Droit Constitutionnel (2019-2020)
Droit Constitutionnel (2019-2020)
Droit Constitutionnel (2019-2020)
EKOMO Fabrice
Enseignant-Chercheur en Droit
IUSO
INTRODUCTION :
Lhistoire du droit constitutionnel est lhistoire de lorganisation des pouvoirs publics. Cette
discipline sest développée beaucoup plus tard que les autres branches du droit et sa définition a
fait lobjet dune controverse doctrinale qui, jusquà présent demeure entière. Daprès certains
auteurs, lévolution rapide de cette discipline a rendu impossible une définition matérielle ou
substantielle. Mais ceci na pas empêché d’autres auteurs de proposer une certaine définition de la
notion de droit constitutionnel.
Selon le Doyen Georges VEDEL, le droit constitutionnel désigne une «branche fondamentale du
droit public interne», cest-à-dire un « droit de lÉtat», qui a vu sa définition sélargir au fil du
temps. Initialement, il était qualifié de «droit politique» parce quil a pour objet dassurer«
lencadrement juridique des phénomènes politiques».
Une définition plus générale est proposée par Jacques CADART: « lensemble des règles de
droit qui détermine la composition, les mécanismes, et les compétences ou pouvoirs des organes
supérieurs de lEtat: gouvernants et peuple». Pour dégager la signification profonde de cette
définition, lauteur en précise lobjet voire même lobjet ultime du droit constitutionnel : « ces
règles ont pour but(…) dassurer la suprématie du droit sur les gouvernants (Parlement,
gouvernement, Chef de l’Etat et pouvoir juridictionnel) et même sur la majorité du peuple et, par
la suite, de garantir la liberté: le règne du droit». Dès lors, le droit constitutionnel vise
lencadrement juridique des acteurs, des pouvoirs et des normes politiques. En dautres termes, le
droit constitutionnel encadre les phénomènes politiques. Il n’y a pas que des règles, il y a aussi le
fonctionnement des institutions, les mécanismes et procédures, linterprétation donnée aux règles
juridique.
Le Professeur Marcel PRELOT propose quant à lui une acception synthétique aussi bien
logique que pédagogique du droit constitutionnel quil définit comme la science, lensemble des
règles, des juridiques, des institutions grâce auxquelles le pouvoir sétablit, sexerce et se
transmet dans lÉtat»1. Ainsi, le juridique et le politique coexistent au sein du droit
constitutionnel. Cette définition proposée il y a un demi-siècle, est certes pertinente mais dépassée
en raison de son objet restreint, de son approche institutionnelle. Elle a été renouvelée et elle
repose sur un objet étendu et une approche normative. Il faut dire que la Constitution nest pas
seulement « lespace où se déroule laction politique telle que le droit la met en forme», car elle
est aussi «le lieu où sont fixées les conditions de création du droit».
Cette pluralité de points de vue a été synthétisée par le Doyen Louis FAVOREU quia défini le
droit constitutionnel moderne par son triple objet: les institutions, le système normatif et la
protection des libertés et droits fondamentaux. On distingue ainsi le droit constitutionnel
classique et le droit constitutionnel contemporain.
Il sagit dun droit sans juge et dun droit non juridique, un droit dominé par la science politique qui
avait un objet unique, un objet principal. En effet, pendant très longtemps la description des
institutions et de leur pratique fut lobjet essentiel du droit constitutionnel classique. Il se bornait à
décrire et à étudier « les institutions grâce auxquelles le pouvoir sétablit, sexerce et se transmet
dans lEtat ». Cette « partie du droit public interne qui a trait à lorganisation politique de lÉtat »
était appréhendée essentiellement sous langle des institutions, cest-à-dire comme un droit
institutionnel.
Marcel PRELOT dans son cours de Droit parlementaire relève que « la jurisprudence constituait
une source quasi absente » de cette branche du droit constitutionnel sous la IIIe et la IVe
République ou encore dans les dix ou quinze premières années de la V e République France.
Toutefois, cette observation ne peut sétendre à lensemble des Etats. Aux Etats-Unis, en Grande-
1
PRÉLOT (M.), Précis de droit constitutionnel, 2e éd., Dalloz, 1952, p 32.
2
LUCHAIRE (F.), Un républicain au service de la République, Publications de la Sorbonne, Paris, 2005, p. 313.
Bretagne ou encore en Allemagne après la Seconde guerre mondiale, on fait déjà appel à la
jurisprudence qui occupe une place importante dans létude du droit constitutionnel. Cette situation
différente est inhérente à lhistoire même de ces pays. En effet, pendant très longtemps en France,
le principe de la souveraineté parlementaire a prévalu. Précisément, l'hostilité à la remise en
cause de la loi trouvait sa source dans l'idée de la souveraineté du législateur, pratiquement
omnipotent sous la IIIe République. Vue comme l'«expression de la volonté générale»3, la loi
puisait sa force de la légitimité des auteurs et de la faiblesse de la Constitution. La formulation de
Après la Seconde Guerre mondiale, le contenu du droit constitutionnel évolue sous linfluence de
la science politique. En particulier, il est soutenu que, si lon peut étudier les régimes politiques en
ne les abordant que du point de vue du droit, on ne peut les comprendre sans philosophie
politique, sans interprétation de l’histoire des idées politiques, sans science politique, à laquelle le
modèle anglo-saxon réserve une place dhonneur.
républicain à la fin du XIXe siècle»6. La loi est le vecteur de leur consécration et de leur
protection à une époque où elle jouit de linfaillibilité5.La loiest aussicelle qui les rogne, les écarte
voire les abolit ad personam7.Avec lintermède funeste et dévastateur de Vichy, elles sont
sérieusement affaiblies, le législateur ayant démontré quil pouvait irrémédiablement mal faire.
Est-ce une des raisons qui expliquent que, sur les cendres des destructions des hommes et des
biens, la période d’après-guerre voit peu à peu modifier la donne de la protection des libertés en
France et ailleurs? Sans nul doute. Les Constitutions prennent le dessus sur les lois et deviennent
larchétype de lÉtat de droit. Le légicentrisme a vécu; le constitutionnalisme-parfois affublé de
ladjectif de «moderne»-voit le jour. Le préambule de la Constitution de 1946 proclame des droits
nouveaux «particulièrement nécessaires à notre temps» tandis que la Constitution de 1958
entérine laffaiblissement de la loi en instituant le Conseil constitutionnel qui, en une décision et
une seule, historique8, sarroge le rôle éminent de« protecteur des libertés» en prenant au sérieux
la Déclaration des droits de lhomme et du citoyen. Du coup, cest toute létude du droit
constitutionnel en France qui change d’allure.
Pendant longtemps, le droit constitutionnel était considéré comme une discipline mineure à la
juridicité discutée, controversée. En France, jusquà la Seconde guerre mondiale, le droit
constitutionnel tel quil apparaît dans les manuels et tel quil est ense igné dans les universités est
essentiellement un droit institutionnel, cest-à-dire une discipline dont la structure est très liée à
Dailleurs, en 1946, dans son cours de droit constitutionnel, Maurice DUVERGER définit le
droit constitutionnel comme «étant cette branche du droit public qui réglemente lorganisation et
6
DORD (O.), «Libertés publiques ou droits fondamentaux?», in Les libertés publiques, La Documentation
française, 2000, p. 12.
7
O.DORD rappelle que «les parlementaires de la IIIe République comme au temps de saint Just, nhésitèrent pas à
priver de liberté les ennemis de la République. Ils adoptèrent des lois dexception d’autant plus contestables que
certaines avaient une portée personnelle, telle la loi d’exil du 28 juin 1886», op.cit., p. 12.
8
Une loi dont larticle 34 de la Constitution de1958 assignait des objectifs importants:« La loi fixe les règles
concernant les droits civiques et les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés
publiques
9
CHEVALLIER (J.), «Droit constitutionnel et institutions politiques: les mésaventures d’un couple fusionnel»,
Mélanges en lhonneur de Pierre Avril, Montchrestien, 2001, p.184.
le fonctionnement des institutions politiques». Dès lors, le droit constitutionnel se bornait à décrire
les institutions politiques dun pays. L’étude du droit constitutionnel est alors orientée vers une
conception, une approche plus sociologique que juridique. C’est la traduction, selon lexpression
du Professeur Louis FAVOREU, du politico-centrisme, cest-à-dire la croyance selon laquelle
les phénomènes constitutionnels et politiques ne sauraient être appréhendés que dun point de vue
politiste. Jacques CHEVALLIER note que « lélargissement aux institutions politiques en 1954
serait le signe tangible de la crise identité dun droit constitutionnel, qui cherche à prendre appui
sur une science politique en plein essor (…)»10. Pour Pierre AVRIL « le droit constitutionnel
souffre dhémiplégie sil sisole de la science politique et réciproquement»11. Le processus de
recentrage sur le droit constitutionnel qui sest produit à partir des années quatre-vingts relève
dune inspiration centrée sur létude de la norme, en réaction contre le «politico-centrisme».
Précisons également que« la mise en évidence du caractère indissociable du droit constitutionnel
et des institutions politiques nimplique pas nécessairement la remise en cause de lautonomie de
la science du droit constitutionnel et de la science politique: elle signifie seulement que la
première est tenue de prendre en compte la dimension institutionnelle des phénomènes juridiques
et la seconde la dimension juridique des phénomènes institutionnels, dans le cadre de la
problématique qui est la leur».
Le droit constitutionnel contemporain est défini par son triple objet: les institutions, le système
normatif et la protection des libertés et des droits fondamentaux.
10
Ibid.
11
AVRIL (P.), Les conventions de la Constitution, PUF, Coll. Léviathan, 1997, p.184.
12
DUVERGER(M.), Institutions politiques et droit constitutionnel, PUF, 1955, 12e éd., 1971 ; p.41; RENARD (G.), La
théorie de l’institution, 1933 et «Quest-ce que le droit constitutionnel? Le droit constitutionnel et la théorie de
l’institution», Mélanges Carré de Malberg, 1933, p.483
Dans ce cas, le droit constitutionnel régit les relations entre les pouvoirs publics. Selon la
définition de Marcel PRELOT, le droit constitutionnel s’intéresse à la description et à létude
des« institutions grâce auxquelles le pouvoir sétablit, sexerce et se transmet dans lEtat».
Précisément, le droit constitutionnel règle les relations entre les pouvoirs constitués, cest-à- dire
entre le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif. Il sintéresse, aussi, à la dévolution du pouvoir, à
son exercice ainsi quà sa transmission. Il sagit surtout de vérifier que les institutions ont été
démocratiquement mises en place et que la désignation des gouvernants sest faite dans les
conditions démocratiques.
En somme, le droit constitutionnel a pour objet de retracer les organes de l’Etat (les institutions
politiques), danalyser les articulations juridiques, politiques, économiques et sociologiques qui
déterminent et décrivent les fondements constitutionnels des institutions administratives et
juridictionnelles
.
Le droit constitutionnel régit les relations entre les individus et la puissance publique, en
conférant à ceux-là un certain nombre de libertés et droits fondamentaux. Les droits et libertés
sont considérés comme des éléments structurant, et non plus contingent, du droit constitutionnel
et de lobjet de l’État. Les droits et libertés deviennent alors « fondamentaux», soit parce que,
considérés sous un angle formel, ils reçoivent la signification de normes supérieures de lordre
juridique étatique, soit aussi parce que, considérés sous un angle matériel, ils expriment des
valeurs irréductibles et constitutives dun État donné. Les droits et libertés constitutionnalisés
définissent de la sorte une axiologie normative qui structure lordre juridique et qui est destinée à
servir de principes daction à tous les pouvoirs constitués. « Les pouvoirs publics sobligent» non
plus seulement à «respecter les droits, à ne pas les transgresser, à les sauvegarder, mais aussi à
faire en sorte que quils soient efficace, (
) à les renforcer, à les optimiser)13.
13
ANGELES AHUMADA (M.), «Neoconstitucionalismo y constutionalismo», in P. COMANDUCCI (P.),
ANGELES AHUMADA (M.), LAGIER (D.-G.), Positivismo jurídico y neoconstitutionalismo,op.cit., p. 151.
celle-ci pour horizon politique, il devient alors nécessaire de réinventer les moyens juridiques
pour latteindre.
La création et le régime des normes juridiques forment le troisième objet du droit constitutionnel.
En effet, la Constitution se présente comme une «norme de production des normes », ce qui
signifie que les compétences normatives puisent leurs sources dans la Constitution, qui va
consacrer leur existence et leurs principales règles, dédiction. Il sagit des règles relatives à
laménagement et à la transmission du pouvoir de l’Etat, des règles qui déterminent les rôles des
institutions constitutionnelles et celles qui prévoient des mécanismes fixant les rapports entre les
composantes du régime…Une Constitution est donc une « métarègle », cest-à-dire une règle qui
organise la production dautres règles14.
Au-delà de la complexité que ce triple objet entraîne inévitablement, le droit constitutionnel peut,
aujourd’hui, être défini comme l’ensemble des règles juridiques qui déterminent les relations
entre les pouvoirs publics, les libertés et les droits fondamentaux ainsi que la création et le régime
des normes juridiques.
Sous leffet de cette évolution, le droit constitutionnel sest transformé endroit fondamentalement
jurisprudentiel. Le droit constitutionnel est alors devenu une discipline opératoire grâce à la justice. Il
s’avère que l’on ne peut plus décrire le processus normatif à partir dune analyse exégétique de la
Constitution et quil faut désormais tenir compte de linterprétation jurisprudentielle de la
Constitution.
14
TROPER (M.), La théorie du droit, le droit, lEtat, PUF, coll. Léviathan, 2001, p. 116.
Les dispositions à valeur constitutionnelle sont contenues dans un bloc de constitutionnalité,
monté de toute pièce par le juge constitutionnel, et qui, au-delà du texte constitutionnel, englobe
une série de normes qui simposent aussi bien au législateur ordinaire quau pouvoir exécutif.
Dautre part, la hiérarchie des normes, transcendée par la Constitution et juridiquement
sanctionnée, devient lun des fondements de lEt at de droit dans cette quête de protection de
lindividu contre larbitraire du pouvoir.
A lévidence, dans son essence profonde et conformément à ses initiateurs du siècle des Lumières
(John LOCKE, Jean Jacques ROUSSEAU, MONTESQUIEU), le constitutionnalisme répond
à une idéologie libérale fondée sur la croyance au droit comme promoteur de lordre légitime
universel, et de la constitution comme limite à larbitraire du pouvoir. Ainsi, à lidée de
constitution, de constitutionnalisme et de droit constitutionnel correspond une philosophie, ou une
idéologie juridique par laquelle le bonheur devait arriver c’est-à-dire la liberté et la paix.
Dès lors, il convient dexaminer les deux points fondamentaux qui constituent des éléments de
base de la théorie générale du droit constitutionnel. Dans cette perspective, la première partie sera
consacrée à la description de lencadrement juridique du pouvoir politique et la deuxième partie
sintéressera au pouvoir politique démocratisé.
PREMIERE PARTIE: LENCADREMENT JURIDIQUE DU POUVOIR
POLITIQUE
L’aménagement de la vie commune selon des règles préétablies est au cur du processus
d'institutionnalisation de tout pouvoir, et notamment du pouvoir étatique. L’ordre juridique est
donc le produit d'une dynamique sociale qui continue à peser sur lui tout au long de son
existence. En dautres termes, lanalyse de lordre juridique ne peut être menée, sauf à tomber
dans le piège du formalisme pur, sans prendre en compte la nature des liens qui l'unissent au
reste de la société. Le concept même de système implique au demeurant déjà par lui-même que
l'ordre juridique ne saurait être conçu comme une entité entièrement autonome régie par des
lois spécifiques et vivant en état d'auto-régulation: tout système baigne dans un certain
environnement, avec lequel il entretient des relations réciproques d'échange; et ces relations
contribuent à le faire bouger à lanimer, à le dynamiser.
Dès lors, le droit est au cur même de lorganisation et de la légitimation du pouvoir politique
qui apparaît comme un enjeu autour duquel se nouent les luttes des différentes forces sociales.
Le pouvoir politique apparaît comme le prolongement du droit dans la mesure où disposer du
pouvoir signifie en réalité avoir le monopole des processus décisionnels fondé sur la
«contrainte légitime» ou organisée selon la formule de Georges VEDEL lorsque le droit «
risque de rencontrer la force quil meut et dirige en conformité de son propre but», celui
souhaité par les gouvernants et auquel les gouvernés adhèrent plus ou moins massivement.
Il en résulte que le pouvoir ne peut sorganiser et se renforcer quen sappuyant sur le droit, qui
dans ce sens doit être considéré comme un ensemble de règles impératives pour les membres
du groupe, et de sanctions organisées à légard des individus récalcitrants.
Ce réseau est soumis à des règles normatives au même titre que des simples individus. Ce qui
rend plus aisé au regard de ces derniers lidée de soumission réfléchie à ceux qui disposent du
pouvoir. Les individus obéissent à des règles générales et abstraites au lieu dobéir à un pouvoir
individualisé. Ainsi, « le mystère de lobéissance trouve ici son explication. Il réside dans un
phénomène dénommé légitimité, ce génie invisible de la société ».
L'Etat est le mode le plus perfectionné et le plus complexe de lorganisation du pouvoir, même
sil nest pas lunique modèle dorganisation du pouvoir. Il désigne la forme institutionnalisée
du pouvoir, forme moderne et politique, sexerçant généralement au sein dimportantes
communautés humaines installées sur un territoire déterminé; l'Etat est donc l'ensemble des
organes politiques, administratifs, juridiques et des institutions appartenant à une société
organisée. Il est le réceptacle, le support du pouvoir politique.
Pour MACHIAVEL (XVIe siècle), premier théoricien moderne de lEtat, il existe deux types
dEtat: le « principat» qui retient toute attention dans louvrage dans louvrage Le prince et les
«Républiques» traitées dans louvrage Les Discours sur la première décade de Tite-Live. Avec
cet auteur toutefois, cest plus la raison dEtat ou lart de la politique (celui de conserver le
pouvoir) qui sont analysés. Le phénomène de l’Etat ne sera appréhendé dans sa dimension
L’Etat a une vie juridique à linstar des individus, dispose dun patrimoine différencié de celui
des gouvernants, est titulaire de droits et dobligations. L’Etat est ainsi lié à lapparition dun
ordre juridique mis en place par la Constitution et succédant un désordre de fait antérieur.
Benjamin CONSTANT et Alexis de TOCQUEVILLE ont développé l’idée dun Etat aux
pouvoirs limités, afin de préserver les libertés individuelles et collectives. Autrement dit, pour
ces auteurs, la société politique ne saurait sattacher à réglementer lensemble de la société
civile dans la mesure où la sphère privée ne peut jamais être appropriée par les pouvoirs
publics.
Au XXe siècle, Friedrich VON HAYEK, sinscrivant dans cette lignée, considérait ainsi que
la revendication pérenne de «droits-créances» par les individus faisait courir le risque daboutir
au totalitarisme, seule léconomie de marché assurant le respect des libertés 15 . LEtat ne
constitue alors quun moyen au service de la liberté et doit se borner à fixer un cadre juridique à
la société et laisser une grande marge dinitiative aux individus.
Léon DUGUIT en France, et Max WEBER en Allemagne considèrent que lEtat n’est quun
fait historique, un fait social, un élément factuel qui ne saurait aucunement se voir doter dune
volonté subjective supérieure aux volontés individuelles. Pour Léon DUGUIT, lEtat nest
quun pur produit de la force car «cest la force des plus forts dominant la faiblesse des plus
faibles […] Je nie la personnalité de lEtat; par conséquent je ne conçois pas lexistence dune
prétendue personne collective souveraine avec des sujets subordonnés à sa volonté». L’Etat
apparaît comme un fait de domination et le droit ne peut que constater son existence sans le
créer. Sa justification réside dans sa capacité à réaliser la solidarité sociale, ses actes devant
être conformes à la règle sociale, au droit objectif. L’existence du sentiment du juste et de
linjustice chez chaque homme provient du fait que le milieu social dans lequel il vit sécrète
spontanément une idée de ce que doit être le droit. Cette idée, qui se traduit dans les murs et
les coutumes, constitue le droit objectif qui dépend des sociétés humaines. Les gouvernements
doivent donc se borner à traduire ce droit objectif, correspondant aux aspirations de la société,
en règle de droit positif.
Pour Maurice HAURIOU, «lEtat est linstitution essentielle de lordre social, envisagé
comme assurant la durée du mouvement densemble, lent et uniforme de la société»16. L’Etat
est ainsi fondé à partir de la communauté nationale de laquelle «jaillira un jour lidée de
lorganisation dun gouvernement étatique qui exprimera la force de lunion et réalisera les
destinées de la nation. Toute activité collective sexerce dans le cadre dune «institution», cest-
à-dire dun groupement humain ordonné en vue dune fin commune. Cette «institution» se
retrouve, dune part dans le secteur privé (entreprises, associations) et la fin commune réside
alors dans lintérêt collectif de ses membres, dautre part, dans le secteur public (collectivités
territoriales, établissements publics, ministères), la fin visée étant en lespèce lintérêt général.
15
HAYEK (F.V.), Droit, législation et liberté, 1992.
16
HAURIOU (M.), Précis de droit administratif et de droit public, Sirey, 1933.
Mais dans toutes ces hypothèses, l’«institution » ne peut poursuivre sa fin commune que
sous la responsabilité dun chef (directeur d’entreprise ou d’établissement public, président
dassociation, ministre etc.), le pouvoir discrétionnaire de celui-ci apparaissant comme la
contrepartie de la responsabilité assumée par le chef.
Chapitre 1: Linstitutionnalisation du pouvoir politique
Le pouvoir politique est un phénomène inhérent à la vie en société. Le terme pouvoir est
employé dans des nombreux sens qui sont parfois proches des concepts dinfluence ou
dautorité. Ces concepts doivent cependant être distingués. Le terme pouvoir vient du latin
potestas, qui signifie capacité dagir. Le pouvoir désigne alors une relation se caractérisant par
la mobilisation de ressources en vue obtenir dun tiers quil adopte un comportement auquel il ne
serait pas résolu en dehors de cette relation. Ainsi, le pouvoir politique sexerce dans une société
politique. Il sagit dun pouvoir de prévision, dimpulsion, de décision et de coordination. Un tel
pouvoir présente nécessairement certaines spécificités tenant au fait quil est à la fois
contraignant, initial et global.
Historiquement, ce pouvoir était diffus dans la masse des individus soumis au conformisme
quimposent les coutumes. Par suite, à un stade évolué le pouvoir politique sest incarné dans la
personne physique qui lexerçait (pouvoir personnel) et enfin au terme dun long processus
historique, le pouvoir politique a été institutionnalisé cest-à-dire que progressivement il a été
détaché de la personne physique de celui qui lincarnait pour être attaché à une entité abstraite,
lEtat. Linstitutionnalisation du pouvoir est lacte créateur de lEtat. Il sagit de lopération
juridique par laquelle le pouvoir politique est transféré de la personne des gouvernants à une
entité abstraite : lEtat.
Leffet juridique de cette opération, cest la création de lEtat comme support du pouvoir
indépendant de la personne des gouvernants. Lacte dinstitutionnalisation du pouvoir est donc a
double face :
dune part, il établit une distinction entre le pouvoir et les individus qui exercent les
facultés
dautre part, il crée lEtat en lui attribuant les prérogatives du pouvoir, cest-à-dire le
droit commander.
Ces deux actes sont indissolublement liés car ils se conditionnent mutuellement: lEtat nexiste
quà titre de siège du pouvoir dépersonnalisé, tandis que la distinction entre le pouvoir et ses
agents dexercice nest possible que dans la mesure où lEtat peut être considéré comme support
du pouvoir.
En somme, linstitutionnalisation du pouvoir fournit les pièces maitresses de la construction
juridique de lEtat :
La comparaison entre différents systèmes politiques montre que lÉtat moderne nest quune
forme possible dorganisation du pouvoir politique. Max WEBER en a donné la célèbre
définition suivante : « lÉtat est une entreprise politique de caractère institutionnel dont la
direction administrative revendique avec succès, dans lapplication des règlements, le
monopole de la contrainte physique légitime sur un territoire donné »17. Le phénomène est
défini dabord par le type de domination envisagé, puis par sa légitimité. La domination est
objective : elle est assurée aux dominants par la menace de contrainte quils font peser sur les
dominés. La légitimité est, en revanche, conférée aux dominants par les dominés eux-mêmes.
Pour que le pouvoir puisse, en effet, « revendiquer avec succès » le monopole de la contrainte
légitime, il faut une acceptation, une intériorisation de cette légitimité de la part des dominés.
Cette intériorisation de la domination sera reprise, plus tard, par Pierre BOURDIEU sous le
terme de « violence symbolique ». La création de lÉtat moderne apparaît fortement liée à
lhistoire de lEurope. LÉtat nest donc pas une sorte de création naturelle intrinsèque à la
société.
Dans son Traité de science politique, Georges BURDEAU relève que « lEtat nest pas une
création des volontés individuelles. Cest la transformation de lEtat dans lequel le Pouvoir
trouvera désormais son siège. Linstitutionnalisation du pouvoir permet au groupe de
poursuivre, selon une technique plus perfectionnée, la recherche du bien commun. Elle assure
la cohésion plus étroite entre lactivité des gouvernants et leffort demandé aux gouvernés. Elle
rend plus sensible lemprise de lidée de droit sur les comportements sociaux et, par-là,
constitue le progrès le plus certain qui puisse être réalisée dans une société politique ».
Linstitutionnalisation du Pouvoir est lacte créateur de lEtat. « Tous les autres facteurs,
naturels ou historiques ne font que rendre possible et de plus en plus inévitable
linstitutionnalisation, mais cest qui crée lEtat »19.
LEtat est aujourdhui la forme dorganisation des sociétés politiques, le mode le plus
perfectionné et le plus complexe de lorganisation du pouvoir, même sil nest pas lunique
modèle dorganisation du pouvoir. Il désigne la forme institutionnalisée du pouvoir, forme
moderne et politique, sexerçant généralement au sein dimportantes communautés humaines
installées sur un territoire déterminé. L'Etat est donc l'ensemble des organes politiques,
administratifs, juridiques et des institutions appartenant à une société organisée.
Lanalyse de lEtat contraint à affronter deux problèmes essentiels et fort vastes concernant sa
définition même, son origine et sa forme juridique. Si les conceptions de lEtat peuvent
sensiblement évoluer selon les courants de pensée, ses composantes semblent à linverse plus
stables.
Deux théories saffrontent pour déterminer à partir de quel élément naît lÉtat : celle qui soutient
que lÉtat résulte dun phénomène naturel et celle qui défend lidée selon laquelle lÉtat résulte
dun contrat conclu entre des volontés humaines.
Le terme Etat vient du latin « status » qui désigne la situation juridique dune personne, dun
groupe, au sens dun corps, dune communauté. Il sagit pour reprendre les termes Raymond
CARRE de MALBERG de « lêtre de droit en qui, se résume abstraitement la collectivité
nationale ». LEtat est alors une forme de société humaine, une organisation sociale avancée et
perfectionnée, qui na pas toujours existé. La définition de lEtat soulève dépineuses et infinies
questions concernant tant le repérage de ses éléments constitutifs que de la nature juridique des
rapports de lEtat et du droit.
18
BURDEAU (G.), Traité de science politique, Tome 1, Paris, LGDJ, pp. 192-
193.
19
Ibid., p. 195.
I. Les éléments constitutifs de lEtat
Que faut-il pour constituer un Etat ? A quelles conditions doit-on reconnaître ou refuser
lexistence dun Etat ? Quels en sont donc les critères didentification ? Ces questions nont
jamais été simples et sont à lorigine de bien des conflits. Mais loin daller en se clarifiant, elles
semblent, au contraire, vouloir aujourdhui se complexifier à travers dinédites situations.
Toutes les sociétés humaines ne forment pas un État. Quel que soit lÉtat, la doctrine est
unanime pour reconnaître quun État ne peut exister que si trois éléments sont réunis. En effet,
on considère que « lÉtat est un groupement humain fixé sur un territoire déterminé et sur
lequel sexerce une autorité politique exclusive ».
Dès lors, lEtat est la fois un phénomène politico-social et un phénomène juridique. LEtat se
compose alors dun certain nombre déléments spécifiques, des éléments à la fois sociologiques
et juridiques qui lui donnent ses principales caractéristiques et qui concourent à son existence.
En dautres termes, lEtat existe par la présence conjointe et simultanée des éléments
sociologiques et juridiques.
1. La population ou la nation
« On ne fait pas une patrie avec un morceau de plaine », écrivait Ernest LAVISSE. Un Etat ne
peut pas exister sans un groupement humain. Il faut donc une population sur laquelle sexerce la
souveraineté ratione personae de lEtat. En dautres termes, lEtat doit comprendre une
population sédentaire et fixée sur un territoire et qui doit former une nation.Par population, il
faut entendre les habitants qui composent lEtat, cest-à-dire à la fois les nationaux de lEtat et
les étrangers qui y sont établis.
Mais la compétence de lEtat ne se limite pas seulement aux individus personnes physiques, elle
sétend également aux personnes morales et aux engins et véhicules. De même cette compétence
de lEtat nest seulement territoriale. Elle peut être également personnelle puisque lEtat peut
lexercer même à légard de ses nationaux se trouvant hors du territoire. Cependant, cette
dernière nest exclusive que si elle nentre pas en concurrence, en conflit, avec la souveraineté
dun autre Etat. Mais le terme population doit être soigneusement distingué de celui de nation.
a) La définition de la nation
Il sagit de lélément personnel, la substance humaine de lEtat. Elle est un groupement
dindividus solidaires et sédentaires qui se sentent unis les uns et les autres par des liens à la fois
matériels et spirituels qui les distinguent des autres communautés nationales et cest précisément
ce sentiment qui est à lorigine de la revendication nationale. Selon les Professeurs Nguyen
QUOC DIHN, Patrick DAILLIER et Alain PELLET, la population désigne la « masse des
individus rattachés de façon stable à lEtat par un lien juridique, le lien de nationalité »20.
Deux grandes doctrines, deux fortes thèses se sont opposées au XIXe siècle sans quaucune
delle nait jamais définitivement triomphé, alors même que le débat identitaire contemporain
fait ressurgir laffrontement sous des apparences différentes et dans une grande confusion.
Elle est dite objective ou déterministe en ce sens quelle met laccent sur des critères objectifs.
Autrement dit, elle fait de la nation la résultante, le produit nécessaire dune série déléments
purement objectifs: la géographie, la religion, la langue, lidéologie, un patrimoine commun de
souvenirs historiques et surtout la race.
Développée à lextrême, la conception objective de la nation est critiquable car elle peut
entraîner des dérives dangereuses pour la démocratie, dont le régime nazi constitue la
parfaite illustration, puisque laffirmation de la supériorité de la race aryenne et la volonté de
fonder la nation allemande sur ce seul critère ont conduit au génocide juif. La conception
objective de la nation ne permet pas toujours de rendre compte de certaines situations dans la
mesure où des éléments de fait similaires ne fondent pas nécessairement une nation : linsularité
peut saccompagner de la partition (ex.: Haïti et la République dominicaine), un État peut
connaître plusieurs langues (ex. : la Suisse) ou plusieurs religions (ex. : lAllemagne) et la
communauté linguistique de certains pays ne permet pas forcément leur unification (ex. :
lunification des pays de lAmérique latine (à lexception du Brésil) souhaitée par Simon
BOLIVAR)
20
QUOC DIHN (N.), DAILLIER (P.), PELLET (A.), Droit international public, LGDJ, 6e éd., 1999.
21
Mein Kampf, 1925.
Enfin, il convient de souligner que ce mythe ou cette conception de la nation-race est à la base
des conflits ethniques et à lorigine des purifications ethniques pratiquées dans lex -
Yougoslavie, au Darfour, au Soudan
Défendue par Fustel DE COULANGES et Ernest RENAN, elle repose sur lidée de
volontarisme. Elle ne néglige nullement les facteurs objectifs mais insiste cependant sur un
élément subjectif : le vouloir vivre collectif. La nation relève plus de « lesprit que de la chair
». Cest le sentiment des individus dappartenir à une collectivité différente des autres et leur
volonté corrélative de constituer une entité commune et distincte qui constitue le critère
principal de la nation. Celle-ci serait avant toute chose et essentiellement un vouloir vivre
ensemble, « un plébiscite de tous les jours ». Les partisans de cette thèse cherchent à démontrer
que la formation dune nation est un phénomène plus complexe que la simple addition
déléments objectifs22. En effet, entrent en ligne de compte, dans la genèse dune nation, non
seulement des données objectives mais aussi la volonté dune population de vivre ensemble.
Ernest RENAN dans sa Conférence à la Sorbonne en 1882 répond à la question « Quest-ce
quune Nation ? » en considérant qu « (
) Une nation est une âme, un principe spirituel. Deux
choses qui, à vrai dire, nen font quune, constituent cette âme, ce principe spirituel. Lune est
dans le passé, lautre dans le présent. Lune est la possession en commun dun riche legs de
souvenirs; lautre est le consentement actuel, le désir de vivre ensemble, la volonté de continuer
à faire valoir lhéritage quon a reçu indivis. Lhomme, Messieurs, ne simprovise pas. La
nation, comme lindividu, est laboutissant dun long passé defforts, de sacrifices et de
dévouements. Le culte des ancêtres est, de tous, le plus légitime ; les ancêtres nous ont faits ce
que nous sommes. Un passé héroïque, des grands hommes, de la gloire (jentends de la
véritable), voilà le capital social sur lequel on assied une idée nationale. Avoir des gloires
communes dans la passé, une volonté commune dans le présent ; avoir fait de grandes choses
ensemble, vouloir en faire encore, voilà les conditions essentielles pour être un peuple. On aime
en proportion des sacrifices quon a consentis, des maux quon a soufferts. On aime la maison
quon a bâtie et quon transmet. (
) ».
22
Pour le Professeur Georges BURDEAU, « La nation relève plus de lesprit que de la chair » et, pour le Doyen
Maurice HAURIOU, « Une nation est une mentalité ».
En conséquence, sil convient de prendre en considération des éléments objectifs, ceux-ci ne
sont pas, à eux seuls, déterminants pour identifier une nation et il y a lieu de les combiner avec
les éléments subjectifs.
Dabord, les événements historiques: les guerres, les calamités, les années de prospérité, les
réussites communes
Lâme nationale est faite de souvenirs partagés, de souffrance et de
bonheur.
Enfin, le sentiment de parenté spirituelle, le fait que, sans avoir les mêmes croyances ou les
mêmes idées, on réagit dune façon semblable en présence des mêmes événements.
La nation est donc, avant tout, « une âme, un principe spirituel » impliquant « un plébiscite de
tous les jours ». La nation est ainsi composée déléments immatériels, des critères subjectifs
comme « la possession dun riche legs de souvenirs [
] et le désir de vivre ensemble, la volonté
de continuer à faire valoir lhéritage quon a reçu indivis »23. Elle représente alors un passé,
parce quelle est faite de lacceptation de traditions et de souvenirs communs, un présent et un
avenir, qui implique une continuation, un vouloir vivre collectif.
On comprend bien lopposition majeure entre ces deux thèses : la première insiste sur la chair,
cest la « nation-génie » (le volksgeist) de nature ethnique. La seconde met laccent sur lesprit,
cest la « nation-contrat » de nature civique. Dans la conception allemande, lindividu nest pas
libre de son appartenance, sa nationalité lui est en quelque sorte imposée par sa naissance, sa
langue, sa religion, cest-à-dire par un passé dont il hérite et échappe donc à sa décision. Cest
une thèse déterministe en ce sens que lindividu y est déterminé par son histoire, il ne se
détermine pas lui-même. Par contre, la thèse française insiste sur la liberté de lindividu qui doit
sautodéterminer quelles que soient ses origines ou sa culture. La thèse allemande fera des
Alsaciens des Allemands par détermination, la thèse française en fera des Français sils le
veulent.
La question ici est celle de savoir : État et nation coïncident-ils ? Dans le droit constitutionnel
classique, toute nation avait vocation à sériger en Etat, cest la traduction de lEtat-nation. En
règle générale et en bonne logique, une individualité sociologique désire sériger en
individualité juridique, cest-à-dire quune nation aspire à se constituer en un Etat souverain,
doù le terme classique dEtat-nation. Selon Adhémar EISMEN, « lEtat est la
personnification juridique dune nation : cest le sujet et le support de lautorité publique (
).
LEtat cest aussi la traduction juridique de lidée de patrie : il résume tous les devoirs et les
droits qui sy rattachent »24.
Dans un processus historique, dès lors quun peuple prend conscience de son existence et de ses
aspirations collectives et manifeste clairement sa volonté dappréhender le futur sur la base dun
projet autonome (ou d« une communauté de destin », selon la terminologie en vogue) il entend
sorganiser et se centraliser politiquement et juridiquement sous la forme dun Etat souverain.
LEtat apparaît donc comme le prolongement et lachèvement de la nation qui lui est
normalement antérieure, préexistante.
Aujourdhui, Etat et nation ne coïncident plus. On assiste ainsi à la crise de lEtat-nation qui
apparaît de plus en contesté et dépassé. Très concrètement, si la logique veut que la nation
préexiste à lEtat, on ne peut négliger les faits sociaux et les rapports de force ou de droit qui
peuvent conduire à des situations fort éloignées de ce schéma. On rencontre, en effet, plusieurs
situations de non-concordance entre nation et Etat, cest-à-dire la dissociation entre lÉtat et la
nation: nation désétatisée et État dénationalisé.
24
EISMEN (A.), Eléments de droit constitutionnel français et comparé, Sirey, 1914, (p. 1-9).
La confusion a longtemps été faite entre la nation et lÉtat lui-même. En fait, lÉtat était, très
souvent, perçu comme la nation juridiquement organisée. Mais, dans les faits, il ny a pas
forcément identité entre État et nation.
Sil y a des nations sans État, il existe aussi des États sans nation, tels certains États du Tiers-
monde créés artificiellement à partir des anciennes frontières coloniales. Dans ces pays, lÉtat a,
en règle générale, été plaqué, plus ou moins arbitrairement, artificiellement par le colonisateur
sur des réalités sociologiques composées dune mosaïque ou multitude de tribus, dethnies
juxtaposées les unes ou autres, mais non point intégrées, nayant aucune conscience
dappartenance nationale (ex. : Nigéria). LÉtat est, parfois, antérieur à la nation (ex. : États-
Unis).
Dans la majorité des démocraties de lEurope occidentale Allemagne, Italie
), la nation a
existé avant que ne soit constitué un État. Sinon, par suite de vicissitudes historiques, une nation
peut être « tronçonnée » par des frontières, la nation se trouve écartelée entre plusieurs Etats. Il
en va ainsi de la nation allemande jusquà la réunification du 3 octobre 1990, de la nation
macédonienne, de la nation kurde. De même, les revendications en faveur des minorités
nationales affirment aussi que la nation hongroise, ethniquement définie, serait répartie entre la
Il se peut quun État associe, tant bien que mal, un certain nombre de nations à lintérieur de ses
frontières (ex. : Afrique du Sud, Canada, Inde, Russie
)26.
Pour quun État puisse être reconnu, il faut, dabord, un territoire, qui constitue le cadre de
lexercice de la souveraineté de lÉtat ratione loci. Du latin « territorium », le territoire, est une
notion polysémique qui renvoie dans son acception la plus générale, à un « espace
25
PIERRE-CAPS (S.), « La question nationale hongroise et le droit constitutionnel :
26
Dans ce cas, on parlera d« État plurinational ».
contrôléborné », délimité. Il est également identifié comme « une étendue de terre quoccupe un
groupe humain », « une étendue de terre qui dépend dun État ».
En droit international, le territoire désigne le cadre géographique dans lequel sexercent les
compétences de lEtat ou encore la portion despace sur laquelle lEtat va exercer sa
souveraineté. Il sagit alors dun attribut essentiel de lÉtat, c'est-à-dire le « cadre spatial dans
lequel est établie toute communauté humaine, matérialisant sa fixation au sol et déterminant ses
contours ainsi que les contours de sa souveraineté »27. Au-delà de sa conception géopolitique, «
le territoire est lincontournable médiateur spatiale de toute vie sociale »28. Il est alors admis
que le territoire devient linstrument dorientation, dexpérimentation et de modulation des
politiques publiques. Dailleurs Jacques LÉVY et Michel LUSSAULT définissent le territoire
comme « un agencement de ressources matérielles et symboliques capable de structurer les
conditions pratiques de lexistence dun individu ou dun collectif social et dinformer en retour
cet individu et ce collectif sur sa propre identité »32.Le territoire se distingue ainsi de lespace
qui renvoie à la fois à l« une des dimensions de la société, correspondant à lensemble des
relations que la distance établit entre les différentes réalités »et à « un objet social défini par sa
dimension spatiale. Un espace se caractérise au minimum par trois attributs : la métrique,
léchelle, la substance. Une réalité spatiale est souvent hybride, à la fois matérielle,
immatérielle et idéelle »33. Pour le géographe Guy DI MEO, le territoire« témoigne dune
appropriation à la fois économique, idéologique et politique (sociale donc), de lespace, par des
groupes qui se donnent une représentation particulière deux-mêmes, de leur histoire, de leur
singularité »29.
Concrètement, le territoire situe lÉtat dans lespace et délimite, dun point de vue géographique,
la sphère dexercice de ses compétences 30. En dautres termes, le territoire est lespace
géographique sur lequel lautorité politique exerce son pouvoir ou, comme lénonçait le Doyen
Léon DUGUIT, « la limite, le cadre dexercice des compétences exclusives de lÉtat ». En
conséquence, sil peut exister des territoires sans État (ex. : les « territoires sans maître »,
lespace extra-atmosphérique, les corps célestes, lAntarctique »31
), il ny a pas dÉtat sans
27
BADIE (B.), La fin des Territoires, Essai sur le désordre international et sur l utilité sociale du respect ,
Fayard, Paris, 1995, p.19.
28
DI MEO (G.), Géographie sociale et territoire, collection Fac Géographie, Nathan Université, Paris, 1998,
p.38. 32 LÉVY (J.), LUSSAULT (M.), Dictionnaire de la géographie, Paris, Belin, 2003, p. 910. 33 Ibid., p. 325.
29
DI MEO (G.), Géographie sociale et territoire, op. cit., p.38.
30
LÉtat est « une corporation à base territoriale » affirmait le Doyen Maurice HAURIOU.
31
En vérité, à lexception de lAntarctique, toutes les terres émergées, même les déserts les plus ingrats, les îlots
désolés, les montagnes inaccessibles, sont partagées entre les États. Le seul véritable espace terrestre qui ne fasse
pas lobjet dune appropriation étatique est lAntarctique.
territoire32, comme lattestent les problèmes kurde et palestinien33. Dès lors, un État qui perd son
territoire nest plus un État. Autrement dit, si lentité en cause ne dispose pas dun tel élément
territorial, elle ne saurait prétendre au rang dEtat 34. Cela étant, le territoire ne se confond pas
avec lÉtat, ce qui signifie que, sil est amputé, lÉtat demeure35.
Cela étant, le territoire de lEtat ne correspond pas seulement à lespace terrestre. Le territoire
étatique est une emprise, un espace géographique déterminé à trois dimensions: terrestre,
maritime et aérienne. En dautres termes, le territoire étatique englobe également les espaces
maritimes et aériens qui sont considérés comme dépendant de lEtat, conformément aux règles
fixées par le droit international.
Le territoire étatique est en principe délimité par une frontière, cest-à-dire une ligne de partage
entre deux Etats, résultat de lHistoire, des guerres, de négociations, et de traités. Cette ligne de
partage peut coïncider avec une barrière naturelle qui permet clairement de distinguer deux
territoires. Mais bien souvent le territoire étatique est le résultat de négociations et de
compromis, au point quelle est souvent artificielle et résulte dune double opération de
32
Ainsi, les populations nomades ne constituent pas un État et ce, quelle que soit leur organisation.
33
La seule exception est celle de lOrdre de Malte, considéré comme un État bien que, depuis 1798, il n ait plus
de territoire. En effet, lOrdre est reconnu par les autres États comme un sujet de Droit international public, au
même titre quun État : il émet des timbres, bat la monnaie, délivre des passeports, a des ambassadeurs, dispose
dun siège dobservateur permanent auprès des Nations Unies, de la Commission Européenne et des principales
OI
Cependant, cest une souveraineté sans territoire, les possessions à Rome et à Malte n étant pas sous la
juridiction de lOrdre mais respectivement sous souverainetés italienne et maltaise.
34
Concernant la Palestine par exemple, en août 1993, lAccord dOslo a prévu que la reconnaissance mutuelle
dIsraël et de lOrganisation de la libération de la Palestine, puis a été suivi en septembre 1995 de l Accord de
Taba et en septembre 1999 de lAccord Charm-el-Cheik (retrait des troupes de Tsahal, lutte contre le terrorisme).
Il existe désormais bien une nation palestinienne, un territoire palestinien (Gaza et la Cisjordanie), mais l absence
de souveraineté conduit à la mise en place dune autonomie confiée à une « autorité palestinienne » et non un
authentique Etat.
35
En effet, lÉtat peut survivre à la perte temporaire de son territoire (ex. : les pays occupés pendant une guerre) ;
mais, il ne sagit que dune exception dans la mesure où il nexiste plus d État s il y a perte définitive du territoire.
41
Une frontière est une ligne imaginaire séparant deux territoires, en particulier deux États souverains. De façon
traditionnelle, on distingue les frontières naturelles (ligne des crêtes, partage des eaux) des frontières artificielles
(fixées en application de traités internationaux par des commissions de techniciens). L idée d enfermer une
collectivité humaine dans des limites linéaires stables est relativement récente. Dans la Grèce antique, il n y avait
ni ligne douanière, ni ligne militaire. Ce nest quau XVIe siècle que les travaux cartographiques, rendus
possibles par le renouveau des études mathématiques et géographiques, font apparaître la notion moderne de
frontière. La délimitation des frontières terrestres est, très souvent, à l origine de conflits armés entre États. En
effet, le concept de frontière ayant une origine militaire, il est sujet à des tensions ou à des conflits. Parmi ces
conflits ou ces tensions, on peut dégager deux types : dun côté, les conflits ayant pour origine une tentative
dagrandissement du territoire et, de lautre, des conflits tenant principalement au tracé de la frontière.
délimitation et de démarcation. Le territoire étatique est protégé en droit international par les
principes dinviolabilité et dintangibilité des frontières conventionnellement reconnues.
les frontières41 terrestres sont conçues de façon linéaire et en pratique leur tracé
présente des particularités qui ont nécessairement des répercussions sur lEtat. Ainsi,
on peut envisager que le territoire étatique soit :
fractionné: Etats-Unis avec lAlaska, la France avec collectivités doutre-mer (COM,
article 74 de la Constitution française), les départements et régions doutre-mer
(DOM-ROM, article 73 de la Constitution française)
partagé (telle était la situation, de 1906 à 1980, du condominium franco-britannique
des Nouvelles-Hébrides devenu, par la suite, lÉtat du Vanuatu).
enclavé entièrement (la République de Saint-Martin, le Vatican entouré par la ville de
Rome en Italie, le royaume du Lesotho dans lAfrique du Sud) ;
enclavé en partie lenclave de Campione en Suisse, ou avant la réunification de
lAllemagne, le cas de Berlin ouest par rapport à la RDA) ;
étriqué (micro-Etats36 (Monaco, la cité du Vatican).
Les frontières terrestres sétendent aussi aux espaces visés par la règle de « lextraterritorialité »
(territoires des ambassades et légations de lEtat, bâtiments de guerre37).
Les frontières maritimes sétendent à partir des eaux territoriales ou intérieures non seulement
à la mer (douze milles ou nautiques à compter de la côte, y compris le plateau continental ; 1
mille marin équivaut à 1852 m), à la zone économique exclusive (188 mille marins au-delà de
mer territoriale, soit 200 mille marins. Au-delà, cest la haute mer ouverte à tous les Etats. Elle
appartient à tout le monde, au motif quelle fait partie du patrimoine commun de lhumanité
(rescommunis).
Le territoire étatique comprend enfin lespace aérien (la couche atmosphérique qui le
surplombe).
36
Le terme « micro-État » est employé pour désigner un État souverain dont le territoire est particulièrement exigu
et, par suite, dont le peuplement est assez limité en comparaison avec les autres États du monde (ex. : Andorre, le
Liechtenstein, Monaco, Saint-Marin, le Vatican
). Le plus souvent, ces États, aux limites territoriales resserrées,
sont liés, par des conventions, à une puissance voisine qui assure leur protection (les relations établies entre la
France et Monaco).
37
Le Conseil constitutionnel français dans une décision du 25 février 1992 intègre au surplus, dans ce territoire
national, les zones de transit.
Le territoire est donc lun des éléments qui permettent à la nation de réaliser son unité. Il joue un
rôle politique important car il est :
Il est le cadre des compétences des organes de lEtat. Ces compétences sont marquées à la fois
par leur généralité et leur exclusivité. En somme, à lintérieur du territoire, lEtat est en principe
le seul à exercer son autorité.
Enfin, il convient de souligner que la relation qui sétablit entre lEtat et son territoire, ne
consiste pas en un droit de dominium, cest-à-dire de propriété mais bien di mperium38, cestà-
dire une puissance de domination. En clair, on ne peut pas assimiler la nature du droit de lEtat
sur son territoire à un droit de propriété car si lEtat était propriétaire de son territoire, son droit
serait exclusif et des simples particuliers ne pourraient être propriétaires en même temps que lui
de territoires étatiques. En revanche, il faut considérer que lEtat exerce une puissance de
domination, à laquelle le droit international donne le nom de souveraineté territoriale. Cette
dernière sexerce sur les individus vivant sur un territoire et non sur le territoire lui-même.
Certains auteurs ont envisagé une troisième voie, et considèrent que la nature du droit de lEtat
sur son territoire est un droit réel institutionnel, un droit réel car il porte sur une chose, le sol
national; un droit institutionnel car le contenu de ce droit est déterminé et limité par ce qui est
exigé par le service de linstitution étatique. Dautres vont plus loin en estimant que cette
question ne simpose pas et quil nest pas nécessaire de sinterroger sur la nature des rapports
entre lEtat et son territoire. Pour ces auteurs, ce qui est essentiel à relever cest le fait que l Etat
produit des normes juridiques qui sont obligatoires pour les individus établis sur le territoire
étatique.
Pour quun État existe, il ne suffit pas de rencontrer, sur un territoire déterminé, une population
donnée. Il faut, en plus, un gouvernement effectif qui exerce, au nom de lÉtat, un pouvoir à la
38
CARRE de MALBERG (R.), Contribution à la théorie générale de lEtat, p. 2 et s.
fois sur ce territoire et sur cette population. En effet, lÉtat nest pas une donnée naturelle, mais
une création humaine. Dès lors, il suppose une organisation (ou « appareil dÉtat »). Cest
pourquoi, Raymond CARRE DE MALBERG définit in concreto chacun des État comme «
une communauté dhommes fixés sur un territoire propre et possédant une organisation doù
résulte, pour le groupe envisagé dans ses rapports avec ses membres, une puissance suprême
daction, de commandement et de coercition ». Il précise ensuite que « par-dessus tout, ce qui
fait un Etat, cest létablissement au sein de la nation dune puissance publique sexerçant
supérieurement sur tous les individus qui font partie du groupe national ou qui résident
seulement sur le sol national »39. La spécificité de cette autorité politique exclusive ou
puissance publique est quelle sexerce au moyen des normes juridiques, au moyen « des
prescriptions impératives et obligatoires » qui simposent aux individus avec une force
irrésistible.
Selon Max WEBER, lEtat est « le groupe qui revendique avec succèsle monopole de la
violence légitime »40. Il détient ainsi le pouvoir de contrainte et dusage exclusif de la force.
LEtat est le seul à disposer de forces de police ou à assurer la justice. Mais pour que lautorité
politique exclusive sexerce efficacement, elle a besoin dêtre légitime, cest-à-dire acceptée par
ses destinataires.
Elle est acquise par la tradition (légitimité monarchique). Cette légitimité est fondée sur des
coutumes ancestrales et immémoriales.
La légitimité charismatique :
Elle sappuie sur la personnalité exceptionnelle du chef, les qualités personnelles de celui qui
exerce le pouvoir.
39
Ibid.
40
WEBER (M.), Economie et Société, 1922.
Elle est la caractéristique de lEtat moderne dont les organes sont investis par la loi. Elle est
fondée sur la raison, lélection, la conformité à lordre légal. Elle a ainsi permis de dispenser le
groupe dirigeant de recourir à la contrainte. Il convient de rappeler que le pouvoir politique est
institutionnalisé. Désormais, lindividu et la fonction sont séparés, ce qui assure la permanence
de lautorité politique indépendamment de la disparition (décès, démission) de ceux qui la
détiennent à un moment donné. Le système démocratique est organisé autour de trois axes41 :
les gouvernés doivent choisir effectivement, cest-à-dire librement, les gouvernants, les
gouvernants doivent avoir les moyens de gouverner ; les gouvernants doivent être responsables
devant les gouvernés.
Ces trois légitimités peuvent être mixées, « panachées ». NAPOLEON 1er, par exemple, réussit
habilement à cumuler les trois. LEtat selon WEBER existe donc parce que son pouvoir est
légitime et fait lobjet dun consensus social.
41
CARCASSONNE (G.), La Constitution, Le Seuil, 4e édition, 2000.
B. Les éléments ou caractéristiques juridiques de lEtat
La question de la nature juridique de lEtat ne fait plus guère lobjet de discussion, ni en droit
interne, ni en droit international. En transposant la théorie juridique de lEtat-nation selon
laquelle « lEtat est la personnification juridique de la nation »42, nul ne conteste quil est, en
tout état de cause, une personne morale, une institution cest-à-dire un être fictif auquel sont
attribués des droits et des obligations et dont la volonté ne peut sexprimer que par des organes
agissant en son nom et pour son compte. Ainsi, deux caractères sont classiquement,
traditionnellement reconnus à lEtat: la personnalité juridique et la souveraineté.
La notion de personne juridique est indépendante de la notion de personne humaine. Ainsi, les
esclaves, qui étaient sans conteste des êtres humains, navaient pas de personnalité juridique.
Pour cette raison, ils nexistaient pas au regard du droit et ne pouvaient se prévaloir de règles
juridiques. En fait, les esclaves nétaient pas sujets mais objets du droit.
Dès lors, lÉtat se caractérise par la possession de la personnalité morale. Il sagit dune personne
juridique, cest-à-dire une personne qui est soumise aux règles juridiques. Plus précisément, être
doté de la personnalité signifie, dans le langage juridique, être apte à posséder des droits et à
encourir des obligations. La notion de personnalité juridique ou morale est une construction
juridique destinée à prendre en charge de façon permanente, les intérêts dune population, dun
groupe humain, indépendamment des personnes physiques qui agissent en son nom.
Le fait de posséder la personnalité morale traduit la capacité dune entité dagir sur le plan
juridique. Elle permet, notamment, à des institutions ou à des groupements de disposer dun
patrimoine et de droits. Ceci dit, ce concept repose sur une fiction. Ainsi, dans un style imagé, il
a pu être affirmé que « la personne morale nest pas une personne ; ni souffrante, ni aimante,
sans chair et sans os, la personne morale est un être artificiel. Et CASANOVA le savait bien,
qui poursuivit nonnes et nonnettes, mais ne tenta jamais de séduire une congrégation ; on na
jamais troussé une personne morale »43. Quant au Doyen DUGUIT, il a souligné la « fictivité»
de la notion dans cette célèbre phrase : « Je nai jamais déjeuné avec une personne morale
42
ESMEIN (A.), Éléments de droit constitutionnel français et étranger, 1895, réédition Panthéon-Assas, coll.
Les Introuvables, 2001, p. 1.
43
COZIAN (M.), VIANDIER (A.) et DEBOISSY (F.), Droit des sociétés, Litec, Paris, 19ème éd., 2006.
»44. Cest pourquoi, les personnes morales ne peuvent agir que par lintermédiaire, le truchement
de personnes physiques45.
La personnalité morale permet dinscrire lÉtat et le pouvoir politique, dont il est le détenteur,
dans la continuité, dans la permanence 46. Cette continuité de lÉtat implique que les
gouvernements doivent assumer les actes et les décisions de leurs prédécesseurs. Ainsi,
lorsquun gouvernement négocie un traité qui engage lÉtat français, le gouvernement suivant ne
peut reprendre cette parole au prétexte, par exemple, quil napprouverait pas le traité.
LÉtat apparaît alors comme une entité abstraite, une institution détachée de la personne
physique des gouvernants. En effet, le progrès qui a marqué lévolution des sociétés a consisté à
institutionnaliser le pouvoir politique, cest-à-dire à le dissocier progressivement de la personne
de ceux qui commandent pour le confier à lÉtat. En fait, le pouvoir est attaché à la fonction, et
non à la personne de son titulaire ; on obéit à la règle, et non à la personne de celui qui l a
édictée. En conséquence, la personne de lÉtat ne se confond pas avec la personne de ses
dirigeants47, ce qui implique que ceux-ci ne sont pas propriétaires de leurs fonctions ; ils en sont
simplement les dépositaires provisoires54. De la sorte, les décisions prises par les autorités
étatiques sont réputées prises, non par elles personnellement, mais par lÉtat. En définitive, les
gouvernants passent, mais lÉtat demeure.
2. La souveraineté
LEtat est une entité souveraine, une organisation politique souveraine. Il sagit, de lexistence
dune autorité politique, organisée selon ses propres règles. . LÉtat possède la souveraineté, soit
le caractère suprême du pouvoir. Cette souveraineté a dabord signifié la puissance irrésistible et
exclusive exercée par une autorité sur son territoire. Aujourdhui, elle est devenue un attribut
essentiel de lEtat. Selon la formule célèbre de GROTIUS, la puissance souveraine est « celle
dont les actes sont indépendants de tout autre pouvoir supérieur en sorte quils ne peuvent être
annulés par aucune autre volonté humaine ». La souveraineté est une volonté souveraine. Elle
44
Sous une forme analogue, est attribué, au Professeur Gaston JEZE, l aphorisme suivant : « Je nai jamais
déjeuné avec une personne morale », ce à quoi le Professeur Jean-Claude SOYER a répondu : « Moi non plus,
mais je lai souvent vue payer laddition ».
45
Concrètement, lorsque le chef de lÉtat signe un Traité, cest l État qui est engagé ; quand un ministre passe
une commande, celle-ci est livrée à lÉtat ; si un Préfet expulse un étranger en situation irrégulière, cest l État qui
endosse la responsabilité de cette décision.
46
Sous la monarchie, la continuité et la permanence de lÉtat étaient exprimées par la formule suivante : « Le Roi
est mort, vive le Roi ».
47
La célèbre formule de LOUIS XIV, selon laquelle « LÉtat, cest moi », ne sapplique donc plus
54
Le langage courant, qui évoque le « locataire de lÉlysée » ou l« hôte de Matignon », marque bien le
caractère provisoire de la possession du pouvoir par les gouvernants
se présente ainsi face à toute autre volonté ont elle est indépendante, mais également devant
celles sur qui elle sexerce et qui doivent lui obéir. Parce que GROTIUS aborde la souveraineté
sous langle particulier du droit de la guerre, ce second point nest pas toujours clairement perçu.
De même Emmerich DE VATTEL écrivait que « toute nation qui se gouverne elle-même,
sous quelque forme que ce soit, sans dépendance daucun Etat étranger, est un Etat
souverain »48. La souveraineté se rattache ici clairement à lEtat et devient pratiquement
synonyme dindépendance. De sorte que le véritable critère de lEtat nous paraît devoir être
recherché dans lindépendance de lEtat, cest-à-dire la façon dont sont exercés les pouvoirs de
lEtat. Dans cette acception du critère de lEtat, son indépendance suppose, à la fois, lexclusivité
de ses compétences, lautonomie de ses compétences et la plénitude de ses compétences.
Au plan interne, être souverain signifie que lEtat nest soumis à aucune autorité supérieure, ce
qui a pour conséquence que lEtat définit lui-même ses compétences et ses règles dorganisation.
En fait, lEtat est à la source et à laboutissement de lordre juridique : il le fonde, le délimite et
le met en uvre. Dun point de vue pratique, la souveraineté implique que lEtat a le pouvoir de
fixer librement les règles : il élabore sa Constitution, forge les lois, édicte les règlements. De
sorte, lEtat et lui seul, a le monopole de lédiction des règles juridiques et dispose de ce que
Max WEBER a appelé « le monopole de la contrainte organisée, légitime ». En somme, au
plan interne, la souveraineté implique :
La souveraineté est une vieille idée conçue progressivement au Moyen-Âge par les légistes,
puis au XVIème siècle par Jean BODIN et au XVIIème siècle par Charles LOYSEAU.
Ainsi, les légistes, sous Philippe LE BEL (1285-1314) et ses successeurs, ont voulu fonder
lautorité du Roi et, pour ce faire, ils ont mis en avant la notion de souveraineté. Ils ont utilisé,
en particulier, le vieil adage selon lequel « leRoi de France est Empereur en son Royaume »50.
Elle perpétuelle, elle nest pas limitée dans le temps. On dira aujourdhui quelle est
imprescriptible.
Si, de nos jours, la souveraineté de lÉtat connaît une érosion manifeste au niveau international,
elle na pas, semble-t-il, à redouter une réelle subordination au niveau interne.
Au plan interne, être souverain signifie que lÉtat nest soumis à aucune autorité supérieure,
ce qui a pour conséquence que lÉtat définit lui-même ses compétences et ses règles
dorganisation53. En fait, lÉtat est à la source et à laboutissement de lordre juridique ; il le
fonde, le délimite et le met en uvre. Dun point de vue pratique, la souveraineté implique que
lÉtat a le pouvoir de fixer librement des règles : il élabore sa Constitution, forge les lois, édicte
les règlements. De la sorte, lÉtat, et lui seul, a le monopole de lédiction des règles juridiques et
dispose de ce que Max WEBER a appelé le monopole de la contrainte organisée.
Concrètement, il est le seul à pouvoir édicter des règles de droit et à pouvoir les faire respecter,
au besoin par la force, et cela tout à fait officiellement, tant sur le plan intérieur (avec la police)
que vis-à-vis de lextérieur (avec larmée). Ainsi, lorsque dautres institutions (ex. : syndicats,
associations, Églises …) disposent de la possibilité dédicter des règles et de contraindre leurs
membres à les respecter sous peine de sanctions, ce nest que parce que les autorités étatiques
lont bien voulu et toujours dans le cadre quelles ont elles-mêmes fixé61.
52
À titre dillustration, la répression des populations civiles kurdes, simple « situation de troubles et de tensions
internes », na autorisé quexceptionnellement une intervention militaire au printemps 1991 tandis que l invasion
du Koweït, État souverain, par lIrak, qualifiée de « conflit armé international », a pu entraîner celle de la
coalition autorisée par le Conseil de sécurité des Nations Unies. De nombreuses ONG ont, toutefois, choisi de
secourir sur place toute détresse humaine sans vouloir, pour autant, porter atteinte à la souveraineté des États
concernés, et confondre « cortège dambulances et division blindée, stéthoscope et périscope ».
53
Pour reprendre lexpression de Georg JELLINEK, lÉtat dispose de « la compétence de la compétence ». 61 Le
souverain peut donc déléguer ou transférer des compétences, sans que cela ne touche à sa souveraineté, tant qu il
conserve la possibilité de reprendre ces compétences.
LÉtat est-il le résultat dun processus naturel ou une construction artificielle ? En réalité, deux
théories saffrontent pour déterminer à partir de quel élément naît lÉtat : celle qui soutient que
lÉtat résulte dun phénomène naturel et celle qui défend lidée selon laquelle lÉtat résulte dun
contrat conclu entre des volontés humaines.
Lexplication la plus ancienne, défendue par les auteurs chrétiens, invoque lorigine divine du
pouvoir en se fondant sur le postulat de Saint-Paul: omnis potestas a deo (« tout pouvoir vient
de Dieu »). En conséquence, le pouvoir politique est créé par Dieu pour satisfaire un seul
dessein, ses exigences à légard des hommes, le destin de lhomme. La magistrature suprême du
monarque sexerce par application de la théorie du droit divin (thèse théocratique) en vertu de
laquelle la volonté divine inspire le monarque qui est de jure et de facto le représentant de Dieu
sur terre54. Il incarne la représentation de lEtat et tous les membres de son royaume. Cette
vision a été reprise par Saint AUGUSTIN64 (Ve siècle) et Saint THOMAS DAQUIN55 (XIIIe)
qui posent que si le pouvoir vient de Dieu, celui-ci a cependant laissé aux hommes le soin de
choisir son dépositaire terrestre et ses modalités dexercice. BOSSUET56 sera lun des derniers à
défendre lorigine du pouvoir royal et sa toute-puissance terrestre en préconisant une obéissance
systématique au pouvoir.
Cette explication religieuse ne pouvait évidemment satisfaire les non-croyants et, malgré la
relative souplesse de certaines de ses variantes, devait succomber au caractère trop incontestable
de lautorité décrite ainsi quaux assauts du rationalisme.
Parmi les thèses rationalistes qui se développent à partir du XVI e siècle, celle qui aura le
retentissement le plus important dans lespace et le temps est incontestablement la thèse
contractuelle. Celle-ci fait découler lEtat non pas de la volonté de Dieu mais de celle des
hommes en fondant son existence sur un pacte, un contrat conclu entre ceux-ci. Là encore, les
variantes sont nombreuses et débouchent sur des conséquences parfois opposées. En dautres
termes, cette théorie sest développée de manière différente quil sagit de Thomas HOBBES, de
54
De par son sacre par lEvêque de Reims, il recevait dailleurs le don miraculeux de guérir les écrouelles.
64
La cité de Dieu, 413.
55
La Somme théologique, 1266-1273.
56
BOSSUET (J.-B.), La politique tirée de lécriture sainte, 1709.
John LOCKE, de Jean Jacques ROUSSEAU ou des auteurs calvinistes du XVIe siècle
dénommés les « monarchomaques »57.
Ces auteurs avançaient quun contrat ou pacte de sujétion aurait été passé dans des temps très
anciens entre le futur roi et ses sujets aux termes duquel les seconds devaient obéissance au
premier tandis que celui-ci sengageait à respecter les règles garantissant leurs libertés. Si le
monarque rompt ce pacte, il devient un tyran et peut être renversé par le peuple.
Au XVIIe siècle, langlais Thomas HOBBES reprend lidée contractuelle mais dans un sens bien
moins libéral lui permettant de justifier, au contraire, labsolutisme royal. Il explique quavant
lapparition du pouvoir politique les hommes vivaient dans un « état de nature » insupportable,
véritable pandémonium, chaos originel dans lequel lhomme était un sauvage belliqueux navait
dautre ambition que de faire la guerre où « lhomme était un loup pour lhomme » (homo
homini lupus). Pour sortir de cette anarchie oppressive, de cet « état de nature », se sont alors
imposés les besoins dun chef fort et des règles posées par un système juridique contractuel, un
pacte instituant un Etat pour garantir lordre et la paix civile. Dans ce système nouveau souhaité
par lhomme, celui-ci doit abdiquer ses droits et libertés au profit dun souverain, un chef
irrévocable et qui en est le bénéficiaire exclusif (système de dévolution unilatérale du pouvoir).
Chacun abandonne ainsi au souverain son droit absolu sur toute chose. La renonciation à un
droit absolu ne pouvant elle-même quêtre absolue, la transmission est obligatoirement totale.
Le contrat investit donc le prince dun pouvoir auquel tous les sujets doivent obéissance à peine
de retomber dans létat de nature dont ils ont précisément voulu sortir.
Au XVIIe siècle, après la révolution anglaise qui détrôna Jacques II, John LOCKE, maintient
lidée contractuelle tout en lorientant dans un sens opposé à celui de HOBBES lui permettant de
justifier précisément la résistance à la tyrannie. Selon lui, il existait à lorigine un état de nature
inorganisé, chaotique, dans lequel les hommes vivaient en revanche paisiblement, en bonne
intelligence et concorde comme de « bons sauvages ». Il sagit alors dun état de parfaite liberté
et dégalité, « un état de parfaite paix, de bienveillance réciproque, dassistance et de protection
naturelle » quasi idyllique dans lequel les hommes sautorégulaient harmonieusement. Le chef a
57
HOTMAN (F.), La franco-Gallia, 1573 ; DE BEZE (T.), Du droit des magistrats sur leurs sujets, 1574 ;
LANGUET (H.), DUPLESSIX-MORNAY, Les Vindiciae contra tyrannos, 1579.
été institué pour maintenir cet état de paix idyllique, paradis originel, sans pour autant
saccompagner dune abdication des libertés possédés par les individus au profit du chef. Le
contrat auxquels les individus ont consenti tend à la protection de leurs libertés et de leur
propriété auxquelles ils nont nullement renoncé et que le gouvernement doit garantir. La liberté
dans la société civile consiste ainsi à nêtre soumis à aucun pouvoir législatif arbitraire 58. En
vertu de lorigine conventionnelle et synallagmatique du pouvoir politique, le chef est révocable
sil ne respecte pas le pacte initial. Autrement dit, la violation du pacte par celui-ci entrainera,
comme chez les « monarchomaques », le droit de désobéir.
Létat de nature de Jean-Jacques ROUSSEAU est comparable à celui décrit par HOBBES, la
différence résidant dans le statut du chef. En réalité, il reprend et approfondit la thèse
contractuelle mais en y introduisant la démocratie puisque cest le peuple lui-même qui
constitue le pouvoir. Il nabdique pas ses droits et libertés au profit dun chef supérieur mais au
profit dune entité abstraite, la volonté générale. Selon lui, les hommes se sont engagés, dans le
contrat social, non pas pour obéir à un prince mais à respecter la volonté générale exprimée
dans la loi à lélaboration et à la ratification de laquelle participent tous les citoyens réunis en
assemblée générale. En dautres termes, la volonté générale sexprime par et dans la loi qui
traduit de jure lintérêt général. Il en résulte que chacun sunissant ainsi à tous « nobéit pourtant
quà lui-même et reste aussi libre quauparavant ». uvre de tous et expression de la volonté
générale, la loi ne peut errer ni opprimer ceux qui la font de telle sorte que la question de
lobéissance ne se pose plus, chaque citoyen étant à la fois monarque et sujet. Comme tous les
citoyens ont un droit égal à participer au vote de la loi, cette dernière ne peut être contraire à
lintérêt de chacun. La loi apparaît en conséquence comme le produit de la volonté populaire, le
monarque, sil en existe un, nayant pour fonction que dexécuter les lois, il ne peut guère
opprimer plus que celles-ci. Labsolutisme démocratique risque de se substituer ici à
labsolutisme monarchique.
Toutes ces philosophies rationalistes sont largement fictives et leurs adeptes sont certainement
conscients que le contrat quils invoquent n’a jamais existé historiquement. Il sagit cependant
dune hypothèse logique de consentement tacite des sujets au pouvoir étatique, présupposant
58
Voir sur ce point Jean-Paul VALETTE, « Le pouvoir chez John Locke », RDP, n°1, 2001.
que les hommes étant naturellement libres ne se soumettent au pouvoir que par leur libre
consentement.
I. LEtat unitaire
Cette forme dEtat sarticule autour dun modèle idéal qui dans la réalité se rencontre rarement.
Autrement dit, lEtat
unitaire est un Etat dans lequel il existe un seul centre décisionnel, un seul centre dimpulsion
politique et gouvernementale cest-à-dire, le pouvoir politique dans la totalité de ses attributs et
de ses fonctions relève de la personne juridique de lEtat (un centre unique de pouvoir, une seule
organisation juridique et politique dotés dattributs de la souveraineté, dont les relais locaux
nont pas directement de compétences normatives autres que celles prévues par la Constitution
et les lois dudit Etat). Cette unité et unicité du pouvoir exclut tout risque de divergence
politique; la volonté politique unique simposant directement et dans tous les domaines aux
nationaux sur lensemble du territoire national et dans les mêmes conditions. Lappareil étatique
est unique. La norme juridique sapplique uniformément sur lensemble du territoire
(universalité), chacun étant égal devant cette norme (égalité). Les organes de lEtat possèdent
toutes les attributions étatiques et par conséquent, la totalité de la souveraineté interne et
internationale appartient à lEtat sans aucun partage possible dans la mesure où il nexiste pas
dorganisation de même type qui puisse entrer en concurrence avec eux. Tous les individus
placés sous la souveraineté dun Etat unitaire obéissent à une seule et même autorité, vivent
sous le même régime constitutionnel et sont régis par les mêmes lois.
Il convient toutefois de relever que le caractère unitaire ninterdit pas linstauration dune
déconcentration, et dune décentralisation administrative plus ou moins poussée. En dautres
termes, il existe des différences importantes entre les Etats unitaires. Les uns sont dits
centralisés, les autres décentralisés.
« On peut gouverner de loin, mais on administre bien que de près ». Cette assertion de
Napoléon Ier semble résumer le principe qui préside à ladministration gabonaise et française.
Pendant longtemps, les collectivités territoriales ont été soumises à lemprise dun Etat unitaire
centralisé. Il faut dire que la centralisation était présentée comme un gage dimpartialité,
dégalité et de rationalité. Or, force est de reconnaître quavec le temps, il était devenu
impossible de maintenir ce jacobinisme ou encore cette centralisation exacerbée de pouvoirs ;
cela conduisait inexorablement, inéluctablement à lapoplexie, gage de bureaucratie et
dirréalisme de décisions.
Si la loi municipale du 5 avril 1884 disposait que: « le conseil municipal règle par ses
délibérations, les affaires de la commune », les communes demeuraient sous la tutelle
administrative et financière de lEtat.
La France jusquen 1982 constitue un Etat centralisé caractérisé par une unité de décision tant
sur le plan administratif que politique. Le pouvoir central est omniprésent et les échelons locaux
sont réduits au rang déchelon dexécution dépourvu de toute capacité normative. Dans les Etats
centralisés, toutes les normes sont prises par des autorités nationales, dites aussi centrales.
Pendant longtemps, les collectivités territoriales ont été soumises à lemprise dun Etat unitaire
centralisé. La centralisation était présentée comme un gage dimpartialité, dégalité et de
rationalité. LEtat jacobin reposait en effet sur les principes duniformité et dégalité. Le régime
sorganise autour dune centralisation politique accordant une omnipotence au pouvoir central et
dune centralisation administrative imposant la prééminence des administrations centrales. Pour
Charles EISENMANN pour lequel « centralisation signifie centre unique, unité de centre;
décentralisation, centres multiples, pluralité de centres ... »59.
Qu'est-ce donc un ordre juridique centralisé? Ceux qui tentent de répondre, tels Maurice
HAURIOU pour lequel la centralisation « est la force propre du gouvernement de l'Etat »60 ou
J. CADART pour lequel « l'Etat est centralisé (lorsque) les organes dirigeants de l'Etat
exercent toutes les compétences de droit public »61, laissent perplexe. Il convient en effet de
rappeler que le rattachement à la séparation des pouvoirs ne permettait pas seulement de
résoudre la question des rapports actes locaux-actes centraux mais aussi de définir selon les
modalités d'organisation de ce mode de production, les différentes notions qui nous intéressent.
La séparation des pouvoirs, selon MONTESQUIEU s'organise autour de la distinction de la
faculté de statuer et de la faculté d'empêcher 62. La centralisation-décentralisation a trait à la
répartition de ces facultés entre des organes locaux et des organes centraux, les modalités de
cette répartition permettant de définir le type d'organisation mis en uvre dans tel ou tel cas.
59
EISENMANNN (C.), Centralisation-Décentralisation, L.G.D.J. 1948, p. 17.
60
HAURIOU (M.), Précis élémentaire de droit administratif, SIREY 4ème éd., 1938, p. 40.
61
CADART, (J.) Institutions politiques et droit constitutionnel, tome 1, L.G.D.J.1979, p. 57.
62
MONTESQUIEU L'Esprit des lois, tome 1, GARNIER-FLAMMARION, 1979, p. 298.
63
Voir sur ce point Jean François GRAVIER, Paris et le désert français, Le Portulan, 1947.
centre et la paralysie aux extrémités »64. Dès lors, il était devenu impossible de maintenir ce
jacobinisme ou encore cette centralisation exacerbée de pouvoirs; cela conduisait
inexorablement, inéluctablement à lapoplexie, gage de bureaucratie et dirréalisme de décisions.
La conséquence sest imposée delle-même: il est apparu nécessaire de rapprocher la prise de
décision du lieu où elle sera exécutée. Pour des raisons defficacité, ce rapprochement est
assurée notamment par deux techniques, deux modalités distinctes mais complémentaires de
gestion des affaires locales (Décentralisation et déconcentration).
La déconcentration est alors un système dorganisation administrative dans lequel sont créés, à
la périphérie, des relais du pouvoir central. Le ministre Odilon Barrot avait en 1848, résumé la
64
Formule de Félicité ROBERT DE LAMENNAIS.
65
BURDEAU (G.), Droit constitutionnel, LGDJ, 1988.
déconcentration par une image assez célèbre: « dans le cadre de la déconcentration cest
toujours le même marteau qui frappe mais on en a raccourci le manche ». En conséquence,
cest toujours lEtat qui agit mais pour être plus efficace, il rapproche certaines de ses autorités
de ses administrés. En termes plus juridiques, les organes centraux de ladministration dEtat
installent des agents, des agents locaux placés sous lautorité hiérarchique des organes centraux:
les services déconcentrés afin dagir dans des aires géographiques délimités : les
circonscriptions administratives. La déconcentration sinscrit donc dans le cadre du maintien de
la centralisation administrative. Elle ne remet pas en cause lexistence étatique mais introduit
une souplesse de la structure étatique afin de favoriser ladaptation de laction publique à la
réalité.
Les services déconcentrés dépendent des services centraux par le biais du pouvoir hiérarchique.
Il est détenu de plein droit par lautorité supérieure qui peut intervenir, pour des raisons tant
dopportunité que de légalité. Il sexerce aussi bien sur les personnes que sur les actes.
66
Article 1erde la loi dorientation n° 92-125 du 6 février 1992 relative à l administration territoriale de la
République.
a) Le pouvoir hiérarchique sur les actes se traduit par:
le pouvoir de nomination
Le pouvoir de notation
Le pouvoir disciplinaire.
Une circonscription administrative est une division du territoire national à lintérieur de laquelle
une autorité administrative est compétente pour agir. Elle na pas de personnalité juridique.
67
Art. 3 décret 1-7 1992.
78
Art. 4 décret 1-7-1992
79
Art. 5 décret 17-1992.
la circonscription départementale qui « est léchelon territorial de mise en uvre des
politiques nationale et communautaire. Les moyens de fonctionnement des services
départementaux de lEtat leur sont alloués directement par les administrations centrales
»78.
la circonscription communale
la circonscription cantonale.
« Les peuples démocratiques haïssent souvent les dépositaires du pouvoir central, mais ils
aiment toujours ce pouvoir lui-même »68. La décentralisation sinscrit dans la perspective plus
large de la structuration pragmatique de laction publique. On saccorde ainsi à penser que la
décentralisation « [....] se traduit par le transfert des attributions de lEtat à des institutions
(territoriales ou non) juridiquement distinctes de lui et bénéficiant, sous la surveillance de lEtat
dune certaine autonomie de gestion »69. Selon le Professeur Georges BURDEAU, dans le
cadre de décentralisation « le pouvoir central ne disparaît pas, mais il nassure plus directement
la gestion du pouvoir. Il surveille seulement la manière dont les autorités décentralisées
pourvoient à son fonctionnement »82.
69
CHAPUS (R.), Droit administratif général, 11e édition, tome 1, 1997, p. 360-361.
82
BURDEAU (G.), Droit constitutionnel, LGDJ, 1988.
autorités élues et soumises au contrôle de légalité. En clair, les affaires locales sont gérées par la
collectivité territoriales elles-mêmes c'est-à-dire par des organes élus par la population locale et
dont les actes restent soumis à un contrôle de lEtat plus ou moins strict mais dépourvu de
caractère hiérarchique.
En clair, les affaires locales sont gérées par les collectivités locales elles-mêmes c'est-à-dire par
des organes élus par la population locale et dont les actes restent soumis à un contrôle de lEtat
plus ou moins strict mais dépourvu de caractère hiérarchique. Dès lors, les éléments constitutifs
et caractéristiques de lidentité dune collectivité locale sont à la fois sociologiques (nom,
territoire, population) et juridiques (la personnalité juridique, distinction circonscription
administrative, établissement publique).
Les collectivités à statut particulier ou sui generis (Paris, Lyon, Marseille74, la Corse75,
les départements et régions doutre-mer, les collectivités doutre-mer76).
73
AUBY (J.- F.), Droit des collectivités périphériques, Paris, PUF, coll. Thémis Droit fondamental, 1992, p.58.
74
La loi du 31 décembre 1982 (régime dérogatoire au droit commun) ; La loi n°2014-58 du 27 janvier 2014 de
modernisation de laction publique territoriale et daffirmation des métropoles (statut spécifique aux métropoles
de Paris, Lyon, Marseille).
75
La loi n°82-214 portant statut particulier de la Région Corse, reconnaît à cette région un statut juridique distinct
des autres régions métropolitaines et ultramarines. Par la suite, la Corse sera dotée d une « organisation
spécifique à caractère administratif qui ne méconnait pas l article 72 de la Constitution ». Cette transformation
statutaire sera renforcée par la loi n°2002-92 du 22 janvier 2002 relative à la Corse puis par la loi
constitutionnelle n°2003-276 du 28 mars 2003 relative à lorganisation décentralisée de la République.
76
Il est reconnu aux départements et régions doutre-mer un statut particulier dont « le régime législatif et
lorganisation administrative (
) peuvent faire lobjet de mesures dadaptation nécessitées par leur situation
particulière » (article 73 de la Constitution) et que les collectivités d outre-mer sont quant à elles dotées d un « un
statut qui tient compte des intérêts propres de chacune delles au sein de la République » (article 74 de la
Constitution).
b) Le principe dautonomie et libre administration des collectivités locales
Il convient également de rappeler que les textes qui organisent le cadre juridique de la
décentralisation au Gabon sont de nature législative et réglementaire:
Devant la nécessité de faire face aux évolutions des enjeux de la décentralisation, la organique
n°001/2014 du 15 juin 2015 relative à la décentralisation a été adoptée. Il faut dire que la
situation actuelle nest pas satisfaisante et quil est nécessaire de relancer le processus de
décentralisation dans le pays.
larticle 1er de la Constitution a été complété dune mention relative aux fondements de
la République précisant que: « son organisation est décentralisée ».
La libre administration a été formulée dans des termes identiques à ceux mentionnés dans la
version originelle de la Constitution de 1958: « dans les conditions prévues par la loi, les
collectivités territoriales sadministrent librement par des conseils élus
», mais en ajoutant
une mention complémentaire à ce niveau: «
et disposent dun pouvoir réglementaire pour
lexercice de leurs compétences ».
Les ressources fiscales et les autres ressources doivent constituer une part déterminante de
lensemble de leurs ressources, prévoit transfert de compétences et des ressources, la
péréquation entre les collectivités territoriales est constitutionnalisée.
Il convient ensuite de relever que dans plusieurs décisions, le Conseil constitutionnel a précisé
que le contenu, les contours ou ce quil faut entendre par la libre administration des collectivités
territoriales. En premier lieu, le principe de libre administration des collectivités territoriales
signifie dabord et avant tout que toute collectivité décentralisée « doit disposer dun conseil élu
doté dattributions effectives »77 En conséquence, le législateur ne peut pas porter atteinte à ces
deux éléments essentiels, constitutifs de la décentralisation territoriale (lélection des
assemblées, des organes dirigeants et les compétences propres de décision, le pouvoir de
décision sur les affaires locales).
Ensuite, la libre administration implique que les collectivités territoriales doivent disposer dune
liberté de décision pour le recrutement et la gestion de leurs agents. Enfin, la libre
administration des collectivités territoriales suppose une autonomie en matière financière et
fiscale78.
Véritable « liberté dêtre »79, des collectivités territoriales « garantie par le juge constitutionnel
»80, le principe de libre administration des collectivités territoriales est un principe très ancien
puisquil était déjà affirmé à larticle 87 de la Constitution de 194681. On y trouve des traces de
ce principe à lépoque révolutionnaire82. Selon Maurice BOURJOL, « la libre administration
77
Décision du Conseil constitutionnel du 8 août 1985, Loi sur lévolution de la Nouvelle-Calédonie.
78
Article 72-2 de la Constitution française
79
ROUX (A.), « Le principe constitutionnel de la libre administration des collectivités territoriales », RFDA,
1992, p.438.
80
Ibid.
81
Constitution du 27 octobre 1946, article 87 et la Constitution du 4 octobre 1958, article 72.
82
FAVOREU (L.), « Les bases constitutionnelles de la décentralisation », in MOREAU (J.), VERPEAUX (M.),
(dir.), Révolution et décentralisation. Le système administratif français et les principes révolutionnaires de 1789,
des collectivités territoriales constitutionnalise une liberté publique, parmi les plus anciennes,
la liberté locale, ce qui la distingue fondamentalement de la décentralisation administrative,
simple modalité dorganisation administrative de lÉtat »83. Il précise par ailleurs que « (
) la
Constitution du 27 octobre 1946 ne ressuscite pas le pouvoir municipal, mais elle érige des
collectivités territoriales, envisagées dans leurglobalité en pouvoir local démocratique (
)
destiné à servir de contrepoids à lomnipotence de lÉtat »84.
Il est ainsi permis daffirmer, avec Jean RIVERO, que la libre administration constitue pour les
collectivités territoriales « le pouvoir de gérer leurs intérêts propres »99. Pour Michel
TROPER, la « la libre administration serait (
) un système dans lequel un organisme énonce
les normes dont il est le destinataire »88. La libre administration se distingue alors de la
décentralisation, simple modalité dorganisation administrative de lEtat. Comme lexplique le
Professeur René CHAPUS, la décentralisation « [
] se traduit par le transfert dattributions de
lÉtat à des institutions (territoriales ou non) juridiquement distinctes de lui et bénéficiant, sous
la surveillance de lÉtat, dune certaine autonomie de gestion »89.
En somme, au-delà de son caractère fondamental, ce principe de libre administration est au cur
des enjeux inhérents aussi bien aux « ressources fiscales et autres ressources propres »105 des
collectivités territoriales, quà lexistence dun pouvoir normatif local indispensable à la gestion
des affaires locales.
Il est aujourdhui acquis la libre administration des collectivités territoriales est un principe
constitutionnel. Cela signifie quil simpose non seulement aux autorités qui disposent du
pouvoir réglementaire mais aussi au législateur. Il convient également de souligner que la libre
administration des collectivités territoriales a été qualifiée de « liberté fondamentale », par le
juge administratif, ce qui lui permet de la protéger dans le cadre du « référé-liberté ».
Le principe de libre administration des collectivités territoriales est très bien enraciné dans
lordre juridique français et gabonais. E n application de larticle 112 alinéa 1 er de la
Constitution gabonaise, « les collectivités locales de la République sont créées par la loi ».
Le second alinéa précise qu« elles sadministrent librement par les conseils élus dans les
conditions prévues par la loi, notamment en ce qui concerne les compétences et leurs ressources
». Selon larticle 47 de la Constitution, « la loi fixe les règles concernant [...] la création, le
fonctionnement et la libre gestion des collectivités territoriales, leurs compétences, leurs
ressources et leurs assiettes dimpôts ».
90
AUBY (J.-F.), « Vers de nouveaux territoires ? Le débat sur la carte administrative française », Territoires
220, Études et prospectives n°1 DATAR, juin 2000, p.19.
91
NEMERY (J.-C.), « Laménagement du territoire vu par un juriste », Territoires, 2020, juin n° 1, p.15. 104
COHEN (E.), HENRY (C.) dir. Service public, secteur public, Éditions La Documentation française, Rapport
n°3 du Conseil dAnalyse Économique, Paris 1997, 105 p. 105 Article 72-2 al. 3 de la Constitution.
Dans le même sens, larticle 72 alinéa 3 de la Constitution française dispose que les
collectivités territoriales « sadministrent librement par des conseils élus » et « dans les
conditions prévues par la loi »92. Selon larticle 34 de la Constitution « la loi détermine les
principes fondamentaux (
) de la libre administration des collectivités territoriales, de leurs
compétences et de leurs ressources (
) ».
Dans un arrêt du 18 janvier 2001, Commune de Venelles, le Conseil dÉtat considère que «
le principe de libre administration des collectivités, énoncé à larticle 72 de la Constitution, est
au nombre des libertés fondamentales auxquelles le législateur (
) a entendu accorder une
protection juridictionnelle particulière »96. Il a également jugé dans sa décision du 12 juin
2002 Commune de Fauillet et autres que « le conseil communautaire dune communauté
dagglomération qui délibère sur un certain nombre de mesures engageant immédiatement la
communauté dagglomération, alors que larrêté préfectoral constituant cette communauté na
pas encore pris effet, exerce, au lieu et place des communes composant la communauté, des
compétences qui doivent lui être transférées ultérieurement » et quen cela, « ces délibérations
portent une atteinte grave et manifestement illégale à la libre administration des collectivités
locales, laquelle constitue une liberté fondamentale que larticle L. 521-2 du code de justice
administrative vise à sauvegarder »97.
Il est aussi intéressant de mentionner que le Tribunal des Conflits considère que « le principe
de libre administration des collectivités territoriales est au nombre des libertés fondamentales
auxquelles le législateur a entendu accorder une protection particulière »98. Du côté des élus
locaux, le principe de libre administration des collectivités territoriales constitue « un véritable
droit à leur profit, au même titre quaux hommes et aux citoyens, et que ce droit était proclamé
sous la forme dune liberté qui pouvait être revendiqué, y compris contre lÉtat »99. Dans son
96
CE, 18 janvier 2001, Commune de Venelles, Rec. Lebon p.18 ; RFDA 2001, p.378, Concl. Touvet ; AJDA
2001, p.153, Chron. Guyomar et Collin ; RFDA 2001, p.681, note Verpeaux.
97
CE, 12 juin 2002, Commune de Fauillet, Rec., p. 215 ; AJDA 2002, chron., F. DONNAT et D. CASAS.
98
TC, 23 mai 2005, Bulletin 2005 Conflits n°15, p.21.
99
VERPEAUX (M.), « La Constitution et les collectivités territoriales », RDP, 1998, p.1380.
commentaire sur larrêt du Conseil dÉtat Section du 18 janvier 2001, Commune de
Venelles, le Professeur Michel VERPEAUX affirme que « la libre administration des
collectivité territoriales constitue (
) une garantie au même titre que le principe de séparation
des pouvoirs. Lun comme lautre ne constituent pas des droits mais peuvent être conçus comme
des conditions jugées constitutionnellement nécessaires, par larticle 72 de la Constitution pour
lun, par larticle 16 de la Déclaration des droits pour lautre, pour affirmer des libertés
reconnues dans dautres dispositions qui ne sont plus alors organiques mais qui concernent des
droits substantiels. La libre administration peut dailleurs être conçue comme une forme de
séparation verticale des pouvoirs tandis que la forme habituelle de la séparation serait
horizontale. Lune comme lautre ne sont pas des droits mais des moyens dasseoir des droits ou
des libertés, ils sont des moyens, ils ne constituent pas des buts »100.
En même temps, il faut relever que si en théorie, les collectivités territoriales disposent des
compétences propres découlant de la clause générale de compétence, dans la pratique, leur
détermination nest pas aisée. Dailleurs, cette situation a conduit au développement dune
logique de confusions, denchevêtrement de compétences. Au-delà de la diversité leurs
modalités ou modes de transferts, les compétences des collectivités territoriales demeurent
mouvantes au gré des circonstances.
Depuis les lois de décentralisation de 1982 jusquà la récente réforme territoriale, la répartition
des compétences exercées par les collectivités territoriales sest fondée sur le principe de la
clause générale de compétence et sur la logique de « blocs de compétences ».
Il convient surtout de noter que les récentes évolutions de lorganisation des compétences des
collectivités territoriales mettent en évidence toute la complexité de la question de la clause
générale de compétence. Après avoir été supprimée à légard des départements et des régions 105,
pour permettre une meilleure rationalisation de laction publique, la clause générale de
compétence de ces collectivités territoriales est à nouveau restaurée106. Toutefois, le
rétablissement de cette clause générale de compétences à légard des départements et des
régions saccompagne dun renforcement des mécanismes juridiques de coordination et de
concertation des collectivités territoriales. Dans ces conditions, la clause générale de
compétence permettra de faire le lien entre le principe de libre administration des collectivités
territoriales et le principe de subsidiarité énoncé à larticle 72 alinéa 2 de la Constitution
aux termes duquel « les collectivités territoriales ont vocation à prendre les décisions pour
lensemble des compétences qui peuvent le mieux être mises en uvre à leur échelon ».
Précisément, pour parvenir à une meilleure coordination des différents acteurs publics, la
Constitution consacre lexistence de la collectivité chef de file107. Dans cette perspective, il faut
102
VERPEAUX (M.), « Vous avez dit « clause générale de compétence » ? », Commentaire n°129, 2010, p. 81-
88. 117 CAILLOSSE (J.), « Comment le « centre » (se) sort-il des politiques de décentralisation ? Eléments de
réponse du droit français », Pouvoirs locaux n°63, 2004, p. 43-53.
103
PONTIER (J.-M.), « Semper Manet, Sur une clause générale de compétence », RDP, 1984, p. 1472.
104
PONTIER (J.-M.), op.cit., p. 168, citant B. CAZES, De lintervention de lavenir, critique, avril 1965, n°215,
p. 358.
105
Loi n°2010-1563 du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales, JO n°292 du 17 janvier
2010, p. 22146 ; NOR : IOCX0922788L
106
Loi n°2014-58 du 27 janvier 2014 de modernisation de laction publique territoriale et d affirmation des
métropoles, op. cit.
107
Article 72 alinéa 5 de la Constitution ; Article L 1111-9 du CGCT.
mentionner la création dans chaque région de la Conférence territoriale de laction publique.
Présidée par le président du conseil régional, elle est chargée de favoriser lexercice concerté des
compétences entre les collectivités territoriales ou leurs groupements puisquelle rend des avis
sur toutes les questions relatives à lexercice des compétences et à la conduite des politiques
publiques nécessitant une coordination ou une délégation108. Toutes ces évolutions traduisent un
certain retour de la logique du bloc de compétences ou encore du développement des lois
dattributions de compétences dans des domaines spécifiques ou spécialisés.
En tout état de cause, on peut penser sans excès que dans la mesure où chaque collectivité
territoriale a vocation à prendre en charge ses « affaires locales », c'est-à-dire, « les besoins
dintérêt général de la communauté humaine quelle représente »109.
108
Article L 1111-9-1du CGCT.
109
BOURDON (J.), PONTIER (J. - M.), RICCI (J. - C.), Droit des collectivités territoriales, op. cit., p.107.
110
Voir à titre exemple pour chacun dentre eux: C.E., 10 mai 1985, S.A. Boussac Saint-Frères, Rec. p. 145
(recherche par la commune dun repreneur pour une usine venant dêtre fermée); C.E., 11 octobre 1989,
Commune de Port-Saint-Louis-du-Rhône, Rec. p. 184 (gratuité des restaurants scolaires pour des enfants de
grévistes); C.E., 02 juin 1995, Ville de Nice, Rec. Tables, p. 685 (organisation dun festival de musique).
111
CE., 6 mai 1996, département de lAude, Rec. n°162903
112
TOCQUEVILLE (A. de), Cité par TURPIN (D.), Droit de la décentralisation : Principes, institutions,
compétences, Paris, Gualino-éditeur, coll. « mémento », 1998, p.16.
113
C.A.A. de Bordeaux, 30 Octobre 2007, département des Deux-Sèvres, inédit au recueil n°05BX00167
On retiendra alors que par sa conception extensive de la notion daffaires locales, la
jurisprudence administrative a largement contribué à promouvoir la diversité des interventions
constitutives dintérêt local. De fait, dans son arrêt de Section du 28 juillet 1995, Commune
de Villeneuve dAscq, le Conseil dÉtat reconnaît que loctroi des bourses à des étudiants
étrangers de haut niveau, spécialistes en technique de pointe et originaires des villes jumelées
constitue un intérêt communal dans la mesure où cela visait à « encourager le développement
ultérieur des projets de coopération associant des instituts de recherche (universitaire) et des
entreprises situés sur le territoire de Villeneuve dAscq que sur celui des collectivités des
étudiants bénéficiaires desdites bourses »114. En revanche, il a jugé que la subvention versée par
le département de lOise à lassociation pour Colombey-les-Deux-Eglises en vue de
laménagement et lembellissement de cette commune située en Haute-Marne « ne saurait être
regardée comme relevant dun intérêt départemental pour le département de lOise »115. Le juge
administratif a également estimé quun intérêt même territorialement localisé nétait pas
nécessairement synonyme dintérêt local 116. Indissociable de la décentralisation, très
insaisissable, la notion dintérêt local est un vecteur de différenciation territoriale du droit mais
en même temps ce principe connaît des nombreuses limites.
Elles sont à rechercher aussi bien dans les raisonnements philosophiques dAristote, de Saint
Thomas dAquin117 que dans la doctrine de lhistoire la pensée chrétienne européenne 118. Dans
lEncyclique « Quadrogesimoanno », il est écrit que « ce serait commettre une injustice, en
même temps que troubler dune manière très dommageable lordre social, que de retirer aux
groupements dordre inférieur, pour les confier à une collectivité plus vaste et dun rang élevé,
114
CE., Sect., 28 juillet 1995, Commune de Villeneuve dAscq, Rec. p.324, voir également CE., 20 janvier 1989,
SIVOM de lagglomération rouennaise, Rec. p.28. ; CE., 23 octobre 1989, Commune de Pierrefitte - sur - Seine
et a., Rec. p.209.
115
CE., 11 juin 1997, Département de lOise, Rec. p.236 ; Conclusions de TOUVET (L.), RFDA, 1997, p.948.
116
Ibid.
117
Sur cette question voir notamment CLERGERIE (J.-L.), Le principe de subsidiarité, Paris, Ellipses, « le droit
en question », 1997, 128p
118
LEncyclique Rerum Novarum du Pape Léon XIII publié en 1891; LEncyclique Mater et Magistra de Jean
XXIII, AAS LIII (1961), pp. 401-464, Traduction française de la Polyglotte Vaticane 1961.
les fonctions quils sont en mesure de remplir eux-mêmes »119. Par la suite, « cest dans
lorganisation fédérale que le principe de subsidiarité trouve, sur le plan strictement politique,
sa plus significative expression »120. Prenons à titre dexemple larticle 30 de la loi
fondamentale allemande aux termes duquel « lexercice des pouvoirs étatiques et
laccomplissement des missions de lÉtat relèvent des länder, à moins que la présente Loi
fondamentale nen dispose autrement ou nadmette un autre règlement ». Il nempêche
quaujourdhui, la subsidiarité constitue lun des principes fondamentaux du droit
communautaire et même des nombreux ordres juridiques des États unitaires.
Dans lordre juridique européen, on retrouve lidée subsidiarité dans lActe Unique européen
des 17 et 28 février 1986 avant quelle ne soit solennellement et expressément consacrée par le
traité de Maastricht du 7 février 1992. Par la suite, cette idée sera reprise par les paragraphes
1 et 2 de larticle 5 du Traité instituant la Communauté européenne, aux termes desquels «
la Communauté agit dans les limites des compétences qui lui sont conférées et des objectifs qui
lui sont assignés par le présent traité. Dans les domaines qui ne relèvent pas de sa compétence
exclusive, la Communauté nintervient conformément au principe de subsidiarité, que si et dans
la mesure où les objectifs de laction envisagée ne peuvent pas être réalisés de manière
suffisante par les États membres et peuvent donc, en raison des dimensions ou des effets de
laction envisagée, être mieux réalisés au niveau communautaire »121. On sait maintenant que
larticle 5 du Traité de Lisbonne signé le 13 décembre 2007 dispose qu« en vertu du principe
de subsidiarité, dans les domaines qui ne relèvent pas de sa compétence exclusive, lUnion
intervient seulement si, et dans la mesure où, les objectifs de laction envisagée ne peuvent pas
être atteints de manière suffisante par les États membres, tant au niveau central quau niveau
régional et local, mais peuvent lêtre mieux, en raison des dimensions ou des effets de laction
envisagée, au niveau de lUnion »122. La subsidiarité est un principe fondamental en droit
européen, en ce sens, quelle contribue à garantir une certaine lisibilité dans la répartition des
compétences entre lUnion et les États membres.
Son introduction dans lordre juridique français devrait également permettre de répondre de
manière optimale à la fois au souci de lisibilité et defficacité de laction publique. À cet égard, il
est nécessaire de rappeler que lidée de subsidiarité avait déjà été évoquée dans la loi n°92-
119
LEncyclique « Quadrogesimoanno », in Actes de S. S. Pie XI, t. 7, 1991, éd., Maison de la bonne Presse,
1931
120
MILLION-DELSOL (C.), Le principe de subsidiarité, PUF, 1993, p. 38.
121
Article 5 du Traité instituant la Communauté européenne (TCE), JOC 321 E du 29 décembre 2006, p. 327.
122
Article 5 du Traité de Lisbonne.
125 du 6 février 1992 relative à ladministration territoriale de la République dont larticle
65 prévoit que « sont confiées aux administrations centrales les seules missions qui présentent
un caractère national ou dont lexécution, en vertu de la loi, ne peut être déléguée à un échelon
territorial »123. Depuis la loi constitutionnelle n°2003-176 du 28 mars 2003 relative à
lorganisation décentralisée de la République, la subsidiarité à dimension administrative est
constitutionnellement consacrée dans lordre juridique français. Dans cette optique, larticle 72
de la Constitution dispose que « les collectivités territoriales ont vocation à prendre les
décisions pour lensemble des compétences qui peuvent le mieux être mise en uvre à leur
échelon »139.
Précisons tout de même que le terme subsidiarité nest pas explicitement mentionné par la
Constitution. En revanche, il est expressément mentionné dans lexposé des motifs du projet de
révision constitutionnelle de la loi du 28 mars 2003 aux termes duquel « les collectivités
territoriales ont vocation à exercer lensemble des compétences qui peuvent le mieux être mises
en uvre à léchelle de leur ressort. Traçant une ligne de partage, dans le domaine
administratif, entre laction des services de létat et celle des collectivités territoriales, ce nouvel
objectif à valeur constitutionnelle permettra de transposer dans un État unitaire la
préoccupation quexprime, en droit communautaire, le principe de subsidiarité ».
Il est encore plus intéressant de préciser que le principe de subsidiarité est associé à lidée de
prise de décision au niveau le plus proche du citoyen. Dans cette perspective, la subsidiarité
désigne « le principe selon lequel les décisions, soit législatives ou administratives doivent être
prises au niveau politique le plus bas possible, c'est-à-dire le plus près possible de ceux qui sont
123
Loi n°92-125 du 6 février 1992, relative à ladministration territoriale de la République, article 2, JO n°33
du 8 février 1992, p. 2064, (INTX9000102L), abrogé par le décret 97-463 du 9 mai 1997. 139 Article 72 alinéa
2 de la Constitution du 4 octobre 1958.
124
CONSTANTINESCO (V.), « Le principe de subsidiarité : un passage obligé vers l UE », in Mélanges
Boulouis, Dalloz, 1991, p. 38.
concernés par les décisions »125. Le Professeur Vlad CONSTANTINESCO explique que la
subsidiarité renvoie à « un principe de répartition des compétences en ce sens que cest selon
lidée de la subsidiarité que lallocation des compétences entre les niveaux dorganisation
publique doit être établie : chaque niveau de pouvoir ne doit alors se voir attribuer que les
compétences quil est le mieux à même dexercer. (
) elle est enfin un principe qui, intervenant
dans le domaine des compétences concurrentes, permet lactualisation dune compétence
potentielle de la Fédération, lorsque celle-ci est mieux à même dintervenir que les Länder qui
jusque-là, avaient chacun pris, dans le domaine considéré, des mesures appropriées »126. Il
poursuit en estimant que « la subsidiarité apparaît-elle comme un principe multifonctionnel,
relevant à la fois du politique et du juridique : jouant dans un sens comparable à la séparation
des pouvoirs, mais dans un plan vertical, elle doit assurer, comme la séparation des pouvoirs,
une prise en compte et une protection des personnes au sein des Communautés diverses qui
structurent lordonnancement social et politique »127. Cela étant, en France, lessor du principe
de subsidiarité est indissociable de la problématique du développement de ladministration
territoriale décentralisée et de la nécessité de prendre en compte lhétérogénéité des contextes
locaux. Plus important encore, la consécration constitutionnelle de la subsidiarité dans lordre
juridique français sinscrit dans un mouvement plus large de renforcement de la
décentralisation. Le Député Pascal CLEMENT, souligne que le principe de subsidiarité
communautaire, signifie que « la compétence sexerce à léchelon le plus bas, sauf sil existe un
intérêt, en terme defficacité de laction publique, à ce que la compétence soit mise en uvre à
léchelon le plus élevé. Dans le projet de révision constitutionnelle, la logique est, à linverse,
celle dun État unitaire qui a vocation à être décentralisé »128. Lauteur ajoute immédiatement
que « le mouvement se fait vers le bas, lobjectif recherché étant tout autant de lefficacité de
laction publique que de la proximité de la décision »129. Dans lordre juridique français, la
subsidiarité se manifeste à travers divers mécanismes: il sagit dun principe essentiel aux
multiples facettes
Il est tout aussi incontestable que la subsidiarité sinscrit dans la dialectique séculaire de la
centralisation-décentralisation134. En vertu de larticle 72 de la Constitution, « les collectivités
territoriales ont vocation à prendre les décisions pour lensemble des compétences qui peuvent
le mieux être mises en uvre à leur échelon ». Il est ensuite essentiel de souligner que la
subsidiarité, dans ses multiples expressions, constitue un facteur daccentuation du processus de
territorialisation du droit. Elle se manifeste tout dabord à travers lidée de « collectivité chef de
file ». Comme nous lavons mentionné plus haut le dispositif de collectivité chef de file, nest
pas tout à fait une innovation dans lordre juridique français. On sait que cette idée de
collectivité chef de file figurait déjà dans la loi n°95-115 dorientation pour laménagement et
le développement du territoire dont larticle 65 prévoyait quune loi ultérieure devait non
seulement fixer« les conditions dans lesquelles une collectivité pourra assurer le rôle de chef de
file pour lexercice dune compétence ou dun groupe de compétence relevant de plusieurs
collectivités territoriales »135mais également les conditions dans lesquelles une « collectivité
130
BRISSON (J.-F.), « Les nouvelles clefs constitutionnelles de répartition matérielle des compétences entre
lÉtat et les collectivités locales », AJDA 2003, p. 532.
131
Ibid., p. 531.
132
Ibidem.
133
QUERMONNE (J.-L.), « Ladaptation de lÉtat à lintégration européenne », RDP, 1998, p. 1405-1420.
134
DEROSIER (J.-P.), « La dialectique centralisation/décentralisation. Recherches sur le caractère dynamique
du principe de subsidiarité », R.I.D.C. 1-2007, p. 107-140.
135
Article 65 de la loi n°95-115 dorientation pour laménagement et le développement du territoire, JO n°31, du
5 février 1995, p. 1973, NOR : INTX9400057L.
pourra, à sa demande, se voir confier une compétence susceptible dêtre exercée pour le compte
dune autre collectivité territoriale »136.
Cependant, cette disposition sera censurée par le Conseil constitutionnel au motif qu« il
appartient au législateur en vertu de larticle 34 de la Constitution de déterminer les principes
fondamentaux de la libre administration des collectivités territoriales de leurs compétences et
de leurs ressources ; que par suite, il ne saurait renvoyer à une convention conclue entre des
collectivités territoriales le soin de désigner lune dentre elles comme chef de file pour
lexercice dune compétence ou dun groupe de compétences relevant des autres sans définir les
pouvoirs et les responsabilités afférents à cette fonction »137. En lespèce, il apparaît que cette
disposition a été censurée non pas parce quelle consacre une « collectivité chef de file », mais
parce que le législateur na pas défini « les pouvoirs et les responsabilités afférentes à cette
fonction ». Par la suite, la loi constitutionnelle n°2003-176 relative à lorganisation
décentralisée de la République inscrit dans le marbre constitutionnel la notion de collectivité
chef de file. Ainsi, larticle 72 de la Constitution dispose que « lorsque lexercice dune
compétence nécessite le concours de plusieurs collectivités territoriales, la loi peut autoriser
lune dentre elles ou un de leurs groupements à organiser les modalités de leur action
commune ».
136
Ibid.
137
Décision n°94-358 DC du 26 janvier 1995, Loi dorientation pour l aménagement et le développement, Rec.,
183 ; JO du 1er février 1995, p. 1706.
138
ROUX (A.), « Aspects constitutionnels des droits à lexpérimentation » in les collectivités locales et
lexpérimentation : perspectives nationales et européennes, Paris, La Documentation française, 2004, p.161.
155
Exposé des motifs du projet de loi constitutionnelle relatif à l organisation décentralisée de la Rép ublique, 156
La loi n°95-115 dorientation pour laménagement et le développement du territoire, JO n°31, du 5 février 1995,
p. 1973, NOR : INTX9400057L.
permettra de « déterminer efficacement le niveau adéquat pour lexercice de telle ou telle
compétence »155.
139
Décret n°92-604 du 1er juillet 1992, portant charte de la déconcentration, JO n°154 du 4 juillet 1992, p. 8898,
modifié par le Décret
140
DELBLOND (A.), « Décentralisation dans les départements dOutre-mer : Subsidiarité à laune de
linsularité », inLa subsidiarité infranationale et territorialisation des normes : état des lieux et perspectives en
droit internes et en droit comparé, Dir. Jacques FIALAIRE, PUR, coll. Lunivers, 2005, p. 154.
141
Article 73 de la Constitution du 4 octobre 1958.
142
Article 74-1 de la Constitution du 4 octobre 1958.
domaine de lagriculture et de la pêche, les conditions dapprovisionnement en matières
premières et en bien de consommation de première nécessité, les aides dÉtat, et les conditions
daccès aux fonds structurels et aux programmes horizontaux de la Communauté » 143. Très
concrètement, cela concerne le régime dérogatoire de loctroi de mer en matière fiscale, les
mesures spécifiques visant à compenser les handicaps liés à léloignement et à linsularité ou
encore des dérogations en matière daides dÉtat. Quant aux « pays et territoires doutre-mer »,
c'est-à-dire, pour la France, la Nouvelle-Calédonie, la Polynésie française, Wallis-et-Futuna,
Mayotte, Saint-Pierre-et-Miquelon et les Terres australes et antarctiques, ils font lobjet dun
régime dassociation avec la Communauté européenne144. Au-delà de ces régimes juridiques
spécifiques et différenciés applicables aux « pays et territoires doutre-mer » et les « régions
ultrapériphériques».
En tout état de cause, on se rend compte quau-delà de la multiplicité de ses origines et de ses
expressions dans lordre juridique français et gabonais, la subsidiarité constitue un vecteur de la
différenciation territoriale du droit. En même temps, il apparaît de plus en plus nettement que la
143
Article 299 § du Traité instituant la Communauté européennes.
144
Décision du Conseil n 2001/822/CE du 27 novembre 2001 relative à l association des pays et territoires
doutre-mer à la Communauté européenne, JO L 314 du 30 novembre 2001, p. 1-77.
145
Décision n°2005-516 DC du 7 juillet 2005 loi de programme fixant les orientations de la politique
énergétique, Rec., p. 102 ; JO du 14 juillet 2005, p. 11589.
146
BRISSON (J.-F.), « Les nouvelles clefs constitutionnelles de répartition matérielle des compétences entre
lÉtat et les collectivités locales », op. cit., p. 532.
subsidiarité sinscrit dans un large processus de structuration pragmatique de laction publique.
Elle simpose alors comme une réponse pragmatique et stratégique adaptée aux problèmes des
sociétés française et gabonaise contemporaines. Cette approche reflète une vision renouvelée de
laction publique au centre des réalités historico-géo-stratégiques des territoires.
Si dans lordre juridique français, la subsidiarité peut être imposée par linsularité et
léloignement géographique des collectivités ultramarines au Gabon, elle se manifeste à travers
la décentralisation et la déconcentration. La loi organique n°001/2014 du 15 juin 2015
relative à la décentralisation introduit dans lordre juridique gabonais les mécanismes de
coopération intercommunale. En application de larticle 148 de cette loi, « les collectivités
locales ou leurs groupements peuvent nouer entre elles ou avec les partenaires au
développement des relations damitié et de coopération, en vue de promouvoir leur
développement économique, culturel, technique, scientifique, sportif et environnemental,
déchanger leur savoir-faire en matière de gestion publique locale, de recevoir ou dapporter
dans un esprit de solidarité des aides techniques, humanitaires ou durgence ». Les collectivités
territoriales nouent des relations de coopération pour mettre en commun leurs ressources
financières, matérielles ou humaines en vue de la réalisation des projets communs. Cette
politique intercommunale se traduit par la création de syndicats de communes (article 169), les
communautés urbaines (article 186), lentente inter collectivité locale (article 176) et la Grande
métropole de Libreville. Lintercommunalité sinscrit ici dans une logique de rationalisation et
defficacité de laction publique.
Lobjet des transferts de compétences de lEtat au profit des collectivités territoriales est de
définir la décentralisation. En vertu de larticle 72-2 alinéa 3 de la Constitution française, «
tout transfert de compétences entre lEtat et les collectivités territoriales saccompagne de
lattribution de ressources équivalentes à celles qui étaient consacrées à leur exercice ». La
problématique de transferts de compétences est alors au centre de la définition du processus de
décentralisation. Selon Roland DRAGO, « la décentralisation est un aspect essentiel de la
réforme de lEtat. Le transfert à des instances locales élues dun certain nombre de compétences
gouvernementales doit pouvoir atténuer la complexité et la puissance du système
bureaucratique, raccourcir les circuits de décision, augmenter les contacts directs avec les
citoyens, en un mot, simplifier, dans des domaines importants, la vie administrative française
»147. En conséquence, les transferts de compétences conditionnent durablement le processus de
décentralisation. En procédant aux transferts des compétences, lÉtat doit respecter un certain
nombre de règles plus ou moins contraignantes de façon à préserver et garantir lautonomie
locale.
Les transferts de compétences de lEtat au profit des collectivités territoriales induisent des
nombreuses conséquences. LEtat doit donner les moyens nécessaires à la mise en uvre
effective des compétences transférées aux collectivités territoriales: cest le principe de la
compensation financière des compétences autrefois exercées ou mise en uvre par lEtat.
Larticle 72-2 alinéa 4 dispose que « tout transfert de compétences entre lÉtat et les
collectivités territoriales saccompagne de lattribution des ressources équivalentes à celles qui
étaient consacrées à leur exercice. Toute création ou extension de compétences ayant pour
conséquence daugmenter les dépenses des collectivités territoriales est accompagnée de
ressources déterminées par la loi ». Ainsi, le législateur a adopté la loi organique n°2004-758
du 29 juillet 2004 pour préciser la notion dautonomie financière des collectivités territoriales
tout en clarifiant la portée de larticle 72-2 de la Constitution.
Il apparaît alors que les interactions entre transferts de compétences et décentralisation sont au
cur de lautonomisation de la sphère locale. Il est aujourdhui acquis que les collectivités
territoriales sadministrent librement dans les conditions prévues par la loi, sous le contrôle de
lÉtat.
147
DRAGO (R.), « Les Français et la décentralisation », Revue administrative, n°331 janvier 2003, p. 49.
II. LEtat fédéral ou la fédération
LEtat fédéral est un Etat « composé » ou « superposé » en ce sens quil est une union, une
association dEtats que lon qualifie de fédérés. LEtat fédéral assemble alors des entités
territoriales qui gardent la qualité étatique en dépit dune association entre elles, sans pour autant
apparaître comme des Etats au sens international du terme. La fédération est une union dEtats
(Etats fédérés) qui débouche sur la création dun nouvel Etat (lEtat fédéral). Les Etats fédérés
ne disparaissent pas pour autant : ils disposent dune relative autonomie, mais lEtat fédéral qui
se superpose à eux nest que le produit de la participation des Etats fédérés Il sagit donc dun
système dans lequel cohabitent deux échelons, deux entités territoriales : lEtat fédéral (le
bunden Allemagne) et les entités fédérées (seize « Länder » en Allemagne, cinquante Etats
fédérés aux Etats-Unis (et un district fédéral : Washington D.C.), vingt-deux cantons et deux-
demi cantons en Suisse, quatre-vingt-neuf « sujets » en Russie, trois communautés en
Belgique). Ici, la décentralisation nest plus administrative mais politique, cest-à-dire que
chacun des Etats fédérés a son organisation politique propre et constitue donc une institution
politique. La fédération est aujourdhui la forme dorganisation juridique de grands Etats (les
Etats-Unis, le Canada, la Russie, le Brésil, le Nigeria) mais aussi de certains petits Etats (la
Belgique, lAutriche).
S'il est clair que le fédéralisme est « un mode de gouvernement qui repose sur une certaine
manière de distribuer et d'exercer le pouvoir politique dans une société, sur une base
territoriale »148, la doctrine donne diverses définitions de concepts auxquels il est pourtant
souvent fait référence tels que ceux d'« État fédéral », de « fédération » ou de « fédération
d'États ». Aussi rappellera-t-on quelques-unes de ces définitions avant d'entrer dans le vif du
sujet.
Pour Georges SCELLE, l'« État fédéral [...] réalise l'intégration fédérative maxima. C'est un
véritable État qui absorbe au point de vue international, tous les États particuliers qui en sont
les associés. Il a son territoire, ses sujets, son gouvernement, ses administrations propres ; la
souveraineté intérieure qu'il partage avec les États membres, la souveraineté extérieure qu'il
détient seul [...]. Il agit directement, non seulement sur les États associés, mais sur les
citoyens »149. Selon Vicky JACKSON, « un gouvernement de forme fédérale est celui dans
148
CROIZAT (M.), Le fédéralisme dans les démocraties contemporaines, 3e éd., Montchrestien, Paris 1999, p.
18.
149
SCELLE (G.), Précis de droit des gens. Principes et systématique, I et II, Éditions du CNRS, Paris 1984
[impression anastatique des éditions de 1932 et 1934], p. 192.
lequel les pouvoirs sont attribués à des entités territoriales qui exercent des compétences sur
le même territoire. Un gouvernement décentralisé peut se retrouver dans cette définition,
mais le fédéralisme se distingue de la décentralisation administrative en ce que chaque
niveau de gouvernement est constitutionnellement dans son existence et/ou ses
pouvoirs »150. Pour Ronald L. WATTS, le « système politique fédéral » fait référence à « un
vaste ensemble de systèmes politiques dans lesquels, à la différence de l'unique source
centrale d'autorité politique et légale des systèmes unitaires, existent deux ou plusieurs
niveaux de gouvernement, combinant par conséquent des règles communes [...] par
l'intermédiaire d'un gouvernement commun et d'un auto-gouvernement régional [...] pour les
gouvernements des unités qui le constituent »151. Lauteur estime que les traits
communément admis des fédérations consistent en :
au moins deux niveaux de gouvernement, l'un pour la fédération dans son ensemble
et l'autre pour chaque unité régionale, chacune exerçant leur pouvoir directement
sur les citoyens ;
une Constitution suprême écrite qui ne peut être amendée unilatéralement, et dont
la modification suppose l'assentiment d'une proportion significative des unités
constituantes ;
150
JACKSON (V.), « Fédéralisme, normes et territoires », in Traité international du droit constitutionnel (sous la
direction de TROPER (M.), CHAGNOLLAND (D.), T. 1, 2, 2, Paris, Dalloz, 2012, p.
151
WATTS (R.- L.), Comparing federal systems, 3e éd., McGill-Queen's University Press, Monreal & Kingston
2008, p. 9.
ainsi que des procédures et des institutions destinées à faciliter la collaboration
intergouvernementale dans les domaines où les responsabilités sont partagées ou
inévitablement superposées152.
La création dune fédération peut seffectuer par intégration pour des motifs divers tenant à des
menaces militaires ou à des préoccupations économiques. Ainsi, les Etats fédérés renoncent au
plein exercice de leur souveraineté et de transférer certaines de leurs compétences essentielles
(défense, sécurité, diplomatie, monnaie etc..) à un Etat qui se superpose à eux et quils créent à
152
Ibid.
153
WHEARE (K.-C.), Federal Government, Oxford University Press, Londres, 3e éd., 1961, p. 32-33.
154
ZOLLER (E.), « Aspects internationaux du droit constitutionnel : Contribution à la théorie de la fédération
d'États » dans Recueil des cours de l'Académie de droit international, tome 294, 2002, p. 73
155
Opinion du juge Subba Rao dans l'affaire State of West Bengal v. Union of India citée par
R. K. Chaubey, Federalism, Autonomy and Centre-State relations, Satyam Books, New Delhi 2007, p. 27.
cet effet. Ce fédéralisme agrégatif est parfois précédé dun système dintégration intermédiaire
qui est celui de la confédération.
Dans le cadre dune confédération, les Etats restent souverains dans leurs relations
internationales mais ils décident seulement, par un traité diplomatique conclu entre eux, de
coordonner leurs actions dans certains domaines. Les décisions des organes communs,
composés de représentants des Etats confédérés, sont prises à lunanimité, aucune décision ne
peut donc être imposée à un Etat sans son consentement de telle sorte que sa souveraineté
interne est également respectée. La confédération à linverse de la fédération nest donc pas une
structure étatique. Ainsi, par exemple, les treize colonies américaines qui ont accédé à
lindépendance en 1776, ont dabord constitué une confédération avant devenir après la
ratification de la Constitution de Philadelphie, la fédération des Etats-Unis dAmérique. De
même, le Suisse est-elle depuis 1848, une fédération bien quelle ait conservé le nom de la
confédération helvétique qui la précédait de 1235 à 1848. Le passage ultime de la confédération
à la fédération peut se produire lorsque lorganisation confédérale se révèle inefficace pour la
réalisation du but recherché ou que la dislocation menace. Cest une telle situation de crise
confédérale aigue qui provoqué la réunion de la convention de Philadelphie et ladoption de la
Constitution américaine.
La création de la fédération peut seffectuer par dislocation (implosion dun Etat unitaire puis
réunion des différentes entités en une fédération comme lAllemagne fédérale en 1949,
implosion dune fédération comme lAutriche-Hongrie en 1919 ou de lURSS en 1991, puis
création dentités fédérales comme lAutriche ou la Russie en 1993 (fédéralisme par dissociation
ou dissociatif).
Cette formule dorganisation étatique est particulièrement appropriée aux Etats disposant dun
vaste territoire (Russie, Etats-Unis, Inde, Canada, Afrique du Sud, Nigeria), sans pour autant
que les Etats plus modestes soient peu adaptés à cette technique comme lattestent au contraire
la Belgique, la Suisse, lAutriche. Elle convient aussi aux Etats devant faire face à une diversité
ethnique, linguistique ou culturelle (Belgique avec la création dune fédération belge par les
révisions constitutionnelles des 5 mai 1993 et 17 février 1994, afin de prendre en compte les
revendications linguistiques francophones, flamandes et germanophones ayant entraîné
linstitution de trois régions : wallonne, flamande et bruxelloise)156.
156
Voir à ce sujet Francis DELPEREE, « Belgique : la nouvelle vague fédéraliste », Revue française de droit
constitutionnel, 2001, n°48.
Le système fédéral permet en effet, par son élasticité, par la marge de manuvre quil implique,
dassocier des groupes dintérêts, des collectivités très diverses qui, sans perdre leur identité et
leur autonomie, peuvent fonder une collectivité plus grande. Synthèse entre lEtat unitaire,
parfois sclérosant pour les collectivités le composant et lEtat confédéral à la consistance
souvent diffuse, lEtat fédéral favorise une diversité dans lunité, conciliant solidarité et
autonomie. Il ne constitue pas cependant une solution idéale comme en témoigne la situation de
lex-fédération de Yougoslavie, en proie à une guerre meurtrière par suite de leffondrement du
communisme et de lexacerbation des nationalismes traditionnels agressifs, les tensions
meurtrières ayant été renforcées par des considérations religieuses157.
En tout état de cause, le fédéralisme est un exercice déquilibre délicat et constamment tendu,
oscillant toujours entre deux exigences contraires et obéissant souvent à des cycles récurrents de
centralisation et de décentralisation. Selon Georges SCELLE « parmi les traits juridiques
essentiels » de la fédération figure : « la participation, gouvernementale » et l« autonomie
gouvernementale »158. Ainsi, lEtat fédéral sorganise et fonctionne à partir de trois principes
essentiels, fondateurs159: la superposition, la participation et lautonomie caractérisent le
fédéralisme, lEtat fédéré perd bel et bien les principaux attributs de la souveraineté.
A. Le principe de superposition
Stéphane RIALS rejette le « prétendu principe de superposition invoqué par une partie de la
doctrine »160. Pour cet auteur, ce principe évoque lidée que dans lEtat fédéral, un nouvel Etat,
un « super-Etat », se superposerait aux Etats fédérés. Or, il ne pourrait y avoir superposition
parce que dune part, il nexiste quun seul Etat, ceux quon appelle Etats fédérés nétant pas de
véritables Etats et que dautre part, lidée de superposition ferait croire que tout le droit fédéral
serait, en toute hypothèse, supérieur au droit fédéré, ce qui est bien sûr souvent erroné.
Dans la pratique, la répartition des pouvoirs entre lEtat fédéral et les Etats fédérés est réglée par
la Constitution qui énonce les compétences fédérales (économie, monnaie, défense, police,
justice, commerce), les compétences des composantes de la fédération (éducation, exécution des
157
La République fédérale de Yougoslavie a officiellement cessé d exister le 4 février 2003, cédant sa place à
lEtat de Serbie-Monténégro. Serbie et Monténégro bénéficient des mêmes droits et d une large autonomie dans
le nouvel Etat aux pouvoirs centraux réduits. Leur maintien dans cet Etat était en réalité une condition-clé à leur
admission au Conseil de lEurope, considérée comme une première étape vers une future intégration à l Union
européenne.
158
SCELLE (G.), Cours de droit international public, (rédigé d'après les notes et avec l'autorisation de M. G.
Scelle) Le fédéralisme international, 1947-1948 (ci-après Le fédéralisme international)
159
Voir sur ce point Louis LEFUR, Etat fédéral et confédération, LGDJ, 2000.
160
RIALS (S.), Destin du fédéralisme, LGDJ, 1986.
peines, état civil) et les compétences concurrentielles ou partagées. La distribution ainsi opérée
entre lEtat fédéral et ses composantes sorganise autour du principe de subsidiarité. Chaque
entité reçoit les compétences quelle est en mesure dassumer dans les meilleures conditions.
LEtat fédéral superpose deux ordres étatiques et deux ordres juridiques.
3. La superposition de deux ordres étatiques implique que les entités fédérées ont la
qualité dEtats
Sur le plan interne, les Etats fédérés perdent leurs pouvoirs que la Constitution fédérale réserve
au niveau fédéral. Ils abandonnent donc la compétence de leur compétence de telle sorte quils
ne sont plus vraiment souverains au niveau interne. Toutefois, la Constitution peut fixer les
limites au pouvoir constituant local. En Allemagne, la Cour constitutionnelle affirme dans une
de ses décisions que « lEtat fédéral et les Etats fédérés possèdent la souveraineté ».
La possibilité même de sécession peut aussi être refusée par la Constitution fédérale qui peut
lexclure expressément ou lempêcher implicitement en énumérant les composantes de la
fédération (Allemagne ou Russie, par exemple). Les constitutions soviétiques successives
reconnaissent (en théorie) aux républiques fédérées le droit de sortir librement de lUnion. Aux
Etats-Unis, en revanche, cest la Cour suprême qui a déduit des dispositions constitutionnelles
fédérales le caractère perpétuel et indissoluble de lUnion, et partant, la nullité juridique dun
acte de sécession pourtant adoptée par une convention locale et ratifié par la majorité des
citoyens concernés: « la Constitution, dans toutes ses dispositions, envisage une Union
indestructible dEtats indestructibles »161.
161
Texas v. White, 1968-Grands arrêts de la Cour suprême des Etats-Unis, Elisabeth ZOLLER, PUF, Droit
fondamental, 2000, n°11.
Par ordre juridique, il faut entendre un ensemble de normes hiérarchisées relevant dune
même norme fondamentale. Dans un Etat fédéral, il existe deux ordres juridiques : lordre
juridique de lEtat fédéral, avec au sommet la Constitution fédérale, et les ordres juridiques des
entités fédérées, avec au sommet de lédifice, les constitutions de ces entités. La superposition
de deux ordres juridiques implique alors une certaine variété du droit national formé de strates
successives et dorigines diverses : le droit fédéral est unique, les droits fédéraux sont en
revanche multiples. Le sujet local ne saurait néanmoins prendre des mesures qui iraient à
lencontre de la Constitution. En Allemagne, par exemple, il y a une obligation pour les «
Länder » de respecter les principes « dun Etat de droit républicain, démocratique et social »162.
La participation des Etats fédérés au pouvoir fédéral peut aussi sexercer au niveau
de la désignation de lexécutif national.
Ainsi, la participation des Etats fédérés au pouvoir exécutif est indirecte. Il ne sagit pas dune
participation à lexercice de ce pouvoir mais dune participation à la désignation du titulaire. Le
Gouvernement fédéral et/ ou le chef de lEtat peut être désigné par les deux assemblées réunies
ou dans des conditions équivalentes. En Suisse, par exemple, le Chef de lEtat peut être élu par
les deux assemblées réunies. Le Chef de lEtat peut encore être élu au suffrage universel indirect
162
Article 28 de la loi fondamentale du 23 mai 1949.
163
La première chambre représente le peuple fédéral tout entier et la seconde représente les Etats eux-mêmes.
Ceux-ci ont donc en tant que tel un droit de participation à la législation fédérale s ajoutant à leur pouvoir
législatif local.
dans le cadre de circonscriptions électorales correspondant aux Etats fédérés. Il peut aussi sagir
dun exécutif collégial composé de représentants des Etats fédérés (Yougoslavie).
A la différence des collectivités locales, les entités fédérées tiennent leurs compétences non de
la volonté de lEtat central mais de la Constitution de celui-ci. Elles détiennent leur pouvoir ab
initio, leurs gouvernements exercent la souveraineté qui leur est confiée par le peuple et non par
le pouvoir central. Les Etats fédérés jouissent alors dune autonomie garantie par la Constitution
fédérale et dont on a vu que le maintien (fédéralisme associatif) ou lacquisition (fédéralisme
dissociatif) est lun des but de lorganisation commune. Ainsi, les collectivités fédérées
établissent leur propre Constitution, leurs propres lois, les exécutent, disposent dun appareil
juridictionnel. Elles jouissent dune triple autonomie :
Lautonomie constitutionnelle
Les entités fédérées jouissent, en premier lieu, dune autonomie constitutionnelle leur permettant
de choisir leur organisation politique. Cette capacité dauto-organisation sinscrivant dans le
cadre des principes fixés par la Constitution fédérale est traditionnellement considérée comme
un critère déterminant, décisif de distinction entre Etat fédéral et Etat unitaire puisque
lexistence des constitutions locales présuppose celle dEtats supranationaux.
Il arrive cependant que les la Constitution fédérale prescrive ou interdise certains choix aux
pouvoirs constituants locaux. Aussi, la Loi fondamentale allemande impose-t-elle le respect des
« principes dun Etat de droit républicain, démocratique et social » tandis que la Constitution
américaine exige celui de « la forme républicaine de gouvernement ». On observe cependant
que les Etats fédérés optent pour le mimétisme constitutionnel en répliquant, en miniature, les
institutions fédérales. En dautres termes, les institutions des entités fédérales sont calquées sur
celles de lEtat fédéral. Aux Etats-Unis, les Etats fédérés ont opté pour un régime présidentiel
pratiqué au niveau fédéral avec un exécutif représenté par un gouverneur élu et un parlement
bicaméral (sauf au Nebraska). En Allemagne, les Landër connaissent un régime parlementaire
avec un chef de gouvernement, le ministre président et un parlement monocaméral. Enfin, au
Canada, le régime parlementaire institué au niveau fédéral a été repris par les provinces avec un
premier ministre disposant dune majorité au parlement monocaméral.
Sagissant des droits et libertés des citoyens, la Constitution locale ne peut contrevenir aux
dispositions de la Constitution fédérale dont la primauté sera, le cas échéant, imposée par la
Cour fédérale.
Lautonomie législative
Les collectivités fédérées disposent dun domaine de compétences législatives garanti par la
Constitution fédérale et protégé par le juge constitutionnel. Se pose alors le problème de la
répartition des compétences entre lEtat fédéral et les Etats fédérés. Ainsi, les compétences sont
partagées la fédération et les entités fédérées selon une clé de répartition fournie par la
Constitution fédérale. Généralement celle-ci énumère les matières ressortissant au niveau
fédéral, confiant ainsi à la fédération des compétences dattribution tandis que les Etats fédérés
conservent a contrario les compétences législatives de droit commun (USA). Mais le critère
nest pas toujours aussi simple et il arrive que la Constitution fédérale détaille de façon plus fine
et complexe des compétences exclusives, concurrentes et partagées (RFA, Suisse). Cette
répartition est évidemment essentielle et cest delle et de son interprétation par le juge fédéral
que dépend le degré dautonomie effective des Etats fédérés.
Quelle que soit lorganisation retenue, le fédéralisme une notion plus dynamique que statique,
en permanent équilibre instable. Le droit textuel mais aussi jurisprudentiel ladapte
constamment, mais évolutions plus factuelles que juridiques contribuent aussi à corriger le
schéma institutionnel. De façon générale, dans les Etats fédéraux initialement construits sur le
mode associatif, on constate une tendance à la centralisation progressive résultant de
considérations essentiellement diplomatiques, économiques et juridiques.
Les nouveaux défis de la politique internationale braquent les projecteurs sur les autorités
fédérales seules investies des pouvoirs diplomatiques et défense. La mondialisation des
échanges et le développement de linterventionnisme public ont aussi servi le pouvoir fédéral
notamment par le biais des aides fédérales aux Etats fédérés. Les autorités fédérales peuvent
restreindre, par exemple, lautonomie locale en matière de police, en conditionnant le
financement de la construction des routes à ladoption dune limitation de vitesse uniforme. La
dépendance économique à légard du centre est, dans les Etats fédéraux comme unitaires, le
frein le plus efficace au mouvement centrifuge.
Par ailleurs, le souci de légalité des droits de citoyens, devenu quasiment obsessionnel, a
évidemment favorisé lapparition dune jurisprudence constitutionnelle globalement
centralisatrice bien que soumise, elle aussi, à des mouvements pendulaires. Dun point de vue
théorique, cette centralisation croissante na fait quaggraver le malaise des définitions.
Enfin, il convient de relever que si la distinction traditionnelle Etat unitaire et Etat fédéral
conserve encore sa pertinence pédagogique et un minimum deffectivité malgré les difficultés de
définitions inhérentes au fédéralisme, il nen demeure pas moins que la fin du XXe siècle a vu se
multiplier des structures atypiques, « hétérodoxes », de plus en plus difficiles à rattacher à lune
ou lautre des catégories traditionnelles dEtats. Un certain nombre dEtats unitaires ont accordé
soit à toutes leurs collectivités soit à certaines dentre elles une véritable autonomie politique
dépassant très largement les seules compétences administratives classiques et les rapprochant
dune répartition fédérale (les Etats régionalistes, autonomiques et asymétriques) 164 tandis que la
construction de lEurope fait apparaître un objet juridique non identifié qui alimente
dinnombrables questionnements et remet de nouveau en cause les certitudes établies.
Les « divisions fédérales des pouvoirs ont plusieurs fonctions, de nature économique, politique
ou symbolique. Les plus importants sont la garantie dune gouvernance autonome et la
préservation de lidentité des groupes concentrés sur certains territoires, tout en profitant de
certains avantages liés à lappartenance à un Etat plus vaste (y compris dêtre défendus
militairement »165.
Un autre argument en faveur du fédéralisme que lon retrouve souvent dans la littérature
américaine, est quil garantit la liberté et fait des gouvernants les agents du peuple, plutôt que les
maîtres (chaque niveau de gouvernement peut invoquer une légitimité issue de lélection, il
préserve la liberté, non seulement en donnant une plus grande possibilité de choix mais aussi en
empêchant une concentration excessive des pouvoirs à tous les niveaux.
Parallèlement, le fédéralisme est critiqué car elle présente des nombreux inconvénients. Il sagit
dun système coûteux, nécessitant un personnel et des dépenses supplémentaires pour entretenir
toutes ces multiples institutions superposées. Les systèmes fédéraux peuvent empêcher la
formation dun ciment social ou des clivages transversaux propices à la formation dune culture
165
JACKSON (V.), « Fédéralisme, normes et territoires », op. cit., p. 10.
politique commune permettant une gouvernance stable : accentuer les différences plutôt que les
atténuer.
Une autre critique porte sur la responsabilité des autorités politiques : comme il y a plusieurs
niveaux de gouvernance que les délimitations de compétences peuvent être floues et que
certaines sont partagées, il peut être difficile de déterminer les responsabilités et de diriger les
recours contentieux.
III. La régionalisation
La Constitution fédérale enregistre un équilibre valable à un moment donné : elle distribue les
compétences et les pouvoirs en fonction de ce qui est acceptable. Mais les données politiques
économiques, sociales et culturelles sont appelées à changer. Ainsi, les Etats fédéraux modernes
connaissent-ils une certaine évolution des pratiques de pouvoir. A une répartition rigide des
compétences succède un fédéralisme coopératif. Celui-ci repose sur la négociation et lentente
préalable. Il conduit à des décisions concertées et à des financements en commun. Mais il
correspond à une immixtion de lEtat fédéral dans les matières réservées. Il est facteur de
166
AMBROSINI (G.), Lo stato regionale come tipo intermedio di stato tra lunitario ed il federate , Roma, 1933.
167
VANDELLI (L.), « Les formes dEtats » : Etat régional, Etat décentralisé, in Traité international du droit
constitutionnel (sous la direction de TROPER (M.), CHAGNOLLAND (D.), T. 1, 2, 2, Paris, Dalloz, 2012, p. 57-67.
168
MASCLET (J.-C.), VALETTE (J.-F.), Droit constitutionnel et institutions politiques, Paris, Dalloz, 1997, p. 77
centralisation. Cette tendance à la centralisation est à luvre dans plusieurs Etats fédéraux
modernes sous linfluence de divers facteurs.
La revendication à plus dautonomie peut être nourrie par lirrédentisme culturel, les différences
ethniques, ou le sentiment dune inégalité de traitement et linfluence au sein de lEtat fédéral :
elle peut soumettre ce dernier à des vives tensions conduisant à modifier le pacte social initial.
Tel est le cas pour le Québec au sein de la fédération canadienne. Les indépendantistes
revendiquent une souveraineté-association qui sanalyse en un relâchement du lien fédéral.
Malgré les crises et les échecs, on observe toutefois une persistance du modèle constitutionnel.
Comment alors ne pas sinterroger sur les conditions de son succès ? Il est permis de se
demander si la réussite de lEtat fédéral nest pas liée à lexistence ou non dun sentiment
national.
Chapitre 2 : La Constitution
LEtat a été défini comme une institution, une personne morale. En tant que telle, lÉtat ne peut
exister quen vertu dun statut juridique169, et le statut de lÉtat, cest sa Constitution destinée à
encadrer le pouvoir. Lun des premiers gestes dun nouvel État est, fréquemment, de se donner,
avec un drapeau, un hymne et une monnaie, une Constitution. Pour quelle(s) raison(s) ? À vrai
dire, la Constitution présente à la fois une valeur symbolique, une valeur philosophie, une
valeur juridique :
La Constitution peut être considérée comme lacte fondateur dun État. Cela étant, le
symbolisme de la Constitution ne se limite pas à lapparition de lÉtat; il se manifeste également
169
Le propre des personnes morales est, effectivement, de ne pouvoir exister qu en vertu d un statut. Appelées à
assumer des fonctions juridiques, il leur faut, pour pouvoir les exercer, un certain nombre d organes. Or, ces
organes, ce sont ses statuts qui les leur donnent. Par conséquent, sans statut, pas de personnes morale.
à loccasion dun changement de régime. La Constitution est alors lacte fondateur dun
régime170.
Se donner une Constitution, cest admettre que le pouvoir nest pas illimité, ses détenteurs
acceptant de lui fixer des bornes. Lidée de limitation du pouvoir est, ainsi, à lorigine de
lélaboration des Constitutions. On passe, en fait, dun pouvoir arbitraire, où tout est permis, à
un État de droit, cest-à-dire à un État qui accepte dêtre limité par le droit.
La Constitution est donc un acte juridique, la clef de voûte de lordre juridique. Elle
correspond à un ensemble de règles juridiques relatives au pouvoir politique, un ensemble de
règles juridiques organisant la vie politique et régissant lexercice du pouvoir cest à dire quelle
prescrit ce que le pouvoir politique doit faire, ne doit pas faire ou simplement peut faire. Cest ce
caractère normatif qui distingue précisément le droit constitutionnel de la politique elle-même
ainsi que de la science politique. La politique est un art, celui de gouverner, au mieux si possible
de en prenant les décisions les meilleures, les plus opportunes. Le droit constitutionnel, lui, régit
lexercice de cet art en traçant le cadre juridique à lintérieur duquel laction politique doit se
maintenir, interdisant certains choix, prescrivant dautres choix ou laissant une faculté. Le droit
constitutionnel ne sintéresse théoriquement pas à lopportunité des décisions politiques mais
seulement à leur régularité juridique, leur conformité à la Constitution.
« Tout Etat a une Constitution » constatait Georges BURDEAU dans son Traité de science
politique, mais toutes les constitutions ne se ressemblent pas.Traditionnellement, la Constitution
170
Les nouveaux gouvernants dun pays ont, très souvent, envie de souligner leur rupture avec le régime
précédent et marquent, par lélaboration de la Constitution, le début d une nouvelle étape dans la vie de la nation,
lentrée dans une nouvelle ère.
représente un acte suprême organisant lexistence et les relations des pouvoirs publics, fixant les
règles obligatoires et impératives relatives à lexercice du pouvoir politique. Pour John
RAWLS, une Constitution démocratique « exprime, à travers la loi fondamentale et en se
fondant sur des principes, lidéal politique dun peuple qui se veut gouverner lui-même selon
certaines formes »171. Au-delà des diverses significations du concept de Constitution, les
professeurs Denys de BECHILLON et Nicolas MOLFESSIS constatent que « les systèmes de
droit moderne ne se conçoivent pas sans référence à une hiérarchie des normes, et la
Constitution se voit conférer le sommet de cette hiérarchie »172. La Constitution est alors
lexpression écrite du « contrat social » rationnellement choisi et voulu par le peuple pour
préserver ses libertés en organisant et limitant le pouvoir. Cette fonction de limitation du
pouvoir assignée à la Constitution est mis en avant par les auteurs de la Déclaration des droits
de lhomme et du citoyen du 26 août 1789, en son article 16: « toute société dans laquelle la
garantie des droits nest pas assurée ni la séparation des pouvoirs déterminée, na point de
Constitution ».
Mais toutes les Constitutions peuvent se définir à partir de critères qui connaissent cependant
quelques limites. Classiquement, on distingue les constitutions soit daprès leur contenu
(constitution au sens matériel), soit daprès leur forme (constitution au sens formel).
Dans son sens matériel, cest-à-dire en fonction de son contenu, la Constitution est considérée
comme un ensemble de règles concernant lorganisation et le fonctionnement des pouvoirs
publics. Dans ce sens, elle organise les compétences au sein de lEtat173, cest-à-dire la
dévolution et lexercice du pouvoir174. La conception matérielle de la Constitution prend en
considération son contenu, son objet, la matière quelle traite. En dautres termes, la définition
matérielle de la Constitution va sintéresser au contenu de la norme fondamentale, cest-à dire à
la matière sur laquelle celle-ci porte son attention. La conception matérielle de la Constitution
renvoie, par suite, aux principes appartenant au domaine constitutionnel. Dès lors, la question
qui se pose est de déterminer quel est le contenu de la Constitution.
171
RAWLS (J.), Libéralisme politique, PUF, coll. « Quadrige », 2001.
172
DE BECHILLON (D.), MOLFESSIS (N.), « Le Conseil constitutionnel et les diverses branches du droit.
Propos introductifs », Les cahiers du Conseil constitutionnel, 2004, n°16.
173
BURDEAU (G.), La théorie de la Science politique, le statut du pouvoir dans lEtat , T, 4, LGDJ, Paris, p.
181.
174
PACTET (P.), Institutions politiques, Droit constitutionnel, 22e éd., Armand Colin, 2003, p. 67.
Si, à lorigine, les Constitutions sintéressent principalement à laménagement des pouvoirs, aux
règles relatives à la dévolution et à lexercice du pouvoir, désormais, elles touchent aussi aux
droits et libertés fondamentaux.
Dans cette conception, la Constitution est lensemble des règles relatives à lorganisation et au
fonctionnement des pouvoirs publics. En France comme au Gabon, on trouve ces normes,
dans le corps même de la Constitution (les articles de la Constitution). Cette conception se
caractérise par les sujets visés. Ce sont en termes juridiques: les institutions politiques et en
termes sociologiques : les gouvernants. Cette conception se caractérise aussi par lobjet de ces
règles. Elles sont relatives à lorganisation et à la composition des organes ainsi que de celles
relatives au fonctionnement interne et externe des organes. Cette conception correspond à ce
que le Doyen Maurice HAURIOU appelait la Constitution politique. Cette conception na
rien de choquant dans la mesure où le but premier des Constitutions est dorganiser lexercice du
pouvoir et où lÉtat, en tant que personne morale, ne peut exister quen vertu dun statut, ce
dernier étant sa Constitution.
Pour lessentiel, la Constitution va contenir les règles qui indiquent quels sont dans un État
déterminé, les fondements et les sources du pouvoir, comment ces pouvoirs sexercent, quelles
bornes leur sont fixées et, le cas échéant, quelles sont les finalités de laction politique
Concrètement, ces règles déterminent la forme de lÉtat, la dévolution et lexercice du pouvoir.
De nos jours, les citoyens eux-mêmes disposent de droits politiques, économiques, sociaux et
solidarités. Ils sont reconnus dans la Déclaration des Droits de lHomme et du Citoyen de
1789 pour ce qui est des droits politiques et par les principes du Préambule de la
Constitution du 27 octobre 1946 pour ce qui est des droits économiques et sociaux. Depuis la
décision du Conseil constitutionnel français du 16 juillet 1971, Liberté Association, ces
deux éléments font partie intégrante de la Constitution actuelle, du « bloc de constitutionnalité
». Dès lors, la Constitution cest non seulement lensemble des règles fixant le statut de lÉtat,
mais cest aussi lensemble des règles fixant le statut du citoyen. Il sagit là de ce que le Doyen
Maurice HAURIOU a appelé la Constitution sociale. En lespèce, sont concernés les
gouvernés, et non plus les gouvernants ; les citoyens, et non plus les institutions politiques.
Dans la société moderne, « la Constitution prend la forme dun système en ce quelle est
présentée comme le principe dordre donnant une unité et sens à lensemble des règles
juridiques organisant la vie des hommes. Toutes les règles sordonnent sous la Constitution,
tout le droit procède de la Constitution »175. La Constitution introduit ordre, cohérence, raison,
en devenant un appareil de répression du corps politique quand bien même le Professeur
Pierre AVRIL avance quun tel texte norganise rien, ne commande rien, noblige à rien, ne
garantit rien : « littéralement, le texte constitutionnel ne veut rien dire, ce sont ses lecteurs qui
le font parler, et plus précisément les lecteurs quelle désignés elle-même en les habilitant à
lappliquer »176.
Aujourdhui en France, la Constitution c'est non seulement lensemble des règles fixant le statut
de lEtat, mais c'est aussi lensemble des règles fixant le statut du citoyen, c'est la Constitution
politique et la Constitution sociale. Au-delà de ce contenu organisationnel et procédural dune
Constitution, selon le Professeur Dominique ROUSSEAU, « depuis quelques années 1971-
1974, tous les observateurs saccordent pour constater que la Constitution devient de plus en
plus jurisprudentielle ; un acte toujours écrit sans doute, mais écrit par le juge constitutionnel
le Conseil constitutionnel est au principe dune nouvelle idée de Constitution qui repose sur un
triple fondement : la garantie des droits des gouvernés, lofficialisation dune idée de droit, la
création dun espace ouvert à la reconnaissance infinie de droits et libertés »177. Cette seconde
mission, plus récente, dévolue à la Constitution, se réalise aussi bien dans le corpus même de la
Constitution, tel larticle 66 alinéa 1er de la Constitution française, prévoyant que « nul ne
peut être arbitrairement détenu » que dans le préambule de celle-ci (celui de 1958 renvoie à
celui de 1946 et fait expressément référence à la Déclaration des droits de lhomme et du
citoyen du 26 août 1789).
On sait en effet, que la Constitution française du 4 octobre 1958 a été élaborée dans un contexte
marqué par la Guerre dAlgérie et ne comporte pas de déclarations de droits fondamentaux.
Néanmoins, cette Constitution souvre sur un préambule qui se contente de proclamer
lattachement du peuple français à deux textes historiques: la Déclaration des droits de
lhomme et du citoyen du 26 août 1789 et le Préambule de la Constitution du 27 octobre
1946. Par la suite, le Conseil constitutionnel a comblé cette lacune en intégrant ces textes dans
le « bloc de constitutionnalité ». La notion de « bloc de constitutionnalité» a été inventée par le
Professeur Louis FAVOREU. Elle est formée de plusieurs couches ou strates successives de
normes de référence du contrôle de constitutionnalité des lois. Dorénavant, pour désigner
175
ROUSSEAU (D.), « Question de Constitution », Mélanges en lhonneur de Gérard CONAC, Le nouveau
constitutionnalisme, Economica, 2000.
176
AVRIL (P.), « Le juge et le représentant », Le Débat, 1993, n°74.
177
ROUSSEAU (D.), « Une résurrection : la notion de Constitution », RDP, 1990, n°1.
lensemble règles ayant valeur constitutionnelle, on emploie volontiers lexpression doctrinale
de « bloc de constitutionalité », qui comprend plusieurs séries dénoncés juridiques.
Par une décision fondatrice du 16 juillet 1971 (Décision n°71-44 DC, Liberté dassociation),
le Conseil constitutionnel reconnaît la valeur positive, une valeur juridique suprême tant de la
Déclaration des droits de lhomme et du citoyen du 26 août 1789 que du Préambule de la
Constitution du 27 octobre 1946 en évoquant les « principes fondamentaux reconnus par les
lois de la République et solennellement réaffirmés par le préambule de la Constitution ». Dès
lors, « le bloc de constitutionnalité » contient plusieurs normes de référence emboitées les unes
dans les autres. Il faut à cet égard rappeler que le Conseil constitutionnel a progressivement
développé et mis en place une jurisprudence protectrice des droits fondamentaux. De simple «
juge de la répartition des compétences »178, de simple « organe régulateur de lactivité des
pouvoirs publics »179, il est devenu le garant de lordre juridique, le « régulateur de lactivité
normative du gouvernement législateur », l« organe régulateur de léquilibre des pouvoirs », le
protecteur des libertés fondamentales.
Il sagit dun texte historique, symbolique de la Révolution française consacrant les « droits
civils et politiques » ou encore « droits-libertés » supposant une abstention de lÉtat et
garantissant notamment:
légalité, « principe gigogne », « principe matriciel » doù découlent toute une série de
principes secondaires (égalité devant la loi, devant les charges publiques, égalité devant
le service public, égalité des sexes
.
Elle consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui (article 4). Il est ainsi précisé que «
tout ce qui nest pas défendu par la loi ne peut être empêché » (article 5). De ce principe
178
MELIN-SOUCRAMANIEN, Droit constitutionnel, Paris : Sirey, 2006, 25e édition, p. 507
179
Décision n°62-20 DC du 06 novembre 1962, Élection du Président de la République au suffrage universel
direct, Rec., p. 27.
découlent, se traduisent plusieurs libertés publiques (liberté individuelle, liberté dopinion et de
religion).
la sûreté, conçue comme une garantie contre larbitre et inspirée de lHabeas corpus
britannique.
Ce principe na pas été défini en 1789. Il a fallu attendre la Déclaration girondine du 26
février 1793. Aux termes de larticle 10 de cette déclaration : « la sûreté consiste dans la
protection accordée par la société à chaque citoyen pour la conservation de sa personne, de ses
biens, et de ses droits ». Larticle 7 de la Déclaration des droits de lhomme et du citoyen du
26 août 1789 dispose que « nul homme ne peut être accusé, arrêté ni détenu que dans cas
déterminés par la loi et selon les formes quelle a prescrites ». Larticle 8 précise que « nul ne
peut être puni quen vertu dune loi établie et promulguée antérieurement au délit et légalement
appliquée » et larticle 9 qui énonce que « tout homme est présumé innocent jusquà ce quil ait
été déclaré coupable ».
la résistance à loppression
Le principe dutilisation des lois locales Alsace et en Moselle « tant quelles nont pas
été remplacées par les dispositions de droit commun ou harmonisées avec elles »
(Décision n°2011-157 QPC du 5 août 2011, Société SOMODIA [Interdiction du
travail le dimanche en Alsace-Moselle]).
Au titre des principes destinés à garantir des libertés, ont été proclamées :
La plupart des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République ont été dégagés
par Conseil constitutionnel. Cependant, il est arrivé au Conseil dEtat den faire de même. Sous
la IVe République, le Conseil dEtat a consacré au rang de principes fondamentaux reconnus
par les lois de la République, la liberté dassociation ( CE, 11 juillet 1956, Amicale des
annamites de Paris). Par un arrêt Moussa Koné (CE, Ass., 3 juillet 1996, Koné), le Conseil
dEtat, affirme le caractère de principe fondamental reconnu par les lois de la République du
principe selon lequel, lEtat doit refuser une extradition lorsquelle est demandée dans un but
politique.
5. La Charte de lenvironnement:
Dans une décision dAssemblée du 3 octobre 2008, (CE, Ass., 3 octobre 2008, Commune
dAnnecy), le Conseil dEtat rappelle la valeur constitutionnelle de la Charte de lenvironnement
en considérant que « larticle 34 de la Constitution prévoit, dans la rédaction que lui a donnée la
loi constitutionnelle du 1er mars 2005, que « la loi détermine les principes fondamentaux (
)
de préservation de lenvironnement », quil est spécifié à larticle 7 de la Charte de
lenvironnement à laquelle le préambule de la Constitution fait référence en vertu de la même
loi constitutionnelle que « toute personne a le droit, dans les conditions et les limites définies
par la loi, daccéder aux informations relatives à lenvironnement détenues par les autorités
publiques et de participer à lélaboration des décisions publiques ayant une incidence sur
lenvironnement ; que ces dernières dispositions comme lensemble des droits et devoirs définis
dans la Charte de lenvironnement, et à linstar de toutes celles qui procèdent du Préambule de
la Constitution, ont valeur constitutionnelle ; quelles simposent aux pouvoirs publics et aux
autorités administratives dans leurs domaines de compétences respectifs ». Il sensuit que la
Charte de lenvironnement consacre les « droits-solidarité ».
6. Les principes de valeur constitutionnelle, dégagés par le juge constitutionnel, sans quils
puissent se rattacher à un texte écrit ou être qualifiés de PFRLR).
180
Décision n°2006-540 DC du 27 juillet 2006 relative au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de
l'information, Rec., p. 88.
181
Ibid.
182
« Echange de vux à lElysée. Vux du Président du Conseil constitutionnel, M. Pierre MAZEAUD, au
Président de la République. Discours prononcé le 3 janvier 2005 à l Elysée », Cahiers du Conseil
constitutionnel, n°18, 2005, p. 3-18.
symbolique »183, « la notion didentité constitutionnelle de la France semble englober tout
autant la défense des particularités institutionnelles de la République que la protection des
droits fondamentaux »184. Daprès Jean-Éric CHOETTL, l« identité constitutionnelle » « ne
touche quà un petit nombre de matière (laïcité, égalité daccès aux emplois publics
) sur
lesquelles il est douteux que lUnion entende interférer »185.
En revanche, il convient de relever que la doctrine dénonce cette décision en raison des
«constructions dogmatiques des principes de souveraineté de lÉtat et de démocratie et les
183
BLACHER (P.), PROTIERE (G.), « Le Conseil constitutionnel, gardien de la Constitution face aux directives
communautaires », RFDC, n°69, 2007, p. 135.
184
Ibid.
185
SCHOETTL (J.-E.), « Primauté du droit communautaire: lapproche du Conseil constitutionnel », EDCE,
n°2007-58, p. 389.
186
Cour constitutionnelle italienne, 27 décembre 1973, n°183, Frontini e Pozzani c/ Ministère des finances,
RTDE, 1974, p. 148
187
BVerfGE, 2 BvE 2/08, du 30 juin 2009, disponible dans sa version originale allemande et sa traduction sur le
site www.bundesverfassungsgericht.de
188
SIMON (D.), « La Cour de Karlsruhe et le traité de Lisbonne : oui mais
, Europe », août-septembre 2009,
Repère 8, p.
189
BARRIERE (A.-L.), ROUSSEL (B.), « Le traité de Lisbonne, étape ultime de l intégration européenne ? Le
jugement du 30 juin 2009 de la Cour constitutionnelle allemande, notre Comité d études des relations
francoallemandes » (Cerfa), IFRI, septembre 2009, p. 3.
190
HAENEL (H.), Rapport dinformation n°119 sur larrêt rendu le 30 juin 2009 par la Cour constitutionnelle
fédérale dAllemagne au sujet de la loi dapprobation du traité de Lisbonne, Sénat, Commission des affaires
européennes, 26 novembre 2009, p. 33.
conséquences néfastes pour le projet européen »191. On peut également évoquer la
jurisprudence du tribunal constitutionnel espagnol qui consacre lobligation impérative de
respecter « principes fondamentaux de lÉtat social et démocratique de droit établi par la
Constitution nationale »192. Cette évolution conduit un certain nombre dobservateurs à se
demander si lon soriente « vers la reconnaissance dun droit à lidentité nationale pour les
États membres de lUnion »193. En tout état de cause, interprétée strictement, le principe de
lidentité constitutionnelle pourrait rapidement devenir un obstacle incontournable à toute
atteinte à « lintangibilité de lunité politique de lÉtat »199.
Il sagit des objectifs de valeur constitutionnelle qui doivent orienter laction des pouvoirs
publics. Il va ainsi du maintien de lordre public, ou du droit de la personne de disposer dun
logement décent. Notons aussi que le Conseil dEtat reconnaît une valeur constitutionnelle au
Préambule de la Constitution de 1958 et constitutionnalise ce faisant, la Déclaration des droits
de lhomme et du citoyen. Dabord en 1959, le Conseil dEtat considère que « les principes
généraux du droit résultant notamment du préambule simposent à toute autorité réglementaire
même en labsence de dispositions législatives » (CE, 26 juin 1959, Syndicat des ingénieurs
conseils). Ensuite, dans un arrêt de Section du 12 février 1960 (CE, Sect., 12 février 1960,
Société Eky), la Haute juridiction pose le principe de lunité de lensemble des normes
constitutionnelles en leur reconnaissant la même valeur juridique. Pour cela, il se réfère à
plusieurs sources, larticle 6 de la Déclaration des Droits de lHomme et du Citoyen du 26
août 1789, larticle 34 de la Constitution du 4 octobre 1958.
Au Gabon comme en France, la Constitution du 26 mars 1991 est précédée dun préambule
auquel la Cour constitutionnelle gabonaise a reconnu une valeur constitutionnelle. Dans une
décision du 28 février 1992 (Décision n°1/CC du 28 février 1992, relative à la loi organique
portant lorganisation et le fonctionnement du Conseil national de la communication ), le
juge constitutionnel gabonais a considéré que « la conformité dun texte de loi à la Constitution
doit sapprécier non seulement par rapport aux dispositions de celle-ci mais aussi par rapport
191
VON UNGERN-STERNBERG (A.), « Larrêt Lisbonne de la Cour constitutionnelle fédérale allemande, la fin
de lintégration européenne ? », RDP 2010, p. 172.
192
Tribunal constitutionnel espagnol, Déclaration, 13 décembre 2004, F. J. n°2 (DTC n°1/2004) ; notamment L.
BURGORGUE-LARSEN, « La déclaration du 13 décembre 2004 : un Solange II à l espagnole », Cahiers du
Conseil constitutionnel, 2005, n°18, p. 154-161.
193
MOUTON (J.-D.) « Vers la reconnaissance dun droit à lidentité nationale pour les Etats membres de l Union
? », in La France, lEurope et le monde, Mélanges en lhonneur de J. Charpentier, Paris, Pedone, 2008, p. 409 199
PIERRE-CAPS (S.), « La protection des minorités et lordre juridique français », Presses universitaires de
Nancy, 2 tomes, 1987, p.105.
au contenu des textes et normes de valeur constitutionnelle énumérés dans le préambule de la
Constitution, auxquels le peuple gabonais a solennellement affirmé son attachement et qui
constituent, avec la Constitution, ce quil est convenu dappeler le bloc de constitutionalité ; ».
Par exemple, certains ont prétendu que lusage par le Général DE GAULLE de larticle 11 de la
Constitution de 1958 à la place de larticle 89 pour réviser celle-ci aurait créé une coutume en ce
sens. Or, les deux critères dune coutume manquent ici : dune part cette procédure na été
utilisée que deux fois, en 1962 et en 1969, et la seconde fut un échec, on ne peut donc parler de
répétition constante et claire ; dautre part cet usage a été vivement contesté tant par les acteurs
politiques que par la doctrine constitutionnaliste, lopinio juris est donc également absent. Il ne
peut donc y avoir de coutume constitutionnelle au sens normatif que lorsque les acteurs
politiques considèrent lusage quils pratiquent régulièrement comme obligatoire, cest-à-dire,
quils estiment que toute pratique contraire serait inconstitutionnelle. Il va de soi que les
coutumes sont très imprécises et partant très incommodes, car on ne sait jamais très exactement
quand elles entrent en application et quand elles tombent en désuétude, le seuil nécessaire de
durée étant aussi difficile à déterminer dans un cas que dans lautre. Il est également certain que
lon peut donner de la Constitution coutumière quune définition matérielle mais on observera
que la Constitution entendue au sens matériel ne sidentifie pas avec la Constitution coutumière
car elle peut aussi comporter, et parfois exclusivement, des règles écrites. Actuellement, les
constitutions coutumières sont rares puisquelles appartiennent au passé, à quelques exceptions
près. Le seul problème que pose la coutume de nos jours, cest celui de son rôle dans les Etats à
constitution écrite, cest-à-dire une constitution dotée dune certaine rigidité, existence dun
organe de révision spécifique se déterminant, le plus souvent, selon une procédure également
spécifique. Ces constitutions ne peuvent, en effet, tout prévoir ni tout régler et leurs lacunes
laissent des places vides que des règles coutumières peuvent remplir et quà défaut la pratique
politique viendra combler.
Deux règles permettent de résoudre les difficultés susceptibles de se présenter quant au rôle des
règles coutumières dans les Etats à constitution écrite.
Constitution le sont par le « pouvoir constituant dérivé (ou institué)» qui est donc celui de
réviser une Constitution existante selon les formes et les mécanismes prévus par cette
Constitution. Elle ne saurait en effet être perçue comme un texte immuable (« les constitutions
ne sont point des tentes dressées pour le sommeil »), mais au contraire comme un écrit en phase
avec les attentes, les aspirations des citoyens, les évolutions politiques et sociétales du pays.
Lintervention du « pouvoir constituant dérivé » représente en quelque sorte la capacité
dadaptation du texte suprême symbolisant ce faisant sa vitalité, condition de sa pérennité.
Par son existence même, du moins au sens formel, la Constitution soppose à larbitraire en ce
quelle définit lEtat de droit où nest possible que ce qui est conforme aux règles quelle pose 197.
Cest dans ce sens que le constitutionnalisme a historiquement joué un rôle majeur de limitation
du pouvoir. En effet, dans sa conception classique, le constitutionnalisme est considéré comme
un moyen de limiter le pouvoir des gouvernants.
196
CARRE DE MALBERG (R.), Contribution à la théorie générale de lEta t, Paris, Sirey, 1922, p. 571 et
suivants. 202 Cela vaut aussi bien pour lélaboration proprement dite que pour la révision de la Constitution.
197
PACTET (P.), Institutions politiques, Droit constitutionnel, 22e éd., Armand Colin, 2003, p. 65.
198
ROUSSEAU (D.), « Une résurrection: la notion de constitution », op. cit., p. 6.
199
Cest ce qui ressort de larticle 1 er du Titre VII « De la révision des décrets constitutionnels » de la
Constitution française du 3 septembre 1791. Le principe de la révisabilité de la Constitution est repris en des
termes plus prégnants dans la Déclaration des droits de lhomme et du citoyen de la Constitution montagnarde de
1793 : « un peuple a toujours le droit de revoir, de réformer et de changer sa Constitution et une génération ne
peut assujettir à ses lois les générations futures ».
200
ESMEIN (A.), Eléments de droit constitutionnel français et comparé 4e éd., Paris, Sirey, 1906, p. 471.
société201. Selon léminent juriste, la première se présente sous la forme dun écrit institué tandis
que la seconde se réalise par lécrit juridictionnel 202203. Aujourdhui, la quasi-totalité des Etats
dispose dune Constitution de type écrit même sil est vrai que limportance tient moins à la
forme écrite quà lexistence dun organe de révision spécifique se déterminant selon une
procédure également spécifique. Dailleurs, « les vraies constitutions ne sont-elles pas les
constitutions rigides ? »209.
En somme, « les constitutions ne sont point des tentes dressées pour le sommeil »210, elles ne
sont pas des textes immuables. Les lois constitutionnelles sont des textes écrits et élaborés par
un organe spécialisé dans la fonction de fournir un cadre juridique au pouvoir politique, de doter
lEtat dun statut. Cet organe spécialisé détient donc ce quon appelle le pouvoir constituant et
lon nomme fréquemment cet organe soit le « pouvoir constituant » soit le « constituant » tout
court tout comme on parle du « législateur » pour désigner lauteur des lois ordinaires.
Ce pouvoir constituant peut sexercer dans deux conditions a priori très différentes: soit il
sexerce à titre originaire pour poser une nouvelle constitution soit il sexerce à titre dérivé pour
réviser celle qui existe. Mais cette distinction rencontre cependant des limites.
I. Lélaboration de la Constitution
Le « pouvoir constituant originaire » est celui qui est à lorigine dune Constitution donnée, cest
le pouvoir détablir les règles constitutionnelles cest-à-dire le pouvoir de doter un Etat dune
201
HAURIOU (M.), Droit constitutionnel, Sirey, 1929, p. 624.
202
Idem.
203
ROUSSEAU (D.), « Une résurrection: la notion de constitution », op. cit., p. 15. 210
Soit quand un Etat nouveau se crée, apparaît sur la scène internationale alors quil
nexistait pas auparavant (à la suite dune sécession, dune décolonisation, ou dune
colonisation) et quil se dote donc de sa première Constitution.
Dans cette hypothèse, la liberté des titulaires du « pouvoir constituant originaire » est totale.
Tel est le cas, au cours des années 1960, dans les territoires sous dépendance coloniale française
ou anglaise notamment lorsquils ont accédé à lindépendance.
Soit lorsquun Etat existant, donc déjà doté dune Constitution, décide de changer de
régime politique en remplaçant la Constitution en vigueur par un nouveau texte.
Soit à loccasion dune guerre, en cas de résurrection dun Etat que lon a pu croire un
moment disparu. Il en va ainsi de lAllemagne de louest, après la défaite de 1945,
lorsquelle a adopté la loi fondamentale du 23 mai 1949.
En pratique, le pouvoir constituant originaire sexerce selon des très variables. En dautres
termes, la mise en uvre du pouvoir constituant originaire peut se faire selon plusieurs procédés
en vertu du contexte politique et de lidéologie plus ou moins démocratique. Ce pouvoir peut
emprunter des formules démocratiques ou moins démocratiques.
Lélaboration non-démocratique
Il sagit dun mode délaboration qui confie lexercice du pouvoir constituant originaire au Chef,
au monarque, au dictateur ou encore à un groupe. Lélaboration de la Constitution exclut alors
toute participation populaire. Elle procède ainsi du geste unilatérale du titulaire du pouvoir qui
affirme détenir la souveraineté et impose lui-même une constitution au peuple. Cest fut le cas
de la charte de 1814 « octroyée »204 unilatéralement par Louis XVIII à ses sujets. Il faut
également rappeler quaprès un coup dEtat, les vainqueurs élaborent souvent une constitution,
de leur propre initiative, sans lassentiment populaire : Acte constitutionnel n°1 du 15 mars
2003, de la République centrafricaine rédigé par le Général BOZIZE après son Coup dEtat.
GAULLE ayant obtenu laccord de la classe politique, du parlement et de la nation sur les
grandes lignes du nouveau texte, le fit préparer par un groupe dexperts avant de le soumettre au
referendum. Les formules moins démocratiques peuvent aussi consister en pacte constituant
dont le contenu résulte dun accord, dune transaction entre lassemblée (élue suffrage censitaire)
et le monarque. Il en va ainsi, en France, en 1830, de la « Charte négociée » par Adolphe
THIERS au nom des parlementaires et le futur LOUIS-PHILIPPE 1er.
204
La Constitution octroyée est le procédé employé en France, par LOUIS XVIII, à l occasion de la Restauration
de la monarchie en 1814 ou en Russie, par le Tsar NICOLAS II, en 1905.
Lélaboration démocratique
Les modes délaboration démocratique sont ceux qui confient à une assemblée élue par
lensemble des citoyens le soin délaborer la Constitution. En désignant ainsi les membres de
lassemblée constituante, le peuple est à même dorienter lélaboration de la Constitution.
De nos jours les Constitutions sont, en règle générale, élaborées suivant des voies
démocratiques parce que, idéalement, « une Constitution est luvre dun peuple libre »205 et « il
ne peut y avoir de Constitution que celle qui est acceptée par le peuple »213. Dans cette logique,
la norme fondamentale devrait donc être élaborée directement par le peuple; mais, les millions
dindividus qui composent, les sociétés politiques contemporaines rendent, de fait, la
représentation inévitable. En clair, plusieurs procédures plus démocratiques peuvent être
utilisées :
Il peut sagir en premier lieu des techniques de démocratie directe : le peuple constituant.
Il peut sagir ensuite des techniques de démocratie représentative : les Assemblées constituantes.
En règle générale, le pouvoir constituant du peuple sexerce indirectement, cest-à-dire au
moyen de la représentation. Lavènement dune société au sein de laquelle les gouvernants
puisent leur autorité dans le consentement des gouvernés prend ici tout son sens. Dans la
pratique, le principe veut quune Assemblée constituante, dont la mission est délaborer une
nouvelle Constitution, soit élue. Les constituants ayant été désignés par le peuple, celui-ci est
par suite, associé implicitement à son élaboration. Cette assemblée peut être uniquement
constituante, en dautres termes avoir été désignée avec comme tâche exclusive la
rédaction dune nouvelle Constitution (Assemblée constituante ad hoc)206, ou elle peut être
constituante et législative, cest-à-dire non seulement exercer la mission constituante, mais
205
ZOLLER (E.), Droit constitutionnel, PUF, Paris, 1999, 2ème éd., p.
62. Décret du 21 septembre 1792 adopté par la Convention nationale.
206
Ainsi, la Constitution des États-Unis du 17 septembre 1787 a été élaborée par la Convention de Philadelphie,
spécialement réunie à cet effet.
également être chargée dadopter les lois ordinaires et de préparer la mise en place des
futures institutions207.
Il en va ainsi de lélaboration du texte constitutionnel par les gouvernants avec ratification (ou
rejet) du projet soit par une assemblée parlementaire comme 10 juillet 1940 en France, soit par
le peuple comme le 28 septembre 1958 en France (élaboration du projet de la constitution de
1958 par un comité consultatif constitutionnel). Dans cette dernière hypothèse, le référendum
constituant prend principalement la forme dun plébiscite noffrant guère la possibilité de
débattre sur la nature des institutions proposées (Constitutions françaises de lAn VIII, de lAn
X, de lAn XII et Charte de 1815).
Il peut sagir par ailleurs de la réunion dune assemblée élue par le peuple , une assemblée
constituante spécialement élue par les citoyens, constituée spécialement pour loccasion, dotée
dun pouvoir uniquement constituant (Assemblée constituante ou Convention) et disparaissant
une fois sa mission accomplie (cas des Etats-Unis avec la Convention constituante de
Philadelphie réunie à compter du 21 février 1787, cas de la France en 1789 avec les députés de
la Constituante qui ont été déclarés inéligibles à lAssemblée législative de 1791).
La dernière formule est souvent combinée avec lintervention populaire pour élire, dune part
lassemblée, dautre part, pour ratifier le texte lui-même (Constitutions françaises de 1791, de
1793 et de 1946).
Il faut également mentionner les hypothèses où, du fait des circonstances historiques très
particulières, la Constitution dun Etat nest pas souverainement décidée par lui mais imposée et
même parfois rédigée par des puissances étrangères ou internationales. Ainsi, le Constitution
japonaise de 1946 a-t-elle été dictée par le général américain MAC ARTHUR tandis que la
Constitution bosniaque du 14 décembre 1994 a été arrêtée par le président des Etats-Unis
dAmérique et des représentants des communautés serbe et bosniaque.
207
Cette solution a été retenue en France avec, par exemple, lAssemblée nationale constituante de 1789.
On retiendra que le plus souvent, la Constitution est adoptée par une assemblée représentative,
à savoir lAssemblée constituante. La tradition démocratique exige, toutefois, quun document
dune telle importance soit soumis à la ratification des citoyens, cest-à-dire au référendum. En
dautres termes, le texte élaboré par lAssemblée constituante est soumis au peuple afin que
celui-ci le ratifie208. On retiendra aussi que le procédé plus démocratique est certainement celui
qui soumet au peuple pour ratification, le projet élaboré par une assemblée constituante. Le
peuple intervient ainsi une première fois, au début du processus, pour désigner ses
représentants, puis une seconde fois, tout à la fin, pour entériner ou rejeter. Cette formule est la
plus démocratique puisque la présence populaire sy manifeste à la fois dans la rédaction et
ladoption finale mais cest aussi la plus lourde.
Il est tout dabord initial dans son fondement en ce sens quil existe avant la Constitution, il
lui est antérieur et extérieur puisque cest lui qui la fait. Le pouvoir constituant originaire ne
procède daucune autorité établie, aucun texte ne lorganise, il est totalement spontané, il est un
fait. Il se situe ainsi en dehors du droit positif, cest-à-dire des règles en vigueur, et répond à la
seule nécessité de doter lEtat dun statut en harmonie avec les aspirations de la société (ou de la
classe dominant, pour les adeptes de linstrumentalisation de lEtat). Son fondement se trouve
donc tout simplement dans le souveraineté. Selon lécole normativiste de Hans KELSEN, on
doit imaginer lexistence dune Grundnorm, cest-à-dire une norme fondamentale, supposée et
invérifiable, qui habilite le constituant à faire une constitution, à poser des règles
constitutionnelles. Quant à la détermination de lauteur de cette norme, elle est laissée à la
croyance de chacun (Dieu, nature, contrat social, force
).
Il est ensuite inconditionné dans son exercice puisque nétant prévu ni organisé par aucun texte
préexistant, il est mis en uvre spontanément et directement par le détenteur de la souveraineté.
Aucune procédure nest préalablement dictée au pouvoir constituant originaire qui sexerce donc
selon les modalités empiriques choisies par les dirigeants en place, quil sagisse des
208
En 1958, le général DE GAULLE a fait usage de cette procédure pour faire ratifier la Constitution de la Vème
République.
gouvernants de droit issus de la Constitution précédente (Assemblée nationale en 1958, en
France), ou de gouvernants de fait (Gouvernement provisoire de la République française en
1944-1945).
Il est enfin illimité dans le fond et dans le temps. Sur le fond, il peut édicter valablement toutes
les règles constitutionnelles quil juge bonnes, aucune borne supérieure ne lui est fixée. A moins
dadmettre les thèses jurisnaturalistes qui affirment que la Constitution doit respecter et garantir
des droits naturels qui lui préexisteraient et donc de céder à lidée de supraconstitutionnalité,
le constituant peut décider absolument tout ce quil souhaite puisquil exprime précisément la
souveraineté. Dans une décision du 2 septembre 2005, le Conseil constitutionnel français a
considéré que « le pouvoir constituant est souverain, quil lui est loisible dabroger, de modifier,
ou de compléter des dispositions de valeur constitutionnelles dans la forme quil estime
appropriée », même si cette double consécration du pouvoir constituant originaire et du pouvoir
constitué intervient « sous réserve dune part des limitations touchant aux périodes au cours
desquelles une révision de la Constitution ne peut être engagée ou poursuivie qui résultent des
articles 7, 16 et 89 du texte constitutionnel et, dautre part, du respect des prescriptions de
lalinéa 5 de larticle 89 en vertu desquelles « la forme républicaine du gouvernement ne peut
faire lobjet dune révision » ». Les Professeurs Louis FAVOREU et Loïc PHILIP
sinterrogent tout de même sur la logique daffirmer que « le pouvoir constituant est souverain
et de préciser aussitôt quil doit respecter les limites fixées par le texte constitutionnel, surtout
si le respect de ces limites doit être assuré par le juge ? Si le pouvoir constituant est souverain,
il peut méconnaître les limites quil sest lui-même fixées, mais alors à quoi bon rappeler celles-
ci de manière aussi précise et en interprétant même certaines dispositions constitutionnelles
(larticle 16) de façon aussi extensive e pouvoir constituant est souverain »
Constitution qui serait contraire à des traités antérieurs exposerait lEtat concerné à des
sanctions internationales.
Dans le temps, le pouvoir constituant originaire est également illimité : il peut sexercer à tout
moment sans aucune condition de délai ni de circonstances particulières. Le souverain peut
donc tout faire quand il le veut
à condition dêtre vraiment souverain, ce qui nest plus
vraiment le cas aujourdhui pour des nombreux Etats dont les constitutions sont, en réalité, plus
ou moins dictées par la pression dinstances internationales ou européennes. Beaucoup de pays
« émergents » se voient, en effet, condamnés à solliciter soit laide internationale ou étrangère
soit, pour ce qui est des pays dEurope centrale et orientale (PECO) à réclamer leur adhésion au
Conseil de lEurope et à lUnion européenne. Cette dépendance les contraint à se soumettre aux
standards constitutionnels imposés par les bienfaiteurs et donc à accepter une limitation de leur
souveraineté, quitte dailleurs à ce que le respect des standards prescrits napparaisse parfois que
sur le papier.
B. La révision de la Constitution
La Constitution est, par définition, un texte évolutif. Cest pourquoi, même sil est impératif
dassurer la stabilité de la Constitution, qui est « linstrument de la transparence du pouvoir, le
point dancrage fixe, public et stable de la vie politique et juridique dun pays », la nation doit
préserver son « droit imprescriptible de changer sa Constitution ». Les constitutions ne sont pas
donc immuables. Elles doivent évoluer avec leur temps. En effet, la Constitution, comme toute
chose humaine, subit lusure du temps et ne peut être immuable 209. Elle doit donc pouvoir être
modifiée en fonction de lévolution de la société et des nouvelles réalités sociales, des murs et
des aspirations politiques. Dun point de vue juridique, la modification apportée à une
Constitution correspond à la « révision » de la Constitution. Plus précisément, la révision
consiste à corriger la Constitution par suppression, adjonction ou modification. En dautres
termes, réviser la Constitution, cest réélaborer le texte constitutionnel ou, du moins, une partie
de ce texte.
209
Le Roi HASSAN II du Maroc, à loccasion de sa réception à l Assemblée nationale le 7 mai 1996, a
développé la métaphore du vêtement à propos de la Constitution : « Un vêtement se dessine et se coud en
fonction des formes et des mesures de celui qui devra le porter. Bien plus, celui que l on habille ne gardera pas
immuablement la même silhouette ».
Dun point de vue formel, la révision est luvre du « pouvoir constituant dérivé »210. À vrai
dire, lexpression « pouvoir constituant dérivé » désigne la capacité de modifier une
Constitution déjà instituée. Autrement dit, le pouvoir constituant est dit « dérivé » lorsquil
intervient dans un contexte de continuité constitutionnelle, soit par amendement de la
Constitution en vigueur, soit par révision densemble, mais conformément à la procédure par
elle établie et en faisant appel aux organes qui ont été constitutionnellement habilités à réviser la
Constitution. Dans cette hypothèse, cest toujours le pouvoir constituant qui est mis en uvre,
mais ce pouvoir est prévu par la Constitution, il dérive de celle-ci, dou le nom de « pouvoir
constituant dérivé ». Létude de la révision de la Constitution doit nous conduire à examiner la
notion de pouvoir constituant dérivé avant détudier sa mise en uvre.
Le pouvoir constituant dérivé est celui, non plus de créer une nouvelle constitution mais,
seulement de réviser celle qui existe, selon modalités et dans les limites fixées par la
constitution en vigueur. Il en résulte que ses caractéristiques sont diamétralement opposées à
celles du pouvoir constituant originaire : il est secondaire dans son fondement, conditionné dans
son exercice et peut être limité dans le fond et dans le temps.
Il est secondaire en ce sens quil trouve sa source, son fondement dans la constitution existante,
donc dans le droit positif. Il est dérivé de la constitution et non pas initial et autonome.
Il est conditionné car il doit sexercer suivant les modalités prévues par la constitution en
vigueur.
La mise en uvre du pouvoir de révision est conditionnée par la nature même de la Constitution.
De ce point de vue, on oppose traditionnellement les Constitutions souples aux Constitutions
rigides.
Cest la constitution qui détermine lorgane compétent pour décider la révision ainsi que la
procédure quil devra suivre. Cet organe peut être celui qui adopte les lois ordinaires et la
révision peut se faire selon la procédure législative normale, on dit alors que la constitution est
souple, cest-à-dire quelle aisément modifiable. La Constitution est alors souple lorsquelle peut
être révisée par les organes et selon la procédure servant à ladoption des lois ordinaires. Dès
210
À la place de cette dénomination, certains auteurs préfèrent les appellations suivantes : « pouvoir constituant
institué », « pouvoir constituant constitué », « pouvoir de révision constitutionnelle », « pouvoir de révision de la
Constitution » ou, simplement, « pouvoir de révision ».
lors, il ny a pas de différence entre la Constitution et la loi ordinaire, de sorte que le législateur
ordinaire a la possibilité de modifier à sa guise les règles constitutionnelles. En dautres termes,
la suprématie de la Constitution nest alors quun mot car il ny a pas de différence entre les lois
constitutionnelles et les lois ordinaires. La supériorité de la loi constitutionnelle sur la loi
ordinaire ne débouche sur aucune conséquence juridique pratique dans la mesure où la
Constitution occupe le même rang que la loi dans la hiérarchie des normes. Compatible avec
une certaine conception de lÉtat de droit (ex. : Royaume-Uni211, Nouvelle-Zélande, Israël,
Chine
), la souplesse (excessive) dune Constitution peut être dangereuse pour les droits
fondamentaux des citoyens parce quelle permet de faire plier le droit devant les volontés de la
majorité politique du moment.
Au contraire, le pouvoir de révision peut être confié à un organe distinct du législateur habituel
(assemblée constituante ad hoc et/ou ratification populaire, par exemple) et soumis à une
procédure spécifique plus solennelle avec des conditions dadoption plus difficiles (majoritée
renforcée notamment), on dit alors que la constitution est rigide cest-à-dire quelle ne se
révise pas facilement. La Constitution rigide est alors une Constitution qui ne peut être
modifiée que selon des formes et des procédures spéciales (ex. : délais plus longs, majorités
qualifiées, organes spécifiques
), différentes de celles utilisées pour la loi ordinaire. En
dautres termes, la révision de la Constitution fait intervenir un organe et une procédure
spécifiques et, surtout, différents de la procédure législative ordinaire, ce qui signifie que
la Constitution ne peut, en principe, être modifiée par la loi ordinaireElle ne peut être
révisée que par un organe distinct et selon une procédure spécifique, différente de la
procédure législative ordinaire. Les constitutions sont alors plus rigides lorsque les
procédures de révisions sont spécifiques et complexes212. Ainsi, la Constitution, dont la
révision est plus difficile à mettre en uvre, bénéficie dune force juridique qui la situe à la
première place dans la hiérarchie des normes213. Ici, la Constitution correspond à un
instrument « énoncé dans la forme constituante et par lorgane constituant et qui, par
suite, ne peut être modifié que par une opération de puissance constituante et au moyen
dune procédure spéciale de révision ».
Cette rigidité est nécessaire à une correcte distinction entre pouvoir constituant et pouvoir
constitué et donc à la supériorité effective de la constitution sur les lois ordinaires. Mais elle est
211
Au Royaume-Uni, le Parlement est souverain, puisquil nest limité par aucune disposition supérieure. Pour
preuve, le célèbre dicton selon lequel « le Parlement peut tout faire, sauf changer un homme en femme ».
212
La Constitution gabonaise du 26 mars 1991 et la Constitution tchadienne du 31 mars 1996 sont rigides.
213
Si, comme le dit Raymond CARRE DE MALBERG, la Constitution est une loi possédant une puissance
renforcée, sa suprématie sera dautant mieux assurée que son texte sera difficile à modifier.
aussi favorable à la stabilité du régime et à la permanence des institutions. Un texte
constitutionnel révisé à chaque instant perd son prestige et son autorité mais contribue aussi à
déstabiliser le lien politique.
Le pouvoir constituant dérivé peut être limité dans le fond et dans le temps si la constitution
prévoit de telles limites à sa révision.
Il existe une variété de situations possibles, quon peut ramener à deux catégories avec des
nombreuses variantes.
La première catégorie, ce sont les représentants élus qui sont investis, seuls et de manière
exclusive, du pouvoir constituant dérivé.
Selon une première modalité, ces représentants peuvent avoir été élus spécialement pour
procéder à la révision. Ils composent alors une convention, daprès une terminologie américaine.
Selon une autre modalité, il sagit de représentants composant les assemblées parlementaires
qui, selon le cas, peuvent siéger dans une formation différente.
Dans une seconde catégorie, sont investis du pouvoir constituant dérivé, dune part les
représentants élus, dautre part, soit le peuple qui se prononce par voie référendaire, soit dans les
fédéraux, les Etats fédérés qui se prononcent par le biais leurs chambres.
Linitiative de révision appartient le plus souvent soit aux organes exécutifs comme
durant les empires en France, soit organes parlementaires (Constitutions de 1791 et de
lAn III), ou encore à ces instances concurremment (IIIe et Ve Républiques).
Les articles 89, 116 et 223 respectivement des Constitutions française, gabonaise et tchadienne
reconnaissent linitiative de la révision à ces instances concurremment (concurremment au
Président de la République sur proposition du Premier ministre et aux membres du Parlement).
Plus rarement, elle peut être reconnue à une fraction du peuple comme en Suisse (une pétition
revêtue de 100.000 signatures au moins suffit à déclencher le processus de révision de la
Constitution sur le plan fédéral.