Location via proxy:   [ UP ]  
[Report a bug]   [Manage cookies]                

Contrib8 10

Télécharger au format pdf ou txt
Télécharger au format pdf ou txt
Vous êtes sur la page 1sur 42

Rite démocratique par excellence, l’élection constitue un moment majeur dans la vie politique d’un État.

C’est d’elle que découle la représentation, la formation des gouvernements et la conduite de la politique de la
nation. En effet, lors des élections législatives, le vote des électeurs ne se fait pas uniquement pour désigner
une assemblée mais aussi pour déterminer la composition du gouvernement.

Étape cruciale dans le processus démocratique, l’élection met en relief les enjeux de pouvoir, les conflits
d’intérêt, les confrontations idéologiques, d’où dans les démocraties bien établies, la survenance parfois de
dérapages, bavures ou dérives et dans les démocraties émergentes, la persistance de mécanismes électo-
raux contrôlés, maîtrisés, souvent faussés par des techniques plus ou moins sophistiquées communément
admises. D’ailleurs, la présence d’observateurs internationaux souvent sollicités par les pouvoirs eux mêmes
laissent deviner à quel point l’élection est une phase sensible dans laquelle les avancées ne sont pas toujours
irréversibles.

De fait, la bonne santé électorale des consultations et leur déroulement serein et conforme au droit sont
des indicateurs de bonne gouvernance et de développement humain avancé. Tout autant que l’option pour la
séparation des pouvoirs et l’État de droit, la référence à l’approche « genre » ou l’adhésion à la notion
d’affaires locales, la conduite d’élections libres et sincères joue un rôle capital dans le vaste enjeu de la gou-
vernance.
Par ailleurs, conduire des consultations électorales nécessite et implique un corpus normatif, des codes
électoraux, des modes de scrutin appropriés, des techniques électorales élaborées, des calculs précis, des
contrôles multiples et variés, bref tout un ensemble institutionnel et procédural, obéissant à des objectifs ini-
tialement déterminés et débouchant parfois sur des trajectoires plus ou moins attendues.
Toujours est il qu’au Maroc, les consultations électorales ne ressemblent pas à « un long fleuve tranquille »
et l’histoire politique depuis l’indépendance montre qu’à travers le rythme de la représentation, ce constat se
vérifie largement. Excepté les périodes d’état d’exception ou de régime transitoire où les parlements ont été
suspendus ou inexistants, les assemblées législatives ont vu à plusieurs reprises leur mandat prorogé et, de
ce fait éloigner les échéances électorales fixées. C’est dire que les consultations électorales ont toujours
constitué des moments de forte tension où l’émotion et la passion étaient vivaces et où on a souvent assisté
d’un côté, à la crainte de grand bouleversement et de l’autre, à une méfiance, un désenchantement et à un
« à quoi bon » manifestés par un taux de participation en constante décroissance, corroboré par la morosité
quasi générale des campagnes électorales et ce, malgré des tournants politiques cruciaux et historiquement
datés. Ainsi en est-il de 1963 et des premières élections législatives, 1977 et de la réconciliation autour de
l’affaire du Sahara, 1997 et de l’espoir de l’alternance par delà des élections fondatrices et de la première
assemblée élue au suffrage universel direct, 2002 et des élections porteuses d’espoir d’une nouvelle ère.
Pour ces dernières, il convient tout d’abord de souligner qu’il s’agit des premières élections du nouveau
règne et que dans ce sens, s’imposaient des objectifs de rupture, de transparence, de démocratisation et de
crédibilisation des institutions 1. À la fois pour redonner confiance à l’électorat mais également pour tenter de
mesurer le poids réel des nombreuses formations politiques en lice, des mesures nouvelles ont été prises

1. Pour A. Bennani, ex président de l’OMDH, « la seule façon de contrer l’autoritarisme est de réhabiliter les institutions surtout le parlement
et la justice. » In S. Labat : La monarchie marocaine à la croisée des chemins. Les cahiers de l’orient. No 74, p. 11.

339
telles que la mise en place par un collectif associatif d’un observatoire de contrôle, d’un corps de super-
viseurs et le gel par les pouvoirs publics des anciens textes relatifs aux commissions habituelles chargées du
suivi des élections.
En second lieu, il paraît également important de mentionner que ce sont les premières élections conduites
par un gouvernement d’alternance à dominante socialiste et qu’elles se sont déroulées dans un champ poli-
tique fragilisé par une coalition précocement touchée par l’usure du pouvoir 1, un mouvement islamiste forte-
ment présent malgré ses divisions et une société civile effervescente qui s’active dans une large campagne
de sensibilisation à l’acte électoral.
Le nouveau cadre juridique relatif aux élections législatives est scellé dans une loi organique modifiée et
avalisée par le Conseil constitutionnel. L’intérêt de la modification intervenue en 2002 se situe au niveau de
l’amorce d’une rupture par rapport au contenu des anciennes moutures et par rapport à la multiplicité des
entrepreneurs normatifs. En effet, la loi organique sera l’œuvre de plusieurs intervenants institutionnels ou
para institutionnels tels que le Roi, le Parlement, le Gouvernement, le Conseil constitutionnel, la société
civile, et les différentes formations politiques au sein d’une Commission chargée de l’examen des réformes
et du droit électoral et dans laquelle le ministère de l’intérieur est au cœur de la concertation. Quant à la rup-
ture au niveau du contenu, elle se situe dans les modifications qui ont porté sur la moralisation et la démocra-
tisation du processus électoral et dont on pourra citer parmi les plus significatives, l’aggravation des
sanctions pour fraude électorale, l’introduction de la représentativité des femmes et le changement du mode
de scrutin en faveur de la représentation proportionnelle. Il serait juste également de rappeler que le nouveau
code électoral en tant que document unifiant et regroupant les données juridiques relatives à toutes les
consultations électorales, a été adopté – à la veille des élections communales – et qu’il comporte aussi des
modifications importantes telles que l’abaissement de l’âge électoral à dix huit ans.
Il paraît loisible de préciser que l’étude des consultations électorales au Maroc ne peut être menée à bon
escient sans rappeler certaines données fondamentales telles que le rôle central de la monarchie 2, la forte
imbrication mouvement national / partis politiques, l’islamisation de la société, le taux élevé de scissiparité
des partis politiques, la difficile recherche de légitimité des partis dits de droite ou du centre, la lente frag-
mentation de la gauche, l’émergence du mouvement berbériste... Par ailleurs, s’agit il au Maroc depuis 1955
de rechercher par le biais des élections, une représentation ou des soutiens au régime ? Souhaite-t-on de part
et d’autre des acteurs politiques, dégager des forces politiques capables d’asseoir un régime parlementaire
ou éparpiller les différents sensibilités dans un multipartisme de façade ? Les consultations marocaines (sont
elles plus) destinées à réaffirmer les symboles unanimitaires qu’à intégrer la population au système poli-
tique 3 ? Le rapport élection/représentation est il soudé, l’un impliquant l’autre, ou s’agit il de deux notions dis-
tinctes dans lesquelles interviennent des corps intermédiaires pour orienter dans un sens donné 4 ? La
représentation avec un grand R n’est elle pas inédite, particulière, sui generis diluée puisque d’une part, les

1. L’exercice du pouvoir par les partis du mouvement national dans le cadre de l’alternance plus les résultats des élections de sep-
tembre 2002 ont mis l’accent sur la crise de représentativité qu’ils traversent.
2. « Le Roi a, à plusieurs reprises, indiqué de manière claire qu’il souhaitait régner et gouverner. Les grands dossiers en matière de droits
humains, statut personnel, développement économique, sont traités directement par lui ou ses conseillers. La nouvelle ère pourrait ainsi se
comprendre comme l’installation par le Roi de ses fidèles aux postes de commandement économique et politique. Ce que manifeste précisément
l’idée de « monarchie exécutive et démocratique » qu’il développe à partir d’une interview accordée au quotidien français le Figaro le 4 septembre
2001, longuement commentée dans les milieux politiques et intellectuels marocains. » M. Catusse et F. Vairel : Ni tout à fait le même ni tout à fait
un autre « Métamorphoses et continuité du régime marocain. Maghreb Machrek, no 175.2003, p. 82. Idée non contredite par R. Leveau qui
constate que « Mohammed VI a envie de régner. Il va endosser l’habit du Commandeur des croyants car tout le monde en appelle à son arbi-
trage. » In S. Labat : La monarchie marocaine à la croisée des chemins. Op. cit., p. 22.
3. Alain Claisse : Élections communales et législatives au Maroc (10 juin 1983-14 septembre et 2 octobre 1984, AAN 1984, p. 633.
4. À cet égard M. Tozy constate que les gens « voient souvent les élections non pas comme une représentation des partis, mais comme la
cooptation d’une élite. » Propos recueillis par Florence Beaugé. Le Monde du 28.9.02.

340
représentants ne sont pas les seuls à « vouloir pour la nation » selon le mot de Barnave, le Roi étant repré-
sentant suprême de la nation et d’autre part, au Maroc, l’élection ne constitue pas un dogme car en effet, le
Roi détient sa représentativité d’une logique ontologique et historique. Il s’agit d’une donnée qu’il ne faut pas
perdre de vue pour souligner l’évolution des processus de consultation au Maroc et comprendre l’« entre-
deux » de la représentation. Ainsi, il paraît difficile d’entreprendre une étude sur le processus électoral au
Maroc sans évoquer la question de l’assemblée constituante laquelle a opposé les forces de l’opposition de
l’époque (UNFP notamment) et le palais. En effet, dés le départ et après les accords de la Celle Saint Cloud
traçant pour le Maroc le cadre d’un régime représentatif de toutes les forces politiques, s’est posé la ques-
tion du « comment » de l’élaboration de la charte fondamentale et par ce « comment », se posait fonda-
mentalement la problématique des détenteurs de la souveraineté et surtout des marges de manœuvre des
uns et des autres. Pour un commentateur 1, « les partis d’opposition qui réclamaient l’élection d’une assem-
blée constituante ne pouvaient évidemment pas souscrire à une procédure laissant au Roi seul le soin de
définir le contenu de la loi fondamentale. » Ces derniers contestaient la procédure et le contenu de la consti-
tution qui sans le biais de l’élection revenait pour eux à une constitution octroyée. Cette prise de position
récurrente et originaire va apparaître jusqu’en 1996 dans les attitudes de l’opposition au moment des révi-
sions constitutionnelles. Dans ce sens, si toutes les révisions constitutionnelles sont inattaquables juridique-
ment, elles portent en elles les germes d’un refus, boycott ou abstention lesquels affaiblissent politiquement
une loi fondamentale qui reste de ce fait contestée par des forces politiques issues du mouvement national,
et qui ont résisté longtemps et vainement à un compromis sur cette question. De fait, il faudra considérer la
révision de 1996 comme une date fondatrice dans la mesure où elle marque l’abandon de la culture de la
constituante au profit d’une adhésion à une autre posture positive et participationniste. De la culture du refus
à celle de la gestion. À cet égard, il pourrait être tentant d’assimiler cette évolution à une séance cinémato-
graphique au cours de laquelle il est diffusé un film sur les élections au Maroc depuis l’indépendance avec
comme arrière plan, une image opaque et persistante, qui brouille la visibilité tout en installant une tension
lourde qui n’a disparu que récemment par un suprême renoncement/compromis/évitement de la part de
l’opposition de l’époque.
En cinquante ans d’indépendance, le Maroc a conduit sept consultations électorales législatives. Un regard
porté sur le cadre juridique, les systèmes électoraux et comportements s’y rapportant révèle des éléments
dont on peut souligner l’intangibilité et d’autres qui ont par contre, subi certaines modifications de la part des
textes, mais aussi de la part des différents acteurs impliqués. Cette perception pourra être mise en exergue
à travers trois paramètres, l’évolution du droit de suffrage, qui peut voter et qui peut se présenter pour mesu-
rer l’étendue de l’électorat, de l’éligibilité et les éventuelles exclusions (I), les modalités du suffrage, c’est à
dire le « comment », l’outillage juridique et les techniques utilisées (II) – et le contrôle, car la vérification reste
un indicateur de bonne gouvernance (III).
Convient-il également de rappeler que, en quelques pages, l’étude ne peut prétendre à l’exhaustivité et
que certains éléments du reste importants, ne seront qu’effleurés tels que le découpage, la composition des
bureaux de vote, les horaires ou le financement. En outre, les élections locales sont justiciables du rapport
relatif à la décentralisation.

1. M. Rousset : Le royaume du Maroc. IIAP. Berger Levrault, p. 73.

341
I. L’évolution du droit de suffrage

Il s’agit ici de circonscrire l’étendue de ceux qui votent et de ceux qui peuvent se porter candidats à l’aune
des cinquante années d’indépendance.

1. L’électorat

1.1. L’universalité du suffrage

Celle ci est elle assurée ? En d’autres termes, tous les individus sont ils titulaires du droit de vote et sont ils
ainsi citoyens ? Dans ce sens, il convient de préciser qu’un dispositif normatif clair entoure le caractère uni-
versel du suffrage tout en prévoyant un certain nombre de limitations en cours dans les autres pays et qui du
reste, demeurent conformes au principe démocratique.

1.1.1. La consécration du caractère universel du suffrage


Plusieurs textes font mention du caractère universel du suffrage notamment, la constitution, la loi orga-
nique relative à la chambre des représentants et le code électoral.

A. La constitution
À côté de certaines dispositions générales touchant indirectement l’élection telles que l’article premier de
la Constitution qui énonce que « le Maroc est une monarchie constitutionnelle démocratique et sociale », ou
l’article 5 pour qui « tous les marocains sont égaux devant la loi », d’autres dispositions ont une proximité
plus nette avec le suffrage. Ainsi en est il de l’article 8 qui dispose que « l’homme et la femme jouissent de
droits politiques égaux. Sont électeurs tous les citoyens majeurs des deux sexes jouissant de leurs droits
civils et politiques », de l’article 9 qui rappelle que « la constitution garantit à tous les citoyens... la liberté
d’opinion, la liberté d’expression sous toutes ses formes... » et du préambule de la constitution qui « réaf-
firme l’attachement du Maroc aux droits de l’homme tels qu’ils sont universellement reconnus. » À cet
égard, il faut rappeler l’article 21 de la Déclaration universelle des droits de l’homme et l’article 25 du Pacte
international relatif aux droits civils et politiques lesquels consacrent « le droit des citoyennes et des citoyens
de prendre part à la direction des affaires publiques notamment par le biais d’élections périodiques et hon-
nêtes. »
Si l’article 8 de la Constitution consacre expressément l’égalité politique entre les deux sexes, cette préci-
sion sera souvent perçue comme un « moins » par rapport à l’égalité juridique qui achoppe à certaines inter-
prétations de l’Islam. Beaucoup pensent que le terme « politique » est superfétatoire et conforte les tenants
de l’intangibilité du statut personnel de la femme.
En consacrant à tous la liberté d’expression, l’article 5 protège le droit de suffrage qui en est une des gran-
des manifestations. Il faut préciser ici que de tels articles n’ont subi aucune modification depuis la promulga-
tion de la première loi fondamentale.
Quant à la référence aux droits de l’homme située dans le préambule de la constitution apparue lors de la

342
révision intervenue en 1992, elle place le Maroc sous l’empire des conventions internationales dûment rati-
fiées. Dans ce sens, le Maroc se trouve en principe lié à la fois par les deux pactes internationaux ratifiés en
1979, la Convention des droits politiques de la femme ratifiée en 1976 et la CEDAW ratifiée en 1993.

B. La loi organique relative à la Chambre des représentants


Dans les dispositions générales du chapitre premier, l’article 3 mentionne que « sont électeurs pour l’élec-
tion des représentants, les marocains des deux sexes inscrits sur les listes électorales générales. »

C. Le code électoral
L’article 3 rappelle que « ...les marocains des deux sexes âgés de 18 années grégoriennes révolues à la
date de l’établissement des listes électorales définitives en vertu des dispositions de la présente loi doivent
se faire inscrire sur la liste électorale... »

1.1.2. les limitations apportées au suffrage


Les limitations les plus classiques sont relatives au sexe, à l’âge, à la nationalité, à la capacité et à l’exer-
cice de certaines fonctions.

A. Le sexe
Il s’agit d’une limitation inexistante au Maroc car, dés la promulgation de la première constitution en 1962,
les femmes ont été citoyennes à part entière. Bien plus, elles ont voté pour l’établissement de la première
constitution et auparavant pour les élections locales en 1960.

B. L’âge
Même si plusieurs formations politiques réclamaient l’abaissement de l’âge électoral, les pouvoirs publics
maintenaient 21 puis 20 ans jusqu’à hier, craignant le vote des jeunes d’autant plus que la moitié de la popu-
lation se situe dans la tranche des moins de 18 ans. À la veille des élections de septembre 2002, le Roi
adresse un message à la nation dans lequel il annonce entre autres dispositions nouvelles, l’abaissement de
l’âge électoral à 18 ans, décision entérinée par le parlement au moment de la refonte du Code électoral 1. Il
faut mentionner qu’il s’agit ici d’un vieux souhait notamment des partis issus du mouvement national non
satisfait, malgré des signes en faveur de l’ouverture prônée en 1977 2 et qu’il contribue également à établir
une concordance avec la majorité civile.

1. Il convient à cet égard de rappeler qu’« un amendement présenté par l’USFP et le PJD, ramenant à 18 ans l’âge de la majorité électorale, a
été rejeté à une écrasante majorité. » Journal La vérité 13 avril 2002.
2. « Plusieurs mesures seront prises successivement, attestant la volonté du souverain de faire droit aux principales revendications des partis
sur les modalités de ces consultations pour en garantir le sérieux et la sincérité : tout d’abord, le report de ces élections, initialement prévues au
début avril, afin de procéder à une refonte totale des listes électorales, l’institution d’une nouvelle carte d’identité électorale, et la suspension dés
le 8 mars de la censure pour la presse nationale; ensuite certaines modifications de la loi électorale, comme l’abaissement du montant de la cau-
tion ramené pour chaque candidat de 5 000 à 2 000 DH, l’attribution pour chaque parti d’une couleur distincte et nationale sur les bulletins de vote,
et la remise du procès verbal des résultats à chaque candidat dans sa circonscription. Par contre, d’autres revendications comme celle tendant à
fixer l’âge électoral à 18 ans et celle concernant l’accès à la télévision pour la diffusion de la propagande électorale n’ont pas été retenues. »
J.C. Santucci : Les élections législatives marocaines de juin 1977. AAN 1977, p. 218.

343
C. La nationalité
Seuls sont électeurs les naturalisés après un délai de 5 ans. Par ailleurs, un débat intéressant a concerné
les MRE (Marocains résidants à l’étranger) et leur participation aux élections législatives. Certains se sont
groupés en association pour faire valoir l’exercice de leurs droits civiques. S’agit il d’un problème technique,
en l’occurrence quelle circonscription prendre comme base électorale, est ce plutôt un problème politique ?
L’électorat se trouve-t-il dans une autre immersion, plus libre, plus contestataire, imprégnée d’autres valeurs
de citoyenneté, ou des valeurs plus revendicatives dans le sens identitaire ? Toujours est il qu’il parait difficile
d’exclure du droit de vote 10 % de la population marocaine contribuant substantiellement à l’économie du
pays.
Il faut rappeler à cet égard qu’un collectif fort de 22 associations a saisi la Cour suprême laquelle a rendu
un verdict en leur défaveur. La communauté marocaine à l’étranger se trouve ainsi privée de ses droits
civiques, ce qui a pu faire dire à ce propos qu’ils n’étaient que des citoyens de seconde zone.
Il convient de rappeler que lors du scrutin de 1984, le droit d’être représenté au Parlement leur avait été
accordé. Ainsi a t on pu avancer que « l’importance croissante de cette partie de la population, son attache-
ment au pays et la masse considérable des devises qu’elle rapatrie, justifiaient une représentation au parle-
ment. Cinq circonscriptions sont établies dont deux en France et une pour le monde arabe. L’opposition se
félicite de cette innovation tout en s’inquiétant des possibilités de manipulation laissées aux ambassades et
consulats chargés des opérations électorales. » 1 Bien que sans doute délicat à mettre en place au niveau
technique du fait de l’identification des circonscriptions et de l’efficacité du contrôle, le droit de vote accordé
aux nationaux résidant à l’étranger ne peut que se situer dans la logique de l’implication des citoyens maro-
cains à l’étranger dans la prise de décision politique et leur participation à l’élaboration de la volonté générale
et partant, du regain de citoyenneté tant recherché. Comment se plaindre d’un taux de participation général
de plus en plus faible et trouver des difficultés à réconcilier les citoyens avec les urnes d’une part, et refuser
ce droit à d’autres qui le réclament avec véhémence ? Il faut préciser en revanche que leurs voix sont sollici-
tées lors des consultations référendaires. 2

D. La capacité
Sont privés du droit de vote, les individus condamnés irrévocablement, ceux privés du droit de vote par
une décision de justice, ceux en état de contumace, les interdits judiciaires, les faillis non réhabilités et les
personnes condamnées à une peine de dégradation nationale.

E. La fonction
« Ne peuvent être portés sur les listes électorales, les militaires, les agents de la force publique (gen-
darmerie, police, forces auxiliaires) ainsi que toutes les personnes visées à l’article 4 du décret du 5
février1958 relatif à l’exercice du droit syndical par les fonctionnaires.. » Ce décret vise les magistrats et
l’administration pénitentiaire, c’est à dire les fonctionnaires porteurs d’armes. Toutefois, une exception est

1. A. Claisse : Élections communales et législatives au Maroc op. cit., p. 653.Inquiétude que ne manque pas de souligner un autre commen-
tateur : « les renseignements disponibles permettent d’observer une très vive compétition entre les candidats : ils étaient 10 dans la première cir-
conscription de Paris, et bien plus encore dans la seconde circonscription de Lyon. Mais “les pesanteurs” n’ont pu être déjouées : les cinq sièges
à pourvoir ont été pratiquement répartis...Ont été élus : Marzouk Ahidar (UC) à Bruxelles, Abdehamid Naim (RNI) à Tunis, Akka Ghazi (USFP) à
Paris, Rachid Lahlou (PI) à Madrid, Brahim Barbache (PUSN) à Lyon. » M. Sehimi : Les élections législatives au Maroc.Maghreb.Machrek.107.janv-
mars 1985 La documentation française. p. 45
2. Article 134 et suiv. du code électoral. Loi no 9-97 promulguée par dahir no 1-97-83 du 2 avril 1997 modifiée et complétée par la loi no 64-02
promulguée par dahir no 1-03-83 du 24 mars 2003

344
prévue pour ces exclus du vote qui recouvrent leur citoyenneté lors des référendum, consultation à caractère
plutôt plébiscitaire. 1

1.2. Les listes électorales

L’inscription sur les listes électorales relève d’une démarche volontaire. En effet, selon l’article 2 du Code
électoral, « il sera procédé dans les conditions fixées par la présente loi et des textes pris pour son applica-
tion à l’établissement dans les communes urbaines et rurales de nouvelles listes électorales générales sur
lesquelles doivent demander leur inscription aussi bien les personnes déjà inscrites sur les listes existantes
que celles qui ne s’y sont jamais fait inscrire. »
Le délai est de 30 jours et une commission administrative est chargée d’examiner les demandes d’inscrip-
tion, les listes étant susceptibles d’être remises en cause devant le juge administratif.
À la veille de chaque consultation électorale, les partis politiques réclamaient la refonte totale des listes
électorales au motif qu’elles étaient frelatées et ne correspondaient plus au pays réel.1977, refonte totale
des listes,1996, nouvelles listes électorales, 2002, révision exceptionnelle des listes. À cause des contraintes
de temps, les formations politiques ont consenti à une simple révision exceptionnelle des listes afin de les
mettre à jour, les assainir et garantir le principe « d’un homme, une voix ».

Nombre d’inscrits le 31 mars 2002 12.622 228


Demandes d’inscription 1.495 164
Demandes acceptées 1.486 321
Demandes invalidées 8843
Radiations 228 637

Motifs des radiations :


Décès 79112
Incapacité électorale 184 66
Transfert d’inscription 85190
Inscription sur la base du lieu d’imposition 6061
Multiples inscriptions 15102
Erreurs matérielles 21128
Autres 3578
Total 228 637
Nombre final d’inscriptions au 26 juin 2002 14.125.979 2

Le Conseil constitutionnel a eu à statuer sur des plaintes relatives à la régularité des listes sans qu’il soit
aisé pour le requérant de prouver ses allégations 3.
L’évolution du droit relatif aux listes électorales connaîtrait vraisemblablement deux étapes ; la période
d’avant 2002 pendant laquelle « l’ancienne liste électorale permettait l’inscription dans les listes de la cir-

1. Ibid, article 110, 2e du code électoral.


2. M. Ibrahimi : Évolution et réforme de l’environnement politique et électoral. Élections législatives de septembre 2002. Juillet 2002. Trans-
parence et crédibilité. Royaume du Maroc. Ministère de l’intérieur.
3. Cf. Décision no 99/95 CC du 25 décembre 1995. La revue du Conseil constitutionnel. No 2. 2002. p. 183

345
conscription de naissance, d’habitation, de travail et d’imposition, ce qui ouvrait la porte aux inscriptions mul-
tiples et donc au vote multiple. Ainsi, il était possible de “parachuter” les proches d’un futur candidat dans la
circonscription convoitée. La seconde étape, après 2002,la loi réduit le droit à l’inscription seulement au lieu
de naissance et au lieu d’habitation, mais cela ne vaut que pour les nouvelles inscriptions. Les anciennes
listes n’ont pas été renouvelées totalement, l’effet parachutage reste opérant. » 1
La question des listes est cruciale car elles « constituent l’élément de base sur lequel se construit
l’ensemble de l’échafaudage de tout système électoral. La rigueur appliquée dans l’élaboration de ces listes
et leur degré de fiabilité et de conformité par rapport au corps réel des électeurs déterminent, dés le départ,
le niveau de sincérité des élections qui s’en suivent...la complexité de la procédure de rectification des ins-
criptions figurant sur les listes fait que ces rectifications sont en pratique exceptionnelles. » 2 À cet égard et
même si les listes électorales ont été annulées en 1996 3 et remplacées par de nouvelles listes soumises à la
révision annuelle, on continuait à constater que « l’obligation d’inscription à l’état civil est demeurée théo-
rique pour une partie importante de la population, ce qui est source de confusion au niveau de l’identification
des électeurs... et l’obligation de la carte d’identité nationale n’a pas été mise en œuvre pour plusieurs cen-
taines de milliers d’électeurs inscrits. » 4 En 2002, le Collectif associatif a mis le doigt sur de grosses failles
persistant encore au niveau des listes électorales. 5
D’autre part, l’inscription étant un acte volontaire, il s’agit d’une démarche active de l’électeur qui doit se
déplacer pour s’inscrire et puis par la suite, retirer sa carte d’électeur. À ce stade, le législateur a encore des
retouches à apporter. En effet, dans un territoire où les distances sont parfois grandes entre le domicile et le
bureau de vote, où le taux d’analphabétisme est encore élevé et le taux de participation faible, l’inscription
automatique pourrait constituer un facteur de facilitation et d’encouragement à l’exercice du vote. 6

2. Le droit d’éligibilité

2.1. Les limites à l’éligibilité

Celles ci se trouvent détaillées dans la loi organique. En effet, « pour être éligible à la Chambre des repré-
sentants, il faut être électeur et âgé de au moins de 23 années grégoriennes révolues à la date du scrutin. »
Il faut distinguer les inéligibilités en vigueur avant et après 2002, tenant compte des modifications inter-
venues.

1. Hebdomadaire Le journal 14-20 septembre 2002


2. Élections et droits de l’homme. Rapport d’observation sur les élections législatives du 14 novembre 1997. OMDH. p. 15
3. Après la révision constitutionnelle intervenue en 1996, « des mesures ont été prises pour l’assainissement des listes électorales (4,5 mil-
lions d’inscriptions fausses détectées sur un corps électoral de 9 millions de personnes inscrites) et l’adoption d’un code électoral. ». Pour une
observation non partisane des élections. Le collectif associatif pour l’observation des élections. Élections législatives. Septembre 2002. p. 37
4. Ibid p. 28
5. Pour une observation non partisane des élections. Op. cit. p. 50
6. Cf. en France « depuis 1995, les jeunes français atteignant l’âge de la majorité sont automatiquement inscrits sur les listes électorales de
leurs communes. » R. Guévonthian : France. Constitution et élection. Annuaire international de justice constitutionnelle. 2003. PUAM. Écoono-
mica p. 162

346
2.1.1. Les inéligibilités en cours avant 2002
Elles concernaient les personnes qui ne remplissent pas les conditions pour être électeurs, c’est à dire les
naturalisés avant la date « probatoire », les magistrats, l’administration pénitentiaire, les agents d’autorité
sous certaines conditions de délai 1, les militaires et les agents de la force publique. Certaines inéligibilités
sont aisément justifiables, d’autres s’expliquent par le souci « d’éviter que certaines personnes ne fassent
pression sur tout ou partie du corps électoral (car) ces personnes ont un privilège que ne possèdent pas leurs
concurrents. » 2

2.1.2. L’extension des inéligibilités après 2002


En plus des inéligibilités précédentes, et toujours dans une perspective de bonne gouvernance et
d’éthique, le périmètre s’est étendu aux membres de la chambre des conseillers, aux personnes condam-
nées irrévocablement à une peine d’emprisonnement pour fraude électorale, aux chefs des services exté-
rieurs des ministères dans les circonscriptions où ils exercent ou ont cessé d’exercé depuis moins d’un an et
aux dirigeants des établissements publics et des sociétés anonymes dont le capital appartient à l’État pour
plus 30 %.

A. aux membres de la Chambre des conseillers


La loi organique examinée par le Conseil constitutionnel mentionnait l’incompatibilité des deux fonctions
(membre de la Chambre des représentants et membre de la Chambre des conseillers) et non l’inéligibilité, ce
qui laissait le choix aux postulants, une fois l’élection tentée. Le Conseil constitutionnel ne statua pas sur le
principe mais sur la confusion faite entre les deux notions .Il réinterpréta la disposition de manière pédago-
gique en transformant l’incompatibilité en inéligibilité. En effet, le conseiller n’est pas dans une situation
d’incompatibilité au sein de laquelle il lui est permis de choisir un des deux mandats après son élection, mais
dans une situation d’inéligibilité laquelle ne lui permet d’enregistrer sa candidature qu’après sa démission de
son mandat de conseiller. Le Conseil constitutionnel français a bien rappelé la différence entre les deux
notions en avançant que « l’inéligibilité explique une inaptitude à être élu, l’incompatibilité est une simple
interdiction de cumuler le mandat parlementaire avec des fonctions ou activités. » 3

B. aux personnes condamnées irrévocablement pour fraude électorale


Dans ce cas, l’inéligibilité est étendue à deux mandats successifs. S’il est admis que « les inéligibilités sont
autant d’exceptions au principe de l’égalité de tous les citoyens devant les emplois publics...il ne peut se jus-
tifier que par d’autres objectifs constitutionnels. » 4 L’objectif de sincérité des élections justifie la sévérité de
la sanction et dispose d’un caractère dissuasif non négligeable.
Concernant les autres délits, il faut rappeler que le Conseil constitutionnel marocain a déclaré éligibles les
personnes ayant fait l’objet d’une sanction disciplinaire, ou à l’encontre desquelles est demandé l’application

1. Les agents d’autorité sont inéligibles dans toute l’étendue du Royaume pendant l’exercice de leurs fonctions ou moins d’un an à la date du
scrutin, et dans une circonscription comprise dans le ressort de leur commandement depuis moins de deux ans à la date du scrutin .Article 6 et 7
de la loi organique no 31-97 relative à la chambre des représentants, telle que modifiée et complétée par la loi organique no 06-02 et la loi organique
no 29-02 après.
2. F. Luchaire : La protection constitutionnelle des droits et libertés. Economica. p. 447
3. CC. déc. 28.1.6 Vienne AN 2e circonscription. Cf B. Genevois : la jurisprudence du Conseil constitutionnel, principes directeurs. STH. p. 336
4. F. Luchaire : La potection constitutionnelle des droits et libertés. op.cit. p. 447

347
d’une procédure de contrainte par corps. 1. Même la Chambre constitutionnelle devancière du conseil actuel
avait élaboré une jurisprudence souple dans la mesure où « ne sont inéligibles que les individus condamnés
irrévocablement et ceux condamnés pénalement et non civilement et par une juridiction et non par une insti-
tution judiciaire telle que le barreau par exemple. » 2

C. aux chefs des services extérieurs et les dirigeants des sociétés anonymes à plus de
30 % étatique
« Sont inéligibles dans la circonscription électorale où ils exercent effectivement leurs fonctions ou ayant
cessé de les exercer depuis moins d’un an à la date du scrutin, les chefs des services extérieurs des minis-
tères dans les régions, préfectures et provinces, les directeurs des établissements publics et les dirigeants
des sociétés anonymes dont le capital appartient directement ou indirectement pour plus de 30 % à l’État. »
Ce rajout a pour objectif de limiter la capacité d’influence de l’État 3 et tenter d’obtenir la réserve sinon la neu-
tralité de l’administration et l’indépendance du parlementaire.

2.2. Les conditions d’éligibilité

Il existe des conditions requises pour tous les candidats qu’ils soient affiliés ou non, et certaines parti-
culières, en fonction de l’existence ou non du lien partisan.

2.2.1. Les conditions communes


Tous les candidats doivent déposer une caution de 5000DH-elle était de 2000 DH en 1977- au receveur du
ministère des finances au siège de la localité, caution remboursée si le candidat a obtenu au moins 5 % des
voix exprimées, plus une fiche anthropométrique récente. 4
La candidature est examinée par le Gouverneur. Il est arrivé à plusieurs reprises que celui ci refuse d’enre-
gistrer une candidature pour des motifs divers, refus pouvant être suivi d’un recours auprès du juge
compétent. Il est loisible de rappeler à cet égard que si la justice a pu se montrer parfois plus sélective et
passive dans les cas d’atteinte à l’ordre public ou en cas d’utilisation illicite de l’argent, « elle a statué régu-
lièrement dans le cadre d’une saine application de la loi sur plusieurs rejets arbitraires de quelques candida-
tures par l’administration ». 5 Pour autant, il est apparu regrettable que l’autorité absolue de la chose jugée ne
soit pas respectée dans la mesure où parfois le gouverneur maintenait sa position en refusant d’appliquer les
décisions de la justice. 6 Il est également important de rappeler que certains candidats ont été dissuadés de

1. Déc. No 25/94 CC du 14.6.94. La revue du Conseil constitutionnel. No 2. 2002. p. 147


2. N. Bernoussi : Le contrôle de constitutionnalité au Maghreb. Essai d’interprétation de l’action des organes de contrôle en Algérie, au Maroc
et en Tunisie. Thèse de doctorat d’État. 1998. p. 42
3. Cette inéligibilité fait suite à une demande pressante des formations politiques qui vise à priver du droit d’éligibilité des fonctionnaires
publics à cause du risque d’utiliser les moyens publics à leur disposition pour fausser la compétition électorale.
4. Cette formalité « a créé quelques difficultés pour les candidats anciens prisonniers politiques, de surcroît bénéficiant de la grâce royale. »
Pour une observation non partisane des élections. op. cit. p. 48.
5. Rapport d’observation sur les élections législatives du 14 novembre 1997, op. cit., p. 45.
6. Ce fut les cas notamment des candidats A. Zarouf (ancien militaire à la retraite, Taounate) que le gouverneur écarta au motif que sa candida-
ture requérait le consentement des hauts responsables de l’État et M. Nahiri auquel le gouverneur d’Oujda opposa le même refus au motif qu’il
était sans appartenance politique. Cf Rapport d’observation sur les élections législatives de septembre 1997. OMDH. Op. cit., 30.

348
se présenter par les autorités locales et qu’ils n’ont pas opposé de résistance. Que peut on en penser ? Inti-
midation ciblée ? Technique de la « couvrance » ? D’une part, le pouvoir tiendrait alors des dossiers sur cer-
tains candidats, il voudrait un jeu plus propre sans recourir systématiquement à la chasse aux sorcières, mais
à cet égard, le rapport au droit se délite puisque tous les candidats ne se trouvent pas logés à la même
enseigne pour peu que certains sachent déployer les techniques ou l’art de l’entregent et du compromis
(résistance de la personnalisation du pouvoir par rapport à l’institutionnalisation).

2.2.2. Les conditions spécifiques


Les candidats ayant une appartenance politique doivent obtenir une lettre d’accréditation délivrée par
l’organe compétent de la formation politique au nom de laquelle la liste ou le candidat se présente. À cet
égard, des négociations ont pu être relevées à la veille des élections de septembre 2002 au sujet des lettres
d’accréditation ; un scénario insolite consistait à solliciter la tête de liste du parti auquel on adhère et donc la
lettre d’accréditation et en cas de refus, demander une accréditation à un autre parti moins sollicité, l’obtenir,
gagner le siège et retrouver sa formation initiale.
Les candidats sans appartenance politique appelés communément SAP doivent réunir un certain
nombre de conditions : la présentation du texte imprimé de leur programme, l’origine du financement de leur
campagne électorale et un nombre substantiel de parrainage.
La question des candidats sans appartenance politique est une question récurrente apparemment pas
encore réglée au Maroc. En effet, la politique de feu Hassan II longtemps « notabiliaire » privilégiait initiale-
ment les candidatures « neutres ». Ainsi a t on pu avoir un parlement à majorité « neutre » en 1971, par ail-
leurs, un grand parti actuel ne doit il pas sa naissance à un rassemblement d’anciens « SAP » ? Mais en 1984,
revirement de situation, feu Hassan II annonce qu’il déclarerait anticonstitutionnel quiconque se présenterait
aux élections législatives sans étiquette politique. Entre temps, les choses avaient évolué et la carte politique
commençait à être moins maîtrisable. Pour canaliser le champ politique et surtout l’éclaircir 1 pour éviter que
ne se cachent derrière les candidatures SAP, des mouvements interdits, des lobbies occultes ou pour mieux
répartir les cartes, 2 la loi organique relative à la Chambre des représentants interdit implicitement les candi-
datures SAP. Le Conseil constitutionnel censure cette interdiction pour contrariété avec la constitution
laquelle garantit la liberté d’association, la liberté d’adhérer à toute organisation syndicale et politique de leur
choix (article 9), l’égal accès de tous, dans les mêmes conditions aux fonctions et emplois publics (article 12)
et le droit d’éligibilité garanti à tous les citoyens.
Le Conseil a rappelé d’autre part, le rôle de l’élu qui est avant tout représentant de la nation et non d’un
parti politique, disposant au même titre que les autres élus affiliés, des mêmes droits et obligations. Cepen-
dant, par une démarche constructive et directive, la haute juridiction précise également que rien n’interdit au
Gouvernement de fixer les conditions de déroulement des candidatures SAP. En d’autres termes, elle sug-
gère au Gouvernement d’imaginer un « mode d’emploi » c’est à dire d’une certaine manière, des conditions
dans lesquelles la régularité pourrait être satisfaite. Le Gouvernement refait alors sa copie et demande
l’urgence, l’échéance électorale approchant. La réécriture comporte désormais trois exigences, un pro-
gramme, les sources de financement, 100 signatures d’élus pour les listes locales et 500 pour la liste natio-

1. Le pouvoir n’est pas le seul à réagir face à des candidatures qui « n’entrent pas dans le jeu »; en effet, celles ci « ont toujours été accusés
par les partis politiques du mouvement national de fausser le processus de démocratisation. » Pour une observation non partisane des élections.
Op. cit., p. 32.
2. Pour R. Leveau, « la répartition préalable des sièges au parlement continue à fonctionner en incluant, cette fois dans le jeu, la place des isla-
mistes dans le système. » Le Makhzen. La monarchie à l’épreuve. Les cahiers de l’orient No 74. op. cit., p. 57.

349
nale. Malgré l’atteinte au principe d’égalité devant la candidature, le Conseil déclare la nouvelle mouture
conforme à la constitution, confortant sans doute la classe politique mais laissant les SAP et les juristes
assez mal à l’aise.
Quelles peuvent être les motivations des candidats SAP ? Pour un commentateur, « cette étiquette
recouvre en fait des situations politiques diverses, puisqu’elle rassemble à la fois des candidats se réclamant
du courant pro monarchiste, des personnalités locales qui briguent un siège en dehors de toute affiliation
politique mais en raison de leur audience personnelle et ceux qui tout en étant dans la mouvance d’un parti,
préfèrent conserver par divers calculs une certaine neutralité. » 1 Pour d’autres 2, « cette présence des candi-
datures SAP constitue un indice du recul des partis politiques dans le domaine de l’encadrement des candi-
dats. Et cette défiance est apparue clairement lorsque ces partis ont été incapables de présenter des
candidatures dans toutes les circonscriptions.... La candidature des SAP fut également contestée par tous
les partis politiques, surtout les partis de l’opposition qui considéraient que ce fait allait constituer un obstacle
devant la formation d’une majorité parlementaire.... Le Roi trancha sur la question en déclarant que les candi-
dats SAP pourraient se présenter aux élections, mais qu’en cas de victoire, ils devaient s’affilier à un parti
politique conformément à l’article 3 de la Constitution... ».
Recul des partis politiques ? Sans doute si on constate que 40 % des candidatures en 1977 sont des candi-
dats indépendants. Peut être si l’on mesure que malgré le système proportionnel choisi en 2002, et malgré
l’offre des partis politiques au nombre de 26, les candidats SAP sont présents. 3
Cependant, il ne faut pas négliger à l’actif de l’émergence des SAP, la configuration du système politique
marocain dont l’essence et les soutiens se recrutaient généralement au niveau des élites locales par notam-
ment le truchement du scrutin uninominal- considéré par feu Hassan II comme un élément de la souverai-
neté au même titre que sa position par rapport l’assemblée constituante- et que donc, l’observateur ne peut
que constater que depuis l’indépendance et de plus en plus et au fur et à mesure des consultations électo-
rales, le terreau est favorable à l’émergence de ces candidats dits « indépendants », hostiles à toute attache
idéologique. Les seules fois où le pouvoir a fait volte face en réagissant contre ce phénomène, ce fut en
1984 par un discours royal et plus discrètement en 2002 par une décision du Conseil constitutionnel.

2.3. La représentation des femmes

La loi organique modifiée prévoit implicitement un quota féminin. La Chambre des représentants
comprend 325 sièges, 295 sont obtenus sur la base de listes locales et 30 sur la base d’une liste nationale.
Au sein de la commission, s’est dégagé un consensus qui consiste à réserver la liste nationale aux candida-
tures féminines. En effet, la classe politique était consciente de l’absence des femmes au sein des pouvoirs
publics constitués. Avec 2 femmes élues dans l’ancienne Chambre des représentants, le Maroc se situait au
118e rang mondial au niveau de la participation des femmes dans le monde législatif. 10 % des candidats en
1984 (en 2002, la moyenne mondiale de participation politique des femmes est de 14,3 %, de 38,8 % pour
les pays nordiques et 4,6 % pour les pays arabes). Par ailleurs, le Maroc a ratifié la CEDAW en 1993 (laquelle
est entrée en vigueur en 2000) avec des réserves certes, mais qui n’affectent nullement le principe d’égalité

1. J.C. Santucci : les élections législatives marocaines de juin 1977. AAN 1979 p. 220.
2. O. Filali : L’élite parlementaire marocaine sous le cinquième mandat 93-97 in Anciennes et nouvelles élites du Maghreb. Inas Ceres. Edisud.
IREMAM. Colloque Zarziss III. 2003 p. 188.
3. On a recensé en 2002, 5 listes locales de SAP dont 2 à Oujda, 1 à Meknès, 1 à Sidi kacem et 1 à Tiznit. Pour une observation non partisane
des élections. Op. cit., p. 53.

350
politique entre les deux sexes clairement exprimée dans la loi fondamentale. D’autre part, la représentativité
des femmes étant un critère universel de développement humain, le pouvoir a concédé une ancienne reven-
dication féministe qui reste le fruit d’une longue action menée par les ONG féminines.
À ce niveau, il faut saluer l’habileté avec laquelle les entrepreneurs normatifs ont manœuvré pour éviter la
censure du Conseil constitutionnel. Ainsi, la loi organique ne parle que d’une liste nationale et les diverses
familles politiques se sont entendues par le biais d’un pacte moral pour ne présenter que des femmes sur la
liste nationale (pacte généralement honoré).
Au sein de la commission et sans doute influencé par la jurisprudence française qui récuse le vote par caté-
gorie contraire au caractère universel du vote, les débats ont semble t il été houleux surtout quant à la contra-
riété de la liste féminine par rapport à l’article 8 de la Constitution qui affirme l’égalité des droits politiques
entre les deux sexes. Jamais la censure éventuelle du Conseil constitutionnel n’aura été brandi avec autant
de menace, ce qui a eu l’avantage d’intérioriser d’une part le principe d’un gardien normatif, mais d’autre part
d’interpeller sur le tollé occasionné par la représentativité des femmes, ce qui confirme le caractère éminem-
ment sensible de la participation des femmes à la gestion de la cité.
L’intérêt de la liste nationale, provisoire, juste « le temps de lever les freins socioculturels » 1 conforme au
principe de la discrimination positive dégagée par les conventions internationales aura eu l’avantage de multi-
plier les candidatures féminines par 12, le nombre d’élues par17,5, de faire passer le Maroc au 69e rang, de
contribuer à donner à la Chambre 35 élues, de mettre en exergue le rôle du Conseil constitutionnel, de mon-
trer qu’un pacte moral peut contourner le droit écrit, et de relativiser les critiques classiques faites habituelle-
ment aux quotas ou aux sièges réservés.

II. L’évolution du suffrage

Il convient de mentionner la survenance de quelques changements d’importance inégale à la fois dans les
modalités du vote, les modes de scrutin, le découpage et la campagne.

1. Les caractères du vote

1.1. Le vote personnel

Aucune disposition que ce soit dans la loi organique ou dans le code électoral n’envisage le vote par corres-
pondance ou par procuration, procédé en cours dans les autres pays pour essayer de contrer les effets de
l’abstentionnisme technique. Par ailleurs, il n’apparaît pas opportun de l’adopter compte tenu des possibilités
de fraude qu’il peut ouvrir.

1. M. Ibrahimi : Évolution et réforme de l’environnement politique et électoral. Élections législatives de septembre 2002. op. cit.

351
1.2. Le vote secret

Il constitue un aspect fondamental des élections démocratiques, en « protégeant le faible des pressions
du fort (mais également en isolant) l’électeur de ses égaux et en (permettant de rompre) dans l’isoloir des
solidarités qu’il se sentirait tenu d’afficher en public. » 1 De fait, il est synonyme de liberté tout simplement.
La procédure du vote est détaillée dans l’article 71 de la loi organique relative à la chambre des représen-
tants. Pour préserver l’anonymat et éviter les pressions, deux instruments sont prévus, l’isoloir et le bulletin
plié et déposé par l’électeur lui même dans l’urne. Avant les modifications de 2002 et notamment l’avène-
ment du scrutin de listes lequel nécessite des bulletins plus grands, l’électeur avait le choix entre plusieurs
bulletins de couleur duquel il en choisissait un et le mettait dans une enveloppe qu’il introduisait par la suite
dans l’urne. Un tel moyen avait été abondamment critiqué car il permettait à l’électeur éventuellement
« acheté » de rapporter les bulletins non utilisés au candidat corrupteur d’autant plus que les paniers dans les
isoloirs n’étaient pas prévus. Ce qui peut-être a été rattrapé au niveau de l’achat des voix a été perdu en sim-
plicité car l’électeur de base se repère difficilement devant la multitude de logos sur lesquels il doit apposer
une croix.

1.3. Le vote individuel

À l’opposé du vote plural, le vote individuel est symbolisé par l’expression « un homme, une voix ». L’his-
toire des consultations électorales, si l’on s’en tient aux rapports des observatoires, de la doctrine, des
recours devant les commissions et devant les juridictions montrent que ce caractère du vote a été malmené.
La conjonction de plusieurs éléments a permis à certains électeurs de voter plusieurs fois. On peut citer à cet
égard, l’état d’actualisation des listes, l’absence d’apposition d’encre indélébile avant 2002 2, l’inexistence de
paniers dans les isoloirs, l’utilisation de bulletins multiples, les cartes d’électeurs sans photographies, la non
généralisation des cartes nationales et la possibilité de faire appel à deux témoins pour voter, etc. Plusieurs
rapports d’observation et d’articles de presse ont mis en exergue des défaillances dans le système de vérifi-
cation de l’identité des électeurs. D’une part, « il a été établi sur la base de nombreux témoignages des
membres de l’organisation et d’électeurs, qu’un nombre indéterminé de cartes ont été établies par les auto-
rités locales dans différentes régions, sans porter la mention “duplicatã et en dehors des deux cas prévus par
la loi.. la condition de régularité de la délivrance de la carte qui doit être retirée personnellement par chaque
électeur après émargement devant son nom sur la liste électorale n’ a pas été observée dans les cas de dis-
tribution de cartes à domicile... une autre irrégularité résulte de l’utilisation des cartes d’électeurs non
remises à leur titulaire par des personnes autres que ces dernières, alors qu’elles devaient demeurer dépo-
sées entre les mains de l’administration. » 3, d’autre part, « plusieurs présidents de bureaux de vote n’exi-
geaient pas la présentation d’une pièce d’identité avec photo..et le vote a été fréquemment effectué sur
présentation de la seule carte électorale » 4.

1. P. Martin : Les systèmes électoraux et les modes de scrutin. Montchestien. Clefs. Politique. p. 21.
2. L’apposition de l’encre indélébile « est possible et non obligatoire en cas de doute sur l’identité du votant » article 71 de la loi organique de
1997... Donc le vote multiple est possible en justifiant de plusieurs pièces d’identité.. » Élections et droits de l’homme. op cit., p. 16.
3. Rapport d’observation sur les élections législatives du 14 novembre 1997. Op.cit., p. 29.
4. Ibid., p. 34.

352
1.4. Le vote électronique

Aucune mention n’en est faite. Ceci peut aisément s’expliquer par des considérations techniques d’équi-
pement, de logistique mais également de préparation du corps électoral qui découvre des logos – certains
parlants, d’autres moins – caractérisant les diverses familles politiques et ce malgré les tentatives d’explica-
tion dans les médias, les meetings et les campagnes de sensibilisation.

Il est intéressant d’observer les différents symboles choisis car ils attestent d’un imaginaire fécond révéla-
teur de nombreux paramètres, voire indicateurs :
L’USFP la rose/influence du PSF ? de l’Internationale socialiste ?
Le PUD la théière /valeurs traditionnelles, boisson ancestrale communément appréciée ?
Le MP le poignard/valeurs protectrices ? du terroir ? guerrières ? défensives ?
La GSU les 4 bougies /l’espoir, la lueur ou l’illusion ?
Le AHD la voiture/la modernité/le progrès ?
Le PI La balance/l’équité ? le droit ? l’égalitarisme ?
Le PPS Le livre ouvert/la connaissance ? le Coran ? le refus de tout dogmatisme ?
Le PND La clef, la solution aux problèmes ?
L’ADL le réveil/rattraper le retard ?
Le CNI le bateau/le grand voyage ou nous mener en bateau ?....
Les FC La maison, soyons constructifs ?
Le PCS L’abeille, allez, au travail !
Le RNI La colombe, pacifisme et sérénité/accommodant ?
Le PML Le lion, la force et le pouvoir ?
L’UC Le cheval, la noblesse et l’art équestre arabe ?
Le PED La gazelle, le beau, important dans le rapport séduction/pouvoir ?
Le PDI Le chameau, le terroir, l’énergie, la frugalité, le Sahara ?
Le PSD La main, arrêter les défis mais aussi donne moi la main ?
Le PRD Le croissant, Islam/naissance ? re-naissance ?
L’ICPD La porte ouverte sur l’avenir, sur l’autre ?
Le MDS Le palmier, la robustesse, les fruits et la protection de la nature ?
Le PA L’œil, « était dans la tombe et regardait Caen », la conscience et la lucidité ?
Le FFD Le rameau d’olivier, la paix, malgré la scission ? la productivité ? le soleil et la santé ?
Le MNP L’épi, le blé et la croissance ?
Le PJD Le candélabre, la lampe, la voie ? la lumière ? le chemin ou l’illumination ?

1.5. Le vote facultatif

Pour lutter contre le taux d’abstentionnisme important même s’il est revu à la baisse par les pouvoirs
publics et même si le Maroc n’a pas le monopole du désintérêt de ses citoyens par rapport aux urnes, des
membres de la commission de réflexion sur les élections ont suggéré de rendre le vote obligatoire à l’instar
de ce qui se pratique ailleurs notamment en Belgique, au Danemark, en Grèce, au Brésil et au Luxembourg
pour ne citer qu’eux.
Dans la pratique en effet, « l’expérience prouve qu’il suffit de sanctionner même de façon symbolique le
non respect du devoir électoral pour supprimer presque complètement l’abstention... mais par ailleurs, si

353
l’on estime que l’abstention est un indice grave de dysfonctionnement de la démocratie, ce n’est pas en cas-
sant le thermomètre que l’on supprime la fièvre... » 1
Le taux de participation au Maroc de par ses chiffres constitue une donnée parlante par elle même.
1963 : 78 %
1971 : 85 %
1977 : 82,36 %
1984 : 67,43 %
1993 : 62,75 %
1997 : 58,30 %
2002 : 50 %

La courbe est manifestement décroissante depuis l’indépendance jusqu’à aujourd’hui. Les raisons peuvent
être techniques (les vacances souvent aménagées avec des ponts, les aléas climatiques, les élections répé-
tées, la confusion référendum/élections, le caractère volontaire de l’inscription sur les listes électorales, les
61 % d’analphabètes etc.) et /ou politiques (la conviction que les jeux sont déjà faits 2, le discrédit de la
classe politique jugée incapable de régler les questions de survie, n’ayant pas les moyens de le faire, le pou-
voir « réel » se situant ailleurs et compromise à plusieurs reprises, en 83 et depuis 1997 notamment dans la
gestion des affaires de l’État.) Un chercheur rappelle pour les législatives de 97 qu’« invoquer la pluie,
comme l’a fait le ministre de l’intérieur, pour expliquer une abstention de cette ampleur, est certes charitable
pour les 16 partis en lice, mais résiste difficilement à l’épreuve des faits, le refus de participer au vote a été
une prise de position politique affichée et revendiquée. » 3
« Sans doute est ce pour pallier partiellement l’effet de l’émiettement des votes et la crainte d’une désaf-
fection devant le scrutin de liste que le gouvernement a envisagé de rendre le vote obligatoire. » 4 Mais,
d’autres voix au sein de la commission ont avancé que le caractère obligatoire réduirait à néant le droit au
boycott des élections. Un tel argument est vain dans la mesure ou le vote blanc ou nul dispose de la même
fonction d’expression du désaveu. Il semble que le principe libéral ait prévalu, celui selon lequel quiconque
possède un droit, possède aussi celui de ne pas l’exercer. La loi organique opta pour le libellé suivant : « le
vote est un droit et un devoir national. »
Il paraît important de rapporter qu’un moyen incitatif pour amener les citoyens à retirer leur carte électorale
est souvent utilisé par les autorités locales qui demandent aux usagers en quête d’un service ou d’un docu-
ment administratif de présenter leur carte électorale, faute de quoi le service ne serait pas rendu. Signalons
également que selon « un sondage réalisé par CSA TMO Maroc, seuls 8 % de marocains disent vouloir voter
en 2002. » 5
Il faut aussi signaler que les citoyens marocains n’ont pas le monopole de la désaffection par rapport aux
urnes, en Occident notamment, on a parlé à leur égard de « citoyens critiques » face à la faiblesse de l’offre
partisane.

1. XXX
2. Cf technique des quotas évoquée par R. Leveau.
3. M. Benhlal : Maroc. Chronique intérieure. AAN 1997. P. 215.
4. J. N. Ferrié : Fin de partie : l’échec politique de l’alternance et la transition prolongée. AAN. 2002. p. 6
5. Pour une observation non partisane des élections. Op. cit., p. 35. Tendance généralement non confirmée car, on rapporte qu’à Azrou par
exemple, la plupart des gens, malgré le taux de chômage et l’analphabétisme, affirment avoir l’intention de voter aux législatives du 27 sep-
tembre. F. Beaugé. Le monde 26.9.02.

354
1.6. Les modes de scrutin

1.6.1. Le mode de scrutin


« Le choix entre scrutin majoritaire et scrutin proportionnel est une culture juridique de chaque pays. Il
dépend de savoir si l’on privilégie la représentativité ou la gouvernabilité. » 1 Conscient sans doute de ces
objectifs, le législateur organique abandonne en 2002 le scrutin uninominal majoritaire à un tour au profit de
la représentation proportionnelle au plus fort reste.

A. Le contexte
Le nouveau règne, à défaut d’une révision constitutionnelle, souhaitait il peut être, un signal fort capable
de remettre en cause un des domaines que feu Hassan II considérait comme relevant de la souveraineté, à
savoir le scrutin uninominal chargé de pérenniser le vote personnel et recruter les élites traditionnelles sou-
tiens du régime.
Le gouvernement d’alternance chargé de conduire les élections, voulait instaurer un mode de scrutin
capable de mieux refléter sa réelle force politique, force dont il impute la sous représentativité à l’intervention
de l’administration et ce, depuis l’indépendance. A cela, il convient d’ajouter la traditionnelle connexion idéo-
logique entre la gauche et la représentation proportionnelle plus, en sourdine, l’objectif de limiter la représen-
tativité de la force politique arrivée en tête.
Les partis politiques en général ont virevolté entre plusieurs choix de mode de scrutin(maintien du statu
quo avec le scrutin uninominal majoritaire à un tour, option pour le scrutin majoritaire à deux tours initiale-
ment souhaité parle Premier ministre Youssoufi, la représentation proportionnelle défendue par le PPS mais
initialement critiquée et même farouchement par le MNP, le RNI et même le FFD, à la plus forte moyenne
puis représentation proportionnelle au plus fort reste...) au gré des débats, des contradictions, du droit
comparé, de l’enjeu de chaque mode, des options de leurs congrès respectifs et surtout de l’exigence de
dégager un compromis et la crainte de « ne plus rester aux commandes » 2 dans le cadre d’un scénario clas-
sique. Au sein de la commission, les débats furent semble t il âpres et les discussions « marathoniennes ». 3
Les partis d’opposition dont le PJD (parti islamiste) constitue la principale force ne semblent pas
s’encombrer outre mesure du choix du mode de scrutin qu’ils considèrent comme un produit du système
politique et non l’inverse, tant ils sont sûrs de leur impact social tiré notamment de leur virginité politique et
du travail de proximité effectué dans le domaine social. Pour autant, ils adhéreront au consensus même s’ils
n’ont, semble t il pas assisté le jour du vote en commission. 4
Le consensus s’est fait autour d’un coupable « le scrutin uninominal majoritaire à un tour » perçu comme
l’instrument de la « mal élection »depuis l’indépendance et ce, en dépit de sa bonne réputation dans les
vielles démocraties occidentales, il fallait donc s’en « débarrasser »et les critiques de la doctrine à son
encontre se sont fait largement entendre dont les plus percutantes concernent le maintien des élites
locales 5, l’éloignement des partis politiques 6 et la perversion des résultats. 7

1. J. C. Colliard : Constitution et élection. Table ronde d’Aix en Provence. AIJC. 2003. Débat. p. 404.
2. M. Chaoui. L’économiste. 6 mai 2002.
3. M. Ibrahimi : Évolution et réforme de l’environnement politique et électoral. Élections législatives de septembre 2002. Op. cit.
4. « L’opposition avait fait savoir, dans un communiqué, qu’elle n’entendait pas participer à une réunion où les choix étaient déjà faits et qui ne
pouvait porter atteinte à sa dignité ». J.N. Ferrié : Fin de partie : l’échec politique de l’alternance et la transition prolongée Op. cit. p. 5.
5. « L’application du mode de scrutin uninominal au Maroc expliquée par le fait que l’administration l’utilise comme moyen de former des
élites intermédiaires pouvant renouveler l’attachement au passé. Ce mode de scrutin serait alors un facteur déterminant dans la reconstitution du
réseau des élites locales, en supposant qu’il renforce la domination de ces élites – notables – qui assurent leur victoire lors des élections grâce aux

355
B. Le choix
Le choix s’est donc porté sur la représentation proportionnelle au plus fort reste.
Ses défenseurs avanceront son côté idéologique (vieux souhait de la gauche), son aspect plus équitable,
sa capacité à limiter l’influence de l’argent, son rôle de modérateur en favorisant la création de partis char-
nières, son renforcement du lien partisan au détriment du lien personnel, sa propension à isoler les partis
extrémistes sans injustice de représentation.
Ses détracteurs auront beau jeu de rappeler le risque important de fragmentation du champ politique, rien
n’y fera, la représentation proportionnelle était adoptée. Cette option a été faite dans l’objectif à double
détente, de faire un cadeau aux petites formations tout en réduisant l’impact des grandes. Pour le ministre
de l’intérieur de l’époque, « deux buts (étaient assignées) à la nouvelle législation : obtenir une carte politique
réelle du Maroc et favoriser l’émergence d’élites compétentes ». 1 Certes, les 26 formations en lice consti-
tuent au Maroc un multipartisme interpellatif et cet éclatement, quel que soit le mode de scrutin adopté ne
pouvait réellement constituer une menace à l’équilibre durablement établi par les divers acteurs de l’histoire
politique marocaine.
Sans doute, le nouveau mode de scrutin n’est il pas sans relation avec la mosaïque parlementaire forte de
22 formations et le Gouvernement en 6 partis constituant une coalition et l’insolite composition de l’échiquier
politique où se côtoient au sein du Gouvernement et dans l’opposition des familles traditionnellement anta-
gonistes. Mais il convient aussi de relativiser le rôle et l’impact du mode de scrutin, l’ancienne chambre était
tout autant balkanisée avec le scrutin majoritaire. Aussi faut-il rechercher d’autres raisons à la fragmentation
du champ politique tels que la faiblesse de la tradition démocratique en général et à l’intérieur des partis, le
résultat d’une situation économique, sociale et culturelle, le découpage électoral, le mercantilisme des voix,
le déficit de légitimité de la classe dirigeante, la querelle des leadership, la tentation du pouvoir personnel au
sein des formations, la dynamique de dispersion face à la claustrophobie politique créée par la tendance des
deux – ou trois – blocs, 2 etc.
En fait, le choix s’est révélé insuffisant et même inopérant quant aux résultats escomptés. D’une part,
l’objectif de rapprochement volontariste et à la limite « artificiel » des partis politiques et la recherche de la
limitation de l’impact des élites locales n’a pas été atteint, bien au contraire. L’option pour des circonscrip-
tions de petite taille qui pouvaient mettre en compétition 2 sièges à pourvoir continuait en pratique à donner
les résultats habituels du scrutin uninominal et l’implantation des notables. La proximité des programmes, la
course aux têtes de listes et l’usage de certaines pratiques de parachutages de candidats non militants ont

rapports de clientèle qu’ils entretiennent avec la population. » O Filali : L’élite parlementaire marocaine sous le cinquième mandat 1993-1997.
Op. cit p. 186.
6. « Il est démontré que le vote uninominal à un seul tour n’avantage pas les partis politiques et favorise le maintien des élites locales. Ce che-
val de bataille permanent des partis politiques que représente le système des élites est resté inchangé, ce qui a fait que l’influence des élites a
continué à primer et que les partis politiques restent éloignés du milieu local. Nous espérons cette fois que la promesse du nouveau roi Moham-
med VI, d’une réforme de la loi électorale avant les élections de 2002 conduira à un système plus égalitaire pour toutes les forces politiques et
plus représentatif des différentes options politiques existant actuellement dans la population marocaine. » R. Ojeda Garcia : Les élites locales face
à la décentralisation. In Anciennes et nouvelles élites du Maghreb. p. 168.
7. « Sur prés de 12 millions d’électeurs inscrits, l’USFP totalise 884.061 voix, et ses 57 élus, qui la placent en tête des partis en nombre des
sièges, représentent à eux seuls environ 400.000 voix soit 6,30 % des électeurs. On mesure là un des effets pervers du mode de scrutin retenu,
uninominal à un seul tour, qui en poussant à la multiplication des candidatures et en favorisant la dispersion de voix, contribue à dénaturer la
logique du rapport nombre de voix/nombre d’élus, dans la distribution des sièges entre les différents partis. Ainsi, le parti de l’Istiqlal qui arrive en
deuxième position en nombre de voix, avec 43 746 de moins que l’USFP, n’obtient que 32 sièges; par ailleurs, il dépasse de 192 569 voix l’Union
constitutionnelle qui totalise 50 sièges... » J.C. Santucci : Les partis politiques marocains à l’épreuve du pouvoir. p. 77.
1. J.N. Ferrié : Fin de partie : l’échec politique de l’alternance et la transition prolongée. Op. cit., p. 8.
2. Pour M. Benhlal, « Le processus de segmentation de l’élite, entamée dés les premières années de l’indépendance, avec la contribution
active du palais, se poursuit avec un nouvel avatar appelé centre. » Maroc. Chronique intérieure. AAN 1997, p. 207.

356
contribué à obtenir des effets pervers contraires à ceux qui étaient attendus d’un scrutin proportionnel censé
« valoriser » les partis plutôt que les personnes.
D’autre part, l’objectif d’une carte politique plus représentative n’a pas été atteint non plus. Le choix du
plus fort reste (plus « éparpilleur » que la plus forte moyenne) a eu comme conséquence d’atténuer la repré-
sentativité des plus fortes formations qui sont presque mises sur le même pied d’égalité que les petites avec
le concours des voix restantes, les plus petites formations ont été exclues par l’exigence du seuil, et les SAP
quasiment interdits. Si le vote obligatoire était passé, cela aurait donné un code électoral où le message le
plus clair aurait été celui de « l’amour citoyen obligatoire », celui d’un « forcez vous à voter », « forcez vous à
les aimer quels qu’ils soient », « forcez vous à y croire quel que soit la sincérité du jeu ! » Force est de consta-
ter que les objectifs classiques d’une élection, à savoir représentativité et/ou gouvernabilité n’ont été pas été
atteint et la difficile émergence d’un Premier ministre issu des urnes n’a fait que confirmer les vicissitudes du
processus électoral de 2002.

C. Le seuil
La proposition de 5 % comme en Allemagne a été repoussée au profit d’un seuil de 3 % à l’instar du sys-
tème espagnol. Le Conseil constitutionnel a déclaré cette disposition non contraire à la constitution. La barre
de 3 % a été un cadeau fait aux petites formations et même aux grandes qui n’étaient plus très sûres après
leur participation au Gouvernement, d’avoir la même assise électorale. « Dans des pays ayant connu des sys-
tèmes autoritaires et ce malgré l’existence de multipartisme, et dans des pays longtemps privés de véritable
jeu démocratique, la construction de forces politiques de rassemblement est laborieuse, chacun ayant soif
de représentation pour lui même et c’est pourquoi les seuils qui par définition vont exclure certaines forma-
tions sont repoussés. » Ici encore, les objectifs d’équité mais aussi de gouvernabilité – ce qui est fonda-
mental dans le cadre d’une gouvernance-doivent être conciliés et le seuil prévu initialement à 5 % semble
plus intéressant dans la mesure où il peut pousser les formations voisines à fusionner ou du moins à passer
des alliances pré électorales.
Les règles relatives au mode de scrutin et à l’opération électorale relative à la Chambre des représentants
sont inscrites dans la loi organique prévue à cet effet. Le caractère organique accentue la force du contrôle
par l’intervention obligatoire du Conseil constitutionnel. Mais de telles données sont également insérées
dans un autre document important à savoir le code électoral qui a l’avantage d’unifier et de rassembler la
législation relative à toutes les consultations électorales, communales, des chambres professionnelles, des
conseillers et référendaires.

1.7. Le découpage électoral

Habituellement source de multiples contestations lui reprochant d’orienter le vote, il semble que le nou-
veau mode de scrutin et les circonscriptions de taille plus large, limitent quelque peu les anciens réflexes par
rapport au gerrymandering marocain. La carte électorale actuelle a été fixée par décret après un consensus
dégagé au sein d’une commission ad hoc. Les principes retenus sont les suivants :
1 siège pour 100.000 habitants.
Liste de 5 sièges maximum.
Regroupement des préfectures comportant 1 siège unique.
Nombre de circonscriptions fixé à 91.
53 préfectures ont moins de 5 sièges.
17 sont à découper : 13 en 2 circ. et 4 en 3 circ.

357
Depuis l’indépendance jusqu’à aujourd’hui, et peut être moins aujourd’hui du fait du nouveau mode de
scrutin, le découpage obéit à certaines tendances devenues classiques : un siège pour 100.0000 habitants
depuis 1977, l’encerclement des villes par les campagnes, la sur représentation des campagnes, l’énorme
écart de population entre circonscriptions, la discipline de vote des masses rurales, le favoritisme des partis
de la majorité ou des indépendants. Les critiques dans ce sens ont été relevées en 71 1, 77 2, 84 3 et 93. 4 En
1997, le rapport d’observation des élections de l’OMDH est encore alarmiste ; ainsi « la détermination du
nombre de circonscriptions dans chaque province ou préfecture a privilégié la représentation de la campagne
par rapport à celle des villes. Si 9 % seulement des circonscriptions sont purement rurales, 58 % sont mix-
tes, donc à composante citadine et rurale. La détermination de ces circonscriptions n’obéit pas toujours à des
objectifs d’intérêt général. D’autre part, l’écart par rapport à la moyenne des inscrits de la province ou de la
préfecture varie de 21 à 42 %, dépassant largement la fourchette de 20 % prévue par le décret. » 5 On
semble en effet un peu loin de la remarque d’un auteur pour qui la lutte contre le gerrymandering impose le
respect de trois principes, « d’abord, le principe de la continuité territoriale : on ne peut pas faire de cir-
conscriptions électorales qui seraient composées de plusieurs territoires séparés. Ensuite, le respect des cir-
conscriptions administratives plus petites, c’est à dire la volonté de ne pas les découper arbitrairement. Enfin
et surtout, le principe de l’équilibre démographique : les différentes circonscriptions électorales doivent avoir
un poids démocratique sensiblement équivalent. » 6 En 2002, « le décret sur le découpage électoral adopté le
7 août a fait l’objet d’un consensus entre les partis politiques avant d’être adopté par le Conseil des
ministres » même si la fourchette des 20 % tolérable n’a pas été respectée. 7

1. « L’anomalie qui nous semble la plus spectaculaire et la plus significative résulte du fait que le découpage a été réalisé en fonction des
chiffres de la population, ce qui peut sembler naturel, mais ce qui ne l’est plus, dès l’instant où les auteurs de ce découpage savaient qu’en réalité,
à l’intérieur de ces circonscriptions, seuls pourraient voter les électeurs inscrits, dont le nombre leur était évidemment connu. » J. Dupont : Consti-
tution et consultations populaires au Maroc. AAN 1972. p. 191.
2. Le découpage « n’a pas échappé aux critiques de l’opposition notamment du PPS et de l’USFP qui ont reproché à l’administration d’avoir
amalgamé par des dosages subtils, population rurale et urbaine et d’avoir caché derrière une égalité numérique apparente, de sérieuses dif-
férences dans le poids électoral réel des représentants. En effet, même si le découpage paraît respecter un certain équilibre dans la répartition
globale de la population, c’est le nombre d’électeurs inscrits, que l’administration est seule à connaître, qui détermine en fin de compte le poids
électoral effectif. » J.C. Santucci : Les élections législatives marocaines de juin 1977. AAN. 79, p. 219.
3. « Des dispositions considérables apparaissent dans le détail. Celles ci sont dues pour une bonne part à l’inégale répartition de la population
sur le territoire. Les zones rurales sont sur représentées par rapport aux zones urbaines. A titre d’exemple, le député de Boujdour représente
moins de 8 500 habitants. En outre, la délimitation des circonscriptions s’opère selon des techniques de découpage qui, au Maroc comme ailleurs,
tendent à défavoriser les partis d’opposition. Casablanca et Rabat sont ainsi l’objet de re découpages complexes à partir de ceux déjà opérés pour
les communales. » « A. Claisse : Les élections communales et législatives au Maroc (10 juin 1983-14 septembre et 2 octobre 1984), AAN. 84. »
« Même si curieusement, ce découpage n’a fait l’objet d’aucune contestation – publique tout au moins – il n’en demeure pas moins que la
technique du gerrymandering (dépeçage) a été utilisée dans de nombreuses circonscriptions. Elle a consisté en particulier à rattacher des zones
rurales ou semi urbaines à des agglomérations urbaines. Cette opération de « mixage » présente le grand avantage pour ses promoteurs de
compenser la fluidité des électeurs urbain par la discipline de vote des masses rurales encadrées par l’appareil administratif et le vaste réseau des
chioukhs et des moqquadems (agents auxiliaires de l’administration territoriale locale)... Par ailleurs, il faut indiquer que si la moyenne des élec-
teurs inscrits atteint 36.366 par circonscription, des écarts sensibles (du simple au quadruple parfois) ont été relevés, notamment : Tit Mellil-
Médiouna (14459) Bouskoura (20128) Zenata (20887) Boulemane (230342) Rissani (260445) Settat (52557) Ighren (53957) El jadida (54914) Iminta-
nout (58203) Zegangan (58340) et Attaouia (66037). » M. Sehimi : Les élections législatives au Maroc. Maghreb. Machek. Janv-Mars 1985.,
p. 105.
4. Le découpage électoral « offre plus de sièges à des régions moins peuplées que d’autres, alors qu’il y a des régions surpeuplées qui sont
sous représentées, c’est le cas pour des villes comme Tanger et Fez. » O. Filali : L’élite parlementaire marocaine sous le cinquième mandat (1993-
1997) op. cit., p. 187.
5. Élections et droits de l’homme. op. cit., p. 25.
6. P. Bon : Constitution et élection. AIJC. Table ronde d’Aix en Provence. 2003. Débat. p. 399
7. Pour une observation non partisane des élections. Op. cit., p. 43.

358
1.8. La campagne

1.8.1. Les discours royaux


Toutes les campagnes électorales sont généralement ouvertes officiellement par un discours royal dont la
teneur revêt toujours un impact considérable par les lignes directrices qu’il fixe et le cadre juridique et
éthique dans lequel doivent se dérouler les élections. Il s’agit d’une prestation très attendue par les acteurs
politiques, les observateurs et la population dans son ensemble.
Le caractère systématique de ces discours n’a été interrompu qu’une seule fois en 1984 sans doute parce
que le Roi avait déjà dans son discours d’ouverture de la campagne pour les élections locales imprimé ses
vœux et peut être aussi parce que « le référendum du 31.8.84 avait constitué un rideau qui a contribué à
cacher le scrutin législatif. » 1
Le contenu des discours est toujours lié au contexte de l’époque, aux défis de l’heure, aux espoirs atten-
dus et comme dans un leitmotiv, un rappel à l’ordre des partis politiques et de l’administration par rapport aux
mœurs électorales.
En 1977, le souverain incite « les candidats au sérieux et à la modération » en 1984 à la veille de l’ouver-
ture des élections communales, il « rappelle le code implicite qui régit le système politique : l’expérience
démocratique ne doit pas remettre en cause les institutions sacrées : l’islam et le régime de monarchie
constitutionnelle. » 2 En 1993, le souverain invoque pour le report des élections législatives du 30 avril au 25
juin « le temps et les moyens d’offrir au Maroc comme à l’étranger, l’image réelle du pays sous un jour de
clarté, de transparence et d’honnêteté. » 3
En 1997, le discours du 20 août ouvrant la campagne électorale appelle à « voter pour un changement, (à)
rompre avec les jeux stériles du passé et oser s’engager dans la compétition politique et la rénovation des
mœurs électorales. » 4 Il faut signaler que l’approche consensuelle amorcée en 1993 a été concrétisée le 28
février 1997 par « la signature solennelle, entre le ministre de l’intérieur et 11 partis, dont 4 d’opposition, d’un
accord sur la transparence et la régularité des consultations électorales. » 5 Et par « cette déclaration, les par-
tis politiques s’engageaient à ne pas contester les résultats des prochaines élections. » 6 A cet égard, un
commentateur rappelle que « toute la relation de Hassan II aux partis est ponctuée de leçons de civisme » 7.
En 2002, le discours du Roi Mohammed VI tout en restant dans le même cadre de civisme, loue les vertus de
la tolérance et le rôle joué par la société civile. 8
L’éthique continue à préoccuper les pouvoirs publics dans le cas des ministres – candidats, et dans leur
possibilité de faire campagne alors qu’ils siègent encore au Parlement et détiennent souvent un portefeuille
ministériel. Il convient de préciser à cet égard que les mœurs ont évolué puisqu’en 1977, ils avaient gardé

1. Conférence de presse du ministre de l’intérieur D. Basri, 15 septembre 1984 in M. Sehimi : Les élections législatives au Maroc.Op. cit
p. 29, 30
2. A. Claisse : Elections communales et législatives au Maroc op. cit p. 639
3. Discours royal in Al Bayane du 29.3.93
4. Éléctions et droits de l’homme. Rapport d’observation sur les élections législatives du 14 novembre 1997. OMDH p. 3
5. M. Benhlal : Maroc Chronique intérieure. AAN 1997 p. 200
6. Ibid p. 206
7. J.N. Ferrié : Fin de partie : l’échec de l’alternance et la transition prolongée. op. cit p. 8
8. Discours royal du 20 août 2002à l’occasion du 49 ème anniversaire de la révolution du Roi et du peuple, extrait : « J’appelle donc tous les
citoyens à faire en sorte que les élections soient un moment fort et montrent à quel point les marocains se sont imprégnés des valeurs de démo-
cratie et de liberté, et des vertus de la modération, de la tolérance et du respect de la loi. Je tiens à cet égard à rendre hommage au rôle important
que joue la société civile pour consolider et ancrer les valeurs de citoyenneté active et efficace et J’engage, à cette occasion, les différents
organes d’information à mobiliser, pour ce noble objectif, les moyens dont ils disposent. »

359
leurs fonctions, contrairement à 1984 1 et 1997 2 où les ministres partisans ont été libérés de leurs fonctions.
Tendance non poursuivie en 2002.

1.8.2. Le ton
Peut être convient il de citer trois dates significatives pour les campagnes électorales relatives aux sept
consultations législatives depuis l’indépendance, 63, 77 et 2002. 1963 parce que le ton est percutant, la cam-
pagne effervescente, la classe politique de haute volée, et il s’agit des premières élections législatives et du
premier face à face monarchie/représentation populaire /parlementaire ; 1977 parce que le climat se pas-
sionne et s’unanimise autour de l’affaire du Sahara qui politise extraordinairement la campagne et les dis-
cours et rassemblements ; 2002 parce que cela aurait pu être la fièvre électorale d’élections du nouveau
règne porteuses d’un grand espoir. 3 Mises à part ces dates phares, les autres consultations se sont faites
autour de campagnes électorales plutôt atones 4, faiblement passionnées, éclipsées par des événements
plus importants, lassées par les consultations répétitives, convaincues que la dynamique des « quotas » et
des négociations ministère de l’intérieur/ leaders partisans ne laisseraient plus de place à la sincérité du scru-
tin. Ajouté à cela, la faiblesse de la dimension idéologique ou le consensualisme affiché, la faible emprise sur
la réalité sociale et la proximité des discours.
Il ne faut pas non plus sous estimer également les difficultés d’ordre pratique nées du nouveau mode de
scrutin en 2002, ainsi, « de l’avis de beaucoup de candidats, la campagne électorale de cette année est de
loin la plus rude et la plus compliquée. Les tailles des circonscriptions et la nature du nouveau mode de scru-
tin un peu cabalistique pour un grand nombre d’électeurs, ne rendent pas les choses de tout repos. Pour un
candidat par exemple à la circonscription du “Taroudant chamalia”, il relève des travaux d’Hercule de visiter
tous les villages qui regroupent ses électeurs et de les rencontrer, comme c’est le cas pour celui qui aspire à
la députation dans la circonscription de Hay Mohammadi -Ain Sebaa, avec ses 320. 000électeurs. » 5

1.8.3. Le financement
Aucune disposition constitutionnelle n’évoque ce sujet qui est réglementé dans la IV partie du code électo-
ral et dans un décret du Premier ministre pris sur proposition du ministre de l’intérieur, du ministre de la jus-
tice et celui des finances.
L’État participe au financement de la campagne électorale menée par les partis politiques en se basant sur
le critère de la représentativité ; ainsi, la répartition est fondée sur les résultats obtenus à raison d’un pour-
centage de sièges obtenus et également en fonction des voix obtenues. Le versement s’effectuera en deux
tranches, une première tranche de 50 % sera répartie sur la base du nombre de voix recueillies par chacun

1. « Les six ministres sont libérés de leur fonction au début de la campagne à la différence de ce qui s’était produit en 1977. » A. Claisse :
Élections communales et législatives. op. cit p. 656
2. « Le Roi met fin aux fonctions de s ministres ayant une appartenance politique (UC, MP et PND) pour les renvoyer explicitement à leurs
engagements électoraux dans le cadre de leur formation respective. » J.C. Santucci : Les partis politiques à l’épreuve du pouvoir op. cit p. 74
3. M. Tozy constate que les islamistes du PJD « devraient tout de même effectuer une percée car ils ont fait une très bonne campagne et
veillé à consulter leur base en tenant des assises au niveau régional. » Propos recueillis par F. Beaugé. Le monde du 28.09.02
4. « Le ton général de la campagne est beaucoup moins passionné qu’en 1977 et en 1983... un certain essoufflement de l’électorat après
deux consultations successives mais aussi probablement le sentiment que l’essentiel est déjà joué au niveau des responsables politiques en
concertation avec les plus hauts responsables de l’État peuvent expliquer ce phénomène. Ceci illustre les limites de la fonction socialisante ou
même anesthésiante des consultations électorales sans enjeu véritable pour les électeurs. » A. Claisse p. 655
5. A. Tourabi : Enquête : la fièvre électorale. La gazette du Maroc. Lundi 27 Septembre 2002 p. 42

360
des partis et une deuxième tranche de 50 % sera répartie en tenant compte du nombre de sièges obtenus
par chacun des partis. La participation de l’État s’effectuera après la proclamation définitive des élections.
Aucun système n’est vraiment équitable mais celui de la représentativité risque d’avantager certaines forma-
tions politiques déjà en place et qui bénéficient en outre des distorsions générées par le mode de scrutin.
Les partis bénéficiant de l’aide étatique doivent justifier que les montants reçus par eux ont été utilisés dans
les délais et formes fixés par le gouvernement.
Quant au financement interne aux partis, il existe un plafonnement qu’ils ne doivent pas dépasser et ceci
sous le contrôle d’une commission de vérification des dépenses composée d’un magistrat de la Cour des
comptes, d’un magistrat de la Cour suprême, d’un représentant du ministère de l’intérieur, d’un inspecteur
des finances nommé par le ministère des finances. 1 2

1.8.4. La propagande

A. Les médias
En 1977, l’accés aux médias audiovisuels n’étant pas encore autorisé, les partis politiques se sont conten-
tés de la presse écrite. Depuis 1984 et même 83 pour les élections locales, les partis politiques ont disposé
d’un temps d’antenne à la radio télévision qu’ils utiliseront tous-y compris les petites formations– pour
essayer de passer leurs messages respectifs. Force est de constater que faute d’utilisation de la langue sou-
haitée, faute de liberté de ton par rapport à leurs appareils, faute plutôt d’un savoir faire médiatique, peu
d’orateurs ont été capables de toucher les téléspectateurs. Il est utile de rappeler « qu’aucun candidat n’a
sollicité l’aide d’une société spécialisée pour organiser sa campagne électorale. » 3
L’article 295 du Code électoral en vigueur dispose que « l’accès aux moyens audiovisuels est ouvert aux
partis politiques participant aux élections générales communales et législatives dans les conditions et formes
fixées par décret pris sur proposition du ministre de l’intérieur, du ministre de la justice et du ministre chargé
de l’information. »
En effet, « le pluralisme des courants d’expression socioculturels est en lui même un objectif de valeur
constitutionnelle, le respect de ce pluralisme est une des conditions de la démocratie. » 4
La chronique politique marocaine s’est manifestée à cet égard lors d’une élection législative partielle d’avril
1994 lorsque la télévision marocaine a invité la veille de l’ouverture de la campagne électorale un candidat de
surcroît invalidé par la Chambre constitutionnelle à une émission politique très écoutée. Cette invitation a été
perçue comme une manœuvre tendant à soutenir le candidat sans être obligé d’obéir aux principes de
l’équité et du droit de réponse inhérents au déroulement de la campagne, « une sorte de campagne avant
l’heure. » 5
Le Conseil constitutionnel eut également à se prononcer sur des recours accusant la télévision d’avoir déli-
vré les résultats avant même le dépouillement 6.

1. En 1997, « l’État a fixé un plafond aux fonds consacrés à la campagne de chaque candidat (250. 000 DH) Il a contribué à ce financement sur
les bases déterminées en accord avec la commission de suivi. » Rapport d’observation sur les élections législatives de novembre 1997. Op. cit
p. 31
2. Le projet de loi sur les partis politiques en cours de débat actuellement au parlement compte faire relever le contrôle du financement des
partis politiques de la Cour des comptes.
3. O. Filali : L’élite parlementaire marocaine sous le cinquième mandat (1993-1997) Op. cit p. 192
4. Cf décision no 86-217 DC du 18.8.86 et no 93-333 DC du 21.1.94 in J.Y Camby : Le Conseil constitutionnel, juge électoral. Sirey. p. 87
5. Cf journal l’Opinion du 31.3.94
6. Cf décision no 56/95 CC du 31.1.95

361
Pour autant, il faut signaler les mesures intervenues en 2002. Ainsi, les trois moyens d’information offi-
cielle, la RTM, la radio nationale et 2M vont être habilités à diffuser les messages des différents partis en lice.
La campagne électorale s’étendra sur 12 jours. La législation fait la différence entre les 15 partis politiques
siégeant au parlement et les 11 nouvelles formations au niveau du temps d’antenne, les nouvelles forma-
tions disposant d’un temps proportionnel à leur couverture du territoire en candidatures. Les petits partis se
sentiront lésés par cette distinction, cependant tous seront invités aux différents journaux d’information,
auront une couverture médiatique de leurs activités et pourront s’adresser selon un temps réglementé aux
citoyens en arabe, français, amazigh et hassani. Il est à signaler que parfois, les passages ne seront pas tou-
jours diffusés à des horaires de grande écoute.

B. L’utilisation des biens


Décriée par les partis de tous bords et les différents observateurs et regardée par l’administration le plus
souvent avec une neutralité passive, l’utilisation des biens privés ou publics a accompagné les processus
électoraux parfois de manière caricaturale.

a. L’achat des voix


« Facilité par le mode de scrutin et les bulletins multiples de vote, (il) s’est déroulé souvent non loin des
bureaux de vote, dans des cafés, des véhicules, des boutiques et parfois même dans des mosquées. L’opé-
ration a été exécutée par de véritables réseaux ou des courtiers ayant acquis un certain professionna-
lisme. » 1 L’administration elle même, a reconnu cet usage massif au point que le ministère de l’intérieur en
1993 notamment a « publié une liste... de centaines de candidats liés au milieu de la drogue et frappés d’iné-
ligibilité par décision administrative. » 2 Les rapports de l’OMDH en 1997 et celui du Collectif associatif en
2002 soulignent que malgré les mesures prises par les pouvoirs publics pour lutter contre cette dérive regret-
table de la part des différents compétiteurs, il reste une certaine tolérance de l’administration devant l’usage
illicite de l’argent. (en 2002, achat des voix et/ou achat des têtes de liste ?).... « car l’argent coule à flots dans
la province d’Ifrane, comme partout ailleurs ces jours ci au Maroc, à l’occasion du scrutin du 27 septembre,
rapporte une envoyée spéciale. 3

b. L’utilisation des biens publics


Les observateurs notent l’utilisation fréquente des espaces publics tels que les mosquées où les prêches
du vendredi se transforment en meetings, des centaines de cas de lancement de projets publics favorisant
des candidats, et des centaines d’autres cas d’utilisation de biens publics en faveur d’autres. Les pouvoirs
publics ont réagi en interdisant aux imams d’utiliser le prêche du vendredi à des fins politiques ou électorales
et en imposant l’arrêt de toute inauguration surtout en période préélectorale. 4

C. L’affichage
Les textes prévoient des surfaces égales réservées aux listes ou aux candidats dans des emplacements
réglementaires. Les lieux de rassemblements mis à la disposition des candidats par l’État sont répartis équi-
tablement. Une pléthore de recours dénonce régulièrement l’affichage fréquent hors des panneaux officiels,

1. Rapport d’observation des élections législatives de novembre 1997. Op. cit p. 33


2. Pour une observation non partisane des élections. Op. cit p. 37
3. F. Beaugé. Le monde. 26.9.02
4. Ibid p. 48

362
souvent même à côté des bureaux de vote, souvent en faisant fi de la date de la clôture de la campagne. Le
Conseil constitutionnel répond souvent par l’irrecevabilité des requêtes arguant que l’affichage irrégulier
n’est pas avéré ou du moins qu’il est sans influence sur les résultats du scrutin.
Il faut mentionner que les modifications intervenues en 2002 vont dans le sens de la moralisation du pro-
cessus électoral ; ainsi, les sanctions ont elles été aggravées lorsqu’il s’agit d’infraction électorale, exacer-
bées quand il y a utilisation des moyens de l’État ou des collectivités locales à des fins de campagne
électorale ou s’il y a tentative d’achat des voix. Les instruments répressifs vont du cumul des peines et
emprisonnement au doublement des peines et emprisonnement en passant par l’inéligibilité étendue à deux
mandats successifs, étant entendu que le même traitement est appliqué aux complices et intermédiaires.
Au moins trois « conclusions clefs » si l’on devait résumer l’état des campagnes électorales, campagnes
prématurées, trafic d’influence, intervention de l’administration de manière active pendant longtemps puis
passive/négative ou à la limite tolérante devant le poids de la mal élection. Par ailleurs, il a été constaté qu’au
delà de certaines atteintes à l’intégrité physique 1 ou de l’arrestation de partisans appelant au boycott, la cam-
pagne électorale lors des dernières élections législatives dans certaines circonscriptions s’est déroulée dans
des conditions normales. 2 Ce qui prouve que la bonne gouvernance peut ne pas être une utopie en matière
électorale.

1.9. Les résultats

Depuis le début des consultations électorales, ceux ci sont entourés de suspicion, soit parce qu’ils ne sont
pas publiés, soit parce qu’ils sont annoncés tardivement, soit parce qu’ils ne sont pas suivis de recours mal-
gré leur contestation. 3 Ainsi, en 1977, « comment expliquer sans être tenté de partager les soupçons de
l’USFP qu’une administration si attentive aux garanties de sincérité et si éprise de démocratie, n’ait pas pris
soin de publier l’intégralité des résultats sinon pour camoufler ses manipulations et couper court à toute
contestation ? » Le même auteur s’interroge en même temps sur la question de savoir « comment justifier le
refus de l’USFP d’intenter des recours en annulation comme l’ont fait les autres partis ? » 4 Les partis d’oppo-
sition ont toujours contesté les résultats des consultations électorales et on se rappelle la violence verbale
notamment de l’USFP qui en 1984 a parlé de « rites de l’égorgement de la démocratie. » 5 À cette époque, le
RNI aussi remettait en cause la sincérité des résultats. Les élections de 93 et 97 n’ont pas été épargnées par
le cortège des contestations.
Que penser alors et surtout que des signes forts ont été donnés par le souverain pour la transparence et la
crédibilité des élections, du retard qui a accompagné la fin des opérations électorales de 2002? Les résultats
relatifs aux listes locales ont été annoncés 48 heures plus tard, et ceux portant sur la liste nationale, 4 jours
après. Comme dirait non sans cynisme un orateur lors d’une table ronde internationale consacrée aux élec-
tions, quitte à tout prendre, il vaut mieux avoir les résultats après plutôt qu’avant! On a beaucoup glosé sur ce
retard et les téléspectateurs se sont interrogés d’abord avec compréhension, (un nouveau mode de scrutin,
des calculs un peu longs, des zones reculées etc.), puis avec impatience devant leurs postes de télévision

1. Cf les décès relevés à Bouznika en 93 et relatés par la presse.


2. Rapport d’observation des élections législatives de novembre 1997. Op. cit p. 51
3. Il ne faut pas à cet égard oublier de mentionner la réaction de « deux cas qui ont défrayé la chronique concernant les candidats déclarés
élus à Benmsik sidi ottmane et Médiouna, messieurs Mohamed Hafid et Mohamed Adib appartenant au parti de l’USFP qui ont reconnu publique-
ment que les résultats réels n’étaient pas en leur faveur. » Rapport d’observation sur les élections législatives du 14 novembre 1997. Op. cit p. 36
4. J. C. Santucci : Les élections législatives marocaines de juin 1977. AAN 1977 Op. cit 225
5. M. Sehimi/Les élections législatives au Maroc Maghreb Machrek op. cit p. 39

363
puis à tort ou à raison, se sont inquiétés de savoir si les résultats ont peut être encore une fois été revisités 1.
Pourtant, « en vertu de l’article 78 de la loi organique relative à la chambre des représentants, les commis-
sions de recensement préfectoral et provincial doivent proclamer les résultats pour chaque circonscription
dés la fin du recensement. » 2 3
Il semblerait pourtant que c’est exactement ce qui a été fait ; la proclamation des résultats s’est faite loca-
lement et dans les termes suivis par les textes. D’aucuns avancent à cet égard que la lenteur des opérations
de dépouillement est la conséquence naturelle du nouvel environnement électoral (mode de scrutin, étendue
de la circonscription, multiplication de bureaux de vote, modalités de dépouillement, liste nationale etc.), que
même à l’avenir, ce ne sera guère plus rapide, que l’on peut comprendre l’impatience des téléspectateurs
mais il est important de ne pas comparer l’incomparable, c’est-à-dire le cadre électoral d’hier et d’aujourd’hui,
il s’agit là d’ une erreur d’appréciation avec son lot d’interprétations erronées.

III. L’évolution du contrôle du suffrage

1. L’administration électorale

Il existe deux types d’administration, une administration classique et une administration ad hoc disposant
de compétences distinctes même si parfois l’enchevêtrement est inévitable.

1.1. L’administration classique

C’est le président du Conseil communal qui a la responsabilité de l’établissement des listes électorales
(une commission administrative présidée par lui procède annuellement à l’actualisation des listes électo-
rales), l’autorité administrative (le Gouverneur) est chargée des candidatures pour les listes locales (les candi-
datures pour la liste nationale « féminine » étant reçues par la commission nationale de recensement), il
détermine l’emplacement des bureaux de vote, désigne les présidents et délégués de bureaux de vote,
reçoit les cautions par l’entremise du receveur des finances de la province ou de la préfecture, et reçoit les
procès verbaux des dépouillements.

1. « De fait, malgré de fortes suspicions quant à l’arrangement des résultats, alimentées par leur publication différée de plusieurs jours, et
malgré des doutes sur la circulation de l’argent et l’intervention d’agents de l’administration, l’entrée du Maroc dans la catégorie des » démocra-
ties électorales « fut saluée de part et d’autres. » M. Catusse et F. Vairel : Ni tout à fait le même ni tout à fait u autre. Métamorphoses et conti-
nuité du régime marocain. Op. cit p. 80
2. Pour une observation non partisane des élections. Op. cit p. 51
3. « les premières élections truquées de manière transparentes et honnêtes » selon le mot de A. Senoussi alias Bziz

364
1.2. L’administration ad hoc

La Commission de recensement préfectorale ou provinciale (composée du Président du tribunal de pre-


mière instance, de deux électeurs et d’un représentant du ministère de l’intérieur) et la Commission natio-
nale de recensement(composée d’un président de chambre de la Cour suprême désigné par le Président de
la Cour suprême, d’un président de chambre administrative désigné par le Président de la Cour suprême et
d’un représentant du ministère de l’intérieur) ont pour missions :
– de recevoir les candidatures lorsqu’il s’agit de la liste nationale par la commission nationale de recense-
ment.
– de recenser et proclamer les résultats.
– d’envoyer des exemplaires des résultats au ministère de la justice, au ministère de l’intérieur et au
Conseil constitutionnel.

Les commissions nationales ou régionales chargées du suivi des élections quant à elles, sont composées
des représentants de l’État (Président de Cour suprême, ministre de l’intérieur, de la justice..) et des repré-
sentants des partis politiques. Ces dernières ont connu bien des péripéties et ont été le lieu de luttes et de
négociation plus que d’apaisement et de régulation des élections. Elles ont comme attribution le règlement à
l’amiable des contestations électorales, la proclamation des résultats et la participation aux projets de textes
relatifs aux élections de manière consultative. « Elles ont pour mission de veiller dans la limite de leurs attri-
butions au bon déroulement des élections. » 1 À cet égard, d’aucuns en ont conclu que « l’inefficacité de la
commission nationale de suivi des élections est inhérente à son statut et à sa nature d’organe consultatif
tenu de fonctionner par consensus. » 2 Dans le même sens, certains relèvent que, « le ministère de l’intérieur
a conservé la direction du processus électoral. La nature des commissions nationales et régionales de suivi
des élections et leur statut ne pouvaient leur permettre de jouer, à cet égard, un rôle important. » 3 Un autre
commentateur relèvera que les partis d’opposition en 1993, « estimant que la commission nationale – où ils
siègent avec le Gouvernement 4 – chargée de superviser les opérations électorales ne « remplissait pas
convenablement son rôle », les quatre partis du bloc démocratique décidaient en février 1993 de suspendre
leur participation. » 5 Même chose pour les commissions régionales de suivi des élections qui « prenaient des
décisions de classement, d’incompétence, d’avis ou d’avertissement... (qui) ne pouvaient prendre de déci-
sions exécutoires. Les représentants des partis politiques se sont plusieurs fois retirés en raison de leur
carence caractérisée face aux irrégularités alléguées par les candidats ou les représentants des partis poli-
tiques. » 6 Souvent le credo était, pas de suite car pas de preuve. D’ailleurs, en 2002, « les commissions
régionales et la commission nationale n’ont pas fonctionné bien que créées par dahir » 7, puisque les parte-
naires politiques ont convenu de les geler, les considérant comme relevant d’un contexte révolu.

1. Ibid p. 28.
2. Rapport d’observation des élections législatives de novembre 1997. Op. cit. p. 44 et suiv.
3. Élections et droits de l’homme op. cit. p. 20.
4. Commentant l’expérience française en matière de contrôle des élections, J.C Colliard estime que « la France (a) du retard par rapport à
l’idée selon laquelle l’opération électorale est une opération administrative normale qui est néanmoins trop sérieuse pour être confiée au gouver-
nement, partie prenante aux élections.. Ainsi, le système ne paraît pas très satisfaisant et l’idée d’éloigner l’opération électorale du gouvernement
semble souhaitable. » Constitution et élection. Débat. op. cit. p. 380.
5. J.C. Santucci : Les élections législatives marocaines de 1993. In Représentation, médiation et participation dans le système politique maro-
cain. Op. cit. p. 22.
6. Rapport d’observation des élections de novembre 1997. Op. cit. p. 41.
7. Pour une observation non partisane des élections. Op. cit. p. 52.

365
2. Le contentieux électoral

« Le principe le plus important est sans doute, ici, le respect de la sincérité du scrutin, c’est à dire pour
simplifier, la révélation de la volonté réelle de l’électeur. » 1 Au départ confié aux assemblées elles mêmes, le
contrôle et la vérification de la régularité du scrutin allait très tôt montrer ses limites et revenir à un organe
juridictionnel, en l’occurrence le juge constitutionnel sans pour autant omettre l’implication des autres juges
dans le contentieux électoral dans son ensemble.

2.1. L’organe compétent

Les juges diffèrent en fonction du stade de l’opération électorale au point qu’il est possible de parler d’un
faisceau d’acteurs.

2.1.1. Les listes électorales


Les contestations sont examinées et tranchées par le juge administratif.

2.1.2. Les candidatures


Leur contentieux relève du juge judiciaire. En effet, c’est une tâche qui incombe au tribunal de première
instance du ressort. Lorsque la candidature a été rejetée par le secrétaire de la commission nationale de
recensement, c’est le Tribunal de première instance de Rabat qui est compétent.

2.1.3. L’opération électorale


Le contentieux relève du Conseil constitutionnel soit directement soit comme juge d’appel des décisions
du tribunal de première instance.

2.2. Les compétences

Le juge constitutionnel contrôle la régularité des opérations électorales et la sincérité du scrutin. Il contrôle
les décisions prises par les bureaux de vote, les bureaux centralisateurs, les commissions préfectorales ou
provinciales de recensement et la commission nationale de recensement. Saisis par les électeurs et candi-
dats intéressés mais aussi par les gouverneurs et le secrétaire de la commission nationale de recensement,
le Conseil constitutionnel n’annule l’élection que dans les cas suivants :
– « si l’élection n’a pas été faite selon les formes prescrites par le loi
– si le scrutin n’a pas été libre ou s’il a été vicié par des manœuvres frauduleuses

1. G.Ghévontian : Constitution et élection. AIJC 2003 Débat. op. cit. p. 404.

366
– s’il y a incapacité légale ou judiciaire dans la personne d’un ou de plusieurs élus. »

2.3. Les techniques

Pour P. Garonne, Secrétaire général de la Commission de Venise, il existe un « patrimoine électoral euro-
péen, un standard commun formé des principes suivants : la liberté de l’électeur, la liberté de l’élu, la liberté
du vote, l’égalité et la sincérité. » 1 Quid des principes à la base des décisions électorales au Maroc ? Le
Conseil constitutionnel et sa devancière, la Chambre constitutionnelle ont toujours eu par rapport à l’annula-
tion une attitude prudente, le juge n’invalidant le siège que si l’écart est faible et si l’irrégularité est détermi-
nante.
Influencée par l’attitude du Conseil constitutionnel français qui d’une part et dès ses débuts, a pris le
contre-pied de la justice des assemblées en matière de vérification des pouvoirs et d’autre part, s’est inspiré
étroitement de la justice des tribunaux administratifs en ce qui concerne les élections locales 2, la juridiction
électorale se montra très prudente, voire tatillonne d’autant plus que nombre de ses décisions furent prises
par des commissions constitutionnelles provisoires dont la composition prête à la réserve. Nichés dans la
Cour suprême ou plus tard, émancipés par rapport à l’autorité judiciaire, les organes de contrôle eurent une
conception limitée de leurs compétences, une approche formaliste de l’élection et une attitude prudente –
quoique inconstante – face à l’annulation.

2.3.1 Une conception limitée de ses compétences


Ne cédant pas à l’auto-saisine, la juridiction constitutionnelle ne statue que sur le résultat d’une seule élec-
tion. Par ailleurs, elle refuse d’examiner la constitutionnalité d’une loi électorale et ne porte pas d’apprécia-
tion sur la moralité de l’élection.

A. L’appréciation liée
À l’instar du Conseil constitutionnel français, la juridiction constitutionnelle marocaine ne dispose pas d’une
compétence générale mais uniquement d’une compétence d’attribution 3. Ainsi, elle n’est pas habilitée à véri-
fier systématiquement les pouvoirs, son rôle se confine à statuer sur des réclamations 4. Doit on rappeler que
le juge constitutionnel ne juge pas l’élu mais l’élection ? Si l’article 59 de la Constitution française de 1958
évoque clairement que le juge constitutionnel statue en cas de contestation, sur la régularité de l’élection des
députés et des sénateurs, la Constitution marocaine reste à cet égard plus réservée et stipule que la juridic-
tion constitutionnelle « statue par ailleurs, sur la régularité de l’élection des membres de la Chambre des
représentants et des opérations de référendum 5 ». Cependant, la loi organique relative au Conseil constitu-
tionnel rétablit les choses dans la mesure où elle réglemente dans ses articles 29 6 et suivants, la

1. P.Garonne : Constitution et élection AIJC 2003.. Débat. op. cit. p. 422.


2. L. Philip : Cours de contentieux constitutionnel. Op. cit.
3. Cf. G. Vedel : Le Conseil constitutionnel n’est pas Mme Soleil. Le Monde. 30.12.71.
4. Cf B. Genevois citant les conclusions Le Vavasseur de Précourt sur Conseil d’État. 4.1.1889. Élection de Reallon S. 1891.3.2. In La juris-
prudence du Conseil constitutionnel Op. cit. p. 328.
5. Art. 81. 1er. Constitution du 7.10.96.
6. « Le délai pendant lequel l’élection d’un membre de la Chambre des représentants peut être contestée devant le Conseil constitutionnel,
conformément à la loi, est fixé à 15 jours suivant la date de proclamation du résultat du scrutin ». L’art. 30 précise que « le Conseil constitutionnel
doit être saisi par une requête écrite adressée au Secrétaire général du Conseil ou au Gouverneur... »

367
procédure de la saisine. Néanmoins si les décisions « sur saisine » contribuent à juridictionnaliser l’organe, il
est vrai également que des irrégularités peuvent rester impunies faute de saisine et que donc le juge consti-
tutionnel « peut-être conduit à annuler une élection, tout en laissant subsister une autre pourtant entachée
de la même irrégularité que celle qui a été annulée, car personne n’a contesté devant lui la régularité de cette
autre élection 1 ». Cet état de fait ne peut être atténué que par la présomption générale de régularité entou-
rant chaque mandat, et mettant fin à l’ex « suspicion systématique » 2 correspondant à une tradition française
ancienne et fermement établie.

B. L’appréciation ciblée
En effet, la juridiction constitutionnelle ne peut statuer que sur une seule élection et non sur leur ensemble
puisque statuant sur requête, et elle n’examinera que celles provenant des électeurs ou candidats directe-
ment intéressés, c’est à dire ceux de la circonscription litigieuse. Plusieurs recours 3 ont fait état, de la remise
en cause du scrutin dans son ensemble. La juridiction constitutionnelle a eu la même attitude que le Conseil
constitutionnel français pour qui « lorsque le requérant conteste les résultats des élections législatives dans
leur ensemble, et non ceux d’une circonscription déterminée, sa requête ne répond pas aux prescriptions de
l’article 33 de l’ordonnance. Elle est déclarée irrecevable » 4. Concernant l’élection dans une circonscription
donnée, la juridiction constitutionnelle ne statue que sur les irrégularités visant la proclamation de l’élu et non
sur le déroulement du scrutin en général. Fidèle à la jurisprudence française Rebeuf 5, elle ne se considère
pas compétente pour apprécier l’ensemble de l’opération électorale. Déjà en 1963, la Commission constitu-
tionnelle provisoire « avait rejeté les requêtes qui contestaient l’intervention manifeste des agents d’autorité
au motif que la requête ne visait pas expressément la contestation d’une élection précise » 6.

C. L’appréciation assignée
L’organe de contrôle ne statue pas sur la constitutionnalité d’une loi, pas plus qu’il ne le fait sur la constitu-
tionnalité ou la légalité d’un décret, à l’occasion d’une contestation de l’élection d’un parlementaire. Pourtant,
les textes relatifs aux élections – loi électorale, loi organique relative à l’élection de la Chambre des représen-
tants, décret relatif au découpage électoral – ne sont pas à l’abri des critiques 7. Malgré cela, ils ne semblent
pas être la cible des requérants, ces derniers déplorant plus le défaut ou la mal application du droit que le
droit lui-même. Se fondant sur le fossé séparant la norme de sa mise en vigueur jugée perverse, ils n’ont
semble-t-il pas remis en cause le cadre juridique établi. Dans le cas contraire, comment réagirait la justice
constitutionnelle ? Suivrait-elle la démarche française, qui à l’exception de la jurisprudence Delmas 8, refuse
de connaître de « la conformité d’une loi à la constitution.... ou de l’opportunité des dispositions régle-
mentaires (fixant la composition des bureaux de vote et la date limite de dépôt des noms des assesseurs et
délégués choisis par les candidats) tout en acceptant de juger de la conformité de la loi électorale à un

1. B. Genevois : La jurisprudence du Conseil constitutionnel. Op. cit. p. 328.


2. B. Poulain : La pratique française de la justice constitutionnelle. Op. cit. p. 111.
3. Requête du 12.7.93 M. Aybar/A. Benslimane. Requête du 19.7.94 A. Chouiyne/E. Haj El Amara
4. CC décision no 88 – 1038 du 13.7.88; no 93 – 1199 du 26.5.93. A.N Manche 5è circ. In Camby : Le Conseil constitutionnel, juge électoral.
Op. cit. p. 24.
5. C.C.P décision 58-34. A.N Gard. 1re circ. Rebeuf. Ibid.
6. N. Bernoussi : La jurisprudence de la Chambre constitutionnelle marocaine. Thèse de 3e cycle. Montpellier 1985. P. 66.
7. Y. Fassi Fihri : Le Conseil constitutionnel et le contrôle des consultations populaires. In la justice constitutionnelle au Maroc. Revue de droit
et d’économie. No 12. Fès. 1996. P. 27-63 (en arabe).
8. CC Delmas 11.6.81. Rec. Cons. Const. P 97.

368
traité » ? 1. L’appréciation de la constitutionnalité d’une loi ou d’un règlement n’est elle pas du ressort
d’organes habilités selon des procédures établies ? Une loi électorale anti constitutionnelle ne devrait-elle pas
subir la sanction du juge constitutionnel avant la promulgation, à la suite de la saisine des autorités concer-
nées ? Pour plus de clarté, le juge électoral ne devrait-il pas se limiter à contrôler l’issue de l’élection plutôt
que ses actes fondateurs, qui sont d’une autre nature et surtout qui relèvent d’un contexte plus apaisé ?

D. L’appréciation distanciée
En se fondant notamment sur les deux premiers moyens invoqués dans la loi organique précitée 2, l’organe
de contrôle invalida des élections 3 lorsque que le faible écart de voix s’y prêtait. C’est dire que la tendance à
l’annulation ne prévaut que lorsque l’irrégularité est déterminante et influe foncièrement sur l’issue du scrutin
en en modifiant le résultat. D’aucuns 4 auraient souhaité que la juridiction constitutionnelle puisse annuler dès
qu’il y a violation des règles en vigueur, fraude, qu’il y ait ou non impact sur l’issue du scrutin. Une telle
rigueur par rapport au droit et à l’éthique électorale ne peut-être que louable si elle n’entraînait pas dans son
sillage, le double inconvénient d’annulations massives 5 et de remise en cause consécutive de la légitimité
d’un tribunal électoral doté de trop larges pouvoirs.

2.3.2. Une approche formaliste de l’élection


L’approche formaliste est visible à trois niveaux, celui de la qualité pour agir, de la formulation de la requête
et de son fondement.

A. la qualité pour agir


Les titulaires de la saisine, concernant le contentieux en annulation, sont énumérés dans l’article 48 du
dahir précité, à savoir les électeurs et candidats intéressés, le Gouverneur et le Secrétaire général de la
Commission nationale de recensement 6. Peut-être peut-on la considérer comme limitative dans la mesure
où notamment les personnes morales dont les associations ou/et les partis politiques en sont privées ? À cet
égard, la juridiction constitutionnelle 7 a eu l’occasion de rappeler le droit de la saisine en refusant de consi-

1. CC décision no 88-1082/1177 du 21.10.88, AN, Val-d’oise, 5e circ. In Camby : Le Conseil constitutionnel, juge électoral. Op. cit. p. 27; par
contre, « il résulte tant des dispositions de la constitution que de celle de l’ordonnance du 7.11.58 que, lorsqu’il est saisi de contestation en
matière électorale, le Conseil n’a pas compétence pour se prononcer, même par voie d’exception et nonobstant l’article 44 de l’ordonnance préci-
tée du 7.11.58, sur le caractère de conformité à la constitution des textes de caractère législatif » une telle jurisprudence est reprise en 1959, 63,
78, 81 et 86. B. Poullain : La pratique française de la justice constitutionnelle. Op. cit. p. 119.
2. Dahir no 1-77-177 du 9.5.77 portant loi organique relative à la composition et à l’élection de la Chambre des représentants.
3. CC décision no 97/95 du 29.11.95. Op. cit. CHC décision no 343 du 16.8.93. CHC décision no 345 du 16.8.93. CHC décision no 266 du
16.8.93 etc.
4. L. Philip : Cours de contentieux constitutionnel. Op cit. F. Luchaire : Le Conseil constitutionnel. Op. cit. p. 353 notamment.
5. Jugeant trop sévères les annulations prononcées par le Conseil constitutionnel marocain, un observateur s’inquiète quant à l’influence sur
l’équilibre des pouvoirs. « N’eût été la large majorité dont disposent les partis au pouvoir, l’action du Conseil constitutionnel eut pu provoquer une
suite de crises gouvernementales. Si la majorité avait été plus étriquée, le Conseil constitutionnel aurait pu en effet, au rythme des annulations
affectant respectivement l’un et l’autre bord, faire et défaire les gouvernements » M. Ibrahimi : Du contrôle des élections législatives par le
Conseil constitutionnel. REMALD. No 13. Oct-Déc. 1995. P. 25.
6. Art 48. Dahir du 1-77-177 portant loi organique relative à la composition et à l’élection de la Chambre des représentants.
7. À l’instar du Conseil constitutionnel français qui a également opposé l’irrecevabilité à une « contestation présentée au nom d’un parti poli-
tique alors même que la personne qui agit au nom du parti ou du groupement serait, soit inscrite sur les listes des électeurs, soit candidate dans la
circ. où a eu lieu l’élection contestée (décision no 88-1040 du 13.7.88, AN, Charente Maritime, 1rr circ. Décision no 88-1055/1105 du 3.10.88, AN,
Alpes Maritimes 9e circ. no 89-1133/1136 du 5.12.89, Sénat, Gironde etc. In Camby : Le Conseil constitutionnel, juge électoral. Op. cit. p. 12.

369
dérer une requête à l’initiative du parti de l’Organisation de l’Action Démocratique et Populaire contestant
l’élection dans la circonscription de Tan Tan 1. Pour elle l’« OADP n’a pas de qualité juridique pour formuler un
recours 2 », les organisations et les partis politiques ne sont pas qualifiés pour contester les élections » 3,
l’article 48 a ainsi été méconnu 4. Les requérants tenaient-ils à dénoncer le caractère restrictif des textes ? Ou
bien cette saisine irrégulière est-elle la démonstration que le droit de la saisine est insuffisamment acquis ?

B. La formulation de la requête
Celle-ci est réglementée dans la loi organique relative au Conseil constitutionnel 5 disposant à l’article 31
que « les requêtes doivent être signées de leurs auteurs, ou d’un avocat inscrit au tableau de l’un des bar-
reaux du Maroc et contenir les nom, prénom, qualité et adresse du requérant, les nom et prénom de l’élu
dont l’élection est contestée ainsi que l’exposé des faits et les moyens d’annulation invoqués ». De ce fait, la
juridiction constitutionnelle est en droit de rejeter les demandes omettant une de ces formalités considérées
comme substantielles. En réalité, la Chambre constitutionnelle s’est montrée particulièrement sévère à cet
égard et a débouté un nombre important de requêtes ayant négligé de préciser le nom, la signature ou le
domicile.
En revanche, il semble 6 que le Conseil marocain s’oriente, à l’instar du Conseil français 7 vers une attitude
plus libérale dans la mesure où il ne rejette les requêtes viciées dans ce sens que lorsqu’en plus, elles ne
sont pas fondées ou que le grief dénoncé n’a aucune influence sur le résultat de l’élection 8. Il convient de
souligner que dans des espaces politiques où la connaissance du droit électoral est insuffisante et/ou le
stade d’alphabétisation est encore inachevé, la rigueur manifestée par le juge constitutionnel dans la récep-
tion des requêtes ne peut être qu’injuste et ce, en dépit de l’argumentaire en faveur de la fonction pédago-
gique de l’irrecevabilité.

C. L’exigence de la preuve
Il s’agit là de l’angle mort du contentieux électoral car en dépit de la gravité des faits invoqués, ceux-ci ne
sont pris en considération que s’ils peuvent être prouvés matériellement. D’un côté, l’exigence de la preuve
part d’une préoccupation de sécurité électorale du mandat dans la mesure où elle met l’élu à l’abri des
recours dilatoires ou malveillants, et contribue alors à protéger ses droits. D’un autre côté – facette nette-

1. CC décision no 21/94 en date du 7.6.94 contestant l’élection d’O. Bouayada à Tan Tan. BO no 4260 du 22.6.94.
2. ibid.
3. Y. Fassi Fihri : Le Conseil constitutionnel et le contrôle des consultations populaires. Op. cit.
4. Décision no 21/94 CC du 7.6.94. Op. cit.
5. Dahir no 1-94-124 du 25.2.94 portant promulgation de la loi organique no 29-93 relative au Conseil constitutionnel. BO no 4244. P 158.
6. Impression confirmée par un observateur autorisé, qui fut Président de la Cour suprême et de la Chambre constitutionnelle, Feu M. Mikou.
Entretien.
7. Décision no 24/94 CC en date du 7.6.94 BO no 4260 du 22.6.94, Décision no 27/94 CC en date du 7.6.94 BO no 4262 du 6.7.94.
8. « Le Conseil admet par exemple la recevabilité d’une requête, même si elle ne mentionne pas le nom du député dont l’élection est contes-
tée, lorsqu’elle tend à l’annulation des élections à l’Assemblée nationale qui se sont déroulées à une date et dans une circ. qu’elle indique (Déci-
sion no 62.264 du 15.1.63 AN. Rhône, 6e circ; no 68-506/515 du 17.10.68, AN, Alpes maritimes, 4e circ; no 78-858/585 du 17.5.78, AN, Puy de
Dôme, 1er circ) » Bien plus, « une requête est suffisamment explicite et, par suite, recevable, dès lors qu’elle traduit clairement l’intention de son
auteur de contester une élection, même si elle ne contient ni une demande formelle d’annulation, ni le nom du député ou celui de la circ. (Décision
no 73/711 du 24.5.73, AN, Ardennes, 3e circ) ». Camby : Le Conseil constitutionnel, juge électoral. Op. cit. p. 25.

370
ment moins avenante – l’obligation de fonder la requête et de mettre en exergue les moyens, fragilise le
recours jusqu’à l’annihiler complètement parfois à cause de défis difficilement expugnables. Tout d’abord, il
est à noter la brièveté des délais qui restent courts même s’ils sont de 15 jours, – le délai étant de dix jours
en France et de 48 heures en Algérie 1 – pour pouvoir disposer de la matérialité de ses moyens. Par ailleurs
« l’élu a l’avantage sur le requérants. Le requérant ne dispose que d’un délai de dix jours pour trouver les
moyens de la requête. L’élu dispose de tout le temps pour trouver les moyens de sa défense. Cette inégalité
est multipliée par deux si l’élu appartient à la majorité qui l’aide par l’administration en place » 2. En outre, ne
faut-il pas évoquer la difficulté de prouver certains faits et agissements délictueux que le requérant aurait vus
sans pouvoir y apporter un commencement de preuve, ainsi en est-il des pressions exercées par l’autorité
locale, de l’achat des voix, du changement d’urne, des manœuvres particulièrement actives dans le flou de la
campagne électorale ; ni oublier de souligner le risque de témoigner qui peut se transformer en accusation de
faux certificat 3 ; voir également la rigueur du juge qui refuse de considérer comme éléments de preuve des
documents tels que les cassettes, les photos ou les procès verbaux des commissions régionales de recense-
ment 4 ; mésestimer enfin, la rétention de l’information de la part de l’administration, « information – pièce
d’œuvre » de la construction de la preuve. Pour la juridiction constitutionnelle, la preuve est attestée par des
faits précis ayant une influence sur l’élection attaquée et non des allégations de caractère général 5 et pour la
circonscrire, « les mentions aux procès verbaux jouent un rôle essentiel » 6. Dans les cas les plus graves, le
juge constitutionnel « peut avoir recours à la technique du jugement avant dire droit avec enquête, nomina-
tion d’un rapporteur-enquêteur » 7, le tout étant de vérifier dans quelle mesure, le contenu de la requête res-
semble à la réalité et dans quelle mesure, l’irrégularité démontrée est-elle déterminante quant à l’issue du
scrutin. Ainsi, dans les décisions où la juridiction constitutionnelle a invalidé les élus contestés, la preuve fut
apportée dans les procès verbaux 8 et en cas de doute, la Chambre constitutionnelle 9 et le Conseil constitu-
tionnel n’ont pas hésité à recourir au jugement avant dire droit, la contestation de quelques élus 10 de la majo-
rité de la Chambre des représentants précédente ont suivi notamment cette procédure méticuleuse.

1. Art. 100. Loi électorale no 89-13 du 7.8.89.


2. F. Luchaire : Le Conseil constitutionnel. Op. cit. p. 309.
3. Cf L’annulation des résultats de la circonscription de la commune de Mtal dans laquelle 14 faux-témoins (qui ont contribué à l’annulation
de l’élection de la dite circonscription) ont été condamnés à 6 mois de prison ferme et à une amende de 2000 dirhams. L’opinion du 6.1.94.
4. Décision no 38/94CC du 13.9.94 BO no 4273 du 21.9.94, Décision no 33/94CC du 25.7.94. BO 4268 du 17.8.94, Décision no 16/94 CC en
date du 30.5.94 BO 4262 du 6.7.94.
5. Cf CC décision no 68.530 du 14.11.68. A.N. Réunion 2è circ. In J.P Camby : Le Conseil constitutionnel, juge électoral. Op. cit. p. 32.
6. Ibid. p. 33.
7. L. Philip : Cours de contentieux constitutionnel. Op. cit.
8. « Les procès verbaux disent que le Président du bureau de vote a fermé l’urne et a donné les clés à l’autorité locale » Décision no 345 CC
en date du 16.8.93. « Dans 77 procès verbaux sur 90, le nombre de bulletins de vote ne correspond pas à la liste des votants... » Décision no 343
CC en date du 16.8.93.
9. « La jurisprudence de l’ancienne Chambre constitutionnelle accède à ces demandes d’enquête chaque fois qu’il y a un début de preuves
sérieuses établissant les griefs reprochés à la régularité de l’élection contestée et que le scrutin a été entaché d’irrégularités telles qu’elles aient
été de nature à dénaturer le résultat de l’élection ». L’opinion du 12.5.95. Ainsi la Commission constitutionnelle provisoire de 1963 ordonna à deux
reprises une enquête/un jugement avant dire droit, le 21.6.63 dans l’arrêt no 134 en date du 8.7.63 A. Bahnini/A.E Fassi et le 21.6.63 dans l’arrêt
no 160 en date du 18.7.63 A. Amrani et M. Douiri/Lyazghi; celle de 1970 également le 9.10.70 dans l’arrêt no 31 du 29.10.70.
10. Il s’agit du député Ziane, élu de l’Union Constitutionnelle (UC) du collège rbati des conseilleurs communaux, le 17.9.93. Après avoir rendu
un arrêt préliminaire no 67/95 en date du 21.3.95 désignant le juge Naciri comme rapporteur, le Conseil constitutionnel rejeta a demande d’annula-
tion et confirma le député par sa décision no 113-96 du 3.6.96. Un autre élu en la personne de T.Bencheikh a pu faire l’objet de la même procédure
par l’arrêt préliminaire no 64/95 du 13.3.95 et la décision du Conseil constitutionnel no 101-96 du 12.3.96 rejeta également la demande d’annula-
tion.

371
2.3.3. Une attitude inégale par rapport à l’annulation
Comme l’indique le tableau récapitulatif des annulations par législature 1, tout se passe comme si la règle
était la prudence et l’exception, l’« audace » dont ont fait preuve les organes de contrôle de 1963, 1993 et le
Conseil constitutionnel dès son installation.

A. La prudence
Les chiffres sont éloquents ; en trente ans et trois législatures 2 (70-71,77-83,84-92), le juge électoral
annula deux élections. En fait, il était animé du principe libéral selon lequel une présomption de régularité
habille toute élection, présomption ne tombant qu’avec l’apport d’une preuve, produite dans les délais et
ayant une influence déterminante sur l’issue du scrutin. Bien plus, même lorsqu’il sera convaincu de l’acte
d’annulation, il n’ira pas, pas plus que le juge français, jusqu’à la réformation, en dépit de l’invite des textes 3.

a. La preuve
La question de la preuve, appuyée et étayée génère le problème de la lenteur de la procédure. Si les textes
fixent un délai allant jusqu’à soixante jours 4, la pratique respectera rarement ce délai. Le Conseil constitution-
nel qui a hérité des dossiers de la Chambre constitutionnelle, n’a-t-il pas rendu des décisions parfois en annu-
lation – d’où l’ampleur des dégâts– portant sur des requêtes adressées à la Chambre constitutionnelle deux
ans auparavant 5 ? Est-ce à cause du trop plein de recours ? Ne faut-il pas, compte tenu de cette poussée
requérante, prévoir à l’image de ce qui se passe ailleurs 6 une organisation spéciale du travail pour instruire un
tel contentieux ?

b. La recherche de l’irrégularité déterminante


Une irrégularité n’est prise en considération que si elle a une incidence certaine sur l’issue du scrutin,
autrement dit si elle en modifie les résultats. À ce titre, l’écart des voix reste un indice fondamental dans le
calcul opéré par le juge. En France, dans la méthode du décompte des voix adoptée par le Conseil constitu-
tionnel et le Conseil d’État 7, le juge soustrait l’ensemble des bulletins irréguliers de la circonscription des

1. Cf tableau récapitulatif des annulations par législature au Maroc. In Annexe A..N. Bernoussi : Le contrôle de constitutionnalité au Maghreb
op. cit. P. 553
2. Ibid.
3. Art 35. Loi organique no 29-93 relative au Conseil constitutionnel précise que « lorsqu’il fait droit à une requête, le Conseil constitutionnel
peut annuler l’élection contestée, soit réformer les résultats chiffrés annoncés par la commission de recensement et proclamer le candidat qui a
été régulièrement élu ».
4. « Dès que l’affaire est en état d’être jugée, le Conseil constitutionnel y statue après avoir entendu le rapporteur, dans un délai de 60
jours... ». Art 34. Loi organique no 29-39. Cf tableau relatif aux délais observés par la Chambre constitutionnelle marocaine. In Annexe A.N. Ber-
noussi :Le contrôle de constitutionnalité au Maghreb. Op. cit. p. 554
5. Cf requête déposée auprès de la Chambre constitutionnelle le 17.9.93 par A. Hassini et Consort/M. Abderrazak. Décision rendue par le
Conseil constitutionnel le 27.3.95, sous le no 69/95. Op. cit.
6. Cf l’organisation du Conseil constitutionnel français en trois sections : « le Conseil constitutionnel forme en son sein, trois sections compo-
sées chacune de 3 membres désignés par le sort. Il est procédé à des tirages au sort séparés entre les membres nommés par le Président de la
République, entre les membres nommés par le Président du Sénat et entre les membres nommés par le Président de l’Assemblée nationale...
Dès réception d’une requête, le Président en confie l’examen à l’une des sections et désigne un rapporteur... » art 36, et 37 de l’ordonnance
no 58-1067 du 7.11.58 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel.
7. Avant 1988, il y avait une divergence entre la méthode du Conseil d’État et celle du Conseil constitutionnel mais « depuis le contentieux de
88, le Conseil constitutionnel a fait porter la déduction non sur les résultats d’un bureau mais sur l’ensemble des résultats de la circonscription, en
supposant que les irrégularités constatées au niveau de la circonscription ont profité au candidat arrivé en tête dans celle-ci (décision no 8861060
du 25.11.88 AN Essonne, 4è Circ. et no 88-1059 du 25.11.88, AN, Aisne... 5e circ »). J.C Camby : Le Conseil constitutionnel, juge élect-

372
voix de l’élu, et si malgré ce retrait, l’élu garde une majorité appréciable, il maintient son siège. Ainsi, que ce
soit pour débouter la requête ou pour lui faire droit en l’annulant, la juridiction constitutionnelle a pratique-
ment toujours pris en considération l’écart des voix en rappelant à cet égard, que plus ce dernier est faible et
plus la garantie d’exactitude s’en trouve amoindrie. Cependant, la recherche de l’irrégularité déterminante
peut se révéler incommode lors de manœuvres difficilement quantifiables. Dans ces cas, lorsque la juridic-
tion constitutionnelle s’agrippe à la prudence, elle oppose l’irrecevabilité même quand les requêtes
dénoncent des irrégularités graves telles la composition irrégulière des bureaux de vote, le renvoi des scruta-
teurs, le changement d’urne ou la violence à l’encontre d’un président de bureau de vote.

c. Le pouvoir de réformation délaissé


Sans doute par refus de se substituer au suffrage et consciente de son statut mitigé, la juridiction constitu-
tionnelle n’a jamais usé de son pouvoir de réformation même quand le décompte des voix allait inévitable-
ment en faveur du requérant. Elle préférera laisser aux élections partielles consécutives le soin de proclamer
le candidat malheureux ou de reconfirmer l’élu peu scrupuleux. Faut-il, dans ce dernier cas, y voir l’inter-
vention de l’administration et l’humiliation du verdict de la juridiction constitutionnelle ? ou bien le triomphe
des urnes à l’encontre d’une décision indue ?

B. L’« audace »
Sur une période linéaire allant de l’indépendance à aujourd’hui, et considérée globalement comme très pru-
dente, le contentieux des années 1963 et 1993 parait faire preuve d’une certaine hardiesse... Les irrégulari-
tés y furent-elles plus criardes ? Doit-on en conclure que la prudence/dépendance connaît des limites ?

a. La Commission Constitutionnelle Provisoire de 1963


Durant la première législature, la Commission constitutionnelle provisoire du 13.11.63 était à son baptême
contentieux. Parce que le Parlement n’était pas institué – premier parlement ou vide parlementaire post révi-
sion constitutionnelle – et que la Chambre constitutionnelle devait être en partie constituée par des membres
du Parlement, le contentieux électoral ne pouvait être que du ressort de commissions constitutionnelles pro-
visoires 1. Malgré l’influence de la jurisprudence française à cet égard réservée et elle aussi issue de commis-
sion constitutionnelle provisoire, elle ne tergiversa pas devant les irrégularités commises par les candidats en
proie à leur première expérience électorale législative. En effet, le texte réglementant les élections d’alors 2
édictait les mêmes cas d’annulation partielle ou absolue à savoir : « si l’élection n’a pas été faite selon les
formes prescrites par la loi ; si le scrutin n’a pas été libre ou s’il a été vicié par des manœuvres frauduleuses ;
s’il y a incapacité légale ou judiciaire dans la personne d’un ou de plusieurs élus ». Sur la base des deux pre-
miers motifs, la Commission constitutionnelle provisoire annula quatre élections 3 qui cumulaient l’illégalité
de la procédure et l’existence de manœuvres frauduleuses ; le troisième motif milita en faveur de l’annulation
d’un élu qui avait encouru sept condamnations pénales pour émission de chèque sans provision dont l’une
avec cinq mois de prison avec sursis 4. Bien plus, dans deux autres annulations 5, la Commission

oral. Op. cit. p. 145. Il semblerait que la méthode utilisée par le Conseil marocain aille dans le même sens.
1. Ainsi, le Maroc en a connu successivement trois; celle du 11.6.63 (qui a pris fin le 13.11.63), celle du 9.10.70 (jusqu’au 3.4.71) et celle du
24.8.77 au 20.10.77.
2. Dahir 1-59-161 du 1.9.59 relatif à l’élection des conseils communaux. BO du 4.9.59.
3. CCP arrêt no 181 du 19.9.63, CCP arrêt no 160 du 18.7.63, CCP arrêt no 134 du 8.7.63, CCP arrêt no 195 du 2.7.63.
4. CCP arrêt no 140 du 17.7.63 A. ZejlI/M. Belfqui. Condamnation de 5 mois avec sursis en date du 20.5.58.
5. CCP arrêt no 152 du 12.7.63, CCP arrêt no 177 du 25.7.63

373
n’ayant pu vérifier ni la véracité ni la teneur de la fraude à cause notamment de la désorganisation du dépouil-
lement, a fait porter le bénéfice du doute contre l’élu 1, selon le principe « que son titre doit être hors de
doute ». Ainsi, elle s’imposa alors à la fois comme un strict applicateur de la loi (juge de la légalité des élec-
tions) et comme un protecteur du suffrage universel (juge de la moralité des électeurs). Enfin, ne faut-il pas
omettre de préciser que la sincérité du scrutin était également pour elle une préoccupation cumulable avec
les autres et souvent déterminante ? Son souci de réguler la vérité des élections l’a conduit à invalider des
figures marquantes de la politique tels que A.E Fassi 2 ou M. Lyazghi 3, lorsque l’enquête avant dire droit
confirmait les moyens de la requête. Cependant, ne doit-on pas rappeler le rôle « incertain » joué par l’admi-
nistration dans l’invalidation des élus appartenant à l’opposition, dans le laxisme à la base de la candidature
du Président de la Cour suprême 4, dans l’autorisation donnée par le Ministre de l’intérieur pour le vote des
aveugles 5 et enfin dans la rapidité à apporter les moyens de la preuve 6.

b. La Chambre Constitutionnelle de 1993


La révision constitutionnelle du 9.10.92 instituant le Conseil constitutionnel prévoyait, en attendant la mise
en place de celui-ci que « les attributions qui lui sont conférées par la constitution soient exercées par la
Chambre constitutionnelle de la Cour suprême » 7 ; c’est dire qu’entre la date de la promulgation de la consti-
tution révisée et la date de l’installation du Conseil constitutionnel 8, une fois que la loi organique déterminant
son organisation et son fonctionnement a été promulguée 9, la Chambre constitutionnelle n’était pas désœu-
vrée d’autant plus que le déroulement des élections législatives de juin et surtout de septembre 1993 a
drainé un nombre appréciable de recours 10.
Il se dégage à la lecture des décisions rendues à cette occasion, une impression de surprise et de déjà-vu à
la fois ; de surprise parce que, par rapport à la léthargie de trente ans dont a fait preuve la Chambre constitu-
tionnelle dans le domaine électoral (deux annulations), les annulations de 1993 11 apparaissent comme un
chant du cygne, et de déjà-vu, parce que l’attitude de la Chambre constitutionnelle de 1993 n’est pas sans
rappeler dans ses considérants, celle de la Commission constitutionnelle provisoire de 1963. Ainsi, avant de
passer le témoin au Conseil constitutionnel lorsqu’elle annula une dizaine d’élections – qui par ailleurs ont été
très contestées 12 – la Chambre a été mue par deux préoccupations parfois cumulatives à savoir la violation

1. « ... Si, au contraire, il est impossible de limiter les effets de la manœuvre, de savoir combien d’électeurs ont été exposés à la corruption
mensongère ou par tout autre procédé de polémique déloyale, l’annulation doit être prononcée. En d’autres termes, il n’est pas nécessaire, pour
qu’une élection soit invalidée, qu’elle soit sûrement viciée, il suffit qu’elle puisse l’être : tout soupçon légitime se retourne contre l’élu, parce que
son titre doit être hors de doute ». E .Lafferrière : Traité de la juridiction administrative. Op. cit. p. 324. Cité par B.Genevois : La jurisprudence du
Conseil constitutionnel. Op. cit. p. 341.
2. CCP arrêt no 134 du 8.7.63. Op. cit. Siège maintenu en fin de compte par la décision CCPNo 187/63au motif que le désistement du requé-
rant n’avait pu être connu à temps pour des raisons indépendantes de sa volonté . Cf N. Bernoussi : Le contrôle de constitutionnalité au Maghreb.
Op. cit. p. 553
3. CCP arrêt no 160 du 18.7.63. Op. cit.
4. Cf supra p. 32.
5. En dépit du secret du vote protégé par la loi électorale, le Ministre de l’intérieur a autorisé les autorités locales à faire voter les aveugles
par l’intermédiaire des présidents des bureaux de votes. Cf CCP arrêt no 134 du 8.7.63.
6. Les preuves furent amenées par les moqquadmines, les pachas, les gouverneurs etc... Cf. Arrêt no 134 du 8.7.63 où les preuves furent
amenées également par le chef de la sûreté.
7. Art. 102. Dahir no 1-92-155 du 9.10.92 portant promulgation du texte de la constitution révisée
8. Le 21.3.94, le chef de l’État adressa à cette occasion une allocution aux membres du Conseil constitutionnel. Cf. Libération du 23.3.94.
9. Dahir no 1-94-124 du 25.2.94 portant promulgation de la loi organique no 29-93 relative au Conseil constitutionnel.
10. Cf. tableau récapitulatif des annulations par législature au Maroc. In Annexe A. Op. cit. p. 553.
11. CHC décision 93/266; CHC décision 93/343; CHC décision 93/344; CHC décision 93/345; CHC décision 93/362; CHC décision 93/363;
CHC décision 93/367; CHC décision 93/374; CHC décision 93/396; CHC décision 93/424; CHC décision 93/430; CHC décision 93/432.
12. D’abord, du fait que leur notification au Président de la Chambre des représentants soit restée mystérieuse pendant une longue durée

374
de la loi électorale et/ou l’ampleur et la gravité de la fraude ayant une incidence sur l’issue du scrutin. De fait,
comme en 1963, elle s’affirme comme juge de la légalité du scrutin en sanctionnant toute violation de la loi
électorale et également comme juge de sa liberté. A cet égard, la méconnaissance de l’article 49 du dahir
précité ou de l’article 42 de la loi électorale ont donné lieu à des invalidations 1. Par ailleurs, les mêmes déci-
sions 2 ont mis en relief l’attitude de la Chambre quant aux fraudes telles que la signature des procès verbaux
vierges par les membres des bureaux de vote avant le scrutin et l’écart flagrant entre le nombre des bulletins
de vote et le nombre inscrit dans la liste des votants. De fait, toutes les annulations ont emprunté ce mode
de raisonnement où la violation de la loi électorale et l’atteinte à la liberté du scrutin constituent – isolées ou
conjuguées – les moyens de la décision. Par rapport à la période qui s’étend de 1963 à 1993, une césure est
manifestée de la part du juge, par une attitude plus libre vis-à-vis de l’acte d’annulation 3, relativement plus
rapide dans le rendu de ses décisions 4 et plus incertaine quant à la formalité du nom 5. En effet, le malaise
peut s’installer devant son attitude parfois inconstante. Il est vrai que certaines décisions étonnent et
peuvent apparaître comme sévères, non pas que l’élection en cause y soit forcément transparente mais en
ce que la rédaction des considérants 6, de par leur faiblesse, entoure l’annulation de suspicion. D’autant plus
qu’à cette sévérité – certes isolée – tranche un laxisme opposé à une quantité appréciable de requêtes fon-
dées sur des moyens similaires ou plus caractérisés. Dans ce sens, le contentieux de 1993, dont les élus
invalidés ont été généralement reconfirmés peut parfois gêner dans la mesure où le juge, tout en « édu-
quant » 7 électoralement les candidats virtuels, oublie de statuer sur la sincérité du scrutin pour ne prendre en
considération que le respect de la loi ou l’ampleur de la manœuvre sans d’ailleurs regarder les autres moyens
de la requête 8, ce qui prouve, de sa part, une conviction dans la force de ses considérants. Le climat tendu
marqué par des épisodes violents, rendant souvent l’issue du scrutin incertaine, est sans doute en rapport
avec l’attitude légaliste, parfois rigoriste, inconstante par endroit, de la Chambre constitutionnelle. N’a-t-elle
plus rien à perdre et statue-t-elle librement ou souhaite-t-elle influencer le nouveau Conseil en lui laissant une
marque moralisatrice ?

voir à cet égard infra p. 295 & suiv) puis en raison de la polémique suscitée par les élus invalidés, à travers notamment leur organe de presse, à
l’encontre de décisions jugées indues et non fondées (les décisions de la Chambre constitutionnelle sont elles indiscutables? Al bayane du
13.4.94. Une pure formalité. Al bayane du 30.4.94). Il est vrai que partout où elle est prononcée, l’invalidation d’un élu est sujette à polémique et
repose la question de la légitimité du contentieux électoral. Cf. les vives critiques adressées par F. Mitterrand au Conseil constitutionnel lors des
invalidations de 1978, celles de J. CHIRAC à propos de l’invalidation de M. de la Malène à Paris (L. Philip : Le Conseil constitutionnel, juge électo-
ral. Op. cit.), celle plus récente et nettement plus virulente du député J. Lang, invalidé pour dépassement du plafond légal autorisé par la loi du
15.1.90 sur le financement des partis politiques (J. Lang : Le droit et les juges. L’express 23.12.93.).
1. CHC décision no 343 en date du 16.8.93, CHC décision no 345 en date du 16.8.93, CHC décision no 266 en date du 16.8.93.
2. CHC décision no 266 et no 343. L’unique annulation de la législature de 1970 fut basée sur la même manœuvre.
3. Cf. tableau récapitulatif des annulations par législature au Maroc. In Annexes A. op. cit., p. 553.
4. Cf tableau relatif aux délais observés par la Chambre constitutionnelle. In Annexes A. op. cit., p. 554.
5. Suivant en cela l’évolution de la jurisprudence française du Conseil constitutionnel, la Chambre constitutionnelle a considéré l’omission de
la mention du nom de l’élu contesté, comme non substantielle dans la mesure où la mention précise de la circonscription contestée et de la date
était suffisamment claire. 9/12 décisions ont répondu à des requêtes qui ne précisait pas le nom – no 343, 344, 266, 363, 424, 345, 362, 367, 374.
Dans le même sens, cf CC décision no 62, 264 du 15.1.63. AN, Rhône, 6e circ; no 68-506/515 du 17.10.68, AN, Alpes maritimes, 4e circ; no 78-858/
885 du 17.5.78, AN, Puy de Dôme, 1e Circ. J.P. Camby : Le Conseil constitutionnel, juge électoral. Op. cit., p. 25.
6. Pour navrantes que soient l’utilisation de l’argent et/ou la pression des autorités locales pour voter en faveur de l’un ou l’autre des candi-
dats, il semble discutable qu’elles puissent entraîner l’annulation de l’élection sur simple témoignage. Cf CHC les décisions no 363 du 9.9.93;
no 362 du 9.9.93; no 367 du 25.6.93.
7. Il opposera l’irrecevabilité à un nombre appréciable de requêtes dont la mention du nom ou de l’adresse de l’élu est fausse (CHC décision
no 276 du 26.7.93), incomplète (CHC Décision no 282 du 2.8.93 CH C décision no 283) ou absente (CHC décisions no 272 du 26.7.93; 273; 284,
281, 289, 277, 278 du 2.8.93; , 279, 293, 290, 291, 292 du 26.7.93).
8. La Chambre constitutionnelle utilise cette formule clé du considérant balai en conclusion de toutes ses décisions d’annulation.

375
c. Le Conseil constitutionnel de 1994
Tout en emboîtant le pas à la Chambre constitutionnelle de 1993 dans sa disponibilité à annuler et dans la
chasse aux violations de la loi et aux manœuvres, le Conseil constitutionnel de 1994 s’en distingue dans la
mesure où il est davantage préoccupé par l’issue du scrutin. Pour lui, la présence d’irrégularités et la consta-
tation de la méconnaissance de la loi électorale ne peuvent être pris en considération que lorsque le vice est
déterminant. Pour ce faire, il a recours à des indices tels que l’écart des voix ou l’ampleur de la fraude. Si
l’écart des voix est faible ou si la fraude a touché 61 bureaux de vote sur 104 par exemple 1, l’indice milite en
faveur de résultats faussés (ou 10 listes préétablies) 2. L’influence de la jurisprudence électorale française se
fait nettement sentir en ce sens où le juge électoral n’y est pas vu – à tort ou à raison – comme un redresseur
de torts, un juge répressif ou un juge de l’orthodoxie électorale, mais comme « un juge de plein contentieux,
doté de larges pouvoirs – dans le but de veiller à la liberté et à la sincérité du scrutin » 3. Contrairement aux
contentieux de 1963 et 1993 qui furent plus préoccupés par la moralisation de l’élection, sans doute aidé en
cela par l’appartenance des élus invalidés aux partis politiques de l’opposition ou des forces en disgrâce 4, le
contentieux de 1994 se veut plus prudent et pondéré. 5 L’appréciation de l’irrégularité déterminante l’a
amené à protéger l’égalité devant l’élection lorsque notamment certains bureaux de vote bénéficiaient de
l’horaire légalement prorogé et pas d’autres 6 ; ou par ailleurs à défendre la composition des bureaux de vote
lorsque dix d’entre eux étant composés par des listes préalablement établies 7. Cependant, au regard de la
longue liste d’irrecevabilité (influence du juge administratif marocain) opposée aux requêtes déposées au
conseil, il est permis de s’interroger sur le fait de savoir si, en vertu de la pondération et du rôle initial et clas-
sique du juge électoral, ce dernier doit rester imperturbable devant des entraves au processus électoral
même si celles-ci ne doivent pas modifier l’issue du scrutin. Certaines requêtes méritaient que le conseil s’y
attarde, au vu du nombre et de la gravité des irrégularités dénoncées 8.
En définitive, si le juge électoral dont le pouvoir d’action n’est pas subsidiaire – puisqu’il peut annuler et
réformer – travaille « bien » dans le sens où épris d’indépendance, de légalité et de vérité électorale, il invali-
dait sans état d’âme des élections légitimement contestées à ses yeux, ne risque-t-il pas de désordonner
une orchestration institutionnelle fragile tant elle est synthétique dans son immanence et, d’apparaître
comme un organe repoussoir, haï de tous bords ? Si par contre, mesurant ces variables et ne souhaitant ni
dépeupler l’hémicycle, ni désorganiser les partis, ni faire disparaître des groupes et conscient que toute élec-
tion n’est pas exempte d’irrégularités, il œuvrait dans le sens de la sincérité du scrutin, il finirait par avaliser

1. Décision no 72/95CC du 10.4.95. Op. cit.


2. Décision no 86/95CC du 25.7.95. (126 bureaux de vote dont les membres sont choisis à partir de listes préétablies). Op. cit.
3. B. Genevois : La jurisprudence du Conseil constitutionnel. Op. cit. p. 329.
4. Cf Parti du Rassemblement National des Indépendants.
5. Depuis sa création jusqu’en 2004, le Conseil constitutionnel a annulé 38 élections. Cf Revue du Conseil constitutionnel, 2004.
6. CC décision no 70/95 du 3.4.95. Op. cit. L’écart de voix est de 98 et le nombre d’inscrits qui n’ont pas bénéficié de la prorogation de l’horaire
est de 1774. Pour le Conseil constitutionnel, l’écart peut être expliqué par la fermeture plus précoce de certains bureaux. CC décision no 72/95 du
10.4.95. Op. cit. L’écart de voix est de 382, le nombre d’inscrits n’ayant pu voter est de 5000. CC décision no 17/94 du 31.3.94. Op. cit. L’écart de
voix est de 62 voix – Nombre d’inscrits... 1000.
7. CC décision no 86/95 du 25.7.95. Op. cit.
8. Cf notamment CC décision no 34/94 du 2.8.94. Op. cit. Cumul d’irrégularités non prises en considération à cause du grand écart de voix :
bureaux incomplets, horaire non respecté, propagande jusqu’au jour du scrutin, pressions, utilisation de l’argent, violence, témoignages du fait du
procès verbal de la Commission régionale du contrôle des élections et d’un certificat médical irrecevable. CC décision no 46/94 du 25.2.94. Op. cit.
Renvoi des assesseurs de certains bureaux, pression de la part des autorités locales, vote sans carte, utilisation de l’argent etc... Décision no 51/94
CC du 25.2.94. Op. cit. Bureaux de vote composés irrégulièrement, par un parti politique précis; changement d’urne, l’assesseur du requérant n’a
pas eu une copie du procès verbal de certains bureaux. CC décision no 38/94 du 13.9.94. Op. cit. 2 à 3 procès verbaux pour un seul bureau de
vote; nombre de bulletins dépassant le nombre des inscrits; vote sans carte d’électeur, inégalité devant l’horaire de fermeture; grande coupure
d’électricité au moment du dépouillement, ce qui oblige les membres des bureaux à acheminer les urnes à la préfecture...

376
des élections mathématiquement « justes » quant au résultat mais lourdement hypothéquées quant à la
démarche, c’est à dire en l’occurrence, l’éthique électorale. Apprendre la règle du jeu en fermant les yeux
devant les tricheries qui n’auraient ni influence déterminante sur le scrutin ni justification, est-ce le meilleur
moyen d’édifier une communauté civique majeure ? Est ce là son rôle ? Devant la recrudescence de l’insalu-
brité électorale, « casser » une élection pour la moraliser ne constitue-t-il pas une thérapie dissuasive non
négligeable ? Mais œuvrer dans un tel sens, n’est-ce pas dépasser ses attributions et les concevoir exten-
sivement ?
Ainsi, le processus électoral depuis l’indépendance n’a il pas été exempt de soubresauts. En est il autre-
ment ailleurs et comment peut il en être autrement au Maroc ? En période de transition « prolongée », en
phase d’émergence institutionnelle difficile, le rapport aux élections apparaît comme un défi d’une grande
vulnérabilité et d’une accessibilité délicate.
Des efforts normatifs ont certes été entrepris dans le sens d’une plus grande représentativité et dans la
perspective d’une éthique électorale qui ne devrait pas rester de l’ordre de l’« introuvable » 1, des initiatives
institutionnelles nouvelles ont montré le souci du pouvoir de clarifier et de contrôler les élections dans le
sens d’une bonne gouvernance (création de la Haute autorité pour la communication audiovisuelle, gel des
dahirs des fameuses commissions, création du Conseil constitutionnel) des percées extra institutionnelles
sont visibles également (ONG, société civile, corps de superviseurs, mémorandum, campagnes de sensibili-
sation, Code de bonne conduite...). La marche vers le développement institutionnel et démocratique dépend
de la conviction des uns et des autres en un processus régulé par des élections et à la foi dans le régime
représentatif et à ce niveau, les différents acteurs et les forces politiques en présence ont un travail considé-
rable à faire sur eux mêmes à la fois dans leurs promesses et engagements respectifs, leurs discours, leurs
programmes, (faisabilité et sincérité) la gestion interne de leurs formations, leur renouvellement, leur
éthique, leur sens de la chose publique pour que l’électorat puisse encore y croire. Il serait souhaitable que
l’électeur ne se trouve plus dans la situation désolante où « élire se transforme en applaudir », où élire ne
génère que des « badauds », où élire implique ne plus revenir.
La question des sièges réservés à la femme ou « affirmative action » doit encore perdurer au nom de l’éga-
lité des droits civiques entre les hommes et les femmes et du développement humain, le vote des RME
devrait être une question aisément résolue, le découpage est encore à revoir dans une perspective plus équi-
librée, les listes, moelle épinière du vote sont un espace où les négociations n’ont pas de place, l’inscription
au niveau des listes devrait pouvoir être automatique pour faciliter l’acte citoyen, le seuil pourrait être relevé
et le mode de scrutin à peine modifié pour ne pas compliquer davantage l’adhésion et la compréhension du
système mais le choix pour la plus forte moyenne – si l’option pour la représentation proportionnelle est
maintenue – paraît plus équilibrée dans ses résultats en termes de représentativité et de gouvernabilité. Le
projet de loi sur les partis politiques pourrait contribuer à juguler certaines de ces inquiétudes mais il reste
encore du domaine du normatif, certes indispensable instrument mais combien vain lorsque sur le terrain, les
choses sont rattrapées par des paramètres autrement quantifiables.
Il convient enfin de saluer les germes du changement qui ont été introduit récemment même s’ils sont
d’importance inégale : on en veut pour preuve une chambre élue complètement au suffrage universel direct,
une neutralité de plus en plus affichée de l’administration, un changement de mode de scrutin jadis consi-
déré comme intouchable et qui par le biais des listes a permis une plus grande représentativité féminine, des

1. Il convient de rappeler les leitmotiv de l’opposition depuis l’indépendance à savoir assemblée constituante et élections sincères. Si la ques-
tion de l’assemblée constituante a mis du temps pour aboutir à un renoncement de la part des partis qui la réclamaient, celle de la moralisation
des élections a posé plus de problèmes dans la mesure où l’évolution de l’administration vers un statut de neutralité et d’engagement (pas tou-
jours constant, cf les élections indirectes de 1993 par exemple) à mener des consultations avec le maximum de transparence, n’a pas pu enrayer
les vieilles et solides habitudes du recours à l’argent et à la fraude.

377
listes électorales « nettoyées » bien qu’encore perfectibles, l’aggravation des peines et amendes en cas de
fraude électorale, l’extension du périmètre des inéligibilités, la liste nationale et l’adhésion à l’approche
genre, pilier essentiel du développement humain, l’adoption d’un bulletin unique de vote, l’uniformisation de
l’heure de clôture des bureaux de vote, l’apposition de l’encre indélébile, l’abaissement de l’âge électoral à
18 ans et la mobilisation de la société civile dans un observatoire de contrôle et de suivi des élections.
Concernant le contentieux électoral, des réformes pourraient être entreprises notamment au niveau du ral-
longement des délais pour donner au requérant le temps nécessaire pour apporter les moyens de la preuve,
concernant également l’épaississement de la procédure contradictoire, l’accroissement des pouvoirs du juge
qui pourrait vérifier l’ensemble de l’opération électorale y compris les actes préalables car peu d’actes sont
détachables. Il serait évidemment normal que le recrutement des juges soit vigilant au niveau de leur compé-
tence, de leur indépendance et de leur pondération car il serait dommage de décourager des candidats
potentiels. Par ailleurs, il est recommandé d’aider les requérants dans la formulation de leur requête pour ne
pas repousser inutilement un flot important de recours déclarés irrecevables à cause d’une faiblesse rédac-
tionnelle. Pour conclure, l’unification du contrôle s’impose car il n’est pas indiqué de mimer l’ensemble de
l’organisation du contentieux électoral français dont la doctrine elle même souligne les insuffisances, organi-
sation héritée d’une histoire constitutionnelle et politique déterminée. Il serait loisible de ne pas multiplier les
organes de contrôle afin d’aller dans le sens de l’unification et de l’homogénéisation pour ne pas égarer, dis-
perser les requérants devant une pléthore d’organes et ne pas non plus voir leur requête vaine devant une
forclusion éventuelle des délais. Enfin, le « contentieux électoral (aura-t-il) acquis ses lettres de noblesse ces
dernières années, lorsque l’on a pris conscience du lien intime qui unit les règles électorales et la forme
démocratique du régime politique... (C’est pourquoi) les questions d’ingénierie électorale autrefois considé-
rées comme présentant un intérêt secondaire, (sont) aujourd’hui discutées en doctrine. » 1 Enfin, ne faut il
pas décider une fois pour toutes, de la vérité des élections et de l’établissement d’une réelle plate forme de
confiance sachant que contrairement à d’autres États de la région, et comme le rappelait un auteur, « à l’orée
du XXIe siècle, le Maroc met le cap sur la démocratie. Ce choix n’est dicté par la mode. Car la démocratie n’est
pas une idée nouvelle pour ce pays. Le Royaume s’y essaie depuis l’indépendance, avec plus ou moins de
bonheur. » 2 Plus il s’en rapprochera et plus le système de gouvernance gagnera en légitimité.

1. J.C. Colliard : Constitution et élection. Débat. op. cit., p. 380.


2. E. Van Buu : Chronique jurididique marocaine. AAN. 1997., p. 219.

378

Vous aimerez peut-être aussi