Eluard - Mourir - de - Ne Pas - Mourir - Etc
Eluard - Mourir - de - Ne Pas - Mourir - Etc
Eluard - Mourir - de - Ne Pas - Mourir - Etc
1913
-
1928
Je meurs…
Constellations,
Vous connaissez la forme de sa tête.
Ici, tout s’obscurcit :
Le paysage se complète, sang aux joues,
Les masses diminuent et coulent dans mon cœur
Avec le sommeil.
Et qui donc veut me prendre le cœur ?
*
Je n’ai jamais rêvé d’une si belle nuit.
Les femmes du jardin cherchent à m’embrasser –
Soutiens du ciel, les arbres immobiles
Embrassent bien l’ombre qui les soutient.
Le sourd et l’aveugle
L’habitude
Dans la danse
Le jeu de construction
à Raymond Roussel.
Entre autres
— Qu’avez-vous vu ?
Bouche usée
La bénédiction
La malédiction
Une ombre…
Toute l’infortune du monde
Et mon amour dessus
Comme une bête nue.
Celle qui n’a pas la parole
Je le sais bien.
Perspective
Un millier de sauvages
S’apprêtent à combattre.
Ils ont des armes,
Ils ont leur cœur, grand cœur,
Et s’alignent avec lenteur
Devant un millier d’arbres verts
Qui, sans en avoir l’air,
Tiennent encore à leur feuillage.
Ta foi
*
Une couleur madame, une couleur monsieur
Une aux seins, une aux cheveux,
La bouche des passions
Et si vous voyez rouge
La plus belle est à vos genoux6.
[I]
Ma présence n’est pas ici.
Je suis habillé de moi-même.
Il n’y a pas de planète qui tienne
La clarté existe sans moi.
[II]
L’aventure est pendue au cou de son rival
L’amour dont le regard se retrouve ou s’égare
Sur les places des yeux désertes ou peuplées.
[III]
Accrochés aux désirs de vitesse
Et cernant de plomb les plus lents
Les murs ne se font plus face.
Des êtres multiples, des éventails d’êtres,
Des êtres-chevelures
Dorment dans un reflet sanglant.
Dans sa rage fauve
La terre montre ses paumes.
[IV]
Il fait toujours nuit quand je dors,
Nuit supposée, imaginaire
Qui ternit au réveil toutes les transparences.
La nuit use la vie. Mes yeux que je délivre
N’ont jamais rien trouvé à leur puissance.
[V]
Les hommes errants, plus forts que les nains habituels,
Ne se rencontrent pas. L’on raconte
Qu’ils se dévoreraient. La force de la force…
Carcasses de connaissances, carcasses d’ânes,
Toujours rôdant dans les cerveaux et dans les chairs,
Vous êtes bien téméraires dans vos suppositions.
[VI]
La nuit, les yeux les plus confiants nient
Jusqu’à l’épuisement :
La nuit sans une paille,
Le regard fixe, dans une solitude d’encre.
[VII]
Quel beau spectacle, mais quel beau spectacle
À proscrire. Sa visibilité parfaite
Me rendrait aveugle.
[VIII]
Hésité et perdu. Succomber en soi-même.
Table d’imagination. Calcule encore.
Tu peux encore tendre tes derniers pièges,
De la douleur, de la terreur.
La chute est à tes pieds, mordre c’est devant toi,
Les griffes se répandent comme du sang
Autour de toi.
Voici que le déluge sort sa tête de l’eau,
Sort sa tête du feu.
Et le soleil noue ses rayons, cherche ton front
[I]
Une vaste retraite, horizons disparus,
Un monde suffisant, repaire de la liberté.
Les ressemblances ne sont pas en rapport,
Elles se heurtent.
Toutes les blessures de la lumière,
Tous les battements des paupières
Et mon cœur qui se bat.
Nouveauté perpétuelle des refus,
Les colères ont prêté serment.
Je lirai bientôt dans tes veines,
Ton sang te transperce et t’éclaire,
Un nouvel astre de l’amour se lève de partout.
[II]
Au premier éclat, tes mains ont compris
– Elles étaient un rideau de phosphore –
Elles ont compris la mimique étoilée
De l’amour et sa splendeur nocturne,
Gorge d’ombre où les yeux du silence
S’ouvrent et se donnent en mille feux.
[III]
Ce que je te dis ne me change pas,
Je ne vais pas du plus grand au plus petit.
Regarde-moi :
La perspective ne joue pas pour moi.
Je tiens ma place
Et tu ne peux pas t’en éloigner.
[IV]
Ma mémoire bat les cartes,
Les images pensent pour moi.
Je ne peux pas te perdre,
C’est la fleur du secret,
Un incendie à découvrir.
Des yeux se ferment sur tes épaules,
La lumière les réunit.
À calculer
La sécheresse des îles de dimension
Que mon sang baigne.
Elles sont conçues à la mesure de la rosée,
À la mesure du regard limpide
Dont je les nargue.
Il y a des sources sur la mer
Dans les bateaux qui me ramènent
Et des spectacles en couleurs
Dans les désastres à face humaine.
J’ai fait l’amour en dépit de tout,
L’on vit de ce qu’on n’apprend pas,
Comme une abeille dans un obus,
Comme un cerveau tombant de haut,
De plus haut.
La pâleur n’indique rien, c’est un gouffre.
Que ne puis-je écrire !
Les lettres sont mon ignorance,
Entre les lettres, j’y suis.
Au néant des explorateurs,
Des rébus et des alphabets,
Avec le clin d’œil imbécile
Des survivants que rien n’étonne.
Ils sont trop, je ne peux leur donner
Qu’une nourriture empoisonnée.
[V]
Recéleuse du réel,
La crise et son rire de poubelle,
Le crucifiement hystérique
Et ses sentiers brûlés,
Le coup de cornes du feu,
Les menottes de la durée,
Le toucher masqué de pourriture,
Tous les bâillons du hurlement
Et des supplications d’aveugle.
Les pieuvres ont d’autres cordes à leur arc,
D’autres arcs-en-ciel dans les yeux.
Tu ne pleureras pas,
Tu ne videras pas cette besace de poussière
Et de félicités.
Tu vas d’un concret à un autre
Par le plus court chemin : celui des monstres.
[VI]
Tu réponds, tu achèves.
Le lourd secret d’argile
De l’homme, tu le piétines.
Tu supprimes les rues, les buts,
Tu te dresses sur l’enterré,
Ton ombre cache sa raison d’être,
Son néant ne peut s’installer.
Tu réponds, tu achèves.
J’abrège
Car tu n’as jamais dit que ton dernier mot.
[VII]
J’en ai pris un peu trop à mon aise,
J’ai soumis des fantômes aux règles d’exception
Sans savoir que je devais les reconnaître tous
En toi qui disparais pour toujours reparaître.
AU DÉFAUT DU SILENCE
(1925)
*
Amour, ô mon amour, j’ai fait vœu de te perdre.
Elle est – mais elle n’est qu’à minuit quand tous les
oiseaux blancs ont refermé leurs ailes sur l’ignorance des
ténèbres, quand la sœur des myriades de perles a caché ses
deux mains dans sa chevelure morte, quand le triomphateur
se plaît à sangloter, las de ses dévotions à la curiosité, mâle
et brillante armure de luxure. Elle est si douce qu’elle a
transformé mon cœur. J’avais peur des grandes ombres qui
tissent les tapis du jeu et les toilettes, j’avais peur des
contorsions du soleil le soir, des incassables branches qui
purifient les fenêtres de tous les confessionnaux où des
femmes endormies nous attendent.
Ô buste de mémoire, erreur de forme, lignes absentes,
flamme éteinte dans mes yeux clos, je suis devant ta grâce
comme un enfant dans l’eau, comme un bouquet dans un
grand bois. Nocturne, l’univers se meut dans ta chaleur et les
villes d’hier ont des gestes de rue plus délicats que
l’aubépine, plus saisissants que l’heure. La terre au loin se
brise en sourires immobiles, le ciel enveloppe la vie : un
nouvel astre de l’amour se lève de partout – fini, il n’y a plus
de preuves de la nuit.
POÈMES POUR LA PAIX
(1918)
I
Toutes les femmes heureuses ont
Retrouvé leur mari – il revient du soleil
Tant il apporte de chaleur.
Il rit et dit bonjour tout doucement
Avant d’embrasser sa merveille.
II
Splendide, la poitrine cambrée légèrement.
Sainte ma femme, tu es à moi bien mieux qu’au temps
Où avec lui, et lui, et lui, et lui, et lui,
Je tenais un fusil, un bidon – notre vie !
III
Tous les camarades du monde,
Ô ! mes amis !
Ne valent pas à ma table ronde
Ma femme et mes enfants assis,
Ô ! mes amis !
IV
Après le combat dans la foule,
Tu t’endormais dans la foule.
Maintenant, tu n’auras qu’un souffle près de toi,
Et ta femme partageant ta couche
T’inquiétera bien plus que les mille autres bouches.
V
Mon enfant est capricieux –
Tous ses caprices sont faits.
J’ai un bel enfant coquet
Qui me fait rire et rire.
VI
Travaille.
Travail de mes dix doigts et travail de ma tête,
Travail de Dieu, travail de bête,
Ma vie et notre espoir de tous les jours,
La nourriture et notre amour.
Travaille.
VII
Ma belle, il nous faut voir fleurir
La rose blanche de ton lait.
Ma belle, il faut vite être mère,
Fais un enfant à mon image…
VIII
J’ai eu longtemps un visage inutile,
Mais maintenant
J’ai un visage pour être aimé,
J’ai un visage pour être heureux.
IX
Il me faut une amoureuse,
Une vierge amoureuse,
Une vierge à la robe légère.
X
Je rêve de toutes les belles
Qui se promènent dans la nuit,
Très calmes,
Avec la lune qui voyage.
XI
Toute la fleur des fruits éclaire mon jardin,
Les arbres de beauté et les arbres fruitiers.
Et je travaille et je suis seul en mon jardin.
Et le Soleil brûle en feu sombre sur mains.
PREMIERS POÈMES
(1913-1918)
Le fou parle
*
La petite chérie arrive à Paris.
Paris fait du bruit. Paris fait du bruit
I
A fait fondre la neige pure,
A fait naître des fleurs dans l’herbe
Et le soleil est délivré.
II
Flûte et violon,
Le rythme d’une chanson claire
Enlève nos deux cœurs pareils
Et les mouettes de la mer.
IV
La mer tout entière rayonne,
La mer tout entière abandonne
La terre et son obscur fardeau.
à Fernand Fontaine,
cl. 1916, tué le 20 juin 1915.
Il y a tant de choses,
Il faudrait faire attention !
Vous êtes bien blâmables !
Les sauvages disaient cela.
Tu ne leur pardonnais pas
Quand nous étions ensemble.
*
Ils se perdent dans le silence,
Ivres prodigieusement.
L’équilibre de leur balance
Serait tonnerre en se rompant.
*
La mer qui a tous les bateaux
N’est pas plus grande que l’endroit
Où dansaient, au son d’un roseau,
Les hommes d’un pays moins froid
Que celui-ci, pays de boue et d’eau.
Calme attente.
Le soir, le soleil qui se couche
Comme un fardeau glisse d’une épaule.
Travaille-tout,
Creuse des trous
Pour des squelettes de rien du tout.
Fidèle
Supplice
I
Tous ceux qui se chauffaient
À un bon feu l’hiver
Trouvent la chose amère :
On les a destitués.
Ils se gonflaient l’âme et le corps
De chaleurs infinies,
N’étaient dehors
Que pour prouver leur chaude vie.
II
Et que le feu me brûle !
Il est toujours si loin
Que le plus court chemin
Me montre ridicule
Aux rêveurs du chemin.
J’aime ce poème.
Le devoir et l’inquiétude
Partagent ma vie rude.
(C’est une grande peine
De vous l’avouer.)
*
Je ne peux rien faire, je ne peux rien voir.
Paris si gai !
I
On nous enseigne trop la patience, la prudence – et que
nous pouvons mourir.
Mourir, surpris par la plus furtive des lumières, la mort
brusque.
« Moi, dans la Belle au bois dormant ! » railles-tu, nous
faisant rire.
II
Je connais tous les chants des oiseaux.
Pluie
Crépuscule
Au but
Préface
Animal rit
Le monde rit,
Le monde est heureux, content et joyeux.
La bouche s’ouvre, ouvre ses ailes et retombe.
Les bouches jeunes retombent,
Les bouches vieilles retombent.
Cheval
Vache
Mère ignorée,
Pour les enfants, ce n’est pas le déjeuner,
Mais le lait sur l’herbe
Porc
Poule
Poissons
Le poisson avance
Comme un doigt dans un gant,
Le nageur danse lentement
Et la voile respire.
Chien
Chien chaud,
Tout entier dans la voix, dans les gestes
De ton maître,
Prends la vie comme le vent,
Avec ton nez.
Reste tranquille.
Chat
Araignée
Modèle
Homme utile
Chien (2)
Conduire
Manger
Mouillé
Patte
Vache (2)
Adieu !
Vaches plus précieuses
Que mille bouteilles de lait,
L’araignée rapide,
Pieds et mains de la peur,
Est arrivée.
L’araignée,
Heureuse de son poids,
Reste immobile
Comme le plomb du fil à plomb.
Poule (2)
Il faut que la poule ponde :
Poule avec ses fruits mûrs,
Poule avec notre gain.
POUR VIVRE ICI
onze haï-kaïs
(1920)
[1]
À moitié petite,
La petite
Montée sur un banc.
[2]
Le vent
Hésitant
Roule une cigarette d’air.
[3]
Palissade peinte
Les arbres verts sont tout roses
Voilà ma saison.
[4]
Le cœur à ce qu’elle chante
Elle fait fondre la neige
La nourrice des oiseaux.
[5]
Paysage de paradis
Nul ne sait que je rougis
Au contact d’un homme, la nuit.
[6]
La muette parle
C’est l’imperfection de l’art
Ce langage obscur.
[7]
L’automobile est vraiment lancée
Quatre têtes de martyrs
Roulent sous les roues.
[8]
Roues des routes,
Roues fil à fil déliées,
Usées.
[9]
Ah ! mille flammes, un feu, la lumière,
Une ombre !
Le soleil me suit.
[10]
Femme sans chanteur,
Vêtements noirs, maisons grises,
L’amour sort le soir.
[11]
Une plume donne au chapeau
Un air de légèreté
La cheminée fume.
RÉPÉTITIONS
(1922)
Max Ernst
À la lueur de la jeunesse
Des lampes allumées très tard
La première montre ses seins que tuent des insectes rouges.
Suite
L’invention
Porte ouverte
Suite (2)
La parole
La rivière
Nul
Poèmes
Les moutons
La vie
Intérieur
Plus de vertus
Ou moins de malheurs
J’aperçois une statue
Une sorte d’amande
Une médaille vernie
Pour le plus grand ennui.
À côté
À côté (2)
Soleil tremblant
Signal vide et signal à l’éventail d’horloge
Aux caresses unies d’une main sur le ciel
Aux oiseaux entr’ouvrant le livre des aveugles
Et d’une aile après l’autre entre cette heure et l’autre
Dessinant l’horizon faisant tourner les ombres
Qui limitent le monde quand j’ai les yeux baissés.
L’impatient
À la rencontre
De ce qui passait à côté
L’autre jour,
Raison de plus
Autour de la bouche
Son rire est toujours différent,
C’est un plaisir, c’est un désir, c’est un tourment,
C’est une folle, c’est la fleur, une créole qui passe.
Lesquels ?
Rubans
De petits instruments,
Et les mains qui pétrissent un ballon pour le faire éclater,
pour que le sang de l’homme lui jaillisse au visage.
Et les ailes qui sont attachées comme la terre et la mer.
Volontairement
L’instrument
Comme tu le vois.
Espérons
Et
Espérons
Adieu
Ne t’avise pas
Que les yeux
Comme tu le vois
Le jour et la nuit ont bien réussi.
Je le regarde je le vois.
Parfait
Aveugle silencieuse
Elle est partout semblable et vide.
Ronde
Œil de sourd
https://ebooks-bnr.com/
en janvier-février 2023.
– Élaboration :
Ont participé à l’élaboration de ce livre numérique : Isabelle,
Denise, Françoise.
– Sources :
Ce livre numérique est réalisé principalement d’après : Éluard,
Paul, Œuvres complètes I, Paris, Gallimard (nrf), 1968. D’autres édi-
tions ont été consultées en vue de l’établissement du présent texte.
L’illustration de première page, Visage au sourire, a été dessinée par
Anne van de Perre.
– Dispositions :
Ce livre numérique – basé sur un texte libre de droit – est à
votre disposition. Vous pouvez l’utiliser librement, sans le modifier,
mais vous ne pouvez en utiliser la partie d’édition spécifique (notes
de la BNR, présentation éditeur, photos et maquettes, etc.) à des fins
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