Traduction Barlaam Et Josaphat
Traduction Barlaam Et Josaphat
Traduction Barlaam Et Josaphat
9. Il vint un jour, comme Josaphat était allé jouer, où il rencontra deux hommes
dont l’un était lépreux / malheureux et l’autre était aveugle. Et aussitôt qu’il les
vit, il en fut très triste en son cœur, et dit / demanda à ceux qui étaient avec lui :
« Qui sont ceux qui sont hideux à regarder ? » Ceux-ci virent bien qu’ils ne lui
purent / pouvaient cacher les choses qui adviennent aux gens corrompus et de
mauvaise constitution du corps. {Ils lui dire ce qu’ils étaient}. Et Josaphat leur
dit : « Ces maladies adviennent-elles à tous les hommes ? ». Ils lui répondirent à
ce moment-là et dirent : « Sire / Seigneur, elles n’adviennent pas communément
à tous, mais elles adviennent aux uns qui sont malades par abondance de
mauvaise humeur ». Et Josaphat leur dit : « Puisque ces choses n’adviennent pas
à tous les hommes, peut-{on} donc connaître, dès qu’ils naissent, de quelconque
manière, le monde auquel elles doivent advenir, ou elles viennent délibérément
(et) pareillement aux uns comme aux autres ? » Ceux-ci répondirent à cette
parole et lui dirent : « Sire / Seigneur, qui pourrait savoir avec certitude les
[275rb] choses qui sont à venir ? C’est une chose qui trépasse la nature humaine
et qui a trait seulement aux dieux, non pas à l’homme mortel ». Là-dessus,
Josaphat arrêta de les questionner mais il fut très triste en son cœur à cause de
ce qu’il avait vu, et tant qu’il pensa et nuit et jour qu’il en devint tout pâle, et
pour la fragilité de la nature humaine et la chose qu’il n’avait pas apprise à voir.
Il ne demeura guère près de ces choses, ainsi il alla / allait de nouveau jouer, il
advint qu’il trouva un homme si vieux qu’il avait toute la face froncée et était
courbé et tous ses cheveux étaient blanc et (il était) sans dents, ni ne pouvait
parler sans peine. Quand Josaphat le vit, il s’en ébahit entièrement et s’en
approcha, comme celui qui est très désireux de savoir quelle merveille (qui
suscite l’étonnement, par son caractère étrange, surprenant) c’était. Et ceux qui
avec lui étaient lui dire : « Celui que tu vois ici est si vieux que ses membres lui
sont tout défaillants à cause de la vieillesse, ainsi qu’il n’a plus en lui aucune
vertu. Et c’est pourquoi il en est arrivé à être si chétif comme tu vois ». Et
Josaphat leur dit : « A quelle finalité advient celui-ci ? » Ils lui répondirent : « Il
n’attend plus que la mort ». Et Josaphat leur dit : « Tous les autres hommes
seront-ils aussi malmenés / mal lotis ? » Ils lui répondirent : « Si la mort ne les
devance pas, il ne puet estre que tuit ne vengnent a ceste prueve ». Josaphat
[275va] leur dit : « A présent donc, (vous) me dites que quand (on) en vient à
cette chétiveté ainsi il existe nulle façon d’agir par quoi (on) en puisse
échapper ». Ils lui répondirent : « A la 80 ou à la cinquantaine les hommes (en)
viennent à cette vieillesse et puis se meurent, (il) ne peut en advenir autrement,
car chacun doit naturellement cette dette à la mort. Et parce que nul ne la peut
éviter ». Quand Josaphat ouït ces choses entendues et vues, il commença à
soupirer très profondément et (à) dire en lui-même : « Maintenant, pour la
première fois, je reconnais bien que cette vie est mauvaise et pleine de douleur
et d’amertume. Et comment pouvons-nous être assuré en ce siècle, puisqu’il
convient que chacun meure et non seulement en sa vieillesse. Ainsi est, et
comme ceux-ci me disent, {chacun} chaque jour est en péril de mort, de même
les jeunes comme les vieux ».
Depuis ce moment Josaphat ne put oublier la mort, mais tout aussitôt, quand on
le sommait de faire quelque joie, il se disait à lui-même : « Donc ne mourais-
je ? » Et qui se souviendra de moi après ma mort ? Puisque le temps met tout en
oubli et puisqu’il convient que je meure et que je devienne néant, est-il nulle
autre vie ou nul autre monde où je puisse aller ? Il pensait tant [275vb] à ces
choses et aux autres qu’il en était tout pâle. Mais quand il venait devant son
père, il paraissait heureux et épanoui parce qu’il ne voulait pas que son père
découvre sa pensée. Et il était désireux et convoiteux de trouver qui que ce soit
qui quelque parole lui donnerait, et qui de quelque bien le certifierait que sa
tristesse serait amenuisée. Et demandait souvent à son serviteur s’il connaissait
quiconque qui le put conseiller / aider de ce dont était en si grand état
d’inconfort. Et celui-ci lui disait qu’il n’en connaissait nul en toute la terre, car
ses ancêtres avaient détruit et exilés les moines et les ermites qui avaient
l’habitude de prêcher de telles choses. De cette chose, Josaphat fut très triste et
très navré en son cœur, et resambla l’o(m)me qui avoit le grant tresor perdu et
qui avoit tote sa pensee mise au reporchacier le. Pendant ce temps qu’il fut en
cette douleur et en cette tristesse, si en ot pitié cil qui le fist et le consilla en
ceste maniere.
10. En ce temps, (il) advint qu’il eut un moine en la terre de Sann, ainsi doté de
bonnes mœurs et de raison d’être pure et de sagesse et de savoir et de
raisonnable parole qu’il était [276ra] parvenu à la souveraine perfection de tout
ordre monastique. Je ne sais pas vous dire qui il fut, ni d’où il vint, mais il avait
pour nom Barlaam et servait Notre Seigneur dans une {cellule de moine} en la
terre de Sannaar. Aussitôt qu’il sut par la divine révélation l’affaire et
l’existence Josaphat, alors il sortit de son ermitage et descendit au siècle (qui
désigne ici le monde terrestre, soumis à la durée = le monde d’ici-bas). Et quand
il fut vêtu de l’habit séculier (de nouveau, relatif au monde terrestre, au monde
d’ici-bas ; peut-être laïc ?), il se mit en mer (par métaphore, au figuré : le monde
ou l’homme risque de perdre son âme) pour venir vers l’Inde. Et il fut si
efficace de jour et de nuit, qu’il arriva à la cité où Josaphat avait fait son palais,
et fit semblant qu’il fut marchand. Il demeura très longtemps en cette cité et
s’enquit très attentivement de l’affaire (tout ce qui concerne qqn, qui présente
pour qqn un intérêt quelconque, situation de qqn) de Josaphat et de tous ceux
qui le servaient. Et quand il eut appris que li devant diz serjans était plus privé
qu’aucun des autres, alors il fit tant qu’il lui parla en privé et lui dit : « Beau et
doux ami, je veux que tu saches que je suis un marchand et (que je) suis ici
(même) venu de très loin et (j’) ai apporté une pierre précieuse si bonne et si
riche que nul ne vit un jour sa pareille, ni un jour ne la montra à quiconque, et je
me suis découvert (faire que qqc qui était caché, protégé apparaisse, rendre
perceptible) à toi parce que je te sais preux et sage. Et te demande autant que je
te puisse prier que tu me mènes au fils [276rb] du roi, et je la lui donnerai, car
je te dis qu’il n’est nulle richesse sur terre qui la vaille, parce qu’elle rend leur
vue aux aveugles et leur ouïe aux sourds et la parole aux muets, et aux malades
(elle) donne la santé et aux fous la sagesse et le savoir, et ainsi expulse les
diables hors des corps, et donne sans restriction des biens de toutes sortes en
abondance à tous ceux qui l’ont / la possèdent. » Le serviteur lui répondit : « Tu
ressembles bien (à un) homme de grande affaire (position sociale ; rang,
dignité) à la chère (visage, face) et à la contenance, mais par la parole tu
sembles encore plus important, car je ne pourrais pas dire combien de riches
pierres et de perles précieuses j’ai vu, mais jamais ne vis ni n’ouï à propos de
nulle qui eut tant de vertu comme celle dont tu parles. A présent, si (comme
c’est le cas) (je) te pries que tu me la montres, et je te dis que si elle est de telle
vertu comme tu me (le) fais entendre, je l’apporterai au fils du roi, et il t’en
donnera autant que tu sauras l’en demander. Et si je {ne}l’eut vue ni éprouvée
de nulle manière, je ne la montrerai au fils du roi, car je n’oserai pas lui faire
entendre chose que je ne pus voir. Barlaam lui répondit : « Tu as très bien dit,
celui qui dit que jamais tu ne vis ni n’ouïs parler de si riche pierre ni de si
bonne : ne doute pas que ce soit vrai, car [276va] je ne parle pas de telle pierre
comme tu l’imagines, mais d’une plus grande et plus merveilleuse. Et parce que
tu l’as demandé à voir, maintenant écoute ce que je te dirai : la pierre précieuse
dont je t’ai parlé, avec les autres vertus que je t’ai énumérées, a-t-elle encore
cette vertu, je te dis que nul ne doit voir cette pierre s’il n’a la vue des yeux très
saine et tout entière et le corps chaste et sans vilenie et sans toute sorte de
pêchés. Et si quiconque la voit sans ces deux choses, il en serait ébranlé si
durement qu’il en perdrait le sens (faculté de comprendre, de juger, raison) et
autant de vue qu’il en a.
Et je veux bien que tu saches que j’ai assez de physique, et parce que je me suis
aperçu que tu n’as pas les yeux bien sains. Et si je te montrai la précieuse,
j’aurai peur que tu ne les perdes tous et que je fus responsable (ochaison de :
circonstance qui détermine une action, provoque un évènement) d’un si grand
malheur. Mais j’ai ouï dire que le fils du roi est de très bonne vie (ensemble des
activités et des évènements qui remplissent l’existence et donc récit de la vie de
qqn, biographie ; p. ext. comportement) et de bonne chasteté, et qu’il a les
yeux très beaux et très sains et très clairvoyants. Et pour cela je désire très lui
montrer ce trésor, ainsi (je) te prie que tu n’œuvres pas follement et que tu
n’ôtes pas à ton Seigneur (une) si grande richesse. Le serviteur lui dit : « Si ce
que tu [276vb] m’as dit est vrai, ne me montre pas la pierre, car mon corps est
souillé de bien des sortes de pêchés. Et si comme tu le dis toi-même, je n’ai pas
la vue des yeux très saine, mais parce que tu ressembles bien (à un) homme que
l’on doit croire, je ferai savoir ces choses à mon seigneur ».
11. Là-dessus, il s’en alla (à la rencontre) du fils du roi et lui conta toutes les
choses que Barlaam lui avait dites. Et quand Josaphat eut ouï ces choses, de
cette façon maintenant sa poitrine (région du cœur) fut enflammée d’une joie
spirituelle qu’il lui sembla que toute sa tristesse fut calmée, et donna l’ordre que
Barlaam fut amené devant lui, et ainsi il fut. Et quand il le vit, il le salua très
noblement, et ordonna à son serviteur qu’il s’en alla. Et quand il s’en fut allé,
ainsi dit Josaphat à Barlaam : « Montre-moi la pierre précieuse dont mon
serviteur m’a dit des merveilles (qui suscite l’admiration par sa beauté, sa
grandeur, sa perfection) ». Et Barlaam lui répondit de la sorte : « Serai-je bien
fou si je faisais voir quelconque chose qui ne soit pas à ta hauteur ? Ne doute
pas (du fait) que toutes les choses que j’ai dites à ton serviteur ne soient vraies,
mais si je n’avais avant soumis à l’épreuve ta sagesse et ta valeur, je ne t’oserai
pas montrer une chose de si grande valeur, [277ra] car Mon Seigneur dit : « Un
homme est celui qui sème et, pendant qu’il sème, une partie de la semence choit
à côté de la voie (route, chemin), et les oiseaux y vinrent et la mangèrent. Et une
autre partie en tombe entre les pierres où il n’y avait pas beaucoup (de) terre, et
cette partie se dressa à ce moment-là parce qu’il n’y avait pas de terre profonde.
Et quand le soleil (s’)échauffa, ainsi la sécha, parce qu’elle n’avait aucune
racine. Una autre partie en tombe entre les épines, et les épines se levèrent et les
surplombèrent. Une autre partie choit en bonne terre : celle-ci apporta un fruit
(bénéfice, profit) a.c. doubles. C’est pourquoi (je) te dis que si je trouve en ton
cœur bonne terre qui doit porter (le) fruit, j’y sèmerai la divine semence et te
dévoilerai le grand mystère (cérémonial). Et si j’y trouve terre pierreuse ni
épineuse, je n’y éparpillerai pas la sainte semence pour donner à manger aux
bêtes ni aux oiseaux, devant lesquelles il m’est ordonné que je ne mette pas les
perles. Et si je ne le dis pas (c’est) parce que je ne crois bien que je trouverai
suffisamment de bien en toi et que tu verras la pierre précieuse et sera enluminé
de sa clarté, car saches bien que je suis pour toi venu de très loin pour
t’enseigner ce que jamais tu n’entendis et montrer ce que jamais tu ne vis ».
Josaphat lui répondit et dit : « Aïe, honorable vieillard, si tu savais comme je
suis désireux d’entendre quelque bonne et profitable chose ! Je te dis qu’il me
semble que, dans le corps, tout le cœur me brûle d’un grand désir que j’ai, car
j’ai très longuement été triste et pensif de beaucoup de choses, jamais je n’ai
trouvé homme qui sut me conseiller. Et si j’en trouve quel qu’il soit qui quelque
bien m’enseignerait, je ne crois pas qu’il en perdrait son effort, ni qu’il
donnerait sa semence aux bêtes ni aux oiseaux, car je la recevrai
chaleureusement et sagement la garderai. Pour cela je te prie, se tu me ses nul
bien dire n’enseingnier, que tu ne me le caches plus. Mais dis-le-moi tout
assurément, car dès que j’ai ouï que tu étais, pour moi, venu de lointaines terres,
j’ai senti mon âme et en fut en bonne espérance que j’aurai grâce à toi ce que
j’ai si longuement espéré. Et por ce te fis je maintenant entrer sa enz, et fui plus
liés de ta venue que je ne fusse de nul ami que j’aie ». Et Barlaam lui dit : « De
ce feis tu mout bien, qui ne te preis garde a ma petitesce par dehors, mais au
bien qui estoit par dedens. Ainsi tu penses comme le fit jadis un riche roi :
12. Il advint, comme il allait un jour en {un} char doré, qu’il rencontra deux
hommes très pauvrement vêtus et très maigres et très pâles. Et quand le roi les
vit, il sut bien qu’ils étaient si pâles et si maigres pour (à cause de, en raison de)
leurs travaux (= efforts, souffrances) et leurs sueurs qu’il ont souffert
(supporter, endurer) pour servir leur créateur, et que pour l’amour de lui (pour
son amour) ils étaient en si pauvre et en si vil (de peu de prix, sans valeur) habit
(manière d’être, état, qualité ; apparence, forme extérieure de qqn). Il saillit
(mouvement, déplacement plus ou moins rapide considéré principalement dans
son origine et dans son terme) aussitôt en bas du char, et les accolât et les baisa
et leur fit très grande joie. Et quand le baron {et} le haut homme (élevé par le
rang sociale, supérieur dans une hiérarchie) qui étaient avec lui virent cela, ainsi
en eurent du mépris, car ils étaient d’avis qu’il faisait honte à sa dignité royale.
Et parce qu’eux-mêmes ne l’osèrent blâmer ni réprimander, ils vinrent à un sien
frere et le prièrent qu’il le châtiât et réprimanda de cette façon qu’il ne
s’abaisserai pas autant une autre fois, qu’il n’honora ni ne fit si grande joie a si
pauvres et si misérables personnes. Et quand celui-ci eut blâmé et réprimandé le
roi de ce qu’il s’était tant humilié vis-à-vis de ces deux hommes pauvres, si n’en
fist mie li rois grand chiere a cele fois. Le roi avait telle coutume, que quand
quelqu’un en sa cours était jugé à mort, il envoyait un de ses bedeau a tout une
busine {buisin} a sa porte, et par ce savoit tous li pueples que cil estoit jugiés
[277vb] a mort. Quand le roi fut revenu en son palais et descendu de son char, il
envoya le bedeau, qui à cela était établi, sonner à la porte de son frère. Quand
celui-ci entendu la trompette de la mort à sa porte, il se désespéra (il perdit toute
espérance) de sa vie et fit le très grand deuil, ainsi que toute cette nuit fut
gaspillée en pleurs et en larmes. Au matin, au poindre du jour, il se vêtit le plus
pauvrement qu’il put et alla, lui et sa femme et ses enfants, à la porte du roi,
criant et faisant très grand chagrin / deuil. Et le roi le manda devant lui, ainsi lui
dit : « Aïe, misérable et fou, si tu as telle peur de ce que le serviteur ton frère
germain à l’encontre de qui tu n’as rien transgressé sonna à ta porte, pourquoi
me réprimandas-tu donc de ce que je l’humiliais envers les serviteurs de mon
Dieu, qui bien plus clairement que par trompette me signifièrent la mort, et
envers qui j’ai mainte fois tant méprisé et grièvement pêché (exercer une action
nocive par sa mauvaise qualité) ? Je fis cela pour te reprendre (modifier son
attitude, son comportement, le corriger) de ta folie, et maintenant je reprendrai
ceux qui te firent faire cela. » Quand le roi eut renvoyé son frère dans sa
maison, il commanda qu’on lui fit quatre écrins, deux très beaux et très
richement doré (recouvert d’or), et deux autres pauvres et laids et hideux. Les
deux [278ra] écrins dorés il fit mettre une charogne très puante et (la) couvrit
d’un riche couvercle doré. Les deux autres écrins pauvres et hideux il fit mettre
des pierres précieuses et des riches perles en grande quantité et lectuaire
d’épices médicinales précieuses et aromatisée (dans l’idée ce serait une
préparation médicinale de consistance molle à base d’épices et de pulpe de fruit,
aromatisée, et qui s’appliquerait sur le visage). Et puis fit appeler ceux qui
l’avaient fait blâmer et réprimander par son frère, et leur dit : « Lequel écrin
était plus à honorer et à tenir pour précieux ? » Ils lui répondirent que le bel
(écrin) était plus à honorer et à tenir pour précieux. Le roi leur dit : « Je savais
bien ce que vous me répondrez / répondriez, car vous regardez de l’extérieur les
choses apparentes (qui est extérieur à une seigneurie, un royaume, étranger),
mais ainsi il ne convient pas (de) faire : (mais) plutôt l’on doit des yeux du cœur
regarder les choses qui sont dedans. Aussitôt, il commanda d’ouvrir les écrins
dorés. Et quand ils furent ouverts, en sortit une si grande puanteur qu’à peine la
pouvaient supporter ceux qui-là étaient. Et le roi leur dit : « (A) cela ressemble
les riches et les puissants de ce siècle, qui sont beaux et importants par les riches
vêtements qu’ils ont vêtus, et dedans sale et puant (qui dégage la mauvaise
odeur du vice) par les mauvaises actions qu’ils ont faites ». Puis [278rb] le roi
fit ouvrir les deux autres écrins et une odeur en sortit, si bonne et si douce que
tous ceux qui la sentirent en furent revigorés / corrigés / réparés. Et le roi leur
dit : « Ces choses sont semblables aux deux hommes qui ainsi étaient
pauvrement vêtus, de quoi vous me réprimandez de ce que les honorais, car
vous ne preniez garde que de leur pauvre habit (apparence) extérieur, mais je les
regardais des yeux du cœur et ne regardais rien si ce n’est les richesses et la
beauté dont leurs âmes étaient ornées, et pour cela je les honorais ainsi comme
vous le virent. Et si je leur aie fait tant d’honneur comme je l’ai fait, ils en
fussent bien digne ». De cette manière le roi réprimanda ceux-ci de leur folie et
leur enseigna qu’ils ne fussent plus trompés par les choses qui aperent dehors
(les apparences), mais prennent garde aux choses dedans. Tu as fait ainsi
comme ce bon roi, qui ne pris pas garde à ma pauvreté par dehors, (mais) au
contraire fus en bonne esperance qu’il eust en moi aucun bien par dedens, et
Seigneur Dieu donne que tu n’en soies deceus ». Alors Josaphat lui dit :
13. « Tu m’as très convenablement montrées ces choses, mais maintenant je te
prie que tu me dises qui est tel seigneur dont [278va] tu me dis au
commencement de ta parole qu’il avait parlé de la semence ». Barlaam lui
répondit et dit : « Si tu veux connaître Notre Seigneur, celui qui est mon sire,
saches que c’est le fils de Dieu qui est roi des rois et sires des seigneurs. Car
saches bien que je ne suis pas de ceux vénèrent les idoles absurdes et bêtes, au
contraire je crois et je vénère un Dieu en trois personnes : le Père, le Fils et le
Saint Esprit en une nature et en une substance et en une gloire et en un règne.
Celui-ci fit noient toutes les choses agréables à voir et celles qui ne sont pas
agréables à voir, les noiant voiables vertus et les celestieuz fist il tout avant pour
lui servir, non pas les corporeus menistres. Après il fit ce monde visible, le ciel
et la terre et la mer, et pour répandre de la lumière sur le monde il orna le ciel du
soleil et de la lune et des étoiles ; et la terre (il l’) orna de diverses sortes de
poissons. Après il forma l’homme à sa manière et de ses mains. Il forma le
corps limon (terre molle qui se dépose sur les bords d’un cours d’eau, boue) de
la terre et donna au corps, par son propre souffle, une âme raisonnable et
intelligible qu’il créa à son image et à sa ressemblance. Il établit cet homme roi
en terre, et de l’homme même fit une femme semblable [278vb] à lui. Et planta
(un) Paradis de délits (plaisirs / charmes) en Orient, plein de toutes joies et de
tous délits. Et là il mit l’homme qu’il avait formé et lui donna tous les arbres du
Paradis, sauf un seul qui est appelé le fruit de (la) connaissance du bien et du
mal. Et lui dit : « Si tôt que vous gouterez le fruit de cet arbre, vous mourrez de
mort ». Il advint, {avant même que l’homme fut fait} que l’un des anges qui
était établi sur une des légions (troupes nombreuses) des anges de vertu céleste
et se détourna du bien vers le mal, non pas par le soutien naturel de son créateur,
{mais} de son plein jugement. Et par son orgueil voulu se rebeller contre son
Seigneur son Dieu. Et pour cela abaissée de son ordre et de sa dignité. Et il
perdit cette heureuse gloire et le nom d’ange ainsi qu’au lieu d’ange il fut appelé
diable et a comme nom Satan. Car Dieu le fit sortir de cette souveraine gloire, et
avec lui une très grande multitude (ensemble de personnes) de l’ordre (classe de
personnes, catégorie sociale gouvernée par telle ou telle régularité, hiérarchie de
règles, transposé ici à la religion) des anges qui étaient en dessous de lui, parce
qu’ils laissèrent de leur propre volonté le bien et s’accordèrent au mal et à la
déloyauté de leur prince soit il appelé diable. Et quand le diable vit que lui-
même était déchu [279ra] de cette bienheureuse gloire et que l’homme était
élevé à si grande estime, il en eut envie et se demande de quelle manière il le
pourrait éloigner de cette sainte conduite. Il entre en un serpent, qui fut
instrument de tromperie / fraude / imposture, et par le serpent il déchut la
femme, et par la femme il déchut l’homme. Et quand il eut les deux en même
temps trompé, et ils eurent mangé le fruit de désobéissions, ils furent tout deux
jetés en même temps des délices du Paradis en cette chétive vie. Par cette
victoire que le diable eut sur l’homme, il fut si élevé par-dessus l’espèce
humaine qu’il mena tout le monde à mal. Et parce que Notre Seigneur Dieu tout
puissant ne voulut pas que sa grande déloyauté ni sa puissance soit multipliée
sur terre, amena (entraîner une conséquence, produire) et fit périr toute âme
vivante, sauf seulement un qu’il trouve juste (et) qu’il sauva en l’arche, lui et sa
femme et ses enfants.