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Conférence de Nicolas RENAHY Sur Les Gars Du Coin

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Confrence de Nicolas RENAHY sur Les Gars du coin

CONFRENCE DE NICOLAS RENAHY SUR LES GARS DU COIN


jeudi 30 novembre 2006 Dans lespace rural franais, 6 hommes actifs de 25 ans sur 10 sont ouvriers. Que saiton deux, alors que le monde ouvrier reste bien souvent associ aux banlieues industrielles ? Une enqute ethnographique dans un village de Bourgogne explore les tentatives individuelles et collectives pour saccommoder de la crise industrielle. A travers les difcults daccs lindpendance de cette jeunesse rurale, ce sont les modications des logiques dappartenance au monde ouvrier qui sont analyses. http://socio.ens-lyon.fr/conf/conf_2006_11_renahy.php Tout groupe social a une identit : mais cest une notion fourre-tout, on peut la dtailler en trois notions : lidentication des populations travers carte didentit, mcanismes dEtat, dentreprise (par en haut) limage social : comment un groupe produit une image de lui-mme (par en bas) appartenance : qui on frquente = cest ce quoi sintresse Renahy. Il tudie les logiques de modication de lappartenance dans le monde ouvrier. Citation dun journaliste du Progrs, compte-rendu du rachat de lusine par un groupe lyonnais du village, fvrier 72 : Des hommes, des femmes, des jeunes et des sans ges, le hasard et la volont dune famille dindustriels les ont xs dans une situation ambige, ils vivent la campagne mais ils sont ouvriers. De leurs origines paysannes ils ont gard la dmarche pesante, le visage rougeaud et le sens de lobissance que lon doit au patron. Image misrabiliste dun monde ouvrier clos, mal dgrossi de la paysannerie : image dat mais rcurrente. Manire de penser le monde rural du ct de larchasme. Renahy adopte une dmarche comprhensive. Quest-ce qui fait la logique du monde ouvrier paysan ? Partir den bas, dobservation et dentretiens pour en comprendre les logiques, dpasser cette image. Dbut en 1993 : matrise de sociologie. Passionn par cours de Michel Pialloux, car il concerne un monde quil connait : le monde ouvrier rural. Posture thorique de Pialloux, F. Weber : sortir de la sociologie du travail, les ouvriers ne le sont pas qu lusine. Dcalage entre le monde ouvrier de Foulange quil connaissait dans son enfance et le monde ouvrier urbain : pas de syndicalisation, soumission forte, ert dtre dici, de jouer au FCF, de travailler la confection de cuisinires vendu linternational mais aussi dans une usine de cblerie. On sinscrit dans un mouvement industriel beaucoup plus global. Ambivalence, dualit entre ouvriers et ruraux qui est au coeur de la recherche. Reprend la notion de capital dautochtonie de Jean-Nol Retire : la ert dtre dici. Ce nest pas quune ert mais aussi, sur des marchs priphriques, un capital qui facilite lentre sur le march du travail, une forme de classement dans le village et lespace environnant : tre ici depuis plus ou moins longtemps modie le mode dappartenance au lieu et au rseau. Cest le capital du pauvre. Quest que lappartenance des rseaux locaux offre comme ressources pratiques ? A la fois du cot de linsertion professionnelle mais aussi des coups de mains et comme ressources symboliques ?

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Le village, dautant plus lorsquil est marqu par lindustrie et est situ dans un environnement ou lactivit agricole et le tourisme sont prdominant, symbolise lappartenance territoriale. Parler des gars du coin cest une manire de parler en creux du paternalisme industriel et de ses suites du point de vue du monde ouvrier et du march du travail, et dobserver les bouleversements des logiques dappartenance au milieu ouvrier dans les annes 1990. Le fait que ce soit dans un village, marqu par la dispersion de lhabitat, fait quil est plus facile de voir les logiques dappartenance. Lappartenance territoriale, linterconnaissance joue un grand rle dans la connaissance et la reconnaissance de chacun dans lespace local, plus quen ville : toute nouvelle personne est situe. Gars du coin : on situe toujours les gens par rapport leurs attaches locales.

I. La fermeture de lentreprise Ribot et lapoge du monde ouvrier (dbut des annes 1970), la gnration des parents
Histoire du village : Une famille de bourgeois de Chalon-sur-Sane arrive aprs la Rvolution, reoit les forges du villages : proto-industrie. Tout au long du sicle lindustrialisation sacclre spcialisation dans les fourneaux au dbut du XXme sicle. Lacanche = Foulange : 1 000 habitants en 1975, 600 aujourdhui. Paternalisme industriel : volont de sdentariser une main doeuvre extrmement mobile (ouvriers qui travaillent Lacanche sont soit des ouvriers journaliers soit des trangers - Italie, Pologne, Tchcoslovaquie puis Portugal, Espagne, Magreb). Construction de logements locatifs pour sdentariser louvrier et mettre la main sur les gnrations venir. Encadrement social de la population du village, les cadres connaissent linstituteur qui les aide recruter des jeunes (pour la compta). Mise en place dans lentre-guerre, apoge dans annes 60 au moment du dclin de lentreprise familiale Ribot (conso de masse, ouverture du march international). Appel au repreneur dbut 72, ce repreneur est rachet par une autre entreprise qui dcide en 1981 dabandonner tout ce qui nest pas quipement automobile (lectromnager). juillet 1981 : la CGT apprends les licenciements prochains : occupation de lusine pendant 8 mois.


Maximum de salari : 400 dans les annes 1960 Reprise en 1972 : 350 A partir de 1976 : diminution 1981 : 230 licencis la fermeture

Loccupation de lusine : moment trs fort. Les militants de la CGT investissent lusine, le bureau du directeur devient leur QG. Mettent la main sur les stocks et font pression pour avoir des ngociations. Quest-ce cette occupation dit, dun point de vue symbolique ? Stigmatisation de ce qui nest pas du village : ingnieurs parisiens, direction lyonnaise. On rompt avec la logique paternaliste : lancien patron, Ribot : monsieur Ribot, alors que les trangers sont nomms par leur patronyme. Ribot est le chtelain, on le connait, on connait ses enfants etc. Interconnaissance, rapports de domination personnaliss dans lesquels le statut douvrier prend sens. Cette occupation cest dire que lusine nest pas quune affaire de grand groupe, de dlocalisation, de mondialisation etc., cest nous, notre monde. Cest la n du monde ouvrier tel quon le connait jusquau annes 1970.

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1970 est lapoge du monde ouvrier parce quil y a une appartenance gnrationnelle (cf. Le Destin des gnrations de Louis Chauvel) : il y a une loi de progrs gnrationnel. Jusquaux cohortes de naissance des annes 40 on a une promesse dascension sociale quelque soit le milieu social dorigine. Basculement en 1950 : entre sur le march du travail au moment de la crise des annes 1970. On lit les Trente Glorieuses travers la physionomie du village : au centre du village se situent lusine, la mairie, lcole communale, la salle des ftes, les appartements pavillonnaires ouvriers. Encadrement scolaire, du logement, des loisirs. Il y a un maillage entre le paternalisme industriel, la municipalit qui prend le relai et lEtat social. Du point de vue des familles ouvrires : entre trs tt sur le march du travail (collge unique 1975), tudes jusquau CEP, mariage tt, enfants tt, indpendance trs tt et accession la proprit, possibilit dune volution professionnelle ; on sait comment on peut grimper la hirarchie et on fait en sorte que ses enfants le puisse.

Lacanche est un lieu de formation des classes populaires une mobilit sociale en direction de la ville et des emplois urbains. En juillet 1981 (3 mois aprs lection de Mitterrand) : le personnel politique a encore une force relative par rapport aux pouvoirs conomiques. Un dput socialiste est lu dans la circonscription pour la premire fois : arrive dune force de gauche on impose lentreprise de rinvestir lavenir dans le village. Valo (lentreprise qui fait le rachat dans les annes 70) investit en 1982 : en soutenant le projet dun ancien cadre dusine (qui deviendrait SMF) et en 1984 en soutenant la cration de la cblerie. Deux PME se crent dans les annes 80, elles embauchent chacune entre 40 et 50 anciens ouvriers, essayent de se stabiliser et prennent de lampleur au dbut des annes 1990. On en arrive la gnration des annes 1990. Le village a perdu un tiers de ses habitants en 15 ans. Le sociologue ne voit que ceux qui sont rest. Qui sont-ils ? Ce sont ceux qui sont les moins dots scolairement, et/ou ceux qui ont t pris dans le mouvement de massication scolaire mais ont chou au lyce ou en dbut de fac. Ceux qui quittent le village : enfants des professions intermdiaires et cadres de lusine urbanisation (lyces urbains) et dautre part, ceux qui ont le plus de capital dautochtonie : comme si le fait davoir t form reproduire le statut douvrier lacanchois mancipait et les armait quitter le village au moment o il entre en crise. Par ailleurs, les familles ouvrires savent quun minimum de bagage scolaire est ncessaire (dmocratisation scolaire), mais comme le march du travail industriel se ferme compltement, trs peu denfants vont se former dans lindustrie pour se replier sur lartisanat et le btiment pour les garons et la coiffure ou encore la compta pour les lles.
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La superposition entre lunivers rsidentiel et lunivers professionnel effectue par le paternalisme industrielle va se dissocier progressivement. Dans les annes 1990, quand les entrepreneurs ont besoin de main doeuvre ils sont obligs dlargir leur rseaux de recrutement aux villes proches. Jusquau annes 70 1/3 des salaris de lindustrie du village nhabite pas le village, dans les annes 2000 cest linverse.

II. Les jeunes et les modications des logiques dappartenance au monde ouvrier
Point mthodologique : sources = entretiens, archives municipales, archives dentreprises. Travail de socio-histoire pour viter un prsentisme ethnographique, ne pas penser que tout est nouveau et exceptionnel lors de lobservation. On se demande ce qui a boug, ce qui est rest. Comment sinsrer ? En travaillant comme manoeuvre saisonnier et jouant dans le club de foot, progressivement il est rentr dans un rseau damis constitu (une bande). Implication ethnographique : il faut tre pris dans les rseaux. Il faut un travail dengagement et de distanciation. Il a t adopt par le rseau de Sylvain : en fait tu venais pour faire une thse, tu tes fait avoir. Renahy est donc situ par rapport Sylvain, il ne faut pas rsister cette emprise. Les enquts oublient le statut denquteur. Qui sont ces jeunes ? Des jeunes trs peu voire pas qualis (CAP au mieux). La jeunesse est de plus en plus dilate. Ils sont socialiss dans le contexte de la gnration prcdente. Logiques dappartenance et leurs modication au cours des annes 1990 : Lappartenance professionnelle : beaucoup ont pens le monde ouvrier sous la forme du dni, ils nont pas voulu rentrer lusine. Pourquoi ? Il y a une distanciation par rapport lhritage de leur pre. Il ny a pas de discours constitu, par de collectif au sein des jeunes de lusine. Lappartenance militante : limination de la CGT en 1982. Lappartenance familiale : le dni de lappartenance ouvrire a pour source lexprience familiale du chmage (le fait davoir vu son pre ne rien faire au domicile, or toute lestime dans le monde ouvrier vient du faire, du savoir-faire). Le chmage, du point de vue ouvrier, est un non-sens. La distanciation se fait aussi par le passage par le collge unique. Cette distanciation pose problme au moment de la post-adolescence et la jeunesse quand ils narrivent pas devenir indpendants. Lappartenance familiale devient de fait problmatique et est prolonge par laccs chaotique au monde du travail, par la difcult trouver un logement indpendant (march locatif satur, ne peuvent pas prtendre la proprit). Pour les plus prcaires : difcult trouver une compagne, mal positionns sur le march matrimonial. Pour ceux qui y arrive : logiques concurrentielles entre le statut de mari / pre de famille et le statut de copain, lappartenance la bande se prolongeant jusqu 20, 25, 30 ans. Lappartenance lective : Cest une forme de rempart ultime contre les crises dappartenance familiale et professionnelle. On voit se dvelopper des formes de bohme populaire, de petite dlinquance, de drogues Elle se fait en partie contre les parents (incomprhension entre les gnrations dans les familles et lespace public), se cristallise autour de la consommation de stupants. Le football: Pour les plus lgitimes de cette jeunesse prcarise, la seule manire de valoriser positivement son mode dappartenance autre que celui lectif pour les garons (qui ont le capital corps sufsant), cest le foot. Des annes 1980 au milieu des annes 1990, le club de football va
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gurer dans louvrier. On ne peut plus montrer une image sociale construite dans lusine autour des formes de rappropriation du travail industriel, de la politisation. De plus, cause de la dissociation des univers professionnel et rsidentiel, le football va devenir la forme dappartenance positive privilgie. Mais ce nest pas un travail, ce nest pas une appartenance qui peut perdurer. Cest une forme de dpassement symbolique de la crise ouvrire mais aussi de la crise de reconnaissance de soi, didentication par rapport ses pairs. Peu aprs lenqute, le club a dclin (dans les annes 2000). On est redevenu un village comme un autre, le FCF faisait la singularit, la rputation de ce petit monde ouvrier. Ce qui ne veut pas dire que le monde ouvrier a disparu mais que le contexte a normment chang : la guration du monde ouvrier est plus dilu (terme classes populaires : plus didentication lusine). Elle est li lartisanat, mais aussi lagriculture, etc. On se retrouve face une classe ouvrire qui nest plus une classe, qui nest plus identie comme classe, mais plutt des classes populaires dsempares qui continuent nanmoins dexister et de se gurer mais plutt dans une association avec dautres catgories sociales.

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