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Boulou 24 06 19 A4

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LANGUES ET GRAMMAIRES

EN (ILE DE) FRANCE

ALBERT ZE EBANGA – UMR SFL


ANNE ZRIBI-HERTZ - SFL PARIS 8/CNRS

LE BOULOU
[bulu]
[quelques contrastes pertinents pour l'acquisition du
Français Langue Seconde par des locuteurs du boulou]

LGIDF
Le projet Langues et Grammaires en (Île-de) France propose :
♦ un SITE INTERNET (http://lgidf.cnrs.fr/) conçu par des linguistes, des
didacticiens et des professionnels de l’Éducation nationale contenant des
informations linguistiques sur diverses langues parlées en (Ile-de) France, des
descriptions scientifiques des propriétés phonologiques et grammaticales, une
histoire et un lexique traduits et enregistrés dans toutes les langues étudiées,
des jeux linguistiques, des ressources bibliographiques pour chaque langue et
des liens conduisant à d’autres sites pertinents
♦ des FICHES LANGUES qui présentent une description contrastive et les
particularités spécifiques de chaque langue pour les professionnels
francophones en charge de publics allophones
♦ des outils « EN FRANÇAIS ET AILLEURS » sur des thématiques du français,
avec des activités pédagogiques « REGARDONS NOS LANGUES ».
PRÉSENTATION GÉNÉRALE
Le boulou est une langue du Cameroun du sous-groupe yaoundé-fang de la grande famille bantoue,
ensemble linguistique couvrant la majeure partie de l'Afrique subsaharienne au sud d'une ligne
allant du Cameroun (à l'ouest) à la Somalie (à l'est). Hormis le boulou, le groupe yaoundé-fang
inclut l'ewondo (principale langue de la capitale Yaoundé), l'eton, le fang et le mvëlë, langues dont
les locuteurs se nomment eux-mêmes les Beti. Il y a une intercompréhension de degré variable
entre les cinq variétés de beti, très grande entre l'ewondo et le boulou. Les Beti vivent tous dans la
zone francophone du Cameroun, pays dont l'anglais est l'autre langue officielle. Les langues beti
n'ont pas de système d'écriture officiel car les langues de l'écrit et de l'école, au Cameroun, sont le
français et l'anglais. Cependant, un système d'écriture officieux, que nous utilisons ici, a été mis en
place pour le boulou par les missionnaires protestants et est pragmatiquement emprunté par les
Ewondos (à majorité catholique). Les locuteurs du boulou qui émigrent en France ont toutes les
chances d'avoir déjà appris, ou commencé à apprendre, le français au Cameroun.
ÉLÉMENTS DE PHONOLOGIE
Les voyelles antérieures arrondies [y] et [ø] sont absentes en boulou, mais il existe une voyelle
centrale [Š] qu'il faut arrondir pour produire [œ] en français (peur). La nasalité distinctive est
absente en boulou (français paix/pain, pas/paon, peau/pont). Le boulou n'a pas de r [r, S] (français
roue, cour), et possède les affriquées [y] (français tcha-tcha] et [v] (jazz), mais pas les fricatives
chuintantes [U] (chou) et [d] (joue).
ÉLÉMENTS DE GRAMMAIRE
Comme toutes les langues bantoues, le boulou est une langue à classes nominales : chaque nom
du lexique est affecté à une classe caractérisée par une série de marques, typiquement préfixales,
s'attachant au nom lui-même et/ou à tous ses dépendants (déterminants, adjectifs, pronoms de
3ème personne). La grammaire de Bates (1926) identifie 6 classes de noms (C1, C2...C6)
distinguant chacune une série de marques pour le singulier et une série pour le pluriel : ainsi pour
la classe 1 (C1) on distingue les marques C1S (classe 1/singulier) et C1P (classe 1/pluriel). Certains
noms ont un nombre figé — ils sont invariables en nombre, comme les noms dits "massiques" en
français (en boulou, beaucoup de noms de liquides ont les marques C4P). Les exemples suivants
illustrent le système d'accord en classe et nombre au sein du groupe nominal, avec les deux noms
môt 'enfant' (C1) et mbé 'porte' (C2). On constate que pour une spécification classe/nombre
donnée, le marqueur de classe/nombre peut être nul (--mbé), invariable (série C2P) ou variable
(séries C1S, C1P, C2S) :

classe nombre 'ce(tte) grand(e) N' classe nombre 'ce(tte) grand(e) N'
n° (S/P) n°
1 S m-ôt a-nen nyi-na 2 S --mbé ô-nen wu-na
C1S-enfant C1S-grand C1S-DM C2S-porte C2S-grand C2S-DM
'ce grand enfant' 'cette grande porte'
P b-ôte be-nen ba-na P mi-mbé mi-nen mi-na
C1P-enfant C1P-grand C1P-DM C2P-porte C2P-grand C2P-DM
'ces grands enfants' 'ces grandes portes'

Le système des classes nominales bantoues est conceptuellement analogue au système des genres
en français : l'affectation d'un nom à une classe est une propriété purement formelle, on doit donc
mémoriser chaque nom avec sa classe, celle-ci identifiée par une liste de marques, de même qu'on
doit mémoriser chaque nom français avec son genre, celui-ci identifié par une liste de marques
(un/le/ce/mon/grand chien vs. une/la/cette/ma/grande girafe). Les classes étant plus nombreuses
en bantou que les genres en français, le système à deux genres du français devrait sembler
relativement simple aux locuteurs du boulou.
Le boulou utilise des noms nus (singuliers (1a), pluriels (1b), ou neutres pour le nombre (1c)) là où
le français utilise les articles défini, indéfini et partitif :

(1a) Paul a- ate yene mbé. (1c) Paul a- ate nyu mendim.
Paul C1S-PR voir C2S-porte Paul C1S-PR boir e C4P-eau
'Paul a vu une/la porte.' 'Paul a bu de l'eau/l'eau.'

(1b) Paul a- ate yene mi-mbé.


Paul C1S-PR voir C2P-porte
'Paul a vu des/les portes.'

Les modifieurs du nom se placent tous à droite du nom-tête, dans l'ordre linéaire indiqué en (2),
illustrations en (3) :
(2) ADJECTIF POSSESSIF DEMONSTRATIF QUANTIFIEUR NUMERAL INTERROGATIF
'grand' 'mon' 'ce' 'chaque/tout' 'deux' 'quel'
(3a) b-one be-nen ba-na be-baé (3b) mi-mbé mi-nen mi-am mi-se
C1P-enfant C1P-grand C1P-DM C1P -deux C2P-porte C2P-grand C2P-1SG C2P-tout
'ces deux grands enfants' 'toutes mes grandes portes'
La position linéaire des déterminants français (tous à gauche du nom) et les deux positions possibles des
adjectifs (gros livre rouge) sont donc de nouvelles propriétés à maîtriser pour les locuteurs du boulou. Il
est en outre à noter que de nombreux adjectifs français ont pour contreparties en boulou des mots qui se
comportent dans cette langue non pas comme des dépendants du nom (des adjectifs), mais comme des
noms-têtes, car ils se placent à l'extrême gauche de la séquence et commandent l'accord d'un bout à
l'autre du groupe nominal. Ainsi le mot vele signifiant 'rouge' ou 'brun', illustré en (4b), est en boulou un
nom de la classe C5, qui impose son propre accord (ici au pluriel : C5P, marqueur bi) à l'ensemble du
groupe nominal, y compris au nom bone 'enfants' qui le suit, lequel appartient au départ à la classe C1P
(marqueur b(e), comme l'illustre (4a)). Les mots signifiant 'brun' et 'grand' ont donc deux
comportements différents en boulou puisque 'enfant' est dépendant de 'brun' en (4b), mais 'grand' est
dépendant de 'enfant' en (4a), alors que dans les traductions françaises brun et grand sont tous deux des
adjectifs, dépendant à égalité du nom enfant :
(4) a. b-one be-nen be-lal b. bi-vele bi-b-one bi-nen bi-lal
C1P-enfant C1P -grand C1P -trois C5P-brun C5P-C1P-enfant C5P
-grand C5P-trois
'les trois grands enfants' 'les trois grands enfants bruns'
L'élément relationnel ya qui (supportant ou non un préfixe d'accord visible : comparer (5a/b)) introduit le
"complément du nom" est généralement omissible en boulou, sauf avec certains types de modifieurs,
notamment ceux dénotant des lieux (ex. ngone *(ya) Paris 'la fille de Paris'). Ceci pourrait conduire les
boulouphones à omettre le de dans certains compléments du nom en français (ex. *la couleur cette
porte) :
(5) a. bone be(-ya) môte nyi-na b. nyôle (ya) mbé wu-na
C1P-enfant C1P--ya C1S-personne C1S-DM C4S-couleur ya C2S-porte C2S-DM
'les enfants de cette personne' 'la couleur de cette porte'
La structure morphologique des "possessifs" présente une similarité en boulou et en français qui mérite
d'être notée :
(6a) mbé w-om (6a') m-a porte
C2S-porte C2S-1SG 1SG-FSG porte.fsg
'ma porte'
Les mots français m-a (6a') et boulou w-om (6a) sont chacun fait de deux parties : l'une (om en boulou,
m en français) est une marque de première personne du singulier (1SG) identifiant le "possesseur" de la
porte ; l'autre (w en boulou, a en français) indique le genre/la classe et le nombre du nom 'porte' : C2S
en boulou (w), féminin singulier en français (a). Les deux composantes du déterminant possessif sont
linéairement inversées en boulou et en français, car l'accord est généralement préfixal en boulou et
suffixal en français.
La phrase canonique boulou se conforme au patron indiqué en (7) et illustré en (8) et (9).
(7) MS = marqueur de sujet TMA = marqueur de temps-mode-aspect O =
(GNsujet) MS-TMA V O Circonstants objet(s) (complément(s) du verbe)
Circonstants = constituants additionnels
(8) a GN SUJET MS-TMA V O CIRCONSTANT
Paul a-ate yene Marie den. 'Paul a vu Marie
Paul C1S-PR voir Marie aujourd'hui [PR = passé récent] aujourd'hui.'
b A-ate yene Marie den. 'Il/elle a vu Marie
C1S-PR voir Marie aujourd'hui aujourd'hui.'
c Me-ate yene Marie den. 'J'ai vu Marie
1SG-PR voir Marie aujourd'hui aujourd'hui.'
(9a) Marie a-ate ku. (9a') A-ate ku.
Marie C1S-PR tomber C1S-PR tomber
'Marie est tombée.' 'Elle (Marie) est tombée.'
(9b) Mbé ô-ate ku. (9b') Ô-ate ku.
porte C2S-PR tomber C2S-PR tomber
'La porte est tombée.' 'Elle (la porte) est tombée.'
(9c) Mi-mbé mi-ate ku. (9c') Mi-ate ku.
C2P-porte C2P-PR tomber C2P-PR tomber
'Les portes sont tombées.' 'Elles (les portes) sont tombées.'
(9d) Kub j-ate ku. (9d') J-ate ku.
poule C4S-PR tomber C4S-PR tomber
'La poule est tombée.' 'Elle (la poule) est tombée.'
Le marqueur de sujet boulou est comparable à la désinence de personne-nombre des verbes conjugués
dans une langue comme l'espagnol : aux personnes 1 et 2, la désinence personnelle suffit à identifier le
sujet (esp. llegué tarde 'je suis arrivé(e) tard') (comparer (8c)) ; à la 3ème personne, la désinence
personnelle s'accorde avec le sujet nominal s'il y en a un (Pablo llegó tarde 'Paul est arrivé tard', los
niños llegaron tarde 'les enfants sont arrivés tard'), mais suffit à identifier le sujet si un sujet nominal
est absent (llegó tarde 'il/elle est arrivé(e) tard') (comparer (8a/b)). Le boulou et l'espagnol ne diffèrent
ici que sur deux points : (i) le marqueur de sujet est préfixal en boulou, suffixal en espagnol ; (ii) à la
troisième personne, le marqueur de sujet boulou (et plus généralement bantou) est spécifié pour le
nombre et la classe, alors que la désinence verbale espagnole indique le nombre mais pas le genre (ex.
llegó 'il/elle est arrivé(e)', llegaron 'ils/elles sont arrivé(e)s'). De ce point de vue, le marqueur de sujet
préfixal bantou est plutôt comparable aux pronoms sujets clitiques du français (il(s)/elle(s) est/sont
arrivé(e)(s) tard). Il mérite donc peut-être d'être souligné à l'intention des apprenants boulouphones (et
plus généralement bantouphones), que la reprise du sujet lexical par un "marqueur de sujet" pronominal
(Paul il est tombé), quoique courante en français parlé, n'est pas validée en français écrit formel.
Les principaux marqueurs de temps (TMA) disponibles en boulou sont énumérés en (10) et succinctement
illustrés en (11) :
(10) ate : passé récent (PR) ; ngá : passé éloigné (PE) ; ngà : inceptif ('commencer à') ou progressif
('être en train de') ; wôô : habituel (HAB) ; ndem : antérieur immédiat ('venir de') ; a- (préfixe sur V) :
présent général ; -ya (suffixe sur V dynamique) : accompli ('déjà')
(11a) Paul a-ate yene Marie. (11b) Paul a-ngá yene Marie.
Paul C1S-PR voir Marie Paul C1S-PE voir Marie
'Paul a vu Marie (aujourd'hui/récemment).' 'Paul a vu Marie (autrefois).'
En l'absence d'effet stylistique particulier, les pronoms compléments occupent en boulou la même position
que les compléments nominaux correspondants : la position spéciale obligatoire des pronoms
compléments du français mérite donc une attention appuyée :
BULU FRANÇAIS
(12a) Paul a-ate yene Marie/nye. (12a') Paul a vu Marie.
Paul C1S-PR voir Marie/ C1S.OBJ (12a") Paul l'a vue.
Selon les marqueurs TMA, la négation est signalée en boulou soit par une expression discontinue (a...ke)
encadrant le marqueur TMA (13b), soit par un marqueur TMA spécifique, intrinsèquement négatif (14b) :
(13a) Paul a-wôo kôlé nye moné. (14a) Mollah a-ngá kui nseng.
Paul C1S-HAB prêter 3SG argent mollah C1S-PE sortir dehors
'Paul lui prête (habituellement) de l'argent.' 'Le mollah sortit/est (alors) sorti dehors.'
(13b) Paul a -a -wôô-ke kôlé nye moné. (14b) Mollah a-nji kui nseng.
Paul C1S –NEG -HAB-NEG prêter 3SG argent mollah C1S-PN sortir dehors
'Paul ne lui prête pas d'argent.' 'Le mollah n'est pas sorti dehors.'
La négation discontinue ne...pas/ne...plus du français standard est donc analogue au patron (13b) du
boulou : les deux composants de la négation discontinue se placent comme en boulou de part et d'autre
de l'auxiliaire : il n'a pas dormi. Il reste à élargir ce patron aux temps français sans auxiliaire (il ne dort
pas), et à traiter séparément le cas de l'infinitif (ne pas ouvrir).
Le déplacement des expressions interrogatives à l'initiale de la phrase, obligatoire en français formel, est
possible mais optionnel en boulou (15). L'inversion verbe-sujet et l'insertion d'un marqueur de question
(français est-ce que) n'ont en revanche pas de contreparties en boulou.
(15a) Paul a-ate yene za ? (15a') Paul a vu qui ? [informel]
Paul C1S-PR voir qui
(15b) Za Paul a-ate yene ? (15b') Qui est-ce que Paul a vu ?
qui Paul C1S-PR voir (15b") Qui Paul a-t-il vu ?
Les relatives sont simplement signalées en boulou par une particule invariable (REL) préfixée au nom
relativisé (cf. (16b)). La grammaire complexe des marqueurs de relativisation en français standard (qui,
que, dont, lequel, etc.) mérite donc une attention particulière en direction des apprenants boulouphones.
(16a) Me-ngá luk minga nyi-na. (16b) e-minga me-ngá luk a-ke-ya.
1SG-PE épouser C1S-femme C1S-DM REL-C1S-femme 1SG-PE épouser C1S-partir-déjà
'J'ai (jadis) épousé cette femme.' 'La femme que j'ai (jadis) épousée est déjà partie.'
ÉLÉMENTS BIBLIOGRAPHIQUES
Bates, George L. 1926. Handbook of Bulu. Elat, Cameroun : Halsey Memorial Press.
GLOSSAIRE C1P = classe 1/pluriel ; C1S = classe 1/singulier ; C1S.OBJ = pronom objet de classe 1/singulier ; DM =
démonstratif ; HAB = habituel ; MS = marqueur de sujet ; PE = passé éloigné ; PN = passé négatif ; PR = passé récent ; REL
= particule annonçant une relative ; 1SG = 1ère personne du singulier.
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