Rapport À L'activité Éducative Et Identité Professionnelle Chez Les Directeurs D'établissement Des Ordres D'enseignement Préscolaire Et Primaire
Rapport À L'activité Éducative Et Identité Professionnelle Chez Les Directeurs D'établissement Des Ordres D'enseignement Préscolaire Et Primaire
Rapport À L'activité Éducative Et Identité Professionnelle Chez Les Directeurs D'établissement Des Ordres D'enseignement Préscolaire Et Primaire
0318-479X (imprimé)
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Résumé – Ce texte part des perceptions des directeurs d’établissement des ordres
d’enseignement préscolaire et primaire du Québec pour étudier les ressemblances
dans la conception de leur rôle vis-à-vis de l’activité éducative. Les données de
31 entrevues réalisées au Québec montrent que les avis des directeurs divergent
sur l’importance à accorder à la gestion de l’activité éducative. Ces directeurs
estiment qu’il leur revient de donner une orientation inspirante à ladite activité
en créant un environnement propice au changement. Des divergences subsistent
cependant quant aux limites de leur intervention et au respect de la zone de
compétence professionnelle des enseignants. Dans tous les cas, le rapport des
directeurs à l’activité éducative est fortement conditionné par l’importance que
prennent plusieurs de leurs activités d’intendance.
Introduction
suite de la mise en application de la loi 180 qui amendait la Loi sur l’instruction publique
(LIP) en 1998 et dans la première année de la mise en œuvre du nouveau curriculum, les
directeurs d’établissement partageaient-ils cette conception de leur fonction ? Posée dans
les termes de la problématique de l’identité professionnelle, la question cherche à établir
s’il existe chez les directeurs d’établissement scolaire une conception à peu près identique
du rôle qu’ils ont à exercer en regard de l’activité éducative, conception qui correspond à
« cette identité pour autrui » (Dubar, 2000) que leur propose le discours officiel. S’appuyant
sur 31 entrevues réalisées auprès de directeurs d’école primaire de tout le Québec2, c’est
à cette question que le présent texte veut d’abord répondre.
En ce qui a trait à l’identité professionnelle, qui, selon Robitaille (2000), se conçoit
comme un « construit social inscrit dans des rapports sociaux situés dans un temps et un
espace individuel et social » (p. 95), c’est le versant identité de la problématique qui fait
principalement l’objet de notre regard. L’identité professionnelle est définie ici comme
étant, d’un côté, la conscience que les acteurs exerçant le même emploi entretiennent
quant à la nature de l’activité dans laquelle cet emploi s’incarne, aux conditions de réali-
sation de l’activité, au type de relations qu’elle suppose avec les divers acteurs qui lui sont
associés et au positionnement dans la société. C’est ce que nous considérons comme étant
l’aspect objectif de l’identité. D’un autre côté, l’identité est aussi la conscience de la façon
dont cet emploi est vécu. C’est l’aspect subjectif. En d’autres termes, il s’agit de la repré-
sentation que les acteurs exerçant un même emploi entretiennent au sujet de ce qu’ils sont
et vivent, de leur identité personnelle, de leur expériences professionnelles, de leur emploi
et de ce que signifie pour eux l’exercice de celui-ci (Gohier, Anadón, Bouchard, Charbonneau
et Chevrier, 2001, p. 9)3. La représentation de l’emploi s’explicite dans le rapport que les
acteurs entretiennent à l’égard de différentes dimensions de celle-ci, notamment dans le
rapport au travail ou à l’activité qui la constitue. La question posée plus haut se centre sur
ce rapport.
La problématique soulevée n’est pas nouvelle. La question du rapport que les direc-
teurs d’établissement entretiennent avec l’activité éducative se pose au moins depuis le
début des années 1960 (Brassard, Brunet, Corriveau, Pépin et Martineau, 1986). C’est le
moment où s’est amorcé le développement d’une administration publique régie par les
critères de la rationalité instrumentale en même temps que l’action du gouvernement du
Québec visant à rendre l’éducation scolaire accessible à tous prenait son essor. Cette
question revient continuellement depuis lors avec chaque mouvement remettant en
question la qualité des services éducatifs fournis dans les établissements. Elle n’est pas sans
liens d’ailleurs avec la problématique de leur efficacité. Le discours officiel a toujours
véhiculé l’idée voulant que le directeur d’établissement doive être en tout premier lieu un
gestionnaire de l’activité éducative. Néanmoins, les exigences légales, réglementaires ou
conventionnelles, jointes à celles, concrètes, du fonctionnement des établissements, ont
eu pour conséquence qu’au fil des différentes étapes de l’évolution de la fonction, les
activités de gestion en général et d’intendance en particulier ont souvent pris le dessus
chez bon nombre de directeurs au détriment de la gestion de l’activité éducative. À divers
moments, il a été déploré que plusieurs d’entre eux entretiennent un lien assez ténu avec
l’activité éducative et qu’ils soient plutôt des intendants (des « administrateurs ») que des
« leaders pédagogiques » (Brassard et al., 1986 ; Brunet, Brassard, Corriveau et Pépin, 1985 ;
Rapport à l’activité éducative et identité professionnelle chez les directeurs 489
Le contexte légal
La Loi sur l’instruction publique, amendée en 1998 par la loi 180, établit la fonction de
directeur d’école de la façon suivante :
Sous l’autorité du directeur général de la commission scolaire, le directeur d’école s’assure de
la qualité des services éducatifs dispensés dans l’école. Il assure la direction pédagogique et
administrative de l’école et s’assure de l’application des décisions du conseil d’établissement
et des autres dispositions qui régissent l’école (LIP, art. 96.12).
La Loi précise aussi, entre autres, que le directeur assiste le conseil d’établissement
dans l’exercice de ses fonctions et de ses pouvoirs (LIP, art. 96.13). Enfin, elle lui donne
plusieurs responsabilités spécifiques ayant trait à l’activité éducative (par exemple LIP, art.
96.14, 96.15, etc.).
Hormis ce qui concerne le conseil d’établissement, cette conception de la fonction de
direction date de 1988, année où la Loi de l’instruction publique a été modifiée par la loi
107 et est devenue la Loi sur l’instruction publique. Ce qui est nouveau depuis l’amende-
ment apporté par la loi 180 de 1998, c’est la décentralisation de certains pouvoirs de la
commission scolaire vers l’établissement et une nouvelle organisation des pouvoirs au
sein de celui-ci qui, selon notre analyse, profite surtout au conseil d’établissement. À cet
égard, il faut ajouter que le directeur d’établissement possède le pouvoir de formuler des
propositions qui sont soumises à ce conseil, bien qu’il ne vote pas. Sans pousser trop loin
les précisions, disons que la LIP d’avant 1988 définissait d’une façon plus générale la
fonction de direction (art. 32.3) que ne l’a fait la loi 107 par la suite, et ne formulait pas
la distinction entre la direction pédagogique et la direction administrative. De plus, elle
stipulait que le directeur fait partie du conseil d’orientation et le préside (art. 54.1 et 54.2
de la LIP d’avant 1988).
Au début de 2000, un sondage a été réalisé par le GRIDES (Groupe de recherche interu-
niversitaire sur les directions d’établissement scolaire) auprès des directeurs d’établisse-
ment scolaire francophones du Québec sur les changements en éducation au Québec et
la gestion des établissements (Brassard et al., 2001). Parmi les répondants, 260 étaient
directeurs (ce nombre exclut les adjoints) d’un établissement du primaire avant le 1er juillet
1998, moment où les amendements apportés par la loi 180 à la LIP entraient en vigueur.
Plusieurs constats de ce sondage intéressent notre propos.
Près de 48 % de ces répondants disent que le temps consacré aux aspects pédagogiques
a diminué alors que 35,8 % pensent qu’il a plutôt augmenté4 depuis l’entrée en vigueur
490 Revue des sciences de l’éducation
de la loi 180. Par contre, près de 90 % estiment que le temps consacré aux aspects admi-
nistratifs (à l’intendance) a augmenté et 85 % font la même estimation en ce qui a trait
au temps consacré aux mécanismes de consultation et de décision à l’intérieur de l’éta-
blissement. Une question sur la proportion de temps consacré aux divers rôles avant et
après l’entrée en vigueur de la loi 180 apporte des réponses montrant que le temps consacré
à la gestion de l’activité éducative perd du terrain au profit des tâches d’intendance et
d’autres rôles, dont celui de participation aux mécanismes de consultation et de décision5.
Cela dans un contexte où, selon 86,6 % des répondants, le temps consacré à la fonction
considérée dans son ensemble a augmenté et où, selon des proportions à peu près sem-
blables ou plus grandes, le nombre d’activités à accomplir, leur complexité et la vitesse
d’exécution ont augmenté, tout comme le stress lié à l’exercice de la fonction. Enfin, 95,5 %
des mêmes répondants estiment que le bon fonctionnement d’un établissement dépend
du leadership de la direction.
La terminologie
Il y a lieu d’apporter des précisions sur la terminologie employée dans le présent texte.
D’abord, plutôt que de parler de gestion (ou de direction) pédagogique, de leadership
pédagogique, etc., il a semblé préférable de retenir l’expression « gestion de l’activité édu-
cative ». L’expression nous paraît avoir une portée plus large et se référer à toutes les
activités d’aide à l’apprentissage des élèves et auxquelles s’intéresse d’une manière ou d’une
autre le directeur dans l’exercice de sa fonction. Elle englobe donc les activités d’encadre-
ment et de supervision des enseignants. Il y a lieu toutefois de noter que, dans les entrevues,
les répondants ont le plus souvent utilisé les termes « pédagogie » et « pédagogique ». En
somme, en ce qui concerne le rapport du directeur à l’activité éducative, c’est le rapport
à l’activité de production organisationnelle qui veut être saisi.
Ensuite, il a été choisi de traiter de la gestion de l’activité éducative et de considérer
le leadership comme un aspect de ce rôle ou de la fonction de direction en général plutôt
que de parler seulement de leadership. Contrairement à plusieurs auteurs (Bennis et Nanus,
1986 ; Conger, Spreitzer et Lawler III, 1999 ; St-Germain, 2002 ; Zaleznick, 1966), nous ne
croyons pas nécessaire d’opposer gestion et leadership : l’exercice du leadership n’exclut
pas l’activité de gestion ; l’utilisation du terme « gestion » ne réfère pas forcément à une
façon spécifique d’exercer la fonction de direction. Selon nous, l’exercice du leadership
est un des aspects de l’exercice de la gestion, étant entendu que certains gestionnaires
exercent peu ou pas de leadership, alors que d’autres en exercent beaucoup. Il est aussi
entendu qu’il existe différents styles de gestion dont les types peuvent être explicités au
moyen des dimensions retenues, par exemple, par St-Germain (2002). Cela dit, dans la
compilation des résultats, nous avons relevé les énoncés selon lesquels le répondant se
définit comme un leader, dit exercer du leadership ou exécuter des activités associées à
celui-ci à côté des énoncés se référant à différents types d’activités reliées à la gestion de
l’activité éducative.
En troisième lieu, malgré l’usage assez généralisé, plutôt que de parler d’administra-
tion, nous préférons utiliser le terme « intendance » pour désigner les activités de gestion
des diverses ressources, d’organisation de la logistique, en particulier d’organisation sco-
Rapport à l’activité éducative et identité professionnelle chez les directeurs 491
Les 31 entrevues utilisées ici font partie d’un lot de 686 qui ont été effectuées sous la res-
ponsabilité des chercheurs du GRIDES auprès de directeurs d’établissement œuvrant dans
toutes les parties du Québec. L’opération s’est déroulée sur une période de quelques mois
à la fin de l’année 2000 et au début de 2001, donc à peu près deux ans et demi après l’en-
trée en vigueur de la loi 180.
Au moment du sondage GRIDES, les répondants avaient été invités à indiquer sous
pli séparé leur intérêt à participer à une entrevue dans la deuxième phase de la recherche.
Plus de 250 directeurs ont donné une réponse positive. À peu près la moitié des entrevues
ont été réalisées auprès de ces personnes. Compte tenu de la tendance des répondants au
sondage à se montrer plutôt favorables aux changements, il a été décidé d’élargir le groupe
des répondants. Les autres directeurs ont donc été sélectionnés en dehors de ceux qui
s’étaient portés volontaires. L’ensemble devait être le plus diversifié possible en ce qui
concerne l’âge et le sexe des répondants, les années d’expérience dans la fonction de
direction, l’ordre d’enseignement de l’établissement, la taille de celui-ci, la commission
scolaire d’appartenance, la région et toutes autres caractéristiques particulières propres à
la situation du directeur ou de son établissement (par exemple, un directeur ayant deux
écoles ou plus à diriger). En dernière analyse, l’accord des personnes et leur disponibilité
dans le temps et l’espace sont devenus à quelques reprises des facteurs déterminants7 dans
la constitution du groupe des répondants.
Malgré des approches différentes adoptées par les chercheurs dans la conduite des
entrevues, trois questions au moins permettent au répondant de dire de quelle façon il
envisage son rapport à l’activité éducative. Elles se formulent ainsi :
• Comment voyez-vous la fonction (ou le rôle) de direction d’un établissement scolaire ?
• Quel rôle avez-vous joué ou jouez-vous dans la mise en œuvre des changements qui
se sont produits ou qui se produisent en éducation ces dernières années et que vous
avez identifiés au début de l’entretien ?
• Quels effets ont ces changements sur la fonction de direction ou en quoi la fonction
de direction est-elle modifiée ?
Sauf exception, il s’agit de questions ouvertes qui ne préjugent pas d’un contenu spé-
cifique. C’est le répondant qui, à quelques exceptions près, a choisi de parler, par exemple,
de leadership ou de leadership pédagogique. Par ailleurs, en explicitant ses réponses, le
répondant décrit les modalités et les conditions d’exercice de la fonction de direction en
général et de la mise en œuvre de certains changements en particulier, notamment dans
des cas de mise en œuvre du nouveau curriculum.
492 Revue des sciences de l’éducation
Une fois transcrites, les entrevues ont fait l’objet d’un codage passablement détaillé
à l’aide de catégories larges telles la conception de la fonction, la façon d’agir dans les
changements, le contexte de l’action, etc. De cet ensemble, nous avons principalement
retenu deux types d’énoncés : ceux qui ont trait à la conception et à l’exercice de la fonc-
tion de direction, notamment dans son rapport à l’activité éducative, ainsi que ceux qui
se réfèrent au leadership. Ont aussi été retenus d’une façon complémentaire les énoncés
qui traduisaient le rapport du répondant aux activités d’intendance et ceux qui révélaient
son sentiment d’avoir ou non la maîtrise de la situation, d’exercer un certain contrôle sur
le fonctionnement de l’établissement.
Les résultats
En premier lieu, cinq profils de la conception et de son rapport à l’activité éducative émer-
gent des énoncés généraux portant sur la façon dont les répondants voient la fonction de
direction d’un établissement et son exercice8. Ces profils indiquent l’importance qualitative
ou quantitative qu’a ou doit avoir, selon eux, la gestion de l’activité éducative dans la fonc-
tion de directeur d’établissement scolaire. Ils s’explicitent dans les formulations suivantes :
Profil A : La fonction de direction d’un établissement se définit surtout par la gestion de
l’activité éducative, même si d’autres types d’activités de gestion sont importants et
deviennent parfois accaparants. L’intérêt dans l’exercice de la fonction se porte surtout
sur la gestion de l’activité éducative. (Répondants 2, 23, 33, 34, 35, 46 du Tableau 1 en
annexe.)
Exemple : « Je pense que je suis plus axée sur la pédagogie. La gestion, ça passe après. »
(Répondant 33.)
Profil B : La fonction de direction d’un établissement se définit à la fois par la gestion de
l’activité éducative et par d’autres types d’activités de gestion. Une importance ou un
intérêt à peu près égal est accordé à celles-ci. (Répondants 4, 12, 20, 21, 22, 24, 31, 42 du
Tableau 1.)
Exemple : « Je suis un peu ambivalente de dire si la réforme change ma façon de pratiquer
la fonction de direction… parce que, dans notre fonction, il y a la dimension pédagogique
et la dimension administrative qui se chevauchent continuellement. » (Répondante 22.)
Profil C : La fonction de direction d’un établissement comporte différentes activités de
gestion dont l’une porte sur l’activité éducative qui est importante, mais le temps qui lui
est accordé est limité. (Répondants 3, 7 8, 32, 44 du Tableau 1.)
Exemple : « Vu le nombre effarant de tâches, de responsabilités, que les directeurs ont, ça
limite beaucoup nos interventions pédagogiques. » (Répondant 7.)
Rapport à l’activité éducative et identité professionnelle chez les directeurs 493
Profil D : La fonction de direction d’un établissement se définit par différents types d’ac-
tivités. La référence aux activités reliées à l’activité éducative est ténue ou absente.
(Répondants 5, 11, 30, 40, 45 du Tableau 1.)
Exemple : « Pour moi, un directeur d’école, c’est d’être au service du personnel, des parents
et des enfants. C’est de rendre en priorité l’école la plus agréable possible pour tout le
monde pour que les enfants reçoivent le meilleur service. » (Répondant 5.)
Profil E : La fonction de direction d’un établissement se définit surtout par la gestion de
l’activité éducative mais, en pratique, l’importance qui lui est accordée n’est pas très grande.
(Répondants 1, 6, 10, 13, 14, 43 du Tableau 1.)
Exemple : « Pour amener le changement, il faut être un leader pédagogique, […] je n’ai
même pas le temps de rencontrer mes enseignants. Ça va bien être leader pédagogique…
mais c’est pas parce que je ne veux pas, je ne peux pas ! » (Répondant 10.)
Dans le cas des profils A et B, l’expérience dans une fonction de direction et la taille
de l’établissement ne semblent pas jouer sur le rapport que les répondants entretiennent
à l’activité éducative. Par contre, la conception de plusieurs répondants appartenant aux
autres profils ne serait pas sans liens avec des caractéristiques de l’établissement, notam-
ment la taille de l’école ou le nombre d’écoles. Il ne semble pas que la présence ou non
d’un adjoint (ou d’adjoints) soit majeure. Avoir été conseiller pédagogique avant d’occuper
un poste de direction ne paraît pas plus déterminant. D’après les données, la commission
scolaire influencerait directement ou indirectement et à des degrés divers le rapport que
les directeurs entretiennent à l’activité éducative. Cependant, il est difficile d’apprécier la
portée véritable d’une telle influence chez les répondants. Toujours selon les données, la
mise en œuvre du nouveau curriculum aurait amené quelques directeurs à accorder plus
d’importance à la gestion de l’activité éducative. Enfin, les analyses réalisées à ce jour ne
permettent pas d’établir l’influence que la formation en gestion reçue par les répondants
et leur expérience personnelle exercent sur leur conception de la fonction, dans son rap-
port à l’activité éducative. Par ailleurs, ainsi que le montre le Tableau 1 (dernière colonne),
la très grande majorité des répondants qui reconnaissent la prépondérance de la gestion
de l’activité éducative dans l’exercice de leur fonction ou, à tout le moins, une importance
égale à celle qu’ils accordent aux autres rôles (soit les répondants des profils A et B) don-
nent l’impression d’avoir une certaine maîtrise de la situation. En revanche, la plupart des
répondants du profil E donnent l’impression contraire. Les autres répondants se répar-
tissent entre les deux tendances.
Cela dit, il y a au moins deux façons différentes de considérer les profils. La première
met en relief l’opposition entre les directeurs qui se définissent comme des gestionnaires
de l’activité éducative (ou des leaders pédagogiques) et ceux qui se perçoivent comme des
gestionnaires en général, l’administration ou le travail d’intendance l’emportant chez
plusieurs. Selon cette manière de voir, les répondants se regroupent en deux grandes
catégories. D’un côté, au moins quinze répondants (sur 31, soit ceux des profils A et B)
estiment, soit sur le plan de la conception, soit sur le plan de la pratique, que la gestion
de l’activité éducative est une dimension majeure de leur fonction. Si on ajoute ceux du
profil E, ce sont 21 répondants qui, se plaçant au moins au niveau du registre de la
494 Revue des sciences de l’éducation
Un deuxième ensemble de constats porte sur les activités reliées à la gestion de l’activité
éducative que les répondants disent exercer ou devoir exercer. Ces constats sont établis à
partir du Tableau 1 qui réunit toutes les informations utilisées dans le présent texte.
Les quinze premières colonnes du tableau se réfèrent à des activités ou catégories
d’activités qui ont été recensées dans les entrevues et qui ont trait à la gestion de l’activité
éducative. Les trois colonnes suivantes s’inscrivent dans la même lignée, mais sont réser-
vées à la gestion de la mise en œuvre du nouveau curriculum. L’une (« Strat adhé ») indique
la stratégie adoptée pour susciter l’adhésion à ce changement. La deuxième (« Prise en
charge ») indique qui prend en charge la mise en œuvre du curriculum dans l’établisse-
ment. Enfin, une autre colonne (« Rythme ») sert à identifier les répondants qui disent
adopter une stratégie respectant le rythme de chacun ou une stratégie pas à pas. À la suite
de ces trois colonnes, le tableau contient aussi une colonne intitulée « autres rôles » qui se
réfère à d’autres rôles exercés par le répondant. Ces rôles n’entrent pas dans la gestion de
l’activité éducative, mais influencent celle-ci. L’avant-dernière colonne du tableau illustre
l’importance que prennent les activités d’intendance chez les répondants, alors que la
dernière se rapporte au sentiment de contrôle sur le fonctionnement de l’établissement
qu’ils donnent l’impression de posséder.
Quelques convergences ressortent des données.
Bon nombre de directeurs estiment être responsables de l’orientation que prend
l’activité de l’établissement, notamment l’activité éducative9 et le changement de celle-ci.
Ils l’expriment soit en se définissant comme des leaders ou en utilisant des expressions
Rapport à l’activité éducative et identité professionnelle chez les directeurs 495
qui se réfèrent à l’exercice du leadership (dans la plupart des cas, ils doivent « mobiliser
vers », « rassembler vers », « influencer en vue de », « avoir une vision de », etc.), soit en
indiquant qu’il leur appartient de « voir aux orientations », de « donner la direction » ou
de « la faire respecter », « d’être un guide », etc. À cela s’ajoutent des énoncés du type
« mettre de l’avant », « proposer » qui doivent être associés à la gestion du changement et,
notamment, à la gestion de la mise en œuvre du nouveau curriculum. Cinq répondants
seulement n’ont formulé aucun énoncé correspondant à cette responsabilité. Trois d’entre
eux, toutefois, disent « initier des projets ».
Vingt-cinq répondants disent exercer ou devoir exercer un rôle de service qui consiste
soit à faciliter le travail des enseignants ou le changement dans les pratiques éducatives,
soit à jouer un rôle de soutien sur le plan des conditions régissant l’exercice de l’activité
éducative et son changement ou de soutien sur le plan moral (par exemple, « encourager »,
« sécuriser »)10. À l’examen, les deux rôles semblent très près l’un de l’autre pour ne pas
dire qu’ils se confondent. La distinction entre les deux a cependant été conservée du fait
des mots employés par les répondants et aussi du fait que le rôle de « facilitateur » porte
surtout sur les conditions qui régissent l’activité éducative alors que le rôle de support et
de soutien se réfère en plus aux interactions du directeur avec son personnel. Dans le reste
du texte, nous nous en tiendrons à parler d’un rôle de soutien. Par ailleurs, selon le con-
texte, il est permis de croire que d’autres activités sont exercées par les directeurs dans la
perspective du soutien à accorder. Ainsi en est-il, chez plusieurs, des actions consistant,
par exemple, à maintenir la collaboration entre les différents intervenants ou à jouer un
rôle de médiation entre eux.
Les deux tiers des répondants comprennent qu’un aspect de leur rôle consiste à faire
travailler les enseignants ensemble, à susciter un effort collectif, à développer l’esprit
d’équipe chez le personnel ou à gérer de façon participative11. Ces répondants estiment
qu’ils doivent favoriser le travail en collégialité au sein du personnel enseignant. Une
divergence est cependant observée ici dans l’exercice de ce rôle. Certains répondants se
disent membres de l’équipe, participent à sa démarche, l’accompagnent, exercent un
leadership partagé, pour reprendre l’expression passablement répandue, alors que, pour
d’autres, le directeur ne s’intègre pas dans ce travail en collégialité.
Il est question du rôle de leader. Comment les répondants se situent-ils par rapport
à celui-ci ? Partons du fait que le leadership est l’exercice d’une influence qui est non
coercitive et qui ne s’appuie pas d’abord sur l’autorité formelle.
Plusieurs répondants utilisent le terme « leader » pour se définir ou pour définir ce
qu’ils cherchent à être, mais pas toujours en relation avec l’activité éducative. Quelques-
uns s’avancent à définir ce qu’ils entendent par l’exercice du leadership en se référant aux
principales activités qui l’explicitent dans la littérature sur la gestion12 (Conger et al., 1999)
et qui sont d’ailleurs reprises, pour une part, par le discours officiel. Qu’ils estiment ou
non être des leaders ou exercer du leadership, plusieurs disent exécuter ou devoir exécuter
l’une ou l’autre de ces activités. Pour beaucoup, la responsabilité d’assurer l’orientation
du fonctionnement et des changements doit être incluse dans leur leadership. Cependant
ce n’est pas le cas de tous. En effet, chez certains, la responsabilité est assumée en raison
de l’autorité formelle alors que chez d’autres, elle consiste à se faire le gardien de l’ortho-
doxie.
496 Revue des sciences de l’éducation
L’idée de mobilisation par rapport au projet éducatif ne revient sans doute pas tellement
souvent. Mais si l’on reprend les éléments énumérés plus haut, on constate qu’un nombre
assez considérable de répondants dit chercher d’une manière ou d’une autre à susciter
l’adhésion du personnel au nouveau curriculum ou se préoccuper de cet aspect. Ici encore,
quelques-uns semblent vouloir imposer le changement en raison de leur autorité formelle.
Quant aux actions qui consistent à sanctionner, elles sont rarement mentionnées.
Enfin, en ce qui concerne l’habilitation, tel que dit précédemment, les directeurs
cherchent surtout à soutenir les enseignants dans leur pratique et dans le changement de
celle-ci. Quelques-uns vont jusqu’à faire de la formation, ayant accepté que leur rôle au
regard de la mise en œuvre du nouveau curriculum s’étende à cette activité. Les services
éducatifs des commissions scolaires et l’approche à la mise en œuvre du curriculum dans
l’ensemble du système d’éducation y seraient pour quelque chose.
En somme, même si les répondants ne définissent pas toujours explicitement leur
fonction comme étant une fonction de leadership, bon nombre ont conscience d’exercer
ou de devoir exercer des activités qui manifestent l’exercice du leadership. En outre, plu-
sieurs se voient comme des leaders ou estiment devoir l’être. Toutefois, cette conscience
est à la fois différenciée et confuse : le concept de leader n’est pas le même pour tous. De
plus, chez un certain nombre, il arrive que l’exercice de l’autorité formelle se confonde
avec celui du leadership.
Au moins la moitié des répondants retiennent comme stratégie principale de mise
en œuvre du nouveau curriculum celle consistant à respecter le rythme de chacun. D’une
façon complémentaire, plusieurs des mêmes répondants ainsi que d’autres parlent aussi
d’une stratégie pas à pas. Celle-ci consiste à utiliser ce qui se fait déjà comme d’un levier
pour aller de l’avant et comme un exemple pour les autres enseignants qui susciterait un
effet « boule de neige ». Cet élément révèle une approche relativement commune à la
gestion des changements importants dans les pratiques éducatives : les directeurs s’en
remettent à la bonne foi des enseignants ; ils ne veulent pas brusquer les choses et ils
acceptent ou reconnaissent implicitement que le changement prendra du temps à se
réaliser. En même temps, les directeurs affirment implicitement que de tels changements
ne pourront se réaliser que si eux-mêmes jouent efficacement leur rôle de soutien et
d’orienteur. Il y a lieu d’ajouter que, si rien ne bouge, plusieurs estiment qu’il faudra peut-
être forcer la main des enseignants. Ainsi, deux directeurs qui adoptent d’abord une
approche d’information pour susciter l’adhésion au changement du curriculum en vien-
dront, en dernière analyse, à exiger que les enseignants « embarquent ».
Bref, au regard du rapport à l’activité éducative, quelques éléments rapprochent les
directeurs d’établissement sur le plan d’une identité professionnelle :
• ils s’estiment responsables de la direction de l’activité de l’établissement ou de l’orien-
tation que celle-ci doit prendre, notamment l’activité éducative et son changement,
ce qui va tout à fait dans le sens de l’article 96.12 de la LIP ;
• ils se donnent un rôle de « soutien » aux enseignants et à leur pratique d’enseigne-
ment ;
• certains s’attribuent des rôles reliés à l’exercice du leadership ou se voient comme des
leaders, même si cette notion est comprise de plusieurs façons ;
Rapport à l’activité éducative et identité professionnelle chez les directeurs 497
• ils doivent favoriser le travail en collégialité ; l’attention accordée à ce rôle est moins
répandue que celle accordée aux rôles précédents ;
• au regard d’un changement important dans les pratiques éducatives, ils ont tendance
à adopter une stratégie pas à pas ou qui respecte le rythme de chacun.
Des différences dans les activités exercées par les répondants de chacun des profils
En quatrième lieu, un examen des activités exercées par les répondants de chacun des
profils fait ressortir plusieurs différences indiquées dans le Tableau 1.
Ainsi, bon nombre des répondants des profils A et B disent exercer de la supervision
pédagogique en remettant en question, entre autres, les pratiques d’enseignement ; ils
disent aussi chercher à échanger continuellement ou souvent sur celles-ci avec les ensei-
gnants, susciter chez ceux-ci le travail en équipe ou même se faire partenaire de la
démarche des enseignants et se préoccuper des relations avec les parents. Sur le plan de
la mise en œuvre du nouveau curriculum, plusieurs de ces directeurs disent prendre en
charge cette mise en œuvre, soit avec les enseignants de leur établissement, soit avec un
conseiller pédagogique. De plus, un certain nombre de directeurs donnent de la formation
dans leur établissement sur le nouveau curriculum. Les données révèlent aussi que, sauf
exception, les répondants de ces profils semblent conserver la maîtrise de ce qui se passe
malgré toutes les tâches auxquelles ils doivent se consacrer, les exigences qu’on leur impose
et les contraintes auxquelles ils font face.
Les directeurs du profil B se démarquent quelque peu de ceux du profil A. En pro-
portion, les répondants de ce groupe sont plus nombreux à réaliser de la supervision
pédagogique ou à remettre en question les pratiques d’enseignement, à miser sur la trans-
mission d’information à propos des pratiques éducatives, notamment en rapport avec la
498 Revue des sciences de l’éducation
mise en œuvre du nouveau curriculum, et à agir comme partenaires des enseignants dans
ce processus de mise en œuvre (à faire de l’accompagnement). Proportionnellement
parlant, les directeurs de ce profil sont cependant moins nombreux à se dire leader et à
chercher à échanger sur les pratiques éducatives avec les enseignants.
À l’intérieur de ce profil, la direction 12 représente un cas particulier. Une grande
partie de l’énergie et du temps de cette personne a été consacrée à la solution d’un pro-
blème majeur de comportement chez les élèves qui perturbent le fonctionnement de
l’établissement. Il fallait passer par là pour en arriver à travailler plus directement sur la
pédagogie.
Hormis les caractéristiques que l’on retrouve chez la majorité des directeurs, ceux du
groupe C ont peu de traits en commun avec les profils A ou B ; ainsi, quatre sur cinq pra-
tiquent la supervision pédagogique ou remettent en question les pratiques éducatives. Deux
des trois directeurs de ce profil qui définissent la fonction de direction comme étant une
fonction de leadership la voient d’une façon générale, sans se référer dans ce cas à l’activité
éducative. En outre, ces directeurs ne prennent pas en charge la mise en œuvre du nouveau
curriculum si ce n’est sur le plan de la supervision pédagogique ou de la remise en question
des pratiques éducatives. Il est à noter qu’un répondant (7) de ce groupe ne fait pas référence
au nouveau curriculum et qu’un autre affirme ne pas jouer un rôle de leader ni d’expert,
bien qu’il donne des formations en relation avec le nouveau curriculum.
Chez trois directeurs du profil D, le soutien apporté aux enseignants prend surtout
la forme d’un soutien moral dans la mise en œuvre du nouveau curriculum. Chez les
répondants de ce profil, la prise en charge de cette mise en œuvre est confiée ou laissée à
des enseignants ou à une ressource de la commission scolaire (le conseiller pédagogique).
De plus, ce qui caractérise surtout ces directeurs, c’est le fait qu’ils trouvent très accaparant
le travail d’intendance (quatre sur cinq) et qu’aucun d’eux ne donne l’impression d’exercer
un certain contrôle sur la situation.
Les directeurs qui ont été classés dans le profil E définissent la façon d’exercer leur
fonction davantage que les autres en relation avec les élèves ou les parents. À l’instar de
ceux du profil D, tous trouvent très accaparant le travail d’intendance et quatre sur six
donnent l’impression de ne pas être tellement en contrôle de la situation. Aucun ne dit
prendre en charge la mise en œuvre du nouveau curriculum ou donner du soutien moral
à son personnel. À vrai dire, ce groupe forme un ensemble bien particulier. Deux des
répondants qui en font partie doivent s’occuper de deux écoles ou plus. Deux autres, l’un
en début de carrière et l’autre à la fin de celle-ci, expriment clairement que la situation
leur échappe.
Avant d’interpréter les résultats des entrevues, formulons trois remarques qui en précisent
la portée.
En premier lieu, la conception avancée par les répondants de ce que doit être le rap-
port à l’activité éducative, l’affirmation de ce en quoi consiste ce rapport et l’identification
par ces mêmes répondants des diverses activités auxquelles ils disent se livrer en rapport
Rapport à l’activité éducative et identité professionnelle chez les directeurs 499
devoir intervenir aussi dans le deuxième champ et même dans le troisième, doit être
associée chez plusieurs à l’importance accordée ou à accorder à la gestion de l’activité
éducative. À cette explication s’en ajoute une deuxième que suggèrent les données : la très
grande majorité des répondants qui reconnaissent la prépondérance de la gestion de
l’activité éducative dans l’exercice de leur fonction ou, à tout le moins, une importance
égale à celle qu’ils accordent aux autres rôles (soit les répondants des profils A et B) don-
nent l’impression d’avoir une certaine maîtrise du fonctionnement de leur établissement.
La différence s’explique aussi par l’impossibilité ressentie par plusieurs répondants de
s’occuper de la gestion de l’activité éducative avec toute l’attention qu’ils voudraient lui
accorder. Cette impossibilité est attribuable chez les uns à des facteurs personnels ou
subjectifs : leur façon de lire la situation de leur établissement, les exigences de la tâche,
l’absence de ressources personnelles pour maîtriser, au moins minimalement, le fonction-
nement de leur établissement. Chez les autres, l’impossibilité est due à des facteurs objec-
tifs, c’est-à-dire à la situation même de leur établissement et aux exigences trop nombreuses
qui leur sont imposées. Les données ne permettent pas de discerner s’il s’agit de facteurs
personnels, de facteurs de situation, ou des deux à la fois.
Quoi qu’il en soit, les uns adapteront leur conception à la situation tandis que les
autres vivront la tension entre l’idéal et la réalité, tension tout particulièrement ressentie
par les répondants du profil E. Si cette hypothèse s’avère juste, c’est non pas seulement
une opposition sur le plan de l’identité professionnelle qui se révèle, mais aussi une dif-
férence dans les caractéristiques qui conditionnent l’exercice de la fonction de direction
ou une différence dans la façon de la vivre. Cependant, ces différences contribuent pro-
bablement à empêcher l’ensemble des directeurs d’en venir à se forger une identité pro-
fessionnelle commune sur ce que doit être leur intervention dans le champ même de
l’activité éducative et de distinguer clairement les activités qui relèvent normalement de
leur rôle de celles qui sont exercées d’une façon exceptionnelle ou occasionnelle.
Conclusion
elle doit s’étendre jusqu’à cette zone qui relève de la responsabilité professionnelle du
personnel enseignant.
Bref, en ce qui concerne le rapport des directeurs du primaire à l’activité éducative,
il existe une identité professionnelle commune qui se restreint, cependant, au champ
d’intervention de l’environnement éducatif et qui est conditionnée par l’importance des
autres activités de gestion, dont celle d’intendance.
Néanmoins, les divergences constatées dans le discours des directeurs ne traduisent
pas toujours et pas seulement des façons différentes de concevoir le rapport à l’activité
éducative. Il est probable qu’elles manifestent aussi des différences tout simplement dans
la façon de parler de la fonction, dans les caractéristiques de l’établissement qui détermi-
nent l’exercice de la fonction ou dans la façon personnelle de vivre cette fonction.
Ces résultats appellent à la fois les milieux de pratique et les milieux de la recherche
à une réflexion approfondie sur ce que doit être la gestion de l’activité éducative.
Notamment, il faut examiner de près ce en quoi doit consister l’intervention du directeur,
en tant que gestionnaire, dans le champ de l’activité éducative et comment elle peut être
adaptée aux différentes caractéristiques de la situation d’un établissement. Il faut se
demander si, sauf exception, l’intervention directe dans le champ de l’activité éducative
qui relève de la responsabilité professionnelle du personnel enseignant appartient en soi
à la fonction de directeur ; la réponse à cette question exige de bien définir la nature de ce
champ. Dans la même lignée, il faut aussi voir en quoi doit consister le leadership éducatif,
quand il doit s’exercer et selon quelles modalités. Même si le rapport du directeur à l’élève
a été peu touché dans le présent texte, il devrait faire l’objet du même questionnement.
Le discours officiel aurait sans doute avantage à être revu au regard de ce qui constitue
la gestion de l’activité éducative, mais aussi au regard de l’importance des activités d’in-
tendance et des autres activités qui sont imposées au directeur, soit en vertu de la loi, soit
en raison des modalités de fonctionnement du système et des impératifs concrets de la
fonction. Ainsi, la loi stipule que le directeur assume la direction administrative de l’école.
Le discours des pouvoirs organisateurs et des organismes consultatifs a pourtant tendance
à insister sur le fait que les activités d’intendance prennent trop d’importance chez les
directeurs d’établissement au détriment de la gestion de l’activité éducative (Gouvernement
du Québec, 1996) et à formuler la crainte que les directeurs se complaisent dans ce rôle
et perdent de vue la préoccupation de l’éducatif (Brassard, Lusignan et Lessard, 2002). Il
se pourrait fort bien que cette insistance ait pour effet de discréditer une partie considé-
rable de l’activité des directeurs et de créer une tension, inutile et génératrice de stress,
entre un idéal qui, à force d’être répété, exacerbe des attentes excessives ou les banalise, et
une réalité qui délimite les possibles.
Plutôt que de déplorer l’insuffisance du temps consacré à la gestion de l’activité édu-
cative et de préconiser un leadership que les directeurs ne peuvent exercer tel quel et en
toutes circonstances, il y aurait peut-être lieu de considérer l’importance que prennent
les activités d’intendance et d’autres activités exigées par la fonction dans la tâche des
directeurs et de le reconnaître. D’ailleurs, que ce soit dans un contexte de centralisation
ou de décentralisation, les activités d’intendance les ont toujours accaparés considérable-
ment, même si, à peu près partout, leur augmentation est associée à une décentralisation
en faveur des établissements13 (Blanchet, Wiener et Isambert, 1999 ; Williams, Harold,
504 Revue des sciences de l’éducation
Robertson et Southworth, 1997). Par contre, il appartient aux directeurs de mieux cir-
conscrire ce que doivent être la nature et les modalités de la gestion de l’activité éducative
et du leadership à exercer dans leur établissement respectif et de voir avec les services de
la commission scolaire comment ceux-ci peuvent les aider dans cette gestion. Selon cette
perspective adoptée par certaines commissions scolaires, la définition de la situation est
produite par les directeurs d’établissement. A priori, cela implique qu’elle ne sera pas la
même pour tous et que l’aide devra être différenciée.
Notes
1. Lorsque le contexte l’indique, l’emploi du masculin pour désigner des personnes de sexe masculin
et de sexe féminin ne vise qu’à alléger le texte.
2. Cette démarche et le sondage GRIDES dont il est question plus loin font partie d’une recherche
subventionnée par le CRSH.
3. La formulation inclut ce qui nous semble être implicite chez Gohier et al. (2001).
4. Il faut lire « a diminué » ou « a beaucoup diminué » et « a augmenté » ou « a beaucoup augmenté ».
5. La proportion de temps que ces directeurs estimaient consacrer à la gestion de l’activité éducative
était de 24,7 % avant l’entrée en vigueur de la loi 180 et de 18,8 % après ; celle consacrée à l’intendance
de 29,8 % avant et de 32,1 % après et celle consacrée aux mécanismes de participation de 9,6 % avant
et de 13,5 % après.
6. Les 31 entrevues des directeurs du primaire excluent les adjoints et ne comptent pas les quelques
entrevues qui n’ont pu être utilisées pour des raisons techniques.
7. Ces facteurs ont surtout joué en dehors des grands centres urbains.
8. Le regroupement a été établi en deux étapes. L’auteur principal du présent texte et deux membres
de son équipe de recherche ont effectué de façon indépendante un premier regroupement des
répondants à partir d’énoncés portant sur la conception qu’ils entretiennent de la fonction de direc-
tion en général et de leur rapport à l’activité éducative. Les résultats obtenus par chacun ont ensuite
été mis en commun. Il y a eu rapidement entente sur les profils qui émergeaient ainsi que sur le profil
dans lequel chaque répondant devait être placé. A fait exception le classement de cinq répondants
qui a nécessité une révision approfondie des données. La même procédure a été suivie pour la place
prise par l’activité d’intendance et pour l’estimation de l’impression que laissaient les répondants de
maîtriser ou non la situation. Outre Martine Cloutier, Makhouradia Thiam doit être remercié pour
sa contribution à ce processus.
9. Voir les deux premières colonnes du Tableau 1, soit celle du « leadership » et celle de la « direction
– orientation ».
10. Voir les colonnes « facilitateur » et « soutien – support » du Tableau 1.
11. Voir la colonne « l’équipe » du Tableau 1.
12. Ce sont surtout : la formulation d’une vision, la recherche de la mobilisation du personnel à l’endroit
de celle-ci et l’habilitation, qui comprend la mise en place de conditions visant à faciliter l’incarnation
de la vision dans la réalité.
13. À l’examen, selon nous, c’est non pas seulement la décentralisation qui serait en cause, mais aussi
ses modalités, notamment la manière dont les pouvoirs organisateurs agissent en contexte décen-
tralisé.
Abstract – Based on the perceptions of primary-level school directors in Quebec, this study
investigates similarities in the conception of their role regarding educational activities. Data
from 31 interviews shows divergence in their views regarding the importance accorded to the
management of educational activities. These directors feel that their role is to give an inspiring
vision to educational activities by creating an environment that encourages change. These
Rapport à l’activité éducative et identité professionnelle chez les directeurs 505
divergences remain when describing limitations in their interventions and in regards to res-
pecting the zone of teachers’ professional competencies. In all cases, the relationship of school
directors to educational activities is largely conditioned by the importance accorded to their
administrative activities.
Zusammenfassung – Dieser Beitrag geht von den Vorstellungen der Québecker Grundschulleiter
aus und untersucht die Ähnlichkeiten ihres Rollenkonzepts angesichts der schulischen
Tätigkeit. Die Daten aus 31 in Québec durchgeführten Umfragen zeigen, dass die Ansichten
der Befragten über die Bedeutung der Schulleitung divergieren. Die Schulleiter sind der
Auffassung, dass es ihre Aufgabe ist, den schulischen Aktivitäten inspirierende Impulse zu
verleihen, indem sie eine Atmosphäre schaffen, die sich für Neuansätze als günstig erweist.
Die Divergenzen zeigen sich dort, wo es um die Grenzen ihrer Befugnisse und den Respekt
vor der fachlichen Kompetenz der Lehrer geht. Allgemein kann man sagen, dass das Verhalten
der Schulleiter in starkem Maße von der Bedeutung konditioniert wird, die sie ihrer
Verwaltungsarbeit beimessen.
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tableau 1
Les activités des directeurs en rapport avec l’activité éducative
Strat adhés
sur pédag.
Informat.
Direction
Supervis.
Orientat.
Contrôle
En classe
Informel
Suivi des
Présence
Facilitat.
Médiati.
L’équipe
Animat.
Support
Rel. aux
Prise en
Rythme
Soutien
parents
Intend.
Leader
Expert
charge
Autres
Projet
élèves
rôles
2 x x x x x x xa x +
23 x f x x x x x xa d+e oui x +
33 x x x x(s) x xf x x x d oui x +
34 x x(s) x x x xa i d+cp xx ++
35 x x x x(s) f x x x x i+o ens. oui x +
46 x x x x x x xa d+e x xx ++
4 x x x(s) x xf x x x d x ++
12 x x x x x x xa x cp oui xx xx +
20 x x xa o oui x x +
21 x x x(s) x x f x x x x xa i d+e oui xx -
22 x x x(s) x x x x x x a o x +
24 x x x x x x x x i+o x xx +
31 x x x(s) x - - x i dcpe oui x x +
41 x x x x f x x x i oui xx +
42 x x x xa ens. oui x x ?
3 x x x(s) x - x x ens. x x -
7 x x x(s) x x x xx +?
8 x x x x x x oui x xx ++
32 x x x x(s) x x a cp x ++
44 x x s x x i ens. oui x x ?
5 x x x x i ens. oui xx ?
11 x x(s) - x x x xa o ens. x xx ?
30 x x x x(s) x x i ens. oui xx --
40 x x x(s) x i oui x xx -
45 x x x x x o cp x xx ?
1 x x x f x x x x a cp x xx ++
6 x x x x - x x x xx +
10 x x x i ens. oui xx --
13 x x - i+o cp oui xx -
14 x x - x a xx -
43 x xa cp+e x xx -
508 Revue des sciences de l’éducation
Légende : (x = l’activité s’applique à ce répondant; un - = le répondant dit ne pas agir à ce titre; ceci
ne s’applique pas aux deux dernières colonnes)
Leader : se réfère à des énoncés où le répondant se dit leader.
Direction-orientation : se réfère à des énoncés où le répondant indique qu’il assure l’orientation, la
direction des activités ou des changements.
Facilitateur : se réfère à des énoncés où le répondant dit viser à faciliter le travail des enseignants, leur
pratique.
Support et soutien : se réfère à des énoncés où le répondant dit apporter du soutien, notamment un
soutien moral (s = soutien moral, par ex. encourage).
Animateur : se réfère à des énoncés où le répondant dit faire de l’animation.
Supervision : se réfère à des énoncés où le répondant dit exercer de la supervision.
Expert : se réfère à des énoncés où le répondant dit jouer un rôle d’expert, en particulier donner de la
formation (f = donne de la formation sur le nouveau curriculum).
Informateur : se réfère à des énoncés où le répondant dit donner de l’information sur la pédagogie, les
nouvelles tendances, le nouveau curriculum, etc.
Projet : se réfère à des énoncés où le répondant dit préparer, développer ou proposer des projets aux
enseignants.
Présence en classe : se réfère à des énoncés où le répondant dit aller dans les classes.
Suivi des élèves : se réfère à des énoncés où le répondant dit s’occuper du cheminement des élèves.
Rel. aux parents : se réfère à des énoncés où le répondant dit assurer la relation avec les parents relati-
vement au cheminement des élèves.
Informel sur péd. : se réfère à des énoncés où le répondant dit parler de pédagogie avec les enseignants
dans des rencontres informelles.
L’équipe : se réfère à des énoncés où le répondant dit favoriser le travail en équipe chez les enseignants
et même travailler avec les enseignants (a = participe à l’équipe).
Médiation : se réfère à des énoncés où le répondant dit exercer une médiation entre les enseignants,
entre les enseignants et les parents, etc.
Strat. adhés. : se réfère à des énoncés où le répondant indique la stratégie qu’il adopte pour susciter l’ad-
hésion au nouveau curriculum. (i = volonté d’imposer le changement ; 0 = volonté de défendre l’ortho-
doxie)
Prise en charge : se réfère à des énoncés où le répondant indique qui assume la prise en charge de la
mise en œuvre du nouveau curriculum dans l’établissement.
(dir. ou d. = directeur; ens. ou e = enseignants; cp = conseiller pédagogique; dcpe = directeur, conseiller
pédagogique et enseignants)
Rythme : se réfère à des énoncés où le répondant dit que la stratégie de mise en œuvre du nouveau
curriculum se caractérise par le respect du rythme de chacun (aussi stratégie des petits pas).
Autres rôles : se réfère à des énoncés où le répondant nomme d’autres rôles exercés en relation avec
l’activité éducative ou conditionnant le rapport à celle-ci, notamment les activités liées aux mécanismes
de décision.
Intend. : se réfère à des énoncés où le répondant indique l’importance que prennent les activités d’in-
tendance dans son travail.
(x = l’intendance est accaparante; xx = l’intendance est très accaparante)
Contrôle : se réfère à des énoncés où le répondant donne l’impression d’avoir ou non le sentiment
d’exercer un certain contrôle sur le fonctionnement de l’établissement.
(+ = en contrôle; ++ = très en contrôle; - = peu en contrôle; -- = pas du tout en contrôle; ? = infor-
mation insuffisante)