Aragon
Aragon
Aragon
Introduction : Aragon est un auteur surréaliste qui fut durement marqué par les horreurs des deux guerres qu'il a
vécu en tant que soldat. Il s'engagea dans la résistance lorsque son bataillon fut défait par la capitulation
française. Voulant combattre l'invasion culturelle allemande, il écrivit plusieurs poèmes sur l'espoir, la guerre et
l'amour. En effet, Elsa, sa femme et sa muse, prend souvent une valeur symbolique : elle représente la France.
Composé de quatre quintils et de cinq distiques, Esla au miroir est un poème qui relate les évènements de 1942
en prenant comme prétexte la chevelure d'Elsa. Nous l'étudierons en deux axes.
Annonce du plan :
I) La femme
II) La souffrance
Analyse :
I) La femme
A. La chevelure.
C'est l'élément déclencheur de la mémoire. En effet, ses cheveux blonds aux reflets roux lui font penser
à un incendie : "et peigner sans rien dire un reflet d'incendie", "incendie", "feux", "cheveux d'or" et
"cheveux dorés". La métaphore avec l'or est méliorative, elle rend compte de la beauté d'Elsa.
Aragon fait une comparaison entre les cheveux de sa femme et le moire : "le peigne partageait les feux
de cette moire". La moire est un tissu chatoyant, qui a l'apparence d'ondes. Cette comparaison montre
que les cheveux d'Elsa étaient crantés.
Aragon nous montre la longueur des cheveux d'Elsa : "Pendant tout ce long jour assise à son miroir". La
durée de coiffure est évidemment une hyperbole, mais cache tout de même une réalité : la longueur des
cheveux d'Elsa. Aragon exagère.
Aragon compare les cheveux d'Elsa à une harpe : "Elle peignait ses cheveux d'or et j'aurais dit ... Qu'elle
jouait un air de harpe sans y croire". Cette comparaison montre que les cheveux sont longs et dégradés.
En effet, les cordes d'une harpe sont disposées de la plus grave à la plus aiguë. De plus, avec cette
comparaison, il considère le mouvement de la coiffure comme un geste harmonieux, tel le son de la
harpe, ce qui montre qu'il possède une extrême tendresse à l'égard de sa femme. Enfin, cette notion
B. Le miroir.
D'après la description que Aragon nous bâtit des cheveux d'Elsa, nous pouvons en déduire que l'auteur
se tient derrière sa femme, celle-ci se tenant assise à sa coiffeuse. Or, le miroir ne reflète pas le visage
d'Elsa comme il devrait le faire, mais, d'après les dires d'Aragon, ce miroir reflète bien d'autres
choses ...
En effet, c'est un miroir qui sert à la fois de "rétroviseur" et de "projecteur". Rétroviseur car Aragon y
voit les évènements du passé, et y revit ses souvenirs. Mais c'est aussi un projecteur car il y voit les
évènements du présent.
Ce miroir montre également la télépathie entre Aragon et sa femme. En effet, les deux personnes voient
la même chose, mais sans se parler. "Sans dire ce qu'une autre à sa place aurait dit". Le miroir reflète
leurs angoisses intérieures. Il s'agit d'une interprétation d'Aragon à propos des pensées de sa femme : "je
croyais voir", "j'aurais dit" (deux fois) etc ...
La signification est de plus en plus intense au long du texte. Le miroir devient la mémoire dans le vers :
"Et pendant tout ce long jour assise à sa mémoire". Le miroir devient le pivot entre le monde et le
jugement d'Aragon sur celui-ci : "Le monde ressemblait à ce miroir maudit". C'est le monde qui est
maudis, et par là-même la mémoire d'Aragon qui lui fait revivre de difficiles moments. O
On peut penser que la seconde guerre mondiale lui rappelle les horreurs de la première.
Le miroir et la coiffure révèlent certains aspects d'Elsa : tandis que le miroir est source de perturbations,
Elsa les atténue par sa douceur : "patientes mains", "calmer".
Elsa ravive les souvenirs de son mari. Elle est sa muse sans en avoir conscience. Par associations
d'idées, il relie le geste de la coiffure à la guerre. D'ailleurs, cette association est remarquable, puisqu'à
un geste doux, il associe une période sombre : la guerre. C'est donc à son insu que Elsa fait souffrir son
mari.
Elsa se tait. Elle n'a pas besoin de parler. C'est une muse passive qui ne souffle pas au poète ce qu'il doit
écrire. C'est en effet l'expérience commune qui l'inspire. C'est pour cela que la mémoire devient tantôt
la sienne, tantôt celle d'Elsa : "Qu'elle martyrisait à plaisir SA mémoire", "Et ces feux éclairaient des
coins de MA mémoire".
L'analyse des temps des verbes montre une évolution. D'abord à l'imparfait, la description se fait ensuite
au présent. Aragon montre ainsi que l'épisode se répète. Pour lui, le lien entre la chevelure et la guerre
s'impose. C'est un thème d'écriture jusqu'à l'obsession : on parle d'hypotypose (c'est-à-dire le retour
d'une image obsessionnelle dans un texte poétique).
La chevelure d'Elsa sert également d'intermédiaire entre la vie intime d'Aragon et son rôle en tant que
poète et résistant. Il voit le monde extérieur à travers cette chevelure. Cependant, l'interprétation
d'Aragon reste mystérieuse. Il ne donne pas toutes les clés : "Et vous savez leurs noms sans que je leur
aie dit". Cela montre sa connivence avec le lecteur, et fait référence au silence d'Elsa.
II) La souffrance
Tout au long du texte, le mot "guerre" n'est pas prononcé. Le texte est donc crypté. Il est allusif.
Effectivement, il y a des indications temporelles importantes : "comme dans la semaine est assis le
jeudi". Par analogie entre la semaine et les années de guerre, on comprend qu'il s'agit de l'année 1942. A
cette époque, les armées allemandes en sont à leur apogée. De même, les "flammes des longs soirs"
correspondent aux bombardements. L'auteur indique qu'il faut décrypter le message par le terme "ce que
signifient".
La réalité est camouflée sous le champ lexical du théâtre. Tout d'abord, chacun sait qu'une tragédie se
termine forcément mal, par la mort d'un des personnages par exemple. Ce terme traduit donc une vision
désespérée quantà l'issue des combats. Il montre également le pessimisme de l'auteur quant à la
souffrance. Le pronom "notre" qui la qualifie englobe tous les Français. Il s'agit d'une tragédie
collective, où Elsa et Aragon ont une part active en tant que résistants.
Le champ lexical du théâtre : "acteurs" est une allusion aux principaux résistants : "Et vous savez leurs
noms ..." : Cette phrase fait penser à un générique. Aragon fait un parallèle entre la liste des morts sur
les monuments (aux morts) et la liste des acteurs à la fin d'une pièce. On peut se demander pourquoi il a
rapproché l'un et l'autre, puisque normalement, les acteurs ne meurent pas réellement. Il s'agit en fait
d'un rapprochement étymologique : "acteur" signifie celui qui agit. Aragon montre que ce sont les plus
actifs des resistants qui meurent. Chacun joue un "rôle" dans la résistance mais le pathétique vient du
fait que ce rôle conduit à la mort.
Le miroir peut être assimilé à une ouverture scénique. Aragon et Elsa sont les spectateurs. Ils assistent à la
réprésentation.
B. La souffrance.
Les temps sont subjectifs : "long jour", "longs soirs". L'auteur montre que c'est la durée qui lui pèse. En
1942, on ne voyait pas la fin de la guerre, il s'agit ici d'une souffrance morale.
"Elle martyrisait à plaisir sa mémoire". Il s'agit d'une antithèse, presque un oxymore. Par un geste doux,
elle ravive la douleur. Même le quotidien est douloureux pendant l'horreur de la guerre.
"Sans y croire ..." : Cela montre le désespoir et l'aspect défaitiste qui régnait à cette sombre et terne
période.
On trouve plusieurs niveaux de souffrance : Celle d'Elsa n'est pas exprimée. C'est Aragon qui la
suppose. Celle d'Aragon est due aux souvenirs des guerres. Elle est communicative. En effet, Elsa
souffre qu'il souffre (mais on peut se demander le bien fondé de cette thèse. En effet, la souffrance
d'Elsa n'est qu'imaginée par Aragon). Il y a aussi la souffrance de ceux qui sont morts : "Et qui sont les
meilleurs de ce monde maudit" : L'opposition entre meilleurs et maudit montre l'injustice de la mort. On
peut rajouter de plus la souffrance collective par l'expression "notre tragédie". Il ne se plaint pas, c'est
du lyrisme.
La souffrance rapproche les êtres entre Aragon et Elsa. On peut l'observer par l'alternance de deux
rimes, à la fois au niveau sonore et par l'utilisation de rimes masculines et féminines.
C. Le thème du souvenir.
On observe dans ce poème le thème récurrent de la mémoire : le poème lui-même est un souvenir
("C'était") de la situation (puisqu'il a été écrit après la guerre). C'est un hymne aux acteurs de la tragédie
plus qu'à sa femme.
Il se souvient malgré lui : "les coins de ma mémoire". Il n'est pas très sûr : "je crois". Ces souvenirs lui
reviennent en flash, ce sont des traumatismes à propos de ces souvenirs : c'est un poids.
Aragon associe ses souvenirs à quelque chose de beau. En effet, les souvenirs lui donnent l'inspiration :
"A ranimer les fleurs sans fin de l'incendie". Lorsqu'il l'inspire, le souvenir est valorisé pour en faire
quelque chose de presque beau. L'incendie n'est pas forcément associé à l'idée de brûlure. De plus, on
peut voir que le souvenir s'estompe. Lorsqu'elle arrête de se peigner, le souvenir disparaît. On ne sait
pas si c'est la souffrance qui donne l'inspiration, ou si c'est l'insupportable.
Conclusion : Ce texte trouve sa beauté dans le non-dit. En effet, Aragon suggère l'amour. Il trouve aussi la
beauté dans sa technique de construction rare, puisque la structure imite la chevelure d'Elsa. On assiste en effet à
la séance quotidienne de coiffure. Ce n'est pas un texte surréaliste, mais presque : la cohérence des mots n'est pas
recherchée, l'auteur s'intéresse à celle des idées. Par exemple : "assise à sa mémoire" n'a aucun sens hors
contexte. Aragon invente un monde virtuel pour évoquer une réalité horrible, cruelle.