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Communication Linguistique Et Non Linguistique

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04. Langage et communication.

Systèmes
communication linguistique et non linguistique.
de

Introduction : langue et langage. 1. Le concept de communication. 2. Caractéristiques de la


communication linguistique. 3. La communication non verbale. 3.1. Composantes de la communication
non verbale. – 3.1.1. Le paralangage. – 3.1.2. La kinésique. – 3.1.3. La proxémique. – 3.2. Fonctions de
la communication non verbale. 4. Les systèmes de communication non linguistiques. – 4.1. Procédés de
communication systématiques. – 4.2. Procédés de communication a-systématiques. Conclusion.
Bibliographie.

1
1. Introduction : langue et langage

Pendant longtemps, les mots « langue » et « langage » ont indistinctement désigné tous
les moyens utilisés pour communiquer : gestes, dessins, signes vocaux et codes de signaux de
toutes sortes ; confusion entérinée par l’usage, en anglais, d’un seul terme désignant ces deux
réalités (language). Les premières définitions de la linguistique moderne ne faisaient ainsi
aucune distinction entre les deux. C’est le cas pour celle de Sapir1 : « le langage est un moyen
de communication purement humain et non instinctif pour les idées, les émotions et les désirs,
par l’intermédiaire d’un système de symboles sciemment créés ». Cette définition couvre
aussi bien les faits de langue proprement dits que le système de signaux du code routier.
Même cas pour la définition de Saussure 2 : « une langue, c’est-à-dire un système de signes
distincts correspondant à des idées distinctes ».

Ce n’est donc que plus tard que les linguistes ont éprouvé le besoin de redéfinir avec
plus de rigueur l’objet de leur science. Telle est, par exemple, la démarche adoptée
systématiquement par Martinet3 : « la linguistique, écrit-il, est traditionnellement présentée
comme la science du langage. Reste à savoir, naturellement, ce qu’on entend par langage ». Il
pose aussitôt que « dans le parler ordinaire, le langage désigne proprement la faculté qu’ont
les hommes de s’entendre au moyen de signes vocaux ». Pour lui, ce langage humain qui se
réalise sous la forme de langues diverses est bien l’objet exclusif des recherches proprement
linguistiques, les autres systèmes de communication relevant, quant à eux, de la sémiologie. Il
en découle que la tâche de la linguistique est de déterminer les traits qui caractérisent le
langage humain en l’opposant à toute autre forme de communication. Le mot langue
indiquera seulement des systèmes de communication fondés sur l’emploi de signes vocaux.
Ce sera toujours la signification de l’expression langage parlé, même quand on considère le
langage parlé sous son aspect écrit, l’écriture n’étant qu’un second code pour traduire la
langue parlée sous une forme visuelle qui n’a pas d’autonomie réelle par rapport à la forme
phonique. L’emploi du terme « langage » pour faire référence à la possible communication
entre les animaux ou à tout autre système de communication ne serait dès lors qu’un emploi
métaphorique.

Nous tenterons, dans les pages qui suivent, d’analyser en détail cette opposition entre
langue et langage, entre communication linguistique et communication non linguistique. Or, il
nous faut, pour ce faire, commencer par cerner tout d’abord le concept même de
communication.
1. Le concept de communication

Le processus de la communication, que l’on peut provisoirement définir comme


l’échange d’informations (messages) entre deux ou plusieurs individus occupant des positions
symétriques et réversibles, présuppose l’existence d’un émetteur, d’un récepteur (présent
et concret ou potentiel) et d’un message construit sur la base d’un code, commun à
l’émetteur et au récepteur et véhiculé à travers un canal ou support. Historiquement, ce sont
les modèles élaborés par les spécialistes des télécommunications, comme celui de Shannon4 et
Weaver, qui ont servi de base à l’élaboration du schéma linguistique de la communication.
1
E. Sapir, Language, 1921.
2
F. De Saussure, Cours de Linguistique générale, 1916.
3
A. Martinet, Éléments de linguistique générale, 1960.
4
C.F. Shannon, The Mathematical theory of Communication, 1952. Le schema de la communication comporte
cinq éléments : transmetteur, récepteur, canal, message et code, auxquels on ajoute le bruit (engineering noise),
qui désigne tous les signaux qui parasitent le message au cours de la transmission et qui provoquent des pertes
d’information.
2
Ainsi par exemple, le modèle jakobsonien de la communication, qui sert de référence à
nombre d’études linguistiques dans ce domaine, se différencie du modèle de Shannon sur
deux points : Jakobson introduit les notions de contexte, ou référent auquel tout message
renvoie pour être opérant, et élargit la notion de canal, qui est à la fois canal physique et
connexion psychologique. Jakobson distingue ainsi dans tout processus de communication six
facteurs constitutifs :

CONTEXTE (ou référent)

DESTINATEUR ----------MESSAGE----------DESTINATAIRE

CANAL (ou contact)

CODE

Le message que le destinateur envoie à un destinataire renvoie toujours à un référent, il


requiert une certaine mise en relation entre les deux protagonistes (le canal ou contact) et un
code qui leur soit commun. Chacun de ces facteurs laisse des traces dans le processus de la
communication : c’est ce que Jakobson nomme les fonctions du langage. Il distingue ainsi :

— la fonction référentielle (ou dénotative ou cognitive), qui marque la primauté du


référent. L’accent est mis sur l’aspect purement informationnel de la communication.
— la fonction expressive ou émotive, qui correspond à la trace de l’émetteur dans son
message. Par principe et par définition, tout message étant produit par un sujet, nous
trouverons forcément des indices révélant quelque chose de lui (état affectif ou émotif). Or, il
se trouve que certains messages privilégient cette fonction aux dépens des autres.
— la fonction conative, qui marque l’orientation vers le récepteur.
— la fonction phatique, reflétant les conditions de la communication. L’exemple type
en est le terme « allô », qui n’a d’autre signification que celle de s’assurer que le contact est
établi.
— la fonction métalinguistique reflète de son côté la conscience que le locuteur a de son
code.
— reste, selon Jakobson, la fonction poétique, qu’il définit comme étant « l’accent mis
sur le message pour son propre compte 5 », et que nous définirons, plus largement comme le
travail sur la forme du message.
Or le modèle jakobsonien semble réduire la communication à un simple mécanisme
d’encodage/décodage d’informations véhiculées par un message censé être limpide et
transparent, entre deux partenaires partageant un code parfaitement homogène, ce qui n’est
pas tout à fait vrai. Si nous partons de l’idée que comprendre un message quelconque revient
à déceler les intentions de communication qui en commandent la production, il est aisé de
constater que la tâche est souvent bien plus difficile que l’on ne croit, le locuteur pouvant à
cet égard se montrer plus on moins explicite. Quant au code, signalons tout simplement que,
même si on partage un code commun comme celui de la « langue française », il est bien des
traits qui empêchent souvent l’intercompréhension : registres, niveaux de langue, expressions
idiolectales, voire différence d’age ou de statut social des interlocuteurs (qui n’a jamais été
déconcerté par le style de l’administration ou par le jargon de certains « spécialistes » ?).

En effet, entre la production d’un discours par un sujet et l’interprétation de ce


discours par son interlocuteur il n’existe pas toujours une symétrie parfaite. Le sujet-
5
R. Jakobson, Essais de linguistique générale, 1963
3
communiquant est toujours amené à construire une certaine image de son récepteur, image à
laquelle il va adapter son propos en fonction de la représentation qu’il se fait de l’autre, de
la nature des relations qu’il entretient avec lui, des connaissances qu’il lui suppose, de son
statut, etc. À l’autre bout, le sujet-interprétant, qui ne correspond jamais exactement a ce qui
a été imaginé ou à ce que croit savoir de lui le locuteur, va devoir à son tour construire un
certain nombre d’hypothèses lui permettant —ou non— d’accéder au sens du message qui lui
est adressé. Les attitudes et les aptitudes des deux sujets ne sont donc pas les mêmes : elles
dépendent de leurs savoirs respectifs, de leurs systèmes de valeurs, mais aussi de leur histoire,
de leur vécu personnel, de leur propre univers de discours et de la position que chacun occupe
par rapport à l’autre dans l’acte de communication. Ces éléments agissent doublement sur la
communication : au niveau de la production, ils déterminent des choix langagiers et
comportementaux ; au niveau de la réception, ils facilitent ou entravent (selon les cas)
l’interprétation des messages, mais produisent toujours des effets.

Tout discours est par ailleurs produit dans le cadre de certaines données spatio-
temporelles dont l’influence est également déterminante pour la forme et pour le contenu
des discours échangés, à commencer par la présence simultanée des interlocuteurs dans le
lieu de l’échange communicatif. Lorsque la communication se produit en face à face, elle se
trouve tout naturellement enrichie par les composantes de ce que l’on appelle le « langage
non verbal » (cf. ci-après) et par l’entourage immédiat, ce qui permet des usages plus
elliptiques et des verbalisations minimales des référents. Il n’en va pas de même lorsque la
communication emprunte un autre canal (communication téléphonique ou communication
écrite, donc différée, les phases de production et d’interprétation étant décalées dans le
temps). Deuxièmement, il va de soi que l’on ne parle pas de la même façon partout et à tout
moment : « à chaque “site” institutionnel correspond un “scénario” particulier […]. Le cadre
spatio-temporel est donc déterminant pour le thème des échanges, mais aussi pour leur
“style” » (Kerbrat-Orecchioni, 1990: 108-109). La dimension spatio-temporelle de la
communication dessine ainsi en filigrane la notion d’opportunité, d’adéquation des propos
au moment et au lieu, et ce en fonction aussi des normes discursives et socio-culturelles de
la communauté de référence. La communication, en effet, comme toute pratique sociale, se
trouve soumise à un certain nombre de normes et de principes implicites mais nécessairement
respectés (cf. t. 7,8), que les individus intériorisent au cours de leur développement cognitif.

Enfin, il est un autre facteur constitutif du cadre spatio-temporel qui exerce une
influence considérable dans les interactions: c’est la présence potentielle de témoins. Très
souvent, en effet, surtout lorsque la communication se déroule dans des lieux publics,
plusieurs personnes se trouvent entendre, sans le vouloir 6, des propos qui ne leur sont pas
adressés. Ces témoins, que Kerbrat-Orecchioni (1996: 17-18) désigne sous le nom de
« récepteurs en surplus », n’ont pas le statut conversationnel d’interactants « ratifiés »: ils
n’appartiennent pas à l’échange communicatif. Or, les interlocuteurs, qu’ils le veuillent ou
non, dès qu’ils perçoivent cette présence, ne peuvent qu’en tenir compte, ce qui se traduit
dans la communication par l’adoption, soit d’un ton chuchoté qui vise à exclure le témoin,
soit d’un ton plus élevé qui lui permette d’entendre ce qui est dit. Un témoin peut,
occasionnellement, s’arroger le statut de locuteur et intervenir dans la conversation, comme
dans l’exemple suivant:

A — Je ne sais pas comment on va faire pour arriver à la gare. Il faudrait peut-être demander à quelqu’un...
B — Mais non, c’est sûr que c’est par ici...

6
Il se peut, au contraire, que le témoin écoute la conversation qui se déroule entre les interactants à leur insu et
de façon tout à fait délibérée. Il appartient depuis lors à la classe des « eavesdroppers » ou espions.
4
C (qui ne fait pas partie de la conversation) — Excusez-moi, je n’ai pu m’empêcher de vous entendre.
Vous cherchez la gare ? Je peux bien vous y conduire.

Nous pouvons depuis lors élargir le schéma traditionnel de la communication afin d’y
intégrer, outre les composantes du schéma jakobsonien, des données concernant le nombre et
le type d’interlocuteurs impliqués (identité, statut, rôle, relation avec l’interlocuteur,
représentation que chacun se fait de l’autre...), les données spatio-temporelles, les
intentions de communication de chacun ainsi que les effets produits sur l’autre. Le schéma de
la communication pourrait être alors représenté comme suit7 :

REPRÉSENTATIONS
relations

(référent)

DE QUOI
statut statut
rôle interventions hypothèses rôle
attitude projections attitude
groupe L1 L2 groupe
d’appartenance DISCOURS d’appartenance
groupe de groupe de
intentions effet
référence référence

(fonction)
Où ? Quand ? Où ? Quand ?
Pour quoi faire ? POURQUOI Pour quoi faire ?
Devant qui ? Devant qui ?

Conditions de production : oral, écrit...

Conditions de réception – interprétation

2. Caractéristiques de la communication linguistique

Le premier des caractères de la communication linguistique est qu’elle possède toujours


une intention de communication. Ceci permet de faire la différence entre les aspects
volontaires et involontaires de la communication : ces derniers, que l’on peut grouper sous les
dénominations d’indices et de symptômes, sont des renseignements que le locuteur donne sur
lui-même, sans aucune intention de les communiquer. Ainsi, par exemple, la voix d’un
locuteur invisible informe généralement sur son sexe, son âge approximatif, sur son origine
géographique et sociale, sur son état d’âme du moment. Ces indices et ces symptômes sont
des traits caractéristiques —mais non pas fonctionnels— de la communication et
n’appartiennent pas au système de signes de la langue. Or, ce trait n’est pas exclusif de la
seule communication linguistique : les systèmes de communication non linguistiques
n’auraient aucune raison d’être s’ils n’étaient pas utilisées à des fins communicatives.

7
Adapté de S. Moirand, 1982.
5
Deuxièmement, la communication linguistique est systématique : elle implique la
mise en ouvre d’un système où des unités bien définies et stables se combinent et se
structurent selon des règles concrètes, à la différence d’autres procédés de communication
(les arts plastiques, l’affiche publicitaire, etc.). Imaginons le cas d’une affiche publicitaire. Il
ne fait pas de doute que sa fonction est de communiquer quelque chose. Or, pour savoir si elle
fait appel à un système de communication nous serions obligés d’examiner quelles unités elle
emploie, si elle en emploie; si elle combine ces unités selon des règles, si ces règles sont
connues et utilisées comme telles aussi bien par l’émetteur du message publicitaire que par le
récepteur. Est-ce à dire pour autant que seule la communication linguistique possède ce
caractère ? Prenons le cas de la signalisation routière. Elle serait sans doute inefficace si les
unités qui la composent n’avaient pas un sens stable. La communication non linguistique sera
donc, selon les cas, systématique ou a-systématique

La communication linguistique se caractérise troisièmement par le caractère arbitraire


des signes qui la composent : le lien unissant le signifié au signifiant est arbitraire,
conventionnel. Or, ce phénomène apparaît aussi sans doute dans des systèmes de
communication non linguistiques —le triangle comme signe de danger, par exemple—, à côté
d’autres procédés de signification dans lesquels ce lien n’est peut-être plus arbitraire —
dessins et notations des signaux.

Un quatrième trait propre à la langue est le caractère linéaire des messages qu’elle
élabore. On entend par là que les énoncés sont constitués par des suites de signes émis sur la
trame du temps, et perçus aussi sur la trame du temps, ce qui détermine pour les règles de
combinaison de ces signes des propriétés spéciales liées au caractère de tout déroulement dans
le temps. Les moyens de communication non linguistiques peuvent, de leur côté, présenter ou
non ce caractère.

Lié au caractère linéaire de l’énoncé, la linguistique a de plus mis en relief le caractère


discret des unités de la langue : les phonèmes, unités minimales isolables à l’analyse et
indécomposables à leur niveau hiérarchique, sont délimitées et organisées par des
oppositions : ainsi par exemple, /p/ s’oppose à /b/ en raison de l’opposition sourde vs sonore,
mais aussi à /t/ et à /k/, avec lesquelles elle partage le mode d’articulation (occlusives
sourdes), mais non le point d’articulation (bilabial, apico-dental et vélaire). Par ailleurs, les
unités discrètes sont celles dont la valeur linguistique n’est affectée en rien par des variations
de détail déterminées par le contexte ou par d’autres circonstances. Ainsi par exemple, que
quelqu’un prononce le /R/ de pierre comme un « r roulé » ou comme un « r grasseyé » ne
change en rien le phonème. Il faudra déterminer, pour les systèmes de communication non
linguistiques, si leurs unités sont discrètes ou non. Le code routier, à supposer que ses unités
minimales indécomposables soient les formes géométriques et les couleurs, pourrait par
exemple comporter des unités discrètes.

Mais c’est sans doute le dernier trait que nous allons envisager qui est discriminatoire à
l’égard des autres moyens ou systèmes de communication : c’est la double articulation du
langage. Selon Martinet, les langues naturelles sont, en tant que système de signes,
doublement articulées, c’est-à-dire, structurées deux fois : la première articulation du langage
est celle qui découpe l’énoncé linguistique en unités signifiantes minimales successives ou
monèmes, doués chacun d’une forme vocale et d’un sens. Ainsi, la terre est ronde contient
quatre de ces unités. La seconde articulation est celle qui découpe l’unité signifiante elle-
même en unités minimales successives non signifiantes mais distinctives : les phonèmes.
Avec quelques dizaines d’unités de seconde articulation, la production de milliers d’unités de

6
première articulation est assurée de la façon la plus économique. C’est la double articulation
qui rend compte de l’économie du langage et de la richesse infinie qu’il possède pour la
combinaison, par rapport à d’autres moyens de communication.

Or, puisqu’on envisage les caractéristiques de la communication linguistique, on ne


peut pas négliger que celle-ci est constituée de deux plans indissociables —que nous ne
séparons ici que pour la commodité de l’analyse : le verbal et le non-verbal.

3. La communication non-verbale

La communication non-verbale a été longtemps ignorée en tant que composante


signifiante du phénomène communicatif. Cependant, force est de constater que la
communication linguistique, dans sa manifestation orale du moins8, est

multicanale : elle exploite un matériel comportemental fait de mots, mais aussi d’inflexions, de regards,
de gestes, de mimiques. Ces différents canaux sont complémentaires, et également nécessaires à la
communication orale, car chacun d’eux possède des propriétés spécifiques avec lesquelles on ne cesse de
jongler pour le plus grand bénéfice de l’interaction (Kerbrat-Orecchioni, 1990 : 150-151).

Le non-verbal comprend les éléments non linguistiques (c’est-à-dire n’appartenant pas


au code de la langue) qui accompagnent la communication linguistique. Traditionnellement,
on classe les éléments non-verbaux en :

— éléments vocaux : le paralangage


— éléments non vocaux : la kinésique et la proxémique

3.1. Les composantes de la communication non-verbale

3.1.1. Le paralangage

Le terme « paralangage » désigne les facteurs vocaux non-verbaux (Knapp, 1982 : 24-
25) qui interviennent dans l’émission du discours. Il comprend les qualités de la voix (timbre,
hauteur, intonation, volume...), ainsi que différents types de vocalisations (rires, soupirs,
sanglots...). Miller inclut également la pause non grammaticale, qui informe sur les processus
de pensée du locuteur et sur son état affectif et émotif. Le paralangage ne traite donc pas de ce
qui est dit, mais de la manière dont on dit quelque chose. L’aspect vocal du langage transmet
à l’évidence une somme non négligeable d’informations qui permettent à l’auditeur
d’accroître son efficacité dans l’interprétation du message.

La calidad de la voz nos informa no sólo del sexo y de la edad de la persona, aspectos que en la
interacción cara a cara resultan más o menos evidentes [...], sino también sobre determinados estados
físicos (afonía, dificultad respiratoria, etc.); el tono y el ritmo nos informan sobre emociones más o menos
incontroladas (un tono más agudo junto con un ritmo más acelerado de lo habitual en una persona suelen
ser síntomas de nerviosismo, mientras que un ritmo lento y un tono más grave suelen indicar relajación,
por ejemplo); también utilizamos el tono y el ritmo, junto con la entonación y el acento, para señalar
énfasis en algún segmento de lo que estamos diciendo o para expresar con qué intención estamos
hablando (Tusón Valls, 1997: 23).

8
Mais aussi dans la transcription que l’on fait des interactions verbales. Il suffit de penser aux didascalies et aux
notations qui signalent, pour tout dialogue écrit, le comportement non verbal qui accompagne l’émission.
7
À mi-chemin entre le verbal et le non-verbal, nous pouvons également signaler
l’existence de diverses vocalisations qui témoignent de l’écoute active de l’interlocuteur, sans
pour autant constituer de vraies interruptions : c’est ce que l’on connaît comme régulateurs.

Ces régulateurs (ou signaux d’écoute) ont des réalisations diverses : non verbales (regard et hochement de
tête, mais aussi à l’occasion froncement de sourcils, petit sourire, léger changement de posture…), vocales
(« hmm » et autres vocalisations), ou verbales (« oui », « d’accord »), reprises en écho. Ils ont aussi des
significations variées (« je te suis », « j’ai un problème communicatif », etc.), mais en tout état de cause, la
production régulière de ces signaux d’écoute est indispensable au bon fonctionnement de l’échange : des
expériences ont prouvé que leur absence entraîne d’importantes perturbations dans le comportement du
locuteur (Kerbrat-Orecchioni, 1996b : 5) [nous soulignons].

Les régulateurs accomplissent donc pour l’essentiel une fonction de feedback : dans
certains cas, ils encouragent le locuteur à poursuivre, et n’ont d’autre fonction que de lui
signaler le soutien et une attitude d’écoute active ; dans d’autres cas, ils servent au locuteur à
prévoir et à corriger des incompréhensions ou des formulations mal choisies. Il s’agit, pour la
plupart, de réactions involontaires, de réflexes qui témoignent de la co-construction active du
sens des discours :

L’absence de régulateurs est sentie comme impolie ou agressive, est vécue comme gêne, signal de retrait
ou d’hostilité. C’est dire que le locuteur appelle et attend les régulateurs chez son récepteur, le locuteur
les provoque et il y obéit. Le flux conversationnel est constamment géré par les activités coordonnées du
locuteur et du réacteur : techniques complexes qui réclament leur vigilance, non leur attention consciente,
pour assurer un contrôle de la conduite du discours. (De Gaulmyn, 1987 : 221)

Or, l’interlocuteur peut aussi produire des régulateurs à d’autres fins qui ne visent plus
la poursuite du discours du locuteur, mais cherchent plutôt à y mettre un terme. En effet,
divers comportements non verbaux peuvent traduire l’intention de prendre la parole —voire
une certaine impatience— tels que les tentatives de capter le regard du locuteur en place, un
redressement du buste, mais aussi des inhalations audibles, des vocalisations (toussotements,
éclaircissements de la gorge, etc.).

A veces el mecanismo de solicitud del turno consistirá en ejecutar gestos que indiquen al hablante para
que se dé prisa, al advertir que cuanto antes termine su intervención, antes comenzaremos la nuestra. [...]
El método más común de estimular a la otra persona a que termine rápidamente es hacer movimientos
rápidos de cabeza acompañados a menudo de verbalizaciones de seudoacuerdo, como ‘mhmm’, ‘ya, ya’,
etc. El solicitante confía en que el hablante se aperciba de que estos comentarios son demasiado
frecuentes y no siguen con lógica a las ideas expresadas como para ser signos de refuerzo (Knapp, 1982 :
191).

3.1.2. La kinésique

La kinésique s’intéresse à l’interaction mouvement/parole. Ce domaine recouvre l’étude


des mouvements du corps (déplacements, gestes, mouvements des mains) des expressions
faciales (mimiques, sourires), du regard (fréquence et durée des contacts oculaires) et des
postures pendant l’échange conversationnel. Il est à noter que ces éléments sont en général
difficilement contrôlables par le sujet : la maîtrise du masque social requiert une domination
des réactions motrices très délicate à assurer. Par ailleurs, l’éventail des réactions kinésiques
est socialement codifié. Ainsi par exemple, seule une relation proche autorise en principe des
gestes d’attouchement, exclus de la relation hiérarchique. Pour ce qui est du regard, un contact
oculaire prolongé peut intensifier le degré d’intimité ou devenir gênant, selon les
circonstances.

8
cuando una persona interroga a otra suele mirarla directamente a los ojos, a no ser que se trate de una
pregunta atrevida o que se refiera a algún tema que le preocupe mucho a él mismo. Si el que escucha se
sorprende ante algo que ha dicho su compañero, también tiende a mirarlo si se trata de algo agradable, o a
desviar los ojos hacia otro lado si el que habla expresa algo desagradable, repugnante u horrible, a menos
que ambos compartan la misma emoción, en cuyo caso el que escucha se limitará a bajar los párpados.
Sin embargo, [...] todos estos datos se aplican a una conversación relativamente formal; [...] las personas
en familia o que se conocen muy bien pueden no comportarse de la misma manera. [...] También parece
ser cierto que durante una conversación social entre dos individuos que no se conocen, por lo general se
trata de reducir el intercambio visual, probablemente porque un exceso de éste trasladaría el foco de
atención del tema de conversación a la relación personal (Davis, 1972 : 91).

L’interprétation du comportement gestuel et oculaire change selon la situation : une


gestualité exubérante peut être signe d’émotion, de joie ou de colère ; elle peut aussi révéler le
désir d’illustrer graphiquement les propos tenus. Quant au regard, ce n’est pas la même chose
de regarder celui qui parle (signe de l’attention portée à ses propos), que de fixer celui qui
écoute (volonté de scruter ses réactions ou provocation). Certaines études affirment même que
l’on peut savoir si notre interlocuteur ment ou s’il cherche tout simplement à se souvenir de
quelque chose selon la direction de son regard.

3.1.3. La proxémique

Ce terme désigne l’usage que l’homme fait de l’espace en tant que produit culturel
spécifique. L’environnement physique est considéré comme un territoire social dans lequel
l’individu détermine son propre espace en fonction de normes personnelles et sociales. La
territorialité dépend en effet à la fois de la perception que l’individu a de son espace privé et
des règles sociales qui imposent une structuration de l’environnement selon des critères
culturels et sociaux (rites, cérémonies et disposition spatiale des sujets, règles du protocole
dans des actes officiels...). L’espace humain est donc structurellement signifiant. Ainsi, la
proxémique traite des relations spatiales et des distances d’interaction dans les groupes
formels et informels.

Le sens de l’espace n’est pas statique. Il dépend de la nature des relations


interindividuelles (plus la relation est hiérarchisée, plus la distance s’accroît) et de la culture
de référence. Le crible perceptif de l’espace varie d’une culture à une autre, et la
méconnaissance de ces faits culturels peut être à l’origine d’interprétations erronées
provoquant des malentendus.

Cette brève analyse montre sans doute la richesse des modes de communication non-
verbaux sans lesquels la communication devient un phénomène figé, inachevé. La
communication linguistique doit donc être comprise comme un système complexe de codes
interdépendants, d’autant plus que, sur le plan informationnel, la communication non-verbale
est souvent jugée supérieure à la communication verbale.

Si l’on exclut de l’analyse tous les éléments non verbaux, on sera donc dans bien des cas incapable de
rendre compte de la cohérence du dialogue, dans la mesure où y interviennent successivement des actes
verbaux et non verbaux. Mais en outre, il sera impossible à l’analyste de rendre compte de son
fonctionnement global, dans la mesure où y interviennent simultanément des éléments verbaux et non
verbaux (et bien sûr paraverbaux) (Kerbrat-Orecchioni, 1990 : 142).

Précisons donc un peu quelles sont les fonctions de la communication non verbale.

9
3.2. Fonctions de la communication non-verbale.

Parmi les diverses fonctions attribuées à la communication non-verbale, nous


retiendrons les suivantes :

— fonction de contrôle ou feedback : le non-verbal intervient comme facteur de


régulation du flux communicatif. Un mouvement de tête, un geste, un simple regard signalent
au sujet le degré d’attention que l’auditeur porte à son discours, lui permettent de mesurer la
compréhension et de savoir s’il doit s’interrompre, répéter, passer à un autre thème, etc.

— fonction interprétative : au niveau syntaxique, l’intonation et l’accent d’intensité


jouent un rôle de démarcation qui permet de faire la différence entre les contenus principaux
du discours et les accessoires. Par ailleurs, un énoncé peut faire l’objet d’interprétations
diverses et, outre les facteurs situationnels, le non-verbal (particulièrement le paralangage) est
indispensable pour fixer la nature des actes de langage effectivement accomplis. Cette
fonction sémantique relève de ce que Hymes9 nomme key (clé), qui renseigne sur l’esprit dans
lequel un acte communicatif est émis —attitude de l’énonciateur envers son propre énoncé
(distance ou adhésion, modalité du sérieux, de la plaisanterie ou du sarcasme), ou envers celui
d’autrui (accord enthousiaste ou mitigé, désaccord, incompréhension). Des énoncés
semblables sur le plan formel sont souvent susceptibles d’au moins deux lectures différentes
(voir par exemple, la différence entre une menace et une promesse dans un énoncé tel que Je
le dirai à mon père). Les données prosodiques et mimo-gestuelles sont donc fondamentales
pour déceler les contenus implicites, les connotations, les allusions ou les emplois ironiques.
Dans les situations où le non verbal entre en contradiction avec le verbal, c’est au premier que
l’on tend à accorder le plus de crédibilité.

— fonction structurante : « certains comportements sont à considérer des conditions


de possibilité de l’interaction, qui doivent être réunies pour que celle-ci puisse s’ouvrir / se
poursuivre / cesser » (Kerbrat-Orecchioni, 1990 : 144). Il s’agit notamment de la distance
proxémique, de l’orientation du corps et du regard. Mais les composantes de la
communication non verbale interviennent également dans la structuration de l’échange au
niveau de l’alternance des prises de parole et des changements de thème (signalés par des
modifications posturales ou des marques prosodiques particulières) (ibid. : 145).

— fonction psychologique : le matériel paraverbal et non verbal fournit nombre


d’indications sur les caractéristiques psychologiques des interactants, aussi bien du point de
vue de leur personnalité (autoritarisme, timidité, etc.), que du point de vue de leur attitude
émotionnelle et affective (colère, surprise, joie...). La voix et les courbes mélodiques
constituent un instrument privilégié pour l’expression des émotions et des sentiments. Les
comportements mimo-gestuels sont également porteurs d’émotions : « tremblement et
agitation excessive (signes d’une émotion forte), ou au contraire appauvrissement de la
gestualité (symptôme d’un état dépressif [...]), rougissement, rires et larmes » (Kerbrat-
Orecchioni, 1990 : 148).

— fonction identificatrice : les facteurs non-verbaux et, en premier lieu la voix, sont
porteurs de nombreux indices de nature sociale sur le locuteur. Ainsi, la voix est corrélée à
des catégorisations sociales telles que l’âge, le sexe, l’origine géographique ou l’origine
sociale. De même, le comportement kinésique peut parfois dénoter l’origine sociale du
locuteur (gestualité plus mesurée, dit-on, dans les milieux aisés)..
9
D. Hymes, Foundations in Sociolinguistics : an Ethnographic Approach, 1974.
10
— fonction relationnelle : en même temps qu’elles signalent les propriétés
respectives des interlocuteurs, les composantes non verbales de la communication déterminent
leur relation mutuelle et fournissent des indications sur l’état de la relation interpersonnelle.
Les marqueurs de la relation sont essentiellement de type proxémique (la distance physique
variant en fonction de la nature de la relation) et gestuel (gestes d’attouchement, fréquence et
durée des contacts oculaires).

— fonction culturelle : certains auteurs soutiennent la thèse de la spécificité culturelle


du comportement non-verbal. On cite ainsi par exemple, le cas du sourire qui, dans la culture
japonaise, n’est pas nécessairement l’expression d’une attitude de contentement ou
d’amusement, mais est commandé par une règle de l’étiquette cultivée depuis des temps très
anciens. Il existe ainsi des actes non verbaux qui possèdent une signification stable pour les
membres d’une culture ou d’un ensemble culturel donné (p. ex. : signe de la victoire), c’est ce
que l’on appelle des « emblèmes ».

4. Systèmes de communication non linguistique

À mi-chemin entre les systèmes de communication linguistique et non linguistique, il


convient sans doute de mentionner les procédés de signalisation substitutifs, qui reproduisent
d’une façon ou d’une autre la double articulation de la langue. Ce groupe se trouve à cheval
entre linguistique et sémiologie : la substitution du langage parlé ne possède en fait aucune
autonomie réelle à l’égard de la communication linguistique. Ils supposent tous (les écritures,
les alphabets phonétiques, le Braille, le Morse, etc.) que, pour obtenir la signification du
message, on repasse par les sons du langage parlé. En effet, la frontière entre systèmes
linguistiques et non linguistiques passe entre ces systèmes, qui reproduisent graphiquement la
double articulation de la langue, et ceux qui ne la reproduisent déjà plus, bien qu’ils
permettent de la retrouver. Les systèmes de communication non linguistiques sont donc ceux
qui ne recourent qu’à la première articulation de la langue : ils traduisent en langue naturelle
des monèmes ou des unités de sens (ex : « stop », « sens interdit », etc.)

D’après Georges Mounin, on peut classer les procédés de communication non


linguistique en deux grands groupes : des procédés de signalisation systématiques, lorsque
les messages se décomposent en unités stables et constantes, et des procédés de signalisation
a-systématiques, dans le cas contraire.

4.1. Procédés de communication systématiques.

— enseignes : un cadran, une croix verte, un bonhomme en caoutchouc, une vache, etc.
signalent des horlogers, des pharmacies, des lubrifiants, des carburants, des fromages et toute
sorte de produits. Quantité d’informations que nous utilisons et lisons quotidiennement sont
véhiculées de la sorte. Tel est le cas aussi des signes conventionnels utilisés par les horaires de
chemin de fer : une cinquantaine d’idéogrammes à dessin reconnaissable (service-autocar,
bar, restaurant...), de sigles-idéogrammes (location possible, sans bagages...), de signes
idéographiques arbitraires (billet d’avance, arrêt, descente...). Beaucoup de ces signes sont
déjà d’usage international (wagons-lits, voitures-couchettes...). Les guides touristiques
utilisent également tout un jeu d’idéogrammes lisibles indépendamment de la langue du
possesseur du guide (garage gratuit, restaurants, hôtels, etc.), ainsi que les affiches placées à
l’entrées des villes (monuments, hôpitaux, plages, etc.)

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— chiffres : nous lisons les temps, les dates, les heures, les paginations, les
températures, les vitesses, les consommations d’eau, de gaz, d’électricité, le poids des
balances automatiques, les prix des caisses enregistreuses, etc. tous les jours et tout le jour.
Nous lisons plus d’informations personnelles quotidiennement sur des cadrans, des voyants,
des tickets, des fiches que nous ne recevons de lettres.

— la signalisation routière, qui constitue un système de communication fait de signaux


conventionnels, à dessins reconnaissables ou non, largement internationaux et d’usage
quotidien. Un conducteur sur route est en communication constante avec tout un réseau
d’inter-informations constitué par sa route et ceux qui s’y déplacent dans les deux sens. La
signalisation routière constitue certainement un phénomène de communication : il y a un
émetteur (la loi, la police de circulation) et des récepteurs (piétons, automobilistes,
cyclistes...), il y a des messages constitués d’unités stables, séparables, opposables les unes
aux autres, dotées d’un signifiant et d’un signifié. Or, à la différence de ce qui se passe pour la
communication linguistique, il ne semble pas y avoir de réversibilité possible : le récepteur ne
devient pas à son tour émetteur par le canal su même système ou d’un système
complémentaire.

— systèmes d’idéogrammes universels qui définissent les unités de mesure et les


grandeurs scientifiques. Le plus connu de ces systèmes n’est autre que le tableau des
abréviations normalisées du système métrique, qui ne contient pas moins de 67 symboles
universels (arithmétique, longueurs, superficies, volumes, poids...). Les systèmes d’unités
physiques contiennent à leur tour au moins 285 symboles universels, exprimant soit des
unités, soit des grandeurs concernant tous les secteurs de chaque partie de la physique. La
chimie actuelle enfin offre un vocabulaire encore plus normalisé de milliers de symboles
combinables selon des lois systématiques rigoureuses (qui sont l’expression idéographique
des lois de la chimie).

— procédés de signalisation non linéaires. Prenons comme exemple la cartographie.


Les cartes géographiques, les cartes météorologiques sont lues grâce au code universel des
conventions graphiques qui permettent de traduire les indications qu’elles portent. Le tracé
cartographique proprement dit contient à la fois des catégories topographiques (rivières,
rivages, montagnes, etc.) et des indications relationnelles qu’on pourrait appeler des
équivalents de syntagmes (distances, orientations, directions). Sur ce tracé, les signes,
idéogrammes à dessins reconnaissables ou conventionnels, ajoutent d’autres catégories de
monèmes. La carte Michelin par exemple comporte une légende de plus de 70 signes distincts
(idéogrammes à dessins très schématiques et signes arbitraires utilisant des formes et des
couleurs). Il faut donc prendre conscience que la consultation d’une carte est la lecture d’un
véritable texte qu’un orienteur entraîné peut traduire à haute voix pour le conducteur en
langage ordinaire. Des cartes, on passe aux plans de tous ordres : ce sont également des textes
idéographiques qui véhiculent des centaines d’informations lues et déchiffrées comme des
pages écrites en n’importe quelle langue. Aux schémas de montage et d’assemblage, il faut
ajouter tout dessin industriel, tous les calques, toute la documentation technique. Il suffit de
nommer côte à côte les diagrammes, les organigrammes et les tableaux de toutes sortes pour
suggérer la prolifération toujours croissante de ces systèmes de communication. La lecture des
cartes, plans, graphiques et diagrammes de tous ordres ne se fait pas sur la trame du temps,
mais sur la trame de l’espace : c’est une lecture pour laquelle l’ordre des signes dans le temps
n’est plus la clé systématique. Ce qui compte pour lire ces documents qui, à la différence de
ceux de la langue, sont globalement perçus dès le premier coup de vue, c’est une analyse

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d’éléments d’espace, de relations à l’abscisse, à l’ordonnée, à des directions privilégiées, de
relations entre les positions des signes dans l’espace graphique.

4.2. Procédés de communication a-systématiques : la communication par l’image

Il est évident que la vie de l’homme moderne est entourée d’images de toutes sortes
dont l’analyse détaillée déborderait trop largement le cadre de ce commentaire. Ainsi, par
exemple, le cinéma et la télévision réunissent communication linguistique et communication
non linguistique (jeux de lumières, cadrages, plans), dans un procès de communication non
réversible fournissant un vaste domaine d’étude. Il en va de même pour la composition
picturale, que l’on peut considérer un moyen de communication non linguistique (le seul
élément linguistique étant dans ce cas le nom donné au tableau ou la légende qui
l’accompagne), susceptible d’une décomposition en traits, en couleurs, et d’une analyse
sémiologique du point de vue de la combinaison de ces éléments (perspective, profondeur,
technique...). Or, cette décomposition ne révélerait que très partiellement l’existence d’unités
stables et constantes, ayant toujours la même signification dans des messages du même ordre.
Si pour tel auteur le rouge est la couleur de la passion, pour tel autre il peut représenter la
violence ou la souffrance. C’est cette absence d’unités stables qui fait que ces procédés de
communication employant l’image et ses composantes se rangent dans le groupe de ce que
Mounin appelle des procédés a-systématiques. De même que les procédés cartographiques ils
peuvent aussi être caractérisés comme non-linéaires lorsqu’il s’agit d’images fixes, le sens
étant perçu sur la trame de l’espace, et non du temps. Le déroulement d’images successives
des films ou des spots publicitaires implique, par contre, un caractère linéaire.

Prenons l’exemple de l’affiche publicitaire. Le mot publicité lui-même recouvre des


images de caractère assez différent, qui sont déjà les moments d’une histoire. Une collection
de bon affichiste permet de constater l’évolution : tout se passe comme si la publicité avait
d’abord essayé d’utiliser l’affiche comme une oeuvre d’art faite par un artiste au service d’une
marchandise, d’attirer donc l’attention à travers l’intérêt artistique de l’affiche. Les affiches de
cette première époque se caractérisent par la recherche esthétique au service d’une
psychologie de la vente encore rudimentaire. C’est en fait le progrès de cette psychologie qui
a permis une conception différente, de plus en plus idéographique : l’image publicitaire doit
véhiculer une valeur, associée à la possession de l’article offert (jeunesse, beauté, succès,
liberté... garantis par la possession de telle voiture, par l’achat de tel parfum, etc.), de telle
sorte que la reproduction fidèle de l’image de la marchandise est de plus en plus déplacée par
les images censées transmettre cette valeur. Or, dans ce cas aussi, l’on constate que l’emploi
d’un signe (par exemple l’image d’une belle jeune femme) n’a pas toujours le même sens
dans des messages différents. En ce qui concerne les spots télévisés, ce message visuel,
sciemment conçu pour être inconsciemment enregistré, se double d’une communication
linguistique, d’un message verbal non moins élaboré dont la fonction peut être diverse (v. T.
66); mais même dans ce domaine audiovisuel, la conscience que les publicistes ont de
l’importance de l’image les conduit parfois à supprimer presque totalement le message verbal.

Les prospectus et les dépliants montrent également cette utilisation de l’image comme
procédé de communication non linguistique. Ainsi par exemple, un prospectus édité par une
entreprise de réfrigérateurs pourra comporter très peu de texte; par contre, la mise en scène
photographiée de l’appareil ouvert fournit des renseignements qui répondent de la manière la
plus simple à beaucoup de questions (longueurs, largeurs, profondeur, compartimentages,
utilisation des casiers, contenances concrètement définies grâce à l’utilisation d’objets dans

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les diverses parties de l’appareil). L’acheteur éventuel peut répondre, sur le vu d’une photo,
dont la mise en scène est conçue de façon didactique, aux questions les plus diverses.

Conclusion

« Communiquer » est un processus beaucoup plus complexe que ne le laissent supposer


nos habitudes langagières. Il ne s’agit point seulement de l’utilisation d’une langue concrète
en vue de la construction d’un message. Les études sur la communication ont mis en évidence
que celle-ci fait intervenir non seulement le code linguistique, mais aussi des normes et des
principes socio-culturels, des données relationnelles, psychologiques, spatio-temporelles, des
stratégies inférentielles permettant d’accéder aux contenus implicites, des données non
verbales, des stratégies de lecture et d’interprétation linguistiques et non linguistiques,
linéaires et non linéaires... Nous devons en somme manier simultanément un tel nombre de
variables que l’on s’étonne que la communication réussisse. Et cependant elle réussit le plus
souvent.

En effet, nous sommes constamment inscrits dans divers « circuits » de communication


que nous maîtrisons de façon inconsciente pour la plupart du temps (communication en face à
face, au téléphone, mais aussi réception et interprétation constante de messages que nous
recevons de notre entourage), grâce à des stratégies progressivement acquises au cours de
notre développement cognitif.

Si nous faisons porter ces réflexions sur le domaine de l’acquisition d’une langue
étrangère, il devient vite évident que la communication en langue étrangère ne saurait, pas
plus qu’en langue maternelle, se réduire à la mise en exercice de la langue. C’est pour cette
raison que l’on ne peut pas borner l’acquisition au seul apprentissage du « code linguistique »
avec son lexique et ses règles phonétiques, grammaticales, syntaxiques. Cette compétence
doit nécessairement être élargie par l’acquisition parallèle de compléments discursifs, socio-
culturels et stratégiques qui permettent d’obtenir en langue étrangère les mêmes capacités
communicatives que nous déployons en langue maternelle. C’est ce que les approches
communicatives en didactique des langues étrangères ont mis en évidence, en se marquant
comme objectif l’acquisition d’une compétence de communication, non seulement d’un
savoir, mais aussi d’un savoir faire intégrant toutes les composantes de la communication. Or,
l’apprenant jouit, à cet égard, d’un avantage incontestable, fourni par la compétence déjà
acquise en langue maternelle, qui lui permet d’affronter quotidiennement avec succès des
centaines d’échanges communicatifs.

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