AD07 Livret Algerie Web
AD07 Livret Algerie Web
AD07 Livret Algerie Web
et mémoire(s) 1962
1
2
Soixante ans après la fin du conflit franco-algérien, il n’est pas toujours facile d’aborder
la question de la guerre d’Algérie. Le philosophe Paul Ricœur faisait remarquer
« qu’en histoire, on n’a guère affaire qu’avec les morts d’autrefois 1 », mais « ces morts
d’autrefois » hantent toujours le présent des mémoires souffrantes. En abordant
la guerre d’Algérie, il est encore aujourd’hui des repas de famille qui peuvent
ressembler à ceux qu’évoquaient le dessinateur Caran d’Ache en 1894 lorsque
le patriarche mettait en garde ses convives : « surtout, ne parlons pas de l’Affaire
Dreyfus ». La vignette suivante représentait la salle à manger transformée
en un véritable champ de bataille : ils en avaient parlé…
Pour Paul Ricœur, le problème ne commence pas avec l’histoire, mais avec la mémoire
refoulée d’une communauté historique qui présente le risque de la refermer
sur son malheur singulier au point de détourner l’histoire de son impératif
de justice. « Que serait finalement une mémoire heureuse qui ne serait pas aussi
une mémoire équitable 2. »
« Mechta arabe »,
plaque stéréoscopique (1905).
Archives départementales de l’Ardèche,
collection de la grande collecte
consacrée aux relations Afrique-
France, 165 J 163 (reproduction).
3
Cependant, comme le souligne Benjamin Stora, en ce qui concerne l’Algérie,
« la représentation du passé n’est pas un acte anodin, car elle touche à plusieurs
groupes de personnes traumatisées 3 ». Pour certains, l’Algérie devait rester française
alors que pour d’autres, il s’agissait de mener une guerre d’indépendance ou
de libération nationale contre une puissance coloniale, de sorte que l’on compte
autant des souffrances dans chacun de ces groupes porteurs de mémoire. Il y a
la « nostalgérie » des pieds noirs chrétiens ou juifs, réfugiés en France, les harkis
oubliés de l’Histoire, le ressentiment des « combattants désespérés de l’OAS » selon
l’expression de Benjamin Stora et de Mohammed Harbi 4, le sentiment d’abandon ou
de trahison pour ceux qui avaient cru en l’Algérie française ; les familles endeuillées
de part et d’autre de la Méditerranée par la disparition brutale d’un proche ;
les souvenirs traumatisants de ceux qui avaient « 20 ans dans les Aurès » et qui se
sont emmurés pour certains dans le non-dit ; l’absence de reconnaissance éprouvée
par les descendants des harkis ou le sentiment de relégation des immigrés algériens.
Soixante ans après la fin de la guerre d’Algérie, ces passions sont encore
douloureuses, les arguments mémoriels peuvent couper court à toute tentative
de mise en perspective historique, chacun de dénoncer les violences de « l’autre ».
Aux mutilations des corps ou aux attentats du Front de libération nationale (FLN)
répondraient la torture ou la destruction des mechtas 5 par les militaires français.
En janvier 1956, Albert Camus en avait déjà saisi l’enjeu. Dans son « Appel pour une
trêve civile », il constatait que « chacun s’autorise du crime de l’autre pour aller plus
avant ». Autrement dit, chaque partie s’aventure dans une logique mortifère qui n’a
« pas d’autre terme qu’une interminable destruction 6 ».
Alors est-il possible d’écrire l’histoire sans qu’elle ne soit soumise à des enjeux
de mémoire ? C’est un peu le pari de ce livret de découverte qui présente quelques
documents d’archives extraits du fonds des Archives départementales de l’Ardèche
selon la perspective d’un regard croisé des deux rives de la Méditerranée.
Les thématiques de cette exposition partent de ce constat du général de Gaulle, dans
son allocution du 4 novembre 1960 : « Si nous avons fait beaucoup en Algérie et pour
l’Algérie, nous n’avons pas fait à temps d’autres choses qu’il eut fallu faire. Si bien que
le bouillonnement fit un jour sauter le couvercle… »
1 RICOEUR, Paul, La Mémoire, 4 HARBI, Mohammed, STORA, 6 CAMUS, Albert, Appel pour une
l’histoire, l’oubli, Paris, Éditions Benjamin (dir.), La Guerre trêve civile, discours prononcé à
du Seuil, 2000, p. 475. d’Algérie. 1954-2004. La fin Alger le 22 janvier 1956 in Essais,
2 Ibid., p. 650. de l’amnésie, Paris, Robert Laffont, Paris, Bibliothèque de la Pléiade,
3 STORA, Benjamin, France-Algérie, 2006, p. 9. 1967, p. 989-999.
les passions douloureuses, Paris, 5 Un hameau.
Albin Michel, 2021, p. 15.
4
1830 - 1930
Pavillon de l’Algérie,
Exposition universelle de 1900
in Paris 1900, les merveilles
de l’Exposition, album illustré,
Au paradis des enfants, Paris, 1900.
Collection particulière.
5
La mémoire de la colonisation est attachée à la figure du maréchal Bugeaud,
« conquérant de l’Algérie ». En mai 2021, le maire de Marseille, René Payan, fait le choix
de débaptiser une école primaire parce qu’une école « peut porter le nom d’un héros,
pas d’un bourreau 1 ». Dans un message publié le 20 mai 2021 sur son compte Twitter,
il explique alors que « le Maréchal Bugeaud a commis des horreurs lors des guerres
en Espagne, dans la répression des mouvements démocratiques de 1834 à Paris puis
lors de la conquête sanglante de l’Algérie brûlant
des villages, enfumant des grottes où se cachaient
femmes et enfants ». Qui était donc ce personnage
controversé ? Sa vision du monde transparait en 350
pages dans ses Écrits et discours réunis dans le livre
Par l’épée et la charrue, un choix de textes fait
par le général Paul Azan et publié dans la collection
« Les classiques de la colonisation » aux PUF en 1948 2.
6
chimère de croire qu’en temps de guerre, on peut […] protéger les cultures
avec des camps et des blockhaus 7 ». « On ne fait pas de l’agriculture à l’abri
des canons 8. » Le 15 janvier 1840, il déclare même devant la Chambre que
la colonisation menée jusqu’ici est « nulle » : « vous en aviez une ombre dans
la plaine de la Mitidjah, au premier mouvement de la guerre, cette ombre
s’est dissipée. Vous n’avez que quelques jardins autour d’Alger 9. »
Il n’y a donc pas d’autre alternative que la guerre, et une guerre qu’il
faut adapter aux conditions du terrain. On ne mène pas une guerre
coloniale en Afrique comme une guerre en Europe. « En Afrique, la force est
diffuse, elle est partout, et une armée européenne s’y trouve dans la situation
d’un taureau assailli par une multitude de guêpes » 10. Bugeaud l’explique
dans un discours 11 à la chambre des députés en date du 14 mai 1840. « C’est
le système de la mobilité qui doit soumettre l’Afrique » et non pas le système
« déplorable » des fortifications : « Les postes retranchés commandent
seulement à la portée du fusil, tandis que la mobilité commande le pays à 25
ou 30 lieues. » Pour faire comprendre son propos, il opère une analogie avec
la guerre maritime : « Que diriez-vous d’un amiral qui, chargé de dominer
la Méditerranée, amarrerait ses vaisseaux en grand nombre aux différents
points de la côte et ne bougerait pas de là ? » C’est donc dans les colonnes
mobiles et non dans les postes d’occupation qu’est la soumission du pays.
Les camps retranchés paralysent l’action militaire, d’ailleurs « comment
seront-ils approvisionnés dans un pays qui ne fournit rien 12 ? » Finalement,
il faut « dépenser en mulets ce qui serait dépensé en fortifications 13 ».
Mais comment « soumettre un pays défendu par sa configuration, son soleil,
ses vastes solitudes et surtout par le peuple le mieux constitué pour
la résistance qu’il y ait au monde 14 » ? Si la stratégie est dans la mobilité,
Portrait de Thomas l’artillerie est inutile, déjà parce qu’il n’y a pas de chemins pour traîner un gros matériel
Robert Bugeaud, marquis
de La Piconnerie, duc d’Isly,
de guerre. Cela ne sert à rien également de charger les hommes inutilement : « Il y a
(1784-1849), maréchal de France de la barbarie de les charger de 7 à 8 jours de vivres, 60 cartouches, chemises, souliers,
et gouverneur général
de l’Algérie, sculpture, anonyme,
marmites 15 […]. » Au sein des régiments « la démoralisation de la fatigue » est
hauteur : 73 cm (XIXe siècle). telle que certains « aimaient autant qu’on leur coupât la tête que d’aller plus loin 16 ».
Musée Carnavalet, Histoire
de Paris, S3204. Les premiers temps de la conquête sont donc particulièrement durs. Dans une lettre
CC0 Paris Musées / Musée
Carnavalet - Histoire de Paris.
adressée au ministre de la Guerre depuis Tlemcen en date du 24 juin 1836, Bugeaud
mentionne même le suicide de quatre hommes.
7
« À cinq heures, le pays était pris, les hommes tués à
l’arme blanche, les femmes et les enfans (sic) enlevés.
Une heure après, il ne restait plus de cette tribu, riches
en céréales et en bestiaux, qu’un morceau de cendres.
[…] Pour ravoir leurs femmes et leurs enfans (sic),
les cheicks (sic) ont payé la valeur des bestiaux volés.
Depuis la razia (sic), on ne tire plus sur les avant-
postes ». Les troupes françaises sont parfois secondées
par des troupes auxiliaires, les maghzen, ou d’anciens
corps de cavalerie de la régence ottomane d’Alger ralliés
à la France, les spahis. C’est ainsi qu’en 1842, Bugeaud
nomme Yousouf 21 (1808-1866) à la tête d’un régiment
de spahis qui va participer à l’affaiblissement
de la résistance d’Abd el-Kader en 1846 en s’emparant
de sa smala, le cœur de sa capitale itinérante 22.
8
supposer que le peuple arabe, si fier, si fanatique, si belliqueux, si bien préparé pour
la guerre par sa constitution sociale et agricole, accepte si promptement notre
domination ? […] Il n’acceptera pas, sans secouer ses chaînes, la cruelle révolution
que vous lui apportez 27. ». Comment l’accepterait-il d’ailleurs puisqu’il s’agit au final
« d’introduire en leur sein un peuple nouveau qui leur prend une partie des terres
pour les donner à des familles étrangères différant de mœurs et de religion 28 ». Il faut
donc que les « vaincus » puissent trouver un « certain bien-être » à cette occupation
étrangère 29. Il est essentiel de ne pas humilier mais de « respecter et maintenir
leur dignité ». Pour gagner la bataille des cœurs et des esprits, il est « nécessaire
de tenir en tout point notre parole » : « nous nous sommes présentés à eux comme
plus justes et plus capables de gouverner que leurs anciens maîtres, nous leur avons
promis de les traiter comme s’ils étaient enfants de la France, nous leur avons donné
l’assurance formelle que nous leur conserverions leurs lois, leurs propriétés, leur
religion, leurs coutumes… » 30.
Carnet de voyage du comte Mais la mémoire de Bugeaud reste surtout attachée à l’asphyxie d’hommes,
Philippe de Blou (juillet 1845).
Archives départementales de l’Ardèche,
de femmes et d’enfants dans des grottes. Cette « affaire des grottes du Dahra
1 J 1090. en Afrique », le 19 juin 1845, est rapportée dans les carnets de voyage du comte
Philippe de Blou 36 (1769-1848), de Thueyts.
9
« Guelma, pavillon d’officiers Philippe de Blou a laissé 12 petits carnets, soit plus de 3 000 pages de notes entre
à la citadelle », plaque
stéréoscopique (avril 1909). 1821 et 1848. Ses observations portent sur la vie locale ardéchoise mais aussi sur
Archives départementales de l’Ardèche,
l’actualité internationale. Il est attentif notamment à ce qu’il se passe en Algérie et fait
collection de la grande collecte
consacrée aux relations Afrique- état d’événements tragiques comme l’asphyxie de populations civiles par l’armée
France, 165 J 54 (reproduction).
française dans les grottes de Dahra en juin 1845. Plusieurs journaux français dont
« Guelma, place Saint‑Augustin », le Courrier de Lyon ont fait état de cette « horrible exécution […] si contraire aux plus
plaque stéréoscopique
(avril 1909). naturelles impressions d’humanité 37 ».
Archives départementales de l’Ardèche, L’affaire des grottes de Dahra a même fait l’objet d’une intervention 38 à la Chambre
collection de la grande collecte
consacrée aux relations Afrique- par le prince Joseph-Napoléon Ney de la Moskowa (1803-1857), pair de France
France, 165 J 64 (reproduction).
de 1831 à 1848. Le 11 juillet 1845, il interpelle à la tribune le maréchal Jean-de-Dieu
Soult (1769-1851), ministre de la Guerre et président du Conseil du gouvernement
sous la monarchie de Juillet : « Messieurs, un journal qui se publie en Algérie,
l’Akhbar, contient le récit d’un fait inouï, sans
exemple, et heureusement sans précédent dans
notre histoire militaire. Un colonel français se serait
rendu coupable d’un acte de cruauté inexplicable,
inqualifiable, à l’égard de malheureux Arabes
prisonniers. Je viens demander au Gouvernement
de s’expliquer sur ce fait. Je le réclame et comme
officier de l’armée et comme pair de France. »
Le journal de l’Algérie, Akhbar, que l’on peut traduire
par Nouvelles, mentionné précédemment, a été fondé
par Auguste Bourget (1798-1862) en juillet 1839.
C’est au départ une simple feuille d’annonces avant
de devenir le premier journal non gouvernemental
de l’Algérie.
10
15 Lettre de Bugeaud à Soult, 24 HURSTON, Zora, Neale,
ministre de la Guerre (16 juin 1836) in Barracoon, Paris, Le livre de poche,
Par l’épée et la charrue, ibid., p. 4. JC Lattès, 2021, p. 90-91.
16 Ibid., p. 3. 25 Lettre du maréchal Bugeaud
17 Discours de Bugeaud à au duc d’Aumale (12 mai 1846) in
la chambre des députés (8 juin 1838) Par l’épée et la charrue, op. cit.,
in Par l’épée et la charrue, ibid., p. 67 p. 259.
18 Ahmed Ben Salem fut l’un des plus 26 Lettre de Bugeaud à Thiers
fidèles lieutenants d’Abd el-Kader qui (10 août 1836) in Par l’épée
mena le combat contre les troupes et la charrue, ibid., p. 24.
françaises jusqu’à sa reddition 27 Discours du maréchal
en février 1847. Il l’avait rencontré Bugeaud prononcé au cours
après la chute de Constantine d’un banquet le 16 juillet 1846
en 1837. Ahmed Ben Salem avait reproduit dans Le Moniteur
reçu le soutien de l’émir en raison algérien (21 juillet 1846) in Par l’épée
du pouvoir qu’il exerçait localement et la charrue, ibid., p. 277.
dans la région montagneuse au sud-est 28 Circulaire du maréchal Bugeaud,
d’Alger. Source : CORNAC, Sylvain gouverneur général (17 septembre
Henry, L’émir Abd al-Qâdir et les 1844) in Par l’épée et la charrue, ibid.,
« Cercle militaire du souk Ahras construit en 1856 »,
Ottomans : l’itinéraire du dernier grand p. 183.
plaque stéréoscopique (mars 1910).
ayan de Damas (1832-1865), Université 29 Mémoire sur notre
Archives départementales de l’Ardèche, collection de la grande collecte
de Montréal, avril 2018, p. 181. établissement dans
consacrée aux relations Afrique-France, 165 J 65 (reproduction).
19 Proclamation de Bugeaud, la province d’Oran par suite
gouverneur général, à tous les chefs de la paix (juillet 1837) in Par l’épée
des tribus kabyles, publié dans et la charrue, ibid., p. 35.
le Moniteur algérien (14 avril 1844) 30 Circulaire du maréchal Bugeaud,
in Par l’épée et la charrue, op. cit., gouverneur général (17 septembre
p. 167-168. 1844) in Par l’épée et la charrue, ibid.,
20 Le Moniteur Universel p. 183.
(2 juillet 1840). Archives 31 Discours de Bugeaud à la
départementales de l’Ardèche, Chambre des députés (14 mai 1840)
1 À Marseille, l’école Bugeaud 4 Lettre de Bugeaud à Thiers PER 2828 84. in Par l’épée et la charrue, ibid., p. 77.
bientôt rebaptisée du nom (5 août 1836), in Par l’épée 21 Il est né dans l’île d’Elbe 32 Discours de Bugeaud à
d’un tirailleur algérien, in Le Monde, et la charrue, ibid., p. 20. sous le nom de Giuseppe Ventini. la Chambre (24 janvier 1845) in
11 mai 2021. 5 Discours de Bugeaud à la chambre Il est capturé à l’âge de 6 ans Par l’épée et la charrue, ibid., p. 194.
2 L’auteur de ce texte est le général des députés le 8 juin 1838, in Par l’épée par des pirates barbaresques 33 Bugeaud à Thiers, président
Paul Azan (1874-1951), historien, et la charrue, ibid., p. 67. et transporté à Tunis. Esclave du Conseil (14 avril 1840) in
membre de l’Académie des Sciences 6 Par l’épée et la charrue, ibid., p. 209. un temps du bey de Tunis sous le nom Par l’épée et la charrue, ibid., p. 72.
coloniales en 1930 qui a dirigé 7 Mémoire sur notre établissement de Yousouf, il est intégré par la suite 34 Discours de Bugeaud à
de 1928 à 1930 le Service historique dans la province d’Oran par suite dans le corps des mamelouks. En juin la Chambre, le 14 mai 1840 in
de l’armée. Ces écrits et discours de la paix, juillet 1837, in Par l’épée 1830, il s’enfuit de Tunis, se réfugie à Par l’épée et la charrue, ibid., p. 78.
du maréchal Bugeaud ont et la charrue, ibid., p. 40. Alger et offre ses services aux troupes 35 Bugeaud à Thiers, en date
été publiés dans la collection 8 Lettre de Bugeaud à Thiers françaises nouvellement débarquées. du 5 août 1836 in Par l’épée
internationale de documentation (5 août 1836) in Par l’épée Promu capitaine des spahis en 1831, et la charrue, ibid., p. 19-20.
coloniale dirigée par Charles-André et la charrue, ibid., p. 20. il obtient la soumission de nombreuses 36 Carnet de voyage du comte
Julien (1891-1991). Ce dernier, 9 Discours de Bugeaud à la Chambre tribus qui faisaient de la résistance Philippe de Blou (juillet 1845).
historien spécialiste du Maghreb, s’est des députés (15 janvier 1840) in à la progression de l’armée française. Archives départementales
engagé très tôt dans la lutte contre Par l’épée et la charrue, ibid., p. 70. C’est en 1845 qu’il prend le nom de l’Ardèche, 1 J 1090.
les abus de la colonisation. En 1936, 10 L’Algérie : des moyens de Marie-Edouard Yousouf à l’occasion 37 Ibid.
il est secrétaire général du Haut de conserver et d’utiliser cette de son mariage avec Adélaïde Weyer, 38 Le Moniteur universel (juin-
comité méditerranéen et de l’Afrique conquête in Par l’épée et la charrue, nièce du général Armand décembre 1845), p. 2117. Archives
du Nord dans le gouvernement ibid., p. 125. Charles Guilleminot (1775-1840). départementales de l’Ardèche,
de Léon Blum. Dans l’avant-propos 11 Discours de Bugeaud à Source : BOIS, Jean Pierre, Yousouf, PER 2828 94.
au livre du général Azan, il écrit : la Chambre des députés (15 janvier général de l’armée d’Afrique in Algérie 39 Lettre de Bugeaud au maréchal
« Bugeaud était une de ces fortes 1840) in Par l’épée et la charrue, 1830-1962 avec Jacques Ferrandez, Soult, ministre de la Guerre
personnalités qui inspirent de grands ibid., p. 76-77. Musée de l’Armée, Paris, Casterman, (18 juillet 1845) in Par l’épée
attachements et des haines 12 Lettre de Bugeaud à Thiers 2012, p. 50-52. et la charrue, op. cit., p. 208.
vigoureuses ». (5 août 1836) in Par l’épée 22 Selon ÉTIENNE, Bruno, 40 Ibid.
3 Discours du général Bugeaud et la charrue, ibid., p. 18. Abdelkader, Paris, Hachette, 1994, 41 Lettre de Bugeaud au duc
à la Chambre le 15 janvier 1840, 13 Lettre de Bugeaud à Thiers la smala d’Abd el-Kader comptait d’Aumale (12 mai 1846) in Par l’épée
in Par l’épée et la charrue. (5 août 1836) in Par l’épée jusqu’à 60 000 personnes. et la charrue, ibid., p. 268.
Écrits et discours de Bugeaud. et la charrue, ibid., p. 19. 23 Lettre de Bugeaud au maréchal
Introduction, choix des textes et notes 14 De l’établissement de légions Soult, ministre de la Guerre (16 juin
par le général Paul Azan, Paris, Presses de colons militaires in Par l’épée 1936) in Par l’épée et la charrue,
universitaires de France, 1948, p. 66. et la charrue, ibid., p. 50. op. cit., p. 2.
11
Ci-contre :
Le Moniteur universel,
séance du 11 juillet 1845, p. 2117.
Archives départementales
de l’Ardèche, PER 2828 94.
Les débats portant sur l’affaire des grottes du Dahra sont rapportés dans Le Moniteur
Universel. Devant l’Assemblée, le prince Joseph-Napoléon Ney de La Moskowa fait
lecture des événements rapportés dans le journal Akhbar.
12
13
changeront pas de mœurs et d’habitudes, le caractère et la discipline des Français
s’en ressentira. Voyez : le soldat est en contact avec des hommes féroces ; il combat
des ennemis d’une cruauté effroyable, qui ne font que rarement des prisonniers, qui
coupent la tête ou torturent les malheureux qui tombent entre leurs mains. Comment
voulez-vous qu’il ne veuille pas se venger des cruautés commises envers ses camarades,
qu’il ne devienne pas cruel à son tour ?
[…] Toutes les qualités sont contagieuses, la cruauté surtout, et l’on devient barbare
quand on a affaire à des barbares. Et puis, quels alliés ont vos soldats ? Des Zouaves,
des cavaliers du pays que n’épouvante aucune cruauté, qui donnent l’exemple
des actes les plus sanguinaires, les plus iniques, qui torturent leurs victimes, qui ont
commis vingt fois sous les yeux des troupes françaises des violences et des attentats
que je n’oserai retracer 5. »
1 Par l’épée et la charrue, op. cit., 4 Le Moniteur universel, séance 6 CAMUS, Albert, Appel pour une
p. 208. du 10 juin 1846, p. 1735. Archives trêve civile, op. cit.
2 Archives départementales départementales de l’Ardèche, 7 Le Moniteur universel, séance
de l’Ardèche, 1 J 1090. PER 2828-96. du 10 juin 1846, loc. cit.
3 Intervention du Prince Joseph- 5 Le Moniteur Universel, 8 Le Moniteur universel, ibid.
Napoléon Ney de La Moskowa séance du 1er mai 1834, p. 1119. 9 Le Moniteur universel, séance
devant la Chambre (11 juillet 1845). Archives départementales du 1er mai 1834, loc. cit.
de l’Ardèche, PER 2828 71. 10 Le message de M. Bouteflika,
in Le Monde, 17 juin 2000.
14
Affiche de promotion
des « Nouveaux Villages »
de la colonisation éditée
par le Gouvernement général
de l’Algérie (1902).
Archives départementales
de l’Ardèche, 6 M 276.
15
Cette affiche de grande dimension (126 × 156 cm)
nous renseigne sur les conditions d’attribution des
concessions définies dans le décret du 30 septembre
1878 : être un chef de famille, de nationalité française,
avoir des connaissances agricoles et posséder
un minimum de 5 000 francs « pour mettre
en valeur la concession ». À titre de comparaison,
en 1902, le kilogramme de pain à Paris est vendu
à 0,30 centimes, un ouvrier gagne 10 francs par jour.
Des concessions de 35 à 40 hectares sont créées
dans l’Algérois et l’Oranie alors que les hautes
plaines du Constantinois comprennent des surfaces
de 60 hectares. Les principales cultures sont le blé,
l’orge, l’avoine et la vigne mais la propriété tend à se
concentrer en un petit nombre de mains par achat
aux indigènes, pour le remboursement de dettes,
par remaniements fonciers, par achat de concessions
abandonnées par ceux qui, découragés, avaient préféré
renoncer à l’exploitation de leurs terres.
Dès les années 1850, les « nouveaux villages » prennent pourtant la marque
de la colonisation et de sa répression des indigènes, et ce jusque dans leur toponymie.
Au Sud de Constantine, le village de Canrobert est éponyme du général qui,
en novembre 1849, commande les troupes françaises qui ne laissent aucun survivant
dans l’oasis de Zaatcha. Les têtes de certains combattants sont mêmes décapitées
après leur mort et exposées sur des piques à Biskra, « la porte du désert ».
16
Plan du village d’Aïn-Sidi-Chérif
fondé en 1849 dans la subdivision
de Mostaganem (fin XIXe siècle).
Archives départementales
de l’Ardèche, 1 Z 373.
17
dans un recueil de notes publié en 1931 : « Il est
remarquable que lorsqu’on parcoure les campagnes
d’Algérie, le cri de tous les maires et de tous
les administrateurs : « Monsieur le gouverneur, de l’eau,
de l’eau ». Même des villes comme Constantine, Sétif,
Philippeville sont privées d’eau une partie de l’année 3. »
18
À QUI APPARTIENT LA TERRE ?
Originaire de Marseille, Auguste Maure débarque en Algérie dans les années 1850.
Orphelin de père, il a été recueilli par son oncle maternel qui gère une entreprise
de transport postal par diligence entre Batna et Biskra. En 1870, Auguste Maure ouvre
un studio de « photographies sahariennes » à Biskra. À sa mort en 1907, son fils Marius
(1871-1941) prend sa succession à la tête du studio et de nombreuses photographies
d’Auguste sont éditées en cartes postales, ce qui contribue à la renommée
internationale de Biskra, « la porte du désert ».
19
l’intérieur 1 ». Ce sont des sociétés terriennes dont « les horizons étaient beaucoup
plus intérieurs que maritimes 2 ». Mais à l’époque coloniale, le centre de gravité
du pays se déplace vers la zone littorale et « retourne[e] le pays exclusivement
vers le Nord ». En 1930, au moment du centenaire de la colonisation de l’Algérie,
une autre explication anthropologique est avancée. Émile Félix Gautier qui rédige
le Cahier du Centenaire consacré à l’évolution de l’Algérie de 1830 à 1930 met plus
l’accent sur la dichotomie ancestrale qui existerait entre nomades et sédentaires,
« deux humanités que toute l’histoire a violemment opposées 3 ». Ainsi sur cette terre
en voie d’européanisation s’opposeraient « des villageois montagnards, fixés au sol,
d’instincts démocratique, avec un sens aigu de la propriété privée » à des « nomades
de grande tente, avec des instincts communistes, avec une organisation aristocratique
et princière. À travers toute l’histoire, les millénaires, ces deux groupes constitués
par les nécessités du climat et du sol, se sont éternellement pillés, massacrés,
sans merci et sans trêve 4 ».
20
L’ordonnance royale du 24 mars 1843 a décrété la mainmise sur les biens religieux
(habous) et les terres domaniales (beylok). Autrement dit, les musulmans
sont dépossédés des terrains où étaient placés les tombeaux de leurs ancêtres
et de leurs marabouts.
En 1873, la loi du député Warnier définit le statut juridique de la terre qui relève
désormais du droit français. La loi établit deux catégories foncières en Algérie :
les biens privés (melk) généralement tenus en indivision et les biens de « tribu »
(‘arch), au sens de groupe familial élargi. Cette loi permet finalement de supprimer
la propriété collective, et de disloquer l’indivision des parcelles appartenant
à des indigènes, facilitant ainsi la colonisation foncière. Avec la loi Warnier, un arrêté
du Gouverneur général peut désormais soumettre à la loi l’ensemble des terres
d’un village regroupant des personnes appartenant à la même lignée (douar).
Ces douars soumis à la loi sont proches des centres de colonisation et des voies
de communication moderne. Alors que le statut juridique traditionnel de la terre
favorisait l’indivision et l’usage de biens communautaires (‘arch), la loi Warnier donne
aux paysans algériens un titre de propriété. Mais qui dit titre de propriété dit cadastre
et bornage des terrains, ce qui ne se fait pas sans tensions et perturbations dans
les villages, certains titres de propriété relevant de la « notoriété », de la « tradition »
ou d’un serment sur le Coran.
La reconstitution des arbres généalogiques en l’absence d’état civil officiel jusqu’à la loi
du 23 mars 1882 pose aussi des problèmes aux commissaires enquêteurs pour
déterminer la part de chaque ayant-droit, et ce d’autant plus qu’il n’existe pas alors
de patronymes dans le sens français du terme mais plutôt une généalogie de « fils
et filles de ». De plus, la plupart des commissaires enquêteurs ne parlent pas l’arabe
et doivent se faire assister par un interprète local. Alain Sainte-Marie, chercheur
en histoire contemporaine à l’Université de Nice, donne l’exemple d’une parcelle
du douar Tsighaout au sud-est d’Orléansville (Chlef). Cette parcelle d’une superficie
de 3 hectares était indivise entre 169 copropriétaires 11. À l’origine, l’indivision avait été
maintenue pour éviter les querelles familiales.
21
C’est aussi ce que prédit le député de la Loire, Jean-
Jacques Baude (1792-1862), dans la séance à l’Assemblée
nationale du 3 mai 1834 : « Nul d’entre nous ne
peut concevoir la colonisation et la culture derrière
les baïonnettes. La présence de cultivateurs en Afrique,
loin d’amener la paix, entraînera inévitablement
la guerre, car elle augmentera si possible la haine
des indigènes contre les Français, attendu qu’à ces
immigrants, il faudra des terres, de bonnes terres
labourables ; et, pour se les procurer, on dépouillera
les autochtones 15. »
22
100 ANS DE COLONISATION :
23
1 sur 6 ». En 1930, la propagande officielle se réjouit
de posséder ce « pays d’une prodigieuse activité
industrielle et commerciale » : les mines exploitées
avec un matériel moderne, les ouvrages d’art qui
enjambent les canyons et les vallées, le chemin de fer….
Les progrès de la colonisation se liraient aussi dans
la courbe démographique de la population autochtone.
« Cette courbe à elle toute seule fait l’éloge
de la colonisation avec plus d’éloquence qu’une longue
dissertation. Elle est péremptoire. De 1872 à 1930,
la population indigène a plus que doublé. C’est un fait
brutal, parfaitement indéniable 5 ».
24
Le colon à l’œuvre (sans date)
in GAUTIER, Émile-Félix,
L’évolution de l’Algérie de 1830
à 1930, Cahiers du Centenaire
de l’Algérie, n° III, publication
du comité national métropolitain
du Centenaire de l’Algérie, 1930.
Sous l’image apparaît
la légende suivante : « Il est tout
semblable au paysan de chez Le Cahier du Centenaire n° III rédigé par Émile-Félix Gautier, professeur à la faculté
nous. Pourtant au premier plan,
des Lettres d’Alger procède par contrastes pour mettre en avant les bienfaits
à droite, l’homme en culotte
de cheval et en leggings donne de la colonisation européenne. Il introduit également le concept de « race », avec
la note grand propriétaire, qui
le concept d’une « race nouvelle » en gestation en Algérie et issue de la fusion
est une note algérienne. »
Collection particulière. d’éléments français et étrangers en provenance des îles méditerranéennes, de l’Italie
napolitaine ou de l’Espagne andalouse 1. « Les 100 000
morts d’Algérie sacrifiés de 1831 à 1848 2 » ont « réussi
la création la plus difficile, une création psychologique,
ils ont créé une nouvelle espèce humaine,
la race européenne de l’Afrique du Nord.
C’est cette création qui a conditionné tout le reste.
La nouvelle race une fois implantée et enracinée,
le problème tout entier était virtuellement résolu ;
l’Européen devait européaniser 3. »
25
encadrer cette plèbe, rien d’autre que les 833 000
colons, seule classe bourgeoise constituée », soit
un « Européen pour six indigènes, et ce sixième
de la population est prépondérant non seulement
au point de vue politique, mais aussi au point de vue
social 8. » Mais Urbain Ismail l’avait déjà constaté
en son temps : « Quand manque l’estime, la bonne
harmonie existera-t-elle ? Lorsqu’au lieu d’atténuer
les motifs d’antipathie toujours trop nombreux entre
les vaincus et le conquérant, on fournit à la haine des
aliments nouveaux, c’est le meurtre, la révolte, la guerre
qu’on prépare 9. »
in GAUTIER, Émile-Félix,
Dans cette vision européo-centrée, l’aménagement du territoire, pour lequel,
L’évolution de l’Algérie de 1830 en Algérie, les activités s’adaptent nécessairement aux contraintes environnementale,
à 1930, Cahiers du Centenaire
de l’Algérie, n° III, publication du
est perçu comme rudimentaire, sommaire par les colons qui s’installent. Dès lors,
comité national métropolitain l’existence de pratiques différentes sont généralement vues comme une
du Centenaire de l’Algérie, 1930.
Collection particulière.
absence complète de maîtrise des techniques. Ainsi Émile-Félix Gautier dans
la rédaction de son Cahier n° III s’étonne : « L’indifférence aux choses de la mer est
curieuse dans un pays qui a un si énorme développement de côtes ». Autrement
26
dit, à part les marins ottomans qui n’ont « jamais
rien pratiqué d’autre que la piraterie », en 1830,
« sur toute l’étendue immense des côtes algériennes,
il n’y avait ni un pêcheur, ni un marin, ni un bateau
indigène. C’est extraordinaire, mais c’est comme ça ».
Mais, selon lui, grâce au savoir-faire des Européens,
« les indigènes commencent à se familiariser avec
la mer, qu’ils ont ignorée de toute éternité 12. »
27
Si l’on veut se déprendre un tant soit peu de cette
vision européenne et considérer la situation du point
de vue de « l’autre côté », d’autres aspects méritent
une étude. En effet, les affirmations d’Émile-Felix
Gautier sont loin d’être des vérités absolues. Bien avant
la conquête coloniale, la plaine de la Mitidja était
rattachée au « domaine de la couronne » (Dar Es-
Soltane) de la Régence ottomane d’Alger. Il s’agissait
certes d’un territoire difficile à mettre en valeur car
il était constitué d’un ancien bras de mer qui avait
été progressivement remblayé par les alluvions des
cours d’eau descendant de l’Atlas blidéen. Il y avait
donc des marécages, mais, comme le fait remarquer
le géographe Marc Côte 16, les collines du Sahel
et la partie méridionale de la plaine, constituée
en piémonts bien égouttés, avaient été mises en valeur
depuis bien longtemps. Il ne faut pas non plus oublier
que de de 1725 à 1815, la France, via le port de Marseille,
était la principale importatrice de blé algérien. C’est
d’ailleurs en 1827, ce qui est à l’origine de l’affaire
du « coup d’éventail » donné par Hussein, le dey d’Alger
au consul de France. Hussein réclamait alors à la France
le paiement de cargaisons de blé fournies à l’armée
napoléonienne en 1797 pendant la campagne d’Italie.
De même, le savoir-faire ancestral de la distribution
de l’eau dans les régions arides par des galeries
horizontales drainantes légèrement inclinées et munies
de puits d’aération - le système de la foggara 17 - n’est
pas mentionné dans l’Index, ni dans le Glossaire des
Cahiers du Centenaire de l’Algérie 18.
28
Dans les manuels scolaires, l’histoire de la colonisation revient
sur les épisodes principaux de la conquête. Ici, Abd el‑Kader fait sa reddition
officielle en remettant son épée au duc d’Aumale, fils du roi Louis-Philippe
et gouverneur général de l’Algérie, le 23 décembre 1847. Deux jours avant, l’émir avait
déjà rendu les armes aux généraux Lamoricière et Cavaignac à la condition de pouvoir
se retirer en pays d’islam. Le texte est accompagné d’une iconographie réalisée
à l’identique « d’après une image populaire d’Épinal ». Ces images très populaires
permettent de diffuser largement les principaux faits d’actualité. L’image d’origine
en couleur de la « soumission d’Abd el‑Kader » a été éditée à Épinal par les Éditions
Pellerin vers 1860. Elle était accompagnée du « récit authentique » de l’événement
raconté sous la forme d’une chanson populaire sur l’air d’Il était un petit homme :
« Monsieur Lamoricière, / Qui n’était pas cousin / De c’lapin, / S’avance par derrière, /
La soumission d’Abd-el Kader Et leur dit : Mes vauriens, / Je vous tiens ! / Les Bédouins, penauds, / En baissant le dos, /
(d’après une image populaire Disent : nous sommes fichus, / Nous v’là bien mor (bis) /, Nous voilà bien mordus. /
d’Épinal), in BERNARD, F., En riant dans sa barbe, / Le général dit : Tous, / Rendez-vous ! / Et le grand chef arabe /
REDON, P., L’Algérie, Histoire, Lui remet son coup’-choux, / À genoux ; / Puis en pleurnichant, / Dit : Mon cœur se fend, /
Colonisation, Géographie,
Mes gens sont consternés / Voyant c’ qui m’ pend (bis), / Voyant c’ qui m’ pend au nez… »
Administration, Manuel
scolaire à l’usage des cours
supérieurs de l’enseignement
Placée en dessous de l’image d’Épinal, une légende replace l’événement dans son
primaire, des classes
d’enseignement primaire contexte historique avec toutefois une erreur notable de chronologie : Abd el‑Kader y
supérieur et des candidats
fait sa reddition aux généraux Lamoricière et Cavaignac le 24 janvier 1848 afin d’établir
aux administration algériennes,
Alger, Éditions Jules Carbonnel, une coïncidence de dates avec les événements de la colonisation : « la chute du dey
nouvelle édition de 1936.
Collection particulière.
d’Alger en 1830 devança d’un mois celle du roi Charles X ; le pouvoir d’Abd el‑Kader
fut foudroyé un mois avant celui de Louis-Philippe »,
le 24 février 1848.
On remarque à l’arrière-plan, sur le côté gauche
de l’illustration du manuel, un bâtiment avec
un toit en forme de coupole. Il s’agit du marabout
de Sidi‑Brahim dans lequel s’étaient réfugiés
les rescapés d’un détachement des troupes françaises
encerclés par Abd el‑Kader en septembre 1845. Sidi-
Brahim est certes une défaite pour l’armée française
mais elle permet d’exalter le caractère sacrificiel de ceux
qui ont préféré se battre jusqu’au bout plutôt que
de se rendre. Leur exploit héroïque est raconté dans
Le marabout de Sidi-Brahim, un poème dédié à l’Armée
par Louise Colet (1810-1876) en 1845.
29
« Nous étions quatre-vingts et notre capitaine / L’intrépide Géraud. « Vous qui restez
debout, » / Cria-t-il, « suivez-moi jusqu’à ce marabout ! » / Nous volons sur ses pas.
Cinq sont frappés en route ; / Les autres ont gagné cette étroite redoute / Où, cernés
par l’Émir, sans vivres, sans secours, / Notre faible cohorte a combattu trois jours. »
C’est donc sur les lieux mêmes de ce champ de bataille qu’Abd el‑Kader aurait fait sa
reddition. Le manuel Bernard-Redon rectifie de manière plus historique la manière
dont s’est passé l’événement. Abd el‑Kader se rend en donnant son cheval au duc
d’Aumale. Loin du faste de la scène de l’image d’Épinal, la biographie de Bruno Étienne
confirme la simplicité de la scène lorsqu’Abd el‑Kader « plus pâle et ascétique que
jamais » offre son cheval au fils du roi Louis-Philippe en espérant qu’il le mènera
vers le bonheur 1. Ce genre d’anecdote est parfois repris dans les manuels scolaires
sous la forme de petites lectures servant à l’édification des élèves ou des candidats
aux concours des administrations algériennes.
Le manuel Bernard-Redon propose en fin de chapitre ces récits destinés à entrer
dans la légende. C’est par exemple, « le Père Bugeaud et sa casquette » qui
popularise l’événement d’une attaque nocturne repoussée par le maréchal coiffé
d’un bonnet de nuit. « La casquette du Père Bugeaud » devint après cela le chant
militaire de l’Armée d’Afrique. C’est aussi l’histoire du colon Pirette qui, ancien
militaire, fit face, seul, à l’assaut de sa ferme attaquée par « des Arabes, arrivant
à flot 2 ». « Il avait placé une casquette ou un chapeau à chaque fenêtre pour faire
Photographie publiée dans Paris-
illusion sur le nombre des occupants, et mis des fusils à sa portée ». Abd el‑Kader
Match, n° 691, 7 juillet 1962. fait aussi partie de ce patrimoine colonial porté par les livres d’Histoire : « C’est
Collection particulière.
le type achevé des agitateurs musulmans que nous avons eu à combattre en Algérie.
30
[…] Mais ce croyant, pieux et austère, a
les qualités d’un chef de guerre. […] Au feu,
il est très brave […]. Ses soldats le croient
invulnérable aux balles. Ses familiers
montrent ses burnous troués et les balles
qui se sont amorties, disent-ils, au contact
de son corps. Par la confiance qu’il inspire,
il provoque de fanatiques dévouements. »
« Aucun des révoltés que nous avons dû
écraser par la suite, n’a eu de telles idées
d’ordre et d’autorité 3. »
Illustration du chapitre Même si Abd el‑Kader s’est rendu après le retour en France du maréchal Bugeaud,
La politique extérieure
de la France de 1815 à 1848.
dans la mémoire collective, les deux hommes sont « inséparables ». Voici comment
La renaissance coloniale, in ils sont présentés en 1940 au chapitre de La politique extérieure de la France :
ISAAC, Jules, BEJAN, Henri,
Histoire, l’époque contemporaine,
la renaissance coloniale dans le « Malet-Issac », le manuel d’histoire de la classe
classe de troisième, Cours de troisième sous la direction de Jules Isaac, inspecteur honoraire de l’Instruction
d’histoire Malet-Isaac, Paris,
Hachette, 1940, p. 231.
publique et Henri Béjean (1891-1969), directeur du collège Colbert à Paris :
Collection particulière. « Appliquant un nouveau système de guerre, Bugeaud ruine la puissance d’Abd el‑Kader ».
De haute taille, le caractère et l’allure juvéniles, le « Père Bugeaud » était très
populaire parmi les soldats. Il est ici représenté à côté d’Abd el‑Kader, « de petite
taille, d’une extrême élégance de tournure. Pendant quatorze ans, l’Émir a personnifié
la résistance arabe à la conquête française ». « Sobre, d’une grande bravoure, il était
d’intelligence vive, cultivée, dotée d’une éloquence colorée et entraînante 5. »
Bugeaud et Abd el‑Kader se sont certes déjà rencontrés, notamment le 31 mai 1837,
lors de la signature de la convention de la Tafna. En échange de la reconnaissance
de la souveraineté française sur le littoral selon le principe de « l’occupation
restreinte », le maréchal Bugeaud laisse Abd el‑Kader maître de l’arrière‑pays
des provinces d’Oran et d’Alger. Bruno Étienne, auteur d’une biographie
d’Abd el‑Kader, a relaté cette entrevue 6, les deux hommes assis par terre et parlant
pendant presque une heure. Bruno Étienne note que Bugeaud décrira cette scène dans
un article du Moniteur universel en comparant Abd el‑Kader à la figure du Christ 7.
La renommée de ces deux figures de légende est telle que cent ans plus tard,
les « enfants algériens jouent volontiers non pas aux gendarmes et aux voleurs mais
à Abd el‑Kader et Bugeaud 8 ». Mohammed Harbi (1933-), ancien membre du FLN
et devenu historien spécialiste de la vie politique et de l’Algérie, se souvient que pour
le faire dormir sa mère lui disait : « Dors ou j’appelle Bijou qui va te manger 9 », l’ogre
Bijou étant assimilé au maréchal Bugeaud.
31
Dès l’origine, l’armée a été la clé de voûte du processus de colonisation et dans cette
perspective, les fêtes du Centenaire de l’Algérie commencent par un hommage
à l’armée d’Afrique, « véritable fondatrice de l’Algérie moderne 10 ». Louis Milliot
commence le chapitre II du troisième tome des Cahiers du Centenaire
par un éloge à l’armée coloniale en citant les premiers vers du poète latin
Horace (65 av. J.‑C. - 8 av. J.-C.) dans son Ode I, 3 à Virgile en route vers Athènes :
« Avec l’audace du fils de Japhet 11 ». « Audax lapheti genus ! Tous ceux qui
abordèrent, le sabre en main, poussés par le vent qui porte les conquêtes et renverse
les dominations, surent, désormais, à quelle œuvre grandiose on les conviait : reprendre
la tradition romaine, perdue depuis un millénaire et ramener l’Afrique barbare
à la civilisation axiale supérieure de l’Europe méditerranéenne 12. » Louis Milliot
met l’accent sur la supériorité de la civilisation européenne, une vision classique du
monde sous la IIIe République.
Dans sa proclamation à l’Armée d’Afrique prononcée lors de son départ d’Algérie
en juin 1847, le maréchal Bugeaud avait déjà glorifié le rôle de l’armée mais pour
une toute autre raison : « Vous avez trouvé glorieux de savoir manier tour à tour
les armes et les instruments de travail, vous avez fondé presque toutes les routes qui
existent, vous avez construit des ponts et une multitude d’édifices militaires, vous
avez créé des villages et des fermes pour les colons civils ; vous avez défriché les terres
des cultivateurs trop faibles encore pour les défricher eux-mêmes ; vous avez fait
des prairies, semé des champs et vous les avez récoltés ; vous avez montré par-là que
vous étiez dignes d’avoir une bonne part dans le sol conquis, et que vous sauriez aussi
bien le cultiver que le faire respecter de vos ennemis 13. »
1 ÉTIENNE, Bruno, Abdelkader, 5 ISAAC, Jules, BEJAN, Henri, 10 La Semaine en Algérie, n° 87,
Paris, Hachette, 1994, p. 212. Histoire, l’époque contemporaine, 3 au 12 juin 1960. Publication
2 BERNARD, F., REDON, P., classe de troisième, Cours d’histoire de la délégation générale du
L’Algérie, Histoire, Colonisation, Malet-Isaac, Paris, Hachette, 1940, gouvernement en Algérie. Archives
Géographie, Administration, p. 231. départementales de l’Ardèche,
Manuel scolaire à l’usage des cours 6 ÉTIENNE, Bruno, op. cit., p. 170 158 W 432.
supérieurs de l’enseignement et suivantes. 11 Autrement dit Prométhée
primaire, des classes d’enseignement 7 Ibid. qui fut condamné par Zeus à être
primaire supérieur et des candidats 8 ROCHEBRUNE, Renaud de, attaché sur un rocher pour avoir
aux administrations algériennes, STORA Benjamin, La guerre d’Algérie dérobé le feu sacré de l’Olympe.
Alger, Éditions Jules Carbonnel, vue par les Algériens, Tome 1. Et toutes les nuits, un aigle venait
nouvelle édition de 1936, p. 60-61. Des origines à la bataille d’Alger, lui dévorer le foie.
3 Ibid., p. 53. Paris, Éditions Denoël, 2011, p. 31. 12 MILLIOT, Louis, op. cit., p. 8.
4 Voir la photographie dans Paris- 9 Ibid., p. 33. 13 Proclamation de Bugeaud
Match, n° 691, 7 juillet 1962, p. 30 à l’Armée d’Afrique (30 mai 1847),
in Par l’épée et la charrue, op. cit.,
p. 300.
32
À la fin des années 1950, alors que la guerre d’Algérie a déjà débuté, le service
de l’information du gouvernement général de l’Algérie fait éditer de petits livres
d’information pour montrer « l’œuvre considérable réalisée par la France en Algérie. »
Le gouvernement veut-il montrer les images d’une colonie heureuse et sans histoire
alors que le pays est déchiré par une guerre depuis novembre 1954 ? Une population
Brochure du service mélangée vivant en harmonie ? Le contraste est pourtant frappant entre la vie
de l’information à l’européenne et la vie des « indigènes », Algériens musulmans. Ici par exemple,
du gouvernement général
de l’Algérie (vers 1960), les progrès se mesurent par l’opposition entre une agriculture traditionnelle et une
page de couverture. agriculture moderne mécanisée. La mécanisation ne peut s’envisager que sur de grandes
Archives départementales
de l’Ardèche, 100 W 714. superficies et rares sont les Algériens indigènes à la tête de grandes exploitations.
33
Brochure du Service Ils sont au contraire plutôt employés comme manœuvres. Certains ont pu accéder
de l’information du
gouvernement général à une qualification comme ici en tant que conducteurs de tracteurs. Mais si l’on
de l’Algérie (vers 1960). considère la petite culture, « c’est un bond de plusieurs siècles en arrière 1 », comme
Archives départementales
de l’Ardèche, 100 W 714. le constate déjà Maurice Viollette dans les années trente. Le fellah, petit propriétaire
agricole laboure ses terres avec une charrue à bois tirée par des ânes ou des dromadaires.
Notons toutefois que les très grands domaines indigènes de plusieurs milliers
d’hectares peuvent exister. Maurice Viollette écrit que c’est « l’honneur
de la colonisation française d’avoir suscité une véritable colonisation indigène ».
Mais, il s’agit essentiellement de grandes propriétés de familles. Maurice Viollette
donne l’exemple de Saïah Si Henni à la tête d’une exploitation de 10 000 hectares 2 qui
subvenait à l’existence de 120 à 130 personnes, aïeuls, frères, sœurs, enfants…
34
Ci-dessous : risquer de sérieux ennuis. Presque tout s’incline devant l’amour, y compris les rois,
« Biskra, case indigène », plaque
stéréoscopique (1907). sauf le colonialisme 3. » Des photographies montrent dans les années trente, dans
Archives départementales de l’Ardèche,
les rues de Constantine, des enfants algériens en train de cirer les chaussures de colons
collection de la Grande collecte
consacrée aux relations Afrique- en costume cravate ou en uniforme 4.
France, 165 J 114 (reproduction).
« Habitations arabes, D’une manière générale, l’ancien gouverneur général de l’Algérie, Maurice Viollette
région de Mateur », plaque constate déjà qu’en cette fin des années vingt, à la campagne : « La famille indigène
stéréoscopique (1905).
Archives départementales de l’Ardèche, vit dans des conditions d’hygiène déplorable n’ayant pour abri le plus souvent que
collection de la Grande collecte
la hutte de branchages ou un petit réduit en pierres sèches. Aucun mobilier autre que
consacrée aux relations Afrique-
France, 165 J 160 (reproduction). les ustensiles pour faire le feu. […] Seul le travailleur célibataire ou marié sans enfant
peut vivre. Dès que la famille dépasse deux personnes, la misère commence […] 5. »
« Mechta arabe », plaque
stéréoscopique (1905).
Sa conclusion annonce les bouleversements à venir : « La misère est subie par tous avec
Archives départementales de l’Ardèche, une résignation extraordinaire, mais il est sûr qu’elle prendra fin. Il serait inutile alors
collection de la Grande collecte
consacrée aux relations Afrique- de nommer communisme ou nationalisme ou fanatisme, une explosion que l’on
France, 165 J 163 (reproduction).
peut craindre. »
35
Cette pièce d’artillerie en bronze de plus de 6 mètres
de long avait été fondue en 1542 pour assurer
la défense d’Alger. D’un poids de 12 tonnes, elle avait
une portée de tir de près de 5 km. Les Algériens
l’appellent le Baba Merzoug, « le Père fortuné ».
En France, ce canon est connu sous le nom de
La consulaire car il aurait servi à l’exécution de deux
consuls français, le père lazariste Jean Le Vacher 1
(1619‑1683) et André Piolle en 1688. Mais, en 1830,
lorsque la flotte française bombarde Alger, le Baba
Merzoug n’est plus en activité. Il est réformé en 1816
et relégué sous une voûte de l’Amirauté. Le Baba
Merzoug est alors transféré en France comme
trophée de guerre après la prise d’Alger par l’amiral
Victor‑Guy Duperré 2 (1775‑1846) en août 1830.
Le canon La Consulaire dans
le port militaire de la rade
Le canon est installé sur un socle orné de quatre bas-reliefs. Au sommet de la bouche
de Brest (juillet 2021).
Collection particulière. à feu, un coq posant sa patte sur un globe terrestre est installé. L’un des bas-reliefs
est une plaque commémorant la date de la prise d’Alger. La première sculpture
représente la France tendant la main à l’Afrique pour lui apporter les bienfaits
du progrès scientifique. La seconde sculpture représente l’armée, symbolisée
par un équipement de cuirassier (casque à crinière et cuirasse) entouré des attributs
de la conquête (canon, étendard, épée, lance, fusil, tambour). La troisième sculpture
symbolise la marine sous la forme d’une ancre entourée de divers attributs (trident,
harpon, canon…).
36
Ces crânes étaient jusqu’alors conservés dans les réserves des collections du Muséum
d’Histoire naturelle de Paris. Le 5 juillet, ces restes mortuaires ont été inhumés dans
le « carré des martyrs de la Révolution algérienne » du cimetière d’El Alia à Alger.
Mohammed Harbi fait remarquer que « de tous les pôles aspirant à regrouper
les Algériens, c’est celui qu’incarne Abd el‑Kader qui rassemble 3 ». Au moment où
les Français débarquent en Algérie en 1830, les notions de peuple, de souveraineté du
peuple, de nation et de culture nationale n’existent pas. Plusieurs sociétés et pouvoirs
coexistent sur le territoire algérien. Il y a ceux qui restent fidèles au pouvoir
ottoman, ceux qui s’y opposent avec Abd el‑Kader et l’autorité des nombreuses
confréries religieuses musulmanes d’obédience soufie, à l’instar de la Tijâniyya fondée
par le cheikh Ahmad al-Tijânî (1737-1815). La mémoire de l’émir Abd‑el Kader a souvent
été mobilisée au cours de l’histoire. Pendant la guerre d’Algérie, le FLN s’est inspiré
de l’action guerrière du « Commandeur des croyants » comme guide idéologique
pour entrer en résistance contre la France. Benjamin Stora fait remarquer que sa
figure a même « relégué dans l’ombre la quasi-totalité des autres personnages
de l’indépendantisme politique algérien du XXe siècle […] Aujourd’hui, l’émir
réapparait plutôt comme l’homme de la « synthèse » entre Orient et Occident,
entre résistance à l’autre et acceptation des apports de « l’étranger 4. »
1 Selon Joseph Gianola qui lui 2 Comme on peut parfois le voir d’Algérie. 1954‑2004. La fin
succéda comme vicaire, Jean écrit, l’amiral Duperré n’est pas de l’amnésie, Robert Laffont, 2006,
Le Vacher serait mort de maladie originaire de Brest, il est né p. 34. Archives départementales
en 1688. D’après ARCS, Anselme des, à La Rochelle. Il a par contre été de l’Ardèche, BIB‑8 3237.
Mémoires pour servir à l’histoire nommé préfet maritime de Brest 4 STORA, Benjamin, L’émir
de la mission des Capucins dans en 1827. Abd el‑Kader, guerrier et savant,
la régence de Tunis (1624-1685), 3 HARBI, Mohammed, L’Algérie en in Algérie 1830-1962 avec
Rome, Archives générales de l’ordre perspectives in HARBI, Mohammed, Jacques Ferrandez, op. cit.
des capucins, 1889, p. 18. STORA, Benjamin [dir], La Guerre
37
38
1
CENT ANS DE COLONISATION
1518
Le corsaire Khayreddin dit, Barberousse, prend Alger
30 avril 1827
et fait allégeance au sultan ottoman Selim Ier qui le nomme
gouverneur. C’est le début de la Régence ottomane d’Alger.
5 juillet 1830
Les troupes françaises entrent dans Alger. Le dey d’Alger
a capitulé la veille après la prise du fort de l’Empereur
31 mai 1837 (Bord Moulay Hassan). Dans l’intérieur du pays, avec
l’aide de la France, Abd el‑Kader soumet les tribus arabes
Signature de la convention de la Tafna.
en se faisant reconnaître émir, sultan et « Commandeur
En échange de la reconnaissance de la souveraineté
des croyants ».
française sur le littoral selon le principe de « l’occupation
restreinte », le maréchal Bugeaud laisse Abd el‑Kader
maître de l’arrière-pays des provinces d’Oran et d’Alger.
Abd el‑Kader attaque et fait massacrer les Ben Zetoun,
une tribu rebelle de Coulougis située dans sa zone
13 octobre 1837
de souveraineté. Le général Valée prend la ville de Constantine défendue
par Ahmed, le bey de Constantine.
Octobre 1839
Le général Valée franchit les « Portes de fer » afin d’établir
une liaison terrestre au sud de la Kabylie entre Alger
et Constantine. Cette expédition, en violation de la
convention du traité de la Tafna, traverse les territoires
revendiqués par Abd el‑Kader qui en appelle au jihad.
39
Novembre 1839 -
Janvier 1840
Invasion de la Mitidja, la plaine d’Alger, et la reprise
des hostilités entre la France et Abd el‑Kader.
Le maréchal Bugeaud adopte la tactique de la « guerre
d’Afrique » ou de « l’offensive sans répit » : des colonnes
légères et très mobiles qui pratiquent la razzia. Pour
Bugeaud, le but de la guerre ne peut être que la colonisation
afin de pacifier le pays. 24 mars 1843
Ordonnance royale décrétant la mainmise sur les biens
religieux (habous) et les terres domaniales (beylok).
16 mai 1843
La capitale itinérante d’Abd el‑Kader, la smala, est pillée
par le duc d’Aumale. Abd el‑Kader obtient en novembre
1843 l’asile du sultan du Maroc. Le Maroc devient la base
arrière de sa contre-offensive jusqu’à la défaite de l’armée
marocaine à la bataille de l’Isly le 14 août 1844. 1er février 1844
Arrêté organisant les bureaux arabes contrôlés
par des officiers français mais qui laissent l’administration
des sociétés locales à des chefs indigènes locaux.
18 juin 1845
« Enfumades du Dahra ».
Le lieutenant-colonel Aimable Jean Jacques Pélissier, duc
de Malakoff, fait asphyxier plus de 500 personnes membres
24 avril 1846
de l’ethnie des Ouled-Riah insurgée qui s’étaient réfugiées
dans les grottes du massif du Dahra.
300 prisonniers français pris en octobre 1845
par Abd el‑Kader sont égorgés. Ce crime est imputé
initialement à Abd el‑Kader mais il a été exécuté selon
les ordres de son beau-frère Mustapha Ben Thami.
21 décembre 1847
Abd el‑Kader se rend au général Louis de Lamoricière
en échange de son transfert à Alexandrie ou à Acre. Il sera
interné pendant 5 ans en France avant que Napoléon III ne
lui rende sa liberté.
1848
Définition de trois « départements algériens » situés entre
le littoral et la chaîne de l’Atlas. C’est l’Algérie « utile » du
Tell qui se distingue de la partie saharienne.
40
Juillet 1849 -
26 novembre 1849
Le cheikh Ahmed Bouziane prend les armes et se retranche
dans l’oasis fortifiée de Zaatcha dans le Sud-Constantinois.
Après quatre mois de siège, les troupes commandées
par le général Émile Herbillon (1794-1866) et le colonel
François Canrobert (1809-1895) prennent d’assaut l’oasis.
Tous les habitants de Zaatcha sont tués et la ville détruite
de manière méthodique. Des têtes de combattants, dont
celle du cheikh Bouziane, sont exposées au bout de piques
9-18 juillet 1860
à Biskra. À Damas, où il vit depuis 1855, Abd el‑Kader protège
des familles chrétiennes victimes de pogroms en leur
permettant de trouver refuge dans sa maison. Ces violences
1860
Napoléon III est en visite officielle en Algérie. Le 19
septembre, il prononce un discours : « Notre premier devoir
est de nous occuper du bonheur de trois millions d’Arabes 14 juillet 1865
que le sort des armes a fait passer sous notre domination Sénatus-consulte sur l’état des personnes
[…] Notre colonie d’Afrique n’est pas une colonie ordinaire, et la naturalisation en Algérie définissant « le statut
mais un royaume arabe. » juridique des indigènes d’Algérie ».
Article 1 : « L’indigène musulman est Français ;
néanmoins il continuera à être régi par la loi
musulmane dictée par le Coran ».
Article 2 : « L’indigène israélite est Français ; néanmoins
16 mars 1871
Grande insurrection menée en Kabylie
par le Cheikh el‑Mokrani.
Un séquestre sur les terres rebelles est appliqué.
26 juillet 1873
Loi Warnier définissant le nouveau statut juridique
de la possession de la terre en Algérie.
41
9 février 1875
Entrée en vigueur du Code de l’indigénat qui définit 27
« infractions spécifiques » et soumet les contrevenants
indigènes à une juridiction exceptionnelle mise
en place par les militaires qui administrent la colonie :
23 mars 1882
séquestre des biens, amende collective… Il n’y a pas
de recours, ni de procédure contradictoire.
Loi sur l’état civil des indigènes musulmans de l’Algérie qui
doivent s’inscrire sur les registres de l’état civil.
26 juin 1889
Loi sur la nationalité précisant la naturalisation.
Article 8, 3e alinéa : Est Français : tout individu né en France
d’un étranger qui lui-même y est né. 4e alinéa : tout individu
né en France d’un étranger et qui, à l’époque de sa majorité,
est domicilié en France, à moins que dans l’année qui suit sa
25 avril 1929
Le président de la République, Gaston Doumergue, institue
par décret un « comité de propagande chargé d’étudier
les moyens d’associer la France entière à la commémoration
du Centenaire de l’Algérie ».
42
2 3
LEXIQUE BIBLIOGRAPHIE
Ain : source. Le Moniteur universel (années 1834, 1840, 1845, 1846).
Arch : terres classées propriétés collectives de la tribu. Archives départementales de l’Ardèche, PER 2828.
Bachagha : chef d’un groupement de tribus. Pendant L’Algérie et les Algériens. Des royaumes berbères
la période de la Régence ottomane, c’était le titre donné à l’indépendance, in Les Collections de L’Histoire, n° 59,
à un haut dignitaire de la hiérarchie administrative. avril 2012.
Bey : gouverneur d’une ville ou d’une province Le temps de l’Algérie française. De la prise d’Alger
dans l’Empire ottoman. à l’indépendance, in L’Histoire, n° 140, janvier 1991.
Bordj : lieu fortifié, une citadelle militaire Algérie 1830-1962 avec Jacques Ferrandez, catalogue
à l’époque ottomane. de l’exposition présentée au musée de l’Armée du 16 mai
Caïd : chef d’une tribu. au 29 juillet 2012, Paris, Casterman, 2012.
Cheikh : chef de tribu arabe, généralement un homme âgé Par l’épée et la charrue. Écrits et discours de Bugeaud,
et respecté pour son savoir philosophique et religieux. Introduction, choix des textes et notes par le général
Confrérie religieuse : réseau de fidèles réuni autour Paul Azan, Paris, Presses universitaires de France, 1948.
d’une figure sainte, de ses disciples et descendants. D
ROZ, Bernard, Main basse sur les terres, in Le temps
Ces saints appartiennent à un courant mystique de l’islam des colonies, Les Collections de l’Histoire, n° 11, avril 2001,
sunnite : le soufisme. p. 50-55.
Coulougis : lors de la période ottomane, les Coulougis D
EMONTÈS, Victor, La colonisation militaire sous
sont les descendants issus de mariages entre Turcs Bugeaud, Paris, Éditions Larose, 1918, 632 p. Archives
et femmes arabes. départementales de l’Ardèche, BIB-4 1150.
Dey : chef de la régence d’Alger jusqu’en 1830. D
EMONTÈS, Victor, Les préventions du général
Emir : chef militaire. Berthezène contre la colonisation de l’Algérie, Paris,
Fellah : petit propriétaire agricole. Éditions Larose, 1918, 311 p. Archives départementales
Gourbi : petite maison faite avec un mélange de l’Ardèche, BIB-4 1151.
d’argile et de paille séchée, une habitation sommaire. É
TIENNE, Bruno, Abdelkader, Paris, Hachette, 1994, 500 p.
Habous : bien religieux inaliénable obtenu par legs. F
RÉMEAUX, Jacques, La Conquête de l’Algérie. La dernière
Indigène : celui qui est originaire d’un pays occupé. campagne d’Abd-el-Kader, Paris, CNRS éditions, 2016.
Dans le vocabulaire de la colonisation, ce terme désigne H
ARBI, Mohammed L’Algérie en perspectives in HARBI
les Algériens musulmans. Mohammed, STORA, Benjamin [dir], La Guerre d’Algérie.
Marabout : homme pieux, saint, un ermite 1954-2004. La fin de l’amnésie, Robert Laffont, 2006,
et par métonymie son tombeau à coupole. p. 27-45. Archives départementales de l’Ardèche,
Mechta : hameau. BIB‑8 3237.
Melk : propriété foncière privée. P
ERRIN, René, Le Sersou. Étude géographique humaine,
Oued : cours d’eau. in Méditerranée, n° 1, 1961, p. 33-95.
Tribu : unité multipliée de la famille, un groupe social fondé D
E ROCHEBRUNE Renaud, STORA Benjamin, La guerre
sur une parenté ethnique. d’Algérie vue par les Algériens, Tome 1. Des origines
à la bataille d’Alger, Paris, Éditions Denoël, 2011.
S
AINTE-MARIE, Alain, Législation foncière et rurale.
L’application de la loi du 26 juillet 1873 dans les douars
de l’Algérois, Paris, Études rurales, 1975, p. 61-87.
T
OUATI, Ismet, Le commerce du blé entre l’Algérie
et la France, XVIe-XIXe siècles, Paris, Éditions Bouchène,
2018, 610 p.
V
OISIN, Georges, L’Algérie pour les Algériens, Paris, Michel
Lévy frères, 1861, 135 p.
V
IOLLETTE, Maurice, L’Algérie vivra-t-elle ? Notes d’un ancien
gouverneur général, Paris, Librairie Félix Alcan, 1931, 528 p.
43
Textes : Éric Darrieux,
professeur agrégé,
docteur en histoire.
Coordination de l’édition :
Héloïse Rouge.
Reproduction des
documents et traitement
des images numériques :
Éric Penot.
Conception graphique
et mise en page :
Charlotte Delaître,
Perluette & BeauFixe, Lyon.
Janvier 2022.