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Gautier 2014b Preprint

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Laurent Gautier

Professeur des Universités


Centre Interlangues Texte Image Langage (EA4182)
Université de Bourgogne

Des langues de spécialité à la communication


spécialisée: un nouveau paradigme de recherche
à l’intersection entre sciences du langage, info-
com et sciences cognitives?

1. Problématique et objectifs
Cette contribution n’a pas prétention à présenter les résultats
d’une recherche inédite: elle vise bien plus à proposer une discussion
et une mise en perspective de l’évolution actuelle de la recherche
– francophone, mais pas uniquement – sur les discours spécialisés
et à esquisser, à partir de là, quelques pistes d’investigation pour
des travaux ultérieurs. Eu égard au rôle que joue le français de
spécialité dans l’espace géographique et culturel de l’Europe
Centrale et Orientale, cet état des lieux critique nous semble utile non
seulement au niveau épistémologique pour le champ disciplinaire
concerné en tant que domaine de recherche, mais aussi, de façon
plus immédiatement pragmatique, pour les doctorants et jeunes
chercheurs désireux d’inscrire leurs travaux au sein des paradigmes
théoriques et méthodologiques dominants.
Dans ce contexte, la problématique développée dans les pages qui
suivent est en quelque sorte double. Il s’agit, d’une part, de discuter
à un niveau méta le nouveau positionnement qui semble être celui
de la recherche actuelle sur les discours spécialisés et qui peut être
caractérisé, dans une première approximation, par les mots-clefs
d’interdisciplinarité et de décentrage, en particulier, par rapport
aux approches strictement linguistiques. D’autre part, il convient

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Nouvelles recherches dans le domaine des Sciences humaines

d’envisager quelques domaines précis où ces nouvelles approches


peuvent se révéler prometteuses et déboucher sur des applications
répondant à des besoins tant d’entreprises et de collectivités que de
la société civile au sens large.
Pour répondre à ce programme, cette contribution commence
par revenir brièvement sur les grandes articulations de la recherche
sur les discours spécialisés (section 2) pour pouvoir ensuite discuter
des conditions d’existence du nouveau paradigme (section 3). Cette
double contextualisation permet alors de proposer une esquisse de
programme de recherche en discours spécialisés inspiré par quelques
projets déjà réalisés ou actuellement en cours de réalisation dans
notre laboratoire (section 4).

2. La recherche sur les discours spécialisés entre hier et


aujourd’hui
Il ne saurait être question de refaire ici, en détail, toute l’histoire
de la recherche sur les langues de spécialité puis sur les discours
spécialisés.1 L’objectif de cette section est bien davantage de montrer
comment l’évolution de ces travaux est finalement le reflet des
différentes ruptures épistémologiques qu’ont connues les sciences
du langage au cours de la seconde moitié du XXe siècle avec, en
particulier, le tournant de l’analyse discursive et l’avènement des
approches cognitives.

2.1 Le dépassement du tout terminologique


Les premières recherches dans le domaine ont eu pour objet les
«langues de spécialité» envisagées dans une perspective systémique
les réduisant le plus souvent à leur composante terminologique.
Cette époque – et l’esprit qui la caractérise – sont saisis, de façon
exemplaire, dans les premières formulations de la définition de notre
objet selon la norme ISO 1087: «Langue de spécialité: Sous-système
qui utilise une terminologie et d’autres moyens linguistiques et

1. Voir par exemple Gotti (2008), Roelcke (2010), les nombreux articles à
dimension historique dans Hoffmann HWDO (1998), Schubert (2011) ainsi que
pour une discussion rejoignant la perspective développée ici le premier
chapitre de Gautier (2014a).

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Laurent Gautier

qui vise la non-ambiguïté de la communication dans un domaine


particulier» (ISO 1087: 1990). Cette définition ayant déjà été maintes
fois commentée (FI Lerat 16-18), seuls deux aspects sont brièvement
discutés ici.
Tout d’abord, la conception réductrice induite par l’assimilation de
l’objet à un ‘sous-système’ qui a eu pour effet de tracer une ligne de
démarcation plus ou moins étanche, encore convoquée dans quelques
travaux actuels, entre une langue commune rarement définie
objectivement et les ‘langues de spécialité’ définies par la négative,
a minima horizontalement, en fonction des domaines de spécialité
dans lesquels elles sont mises en œuvre et qui se confondent souvent
avec les disciplines académiques traditionnelles, et verticalement, en
fonction de degrés de spécialisation eux aussi difficiles à objectiver.2
La recherche récente a clairement montré combien les deux
ensembles que sont la langue commune et les langues de spécialité
doivent bien davantage être abordés en termes de continuum: les
moyens linguistiques mis en œuvre en discours spécialisés ne sont
pas fondamentalement différents de ceux mis en œuvre en situation
de communication ordinaire, ce sont qualitativement les mêmes avec,
le cas échéant, une différence de fréquence (FILQIUD). Dans le même
temps, l’analyse de discours spécialisés authentiques et situés prouve
qu’il est tout à la fois difficile d’établir un ordre de succession logique
des spécialités sur l’axe horizontal postulé et rare d’avoir affaire à
un seul domaine. Les études empiriques sur le discours vitivinicole
menées dans le cadre du projet européen VinoLingua3 ont clairement
montré comment un type de discours prototypique du domaine
comme le discours de dégustation puise, de façon certes inégale,
dans des domaines comme l’agriculture, la géologie, l’histoire locale,
l’œnologie ou encore l’analyse sensorielle.
La définition citée ci-dessus insiste ensuite sur le rôle
prépondérant sensé revenir à la terminologie dont une des

2. Pour une discussion de ce modèle des deux axes qui a longtemps prévalu
dans la recherche, en particulier allemande, FI. Hoffmann (1985) et Roelcke
(30-40).
3. Pour une présentation générale du projet, FI Lavric (2013).

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Nouvelles recherches dans le domaine des Sciences humaines

caractéristiques essentielles dans la tradition wüsterienne,4 la non-


ambiguïté, est étendue ici à la langue elle-même. Cette focalisation
sur la terminologie s’explique à la fois historiquement – ce fut, depuis
Wüster, la première clef d’entrée dans le discours technologique
– et théoriquement: à partir du moment où c’est une différence
qualitative qui est recherchée comme critère définitoire, il semble
aisé de l’isoler dans les faits lexicaux dans la mesure où ceux-ci
sont très largement, pour ne pas dire exclusivement, indexés sur
les contenus verbalisés et, donc, les champs de spécialité.5 Pour
reprendre l’exemple convoqué à l’appui de l’argument précédent, il
n’est pas surprenant de trouver dans le discours de la dégustation
une grande masse de descripteurs sensoriels adjectivaux plus ou
moins terminologisés – et encore moins surprenant d’en trouver
GDYDQWDJH TXH GDQV OH GLVFRXUV PpWpRURORJLTXH SDU H[HPSOH /D
question reste toutefois celle de savoir si cela suffit à isoler un ‘sous-
système linguistique’, sauf à vouloir morceler à l’envi l’ensemble des
productions langagières possibles dans une langue donnée.
C’est sans aucun doute à partir de Lerat (1995) que les lignes
ont commencé à bouger (FIsection [3]) avec une définition de notre
objet refusant de mettre en avant la terminologie6 au détriment
d’autres traits définitoires: «Elle [= la langue spécialisée, LG] est une
langue naturelle considérée en tant que vecteur de connaissances

4. &I Candel (2004). Il n’est pas dans les objectifs de cet article de prendre
position dans le débat récent sur la réception, biaisée ou non, de Wüster en
terminologie, ni de discuter le bien-fondé des prises de position plus ou moins
WUDQFKpHV TX·DIÀFKHQW VXU FHWWH TXHVWLRQ WRXW j OD IRLV OD VRFLRWHUPLQRORJLH
(Gaudin 2003) et la socioterminologie cognitive (Temmerman 2000). Le
lecteur intéressé par une discussion approfondie de la question pourra se
reporter aux études consacrées, cette dernière décennie, à la réception de
Wüster comme Candel (2004), Humbley (2004), Candel (2007) ou encore
Humbley (2007).
5. C’était ainsi la position de Halliday HW DO (88) pour isoler non pas des
ODQJXHVGHVSpFLDOLWpVPDLVGHV¶UHJLVWUHV·©6RPHOH[LFDOLWHPVVXIÀFHDOPRVW
by themselves to identify a certain register: ‘cleanse’ puts us in the language
of advertising, ‘probe’ of newspapers, especially headlines, ‘tablespoonful’
of recipes or prescriptions, ‘neckline’ of fashion reporting or dressmaking
instruction.»
6. «Une langue spécialisée ne se réduit pas à une terminologie: elle utilise
des dénominations spécialisées (les termes), y compris des symboles non
linguistiques, dans des énoncés mobilisant les ressources ordinaires d’une
langue donnée» (Lerat 21).

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Laurent Gautier

spécialisées» (Lerat 20). Sans vouloir postuler ici une filiation ou une
influence plus ou moins invérifiable, il est flagrant que le tournant
inscrit dans cette définition vue depuis les sciences du langage
se retrouve en grande partie dans la refonte de la définition de la
norme ISO 1087:
Langue utilisée dans un domaine et caractérisée par
l’utilisation de moyens d’expression linguistique particuliers.
Note: Les moyens d’expression linguistiques particuliers
englobent toujours une terminologie et une phraséologie
propres au domaine et peuvent également présenter des traits
stylistiques ou syntaxiques. (ISO 1087: 2001)
La terminologie n’a bien évidemment pas disparu, mais elle n’est
plus présentée comme le critère définitoire quasi exclusif du discours
spécialisé: l’entrée est ici fonctionnelle et – à tout le moins peut-on
le lire entre les lignes – les moyens langagiers mis en œuvre le sont
pour servir la fonction de communication première de ces discours.
Ce véritable tournant – qui a bénéficié des travaux sur les
styles fonctionnels et en linguistique textuelle – a pour ainsi dire
naturellement débouché sur une approche holistique des discours
concernés qui est sans nul doute le trait commun à tous les travaux
actuels.

2.2 Une saisie holistique à tous les niveaux de la description


linguistique
Libérées du ‘carcan’ terminologique, les recherches sur les
discours spécialisés se sont donc ensuite intéressées à des unités de
taille supérieure au mot graphique donnant lieu – même si l’approche
restait souvent systémique – à nombre de travaux tournant autour de
la polylexicalité, des collocations et bénéficiant plus tard, par exemple
avec l’article fondateur de Gréciano (1995), des avancées de la
phraséologie. Ce faisant, la description de l’environnement du terme
s’est petit à petit imposée comme un passage obligé en terminologie.
Ce dépassement de l’unité-terme a ainsi progressivement conduit
à une prise en compte de la dimension syntaxique des langues
spécialisées par exemple à travers des énumérations de traits
(morpho-)syntaxiques prétendument prototypiques comme l’emploi

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Nouvelles recherches dans le domaine des Sciences humaines

du passif, les structures impersonnelles, la tendance à l’hypotaxe ou


encore à la nominalisation. Loin de nous l’idée de nier l’existence
de ces traits: quiconque a déjà parcouru ou, mieux encore, analysé
un texte de loi sait que ces traits sont pertinents et qu’ils sautent
aux yeux, même pour un lecteur non-linguiste. L’époque syntaxique
a toutefois eu tendance à envisager ceux-ci comme révélant une
différence d’ordre qualitative avec la ‘langue commune’ justifiant du
même coup leur inscription dans le système. Or, comme le souligne
la recherche récente,7 la différence est d’ordre non pas qualitatif, mais
quantitatif: c’est la présence massive de ces traits dans un type de
discours spécialisé qui peut donner l’illusion que ledit discours est
rédigé dans une variété spécifique de la langue considérée.
La véritable mise en perspective de ces phénomènes syntaxiques
s’est très clairement produite avec les avancées des approches
fonctionnelles: étendant la perspective pragmatique de l’énoncé
au texte puis au discours tout entier, elles ont mis l’accent sur le
rôle du discours dans son contexte de référence. Il ne saurait être
question de vouloir ramener les diverses approches en question à
un dénominateur commun simplificateur, mais le point de départ
fonctionnel qu’elles partagent se révèlera très en phase avec des
méthodologies ultérieures, partant de la situation d’énonciation
spécialisée, saisie dans toute sa matérialité extralinguistique, pour
descendre8 vers le niveau microlinguistique. Les répercussions
de ce changement d’optique touchent de près les traits syntactico-
stylistiques dont il a été question juste avant: la différence quantitative
marquant l’emploi de certains moyens langagiers dans le texte de loi
déjà convoqué ci-dessus n’est pas imputable au système, mais à la
fonction du texte de loi dans son contexte d’énonciation juridique.
Pour ne prendre que l’exemple du passif, son rendement pragma-
sémantique est totalement en phase avec le niveau de généralisation
non individualisée que doit atteindre le texte en question: rédiger ces
7. &IRoelcke (78-79).
8. Mouvement métaphorique que l’on retrouve dans le terme WRSGRZQ
utilisé dans les travaux anglo-saxons qui préconisent de partir de l’ancrage
extralinguistique et situationnel du discours spécialisé pour ensuite en
analyser l’organisation textuelle et pragmatique, puis syntaxique – aussi
bien au niveau intra- que transphrastique –, puis les traits lexicaux, le plus
souvent terminologiques, avant d’introduire si nécessaire la dimension
morphologique (par exemple si certains formants gréco-latins sont
particulièrement productifs dans le domaine considéré).

230
Laurent Gautier

textes à l’actif sous prétexte que l’actif serait plus fréquent en français
que le passif – sans même poser la question du WHUWLXPFRPSDUDWLRQLV
de la fréquence – nécessiterait d’introduire un grand nombre de
groupes nominaux ou de pronoms anaphoriques jouant le rôle
d’agent de prédicats d’action, groupes et pronoms qui ne pourraient
être que génériques et conduiraient à de nombreuses répétitions.9
C’est ce qui appert de toute tentative de reformulation de l’énoncé ci-
dessous extrait de l’article 43 de la Constitution française:
(1) Les projets et propositions de loi sont, à la demande du
Gouvernement ou de l’assemblée qui en est saisie, envoyés
pour examen à des commissions spécialement désignées à cet
effet.
En (1), l’agent de l’action principale ENVOYER n’est pas exprimé
dans le texte constitutionnel, il ne peut être reconstruit que sur la
base d’un savoir spécialisé, ici juridique. Mais un problème du même
ordre se pose pour les autres prédicats d’action SAISIR et DÉSIGNER,
même s’ils ne constituent pas les prédications principales. La
paraphrase (1a) vise à montrer la complexité d’un énoncé qui tenterait
de supprimer toutes ces formes au nom d’une priorité donnée à la
voix active:
(1a) À la demande du Gouvernement ou de l’assemblée que
X a saisie, Y envoie les projets et propositions de loi pour
examen à des commissions que Z a spécialement désignées
à cet effet.
Comme on l’a vu à travers le paragraphe précédent, l’extension
de l’unité d’analyse a suivi un chemin assez rectiligne – mot,
collocation, phrase, situation – qui ne pouvait, avec le développement
de la linguistique textuelle depuis les années 1980, que déboucher
sur la prise en compte de l’objet texte dans son intégralité et sa
spécificité multi-niveaux. Deux lignes directrices se dégagent
alors. La première a consisté à tester sur des corpus spécialisés les
différentes typologies textuelles mises au jour dans la nouvelle sous-
discipline linguistique, avec des approches tantôt déductives, partant
de critères de classement posés D SULRUL, tantôt inductives essayant
de définir les traits pertinents à partir de l’analyse de grande masse
9. C’est d’ailleurs précisément l’exemple du passif dans les discours
institutionnels qu’utilise Krieg-Planque (7) pour introduire son propos.

231
Nouvelles recherches dans le domaine des Sciences humaines

de textes.10 Dans une veine un peu différente, un autre ensemble de


travaux, parfois animés d’intentions didactiques pour enseigner la
rédaction technique – académique ou professionnelle – s’est pour
ainsi dire constitué à l’intérieur des études sur les langues et cultures
spécialisées pour théoriser le mode de fonctionnement du texte
directement à la source: Swales (1990), Bhatia (1993), Hyland (2004),
Swales (2004). Dans un cas comme dans l’autre, le point de départ
reste le texte saisi dans sa totalité et situé par rapport à des catégories
certes variables selon les auteurs (situation de communication,
domaine, activité, etc.), mais contextualisant les choix langagiers
visibles à la surface de ce dernier et qui en sont intrinsèquement, pour
ne pas dire contractuellement, constitutifs. Et c’est là la seconde ligne
directrice des travaux postérieurs au tournant textuel: le nouveau
regard ne part pas seulement du texte situé, il se porte également
sur tous les niveaux d’analyse pour lesquels le texte devient la
porte d’entrée. La terminologie, par exemple, s’intéresse désormais
tout autant à la mise en texte/discours du terme qu’au terme lui-
même. Même les moyens syntaxiques y sont abordés différemment
dans la mesure où ils sont saisis non plus par rapport à leur place
dans le système de la langue de référence, mais comme des briques
au service de la construction du texte. Dans ce contexte, le travail
très original de Borderieux (2013), qui ne se situe nullement dans
le paradigme de la recherche sur les discours spécialisés, montre,
à partir du cas spécifique des textes de brevet d’invention, les aller-
retour incessants entre le niveau textuel global – qu’il qualifie eu
égard à son cadre théorique de macro-contribution – et le niveau
microlinguistique (celui des micro-contributions dans sa théorie) où
sont analysés des marqueurs langagiers spécifiques, plus ou moins
attendus, à la fois par rapport aux micro-contributions dans lesquelles
ils apparaissent et par rapport à l’agencement de ces dernières en une
macro-contribution. C’est la raison pour laquelle nous argumentons
dans Gautier (2104b) pour une approche globale de ces discours
spécialisés à partir de la catégorie du figement, traditionnellement
cantonnée à la dimension lexicale, voire timidement à certains
traits morphosyntaxiques et que nous proposons d’étendre à tous
les niveaux de description envisagés précédemment: figement

10. Pour une mise en perspective détaillée de ce débat, FI Fix (1999) et
Adamzik (1991) en allemand ou alors Gautier (2014a) en français.

232
Laurent Gautier

situationnel dans le domaine, figement pragmatique par rapport


à une praxis discursive spécialisée, figement du moule textuel,
figement des moyens stylistico-syntaxiques mis en œuvre, etc.
Comme le laisse transparaitre ce bref survol, l’extension
progressive des objets d’étude – du mot-terme au discours – a eu pour
conséquence inévitable de sortir d’approches uniquement, voire trop
systémiques, pour tenir compte des réalités extralinguistiques de la
communication spécialisée. Ce faisant, c’est le mode d’appréhension
de ces objets et, partant, la définition même de la discipline de
référence qui doivent être amendés.

3. Quelles conditions d’existence pour le nouveau paradigme?


Au vu de ce qui précède et partant de la proposition de Schubert
(2011), selon lequel les évolutions récentes de la recherche nécessitent
non pas la création d’une nouvelle discipline mais la révision de la
dénomination traditionnelle afin de rendre justice à ces évolutions,
cette section vise – par delà les arguments déjà avancés par l’auteur
et qui ne peuvent être commentés ici en détail faute de place – à
discuter les conditions qui devraient être remplies par toute nouvelle
recherche entamée dans ce secteur.

3.1 Une entrée par la spécialité


Le premier principe, qui définit la ‘porte d’entrée’ dans le discours
spécialisé, peut être considéré comme une conséquence à longue
portée du tournant induit par la position de Lerat déjà commentée
dans la section précédente. En mettant l’accent sur le rôle des langues
spécialisées pour la «transmission de connaissances», l’auteur se place
explicitement dans une perspective fonctionnelle: la raison d’être
des discours spécialisés est ainsi leur rôle dans le fonctionnement
d’un champ de spécialité donné. Ce faisant, le curseur se déplace de
l’entrée essentiellement, voire purement linguistique discutée dans
la section précédente vers une entrée en prise directe avec le réel
extralinguistique sous-jacent à la communication spécialisée. C’est
la voie suivie par van der Yeught (2009) et elle nécessite, comme le
problématise Rogers (2013), de commencer par circonscrire la/les
spécialité(s). Depuis plusieurs années, l’angliciste français Michel Petit

233
Nouvelles recherches dans le domaine des Sciences humaines

a consacré maints travaux à cette problématique épistémologique


pour aboutir à la définition suivante:
Nous appellerons domaine spécialisé tout secteur de la société
constitué autour et en vue de l’exercice d’une activité principale
qui, par sa nature, sa finalité et ses modalités particulières
ainsi que par les compétences particulières qu’elle met en jeu
chez ses acteurs, définit la place reconnaissable de ce secteur
au sein de la société et d’un ensemble de ses autres secteurs
et détermine sa composition et son organisation spécifiques.
(Petit 9)
Cette définition appelle un certain nombre de commentaires,
en particulier eu égard aux conséquences qu’elle implique pour
la définition des objets de recherche concernés. Deux aspects sont
discutés ici.
Cette définition aborde tout d’abord le spécialisé en tant que
domaine d’activité socialement reconnu. Il s’agit là d’une avancée
majeure: choisir les discours à analyser, qu’ils soient écrits ou oraux,
nécessite de circonscrire avec précision le domaine que le chercheur
souhaite étudier. En d’autres termes, il n’est pas/plus possible de
s’en tenir à des catégories héritées de la tradition et le plus souvent
reprises sans discussion du découpage universitaire en ‘disciplines’
(discours juridique, discours économique, etc.). Poussée à l’extrême,
cette position permet même d’affirmer que de tels discours ainsi
définis n’existent pas. Un exemple suffira à illustrer cet état de fait.
Contrairement à toute une tradition pédagogique, en particulier
dans l’enseignement des ‘langues étrangères de spécialité’, le
‘discours économique’ ne saurait être confondu avec ou réduit au
discours médiatique ou aux articles de recherche sur l’économie.
D’ailleurs, la question de savoir dans quels discours s’incarne le
champ spécialisé économique est d’une fausse simplicité; selon les
domaines d’activité économiques concernés, la gamme varie pour
être particulièrement large:11 rapports annuels, communiqués de
presse, notes internes, mais aussi de nombreux types d’interactions

11. Palmieri et al. (2012) proposent ainsi une intéressante structuration du


FKDPSGLVFXUVLIGHODÀQDQFHTXLUpYqOHWRXWHVDFRPSOH[LWp

234
Laurent Gautier

orales qui, jusqu’à maintenant, ont très peu été étudiées.12 L’écart avec
les textes de presse et/ou académiques mentionnés auparavant est
ainsi particulièrement évident: ces derniers ne participent pour ainsi
dire pas à la ‘vie’ du domaine et ne le coconstruisent qu´à la marge.
La définition de Petit insiste ensuite sur le rôle des acteurs du
champ spécialisé non seulement dans la définition de ce dernier
mais aussi dans son organisation. Cette dimension signe en quelque
sorte le retour des experts et des professionnels dans la saisie des
spécialités. Certes, la terminologie traditionnelle a toujours accordé
une place aux experts dans la validation des définitions et des
systèmes ontologiques de référence. Mais cette place avait tendance
a être fort réduite dès que l’on sortait de la terminologie justement. Il
nous semble possible de lier cet aspect à la tripartition qu’opère par
ailleurs le même auteur (Petit 2010) entre trois types de spécialisé: le
spécialisé professionnel, le spécialisé académique et le spécialisé du
troisième type. Si ce dernier type n’est pas ici notre cœur de cible,
la distinction entre académique et professionnel est nettement plus
pertinente: elle permet surtout d’éviter la confusion entre discours
scientifique et de la recherche sur une spécialité avec le discours
spécialisé sui generis comme nous y avons fait allusion précédemment
à propos du discours économique. Si cette «branche» du paradigme
de recherche est tout à fait légitime – on pense par exemple à la
question de l’anglais scientifique pour tout chercheur désireux de
publier dans cette langue –, elle ne peut se substituer à des travaux
touchant au discours des professionnels eux-mêmes par et dans
lequel ces derniers construisent leur praxis.
Au vu de ces deux éléments, il n’est pas surprenant de constater
que les aspects langagiers des discours spécialisés soient de plus en
plus articulés sur la dimension cognitive sous-jacente aux spécialités
concernées que Petit (2010) saisit en quelque sorte dans sa définition
en parlant de «composition et organisation spécifiques».

12. Mercelot (2006) constitue toutefois une heureuse exception. Sur la


question du traitement de l’oral dans la recherche sur les discours spécialisés,
FI. les études réunies dans Bowles/Seedhouse (2009) qui abordent le problème
dans la perspective de l’analyse conversationnelle.

235
Nouvelles recherches dans le domaine des Sciences humaines

3.2 Un focus sur les savoirs convoquant l’interdisciplinarité


La discussion de l’évolution de la recherche proposée en [2.2] a
montré combien cette dernière a été indexée sur l’évolution de la
recherche en sciences du langage. Il apparaît donc comme plus ou
moins naturel que le tournant cognitif enregistré en linguistique
depuis les années 1980-1990 se retrouve également dans le secteur
envisagé ici, témoignant de ce regain d’intérêt pour la dimension
conceptuelle. Elle se concrétise par des travaux dans au moins deux
directions:
‡ La terminologie qui par delà les tendances mentionnées en
[2.1] a connu un véritable tournant conceptuel que ce soit dans
la description du terme isolé, dans la description des relations
qu’il entretient avec d’autres termes ou dans celle de la marge
de variation des termes d’un domaine, variations interprétées
comme autant de modes de conceptualisation différent d’une
même réalité extralinguistique (FIles études réunies par Faber
2012).
‡ La linguistique textuelle et l’analyse de discours qui se
nourrissent tant des travaux sur les métaphores conceptuelles
que, plus récemment, de la sémantique des scénarios (IUDPH
semantics) d’inspiration fillmorienne sortie de ses origines
lexicales pour être appliquée au(x) discours spécialisés.
Les deux modèles explicatifs, bien que portant sur des
objets différents, visent à reconstruire, derrière les choix de
verbalisation faits dans le texte spécialisé, la façon dont le
domaine – ses acteurs, ses procédures, etc. – est conceptualisé
par les professionnels. Ce qui est en jeu ici, c’est un accès aux
savoirs spécialisés constitutifs du domaine éclairant par là-
même d’un jour nouveau les questions d’implicite, de non-dit
souvent convoquées tant que le chercheur-linguiste s’en tient à
la seule surface du texte.
Le corollaire de ce ‘changement d’échelle’ touche ainsi au mode de
travail du chercheur: le linguiste ne peut plus aborder ces questions
seul, il doit travailler en synergie a minima avec les professionnels
du domaine et, dans une configuration idéale, avec des chercheurs
des spécialités concernées, mais aussi, selon les problématiques et
les besoins méthodologiques, avec des chercheurs en info-com et en

236
Laurent Gautier

sciences cognitives. Cette interdisciplinarité devient en quelque sorte


constitutive du nouveau paradigme.

4. Discussion de deux exemples pratiques


Au terme des deux sections précédentes à orientation plutôt
théorique et méthodologique, il convient désormais d’essayer
d’illustrer la thèse défendue ici par quelques cas pratiques. Pour
éviter de rester dans l’abstraction théorique, nous recourons à deux
projets développés par le laboratoire «Texte Image Langage» de
l’Université de Bourgogne en collaboration avec d’autres chercheurs
tant en France qu’à l’étranger. Le dénominateur commun entre
les deux exemples retenu est le champ de spécialité visé: la filière
vitivinicole et le discours œnologique. Un des buts de cette section
sera toutefois de montrer, en adéquation avec la section [3.2], que
malgré cette base commune, le mode d’approche par les spécialités
proposé ici a nécessité un mode de construction de la recherche
propre à chaque projet.

4.1 VinoLingua: Décrire le discours professionnel pour


l’enseigner
VinoLingua est un projet européen de type Leonardo mis en
œuvre de janvier 2010 à mars 2013 par un consortium de partenaires,
scientifiques et professionnels, publics et privés, en Autriche,
Espagne, France et Italie.13 Son but était de créer des matériaux
didactiques permettant l’enseignement, voire l’auto-apprentissage,
du discours spécialisé – essentiellement de la dégustation et de la
commercialisation du vin – à/par des personnes travaillant dans la
filière et désirant débuter en allemand, espagnol, français et italien
en étant directement opérationnelles dans leur vie professionnelle.
Ce challenge, qui nécessitait entre autre d’adapter le CECRL de façon
à introduire la dimension spécialisée dès le niveau A1 et de choisir
une approche actionnelle plutôt que purement communicative, nous
permet d’illustrer ici trois des dimensions discutées précédemment:

13. Le projet était référencé sous le numéro Grant Agreement No. 2009-
2179/001-001. Pour plus de renseignements, voir Lavric (1993) et le site
Internet du projet www.vinolingua.eu.

237
Nouvelles recherches dans le domaine des Sciences humaines

l’interdisciplinarité de la recherche, le dépassement de la terminologie


et le passage par les situations de communication professionnelles
pour accéder aux savoirs.
Comme nous venons de le laisser entendre, le consortium
constitué pour mener à bien le projet était, dès le départ, marqué au
sceau de l’interdisciplinarité et de la pluralité des perspectives. A côté
de deux équipes de linguistes spécialistes de discours spécialisés, il
comptait une équipe de didacticiens, des représentants de la filière
(viticulteurs) et des établissements de formation professionnelle
confrontés, entre autres, à la question de la formation linguistique
des professionnels. Contrairement à une habitude répandue
dans la terminologie traditionnelle, le rôle des professionnels ne
s’est nullement réduit à une fonction de validation des résultats
obtenus: ils ont en effet été intégrés à l’ensemble du processus et
ont permis, dans la phase initiale du projet, de définir les besoins
linguistiques de la filière via la diffusion d’une enquête de grande
envergure, pendant toute la phase de constitution des corpus de
faire des enregistrements audio et vidéo de situations authentiques,
puis, pendant la phase d’écriture, d’orienter les choix faits par les
didacticiens et les linguistes. En fin de projet, ils ont par ailleurs
assuré une phase de test et de contrôle-qualité en synergie avec les
collègues des établissements de formation. Cette collaboration qui
peut être qualifiée de ‘transparente’ était nécessaire pour au moins
trois raisons:
‡ il s’agissait tout d’abord d’assurer, à travers le choix des bonnes
situations de communication professionnelles, un accès à des
corpus authentiques et comparables dans chacune des quatre
langues afin de construire une progression indexée sur les
besoins communicatifs réels de la filière (FILQIUD);
‡ il fallait ensuite guider linguistes et didacticiens dans le choix
des structures langagières devant être retenues et intégrées
à l’apprentissage: ces choix ne pouvaient être réduits à la
terminologie du domaine, par ailleurs bien documentée.
Compte tenu du public cible, la question de l’accès conceptuel
était finalement réduite à son quasi minimum: l’attention devait
donc être portée sur l’environnement langagier des termes afin

238
Laurent Gautier

que celui-ci, surtout pour des débutants au niveau A1, soit à la


fois le plus authentique et le plus ‘figé’ possible;14
‡ il convenait enfin, lors des choix didactiques au niveau le plus
global, de respecter autant que faire se peut les conditions
d’apprentissage réelles dans la filière: temps disponible pour
l’auto-apprentissage, supports privilégiés, etc.
Rétrospectivement, le travail de concert entre chercheurs,
professionnels et formateurs a permis de revenir sur bien des choix
initiaux qui, s’ils avaient été maintenus, auraient largement obéré du
succès de l’entreprise, la place respective des nouveaux médias et
du support traditionnel qu’est le manuel d’apprentissage en est par
exemple une illustration évidente.
Comme nous y avons déjà fait plusieurs fois allusion – et en
lien direct avec l’évolution de la recherche retracée en section [2]
– la question du dépassement de la terminologie s’est rapidement
posée. Il ne pouvait en effet s’agir d’assimiler ‘langue du vin’ à
‘terminologie du vin. D’une part, parce que l’objectif n’était pas de
faire des correspondances abstraites entre termes spécialisés dans
les quatre langues: le public-cible étant, par définition, expert du
domaine, l’accès aux concepts désignés par les termes spécialisés
pouvait être considéré comme facilité, voire évident. D’autre part,
parce que pour des débutants dans la langue étrangère visée, les
besoins communicationnels dépassent, et de loin, le simple terme
isolé. Il est bien évident que les termes clefs de la dégustation sont
présents dans les dialogues de base des leçons, mais non pas pour
eux-mêmes, mais pour leur rôle dans la construction de la situation
de communication ‘dégustation’. La perspective holistique décrite en
[2.2] a donc pris à ce niveau tout son sens avec une intégration des
termes dans les structures plus ou moins figées dans lesquelles ils
apparaissent, structures elles-mêmes reliées aux différents actes de
langage constitutifs de telle phase de la dégustation. Les exemples
fournis dans les leçons ne pouvant prétendre couvrir toutes les
régions et tous les cas de figure possibles dans chaque langue, une
partie a été réservée à l’individualisation des connaissances et des
acquis permettant à chaque apprenant viticulteur, par exemple,

14. Cette question a trouvé une solution que nous espérons convaincante
dans un traitement du continuum grammaire-lexique-terminologie sous la
forme de chunks.

239
Nouvelles recherches dans le domaine des Sciences humaines

d’introduire dans ces structures les termes descriptifs dont il a besoin


pour parler de VRQVHV vin(s).
Des deux aspects qui viennent d’être commentés, il appert
que la situation de communication professionnelle a été l’alpha et
l’oméga du projet. La notion – tout comme ses différentes formes
d’instanciation dans la filière – ne pouvait être appréhendée qu’à
travers une collaboration étroite avec les professionnels. On retombe
là sur l’entrée par la spécialité discuté en [3.1]: le ‘discours sur le
vin’ n’existe pas en tant que tel, il n’existe que dans une myriade de
praxis discursives savamment organisées entre elles en adéquation
avec le mode d’organisation du domaine. Si les choix initiaux ont été
orientés en fonction des réponses à l’enquête dont il a été question
précédemment, les situations globales du type ‘accueillir un groupe
au domaine’, ‘faire déguster mon vin au domaine’, ‘présenter mon
vin sur un salon extérieur’ ont ensuite du être affinées, segmentées
jusqu’à arriver à un degré de granularité suffisant pour y ‘injecter’
des éléments langagiers. On voit donc bien là le rôle prépondérant
qui est revenu à l’extralinguistique professionnel qui aurait largement
été occulté – ne serait-ce que dans sa dimension orale par exemple
– dans une approche classique inspirée de la seule perspective
terminologique.
Cette rapide présentation ayant mis l’accent sur les aspects
touchant essentiellement à l’organisation discursive et situationnelle
du champ professionnel visé, le second exemple retenu va s’arrêter
plus largement sur la dimension cognitive et la question de la
représentation des connaissances spécialisées.

4.2 La minéralité des vins entre experts et consommateurs


Le projet discuté ici a été lancé en 2010 par une équipe de
chercheurs en sciences du langage et en analyse sensorielle
à la demande d’un partenaire privé.15Il a pris une dimension
institutionnelle après avoir été sélectionné, en octobre 2013, pour
un financement Interreg IV franco-suisse qui a aussi marqué son
15. Les chercheurs concernés appartiennent, outre à l’EA 4182 déjà citée, au
Centre des Sciences du Goût et de l’Alimentation (UMR 6265 CNRS, UMR
1324 INRA – uB); le partenaire privé dont le questionnement est à l’origine
GX SURMHW HVW SDU DLOOHXUV O·,QVWLWXW °QRORJLTXH GH &KDPSDJQH ÀOLDOH GX
groupe Lallemand.

240
Laurent Gautier

extension avec l’intégration de nouveaux partenaires tant scientifiques


(Ecole d’Ingénieurs de Changins et Université de Lausanne en
Suisse) que professionnels (interprofessions du Jura, de la Savoie et
des cantons de Neuchâtel, de Genève, de Vaud et du Valais).
L’objectif premier du projetest de produire une cartographie
sémantique et sensorielle de la notion de minéralité des vins blancs
telle qu’elle se développe, depuis au moins une décennie, dans les
discours professionnels, tant prescriptifs que descriptifs. A cette
visée initiale s’ajoute une interrogation connexe concernant la
circulation de cette notion entre ces discours pouvant être qualifiés
d’experts et le discours des consommateurs dans la mesure où une
première analyse du discours ambiant a permis de montrer combien
la notion était aussi un argument marketing (Gautier HWDO2014). Les
propositions faites dans la section précédente seront ici illustrées
par la discussion de deux aspects majeurs: l’interdisciplinarité et la
dimension cognitive.
La question de l’interdisciplinarité déjà évoquée pour le projet
VinoLingua prend ici un tour différent. Celle-ci est en effet non
seulement présente dans la composition de l’équipe et dans
l’implication de professionnels à tous les niveaux; elle est aussi en
quelque sorte consubstantielle à la définition de l’objet de recherche
lui-même. Il s’agit effectivement de co-construire une définition de
minéralité qui intègre, en les croisant, les acquis de la sémantique
lexicale et discursive et de l’analyse sensorielle, sans ignorer la
question des processus. Il y a donc bel et bien une mutualisation
des compétences et un enrichissement par intégration de couches
successives: l’analyse lexicale des questionnaires diffusés auprès des
deux publics cibles (FI LQIUD) fournit des données qui seront testées
auprès des panels d’analyse sensorielle tout comme les matériaux
langagiers produits lors de cette phase et lors d’interviews avec
quelques acteurs témoins donnent lieu, en retour, à une nouvelle
analyse linguistique. Ce croisement entre linguistique et sensorialité
n’est certes pas nouveau, ainsi qu’en témoignent les études de cas
réunies dans Dubois (2009); il acquiert toutefois une importance
particulière dans le domaine du vin (FI Gautier 2014c), sans doute
en grande partie parce que les questionnements sont davantage
cognitifs que linguistiques.

241
Nouvelles recherches dans le domaine des Sciences humaines

C’est là le second aspect qui mérite quelques développements.


Comme cela transparaît dans le point précédent, les enjeux du projet
ne sont pas terminologiques. Les études préparatoires ont vite montré
la non-pertinence d’une démarche se focalisant uniquement sur le
terme minéralité: les experts ont tendance à penser qu’il s’agit d’un
terme spécialisé ne nécessitant aucune discussion – et ils l’emploient
sans jamais l’interroger – là où les consommateurs dénoncent au
contraire le flou de la notion et le manque de consensus quant aux
conditions de son utilisation. L’enjeu est donc tout à la fois définitoire
et cognitif: il s’agit d’interroger les représentations mentales liées
aux emplois du terme. Pour ce faire, la première phase du travail
a consisté en une réflexion méthodologique qui a aboutit à la mise
en place d’un protocole de collecte de données à plusieurs niveaux:
(i) production de deux corpus de paroles par des consommateurs,
d’un côté, et des professionnels, de l’autre, via un questionnaire en
ligne; (ii) génération de lexique par des panels d’analyse sensorielle
et (iii) collecte de commentaires métalinguistiques par une sélection
d’interviews approfondies. C’est une méthodologie qui, on le voit,
sort des approches traditionnelles en terminologie: il nous a semblé
qu’il ne pouvait en être autrement compte tenu de la nature sensible
de l’objet qui ne peut se satisfaire d’une saisie purement objectiviste.
Ces deux projets, qui ne prétendent nullement à l’exemplarité, ont
été retenus ici pour leur rendement illustratif. Ils illustrent en effet,
nous semble-t-il, tout à la fois la façon dont les discours spécialisés,
ici essentiellement professionnels, sont saisis par les recherches
actuelles [section 2] et le nécessaire décentrage, à la fois scientifique
et institutionnel, qui caractérise le nouveau paradigme [section 3].

5. Bilan et perspectives
Au terme de cette contribution, il apparaît donc que la recherche
sur les discours spécialisés, réinvestie en termes de recherche en
‘communication spécialisée’, a encore de beaux (et grands?) jours
devant elle. Elle s’affirme en effet comme répondant à des besoins
sociétaux et professionnels – parfois industriels – majeurs: à la fois
dans la perspective du plurilinguisme telle que celui-ci est prôné
par exemple au sein de l’Union Européenne et dans la perspective
de l’amélioration des compétences langagières et actionnelles des

242
Laurent Gautier

spécialistes. Cette recherche ne peut ainsi être qu’appliquée au


sens le plus noble du terme: non dans une opposition stérile avec
une recherche qui serait ‘fondamentale’ par essence, mais parce
qu’elle confronte le chercheur avec des problématiques nouvelles,
voire inhabituelles dont le traitement nécessite des avancées
méthodologiques et théoriques souvent inédites.
Dans la tendance actuelle à développer une recherche sur projet,
souvent en réponse à des appels d’offres – par exemple européens –
ciblés, les travaux interdisciplinaires en communication spécialisée
tels qu’ils ont été discutés ici représentent une belle opportunité
pour les jeunes chercheurs désireux de définir des sujets de thèse en
symbiose avec les orientations de la recherche internationale.

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