Kafka - Le Proces
Kafka - Le Proces
Kafka - Le Proces
(1925)
Franz Kafka
LE PROCÈS
Table des matières
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CHAPITRE PREMIER
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– Anna doit me porter le déjeuner », dit K., essayant
d’abord muettement de découvrir par déduction qui pouvait
être ce monsieur. Mais l’autre ne s’attarda pas à se laisser exa-
miner ; il se retourna vers la porte et l’entrouvrit pour dire à
quelqu’un qui devait se trouver juste derrière :
L’idée lui vint bien aussitôt qu’il n’eût pas dû parler ainsi à
haute voix, car il avait l’air, en le faisant, de reconnaître en
quelque sorte un droit de regard à l’étranger, mais il n’y attacha
pas d’importance sur le moment. L’autre l’avait pourtant com-
pris comme il n’aurait justement pas fallu, car il lui dit :
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dans cette pièce encombrée de meubles, de dentelles, de porce-
laines et de photographies, un peu plus d’espace que
d’ordinaire, mais on ne s’en rendait pas compte en entrant, et
d’autant moins que la principale modification consistait dans la
présence d’un homme assis près de la fenêtre ouverte et armé
d’un livre dont il détacha son regard en voyant entrer Joseph K.
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entendu en dehors de Franz qui vous traite lui-même sur un
pied d’amitié contraire à tous les règlements. Si vous continuez
à avoir par la suite autant de chance qu’avec vos gardiens, vous
pouvez avoir bon espoir. »
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vait même pas réfléchir ; le ventre du second inspecteur – ce ne
pouvaient être évidemment que des inspecteurs – s’aplatissait à
chaque instant sur lui de la façon la plus cordiale, mais lorsqu’il
levait les yeux, il découvrait une tête sèche et osseuse, armée
d’un grand nez déjeté, qui n’allait pas sur ce gros corps et qui se
concertait comme une personne à part avec le second inspec-
teur. Quels hommes étaient-ce donc là ? De quoi parlaient-ils ?
À quel service appartenaient-ils ? K. vivait pourtant dans un
État constitutionnel. La paix régnait partout ! Les lois étaient
respectées ! Qui osait là lui tomber dessus dans sa maison ? Il
avait toujours tendance à prendre les choses légèrement, à ne
croire au pire que quand il arrivait et à ne pas s’armer de pré-
cautions pour l’avenir, même alors que tout menaçait ; mais,
dans le cas qui se présentait, cette attitude lui sembla déplacée ;
sans doute cette scène n’était-elle qu’une plaisanterie, une gros-
sière plaisanterie, que ses collègues de la banque avaient orga-
nisée à son intention pour des raisons qu’il ignorait – peut-être
parce que c’était le jour de son trentième anniversaire – c’était
possible, évidemment ; peut-être n’aurait-il qu’à éclater de rire
pour que ses gardiens en fissent autant ; peut-être bien ces fa-
meux inspecteurs n’étaient-ils que les commissionnaires du
coin ; en tout cas ils leur ressemblaient ; et cependant, depuis
l’instant où il avait aperçu Franz, K. était décidé à ne pas aban-
donner le moindre atout qu’il pût avoir contre ces hommes. Si
l’on disait plus tard qu’il n’avait pas compris la plaisanterie, tant
pis, ce n’était pas un gros danger ; sans être de ces gens à qui
l’expérience profite toujours, il se rappelait avoir été puni par
les événements, de s’être sciemment conduit avec imprudence
dans certains cas, au contraire de ses amis. Cela ne se reprodui-
rait pas, tout au moins cette fois-ci. S’il s’agissait d’une comédie,
il allait la jouer lui aussi.
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« Il semble raisonnable », entendit-il dire derrière lui.
« Entrez donc ! »
– Elle n’en a pas le droit, dit le plus grand des deux gar-
diens. Vous savez bien que vous êtes arrêté.
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– Vous serez bien obligés d’y répondre, dit K. Voici mes
papiers d’identité ; maintenant, montrez-moi les vôtres et
faites-moi voir, surtout, votre mandat d’arrêt.
– Mon Dieu ! mon Dieu ! dit le gardien, que vous êtes long
à entendre raison ! On dirait que vous ne cherchez qu’à nous
irriter inutilement, nous qui, pourtant, sommes sans doute en
ce moment les gens qui vous veulent le plus de bien.
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expédier, nous autres gardiens. Voilà la loi, où y aurait-il là une
erreur ?
K. ne répondit plus.
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Il fit un instant les cent pas dans l’espace libre de la pièce et
vit la vieille femme d’en face qui avait traîné jusqu’à la fenêtre
un vieillard plus vieux qu’elle encore qu’elle tenait par la taille.
Là, il se jeta sur son lit et prit sur la table de toilette une
belle pomme qu’il avait mise de côté la veille pour son petit dé-
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jeuner. Il ne lui en restait pas d’autres, mais celui-ci, comme il
s’en convainquit au premier coup de dent, valait beaucoup
mieux que le breuvage que la faveur de ses gardiens aurait pu
lui faire venir de quelque sale café de nuit. Il se sentait dispos et
confiant ; à sa banque évidemment il ratait sa matinée, mais,
étant donné le poste relativement supérieur qu’il occupait, on
l’excuserait facilement. Devrait-il invoquer sa véritable excuse ?
Il songeait à le faire. Si on ne voulait pas le croire, ce qui était
assez naturel, il pourrait prendre comme témoins Mme Grubach
ou les deux vieillards qui venaient maintenant de se mettre en
marche pour se poster à la fenêtre en face de sa chambre. En se
plaçant au point de vue de ses gardiens, K. restait étonné qu’on
le renvoyât et qu’on le laissât seul dans sa chambre où il avait
tant de facilités de se tuer. Mais, en même temps, il se deman-
dait, en se plaçant à son propre point de vue, quelle raison il
pourrait bien avoir de le faire. Ce ne pouvait tout de même pas
être parce que ces deux hommes mangeaient son déjeuner dans
la pièce voisine ! Il eût été si insensé de se suicider que, même
s’il avait voulu le faire, il l’eût trouvé tellement stupide qu’il n’y
serait jamais parvenu. Si ces gardiens n’avaient pas été des gens
aussi visiblement bornés, on eût pu penser que c’était pour la
même raison qu’ils ne voyaient pas de danger à le laisser seul.
Ils pouvaient bien le regarder, si cela leur faisait plaisir ! Ils le
verraient aller chercher un bon vieux schnaps qu’il conservait
au fond de son petit placard, vider un verre pour remplacer son
déjeuner et un second pour se donner du courage, mais par
prudence seulement, pour prévoir l’improbable cas où ce cou-
rage serait nécessaire.
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Quant à l’ordre lui-même, il lui faisait plaisir ; il répondit « en-
fin ! » sur un ton de soulagement, ferma à clef le petit placard et
se hâta d’aller dans la pièce voisine. Il trouva là les deux inspec-
teurs qui le chassèrent et le renvoyèrent immédiatement dans sa
chambre comme si ç’eût été tout naturel.
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– Si cela doit accélérer les choses, je le veux bien », déclara
K., et il ouvrit lui-même l’armoire, chercha longtemps parmi
tous les habits, choisit son plus beau costume noir, une jaquette
dont la coupe cintrée avait presque fait sensation parmi ses
connaissances, sortit aussi une chemise propre et commença à
s’habiller soigneusement. Il pensait même, dans son for inté-
rieur, qu’il avait accéléré les choses en faisant oublier aux ins-
pecteurs de l’obliger à prendre un bain. Il les observa pour sa-
voir s’ils n’allaient pas lui rappeler d’avoir à le faire, mais ils n’y
songèrent naturellement pas ; en revanche, Willem n’oublia pas
d’envoyer Franz au brigadier pour annoncer que K. s’habillait.
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K. inclina la tête.
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gens de la pension en fussent, et vous aussi ; cela dépasserait les
limites d’une plaisanterie. Je ne veux donc pas dire que c’en soit
une.
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bonne que vous produisez par ailleurs. Ayez aussi plus de rete-
nue dans vos discours ; quand vous n’auriez dit que quelques
mots, votre attitude aurait suffi à faire comprendre presque tout
ce que vous venez d’expliquer et qui ne plaide d’ailleurs pas en
votre faveur. »
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– Mais si, lui dit le brigadier en montrant de la main le ves-
tibule où se trouvait le téléphone, téléphonez, je vous en prie.
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tude, mon affaire a l’air terminée. Je suis d’avis que le mieux est
de ne pas réfléchir au bien ou au mal fondé de votre procédé et
de mettre gentiment fin à cette histoire en nous serrant récipro-
quement la main. Si vous êtes du même avis, voilà. »
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– C’est bien cela, dit le brigadier, qui était déjà près de la
porte, vous ne m’avez pas bien compris ! Vous êtes arrêté, cer-
tainement, mais cela ne vous empêche pas de vaquer à votre
métier. Personne ne vous interdira de mener votre existence
ordinaire.
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Mlle Bürstner, étaient effectivement des employés de sa banque,
non pas des collègues, c’était trop dire – il y avait déjà là une
lacune dans l’omniscience du brigadier – mais c’étaient bien en
vérité des employés subalternes de la banque. Comment cela
avait-il pu lui échapper ? Avait-il fallu que son attention fût ac-
caparée par le brigadier et les inspecteurs pour qu’il ne reconnût
pas ces trois jeunes gens ! Il y avait là le raide Rabensteiner qui
agitait constamment les mains, le blond Kullisch aux orbites
creuses, et Kaminer qui, affligé d’un tic nerveux, souriait tou-
jours intolérablement.
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lorsque Kullisch montra soudain le portail de la maison d’en
face, où venait d’apparaître le grand homme au bouc blond ; un
peu gêné dans le premier instant de se montrer dans toute sa
longueur, cet homme eut un brusque recul et s’appuya contre le
mur. Les vieux devaient se trouver encore dans l’escalier. K. en
voulut à Kullisch d’attirer ainsi son attention sur cet individu
qu’il avait déjà aperçu et à l’apparition duquel il s’était même
attendu.
***
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heures ordinairement à une table réservée en compagnie de
messieurs âgés. Mais il y avait des exceptions à ce programme :
le directeur de la banque, qui appréciait beaucoup son travail et
son sérieux, l’invitait parfois à venir se promener en auto ou à
dîner dans sa villa. De plus, K. se rendait une fois par semaine
chez une jeune fille du nom d’Elsa, qui était serveuse toute la
nuit dans un café et ne recevait, le jour, ses visites que de son lit.
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– Je suis le fils du concierge, monsieur, répondit le garçon
qui s’effaça en retirant sa pipe de sa bouche.
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« Il y a tant de travail ! fit-elle ; dans la journée j’appartiens
à mes locataires ; si je veux mettre mes affaires en ordre, il ne
me reste que le soir.
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ne suis que votre propriétaire. J’ai donc entendu quelques pe-
tites choses, mais rien de bien grave, on ne peut pas dire. Je sais
bien que vous êtes arrêté, mais ce n’est pas comme on arrête les
voleurs. Quand on est arrêté comme un voleur, c’est grave, tan-
dis que votre arrestation… elle me fait l’impression de quelque
chose de savant – excusez-moi si je dis des bêtises – elle me fait
l’impression de quelque chose de savant que je ne comprends
pas, c’est vrai, mais qu’on n’est pas non plus obligé de com-
prendre.
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Mme Grubach. Comme il s’était levé, elle se leva aussi, un peu
gênée, car elle n’avait pas compris tout ce que K. lui avait expli-
qué. Et cette gêne lui fit dire une chose qu’elle n’aurait pas voulu
et qui venait au mauvais moment :
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de très bonne heure, et tout est de nouveau en place, voyez
vous-même. »
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êtes visiblement méprise sur le sens de ma réflexion au sujet de
cette demoiselle. Je ne voulais pas dire ce que vous avez pensé ;
je vous conseille même franchement de ne pas lui parler du
tout ; je la connais très bien ; il n’y a rien de vrai dans ce que
vous disiez. Mais peut-être vais-je trop loin, je ne veux vous em-
pêcher de rien faire, dites-lui ce que vous voudrez.
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voir identifier du premier coup ceux qui rentreraient. Il resta là
à fumer un cigare jusque vers onze heures. Puis, n’y tenant plus,
il alla se promener un peu dans le vestibule comme s’il pouvait
hâter par là l’arrivée de Mlle Bürstner. Il n’avait pas grand be-
soin d’elle et ne pouvait même pas se la rappeler très bien, mais
il avait décidé de lui parler et il s’impatientait de voir qu’elle dé-
rangeait par son retard la régularité de sa journée. C’était aussi
la faute de Mlle Bürstner s’il n’avait pas dîné ce soir-là et s’il
n’était pas allé voir Elsa dans la journée comme il se l’était pro-
mis. À vrai dire, pour rattraper le dîner et la visite, il n’aurait
qu’à se rendre au café où Elsa était employée. C’était ce qu’il
ferait dès qu’il aurait parlé à Mlle Bürstner.
« Mademoiselle Bürstner. »
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– C’est moi, dit K. en s’avançant.
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« Que me vouliez-vous donc ? dit-elle. Je suis vraiment cu-
rieuse de l’apprendre. »
– Non, dit K.
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vous me demandez, je vous l’accorde bien volontiers, et d’autant
plus facilement que je ne peux pas trouver trace de désordre. »
Elle posa les mains à plat sur ses hanches et fit une ronde
autour de la pièce. Parvenue à la petite natte à laquelle étaient
accrochées les photographies, elle s’arrêta.
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– Si, dit K., vous me croyez donc innocent ?
– 35 –
– J’en parle sérieusement, dit K., ou tout au moins avec le
demi-sérieux que vous y mettez vous-même. L’affaire est trop
peu importante pour que j’aie recours à un avocat, mais un con-
seil ne pourrait pas me faire de mal.
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« C’est bien trop général, dit-elle.
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« Il faut que vous vous représentiez exactement la position
des acteurs ; c’est une chose très intéressante. Moi je représente
le brigadier, là-bas deux inspecteurs sont assis sur le bahut et
les trois jeunes gens se tiennent debout en face des photogra-
phies. À l’espagnolette de la fenêtre une blouse blanche que je
ne mentionne que pour mémoire ; et alors maintenant ça com-
mence. Ah ! j’allais m’oublier, moi qui représente pourtant le
personnage le plus important ! Je me tiens donc debout, ici, en
face de la table de nuit. Le brigadier est assis le plus conforta-
blement du monde, les jambes croisées, le bras pendant comme
je vous le fais voir derrière le dossier de sa chaise…, un gros pi-
gnouf, pour dire son nom. Et alors ça commence réellement. Le
brigadier appelle comme s’il avait à me réveiller, il pousse un
véritable cri, il faut malheureusement pour vous le faire com-
prendre que je me mette à crier moi aussi ; ce n’est d’ailleurs
que mon nom qu’il crie de cette façon. »
Mlle Bürstner, qui écoutait en riant, mit bien son index sur
sa bouche pour empêcher K. de crier, mais il était déjà trop
tard ; K. était trop bien entré dans la peau de son personnage ; il
cria lentement : « Joseph K. » moins fort d’ailleurs qu’il n’avait
menacé de le faire, mais suffisamment cependant pour que le cri
une fois lancé semblât ne se répandre que petit à petit dans la
chambre.
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« Ne craignez rien, chuchota-t-il, ne craignez rien,
j’arrangerai tout. Mais qui cela peut-il bien être ? Il n’y a ici que
le salon et personne n’y couche.
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et elle le croira sans m’ôter sa confiance tant cette femme m’est
attachée. »
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Il la reprit par le poignet. Cette fois-ci elle le laissa faire et
le ramena jusqu’à la sortie. Il était fermement décidé à partir.
Mais, parvenu devant la porte, il eut un recul comme s’il ne
s’était pas attendu à la trouver là ; Mlle Bürstner profita de cet
instant pour se libérer, ouvrir et se glisser dans le vestibule d’où
elle lui chuchota :
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CHAPITRE II
PREMIER INTERROGATOIRE.
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l’appareil quand il entendit derrière lui la voix du directeur ad-
joint qui aurait voulu téléphoner, mais auquel il barrait le che-
min.
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La communication fut assez longue, mais K., distrait, resta
tout le temps près de l’appareil. Ce ne fut qu’en voyant le direc-
teur adjoint raccrocher qu’il sursauta et dit, pour excuser un peu
son inutile présence :
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vait une répulsion à employer dans son affaire le secours de qui
que ce fût ; il ne voulait avoir recours à personne pour être sûr
de ne mettre personne dans le secret ; enfin, il n’avait pas la
moindre envie de s’humilier devant la commission d’enquête
par un excès de ponctualité.
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plus de neuf heures. La maison était assez loin, elle avait une
façade extraordinairement longue et une porte de formidables
dimensions qui devait avoir été percée pour le charroi des mar-
chandises des divers dépôts qui entouraient la grande cour,
portes fermées et dont certains s’ornaient de noms de firmes
que K. connaissait par la banque. À l’encontre de ses habitudes
il s’occupa minutieusement de ces détails et s’arrêta même un
instant à l’entrée de la cour. Près de lui, assis sur une caisse, un
homme pieds nus lisait le journal. Deux jeunes garçons se ba-
lançaient aux deux bouts d’une voiture à bras. Devant une
pompe une grêle fillette en camisole se tenait debout et regar-
dait K. pendant que sa cruche s’emplissait. Dans un coin, entre
deux fenêtres, on pendait du linge sur une corde ; un homme,
au-dessous, dirigeait le travail en lançant des indications.
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Il dut même attendre un moment qu’une boule de jeu de
quille eût achevé son chemin ; deux gamins qui avaient déjà de
mauvaises têtes de rôdeurs adultes l’y obligèrent en le mainte-
nant par le pantalon ; s’il les avait secoués il leur aurait fait du
mal et il redoutait leurs cris.
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Bien des gens pensaient qu’il devait tenir beaucoup à trou-
ver ce menuisier Lanz ; ils réfléchissaient longuement et finis-
saient par nommer un menuisier, mais qui ne s’appelait pas
Lanz, ou par dire un nom qui présentait avec celui de Lanz une
lointaine ressemblance, ou encore ils allaient interroger le voi-
sin, ou bien ils accompagnaient K. jusqu’à la porte de quelque
appartement impossible où il pouvait y avoir à leur avis
quelqu’un qui répondît au nom qu’on leur disait ou un monsieur
qui saurait mieux renseigner K. Finalement, K. n’eut presque
plus à interroger lui-même ; on le mena à peu près partout. Il en
faillit déplorer sa méthode qui lui avait d’abord paru si pratique.
Au cinquième étage, il décida de renoncer à ses recherches, prit
congé d’un jeune ouvrier qui voulait très aimablement le mener
un peu plus haut, et redescendit. Mais, dépité alors par
l’inutilité de son entreprise, il finit tout de même par remonter
et frappa à une porte du cinquième. La première chose qu’il vit
dans la petite pièce fut une grande horloge qui marquait déjà
dix heures.
K. crut qu’il avait mis les pieds dans une réunion publique.
Une foule de gens des plus divers emplissait une pièce à deux
fenêtres autour de laquelle courait à faible distance du plafond
une galerie bondée de monde et où les spectateurs ne pouvaient
se tenir que courbés, la tête et le dos butant le plafond. Nul ne
s’inquiéta de son entrée.
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« Je vous avais demandé un certain Lanz qui est menuisier
de son état.
– C’est fort raisonnable, dit K., mais la pièce est déjà trop
pleine. »
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bord de cette estrade, un petit homme gras et essoufflé était as-
sis, en train de parler, au milieu de rires bruyants, avec un
homme qui se tenait debout derrière lui, les jambes croisées et
les coudes appuyés sur le dossier de la chaise de son interlocu-
teur. Il agitait parfois les bras en l’air comme pour caricaturer
quelqu’un ; le jeune homme qui conduisait K. eut peine à exécu-
ter sa mission. Il avait déjà cherché par deux fois, en se levant
sur la pointe des pieds, à annoncer son visiteur sans parvenir à
se faire voir du petit homme. Ce ne fut que quand l’une des per-
sonnes de l’estrade eut attiré son attention sur le garçon que le
petit homme se retourna et écouta en se penchant la communi-
cation que l’autre lui chuchota. Puis il sortit sa montre et jeta un
bref regard sur K.
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« Que je sois venu trop tard ou non, maintenant je suis
ici. »
– 51 –
« Voyons donc, dit le juge d’instruction en tournant les
pages du registre et en s’adressant à K. sur le ton d’une consta-
tation, vous êtes peintre en bâtiment ?
– 52 –
seul qu’on peut se résoudre à leur accorder quelque attention.
Je ne dis pas qu’ils représentent un sabotage de la justice, mais
j’aimerais vous avoir fourni cette expression pour qu’elle vous
vînt à vous-même en y songeant. »
– 53 –
« Voilà les documents de M. le Juge d’instruction, dit K. en
laissant retomber le registre sur la table. Continuez à les éplu-
cher, monsieur le Juge d’instruction, je ne redoute pas ces
feuilles accusatrices, bien qu’elles soient hors de ma portée, car
je ne puis que les effleurer du bout des doigts. »
– 54 –
tribua non plus aucune importance, mais il en fut tout de même
encouragé, il n’estimait plus nécessaire que tout le monde
l’applaudît ; il suffisait que la plupart des gens fussent poussés à
la réflexion et qu’il en persuadât quelqu’un de temps à autre.
– 55 –
il avait amené dans la chambre de cette dame trois employés
subalternes de ma banque qui passèrent leur temps à tripoter et
à déranger ses photographies. La présence de ces employés
avait naturellement encore un autre but : ils étaient destinés,
tout comme ma logeuse et sa bonne, à répandre la nouvelle de
mon arrestation, à nuire à ma réputation et à ébranler ma situa-
tion à la banque. Rien de tout cela n’a réussi, si faiblement que
ce soit ; ma logeuse elle-même, une personne très simple – je
veux la nommer ici afin de lui rendre hommage, elle s’appelle
Mme Grubach – Mme Grubach elle-même a donc été assez rai-
sonnable pour reconnaître qu’une pareille arrestation n’a pas
plus d’importance qu’une attaque exécutée dans la rue par des
individus mal surveillés. Tout cela ne m’a causé, je le répète, que
des désagréments passagers, mais les conséquences n’auraient-
elles pas pu être pires ? »
– 56 –
s’entretenaient à voix basse, mais vivement. Les deux partis, qui
semblaient avoir été précédemment d’opinions si différentes, se
réunirent : quelques personnes se montraient K. du bout du
doigt ; d’autres faisaient voir le juge.
– 57 –
excitant que les bravos les plus ravis – n’en doutons pas, mes-
sieurs, derrière les manifestations de cette justice, derrière mon
arrestation par conséquent, pour parler de moi, et derrière
l’interrogatoire qu’on me fait subir aujourd’hui, se trouve une
grande organisation, une organisation qui non seulement oc-
cupe des inspecteurs vénaux, des brigadiers et des juges
d’instruction stupides, mais qui entretient encore des juges de
haut rang avec leur indispensable et nombreuse suite de valets,
de scribes, de gendarmes et autres auxiliaires, peut-être même
de bourreaux, je ne recule pas devant le mot. Et maintenant le
sens, messieurs, de cette grande organisation ? C’est de faire
arrêter des innocents et de leur intenter des procès sans raison
et, la plupart du temps aussi – comme dans mon cas – sans ré-
sultat. Comment, au milieu du non-sens de l’ensemble d’un tel
système, la vénalité des fonctionnaires n’éclaterait-elle pas ?
– 58 –
porte et la pressait contre son corps. Mais ce n’était pas elle qui
criait, c’était l’homme ; il avait la bouche grande ouverte et re-
gardait au plafond.
– 59 –
Vous êtes donc tous, à ce que je vois, des fonctionnaires de la
justice, vous êtes cette bande de vendus dont je parlais, vous
vous êtes réunis ici pour écouter et espionner, vous avez fait
semblant de former des partis pour me tromper ; si vous ap-
plaudissiez, c’était pour me sonder : vous vouliez savoir com-
ment il faut s’y prendre pour induire un innocent en tentation.
Eh bien ce n’était pas la peine : ou bien vous vous êtes amusés
de voir que quelqu’un attendait de vous la défense de
l’innocence ou bien… (« Laissez-moi ou je cogne ! » cria-t-il à
un vieillard tremblotant qui s’était trop approché de lui) ou bien
vous avez réellement appris quelque chose ; je vous félicite de
votre joli métier. »
– 60 –
pour discuter les événements comme une classe qui commente
un texte.
– 61 –
CHAPITRE III
– 62 –
« Puis-je regarder ces livres ? demanda K. non par curiosité
mais simplement pour pouvoir se dire qu’il n’était pas venu
complètement en vain.
– C’est sans doute ça, dit la femme qui n’avait pas très bien
compris.
– 63 –
– Faites-vous allusion, dit la femme, à l’incident par lequel
j’ai mis fin à votre discours de la dernière séance ?
– 64 –
elle au bout d’un moment en prenant la main de K. Pensez-vous
que vous réussirez à obtenir des améliorations ? »
– 65 –
était visiblement obscène, mais il avait été si maladroit qu’on ne
pouvait guère voir là qu’un homme et une femme assis avec une
raideur exagérée, qui semblaient sortir de l’image et n’arrivaient
à se regarder qu’avec effort par suite de l’inexactitude de la
perspective. K. n’en feuilleta pas davantage ; il se contenta
d’ouvrir le second livre à la page du titre ; il s’agissait là d’un
roman intitulé Tourments que Marguerite eut à souffrir de son
mari.
« Voilà donc, dit K., les livres de loi que l’on étudie ici ! Voi-
là les gens par qui je dois être jugé !
– 66 –
gens de justice, ce qui est facile à comprendre, et elle s’adresse
au premier venu en lui faisant compliment de ses yeux. »
Et il se leva sans mot dire, comme s’il avait pensé tout haut
et expliqué ainsi sa conduite à la femme.
– 67 –
vous blesser si vous voulez bien songer que l’issue du procès
m’est totalement indifférente et que je me moque d’être con-
damné, à supposer évidemment que le procès finisse un jour
réellement, ce qui me paraît fort douteux ; je crois plutôt que la
paresse, la négligence ou même la crainte des fonctionnaires de
la justice les a déjà amenés à cesser l’instruction ; sinon cela ne
tardera pas ; il est possible aussi qu’ils poursuivent l’affaire dans
l’espoir d’un gros pot-de-vin ; mais ils en seront pour leur peine,
je peux le dire d’ores et déjà, car je ne soudoierai personne.
Vous pourriez peut-être me rendre service en disant au juge
d’instruction, ou à tout autre personnage qui aime à répandre
les nouvelles importantes, que nul des tours de force que ces
messieurs emploient sans doute en abondance ne m’amènera
jamais à soudoyer quelqu’un. Ce serait peine absolument per-
due, vous le leur direz carrément. D’ailleurs, ils s’en sont peut-
être déjà aperçus tout seuls, et, même s’ils ne l’ont pas fait, je
n’attache pas tellement d’importance à ce qu’on l’apprenne
maintenant. Cela ne ferait que leur épargner du travail ; il est
vrai que j’éviterais ainsi quelques petits désagréments, mais je
ne demande pas mieux que d’essuyer ces légers ennuis pourvu
que je sache que les autres en subissent le contrecoup ; et je
veillerai à ce qu’il en soit ainsi. Connaissez-vous le juge
d’instruction ?
– 68 –
revenu entre-temps ; nous sommes allés chercher nos meubles
et nous avons réemménagé ; il est venu encore des voisins et
nous avons fait la causette à la lueur d’une bougie ; bref, nous
avons oublié le juge et nous sommes allés nous coucher. Tout à
coup, au milieu de la nuit, il devait être déjà très tard, je me ré-
veille et je vois le juge à côté de mon lit ! Il tenait sa main devant
la lampe pour empêcher la lumière de tomber sur mon mari ;
c’était une précaution inutile, car mon mari a un tel sommeil
que la lumière ne l’aurait jamais réveillé. J’étais si effrayée que
j’en aurais crié ; mais le juge d’instruction a été très aimable, il
m’a exhortée à la prudence, il m’a soufflé à l’oreille qu’il avait
écrit jusqu’alors, qu’il me rapportait la lampe et qu’il
n’oublierait jamais le spectacle que je lui avais offert dans mon
sommeil. Tout cela n’est que pour vous dire que le juge
d’instruction écrit vraiment beaucoup de rapports, surtout sur
vous, car c’est votre interrogatoire qui a fourni la matière prin-
cipale de la dernière séance de deux jours. Des rapports aussi
longs ne peuvent tout de même pas rester sans aucune impor-
tance ; vous voyez aussi, d’après cet incident, que le juge
d’instruction me fait la cour et que je peux avoir une grosse in-
fluence sur lui, surtout maintenant, les premiers temps, car il
n’a dû me remarquer que tout dernièrement. Il tient beaucoup à
moi, j’en ai eu d’autres preuves. Il m’a, en effet, envoyé hier, par
l’étudiant, qui est son confident et son collaborateur, une paire
de bas de soie pour que je nettoie la salle des séances ; mais ce
n’était qu’un prétexte, car ce travail entre déjà obligatoirement
dans les attributions de mon mari, on le paie pour cela. Ce sont
de très beaux bas, regardez – et elle relevait les jambes pour les
voir elle-même – ce sont de très beaux bas, trop même, ils ne
sont pas faits pour moi. »
– 69 –
K. leva lentement les yeux. Un jeune homme se tenait à la
porte de la salle ; il était petit, il avait les jambes tortes et il por-
tait toute sa barbe, une courte barbe rousse et rare dans laquelle
il promenait ses doigts à tout instant pour se donner de la digni-
té. K. le regarda curieusement ; c’était la première fois qu’il ren-
contrait pour ainsi dire humainement un étudiant spécialisé
dans cette science juridique qu’il ignorait complètement, un
homme qui parviendrait probablement un jour à une très haute
fonction. L’étudiant, lui, ne sembla pas s’inquiéter de K. le
moins du monde ; il fit un simple signe à la femme en sortant
une seconde un de ses doigts de sa barbe et alla se mettre à la
fenêtre ; la femme se pencha vers K. et lui souffla :
– 70 –
venger du juge d’instructions et de toute sa séquelle qu’en lui
enlevant cette femme et en la prenant pour son compte. Il se
pourrait alors qu’un jour, après avoir longuement travaillé à des
rapports menteurs sur K., le juge d’instruction, au beau milieu
de la nuit, trouvât le lit de la femme vide. Et vide parce qu’elle
appartiendrait à K., parce que cette femme, qui se tenait à la
fenêtre en ce moment, ce grand corps souple et chaud, vêtu d’un
vêtement noir d’une étoffe lourde et grossière, n’appartiendrait
absolument qu’à lui.
– 71 –
« Je suis impatient, c’est exact, mais la meilleure façon de
calmer cette impatience sera que vous nous laissiez là. Si vous
êtes venu pour étudier ici – car on m’a dit que vous êtes étu-
diant – je ne demande pas mieux que de vous laisser la place et
de m’en aller avec cette femme. Il faudra que vous étudiiez
d’ailleurs encore pas mal de temps avant de devenir juge ; je ne
connais pas très bien votre justice, mais je pense qu’elle ne se
contente pas des discours insolents dans lesquels vous vous
montrez si fort.
Et, enlevant son amie sur un bras avec une force qu’on ne
lui aurait jamais supposée, il se dirigea, le dos baissé, vers la
porte, en jetant de temps à autre un regard de tendresse sur son
fardeau. Cette fuite marquait indéniablement une certaine
crainte de K. et cependant il eut l’audace de chercher encore à
l’exciter en caressant et pressant le bras de la femme de sa main
libre. K. fit quelques pas à ses côtés, prêt à le saisir et, s’il fallait,
à l’étrangler, mais la laveuse lui dit alors :
– 72 –
– Et vous ne voulez pas qu’on vous délivre ? s’écria K. en
posant sur l’épaule de l’étudiant une main que l’autre chercha à
mordre.
– 73 –
affaibli par sa course. La femme lança à K. un bonjour de la
main et chercha à lui montrer en haussant les épaules à plu-
sieurs reprises qu’elle n’était pas responsable de cet enlèvement,
mais ce mouvement ne trahissait pas grand regret. K. la regarda
sans expression, comme une femme qu’il n’eût pas connue : il
ne voulait ni se montrer déçu ni faire voir qu’il pouvait surmon-
ter facilement sa déception.
– 74 –
fices accessoires des pots-de-vin et il ne pouvait pas se faire ser-
vir par son groom une femme dans son bureau. Mais il y renon-
çait volontiers, tout au moins pour cette vie.
– 75 –
C’est que son chemin n’est pas si long, il n’a que l’escalier du
grenier à descendre. Si j’étais moins esclave, il y a longtemps
que je l’aurais écrasé contre ce mur, ici, à côté de la pancarte.
J’en rêve tout le temps… Ici, là, au-dessus du plancher, le voilà
aplati, cloué, les bras en croix, les doigts écarquillés, les jambes
tordues en rond, et des éclaboussures de sang tout autour. Mais
jusqu’ici c’est resté un rêve.
– 76 –
– Mais parce que vous êtes accusé ! répondit l’huissier.
– 77 –
– Je n’ai rien à faire là-bas, dit K.
– 78 –
nomie, leur tenue, la coupe de leur barbe et mille impondé-
rables, appartinssent aux meilleures classes de la société.
Comme il n’y avait pas de portemanteaux, ils avaient déposé
leurs chapeaux sous les bancs, chacun suivant sans doute en
cela l’exemple des prédécesseurs. En voyant venir K. et
l’huissier, ceux qui étaient le plus près de la porte se levèrent
pour les saluer, ce que voyant les autres se crurent tenus aussi
d’en faire autant, de sorte que tout le monde se leva au passage
de ces deux messieurs. Personne d’ailleurs ne se redressait
complètement, les dos restaient courbés et les genoux pliés : on
aurait cru à des mendiants de coin de rue. K. attendit l’huissier
qu’il avait précédé et lui dit :
– Oui, dit l’huissier, ce sont des accusés ; tous les gens que
vous voyez là sont des accusés.
– 79 –
« Ce monsieur vous demande simplement ce que vous at-
tendez. Répondez donc ! »
– 80 –
ponse par crainte d’une nouvelle bévue, mais, devant le regard
impatient de K., il se contenta de dire :
– 81 –
compte par lui-même, salua et partit à petits pas rapides : c’était
sans doute la goutte qui rendait ses pas si brefs.
– Vous n’avez pas encore tout vu, dit l’huissier avec une dé-
sespérante candeur.
– 82 –
– Ne criez donc pas comme ça ! souffla l’huissier, c’est
plein de bureaux partout ; si vous ne voulez pas revenir tout
seul, accompagnez-moi encore un instant, ou bien attendez ici
que j’aie fait ma commission.
– 83 –
deux mains à la traverse et se balançait sur la pointe des pieds
comme un spectateur impatient. La jeune fille fut la première à
reconnaître que l’attitude de K. était causée par un malaise, elle
lui apporta un fauteuil et lui demanda :
– 84 –
K. ne répondit pas ; il était trop gêné de se sentir livré à ces
gens par cette soudaine faiblesse ; d’ailleurs, depuis qu’il savait
les causes de son mal, loin d’aller mieux, il se sentait un peu
plus faible. La jeune fille s’en aperçut immédiatement ; pour
soulager un peu le malade elle prit un harpon posé contre le
mur et ouvrit juste au-dessus de K. une lucarne qui donnait en
plein ciel. Mais il en tomba tant de suie qu’elle la referma im-
médiatement et dut essuyer de son mouchoir les mains de K.,
trop fatigué pour le faire lui-même ; il serait volontiers resté
tranquillement assis jusqu’à ce qu’il eût repris assez de forces
pour repartir, mais il n’y pourrait réussir que si on ne
s’inquiétait pas de lui. Et voilà que pour comble la jeune fille
déclara :
– 85 –
Et il se rassit en soupirant. Il se rappela l’huissier qui aurait
pu le reconduire si facilement, mais l’huissier devait être parti
depuis longtemps, car K. avait beau regarder entre l’homme et
la jeune fille qui se tenaient devant lui, il n’arrivait pas à le trou-
ver.
– 86 –
La jeune fille sourit aussi, mais donna une petite tape sur le
bras de l’homme comme s’il était allé trop loin.
– 87 –
– Et voilà, dit ironiquement le préposé aux renseigne-
ments ; mais je ne vois pas, mademoiselle, pourquoi vous
éprouvez le besoin de raconter tous nos secrets à ce monsieur,
ou plutôt de les lui imposer, car il ne tient pas le moins du
monde à les apprendre ; voyez-le donc, il est tout absorbé par
ses propres affaires. »
– 88 –
cœur dur ; il n’est pas chargé de reconduire jusqu’à la porte les
inculpés qui se trouvent mal, et il le fait cependant volontiers ;
peut-être personne de chez nous n’a-t-il le cœur dur ; nous se-
rions peut-être disposés à rendre service à tout le monde, mais,
comme employés de la justice, nous faisons souvent l’effet d’être
mauvais et de ne vouloir aider personne ; c’est une chose qui me
fait littéralement souffrir.
– 89 –
– Hein ! Sait-il parler au public ? » souffla la jeune fille à K.
– 90 –
« Il veut s’en aller à tout prix, et puis, quand on lui dit que
la sortie est là, on a beau le lui répéter cent fois, il ne remue pas
plus qu’une souche. »
– 91 –
CHAPITRE IV
– 92 –
mande, et elle s’appelait Montag – être fragile, pâle et légère-
ment boiteux, qui avait habité jusque-là dans une chambre à
part, déménageait pour venir loger avec Mlle Bürstner ; elle rô-
da pendant des heures dans le vestibule ; il lui restait toujours
quelque livre oublié à aller chercher dans son ancienne chambre
et à porter dans son nouvel appartement.
– 93 –
K. ses mains jointes, vous avez pris dernièrement si tragique-
ment une remarque de rien du tout ! J’étais bien éloignée de
songer à vous blesser ni vous ni qui que ce fût ; vous me con-
naissez depuis assez longtemps, monsieur K., pour pouvoir en
être convaincu ! Vous ne pouvez pas savoir ce que j’ai souffert
ces jours derniers. Eh quoi ! c’est moi qui irais calomnier mes
locataires ! Et vous, monsieur K., vous le croyiez et vous disiez
qu’il fallait vous donner congé ! vous donner congé ! »
– 94 –
– C’est justement ça, monsieur K., dit Mme Grubach, car
elle avait le malheur de dire toujours ce qu’il ne fallait pas dès
que la contrainte l’abandonnait. Je ne cessais de me demander :
Pourquoi M. K. s’occupe-t-il tant de Mlle Bürstner ? Pourquoi se
dispute-t-il avec moi alors qu’il sait que de sa part le moindre
mot peut m’empêcher de dormir ? Je n’ai rien dit de la demoi-
selle que ce que j’avais vu de mes yeux. »
– 95 –
peux pas supporter ces pérégrinations de Mlle Montag ! Allons,
bon ! la voilà qui retourne encore ! »
– Eh bien, alors, dit K., il faut bien qu’elle y porte ses af-
faires ! »
– 96 –
de Mlle Montag, il lui répondit seulement en la priant
d’emporter la vaisselle du déjeuner.
– 97 –
– Oui, répondit Mlle Montag, mais je ne pense pas que
vous vous occupiez beaucoup de la pension.
– Non, dit K.
– 98 –
réflexion, je puis parler ouvertement ; vous avez demandé, ver-
balement ou par écrit, un entretien à mon amie. Or, elle connaît
– c’est du moins ce que je suis amenée à supposer – elle connaît
déjà le sujet de cet entretien, et elle est convaincue, pour des
raisons que j’ignore, qu’il ne pourrait servir à rien. D’ailleurs,
elle ne m’en a parlé qu’hier et d’une façon très superficielle, di-
sant que vous ne deviez pas attacher non plus beaucoup
d’importance à cette entrevue – car vous n’en aviez eu l’idée que
par hasard – et que vous reconnaîtriez vous-même bientôt, si
vous ne l’aviez déjà fait, l’inutilité de tout cela sans explication
particulière ; je lui répondis que c’était peut-être juste, mais que
je trouverais préférable, pour la netteté de la situation, qu’elle
vous répondit clairement. Je m’offris à le faire pour elle et mon
amie accepta après quelque hésitation. J’espère avoir agi dans le
sens qu’elle désirait elle-même, car la moindre incertitude est
toujours pénible, même dans les plus petites choses, et, quand
on peut l’éviter facilement, comme c’est le cas, il vaut mieux le
faire immédiatement.
– 99 –
avec lui ; ce baisemain avait associé à ses yeux la jeune fille à un
groupe de conjurés qui, tout en se donnant l’apparence la plus
inoffensive et la plus désintéressée, travaillait secrètement à le
tenir éloigné de Mlle Bürstner. Ce ne fut pas la seule chose que
K. crut voir ; il s’aperçut aussi que Mlle Montag avait choisi un
bon moyen quoiqu’il présentât deux tranchants ; elle
s’arrangeait pour exagérer l’importance des relations entre K. et
Mlle Bürstner, et surtout l’importance de l’entretien demandé,
et tournait la chose de telle sorte que ce fût K. qui parût tout
exagérer ; il fallait lui montrer qu’elle faisait fausse route ; K. ne
voulait rien exagérer, il savait que Mlle Bürstner était une petite
dactylo qui ne lui résisterait pas longtemps. Encore ne faisait-il
intentionnellement pas entrer en ligne de compte ce qu’il avait
appris d’elle par Mme Grubach. Ce fut en réfléchissant à tout
cela qu’il quitta la pièce sur un imperceptible salut ; il voulait
retourner tout de suite dans sa chambre, mais un petit rire de
Mlle Montag lui fit penser qu’il pourrait peut-être lui ménager
une surprise ainsi qu’au capitaine Lanz. Il regarda autour de lui,
l’œil et l’oreille au guet, épiant le bruit qui risquerait de présager
un dérangement. Mais le calme régnait partout. On n’entendait
que la conversation qui venait de la salle à manger et la voix de
Mme Grubach dans le couloir de la cuisine. L’occasion semblait
favorable, K. alla frapper à la porte de Mlle Bürstner ; comme
rien ne bougeait, il frappa de nouveau, mais cette fois non plus,
nulle réponse. Dormait-elle ou était-elle vraiment fatiguée ? Ou
bien ne camouflait-elle sa présence que parce qu’elle pressentait
que ce ne pouvait être que K. qui frappait aussi doucement. K.
pensa qu’elle faisait semblant d’être absente ; il recommença
plus fort, et, voyant que son toc-toc n’avait aucun résultat, ou-
vrit finalement la porte avec prudence, non sans éprouver le
sentiment de commettre une faute, et, qui pis est, une faute inu-
tile. Il n’y avait personne dans la chambre ; elle ne rappelait
d’ailleurs guère celle que K. avait connue. Maintenant, il y avait
deux lits le long du mur ; près de la porte, on voyait trois chaises
surchargées de linge et d’habits ; une armoire était grande ou-
verte. Mlle Bürstner avait dû partir pendant que Mlle Montag
– 100 –
entretenait K. dans la salle à manger ; il n’en fut pas trop décon-
certé, car il ne s’attendait guère à rencontrer la jeune fille ;
c’était par défi, pour braver Mlle Montag, qu’il avait fait cette
tentative ; il ne lui en fut que plus pénible d’apercevoir en re-
fermant, par la porte qui donnait sur la salle à manger,
Mlle Montag causant tranquillement avec le capitaine Lanz ; ils
étaient peut-être là depuis le moment où K. avait ouvert la
porte ; ils évitaient de se donner l’air d’observer, parlaient à voix
basse et ne suivaient ses mouvements que comme on le fait
dans une conversation en regardant distraitement autour de soi.
Mais ces regards pesaient terriblement à K., il regagna sa
chambre en hâte, en longeant le mur du couloir.
– 101 –
CHAPITRE V
LE BOURREAU.
L’un des hommes, qui avait l’air d’être le maître des deux
autres, et qu’on apercevait le premier, était vêtu d’une sorte de
combinaison de cuir sombre très décolletée qui laissait les bras
entièrement nus. Il ne répondit rien. Mais les deux autres criè-
rent :
– 102 –
« Maître ! nous devons être fouettés parce que tu t’es plaint
de nous au juge d’instruction. »
« Comment ! dit K., les yeux fixés sur eux, je ne me suis pas
plaint ; j’ai simplement exposé ce qui s’était passé chez moi, où
vous ne vous êtes évidemment pas conduits d’une façon irrépro-
chable.
– 103 –
– Ne te laisse pas émouvoir par ces discours, dit le troi-
sième à K., la punition est aussi juste qu’inévitable.
– 104 –
Et il dit à K. :
– 105 –
– Parfaitement, crièrent les inspecteurs, qui reçurent aussi-
tôt un coup sur leurs échines nues.
– Si tu tenais ici sous ton fouet l’un des magistrats, lui dit
K. – et il rabaissait tout en parlant la verge que l’autre relevait
déjà – je ne t’empêcherais sûrement pas de frapper, je te paie-
rais au contraire afin que tu prennes des forces pour le service
de la bonne cause.
– 106 –
nir d’un homme, mais d’une machine à souffrir, tout le corridor
en retentit, toute la maison dut l’entendre.
« C’est moi !
– 107 –
carrée et entourée de bureaux ; toutes les fenêtres étaient déjà
noires, les plus hautes attrapaient tout de même un reflet de
lune. K. cherchait à distinguer dans un coin ténébreux les voi-
tures à bras qui devaient se trouver là, empêtrées les unes dans
les autres. Il était tourmenté de n’avoir pu empêcher la correc-
tion des deux inspecteurs ; mais il n’y avait pas de sa faute ; si
Franz n’avait pas crié – les coups devaient faire grand mal, mais
dans un moment décisif il faut savoir se contenir – si donc
Franz n’avait pas crié, K. eût très vraisemblablement trouvé un
autre moyen de convaincre le bourreau. Si tous les employés
subalternes de cette justice étaient des fripouilles, pourquoi le
bourreau, celui qui avait de tous le service le plus inhumain,
aurait-il fait exception à la règle ? K. avait bien vu l’éclair de
convoitise qui était passé dans ses yeux à l’aspect des billets de
banque. Cet homme n’avait évidemment frappé que pour faire
augmenter le pot-de-vin, et K. n’aurait pas épargné, car il avait à
cœur de délivrer les inspecteurs. Puisqu’il avait déjà commencé
à lutter contre la corruption de la justice, il était tout naturel
qu’il le fit aussi dans ce cas.
– 108 –
regrettable qu’il eût porté un coup à Franz, son émotion pouvait
seule expliquer sa conduite.
« Maître ! Maître ! »
– 109 –
K. referma aussitôt la porte et tapa même à coups de poing
dessus comme si elle devait s’en trouver mieux fermée. Presque
pleurant, il se rendit dans la pièce où les domestiques travail-
laient tranquillement à la polycopie ; ils s’arrêtèrent étonnés
dans leur besogne.
– 110 –
CHAPITRE VI
L’ONCLE. – LENI.
– 111 –
K. renvoya aussitôt tous les domestiques en leur défendant
de laisser entrer qui que ce fût.
– 112 –
portefeuille – voilà l’endroit, elle m’écrit : « Il y a longtemps que
je n’ai pas vu Joseph ; la semaine dernière je suis allée le voir à
la banque, mais il était si occupé qu’on ne m’a pas laissée entrer.
J’ai attendu plus d’une heure, et puis j’ai été obligée de revenir à
la maison à cause de la leçon de piano. J’aurais bien aimé lui
parler, mais peut-être une occasion s’en présentera-t-elle bien-
tôt. Pour mon anniversaire, il m’a envoyé une grande boîte de
chocolat, c’était bien gentil de sa part. J’avais oublié de te
l’écrire la dernière fois, je ne m’en souviens que maintenant que
tu me le demandes. C’est que le chocolat disparaît tout de suite
à la pension, on n’a pas le temps de savoir qu’on l’a reçu qu’il est
déjà envolé. Mais en ce qui concerne Joseph, je voulais te dire
autre chose ; comme je te l’écrivais plus haut, je n’ai pas pu le
voir à la banque parce qu’il était en pourparlers avec un mon-
sieur. Après avoir attendu tranquillement j’ai demandé à un
domestique si l’entrevue devait durer encore longtemps ; il m’a
dit que cela se pourrait bien parce qu’il s’agissait sans doute du
procès qu’on avait intenté à M. le fondé de pouvoir. Je lui ai
demandé ce que c’était que ce procès et s’il ne se trompait pas et
que c’était bien un procès, et même grave, mais qu’il n’en savait
pas plus long. Il disait qu’il aurait bien voulu aider M. le fondé
de pouvoir qui était un homme bon et juste, mais qu’il ne savait
comment s’y prendre et qu’il souhaitait que des gens influents
s’en occupassent. Il pensait d’ailleurs que c’était ce qui se pro-
duirait sûrement et que tout prendrait une bonne fin, mais que
la situation n’avait pas l’air bien fameuse pour le moment à en
juger d’après l’humeur de M. le fondé de pouvoir. Naturelle-
ment, je n’ai pas ajouté beaucoup d’importance à ce discours et
j’ai cherché à rassurer cet homme naïf ; je lui ai défendu de par-
ler de cette histoire, je tiens tout cela pour cancan. Tout de
même il serait peut-être bon, cher papa, que tu t’en occupes à
ton prochain passage ; il te sera facile d’apprendre des détails et
d’intervenir, s’il y a lieu ; tu as des amis influents. Si ce n’était
pas nécessaire, ce qui me semble plus vraisemblable, cela pro-
curerait du moins à ta fille une occasion de t’embrasser qui lui
ferait le plus grand plaisir. »
– 113 –
« La brave enfant ! » dit l’oncle quand il eut fini de lire, et il
essuya quelques larmes.
– 114 –
jusqu’ici, tu ne dois pas devenir notre honte. Ton attitude – il
considérait K. en inclinant la tête de côté – ton attitude ne me
plaît pas ; ce n’est pas ainsi que se conduit un condamné inno-
cent quand il est encore en pleine force. Dis-moi vite de quoi il
s’agit afin que je puisse t’aider. C’est de la banque naturelle-
ment ?
– 115 –
son chef comme aussi à celle de l’oncle, qui lui tournait malheu-
reusement le dos à ce moment-là, occupé qu’il était à regarder
par la fenêtre dont il froissait les rideaux à pleines mains. La
porte était à peine refermée que l’oncle s’écria :
« Avant tout, cher oncle, dit K., il ne s’agit pas d’un procès
devant la justice ordinaire.
– 116 –
Ils se tenaient à ce moment-là sur l’escalier du perron, et,
comme le portier semblait prêter l’oreille, K. entraîna rapide-
ment l’oncle plus bas. Ils débouchèrent dans le trafic animé de
la rue. L’oncle, qui s’était accroché au bras de K., pressa moins
violemment son neveu de questions ; ils allèrent même un mo-
ment sans parler.
– 117 –
– Je pensais, dit K. en prenant son oncle sous le bras pour
l’empêcher de s’arrêter, que tu accorderais à cette histoire en-
core moins d’importance que moi ; mais je vois que tu la prends
encore plus mal.
– 118 –
– Il faut me laisser le temps de réfléchir, dit l’oncle, songe
qu’il y a vingt ans que j’ai quitté la ville, le flair s’émousse, on ne
sait plus à quelle porte on doit frapper. Les relations que
j’entretenais avec des personnalités qui auraient peut-être pu te
servir dans cette aventure se sont relâchées d’elles-mêmes. Je
suis un peu abandonné à la campagne, tu le sais, c’est dans des
occasions comme celle-ci qu’on le remarque. Ton affaire se pré-
sente à moi d’une façon bien inopinée, quoique la lettre d’Erna
m’y ait un peu préparé et que ton attitude présente confirme
presque mes pressentiments. Mais peu importe ; l’essentiel est
maintenant de ne pas perdre une minute. »
– 119 –
– Mais, voyons, dit l’oncle, c’est tout naturel ! Pourquoi
n’en prendrait-on pas ? Et maintenant raconte-moi tout ce qui
s’est passé jusqu’ici pour me mettre au courant de l’affaire. »
– 120 –
– Monsieur l’avocat est malade », chuchota quelqu’un der-
rière eux.
« Une autre fois, vous ouvrirez un peu plus tôt, dit l’oncle
avant de la saluer, tandis que la jeune fille faisait une petite
courbette. Viens, Joseph, dit-il ensuite à K.
– 121 –
« Joseph ! » cria encore l’oncle, puis il demanda à la jeune
fille : « C’est le cœur sans doute ?
– C’est possible, fit l’avocat à voix basse, mais il est pire que
tous les autres. J’ai peine à respirer, je ne dors pas et je perds
mes forces chaque jour.
– 122 –
compte, elle semblait regarder K. plutôt que l’oncle, même
quand celui-ci parlait d’elle.
– 123 –
étrangement avec les propos de l’oncle, tantôt hachés par la fu-
reur, tantôt d’un débit débordant :
« Tu peux tout dire devant Leni, fit le malade d’un ton sup-
pliant.
– 124 –
« De qui s’agit-il donc ? demande l’avocat d’une voix mou-
rante en se recouchant.
– 125 –
« Tu te méprends sur son compte », dit l’avocat sans la dé-
fendre davantage – peut-être pour marquer qu’elle n’en avait
pas besoin.
« Je ne comprends pas.
– 126 –
– Mais, dit K., d’où savez-vous donc quoi que ce soit de moi
et de mon procès ?
Et l’oncle déclara :
– 127 –
mais j’ai toujours à la justice de bons amis qui viennent me voir
et j’apprends tout de même les nouvelles. Peut-être plus vite que
bien des gens qui passent leur temps au tribunal. C’est ainsi que
j’ai là en ce moment une personne qui m’est très chère. »
– 128 –
de causer paisiblement, dans la mesure où ma faiblesse le per-
mettait. Nous n’avions pas défendu à Leni de laisser entrer les
visites, car nous n’en attendions aucune, nous pensions que
nous resterions seuls. C’est à ce moment, mon cher Albert, que
se sont produits tes coups de poing contre la porte, et M. le chef
de bureau s’est retiré dans un coin avec la chaise et la table ;
mais je m’aperçois que, si nous le désirons, nous avons un sujet
de conversation commun ; réunissons-nous donc à nouveau…
Monsieur le chef de bureau… ajouta-t-il en inclinant la tête avec
un sourire servile et en montrant un fauteuil près du lit.
– 129 –
geant à l’infirmière et à la brusquerie avec laquelle l’oncle l’avait
traitée, tantôt se demandant s’il n’avait pas déjà vu la tête du
chef de bureau. Peut-être était-ce au milieu du public de son
premier interrogatoire ? Peut-être aussi se trompait-il ; quoi
qu’il en fût, le chef de bureau aurait été admirablement fait pour
figurer parmi les vieux messieurs à barbe rare du premier rang
de l’auditoire.
Embarrassé, K. déclara :
« Entrez », dit-elle.
– 130 –
maintenant un petit rectangle de plancher devant les deux
grandes fenêtres, cette pièce était ornée de vieux meubles pe-
sants.
– 131 –
– Oh ! » dit-elle en souriant.
– 132 –
« Quel grade a-t-il ?
– Ce n’est pas par là que vous péchez, dit Leni. Ce que j’ai
entendu dire, c’est que vous êtes trop entêté.
– 133 –
– Vous avez l’air de bien connaître cette justice et les men-
songes qu’il y faut, dit K. en l’asseyant sur ses genoux car elle se
pressait trop fort contre lui.
– Non, dit K.
– Oh ! que si ! fit-elle.
– 134 –
elle servait ; sa robe volait en spirale autour d’elle, elle avait po-
sé ses mains sur ses hanches fermes et regardait de côté en
riant ; on ne pouvait pas voir sur l’image à qui elle riait ainsi.
– 135 –
– Un défaut physique ? demanda K.
– 136 –
Mais, à ce moment, son genou glissa, elle poussa un petit
cri et tomba presque sur le tapis. K. la saisit par la taille pour la
retenir, mais il fut entraîné dans sa chute.
– 137 –
congé, il me plaignait visiblement, mais sans rien pouvoir pour
m’aider ; il a attendu encore à la porte un bon moment avec une
incroyable amabilité, puis il est parti. Tu peux penser si ce dé-
part m’a soulagé, je ne pouvais plus respirer. L’avocat, qui est
malade, en a souffert encore plus, il ne pouvait plus parler, cet
excellent homme, quand je lui ai dit adieu. Tu as probablement
contribué à son complet effondrement, tu as précipité la mort
d’un homme qui était ton seul recours. Et moi, ton oncle, tu me
laisses attendre ici des heures en pleine pluie ; touche, je suis
complètement trempé. »
– 138 –
CHAPITRE VII
– 139 –
lieu de questionner, se lançait dans de longs discours ou bien
restait sans rien dire en face de lui en se penchant légèrement
sur sa table, sans doute à cause d’une certaine surdité, tiraillait
une mèche de sa barbe et regardait les dessins du tapis, à
l’endroit peut-être où K. avait roulé avec Leni. De temps à autre
il lui donnait quelques avertissements creux, comme on fait
avec les enfants. Discours aussi inutiles qu’ennuyeux que K. se
proposait de ne pas payer un centime au moment de l’addition.
Quand l’avocat pensait l’avoir suffisamment humilié, il se met-
tait en général à le remonter un peu. Il avait, disait-il, gagné en
tout ou en partie bien des procès de ce genre, qui, peut-être plus
limpides, n’en paraissaient cependant pas moins désespérés. Il
en avait la liste ici dans son tiroir – et il frappait n’importe où
sur la table – mais le secret professionnel l’empêchait malheu-
reusement de montrer les dossiers. La grande expérience qu’il
avait acquise au cours de tous ces débats n’en profiterait pas
moins à K. : il s’était mis évidemment à l’œuvre sur-le-champ et
il avait déjà dressé la première requête. Cette requête était très
importante, car tout le procès dépendait souvent de la première
impression produite par la défense. Par malheur – et il fallait
naturellement qu’il en avertît K. dès maintenant – il arrivait
souvent que ces premières requêtes ne fussent pas lues par le
tribunal. On les classait tout simplement en déclarant que
l’interrogatoire de l’accusé était provisoirement plus important
que tous les écrits possibles. On ajoutait, si le requérant insistait
trop, que sa demande serait lue en même temps que tous les
autres documents, avant le jugement définitif, quand le dossier
serait complet. Cela n’était, hélas ! pas toujours vrai, ajoutait
encore l’avocat, la première requête restait en général dans
quelque tiroir où on finissait par la perdre et, même dans le cas
où on la gardait jusqu’à la fin, on ne la lisait ordinairement pas,
comme l’avocat l’avait appris – quoique, à vrai dire, par des
bruits plus ou moins autorisés. Cette situation était regrettable,
mais non sans quelque motif. K. ne devait pas perdre de vue que
les débats n’étaient pas publics, qu’ils pouvaient le devenir si le
tribunal le jugeait nécessaire, mais que la loi ne prescrivait pas
– 140 –
cette publicité. Aussi les dossiers de la justice, et principalement
l’acte d’accusation, restaient-ils secrets pour l’accusé et son avo-
cat, ce qui empêchait en général de savoir à qui adresser la pre-
mière requête et ne permettait au fond à cette requête de four-
nir d’éléments utiles que dans le cas d’un hasard heureux. Les
requêtes vraiment utiles ne pouvaient se faire, ajoutait maître
Huld, que plus tard, au cours des interrogatoires, si les ques-
tions que l’on posait à l’inculpé permettaient de distinguer ou de
deviner les divers chefs d’accusation et les motifs sur lesquels ils
s’appuyaient. Naturellement, dans de telles conditions, la dé-
fense se trouvait placée dans une situation très défavorable et
très pénible, mais c’était intentionnel de la part du tribunal. La
défense n’est pas, en effet, disait encore maître Huld, expressé-
ment permise par la loi ; la loi la souffre seulement, et on se
demande même si le paragraphe du Code qui semble la tolérer
la tolère réellement. Aussi n’y a-t-il pas, à proprement parler,
d’avocat reconnu par le tribunal en cause, tous ceux qui se pré-
sentent devant lui comme défenseurs ne sont en réalité que des
avocats marrons. Évidemment ce fait était très déshonorant
pour toute la corporation ; K. n’aurait qu’à regarder la salle spé-
cialement réservée aux avocats quand il irait dans les bureaux
de la justice, il reculerait probablement d’effroi en voyant la so-
ciété qui s’y rassemblait ; le seul aspect du réduit qu’on leur
avait réservé dans le bâtiment montrait le mépris du tribunal
pour ces gens-là. La pièce ne recevait le jour que par une petite
lucarne, si haute que pour regarder de l’autre côté – en respi-
rant la fumée de la cheminée voisine et en se barbouillant le vi-
sage de suie – il fallait d’abord trouver un confrère qui vous fît
la courte échelle ; il y avait, de plus, depuis plus d’un an, dans le
plancher de cette pièce – pour ne donner qu’une idée de son
délabrement – un trou par lequel un homme ne pouvait peut-
être passer, mais suffisamment grand tout de même pour
qu’une jambe s’y enfournât complètement. Or, cette salle des
avocats se trouvait au deuxième étage du grenier ; si l’un de ces
messieurs s’enfonçait dans le trou, sa jambe pendait donc au
premier, et au beau milieu du couloir où attendaient les incul-
– 141 –
pés. Les avocats n’exagéraient donc pas en déclarant cette situa-
tion franchement honteuse. Nulle réclamation n’y faisait. Et il
leur était strictement interdit de rien modifier à leurs propres
frais ; la justice avait d’ailleurs ses raisons pour leur faire subir
ce traitement. Elle cherchait à éliminer le plus possible la dé-
fense ; elle voulait que l’accusé répondit lui-même de tout. Au
fond, ce point de vue n’était pas mauvais ; mais rien n’eût été
plus erroné que d’en conclure que les avocats fussent inutiles à
l’accusé devant ce tribunal. Bien au contraire, nulle part ils ne
pouvaient lui être plus utiles, car en général les débats n’étaient
pas seulement secrets pour le public, mais aussi pour l’accusé :
dans la mesure, naturellement, où le secret était possible, mais
il l’était précisément dans une très large mesure. L’accusé ne
possédait, en effet, nul droit de regard sur les dossiers et il était
très difficile de savoir d’après les interrogatoires ce qu’il pouvait
y avoir dans ces dossiers, surtout pour l’accusé qui se trouvait
intimidé et dont l’attention était distraite par toutes sortes de
soucis. C’était là que la défense intervenait. Généralement les
avocats n’avaient pas le droit d’assister aux entrevues avec le
juge d’instruction, aussi devaient-ils interroger l’accusé le plus
tôt possible après son interrogatoire et tâcher de démêler ce
qu’il pouvait y avoir d’utile pour la défense dans ses rapports
souvent très confus. Mais ce n’était pas encore là le plus impor-
tant, car on ne pouvait apprendre grand-chose de cette façon,
bien qu’à vrai dire un homme compétent s’en tirât mieux qu’un
autre ne l’eût fait. Le gros atout c’étaient les relations person-
nelles de l’avocat, c’était en elles que se trouvait la principale
valeur de la défense. K. devait bien avoir constaté, d’après ses
propres expériences, que l’organisation de la justice laissait à
désirer dans les grades inférieurs, qu’on y trouvait des employés
vénaux ou infidèles ; l’enceinte présentait des brèches de ce cô-
té. C’était à ces brèches que se pressait la majorité des avocats,
c’était là qu’ils soudoyaient, qu’ils cherchaient, qu’ils espion-
naient ; il s’était même produit, du moins dans le passé, des vols
de documents. Il était indéniable que certains défenseurs attei-
gnaient de cette façon des résultats momentanés étonnamment
– 142 –
favorables à l’accusé : c’était même de quoi profitaient tous ces
petits avocaillons pour attirer de nouveaux clients, mais de tels
résultats n’avaient aucune influence, ou presque, sur l’évolution
des débats. Seules d’honnêtes relations personnelles avec
d’importants fonctionnaires – pris dans les grades inférieurs
évidemment – pouvaient avoir une vraie valeur ; c’étaient les
seules qui influassent sur l’évolution du procès, imperceptible-
ment d’abord, mais de plus en plus nettement par la suite. Peu
d’avocats réussissaient naturellement par cette voie : c’était là
que le choix de K. se révélait particulièrement heureux. Il n’y
avait, disait le docteur Huld, qu’un ou deux défenseurs qui pus-
sent se vanter de relations comme les siennes. Ceux-là ne
s’inquiétaient pas, bien sûr, des connaissances qu’on pouvait
faire dans la salle des avocats ; ils n’avaient rien à voir avec les
gens. Leurs relations n’en étaient que plus étroites avec les fonc-
tionnaires de la justice. Il n’était même pas toujours nécessaire
au docteur Huld d’aller attendre la problématique apparition
des juges d’instruction dans les antichambres de ces messieurs
pour essayer d’obtenir d’eux, avec plus ou moins de bonheur, un
résultat presque toujours trompeur et soumis à leur fantaisie.
Non, K. avait pu constater que les fonctionnaires – et parfois
des fonctionnaires de haut rang – venaient le renseigner d’eux-
mêmes, ouvertement, ou tout au moins d’une façon facilement
interprétable, et discuter avec lui de l’évolution prochaine des
débats ; dans certains cas, ils se laissaient même convaincre et
adoptaient parfois l’opinion qu’on leur soufflait. Évidemment il
ne fallait pas trop s’y fier ; si catégoriquement qu’ils exprimas-
sent leur revirement et leur faveur pour la défense, ils rentraient
peut-être immédiatement dans leur bureau donner pour les dé-
bats du lendemain des directives toutes différentes et peut-être
encore plus sévères pour l’accusé que ne l’était le premier point
de vue dont ils prétendaient s’être complètement défaits. C’était
une chose contre laquelle on ne pouvait rien, car les assurances
qu’ils vous avaient données sans témoin restaient précisément
sans témoin et n’auraient pu leur imposer aucune obligation,
même si la défense n’eût pas été contrainte de travailler à garder
– 143 –
leurs faveurs. Il fallait dire aussi que, lorsque ces messieurs se
mettaient en rapport avec les défenseurs – quand ils avaient
affaire à des gens compétents – ce n’était pas uniquement par
amitié ou par philanthropie, mais parce qu’à certains égards ils
dépendaient des avocats.
– 144 –
tirer de l’étude des diverses phases d’un procès, du verdict et de
ses considérants. Ils n’avaient le droit de s’occuper que de la
partie de la procédure que la loi leur réservait et en savaient
souvent moins sur la suite, c’est-à-dire sur les résultats de leur
propre travail, que la défense qui restait en général en contact
avec l’accusé jusqu’à la fin des débats. De ce côté les fonction-
naires de la justice avaient donc aussi beaucoup à apprendre des
avocats. K. pouvait-il s’étonner encore, en présence d’une telle
situation, de cette irritabilité des fonctionnaires qui se manifes-
tait souvent à l’endroit des accusés de la façon la plus blessante.
Chacun en faisait l’expérience. Tous les fonctionnaires étaient
en état d’irritation, même quand ils semblaient sereins. Naturel-
lement, les petits avocats avaient beaucoup à en souffrir. On
racontait à ce sujet une anecdote qui paraissait fort vraisem-
blable : un vieux fonctionnaire, paisible et brave homme s’il en
fut, avait étudié sans répit pendant un jour et une nuit – car ces
employés sont extrêmement laborieux – une cause des plus épi-
neuses particulièrement compliquée par les requêtes des avo-
cats. Le matin, après vingt-quatre heures d’un travail ingrat, il
alla s’embusquer derrière la porte et jeta au bas de l’escalier
tous les avocats qui voulurent entrer. Les avocats se réunirent
sur l’un des paliers inférieurs pour discuter de la conduite qu’ils
devaient tenir ; d’une part, ils n’avaient pas expressément le
droit d’entrer, ce qui les empêchait d’entreprendre légalement
quoi que ce fût contre le fonctionnaire – qu’ils avaient d’ailleurs
tout intérêt à ménager, comme on l’a déjà expliqué – mais
d’autre part, toute journée qu’ils ne passaient pas au tribunal
étant complètement perdue pour eux, ils tenaient énormément
à pénétrer dans la salle. Finalement ils tombèrent d’accord qu’il
fallait fatiguer le vieux monsieur. Ils grimpèrent donc à tour de
rôle ; une fois en haut ils se laissaient chasser après une longue
résistance passive ; les collègues recueillaient l’accidenté au pied
de l’escalier. Cela dura à peu près une heure, au bout de laquelle
le vieux monsieur, épuisé déjà par une nuit de travail, se sentit
vraiment trop fatigué et réintégra son bureau. Ceux d’en bas ne
voulurent d’abord pas y croire. Ils dépêchèrent l’un d’entre eux
– 145 –
avec mission de regarder si la salle était vide. Ils n’entrèrent
qu’à son retour et n’osèrent pas dire un mot, car les avocats sont
bien loin de vouloir introduire dans le système judiciaire
quelque amélioration que ce soit, alors que tout accusé, même le
plus simple d’esprit – et c’est très caractéristique – commence
toujours, dès son premier contact avec la justice, par méditer
des projets de réforme, gaspillant ainsi un temps et des forces
qu’il pourrait employer beaucoup plus utilement. La seule mé-
thode raisonnable était, disait le docteur Huld, de
s’accommoder de la situation telle qu’elle était. Même s’il eût été
possible d’améliorer certains détails – et c’était une billevesée –
on n’aurait pu obtenir de résultats, dans l’hypothèse la plus fa-
vorable, que pour les cas qui se présenteraient à l’avenir, et on
se serait énormément nui en attirant sur soi l’attention de fonc-
tionnaires rancuniers. Il fallait éviter à tout prix de se faire re-
marquer, rester tranquille même si on y éprouvait la plus
grande répugnance, tâcher de comprendre que cet immense
organisme judiciaire restait toujours en quelque sorte dans les
airs et que si l’on cherchait à y modifier quelque chose de sa
propre autorité on supprimait le sol sous ses pas, se mettant
ainsi en grand danger de tomber, alors que l’immense orga-
nisme pouvait facilement – tout se tenant dans son système –
trouver une pièce de rechange et rester comme auparavant, à
moins – et c’était le plus probable – qu’il n’en devînt encore
plus vigoureux, plus attentif, plus sévère et plus méchant. Le
mieux était donc de laisser faire l’avocat au lieu de le déranger.
Les reproches ne servaient sans doute pas à grand-chose, sur-
tout quand on ne pouvait faire comprendre aux gens toute
l’importance de leurs motifs, mais il fallait tout de même dire à
K. combien il avait desservi sa propre cause en se conduisant
comme il l’avait fait avec le chef de bureau. Le nom de cet
homme influent devait être, désormais, presque supprimé de la
liste des personnages auprès desquels on pouvait entreprendre
quelque chose pour K. ; il faisait intentionnellement semblant
de n’entendre aucune allusion au procès, si superficielle qu’elle
fût : c’était bien net. Ces fonctionnaires se conduisaient à maints
– 146 –
égards comme des enfants. La chose la plus innocente – et mal-
heureusement l’attitude de K. ne l’était pas – pouvait parfois les
blesser à tel point qu’ils en cessaient de parler à leurs meilleurs
amis, se détournaient quand ils les rencontraient et travaillaient
en tout contre eux. Mais il arrivait aussi qu’une petite plaisante-
rie, que l’on risquait en désespoir de cause, les fît rire sans
grand motif et vous les ramenât brusquement de la façon la plus
surprenante. Leur commerce était à la fois très compliqué et
très facile ; nul principe ne pouvait le régler.
– 147 –
utiles relations ne servaient plus alors de rien, car les fonction-
naires eux-mêmes étaient tenus dans l’ignorance. Le procès ve-
nait d’entrer dans une phase où on n’avait plus le droit d’aider,
où il se trouvait entre les mains de cours de justice inaccessibles
et où l’avocat ne pouvait plus voir l’inculpé. Un beau jour, en
arrivant chez soi, on découvrait sur sa table toutes les requêtes
qu’on avait rédigées avec tant de zèle et d’espoir ; elles vous
avaient été renvoyées comme n’ayant plus le droit de figurer
dans la nouvelle phase du procès. Ce n’étaient plus que chiffons
de papier. Cela ne signifiait d’ailleurs pas que le procès fût en-
core perdu. Il n’y avait du moins aucune raison impérieuse
d’admettre cette hypothèse : il se trouvait simplement qu’on ne
savait plus rien du procès et qu’on n’en saurait jamais plus rien.
De tels cas ne représentaient heureusement que des exceptions
et, même si le procès de K. devait jamais entrer dans cette voie,
il était loin pour le moment d’une telle phase et laissait encore
largement à faire à l’avocat. K. pouvait être bien sûr que
l’occasion ne serait pas perdue. La requête, comme on l’avait
dit, n’était pas encore envoyée, mais cela n’était pas urgent, il
était beaucoup plus important, pour le moment, d’établir les
premiers contacts avec les fonctionnaires utiles, et la chose était
déjà faite, – avec des succès différents, il fallait l’avouer fran-
chement. Il valait mieux provisoirement ne pas révéler de dé-
tails qui ne pouvaient influencer K. que dans un sens défavo-
rable, en lui donnant trop d’espoirs ou de craintes : qu’il lui suf-
fît de savoir que certains fonctionnaires avaient fait preuve du
plus grand empressement et que d’autres s’étaient montrés
moins favorables mais n’avaient pas refusé leur aide. Au total le
résultat était donc très satisfaisant mais il ne fallait pas en tirer
de conclusions, car toutes les négociations préliminaires com-
mençaient de la même façon, et ce n’était que par la suite des
débats qu’on pouvait voir si elles avaient servi. En tout cas rien
n’était perdu, et, si l’on pouvait réussir malgré tout à gagner le
chef de bureau – diverses démarches avaient déjà été entre-
prises dans ce sens – la plaie serait nette, comme disent les chi-
rurgiens, et on pourrait attendre la suite avec confiance.
– 148 –
Quand il était lancé dans ce genre de discours, l’avocat ne
tarissait plus : il recommençait à chaque visite. Il y avait tou-
jours des progrès, mais jamais on n’avait le droit de dire en quoi
ces progrès consistaient. On ne cessait de travailler à la pre-
mière requête, mais elle n’était jamais finie, ce qui se révélait
excellent dès la consultation suivante, car le moment – chose
qu’on n’avait pas pu prévoir – aurait été très mal choisi par
l’envoi de ce document. Si K., épuisé de discours, faisait parfois
remarquer que l’affaire n’avançait guère, même en tenant
compte de toutes les difficultés, on lui répondait qu’elle allait
fort bien son petit chemin, mais qu’elle en serait évidemment
beaucoup plus loin si on s’était adressé à temps à l’avocat. Mal-
heureusement, on ne l’avait pas fait, et cette négligence amène-
rait par la suite de bien pires ennuis que des pertes de temps.
– 149 –
Mais que voulait-il ? L’encourager ? Ou le désespérer com-
plètement ? K. ne pouvait pas le démêler, mais il ne tarda pas à
tenir pour certain que sa défense n’était pas en bonnes mains.
– 150 –
née d’hiver où tout le trouvait aboulique, que cette conviction
devenait despotique. Il avait oublié ses mépris du début ; s’il
avait été seul au monde, il aurait pu négliger son procès, en ad-
mettant qu’on le lui eût intenté, ce qui ne serait pas arrivé. Mais
maintenant son oncle l’avait mené chez l’avocat, et des considé-
rations de famille entraient en jeu ; sa situation avait cessé
d’être complètement indépendante de l’évolution du procès, il
avait même imprudemment parlé lui-même à des amis de cette
affaire avec une inexplicable satisfaction ; d’autres l’avaient ap-
prise on ne savait comment ; ses relations avec Mlle Bürstner
semblaient être restées en suspens en même temps que son li-
tige… bref, il n’avait guère plus le choix d’accepter ou de refuser
le procès ; il s’y trouvait en plein et il fallait se défendre ; s’il se
fatiguait, gare à lui !
– 151 –
en considération. Il ne suffirait évidemment pas pour cela de
rester comme les autres assis dans le couloir et de poser son
chapeau sous le banc, il faudrait harceler chaque jour les em-
ployés, les faire assiéger par les femmes ou par quelque tiers
que ce fût, et les contraindre à s’asseoir à leur table et à étudier
la requête au lieu de regarder dans le couloir à travers le grillage
de bois. Nulle relâche dans ces efforts, il faudrait tout organiser
et surveiller parfaitement ; il faudrait que la justice se heurtât
une bonne fois à un accusé qui sût se défendre.
Ce rire avait alors été très pénible à K., bien qu’il ne visât
naturellement pas la requête, dont le directeur adjoint ne savait
rien, mais une plaisanterie financière qu’il venait d’apprendre à
l’instant. Il avait fallu un dessin pour la faire comprendre et le
directeur adjoint l’avait exécuté, en se penchant sur la table de
K. et en lui prenant le crayon des mains, sur le bloc destiné à la
requête.
– 152 –
tout. Cette requête constituait évidemment un travail presque
interminable. Sans être d’un caractère inquiet, on pouvait faci-
lement penser qu’il serait impossible de jamais la finir. Non par
paresse ou par calcul (ces raisons ne pouvaient valoir que dans
le cas de maître Huld), mais parce que, dans l’ignorance où l’on
était de la nature de l’accusation et de tous ses prolongements, il
fallait se rappeler sa vie jusque dans ses moindres détails,
l’exposer dans tous ses replis, la discuter sous tous ses aspects.
Et quel triste travail, pour comble ! Il était peut-être bon pour
occuper l’esprit affaibli d’un retraité et l’aider à passer les longs
jours. Mais maintenant que K. avait besoin de recueillir toutes
ses forces cérébrales pour son travail, que chaque heure passait
trop vite – car il était en plein essor et constituait déjà une me-
nace pour le directeur adjoint – maintenant qu’il voulait jouir
comme un jeune homme de ses courtes soirées et de ses brèves
nuits, c’était maintenant qu’il devait se mettre à la rédaction de
cette requête ! Il s’épuisait en gémissements. Machinalement,
pour mettre fin à ses tourments, il pressa le bouton électrique
qui correspondait à la sonnerie de l’antichambre. En faisant ce
mouvement il aperçut la pendule. Elle marquait onze heures : il
avait donc passé deux heures, un temps énorme, un temps pré-
cieux, à rêvasser, et il était naturellement encore plus fatigué
qu’avant. Mais, après tout, ce temps n’était pas complètement
perdu ; il lui avait permis de prendre des décisions qui pou-
vaient être très utiles. Les domestiques apportèrent avec le
courrier les cartes de visite de deux messieurs qui attendaient K.
depuis très longtemps. C’étaient justement deux gros clients de
la banque qu’on n’aurait jamais dû laisser poser ainsi. Pourquoi
venaient-ils à un si mauvais moment ?… Et pourquoi – c’était ce
qu’on croyait les entendre demander derrière la porte fermée –
pourquoi le laborieux K. gaspillait-il le meilleur de ses heures de
travail à s’occuper de ses affaires privées ? Encore fatigué de ses
soucis précédents et déjà las de ceux qui allaient venir, il se leva
pour recevoir le premier de ces visiteurs.
– 153 –
C’était un petit homme gaillard, un industriel qu’il connais-
sait bien. Il exprima le regret d’avoir dérangé K. au milieu d’un
travail important, et K. déplora de son côté d’avoir fait si long-
temps attendre ce monsieur. Mais il le fit si distraitement et
d’un ton qui passait tellement à côté que l’industriel en aurait
été nécessairement frappé s’il n’eût été si fort absorbé par son
affaire. Il sortit des comptes et des tableaux de chiffres de toutes
ses poches, les étala devant K., expliqua plusieurs nombres, cor-
rigea une petite faute de calcul qui lui avait sauté aux yeux mal-
gré la rapidité de son examen, rappela à K. qu’il avait conclu
avec lui, l’année précédente, une affaire du même genre, men-
tionna, comme par parenthèse, que cette fois-ci, une autre
banque voulait s’en occuper à tout prix, et se tut finalement
pour avoir l’opinion de K. ; K. avait bien suivi au début le dis-
cours de l’industriel ; l’importance de l’affaire lui était bien ap-
parue et l’idée avait bien absorbé son attention, mais hélas !
pour fort peu de temps ; il n’avait pas tardé à cesser d’écouter
pour opiner simplement du bonnet à chaque exclamation de
l’autre, puis il n’avait même plus fait ce geste et s’était borné à
regarder le tête chauve qui se penchait sur les papiers ; il se de-
mandait à quel moment cet homme finirait par s’apercevoir
qu’il parlait dans le désert. Aussi, quand l’autre se tut, K. crut-il
réellement qu’il ne le faisait que pour lui permettre de recon-
naître qu’il était incapable d’écouter. Mais il remarqua, avec
regret, au regard attentif de l’industriel – visiblement prêt à
toutes les réponses – qu’il fallait continuer l’entretien. Il inclina
donc la tête comme s’il avait reçu un ordre et se mit à promener
lentement son crayon sur les papiers en s’arrêtant de temps à
autre pour pointer un chiffre quelconque. L’industriel pressen-
tait des objections ; peut-être ses chiffres n’étaient-ils pas
exacts, peut-être n’étaient-ils pas probants, en tout cas il recou-
vrit les papiers de la main et reprit un exposé général de l’affaire
en s’approchant tout près de K.
– 154 –
N’ayant plus rien où se raccrocher du moment que les pa-
piers étaient cachés maintenant, il se laissa tomber sans forces
contre le bras de son fauteuil. Il ne leva même que faiblement
les yeux quand la porte de la direction s’ouvrit et que le direc-
teur adjoint lui apparut, comme voilé par une gaze. Il ne réflé-
chit à rien, ne pensant qu’au résultat immédiat de cette inter-
vention qui le soulageait considérablement, car l’industriel,
s’étant levé d’un bond, s’était hâté d’aller à la rencontre du di-
recteur adjoint. Mais K., redoutant que celui-ci ne vînt à dispa-
raître, aurait voulu rendre l’autre dix fois plus prompt. Sa
crainte était d’ailleurs mal fondée, les messieurs se rencontrè-
rent, se tendirent la main et s’avancèrent ensemble vers son bu-
reau ; l’industriel se plaignit du peu d’intérêt qu’il avait rencon-
tré pour son affaire chez le fondé de pouvoir et montra K. qui se
replongea dans les papiers sous le regard du directeur adjoint.
Quand les deux hommes se furent penchés sur sa table et que
l’industriel se fut mis en devoir de démontrer au directeur ad-
joint l’intérêt de ses propositions, il sembla à K. que les deux
hommes, qu’il se représentait exagérément grands, négociaient
au-dessus de lui à son propre sujet : il leva prudemment les
yeux, cherchant lentement à voir ce qui se passait là-haut, prit
au hasard l’un des papiers du bureau, le posa sur le plat de sa
main et le tendit à ces messieurs, tout en se levant lentement. Ce
geste ne correspondait à aucune nécessité ; K. obéissait simple-
ment au sentiment qu’il lui faudrait agir ainsi quand il aurait
enfin terminé la grande requête qui le libérerait complètement.
Le directeur adjoint, entièrement absorbé par la conversation,
ne jeta qu’un regard distrait sur le papier ; ce qui était impor-
tant pour le fondé de pouvoir ne l’était pas pour lui ; il prit sim-
plement le document des mains de K., lui dit « merci, je sais
déjà », et reposa tranquillement la feuille sur la table ; K. dépité,
le regarda de travers, mais le directeur adjoint ne s’en aperçut
même pas ou, s’il en aperçut, n’en fut qu’encouragé, il éclata
plusieurs fois de rire, embarrassa l’industriel par une réponse
subtile et le tira aussitôt d’embarras en se faisant à lui-même
– 155 –
une nouvelle objection, puis l’invita finalement à se rendre dans
son bureau pour y conclure l’affaire.
– 156 –
bruit. Mais, comme personne n’entra, il se calma, alla au lavabo,
se lava à l’eau froide et revint s’asseoir, la tête plus libre, à sa
fenêtre. La résolution qu’il avait prise de se défendre lui-même
lui paraissait plus difficile à exécuter qu’il ne l’avait pensé
d’abord. Tant qu’il avait rejeté le soin de sa défense sur l’avocat,
il ne s’était trouvé en somme que peu touché par le procès ; il
l’avait observé de loin sans en être jamais atteint directement ; il
avait eu loisir d’examiner à son gré le marche de son affaire ou
de s’en désintéresser. Mais maintenant, s’il assumait lui-même
la tâche de sa défense, il devrait s’exposer seul à tous les coups
de la justice, provisoirement tout au moins ; le résultat serait,
plus tard, la libération définitive ; en attendant, il faudrait faire
face à des dangers beaucoup plus grands que jusqu’alors. S’il en
avait douté, ses rapports de ce jour-là avec l’industriel et le di-
recteur adjoint lui auraient largement prouvé le contraire.
Quelle attitude avait-il eue, dans l’embarras où le plongeait déjà
la seule décision de se défendre lui-même ! Et que serait-ce par
la suite ! Quel avenir se préparait-il ? Trouverait-il la bonne
voie, celle qui mènerait au résultat à travers tous les obstacles ?
Une défense minutieuse – et nulle autre n’avait de sens –
n’exigeait-elle pas nécessairement qu’il renonçât à tout travail ?
Y parviendrait-il sans casse ? Et à la banque que ferait-il ? Il ne
s’agissait pas seulement de la requête, pour laquelle un congé
fût très risqué en ce moment ; il s’agissait de tout un procès
dont la durée ne pouvait être prévue. Quel obstacle tout d’un
coup dans la carrière de K. !
– 157 –
nu…, mais de qui… et dans quelle mesure ? Le directeur adjoint
l’ignorait en tout cas, car il eût fallu voir comme il s’en fût servi !
Il n’aurait connu aucune espèce d’humanité ni de solidarité. Et
le directeur ? Certainement, il était favorable à K. : s’il avait eu
vent de son procès il aurait probablement cherché à alléger le
service de K. dans la mesure où il l’eût pu, mais il n’y aurait sû-
rement pas réussi ; car, maintenant que le contrepoids constitué
jusqu’alors par K. commençait à s’affaiblir, il subissait de plus
en plus l’influence du directeur adjoint qui exploitait à son
propre profit le mauvais état de santé de son chef. Que pouvait
donc espérer K. 13 ? Peut-être en ruminant ainsi ne faisait-il pas
nécessaire de chercher à ne pas se duper et à voir aussi clair que
possible ?
– 158 –
pas lui montrer les papiers ; il ne voyait absolument rien de
drôle à la remarque de l’industriel.
K. recula en s’écriant :
– 159 –
– Par vous peut-être ? demanda K., déjà bien plus maître
de lui.
– 160 –
peinture, et j’ai alors appris à mon grand étonnement qu’il vivait
surtout du portrait. Il travaillait, me déclara-t-il, pour le tribu-
nal. Je lui demandai pour lequel. Ce fut alors qu’il m’en parla.
Vous êtes mieux placé que tout autre pour imaginer la stupéfac-
tion que me causèrent ses récits. Depuis ce temps j’apprends
toujours à chacune de ses visites quelque nouvelle de la justice
et je finis par acquérir petit à petit une grande expérience de la
chose. À vrai dire, ce Titorelli est bavard et je dois souvent le
faire taire non seulement parce qu’il est menteur – c’est indé-
niable – mais encore et surtout parce qu’un homme d’affaires
qui ploie comme moi sous le faix de ses propres soucis n’a pas le
temps de s’inquiéter des histoires des autres. Mais passons. Je
me suis dit que ce Titorelli pourrait peut-être vous servir, il
connaît beaucoup de juges et, bien qu’il n’ait peut-être pas lui-
même grande influence, il peut vous renseigner sur la meilleure
façon d’approcher certains magistrats. Et quand bien même ses
conseils ne seraient pas définitifs, vous pourriez, vous, en tirer
grand parti. Car vous êtes presque un avocat. Je dis toujours :
M. K. est presque un avocat. Ah ! je n’ai pas peur pour votre
procès ! Mais voulez-vous aller maintenant chez Titorelli ? Sur
ma recommandation, il fera certainement tout ce qui lui sera
possible. Je pense vraiment que vous devriez y aller. Pas au-
jourd’hui nécessairement ; quand vous voudrez, à l’occasion.
D’ailleurs, du fait que je vous le conseille, vous n’êtes pas obligé
d’y aller. Si vous pensez pouvoir vous passer de lui, il vaut cer-
tainement mieux le laisser de côté. Peut-être avez-vous déjà ar-
rêté vous-même un plan précis que Titorelli risquerait de dé-
ranger. Dans ce cas-là, n’allez pas le voir, je vous en prie. Il faut
d’ailleurs certainement se faire violence pour aller chercher des
conseils chez un pareil oiseau. Enfin, voyez vous-même ce que
vous avez à faire. Voici un mot de recommandation et l’adresse
du bonhomme avec. »
– 161 –
que l’industriel avait connaissance du procès et que le peintre
risquait d’en répandre le bruit. Il put à peine se résoudre à re-
mercier brièvement le client qui gagnait déjà la porte.
– 162 –
rencontrait dans son travail professionnel vinssent lui faire obs-
tacle aussi dans son procès ! Il ne comprenait plus du tout
comment il avait pu concevoir l’idée d’écrire à Titorelli et de
l’inviter à la banque.
– 163 –
« Nous sommes donc d’accord ? » demanda K. en se tour-
nant vers le domestique qui lui apportait son chapeau.
– 164 –
recevoir à la place de M. le Fondé de pouvoir. Il faut évidem-
ment régler cela tout de suite. Nous sommes des gens d’affaires
comme vous, et nous savons ce que vaut le temps. Voulez-vous
entrer par ici ? »
– 165 –
Et il retourna dans son bureau avec un gros paquet d’écrits
qui contenait non seulement la copie du contrat, mais bien
d’autres papiers aussi.
– 166 –
allure ; l’escalier, comme les étages, était démesurément haut, et
le peintre habitait une mansarde. L’air était oppressant ; nulle
cour d’aération ne donnait sur la cage d’escalier resserrée entre
de grands murs percés seulement de loin en loin, dans leur par-
tie la plus haute, de minuscules lucarnes. Au moment où K.
s’arrêta, quelques fillettes débouchèrent d’une porte et se mi-
rent à monter en riant. K. les suivit lentement, rattrapa une re-
tardataire qui avait trébuché, et lui demanda pendant que les
autres continuaient à monter en groupe :
– 167 –
Mais au tournant suivant K. les retrouva toutes. La petite bos-
sue les avait sans doute informées de son intention, et elles
l’attendaient là, de chaque côté de l’escalier, en se pressant
contre les murs pour lui permettre de passer commodément et
en rectifiant de la main les plis de leurs tabliers. Leurs visages et
leur attitude exprimaient un mélange de puérilité et de corrup-
tion. Elles se reformèrent en riant derrière K. et le suivirent,
précédées de la petite bossue qui avait pris la direction. K. lui
dut de trouver immédiatement le bon chemin. Sans elle, il serait
monté tout droit ; mais elle lui montra qu’il devait obliquer pour
aller chez Titorelli. L’escalier qui y conduisait était encore plus
étroit, très long, tout droit, visible en son entier ; il s’arrêtait net
à la porte. Cette porte, qui était relativement très éclairée, car
elle recevait d’en haut le jour d’une petite lucarne oblique, était
fait de planches en bois blanc sur lesquelles s’étalait le nom de
Titorelli, peint en rouge à gros coups de pinceau. K. n’avait pas
monté la moitié de l’escalier en compagnie de son escorte que la
porte s’entrouvrit et qu’un homme, attiré sans doute par le ta-
page de tant de pas, apparut dans l’entrebâillement, vêtu d’une
simple chemise de nuit.
– 168 –
déposa au-dehors à côté des autres gamines qui n’avaient tout
de même pas osé franchir le seuil pendant sa courte absence.
– 169 –
prêtent l’une à l’autre ; on ne peut se faire une idée d’un tel tra-
cas. Je rentre, par exemple, avec une dame dont je dois exécuter
le portrait, j’ouvre la porte avec ma clef, et je trouve la petite
bossue près de la table en train de se peindre les lèvres en rouge
avec le pinceau, pendant que ses frères et sœurs, qu’on l’a char-
gée de surveiller, se déchaînent à travers la chambre et me font
des saletés dans tous les coins. Ou bien encore, comme hier soir,
je rentre tard à la maison – c’est la raison qui, jointe à mon état
de santé, est cause du désordre de la pièce, je vous prie de m’en
excuser – je rentre donc tard et je grimpe dans mes draps,
quand je me sens la jambe pincée ; je regarde sous le lit et j’en
sors encore une de ces péronnelles. Pourquoi viennent-elles
ainsi me harceler chez moi, je n’en sais rien ; vous avez pu re-
marquer que je ne cherche pas à les attirer. Naturellement, dans
mon travail, elles me dérangent aussi. Si on n’avait pas mis cet
atelier gratuitement à ma disposition il y a longtemps que
j’aurais déménagé. »
– 170 –
jours couraient entre les planches. Le lit se trouvait en face de
K., contre le mur ; il était surchargé de couvertures, d’oreillers
et d’édredons de diverses couleurs. Au milieu de la pièce, une
toile était montée sur un chevalet et recouverte d’une chemise
dont les manches brimbalaient jusqu’au sol. La fenêtre était
derrière K., mais le brouillard empêchait de voir plus loin que le
toit de la maison voisine qui était recouvert de neige.
– 171 –
– Oui, dit le peintre en faisant suivre à la chemise du che-
valet le même chemin qu’à la lettre. C’est un portrait. Un bon
travail, mais il n’est pas encore fini. »
– 172 –
– C’est un alliage difficile, déclara K. en souriant. La Jus-
tice ne doit pas bouger, autrement la balance vacille et ne peut
plus peser juste.
– 173 –
L’aspect du tableau semblait lui avoir donné de l’ardeur au
travail : il retroussa ses manches de chemise, prit quelques
crayons dans sa main, et K. vit se former autour de la tête du
juge, sous la pointe frémissante des pastels, une ombre rou-
geâtre dont l’auréole alla s’éteindre au bord du tableau. Petit à
petit, ce jeu d’ombres finit par entourer la tête d’une sorte de
couronne ou de noble parure. En revanche, à une faible nuance
près, tout restait clair autour de l’image allégorique ; elle en
prenait un relief saisissant, mais ne ressemblait plus beaucoup à
la déesse de la Justice non plus qu’à celle de la Victoire ; elle
avait parfaitement l’air d’être la déesse de la Chasse. Le travail
du peintre intéressait K. plus qu’il n’eût voulu ; il finit pourtant
par se reprocher d’être resté si longtemps là et de n’avoir rien
entrepris pour son affaire.
– 174 –
pas, vous ne pouviez pas savoir que ce n’est pas de mise chez
moi.
Il poursuivit :
– 175 –
si tôt. L’affaire a l’air de vous tenir bien au cœur, ce qui ne me
surprend évidemment pas. Mais peut-être aimeriez-vous
d’abord retirer votre manteau ? »
– Oui », dit K.
– 176 –
responsabilité. Personne ne l’avait encore interrogé aussi fran-
chement. Pour savourer cette joie, il répéta encore :
– Oui, dit K.
– 177 –
K., désirant au préalable élucider ce point, lui dit :
– 178 –
Il s’ensuivit dans l’escalier un incompréhensible méli-mélo
d’exclamations approbatrices. Le peintre bondit vers la porte,
l’entrebâilla – on vit les mains tendues des gamines qui sup-
pliaient – et dit :
– 179 –
La portée générale de la réflexion du peintre enlevait tout
caractère inquiétant à sa remarque au sujet des fillettes. K. n’en
resta pas moins un instant à regarder la porte derrière laquelle
les gamines restaient tranquillement assises. Seule, l’une d’entre
elles avait passé par une fente une paille qu’elle faisait monter et
descendre lentement.
– 180 –
peintre examinait l’effet que son explication avait produit sur
K. ; puis il lui dit d’un ton légèrement inquiet :
– 181 –
Mais Titorelli ne laissa pas la conversation s’égarer, il dé-
clara :
– 182 –
– En quoi ? » dit le peintre patiemment.
– 183 –
infini de procès, et, je dois l’avouer, je n’ai jamais vu un acquit-
tement réel.
Le peintre dit :
– 184 –
Il admettait provisoirement toutes les opinions du peintre,
même quand il les trouvait invraisemblables et qu’elles en con-
tredisaient d’autres ; il n’avait pas le temps pour le moment
d’examiner ni de réfuter ce qu’on lui disait ; il estimerait avoir
atteint tout le possible s’il arrivait à décider le peintre à l’aider
de quelque façon que ce fût, même par une intervention dont le
succès restât douteux. Aussi dit-il :
– 185 –
– Oh ! non, dit le peintre, prenant la défense de sa fenêtre ;
quoique ce soit une simple vitre, comme on ne peut jamais
l’ouvrir la chaleur se conserve bien mieux qu’avec une double
fenêtre. Et si je veux aérer, ce qui n’est pas très nécessaire, car
l’air passe par toutes les fentes, je n’ai qu’à ouvrir l’une des
portes ou même toutes les deux. »
« Elle est derrière vous, j’ai été forcé de mettre le lit en tra-
vers. »
« Oui, tout est trop petit ici, dit le peintre comme pour pré-
venir une critique de K. J’ai été obligé de m’arranger de mon
mieux. Le lit est évidemment très mal placé devant la porte.
Toutes les fois que vient le juge dont je fais le portrait en ce
moment, il se heurte contre ce lit. Je lui ai donné une clef de
cette porte pour qu’il puisse m’attendre ici quand je n’y suis
pas ; mais il arrive généralement de grand matin quand je suis
encore en train de dormir, il m’arrache naturellement toutes les
fois à mon sommeil en ouvrant la porte à mon chevet. Vous
perdriez toute espèce de respect pour les juges si vous entendiez
les jurons avec lesquels je le reçois quand il passe sur mon lit le
matin. Je pourrais bien lui retirer la clef, mais la situation n’en
serait que pire. On n’a qu’à donner un coup de coude pour arra-
cher de leurs gonds toutes les portes d’ici. »
– 186 –
l’entretien ne se poursuivait pas. À peine fut-il en manches de
chemise que l’une des gamines s’écria :
– 187 –
innocence. Ce n’est pas un simple engagement de forme, c’est
une véritable caution, c’est une chose qui m’engage. »
« Ce serait tout à fait aimable, dit K., mais ainsi le juge vous
croirait et ne m’acquitterait tout de même pas réellement ?
– 188 –
– Et alors je suis libre ? dit K. avec hésitation.
– 189 –
juge quelconque regarde l’acte d’accusation, voit qu’il n’a pas
perdu vigueur et ordonne immédiatement l’arrestation. Encore
ai-je admis qu’un long temps se soit écoulé entre l’acquittement
et la nouvelle arrestation, ce qui est possible, et j’en pourrais
citer des cas, mais il est tout aussi possible qu’en revenant du
tribunal l’acquitté trouve déjà des gens qui l’attendent sur son
trottoir pour l’arrêter une seconde fois. Alors évidemment adieu
la liberté.
– 190 –
– Et il n’est quand même pas définitif non plus ? dit K.,
niant déjà lui-même d’un mouvement de tête.
K. se tut.
K. fit : « oui. »
– 191 –
assez de certitude que le procès ne sortira pas de sa première
phase. Sans doute ne cesse-t-il pas, mais l’accusé peut être à peu
près aussi sûr de ne pas être condamné que s’il était en liberté.
La prolongation indéfinie présente sur l’acquittement apparent
l’avantage d’assurer à l’accusé un avenir moins incertain ; elle le
préserve de l’effroi d’une subite arrestation ; il n’a pas à craindre
avec elle de se trouver soudain obligé d’assumer les pénibles
démarches qu’entraîne toujours la recherche de l’acquittement
apparent au moment où les circonstances s’y prêtent le moins
pour lui. Évidemment, l’atermoiement illimité entraîne aussi
pour l’accusé certains désagréments dont il ne faut pas négliger
l’importance. Je ne veux pas parler du fait qu’il ne se trouve ja-
mais libre, il ne le serait pas non plus à proprement parler avec
l’acquittement apparent. Il s’agit d’autre chose. En effet,
l’instruction ne peut être suspendue sans au moins un semblant
de cause. Aussi faut-il qu’elle se poursuive théoriquement. On
doit donc de temps en temps prendre certaines dispositions,
organiser des interrogatoires, ordonner des perquisitions, etc.,
etc. Il faut en un mot que le procès ne cesse de tourner dans le
petit cercle auquel on a artificiellement limité son action. Cela
comporte évidemment pour l’accusé certains désagréments qu’il
ne faudrait cependant pas vous exagérer non plus. Tout cela
reste en effet apparence ; les interrogatoires par exemple sont
très courts ; si on n’a pas le temps ou l’envie d’y aller, on peut
s’excuser quelquefois ; on peut même, avec certains juges, régler
d’avance l’emploi du temps de toute une période ; il ne s’agit au
fond que de se présenter de temps à autre au magistrat pour
faire son devoir d’accusé. »
– 192 –
ché. J’aurais encore bien des choses à vous dire. J’ai dû me ré-
sumer beaucoup trop succinctement, mais j’espère m’être fait
comprendre.
– 193 –
K. crut les voir à travers le bois.
– 194 –
« Bien ! dit K., j’achète ça. »
– 195 –
« Emballez-les toutes, dit-il en le coupant au beau milieu
de son discours, mon domestique viendra les chercher demain.
– 196 –
crétariat dont relevait l’affaire de K. L’installation de ces bu-
reaux semblait être réglée partout par des prescriptions minu-
tieuses. Pour le moment, il n’y avait pas grande affluence. Un
homme se tenait assis, ou plutôt à demi couché sur l’un des
bancs, le visage enfoui dans ses mains et la face contre le bois ; il
semblait être en train de dormir ; un autre était debout dans la
pénombre à l’autre extrémité du couloir. K. se redécida à grim-
per sur le lit, le peintre le suivit, les toiles sous les bras. Ils ne
tardèrent pas à rencontrer un huissier – K. savait déjà les re-
connaître au bouton d’or qu’ils portaient sur leur costume civil
– et le peintre chargea cet homme de porter les tableaux de K. ;
K. titubait plutôt qu’il ne marchait, il tenait son mouchoir pressé
contre sa bouche. Ils se trouvaient déjà près de la sortie quand
les gamines se précipitèrent au-devant d’eux ; le passage par le
grenier n’avait donc même pas épargné à K. cette rencontre !
Elles avaient dû voir qu’on ouvrait l’autre porte de l’atelier et
elles avaient fait un détour pour arriver de ce côté.
K. ne lui jeta pas un seul regard. Une fois dans la rue il ar-
rêta le premier fiacre qu’il put trouver. Il lui tardait d’être dé-
barrassé de l’huissier dont le bouton d’or lui faisait mal aux
yeux, bien que personne d’autre que lui ne l’aperçût probable-
ment. Le serviteur de la justice voulut encore monter sur le
siège du cocher, mais K. le chassa immédiatement. Midi avait
déjà sonné depuis longtemps quand la voiture s’arrêta devant la
banque. K. aurait volontiers laissé les tableaux là, mais il crai-
gnit qu’une occasion ne l’obligeât à montrer au peintre qu’il les
avait. Aussi les fit-il monter dans son bureau où il les enferma
dans le tiroir le plus bas de sa table pour les cacher au directeur
adjoint.
– 197 –
CHAPITRE VIII
– 198 –
Mais il était déjà bien beau que nul autre ne s’en mêlât, car
il y avait toujours dans ces occasions-là quelque voisin qui se
mettait à protester comme le monsieur en robe de chambre du
premier jour. Tout en poussant le bouton pour la seconde fois,
K. se retourna pour voir la porte de derrière, mais cette fois elle
resta fermée aussi. Finalement, deux yeux apparurent au judas :
ce n’étaient pas ceux de Leni. Quelqu’un fit tourner la poignée
tout en restant appuyé contre la porte, se retourna vers
l’intérieur en criant : « C’est lui », et n’ouvrit complètement
qu’après.
– 199 –
Il avait un peu écarté les jambes et tenait son chapeau der-
rière son dos, les mains croisées. Rien que par son gros manteau
de fourrure il se sentait déjà très supérieur à ce petit homme
desséché…
– 200 –
À la porte du cabinet de maître Huld, K. s’arrêta, ouvrit et
cria au négociant qui continuait à avancer docilement :
« C’est un juge.
– 201 –
Quand ils furent dans le couloir, K. lui dit :
– 202 –
Leni passa une main autour de la taille de K., tandis que de
l’autre elle continuait à battre les œufs, puis elle le fit venir de-
vant elle et lui dit :
Elle se tut.
« Allons, réponds. »
Elle répondit :
– 203 –
– Joseph, lui dit Leni sur un ton suppliant mais en le re-
gardant dans les yeux, tu n’es tout de même pas jaloux de
M. Block ? »
– 204 –
– Commence par m’annoncer », dit K.
Et Leni ajouta :
– 205 –
« Dès qu’il aura mangé, je t’annoncerai, pour te retrouver
le plus tôt possible.
– Va ! dit K.
– 206 –
date exacte ; on n’arrive pas à tout retenir. Mon procès doit du-
rer depuis bien plus longtemps, il a commencé peu après la
mort de ma femme qui est survenue il y a plus de cinq ans et
demi. »
Puis il souffla à K. :
– Avec un client aussi fidèle que vous, dit K., il ne fera cer-
tainement rien.
– 207 –
– Comment cela ? demanda K.
– Cinq ! » s’écria K.
– 208 –
« Je suis en train de négocier avec un sixième.
– 209 –
– Je me trouvais dans la salle d’attente au moment où vous
y êtes passé.
– 210 –
qu’au cours de ces longues procédures on parle souvent de bien
des choses que la raison ne peut plus contrôler ; on est beau-
coup trop fatigué, bien des sujets vous laissent froid et on se
rabat sur des superstitions. Je parle des autres, mais au fond je
ne vaux pas mieux. L’une de ces superstitions consiste à croire
qu’on peut lire l’issue du procès sur la tête de l’accusé, et surtout
dans le dessin de ses lèvres. Les gens qui croient à de tels pré-
sages ont donc dit que d’après vos lèvres vous ne tarderiez cer-
tainement pas à être condamné. Je vous le répète, c’est un pré-
jugé ridicule que l’expérience dément dans la plupart des cas,
mais, quand on vit dans ce milieu, il est difficile d’échapper à de
telles pensées. Vous n’avez pas idée de la force que peut avoir
cette superstition. Vous avez parlé là-bas à un homme, n’est-ce
pas ? Il a à peine pu vous répondre. On peut avoir évidemment
bien des raisons de se troubler, mais l’une d’entre elles, dans ce
cas, était certainement l’aspect de votre bouche. Il a même ra-
conté plus tard qu’il avait cru voir sur vos lèvres le signe de sa
propre condamnation.
– 211 –
tarde pas à voir qu’il s’est trompé. Rien ne peut se faire en
commun contre le tribunal. Tout cas est examiné à part ; il n’y a
pas justice plus minutieuse. On ne peut donc parvenir à rien en
se liguant. Des isolés arrivent parfois à obtenir quelque chose en
secret, mais les autres ne l’apprennent qu’après, personne ne
sait comment la chose s’est faite. Il n’y a pas de solidarité, on se
rencontre bien de temps en temps dans les salles d’attente, mais
on y parle peu. Les opinions superstitieuses existent déjà depuis
très longtemps et se multiplient d’elles-mêmes.
– Oui.
– 212 –
– Vous devez être heureux que votre procès soit déjà si
avancé ? » dit K., ne voulant pas lui demander directement où
en étaient ses affaires.
– 213 –
– Mais oui, bien sûr, fit le négociant.
– 214 –
blaient presque tous ; je savais d’avance les réponses ; je les
connaissais comme une litanie ; il m’arrivait plusieurs fois par
semaine des employés de la justice au magasin, dans ma maison
ou n’importe où, c’était évidemment gênant (à cet égard c’est
bien mieux aujourd’hui, le téléphone me dérange moins) ; et
puis le bruit de mon procès commençait à filtrer, des commer-
çants de mes amis le connaissaient, mes parents ne l’ignoraient
plus ; j’essuyais donc des dommages de partout, mais nul signe
ne m’annonçait que les premiers débats dussent bientôt avoir
lieu. J’allai donc me plaindre à mon avocat. Il me donna de
longues explications, mais il refusa nettement de faire quoi que
ce fût dans le sens que je désirais, disant que personne ne pou-
vait influer sur la date des débats et qu’il était absolument ini-
maginable de les hâter dans une requête, ainsi que je l’eusse
voulu, que cela ne s’était jamais vu et ne pourrait que nuire et à
lui et à moi. Je pensais que ce que celui-ci ne voulait ou ne pou-
vait pas, un autre le voudrait et le pourrait. Je cherchai donc
d’autres avocats. Mais, j’aime mieux vous le dire tout de suite :
nul d’entre eux n’a jamais demandé ni obtenu qu’on fixe une
date pour les débats ; c’est, à une réserve près, dont je vous par-
lerai plus tard, une chose réellement impossible ; à cet égard
maître Huld ne m’avait donc pas trompé ; mais je n’ai pas eu à
regretter non plus de m’être adressé à d’autres avocats. Maître
Huld a dû vous parler assez souvent des avocats marrons et
vous les a sans doute dépeints très méprisables, ce qui est
d’ailleurs exact. Mais il lui échappe toujours, quand il se com-
pare à eux, une petite faute sur laquelle je voudrais attirer votre
attention au passage. Pour distinguer de ces gens-là les avocats
de sa connaissance il dit toujours « les grands avocats », en par-
lant de ceux qu’il connaît. Le terme est faux ; naturellement tout
le monde peut se dire « grand » s’il lui plaît, mais, dans le cas
qui nous occupe, c’est l’usage judiciaire qui fait autorité. Cet
usage distingue bien, outre les avocats marrons, les grands et les
petits avocats. Mais maître Huld et ses collègues ne sont que de
petits avocats ; les grands, dont je n’ai jamais qu’entendu parler
et que je n’ai jamais pu voir, sont d’un rang aussi supérieur à
– 215 –
celui des petits avocats que les petits avocats eux-mêmes sont
supérieurs à ces avocats marrons qu’ils méprisent.
– 216 –
Ils étaient vraiment près l’un de l’autre ; au moindre mou-
vement, leurs têtes se seraient cognées ; le négociant, qui n’était
pas seulement petit, mais aussi légèrement bossu, obligeait K. à
se tenir penché très bas pour entendre ce qu’il disait :
– 217 –
« Vous vouliez obtenir des résultats qui fussent immédiats,
c’est pourquoi vous étiez allé trouver les avocats marrons.
K. hésitait encore.
– 218 –
naturel ce que tes amis font pour toi. Enfin…, c’est volontiers,
moi surtout. Je ne veux pas d’autre remerciement que de savoir
que tu m’aimes. »
– 219 –
est déjà arrivé que l’avocat me sonnât dans la nuit pour le rece-
voir. Aussi maintenant il est prêt même la nuit. À vrai dire, il
arrive aussi que l’avocat le décommande quand il s’aperçoit qu’il
est là. »
– 220 –
depuis longtemps, mais il l’avait chèrement payée. Tout d’un
coup, K. ne put plus supporter de le voir.
Il ne cessait de répéter.
– 221 –
porte derrière lui, Leni mit le pied contre le battant, le tint ou-
vert, saisit K. par le bras et chercha à le ramener. Mais il lui ser-
ra si violemment le poignet qu’elle fut obligée de le lâcher en
poussant un soupir de douleur. Elle n’osa pas rentrer tout de
suite dans la chambre et K. ferma la porte à clef.
« Asseyez-vous, dit-il.
– 222 –
Il n’avait l’intention d’épargner personne. Mais l’avocat lui
demanda :
– Importune ? demanda K.
– 223 –
la faute qui les embellit, puisque tous ne sont pas coupables –
c’est du moins ce que je dois dire en ma qualité d’avocat – ce ne
peut être non plus la condamnation qui les auréole d’avance,
puisque tous ne sont pas destinés à être condamnés ; cela ne
peut donc tenir qu’à la procédure qu’on a engagée contre eux et
dont ils portent en quelque sorte le reflet. À vrai dire, parmi les
beaux, il y en a aussi de plus spécialement beaux. Mais tous sont
beaux, même Block, ce pauvre malheureux. »
– 224 –
– Ce n’est plus un projet, dit K.
– 225 –
« Je vous remercie, dit-il, de votre bonne amitié, je rends
hommage à vos efforts. Vous vous êtes occupé de mon affaire
autant qu’il vous était possible et de la façon qui vous semblait
la plus avantageuse pour moi, mais j’ai acquis ces derniers
temps la conviction que ces efforts ne suffisaient pas. Je
n’essaierai pas de convertir à mes opinions un homme qui a
comme vous tellement plus d’âge et d’expérience que moi ; si je
l’ai parfois tenté involontairement, je vous prie de m’en excuser,
mais l’affaire est trop importante ; j’estime qu’il est nécessaire
d’intervenir avec beaucoup plus d’énergie qu’on ne l’a fait
jusqu’à présent.
– 226 –
« Au bout d’un certain temps de métier, dit l’avocat tran-
quillement et à voix basse 15, on ne voit plus rien se produire de
neuf. Que de clients se sont tenus ainsi devant moi à la même
phase de leur procès et m’ont adressé le même langage !
– 227 –
« Vous n’avez certainement pas été sans remarquer que je
n’occupe pas de secrétaire malgré l’importance de mon cabi-
net ? Autrefois, c’était différent ; il y eut un temps où je faisais
travailler quelques jeunes juristes, mais aujourd’hui j’opère
seul. Cela tient en partie à la modification de ma clientèle – car
je me limite de plus en plus aux affaires du genre de la vôtre – et
en partie à l’expérience que j’ai acquise de ces questions. J’ai vu
que je ne pouvais confier à personne le soin de s’occuper de ces
travaux sans risquer de pécher contre ma clientèle et les devoirs
que j’assumais. Mais, pour tout faire par moi-même comme je
l’avais résolu, j’ai été obligé de repousser presque toutes les de-
mandes des gens qui venaient me trouver et n’ai plus pu céder
qu’à ceux qui me tenaient particulièrement au cœur ; passons ;
sans aller chercher loin, on trouverait pas mal d’individus qui se
ruent sur mes moindres miettes. Je suis tout de même tombé
malade à force de me surmener. Mais, malgré tout, je ne re-
grette pas ma décision ; j’aurais peut-être dû refuser plus de
causes que je n’ai fait, mais en tout cas j’ai eu le plaisir de véri-
fier que j’avais eu parfaitement raison de m’adonner complète-
ment à celles dont je m’étais chargé ; le succès couronne mes
efforts. J’ai lu un jour une très belle formule qui caractérise par-
faitement la différence qu’il y a entre l’avocat des causes ordi-
naires et celui des causes dont je m’occupe maintenant : le pre-
mier conduit son client jusqu’au jugement par un fil, mais
l’autre le prend sur ses épaules dès le début et le porte, sans le
déposer, jusqu’au jugement et même plus loin. C’est bien cela.
Mais je me trompais peut-être un peu quand je disais que je ne
me repens jamais de cet énorme labeur. Lorsqu’on le méconnaît
trop, comme dans votre cas, alors, alors je me prends presque à
le regretter16. »
– 228 –
difficultés qui se mettaient à la traverse…, bref, on lui ressorti-
rait pour la centième fois tout ce qu’il savait déjà jusqu’à
l’écœurement, on recommencerait à le bercer d’espoirs trom-
peurs et à le tourmenter de menaces imprécises. Il fallait y cou-
per court ; c’est pourquoi il déclara :
– 229 –
« Vous savez que je vous retire le soin de me représenter ?
– Oui, dit l’avocat. Mais c’est une décision sur laquelle vous
pouvez revenir aujourd’hui même. »
« Block ! l’avocat ! »
– 230 –
bile. De son côté, Leni se taisait. Block, voyant qu’après tout on
ne le chassait pas, entra sur la pointe des pieds, l’air anxieux, les
mains crispées derrière le dos. Il avait laissé la porte ouverte
pour pouvoir repartir à la première alerte…
– 231 –
quel coin de la chambre ; il ne jetait que de loin en loin un coup
d’œil furtif sur le lit, comme si le regard que l’avocat lui lançait
parfois de côté avait été trop aveuglant. Il ne lui était d’ailleurs
pas moins difficile d’écouter, car maître Huld parlait contre le
mur, à voix basse et très rapidement.
– C’est vous.
– 232 –
– Et outre moi ? demanda l’avocat.
– 233 –
K. ne dit rien ; il restait là, tout étonné, devant le trouble du
client. Combien de fois ce Block n’avait-il pas changé d’attitude
rien que pendant la dernière heure ! Était-ce le procès qui le
ballottait ainsi de droite et de gauche sans lui permettre de dis-
tinguer qui était ami ou ennemi ? Ne voyait-il donc pas que
l’avocat l’humiliait intentionnellement et à seule fin de faire pa-
rade de sa puissance devant K., peut-être pour essayer de le
subjuguer aussi ? Mais si Block n’était pas capable de s’en
rendre compte ou s’il craignait maître Huld à tel point que
l’intelligence de la situation ne lui servît à rien, comment se fai-
sait-il qu’il restât tout de même assez malin ou assez hardi pour
tromper l’avocat en lui taisant tous ceux qu’il avait pris en de-
hors de lui pour l’assister ? Et comment osait-il attaquer K. qui
pouvait à chaque instant trahir son dangereux secret ? Mais il
osait bien pis, car, s’étant dirigé vers le lit de maître Huld, il alla
jusqu’à se plaindre de K. :
– 234 –
Mais l’avocat se tut. Block caressa prudemment l’édredon
d’une main. Dans le silence qui régnait, Leni, s’arrachant des
mains de K., déclara :
– 235 –
Avant de parler, Leni jeta les yeux sur Block ; elle le laissa
un moment tendre les bras vers elle et se tordre les mains dans
un geste de supplication. Finalement, elle hocha gravement la
tête, puis, se tournant vers l’avocat, elle déclara :
– 236 –
– Je suis heureux de cette bonne nouvelle, dit l’avocat.
Mais a-t-il lu intelligemment ? »
– Oui, dit l’avocat, ils le sont ; je ne crois pas non plus qu’il
y comprenne grand-chose. Ils ne sont destinés qu’à lui donner
une idée de la difficulté du combat auquel je me livre pour sa
défense. Et pour qui me suis-je plongé dans ce difficile combat ?
Pour… – c’est presque ridicule à dire – pour un Block. Il faut
qu’il apprenne à comprendre ce que cela signifie. A-t-il étudié
sans arrêt ?
– 237 –
« Tu le loues, dit en effet maître Huld, mais c’est précisé-
ment ce qui me rend si difficile de parler. Car le juge ne s’est
prononcé favorablement ni sur Block, ni sur son procès.
Block la regarda avec une telle fixité qu’on eût cru qu’il lui
supposait le pouvoir de retourner encore à son avantage les pa-
roles que le juge venait pourtant de laisser tomber depuis long-
temps.
– 238 –
C’était la première fois que l’avocat s’adressait directement
à lui d’une façon un peu détaillée. Maître Huld regardait d’une
prunelle fatiguée, moitié dans le vide, moitié vers Block, qui se
laissa retomber lentement sur les genoux sous l’impression de
ce regard.
– 239 –
« Block, dit Leni sur un ton de remontrance en le tirant lé-
gèrement en l’air par le col de son veston, laisse maintenant
cette peau de bête et écoute l’avocat. »
– 240 –
CHAPITRE IX
À LA CATHÉDRALE.
– 241 –
il toujours l’air d’accepter de bon cœur ces sorties. À la veille
d’un dur voyage de deux jours il avait même caché un grave re-
froidissement pour qu’on ne le remplaçât pas en objectant le
mauvais temps. C’était en revenant, fou de névralgies, qu’il avait
appris qu’on le destinait à escorter le gros client italien. La ten-
tation de refuser avait été grande cette fois-là, d’autant plus qu’il
ne s’agissait pas d’un travail strictement professionnel ; le de-
voir mondain qu’il aurait à remplir avait évidemment une
grande importance, mais non pour lui : il savait bien qu’il ne
pouvait se maintenir que par des succès d’affaires et que, s’il n’y
réussissait pas, personne ne lui tiendrait compte d’avoir plongé
dans le plus grand ravissement ce monsieur qui venait d’Italie ;
il ne voulait pas s’éloigner un seul jour du théâtre de son travail,
redoutant trop de ne pouvoir plus rentrer, crainte qu’il recon-
naissait lui-même extrêmement exagérée, mais qui l’oppressait
malgré tout. Il n’arrivait cependant à trouver aucun prétexte qui
fût plausible. Sans être grande, sa connaissance de l’italien suf-
fisait pour guider un touriste, et le grand malheur était surtout
qu’on lui savait à la banque quelques connaissances artistiques
dont on s’était exagéré l’importance en apprenant qu’il avait été
un temps membre du comité de protection des monuments ar-
tistiques de la ville – c’était d’ailleurs pour des raisons
d’affaires. On avait su que l’Italien était un grand amateur d’art
et on avait trouvé tout naturel de choisir K. pour l’escorter.
– 242 –
demander de bien vouloir venir au salon de réception où atten-
dait le monsieur d’Italie.
– 243 –
rien d’italien pour K. mais que le directeur comprenait et parlait
même couramment, ce que K. aurait dû prévoir, car le client
était du sud de l’Italie où le directeur avait passé quelques an-
nées. K. s’aperçut qu’il lui serait très difficile de s’entendre avec
l’étranger dont le français n’était pas plus intelligible que
l’italien ; et puis sa barbe empêchait de voir le mouvement des
lèvres qui aurait peut-être aidé l’auditeur. K. commença donc à
prévoir une foule de désagréments, mais renonça provisoire-
ment à essayer de comprendre en présence du directeur qui le
faisait si facilement, l’effort était bien inutile, et il se contenta de
regarder d’un air chagrin l’aisance que l’Italien gardait tout en
restant plongé au fond de son fauteuil ; il tiraillait fréquemment
son petit veston collant et une fois, en levant les bras et en fai-
sant tourner les mains, il essaya de représenter quelque chose 18
que K. n’arriva pas à comprendre bien qu’il se penchât en avant
pour observer plus attentivement. Finalement, la fatigue reprit
K. ; il ne suivit plus que passivement, en observant machinale-
ment les yeux, les alternances du discours, et, à son grand effroi,
il se surprit à temps sur le point de se lever, de tourner le dos et
de partir tant il était distrait et las. Mais l’Italien, ayant enfin
regardé sa montre, se leva rapidement et, après avoir pris congé
du directeur, s’approcha de K. si près que celui-ci dut reculer
son fauteuil pour conserver la liberté de ses mouvements. Le
directeur, lisant certainement dans ses yeux la détresse où il se
trouvait en face de cet Italien, se mêla alors à la conversation, et
si finement qu’il eut l’air de ne donner que de petits conseils
alors qu’en réalité il expliquait brièvement à K. tout ce que di-
sait le client qui ne cessait de lui couper la parole.
– 244 –
ment que de ne pas l’écouter pour pouvoir saisir au vol les pa-
roles du directeur – et le priait de bien vouloir se trouver à la
cathédrale deux heures plus tard, c’est-à-dire à dix environ, si ce
moment lui convenait. Il espérait pouvoir venir sûrement à ce
moment-là.
– 245 –
les mots dont il allait avoir besoin, les cherchait dans le diction-
naire, s’exerçait à les prononcer puis essayait finalement de les
apprendre par cœur. Mais sa mémoire, si bonne autrefois, sem-
blait l’avoir abandonné ; il lui en venait par moments une telle
fureur contre cet italien qui lui donnait pareil labeur qu’il enter-
rait son dictionnaire sous les papiers avec la ferme résolution de
cesser de se préparer ; mais il ne tardait pas à reconnaître qu’il
ne pourrait tout de même pas rester en face des œuvres d’art de
la cathédrale à faire les cent pas sans rien dire en compagnie de
l’étranger et il ressortait le dictionnaire avec encore plus de fu-
reur.
« On te harcèle ! »
– 246 –
Cependant, le temps avait passé, et il risquait presque
maintenant d’être en retard. Il fila en automobile ; il avait eu
juste le temps de se rappeler au dernier moment le recueil de
photographies qu’il n’avait pas eu l’occasion de donner le matin
et il était allé le chercher. Il le garda sur ses genoux, et ne cessa
pendant tout le trajet de tambouriner avec impatience sur cet
album. Quoique la pluie se fût un peu calmée, le temps restait
froid, humide et sombre ; on verrait mal dans la cathédrale, et
avec la longue station qu’il faudrait faire sur ces dalles glacées,
le refroidissement de K. s’aggraverait considérablement.
– 247 –
Un grand triangle de flammes de cierges brillait au loin sur
le maître-autel. K. n’aurait pas su dire s’il les avait déjà vues.
Peut-être venait-on à peine de les allumer. Les sacristains sont
silencieux par profession, on ne les remarque pas. En se retour-
nant par hasard, il aperçut derrière lui, à quelques pas, contre
un pilier, un grand cierge qui brûlait aussi. Si beau que ce fût,
c’était insuffisant pour éclairer les sculptures qui se trouvaient
presque toutes dans l’ombre des bas-côtés ; l’obscurité n’était
qu’accrue par ces lumières. L’Italien avait donc agi avec autant
de discernement que d’impolitesse en ne venant pas ; il n’aurait
rien pu voir. On aurait été obligé de se contenter d’explorer
quelques statues pouce par pouce avec la lampe de poche de K.
Il s’appuyait sur son épée qu’il avait plantée devant lui dans
le sol nu – d’où ne sortait que de loin en loin une petite tige
d’herbe – et semblait observer attentivement une scène qui de-
vait se passer devant ses yeux. On était étonné de voir qu’il res-
tait ainsi sur place sans s’approcher. Peut-être montait-il la
garde. K., qui n’avait plus vu de bas-relief depuis longtemps,
s’attarda à examiner le chevalier, bien qu’il fût constamment
contraint de cligner des yeux, car il ne pouvait supporter la lu-
mière verte de la lampe. En en promenant le rayon sur le reste
de l’autel il découvrit une mise au tombeau conforme au modèle
courant et qui était d’ailleurs de facture récente. Il rentra alors
sa lampe et retourna à sa place.
– 248 –
Il devait être devenu inutile d’attendre encore l’Italien,
mais dehors il pleuvait sûrement à torrents, et comme K. trou-
vait l’église moins froide qu’il n’avait pensé d’abord, il décida de
rester là pour le moment. La grande chaire se dressait près de
lui. Sur son petit toit rond, on avait disposé obliquement deux
croix d’or nues qui se touchaient par la pointe. Le revêtement
extérieur de l’appui et la partie qui le séparait de la colonne
étaient ornés de pampres verts parmi lesquels s’ébattaient de
petits anges.
– 249 –
boitillant. C’était en marchant d’une façon semblable à ce boitil-
lement rapide que K. essayait dans son enfance d’imiter le mou-
vement d’un cavalier sur son cheval.
– 250 –
n’avait pas été construit pour l’usage des hommes mais simple-
ment comme motif ornemental. Pourtant, sur les derniers de-
grés – K. en sourit d’étonnement – un prêtre se tenait bien là,
une main posée sur la rampe et prêt à monter l’escalier, le re-
gard dirigé sur K. Il fit même un signe de tête, sur quoi K. se
signa et s’inclina, ce qu’il aurait dû faire plus tôt. Le prêtre prit
un petit élan et se mit à monter à pas courts et rapides. Allait-il
donc vraiment commencer un sermon ? Le bedeau de tout à
l’heure était-il moins privé de raison qu’il n’en avait l’air ? Avait-
il voulu amener K. au prédicateur, ce qui s’expliquait en effet
dans une église aussi déserte ? Mais n’y avait-il pas d’autre part,
devant une statue de la Vierge, une vieille femme qu’on aurait
dû amener aussi, et, s’il devait se donner un sermon, pourquoi
n’y préludait-on pas par les orgues ? Mais les orgues se taisaient
et ne scintillaient que faiblement du haut des ténèbres où elles
nichaient sous la voûte.
– 251 –
s’était reculé et se tenait maintenant devant le premier banc, les
bras posés sur l’accoudoir. Il vit dans le flou, quelque part, le
bedeau qui s’accroupissait paisiblement, le dos voûté comme un
homme qui a fini son travail. Quel silence dans cette cathé-
drale ! Il fallait pourtant que K. le troublât ; il n’avait pas
l’intention de rester ; si l’abbé était obligé de venir prêcher dans
l’église à une heure déterminée, sans tenir compte du public, il
n’avait qu’à le faire ; il y réussirait tout aussi bien sans
l’assistance de K., car la présence de ce seul auditeur
n’accroîtrait sûrement pas beaucoup l’effet de la prédication. K.
se mit donc lentement en mouvement, traversa la nef le long du
banc, en tâtonnant de la pointe des pieds, arriva dans l’allée
centrale et redescendit sans accroc, à ceci près que les dalles de
pierre résonnaient au moindre pas et que les voûtes répétaient
le bruit de sa marche en plus sourd, suivant les lois d’une infati-
gable progression, avec des échos variés.
– 252 –
que, s’il se retournait, c’était fini, il était pris, il avouait qu’il
avait bien compris, qu’il était bien celui qu’on appelait et qu’il
était prêt à obéir.
– 253 –
– Ah ! bien, dit K.
– 254 –
– Mais je ne suis pas coupable ! dit K., c’est une erreur.
D’ailleurs, comment un homme peut-il être coupable ? Nous
sommes tous des hommes ici, l’un comme l’autre.
– 255 –
Surtout avec cette justice où l’on ne trouve guère que des cou-
reurs de jupons. Montre une femme au loin au juge
d’instruction, il renversera sa table et l’accusé pour pouvoir ar-
river à temps. »
– 256 –
mière de la petite lampe. Pourquoi l’abbé ne descendait-il pas ?
Il n’avait pas tenu de sermon, mais donné simplement à K.
quelques indications qui lui feraient probablement plus de tort
que de bien s’il en tenait scrupuleusement compte. Pourtant, la
bonne intention de l’abbé paraissait hors de doute.
– 257 –
– Autant que tu voudras, » dit l’abbé en tendant à K. la pe-
tite lampe pour la lui faire porter. Même de près il conservait
dans toute sa personne une certaine solennité.
– 258 –
attendre quand même jusqu’à ce qu’on lui permette d’entrer. La
sentinelle lui donne un escabeau et le fait asseoir à côté de la
porte. Il reste là de longues années. Il multiplie les tentatives
pour qu’on lui permette d’entrer et fatigue la sentinelle de ses
prières. La sentinelle lui fait subir parfois de petits interroga-
toires, l’interroge sur son village et sur beaucoup d’autres sujets,
mais ce ne sont que des questions indifférentes comme les po-
sent les grands seigneurs et pour finir elle dit toujours qu’elle ne
peut pas le laisser entrer. L’homme, qui s’est abondamment
pourvu pour son voyage de toutes sortes de provisions, emploie
tout, si précieux que ce soit, pour soudoyer la sentinelle. Et la
sentinelle prend bien tout, mais en disant : “ Je n’accepte que
pour que tu ne puisses pas penser que tu as négligé quelque
chose. ” Pendant ses longues années d’attente, l’homme ne cesse
presque jamais d’observer la sentinelle. Il en oublie les autres
gardiens, il lui semble que le premier est le seul qui l’empêche
d’entrer dans la Loi. Et il maudit bruyamment la cruauté du ha-
sard pendant les premières années ; plus tard, en devenant
vieux, il ne fait plus que grommeler. Il retombe en enfance, et
comme, au cours des longues années où il a étudié la sentinelle,
il a fini par connaître jusqu’aux puces de son col de fourrure, il
prie les puces elles-mêmes de l’aider à fléchir le gardien. Fina-
lement, sa vue s’affaiblit et il ne sait si la nuit se fait vraiment
autour de lui ou s’il est trompé par ses yeux. Mais maintenant il
discerne dans l’ombre l’éclat d’une lumière qui brille à travers
les portes de la Loi. Il n’a plus pour longtemps à vivre désor-
mais. Avant sa mort, tous ses souvenirs viennent se presser
dans son cerveau pour lui imposer une question qu’il n’a pas
encore adressée. Et, ne pouvant redresser son corps raidi, il fait
signe au gardien de venir. Le gardien se voit obligé de se pen-
cher très bas sur lui, car la différence de leurs tailles s’est extrê-
mement modifiée. “ Que veux-tu donc encore savoir ? demande-
t-il, tu es insatiable. – Si tout le monde cherche à connaître la
Loi, dit l’homme, comment se fait-il que depuis si longtemps
personne que moi ne t’ait demandé d’entrer ? ” Le gardien voit
que l’homme est sur sa fin et, pour atteindre son tympan mort,
– 259 –
il lui rugit à l’oreille : “ Personne que toi n’avait le droit d’entrer
ici, car cette entrée n’était faite que pour toi, maintenant je pars,
et je ferme. ”
– 260 –
telle allusion, car il paraît aimer l’exactitude et fait scrupuleu-
sement son devoir. Il veille de longues années sans abandonner
son poste et ne ferme la porte que tout à fait à la fin ; il a cons-
cience de l’importance de sa mission, car il dit : « Je suis puis-
sant », et il respecte ses supérieurs puisqu’il déclare : « Je ne
suis que la dernière des sentinelles. » Il n’est pas bavard
puisqu’il ne pose de longtemps que des questions indifférentes,
comme dit le texte de l’Écriture ; il n’est pas vénal puisqu’il dit
quand il accepte des cadeaux : « Je ne les prends que pour que
tu ne puisses pas penser que tu as négligé quelque chose » ; il ne
se laisse ni émouvoir ni irriter quand il s’agit de
l’accomplissement de son devoir puisqu’il est dit de l’homme :
« Il fatigue la sentinelle de ses prières » ; enfin, son physique
lui-même annonce un caractère pédant, car il a un grand nez
pointu et une longue barbe rare et noire à la tartare. Peut-on
trouver plus fidèle portier ? Mais il est dans son caractère
d’autres traits qui sont extrêmement favorables à celui qui de-
mande l’entrée et qui nous expliquent en tout cas que le gardien
ait pu outrepasser son devoir en laissant percer l’allusion dont
je parlais au sujet des possibilités que l’homme du pays pouvait
avoir plus tard de pénétrer au cœur de la Loi. On ne saurait nier
en effet que ce portier ne soit un peu naïf et vaniteux – ce qui
découle de naïf dans une certaine mesure. Quelque exactes que
soient ses déclarations au sujet de sa puissance et de celle des
autres gardiens, dont il dit qu’il ne pourrait lui-même soutenir
la vue, quelque exactes, dis-je, que soient ces déclarations, le
ton sur lequel il les fait montre que sa façon de voir est troublée
par la naïveté et l’orgueil. Les glossateurs disent à ce propos
qu’on peut à la fois comprendre une chose et se méprendre à
son sujet. De toute façon on est forcé d’admettre que, si faible-
ment que se manifestent cet orgueil et cette naïveté, ils rédui-
sent l’efficacité de la surveillance de l’entrée, il y a des trous
dans le caractère du gardien. Il faut ajouter à cela que le portier
semble être aimable par nature. Il ne reste pas toujours officiel.
Il plaisante dès le début en invitant l’homme à entrer malgré la
défense qu’il maintient, puis, au lieu de le renvoyer, il lui donne,
– 261 –
dit-on, lui-même un escabeau et le fait asseoir à côté de la porte.
La patience avec laquelle il souffre pendant des années les insis-
tances de l’homme le montre accessible à la pitié, comme aussi
les petites conversations qu’il engage, les présents qu’il accepte
et la générosité avec laquelle il permet à l’homme de maudire à
ses côtés la cruauté du hasard qu’il représente pourtant ici, lui le
portier. Tous n’auraient pas agi ainsi. Et finalement ne
s’abaisse-t-il pas vers l’homme sur un simple signe pour lui
donner la possibilité de poser sa suprême question ? On ne peut
relever de traces d’impatience que dans les mots : « Tu es insa-
tiable » ; encore le portier sait-il qu’à ce moment tout est fini ;
bien des gens vont même plus loin et disent que cette parole
exprime une sorte d’admiration amicale, bien qu’à vrai dire lé-
gèrement condescendante. De toute façon le personnage du
gardien se présente tout autrement que tu ne le pensais.
– 262 –
tiennent pour enfantine l’idée qu’il a de l’intérieur et pensent
qu’il redoute lui-même ce dont il veut faire peur à l’homme ; et
qu’il le redoute même plus que l’homme, car celui-ci ne de-
mande qu’à entrer, même quand on lui a parlé des terribles sen-
tinelles, tandis que le gardien, lui, ne veut pas entrer du moins
n’en est-il pas question. D’autres disent bien qu’il faut qu’il soit
déjà entré, puisqu’il a été pris au service de la Loi et que
l’engagement n’a pu se passer qu’à l’intérieur. Mais on a le droit
de leur répondre qu’il peut aussi bien avoir été nommé de
l’intérieur sans entrer et que de toute façon il ne saurait être allé
bien loin puisqu’il ne peut déjà plus soutenir la vue de la troi-
sième sentinelle. D’ailleurs, il n’est dit nulle part qu’au cours des
nombreuses années pendant lesquelles l’homme attend, le por-
tier raconte jamais quoi que ce soit de l’intérieur si l’on excepte
sa réflexion au sujet des sentinelles. Il se pourrait évidemment
qu’il lui fût défendu d’en parler, mais il n’en dit rien non plus.
On conclut de tout cela qu’il ignore et l’apparence et
l’importance de l’intérieur et qu’il se trompe à leur sujet. Et il se
trompe aussi sur l’homme de la campagne, car il est inférieur à
cet homme et il ne le sait pas. Qu’il le traite en inférieur, cela se
voit à nombre de passages dont tu dois te souvenir encore. Mais
qu’en réalité il lui soit inférieur, la thèse que je t’expose ici dé-
clare que c’est tout aussi net. D’abord l’homme libre est supé-
rieur à l’homme lié. Or, l’homme qui est venu est libre, il peut
aller où il lui plaît ; il n’y a que l’entrée de la Loi qui lui soit dé-
fendue, et encore par une seule personne, celle du gardien. S’il
s’assied à côté de la porte et passe sa vie à cet endroit, il le fait
volontairement ; l’histoire ne mentionne pas qu’il y ait jamais
été contraint. Le gardien, par contre, est lié à son poste par son
devoir ; il n’a pas le droit de s’éloigner à l’extérieur, ni non plus,
selon toute apparence, de pénétrer à l’intérieur, même s’il le
veut. De plus, s’il est au service de la Loi, il ne la sert qu’en ce
qui concerne cette entrée ; il ne sert donc effectivement que
pour cet homme auquel l’entrée est destinée, et c’est encore une
raison de voir en lui son subalterne. Il faut admettre qu’il a dû
faire son service inutilement bien des années – tout un âge
– 263 –
d’homme pour ainsi dire – car il est dit qu’un homme vient, un
homme mûr par conséquent, ce qui suppose que le gardien a dû
attendre très longtemps avant de remplir son office, attendre,
pour être précis, autant qu’il a pu plaire à l’homme qui est venu
quand il a voulu. Et il n’est pas jusqu’à la fin de sa faction qui ne
dépende de cet homme puisqu’elle ne cesse qu’à la mort du visi-
teur ; il lui reste donc subordonné jusqu’au bout. Or, le texte
montre à chaque instant que le gardien semble ignorer tout cela.
Les glossateurs n’y voient d’ailleurs rien de surprenant, car il se
trompe, à leur avis, encore plus grossièrement sur un autre
point, savoir sur son propre métier. Ne dit-il pas en effet à la
fin : « Maintenant je pars et je ferme » ? Mais il était dit au dé-
but que la porte de la Loi était ouverte comme toujours ; or, si
elle est ouverte « toujours », c’est-à-dire indépendamment de la
durée de la vie de l’homme auquel elle est destinée, la sentinelle
elle-même ne pourra pas la fermer. Ici les opinions divergent.
D’aucuns disent que le gardien, en déclarant qu’il va fermer la
porte, ne veut que donner une réponse, d’autres qu’il veut souli-
gner son devoir, d’autres enfin qu’il cherche à plonger l’homme
dans un dernier remords, dans un dernier regret. Mais un grand
nombre de glossateurs sont d’accord pour affirmer qu’il ne
pourra pas fermer la porte. Ils pensent même qu’à la fin tout au
moins, la sentinelle reste inférieure en savoir à l’homme, car
l’homme voit l’éclat qui brille à travers la porte de la Loi, alors
que le gardien reste toujours le dos tourné à l’entrée en sa quali-
té de sentinelle et ne témoigne par aucune déclaration qu’il ait
remarqué un changement.
– Voilà qui est bien fondé, dit K., qui avait suivi certains
passages de l’explication de l’abbé en les répétant à mi-voix.
Voilà qui est bien fondé, et je crois moi aussi maintenant que le
gardien est dupe. Mais cela ne supprime pas ma première opi-
nion qui coïncide même en partie avec celle que je viens
d’acquérir. Peu importe en effet que le gardien voie clair ou non.
Je disais que l’homme est trompé. Si le gardien voit clair, on
pourrait en douter, mais s’il est trompé, l’homme aussi doit
– 264 –
l’être à plus forte raison. Le gardien cesse dans ce cas d’être un
trompeur, mais il apparaît si naïf qu’on devrait le chasser im-
médiatement. Songe en effet que si l’erreur où il se trouve ne lui
nuit pas, elle est mille fois dangereuse pour l’homme.
– 265 –
accepta sa réflexion sans dire un mot, bien qu’elle ne concordât
pas avec son propre sentiment.
Bien que K. n’y eût pas pensé sur le moment, il dit aussi-
tôt :
– 266 –
– J’attends, dit l’abbé.
– 267 –
CHAPITRE X
Bien qu’on ne lui eût pas annoncé la visite, K., vêtu de noir
lui aussi, s’était assis près de sa porte dans l’attitude d’un mon-
sieur qui attend quelqu’un et s’occupait d’enfiler des gants neufs
dont les doigts se moulaient petit à petit sur les siens. Il se leva
immédiatement et regarda curieusement les deux messieurs.
– 268 –
Puis, se plantant brusquement en face d’eux, il leur de-
manda :
– 269 –
voyant leurs gros doubles mentons. La propreté de leurs visages
le dégoûtait. On voyait encore la main savonneuse qui s’était
promenée dans les commissures de leurs paupières, qui avait
frotté leurs lèvres supérieures et gratté les fentes de leurs men-
tons 20.
– 270 –
jeune fille, non pour la rattraper, ni non plus pour la voir le plus
longtemps qu’il le pourrait, mais simplement pour ne pas ou-
blier l’avertissement qu’elle représentait pour lui.
– 271 –
L’un des deux sembla faire à l’autre, derrière lui, un léger
reproche au sujet de cet arrêt qui prêtait à malentendus, puis ils
poursuivirent leur chemin.
– 272 –
fraîcheur de l’air nocturne, il le prit ensuite sous le bras et lui fit
faire les cent pas pendant que l’autre monsieur cherchait dans la
carrière un endroit qui pût convenir. Lorsque cet endroit fut
trouvé, le monsieur fit signe à son collègue qui amena K.
jusque-là. C’était tout près de la paroi ; il s’y trouvait encore une
pierre arrachée. Les messieurs, assirent K. sur le sol,
l’inclinèrent contre la pierre et posèrent sa tête dessus. Malgré
tout le mal qu’ils se donnaient et malgré toute la complaisance
qu’y mettait K., sa position restait extrêmement contrainte et
invraisemblable. Aussi l’un des messieurs pria-t-il l’autre de lui
confier pour un instant le soin de disposer K. tout seul, mais les
choses n’en allèrent pas mieux. Ils finirent par le laisser dans
une position qui n’était même pas la meilleure de celles qu’ils
avaient déjà obtenues. L’un des messieurs ouvrit ensuite sa re-
dingote et sortit d’un fourreau accroché à une ceinture qu’il por-
tait autour du gilet un long et mince couteau de boucher à deux
tranchants, le tint en l’air et vérifia les deux fils dans la lumière.
Ce furent alors les mêmes horribles politesses que précédem-
ment ; l’un des deux, allongeant la main au-dessus de K., tendit
à l’autre le couteau, l’autre le lui rendit de la même façon. K.
savait très bien maintenant que son devoir eût été de prendre
lui-même l’instrument pendant qu’il passait au-dessus de lui de
main en main et de se l’enfoncer dans le corps. Mais il ne le fit
pas, au contraire ; il tourna son cou encore libre et regarda au-
tour de lui. Il ne pouvait pas soutenir son rôle jusqu’au bout, il
ne pouvait pas décharger les autorités de tout le travail ; la res-
ponsabilité de cette dernière faute incombait à celui qui lui avait
refusé le reste de forces qu’il lui aurait fallu pour cela. Ses re-
gards tombèrent sur le dernier étage de la maison qui touchait
la carrière. Comme une lumière qui jaillit les deux battants
d’une fenêtre s’ouvrirent là-haut ; un homme – si mince et si
faible à cette distance et à cette hauteur – se pencha brusque-
ment dehors, en lançant les bras en avant. Qui était-ce ? Un
ami ? Une bonne âme ? Quelqu’un qui prenait part à son mal-
heur ? Quelqu’un qui voulait l’aider ? Était-ce un seul ? Étaient-
ce tous ? Y avait-il encore un recours ? Existait-il des objections
– 273 –
qu’on n’avait pas encore soulevées 22 ? Certainement. La logique
a beau être inébranlable, elle ne résiste pas à un homme qui
veut vivre. Où était le juge qu’il n’avait jamais vu ? Où était la
haute cour à laquelle il n’était jamais parvenu ? Il leva les mains
et écarquilla les doigts.
– 274 –
APPENDICE
– 275 –
I
CHAPITRES INACHEVÉS.
– 276 –
manda au téléphone ce qui se produirait s’il ne venait pas. « On
saura vous trouver », lui fut-il répondu. « Et serai-je puni de
n’être pas venu de mon plein gré ? » demanda-t-il en souriant,
curieux de ce qu’il allait entendre. « Non », lui dit-on, « Par-
fait », dit K., « mais quelle raison aurais-je alors d’obéir à la
convocation d’aujourd’hui ? » « On n’aime pas en général pro-
voquer les mesures violentes de la justice » dit la voix qui devint
plus faible et s’éteignit. « Il est très imprudent au contraire de
ne pas le faire », pensa K. tout en s’en allant, « il faut essayer de
savoir ce que sont ces mesures violentes. »
– 277 –
VISITE DE K. À SA MÈRE.
– 278 –
céder à tous ses désirs : pour une fois sa mauvaise habitude
tournerait au profit du bien.
– 279 –
littéralement, dans son intention de partir. Le directeur, entre-
temps – par hasard, ou plutôt par égard pour K. – s’était penché
sur un journal. Il releva les yeux, se leva, tendit la main à K. et,
sans autre question, lui souhaita bon voyage.
– 280 –
K. haïsse Kullich, et non seulement Kullich, mais encore Ra-
bensteiner et Kaminer. Il croit qu’il les a toujours haïs ; c’est
seulement quand ils ont apparu dans la chambre de
Mlle Bürstner qu’il a commencé à les remarquer, mais sa haine
date de plus vieux. Et dans les derniers temps K. souffre
presque de cette haine, car il ne peut l’assouvir ; comment avoir
prise sur eux ? Ce sont les employés du degré le plus bas, et les
dernières des nullités ; ils n’avanceront pas, sinon par la force
de l’ancienneté, et, même à l’ancienneté, plus lentement que
tout autre, aussi est-il à peu près impossible de leur mettre un
bâton dans les roues ; nulle main étrangère ne saurait élever sur
leur route obstacle égal à la sottise de Kullich, la paresse de Ra-
bensteiner, la rampante servilité du répugnant Kaminer. La
seule chose que l’on pourrait entreprendre contre eux serait de
provoquer leur renvoi, ce serait même très facile, il suffirait de
quelques mots de K. au directeur, mais K. recule devant cette
solution. Peut-être l’adopterait-il si le directeur adjoint qui favo-
rise ouvertement ou en secret tout ce que K. déteste, devait in-
tervenir pour eux, mais, fait étrange, il y a là exception, le direc-
teur adjoint, ici, veut comme K.
– 281 –
LE PROCUREUR1.
– 282 –
K. avait été introduit dans cette société par un avocat, le
représentant juridique de la banque. Il y avait eu toute une pé-
riode pendant laquelle il s’était trouvé obligé de conférer au bu-
reau avec cet avocat jusqu’à une heure avancée de la soirée ; les
circonstances l’avaient ainsi amené à prendre son repas du soir
à la table habituelle de son interlocuteur et il avait pris plaisir à
la compagnie qui s’y trouvait. Il n’y voyait que des gens ins-
truits, considérés, et puissants en un certain sens, dont la dis-
traction consistait à résoudre des problèmes ardus qui n’avaient
que des rapports lointains avec l’existence ordinaire et à s’y
donner un grand mal. S’il n’y pouvait intervenir que faiblement,
il y trouvait la possibilité d’apprendre un grand nombre de
choses qui le serviraient tôt ou tard à la banque, et de nouer
avec le parquet ces relations personnelles qui sont toujours
utiles. La sympathie, d’ailleurs, paraissait réciproque. Il ne tarda
pas à être classé comme un homme expert en affaires et – même
si la chose n’alla pas sans quelque soupçon d’ironie – son opi-
nion fit loi dans sa spécialité. Il ne fut pas rare que deux des
messieurs, jugeant différemment d’un point de droit commer-
cial, lui demandassent son avis sur la matière de la cause, et que
son nom revint alors dans les discours et les contre-discours,
qu’il figurât dans des quintessences de raisonnement que K. ne
pouvait plus suivre depuis longtemps. À vrai dire, petit à petit il
s’ouvrit à beaucoup de choses, et d’autant mieux qu’il avait en
son voisin, le procureur Hasterer, un excellent conseil qu’il fré-
quentait aussi sur le plan de l’amitié. Il le raccompagnait assez
souvent chez lui, mais il lui fallut très longtemps pour s’habituer
à se promener bras dessus bras dessous avec cet homme gigan-
tesque qui aurait pu le cacher dans son manteau sans que per-
sonne s’en aperçût.
– 283 –
rarement réfuter, car elle était directement puisée à des sources
qu’on n’atteint pas du siège des juges.
– 284 –
adresser – en général c’était en vue d’organiser une réconcilia-
tion avec quelque confrère – on venait d’abord trouver K. et lui
demander de s’entremettre, ce qu’il faisait toujours volontiers et
avec un facile succès. D’ailleurs il n’abusait jamais de ses rela-
tions avec Hasterer ; extrêmement poli, modeste avec tout le
monde, il avait l’art, plus important encore que politesse et mo-
destie, de discerner très justement toutes les nuances dans la
hiérarchie de ces messieurs et de traiter chacun selon son rang.
À vrai dire, Hasterer ne cessait de l’y former ; ce code secret de
la hiérarchie était le seul dont il ne violât pas les lois dans
l’emportement des pires disputes. Et c’est pourquoi il ne
s’adressait jamais aux jeunes messieurs du bas bout qui étaient
encore presque sans grade – que d’une façon générale, non
comme à des individus mais comme à un bloc d’un seul tenant.
Or, c’étaient justement ceux-là qui lui rendaient le plus
d’honneurs, et quand il se levait, à onze heures, pour rentrer à
son domicile, il s’en trouvait toujours quelqu’un de déjà prêt
pour l’aider à mettre son lourd manteau, et un autre qui ouvrait
la porte avec une profonde révérence, et continuait, évidem-
ment, pour K quand K. quittait la salle à la suite d’Hasterer.
– 285 –
l’attention, lançait sur Hasterer un de ses fascicules. Hasterer se
levait alors en souriant et K. prenait congé.
– 286 –
autrement. K. lui expliqua que le procureur était en effet de ses
amis et qu’ils avaient passé la veille devant l’église. Le directeur
sourit avec étonnement et pria K. de prendre un siège. C’était là
l’un de ces instants à cause desquels K. aimait le directeur, un
de ces instants pendant lesquels, chez cet homme faible, ma-
lade, toussotant, surchargé de besognes et des plus graves res-
ponsabilités, se faisait jour un certain souci du bonheur et de
l’avenir de K., souci qu’on pouvait à vrai dire qualifier de froid et
de superficiel, selon l’expression de certains employés qui
avaient fait la même expérience dans le bureau du directeur ;
sans doute n’était-ce qu’un moyen de s’attacher, pour des an-
nées, au prix de deux minutes, des auxiliaires précieux. Quoi
qu’il en fût, dans ces instants, K. était vaincu par le directeur.
Peut-être aussi le directeur parlait-il avec K. un peu autrement
qu’avec les autres ; non qu’il parût faire abstraction de la supé-
riorité de son rang pour se mettre sur le pied de K. – cela, c’était
plutôt le ton courant de ses relations dans le travail – non, cette
fois, c’était la situation de K. qu’il semblait avoir oubliée pour
parler avec lui comme avec un enfant ou comme avec un jeune
homme ignorant qui cherche à obtenir un poste pour la pre-
mière fois de sa vie et qui a provoqué on ne sait trop comment la
sympathie de son directeur.
– 287 –
« Je ne savais rien de cette amitié », dit le directeur, et
l’amabilité d’un léger sourire adoucit seule la sévérité de ces
mots.
– 288 –
LA MAISON.
– 289 –
Ce fut ce qu’il fit, parlant de la maison du ton d’un homme
qui en sait plus long qu’il n’en veut dire, comme s’il y avait déjà
noué des relations, mais que l’affaire ne fût pas assez mûre pour
qu’on l’éventât sans danger, puis, quand Titorelli le pressait de
questions, détournant la conversation et n’y revenant plus de
longtemps. Ces petits succès lui faisaient plaisir ; il y puisait
l’idée que maintenant il comprenait bien mieux les gens de
l’entourage de la justice, qu’il pouvait jouer avec eux, s’insinuait
presque dans leurs rangs, acquérait, tout au moins pendant
quelques instants, ce point de vue supérieur d’où ils voyaient les
choses, les découvrant, pour ainsi dire, du haut de la première
marche de l’escalier du tribunal sur laquelle ils étaient juchés.
Qu’importait qu’il perdît sa place au bout du compte à l’endroit
(en bas) où il était ? Une chance de salut resterait encore là-
haut ; il n’y avait qu’à se glisser parmi ces gens ; s’ils n’avaient
pu l’aider dans son procès, par manque de poids ou pour toute
autre raison, ils pouvaient du moins l’accueillir et le cacher ; il
ne leur était même pas possible, si K. réfléchissait à tout et opé-
rait secrètement, de refuser de l’aider ainsi, surtout Titorelli
dont il était devenu un intime et un bienfaiteur.
– 290 –
et le fixe regard de la réflexion qui médite sur de lourdes res-
ponsabilités. Les locataires de Mme Grubach ne cessaient de
revenir à part, en groupe compact, les têtes se touchant et la
bouche grande ouverte, comme le chœur de l’accusation. Parmi
eux beaucoup d’inconnus, car il y avait déjà longtemps que K.
ne se souciait plus du tout des affaires de la pension.
– 291 –
ne pouvait s’en empêcher. Que de mascarades l’étranger nous
présente ! pensait-il en ouvrant des yeux encore plus grands. Et
il resta à la suite de cet homme jusqu’au moment où il se re-
tourna et plongea son visage dans le cuir du divan.
– 292 –
nait à la conclusion que cette belle façon de se mouvoir ne pou-
vait plus appartenir à la basse existence qu’il menait jusqu’alors,
juste à ce moment, au-dessus de sa tête penchée, s’opéra la mé-
tamorphose. La lumière qui, l’instant d’avant, arrivait encore de
derrière, changea et tout à coup arriva de devant : une cataracte
éblouissante de lumière. K. leva les yeux, Titorelli lui adressa un
signe de tête et lui fit tourner les talons. K. se retrouva dans le
corridor du tribunal, mais tout y était plus tranquille et plus
simple. Nul détail singulier n’y frappait plus les yeux ; il em-
brassa tout d’un regard, se dégagea de Titorelli et alla son che-
min. Il portait ce jour-là un costume neuf, un long vêtement de
couleur foncée, voluptueusement léger et chaud. Il savait ce qui
lui était arrivé, mais il en était si heureux qu’il ne voulait pas se
l’avouer encore. Dans un angle du corridor, où de grandes fe-
nêtres étaient ouvertes d’un côté, il trouva sur un tas ses anciens
vêtements, sa jaquette noire, son pantalon aux raies cérémo-
nieuses, et là-dessus, étalée, sa chemise aux bras tremblants.
– 293 –
COMBAT AVEC LE DIRECTEUR ADJOINT.
– 294 –
que K. n’écoutait pas et pensait à autre chose. Il se pouvait
même, qui plus est, que K. eût pris une décision ridicule ou que
le directeur adjoint lui en eût extorqué une telle et qu’il la fît
exécuter en ce moment en toute hâte pour nuire à K.
– 295 –
tout tournât régulièrement à sa confusion. Quand il revenait
épuisé de telles rencontres, en sueur et la tête vide, il ne savait si
c’était l’espoir ou le désespoir qui l’avait poussé au combat ; la
fois suivante, ce n’était plus de nouveau que l’espoir, l’espoir
total, qui l’emportait à tire-d’aile devant le bureau du directeur
adjoint.
– 296 –
maux de tête le réfutait. Mais en même temps elle lui fournissait
un exemple. Il pouvait lui aussi se fermer aux soucis qui
n’étaient pas de sa profession. Il suffisait de se tenir à la tâche
plus strictement encore que d’habitude, d’organiser une tâche
nouvelle qui réclamerait des soins constants, de resserrer par
des visites et des voyages des relations un peu relâchées avec le
monde des affaires, d’écrire au directeur des rapports plus fré-
quents et de chercher à obtenir de lui des missions particulières.
– 297 –
adjoint ; en y arrivant dans sa lecture, il ne put s’imposer une
pose, tant son propre travail le prit, ou plutôt, tant il fut heureux
de retrouver à sa lecture la conscience de plus en plus rare qu’il
signifiait encore quelque chose à la banque et que ses pensées
avaient la force de le justifier. Peut-être même cette façon de se
défendre était-elle la meilleure non seulement à la banque mais
devant le tribunal, bien meilleure que toutes celles qu’il avait
essayées ou qu’il projetait d’adopter.
– 298 –
l’une d’elles fut fracturée dans l’impétuosité du choc, et la fragile
moulure du haut se cassa en deux à un endroit.
– 299 –
FRAGMENT2
– 300 –
j’aurai besoin de toi les jours prochains ; en attendant, ne veux-
tu pas rentrer ?
– Demain ?
– 301 –
II
– 302 –
5 Passage supprimé par l’auteur – en page 30 : Devant la maison
un militaire allait et venait du pas bruyant et régulier des sentinelles. Il y
avait donc aussi, maintenant, un homme de garde devant l’immeuble. K.
dut se pencher fortement pour le voir, car le soldat se tenait près du mur.
« Hep là-bas ! » cria-t-il, mais non pas assez fort pour que le soldat pût
l’entendre. Il apparut d’ailleurs bientôt que le soldat n’attendait qu’une
bonne qui était allée en face lui chercher de la bière : la silhouette de cette
femme se découpa sur le pas de la porte dans un rectangle lumineux. K.
se demanda si l’idée que le factionnaire fût là pour lui ne lui avait
qu’effleuré l’esprit ; il ne sut qu’en penser.
6 Passage supprimé par l’auteur – en page 36 : « Vous êtes un
homme insupportable, on ne sait pas si vous plaisantez ou si vous parlez
sérieusement. » « Ce n’est pas tout à fait inexact », dit K. tout au plaisir
de bavarder avec une jolie fille, « ce n’est pas tout à fait inexact ; je
manque de sérieux, aussi suis-je obligé de chercher à me débrouiller avec
la plaisanterie, et pour le plaisant et pour le sérieux. Mais, arrêté, je l’ai
été sérieusement. »
7 Au lieu de « réunion politique » il y avait eu d’abord « réunion
socialiste » (page 49).
8 Passage supprimé par l’auteur – en page 58 : K. vit seulement
que sa blouse déboutonnée pendait tout autour d’elle à partir de la cein-
ture, qu’un homme l’avait entraînée dans un coin, près de la porte, et
pressait contre sa poitrine celle de la femme qui n’avait plus que sa che-
mise sur le haut du corps.
9 Passage supprimé par l’auteur – en page 72 : K. avait déjà essayé
de saisir la main que la femme cherchait visiblement, bien que crainti-
vement, à lui tendre, quand les discours de l’étudiant le rendirent sou-
dain attentif. Cet étudiant était un bavard et un fanfaron ; peut-être
pourrait-on tirer de lui des détails sur l’accusation qui avait été portée
contre K. et une fois ces détails connus, K. n’aurait plus qu’une chique-
naude à donner pour mettre fin, à la stupeur de tous, à cette aventure
judiciaire.
10 Passage supprimé par l’auteur – en page 108 : Il était même
certain qu’il eût spontanément repoussé cette proposition si elle avait été
accompagnée d’une offre d’argent qui aurait doublement blessé le bour-
reau, car la personne de K. devait être sacrée pour les employés de la
justice pendant toute la durée du procès.
11 Passage supprimé par l’auteur – en page 123 : Cet éloge laissa la
jeune fille insensible ; elle parut le rester encore lorsque l’oncle dit :
– 303 –
« Il se peut. Mais je t’adresserai quand même une infirmière dès au-
jourd’hui s’il y a moyen. Si elle ne fait pas l’affaire, rien ne t’empêchera de
la congédier, mais fais-moi le plaisir de l’essayer. Dans l’atmosphère et le
silence où tu vis, on se sent mourir.
– Ce n’est pas toujours aussi calme, dit l’avocat. Je n’accepterai ton
infirmière que si c’est nécessaire.
– C’est nécessaire », dit l’oncle.
12 Passage supprimé par l’auteur – en page 131 : Le bureau, qui
occupait presque toute la longueur de la pièce, était placé près des fe-
nêtres et disposé de telle sorte que l’avocat tournait le dos à la porte et
que le visiteur, devenant un intrus, devait explorer toute la chambre
avant d’apercevoir le visage du maître, à moins que celui-ci n’eût
l’amabilité de se tourner vers le nouveau venu.
13 Passage supprimé par l’auteur – en page 158 : Non, K. ne pou-
vait rien espérer pour lui-même d’une publicité du procès. Ceux qui ne
s’élèveraient pas en juges pour le condamner aveuglément d’avance,
chercheraient du moins à l’humilier maintenant que c’était si facile.
14 Passage supprimé par l’auteur – en page 170 : Dans la pièce il
faisait très noir ; les fenêtres devaient être armées d’épais rideaux qui ne
laissaient filtrer aucune lumière. K. restait encore agité de sa course ; il fit
machinalement quelques longues enjambées. Ce ne fut qu’alors qu’il
s’arrêta et s’aperçut qu’il ne savait plus à quel endroit de la chambre il
pouvait se trouver. En tout cas l’avocat dormait encore ; on ne l’entendait
pas respirer, car il avait l’habitude de se recroqueviller tout entier dans le
lit de plumes.
15 Passage supprimé par l’auteur – en page 227 : …, comme s’il at-
tendait un signe de vie de l’accusé…
16 Passage supprimé par l’auteur – en page 228 : Vous ne me par-
lez pas franchement et vous ne l’avez jamais fait. Vous n’avez donc pas à
vous plaindre si, comme vous le dites du moins vous êtes méconnu. Moi,
qui suis franc, je n’ai pas peur qu’on me méconnaisse. Vous vous êtes
saisi de mon procès comme si j’étais entièrement libre, mais maintenant
j’éprouve presque l’impression que non seulement vous l’avez mal con-
duit, mais que vous avez essayé de me le cacher sans jamais rien tenter
de sérieux, pour que je ne puisse pas m’en mêler et qu’un beau jour, je ne
sais où, le jugement soit prononcé en mon absence. Je ne dis pas que
vous avez voulu tout cela…
17 Passage supprimé par l’auteur – en page 234 : Il eût été extrê-
mement tentant de se moquer de Block. Leni profita de la distraction de
– 304 –
K., et, comme il lui tenait les mains, elle appuya les coudes sur le dossier
de sa chaise et se mit à le bercer comme dans un rocking-chair ; K. n’y
prêta pas attention ; il regardait Block qui soulevait précautionneuse-
ment le bord du lit de plumes, pour trouver de toute évidence les mains
de l’avocat et pour les embrasser.
18 Passage supprimé par l’auteur – en page 244 : … et qui devait
être, à première vue, si on ne savait de quoi il était question, la façon dont
retombe un jet d’eau.
19 Passage supprimé par l’auteur – en page 265 : Là-dessus, il res-
ta court. Il lui venait à l’esprit qu’il venait de parler et de juger d’une lé-
gende, et qu’il ignorait le texte d’où cette légende était tirée, et ne savait
pas davantage quelles étaient les explications. Il avait été entraîné dans
une suite d’idées complètement inconnue. Cet abbé était-il quand même
comme ses semblables ? Voulait-il ne parler de l’affaire K. que par un
système d’allusions, le séduire par là, puis se taire ? Perdu dans ses pen-
sées K. oubliait la lampe ; elle commençait à fumer ; il ne s’en aperçut
qu’au moment où la suie commença à lui chatouiller le menton. Il essaya
de baisser la mèche, mais alors la lampe s’éteignit. Il resta là, il faisait
complètement noir, il ne savait pas en quel point de l’église il se trouvait.
Comme il n’entendait rien, il demanda :
« Où es-tu ?
– Ici, répondit l’abbé en le prenant par la main. Pourquoi as-tu lais-
sé éteindre la lampe ? Viens, je te mènerai à la sacristie, nous y trouve-
rons de la lumière. »
K. fut heureux de pouvoir quitter la cathédrale proprement dite ; cet
espace démesuré dont l’œil n’embrassait qu’un petit cercle, l’oppressait ;
il avait à plusieurs reprises, sachant la vanité de son effort, essayé de re-
garder les voûtes, il n’avait vu que du noir accourir de partout. La main
tenue, il se hâtait derrière l’abbé.
À la sacristie brûlait une lampe, encore plus petite que celle de K.
Elle pendait si bas, en outre, qu’elle n’éclairait à peu près que le sol de cet
endroit qui était étroit, mais probablement aussi haut que la cathédrale
elle-même. « Comme il fait noir partout ! » dit K. en se mettant la main
sur les yeux, comme s’ils lui avaient fait mal à force de chercher à se re-
trouver dans l’ombre.
20 Passage supprimé par l’auteur – en page 270 : Leurs sourcils
avaient l’air postiches et ne cessaient de tressauter indépendamment de
la cadence du pas.
– 305 –
21 Passage supprimé par l’auteur – en page 272 : Ils arrivèrent à
des rues qui montaient et où l’on découvrait, tantôt près, tantôt loin, des
sergents de ville arrêtés ou en train de faire les cent pas. L’un d’entre eux,
qui portait une moustache bouffante et qui tenait la main sur la garde du
sabre à lui confié par l’État, s’approcha comme exprès de ce groupe qui
n’était pas sans éveiller la suspicion. « L’État m’offre son aide », dit K. à
voix très basse, à l’oreille d’un des messieurs. « Si je transportais le pro-
cès sur le plan des lois organiques ? Qu’en diriez-vous ? Il pourrait peut-
être se faire alors que ce fût moi qui eusse à défendre ces messieurs
contre l’État. »
22 Texte primitif des dernières phrases du paragraphe qui précède
l’avant-dernier : Existait-il des objections qu’on n’avait pas encore sou-
levées ? Certainement. La logique a beau être inébranlable, elle ne résiste
pas à un homme qui veut vivre. Où était le juge ? Où était la Haute-
Cour ? J’ai à parler. Je lève les mains. (page 274)
– 306 –
À propos de cette édition électronique
—
Mars 2006
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