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Droit Constitutionnel (2019-2020)

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DROIT CONSTITUTIONNEL

EKOMO Fabrice

Docteur en Droit Public

Enseignant-Chercheur en Droit

IUSO

INTRODUCTION :

L’histoire du droit constitutionnel est l’histoire de l’organisation des pouvoirs publics. Cette
discipline s’est développée beaucoup plus tard que les autres branches du droit et sa définition a
fait l’objet d’une controverse doctrinale qui, jusqu’à présent demeure entière. D’après certains
auteurs, l’évolution rapide de cette discipline a rendu impossible une définition matérielle ou
substantielle. Mais ceci n’a pas empêché d’autres auteurs de proposer une certaine définition de la
notion de droit constitutionnel.

Selon le Doyen Georges VEDEL, le droit constitutionnel désigne une «branche fondamentale du
droit public interne», c’est-à-dire un « droit de l’État», qui a vu sa définition s’élargir au fil du
temps. Initialement, il était qualifié de «droit politique» parce qu’il a pour objet d’assurer«
l’encadrement juridique des phénomènes politiques».

Une définition plus générale est proposée par Jacques CADART: « l’ensemble des règles de
droit qui détermine la composition, les mécanismes, et les compétences ou pouvoirs des organes
supérieurs de l’Etat: gouvernants et peuple». Pour dégager la signification profonde de cette
définition, l’auteur en précise l’objet voire même l’objet ultime du droit constitutionnel : « ces
règles ont pour but(…) d’assurer la suprématie du droit sur les gouvernants (Parlement,
gouvernement, Chef de l’Etat et pouvoir juridictionnel) et même sur la majorité du peuple et, par
la suite, de garantir la liberté: le règne du droit». Dès lors, le droit constitutionnel vise
l’encadrement juridique des acteurs, des pouvoirs et des normes politiques. En d’autres termes, le
droit constitutionnel encadre les phénomènes politiques. Il n’y a pas que des règles, il y a aussi le
fonctionnement des institutions, les mécanismes et procédures, l’interprétation donnée aux règles
juridique.
Le Professeur Marcel PRELOT propose quant à lui une acception synthétique aussi bien
logique que pédagogique du droit constitutionnel qu’il définit comme la science, l’ensemble des
règles, des juridiques, des institutions grâce auxquelles le pouvoir s’établit, s’exerce et se
transmet dans l’État»1. Ainsi, le juridique et le politique coexistent au sein du droit
constitutionnel. Cette définition proposée il y a un demi-siècle, est certes pertinente mais dépassée
en raison de son objet restreint, de son approche institutionnelle. Elle a été renouvelée et elle
repose sur un objet étendu et une approche normative. Il faut dire que la Constitution n’est pas
seulement « l’espace où se déroule l’action politique telle que le droit la met en forme», car elle
est aussi «le lieu où sont fixées les conditions de création du droit».

Enfin, il convient de noter que le développement contemporain de la justice constitutionnelle a


fait surgir un champ nouveau. En effet, le droit constitutionnel est devenu une discipline
opératoire grâce à la justice constitutionnelle. Le juge constitutionnel veille au respect des
«normes dont la suprématie s’impose à tous, y compris au législateur »2, le contrôle de la
constitutionnalité des lois a fait entrer dans la discipline un troisième secteur: le domaine des
libertés publiques et de la garantie des droits fondamentaux.

Cette pluralité de points de vue a été synthétisée par le Doyen Louis FAVOREU quia défini le
droit constitutionnel moderne par son triple objet: les institutions, le système normatif et la
protection des libertés et droits fondamentaux. On distingue ainsi le droit constitutionnel
classique et le droit constitutionnel contemporain.

1. Le droit constitutionnel classique

Il s’agit d’un droit sans juge et d’un droit non juridique, un droit dominé par la science politique qui
avait un objet unique, un objet principal. En effet, pendant très longtemps la description des
institutions et de leur pratique fut l’objet essentiel du droit constitutionnel classique. Il se bornait à
décrire et à étudier « les institutions grâce auxquelles le pouvoir s’établit, s’exerce et se transmet
dans l’Etat ». Cette « partie du droit public interne qui a trait à l’organisation politique de l’État »
était appréhendée essentiellement sous l’angle des institutions, c’est-à-dire comme un droit
institutionnel.

 Un droit sans juge :

Marcel PRELOT dans son cours de Droit parlementaire relève que « la jurisprudence constituait
une source quasi absente » de cette branche du droit constitutionnel sous la IIIe et la IVe
République ou encore dans les dix ou quinze premières années de la V e République France.
Toutefois, cette observation ne peut s’étendre à l’ensemble des Etats. Aux Etats-Unis, en Grande-

1
PRÉLOT (M.), Précis de droit constitutionnel, 2e éd., Dalloz, 1952, p 32.
2
LUCHAIRE (F.), Un républicain au service de la République, Publications de la Sorbonne, Paris, 2005, p. 313.
Bretagne ou encore en Allemagne après la Seconde guerre mondiale, on fait déjà appel à la
jurisprudence qui occupe une place importante dans l’étude du droit constitutionnel. Cette situation
différente est inhérente à l’histoire même de ces pays. En effet, pendant très longtemps en France,
le principe de la souveraineté parlementaire a prévalu. Précisément, l'hostilité à la remise en
cause de la loi trouvait sa source dans l'idée de la souveraineté du législateur, pratiquement

omnipotent sous la IIIe République. Vue comme l'«expression de la volonté générale»3, la loi
puisait sa force de la légitimité des auteurs et de la faiblesse de la Constitution. La formulation de

l'article 91 de la Constitution de la Ve République est à cet égard particulièrement révélatrice.


Selon ce texte, le Comité constitutionnel était tenu d'examiner si « les lois votées par l'Assemblée
nationale supposent une révision de la Constitution» et non si le projet de loi est conforme à la
Constitution. De toute évidence, la loi votée parle parlement était la norme la plus élevée dans
l’ordre juridique. Autrement dit, son domaine est illimité et son contenu est incontestable devant
le juge. C’est ce qu’on a appelé le légicentrisme. Le droit étatique est alors, par excellence,
l’œuvre du législateur, traducteur unique de la volonté générale.

Après la Seconde Guerre mondiale, le contenu du droit constitutionnel évolue sous l’influence de
la science politique. En particulier, il est soutenu que, si l’on peut étudier les régimes politiques en
ne les abordant que du point de vue du droit, on ne peut les comprendre sans philosophie
politique, sans interprétation de l’histoire des idées politiques, sans science politique, à laquelle le
modèle anglo-saxon réserve une place d’honneur.

Avant 1958 le contrôle de constitutionnalité était pratiquement inexistant, de sorte que


l'introduction d'un véritable contrôle apriori, aussi limité soit-il, était symptomatique d'un
changement majeur dans l'esprit du constituant. Le contrôle a priori s'est progressivement
affirmé dans notre ordre juridique français et gabonais, grâce à l'audace4de la jurisprudence du
Conseil constitutionnel et à l'extension du droit de saisine aux soixante députés et sénateurs. Le
contrôle de constitutionnalité a posteriori, connu depuis plusieurs décennies dans certaines autres
démocraties occidentales, restait perçu avec méfiance.

Dans une contribution portant sur« la doctrine constitutionnelle et le constitutionnalisme


français» parue en 1989, Yves POIMEUR et Dominique ROSENBERG s’interrogeaient dans
une perspective systémique, sur le fait de savoir si «la constitution-est-devenue le veau d’or de la
vie politique moderne et la doctrine son oracle», avant de constater que« notre époque est en
effet celle du constitutionnalisme»5.
3
Article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789
4
Notamment, la Décision n°71-44DC du 16 juillet1971. Liberté d’association ; Décision n°1/CC du 28 février 1992
de la Cour constitutionnelle relative à la loi organique portant organisation et fonctionnement du Conseil national
de la communication.
5
«La doctrine constitutionnelle et le constitutionnalisme français», in Centre Universitaire de Recherches
Administratives et Politiques de Picardie, Les usages sociaux du droit, Paris, PUF, 1989, pp. 230-251
Les libertés publiques ne sont rien moins que« la contribution à la garantie des droits du modèle

républicain à la fin du XIXe siècle»6. La loi est le vecteur de leur consécration et de leur

protection à une époque où elle jouit de l’infaillibilité5.La loiest aussicelle qui les rogne, les écarte
voire les abolit ad personam7.Avec l’intermède funeste et dévastateur de Vichy, elles sont
sérieusement affaiblies, le législateur ayant démontré qu’il pouvait irrémédiablement mal faire.
Est-ce une des raisons qui expliquent que, sur les cendres des destructions des hommes et des
biens, la période d’après-guerre voit peu à peu modifier la donne de la protection des libertés en
France et ailleurs? Sans nul doute. Les Constitutions prennent le dessus sur les lois et deviennent
l’archétype de l’État de droit. Le légicentrisme a vécu; le constitutionnalisme-parfois affublé de
l’adjectif de «moderne»-voit le jour. Le préambule de la Constitution de 1946 proclame des droits
nouveaux «particulièrement nécessaires à notre temps» tandis que la Constitution de 1958
entérine l’affaiblissement de la loi en instituant le Conseil constitutionnel qui, en une décision et
une seule, historique8, s’arroge le rôle éminent de« protecteur des libertés» en prenant au sérieux
la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Du coup, c’est toute l’étude du droit
constitutionnel en France qui change d’allure.

 Un droit « non juridique», dominé par la science politique :

Pendant longtemps, le droit constitutionnel était considéré comme une discipline mineure à la
juridicité discutée, controversée. En France, jusqu’à la Seconde guerre mondiale, le droit
constitutionnel tel qu’il apparaît dans les manuels et tel qu’il est ense igné dans les universités est
essentiellement un droit institutionnel, c’est-à-dire une discipline dont la structure est très liée à

celle de la Constitution et du régime constitutionnel en vigueur, c’est-à-dire de la IIIe République.


Cette situation traduit bien une dilution du droit constitutionnel classique dans la science
politique9. Il s’agit principalement d’étudier les institutions et la pratique gouvernementale de la

IIIe République. Cette approche s’est immédiatement imposée dans l’après-guerre.

D’ailleurs, en 1946, dans son cours de droit constitutionnel, Maurice DUVERGER définit le
droit constitutionnel comme «étant cette branche du droit public qui réglemente l’organisation et

6
DORD (O.), «Libertés publiques ou droits fondamentaux?», in Les libertés publiques, La Documentation
française, 2000, p. 12.
7
O.DORD rappelle que «les parlementaires de la IIIe République comme au temps de saint Just, n’hésitèrent pas à
priver de liberté les ennemis de la République. Ils adoptèrent des lois d’exception d’autant plus contestables que
certaines avaient une portée personnelle, telle la loi d’exil du 28 juin 1886», op.cit., p. 12.
8
Une loi dont l’article 34 de la Constitution de1958 assignait des objectifs importants:« La loi fixe les règles
concernant les droits civiques et les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés
publiques
9
CHEVALLIER (J.), «Droit constitutionnel et institutions politiques: les mésaventures d’un couple fusionnel»,
Mélanges en l’honneur de Pierre Avril, Montchrestien, 2001, p.184.
le fonctionnement des institutions politiques». Dès lors, le droit constitutionnel se bornait à décrire
les institutions politiques d’un pays. L’étude du droit constitutionnel est alors orientée vers une
conception, une approche plus sociologique que juridique. C’est la traduction, selon l’expression
du Professeur Louis FAVOREU, du politico-centrisme, c’est-à-dire la croyance selon laquelle
les phénomènes constitutionnels et politiques ne sauraient être appréhendés que d’un point de vue
politiste. Jacques CHEVALLIER note que « l’élargissement aux institutions politiques en 1954
serait le signe tangible de la crise identité d’un droit constitutionnel, qui cherche à prendre appui
sur une science politique en plein essor (…)»10. Pour Pierre AVRIL « le droit constitutionnel
souffre d’hémiplégie s’il s’isole de la science politique et réciproquement»11. Le processus de
recentrage sur le droit constitutionnel qui s’est produit à partir des années quatre-vingts relève
d’une inspiration centrée sur l’étude de la norme, en réaction contre le «politico-centrisme».
Précisons également que« la mise en évidence du caractère indissociable du droit constitutionnel
et des institutions politiques n’implique pas nécessairement la remise en cause de l’autonomie de
la science du droit constitutionnel et de la science politique: elle signifie seulement que la
première est tenue de prendre en compte la dimension institutionnelle des phénomènes juridiques
et la seconde la dimension juridique des phénomènes institutionnels, dans le cadre de la
problématique qui est la leur».

Des nombreux auteurs12vont contribuer à modifier profondément la problématique classique des


rapports entre droit constitutionnel et institutions politiques. Cette évolution s’explique d’abord par
la fin du mythe rousseauiste de la loi expression de la volonté générale. Les atrocités commises par
les nazis et les fascistes ont montré que la loi pouvait porter atteinte aux libertés et droits
fondamentaux. Il fallait dès lors protéger les citoyens contre les abus possibles, éventuels du
législateur.

2. Le droit constitutionnel contemporain

Le droit constitutionnel contemporain est défini par son triple objet: les institutions, le système
normatif et la protection des libertés et des droits fondamentaux.

 Le droit constitutionnel institutionnel:

10
Ibid.
11
AVRIL (P.), Les conventions de la Constitution, PUF, Coll. Léviathan, 1997, p.184.
12
DUVERGER(M.), Institutions politiques et droit constitutionnel, PUF, 1955, 12e éd., 1971 ; p.41; RENARD (G.), La
théorie de l’institution, 1933 et «Qu’est-ce que le droit constitutionnel? Le droit constitutionnel et la théorie de
l’institution», Mélanges Carré de Malberg, 1933, p.483
Dans ce cas, le droit constitutionnel régit les relations entre les pouvoirs publics. Selon la
définition de Marcel PRELOT, le droit constitutionnel s’intéresse à la description et à l’étude
des« institutions grâce auxquelles le pouvoir s’établit, s’exerce et se transmet dans l’Etat».
Précisément, le droit constitutionnel règle les relations entre les pouvoirs constitués, c’est-à- dire
entre le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif. Il s’intéresse, aussi, à la dévolution du pouvoir, à
son exercice ainsi qu’à sa transmission. Il s’agit surtout de vérifier que les institutions ont été
démocratiquement mises en place et que la désignation des gouvernants s’est faite dans les
conditions démocratiques.

En somme, le droit constitutionnel a pour objet de retracer les organes de l’Etat (les institutions
politiques), d’analyser les articulations juridiques, politiques, économiques et sociologiques qui
déterminent et décrivent les fondements constitutionnels des institutions administratives et
juridictionnelles ….

 Le droit constitutionnel des libertés ou encore le droit constitutionnel


relationnel ou substantiel:

Le droit constitutionnel régit les relations entre les individus et la puissance publique, en
conférant à ceux-là un certain nombre de libertés et droits fondamentaux. Les droits et libertés
sont considérés comme des éléments structurant, et non plus contingent, du droit constitutionnel
et de l’objet de l’État. Les droits et libertés deviennent alors « fondamentaux», soit parce que,
considérés sous un angle formel, ils reçoivent la signification de normes supérieures de l’ordre
juridique étatique, soit aussi parce que, considérés sous un angle matériel, ils expriment des
valeurs irréductibles et constitutives d’un État donné. Les droits et libertés constitutionnalisés
définissent de la sorte une axiologie normative qui structure l’ordre juridique et qui est destinée à
servir de principes d’action à tous les pouvoirs constitués. « Les pouvoirs publics s’obligent» non
plus seulement à «respecter les droits, à ne pas les transgresser, à les sauvegarder, mais aussi à
faire en sorte que qu’ils soient efficace, (…) à les renforcer, à les optimiser)13.

En déplaçant le centre de gravité de la « positivation des droits» de la loi à la constitution, le


légicentrisme cède la place à un «constitutionnalo-centrisme». Celui-ci va de pair avec une
méfiance accrue envers le législateur. La représentation libérale de la loi, «expression de la
volonté générale » se heurte progressivement au fait que le législateur peut être liberticide et que,
rattrapées par un degré inattendu de vice des hommes ou par le fait majoritaire, les modalités
classiques de la séparation des pouvoirs ne garantissent plus la liberté. Si l’on souhaite garder

13
ANGELES AHUMADA (M.), «Neoconstitucionalismo y constutionalismo», in P. COMANDUCCI (P.),
ANGELES AHUMADA (M.), LAGIER (D.-G.), Positivismo jurídico y neoconstitutionalismo,op.cit., p. 151.
celle-ci pour horizon politique, il devient alors nécessaire de réinventer les moyens juridiques
pour l’atteindre.

 Le droit constitutionnel normatif:

La création et le régime des normes juridiques forment le troisième objet du droit constitutionnel.
En effet, la Constitution se présente comme une «norme de production des normes », ce qui
signifie que les compétences normatives puisent leurs sources dans la Constitution, qui va
consacrer leur existence et leurs principales règles, d’édiction. Il s’agit des règles relatives à
l’aménagement et à la transmission du pouvoir de l’Etat, des règles qui déterminent les rôles des
institutions constitutionnelles et celles qui prévoient des mécanismes fixant les rapports entre les
composantes du régime…Une Constitution est donc une « métarègle », c’est-à-dire une règle qui
organise la production d’autres règles14.

Au-delà de la complexité que ce triple objet entraîne inévitablement, le droit constitutionnel peut,
aujourd’hui, être défini comme l’ensemble des règles juridiques qui déterminent les relations
entre les pouvoirs publics, les libertés et les droits fondamentaux ainsi que la création et le régime
des normes juridiques.

Mais l’évolution la plus spectaculaire du droit constitutionnel se rapporte à la mise en place


d’organes chargés d’assurer le caractère impératif de la norme constitutionnelle. En effet, le droit
constitutionnel contemporain par opposition au droit constitutionnel classique est un droit
sanctionné par un juge. En d’autres termes, le droit constitutionnel contemporain ne se conçoit pas
sans l’intervention d’un juge. Dans la plupart des pays européens, le droit constitutionnel est
aujourd’hui largement jurisprudentiel et, en Afrique, le droit constitutionnel a cessé d’être
largement incantatoire, un catalogue de recettes politiques non sanctionné. Cette sanction est
appliquée par le juge constitutionnel c’est-à-dire un juge dont l’existence, la composition, les
attributs et les garanties sont définies par la Constitution. La Cour suprême aux Etats-Unis, la
Cour constitutionnelle gabonaise et le Conseil constitutionnel français assurent cette mission.
Leurs décisions qui ne sont susceptibles d’aucun recours s’imposent aux pouvoirs publics et à
toutes les autorités administratives et juridictionnelles.

Sous l’effet de cette évolution, le droit constitutionnel s’est transformé endroit fondamentalement
jurisprudentiel. Le droit constitutionnel est alors devenu une discipline opératoire grâce à la justice. Il
s’avère que l’on ne peut plus décrire le processus normatif à partir d’une analyse exégétique de la
Constitution et qu’il faut désormais tenir compte de l’interprétation jurisprudentielle de la
Constitution.

14
TROPER (M.), La théorie du droit, le droit, l’Etat, PUF, coll. Léviathan, 2001, p. 116.
Les dispositions à valeur constitutionnelle sont contenues dans un bloc de constitutionnalité,
monté de toute pièce par le juge constitutionnel, et qui, au-delà du texte constitutionnel, englobe
une série de normes qui s’imposent aussi bien au législateur ordinaire qu’au pouvoir exécutif.
D’autre part, la hiérarchie des normes, transcendée par la Constitution et juridiquement
sanctionnée, devient l’un des fondements de l’Et at de droit dans cette quête de protection de
l’individu contre l’arbitraire du pouvoir.

La formule qui résumait au début du siècle dernier la doctrine allemande de l’autolimitation de


l’Etat « si l’Etat n’est soumis au droit que par ce qu’il le veut bien, quand il le veut bien et dans le
mesure où le veut, en réalité, il n’est point subordonné au droit», est devenue totalement
anachronique. Incontestablement et tel que l’a affirmé le Doyen FAVOREU, la politique est
désormais saisie par le droit.

A l’évidence, dans son essence profonde et conformément à ses initiateurs du siècle des Lumières
(John LOCKE, Jean Jacques ROUSSEAU, MONTESQUIEU), le constitutionnalisme répond
à une idéologie libérale fondée sur la croyance au droit comme promoteur de l’ordre légitime
universel, et de la constitution comme limite à l’arbitraire du pouvoir. Ainsi, à l’idée de
constitution, de constitutionnalisme et de droit constitutionnel correspond une philosophie, ou une
idéologie juridique par laquelle le bonheur devait arriver c’est-à-dire la liberté et la paix.

Dès lors, il convient d’examiner les deux points fondamentaux qui constituent des éléments de
base de la théorie générale du droit constitutionnel. Dans cette perspective, la première partie sera
consacrée à la description de l’encadrement juridique du pouvoir politique et la deuxième partie
s’intéressera au pouvoir politique démocratisé.
PREMIERE PARTIE: L’ENCADREMENT JURIDIQUE DU POUVOIR
POLITIQUE

L’aménagement de la vie commune selon des règles préétablies est au cœur du processus
d'institutionnalisation de tout pouvoir, et notamment du pouvoir étatique. L’ordre juridique est
donc le produit d'une dynamique sociale qui continue à peser sur lui tout au long de son
existence. En d’autres termes, l’analyse de l’ordre juridique ne peut être menée, sauf à tomber
dans le piège du formalisme pur, sans prendre en compte la nature des liens qui l'unissent au
reste de la société. Le concept même de système implique au demeurant déjà par lui-même que
l'ordre juridique ne saurait être conçu comme une entité entièrement autonome régie par des
lois spécifiques et vivant en état d'auto-régulation: tout système baigne dans un certain
environnement, avec lequel il entretient des relations réciproques d'échange; et ces relations
contribuent à le faire bouger à l’animer, à le dynamiser.

Dès lors, le droit est au cœur même de l’organisation et de la légitimation du pouvoir politique
qui apparaît comme un enjeu autour duquel se nouent les luttes des différentes forces sociales.
Le pouvoir politique apparaît comme le prolongement du droit dans la mesure où disposer du
pouvoir signifie en réalité avoir le monopole des processus décisionnels fondé sur la
«contrainte légitime» ou organisée selon la formule de Georges VEDEL lorsque le droit «
risque de rencontrer la force qu’il meut et dirige en conformité de son propre but», celui
souhaité par les gouvernants et auquel les gouvernés adhèrent plus ou moins massivement.

Il en résulte que le pouvoir ne peut s’organiser et se renforcer qu’en s’appuyant sur le droit, qui
dans ce sens doit être considéré comme un ensemble de règles impératives pour les membres
du groupe, et de sanctions organisées à l’égard des individus récalcitrants.

Par ailleurs, le droit est le facteur d’institutionnalisation du pouvoir. En effet, «l’exercice du


pouvoir politique ne repose plus sur la seule efficacité d’un réseau de clientèle lié par
allégeance personnelle mais sur un réseau d’agents à statut juridique précis, organisés dans
une structure hiérarchisée et impersonnelle».

Ce réseau est soumis à des règles normatives au même titre que des simples individus. Ce qui
rend plus aisé au regard de ces derniers l’idée de soumission réfléchie à ceux qui disposent du
pouvoir. Les individus obéissent à des règles générales et abstraites au lieu d’obéir à un pouvoir
individualisé. Ainsi, « le mystère de l’obéissance trouve ici son explication. Il réside dans un
phénomène dénommé légitimité, ce génie invisible de la société ».

L'Etat est le mode le plus perfectionné et le plus complexe de l’organisation du pouvoir, même
s’il n’est pas l’unique modèle d’organisation du pouvoir. Il désigne la forme institutionnalisée
du pouvoir, forme moderne et politique, s’exerçant généralement au sein d’importantes
communautés humaines installées sur un territoire déterminé; l'Etat est donc l'ensemble des
organes politiques, administratifs, juridiques et des institutions appartenant à une société
organisée. Il est le réceptacle, le support du pouvoir politique.

Pour MACHIAVEL (XVIe siècle), premier théoricien moderne de l’Etat, il existe deux types
d’Etat: le « principat» qui retient toute attention dans l’ouvrage dans l’ouvrage Le prince et les
«Républiques» traitées dans l’ouvrage Les Discours sur la première décade de Tite-Live. Avec
cet auteur toutefois, c’est plus la raison d’Etat ou l’art de la politique (celui de conserver le
pouvoir) qui sont analysés. Le phénomène de l’Etat ne sera appréhendé dans sa dimension

contemporaine qu’au XIXesiècle à travers différentes écoles de pensée.

 L’école allemande du droit public, influencée par HEGEL au XIXesiècle


développe la théorie du pouvoir de domination (Herrschaft) qui s’appuie sur
l’idée que l’Etat est une personne juridique distincte de la société civile, une
création intellectuelle détachée de la personne des gouvernants.

L’Etat a une vie juridique à l’instar des individus, dispose d’un patrimoine différencié de celui
des gouvernants, est titulaire de droits et d’obligations. L’Etat est ainsi lié à l’apparition d’un
ordre juridique mis en place par la Constitution et succédant un désordre de fait antérieur.

 Libéralisme politique du XIXesiècle accorde une place limitée à la théorie du


«contrat social» pour favoriser l’individualisme.

Benjamin CONSTANT et Alexis de TOCQUEVILLE ont développé l’idée d’un Etat aux
pouvoirs limités, afin de préserver les libertés individuelles et collectives. Autrement dit, pour
ces auteurs, la société politique ne saurait s’attacher à réglementer l’ensemble de la société
civile dans la mesure où la sphère privée ne peut jamais être appropriée par les pouvoirs
publics.
Au XXe siècle, Friedrich VON HAYEK, s’inscrivant dans cette lignée, considérait ainsi que
la revendication pérenne de «droits-créances» par les individus faisait courir le risque d’aboutir
au totalitarisme, seule l’économie de marché assurant le respect des libertés 15 . L’Etat ne
constitue alors qu’un moyen au service de la liberté et doit se borner à fixer un cadre juridique à
la société et laisser une grande marge d’initiative aux individus.

 L’Etat« puissance de contrainte»

Léon DUGUIT en France, et Max WEBER en Allemagne considèrent que l’Etat n’est qu’un
fait historique, un fait social, un élément factuel qui ne saurait aucunement se voir doter d’une
volonté subjective supérieure aux volontés individuelles. Pour Léon DUGUIT, l’Etat n’est
qu’un pur produit de la force car «c’est la force des plus forts dominant la faiblesse des plus
faibles […] Je nie la personnalité de l’Etat; par conséquent je ne conçois pas l’existence d’une
prétendue personne collective souveraine avec des sujets subordonnés à sa volonté». L’Etat
apparaît comme un fait de domination et le droit ne peut que constater son existence sans le
créer. Sa justification réside dans sa capacité à réaliser la solidarité sociale, ses actes devant
être conformes à la règle sociale, au droit objectif. L’existence du sentiment du juste et de
l’injustice chez chaque homme provient du fait que le milieu social dans lequel il vit sécrète
spontanément une idée de ce que doit être le droit. Cette idée, qui se traduit dans les mœurs et
les coutumes, constitue le droit objectif qui dépend des sociétés humaines. Les gouvernements
doivent donc se borner à traduire ce droit objectif, correspondant aux aspirations de la société,
en règle de droit positif.

 L’Etat, « institution sociale»

Pour Maurice HAURIOU, «l’Etat est l’institution essentielle de l’ordre social, envisagé
comme assurant la durée du mouvement d’ensemble, lent et uniforme de la société»16. L’Etat
est ainsi fondé à partir de la communauté nationale de laquelle «jaillira un jour l’idée de
l’organisation d’un gouvernement étatique qui exprimera la force de l’union et réalisera les
destinées de la nation. Toute activité collective s’exerce dans le cadre d’une «institution», c’est-
à-dire d’un groupement humain ordonné en vue d’une fin commune. Cette «institution» se
retrouve, d’une part dans le secteur privé (entreprises, associations) et la fin commune réside
alors dans l’intérêt collectif de ses membres, d’autre part, dans le secteur public (collectivités
territoriales, établissements publics, ministères), la fin visée étant en l’espèce l’intérêt général.

15
HAYEK (F.V.), Droit, législation et liberté, 1992.
16
HAURIOU (M.), Précis de droit administratif et de droit public, Sirey, 1933.
Mais dans toutes ces hypothèses, l’«institution » ne peut poursuivre sa fin commune que
sous la responsabilité d’un chef (directeur d’entreprise ou d’établissement public, président
d’association, ministre etc.), le pouvoir discrétionnaire de celui-ci apparaissant comme la
contrepartie de la responsabilité assumée par le chef.
Chapitre 1: L’institutionnalisation du pouvoir politique

Le pouvoir politique est un phénomène inhérent à la vie en société. Le terme pouvoir est
employé dans des nombreux sens qui sont parfois proches des concepts d’influence ou
d’autorité. Ces concepts doivent cependant être distingués. Le terme pouvoir vient du latin
potestas, qui signifie capacité d’agir. Le pouvoir désigne alors une relation se caractérisant par
la mobilisation de ressources en vue obtenir d’un tiers qu’il adopte un comportement auquel il ne
serait pas résolu en dehors de cette relation. Ainsi, le pouvoir politique s’exerce dans une société
politique. Il s’agit d’un pouvoir de prévision, d’impulsion, de décision et de coordination. Un tel
pouvoir présente nécessairement certaines spécificités tenant au fait qu’il est à la fois
contraignant, initial et global.

Historiquement, ce pouvoir était diffus dans la masse des individus soumis au conformisme
qu’imposent les coutumes. Par suite, à un stade évolué le pouvoir politique s’est incarné dans la
personne physique qui l’exerçait (pouvoir personnel) et enfin au terme d’un long processus
historique, le pouvoir politique a été institutionnalisé c’est-à-dire que progressivement il a été
détaché de la personne physique de celui qui l’incarnait pour être attaché à une entité abstraite,
l’Etat. L’institutionnalisation du pouvoir est l’acte créateur de l’Etat. Il s’agit de l’opération
juridique par laquelle le pouvoir politique est transféré de la personne des gouvernants à une
entité abstraite : l’Etat.

L’effet juridique de cette opération, c’est la création de l’Etat comme support du pouvoir
indépendant de la personne des gouvernants. L’acte d’institutionnalisation du pouvoir est donc a
double face :

 d’une part, il établit une distinction entre le pouvoir et les individus qui exercent les
facultés
 d’autre part, il crée l’Etat en lui attribuant les prérogatives du pouvoir, c’est-à-dire le
droit commander.

Ces deux actes sont indissolublement liés car ils se conditionnent mutuellement: l’Etat n’existe
qu’à titre de siège du pouvoir dépersonnalisé, tandis que la distinction entre le pouvoir et ses
agents d’exercice n’est possible que dans la mesure où l’Etat peut être considéré comme support
du pouvoir.
En somme, l’institutionnalisation du pouvoir fournit les pièces maitresses de la construction
juridique de l’Etat :

 L’institutionnalisation est l’aboutissement logique du pouvoir

La comparaison entre différents systèmes politiques montre que l’État moderne n’est qu’une
forme possible d’organisation du pouvoir politique. Max WEBER en a donné la célèbre
définition suivante : « l’État est une entreprise politique de caractère institutionnel dont la
direction administrative revendique avec succès, dans l’application des règlements, le
monopole de la contrainte physique légitime sur un territoire donné »17. Le phénomène est
défini d’abord par le type de domination envisagé, puis par sa légitimité. La domination est
objective : elle est assurée aux dominants par la menace de contrainte qu’ils font peser sur les
dominés. La légitimité est, en revanche, conférée aux dominants par les dominés eux-mêmes.
Pour que le pouvoir puisse, en effet, « revendiquer avec succès » le monopole de la contrainte
légitime, il faut une acceptation, une intériorisation de cette légitimité de la part des dominés.
Cette intériorisation de la domination sera reprise, plus tard, par Pierre BOURDIEU sous le
terme de « violence symbolique ». La création de l’État moderne apparaît fortement liée à
l’histoire de l’Europe. L’État n’est donc pas une sorte de création naturelle intrinsèque à la
société.

Dans son Traité de science politique, Georges BURDEAU relève que « l’Etat n’est pas une
création des volontés individuelles. C’est la transformation de l’Etat dans lequel le Pouvoir
trouvera désormais son siège. L’institutionnalisation du pouvoir permet au groupe de
poursuivre, selon une technique plus perfectionnée, la recherche du bien commun. Elle assure
la cohésion plus étroite entre l’activité des gouvernants et l’effort demandé aux gouvernés. Elle
rend plus sensible l’emprise de l’idée de droit sur les comportements sociaux et, par-là,
constitue le progrès le plus certain qui puisse être réalisée dans une société politique ».

 L’institutionnalisation est un acte juridique

Le fait historique qu’il s’agisse d’une transformation de la nation, de l’efficacité de l’autorité


gouvernante, ou de la délimitation du territoire ne rend pas compte de la réalité juridique de,
l’Etat. L’Etat est une institution juridique et non pas un fait historique. « L’institutionnalisation
est un acte juridique qui explique la nature juridique de l’Etat. Il y a opération juridique parce
que l’institutionnalisation est le résultat d’un acte de volonté ayant pour objet de produire une
modification dans l’ordre juridique en vigueur. Il y a création d’un support impersonnel des
17
WEBER (M.), Economie et Société, trad., Plon, 1971, rééd. Pocket, 1995, t. 1, p. 97.
prérogatives du pouvoir. L’acte d’institutionnalisation se traduit toujours sous la même forme
qui est la Constitution »18.

 L’institutionnalisation donne naissance à l’Etat

L’institutionnalisation du Pouvoir est l’acte créateur de l’Etat. « Tous les autres facteurs,
naturels ou historiques ne font que rendre possible et de plus en plus inévitable
l’institutionnalisation, mais c’est qui crée l’Etat »19.

L’Etat est aujourd’hui la forme d’organisation des sociétés politiques, le mode le plus
perfectionné et le plus complexe de l’organisation du pouvoir, même s’il n’est pas l’unique
modèle d’organisation du pouvoir. Il désigne la forme institutionnalisée du pouvoir, forme
moderne et politique, s’exerçant généralement au sein d’importantes communautés humaines
installées sur un territoire déterminé. L'Etat est donc l'ensemble des organes politiques,
administratifs, juridiques et des institutions appartenant à une société organisée.

L’analyse de l’Etat contraint à affronter deux problèmes essentiels et fort vastes concernant sa
définition même, son origine et sa forme juridique. Si les conceptions de l’Etat peuvent
sensiblement évoluer selon les courants de pensée, ses composantes semblent à l’inverse plus
stables.

Section 1 : La notion de l’Etat

Deux théories s’affrontent pour déterminer à partir de quel élément naît l’État : celle qui soutient
que l’État résulte d’un phénomène naturel et celle qui défend l’idée selon laquelle l’État résulte
d’un contrat conclu entre des volontés humaines.

Le terme Etat vient du latin « status » qui désigne la situation juridique d’une personne, d’un
groupe, au sens d’un corps, d’une communauté. Il s’agit pour reprendre les termes Raymond
CARRE de MALBERG de « l’être de droit en qui, se résume abstraitement la collectivité
nationale ». L’Etat est alors une forme de société humaine, une organisation sociale avancée et
perfectionnée, qui n’a pas toujours existé. La définition de l’Etat soulève d’épineuses et infinies
questions concernant tant le repérage de ses éléments constitutifs que de la nature juridique des
rapports de l’Etat et du droit.

18
BURDEAU (G.), Traité de science politique, Tome 1, Paris, LGDJ, pp. 192-
193.
19
Ibid., p. 195.
I. Les éléments constitutifs de l’Etat

Que faut-il pour constituer un Etat ? A quelles conditions doit-on reconnaître ou refuser
l’existence d’un Etat ? Quels en sont donc les critères d’identification ? Ces questions n’ont
jamais été simples et sont à l’origine de bien des conflits. Mais loin d’aller en se clarifiant, elles
semblent, au contraire, vouloir aujourd’hui se complexifier à travers d’inédites situations.

Toutes les sociétés humaines ne forment pas un État. Quel que soit l’État, la doctrine est
unanime pour reconnaître qu’un État ne peut exister que si trois éléments sont réunis. En effet,
on considère que « l’État est un groupement humain fixé sur un territoire déterminé et sur
lequel s’exerce une autorité politique exclusive ».

Dès lors, l’Etat est la fois un phénomène politico-social et un phénomène juridique. L’Etat se
compose alors d’un certain nombre d’éléments spécifiques, des éléments à la fois sociologiques
et juridiques qui lui donnent ses principales caractéristiques et qui concourent à son existence.
En d’autres termes, l’Etat existe par la présence conjointe et simultanée des éléments
sociologiques et juridiques.

A. Les éléments sociologiques de l’Etat

Ils concernent la population ou la nation, le territoire et le pouvoir exclusif.

1. La population ou la nation

« On ne fait pas une patrie avec un morceau de plaine », écrivait Ernest LAVISSE. Un Etat ne
peut pas exister sans un groupement humain. Il faut donc une population sur laquelle s’exerce la
souveraineté ratione personae de l’Etat. En d’autres termes, l’Etat doit comprendre une
population sédentaire et fixée sur un territoire et qui doit former une nation.Par population, il
faut entendre les habitants qui composent l’Etat, c’est-à-dire à la fois les nationaux de l’Etat et
les étrangers qui y sont établis.

Mais la compétence de l’Etat ne se limite pas seulement aux individus personnes physiques, elle
s’étend également aux personnes morales et aux engins et véhicules. De même cette compétence
de l’Etat n’est seulement territoriale. Elle peut être également personnelle puisque l’Etat peut
l’exercer même à l’égard de ses nationaux se trouvant hors du territoire. Cependant, cette
dernière n’est exclusive que si elle n’entre pas en concurrence, en conflit, avec la souveraineté
d’un autre Etat. Mais le terme population doit être soigneusement distingué de celui de nation.

a) La définition de la nation
Il s’agit de l’élément personnel, la substance humaine de l’Etat. Elle est un groupement
d’individus solidaires et sédentaires qui se sentent unis les uns et les autres par des liens à la fois
matériels et spirituels qui les distinguent des autres communautés nationales et c’est précisément
ce sentiment qui est à l’origine de la revendication nationale. Selon les Professeurs Nguyen
QUOC DIHN, Patrick DAILLIER et Alain PELLET, la population désigne la « masse des
individus rattachés de façon stable à l’Etat par un lien juridique, le lien de nationalité »20.

Deux grandes doctrines, deux fortes thèses se sont opposées au XIXe siècle sans qu’aucune
d’elle n’ait jamais définitivement triomphé, alors même que le débat identitaire contemporain
fait ressurgir l’affrontement sous des apparences différentes et dans une grande confusion.

 La thèse allemande, issue du mouvement littéraire du romantisme allemand (Johann


GOTTLIED FICHTE, XVIIe siècle) est placée sous le sceau du déterminisme.

Elle est dite objective ou déterministe en ce sens qu’elle met l’accent sur des critères objectifs.
Autrement dit, elle fait de la nation la résultante, le produit nécessaire d’une série d’éléments
purement objectifs: la géographie, la religion, la langue, l’idéologie, un patrimoine commun de
souvenirs historiques et surtout la race.

On connaît évidemment l’influence de ces doctrines sur le nationalisme allemand, dont on


trouve encore des traces dans la Constitution et le code de nationalité d’outre-rhin, et qui trouva
son apogée dans la nécessaire condition « d’aryanité » imposée par le troisième Reich : « tous
les hommes d’un même sang doivent appartenir au même Reich »21.

Développée à l’extrême, la conception objective de la nation est critiquable car elle peut
entraîner des dérives dangereuses pour la démocratie, dont le régime nazi constitue la
parfaite illustration, puisque l’affirmation de la supériorité de la race aryenne et la volonté de
fonder la nation allemande sur ce seul critère ont conduit au génocide juif. La conception
objective de la nation ne permet pas toujours de rendre compte de certaines situations dans la
mesure où des éléments de fait similaires ne fondent pas nécessairement une nation : l’insularité
peut s’accompagner de la partition (ex.: Haïti et la République dominicaine), un État peut
connaître plusieurs langues (ex. : la Suisse) ou plusieurs religions (ex. : l’Allemagne) et la
communauté linguistique de certains pays ne permet pas forcément leur unification (ex. :
l’unification des pays de l’Amérique latine (à l’exception du Brésil) souhaitée par Simon

BOLIVAR) …
20
QUOC DIHN (N.), DAILLIER (P.), PELLET (A.), Droit international public, LGDJ, 6e éd., 1999.
21
Mein Kampf, 1925.
Enfin, il convient de souligner que ce mythe ou cette conception de la nation-race est à la base
des conflits ethniques et à l’origine des purifications ethniques pratiquées dans l’ex -
Yougoslavie, au Darfour, au Soudan…

A cette thèse organiciste et ethnocentrique, s’oppose la thèse française dite subjective.

 La thèse française est issue de la philosophie des Lumières et de la Révolution.

Défendue par Fustel DE COULANGES et Ernest RENAN, elle repose sur l’idée de
volontarisme. Elle ne néglige nullement les facteurs objectifs mais insiste cependant sur un
élément subjectif : le vouloir vivre collectif. La nation relève plus de « l’esprit que de la chair
». C’est le sentiment des individus d’appartenir à une collectivité différente des autres et leur
volonté corrélative de constituer une entité commune et distincte qui constitue le critère
principal de la nation. Celle-ci serait avant toute chose et essentiellement un vouloir vivre
ensemble, « un plébiscite de tous les jours ». Les partisans de cette thèse cherchent à démontrer
que la formation d’une nation est un phénomène plus complexe que la simple addition
d’éléments objectifs22. En effet, entrent en ligne de compte, dans la genèse d’une nation, non
seulement des données objectives mais aussi la volonté d’une population de vivre ensemble.
Ernest RENAN dans sa Conférence à la Sorbonne en 1882 répond à la question « Qu’est-ce
qu’une Nation ? » en considérant qu’ « (…) Une nation est une âme, un principe spirituel. Deux
choses qui, à vrai dire, n’en font qu’une, constituent cette âme, ce principe spirituel. L’une est
dans le passé, l’autre dans le présent. L’une est la possession en commun d’un riche legs de
souvenirs; l’autre est le consentement actuel, le désir de vivre ensemble, la volonté de continuer
à faire valoir l’héritage qu’on a reçu indivis. L’homme, Messieurs, ne s’improvise pas. La
nation, comme l’individu, est l’aboutissant d’un long passé d’efforts, de sacrifices et de
dévouements. Le culte des ancêtres est, de tous, le plus légitime ; les ancêtres nous ont faits ce
que nous sommes. Un passé héroïque, des grands hommes, de la gloire (j’entends de la
véritable), voilà le capital social sur lequel on assied une idée nationale. Avoir des gloires
communes dans la passé, une volonté commune dans le présent ; avoir fait de grandes choses
ensemble, vouloir en faire encore, voilà les conditions essentielles pour être un peuple. On aime
en proportion des sacrifices qu’on a consentis, des maux qu’on a soufferts. On aime la maison
qu’on a bâtie et qu’on transmet. (…) ».

22
Pour le Professeur Georges BURDEAU, « La nation relève plus de l’esprit que de la chair » et, pour le Doyen
Maurice HAURIOU, « Une nation est une mentalité ».
En conséquence, s’il convient de prendre en considération des éléments objectifs, ceux-ci ne
sont pas, à eux seuls, déterminants pour identifier une nation et il y a lieu de les combiner avec
les éléments subjectifs.

D’abord, les événements historiques: les guerres, les calamités, les années de prospérité, les
réussites communes … L’âme nationale est faite de souvenirs partagés, de souffrance et de
bonheur.

Ensuite, la communauté d’intérêts, principalement d’ordre économique, qui résulte, en grande


partie, de la cohabitation sur un même territoire.

Enfin, le sentiment de parenté spirituelle, le fait que, sans avoir les mêmes croyances ou les
mêmes idées, on réagit d’une façon semblable en présence des mêmes événements.

La nation est donc, avant tout, « une âme, un principe spirituel » impliquant « un plébiscite de
tous les jours ». La nation est ainsi composée d’éléments immatériels, des critères subjectifs
comme « la possession d’un riche legs de souvenirs […] et le désir de vivre ensemble, la volonté
de continuer à faire valoir l’héritage qu’on a reçu indivis »23. Elle représente alors un passé,
parce qu’elle est faite de l’acceptation de traditions et de souvenirs communs, un présent et un
avenir, qui implique une continuation, un vouloir vivre collectif.

On comprend bien l’opposition majeure entre ces deux thèses : la première insiste sur la chair,
c’est la « nation-génie » (le volksgeist) de nature ethnique. La seconde met l’accent sur l’esprit,
c’est la « nation-contrat » de nature civique. Dans la conception allemande, l’individu n’est pas
libre de son appartenance, sa nationalité lui est en quelque sorte imposée par sa naissance, sa
langue, sa religion, c’est-à-dire par un passé dont il hérite et échappe donc à sa décision. C’est
une thèse déterministe en ce sens que l’individu y est déterminé par son histoire, il ne se
détermine pas lui-même. Par contre, la thèse française insiste sur la liberté de l’individu qui doit
s’autodéterminer quelles que soient ses origines ou sa culture. La thèse allemande fera des
Alsaciens des Allemands par détermination, la thèse française en fera des Français s’ils le
veulent.

En définitive, c’est la conception subjective qui correspond à la conception dominante de


la nation. On ne peut que se féliciter de ce succès, tant sont dangereuses les conséquences
qu’entraîne la conception objective, d’ailleurs discréditée par les applications qu’elle a reçues.
Certes, les éléments objectifs (ex. : origine, mœurs, langue ...) ne sont pas indifférents ; mais,
c’est surtout l’élément volontariste qui est déterminant. En vérité, des éléments objectifs ne
23
Selon la formule d’Ernest RENAN, in Qu’est-ce que la nation ?, Conférence à la Sorbonne, 11 mars 1882.
suffisent pas, en l’absence de la volonté de vivre ensemble. En somme, la nation se présente
comme un groupement humain par lequel les individus se sentent unis les uns aux autres par des
liens à la fois matériels et spirituels et se conçoivent comme différents des individus qui
composent les autres groupements nationaux.

Enfin, il convient de relever que si la thèse de l’auto-détermination l’a emporté au


lendemain de la Seconde Guerre mondiale, après que le volksgeist ait engendré des résultats
que l’on sait, les doctrines identitaires et déterministes ont cependant rapidement refait surface
en Serbie, en Hongrie en Inde et en Côte d’Ivoire, Catalogne en passant par la Corse, la
Bretagne ou les Antilles.

b) Les rapports entre l’Etat et la nation.

La question ici est celle de savoir : État et nation coïncident-ils ? Dans le droit constitutionnel
classique, toute nation avait vocation à s’ériger en Etat, c’est la traduction de l’Etat-nation. En
règle générale et en bonne logique, une individualité sociologique désire s’ériger en
individualité juridique, c’est-à-dire qu’une nation aspire à se constituer en un Etat souverain,
d’où le terme classique d’Etat-nation. Selon Adhémar EISMEN, « l’Etat est la
personnification juridique d’une nation : c’est le sujet et le support de l’autorité publique (…).
L’Etat c’est aussi la traduction juridique de l’idée de patrie : il résume tous les devoirs et les
droits qui s’y rattachent »24.

Dans un processus historique, dès lors qu’un peuple prend conscience de son existence et de ses
aspirations collectives et manifeste clairement sa volonté d’appréhender le futur sur la base d’un
projet autonome (ou d’« une communauté de destin », selon la terminologie en vogue) il entend
s’organiser et se centraliser politiquement et juridiquement sous la forme d’un Etat souverain.
L’Etat apparaît donc comme le prolongement et l’achèvement de la nation qui lui est
normalement antérieure, préexistante.

Aujourd’hui, Etat et nation ne coïncident plus. On assiste ainsi à la crise de l’Etat-nation qui
apparaît de plus en contesté et dépassé. Très concrètement, si la logique veut que la nation
préexiste à l’Etat, on ne peut négliger les faits sociaux et les rapports de force ou de droit qui
peuvent conduire à des situations fort éloignées de ce schéma. On rencontre, en effet, plusieurs
situations de non-concordance entre nation et Etat, c’est-à-dire la dissociation entre l’État et la
nation: nation désétatisée et État dénationalisé.

24
EISMEN (A.), Eléments de droit constitutionnel français et comparé, Sirey, 1914, (p. 1-9).
La confusion a longtemps été faite entre la nation et l’État lui-même. En fait, l’État était, très
souvent, perçu comme la nation juridiquement organisée. Mais, dans les faits, il n’y a pas
forcément identité entre État et nation.

 L’État sans nation ou précédant la nation (la nation non-constituée) :

S’il y a des nations sans État, il existe aussi des États sans nation, tels certains États du Tiers-
monde créés artificiellement à partir des anciennes frontières coloniales. Dans ces pays, l’État a,
en règle générale, été plaqué, plus ou moins arbitrairement, artificiellement par le colonisateur
sur des réalités sociologiques composées d’une mosaïque ou multitude de tribus, d’ethnies
juxtaposées les unes ou autres, mais non point intégrées, n’ayant aucune conscience
d’appartenance nationale (ex. : Nigéria). L’État est, parfois, antérieur à la nation (ex. : États-
Unis).

 La nation précédant l’État ou appartenant à différents États (la nation écartelée):

Dans la majorité des démocraties de l’Europe occidentale Allemagne, Italie …), la nation a
existé avant que ne soit constitué un État. Sinon, par suite de vicissitudes historiques, une nation
peut être « tronçonnée » par des frontières, la nation se trouve écartelée entre plusieurs Etats. Il
en va ainsi de la nation allemande jusqu’à la réunification du 3 octobre 1990, de la nation
macédonienne, de la nation kurde. De même, les revendications en faveur des minorités
nationales affirment aussi que la nation hongroise, ethniquement définie, serait répartie entre la

Hongrie, la Roumanie, la Slovaquie et l’Ukraine. L’invocation par un « Etat-parent » de


l’existence sur le territoire d’un autre Etat de « minorités nationales » lui « appartenant »
exprime aussi une revendication de dissociation entre le lien juridique et l’appartenance
ethnique actuellement explicite en Hongrie25.

 La coexistence de plusieurs nations (les nations regroupées):

Il se peut qu’un État associe, tant bien que mal, un certain nombre de nations à l’intérieur de ses
frontières (ex. : Afrique du Sud, Canada, Inde, Russie …)26.

2. L’élément matériel ou géographique de l’Etat : le territoire

Pour qu’un État puisse être reconnu, il faut, d’abord, un territoire, qui constitue le cadre de
l’exercice de la souveraineté de l’État ratione loci. Du latin « territorium », le territoire, est une
notion polysémique qui renvoie dans son acception la plus générale, à un « espace
25
PIERRE-CAPS (S.), « La question nationale hongroise et le droit constitutionnel :
26
Dans ce cas, on parlera d’« État plurinational ».
contrôléborné », délimité. Il est également identifié comme « une étendue de terre qu’occupe un
groupe humain », « une étendue de terre qui dépend d’un État ».

En droit international, le territoire désigne le cadre géographique dans lequel s’exercent les
compétences de l’Etat ou encore la portion d’espace sur laquelle l’Etat va exercer sa
souveraineté. Il s’agit alors d’un attribut essentiel de l’État, c'est-à-dire le « cadre spatial dans
lequel est établie toute communauté humaine, matérialisant sa fixation au sol et déterminant ses
contours ainsi que les contours de sa souveraineté »27. Au-delà de sa conception géopolitique, «
le territoire est l’incontournable médiateur spatiale de toute vie sociale »28. Il est alors admis
que le territoire devient l’instrument d’orientation, d’expérimentation et de modulation des
politiques publiques. D’ailleurs Jacques LÉVY et Michel LUSSAULT définissent le territoire
comme « un agencement de ressources matérielles et symboliques capable de structurer les
conditions pratiques de l’existence d’un individu ou d’un collectif social et d’informer en retour
cet individu et ce collectif sur sa propre identité »32.Le territoire se distingue ainsi de l’espace
qui renvoie à la fois à l’« une des dimensions de la société, correspondant à l’ensemble des
relations que la distance établit entre les différentes réalités »et à « un objet social défini par sa
dimension spatiale. Un espace se caractérise au minimum par trois attributs : la métrique,
l’échelle, la substance. Une réalité spatiale est souvent hybride, à la fois matérielle,
immatérielle et idéelle »33. Pour le géographe Guy DI MEO, le territoire« témoigne d’une
appropriation à la fois économique, idéologique et politique (sociale donc), de l’espace, par des
groupes qui se donnent une représentation particulière d’eux-mêmes, de leur histoire, de leur
singularité »29.

Concrètement, le territoire situe l’État dans l’espace et délimite, d’un point de vue géographique,
la sphère d’exercice de ses compétences 30. En d’autres termes, le territoire est l’espace
géographique sur lequel l’autorité politique exerce son pouvoir ou, comme l’énonçait le Doyen
Léon DUGUIT, « la limite, le cadre d’exercice des compétences exclusives de l’État ». En
conséquence, s’il peut exister des territoires sans État (ex. : les « territoires sans maître »,
l’espace extra-atmosphérique, les corps célestes, l’Antarctique »31 …), il n’y a pas d’État sans

27
BADIE (B.), La fin des Territoires, Essai sur le désordre international et sur l ’utilité sociale du respect ,
Fayard, Paris, 1995, p.19.
28
DI MEO (G.), Géographie sociale et territoire, collection Fac Géographie, Nathan Université, Paris, 1998,
p.38. 32 LÉVY (J.), LUSSAULT (M.), Dictionnaire de la géographie, Paris, Belin, 2003, p. 910. 33 Ibid., p. 325.
29
DI MEO (G.), Géographie sociale et territoire, op. cit., p.38.
30
L’État est « une corporation à base territoriale » affirmait le Doyen Maurice HAURIOU.
31
En vérité, à l’exception de l’Antarctique, toutes les terres émergées, même les déserts les plus ingrats, les îlots
désolés, les montagnes inaccessibles, sont partagées entre les États. Le seul véritable espace terrestre qui ne fasse
pas l’objet d’une appropriation étatique est l’Antarctique.
territoire32, comme l’attestent les problèmes kurde et palestinien33. Dès lors, un État qui perd son
territoire n’est plus un État. Autrement dit, si l’entité en cause ne dispose pas d’un tel élément
territorial, elle ne saurait prétendre au rang d’Etat 34. Cela étant, le territoire ne se confond pas
avec l’État, ce qui signifie que, s’il est amputé, l’État demeure35.

Cela étant, le territoire de l’Etat ne correspond pas seulement à l’espace terrestre. Le territoire
étatique est une emprise, un espace géographique déterminé à trois dimensions: terrestre,
maritime et aérienne. En d’autres termes, le territoire étatique englobe également les espaces
maritimes et aériens qui sont considérés comme dépendant de l’Etat, conformément aux règles
fixées par le droit international.

La maîtrise du territoire étatique permet d’assurer la cohésion et la protection de la population


qui y réside. Il s’agit d’un facteur primordial car il concerne l’intégrité territoriale et
l’attachement sol qui sont des ferments de l’identité nationale et très souvent des éléments de
mobilisation patriotique.

Le territoire étatique est en principe délimité par une frontière, c’est-à-dire une ligne de partage
entre deux Etats, résultat de l’Histoire, des guerres, de négociations, et de traités. Cette ligne de
partage peut coïncider avec une barrière naturelle qui permet clairement de distinguer deux
territoires. Mais bien souvent le territoire étatique est le résultat de négociations et de
compromis, au point qu’elle est souvent artificielle et résulte d’une double opération de
32
Ainsi, les populations nomades ne constituent pas un État et ce, quelle que soit leur organisation.
33
La seule exception est celle de l’Ordre de Malte, considéré comme un État bien que, depuis 1798, il n ’ait plus
de territoire. En effet, l’Ordre est reconnu par les autres États comme un sujet de Droit international public, au
même titre qu’un État : il émet des timbres, bat la monnaie, délivre des passeports, a des ambassadeurs, dispose
d’un siège d’observateur permanent auprès des Nations Unies, de la Commission Européenne et des principales
OI … Cependant, c’est une souveraineté sans territoire, les possessions à Rome et à Malte n ’étant pas sous la
juridiction de l’Ordre mais respectivement sous souverainetés italienne et maltaise.
34
Concernant la Palestine par exemple, en août 1993, l’Accord d’Oslo a prévu que la reconnaissance mutuelle
d’Israël et de l’Organisation de la libération de la Palestine, puis a été suivi en septembre 1995 de l ’Accord de
Taba et en septembre 1999 de l’Accord Charm-el-Cheik (retrait des troupes de Tsahal, lutte contre le terrorisme).
Il existe désormais bien une nation palestinienne, un territoire palestinien (Gaza et la Cisjordanie), mais l ’absence
de souveraineté conduit à la mise en place d’une autonomie confiée à une « autorité palestinienne » et non un
authentique Etat.
35
En effet, l’État peut survivre à la perte temporaire de son territoire (ex. : les pays occupés pendant une guerre) ;
mais, il ne s’agit que d’une exception dans la mesure où il n’existe plus d ’État s ’il y a perte définitive du territoire.
41
Une frontière est une ligne imaginaire séparant deux territoires, en particulier deux États souverains. De façon
traditionnelle, on distingue les frontières naturelles (ligne des crêtes, partage des eaux) des frontières artificielles
(fixées en application de traités internationaux par des commissions de techniciens). L ’idée d ’enfermer une
collectivité humaine dans des limites linéaires stables est relativement récente. Dans la Grèce antique, il n ’y avait
ni ligne douanière, ni ligne militaire. Ce n’est qu’au XVIe siècle que les travaux cartographiques, rendus
possibles par le renouveau des études mathématiques et géographiques, font apparaître la notion moderne de
frontière. La délimitation des frontières terrestres est, très souvent, à l ’origine de conflits armés entre États. En
effet, le concept de frontière ayant une origine militaire, il est sujet à des tensions ou à des conflits. Parmi ces
conflits ou ces tensions, on peut dégager deux types : d’un côté, les conflits ayant pour origine une tentative
d’agrandissement du territoire et, de l’autre, des conflits tenant principalement au tracé de la frontière.
délimitation et de démarcation. Le territoire étatique est protégé en droit international par les
principes d’inviolabilité et d’intangibilité des frontières conventionnellement reconnues.

 les frontières41 terrestres sont conçues de façon linéaire et en pratique leur tracé
présente des particularités qui ont nécessairement des répercussions sur l’Etat. Ainsi,
on peut envisager que le territoire étatique soit :
 fractionné: Etats-Unis avec l’Alaska, la France avec collectivités d’outre-mer (COM,
article 74 de la Constitution française), les départements et régions d’outre-mer
(DOM-ROM, article 73 de la Constitution française)
 partagé (telle était la situation, de 1906 à 1980, du condominium franco-britannique
des Nouvelles-Hébrides devenu, par la suite, l’État du Vanuatu).
 enclavé entièrement (la République de Saint-Martin, le Vatican entouré par la ville de
Rome en Italie, le royaume du Lesotho dans l’Afrique du Sud) ;
 enclavé en partie l’enclave de Campione en Suisse, ou avant la réunification de
l’Allemagne, le cas de Berlin ouest par rapport à la RDA) ;
 étriqué (micro-Etats36 (Monaco, la cité du Vatican).

Les frontières terrestres s’étendent aussi aux espaces visés par la règle de « l’extraterritorialité »
(territoires des ambassades et légations de l’Etat, bâtiments de guerre37).

Les frontières maritimes s’étendent à partir des eaux territoriales ou intérieures non seulement
à la mer (douze milles ou nautiques à compter de la côte, y compris le plateau continental ; 1
mille marin équivaut à 1852 m), à la zone économique exclusive (188 mille marins au-delà de
mer territoriale, soit 200 mille marins. Au-delà, c’est la haute mer ouverte à tous les Etats. Elle
appartient à tout le monde, au motif qu’elle fait partie du patrimoine commun de l’humanité
(rescommunis).

Le territoire étatique comprend enfin l’espace aérien (la couche atmosphérique qui le
surplombe).

36
Le terme « micro-État » est employé pour désigner un État souverain dont le territoire est particulièrement exigu
et, par suite, dont le peuplement est assez limité en comparaison avec les autres États du monde (ex. : Andorre, le
Liechtenstein, Monaco, Saint-Marin, le Vatican …). Le plus souvent, ces États, aux limites territoriales resserrées,
sont liés, par des conventions, à une puissance voisine qui assure leur protection (les relations établies entre la
France et Monaco).
37
Le Conseil constitutionnel français dans une décision du 25 février 1992 intègre au surplus, dans ce territoire
national, les zones de transit.
Le territoire est donc l’un des éléments qui permettent à la nation de réaliser son unité. Il joue un
rôle politique important car il est :

 un facteur d’unité du groupe lui permettant de prendre conscience de soi et de


son individualité par rapport aux autres groupes.

 une condition d’indépendance de l’Etat.

Il est le cadre des compétences des organes de l’Etat. Ces compétences sont marquées à la fois
par leur généralité et leur exclusivité. En somme, à l’intérieur du territoire, l’Etat est en principe
le seul à exercer son autorité.

 un moyen d’action de l’Etat lui permettant d’imprimer plus facilement une


direction à l’activité du groupe, de mieux contraindre les individus qui y vivent :
« qui tient le sol, tient l’habitant ».

Enfin, il convient de souligner que la relation qui s’établit entre l’Etat et son territoire, ne
consiste pas en un droit de dominium, c’est-à-dire de propriété mais bien d’i mperium38, c’està-
dire une puissance de domination. En clair, on ne peut pas assimiler la nature du droit de l’Etat
sur son territoire à un droit de propriété car si l’Etat était propriétaire de son territoire, son droit
serait exclusif et des simples particuliers ne pourraient être propriétaires en même temps que lui
de territoires étatiques. En revanche, il faut considérer que l’Etat exerce une puissance de
domination, à laquelle le droit international donne le nom de souveraineté territoriale. Cette
dernière s’exerce sur les individus vivant sur un territoire et non sur le territoire lui-même.

Certains auteurs ont envisagé une troisième voie, et considèrent que la nature du droit de l’Etat
sur son territoire est un droit réel institutionnel, un droit réel car il porte sur une chose, le sol
national; un droit institutionnel car le contenu de ce droit est déterminé et limité par ce qui est
exigé par le service de l’institution étatique. D’autres vont plus loin en estimant que cette
question ne s’impose pas et qu’il n’est pas nécessaire de s’interroger sur la nature des rapports
entre l’Etat et son territoire. Pour ces auteurs, ce qui est essentiel à relever c’est le fait que l ’Etat
produit des normes juridiques qui sont obligatoires pour les individus établis sur le territoire
étatique.

3. L’élément formel de l’Etat : l’autorité politique exclusive

Pour qu’un État existe, il ne suffit pas de rencontrer, sur un territoire déterminé, une population
donnée. Il faut, en plus, un gouvernement effectif qui exerce, au nom de l’État, un pouvoir à la
38
CARRE de MALBERG (R.), Contribution à la théorie générale de l’Etat, p. 2 et s.
fois sur ce territoire et sur cette population. En effet, l’État n’est pas une donnée naturelle, mais
une création humaine. Dès lors, il suppose une organisation (ou « appareil d’État »). C’est
pourquoi, Raymond CARRE DE MALBERG définit in concreto chacun des État comme «
une communauté d’hommes fixés sur un territoire propre et possédant une organisation d’où
résulte, pour le groupe envisagé dans ses rapports avec ses membres, une puissance suprême
d’action, de commandement et de coercition ». Il précise ensuite que « par-dessus tout, ce qui
fait un Etat, c’est l’établissement au sein de la nation d’une puissance publique s’exerçant
supérieurement sur tous les individus qui font partie du groupe national ou qui résident
seulement sur le sol national »39. La spécificité de cette autorité politique exclusive ou
puissance publique est qu’elle s’exerce au moyen des normes juridiques, au moyen « des
prescriptions impératives et obligatoires » qui s’imposent aux individus avec une force
irrésistible.

Selon Max WEBER, l’Etat est « le groupe qui revendique avec succèsle monopole de la
violence légitime »40. Il détient ainsi le pouvoir de contrainte et d’usage exclusif de la force.
L’Etat est le seul à disposer de forces de police ou à assurer la justice. Mais pour que l’autorité
politique exclusive s’exerce efficacement, elle a besoin d’être légitime, c’est-à-dire acceptée par
ses destinataires.

Pendant longtemps, la seule justification du pouvoir a été la force physique autorisant un


individu un individu de s’imposer aux autres. Par la suite, dans son ouvrage intitulé Le savant et
le politique, l’allemand Max WEBER retient une définition sociologique de l’Etat en
distinguant trois fondements de la légitimité :

 La légitimité traditionnelle ou historique:

Elle est acquise par la tradition (légitimité monarchique). Cette légitimité est fondée sur des
coutumes ancestrales et immémoriales.

 La légitimité charismatique :

Elle s’appuie sur la personnalité exceptionnelle du chef, les qualités personnelles de celui qui
exerce le pouvoir.

 La légitimité démocratique, légale, rationnelle :

39
Ibid.
40
WEBER (M.), Economie et Société, 1922.
Elle est la caractéristique de l’Etat moderne dont les organes sont investis par la loi. Elle est
fondée sur la raison, l’élection, la conformité à l’ordre légal. Elle a ainsi permis de dispenser le
groupe dirigeant de recourir à la contrainte. Il convient de rappeler que le pouvoir politique est
institutionnalisé. Désormais, l’individu et la fonction sont séparés, ce qui assure la permanence
de l’autorité politique indépendamment de la disparition (décès, démission) de ceux qui la
détiennent à un moment donné. Le système démocratique est organisé autour de trois axes41 :
les gouvernés doivent choisir effectivement, c’est-à-dire librement, les gouvernants, les
gouvernants doivent avoir les moyens de gouverner ; les gouvernants doivent être responsables
devant les gouvernés.

Ces trois légitimités peuvent être mixées, « panachées ». NAPOLEON 1er, par exemple, réussit
habilement à cumuler les trois. L’Etat selon WEBER existe donc parce que son pouvoir est
légitime et fait l’objet d’un consensus social.

41
CARCASSONNE (G.), La Constitution, Le Seuil, 4e édition, 2000.
B. Les éléments ou caractéristiques juridiques de l’Etat

La question de la nature juridique de l’Etat ne fait plus guère l’objet de discussion, ni en droit
interne, ni en droit international. En transposant la théorie juridique de l’Etat-nation selon
laquelle « l’Etat est la personnification juridique de la nation »42, nul ne conteste qu’il est, en
tout état de cause, une personne morale, une institution c’est-à-dire un être fictif auquel sont
attribués des droits et des obligations et dont la volonté ne peut s’exprimer que par des organes
agissant en son nom et pour son compte. Ainsi, deux caractères sont classiquement,
traditionnellement reconnus à l’Etat: la personnalité juridique et la souveraineté.

1. La personnalité juridique ou morale

La notion de personne juridique est indépendante de la notion de personne humaine. Ainsi, les
esclaves, qui étaient sans conteste des êtres humains, n’avaient pas de personnalité juridique.
Pour cette raison, ils n’existaient pas au regard du droit et ne pouvaient se prévaloir de règles
juridiques. En fait, les esclaves n’étaient pas sujets mais objets du droit.

Dès lors, l’État se caractérise par la possession de la personnalité morale. Il s’agit d’une personne
juridique, c’est-à-dire une personne qui est soumise aux règles juridiques. Plus précisément, être
doté de la personnalité signifie, dans le langage juridique, être apte à posséder des droits et à
encourir des obligations. La notion de personnalité juridique ou morale est une construction
juridique destinée à prendre en charge de façon permanente, les intérêts d’une population, d’un
groupe humain, indépendamment des personnes physiques qui agissent en son nom.

Le fait de posséder la personnalité morale traduit la capacité d’une entité d’agir sur le plan
juridique. Elle permet, notamment, à des institutions ou à des groupements de disposer d’un
patrimoine et de droits. Ceci dit, ce concept repose sur une fiction. Ainsi, dans un style imagé, il
a pu être affirmé que « la personne morale n’est pas une personne ; ni souffrante, ni aimante,
sans chair et sans os, la personne morale est un être artificiel. Et CASANOVA le savait bien,
qui poursuivit nonnes et nonnettes, mais ne tenta jamais de séduire une congrégation ; on n’a
jamais troussé une personne morale »43. Quant au Doyen DUGUIT, il a souligné la « fictivité»
de la notion dans cette célèbre phrase : « Je n’ai jamais déjeuné avec une personne morale

42
ESMEIN (A.), Éléments de droit constitutionnel français et étranger, 1895, réédition Panthéon-Assas, coll.
Les Introuvables, 2001, p. 1.
43
COZIAN (M.), VIANDIER (A.) et DEBOISSY (F.), Droit des sociétés, Litec, Paris, 19ème éd., 2006.
»44. C’est pourquoi, les personnes morales ne peuvent agir que par l’intermédiaire, le truchement
de personnes physiques45.

La personnalité morale permet d’inscrire l’État et le pouvoir politique, dont il est le détenteur,
dans la continuité, dans la permanence 46. Cette continuité de l’État implique que les
gouvernements doivent assumer les actes et les décisions de leurs prédécesseurs. Ainsi,
lorsqu’un gouvernement négocie un traité qui engage l’État français, le gouvernement suivant ne
peut reprendre cette parole au prétexte, par exemple, qu’il n’approuverait pas le traité.

L’État apparaît alors comme une entité abstraite, une institution détachée de la personne
physique des gouvernants. En effet, le progrès qui a marqué l’évolution des sociétés a consisté à
institutionnaliser le pouvoir politique, c’est-à-dire à le dissocier progressivement de la personne
de ceux qui commandent pour le confier à l’État. En fait, le pouvoir est attaché à la fonction, et
non à la personne de son titulaire ; on obéit à la règle, et non à la personne de celui qui l ’a
édictée. En conséquence, la personne de l’État ne se confond pas avec la personne de ses
dirigeants47, ce qui implique que ceux-ci ne sont pas propriétaires de leurs fonctions ; ils en sont
simplement les dépositaires provisoires54. De la sorte, les décisions prises par les autorités
étatiques sont réputées prises, non par elles personnellement, mais par l’État. En définitive, les
gouvernants passent, mais l’État demeure.

2. La souveraineté

L’Etat est une entité souveraine, une organisation politique souveraine. Il s’agit, de l’existence
d’une autorité politique, organisée selon ses propres règles. . L’État possède la souveraineté, soit
le caractère suprême du pouvoir. Cette souveraineté a d’abord signifié la puissance irrésistible et
exclusive exercée par une autorité sur son territoire. Aujourd’hui, elle est devenue un attribut
essentiel de l’Etat. Selon la formule célèbre de GROTIUS, la puissance souveraine est « celle
dont les actes sont indépendants de tout autre pouvoir supérieur en sorte qu’ils ne peuvent être
annulés par aucune autre volonté humaine ». La souveraineté est une volonté souveraine. Elle

44
Sous une forme analogue, est attribué, au Professeur Gaston JEZE, l ’aphorisme suivant : « Je n’ai jamais
déjeuné avec une personne morale », ce à quoi le Professeur Jean-Claude SOYER a répondu : « Moi non plus,
mais je l’ai souvent vue payer l’addition ».
45
Concrètement, lorsque le chef de l’État signe un Traité, c’est l ’État qui est engagé ; quand un ministre passe
une commande, celle-ci est livrée à l’État ; si un Préfet expulse un étranger en situation irrégulière, c’est l ’État qui
endosse la responsabilité de cette décision.
46
Sous la monarchie, la continuité et la permanence de l’État étaient exprimées par la formule suivante : « Le Roi
est mort, vive le Roi ».
47
La célèbre formule de LOUIS XIV, selon laquelle « L’État, c’est moi », ne s’applique donc plus… 54
Le langage courant, qui évoque le « locataire de l’Élysée » ou l’« hôte de Matignon », marque bien le
caractère provisoire de la possession du pouvoir par les gouvernants
se présente ainsi face à toute autre volonté ont elle est indépendante, mais également devant
celles sur qui elle s’exerce et qui doivent lui obéir. Parce que GROTIUS aborde la souveraineté
sous l’angle particulier du droit de la guerre, ce second point n’est pas toujours clairement perçu.
De même Emmerich DE VATTEL écrivait que « toute nation qui se gouverne elle-même,
sous quelque forme que ce soit, sans dépendance d’aucun Etat étranger, est un Etat
souverain »48. La souveraineté se rattache ici clairement à l’Etat et devient pratiquement
synonyme d’indépendance. De sorte que le véritable critère de l’Etat nous paraît devoir être
recherché dans l’indépendance de l’Etat, c’est-à-dire la façon dont sont exercés les pouvoirs de
l’Etat. Dans cette acception du critère de l’Etat, son indépendance suppose, à la fois, l’exclusivité
de ses compétences, l’autonomie de ses compétences et la plénitude de ses compétences.

Au plan interne, être souverain signifie que l’Etat n’est soumis à aucune autorité supérieure, ce
qui a pour conséquence que l’Etat définit lui-même ses compétences et ses règles d’organisation.
En fait, l’Etat est à la source et à l’aboutissement de l’ordre juridique  : il le fonde, le délimite et
le met en œuvre. D’un point de vue pratique, la souveraineté implique que l’Etat a le pouvoir de
fixer librement les règles : il élabore sa Constitution, forge les lois, édicte les règlements. De
sorte, l’Etat et lui seul, a le monopole de l’édiction des règles juridiques et dispose de ce que
Max WEBER a appelé « le monopole de la contrainte organisée, légitime ». En somme, au
plan interne, la souveraineté implique :

 La possibilité de déterminer sa propre organisation politique


 La possibilité de fixer ses propres règles de droit
 Le pouvoir de les faire appliquer, pouvoir de contraindre

Au plan international, la détention de la souveraineté implique que l’Etat n’est subordonné à


aucune autorité qui lui est extérieure, ce qui signifie que l’Etat n’est soumis, à l’égard d’autres
Etats ou des organisations internationales, à aucune obligation qu’il n’est librement souscrite.

La souveraineté externe implique alors :

 L’égalité des Etats


 La soumission au droit international par la seule volonté de l’Etat.

On retiendra que la souveraineté se définit, en droit, comme la détention de l’autorité suprême,


c’est à dire d’un pouvoir absolu (dont tous dépendent) et inconditionné (qui ne dépend de qui
48
DE VATTEL (E.), Le droit des gens Livre 1, Chapitre I
que ce soit). La souveraineté est donc la qualité d’un être qui n’a pas de supérieur 49. S’agissant
de l’État, être souverain signifie qu’il ne peut être obligé que par sa propre volonté – dans les
limites imposées par le respect dû aux règles de droit – et que, par suite, il n’est soumis à aucune
puissance intérieure ou extérieure56. Par conséquent, la personne morale qu’est l’État n’a, pour
reprendre les propos du Professeur Édouard LAFERRIERE, « ni supérieur, ni égal, ni
concurrent ».

La souveraineté est une vieille idée conçue progressivement au Moyen-Âge par les légistes,
puis au XVIème siècle par Jean BODIN et au XVIIème siècle par Charles LOYSEAU.
Ainsi, les légistes, sous Philippe LE BEL (1285-1314) et ses successeurs, ont voulu fonder
l’autorité du Roi et, pour ce faire, ils ont mis en avant la notion de souveraineté. Ils ont utilisé,
en particulier, le vieil adage selon lequel « leRoi de France est Empereur en son Royaume »50.

D’après Jean BODIN, « la souveraineté est la puissance absolue et perpétuelle d’une


République »51. Quant à Charles LOYSEAU, il considère que « la souveraineté consiste en une
puissance absolue, c’est-à-dire parfaite et entière de tout point »59. La souveraineté présente,
selon Jean BODIN, trois caractères :

 Elle est une puissance de commandement publique et non particulière ou privée. Sa


spécificité est d’être la plus grande puissance de commandement qui émane de l’autorité
publique et qui s’impose à tous.

 Elle perpétuelle, elle n’est pas limitée dans le temps. On dira aujourd’hui qu’elle est
imprescriptible.

 Elle est inconditionnelle et absolue.

Si, de nos jours, la souveraineté de l’État connaît une érosion manifeste au niveau international,
elle n’a pas, semble-t-il, à redouter une réelle subordination au niveau interne.

Dans l’ordre interne, la souveraineté de l’État se heurte, toutefois, à l’affirmation et au


développement des droits de l’homme, au respect dû à la vie privée ainsi qu’au renforcement des
49
Sur ce point, Jean-Jacques ROUSSEAU a pu souligner, dans ses Lettres écrites de la montagne (1764), qu’« Il
est de l’essence de la puissance souveraine de ne pouvoir être limitée : elle peut tout ou elle n ’est rien ». 56
Qu’un État souverain puisse, néanmoins, être soumis au droit international ne comporte nulle contradiction,
parce que cette soumission résulte de sa propre volonté.
50
La souveraineté du Roi de France signifiait, en l’espèce, qu’il n ’était soumis ni au Pape ni à l ’Empereur. De la
sorte, le Roi était assuré d’être reconnu à l’extérieur comme à l’intérieur. À l’extérieur, il s ’agissait de montrer que
le Roi était l’égal de l’Empereur ; à l’intérieur, il s ’agissait de montrer que le Roi disposait des mêmes pouvoirs
que l’Empereur.
51
BODIN (J.), Les six livres de la République, 1576.
59
LOYSEAU (C.), Traité des seigneuries, 1609.
collectivités décentralisées. De plus, des atteintes à la souveraineté de l’État peuvent être
justifiées par des raisons humanitaires, bien que l’article 2 de la Charte des Nations Unies
affirme qu’aucune de ses dispositions « n’autorise les Nations Unies à intervenir dans les
affaires qui relèvent essentiellement de la compétence nationale d’un État ». Pour cette raison,
le principe de souveraineté est censé l’emporter sur le principe d’humanité et les droits des États
sur les droits de l’homme52.

Au plan interne, être souverain signifie que l’État n’est soumis à aucune autorité supérieure,
ce qui a pour conséquence que l’État définit lui-même ses compétences et ses règles
d’organisation53. En fait, l’État est à la source et à l’aboutissement de l’ordre juridique ; il le
fonde, le délimite et le met en œuvre. D’un point de vue pratique, la souveraineté implique que
l’État a le pouvoir de fixer librement des règles : il élabore sa Constitution, forge les lois, édicte
les règlements. De la sorte, l’État, et lui seul, a le monopole de l’édiction des règles juridiques et
dispose de ce que Max WEBER a appelé le monopole de la contrainte organisée.
Concrètement, il est le seul à pouvoir édicter des règles de droit et à pouvoir les faire respecter,
au besoin par la force, et cela tout à fait officiellement, tant sur le plan intérieur (avec la police)
que vis-à-vis de l’extérieur (avec l’armée). Ainsi, lorsque d’autres institutions (ex. : syndicats,
associations, Églises …) disposent de la possibilité d’édicter des règles et de contraindre leurs
membres à les respecter sous peine de sanctions, ce n’est que parce que les autorités étatiques
l’ont bien voulu et toujours dans le cadre qu’elles ont elles-mêmes fixé61.

En somme, la souveraineté interne implique:

 la possibilité de déterminer sa propre organisation politique

 la possibilité de fixer ses propres règles de droit.

 Le pouvoir de les faire appliquer, pouvoir de contraindre.

II. L’approche conceptuelle de l’Etat

52
À titre d’illustration, la répression des populations civiles kurdes, simple « situation de troubles et de tensions
internes », n’a autorisé qu’exceptionnellement une intervention militaire au printemps 1991 tandis que l ’invasion
du Koweït, État souverain, par l’Irak, qualifiée de « conflit armé international », a pu entraîner celle de la
coalition autorisée par le Conseil de sécurité des Nations Unies. De nombreuses ONG ont, toutefois, choisi de
secourir sur place toute détresse humaine sans vouloir, pour autant, porter atteinte à la souveraineté des États
concernés, et confondre « cortège d’ambulances et division blindée, stéthoscope et périscope ».
53
Pour reprendre l’expression de Georg JELLINEK, l’État dispose de « la compétence de la compétence ». 61 Le
souverain peut donc déléguer ou transférer des compétences, sans que cela ne touche à sa souveraineté, tant qu ’il
conserve la possibilité de reprendre ces compétences.
L’État est-il le résultat d’un processus naturel ou une construction artificielle ? En réalité, deux
théories s’affrontent pour déterminer à partir de quel élément naît l’État : celle qui soutient que
l’État résulte d’un phénomène naturel et celle qui défend l’idée selon laquelle l’État résulte d’un
contrat conclu entre des volontés humaines.

A. La théorie classique divine du pouvoir ou l’origine naturelle de l’Etat

L’explication la plus ancienne, défendue par les auteurs chrétiens, invoque l’origine divine du
pouvoir en se fondant sur le postulat de Saint-Paul: omnis potestas a deo (« tout pouvoir vient
de Dieu »). En conséquence, le pouvoir politique est créé par Dieu pour satisfaire un seul
dessein, ses exigences à l’égard des hommes, le destin de l’homme. La magistrature suprême du
monarque s’exerce par application de la théorie du droit divin (thèse théocratique) en vertu de
laquelle la volonté divine inspire le monarque qui est de jure et de facto le représentant de Dieu
sur terre54. Il incarne la représentation de l’Etat et tous les membres de son royaume. Cette
vision a été reprise par Saint AUGUSTIN64 (Ve siècle) et Saint THOMAS D’AQUIN55 (XIIIe)
qui posent que si le pouvoir vient de Dieu, celui-ci a cependant laissé aux hommes le soin de
choisir son dépositaire terrestre et ses modalités d’exercice. BOSSUET56 sera l’un des derniers à
défendre l’origine du pouvoir royal et sa toute-puissance terrestre en préconisant une obéissance
systématique au pouvoir.

Cette explication religieuse ne pouvait évidemment satisfaire les non-croyants et, malgré la
relative souplesse de certaines de ses variantes, devait succomber au caractère trop incontestable
de l’autorité décrite ainsi qu’aux assauts du rationalisme.

B. L’origine contractuelle du pouvoir ou de l’Etat

Parmi les thèses rationalistes qui se développent à partir du XVI e siècle, celle qui aura le
retentissement le plus important dans l’espace et le temps est incontestablement la thèse
contractuelle. Celle-ci fait découler l’Etat non pas de la volonté de Dieu mais de celle des
hommes en fondant son existence sur un pacte, un contrat conclu entre ceux-ci. Là encore, les
variantes sont nombreuses et débouchent sur des conséquences parfois opposées. En d’autres
termes, cette théorie s’est développée de manière différente qu’il s’agit de Thomas HOBBES, de

54
De par son sacre par l’Evêque de Reims, il recevait d’ailleurs le don miraculeux de guérir les écrouelles.
64
La cité de Dieu, 413.
55
La Somme théologique, 1266-1273.
56
BOSSUET (J.-B.), La politique tirée de l’écriture sainte, 1709.
John LOCKE, de Jean Jacques ROUSSEAU ou des auteurs calvinistes du XVIe siècle
dénommés les « monarchomaques »57.

1. Les auteurs calvinistes français du XVIe siècle

Ces auteurs avançaient qu’un contrat ou pacte de sujétion aurait été passé dans des temps très
anciens entre le futur roi et ses sujets aux termes duquel les seconds devaient obéissance au
premier tandis que celui-ci s’engageait à respecter les règles garantissant leurs libertés. Si le
monarque rompt ce pacte, il devient un tyran et peut être renversé par le peuple.

2. Thomas HOBBES, Le Léviathan, 1651

Au XVIIe siècle, l’anglais Thomas HOBBES reprend l’idée contractuelle mais dans un sens bien
moins libéral lui permettant de justifier, au contraire, l’absolutisme royal. Il explique qu’avant
l’apparition du pouvoir politique les hommes vivaient dans un « état de nature » insupportable,
véritable pandémonium, chaos originel dans lequel l’homme était un sauvage belliqueux n’avait
d’autre ambition que de faire la guerre où « l’homme était un loup pour l’homme » (homo
homini lupus). Pour sortir de cette anarchie oppressive, de cet « état de nature », se sont alors
imposés les besoins d’un chef fort et des règles posées par un système juridique contractuel, un
pacte instituant un Etat pour garantir l’ordre et la paix civile. Dans ce système nouveau souhaité
par l’homme, celui-ci doit abdiquer ses droits et libertés au profit d’un souverain, un chef
irrévocable et qui en est le bénéficiaire exclusif (système de dévolution unilatérale du pouvoir).
Chacun abandonne ainsi au souverain son droit absolu sur toute chose. La renonciation à un
droit absolu ne pouvant elle-même qu’être absolue, la transmission est obligatoirement totale.
Le contrat investit donc le prince d’un pouvoir auquel tous les sujets doivent obéissance à peine
de retomber dans l’état de nature dont ils ont précisément voulu sortir.

3. John LOCKE, Essai sur le gouvernement civil (1690)

Au XVIIe siècle, après la révolution anglaise qui détrôna Jacques II, John LOCKE, maintient
l’idée contractuelle tout en l’orientant dans un sens opposé à celui de HOBBES lui permettant de
justifier précisément la résistance à la tyrannie. Selon lui, il existait à l’origine un état de nature
inorganisé, chaotique, dans lequel les hommes vivaient en revanche paisiblement, en bonne
intelligence et concorde comme de « bons sauvages ». Il s’agit alors d’un état de parfaite liberté
et d’égalité, « un état de parfaite paix, de bienveillance réciproque, d’assistance et de protection
naturelle » quasi idyllique dans lequel les hommes s’autorégulaient harmonieusement. Le chef a

57
HOTMAN (F.), La franco-Gallia, 1573 ; DE BEZE (T.), Du droit des magistrats sur leurs sujets, 1574 ;
LANGUET (H.), DUPLESSIX-MORNAY, Les Vindiciae contra tyrannos, 1579.
été institué pour maintenir cet état de paix idyllique, paradis originel, sans pour autant
s’accompagner d’une abdication des libertés possédés par les individus au profit du chef. Le
contrat auxquels les individus ont consenti tend à la protection de leurs libertés et de leur
propriété auxquelles ils n’ont nullement renoncé et que le gouvernement doit garantir. La liberté
dans la société civile consiste ainsi à n’être soumis à aucun pouvoir législatif arbitraire 58. En
vertu de l’origine conventionnelle et synallagmatique du pouvoir politique, le chef est révocable
s’il ne respecte pas le pacte initial. Autrement dit, la violation du pacte par celui-ci entrainera,
comme chez les « monarchomaques », le droit de désobéir.

4. Jean-Jacques ROUSSEAU, Du contrat social (1762)

L’état de nature de Jean-Jacques ROUSSEAU est comparable à celui décrit par HOBBES, la
différence résidant dans le statut du chef. En réalité, il reprend et approfondit la thèse
contractuelle mais en y introduisant la démocratie puisque c’est le peuple lui-même qui
constitue le pouvoir. Il n’abdique pas ses droits et libertés au profit d’un chef supérieur mais au
profit d’une entité abstraite, la volonté générale. Selon lui, les hommes se sont engagés, dans le
contrat social, non pas pour obéir à un prince mais à respecter la volonté générale exprimée
dans la loi à l’élaboration et à la ratification de laquelle participent tous les citoyens réunis en
assemblée générale. En d’autres termes, la volonté générale s’exprime par et dans la loi qui
traduit de jure l’intérêt général. Il en résulte que chacun s’unissant ainsi à tous « n’obéit pourtant
qu’à lui-même et reste aussi libre qu’auparavant ». Œuvre de tous et expression de la volonté
générale, la loi ne peut errer ni opprimer ceux qui la font de telle sorte que la question de
l’obéissance ne se pose plus, chaque citoyen étant à la fois monarque et sujet. Comme tous les
citoyens ont un droit égal à participer au vote de la loi, cette dernière ne peut être contraire à
l’intérêt de chacun. La loi apparaît en conséquence comme le produit de la volonté populaire, le
monarque, s’il en existe un, n’ayant pour fonction que d’exécuter les lois, il ne peut guère
opprimer plus que celles-ci. L’absolutisme démocratique risque de se substituer ici à
l’absolutisme monarchique.

Toutes ces philosophies rationalistes sont largement fictives et leurs adeptes sont certainement
conscients que le contrat qu’ils invoquent n’a jamais existé historiquement. Il s’agit cependant
d’une hypothèse logique de consentement tacite des sujets au pouvoir étatique, présupposant

58
Voir sur ce point Jean-Paul VALETTE, « Le pouvoir chez John Locke », RDP, n°1, 2001.
que les hommes étant naturellement libres ne se soumettent au pouvoir que par leur libre
consentement.

Section 2: Les formes d’organisation juridique de l’Etat

Il existe traditionnellement deux grandes catégories d’organisation étatique, l’Etat unitaire et


l’Etat composé mais depuis la fin du XXe siècle, cette summa divisio a été particulièrement
malmenée au point de conduire à envisager des formes inédites difficiles à rattacher aux
catégories traditionnelles. Il convient donc d’examiner d’abord les conceptions classiques de
l’Etat unitaire et de l’Etat fédéral avant d’appré

hender d’éventuelles catégories intermédiaires.

I. L’Etat unitaire

Cette forme d’Etat s’articule autour d’un modèle idéal qui dans la réalité se rencontre rarement.
Autrement dit, l’Etat

unitaire est un Etat dans lequel il existe un seul centre décisionnel, un seul centre d’impulsion
politique et gouvernementale c’est-à-dire, le pouvoir politique dans la totalité de ses attributs et
de ses fonctions relève de la personne juridique de l’Etat (un centre unique de pouvoir, une seule
organisation juridique et politique dotés d’attributs de la souveraineté, dont les relais locaux
n’ont pas directement de compétences normatives autres que celles prévues par la Constitution
et les lois dudit Etat). Cette unité et unicité du pouvoir exclut tout risque de divergence
politique; la volonté politique unique s’imposant directement et dans tous les domaines aux
nationaux sur l’ensemble du territoire national et dans les mêmes conditions. L’appareil étatique
est unique. La norme juridique s’applique uniformément sur l’ensemble du territoire
(universalité), chacun étant égal devant cette norme (égalité). Les organes de l’Etat possèdent
toutes les attributions étatiques et par conséquent, la totalité de la souveraineté interne et
internationale appartient à l’Etat sans aucun partage possible dans la mesure où il n’existe pas
d’organisation de même type qui puisse entrer en concurrence avec eux. Tous les individus
placés sous la souveraineté d’un Etat unitaire obéissent à une seule et même autorité, vivent
sous le même régime constitutionnel et sont régis par les mêmes lois.
Il convient toutefois de relever que le caractère unitaire n’interdit pas l’instauration d’une
déconcentration, et d’une décentralisation administrative plus ou moins poussée. En d’autres
termes, il existe des différences importantes entre les Etats unitaires. Les uns sont dits
centralisés, les autres décentralisés.

« On peut gouverner de loin, mais on administre bien que de près ». Cette assertion de
Napoléon Ier semble résumer le principe qui préside à l’administration gabonaise et française.
Pendant longtemps, les collectivités territoriales ont été soumises à l’emprise d’un Etat unitaire
centralisé. Il faut dire que la centralisation était présentée comme un gage d’impartialité,
d’égalité et de rationalité. Or, force est de reconnaître qu’avec le temps, il était devenu
impossible de maintenir ce jacobinisme ou encore cette centralisation exacerbée de pouvoirs ;
cela conduisait inexorablement, inéluctablement à l’apoplexie, gage de bureaucratie et
d’irréalisme de décisions.

Si la loi municipale du 5 avril 1884 disposait que: « le conseil municipal règle par ses
délibérations, les affaires de la commune », les communes demeuraient sous la tutelle
administrative et financière de l’Etat.

La conséquence s’est imposée d’elle-même : il est apparu nécessaire de rapprocher la prise de


décision du lieu où elle sera exécutée. Ce rapprochement est assurée notamment par deux
techniques, deux modalités distinctes mais complémentaires de gestion des affaires locales
(Décentralisation et déconcentration).

A. L’Etat unitaire centralisé

La France jusqu’en 1982 constitue un Etat centralisé caractérisé par une unité de décision tant
sur le plan administratif que politique. Le pouvoir central est omniprésent et les échelons locaux
sont réduits au rang d’échelon d’exécution dépourvu de toute capacité normative. Dans les Etats
centralisés, toutes les normes sont prises par des autorités nationales, dites aussi centrales.

Pendant longtemps, les collectivités territoriales ont été soumises à l’emprise d’un Etat unitaire
centralisé. La centralisation était présentée comme un gage d’impartialité, d’égalité et de
rationalité. L’Etat jacobin reposait en effet sur les principes d’uniformité et d’égalité. Le régime
s’organise autour d’une centralisation politique accordant une omnipotence au pouvoir central et
d’une centralisation administrative imposant la prééminence des administrations centrales. Pour
Charles EISENMANN pour lequel « centralisation signifie centre unique, unité de centre;
décentralisation, centres multiples, pluralité de centres ... »59.

La centralisation et la décentralisation évoquent l'idée d'une résolution différente de la question


des rapports actes centraux et actes non centraux. Ces deux termes nous incitaient encore, à
reprendre l'analyse de Charles EISENMANN pour tenter de comprendre ce que pouvait être
juridiquement la décentralisation et toutes les notions qui gravitent autour de cette
problématique des rapports de l'Etat et du Local: déconcentration, Etat fédéral, libre
administration. Ces notions étant généralement présentées en opposition à la centralisation, il
faut donc au préalable définir l'Etat centralisé, afin de déterminer en quoi la décentralisation, la
déconcentration, la libre administration ou le fédéralisme pouvaient affecter celui-ci.

Qu'est-ce donc un ordre juridique centralisé? Ceux qui tentent de répondre, tels Maurice
HAURIOU pour lequel la centralisation « est la force propre du gouvernement de l'Etat »60 ou
J. CADART pour lequel « l'Etat est centralisé (lorsque) les organes dirigeants de l'Etat
exercent toutes les compétences de droit public »61, laissent perplexe. Il convient en effet de
rappeler que le rattachement à la séparation des pouvoirs ne permettait pas seulement de
résoudre la question des rapports actes locaux-actes centraux mais aussi de définir selon les
modalités d'organisation de ce mode de production, les différentes notions qui nous intéressent.
La séparation des pouvoirs, selon MONTESQUIEU s'organise autour de la distinction de la
faculté de statuer et de la faculté d'empêcher 62. La centralisation-décentralisation a trait à la
répartition de ces facultés entre des organes locaux et des organes centraux, les modalités de
cette répartition permettant de définir le type d'organisation mis en œuvre dans tel ou tel cas.

La centralisation a été remise en cause en raison de l’apparition de dysfonctionnement


majeurs63, tels que l’ignorance voire la négation des réalités locales, ou encore « l’apoplexie au

59
EISENMANNN (C.), Centralisation-Décentralisation, L.G.D.J. 1948, p. 17.
60
HAURIOU (M.), Précis élémentaire de droit administratif, SIREY 4ème éd., 1938, p. 40.
61
CADART, (J.) Institutions politiques et droit constitutionnel, tome 1, L.G.D.J.1979, p. 57.
62
MONTESQUIEU L'Esprit des lois, tome 1, GARNIER-FLAMMARION, 1979, p. 298.
63
Voir sur ce point Jean François GRAVIER, Paris et le désert français, Le Portulan, 1947.
centre et la paralysie aux extrémités »64. Dès lors, il était devenu impossible de maintenir ce
jacobinisme ou encore cette centralisation exacerbée de pouvoirs; cela conduisait
inexorablement, inéluctablement à l’apoplexie, gage de bureaucratie et d’irréalisme de décisions.
La conséquence s’est imposée d’elle-même: il est apparu nécessaire de rapprocher la prise de
décision du lieu où elle sera exécutée. Pour des raisons d’efficacité, ce rapprochement est
assurée notamment par deux techniques, deux modalités distinctes mais complémentaires de
gestion des affaires locales (Décentralisation et déconcentration).

B. L’Etat unitaire déconcentré

La centralisation comme la décentralisation doit être distinguée de la déconcentration qui


renvoie à un aménagement technique interne à l’Etat. Selon le Professeur Georges BURDEAU,
dans le cadre de la déconcentration, « les autorités locales reçoivent du pouvoir central une
délégation d’autorité qui leur permet d’exercer localement, ou pour la gestion d’un service
déterminé »65. Le décret du 1er juillet 1992 portant charte de la déconcentration et pris en
application de la loi du 6 février 1992, affirme dans son article premier: « la déconcentration
est la règle générale de répartition des attributions et des moyens entre les différents échelons
des administrations civiles de l’Etat». La déconcentration désigne alors un procédé de
décongestion des compétences étatiques qui restent interne à l’administration de l’Etat en ce
sens qu’il consiste simplement à déléguer le pouvoir de décision à des agents locaux de celui-ci
agissant en son nom et pour son compte. La collectivité étatique est alors découpée en
circonscriptions administratives dans lesquels des agents locaux de l’Etat exercent les pouvoirs
décisionnels « sur place » et donc plus près des administrés. Permettant de réduire les effets
indésirables de la centralisation, la déconcentration se présente comme une simple délégation de
compétence effectuée par le centre (les administrations centrales, les ministères), au profit des
anciens services extérieurs aujourd’hui qualifiés de services déconcentrés (directions
départementales et régionales, préfectures).

La déconcentration est alors un système d’organisation administrative dans lequel sont créés, à
la périphérie, des relais du pouvoir central. Le ministre Odilon Barrot avait en 1848, résumé la
64
Formule de Félicité ROBERT DE LAMENNAIS.
65
BURDEAU (G.), Droit constitutionnel, LGDJ, 1988.
déconcentration par une image assez célèbre: « dans le cadre de la déconcentration c’est
toujours le même marteau qui frappe mais on en a raccourci le manche ». En conséquence,
c’est toujours l’Etat qui agit mais pour être plus efficace, il rapproche certaines de ses autorités
de ses administrés. En termes plus juridiques, les organes centraux de l’administration d’Etat
installent des agents, des agents locaux placés sous l’autorité hiérarchique des organes centraux:
les services déconcentrés afin d’agir dans des aires géographiques délimités : les
circonscriptions administratives. La déconcentration s’inscrit donc dans le cadre du maintien de
la centralisation administrative. Elle ne remet pas en cause l’existence étatique mais introduit
une souplesse de la structure étatique afin de favoriser l’adaptation de l’action publique à la
réalité.

1. Les services déconcentrés

Selon la loi d’orientation n° 92-125 du 6 février 1992 relative à l’administration territoriale


de la République « les administrations civiles de l’Etat se composent d’administrations
centrales et de services déconcentrés ». Les premières sont compétentes sur l’ensemble du
territoire national et selon l’article 2 du décret n° 92-604 du 1er juillet 1992 portant charte
de la déconcentration: « assurent au niveau national un rôle de conception, d’animation,
d’orientation, d’évaluation et de contrôle. A cette fin, elles participent à l’élaboration des projets
de loi et de décret et préparent et mettent en œuvre les décisions du gouvernement et de chacun
des ministres ». Par opposition à l’administration centrale, l’administration territoriale n’est
compétente que sur une portion du territoire national. Elle « est assurée par les collectivités
territoriales et par les services déconcentrés de l’Etat. Elle est organisée, dans le respect du
principe de libre administration des collectivités territoriales, de manière à mettre en œuvre
l’aménagement du territoire, à garantir la démocratie locale et à favoriser la modernisation du
service public »66.L’administration territoriale est donc l’aboutissement de deux concepts
fondamentaux du droit administratif: la déconcentration et la décentralisation.

Les services déconcentrés dépendent des services centraux par le biais du pouvoir hiérarchique.
Il est détenu de plein droit par l’autorité supérieure qui peut intervenir, pour des raisons tant
d’opportunité que de légalité. Il s’exerce aussi bien sur les personnes que sur les actes.

66
Article 1erde la loi d’orientation n° 92-125 du 6 février 1992 relative à l ’administration territoriale de la
République.
a) Le pouvoir hiérarchique sur les actes se traduit par:

 le pouvoir d'instruction : le supérieur hiérarchique indique par voie de circulaires ou


directives comment interpréter les textes ou comment mener concrètement son action.

 le pouvoir de réformation: le supérieur hiérarchique remplace la décision du


subordonné par une autre décision qui n’a pas d'effet rétroactif.

 le pouvoir d'annulation: le supérieur hiérarchique fait disparaître la décision des


subordonnés de l'ordonnancement juridique avec effet rétroactif.

b) Le pouvoir hiérarchique sur les personne se traduit par:

 le pouvoir de nomination

 Le pouvoir de notation

 Le pouvoir disciplinaire.

3. Les circonscriptions administratives

Une circonscription administrative est une division du territoire national à l’intérieur de laquelle
une autorité administrative est compétente pour agir. Elle n’a pas de personnalité juridique.

La loi d’orientation n° 92-125 du 6 février 1992 relative à l’administration territoriale de la


République énumère les trois circonscriptions administratives générales suivantes:

La circonscription régionale qui « est l’échelon territorial :

1° De la mise en œuvre des politiques nationale et communautaire en matière de développement


économique et social et d’aménagement du territoire 2° De l’animation et de la coordination
des politiques de l’Etat relatives à la culture, à l’environnement, à la ville et à l’espace rural 3°
De la coordination des actions de toute nature intéressant plusieurs départements de la région.
Elle constitue un échelon de programmation et de répartition des crédits d’investissement de
l’Etat ainsi que de contractualisation des programmes pluriannuels entre l’Etat et les
collectivités locales »67.

67
Art. 3 décret 1-7 1992.
78
Art. 4 décret 1-7-1992
79
Art. 5 décret 17-1992.
 la circonscription départementale qui « est l’échelon territorial de mise en œuvre des
politiques nationale et communautaire. Les moyens de fonctionnement des services
départementaux de l’Etat leur sont alloués directement par les administrations centrales
»78.

 la circonscription d’arrondissement qui « est le cadre territorial de l’animation du


développement local et de l’action administrative locale de l’Etat »79.

La loi d’orientation n° 92-125 du 6 février 1992 relative à l’administration territoriale de la


République énumère également des circonscriptions administratives dérogatoires:

 la circonscription communale

 la circonscription cantonale.

C. L’Etat unitaire décentralisé

« Les peuples démocratiques haïssent souvent les dépositaires du pouvoir central, mais ils
aiment toujours ce pouvoir lui-même »68. La décentralisation s’inscrit dans la perspective plus
large de la structuration pragmatique de l’action publique. On s’accorde ainsi à penser que la
décentralisation « [....] se traduit par le transfert des attributions de l’Etat à des institutions
(territoriales ou non) juridiquement distinctes de lui et bénéficiant, sous la surveillance de l’Etat
d’une certaine autonomie de gestion »69. Selon le Professeur Georges BURDEAU, dans le
cadre de décentralisation « le pouvoir central ne disparaît pas, mais il n’assure plus directement
la gestion du pouvoir. Il surveille seulement la manière dont les autorités décentralisées
pourvoient à son fonctionnement »82.

La décentralisation désigne alors un morcellement du pouvoir administratif ou encore un mode


de gestion des affaires locales. Cette technique de gestion des affaires locales s’inscrit dans la
perspective générale d’autonomisation de la sphère locale. Il s’agit de permettre, dans le cadre
de l’Etat unitaire, un certain degré d’auto-gestion et de démocratie administrative. Elle consiste à
confier, transférer des pouvoirs de décision, des attributions du pouvoir central (l’Etat) à des
collectivités territoriales dotées de personnalité juridique, lesquelles disposent de pouvoirs de
décision administrative et d’autonomie à l’égard du pouvoir central et sont administrés par des
68
ALEXIS DE TOCQUEVILLE

69
CHAPUS (R.), Droit administratif général, 11e édition, tome 1, 1997, p. 360-361.
82
BURDEAU (G.), Droit constitutionnel, LGDJ, 1988.
autorités élues et soumises au contrôle de légalité. En clair, les affaires locales sont gérées par la
collectivité territoriales elles-mêmes c'est-à-dire par des organes élus par la population locale et
dont les actes restent soumis à un contrôle de l’Etat plus ou moins strict mais dépourvu de
caractère hiérarchique.

1. Les grands principes de la décentralisation

La décentralisation s’est structurée et adaptée au gré des circonstances et de nombreux grands


principes :

a) Des collectivités locales aux conseils élus

Le contexte de la mondialisation, de la construction communautaire et de la décentralisation a


conduit à « une redistribution des pouvoirs entre l’Etat et les collectivités territoriales »70. « la
réalité des collectivités territoriales est extrêmement complexe et sa reconnaissance ne peut
qu’être interdisciplinaire »71. Jean GIRARDON explique qu’une « collectivité locale c’est tout
à la fois des hommes, des institutions, un territoire, un potentiel économique et financier, une
culture, un lien de pouvoir. On peut ainsi repérer l’élément institutionnel, l’élément territorial,
l’élément économique et financier, l’élément culturel et politique »72. Ainsi, par collectivités
locales, il faut alors entendre des personnes morales de droit public, décentralisées
(organes élus au suffrage universel direct) dotée de la personnalité juridique, d’une
autonomie administrative et financière et de compétences propres dans un ressort territorial
déterminé et soumises au contrôle de légalité.

En clair, les affaires locales sont gérées par les collectivités locales elles-mêmes c'est-à-dire par
des organes élus par la population locale et dont les actes restent soumis à un contrôle de l’Etat
plus ou moins strict mais dépourvu de caractère hiérarchique. Dès lors, les éléments constitutifs
et caractéristiques de l’identité d’une collectivité locale sont à la fois sociologiques (nom,
territoire, population) et juridiques (la personnalité juridique, distinction circonscription
administrative, établissement publique).

La Constitution elle-même consacre la diversité des collectivités locales. En vertu de l’article


72 de la Constitution française, « les collectivités de la République sont les Communes, les
départements, les régions, les Collectivités à statut particulier et les collectivités d’outre-mer ».
70
Titre de la Revue Autrement n°47, 1983.
71
GIRANDON (J.), Les collectivités territoriales, Paris, Ellipses, 2001, p. 4.
72
Ibid.
Ensuite, alors même que « la périphérie française est devenue un ensemble de statuts
hétérogènes qui s’intègrent de plus en plus mal dans les catégories constitutionnelles »73,
l’article 74 de la Constitution précise que « toute autre collectivité territoriale est créée par la
loi, le cas échéant en lieu et place d’une ou plusieurs collectivités mentionnées au présent alinéa
». Selon une présentation classique, il convient de distinguer les collectivités territoriales de
droit commun des collectivités à statut particulier ou sui generis.

 les collectivités territoriales de droit commun (commune, département et région).

 Les collectivités à statut particulier ou sui generis (Paris, Lyon, Marseille74, la Corse75,
les départements et régions d’outre-mer, les collectivités d’outre-mer76).

73
AUBY (J.- F.), Droit des collectivités périphériques, Paris, PUF, coll. Thémis Droit fondamental, 1992, p.58.
74
La loi du 31 décembre 1982 (régime dérogatoire au droit commun) ; La loi n°2014-58 du 27 janvier 2014 de
modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles (statut spécifique aux métropoles
de Paris, Lyon, Marseille).
75
La loi n°82-214 portant statut particulier de la Région Corse, reconnaît à cette région un statut juridique distinct
des autres régions métropolitaines et ultramarines. Par la suite, la Corse sera dotée d ’une « organisation
spécifique à caractère administratif qui ne méconnait pas l ’article 72 de la Constitution ». Cette transformation
statutaire sera renforcée par la loi n°2002-92 du 22 janvier 2002 relative à la Corse puis par la loi
constitutionnelle n°2003-276 du 28 mars 2003 relative à l’organisation décentralisée de la République.
76
Il est reconnu aux départements et régions d’outre-mer un statut particulier dont « le régime législatif et
l’organisation administrative (…) peuvent faire l’objet de mesures d’adaptation nécessitées par leur situation
particulière » (article 73 de la Constitution) et que les collectivités d ’outre-mer sont quant à elles dotées d ’un « un
statut qui tient compte des intérêts propres de chacune d’elles au sein de la République » (article 74 de la
Constitution).
b) Le principe d’autonomie et libre administration des collectivités locales

 Le principe de libre administration des collectivités locales

En France comme au Gabon, la théorie de la décentralisation s’est construite autour du principe


de libre administration des collectivités territoriales. Au-delà de son imprégnation
constitutionnelle, son appréhension extensive a permis un fleurissement, une cristallisation des
revendications et des aspirations locales plurielles.

Le Titre IX de la Constitution gabonaise du 26 mars 1991 est consacré aux collectivités


locales. Aux termes de l’article 112 alinéa 1er de ce texte, « les collectivités locales de la
République sont créées par la loi ». Le second alinéa précise qu’ « elles s’administrent
librement par les conseils élus dans les conditions prévues par la loi, notamment en ce qui
concerne les compétences et leurs ressources ».

Il convient par ailleurs de noter que l’article 47 de la Constitution gabonaise rappelle la


compétence du législateur pour déterminer et fixer les principes fondamentaux de la
libreadministration des collectivités territoriales. Il dispose que: « la loi fixe les règles
concernant [...] la création, le fonctionnement et la libre gestion des collectivités territoriales,
leurs compétences, leurs ressources et leurs assiettes d’impôts ».

Enfin, il faut souligner que d’autres dispositions de la Constitution gabonaise concernent


directement ou indirectement les collectivités locales, celles relatives à la représentation des
collectivités territoriales par le Sénat (article 35 alinéa 3 de la Constitution).

Il convient également de rappeler que les textes qui organisent le cadre juridique de la
décentralisation au Gabon sont de nature législative et réglementaire:

La loi organique n° 15/96 du 6 juin 1996 relative à la décentralisation a longtemps


participé de la précision des modalités d’application du Titre IX de la Constitution.

Considérée comme la loi fondatrice de la décentralisation, elle a créé deux catégories de


collectivités locales: le département et la commune et fixe le principe d’un transfert de
compétences et de ressources à ces collectivités locales. Elle a aussi énoncé les attributs
juridiques essentiels de la décentralisation (personnalité morale, autonomie financière
notamment).

Devant la nécessité de faire face aux évolutions des enjeux de la décentralisation, la organique
n°001/2014 du 15 juin 2015 relative à la décentralisation a été adoptée. Il faut dire que la
situation actuelle n’est pas satisfaisante et qu’il est nécessaire de relancer le processus de
décentralisation dans le pays.

En France, il convient de rappeler que :

 l’article 1er de la Constitution a été complété d’une mention relative aux fondements de
la République précisant que: « son organisation est décentralisée ».

 l’article 72 de la Constitution a été réécrit et un nouvel article 72-2 a été introduit.

La libre administration a été formulée dans des termes identiques à ceux mentionnés dans la
version originelle de la Constitution de 1958: « dans les conditions prévues par la loi, les
collectivités territoriales s’administrent librement par des conseils élus… », mais en ajoutant
une mention complémentaire à ce niveau: « …et disposent d’un pouvoir réglementaire pour
l’exercice de leurs compétences ».

 L’article 72 de la Constitution énumère les collectivités territoriales de la République


et consacre le principe de leur libre administration.

 L’article 72 alinéa 2 de la Constitution concerne la proximité et la subsidiarité: « les


collectivités territoriales ont vocation à prendre les décisions pour l’ensemble des
compétences qui peuvent le mieux être mises en œuvre à leur échelon ».

 L’article 72-1 de la Constitution constitutionnalise la démocratie locale par l’exercice


du droit de pétition et par le biais du référendum.

 L’article 72-2 de la Constitution consacre l’autonomie financière les collectivités


territoriales bénéficient de ressources dont elles disposent librement dans les conditions
fixées par la loi.

Les ressources fiscales et les autres ressources doivent constituer une part déterminante de
l’ensemble de leurs ressources, prévoit transfert de compétences et des ressources, la
péréquation entre les collectivités territoriales est constitutionnalisée.

 L’article 73 de la Constitution concerne les départements et régions d’outre mer.

 L’article 74 de la Constitution régit les collectivités d’outre mer.

 Les articles 76 et 77 de la Constitution visent Nouvelle Calédonie.


 L’article 34 de la Constitution affirme la compétence du législateur pour fixer le
régime des assemblées locales, détermine les principes fondamentaux de libre
administration des collectivités territoriales, leurs compétences et leurs ressources.

 L’article 24 de la Constitution est relatif à la représentation des collectivités assurées


par le Sénat.

 L’article 88-3 de la Constitution consacre le droit de vote et d’éligibilité des


ressortissants de l’UE aux élections municipales.

À ces dispositions constitutionnelles, il faut ajouter les différentes lois de décentralisation


depuis 1982 et l’ensemble de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, du Conseil d’Etat
relative à la libre administration des collectivités locales.

Il convient ensuite de relever que dans plusieurs décisions, le Conseil constitutionnel a précisé
que le contenu, les contours ou ce qu’il faut entendre par la libre administration des collectivités
territoriales. En premier lieu, le principe de libre administration des collectivités territoriales
signifie d’abord et avant tout que toute collectivité décentralisée « doit disposer d’un conseil élu
doté d’attributions effectives »77 En conséquence, le législateur ne peut pas porter atteinte à ces
deux éléments essentiels, constitutifs de la décentralisation territoriale (l’élection des
assemblées, des organes dirigeants et les compétences propres de décision, le pouvoir de
décision sur les affaires locales).

Ensuite, la libre administration implique que les collectivités territoriales doivent disposer d’une
liberté de décision pour le recrutement et la gestion de leurs agents. Enfin, la libre
administration des collectivités territoriales suppose une autonomie en matière financière et
fiscale78.

Véritable « liberté d’être »79, des collectivités territoriales « garantie par le juge constitutionnel
»80, le principe de libre administration des collectivités territoriales est un principe très ancien
puisqu’il était déjà affirmé à l’article 87 de la Constitution de 194681. On y trouve des traces de
ce principe à l’époque révolutionnaire82. Selon Maurice BOURJOL, « la libre administration
77
Décision du Conseil constitutionnel du 8 août 1985, Loi sur l’évolution de la Nouvelle-Calédonie.
78
Article 72-2 de la Constitution française
79
ROUX (A.), « Le principe constitutionnel de la libre administration des collectivités territoriales », RFDA,
1992, p.438.
80
Ibid.
81
Constitution du 27 octobre 1946, article 87 et la Constitution du 4 octobre 1958, article 72.
82
FAVOREU (L.), « Les bases constitutionnelles de la décentralisation », in MOREAU (J.), VERPEAUX (M.),
(dir.), Révolution et décentralisation. Le système administratif français et les principes révolutionnaires de 1789,
des collectivités territoriales constitutionnalise une liberté publique, parmi les plus anciennes,
la liberté locale, ce qui la distingue fondamentalement de la décentralisation administrative,
simple modalité d’organisation administrative de l’État »83. Il précise par ailleurs que « (…) la
Constitution du 27 octobre 1946 ne ressuscite pas le pouvoir municipal, mais elle érige des
collectivités territoriales, envisagées dans leurglobalité en pouvoir local démocratique (…)
destiné à servir de contrepoids à l’omnipotence de l’État »84.

Au-delà de son caractère fondamental, le principe de la libre administration des collectivités


territoriale renvoie à une réalité complexe. « Plus prometteuse que précise »85, l’idée de «
s’administrer librement » « c’est conduire sans être soumis à des contraintes excessives, et sans
interférer avec les pouvoirs législatif, gouvernemental et judiciaire, diverses catégories
d’opérations, et prendre dans les mêmes conditions diverses catégories d’actes qui, eu égard à
leur caractère administratif, peuvent faire l’objet d’un encadrement par la loi, et d’un contrôle
par le juge administratif »86. En clair, « placée sous la garde du législateur »87 et surtout du juge
constitutionnel, la libre administration implique l’existence des collectivités territoriales ayant
pour vocation la gestion des affaires locales distinctes des affaires nationales.

Il est ainsi permis d’affirmer, avec Jean RIVERO, que la libre administration constitue pour les
collectivités territoriales « le pouvoir de gérer leurs intérêts propres »99. Pour Michel
TROPER, la « la libre administration serait (…) un système dans lequel un organisme énonce
les normes dont il est le destinataire »88. La libre administration se distingue alors de la
décentralisation, simple modalité d’organisation administrative de l’Etat. Comme l’explique le
Professeur René CHAPUS, la décentralisation « […] se traduit par le transfert d’attributions de
l’État à des institutions (territoriales ou non) juridiquement distinctes de lui et bénéficiant, sous
la surveillance de l’État, d’une certaine autonomie de gestion »89.

Paris, Economica, 1992, p.87.


83
BOURJOL (M.), « Libre administration et décentralisation », Colloque des 2 et 3 mai 1985, vertus et limites
de la décentralisation, université de Clermont-Ferrand, Cahier de Droit public, C.R.E.R.A.L., p. 70.
84
Ibid., p. 81.
85
BOULOUIS (J.), « Commentaire des décisions du Conseil constitutionnel. Une nouvelle conception
institutionnelle de l’administration territoriale », AJDA, 1982, p. 304.
86
Rapport du Conseil d’État, Décentralisation et ordre juridique, EDCE, 1994, p.15.
87
AUTEXIER (C.), « L’ancrage constitutionnel des collectivités de la République », RDP 1981, p.
605. 99 RIVERO (J.), « La décentralisation, problèmes et perspectives », Etudes, janvier 1950, p. 46.
88
TROPER (M.), « Libre administration et théorie générale du droit, le concept de libre administration des
collectivités locales » in MOREAU (J.), DARCY (G.), La libre administration des collectivités locales,
Réflexions sur la décentralisation, Paris, Economica-PUAM, 1984, p. 62.
89
CHAPUS (R.), Droit administratif général, 11e éd., Montchrestien, tome 1, p.360-361.
Enfin, il convient de souligner que la consécration de la libre administration des collectivités
territoriales s’est traduite par « un territoire à la carte », véritable terreau à l’« articulation
différenciée des compétences, et donc des sources de financement et des mécanismes
décisionnels, qui serait non plus l’expression d’une vision centralisée, mais le fruit de choix de
terrain ? »90. « L’État perd alors sa primauté en tant qu’uniqueautorité organisatrice du
territoire »91. En témoigne, la gestion différenciée des services publics sur l’ensemble du
territoire national: « l’État organise ses services publics dans le cadre d’un droit taillé sur
mesure »104.

En somme, au-delà de son caractère fondamental, ce principe de libre administration est au cœur
des enjeux inhérents aussi bien aux « ressources fiscales et autres ressources propres »105 des
collectivités territoriales, qu’à l’existence d’un pouvoir normatif local indispensable à la gestion
des affaires locales.

 La portée du principe de la libre administration des collectivités territoriales.

Il est aujourd’hui acquis la libre administration des collectivités territoriales est un principe
constitutionnel. Cela signifie qu’il s’impose non seulement aux autorités qui disposent du
pouvoir réglementaire mais aussi au législateur. Il convient également de souligner que la libre
administration des collectivités territoriales a été qualifiée de « liberté fondamentale », par le
juge administratif, ce qui lui permet de la protéger dans le cadre du « référé-liberté ».

 Un principe à valeur constitutionnelle

Le principe de libre administration des collectivités territoriales est très bien enraciné dans
l’ordre juridique français et gabonais. E n application de l’article 112 alinéa 1 er de la
Constitution gabonaise, « les collectivités locales de la République sont créées par la loi ».

Le second alinéa précise qu’« elles s’administrent librement par les conseils élus dans les
conditions prévues par la loi, notamment en ce qui concerne les compétences et leurs ressources
». Selon l’article 47 de la Constitution, « la loi fixe les règles concernant [...] la création, le
fonctionnement et la libre gestion des collectivités territoriales, leurs compétences, leurs
ressources et leurs assiettes d’impôts ».
90
AUBY (J.-F.), « Vers de nouveaux territoires ? Le débat sur la carte administrative française », Territoires
220, Études et prospectives n°1 DATAR, juin 2000, p.19.
91
NEMERY (J.-C.), « L’aménagement du territoire vu par un juriste », Territoires, 2020, juin n° 1, p.15. 104
COHEN (E.), HENRY (C.) dir. Service public, secteur public, Éditions La Documentation française, Rapport
n°3 du Conseil d’Analyse Économique, Paris 1997, 105 p. 105 Article 72-2 al. 3 de la Constitution.
Dans le même sens, l’article 72 alinéa 3 de la Constitution française dispose que les
collectivités territoriales « s’administrent librement par des conseils élus » et « dans les
conditions prévues par la loi »92. Selon l’article 34 de la Constitution « la loi détermine les
principes fondamentaux (…) de la libre administration des collectivités territoriales, de leurs
compétences et de leurs ressources (…) ».

Cette évolution historique peut être considérée comme l’aboutissement de l’influence de la


jurisprudence dans la structuration du droit des collectivités territoriales. En clair, la
jurisprudence a considérablement renforcé la portée normative, juridique du principe de libre
administration des collectivités territoriales. Par une décision n°79-104 DC du 23 mai 1979,
Territoire de Nouvelle-Calédonie, le Conseil constitutionnel reconnaît pour la première fois la
valeur constitutionnelle du principe de libre administration des collectivités territoriales. Dans
cette décision, saisi de la conformité à la Constitution des dispositions mettant fin au mandat
des membres de l’Assemblée territoriale et du Conseil de gouvernement de Nouvelle-Calédonie,
le juge constitutionnel relève que « le législateur n’a (…) fait qu’user des pouvoirs qui lui
appartiennent de fixer les conditions de mise en vigueur des règles qu’il édicte » et que « dès
lors, il n’a méconnu, ni le principe de la séparation des pouvoirs, ni les dispositions
constitutionnelles qui mettent en œuvre ou qui consacrent la libre administration des
collectivités territoriales ».

Incontestablement, le juge constitutionnel reconnaît le caractère fondamental de la libre


administration des collectivités territoires. Cette précision s’imposait, car ainsi que le relève fort
justement le Commissaire du gouvernement Pascal FOMBEUR, « les libertés fondamentales
ont valeur constitutionnelle, mais tous les principes constitutionnels ne sont pas nécessairement
des libertés fondamentales »93. Par la suite, notamment dans sa décision n°84185 DC du 18
janvier 1985, « dite loi Chevènement », le Conseil constitutionnel affirme expressément le
caractère fondamental de la libre administration des collectivités territoriales, sans toutefois, en
donner de définition théorique94.

Néanmoins, dans une jurisprudence constante95, le Conseil constitutionnel déduit du principe


d’indivisibilité le principe d'égalité en estimant que: « ... Le principe de libre administration des
collectivités territoriales ne saurait conduire à ce que les conditions essentielles demise en
92
Article 72 al. 3 de la Constitution.
93
FOMBEUR (P.), Conclusions sous CE, 28 février 2001, Casanovas, RFDA, Mars-Avril 2001, p. 402.
94
Décision n°84-185 DC du 18 janvier 1985, « Loi Chevènement », RJC, I, p.219, considérant 18 ; Décision
n°93-329 DC du 13 janvier 1994, « Révision de la loi Falloux », RJC, I, p.562, considérant 27.
95
Décision du 18 janvier 1985, Loi Chevènement, confirmée en 1994 et 1997 et dans la décision précitée du 17
janvier 2002 relative à la Corse.
œuvre des libertés publiques et, par suite, l'ensemble desgaranties que celles-ci comportent
dépendent des décisions decollectivités territoriales et, ainsi, puissent ne pas être les mêmes
surl'ensemble du territoire de la République ».

La libre administration des collectivités territoriales apparaît alors comme un principe


dynamique. En témoigne la consécration constitutionnelle du principe de l’autonomie financière
des collectivités territoriales ou encore la reconnaissance par le juge administratif du caractère
fondamental de la libre administration des collectivités territoriales.

 Une liberté fondamentale au sens de l’article L.521-2 du Code de justice


administrative

Dans un arrêt du 18 janvier 2001, Commune de Venelles, le Conseil d’État considère que «
le principe de libre administration des collectivités, énoncé à l’article 72 de la Constitution, est
au nombre des libertés fondamentales auxquelles le législateur (…) a entendu accorder une
protection juridictionnelle particulière »96. Il a également jugé dans sa décision du 12 juin
2002 Commune de Fauillet et autres que « le conseil communautaire d’une communauté
d’agglomération qui délibère sur un certain nombre de mesures engageant immédiatement la
communauté d’agglomération, alors que l’arrêté préfectoral constituant cette communauté n’a
pas encore pris effet, exerce, au lieu et place des communes composant la communauté, des
compétences qui doivent lui être transférées ultérieurement » et qu’en cela, « ces délibérations
portent une atteinte grave et manifestement illégale à la libre administration des collectivités
locales, laquelle constitue une liberté fondamentale que l’article L. 521-2 du code de justice
administrative vise à sauvegarder »97.

Il est aussi intéressant de mentionner que le Tribunal des Conflits considère que « le principe
de libre administration des collectivités territoriales est au nombre des libertés fondamentales
auxquelles le législateur a entendu accorder une protection particulière »98. Du côté des élus
locaux, le principe de libre administration des collectivités territoriales constitue « un véritable
droit à leur profit, au même titre qu’aux hommes et aux citoyens, et que ce droit était proclamé
sous la forme d’une liberté qui pouvait être revendiqué, y compris contre l’État »99. Dans son

96
CE, 18 janvier 2001, Commune de Venelles, Rec. Lebon p.18 ; RFDA 2001, p.378, Concl. Touvet ; AJDA
2001, p.153, Chron. Guyomar et Collin ; RFDA 2001, p.681, note Verpeaux.
97
CE, 12 juin 2002, Commune de Fauillet, Rec., p. 215 ; AJDA 2002, chron., F. DONNAT et D. CASAS.
98
TC, 23 mai 2005, Bulletin 2005 Conflits n°15, p.21.
99
VERPEAUX (M.), « La Constitution et les collectivités territoriales », RDP, 1998, p.1380.
commentaire sur l’arrêt du Conseil d’État Section du 18 janvier 2001, Commune de
Venelles, le Professeur Michel VERPEAUX affirme que « la libre administration des
collectivité territoriales constitue (…) une garantie au même titre que le principe de séparation
des pouvoirs. L’un comme l’autre ne constituent pas des droits mais peuvent être conçus comme
des conditions jugées constitutionnellement nécessaires, par l’article 72 de la Constitution pour
l’un, par l’article 16 de la Déclaration des droits pour l’autre, pour affirmer des libertés
reconnues dans d’autres dispositions qui ne sont plus alors organiques mais qui concernent des
droits substantiels. La libre administration peut d’ailleurs être conçue comme une forme de
séparation verticale des pouvoirs tandis que la forme habituelle de la séparation serait
horizontale. L’une comme l’autre ne sont pas des droits mais des moyens d’asseoir des droits ou
des libertés, ils sont des moyens, ils ne constituent pas des buts »100.

2. Les principes directeurs du transfert de compétences

La problématique de la répartition des compétences entre les collectivités territoriales et l’État


est au cœur du processus de décentralisation. Les transferts de compétences et la
décentralisation sont intimement liés. En d’autres termes, il ne peut y avoir décentralisation sans
transferts de compétences. Comme le rappelle le Professeur PONTIER « les transferts de
compétences sont une composante nécessaire etessentielle de toute réforme se voulant
décentralisatrice »101.

En même temps, il faut relever que si en théorie, les collectivités territoriales disposent des
compétences propres découlant de la clause générale de compétence, dans la pratique, leur
détermination n’est pas aisée. D’ailleurs, cette situation a conduit au développement d’une
logique de confusions, d’enchevêtrement de compétences. Au-delà de la diversité leurs
modalités ou modes de transferts, les compétences des collectivités territoriales demeurent
mouvantes au gré des circonstances.

a) La diversité des modes de transfert de compétences

Depuis les lois de décentralisation de 1982 jusqu’à la récente réforme territoriale, la répartition
des compétences exercées par les collectivités territoriales s’est fondée sur le principe de la
clause générale de compétence et sur la logique de « blocs de compétences ».

 La notion d’affaires locales, clause générale de compétence


100
VERPEAUX (M.), « Libre administration, liberté fondamentale, référé liberté », note sous CE, Section, 18
janvier 2001, Commune de Venelles c/M. Morbelli, RFDA, 2001, p. 684.
101
PONTIER (J.-M.) « La République décentralisée de J.-P Raffarin », Revue administrative, n° 332 mars 2003,
p.191.
La clause générale de compétence désigne la capacité générale d’intervention des collectivités
territoriales dans des domaines de compétences autres que ceux qui leur sont expressément
reconnus par la loi. Il s’agit donc d’une faculté, d’une aptitude permettant à une collectivité
territoriale de se saisir de tout sujet ne relevant pas de la compétence de l’Etat. Comme l’indique
Michel VERPEAUX, la clause générale de compétence « renvoie à la répartition des
compétences entre l’État et les collectivités territoriales du fait de l’absence de règles
intangibles et explicites en France sur ce sujet »102. Pour Jacques CAILLOSSE, la clause
générale de compétence désigne « la vocation générale dont dispose une collectivité à assumer
une compétence en servant l’intérêt public local » 117. Jean-Marie PONTIER explique que la
clause générale de compétence « consacre l’initiative possible de la collectivité au-delà d’une
liste possible de compétences »103 ou encore « l’aptitude de la collectivité locale à créer non
seulement des normes de droit, mais surtout des situations nouvelles, à inventer l’avenir »104.

Il convient surtout de noter que les récentes évolutions de l’organisation des compétences des
collectivités territoriales mettent en évidence toute la complexité de la question de la clause
générale de compétence. Après avoir été supprimée à l’égard des départements et des régions 105,
pour permettre une meilleure rationalisation de l’action publique, la clause générale de
compétence de ces collectivités territoriales est à nouveau restaurée106. Toutefois, le
rétablissement de cette clause générale de compétences à l’égard des départements et des
régions s’accompagne d’un renforcement des mécanismes juridiques de coordination et de
concertation des collectivités territoriales. Dans ces conditions, la clause générale de
compétence permettra de faire le lien entre le principe de libre administration des collectivités
territoriales et le principe de subsidiarité énoncé à l’article 72 alinéa 2 de la Constitution
aux termes duquel « les collectivités territoriales ont vocation à prendre les décisions pour
l’ensemble des compétences qui peuvent le mieux être mises en œuvre à leur échelon ».

Précisément, pour parvenir à une meilleure coordination des différents acteurs publics, la
Constitution consacre l’existence de la collectivité chef de file107. Dans cette perspective, il faut
102
VERPEAUX (M.), « Vous avez dit « clause générale de compétence » ? », Commentaire n°129, 2010, p. 81-
88. 117 CAILLOSSE (J.), « Comment le « centre » (se) sort-il des politiques de décentralisation ? Eléments de
réponse du droit français », Pouvoirs locaux n°63, 2004, p. 43-53.
103
PONTIER (J.-M.), « Semper Manet, Sur une clause générale de compétence », RDP, 1984, p. 1472.
104
PONTIER (J.-M.), op.cit., p. 168, citant B. CAZES, De l’intervention de l’avenir, critique, avril 1965, n°215,
p. 358.
105
Loi n°2010-1563 du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales, JO n°292 du 17 janvier
2010, p. 22146 ; NOR : IOCX0922788L
106
Loi n°2014-58 du 27 janvier 2014 de modernisation de l’action publique territoriale et d ’affirmation des
métropoles, op. cit.
107
Article 72 alinéa 5 de la Constitution ; Article L 1111-9 du CGCT.
mentionner la création dans chaque région de la Conférence territoriale de l’action publique.
Présidée par le président du conseil régional, elle est chargée de favoriser l’exercice concerté des
compétences entre les collectivités territoriales ou leurs groupements puisqu’elle rend des avis
sur toutes les questions relatives à l’exercice des compétences et à la conduite des politiques
publiques nécessitant une coordination ou une délégation108. Toutes ces évolutions traduisent un
certain retour de la logique du bloc de compétences ou encore du développement des lois
d’attributions de compétences dans des domaines spécifiques ou spécialisés.

En tout état de cause, on peut penser sans excès que dans la mesure où chaque collectivité
territoriale a vocation à prendre en charge ses « affaires locales », c'est-à-dire, « les besoins
d’intérêt général de la communauté humaine qu’elle représente »109.

Il convient toutefois de constater que la clause générale de compétences des collectivités


territoriales n’est pas sans limites. Le juge administratif s’est efforcé de préciser le contenu et la
portée de la notion d’intérêt local. Il admet maintenant qu’un intérêt local peut être économique,
social ou encore culturel110. Il a également précisé que si l’initiative de la détermination des
affaires locales appartient aux autorités locales, cette prérogative n’est pas sans limites. Dans
cette perspective, l’administration des affaires locales est soumise à certaines conditions que les
autorités locales doivent impérativement respecter. À beaucoup d’égard, les interventions des
autorités locales doivent s’inscrire dans le cadre des compétences qui leur sont spécialement
attribuées par la loi. En d’autres termes, les compétences locales s’exercent à la fois dans le
respect des compétences relevant de l’État et des compétences dévolues aux autres collectivités
territoriales111: « certains intérêts sont communs à toutes les parties du territoire de la nation,
d’autres sont spéciaux à certaines parties de la nation »112. Les affaires locales ne doivent pas
être confondues avec les affaires d’intérêts privés. En d’autres termes, l’intervention des autorités
locales dans le domaine économique doit avoir « de répercutions concrètes immédiates sur le
département »113, la commune ou la région.

108
Article L 1111-9-1du CGCT.
109
BOURDON (J.), PONTIER (J. - M.), RICCI (J. - C.), Droit des collectivités territoriales, op. cit., p.107.
110
Voir à titre exemple pour chacun d’entre eux: C.E., 10 mai 1985, S.A. Boussac Saint-Frères, Rec. p. 145
(recherche par la commune d’un repreneur pour une usine venant d’être fermée); C.E., 11 octobre 1989,
Commune de Port-Saint-Louis-du-Rhône, Rec. p. 184 (gratuité des restaurants scolaires pour des enfants de
grévistes); C.E., 02 juin 1995, Ville de Nice, Rec. Tables, p. 685 (organisation d’un festival de musique).
111
CE., 6 mai 1996, département de l’Aude, Rec. n°162903
112
TOCQUEVILLE (A. de), Cité par TURPIN (D.), Droit de la décentralisation : Principes, institutions,
compétences, Paris, Gualino-éditeur, coll. « mémento », 1998, p.16.
113
C.A.A. de Bordeaux, 30 Octobre 2007, département des Deux-Sèvres, inédit au recueil n°05BX00167
On retiendra alors que par sa conception extensive de la notion d’affaires locales, la
jurisprudence administrative a largement contribué à promouvoir la diversité des interventions
constitutives d’intérêt local. De fait, dans son arrêt de Section du 28 juillet 1995, Commune
de Villeneuve d’Ascq, le Conseil d’État reconnaît que l’octroi des bourses à des étudiants
étrangers de haut niveau, spécialistes en technique de pointe et originaires des villes jumelées
constitue un intérêt communal dans la mesure où cela visait à « encourager le développement
ultérieur des projets de coopération associant des instituts de recherche (universitaire) et des
entreprises situés sur le territoire de Villeneuve d’Ascq que sur celui des collectivités des
étudiants bénéficiaires desdites bourses »114. En revanche, il a jugé que la subvention versée par
le département de l’Oise à l’association pour Colombey-les-Deux-Eglises en vue de
l’aménagement et l’embellissement de cette commune située en Haute-Marne « ne saurait être
regardée comme relevant d’un intérêt départemental pour le département de l’Oise »115. Le juge
administratif a également estimé qu’un intérêt même territorialement localisé n’était pas
nécessairement synonyme d’intérêt local 116. Indissociable de la décentralisation, très
insaisissable, la notion d’intérêt local est un vecteur de différenciation territoriale du droit mais
en même temps ce principe connaît des nombreuses limites.

 Le maintien de la logique de « blocs de compétences »

Le processus de décentralisation est renforcé par la constitutionnalisation du principe de


subsidiarité qui se caractérise à la fois par ses origines plurielles et ses multiples facettes. Le
principe de subsidiarité connait une évolution remarquable dans les systèmes juridiques des
démocraties contemporaines. Or, il faut bien reconnaître que ses origines sont très lointaines.

Elles sont à rechercher aussi bien dans les raisonnements philosophiques d’Aristote, de Saint
Thomas d’Aquin117 que dans la doctrine de l’histoire la pensée chrétienne européenne 118. Dans
l’Encyclique « Quadrogesimoanno », il est écrit que « ce serait commettre une injustice, en
même temps que troubler d’une manière très dommageable l’ordre social, que de retirer aux
groupements d’ordre inférieur, pour les confier à une collectivité plus vaste et d’un rang élevé,

114
CE., Sect., 28 juillet 1995, Commune de Villeneuve d’Ascq, Rec. p.324, voir également CE., 20 janvier 1989,
SIVOM de l’agglomération rouennaise, Rec. p.28. ; CE., 23 octobre 1989, Commune de Pierrefitte - sur - Seine
et a., Rec. p.209.
115
CE., 11 juin 1997, Département de l’Oise, Rec. p.236 ; Conclusions de TOUVET (L.), RFDA, 1997, p.948.
116
Ibid.
117
Sur cette question voir notamment CLERGERIE (J.-L.), Le principe de subsidiarité, Paris, Ellipses, « le droit
en question », 1997, 128p
118
L’Encyclique Rerum Novarum du Pape Léon XIII publié en 1891; L’Encyclique Mater et Magistra de Jean
XXIII, AAS LIII (1961), pp. 401-464, Traduction française de la Polyglotte Vaticane 1961.
les fonctions qu’ils sont en mesure de remplir eux-mêmes »119. Par la suite, « c’est dans
l’organisation fédérale que le principe de subsidiarité trouve, sur le plan strictement politique,
sa plus significative expression »120. Prenons à titre d’exemple l’article 30 de la loi
fondamentale allemande aux termes duquel « l’exercice des pouvoirs étatiques et
l’accomplissement des missions de l’État relèvent des länder, à moins que la présente Loi
fondamentale n’en dispose autrement ou n’admette un autre règlement ». Il n’empêche
qu’aujourd’hui, la subsidiarité constitue l’un des principes fondamentaux du droit
communautaire et même des nombreux ordres juridiques des États unitaires.

Dans l’ordre juridique européen, on retrouve l’idée subsidiarité dans l’Acte Unique européen
des 17 et 28 février 1986 avant qu’elle ne soit solennellement et expressément consacrée par le
traité de Maastricht du 7 février 1992. Par la suite, cette idée sera reprise par les paragraphes
1 et 2 de l’article 5 du Traité instituant la Communauté européenne, aux termes desquels «
la Communauté agit dans les limites des compétences qui lui sont conférées et des objectifs qui
lui sont assignés par le présent traité. Dans les domaines qui ne relèvent pas de sa compétence
exclusive, la Communauté n’intervient conformément au principe de subsidiarité, que si et dans
la mesure où les objectifs de l’action envisagée ne peuvent pas être réalisés de manière
suffisante par les États membres et peuvent donc, en raison des dimensions ou des effets de
l’action envisagée, être mieux réalisés au niveau communautaire »121. On sait maintenant que
l’article 5 du Traité de Lisbonne signé le 13 décembre 2007 dispose qu’« en vertu du principe
de subsidiarité, dans les domaines qui ne relèvent pas de sa compétence exclusive, l’Union
intervient seulement si, et dans la mesure où, les objectifs de l’action envisagée ne peuvent pas
être atteints de manière suffisante par les États membres, tant au niveau central qu’au niveau
régional et local, mais peuvent l’être mieux, en raison des dimensions ou des effets de l’action
envisagée, au niveau de l’Union »122. La subsidiarité est un principe fondamental en droit
européen, en ce sens, qu’elle contribue à garantir une certaine lisibilité dans la répartition des
compétences entre l’Union et les États membres.

Son introduction dans l’ordre juridique français devrait également permettre de répondre de
manière optimale à la fois au souci de lisibilité et d’efficacité de l’action publique. À cet égard, il
est nécessaire de rappeler que l’idée de subsidiarité avait déjà été évoquée dans la loi n°92-

119
L’Encyclique « Quadrogesimoanno », in Actes de S. S. Pie XI, t. 7, 1991, éd., Maison de la bonne Presse,
1931
120
MILLION-DELSOL (C.), Le principe de subsidiarité, PUF, 1993, p. 38.
121
Article 5 du Traité instituant la Communauté européenne (TCE), JOC 321 E du 29 décembre 2006, p. 327.
122
Article 5 du Traité de Lisbonne.
125 du 6 février 1992 relative à l’administration territoriale de la République dont l’article
65 prévoit que « sont confiées aux administrations centrales les seules missions qui présentent
un caractère national ou dont l’exécution, en vertu de la loi, ne peut être déléguée à un échelon
territorial »123. Depuis la loi constitutionnelle n°2003-176 du 28 mars 2003 relative à
l’organisation décentralisée de la République, la subsidiarité à dimension administrative est
constitutionnellement consacrée dans l’ordre juridique français. Dans cette optique, l’article 72
de la Constitution dispose que « les collectivités territoriales ont vocation à prendre les
décisions pour l’ensemble des compétences qui peuvent le mieux être mise en œuvre à leur
échelon »139.

Précisons tout de même que le terme subsidiarité n’est pas explicitement mentionné par la
Constitution. En revanche, il est expressément mentionné dans l’exposé des motifs du projet de
révision constitutionnelle de la loi du 28 mars 2003 aux termes duquel « les collectivités
territoriales ont vocation à exercer l’ensemble des compétences qui peuvent le mieux être mises
en œuvre à l’échelle de leur ressort. Traçant une ligne de partage, dans le domaine
administratif, entre l’action des services de l’état et celle des collectivités territoriales, ce nouvel
objectif à valeur constitutionnelle permettra de transposer dans un État unitaire la
préoccupation qu’exprime, en droit communautaire, le principe de subsidiarité ».

Incontestablement, le principe de subsidiarité s’enracine progressivement dans l’ordre juridique


des États unitaires. Or, on le sait, depuis longtemps, « il (…) est d’abord conçu comme un
principe d’éthique politique, puisqu’il exprime une vision ”communautaire” de la société : celle-
ci n’est pas tant formée d’individus que des communautés diverses dans lesquelles l’individu se
situe et en permettent l’épanouissement. Cette conception organiste de la société s’accompagne
d’une prééminence accordée à la communauté la plus humble qui a vocation à recevoir toutes
les tâches qu’elle peut accomplir avec ses propres forces »124.

Il est encore plus intéressant de préciser que le principe de subsidiarité est associé à l’idée de
prise de décision au niveau le plus proche du citoyen. Dans cette perspective, la subsidiarité
désigne « le principe selon lequel les décisions, soit législatives ou administratives doivent être
prises au niveau politique le plus bas possible, c'est-à-dire le plus près possible de ceux qui sont

123
Loi n°92-125 du 6 février 1992, relative à l’administration territoriale de la République, article 2, JO n°33
du 8 février 1992, p. 2064, (INTX9000102L), abrogé par le décret 97-463 du 9 mai 1997. 139 Article 72 alinéa
2 de la Constitution du 4 octobre 1958.
124
CONSTANTINESCO (V.), « Le principe de subsidiarité : un passage obligé vers l ’UE », in Mélanges
Boulouis, Dalloz, 1991, p. 38.
concernés par les décisions »125. Le Professeur Vlad CONSTANTINESCO explique que la
subsidiarité renvoie à « un principe de répartition des compétences en ce sens que c’est selon
l’idée de la subsidiarité que l’allocation des compétences entre les niveaux d’organisation
publique doit être établie : chaque niveau de pouvoir ne doit alors se voir attribuer que les
compétences qu’il est le mieux à même d’exercer. (…) elle est enfin un principe qui, intervenant
dans le domaine des compétences concurrentes, permet l’actualisation d’une compétence
potentielle de la Fédération, lorsque celle-ci est mieux à même d’intervenir que les Länder qui
jusque-là, avaient chacun pris, dans le domaine considéré, des mesures appropriées »126. Il
poursuit en estimant que « la subsidiarité apparaît-elle comme un principe multifonctionnel,
relevant à la fois du politique et du juridique : jouant dans un sens comparable à la séparation
des pouvoirs, mais dans un plan vertical, elle doit assurer, comme la séparation des pouvoirs,
une prise en compte et une protection des personnes au sein des Communautés diverses qui
structurent l’ordonnancement social et politique »127. Cela étant, en France, l’essor du principe
de subsidiarité est indissociable de la problématique du développement de l’administration
territoriale décentralisée et de la nécessité de prendre en compte l’hétérogénéité des contextes
locaux. Plus important encore, la consécration constitutionnelle de la subsidiarité dans l’ordre
juridique français s’inscrit dans un mouvement plus large de renforcement de la
décentralisation. Le Député Pascal CLEMENT, souligne que le principe de subsidiarité
communautaire, signifie que « la compétence s’exerce à l’échelon le plus bas, sauf s’il existe un
intérêt, en terme d’efficacité de l’action publique, à ce que la compétence soit mise en œuvre à
l’échelon le plus élevé. Dans le projet de révision constitutionnelle, la logique est, à l’inverse,
celle d’un État unitaire qui a vocation à être décentralisé »128. L’auteur ajoute immédiatement
que « le mouvement se fait vers le bas, l’objectif recherché étant tout autant de l’efficacité de
l’action publique que de la proximité de la décision »129. Dans l’ordre juridique français, la
subsidiarité se manifeste à travers divers mécanismes: il s’agit d’un principe essentiel aux
multiples facettes

Le principe de subsidiarité est au cœur de la problématique de la modernité de l’action publique.


La subsidiarité correspond à un principe dynamique dont la mise en œuvre vise à déterminer le
125
Définition de J. W. BRIDGE, citée par Le professeur Guillaume DRAGO, « Le principe de subsidiarité
comme principe de droit constitutionnel », RIDC, Vol. 46 n°2, avril-juin 1994, p. 584.
126
CONSTANTINESCO (V.), « Le principe de subsidiarité : un passage obligé vers l’UE », op. cit.
127
Ibid.
128
Rapport n°376 fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l ’administration
générale de la République sur le projet de loi constitutionnelle n°369 adopté par le Sénat relatif à l ’organisation
décentralisée de la République et la proposition de loi constitutionnelle n°249 de Hervé MORIN et plusieurs de
ses collègues relative à l’exercice des libertés publiques par Pascal CLEMENT, 18 novembre 2002, p. 86.
129
Ibid.
niveau territorial adéquat d’exercice de compétences. Depuis longtemps, l’idée de subsidiarité
est au centre d’un large mouvement de rationalisation de l’action publique. Il s’agit d’un facteur
d’approfondissement de la démocratie de proximité. En d’autres termes, la subsidiarité reflète un
principe de gouvernance et de gestion de proximité qui a vocation à accroître et à améliorer
l’efficacité des politiques publiques. Comme l’écrit Jean-François BRISSON, « l’expression de
la subsidiarité met en œuvre un critère du « mieux » qui fait appel aux notions d’efficacité et de
performance de l’action publique »130. Il précise ensuite que l’article 72 alinéa 2 imposerait «
au législateur de rechercher avant tout transfert de compétence l’échelon d’administration le
plus adéquat pour sa mise en œuvre »131. Il conclut alors que « le recours à la notion de
subsidiarité marque la volonté du constituant de situer désormais la réflexion juridique
nationale dans le cadre des standards européens »132. Dans ces conditions, il ne fait plus guère
de doute que la territorialisation du droit contribue à « l’adaptation de l’État à l’intégration
européenne »133.

Il est tout aussi incontestable que la subsidiarité s’inscrit dans la dialectique séculaire de la
centralisation-décentralisation134. En vertu de l’article 72 de la Constitution, « les collectivités
territoriales ont vocation à prendre les décisions pour l’ensemble des compétences qui peuvent
le mieux être mises en œuvre à leur échelon ». Il est ensuite essentiel de souligner que la
subsidiarité, dans ses multiples expressions, constitue un facteur d’accentuation du processus de
territorialisation du droit. Elle se manifeste tout d’abord à travers l’idée de « collectivité chef de
file ». Comme nous l’avons mentionné plus haut le dispositif de collectivité chef de file, n’est
pas tout à fait une innovation dans l’ordre juridique français. On sait que cette idée de
collectivité chef de file figurait déjà dans la loi n°95-115 d’orientation pour l’aménagement et
le développement du territoire dont l’article 65 prévoyait qu’une loi ultérieure devait non
seulement fixer« les conditions dans lesquelles une collectivité pourra assurer le rôle de chef de
file pour l’exercice d’une compétence ou d’un groupe de compétence relevant de plusieurs
collectivités territoriales »135mais également les conditions dans lesquelles une « collectivité

130
BRISSON (J.-F.), « Les nouvelles clefs constitutionnelles de répartition matérielle des compétences entre
l’État et les collectivités locales », AJDA 2003, p. 532.
131
Ibid., p. 531.
132
Ibidem.
133
QUERMONNE (J.-L.), « L’adaptation de l’État à l’intégration européenne », RDP, 1998, p. 1405-1420.
134
DEROSIER (J.-P.), « La dialectique centralisation/décentralisation. Recherches sur le caractère dynamique
du principe de subsidiarité », R.I.D.C. 1-2007, p. 107-140.
135
Article 65 de la loi n°95-115 d’orientation pour l’aménagement et le développement du territoire, JO n°31, du
5 février 1995, p. 1973, NOR : INTX9400057L.
pourra, à sa demande, se voir confier une compétence susceptible d’être exercée pour le compte
d’une autre collectivité territoriale »136.

Cependant, cette disposition sera censurée par le Conseil constitutionnel au motif qu’« il
appartient au législateur en vertu de l’article 34 de la Constitution de déterminer les principes
fondamentaux de la libre administration des collectivités territoriales de leurs compétences et
de leurs ressources ; que par suite, il ne saurait renvoyer à une convention conclue entre des
collectivités territoriales le soin de désigner l’une d’entre elles comme chef de file pour
l’exercice d’une compétence ou d’un groupe de compétences relevant des autres sans définir les
pouvoirs et les responsabilités afférents à cette fonction »137. En l’espèce, il apparaît que cette
disposition a été censurée non pas parce qu’elle consacre une « collectivité chef de file », mais
parce que le législateur n’a pas défini « les pouvoirs et les responsabilités afférentes à cette
fonction ». Par la suite, la loi constitutionnelle n°2003-176 relative à l’organisation
décentralisée de la République inscrit dans le marbre constitutionnel la notion de collectivité
chef de file. Ainsi, l’article 72 de la Constitution dispose que « lorsque l’exercice d’une
compétence nécessite le concours de plusieurs collectivités territoriales, la loi peut autoriser
l’une d’entre elles ou un de leurs groupements à organiser les modalités de leur action
commune ».

La subsidiarité se manifeste à travers les mécanismes d’expérimentation normative. À ce sujet,


l’article 37-1 de la Constitution dispose que: « la loi et le règlement peuvent comporter pour
un objet et une durée limités, des dispositions à caractère expérimental ». Il est aussi utile de
rappeler qu’aux termes de l’article 72-4 de la Constitution, « dans les conditions prévues par
la loi organique, et sauf lorsque sont en cause les conditions essentielles d’exercice d’une liberté
publique ou d’un droit constitutionnellement garanti, les collectivités territoriales ou leurs
groupements peuvent, lorsque, selon le cas, la loi ou le règlement l’a prévu, déroger, à titre
expérimental et pour une durée limités, aux dispositions législatives ou réglementaires qui
régissent l’exercice de leurs compétences ». Il s’ensuit que l’expérimentation normative
constitue « un élément de concrétisation de la subsidiarité »138. Dans toutes ses facettes, elle

136
Ibid.
137
Décision n°94-358 DC du 26 janvier 1995, Loi d’orientation pour l ’aménagement et le développement, Rec.,
183 ; JO du 1er février 1995, p. 1706.
138
ROUX (A.), « Aspects constitutionnels des droits à l’expérimentation » in les collectivités locales et
l’expérimentation : perspectives nationales et européennes, Paris, La Documentation française, 2004, p.161.
155
Exposé des motifs du projet de loi constitutionnelle relatif à l ’organisation décentralisée de la Rép ublique, 156
La loi n°95-115 d’orientation pour l’aménagement et le développement du territoire, JO n°31, du 5 février 1995,
p. 1973, NOR : INTX9400057L.
permettra de « déterminer efficacement le niveau adéquat pour l’exercice de telle ou telle
compétence »155.

En outre, il convient de relever que si la subsidiarité s’articule très bien avec la


décentralisation156 et la déconcentration139, elle est aussi imposée par l’insularité140et
l’éloignement géographique des collectivités ultramarines. En clair, on constate que le la
subsidiarité se manifeste à travers les particularismes constitutionnels de l’outre-mer. Il est
reconnu aux départements et régions d’outre-mer un statut particulier dont « le régime législatif
et l’organisation administrative (…) peuvent faire l’objet de mesures d’adaptation nécessitées
par leur situation particulière »141 et que les collectivités d’outre-mer sont quant à elles dotées
d’un « un statut qui tient compte des intérêts propres de chacune d’elles au sein de la
République »142. Par ailleurs, si le droit communautaire reconnaît les particularismes juridiques
de l’outre-mer, celui-ci établit néanmoins une distinction entre les « régions ultrapériphériques
» d’une part et les « pays et territoires d’outre-mer », d’autre part. Cette classification comporte
nécessairement des conséquences juridiques. On sait en effet qu’en vertu de l’article 299 § 2 du
Traité instituant la Communauté européenne : « les dispositions du présent traité sont
applicables aux départements français d’outre-mer, aux Açores, à Madère et aux îles Canaries.
Toutefois, compte tenu de la situation économique et sociale structurelle des départements
français d’outre-mer, des Açores, de Madère et des îles Canaries, qui est aggravée par leur
éloignement, l’insularité, leur faible superficie, leur relief et le climat difficile, leur dépendance
économique vis-à-vis d’un petit nombre de produits, facteurs permanence et la combinaison
nuisent gravement à leur développement, le Conseil, statuant à la majorité qualifiée sur
proposition de la Commission et après consultation du Parlement européen, arrête des mesures
spécifiques visant en particulier, à fixer les conditions de l’application du présent traité à ces
régions, y compris les politiques communes ».

En conséquence, les régions et départements d’outre-mer constituent des régions


ultrapériphériques de l’Europe et à ce titre, ils bénéficient d’un traitement particulier justifié par
leur situation spécifique. Il en va ainsi dans « (…) des domaines tels que les politiques
douanières et commerciales, la politique fiscale, les zones franches, les politiques dans le

139
Décret n°92-604 du 1er juillet 1992, portant charte de la déconcentration, JO n°154 du 4 juillet 1992, p. 8898,
modifié par le Décret
140
DELBLOND (A.), « Décentralisation dans les départements d’Outre-mer : Subsidiarité à l’aune de
l’insularité », inLa subsidiarité infranationale et territorialisation des normes : état des lieux et perspectives en
droit internes et en droit comparé, Dir. Jacques FIALAIRE, PUR, coll. L’univers, 2005, p. 154.
141
Article 73 de la Constitution du 4 octobre 1958.
142
Article 74-1 de la Constitution du 4 octobre 1958.
domaine de l’agriculture et de la pêche, les conditions d’approvisionnement en matières
premières et en bien de consommation de première nécessité, les aides d’État, et les conditions
d’accès aux fonds structurels et aux programmes horizontaux de la Communauté » 143. Très
concrètement, cela concerne le régime dérogatoire de l’octroi de mer en matière fiscale, les
mesures spécifiques visant à compenser les handicaps liés à l’éloignement et à l’insularité ou
encore des dérogations en matière d’aides d’État. Quant aux « pays et territoires d’outre-mer »,
c'est-à-dire, pour la France, la Nouvelle-Calédonie, la Polynésie française, Wallis-et-Futuna,
Mayotte, Saint-Pierre-et-Miquelon et les Terres australes et antarctiques, ils font l’objet d’un
régime d’association avec la Communauté européenne144. Au-delà de ces régimes juridiques
spécifiques et différenciés applicables aux « pays et territoires d’outre-mer » et les « régions
ultrapériphériques».

Enfin, le principe de subsidiarité s’identifie comme un objectif de valeur constitutionnelle ou


encore comme une norme de référence du contrôle de constitutionnalité des lois. On remarque
ainsi que jusqu’alors le Conseil constitutionnel ne reconnaît qu’une portée normative relative au
principe de subsidiarité. Dans une décision145 n°2005-516 DC du 7 juillet 2005 loi de
programme fixant les orientations de la politique énergétique, le Conseil constitutionnel
considère qu’« il résulte de la généralité des termes retenus par le constituant que le choix du
législateur d’attribuer une compétence à l’État plutôt qu’à une collectivité territoriale ne
pourrait être remise en cause, sur le fondement de cette disposition, que s’il était manifeste
qu’eu égard à ses caractéristiques et aux intérêts concernés, cette compétence pouvait être
mieux exercée par une collectivité territoriale ». Mais est-ce bien raisonnable de considérer que
la subsidiarité n’aurait-dans l’ordre juridique qu’une portée procédurale français ? C’est en tout
cas, la thèse défendue le Professeur Jean-François BRISSON qui écrit que « l’expérience tirée
du droit communautaire ainsi que l’exemple italien laissent penser que la portée du principe de
subsidiarité sera essentiellement procédurale »146.

En tout état de cause, on se rend compte qu’au-delà de la multiplicité de ses origines et de ses
expressions dans l’ordre juridique français et gabonais, la subsidiarité constitue un vecteur de la
différenciation territoriale du droit. En même temps, il apparaît de plus en plus nettement que la

143
Article 299 § du Traité instituant la Communauté européennes.
144
Décision du Conseil n 2001/822/CE du 27 novembre 2001 relative à l ’association des pays et territoires
d’outre-mer à la Communauté européenne, JO L 314 du 30 novembre 2001, p. 1-77.
145
Décision n°2005-516 DC du 7 juillet 2005 loi de programme fixant les orientations de la politique
énergétique, Rec., p. 102 ; JO du 14 juillet 2005, p. 11589.
146
BRISSON (J.-F.), « Les nouvelles clefs constitutionnelles de répartition matérielle des compétences entre
l’État et les collectivités locales », op. cit., p. 532.
subsidiarité s’inscrit dans un large processus de structuration pragmatique de l’action publique.
Elle s’impose alors comme une réponse pragmatique et stratégique adaptée aux problèmes des
sociétés française et gabonaise contemporaines. Cette approche reflète une vision renouvelée de
l’action publique au centre des réalités historico-géo-stratégiques des territoires.

Si dans l’ordre juridique français, la subsidiarité peut être imposée par l’insularité et
l’éloignement géographique des collectivités ultramarines au Gabon, elle se manifeste à travers
la décentralisation et la déconcentration. La loi organique n°001/2014 du 15 juin 2015
relative à la décentralisation introduit dans l’ordre juridique gabonais les mécanismes de
coopération intercommunale. En application de l’article 148 de cette loi, « les collectivités
locales ou leurs groupements peuvent nouer entre elles ou avec les partenaires au
développement des relations d’amitié et de coopération, en vue de promouvoir leur
développement économique, culturel, technique, scientifique, sportif et environnemental,
d’échanger leur savoir-faire en matière de gestion publique locale, de recevoir ou d’apporter
dans un esprit de solidarité des aides techniques, humanitaires ou d’urgence ». Les collectivités
territoriales nouent des relations de coopération pour mettre en commun leurs ressources
financières, matérielles ou humaines en vue de la réalisation des projets communs. Cette
politique intercommunale se traduit par la création de syndicats de communes (article 169), les
communautés urbaines (article 186), l’entente inter collectivité locale (article 176) et la Grande
métropole de Libreville. L’intercommunalité s’inscrit ici dans une logique de rationalisation et
d’efficacité de l’action publique.

b) Des transferts de compétences définissant la décentralisation

 L’objet des transferts de compétences

L’objet des transferts de compétences de l’Etat au profit des collectivités territoriales est de
définir la décentralisation. En vertu de l’article 72-2 alinéa 3 de la Constitution française, «
tout transfert de compétences entre l’Etat et les collectivités territoriales s’accompagne de
l’attribution de ressources équivalentes à celles qui étaient consacrées à leur exercice ». La
problématique de transferts de compétences est alors au centre de la définition du processus de
décentralisation. Selon Roland DRAGO, « la décentralisation est un aspect essentiel de la
réforme de l’Etat. Le transfert à des instances locales élues d’un certain nombre de compétences
gouvernementales doit pouvoir atténuer la complexité et la puissance du système
bureaucratique, raccourcir les circuits de décision, augmenter les contacts directs avec les
citoyens, en un mot, simplifier, dans des domaines importants, la vie administrative française
»147. En conséquence, les transferts de compétences conditionnent durablement le processus de
décentralisation. En procédant aux transferts des compétences, l’État doit respecter un certain
nombre de règles plus ou moins contraignantes de façon à préserver et garantir l’autonomie
locale.

 Les conséquences des transferts de compétences

Les transferts de compétences de l’Etat au profit des collectivités territoriales induisent des
nombreuses conséquences. L’Etat doit donner les moyens nécessaires à la mise en œuvre
effective des compétences transférées aux collectivités territoriales: c’est le principe de la
compensation financière des compétences autrefois exercées ou mise en œuvre par l’Etat.
L’article 72-2 alinéa 4 dispose que « tout transfert de compétences entre l’État et les
collectivités territoriales s’accompagne de l’attribution des ressources équivalentes à celles qui
étaient consacrées à leur exercice. Toute création ou extension de compétences ayant pour
conséquence d’augmenter les dépenses des collectivités territoriales est accompagnée de
ressources déterminées par la loi ». Ainsi, le législateur a adopté la loi organique n°2004-758
du 29 juillet 2004 pour préciser la notion d’autonomie financière des collectivités territoriales
tout en clarifiant la portée de l’article 72-2 de la Constitution.

En définitive, il y a non seulement une diversité des modes de transferts de compétences


(transferts de compétences verticaux et horizontaux) mais aussi une différence des différences
dans le financement des compétences transférées y compris en matière d’intercommunalité.

Les transferts de compétences n’entraînent pas seulement des conséquences de nature


financière. Ces transferts se traduisent aussi par les transferts de biens et de personnels. En
application de l’article L. 1321-1 alinéa 1 du Code général des collectivités territoriales , le
transfert de bien est autonomique: « le transfert d’une compétence entraîne de plein droit la
mise à la disposition de collectivité bénéficiaire des biens meubles et immeubles utilisés, à la
date de ce transfert, pour l’exercice de cette compétence ».

Il apparaît alors que les interactions entre transferts de compétences et décentralisation sont au
cœur de l’autonomisation de la sphère locale. Il est aujourd’hui acquis que les collectivités
territoriales s’administrent librement dans les conditions prévues par la loi, sous le contrôle de
l’État.

147
DRAGO (R.), « Les Français et la décentralisation », Revue administrative, n°331 janvier 2003, p. 49.
II. L’Etat fédéral ou la fédération

L’Etat fédéral est un Etat « composé » ou « superposé » en ce sens qu’il est une union, une
association d’Etats que l’on qualifie de fédérés. L’Etat fédéral assemble alors des entités
territoriales qui gardent la qualité étatique en dépit d’une association entre elles, sans pour autant
apparaître comme des Etats au sens international du terme. La fédération est une union d’Etats
(Etats fédérés) qui débouche sur la création d’un nouvel Etat (l’Etat fédéral). Les Etats fédérés
ne disparaissent pas pour autant : ils disposent d’une relative autonomie, mais l’Etat fédéral qui
se superpose à eux n’est que le produit de la participation des Etats fédérés Il s’agit donc d’un
système dans lequel cohabitent deux échelons, deux entités territoriales : l’Etat fédéral (le
bunden Allemagne) et les entités fédérées (seize « Länder » en Allemagne, cinquante Etats
fédérés aux Etats-Unis (et un district fédéral : Washington D.C.), vingt-deux cantons et deux-
demi cantons en Suisse, quatre-vingt-neuf « sujets » en Russie, trois communautés en
Belgique). Ici, la décentralisation n’est plus administrative mais politique, c’est-à-dire que
chacun des Etats fédérés a son organisation politique propre et constitue donc une institution
politique. La fédération est aujourd’hui la forme d’organisation juridique de grands Etats (les
Etats-Unis, le Canada, la Russie, le Brésil, le Nigeria) mais aussi de certains petits Etats (la
Belgique, l’Autriche).

S'il est clair que le fédéralisme est « un mode de gouvernement qui repose sur une certaine
manière de distribuer et d'exercer le pouvoir politique dans une société, sur une base
territoriale »148, la doctrine donne diverses définitions de concepts auxquels il est pourtant
souvent fait référence tels que ceux d'« État fédéral », de « fédération » ou de « fédération
d'États ». Aussi rappellera-t-on quelques-unes de ces définitions avant d'entrer dans le vif du
sujet.
Pour Georges SCELLE, l'« État fédéral [...] réalise l'intégration fédérative maxima. C'est un
véritable État qui absorbe au point de vue international, tous les États particuliers qui en sont
les associés. Il a son territoire, ses sujets, son gouvernement, ses administrations propres ; la
souveraineté intérieure qu'il partage avec les États membres, la souveraineté extérieure qu'il
détient seul [...]. Il agit directement, non seulement sur les États associés, mais sur les
citoyens »149. Selon Vicky JACKSON, « un gouvernement de forme fédérale est celui dans

148
CROIZAT (M.), Le fédéralisme dans les démocraties contemporaines, 3e éd., Montchrestien, Paris 1999, p.
18.
149
SCELLE (G.), Précis de droit des gens. Principes et systématique, I et II, Éditions du CNRS, Paris 1984
[impression anastatique des éditions de 1932 et 1934], p. 192.
lequel les pouvoirs sont attribués à des entités territoriales qui exercent des compétences sur
le même territoire. Un gouvernement décentralisé peut se retrouver dans cette définition,
mais le fédéralisme se distingue de la décentralisation administrative en ce que chaque
niveau de gouvernement est constitutionnellement dans son existence et/ou ses
pouvoirs »150. Pour Ronald  L. WATTS, le « système politique fédéral » fait référence à « un
vaste ensemble de systèmes politiques dans lesquels, à la différence de l'unique source
centrale d'autorité politique et légale des systèmes unitaires, existent deux ou plusieurs
niveaux de gouvernement, combinant par conséquent des règles communes [...] par
l'intermédiaire d'un gouvernement commun et d'un auto-gouvernement régional [...] pour les
gouvernements des unités qui le constituent »151. L’auteur estime que les traits
communément admis des fédérations consistent en :

 au moins deux niveaux de gouvernement, l'un pour la fédération dans son ensemble
et l'autre pour chaque unité régionale, chacune exerçant leur pouvoir directement
sur les citoyens ;

  une répartition constitutionnelle des compétences législatives et exécutives et une


répartition des ressources entre les deux niveaux de gouvernement qui préservent
des champs de compétences propres pour chacun d'entre eux ;

 des dispositions permettant la représentation des intérêts distincts des États


membres au sein des institutions fédérales, d'ordinaire par le biais d'une seconde
chambre ;

  une Constitution suprême écrite qui ne peut être amendée unilatéralement, et dont
la modification suppose l'assentiment d'une proportion significative des unités
constituantes ;

  un arbitre (tribunal, possibilité de recourir au référendum, chambre haute dotée de


compétences spéciales) ;

150
JACKSON (V.), « Fédéralisme, normes et territoires », in Traité international du droit constitutionnel (sous la
direction de TROPER (M.), CHAGNOLLAND (D.), T. 1, 2, 2, Paris, Dalloz, 2012, p.
151
WATTS (R.- L.), Comparing federal systems, 3e éd., McGill-Queen's University Press, Monreal & Kingston
2008, p. 9.
  ainsi que des procédures et des institutions destinées à faciliter la collaboration
intergouvernementale dans les domaines où les responsabilités sont partagées ou
inévitablement superposées152.

D'après Kenneth Clinton WHEARE, le gouvernement fédéral serait « un système de


gouvernement qui repose sur « une division de pouvoirs entre les autorités fédérales et
fédérées (general and regional authorities) qui, chacune dans son champ de compétences,
est coordonnée avec les autres et indépendantes par rapport à elles »153. Seulement, il faut
dire avec Elizabeth ZOLLER que la notion de fédération implique que : « là où rien n'est
réservé à l'État membre, où rien de ce qu'il est ou de ce qu'il a n'est à l'abri d'un pouvoir
d'évocation par le centre, il n'y a ni fédération d'États, ni processus fédératif, il n'y a qu'un
système décentralisé »154. Cette formule - qui met l'accent sur une conception du fédéralisme
qui protège les droits et, par conséquent, l'indépendance des États fédérés - correspond, du
reste, à celle d'un juge de la Cour suprême indienne d'après lequel la caractéristique du
régime fédéral est que sa constitution « prévoit une répartition des pouvoirs telle que le
gouvernement fédéral (general) et le gouvernement fédéré (regional) sont, chacun dans leur
champ, substantiellement indépendants l'un de l'autre »155.
Un Etat fédéral peut constituer l’aboutissement de deux mouvements inverses: centripète ou
centrifuge:

 L’Etat fédéral par association ou intégration: il résulte du regroupement de plusieurs


Etats antérieurement indépendants (Etats unitaires) qui vont se fédérer (fédéralisme
associatif).

La création d’une fédération peut s’effectuer par intégration pour des motifs divers tenant à des
menaces militaires ou à des préoccupations économiques. Ainsi, les Etats fédérés renoncent au
plein exercice de leur souveraineté et de transférer certaines de leurs compétences essentielles
(défense, sécurité, diplomatie, monnaie etc..) à un Etat qui se superpose à eux et qu’ils créent à

152
Ibid.
153
WHEARE (K.-C.), Federal Government, Oxford University Press, Londres, 3e éd., 1961, p. 32-33.
154
ZOLLER (E.), « Aspects internationaux du droit constitutionnel : Contribution à la théorie de la fédération
d'États » dans Recueil des cours de l'Académie de droit international, tome 294, 2002, p. 73
155
Opinion du juge Subba Rao dans l'affaire State of West Bengal v. Union of India citée par
R. K. Chaubey, Federalism, Autonomy and Centre-State relations, Satyam Books, New Delhi 2007, p. 27.
cet effet. Ce fédéralisme agrégatif est parfois précédé d’un système d’intégration intermédiaire
qui est celui de la confédération.

Dans le cadre d’une confédération, les Etats restent souverains dans leurs relations
internationales mais ils décident seulement, par un traité diplomatique conclu entre eux, de
coordonner leurs actions dans certains domaines. Les décisions des organes communs,
composés de représentants des Etats confédérés, sont prises à l’unanimité, aucune décision ne
peut donc être imposée à un Etat sans son consentement de telle sorte que sa souveraineté
interne est également respectée. La confédération à l’inverse de la fédération n’est donc pas une
structure étatique. Ainsi, par exemple, les treize colonies américaines qui ont accédé à
l’indépendance en 1776, ont d’abord constitué une confédération avant devenir après la
ratification de la Constitution de Philadelphie, la fédération des Etats-Unis d’Amérique. De
même, le Suisse est-elle depuis 1848, une fédération bien qu’elle ait conservé le nom de la
confédération helvétique qui la précédait de 1235 à 1848. Le passage ultime de la confédération
à la fédération peut se produire lorsque l’organisation confédérale se révèle inefficace pour la
réalisation du but recherché ou que la dislocation menace. C’est une telle situation de crise
confédérale aigue qui provoqué la réunion de la convention de Philadelphie et l’adoption de la
Constitution américaine.

La création de la fédération peut s’effectuer par dislocation (implosion d’un Etat unitaire puis
réunion des différentes entités en une fédération comme l’Allemagne fédérale en 1949,
implosion d’une fédération comme l’Autriche-Hongrie en 1919 ou de l’URSS en 1991, puis
création d’entités fédérales comme l’Autriche ou la Russie en 1993 (fédéralisme par dissociation
ou dissociatif).

Cette formule d’organisation étatique est particulièrement appropriée aux Etats disposant d’un
vaste territoire (Russie, Etats-Unis, Inde, Canada, Afrique du Sud, Nigeria), sans pour autant
que les Etats plus modestes soient peu adaptés à cette technique comme l’attestent au contraire
la Belgique, la Suisse, l’Autriche. Elle convient aussi aux Etats devant faire face à une diversité
ethnique, linguistique ou culturelle (Belgique avec la création d’une fédération belge par les
révisions constitutionnelles des 5 mai 1993 et 17 février 1994, afin de prendre en compte les
revendications linguistiques francophones, flamandes et germanophones ayant entraîné
l’institution de trois régions : wallonne, flamande et bruxelloise)156.

156
Voir à ce sujet Francis DELPEREE, « Belgique : la nouvelle vague fédéraliste », Revue française de droit
constitutionnel, 2001, n°48.
Le système fédéral permet en effet, par son élasticité, par la marge de manœuvre qu’il implique,
d’associer des groupes d’intérêts, des collectivités très diverses qui, sans perdre leur identité et
leur autonomie, peuvent fonder une collectivité plus grande. Synthèse entre l’Etat unitaire,
parfois sclérosant pour les collectivités le composant et l’Etat confédéral à la consistance
souvent diffuse, l’Etat fédéral favorise une diversité dans l’unité, conciliant solidarité et
autonomie. Il ne constitue pas cependant une solution idéale comme en témoigne la situation de
l’ex-fédération de Yougoslavie, en proie à une guerre meurtrière par suite de l’effondrement du
communisme et de l’exacerbation des nationalismes traditionnels agressifs, les tensions
meurtrières ayant été renforcées par des considérations religieuses157.

En tout état de cause, le fédéralisme est un exercice d’équilibre délicat et constamment tendu,
oscillant toujours entre deux exigences contraires et obéissant souvent à des cycles récurrents de
centralisation et de décentralisation. Selon Georges SCELLE « parmi les traits juridiques
essentiels » de la fédération figure : « la participation, gouvernementale » et l’« autonomie
gouvernementale »158. Ainsi, l’Etat fédéral s’organise et fonctionne à partir de trois principes
essentiels, fondateurs159: la superposition, la participation et l’autonomie caractérisent le
fédéralisme, l’Etat fédéré perd bel et bien les principaux attributs de la souveraineté.

A. Le principe de superposition

Stéphane RIALS rejette le « prétendu principe de superposition invoqué par une partie de la
doctrine »160. Pour cet auteur, ce principe évoque l’idée que dans l’Etat fédéral, un nouvel Etat,
un « super-Etat », se superposerait aux Etats fédérés. Or, il ne pourrait y avoir superposition
parce que d’une part, il n’existe qu’un seul Etat, ceux qu’on appelle Etats fédérés n’étant pas de
véritables Etats et que d’autre part, l’idée de superposition ferait croire que tout le droit fédéral
serait, en toute hypothèse, supérieur au droit fédéré, ce qui est bien sûr souvent erroné.

Dans la pratique, la répartition des pouvoirs entre l’Etat fédéral et les Etats fédérés est réglée par
la Constitution qui énonce les compétences fédérales (économie, monnaie, défense, police,
justice, commerce), les compétences des composantes de la fédération (éducation, exécution des

157
La République fédérale de Yougoslavie a officiellement cessé d ’exister le 4 février 2003, cédant sa place à
l’Etat de Serbie-Monténégro. Serbie et Monténégro bénéficient des mêmes droits et d ’une large autonomie dans
le nouvel Etat aux pouvoirs centraux réduits. Leur maintien dans cet Etat était en réalité une condition-clé à leur
admission au Conseil de l’Europe, considérée comme une première étape vers une future intégration à l ’Union
européenne.
158
SCELLE (G.), Cours de droit international public, (rédigé d'après les notes et avec l'autorisation de M. G.
Scelle) Le fédéralisme international, 1947-1948 (ci-après Le fédéralisme international)
159
Voir sur ce point Louis LEFUR, Etat fédéral et confédération, LGDJ, 2000.
160
RIALS (S.), Destin du fédéralisme, LGDJ, 1986.
peines, état civil) et les compétences concurrentielles ou partagées. La distribution ainsi opérée
entre l’Etat fédéral et ses composantes s’organise autour du principe de subsidiarité. Chaque
entité reçoit les compétences qu’elle est en mesure d’assumer dans les meilleures conditions.
L’Etat fédéral superpose deux ordres étatiques et deux ordres juridiques.

3. La superposition de deux ordres étatiques implique que les entités fédérées ont la
qualité d’Etats

Il y a deux niveaux d’institutions législatives, exécutives et judiciaires. Le problème de


superposition de deux ordres étatiques pose cependant problème dans la mesure où la
caractéristique de l’Etat est la souveraineté. Dans la pratique, seul l’Etat fédéral dispose de la
souveraineté internationale. Dès lors que la Constitution fédérale entre en vigueur les Etats
fédérés n’apparaissent plus sur la scène internationale, seul l’Etat fédéral dispose des
compétences diplomatiques attachées à la personnalité internationale. Ceci n’empêche
cependant pas la Constitution fédérale de prévoir des atténuations et notamment la possibilité
pour les Etats fédérés de négocier des traités dans leurs domaines de compétences et sous le
contrôle de la fédération.

Sur le plan interne, les Etats fédérés perdent leurs pouvoirs que la Constitution fédérale réserve
au niveau fédéral. Ils abandonnent donc la compétence de leur compétence de telle sorte qu’ils
ne sont plus vraiment souverains au niveau interne. Toutefois, la Constitution peut fixer les
limites au pouvoir constituant local. En Allemagne, la Cour constitutionnelle affirme dans une
de ses décisions que « l’Etat fédéral et les Etats fédérés possèdent la souveraineté ».

La possibilité même de sécession peut aussi être refusée par la Constitution fédérale qui peut
l’exclure expressément ou l’empêcher implicitement en énumérant les composantes de la
fédération (Allemagne ou Russie, par exemple). Les constitutions soviétiques successives
reconnaissent (en théorie) aux républiques fédérées le droit de sortir librement de l’Union. Aux
Etats-Unis, en revanche, c’est la Cour suprême qui a déduit des dispositions constitutionnelles
fédérales le caractère perpétuel et indissoluble de l’Union, et partant, la nullité juridique d’un
acte de sécession pourtant adoptée par une convention locale et ratifié par la majorité des
citoyens concernés: « la Constitution, dans toutes ses dispositions, envisage une Union
indestructible d’Etats indestructibles »161.

4. La superposition de deux ordres juridiques

161
Texas v. White, 1968-Grands arrêts de la Cour suprême des Etats-Unis, Elisabeth ZOLLER, PUF, Droit
fondamental, 2000, n°11.
Par ordre juridique, il faut entendre un ensemble de normes hiérarchisées relevant d’une
même norme fondamentale. Dans un Etat fédéral, il existe deux ordres juridiques : l’ordre
juridique de l’Etat fédéral, avec au sommet la Constitution fédérale, et les ordres juridiques des
entités fédérées, avec au sommet de l’édifice, les constitutions de ces entités. La superposition
de deux ordres juridiques implique alors une certaine variété du droit national formé de strates
successives et d’origines diverses : le droit fédéral est unique, les droits fédéraux sont en
revanche multiples. Le sujet local ne saurait néanmoins prendre des mesures qui iraient à
l’encontre de la Constitution. En Allemagne, par exemple, il y a une obligation pour les «
Länder » de respecter les principes « d’un Etat de droit républicain, démocratique et social »162.

B. Le principe de la participation des collectivités fédérées au pouvoir fédéral

En contrepartie de leur abandon de la souveraineté et de leur soumission aux normes fédérales,


les Etats fédérés obtiennent le pouvoir de participer à l’édiction de celles-ci par l’intermédiaire
de leur représentation ès qualités dans les organes fédéraux. La participation implique une
égalité des pouvoirs des Etats. Elle est triple. Elle confère aux entités fédérées le droit de
participer à l’élaboration ou à la révision de la Constitution fédérale ainsi qu’à l’édiction et à la
révision des lois fédérales, voire à d’autres prérogatives.

 Cette participation s’opère d’abord au niveau du Parlement bicaméral par


l’intermédiaire de la seconde chambre de l’Etat fédéral163 (Sénat américain, «
Bundesrat » allemand, Conseil de la fédération russe, Conseil des Etats suisse) qui a
pour fonction de représenter lesdites entités et d’assurer ainsi leur participation aux
mécanismes décisionnels fédéraux. Ainsi, la participation des Etats fédérés au pouvoir
législatif fédéral est directe.

 La participation des Etats fédérés au pouvoir fédéral peut aussi s’exercer au niveau
de la désignation de l’exécutif national.

Ainsi, la participation des Etats fédérés au pouvoir exécutif est indirecte. Il ne s’agit pas d’une
participation à l’exercice de ce pouvoir mais d’une participation à la désignation du titulaire. Le
Gouvernement fédéral et/ ou le chef de l’Etat peut être désigné par les deux assemblées réunies
ou dans des conditions équivalentes. En Suisse, par exemple, le Chef de l’Etat peut être élu par
les deux assemblées réunies. Le Chef de l’Etat peut encore être élu au suffrage universel indirect

162
Article 28 de la loi fondamentale du 23 mai 1949.
163
La première chambre représente le peuple fédéral tout entier et la seconde représente les Etats eux-mêmes.
Ceux-ci ont donc en tant que tel un droit de participation à la législation fédérale s ’ajoutant à leur pouvoir
législatif local.
dans le cadre de circonscriptions électorales correspondant aux Etats fédérés. Il peut aussi s’agir
d’un exécutif collégial composé de représentants des Etats fédérés (Yougoslavie).

 Enfin, le principe de participation au pouvoir de l’Etat fédéral implique le droit de


participer à l’élaboration ou la révision de la Constitution fédérale voire à d’autres
prérogatives.

La révision ou la modification de la Constitution fédérale, c’est-à-dire du pacte fédératif


suppose, nécessite toujours, sous une forme ou une autre, l’accord de la majorité des
collectivités fédérées. Chacune des deux procédures de révision de la constitution fédérale fait
intervenir les Etats fédérés.

C. Le principe de l’autonomie constitutionnelle, législative, juridictionnelle et


administrative

A la différence des collectivités locales, les entités fédérées tiennent leurs compétences non de
la volonté de l’Etat central mais de la Constitution de celui-ci. Elles détiennent leur pouvoir ab
initio, leurs gouvernements exercent la souveraineté qui leur est confiée par le peuple et non par
le pouvoir central. Les Etats fédérés jouissent alors d’une autonomie garantie par la Constitution
fédérale et dont on a vu que le maintien (fédéralisme associatif) ou l’acquisition (fédéralisme
dissociatif) est l’un des but de l’organisation commune. Ainsi, les collectivités fédérées
établissent leur propre Constitution, leurs propres lois, les exécutent, disposent d’un appareil
juridictionnel. Elles jouissent d’une triple autonomie :

 L’autonomie constitutionnelle

Les entités fédérées jouissent, en premier lieu, d’une autonomie constitutionnelle leur permettant
de choisir leur organisation politique. Cette capacité d’auto-organisation s’inscrivant dans le
cadre des principes fixés par la Constitution fédérale est traditionnellement considérée comme
un critère déterminant, décisif de distinction entre Etat fédéral et Etat unitaire puisque
l’existence des constitutions locales présuppose celle d’Etats supranationaux.

Il arrive cependant que les la Constitution fédérale prescrive ou interdise certains choix aux
pouvoirs constituants locaux. Aussi, la Loi fondamentale allemande impose-t-elle le respect des
« principes d’un Etat de droit républicain, démocratique et social » tandis que la Constitution
américaine exige celui de « la forme républicaine de gouvernement ». On observe cependant
que les Etats fédérés optent pour le mimétisme constitutionnel en répliquant, en miniature, les
institutions fédérales. En d’autres termes, les institutions des entités fédérales sont calquées sur
celles de l’Etat fédéral. Aux Etats-Unis, les Etats fédérés ont opté pour un régime présidentiel
pratiqué au niveau fédéral avec un exécutif représenté par un gouverneur élu et un parlement
bicaméral (sauf au Nebraska). En Allemagne, les Landër connaissent un régime parlementaire
avec un chef de gouvernement, le ministre président et un parlement monocaméral. Enfin, au
Canada, le régime parlementaire institué au niveau fédéral a été repris par les provinces avec un
premier ministre disposant d’une majorité au parlement monocaméral.

S’agissant des droits et libertés des citoyens, la Constitution locale ne peut contrevenir aux
dispositions de la Constitution fédérale dont la primauté sera, le cas échéant, imposée par la
Cour fédérale.

 L’autonomie législative

Les collectivités fédérées disposent d’un domaine de compétences législatives garanti par la
Constitution fédérale et protégé par le juge constitutionnel. Se pose alors le problème de la
répartition des compétences entre l’Etat fédéral et les Etats fédérés. Ainsi, les compétences sont
partagées la fédération et les entités fédérées selon une clé de répartition fournie par la
Constitution fédérale. Généralement celle-ci énumère les matières ressortissant au niveau
fédéral, confiant ainsi à la fédération des compétences d’attribution tandis que les Etats fédérés
conservent a contrario les compétences législatives de droit commun (USA). Mais le critère
n’est pas toujours aussi simple et il arrive que la Constitution fédérale détaille de façon plus fine
et complexe des compétences exclusives, concurrentes et partagées (RFA, Suisse). Cette
répartition est évidemment essentielle et c’est d’elle et de son interprétation par le juge fédéral
que dépend le degré d’autonomie effective des Etats fédérés.

Quelle que soit l’organisation retenue, le fédéralisme une notion plus dynamique que statique,
en permanent équilibre instable. Le droit textuel mais aussi jurisprudentiel l’adapte
constamment, mais évolutions plus factuelles que juridiques contribuent aussi à corriger le
schéma institutionnel. De façon générale, dans les Etats fédéraux initialement construits sur le
mode associatif, on constate une tendance à la centralisation progressive résultant de
considérations essentiellement diplomatiques, économiques et juridiques.

Les nouveaux défis de la politique internationale braquent les projecteurs sur les autorités
fédérales seules investies des pouvoirs diplomatiques et défense. La mondialisation des
échanges et le développement de l’interventionnisme public ont aussi servi le pouvoir fédéral
notamment par le biais des aides fédérales aux Etats fédérés. Les autorités fédérales peuvent
restreindre, par exemple, l’autonomie locale en matière de police, en conditionnant le
financement de la construction des routes à l’adoption d’une limitation de vitesse uniforme. La
dépendance économique à l’égard du centre est, dans les Etats fédéraux comme unitaires, le
frein le plus efficace au mouvement centrifuge.

Par ailleurs, le souci de l’égalité des droits de citoyens, devenu quasiment obsessionnel, a
évidemment favorisé l’apparition d’une jurisprudence constitutionnelle globalement
centralisatrice bien que soumise, elle aussi, à des mouvements pendulaires. D’un point de vue
théorique, cette centralisation croissante n’a fait qu’aggraver le malaise des définitions.

Enfin, il convient de relever que si la distinction traditionnelle Etat unitaire et Etat fédéral
conserve encore sa pertinence pédagogique et un minimum d’effectivité malgré les difficultés de
définitions inhérentes au fédéralisme, il n’en demeure pas moins que la fin du XXe siècle a vu se
multiplier des structures atypiques, « hétérodoxes », de plus en plus difficiles à rattacher à l’une
ou l’autre des catégories traditionnelles d’Etats. Un certain nombre d’Etats unitaires ont accordé
soit à toutes leurs collectivités soit à certaines d’entre elles une véritable autonomie politique
dépassant très largement les seules compétences administratives classiques et les rapprochant
d’une répartition fédérale (les Etats régionalistes, autonomiques et asymétriques) 164 tandis que la
construction de l’Europe fait apparaître un objet juridique non identifié qui alimente
d’innombrables questionnements et remet de nouveau en cause les certitudes établies.

La construction supranationale de l’Europe accroît aussi considérablement le trouble conceptuel.


En effet, les controverses doctrinales, très vives au sujet de l’Allemagne et des Etats-Unis à la
164
L’une des nouveautés les plus caractéristiques de l’évolution contemporaine réside dans le développement
d’une dissymétrie organisationnelle donnant à certains Etats l ’apparence d ’une forme mixte : unitaire à l ’égard de
la majorité de leurs composantes mais quasi-fédérales à l’égard de certaines d ’entre elles. Les Constitutions
italienne et espagnole, opèrent effectivement une synthèse de l’Etat unitaire et de l ’Etat fédéral. Le qualificatif
généralement usité pour désigner l’organisation italienne est celui d ’Etat « régionaliste », structure mixte
emprunté de « l’Etat intégral » réalisé dans la Constitution espagnole de 1931. Le système mixte de l ’Etat
espagnole est souvent qualifié d’Etat « autonomique » asymétrique qui reconnaît des droits aux communautés
autonomes. L’article 2 de la Constitution espagnole du 29 décembre 1978 prévoit que la Constitution « reconnaît
et garantit le droit à l’autonomie des nationalités et des régions qui la composent et la solidarité entre elle s ».
Les régions italiennes adoptent elles-mêmes leur statut qui doit ensuite être approuvé par le parlement national
sous forme de loi constitutionnelle les régions à statut particulier et de loi ordinaire pour les régions à statut
ordinaire. Cette codécision statutaire nationale et locale consacre donc une forme d ’auto-organisation assez
marquée. A cette relative autonomie institutionnelle s’ajoute pour les régions à statut particulier, un pouvoir
législatif primaire que l’on ne retrouve cependant pas dans les régions ordinaires. Le statut des communautés
autonomes espagnoles est aussi élaboré par des instances locales et approuvé par une loi organique du parlement
central qui constitue leur « norme institutionnelle fondamentale ». Le partage des compétences est effectué de
façon très complexe par la Constitution elle-même qui distingue les compétences exclusives centrales et locales
ainsi que des compétences concurrentes. Les communautés espagnoles disposent d ’un authentique pouvoir
normatif autonome affranchi du contrôle de l’Etat et sont indépendantes les unes des autres. Le parlement catalan
a d’ailleurs voté le 30 septembre 2005 un statut pour la Catalogne accroissant un peu plus les compétences déjà
importantes accordées aux régions.
Dans ce cadre, la Catalogne n’est plus définie comme l’une des « nationalités », mais comme une « nation ». Le
statut prévoit, de plus, un mode de financement autonome (collecte des impôts par Barcelone et reversement à
Madrid).
fin du XIXe et au début du XXe siècle, reprennent aujourd’hui de la vigueur sous l’effet de la
construction européenne. Le terme de « construction européenne », forgé par Jean MONNET,
est devenu l’expression courante et a incontestablement le mérite, par son indétermination, de
parfaitement correspondre à l’impossible identification de l’Union européenne telle qu’elle se
présente aujourd’hui.

Les « divisions fédérales des pouvoirs ont plusieurs fonctions, de nature économique, politique
ou symbolique. Les plus importants sont la garantie d’une gouvernance autonome et la
préservation de l’identité des groupes concentrés sur certains territoires, tout en profitant de
certains avantages liés à l’appartenance à un Etat plus vaste (y compris d’être défendus
militairement »165.

On préconise également le fédéralisme comme meilleure manière de gouverner des vastes


territoires tout en permettant la prise de décision au niveau ou l’on a la meilleure connaissance
des conditions locale (connaissance que le centre n’est pas en mesure d’acquérir) et à travers des
autorités légitimes car élues et responsables devant l’électorat local. Le fédéralisme accroît les
possibilités d’une participation politique dans une gouvernance autonome, particularité perçue
comme bénéfique en soi-même.

Un autre argument en faveur du fédéralisme que l’on retrouve souvent dans la littérature
américaine, est qu’il garantit la liberté et fait des gouvernants les agents du peuple, plutôt que les
maîtres (chaque niveau de gouvernement peut invoquer une légitimité issue de l’élection, il
préserve la liberté, non seulement en donnant une plus grande possibilité de choix mais aussi en
empêchant une concentration excessive des pouvoirs à tous les niveaux.

Le fédéralisme offre des avantages économiques et la perspective d’une amélioration de la


gouvernance. Il permet d’expérimenter les réformes dans différents Etats, afin d’observer les
réussites et les échecs et au bout du compte d’améliorer la gouvernance globale. Le système
fédéral pourrait augmenter l’efficacité des services publics par les effets combinés de la
concurrence entre les entités locales de même niveau, de la mobilité des populations vivant
selon leurs préférences, et l’expérimentation des réformes.

Parallèlement, le fédéralisme est critiqué car elle présente des nombreux inconvénients. Il s’agit
d’un système coûteux, nécessitant un personnel et des dépenses supplémentaires pour entretenir
toutes ces multiples institutions superposées. Les systèmes fédéraux peuvent empêcher la
formation d’un ciment social ou des clivages transversaux propices à la formation d’une culture
165
JACKSON (V.), « Fédéralisme, normes et territoires », op. cit., p. 10.
politique commune permettant une gouvernance stable : accentuer les différences plutôt que les
atténuer.

Une autre critique porte sur la responsabilité des autorités politiques : comme il y a plusieurs
niveaux de gouvernance que les délimitations de compétences peuvent être floues et que
certaines sont partagées, il peut être difficile de déterminer les responsabilités et de diriger les
recours contentieux.

Le fédéralisme permet la coexistence de communautés fondées sur les valeurs morales


différentes et qu’il constitue un compromis acceptable permettant de bénéficier des avantages
économiques ou militaires que procure une union nationale et ceux qui le vivent comme un mal
nécessaire. Dans chaque pays, le fédéralisme a une histoire différente et des objectifs multiples
qui expliquent le compromis au terme duquel, il a été réalisé.

III. La régionalisation

La réalisation de la régionalisation présentant « des caractéristiques nouvelles par rapport aux


structures traditionnelles (…) conduit la doctrine à définir une forme spécifique d’Etat «  l’Etat
régional », justement conçu comme « un type intermédiaire d’Etat entre l’unitaire et le
fédéral »166. Ainsi, l’« l’Etat régional se différencierait du fédéral par le fait que «  bien que
dotées des droits propres, les régions ne réussissent pas à avoir la qualité et la dignité des Etats
membres d’un Etat fédéral […] d’autre part, parce qu’elles sont dotées de droits propres, elles
se différencient nettement des collectivités territoriales semblables (provinces ou régions),
mêmes fortement décentralisées, des Etats unitaires »167. « Les tendances antagonistes font du
fédéralisme une formule évolutive et parfois menacée. Les équilibres internes de l’Etat fédéral
sont en constante évolution. La pérennité de l’Etat fédéral est parfois mise en cause »168.

La Constitution fédérale enregistre un équilibre valable à un moment donné : elle distribue les
compétences et les pouvoirs en fonction de ce qui est acceptable. Mais les données politiques
économiques, sociales et culturelles sont appelées à changer. Ainsi, les Etats fédéraux modernes
connaissent-ils une certaine évolution des pratiques de pouvoir. A une répartition rigide des
compétences succède un fédéralisme coopératif. Celui-ci repose sur la négociation et l’entente
préalable. Il conduit à des décisions concertées et à des financements en commun. Mais il
correspond à une immixtion de l’Etat fédéral dans les matières réservées. Il est facteur de
166
AMBROSINI (G.), Lo stato regionale come tipo intermedio di stato tra l’unitario ed il federate , Roma, 1933.
167
VANDELLI (L.), « Les formes d’Etats » : Etat régional, Etat décentralisé, in Traité international du droit
constitutionnel (sous la direction de TROPER (M.), CHAGNOLLAND (D.), T. 1, 2, 2, Paris, Dalloz, 2012, p. 57-67.
168
MASCLET (J.-C.), VALETTE (J.-F.), Droit constitutionnel et institutions politiques, Paris, Dalloz, 1997, p. 77
centralisation. Cette tendance à la centralisation est à l’œuvre dans plusieurs Etats fédéraux
modernes sous l’influence de divers facteurs.

La structuration de l’opinion et la constitution des partis qui s’opère généralement au niveau


fédéral, l’impératif de dimension qui s’impose à l’économie moderne et rend nécessaire la
constitution des grands ensembles, l’interventionnisme économique, les nécessités de la
protection sociale qui peuvent s’accommoder de trop grandes différences d’un Etat fédéré à
l’autre, l’harmonisation culturelle apportée par les moyens modernes de communication, le poids
des relations extérieures qui met en valeur les institutions fédérales seules aptes à en connaître.

La revendication à plus d’autonomie peut être nourrie par l’irrédentisme culturel, les différences
ethniques, ou le sentiment d’une inégalité de traitement et l’influence au sein de l’Etat fédéral  :
elle peut soumettre ce dernier à des vives tensions conduisant à modifier le pacte social initial.
Tel est le cas pour le Québec au sein de la fédération canadienne. Les indépendantistes
revendiquent une souveraineté-association qui s’analyse en un relâchement du lien fédéral.

Malgré les crises et les échecs, on observe toutefois une persistance du modèle constitutionnel.

Comment alors ne pas s’interroger sur les conditions de son succès  ? Il est permis de se
demander si la réussite de l’Etat fédéral n’est pas liée à l’existence ou non d’un sentiment
national.

Chapitre 2 : La Constitution

L’Etat a été défini comme une institution, une personne morale. En tant que telle, l’État ne peut
exister qu’en vertu d’un statut juridique169, et le statut de l’État, c’est sa Constitution destinée à
encadrer le pouvoir. L’un des premiers gestes d’un nouvel État est, fréquemment, de se donner,
avec un drapeau, un hymne et une monnaie, une Constitution. Pour quelle(s) raison(s) ? À vrai
dire, la Constitution présente à la fois une valeur symbolique, une valeur philosophie, une
valeur juridique :

 Une valeur symbolique:

La Constitution peut être considérée comme l’acte fondateur d’un État. Cela étant, le
symbolisme de la Constitution ne se limite pas à l’apparition de l’État; il se manifeste également

169
Le propre des personnes morales est, effectivement, de ne pouvoir exister qu ’en vertu d ’un statut. Appelées à
assumer des fonctions juridiques, il leur faut, pour pouvoir les exercer, un certain nombre d ’organes. Or, ces
organes, ce sont ses statuts qui les leur donnent. Par conséquent, sans statut, pas de personnes morale.
à l’occasion d’un changement de régime. La Constitution est alors l’acte fondateur d’un
régime170.

 Une valeur philosophique:

Se donner une Constitution, c’est admettre que le pouvoir n’est pas illimité, ses détenteurs
acceptant de lui fixer des bornes. L’idée de limitation du pouvoir est, ainsi, à l’origine de
l’élaboration des Constitutions. On passe, en fait, d’un pouvoir arbitraire, où tout est permis, à
un État de droit, c’est-à-dire à un État qui accepte d’être limité par le droit.

 Une valeur juridique:

La Constitution est donc un acte juridique, la clef de voûte de l’ordre juridique. Elle
correspond à un ensemble de règles juridiques relatives au pouvoir politique, un ensemble de
règles juridiques organisant la vie politique et régissant l’exercice du pouvoir c’est à dire qu’elle
prescrit ce que le pouvoir politique doit faire, ne doit pas faire ou simplement peut faire. C’est ce
caractère normatif qui distingue précisément le droit constitutionnel de la politique elle-même
ainsi que de la science politique. La politique est un art, celui de gouverner, au mieux si possible
de en prenant les décisions les meilleures, les plus opportunes. Le droit constitutionnel, lui, régit
l’exercice de cet art en traçant le cadre juridique à l’intérieur duquel l’action politique doit se
maintenir, interdisant certains choix, prescrivant d’autres choix ou laissant une faculté. Le droit
constitutionnel ne s’intéresse théoriquement pas à l’opportunité des décisions politiques mais
seulement à leur régularité juridique, leur conformité à la Constitution.

Dès sa création la Constitution de l’Etat a un double sens, c’est-à-dire une conception


institutionnelle et statutaire qui fonde les Etats modernes: d’une part, elle caractérise le statut
juridique de l’Etat, son organisation interne et d’autre part, elle marque ses limites dans la
mesure où l’Etat doit être soumis au droit afin de protéger l’individu contre l’arbitraire en
consacrant les libertés fondamentales des gouvernés : l’Etat de droit.

Il convient donc d’étudier successivement la notion de Constitution (Section 1), l’évolution


d’une Constitution (Section 2) et la façon dont la Constitution est protégée (Section 3).

Section 1 : La notion de Constitution

« Tout Etat a une Constitution » constatait Georges BURDEAU dans son Traité de science
politique, mais toutes les constitutions ne se ressemblent pas.Traditionnellement, la Constitution
170
Les nouveaux gouvernants d’un pays ont, très souvent, envie de souligner leur rupture avec le régime
précédent et marquent, par l’élaboration de la Constitution, le début d ’une nouvelle étape dans la vie de la nation,
l’entrée dans une nouvelle ère.
représente un acte suprême organisant l’existence et les relations des pouvoirs publics, fixant les
règles obligatoires et impératives relatives à l’exercice du pouvoir politique. Pour John
RAWLS, une Constitution démocratique « exprime, à travers la loi fondamentale et en se
fondant sur des principes, l’idéal politique d’un peuple qui se veut gouverner lui-même selon
certaines formes »171. Au-delà des diverses significations du concept de Constitution, les
professeurs Denys de BECHILLON et Nicolas MOLFESSIS constatent que « les systèmes de
droit moderne ne se conçoivent pas sans référence à une hiérarchie des normes, et la
Constitution se voit conférer le sommet de cette hiérarchie »172. La Constitution est alors
l’expression écrite du « contrat social » rationnellement choisi et voulu par le peuple pour
préserver ses libertés en organisant et limitant le pouvoir. Cette fonction de limitation du
pouvoir assignée à la Constitution est mis en avant par les auteurs de la Déclaration des droits
de l’homme et du citoyen du 26 août 1789, en son article 16: « toute société dans laquelle la
garantie des droits n’est pas assurée ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de
Constitution ».

Mais toutes les Constitutions peuvent se définir à partir de critères qui connaissent cependant
quelques limites. Classiquement, on distingue les constitutions soit d’après leur contenu
(constitution au sens matériel), soit d’après leur forme (constitution au sens formel).

I. La conception matérielle de la Constitution : le contenu de la Constitution

Dans son sens matériel, c’est-à-dire en fonction de son contenu, la Constitution est considérée
comme un ensemble de règles concernant l’organisation et le fonctionnement des pouvoirs
publics. Dans ce sens, elle organise les compétences au sein de l’Etat173, c’est-à-dire la
dévolution et l’exercice du pouvoir174. La conception matérielle de la Constitution prend en
considération son contenu, son objet, la matière qu’elle traite. En d’autres termes, la définition
matérielle de la Constitution va s’intéresser au contenu de la norme fondamentale, c’est-à dire à
la matière sur laquelle celle-ci porte son attention. La conception matérielle de la Constitution
renvoie, par suite, aux principes appartenant au domaine constitutionnel. Dès lors, la question
qui se pose est de déterminer quel est le contenu de la Constitution.

171
RAWLS (J.), Libéralisme politique, PUF, coll. « Quadrige », 2001.
172
DE BECHILLON (D.), MOLFESSIS (N.), « Le Conseil constitutionnel et les diverses branches du droit.
Propos introductifs », Les cahiers du Conseil constitutionnel, 2004, n°16.
173
BURDEAU (G.), La théorie de la Science politique, le statut du pouvoir dans l’Etat , T, 4, LGDJ, Paris, p.
181.
174
PACTET (P.), Institutions politiques, Droit constitutionnel, 22e éd., Armand Colin, 2003, p. 67.
Si, à l’origine, les Constitutions s’intéressent principalement à l’aménagement des pouvoirs, aux
règles relatives à la dévolution et à l’exercice du pouvoir, désormais, elles touchent aussi aux
droits et libertés fondamentaux.

A. La conception initiale : le statut de l’Etat

Dans cette conception, la Constitution est l’ensemble des règles relatives à l’organisation et au
fonctionnement des pouvoirs publics. En France comme au Gabon, on trouve ces normes,
dans le corps même de la Constitution (les articles de la Constitution). Cette conception se
caractérise par les sujets visés. Ce sont en termes juridiques: les institutions politiques et en
termes sociologiques : les gouvernants. Cette conception se caractérise aussi par l’objet de ces
règles. Elles sont relatives à l’organisation et à la composition des organes ainsi que de celles
relatives au fonctionnement interne et externe des organes. Cette conception correspond à ce
que le Doyen Maurice HAURIOU appelait la Constitution politique. Cette conception n’a
rien de choquant dans la mesure où le but premier des Constitutions est d’organiser l’exercice du
pouvoir et où l’État, en tant que personne morale, ne peut exister qu’en vertu d’un statut, ce
dernier étant sa Constitution.

Pour l’essentiel, la Constitution va contenir les règles qui indiquent quels sont dans un État
déterminé, les fondements et les sources du pouvoir, comment ces pouvoirs s’exercent, quelles
bornes leur sont fixées et, le cas échéant, quelles sont les finalités de l’action politique …
Concrètement, ces règles déterminent la forme de l’État, la dévolution et l’exercice du pouvoir.

B. La conception récente de la Constitution: le statut du citoyen

De nos jours, les citoyens eux-mêmes disposent de droits politiques, économiques, sociaux et
solidarités. Ils sont reconnus dans la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de
1789 pour ce qui est des droits politiques et par les principes du Préambule de la
Constitution du 27 octobre 1946 pour ce qui est des droits économiques et sociaux. Depuis la
décision du Conseil constitutionnel français du 16 juillet 1971, Liberté Association, ces
deux éléments font partie intégrante de la Constitution actuelle, du « bloc de constitutionnalité
». Dès lors, la Constitution c’est non seulement l’ensemble des règles fixant le statut de l’État,
mais c’est aussi l’ensemble des règles fixant le statut du citoyen. Il s’agit là de ce que le Doyen
Maurice HAURIOU a appelé la Constitution sociale. En l’espèce, sont concernés les
gouvernés, et non plus les gouvernants ; les citoyens, et non plus les institutions politiques.
Dans la société moderne, « la Constitution prend la forme d’un système en ce qu’elle est
présentée comme le principe d’ordre donnant une unité et sens à l’ensemble des règles
juridiques organisant la vie des hommes. Toutes les règles s’ordonnent sous la Constitution,
tout le droit procède de la Constitution »175. La Constitution introduit ordre, cohérence, raison,
en devenant un appareil de répression du corps politique quand bien même le Professeur
Pierre AVRIL avance qu’un tel texte n’organise rien, ne commande rien, n’oblige à rien, ne
garantit rien : « littéralement, le texte constitutionnel ne veut rien dire, ce sont ses lecteurs qui
le font parler, et plus précisément les lecteurs qu’elle désignés elle-même en les habilitant à
l’appliquer »176.

Aujourd’hui en France, la Constitution c'est non seulement l’ensemble des règles fixant le statut
de l’Etat, mais c'est aussi l’ensemble des règles fixant le statut du citoyen, c'est la Constitution
politique et la Constitution sociale. Au-delà de ce contenu organisationnel et procédural d’une
Constitution, selon le Professeur Dominique ROUSSEAU, « depuis quelques années 1971-
1974, tous les observateurs s’accordent pour constater que la Constitution devient de plus en
plus jurisprudentielle ; un acte toujours écrit sans doute, mais écrit par le juge constitutionnel…
le Conseil constitutionnel est au principe d’une nouvelle idée de Constitution qui repose sur un
triple fondement : la garantie des droits des gouvernés, l’officialisation d’une idée de droit, la
création d’un espace ouvert à la reconnaissance infinie de droits et libertés »177. Cette seconde
mission, plus récente, dévolue à la Constitution, se réalise aussi bien dans le corpus même de la
Constitution, tel l’article 66 alinéa 1er de la Constitution française, prévoyant que « nul ne
peut être arbitrairement détenu » que dans le préambule de celle-ci (celui de 1958 renvoie à
celui de 1946 et fait expressément référence à la Déclaration des droits de l’homme et du
citoyen du 26 août 1789).

On sait en effet, que la Constitution française du 4 octobre 1958 a été élaborée dans un contexte
marqué par la Guerre d’Algérie et ne comporte pas de déclarations de droits fondamentaux.
Néanmoins, cette Constitution s’ouvre sur un préambule qui se contente de proclamer
l’attachement du peuple français à deux textes historiques: la Déclaration des droits de
l’homme et du citoyen du 26 août 1789 et le Préambule de la Constitution du 27 octobre
1946. Par la suite, le Conseil constitutionnel a comblé cette lacune en intégrant ces textes dans
le « bloc de constitutionnalité ». La notion de « bloc de constitutionnalité» a été inventée par le
Professeur Louis FAVOREU. Elle est formée de plusieurs couches ou strates successives de
normes de référence du contrôle de constitutionnalité des lois. Dorénavant, pour désigner

175
ROUSSEAU (D.), « Question de Constitution », Mélanges en l’honneur de Gérard CONAC, Le nouveau
constitutionnalisme, Economica, 2000.
176
AVRIL (P.), « Le juge et le représentant », Le Débat, 1993, n°74.
177
ROUSSEAU (D.), « Une résurrection : la notion de Constitution », RDP, 1990, n°1.
l’ensemble règles ayant valeur constitutionnelle, on emploie volontiers l’expression doctrinale
de « bloc de constitutionalité », qui comprend plusieurs séries d’énoncés juridiques.

Par une décision fondatrice du 16 juillet 1971 (Décision n°71-44 DC, Liberté d’association),
le Conseil constitutionnel reconnaît la valeur positive, une valeur juridique suprême tant de la
Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 que du Préambule de la
Constitution du 27 octobre 1946 en évoquant les « principes fondamentaux reconnus par les
lois de la République et solennellement réaffirmés par le préambule de la Constitution ». Dès
lors, « le bloc de constitutionnalité » contient plusieurs normes de référence emboitées les unes
dans les autres. Il faut à cet égard rappeler que le Conseil constitutionnel a progressivement
développé et mis en place une jurisprudence protectrice des droits fondamentaux. De simple «
juge de la répartition des compétences »178, de simple « organe régulateur de l’activité des
pouvoirs publics »179, il est devenu le garant de l’ordre juridique, le « régulateur de l’activité
normative du gouvernement législateur », l’« organe régulateur de l’équilibre des pouvoirs », le
protecteur des libertés fondamentales.

En France, le « bloc de constitutionalité » comprend:

1. Le texte ou le corps même de la Constitution du 4 octobre 1958, soit 89 articles


relatifs essentiellement à l’organisation des pouvoirs publics.

2. La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789.

Il s’agit d’un texte historique, symbolique de la Révolution française consacrant les « droits
civils et politiques » ou encore « droits-libertés » supposant une abstention de l’État et
garantissant notamment:

 l’égalité, « principe gigogne », « principe matriciel » d’où découlent toute une série de
principes secondaires (égalité devant la loi, devant les charges publiques, égalité devant
le service public, égalité des sexes….

 la liberté (droit naturel et imprescriptible, dans la mesure où il s’agit d’une réalité


logique liée à la qualité d’homme (article 2).

Elle consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui (article 4). Il est ainsi précisé que «
tout ce qui n’est pas défendu par la loi ne peut être empêché » (article 5). De ce principe

178
MELIN-SOUCRAMANIEN, Droit constitutionnel, Paris : Sirey, 2006, 25e édition, p. 507
179
Décision n°62-20 DC du 06 novembre 1962, Élection du Président de la République au suffrage universel
direct, Rec., p. 27.
découlent, se traduisent plusieurs libertés publiques (liberté individuelle, liberté d’opinion et de
religion).

 la sûreté, conçue comme une garantie contre l’arbitre et inspirée de l’Habeas corpus
britannique.

Ce principe n’a pas été défini en 1789. Il a fallu attendre la Déclaration girondine du 26
février 1793. Aux termes de l’article 10 de cette déclaration : « la sûreté consiste dans la
protection accordée par la société à chaque citoyen pour la conservation de sa personne, de ses
biens, et de ses droits ». L’article 7 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du
26 août 1789 dispose que « nul homme ne peut être accusé, arrêté ni détenu que dans cas
déterminés par la loi et selon les formes qu’elle a prescrites ». L’article 8 précise que « nul ne
peut être puni qu’en vertu d’une loi établie et promulguée antérieurement au délit et légalement
appliquée » et l’article 9 qui énonce que « tout homme est présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait
été déclaré coupable ».

 La propriété, principe au centre même de société libérale

Dans sa décision du 16 janvier 1982, Nationalisations, le Conseil constitutionnel a rappelé


toute l’actualité de ce principe. Pas plus que les autres, le principe de propriété n’est pas un droit
absolu. En conséquence, bien qu’inviolable et sacré, il peut être limité ou supprimé « sous
certaines conditions ».

 la résistance à l’oppression

L’article 35 de la Déclaration de 1793 « quand le Gouvernement viole les droits du peuple,


l’insurrection est pour le peuple (…), le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs
».

3. Le Préambule de la Constitution de 1946

Il proclame les « principes particulièrement nécessaires à notre temps ». Il s’agit


essentiellement des « droits de nature économique et sociale », comme l’égalité entre hommes
et femmes, le droit d’asile, le droit à la sécurité sociale….En réalité, ces « droit-créances»
imposent une action de l’Etat sous forme de prestation et impliquent une redéfinition
permanente des mécanismes de solidarité nationale et de redistribution des richesses entre les
membres de la société, de la Communauté.

4. Les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République (PFRLR)


Simplement mentionnée dans le préambule de la Constitution de 1946, mais leur délimitation
n’est pas précisée. On sait par les travaux préparatoires que la formule a été proposée par les «
démocrates chrétiens » pour protéger la liberté d’enseignement et pour beaucoup de
parlementaires, il s’agissait d’une simple clause de style. Aujourd’hui, la portée de cette
référence est importante. Le juge constitutionnel a décidé de lui donner un contenu concret et de
confronter les lois qui lui sont déferrées aux principes fondamentaux reconnus par les lois de la
République. Dans sa décision n°71-44 DC du 16 juillet 1971, Liberté d’association , le
Conseil constitutionnel, saisi par le Président du Sénat, conformément aux dispositions de
l’article 61 de la Constitution, considère « qu'au nombre des principes fondamentaux reconnus
par les lois de la République et solennellement réaffirmés par le préambule de la Constitution il
y a lieu de ranger le principe de la liberté d'association ».

En indiquant dans les visas « Vu la Constitution et notamment son préambule », le Conseil


constitutionnel place au même niveau le « corps de la Constitution », les « articles numérotés
», et son préambule ainsi que tous les textes auquel il renvoie. Par la formule « Considérant
qu'au nombre des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République et
solennellement réaffirmés par le préambule de la Constitution il y a lieu de ranger le principe
de la liberté d'association », il crée une nouvelle catégorie de norme constitutionnelle, « les
principes fondamentaux reconnus par les lois de la République ».

Au fil de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, la définition et le contenu des principes


fondamentaux reconnus les lois de la République, se sont précisés. Cette catégorie contient
désormais les normes de valeur constitutionnelle dont l’existence est constatée par le Conseil
constitutionnel à partir de textes législatifs pris sous les trois premières Républiques et avant
1946. Qualifiés de principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, ces
principes doivent être d’application constante depuis leur proclamation et s’analysent tantôt
comme des droits et des libertés destinés à garantir des libertés. Ont ainsi été consacrés au titre
des principes fondamentaux reconnus les lois de la République:

 Le principe de liberté d’association (Décision n°71-44 du 16 juillet 1971, Liberté


Association).

 Le principe des droits de la défense (Décision n° 76-70 DC du 2 décembre 1976,


Prévention des accidents au travail).

 Le principe de la liberté individuelle (Décision n°76-75 DC du 12 janvier 1977, «


Fouille des véhicules »).
 Le principe de la liberté de conscience (Décision n° 77-87 DC du 23 novembre 1977,
Liberté d’enseignement et de conscience).

 Le principe d’indépendance des professeurs d’université (Décision n°83-165 DC du 20


janvier 1984, « Libertés universitaires»).

 L’existence de la justice des mineurs (Décision n°2002-461 DC du 29 août 2002, « Loi


d’orientation et de programmation de la justice »).

 Le principe d’utilisation des lois locales Alsace et en Moselle « tant qu’elles n’ont pas
été remplacées par les dispositions de droit commun ou harmonisées avec elles »
(Décision n°2011-157 QPC du 5 août 2011, Société SOMODIA [Interdiction du
travail le dimanche en Alsace-Moselle]).

Au titre des principes destinés à garantir des libertés, ont été proclamées :

 Le principe de l’indépendance de la juridiction administrative (Décision n° 80-119 DC


du 22 juillet 1980, Validation d’actes administratifs)

 Le principe de la compétence de la juridiction administrative pour connaître de certains


contentieux (Décision n°86-224 DC, 23 janvier 1987, Conseil de la concurrence)

 Le principe de la compétence du juge judiciaire en matière de protection de la propriété


immobilière (Décision n°89-256 DC du 25 juillet 1989, « Urbanisme et
agglomérations nouvelles »).

La plupart des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République ont été dégagés
par Conseil constitutionnel. Cependant, il est arrivé au Conseil d’Etat d’en faire de même. Sous
la IVe République, le Conseil d’Etat a consacré au rang de principes fondamentaux reconnus
par les lois de la République, la liberté d’association ( CE, 11 juillet 1956, Amicale des
annamites de Paris). Par un arrêt Moussa Koné (CE, Ass., 3 juillet 1996, Koné), le Conseil
d’Etat, affirme le caractère de principe fondamental reconnu par les lois de la République du
principe selon lequel, l’Etat doit refuser une extradition lorsqu’elle est demandée dans un but
politique.

5. La Charte de l’environnement:

Dans une décision d’Assemblée du 3 octobre 2008, (CE, Ass., 3 octobre 2008, Commune
d’Annecy), le Conseil d’Etat rappelle la valeur constitutionnelle de la Charte de l’environnement
en considérant que « l’article 34 de la Constitution prévoit, dans la rédaction que lui a donnée la
loi constitutionnelle du 1er mars 2005, que « la loi détermine les principes fondamentaux (…)
de préservation de l’environnement », qu’il est spécifié à l’article 7 de la Charte de
l’environnement à laquelle le préambule de la Constitution fait référence en vertu de la même
loi constitutionnelle que « toute personne a le droit, dans les conditions et les limites définies
par la loi, d’accéder aux informations relatives à l’environnement détenues par les autorités
publiques et de participer à l’élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur
l’environnement ; que ces dernières dispositions comme l’ensemble des droits et devoirs définis
dans la Charte de l’environnement, et à l’instar de toutes celles qui procèdent du Préambule de
la Constitution, ont valeur constitutionnelle ; qu’elles s’imposent aux pouvoirs publics et aux
autorités administratives dans leurs domaines de compétences respectifs ». Il s’ensuit que la
Charte de l’environnement consacre les « droits-solidarité ».

6. Les principes de valeur constitutionnelle, dégagés par le juge constitutionnel, sans qu’ils
puissent se rattacher à un texte écrit ou être qualifiés de PFRLR).

Il en va ainsi de la continuité du service public, la protection de la santé et de la sécurité des


personnes et des biens ou la dignité de la personne humaine.

7. L’identité constitutionnelle de la France

Le Conseil constitutionnel français a intégré le principe de « l'identité constitutionnelle


française » dans les normes de référence du contrôle de constitutionnalité, en précisant que les
obligations de la France à l'égard de l'Union européenne « ne saurait aller à l'encontre d'une
règle ou d'un principe inhérent à l'identité constitutionnelle de la France, sauf à ce que le
constituant y ait consenti »180. C'est à partir de ce « bloc de constitutionnalité », des normes
législatives et réglementaires que la jurisprudence assure l'unité structurelle du droit, la
cohérence de l'ordre juridique. Le droit européen se heurterait-il à la quintessence de l’esprit
des principes inhérents à l’identité constitutionnelle de la France 181, c'est-à-dire, « ce qui est
expressément inscrit dans nos textes constitutionnels et qui nous est propre. […], ce qui est
inhérent à notre identité constitutionnelle, au double sens du terme « inhérent » : crucial et
distinctif ». Autrement dit essentiel à la République »182. « Outil à la fois malléable et

180
Décision n°2006-540 DC du 27 juillet 2006 relative au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de
l'information, Rec., p. 88.
181
Ibid.
182
« Echange de vœux à l’Elysée. Vœux du Président du Conseil constitutionnel, M. Pierre MAZEAUD, au
Président de la République. Discours prononcé le 3 janvier 2005 à l ’Elysée », Cahiers du Conseil
constitutionnel, n°18, 2005, p. 3-18.
symbolique »183, « la notion d’identité constitutionnelle de la France semble englober tout
autant la défense des particularités institutionnelles de la République que la protection des
droits fondamentaux »184. D’après Jean-Éric CHOETTL, l’« identité constitutionnelle » « ne
touche qu’à un petit nombre de matière (laïcité, égalité d’accès aux emplois publics…) sur
lesquelles il est douteux que l’Union entende interférer »185.

Cette idée d’identité constitutionnelle semble irradiée le droit constitutionnel contemporain. En


effet, on retrouve cette idée dans des nombreux ordres juridiques des États membres de l’Union
européenne. Ainsi, la Corte Costituzionle dénonçait déjà le « pouvoir inadmissible de violer les
principes fondamentaux de notre ordre juridique constitutionnel (…) »186. On peut dans le même
sens évoquer la décision de la Cour constitutionnelle allemande du 30 juin 2009 qui rappelle
« les domaines particulièrement sensibles pour la capacité d’autodétermination démocratique
d’un État constitutionnel »187. Il est aussi à noter que « les motifs de cette décision, au-delà son
dispositif validant le traité de Lisbonne, n’ont donc pas fini d’interpeller les juristes (…) »188. On
peut aussi remarquer que « les juges de Karlsruhe tentent de déterminer les limites absolues de
l’intégration européenne telles qu’autorisées par la Loi fondamentale allemande. Cet aspect du
jugement est fondamental et inédit: il tente de fixer juridiquement les limites du processus
politique »189. Le Rapport d’information de monsieur Hubert HAENEL, fait au nom de la
Commission des affaires européennes souligne que « l’arrêt Lisbonne précise et complète le
raisonnement développé par l’arrêt Maastricht (…) »190.

En revanche, il convient de relever que la doctrine dénonce cette décision en raison des
«constructions dogmatiques des principes de souveraineté de l’État et de démocratie et les

183
BLACHER (P.), PROTIERE (G.), « Le Conseil constitutionnel, gardien de la Constitution face aux directives
communautaires », RFDC, n°69, 2007, p. 135.
184
Ibid.
185
SCHOETTL (J.-E.), « Primauté du droit communautaire: l’approche du Conseil constitutionnel », EDCE,
n°2007-58, p. 389.
186
Cour constitutionnelle italienne, 27 décembre 1973, n°183, Frontini e Pozzani c/ Ministère des finances,
RTDE, 1974, p. 148
187
BVerfGE, 2 BvE 2/08, du 30 juin 2009, disponible dans sa version originale allemande et sa traduction sur le
site www.bundesverfassungsgericht.de
188
SIMON (D.), « La Cour de Karlsruhe et le traité de Lisbonne : oui mais …, Europe », août-septembre 2009,
Repère 8, p.
189
BARRIERE (A.-L.), ROUSSEL (B.), « Le traité de Lisbonne, étape ultime de l ’intégration européenne ? Le
jugement du 30 juin 2009 de la Cour constitutionnelle allemande, notre Comité d ’études des relations
francoallemandes » (Cerfa), IFRI, septembre 2009, p. 3.
190
HAENEL (H.), Rapport d’information n°119 sur l’arrêt rendu le 30 juin 2009 par la Cour constitutionnelle
fédérale d’Allemagne au sujet de la loi d’approbation du traité de Lisbonne, Sénat, Commission des affaires
européennes, 26 novembre 2009, p. 33.
conséquences néfastes pour le projet européen »191. On peut également évoquer la
jurisprudence du tribunal constitutionnel espagnol qui consacre l’obligation impérative de
respecter « principes fondamentaux de l’État social et démocratique de droit établi par la
Constitution nationale »192. Cette évolution conduit un certain nombre d’observateurs à se
demander si l’on s’oriente « vers la reconnaissance d’un droit à l’identité nationale pour les
États membres de l’Union »193. En tout état de cause, interprétée strictement, le principe de
l’identité constitutionnelle pourrait rapidement devenir un obstacle incontournable à toute
atteinte à « l’intangibilité de l’unité politique de l’État »199.

D’autres règles de valeur constitutionnelle ont été dégagées juridiquement.

Il s’agit des objectifs de valeur constitutionnelle qui doivent orienter l’action des pouvoirs
publics. Il va ainsi du maintien de l’ordre public, ou du droit de la personne de disposer d’un
logement décent. Notons aussi que le Conseil d’Etat reconnaît une valeur constitutionnelle au
Préambule de la Constitution de 1958 et constitutionnalise ce faisant, la Déclaration des droits
de l’homme et du citoyen. D’abord en 1959, le Conseil d’Etat considère que « les principes
généraux du droit résultant notamment du préambule s’imposent à toute autorité réglementaire
même en l’absence de dispositions législatives » (CE, 26 juin 1959, Syndicat des ingénieurs
conseils). Ensuite, dans un arrêt de Section du 12 février 1960 (CE, Sect., 12 février 1960,
Société Eky), la Haute juridiction pose le principe de l’unité de l’ensemble des normes
constitutionnelles en leur reconnaissant la même valeur juridique. Pour cela, il se réfère à
plusieurs sources, l’article 6 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 26
août 1789, l’article 34 de la Constitution du 4 octobre 1958.

Au Gabon comme en France, la Constitution du 26 mars 1991 est précédée d’un préambule
auquel la Cour constitutionnelle gabonaise a reconnu une valeur constitutionnelle. Dans une
décision du 28 février 1992 (Décision n°1/CC du 28 février 1992, relative à la loi organique
portant l’organisation et le fonctionnement du Conseil national de la communication ), le
juge constitutionnel gabonais a considéré que « la conformité d’un texte de loi à la Constitution
doit s’apprécier non seulement par rapport aux dispositions de celle-ci mais aussi par rapport
191
VON UNGERN-STERNBERG (A.), « L’arrêt Lisbonne de la Cour constitutionnelle fédérale allemande, la fin
de l’intégration européenne ? », RDP 2010, p. 172.
192
Tribunal constitutionnel espagnol, Déclaration, 13 décembre 2004, F. J. n°2 (DTC n°1/2004) ; notamment L.
BURGORGUE-LARSEN, « La déclaration du 13 décembre 2004 : un Solange II à l ’espagnole », Cahiers du
Conseil constitutionnel, 2005, n°18, p. 154-161.
193
MOUTON (J.-D.) « Vers la reconnaissance d’un droit à l’identité nationale pour les Etats membres de l ’Union
? », in La France, l’Europe et le monde, Mélanges en l’honneur de J. Charpentier, Paris, Pedone, 2008, p. 409 199
PIERRE-CAPS (S.), « La protection des minorités et l’ordre juridique français », Presses universitaires de
Nancy, 2 tomes, 1987, p.105.
au contenu des textes et normes de valeur constitutionnelle énumérés dans le préambule de la
Constitution, auxquels le peuple gabonais a solennellement affirmé son attachement et qui
constituent, avec la Constitution, ce qu’il est convenu d’appeler le bloc de constitutionalité ; ».

Ainsi, le bloc de constitutionalité est composé de:

 Le corps ou texte de la Constitution du 26 mars 1991.

 La Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789.

 La Déclaration universelle des Droits de l’Homme de 1948.

 La Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples de 1981.

 La Charte Nationale des libertés de 1990.

Pour résumer, la Constitution se ramène, d’un point de vue strictement matériel, à


l’ensemble des règles de production normes générales et abstraites, des règles organisant les
pouvoirs publics, le fonctionnement des institutions ainsi que les droits et les libertés des
individus. Cet ensemble de normes existe alors dans tout ordre juridique. En conséquence, on ne
saurait dénier une Constitution à la Grande-Bretagne. La Constitution britannique est
coutumière et non écrite ce qui fait dire à certains que « le régime anglais est dernier bastion
occidental de résistance à la modernité juridique »194. Edmund BURKE considérait que la
Constitution anglaise « est excellente parce qu’elle est l’œuvre des siècles  ». C’est à ce
compliment que souscrivait, semble-t-il, François MITTERRAND dans son discours à
Westminster Hall en 1984, en affirmant : « la meilleure façon de ne pas déchirer les
constitutions consiste, peut-être, à ne pas les écrire ». Les règles coutumières relatives à la
dévolution et à l’exercice du pouvoir reposent sur la répétition, sans discontinuité véritable et
pendant une certaine durée, de précédents recueillant un très large consensus, pour ne pas dire
l’assentiment général. En somme, « la coutume constitutionnelle consiste en un usage politique
considéré comme juridiquement obligatoire »195. Dans le domaine constitutionnel comme dans
toutes les autres branches du droit, la coutume suppose la réunion de deux éléments, l’un
matériel, l’autre psychologique. L’élément matériel et objectif est l’existence d’une pratique, d’un
usage, la répétition constante et claire de précédents que traduit le fameux dicton « une fois n’est
pas coutume ». L’élément psychologique et subjectif, que l’on appelle opinio juris, est la
croyance dans le caractère obligatoire de cette pratique. Ces deux conditions cumulatives sont
194
LE POURHIET (A.-M.), Droit constitutionnel, Economica, 2007, p. 61.
195
Ibid., p.59.
nécessaires à l’existence d’une règle coutumière, que l’une vienne à manquer et elle ne saurait
être reconnue.

Par exemple, certains ont prétendu que l’usage par le Général DE GAULLE de l’article 11 de la
Constitution de 1958 à la place de l’article 89 pour réviser celle-ci aurait créé une coutume en ce
sens. Or, les deux critères d’une coutume manquent ici : d’une part cette procédure n’a été
utilisée que deux fois, en 1962 et en 1969, et la seconde fut un échec, on ne peut donc parler de
répétition constante et claire ; d’autre part cet usage a été vivement contesté tant par les acteurs
politiques que par la doctrine constitutionnaliste, l’opinio juris est donc également absent. Il ne
peut donc y avoir de coutume constitutionnelle au sens normatif que lorsque les acteurs
politiques considèrent l’usage qu’ils pratiquent régulièrement comme obligatoire, c’est-à-dire,
qu’ils estiment que toute pratique contraire serait inconstitutionnelle. Il va de soi que les
coutumes sont très imprécises et partant très incommodes, car on ne sait jamais très exactement
quand elles entrent en application et quand elles tombent en désuétude, le seuil nécessaire de
durée étant aussi difficile à déterminer dans un cas que dans l’autre. Il est également certain que
l’on peut donner de la Constitution coutumière qu’une définition matérielle mais on observera
que la Constitution entendue au sens matériel ne s’identifie pas avec la Constitution coutumière
car elle peut aussi comporter, et parfois exclusivement, des règles écrites. Actuellement, les
constitutions coutumières sont rares puisqu’elles appartiennent au passé, à quelques exceptions
près. Le seul problème que pose la coutume de nos jours, c’est celui de son rôle dans les Etats à
constitution écrite, c’est-à-dire une constitution dotée d’une certaine rigidité, existence d’un
organe de révision spécifique se déterminant, le plus souvent, selon une procédure également
spécifique. Ces constitutions ne peuvent, en effet, tout prévoir ni tout régler et leurs lacunes
laissent des places vides que des règles coutumières peuvent remplir et qu’à défaut la pratique
politique viendra combler.

Deux règles permettent de résoudre les difficultés susceptibles de se présenter quant au rôle des
règles coutumières dans les Etats à constitution écrite.

 la coutume ne peut jamais modifier ou abroger une disposition constitutionnelle écrite


et précise

 la coutume peut, dans certaines conditions, ajouter à la Constitution écrite en cas de


silence, et surtout permettre son interprétation en cas d’incertitude. Elle alors supplétive
ou interprétative. Elle est supplétive quand elle remplace purement et simplement une
Constitution écrite. Une telle affirmation suppose que l’on considère que la loi
constitutionnelle comme étant le mode normal d’établissement des constitutions, la
coutume n’exerçant alors exceptionnellement qu’une suppléance de la constitution
écrite.

II. La Constitution au sens formel : la procédure d’élaboration

La définition formelle de la Constitution prend en considération la forme qui permet de


l’élaborer. Au sens formel, la Constitution est un texte auquel les citoyens ont voulu conférer
une place prééminente, ce qui implique qu’elle soit établie et révisée selon une procédure
particulière (règles de la majorité qualifiée), empreinte d’un caractère solennel (consultation de
l’ensemble des pouvoirs législatifs). Il s’agit alors d’un acte élaboré de manière plus solennelle,
plus exceptionnelle que tous les autres actes juridiques. Cela vaut aussi bien pour l’élaboration
proprement dite que pour la révision de la constitution. Les modifications apportées à la

Constitution le sont par le « pouvoir constituant dérivé (ou institué)» qui est donc celui de
réviser une Constitution existante selon les formes et les mécanismes prévus par cette
Constitution. Elle ne saurait en effet être perçue comme un texte immuable (« les constitutions
ne sont point des tentes dressées pour le sommeil »), mais au contraire comme un écrit en phase
avec les attentes, les aspirations des citoyens, les évolutions politiques et sociétales du pays.
L’intervention du « pouvoir constituant dérivé » représente en quelque sorte la capacité
d’adaptation du texte suprême symbolisant ce faisant sa vitalité, condition de sa pérennité.

Ainsi, quand on évoque le concept de « Constitution formelle », ce n’est plus le contenu de la


norme fondamentale qui importe, mais sa forme. La Constitution formelle se définit donc par
rapport aux procédures d’élaboration de la norme fondamentale et signifie que certains principes
ont valeur constitutionnelle car ils ont été intégrés à la Constitution en respectant une certaine
procédure.

Dans sa conception formelle ou organique, la Constitution se présente comme un document


dont l’élaboration et, le cas échéant, la modification obéissent à une procédure différente de la
procédure législative ordinaire. Dès lors, la Constitution formelle s’entend des règles qui, soit
ont reçu une forme distincte, soit ont été édictées ou ne peuvent être révisées que par un organe
spécifique. Plus précisément, la Constitution désigne un instrument « énoncé dans la forme
constituante et par l’organe constituant et qui, par suite, ne peut être modifié que par une
opération de puissance constituante et au moyen d’une procédure spéciale de révision »196.

Partant, la Constitution se présente comme l’ensemble des règles juridiques élaborées et


révisées selon une procédure supérieure à celle utilisée pour la loi ordinaire. De ce fait, la
Constitution est un acte élaboré de manière plus solennelle que les autres actes
juridiques202. Il s’ensuit que la Constitution est, tout à la fois, privilégiée et protégée:
privilégiée, en ce sens qu’elle est unique en son genre; protégée, dès lors qu’elle est hors
d’atteinte des autres normes qui, par définition, lui sont inférieures. Selon la théorie de la
hiérarchie des normes, chaque procédure spécifique définit une forme juridique ou une
catégorie normative. Il existera une forme constitutionnelle s’il existe une procédure spécifique
déterminant les normes explicitement qualifiées de constitutionnelles.

Par son existence même, du moins au sens formel, la Constitution s’oppose à l’arbitraire en ce
qu’elle définit l’Etat de droit où n’est possible que ce qui est conforme aux règles qu’elle pose 197.
C’est dans ce sens que le constitutionnalisme a historiquement joué un rôle majeur de limitation
du pouvoir. En effet, dans sa conception classique, le constitutionnalisme est considéré comme
un moyen de limiter le pouvoir des gouvernants.

Section 2 : L’élaboration et la révision de la Constitution

Si l’on considère la Constitution comme « l’instrument de la transparence du pouvoir, le point


d’ancrage fixe, public et stable de la vie politique et juridique d’un pays »198, il devient alors
impératif d’assurer sa stabilité même si, par ailleurs, la Nation doit préserver son « droit
imprescriptible de changer sa Constitution »199. L’institution d’un écrit traduit à coup sûr une
nécessité de stabilité déjà présente dans les écrits d’Adémar ESMEIN200. On retrouve cette
notion de stabilité lorsque le Doyen Maurice HAURIOU avance l’idée de l’existence de deux
constitutions, l’une relative à l’organisation et au fonctionnement de l’Etat, l’autre sociale
exprimant par la reconnaissance des droits et libertés aux citoyens, la philosophie de la

196
CARRE DE MALBERG (R.), Contribution à la théorie générale de l’Eta t, Paris, Sirey, 1922, p. 571 et
suivants. 202 Cela vaut aussi bien pour l’élaboration proprement dite que pour la révision de la Constitution.
197
PACTET (P.), Institutions politiques, Droit constitutionnel, 22e éd., Armand Colin, 2003, p. 65.
198
ROUSSEAU (D.), « Une résurrection: la notion de constitution », op. cit., p. 6.
199
C’est ce qui ressort de l’article 1 er du Titre VII « De la révision des décrets constitutionnels » de la
Constitution française du 3 septembre 1791. Le principe de la révisabilité de la Constitution est repris en des
termes plus prégnants dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de la Constitution montagnarde de
1793 : « un peuple a toujours le droit de revoir, de réformer et de changer sa Constitution et une génération ne
peut assujettir à ses lois les générations futures ».
200
ESMEIN (A.), Eléments de droit constitutionnel français et comparé 4e éd., Paris, Sirey, 1906, p. 471.
société201. Selon l’éminent juriste, la première se présente sous la forme d’un écrit institué tandis
que la seconde se réalise par l’écrit juridictionnel 202203. Aujourd’hui, la quasi-totalité des Etats
dispose d’une Constitution de type écrit même s’il est vrai que l’importance tient moins à la
forme écrite qu’à l’existence d’un organe de révision spécifique se déterminant selon une
procédure également spécifique. D’ailleurs, « les vraies constitutions ne sont-elles pas les
constitutions rigides ? »209.

En somme, « les constitutions ne sont point des tentes dressées pour le sommeil »210, elles ne
sont pas des textes immuables. Les lois constitutionnelles sont des textes écrits et élaborés par
un organe spécialisé dans la fonction de fournir un cadre juridique au pouvoir politique, de doter
l’Etat d’un statut. Cet organe spécialisé détient donc ce qu’on appelle le pouvoir constituant et
l’on nomme fréquemment cet organe soit le « pouvoir constituant » soit le « constituant » tout
court tout comme on parle du « législateur » pour désigner l’auteur des lois ordinaires.

Ce pouvoir constituant peut s’exercer dans deux conditions a priori très différentes: soit il
s’exerce à titre originaire pour poser une nouvelle constitution soit il s’exerce à titre dérivé pour
réviser celle qui existe. Mais cette distinction rencontre cependant des limites.

I. L’élaboration de la Constitution

L’établissement d’une Constitution relève du « pouvoir constituant originaire » (généralement


formé de personnalités politiques et juridiques) qui permet, par son intervention, la formation
d’un ordre juridique nouveau. Comblant un vide constitutionnel ou réorganisant le système
constitutionnel d’un Etat, « le pouvoir constituant originaire » se voit confier la mission de créer
ex nihilo une nouvelle Constitution dans un délai plus ou moins largement imparti. Ce pouvoir
peut emprunter des formules démocratiques ou moins démocratiques.

A. La notion de pouvoir constituant originaire

Le « pouvoir constituant originaire » est celui qui est à l’origine d’une Constitution donnée, c’est
le pouvoir d’établir les règles constitutionnelles c’est-à-dire le pouvoir de doter un Etat d’une

201
HAURIOU (M.), Droit constitutionnel, Sirey, 1929, p. 624.
202
Idem.
203
ROUSSEAU (D.), « Une résurrection: la notion de constitution », op. cit., p. 15. 210

ROYER-COLLARD (P.-P.), op. cit.


Constitution, un texte constitutionnel qui va fonder un nouvel ordre juridique. Il se manifeste ou
se produit dans plusieurs circonstances :

 Soit quand un Etat nouveau se crée, apparaît sur la scène internationale alors qu’il
n’existait pas auparavant (à la suite d’une sécession, d’une décolonisation, ou d’une
colonisation) et qu’il se dote donc de sa première Constitution.

Dans cette hypothèse, la liberté des titulaires du « pouvoir constituant originaire » est totale.
Tel est le cas, au cours des années 1960, dans les territoires sous dépendance coloniale française
ou anglaise notamment lorsqu’ils ont accédé à l’indépendance.

 Soit lorsqu’un Etat existant, donc déjà doté d’une Constitution, décide de changer de
régime politique en remplaçant la Constitution en vigueur par un nouveau texte.

Dans les régimes républicains ce changement est accompagné d’une modification de


numérotation de la République concernée. Ainsi, par exemple, la Constitution française de 1958
a marqué le passage de la IVe à la Ve République.

 Soit à l’occasion d’une guerre, en cas de résurrection d’un Etat que l’on a pu croire un
moment disparu. Il en va ainsi de l’Allemagne de l’ouest, après la défaite de 1945,
lorsqu’elle a adopté la loi fondamentale du 23 mai 1949.

1. Les modalités d’établissement de la Constitution

En pratique, le pouvoir constituant originaire s’exerce selon des très variables. En d’autres
termes, la mise en œuvre du pouvoir constituant originaire peut se faire selon plusieurs procédés
en vertu du contexte politique et de l’idéologie plus ou moins démocratique. Ce pouvoir peut
emprunter des formules démocratiques ou moins démocratiques.

 L’élaboration non-démocratique
Il s’agit d’un mode d’élaboration qui confie l’exercice du pouvoir constituant originaire au Chef,
au monarque, au dictateur ou encore à un groupe. L’élaboration de la Constitution exclut alors
toute participation populaire. Elle procède ainsi du geste unilatérale du titulaire du pouvoir qui
affirme détenir la souveraineté et impose lui-même une constitution au peuple. C’est fut le cas
de la charte de 1814 « octroyée »204 unilatéralement par Louis XVIII à ses sujets. Il faut
également rappeler qu’après un coup d’Etat, les vainqueurs élaborent souvent une constitution,
de leur propre initiative, sans l’assentiment populaire : Acte constitutionnel n°1 du 15 mars
2003, de la République centrafricaine rédigé par le Général BOZIZE après son Coup d’Etat.

 L’élaboration mixte : la « Charte négociée » de 1830

Cette procédure consiste pour le gouvernement provisoire (ultime gouvernement du régime


précédent ou gouvernement de fait), à élaborer lui-même, en s’entourant le cas échéant d’experts
et de conseils, un projet de constitution qu’il soumet ensuite à la ratification populaire. Dès lors,
le pouvoir constituant est exercé conjointement le monarque et le peuple. Le texte
constitutionnel résulte d’un pacte, d’un compromis ou de la transaction entre les forces en
présence (entre le monarque et le représentant de la nation). Cette procédure rapide à
connotation autoritaire, ou le referendum constituant prend parfois des allures plébiscitaires,
traduit souvent la présence d’un « homme fort » à la tête du gouvernement provisoire qui entend
imprimer lui-même la marque du nouveau régime. On peut ainsi citer la Charte française de
1814 « octroyée » par LOUIS XVIII, « en vertu de son bon plaisir » ; la Constitution accordée
à la Russie par NICOLAS II en 1905 ou encore de la Constitution de Monaco de 1911. On peut
aussi y ranger l’élaboration de la Constitution française du 4 octobre 1958. Le Général DE

GAULLE ayant obtenu l’accord de la classe politique, du parlement et de la nation sur les
grandes lignes du nouveau texte, le fit préparer par un groupe d’experts avant de le soumettre au
referendum. Les formules moins démocratiques peuvent aussi consister en pacte constituant
dont le contenu résulte d’un accord, d’une transaction entre l’assemblée (élue suffrage censitaire)
et le monarque. Il en va ainsi, en France, en 1830, de la « Charte négociée » par Adolphe
THIERS au nom des parlementaires et le futur LOUIS-PHILIPPE 1er.

204
La Constitution octroyée est le procédé employé en France, par LOUIS XVIII, à l ’occasion de la Restauration
de la monarchie en 1814 ou en Russie, par le Tsar NICOLAS II, en 1905.
 L’élaboration démocratique

Les modes d’élaboration démocratique sont ceux qui confient à une assemblée élue par
l’ensemble des citoyens le soin d’élaborer la Constitution. En désignant ainsi les membres de
l’assemblée constituante, le peuple est à même d’orienter l’élaboration de la Constitution.

De nos jours les Constitutions sont, en règle générale, élaborées suivant des voies
démocratiques parce que, idéalement, « une Constitution est l’œuvre d’un peuple libre »205 et « il
ne peut y avoir de Constitution que celle qui est acceptée par le peuple »213. Dans cette logique,
la norme fondamentale devrait donc être élaborée directement par le peuple; mais, les millions
d’individus qui composent, les sociétés politiques contemporaines rendent, de fait, la
représentation inévitable. En clair, plusieurs procédures plus démocratiques peuvent être
utilisées :

Il peut s’agir en premier lieu des techniques de démocratie directe : le peuple constituant.

Dans la mesure où le peuple est souverain, le pouvoir constituant originaire, c’est-à-dire le


pouvoir d’établir la Constitution, devrait lui appartenir. Quelquefois, le peuple aura donc la
faculté d’exercer ce pouvoir directement. Il en va ainsi, par exemple, d’une assemblée du peuple
comme l’Ecclésia de la Grèce antique ou la Landsgemeinde de certains Cantons suisses. Ceci
dit, ce procédé est, aujourd’hui, très exceptionnel et ne peut être envisagé que dans les sociétés
politiques susceptibles de pratiquer la démocratie directe.

Il peut s’agir ensuite des techniques de démocratie représentative : les Assemblées constituantes.
En règle générale, le pouvoir constituant du peuple s’exerce indirectement, c’est-à-dire au
moyen de la représentation. L’avènement d’une société au sein de laquelle les gouvernants
puisent leur autorité dans le consentement des gouvernés prend ici tout son sens. Dans la
pratique, le principe veut qu’une Assemblée constituante, dont la mission est d’élaborer une
nouvelle Constitution, soit élue. Les constituants ayant été désignés par le peuple, celui-ci est
par suite, associé implicitement à son élaboration. Cette assemblée peut être uniquement
constituante, en d’autres termes avoir été désignée avec comme tâche exclusive la
rédaction d’une nouvelle Constitution (Assemblée constituante ad hoc)206, ou elle peut être
constituante et législative, c’est-à-dire non seulement exercer la mission constituante, mais
205
ZOLLER (E.), Droit constitutionnel, PUF, Paris, 1999, 2ème éd., p.
62. Décret du 21 septembre 1792 adopté par la Convention nationale.
206
Ainsi, la Constitution des États-Unis du 17 septembre 1787 a été élaborée par la Convention de Philadelphie,
spécialement réunie à cet effet.
également être chargée d’adopter les lois ordinaires et de préparer la mise en place des
futures institutions207.

Il en va ainsi de l’élaboration du texte constitutionnel par les gouvernants avec ratification (ou
rejet) du projet soit par une assemblée parlementaire comme 10 juillet 1940 en France, soit par
le peuple comme le 28 septembre 1958 en France (élaboration du projet de la constitution de
1958 par un comité consultatif constitutionnel). Dans cette dernière hypothèse, le référendum
constituant prend principalement la forme d’un plébiscite n’offrant guère la possibilité de
débattre sur la nature des institutions proposées (Constitutions françaises de l’An VIII, de l’An
X, de l’An XII et Charte de 1815).

Il peut s’agir par ailleurs de la réunion d’une assemblée élue par le peuple , une assemblée
constituante spécialement élue par les citoyens, constituée spécialement pour l’occasion, dotée
d’un pouvoir uniquement constituant (Assemblée constituante ou Convention) et disparaissant
une fois sa mission accomplie (cas des Etats-Unis avec la Convention constituante de
Philadelphie réunie à compter du 21 février 1787, cas de la France en 1789 avec les députés de
la Constituante qui ont été déclarés inéligibles à l’Assemblée législative de 1791).

Il peut s’agir enfin de la réunion d’une Assemblée constituante et législative recevant en


substance une double mission. L’une très circonstancielle consistant dans l’élaboration d’un
projet de Constitution, l’autre plus pérenne résidant dans le vote des lois ( cas de la France en
1789, en 1848, en 1875, en 1946).

La dernière formule est souvent combinée avec l’intervention populaire pour élire, d’une part
l’assemblée, d’autre part, pour ratifier le texte lui-même (Constitutions françaises de 1791, de
1793 et de 1946).

Il faut également mentionner les hypothèses où, du fait des circonstances historiques très
particulières, la Constitution d’un Etat n’est pas souverainement décidée par lui mais imposée et
même parfois rédigée par des puissances étrangères ou internationales. Ainsi, le Constitution
japonaise de 1946 a-t-elle été dictée par le général américain MAC ARTHUR tandis que la
Constitution bosniaque du 14 décembre 1994 a été arrêtée par le président des Etats-Unis
d’Amérique et des représentants des communautés serbe et bosniaque.

207
Cette solution a été retenue en France avec, par exemple, l’Assemblée nationale constituante de 1789.
On retiendra que le plus souvent, la Constitution est adoptée par une assemblée représentative,
à savoir l’Assemblée constituante. La tradition démocratique exige, toutefois, qu’un document
d’une telle importance soit soumis à la ratification des citoyens, c’est-à-dire au référendum. En
d’autres termes, le texte élaboré par l’Assemblée constituante est soumis au peuple afin que
celui-ci le ratifie208. On retiendra aussi que le procédé plus démocratique est certainement celui
qui soumet au peuple pour ratification, le projet élaboré par une assemblée constituante. Le
peuple intervient ainsi une première fois, au début du processus, pour désigner ses
représentants, puis une seconde fois, tout à la fin, pour entériner ou rejeter. Cette formule est la
plus démocratique puisque la présence populaire s’y manifeste à la fois dans la rédaction et
l’adoption finale mais c’est aussi la plus lourde.

2. Les caractéristiques du pouvoir constituant originaire

a) Le pouvoir constituant originaire présente trois caractéristiques majeures :

Il est tout d’abord initial dans son fondement en ce sens qu’il existe avant la Constitution, il
lui est antérieur et extérieur puisque c’est lui qui la fait. Le pouvoir constituant originaire ne
procède d’aucune autorité établie, aucun texte ne l’organise, il est totalement spontané, il est un
fait. Il se situe ainsi en dehors du droit positif, c’est-à-dire des règles en vigueur, et répond à la
seule nécessité de doter l’Etat d’un statut en harmonie avec les aspirations de la société (ou de la
classe dominant, pour les adeptes de l’instrumentalisation de l’Etat). Son fondement se trouve
donc tout simplement dans le souveraineté. Selon l’école normativiste de Hans KELSEN, on
doit imaginer l’existence d’une Grundnorm, c’est-à-dire une norme fondamentale, supposée et
invérifiable, qui habilite le constituant à faire une constitution, à poser des règles
constitutionnelles. Quant à la détermination de l’auteur de cette norme, elle est laissée à la
croyance de chacun (Dieu, nature, contrat social, force…).

Il est ensuite inconditionné dans son exercice puisque n’étant prévu ni organisé par aucun texte
préexistant, il est mis en œuvre spontanément et directement par le détenteur de la souveraineté.
Aucune procédure n’est préalablement dictée au pouvoir constituant originaire qui s’exerce donc
selon les modalités empiriques choisies par les dirigeants en place, qu’il s’agisse des
208
En 1958, le général DE GAULLE a fait usage de cette procédure pour faire ratifier la Constitution de la Vème
République.
gouvernants de droit issus de la Constitution précédente (Assemblée nationale en 1958, en
France), ou de gouvernants de fait (Gouvernement provisoire de la République française en
1944-1945).

Il est enfin illimité dans le fond et dans le temps. Sur le fond, il peut édicter valablement toutes
les règles constitutionnelles qu’il juge bonnes, aucune borne supérieure ne lui est fixée. A moins
d’admettre les thèses jurisnaturalistes qui affirment que la Constitution doit respecter et garantir
des droits naturels qui lui préexisteraient et donc de céder à l’idée de supraconstitutionnalité,
le constituant peut décider absolument tout ce qu’il souhaite puisqu’il exprime précisément la
souveraineté. Dans une décision du 2 septembre 2005, le Conseil constitutionnel français a
considéré que « le pouvoir constituant est souverain, qu’il lui est loisible d’abroger, de modifier,
ou de compléter des dispositions de valeur constitutionnelles dans la forme qu’il estime
appropriée », même si cette double consécration du pouvoir constituant originaire et du pouvoir
constitué intervient « sous réserve d’une part des limitations touchant aux périodes au cours
desquelles une révision de la Constitution ne peut être engagée ou poursuivie qui résultent des
articles 7, 16 et 89 du texte constitutionnel et, d’autre part, du respect des prescriptions de
l’alinéa 5 de l’article 89 en vertu desquelles « la forme républicaine du gouvernement ne peut
faire l’objet d’une révision » ». Les Professeurs Louis FAVOREU et Loïc PHILIP
s’interrogent tout de même sur la logique d’affirmer que « le pouvoir constituant est souverain
et de préciser aussitôt qu’il doit respecter les limites fixées par le texte constitutionnel, surtout
si le respect de ces limites doit être assuré par le juge ? Si le pouvoir constituant est souverain,
il peut méconnaître les limites qu’il s’est lui-même fixées, mais alors à quoi bon rappeler celles-
ci de manière aussi précise et en interprétant même certaines dispositions constitutionnelles
(l’article 16) de façon aussi extensive e pouvoir constituant est souverain »

Au regard du droit international cependant, le principe de continuité de l’Etat, qui ne disparaît


évidemment pas sa constitution, veut que celui-ci reste tenu par ses engagements, malgré le
changement de régime, sauf à les dénoncer dans les formes. Logiquement donc, une nouvelle

Constitution qui serait contraire à des traités antérieurs exposerait l’Etat concerné à des
sanctions internationales.
Dans le temps, le pouvoir constituant originaire est également illimité : il peut s’exercer à tout
moment sans aucune condition de délai ni de circonstances particulières. Le souverain peut
donc tout faire quand il le veut… à condition d’être vraiment souverain, ce qui n’est plus
vraiment le cas aujourd’hui pour des nombreux Etats dont les constitutions sont, en réalité, plus
ou moins dictées par la pression d’instances internationales ou européennes. Beaucoup de pays
« émergents » se voient, en effet, condamnés à solliciter soit l’aide internationale ou étrangère
soit, pour ce qui est des pays d’Europe centrale et orientale (PECO) à réclamer leur adhésion au
Conseil de l’Europe et à l’Union européenne. Cette dépendance les contraint à se soumettre aux
standards constitutionnels imposés par les bienfaiteurs et donc à accepter une limitation de leur
souveraineté, quitte d’ailleurs à ce que le respect des standards prescrits n’apparaisse parfois que
sur le papier.

B. La révision de la Constitution

La Constitution est, par définition, un texte évolutif. C’est pourquoi, même s’il est impératif
d’assurer la stabilité de la Constitution, qui est « l’instrument de la transparence du pouvoir, le
point d’ancrage fixe, public et stable de la vie politique et juridique d’un pays », la nation doit
préserver son « droit imprescriptible de changer sa Constitution ». Les constitutions ne sont pas
donc immuables. Elles doivent évoluer avec leur temps. En effet, la Constitution, comme toute
chose humaine, subit l’usure du temps et ne peut être immuable 209. Elle doit donc pouvoir être
modifiée en fonction de l’évolution de la société et des nouvelles réalités sociales, des mœurs et
des aspirations politiques. D’un point de vue juridique, la modification apportée à une
Constitution correspond à la « révision » de la Constitution. Plus précisément, la révision
consiste à corriger la Constitution par suppression, adjonction ou modification. En d’autres
termes, réviser la Constitution, c’est réélaborer le texte constitutionnel ou, du moins, une partie
de ce texte.

209
Le Roi HASSAN II du Maroc, à l’occasion de sa réception à l ’Assemblée nationale le 7 mai 1996, a
développé la métaphore du vêtement à propos de la Constitution : « Un vêtement se dessine et se coud en
fonction des formes et des mesures de celui qui devra le porter. Bien plus, celui que l ’on habille ne gardera pas
immuablement la même silhouette ».
D’un point de vue formel, la révision est l’œuvre du « pouvoir constituant dérivé »210. À vrai
dire, l’expression « pouvoir constituant dérivé » désigne la capacité de modifier une
Constitution déjà instituée. Autrement dit, le pouvoir constituant est dit « dérivé » lorsqu’il
intervient dans un contexte de continuité constitutionnelle, soit par amendement de la
Constitution en vigueur, soit par révision d’ensemble, mais conformément à la procédure par
elle établie et en faisant appel aux organes qui ont été constitutionnellement habilités à réviser la
Constitution. Dans cette hypothèse, c’est toujours le pouvoir constituant qui est mis en œuvre,
mais ce pouvoir est prévu par la Constitution, il dérive de celle-ci, d’ou le nom de « pouvoir
constituant dérivé ». L’étude de la révision de la Constitution doit nous conduire à examiner la
notion de pouvoir constituant dérivé avant d’étudier sa mise en œuvre.

1. La notion de pouvoir constituant dérivé

Le pouvoir constituant dérivé est celui, non plus de créer une nouvelle constitution mais,
seulement de réviser celle qui existe, selon modalités et dans les limites fixées par la
constitution en vigueur. Il en résulte que ses caractéristiques sont diamétralement opposées à
celles du pouvoir constituant originaire : il est secondaire dans son fondement, conditionné dans
son exercice et peut être limité dans le fond et dans le temps.

Il est secondaire en ce sens qu’il trouve sa source, son fondement dans la constitution existante,
donc dans le droit positif. Il est dérivé de la constitution et non pas initial et autonome.

Il est conditionné car il doit s’exercer suivant les modalités prévues par la constitution en
vigueur.

La mise en œuvre du pouvoir de révision est conditionnée par la nature même de la Constitution.
De ce point de vue, on oppose traditionnellement les Constitutions souples aux Constitutions
rigides.

C’est la constitution qui détermine l’organe compétent pour décider la révision ainsi que la
procédure qu’il devra suivre. Cet organe peut être celui qui adopte les lois ordinaires et la
révision peut se faire selon la procédure législative normale, on dit alors que la constitution est
souple, c’est-à-dire qu’elle aisément modifiable. La Constitution est alors souple lorsqu’elle peut
être révisée par les organes et selon la procédure servant à l’adoption des lois ordinaires. Dès

210
À la place de cette dénomination, certains auteurs préfèrent les appellations suivantes : « pouvoir constituant
institué », « pouvoir constituant constitué », « pouvoir de révision constitutionnelle », « pouvoir de révision de la
Constitution » ou, simplement, « pouvoir de révision ».
lors, il n’y a pas de différence entre la Constitution et la loi ordinaire, de sorte que le législateur
ordinaire a la possibilité de modifier à sa guise les règles constitutionnelles. En d’autres termes,
la suprématie de la Constitution n’est alors qu’un mot car il n’y a pas de différence entre les lois
constitutionnelles et les lois ordinaires. La supériorité de la loi constitutionnelle sur la loi
ordinaire ne débouche sur aucune conséquence juridique pratique dans la mesure où la
Constitution occupe le même rang que la loi dans la hiérarchie des normes. Compatible avec
une certaine conception de l’État de droit (ex. : Royaume-Uni211, Nouvelle-Zélande, Israël,
Chine …), la souplesse (excessive) d’une Constitution peut être dangereuse pour les droits
fondamentaux des citoyens parce qu’elle permet de faire plier le droit devant les volontés de la
majorité politique du moment.

Au contraire, le pouvoir de révision peut être confié à un organe distinct du législateur habituel
(assemblée constituante ad hoc et/ou ratification populaire, par exemple) et soumis à une
procédure spécifique plus solennelle avec des conditions d’adoption plus difficiles (majoritée
renforcée notamment), on dit alors que la constitution est rigide c’est-à-dire qu’elle ne se
révise pas facilement. La Constitution rigide est alors une Constitution qui ne peut être
modifiée que selon des formes et des procédures spéciales (ex. : délais plus longs, majorités
qualifiées, organes spécifiques …), différentes de celles utilisées pour la loi ordinaire. En
d’autres termes, la révision de la Constitution fait intervenir un organe et une procédure
spécifiques et, surtout, différents de la procédure législative ordinaire, ce qui signifie que
la Constitution ne peut, en principe, être modifiée par la loi ordinaireElle ne peut être
révisée que par un organe distinct et selon une procédure spécifique, différente de la
procédure législative ordinaire. Les constitutions sont alors plus rigides lorsque les
procédures de révisions sont spécifiques et complexes212. Ainsi, la Constitution, dont la
révision est plus difficile à mettre en œuvre, bénéficie d’une force juridique qui la situe à la
première place dans la hiérarchie des normes213. Ici, la Constitution correspond à un
instrument « énoncé dans la forme constituante et par l’organe constituant et qui, par
suite, ne peut être modifié que par une opération de puissance constituante et au moyen
d’une procédure spéciale de révision ».

Cette rigidité est nécessaire à une correcte distinction entre pouvoir constituant et pouvoir
constitué et donc à la supériorité effective de la constitution sur les lois ordinaires. Mais elle est
211
Au Royaume-Uni, le Parlement est souverain, puisqu’il n’est limité par aucune disposition supérieure. Pour
preuve, le célèbre dicton selon lequel « le Parlement peut tout faire, sauf changer un homme en femme ».
212
La Constitution gabonaise du 26 mars 1991 et la Constitution tchadienne du 31 mars 1996 sont rigides.
213
Si, comme le dit Raymond CARRE DE MALBERG, la Constitution est une loi possédant une puissance
renforcée, sa suprématie sera d’autant mieux assurée que son texte sera difficile à modifier.
aussi favorable à la stabilité du régime et à la permanence des institutions. Un texte
constitutionnel révisé à chaque instant perd son prestige et son autorité mais contribue aussi à
déstabiliser le lien politique.

Le pouvoir constituant dérivé peut être limité dans le fond et dans le temps si la constitution
prévoit de telles limites à sa révision.

Le texte constitutionnel peut d’abord interdire de modifier certains aspect du régime.


Ainsi, par exemple, la Constitution française du 4 octobre 1958 interdit-elle de remettre en
cause la « forme républicaine du gouvernement », tandis que la Constitution allemande prohibe
toute modification du caractère fédéral, démocratique et social de l’Etat ainsi que du principe de
dignité de l’être humain. A l’inverse, la Constitution marocaine interdit toute révision de la
forme monarchique de l’Etat et de ses dispositions relatives à la religion musulmane. Mais
la Constitution peut aussi fixer les limites à sa révision dans le temps. Elle peut imposer, par
exemple, le respect d’un certain délai pour initier des amendements après sa promulgation ou
après une précédente révision (Constitution française de 1791 ou Constitution portugaise
actuelle), ceci pour assurer une certaine stabilité des institutions. Elle peut aussi interdire de
mener une révision constitutionnelle dans certaines circonstances comme l’occupation du
territoire, la vacance de la présidence de la République (Constitution française du 4 octobre
1958) de façon à éviter la tentation de renverser le régime quand celui-ci est fragilisé (cas de la
France en juillet 1940).

Il en résulte que l’emploi des adjectifs « souple » ou « rigide » caractérise la facilité ou la


difficulté de la révision. On retiendra aussi que la distinction pouvoir constituant originaire et
pouvoir constituant dérivé, impliquant la subordination du second au premier, si elle est
séduisante en théorie et le plus souvent effective en pratique, soulève cependant quelques
difficultés majeures.

Il ne faut pas confondre la distinction Constitution souple/rigide avec la distinction Constitution


écrite/coutumière. Normalement, il y a concordance entre ces deux distinctions, c’est-à-dire
qu’une Constitution écrite est habituellement rigide, et une Constitution coutumière une
Constitution souple. Mais, il n’en est toujours pas ainsi car une Constitution coutumière n’est
pas nécessairement souple, ni une Constitution écrite obligatoirement rigide. Ainsi, sous
l’Ancien Régime, le Roi de France, qui était le législateur ordinaire, n’aurait pu modifier les «
Lois fondamentales du Royaume » sans réunir les États généraux. Inversement, les Chartes de
1814 et 1830 étaient écrites, mais souples, et le comte de VILLELE put porter la durée d’une
législature à sept ans par une loi ordinaire, alors que l’article 37 de la Charte de 1814 l’avait
établie à cinq ans.

3. La mise en œuvre du pouvoir constituant dérivé

« Un peuple a toujours le droit de revoir, de réformer et de changer sa Constitution. Une


génération ne peut assujettir à ses lois les générations futures », proclamait l’article 28 de la
Déclaration des droits de 1793. Malgré tout, certaines limites au pouvoir de révision de la
Constitution sont, parfois, instituées car une liberté totale dans l’exercice du pouvoir de révision
serait une source d’instabilité institutionnelle. Ainsi, la Constitution peut limiter, de manière
expresse, les pouvoirs de l’organe de révision sur deux points : d’abord quant au moment de la
révision, ensuite quant à l’objet de la révision. Il faut déterminer l’organe compétent pour
procéder à la révision avant de voir les procédures et les limites à la révision.

a) Les organes compétents pour procéder à la révision de la Constitution

Il existe une variété de situations possibles, qu’on peut ramener à deux catégories avec des
nombreuses variantes.

La première catégorie, ce sont les représentants élus qui sont investis, seuls et de manière
exclusive, du pouvoir constituant dérivé.

Selon une première modalité, ces représentants peuvent avoir été élus spécialement pour
procéder à la révision. Ils composent alors une convention, d’après une terminologie américaine.

Selon une autre modalité, il s’agit de représentants composant les assemblées parlementaires
qui, selon le cas, peuvent siéger dans une formation différente.

Dans une seconde catégorie, sont investis du pouvoir constituant dérivé, d’une part les
représentants élus, d’autre part, soit le peuple qui se prononce par voie référendaire, soit dans les
fédéraux, les Etats fédérés qui se prononcent par le biais leurs chambres.

b) Les procédures de révision de la Constitution


Il convient de distinguer la question de l’initiative, de l’adoption et enfin des limites à la révision
de la Constitution.

 L’initiative de révision appartient le plus souvent soit aux organes exécutifs comme
durant les empires en France, soit organes parlementaires (Constitutions de 1791 et de
l’An III), ou encore à ces instances concurremment (IIIe et Ve Républiques).

Les articles 89, 116 et 223 respectivement des Constitutions française, gabonaise et tchadienne
reconnaissent l’initiative de la révision à ces instances concurremment (concurremment au
Président de la République sur proposition du Premier ministre et aux membres du Parlement).
Plus rarement, elle peut être reconnue à une fraction du peuple comme en Suisse (une pétition
revêtue de 100.000 signatures au moins suffit à déclencher le processus de révision de la
Constitution sur le plan fédéral.

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