujet se
constitue, et se reconstitue, en suivant nécessairement une « ligne de fiction,
à jamais irréductible 37 ».
Conscient de cet empire de la fiction sur l’individu, le romancier du moi
ne prétend en aucun cas se connaître, s’élucider et se livrer tel qu’en lui-
même. Revêtant un masque, que les Latins nommaient persona, il se
constitue en personnage, il se met en intrigue. Ainsi Rembrandt et Courbet
aimaient-ils se déguiser pour se peindre. Plutôt que de raconter ce qu’il sait
de lui, l’auteur semble alors utiliser le récit pour découvrir ce qu’il ignore,
ce qui se cache sous le souvenir. Il recherche la part d’ombre, de
ressentiment, de haine, qui était occultée par le Surmoi et les conventions
sociales. On peut supposer que l’ambiguïté générique facilite l’expression
de l’ambivalence qui régit obscurément la plupart de nos relations
affectives 38. Elle permettrait ainsi au romancier d’entrevoir, comme Paul
Auster, une réalité psychique inaperçue qui dépasse son cas particulier :

J’ai moins l’impression d’avoir raconté l’histoire de ma vie que de


m’être servi de moi-même pour explorer certaines questions qui
nous sont communes à tous. […] C’était une tentative de me
retourner de part en part afin de voir de quoi j’étais fait 39.

Cette enquête du sujet sur lui-même passe par une série d’hypothèses,
de doutes, de détours et de fausses pistes. Comme toute représentation
fictionnelle, la mise en roman de l’autobiographie opère, pour reprendre
l’expression de Jean-Marie Schaeffer, par « modélisation mimétique 40 ». À
l’œuvre aussi bien dans le rêve que dans le jeu d’enfants, dans le roman, au
théâtre et dans les arts plastiques, ce processus prend dans l’autofiction un
relief particulier du fait qu’il en constitue à la fois le sujet et l’enjeu. C’est
ainsi qu’on pourrait caractériser la structure thématique du genre comme
une mise en abyme de la « réélaboration fictionnelle 41 ». Paul Ricœur
développe une argumentation convergente lorsqu’il soutient que la fiction
possède une « force heuristique » particulière et irremplaçable :

La première manière dont l’homme tente de comprendre et de


maîtriser le « divers » du champ pratique est de s’en donner une
représentation fictive 42.
Dans notre effort pour rendre le monde intelligible, l’imagination
fictionnalisante remplit non seulement une fonction mimétique, descriptive,
mais aussi une « fonction projective » qui lui permet de « redécrire la
réalité » en créant un « nouvel effet de référence ». En accordant à l’activité
fictionnelle une légitimité épistémologique, Ricœur ouvre la voie à une
réhabilitation du roman autobiographique.
Cette réévaluation ne saurait se limiter à une reconnaissance des effets
thérapeutiques de l’écriture pour le scripteur. Dans une perspective littéraire
aussi bien que philosophique, le texte fonctionne avant tout comme un outil
de communication esthétique. Pour que le lecteur entre dans ce jeu
relationnel, il faut d’abord qu’il en saisisse et qu’il en accepte les règles, qui
sont à la fois d’ordre linguistique et générique. Mais il faut aussi qu’il
perçoive dans le travail d’énonciation un effort de sincérité qui entre en
résonance avec sa propre histoire. Que ces conditions soient remplies et la
lecture fait sens : la représentation fictionnelle devient un support de
communication et un vecteur de connaissance, de soi et d’autrui.

Après avoir résumé les principaux arguments en faveur de la


fictionnalisation du témoignage personnel, je vais examiner trois catégories
de lieux rhétoriques susceptibles d’accréditer l’identité du protagoniste avec
l’auteur : les aveux, les combats, l’héroïsme.

Aveux
« Pour écrire, disait Céline, il suffit de se raconter, mais à une
condition : il faut noircir et se noircir 43. » Cette formule à l’emporte-pièce
postule une distinction, et sans doute une hiérarchie, entre « se raconter »,
sur un mode référentiel, et « écrire », sous-entendu un roman, de la
littérature. Elle s’appuie sur une métaphore picturale, ou photographique,
pour réduire le clivage générique à une question d’image, d’éclairage et de
développement : on ne pourrait accéder à l’écriture qu’en « tirant » du
monde et de soi-même un cliché assombri, tragique. Cette idée se retrouve,
notamment, chez Peter Handke, dont un personnage-écrivain relie sa
vocation à une faculté un peu perverse d’autodépréciation narrative :

Si je devais me faire ainsi plus mauvais que je n’étais à cette


époque, ce ne serait pas pour être contredit, mais plutôt pour avoir
quelque chose à raconter. Est-il possible que je n’aie commencé à
exister que de cette manière ? N’ai-je pas dès l’internat, parqué avec
les autres aux offices religieux, inventé des péchés ou des
négligences parés en récits d’épouvante pour pouvoir fuir vers le
confessionnal au fond de la chapelle, d’où, fier de mes histoires, je
revenais ragaillardi 44 ?

Le narrateur n’« existe » qu’en tenant compte des attentes du récepteur.


Or, quelle que soit sa sincérité, celui qui « se raconte » est toujours
soupçonné de nostalgie et de complaisance. On présume que ses regrets
vont embellir le passé, qu’il va se mettre en valeur, à tout le moins qu’il
s’exonérera de toute faute. On se garde de le croire sur parole. Pour
désarmer cette méfiance, l’écrivain n’a d’autre solution que de donner de
lui-même une image négative, dégradée. Qu’il plaide coupable en se
montrant faible, craintif, indécis, dépressif, méchant, ridicule, sans prise sur
les événements, et le lecteur sera enclin à le croire sincère.
Cette « suspension volontaire de l’incrédulité 45 » peut s’expliquer par
une sensation de plaisir. Les attitudes d’aveu, d’autocritique, d’autodérision
valent en effet actes de soumission envers le lecteur dont on sollicite la
bienveillance. Elles placent celui-ci dans une position avantageuse de
maître, de voyeur, de rieur, de juge ou de confesseur. Elles induisent et elles
miment une relation de type sadomasochiste que l’auteur est parfois amené
à dénoncer, mais que, bien souvent, il construit et encourage. J’étudierai
cette stratégie selon quatre axes : la médiocrité, la dépression, la confession
et le procès.

MÉDIOCRITÉ

La manifestation la plus bénigne de la dépréciation de soi est la


modestie, la conscience de sa propre médiocrité. La « modestie affectée »
était un topos familier aux orateurs judiciaires et politiques de Rome avant
de passer dans le domaine littéraire. Il figure au premier rang des méthodes
traditionnelles destinées à « rendre les auditeurs bienveillants, attentifs et
dociles 46 ».
Puisque « le vraisemblable est ce qui se produit d’ordinaire 47 », la
médiocrité du héros romanesque plaide pour la vraisemblance de son
personnage. Sa modestie, sa banalité, sa fragilité, inspirent confiance,
captent la bienveillance. Voilà qui le rapproche de la condition du lecteur :
un homme ou une femme ordinaire. Cette proximité crée les conditions de
phénomènes d’empathie tels que la compréhension, l’apitoiement,
l’indulgence, voire l’identification ou le transfert.
Cet antihéros va souvent envisager sa vie sous l’angle d’une désillusion
plus ou moins résignée. Ainsi la sagesse de ‘Dominique’ est-elle de
renoncer à tout succès, même en amour :

[…] celui en qui vous avez confiance n’émerveillera personne et


trompera, j’en ai peur, l’espoir obligeant de ses amis […] je n’ai
aucune ambition […] l’illusion ayant cessé, la jeunesse étant loin, je
verrai nettement qu’il faut en finir avec ces duperies. […] J’y vivrai
de l’admiration du génie ou du talent des autres, ce qui suffit
amplement pour occuper les loisirs d’un homme modeste qui n’est
pas un sot 48.
Le titre du second volet du récit de ‘Knut Pedersen’, Un vagabond joue
en sourdine, traduit bien le ton désabusé que Knut Hamsun prête à son
personnage. Errant sans but, il se sent, à cinquante ans, « devenir un vieil
homme qui a fait son temps » :

« Dire qu’il te faut toujours aller près d’une chute d’eau quand tu
veux chantonner », me dis-je d’un ton blessant – après quoi je ris de
49
moi-même. C’est par de telles puérilités que je tue le temps .

Dans L’Été de Nakamura Shin’ichirô, l’autodépréciation du narrateur


engendre une ironie mordante envers celui qu’il fut :

Parvenu à cette vérité on ne peut plus banale, j’eus l’impression


qu’il s’agissait là d’une éblouissante découverte 50.

Pour échapper au sentiment de leur médiocrité, certains usent de


substances euphorisantes ou, pour mieux dire, antidépressives. Certes, de
Quincey traite l’asservissement à l’opium avec un certain humour, Miller,
Kerouac, Bukowski considèrent rarement l’alcool ou la drogue comme un
problème. Mais Jack London 51, Kenzaburô Ôé 52, Pierre Michon 53 se
montrent en situation de dépendance aliénante. Ce type d’aveu porte
généralement sur une période révolue, ce qui le rend plus facile. Le récit
retrace, ou suppose, le rétablissement du sujet. Baudelaire reprochait
d’ailleurs à de Quincey d’avoir donné à ses Confessions un « dénouement
[…] artificiel », la désintoxication 54.
Le simple sentiment de l’ordinaire, la conscience des limites du « moi »,
il sera plus difficile d’en venir à bout. Certains auteurs parmi les plus
convaincants, John Fante, Peter Handke, François Nourissier, Paul Nizon,
excellent à inscrire dans le quotidien les différentes facettes de leur lucidité
sans complaisance. En analysant les déterminismes insidieux qui régissent
les comportements, en traquant les motivations égoïstes, en autopsiant les
frustrations, les petites lâchetés, les joies éphémères et les réussites inutiles,
ils tentent de détourner le discours du « je » de son pathos habituel. Ils
semblent suspendre tout dessein démonstratif pour se concentrer sur
quelques détails significatifs. Ce faisant, ils substituent évidemment une
rhétorique à une autre. Ils inventent un nouveau code réaliste pour nous
persuader de leur aptitude à traduire le réel sans concession au romanesque.
Cependant, leurs récits ont besoin d’une intrigue. C’est pourquoi le discours
de la médiocrité annonce souvent le drame de la dépression qui, lui, ouvre
un scénario.

DÉPRESSION

Le terme de « dépression » a conquis, depuis 1900, la quasi-totalité du


champ sémantique qu’occupait au siècle précédent le mot « mélancolie ».
Cette substitution s’est opérée simultanément dans la nosographie
psychiatrique et dans le langage courant. Cependant, il s’en faut de
beaucoup que la dépression bénéficie des mêmes connotations littéraires
que le mal saturnien. Le Moyen Âge et la Renaissance se fondaient sur
Galien et le pseudo-Aristote pour imputer la folie créatrice des grands
artistes à l’influence de la bile noire. Puis les poètes romantiques ont remis
cette affection à l’honneur. Native, fatale, stagnante, incurable, elle a
longtemps inspiré le chant élégiaque du mal de vivre. Cependant, étant à la
fois un état et un destin, elle ne se mettait pas en récit, en intrigue. La
dépression, au contraire, se prête à la narration dans la mesure où elle a un
commencement et une fin, où elle évolue à travers des phases d’abattement
et d’euphorie, et où elle peut se soigner, précisément, par le récit 55.
Frappés de « la maladie du siècle 56 », ‘René’, ‘Adolphe’, ‘Oberman’,
‘Joseph Delorme’, ‘Octave’, ‘Dominique’ n’avaient d’autre histoire que
celle de leurs hésitations à vivre et à s’engager. Il suffisait que le
protagoniste se campât en antihéros et retraçât à la première personne une
expérience continûment décevante pour que le lecteur fût tenté de
l’identifier à l’auteur. Pour limiter ce risque, Rousseau et Goethe avaient
choisi une forme épistolaire, Chateaubriand et Fromentin situèrent leur récit
dans un cadre fictionnel, Constant et Senancour recoururent à la convention
du document anonyme, Musset surchargea son histoire de péripéties
romanesques. Ce ne fut pas suffisant pour calmer la « fureur de
reconnaître » qu’ils redoutaient et dont ils se plaignirent. Mais ils n’avaient
sans doute pas d’autre possibilité pour nous transmettre en prose leur
expérience de la « mélancolie » que d’adopter un registre ambigu.
Le Romantisme liait volontiers la mélancolie à une incapacité à assumer
sa sexualité. Ainsi ‘René’, ‘Oberman’, ‘Louis Lambert’ et leur lointain
avatar ‘André Walter’ sont-ils condamnés au célibat. Par là, ils prennent une
stature de héros romanesques, purs, inadaptés au monde. Plus tragique
encore est le destin de ceux que la folie va terrasser.
Les affections que le langage courant taxe de folie se distinguent de la
mélancolie/dépression par l’inaptitude croissante du sujet à se conduire
rationnellement, par ses difficultés à communiquer avec autrui et par son
« impression d’être soumis à une volonté étrangère 57 ». Les textes du
e
XIX siècle qui donnent la parole à un individu atteint de folie, par exemple

Le Journal d’un fou 58, Les Carnets du sous-sol 59, Le Horla 60, commandent
en principe une réception fictionnelle dans la mesure où l’aliénation
psychotique du narrateur semble incompatible avec la pratique de l’écriture.
Gogol, Dostoïevski et Maupassant utilisent la forme du faux journal pour
forcer le trait romanesque et organiser la progression dramatique de la
crise 61. Le lecteur doit par conséquent recourir à des informations
biographiques externes pour repérer dans ces textes ce qui relève de leur
expérience personnelle.
Knut Hamsun emploie les mêmes procédés pour se dissocier du
narrateur de La Faim en le dotant de pulsions autodestructrices et
fantasmatiques probablement fictionnelles. Là encore c’est l’absence de
tout commentaire rationalisant qui assure au récit son « inquiétante
étrangeté » : le héros s’enfonce inéluctablement dans son délire solitaire. Le
point de vue rétrospectif adopté par Andreï Biély pour ses Carnets d’un
toqué lève cette ambiguïté. En situant résolument l’expérience de la folie
dans un passé révolu et analysable, il prend un parti référentiel qui rejoint la
veine de De Quincey et des récits de dépression.
Le roman autobiographique a hérité du Romantisme, non le mot,
affaibli, désuet, mais la thématique de la mélancolie. Certes, ‘Loti’ n’est
guère sujet à la dépression 62, mais ‘Durtal’, chez Huysmans, la côtoie 63,
tout comme ‘Knut Pedersen’ chez Hamsun 64 ; ‘André Walter’ s’y complaît
et elle conduit sans doute ‘Martin Eden’ au suicide :

Je suis malade, très malade, dit-il avec un geste de désespoir. Je


m’en aperçois seulement maintenant. Quelque chose s’est éteint en
moi. La vie ne m’a jamais fait peur, mais je ne pensais pas qu’un
jour elle me lasserait. Non, je n’aurais pas cru ça, moi qui l’ai tant
65
aimée. Je suis vidé de tout désir .

Dans le Journal de ‘Barnabooth’, Larbaud ajoute une dimension


ironique et autodépréciative au discours dépressif :

Je pourrais bien me mettre debout devant une des glaces de mes


salons et me gifler à tour de bras pendant une heure. À quoi bon ?
Cela n’exprimerait pas la millième partie de mon mépris pour moi-
même. Sans désir, sans passion, sans volonté, le groin dans l’auge…
Où est ma vie d’homme libéré 66 ?

Le narrateur proustien, pour sa part, affecté d’une mystérieuse maladie


nerveuse, culpabilisé par la mort de sa grand-mère 67, poursuivant des
amours vénales, doutant de ses capacités, semble bien se défendre de la
dépression par l’écriture. Mais il revient sans doute à Rilke d’avoir
renouvelé, si ce n’est inventé, la fonction de la dépression dans le récit
autodiégétique. D’abord, ‘Malte Laurids Brigge’ considère sa « peur »
récurrente comme une maladie courante, polymorphe, que les médecins
sont encore incapables d’identifier et de soulager :

Et par surcroît maintenant cette maladie, qui m’a toujours atteint


d’une si étrange manière. Je suis convaincu qu’on la sous-estime.
Tout comme on exagère la signification d’autres maladies. Cette
maladie n’a pas de caractères propres, elle prend les caractères de
celui qu’elle attaque. Elle va chercher en chacun avec une sûreté de
somnambule le péril qui le menace au plus profond de lui-même, un
péril qui semblait révolu et qu’elle fait resurgir, tout près de lui,
68
dans l’heure la plus proche .

Ensuite, il est convaincu que cette affection remonte à l’enfance et


qu’elle aurait pu être soignée si elle avait été reconnue à temps. C’est
pourquoi, au contraire de Proust, qui privilégie la « mémoire involontaire »,
Rilke recherche sciemment l’origine et la résolution des angoisses du
personnage dans son vécu infantile et dans l’histoire de sa famille. Cette
démarche étiologique, influencée par les théories freudiennes, détermine la
structure de va-et-vient entre enfance et âge adulte qui caractérisera le
roman de la dépression après 1945.
Quel point commun entre Albert Camus, John Fante, Philip Roth,
Violette Leduc, Mishima, Marie Cardinal, Henry Roth, Serge Doubrovsky,
si ce n’est leur détermination à expliquer et combattre la dépression par
l’exploration du passé ? Leurs textes à dominante autobiographique
invoquent, à l’appui de leur authenticité, les résistances qu’il a fallu vaincre
pour amener au jour certains souvenirs, la souffrance inhérente à leur
gestation et, finalement, la fonction réparatrice de l’écriture. Leurs livres
prétendent ainsi transcender le niveau esthétique pour donner une leçon de
développement personnel.
Ce schéma ne recouvre pas tous les cas de figure. Thomas Bernhard, par
exemple, n’assigne aucun dessein thérapeutique à ses « observations » sur
le passé. Chez lui, le désespoir reste un destin insurmontable, au même titre
que la dégradation physique. Tout aussi insurmontables apparaissent
l’angoisse causée par l’approche de la mort chez Hervé Guibert ou la
menace constante de la déportation dans le livre de Jiri Weil 69.
Au contraire, le divorce dans La Séparation 70, ou dans La Vie exagérée
de Martin Romaña 71, la naissance d’un enfant anormal dans Une affaire
personnelle 72, le voyage dans Immersion 73, ne sont que difficultés
passagères, d’origine externe, qui pourront être surmontées sans qu’il soit
nécessaire de remonter à l’enfance. Le récit se prive alors d’un des traits
caractéristiques de l’autobiographie, puisque le narrateur renonce à
reconstituer « l’histoire de sa personnalité 74 ». Il se borne à relater une
expérience limitée dans sa durée en adoptant, selon le cas, une structure de
journal (première personne et présent) ou de fiction (troisième personne et
passé simple) qui tend à déréaliser le personnage.
Dans tous les cas, la dépression est liée à un profond sentiment d’échec.
Cet échec résulte d’une disjonction entre les rêves, les projets, les certitudes
du passé et la réalité subie ensuite par le personnage. Ce scénario universel
de la désillusion est régi par une dialectique fiction/réel. Mis en récit, il
confère au narrateur une position dominante par rapport au héros irréaliste.
Le lecteur est appelé à reconnaître dans le renoncement à l’imaginaire un
effort de lucidité.
Mis en échec, le personnage dépressif va subir une stratégie de dérision
ou de dramatisation. La dérision consiste généralement à placer le
personnage dans des situations burlesques qui échappent à son contrôle et le
ridiculisent. Queneau dans Odile 75, Roth dans Portnoy et son complexe,
Fante dans La Route de Los Angeles 76, ou encore Bukowski constamment,
exploitent cette veine. À leurs risques et périls, puisqu’il suffit, ainsi que l’a
expérimenté Philip Roth, que l’intention auto-ironique échappe au lecteur
pour qu’il ait une opinion négative de l’auteur.
La stratégie de dramatisation est plus productive, car, d’une part, elle
préserve la possibilité d’identifier le protagoniste à l’auteur et, d’autre part,
elle ouvre un champ plus large à la scénarisation. Les deux variantes que je
vais envisager ici, en raison de leur large diffusion, sont fondées sur la
culpabilité et l’aveu du héros. Cela ne signifie pas que tous les romanciers
autobiographes attestent de leur sincérité en plaidant coupable, pas plus
qu’ils ne se prétendent tous dépressifs ; il y a d’autres positions rhétoriques,
plus avantageuses, qui seront examinées par la suite.

CULPABILITÉ

Entre le constat d’échec et l’aveu de culpabilité, l’écart est


considérable : alors que la dépression ordinaire provoque une stagnation qui
étouffe la narration, la culpabilité s’inscrit dans un processus, une évolution,
dont le récit peut faire son miel. Leur différence tient aussi à leur mode de
communication : le lamento de l’échec n’exige pas de réponse, tandis que la
culpabilité ne se résout que dans une procédure d’échange, une transaction.
Freud a montré que le phénomène de la culpabilité résulte d’un clivage
et d’un conflit internes :

[…] le sentiment de culpabilité normal, conscient […] repose sur la


tension entre le Moi et l’Idéal du Moi et il est l’expression d’une
condamnation du Moi par son instance critique 77.

Dans un récit, où tout procède d’une détermination événementielle,


l’irruption de la culpabilité s’explique par la remémoration d’un fait
honteux. Cette révélation est souvent consécutive à un choc qui provoque le
retour du refoulé et la réactivation d’une blessure narcissique ancienne.
L’intrigue relate ensuite la résolution de cette crise par un processus de
réconciliation du « Moi » archaïque avec le « Surmoi » culturel. Ce « lieu »
de la culpabilité permet donc de communiquer au lecteur un sentiment de
souffrance stratifié : la culpabilité fait mal, le choc fait mal, le souvenir
honteux fait mal et la narration est là pour relier la souffrance actuelle à la
douleur ressentie jadis.
Comme le montre Philippe Lejeune à propos d’un passage des
Confessions 78, le « je », en tant que narrateur, escompte des bénéfices de
cette souffrance alléguée. D’abord, il peut re-sentir le plaisir lié à la
transgression en réactualisant l’impulsion qui a provoqué son acte. Mais,
surtout, il se montre en plein travail de sincérité, luttant pour parvenir à une
totale transparence à lui-même et à l’autre. Aveu et repentance le rachètent,
réparent son narcissisme, prennent valeur d’exemple. Sa capacité de retour
sur soi, sa rigueur morale désarment la méfiance du lecteur dont il usurpe la
position critique. En affrontant son passé, il renforce son identité.
Cette démarche s’appuie sur une longue tradition culturelle. Jean
Delumeau a retracé comment la prédication religieuse, s’adressant dès
avant la Renaissance à l’individu plutôt qu’à la collectivité, a développé un
« sentiment nouveau de la culpabilité personnelle » qui a entraîné une
véritable « inflation de la confession 79 ». Parallèlement, l’institution
judiciaire s’inspirait des tribunaux d’inquisition pour mettre au centre de ses
procédures l’obtention de l’aveu. Au XXe siècle, la psychanalyse a élaboré
une nouvelle théorie de la culpabilité et un nouveau rituel d’aveu à des fins
thérapeutiques. J’examinerai tour à tour comment ces trois modèles,
confession, cure et procès, ont informé le roman autobiographique ; le
troisième, qui permet le plus souvent de se défendre et de contre-attaquer,
sera étudié dans le paragraphe consacré aux lieux de combat.
Selon Georges Gusdorf, un autre outil d’introspection, et de
surveillance, a frayé la voie à l’expression littéraire du moi : le journal
spirituel, dont la pratique s’est développée aux XVIIe et XVIIIe siècles dans les
milieux « piétistes » 80. Mais cet exercice, même s’il a favorisé la diffusion
du journal intime, n’a exercé qu’une influence limitée sur le roman. Enfin je
laisserai de côté un dernier modèle qui n’a pas encore, à ma connaissance,
fait l’objet de recherches littéraires : l’autocritique imposée à la victime
d’un régime totalitaire 81.

CONFESSION
La théorie qui sous-tend la pratique de la confession assigne à l’aveu
une fonction de catharsis : l’effort de sincérité purge le sujet de son mal,
dire sauve. Lorsqu’il retrace un cheminement de ce type à la première
personne, l’auteur suffisamment habile semble accomplir ce travail en
même temps qu’il le représente. Le lecteur croit alors assister, et participer
en tant que destinataire, à un véritable processus de libération par l’aveu
autobiographique.
Bien entendu, le romancier ne reproduit jamais le rituel avec
exactitude : il le mime, il le narrativise, il le dramatise de façon à l’adapter à
son dessein. Ainsi, Chateaubriand transporte le dispositif de la confession
dans une scénographie grandiose : ‘René’ ne s’adresse pas tant au prêtre et
au père adoptif qui l’écoutent qu’au « tableau d’une inconcevable
grandeur » qui lui tient lieu de confessionnal. Il ne prend d’ailleurs pas la
posture du pécheur en quête de rachat : s’il avoue ses faiblesses, ses pensées
incestueuses et une tentative de suicide, il estime avoir déjà « été trop
puni » par ses souffrances. Son récit ne requiert pas le pardon de ses
auditeurs, mais simplement leur compassion.
Dans les romans de Constant, le narrateur, manifestant rarement un
sentiment de culpabilité, se situe plus loin encore de la repentance. Le
lecteur est pourtant gagné par l’impression que le texte est écrit sous la
pression du remords :

[…] je n’étais qu’un homme faible, reconnaissant et dominé ; je


82
n’étais soutenu par aucune impulsion qui partît du cœur .
[…] je repassais dans ma mémoire la longue suite d’inconséquences
dont je m’étais rendu coupable ; je me reprochai le malheur de deux
femmes qui, chacune à sa manière, m’aimaient sincèrement. […]
J’invoquais le Ciel pour me diriger. Tout ce que je souffrais n’avait
83
eu d’autre cause que ma volonté .

Du cadre religieux ne subsiste ici que la référence au « Ciel », entité qui


« dirige », peut-être, mais ne sanctionne point. Si le narrateur admet avoir
commis une faute, c’est plutôt au sens d’erreur tactique (des
« inconséquences ») que d’infraction morale. Il brandit lui aussi sa douleur
(« tout ce que je souffrais ») et la crainte de faire souffrir pour expliquer sa
veulerie. Son récit tient davantage de la plainte et du plaidoyer que de la
confession. L’auteur se désolidarise de ce narrateur par le biais de l’ironie,
c’est-à-dire en laissant entendre au lecteur le contraire de ce qu’il prétend :

Que n’ai-je pas fait pour Ellénore ? Pour elle j’ai quitté mon pays et
ma famille […] tant de sacrifices faits sans devoir et sans amour ne
prouvent-ils pas ce que l’amour et le devoir me rendraient capables
de faire ? Si je crains tellement la douleur d’une femme qui ne me
domine que par sa douleur, avec quel soin j’écarterais toute
affliction, toute peine, de celle à qui je pourrais hautement me vouer
sans remords et sans réserve ! Combien alors on me verrait différent
de ce que je suis 84 !
C’est au conditionnel, en imagination, fictionnellement, qu’‘Adolphe’
se disculpe. Est ainsi contestée la possibilité même de la confession, de la
bonne foi et du repentir : ni l’aveu, ni le récit, ni l’introspection ne sont
d’aucun secours au narrateur pour sortir d’une « situation » qui, selon le
mot de Constant dans sa préface, est « toujours la même ».
Les Confessions d’un mangeur d’opium et La Confession d’un enfant du
siècle consacrent l’annexion du terme, désormais laïcisé, par la littérature.
Le ‘mangeur d’opium’ témoigne d’une aliénation mais ne plaide pas
coupable. Il se disculpe en invoquant son enfance malheureuse et ses
problèmes de santé, c’est-à-dire en reconstituant l’enchaînement des causes
et des effets qui l’a conduit à la dépendance.
Musset, qui, bien avant Baudelaire, avait traduit de Quincey 85, utilise le
terme de « confession » dans la même acception de Mémoires, témoignage
et plaidoyer. Il concède pourtant quelques références à la religion et
l’expression épisodique d’un sentiment de culpabilité. Ainsi, ‘Octave’, qui
s’est d’abord posé en victime d’une conjoncture historique défavorable,
finit par reconnaître ses torts :

86
N’étais-je pas coupable au-delà de toute expression ?
87
J’en vins bientôt à me montrer méchant .
Faire le mal ! tel était donc le rôle que la Providence m’avait
88
imposé. Moi, faire le mal !
Et tu ne te crois pas coupable ? me demandais-je avec horreur. […]
Et toi, Jésus, qui l’as sauvée, pardonne-moi 89.

Mais l’appel contrit à la transcendance n’intervient que comme un


ingrédient sentimental et conventionnel du roman d’amour.
Au XXe siècle, la confession est généralement décrite par les écrivains
d’origine catholique comme un lieu pervers d’inquisition, un contre-modèle
de la véritable sincérité. Dans la partie centrale du Portrait de l’artiste en
jeune homme, ce simulacre de communication met ironiquement en abyme
le travail de rétrospection poursuivi par Joyce pendant dix ans. ‘Stephen’
cherche à soulager sa culpabilité, mais, loin de le libérer, l’aveu le plonge
dans une crise religieuse épuisante et stérile :

Une sensation inquiète de culpabilité l’accompagnerait toujours ; il


se confesserait, se repentirait, obtiendrait l’absolution, il se
confesserait et se repentirait à nouveau, obtiendrait une nouvelle
absolution – toujours en vain 90.

Les thèmes de la culpabilité et de la confession reviennent comme des


leitmotive dans les premières œuvres de John Fante. Les narrateurs de
Demande à la poussière 91 et de la nouvelle intitulée La Colère de Dieu 92
vont jusqu’à attribuer le déclenchement d’un tremblement de terre à l’excès
de leurs péchés. Cette sanction tellurique les pousse à reprendre, pour un
temps, les pratiques religieuses de leur enfance. L’évocation de l’angoisse
sécrétée par la culpabilité donne à ces textes une couleur de vérité, de vécu.
Dans Pleins de vie, quelques années plus tard, la religion sera traitée sur un
mode carrément burlesque. Enceinte, la femme du narrateur se convertit
puis tente de ramener ‘John Fante’ et son père dans le giron de l’Église.
Mais tout sentiment de culpabilité leur est désormais étranger :

Je n’éprouvais aucune contrition. Je ne regrettais rien. Le bien et le


mal, je m’étais délecté des deux. L’absolution de ce prêtre semblait
absurde. […] Comment confesser un acte ou une pensée que l’on ne
regrette pas 93 ?

Même s’il n’est plus guère représenté, le rituel de la confession a sans


doute imprégné, jusqu’à nos jours, une large part de la production narrative
autodiégétique. Jack Kerouac, par exemple, a reconnu qu’il avait
profondément subi son influence :

Je vous le dis franchement, Messieurs, ma pratique narrative prend


ses racines dans mon enfance catholique et dans mon expérience du
confessionnal. Je croyais devoir ne retenir quoi que ce soit par-
devers moi, dissimuler le moindre détail au prêtre était un péché 94.

Et Peter Handke fait dire au narrateur d’Histoire d’enfant, qui vient de


frapper sa fille :

C’est seulement dans la contrition d’une défaillance ou d’une faute


où, magnétiques, les yeux s’ouvrent que ma vie s’amplifie jusqu’à
l’épopée 95.

Autrement dit, l’écriture de soi ne dispose pas d’autre levier que l’aveu
pour magnifier un récit.

CURE

Si le contexte religieux tend à disparaître du roman autobiographique


contemporain, la stratégie de l’aveu intime non seulement s’y maintient
mais s’y développe. La théorie freudienne a incontestablement joué un rôle
dans cette évolution. D’abord, comme l’a montré Philippe Lejeune, en
justifiant et en problématisant le récit d’enfance :

en accordant une place décisive aux premières années de la vie, elle


a apporté à ce type de récit une légitimation scientifique. […] On
retient de la psychanalyse qu’elle dit que tout (ou beaucoup) se joue
dans les premières années, en oubliant qu’elle a pu aussi montrer
combien ces premières années sont difficiles à connaître 96.

La psychanalyse a enjoint de lever les censures qui pèsent sur la


mémoire afin de laisser remonter les souvenirs au niveau conscient. L’aveu
ne répond donc plus à une exigence de l’au-delà mais relève d’une hygiène
thérapeutique nécessaire pour vivre ici-bas en bonne harmonie avec soi-
même et avec les autres. Explicitement ou non, les romans
autobiographiques du XXe siècle qui s’organisent autour de la révélation
d’un secret honteux sont sous-tendus par cette nouvelle idéologie de l’aveu.
Ils racontent en fin de compte comment la fiction (tabous, refoulement,
souvenirs-écrans, déplacements, condensation, roman familial) a été
déjouée au profit du réel. En hypostasiant la vérité, ils feignent de renoncer
au roman et à ses pompes.
Rares, pourtant, sont les textes qui utilisent explicitement la situation de
cure comme lieu de l’aveu. Pour une raison très simple :

[…] l’analyse cela ne peut pas s’écrire. Il faudrait des milliers de


pages répétées pour exprimer interminablement le rien, le vide, le
vague, le lent, le mort, l’essentiel, le parfaitement simple 97.

La narratrice de Marie Cardinal ne raconte donc pas les séances sur le


divan, mais son évolution concomitante et l’enfance qu’elles ont
réactualisée. Philip Roth, quant à lui, retrace bien les entrevues de
‘Portnoy’ 98 et de ‘David Kepesh’ 99 avec leur thérapeute respectif, mais dans
un registre parodique. Le premier cède à une logorrhée inextinguible, le
second ne trouve d’autre réconfort auprès du ‘Dr Klinger’ qu’une
prescription de médicament « antidépressif ». Si le ‘docteur’ de Portnoy
reste muet jusqu’à la dernière ligne, le dialogue du héros et du thérapeute,
dans Professeur de désir, se réduit à des propos aigres-doux, trahissant leur
défiance réciproque, sans aucun effet curatif. Cette hostilité à l’égard de la
psychanalyse se retrouve chez Nabokov évoquant « le charlatan viennois et
ses apôtres 100 » et chez Boudjedra :

Elle s’était mis en tête qu’elle était capable d’éclairer, voire de


cristalliser, beaucoup de mes pensées, de mes actes jusqu’à arriver
au centre du nœud névrotique, au noyau dur derrière lequel courent
tant de psychanalystes, mais en vain ! Tant il est fuyant,
101
inattrapable, inatteignable !

Malraux reconnaissait au contraire, en introduction au Miroir des


limbes, que le psychanalyste disposait d’une puissance d’investigation
supérieure à celle du romancier :

[…] les aveux du mémorialiste le plus provocant sont puérils en


face des monstres qu’apporte l’exploration psychanalytique 102.

Si l’on en croit la presse de l’époque, Céline aurait déclaré en 1933 :

Notre grand maître actuellement à tous, c’est Freud 103.

Et aussi :

La littérature doit être en avant de la psychanalyse et non en


arrière 104.

Ces interviews témoignent, en tout cas, de l’intérêt des médias d’avant-


guerre pour la confrontation entre roman et psychanalyse.
Initialement, Serge Doubrovsky fondait sa pratique de l’autofiction sur
« l’expérience de l’analyse 105 ». Fils 106 se structure effectivement autour de
séances de cure et d’analyses de rêves. Ces éléments ne sont pas cités dans
le texte du roman à titre de documents, mais narrativisés, fictionnalisés,
intégrés au monologue éminemment littéraire de ‘Doubrovsky’. Le
personnage de l’analyste, nommé ‘Akeret’, y est confiné dans une posture
de sphinx énigmatique, de référent, de caution. Il garantit la sincérité du
patient, la profondeur de ses investigations, la pertinence de ses
« analyses ». Mais, désincarné, il subit la loi du romancier. La sourde
rivalité qui les oppose a trouvé son double épilogue dans le réel lorsque le
véritable docteur Akeret a consacré une étude au cas Doubrovsky, et que ce
dernier, dans Laissé pour conte 107, a mis cette réciprocité sur le compte
d’une jalousie d’écrivain raté.
Mis à part le récit apologétique de Marie Cardinal, l’attitude du
narrateur romanesque vis-à-vis du psychanalyste oscille entre l’ambivalence
et la franche opposition. Elle trahit une sorte de rivalité que les praticiens
imputent généralement au narcissisme du sujet. La capacité de résistance à
la cure du névrosé narcissique a été comparée par Freud à un mur de pierre.
D’après Herbert Rosenfeld, ce type de patient tend à s’attribuer « la
possession de l’analyste » et « ainsi le mérite de toutes les interprétations
satisfaisantes de l’analyste », ce qui « lui permet de renforcer, pendant la
séance, le sentiment de sa propre valeur et de son importance » 108. Qu’il
raconte ses entrevues avec un thérapeute, qu’il dénie sa compétence ou
qu’il prétende (comme Freud lui-même) s’auto-analyser, le narrateur-
écrivain s’empare effectivement de la position de l’analyste. Soit il
subordonne ce personnage à sa stratégie narrative, en le tournant volontiers
en ridicule, soit il l’évacue complètement pour assumer simultanément les
fonctions d’anamnèse et d’interprétation, laissant au lecteur une place
d’auditeur mutique.

LIMITES
Je nommerai « aveux limites » les révélations intimes qui « passent les
bornes » en ce sens qu’elles franchissent trois lignes de démarcation. Une
limite morale lorsque le fait avoué implique une infraction au code éthique
commun au lecteur et à l’auteur. Une limite psychique dans la mesure où
cette action est le symptôme d’une névrose : « limite » prend alors le même
sens que l’anglais border (frontière) dans le mot borderline, qui caractérise
un état proche de la folie. Une limite générique enfin, dès l’instant où l’aveu
trouble le lecteur, encourage et, en même temps, rend douteuse
l’identification de l’auteur au héros. Il donne au personnage une dimension
supplémentaire, inquiétante, extra-ordinaire, potentiellement romanesque et,
simultanément, il rattache le texte au paradigme référentiel de la confession.
L’aveu-limite vise à produire un effet frappant en transgressant les
conventions qui régissent la société et la littérature. Il saisit le lecteur en
perturbant ses repères éthiques aussi bien que génériques. D’autant plus que
cette confession n’est pas suivie de contrition, de punition, de pénitence.
Elle s’inscrit au contraire dans un rapport marchand aux termes duquel le
coupable vend ses aveux. En donnant au « mal » l’onction du beau, il
transforme la faute en fête du langage. Convié à cette fête, le lecteur
applaudit au coup de force spectaculaire et jouit de sa propre complicité.
Mais, simultanément, le scandale de l’aveu mine la fiabilité de l’auteur, met
à mal son èthos, risque de le disqualifier en tant qu’interlocuteur. Il
demande pourtant à être pris au sérieux, précisément, parce qu’il joue sa
crédibilité dans l’affaire, parce qu’il se met en déséquilibre sur cette limite
où l’ambiguïté est portée à son comble.
On ne sera pas étonné que la plupart de ces aveux aient trait à la vie
sexuelle, d’une part, et à la vie familiale d’autre part. Ce sont, par
excellence, les lieux de l’intimité, de l’affect, du tabou et parfois de sa
transgression ; les lieux, également, où se construit l’individu, où s’élabore
son langage. À l’intersection de ces lieux se trouve l’inceste, dont la
prohibition, ainsi que l’ont montré Freud, Lévi-Strauss et Lacan, fonde
toute culture et toute maturation affective. René raconte essentiellement un
amour scandaleux entre frère et sœur. Le ‘Père Souël’ ne s’y trompe pas :

Mais quelle honte de ne pouvoir songer au seul malheur réel de


votre vie, sans être forcé de rougir ! […] Votre sœur a expié sa
faute ; mais […] je crains que, par une épouvantable justice, un aveu
109
sorti du sein de la tombe n’ait troublé votre âme à son tour .

Entraîné à décrypter les confessions, le prêtre ne retient du récit que le


désir scandaleux de l’inceste. À ce père sévère fait pendant le père adoptif,
« aimable » et maternel, qui presse ‘René’ «dans ses bras 110 » en pleurant
puis l’apaise par une parabole aquatique.
Tout aveu postule au fond cette double réception de condamnation et de
compassion, ou, en termes théologiques, de damnation et de pardon.
L’aveu-limite souligne souvent ce clivage par une disjonction temporelle et
spatiale. Chez Marguerite Duras, par exemple, les relations de ‘la petite’ et
de ‘l’amant’, qui étaient scandaleuses dans l’Indochine des années 1930,
peuvent aujourd’hui fournir un scénario de « roman populaire » et de film à
l’eau de rose 111. Mais l’histoire ne prendra sens, et n’obtiendra de succès,
qu’en excipant d’une part de son origine autobiographique, d’autre part de
son caractère de transgression, donc en postulant, en l’absence du père, un
spectateur censeur. Dans L’Amant de la Chine du Nord, l’auteur relance
habilement la compétition entre les deux types de réception en attribuant à
‘l’enfant’ une attirance homosexuelle pour son amie ‘Hélène Lagonelle’ 112
et, de surcroît, une relation incestueuse avec son « petit frère adoré » 113.
Contrairement au souvenir de ‘l’amant’, sans cesse rebrodé, ce dernier aveu
n’est ni développé ni expliqué. Traité en épisode accessoire, mais lourd de
non-dit, il déroute le lecteur. Libre à lui de négliger ce détail ou de replacer
toute l’histoire dans cette nouvelle perspective.
À l’inverse, Henry Roth a consacré quatre volumes à la confession
exhaustive des relations incestueuses de son héros, ‘Ira Stigman’, avec sa
sœur, ‘Minnie’. Le destinataire de la confession y est un ordinateur. Capable
de dialoguer avec ‘Ira’, cet appareil le pousse aux aveux. Le souvenir
douloureux, annoncé et repoussé dans le premier tome, envahit le second
sans que la culpabilité du narrateur ne s’apaise :

À cet instant même, je peux […] souhaiter avec ferveur n’avoir


jamais existé 114.

Puis elle redouble quand ‘Ira’ évoque son projet de meurtre de


‘Minnie’, soupçonnée d’être enceinte de ses œuvres 115. Pour Régine Robin,
Henry Roth a retiré de sa confession romancée un sentiment de
« réconciliation avec la vie au seuil même de la mort par la création enfin
retrouvée 116 ». Un tel travail de catharsis ne laisse guère de doute au lecteur
quant à la sincérité de l’écriture. Mais, si l’on y regarde de plus près, le
dédoublement du narrataire n’est pas étranger à cette impression.
L’ordinateur, nommé « père Ecclésias 117 », figure le père sévère qui exige
les aveux et se refuse à plaindre le pénitent :

– […] le non-dit et l’imprononçable doivent être dits et prononcés,


et le tabou brisé et ignoré. Ça s’est passé durant des mois et des
années.
Je l’ai parfaitement compris 118.

L’auteur n’attend pas du lecteur qu’il s’identifie à un ordinateur. Aussi


lui propose-t-il un autre modèle de réception : l’épouse du narrateur,
désignée par la lettre ‘M.’ (comme Mummy ou Mother), une musicienne
totalement bienveillante et compréhensive.
Le thème de l’inceste avec le père ou la mère est plus rare, sans doute
parce que son aveu relève davantage du témoignage brut ou de l’exposé de
cas psychopathologique que de la fictionnalisation. ‘Portnoy’, par exemple,
déjoue les innocentes manœuvres de séduction de sa mère et admet ses
« fantasmes incestueux » sans envisager sérieusement le moindre passage à
l’acte 119. Avec Interview puis L’Inceste, Christine Angot 120 a repoussé la
limite de l’aveu littéraire au risque, calculé, de choquer. Cependant,
l’énonciation et sa rhétorique de la séduction restent du côté de la victime
qui se libère en dénonçant. Verra-t-on dans les kiosques le roman du
coupable ? Actif, le désir d’inceste peut se reporter sur la seconde femme
du père, chez Rezvani 121 et chez Boudjedra 122 par exemple, mais la rivalité
est alors source de fierté plutôt que de honte.
L’aveu-limite divise le public. Il provoque la réprobation du lecteur
censeur tout en plaidant sa légitimité auprès du lecteur libéral, tolérant. Et il
porte un message fraternel à celui qui a partagé une expérience similaire. La
masturbation est ainsi considérée par Philip Roth 123, Chraïbi 124,
Doubrovsky 125, comme une étape normale dans l’évolution sexuelle du
garçon. Son effet pernicieux provient uniquement de la culpabilité qu’y
attachent les « pères sévères ». Il en va de même de l’homosexualité
infantile (gaiement suggérée par la ‘Claudine’ de Colette, subie chez Ben
Jelloun 126, oubliée par ‘Hervé Guibert’ 127), ou de la visite initiatique au
lupanar (chez Joyce 128, chez Fante 129, chez Claude Simon 130). L’évocation
de ces souvenirs troubles atteste que le narrateur ne cache rien au lecteur,
qu’il se situe maintenant au-delà des conventions morales en vigueur à
l’époque, qu’aucune fausse pudeur ne censure sa mémoire. Elle instaure
entre l’émetteur et le « bon » récepteur un climat de confiance, de
camaraderie, de complicité.
Ce besoin de communication est plus prégnant lorsque l’aveu-limite se
rapporte à une situation qui perdure au moment de l’énonciation. Le récit
rétrospectif est alors motivé par la recherche des origines d’une souffrance
persistante. L’effort du ‘masque’ de Mishima pour comprendre et
« accepter » son homosexualité est exemplaire à cet égard 131. ‘Hervé
Guibert’ et ‘Yves Navarre’ 132 ont dépassé, sur ce point, le stade de la
culpabilité mais restent conscients d’appartenir à une minorité. Tant qu’il
expose à être insulté, ne serait-ce que par un seul « mauvais » lecteur, cet
aveu d’un personnage identifiable à l’auteur manifeste un certain courage
autobiographique qui force la confiance des « bons » lecteurs.
Le meurtre, le vol, l’abandon d’enfant sont plus rarement confessés que
l’inceste ou l’homosexualité. Dans Tropique du Capricorne, ‘Henry Miller’
s’accuse d’avoir provoqué la mort d’un camarade de jeu lors d’une
« bataille de pierres 133 ». Et les Mémoires sauvés du vent de Richard
Brautigan sont centrés sur un drame comparable survenu au narrateur à
l’âge de douze ans 134. Dans Un adolescent d’autrefois, ‘Alain Gajac’ est
accusé par sa mère d’être responsable de la mort de ‘la petite Séris’ qui était
amoureuse de lui 135. Abcès de fixation de la culpabilité, ces hypothèses de
meurtres impunis semblent fabriquées pour resserrer, en la dramatisant, une
trame biographique un peu lâche.
Bien qu’il « chante » les « criminels 136 », Jean Genet a trop connu les
prisons, « pleines de bouches qui mentent 137 », pour s’accuser à la légère
d’assassinat. S’il revendique hautement des agressions, des vols, de la
prostitution, c’est pour les ennoblir, après prescription, par un langage qui
les exalte. Comme l’a vu Sartre, ses aveux glorieux entrent dans une
stratégie un peu perverse à l’égard du « bon » lecteur dont « la conscience
[…] se rapprochera singulièrement de celle d’un amant 138 », tantôt séduit,
tantôt rejeté.
La cruauté, la trahison, Genet n’est pas le premier à les avouer en gage
de sincérité. Constant, Musset se représentent en tourmenteurs de celles
qu’ils aiment ; ‘Loti’ abandonne à leur sort les femmes qu’il a séduites ou
achetées 139 ; à l’âge de sept ans, ‘Henri le Vert’ fait lourdement punir des
garçons plus âgés en les accusant de forfaits imaginaires 140 ; le héros de La
Faim sait faire preuve de la plus sournoise méchanceté 141, tout comme
certains personnages de John Fante 142 ; chez Henry Roth et Peter Handke, il
arrive au père narrateur de battre son enfant 143 ; le héros d’Une affaire
personnelle de Kenzaburô Ôé est tenté de laisser mourir le sien qui est
malformé 144 ; et celui du Neveu de Wittgenstein a abandonné son ami :

Je n’ai pas un bon naturel. Je n’ai tout simplement aucune bonté. Je


me suis écarté de mon ami, tout comme ses autres amis, parce que,
145
tout comme eux, je voulais m’écarter de la mort .

En lâchant de tels aveux, ces « héros » montrent qu’ils ont atteint une
certaine objectivité : ils se racontent comme un autre, un double
incompréhensible et nuisible. C’est par cette faille de leur caractère, ce
clivage, cette zone d’ombre, ce sadomasochisme secret, qu’ils accèdent à ce
que Freud nommait « l’inquiétante étrangeté 146 ». Renonçant à se saisir
comme un tout cohérent, connaissable et bienfaisant, ils pourront être
identifiés à une personne réelle et contradictoire, elle aussi, l’auteur bien
sûr, ou peut-être le lecteur.

Combats
Dans les lieux qui seront visités maintenant, le héros ne se contente plus
d’enregistrer passivement ses souvenirs, de subir le retour du refoulé et le
poids de la culpabilité, de rechercher un soulagement dans l’aveu : il agit
sur son destin. Il agissait, dans le temps remémoré, en luttant ; et il agit de
nouveau, en se remémorant, en donnant un sens à son passé.
L’énoncé de lutte vise en effet cette efficacité qu’Austin a nommée
« perlocutoire » 147. C’est en retraçant son combat que le narrateur espère
obtenir le résultat qu’il poursuit et, si l’on admet leur identité, c’est en
publiant son récit que l’auteur escompte un résultat équivalent. Dans cette
hypothèse, le texte du roman n’est plus seulement investi d’une fonction
littéraire ; il est aussi l’instrument d’une autre fin dans le réel. À partir du
moment où le lecteur reconnaît et entérine ce processus
d’instrumentalisation du livre, le lieu du combat devient, à ses yeux, un lieu
d’implication de l’auteur dans son dire, un lieu de sincérité. J’aborderai
brièvement quatre illustrations de ce phénomène : les lieux du secret de
famille, du deuil, du procès et de la dénonciation.

SECRETS DE FAMILLE

Guy Ausloos, précurseur de l’étude psychopathologique des secrets de


famille, rappelait qu’ils constituent, depuis le mythe d’Œdipe, un des
ressorts favoris de la fiction littéraire 148. Cette longue tradition explique
sans doute que la révélation des origines d’un personnage apparaisse
aujourd’hui comme un procédé romanesque usé. Le premier livre de Henry
Roth, Call it Sleep, est en partie consacré au dévoilement de la bâtardise du
fils. À tort ou à raison, on garde l’impression que ce thème, qui n’est pas
repris dans À la merci d’un courant violent, est délibérément surajouté. De
même, l’« infamie » que dénonce à ‘Hervé Guibert’ sa ‘grand-tante’, dans
Mes parents, ne manque pas de faire cliché 149.
Plus réaliste est le schéma de l’enquête destinée à percer un mystère
familial. L’écrivain ‘K. Shan’, double de Ôé, respecte notre conception du
vraisemblable quand il affirme que ses nouvelles et romans reflètent tous la
question : « Mon père ne s’est-il pas suicidé 150 ? » On admet également que
certains héros de Modiano s’obstinent à rechercher quelle fut l’attitude de
leur père pendant l’Occupation 151. L’élucidation du secret de famille
désigne alors un topos de sincérité exactement opposé au lieu fictionnel du
roman familial. Plutôt qu’édifier une fiction gratifiante, le sujet, miné par le
mensonge ou le silence de son entourage, poursuit la vérité à tout prix. Le
récit postule que la douleur de savoir et de dire est préférable à l’ignorance,
car elle permet de se détacher du passé. Ce travail de mémoire motive et
légitime l’écriture aux yeux du lecteur. Il en va de même en ce qui concerne
l’écriture du deuil.

DEUIL

Dans l’étude intitulée Deuil et mélancolie, Freud expliquait la


dépression consécutive au décès de « l’objet aimé » par la nécessité de
« retirer toute la libido des liens qui la retiennent à cet objet 152 ». L’état
d’abattement et de révolte qui en résulte, écrivait-il, présente tous les
symptômes de la mélancolie « sauf un seul : le trouble du sentiment
d’estime de soi manque dans son cas 153 ». En outre, « ce comportement
nous semble non pathologique pour la seule raison que nous savons si bien
l’expliquer 154 ». L’expression « travail de deuil » est entrée dans le langage
courant pour désigner ce processus complexe fondé sur la parole, le récit et
la rétrospection 155. Est-il besoin de souligner que ces éléments constitutifs
font du deuil un thème et un scénario particulièrement adaptés au roman
autobiographique ? Serge Doubrovsky ne cache pas que l’écriture est alors
investie d’une fonction réparatrice :

[…] à la mort d’Ilse, écrire m’a sauvé la vie, effondrement,


désespérance, trauma mortel martèlent le corps, le cœur et les
touches du clavier 156.

Le Livre brisé, L’Après-vivre, Laissé pour conte donnent effectivement


le spectacle de la révolte, de la douleur, de la culpabilité, de l’abattement du
survivant. Mais ce n’est pas tant l’écriture de l’émotion qui le tire du
désespoir que le goût du récit. Le spectacle continue. Le conteur se relève et
raconte, « le processus de création » étant, comme le suggère Michel
Hanus, « un des destins du travail de deuil » 157.
Que le deuil, réel ou fantasmé, soit littérairement fécond, l’œuvre de
Philip Roth en témoigne. Bien qu’il insulte son père, ‘Portnoy’ redoute par-
dessus tout d’apprendre sa mort 158. ‘David Kepesh’ affronte la même
angoisse en conclusion de Professeur de désir 159. ‘Zuckerman’, lui,
s’entend traiter de « salaud » par son père à l’agonie. Accusé par son frère
d’avoir provoqué cette mort 160, ‘Nathan’ se repent d’avoir publié son roman
autobiographique, Carnovsky, et décide finalement d’abandonner
l’écriture :

Mon père est mort en 69. […] Ma mère est morte un an plus tard.
[…] La mort de mes parents, c’était un remède de cheval, tu sais. Il
y a des années que je l’avais mise en répétition dans mes bouquins,
161
mais je n’avais quand même pas idée de ce que ça pouvait être .

En réalité, la mère de Philip Roth est décédée en 1981, année où parut


Zuckerman délivré qui met en scène la mort du père. Au cours des années
suivantes, Roth a rédigé les centaines de pages de La Leçon d’anatomie
(1983) et de La Contrevie (1986) consacrées au travail de deuil de
‘Zuckerman’. Enfin il se consacra aux récits référentiels qui devaient sceller
sa réconciliation avec son père, décédé en 1989 : Les Faits (1988) 162 et
Patrimoine (1991) 163.
Paradoxalement, ces deux textes semblent moins sincères que les
romans qui précèdent. Ayant adhéré au pathos de ‘Zuckerman’, excessif,
provocant, ambivalent, narcissique, contradictoire, le lecteur soupçonne
l’auteur de vouloir rectifier « les faits » pour se démarquer de son
personnage. Tout se passe comme si l’auteur, après avoir épuisé au profit de
son héros toutes les possibilités rhétoriques du discours de deuil, peinait à
trouver le ton juste pour débarrasser sa propre expérience de tout voile
fictionnel 164.
Dans Blanche ou l’oubli, Aragon se livre lui aussi à un travail
d’anticipation du deuil. ‘Geoffroy Gaiffier’ écrit un roman pour
« masquer » l’absence de sa femme disparue seize ans auparavant 165. Elle se
nommait ‘Elsa Triolet’, comme la romancière dont il s’inspire pour
conduire son récit. Le lieu du deuil, ici, semble un artefact élaboré pour
donner à la machinerie réflexive un mouvement élégiaque. Figé, il remplit
une fonction anecdotique sans véritablement travailler le personnage ni le
genre du texte.
Un dernier exemple, nettement plus référentiel, de productivité textuelle
du deuil : L’Invention de la solitude 166. Le narrateur y achoppe
manifestement sur le souvenir de son père défunt, « un homme invisible »,
absent au monde, mécontent, antipathique, inconnu de son propre fils.
Aussi dévie-t-il sur le récit d’un drame familial survenu une génération plus
tôt. Sa méditation l’entraîne ensuite dans des commentaires croisés de
textes et d’anecdotes dont le deuil est davantage le pré-texte que le sujet. En
plaçant la mort de son père à l’origine de son discours, Auster lui confère
une gravité, une intensité, une urgence qui accréditent, par analogie,
l’équivalence qu’il trace entre écriture et mémoire. Et, par ce théorème, il
démontre du même coup l’efficience du deuil en tant que lieu de sincérité.

PROCÈS

Corax, après la chute du tyran qu’il avait servi, dut s’expliquer. Il le


fit avec tant de succès que, vers 460, il se consacra à enseigner cette
rhétorique qui lui avait si bien réussi 167.
L’autobiographie est-elle née, comme la rhétorique, de la nécessité de
plaider pour soi ? Il est probable que Corax, dans son apologie, contesta les
jugements portés sur son comportement, donc raconta une partie de sa vie.
C’était déjà subordonner l’autobiographie à la rhétorique dans le but de
restaurer son èthos, son image, sa réputation. Rousseau, habile rhétoricien,
a-t-il écrit les Confessions dans un autre dessein ?
La mimèsis du plaidoyer pro domo est sans doute une des sources
principales du roman autobiographique qui va lui assigner une double
fonction : la littérarité et la persuasion. En témoigne un étrange roman paru
en 1538 sous le pseudonyme d’Hélisenne de Crenne : Les Angoysses
douloureuses qui procèdent d’amour 168. Dans la première partie, ‘Dame
Hélisenne’ avoue ses « amours impudiques 169 » à un jury d’« honnestes
dames ». Victime de son signe astrologique, de l’union qui lui a été
imposée, de son ennui, de la violence de son mari, de l’homme qui l’a
séduite et de la faiblesse de la chair, elle plaide sa cause en faisant un récit
romanesque de ses aventures. Ce faisant, elle quitte le plan du droit –
masculin – pour se situer sur le plan du désir – féminin.
Près de cent ans plus tard, Théophile de Viau assignait lui aussi à sa
Première journée (également intitulée Fragments d’une histoire comique 170)
une fonction de plaidoyer. Dans ce texte inachevé, ‘Clitiphon’ expose à ses
compagnons de voyage les circonstances qui ont entraîné son bannissement
pour cause d’impiété et s’applique à démontrer la fausseté de cette
accusation. Théophile songeait sans aucun doute à l’Apologie de Socrate 171.
Autre exemple : après avoir passé six mois au Châtelet, Charles d’Assoucy
choisit la forme du dialogue fictif pour présenter sa défense « Au Roy »,
avec l’arbitrage du public, sous le titre La Prison de Monsieur d’Assoucy
(1674). Le héros éponyme y décrit à ‘Éraste’ les « persécutions » dont il a
été victime et accuse ses ennemis d’avoir diffamé un innocent.
Les Avantures de monsieur d’Assoucy (1677) 172 poursuivent le plaidoyer
dans une veine burlesque 173. Travesti en bouffon, il dénonce ses adversaires
en mettant les rieurs de son côté. Donner de soi une image dégradée, un peu
masochiste, tel est le prix à payer pour décriminaliser son affaire et attester
plaisamment son innocence.
Ces exemples montrent que le schéma du procès et l’éloquence
judiciaire pouvaient fournir aux premières tentatives de romans
autobiographiques à la fois une structure dramatique et une rhétorique
discursive. Cependant, ils n’autorisent pas à conclure que ce lieu est
consubstantiel au genre. On ne trouvera aucune forme de procès dans Le
Page disgracié 174, qui est de 1642 : c’est à peine si Tristan L’Hermite y
confesse son penchant pour le jeu et quelque faiblesse de caractère qu’il
impute, comme Hélisenne, à son destin.
On ne saurait prétendre non plus que l’évolution ultérieure du genre,
c’est-à-dire sa constitution en tant que tel à la faveur du Romantisme, a été
déterminée par modélisation de ce que Gisèle Mathieu-Castellani nomme
« la scène judiciaire ». Il en va des lieux rhétoriques comme des fonctions
du langage : ils s’associent en proportions variables dans tout énoncé. Il y a
sans doute du plaidoyer dans toute écriture du moi, mais il est somme toute
assez rare que le récit se structure strictement selon la dialectique judiciaire,
accusation, plaidoirie, jugement.
Je pencherais plutôt pour l’hypothèse suivante : la rhétorique judiciaire
ne s’impose que lorsque l’auteur se trouve acculé à plaider la légitimité de
son discours. Non seulement ‘Socrate’, ‘Hélisenne de Crenne’, ‘Théophile’,
‘d’Assoucy’ sont accusés d’une faute lourde, mais on leur conteste le droit
de s’exprimer, et tout particulièrement le droit de parler d’eux-mêmes. On
veut les faire taire. Leur argumentation narrative ne vise donc pas tant à se
disculper qu’à défendre leur liberté d’expression. C’est leur existence en
tant qu’êtres de langage qui est en jeu.
Ce plaidoyer pour la liberté d’expression, on le retrouve chez Vallès.
L’écriture de L’Insurgé est commandée par le devoir de témoigner, de
prendre la parole qui était refusée jusqu’alors aux proscrits et de la donner à
ces « victimes de l’injustice sociale 175 » que les juges, l’idéologie et
l’historiographie de la IIIe République avaient condamnées au silence.
‘Vingtras’ se fait avocat pour réhabiliter les communards.
À bien des égards, la position de Céline, de retour d’exil, pourrait être
mise en parallèle avec celle de Vallès. Mais, dans la trilogie allemande, il
évite soigneusement d’instruire son propre procès. Mi-victime, mi-
aventurier, il transforme sa fuite en odyssée sans dire un mot des années de
collaboration et d’antisémitisme qui l’ont précédée, laissant les pièces du
dossier dans ses archives. Genet, lui aussi, met le procès en ellipse. Il se
situe toujours en deçà ou au-delà du théâtre judiciaire, en maison de
correction, dans le « milieu », en cavale, en prison, puis en auteur
reconnu 176. Voulant « réhabiliter cette époque en l’écrivant avec les noms
des choses les plus nobles 177 », il ne saurait se mettre en position d’accusé,
moins encore de coupable. Son écriture transcende infiniment la triviale
problématique de la faute et de la punition.
Dans la plupart des cas, le procès du héros n’affecte pas profondément
son récit car il est instruit en son absence par un groupe dont il ne fait plus
partie, au nom de valeurs qu’il a récusées depuis longtemps. Qu’on l’accuse
de mépriser sa famille chez John Fante 178, de déserter un groupuscule
politique chez Bryce-Echenique 179, de trahir la communauté ethnico-
religieuse chez Ben Jelloun 180 ou Driss Chraïbi 181, il ne prend pas
véritablement ces reproches au sérieux. Les citant pour mémoire et se
justifiant d’un mot, il passe son chemin. Il ne sera plus jugé selon des règles
particulières, mais selon les lois universelles de la littérature.

DÉNONCIATION

Nous allons maintenant nous intéresser aux héros qui dépassent le stade
de la dépression et de la victimisation pour devenir plaignants et
accusateurs. Leur témoignage se constitue alors en réquisitoire contre ce qui
les a fait souffrir. Leurs récits progressent selon une double dynamique
d’affirmation de soi et de critique du monde. Ils vérifient exactement
l’affirmation de Sartre selon laquelle « chaque livre propose une libération
concrète à partir d’une aliénation particulière 182 ».
On touche ici à une autre racine du genre. De même que
l’autobiographie comporte un courant militant et apologétique qui prend sa
source chez saint Augustin, le roman autobiographique a souvent été utilisé
comme un moyen de protester. L’ambiguïté générique permit déjà à
Hélisenne de Crenne de s’élever contre les mariages arrangés et la violence
des hommes. Mais sa fonction critique ne se développa qu’à la fin du siècle
des Lumières. C’est ainsi que Karl Philipp Moritz fit, dans Anton Reiser
(1790) 183, le procès de son éducation piétiste. Dans une forme qui devait
autant aux Confessions de Rousseau qu’aux journaux spirituels et aux
biographies édifiantes dont on l’avait abreuvé, ce disciple de Goethe
stigmatisait l’inhumanité des éducateurs du petit ‘Anton’ :

[…] on peut vraiment dire qu’il fut opprimé dès le berceau. […]
Dans sa prime jeunesse, il ne connut jamais les caresses de parents
attendris, ni le sourire qui récompense un petit effort. […] Rien dans
sa vie ne viendrait jamais effacer de son âme ces premières
impressions 184.
Ainsi, à treize ans, ce garçon était devenu totalement
hypocondriaque. […] Il avait été scandaleusement frustré des
185
plaisirs de l’enfance .

En 1797, un réquisitoire analogue était instruit par Wilhelm Heinrich


Wackenroder sous couvert d’une biographie consacrée à ‘Joseph
Berglinger’, poète et esthéticien fictif 186. Son père, le tenant « pour un peu
fêlé et simple d’esprit 187 », contraignit ‘Joseph’ à étudier la médecine, ce
qui le condamna, lui aussi, à « l’hypocondrie 188 ».
À travers la confiscation par un prêtre ignare du « Traité de la volonté »,
Balzac dénonçait lui aussi, à sa manière, l’aveuglement des éducateurs qui
étouffent le génie 189. D’autres après lui ont imputé ce crime à la société tout
entière, coupable de réduire un enfant, ‘David Copperfield’, ‘Martin Eden’
ou ‘Adrien Zograffi’, en esclavage. Bien qu’ils restent au niveau du
témoignage individuel et ne se risquent pas à des analyses politiques, ces
textes accusent un certain ordre social.
Avant de devenir un grand patron de presse, Émile de Girardin fit
paraître Émile 190, récit autodiégétique d’un « fils adultérin » spolié de toutes
formes de reconnaissance et d’héritage. Dans son « Introduction », il se
fixait explicitement pour objectif d’obtenir une modification de la
législation sur les droits des enfants naturels. Et le texte fondait cette
revendication sur l’exemple du héros :

[…] fils adultérin, la loi flétrit votre naissance. […] J’ai fait du
191
malheur de ma naissance la méditation de toute ma vie .
Les parents contractent, à l’égard de leurs enfants, des obligations
dont ils ne peuvent se dispenser sans crime 192.

Malgré son énergie et son ambition, ‘Émile’, n’obtenant pas d’être


adopté par son père naturel, mourait fou. La structure du roman
autobiographique permettait à Girardin d’arguer de son expérience
personnelle, tout en la dramatisant, pour préconiser un changement des
mentalités et une modernisation du droit. Loin de décourager les lecteurs, la
rhétorique morale et judiciaire de ce texte oublié lui donnait au contraire un
supplément de sens, qui justifiait en quelque sorte son ambiguïté générique.
Dans tout roman ainsi orienté vers une fin non littéraire, le discours
menace d’étouffer le récit. Soucieux de dénoncer la guerre plus que de
raconter sa guerre, Barbusse n’a pu éviter d’alourdir Le Feu 193 de discours
prophétiques qui ne « passent » plus. Au contraire, Claude Simon se refuse
à expliquer les causes de la déroute qui hante son œuvre : il ne lui donne
aucun sens 194.
La dénonciation du racisme par ceux qui en ont souffert a fourni au
roman du XXe siècle un thème tragiquement nouveau. Ainsi Jiri Weil, qui
s’est terré pendant toute la durée de la guerre, met-il en scène un juif
survivant à Prague dans l’attente de sa convocation 195. Serge Doubrovsky
revient à plusieurs reprises sur l’angoisse et les humiliations générées par
l’antisémitisme nazi et collaborateur 196. Hanif Kureishi devient sérieux dès
qu’il décrit les effets inquiétants du racisme dans les rues de Londres 197. Et
la même gravité saisit Tahar Ben Jelloun 198 ou Azouz Begag 199 lorsqu’ils
traitent de la condition des immigrés en France.
Mais le roman autobiographique a rarement été utilisé pour raconter
l’oppression et les massacres imputables aux idéologies totalitaires. Sans
doute certains processus de déshumanisation échappent-ils à une saisie
littéraire. Parmi les exceptions remarquables, il faut citer, à côté du texte de
Jiri Weil, une partie de l’œuvre de Boris Pahor, Être sans destin d’Imre
Kertész 200 et Le Livre d’un homme seul de Gao Xingjian 201.
Il va de soi que l’expérience personnelle d’une réalité ne garantit pas
l’exactitude de sa projection littéraire. Jerzy Kosinski a traduit sa perception
de la Shoah par une fiction 202. Les héros de Weil et de Kureishi ne leur sont
pas exactement superposables. La biographie de l’auteur, la générosité de
son engagement (son èthos), la demande d’information et d’émotion du
public (son pathos) ne dispensent pas de déchiffrer les indices génériques
du texte afin d’évaluer correctement, au fil de la lecture, à quelle distance
métaphorique du réel il se situe.
Dans le lieu de la dénonciation, l’impact illocutoire du texte se déplace
du personnage vers la cause qu’il incarne. Le héros est exemplifié, réduit à
une dimension emblématique, pour servir à une démonstration.
L’identification du héros avec l’auteur ne constitue plus l’enjeu de la lecture
mais un argument supplémentaire. Une telle tendance à la schématisation
du héros et de l’intrigue est déjà perceptible dans les textes gouvernés par le
secret de famille, le deuil ou le procès. Mais que le discours de la
dénonciation domine, comme chez Girardin ou Barbusse, et les
protagonistes tendent à se réduire à une valeur purement allégorique.
C’est pourquoi ce lieu est généralement d’un usage ponctuel et limité.
J’ai donné ici quelques exemples remarquables, mais la plupart des textes
autobiographiques contiennent des témoignages d’injustice, des
contestations de l’ordre établi, des appels au changement, qui, d’une part,
marquent l’inscription du héros dans le monde, et, d’autre part, suggèrent
que l’auteur fait cause commune avec lui pour nous interpeller sur un
problème de société. Que le lecteur soit convaincu ou non par leur discours,
il en retient une incitation supplémentaire à les identifier.
Les lieux de combat exigent une personnalité bien trempée. Le héros a
dépassé le stade des aveux dépressifs pour se ressaisir de son histoire. Il se
rebelle contre l’adversité et défend son droit à l’existence. L’auteur
l’accompagne et le soutient dans cette démarche au point de laisser croire
qu’il pourrait s’agir de sa propre histoire. Cette entreprise d’affirmation de
soi n’est pas toujours mise au service d’un combat pour des valeurs. Elle
n’a parfois pas d’autre but que la promotion du héros.

Héroïsation
Le lieu d’héroïsation tire le récit vers la fiction dans la mesure où il rend
extrêmement problématique une identification réaliste de l’auteur avec un
aventurier romanesque. Comment expliquer, dès lors, que l’héroïsation soit
parfois associée à une stratégie générique d’ambiguïté ? On peut avancer
deux explications. L’une imputerait cette apparente contradiction au désir
inconscient de se mettre en valeur. L’autre admettrait que l’auteur a
délibérément surdimensionné son personnage afin de donner une forme
autofictionnelle à son récit. Se situant à deux niveaux critiques différents,
critique de l’auteur et critique du texte, ces deux explications ne s’excluent
nullement.
Ce sont d’abord les voyages, les rencontres, les aventures, les épreuves
qui permettent au personnage identifiable à l’auteur d’accéder au statut de
héros. Il forme son caractère en faisant preuve de candeur, de courage, de
ténacité. Melville, Loti, Cendrars, Kerouac s’inscrivent, à cet égard, dans la
double tradition du récit picaresque et du roman d’apprentissage.
Mais la formation du héros moderne serait incomplète sans une
initiation amoureuse. Le thème de l’apprentissage rencontre ici le roman
d’amour et, parfois, la littérature érotique. Henry Miller, plus que tout autre,
s’est projeté en personnage picaresque, poursuivant inlassablement son
éducation sexuelle, littéraire, artistique, philosophique, auprès des meilleurs
professeurs. Chaque épisode de sa vie supposée est valorisé, magnifié,
chargé de sens, poétisé, de façon fascinante. Paradoxalement, ce type
d’autocélébration, qui dans le détail est hautement suspect de mensonge et
d’exagération, peut valoir attestation de sincérité. Car il relève à la fois
d’une attitude franchement narcissique et d’un désir évident de
communiquer.
N’est-ce pas la relation au lecteur qui est mise en abyme lorsque le
héros se représente en séducteur ? Henry Miller (Sexus), Philippe Roth
(Professeur de désir, La Leçon d’anatomie), Charles Bukowski (Women),
Philippe Sollers (Femmes, Portrait du joueur, Le Cœur Absolu) ont connu
le succès en s’affichant dans des rôles de ‘Don Juan’ ou de ‘Casanova’.
Marguerite Duras (L’Amant, L’Amant de la Chine du Nord) et Christine
Angot (Sujet Angot, L’Inceste) ont aussi tiré parti de notre voyeurisme
latent. Réels ou fantasmés, exhibés ou masqués, les récits de jeux amoureux
suscitent une inépuisable curiosité. De sorte que les limites actuellement
fixées par la décence et par le droit sont certainement destinées à reculer.
Mais le roman autobiographique dispose d’un procédé plus spécifique
de valorisation du héros : l’exaltation de sa puissance créatrice. Sa
supériorité est parfois signalée par son nom : ‘Oberman’ chez Senancour,
‘Z. Marcas’ chez Balzac, ‘Stephen le héros’ et ‘Dedalus’ chez Joyce
désignent des surhommes. ‘Martin Eden’ est doté par Jack London d’un
« génie rare qui lui permettait d’être critique et auteur avec un égal
brio 203 ». Mais elle peut aussi se cacher sous un nom banal. ‘Delphine’ et
‘Corinne’ sont des artistes accomplies, ‘Louis Lambert’ «est un vrai
voyant ».
Certains de ces héros ne rencontrent qu’incompréhension de la part du
public, et en particulier des femmes : ‘Oberman’ se complaît dans la
solitude, ‘Lambert’ et ‘Marcas’ meurent méconnus, ‘Eden’, bien qu’il soit
devenu célèbre, se suicide après son échec amoureux, ‘Dedalus’ s’exile.
Mais tous les artistes ne sont pas inadaptés au monde. Le personnage de
‘Loti’ est un officier de marine satisfait de son état. Cendrars, dans La Main
coupée, accepte la guerre comme un jeu dangereux où sa bravoure le
distingue. Dans L’Homme foudroyé et dans Bourlinguer, il peaufine son
image de bourlingueur passionné par la vie, les gens simples et le « secret
des choses 204 ». De même, les narratrices de Colette sont constamment en
phase avec leur environnement, que ce soit au village (Claudine à l’école,
La Maison de Claudine, Sido), à Paris (Claudine à Paris, Claudine en
ménage) ou dans le monde du spectacle (La Vagabonde).
Comment le héros-écrivain réagit-il face au succès ? ‘David
Copperfield’ l’attribue modestement à son « énergie patiente et
continue 205 ». ‘Jacques Vingtras’ exulte d’être lu, cité et reconnu dans la
rue 206. Colette, dans La Naissance du jour, se flatte de s’être fait un nom par
ses livres 207. Philippe Roth consacre la série des Zuckerman aux joies et aux
chocs en retour de la célébrité. Claude Simon donne quelques explications à
un journaliste dans Le Jardin des Plantes 208. Alain Robbe-Grillet détaille les
aléas de sa carrière dans les Romanesques. Aragon estime à juste titre :
Je suis un personnage hors-série, tout le monde n’a pas écrit Le
Paysan de Paris, tout le monde n’a pas appris à lire dans
Télémaque 209.

Et Nabokov conclut Regarde, regarde les arlequins ! en répondant


franchement à la question qui, à tous, leur tient à cœur :

Étais-je un excellent écrivain ? J’étais un excellent écrivain 210.

Tant il est vrai, d’une part, que les portraits de l’artiste en vieil homme
évitent difficilement l’écueil de la complaisance et, d’autre part, que cette
faiblesse, traduisant leur angoisse, les rend attachants. Le lecteur ne se
départira de son indulgence que s’il a l’impression d’être délibérément
leurré, que ce soit par fanfaronnade quand Malraux lance ‘Berger’ dans une
bataille de blindés qu’il n’a pu mener 211, ou par omission quand Céline ou
Aragon jettent un voile pudique sur leurs fréquentations politiques.

Les ressources dont dispose un narrateur pour plaider la sincérité de son


récit sont inépuisables. Chaque culture, chaque genre, chaque époque,
chaque auteur en inventent dans chaque histoire. Certes, l’allégation de
sincérité, au même titre que les autres indices génériques, s’inscrit dans un
système sémiotique. Le lecteur, avide de croire, n’a pas besoin qu’on lui
fournisse toutes les preuves de ce qu’on lui raconte. Il suffit qu’il perçoive,
ici ou là, un signe d’authenticité, de nécessité intérieure, de vécu, pour
entrer dans ce que certains critiques nomment l’illusion référentielle.
Cependant, l’allégation de sincérité tire l’essentiel de son efficience de
sa nouveauté. Volatile, inouïe, parfois scandaleuse, elle ne saurait se répéter
sans déperdition. Ne lui demande-t-on pas d’exprimer tout à la fois un effort
obstiné vers la vérité et un jaillissement incoercible d’émotion ? Rien de
plus incompatible, on en conviendra, avec l’acte d’écrire un livre, qui
demande du temps, de la réflexion, des ratures, de la technique et de
l’artifice. Une telle exigence de transparence, de spontanéité, de fraîcheur,
méconnaît la nature essentiellement rhétorique du langage.
Il serait pourtant inexact de ne caractériser le lecteur que par son
ingénuité. Ses attentes traduisent aussi un niveau de compétence générique
en progrès constant. Le préjugé idéaliste notifiant la supériorité artistique de
la fiction, le paradoxe selon lequel elle est plus vraie que le discours
référentiel ne permettent plus de justifier à tout coup le maquillage des faits.
L’aveu, la dépression, le deuil ne garantissent plus l’authenticité des
sentiments, pas plus que le récit de cure ne suffit pour prétendre élucider
son propre inconscient. Le procès, la dénonciation, la médiatisation ne
confèrent aucune crédibilité particulière. Vanité et vantardise peuvent même
coûter cher en termes de crédibilité, car l’écrivain ne bénéficie plus d’une
position intellectuelle et sociale dominante. Les lieux que j’ai tenté de
baliser sont donc promis à l’obsolescence. Sans cesse, le genre évolue en
délaissant ses clichés, et les auteurs recherchent de nouveaux moyens pour
communiquer leur expérience.
1. Rhétorique à Herennius [d’auteur inconnu, écrite entre 86 et 82 av. J.-C.], III, 16; cité par
M. Charles, Rhétorique de la lecture, Paris, Éd. du Seuil, 1977, p. 211.
2. E.R. Curtius, La Littérature européenne et le Moyen Âge latin [1947], trad. fr. de J.
Bréjoux, Paris, PUF, 1956; rééd., coll. «Agora», 1991, p. 133-134.
3. T. Todorov, article «Motif» du Dictionnaire encyclopédique des sciences du langage, Paris,
Éd. du Seuil, 1972; rééd., coll. «Points», 1979, p. 284.
4. E.R. Curtius, La Littérature européenne et le Moyen Âge latin, op. cit., p. 185.
5. Aristote, Rhétorique, op. cit., livre I, chap. II, 1356a, p. 83.
6. Ibid., p. 83.
7. Dictionnaire Robert.
8. J.L. Austin, How to Do Things with Words, Oxford, 1962; trad. fr. de G. Lane et F.
Récanati, Quand dire c’est faire, Paris, Éd. du Seuil, 1970; rééd., coll. «Points», 1991,
«dixième conférence», p. 129-130.
9. Les numéros entre crochets sont de mon fait.
10. J.-P. Sartre, L’Être et le Néant, Paris, Gallimard, 1943; rééd., coll. «Tel», 1976, p. 94.
11. «La sincérité est un perpétuel effort pour créer son âme telle qu’elle est» (J. Rivière, De la
sincérité envers soi-même, Paris, Gallimard, 1943, p. 22).
12. J.-F. Chiantaretto, «De la parole à l’écriture: pour une approche de la sincérité», dans
Écriture de soi et sincérité, op. cit., p. 14.
13. J.-P. Sartre, L’Être et le Néant, op. cit., p. 99 et 102.
14. B. Constant, Adolphe, op. cit., Préface.
15. A. de Musset, lettre à Liszt du 26 juin 1836, citée par Claude Duchet, Préface à La
Confession d’un enfant du siècle, op. cit. (éd. Garnier), p. XXV.
16. Colette, La Naissance du jour, Paris, Flammarion, 1928; plusieurs rééd. dont celle des
Œuvres, op. cit., t. III, p. 341.
17. F. Nourissier, Bratislava, op. cit., p. 17.
18. H. Guibert, Le Protocole compassionnel, op. cit., p. 105.
19. C. Angot, Sujet Angot, op. cit., p. 114.
20. D’après B. Lortholary, Préface à l’édition des romans autobiographiques de T. Bernhard,
Paris, Gallimard, coll. «Biblos», 1990, p. IX.
21. P. Lejeune, Moi aussi, op. cit., p. 42.
22. S. Doubrovsky, Le Livre brisé, op. cit., p. 222.
23. Cf. en particulier «Fiction ou trahison?» dans «Le Monde des livres» du 15 mai 1998, p. X,
à propos des attaques portées par sa famille contre Hanif Kureishi, et, dans le même
journal, l’article du 25 juin 1999, p. X, sur la vague de procès en cours au Japon.
L’aspirant autobiographe trouvera de précieux conseils dans:
– E. Pierrat, Le Droit d’auteur et l’Édition, Paris, Électre-Éd. du cercle de la librairie, 1998,
et Le Droit de l’édition appliqué, même éditeur, 2000, recueil des chroniques publiées dans
Livres Hebdo;
– les chroniques juridiques de P. Lejeune, qui ont d’abord été insérées dans La Faute à
Rousseau, bulletin de l’Association pour l’autobiographie, puis rassemblées dans Pour
l’autobiographie, op. cit., chap. «Le moi et la loi», p. 67-143, spécialement «L’atteinte
publique à la vie privée», p. 69-74.
24. K. Basfao, Trajets, structures du texte et du récit dans l’œuvre romanesque de Driss
Chraïbi, thèse soutenue en 1981, université d’Aix-en-Provence. L’article qui a suscité ce
reniement est paru sous la signature «A.H.» dans la revue marocaine Démocratie, nº 2, le
14 janvier 1957, alors que le pays luttait pour son indépendance. Le reniement de Chraïbi
est paru dans le nº 5 du 4 février. Il l’a désavoué par la suite. Il fait allusion à ces péripéties
dans Le Monde à côté, Paris, Denoël, 2001.
25. Cité par A. de Gaudemar, «Boudjedra, le batailleur d’Alger», art. cité, p. 10.
26. S. Doubrovsky, La Vie l’instant, Paris, Balland, 1985, p. 15-16.
27. L.-F. Céline, D’un château l’autre, op. cit., p. 71.
28. M. Bakhtine, Esthétique et théorie du roman, op. cit.
29. H. Godard, Poétique de Céline, op. cit., p. 119.
30. Au sujet des «voix» chez John Fante, lire la postface de Brice Matthieussent à sa traduction
des Compagnons de la grappe, op. cit., p. 239-248.
31. Procédés que l’on rencontre, ponctuellement, chez des auteurs aussi différents que Daudet
(Le Petit Chose), Hamsun ou Aragon (La Mise à mort), par exemple, et, extensivement,
dans la tétralogie de Henry Roth À la merci d’un courant violent.
32. M. Darrieussecq, «L’autofiction, un genre pas sérieux», art. cité, p. 372-373.
33. S. Freud, Sur les souvenirs-écrans, op. cit., p. 113-132.
34. S. Freud, Der Familienroman der Neurotiker, 1919; trad. fr. de J. Laplanche, Le Roman
familial des névrosés, dans Névrose, psychose et perversion, op. cit., p. 157-160. «Freud le
tient d’abord pour un symptôme pathologique relevant essentiellement de la paranoïa»,
puis «il reconnaît au roman familial un caractère névrotique tout à fait général […] une
expérience normale et universelle de la vie infantile; il n’est pathologique que chez l’adulte
qui continue d’y croire et d’y travailler.» Voir également: Marthe Robert, Roman des
origines et origines du roman, Paris, Grasset, 1972, p. 43.
35. T. Bernhard, Der Keller, Salzbourg, 1976; trad. fr. de A. Kohn, La Cave, Paris, Gallimard,
1982; rééd., coll. «Biblos», 1990, p. 132.
36. S. Freud, Le Roman familial des névrosés, op. cit., p. 157-165.
37. J. Lacan, «Le stade du miroir», dans Écrits, Paris, Éd. du Seuil, 1966; rééd., coll. «Points»,
1970, p. 91.
38. J. Laplanche et J.-B. Pontalis, Vocabulaire de la psychanalyse, Paris, PUF, 1967; rééd.,
coll. «Quadrige», 1998, art. «Ambivalence», p. 19-21.
39. P. Auster, L’Art de la faim, trad. fr. de C. Le Bœuf, Arles, Actes Sud, 1992, p. 281, cité par
Françoise Sammarcelli, «L’invention d’une écriture: filiation et altérité dans L’Invention de
la solitude», dans A. Duperray (dir.), L’Œuvre de Paul Auster. Approches et lectures
plurielles, Arles, Actes Sud, 1995.
40. J.-M. Schaeffer, Pourquoi la fiction?, Paris, Éd. du Seuil, coll. «Poétique», 1999, p. 212.
41. Ibid., p. 324.
42. P. Ricœur, Du texte à l’action, Paris, Éd. du Seuil, 1986, p. 222.
43. Ce propos a été rapporté par Jeanne Carayon, correctrice, et Marie Canavaggia, secrétaire
de Céline. Il est cité par Henri Godard dans Préface à Céline, Romans, op. cit., t. II, p.
XXVII.

44. P. Handke, Mon année dans la baie de Personne, op. cit., p. 164.
45. «Willing suspension of disbelief» (S.T. Coleridge, Biographia Literaria, op. cit.).
46. E.R. Curtius, La Littérature européenne et le Moyen Âge latin, op. cit., p. 154.
47. Aristote, Rhétorique, op. cit., I, II, XV, 1357a, p. 88-89.
48. E. Fromentin, Dominique, op. cit., chap. XIII.
49. K. Hamsun, Un vagabond joue en sourdine, op. cit., p. 104.
50. Nakamura Shin’ichirô, L’Été, op. cit., p. 452.
51. J. London, John Barleycorn, 1913; trad. fr. de L. Postif, Le Cabaret de la dernière chance,
rééd. dans Romans et récits autobiographiques, Paris, Laffont, coll. «Bouquins», 1988, p.
1083-1231.
52. K. Ôé, Lettres aux années de nostalgie, op. cit.
53. P. Michon, Vies minuscules, op. cit., p. 217-222.
54. C. Baudelaire, Les Paradis artificiels, 1860.
55. H. et P. Loo, La Dépression, Paris, PUF, coll. «Que sais-je?», 1991.
56. A. de Musset, La Confession d’un enfant du siècle, op. cit., première ligne du chap. III.
Musset parle aussi de «maladie morale abominable», de l’«angoisse de la mort», d’«un
sentiment de malaise inexprimable», de «désespérance», etc.
57. F. Pasche, «L’anti-narcissisme», dans À partir de Freud, Paris, Payot, 1964, p. 234.
58. N. Gogol, Le Journal d’un fou, dans Les Nouvelles pétersbourgeoises, 1834; trad. fr. de S.
Luneau dans Œuvres complètes, Paris, Gallimard, coll. «Bibliothèque de la Pléiade», 1966,
p. 571-595.
59. F.M. Dostoïevski, Zapiski iz podpolia, 1864; trad. fr. de A. Markowicz, Les Carnets du
sous-sol, Arles, Actes Sud, coll. «Babel», 1992.
60. G. de Maupassant, Le Horla, 1887.
61. Cette formule est loin d’être épuisée, comme le montre excellemment Irokawa Takehiro
dans Kyôjin Takako, 1988; trad. fr. de R.M. Makino-Fayolle, Le Journal d’un fou, Arles,
Picquier, 1991; rééd. en poche, 2000.
62. On en trouve quelques traces dans Mon frère Yves, op. cit.
63. «Par instants, après certaines lectures, alors que le dégoût de la vie ambiante s’accentuait, il
enviait les heures lénitives au fond d’un cloître, des somnolences prières éparses dans des
fumées d’encens, des épuisements d’idées voguant à la dérive dans le chant des psaumes.
[…] Resté célibataire et sans fortune, peu soucieux maintenant des ébats charnels, il
maugréait, certains jours, contre cette existence qu’il s’était faite. Forcément dans ces
heures où, las de se battre contre des phrases, il jetait sa plume, il regardait devant lui et ne
voyait dans l’avenir que des sujets d’amertumes et d’alarmes» (J.-K. Huysmans, Là-bas,
op. cit., chap. 1).
64. K. Hamsun, Sous l’étoile d’automne, op. cit., et Un vagabond joue en sourdine, op. cit.
65. J. London, Martin Eden, op. cit., p. 422.
66. V. Larbaud, A.O. Barnabooth, ses œuvres complètes, op. cit., p. 177.
67. Cf. Sodome et Gomorrhe, dans À la recherche du temps perdu, op. cit., t. III, p. 153-160 et
499-500.
68. R.M. Rilke, Les Carnets de Malte Laurids Brigge, op. cit., p. 75.
69. J. Weil, Vivre avec une étoile, op. cit.
70. D. Franck, La Séparation, op. cit.
71. A. Bryce-Echenique, La Vie exagérée de Martin Romaña, op. cit.
72. K. Ôé, Kosinteki Nataiken; trad. angl., A personal Matter, 1968; trad. fr. de la trad. angl.
par C. Elsen, Une affaire personnelle, Paris, Stock, 1971.
73. P. Nizon, Immersion, op. cit.
74. P. Lejeune, Le Pacte autobiographique, op. cit., p. 14.
75. R. Queneau, Odile, op. cit.
76. Op. cit.
77. S. Freud, Das Ich und das Es, 1923; Le Moi et le Ça, trad. fr. de J. Laplanche, dans Essais
de psychanalyse, Payot, coll. «Petite Bibliothèque Payot», 1981, p. 265.
78. P. Lejeune, «La punition des enfants. Lecture d’un aveu de Rousseau», dans Le Pacte
autobiographique, op. cit., p. 49-85.
79. J. Delumeau, La Civilisation de la Renaissance, Paris, Arthaud, 1967, p. 167.
80. G.Gusdorf, Lignes de vie, 2, Auto-bio-graphie, Paris, O. Jacob, 1991, p.445.
81. Cf. Artur London, L’Aveu; Galsan Tschinag, Le Monde gris; Gao Xingjian, Le Livre d’un
homme seul.
82. B. Constant, Adolphe, op. cit., chap. V.
83. B. Constant, Cécile, op. cit., p. 241.
84. B. Constant, Adolphe, op. cit., chap. VII.
85. Musset avait publié en 1828 une adaptation de l’ouvrage de De Quincey, signée A.D.M.
86. A. de Musset, La Confession d’un enfant du siècle, op. cit., IVe partie, chap. IV.
87. Ibid.
88. Ibid., Ve partie, chap. VI.
89. Ibid.
90. J. Joyce, Portrait de l’artiste en jeune homme, op. cit., p. 233.
91. Op. cit., p. 158-175.
92. J. Fante, La Colère de Dieu, dans Le Vin de la jeunesse, op. cit., p. 204-205, rééd., Paris,
UGE, coll. «10/18», p. 195-205. Dans le même recueil, le poids de la culpabilité religieuse
se fait particulièrement sentir dans Enfant de chœur, La Route de l’enfer, Foyer, doux foyer,
Je vous salue Marie, Le Dieu de mon père.
93. J. Fante, Pleins de vie, op. cit., p. 193-194.
94. Propos rapporté par J.-L. Douin dans son article intitulé «Kerouac mère et fils» à propos du
livre de Gerald Nicosia Memory Babe, dans «Le Monde des livres» du 27 février 1998, p. I.
95. P. Handke, Kindergeschichte, Francfort, 1981; trad. fr. de G.A. Goldschmidt, Histoire
d’enfant, Paris, Gallimard, 1983; rééd., coll. «Folio», 1989, p. 49.
96. P. Lejeune, «L’enfance fantôme», dans Les Brouillons de soi, op. cit., p. 54.
97. M. Cardinal, Les Mots pour le dire, op. cit., p. 269.
98. P. Roth, Portnoy et son complexe, op. cit.
99. P. Roth, Professeur de désir, op. cit., p. 95-102.
100. V. Nabokov, Regarde, regarde les arlequins!, op. cit., p. 167.
101. R. Boudjedra, La Macération, op. cit., p. 157.
102. A. Malraux, Le Miroir des limbes, I, Antimémoires, op. cit., p. 8.
103. Interview recueillie par C. Chassé, La Dépêche de Brest et de l’Ouest, 1933, dans Cahiers
Céline 1, op. cit., p. 88.
104. Propos attribué à Céline (qui ne l’a jamais entériné) par le journal Paris-midi dans son
édition du 16 mars 1933, repris ibid., p. 60.
105. S. Doubrovsky, «Autobiographie / vérité / psychanalyse», art. cité, p. 77.
106. S. Doubrovsky, Fils, op. cit.
107. S. Doubrovsky, Laissé pour conte, Paris, Grasset, 1999, p. 362-401.
108. H. Rosenfeld, «À propos de la psychologie du narcissisme», 1964, dans États psychotiques,
Paris, PUF, 1964, p. 219-232.
109. F.-R. de Chateaubriand, René, op. cit., p. 145.
110. Ibid., p. 144.
111. M. Duras, L’Amant de la Chine du Nord, op. cit., p. 84n: «On filme les amants endormis, le
Roman Populaire du Livre.»
112. Ibid., p. 68.
113. Ibid., p. 56 et 14.
114. H. Roth, À la merci d’un courant violent, t. II, Un rocher sur l’Hudson, op. cit., p. 172.
115. H. Roth, À la merci d’un courant violent, t. III, La Fin de l’exil, op. cit., p. 102-118.
116. R. Robin, «Confession à l’ordinateur. La trilogie de Henry Roth», art. cité, p. 101-112.
117. H. Roth, À la merci d’un courant violent, t. III, La Fin de l’exil, op. cit., p. 301.
118. H. Roth, À la merci d’un courant violent, t. II, Un rocher sur l’Hudson, op. cit., p. 154.
119. P. Roth, Portnoy et son complexe, op. cit., p. 67-68 et 255.
120. C. Angot, Interview, Paris, Fayard, 1995; L’Inceste, Paris, Stock, 1999.
121. S. Rezvani, Les Années-lumière, op. cit., p. 263.
122. «L’inceste n’était qu’un moment de la lutte» (R. Boudjedra, La Répudiation, op. cit., p.
136).
123. P. Roth, tout au long de Portnoy et son complexe, op. cit.
124. D. Chraïbi, Le Passé simple, op. cit., p. 121-126.
125. S. Doubrovsky, Un amour de soi, op. cit., p. 463.
126. T. Ben Jelloun, L’Écrivain public, op. cit., p. 32-33.
127. H. Guibert, Mes parents, op. cit., p. 91.
128. J. Joyce, Portrait de l’artiste en jeune homme, op. cit., p. 162-163.
129. J. Fante, Dreams From Bunker Hill, 1982; trad. fr. de B. Matthieussent, Rêves de Bunker
Hill, Paris, Bourgois, 1985, p. 24.
130. C. Simon, L’Acacia, Paris, Éd. de Minuit, 1989, p. 363-375.
131. «Moi aussi j’étais encore loin de l’âge où l’on consent à accepter les choses telles qu’elles
sont» (Y. Mishima, Confession d’un masque, op. cit., p. 239).
132. Y. Navarre, Biographie, op. cit.
133. H. Miller, Tropic of Capricorn, 1938; trad. fr. de G. Belmont, Tropique du Capricorne,
Paris, Chêne-Stock, 1952; rééd., LGF, coll. «Le Livre de poche», 1975, p. 151-153.
134. R. Brautigan, Mémoires sauvés du vent, op. cit.
135. F. Mauriac, Un adolescent d’autrefois, op. cit., p. 249-250.
136. J. Genet, Journal du voleur, op. cit., p. 10.
137. J. Genet, Miracle de la rose, Lyon, L’Arbalète, 1946; rééd., 1993, p. 54.
138. J.-P. Sartre, «Saint Genet, comédien et martyr», dans Œuvres complètes de Jean Genet,
Paris, Gallimard, 1952, p. 608.
139. P. Loti, Aziyadé, Le Mariage de Loti, Madame Chrysanthème, op. cit.
140. G. Keller, Henri le Vert, op. cit., I, 8.
141. K. Hamsun, La Faim, op. cit.
142. J. Fante, La Route de Los Angeles, op. cit., et Demande à la poussière, op. cit.
143. P. Handke, Histoire d’enfant, op. cit., p. 46-47.
144. K. Ôé, Une affaire personnelle, op. cit.
145. T. Bernhard, Le Neveu de Wittgenstein. Une amitié, op. cit., p. 121-122.
146. S. Freud, Das Unheimliche, 1919; trad. fr. de M. Bonaparte et E. Martin, L’Inquiétante
Étrangeté, Paris, Gallimard, 1933; rééd. dans Essais de psychanalyse appliquée, coll.
«Idées», 1971.
147. J.L. Austin, Quand dire c’est faire, op. cit., p. 129-137.
148. G. Ausloos, «Secrets de famille», dans J.C. Benoit (éd.), Changements systémiques en
thérapie familiale, Paris, E.S.F., 1980, p. 62-80: «Sans secrets, donc, pas de drame et point
de mythe» (p. 64).
149. H. Guibert, Mes parents, op. cit.
150. K. Ôé, Lettres aux années de nostalgie, op. cit., p. 165.
151. Notamment dans Les Boulevards de ceinture, op. cit., et Fleurs de ruine, op. cit.
152. S. Freud, Trauer und Melancholie, 1915; trad. fr. de J. Laplanche et J.-B. Pontalis, Deuil et
mélancolie, dans Métapsychologie, Paris, Gallimard, 1968; rééd., coll. «Idées», 1974, p.
150.
153. Ibid., p. 149.
154. Ibid.
155. M. Hanus, Les Deuils dans la vie, Paris, Maloine, 1994.
156. S. Doubrovsky, Laissé pour conte, op. cit., p. 41.
157. M. Hanus, Les Deuils dans la vie, op. cit., p. 21.
158. P. Roth, Portnoy et son complexe, op. cit., p. 163-164.
159. P. Roth, Professeur de désir, op. cit., p. 232-249.
160. P. Roth, Zuckerman délivré, op. cit., p. 333-356.
161. P. Roth, La Leçon d’anatomie, op. cit., p. 553.
162. P. Roth, The Facts. A Novelist’s Autobiography, New York, 1988; trad. fr. de M. Waldberg,
Les Faits. Autobiographie d’un romancier, Paris, Gallimard, 1990.
163. P. Roth, Patrimony. A True Story, 1991; trad. fr. de M. Akar et M. Rambaud, Patrimoine.
Une histoire vraie, Paris, Gallimard, 1992.
164. Cf. à ce sujet, en conclusion des Faits, le savoureux commentaire de ‘Zuckerman’, où l’on
voit que Philip Roth n’ignore aucun des pièges que lui tend l’autobiographie.
165. L. Aragon, Blanche ou l’oubli, op. cit., p. 391.
166. P. Auster, L’Invention de la solitude, op. cit.
167. M. Meyer, Introduction à la Rhétorique d’Aristote, op. cit., p. 9.
168. A.-M. Schmidt, Histoire des littératures, t. III, Paris, Gallimard, coll. «Encyclopédie de la
Pléiade», 1958; rééd., 1978, p. 197: «Elle est à la fois la créatrice du roman
autobiographique français et la première des “maumariées” qui trouve le courage d’extraire
de ses tristes nécessités un utile enseignement.»
Cf., également, G. Mathieu-Castellani, La Scène judiciaire de l’autobiographie, Paris, PUF,
1996, p. 40, et P. Demats, Introduction à H. de Crenne, Les Angoysses douloureuses qui
procèdent d’amour, 1538, rééd., Paris, Les Belles Lettres, 1968.
169. H. de Crenne, ibid., p. 169.
170. T. de Viau, Première journée, 1623; rééd. dans Œuvres, éd. de Guido Saba, Paris, Nizet,
1978.
171. G. Mathieu-Castellani, La Scène judiciaire de l’autobiographie, op. cit., p. 219-220.
172. C. d’Assoucy, Les Avantures de Monsieur d’Assoucy, Paris, 1677, qui sera suivi des
Avantures d’Italie de Monsieur d’Assoucy, Paris, 1677. Cf. R. Demoris, Le Roman à la
première personne. Du Classicisme aux Lumières, Paris, A. Colin, 1975, p. 122-125.
173. Dans Les Avantures d’Italie de Monsieur d’Assoucy, op. cit., p. 264, l’auteur prononce un
éloge métadiscursif du genre burlesque dont il se proclame «empereur» à l’égal de Scarron.
174. Tristan L’Hermite, Le Page disgracié, 1642; rééd. par J. Serroy, Grenoble, Presses
universitaires de Grenoble, 1980.
175. J. Vallès, L’Insurgé, op. cit., dédicace, p. 39.
176. J. Genet, Journal du voleur, op. cit., p. 100.
177. Ibid., p. 65.
178. J. Fante, Les Compagnons de la grappe, op. cit., p. 20.
179. A. Bryce-Echenique, La Vie exagérée de Martin Romaña, op. cit., notamment p. 316-343.
180. T. Ben Jelloun, L’Écrivain public, op. cit., p. 178-192.
181. D. Chraïbi, Succession ouverte, op. cit., p. 148 et 150.
182. J.-P. Sartre, Qu’est-ce que la littérature?, Paris, Gallimard, 1948, p. 90-91.
183. K.P. Moritz, Anton Reiser. Ein psychologischer Roman, 1790; trad. fr. de G. Paline, Anton
Reiser, Paris, Fayard, 1986. «Autobiographie à peine déguisée» pour Philippe Van Tieghem
dans son Dictionnaire des littératures (Paris, PUF, 1968; rééd., 1984); «roman
autobiographique» dans A. Benoit-Dusausoy et G. Fontaine (dir.), Histoire de la littérature
européenne (Paris, Hachette, 1956; rééd., 1992). Pour Georges Gusdorf: «l’autobiographie
de Reiser, élaborée à partir du journal intime de Moritz, se propose […] de fixer davantage
l’attention de l’homme sur lui-même et de rendre plus importante pour lui son existence
individuelle» («De l’autobiographie initiatique au genre littéraire», Revue d’histoire
littéraire de la France, novembre-décembre 1975, nº 6, p. 992).
184. K.P. Moritz, Anton Reiser, op. cit., p. 23.
185. Ibid., p. 84.
186. W.H. Wackenroder, Effusions sentimentales d’un religieux ami de l’art, op. cit., p. 239-281.
187. Ibid., p. 243.
188. Ibid., p. 273.
189. H. de Balzac, Louis Lambert, op. cit., p. 624.
190. É. de Girardin, Émile, 1827; rééd., 1839, 1854.
191. Ibid., I, p. 17.
192. Ibid., X, p. 64.
193. H. Barbusse, Le Feu. Journal d’une escouade, op. cit.
194. La dénonciation explicite n’apparaît que dans Le Jardin des Plantes, op. cit., p. 210-217.
Claude Simon a également écrit, en 1984, sous une forme non littéraire, un «Petit
historique du désastre de mai 1940 au 31e dragons» qui a été publié par la Revue des
sciences humaines, nº 220, 1990.
195. J. Weil, Vivre avec une étoile, op. cit.
196. Notamment dans Fils, Le Livre brisé, et plus encore dans Laissé pour conte.
197. H. Kureishi, Le Bouddha de banlieue, op. cit.
198. T. Ben Jelloun, L’Écrivain public, op. cit., p. 125-127.
199. A. Begag, Le Gone du Chaâba, op. cit.
200. I. Kertész, Sorstalanság, Berlin, 1975; trad. fr. de N. et C. Zaremba, Être sans destin, Arles,
Actes Sud, 1997; rééd., Paris, UGE, coll. «10/18», 2002.
201. Gao Xingjian, Le Livre d’un homme seul, op. cit.
202. J. Kosinski, L’Oiseau bariolé, op. cit.
203. J. London, Martin Eden, op. cit., chap. 43, p. 396.
204. B. Cendrars, L’Homme foudroyé, Paris, Denoël, 1945; rééd., Gallimard, coll. «Folio»,
1973, p. 201.
205. C. Dickens, David Copperfield, op. cit., chap. XLII, t. II, p. 149.
206. J. Vallès, L’Insurgé, op. cit., chap. XXVI, p. 256.
207. Colette, La Naissance du jour, dans Œuvres, op. cit., t. III, p. 286.
208. Op. cit.
209. L. Aragon, Le Mentir-vrai, op. cit., p. 16.
210. V. Nabokov, Regarde, regarde les arlequins!, op. cit., p. 303.
211. A. Malraux, Le Miroir des limbes, I, Antimémoires, op. cit., coll. «Bibliothèque de la
Pléiade», p. 232-254, coll. «Folio», p. 301-329.
7

Questions d’histoire

L’ OUTILLAGE critique utilisé jusqu’ici pour analyser les indices


d’autobiographie distribués par certains romans a été élaboré, pour
l’essentiel, durant les quarante dernières années. Cette boîte à outils
narratologiques n’en est pas moins opératoire, en toute légitimité
épistémologique, pour analyser et comprendre le fonctionnement de
n’importe quel récit. Elle peut même, alors que les œuvres du passé
s’éloignent de nous à grande vitesse, contribuer à rapprocher certaines
d’entre elles de nos préoccupations, en révéler la modernité, donner envie
de les (re) lire.
À l’aide de ces outils, j’ai bricolé un « modèle hypothétique de
description » avec la conviction que « l’analyse narrative, placée devant des
millions de récits […] est condamnée à une procédure déductive 1 ». Gérard
Genette, appliquant une méthode comparable à celle de Barthes pour
dresser un « tableau » des éléments paratextuels, la justifiait « par le
sentiment qu’il convient de définir les objets avant d’en étudier
l’évolution 2 ». Ni l’un ni l’autre ne méconnaissaient la nature
fondamentalement historique et contingente des phénomènes littéraires,
mais ils estimaient à juste titre que l’« histoire des formes littéraires 3 » est
subordonnée à une identification et à un classement de ces formes.
Il n’y a d’ailleurs aucune antinomie entre cette entreprise taxinomique
et la recherche historique, mais plutôt un mouvement incessant d’allers et
retours à fins de vérifications. Dans chacun des chapitres qui précèdent, j’ai
tenté de décrire les indices de référentialité et de fictionnalité en les situant
dans le temps, en retraçant leur évolution et en donnant des exemples
chronologiques. Dès l’instant où on soutient l’existence d’un genre, on
postule nécessairement que ce groupement de procédés a conservé, pendant
un certain temps, une homogénéité et une efficacité sémiotique
remarquables ; on admet, par conséquent, qu’il s’est constitué en « lieu » où
se sont rencontrées une offre et une demande littéraires. Mais on n’en est
pas moins dans l’obligation de prendre constamment en compte les
déterminations historiques qu’il a subies et de rechercher comment il a
évolué.
Dans des sociétés en constante mutation, les genres statiques se
fossilisent et meurent, tout comme les procédés qui les composent ; les
genres évolutifs, au contraire, stimulent la créativité. Le succès du concept
de « roman », par exemple, s’explique par sa plasticité. Au cours de son
histoire, selon les aires culturelles qui l’ont adopté et selon les sous-genres
qu’il a engendrés, ses fonctions ont varié ; par voie de conséquence, ses
techniques d’écriture ont changé, ses procédés dominants ont cédé la place
à d’autres qui étaient secondaires ou qui étaient réservés à d’autres formes
d’expression. Non seulement il s’est déplacé dans les systèmes génériques
en vigueur, mais il a lui-même transformé ces systèmes. Au niveau
idéologique, également, il y a toujours eu interaction entre le roman et son
environnement culturel. On peut faire le même constat à propos de
l’autobiographie : son écriture, sa lecture, son statut, varient énormément
selon les époques et les milieux dans lesquels elle se développe et qu’elle
est susceptible de marquer à son tour.
Fondé sur une double caractérisation a posteriori, le roman
autobiographique va, selon toutes probabilités, cumuler les facteurs de
variabilité auxquels sont soumis ses deux genres de référence. C’est
pourquoi sa reconnaissance ne résultera jamais de critères univoques mais
d’un ensemble d’indices plus ou moins contradictoires dont l’interprétation
variera d’un lecteur à l’autre. Sa place dans le système générique sera
toujours fragile, incessamment contestable et contestée. Elle sera fonction
non seulement de la poétique des lecteurs mais aussi de leur culture au sens
large, de leur système de valeurs en ce qui concerne les notions de vrai,
faux, fictif, intime, sincérité, responsabilité, liberté, etc. La plasticité du
roman devient chez lui viscosité.
Nonobstant les difficultés posées par cette relativité générale, il faut
nécessairement, pour démontrer une hypothèse générique, attester sa réalité
historique. Après avoir délimité la place occupée par le roman
autobiographique dans le système des genres contemporains, il reste à
prouver que cette place a été investie par un nombre significatif de textes et
a aussi existé dans d’autres systèmes génériques. Dans un second temps,
considérant la critique littéraire comme une instance de réception parmi
d’autres, je rappellerai quelques moments de son discours, ou de son
silence, sur ce phénomène particulier.

Diachronie

EN FRANCE
Si Philippe Lejeune a permis à l’autobiographie d’être reconnue et
étudiée en tant que genre littéraire, ce n’est pas seulement parce qu’il l’a
définie sur la base d’un pacte de lecture, c’est aussi parce qu’il en a situé
l’origine aux Confessions de Jean-Jacques Rousseau. Georges Gusdorf lui
reprocha d’ignorer et de rejeter dans la préhistoire du genre toutes les
manifestations antérieures de l’écriture du moi, en particulier les
Confessions de saint Augustin, les Mémoires du Grand Siècle et les
autobiographies religieuses 4. Mais il devait convenir que « l’œuvre de
Rousseau est exemplaire parce qu’elle s’adresse au public des romans 5 ».
Lejeune ne disait pas autre chose : « Rousseau n’a donc pas inventé le
genre », mais, lui donnant un statut littéraire, il « en a infléchi l’histoire » 6.
Tous deux admettaient, notons-le, que la chose avait précédé le mot,
forgé vers 1790 en Allemagne, francisé après 1830. De même, l’expression
« roman autobiographique » n’apparut qu’au milieu du XIXe siècle pour
désigner des textes publiés depuis plusieurs décennies. Dans un cas comme
dans l’autre, la conceptualisation du genre s’est opérée graduellement. On
peut donc se poser la question suivante : à partir de quand les lecteurs ont-
ils eu le sentiment de voir apparaître un nouveau type de récits mélangeant
roman et autobiographie ?
Lorsqu’ils employaient la première personne, les romanciers du
e
XVIII siècle prenaient garde à se distinguer nettement de leurs personnages,

car ils connaissaient la tendance de leurs lecteurs à identifier le héros avec


l’auteur. Dans le livre XI des Confessions, Rousseau évoque ce soupçon à
propos de La Nouvelle Héloïse et, dans une certaine mesure, l’entérine :

Les femmes furent persuadées que j’avais écrit ma propre histoire,


et que j’étais moi-même le héros du roman. […] Sans quelques
réminiscences de jeunesse et Mme d’Houdetot, les amours que j’ai
sentis et décrits n’auraient été qu’avec des sylphides. Je ne voulus ni
confirmer ni détruire une erreur qui m’était avantageuse 7.

De même, dans Poésie et vérité, Goethe se souvient qu’on l’a identifié


avec quelque raison à ‘Werther’ :
Chacun voulait savoir ce que le roman contenait de vérité. J’en fus
très irrité et je répondis presque toujours très brutalement ; car pour
satisfaire à cette question, il m’aurait fallu mettre en morceaux une
œuvre composée de tant d’éléments et dont l’unité poétique m’avait
coûté tant de méditations […].

L’un comme l’autre avaient dissimulé les références à leur vie privée
sous un épais voile fictionnel. Il fallait recourir à des informations
biographiques pour établir un lien entre l’auteur et son personnage. En
écrivant René, Chateaubriand rompit avec cette prudence en élaborant une
stratégie originale d’ambiguïté générique dont les principaux éléments sont
les suivants :
les lecteurs des Mémoires d’outre-tombe découvriront que ‘René’ est le
second prénom de Chateaubriand ; mais ils avaient déjà comparé leur
âge et leur origine sociale ;
‘René’ a failli devenir écrivain : « Jeune, je cultivais les Muses 8. »
dans les premières éditions, des gravures représentaient le héros sous les
traits de l’auteur, fort célèbre depuis le succès d’Atala ;
les Mémoires permettent d’établir de nombreuses concordances entre les
deux biographies ;
le projet d’écrire, à soixante-six ans, un Vieux René, dont il ne reste que
quelques pages, vient encore confirmer cette identification profonde 9 ;
le récit de ‘René’ suit le rituel de la confession : avouant « les
sentiments secrets de son âme » à un prêtre et à son père adoptif, il
atteste sa sincérité ;
non seulement ce récit est rétrospectif, mais, à l’instar des Confessions,
il accorde une importance décisive aux expériences précoces de
l’enfance et de l’adolescence ;
enfin, un violent désir d’inceste en constitue le nœud.
La notoriété de son auteur, sa stratégie générique sophistiquée, sa
rhétorique de la sincérité vaudront à ce texte de représenter, pendant un bon
siècle, le paradigme du genre. Certes, Restif de La Bretonne n’avait pas
craint, avant lui, de mélanger autobiographie et fiction. Mais ses
interventions d’auteur n’avaient guère d’autres fonctions que de légitimer
ses contes libertins, d’alléguer leur origine, d’en tirer un enseignement
moral et d’attaquer ses détracteurs. Quant à Mme de Staël, elle pratiquait
une sorte d’autofiction hyper-romanesque qui idéalisait outrageusement ses
héroïnes. À l’opposé, Senancour, réduisant Oberman à une longue
méditation désincarnée, éliminait l’intrigue, tandis que Constant proposait
avec Adolphe « un roman dont les personnages se réduiraient à deux et dont
la situation serait toujours la même 10 ».
Parus en 1804 et 1816, ces deux textes passèrent presque inaperçus.
L’originalité fondamentale de René ne fut pas mieux comprise des
contemporains, qui n’en retinrent d’abord que le prétexte apologétique. Il
faudra attendre vingt ans pour que ces œuvres soient comparées,
regroupées, rangées dans une catégorie nouvelle et imitées. Sainte-Beuve
joua un rôle important dans ce processus, en tant qu’auteur (Vie, poésies et
pensées de Joseph Delorme en 1829, Volupté en 1834), en tant que préfacier
enthousiaste de la réédition d’Oberman et en tant que critique (« Du roman
intime », article de 1832, Chateaubriand et son groupe littéraire sous
l’Empire, cours de 1848-1849 11).
La génération de 1830 était cependant moins audacieuse que la
précédente, chacun redoutant, comme Musset, de s’exposer « tout nu,
derrière un manteau troué en mille endroits 12 ». Ainsi La Confession d’un
enfant du siècle trahit-elle une tergiversation générique : le titre suggère une
valeur référentielle, les premiers chapitres traitent d’un phénomène
psychosociologique, puis ce discours laisse la place au récit d’une passion
interminable dont les héros pouvaient, d’assez loin, évoquer l’auteur et
George Sand. Celle-ci, dans ses premiers romans (Indiana, 1832, Lélia,
1833), comme dans sa propre version de leur liaison (Elle et lui, 1859),
s’appliquait à fictionnaliser les portraits et les destins de ses héroïnes tout
en leur assignant, à l’évidence, une fonction spéculaire et un rôle de porte-
parole. C’est l’épitexte, accessible dans ses autres écrits, dans la presse,
dans les témoignages de tiers, qui devait assurer à ses romans une réception
partiellement autobiographique.
Bien qu’elles relèvent d’une poétique plus lyrique que narrative, les
nouvelles de Nerval, Sylvie (1853), Aurélia (1855), où le rêve contamine
constamment la réalité vécue, traduisent elles aussi une approche
ambivalente de la confidence personnelle, fuie dès qu’elle s’amorce.
Ambivalence encore dans Louis Lambert (1836) où deux personnages, le
narrateur et le héros, se partagent des traits biographiques de l’auteur et où
l’histoire, en quête de son dénouement, finit par bifurquer dans le drame
romanesque. Hésitation, enfin, dans Émile (1827) entre le drame pathétique
et les Mémoires : pour plaider la cause des enfants illégitimes, Girardin
adoptait une solution bâtarde.
Ce n’est qu’avec Fromentin (Dominique, 1862), Daudet (Le Petit
Chose, 1868), Loti (Aziyadé, 1879), Vallès (Jacques Vingtras, 1879-1886),
Huysmans (Là-bas, 1891, En route, 1895), Jules Renard (Poil de Carotte,
1894) que le roman autobiographique français va progressivement se
dégager du pathos romantique. Il s’inscrira désormais, pour l’essentiel, dans
le créneau et dans l’histoire du roman réaliste, ou naturaliste, tout en
prétendant implicitement le dépasser en matière de référentialité.

EN EUROPE

Ce schéma diachronique n’est pas tout à fait transposable aux


littératures voisines. En Italie, Les Dernières Lettres de Jacopo Ortis 13 ont
montré, dès 1802, que l’expression de soi pouvait se concilier avec un
discours politique. Outre-Manche, c’est sans doute Byron qui a ouvert la
voie au roman autobiographique. Son Don Juan conjuguait le narcissisme
romantique avec une tradition satirique typiquement britannique. On
retrouve ce regard ironique sur soi, cette politesse de l’ego, chez de
Quincey et, plus tard, chez Joyce, Thomas Wolfe ou Philip Roth. Les
Confessions d’un mangeur d’opium anglais étaient présentées par l’auteur,
en 1821, comme des « Mémoires », mais, en mêlant la précision du compte
rendu clinique avec la poésie des hallucinations, de Quincey brouillait déjà,
avant Nerval et Rilke, la distinction entre réalité et fiction.
L’historien Thomas Carlyle publia en 1834 Sartor Resartus. Vie et
opinions de Herr Teufelsdröckh : sa biographie, transposée en Allemagne,
était surtout prétexte à exposer les idées qu’il avait puisées chez Kant et
Hegel. À l’opposé, L’Improvisateur d’Andersen 14, qui parut au Danemark
l’année suivante, flattait le goût du public pour l’exotisme le plus
conventionnel. Avatar de ‘Corinne’, ‘Antonio’ résultait d’une projection
autofictionnelle dans l’Italie romantique et ensoleillée des ruines, des
chansons et des brigands. Traduit en plusieurs langues, ce roman connut,
dans toute l’Europe, un succès aussi extraordinaire qu’éphémère. Par
contraste, David Copperfield se rattachait plutôt, comme le Mangeur
d’opium, à la tradition des Mémoires. Il signa en tout cas la fin des
travestissements du « moi » plus ou moins fantaisistes et marqua ainsi, dans
le domaine anglais, la véritable naissance du genre dont il figura désormais,
pour les écrivains comme pour les lecteurs, l’illustration majeure. A partir
de 1850, le roman de soi va s’inscrire, à peu d’exceptions près, dans un
cadre et dans une rhétorique réalistes.
Dans l’aire allemande, Gottfried Keller fut le premier à réaliser cette
synthèse avec Henri le Vert 15. La stratégie générique de ce Bildungsroman
mériterait, plus que toute autre, une étude détaillée 16. En effet, les deux
versions successives, parues en 1855 et 1880, divergent considérablement,
tant au niveau de l’énonciation – passage d’une structure mixte à une
narration uniment autodiégétique – que du scénario : échec et suicide dans
la première version, apprentissage, vocation d’écrivain et bonheur conjugal
dans la seconde. Ce sont deux romans différents qui obéissent à des
desseins opposés.
La littérature allemande avait déjà produit, à la fin du siècle précédent,
quelques romans autobiographiques tout à fait dignes d’intérêt. Georges
Gusdorf attribue cette éclosion à la rencontre de deux courants
antagonistes : la tradition piétiste du journal spirituel, d’une part, et « la
brusque éruption de sensibilité déchaînée qui envahit l’espace culturel
allemand dans les années 1770-1780 17 », d’autre part. Johann Heinrich Jung
se rattache étroitement au premier courant : son héros-narrateur, ‘Heinrich
Stilling’ 18, interprète constamment les événements de sa vie à la lumière de
sa foi. Cet examen de conscience narrativisé assura le renom de l’auteur au
plein sens du terme, puisqu’on ne le désigna plus que sous le nom de ‘Jung-
Stilling’. C’était évidemment la preuve que ses « romans » avaient bien été
reçus dans un registre autobiographique.
Son contemporain Karl Philipp Moritz, que nous venons de rencontrer
parmi les auteurs de « combat », développa sa stratégie de l’ambiguïté dans
une perspective idéologique diamétralement opposée : il entendait dénoncer
les méthodes d’éducation piétistes dont il avait souffert 19. Par le jeu de ses
préfaces, par l’adjonction du personnage de ‘Philip Reiser’, double
homonyme de l’auteur et du héros, par l’importance qu’il accorde aux
impressions d’enfance, par son analyse d’une vocation d’écrivain, Anton
Reiser préfigure, plus encore que René, les textes du XXe siècle. Témoin
cette mise en abyme métadiscursive et intertextuelle :

[…] par instants il fut également tenté d’écrire l’histoire de sa


propre vie ; mais le début tel qu’il le concevait finissait toujours par
ressembler aux robinsonnades qu’il avait lues, à savoir : il était né
en telle et telle année à H…, de parents pauvres mais honnêtes, et le
récit devait se poursuivre sur ce même ton 20.
PRÉCURSEURS
Ces écrivains ont toujours occupé une position marginale dans la
littérature allemande et n’ont pas engendré de postérité immédiate 21. Aussi
doivent-ils être davantage considérés comme les annonciateurs d’un genre à
venir que comme ses fondateurs. Mais enfin, il faut admettre que
Chateaubriand, Dickens et Keller ont été devancés. Et cette constatation
met le poéticien devant une alternative théorique : soit il postule
l’universalité de cette stratégie de l’ambiguïté narrative et privilégie par
conséquent les études synchroniques, comparatistes, éventuellement
enrichies de données anthropologiques, soit il demande à l’historien de
remonter toujours plus loin dans le temps dans l’espoir de reconstituer une
genèse cohérente du genre.
Examinons les deux opinions. À l’appui de la première, je citerai deux
œuvres qui, dans des contextes fort différents, se distinguent par leur
positionnement générique de toute la production littéraire de leur temps.
Leurs auteurs semblent inventer d’un coup tous les ingrédients du genre,
sans douter un instant que les lecteurs n’en saisissent l’ambiguïté.
Je veux d’abord parler du récit écrit par Apulée au IIe siècle sous le
double titre Les Métamorphoses ou L’Âne d’or. La plupart de ses
commentateurs envisagent l’hypothèse d’une identité entre l’auteur et son
héros. Ils se fondent notamment sur un passage du livre XI où ‘Lucius’ se
dit « de Madaura », patrie d’Apulée. Saint Augustin, pour sa part, admettait
qu’Apulée avait pu être métamorphosé en âne par sorcellerie 22. L’astucieux
conteur avait donc réussi à semer le doute dans l’esprit de ses lecteurs.
Le second exemple de texte atypique et précurseur a déjà été mentionné
à propos du lieu rhétorique du plaidoyer. Que Marguerite Briet ait publié en
1538, sous le pseudonyme ronflant d’‘Hélisenne de Crenne’, un texte aussi
inclassable que Les Angoysses douloureuses qui procèdent d’amour reste
inexplicable dans le cadre de notre histoire littéraire. L’Histoire des
littératures d’A.-M. Schmidt considère Hélisenne comme « la créatrice du
roman autobiographique français 23 ». Mais, dans une époque où rien ne
s’écrivait sans modèle, il reste à déterminer quelles étaient ses références
génériques, comment ce texte a été reçu, s’il fut imité.
De tels phénomènes militent pour une acception essentialiste du genre :
sa structure serait disponible à tout conteur. Le roman autobiographique
constituerait alors un des procédés de base pour transmettre un récit, un
invariant de l’histoire universelle du conte, une forme archétypique. Il
suffirait de tendre la plume pour instaurer ce type particulier de
communication avec le récepteur. On ne saurait pourtant tenir cette
conception pour acquise tant que les exemples cités à son appui ne sont pas
plus nombreux. De plus, ces œuvres singulières présentent, à y regarder de
plus près, des traits communs. D’abord elles apparaissent dans la même aire
occidentale de culture gréco-latine. Il ne semble pas que cette configuration
générique ait pu se manifester aussi spontanément dans d’autres traditions
narratives. D’autre part, elles surviennent dans une époque de
bouillonnement culturel et idéologique : la décadence des lettres latines au
e 24
II siècle , la Renaissance en France.

Enfin et surtout, elles s’inscrivent sur les marges du système générique


en vigueur. Pour les Latins, le récit en prose ne relevait pas de la littérature
mais du conte émanant de traditions orales et orientales. Il se situe donc, par
rapport à la culture romaine officielle, dans la catégorie de la pensée
sauvage et exotique. Apulée lui-même était d’origine africaine, donc
barbare, et de surcroît adepte, comme son héros, d’une secte venue
d’Égypte. De même, l’œuvre d’Hélisenne est doublement marginale en tant
que roman, genre trivial, de style « bas », sans statut car dépourvu de
modèle antique, et en tant que discours féminin destiné aux lectrices. Nos
deux auteurs s’adressaient donc à des publics peu soucieux du système des
genres canoniques.
Si l’histoire littéraire ne connaît pas d’émules à ces originaux, elle
permet en revanche de mettre en perspective, dans le XVIIe siècle français,
une série de romans annonçant le phénomène générique qui se développera
après 1800. Ces textes, comme les précédents, sont apparus dans des zones
plus ou moins périphériques de la production littéraire.
On attribue généralement à Théophile de Viau le mérite d’avoir
entrepris la première autobiographie romancée. Mais ses Fragments d’une
Histoire comique 25 obéissaient essentiellement, nous l’avons vu, à la
volonté de plaider sa cause. Tristan L’Hermite, au contraire, s’est engagé
dans une véritable démarche rétrospective articulant, de façon tout à fait
nouvelle, le temps de sa jeunesse et le moment où il se la remémore. Le
« prélude » du Page disgracié établit un pacte autobiographique en bonne et
due forme :

Cher Thirinte […] vous voulez absolument savoir tout le cours de


ma vie. […] Comment aurais-je la hardiesse de mettre au jour des
aventures si peu considérables ? […] Je n’écris pas un poème
illustre, où je me veuille introduire comme un Héros ; je trace une
histoire déplorable, où je ne parais que comme un objet de pitié, et
comme un jouet des passions, des astres et de la Fortune. La Fable
ne fera point éclater ici ses ornements avec pompe ; la Vérité s’y
présentera seulement si mal habillée qu’on pourra dire qu’elle est
toute nue […] c’est une fidèle copie d’un lamentable original, c’est
26
comme une réflexion de miroir .

Mais, après avoir évoqué Montaigne, Tristan suit en fait le modèle


narratif du roman picaresque espagnol. La Vie de Lazarillo de Tormes,
Guzmán de Alfarache, Le Buscón avaient introduit avec succès dans la
littérature européenne un nouveau type de récits : l’autobiographie fictive,
dont le héros-narrateur connaît, dans différents lieux et milieux de la
société, des aventures satiriques. Leur influence s’est conjuguée, en France,
avec la tradition des fabliaux et des « contes à rire » pour donner naissance
au sous-genre des « histoires comiques », dont Théophile se réclamait
explicitement. Adoptant la structure narrative du roman picaresque et de
l’histoire comique, ‘Tristan’ égrène une succession d’épisodes
indépendants, dont il n’est pas toujours le héros et dont il puise un bon
nombre dans des recueils de nouvelles. La sincérité n’affleure qu’aux
moments où le conteur s’efforce de justifier ses faiblesses passées par
quelque fatalité astrale.
Pourquoi ce narrateur s’estimait-il indigne de « mettre au jour des
aventures si peu considérables » ? Parce qu’à son époque ne publiaient leurs
souvenirs que des hommes « considérables » par leur naissance et leurs
prouesses. Marc Fumaroli explique que le « genre spécifiquement
français 27 » des « Mémoires » a occupé dans la poétique du Grand Siècle le
pôle référentiel que l’Histoire laissait vacant faute de liberté explicative.
Les nobles mémorialistes n’entendaient pas faire œuvre littéraire, le nom
d’« auteur » étant infamant à leurs yeux, mais dresser le bilan, le
« mémoire », de leur contribution personnelle à l’Histoire. Avec
l’affermissement du pouvoir central, les centres d’intérêt des mémorialistes
se déplacèrent de la guerre vers la cour, la mondanité, la galanterie, d’une
part, mais aussi, sous l’influence du jansénisme, vers la vie intérieure. Et,
sur ce plan, les Confessions de saint Augustin, traduites par Arnaud
d’Andilly en 1650, constituèrent, pendant deux siècles, le modèle de
l’autobiographie apologétique.
Parallèlement, dès les premières années du règne de Louis XIV, le
roman précieux, héroïque ou pastoral, se démoda. Les doctes, garants du
goût classique, lui reprochaient ses outrances, son invraisemblance 28. Quant
à l’histoire comique, qui avait dérivé vers la satire burlesque, elle
contrevenait à la bienséance en mettant en scène des personnages de bas
étage ou en dégradant les héros antiques. C’est pourquoi les auteurs
désireux de relever le prestige du roman se tournèrent vers les Mémoires,
qui respectaient à la fois la vraisemblance et la bienséance. Mme de
Lafayette, par exemple, prétendit, contre toute évidence, que La Princesse
de Clèves était « proprement des Mémoires 29 ».
Les années 1670-1690 furent les plus propices au mélange des genres
narratifs, roman d’une part, lettres, récit de voyage et Mémoires d’autre
part. Malheureusement, les textes qui témoignent de cette fièvre
expérimentale ne sont plus connus que des spécialistes. Dans son Enquête
sur le roman et les Mémoires (1660-1700), Marie-Thérèse Hipp reconnaît
ainsi des « résonances autobiographiques » et préromantiques aux Lettres à
Babet, « premier vrai roman épistolaire 30 » (1669). Son auteur, Edme
Boursault, fit paraître trente ans plus tard les Lettres nouvelles où il
annonçait son mariage avec ‘Babet’. Autre roman épistolaire cultivant
l’ambiguïté, l’Histoire de Cléante et Bélise (1689) de Mme Ferrand. En
contrepoint paraîtront en 1691 les Lettres de la présidente Ferrand au
baron de Breteuil qui, authentiques ou non, incitaient à confondre l’auteur
avec ‘Bélise’.
À la même époque, les récits parodiant, à la façon de Lucien, les
relations d’expéditions lointaines connurent une certaine vogue qui permit à
quelques auteurs de tourner le tabou du « moi ». On retrouve ici Charles
d’Assoucy, dont les Avantures 31, dit Maurice Lever, « réalisent la fusion
idéale de l’autobiographie et du roman de gueuserie 32 ». Dans cette veine,
Le Voyage de Fontainebleau (1678) « se donne aussi des airs
autobiographiques 33 », puisque l’auteur, Jean de Préchac, prête d’abord son
nom, ‘Préchac’, au narrateur qui se rend à la cour, puis devient le
personnage d’un roman raconté par un autre. Enfin, les récits
autofictionnels de René du Chastelet des Bois (l’Odyssée, 1665) et Pierre
Prodez de Beragrem (Mémoires contenant ses voyages et tout ce qui lui est
arrivé de plus remarquable dans sa vie, 1677) 34 relevaient à la fois du récit
de voyage et du roman-Mémoires naissant.
N’ayant pas donné de chefs-d’œuvre qui aient mérité d’être réédités au
siècle des Lumières, cette poussée de fièvre générique s’éteignit sans laisser
e
de trace. Paradoxalement, le XVIII siècle, âge d’or du récit en première
personne, fut peu propice au roman autobiographique. Cette carence, cette
timidité s’expliquent sans doute par la double contrainte que Georges May
nommait « le dilemme du roman » 35. D’une part, on demandait aux auteurs
de renoncer à l’invraisemblance totale du roman précieux et, d’autre part,
on exigeait qu’ils n’en respectent pas moins les bienséances. Dès qu’ils
faisaient un pas vers le réalisme des situations, des personnages, des
discours, ils tombaient sous le coup des censeurs. Constamment accusés de
corrompre les mœurs, interdits d’édition pendant quelques années pour
cause d’immoralité 36, les romanciers durent plaider sans relâche leurs
intentions édifiantes et finirent parfois par confondre récit et sermon 37. Il
n’était donc pas question pour eux de s’identifier aux personnages dont ils
prétendaient condamner les faiblesses et stigmatiser les vices. Ce n’est qu’à
la fin du siècle, lorsque se relâchera cette pression moraliste, qu’ils pourront
être tentés, même s’ils s’en défendaient encore, par les jeux spéculaires.

DIFFUSION

La recherche diachronique permet donc de détecter et de mettre en


perspective des stratégies narratives analogues, apparues dans des contextes
divers, sans qu’on puisse toujours établir de filiation entre elles. Ces
occurrences ont cependant deux points communs : une culture commune,
occidentale au sens large, et une position plutôt marginale par rapport à
l’orthodoxie littéraire de leur époque. L’hypothèse d’un foyer occidental
dans lequel la stratégie générique du roman autobiographique se serait
élaborée, et à partir duquel elle se serait diffusée dans d’autres aires
culturelles, mérite donc d’être étudiée. Dans cette optique, il apparaît
nécessaire de rechercher si, et comment, le genre s’est développé dans des
contextes culturels différents. Je proposerai deux exemples : le Japon et les
pays colonisés.
La littérature japonaise moderne s’est constituée, pendant l’ère Meiji
(1868-1912), en abandonnant la langue écrite archaïque au profit de la
langue parlée, en simplifiant l’écriture et en délaissant le récit historique
pour imiter le réalisme occidental. Celui-ci montrait que le monde
contemporain était matière à littérature. Mais, s’ils se réclamaient
principalement de Zola et du naturalisme, les premiers romanciers de cette
période avaient aussi découvert avec intérêt les Confessions de Rousseau.
Volontiers individualistes et élitistes, ils eurent rarement pour ambition de
peindre la société japonaise dans son ensemble. Aussi ont-ils surtout retenu
du roman occidental la possibilité de décrire le cheminement intime d’une
conscience confrontée à un problème particulier. Ils n’ont sans doute pas
identifié et imité le roman personnel en tant que genre, mais plutôt
redécouvert cette stratégie générique en opérant une synthèse originale,
typiquement japonaise, du roman naturaliste et du journal intime.
En 1890, pour définir son premier roman, Maihime [La Danseuse] (non
traduit), Mori Ogai créa le terme shi-shôsetsu en traduisant l’expression
allemande Ich-Roman (roman-je). Le genre qu’il inaugurait ainsi allait
connaître un développement considérable. D’après Georges Gottlieb, « une
bonne partie de la production romanesque du Japon moderne se confond
avec la pratique du shi-shôsetsu 38 ». Cécile Sakai a tenté d’expliquer cette
fortune du « roman personnel » japonais :

En tout cas, l’on peut souligner que la découverte de la dimension


psychologique, associée à l’influence d’un humanisme chrétien
normalisant la notion de « vérité », a certainement provoqué une
forte focalisation sur la subjectivité. […] Enfin la présence de
l’auteur au premier plan du texte légitime davantage encore le
pouvoir neuf de l’homme de lettres. Bref la première littérature
moderne sera, au Japon, celle de l’individualité de l’écrivain : grâce
au « pacte » qui le relie à la critique et au public, il n’y aura jamais,
ou presque, d’ambiguïté sur la nature autobiographique de ces
romans et nouvelles 39.

Dans un essai de 1904, intitulé Descriptions vraies 40, l’écrivain Tayama


Katai théorisa le nouveau genre en prônant une description sincère et
objective des expériences vécues personnellement par l’auteur 41. Cette
revendication d’une parole authentique n’alla pas sans difficulté. En
42
appliquant ses principes dans Futon , qui évoquait l’attirance d’un écrivain
pour une jeune admiratrice, Tayama suscita la réprobation. Quant à Vita
sexualis de Mori Ogai 43, qui racontait fort pudiquement un apprentissage
amoureux, il fut purement et simplement interdit. Dans les deux cas, le titre,
plus que le contenu, était de nature à choquer. Dans le même esprit
provocateur, Shimazaki Tôson intitula son premier roman Hakai [La
44
Rupture de l’interdit] (non traduit). Dans Une famille (1911) , il plaçait son
héros dans la position difficile de l’écrivain en butte à l’incompréhension du
clan patricien arc-bouté sur ses traditions. Mais c’est avec Shinsei [Vie
nouvelle] (1919, non traduit) qu’il devait, lui aussi, provoquer le scandale
en revendiquant la liberté de vivre une relation amoureuse avec sa nièce.
Le premier roman de Natsume Sôseki, Je suis un chat 45, réconcilia le
shi-shôsetsu avec la critique. Ni transgression, ni sexe, ni passion dans cette
chronique satirique de la vie d’un intellectuel déconnecté des réalités socio-
économiques. La même auto-ironie imprégnée d’humour britannique se
46
retrouve dans Botchan , dont le héros est un professeur d’anglais en poste
dans une lointaine province. Lorsque son propos deviendra plus grave, plus
mélancolique, Sôseki s’appliquera à se distinguer de ses personnages.
Ainsi, le protagoniste d’Oreiller d’herbe est un peintre-poète qui, justement,
cherche la bonne distance entre ses émotions et son œuvre :

Dans un pareil moment, comment retrouver un point de vue


poétique ? Eh bien, il suffit de placer devant soi son sentiment, de
reculer de quelques pas et de l’examiner avec calme comme s’il
s’agissait de celui d’un autre. Le poète a le devoir de disséquer lui-
même son propre cadavre et de rendre publics les résultats de son
autopsie 47.

Les jeunes héros désemparés de Sanshirô 48, d’À l’équinoxe et au-delà 49,
du Pauvre cœur des hommes 50, évoquent la période de formation de Sôseki
sans envoyer de signaux explicites d’autobiographie. En revanche, il n’est
guère besoin de connaître son histoire personnelle pour deviner qu’il fut
‘Kenzô’, le héros de son dernier roman 51, un écrivain bouleversé par la
réapparition de son père adoptif venu lui extorquer de l’argent.
Dans ce type de récit, le lecteur occidental est mal placé pour mesurer le
degré d’autobiographie que l’auteur a voulu suggérer à son public. Certains
codes nous échappent et nous nous en remettons fatalement à l’appréciation
du traducteur et du préfacier. Une étude comparative des stratégies
génériques d’Orient et d’Occident serait évidemment du plus haut intérêt.
Après Sôseki, le genre du shi-shôsetsu connut une éclipse. Il fut
submergé par une vague de littérature populaire et par la politisation du
roman réaliste. Puis l’arrivée au pouvoir de l’extrême droite belliciste, à
partir de 1930, mit un terme à toutes les formes d’innovation littéraire.
Seuls deux grands romanciers échappèrent à la répression : Kawabata et
Tanizaki. Leur apolitisme se doublait d’une certaine méfiance envers le shi-
52
shôsetsu. Seule exception, chez Tanizaki, Le Goût des orties , dont le
personnage de ‘Kaname’ évoque sans doute l’auteur au moment où il
éprouva un regain d’intérêt pour la culture japonaise traditionnelle.
La fin de la Seconde Guerre mondiale marqua un renouveau du roman
japonais, donc le retour du shi-shôsetsu. Il retrouva une fonction
transgressive avec les premiers romans de Mishima, Confession d’un
53 54
masque et Amours interdites , qui traitaient de la situation des
homosexuels dans le Japon puritain. Enfin, dans la production du dernier
demi-siècle, dont une faible partie est accessible en traduction, l’œuvre de
Kenzaburô Ôé est particulièrement remarquable. De la fiction d’Une affaire
personnelle 55 au témoignage d’Une famille en voie de guérison 56, elle
parcourt en effet tout l’éventail des genres narratifs. Il faut également citer
le grand œuvre proustien de Nakamura Shin’ichirô : Les Quatre Saisons 57.
L’exemple du Japon montre que le roman autobiographique a pu exercer
une fonction maïeutique en libérant une parole contrainte et ainsi favoriser
l’apparition d’une nouvelle littérature. L’histoire de la littérature
maghrébine d’expression française confirme cette vocation. Ce sont en effet
trois romans autobiographiques qui ont ouvert simultanément la voie à
l’expression littéraire des peuples colonisés : en Tunisie La Statue de sel
d’Albert Memmi (1953) 58, en Algérie Le Fils du pauvre de Mouloud
Feraoun (1954) 59 et au Maroc Le Passé simple de Driss Chraïbi (1954) 60. Il
est clair que le roman fournissait à ces jeunes gens formés par l’école
française un outil puissant pour dire au colonisateur, dans sa propre langue,
la réalité de leur culture opprimée. Clair aussi, rétrospectivement, que leur
prise de parole préfigurait la prise des armes contre l’occupant. Que les
nouvelles élites aient ensuite combattu cette forme d’expression, à la fois
individualiste et cosmopolite, c’est une autre histoire.
On comparera ces témoignages avec ceux de Camara Laye, de Baltasar
Lopes, de Joseph Zobel et de Galsan Tschinag apparus dans des contextes
similaires. Dans L’Enfant noir 61, le premier idéalisait sa jeunesse dans un
village guinéen, puis son ascension dans le cursus scolaire français, sans
mentionner le moindre facteur de tension. Plus âpres, Lopes, dans
Chiquinho 62, et Zobel, dans La Rue Cases-Nègres 63, dénonçaient la misère
et les humiliations dont souffraient les Noirs marqués par l’esclavage au
Cap-Vert comme aux Antilles. Dans un autre contexte, Galsan Tschinag a
décrit les ravages de l’acculturation perpétrée par le totalitarisme
communiste en Mongolie 64. Instigateurs d’une nouvelle littérature, ces
auteurs recoururent à l’ambiguïté générique pour dire la situation
inconfortable du « nègre blanc » : celui qui a accédé au cœur du système
colonial tente de réconcilier ses deux vies, ses deux cultures, par le récit, et
il ne peut le faire que sous couvert de fiction.

Infortune critique
Après ces aperçus sur l’histoire du genre, je voudrais poursuivre la
critique de la critique amorcée en introduction. Sans doute faut-il rappeler
d’abord que la poétique, qui traite de la théorie des genres, a longtemps été
un système d’exclusion. Cherchant l’essence de la poésie, Aristote
invalidait méthodiquement la plus grande part de la littérature grecque pour
ne retenir en fin de compte qu’un seul paradigme de parfaite littérarité,
Œdipe roi de Sophocle. Redécouverte à la Renaissance, son œuvre donna
naissance à une nouvelle discipline qui, comme le remarquait Valéry,
« connut une grande et durable faveur à cause de l’extrême facilité qu’elle
donnait de juger et de classer les ouvrages, par simple référence à un code
ou à un canon bien défini 65 ».
Armés de ses critères, les « doctes » pouvaient, d’autorité, imposer leurs
normes. Ainsi était-il inconcevable, aux XVIIe et XVIIIe siècles, que les
Mémoires soient considérés comme des œuvres littéraires. Et, par la suite,
les textes référentiels qui ont bénéficié d’une lecture littéraire ont toujours
fait figure d’exceptions. Les autobiographies de Rousseau, Chateaubriand,
Stendhal, Gide et Sartre, ne furent d’abord acceptées par la critique
universitaire qu’en tant que documents biographiques et en considération
des services rendus par leurs auteurs aux genres nobles. Dans « Un siècle de
résistance à l’autobiographie 66 », Philippe Lejeune a étudié cette politique
d’exclusion à travers le réquisitoire prononcé en 1888 par le grand critique
Brunetière à l’encontre de « La littérature personnelle ». Il a aussi organisé
un colloque sur L’Autobiographie en procès dont les actes mériteraient
d’être étudiés en classe 67. Mais ces recherches ne suffisent pas à rendre
compte du destin critique du roman autobiographique, car sa spécificité
générique lui a valu un traitement particulier.
La théorie des genres a tout de même dû évoluer depuis Aristote. La
poésie lyrique est devenue une catégorie littéraire à part entière, un mode
d’énonciation dans lequel l’expression personnelle était tolérée. Le roman a
fini par se substituer à l’épopée en tant que genre narratif fictionnel. Mais
comment classer un récit situé sur la frontière entre roman et
autobiographie ? Voilà une question qui a toujours embarrassé la critique.
Ses réponses peuvent être réparties en quatre catégories. La solution la
plus ancienne consiste à ignorer ces textes comme lettre morte, n’en point
parler. Ce silence critique, qui est encore audible à l’Université, se dérobe
lui-même au commentaire dans la mesure où il tait ses motifs. Seconde
possibilité, une lecture sélective permet au critique de réduire le récit à sa
dimension référentielle et de lui refuser par conséquent un statut artistique.
L’attitude opposée consiste à n’envisager le texte que sous son aspect de
roman afin de lui assurer une littérarité incontestable. Enfin, il arrive tout de
même, de plus en plus fréquemment, que la stratégie générique de l’auteur
soit examinée dans toute sa complexité sémiotique en adoptant le point de
vue du lecteur.
Avant d’examiner ces différentes positions, il est peut-être utile de
rappeler les données terminologiques du problème. En effet, par quelque
bout qu’on la prenne, la difficulté à nommer l’objet constitue à la fois un
symptôme et une cause de sa viscosité conceptuelle.

L’INNOMMABLE

Ce problème terminologique cristallise et révèle en effet toutes les


ambiguïtés d’un genre fondé sur le non-dit, le déguisement, la duplicité, le
secret. Secret de Polichinelle, en vérité, partagé par tous les acteurs de la
communication littéraire, mais jeu sérieux dont les règles doivent rester
tacites pour que le charme opère. Qui est coupable, au fond, de cette
carence lexicale ? Les auteurs ? Ne se sont-ils pas ingéniés à nommer
« Mémoires », « confession », « journal », « lettre », « récit », ou plus
communément « roman », ce qu’ils savaient relever d’une forme mixte ? À
une telle accusation, ils pourraient répondre qu’ils se conformaient à la
demande, que les lecteurs, les critiques et les éditeurs se satisfaisaient
d’appellations génériques approximatives et n’ont jamais demandé un
étiquetage plus précis des produits narratifs. Les lecteurs ? Ils refuseront
eux aussi d’endosser la responsabilité d’un défaut d’affichage qui les
déroute, et parfois les dupe. Les éditeurs ? Comment exiger d’eux qu’ils
annoncent un genre aussi mal identifié qu’« autofiction » ou « roman
autobiographique » ? Il faut donc admettre que nous avons affaire à un
produit de contrebande qui ne peut s’écrire, se vendre et se lire
qu’estampillé d’un faux nom. Tout se passe comme si ce type de récits,
fondé sur le malentendu, était condamné à rester innommable.
Une telle opacité ne devrait pas décourager la critique, et en particulier
la poétique. Cette discipline n’a-t-elle pas vocation à regrouper les textes
dans des catégories cohérentes et à faire correspondre à ces concepts des
définitions, des critères d’identification, des relations avec les genres
voisins, que le lecteur averti intégrera à son encyclopédie personnelle ? Or,
dans le cas qui nous occupe, la critique a failli : le genre qui, en raison
même de ses ambiguïtés, aurait nécessité les études les plus approfondies
est resté sans nom, sans définition, sans critère distinctif, sans histoire.
Nonobstant, il s’est perpétué, développé, ramifié, au point d’occuper
aujourd’hui une bonne part de la production narrative. Mais le problème de
sa nomination reste entier.
Que nous a-t-on proposé jusqu’à maintenant ? Sainte-Beuve créa, dans
un article de 1832, l’expression « roman intime » pour désigner les œuvres
de ses prédécesseurs, Chateaubriand, Senancour, Constant 68. Le terme de
« roman autobiographique » est apparu par la suite, sans doute traduit de
l’anglais autobiographical novel. Il est mentionné, sans être défini, par le
Dictionnaire universel des littératures de 1876. Mais on peut s’interroger
sur le système générique dans lequel il s’insérait quand on constate que,
dans le même ouvrage, la définition très extensive d’« autobiographie »
recouvre son domaine :

[…] œuvre littéraire, roman, poème, traité philosophique, etc., dont


l’auteur a eu l’intention, secrète ou avouée, de raconter sa vie,
d’exposer ses pensées ou de peindre ses sentiments.

Et de citer en exemples La Nouvelle Héloïse, les Nuits, les Pensées et…


le Discours de la méthode 69. Tout indique, et notamment les hésitations des
lexicographes, que le néologisme savant et ses dérivés ont mis fort
longtemps à entrer dans l’usage. Juxtaposition cahotante de racines
grecques, n’évoquait-il pas davantage la paléontologie, ou l’entomologie,
que les belles-lettres ? Aussi répugnait-il aux auteurs comme aux critiques,
qui se sentaient plus à l’aise avec les catégories éprouvées – Mémoires,
confession, journal, histoire, roman –, alors même qu’ils devaient
caractériser des pratiques inédites.
La critique universitaire partageait ce conservatisme linguistique. À
« roman autobiographique » elle préféra longtemps « roman personnel »
bien que cette épithète prêtât à confusion. En 1888, Brunetière englobait
dans sa condamnation de la « littérature personnelle » toutes sortes de récits
dont le seul point commun était l’énonciation en première personne 70.
L’étude de Merlant (1905) trahit de graves tergiversations terminologiques :
l’ayant intitulée Le Roman personnel de Rousseau à Fromentin 71, il affirme
d’abord que l’expression « roman autobiographique » est « ridicule », puis
l’emploie constamment, de préférence à « roman personnel », pour
caractériser les Rêveries, Oberman, René, Adolphe, Émile, Joseph Delorme
et Dominique. Il serait intéressant de savoir si ces incohérences sont
imputables à l’éditeur, à l’auteur ou à la Sorbonne. Jean Hytier regroupa, en
1928, Adolphe, Volupté, Dominique, les œuvres de Stendhal et de Mérimée
sous l’appellation « romans de l’individu ». Comme la plupart des critiques
de son temps, il faisait intervenir des critères de jugement moraux dans ses
définitions génériques :

Dans les genres qu’ils ont illustrés, dans la confession complaisante


de Sainte-Beuve et la loyale autobiographie de Fromentin comme
dans l’examen impersonnel de Constant […] ils ont, en se masquant
plus ou moins, manifesté une inspiration fortement subjective, assez
nette pour que, par une équivoque voulue cette fois, on puisse
72
entendre qu’il s’agit aussi de leur personne particulière .

Sous l’une ou l’autre de ces appellations, la critique universitaire ne


s’attachait pas tant à décrire un genre qu’à fossiliser le phénomène du récit
romantique en première personne. Merlant estimait que, « né d’une époque
où la pensée critique avait ruiné toute foi et réduit l’individu à ses seules
ressources », le roman autobiographique disparut avec Balzac 73. Albert
Thibaudet, quant à lui, réservait l’appellation « roman autobiographique » à
la génération de René. Plus tard, avec Huysmans, Vallès, Renard et le
premier Gide, il voyait apparaître « le roman personnel », sans le relier au
précédent ni lui accorder une véritable légitimité littéraire :

C’est, au moins apparemment, la forme la plus facile du roman,


puisqu’il consiste à se fabriquer un double où il appartient au lecteur
de démêler le factice du vrai 74.

La diffusion du terme et du concept « roman autobiographique » est


sans doute imputable aux revues littéraires qui s’intéressaient aux auteurs
contemporains. Devant fournir à leurs lecteurs une information générique
fiable sur les livres qui venaient de paraître, elles adoptèrent l’expression
qui leur permettait le mieux de caractériser les romans manifestement
mâtinés d’autobiographie. C’était évidemment postuler que l’histoire du
genre n’était pas close.
La critique savante ne s’est guère préoccupée de ce problème
terminologique jusqu’au moment où on a commencé à étudier sérieusement
les œuvres d’auteurs comme Vallès, Loti, Céline ou Colette. Certains
chercheurs ont alors tenté de le résoudre en substituant à « roman
autobiographique » un autre terme qu’ils souhaitaient plus opératoire. Henri
Godard, analysant l’œuvre de Céline, répudiait d’office la vieille lune :

Pour saisir l’originalité de l’entreprise, il faut commencer par


écarter la notion parasitaire et inconsistante de « roman
autobiographique », abusivement présentée comme une catégorie de
plein droit, et que l’on aimerait bien voir disparaître du vocabulaire
75
critique, tant, loin d’aider l’analyse, elle la brouille .

Mais en quoi le nom composé qu’il forgeait « pour qualifier la voie que
Céline inaugure », « roman-autobiographie » 76, était-il plus pertinent ? Dans
une thèse soutenue en 1988, Raymond Espinose entendait quant à lui
substituer « à l’appellation roman autobiographique celle de fiction
autobiographique », pour éviter « l’assimilation, trop souvent opérée par le
lecteur, entre auteur et narrateur 77 ». La même année, Jean Bellemin-Noël,
récusant « autofiction » aussi bien que « roman autobiographique »,
inventait « bi-autographie » 78. Au Québec, où est resté vivant le concept de
« littérature personnelle » 79, est apparu le terme de « roman mémoriel »,
d’un emploi plus ethnographique 80.
Du côté des auteurs, Aragon développa le concept hautement ambigu de
« mentir-vrai 81 », Annie Ernaux suggéra « récit auto-socio-biographique »
et « récit transpersonnel » pour caractériser ses textes les plus référentiels 82,
et, à propos des Romanesques, Alain Robbe-Grillet se réclama de la
« Nouvelle Autobiographie 83 » aussi bien que de l’autofiction 84.
On sait que seul ce dernier terme est en voie de lexicalisation 85. J’ai
déjà évoqué les circonstances dans lesquelles il est apparu et s’est diffusé en
France. Cette diffusion s’est opérée au prix d’une dérive sémantique qui
n’est pas terminée. La consonance moderne du mot a séduit les
prescripteurs de lecture, auxquels il permettait de requalifier et, surtout, de
revaloriser une part considérable de la production éditoriale. Aussi s’en
sont-ils emparés pour désigner tout ce qu’ils n’osaient plus appeler
« littérature personnelle » ou « roman autobiographique ». Dans une
conjoncture littéraire atone, cette trouvaille produisit un effet de mode en
excitant la curiosité des lecteurs 86.
Naturellement, du point de vue de la poétique, le concept d’autofiction
n’est aucunement validé. Tant qu’il n’aura pas été étudié dans une
perspective historique, en fonction du système des genres qui l’a produit, il
n’aura aucune valeur théorique. Tout se passe comme si la nouveauté du
signifiant occultait l’ancienneté du signifié, comme si sa modernité bloquait
notre mémoire littéraire. Or il est facile de démontrer que les romanciers du
dernier quart de siècle qu’on a voulu ranger sous la bannière de
l’autofiction n’ont fait qu’exploiter et développer une stratégie générique
élaborée longtemps auparavant. Qu’ils le veuillent ou non, Doubrovsky,
Guibert, Roth, Handke, Ôé, etc., marchent sur les traces de Chateaubriand,
Musset, Dickens, Rilke, Miller, Céline, etc. Les styles diffèrent, les thèmes
évoluent, la sémiotique générique se transforme, mais, fondamentalement,
on reconnaît toujours une combinaison d’indices fictionnels et référentiels
induisant une double lecture.
Vincent Colonna 87 a proposé de réserver le terme aux récits d’aventures
imaginaires attribuées à un héros homonyme de l’auteur. Ce faisant, il
replaçait l’« autofiction » dans l’histoire littéraire. Mais, en faisant de
l’homonymie auteur-narrateur un critère sine qua non, il s’est enfermé dans
une catégorie trop restreinte pour avoir valeur de genre. Linguistiquement
correcte, théoriquement pertinente et tout à fait conforme au sens initial que
lui donnait Kosinski, cette acception pourrait avantageusement être étendue
à toutes les stratégies de projection de l’auteur dans des situations fictives,
quels que soient les indices permettant de l’identifier. Le terme de « roman
autobiographique » resterait applicable aux textes suggérant, au contraire,
de superposer étroitement la biographie du héros et celle de l’auteur, ce qui
est le cas chez Doubrovsky.
L’usage tranchera. L’ambiguïté générique s’est développée, jusqu’à
présent, dans la clandestinité que lui assurait un épais brouillard
terminologique. Si « autofiction », au sens large de « roman
autobiographique », entre dans l’usage courant et s’internationalise 88, une
nouvelle catégorie de textes pourra être nommée, et par conséquent
commercialisée. Mais elle ne sera pas pour autant définie ni conceptualisée.
On voit déjà ce vide sémantique attirer les convoitises. Il est à craindre que
l’excès de polysémie n’épuise prématurément le néologisme, puis qu’une
nouvelle mode littéraire ne l’emporte. La poétique aurait sans doute son
mot à dire dans cette affaire. Encore faut-il qu’elle se saisisse du problème,
qu’elle améliore sa connaissance des stratégies d’ambiguïté et qu’elle soit à
même de proposer une terminologie pragmatique. Cette clarification
retentirait non seulement sur la lecture, la diffusion, la discussion et la
pédagogie des textes, mais également sur leur production, en suscitant
l’apparition de formes inédites.
Quoi qu’il en soit, il est évident que l’enjeu dépasse le seul lexique
hexagonal. Le problème terminologique se pose partout où l’on écrit et où
l’on lit ce type de textes, donc dans de nombreuses langues. Et la plus
internationale d’entre elles, l’anglo-américain, risque d’imposer sa solution.
Parmi les critiques américains, le terme autobiographical novel, qui
remonte au XIXe siècle, est le plus répandu. Cependant, si l’on en juge par
les œuvres qu’ils citent en exemples, sa définition est extrêmement floue.
Ainsi, dans un article de 1959, Roy Pascal fondait son analyse du roman
autobiographique sur Werther, Adolphe, Portrait de l’artiste en jeune
homme et Amants et fils (de D.H. Lawrence), sans aucunement justifier ce
corpus hétérogène 89.
Plus récemment, dans The Autobiographical Novel of Co-
Consciousness, Galya Diment utilisait ce terme, sans le définir, pour
caractériser trois textes fort différents : Une histoire banale de Goncharov,
La Promenade au phare de Virginia Woolf et le Portrait de l’artiste en
jeune homme 90. J.H. Buckley, pour sa part, voyait dans le roman
autobiographique (autobiographical novel) « une des formes les plus
caractéristiques du XXe siècle » et citait, lui aussi, le Portrait de l’artiste en
jeune homme comme « exemple le plus éminent de ce genre moderne 91 ».
Cependant, il rangeait ensuite cette catégorie dans une classe plus vaste,
nommée autobiographical fiction, où figuraient David Copperfield, Amants
et fils et le Portrait 92.
Avrom Fleishman employait l’expression autobiographical fiction dans
un article de 1976 où il s’insurgeait contre la réception référentielle de
David Copperfield et de Portnoy et son complexe 93. Dans la même optique,
Paul John Eakin rassemblait tous les récits en première personne, quel que
soit leur statut, sous l’appellation autobiographical narrative, en
considérant qu’ils sont nécessairement régis par un processus de self-
invention où entrent autant d’imagination que de mémoire 94. En 1967, Peter
Axthelm fit paraître une étude intitulée The Modern Confessional Novel 95,
dans laquelle il insistait, comme Georges Gusdorf, sur l’origine religieuse
de « la forme confessionnelle », de saint Augustin aux journaux puritains. Il
montrait ensuite que Rousseau, Chateaubriand, Musset, de Quincey,
Lermontov, Gogol (dans Le Journal d’un fou) et Dostoïevski (dans Les
Carnets du sous-sol) ont poursuivi cette tradition de « dilacération de soi »
sous une forme de plus en plus distanciée, ironique et littéraire.
Ces dernières années ont vu apparaître les termes surfiction, factual
fiction, fiction of facts, ou encore le mot-valise faction, pour désigner les
récits au statut incertain. Mais, comme le français « autofiction », ces
désignations nouvelles tendent à leurrer le public en postulant une rupture
historique, une génération spontanée. Elles transforment en phénomène de
mode une tendance lourde, lente et profonde du roman occidental. Elles
occultent une évolution bi-séculaire. Si cette continuité historique n’est pas
perçue, c’est que la critique a presque toujours refusé de considérer ce qu’il
faut bien nommer le « roman autobiographique » comme un genre littéraire
à part entière. Ce refus a souvent pris la forme d’une confusion délibérée
avec l’autobiographie.

RÉDUCTION À L’AUTOBIOGRAPHIE

Réduire le roman autobiographique à sa composante autobiographique,


c’est évidemment méconnaître, ou plutôt occulter, sa composante
romanesque. Cette mise à l’écart des indices de fiction peut répondre à deux
intentions critiques opposées : la valorisation ou la dévalorisation du texte.
Dans la première hypothèse, le commentateur considère à tort que la
rhétorique de la sincérité déployée par le texte établit un pacte
autobiographique. Il réduit le roman à un témoignage, un document factuel
susceptible d’enrichir nos connaissances en matière de psychologie, de
sociologie, d’anthropologie, d’histoire, ou simplement en ce qui concerne la
biographie de l’auteur. Négligeant les indices de fictionnalité, il court
évidemment le risque de confondre réel et imaginaire. Mais ce type de
lecteur est rarement une victime naïve et désarmée de l’illusion
référentielle. Il se fonde plus souvent sur une vaste culture interdisciplinaire
pour mesurer la véracité et la nouveauté des informations délivrées par le
texte sur tel ou tel point. Son approche est donc davantage encyclopédique
qu’esthétique. À ce titre, elle entre dans le champ des sciences humaines,
échappant ainsi à l’autorité sourcilleuse du poéticien.
L’approche herméneutique des textes tend elle aussi à opérer une
réduction de leur ambiguïté au profit de leur seul signifié référentiel. Ainsi
Gusdorf ne se pose pas la question de la fictionnalisation. Son concept
global d’« écritures du moi » repousse la théorie des genres et la
problématique de la littérarité au rang des discussions oiseuses.
Autobiographie et roman autobiographique ne sont pour lui que de simples
variations du phénomène culturel unique qui l’intéresse :

La genèse corrélative des écritures du moi sous leurs diverses


formes atteste qu’elles ne se constituent pas selon l’ordre d’un
développement séparé. […] La conscience de soi s’ouvre des voies
afin de parvenir d’une manière ou d’une autre au jour de
l’incarnation écrite […].
Les discussions toujours renaissantes sur la distinction entre roman
et roman autobiographique n’ont pas grand intérêt, dans la mesure
où le romancier s’implique lui-même dans le fonctionnement de son
96
imagination productrice .

De même, Paul Ricœur, analysant comment le récit « dessine les traits


de l’expérience temporelle 97 » et « construit l’identité du personnage 98 »,
assigne au roman les fonctions de reconfiguration personnelle que l’on
prête habituellement à l’autobiographie et semble donc faire du premier une
variante de la seconde.
Cette position « intégrationniste » 99 est partagée par tous ceux qui
étudient les écritures du moi dans leur ensemble, sans exclusive. Le groupe
de recherches « Littérature de soi et psychanalyse », coordonné par Jean-
François Chiantaretto, illustre ce nouvel état d’esprit dans la mesure où ses
travaux privilégient la dimension autobiographique, consciente ou non, de
textes génériquement hétérogènes 100. Et, dans une autre perspective
d’études, les recherches génétiques du groupe « Genèse et autobiographie »,
animé par Catherine Viollet et Philippe Lejeune, témoignent aussi de
l’attraction centripète exercée par l’autobiographie sur les genres connexes
dont elle devient le modèle de référence 101.
Dès Le Pacte autobiographique, Philippe Lejeune avait affirmé que le
discours autobiographique devait s’appréhender dans une perspective
transgénérique. D’une part, il reconnaissait la validité de l’expression
« littérature personnelle » utilisée par l’ancienne critique pour désigner
toute écriture en forme de confidence ; et, d’autre part, il créait, à propos de
Gide, le concept d’« espace autobiographique » qu’il développera par la
suite 102. On commence à peine à mesurer la fécondité de ces études
systématiques du « je » littéraire sous tous ses aspects. Pour autant, dès
qu’on souhaite déterminer le registre de réception d’un texte, il est
nécessaire d’analyser méthodiquement le jeu des indices génériques qui fait
sa spécificité.
À l’inverse, les auteurs qui restent fidèles à une conception
aristotélicienne de la littérature excluent, a priori, l’autobiographie du
champ littéraire, donc développent une logique que Thomas Pavel nommait
« ségrégationniste ». Chez eux, l’assimilation du roman autobiographique à
l’autobiographie entraîne automatiquement sa condamnation esthétique. Le
meilleur exemple en est fourni, à la fin du XIXe siècle, par l’article de
Ferdinand Brunetière 103 auquel j’ai déjà fait allusion. Le critique y accablait
d’une même réprobation « Mémoires », « journaux », « correspondances »,
« confessions » et « récits personnels », Manon Lescaut, Marianne,
Rousseau, Werther, René, Adolphe, le Journal des Goncourt et « les
confessions du trop fameux Jules Vallès », bref tous les récits en première
personne qui, rompant avec la littérature « impersonnelle » du XVIIe siècle,
témoignaient du « subjectivisme du goût » et de la « ruine des valeurs ».
L’idéologie de Brunetière s’appuyait implicitement sur l’autorité d’Aristote.
Romanciers ou autobiographes, les auteurs qu’il stigmatisait contrevenaient
à la poétique classique à partir du moment où ils s’arrêtaient au
« particulier », à l’« accident », à l’individuel, et semblaient renoncer au
« type », au « caractère », à l’universel. En se cantonnant dans la
« chronique », ils allaient « contre l’objet de la littérature ». La narration en
première personne était un signe de cette perversion, un obstacle majeur à
l’expression artistique.
Cette position ségrégationniste constitua longtemps un dogme
infrangible de la critique officielle, garante de la séparation des genres. Elle
fut incarnée, entre les deux guerres, par Albert Thibaudet, pour qui
l’autobiographie était « l’art de ceux qui ne sont pas artistes, le roman de
ceux qui ne sont pas romanciers 104 ». Dans un article publié par la Nouvelle
Revue française le 1er novembre 1928 sous le titre « Les deux écoles 105 », il
dénonçait lui aussi la contamination du roman par l’autobiographie. À la
façon de Brunetière, il employait indifféremment les termes
« autobiographie » ou « roman autobiographique » pour désigner ces textes
décadents dans lesquels l’auteur manifeste « l’idée et la puissance de se
recréer soi-même romanesquement ». Il les divisait ironiquement en deux
tendances également ridicules. La plus ancienne, fondée par Rousseau avec
La Nouvelle Héloïse, et illustrée par Lamartine (Raphaël), Barrès (Les
Déracinés), Montherlant ou Drieu la Rochelle, fonctionnerait sur le mode
de l’« auto-idéalisation ». La plus récente consisterait au contraire « à se
détendre, à se rendre passif, à se résoudre en un automatisme de la vie ».
Exemples : L’Éducation sentimentale (à travers le personnage de ‘Frédéric
Moreau’), Paludes et Les Nourritures terrestres de Gide, À vau-l’eau de
Huysmans, L’Écornifleur de Jules Renard. Thibaudet s’interrogeait ensuite
sur les limites des genres qu’il brassait sans les définir :

Quel problème complexe, d’ailleurs, que celui des rapports de


l’autobiographie et du roman ! Qu’y a-t-il de romanesque dans un
autobiographe presque pur comme Fromentin, ou Vallès ?
d’autobiographique dans un romancier presque pur comme Balzac ?
Et les femmes romancières, de George Sand à Colette,
autobiographes par position ? […] L’intérêt que présenterait une
enquête faite à ce sujet chez les romanciers et les demi-romanciers
[…] 106 ?

Sa réflexion ne dépassera pas cette suggestion interrogative. Dans une


période peu férue de théorie des genres, les questions qu’il posait avec
esprit, pour conclure son article, étaient condamnées à rester sans
conséquence. Ayant abandonné le terme de « roman personnel », la critique
impressionniste se contenta longtemps du concept flou de « roman
autobiographique » pour désigner une réalité générique qu’elle jugeait, au
fond, sans intérêt. Ne désignant aucune forme précise, ne renvoyant à aucun
modèle, à aucune fonction, cette appellation générique était lancée à la
sauvette, par approximation, pour cataloguer certains inclassables
embarrassants.
Les fondateurs de la narratologie s’inscrivirent dans l’idéologie
ségrégationniste et anti-autobiographique qui régnait sur la critique. Ils la
modernisèrent en définissant d’emblée le roman par la disjonction de
l’auteur et du narrateur sans en passer par l’argumentaire aristotélicien.
Partant de ce postulat, Mikhaïl Bakhtine avait prescrit au romancier de se
distinguer méthodiquement de son héros :

L’auteur en sait et en voit davantage, non seulement dans la


direction du regard de son héros, mais encore dans d’autres
directions, inaccessibles au héros ; c’est très précisément la position
qu’un auteur doit occuper par rapport à un héros 107.
Là où le héros et l’auteur coïncident ou bien se situent côte à côte,
partageant une valeur commune, ou encore s’opposent en tant
qu’adversaires, l’événement esthétique prend fin et c’est
l’événement éthique qui prend place 108.

Percy Lubbock partageait cette exigence d’« exotopie » du point de vue


auctorial 109. Elle entraînait, chez Wellek et Warren, une certaine défiance
envers le mode autodiégétique :

Le récit à la première personne (Ich-Erzählung) est un procédé qu’il


faut apprécier en le comparant soigneusement aux autres procédés
possibles. Dans ce cas le narrateur ne doit évidemment pas se
confondre avec l’auteur. […] Il peut écrire à la troisième personne,
en auteur « omniscient », c’est d’ailleurs là, sans aucun doute, le
mode de narration « naturel » et traditionnel 110.

Ce point de convergence remarquable entre la critique russe et le New


Criticism anglo-saxon ne doit pas cacher les divergences profondes qui les
séparaient. Alors que Tynianov concevait « la littérature comme une série,
comme un système dépendant des autres systèmes et séries avec lesquels
elle se trouve en corrélation 111 », et que Bakhtine décrivait le « discours
romanesque » comme un écho polyphonique des « langues multiples qui
l’environnent 112 », la critique anglo-saxonne, dès les années 1930, en
réaction aux errements du commentaire biographique, érigea le texte en un
tout immanent, autonome et autoréférentiel. Elle préconisa, en
conséquence, le close reading, ou analyse interne du texte sans
considération des facteurs contingents de production et de communication.
Le structuralisme français valida ce dogme et cette méthode, qui
rejoignaient les théories esthétiques de Mallarmé, de Proust et de Valéry
relayées par Blanchot. Chez ce dernier, la proscription de l’écriture
personnelle prenait un tour quasiment religieux – « obscurantiste », dira
Todorov 113 –, sensible, par exemple, dans cette analyse de Kafka :
Il apparaît frappant […] que Kafka ait éprouvé la fécondité de la
littérature (pour lui-même, pour sa vie et en vue de vivre), du jour
où il a senti que la littérature était ce passage du Ich au Er, du Je au
Il. […] Il s’agit d’une sorte d’anéantissement de soi, consenti par
l’artiste, non en vue d’un progrès intérieur, mais pour donner
naissance à une œuvre indépendante et complète 114.

Avec la caution des formalistes russes, de Freud et de Marx, l’« avant-


garde » des années 1960 passa bien souvent de l’hypostasie du Texte
immanent, détaché de son auteur, au terrorisme antihumaniste. Sollers
excluait du parti de l’écriture tout auteur coupable de référence et, d’un
même mouvement, prononçait la mort du sujet, « dissous dans le
115
mouvement scriptural ». Barthes refusait au véritable écrivain l’usage
transitif du langage réservé au simple « écrivant » 116 et voyait dans l’œuvre
de Robbe-Grillet l’amorce d’une « littérature objective 117 ».
Néanmoins il s’avéra rapidement que le close reading, applicable aux
textes courts, en poésie notamment, devait être assoupli pour aborder
l’analyse narratologique des romans. En effet, la plupart d’entre eux, loin
d’être « autotéliques », sont saturés par des références au réel qui,
justement, les informent. La sémiotique fut mise à contribution pour
décrypter les codes rhétoriques, culturels et idéologiques communs à un
118 119
auteur et à son public . La notion d’intertextualité fut créée pour
120 121
prendre en compte les phénomènes de citation , de transformation et de
polyphonie, qui entent le texte non seulement sur ses antécédents littéraires
mais sur d’autres langages. Le champ critique s’élargit aux entours
paratextuels 122. Et on s’intéressa de nouveau à la genèse des œuvres, à leur
réception, à leur lecture. Dès lors, c’en était fait de « certaine idole du Texte
clos » qui, de l’aveu même de Gérard Genette, avait « régné sur notre
123
conscience pendant une ou deux décennies ».
Cependant, il s’en fallait de beaucoup que le tabou de la référence à
l’auteur ne soit levé, du moins en théorie. Car en pratique on vit bientôt
Barthes 124, Sollers 125, Robbe-Grillet 126 se lancer, sans craindre la palinodie,
dans l’écriture autobiographique. Ce qui n’empêchait pas leur argumentaire
antiréférentiel de reparaître sous la plume de nouveaux dénonciateurs du
« je ». Ainsi le philosophe Gilles Deleuze qui, dans un essai de 1993,
reprenait à son compte les théories de Blanchot :

Écrire n’est pas raconter ses souvenirs, ses voyages, ses amours, ses
deuils, ses rêves et ses fantasmes. […] Ce ne sont pas les deux
premières personnes qui servent de condition à l’énonciation
littéraire ; la littérature ne commence que lorsque naît en nous une
troisième personne qui nous dessaisit du pouvoir de dire Je (le
127
« neutre » de Blanchot) .

Ou encore Milan Kundera, vilipendant « la plus grande partie de la


production romanesque d’aujourd’hui » au nom des « grandes œuvres » du
passé 128 ; et, plus récemment, Marc Petit fustigeant « le post-réalisme
bourgeois » dans un Éloge de la fiction 129. Tous discours qui envoient,
comme de juste, le roman autobiographique dans l’enfer de la non-
littérature.
Je m’arrêterai plus longuement sur la démonstration de Käte
Hamburger, d’une part parce qu’elle a élaboré la théorie d’exclusion
littéraire la plus cohérente qu’on puisse trouver 130 et d’autre part en raison
de son influence sur la pensée de Gérard Genette. Comme la plupart des
poéticiens, Käte Hamburger se fonde sur Aristote pour réduire la littérature
narrative à la mimèsis fictionnelle. Mais elle systématise sa théorie en
restreignant le registre de la fiction au seul mode hétérodiégétique, mode
qu’elle définit par l’absence de tout narrateur : l’histoire se racontant d’elle-
même, sans intermédiaire, le lecteur a directement accès à la subjectivité
des personnages fictifs. Le récit en première personne, au contraire, postule
un « Je-origine » qui monopolise l’expression subjective en simulant un
« énoncé de réalité ». Il ne se situe donc pas dans le registre de la fiction
mais de la « feintise ». Transgressant la « frontière imperméable » entre
littérature et vérité, il n’a, aux yeux de Käte Hamburger, aucune légitimité
artistique 131. Ce syllogisme l’autorise à exclure catégoriquement tous les
récits homodiégétiques, fictionnels aussi bien que référentiels, du champ
littéraire. Cet ostracisme marque l’aboutissement de son argumentation,
puisqu’elle conclut que « le récit à la première personne s’intègre comme
une clef de voûte dans le système logique des genres littéraires 132 ». Or
cette métaphore désigne, du même coup, le point faible de l’édifice arc-
bouté sur un espace vide, purgé par oukase.
D’un point de vue pragmatique, il est encore plus facile de réfuter la
démonstration de Käte Hamburger en lui opposant tous les romans en
première personne dont le statut artistique est solidement établi. Sa tentative
d’enfermer la littérature moderne dans le moule aristotélicien était
condamnée à l’échec, sonnant ainsi le glas de la poétique dogmatique.
Gérard Genette a pu qualifier cette poétique d’essentialiste, dans la mesure
où elle fait de la fictionnalité l’essence de la littérarité. Il lui a opposé une
poétique « conditionnaliste », selon laquelle les textes poétiques et les
textes fictionnels jouiraient d’un statut littéraire par nature, « constitutif »,
tandis que le registre de chaque texte référentiel serait « conditionnel »,
soumis à l’appréciation subjective du lecteur 133. Cet aménagement de la
doctrine aristotélicienne conserve à la fiction son privilège de critère
esthétique, tout en concédant à la « diction », ou énoncé factuel, une
promesse d’examen au cas par cas. Genette fut d’ailleurs le premier à
reconnaître les difficultés d’application de sa poétique « conditionnaliste » :
« La principale réserve tient à l’interaction des régimes fictionnel et factuel
du récit 134. » En effet les indices de fictionnalité répertoriés par Käte
Hamburger sont employés constamment dans des récits factuels, tandis que
les attestations de référentialité abondent dans les romans, tant il est vrai
que les procédés de narration, loin d’être spécifiques, naviguent sans cesse
d’un côté à l’autre de la frontière. Comment, dès lors, classer les textes
ambivalents 135 ?
Genette convenait que l’« autofiction » échappe à toute distinction entre
fiction et référence, donc pose un problème délicat à la théorie critique.
Après avoir regretté que la narratologie ait trop longtemps réduit son champ
de recherche aux récits de fiction 136, il exprimait le souhait que l’on étudiât
enfin ce qui se passe à la limite des deux registres :

[…] même – ou surtout – si les formes narratives traversent


allègrement la frontière entre fiction et non-fiction, il n’en est pas
moins, ou plutôt il n’en est que plus urgent, pour la narratologie, de
137
suivre leur exemple .

Ce vœu ne pourra se réaliser que si l’on renonce, d’une part, à réduire


les textes transfrontaliers à leur dimension autobiographique, d’autre part, à
sélectionner leurs seules composantes fictionnelles.

RÉDUCTION AU ROMAN
La réduction d’un roman autobiographique à ses composantes
fictionnelles permet de garantir sa littérarité. Dans la théorie des genres de
Northrop Frye, par exemple, la classe « fiction » englobait toutes les
catégories de récits littéraires, à savoir : romance, novel et…
autobiography. À l’origine de cette dernière, il trouvait la confession,
« inventée » par saint Augustin et Rousseau et dont Les Essais de
Montaigne constituaient, selon lui, « une forme réduite ». En rangeant ces
textes dans la catégorie « fiction », le poéticien se flattait de les arracher à la
« brume » générique dans laquelle leur auteur les avait abandonnés :
Certains de nos meilleurs ouvrages de prose trouvent ainsi, dans le
domaine de la fiction, une place parfaitement définie, au lieu d’être
confinés dans une zone brumeuse, presque écartés de la littérature
puisqu’il s’agit de « réflexion », et en marge de la philosophie et de
la religion du fait que ce sont des modèles d’écriture en prose 138.

Puisqu’il n’y a de prose littéraire que fictionnelle, les « modèles


d’écriture en prose » relèvent nécessairement de la fiction. L’application de
ce paralogisme à l’analyse d’œuvres particulières exigeait du commentateur
qu’il garantît la fictionnalité du héros. Dans cette perspective, Roy Pascal
enseignait que ‘Werther’ et ‘Adolphe’ résultent d’un travail de sélection et
139
de « re-combinaison » de l’expérience personnelle . Avrom Fleishman
estimait que « Dickens désigne David Copperfield comme la
140
personnification romanesque de son jugement sur lui-même ». Et
Wolfgang Kayser tenait le narrateur d’Henri le Vert pour un « masque », ce
qui lui permettait de ramener ce récit à la première personne dans la norme
141
hétérodiégétique . Quant à Barthes, la représentation de soi lui était une
espèce de poésie abstraite. Il expliquait ainsi, à propos d’Aziyadé, que la
sophistication, la variabilité, le « tremblé » du système d’énonciation de
Loti permettaient l’émergence « du pur signifiant […] – et le signifiant n’est
jamais démodé 142 ».
Il arrive pourtant que le texte résiste aux tentatives de réduction du
signifié aux structures narratives canoniques. Dans le Portrait de l’artiste
143
en jeune homme, où Frye percevait une « anomalie », Dorrit Cohn
observe, comme à regret, « une symbiose », « une fusion presque totale de
la voix du narrateur et de celle du personnage », et renonce à disjoindre
Joyce de son héros :

L’absence de tout jugement de valeur dans le Portrait a provoqué


sur l’attitude de l’auteur à l’égard de Stephen des discussions qui
restent ouvertes 144.

Mais, pour Wayne Booth, il n’y a pas de discussion, la coïncidence de


l’auteur avec le héros est impossible et leur identification fautive :

Un des vices de lecture les plus répandus naît de l’identification


naïve de narrateurs de ce type avec les auteurs qui les ont créés.
Alors qu’en fait il y a toujours une différence, même si l’auteur en
personne n’en était pas conscient au moment où il écrivait 145.

La poétique fictionnaliste impute l’hypothèse d’une identification


auteur-héros à l’incompétence du lecteur, dont elle a pour mission
d’éradiquer les « vices ». Ignorant qu’« un texte ne peut imiter que d’autres
textes 146 », cet ingénu est, selon Michael Riffaterre, le jouet de diverses
formes d’illusions :

Tout comme l’illusion intentionnelle substitue à tort l’auteur au


texte, l’illusion référentielle substitue à tort la réalité à sa
représentation, et a à tort tendance à substituer la représentation à
l’interprétation que nous sommes censés en faire. Nous ne pouvons
cependant nous contenter de corriger l’erreur et d’en ignorer les
effets, car cette illusion fait partie du phénomène littéraire, comme
illusion du lecteur. L’illusion est ainsi un processus qui a sa place
dans l’expérience que nous faisons de la littérature 147.

Riffaterre semble ici hésiter entre une position didactique de


dénonciation des « effets de réel 148 » et une position phénoménologique de
description du fait littéraire dans toutes ses dimensions. Il se situe à la
charnière de deux époques. Depuis lors, sous l’influence de la linguistique
pragmatique, d’une part, et de la théorie de la réception, d’autre part, la
seconde attitude s’est progressivement imposée. Le lecteur n’est plus ce
philistin dont il fallait corriger le regard mais un récepteur qui coopère avec
l’auteur dans son travail de création littéraire.
Dans cette optique, le questionnement sur la référentialité d’un énoncé
littéraire ne relève plus d’une illusion mais d’un processus de
communication intersubjective qui se déroule sur différents plans –
esthétique, ludique, culturel, éthique. À ce titre, il est partie intégrante de
« l’expérience que nous faisons de la littérature ». De cette expérience,
éminemment variable, la critique ne peut saisir que les paramètres régis par
les systèmes sémiotiques qu’elle connaît. Mais, quelle que soit son
ambition, elle doit nécessairement commencer par décrypter sérieusement
les indications d’ordre générique, car ce code-là commande l’accès à tous
les autres. C’est pourquoi la théorie des genres s’est de nouveau trouvée sur
le chemin de la critique.

POÉTIQUES PRAGMATIQUES
Le travail de Philippe Lejeune s’inscrit tout entier dans cette conception
pragmatique de la communication littéraire. C’est parce qu’il a situé la
problématique de l’autobiographie dans la perspective de sa réception, et
non plus de sa légitimité théorique ou éthique, qu’il a pu fonder la
définition du genre sur la notion de contrat de lecture. Or, comme il le
rappelait en 1986, l’ambiguïté générique a joué, dans l’élaboration de cette
définition, un rôle décisif d’aiguillon :

Toute mon analyse était partie d’une évidence : comment distinguer


l’autobiographie du roman autobiographique 149 ?

Première réponse, dans L’Autobiographie en France :


Il faut bien l’avouer, si l’on reste sur le plan de l’analyse interne du
texte, il n’y a aucune différence. Tous les procédés que
l’autobiographie emploie pour nous convaincre de l’authenticité de
son récit, le roman peut les imiter, et les a souvent imités. La
différence est donc externe : il faut pour l’établir faire intervenir la
connaissance d’éléments extérieurs au texte 150.

Rectification dans Le Pacte autobiographique :

Ceci était juste tant qu’on se bornait au texte moins la page de titre ;
dès qu’on englobe celle-ci dans le texte, avec le nom de l’auteur, on
dispose d’un critère textuel général, l’identité du nom (auteur-
narrateur-personnage). Le pacte autobiographique, c’est
l’affirmation dans le texte de cette identité renvoyant en dernier
ressort au nom de l’auteur sur la couverture 151.

Si Lejeune revient sur cette question dans Moi aussi, onze ans plus tard,
c’est qu’entre-temps est apparu le concept doubrovskien d’autofiction en
tant que roman dont le héros-narrateur porte précisément le nom de l’auteur.
Du coup, le critère péritextuel de la page de titre devenait inopérant pour
distinguer le roman autobiographique de l’autobiographie. Lejeune, comme
Genette dans Fiction et diction, devait envisager d’autres traits distinctifs,
fondés sur la vraisemblance, l’énonciation, le traitement du temps, le
« style », en sachant qu’aucun d’entre eux ne serait décisif. Le présent
travail n’a d’autre ambition que de poursuivre ces recherches et, autant que
faire se peut, les systématiser de façon à dresser un tableau pragmatique et
évolutif des indices d’autobiographie et des indices de fiction.
La propension dogmatique à réduire le genre à l’une de ses
composantes explique le retard de ces études. Il est sans doute dans l’ordre
des choses que les théoriciens du littéraire, qui ont été les derniers à
accorder droit de cité à l’autobiographie, ne soient pas les premiers à
réfléchir au statut du roman autobiographique. Force est de constater qu’ils
ont été précédés dans cette voie par les lecteurs, les auteurs, les critiques
journalistiques, les historiens de la littérature et les commentateurs
spécialisés.
Que l’ambiguïté générique s’inscrive dans l’horizon d’attente du public,
c’est ce que démontrent la persistance et le succès du genre. Chacun des
textes cités ici ne témoigne-t-il pas d’une communication réussie entre
l’émetteur et ses récepteurs, donc d’une compétence partagée en matière de
stratégie générique ? On a vu que les auteurs, cultivant une certaine
connivence avec leurs lecteurs, aiment à commenter leurs textes sous forme
métadiscursive, intertextuelle et paratextuelle. Ils délivrent ainsi la poétique
de leur œuvre par fragments, allusivement, en abyme, ironiquement ou
dialectiquement. Dans La Naissance du jour de Colette, L’Invention de la
solitude de Paul Auster, Le Mentir-vrai d’Aragon, chez Philip Roth,
Kenzaburô Ôé, Gao Xingjian, Nourissier ou Doubrovsky, le récit tend à
devenir prétexte et illustration d’une méditation sur l’ambiguïté générique.
Mais y eut-il des proclamations, des manifestes, des revues, des débats
pour défendre ce type de textes ? Les auteurs ont-ils plaidé sérieusement,
méthodiquement, pour la légitimité théorique et historique d’une telle
stratégie ? Fort peu. Dans ses dernières interviews, Céline expliquait, plus
ou moins confusément, son abandon de la fiction par la concurrence du
cinéma :

– Mais alors pourquoi n’écrivez-vous pas de romans de fiction ?


Céline hausse les épaules :
– Des romans ? des histoires ? Mais personne ne veut plus en lire.
Autrefois la jeunesse apprenait la vie par les romans, à présent les
jeunes vont au cinéma ou regardent des images 152.
Henry Miller voyait dans sa variante autobiographique l’avenir du
roman :

À mesure que notre ère approche de sa fin, nous prenons de mieux


en mieux conscience de l’intérêt capital des documents humains.
Notre littérature, devenue impuissante à s’exprimer sous une forme
classique en voie de disparition, est à présent presque exclusivement
autobiographique. […] Je ne suis qu’un homme racontant l’histoire
de sa vie, et plus je raconte, plus le sujet me paraît inépuisable 153.

Bien que son œuvre, jusqu’à Enfance, n’affichât rien d’autoréférentiel,


Nathalie Sarraute prononça, dans « L’ère du soupçon », une défense du
discours auctorial qui légitimait davantage le roman personnel que le
Nouveau Roman :

Le récit à la première personne satisfait la curiosité légitime du


lecteur et apaise le scrupule non moins légitime de l’auteur. En
outre, il possède au moins une apparence d’expérience vécue,
d’authenticité, qui tient le lecteur en respect et apaise sa méfiance.
[…] Et puisque ce qui maintenant importe, c’est, bien plutôt que
d’allonger indéfiniment la liste des types littéraires, de montrer la
coexistence de sentiments contradictoires, et de rendre, dans la
mesure du possible, la richesse et la complexité de la vie
psychologique, l’écrivain, en toute honnêteté, parle de soi 154.

Et, reprenant l’argument de Céline, elle ajoutait que « le cinéma


recueille et perfectionne ce que lui abandonne le roman 155 ». Dans un essai
de 1967, Peter Handke jugeait lui aussi la fiction obsolète :
Si toutefois l’on doit dire une chose nouvelle par le biais d’une
histoire, la méthode qui consiste précisément à inventer pour cela
une histoire me paraît être désormais inutilisable. Cette méthode a
fait son temps. La fiction, l’invention d’un événement comme
véhicule destiné à m’informer sur le monde n’est plus utile, elle
n’est plus qu’un obstacle. De manière générale, le progrès de la
littérature me paraît consister en une élimination progressive des
fictions inutiles 156.

157
Marie Darrieussecq a défendu l’autofiction dans une thèse inédite et
un article 158, mais ne l’a pas pratiquée jusqu’à présent dans ses romans.
Enfin, Christophe Donner s’est déclaré Contre l’imagination, et contre la
poétique de Deleuze, dans un brûlot provocateur et, de son propre aveu, un
159
peu « brouillon » .
Maigre bilan, on en conviendra. Mais, au fond, il n’y a rien d’étonnant à
ce que le roman autobiographique n’ait que rarement, et sommairement, été
théorisé par ses praticiens eux-mêmes. Il faut d’abord mettre cette lacune
sur le compte de la méfiance des romanciers envers la théorie littéraire. Elle
tient ensuite à la spécificité du genre : chaque roman autobiographique se
prétend une tentative originale de marier fiction et réalité, un itinéraire
sémiotique inédit, un défi lancé au lecteur. Délivrer les clefs du mystère, la
recette de fabrication, le schéma de montage, les modèles suivis, risquerait
de déflorer la poésie qui naît de l’incertitude générique.
Serge Doubrovsky n’a pas craint de déroger à cette tradition.
Universitaire brillant, il utilisa les outils critiques qu’il maîtrisait
parfaitement pour commenter, justifier et valoriser son propre travail
romanesque. Non seulement il a « lancé » un concept générique
apparemment nouveau, mais il est parvenu à faire lire ses textes au travers
de cette hypothèse théorique et à faire entrer le terme dans le vocabulaire de
son époque. Performance remarquable qu’il convient de replacer dans la
longue histoire du genre.
Les critiques journalistiques, quant à eux, n’ont jamais renoncé à
employer l’expression « roman autobiographique » comme un signal
commode et indispensable pour informer le public d’une particularité
générique importante. Les éditeurs et les préfaciers ont besoin, eux aussi, de
cette catégorie intermédiaire pour afficher le degré de référentialité de
textes ambivalents. De même, les commentaires oraux qui s’échangent
chaque jour dans les classes, les librairies, les bibliothèques et ailleurs
impliquent généralement l’existence d’une telle classe de récits.
Malheureusement, l’indigence de l’outillage conceptuel disponible
condamne trop souvent cette communication critique quotidienne au
malentendu.
Les historiens de la littérature rencontrent les mêmes difficultés
lorsqu’ils doivent spécifier le genre de certaines œuvres du passé. La
plupart emploient les expressions « roman personnel » ou « roman
autobiographique » pour présenter les entreprises les plus originales de
fictionnalisation de soi : Les Métamorphoses 160, Les Angoysses
douloureuses 161, Euphormion 162, La Vie de Henriette Sylvie de Molière 163,
Anton Reiser 164, Werther 165, etc. Pour décrire le positionnement générique
d’un texte, ils n’ont aucun besoin d’en référer à Aristote. Il leur suffit de
disposer d’une terminologie compréhensible par leurs contemporains.
Les chercheurs qui se spécialisent dans l’étude d’un corpus restreint
partagent le pragmatisme des historiens de la littérature. S’ils étudient une
œuvre au statut équivoque, ils s’attachent à élucider sa stratégie de
communication générique. C’est pourquoi la plupart des spécialistes de
Vallès 166, Céline 167, Miller 168, Fante 169, Ôé 170 ou Handke 171 admettent
l’existence d’un genre mixte entre le roman et l’autobiographie et
s’emploient à le caractériser.
L’histoire du roman autobiographique et de sa réception critique reste à
écrire. Je n’ai fait qu’en survoler certains aspects. Elle devrait non
seulement confirmer la spécificité de son positionnement générique mais
aussi mettre en évidence un phénomène d’accélération : de plus en plus de
textes s’écrivent et se lisent sur cette limite entre fiction et référence et,
malgré un certain retard, il y a de plus en plus de critiques et d’outils
critiques pour en rendre compte. Nous avons la chance de voir un genre
évoluer et se transformer sous nos yeux. La description de ce chantier
babélien ne saurait en épuiser, pour le moment, la diversité foisonnante.
Mais elle ouvre un champ immense de réflexion, de commentaire, de mise
en perspective diachronique à ceux qui souhaitent mieux comprendre ses
enjeux génériques. Et ils ne pourront évidemment pas éviter de se poser,
chemin faisant, la question ultime du sens et de l’utilité de ce type de
communication fondé sur l’ambiguïté.
1. R. Barthes, «Introduction à l’analyse structurale des récits», art. cité, p. 8.
2. G. Genette, Seuils, op. cit., p. 18.
3. G. Genette, «Poétique et histoire», dans Figures III, op. cit., p. 19.
4. G. Gusdorf, Lignes de vie, t. I, Les Écritures du moi, op. cit., p. 33-80.
5. Ibid., p. 235-236.
6. P. Lejeune, L’Autobiographie en France, op. cit., p. 44-45.
7. J.-J. Rousseau, Confessions, 11, dans Œuvres complètes, t. I, Les Confessions et autres
textes autobiographiques, Paris, Gallimard, coll. «Bibliothèque de la Pléiade», 1959, p.
547-548.
8. F.-R. de Chateaubriand, René, op. cit., p. 119.
9. Cf.M. Regard, «Préface» à Chateaubriand, Œuvres romanesques et voyages, Paris,
Gallimard, coll. «Bibliothèque de la Pléiade», 1969, p.107.
10. B. Constant, Préface à la troisième édition d’Adolphe, op. cit.
11. C.A. Sainte-Beuve, Chateaubriand et son groupe littéraire sous l’Empire, cours professé à
Liège en 1848-1849, Paris, Calmann-Lévy, 1878.
12. A. de Musset, lettre à Liszt du 26 juin 1836, déjà citée, à propos de La Confession d’un
enfant du siècle.
13. U. Foscolo, Ultime lettere di Jacopo Ortis, 1re éd., 1802, éd. définitive, 1816; trad. fr. de J.
Luchaire, Les Dernières Lettres de Jacopo Ortis, 1906; rééd., Toulouse, Ombres, 1987.
14. H.C. Andersen, L’Improvisateur, 1835; trad. fr. de R. Boyer dans Œuvres, t. II, Paris,
Gallimard, coll. «Bibliothèque de la Pléiade», 1995.
15. Op. cit.
16. Wolfgang Kayser aborde cette question dans «Qui raconte le roman?», paru originellement
dans Die Vortragsreise, Berne, 1958; trad. fr. de A.-M. Buguet dans Poétique, nº 4, 1970;
rééd. dans Poétique du récit, Paris, Éd. du Seuil, coll. «Points», 1977, p. 61-84.
17. G. Gusdorf, Lignes de vie, t. I, Les Écritures du moi, op. cit., p. 357.
18. J.H.Jung, dit Jung-Stilling, La Jeunesse de Heinrich Stilling, 1777, et La Vieillesse de
Heinrich Stilling, 1817.
19. K.P. Moritz, Anton Reiser, op. cit. Cf. supra, p.275-276, où l’on mentionne aussi, dans le
même ordre d’idées, la petite biographie que W.H. Wackenroder, consacra à ‘Joseph
Berglinger’ dans Effusions sentimentales d’un religieux ami de l’art, op. cit.
20. K.P. Moritz, Anton Reiser, op. cit., t. II, p. 159.
21. Mme de Staël n’en cite aucun dans De l’Allemagne.
22. Saint Augustin, La Cité de Dieu, XVIII, 18, cité par R. Martin et J. Gaillard, Les Genres
littéraires à Rome, Nathan, 1990, p. 104.
23. A.-M. Schmidt, Histoire des littératures, t. III, op. cit., p. 197.
24. R. Morisset et G. Thévenot, Les Lettres latines, Paris, Magnard, 1950, p. 1185.
25. T. de Viau, Première journée, op. cit.
26. Tristan L’Hermite, Le Page disgracié, op. cit., p. 31-32.
27. M.Fumaroli, «Les Mémoires du XVIIe siècle au carrefour des genres», XVIIe siècle, nº 94-95,
1971, p. 7-37. L’auteur reprend cette assertion de l’érudit allemand Hanses qui publia une
étude sur le genre en 1708.
28. P. Stewart, Imitation and Illusion in the French Memoir-Novel, 1700-1750, New Haven et
Londres, Yale University Press, 1969. G. May, Le Dilemme du roman au XVIIIe siècle, New
Haven et Londres, Yale University Press, et Paris, PUF, 1963, introduction et chap. I.
29. Mme de Lafayette, lettre à Lescheraine du 13 avril 1678, citée par M. Fumaroli, «Les
Mémoires du XVIIe siècle au carrefour des genres», art. cité, p. 34.
30. M.-T. Hipp, Mythes et réalités. Enquête sur le roman et les Mémoires (1660-1700), Paris,
Klincksieck, 1976, p. 54.
31. C. d’Assoucy, Les Avantures de Monsieur d’Assoucy, op. cit.; Les Avantures d’Italie de
Monsieur d’Assoucy, op. cit.; La Prison de Monsieur d’Assoucy, Paris, 1674.
32. M. Lever, Le Roman français au XVIIe siècle, Paris, PUF, 1981, p. 142.
33. M.-T. Hipp, Mythes et réalités. Enquête sur le roman et les Mémoires (1660-1700), op. cit.,
p. 437. Le Voyage de Fontainebleau est de 1678.
34. R. Demoris, Le Roman à la première personne. Du Classicisme aux Lumières, op. cit., p.
99.
35. G. May, Le Dilemme du roman au XVIIIe siècle, op. cit.
36. G. May, ibid., notamment le chap. III intitulé «La proscription des romans».
37. Ibid., p. 248-250.
38. G. Gottlieb, Un siècle de romans japonais, Arles, Picquier, 1995, p. 149.
39. C. Sakai, «Des Nuages flottants à La Ballade de l’impossible», préface à G. Gottlieb, Un
siècle de romans japonais, op. cit., p. 13. Sur le Shi-shôsetsu, cf. Littératures d’Extrême-
Orient au XXe siècle, Arles, Picquier, 1993: contributions de Cécile Sakai, p. 40-41, de
Tsushima Yûko, p. 158, et d’Anne Bayard-Sakai, p. 169.
40. Tayama Katai, Rokotsu naru byôsha, 1904, non traduit.
41. G. Gottlieb, Un siècle de romans japonais, op. cit., p. 228.
42. Tayama Katai, Futon, 1907; trad. fr. de A. Okada sous le même titre, Publications
orientalistes de France, 1987; rééd., Paris, Le Serpent à plumes, 2000.
43. Mori Ogai, Vita sexualis; trad. fr. de A. Okada, Vita sexualis, ou L’apprentissage amoureux
du professeur Kanai Shizuka, Paris, Gallimard / Unesco, 1981. Le récit de ‘M. Kani’,
professeur de philosophie souhaitant devenir écrivain, est encadré par les commentaires
d’un narrateur anonyme qui, pose, in fine, la question du genre: «Ce qu’il avait écrit n’était
pas autobiographique au sens habituel du terme. Et ce n’était pas davantage un roman qu’il
s’était à tout prix efforcé d’écrire» (p. 164).
44. Shimazaki Tôson, Ié, 1911; trad. fr. de S. Rosset, Une famille, Paris, Publications
orientalistes de France, 1984.
45. Op. cit.
46. N. Sôseki, Botchan, 1906; trad. fr. de H. Morita, Botchan, Paris, Le Serpent à plumes,
1993.
47. N. Sôseki, Kasamakura, 1906; trad. fr. de R. de Ceccaty et R. Nakamura, Oreiller d’herbe,
Paris, Rivages, 1987; rééd., Rivages poche, 1989, p. 40.
48. N. Sôseki, Sanshirô, 1908; trad. fr. de J.-P. Liogier, Sanshirô, Arles, Picquier, 1990.
49. N. Sôseki, Higan sugi made, 1912; trad. fr. de H. Morita, À l’équinoxe et au-delà, Paris, Le
Serpent à plumes, 1995; rééd., coll. «Motifs», 2000.
50. N. Sôseki, Le Pauvre Cœur des hommes [1914], trad. fr. de Horiguchi Daigaku et G.
Bonneau, Paris, Gallimard, 1987.
51. N. Sôseki, Michikusa, 1915; trad. fr. de E. Suetsugu, Les Herbes du chemin, Arles,
Picquier, 1992.
52. Tanizaki, Junichirô, Tade kuu mushii, 1928; trad. fr. de S. Regnault-Gatier et Kazuo Anzaï,
Le Goût des orties, Paris, Gallimard, 1959; rééd., coll. «L’Imaginaire», 1985.
53. Y. Mishima, Confession d’un masque, op. cit.
54. Y. Mishima, Amours interdites, trad. fr. du japonais de R. de Ceccaty et R. Nakamura,
Paris, Gallimard, 1989.
55. K. Ôé, Une affaire personnelle, op. cit.
56. K. Ôé, Kaifuku suru Kazoku, Tokyo, 1995; trad. fr. de la trad. angl. par J. Pavans, Une
famille en voie de guérison, Paris, Gallimard, 1998.
57. Nakamura Shin’ichirô, Shiki, op. cit., en quatre parties parues en 1975, 1978, 1981 et 1984.
58. A. Memmi, La Statue de sel, 1953; rééd., Paris, Gallimard, 1966.
59. M. Feraoun, Le Fils du pauvre, op. cit.
60. D. Chraïbi, Le Passé simple, op. cit.
61. C. Laye, L’Enfant noir, 1954; rééd., coll. «Pocket», 1976 et 2000.
62. B. Lopes, Chiquinho, 1936; trad. fr. de M. Laban sous le même titre, Arles, Actes Sud-
Unesco, 1990.
63. J. Zobel, La Rue Cases-Nègres, 1950; rééd., Paris, Présence africaine, 1974 et 1984.
64. G. Tschinag, Die graue Erde, Francfort, 1999; trad. fr. de D. Petit, Le Monde gris, Paris,
Métailié, 2001.
65. P. Valéry, Première leçon du cours de poétique, prononcée en 1937, parue dans Variétés V,
Paris, Gallimard, 1945, p. 295-322; rééd. dans Œuvres, t. I, coll. «Bibliothèque de la
Pléiade», 1957, p. 1340-1358.
66. Cf. P. Lejeune, «Un siècle de résistance à l’autobiographie», dans Pour l’autobiographie,
op. cit., p. 11-25.
67. L’Autobiographie en procès. Actes du colloque des 18 et 19 octobre 1996 à Nanterre, op.
cit.
68. C.A. Sainte-Beuve, «Du roman intime», art. cité.
69. Cité par P. Lejeune, Moi aussi, op. cit., p. 17-18.
70. F. Brunetière, «La littérature personnelle», art. cité, analysé par P. Lejeune, «Un siècle de
résistance à l’autobiographie», art. cité.
71. J. Merlant, Le Roman personnel de Rousseau à Fromentin, op. cit.
72. J. Hytier, Les Romans de l’individu, op. cit., p. 22-23.
73. J. Merlant, Le Roman personnel de Rousseau à Fromentin, op. cit., p. 401.
74. A. Thibaudet, Histoire de la littérature française de 1789 à nos jours, Paris, Stock, 1936, p.
441.
75. H. Godard, Poétique de Céline, op. cit., p. 371.
76. Ibid., p. 380.
77. R. Espinose, Espaces, figures, discours dans la fiction autobiographique en France, des
années 1960 aux années 1980, sous la dir. de Y.-A. Faure, université Bordeaux III, 1988, p.
11.
78. J. Bellemin-Noël, Biographies du désir, Paris, PUF, 1988, p. 5-10.
79. Cf. Y. Lamonde, Je me souviens. La Littérature personnelle au Québec, Québec, I.Q.R.C.,
1983; Y. Lamonde et M.-P. Turcot, La Littérature personnelle au Québec, Montréal,
Bibliothèque nationale du Québec, 2000; et Entre l’histoire et le roman: la littérature
personnelle. Actes du Séminaire s’étant tenu à Bruxelles les 16 et 17 mai 1991, édité par le
Centre d’études canadiennes, université libre de Bruxelles, 1992.
80. Cf. R. Robin, Le Roman mémoriel, Montréal, Le Préambule, 1989.
81. L. Aragon, Le Mentir-vrai, op. cit., p. 9-60.
82. A. Ernaux, dans un entretien avec Gro Lokoy le 17 avril 1992, dans L’Œuvre d’Annie
Ernaux, une histoire, plusieurs visions, Institut d’études romanes, université de Bergen
(Norvège), 1992, citée par Marie-France Savéan dans «La Place» et «Une femme» d’Annie
Ernaux, Paris, Gallimard, coll. «Folio-Pochothèque», 1994. L’intervention d’Annie Ernaux
au colloque Autofictions et Cie était intitulée «Vers un je transpersonnel» (actes du
colloque, op. cit., p. 219).
83. A. Robbe-Grillet, Les Derniers Jours de Corinthe, op. cit., p. 17.
84. A. Robbe-Grillet, ibid., p. 177: «[…] mon troisième volume d’errements autofictionnels
[…].»
85. L’édition 2001 du Petit Robert ignore l’expression «roman autobiographique» mais inclut
«autofiction» avec une définition qui les rend synonymes, à ceci près qu’elle ne fait aucune
référence aux notions de «roman» ni de «genre»: «1977; de autobiographie et fiction. Récit
mêlant la fiction et la réalité autobiographique. “l’impudeur et la délivrance de
l’autofiction” (Le Monde, 1999).»
86. Cf. J. Lecarme, «L’hydre anti-autobiographique», art. cité, p. 22 et 56.
87. V. Colonna, L’Autofiction, op. cit. Cette acception a été reprise par G. Genette qui avait
dirigé sa thèse. Cf. Fiction et diction, op. cit., p. 86 et n. 2.
88. Le terme a d’ores et déjà un équivalent en espagnol, ainsi qu’en témoigne la parution de
l’étude d’Alicia Molero de la Iglesia La autoficción en España, op. cit. Elle analyse des
œuvres de Jorge Semprun, Carlos Barral, Luis Goytisolo, Enriquita Antolin et Antonio
Muñoz Molina.
89. R. Pascal, «The autobiographical novel and the autobiography», Essays on Criticism, vol.
IX, nº 2, 1959, p. 134-150.
90. G. Diment, The Autobiographical Novel of Co-consciousness, Gaineville, University Press
of Florida, 1994.
91. J.H. Buckley, The Turning Key. Autobiography and the Subjective Impulse since 1800, op.
cit., 1984. Ayant mentionné De Profundis d’Oscar Wilde, Hail and Farewell. Confessions
of a Young Man de George Moore et Father and Son d’Edmund Gosse, Buckley écrit:
«Dans le travail de chacun d’entre eux, nous voyons l’autobiographie évoluer vers une des
formes les plus caractéristiques du XXe siècle: le roman autobiographique. Le Portrait de
l’artiste en jeune homme, pour ne citer que l’exemple le plus éminent de ce genre moderne,
présente un héros essentiellement tiré de l’expérience propre de son auteur […]» (p. 113).
92. Ibid., p. 114-130.
93. A. Fleishman, «The fictions of autobiographical fiction», Genre, vol. IX, nº 1, printemps
1976, p. 73-86.
94. P.J. Eakin, Fictions in Autobiography. Studies in the Art of Self-Invention, Princeton,
Princeton University Press, 1985.
95. P.M. Axthelm, The Modern Confessional Novel, New Haven et Londres, Yale University
Press, 1967.
96. G. Gusdorf, Lignes de vie, t. I, Les Écritures du moi, op. cit., p. 239 et 245.
97. P. Ricœur, Temps et récit, t. I, Paris, Éd. du Seuil, 1983, p. 17.
98. P. Ricœur, Soi-même comme un autre, Paris, Éd. du Seuil, 1990, p. 175.
99. J’emprunte la distinction entre «intégrationnistes» et «ségrégationnistes» à T. Pavel,
Univers de la fiction, op. cit., p. 19-44. Pavel l’applique à la querelle des pragmaticiens
anglo-saxons sur la question de savoir si l’on peut considérer la fiction comme un énoncé
logiquement sérieux. Jacques Lecarme a proposé de l’étendre au domaine de la poétique
dans «L’autofiction: un mauvais genre?», art. cité, p. 233, et de nouveau dans J. Lecarme et
E. Lecarme-Tabone, L’Autobiographie, op. cit., p. 272. La proposition de J. Lecarme est ici
retournée, puisque je nomme «intégrationnistes» les critiques pour qui le roman
autobiographique (ou l’autofiction) est une manière d’autobiographie.
100. Cf. J.F. Chiantaretto (dir.), Écriture de soi, écriture de l’histoire et psychanalyse, Paris,
L’Harmattan, 1996; Écriture de soi, écriture de l’histoire, Paris, In press, 1997; Écriture de
soi et sincérité, op. cit.
101. Cf. P. Lejeune et C. Viollet (dir.), Genèses du «Je», Éd. du CNRS, coll. «Textes et
manuscrits», 2000.
102. P. Lejeune, «Autobiographie et histoire littéraire» et «Gide et l’espace autobiographique»,
dans Le Pacte autobiographique, op. cit., resp. p. 335 et 165-196.
103. F. Brunetière, «La littérature personnelle», art. cité, p. 211-246.
104. A. Thibaudet, Gustave Flaubert, Paris, Gallimard, 1935, cité par P. Lejeune, «Un siècle de
résistance à l’autobiographie», art. cité, p. 17.
105. A. Thibaudet, «Les deux écoles», art. cité.
106. Ibid., p. 126.
107. M. Bakhtine, «L’auteur et le héros», archives 1920-1930, dans Esthétique de la création
verbale, trad. fr. de A. Aucouturier, Paris, Gallimard, 1984, p. 35 [éd. originale, Moscou,
1979].
108. Ibid., p. 83.
109. P. Lubbock, The Craft of Fiction, Londres, 1921; rééd., New York, 1957, p. 139-140.
110. R. Wellek et A. Warren, La Théorie littéraire, 1948, trad. fr. de J.-P. Audigier et J.
Gattégno, Paris, Éd. du Seuil, 1971, p. 310-311.
111. I. Tynianov, De l’évolution littéraire, 1927; trad. fr. de T. Todorov dans Théorie de la
littérature, Paris, Éd. du Seuil, 1965; nouvelle trad. fr. de C. Depretto-Genty dans
Formalisme et histoire littéraire, Lausanne, L’Âge d’homme, 1991, p. 245.
112. M. Bakhtine, «Du discours romanesque», art. cité.
113. T. Todorov, Critique de la critique, Paris, Éd. du Seuil, coll. «Poétique», 1984, p. 74.
114. M. Blanchot, La Part du feu, Paris, Gallimard, 1949, p. 29.
115. P. Sollers, «La science de Lautréamont», dans L’Écriture et l’Expérience des limites, Paris,
Éd. du Seuil, 1968; rééd., coll. «Points», 1971, p. 143.
116. R. Barthes, «Écrivains et écrivants», dans Essais critiques, Paris, Éd. du Seuil, 1964; rééd.,
coll. «Points», 1971, p. 147-154.
117. R. Barthes, «Littérature objective», ibid., p. 29-40.
118. R. Barthes, S/Z, op. cit.
119. J. Kristeva, Sèméiôtikè, Paris, Éd. du Seuil, 1969.
120. A. Compagnon, La Seconde Main, op. cit.
121. G. Genette, Palimpsestes, op. cit.
122. C. Grivel, Production de l’intérêt romanesque, La Haye, Mouton, 1973, notamment p. 92-
96 et 170-180, et G. Genette, Seuils, op. cit.
123. G. Genette, ibid., p. 376.
124. R. Barthes, Roland Barthes par Roland Barthes, op. cit.; La Chambre claire, Paris,
Gallimard-Le Seuil, 1980. Sur le premier: F. Gaillard, «Barthes: le biographique sans la
biographie», Revue des sciences humaines, université Charles de Gaulle-Lille III, numéro
consacré au Biographique, 1991, 4, nº 224, p. 85-103: «Si la biographie est, pour reprendre
un terme barthésien, une “cochonnerie”, c’est précisément parce qu’elle consacre le règne
du mauvais imaginaire, celui qui enferme le sujet dans des images, celui qui, travaillant à
l’imago, oublie que le moi est en perpétuel déport, en perpétuelle invention […]. R.B. par
R.B., loin d’être un livre d’images, est un livre écrit contre elles» (p. 95).
125. P. Sollers, Femmes, op. cit.; Portrait du joueur, op. cit.; Le Cœur Absolu, op. cit.; Passion
fixe, op. cit.
126. A. Robbe-Grillet, Le Miroir qui revient, op. cit.; Angélique ou l’enchantement, op. cit.; Les
Derniers Jours de Corinthe, op. cit.: trilogie intitulée Romanesques, Paris, Éd. de Minuit.
127. G. Deleuze, Critique et clinique, Paris, Éd. de Minuit, 1993, p. 12-13. Cf. Christophe
Donner, Contre l’imagination, Paris, Fayard, 1998, qui critique violemment ce point de
vue, p. 63-74.
128. M. Kundera, Les Testaments trahis, Paris, Gallimard, 1993, p. 29-30.
129. M. Petit, Éloge de la fiction, Paris, Fayard, 1999, p. 62.
130. K. Hamburger, Logique des genres littéraires, op. cit.
131. Ibid., p. 126.
132. Ibid., p. 298.
133. G. Genette, Fiction et diction, op. cit., p. 11-93.
134. Ibid., p. 90.
135. J.-M. Schaeffer «nuance» lui aussi les arguments de K. Hamburger et montre, dans un
extrait de Suétone, que les indices de fictionnalité saturent les récits référentiels (Pourquoi
la fiction?, op. cit., p. 262-270).
136. G. Genette, Fiction et diction, op. cit., p. 65.
137. Ibid., p. 93.
138. N. Frye, Anatomy of Criticism, Princeton, 1957; trad. fr. de G. Durand, Anatomie de la
critique, Paris, Gallimard, 1969, p. 374.
139. R. Pascal, «The autobiographical novel and the autobiography», art. cité, p. 134-150.
140. A. Fleishman, «The fictions of autobiographical fiction», art. cité, p. 73-86, traduit par
nous.
141. W. Kayser, «Qui raconte le roman?», art. cité.
142. R. Barthes, «Pierre Loti: “Aziyadé”», préface à une traduction italienne, Parme, F.M. Ricci,
1971; éd. fr. dans Critique, nº 297, février 1972; rééd. dans Nouveaux essais critiques,
Paris, Éd. du Seuil, 1972; rééd. après Le Degré zéro de l’écriture, coll. «Points», 1972, p.
170-187.
143. N. Frye, Anatomie de la critique, op. cit., p. 375.
144. D. Cohn, La Transparence intérieure, op. cit., p. 49-51.
145. W. Booth, «Distance et point de vue. Essai de classification», paru originellement dans
Essays in Criticism, chap. XI, 1961; trad. fr. de M. Désormonts dans la revue Poétique, nº 4,
1970; rééd. dans Poétique du récit, op. cit., p. 94.
146. J.-M. Schaeffer, Pourquoi la fiction?, op. cit., p. 260. L’auteur discute et réfute cette
conception étroitement intertextuelle de la littérature.
147. M. Riffaterre, «L’illusion référentielle» (article paru initialement dans la Columbia Review,
vol. 57, nº 2, 1978), trad. fr. de P. Zoberman, dans Littérature et réalité, op. cit., p. 93.
148. R. Barthes, «L’effet de réel», art. cité.
149. P. Lejeune, Moi aussi, op. cit., p. 25.
150. P. Lejeune, L’Autobiographie en France, op. cit., p. 17.
151. P. Lejeune, Le Pacte autobiographique, op. cit., p. 26.
152. Interview avec Olga Obry dans Le Phare-Dimanche, Bruxelles, 6 octobre 1957, repris dans
Cahiers Céline 2, Paris, Gallimard, 1976, p. 81-83. Voir aussi Céline, Entretiens avec le
Professeur Y, Paris, Gallimard, 1955, rééd., 1983, p. 26, et R. Poulet, Mon ami Bardamu,
Paris, Plon, 1971.
153. H.Miller, Dimanche après la guerre, 1935, p.118, cité par M. Houard, La Conception du
roman autobiographique chez L.-F. Céline et Henry Miller, thèse inédite sous la dir. de P.
Brunel, université Paris IV, 1986, p. 26. Voir également H. Miller, The Books in my Life,
1957; trad. fr. de J. Rosenthal, Les Livres de ma vie, Paris, Gallimard, 1969; rééd., coll.
«L’Étrangère», 1994, p. 218-219.
154. N. Sarraute, «L’ère du soupçon», paru en février 1950 dans Les Temps modernes, puis,
avec d’autres essais, Paris, Gallimard, 1956; rééd., coll. «Folio», p. 71-72.
155. Ibid., p. 78.
156. P. Handke, Ich Bin Ein Bewohner des Elfenbeinturms – Aufsätze, texte de 1967 édité à
Francfort en 1972; trad. fr. de D. Petit, J’habite une tour d’ivoire, Paris, Bourgois, 1992, p.
29.
157. M. Darrieussecq, Moments critiques dans l’autobiographie contemporaine: l’ironie
tragique et l’autofiction chez Serge Doubrovsky, Hervé Guibert, Michel Leiris et Georges
Perec, op. cit.
158. M. Darrieussecq, «L’autofiction, un genre pas sérieux», art. cité.
159. C. Donner, Contre l’imagination, op. cit.
160. P. Valette, Introduction aux Métamorphoses d’Apulée, Paris, Les Belles Lettres, 1940, p.
XI.

161. A.-M. Schmidt, Histoire des littératures, t. III, op. cit., p. 197.
162. G. Saba, Introduction à Première journée de T. de Viau, op. cit., p. XIII.
163. J. Sgard, Le Roman français à l’âge classique, Paris, LGF, coll. «Le Livre de Poche»,
2000, p. 79-80.
164. P. Grappin, dans Littérature allemande, Paris, Aubier, 1970, p. 402: «L’Anton Reiser de
Moritz est aussi une analyse autobiographique.»
165. G. Benrekassa, «Le dit du moi: du roman personnel à l’autobiographie», dans Les Sujets de
l’écriture. Textes réunis par Jean Decottignies, op. cit., p. 89.
166. L. Scheler, Préface au Proscrit (Jacques Vingtras, IV), Paris, Les Éditeurs français réunis,
1973, p. 7.
S. Disegni, Jules Vallès. Du journalisme au roman autobiographique, Paris, L’Harmattan,
1996.
R. Bellet, Jules Vallès, Paris, Fayard, 1995, et Préface à S. Disegni, Jules Vallès. Du
journalisme au roman autobiographique, op. cit., p. 5-7.
M.-C. Bancquart, «Vallès, le penseur, l’écrivain», dans Jules Vallès, Œuvres complètes, t. I,
Paris, Les Éditeurs français réunis, 1969, p. XLI-LXXII, et Préface à L’Insurgé, op. cit. (coll.
«Folio»), p. 7-35.
G. Colajanni, «L’Enfant, un roman de vocation», dans P. Pillu (dir.), Lectures de
«L’Enfant» de Jules Vallès. Actes du colloque d’octobre 1990 à Reims, Paris, Klincksieck,
1991, p. 35-49.
P. Pillu, «Le théâtre de l’enfance dans L’Enfant», ibid., p. 173-184, et surtout «Lecture du
roman autobiographique», dans M. Picard (dir.), La Lecture littéraire. Actes du colloque de
Reims (14-16 juin 1984), op. cit., p. 256-272.
P. Lejeune, «Le récit d’enfance ironique: Vallès», art. cité.
167. Cf. H. Godard, Poétique de Céline, op. cit.
168. Cf. M. Houard, La Conception du roman autobiographique chez L.-F. Céline et Henry
Miller, op. cit., et F.J. Temple, Henry Miller. Qui suis-je?, Lyon, La Manufacture, 1986.
169. Cf. J. Béranger, «John Fante: refus et acceptation du passé dans le cycle Molise», Annales
du CRAA, nº 14, Bordeaux, Maison des sciences de l’homme d’Aquitaine, 1989, p. 171-
184.
170. J.L. Scheffer, Kenzaburô Ôé, Paris, Marval, 1990.
171. F. Durand-Bogaert, Peter Handke, Paris, Marval, 1991.
8

Fonctions

Écriture du roman autobiographique


Quelles sont les fonctions d’un genre ? Cette question semble excéder,
aux deux sens du terme, la critique littéraire. D’une part, elle dépasse son
domaine d’investigation, car elle lui impose de recourir à des outils
explicatifs d’ordre philosophique, éthique, psychologique, sociologique,
etc. Dans une époque de spécialisation, elle nécessiterait une démarche
interdisciplinaire. D’autre part, la nouvelle critique ayant défini le texte
littéraire par son intransitivité, le message proprement dit a été destitué de
ses privilèges au profit de ses supports ; on a ainsi fait l’économie de toute
problématique du sens.
Cette idéologie formaliste était sans doute, à l’origine, une réponse aux
totalitarismes. L’Histoire nous a enseigné que la liberté de l’artiste est en
péril dès que l’art est assujetti à une fonction précise, dès qu’il est investi
d’une mission, dès qu’il est chargé de véhiculer un message. La critique
axiologique est toujours au service d’une instrumentalisation de la culture
qui tend à stériliser la créativité. Néanmoins, le danger, pour la création, ne
serait pas moins grand de renoncer définitivement à réfléchir au sens de
l’art dans notre vie. Une telle démission intellectuelle laisserait en effet le
champ libre à d’autres formes d’instrumentalisation, par les préjugés
culturels, par les lois du commerce et du marketing. Elle serait
particulièrement dommageable dans le domaine de la littérature, dont le
médium est verbal. Le verbe remplit, essentiellement, qu’on le veuille ou
non, une fonction transitive de communication entre les humains. Aucun
écrit littéraire ne peut donc se réduire à un pur signifiant, aucun ne peut
échapper au signifié. Par sa transitivité, le langage s’expose à
l’incompréhension, à l’interprétation, à la traduction, à la critique et à la
discussion, mais il veut toujours dire quelque chose.
Pour peu que l’on concède au texte cette capacité à communiquer un
message, on ne saurait éviter de se demander pourquoi, précisément, il
adopte une forme littéraire. Ce qui revient à poser la question Qu’est-ce que
la littérature ? 1 et en définitive, ainsi que l’entendait Sartre, à quoi sert-
elle ? Toute réflexion critique conséquente n’est-elle pas sous-tendue par
ces interrogations ?
Je n’ai étudié, jusqu’ici, que les procédés rhétoriques du roman
autobiographique. Or la rhétorique, dont la procédure est descriptive, ne se
soucie pas de littérarité. Il faut donc la dépasser et accéder au niveau de la
poétique proprement dite pour raisonner en termes de valeurs. Il ne suffit
pas au poéticien de répertorier et de décrire des catégories littéraires. Il doit
encore déterminer quelles sont leurs fonctions spécifiques et comment elles
répondent à telle ou telle conception de l’art.
Attribuer une fonction à un objet littéraire, c’est d’abord lui assigner un
destinataire et, au nom d’un système de valeurs, évaluer l’effet de ce texte
sur ce destinataire. Cette poétique axiologique a d’abord mesuré l’impact et
l’utilité du verbe littéraire sur le fonctionnement de la société. C’est
pourquoi Platon, considérant la rhétorique comme l’art de mentir, exigeait
que le poète soit mis au service de la moralité publique ou proscrit 2. Et cet
impératif civique retrouve sa prééminence chaque fois que la littérature
n’est pas considérée comme une fin mais comme un moyen au service
d’une idéologie politique.
Contrairement à Platon, Aristote voyait dans la littérature un facteur de
cohésion sociale. D’où sa prédilection pour le théâtre qui rassemble les
citoyens autour d’une représentation de leur histoire. Mais, paradoxalement,
il expliquait l’effet bénéfique de la mimèsis par la catharsis, qui est un
phénomène psychologique, intime, personnel, secret. La Poétique prenait
donc en compte un autre destinataire que le peuple dans son ensemble :
l’individu. Elle légitimait, avant Barthes, la notion de plaisir du texte et,
avant Freud, sa fonction curative. Les poéticiens latins et ceux de l’âge
classique tentèrent de concilier Platon et Aristote, tout en les édulcorant, à
travers le double impératif : instruire et plaire. Le texte devait bénéficier à
la fois à la société et à l’individu.
Le Romantisme a ensuite promu un troisième destinataire du texte :
l’auteur lui-même. L’idée que le texte a essentiellement pour fonction
d’exprimer, de révéler et de soulager les tensions intimes de l’écrivain court
de Rousseau au Surréalisme. La psychanalyse l’a accréditée en autorisant
une lecture symptomatique des textes. Dans cette perspective, le créateur
devient le premier bénéficiaire de la fonction cathartique de sa propre
parole.
Consciemment ou non, le commentateur établit une hiérarchie entre ces
trois récepteurs du texte littéraire que sont la société, le lecteur et l’auteur.
Et il classe les textes en fonction de leur effet sur celui qu’il leur assigne en
priorité. Non seulement cet ordre commande son système de valeurs
littéraires, mais il détermine sa théorie et sa hiérarchie des genres. Ainsi
l’ancienne critique condamnait-elle « la littérature personnelle » pour ses
effets pernicieux sur l’ordre social. Brunetière estimait que le discours du
moi, « incivil », allait « contre l’objet de la littérature […] contre celui
même de la société 3 ».
Ce type de jugement est frappé d’obsolescence. Non qu’on ne prenne
plus en compte l’impact de la littérature sur la société, mais plutôt parce que
l’écriture autobiographique n’est plus considérée, a priori, comme perverse
ou subversive. Chacun reconnaît au contraire son utilité sociale, son
aptitude à dépasser le simple témoignage anecdotique pour exprimer une
parole collective, voire universelle. À cet égard, le roman autobiographique
présente un intérêt particulier car sa stratégie originale d’ambiguïté
générique, de déguisement, de feinte, permet de représenter des situations
de malaise, d’injustice, d’oppression, d’aliénation qui étaient occultées ou
déniées.
J’ai évoqué à ce sujet les premiers romans de peuples colonisés. Mais il
faudrait aussi analyser sous cet angle la tactique de Vallès pour redonner la
parole aux communards, celle de Barbusse pour faire discourir les poilus ou
encore celle d’Hélisenne de Crenne pour montrer la condition des femmes
de son temps. Quand Dickens ou Istrati se représentent en enfants au
travail, Jack London ou Erri de Luca en prolétaires exploités, Claude Simon
en vaincu de quarante, Jiri Weil en porteur de l’étoile jaune, Guibert en
mourant du sida, Ôé en parent de handicapé mental, Gao Xingjian en
victime de la Révolution culturelle, leurs personnages transcendent leur
plainte individuelle pour analyser, et dénoncer, une réalité sociale et
politique. Jouant sur deux registres, la confidence autobiographique et la
dynamique romanesque, ils prennent le lecteur à témoin d’une souffrance
scandaleuse, à la fois intime et collective. Ils lui font partager la tragédie de
ce destin.
L’ambiguïté générique ne sert donc pas exclusivement à véhiculer le
soliloque d’un sujet coupé du monde. Au contraire, elle inscrit ce sujet dans
le réseau de ses implications affectives, familiales, sociales. La traduction
de l’expérience personnelle dans un langage romanesque transforme peu ou
prou le « moi » singulier en héros, en type, en symbole, en métaphore. Le
romancier construit alors sa légende en s’autoproclamant emblème et porte-
parole d’un groupe humain. Il transcende et légitime ainsi son travail
mémoriel. Cette « iconisation » marque le passage aristotélicien du
particulier au général sans résilier l’ancrage référentiel du témoignage.
Si l’auteur souligne l’universalité de ce qu’il révèle, c’est aussi pour
échapper aux reproches d’autocomplaisance. Toutes les sociétés réprouvent
le discours sur soi, le ressentent plus ou moins comme une menace contre
l’ordre établi. Ne pouvant l’interdire, elles le cantonnent à des espaces
intimes ou fortement ritualisés. La publication d’un livre mémoriel
constitue une transgression de ces règles qui ne va pas sans culpabilité.
C’est pourquoi l’écriture autobiographique est, plus systématiquement que
l’écriture fictionnelle, analysée sous l’angle de sa production : le critique se
demande, en premier lieu, ce qui pousse l’auteur à passer outre, quels
bénéfices il attend de ce coup de force.
Dans cette optique, la justice, qui pousse aux aveux, la religion, qui
ritualise la confession, la psychothérapie, qui analyse le récit rétrospectif,
fournissent les grilles habituelles d’interprétation du phénomène. Dans La
Scène judiciaire de l’autobiographie 4, Gisèle Mathieu-Castellani a montré
ce que la littérature personnelle doit à la tradition rhétorique du plaidoyer.
Cependant, on ne saurait réduire le registre autobiographique au seul
dessein d’autojustification. C’est dans la mesure où les textes remplissent
d’autres fonctions, nombreuses, complexes, ambiguës et esthétiques, qu’ils
accèdent à un statut littéraire.
Georges Gusdorf, pour sa part, situait l’origine des « écritures du moi »
dans l’examen de conscience et dans le journal de piété adressés à Dieu.
Une rupture fondamentale se serait produite lorsqu’elles ont cessé « d’être
couvertes par le secret et se sont destinées elles-mêmes à la publication 5 ».
Pour le philosophe chrétien, ce changement de destinataire a frappé
l’autobiographie d’une sorte de malédiction, puisque la signification du
vécu, qui était détenue par Dieu, est désormais alléguée par l’auteur :
Le péché originel de l’autobiographie est donc d’abord celui de
cohérence logique et de rationalisation. Le récit est conscience, et,
comme la conscience du narrateur mène le récit, il lui paraît
invinciblement qu’elle a mené sa vie. […] L’illusion commence
d’ailleurs dès le moment où le récit donne un sens à l’événement
[…] 6.

Ce jugement rejoint celui des psychanalystes, qui distinguent nettement


l’autobiographie de l’anamnèse thérapeutique, la première constituant un
obstacle à la seconde, un symptôme de résistance à la cure. Masquées par
7
des souvenirs-écrans , les sources inconscientes de son comportement sont
inaccessibles au sujet. Ne pouvant s’auto-analyser, il est condamné à
imaginer son histoire. Lacan a fixé l’origine de cette quête d’identité au
« stade du miroir », moment où l’enfant rencontre son image réelle et,
aussitôt, la fictionnalise :

Mais le point important est que cette forme situe l’instance du moi,
dès avant sa détermination sociale, dans une ligne de fiction, à
jamais irréductible pour le seul individu – ou plutôt, qui ne rejoindra
qu’asymptotiquement le devenir du sujet, quel que soit le succès des
synthèses dialectiques par quoi il doit résoudre en tant que je sa
discordance d’avec sa propre réalité 8.

Dès qu’elle est soumise aux critères de jugement qui régissent les récits
d’ordre judiciaire, religieux ou psychothérapeutique, l’autobiographie
tombe sous le coup des spécialistes de l’aveu. Dans l’article qu’il a consacré
à « L’hydre anti-autobiographique », Jacques Lecarme montrait la
convergence de ces condamnations d’origine politique, religieuse,
psychanalytique, philosophique et littéraire 9. L’écriture du moi souffre d’un
déficit de légitimité qui la rend, a priori, suspecte, incorrecte, impertinente.
Comment pourrait-elle, dans ces conditions, bénéficier d’une appréciation
purement esthétique ?
Le fondement de cette suspicion réside probablement dans la « tradition
d’abaissement de la mémoire » que Paul Ricœur a critiquée dans La
Mémoire, l’Histoire, l’Oubli 10. Traitée depuis les Grecs comme une
province de l’imagination, la mémoire a généralement été considérée par les
philosophes comme une source d’illusions, non de connaissance.
La naissance et le développement du roman autobiographique
s’inscrivent dans ce contexte occidental de critique, de refus et de
culpabilisation de l’écriture du moi. D’une part, l’ambiguïté générique
traduit sur le plan littéraire le postulat d’une interdépendance entre la
mémoire et l’imagination. D’autre part, elle tourne la condamnation qui
pèse sur l’autobiographie en prétendant faire œuvre romanesque.
Cependant, on ne saurait la réduire ni à une allégorie de la mémoire
imaginante ni à une technique de camouflage. Si elle a une raison d’être,
une spécificité épistémologique, c’est dans la représentation d’une activité
psychologique et langagière universelle qui permet à la fois de se mieux
connaître et de mieux communiquer avec autrui. L’analyse de cette
spécificité devrait d’ailleurs permettre une meilleure compréhension
littéraire des écritures du moi dans leur ensemble. Pour engager une telle
recherche, il faut s’affranchir, provisoirement, de la perspective axiologique
réglée traditionnellement par le dualisme sincérité/mensonge ; il faut
suspendre le procès de l’acte d’énonciation lui-même dans le but de
remonter à ce qui le motive. La contribution de Paul Ricœur à ce nouveau
regard sur les écritures du moi est à cet égard considérable.
Dans Temps et récit 11, Du texte à l’action 12 et Soi-même comme un
autre 13, le philosophe a en effet étudié la fonction du récit dans la
structuration de l’identité personnelle. Depuis Locke, nous savons que
l’identité de l’individu est vouée à l’instabilité et à la discontinuité, car il ne
peut se fonder, pour l’attester, que sur sa mémoire, dont le témoignage n’est
pas fiable 14. Ricœur reformule ce problème en distinguant nettement deux
valeurs du mot français « identité » : la valeur de similitude, que l’on
retrouve dans l’adjectif « identique », le latin idem, l’anglais sameness, et la
valeur d’unité cohérente, qui correspond au sens juridique d’« identité », au
latin ipse et à l’anglais selfhood 15. La première « identité », qu’il nomme
« mêmeté », est toujours prise en défaut, invalidée par le passage du temps,
tandis que la seconde, ou « ipséité », est constamment en chantier.
Pour attester de sa permanence dans le temps, le sujet va donc s’efforcer
de compenser la déperdition de son identité-mêmeté en renforçant son
identité-ipséité. Pour ce faire, il va recoller les fragments de ses souvenirs et
les organiser le long d’un axe temporel narratif. Ce récit de soi est régi par
un jeu dialectique entre la permanence utopique de la mêmeté et la viscosité
angoissante de l’ipséité. Sa fonction est de reconfigurer le passé du
narrateur de façon à le réassurer dans sa conscience de lui-même :

Le récit construit l’identité du personnage, qu’on peut appeler son


identité narrative, en construisant celle de l’histoire racontée. C’est
16
l’identité de l’histoire qui fait l’identité du personnage .

Cette opération passe non seulement par une « mise en intrigue » mais
par des « variations imaginatives ». En effet :

[…] la compréhension de soi est une interprétation ; l’interprétation


de soi, à son tour, trouve dans le récit, parmi d’autres signes et
symboles, une médiation privilégiée ; cette dernière emprunte à
l’histoire autant qu’à la fiction faisant de l’histoire d’une vie une
histoire fictive, ou si l’on préfère une fiction historique,
entrecroisant le style historiographique des biographies au style
romanesque des autobiographies imaginaires 17.
Le moi-héros, comme un personnage de roman, est une créature
surdéterminée, surinvestie d’une valeur métaphorique qui tend à le détacher
de son modèle. Raisonnant toujours au plus haut niveau de généralité,
Ricœur n’assimile ce travail de reconfiguration narrative à aucun genre
déterminé. Il vise aussi bien les bribes narratives que nous émettons et
entendons quotidiennement que les textes littéraires. Cependant, il reconnaît
au récit de soi ordinaire, dans notre culture, deux grands modèles
contradictoires : la biographie historique et le roman. C’est postuler que,
dans son ignorance de la poétique aristotélicienne, l’autonarration orale
mélange allègrement référence et fiction.
De là l’hypothèse suivante : dans un environnement culturel favorable,
notre tendance naturelle à l’autofictionnalisation peut donner naissance à un
mode d’expression littéraire. Cela ne signifie pas pour autant qu’il y ait
équivalence entre le récit de soi ordinaire et le roman autobiographique. Le
second n’est que la mimèsis du premier. Les romanciers représentent,
miment, simulent un processus psychologique universel : la compulsion à
se raconter pour raffermir et remanier son identité propre. Loin d’être
dominés par cette quête d’identité, ils l’assujettissent à un projet artistique.
Dans ce projet, la fictionnalisation ne remplit pas seulement une fonction de
protection et une fonction esthétique. Elle est aussi un outil de
connaissance.
Lorenzo Bonoli soulignait récemment, en étudiant, à travers Ricœur, le
statut cognitif de la fiction, que

notre accès au monde réel passe toujours à travers la médiation


d’une activité symbolique qui construit, configure, une version du
18
monde .

En tant que tranche du monde réel, notre histoire personnelle est


soumise aux mêmes modalités de perception symbolique qu’un conte ou un
roman. C’est pourquoi Lacan pouvait dire que notre représentation de nous-
même suit une « ligne de fiction ». Le romancier autobiographe connaît,
accepte, utilise la dynamique métaphorique du récit de soi et il la reproduit.
En ce sens, on pourrait dire que sa « ligne de fiction » est mimétique. Elle
ne trahit pas quelque renoncement à voir clair dans son histoire, ni un
abandon à la dérive des réminiscences. Mais elle traduit au contraire un
effort méthodique pour représenter, sélectionner et structurer quelques
éléments significatifs du flux mémoriel. En exergue à Histoire, Claude
Simon citait deux vers de Rilke évoquant ce travail de Sisyphe :

Cela nous submerge. Nous l’organisons. Cela tombe en morceaux.


Nous l’organisons de nouveau et tombons nous-mêmes en
morceaux.

La « modélisation mimétique 19 » opérée par la fiction aide l’auteur dans


sa tâche de réorganisation incessante de soi, car elle lui permet de construire
expérimentalement des hypothèses autobiographiques. Ces hypothèses
fictionnalisées favorisent, comme le rappelle Jean-Marie Schaeffer, la
distanciation nécessaire à l’écriture :

Une des fonctions principales de la fiction sur le plan affectif


résiderait ainsi dans le fait qu’elle nous permet de réorganiser les
affects fantasmatiques sur un terrain ludique, de les mettre en scène,
ce qui nous donne la possibilité de les expérimenter sans être
submergés par eux. L’effet de cette réélaboration fictionnelle n’est
pas celui d’une purge, mais celui d’une désidentification partielle 20.

Le détour par le roman permet donc de représenter le processus de


remémoration sans éluder sa collusion avec l’imagination. Au contraire,
cette contamination nourrit le texte. Mais le détour par l’imaginaire, loin
d’invalider le processus mémoriel, comme le voulait le postulat de la
philosophie classique, l’enrichit et, dans une certaine mesure, le légitime.
Si, comme le disait Philippe Lejeune, « l’écriture autobiographique est
fondamentalement réparatrice 21 » et, bien souvent, candidement valorisante,
l’écriture du roman autobiographique, au contraire, suit un mouvement
dialectique, autocritique, réflexif, ironique et non conclusif.
Le modèle explicatif que l’on peut trouver dans l’œuvre de Ricœur
retrace l’origine et la fonctionnalité du récit de soi fictionnalisé, mais il ne
rend pas compte de la spécificité du roman autobiographique en tant
qu’outil de communication. Quel est l’intérêt, pour l’auteur comme pour le
lecteur, de partager un récit fondé sur l’ambiguïté autobiographique ? Pour
avancer un début de réponse, je partirai, suivant la suggestion d’Edmond
Marc 22, du rapprochement que faisait le psychanalyste Winnicott entre un
journal intime d’enfant et le jeu de cache-cache :

Nous avons là l’image d’un enfant établissant un « self » intime qui


ne communique pas et qui, en même temps, désire communiquer et
être trouvé. C’est un jeu élaboré de cache-cache dans lequel se
23
cacher est un plaisir, mais n’être pas trouvé est une catastrophe .

Pour Winnicott, la filiation entre ces jeux et l’expression artistique de


soi ne fait aucun doute :

Je pense qu’il est possible de détecter chez tous les artistes un


dilemme inhérent qui relève de la coexistence des deux courants : le
besoin urgent de communiquer et le besoin encore plus urgent de ne
pas être trouvé. Cela explique peut-être le fait que nous ne pouvons
plus concevoir qu’un artiste vienne à bout de la tâche qui occupe
toute sa nature 24.
Dans cette optique étiologique, le roman autobiographique et
l’autofiction pourraient se comprendre comme des variantes sophistiquées,
pour adultes, du jeu de cache-cache. Ils se fonderaient sur la coexistence
des deux « Moi » que Winnicott nomme le « vrai » et le « faux self ». Le
« vrai self » constitue le noyau authentique du Moi ; il reste isolé à
l’intérieur du sujet et confie au « faux self » la tâche de s’adapter au monde
et de communiquer à cet effet 25. Caché, secret, le « vrai self » lance des
appels pour signaler son existence. Mais, si on le débusque, le « faux self »
s’interpose aussitôt : l’enfant caché hurle, l’auteur déguisé dénie, pour
préserver leur intime.
La dualité du roman autobiographique traduit ce double mouvement de
recherche et de refus de la communication. L’auteur construit un « faux
self », dont il donne à entendre la voix, et il s’en sert à la fois pour occulter
et pour montrer le vrai. On peut concevoir qu’un diariste ou un
autobiographe n’écrivent que pour soi. Mais le romancier du « moi », qui
est à la fois auteur et acteur de son texte, postule nécessairement un
récepteur avec lequel il s’efforce d’entrer en contact. À ce titre, il échappe
au piège du narcissisme. Dans un texte intitulé « Narcisse écrit-il ? »,
Jacques Borel expliquait que les écrivains, loin de jouir de leur image,
travaillent à « briser le cercle du moi […] à leurs risques et périls 26 ». En
tant que support de communication, le roman autobiographique remplit
d’abord une fonction d’outil destiné à briser ce « cercle du moi » qui
enferme le « vrai self ».
Il sera plus difficile d’exonérer totalement l’auteur du soupçon
d’exhibitionnisme. Il y a incontestablement une composante histrionique
dans ce type d’écriture. Mais faut-il pour autant réduire l’attitude du lecteur
à celle d’un voyeur ou même d’un spectateur ? Certainement pas. Le texte
peut certes réveiller et révéler en chaque lecteur un voyeur et un espion
d’autrui, mais il va aussi activer bien d’autres modalités de la relation
interpersonnelle : la curiosité, la séduction, l’écoute, l’échange,
l’étonnement, la connivence, la compréhension, l’admiration,
l’identification, le malaise, le dégoût, l’incrédulité, le déni, la critique, la
dérision, le scandale, etc.

Lecture du roman autobiographique


La plupart des lecteurs éprouvent les plus grandes difficultés à expliquer
pourquoi ils lisent tel ou tel type de livres, ce qu’ils ressentent en lisant, ce
que leur apporte cette activité. L’étude pragmatique peut reconstituer la
façon dont le texte programme sa propre lecture, mais elle est, jusqu’à
présent, dans l’incapacité de vérifier la réalisation de ce programme.
Variable, secrète, en partie inconsciente, l’expérience de la lecture résiste à
l’étude. Tant qu’il n’existe ni groupe de recherche ni méthodologie
d’enquête sur ce terrain, les critiques en sont réduits à leurs propres facultés
d’auto-observation pour porter des jugements.
Dans la mesure où il commande et accepte au moins deux types de
lecture antithétiques, le roman autobiographique pourrait servir de test pour
connaître les attentes d’un public déterminé. Que se passe-t-il, première
hypothèse, s’il est reçu comme une fiction ? D’une façon générale, nous ne
savons pas quels bénéfices nous apporte la fiction. Freud, que cette question
taraudait, n’alla guère au-delà des suppositions d’Aristote :

Je pense que […] la jouissance propre de l’œuvre littéraire est issue


du relâchement de tensions siégeant dans notre âme. Peut-être
même le fait que le créateur littéraire nous mette en mesure de jouir
désormais de nos propres fantaisies, sans reproche et sans honte,
n’entre-t-il pas pour peu dans ce résultat 27.
Dans cette perspective classique, on peut faire l’hypothèse que, sur le
« faux-self » élaboré par le romancier autobiographe, le lecteur va plaquer
ses propres affects et en jouir sans être censuré. En tant que personnage
romanesque, le héros suscite en effet un phénomène d’identification : le
lecteur sélectionne inconsciemment dans sa propre expérience les éléments
qui correspondent à l’expérience du héros de façon à le comprendre, au sens
fort. Ce qu’il n’a pas vécu, il en retrouve des échos dans sa mémoire
affective sous forme de désirs ou d’angoisses, de « bons » ou de
« mauvais » objets. Il tire ainsi du texte des configurations symboliques qui
entrent en résonance avec ses fantasmes personnels et les réveillent. En ce
sens, il ne se projette pas, comme le fait spontanément un enfant, dans la
situation imaginaire, mais il se l’approprie, ou, en termes psychanalytiques,
il l’introjecte.
La fiction ménage donc une distance de sécurité entre l’intime et son
expression : le lecteur, rassuré par le caractère mimétique et conventionnel
du récit, ne craint plus de se laisser engloutir dans un contact fusionnel avec
un inconnu. Il peut s’abandonner à la fameuse « suspension volontaire de
l’incrédulité 28 » qui permet d’entrer dans le jeu séducteur du texte sans être
obnubilé par le problème de sa référentialité. Pressentant que le « vrai self »
de l’auteur reste, de toute façon, inaccessible, il considère le « je » comme
un personnage construit à partir de matériaux dont la provenance importe
peu. D’où une ouverture bienveillante à son discours qui autorise
l’empathie.
Que se passe-t-il, à l’opposé, si le lecteur a une réception purement
autobiographique du texte ? Dans ce cas, les marques d’identité du héros-
narrateur avec l’auteur, qui, nous l’avons vu, saturent le texte, le dissuadent
d’engager un processus d’introjection fantasmatique. Elles transforment à
ses yeux le héros en un individu réel, l’auteur, dont le texte raconte la vie.
Dès qu’il perçoit cette suggestion, le lecteur se déplace d’une position de
spectateur à une position d’interlocuteur : il s’identifie au destinataire de la
confession et noue, fictivement, une relation privilégiée avec celui ou celle
qui se confie à lui dans le secret du livre. Auditeur patient, compréhensif,
indulgent et généreux il remplit tour à tour une fonction maternelle,
amoureuse, thérapeutique, voire religieuse. Aussi sa lecture lui renvoie-t-
elle, de lui-même, une image positive, valorisante, certes, mais aussi
troublante.
Ce trouble, la psychanalyse l’explique de la façon suivante : la
communication de toute parole intime réveille, chez les deux interlocuteurs,
des désirs inconscients, parce qu’elle réactualise leur ambivalence
fondamentale à l’égard des figures parentales et amoureuses. À cet égard, le
dispositif de lecture du récit autobiographique semble s’apparenter de très
près à celui de l’analyse, dans la mesure où il provoque, comme lui, des
transferts d’énergie libidinale. La sympathie ou l’amour pour le lecteur sont
simulés par l’auteur, qui s’abrite derrière la médiation du livre. En retour, le
contre-transfert fait partie de l’expérience réelle de la lecture, à partir du
moment où le lecteur se sent touché « quelque part » par les confidences
qu’il reçoit. Cette émotion, analogue à celle que peut ressentir un
psychanalyste face au patient en anamnèse, donne au lecteur l’impression,
ou l’illusion, de communiquer d’inconscient à inconscient.
En mimant un discours intime, l’auteur prend donc le risque, plus ou
moins calculé, de manipuler les affects de son lecteur. Celui-ci, n’étant pas
un professionnel de l’écoute, peut se sentir menacé, voire racketté, par cette
intrusion confidentielle. Il tendra alors à s’en protéger et réagira parfois
avec hostilité à ce qu’il percevra comme un exhibitionnisme compulsif. Ce
système de défense de l’intime explique sans doute, pour une part, la
suspicion qui, aujourd’hui encore, entoure la littérature du moi. Le roman
autobiographique utilise ce ressort psychologique transférentiel, mais, si
l’on ose dire, avec les pincettes, la politesse, le tact, de la fictionnalisation.
La représentation romanesque stimule l’embrayage du contre-transfert tout
en le mettant en abyme, en spectacle, en jeu.
Troisième possibilité, le lecteur saisit l’ensemble de la stratégie
auctoriale mais ne peut l’admettre dans son horizon d’attente. La
juxtaposition des indices fictionnels et référentiels lui semble
incompréhensible, incohérente ou malhonnête, et le livre lui tombe des
mains. Soit son système générique est trop rigide pour tolérer cette
ambiguïté, soit l’auteur est trop maladroit. Tant pis.
Dans le quatrième et dernier type de réception, le lecteur opère la
synthèse des trois précédentes attitudes. Il recense les indices fictionnels et
référentiels dont il enregistre les antagonismes. Il ne cherche pas à réduire
le texte à un énoncé simple mais garde présents à l’esprit ses deux modèles
rhétoriques essentiels que sont le roman et l’autobiographie. Il devient ainsi
capable de contester et de critiquer les indices en faveur d’un genre en leur
opposant dialectiquement les arguments qui plaident pour l’autre. Sa
compétence poétique et herméneutique lui fournit un balancier pour danser
sur le fil de l’ambiguïté pragmatique sans tomber ni d’un côté ni de l’autre.
Naturellement, l’inventaire des signes génériques ne constitue que le
préalable et l’infrastructure de la compréhension d’un roman
autobiographique. On ne saurait décoder un texte de ce genre comme une
grille de mots croisés ou une fonction algébrique dont les indices seraient
fictionnels en abscisse et référentiels en ordonnée. Mieux vaut le concevoir
comme ce que Joyce nommait « a work in progress » ou Umberto Eco une
« œuvre ouverte 29 ». Un travail en cours dans la mesure où le bricolage
générique opéré par l’auteur trahit son hésitation, l’inachèvement de son
projet, le caractère expérimental de l’hybridation qu’il tente. Une œuvre
ouverte parce que deux contrats de lecture s’y télescopent et, en quelque
sorte, s’y annulent, laissant toute liberté au lecteur d’investir le texte comme
il l’entend, de lui confronter un autre texte, un autre souvenir, une autre
interprétation, qui modifieront sa perspective de réception. C’est
l’interaction de la mémoire du texte et de la mémoire du lecteur qui va
produire du sens.
Cette production de sens va s’organiser autour d’une question centrale :
l’identité du héros. Naissante dans un récit d’enfance, en formation dans un
roman d’apprentissage, désirante dans un roman d’amour, en danger dans
un récit de dépression, ou créatrice dans le roman de l’artiste, l’identité du
sujet fait problème. De la forme au fond, cette problématique traverse tous
les niveaux du texte. L’identité du héros est minée par l’hésitation qui
affecte le statut de l’énoncé. Mais cette incertitude générique ne fait que
traduire, sur un plan littéraire, l’inquiétude plus profonde affectant l’identité
de celui qui écrit.
Par le biais de cette incertitude, le narrateur implique le lecteur dans sa
propre quête de l’identité du héros. Il l’associe à sa démarche
d’investigation en lui confiant un rôle essentiel dans la reconstitution
hypothétique du personnage. Dans le monde réel, la construction de
l’identité ne se conçoit pas sans altérité. L’autre ne remplit pas seulement
une fonction de modèle ou d’objet de désir ; il est aussi l’interlocuteur qui
déclenche, écoute et justifie le récit relatant les aléas de la modélisation et
du désir ; il est le miroir face auquel on peut parler en faisant des grimaces.
Au bout de quelques pages, le lecteur du roman autobiographique se
sent le véritable destinataire de la confidence. Même lorsque le texte
allègue un narrataire, celui-ci n’a guère d’épaisseur et se laisse aisément
déloger de sa position. Cette substitution permet au lecteur d’entrer dans un
processus d’identification spécifique, non avec le héros, comme s’il lisait
une fiction, ni avec l’auteur, comme le requièrent certaines autobiographies,
mais avec le narrateur. Porte-parole de l’auteur, cet énonciateur raconte la
vie du héros de façon à construire ce que Ricœur nomme son « identité
narrative ». Que ce travail de restructuration du « je » vécu et d’exploration
du « je » virtuel entre en résonance avec le « moi » intime du lecteur aux
prises avec sa propre identité, et il reconnaîtra dans le narrateur un double,
un alter ego. Il pourra alors quitter la position du destinataire,
consommateur et voyeur, pour basculer dans une rêverie narrative dont le
livre n’aura fourni qu’un détonateur, une matrice, un pré-texte.

À ce stade de la réception, la question « est-il je ? », qui traduit


l’incertitude générique initiale, en soulève une kyrielle d’autres : « est-il
moi ? », « quel “il” serais-je ? », « mon histoire pourrait-elle faire un
roman ? », etc. Sur la trame du récit rétrospectif de l’autre, le lecteur en
vient à tisser le fil de sa propre histoire parée des prestiges de la littérature.

1. J.-P. Sartre, Qu’est-ce que la littérature?, op. cit.


2. Platon, La République [vers 385-370 av. J.-C.], livre III.
3. F. Brunetière, «La littérature personnelle», art. cité, p. 231. En ce qui concerne la
condamnation des écritures du moi: P. Lejeune, «Un siècle de résistance à
l’autobiographie», art. cité, et J. Lecarme, «L’hydre anti-autobiographique», art. cité.
4. G. Mathieu-Castellani, La Scène judiciaire de l’autobiographie, op. cit.
5. G. Gusdorf, Lignes de vie, t. I, Les Écritures du moi, op. cit., p. 235.
6. G. Gusdorf, Formen der Selbstdarstellung, dans Mélanges Fritz Neubert, Berlin, 1956;
trad. fr., Conditions et limites de l’autobiographie, citée par M.-T. Hipp dans Mythes et
réalités. Enquête sur le roman et les Mémoires (1660-1700), op. cit., p. 249.
7. S. Freud, Sur les souvenirs-écrans, op. cit., p. 113-132.
8. J. Lacan, «Le stade du miroir», art. cité, p. 91.
9. J. Lecarme, «L’hydre anti-autobiographique», art. cité.
10. Op. cit., p. 5-25.
11. P. Ricœur, Temps et récit, 3 vol., Paris, Éd. du Seuil, 1983, 1984, 1985.
12. P. Ricœur, Du texte à l’action, op. cit.
13. P. Ricœur, Soi-même comme un autre, op. cit.
14. J. Locke, An Essay concerning Human Understanding, 1690; trad. fr. de P. Coste, Essai
philosophique concernant l’entendement humain, 1700; rééd., Paris, Vrin, 1989: «Mais ce
qui semble faire de la peine dans ce point, c’est que cette conscience est toujours
interrompue par l’oubli, n’y ayant aucun moment dans notre vie, auquel l’enchaînement
des actions que nous avons jamais faites, soit présent à notre esprit; c’est que ceux qui ont
le plus de mémoire perdent de vue une partie de leurs actions, pendant qu’ils considèrent
l’autre; c’est que quelquefois, ou plutôt la plus grande partie de notre vie, au lieu de
réfléchir sur notre soi passé, nous sommes occupés de nos pensées présentes, et qu’enfin
dans un profond sommeil nous n’avons absolument aucune pensée, ou aucune du moins
qui soit accompagnée de cette conscience qui est attachée aux pensées que nous avons en
veillant. Comme, dis-je, dans tous ces cas le sentiment que nous avons de nous-mêmes est
interrompu, et que nous nous perdons nous-mêmes de vue par rapport au passé, on peut
douter si nous sommes toujours la même chose pensante, c’est-à-dire la même Substance,
ou non» (p. 265-266).
15. P. Ricœur, Soi-même comme un autre, op. cit., p. 140.
16. Ibid., p. 175.
17. Ibid., p. 138.
18. L. Bonoli, «Fiction et connaissance – de la représentation à la construction», Poétique, nº
124, novembre 2000, p. 485-501.
19. J.-M. Schaeffer, Pourquoi la fiction?, op. cit., p. 212.
20. Ibid., p. 324.
21. P. Lejeune, «L’irréel du passé», dans Autofictions et Cie, op. cit., p. 25.
22. E. Marc, «La résistance intérieure. Les obstacles psychologiques à l’expression de soi»,
dans L’Autobiographie en procès, op. cit., p. 7-18.
23. D.W. Winnicott, «De la communication et de la non-communication» (1963), repris dans
Processus de maturation chez l’enfant, trad. fr. de J. Kalmanovitch, Paris, Payot, 1970, p.
160 [éd. originale, The Maturational Processes and the Facilitating Environment, Londres,
1965].
24. Ibid., p. 158.
25. D.W. Winnicott, «De la communication et de la non-communication», art. cité, et
«Distorsion du Moi en fonction du vrai et du faux “self”» (1960), ibid., p. 115-131.
26. J.Borel, «Narcisse écrit-il?», Nouvelle Revue française, nº 257, mai 1974, p. 22-30.
27. S. Freud, Der Dichter und das Phantasieren, 1908; trad. fr. de B. Féron, Le Créateur
littéraire et la Fantaisie, dans L’Inquiétante Étrangeté et autres essais, Paris, Gallimard,
1985, p. 31-46.
28. «Willing suspension of disbelief» (S.T. Coleridge, Biographia Literaria, op. cit.).
29. U. Eco, Opera Aperta, Milan, 1962; trad. fr. de C. Roux de Bézieux, L’Œuvre ouverte,
Paris, Éd. du Seuil, 1965; rééd., coll. «Points», 1979.
Bibliographie

Lorsqu’il n’est pas mentionné, le lieu d’édition des ouvrages en langue


française est Paris.

Textes littéraires

Antiquité
APULÉE, Les Métamorphoses ou L’Âne d’or, vers 170 ap. J.-C. ; plusieurs
trad. fr., dont celle de P. Grimal dans Romans grecs et latins, Gallimard,
coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1958, p. 145-377.

e
XVI siècle
HÉLISENNE DE CRENNE (Marguerite Briet), Les Angoysses douloureuses qui
procèdent d’amour, 1538 ; rééd. de la première partie par Paule Demats,
Les Belles Lettres, 1968.

e
XVII siècle
ASSOUCY, Charles d’, La Prison de Monsieur Dassoucy, Paris, 1674.
– Les Avantures de Monsieur d’Assoucy, 2 vol., Paris, 1677.
– Les Avantures d’Italie de Monsieur d’Assoucy, Paris, 1677.
BARCLAY, John, Euphormionis Lusinini Satyricon, 1605-1607 ; trad. fr. de
J. Tournet, Les Satyres d’Euphormion de Lusine, Paris, 1625 ; rééd.
bilingue latin-anglais par D.A. Fleming, San Antonio (Texas),
Nieuwkoop-B. De Graaf, 1973.
BOURSAULT, Edme, Lettres à Babet, 1669.
– Lettres nouvelles, 1699.
CHASTELET DES BOIS, René du, Odyssée, 1665.
FERRAND, Anne, Histoire nouvelle des amours de la jeune Bélise et de
Cléante, 1689.
– Lettres de la présidente Ferrand au baron de Breteuil, 1691.
– rééd. des Lettres de la présidente Ferrand au baron de Breteuil, suivies
d’Histoire des amours de Cléante et de Bélise, Charpentier, 1880.
PRÉCHAC, Jean de, Le Voyage de Fontainebleau, 1678.
PRODEZ DE BERAGREM, Pierre, Mémoires contenant ses voyages et tout ce
qui lui est arrivé de plus remarquable dans sa vie, Amsterdam, 1677.
TRISTAN L’HERMITE, Le Page disgracié, 1642 ; rééd. par J. Serroy,
Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, 1980.
VIAU, Théophile de, Première journée, 1623 ; rééd. par G. Saba dans
Œuvres, Nizet, 1978.
VILLEDIEU, Marie-Catherine de, Mémoires de la vie de Henriette Sylvie de
Molière, 1672.

e
XVIII siècle
GOETHE, Johann Wolfgang, Les Souffrances du jeune Werther [1776],
plusieurs trad. fr., dont celle de B. Groethuysen dans Romans,
Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1954.
JEAN-PAUL (Jean-Paul RICHTER, dit), Konjectural Biographie, 1799 ; trad.
fr. de R. Pierre, Biographie conjecturale, Aubier, coll. « Bilingue »,
1981.
JUNG, Johann Heinrich, dit JUNG-STILLING, La Jeunesse de Heinrich
Stilling, 1777.
– La Vieillesse de Heinrich Stilling, 1817.
MORITZ, Karl Philipp, Anton Reiser. Ein psychologischer Roman, 1790 ;
trad. fr. de G. Pauline, Anton Reiser, Fayard, 1986.
RESTIF DE LA BRETONNE, Nicolas, Les Nuits de Paris, 1788-1794 ; rééd.
d’extraits par Michel Delon, Gallimard, coll. « Folio », 1986.
– Les Nuits révolutionnaires, t. VIII des Nuits de Paris, 1794 ; rééd. par
Béatrice Didier, LGF, coll. « Le Livre de Poche », 1978.
WACKENRODER, Wilhelm Heinrich, Herzensergiessungen eines
Kunstliebenden Klosterbruders, 1797 ; trad. fr. de J. Boyer, Effusions
sentimentales d’un religieux ami de l’art, dans Fantaisies sur l’art,
Aubier, 1945.

e
XIX siècle
ANDERSEN, Hans Christian, L’Improvisateur [1835], trad. fr. de R. Boyer
dans Œuvres, t. II, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1995.
BALZAC, Honoré de, Louis Lambert, 1836 ; nombreuses rééd., notamment
La Comédie humaine, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade »,
t. XI, 1980.
– Z. Marcas, 1840 ; rééd. dans La Comédie humaine, Gallimard, coll.
« Bibliothèque de la Pléiade », t. VIII, 1977, p. 815-854.
CARLYLE, Thomas, The Life and Opinions of Herr Teufelsdröckh, 1834.
CHATEAUBRIAND, François-René de, René, 1802 ; nombreuses rééd.,
notamment dans Œuvres romanesques et voyages, Gallimard, coll.
« Bibliothèque de la Pléiade », 1969.
CONSTANT, Benjamin, Adolphe, écrit en 1806, publié en 1816 ; nombreuses
rééd., notamment Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », et,
avec Cécile et Le Cahier rouge, coll. « Folio », 1988.
– Cécile, écrit vers 1811, Gallimard, 1951, rééd. idem.
DAUDET, Alphonse, Le Petit Chose, 1868 ; nombreuses rééd., dont celle des
Œuvres, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », t. I, 1986, et
LGF, coll. « Le Livre de Poche », 1972.
DICKENS, Charles, The Personal History, Adventures and Experience of
David Copperfield the Younger, 1850 ; nouvelle trad. fr. de S. Monod,
David Copperfield, 2 vol., Garnier-Flammarion, 1978.
DOSTOÏEVSKI, Fédor, Zapiski iz podpolia, 1864 ; nouvelle trad. fr. de A.
Markowicz, Les Carnets du sous-sol, Arles, Actes Sud, coll. « Babel »,
1992.
FONTANE, Theodor, Mes années d’enfance. Roman autobiographique
[1894], trad. fr. de J. Legrand, Aubier, 1993.
FOSCOLO, Ugo, Ultime lettere di Jacopo Ortis, 1re éd., 1802, éd. définitive,
1816 ; trad. fr. de J. Luchaire, Les Dernières Lettres de Jacopo Ortis,
1906 ; rééd., Toulouse, Ombres, 1987.
FROMENTIN, Eugène, Dominique, 1862 ; nombreuses rééd., dont J. Vautrain,
1947, et dans Œuvres complètes, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la
Pléiade », 1984.
GIDE, André, Les Cahiers d’André Walter, 1891 ; rééd., Gallimard, 1930, et
coll. « Poésie », 1986.
GIRARDIN, Émile de, Émile, 1827 ; rééd., 1839, 1854.
GOGOL, Nicolas, Le Journal d’un fou, dans Les Nouvelles
pétersbourgeoises, 1834 ; trad. fr. de S. Luneau dans Œuvres complètes,
Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1966, p. 571-595.
HAMSUN, Knut, Sult, Oslo, 1890 ; trad. fr. de G. Sautreau, La Faim, PUF,
1961 ; rééd., LGF, coll. « Le Livre de Poche », 1972.
– (Suite après 1900.)
HUYSMANS, Joris-Karl, Là-bas, 1891 ; plusieurs rééd., dont Gallimard, coll.
« Folio », 1985.
– En route, 1895 ; rééd., Gallimard, coll. « Folio », 1996.
KELLER, Gottfried, Der Grüne Heinrich, 1855, puis, remanié, 1880 ; trad.
fr. de G. La Flize, Henri le Vert, Aubier, 1946 ; rééd., 1981.
LOTI, Pierre, Aziyadé, 1879 ; plusieurs rééd. dont celle de Romans, Presses
de la Cité, coll. « Omnibus », 1989, et Gallimard, coll. « Folio », 1990.
– Le Mariage de Loti, 1880 sous le titre Rarahu, puis 1882 ; rééd. dans
Romans, op. cit.
– Mon frère Yves, 1883 ; rééd., Gallimard, coll. « Folio », 1998.
– Madame Chrysanthème, 1887 ; rééd. dans Romans, op. cit.
MAUPASSANT, Guy de, Le Horla, 1887 ; nombreuses rééd. dont celle de
Contes et nouvelles, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade »,
t. II, 1979.
MELVILLE, Herman, Redburn, ou Sa première croisière, [1849], trad. fr. de
A. Guerne, Gallimard, 1976 ; rééd., coll. « Folio », 1980.
MUSSET, Alfred de, La Confession d’un enfant du siècle, 1836 ; nombreuses
rééd., dont Garnier, 1968, et dans les Œuvres complètes en prose,
Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade » 1960, p. 65-288.
NERVAL, Gérard de, Sylvie, dans Les Filles du feu, 1854 ; nombreuses rééd.,
dont celle des Œuvres complètes, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la
Pléiade », t. III, 1993.
– Aurélia, 1855 (mêmes références).
QUINCEY, Thomas de, The Confessions of an English Opium-Eater,
Londres, 1822 ; trad. fr. partielle de Musset sous le titre L’Anglais
mangeur d’opium, 1828, rééd. dans Œuvres complètes en prose,
Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1960, p. 3-64 ; puis de
Baudelaire dans Les Paradis artificiels (1860) ; nouvelle trad. fr. de P.
Leyris, Gallimard, 1962 ; rééd., coll. « L’Imaginaire », 1990.
RENARD, Jules, Poil de carotte, 1894 ; nombreuses rééd.
SAINTE-BEUVE, Charles Augustin, Vie, poésies et pensées de Joseph
Delorme, 1829 ; rééd. de G. Antoine, Nouvelles Éditions latines, 1956.
SENANCOUR, Étienne PIVERT DE, Oberman, 1804 ; 1re rééd. par Sainte-
Beuve, Obermann, 1833 ; rééd. de Béatrice Didier, LGF, coll. « Le
Livre de Poche », 1984.
STAËL, Germaine de, Delphine, 1802 ; rééd., Genève, Droz, 1987.
– Corinne ou l’Italie, 1807 ; rééd., Gallimard, coll. « Folio », 1985.
VALLÈS, Jules, Jacques Vingtras, 3 vol. :
• L’Enfant, 1879 ; nombreuses rééd., dont celle des Œuvres, Gallimard,
coll. « Bibliothèque de la Pléiade », t. II, 1990, et coll. « Folio
classique », 1978.
• Le Bachelier, 1881 (mêmes références).
• L’Insurgé, 1886 (mêmes références).
– Le Proscrit (Jacques Vingtras, IV), inachevé, publié par L. Scheler, Les
Éditeurs français réunis, 1973.

De 1900 à 1945
BARBUSSE, Henri, Le Feu, Flammarion, 1916 ; rééd., LGF, coll. « Le Livre
de Poche », 1988, suivi de Carnets de guerre.
– Clarté, Flammarion, 1919.
BIÉLY, Andreï, Carnets d’un toqué [1922], trad. fr. de A.-M. Tatsis-Botton,
Lausanne, L’Âge d’homme, 1991.
BRETON, André, Nadja, 1928 ; rééd., Gallimard, 1964, et coll. « Folio »,
1990.
CAMUS, Albert, Les Voix du quartier pauvre, 1934 ; rééd. dans Cahiers
Albert Camus 2, Gallimard, 1973, p. 271-287.
– (Suite après 1945.)
CÉLINE, Louis-Ferdinand, Voyage au bout de la nuit, 1932 ; plusieurs rééd.,
dont celle des Romans, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade »,
t. I, 1981, et de la coll. « Folio ».
– Mort à crédit, 1936 (mêmes références).
– (Suite après 1945.)
COLETTE, Claudine à l’école, 1900, signé « Willy » ; plusieurs rééd., dont
celle des Œuvres, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », t. I,
1984, et LGF, coll. « Le Livre de Poche », signé « Colette et Willy ».
– Claudine à Paris, 1901 (mêmes références).
– Claudine en ménage, 1902, plusieurs rééd. dont celle des Œuvres, t. I, op.
cit., et coll. « Folio » signé « Colette et Willy ».
– Claudine s’en va, 1903, plusieurs rééd. dont celle des Œuvres, t. I, op.
cit., et LGF, coll. « Le Livre de Poche » signé « Colette et Willy ».
– La Retraite sentimentale, 1907 ; rééd. dans Œuvres, t. I, op. cit., et coll.
« Folio ».
– Les Vrilles de la vigne, 1908 ; rééd. dans Œuvres, t. I, op. cit., et LGF,
coll. « Le Livre de Poche ».
– La Vagabonde, Ollendorf, 1910 ; rééd. dans Œuvres, t. I, op. cit., et LGF,
coll. « Le Livre de Poche », 1992.
– La Naissance du jour, Flammarion, 1928 ; plusieurs rééd., dont celle du
Club de la femme, 1965, avec illustrations photographiques et extraits
d’autres œuvres, et celle des Œuvres, Gallimard, coll. « Bibliothèque de
la Pléiade », t. III, 1986.
– Sido, 1930 ; rééd. dans Œuvres, t. III, op. cit., et LGF, coll. « Le Livre de
Poche ».
FANTE, John, The Road to Los Angeles, 1985 (écrit vers 1935-1936) ; trad.
fr. de B. Matthieussent, La Route de Los Angeles, Bourgois, 1987 ;
rééd., UGE, coll. « 10/18 », 1987.
– Wait Until Spring, Bandini, New York, 1938 ; trad. fr. de B.
Matthieussent, Bandini, Bourgois, 1985 ; rééd., UGE, coll. « 10/18 »,
1988.
– Ask the Dust, New York, 1939 ; trad. fr. de P. Garnier, Demande à la
poussière, Bourgois, 1986 ; rééd., UGE, coll. « 10/18 », 1988.
– The Wine of Youth, New York, 1940 ; trad. fr. de B. Matthieussent, Le Vin
de la jeunesse, Bourgois, 1986 ; rééd., UGE, coll. « 10/18 », 2002.
– (Suite après 1945.)
GIONO, Jean, Jean le Bleu, Grasset, 1932 ; rééd., LGF, coll. « Le Livre de
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GOMBROWICZ, Witold, Ferdydurke, Varsovie, 1937, 1957, 1986 ; trad. fr. de
G. Sédir, UGE, coll. « 10/18 », 1973.
HAMSUN, Knut, Under Hoststjerne, 1906 ; trad. fr. de R. Boyer, Sous
l’étoile d’automne, Calmann-Lévy, 1978 ; rééd., LGF, coll. « Le Livre
de Poche », 1982.
– En vandrer spiller med sordin, 1909 ; trad. fr. de R. Boyer, Un vagabond
joue en sourdine, Calmann-Lévy, 1979 ; rééd., LGF, coll. « Le Livre de
Poche », 1983.
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HESSE, Hermann, Unterm Rad, 1905 ; trad. fr. de L. Jumel, L’Ornière,
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– Demian, 1919 ; trad. fr. de R. Riboni et B. Burn, Demian, Stock, 1946 et
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ISTRATI, Panaït, Codine, Rieder, 1926.
– Mikhaïl, Rieder, 1927.
– Mes départs, Gallimard, 1928.
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– La Jeunesse d’Adrien Zograffi, qui regroupe les quatre précédents,
Gallimard, 1968 ; rééd., coll. « Folio », 1984.
JOYCE, James, A Portrait of the Artist, 1904 ; trad. fr. de J. Aubert, Portrait
de l’artiste, Gallimard, coll. « Folio », 1982, avec Portrait de l’artiste
en jeune homme, et dans Œuvres, coll. « Bibliothèque de la Pléiade »,
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– Stephen Hero, écrit vers 1904-1906 ; trad. fr. de L. Savitzky, Stephen le
Héros, Gallimard, 1948 ; rééd., coll. « Folio », 1975, et dans Œuvres,
op. cit.
– A Portrait of the Artist as a Young Man, 1914 ; trad. fr. de L. Savitzky,
Dedalus, Gallimard, 1943 ; rééd. avec trad. révisée par J. Aubert,
Portrait de l’artiste en jeune homme, coll. « Folio », 1982, et dans
Œuvres, op. cit.
– Giacomo Joyce, écrit vers 1914 ; trad. fr. de A. du Bouchet, Giacomo
Joyce, dans Œuvres, op. cit., p. 783-800.
LARBAUD, Valery, A.O. Barnabooth, ses œuvres complètes, comprenant
Journal intime, 1913 ; plusieurs rééd. dont Gallimard, coll. « Biblos »,
1995, et dans Œuvres, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1958, p. 19-
306.
LAWRENCE, D.H., Sons and Lovers, 1913 ; trad. fr. de J. Fournier-Pargoine,
Amants et fils, Gallimard, 1932 ; rééd., coll. « Folio », 1980.
LONDON, Jack, Martin Eden, 1909 ; trad. fr. de L. Postif reprise dans
Œuvres, Gallimard-Hachette, 1965 ; nouvelle trad. fr. de F. Kerline,
Phébus, coll. « Libretto », 2001.
– John Barleycorn, 1913 ; trad. fr. de L. Postif, Le Cabaret de la dernière
chance, reprise dans Romans et récits autobiographiques, R. Laffont,
coll. « Bouquins », 1988, p. 1083-1231, et sous le titre John Barleycorn
(Le Cabaret de la dernière chance), Phébus, coll. « Libretto », 2000.
LOPES, Baltasar, Chiquinho, 1936 ; trad. fr. de M. Laban, Chiquinho, Arles,
Actes Sud-Unesco, 1990.
MILLER, Henry, Crazy Cock, écrit vers 1930, trad. fr. de A. Defossé, Crazy
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– Tropic of Cancer, écrit en 1934, publié aux États-Unis en 1961 ; trad. fr.
de H. Fluchère, Tropique du Cancer, Denoël, 1945 ; rééd., Gallimard,
coll. « Folio », 1972.
– Tropic of Capricorn, écrit en 1938, publié aux États-Unis en 1962 ; trad.
fr. de G. Belmont, Tropique du Capricorne, Chêne-Stock, 1952 ; rééd.,
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PESSOA, Fernando, Livro de Desassossego, écrit de 1913 à 1935, paru à
Lisbonne en 1982 ; rééd., 1998 ; trad. fr. de F. Laye, Le Livre de
l’intranquillité, Bourgois, 1988 ; rééd., 1999.
PROUST, Marcel, Jean Santeuil, écrit de 1895 à 1900, Gallimard, 1952 ;
rééd., coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1971, et coll. « Quarto »,
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partielles et complètes dont celle de J.-Y. Tadié, 4 vol., Gallimard, coll.
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1992.
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Francfort, 1929 ; trad. fr. de C. David, Les Carnets de Malte Laurids
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ROTH, Henry, Call it Sleep, New York, 1933, rééd. 1964 ; trad. fr. de A.
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– (Suite après 1945.)
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1978.
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Depuis 1945
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– Cet amour-là, Éd. de Minuit, 1999.
ANGOT, Christine, Interview, Fayard, 1995.
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ARAGON, Louis, La Mise à mort, Gallimard, 1965 ; rééd., coll. « Folio »,
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• The Ghost Writer, New York, 1979 ; trad fr. de H. Robillot, L’Écrivain
fantôme, Gallimard, 1981.
• Zuckerman Unbound, 1981 ; trad. fr. de H. Robillot, Zuckerman délivré,
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• The Anatomy Lesson, 1983 ; trad. fr. de J.-P. Carasso, La Leçon
d’anatomie, Gallimard, 1985.
• Epilogue : The Prague Orgy, 1985 ; trad. fr. de J.-P. Carasso, Épilogue :
l’orgie de Prague, 1987.
– The Counterlife, 1986 ; trad. fr. de M. Waldberg, La Contrevie, Gallimard,
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Patrimoine. Une histoire vraie, Gallimard, 1992 ; rééd., coll. « Folio »,
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Études et essais

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d’histoire littéraire de la France, novembre-décembre 1975.
L’Autobiographie. Actes des VIe Rencontres psychanalytiques d’Aix-en-
Provence, Michel Neyraut (dir.), Les Belles Lettres, 1990.
L’Autobiographie en procès. Actes du colloque des 18 et 19 octobre 1996 à
Nanterre, Philippe Lejeune (dir.), nº 14 de la revue RITM, université
Paris X-Nanterre, 1997.
Autofictions et Cie. Actes du colloque des 20 et 21 novembre à Nanterre,
Serge Doubrovsky, Jacques Lecarme et Philippe Lejeune (dir.), nº 6 de
la revue RITM, université Paris X-Nanterre, 1993.
Le Biographique. Actes du colloque de Cerisy, 1990, Revue des sciences
humaines, Presses universitaires de Lille, 1992.
Écriture de soi, écriture de l’histoire, Jean-François Chiantaretto (dir.), In
press, 1997.
Écriture de soi et psychanalyse, Jean-François Chiantaretto (dir.),
L’Harmattan, 1996.
Écriture de soi et sincérité, Jean-François Chiantaretto (dir.), In press, 1999.
Entre l’histoire et le roman : la littérature personnelle. Actes du séminaire
de Bruxelles des 16 et 17 mai 1991, Madeleine Frédéric (dir.), Centre
d’études canadiennes, université libre de Bruxelles, 1992.
Genèses du « Je », Philippe Lejeune et Catherine Viollet (dir.), Éd. du
CNRS, coll. « Textes et manuscrits », 2000.
Histoire des poétiques, Jean Bessière, Eva Kushner, Roland Mortier et Jean
Weisgerber (dir.), PUF, 1997.
Idées sur le roman. Textes critiques sur le roman français, XIIe-XXe siècle,
Henri Coulet (dir.), Larousse, 1992.
L’Intime, Nicole Czechowski (dir.), nº 81 de la revue Autrement, juin 1986.
La Lecture littéraire. Actes du colloque de Reims, 14-16 juin 1984, Michel
Picard (dir.), Clancier-Guénaud, 1987.
Lectures de « L’Enfant » de Jules Vallès. Actes du colloque de Reims,
octobre 1990, Pierre Pillu (dir.), Klincksieck, 1991.
Littérature et réalité, Gérard Genette et Tzvetan Todorov (dir.), Éd. du
Seuil, coll. « Points », 1982.
Littératures d’Extrême-Orient au XXe siècle, Arles, Picquier, 1993.
Poétique du récit, textes de R. Barthes, W. Kayser, W.C. Booth et P.
Hamon, Éd. du Seuil, coll. « Points », 1977.
Le Récit d’enfance en question. Actes du colloque des 16 et 17 janvier
1987, Philippe Lejeune (dir.), nº 12 des Cahiers de sémiotique textuelle,
Université de Nanterre-Paris X, 1988.
Le Roman d’apprentissage en France au XIXe siècle, Ellipses, 1995.
La Sincérité, Christine Baron et Catherine Doroszczuk (dir.), revue
Autrement, série « Morales », 1995.
Les Sujets de l’écriture, textes réunis par Jean Decottignies, Presses
universitaires de Lille, 1981.
Tel Quel, théorie d’ensemble, Éd. du Seuil, 1968 ; rééd., coll. « Points »,
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Théorie de la littérature, textes des formalistes russes traduits par Tzvetan
Todorov, Éd. du Seuil, 1965.
Théorie de la réception en Allemagne, nº 39 de la revue Poétique, 1979.
Théorie des genres, Gérard Genette et Tzvetan Todorov (dir.), Éd. du Seuil,
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Le Vraisemblable, nº 11 de la revue Communications, 1968.

Ouvrages individuels
ARISTOTE, Poétique, trad. fr. de R. Dupont-Roc et J. Lallot, Éd. du Seuil,
coll. « Poétique », 1980.
– Rhétorique, trad. fr ; de C.E. Ruelle revue par P. Vanhemelryck, LGF,
coll. « Le Livre de Poche », 1991.
ARMEL, Aliette, Marguerite Duras et l’autobiographie, Le Castor astral,
1990.
AUBERT, Jacques, Préface à James Joyce, Portrait de l’artiste en jeune
homme, Gallimard, coll. « Folio », 1992, p. 7-27.
– Introduction et apparat critique de James Joyce, Œuvres, Gallimard, coll.
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maturation chez l’enfant. Développement affectif et environnement,
Payot, 1970.
Index des auteurs cités

AJAR, Émile (Romain GARY) : 1, 2.


ANDERSEN, Hans Christian : 1.
ANDRÉA, Yann : 1, 2, 3.
ANGOT, Christine : 1, 2, 3, 4.
APULÉE : 1, 2, 3-4.
ARAGON, Louis : 1, 2, 3, 4, 5, 6-7, 8, 9, 10, 11, 12, 13.
ARISTOTE : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13-14, 15,
16-17, 18.
ARMEL, Aliette : 1.
ASSOUCY, Charles d’ : 1-2, 3.
AUGUSTIN (saint) : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8.
AULAGNE, Lucie-Noëlle : 1.
AUSLOOS, Guy : 1.
AUSTEN, Jane : 1, 2.
AUSTER, Paul : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13,
14, 15.
AUSTIN, John Langshaw : 1, 2.
AXTHELM, Peter : 1.

BAKHTINE, Mikhaïl : 1, 2, 3, 4, 5.
BAL, Mieke : 1, 2.
BALZAC, Honoré de : 1-2, 3, 4-5, 6-7, 8, 9, 10, 11, 12, 13,
14.
BARBUSSE, Henri : 1, 2, 3, 4, 5.
BARRÈS, Maurice : 1.
BARTHES, Roland : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11.
BASFAO, Kacem : 1.
BAUDELAIRE, Charles : 1, 2, 3.
BAZIN, Hervé : 1.
BEAUJOUR, Michel : 1.
BECKETT, Samuel : 1.
BEGAG, Azouz : 1, 2.
BELLEMIN-NOËL, Jean : 1.
BELLET, Roger : 1.
BEN JELLOUN, Tahar : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8.
BENREKASSA, Georges : 1.
BENVENISTE, Émile : 1, 2, 3, 4, 5-6, 7.
BÉRANGER, Jean : 1.
BERNHARD, Thomas : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12,
13, 14, 15, 16, 17.
BIÉLY, Andreï : 1, 2, 3, 4.
BLANCHOT, Maurice : 1, 2, 3.
BLONDIN, Antoine : 1.
BODARD, Lucien : 1.
BONOLI, Lorenzo : 1.
BOOTH, Wayne : 1-2.
BOREL, Jacques : 1.
BORGES, Jorge Luis : 1.
BOSQUET, Alain : 1.
BOUDJEDRA, Rachid, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12,
13.
BOURSAULT, Edme : 1.
BRAUTIGAN, Richard : 1, 2, 3.
BRETON, André : 1, 2.
BRUCKNER, Pascal : 1.
BRUNETIÈRE, Ferdinand : 1, 2, 3, 4, 5, 6.
BRYCE-ECHENIQUE, Alfredo : 1, 2, 3, 4.
BUCKLEY, J.H. : 1.
BUISINE, Alain : 1.
BUKOWSKI, Charles : 1, 2, 3, 4.
BUTOR, Michel : 1, 2, 3, 4, 5.
BYRON, George : 1.

CAMUS, Albert : 1, 2, 3, 4, 5, 6-7, 8.


CARDINAL, Marie : 1, 2, 3, 4, 5, 6.
CARLYLE, Thomas : 1.
CÉLINE, Louis-Ferdinand : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9-10, 11,
12, 13-14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26,
27, 28, 29, 30.
CENDRARS, Blaise : 1, 2, 3, 4, 5, 6.
CÉSAR, Jules : 1.
CHARTIER, Roger : 1.
CHARYN, Jerome : 1, 2, 3, 4-5, 6.
CHATEAUBRIAND, François-René de : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9,
10-11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18-19, 20, 21, 22, 23, 24.
CHIANTARETTO, Jean-François : 1, 2.
CHODERLOS DE LACLOS, Pierre : 1.
CHRAÏBI, Driss : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11.
COHN, Dorrit : 1, 2, 3.
COLERIDGE, Samuel : 1, 2, 3.
COLETTE : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9-10, 11-12, 13, 14, 15,
16, 17.
COLONNA, Vincent : 1, 2, 3, 4.
COMPAGNON, Antoine : 1, 2, 3.
CONSTANT, Benjamin : 1, 2, 3, 4-5, 6, 7-8, 9, 10, 11, 12,
13-14, 15, 16, 17, 18.
COPI : 1.
CURTIUS, Ernst Robert : 1, 2.

DÄLLENBACH, Lucien : 1.
DANTE ALIGHIERI : 1, 2.
DARRIEUSSECQ, Marie : 1, 2, 3.
DASSOUCY : voir ASSOUCY.
DAUDET, Alphonse : 1, 2, 3, 4, 5.
DE LUCA, Erri : 1.
DEFOE, Daniel : 1.
DEL CASTILLO, Michel : 1, 2.
DELEUZE, Gilles : 1, 2.
DELUMEAU, Jean : 1.
DEMATS, Paule : 1.
DEMORIS, René : 1, 2, 3.
DENTAN, Michel : 1.
DICKENS, Charles : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10-11, 12, 13,
14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21.
DIDEROT, Denis : 1.
DIDIER, Béatrice : 1.
DIMENT, Galya : 1.
DISEGNI, Silvia : 1.
DONNER, Christophe : 1, 2.
DOSTOÏEVSKI, Fédor : 1, 2.
DOUBROVSKY, Serge : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10-11, 12,
13-14, 15, 16, 17-18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28,
29.
DRIEU LA ROCHELLE, Pierre : 1.
DU CHASTELET DES BOIS, René : 1.
DURAS, Marguerite : 1, 2, 3-4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13,
14, 15, 16, 17.

EAKIN, Paul John : 1.


ECO, Umberto : 1, 2, 3, 4, 5, 6.
ERNAUX, Annie : 1, 2, 3, 4, 5, 6-7.
ESPINOSE, Raymond : 1.

FANTE, John : 1, 2, 3-4, 5, 6-7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14,


15, 16, 17, 18, 19, 20.
FERAOUN, Mouloud : 1, 2.
FERRAND, Anne : 1.
FERRIER-CAVERIVIÈRE, Nicole : 1.
FLEISHMAN, Avrom : 1, 2.
FLETCHER, John : 1, 2.
FONTANE, Theodor : 1-2.
FOSCOLO, Ugo : 1.
FRANCK, Dan : 1, 2, 3, 4, 5.
FRANÇOIS, Jacqueline : 1.
FREUD, Sigmund : 1, 2, 3-4, 5-6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13,
14, 15-16.
FROMENTIN, Eugène : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8.
FRYE, Northrop : 1, 2.
FUMAROLI, Marc : 1.

GAO XINGJIAN : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7.
GARNIER, Philippe : 1.
GARY, Romain : 1, 2.
GENET, Jean : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9-10, 11.
GENETTE, Gérard : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13,
14-15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22-23, 24, 25, 26, 27, 28, 29,
30, 31, 32, 33, 34, 35-36, 37.
GIDE, André : 1, 2-3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11.
GIONO, Jean : 1, 2, 3, 4-5.
GIRARDIN, Émile de : 1, 2, 3-4.
GODARD, Henri : 1-2, 3, 4, 5.
GOETHE, Johann Wolfgang : 1, 2, 3, 4.
GOGOL, Nicolas : 1, 2.
GOMBROWICZ, Witold : 1.
GONCHAROV, Ivan : 1.
GOTTLIEB, Georges : 1.
GRIVEL, Charles : 1, 2.
GUIBERT, Hervé : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7-8, 9, 10, 11, 12, 13,
14, 15.
GUILLERAGUES, Gabriel de : 1.
GUSDORF, Georges : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8.

HALBWACHS, Maurice : 1.
HAMBURGER, Käte : 1, 2, 3-4.
HAMSUN, Knut : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13,
14.
HANDKE, Peter : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13,
14, 15, 16.
HANUS, Michel : 1-2.
HÉLISENNE DE CRENNE (Marguerite Briet) : 1, 2, 3, 4-5, 6.
HESSE, Hermann : 1, 2, 3.
HIPP, Marie-Thérèse : 1, 2.
HORACE : 1.
HOUARD, Michel : 1, 2.
HUGO, Victor : 1.
HUYSMANS, Joris-Karl : 1-2, 3, 4, 5, 6.
HYTIER, Jean : 1, 2.

INOUE, Yasushi : 1.
ISER, Wolfgang : 1, 2.
ISTRATI, Panaït : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8.

JAKOBSON, Roman : 1, 2, 3, 4, 5, 6.
JAUBERT, Anna : 1.
JAUSS, Hans Robert : 1, 2.
JEAN-PAUL (Richter) : 1.
JOYCE, James : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10.
JULIET, Charles : 1, 2.
JUNG, Carl Gustav : 1.
JUNG, Johann Heinrich, dit JUNG-STILLING : 1-2.

KAFKA, Franz : 1, 2.
KAWABATA, Yasunari : 1.
KAYSER, Wolfgang : 1, 2.
KELLER, Gottfried : 1, 2, 3, 4.
KEROUAC, Jack : 1, 2, 3, 4.
KERTÉSZ, Imre : 1.
KOSINSKI, Jerzy : 1, 2, 3, 4, 5.
KRISTEVA, Julia : 1, 2.
KUNDERA, Milan : 1.
KUREISHI, Hanif : 1, 2, 3.
KUSNIEWICZ, Andrzej : 1.

LABRO, Philippe : 1-2.


LACAN, Jacques : 1, 2, 3-4, 5.
LACASSIN, Francis : 1-2.
LAFAYETTE, Marie-Madeleine de : 1.
LAMARTINE, Alphonse de : 1.
LANZMANN, Jacques : 1, 2.
LARBAUD, Valery : 1, 2, 3-4, 5, 6.
LAWRENCE, David Herbert : 1-2.
LAYE, Camara : 1.
LECARME, Jacques : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7.
LEDUC, Violette : 1.
LEJEUNE, Philippe : 1, 2-3, 4, 5-6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13,
14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28,
29-30, 31.
LERMONTOV, Mikhaïl : 1.
LEVER, Maurice : 1.
LÉVI-STRAUSS, Claude : 1.
LOBO ANTUNES, Antonio : 1.
LOCKE, John : 1.
LONDON, Jack : 1, 2, 3-4, 5-6, 7, 8, 9, 10, 11, 12.
LOPES, Baltasar : 1.
LORTHOLARY, Bernard : 1.
LOTI, Pierre : 1, 2, 3-4, 5, 6, 7, 8, 9-10, 11, 12, 13, 14,
15, 16.
LUBBOCK, Percy : 1.

MAC ORLAN, Pierre : 1.


MAINGUENEAU, Dominique : 1, 2.
MAKINE, Andreï : 1, 2, 3.
MALLARMÉ, Stéphane : 1, 2.
MALRAUX, André : 1, 2, 3.
MARC, Edmond : 1.
MARCO POLO : 1, 2.
MARIVAUX, Pierre Carlet de : 1.
MATHIEU-CASTELLANI, Gisèle : 1-2, 3.
MAUPASSANT, Guy de : 1.
MAURIAC, François : 1, 2, 3, 4.
MAURON, Charles : 1.
MAY, Georges : 1, 2.
MELVILLE, Hermann : 1, 2, 3, 4, 5-6, 7.
MEMMI, Albert : 1.
MÉRIMÉE, Prosper : 1.
MERLANT, Joachim : 1, 2, 3, 4.
MICHON, Pierre : 1-2, 3.
MILLER, Henry : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12.
MIRBEAU, Octave : 1, 2-3.
MISHIMA, Yukio : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10.
MODIANO, Patrick : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9-10, 11, 12, 13,
14, 15, 16, 17, 18.
MOLINIÉ, Georges : 1.
MONOD, Sylvère : 1.
MONTAIGNE, Michel de : 1, 2, 3.
MONTHERLANT, Henry de : 1.
MORI, Ogai : 1.
MORITZ, Karl Philip : 1, 2, 3-4, 5.
MORRISSETTE, Bruce : 1.
MUSSET, Alfred de : 1, 2, 3, 4-5, 6, 7, 8, 9, 10, 11.

NABOKOV, Vladimir : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10.


NAKAMURA, Shin’ichirô : 1-2, 3, 4, 5.
NAVARRE, Yves : 1, 2, 3, 4, 5.
NERVAL, Gérard de : 1, 2, 3.
NIZON, Paul : 1-2, 3, 4, 5, 6, 7, 8.
NOURISSIER, François : 1, 2, 3, 4, 5.

ÔÉ, Kenzaburô : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9-10, 11, 12, 13,


14.

PAHOR, Boris : 1.
PARIS, Jean : 1.
PASCAL, Roy : 1, 2.
PAVEL, Thomas : 1, 2, 3, 4, 5.
PESSOA, Fernando : 1, 2.
PETIT, Marc : 1.
PIERRAT, Emmanuel : 1.
PILLU, Pierre : 1, 2.
PLATON : 1-2.
POE, Edgar : 1.
POUILLON, Jean : 1.
PRÉCHAC, Jean de : 1.
PRÉVOST, Antoine François, dit l’abbé Prévost : 1.
PRINCE, Gerald : 1, 2.
PRODEZ DE BERAGREM, Pierre : 1.
PROUST, Marcel : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8-9, 10, 11, 12, 13,
14-15, 16, 17-18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26.

QUENEAU, Raymond : 1, 2.
QUINCEY, Thomas de : 1, 2, 3, 4, 5.

RAOUL, Valérie : 1.
REGARD, Maurice : 1.
RENARD, Jules : 1, 2, 3.
RESTIF (ou RÉTIF) DE LA BRETONNE, Nicolas Edme : 1.
REZVANI, Serge : 1, 2, 3, 4.
RICARDOU, Jean : 1.
RICHARDSON, Samuel : 1, 2.
RICŒUR, Paul : 1, 2, 3, 4, 5-6, 7.
RIFFATERRE, Michael : 1.
RILKE, Rainer Maria : 1, 2, 3, 4-5, 6-7, 8, 9, 10, 11, 12-13,
14, 15, 16.
RIVIÈRE, Jacques : 1.
ROBBE-GRILLET, Alain : 1, 2, 3, 4, 5, 6.
ROBIN, Régine : 1, 2, 3, 4.
ROLIN, Dominique : 1, 2.
ROSENFELD, Herbert : 1.
ROTH, Henry : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8-9, 10, 11-12.
ROTH, Philip : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9-10, 11-12, 13-14,
15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23-24, 25, 26-27, 28, 29, 30,
31, 32.
ROUBAUD, Jacques : 1.
ROULIN, Alfred : 1, 2.
ROUSSEAU, Jean-Jacques : 1, 2, 3, 4, 5-6, 7, 8, 9, 10, 11,
12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19.
ROUSSET, Jean : 1.
RUSHDIE, Salman : 1, 2, 3, 4.

SAINTE-BEUVE, Charles Augustin : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7.


SAKAI, Cécile : 1.
SALINGER, Jerome David : 1.
SAND, George : 1, 2, 3.
SAPORTA, Marc : 1.
SARRAUTE, Nathalie : 1, 2, 3, 4-5.
SARTRE, Jean-Paul : 1, 2, 3, 4-5, 6, 7, 8.
SCHAEFFER, Jean-Marie : 1, 2, 3, 4-5.
SCHELER, Lucien : 1.
SCHMIDT, Albert-Marie : 1, 2.
SCOTT, Walter : 1.
SENANCOUR, Étienne Pivert de : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10.
SGARD, Jean : 1.
SHIMAZAKI, Tôson : 1.
SIMON, Claude : 1, 2, 3, 4, 5-6, 7, 8-9, 10, 11-12, 13, 14,
15, 16, 17, 18-19, 20-21, 22, 23, 24, 25, 26, 27.
SINGER, Isaac Bashevis : 1.
SOLLERS, Philippe : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8.
SÔSEKI, Natsume : 1, 2-3, 4-5.
SOUILLER, Didier : 1.
SOYINKA, Wole : 1.
STAËL, Germaine de : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8.
STEIN, Gertrud : 1.
STENDHAL : 1, 2.
STERNE, Laurence : 1.

TADIÉ, Jean-Yves : 1, 2, 3.
TANIZAKI, Junichirô : 1.
TAYAMA, Katai : 1.
THÉOPHILE DE VIAU : 1-2, 3.
THIBAUDET, Albert : 1, 2, 3-4.
TODOROV, Tzvetan : 1, 2, 3, 4.
TONNELAT, Henri : 1.
TRISTAN L’HERMITE : 1, 2-3.
TSCHINAG, Galsan : 1.
TYNIANOV, Iouri : 1.

VALÉRY, Paul : 1, 2.
VALLÈS, Jules : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13,
14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24.
VARGAS LLOSA, Mario : 1, 2, 3.
VERCIER, Bruno : 1.
VILAIN, Philippe : 1, 2.
VIOLLET, Catherine : 1.

WACKENRODER, Wilhelm : 1, 2, 3.
WARREN, Austin : 1.
WEIL, Jiri : 1, 2, 3, 4.
WEINRICH, Harald : 1-2.
WEITZMANN, Marc : 1-2.
WELLEK, René : 1.
WEYERGANS, François : 1.
WINNICOTT, Donald : 1-2.
WOLF, Christa : 1, 2.
WOLFE, Thomas : 1, 2, 3, 4, 5, 6.
WOOLF, Virginia : 1.

ZOBEL, Joseph : 1.
Index des œuvres citées

À l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie : 1, 2, 3.


À l’équinoxe et au-delà : 1.
À l’ombre des jeunes filles en fleurs : 1, 2.
À la merci d’un courant violent : 1, 2-3, 4, 5, 6, 7-8, 9.
À la recherche du temps perdu : 1, 2, 3, 4, 5-6, 7-8, 9, 10, 11,
12, 13-14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21.
Acacia (L’): 1, 2, 3.
Acte de lecture (L’): 1-2.
Adolphe : 1, 2, 3-4, 5, 6-7, 8, 9, 10, 11-12, 13, 14, 15,
16, 17, 18.
Amant (L’): 1, 2, 3, 4-5, 6, 7, 8.
Amant de la Chine du Nord (L’): 1, 2-3, 4, 5, 6, 7, 8, 9.
Amant et fils : 1-2, 3, 4.
Amours interdites : 1.
Anatomie de la critique : 1-2.
Âne d’or (L’): 1, 2, 3.
Angoysses douloureuses qui procèdent d’amour (Les) : 1, 2-3, 4.
Années-lumière (Les) : 1, 2, 3.
Antimémoires : 1, 2, 3, 4.
Anton Reiser : 1, 2, 3-4, 5, 6.
A.O. Barnabooth, ses œuvres complètes : 1, 2, 3-4, 5, 6.
Apologie de Socrate : 1.
Après-midi d’un écrivain : 1.
Après-vivre (L’): 1.
Atala : 1.
Aurélia : 1, 2.
« Autobiographical novel and the autobiography (The) » : 1, 2.
Autobiographical Novel of Co-Consciousness (The) : 1.
Autobiographie d’Alice Toklas : 1.
Autobiographie (L’) (Lecarme) : 1.
Autobiographie (L’) (dir. Neyraud) : 1.
Autobiographie en France (L’): 1, 2, 3.
Autobiographie en procès (L’): 1, 2, 3, 4.
«Autobiographie et histoire littéraire » : 1.
« Autobiographie/vérité/psychanalyse » : 1.
Autobiographiques : de Corneille à Sartre : 1.
Autofiction, essai sur la fictionnalisation de soi en littérature (L’): 1,
2.
«Autofiction, un genre pas sérieux (L’)»: 1, 2.
«Autofiction : un mauvais genre ? (L’)»: 1, 2.
Autofictions et Cie : 1, 2, 3.
Avantures de Monsieur d’Assoucy (Les) : 1, 2.
À vau-l’eau : 1.
Aziyadé : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7.

Bachelier (Le) : 1, 2.
Balzac : 1.
Bandini : 1, 2.
« Biodégradable : Cendrars écrit » : 1.
Biographie : 1, 2, 3, 4, 5.
Biographie conjecturale : 1.
Blanche ou l’oubli : 1, 2-3, 4, 5, 6, 7.
Botchan : 1.
Bouddha de banlieue (Le) : 1, 2.
Boulevards de ceinture (Les) : 1-2, 3, 4, 5, 6-7, 8.
Bourlinguer : 1, 2, 3.
Bratislava : 1, 2.
Brouillons de soi (Les) : 1.
Buscón (Le) : 1.

Cahier rouge (Le), 1, 2.


Cahiers et les Poésies d’André Walter (Les) : 1, 2, 3, 4.
Canto : 1.
Carnets d’un toqué (Les) : 1, 2, 3, 4.
Carnets de guerre : 1.
Carnets de Malte Laurids Brigge (Les) : 1, 2, 3, 4-5, 6-7, 8, 9,
10-11.
Carnets du sous-sol (Les) : 1, 2.
Cave (La) : 1, 2.
Ce qu’ils disent ou rien : 1, 2.
Cécile : 1, 2, 3, 4, 5.
Certificat (Le) : 1.
Cet amour-là : 1.
Chaos : 1.
Chiquinho : 1.
Civilisation de la Renaissance (La) : 1.
Claudine (série) : 1, 2, 3, 4-5, 6, 7.
Codine : 1, 2.
Cœur Absolu (Le) : 1, 2, 3.
Commentaires (César) : 1.
Compagnons de la grappe (Les) : 1, 2, 3, 4.
Confession d’un enfant du siècle (La) : 1, 2, 3, 4-5, 6, 7, 8-9,
10.
Confession d’un masque : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9.
Confession d’un porte-drapeau déchu : 1.
Confessions (Rousseau) : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11,
12.
Confessions (saint Augustin) : 1, 2, 3.
Confessions d’un mangeur d’opium anglais (Les) : 1, 2, 3, 4.
Contes des Mille et Une Nuits : 1, 2.
Contre l’imagination : 1, 2.
Contre Sainte-Beuve : 1.
Contrevie (La) : 1, 2, 3, 4.
Corinne ou l’Italie : 1, 2, 3, 4, 5.
Crazy Cock : 1, 2.
Crime des pères (Le) : 1.
Critique de la critique : 1.
Critique et clinique : 1.

Dans la maison les histoires se défont : 1.


David Copperfield : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9-10, 11-12, 13,
14, 15, 16, 17, 18, 19, 20.
« De l’évolution littéraire » : 1.
De la sincérité envers soi-même : 1.
De si braves garçons : 1, 2, 3, 4.
Delphine : 1, 2, 3, 4.
Demande à la poussière : 1, 2.
Démon de la théorie (Le) : 1.
Dernière joie (La) : 1.
Dernières lettres de Jacopo Ortis (Les) : 1.
Derniers jours de Corinthe (Les) : 1.
Des métaphores obsédantes au mythe personnel : 1.
« Deuil et mélancolie » : 1.
Deuils dans la vie (Les) : 1-2.
« Deux écoles (Les) » : 1, 2.
Dictionnaire de rhétorique : 1.
Dictionnaire encyclopédique des sciences du langage : 1.
Dictionnaire Robert : 1, 2.
Dictionnaire universel des littératures (Vapereau) : 1.
Dilemme du roman au XVIIIe siècle (Le) : 1, 2.
« Discours du récit » : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12,
13.
«Distance et point de vue » : 1.
Divine Comédie (La) : 1, 2.
Dominique : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7.
Don Juan (Byron) : 1.
Dora Bruder : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7.
Droit d’auteur et l’édition (Le) : 1.
D’un château l’autre : 1, 2, 3, 4, 5-6, 7.
Du côté de chez Swann : 1, 2, 3.
Du roman intime : 1.
Du texte à l’action : 1.

Écornifleur (L’): 1.
Écrits (Lacan) : 1, 2-3.
Écriture de soi et sincérité : 1.
Écriture et l’expérience des limites (L’): 1.
Ecrivain fantôme (L’): 1.
Écrivain public (L’): 1, 2, 3, 4, 5.
Éducation sentimentale (L’): 1.
Effusions sentimentales d’un religieux ami de l’art : 1, 2, 3.
Elle et lui : 1.
Éloge de la fiction : 1.
Émile : 1, 2, 3.
Emploi du temps (L’): 1.
En route : 1.
Enfance (N. Sarraute) : 1, 2, 3.
Enfant (L’) (Vallès) : 1, 2, 3, 4.
Enfant noir (L’): 1.
Enfant que tu étais (L’): 1.
Enfants de minuit (Les) : 1, 2, 3, 4, 5.
Enquête sur le roman et les Mémoires (1660-1700) : 1, 2.
« Ère du soupçon (L’)»: 1-2.
Essais (Les) (Montaigne) : 1.
Essais critiques (Barthes) : 1.
Essais de linguistique générale (Jakobson) : 1, 2, 3, 4, 5.
Esthétique de la création verbale : 1.
Esthétique et théorie du roman : 1, 2.
Et si c’était moi ? : 1.
État d’apesanteur (L’): 1.
Été (L’): 1-2, 3, 4, 5.
Être et le néant (L’): 1.
Être sans destin : 1.
Étreinte (L’): 1, 2.
Euphormion : 1.

Faim (La) : 1, 2, 3, 4, 5.
Faits (Les) : 1, 2.
Féerie pour une autre fois : 1.
Femmes : 1, 2, 3, 4.
Ferdydurke : 1, 2.
Feu (Le) : 1, 2, 3.
Fiction et diction : 1, 2, 3, 4, 5-6, 7.
Fictions : 1.
Fictions in Autobiography : 1.
« Fictions of autobiographical fiction (The) » : 1, 2.
Figures III : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14.
Figures IV : 1.
Fils : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12.
Fils du pauvre (Le) : 1, 2.
Fin de l’exil (La) : 1.
Fleurs de ruine : 1, 2.
Franz et François : 1.
Fugitive (La) : 1.
Futon : 1.

Genres du discours (Les), 1.


Genres littéraires (Les), 1.
Géorgiques (Les) : 1, 2-3, 4, 5, 6, 7, 8-9.
Giacomo Joyce : 1.
« Gide et l’espace autobiographique » : 1.
Golem de l’écriture (Le) : 1, 2.
Gone du Chaâba (Le) : 1-2, 3.
Goodbye Colombus : 1.
Goût des orties (Le) : 1.
Grand Incendie de Londres (Le) : 1.
Guignol’s band : 1.
Guzmán de Alfarache : 1.

Henri le Vert : 1, 2, 3, 4, 5.
Herbes du chemin (Les) : 1.
Heure de la sensation vraie (L’): 1.
Histoire (C. Simon) : 1, 2-3, 4, 5-6, 7.
Histoire d’enfant : 1, 2.
Histoire de la littérature française (Thibaudet) : 1.
Histoire de ma mère : 1.
Histoire des amours de Cléante et de Bélise : 1.
Homme foudroyé (L’): 1.
Honte (La) : 1.
Horla (Le) : 1, 2.

Ibadan, les années pagaille : 1.


« Illusion référentielle (L’)»: 1.
Immersion : 1, 2, 3, 4.
Improvisateur (L’): 1.
Inceste (L’): 1, 2.
Indiana : 1, 2.
« Inquiétante étrangeté (L’)»: 1, 2.
Insurgé (L’): 1, 2, 3, 4, 5.
Interview : 1.
« Introduction à l’analyse structurale des récits », 1, 2.
Introduction à l’architexte : 1.
« Introduction à l’étude du narrataire » : 1.
Introduction à la littérature fantastique : 1, 2.
Invention de la solitude (L’): 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11,
12, 13.

Jacques Vingtras : 1, 2, 3, 4, 5, 6.
Jane Eyre : 1.
Jardin des Plantes (Le) : 1, 2-3, 4, 5, 6, 7.
J’habite une tour d’ivoire : 1.
Je est un autre : 1, 2.
Je suis un chat : 1, 2-3, 4.
Jean le Bleu : 1, 2, 3, 4-5.
Jean Santeuil : 1.
Jeunesse d’Adrien Zograffi (La) : 1, 2, 3, 4.
Jeunesse de Heinrich Stilling (La) : 1.
John Baleycorn : 1.
Joue-nous España : 1.
Jour de silence à Tanger : 1, 2.
Journal (Goncourt) : 1.
Journal amoureux : 1.
Journal d’un curé de campagne (Le) : 1.
Journal d’un fou (Le) : 1, 2, 3.
Journal d’un vieux dégueulasse : 1.
Journal d’une femme de chambre (Le) : 1, 2.
Journal du voleur : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7.
Journal fictif dans le roman français (Le) : 1.
« Journal intime, texte sans destinataire ? (Le) » : 1.

Kyra Kyralina : 1.

Là-bas : 1-2, 3, 4.
Laissé pour conte : 1, 2, 3.
Lambeaux : 1, 2.
Lazarillo de Tormes (La vie de) : 1, 2.
Leçon d’anatomie (La) : 1, 2, 3, 4, 5.
Lector in fabula : 1, 2.
« Lecture du roman autobiographique (La) » : 1.
Lecture littéraire (La) : 1.
Lecture pragmatique (La) : 1.
Lélia : 1, 2.
Lettre volée (La) : 1.
Lettres à Babet : 1.
Lettres aux années de nostalgie : 1, 2, 3, 4.
Lettres de la présidente Ferrand au baron de Breteuil : 1.
Lettres portugaises : 1.
Lignes de vie, 1, Les écritures du moi : 1, 2, 3, 4, 5, 6.
Lignes de vie, 2, Auto-bio-graphie : 1.
Littérature et réalité : 1.
Littérature européenne et le Moyen Âge latin (La) : 1, 2.
« Littérature personnelle (La) » : 1, 2, 3, 4, 5.
Livre à venir (Le) : 1.
Livre brisé (Le) : 1, 2-3, 4, 5-6, 7-8, 9, 10, 11.
Livre d’un homme seul (Le) : 1, 2, 3, 4.
Livre de l’intranquillité (Le) : 1, 2.
Livres de ma vie (Les) : 1.
Livret de famille : 1, 2.
Logique des genres littéraires : 1, 2, 3-4.
Louis Lambert : 1, 2-3, 4-5, 6, 7, 8, 9, 10-11, 12.

Macération (La) : 1, 2, 3, 4, 5, 6.
Madame Chrysanthème : 1, 2, 3, 4.
Main coupée (La) : 1, 2.
Maison de Claudine (La) : 1, 2.
Malheur indifférent (Le) : 1.
Manon Lescaut : 1.
Mariage de Loti (Le) : 1, 2-3, 4, 5.
Martin Eden : 1, 2, 3-4, 5-6, 7, 8, 9, 10, 11-12.
M.D. : 1, 2, 3.
Mémoire collective (La) : 1.
Mémoire, l’histoire, l’oubli (La) : 1, 2.
Mémoires (Prodez de Beragrem) : 1.
Mémoires d’outre-tombe : 1, 2.
Mémoires de la vie de Henriette Sylvie de Molière : 1.
Mémoires sauvés du vent : 1, 2.
Mentir-vrai (Le) : 1, 2, 3.
Mes années d’enfance : 1-2.
Mes départs : 1, 2.
Mes parents : 1, 2, 3.
Métamorphoses (Les), ou l’âne d’or : 1, 2, 3.
Mikhaïl : 1, 2, 3, 4, 5.
Miracle de la rose, 1.
Miroir des limbes (Le) : 1, 2, 3, 4.
Miroirs d’encre : 1.
Mise à mort (La) : 1-2, 3, 4.
« Mise en abyme et iconicité » : 1, 2.
Modern Confessional Novel (The) : 1.
Moi aussi : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9-10.
Moi et le Ça (Le) : 1.
Moi je : 1.
Moments critiques dans l’autobiographie contemporaine : 1.
Mon année dans la baie de Personne : 1, 2, 3, 4, 5, 6.
Mon chien Stupide : 1.
Monde gris (Le) : 1.
Mon frère Yves : 1, 2.
Monsieur Jadis : 1.
Monsieur le Consul : 1.
Montagne de l’âme (La) : 1.
Mort à crédit : 1, 2-3, 4.
Mots (Les) : 1-2, 3.
Mots pour le dire (Les) : 1, 2, 3, 4.

Nadja : 1, 2.
Naissance du jour (La) : 1, 2-3, 4, 5.
« Narcisse écrit-il ? » : 1.
« Narrative « You » in contemporary literature » : 1.
Nausée (La) : 1.
Neveu de Wittgenstein (Le) : 1, 2, 3, 4.
Nom de la rose (Le) : 1, 2.
Notre-Dame-des-Fleurs : 1.
Nourritures terrestres (Les) : 1.
Nouveau discours du récit : 1, 2.
Nouvelle Héloïse (Julie ou La) : 1, 2, 3.
Noyers de l’Altenburg (Les) : 1.

Oberman : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14.


Odile : 1, 2.
Odyssée : 1.
Œuvre ouverte (L’): 1.
Oiseau bariolé (L’): 1, 2, 3, 4, 5.
Opération Shylock : 1.
Or de la terre promise (L’): 1, 2, 3-4.
Oreiller d’herbe : 1.
Orgie de Prague (L’): 1.
Origine (L’): 1, 2, 3, 4.
Ornière (L’): 1.

Pacte autobiographique (Le) : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10,


11, 12-13.
Page disgracié (Le) : 1, 2-3.
Palace (Le) : 1, 2.
Palimpsestes : 1, 2, 3.
Paludes : 1.
Paradis artificiels (Les) : 1.
Part du feu (La) : 1.
Passé simple (Le) : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7.
Passion fixe : 1, 2.
Passion simple : 1.
Patrimoine : 1.
Pauvre cœur des hommes (Le) : 1.
Peau de chagrin (La) : 1.
Pensée du roman (La) : 1, 2.
Petit Chose (Le) : 1, 2, 3, 4.
Petit Garçon (Le) : 1-2.
Place de l’Étoile (La) : 1.
Pleins de vie : 1, 2, 3.
Poésie et vérité : 1.
Poétique (Aristote) : 1, 2, 3-4.
Poétique de Céline : 1-2, 3, 4.
« Poétique et histoire » : 1.
Poil de Carotte : 1.
Poisson-chat : 1, 2, 3, 4-5, 6.
Portnoy et son complexe : 1, 2, 3, 4-5, 6, 7, 8, 9, 10, 11,
12.
Portrait de l’artiste : 1.
Portrait de l’artiste en jeune homme : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9,
10, 11.
Portrait du joueur : 1, 2, 3.
Pour l’autobiographie : 1, 2, 3.
Pour une esthétique de la réception : 1.
Pourquoi la fiction ? : 1, 2, 3, 4-5.
Pragmatique pour le discours littéraire : 1, 2.
Premier Homme (Le) : 1, 2, 3, 4, 5-6, 7.
Première journée : 1-2, 3.
Princesse de Clèves (La) : 1.
Prison de Monsieur Dassoucy (La) : 1.
Prisonnière (La) : 1.
Problèmes de linguistique générale : 1, 2, 3, 4, 5, 6.
Procès (Le) : 1.
Processus de maturation chez l’enfant : 1-2.
Production de l’intérêt romanesque : 1.
Professeur de désir : 1, 2, 3, 4.
Propre de la fiction (Le) : 1.
Protocole compassionnel (Le) : 1, 2, 3, 4.
Proust et le roman : 1, 2, 3.
Pseudo : 1, 2.

Qu’est-ce qu’un genre littéraire ? : 1.


Qu’est-ce que la littérature ? : 1, 2.
Quand dire c’est faire : 1, 2.
Qui raconte le roman ? : 1, 2.

Récit spéculaire (Le) : 1.


Recommencement (Le) : 1.
Redburn ou Sa première croisière : 1, 2, 3, 4, 5-6.
Regarde, regarde les arlequins ! : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10.
« Relations de temps dans le verbe français (Les) » : 1-2.
René : 1, 2, 3, 4, 5-6, 7, 8, 9, 10, 11, 12-13, 14, 15, 16,
17-18, 19, 20, 21, 22-23, 24, 25, 26, 27.
Répertoire II : 1, 2, 3, 4, 5.
République (La) : 1.
Répudiation (La) : 1, 2, 3.
Rêveries du promeneur solitaire (Les) : 1.
Rêves de Bunker Hill : 1.
Rhétorique (Aristote) : 1, 2-3, 4, 5.
Rhétorique à Herennius : 1.
Rigodon : 1, 2.
Robinson Crusoé : 1.
Roland Barthes par Roland Barthes : 1, 2, 3.
Roman à la première personne (Le) : 1, 2.
« Roman familial des névrosés (Le) » : 1-2.
Roman français au XVIIe siècle (Le) : 1.
Roman personnel de Rousseau à Fromentin (Le) : 1, 2, 3.
Roman picaresque (Le) : 1.
Romanesques : 1, 2, 3.
Romans de l’individu (Les) : 1, 2.
Route de Los Angeles (La) : 1, 2.
Route des Flandres (La) : 1, 2.
Rue Cases-Nègres (La) : 1.
Rue des Archives : 1.

Saint Genet, comédien et martyr : 1.


Sanshirô : 1.
Sarrazine : 1.
Sartor Resartus : 1.
Scène judiciaire de l’autobiographie (La) : 1-2, 3.
Seconde Main (La) : 1, 2.
« Secrets de famille » : 1.
Sèméiôtikè : 1.
Séparation (La) : 1, 2, 3, 4, 5.
Seuils : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11.
Sexus : 1.
Seymour, une introduction : 1.
Si le grain ne meurt : 1.
Sido : 1, 2.
Sodome et Gomorrhe : 1, 2, 3, 4, 5, 6.
Soi-même comme un autre : 1, 2-3.
Souffle (Le) : 1.
Sous l’étoile d’automne : 1, 2, 3, 4.
Statue de sel (La) : 1.
Stephen le Héros : 1.
Succession ouverte : 1, 2, 3, 4.
Sujet Angot : 1, 2, 3.
Sujets de l’écriture (Les) : 1, 2.
« Sur les souvenirs-écrans » : 1, 2-3, 4, 5.
Sylvie : 1.
S/Z : 1, 2.

Tante Julia et le Scribouillard (La) : 1, 2, 3.


Tel Quel, théorie d’ensemble : 1.
Temps (Le) : 1-2.
Temps et récit : 1, 2.
Temps et roman : 1.
Temps retrouvé (Le) : 1, 2, 3, 4-5.
Testament français (Le) : 1, 2.
Testaments trahis (Les) : 1.
Têtard (Le) : 1, 2.
Texte et son lecteur (Le) : 1.
Théorie de la littérature : 1.
Théorie des genres : 1.
Théorie littéraire (La) : 1.
Toile et le Roc (La) : 1, 2, 3, 4, 5.
Trame d’enfance : 1, 2.
Transparence intérieure (La) : 1, 2.
Tropique du Cancer : 1.
Tropique du Capricorne : 1.
Turning Key (The) : 1.

Un adolescent d’autrefois : 1, 2, 3, 4, 5.
Un amour de soi : 1, 2, 3, 4.
Un amour de Swann : 1.
Un barrage contre le Pacifique : 1, 2.
Un enfant : 1.
Un journal à soi : 1, 2.
Un rocher sur l’Hudson : 1, 2.
« Un siècle de résistance à l’autobiographie » : 1.
Un siècle de romans japonais : 1.
Un vagabond joue en sourdine : 1, 2, 3, 4.
Une affaire personnelle : 1, 2, 3.
Une existence tranquille : 1, 2.
Une famille : 1.
Une famille en voie de guérison : 1.
Univers de la fiction : 1, 2.

Vagabonde (La) : 1, 2.
Variétés V : 1.
Vie de Lazarillo de Tormes (La) : 1, 2.
Vie de Marianne (La) : 1, 2, 3, 4.
Vie exagérée de Martin Romaña (La) : 1, 2, 3, 4.
Vie l’instant (La) : 1.
Vie, poésies et pensées de Joseph Delorme : 1, 2, 3, 4, 5, 6.
Vieillesse de Heinrich Stilling (La) : 1.
Vies minuscules : 1-2, 3.
Vin de la jeunesse (Le) : 1, 2.
Vipère au poing : 1.
Vita sexualis : 1.
Vivre avec une étoile : 1, 2, 3.
Volupté : 1, 2.
Voyage au bout de la nuit : 1, 2, 3.
Voyage de Fontainebleau (Le) : 1.
Vrilles de la vigne (Les) : 1.

Werther : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7.
Z. Marcas : 1-2, 3-4.
Zuckerman délivré : 1, 2, 3-4, 5, 6.
Zuckerman enchaîné : 1, 2, 3, 4.
Index des notions

Abyme (mise en) : 1, 2-3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13,


14, 15.
Acte de lecture : 1, 2, 3, 4.
Allographe : 1, 2-3, 4, 5.
Alterdiégétique : 1, 2-3, 4.
Analepse (voir Rétrospection).
Anachronie : 1.
Anonymat : 1, 2-3, 4.
Anticipation : 1, 2-3.
Apparat critique : 1, 2.
Archétype : 1, 2, 3.
Autobiographie fictive : 1-2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10.
Autocitation : 1, 2, 3-4, 5, 6, 7.
Autocommentaire (voir Métadiscours) : 1.
Autodiégétique : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11-12, 13,
14, 15, 16.
Autofiction : 1, 2, 3-4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14,
15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28.
Autoportrait : 1, 2, 3, 4, 5, 6.
Aveu : 1, 2, 3, 4-5, 6, 7-8, 9, 10, 11, 12, 13.
Biographie : 1, 2, 3, 4, 5, 6-7, 8, 9, 10, 11, 12-13, 14,
15, 16, 17, 18, 19, 20.
Burlesque : 1, 2, 3, 4.
Brouillon (voir génétique) : 1.

Catharsis : 1, 2, 3-4.
Chronologie : 1-2, 3, 4, 5.
Cinéma : 1-2, 3, 4, 5, 6, 7.
Citation (voir Intertextualité) : 1, 2, 3, 4-5, 6, 7.
Clef : 1, 2, 3, 4.
Clivage : 1, 2, 3, 4, 5.
Code, codage, décodage : 1, 2-3, 4, 5-6, 7, 8, 9, 10, 11, 12,
13, 14, 15.
Combat : 1-2.
Communication : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13,
14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28-
29, 30, 31, 32, 33.
Conative (fonction) : 1, 2, 3.
Condensation : 1, 2, 3-4, 5, 6, 7, 8.
Confession : 1, 2-3, 4, 5, 6, 7, 8, 9-10, 11, 12, 13, 14,
15, 16, 17.
Contrat (ou pacte) de lecture : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10,
11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19.
Correspondance (voir Lettre) : 1, 2, 3, 4.
Culpabilité : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8-9, 10-11, 12, 13, 14,
15, 16.
Cure (voir Psychanalyse) : 1, 2, 3-4, 5, 6.

Dédicace : 1, 2-3, 4-5.


Déictique : 1.
Déni, dénégation : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9.
Déplacement : 1, 2, 3, 4.
Destinataire (voir Narrataire) : 1, 2, 3, 4-5, 6, 7, 8-9, 10, 11,
12, 13.
Deuil : 1, 2, 3, 4, 5-6, 7, 8.
Diachronie : 1, 2, 3, 4, 5.
Dialogue, dialogisme (voir Polyphonie) : 1, 2, 3, 4-5, 6, 7.
Discours (opposé à récit, ou à histoire) : 1, 2, 3, 4, 5-6, 7, 8, 9,
10, 11, 12, 13.
Discours indirect libre (voir Style direct ou indirect) : 1, 2-3, 4.
Document : 1, 2-3, 4, 5, 6, 7, 8.
Docu-roman, docu-fiction : 1.
Doxa : 1.

Effet de réel : 1, 2, 3, 4.
Embrayeurs ou shifters (voir Déictique) : 1, 2.
Émotive (fonction) : 1.
Enallage : 1, 2.
Encyclopédie personnelle : 1, 2, 3, 4.
Épigraphe : 1, 2, 3.
Épitexte : 1, 2, 3, 4, 5-6, 7, 8, 9.
Èthos : 1-2, 3, 4, 5.
Exhibition, exhibitionnisme : 1, 2, 3.
Extradiégétique : 1, 2, 3.

Fantastique (genre) : 1, 2.
Fictionnalisation : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13,
14, 15, 16, 17-18, 19, 20.
Fictionnaliste : 1, 2, 3, 4, 5-6, 7-8.
Focalisation (voir Point de vue) : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7-8.
Fonctions du langage : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9.
Formalisme : 1, 2, 3.
Génétique : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8.

Herméneutique : 1, 2, 3, 4.
Héros-écrivain : 1, 2, 3, 4-5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13,
14, 15.
Hétérodiégétique : 1, 2, 3, 4, 5-6, 7, 8-9, 10, 11, 12, 13,
14, 15.
Hétéronyme : 1, 2, 3.
Histoire (récit : voir Discours).
Histoire (science) : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7-8, 9, 10, 11, 12, 13,
14.
Histoire littéraire : 1, 2, 3, 4, 5, 6-7.
Homodiégétique : 1, 2-3, 4, 5, 6, 7, 8, 9.
Homonymie : 1, 2, 3.
Horizon d’attente : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11.
Hypotexte : 1-2.
Hypothèse générique (ou modèle hypothétique de description) : 1, 2,
3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13.

Identité, identification : 1, 2-3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12,


13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24-25, 26-27, 28-
29.
Illocutoire : 1, 2, 3, 4, 5.
Imparfait : 1-2, 3.
Intégrationniste : 1.
Intertextualité : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11-12, 13, 14,
15, 16, 17, 18, 19.
Intertitre : 1-2.
Intradiégétique : 1, 2.
Ironie : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15,
16, 17, 18, 19.
Itératif : 1.

Journal (intime) : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13,


14, 15, 16-17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24.

Lettre (correspondance) : 1, 2, 3, 4-5, 6, 7, 8, 9, 10, 11.


Lieux (voir Topoi) : 1-2, 3.
Littérarité : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7-8, 9, 10, 11, 12, 13, 14.

Médiocrité : 1-2.
Mémoire collective : 1-2, 3.
Mémoires (genre) : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12,
13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23.
Métadiégétique, métadiscours : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10-
11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22.
Métalinguistique (fonction) : 1, 2.
Mimèsis : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14,
15, 16.
Modalisation : 1, 2, 3, 4.
Modèle hypothétique de description : voir Hypothèse générique.
Monologue (intérieur) : 1, 2, 3, 4, 5, 6.
Mythe, mythomanie : 1, 2, 3, 4, 5, 6.

Narcissisme : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14.


Narrataire (voir Destinataire) : 1, 2, 3, 4.
Narratologie : 1, 2, 3, 4, 5.
New Criticism : 1, 2, 3-4.
Notes (de bas de page) : 1.
Notice (biographique) : 1.
Notoriété : 1, 2, 3, 4, 5.

Omniscience (du narrateur) : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8.


Onomastique (identification) : 1-2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9.
Orale (langue, littérature) : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7.

Pacte autobiographique (voir Contrat de lecture) : 1, 2, 3, 4, 5, 6,


7, 8, 9.
Paratexte : 1, 2, 3-4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12.
Passé composé : 1-2.
Passé simple (ou aoriste, ou prétérit) : 1-2.
Pathos : 1, 2-3, 4, 5, 6, 7.
Performatif : 1.
Péritexte : 1, 2, 3, 4, 5.
Perlocutoire : 1, 2.
Phatique (fonction) : 1, 2.
Photographie : 1-2, 3, 4.
Picaresque (genre) : 1, 2, 3.
Poétique (fonction) : 1, 2.
Poétique (théorie de la littérarité) : 1-2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10,
11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21-22, 23, 24, 25,
26-27, 28, 29.
Point de vue (voir Focalisation) : 1, 2, 3, 4, 5.
Polyphonie : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8.
Postface : 1-2.
Pragmatique : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13,
14, 15, 16, 17, 18, 19.
Préface : 1, 2, 3-4, 5-6, 7, 8-9.
Prescriptions (ou instructions de lecture) : 1, 2, 3, 4, 5.
Présent : 1-2, 3-4.
Présent de narration (ou historique) : 1, 2-3, 4, 5.
Prière d’insérer (ou quatrième de couverture) : 1, 2, 3, 4, 5, 6-7,
8, 9-10, 11.
Procès : 1, 2-3, 4-5.
Prolepse (voir anticipation).
Protection : 1, 2-3.
Pseudonyme : 1, 2-3, 4, 5.
Psychanalyse : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8-9, 10, 11, 12, 13, 14,
15-16, 17, 18, 19, 20.

Réalisme : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14.


Réception (théorie de la) : 1, 2, 3, 4, 5.
Récit (genre) : 1-2, 3.
Récit de voyage : 1, 2, 3, 4-5, 6, 7, 8.
Récit (opposé à discours : voir Discours).
Référentialiste : 1, 2, 3-4, 5.
Référentielle (fonction) : 1, 2, 3, 4.
Rétrospection : 1, 2, 3, 4-5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14,
15, 16.
Rhétorique : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12-13, 14,
15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28.
Roman d’apprentissage (Bildungsroman) : 1, 2, 3, 4, 5.
Roman épistolaire : 1, 2, 3, 4, 5, 6.
Roman familial : 1, 2-3, 4.
Roman-journal : 1, 2-3, 4, 5, 6.
Roman-Mémoires : 1, 2.
Roman-mémoriel : 1.
Roman personnel : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10.

Satire : 1, 2.
Scène (opposé à Sommaire) : 1.
Secrets de famille : 1, 2-3, 4.
Ségrégationniste : 1.
Self (vrai/faux) : 1-2, 3.
Sémiotique : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9.
Shifters (voir embrayeurs).
Sincérité : 1, 2, 3, 4-5, 6, 7, 8, 9, 10-11, 12, 13, 14, 15,
16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27.
Souvenirs-écrans : 1, 2-3, 4, 5, 6.
Spatialisation : 1-2.
Spécularité (voir Abyme) : 1, 2, 3, 4, 5-6, 7, 8, 9, 10, 11.
Stratégie textuelle, ou générique : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10,
11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25,
26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33.
Structuralisme : 1, 2.
Style direct ou indirect : 1, 2, 3, 4.
Surdétermination : 1-2, 3, 4.

Témoignage : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14,


15, 16, 17.
Testament : 1.
Théorie des genres (voir Poétique) : 1, 2, 3.
Topos, Topoi (voir Lieux) : 1, 2, 3, 4, 5, 6-7.

Vrai, véridicité, vérifiable : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11.


Vraisemblance, vraisemblable : 1, 2, 3-4, 5, 6, 7, 8, 9, 10,
11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22.

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