La Didactique Des Langues Etrangeres-Martinez
La Didactique Des Langues Etrangeres-Martinez
La Didactique Des Langues Etrangeres-Martinez
T h A se AGUERRE 2010 1
Yves Benoit Mbida
LA DIDACTIQUE
DES LANGUES ÉTRANGÈRES
Pierre M art inez
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QUE SAIS-JE ?
La didactique
des langues étrangères
PIERRE M AR T I N E Z
et D,„frr0feS-er,rémérite d e rUniv«™« de Paris VIII
Sixième édition
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INTRODUCTION
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- une manière d'être, des comportements culturels, moyens d'enseignement. Cette relation n'est toutefois
souvent indissociables de la langue, car inscrits dans pas sans incidence sur la qualité des acquisitions, mais
la langue même : par exemple, dans toutes les lan- elle peut avoir d'autresfinalités.Il ne s'agit plus seule-
gues, la ritualisation des échanges emprunte des ment de l'appropriation d'éléments linguistiques et du
traits linguistiques spécifiques (demande, paroles développement de compétences, mais aussi de la cons-
apparemment inutiles, forme de politesse), corres- truction de l'individu, par exemple comme adulte ou
pondant à des valeurs. comme citoyen.
Comme le terme « éducation » d'ailleurs, « péda-
Dans cet ouvrage, le termezyxwvutsrqponmlkjihgfedcbaZYXWVUTSRQPONMLKJIHGFEDCBA
« apprenant » se ren- gogie » évoque, étymologiquement, u n parcours
contre là où on attendrait « élève ». Ce n'est pas par (grec : agogein, conduire) qu'on fait faire à un enfant
goût du jargon. Le substantif « enseignant » étant de- (pais, paidos) et certains auteurs parlent d'andragogie
venu d'un usage courant, on prendra d'ailleurs facile- (grec : aner, andros, homme) pour désigner la forma-
ment l'habitude de ne pas parler d'élève, individu ins- tion des adultes.
crit administrativement, mais d'apprenant, placé dans On verra que la pédagogie, et d'autres sciences ou
une certaine situation, dans une posture d'apprentis- domaines scientifiques tels que la linguistique, la psy-
sage. Quant au mot « enseigné », venant en contre- chologie, la sociologie, les sciences cognitives, la tech-
point d'enseignant, il ne correspondrait en rien, avec nologie, etc., éclairent le champ de la didactique des
sa valeur passive, aux processus dont l'apprenant est langues étrangères : elles contribuent à la fonder
l'acteur. comme discipline théorique. Elles nous font aussi com-
C'est donc dans l'espace social existant que se déve- prendre que les nouvelles interrogations ne peuvent se
loppe, entre l'enseignant et celui qu'on appellera dé- satisfaire de réponses étriquées. Ainsi les débats
sormais l'apprenant, un « enseignement/apprentis- contemporains ont-ils mis en lumière que la question
sage » de l'objet en circulation : une langue étrangère. « Qu'est-ce qu'apprendre une langue ? » présuppose
Une idée simple, mais fondamentale, est qu'il existe une question « Qu'est-ce que savoir une langue ? ». Et
une inégalité de compétence entre les partenaires du c'est de la définition de ce « savoir » que vont dépendre
processus, l'enseignant sachant beaucoup et l'appre- les objectifs de l'apprentissage et les moyens de sa réus-
nant sachant moins. Mais l'enseignant n'est jamais site. Il s'agit donc d'amener l'acte d'enseignement à
qu'un « facilitateur » de Y appropriation, du processus échapper au hasard et au contingent.
qui vise à assimiler un objet linguistique en l'adaptant La didactique ne peut par conséquent se concevoir
à ce qu'on veut en faire. Ce travail ne peut être effec- qu'à travers un ensemble d'hypothèses et de principes
tué que par l'apprenant et l'enseignant n'est en aucun qui permettent à l'enseignant d'optimiser les processus
cas le centre du processus d'appropriation, quelle que d'apprentissage de la langue étrangère. On appellera
soit la méthodologie de l'enseignement adoptée. méthode d'enseignement cette démarche raisonnée qui
Par ailleurs, la didactique se distinguera de la péda- découle d'hypothèses et de principes :
gogie, activité impliquant une relation entre l'ensei- - hypothèses, par exemple, relatives au mode de tra-
gnant et l'apprenant, qui met l'accent sur les aspects vail proposé ou imposé. De la sorte : apprendre par
psychoaffectifs et non sur la mise en œuvre des cœur est bénéfique, mais ne suffit pas ; un enseigne-
5
Les m ot s clés de l a didact ique Ch a p it r e I
des langues ét rangères
LA PRO B LÉM A T I Q U E
Que sauriez-vous en dire ? DE L' EN SEI GN EM EN T
s 9
des genres admis : roman autobiographique, dis-
des personnes, des contenus, un contexte social, etc.
cours politique, texte scientifique, poésie, etc. Ce
C'est pourquoi il nous semble opportun de rappeler
type d'activité a pu ainsi caractériser un enseigne-
comment on peut se représenter dans ses grandes li-
ment qui ne s'ouvrait plus seulement au système de
gnes le fonctionnement de la communication. Trois
la langue, mais aussi à la parole sociale ;
formalisations - modélisations ou schématisations de
- sur une meilleure analyse du malentendu inhérent à
la réalité - ont le plus souvent été retenues par les
la communication humaine, qui ne tient pas qu'à
didacticiens : le schéma de Roman Jakobson, les théo-
nos humeurs et à notre volonté, mais aussi à des
ries de l'information, l'ethnographie de la communica-
facteurs variés : code seulement en partie commun
tion. Elles nous conduiront à proposer personnel-
aux interlocuteurs, effet de la connotation subjec-
lement une vision intégrative des choses.
tive, nécessité de la redondance dans une économie
a) Le schéma de Jakobson a été largement vulgarisé du discours magistral, erreurs d'encodage ou déco-
et, malgré sa simplicité, il continue à rendre compte dage affectant le dispositif, à l'oral comme à l'écrit
d'une manière peut-être limitée, mais efficace, d'une (c'est une justification souvent donnée à la fixation
théorie générale transposable à la didactique. Il y a du code écrit, l'orthographe...), etc. (C. Kerbrat-
transfert d'information, écrit Jakobson, entre u n Orecchioni, 1990).
émetteur (ou destinateur) et un récepteur (ou destina-
taire) par l'intermédiaire d'un message constitué de si-
gnaux, émis avec une intention, mis en forme à l'aide b) Un courant d'influences, auquel Jakobson lui-
d'un code ou ensemble de règles (la langue, par même n'est pas insensible, joue sur la façon dont nous
exemple) et circulant par un canal (les moyens techni- nous représentons la communication. Il emprunte aux
ques employés, autorisant une mise en contact phy- théories de Shannon et Weaver (1939, 1948) sur « les »
sique et psychologique à la fois). Sera désigné comme communications, à la cybernétique de Wiener et aux
réfèrent du message ce dont il parle, le « contexte » ou théories de l'information. L'idée est de chercher à mo-
les objets réels auxquels il renvoie. déliser mathématiquement la transmission d'informa-
tion et vise globalement à répondre aux questions :
La transposition didactique des conceptions de Ja-
« Qui dit quoi, à qui, par quels moyens avec quels ré-
kobson a pu donner lieu à de sévères critiques, mais
sultats ? » (Laswell, 1948). Dans tous les cas, l'objectif
elle permet de souligner des faits intéressants, comme
est le transfert d'un message, à l'aide de « répertoires »
la dissymétrie des partenaires dans la communication,
plus ou moins communs, avec des ajustements que
la difficulté d'interpréter où se trouve placé l'observa-
permettent, dans l'échange, les retours d'information.
teur étranger et l'importance du contexte. Il n'y a rien
Des perturbations techniques, organisationnelles et sé-
d'étonnant à ce que le schéma ait suscité une réflexion
mantiques ( « bruits » ) sont à l'œuvre dans le système.
propre à la didactique. Celle-ci a porté :
La théorie de l'information, qui met en relief l'inéga-
- sur la description de situations d'enseignement ha- lité des interlocuteurs (en l'occurrence, enseignant et
bituelles à la classe. La compréhension des échanges apprenant), souligne aussi l'intérêt des notions de pro-
complexes qu'on y observe en a bénéficié ; babilité et d'incertitude dans les effets produits par le
- sur l'analyse de situations extérieures à la classe et message sur les partenaires de l'échange : le processus
de productions littéraires ou sociales appartenant à
10 il
d'information, mesurable, vise à réduire une incerti- d'interprétation (Norms) ; les genres ou types d'acti-
tude partielle ou même totale, ici à combler une vité (Genres) : conversation, conte, récit, etc. Cet élar-
ignorance chez l'apprenant. Il rend possible un gissement du cadre conceptuel amène encore à souli-
apprentissage, une adaptation à la situation à laquelle gner combien l'acte de parole est un acte social
est confronté l'apprenant. complexe, qui excède une compétence grammaticale et
c) Mais on voit bien que ce type de modélisation tisse un réseau de dépendances à analyser et à prendre
invite à développer la réflexion dans d'autres direc- en compte globalement.
tions, par exemple celles de sciences humaines comme Comme l'a indiqué le sociolinguiste J. Fishman, qui
la psycholinguistique et l'anthropologie sociale. Le étudiait le statut des langues autres que l'anglais dans
langage indéniablement attaché à une expérience col- les groupes ethniques et religieux aux Etats-Unis, ces
lective (Sapir, 1953), la manière personnelle dont l'in- relations vont du langage aux groupes de valeurs les
dividu « interprète » les signes de la langue (Peirce, plus hauts d'une communauté. Elles passent par le
1932) sont autant de raisons d'approfondir : moment de la parole, le lieu où elle est prononcée, les
relations de rôles que se donnent, plus ou moins impli-
- la question du sujet dans la communication (son
citement, les participants, le type d'interaction qu'ils
cadre de référence, ses attitudes dans l'échange, sa
conduisent. Et tous ces paramètres sont inscrits dans
capacité à s'identifier à l'autre, etc.) ;
une situation sociale et définis en partie par le
- celle des règles et normes régissant la commu-
comportement de la communauté.
nication ;
- celle des rôles et places de chacun dans l'interaction. C'est ce qui apparaît quand on observe, par exemple,
des alternances codiques, des changements de langue
C'est pourquoi l'étude des groupes humains dans dans un bureau à Porto Rico, où l'on parle anglais et
leur particularité culturelle, objet même de l'ethno- espagnol, sur les marchés d'une ville africaine ou en mi-
graphie, amène les chercheurs à définir d'autres modè- lieu scolaire. Il n'est pas sûr qu'on puisse toujours
les de la communication. On isole ici quelques proposi- - pour prévenir ou corriger ce qui se passera en classe -
tions, dans le mouvement de ce qu'on a appelé « la tenir compte de toutes les données, mais il semble exclu
nouvelle communication » (Y. Winkin, 1991). qu'on puisse ignorer qu'elles ont des effets.
C'est le modèle proposé par Dell H. Hymes en 1974 Dans la mesure où il existe visiblement des maniè-
qui nous aidera à voir plus clairement la scène de la res d'apprendre différentes selon les individus, on s'est
communication langagière. Présenté sous l'acrostiche demandé par ailleurs si cette caractérisation ne relève
largement connu Speaking, il fait intervenir la situa- pas elle aussi, au moins en partie, de leur culture d'ori-
tion, en termes physiques comme psychologiques gine. La communication exolingue elle-même - celle
(Setting) ; les participants (Participants) ; les buts où l'un au moins des interlocuteurs ne s'exprime pas
projetés et les buts atteints (Ends) ; les séquences dans sa langue maternelle (Porquier, 1984) atteste en
d'actes (Acts) avec leurs contenus et leurs formes ; les effet d'une variation culturelle qui prend des aspects
tonalités, le ton adopté (Key) ; les instruments, codes très divers.
et canaux, moyens de la communication (Instrumentâ- Cette variation touche, bien sûr, au matériau sé-
mes) ; les normes socioculturelles d'interaction ou miotique utilisé, qui est la langue, mais aussi au para-
12 13
verbal et au non-verbal : la posture, la mimique, la
gestualité et l'espace. La représentation même de l'es- COMMUNICATION = TRANSFERT DUN MESSAGE
Entre A et B
pace et du temps fait aussi question : prééminence des + redondance
CULTURE
marques de l'aspect verbal (l'action commence, dure, CULTURE
RÈGLES ET NORMES RÈGLES ET NORMES
se répète, etc.), inexistence de temps du passé, position régissant la communication régissant la communication
Bruits d'altitudes et de conduite
du sujet et de l'objet, etc. Il y a une « thématisation » Attitudes Attitudes
gage (refuser ne se marque pas partout de la même fa- Réfèrent Bruits sémantiques Réfèrent
Cadre de référence de A Cadre de référence de B
çon). C'est, au sens large, toute la planification du dis- Corêfèrence Corêfèrence
cours et sa progression, avec sa signalisation, sa
Malentendu
« ponctuation » verbale qui permettrait de se repérer, Objectifs à atteindre
(hypothétique 7)
Objectifs à atteindre
et aussi les règles de la conversation (ouverture, main- Système des relations Coopération
Utilisation de l'information
14
15
scène pédagogique : distinction apprenant/enseignant Comme pour ce qui est de la communication hu-
volontairement réduite (on se met « à la place maine, l'enseignement des langues présuppose à la fois
de »...), inégalité (par exemple, de position hiérar- une théorie du langage et une analyse des systèmes lin-
chique mais surtout de compétences des partenaires), guistiques à enseigner, car la représentation de l'un et
règles, attitudes, rôle, « face » à conserver, relation de l'autre influence, quand bien même on voudrait
positive (impliquant la coopération mais en fait une faire l'économie d'une réflexion, la conception de
négociation permanente), objectifs de l'échange, éven- l'enseignement.
tuels) malentendu(s), économie de l'échange (carac-
térisée par la redondance, car la communication III. - Les t h éo r i es d u l ang ag e
pédagogique est répétitive), etc. On ne développera et l eu r s i m p l i cat i o n s
pas ici l'ensemble des termes en jeu, mais on laissera
au lecteur le soin d'exemplifier par les situations La psychologie moderne et la psycholinguistique
d'apprentissage qu'il connaît ou a vécues lui-même. nous proposent plusieurs grandes manières d'envisa-
Le modèle ne saurait, de toute façon, épuiser la ri- ger la question du langage.
chesse et la polysémie de ce qui constitue la réalité de a) Les théories mécanistes font de l'activité lang
la classe. gière « le résultat d'une chaîne de réactions matérielles
de cause à effet » (Mackey, 1972), un produit, sans
II.zyxwvutsrqponmlkjihgfedcbaZYXWVUTSRQPONMLKJIHGFEDCBA
- Rep r ésen t at i o n s d e l a l an g u e
doute complexe, de notre présence au monde. Cette
et p r o cessu s d ' acq u i si t i o n
activité comportementale, qu'on a pu schématiser
dans la formule « stimulus-réponse-renforcement »
Au centre du modèle s'impose l'usage d'une ou de (Skinner) et qui évoque le fameux réflexe conditionné
plusieurs langues (parmi plusieurs systèmes d'expres- du chien de Pavlov, évacuerait dans sa forme extrême
sion tels que la gestuelle, le regard ou la posture cor- l'hypothèse d'une fonction symbolique du langage hu-
porelle). Les linguistes distinguent, on le sait, le lan- main et ferait envisager l'apprentissage comme une si-
tuation optimale pour la production de réponses auto-
gage et les langues. Ils définissent lezyxwvutsrqponmlkjihgfedcbaZYXWVUTSRQPONMLKJIHGFEDCBA
langage comme
instrument de la communication humaine lié à une m atisées. Un stimulus suscite une réponse (réaction
capacité de l'individu et impliquant l'existence d'un par association, par exemple : en français « il faut
dispositif neurophysiologique : cerveau, mémoire, que » entraîne un mode subjonctif)- La répétition de
appareil auditif et phonatoire... La langue est la mani- ce processus crée un renforcement et, par une véritable
festation de cette capacité, en tant que système de « sédimentation », la naissance d'un automatisme.
signes articulés formant un code admis par tous, c'est L'appropriation d'un élément linguistique permet
dire qu'il est une institution collective. On peut rappe- alors, en principe, de le réintroduire sans effort.
ler que, dès les origines de la linguistique, Saussure b) Les théories mentalistes ou néo-rationalistes in-
parle bien de la langue comme « produit social de la sistent, elles, sur le caractère « naturel » de l'acquisi-
faculté du langage et ensemble de conventions néces- tion de la langue première. L'existence de capacités in-
saires, adoptées par le corps social pour permettre nées qui seraient spécifiques à l'espèce humaine et à
l'exercice de cette faculté chez les individus ». l'apprentissage linguistique (pour N o a m Chomsky, un
16 17
« dispositif d'acquisition du langage ») autoriserait, guider l'apprenant et de canaliser son travail de for-
par induction et à partir de la parole en circulation mulation », ce qui est une assez bonne description des
dans le milieu extérieur, l'émergence d'une compé- coulisses de la scène didactique (B. Py, 1994).
tence, la construction d'un système de règles inté- Ces travaux, qui ont porté en particulier sur le pas-
riorisé et à validité « universelle ». sage du langage intériorisé à la pensée ou sur la facili-
Deux hypothèses, moins radicalement en conflit, tation du développement, nous font approcher des
ont encore marqué la réflexion actuelle. processus encore mal élucidés. Par exemple, la sup-
c) D'abord la théorie « constructiviste » de Jean Pia- pression de la verbalisation, qui est une contrainte
get : s'il y a dispositif, c'est un dispositif cognitif géné- éducative (on ne réfléchit pas à haute voix en classe),
ral et le développement du langage doit être traité pourrait bien être un frein à l'apprentissage (Janitza,
comme celui de la fonction de représentation propre à 1990). C'est pourtant notre connaissance de cet envi-
l'espèce humaine dans son ensemble. Il manifeste donc ronnement sociocognitif qui devrait déterminer, du
à la fois l'importance de facteurs internes, biologiques, moins en partie, la mise en œuvre d'une didactique.
et une forte intégration à la construction progressive et On concevra, cependant, que la didactique n'est en
globale de l'individu dans ses rapports avec son milieu. aucun cas une sorte de résultat d'une théorie du lan-
d) En deuxième lieu, la perspective sociocognitive gage, mais qu'elle peut y puiser les hypothèses dont
adoptée par les travaux du psychologue biélorusse Vy- elle a besoin. Elle trouve d'ailleurs, dans ces hypothè-
gotsky : sans nier que « les formes supérieures de com- ses souvent divergentes, des réponses, mais plus sou-
portement culturel ont des fondements naturels », il vent encore de nouvelles questions. Des problèmes
montre comment des « schèmes représentatifs » se bâ- comme celui du conditionnement biologique du « pro-
tissent chez l'enfant dans l'interaction avec le milieu cesseur linguistique » de l'apprenant (l'équivalent de
physique, de même que des « schèmes communicatifs » la « quincaillerie » informatique, si l'on veut, par rap-
le font au contact du milieu social. Parmi les travaux port au logiciel, Klein, 1989), la question des attitudes
qui continuent encore à éclairer ces questions {Pensée et des motivations face à la langue seconde ou encore
et langage, de Vygotsky, date de 1935), citons égale- celle de l'âge le plus favorable à l'acquisition sont mis
ment ceux de A. A. Leontiev {Activité, conscience, per- régulièrement sur la sellette.
sonnalité, Moscou, 1964) et ceux de J. Bruner {Le déve- On commence à en savoir plus long sur la façon
loppement de l'enfant : savoir faire, savoir dire, 1983). dont on apprend en communiquant, à travers par
On fait souvent référence à u n autre concept exemple ce qu'on appelle une « corêfèrence » (on com-
élaboré par Vygotsky, celui de « zone proximale de prend plus vite si le cadre conceptuel est déjà familier)
développement ». L'expression désigne la « différence ou encore en devinant la pensée d'un interlocuteur, en
entre le niveau de résolution de problème atteint avec lui attribuant un « vouloir-dire » (Grice, 1957), des
l'aide d'adultes et celui atteint seul ». Elle autorise à états d'esprit ou des intentions (Sperber, Wilson,
« modéliser l'acquisition comme une dialectique entre 1989) et (Bourdieu, 1982). Dans tous les cas, « les pré-
un mouvement autostructuré et un mouvement supposés culturels et les connaissances contextuelles
d'hétérostructuration constitué à travers les interven- des interlocuteurs créent, pour chacun d'eux, une
tions par lesquelles l'interlocuteur natif s'efforce de sorte de filtre, à travers lequel passe le langage »
18 1' )
riété telle qu'un dialecte, utilisée au foyer familial, à la
(C. Perdue,zyxwvutsrqponmlkjihgfedcbaZYXWVUTSRQPONMLKJIHGFEDCBA
in Noyau, Porquier, 1984). Toutes ces
questions, qui restent ouvertes, ne peuvent laisser maison, tandis que le véhiculaire dépasse le cadre de
indifférent le didacticien. vie d'une communauté linguistique et répond à un be-
soin social d'intercommunication entre groupes dotés
de vernaculaires spécifiques. L'espagnol, l'anglais, le
IV.zyxwvutsrqponmlkjihgfedcbaZYXWVUTSRQPONMLKJIHGFEDCBA
- L' an cr ag e so ci al d es l an g u es français, bien sûr, jouent ce rôle, tout comme les
créoles dans la Caraïbe ou l'océan Indien ou le lingala
Les langues ont des rôles, des statuts, des valeurs,
en Afrique.
comme les monnaies. Il y a une « économie des échan-
ges linguistiques » (Bourdieu, 1982), qu'il n'est pas Dans une autre acception, « langue seconde » prend
sans effet de connaître, car enseigner ou apprendre, un sens collectif. On implique alors une position parti-
c'est aussi commercer (le commerce, c'est aussi, au culière de cette langue, officiellement ou de manière
sens classique, les relations, l'échange). Quelques défi- tacite. On parle parfois de statut spécial, d'un fonc-
nitions s'imposent. tionnement social et d'une situation culturelle privi-
légiée (Dumont, Maurer, 1995), liée par exemple à une
On appellera langue première (Ll) d'un individu
histoire coloniale et un environnement favorable : une
tout simplement celle qu'il a acquise en premier, chro-
« logistique » médiatique, scolaire, administrative,
nologiquement, au moment du développement de sa
commerciale qui favorise l'emploi de la langue se-
capacité de langage. Il faut se défendre, en l'occur-
conde (Cuq, 1989). C'est le statut du français dans
rence, d'établir un rapport entre l'importance que re-
plusieurs pays d'Afrique ou dans les départements et
vêtirait cette langue pour la société d'appartenance et
territoires d'outre-mer, Antilles, Guyane, Réunion,
l'adjectif. « Première » ne signifie pas la plus utile ou
Polynésie, etc. Dans plusieurs cas la langue seconde a
la plus prestigieuse, et « seconde » (L2) ne voudra pas
accédé à l'appellation de « langue officielle », à côté
dire « secondaire ». Comme le milieu de la petite en-
ou à la place des langues nationales (anglais en
fance est en général lié à la mère, la langue première
Afrique orientale, français en Haïti). Et il faut souli-
est dite souvent maternelle, quoique des sociétés exis-
gner le rôle que joue la langue seconde dans le
tent où les contacts avec d'autres membres du groupe
développement psychologique et cognitif des individus
sont déterminants. Cette désignation a donc une va-
dans de tels contextes.
leur psychoaffective et elle implique une reconnais-
sance, une adhésion, donc une subjectivité qui ne Ces questions de statut seront particulièrement im-
rendent pas aisé son emploi. portantes dans des cas de diglossie, où l'inégalité so-
ciale des langues ou variétés en présence est grande.
Sera donc, par ailleurs, langue seconde pour le
L'insécurité linguistique dans laquelle le locuteur non
même individu toute langue qu'il aura apprise ensuite,
natif vit l'échange, le commerce des langues, affecte
par exemple à l'école et non plus dans le milieu proche
l'image de ces parlers, leur acquisition et leur circula-
où il a été élevé. C'est cette acception que retiennent
tion, y compris, bien sûr, dans l'enseignement où les
les études menées sur l'apprentissage (Klein, 1989).
enjeux sont plus importants qu'en langue étrangère, et
Notons que cette opposition langue première / langue
font débat dans des pays comme ceux du Maghreb ou
seconde peut recouvrir celle de « vernaculaire »/« véhi-
de l'Afrique subsaharienne - Algérie, Mozambique,
culaire ». Le vernaculaire est une langue ou une va-
20 21
7
Kenya, Afrique du Sud, Afrique francophone (Col- mière et seconde : alors que la L l est celle à travers la-
loquezyxwvutsrqponmlkjihgfedcbaZYXWVUTSRQPONMLKJIHGFEDCBA
OIF de Libreville, 2003) - qui avaient choisi ou quelle se construit la fonction de représentation du rée
s'étaient vu imposer des langues d'enseignement : ils appelée aussi fonction symbolique, la langue apprise
entendent maintenant donner une place à leurs parlers en second (sauf dans le cas d'un apprentissage pré-
nationaux dans de nouvelles formes de « partenariat » coce) se borne souvent à permettre la communication.
entre langues dans l'éducation. Mais l'on sait toutefois que l'apprentissage d'une nou-
Enfin, on entendra parler de langue seconde pour velle langue est à l'origine d'une recomposition du
qualifier le statut des langues adoptées par de nou- monde et, entre autres, d'une reconstruction de
veaux arrivants dans un milieu allophone (étudiants, l'image que l'on se fait de sa propre langue. On a aisé-
immigrants...) et cette question, si importante à ment le sentiment que l'enseignement/apprentissage
l'heure actuelle, devra être posée en termes de gestion d'un nouveau système exerce un effet de loupe sur des
sociale du plurilinguisme, comme nous le ferons plus problèmes phonétiques, lexicaux, sémantiques que
loin. l'on ne percevait pas. Et bien entendu ce nouvel ap-
prentissage retentit - chacun d'entre nous en a plus ou
En résumé, ce qui distinguera donc unezyxwvutsrqponmlkjihgfedcbaZYXWVUTSRQPONMLKJIHGFEDCBA
langue
étrangère, c'est son caractère de langue apprise après moins l'expérience - sur toute une vision du monde, du
la première et sans qu'un contexte de pratique sociale fonctionnement des hommes, des idées et des choses
quotidienne ou fréquente en accompagne l'apprentis- qu'on croyait familiers.
sage. Pour s'en tenir à un exemple, un Algérien peut L'approche didactique y contribue : l'enseigne-
avoir dans son « répertoire verbal » le berbère comme ment/apprentissage de langue étrangère semble com-
langue première et vernaculaire, l'arabe dialectal, mencer là où celui de langue première se termine,
l'arabe littéral et le français comme langues secondes, comme s'il y avait eu « représentation a priori du fonc-
l'anglais ou l'espagnol, appris au lycée comme langues tionnement de la langue ». Et finalement, en langue
étrangères proprement dites. Par commodité, nous di- étrangère, la manière très exploratoire avec laquelle est
rons désormais « seconde » ou « étrangère », sauf abordé le nouveau système, souvent étayée de métho-
mention contraire. Et bien entendu on comprendra dologies plus inductives, permet de montrer que la no-
que la langue seconde peut être la troisième ou la tion de langue est toujours à (re)construire (Filiolet,
quatrième apprise en réalité. Porquier, 1978). L'apprentissage d'une nouvelle langue
Le statut social d'une langue nouvelle et l'imagi- étrangère est donc aussi, pour le cerveau humain, l'oc-
naire qui s'y attache influent sur l'apprentissage, casion de se débarrasser des routines - sans nuance pé-
même si celui-ci est un processus très individualisé. jorative - intellectuelles et culturelles préexistantes.
Comme l'écrit Uriel Weinreich dès 1951 : « L'endroit Bien entendu, la tendance initiale des pédagogues a
où les langues entrent en contact n'est pas un lieu géo- été de considérer la Ll comme une source d'erreurs
graphique mais bien l'individu bilingue. » lors de l'appropriation de nouveaux systèmes. Nous
C'est que le cadre de tout apprentissage linguistique verrons que deux notions, celles de crible et d'interfé-
est d'abord celui du bilinguisme (Hamers, Blanc, rence, viennent à l'appui de cette position. Des listes
1984 ; Baker, Prys Jones, 1998). Plusieurs auteurs in- ont été fabriquées à l'usage des enseignants, réperto-
sistent sur une différence essentielle entre langues pre- riant les erreurs ou, terme plus culpabilisant et bien
22 23
installé en français, leszyxwvutsrqponmlkjihgfedcbaZYXWVUTSRQPONMLKJIHGFEDCBA
fautes les plus communes à fois en lui et hors de lui, un processus intrapsychique
chaque groupe linguistique (sinophone, francophone, et interactionnel à la fois, propre à l'individu en qui se
arabophone...) : mots difficiles à prononcer, erreur sur détermine plus ou moins consciemment leur gestion
le genre du nom ou le temps du verbe, problèmes mor- (choix, organisation, rétention, etc.). Le recours à la
phosyntaxiques (inversion et rejet du verbe en alle- langue première aide sans doute l'apprenant à structu-
mand, discours rapporté, usage de l'article), etc. U n rer ses deux systèmes et se révèle de nature à faire
référentiel de certification portant sur la compétence naître des hypothèses sur la L2 (Giacobbe, 1990). Il
en langue (ministère de l'Éducation, France, 1995) al- s'en faut néanmoins de beaucoup que tout le proces-
lait jusqu'à indiquer : « Plus la tâche accomplie est sus ne doive être examiné qu'en référence au système
complexe, plus le degré d'opérationnalité en langue de la langue première.
acquise est élevé et moins les traces de langue
maternelle sont perceptibles. »
V.zyxwvutsrqponmlkjihgfedcba
- Li n g u i st i q u e et d i d act i q u e
On sait en réalité maintenant qu'un contact de lan-
gues ne se résume pas à la rencontre de deux systèmes La didactique a mis longtemps à se dégager de la
linguistiques, mais qu'il met en jeu un traitement indi- discipline de référence primordiale qu'a constituée pour
viduel complexe (Castellotti, 2001). C'est pourquoi le elle, sans partage et pendant des décennies, la linguis-
point de vue actuel est plus nuancé : la construction tique. Examinons comme un exemple significatif cette
d'un système approché de la langue seconde se fait par « vue panoramique de la didactique des langues étran-
l'intermédiaire d'hypothèses sur le fonctionnement de gères » que Robert Galisson propose en France, vers
celle-ci et par un ensemble de processus mentaux so- lafindes années 1970.
phistiqués. On s'accorde pour distinguer des processus
Dans les grandes lignes, indique à l'époque Galis-
plus ou moins larges, les uns inscrits dans une stratégie
son, la didactique se construit d'une part sur la métho-
immédiate, les autres dans une conduite permanente,
dologie des langues étrangères, de l'autre sur la linguis-
certains visant à l'acquisition ou à la communication,
tique appliquée à l'enseignement des langues étrangères.
automatisés ou permettant un contrôle, etc.
La méthodologie est alimentée par « la sociologie, la
L'apprenant se fait aussi une représentation de la psychologie, les sciences de l'éducation, l'idéologie, la
spécificité des langues en présence, et il établit une dis- politique, la technologie de l'éducation, la pragma-
tance entre elles. Le cas des langues proches, les lan- tique (c'est-à-dire l'usage fait effectivement du lan-
gues romanes, par exemple, fait actuellement l'objet gage, dans renonciation), la kinésique et la proxé-
de recherches en nombre croissant (Projets Galatea, mique (la prise en compte de la gestuelle et de
Galanet, Eurom4, actions de l'Union latine...), de l'espace), la docimologie (l'évaluation), l'iconologie
même que le rôle joué sur l'apprenant par l'image (l'étude de l'image), etc. ». Quant à la « linguistique
d'une langue : image reçue (la réputation d'étrangeté appliquée à l'enseignement des langues étrangères »,
langagière) et produite (le discours des apprenants sur elle est irriguée par la phonétique, la grammaire, la
leurs difficultés). lexicologie, la sémantique, la stylistique, etc.
Disons en conclusion que le mode de traitement des La place encore remarquable accordée à la linguis-
données par l'apprenant est une affaire qui se joue à la tique masque difficilement que l'on est passé, en quel-
24 25
ques années, d'une étroite relation, voire d'une subor- partir du moment où elle se voit « infléchie par ses
dination (comme s'il y avait entre la théorie scienti- nouvelles orientations (...) très attentive au procès
fique et les pratiques d'enseignement une situation d'énonciation, à la dimension sociopsychologique du
« coloniale »), à un schéma beaucoup plus intégratif. langage » (Galisson, 1980).
L'horizon s'est élargi, une théorie de la langue devient En d'autres termes, où son statut épistémologique
une condition nécessaire, mais non suffisante à son la fait passer d'une « monoculture » (la linguistique,
enseignement. Nous osons à peine, au passage, rappe- étude des langues naturelles) à celle de sciences du lan-
ler l'idée, hélas encore reçue dans quelques milieux gage, largement ouverte à d'autres domaines, parce
peu éclairés, selon laquelle il suffirait même de savoir que son objet, la langue, ne se conçoit que dans des
une langue pour être en mesure de l'enseigner. rapports à l'individu et à la société. Et la linguistique
Sans entrer dans un débat qui dure depuis des an- dont a besoin l'enseignement des langues est lus que
nées et n'est sûrement pas encore arrivé à son terme, jamais mise en demeure d'échapper à de vieilleszyxwvutsrqponm
criti-
disons que la didactique des langues et la linguistique ques. Elle a sans doute négligé bien des aspects consti-
ne sont plus dans la même étroite dépendance. Elles tutifs de la communication : sa dimension actionnelle
ne sont pas même en relation de complémentarité, si (son activité effective, son influence), interactionnelle
l'on reconnaît, à la suite de R. Galisson, qu'elles « ne (toute communication est dialogue, adaptation), so-
sauraient viser le même objectif, parce qu'elles n'œu- ciale (par exemple comme moyen de distinction), réfé-
vrent pas sur le même plan. La didactique travaille en rentielle (or la linguistique s'est, depuis ses origines,
amont sur quelque chose de complètement instable et coupée de l'extralinguistique) ou encore variationnelle
inachevé, la langue en voie de construction, et le sujet (la langue se négocie et se reconstruit en permanence
apprenant est au centre de ses préoccupations. On voit dans l'échange - De Pietro, 1990).
bien que d'une discipline à l'autre, il y a déplacement Quelques grandes théories linguistiques ont dominé
du centre de gravité : de l'objet (la langue) vers le sujet les quarante dernières années : structuralisme européen
(et du sujet parlant vers le sujet apprenant, qui ne sont et distributionnalisme américain ; fonctionnalisme de
pas des sujets à confondre) » (Galisson, 1989). Martinet et ses élèves ; perspective énonciative de
Il reste clair que l'objet à enseigner est bien une Jakobson, de Benveniste ; grammaires génératives avec
langue, et comme c'est l'objet même de la description Chomsky ; linguistique textuelle, pragmatique qui ma-
linguistique, le didacticien a tout à gagner à ce travail nifestent le langage comme activité discursive, etc.
conduit à côté du sien. Mais qu'est-il alors advenu de (Bronckart, 1985). C'est dans ce foisonnement que la
l'apport de la linguistique appliquée, Cendrillon didactique a cherché les moyens de sa triple activité de
ou bonne fée de la didactique selon les uns ou les recherche, d'expérimentation, de production d'outils.
autres ? Ces rapports entre linguistique et didactique ont été
En fait, la linguistique, vouée naguère à des tâches compliqués par plusieurs facteurs : le statut scientifique
très immédiates, posée comme un préalable à la pré- inégalitaire de chaque domaine (la didactique, prise
sentation de la langue (découpage lexical des manuels, entre pédagogie et recueil de « recettes » pour la classe,
étude contrastive des systèmes phonétiques, exerci- trouvait dans la linguistique un surcroît de légitimité),
ces, etc.), prend désormais une autre importance, à les besoins des enseignants, le coût de l'innovation, la
26 27
difficulté des transferts, etc. Après les grandes noces de raie d'un système où jouent des contrastes et des op-
l'applicationnisme, dans les années 1950-1960, les di- positions ; une dualité langue et parole, avec ses impli-
dacticiens ont marqué leur réticence pour des travaux cations individuelles et collectives, où le système
de linguistique formelle qu'ils jugeaient bien ésotéri- s'oppose à l'usage, le code au message, le langage au
ques ou reflétant une vision étroite de la communica- comportement verbal, les formes aux fonctions.
tion. S'éloignant elle-même d'une conception universa- Quand Allen et Harley publient l'ouvrage pos-
liste de l'apprenant, la didactique a cru trouver dans thume de Stern Issues and Options in Language Tea-
une linguistique plus soucieuse de l'individu, plus an- ching, où « issues » signifie à la fois résultats et ques-
thropologique, des réponses à ses nouvelles questions. tions en débat, c'est une autre vision du domaine qui
Ainsi s'est amorcé un rééquilibrage, sinon une réhabili- se fait jour (Stern, 1992). On sent bien alors que la dé-
tation de leur relation [Beacco, ChevalierzyxwvutsrqponmlkjihgfedcbaZYXWVUTSRQPONMLKJIHGFEDCBA
in Lehmann centration par rapport au linguistique est achevée.
(éd.), 1988, et Chiss, 1995]. Après avoir souligné l'importance de facteurs exté-
Il va de soi, en effet, qu'une bonne description de la rieurs liés à la prise de décision et à la définition d'ob-
langue comme système, sous l'angle de ses composan- jectifs d'enseignement, il s'agit de partir de la notion de
tes (phonétique, morphologie, lexique, syntaxe, sé- contenus pour construire l'architecture d'un enseigne-
mantique), ne peut qu'aider le didacticien. Mais la ment. Les choix relatifs à ces contenus touchent à
question est de savoir ce qu'est une bonne description. l'oral, à la grammaire, à l'analyse fonctionnelle
Widdowson (1981) fait remarquer que la validité (nourrie de pragmatique, d'analyse du discours, de sé-
d'une description théorique se juge par rapport à un mantique, mais aussi d'ethnographie de la communica-
modèle, et une description pédagogique par rapport à tion et de sociolinguistique), aux activités communica-
son efficacité, « c'est-à-dire son incidence sur les pro- tives, à la civilisation et à des formes d'éducation plus
cédures de présentation de la langue dans la classe ». générale visant l'approche de la langue (apprendre à
Il faut même distinguer, a-t-on ajouté, langue usitée apprendre, s'autonomiser, etc.). Étant posée cette ar-
dans la communication sociale, langue décrite comme chitecture, on peut désormais s'appliquer à tout ce qui
système, langue enseignée et langue apprise. La aidera l'enseignant à développer des stratégies, c'est-à-
coexistence, parfois difficile, de ces images de la dire des actions intentionnelles et d'envergure, en
langue caractérise la parole produite dans la classe synergie avec celles que développe l'apprenant.
avec, en toile de fond, bien sûr, une difficile transposi- Sans doute n'y a-t-il pas de raison de s'en tenir ici à
tion didactique, un passage du savoir savant au savoir un seul modèle, qui donnerait à voir idéalement les
enseigné (Chevallard, 1985). facteurs en jeu dans une telle problématique. En tout
H. H. Stern (1983) nous rappelle ce qu'est une vi- cas, l'évolution est claire : elle se manifeste dans l'ar-
sion de la langue dans la linguistique moderne : rivée de nouveaux termes, l'ouverture à d'autres ap-
d'abord une absence de jugement sur la langue, et par ports et la complexification du champ. Des polarités
exemple sur le statut social de l'oral et de l'écrit qui autres que le couple linguistique/méthodologie sont
sont dans certains cas si dissemblables (cas de l'arabe apparues, d'où l'idée renforcée que la notion de choix
ou du français) ; la prise en compte, par conséquent, est centrale en didactique. La dynamique du système,
des variétés sociales et régionales ; une vision structu- l'interactivité de plus en plus évidente entre les fac-
28 29
teurs, contredisent ainsi la conception d'un champ de tion de H. H. Stern (1983, reprise dans Stern, 1992).
la didactique trop souvent perçu comme stable, voire Trois niveaux d'appréhension sont retenus :
statique, par des observateurs profanes ou blasés. On
- celui des « fondations » : histoire de l'enseignement
peut se demander, d'ailleurs, si la didactique actuelle
des langues, linguistique, sociologie, sociolinguis-
ne souffrirait pas plutôt d'un trop-plein théorique.
tique et anthropologie psychologie et psycholinguis-
Dans toutes les hypothèses de travail, on admettra tique, théorie de l'éducation ;
quezyxwvutsrqponmlkjihgfedcbaZYXWVUTSRQPONMLKJIHGFEDCBA
plusieurs approches, qui s'imposent sans exclusive, - un niveau intermédiaire, celui des concepts de base
devraient être mises en relation. En résumé : de l'enseignement des langues qui sont relatifs à
- l'étude de la communication dans toutes ses compo- la langue, à l'apprentissage, à l'enseignement, au
santes, organisationnelles, linguistiques, anthropo- contexte social. Il associe étroitement théorie et
logiques, etc. (voir notre modèle panoptique ci-des- pratique ;
sus), avec la volonté d'y instituer des repères et d'y - un troisième niveau, enfin, celui de la pratique et des
établir des oppositions, donc des valeurs (approche « praticiens » (enseignants, mais aussi conseillers,
contrastive ou comparative) ; administratifs, voire hommes politiques) concerne
- les données sociolinguistiques (représentations et directement la méthodologie (contenus et objectifs,
facteurs sociaux et institutionnels qui jouent sur stratégies, ressources, évaluation des résultats) et
l'acquisition, la pratique, la place des langues res- l'organisation (planification et administration, dans
pectives chez les locuteurs) ; tous types et à tous degrés de formation).
- les données de la psychologie du langage et de
la psycholinguistique (traitement spécifique de Le modèle de Stern, pris ici comme un exemple ma-
« l'exposition » à la langue seconde, image indivi- jeur parmi d'autres, tend à répondre à plusieurs critè-
duelle de l'acquisition, attitude et motivation, res : sa globalité ; le fait que les éléments inclus y sont
construction des règles en langue seconde, par interactifs ; la multiplicité des facteurs en jeu ; une ap-
exemple) ; proche multidisciplinaire. Mais il est aussi, à l'évidence,
- l'instauration d'une interaction entre ces différents le reflet d'une conception du système où, désormais, les
éléments, dans la courte durée, mais aussi dans la éléments donnent l'impression de s'équilibrer.
longue, ce qui dépasse de beaucoup, on le compren- Que se passe-t-il concrètement, dans la classe ?
dra, ce qui est observable dans la communication, L'enseignant issu d'une culture et d'un système de for-
en classe comme à l'extérieur. mation déterminés enseigne une langue qui peut avoir
un statut (seconde ou étrangère) et une valeur d'usage
différents selon les apprenants. Elle est par ailleurs
proposée ou imposée par un pouvoir qui met en
VI.zyxwvutsrqponmlkjihgfedcbaZYXWVUTSRQPONMLKJIHGFEDCBA
- U n cad r e d e r éf ér en ce
œuvre sa politique linguistique, avec des programmes
La conclusion de ce tour d'horizon est, naturelle- et des moyens définis en dehors de l'école. C'est pour-
ment, que la didactique doit être située dans l'ensemble tant dans ce champ que les apprenants, avec leurs spé-
des domaines de référence. De nombreux auteurs s'y cificités, vont avoir à construire leur acquisition.
sont essayé et, entre autres, on mentionnera la proposi- Donnons quelques exemples.
30 31
Dans un pays africain où le français est langue offi- entre vous, comme sujet ne sachant pas nager et vous,
cielle, l'instituteur doit parfois travailler dans une ayant acquis une certaine capacité à flotter et à vous
langue qui n'est, ni pour lui, ni pour ses élèves, la déplacer sur l'eau, c'est que vous ne vous noyez pas si
langue première. Dans les pays d'Europe de l'Est, on vous jette à l'eau. Le résultat d'une acquisition est
l'ouverture des frontières a suscité un changement de une conduite adaptative évaluable.
statut radical pour le russe, naguère obligatoire et Mais apprendre relève aussi d'une conduite volon-
d'ailleurs indispensable, provoquant une baisse de son taire et durable. Une attitude positive face à la L2 dé-
« cours » sur le marché linguistique et un bouleverse- termine le processus dès la motivation initiale, même
ment de son enseignement inimaginable à ce jour. Il si le choix n'en est pas vraiment un : c'est le cas lors-
en va d u dispositif d'enseignement/apprentissage qu'il est opéré par la famille de l'élève ou n'appartient
d'une langue comme du jeu d'échecs : une pièce bouge qu'aux autorités politiques et éducatives. La famille
et tout est modifié. d'un apprenant, le pouvoir politique et la société pla-
Certains ont pu, dans ces conditions, évoquer des quent sur les langues et les cultures étrangères des
apprentissages qui réussissent sans et même contre la images, des représentations, des désirs. Ils ont face à
méthode et l'enseignant. On souscrira en tout cas faci- elles des attitudes, mais l'apprenant a aussi un projet
lement à l'idée émise par W. von Humboldt, au de vie qui n'appartient qu'à lui et une motivation
xix e siècle, selon laquelle une langue s'acquiert plus (Nuttin, 1980). Il doit trouver les mobiles et les impul-
qu'elle ne s'apprend. On verra, dans un historique des sions nécessaires à ses efforts dans l'espace qui unit
pratiques d'enseignement examinées plus loin, que la son moi et le monde social.
didactique est conviée en effet à quelque modestie. On a voulu distinguer une motivation instrumen-
Mais n'y a-t-il pas lieu de craindre, alors, que la di- tale à l'apprentissage d'une langue, liée à des besoins
dactique devienne un attrape-tout ou qu'elle ne se de type relationnel, technique ou professionnel, et une
dilue dans les apports des sciences ou domaines qu'elle motivation symbolique, par exemple intégrative : le
met à contribution ? Ce que l'on observe, en réalité, désir de faire partie d'une communauté en maîtrisant
c'est que les postulats ou principes sur lesquels elle se sa langue. On a aussi distingué des motivations liées à
construit lui sont toujours venus d'ailleurs et qu'elle la contrainte, à l'ambition de réussir, au goût de sa-
nourrit avec eux des échanges. Et s'il est vrai que le voir et au plaisir... Il n'est pas sûr que les choses soient
transfert de concepts ou d'outils d'un domaine à dissociables. Les enquêtes sur les attitudes (Gardner,
l'autre ne va pas sans danger, nous voyons assez bien, Lambert, dès 1972), sur les représentations, ne
permettent guère de généraliser, ni de prendre en
même tardivement, que les choses évoluent parzyxwvutsrqponmlkjihgfedcbaZYXWVUTSRQPONMLKJIHGFEDCBA
recom-
positions successives, malgré des effets de circularité. compte sur tous ces aspects les variations entre indi-
vidus ou chez un même individu avant, pendant,
après l'apprentissage. On sait tout au plus qu'il y
VI I . - En sei g n er et ap p r en d r e a des dispositifs didactiques plus favorables que
d'autres.
Il faut rappeler qu'une acquisition est une modifica-
tion de la conduite du sujet manifestant l'adaptation à C'est une question complexe que de savoir com-
une forme de besoin. Très simplement, la différence ment un dispositif d'apprentissage peut contribuer à
32
33
établir ou permettre d'ancrer de nouvelles capacités quatre tâches de l'apprenant, que seul l'exposé nous
ouzyxwvutsrqponmlkjihgfedcbaZYXWVUTSRQPONMLKJIHGFEDCBA
compétences, c'est-à-dire des règles de fonctionne- oblige à dissocier ici, seraient les suivantes :
ment intériorisées par le sujet. Dans le domaine des - analyser la langue (segmenter la chaîne sonore en
langues étrangères, l'acquisition non guidée se caracté- unités significatives, par exemple) ;
rise par le fait qu'elle se produit dans la communica-
- construire l'énoncé (combiner des mots ensemble,
tion quotidienne - on peut dire : un milieu social autre
en particulier pour produire de la parole) ;
que l'école - et qu'il n'y a pas d'efforts intentionnels
- mettre en contexte (intégrer le message à u n
systématiques pour guider le processus.
contexte interprété en fonction d'informations
Les différences avec une situation « guidée » sont parallèles) ;
alors sensibles : par exemple, la tâche de celui qui - comparer sa langue avec celle de son entourage so-
parle en langue étrangère lui apparaît comme réussie cial (établir des contrastes, des différences).
s'il arrive à se faire comprendre, les moyens important
peu ; si un moyen linguistique n'est pas assuré, le pro- Une telle présentation est intéressante. Elle donne le
blème sera contourné ou évité par le locuteur en état sentiment que l'apprenant cherche ses moyens dans
d'insécurité. Autrement dit, ce qui compte ce n'est pas une sorte de centre de ressources, celui des acquis et
de faire des progrès en langue, mais de se servir de la des compétences dont il dispose à un moment déter-
langue ; dans ce cas, on peut supposer que l'attention miné, pour élaborer son propre système d'expression
aux règles de fonctionnement du code (et donc aux transitoire. Celui-ci apparaît à la fois comme spéci-
écarts par rapport à la norme) sera plus marginale fique à l'apprenant et révélateur du processus d'ap-
(Klein, 1989). propriation. Il s'agit bien d'un système évolutif, avec
On appellera stratégies de résolution de problème ces sa logique propre, qui est en perpétuelle recomposi-
opérations intentionnelles visant à réduire l'écart entre tion au fur et mesure que l'apprenant avance dans ses
le problème rencontré et les moyens dont dispose le expériences langagières et en fonction d'une intériori-
locuteur non natif. Ces stratégies peuvent d'ailleurs sation, consciente et inconsciente à la fois, des règles
amener le locuteur non natif à abandonner les buts de de la langue seconde.
la communication, soit en se taisant, soit en se réfu- W. Klein a mis en valeur un point important
giant dans des domaines plus à sa portée. Il peut aussi de cette activité : « L'apprenant considère certaines
en venir à substituer à ceux de L2 des moyens non caractéristiques linguistiques de l'énoncé comme
prévus, comme le recours à sa propre langue ou une critiques (de même que l'on parle de moment
gestuelle. Dans le meilleur des cas, il se résout à préle- critique) et tente de s'y consacrer, alors qu'il en lais-
ver dans ses compétences incertaines de quoi pour- sera d'autres de côté, soit parce qu'il estime que ce
suivre l'échange ou élargit son discours, en générali- sont des problèmes qu'il a résolus, soit parce qu'il ne
sant ses hypothèses sur le fonctionnement de la les perçoit pas. » Et surtout, l'auteur inscrit son ob-
langue, en imaginant des analogies entre sa langue et servation relative à l'acquisition dans la réalité de
la langue nouvelle, etc. l'échange : « Le facteur principal qui rend une
Nous emprunterons encore à W. Klein une repré- règle critique est l'échec communicatif » (Klein,
sentation du travail effectué par l'apprenant. Les 1989).
34 35
Si le système transitoire peut paraître erratique ou implications possibles au regard des pratiques de
instable, c'est sans doute qu'il est le résultat d'un en- classe. Tout partenaire de la conversation peut contri-
codage immédiat, effectué sous la pression d'un be- buer à Yétayage des compétences d'un locuteur non
soin de la communication. Mais ce système présente natif. Il peut manifester sa coopération, sa complicité,
toutefois des régularités dont la construction relève sous des formes diverses, et par exemple celle d'une
pour partie du système-source comme on l'a suggéré manière adaptée de parler à un étranger, foreigner talk
plus haut, et aussi du traitement personnel qui est fait ou « xénolecte ». L'enseignant est là précisément pour
des données saisies, de leur rétention et de leur organi- aider à créer cet étayage.
sation en vue d'énoncés futurs. L'énoncé laisse appa- En tout état de cause, celui qui parle avec un locu-
teur natif dans une langue seconde effectue un double
raître deszyxwvutsrqponmlkjihgfedcbaZYXWVUTSRQPONMLKJIHGFEDCBA
interférences, des emprunts momentanés et
involontaires d'une forme du système-source (un an- travail : il concentre doublement son attention (on
glophone : « sur la rue » pour « dans la rue », un créo- parle de « bifocalisation »), à la fois sur le déroule-
lophone : « je suis parti » pour « je m'en vais ») ou ment de la communication et, dans une certaine
création d'une forme mixte originale. Par exemple, la mesure, sur le code employé qu'il doit maintenir en
surgénéralisation de la variation verbale en français permanence sous contrôle. Et si l'on avait une idée
appelle une conjugaison de « aller » sur le type « chan- p récise des conditions dans lesquelles se développe au
ter » qui peut amener à des énoncés comme « j'alle » mieux l'acquisition, on a pensé qu'on pourrait égale-
(présent) ou «j'allerai» (futur), jusqu'à ce qu'un tel ment mieux créer les situations didactiques qui
énoncé soit invalidé par l'interlocuteur de L2 sous rendent effectives ces conditions.
forme de reprise, de correction ou de réprobation (sur- C'est en partant de cette idée qu'on a cherché à dé-
prise, rire...). Que les règles intériorisées soient légiti- crire ce qu'on appelle des séquences potentiellement ac-
mes ou non, on observe que le système peut tendre à quisitionnelles. Le désir de coopération du natif et du
se « fossiliser » et les contacts exolingues, à terme, ne non-natif (ici, dans la conversation orientée entre en-
le font plus guère évoluer. Le phénomène peut d'ail- seignant et apprenant), leur accord sur l'activité (sa fi-
leurs fort bien ne pas révéler une incapacité, mais la nalité métalinguistique) et sur le rôle de chacun autori-
volonté consciente ou non de préserver une marque sent une série d'opérations : à l'initiale, pour le moins,
identitaire telle qu'un accent dont on peut tirer une une production hésitante ou incorrecte de l'apprenant,
certaine fierté. à laquelle l'enseignant répond par une irruption dans le
Ce système transitoire que nous venons de décrire a discours de celui-ci ; à cette réaction « hétérostructu-
reçu plusieurs noms : interlangue (Selinker, 1972), sys- rante » (correction, demande d'éclaircissement ou
tème approché ou approximatif, etc. En anglais, on d'amendement) succède une reprise « autostructu-
parle de learner variety, en allemand de Lernervarietât, rante » (autocorrection, effort tâtonnant) de l'appre-
et en français, c'est un terme bien compliqué, « lecte nant qui manifeste ainsi une saisie nouvelle. Ce sont
d'apprenant », qu'on rencontre assez souvent. Encore même de véritables dispositifs d'aide à l'acquisition de
une fois, la connaissance des spécificités de l'inter- la langue seconde que les chercheurs évoquent, avec
langue, l'attention portée à des réalisations qu'on ap- des « formats » ritualisés d'interaction et des méthodes
pellerait fautives dans certaines pédagogies, ont des pour organiser les échanges, comparables à celles que
36 37
les ethnographes et les psychologues ont pu employer tance, et non la forme du message, à la différence de
pour décrire les relations entre mère et enfant (De Pie- ce qui se passe en L2, en particulier dans les contextes
tro, Matthey, Py, 1989). scolaires. D'où l'idée qu'une « approche naturelle » de
La recherche s'oriente encore dans plusieurs autres l'acquisition de L2 serait bienvenue, avec des activités
directions : y a-t-il un continuum entre les apprentis- impliquant l'affect et les ressources propres de l'appre-
sages en L l et en L2 ? Peut-on les décrire comme simi- nant dans sa totalité d'être humain. Mais cette propo-
laires, voire identiques, à ceux de la langue première ? sition, on le craint, semblera peut-être irréaliste dans
Des travaux anglo-saxons ont montré une identité des les contextes sociaux et institutionnels que nous
appropriations en langue source et langue cible (cette connaissons (Véronique, 1994).
dernière expression n'est pas forcément heureuse), par D'autres tentatives sont faites pour examiner le
exemple pour ce qui est de l'ordre dans lequel des élé- processus d'acquisition à la lumière de celui de la for-
ments sont acquis. Mais d'abord, ces observations mation des pidgins et des créoles, qui sont des langues
portent sur des points limités (phonèmes, lexique, en formation, des systèmes naissant dans des situa-
structure de la phrase), et surtout rien ne prouve que, tions d'échanges commerciaux (pidgins) ou liés à la
au-delà des productions observées, les procédures colonisation et à l'esclavage (créoles). On se souvient
sous-jacentes soient identiques et recouvrent les d'un mot de Claude Hagège (1985) évoquant les créo-
mêmes opérations cognitives profondes. les comme des « laboratoires » des langues en gesta-
Voici quelques années, une théorie marqua la re- tion et il est tentant de rapprocher les processus indi-
cherche sur l'acquisition et souleva bien des contro- viduel et collectif d'apparition des moyens de
verses. Selon S. Krashen, le processus d'acquisition communication. On sait aussi combien s'est long-
d'une langue seconde est très semblable à celui qui ca- temps attachée aux langues naissantes la qualification
ractérise l'acquisition de la première langue : on doit parfois péjorative de baby talk (langage enfantin).
se représenter que l'essentiel n'y est pas la forme des Plusieurs questions soulevées dans le cas des créoles
productions, mais la poursuite d'une communication semblent donc intéresser la recherche sur l'acquisi-
« naturelle » dans une interaction où prime la signifi- tion :
cation. L'apprentissage conscient n'est là que pourzyxwvutsrqponmlkjihgfedcbaZYXWVUTSRQPONMLKJIHGFEDCBA
ré-
- le rôle des facteurs sociohistoriques au sein desquels
guler (monitoring) et affiner les productions qui sont
initiées et permises par les acquisitions. Bien entendu, se produit la création ou la reproduction linguis-
la compétence des locuteurs n'égale pas généralement tique ;
celle des locuteurs d'une L l , mais Krashen émet l'hy- - la place et le statut de la langue cible ;
pothèse que c'est à cause d'un véritable « filtre » affec- - le rôle des phénomènes d'interférence avec la langue
tif, émotionnel, qui bloque les acquisitions en L2. Si ce source ;
filtre n'existe pas lors de l'acquisition de la première - l'articulation entre systèmes lexicaux et systèmes
langue, c'est que la communication en L l réfère pour grammaticaux dans le processus.
l'essentiel à un environnement immédiat et qu'elle est
De premières conclusions font état des « obstacles
facilitée par des éléments non verbaux importants ; en
méthodologiques et théoriques (qui) rendent hasar-
outre, la signification y est de toute première impor-
deux et problématique le rapprochement entre le pro-
38 39
I
ces d'apprentissage des langues étrangères, voire d'ac- - avec quels m o y e n s : l'oral, l'écrit, le silence, un
quisition de la langue première, et celui de la geste, un schéma... ?
créolisation » (Véronique,zyxwvutsrqponmlkjihgfedcbaZYXWVUTSRQPONMLKJIHGFEDCBA
ibid). La mise en relation - dans quels moments de l'interaction on voit appa
des phénomènes de créolisation et d'acquisition reste, raître ces moyens : présentation, évaluation, expli-
à l'heure actuelle, une question ouverte. cation, commentaire... ?
En conclusion, les hypothèses et les pistes de re- - quels contenus sont l'objet de l'intervention : lin-
cherche que nous avons évoquées offrent des orienta- guistiques (grammaticaux, littéraires...), personnels,
tions, mais il n'est pas évident qu'elles donnent aux sociaux, administratifs, etc. ?
enseignants les assurances théoriques qu'ils réclament,
à tort ou à raison. Mais il serait erroné de croire que tout est quanti-
Le cloisonnement de disciplines telles que psycho- fiable (le rôle d'un participant ne se juge pas au nombre
logie, linguistique, sciences de l'éducation, socio- et à la durée de ses interventions). Nous essaierons de
logie, etc., ou la sectorisation de la recherche et de la donner une idée de la complexité et de la spécificité de
formation des enseignants sont, en France (mais aussi la scène didactique, en nous limitant à quelques points.
ailleurs), souvent dénoncés en premier lieu par les in- D'abord, chez l'apprenant, le processus est, bien
téressés eux-mêmes... Sans doute les chercheurs ont-ils sûr, pour partie seulement observable. Il s'agit de la
à se rapprocher des praticiens de la langue, si, du mise en œuvre de stratégies visant à l'apprentissage et
moins, ils croient en l'intérêt de leur activité, comme on peut donner un aperçu de ces stratégies, que
on peut l'imaginer. R. Oxford (1989) classe ainsi :
- stratégies directes : touchant à la mémoire (par
exemple, faire des associations mentales, des sché-
VIII.zyxwvutsrqponmlkjihgfedcbaZYXWVUTSRQPONMLKJIHGFEDCBA
- La scèn e mas, utiliser des gestes ou des sensations pour
d e l a co m m u n i cat i o n d i d act i q u e mieux retenir ou évoquer un souvenir) ; cognitives
(manipuler ou transformer la L2, par exemple répé-
Pour donner un cadrage plus serré de la scène di- ter, faire une analyse contrastive de Ll et L2, dé-
dactique, divers dispositifs d'observation ou inventai- duire, prendre des notes, souligner) ; de compensa-
res des faits à observer ont été proposés par les cher- tion (demander de l'aide, recourir à la L l , éviter,
cheurs (Moskowitz, 1971 ; Fanselow, 1977 ; Sinclair et inventer, paraphraser) ;
Coulthard, 1975 ; Allen, Frôhlich et Spada, 1984 ; - stratégies indirectes : métacognitives (organiser son
Germain, 1990, etc.). apprentissage, chercher à pratiquer la L2, s'éva-
Nous ferons état d'un questionnement qui reprend luer) ; affectives (essayer de se détendre, s'auto-en-
plus ou moins ces grilles d'observation : courager, verbaliser ses difficultés) ; sociales (poser
des questions, coopérer dans la tâche, développer sa
- qui est à la source de l'interaction : enseignant, étu- compréhension d'autrui, de la culture de L2).
d i a n t s ) volontaire(s), désigné(s), groupe, classe ?
- pourquoi il y a intervention : pour structurer, solli- Ainsi l'activité de l'apprenant semble-t-elle ren-
citer, répondre... ? voyer à son système neurophysiologique et à ses capa-
41) 41
cités cognitives. Mais elle implique aussi son système vaudrait mieux réfléchir à une redéfinition du méta-
de valeurs et son désir d'avoir un rôle social, ce que langage (ou métalangue) dans les termes où Jakobson
manifestent, entre autres, ses attitudes, son accord (1963) envisageait sa fonction, « lorsque l'émetteur du
éventuel pour négocier sa place dans le groupe et par- message cherche à rendre ce dernier plus accessible au
ticiper à la tâche. L'ensemble de ces variables a per- décodeur ». Il faut indiquer deux cas intéressants : ce-
lui d'actes régulatifs comme « je n'ai pas bien compris,
mis, comme on l'a déjà dit, de parler dezyxwvutsrqponmlkjihgfedcbaZYXWVUTSRQPONMLKJIHGFEDCBA
styles d'ap-
prentissage, voire de profils d'apprenants dans pouvez-vous répéter ? » étrangement absents des
l'interaction. C'est pourquoi, dans la classe, le disposi- manuels (mais non des méthodes de langues en géné-
tif didactique devrait représenter « en creux >i ce que ral) et, justement, celui des exemples donnés par l'en-
nous savons de l'apprentissage. Les deux problémati- seignant dans son cours.
ques, liées, appellent à se demander à la fois ce qu'est Lorsqu'on se demande, comme P. Bange, en quoi la
« un bon apprenant » et un « bon enseignant ». classe de langue est le lieu d'apprentissage par excel-
\Jenseignant est d'abord celui à qui incombe la ges- lence, on doit rappeler qu'elle « permet d'échapper
tion du groupe, même si le dispositif fait la part belle à aux difficultés et aux hasards » et qu'elle « garantit
l'initiative et à l'autonomie de l'apprenant, comme l'apprentissage selon un horaire réduit et un rythme
dans l'approche communicative. D. N u n a n (1991) contraint ». Dans l'activité d'enseignement définie,
donne de très nombreux exemples de manières de par- ainsi que nous l'avons dit, comme une facilitation du
ler (teacher talk) et d'agir dans la classe. Il analyse le processus d'acquisition, Bange distingue deux types de
questionnement de l'enseignant, et constate qu'un stratégies d'enseignement :
schéma canonique domine encore largement : a) solli- - stratégies de soutien, dans la modulation du dis-
citation de l'enseignant, b) réponse de l'élève, c) réac- cours de l'enseignant (analogue à un « parentage »)
tion évaluative de l'enseignant. Nous pourrions insister et dans ses réponses aux stratégies positives de
sur le fait que la réponse est, en général, préconstruite l'apprenant ;
dans l'esprit de l'enseignant, dont la sollicitation vise
- stratégies d'optimisation des processus d'acquisi-
au fond à faire retrouver des vérités qu'il détient déjà.
tion : une « manipulation de la communication »
Sans céder au pessimisme, N u n a n tend à conclure avec
doit mettre l'élève en position de « candidat-appre-
bien d'autres chercheurs que les questions et même les
nant », lui donner des buts de communication qu'il
discussions ressemblent, dans beaucoup de classes, à
désire réaliser, l'inciter à déployer des stratégies
des séances de psittacisme, où se succèdent questions et
innovantes.
réponses, sans que les apprenants voient la logique de
l'activité qui leur est demandée. On constate, en conséquence, que la classe est un
A notre avis, cette conclusion devrait être confortée milieu fortement ritualisé, loin d'être naturel (L. Da-
par une mise en question de l'activité métalinguistique bène et al., 1990). Son organisation, sa dynamique, ses
et de sa place dans la classe de langue. Nous ne nous « discours », objet de nombreuses analyses, font res-
attarderons pas sur les excès du discours conduit au- sortir justement l'importance des rôles respectifs et des
tour de la langue et en particulier pour ce qui est de la schémas et routines mis en œuvre par l'enseignant :
grammaire dans les méthodologies traditionnelles. Il questionnement, évaluation, reformulation, rappel à
42 43
une centration prioritaire sur le code, etc. Cette ritua- d'un modèle élaboré, sans opérer un retournement qui
lisation vise à conceptualiser, voire à maîtriser le fonc- la conduise du « ce qui se passe » à « comment le
tionnement du modèle de communication que nous concevoir ». Sans une conception globale des processus
avons proposé ci-dessus (I, 1). La tendance interac- d'enseignement et d'apprentissage appréhendés dans
tionniste, c'est-à-dire celle qui met l'accent sur le déve- leur dialectique, la didactique se retrouve en face à
loppement des processus interpersonnels dans la face avec elle-même. Elle court alors le risque de se ré-
classe, a donné lieu à des dispositifs didactiques et pé- duire à une technologie, c'est-à-dire un ensemble de
dagogiques intéressants, visant à créer un climat pro- procédés constituant des techniques, elles-mêmes
pice au travail, à développer le travail en groupe, etc. prenant forme dans des méthodes.
(C. Kramsch, 1991). La notion de didactique doit englober aussi la cons-
Bien entendu, le classiquezyxwvutsrqponmlkjihgfedcbaZYXWVUTSRQPONMLKJIHGFEDCBA
triangle didactique (ap- truction des savoirs enseignés, d'une part, et la prise
prenant, enseignant, contenus) est incapable de rendre en compte de l'interaction entre enseignement et ap-
compte de la réalité de l'enseignement des langues en prentissage, de l'autre. Le travail didactique ne se ré-
général et du fonctionnement interactif de la classe en sume donc pas à une transformation d'objets (une
particulier. Ce triangle demande à être inscrit dans un langue usitée en langue enseignée, puis en langue ap-
ensemble de processus cognitifs, sociaux, institution- prise, un acte d'enseignement converti en acte d'ap-
nels et idéologiques qui sont la trame de l'apprentis- prentissage), ni à une connaissance cumulative, mais
sage. Nous rejoignons donc Allwright et Bailey (1991) recouvre une transformation des acteurs eux-mêmes :
lorsqu'ils encouragent les enseignants à devenir eux- l'apprenant, l'enseignant aussi, dans une trame
mêmes observateurs de leurs classes, à associer à leur culturelle, sociale, historique.
pratique une réflexion constante sur celle-ci (explora- Une définition minimaliste de la didactique comme
tory teaching). ensemble de moyens mis en œuvre au service de l'ap-
Il faut noter à cet égard l'intérêt de techniques au- prentissage apparaît, par conséquent, définitivement
jourd'hui bien connues, telles que le journal de bord trop limitée. Et ce ne sont donc pas que des outils di-
(ou d'apprentissage) et la vidéoscopie. La première dactiques qu'il faut interroger à présent, mais les mé-
exige de l'apprenant une observation guidée du cours thodologies sous-jacentes, c'est-à-dire les principes di-
qu'il suit et établit une prise de distance, une réinter- recteurs de ces démarches raisonnées, appuyées sur
prétation, voire un dialogue entre partenaires de l'in- des informations et des échanges, bref, sur tout un
teraction. La seconde technique, utilisée déjà en for- monde extérieur.
mation d'enseignants et pour la préparation des
sportifs (technique du geste, jeu collectif...), nous
semble, avec toute la réflexion indispensable, un outil
très utile et sous-employé.
IX. - Co n cl u si o n
La didactique ne saurait se constituer à partir de
pratiques observables dans la classe, fût-ce au moyen
44 45
socialement et culturellement le monde représenté
dans le manuel, avec ses rapports humains, ses
II zyxwvutsrqponmlkjihgfedcbaZYXWVUTSRQPONMLKJIHGFEDCBA
Ch a p it r e zyxwvutsrqponmlkjihgfedcbaZYXWVUTSRQPONMLKJIHG
stéréotypes, etc.) ;
- tests et évaluation (tests, schémas ou guides doci-
mologiques).
LES M ÉT H O D O L O G I ES
Notons d'abord que, malgré ses évidentes qualités,
ce type d'analyse fait courir un risque. En visant à
I. - A n al y se/ él ab o r at i o n d e m an u el s
l'exhaustivité, on donne à penser à l'utilisateur que la
et m ét h o d es meilleure méthode est celle qui intègre le plus possible
Nous ferons état d'une recherche que nous avons des éléments énumérés : sa vocation (affichée) pour
menée pendant plusieurs années à partir de l'examen tous les publics, par exemple, qui rejoint bien entendu
de manuels et méthodes d'enseignement. Constituant le souci commercial ; ou bien, la présence d'images en
un vaste échantillon venu d'époques et de lieux les grand nombre, comme bandes dessinées, vignettes,
plus divers, le corpus a été réuni par des étudiants, photos, dessins, montages, publicités, etc. ; ou encore
français ou étrangers, qui se consacrent au total à plus des textes diversifiés, contes, romans, théâtre, poèmes,
de 80 langues du monde entier. Plusieurs grilles d'ana- chansons, etc.
lyse que nous utilisons pour l'étudier (Mackey, 1972 ; En réalité, la question fondamentale est celle de
Bertoletti et Dahlet, 1984; Dochot, 1989; Germain, la cohérence pédagogique, c'est-à-dire de la compa-
1993, etc.) mériteraient d'être décrites, mais nous ne tibilité, et mieux, de la convergence des outils, techni-
voulons que donner ici une idée du travail entrepris et ques et procédés mis en œuvre dans une même mé-
de quelques résultats. thode, elle-même cohérente avec une didactique
d'ensemble.
Prenons donc comme exemple unzyxwvutsrqponmlkjihgfedcbaZYXWVUTSRQPONMLKJIHGFEDCBA
classement métho-
dologique qui propose cinq grilles d'analyses partielles, U n corpus étendu devrait permettre de déceler
avec, pour chacune, description factuelle et apprécia- quelques constantes dans les titres mêmes des outils.
tion que l'on peut porter sur le matériel : Cela dépasse de loin l'intérêt anecdotique et il faut
évaluer l'écart entre titre et contenu réel de l'outil,
- présentation matérielle de l'outil (fiche signalétique, faire la part des modes et de la contrainte commer-
matériel complémentaire, préface ou livre du pro- ciale, regarder de près les titres métaphoriques, repérer
fesseur, structure du manuel) ; une histoire du titre motivant, du type Le grec sans
- supports et documents (type, présentation, origine, peine, Le français facile, etc.
appréciation, pour l'essentiel, de la variété et d Si l'on prend plutôt comme repère le déroulement
l'adéquation aux objectifs) ; d'une leçon, on obtient des schémas méthodologiques
contenus linguistiques (lexique, phonétique, gram- tels que
maire, exercices sous l'angle de l'opération requise
(contenu) et de l'accompagnement pédagogique) ; - texte, traduction, vocabulaire, grammaire, exercices
- contenus notionnels/thématiques (thèmes, notions de compréhension, de traduction ou de grammaire
et fonctions langagières étudiés, qui caractérisent (n éerlandais) ;
46 47
- dialogue, traduction, grammaire et exercices, sup- proposée explicitement et la leçon s'intitule « Le-
plément culturel, vocabulaire et exercices (indoné- çon 15 », à charge pour l'apprenant d'en saisir la
sien) ; cohérence.
- question de grammaire et règles, vocabulaire, exer- La L l est d'une aide précieuse pour la grammaire
cices (auto-apprentissage, swahili) ; (et évidemment la traduction), mais le « tout en L2 »
- texte avec dessins, vocabulaire, exercices sur le est fréquent, peut-être sous l'effet de contraintes édito-
texte, autre texte, grammaire, exercices de pronon- riales. Peu de méthodes esquivent la métalangue en
ciation, de manipulation, de traduction, écriture, ci- général, ce qui implique un apprentissage spécifique
vilisation (chinois, Pékin) ; (« verbe », « sujet », etc.), dont nous verrons plus loin
- dialogue, vocabulaire par classes de mots, lecture et quels problèmes il pose.
écriture de sinogrammes, grammaire avec explica- Certaines méthodes font le détour par une langue
tion et exercices structuraux, civilisation (chinois, véhiculaire telle que l'anglais ; l'approche contrastive,
Paris) ; avec des mises en garde et des exercices spécifiques
- tableau grammatical, exercices, dialogue avec expli- adressés à tel ou tel groupe linguistique, est finalement
cations et exercices, chanson, écriture, lecture, ta- très rare.
bleau récapitulatif d u lexique avec traduction Une question ouverte reste celle de la langue en-
(français, Berlin) ; seignée (peut-on dire que telle langue s'enseigne plutôt
- dialogue en situation, structures et exercices, expres-de telle manière ?). On pressent aussi l'importance de
sions orale et écrite à partir de documents, structu- traditions pédagogiques et des représentations plus ou
ration des acquis, réemploi libre, textes littéraires moins conscientes (certaines langues sont dites sans
(espagnol, Madrid). grammaire par ceux qui les parlent...).
D'autre part, la démarche est rarement justifiée par
les auteurs, de sorte que les choix faits ne renvoient
On conclut d'emblée à une grandezyxwvutsrqponmlkjihgfedcbaZYXWVUTSRQPONMLKJ
diversité des ap-
proches adoptées, avec des variables qui sont parfois le pas ouvertement à des données caractéristiques de
pays d'origine, et, moins souvent qu'on imagine, la l'apprentissage tels que les objectifs, un mode de tra-
date de naissance de la méthode. vail en auto-apprentissage ou le rythme du cours.
Toutefois, on observe que la démarche d'exposition Cette absence peut être considérée comme volontaire,
des contenus est plus souvent déductive (règle, puis permettant le libre usage, ou au contraire passer pour
applications) qu'inductive (dégagement d'une règle à une carence de conception. On verra qu'une tendance
partir d'un nombre n de cas rencontrés). contemporaine fait de la « modularité » des matériels
Ce qui donne son unité à une leçon peut être aussi son point fort : l'apprenant (ou le professeur, à sa
bien être un thème ( « Gaston Longet à Paris... Notre place) est invité à sélectionner dans une sorte de boîte
salle de lecture... Une famille de mineurs... » ) qu'un à outils ce qui est jugé nécessaire, pour construire un
point grammatical ( « Leçon 15 : l'imparfait » ), par- parcours propre d'activités (cas d'une méthode d'an-
fois une modalisation ( « Je voudrais un stylo... » ) ou glais, 1994, présentant un tronc commun, trois itiné-
tout autre élément fédérateur, le titre pouvant n'être raires possibles et des « self-services » grammaticaux,
qu'un prétexte. Parfois encore, aucune unité n'est culturels, etc.).
48 49
Enfin, les conditions dans lesquelles sont utilisés
qu'il n'a pas toujours à répondre aux nécessités géné-
ces matériels correspondent très peu aux prévisions
rales de la société, mais à celles des groupes ou des in-
d'origine : absence de support oral tel que cassettes,
dividus utilisateurs des langues de l'étranger, soit pour
durée du cours, possibilité réelle de réemploi, environ-
aller à sa rencontre (c'est Marco Polo en Chine), soit
nement social et culturel de l'apprenant, motivation,
parce que l'étranger s'impose et qu'on lui emprunte sa
utilisation parallèle d'autres moyens, etc. Il y aurait
langue. L'on veut alors collaborer avec lui, ou le com-
beaucoup de naïveté à juger des pratiques pédagogi-
battre, en écrivain ou en soldat (c'est Kateb Yacine,
ques dans leur ensemble par le seul examen des
« le poète comme un boxeur »).
matériels mis en circulation.
Au risque de simplifier beaucoup, disons que les
Pour apporter quelques lumières dans cette diver- méthodologies traditionnelle, directe, audio-orale, au-
sité, voire cette confusion des démarches, et dans ces diovisuelle, communicative dominent le panorama.
options fort contrastées, il nous faut brosser, à pré- Mais les dispositifs didactiques ne présentent pas la
sent, un tableau des méthodologies que nous voyons à successivité chronologique qu'on pourrait imaginer. Il
l'œuvre, inscrites dans les outils. Et un tel classement y a continuité, retour en arrière, prise en compte de ce
ne peut se faire sans retour sur le passé. qui se fait ailleurs pour s'en inspirer ou au contraire
pour le rejeter, et adaptations à de nouveaux environ-
II.zyxwvutsrqponmlkjihgfedcbaZYXWVUTSRQPONMLKJIHGFEDCBA
- Pr éal ab l es à u n t ab l eau p an o r am i q u e nements idéologiques et technologiques. Le change-
d es m ét h o d o l o g i es ment en didactique ne se décrète guère, même à tra-
vers des instructions ministérielles, des préfaces de
La méthodologie de l'enseignement des langues manuels ou des cours de formation et stages pour
étrangères puise ses racines dans l'histoire deszyxwvutsrqponmlkjihgfedcbaZYXWVUTSRQPONMLKJIHGFEDCBA
besoins professeurs.
de la communication sociale. Nul doute que le mar- Les termes méthodologie et approche, voire encore
chand phénicien, l'hoplite grec emporté par les expédi- démarche, se rencontrent et, parfois, de manière assez
tions d'Alexandre au bout du monde connu, le cava- indifférenciée. Ils manifestent une évolution vers plus
lier arabe qui atteint Gibraltar font naître les formes d'ouverture, non tant de la didactique que de l'idée
du multilinguisme et de sa propagation. D'une part, qu'on s'en fait.
ce sont des mixtes de langues, des créoles tels que le
gallo-roman (on a pu dire que le français est un créole
qui a réussi). De l'autre, c'est la mise en place de III. - Les m ét h o d o l o g i es d i t es t r ad i t i o n n el l es
50
51
tion des textes littéraires. Et, en gros, pour une langue duction, exercices et finalement thème, qui constitue
telle que le latin, c'est Cicéron, et non le Bas-Empire ; un retour à la langue apprise et donne parfois lieu à
pour l'allemand, c'est Thomas Mann, et non Heinrich un réinvestissement où l'on s'essaie à rédiger sur un
Bôll. Comme l'approche vise la maîtrise du code, c'est sujet proche, et c'est le « thème d'imitation ».
le vocabulaire et la grammaire qui représentent les ob- On est donc bien dans une pédagogie du modèle, où
jectifs immédiats : liste de mots, avec d'éventuels re- lecture, version, thème se font sous la direction atten-
groupements thématiques, règles de grammaire pres- tive de l'enseignant. En aucun cas une telle conception
criptives insistant sur une norme ( « Dites - ne dites ne permet de développer une réelle compétence de com-
pas » ). Peu ou prou, du xvif siècle au xix e siècle, en munication, même écrite, qui d'ailleurs, sauf exception
Europe, l'étude du latin classique, avec sa grammaire (le latin comme véhiculaire de la religion catholique),
et sa rhétorique, constitue le moule de toutes les mé- ne constitue pas unefinalitéde l'apprentissage. Les mé-
thodologies d'enseignement des langues en milieu ins- rites de l'approche traditionnelle sont évidents dans un
titutionnel. Une filiation directe entre didactiques des contexte adéquat, où le recours à la métalangue, en
langues mortes et des langues vivantes étrangères est langue première, bien entendu, paraît souhaitable.
perceptible avec la théorisation qui en est faite, au mi- Mais les évolutions qui jalonnent l'enseignement
lieu du xix e siècle, surtout dans le monde germanique des langues s'inscrivent dans le cours de l'Histoire.
et anglo-saxon, sous les termes dezyxwvutsrqponmlkjihgfedcbaZYXWVUTSRQPONMLKJIH
méthode grammaire- Ainsi, le latin voit-il son statut et son importance bou-
traduction. Les objectifs fondamentaux tiennent à leversés ; des langues comme le français ou l'allemand
faire connaître une langue écrite de culture et d'élar- se dotent de formes stables, donc mieux utilisables, et
gissement intellectuel et les contenus de civilisation y accèdent à de nouvelles fonctions ; l'école change dans
sont étroitement attachés. La présence de « la belle son ensemble et la représentation de l'enfant, de
langue » va souvent de pair avec les méthodologies l'apprenant tout autant.
traditionnelles, quand il ne s'agit pas tout simplement Un grand pédagogue tchèque, Comenius, vers 1650,
de langues de haute tradition : pali des textes boud- ouvre plusieurs pistes prometteuses. Il voit quelle est,
dhiques, sanskrit dans lequel sont rédigés les pour l'apprentissage, l'importance de la perception
grands livres de l'hindouisme (Véda, épopées), latin sensible à côté de ce qu'apportent les capacités intellec-
classique, grec dans sa variété haute. Puisque l'écrit tuelles, il dessine une thématique motivante pour
y tient une telle place, il est bien naturel que les l'élève, envisage le recours à l'image comme auxiliaire
langues dites mortes relèvent de telles méthodologies didactique. Certains continueront après lui à appeler
d'enseignement. une remise sur pied d'un enseignement perçu parfois
L'approche est très analytique et les outils privilé- comme absurde et, déjà, dépassé.
giés seront les manuels ou recueils de textes, voire les Au milieu du xix e siècle, en Angleterre, Prendergast
œuvres entières, la grammaire et le dictionnaire bi- insiste sur l'intérêt de mémoriser des « routines », des
lingue. La démarche didactique est, dans ses grandes phrases de base réutilisables dans des situations
lignes, la suivante : un texte littéraire, suivi des expli- originales.
cations de vocabulaire et de grammaire, généralement En France, Claude Marcel fait le parallèle entre
avec recours à la langue source de l'apprenant ; tra- langue de l'enfant et langue enseignée, veut « suivre
52 53
1
pas à pas la marche de la nature », comme si le terme l'écrit, et une grande attention à une bonne pronon-
de « méthode naturelle », qui séduira périodiquement ciation. Il n'y a d'énoncés que signifiants, c'est-à-dire
la pédagogie, pouvait aller de soi. François Gouin zyxwvutsrqponmlkjihgfedcbaZYXWVUTSRQPONMLKJIHGFEDCBA
inscrits dans une situation imaginable. La préoccupa
{L'art d'enseigner et d'étudier les langues, 1880) tion métalinguistique, enfin, existe, mais dans un
cherche à comprendre les mécanismes de l'activité co- deuxième temps : c'est de l'observation réfléchie des
gnitive, luttant pour la primauté de l'oral, persuadé récurrences que se dégagent des règles de fonction-
que l'apprentissage d'une langue sera meilleur si l'on nement de la langue.
s'en sert pour réaliser des suites ou « séries » d'actions Sans doute aura-t-on à recourir à des auxiliaires
cohérentes entre elles. pour montrer directement de quoi l'on traite, livres,
C'est enfin un phonéticien de Marburg, Wilhelm tous objets et accessoires utiles d'abord à la compré-
Vietôr, qui appelle, à lafindu siècle, à changer hension. Il y aura à imaginer des dispositifs faisant un
de fond en comble l'enseignement des langues. L'ins- large usage de l'oral et avec un vocabulaire volontai-
titution scolaire est loin d'être toujours prête à rement limité. La gestuelle, le mime, la verbalisation
accepter de bon gré ces propositions (C. Germain, par l'enseignant seront les adjuvants de cette didac-
1993). tique. On amène l'apprenant à répéter, assimiler peu à
peu des éléments linguistiques en situation, de manière
à le faire penser dès que possible dans la langue
IV. -zyxwvutsrqponmlkjihgfedcbaZYXWVUTSRQPONMLKJIHGFEDCBA
L' ap p r o ch e d i r ect e
seconde.
L'approche directe va tenter de résoudre certaines Mais cette méthodologie, dont on voit qu'elle est à
des questions sur lesquelles l'enseignement piétinait en certains égards complémentaire de la première, ren-
vain ou qu'il voulait ignorer. Pas moins ancienne que contre pourtant ses limites, elle aussi. S'il est aisé de
celle qu'on vient d'évoquer, elle la précède même de travailler sur le thème du tabac dans la classe et
peu, oserait-on dire, puisqu'elle résulte du besoin im- d'introduire des mots comme cigarette, fumer, allu-
médiat : si dans telle situation, tel mot semble provo- mer, etc., qu'en est-il pour des concepts comme intoxi-
quer telle réaction (comme un « bonjour ! » suscite cation ou risque cardio-vasculaire ?
son équivalent), si tel énoncé semble correspondre à En fait, la méthodologie directe trouve sa cohé-
tel besoin, alors enseignons ce mot, cet énoncé dans rence dans son organisation interne. Nous en
un environnement qui nous apparaît analogue sans emprunterons une figuration à l'étude la plus com-
passer ni par la traduction, ni par l'explicitation lexi- plète dont on dispose (Puren, 1988). Le noyau dur
cale ou grammaticale. Bref, essayons de « faire parler est constitué par les éléments suivants, empruntés aux
la langue et non parler de la langue ». C'est ce que fait approches ou méthodes :
le jeune aristocrate romain qui apprend le grec de son - directes : sans recours à la traduction ;
esclave, ce que fait, peut-être, le marchand gaulois qui - orales : ou plutôt audio-orales (le rôle de la percep-
enseigne à son fils comment traiter à son tour avec le tion est aussi grand que celui de l'audition) et, au
centurion romain. début du moins, l'écrit est écarté ;
Les méthodologies de type direct donnent la prio- - actives : on apprend à parler en parlant et en
rité à l'oral, avec une écoute des énoncés sans l'aide de agissant.
54
55
1
La présence de ces éléments amène à mettre en matique de faits linguistiques dont les principes d'or-
œuvre d'autres méthodes (le mot a le sens d'ensemble ganisation n'étaient pas clairs, tout cela appelait un
de procédés et techniques organisés et orientés) : surcroît de réflexion.
De nouvelles conceptions viennent alors donner à
- méthode interrogative (jeu question-réponse) ; l'apprenant un rôle plus important, en milieu scolaire
- méthode intuitive (il s'agit de deviner pour com- en particulier, et redéfinir les éléments à enseigner
prendre) ; prioritairement à l'oral. Cette méthodologiezyxwvutsrqponmlk
active,
- méthode imitative (l'apprenant apprend en imitant riche de sa diversité, trouve son origine en plusieurs
l'enseignant ; le travail de production des phonèmes lieux dans la première moitié de ce siècle.
est un bon exemple) ;
a) En Suisse, en Allemagne, des tentatives sont fai-
- méthode répétitive (la rétention d'information se tes pour tirer bénéfice de la didactique nouvelle tout
fait par répétition, par imprégnation jusqu'à « l'as- en préservant si possible des acquis (c'est, en particu-
similation »). lier, le cas de la grammaire).
La méthodologie directe remporte particulièrement b) En France, avec ce qu'on appelle « méthode ac-
tive » se développe toute une série de compromis entre
des succès en Europe et aux États-Unis, à lafind uzyxwvutsrqponmlkjihgfedcbaZYXWVUTSRQPONMLKJIHGFEDCBA
x i x siècle et au début du XX , dans un monde qui
e e m é t
h odologies traditionnelle et directe. Parallèlement
connaît le train et les grandes lignes maritimes. C'est à l'extension du système national d'enseignement se-
sans doute parce qu'elle est liée au voyage que la fi- condaire, on trouve la trace de ce processus tout au
gure emblématique en reste Maximilian Berlitz et ses long des instructions données pour l'enseignement of-
centres de langues, même s'il n'employait pas le terme ficiel des langues étrangères, en gros entre 1908
de méthodologie directe. Elle pénètre aussi l'institu- et 1969, ce qui est dire l'insistance de l'action publique
tion scolaire et la réalité des classes, du moins quand et la pérennité du besoin.
les textes officiels qui marquent, entre autres, l'ins- On parle alors de méthodologie éclectique ou mixte,
truction publique française sont appliqués : des pro- de synthèse ou de conciliation et on voit encore une
fesseurs souvent traditionalistes et manquant de for- fois, dans les réformes engagées, rupture et conti-
mation n'en seront pas toujours les meilleurs nuité : le texte et les exercices écrits reprennent leur
propagandistes. place à côté de l'oral, et non à sa suite. Le vocabulaire
Elle a suscité des progrès par ses présupposés, son peut être enseigné avec l'aide de la langue première, et
approche globaliste de l'apprentissage et son caractère un apprentissage « raisonné » de la grammaire prend
dynamique. Peut-être aussi a-t-elle sauvé des appre- le pas sur l'approche « mécanique », c'est-à-dire répé-
nants - et des enseignants - de la léthargie trop sou- titive, des méthodes directes. Mais, en un mot facile,
vent notée auparavant. Mais enfin le manque de soli- on insiste sur le fait que « la classe de langue vivante
dité de ses bases théoriques apparaissait : au fond, doit être vivante », que les élèves sont là pour y
quel découpage linguistique ? quelle progression ? quel prendre la parole, pour dialoguer, analyser et
écrit ? comment imaginer un niveau « avancé » ? Son commenter.
aspect artificiel (l'identification à des besoins de com- Les conditions dans lesquelles se fait cette évolution
munication ne va pas de soi), la mise en scène systé- montrent une volonté d'intégrer l'enseignement des
57
56
langues étrangères dans le fonctionnement général de celle de structure linguistique (qui conduit à un modèle
l'éducation, pour ce qui est de la didactique comme reproductible et assimilable par l'apprenant). Les acti-
des finalités, à la fois instrumentales et culturelles, de vités d'écoute et de répétition, exercices de manipula-
l'apprentissage ; un certain pragmatisme face à l'échec tion ou drills, s'inscrivent dans une conception de l'ap-
des méthodes directes, et aussi, selon nous, tout prentissage où l'impression laissée par le contenu
simplement leur inadéquation à la problématique rencontré doit pouvoir permettre le réemploi libre ul-
scolaire. térieur. Il se trouve que l'enseignement de l'anglais
langue étrangère vivra au XXe siècle une considérable
expansion et que cette méthodologie sera le vecteur
V.zyxwvutsrqponmlkjihgfedcbaZYXWVUTSRQPONMLKJIHGFEDCBA
- L' ap p r o ch e au d i o - o r al e
« officiel » de sa diffusion pendant des décennies,
alors que d'autres horizons didactiques se sont déjà
L'approchezyxwvutsrqponmlkjihgfedcbaZYXWVUTSRQPONMLKJIHGFEDCBA
orale ( Oral Approach) est encore ap-
pelée Situational Language Teaching. Elle prend son ouverts.
origine dans divers travaux de linguistique appliquée Aux États-Unis, la Seconde Guerre mondiale sus-
visant à donner des bases plus scientifiques à un ensei- cite en effet un considérable effort dans l'enseigne-
gnement des langues centré sur l'oral et la mise en si- ment des langues, comme dans d'autres domaines de
tuation des contenus lors de l'apprentissage. Il s'agit l'éducation et de la recherche. Cinquante-cinq univer-
donc à la fois de sélectionner des éléments linguisti- sités s'associent, dans ce qui prend le nom de Army
ques, lexicaux par exemple (Palmer et West, 1936), et Specialized Training Program (ASTP), pour former les
d'examiner dans quels contextes on peut les faire ap- personnels à utiliser des langues étrangères lors des
paraître : trouver des principes d'organisation des opérations militaires extérieures, en Asie, dans le
contenus et des moyens de les faire pratiquer. En Pacifique et en Europe surtout.
d'autres termes il faut concevoir une sélection, une Pour être bref, tout semble alors à inventer en ma-
gradation, un dispositif de présentation. tière de didactique. On fait appel à des linguistes
Richards et Rodgers (1986) résument la méthodo- comme Bloomfield, spécialiste des langues amérin-
logie qui découlera de ces prémisses, entre 1930 diennes. Des recueils de textes sont bâtis à la hâte avec
et 1960 environ, en insistant sur la priorité accordée à l'aide d'informateurs qui continueront à travailler en-
l'oral, sur l'usage exclusif de la langue cible en classe, suite avec le professeur et les étudiants, dix heures par
sur le fait que les nouveaux éléments introduits le sont jour, six jours par semaine, durant deux ou trois
toujours dans des situations. La place du vocabulaire périodes de six semaines...
et de la grammaire n'est en rien laissée au hasard, lec- Le succès apparent d'une telle méthode, à base
ture et écriture interviennent dès que les moyens d'oral et d'exposition forte à la langue, donne, après
linguistiques en sont assurés. la guerre, des idées à une Amérique désormais ouverte
Dans les méthodes britanniques de cette époque, on sur le monde et sûre de son pouvoir. Elle enseigne
constate que deux notions prennent une importance l'anglais - ou l'anglo-américain - partout, à l'étranger
comparable à celle de la priorité à l'oral : la notion de comme chez elle à ses immigrants, et sait aussi
« situation » (qui donne sa signification à la forme lin- apprendre d'autres langues, parfois dans l'urgence, au
guistique, manifestant une intention du locuteur) et g ré de l'histoire contemporaine.
58 59
Il semble que l'apport de lazyxwvutsrqponmlkjihgfedcbaZYXWVUTSRQPONMLKJIHGFEDCBA
linguistique appliquée à tion réelle, un vocabulaire soigneusement restreint aux
l'enseignement des langues se manifeste d'abord par besoins immédiats de la leçon. Elle est cohérente, mais
l'intérêt pour une approche différentielle ou contras- voit s'élever contre elle des critiques, dès lafindes
tive. On prend acte du fait que les erreurs observées années 1950 :
chez les apprenants peuvent provenir de différences - D'abord les objections de ceux qu'on va appeler les
entre langues première et seconde, et donc de trans- « mentalistes » et qui, comme Chomsky, refusent de
ferts erronés dans l'encodage comme dans le déco- voir dans le fonctionnement humain une simple
dage. Pour le reste, la méthode audio-orale américaine suite causale, mais soulignent la créativité illimitée
(Audiolingual Method, icizyxwvutsrqponmlkjihgfedcbaZYXWVUTSRQPONMLKJIHGFEDCBA
MAO ) est fondée solidement de l'homme doué de langage. Leur influence ira
sur deux bases, linguistique structurale et psychologie grandissante, tout comme celle des « cognitivistes »
du comportement. qui montreront bientôt la complexité réelle des opé-
a) D'abord une linguistique structurale, c'est-à-dire rations en jeu dans le processus de l'acquisition et
où la valeur d'un terme se définit par opposition aux du développement langagier.
autres termes du système (Saussure, 1916). Cette lin- - Mais aussi le rejet par les apprenants eux-mêmes,
guistique de type « distributionnel » (Bloomfield, Har- lassés d'exercices fastidieux, peu motivants et cou-
ris, Fries) met en évidence les deux axes de la langue, pés de la réalité. On peut suivre l'idée selon laquelle,
axe paradigmatique, celui de la distribution des élé- dans la MAO, « la superposition parfaite entre le ni-
ments dans l'énoncé, et axe syntagmatique, celui de la veau de la théorie et celui des matériels (...) a provo-
transformation. qué un appauvrissement radical des problématiques
À l'énoncé « Elle est belle » peut se substituer « Tu prises en compte et des pratiques d'enseignement »
es belle », puis « Tu es riche », « Es-tu riche ? », etc. (Puren, 1994).
Différents procédés, qui n'étaient pas totalement nou-
veaux, d'ailleurs, « tables » ou « boîtes », permettent Sans doute aussi les conditions de mise en œuvre,
une présentation, puis une sélection des éléments que avec I'ASTP , avaient-elles été exceptionnelles. Il faut
la didactique retiendra. En d'autres termes, une des- toutefois se garder de hâtifs jugements de valeur. La
cription de la langue est à l'origine d'un dispositif méthodologie audio-orale a marqué d'une forte em-
d'appropriation régulière de cette langue. preinte celles qui la suivent, même si elles s'en
b) Ensuite une théorie comportementale empruntée défendent souvent.
à la psychologie et en particulier au modèle béhavio-
riste (Skinner, 1957), que nous avons déjà évoquée. VI.zyxwvutsrqponmlkjihgfedcbaZY
- Les m ét h o d o l o g i es au d i o v i su el l es
Le schéma stimulus/réponse/renforcement a pour
objectif la réapparition d'un comportement acquis et Les travaux qui avaient amené les didacticiens amé-
désormais automatisé. ricains et britanniques à une approche audio-orale, si-
Cette méthodologie se caractérise par une approche tuationnelle, trouvent leur répondant en Europe après
contrastive et une priorité à l'oral, avec l'aide du ma- la guerre. Le terrain y est désormais beaucoup mieux
gnétophone et bientôt du laboratoire de langue, des préparé sur le plan scientifique pour une évolution des
exercices structuraux intensifs et hors de toute situa- pratiques d'enseignement. Par ailleurs, les technologies
60 61
de reproduction de l'image et du son (magnétophone, disponibilité (l'importance pour un thème particulier)
film et couleur...) sont arrivées à un niveau de fiabilité de formes de base du français. Le corpus se limitait à
et de coût qui permet d'envisager leur entrée dans la l'oral et, pour le « niveau 1 », incluait 1 445 mots dont
classe. Il semble à peu près établi maintenant que les zyxwvutsrqponmlkjihgfedcbaZYXWVUTSRQ
1 176 lexèmes et 269 mots grammaticaux. Les plus fré-
méthodes audiovisuelleszyxwvutsrqponmlkjihgfedcbaZYXWVUTSRQPONMLKJIHGFEDCBA
(MAV ), élaborées entre 1950 quents étaient, pour fixer les idées et dans l'ordre
et 1970 environ, auront été le résultat de deux courants décroissant : être ; avoir ; de ; je ; il(s). Une deuxième
de recherche qui ne se confondent pas, l'un aux États- liste apparaissait bientôt avec 1 800 mots supplémen-
Unis, l'autre en Europe, et particulièrement en France. taires environ et allait constituer le Français fonda-
a) Il ne suffit pas, pour caractériser une MAV , de mental deuxième niveau.
parler d'association de l'oral et de l'image. A ce Les travaux menés conjointement à lafindes
compte, beaucoup d'outils où interviennent des auxi- années 1950 en France, avec P. Rivenc au Centre de
liaires visuels tels que schéma, carte, tableau, vi- recherche et d'étude pour la diffusion du français
gnette... pourraient être ainsi répertoriés, depuis long- (CREDIF ), et à Zagreb en Yougoslavie, par l'équipe de
temps. On qualifiera de méthode audiovisuelle celle P. Guberina, ont pour résultat l'élaboration d'une mé-
qui, ne s'en tenant pas seulement à associer l'image et thodologie dite structuro-globale-audiovisuelle (SGAV).
le son à des fins didactiques, les unit étroitement, de Les fondements en sont :
sorte que c'est autour de cette association que se
construisent les activités. - une théorie linguistique explicitement structurale
(inspirée de la linguistique de la parole de C. Bally,
Certaines des méthodes audiovisuelles vont prendre
et non au sens de Saussure ou des linguistes améri-
pour bases théoriques la linguistique structurale et la
cains) pour les contenus et la progression ;
psychologie béhavioriste. Les contenus linguistiques
une primauté résolue à l'oral (comme le montre le
structurés, mis dans une relation propre à faire appa-
français fondamental) ;
raître leur valeur, sont présentés selon une certaine
- une forte intégration des moyens audiovisuels ;
progression. Cette notion renvoie à une organisation
des éléments retenus pour être intégrés au programme - une théorie de l'apprentissage fondée sur une
de travail par l'enseignant ou le concepteur de la mé- « structuration mobile des stimuli optimaux » (où
thode : on n'enseigne pas n'importe quoi dans n'im- certains comprendront exercices béhavioristes ;
porte quel ordre. - une conception globale de la communication ou-
verte in fine sur la pratique sociale.
b) Mais revenons sur la description de la langue. Si
des travaux lexicologiques britanniques avaient donné c) Examinons comment, avec toute leur diversité,
naissance à un Basic English d'une « conception lo- les méthodologies audiovisuelles se traduisent en ces
gique et universaliste » (P. Rivenc), du côté français, outils qu'on appelle couramment des « méthodes ».
un élément aussi déterminant dans la mise au point Des « situations » créées de toutes pièces donnent l'oc-
des méthodes audiovisuelles aura été l'apparition du casion d'y rencontrer les éléments linguistiques présen-
Français fondamental (1959) : un recueil lexical et tés. Ces situations tournent autour d'un thème et, en
grammatical, établi sur la fréquence d'apparition, sur général, d'une petite histoire,fixéesurfilmfixeo u
la répartition dans un corpus oral enregistré et sur la bande dessinée, associée à un enregistrement magnéto-
62 63
phonique : « C'est bien le train pour Orléans, n'est-ce - Explication, terme indiquant clairement que l'on
pas ? A quelle heure est-ce qu'il part ? » Les contextes se place du côté de l'enseignant, dont le travail vise en
de cette situation visualisée sont supposés suffisam- fait à faciliter ce qui sera l'accès au sens ou la compré-
ment motivants pour faciliter les différentes opéra- hension. Cette compréhension est d'abord globale,
tions proposées à l'apprenant. puis se fait progressivement plus analytique. Il s'agit
Désignée aufildes années et des tendances comme de déterminer ce qui se passe à l'aide d'indices : rappel
chapitre, thème, module d'enseignement didactique, de la connaissance qu'on a des personnages, de leur
dossier et surtout « unité didactique », la leçon de rôle, évocation de ce qui est possible ou plausible, va-
langue est constituée de différents moments ou phases riation des situations et des contextes, paraphrase et,
de durée variable, sachant que les vents de la mode bien sûr, rôle de l'image...
poussent très fort la terminologie... À l'oral, une hypothèse classique est que le maté-
LezyxwvutsrqponmlkjihgfedcbaZYXWVUTSRQPONMLKJIHGFEDCBA
déroulement de la leçon est donc analysable et les riau sonore, la chaîne parlée que l'on entend, est perçu
phases en sont justifiées dans leur nature et leur orga- à travers ce qu'on désigne comme un véritable crible
nisation : dans leur nature, parce que l'examen montre phonologique. Les sons, ou plutôt les phonèmes de la
qu'il est difficile, parfois inconcevable d'ignorer telle langue, sont reçus et traités en fonction des habitudes
ou telle phase (par exemple réemployer un élément qui sensorielles initiales. Que l'on pense aux tons du viet-
n'a pas été mémorisé) ; dans leur organisation, c'est-à- namien ou du chinois, où la variation affecte le sens
dire leur place ou leur manière de s'enchaîner dans la du mot (chinois yu : selon le ton, poisson ou
suite des opérations. langue, etc.). Au premier abord, le découpage de
Mais comme la justification de cette structuration l'énoncé est rendu difficile, voire impossible et, pour
reste le souci d'une efficacité maximale dans des un hispanophone, « Ils ont mangé » et « ils sont
conditions déterminées d'apprentissage, elle est donc mangés » se confondent.
discutable, sans aucun doute. Elle sera sujette à modi- Les catégories grammaticales différentes de langue
fication, surtout dans la dernière génération deszyxwvutsrqponmlkjihgfedcbaZYXWVUTSRQPONMLKJIHGFEDCBA
MAV. à langue suscitent des difficultés. Par exemple, en
Pourtant, il ne nous semble pas que cette organisation russe, un impératif perfectif marque la politesse, un
soit jamais vraiment bousculée à travers telle ou telle imperfectif, la rudesse d'un ordre. On évoque encore
de ces méthodes. On y observe, au plus, variation, souvent la richesse lexicale de telle langue qui dispose
fractionnement, déplacement, report, dans des activi- de nuances pour marquer la couleur des arbres, de la
tés dont le bien-fondé n'est, finalement et pour l'essen- neige ou... de la robe d'un vin, ce qui fait parfois dire
tiel, pas remis en question. qu'il y a impossibilité à traduire. On a des séries de dé-
On observe, en général, une séquence du type rivation lexicale incomplètes : contrairement à l'arabe
suivant : présentation, explication, répétition, mémori- (khobz, pain), le français crée boulangerie (makhbaza)
sation et correction, exploitation, transposition. sur une autre racine. L'extension du pronom est mise
- Présentation du contenu nouveau, sous forme vi- en cause : « tu » vaut pour masculin ou féminin
vante, dans une situation de communication et avec en français, pas en arabe (anta/anti) ; « nous »
des supports variés où texte, image, son se trouvent peut inclure l'auditeur : (je + tu + il)(s), ou l'exclure
associés. (je + il)(s), comme en tagalog (Philippines) ; o n
64 65
connaît la subtilité du jeu entre tutoiement et vouvoie- donc l'observation et l'automatisation, sinon la prise
ment, même entre langues de l'Europe. On pourrait de conscience ou conceptualisation des faits rencon-
multiplier les exemples qui font problème pour le lo- trés, qui engendreront une compétence, une règle que
cuteur non natif : la marque du verbe (qui ne se l'apprenant s'appropriera, au sens précis du terme.
conjugue pas en chinois), la déclinaison du nom, l'ab- - Répétition et mémorisation avec correction p
sence de distinction nom/verbe (créoles, tahitien), tique. Le travail consiste à fixer, puis à retenir, dans
l'ordre des mots dans la phrase. Sujet-verbe-objet des formes acceptables au regard de la norme - d'où
(sov) représente 39 % des langues, mais svo 36 %, vso la correction - , les éléments présentés et expliqués, de
15 % et même vos 5 % (dont le malgache). façon qu'ils puissent être évoqués, c'est-à-dire revenir
La compréhension sera, ensuite, plus fine. Le dé- pour une utilisation effective. On distinguera entre
coupage du matériau sonore de l'énoncé amène à une compétence passive et active d'un élément : sa recon-
série d'hypothèses sur la communication, en fonction naissance, son décodage à l'écoute, n'autorise pas
de l'échange entre les interlocuteurs. La démarche est forcément son utilisation lors d'une production
très intuitive et l'explication met en relief des varia- personnelle.
tions phonétiques, morphologiques, lexicales, syntaxi- On est dans une approche universaliste, où il n'est
ques qui engendrent la signification, c'est-à-dire la pas question d'exercices fondés sur une description
prise de sens dans un environnement particulier. contrastive des langues. Mais très vite beaucoup de
On a vu que divers procédés aident à accéder à une méthodes contextualisées, c'est-à-dire adaptées à t
ou tel groupe linguistique, s'affranchiront de cette
première signification. Ils sont directs :zyxwvutsrqponmlkjihgfedcbaZYXWVUTSRQPONMLKJIHGFEDCBA
Yimage situa-
tionnelle ou de transcodage (un point d'exclamation contrainte.
marque une surprise), le geste, la mise en relation avec La répétition reste l'un des moyens de parvenir à la
l'environnement local du cours. Ils peuvent être indi- fixation, par des procédés divers : apprentissage par
rects : la paraphrase ou la définition, la mise en rap- cœur, seul, en groupe, dans la classe ou à la maison,
port de l'élément nouveau avec des éléments connus, avec l'aide du magnétophone, du laboratoire de lan-
contraires ou identiques. En général, la traduction est gues, autonome ou non, par la dramatisation ou le jeu
exclue dans la méthodologie audiovisuelle pure, le sys- de rôle, etc. On voit que diverses possibilités de répéti-
tème source de l'apprenant étant censé - pour des rai- tion et de correction peuvent se combiner. Certaines
sons d'apprentissage - être évacué du champ de d'entre elles (mais non celles du courantzyxwvutsrqponmlkjihgf
SGAV, qui re-
l'enseignement. court à la méthode verbo-tonale, privilégiant l'audi-
L'énoncé est alors susceptible d'être appréhendé tion globale et les contextes « optimaux ») auront plus
dans sa complexité et, pour commencer, peut être seg- ou moins pour théorie de référence l'automatisation
menté. Pour donner un contre-exemple, c'est ce que ne des comportements empruntée à la psychologie
peut faire l'enfant qui dit « un avion / le navion » et, béhavioriste.
encore, ce à quoi on n'est pas arrivé en français, avec - Exploitation qui vise à l'appropriation des élé-
le mot loriot (latin : Me, aureatus) ou avec le mot ments nouveaux par leur systématisation, leur mani-
d'origine arabe « luth » (al oud), quand on affecte ces pulation et leur réemploi dans des situations plus ou
noms d'un article redondant : le loriot, le luth. C'est moins proches de celles de la leçon. Inscrire un élé-
66 67
ment dans un système, c'est, par exemple, afficher un 1974). Nul doute que des malentendus soient nés, dès
paradigme, comme une conjugaison aux différentes le début des mav, sur les fins comme sur les moyens
personnes, une déclinaison, u n micro-système (en qui devaient être les leurs. Il est aussi très vite apparu
français, cheval-chevaux, journal-journaux), un mode que le déroulement décrit ci-dessus était adapté au ni-
de repérage du genre des noms, etc. veau des débutants, mais on observe au niveau plus
La manipulation va se faire à travers des exercices avancé, souvent appelé niveau 2 :
intensifs et variés : - une certaine dissociation de l'image et des autres
- répétition d'éléments simples, avec éventuelle ex- éléments dans la pratique de classe, ou une moins
pansion (il mange, il mange, il mange du pain) ; grande rigueur dans l'intégration des supports
- substitution ou corrélation (il joue avec son frère, il (image/magnétophone, etc.) ;
joue avec sa sœur, nous jouons a v e c . ) ; - une place plus importante accordée à l'écrit,
- transformation (regarde les oiseaux, regarde-les). alors que la méthodologie audiovisuelle s'était fait
une réputation d'intransigeance sur la priorité à
Ces opérationszyxwvutsrqponmlkjihgfedcbaZYXWVUTSRQPONMLKJIHGFED
systématiques peuvent porter sur le l'oral ;
lexique (du nom au verbe et vice versa), la mor- - un accès à une parole plus proche de la réalité so-
phologie (mise au passé), la syntaxe (réécriture au ciale que dans les énoncés stéréotypés des premières
style indirect, résumé, narration transformée en dia- leçons. Cet accès sera facilité par l'emploi de ce
logue), etc. Elles ont donné lieu à une abondante litté- hqu'on appellera plus tard documents authentiques,
rature prescriptive : les exercices sont des techniques, ou « matériaux sociaux » (Galisson), c'est-à-dire
qui doivent être gradués, dosés, simples et adaptés, documents à visée initialement non didactique (ima-
motivés, actifs, construits sur une analyse linguistique, ges et textes : carte, formulaires, photos, tableaux,
progressifs, naturels, centrés sur un même thème, publicités...) ;
courts, variés, rapides... - une autonomie plus grande laissée à l'apprenant et
- Transposition ou réemploi de plus en plus libre à sa créativité personnelle ;
dans des situations originales, nées souvent des ha- - une remise en question des objectifs et des procédu-
sards de la classe et consistant en jeux de langue. Cer- res d'apprentissage, qui déplace le centre de gravité
taines préfaces de méthodes parlent de « création et de la méthode : d'une compétence linguistique, on
re-création ». Il est possible enfin qu'une évaluation envisage de plus en plus de passer à une compétence
soit effectuée au terme de l'unité didactique, mais on le mot est dit - communicative.
observe, en fait, qu'elle peut être facultative ou que sa
périodicité varie, avec des contrôles intermédiaires ou Ce qui est notable, en effet, c'est une évolution des
au contraire situés au terme de plusieurs unités. méthodes audiovisuelles à partir des années 1970 dans
d) W faut, bien sûr, distinguer une « méthodologie le sens que nous venons d'indiquer pour le seul ni-
d'élaboration », celle des concepteurs, et une autre veau 2. La langue se fait plus variée, plus riche : elle
« d'application », ce qui est induit effectivement dans correspond mieux à ce qu'on peut entendre effective-
les pratiques de classe. Il y a souvent loin de l'une à ment dans la société et elle prend en compte les regis-
l'autre, comme l'observation le montre (Porquier, tres propres à certains sociolectes ou variétés régiona-
68 69
les. Avec la même souplesse, on tend à développer présence du « visuel », par exemple, convient particu-
davantage les possibilités de réinvestissement des ac- lièrement à certains apprenants, et un enseignement
quis et on a pu parler dezyxwvutsrqponmlkjihgfedcbaZYXWVUTSRQPONMLKJIHGFEDCBA
« désystématisation » (Boyer, tout « auditif » se prive absurdement des moyens de
1979), pour désigner le processus par lequel on veut réussir, comme le confirme la psychopédagogie
amener à un transfert autonome, qui semble aller de moderne.
soi dans un apprentissage. Enfin, le déroulement de la leçon audiovisuelle dé-
Une partie de l'évolution vise à rendre compatibles crit ci-dessus (Besse, 1975) ne renvoie-t-il pas à un
certains principes des méthodes audiovisuelles avec les schéma antérieur à elle, qui lui survit aussi, et dont
contextes scolaires. Mais les transferts dans une véri- quelques traits se retrouvent dans toute démarche
table communication sociale restent en pratique diffi- d'enseignement ? Le changement didactique balance
ciles - ce point touche aux objectifs et à la théorie de entre rupture et continuité, mais il faut admettre que
l'apprentissage sous-jacente - et la cohérence des ob- « chaque méthodologie est un produit non biodégra-
jectifs est loin d'être assurée. D'autre part, la théma- dable qui laisse toujours des traces » (Galisson, 1980).
tique culturelle ne manifestera que rarement (et tou-
jours avec timidité) l'histoire de l'époque et les
transformations sociales.
VI I . - Co n cl u si o n
7( 1 71
concerné, et combien les orientations actuelles (avec le
CECRL , dont il sera question plus loin) sont le fruit
d'une vision constante.
Ch a p it r e zyxwvutsrqponmlkjihgfedcbaZYXWVUTSRQPONMLKJIHGFED
III
L'analyse des besoins procède de l'hétérogénéité des
publics envisagés à ce moment et de l'évidence qu'il y
L' A PPROCH E CO M M U N I CA T I V E allait avoir à construire des outils, sans doute bâtis sur
des modèles unitaires, mais adaptables : par exemple,
en fonction du contexte (scolaire/non scolaire, en-
La place qu'elle a prise dans le paysage de l'ensei- fant/adulte), du groupe linguistique d'origine, etc.
gnement des langues étrangères amène à consacrer L'identification des besoins langagiers est, à cette
une étude toute particulière à cette approche, même si époque, effectuée par questionnaires et (Chancerel,
nous sommes ensuite amenés à en relativiser l'impor- Richterich, 1977) ce mode de repérage, qui porte sur
tance. Nous commencerons notre présentation de ce des aires d'emplois - où, quand, comment, à qui par-
qu'on appellezyxwvutsrqponmlkjihgfedcbaZYXWVUTSRQPONMLKJIHGFEDCBA
approche notionnelle-fonctionnelle et/ou ler - , et sur la nature des échanges à rendre possibles,
communicative par quelques points d'histoire. ne va pas sans difficulté.
Ce sont des questions nombreuses et fort diverses
I. - Les o r i g i n es
que les didacticiens vont avoir, à la suite, à résoudre :
comment mettre en place des dispositifs didactiques et
On s'accorde à dire que l'émergence d'un corps de pédagogiques réalistes dans l'urgence de la formation
la doctrine communicative, si l'on peut parler ainsi, pour des catégories très différentes, touristes et voya-
procède d'une demande institutionnelle et politique geurs, travailleurs migrants et leurs familles, spécialis-
européenne du début des années 1970. Les échanges, tes et professionnels dans leur pays, adolescents en
en forte augmentation avec la construction progres- système scolaire, grands adolescents et jeunes adultes ;
sive de ce qui est alors la Communauté européenne, comment prendre en compte la variation individuelle,
semblent rendre nécessaire un enseignement des lan- la personnalité des apprenants, leurs motivations ;
gues à la hauteur des nouveaux besoins. C'est l'analyse comment réévaluer les besoins au cours de l'apprentis-
de ces besoins et la détermination des éléments linguis- sage et construire des parcours qui conviennent au
tiques correspondants que le Conseil de l'Europe s'at- plus grand nombre.
tache à promouvoir. En 1973, est publié à Strasbourg
Systèmes d'apprentissage des langues vivantes par les
II. - L' o r i g i n al i t é d es i n v en t ai r es
adultes (Trim, Richterich, Van Ek et Wilkins), et peu
après Threshold Level programme communicatif de ni- Mais l'originalité de l'approche nouvelle tient beau-
veau minimal défini pour l'anglais conformément aux coup aux contenus et aux inventaires dans lesquels
directives européennes (Van Ek, 1975). On voit, soit ceux-ci ont été recensés : Notional Syllabuses (Wilkins,
dit au passage, combien la politique européenne aura 1973), Niveau-seuil (Coste et collègues, 1976), Way-
joué un grand rôle dans l'histoire contemporaine de stage (Van Ek, Alexander, 1977). En fait, on constate
l'enseignement des langues, au moins sur le continent que la sélection effectuée par les linguistes de l'équipe
72 73
de Trim ne renvoie plus à des catégories comme celles même analysée et intégrée dans le déroulement de
de la grammaire ou du vocabulaire, mais à des décou- l'événement de parole (speech event).
pages conceptuels venus de la sociolinguistique, de La notion d'acte de parole a été mise en lumière
l'ethnographie ou encore de l'ethnodométhodologie dans les travaux de philosophie du langage d'Austin
pour qui le langage ordinaire dit la réalité sociale (1962) et de Searle (1969). Le langage est désormais
(A. Coulon, 1987), des domaines auxquels se réfèrent perçu d'abord comme un moyen d'agir sur le réel, et
les spécialistes consultés à l'époque. les formes linguistiques ne prennent leur sens que dans
D'abord, quelle langue enseigner ? Un « niveau- des normes partagées. Un bon exemple sera donné par
seuil », par exemple, constitue « un ensemble d'énon- l'examen des valeurs d'un énoncé tel que « La
cés en français permettant de réaliser tel acte de parole porte ! » et les autres « manières de dire » qu'on pour-
dans telle situation donnée », « à partir duquel chacun rait lui substituer pour exprimer la même injonction
(pourra) opérer ses choix en fonction de ses propres (E. Roulet). Dans cette vision dite « pragmatique » de
objectifs, des contraintes et du contexte spécifique ». la langue, les emplois d'un mot trouvent des fonctions
Et malgré certaines différences ou nuances entre les différentes dans les différents emplois que lui fera
théoriciens, c'est en effet à partir de « notions » et prendre l'intention de l'énonciateur. « Acte de pa-
« fonctions » que va se définir et s'organiser, dans la role » désignera, à la suite de ces travaux, l'unité mini-
mise en œuvre d'un « acte de parole », le matériau de male de la conversation : un événement de communi-
la langue enseignée. cation est en effet complexe, constitué de transactions,
UnezyxwvutsrqponmlkjihgfedcbaZYXWVUTSRQPONMLKJIHGFEDCBA
notion est une catégorie d'appréhension ou, d'échanges, de séquences, d'actes enfin (Jupp, 1978)
mieux, de découpage du réel. Elle est évidemment va- « que les apprenants auront à accomplir dans certai-
riable selon les groupes humains pour lesquels la nes situations, envers certains interlocuteurs et à pro-
taille, la vitesse, la fréquence, la localisation, la forme pos de certains objets ou notions » (Adaptation d'un
ou la quantité ne sont pas conçues de façon iden- niveau-seuil pour des contextes scolaires, 1979). Ainsi,
tique. Une notion se traduit donc à travers les lan- au restaurant, on est amené à demander, proposer,
gues différemment : classificateurs, genre, nombre, accepter, refuser, exprimer son avis, etc.
flexion du nom, etc. L'intérêt d'une notion est lié à la Un objectif fonctionnel d'apprentissage décrit en ter-
fois à sa signification et à son rôle dans renonciation, mes de capacité le résultat d'un apprentissage (ici : les
c'est-à-dire dans les conditions effectives de la capacités langagières attendues). Il devra par consé-
communication. quent répondre à l'intention énonciative de celui qui
Une fonction est « une opération que le langage ac- parle, opérée à travers des actes de parole. C'est donc
complit et permet d'accomplir par sa mise en œuvre dans un aller et retour de l'acte de parole à l'analyse
dans une praxis relationnelle à autrui et au monde » des besoins et aux inventaires d'actes, notions et
(Galisson, Coste, 1976). Ce qui définit donc une ap- grammaire qu'il faut voir la tâche théorico-pratique
proche notionnelle-fonctionnelle, c'est qu'à son point du didacticien.
de départ on trouve une description des « fonctions Ceci nous amène à évoquer l'exemple du lexique.
sociales remplies par les actes de parole et leur Sans trop simplifier, disons que l'apprenant travaillait
contenu conceptuel » (Trim). La fonction est elle- généralement à partir de listes de mots à mémoriser.
74 75
Le regroupement de ces mots par thèmes et dans une Bien entendu, cette analyse doit être affinée, car il y
présentation adéquate avait constitué un progrès. On a dans l'acte de communiquer plusieurs « maîtrises »
est passé désormais à une approche plus intégrative et (Boyer et al., 1990) :
dynamique de contenus sémantiques (notions, fonc-
tions) toujours inscrits dans le jeu des activités discur- - des composantes linguistiques (que nous devons
sives. Cela ne signifie pas que la perspective « ato- élargir, naturellement, a u paralinguistique : ges-
miste » de l'énumération des notions ait disparu, mais tuelle, etc.) ;
la voie est ouverte pour des propositions novatrices - discursives (relatives à des messages organisés et
visant à faire réfléchir et classer plutôt qu'à orientés par un projet) ;
accumuler. - référentielles (c'est-à-dire se rapportant à une expé-
Malgré leurs imperfections ou les difficultés qu'ils rience « scientifique » du monde) ;
soulèvent, inventaires et analyses des besoins langa- - socioculturelles (règles sociales et normes de l'inter-
giers ouvrent des perspectives considérables à une ré- action, humour, Moirand, 1982, Boyer et al, 1990).
novation pédagogique. Ils n'en constituent pas pour
Mais les problèmes se posent lorsqu'on imagine de
autant un modèle de référence fermé, et c'est leur
« didactiser » la notion de compétence communicative
grand mérite que de faire la part belle à la créativité
pour pouvoir enseigner : beaucoup de stratégies com-
et à l'inventivité de l'apprenant dans une pratique
municatives relèvent de l'individuel ou de l'instantané.
sociale.
Elles ne sont guère formalisables, ni reproductibles. À
partir de quel moment une règle socioculturelle est-elle
III.zyxwvutsrqponmlkjihgfedcbaZYXWVUTSRQPONMLKJIHGFEDC
- Les p r i o r i t és assez stable pour qu'on l'identifie ainsi et pour qu'on
puisse l'intégrer à un syllabus ?
En quoi y a-t-il retournement de point de vue ? Malgré leur flexibilité, les limites de la méthodo-
C'est que la priorité va désormais être donnée à l'ac- logie communicative se trouveront à leur tour elles
quisition d'unezyxwvutsrqponmlkjihgfedcbaZYXWVUTSRQPONMLKJIHGFEDC
compétence de communication, où les aussi mises en question.
normes d'emploi se distinguent radicalement de celles
du système linguistique (la « grammaire »). L'expres-
sion « compétence de communication » est comme IV. - Qu el q u es l i g nes d e f o r ce
une nouvelle forme de réponse à la question : que veut
dire « savoir » une langue ? On a proposé de voir, finalement, dans l'approche
Pour reprendre une distinction classique, il existe communicative quatre grandes orientations (Debyser,
des normes de grammaire et des normes d'emploi 1986) :
(Dell Hymes, 1972 ; Bachmann et al, 1981), et savoir - un « retour au sens », avec une « grammaire notion-
une langue dorénavant, c'est savoir communiquer nelle, grammaire des notions, des idées et de l'orga-
en connaissant la règle du jeu : « Il ne suffit pas nisation du sens », et des progressions plus souples ;
de connaître le système linguistique, il faut égale- - une « pédagogie moins répétitive », avec moins
ment savoir s'en servir en fonction d u contexte d'exercices formels au profit « d'exercices de com-
social. » munication réelle ou simulée beaucoup plus interac-
76
77
recherche de l'authenticité l'un de ses maîtres mots.
tifs », car « c'est en communiquant qu'on apprend à
Dans la classe, lesfinalitésde l'apprentissage sont ex-
communiquer » ;
plicitées, des objectifs communicatifs sont clairement
- la « centration surzyxwvutsrqponmlkjihgfedcbaZYXWVUTSRQPONMLKJIHGFEDCBA
l'apprenant », quand l'élève est
affichés et figurent souvent dans un tableau du ma-
« acteur principal de son apprentissage » et « sujet
nuel dont dispose l'apprenant ( « Voici ce que vous
actif et impliqué de la communication » ;
apprendrez à faire dans cette unité... » ).
- des « aspects sociaux et pragmatiques de la commu-
La détermination des besoins langagiers amène la
nication » novateurs, puisque ce ne sont pas des sa-
définition d'une progression notionnelle-fonctionnelle.
voirs, mais des savoir-faire qui sont pris directement
Elle tentera parfois, et avec un bonheur inégal, de
« comme objectifs de la leçon ».
concilier la démarche linguistique, fondée sur un clas-
Il y a, au moins dans les conceptions, une forte arti- sement des éléments, et celle de l'urgence communica-
culation de ces composantes de la situation d'ensei- tive, où des formes complexes peuvent être prioritaires.
gnement/apprentissage : la langue et les contenus cul- Par exemple, en français, le décodage de « ça va », avec
turels sont envisagés dans une perspective de ses diverses intonations et ses valeurs pragmatiques, est
communication sociale, les tâches et les modes de rela- un cas intéressant.
tion entre les participants sont redéfinis sur un fond L'apprenant est mis en situation d'être l'acteur au-
de théorie d'apprentissage où le sujet réapparaît, en tonome de son apprentissage. On parle alors de
rupture avec le schéma béhavioriste. « conscientisation », d'un « éveil à l'attention à la
On voit donc quel a pu être l'apport positif de l'ap- langue » (Hawkins, 1984). L'expression personnelle et
proche communicative à la didactique de notre temps. le « vécu », pour reprendre un mot alors à la mode,
Bien entendu, la réflexion ne s'est pas arrêtée : dès le vont avoir leur place dans des situations qui tendent à
début des années 1980, sont publiés des articles et des adopter un sens social acceptable : mise en scène de
livres aux titres significatifs, en France par exemple : jeux de rôle sur un canevas souvent humoristique, si-
Polémique en didactique (Besse, Galisson, 1980), ou mulations visant à la résolution d'un problème, etc.
Ralentir, travaux (Beacco, 1979). Le fonctionnement des réseaux de communication
Beaucoup de didacticiens se sont préoccupés sans dans la classe et la dynamique du groupe sont inscrits
retard de pointer du doigt les évidentes difficultés que dans le discours du communicatif sur lui-même. Les
rencontrait la vogue du « communicatif », et rendre préfaces de manuels vont jusqu'à parler de « démo-
compatibles les ambitions du communicatif avec des cratie », de « connivence », de « vie coopérative per-
contextes scolaires n'allait pas être la moindre des manente ». Pour le moins, il y a acceptation du dis-
tâches. cours de l'autre, des spécificités et variétés de la parole
circulante (interlangue, variétés régionales ou propres
à un milieu social, etc.). Il y a acceptation aussi du
V.zyxwvutsrqponmlkjihgfedcbaZYXWVUTSRQPONMLKJIHGFEDC
- A p p r en d r e bien-fondé de la communication dans la classe, et c'est
d an s u n e ap p r o ch e co m m u n i cat i v e pourquoi les termes « contrat » et « négociation »
reviennent si souvent chez les didacticiens d u
Étayée par des théories de référence qu'elle em- communicatif.
prunte aux sciences humaines, la didactique fait de la
79
78
Les tâches et activités sont liées à l'acquisition d'un VI.zyxwvutsrqponmlkjihgfedcbaZ
- La d i d act i q u e au j o u r le j o u r
contenu notionnel/fonctionnel immédiatement réutili-
sable, pour les quatre habiletés de base, et le dévelop- Dans la double opération qui caractérise la tâche de
pement de savoir-faire et de savoir-être prend le pas l'apprenant, l'approche communicative déplace le
sur les savoirs. Dans un tel contexte, les outils et docu- centre de gravité : il s'agit non d'apprendre pour com-
ments sont eux-mêmes qualifiés d'authentiques. muniquer ensuite, mais de lier intimement les deux.
De tels documents, articles de journaux, schémas, En réalité, dans de nombreux contextes traditionnels,
photos publicitaires, bandes dessinées, etc., sont sou- l'institution impose encore une fois une recherche
vent perçus comme plus motivants, plus propres à d'équilibre ou une successivité, quasiment manifeste
faire naître l'expression personnelle et l'autonomie. Ils dans les textes pédagogiques. C'est qu'il s'agit aussi,
sont aussi plus proches de l'usage langagier réel, donc pour l'école, de structurer des acquisitions à travers
de nature à susciter connaissances et réflexion chez des exercices évaluables.
l'apprenant sur les conditions sociales et culturelles de a) C'est sans doute pourquoi on peut parfois se
leur production (Bérard, 1991). sentir loin des enthousiasmes initiaux du communica-
LezyxwvutsrqponmlkjihgfedcbaZYXWVUTSRQPONMLKJIHGFEDCBA
rôle de l'enseignant ne saurait, dès lors, qu'en tif : le besoin de certifications en langue étrangère, le
être profondément modifié. Il reste sans aucun doute désir de valider, voire de monnayer son apprentissage,
la référence linguistique, celui qui corrige avec modé- semblent avoir déclenché des exigences nouvelles. Bien
ration et évalue des performances, à un moment ou à entendu, dans un contexte purement scolaire, l'ensei-
un autre. Mais il est surtout conscient du « para- gnement risque de s'écarter encore plus de l'esprit du
digme » général, de l'arrière-plan de son enseigne- communicatif initial. Dans certaines épreuves de l'en-
ment : une théorie linguistique fondée sur la commu- seignement français, on peut se demander si la mise en
nication et une théorie de l'apprentissage basée sur la scène d'un discours tenu autour du document déclen-
différence et l'autonomie. Il définit, organise et fait ac- cheur laisse quelque place à une expression authen-
cepter, grâce à ses interventions, les tâches et le mode tique. Le futur candidat semble devoir exprimer une
de fonctionnement. Il instaure un climat de travail et réaction personnelle, quand, à vrai dire, on l'a en-
reste à l'écoute du groupe-classe, des groupes lors des traîné à produire son effort sans mordre les lignes
activités autonomes, et des apprenants qui ont leurs blanches de la piste.
styles et leurs parcours d'apprentissage propres.
b) Néanmoins, l'attention que l'enseignant, porte
En somme, l'approche communicative peut être en- aux erreurs de l'apprenant et la manière nuancée avec
visagée comme un système voué à intégrer des disposi- laquelle il procède à la correction, témoignent souvent
tifs diversifiés et ceux-ci ont pour finalité d'impliquer d'un regard différent sur les productions suscitées. On
l'apprenant dans une communication orientée : « Cela suggère de moduler l'intervention selon les priorités
signifie, par exemple, lire avec l'intention de s'infor- du moment, exigence de justesse (accuracy) lors de la
mer, écrire avec l'intention de satisfaire un besoin mise en place d'une notion, exigence de fluidité
d'imaginaire, écouter avec l'intention de connaître les (fluency) dans la parole librement exercée. Allwright
désirs de quelqu'un, parler avec l'intention d'exprimer et Bailey (1991) voient même comme un objectif à
ses propres sentiments » (Germain, LeBlanc, 1988). long terme que les apprenants sachent s'autocorriger
80 81
et intérioriser les formes justes, dans la mesure où ils
d'abord l'énumération éloquente qu'en a faite, dès le
considèrent surtout que « traiter n'est pas guérir ». début des années 1980 et sous le terme de «zones
c) C'est dans cette optique que l'on observe un re- d'ombre », Robert Galisson.
tour à la langue première de l'apprenant, sous la 1 / « Le projet néglige le gonflement du coût inhé-
double forme de l'analyse contrastive ou différentiellerent au passage d'un savoir linguistique à un savoir
de L l et L2 et du recours à la traduction. Mais la si-communicatif. »
gnification a changé : on n'imagine plus d'expliquer 2 / « Les concepts de base, empruntés et paupérisés,
des « fautes » occasionnelles par la seule interférencemanquent de fiabilité » (l'auteur cite les besoins langa-
avec le système source, encore moins de prévoir des giers, dans leur articulation confuse avec les besoins
erreurs systématiques en fonction du groupe linguis- d'exister ou de se réaliser ; la compétence de commu-
tique d'appartenance. Il s'agit plutôt de faire prendrenication dont o n ne sait si elle est « enseigna-
conscience de la spécificité, de l'originalité même de ble », etc.).
chaque langue, d'en faire ainsi émerger l'histoire, de 3 / « L'éclectisme en matière de théories de
manifester des implications socioculturelles divergen- l'apprentissage s'explique aussi par... l'ignorance. »
tes. L'activité métalinguistique contribue dans ces 4 / « La question du mono- ou du bilinguisme péda-
conditions à une ouverture d'esprit, à une éducation gogique n'est pas posée au fond. » En d'autres ter-
qui dépassent le simple contexte de l'apprentissage. mes : quelle doit être la « langue de la classe » ?
Très explicite dans les méthodes les plus récentes 5 / « La situation faite à l'enseignant est pour le
(«Cherchez dans le dictionnaire...»), la traduction moins inconfortable » ; ou encore : il n'est en rien pré-
fait l'objet d'un intérêt renouvelé. paré à travailler à rebours de ce qu'il faisait avec les
Une spécialiste roumaine, T. Cristea (1995) sou- méthodologies antérieures, et il « se voit écarté du de-
ligne que l'analyse contrastive, comme la traduction, vant de la scène pédagogique ».
contribuent à l'élaboration d'une « bigrammaire » qui 6 / « L'autonomisation de l'apprenant appelle quel-
permet une meilleure prise de décision ; la traduction ques réserves » (ou encore, textuellement, « l'autoges-
peut être utilisée autant comme procédé d'acquisition tion, c'est pas de la tarte »).
que comme test de compétence ; la traduction interlin- 7 / « Linguistes, psycho- et sociolinguistes campent
guale présente un grand intérêt cognitif s'il y a, du sur leurs positions » ; et « les conflits d'influence écla-
moins, « exploration systématique et orientée des tex- tent » entre eux.
tes bilingues », de telle manière que les apprenants ap- 8 / « L'approche dite fonctionnelle éclate en cou-
prennent réellement « comment - dans les deux lan- rants divers (pour ne pas dire divergents). »
gues - les structures sont manipulées en situation », L'approche communicative n'est donc pas plus que
c'est-à-dire dans renonciation et la mise en discours. ses devancières à l'abri des critiques et elle a donné
lieu à des discussions à propos desquelles Daniel
Coste rappelle avec humour le mot de Ionesco : « La
VII.zyxwvutsrqponmlkjihgfedcbaZYXWVUTSRQPONMLKJIHGFEDC
- U n b i l an cr i t i q u e
philologie mène au crime. »
Pour examiner rapidement les objections qu'a susci- Certes, le courant communicatif a fait souffler un
tées l'approche communicative, nous reprendrons air nouveau sur une didactique contemporaine parfois
82 83
confinée dans le structuralisme et le béhaviorisme et Ces objectifs restent ceux du vieux continent réuni-
qui se serait satisfaite d'unezyxwvutsrqponmlkjihgfedcbaZYXWVUTSRQPONMLKJIHGFEDCBA
connaissance cumulative. fié de ce début de siècle : grâce à une connaissance ré-
Mais il y a eu parfois beaucoup de verbalisme quant ciproque des langues étrangères de l'Union euro-
aux objectifs affichés et peut-être le développement de péenne élargie, développer le bien-être social et la
la compétence linguistique est-il resté parfois discrète- meilleure entente possible entre ses composantes.
ment privilégié. La réussite des méthodes inspirées de
l'approche communicative en milieu extra-scolaire, et
VIII.zyxwvutsrqponmlkjihgfedcbaZYXWVUTSRQPONMLKJIH
- Le Cad r e eu r o p éen co m m u n d e r éf ér en ce
en particulier dans des stages intensifs, comme cela
p o u r les l an g u es (CECRL)
avait été jadis le cas pour le programme américain zyxwvutsrqponmlkjihgfedcbaZYXWVUTSRQPONMLKJIHGFEDCBA
ASTP , a peut-être trop facilement conduit à leur géné- C'est, en effet, à partir d'une vision politique et phi-
ralisation dans des contextes aux traditions et aux losophique qu'est né, depuis quelques années, un
finalités absolument incompatibles. « outil essentiel pour la création d'un espace éducatif
Et puis, est-ce la centration sur l'apprenant qui pro- européen dans le domaine des langues vivantes ».
duit que l'apprenant n'a pas vraiment à se décentrer L'idée de base « favoriser la transparence et la compa-
lui-même (Besse, 1980) ? On peut se demander ce que rabilité des dispositifs d'enseignement et des qualifica-
devient la culture de l'autre, donc la découverte que tions en langues » - s'est concrétisée très vite par un
l'on fait de lui, dans une approche doublement document cadre, le CECRL , et des outils immédiatement
marquée, d'abord par des concepts en partie hérités de utilisables tel que le Portfolio européen des langues
l'ethnographie de la communication, mais, à certains (PEL ), « qui permet à l'apprenant de consigner ses com-
égards, marquée aussi par la valorisation du compor- pétences linguistiques et ses expériences culturelles » et,
tement de l'apprenant, et peut-être d'un certain bien sûr, d'y réfléchir au profit de ses apprentissages en
narcissisme. langues. L'apport direct du CECRL , qui visait en pre-
On le voit, la question de l'individu, de son auto- mier lieu à intervenir sur l'évaluation en indiquant des
nomie effective, est encore discutée, alors même que niveaux et échelles de référence et des descripteurs de
les ambitions initiales étaient placées très haut : « Il compétences (être capable de...), s'est trouvé largement
importe de donner à l'apprenant les moyens de se et très vite dépassé. Au risque de devenir une norme et
construire une personnalité de sujet parlant dans la non plus une référence, le CECRL fait un peu figure de
langue qu'il apprend, faute de quoi elle lui resterait statue du Commandeur pour les méthodologues en Eu-
étrangère» (Martins-Baltar, 1976). rope et dans la zone d'influence, au point que le mo-
Ancrage culturel des compétences communicatives, ment semble venu de le « recadrer » lui-même (Forum
autonomie réelle de l'apprenant, nous faisons de ces de Strasbourg, 2006 ; colloque FIPF/ CIEP Sèvres, 2007).
deux points, pour notre part, la pierre de touche de la Globalement, l'approche communicative (qu'il ne renie
méthodologie. À quoi servirait, au fond, sans cela, pas, mais entend dépasser, passant de la simulation à
l'approche communicative ? Il faut se rappeler qu'on l'action sociale effective) doit se trouver régénérée : la
trouve à son berceau une volonté du Conseil de l'Eu- dimension actionnelle, basée sur des tâches à accom-
rope de faciliter la mobilité des hommes et leur inté- plir, vise à un « faire-ensemble » (des partenaires, de la
gration dans des sociétés dites d'« accueil ». classe...), avec des résultats observables, et cette dimen-
84 85
sion est liée à un projet. S'il est trop tôt pour mesurer gner leur discours sur celui de l'autochtone, en atté-
l'impact de cet ensemble cohérent - politique linguis- nuant, voire en esquivant l'opposition» (Sun Hyo
tique, refontes curriculaires et méthodologiques, prati- Sook, Séoul). Au Japon, la conversation fonctionne
ques de classe - , il faut à l'évidence prévoir à terme sur le mode de la convergence émotionnelle, d'une re-
qu'il aura de profonds effets sur le paysage éducatif connaissance mutuelle de la conformité, voire même
européen. de l'affinité entre les personnes en relation, mais non
sur le mode de l'échange argumentatif (T. Higashi).
IX. - Co n cl u si o n Une Thaïlandaise, S. Chantkran, conclut que « la
prise en compte de la spécificité culturelle du public
Nous terminerons sur une observation générale. Il apprenant ne peut que combler les carences d'une pé-
faut nuancer fortement l'idée que l'approche communi- dagogie d'innovation basée sur le transfert de modèles
cative seraitzyxwvutsrqponmlkjihgfedcbaZYXWVUTSRQPONMLKJIHGFEDCBA
la didactique des langues étrangères. conçus dans des contextes culturels très différents ».
D'abord, elle concerne une aire culturelle relativement De même le statut de l'enseignant, sa place comme
homogène, celle du monde occidental. On peut y agré- individu dans la classe par rapport aux attentes socia-
ger, comme on vient de le dire pour lezyxwvutsrqponmlkjihgfedcbaZYXWVUTSRQPONMLKJIHGFEDCBA
CECRL , des zo- les, son comportement comme « maître » et comme
nes, par exemple les pays d'influence culturelle ou ceux éducateur font problème face à des didactiques élabo-
qui sont touchés par une action linguistique étrangère, rées dans le creuset historique occidental. On peut
à travers des instituts, des fondations, des services de alors se demander comment l'innovation didactique
coopération. Il faudrait donc regarder, cas par cas, ce devrait se manifester dans de tels contextes, où des ef-
qui se passe pour ces pays, en Afrique, en Asie, en forts considérables ont été faits néanmoins depuis
Océanie... On y trouverait sans doute des didactiques quarante ans pour l'éducation, avec des résultats miti-
tantôt identiques, tantôt calquées sur les mouvements gés. En Afrique, par exemple, même le choix des lan-
des nôtres, ce qui peut signifier, même après d'hypothé- gues d'enseignement n'est pas réglé. L'importance cul-
tiques émancipations culturelles, des formes d'hyper- turelle de ce choix pose des questions sur lesquelles de
correction, d'exagération des conformismes comme de grands organismes comme l'Unesco ou la Confédéra-
la « révolutionnite » didactique. tion des ministres de l'Éducation ( CONFEMEN ) de-
D'autre part, les présupposés de notre didactique vraient jouer un rôle déterminant : seuls de tels acteurs
autorisent-ils tous les transferts méthodologiques et peuvent impulser des engagements politiques suivis et
n'entrent-ils pas souvent en conflit avec les modes de à la hauteur des besoins d'enseignement dans les
sentir et de penser des sociétés auxquelles nous dispen- années à venir.
sons nos outils, nos conceptions, nos formations ? Le Dans le système éducatif français lui-même, la si-
cas de « l'apprenant asiatique face aux langues étran- tuation est plus que nuancée. Certes, les filières univer-
gères » (D. Lee Simon, dir., 1992) est particulièrement sitaires du français langue étrangère ( « FLE » ) et l'en-
instructif. Ainsi, on se demande ce qu'il en est du seignement de l'anglais langue étrangère ( « EFL » )
« prêt-à-porter communicatif », riche en activités de ont adopté sans ambiguïté, mais non sans débats, ni
débats et jeux de rôle, quand on sait qu'en communi- accommodements, des positions favorables à l'ap-
cation exolingue « les Coréens auraient tendance à ali- proche notionnelle-fonctionnelle et communicative.
86
87
Mais d'autres domaines, tels que l'allemand, sont
mis sur la défensive par les avancées de l'anglais ou
Ch a p it r e I V
questionnés par le nouvel enseignement d'initiation
des langues étrangères à l'école : « Pour des raisons di-
verses, notre discipline se perçoit davantage comme
enseignement que comme apprentissage », lisait-on, il Q U EST I O N S ET PERSPECTI V ES
n'y a pas si longtemps, chez un responsable de cet en-
seignement. « Cet apprentissage est plus centré sur le
Nous essaierons de montrer comment sont abor-
code que sur l'élève, et il est par conséquent mieux
dées aujourd'hui quelques questions importantes sans
compris dans sa dimension linguistique que dans sa
prétendre les traiter à fond. On comprendra aussi qu'il
dimension fonctionnelle et communicative. Il est peu
ne s'agit nullement de présenter au lecteur une ma-
probable que l'approche communicative soit statisti-
nière de voir excessivement personnelle. Ainsi s'expli-
quement dominante à l'heure actuelle sur la planète
quent à la fois le choix des questions et l'ordre de la
des langues. De grands ensembles éducatifs, ceux des
présentation, qui ne fait pas système.
systèmes chinois, indiens, japonais et coréens, par
exemple, sont trop fortement structurés par leur passé Nous verrons ensuite que de nouvelles thématiques
en matière d'éducation et de culture pour accepter de recherche se proposent, porteuses d'évolution pour
sans réflexion ni hésitation d'y sacrifier et on peut la classe de langue.
imaginer, en ce début de IIP millénaire, que leur capa- Si l'on se demandezyxwvutsrqponmlkjihgfedcbaZYXWVUTSR
comment la didactique va évo-
cité à allier tradition et modernité sera bientôt en me- luer, il faut aussi se demander pourquoi elle devrait le
sure de pouvoir porter ses fruits. Sans doute auront- faire. Il nous faut souligner fortement qu'elle est
ils, d'ailleurs, beaucoup à nous donner et à apporter à soumise à des logiques extérieures repérables :
une véritable didactique générale des langues d u - autour de l'apprenant : la différenciation des pu-
monde, encore à constituer. » blics et la notion d'autonomie, les besoins profes-
On voit donc qu'on est loin de l'unanimité, fût-elle sionnels qui accroissent l'intérêt pour une « commu-
de façade, et l'enseignant appelé à mettre en œuvre nication spécialisée » destinée à des « publics
ses choix didactiques sait bien qu'ils sont tributaires spécifiques » et l'apprentissage en contexte non
d'une réalité qui dépasse celle de ses prédilections scolaire ;
personnelles. - autour de la technologie : les réseaux de communi-
cation dits « autoroutes de l'information », le multi-
média, le changement des formes de scolarisation
(lieux, temps, rythmes, parcours) ;
- autour du politique et de la mondialisation des
échanges : par exemple, la construction européenne,
l'éclatement des « blocs » Est-Ouest, l'essor de la
zone Asie-Pacifique ; les équilibres démographiques
et les migrations ; la standardisation et les transferts
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88
de concepts ou de produits entre « centres » et « pé- tés de réalisation des actions d ' e n s e i g n e m e n t qui sont
riphéries », mais aussi la logique économique et la censées provoquer celles d'apprentissage» (Riohtfl
répartition inégalitaire des richesses entre pays rich, in Coste, 1994).
consommateurs, avec un exemple éclairant de ces La notion de programme dépasse largement la quel
inégalités : la production et la diffusion des manuels tion linguistique à laquelle on croyait pouvoir l'assimi-
scolaires et des outils technologiques modernes ler. Dans tout enseignement, signalait W. F. Mackcy
d'éducation ; dès 1972, le groupage, la séquence et la progression des
- autour du scientifique : le cognitif, les sciences de contenus sélectionnés, autrement dit l'organisation sé-
l'homme et de la société ; quentielle de ces contenus, leur ordre d'acquisition,
- autour de l'idéologique, du social ou du philoso- forment un problème complexe et dont la résolution
phique : la communication planétaire, le métissage laisse généralement insatisfait. Ainsi le critère de faci-
des cultures, le voyage comme connaissance, le lité (enseigner le plus simple d'abord) est-il souvent mis
temps partagé. en avant, malgré son ambiguïté : paraîtra plus difficile,
indique encore Mackey, un élément inconnu qui ne
Ces facteurs d'évolution n'obèrent en rien une lo- permet pas l'analogie avec le connu, qui est trop long
gique de la circularité. La réapparition d'éléments mé- ou manque de rapports avec son environnement. Mais
thodologiques ou d'approches anciennes est toujours il y a d'autres critères : l'utilité, la motivation de l'ap-
possible, en particulier sur les publics de plus en plus prenant, les difficultés rencontrées, le contexte, etc.
spécifiques que nous connaissons. Les prédictions sont
La construction d'un programme d'enseignement
trop imprudentes pour être de quelque intérêt et nous
au sens étendu - espace, temps, objectifs, évaluation,
n'en ferons pas. La mort du manuel qui avait été an-
contenus, moyens auxiliaires, idéologies - pose le
noncée dès le début des années 1970 n'est en rien sur-
même type de questions. Bien entendu, l'idée sous-ja-
venue. Des outils modulaires sont nés et les manuels
cente est toujours de relier fonctionnellement les be-
restent pourtant bien vivants.
soins suscités par les performances attendues et les ap-
Nous croyons à unzyxwvutsrqponmlkjihgfedcbaZYXWVUTSRQPONMLKJIHGFEDCBA
durcissement de la didactique, ports d e l'enseignement mis en place en termes
parce qu'elle n'a jamais été si proche de son objet, ja- d'objectifs et de contenus. Mais la notion même de be-
mais si informée des gisements de ressources qui l'en- soins est perçue de plus en plus comme discutable, car
vironnent et sont à sa disposition, jamais si consciente leur détermination est très souvent floue, partielle et
de ses erreurs et des limites de son action. partiale, ou évolutive, et, bien sûr, inexistante même,
dans certains contextes. D'autre part, la clarification
I. - Or g an i sat i o n d ' u n en sei g n em en t des notions elle aussi est loin d'être faite (Coste, Leh-
« Pour que les enseignants et les apprenants puis- mann, éd., 1995). Le syllabus anglo-saxon recouvre en
sent se rencontrer dans le but d'enseigner et d'ap- gros le contenu plus la progression, tandis que le cur-
prendre une langue, rappelle non sans à-propos un riculum est plutôt le parcours de l'apprenant, un en-
spécialiste, l'institution doit établir un programme semble d'expériences d'apprentissage en milieu institu-
dont la fonction est de : prévoir/choisir - décrire/expli- tionnel, et par dérivation le programme déterminé et
quer - proposer/imposer... les contenus et les modali- mis en place à cet effet.
90 91
Cependant, comme les termes de programme, plan - syllabus activités communicatives ;
d'études, cursus paraissent limitatifs et restrictifs, c'est - syllabus culturel ;
autour de la notion de syllabus et de curriculum que - syllabus éducation langagière générale.
des modèles se sont développés. Ils manifestent une
tendance intégrative, des tentatives de conciliation au Des stratégies d'enseignement seront à la suite défi-
moins qui laissent bien loin des anciennes conceptions nies. Il faut bien sûr souligner la forte intégration, au-
à base lexicale, où le découpage se faisait en priorité tour de la composante « communicative/expérien-
sur une thématique lexicale ou sur les actes de parole tielle », de ce schéma mis en œuvre sur une large
de l'échange communicatif. échelle au Canada. Un autre point est à remarquer :
Il faut ainsi, selon Richards et Rodgers (1986), en- l'importance accordée à l'acquisition de stratégies lan-
visager le développement d'un curriculum comme un zyxwvutsrqponmlkjihgfedcbaZYXWVUTSRQPONMLKJIHGFEDCBA
gagières efficaces comme une composante de la for-
système dynamique. La phase initiale est l'évaluation mation. Une « unité zéro » du programme canadien
des besoins, qui doit prendre en compte nombre de vise même à conscientiser l'élève à la nouvelle
considérations extérieures : administratives, éducati- approche.
ves, psychosociales et logistiques. C'est à partir de Au terme de son histoire récente, peut-on dire avec
cette mise au jour des besoins que va se faire la défini- R. K. Johnson (1989) que « le développement du cur-
tion d'objectifs d'apprentissage. Enfin intervient véri- riculum (...) inclut toutes les démarches adéquates de
tablement l'élaboration d'un programme où entrent prise de décision par tous les participants » ? Enfinde
en jeu, pour résumer, méthodologie, méthodes, compte, il ne faudrait pas oublier que la mise en
moyens et évaluation. Un tel schéma de travail peut œuvre didactique dépend de tous les partenaires et
paraître rationnel, mais aussi excessivement rigide. non du seul concepteur. Il existe un « curriculum ca-
Attentifs à ne pas tomber du systémique dans le systé- ché », qui relève de l'apprenant, et la construction
matique et conscients de la nécessaire adaptabilité des « de haut en bas » (Nunan, 1988) d'un curriculum est
solutions retenues face à des besoins complexes, peut-être, a u fond, une pure possibilité théorique.
Richards et Rodgers n'excluent pas un « éclectisme Sauf à évoquer, comme on commence à le faire, la
informé », c'est-à-dire une ouverture faite avec discer- pluralité de scénarios curriculaires diversifiés, elle ré-
nement sur d'autres méthodes. sout difficilement les problèmes qui ont présidé à son
Le curriculum multidimensionnel proposé par Stern émergence car elle relève d'une vision littéralement po-
(1983, puis 1992) aborde d'une manière intéressante le litique de l'enseignement (cf. lezyxwvutsrqponmlkjihgfedcbaZY
CECRL et le projet d'un
problème. Les objectifs sont classés sous quatre rubri- plurilinguisme européen).
ques : objectifs de compétence, objectifs cognitifs, Une réévaluation effective des besoins et des résul-
objectifs affectifs, objectifs de transfert. Les contenus tats obtenus pourrait bien remettre en question la vali-
figurent dans quatre composantes, complétées ultérieu- dité des choix opérés : les apprenants ne restent pas
rement par l'évaluation : identiques à eux-mêmes et les paramètres institution-
nels évoluent. Une méthode validée sur un échantillon
- syllabus langue : prononciation, grammaire, analyse limité échoue dans un contexte plus étendu (c'est bien
fonctionnelle ; le problème de la massification de l'enseignement) ou
92 93
quand on l'emploie sans formation adéquate. Or, il - On insiste sur la « perméabilité » des deux codes,
n'est pas si général qu'un changement de méthode soit oral et écrit, et leur nécessaire complémentarité plus
accompagné d'une action de formation des utilisateurs que sur leurs différences.
(Springer, 1996). - La créativité de l'apprenant, sa capacité à pro-
duire des énoncés personnels, intervient dès les débuts
II. - O r a l de l'apprentissage. Les exercices au laboratoire de lan-
gues, où l'enseignant peut éventuellement entamer un
Nous avons vu plus haut que la langue orale a oc- dialogue avec l'apprenant au travail, semblent dès lors
cupé une place importante dans les méthodologies retrouver une certaine faveur, après une période de
modernes et constitué souvent le point de départ de lassitude due à la recherche, parfois excessive, de sys-
tématisation. On peut en repérer plusieurs raisons :
l'apprentissage. LazyxwvutsrqponmlkjihgfedcbaZYXWVUTSRQPONMLKJIHGFEDCBA
description de l'oral fait l'objet de
nombreux travaux et cette description a pris le pas sur a) les attentes de l'apprenant, son désir de structurer
l'attitude prescriptive des études antérieures. Celles-ci ses acquisitions, avec une perspective qui n'est
visaient plutôt à manifester des marques d'écart par donc plus celle du béhaviorisme ;
rapport à la norme (absence de « ne » dans « ne... b) la miniaturisation et la facilité d'emploi des maté-
pas », ruptures syntaxiques, etc.) et on voyait donc se riels actuels ;
renforcer, dans l'enseignement des langues et surtout c) la recherche d'outils favorisant l'auto-appren-
dans la classe, une attitude de dévalorisation d'un oral tissage.
authentique.
La variété des documents et des registres de langue Dans de nombreux pays, le travail d'apprentissage
va, par conséquent, s'en trouver désormais aug- des phonèmes reste un préalable à une approche de
mentée. Ceci n'est pas sans poser problème, bien sûr : la L2, en dehors de toutefinalitédiscursive et de tout
comment intégrer dans les paramètres d'un cours la intérêt communicatif.
norme sociale ou les variétés de la langue présentée Il faudrait probablement associer prise de cons-
par l'enseignant sans donner une image déformée de cience de l'importance de l'oral (phonétique, schéma
la société ? Rien de plus insaisissable, entre autres intonatif, relation avec la mimique et la gestuelle,
exemples, que le « parler jeune », les « registres de rythme de la phrase, chanson, etc.) et activités de remé-
langue » (vulgaire, familier, standard, soutenu...) ou diation plus ou moins systématiques en fonction des
les variétés régionales. objectifs recherchés et des difficultés communicatives
Néanmoins, on voit se diversifier les pratiques de éprouvées.
classe, tant du côté de la compréhension que de la
production : entretiens, jeux de rôles et simulations III. - Gr am m ai r e
impliquant résolution de problème ou décision à
prendre, émissions de radio, courtes informations Le rôle joué par la grammaire dans la didactique des
( « flashes » ), bulletin météorologique, récit, consi- langues est des plus controversés. Une raison tient sans
gnes de travail, etc. Quelques grandes orientations doute au flou de sa définition, qui recouvre la descrip-
peuvent être admises : tion des règles de fonctionnement général d'une
94 95
langue, ou un ensemble de prescriptions imposées à nant. U n bon exemple est fourni par une « grammaire
ceux qui parlent, ou encore le système des règles de L2 distante », comme celle du hongrois : il n'y a qu'un
intériorisées par l'apprenant (Galisson, Coste, 1996). seul temps du passé, mais plusieurs aspects marqués
L'emploi de lazyxwvutsrqponmlkjihgfedcbaZYXWVUTSRQPONMLKJIHGFEDCB
métalangue, du commentaire expli- par un « préverbe » (Kiss, 1989). En tahitien, une
cite sur la langue apprise, est bien entendu un héritage marque énonciative « mai » permet d'indiquer qui as-
de la méthodologie classique « grammaire-traduc- sume le discours : « C'est joli (mai) à elle » = « Elle est
tion ». Les descriptions que nous offrent les grammai- jolie et c'est moi qui le dis » (Fève, 1992). Besse et
res traditionnelles sont tournées vers les grands textes, Porquier (1984) ont rappelé que des catégories préten-
elles négligent l'oral ; On imagine qu'elles conviennent dument absentes en français existent en réalité (cas des
mal aux pédagogues et aux élèves. classificateurs : « un pied de salade, une noix de
Il faut toutefois rappeler que l'analyse de la langue beurre », etc., Cao Deming, 1983).
n'occupe pas la même place dans tous les pays. « De La grammaire explicite paraissant présenter des dif-
quelle quantité de grammaire l'être humain a-t-il be- ficultés démesurées par rapport à son intérêt, certaines
soin ? », se demandait plaisamment un spécialiste alle- méthodologies directes et audiovisuelles systémati-
mand. Si l'acquisition implicite de la grammaire en L2 saient l'apprentissage à travers le découpage linguis-
(comme en L l d'ailleurs) domine la tradition dans cer- tique et l'exercice structural, où réflexe n'est pas
taines cultures, anglo-saxonnes par exemple, son ap- réflexion.
prentissage comme partie du curriculum en caractérise Pendant les premières années du communicatif, on
d'autres (en France, dans les pays de l'Est). Les ima- trouve très souvent, dans les manuels, des règles expo-
ges de la norme prescriptive s'inscrivent sans doute sées sous forme d'encadrés ou de tableaux récapitula-
encore dans des schèmes culturels et scientifiques plus tifs, comme aide-mémoire. Et si le modèle grammati-
larges : H. Besse (1989) évoque une « (pré)conception cal dominant cède du terrain, comme l'a montré
juridique forte » chez des enseignants arabophones. R. Vives (1989), les raisons ne manquent pas :
On doit d'ailleurs faire remarquer que la recherche
empirique n'a guère montré, à ce jour, une supériorité - les besoins de l'apprenant déterminent les contenus
d'un système d'appropriation sur l'autre. d'enseignement, et il n'apparaît pas souvent que la
grammaire soit prioritaire ;
D'autre part, la métalangue peut amener à recourir
- la notion d'interlangue conduit à regarder de près le
à la traduction interlinguale (les consignes des exerci-
processus de construction des règles (les termes de
ces seront en L l ) ou donner lieu à un apprentissage
« grammaire d'apprenant » et de « grammaire péda-
spécifique. Il faudra donc d'abord apprendre à dé-
gogique » sont en vogue) et non un système figé et
nommer les catégories grammaticales et c'est en L2
normatif. On pourrait aussi faire valoir qu'une
qu'il faudra peut-être comprendre la consigne d'un
grammaire « intériorisée » par l'apprenant n'est ja-
exercice. Dans ce cas, une part de l'activité est dé-
mais la grammaire décrite par les linguistes ;
tournée vers des tâches linguistiques au détriment
d'autres objectifs ; d'un autre côté, les catégories - la correction des fautes ou des erreurs, loin d'être
grammaticales, en L l et L2, peuvent fort bien ne pas vécue comme un échec, contribue à une pédagogie
correspondre à la « grammaire mentale » de l'appre- du progrès.
96 97
L'approche communicative invitait en fait à cons- digmatique » (J.-C. Beacco), la réduction des descrip-
truire unezyxwvutsrqponmlkjihgfedcbaZYXWVUTSRQPONMLKJIHGFEDCBA
grammaire sémantique, dont J. Courtillon tions grammaticales à des listes de formes à ap-
(1989, ibid.) indique les traits : L'apprenant devrait prendre, n'a sûrement pas cessé de planer sur la classe
pouvoir choisir « la forme qui convient pour véhiculer de langue.
sa pensée sans avoir à faire appel à une règle ap-
prise ». Dans une logique pragmatique, les formes
IV. - Écr i t
sont classées en séries communicatives et non linguis-
tiques, l'insertion est situationnelle, la gradation va du Acquérir une double compétence lire/écrire paraît
simple au complexe. La démarche d'acquisition fait être une urgence dès les débuts de l'apprentissage. Les
se succéder : découverte par observation d'énoncés, fonctions de l'écrit sont en effet si larges (Stern, 1983)
intercorrection du groupe, conceptualisation, c'est-à- qu'il trouve sa place dans tous les domaines, dans l'ac-
dire formulation par l'apprenant (H. Besse) et syn- tion (lettre commerciale ou lettre d'amour, publicité,
thèse. On voit qu'il y a là une position, dans le consignes de travail), l'information (enseignement,
meilleur des cas, réflexive, mais il n'en reste pas moins presse), comme dans le divertissement (jeu, littérature).
qu'un apprenant n'est « a priori ni linguiste ni gram- Les travaux dont on dispose dès les années 1970
mairien » (R. Porquier) et que son activité vise pour les langues maternelles mettent en lumière une
d'abord à produire du sens. nouvelle façon de définir la lecture : un processus qui
On peut imaginer que la conception d'une gram- ne se résume pas au décodage de signes graphiques,
maire toute faite a reculé, et que le constructivisme est mais manifeste une construction de sens à partir d'opé-
désormais mieux accepté. Il nous semble pourtant que rations physiques et cognitives complexes (prélèvement
l'évolution est fragile. En cas de difficulté, pour se sé- d'indices identifiés, mémorisation à court et long
curiser, on redemande de la grammaire « précons- terme, anticipation, hypothèses sur l'intention énoncia-
truite ». Ainsi, des enquêtes (par exemple, Hayne et tive, vérification, etc.).
Yorio, au Canada, 1982) montrent qu'un apprenant Lire n'est pas un acte mécanique, mais implique,
peut souhaiter simultanément développer ses compé- outre une connaissance du code, une expérience anté-
tences communicatives et bénéficier d'un apprentis- rieure, des intuitions et des attentes. Enfin, la lecture
sage grammatical traditionnel. La question semble oralisée (à voix haute) ne constitue plus unefinen
bien aujourd'hui ne pas être « faut-il ou ne faut-il pas soi : on commence à admettre la prééminence du sens
faire de la grammaire explicite ? », mais « dans quelles sur le simple transcodage du graphique au sonore (lec-
conditions est-il possible de la mener à bien ? » (Besse ture ânonnée en chœur...). En tant qu'activité sociale,
et Porquier, 1984). lire se fait d'ailleurs en silence plus souvent qu'à haute
Même lesfinalitésde la grammaire, qui ne sont pas voix.
seulement instrumentales, mais aussi éducatives et (in- Si les pratiques de lecture n'avaient jamais vraiment
ter)culturelles (H. Besse) font que des exigences réap- été absentes, même avec les méthodologies audiovi-
paraissent, naguère plus discrètes. Il y a peut-être des suelles, c'est que différentes variétés d'écrit restaient
progrès à attendre, du côté de l'outil informatique ou un passage obligé, à travers le manuel comme dans les
des auto-apprentissages, mais la « malédiction para- documents d'accompagnement. Le « tournant métho-
98 99
traitement qui est fait en classe de ce texte : analyse,
dologique des années 1970 » (D. Lehmann,zyxwvutsrqponmlkjihgfedcbaZYXWVUTSRQPONMLKJIHGFEDCBA
in Coste,
1994) amorce de nouvelles approches, plus globales, critique, discussion, dramatisation...
en prise sur des besoins fonctionnels mieux analysés. Parmi les pistes empruntées par la didactique, au-
Le communicatif multiplie les documents sociaux di- cune ne lui est spécifique (J. L. Adam, in Coste,
versifiés et la didactique de l'écrit amène à concevoir 1994) : stylistique, sémiotique littéraire, où l'œuvre est
comment : un système de signes fonctionnant comme une langue
et s'inscrivant dans la dimension historique et sociale,
- Développer chez l'apprenant des compétences géné- polyphonie du texte (Bakhtine), rhétorique, etc. Mais
rales en lecture. Les exercices proposés font perdre jamais l'enseignement de la littérature en classe de
à celle-ci son caractère linéaire, avec des opérations langue étrangère n'est resté en dehors des grands dé-
variées (chercher, comparer, prélever...), étant en- bats. On évoque (J. Verrier, in Coste, 1994) trois va-
tendu que lire en L2 impose une réorganisation des gues successives : le consensus idéologique (le texte est
schèmes acquis pour la lecture de L l . Citons, par un prétexte à transmission d'un savoir) ; le rêve d'une
exemple, le sens de la lecture, selon qu'il a été science de la littérature nourrie de sciences humaines
d'abord de gauche à droite ou le contraire (cas de et dont l'objet est le fonctionnement du texte lui-
l'arabe, de l'hébreu) ou de haut en bas (mongol), même ; enfin, la réception des textes par le lecteur, ce
le système d'écriture (alphabet, idéogrammes...), qui devrait nous intéresser vivement, dans la
l'absence de voyelles écrites (arabe), etc. perspective d'une pédagogie interculturelle.
- Donner des stratégies de lecture sur des types de Il semble que, du côté de la production d'écrit, en
textes (publicitaires, journalistiques, etc.) avec des revanche, la parenthèse méthodologique ait été
outils tels que des grilles lexicales, permettant le re- longue : « De toutes les compétences visées par l'ensei-
pérage de marques de renonciation, les marques du gnement des langues étrangères, l'expression écrite est
discours (le point de vue inscrit dans le texte), la certainement celle qui a connu, ces dernières années, le
cohérence textuelle. plus faible développement », écrivait-on naguère
(G. Kahn, 1993). Les choses n'ont-elles pour autant
Le texte est, en effet, un tissu de formes signifiantes,
pas bougé ?
et la lecture est une activité d'interprétation motivée
(Moirand, 1982) qui suscite une réaction chez le lec- Il est vrai que de nombreux exercices classiques de
teur : la lecture doit participer alors d'un acte utile, production (description, narration, dissertation) ou de
mais aussi susceptible d'engendrer le plaisir. Et la transcription (dictée), en L2 comme en L l , ne sont en
littérature retrouve toute sa place dans une telle rien des réponses directes aux futurs besoins langa-
conception. giers de l'apprenant et il n'est pas sûr qu'ils donnent
au moins des outils conceptuels réutilisables ailleurs.
Stern (1992) fait remarquer combien le texte litté-
raire est adapté à une activité communicative : il met Dans une approche notionnelle-fonctionnelle, ap-
en contact avec un locuteur natif qui a quelque chose prendre à produire des textes diversifiés, liés à de nou-
à dire ; il crée un milieu original et stimulant ; il est veaux besoins, devient donc un objectif explicite. La
l'exemple d'une langue authentique qui véhicule un classe est désormais censée donner la primauté à des
message chargé de sens. Tout dépend en réalité du activités portant sur des documents authentiques et
100 101
associant plusieurs supports : dessins à légender, Nous insisterons donc, pour conclure, sur l'évolu-
transcription ou reformulation d'une écoute, commen- tion relative des idées. M. Dabène (1990) note que
taire d'un tableau, mise à l'écrit de la règle d'un jeu, l'on ne confond plus guère écrit et modèle normatif,
correspondance scolaire, etc. qu'on prend acte de la diversité des écrits. Ce qui
préoccupe désormais, c'est le processus de production
Les pratiques de classe font place à lazyxwvutsrqponmlkjihgfedcbaZYXWVUTSRQPONMLKJ
créativité de
l'apprenant, à sa capacité de penser autrement. La langagière et, d'autre part, les représentations sociales
« pensée divergente » est celle qui associe, dissocie, en- qui sont attachées aux types d'écrit. On est encore
richit, se révèle originale. En est-il meilleur exemple que loin, pourtant, d'un continuum scriptural entre des
l'activité poétique ? Produire relève alors d'un plaisir et pratiques ordinaires de l'écrit (l'utilitaire) et des prati-
d'une technique : des « matrices de texte » sont propo- ques d'exception (le littéraire). Le mot « lire » signifie
sées, à l'instar de la morphologie du conte (Vladimir toujours, pour la plupart, lire des livres, et seulement
Propp), des nouvelles d'Italo Calvino, des romans de des livres. Mais la classe serait-elle vouée à reproduire
Georges Perec, des poèmes d'Apollinaire ( « Il y les comportements sociaux ?
a... » ). Des jeux de société, des débats, des dramatisa-
tions, des simulations ( « Vous partez sur une île... » )
V.zyxwvutsrqponmlkjihgfed
- Ev al u at i o n
associent l'oral et l'écrit.
On peut souligner plusieurs points importants : Évaluer, c'est donner une valeur, noter, apprécier.
Le terme recouvre toute recherche visant à rendre ob-
- L'apprentissage doit tenir compte du rapport à jectifs les jugements de valeur portés sur l'apprenant.
l'écrit antérieur en Ll (S. Moirand), de ses aspects La docimologie, approche scientifique de l'évalua-
proprioceptifs (entraînement à la graphie, alphabet, tion, opère une distinction entre différentes formes
motricité, sens de l'écriture avec des difficultés va- d'intervention :
riables selon les langues) tout autant que du traite-
- sommative (ou certificative) dont la finalité est
ment du thème dans son organisation discursive.
d'établir la somme des acquisitions et, éventuelle-
- On ne doit pas oublier que l'écriture permet ment, d'établir un classement dans une population
d'échapper à l'instantané et au contexte, qu'elle sti- évaluée, ce qui implique réussite ou échec aux exi-
mule l'abstraction et l'esprit critique (G. Vigner), gences de l'évaluation ;
qu'elle est processus cognitif autant qu'interactif. - normative, qui compare les performances d'un indi-
- Comme il n'est pas possible de dissocier oral et vidu aux objectifs assignés au début de l'apprentis-
écrit, on ne peut non plus dissocier lire et écrire. sage et vise donc, le cas échéant, à une remédiation
Une didactique de l'écrit doit être intégrative. au cours du processus de formation. Les tests de
- Il y a lieu d'être attentif aux spécificités de publics de diagnostic ou de progrès mesurent ces acquisitions.
cultures et de traditions orales (travailleurs migrants, Des tests pronostics ou de niveau peuvent permettre
par exemple, auxquels nos exigences d'écrit posent de sélectionner ou d'orienter.
de grandes difficultés) ou, au contraire, de tradition
écrite forte aux yeux desquels tout apprenant de Le testing (un test est une épreuve standardisée) ne
langue est d'abord un « lettré » (cas du chinois). permet pas de vérifier l'existence d'une compétence à
102 103
proprement parler, mais seulement les traits constitu- mes d'intervention : observation de l'interaction dans
tifs de cette compétence, c'est-à-dire les effets qu'elle le groupe, évaluation collective, négociation.
produit. Seul un outil d'évaluation valide (propre à On ne saurait plus, en tout cas, réduire l'évaluation
mesurer un objet) et fidèle (c'est-à-dire constant au ni- à un contrôle des connaissances. Mais surtout, l'idée
veau de la construction, de la passation et de la cor- dominante est de considérer les facteurs humains - la
rection, indépendamment des conditions du testing) qualité de l'interaction communicative, par exemple -
peut donner des garanties de faible distorsion entre et de ne pas se limiter à une procédure formelle. Bref,
performance observée et compétence réelle. On fait il faut voir d'abord en l'évaluation unzyxwvutsrqponmlkjihgfedcb
outil de régula-
généralement porter l'évaluation sur les quatre tion et d'optimisation de l'enseignement (Porcher,
habiletés, compréhension et expression à l'oral et à 1994). Par ailleurs, nous aurons à revenir sur l'impor-
l'écrit. tance nouvelle qui est attachée à sa fonction de sélec-
Les défauts de l'évaluation classique sont aussi tion sociale (entrée à l'université, mobilité profession-
connus : les attentes sont souvent mal explicitées (cas nelle, migration) telle qu'elle se dessine, notamment au
de la version, où il n'y a aucun modèle idéal), les critè- regard des références internationales, par exemple du
res mal établis (en expression écrite, la forme et le Cadre européen commun de référence pour les
fond), la notation inégale (l'interrogation orale), la langues (C. Tagliante, 2005).
motivation faible (en dictée, zéro pour cinq ou trente
« fautes »), etc. Les procédures d'évaluation héritées
du structuralisme et du béhaviorisme (Lado, 1961) ont VI.zyxwvutsrqponmlkjihgfed
- Ci v i l i sat i o n
apporté quelques progrès : testing de l'oral, caractère
moins normatif, consignes plus simples, par exemple L'enseignement des civilisations étrangères recouvre
un domaine mal délimité. Il y a pourtant une de-
avec le questionnaire à choix multiple ( «zyxwvutsrqponmlkjihgfedcbaZYXWVUTSRQPONMLKJIHGFEDCBA
QCM » ).
Mais, là encore, les critiques ne manquent pas et si des mande pour que l'enseignement des langues soit da-
tests tels que le TOEFL ( « Test of English as a Foreign vantage culturalisé (C. Kramsch, 1991). Mais, partant
Language » ) sont toujours employés, c'est qu'il de théories et de définitions contradictoires, la didac-
semble y avoir une bonne corrélation entre les résul- tique des langues serait bien en peine de proposer des
tats des épreuves fermées (oui/non) et ceux que donne- pratiques unitaires en cette matière.
raient des épreuves de production plus libre. La ques- On observe en effet des clivages profonds. La civili-
tion se pose de manière différente à partir des sation peut recouvrir :
méthodologies communicatives. - la culture cultivée (art, littérature, histoire...), dont
On a aussi cherché à varier les outils d'évaluation l'enseignement a souvent été marqué d'ethnocen-
pour diversifier l'observation et on en a multiplié les trisme, une culture prétendant incarner l'universa-
supports (se déplacer avec une carte routière, télépho- lité de la culture ;
ner, gérer son agenda). Il semble, d'autre part, judi- - la culture quotidienne où l'on retrouve la conception
cieux de développer le sens de l'auto-évaluation et de anthropologique d'un ensemble de valeurs parta-
l'autocorrection chez l'apprenant, de l'aider à objecti- gées (Herskovits) et qui s'étend aux modes de vie,
ver ses repères. Apparaissent donc de nouvelles for- vêtements, alimentation, loisirs, etc. ;
104 105
- la culture comme ensemble de contenus transmissi- lettre-vidéo ou le théâtre, favoriseraient ainsi la sociali-
bles (cela recouvrirait les deux domaines ci-dessus) sation du sujet, sa construction sociale. Il est patent
ou au contraire définie comme structures, modes de que la découverte de l'altérité, la perception de
penser et d'agir, règles constitutives permettant une « l'autre » et de « l'étranger », donne à tout individu
approche de l'homme dans sa diversité. l'occasion d'élaborer et de développer sa propre iden-
tité. C'est par ailleurs un des thèmes importants de la
Les questions ne manquent donc pas. Nous en évo- « pédagogie interculturelle » et de l'enseignement d'une
querons trois : les stéréotypes, la compétence, l'articu- culture étrangère conçu comme processus interactif.
lation langue/culture. c) Comment articuler langue et culture dans l'ap-
a) Dans la plupart des manuels et des méthodes, on prentissage ? (G. Zarate, 1986) On se demande si la
observe un écrasement des faits culturels et la résur- progression doit être parallèle ou si l'on peut imaginer
gence perpétuelle des mêmes stéréotypes : la famille un curriculum dissocié. Dans le premier cas, M. By-
monocellulaire, avec deux enfants, des activités pro- ram (1992) a proposé qu'une partie du temps de tra-
fessionnelles uniformes, presque jamais de chômage, vail soit réservée à la prise de conscience de la langue
de maladie, de délinquance... À quand des méthodes et de la culture. On créerait une dissociation, effective-
de langue étrangère qui intégreront la présence de la ment, si on adoptait un dispositif global d'enseigne-
mort, de ses causes, des rites auxquels elle donne lieu ? ment des langues étrangères tel que chacune d'elles
Deux directions de travail sont possibles : com- soit affectée d'objectifs différents : par exemple, LE1
battre les stéréotypes ou se servir d'eux pour recons- serait apprise avec unefinalitécommunicative ; LE2
truire une image plus objective des faits culturels. La comme langue de culture et accessoirement véhicu-
tâche est ardue. laire ; LE3 comme discipline formatrice favorisant une
réflexion sur la notion de code linguistique. Les didac-
On a même pu parler d'un « malaise dans l'ensei-
tiques des langues actuellement proposées à l'école
gnement de la civilisation ». Les pistes sont pourtant
reflètent déjà plus ou moins, d'ailleurs, dans leur
déjà défrichées : il s'agit d'enseigner une grammaire
esprit cette différenciation.
des comportements culturels, de donner des clefs, des
repères, non des produits, mais des « procès de sociali- L'élaboration d'un enseignement pluriel (G. Lùdi
sation » sur la famille, l'école, l'économie de marché, et al, in Coste, 1994) s'impose donc. Mais il devra
les médias, la publicité, etc. s'intégrer à la méthodologie générale et savoir conci-
b) A été appelée compétence transculturelle la capa- lier les exigences si diverses que nous avons évoquées :
cité à communiquer et à agir dans une langue étran- - La culture quotidienne, qui correspond aux be-
gère. Il s'agit de créer une « mobilité » physique et in- soins des apprenants, doit être celle de notre époque.
tellectuelle « active » à travers l'acquisition d'une C'est dire qu'elle est fort périssable. Doit-on lui sacri-
langue étrangère, qui s'opposerait certainement aux fier toute la culture héritée ? Celle-ci, la « civilisa-
formes contemporaines de la mobilité (le déracinement tion », comme on dit aussi, n'est-elle pas aussi de-
par l'école, le tourisme). De nouveaux modes d'éduca- mandée par de fort nombreux publics ?
tion et de formation, en particulier par les échanges - Les compétences langagières et interactionnelles
scolaires, mais aussi la correspondance scolaire, la (Liidi et al, ibid.) sont nécessaires à une construction
106 107
des schémas culturels, car on n'imagine plus trans- - approche naturelle (Natural Approach) ( K r a s h e n ,
mettre simplement la culture. Comment former les en- Terrell, 1983) ;
seignants à cette tâche ? De nouvelles technologies y
- méthode silencieuse (Silent Way) (Gattegno, 1(>76) ;
contribuent déjà, et des programmes de simulation
- réponse physique totale (Total Physical R e s p o n s e ,
multimédia invitent les utilisateurs, hommes d'affaires
Asher, 1986) ou « Méthode par le mouvement »
ou ingénieurs, à « découvrir le système de valeurs de
- suggestopédie (Lozanov, 1978) ;
(leurs) partenaires étrangers, en comprendre l'impact
-pratiques pédagogiques d'ensemble: Freincl,
sur leurs comportements relationnels et profession-
Freire, Oury, Rogers, etc. ;
nels ». L'école ne pourra sans doute plus très long-
- pédagogie ou démarche de projet associant au di-
temps faire l'économie d'une réflexion sur les savoir-
dactique des objectifs relationnels ou sociopoliti-
faire culturels et leur acquisition (D. Coste, D. Moore,
ques (Boutinet, 1993) ;
G. Zarate, 1998).
- dramatisation (Boal, 1977), Psycho-dramaturgie
linguistique (Moreno, 1965) ;
VII.zyxwvutsrqponmlkjihgfedcbaZYXWVUTSRQPONMLKJIHGFEDC
- Di sp o si t i f s i n n o v an t s
- apprentissage en tandem, etc.
et t ech n o l o g i es m o d er n es
Les chantiers de la didactiquee s'arrêtent pas. Ils Et même s'il est impossible d'être exhaustif face à la
tentent de répondre à l'usure des mots et des modes et créativité des pédagogues, on peut dire que les mots
au changement des besoins. Il est difficile de dire si les clés qui caractérisent leur démarche sont les suivants :
réponses, qui sont innovantes, mais sont loin, pour - une absence fréquente de préoccupation purement
certaines, d'être récentes, bouleverseront jamais l'en- linguistique, ces approches ne dérivant pas, pour la
seignement des langues. Nous en distinguerons deux plupart, de la recherche des linguistes ;
grandes catégories : les approches alternatives centrées - le travail sur le processus d'apprentissage (prise de
sur l'homme et le groupe humain, et celles qui s'ap- conscience du processus ou création d'un climat
puient sur les technologies modernes de l'information favorable) ;
et de la communication. - la perspective de formation de l'individu comme su-
a) Ces approches représentent pour certaines seule- jet social - notable apport de l'enseignement anglo-
ment des méthodologies constituées, d'autres sont une saxon et non seulement comme apprenant ;
véritable philosophie de l'esprit ou des rapports hu- - une approche globale, où l'on se refuse à dissocier
mains. On ne saurait en donner une image honnête en théorie et pratique, où se manifestent les enjeux vi-
quelques phrases. On les mentionnera donc à la suite, taux de l'individu et non simplement des besoins
avec quelques repères, et on se bornera à dégager des d'apprentissage, comme on dirait dans un cours de
lignes de force : langue.
- apprentissage communautaire des langues (Com- On doit être nuancé si l'on veut faire un bilan des
munity Language Learning, C. A. Curran, 1976) ; approches alternatives. R. D u d a (Crapel, 1993) con-
- apprentissage autodirigé ( CRAPEL , Université d e clut à propos de quelques-unes d'entre elles citées ici
Nancy) ; plus haut qu'elles présentent des lacunes pour ce qui
108
109
est de la compréhension orale et de la formation à tivités qui appellent un traitement automatique des
l'apprentissage, surtout quand elles sont centrées sur langues naturelles. De façon plus ou moins directe, les
l'enseignant. En revanche, elles lui semblent d'un techniques d'accès à l'information, la traduction auto-
grand intérêt pour la dynamique de groupe, ou encore matique, la dictionnairique, la terminologie, la bu-
sur le plan de principes tels que le droit de rester silen- reautique (un traitement de texte inclut un correcteur
cieux ou l'emploi de la langue maternelle. orthographique) intéresseront la didactique.
Leur transposition à des situations didactiques sco- Mais une utilisation plus systématique peut être
laires - pour autant qu'elle soit envisagée - paraît en faite des outils modernes de la communication. Les
tout cas difficile, car les publics et la taille des groupes supports et outils employés sont désormais bien
d'apprentissage, par exemple, y sont très différents. connus ou en passe de l'être : radio et télévision, bien
Les accepter ne va d'ailleurs pas de soi dans tous les sûr, vidéo (magnétoscope et caméscope),zyxwvutsrqponmlkjihgf
CD -Rom, CDI
contextes culturels. Certaines apporteraient un chan- (disque compact interactif), ordinateur ( EAO , ensei-
gement violent, peut-être une acculturation jugée into- gnement assisté par ordinateur), courrier électronique
lérable, comme nous l'avons vu dans le cas de métho- (e-mail, texto, blogs, forums... ). Il s'agit en bref de
dologies bien moins audacieuses. Les approches tout ce qu'on appelle « multimédia » et que peuvent
innovantes n'en sont pas moins positivement « déran- regrouper les centres de ressources linguistiques, mé-
geantes » (B. Grandcolas), et si elles remettent en diathèques et « maisons des langues », en nombre sans
question nos systèmes, elles provoquent une réflexion cesse croissant.
indispensable. Quant aux méthodologies élaborées autour de ces
Pleines et Scherfer (1983) ont pu, tout en reconnais- outils, elles associent presque toujours plusieurs dispo-
sant leur valeur, s'interroger sur le fait que, souvent, sitifs ou techniques, qui sont garants de manière indis-
elles « grossissent jusqu'à l'erreur un aspect partiel de sociable de leurs résultats. U n cours d'anglais par télé-
l'apprentissage » et peuvent donner lieu à des dévia- phone, c'est d'abord un cours particulier, un journal
tions. C'est pourquoi ils rappellent trois principes di- de classe envoyé par Internet, c'est d'abord un projet
recteurs du travail didactique : « Partir d'une analyse commun qui a réussi, etc.
fondée des paramètres politiques, sociaux et institu- Pour l'instant, l'évaluation des expériences menées
tionnels du processus didactique ; ne pas négliger la ici et là est en outre rendue très difficile par le carac-
réflexion sur les conditions de la communication ver- tère souvent limité et déformant, du terrain choisi
bale et la nature de la langue enseignée ; respecter (monde des affaires, université). Il serait dommage
l'apprenant comme u n être humain qui apprend que ces techniques (plutôt que « méthodes ») se révè-
consciemment et qui est en mesure de penser et d'agir lent décevantes, une fois passé le premier engouement,
librement. » et faute de bases théoriques solides et originales.
b) Les moyens techniques et les technologies nouvel- La question est d'abord méthodologique : on ne
les nous ouvrent des perspectives qu'on ne fait guère pourra se contenter d'adapter des outils déjà exis-
que pressentir en ce tournant du siècle. tants, édités parfois sous le même nom ; de transférer
On sait que le terme « industries de la langue » (De- sur écran des « exercices à trous » faits jadis sur le
grémont, 1982) désigne les produits, techniques et ac- papier ; de visualiser la parole grâce à un procédé de
110 m
reconnaissance vocale (ce qui permet l'évaluation de On glisserait vers l'autoformation dirigée ou les
performances), sans proposer aucune remédiation auto-apprentissages, et vers un changement du rôle de
phonétique, sinon de recommencer la tâche à l'infini ; l'enseignant dont « la mort » a souvent été annoncée :
de parler comme on le fait d'interactivité, alors que ce rôle devrait en toute hypothèse évoluer, mais non
les contraintes techniques (la mémoire nécessaire, par disparaître, si, du moins, une certaine logique com-
exemple) imposent de limiter la quantité et la diver- merciale ne devient pas le seul credo.
sité des réponses possibles, bref la richesse d u Au cas où un changement des mentalités scolaires
dialogue. surviendrait, on verrait sans doute une dévalorisation
Il faudrait enfin évoquer la qualité des pratiques so- des outils traditionnels, et le fossé entre la didactique
ciales ou l'appauvrissement inévitable des représenta- institutionnelle et les attentes des apprenants pourrait
tions culturelles, et rappeler qu'il existe un rapport encore se creuser.
entre coût et efficacité. L'exemple de l'enseignement Sauf à ne s'intéresser qu'à des publics assez riches,
de langues à distance, avec la radio et la télévision et, motivés, sachant apprendre et en mesure de réinvestir
aujourd'hui, par la visioconférence, est éclairant : le leurs acquis, la didactique doit résolument s'atteler à
cas de la classe de langues doit être radicalement dis- une tâche scientifique. Celle-ci porte sur la spécificité
socié de celui de la conférence ou du cours magistral. et les attributs des outils, sur les contenus, les maté-
L'emploi des technologies modernes dans l'appren- riaux, les situations pédagogiques.
tissage des langues - comme élément de base d'une di- Elle se double d'une obligation éthique : réfléchir à
dactique, évidemment, et non comme support ou une juste gestion des moyens consacrés à l'enseigne-
moyen auxiliaire - appelle donc des progrès techni- ment, évaluer l'impact sur le milieu ambiant avant
ques, des efforts pédagogiques et un surcroît de ré- toute extension.
flexion. « Et si un certain penchant de l'enseignement
des langues consistait, en période de crise, à se laisser
VIII.zyxwvutsrqponmlkjihgfedcbaZY
- Di d act i q u e et g est i o n l i n g u i st i q u e
aller aux illusions technologiques, hier informatiques,
aujourd'hui à nouveau médiatiques ? », écrivait un À l'opposé de la gestion de l'apprentissage qui tend
spécialiste, Charles de Margerie. à s'individualiser, la gestion du patrimoine linguistique,
Il faut, par ailleurs, relativiser l'impact effectif à at- la place et le statut des langues d'une communauté
tendre dans les classes, au vu des réalités matérielles et sont une affaire collective (J.-L. Calvet, 1996). Ensei-
peut-être de la lenteur que met souvent une évolution gner des langues fait partie de ce dispositif et les prises
à se faire, l'incantation au changement ne valant rien de position du pouvoir politique, son intervention-
sans formation pédagogique à une réelle pratique. nisme ou non en la matière, sont déterminants, même
Mais il n'est pas exclu d'envisager pour l'avenir une par défaut.
tendance à unezyxwvutsrqponmlkjihgfedcbaZYXWVUTSRQPONMLKJIHGFEDCB
déscolarisation partielle de l'enseigne- C'est l'action interne ou externe sur les langues que
ment des langues, que manifestent déjà l'importance l'on appelle « politique linguistique » : action interne,
des échanges linguistiques (souvent extrascolaires) et sur l'équipement linguistique (néologismes, termino-
l'abondance de matériels consacrés à la diffusion des logie, écriture), action externe, sur l'environnement
langues (jeux vidéo, outils parascolaires). (statut officiel, lois, diffusion par l'école, promotion
112 113
d'une langue à l'étranger). Examinons quelques adaptée à ces pays : définition d'une « école de base »,
questions importantes. prise en compte des cultures nationales, pédagogie des
a) Les dispositifs d'action de diffusion à l'étranger grands groupes, enseignement à distance par satellite,
oscillent, par exemple, entre le linguistique pur, le cul- formation professionnelle « pédagogie convergente des
turel associé au linguistique, le culturel pur. L'image langues (Maurer, 2008), dans des situations souvent
des langues et la détermination que les élèves ont à les difficiles ». L'adéquation avec les attitudes sociales,
apprendre relèvent, en fait, du portrait qu'en donne celles des parents d'élèves en particulier, est une condi-
l'école, du travail des associations d'enseignants, de re- tion absolue de la réussite d'une didactique.
présentations identitaires o u d'aspirations person- La demande de scolarisation en français ou anglais
nelles. Les décisions prises ensuite pour promouvoir est donc forte, mais enseigner des sciences dans une
telle ou telle didactique, comme c'est le cas pour la co- langue seconde signifie que celle-ci se voit investie
opération et la diffusion linguistique et culturelle fran- d'une double et redoutable mission : véhiculer des
çaises, allemandes, anglaises, japonaises, doivent inté- contenus et contribuer en outre à la formation de l'es-
grer des contraintes budgétaires et les paramètres du prit scientifique lui-même. La question n'est pas ré-
marché : l'espace, l'évaluation des besoins réels et non servée au contexte dont nous parlons, mais elle est
celle des attentes des pays demandeurs, le temps, la particulièrement bien étudiée pour le français : on a
sous-traitance possible par les institutions locales. Il est pu parler d'un véritable « tournant de la francophonie
donc clair que la didactique, même à l'extérieur, existe scientifique », et la réussite de l'entreprise dépendra
en interdépendance et ne saurait se définir in vitro. pour beaucoup des didactiques mises en œuvre.
b) Les situations sociolinguistiques que nous avons On ne manquera pas de signaler l'expérience fort
mentionnées au chapitre I (langue seconde, au sens col- riche que nous apporte l'enseignement de certaines
lectif) mettent en contact des langues nationales ou lo- matières en langue seconde, par exemple dans les sec-
cales vernaculaires et des langues d'enseignement telles tions internationales des établissements français et
que l'anglais ou le français. En Afrique (Samassékou, zyxwvutsrqponmlkjihgfedcbaZYXWVUTSRQPONMLKJIHGFEDCBA
dans les « programmes d'immersion » menés au Ca-
A C A L A N , passim), aux Antilles, dans l'océan Indien, la nada ou en Allemagne (L. Gajo, 2001).
notion de français ou anglais, langue seconde, amène à c) En Europe, la question du plurilinguisme se pose
analyser les « fonctions, contenus, méthodes réservées avec acuité pour les institutions (Parlement, Con-
dans le système éducatif (...) aux différentes langues » seil...), l'enseignement secondaire et supérieur, la mo-
(C. Oliviéri). La spécificité de ces différents terrains bilité intra-européenne des étudiants et des profession-
commence à être bien connue sous l'aspect social et ins- nels. L à encore, comme dans le monde entier
titutionnel, après différents travaux (Martinez, 2008). (G. Zarante et coll., 2008) il faut constater l'accroisse-
Les études relatives aux problèmes didactiques pour- ment de la demande de formation linguistique dans le
raient être encore largement développées. Le débat domaine scientifique, commercial et technique, et le
touche à l'emploi des langues nationales - on note que recul relatif du littéraire, ce qui aura des répercussions
certains pays, comme la Guinée ou Madagascar, sont sur les institutions, les savoirs et savoir-faire des ensei-
revenus à un enseignement en français ou sont prêts à gnants, la didactique. Loin de se cantonner à la pres-
passer à l'anglais - et à l'émergence d'une méthodologie cription d'objectifs, de méthodes et de moyens d'éva-
114 115
luation, un enseignement des langues qui corresponde intervenants. Une réflexion de fond porte à la fois sur
aux ambitions de l'Union européenne doit être situé les méthodologies d'enseignement en langue s e c o n d e
dans un modèle général d'action politique, linguis- et sur les conditions socioculturelles de l'intégration.
tique et axiologique. Le document fondamental - déjà Mais de graves problèmes de formation spécifique tics
évoqué sous ses aspects méthodologiques pour ce qui enseignants subsistent, et les classes manquent encore
est de la perspective actionnelle intitulé « Cadre euro- des outils adaptés (Migrants-Formation, C N D P ) .
péen commun de référence pour les langues » trace les d) Enfin, la mise en place d'un enseignement précoce
grandes lignes, définit les domaines et détermine les des langues étrangères à l'école, en Europe, est une idée
projets d e l'Union confrontée à u n e diversité qui avance, mais souffre d'hésitations sur les objectifs
grandissante de son plurilinguisme historique. exacts de l'apprentissage. On ne sait pas toujours (ou
Le programme de travail du Conseil de l'Europe toujours pas) s'il s'agit de sensibiliser pour un choix fu-
(voir sitographie) balise presque un certain avenir de la tur, d'initier réellement, de susciter une ouverture cul-
didactique, au moins pour une partie du monde : redé- turelle. On se demande qui doit enseigner et comment
finition d'objectifs, choix des technologies et usage des préparer les formateurs, comment articuler aussi la di-
médias, éducation bilingue, échanges, techniques pour dactique employée avec celle qui suivra. Bref, les ques-
apprendre, évaluation des niveaux de compétences per- tions non résolues restent nombreuses, d'autant plus
mettant la comparaison et la mobilité. Il ne faut pas que l'on note un écart selon les pays entre les ambitions
oublier que les langues entrent, dans chaque système et les moyens affectés à des projets d'un intérêt pour-
scolaire, en concurrence, qu'elles « cultivent » leur tant considérable (Groux, Porcher, 1998).
image ou cherchent à en changer, et on peut se deman- Dans tous les cas, on observe que la difficulté, pour
der un instant quelles sont celles de l'allemand, de une institution nationale, est de parvenir à une
l'arabe, du russe ou du japonais en France. Les didac- conception claire et acceptée des finalités d'un disposi-
tiques s'en ressentent, qui sont plus « grammaticales », tif. L'architecture du plan d'action, la didactique d'ac-
plus « communicatives », plus « culturelles », selon les compagnement doivent répondre à des contraintes qui
cas. La question du choix de la première langue étran- ne convergent pas toujours : besoins sociaux des ap-
gère et la place des langues minoritaires (grec, prenants et représentations qu'ils se font de leur ave-
danois...) restent préoccupantes (D. Moore, 2006). nir ; capacités et développement intellectuel, culturel
et affectif de ces apprenants ; finalités et moyens assi-
Quant aux politiques à destination deszyxwvutsrqponmlkjihgfedcbaZYXWVUTSRQPONMLKJIHGFEDCBA
migrants, el-
les révèlent une action mal connue du reste de la po- gnés par l'école et la société à l'apprentissage de telle
pulation, souvent sur la marge, parfois dénuée de ou telle langue.
continuité. Il est vrai que la demande est fluctuante et
réclame des réponses rapides, souvent au rythme des zyxwvutsrqponmlkjihgfedcba
IX.- En j eu x act u el s, r ech er ch e
conflits et des exodes. Au Québec, on appelle depuis et f o r m at i o n
longtemps à « la formulation d'une politique globale
et claire » (Germain, 1993). En France les dispositifs Nous avons vu que la didactique constituait :
d'accueil pour enfants ou adultes non francophones a) Un domaine à la recherche de sa scientificité.
survivent dans la précarité, malgré le dévouement des Parler de « la didactique », c'est faire comprendre
116 117
l'unicité du champ, mais mettre le mot au pluriel, c'est
pourrait bien être confondue « avec un ensemble de
suggérer l'ouverture et la nécessaire diversité des pro-
discours ordonnés en fonction de six pôles : la produc-
blématiques et de la réflexion. La didactique n'est ni
tion de savoirs, la vulgarisation de connaissances, le
une science, ni une technologie, mais unezyxwvutsrqponmlkjihgfedcbaZYXWVUTSRQPONML
praxéologie,
"comment faire" en classe, la commercialisation d'ou-
c'est-à-dire une recherche sur les moyens et les fins, les
tils d'enseignement, la mise en œuvre d'une politique
principes d'action, les décisions. Sa tâche est
linguistique, le dogme d'un courant méthodologique
complexe : élaboration de savoirs qui sont transposés
ou d'une chapelle pédagogique... ».
de savoirs savants en savoirs enseignés ; appropriation
de ces savoirs ; intervention didactique proprement Pour l'heure, on veut faire plus vite et mieux, car la
dite. diversification des besoins et les enjeux économiques
et sociaux pèsent de tout leur poids sur la majorité des
Ce domaine n'a, pour l'heure, qu'à peine ébauché systèmes de formation.
sa transversalité : doit-il y avoir une didactique géné-
La réussite de l'apprentissage en langue seconde des
rale et, étant donné le caractère original de la langue
publics issus de l'immigration, par exemple, condi-
comme objet à enseigner, des didactiques spécifiques ?
tionne leur réussite dans presque tous les apprentissa-
Doit-il même y avoir une didactique pour chaque
ges. Elle constitue un pari vital, en termes de formation
langue, en vertu encore des spécificités propres de
professionnelle et d'intégration, pour les intéressés et
celle-ci ? La question a trouvé jusqu'ici de timides ré-
les sociétés où ils ont leur place. Alors, sauf peut-être
ponses théoriques (Lehmann, éd., 1988), mais, à de
dans les universités du temps libre et quand vient la re-
notables exceptions près, ni la didactique de terrain, ni
traite, apprendra-t-on encore une langue par pur plai-
les formations à l'enseignement ne semblent pressées
sir ? Les critères d'efficacité et de rentabilité sociales
de faire cause commune, non bien sûr pour déterminer
imprègnent de plus en plus les choix didactiques.
une position universaliste, mais pour travailler
ensemble à comparer des différences et à y réfléchir. c) Examinons les conséquences de cette situation
sur les institutions et sur la formation des enseignants,
b) C'est aussi un champ, avec des enjeux et des
en nous limitant à quelques exemples.
conflits, où règne une certaine instabilité (le partage
La durée et le rythme de travail scolaire sont des
des compétences entre didactique et pédagogie, etc.) et
contraintes dont on ne voit pas pourquoi elles seraient
des effets de mode pour masquer l'absence, parfois, de
immuables. Peut-on apprendre profitablement le russe
réelle formation (J.-P. Narcy, 1991). Les contradic-
ou l'arabe trois heures par semaine pendant des an-
tions y suscitent une tension et aussi une aspiration à
nées et en acceptant comme un postulat qu'il n'y a pas
la compatibilité, même si l'on observe un certain dé-
besoin de motivation réelle en milieu « captif » ? Le
couragement et la tentation de l'éclectisme radical.
cas échéant, ne faudrait-il pas songer à réorganiser le
Des distorsions se font jour entre la méthodologie cir-
« montage » pédagogique et didactique ?
culante, celles des classes, et les méthodologies
constituées au-dehors. U n autre exemple touche aux compétences et au
statut de l'enseignant : que reste-t-il du professeur de
De même, il y a un discours de la didactique et un
lettres (étrangères) dans ses fonctions d'enseignant de
discours sur la didactique qui ne se recouvrent pas.
langue ? Et, corollairement, où la formation didac-
D. Coste (1986) va jusqu'à écrire que la didactique
tique, initiale et continue, prend-elle place dans le par-
us 119
cours des enseignants ? Les choix didactiques recou- pratiques, associations professionnelles de cher-
vrent en fait des déterminations institutionnelles et cheurs et praticiens, centres de recherche sur l'édu-
idéologiques fortes, mais souvent non explicites. cation comparée, revues, colloques et expositions
La globalité de son intervention, les aspects com- (comme à Londres, Genève ou Paris avec Expolan-
plémentaires de son travail imposent à l'enseignant : gues). Une approche comparative, à l'échelle mon-
diale, s'impose.
- de connaître, bien sûr, de manière satisfaisante la
langue et la culture étrangères ; C'est le bien-fondé et l'efficacité des systèmes de
- d'apprendre à l'élève à communiquer ; formation qui sont en jeu, on le sent bien. Sans doute,
- de contribuer largement à une éducation générale, aussi, l'instrument privilégié d'une évolution positive
en proposant des outils pour « apprendre à ap- sera-t-il la multiplication de « recherches-actions », in-
prendre » et une ouverture trans- ou interculturelle. cluant innovation, description de pratiques, validation
d'une pédagogie.
Selon le très beau mot d'un universitaire, Jean Pey-
À coup sûr, les voies d'accès sont nombreuses vers
tard, « enseigner à l'autre, c'est altérer une parole (...)
une didactique générale, que l'on imagine forte de son
L'enseignant propose, en l'altérant, une thématique
histoire, de son questionnement scientifique et de son
originelle, et de cette parole altérée, il fait autre la
éthique sociale.
sienne, qui transformera à son tour celle d'autres ».
L'enseignant ne saurait remplir une fonction « substi-
tutive » (on n'apprend pas à la place de l'apprenant),
mais il participe à cette construction qui définit
l'acquisition de L2.
Il s'agit d'abord de donner les moyens d'élaborer
des connaissances à partir de schèmes cognitifs per-
sonnels et dans des dispositifs adaptés à ces schèmes.
Cela signifie que l'apprenant doit être reconnu dans sa
spécificité et que les dispositifs didactiques doivent
être diversifiés et adaptés. Cette conclusion amène à
ouvrir un double débat sur :
- unezyxwvutsrqponmlkjihgfedcbaZYXWVUTSRQPONMLKJIHGFEDCBA
pédagogie différenciée en fonction des appre-
nants, qui doit sans cesse éviter l'écueil de l'idéa-
lisme et celui de l'impuissance : idéalisme de la réus-
site permanente, impuissance née des conditions
matérielles qui sont souvent celles de l'enseignement
des langues ;
- des lieux de recherche et de formation à l'enseigne-
ment qui ne séparent pas, comme trop souvent au-
jourd'hui, universités, instituts pédagogiques, stages
120 121
forme et une recherche- du faisable Mais l< di (•••>••
ment de solutions techniques ne saurai! l'uni mihlii i
les finalités profondes de l'action, qui prend p i " i dan
CONCLUSION un environnement physique, matériel cl suiloiil lui
de langlU lOnl
main toujours unique. Les enseignantszyxwvutsrqponmlkjihgfedcba
des édu cateu rs et doivent à tout
Il en va de la didactique comme de notre monde : la zyxwvutsrqponmlkjihgfedcbaZYXWVUTSRQPONMLKJIHGFEDCBA prix restei dei
situation en est contrastée. « C'est le temps de l'imagi- passeurs de cultures et d'idées .
nation et du bonheur pédagogiques », écrivait un di- Quand, en 1669, Louis XIV fondait à Paris l'École
dacticien suisse. Mais aussi, juste à côté : « Ici, on des langues orientales, alors appelée « École des jeunes
crève d'opulence ; là, on crève de faim. Tout est, évi- de langues », il rêvait de grande diplomatie. Le Roi-
demment, toujours plus complexe. » Une réflexion di- Soleil s'était donné l'ambition de former ainsi des
dactique est, selon nous, de plus en plus envisageable, « truchements », appelés à l'époque « drogman » (en
une didactique prescriptive et monopoliste de moins arabe : turjuman, traducteur, interprète). Les défis ac-
en moins acceptable. tuels ne sont pas de moindre envergure.
Le tour d'horizon que nous venons de faire, si diffi- Les langues représentent les moyens de la paix
cile soit-il, n'impose en effet aucun dogmatisme. Rap- comme de la guerre et la gestion que nous ferons du
pelons simplement que la course vers de nouvelles mé- plurilinguisme de notre monde conditionne aussi l'a-
thodologies a souvent pris l'allure d'un abandon venir de celui-ci. Or, la répartition inégale des ressour-
irrationnel à la mode. De notre traversée au long ces disponibles pour l'éducation en général posera à
cours de la didactique, nous retenons ces mots d'un certains pays des problèmes insurmontables, s'ils s'en-
inspecteur de l'éducation africain, dont le discours gagent - ou si on les incite à s'engager - dans des sys-
n'était pourtant pas celui de l'immobilisme : « Heu- tèmes d'enseignement coûteux et inadaptés.
reusement, nous n'avons pas les moyens d'acheter vos D'autre part, les progrès technologiques qui recons-
dernières méthodes. Vous les considérez déjà comme truisent l'espace didactique ont un impact culturel
périmées. C'est un moindre mal si nous passons direc- déjà perceptible : une homogénéisation des procédures
tement aux suivantes, qui d'ailleurs font retour sur d'intervention qu'on peut aussi appeler un nivellement
celles du passé. » des différences. Il ne nous apparaît pas clairement que
C'est pourquoi la réflexion ne saurait être close. En quiconque ait le droit d'imposer la mondialisation de
attendant les prochaines évolutions qui se dessinent ce processus. L'innovation ne doit sans doute pas être
déjà, l'enseignant de langues est engagé dans un pro- refu sée, mais elle doit être choisie et contrôlée. Et la
cessus continu de remise en question. La recherche de question trouve sa place, pour commencer, dans la
scientificité à laquelle tend la didactique implique l'ex- réflexion de l'enseignant et dans la classe de langue.
tension des ressources offertes et le développement de
l'esprit critique. Tout passera donc par la formation et
l'information.
La didactique est bien une tentative de réponse à
l'insatisfaction née de l'aléatoire, un essai de mise en
122 123
Jakobson R., Essais de linguistique générale, Paris, Le Seuil, 1963.
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Washington, Georgetown UP. Chapitre I La problématique de l'enseignement 9
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SITES III. Les théories du langage et leurs implications, 17
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SIL Ethnologue : Languages of the World, www.ethnologue.com
U n i o n européenne : http://www.europa.eu.int/comm/education/policies I. Analyse/élaboration de manuels et méthodes, 46 -
II. Préalables à un tableau panoramique des métho-
dologies, 50 - III. Les méthodologies dites tradition-
nelles, 51 - IV. L'approche directe, 54 - V. L'ap-
proche audio-orale, 58 - VI. Les méthodologies
audiovisuelles, 61 - VII. Conclusion, 70.
Chapitre III - L'approche communicative 72
I. Les origines, 72 - II. L'originalité des inventai-
res, 73 - III. Les priorités, 76 - IV. Quelques lignes
de force, 77 - V. Apprendre dans une approche
communicative, 78 - VI. La didactique au jour le
jour, 81 - VII. Un bilan critique, 82 - VIII. Le
Cadre européen commun de référence pour les lan-
gues, 85 - IX. Conclusion, 86.
Chapitre IV - Questions et perspectives 89
I. Organisation d'un enseignement, 90 - II. Oral, 94
- III. Grammaire, 95 - IV. Écrit, 99 - V. Évalua-
tion, 103 - VI. Civilisation, 105 - VII. Dispositifs
innovants et technologies modernes, 108 -
VIII. Didactique et gestion linguistique, 113 -
IX. Enjeux actuels, recherche et formation, 117.
Conclusion 122
Bibliographie 124
126 127
Imprimé en France
par JOUVE
1, rue du Docteur Sauvé, 53100 Mayenne
octobre 2012 - N° 2013784H
LA DI DA CTI QUE
DES LA N GUES ÉTRA N GÈRES
Les besoins de communication entre Pi er r e M ar t i n ez
personnes qui ne parlent pas la même Pierre Martinez est
langue n'ont jamais été aussi grands. professeur émérite à
l'Université Paris 8 et
C'est le cas, par exemple, avec les pro-
professeur à la Faculté
grès de l'Union européenne et l'ouverture d'éducation de l'Univ
des frontières à l'est du continent, avec nationale de Séoul (Cor
les échanges touristiques et commer- du Sud).
ciaux ou les migrations de population. Le
recours à u n e langue c o m m u n e est loin
de faire l'unanimité. Alors, parce qu'il est
difficile d'apprendre u n e langue étran-
gère, il semble nécessaire et naturel de se
demander c o m m e n t en améliorer l'ensei-
gnement. La didactique est l'ensemble
des méthodes, hypothèses et principes,
qui permettent à l'enseignant d'optimi-
ser les processus d'apprentissage de la
langue étrangère. Ce volume en dresse
l'état des lieux.
A lire également
en Que sais-je ?...
La linguistique
de Jean Perrot
• La philosophie du langage
de Sylvain Auroux
4
6 édition 2011
e
Q>
'uesais-jer ISBN : 97N-2-1.VU5.S.S2.US
www. q u e s a is - je . co m
COLLECTION ENCYCLOPÉD/Ql W
9 "782130"588238"
fondée pur Paul Angoulvent