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COMMISSION DE L’ÉTHIQUE DE LA SCIENCE ET DE LA TECHNOLOGIE

COMMISSION DE L’ÉTHIQUE DE LA SCIENCE ET DE LA TECHNOLOGIE

AVI S

Éthique et nanotechnologies :
Éthique et nanotechnologies : se donner les moyens d’agir

se donner les moyens d’agir


Éthique et nanotechnologies :
se donner les moyens d’agir
COMMISSION DE L’ÉTHIQUE DE LA SCIENCE ET DE LA TECHNOLOGIE

AVIS

Éthique et nanotechnologies :
se donner les moyens d’agir
Commission de l’éthique de la science et de la technologie
1200, route de l’Église
3e étage, bureau 3.45
Québec (Québec)
G1V 4Z2

En soutien à la réalisation de l’Avis


Coordination et supervision
Diane Duquet
Secrétaire de réunion
Emmanuelle Trottier
Recherche et rédaction
Emmanuelle Trottier et Diane Duquet, avec la collaboration d’appoint de Marco Blouin

Soutien technique
Documentation
Monique Blouin
Communication et supervision de l’édition
Katerine Hamel
Révision linguistique
Le Graphe
Conception graphique de la couverture
Normand Bastien
Avec le soutien financier de la Société pour la promotion
de la science et de la technologie
Conception et mise en pages
Éditions MultiMondes
Impression
K2 Impressions

Avis adopté à la 25e réunion de la Commission de l’éthique de la science et de la technologie


le 14 juin 2006
© Gouvernement du Québec 2006
Dépôt légal : 4e trimestre 2006
Bibliothèque nationale du Québec
Bibliothèque nationale du Canada
ISBN-10 : 2-550-47481-3
ISBN-13 : 978-2-550-47481-4
Pour faciliter la lecture du texte, le genre masculin est utilisé sans aucune intention discriminatoire.
Les membres du Comité de travail

Sabin Boily, président Peter Grütter


Consultant Valorisation-Innovation Département de physique
Membre de la CEST Université McGill
Directeur scientifique de NanoPic (CRSNG)
Dr François A. Auger
Département de chirurgie Mark Hunyadi
Université Laval Faculté de philosophie
Directeur du Laboratoire d’organogenèse Université Laval
expérimentale (LOEX)
Michèle S. Jean
David Carter Centre de recherche en droit public
Conseiller scientifique en biotechnologie Université de Montréal
Ministère du Développement durable, Présidente de la Commission canadienne
de l’Environnement et des Parcs (Québec) pour l’UNESCO
Membre de la CEST
Sylvain Cofsky
Directeur développement industriel et régional Teodor Veres
NanoQuébec Chef de groupe
Nanomatériaux fonctionnels
Éric David
Conseil national de recherches Canada
Département de génie mécanique
École de technologie supérieure
Chaire de recherche en matériaux et équipements Observateurs :
de protection utilisés en santé et sécurité au travail Benoît Lussier
IRSST/ÉTS Conseiller en technologies stratégiques –
Édith Deleury nanotechnologies
Présidente de la CEST Ministère du Développement économique,
Faculté de droit de l’Innovation et de l’Exportation (Québec)
Université Laval Denis Godbout
André Doré* Terminologue
Retraité de l’enseignement Office québécois de la langue française

Benoît Gagnon Du secrétariat de la Commission


Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques
et diplomatiques à l’UQÀM Diane Duquet, coordonnatrice de la CEST
Membre de la CEST Emmanuelle Trottier, conseillère en éthique

* Précision apportée à la demande de M. André Doré, en date du 11 mars 2006 : « Compte tenu du caractère historiquement nord-américain de
l’activité économique du Québec et de son mode de “gouvernance rationnelle”, je tiens à dire que la science et l’acceptation par les marchés
devront être les deux premiers critères à respecter dans l’élaboration de toute réglementation du secteur des nanotechnologies. »
Novembre 2006

Monsieur Raymond Bachand


Ministre du Développement économique,
de l’Innovation et de l’Exportation
710, place D’Youville, 6e étage
Québec (Québec) G1R 4Y4

Monsieur le Ministre,

Je vous transmets par la présente la version finale de l’avis intitulé Éthique et nanotechnologies : se
donner les moyens d’agir, préparé par la Commission de l’éthique de la science et de la technologie.
Espérant le tout à votre entière satisfaction, je vous prie d’accepter, Monsieur le Ministre, l’expression
de ma haute considération.

La présidente,

Marie-France Germain
Novembre 2006

Madame Marie-France Germain


Présidente
Conseil de la science et de la technologie
1200, route de l’Église
3e étage, bureau 3.45
Québec (Québec) G1V 4Z2

Madame la Présidente,

C’est avec plaisir que je vous remets l’Avis au ministre du Développement économique, de
l’Innovation et de l’Exportation intitulé Éthique et nanotechnologies : se donner les moyens d’agir.
Je vous prie de recevoir, Madame la Présidente, mes salutations distinguées.

La présidente de la Commission de l’éthique


de la science et de la technologie,

Édith Deleury
Table des matières

Liste des sigles et acronymes....................................................................................................................... xvii


Résumé, recommandations et commentaires............................................................................................ xix

Introduction................................................................................................................................................... 1

Chapitre 1 – Un nouveau monde en émergence : l’univers des nanotechnologies...... 5


Un monde à découvrir ........................................................................................................................... 5
Nanoscience et nanotechnologie : l’échelle du nanomètre......................................................... 7
Aspects marquants à considérer : une prémisse au questionnement éthique............................ 8
La taille d’un composant nanométrique........................................................................... 8
Les propriétés nouvelles de la matière nanométrique...................................................... 8
La manipulation de la matière........................................................................................... 9
La multidisciplinarité et la convergence disciplinaire.................................................... 10
Un engouement généralisé............................................................................................... 10
Les grands secteurs d’intervention............................................................................................. 12
Les nanomatériaux........................................................................................................... 12
La nanoélectronique......................................................................................................... 13
La nanobiotechnologie et la nanomédecine................................................................... 14
La nanométrologie........................................................................................................... 14
Des attentes et des préoccupations à considérer.................................................................................. 15
Un aperçu des bénéfices escomptés........................................................................................... 15
Dans le domaine de la santé............................................................................................ 15
Dans le domaine de l’environnement............................................................................. 17
Dans le domaine des technologies de l’information...................................................... 18
Dans le domaine de l’agriculture et de l’alimentation................................................... 19
Entre la fiction et la réalité.......................................................................................................... 19
L’autoréplication de nanorobots et l’écophagie globale................................................. 20
Des promesses parfois irréalistes..................................................................................... 21
Des questions à soulever, des valeurs à privilégier.................................................................... 21

xiii
Avis de la Commission de l’éthique de la science et de la technologie

Chapitre 2 – Regard sur les modalités d’encadrement du secteur................................ 25


Le risque et les nanotechnologies.......................................................................................................... 25
La nature des risques à considérer.............................................................................................. 26
Les modalités d’évaluation et de gestion du risque : quelques constats et interrogations....... 27
L’encadrement actuel............................................................................................................................. 28
Lois et règlements canadiens...................................................................................................... 29
Lois et règlements québécois...................................................................................................... 30
Instruments internationaux....................................................................................................... 31
En soutien à l’industrie............................................................................................................... 32
Des approches responsables pour composer avec le risque................................................................. 33
Le principe de précaution........................................................................................................... 33
Quelques mises au point.................................................................................................. 34
Des mesures pour l’action............................................................................................... 36
L’approche « cycle de vie » dans la perspective du développement durable............................. 38

Chapitre 3 – Nanotechnologies : préoccupations d’ordre éthique............................... 41


Des exigences fondamentales comme prémisses................................................................................. 41
La nécessité d’établir une terminologie et une nomenclature scientifiques communes......... 41
L’importance de mettre sur pied des procédures et des standards........................................... 42
La poursuite de la recherche et la diffusion des résultats.......................................................... 43
Préoccupations éthiques associées aux produits issus des nanotechnologies.................................... 44
En matière de santé humaine..................................................................................................... 44
Santé et sécurité................................................................................................................ 44
La protection des travailleurs............................................................................................ 44
La protection de la population.......................................................................................... 47
Les applications dans le domaine de la santé.................................................................. 48
L’éthique de la recherche biomédicale................................................................................ 49
Diagnostics et applications thérapeutiques....................................................................... 50
En matière d’environnement...................................................................................................... 51
En matière de sécurité................................................................................................................. 53
Dans le domaine militaire................................................................................................ 53
Quelques exemples d’applications « nanomilitaires »........................................................ 54
Un aperçu des préoccupations éthiques............................................................................. 55
Dans la société civile........................................................................................................ 56

xiv Éthique et nanotechnologies :


Se donner les moyens d’agir
Avis de la Commission de l’éthique de la science et de la technologie

Des préoccupations associées à la convergence des connaissances et des technologies.......... 57


L’identité humaine dans un contexte d’optimisation des performances...................... 57
Le rapport de l’être humain avec la nature..................................................................... 59
Préoccupations éthiques non exclusives aux nanotechnologies.......................................................... 60
En lien avec la gouvernance........................................................................................................ 60
La légitimité et la transparence du processus décisionnel.............................................. 61
Les mesures d’encadrement et de reddition de comptes................................................ 63
En lien avec l’activité économique liée aux nanotechnologies................................................. 64
Les choix éthiques dans le développement de l’activité économique liée
aux nanotechnologies au Québec.................................................................................... 64
Le fossé nanotechnologique dans le contexte de la mondialisation des marchés......... 65
L’orientation de la R-D nanotechnologique...................................................................... 65
La possession de l’expertise en nanotechnologies............................................................... 66
La propriété intellectuelle et la gestion des brevets.........................................................66
La collecte de renseignements personnels....................................................................... 68
En lien avec la citoyenneté et l’innovation technologique........................................................ 70

Conclusion...................................................................................................................................................... 73
Glossaire........................................................................................................................................................ 75
Bibliographie................................................................................................................................................. 83
Sites suggérés............................................................................................................................................... 107

Annexes
Annexe 1 : Quelques exemples d’applications des nanotechnologies....................................................... 111
Annexe 2 : Aperçu prospectif d’applications des nanotechnologies......................................................... 113
Annexe 3 : Questionnement relatif aux divers enjeux des nanotechnologies.......................................... 117

Les activités de consultation et d’information de la Commission................................................................. 119

Les membres de la Commission de l’éthique de la science et de la technologie........................................... 121

Table des matières xv


Liste des sigles et acronymes

ACV Analyse du cycle de vie


ADN Acide désoxyribonucléique
BAPE Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (Québec)
CCST Conseil consultatif des sciences et de la technologie (Canada)
CCSTPM/PMACST Conseil consultatif des sciences et de la technologie du Premier ministre/Prime Minister’s
Advisory Council on Science and Technology (Canada)
Ciraig Centre interuniversitaire de référence sur l’analyse, l’interprétation et la gestion du cycle de
vie des produits, procédés et services (Québec)
COMEST Commission mondiale d’éthique des connaissances scientifiques et des technologies
(UNESCO)
CRSNG/NSERC Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada/Natural Sciences and
Engineering Research Council of Canada
CSST Commission de la santé et de la sécurité du travail (Québec)
DARPA Defense Advanced Research Projects Agency (États-Unis)
DDT Dichlorodiphényltrichloréthane
EPA Environmental Protection Agency (États-Unis)
EPTC Énoncé de politique des trois conseils subventionnaires fédéraux canadiens
ESAA Environmental Services Association of Alberta (Canada)
FDA Food and Drug Administration (États-Unis)
FQRNT Fonds québécois de la recherche sur la nature et les technologies
FQRSC Fonds québécois de la recherche sur la société et la culture
FRSQ Fonds de la recherche en santé du Québec
GE3LS Genomics : Ethics, Environment, Economics, Law, and Society
ICON International Council on Nanotechnology
IRM Imagerie par résonance magnétique
IRSC Instituts de recherche en santé du Canada
IRSST Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail (Québec)
ISO Organisation internationale de normalisation
LED Diode électroluminescente
NanoPIC Plate-forme d’innovation du CRSNG en nanoscience et en nanotechnologie
NBIC Nanotechnology, biology, information technology and cognitive science (en référence à la
convergence de la nanotechnologie, de la biologie, des technologies de l’information et des
sciences cognitives)

xvii
Avis de la Commission de l’éthique de la science et de la technologie

NE3LS Nanotechnology : Ethics, Environment, Economics, Law and Society


NIH National Institutes of Health (États-Unis)
NIST National Institute of Standard and Technology (États-Unis)
NNI National Nanotechnology Initiative (États-Unis)
OACI Organisation de l’aviation civile internationale (Nations Unies)
OCDE/OECD Organisation de coopération et de développement économiques (Organisation for Economic
Co-operation and Development)
OGM Organisme génétiquement modifié
ONU Organisation des Nations Unies
OQLF Office québécois de la langue française
PEBBLE Probes Encapsulated by Biologically Localized Embedding
PME Petites et moyennes entreprises
PNB Produit national brut
PNUE Programme des Nations Unies pour l’environnement
R-D Recherche et développement
RFID Identification par radio-fréquence (Radio Frequency Identification)
SCENIHR Scientific Committee on Emerging and Newly Identified Health Risks (États-Unis)
SIMDUT Système d’information sur les matières dangereuses utilisées au travail (Canada)
SOLAS Safety of Life at Sea
SPM Microscopie en champ proche
STM Microscopie à effet tunnel
TDAH/ADHD Trouble déficitaire d’attention avec hyperactivité (Attention Deficit Hyperactivity Disorder)
TIC Technologies de l’information et de la communication
UICN Union mondiale pour la nature
UNESCO Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture
VIH Virus de l’immunodéficience humaine
WWF Organisation mondiale de protection de l’environnement

xviii Éthique et nanotechnologies :


Se donner les moyens d’agir
Résumé, recommandations
et commentaires

Née de la convergence des recherches fondamentales en but de comprendre leurs propriétés physicochimiques
physique, en chimie et en biologie, la nanotechnologie est particulières et de définir les moyens à utiliser pour les
souvent présentée comme l’une des technologies les plus fabriquer, les manipuler et les contrôler. Découlant de
prometteuses pour l’avenir de l’humanité. Son caractère la nanoscience, la nanotechnologie est la conception et
novateur, son passage amorcé du laboratoire à la fabrication la fabrication, à l’échelle des atomes et des molécules,
industrielle et à la commercialisation, l’importance des de structures qui comportent au moins une dimension
investissements publics et privés dans son développement mesurant entre 1 et 100 nanomètres, qui possèdent des
et dans sa promotion ainsi que les retombées attendues propriétés physicochimiques particulières exploitables, et
sont autant d’éléments qui ont incité la Commission à qui peuvent faire l’objet de manipulations et d’opérations
aborder le sujet dans une perspective éthique. de contrôle.
Le présent avis de la Commission comprend trois cha­pitres Aspects marquants à considérer. La taille des par­ti­cules
qui permettent de faire le point sur les aspects scientifiques, nanométriques, les propriétés nouvelles qu’acquiert
juridiques et éthiques des nanotechnologies. Outre la la ma­tière à cette échelle, les modes de mani­pu­lation
protection de la santé et de l’environnement, le respect de la matière (selon les approches dites descendante et
de nombreuses valeurs a guidé la Commission dans son ascendante), la multidisciplinarité et la convergence
évaluation éthique des nanotechnologies ; ces valeurs sont, disciplinaire des nanotechnologies ainsi que l’engouement
entre autres, la dignité, la liberté, l’intégrité et le respect de généralisé qu’elles suscitent font partie des aspects mar­
la personne, la qualité de vie, le respect de la vie privée, la quants à considérer dans une réflexion sur ces nouvelles
justice et l’équité, la transparence et la démocratie. technologies ; ils servent aussi de fondement au question­
nement éthique qui sous-tend l’avis de la Commission.
La Commission formule huit recommandations à
l’intention des décideurs politiques et autres acteurs Secteurs de recherche et applications. Comme l’élec­
concernés. À certaines reprises, lorsqu’il lui est apparu tricité et l’électronique, les nanosciences et les nano­
impossible de formuler une recommandation spécifique technologies toucheront toutes les sphères de la vie
sur un sujet donné qu’elle juge cependant important, la courante. Les applications qui en découlent déjà ou
Commission propose un commentaire lui permettant qui pourraient en résulter sont aussi diversifiées qu’il
de mettre l’accent sur un aspect ou l’autre de la question est possible de l’imaginer, parfois déroutantes, souvent
abordée afin que la société québécoise puisse se donner fascinantes, dans certains cas préoccupantes. Les quatre
les moyens d’agir et de prendre des décisions éclairées en grands secteurs de recherche et d’innovation qui
matière de nanotechnologies. jouent actuellement un rôle majeur dans le do­maine
des nano­technologies sont les nanomatériaux, la
Un nouveau monde en émergence : nano­électronique, la nanobiotechnologie et la nano­
métrologie. Si leurs promesses se réalisent, les nano­
l’univers des nanotechnologies technologies pourraient engendrer des bénéfices dans
Le monde de la nanoscience et de la nanotechnologie une multitude de secteurs d’activité allant de la méde­cine
se situe à l’échelle du nanomètre, c’est-à-dire un à l’environnement, des technologies de l’information à
milliardième de mètre ou 10–9. La nanoscience est l’étude l’agriculture et à l’alimentation. Toutefois, des questions
scientifique, à l’échelle des atomes et des molécules, doivent être posées quant aux répercussions possibles
de structures moléculaires dont au moins une de leurs ou hypothétiques de certaines innovations issues des
dimensions mesure entre 1 et 100 nanomètres, dans le nanotechnologies ou de leur convergence avec d’autres
disciplines.

xix
Avis de la Commission de l’éthique de la science et de la technologie

Regard sur les modalités L’encadrement actuel. Au Canada comme au Québec,


d’encadrement du secteur il existe un certain nombre de lois et de règlements qui
encadrent le cycle de vie d’un produit, de sa fabrication
En matière de risque, deux facteurs sont à considérer : la jusqu’à son élimination ; ces textes législatifs s’appliquent
probabilité qu’un événement se produise et la nature ou aussi aux nanomatériaux, bien que ceux-ci ne soient pas
l’importance des dommages qui pourraient en résulter. encore expressément mentionnés. Certains instruments
S’agissant des nanotechnologies, ces deux facteurs ne internationaux comportent également des exigences
sont pas toujours présents et soulèvent la question des relatives au transport d’un pays à un autre de matières
façons de composer avec l’incertitude scientifique liée à jugées dangereuses et pouvant présenter un risque pour
l’état des connaissances dans le domaine, mais aussi avec la santé ou l’environ­nement.
l’ignorance quant à ce qui pourrait se produire dans la
foulée de l’implantation d’une nouvelle technologie. Commentaire de la Commission
Le risque et les nanotechnologies. Comme toute autre Dans un contexte où le développement des nano­tech­no­lo­gies et
la mise en marché de produits nanométriques ou à composants
particule naturelle ou industrielle qui présente des
nanométriques sont déjà bien amorcés et ne pourront que
risques de toxicité pour les organismes vivants, les nano­
s’amplifier au cours des années qui viennent, la Commission
particules de synthèse (qui sont créées volontairement) estime que la vigilance s’impose et qu’il faudra suivre
sont porteuses de risques associés à leur manipulation attentivement l’évolution de ces technologies nouvelles afin
ou à des rejets (volontaires ou accidentels) dans l’air, le d’adapter la réglementation actuelle aux réalités du secteur.
sol et l’eau qui doivent être pris en considération afin de
protéger les travailleurs du secteur, la population et la Par ailleurs, afin de répondre aux besoins de l’entreprise,
biodiversité dans son ensemble. De tels risques relatifs à l’autorégulation pourrait combler une partie du vide
des produits qui ne sont pas issus des nanotechnologies laissé par une réglementation incomplète dans ce secteur
sont actuellement couverts par un certain nombre de lois d’activité en émergence. À cet égard, il convient de
et de règlements en vigueur qui devront, éventuellement, mentionner que l’Institut de recherche Robert-Sauvé en
être adaptés pour tenir compte de l’évolution des santé et en sécurité du travail (IRSST), en collaboration
nanotechnologies. avec divers partenaires, prépare actuellement un guide des
bonnes pratiques pour les besoins de l’industrie québécoise
Ainsi qu’en témoigne la documentation consultée, des nanotechnologies (y compris les laboratoires).
il peut aussi exister des risques qui concernent plus
spécifiquement les produits issus des nanotechnologies Commentaire de la Commission
du fait de leurs caractéristiques particulières et pour
La Commission encourage l’Institut de recherche Robert-Sauvé
lesquels la recherche n’est pas toujours concluante :
en santé et en sécurité du travail à pour­suivre, en collaboration
• la tendance à l’agglutination des particules nano­ avec ses partenaires, la préparation de son guide de bonnes
mé­triques de synthèse et ses effets potentiels sur pratiques afin de le publier le plus tôt possible. Elle invite
l’environnement et dans les organismes vivants ; également les divers ministères que concerne le développement
des nanotechnologies à inciter la communauté des chercheurs
• l’importance de la surface spécifique de la matière et des industriels de ce secteur d’activité à respecter les
nanométrique par rapport à sa masse, qui contribue pratiques préconisées dans ce guide, mais aussi à contribuer à la
à modifier ou à amplifier les propriétés de la matière promotion et à l’enrichissement de celui-ci. Dans la perspective
originale ; d’éviter toute répercussion non désirable des nanotechnologies
sur la santé des travailleurs et sur l’environnement, la
• la réactivité que développent certaines particules Commission estime qu’un tel guide s’impose dans l’état actuel
nano­métriques, notamment les nanopoudres du développement des nanotechnologies.
métal­liques, laquelle peut engendrer des risques
Des approches responsables pour composer avec
d’explosion, d’inflammabilité ou de toxicité ;
le risque. Dans l’état actuel des connaissances et du
• la capacité qu’a la matière nanométrique de traverser développement des nanotechnologies, la Commission
les barrières des systèmes de protection de l’organisme s’est interrogée sur deux avenues à considérer au regard
humain et animal (barrières cutanée, pulmonaire, de la nécessité ou non de se doter d’une réglementation
intestinale, placentaire, hématoencéphalique). dans ce secteur d’activité, soit le recours au principe

xx Éthique et nanotechnologies :
Se donner les moyens d’agir
Avis de la Commission de l’éthique de la science et de la technologie

de précaution et l’adoption de l’approche « cycle de Recommandation no 1


vie ». Depuis la publication de son avis sur les ogm
en 2003, dans lequel elle préconisait l’adoption d’une La Commission recommande :
approche de la précaution qu’elle estimait alors plus que le gouvernement du Québec, guidé par le principe
souple, la Commission a poursuivi sa réflexion sur de précaution et dans une perspective de développement
le principe de précaution. Insistant sur le fait que le durable, se préoccupe de toutes les phases du cycle de vie
principe de précaution est un principe d’action et non d’un produit issu des nanotechnologies ou comportant des
pas d’abstention, qui peut guider les décideurs dans éléments nanométriques et qu’à cet effet il intègre la notion
un contexte d’incertitude, elle lui reconnaît le mérite de « cycle de vie » dans toutes ses politiques où une telle
de susciter de nombreuses questions sur la gestion des approche est appropriée, de façon à éviter toute conséquence
dommageable d’une innovation technologique sur la santé
risques hypothétiques dans une société pluraliste et
et sur l’environnement.
démocratique, sur la façon de tenir compte de l’écart qui
existe entre l’acceptabilité du risque individuel et celle du
risque collectif, entre des exigences de sécurité sanitaire et Nanotechnologies : préoccupations
environnementale et le souci légitime du développement d’ordre éthique
technologique. De l’avis de la Commission, il y a là
matière à débat pour et avec la société. Des exigences fondamentales comme
prémisses
L’approche du cycle de vie, notamment dans une
perspective de développement durable, cherche à Le caractère émergent des nanotechnologies et l’apport
protéger l’environnement à partir d’une prise en compte de nombreuses disciplines à leur avènement font en
des impacts d’une innovation technologique, dès sorte que des actions s’imposent comme prémisses à leur
l’obten­tion des ressources nécessaires à sa fabrication et développement systématique et responsable.
jusqu’à son élimination finale une fois terminée sa vie
utile. La notion de développement durable est entendue Commentaire de la Commission
dans le sens qui lui est donné à l’article 2 de la Loi sur Le constat premier que tout observateur peut faire à l’égard
le développement durable (2006) : « développement qui des nanotechnologies, c’est le manque flagrant d’information
répond aux besoins du présent sans compromettre la pour bien connaître ce qu’elles sont. Or, comment prendre
capacité des générations futures à répondre aux leurs. des décisions éclairées, en tant que législateur, chercheur,
[Il] s’appuie sur une vision à long terme qui prend entrepreneur, travailleur ou citoyen, s’il n’existe pas une
en compte le caractère indissociable des dimensions compréhension commune de ce que sont les nanotechnologies ?
environnementale, sociale et économique des activités Établir une termi­nologie et une nomenclature scientifiques
communes, mettre sur pied des procédures et des standards
de développement. » Bien qu’il en soit question à deux
et poursuivre la recherche et la diffusion des résultats appa­
reprises dans la loi, la définition retenue de dévelop­
raissent à la Commission comme les trois pré­misses indispen­
pement durable ne fait cependant pas référence à la sables à une gestion responsable du développement des
notion de cycle de vie que certains chercheurs estiment nanotechnologies.
« essentielle à l’atteinte d’un développement durable ».

Résumé, recommandations et commentaires xxi


Avis de la Commission de l’éthique de la science et de la technologie

Préoccupations éthiques associées aux La protection de la population. L’assurance de l’inno­


produits issus des nanotechnologies cuité des produits issus des nanotechnologies est
une préoccupation majeure dans la réflexion de la
En matière de santé humaine Commission. Or, il est impossible de savoir à l’heure
La protection des travailleurs. Deux observations ont actuelle si les produits déjà commercialisés peuvent
attiré l’attention de la Commission. En premier lieu, il être nocifs à l’usage, parce qu’il existe peu de résultats
faut s’inquiéter du peu de recherches entreprises jusqu’à de recherche concernant leurs effets sur les animaux,
maintenant en ce qui concerne les conséquences possibles l’environnement ou les êtres humains. De plus, des
des nanomatériaux sur la santé et la sécurité humaines. experts s’inquiètent du peu de moyens dont disposent
Un des obstacles notés par l’IRSST et qui expliquent les autorités sanitaires pour contrôler les produits mis en
en partie le manque de connaissances en hygiène marché. Enfin, même si ces autorités avaient les moyens
industrielle est que « les outils actuels d’évaluation de et le personnel nécessaires, il n’en faudrait pas moins que
l’exposition des travailleurs normalement utilisés […] des normes d’acceptation soient édictées, ce qui n’est pas
sont mal adaptés à l’application aux nanoparticules encore le cas.
en milieu de travail », alors que « les quelques données
disponibles suggèrent que les expositions peuvent être Recommandation nº 2
substantielles lors de la manipulation* ».
La Commission recommande :
En second lieu, les spécialistes ne s’entendent pas sur l’à-
que le ministre du Développement économique, de l’Innova­
propos de la réglementation existante. Il sera difficile de
tion et de l’Exportation, en collaboration avec le ministre
trancher sur cette question tant que des données plus
de la Santé et des Services sociaux, intervienne auprès du
précises sur les effets potentiels des nanotechnologies gouvernement fédéral afin que ses agences de contrôle en
ne seront pas disponibles. En attendant l’avancement matière de santé et d’environnement mettent en place les
de la recherche et une réglementation plus complète et mécanismes nécessaires à une évaluation de la toxicité des
mieux adaptée aux spécificités des nanotechnologies, processus et des produits issus des nanotechnologies avant
la Commission estime que le principe de précaution d’en autoriser la commercialisation.
doit guider les actions à entreprendre afin de protéger
la santé et la sécurité des travailleurs. Le développement technologique comme facteur
d’enrichissement collectif et d’amélioration de la qualité
La publication de guides de bonnes pratiques ou de vie des citoyens est certes une valeur importante dans
d’ouvrages comme ceux que produit l’IRSST relativement nos sociétés, et le développement des nanotechnologies
à l’état des connaissances sur les nanoparticules et aux semble pouvoir y contribuer ; mais en aucun cas il ne
effets possibles de ces particules sur les travailleurs s’inscrit peut se faire au détriment de la santé et de la sécurité des
au nombre des actions qui peuvent être entreprises pour travailleurs ou des citoyens, qui constituent des valeurs
assurer une gestion responsable des nanotechnologies. prioritaires. La Commission est d’avis que des mesures
À cet effet, la Commission souligne l’importance que de prévention adéquates et une bonne connaissance du
les données colligées par l’IRSST demeurent le plus à cycle de vie des produits issus des nanotechnologies
jour possible et que ces informations soient transmises contri­bueront à protéger la santé et la sécurité
aux entreprises et aux centres de recherche actifs dans hu­maines et participeront au développement respon­
le secteur des nanotechnologies, afin que ces derniers sable de ce secteur d’activité.
puissent prendre des mesures adéquates de protection
des travailleurs. Les applications dans le domaine de la santé : l’éthique
de la recherche biomédicale. Considérant l’avenir
* INSTITUT DE RECHERCHE ROBERT-SAUVÉ EN SANTÉ prometteur des nanobiotechnologies, il importe d’appli­
ET EN SÉCURITÉ DU TRAVAIL – IRSST, Les nanoparticules. quer rigoureusement les principes de l’éthique de la
Connaissances actuelles sur les risques et les mesures de recherche afin de protéger les sujets de recherche qui
prévention en santé et en sécurité du travail, Claude OSTIGUY participent volontairement à l’avancement des con­
et collaborateurs, Rapport R-455, Études et recherches,
Gouvernement du Québec, mars 2006, p. iv [en ligne] http:// naissances. Les comités d’éthique de la recherche étant
www.irsst.qc.ca/fr/_publicationirsst_100189.html. à l’avant-plan dans la protection des sujets humains,

xxii Éthique et nanotechnologies :


Se donner les moyens d’agir
Avis de la Commission de l’éthique de la science et de la technologie

les membres de ces comités doivent être sensibilisés Commentaire de la Commission


aux questions qui se poseront dans la poursuite de La Commission insiste sur l’importance de se laisser guider
recherches sur les nanobiotechnologies et outillés pour par la précaution dans le processus de création et de mise
y réagir adéquatement. au point de médicaments et de thérapies à composants
nanotechnologiques. Une telle approche incite à poursuivre la
recherche et à documenter les effets potentiellement positifs et
Recommandation nº 3 négatifs des applications nanotechnologiques dans le domaine
La Commission recommande : des soins de santé afin de mieux évaluer les retombées pour
les malades et pour le fonctionnement du système de santé
que le ministre de la Santé et des Services sociaux s’assure que en général.
les comités d’éthique de la recherche seront adéquatement
outillés et soutenus dans leur évaluation de protocoles de
En matière d’environnement
recherche portant sur l’utilisation dans le domaine médical
des matériaux et procédés issus des nanotechnologies. Les nanotechnologies pourraient avoir de nombreux
impacts positifs sur l’environnement, se présentant ainsi
Diagnostics et applications thérapeutiques. La ques­tion
en appui au développement durable. Les bienfaits poten­
de l’interférence des nanoparticules avec le fonction­
nement du corps humain (ou avec l’environnement) tiels des nanotechnologies doivent être encouragés ;
toutefois, leur innocuité reste à démontrer et leurs effets
retient particulièrement l’attention de la Commission.
potentiellement indésirables ne peuvent être balayés du
Par exemple, en raison de la capacité qu’ont les nano­
revers de la main.
particules de traverser la barrière hématoencéphalique,
leur utilisation présente un intérêt certain dans le Selon la documentation consultée, la plus grande
traitement des maladies d’origine neurologique, mais source d’exposition environnementale appréhendée
elle constitue également une source de préoccupation. con­cerne, à court terme, l’utilisation de nanoparticules
La barrière hématoencéphalique est l’ultime rempart dans l’assainissement des eaux ou des sols contaminés,
du cerveau contre les agressions extérieures de certains en raison de l’impact que pourrait avoir la grande
microorganismes. Or, le fait d’avoir trouvé de nouvelles réactivité des nanoparticules sur les plantes, les animaux,
façons de déjouer les défenses naturelles du cerveau, les microorganismes et les écosystèmes. Les données
grâce à des technologies qui sont, de surcroît, encore peu cumulées jusqu’à maintenant ne permettent pas de
maîtrisées et invisibles à l’œil nu, pourrait bien avoir des tracer un portrait fiable de la situation. Des études
conséquences déplorables si la R-D nanotechnologique préliminaires ont cependant démontré que certains
n’est pas suffisamment balisée. nanomatériaux peuvent endommager les organes et les
L’état actuel des connaissances ne permet guère à la Com­ tissus d’organismes vivants. Dans le cadre du présent avis,
la Commission ne peut qu’insister sur l’importance
mission d’extrapoler sur l’impact économique potentiel
de multiplier les recherches sur les conséquences
de l’introduction de nouvelles méthodes de diagnostic
et de traitement faisant appel à des nanotechnologies. poten­tielles des nanotechnologies afin de déterminer
quelles substances pourraient être dommageables.
Vraisemblablement, certaines de ces nouvelles tech­
Cette proposition commande un engagement de la
nologies permettraient des économies pour le système
part des chercheurs, des industriels et des organismes
de santé, alors que d’autres représenteront des coûts
gouvernementaux.
prohibitifs. La Commission s’interroge également sur
une offre de diagnostic qui ne serait pas assortie d’une Si certaines réponses peuvent être fournies à partir
offre thérapeutique. Cette possibilité existe déjà et n’est d’études en laboratoire, d’autres devront nécessairement
pas sans rappeler les réflexions entourant le diagnostic provenir d’analyses in situ – ce sera le cas par exemple
génétique qui ont été menées par la Commission dans pour des effets des nanotechnologies qui sont inattendus
son avis sur les banques d’information génétique. (non prévus) ou qui ne se produiront qu’à long terme.
L’ensemble de ce questionnement renvoie au problème Par exemple, il est possible que certains produits aient
beaucoup plus large de l’allocation des ressources et des effets dommageables sur l’environnement par leur
de la gouvernance, où des choix de société importants accumulation dans divers systèmes régulateurs de
devront être débattus sur la place publique. l’environnement.

Résumé, recommandations et commentaires xxiii


Avis de la Commission de l’éthique de la science et de la technologie

Recommandation nº 4 Dans la société civile. Dans le cadre d’un document


de réflexion sur l’utilisation des données biométriques
La Commission recommande : à des fins de sécurité, la Commission aborde la
– que le ministre du Développement économique, de problématique de la surveillance et s’interroge sur une
l’Innovation et de l’Exportation, en concertation avec le intrusion possible de l’État et des organisations dans la
ministre du Développement durable, de l’Environnement vie privée des citoyens et des travailleurs. Différentes
et des Parcs et les divers acteurs concernés, mette en technologies sont certes mises à contribution à cet effet,
place un système de veille relatif aux effets potentiels mais les nanotechnologies augmentent et facilitent les
des nano­technologies sur l’environnement, lorsque possibilités actuelles et ouvrent la porte à la collecte
ces effets ne peuvent être calculés et pris en compte
et à l’utilisation d’informations sur les citoyens et les
avant la commercialisation de produits issus des
travailleurs sans aucune mesure avec les possibilités qui
nanotechnologies ;
existaient jusqu’à présent. La Commission est inquiète
– qu’une procédure soit élaborée afin d’assurer le retrait
de constater que, au nom de la sécurité, il apparaît
rapide des produits mis en cause advenant le constat
aujourd’hui possible d’avoir des exigences moindres à
d’effets délétères sur l’environnement.
l’égard de la protection des renseignements personnels
et de leur confidentialité, du droit à la vie privée et des
En matière de sécurité
libertés civiles.
Depuis l’attaque terroriste du 11 septembre 2001 aux
États-Unis, les questions de sécurité et de défense La convergence des connaissances et des disciplines
militaire ont pris une dimension accrue qui se répercute
La convergence des nanotechnologies avec d’autres
partout dans le monde. Assurer la protection du territoire
disci­plines comme la biologie, les technologies de l’infor­
et des populations devient un enjeu prioritaire des gou­
mation et de la communication et les sciences cognitives
ver­nements, à la fois sur le plan militaire et sur celui de
s’accompagne de nombreux défis éthiques et sociaux,
la sécurité publique, et amplifie la vague d’intégration
notamment en ce qui concerne l’identité humaine et le
technologique amorcée à la fin des années 1980. Dans un
rapport de l’être humain avec la nature.
cas comme dans l’autre, les nanotechnologies présentent
un potentiel d’applications d’une grande diversité en L’identité humaine dans un contexte d’optimisation
matière de sécurité. des performances. Les nanotechnologies pourraient
contribuer à optimiser certaines caractéristiques
Dans le domaine militaire. Les applications dans ce
physiologiques de l’être humain ; les développements
domaine soulèvent deux préoccupations majeures sur
pressentis grâce à la convergence des connaissances et
le plan de l’éthique : celle des finalités et celle du secret
des technologies n’ont pratiquement aucune limite
quant à ce qui se fait dans les laboratoires et aux résultats
et peuvent inclure les capacités cognitives. Cer­tains
obtenus. Apparaît donc au premier plan toute la question
développements soulèveront bon nombre d’inter­ro­
de la transparence, qui pose un problème d’ordre
ga­tions fondamentales en ce qui concerne les repré­
éthique et qui suscite des interrogations sur le degré de
sentations personnelles et sociales de l’identité humaine :
confiance que la population peut ou doit accorder aux
ce que nous comprenons et considérons comme être
responsables décisionnels dans le domaine militaire. Un
humain, ce qui est jugé normal (ou accep­table) et ce
constat fondamental est aussi à faire : dans tout l’arsenal
qui ne l’est pas. Frontière subjective entre thérapie et
de recherches et de projets en développement, la mise au
optimisation des capacités humaines, double discours en
point de moyens d’attaque ou de défense contre l’ennemi
ce qui concerne l’insertion de la population handicapée
constitue la raison d’être des diverses agences mises en
dans la vie « active », culte voué à la performance, équité
place et des sommes phénoménales y sont consacrées ; à
dans les choix de services offerts par le système de santé
première vue, toutefois, très peu d’efforts semblent porter
public, vision de l’autonomie et de la responsabilité
sur les moyens d’éviter les conflits. Un questionnement
individuelle face à la collectivité, voilà où réside
doit se faire sur l’encadrement éthique de la recherche
notamment, selon la Commission, le questionnement
militaire et sur les enjeux éthiques qui sont associés
éthique posé par l’utilisation des nano­technologies à des
au développement de nouvelles applications militaires
fins d’optimisation des performances humaines. C’est
issues des nanotechnologies.

xxiv Éthique et nanotechnologies :


Se donner les moyens d’agir
Avis de la Commission de l’éthique de la science et de la technologie

une réflexion que la Commission poursuivra dans un Recommandation no 5


prochain avis sur les neurosciences.
La Commission recommande :
Le rapport de l’être humain avec la nature. C’est en
que le ministre du Développement économique, de l’Inno­
accord avec l’esprit de la Loi sur le développement durable
vation et de l’Exportation, avec ses collègues des ministères
que la Commission considère que l’être humain vit en
et des organismes concernés, amorce un processus d’infor­
interdépendance avec l’environnement. La société et ses mation et d’échanges auprès de la population afin de bien
décideurs doivent tenir compte de cette interdépendance circonscrire, et en toute transparence, les enjeux scientifiques,
au moment de prendre des décisions qui pourraient économiques, sociaux et éthiques qui sont associés au
avoir un impact sur la qualité de l’environnement, développement des nanotechnologies.
que ce soit dans l’immédiat ou pour les générations
futures. Les nanotechnologies pourraient s’avérer un Les mesures d’encadrement et de reddition de
atout non négligeable à cet effet ; en contrepartie, il comptes. La Commission reconnaît que l’encadrement
faut reconnaître que certaines applications pourraient normatif des nanotechnologies nécessite une meilleure
également constituer une source de détérioration. Il y connaissance des conséquences potentiellement
aura donc un équilibre à rechercher dans l’utilisation néfastes que pourraient entraîner l’introduction et la
des nanotechnologies afin d’en tirer le meilleur parti dissémination de nanoparticules dans l’environnement
possible au bénéfice du plus grand nombre et dans le ou leur pénétration dans les organismes vivants. Cepen­
respect de l’environnement. Ce sont là des décisions dant, une telle contrainte ne doit en rien limiter les
qui concernent l’ensemble de la société et qui doivent actions de gouvernance relatives aux activités de veille et
être soumises au débat public. de réflexion qui doivent accompagner l’émergence d’une
nouvelle technologie et celles qui assurent l’adaptation
des encadrements existants lorsque les circonstances
Préoccupations éthiques non exclusives
le dictent. Il importe aussi que le réseau des divers
aux nanotechnologies
acteurs du domaine des nanotechnologies se concerte
Le développement des nanotechnologies suscite certes pour adopter des comportements qui s’inscrivent
un questionnement éthique quant aux effets qu’elles dans une perspective de développement durable.
pourraient avoir sur la santé et sur l’environnement Pour la Commission, la concertation des parties
et par l’utilisation qui pourrait en être faite dans prenantes constitue une prémisse à l’élaboration
d’autres domaines. Toutefois, comme a pu le consta­ d’un modèle de gouvernance flexible, adapté à la
ter la Commission, ces technologies, à l’instar réalité des nanotechnologies et apte à tenir compte
d’autres technologies émergentes, soulèvent aussi des des préoccupations éthiques que ces technologies
préoccupations d’ordre éthique qui ne leur sont pas soulèvent.
spécifiques, et qui ne sont pas entièrement nouvelles, mais
qui ne peuvent être occultées, car elles risquent d’être
amplifiées par l’avènement des nanotechnologies.
Recommandation nº 6
La Commission recommande :
En lien avec la gouvernance que le ministre du Développement économique, de l’Inno­
La légitimité et la transparence du processus décision­ vation et de l’Exportation demande aux organismes subven­
tionnaires, en collaboration avec les divers acteurs concernés,
nel. Dans un cadre démocratique, la légitimité passe
de créer un programme de recherche multidisciplinaire sur
invariablement par la transparence du processus
les impacts des nouvelles technologies et sur la gestion du
décisionnel. C’est un sujet sur lequel la Commission risque associé aux nanotechnologies, qui tienne compte de
a beaucoup insisté dans son avis sur les organismes leurs dimensions éthique et sociale.
génétiquement modifiés. La transparence se manifeste
également dans les façons d’informer la population ;
c’est même une condition d’exercice du libre choix
accordé à chaque citoyen dans une société démocratique
et pluraliste.

Résumé, recommandations et commentaires xxv


Avis de la Commission de l’éthique de la science et de la technologie

En lien avec l’activité économique Le fossé nanotechnologique dans le contexte de la


mondialisation des marchés. La possibilité de concevoir
Les choix éthiques dans le développement de l’activité
et de développer l’innovation nanotechnologique de
économique québécoise liée aux nanotechnologies.
façon à en faire bénéficier les pays en voie de dévelop­
Depuis 2004, le Conseil de la science et de la technologie
pement ne devrait pas d’emblée être mise à l’écart.
du Québec coordonne le projet Perspective Science-
Les gouvernements, les entreprises, les fondations
Technologie-Société (STS) dont le premier objectif
et les organisations non gouvernementales sont ou
est de sensibiliser tous les secteurs de la société québé­
peuvent être sollicités à divers degrés dans la gestion
coise à l’importance et à l’utilité de la science et de la
du développement nanotechnologique. Pour ces divers
technologie pour comprendre et résoudre les problèmes
acteurs, l’occasion se présente aujourd’hui de concerter
socioéconomiques. Le deuxième objectif de ce projet
leurs efforts afin de maximiser la réflexion et d’agir de
consiste à convier la communauté scientifique québécoise
façon solidaire envers les plus démunis.
à participer aux finalités sociales et écono­miques de
la science et de la technologie. La Commission est
Commentaire de la Commission
d’avis que ce type d’initiative devrait être appliqué
au moment où sera élaborée une stratégie québécoise Dans la même veine, la Commission suggère que s’amplifient
de développement des nanotechnologies, de façon ou se tissent des liens de collaboration entre les universités,
qu’il soit possible de répondre aux besoins tant les fonds subventionnaires et les pays en développement. Des
partenariats de recherche en nanotechnologies, des échanges
économiques que sociaux propres au Québec et de
d’étudiants et de professeurs entre universités, ainsi que la
considérer, de manière spécifique, les enjeux éthiques
mise en place de programmes de subventions dont l’objectif
liés à ces technologies. spécifique est de répondre aux besoins signalés par les pays en
Dans son bilan de 2005 sur les nanotechnologies, développement à l’égard des nanotechnologies devraient être
le President’s Council of Advisors on Science and considérés par les organismes concernés.
Technology du gouvernement américain rappelle que En général, qui contrôle la R-D contrôle également les
les nouvelles technologies peuvent en déplacer d’autres moyens de production et l’offre de produits et services.
qui sont obsolètes et susciter un mouvement parallèle Si les besoins des pays en développement sont pris en
dans les possibilités d’emploi. Comme ces nouveaux considération dans les orientations de la recherche, il faut
emplois demandent parfois des habiletés différentes, également miser sur la croissance d’industries locales
l’organisme souligne que de tels changements peuvent qui créeront une richesse durable. Les partenariats entre
poser des défis majeurs en ce qui concerne la formation ceux qui possèdent le savoir et les capitaux et ceux qui
de la main-d’œuvre et le système d’éducation. Pour la possèdent un marché à exploiter doivent être encouragés,
Commission, il s’agit là d’un enjeu éthique important à la condition qu’ils soient conçus au bénéfice de chacun
puisque, souvent, les travailleurs les plus vulnérables et que le partage des responsabilités soit équitable ; il
de la société sont les victimes des transformations du s’agit là d’une question de respect et de solidarité.
marché du travail qu’entraîne l’émergence de nouvelles
technologies. Commentaire de la Commission
Considérant que la solidarité humaine se traduit notam­ment
Recommandation nº 7 par des gestes de collaboration et de partage de la richesse, la
Commission encourage le soutien de la formation de chercheurs
La Commission recommande : et la mise en place d’infrastructures de R-D dans les pays en
que le ministre du Développement économique, de l’Inno­ émergence et dans ceux en développement, en vue de favoriser
vation et de l’Exportation, advenant l’élaboration d’une l’acquisition d’une expertise industrielle dans ces pays et d’éviter
stratégie québécoise de développement des nanotech­no­ que se creuse davantage le fossé technologique.
logies, prenne en compte les questions éthiques et sociales
que ces technologies soulèvent, particulièrement en matière
d’emploi et de formation de la main-d’œuvre.

xxvi Éthique et nanotechnologies :


Se donner les moyens d’agir
Avis de la Commission de l’éthique de la science et de la technologie

La propriété intellectuelle et la gestion des brevets. La demande. Le problème réside dans le fait que peu de
gestion des brevets et de la propriété intellectuelle peut personnes sont au courant de ces obligations et que, de
être vue comme une source dynamique d’innovation, surcroît, les sanctions sont rarement appliquées pour les
mais également comme un frein à l’accès aux connais­ entreprises et les organismes, publics ou privés, qui ne
sances et aux outils nécessaires à la R-D. Ainsi que le respectent pas les règles établies.
sug­gèrent certains auteurs, une façon de s’attaquer
Enfin, l’accès à l’information génétique constitue
au problème serait de s’inspirer de la protection de la
une autre facette de la protection des renseignements
propriété intellectuelle utilisée en informatique pour
personnels à ne pas négliger. Avec les nanotechnologies,
les logiciels libres (open source) en ce qui a trait aux rec­
les biopuces à ADN sur silicium ouvrent la voie à
herches financées par le public. Une autre possibilité
l’analyse du contenu génétique des cellules in situ –
serait l’établissement de communautés de brevets (patent
bientôt il sera possible pour un médecin de « lire » le
pools).
code génétique d’un patient directement dans son
La Commission souligne également l’initiative des bureau de consultation et d’obtenir ainsi quantité de
National Institutes of Health américains (NIH) dans renseignements sur l’état de santé de cette personne et
le domaine des biotechnologies, notamment en ce qui sur sa prédisposition génétique à développer certaines
a trait à l’annonce d’un partenariat public-privé avec maladies. Comme elle le soulignait dans son avis sur
diverses entreprises pharmaceutiques afin d’accélérer la les banques d’information génétique, la Commission
recherche en génétique sur des maladies multifactorielles. rappelle que l’utilisation de l’information génétique à
L’intérêt réside dans l’assurance donnée par les NIH que d’autres fins que médicales, notamment par les assureurs,
les résultats des recherches seront accessibles à tous. les employeurs et les institutions financières, est une
pratique susceptible de favoriser la discrimination
Commentaire de la Commission dans la prise de décision concernant les personnes
visées (clients, employés et emprunteurs, par exemple).
L’initiative des NIH soulève cependant un certain nombre
de questions plus larges. Les initiatives fondées sur des La Commission estime toujours que toute forme
partenariats publics-privés en matière de recherche et de mise d’utilisation de l’information génétique par des tiers
en marché sont-elles équitables pour le Québec ? Quels sont autres que les professionnels de la santé et autrement
les effets positifs et négatifs de ces partenariats ? Les bienfaits qu’à des fins de traitement devrait être soumise à un
potentiels contrebalancent-ils les effets négatifs ? Ces derniers débat de société sur ces pratiques et leurs finalités.
peuvent-ils être amoin­dris ou éliminés ? Serait-il possible de
mettre en place des mesures incitatives en vue de favoriser En lien avec la citoyenneté
l’activité philanthropique ? Devant toutes ces questions, la Com­ et l’innovation technologique
mission estime impératif qu’une réflexion poussée sur le rôle
de la protection de la propriété intellectuelle dans un contexte La consommation est de plus en plus perçue comme un
d’innovation soit entreprise et que soient mises en évidence les enjeu de pouvoir où les citoyens revendiquent le droit
questions d’éthique qui pourraient y être associées. de faire des choix qui reflètent leurs valeurs. Il faut voir
dans cet exercice de la citoyenneté un signe de santé de
La collecte de renseignements personnels. La conver­
la démocratie, à la condition, cependant, que les citoyens
gence des nanotechnologies et des technologies de
soient conscients de leur potentiel d’influence, qu’ils
l’information pourrait permettre de tracer des profils
reconnaissent la responsabilité qui accompagne tout acte
types très spécialisés à des fins de marketing, mais
décisionnel et, enfin, qu’ils aient accès à une information
également en vue d’exercer un contrôle policier, social ou
claire et objective.
politique sur la population ou certaines communautés. La
Commission rappelle avec insistance que les collectes L’autonomisation des citoyens (ou empowerment en
de renseignements ne peuvent être faites à l’insu des anglais) se traduit notamment par la volonté de faire
consommateurs et que des lois existent déjà en matière des choix qui respectent les valeurs individuelles et
de protection des renseignements personnels obligeant sociales de chacun. Si l’information claire et accessible
les organismes publics et privés à donner accès à son est un préalable, elle représente un défi de taille, notam­
dossier d’information à toute personne qui en fait la ment dans le cas des nanotechnologies, en raison de

Résumé, recommandations et commentaires xxvii


Avis de la Commission de l’éthique de la science et de la technologie

la complexité de ces technologies et de la diversité des Au fil de sa réflexion, la Commission a constaté l’ampleur
possibilités d’application. La Commission rappelle et la complexité de la tâche qu’elle s’était elle-même
l’importance de transmettre une information juste à assignée, c’est-à-dire de documenter le développement
la population et de favoriser sa participation dans la de la nanoscience et des nanotechnologies afin de
prise de décisions au sujet des nanotechnologies. cerner les enjeux éthiques qui accompagnent leur
émer­gence. En effet, les nanotechnologies touchent
tous les domaines, avec une diversité d’applications et
Recommandation nº 8 des potentiels d’utilisation très différents. De plus, la
La Commission recommande : réflexion entourant les nanotechnologies est complexifiée
que le gouvernement du Québec s’inspire des travaux du fait que la matière nanométrique est invisible à l’œil
réalisés pour la mise en place d’un portail Internet sur les nu ; leurs effets, positifs ou négatifs, seront cependant
organismes génétiquement modifiés afin de créer un portail bien tangibles. Enfin, le fait qu’il s’agisse de technologies
d’information sur les nanotechnologies à l’intention de la en émergence signifie également qu’il est aujourd’hui
population. impossible de prévoir toutes les applications qui verront
le jour et quelles pourraient être leurs répercussions sur
Même si l’information est disponible et facilement le Québec et sur le reste du monde.
accessible, il faut s’assurer que les citoyens sont sensi­
bilisés à la question des nouvelles technologies et qu’ils La réflexion sur les enjeux éthiques et sociaux des
en comprennent les tenants et aboutissants ; c’est technologies s’amorce à peine et il faudra continuer
une responsabilité qui leur incombe mais dont ils ne à réfléchir, discuter, émettre des opinions sur les
mesurent pas toujours l’importance. Il faut de plus nanotechnologies et sur la manière d’assurer leur
constater qu’il existe actuellement une diminution de développement harmonieux. Aussi, la Commission
l’intérêt des jeunes pour une formation en science et estime-t-elle nécessaire que se poursuive sa réflexion
technologie, alors que la consommation de produits sur des questions plus précises que l’État pourrait se
technologiques ne cesse d’augmenter. Dans un tel poser en ce qui concerne la gestion responsable des
contexte, la Commission estime qu’il devient urgent nanotechnologies, au fur et à mesure des orientations
de se pencher sur des mécanismes de rapprochement ou des décisions qu’il aura à prendre en la matière dans
avec la population qui aideraient à pallier un manque l’avenir.
d’information relativement neutre et objective sur
l’innovation technologique.
C’est avec beaucoup de curiosité et d’intérêt que la Com­
mission a amorcé sa réflexion sur les enjeux éthiques
soulevés par le développement des nanotechnologies.
D’une part, parce que le sujet est encore peu connu ;
d’autre part, parce que le potentiel de développement
et d’utilisation de la matière à l’échelle nanométrique
semble à l’heure actuelle sans limite. Il est d’ailleurs
facile de s’émerveiller, voire de se laisser emporter par
l’euphorie et l’enthousiasme qui animent une bonne
partie des acteurs concernés.

xxviii Éthique et nanotechnologies :


Se donner les moyens d’agir
Introduction

Au Québec, c’est en 2001 que les nanotechnologies*1 ont en amont des problèmes que pourrait éventuellement
fait une première percée sur la scène publique avec la poser l’innovation technologique, de façon à contrer
création de NanoQuébec, qui s’inscrivait dans la foulée ou à réduire au minimum certains effets indésirables.
des recommandations d’un avis du Conseil de la science En même temps, cette émergence soulève aussi toute la
et de la technologie, Les nanotechnologies : la maîtrise de question de l’incertitude et de l’ignorance en matière de
l’infiniment petit2, publié la même année. Le Québec se risques, les efforts de recherche en la matière étant encore
dotait ainsi d’une infrastructure qui lui permettait de limités. Dans ce contexte, et très tôt dans son exploration
se joindre au mouvement international déjà amorcé documentaire du sujet et la consultation d’experts, la
pour assurer le développement et la promotion des Commission a compris qu’il lui serait impossible d’aller
nanotechnologies ; il est aujourd’hui considéré comme aussi loin qu’elle l’aurait souhaité dans son évaluation
un chef de file à l’échelle canadienne3. Constatant que des enjeux éthiques de la nanotechnologie. Néanmoins,
plus de 175 chercheurs universitaires et une quarantaine et dans l’état actuel des choses, elle estime que le présent
de PME sont actifs en nanotechnologies sur le territoire avis constitue une prise de conscience essentielle à un
québécois4, et dans un contexte où de plus en plus de développement éclairé et responsable du domaine ; il
produits issus des nanotechnologies sont offerts sur le serait cependant souhaitable que ses travaux puissent se
marché, la Commission de l’éthique de la science et de poursuivre pour en accompagner l’évolution.
la technologie a jugé bon d’amorcer une réflexion sur
Si le préfixe « nano » tend à pénétrer la langue populaire,
les enjeux éthiques que posent le développement et
principalement par la publicité qui l’utilise pour carac­
l’innovation technologiques dans ce domaine.
tériser des objets de très petites dimensions (comme
Avec la nanotechnologie, la Commission découvre un certains baladeurs numériques ou des blocs de cons­
univers scientifique captivant, mais aussi fort complexe truction pour enfants) mais sans véritable apport de la
et très éclaté en raison, notamment, de la grande nanotechnologie, le concept même de nanotechnologie
multidisciplinarité du domaine. C’est aussi un domaine demeure encore obscur pour la plupart des gens 5.
en émergence, et donc qui offre la possibilité de travailler Succincte­ment, la nanoscience* et la nanotechnologie

1. Les termes suivis d’un astérisque sont définis dans le glossaire présenté à la fin du présent avis.
2. CONSEIL DE LA SCIENCE ET DE LA TECHNOLOGIE, Les nanotechnologies : la maîtrise de l’infiniment petit, Gouvernement du Québec,
juin 2001 [en ligne] http://www.cst.gouv.qc.ca.
3. MINISTÈRE DU DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE, DE L’INNOVATION ET DE L’EXPORTATION (Québec), « Nanotechnologies
au Québec » [en ligne] http://www.mdeie.gouv.qc.ca/page/web/portail/fr/scienceTechnologie/service.prt?svcid=PAGE_GENERIQUE_C
ATEGORIES40&iddoc=65662.
4. Ibid.
5. Ainsi que le montrent les sondages réalisés sur le sujet. Voir, entre autres, Edna F. EINSIEDEL, In the Public Eye : The Early Landscape of
Nanotechnology among Canadian and U.S. Publics, Report to the Canadian Biotechnology Secretariat and the NSERC Nanotechnology
Innovation Platform, University of Calgary, non daté [en ligne] http://www.azonano.com/Details.asp?ArticleID=1468 ; GÉNOME PRAIRIE
(Canada), Premières impressions : comprendre les opinions du public sur les technologies émergentes, Document établi par l’équipe GE3LS
de Génome Prairie à l’Université de Calgary, non daté [en ligne] https://bioportal.gc.ca/CMFiles/CBS_Report_FINAL_FRENCH249SFP-
9222005-5789.pdf ; Michael COBB et Jane MACOUBRIE, « Public Perceptions about Nanotechnology : Risks, Benefits and Trust », Journal
of Nanoparticle Research, vol. 6, no 4, août 2004 [en ligne] http://www.wilsoncenter.org/events/docs/macoubriereport.pdf. Voir aussi
un résumé des plus récents sondages, présenté dans le chapitre 4 (p. 41-56) de Matthew KEARNES, Phil MACNAGHTEN et James
WILSDON, Governing at the Nanoscale. People, Policies and Emerging Technologies, Londres, DEMOS, 2006 [en ligne] http://www.demos.
co.uk/catalogue/governingatthenanoscale/.


Avis de la Commission de l’éthique de la science et de la technologie

concernent la matière et ses structures à l’échelle du sans précédent, sont des éléments qui ont incité la
nanomètre* (à des fins d’illustration, précisons que le dia­ Commission à aborder le sujet dans une perspective
mètre d’un seul cheveu varie entre 50 000 et 100 000 nano­ éthique. À n’en pas douter, les bénéfices attendus sont
mètres) afin d’exploiter les propriétés particulières qui énormes et pourraient éventuellement contribuer à
peuvent s’y développer dans une dimension inférieure à résoudre bien des problèmes que vivent les sociétés
100 nanomètres et qui sont dues aux effets quantiques* contemporaines (développées ou non). De quelle nature
se produisant à cette échelle. Au nombre des propriétés seront les changements attendus ou escomptés ? Quelles
les plus courantes qui sont recherchées, mentionnons la seront les incidences de l’innovation nanotechnologique
résistance, la légèreté, la malléabilité, l’ininflammabilité sur les personnes – citoyens, consommateurs et tra­
et la conductivité. Ces propriétés sont obtenues vailleurs – et sur la société dans son ensemble, sans
dans la fabrication de nanomatériaux*, comme les oublier les générations futures ? Pourrait-il y avoir
nanotubes*, les fullerènes*, les points quantiques*, les des conséquences indésirables en matière de santé ou
nanoparticules*, les nanopoudres*, les nanocouches* et d’environnement, ou dans d’autres domaines, qu’il
sous bien d’autres formes que peut prendre la matière à faudrait prévoir, afin de les éviter ou de les réduire au
l’échelle nanométrique*. minimum ? Des problèmes mis en évidence au cours des
dernières années pour l’amiante, le mercure, le plomb,
Succès phénoménal de la science, enthousiasme débor­
le DDT, le fréon, et tout récemment le téflon, obligent
dant des chercheurs, imaginaire débridé des auteurs
à s’interroger sur les effets à long terme de substances
de science-fiction, il semble y avoir un peu de tous ces
nouvelles – comme les nanomatériaux. Des questions
éléments dans les possibilités que laisse entrevoir le
se posent aussi sur certaines finalités auxquelles peut
développement des technologies de l’infiniment petit.
conduire la nanotechnologie, particulièrement en matière
Née de la convergence* des recherches fondamentales en
d’optimisation des performances humaines (phy­siques ou
physique, en chimie et en biologie, la nanotechnologie
intellectuelles). Enfin, s’ajoutant à d’autres technologies
est souvent présentée comme l’une des technologies
qui ont émergé dans la deuxième partie du 20e siècle –
les plus prometteuses pour l’avenir de l’humanité.
les biotechnologies, la génomique, la protéomique, la
Avec l’évolution et les succès de la recherche, la nano­
génétique, notamment –, la nanotechnologie met en
tech­nologie est de moins en moins confinée dans
évidence la nécessité de régler un certain nombre de
les laboratoires universitaires, et ses applications
problèmes inhérents aux progrès de la science et de la
apparaissent peu à peu dans une multitude de secteurs
technologie dans les sociétés démocratiques et pluralistes,
d’activité, que ce soit en optique ou en électronique,
dont la propriété intellectuelle et la gestion des brevets,
dans les technologies de l’information, dans le génie des
par exemple, ou le rôle des citoyens dans la prise de
matériaux comme dans le textile, en environnement,
décision en matière scientifique.
mais aussi dans les domaines de la médecine, de la phar­
ma­ceutique et même de la sécurité nationale. Des crèmes L’avis de la Commission comprend trois chapitres qui
solaires et divers produits cosmétiques, des pel­licules permettent de faire le point sur les aspects scientifiques,
photographiques, de la peinture, des électroménagers, juridiques et éthiques des nanotechnologies. Outre la
des disques durs, certains textiles et bon nombre protection de la santé et de l’environnement, et l’im­
d’articles de sport font aujourd’hui partie des produits portance du développement de l’économie dans les
comportant un apport nanotechnologique parmi les sociétés contemporaines, le respect de nombreuses
plus courants qui sont offerts sur le marché6. valeurs qui doivent constituer les fondements d’un com­
portement responsable au regard des nanotechnologies
Ce passage du laboratoire à la fabrication industrielle et
a guidé la Commission dans son évaluation éthique des
à la commercialisation de produits ayant des composants
nanotechnologies ; ce sont, entre autres, la dignité, la
nanométriques, tout comme les investissements des
liberté, l’intégrité et le respect de la personne, la qualité
gouvernements dans le développement et la promotion
de vie, le respect de la vie privée, la justice et l’équité, la
d’une technologie dont les retombées pourraient être
transparence, de même que la démocratie.
6. Consulter le site de NanoQuébec pour une information à jour sur les nouveaux produits mis en marché ou en développement : http://
www.nanoquebec.ca. Voir aussi l’inventaire des produits de consommation issus des nanotechnologies présenté par le Woodrow Wilson
International Center for Scholars à l’adresse suivante : http://www.nanotechproject.org/index.php?id=44.

 Éthique et nanotechnologies :
Se donner les moyens d’agir
Avis de la Commission de l’éthique de la science et de la technologie

Le premier chapitre définit les termes fondamentaux le recours au principe de précaution qui, dans le processus
du sujet à l’étude – nanomètre, nanoscience et nano­ de gestion du risque, permet de considérer l’ignorance
technologie – et présente brièvement quelques jalons quant aux effets dommageables que peut entraîner une
importants de la courte histoire de la nanotechnologie. innovation technologique et l’approche « cycle de vie* »,
Sont ensuite décrits les aspects marquants de cette qui encourage la prise en compte des incidences que
technologie qui constituent en quelque sorte les prémisses peut avoir un produit sur l’environnement, mais aussi
au questionnement éthique de la Commission sur le sur la société et sur l’économie, tout au long de la durée
sujet : le caractère invisible de la matière nanométrique, de vie de ce produit.
les propriétés spécifiques qu’elle développe, les modes de
Le troisième chapitre témoigne du questionnement
manipulation auxquels elle se prête (selon des approches
éthique auquel s’est livrée la Commission au regard
dites descendante ou ascendante), la multidisciplinarité
des nanotechnologies, dans l’état actuel de leur dévelop­
et la convergence disciplinaire, l’engouement généralisé
pement et des connaissances scientifiques. Dans une
pour le développement des nanotechnologies. Dans une
première partie, la Commission s’intéresse plus spécifi­
deuxième partie du chapitre, la Commission propose
quement au produit nanotechnologique. En guise de
un bref survol du domaine dans quatre secteurs de
prémisses, elle soulève la nécessité de bien établir les bases
re­cherche et d’innovation – les nanomatériaux, la
sur lesquelles pourra s’établir une gestion responsable
nano­électronique*, la nanobiotechnologie* et la nano­
des nanotechnologies : une nomenclature commune,
métrologie* – afin d’illustrer certains bénéfices que
l’accès à des procédures et à des échantillons standards
peuvent apporter les nanotechnologies et de signaler la
pour caractériser la matière nanométrique ainsi que des
nature des préoccupations qu’elles soulèvent.
recherches sur l’innocuité des nanotechnologies et la
Dans le deuxième chapitre, la Commission considère diffusion des résultats obtenus.
les mécanismes qui peuvent encadrer le développement
En deuxième partie, sont abordées les préoccupations
des nanotechnologies et l’innovation technologique
éthiques liées à la santé, à l’environnement et à la
qui en découle. À cette fin, elle indique d’abord quels
sécurité. En matière de santé, la Commission s’intéresse
sont les risques qui sont perçus dans l’état actuel
plus particulièrement à la protection des travailleurs,
du déve­loppement des nanotechnologies et quelles
notamment dans le cadre de la production et de la
sont les particularités des produits nanométriques
manipulation de nanomatériaux qui peuvent franchir
susceptibles de poser des risques en matière de santé et
les barrières naturelles de l’organisme en raison de leur
d’environnement. À ce titre, elle s’interroge sur le bien-
taille, mais aussi à la protection des consommateurs,
fondé des modalités d’évaluation en vigueur quand il
considérant qu’il existe des produits de consommation à
s’agit des produits issus des nanotechnologies. Après
leur intention sur le marché, qui sont appliqués sur la peau,
avoir constaté qu’il n’existe pas de lois ou de règlements
inhalés ou ingérés. Elle fait ensuite le point sur l’apport
au Québec et au Canada – pas plus qu’ailleurs dans le
des nanotechnologies dans le domaine de la médecine,
monde, faut-il préciser – qui concernent expressément
un sujet qui l’amène à soulever la question de l’éthique de
le secteur des nanotechnologies (de la manipulation de
la recherche biomédicale en la matière, avant d’aborder
la matière nanométrique jusqu’à son élimination), la
l’apport des nanotechnologies dans le diagnostic et le
Commission mentionne les lois et règlements québécois
traitement des maladies. Sur le plan de l’environnement,
et canadiens qui pourraient intégrer ces nouvelles
le questionnement éthique est présenté en lien avec la
technologies et pour lesquels une mise à jour à cet égard
nécessité d’adopter des com­portements responsables.
serait souhaitable. Elle rappelle brièvement quels sont les
La Commission aborde également quelques questions
instruments internationaux qui peuvent concerner les
éthiques relatives à l’utilisation des nanotechnologies à
nanotechnologies, à un titre ou à un autre, et souligne
des fins militaires et de sécurité publique. Pour conclure
l’importance pour l’industrie de pouvoir disposer d’un
cette partie du chapitre, la Commission s’interroge sur
guide des bonnes pratiques qui puisse contribuer à la
l’impact que pourraient avoir les nanotechnologies sur
mise en place de comportements responsables en matière
le devenir de l’être humain et sur son rapport à la nature
de gestion des risques d’une technologie nouvelle.
dans une perspective de convergence des connaissances
Enfin, la Commission fait le point sur deux approches
et des technologies.
à considérer dans l’encadrement des nanotechnologies :

Introduction 
Avis de la Commission de l’éthique de la science et de la technologie

En troisième partie, la Commission traite succinctement Pour réaliser le présent avis, la Commission a mis sur
de préoccupations qui relèvent d’une gestion responsable pied un comité de travail7 composé de membres de
des nanotechnologies et autres technologies émergentes. Il la Commission, de divers acteurs issus des milieux
est en effet apparu impossible à la Commission d’occulter universitaire et gouvernemental et d’un représentant
un certain nombre de préoccupations de nature éthique citoyen qui s’intéressent, à un titre ou à un autre, au
qui ne relèvent pas exclusivement des nanotechnologies, développement des nanotechnologies et aux enjeux
mais qui touchent également d’autres technologies éthiques qui en découlent. Les travaux du comité
émergentes comme les biotechnologies, la génomique ou se sont inspirés des réflexions plus larges menées
les technologies de l’information et de la communication. sur la scène internationale relativement aux enjeux
Le développement des nanotechnologies risque de économiques, environnementaux, éthiques, juridiques
donner aux questions soulevées une importance accrue et sociaux des nanotechnologies (les NE3LS en anglais8).
ou une nouvelle dimension qui justifient une réflexion Exceptionnellement, la Commission s’est assuré la
sur le sujet. Le questionnement proposé porte sur la collaboration de l’Office québécois de la langue française
gouvernance, l’activité économique et l’exercice de la (OQLF) pour garantir la qualité de la terminologie
citoyenneté et met notamment l’accent sur la légitimité et française utilisée dans son avis9. Les travaux du comité
la transparence du processus décisionnel, sur l’éventualité se sont échelonnés de décembre 2004 à avril 2006. La
que se crée un fossé nanotechnologique* entre pays Commission souhaite manifester sa reconnaissance au
riches et pays moins nantis, sur la propriété intellectuelle président et aux membres du comité pour l’excellence
et sur l’autonomisation* (ou l’empowerment) des de leur contribution tout au long de la préparation du
citoyens dans les choix qu’ils ont à faire au regard des projet d’avis, aux experts qui ont gracieusement accepté
nou­velles technologies. d’apporter leur éclairage aux réflexions du comité10
et aux professionnels du secrétariat qui ont permis de
Dans le cadre de son avis, la Commission formule huit
mener à terme la réalisation de l’avis.
recommandations à l’intention des décideurs politiques
et autres acteurs concernés. Ces recommandations visent
à mettre en place des mesures qui permettront d’agir de
façon responsable en ce qui a trait au développement
des nanotechnologies et à l’innovation technologique
qui l’accompagne afin d’en tirer tous les bénéfices
possibles pour la population et les générations futures. À
certaines reprises, lorsqu’il lui est apparu impossible de
formuler une recommandation spécifique sur un sujet
donné qu’elle juge cependant important, la Commission
propose un commentaire lui permettant de mettre
l’accent sur un aspect ou l’autre de la question abordée
dans la perspective que la société québécoise se donne
les moyens d’agir et de prendre des décisions éclairées
en matière de nanotechnologies.

7. La liste des membres du comité apparaît au début du présent avis.


8. C’est-à-dire « the economic, environmental, ethical, legal and social issues of nanotechnology ».
9. Les résultats de cette collaboration se traduisent par un glossaire présenté à la fin du texte, un contenu du domaine des nanotechnologies
enrichi et mis à jour dans Le grand dictionnaire terminologique sur le site de l’OQLF (http://www.oqlf.gouv.qc.ca/ressources/gdt.html),
ainsi que la présence d’un glossaire terminologique de l’OQLF sur le site de NanoQuébec [en ligne] http://nanoquebec.ca/nanoquebec_w/
site/explorateur.jsp?currentlySelectedSection=259.
10. Une liste des personnes consultées est présentée à la fin de l’avis.

 Éthique et nanotechnologies :
Se donner les moyens d’agir
Chapitre 1
Un nouveau monde en émergence :
l’univers des nanotechnologies
Invisible et mystérieux, l’univers de l’infiniment petit se situe à l’échelle de l’atome et s’exprime en nanomètres. C’est
une dimension qui échappe à l’œil nu et aux microscopes les plus puissants. Pour y accéder, il a fallu l’invention du
microscope à effet tunnel*. Depuis, la nanoscience et les nanotechnologies ont pris leur envol et se développent de
façon exponentielle au carrefour de plusieurs disciplines, dont la biologie, la physique, la chimie et l’informatique.
Les nanomatériaux, la nanoélectronique et la nanobiotechnologie permettent d’exploiter les propriétés spéciales de la
matière pour créer de nouveaux produits ou transformer des produits existants, exploiter de nouvelles façons de faire.
Si les nanotechnologies ont déjà ou laissent présager des applications utiles ou bénéfiques dans de nombreux secteurs
d’activité, il importe toutefois de déterminer si des questions d’ordre éthique doivent être soulevées relativement
à l’émergence de ces nouvelles technologies et aux conséquences indésirables qu’elles pourraient avoir sur le genre
humain et sur la collectivité, de façon à intervenir adéquatement le plus tôt possible.

Un monde à découvrir11 constitueront la troisième révolution technologique.


En effet, la première a donné naissance à la révolution
En 2001, dans son avis sur les nanotechnologies, le industrielle à la fin du 18e et au début du 19e siècle.
Conseil de la science et de la technologie soulignait en L’homme a alors appris à maîtriser la matière au niveau
ces termes l’intérêt que présentent les nanotechnologies : millimétrique avec des inventions comme la machine
« Les nanotechnologies sont à proprement parler révo­ à vapeur. La deuxième révolution technologique s’est
lution­naires. En effet, à l’échelle nanométrique les faite au milieu du 20e siècle avec la microélectronique.
matériaux et les systèmes peuvent révéler des carac­ L’homme fut alors en mesure de maîtriser la matière
téristiques complètement nouvelles qui en modifient au niveau du micro­mètre* (un millionième de mètre).
sensiblement les propriétés, de même que les phénomènes La troisième révolution technologique se produira au
et les processus physiques, chimiques et biologiques en 21e siècle, grâce aux nanotechnologies qui permettront
cause. Les modifications sont si fondamentales que les à l’homme de contrôler la matière au niveau du milliar­
propriétés de la matière au niveau nanométrique ne dième de mètre, soit au niveau de l’atome13. »
peuvent être déduites de celles de la matière solide à plus
grande échelle. […] Il y a donc lieu de prévoir que les Bien que l’histoire de la nanoscience et des nanotech­
nanotechnologies constitueront une véritable révolution nologies s’écrive formellement à partir de 1959 avec le
technologique puisqu’elles permettront à l’homme de discours précurseur de Richard Feynman sur l’ingénierie
contrôler la matière au niveau de l’atome12. » atomique, certains estiment que l’intérêt soulevé autour
de la nanoscience et des nanotechnologies ne doit pas
Dans cet ordre d’idées, une étude préalable à l’avis situait faire oublier que le monde nano fait partie intégrante
dans le temps la révolution technologique qui s’amorce : de la nature et que de tout temps, et intuitivement, l’être
« on s’entend pour dire que les nanotechnologies humain a su exploiter les propriétés particulières de la
11. Ce chapitre constitue une synthèse très sommaire du sujet, dont l’objectif est de fournir les éléments de base nécessaires à la mise en
contexte du questionnement éthique soulevé dans le présent avis. Le lecteur est invité à consulter le texte suivant pour une présentation
claire et détaillée des nanotechnologies : Daniel LEBEAU, Aperçu de la recherche sur les nanotechnologies, Document d’information, Conseil
de la science et de la technologie, Gouvernement du Québec, juin 2001 [en ligne] http://www.cst.gouv.qc.ca. En anglais, le rapport suivant
publié en Grande-Bretagne est également suggéré : THE ROYAL SOCIETY & THE ROYAL ACADEMY OF ENGINEERING (Royaume-
Uni), Nanoscience and Nanotechnologies : Opportunities and Uncertainties, Londres, The Royal Society, juillet 2004 [en ligne] http://www.
royalsoc.ac.uk/document.asp?id=2023.
12. CONSEIL DE LA SCIENCE ET DE LA TECHNOLOGIE, op. cit., p. i.
13. Daniel LEBEAU, op. cit., p. 8.


Avis de la Commission de l’éthique de la science et de la technologie

matière à l’échelle nano (voir l’encadré). D’autres, cepen­ sophisme philosophique » qui a pour conséquence de
dant, estiment que ce type d’argument « repose sur un naturaliser la science et d’artificialiser la nature14.

Un peu d’histoire 1981 Invention du microscope à effet tunnel par


Gerd Binnig et Heinrich Rohrer (Prix Nobel
« Le grand public doit savoir que le monde matériel dans de physique en 1986) du laboratoire de
lequel nous vivons depuis des millénaires comporte la recherche d’IBM à Zurich, qui permet pour
dimension ‘nano’ par essence même. Particules, atomes et la première fois aux chercheurs de voir les
molécules existent depuis le début de l’Univers et en sont atomes.
les constituants élémentaires. Dans le domaine ‘nano’ la
1985 Découverte des fullerènes (« buckyballs »)
nature est le premier maître d’œuvre pour avoir élaboré des
par Robert F. Curl Jr., Harold W. Kroto et
molécules comme l’ADN ou les carotènes. Le ‘nanomonde’
Richard E. Smalley (Prix Nobel de chimie en
n’est donc pas quelque chose de fonda­mentalement nouveau
1996).
et l’on doit se souvenir qu’au temps de la préhistoire, comme
à celui du moyen-âge, l’homme utilisait déjà sans le savoir 1986 Publication du livre de K. Eric Drexler,
des systèmes complexes nano­structurés* […] (peintures, Engines of Creation, qui popularise les
colorants, additifs, etc.). Par contre, les nanotechnologies, nanotechnologies.
qui sont liées à une manipulation contrôlée d’objets 1989 Le physicien Donald M. Eigler, chercheur
nanométriques, ne sont apparues que récemment, lorsque chez IBM, est le premier à manipuler des
les techniques permettant d’observer et de déplacer à cette atomes ; il déplace 35 atomes de xénon
échelle ont été utilisées couramment dans les laboratoires pour écrire les lettres IBM.
de re­cherche […] Le développement des nanotechnologies 1991 Sumio Iijima du laboratoire de recherche
est devenu explosif lorsque les potentialités d’applications de NEC au Japon découvre les nanotubes
ont été analysées et exploitées, montrant que les propriétés de carbone*.
des matériaux et systèmes susceptibles d’en découler
1993 Warren Robinett et R. Stanley Williams
pourraient être fondamentalement différentes de celles des
conçoivent un système de réalité virtuelle
matériaux et systèmes de dimension macroscopique, non
qui permet d’utiliser le microscope à effet
nanostructurés. »
tunnel pour manipuler les atomes.
Patrick Bernier15
1998 Cees Dekker et son groupe de recherche
de l’Université Delft aux Pays-Bas créent le
Quelques moments clés16 premier transistor à base de nanotubes de
1959 Présentation du discours du physicien carbone.
Richard Feynman, « There’s plenty of room Depuis 1990 Ouverture de centres voués à la nanoscience
at the bottom », sur les possibilités de et aux nanotechnologies à travers le
l’ingénierie atomique. monde (États-Unis, Japon, pays de l’Union
1974 Norio Taniguchi de l’université des Sciences européenne et plusieurs autres)
de Tokyo utilise pour la première fois le Depuis 2000 Mise en place d’initiatives nationales en
terme « nanotechnology ». nano­­tech­nologies dans plusieurs pays (États-
Unis, Japon, Union européenne, France,
Allemagne, Chine et plusieurs autres)

14. Extrait d’une communication personnelle de Céline Lafontaine, sociologue, Université de Montréal, mai 2005 : « Non seulement ce
type de formule qu’on retrouve dans grand nombre de documents publics traitant des nanos amène une certaine confusion quant à la
nouveauté des nanotechnologies, mais elle repose sur un sophisme philosophique qui projette l’état actuel des connaissances à l’ensemble
de l’histoire humaine. Plusieurs spécialistes des sciences sociales déplorent que ce type d’argument soit employé dans les documents
publics puisqu’il participe d’une logique de “naturalisation de la science et d’artificialisation de la nature”, comme il est convenu d’appeler
ce phénomène. »
15. Patrick BERNIER, « Nanosciences et nanotechnologies : dimension sociétale et problèmes de santé publique », Nanosciences et Nano­
technologies : une réflexion prospective, mai 2005, p. 29 [en ligne] http://www.recherche.gouv.fr/mstp/nano_mstp2005.pdf.
16. Voir, entre autres, Scientific American, septembre 2001, p. 36.

 Éthique et nanotechnologies :
Se donner les moyens d’agir
Avis de la Commission de l’éthique de la science et de la technologie

Nanoscience et nanotechnologie : Ces trois caractéristiques – la taille, de nouvelles pro­


l’échelle du nanomètre priétés et le contrôle de la matière – sont intégrées dans
la définition très longue des nanotechnologies adoptée
Le monde de la nanoscience et de la nanotechnologie par la National Science Foundation aux États-Unis et
se situe à l’échelle du nanomètre. Le préfixe nano vient reprises par la National Nanotechnology Initiative17. La
du grec « nannos » qui veut dire nain ou très petit et fait Commission les retient également pour la définition des
référence au milliardième ou 10–9 d’une unité de mesure termes « nanoscience » et « nanotechnologie » tels qu’ils
qui s’exprime au moyen de l’abréviation nm (pour seront compris dans le présent avis.
nanomètre). Une dimension aussi petite est invisible à
l’œil nu ; à des fins de comparaison, il est courant de La nanoscience est l’étude scientifique, à l’échelle des
faire référence au cheveu humain dont le diamètre varie atomes et des molécules, de structures moléculaires
entre 50 000 et 100 000 nanomètres. dont au moins une de leurs dimensions mesure entre
1 et 100 nanomètres, dans le but de comprendre leurs
Les objets sont considérés comme faisant partie de propriétés physicochimiques particulières et de définir
l’univers de la nanoscience à la condition qu’une de les moyens à utiliser pour les fabriquer, les manipuler
leurs di­mensions se situe entre 1 et 100 nm. La taille et les contrôler. Dans un sens plus général, le terme
des objets est importante parce que c’est généralement nanoscience peut désigner l’ensemble des recherches qui
entre 1 et 100 nm qu’interviennent un enrichissement s’intéressent à toute structure de la matière qui comporte
ou un changement dans les propriétés de la matière, un au moins une dimension nanométrique, sans que ces
aspect fondamental des nanotechnologies. Ce seront, études visent nécessairement la fabrication d’objets ou
par exemple, une réactivité accrue (en raison d’une de matériaux utilisables dans différents domaines.
augmentation de la surface spécifique* de l’objet nano,
et donc du rapport entre son volume et sa surface) Découlant de la nanoscience, la nanotechnologie est la
ou l’acquisition de propriétés optiques, magnétiques, conception et la fabrication, à l’échelle des atomes et
électriques, mécaniques ou biologiques attribuables à des molécules, de structures qui comportent au moins
des effets quantiques qui se produisent à cette échelle une dimension mesurant entre 1 et 100 nanomètres, qui
(comme l’effet tunnel*) et que ne possède pas la même possèdent des propriétés physicochimiques particulières
matière à plus grande échelle. exploitables, et qui peuvent faire l’objet de manipulations
et d’opérations de contrôle. Les résultats de certaines
Enfin, un dernier point s’avère essentiel pour bien recherches effectuées sur le comportement des particules
cerner l’univers des nanotechnologies, et c’est celui de ultrafines* (issues des émissions des moteurs diesels18, par
l’in­­tervention humaine dans la manipulation et le con­ exemple) accidentellement projetées dans l’air, dont les
trôle de la matière à l’échelle nanométrique afin de créer dimensions se situent à cette échelle, peuvent être utilisés
des nanostructures qui pourront être intégrées à des en nanotechnologie pour mieux comprendre celui des
structures à plus large échelle dans la mise au point de nanoparticules conçues et fabriquées en laboratoire.
produits nanotechnologiques.

17. La NNI est un programme multi-agences du gouvernement américain qui a pour but d’accélérer la découverte, le développement et le
déploiement de la science, du génie et de la technologie à l’échelle nanométrique. Sa définition de « nanotechnologie » est la suivante :
« Research and technology development at the atomic, molecular or macromolecular levels, in the length scale of approximately 1-100 nm range,
to provide a fundamental understanding of phenomena and materials at the nanoscale and to create and use structures, devices and systems
that have novel properties and functions because of their small and/or intermediate size. The novel and differentiating properties and functions
are developed at a critical length scale of matter typically under 100 nm. Nanotechnology research and development includes manipulation
under control of the nanoscale structures and their integration into larger material components, systems and architectures. Within these larger
scale assemblies, the control and construction of their structures and components remains [sic] at the nanometer scale. In some particular cases,
the critical length scale for novel properties and phenomena may be under 1 nm (e.g., manipulation of atoms at ~0.1 nm) or be larger than
100 nm (e.g., nanoparticle reinforced polymers have the unique feature at ~200-300 nm as a function of the local bridges or bonds between the
nano particles and the polymer) ». Voir National Nanotechnology Initiative [en ligne] http://www.nano.gov.
18. INSTITUT DE RECHERCHE ROBERT-SAUVÉ EN SANTÉ ET EN SÉCURITÉ DU TRAVAIL – IRSST, Les effets à la santé reliés aux
nanoparticules, Claude OSTIGUY et collaborateurs, Rapport R-451, Études et recherches, Gouvernement du Québec, mars 2006, p. 1
[en ligne] http://www.irsst.qc.ca/fr/_publicationirsst_100185.html .

Chapitre 1 – Un nouveau monde en émergence : 


l’univers des nanotechnologies
Avis de la Commission de l’éthique de la science et de la technologie

La distinction entre nanoscience et nanotechnologie l’échelle nanométrique, les propriétés nouvelles de la


repose donc essentiellement sur une différenciation matière à cette échelle, la manipulation de la matière,
conceptuelle entre science et technologie. Dans la la multidisciplinarité et la convergence disciplinaire des
documentation consultée, la Commission note d’ailleurs nano­technologies, l’engouement mondial pour les nano­
que ces deux termes ne font pas nécessairement l’objet technologies. Dans certains cas, ces aspects marquants
d’une utilisation distincte et reconnaît qu’il n’est pas du domaine servent de fondement au questionnement
toujours facile, ni essentiel, de distinguer science et éthique qui sera amorcé dans les prochains chapitres.
tech­nologie dans ce secteur. C’est pourquoi le terme
nanotechnologie est souvent utilisé de façon générique La taille d’un composant nanométrique
dans la suite du texte. La forme plurielle semble aussi
Parce qu’il faut des appareils expressément conçus pour
plus courante, vraisemblablement en raison de la
travailler à l’échelle du nanomètre afin d’explorer le
di­versité des applications et des domaines dans lesquels
nanomonde et de procéder à la manipulation d’atomes
des manipulations se font à l’échelle du nanomètre.
ou de molécules – comme le microscope à effet tunnel
Comme le soulignait le Conseil de la science et de la (pour les matériaux conducteurs) ou le microscope à
technologie dans son avis de 200119, et comme l’ont fait force atomique* (pour les matériaux isolants)21 –, le
d’autres auteurs depuis20, la prudence s’impose dans la nanomonde et ses composants restent dans l’univers
définition de ces termes. Il faut éviter qu’elle soit si large de l’invisible et de l’indétectable en dehors des instal­
qu’elle puisse englober toute recherche ou application lations de recherche et de fabrication industrielle.
technologique dans la dimension microscopique. Les Toute opération de contrôle relative à la présence de
expressions comportant le préfixe « nano » sont très composants nanométriques dans des produits ou dans
à la mode en ce moment et constituent généralement un environnement donnés ne peut donc se faire que dans
un dé­tournement de sens – les blocs de construction des conditions spécifiques, et les moyens de protection
« nanos » ou le « nano iPod », par exemple, n’ont rien utilisés à ce jour pour contrer l’inhalation, l’ingestion
à voir avec la technologie nanométrique. Si cet usage ou l’absorption par la peau, ou pour éviter des rejets
abusif a somme toute peu d’importance quand il de nanoparticules dans l’environnement, ne sont plus
s’agit de marketing ou de publicité, il en va autrement nécessairement appropriés et efficaces22.
sur le plan de la recherche. En effet, l’investissement
public gagne en importance dans le financement de la Les propriétés nouvelles de la matière nanométrique
recherche en nanoscience et en nano­technologie ; or, la
Avec l’augmentation du rapport volume/surface et
tentation d’accoler le préfixe « nano » aux projets dans
l’accroissement de la surface spécifique qui en découle,
le but d’augmenter les chances de financement, qui est
de nouvelles propriétés de la matière apparaissent à
présente dans le monde de la recherche, peut nuire au
l’échelle nanométrique : par exemple, le nickel devient
développement du secteur.
aussi dur que l’acier, une substance auparavant soluble
devient insoluble, la conductivité du cuivre diminue et
Aspects marquants à considérer : celle du carbone augmente, les propriétés thermiques des
une prémisse au questionnement éthique matériaux changent, certaines substances changent de
Pour mieux comprendre l’univers des nanotechnologies, couleur, d’autres deviennent réactives, etc. La recherche
leurs particularités méritent d’être rappelées et précisées : et la découverte de ces nouvelles propriétés constituent

19. CONSEIL DE LA SCIENCE ET DE LA TECHNOLOGIE, op. cit.


20. Dont ACADÉMIE DES SCIENCES ET ACADÉMIE DES TECHNOLOGIES (France), Nanosciences – Nanotechnologies, Rapport sur la
science et la technologie no 18, Paris, avril 2004 [en ligne] http://www.academie-sciences.fr/publications/rapports/rapports_html/RST18.
htm ; OFFICE PARLEMENTAIRE D’ÉVALUATION DES CHOIX SCIENTIFIQUES ET TECHNOLOGIQUES (France), Nanoscience et
progrès médical, Rapport de Jean-Louis LORRAIN et Daniel RAOUL, 6 mai 2004 ; THE ROYAL SOCIETY & THE ROYAL ACADEMY OF
ENGINEERING (Royaume-Uni), op. cit.
21. MINISTÈRE DÉLÉGUÉ À LA RECHERCHE ET AUX NOUVELLES TECHNOLOGIES (France), À la découverte du nanomonde, Paris,
2003, p. 18-19 [en ligne] http://www.nanomicro.recherche.gouv.fr/docs/plaq.nanomonde.pdf.
22. THE ROYAL SOCIETY & THE ROYAL ACADEMY OF ENGINEERING (Royaume-Uni), op. cit., p. 76.

 Éthique et nanotechnologies :
Se donner les moyens d’agir
Avis de la Commission de l’éthique de la science et de la technologie

un élément clé de l’intérêt pour les nanotechnologies et L’approche ascendante (bottom-up) consiste à assembler
l’innovation technologique qui peut en résulter dans de les composants nanométriques à partir des éléments de
nombreux secteurs d’activité. base de la matière, atome par atome ou molécule par
molécule, jusqu’à l’obtention d’une structure complète
Toutefois, ces nouvelles caractéristiques de la matière à
capable de s’intégrer dans un ensemble plus grand.
l’échelle nanométrique créent un contexte où règnent
Cette approche suppose l’assemblage contrôlé de petites
l’inconnu et l’incertitude. À moins de 50 nm, la ma­tière
sous-unités (atomes ou molécules) en une structure
suit les lois de la physique quantique* et non plus celles
plus grande et fonctionnelle. C’est comme fabriquer la
de la physique classique, et certaines de ses propriétés,
statue de l’exemple de l’approche descendante, mais en
comme le magnétisme ou la conduc­tivité, peuvent changer
empilant des blocs de matière.
radicalement. En raison de leur taille, les nanoparticules
peuvent devenir plus toxiques, puisqu’elles peuvent Depuis quelques milliards d’années, la nature construit
ainsi être absorbées plus facilement par les organismes le monde du vivant à partir de systèmes nanométriques
vivants 23. Inévitablement, ces nouvelles propriétés qui fonctionnent selon l’approche ascendante et four­
soulèvent la question de l’identification, de l’évaluation nit d’excellents exemples d’autoassemblage* dont
et de la gestion des risques (avérés ou hypothétiques) souhaite s’inspirer la fabrication nanotechnologique25.
qu’elles pourraient entraîner, de la conception d’un L’autoassemblage tel qu’il est pratiqué dans la nature
produit nanométrique jusqu’à son élimination. n’est cependant pas la seule voie possible d’une approche
ascendante26. Il est aussi possible de construire des objets
La manipulation de la matière en utilisant des microscopes en champ proche* qui vont
saisir les atomes (ou les molécules) un à un pour les
Pour la fabrication de matériaux ou d’objets à l’échelle
assembler selon la forme voulue.
nanométrique, deux approches sont utilisées : l’approche
descendante*, actuellement la plus courante, et l’ap­ Ces deux approches, ascendante et descendante, ont
proche ascendante*, une technique en progression. leurs avantages et leurs inconvénients. Avec l’approche
descendante, il faut créer des objets de plus en plus
L’approche descendante (top-down) consiste à réduire
petits avec de plus en plus de précision, alors que pour
progressivement la taille d’un matériau existant, en le
l’approche ascendante il faut s’assurer de contrôler assez
découpant ou en le sculptant (par usinage ou par gra­
bien les paramètres de manipulation pour construire des
vure), jusqu’à ce qu’il possède les dimensions et les
unités suffisamment grosses pour être utilisables dans le
caractéristiques voulues. Pour utiliser une comparaison,
monde macroscopique.
disons que c’est comme sculpter une statue à partir d’un
bloc de marbre en utilisant un marteau et un ciseau. L’approche ascendante, notamment en ce qui a trait à
l’auto­­assemblage, soulève des craintes populaires (et
La microélectronique utilise cette approche depuis
parfois scientifiques) à l’égard de l’autoréplication* de
une cinquantaine d’années, notamment au moyen de
composants nanométriques qui pourrait en découler.
la photolithographie*. Appréciée pour sa fiabilité et la
complexité qu’elle permet d’atteindre, cette approche
requiert généralement un apport énergétique important
et produit plus de déchets que l’approche ascendante24.
23. MERIDIAN INSTITUTE, Nanotechnology and the Poor : Opportunities and Risks. Closing the Gaps within and between Sectors of Society,
janvier 2005, p. 8 [en ligne] http://www.nanoandthepoor.org. Voir aussi, entre autres, SCIENTIFIC COMMITTEE ON EMERGING AND
NEWLY IDENTIFIED HEALTH RISKS – SCENIHR, Opinion on the appropriateness of existing methodologies to assess the potential risks
associated with engineered and adventitious products of nanotechnologies, European Commission, septembre 2005 [en ligne] http://files.
nanobio-raise.org/Downloads/scenihr.pdf ; SWISS RE, Nanotechnology. Small Matter, Many Unknowns, Annabelle HETT et al., Swiss
Reinsurance Company, Risk perception series, Suisse, 2004 [en ligne] http://swissre.com ; J. Clarence DAVIES, Managing the Effects of
Nanotechnology, Woodrow Wilson International Center for Scholars, Project on Emerging Nanotechnologies, Washington, D.C., 27 janvier
2006 [en ligne] http://www.wilsoncenter.org/events/docs/Effectsnanotechfinal.pdf.
24. THE ROYAL SOCIETY & THE ROYAL ACADEMY OF ENGINEERING (Royaume-Uni), op. cit., p. 28.
25. MINISTÈRE DÉLÉGUÉ À LA RECHERCHE ET AUX NOUVELLES TECHNOLOGIES, op. cit., p. 3.
26. Pour plus de détails, voir THE ROYAL SOCIETY & THE ROYAL ACADEMY OF ENGINEERING (Royaume-Uni), op. cit., p. 26-28.

Chapitre 1 – Un nouveau monde en émergence : 


l’univers des nanotechnologies
Avis de la Commission de l’éthique de la science et de la technologie

La multidisciplinarité et la convergence disciplinaire soins de santé personnalisés, à la traçabilité des produits


de consommation et à l’établissement de profils de
Des spécialistes de diverses disciplines mettent déjà
con­som­mation27. La convergence éventuelle des nano­
à profit les nanotechnologies dans leur domaine de
technologies avec la biotechnologie, les sciences de
recherche. Par exemple, un biologiste utilisera des
l’infor­mation et les sciences cognitives (nano-bio-info-
nano­­particules ferromagnétiques fabriquées par le
cogno/NBIC28) soulève aussi des inquiétudes quant à
chimiste dans la recherche d’un nouveau traitement
l’utilisation qui pourrait en être faite pour transformer
contre le cancer, le physicien se servira de l’ADN pour
l’être humain à l’aide de la technologie29.
filtrer des nanotubes de carbone et le chimiste utilisera
la microscopie en champ proche* développée par le Un engouement généralisé
physicien pour observer ses molécules synthétiques.
Chacun contribue ainsi au progrès de la recherche dans Dans les années 1990, les premiers instituts ou centres
sa propre discipline et, par voie de conséquence, dans voués à divers aspects de la nanoscience ont vu le jour
le vaste secteur des nanotechnologies. D’où la difficulté aux États-Unis et au Japon. Depuis 2000, des initia­
de nommer les réalités du domaine et d’en arriver à tives nationales sont nées ailleurs dans le monde afin
l’établis­sement d’une nomenclature suffisamment claire de favoriser l’émergence d’une industrie locale et de se
et précise pour se prêter à la mise en place de normes en doter d’un avantage concurrentiel. Des sommes consi­
matière de protection de la santé et de l’environ­nement. dérables y sont consacrées, ainsi que l’illustre le tableau
ci-dessous.
La multidisciplinarité du domaine et le vaste potentiel
des nanotechnologies rendent possible la convergence Toutefois, ces données concernent essentiellement les
des disciplines qui sont engagées dans le développement investissements relatifs aux stratégies nationales mises en
et l’utilisation des nanotechnologies. Par exemple, la mise œuvre dans les pays mentionnés ; elles excluent d’office les
au point de capteurs* nanométriques et leur utilisation investissements qui sont faits par divers États américains
dans le domaine des technologies de l’information (un milliard de dollars américains pour la seule ville
et de la com­munication pourraient donner lieu à des d’Albany dans l’État de New York), par exemple, et ne
mesures de sécurité et de surveillance accrues, à des permettent pas d’inclure les investissements publics

Estimation des investissements réalisés en recherche et développement


par les gouvernements centraux, selon la National Science Foundation (en M$ US)
Région 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005
Europe 126 151 179 200 ~225 ~400 ~650 ~950 ~1 050
Japon 120 135 157 245 ~465 ~720 ~800 ~900 ~950
États-Unis 116 190 255 270 465 697 862 989 1 081
Autres régions 70 83 96 110 ~380 ~550 ~800 ~900 ~1 000
Total 432 559 687 825 ~1535 ~2 350 ~3 100 ~3 700 ~4 100
Source : Mihail C. Roco, National Science Foundation30.

27. Ibid., p. x.
28. Voir, entre autres, Mihail C. ROCO et William Sims BAINBRIDGE (dir.), Converging Technologies for Improving Human Performance.
Nanotechnology, Biotechnology, Information Technology and Cognitive Science, National Science Foundation, Arlington, Virginia, juin
2002 [en ligne] http://www.wtec.org/ConvergingTechnologies/Report/NBIC_report.pdf ; W. BIBEL (dir.), Converging Technologies and
the Natural, Social and Cultural World, Special Interest Group Report for the European Commission via an Expert Group on Foresighting
the New Technology Wave, 26 juillet 2004 [en ligne] http://ec.europa.eu/research/conferences/2004/ntw/pdf/sig4_en.pdf.
29. Dans la foulée du courant philosophique transhumaniste qui prône « le droit moral, de ceux qui le désirent, de se servir de la technologie
pour accroître leurs capacités physiques, mentales ou reproductives et d’être davantage maîtres de leur propre vie […] en transcendant
[leurs] limites biologiques actuelles », voir « La déclaration transhumaniste » de la WORLD TRANSHUMANIST ASSOCIATION [en ligne]
http://transhumanism.org/index.php/WTA/more/148.
30. Tiré de Mark ROSEMAN, An Overview of Nanotechnology in Canada. Report 2 : A Review and Analysis of Foreign Nanotechnology Strategies,
developed for the Prime Minister’s Advisory Council on Science and Technology (PMACST), Canada, 14 octobre 2005, p. 2 et 3 [disponible
sur demande] http://acst-ccst.gc.ca/back/home_f.html. Les totaux ont été arrondis pour les montants approximatifs.

10 Éthique et nanotechnologies :
Se donner les moyens d’agir
Avis de la Commission de l’éthique de la science et de la technologie

réalisés au Canada en l’absence d’une stratégie nationale gouvernements et leurs organismes subventionnaires
en matière de nanotechnologies. À noter qu’une telle traditionnels, tels que le Conseil de recherches en sciences
stratégie était prévue pour la fin de 200531 et devrait donc naturelles et en génie du Canada (CRSNG) ou les Instituts
être mise en œuvre bientôt. Pour le moment, il est difficile de recherche en santé du Canada (IRSC) et le Fonds
de tracer un portrait quantitatif de l’investissement québécois de la recherche sur la nature et les technologies
cana­dien relatif aux nanotechnologies. En grande (FQRNT) au Québec. Le CRSNG a d’ailleurs mis en
partie, l’infrastructure nécessaire au développement des place une plate-forme d’inno­­vation en nanoscience et
nanotechnologies est logée dans les universités32 ; les en nanotechnologie (NanoPIC36) dont la mission est
sommes sont attribuées à la recherche universitaire à d’accélérer et d’inten­sifier la recherche en plus de faciliter
l’intérieur des budgets des organismes subventionnaires la formation de personnes qualifiées en la matière. Ce
nationaux (comme le Conseil de recherches en sciences réseau national et multi­disciplinaire, dont la direction loge
naturelles et en génie du Canada [CRSNG] et les Instituts à l’université McGill, regroupe des chercheurs universi­
de recherche en santé du Canada [IRSC]), et le caractère taires des secteurs de l’ingénierie et de la science et finance
multidisciplinaire du domaine ne permet pas d’avoir des projets à hauts risques financiers.
une vue d’ensemble sur les subventions consacrées aux
Enfin, il importe de souligner que les projets associés au
nanotechnologies. À titre indicatif, signalons qu’une
développement et à l’exploitation des nanotechnologies
recherche réalisée sur le sujet en 200433 évalue à environ
ne sont pas réservés aux pays développés ; des pays
200 millions de dollars canadiens l’effort consenti
comme la Chine, l’Inde, l’Afrique du Sud et les pays de
annuellement en nanotechnologies avec les budgets du
l’ancien bloc de l’Est se sont aussi dotés de programmes
CRSNG (subventions d’équipes et individuelles).
consacrés spéci­fi­quement aux nanotechnologies. Cette
Avec 38,6 % des entreprises canadiennes en nanotech­ pré­sence de plus en plus forte de la recherche en nano­
nologies, le Québec occupe une place enviable dans ce technologies partout dans le monde permet d’espérer
domaine au Canada34. La création de NanoQuébec en que les besoins des pays moins développés seront égale­
2001 lui confère un rôle de leader dans la promotion ment pris en considération dans la mise au point de
des nanotechnologies pour accroître le développement solutions adaptées aux besoins particuliers de ces pays et
économique du pays. que ceux-ci ne seront pas exclus des bénéfices attendus
de la recherche.
Marginale dans les années 1990, la recherche en nano­
science et en nanotechnologies fait maintenant partie inté­ Cet effort planétaire de recherche débouchera inévitable­
grante des programmes de formation35 et de recherche ment sur une diversité d’applications qui pourront avoir
de tous les établissements universitaires ; des entre­­prises des retombées bénéfiques, mais dont les effets sur la santé
privées (PME souvent issues du milieu universitaire) des consommateurs, des chercheurs et des travailleurs,
sont aussi de plus en plus présentes. Les domaines de sur l’environnement, sur l’organisation du travail, voire
recherche sont variés et se situent dans les quatre grands sur le devenir de l’espèce humaine devront être pris en
secteurs qui seront considérés ci-dessous : nanomatériaux, considération. Des interventions locales seront-elles
nanoélectronique, nanobio­technologie et nanométrologie. suffisantes ou faudra-t-il que des instances de contrôle et de
Le financement de la recherche au Québec est surtout surveillance internationales soient mises en place ? Qu’en
public. Les principaux bailleurs de fonds demeurent les est-il de ces préoccupations sur la scène internationale ?

31. Voir http://www.infoexport.gc.ca/science/india_techsummit_thprof-fr.htm.


32. David J. ROUGHLEY, Victor JONES et Aaron CRUIKSHANK, An Overview of Nanotechnology in Canada. Report 3 : The Canadian
Industrial Capacity to Absorb Nanotechnology, developed for the Prime Minister’s Advisory Council on Science and Technology (PMACST),
Canada, 31 octobre 2005, p. 13 [disponible sur demande] http://acst-ccst.gc.ca/back/home_f.html.
33. Peter GRÜTTER et Mark ROSEMAN, A Study of Canadian Academic Nanoscience Funding : Review and Recommendations, NSERC/
CRSNG NanoIP/PIC, juin 2004 [en ligne] http://www.physics.mcgill.ca/NSERCnanoIP/e/Canada_Nano_Funding.pdf.
34. Pour une présentation détaillée sur le sujet, voir David J. ROUGHLEY et al., op. cit. Des annexes offrent aussi de l’information sur les
brevets, les entreprises et la recherche selon les différentes provinces canadiennes.
35. Des programmes de formation technique existent également dans quelques cégeps du Québec.
36. NanoPIC, La plate-forme d’innovation du CRSNG en nanoscience et en nanotechnologie, 2005 [en ligne] http://www.physics.mcgill.ca/
NSERCnanoIP/f/.

Chapitre 1 – Un nouveau monde en émergence : 11


l’univers des nanotechnologies
Avis de la Commission de l’éthique de la science et de la technologie

Les grands secteurs d’intervention tique, les technologies de précision qui font appel au
découpage, à la gravure et à l’abrasion permettent de
À l’instar de l’électricité et de l’électronique, la nano­ produire des pièces de haute précision. Dans l’approche
science et les nanotechnologies toucheront toutes les
ascendante, divers processus peuvent être utilisés : des
sphères de la vie courante. Les applications qui en processus de synthèse chimique qui produisent des
découlent déjà ou qui pourraient en résulter dans les matériaux bruts comme les nanoparticules utilisées
années à venir – à court, moyen ou long terme – sont dans les cosmétiques, la peinture et autres produits, des
aussi diversifiées qu’il est possible de l’imaginer, parfois processus d’autoassemblage ou d’auto-organisation* qui
déroutantes, souvent fascinantes, dans certains cas produisent les nanocristaux, nanofilms et nanotubes,
préoccupantes. Les quatre grands secteurs de re­cherche et entre autres pour la fabrication d’écrans, et des processus
d’innovation qui jouent actuellement un rôle majeur dans d’assemblage positionnel* qui, de façon expérimentale,
le domaine des nanotechnologies sont les nanomatériaux, visent la manipulation et le positionnement un par un
la nanoélectronique, la nano­biotechnologie (et la nano­ d’atomes et de molécules pour créer une structure38.
médecine) et la nanométrologie.
Qu’il s’agisse de la nanoscience ou des nanotechnologies,
Les nanomatériaux « les limites de chaque domaine sont confondues et
toujours floues. Dans ce contexte, les nanomatériaux
Un nanomatériau est constitué de particules de matière
repré­sentent le dénominateur commun de tous les
dont la taille comporte au moins une dimension pouvant
sous-domaines. Ils sont d’une grande importance, non
varier entre 1 et 100 nanomètres, qui lui permet d’acquérir
seulement en tant que nouvelles couches et matériaux
des propriétés particulières. Des nanomatériaux ayant
conducteurs en nanoélectronique, mais aussi en tant
une seule dimension nanométrique sont les films ou
que matériaux capteurs en nanobiotechnologie39. » Dans
les couches minces et les surfaces nanostructurées dont
l’état actuel du développement de la recherche et des
seulement l’épaisseur est nanométrique. Les nanofils* et
technologies, les nanomatériaux sont principalement
les nanotubes, qui ont un diamètre inférieur à 100 nm
intégrés à des produits existants pour en améliorer cer­
mais qui ont une longueur pouvant atteindre plusieurs
taines caractéristiques ou leur en donner de nouvelles.
centaines de micromètres, sont des nanomatériaux à deux
C’est le cas, par exemple, pour des produits comme les
dimensions. Enfin, les nanoparticules, les nanopoudres,
écrans solaires transparents, les cosmétiques qui pénètrent
les fullerènes et les nanocristaux (ou points quantiques)
plus profondément dans la peau, les pneus plus résistants,
sont des nanomatériaux dont toutes les dimensions sont
les balles de tennis qui durent plus longtemps et offrent
à l’échelle nanométrique37.
de meilleures propriétés de rebond, les peintures qui
Les nanomatériaux sont produits selon deux grandes protègent contre la corrosion, les verres antiéblouissement,
approches qui ont été présentées plus haut : l’approche les pansements antibactériens, les tissus infroissables,
descendante et l’approche ascendante. À l’intérieur de etc.40 (voir aussi l’encadré). À moyen ou à long terme,
ces deux approches, différentes techniques de mani­ cependant, l’utilisation des nanomatériaux vise des
pulation de la matière sont utilisées en fonction de la objectifs beaucoup plus ambitieux, notamment dans
nature du produit recherché. Dans l’approche descen­ des domaines comme l’énergie et l’environnement. Les
dante, des techniques s’appuyant sur les procédés de nanomatériaux font également partie intégrante du
la lithographie* sont utilisées, notamment dans le développement de la recherche et de nouvelles applications
domaine de l’électronique pour produire des puces nanotechnologiques dans les domaines de l’électronique
électroniques, par exemple ; dans le domaine de l’op­ et de la santé, présentés dans les prochaines sections.
37. THE ROYAL SOCIETY & THE ROYAL ACADEMY OF ENGINEERING (Royaume-Uni), op. cit., p. 7.
38. Ibid., p. 25-30.
39. AMBASSADE DE FRANCE EN ALLEMAGNE, Les nanotechnologies en Allemagne, Domaines des nanomatériaux et de la nanoélectronique,
octobre 2005, p. 9 [en ligne] http://www.bulletins-electroniques.com/rapports/smm05_085.htm.
40. Voir, entre autres, SCIENCE-METRIX, Canadian Stewardship Practices for Environmental Nanotechnology, Stéphane BERGERON et Éric
ARCHAMBAULT, pour le compte d’Environment Canada, mars 2005, p. 2 [en ligne] http://www.science-metrix.com/pdf/SM_2004_016_
EC_Report_Stewardship _Nanotechnology_Environment.pdf et EUROPEAN COMMISSION. COMMUNITY HEALTH AND CONSUMER
PROTECTION, Nanotechnologies : A Preliminary Risk Analysis…, 2004, p. 138 [en ligne] http://europa.eu.int/comm/health/ph_risk/events_
risk_en.htm.

12 Éthique et nanotechnologies :
Se donner les moyens d’agir
Avis de la Commission de l’éthique de la science et de la technologie

Utilisations possibles des nanomatériaux que le nombre de composants sur une surface donnée
double environ tous les 18 mois42, la miniaturisation ne
« [Les] propriétés de résistance mécanique des nanoma­ pourra être poussée plus loin dans cette voie et devra
tériaux pourront être exploitées dans des secteurs aussi
s’orienter vers des technologies hybrides comme celle
divers que les matériaux de construction pour le bâtiment,
des polymères* conducteurs43.
les appareils électroménagers et les appareils médicaux.
Les moyens de transports terrestres, maritimes, aériens et Pour remplacer la lithographie utilisée jusqu’à mainte­
spatiaux fabriqués avec des nanomatériaux seront plus nant pour fabriquer des circuits électroniques, différentes
légers, emporteront plus de charge utile, consommeront technologies réalisées à l’échelle nanométrique sont
moins d’énergie et seront donc moins polluants pour
expérimentées, par exemple la lithographie par
l’environnement.
rayons X*44, la lithographie par ultraviolets extrêmes*
En outre, les nanoparticules ont une autre propriété intéres­ et la lithographie par projection de faisceau d’électrons*.
sante du fait de leurs petites dimensions : un excellent
L’utilisation de l’électronique moléculaire* (voir
rap­port surface/volume. Il permettra d’augmenter
l’encadré) ou des nanotubes de carbone est également
l’effi­­­ca­­ci­té des catalyseurs, utilisés notamment dans le
raffinage du pétrole et dans l’industrie des engrais, mais
envisagée pour atteindre les performances recherchées.
aussi de l’absorption des polluants (au moyen des filtres
antipollution et des pots catalytiques des véhicules) L’électronique moléculaire
et du stockage de l’hydrogène (carburant de la pile à
« Un domaine de recherche qui attire beaucoup l’atten­
combustible* des voitures électriques). »
tion actuellement est l’électronique moléculaire, car
Ministère délégué à la Recherche des résultats encourageants et fort prometteurs ont été
et aux Nouvelles Technologies (France)41 obtenus récemment. Si les résultats attendus se concré­
tisent, il sera possible de construire des ordinateurs d’une
façon totalement différente des techniques actuelles
La nanoélectronique
de lithographie. Plusieurs chercheurs travaillent donc
La nanoélectronique concerne l’étude, la conception, la présen­tement à l’utilisation de molécules chimiques
fabrication et l’utilisation de circuits ou de composants et bio­­logiques comme composants des ordinateurs.
électroniques, qui sont assemblés à partir d’éléments dont Ces molécules serviraient notamment de transistors, le
composant de base de tout ordinateur.
les dimensions se situent à l’échelle nanométrique, en
vue d’en exploiter les propriétés physiques particulières. […]
L’optoélectronique* et les technologies de l’information C’est donc dire que le mode de fabrication des futurs
et de la communication (TIC) font partie du domaine. ordinateurs différera entièrement des processus actuels.
Il convient de souligner qu’il y a actuellement des che­ La fabrication des composants électroniques moléculaires
vau­che­ments entre l’innovation à l’échelle microsco­ ressemblera en effet davantage aux processus des com­
pagnies pharmaceutiques. Les composants chimiques
pique et à l’échelle nanométrique qui rendent difficile
seront déposés sur un substrat et s’assembleront d’eux-
l’identification de l’innovation spécifiquement nanotech­
mêmes. Le nombre d’opérations sera donc réduit de
nologique en électronique. façon dra­conienne, puisqu’il faut actuellement plusieurs
Historiquement, l’électronique a toujours cherché à dizaines d’étapes de fabrication pour produire une puce
améliorer les performances des composants électro­ au silicium. Par conséquent, non seulement les capacités
de traitement et de mémoire de ces puces seront de
niques en les miniaturisant de façon constante. La micro­
beaucoup supérieures, mais leur coût de fabrication sera
électronique actuelle est fondée principalement sur
également très inférieur à ce qu’il est aujourd’hui. Les
l’utilisation du silicium et devrait atteindre ses limites premières applications de l’électronique moléculaire se
en 2018. En effet, selon la « loi » de Moore*, voulant feront probablement dans le domaine de la mémoire
moléculaire.
41. Op. cit., p. 28.
42. Voir, entre autres, SWISS RE, op. cit., p. 39.
43. THE ROYAL SOCIETY & THE ROYAL ACADEMY OF ENGINEERING (Royaume-Uni), op. cit., p. 17.
44. Voir Daniel LEBEAU, op. cit., p. 24-40.

Chapitre 1 – Un nouveau monde en émergence : 13


l’univers des nanotechnologies
Avis de la Commission de l’éthique de la science et de la technologie

Il faut souligner que dans plusieurs cas les développements des techniques qui sont utilisées pour la fabrication de
en électronique moléculaire ont été plus rapides que ce biopuces*, de laboratoires sur puce* et de biocapteurs*.
que les chercheurs eux-mêmes anticipaient parfois. Il Au carrefour de la chimie, de la biologie et de la physique,
est certes toujours extrêmement risqué de faire des pré­ les principales applications de la nanobiotechnologie sont
dictions dans le domaine technologique, mais il semble en grande partie dans le domaine de la santé, mais aussi
fort probable qu’en 2025 certains types d’ordinateurs en environnement, en agriculture et en alimentation.
comprendront des composants moléculaires, qu’ils auront
une puissance de traitement et de stockage des milliers La nanométrologie
de fois plus grande et que leur coût de fabrication sera
soit identique, soit inférieur aux ordinateurs actuels. » Il ne peut y avoir de développement de la nanoscience ni
Daniel Lebeau45 d’applications nanotechnologiques sans l’apport d’une
instrumentation adéquate ; les progrès théoriques et
pratiques à l’échelle nanométrique sont intimement liés
La nanobiotechnologie et la nanomédecine aux progrès de cette instrumentation49. D’où l’impor­
À l’instar d’autres auteurs46 dans la documentation con­ tance de la nanométrologie, qui étudie les mesures liées
sultée pour la préparation du présent avis, le Conseil aux structures nanométriques ou aux phénomènes
de la science et de la technologie, dans son propre physiques pouvant se produire à l’échelle nanométrique
avis sur les nanotechnologies, signalait la difficulté de et qui concerne également les appareils de mesure utilisés
définir ce domaine des nanotechnologies, notamment pour l’évaluation des grandeurs en cause.
en raison de sa multidisciplinarité, mais aussi parce que La nanométrologie permet d’assurer l’exploration du
la biotechnologie travaille déjà à l’échelle nanométrique nanomonde et la conception de produits qui découlent
avec les molécules d’ADN et les virus47. Selon le Conseil, de l’exploitation des nanotechnologies. Outre les
« un critère important concerne l’utilisation de nano­ me­sures de longueur à l’échelle nanométrique, la nano­
matériaux ou encore la création de nouveaux instruments métro­logie comprend aussi la mesure des forces, de la
ou appareils fonctionnant à l’échelle nanométrique, masse, ainsi que des diverses propriétés de la matière
dans le champ de la biotechnologie. En fait, il s’agit (optiques, électriques, magnétiques, chimiques, etc.) à
d’un champ faisant appel aux microtechnologies et cette même échelle50. Ses apports sont essentiels pour
aux mé­thodes traditionnelles de la chimie synthétique mesurer l’exposition aux nanoparticules sur les lieux de
moléculaire48. » travail, procéder aux évaluations de toxicité des produits
Bref, il s’agit d’un domaine dans lequel les techniques nanométriques et établir des normes internationales
de la nanotechnologie sont utilisées pour développer pour le dimensionnement et la caractérisation* de la
des outils permettant de manipuler ou d’étudier des matière à l’échelle nanométrique51.
organismes vivants, de se servir de ces organismes ou de La normalisation joue un rôle important dans l’analyse
s’inspirer des mécanismes de leur fonctionnement pour des risques et le contrôle de la qualité. Or, il n’existe pas
fabriquer, à l’échelle nanométrique, des matériaux ou de normes à l’échelle nanométrique pour le mo­ment.
des dispositifs nouveaux aux propriétés particulières. La L’absence de calibrage autorisant des mesures officiel­
nanobiotechnologie trouve des applications importantes lement reconnues non seulement nuit à la réplication,
dans le domaine de l’imagerie biologique* et elle définit sur les plans scientifiques et technologiques, de résultats

45. Ibid., p. 32, 34, 35.


46. Entre autres, OFFICE PARLEMENTAIRE D’ÉVALUATION DES CHOIX SCIENTIFIQUES ET TECHNOLOGIQUES (France), op. cit.,
qui signale que « la lecture de différents auteurs montre d’ailleurs qu’aujourd’hui aucune définition consensuelle n’existe. Certains y voient
d’ailleurs un stigmate caractéristique d’une discipline en cours de naissance ou en plein devenir », p. 23.
47. CONSEIL DE LA SCIENCE ET DE LA TECHNOLOGIE, op. cit., p. 17.
48. Ibid.
49. THE ROYAL SOCIETY & THE ROYAL ACADEMY OF ENGINEERING (Royaume-Uni), op. cit., p. 13.
50. Ibid., p. 13-16.
51. Ibid., p. 76.

14 Éthique et nanotechnologies :
Se donner les moyens d’agir
Avis de la Commission de l’éthique de la science et de la technologie

obtenus par un laboratoire ou par une firme, mais des possibilités qu’elles laissent entrevoir en matière
empêche aussi l’établissement d’exigences réglementaires d’innovation technologique inspirent des craintes plus
en matière de santé et de sécurité52. À titre d’exemple, ou moins raisonnées qui sont en grande partie alimentées
il n’existe pas encore de procédures normalisées pour par la littérature et le cinéma. Si ces craintes ne sont pas
mesurer la taille des nanoparticules, un élément qui nécessairement fondées, ces nouvelles technologies n’en
s’avère important étant donné que, selon leur dimension, soulèvent pas moins un certain nombre d’interrogations
les particules pénétreront plus ou moins profondément et un questionnement d’ordre éthique quant aux risques
dans le corps et que leurs voies de pénétration dans (avérés ou hypothétiques) qu’elles peuvent entraîner,
l’orga­nisme seront plus ou moins nombreuses (voies notamment pour la santé et l’environnement, mais aussi
respi­ratoires, peau, réseau sanguin, etc.). C’est donc sur d’autres plans.
dire que, pour un même échantillon, la mesure obtenue
pourra différer selon la technique utilisée et que, par voie Un aperçu des bénéfices escomptés
de conséquence, la détermination (ou la caractérisation)
des propriétés du matériel nanotechnologique utilisé L’annexe 1 fournit une bonne synthèse des bénéfices
pourra elle aussi être différente. La nanométrologie que pourraient rapporter les nanotechnologies dans
s’avère donc essentielle pour uniformiser les mesures de nombreux secteurs d’activité si les recherches
effectuées et en assurer la réplication. Aux États-Unis, le donnent les résultats escomptés. Quelques précisions
National Institute of Standard and Technology (NIST) dans des domaines jugés plus importants au regard
poursuit des travaux dans cette voie afin d’établir des d’un questionnement éthique viennent compléter ou
procédures et des échantillons uniformes. préciser ce portrait dans les paragraphes qui suivent et
concernent la santé, l’environnement, les technologies
L’appareillage utilisé en nanométrologie s’appuie prin­ de l’information, l’agriculture et l’alimentation. La
cipalement sur la microscopie en champ proche, comme Commission y ajoute, à l’occasion, quelques exemples
le microscope à effet tunnel et le microscope à force de travaux qui se font actuellement au Québec et qui
atomique, ainsi que sur la microscopie électronique sont en lien avec le sujet abordé.
(balayage et transmission). D’autres techniques sont
fondées sur l’utilisation des rayons laser, des rayons X ou Dans le domaine de la santé
sur l’absorption de gaz. L’industrie des semi-conducteurs
fait grand usage de la nanométrologie, notamment pour Si leurs promesses se réalisent, les nanotechnologies
le contrôle de la qualité des produits. En chimie, en auront un impact sur toutes les facettes de la médecine :
optique et en biologie, l’appareillage nanométrologique améliorer le diagnostic, mieux soigner, compenser les
s’avère également essentiel pour tous les travaux devant handicaps acquis ou congénitaux53.
se réaliser à l’échelle nanométrique. Améliorer le diagnostic54 – Les avancées dans ce domaine
seraient parmi les plus évidentes et quelques applications
Des attentes et des préoccupations pourraient être disponibles bientôt, notamment : la
à considérer fabrication de puces à ADN*, utilisées en laboratoire
pour le diagnostic génétique ; des laboratoires sur puce*
Sans doute plus encore que d’autres technologies appa­ (lab on a chip) qui réduiraient à quelques secondes
rues depuis la dernière moitié du 20e siècle – dont les l’analyse d’échantillons de tissus ou de fluides humains55,
technologies de l’information et de la communication laquelle demande aujourd’hui des heures, voire des
et les biotechnologies –, les nanotechnologies sont por­ jours ; des capsules qui circuleraient à l’intérieur du corps
teuses d’une multitude de promesses et suscitent bien des humain à des fins de diagnostic ou pour y installer des
espoirs. Par ailleurs, leur caractère nouveau et l’ampleur capteurs pouvant transmettre de l’information sur l’état
52. Ibid., p. 13.
53. OFFICE PARLEMENTAIRE…, op. cit., p. 17-29.
54. Ibid. ainsi que, entre autres, AMBASSADE DE FRANCE AUX ÉTATS-UNIS, SCIENCES PHYSIQUES. Nanoscience, microélectronique,
matériau, no 04, juin 2003 et THE ROYAL SOCIETY & THE ROYAL ACADEMY OF ENGINEERING (Royaume-Uni), op. cit., p. 19-23.
55. Comme le nouveau test de fertilité pour les hommes qui permet l’autodiagnostic ; voir le site de Pria Diagnostics [en ligne] http://www.
priadi.com et l’information relative au ElementTM Male Fertility Test.

Chapitre 1 – Un nouveau monde en émergence : 15


l’univers des nanotechnologies
Avis de la Commission de l’éthique de la science et de la technologie

des tissus ou des organes ; l’utilisation de mar­queurs notamment en chimiothérapie. Grâce à l’insertion d’un
nanotechnologiques permettant de détecter, grâce aux médicament dans une capsule de quelques nanomètres
techniques d’imagerie magnétique, des cellules malades ou de diamètre, qui pourrait être porteuse de nanoparticules
des perturbations dans le fonctionnement biologique56. magnétiques guidées « de l’extérieur de l’organisme par
Le développement de tels vecteurs nano­métriques l’application d’un champ magnétique focalisé sur la
utilisant des nanoparticules ou des points quantiques a zone à traiter61 » – l’imagerie par résonance magnétique*
pris une grande ampleur au cours des dernières années, (IRM), le laser ou les rayons X pourraient jouer ce
et cette technologie pourrait permettre de détecter les rôle –, il pourrait être possible d’atteindre directement
signes avant-coureurs d’une maladie – c’est-à-dire bien la cible visée et d’activer la libération du médicament
avant que les premiers symptômes se manifestent – et en temps opportun (par suite d’une programmation
l’apparition de tumeurs malignes à un stade précoce. Des électronique à cet effet)62. En raison de la capacité
caméras microscopiques insérées dans une gélule sont qu’ont les nanoparticules de traverser la barrière héma­
déjà utilisées pour effectuer des endoscopies* de l’intestin to­encéphalique*, leur utilisation présente également un
grêle ; les nanotechnologies pourraient permettre de intérêt important dans le traitement des maladies d’origine
réduire considérablement la taille du mécanisme et d’en neurologique, comme la maladie de Parkinson, la sclérose
faire usage pour la mesure de la température, de la pression en plaques ou la maladie d’Alzheimer ; à cet égard, une
artérielle, etc., en y introduisant des biocapteurs57. Il est autre avancée attendue des nanotechnologies serait de
aussi question d’utiliser des nanoperles de carbone* pour transporter des médicaments au cerveau et d’en visualiser
fabriquer un tube de rayons X miniature qui pourrait la délivrance63. Toujours dans le domaine du traitement,
également servir aux endoscopies58. il convient de signaler qu’il existe déjà sur le marché des
pansements enduits de nanoparticules de sels d’argent
Mieux soigner – La vectorisation* et l’activation* des
qui agissent comme agent antibactérien sur les plaies
médicaments à volonté, et à distance, constitueraient
ouvertes, utilisant ainsi une propriété de l’argent à l’échelle
une avancée majeure dans le traitement de la maladie,
nanométrique64. Des travaux sont en cours au Québec sur
et plus particulièrement du cancer59. En effet, comme le
cette technologie, mais aussi sur la mise au point d’une
soulignent les auteurs d’un rapport français déjà cité : « …
technologie de libération à l’échelle nanométrique – entre
un médicament ne vaut que par sa capacité à atteindre sa
autres pour les médicaments insolubles dans l’eau –, sur
cible, c’est-à-dire être présent à la bonne concentration au
le dévelop­pement de nanoparticules qui permettraient
bon endroit. […] le médicament idéal ne s’égarerait pas
de libérer plus profondément les médicaments dans les
dans les méandres du corps, se diluant et donc perdant en
poumons pour les personnes asthmatiques ou de poly­
partie de son activité60 ». Actuellement, la quantité réelle
mères biodégradables qui seraient fabriqués par des
de médicament qui atteint la cible visée est de l’ordre de
bactéries et utilisés également pour l’administration de
une à dix parties par cent mille, le reste se répandant dans
médicaments.
l’organisme et créant les effets secondaires bien connus,
56. INSTITUTE OF MEDICINE (États-Unis), Implications of Nanotechnology for Environmental Health Research, Lynn Goldman et Christine
Coussens (dir.), Roundtable on Environmental Health Sciences, Research and Medicine, Board of Health Sciences Policy, Washington,
D.C., The National Academies Press, 2005, p. 17 [en ligne] http://www.nap.edu/catalog/11248.html.
57. OFFICE PARLEMENTAIRE…, op. cit., p. 18.
58. Voir « La nanotechnologie au service des écrans plats », Club, le magazine de l’Université Claude-Bernard – Lyon 1, no 4, avril 2004, p. 8
[en ligne] http://www.univ-lyon1.fr/1126880808734/0/fiche___document/.
59. Voir, entre autres, Mauro FERRARI, « Cancer Nanotechnology : Opportunities and Challenges », Nature Reviews : Cancer, vol. 5,
7 mars 2005, p. 161-171 [en ligne] http://nano.cancer.gov/news_center/nanotech_news_2005-03-07b.asp.
60. OFFICE PARLEMENTAIRE…, op. cit., p. 21.
61. Ibid.
62. Pour en savoir davantage, notamment sur la technologie PEBBLE (Probes Encapsulated by Biologically Localized Embedding), voir
INSTITUTE OF MEDICINE (États-Unis), op. cit., p. 18-22.
63. NANOTECH NEWS, « Nanoparticles Provide View of Drug Delivery into the Brain », 9 janvier 2006 [en ligne] http://nano.cancer.gov/
news_center/nanotech_news_2006-01-09b.asp.
64. Voir, entre autres, INSTITUTE OF FOOD SCIENCE AND TECHNOLOGY TRUST FUND (Royaume-Uni), « Nanotechnology »,
Information Statement, février 2006 [en ligne] http://www.ifst.org/uploadedfiles/cms/store/ATTACHMENTS/Nanotechnology.pdf et
THE ROYAL SOCIETY & THE ROYAL ACADEMY OF ENGINEERING (Royaume-Uni), op. cit., p. 20.

16 Éthique et nanotechnologies :
Se donner les moyens d’agir
Avis de la Commission de l’éthique de la science et de la technologie

Compenser les handicaps acquis ou congénitaux – Qu’il fabrication de neuroprothèses* est également envisagée :
s’agisse de correction génétique (in vitro ou in vivo), de il s’agirait d’établir une connexion entre un dispositif
restauration ou de remplacement d’organes (en raison électronique et des cellules vivantes (des neurones) de
du vieillissement, de la maladie ou d’un accident), façon à restaurer l’usage d’une fonction motrice, à tout
le recours aux nanobiotechnologies est porteur de le moins partiellement si ce n’est totalement71.
promesses. Outre la thérapie génique* (pour contrer
la mucoviscidose* ou les déficiences immunitaires65), Dans le domaine de l’environnement
la fabri­cation de prothèses pourrait en bénéficier.
Les nanotechnologies pourraient servir à développer des
Dans la mise au point de prothèses ou d’implants, les
applications proactives en matière de préservation de
recherches visent à améliorer les façons de faire actuelles,
l’environnement, par exemple en participant au dévelop­
notamment en créant « des matériaux biocompatibles,
pement de l’énergie verte – comme l’énergie solaire – ou
voire dotés de la capacité de s’auto-assembler […] afin
encore à des modes de production plus respectueux de
qu’ils se marient étroitement avec les tissus environnant
l’environnement, c’est-à-dire qui exigeraient moins de
[sic] sans être rejetés à terme66 ». Par exemple, le dépôt
matières premières, produiraient moins de matières
d’une mince couche d’un nanomatériau semblable aux
résiduelles ou produiraient des biens plus durables72. Les
os à la surface des implants permettrait une meilleure
nanomatériaux sont au nombre des moyens envisagés
compatibilité et une meilleure tenue mécanique avec
pour la conservation de l’énergie et la réduction des
l’os, ce qui augmenterait la durée de vie des implants
émissions de gaz carbonique (CO2). Ils sont ainsi
jusqu’à 30 ans67 – les prothèses actuelles pour les
utilisés pour la mise au point des piles à combustible
hanches et les genoux ont généralement une durée de vie
qui, parallèlement à l’hydrogène, sont considérées pour
d’une dizaine d’années, ce qui peut signifier plus d’une
la production d’énergie73 « propre » dans la recherche
opération chez un même patient au cours de sa vie et
d’une solution de rechange aux moteurs à essence ; ils
donc des répercussions indésirables sur le plan humain
servent à catalyser la conversion de l’hydrogène et de
ainsi que des coûts importants pour le système de santé.
l’oxygène en électricité, et entrent aussi dans la fabri­
Les nanotechnologies pourraient aussi être utilisées pour
cation de réservoirs d’hydrogène à la fois plus résistants
restaurer des connexions nerveuses et, éventuellement,
et plus légers74. Au Québec, des travaux sont en cours
redonner l’usage de certains sens comme l’ouïe 68 ou
pour mettre au point des membranes conductrices de
la vue69. Dans différents laboratoires universitaires au
protons plus performantes et moins coûteuses pour la
Québec, notamment en génie biomédical* et en ingé­
fabrication de piles à combustible fonctionnant à basse
nierie tissulaire* (ou génie tissulaire)70, des travaux sur
température, concevoir des nanoparticules de nickel
les nanomatériaux biodégradables sont en cours. La
qui peuvent être utilisées dans la fabrication de piles
65. THE ROYAL SOCIETY & THE ROYAL ACADEMY OF ENGINEERING (Royaume-Uni), op. cit., p. 22.
66. OFFICE PARLEMENTAIRE…, op. cit., p. 28 ; voir aussi les présentations à ce sujet qui ont été faites dans le cadre des audiences de
l’organisme, p. 86 à 111 de la version Internet.
67. Ibid., p. 25.
68. ISPUB.COM, THE INTERNET JOURNAL OF NANOTECHNOLOGY, « Nano-Bio-Technology Excellence in Health Care : A Review »,
RAJESH, GITANJALY, SURBHI, vol. 1, no 2, 2005 [en ligne] http://www.ispub.com/ostia/index.php?xmlFilePath=journals/ijnt/vol1n2/
nanotech.xml.
69. PHYSORG.COM, « Nanotechnology brings brain recovery in sight », MIT, 14 mars 2006 [en ligne] http://www.physorg.com/news11755.
html.
70. Notamment, en ingénierie tissulaire, pour « créer des matériaux hybrides qui allient des matériaux nanostructurés (polymères organiques
ou matériaux minéraux) et des cellules vivantes pour remplacer des tissus défaillants. Le grand défi consiste à réaliser des matériaux bio-
compatibles voire dotés de la capacité de s’auto assembler […] afin qu’ils se marient étroitement avec les tissus environnant [sic] sans être
rejetée [sic] à terme. » Voir OFFICE PARLEMENTAIRE…, op. cit., p. 50.
71. Ibid.
72. INSTITUTE OF MEDICINE (États-Unis), op. cit., p. 14-16.
73. AMBASSADE DE FRANCE AU DANEMARK, Les nanotechnologies au Danemark, novembre 2005 [en ligne] http://www.bulletins-
electroniques.com/rapports/smm05_095.htm.
74. Daniel LEBEAU, op. cit., p. 15 et 16.

Chapitre 1 – Un nouveau monde en émergence : 17


l’univers des nanotechnologies
Avis de la Commission de l’éthique de la science et de la technologie

à combustible et produire des réservoirs fonctionnant une portée dans le domaine de la défense et de la lutte
avec les hydrures métalliques*. Un catalyseur pour le au terrorisme (détection de gaz sarin ou de charbon
pot d’échappement des moteurs diesel est également [anthrax] par exemple). Au Québec, une entreprise
en voie de développement. Conçu pour transformer en propose des solutions de traitement des eaux utilisant
eau et en dioxyde de carbone le monoxyde de carbone la nanofiltration par des membranes dont la dimension
et les composés organiques volatiles du carburant, un des pores est nanométrique, ce qui permet de filtrer
tel catalyseur vise à réduire les émissions polluantes des les contaminants chimiques et biologiques d’une taille
moteurs. supérieure aux pores de la membrane.
Les nanomatériaux peuvent aussi être mis à contribution Dans le domaine des technologies de l’information
dans le traitement des eaux et la restauration des sols.
Des nanoperles sont d’ailleurs à l’essai dans l’Ouest Les nouvelles technologies de miniaturisation ont pour
canadien afin de restaurer des étangs saturés de sables but d’augmenter la vitesse des composants informatiques
bitumineux qui produisent du méthane en grande et leurs capacités de calcul, de traitement et de stockage
quantité, un gaz à effet de serre 22 fois plus puissant que des données ; les économies d’énergie sont aussi
le dioxyde de carbone75. En matière de traitement des recherchées. L’innovation pourrait également assurer
eaux, des membranes utilisées dans la fabrication des une sécurité accrue au moyen de systèmes de contrôle
systèmes de filtration76 auraient le potentiel nécessaire, et de vidéosurveillance plus discrets (miniaturisés) et
grâce à leurs propriétés nanométriques, pour filtrer l’eau plus performants. Des capteurs pourraient même servir
de façon à la recycler, à la réutiliser et à la désaliniser77, d’interface entre le corps humain et l’ordinateur de
mais aussi pour la décontaminer de ses produits façon à améliorer les performances de l’être humain82.
toxiques78 ; certains procédés devraient permettre de le Une étude rapporte que « l’utilisation des nanostructures
faire à une fraction du coût actuel79, ce qui signifierait, dans la production de composants tels que l’optique
selon certains spécialistes, la fin des pénuries d’eau ou la fibre optique permettrait des communications
dans les régions arides du monde80. La mise au point optiques sur de très longues distances sans amplification
de capteurs électroniques et de biocapteurs, qui seront et permettrait également la fabrication de capteurs de
à la fois plus petits et moins coûteux et démontreront liquide ou de gaz extrêmement sensibles83 ».
une sélectivité accrue 81, pourrait éventuellement
Science-fiction ou application à long terme, à tout le
servir à vérifier la qualité de l’eau potable, à détecter et
moins une curiosité qu’il importe de signaler : la poussière
suivre à la trace des contaminants (agents chimiques,
électronique communicante* (aussi appelée « poussière
biologiques ou bactériologiques) présents dans l’air,
intelligente », en anglais smart dust). Constituée d’un très
dans le sol ou dans l’eau. De telles applications ont aussi
75. Maurice SMITH, « Beadwork. Small, reusable beads target residual bitumen in oilsand tailings », New Technology Magazine,
septembre 2004.
76. Pour plus d’information, voir ENVIRONMENTAL SERVICES ASSOCIATION OF ALBERTA (Canada) – ESAA, Nanotechnology in the
Environment Industry : Opportunities and Trends, Final Report and Bibliography for the Nano-Environmental Cross-Sector Initiative, 4
mars 2005, p. 40-42 et 61 [en ligne] http://www.esaa.org/abedmesa/doc.nsf/files/F3A8DABC57869C1B8725701400744689/$file/ESAA_
Nano-Enviro_Final_Report_04Mar2005.pdf.
77. ENVIRONMENTAL PROTECTION AGENCY – EPA (États-Unis), External Review Draft. Nanotechnology White Paper, Science Policy
Council, Washington, 2 décembre 2005, p. 20 [en ligne] http://www.epa.gov/osa/pdfs/EPA_nanotechnology_white_paper_external_
review_draft_12-02-2005.pdf
78. Peter A. SINGER, Fabio SALAMANCA-BUENTELLO et Abdallah S. DAAR, « Harnessing Nanotechnology to Improve Global Equity »,
Issues in Science and Technology, été 2005, p. 59 [en ligne] http://www.issues.org/21.4/singer.html.
79. PRESIDENT’S COUNCIL OF ADVISORS ON SCIENCE AND TECHNOLOGY (États-Unis), The National Nanotechnology Initiative
at Five Years : Assessment and Recommendations of the National Nanotechnology Advisory Panel, Washington, D.C., 18 mai 2005, p. 37
[en ligne] http://www.nano.gov/html/news/PCASTreport.htm.
80. INSTITUTE OF MEDICINE (États-Unis), op. cit., p. 12.
81. THE ROYAL SOCIETY & THE ROYAL ACADEMY OF ENGINEERING (Royaume-Uni), op. cit., p. 19.
82. Ibid., p. 19 et 54.
83. AMBASSADE DE FRANCE AU DANEMARK, op. cit., p. 27.

18 Éthique et nanotechnologies :
Se donner les moyens d’agir
Avis de la Commission de l’éthique de la science et de la technologie

grand nombre de nanopuces de silicium miniaturisées de l’installation agricole, qu’il s’agisse de culture végétale
à l’extrême, cette poussière serait pulvérisée dans l’air ou d’élevage88.
ou incorporée dans des matériaux comme les peintures
En matière d’alimentation, des recherches sont en cours
ou les textiles. Selon certains, « équipées de capteurs, de
pour concevoir des emballages dits intelligents 89 (ou
microprocesseurs, d’émetteurs et de sources d’énergie,
réactifs) qui indiqueraient si le contenu n’est plus apte à
elles [les poussières] formeront un réseau communicant
être consommé ou si l’emballage a été perforé – l’ajout
capable de recevoir, traiter et transmettre des données.
de feuilles d’argile nanométriques dans les polymères
Les applications seront nombreuses tant dans le domaine
constituant l’emballage permet de rendre celui-ci plus
de la défense (détection de substances chimiques et
imperméable à son environnement en diminuant les
bactériologiques sur un champ de bataille, détection
échanges gazeux entre le produit et l’air ambiant. Des
des mouvements de l’ennemi) que dans le domaine
nanoparticules enduites d’un vecteur spécifique (comme
civil (surveillance de la qualité de l’air, traçabilité des
une protéine ou un fragment d’ADN) et d’un colorant
produits alimentaires, surveillance médicale des patients,
pourraient changer de couleur et indiquer sur-le-champ
détection de la fatigue des matériaux)84. » Des utilisations
la présence de bactéries ou de prions (responsables de
pourraient également en être faites en agriculture85.
l’encéphalite spongieuse bovine ou maladie de la vache
folle) et, cela, sans qu’il faille attendre plusieurs heures ou
Dans le domaine de l’agriculture et de l’alimentation
plusieurs jours pour l’amplification en laboratoire de la
Comme les biotechnologies, les nanotechnologies présence des contaminants. Aujourd’hui, pour détecter
devraient permettre de réaliser des objectifs longtemps la présence d’une bactérie, il faut prélever un échantillon,
visés en agriculture : améliorer la production végétale, le placer dans un milieu nutritif à une température
la transformation des aliments et leur sécurité sanitaire, contrôlée et attendre ensuite environ 48 heures pour
ainsi que contrer les conséquences environnementales que la bactérie se développe en quantité suffisante pour
de la production, de l’entreposage et de la distribution pouvoir être observée au microscope.
des aliments86. Le développement des nanotechnologies
pourrait aussi contribuer à réduire la quantité de pro­ Entre la fiction et la réalité
duits chimiques utilisés, grâce à la production de nano­
systèmes de surveillance et de dosage qui permettraient Si la frontière entre science et fiction est apparente pour
de mesurer de façon très précise l’état de la production les esprits scientifiques formés et informés, ce n’est pas
agricole et de mesurer de façon aussi précise la quantité de toujours le cas pour le grand public qui peut puiser dans
produits chimiques à introduire dans l’environnement87. la littérature et le cinéma un succédané à une véritable
De tels systèmes nanométriques « intelligents* » font culture scientifique. Les histoires d’extraterrestres qui
notam­ment appel à des biocapteurs dans le monitorage envahissent la planète, les ordinateurs qui supplantent

84. MINISTÈRE DÉLÉGUÉ À LA RECHERCHE ET AUX NOUVELLES TECHNOLOGIES (France), op. cit., p. 24 ; voir aussi OFFICE
PARLEMENTAIRE…, op. cit., p. 93.
85. NATIONAL PLANNING WORKSHOP (États-Unis), Nanoscale Science and Engineering forAgriculture and Food Systems, A Report
submitted to Cooperative State Research, Education and Extension Service, The United States Department of Agriculture, National
Planning Workshop, 18-19 novembre, 2002, Washington, D.C., septembre 2003 [en ligne] http://www.csrees.usda.gov/nea/technology/
pdfs/nanoscale_10-30-03.pdf.
86. NATIONAL PLANNING WORKSHOP (États-Unis), op. cit., p. 16 ; voir aussi SCIENTIFIC COMMITTEE ON EMERGING AND NEWLY
IDENTIFIED HEALTH RISKS – SCENIHR, op. cit., p. 5 ; ETC GROUP – EROSION, TECHNOLOGY AND CONCENTRATION, Down on
the Farm. The Impact of Nano-scale Technologies on Food and Agriculture, Canada, 23 novembre 2004 [en ligne] http://www.etcgroup.org/
documents/NR_DownonFarm_final.pdf ; Mihail C. ROCO et William Sims BAINBRIDGE (éd.), Converging Technologies for Improving
Human Performance…, op. cit., p. 6 [en ligne] http://www.wtec.org/ConvergingTechnologies/Report/NBIC_report.pdf.
87. SCIENCE-METRIX, Canadian Stewardship Practices for Environmental Nanotechnology, op. cit., p. 7.
88. NATIONAL PLANNING WORKSHOP (États-Unis), op. cit., p. 29.
89. Voir, entre autres, « Emballage bioactif pour le secteur alimentaire. Les nanotechnologies pour de meilleurs emballages », Les Affaires,
3 mars 2006, p. 12 ; ETC GROUP, Down on the Farm. op. cit., p. 41-43 ; ECONOMIC AND SOCIAL RESEARCH COUNCIL (Royaume-
Uni), The Social and Economic Challenges of Nanotechnology, Swindon, juillet 2003, p. 20 [en ligne] http://www.shef.ac.uk/physics/people/
rjones/PDFs/SECNanotechnology.pdf.

Chapitre 1 – Un nouveau monde en émergence : 19


l’univers des nanotechnologies
Avis de la Commission de l’éthique de la science et de la technologie

et dominent l’être humain font partie des scénarios cou­ lois de la physique en matière de flux d’énergie et de
rants qui y sont abondamment véhiculés. Le domaine thermodynamique93.
des nanotechnologies n’y échappe pas et a déjà inspiré
La crainte de l’écophagie globale est intimement associée
des romans qui mettent l’accent sur des risques qui
à celle de l’autoréplication des nanorobots et les deux sont
apparaissent, aux yeux des spécialistes, comme relevant
difficilement dissociables. Le terme « écophagie globale »
du fantastique plus que de la réalité90. Or, une mauvaise
désigne, selon un « scénario catastrophique imaginé par
perception de ce que sont les nanotechnologies peut
certains spécialistes de la nanotechnologie, [le] proces­
nuire à l’exercice d’un jugement éclairé, de la part
sus par lequel des nanorobots s’autoreproduisant sans
des citoyens, dans les choix qui devront être faits au
contrôle pourraient détruire tous les écosystèmes de la
regard de leur développement et de leur implantation.
Terre, en transformant en une masse informe tous les
La Commission a donc cru bon d’aborder le sujet
matériaux qu’ils rencontrent94 ». Un synonyme souvent
relativement au double scénario de l’autoréplication et
utilisé est celui du problème de la gelée grise* – grey goo
de l’écophagie globale* ainsi qu’à certaines exagérations
ou gray goo en anglais.
dans les promesses qui sont faites et les espoirs qui sont
véhiculés par l’émergence des nanotechnologies. Dans son ouvrage de 1986 intitulé Engins de création.
L’avènement des nanotechnologies 95, le visionnaire
L’autoréplication de nanorobots* et l’écophagie globale scientifique Eric Drexler présente un scénario qui a inspiré
le roman de Crichton, et dont l’objectif essentiel était de
L’autoréplication est définie comme le « processus par
servir d’avertissement face aux dangers potentiels de ce
lequel une nanomachine* ou un nanorobot produit des
champ d’application en émergence96. En 2000, Bill Joy,
copies d’elle-même ou de lui-même, en se servant des
cofondateur de Sun Microsystems, appuyait en quelque
maté­riaux présents dans son environnement91 ». C’est
sorte cette vision de Drexler et déclarait que les gens
l’une des craintes les plus véhiculées à l’endroit des nano­
manifestent une attitude positive face aux innovations,
technologies. C’est aussi un scénario qui a été présenté
qu’il présente comme un biais favorisant une familiarité
dans le roman désormais célèbre de Michael Crichton,
instantanée et une acceptation inconditionnelle97. À son
intitulé La proie92, dans lequel des scientifiques ont
avis, les gens sont tellement habitués de vivre dans un
perdu le contrôle de la réplication de nanoparticules,
monde de perpétuelles découvertes scientifiques qu’ils
qui s’échappent du laboratoire, s’emparent des humains
et menacent la planète entière. arrivent difficilement à prendre conscience que les tech­
nologies du 21e siècle – comme le génie génétique, les
Or, selon les scientifiques, une éventualité de ce genre, nanotechnologies et la robotique – posent des dangers
qui exige un haut niveau de sophistication pour créer un bien différents de ceux associés aux technologies qui ont
tel organisme qui se propage et se reproduit, est virtuel­ été déployées jusqu’alors : ces technologies créent des
lement impossible, car elle viole de trop nombreuses organismes qui peuvent se reproduire soit par accident,
soit de façon délibérée.
90. Abby FRANK, « Nanotechnology Myths », Earth & Sky Radio Series, avril 2005 [en ligne] http://www.earthsky.org/shows/nanotechnology_
articles_myths.php.
91. OFFICE QUÉBÉCOIS DE LA LANGUE FRANÇAISE, Le grand dictionnaire terminologique, op. cit.
92. Michael CRICHTON, Prey, New York, HarperCollins, 2002 ; en français : La Proie, Paris, Éd. Robert Laffont, 2003.
93. Voir, entre autres, THE ROYAL SOCIETY & THE ROYAL ACADEMY OF ENGINEERING (Royaume-Uni), op. cit., annexe D, p. 109 :
« Mechanical self-replicating nano-robots and ‘Grey goo’ » ; Abby FRANK, op. cit. ; R.E. SMALLEY « Of Chemistry, Love and Nanobots »,
Scientific American, septembre 2001, p. 76-77. Pour une discussion entre Drexler et Smalley sur le thème des « assembleurs moléculaires »,
voir CHEMICAL AND ENGINEERING NEWS, « Nanotechnology. Drexler and Smalley make the case for and against ‘molecular
assemblers’ », Point-Counterpoint, vol. 81, no 48, 1er décembre 2003 [en ligne] http://pubs.acs.org/cen/coverstory/8148/print/8148
counterpoint.html.
94. OFFICE QUÉBÉCOIS DE LA LANGUE FRANÇAISE, Le grand dictionnaire terminologique, op. cit.
95. K. Eric DREXLER, Engines of Creation, New York, Anchor Books, 1986 ; en français : Les engins créateurs. L’avènement des nanotechnologies,
traduit de l’américain par Marc Macé, Paris, Vuibert, 2005.
96. Ce dont témoigne Christine Peterson, vice-présidente du Foresight Institute, dont les propos sont rapportés par Abby FRANK, op. cit.
97. Bill JOY, « Why the future doesn’t need us », Wired, 8 avril 2000, p. 4 sur 19 de la version Internet : « Our Bias toward Instant Familiarity
and Unquestioning Acceptance » [en ligne] http://www.wired.com/wired/archive/8.04/joy.html.

20 Éthique et nanotechnologies :
Se donner les moyens d’agir
Avis de la Commission de l’éthique de la science et de la technologie

Le roman de Crichton98 sur le sujet, et les craintes prendre place, qu’il s’agisse de la santé, de l’énergie, de
expri­mées par le prince Charles99 en Grande-Bretagne l’environnement, de l’agriculture et de bien d’autres
après la lecture de ce livre, les scénarios catastrophiques encore, dans les pays développés comme dans les pays
d’écophagie globale ou de gelée grise ou verte* (la green en développement.
goo) ont soulevé l’intérêt des médias et les craintes de la
Des promesses irréalistes pourraient nuire aux nanotech­
population en général pour cet aspect du développement
nologies plutôt que les aider à s’implanter sur le marché.
éventuel des nanotechnologies. En décembre 2003,
En effet, les attentes des citoyens ne peuvent qu’être
dans un échange de correspondance avec Drexler sur le
déçues si les résultats ne sont pas au rendez-vous, et
thème de l’autoréplication et de l’écophagie qui pourrait
une attitude de méfiance face à la façon dont est régi
en découler, le découvreur des fullerènes et Prix Nobel
le développement des nouvelles technologies risque de
de chimie, Richard E. Smalley, précisait les raisons
s’installer. De plus, des attentes trop élevées quant aux
techniques et scientifiques qui démontrent l’impossibilité
possibilités des nanotechnologies pourraient faire en
(selon les principes de la chimie et de la biologie) qu’une
sorte de nuire au développement d’autres technologies,
telle situation se produise. Depuis, Drexler100 et le prince
parfois plus prometteuses, mais peut-être moins
Charles se sont ralliés aux explications de Smalley et,
fascinantes que ces nouvelles technologies. À cet égard,
dans l’état actuel des connaissances, il est généralement
il convient donc de mesurer les avantages et les bénéfices
reconnu que les scénarios d’écophagie relèvent de la
par rapport à d’autres moyens tech­niques, qui pourraient
pure fiction101. Ils ne sont donc plus perçus comme une
parfois s’avérer un choix plus judicieux pour une foule de
menace réelle.
raisons, comme des coûts de développement et d’exploi­
tation moindres pour des bénéfices tout aussi grands.
Des promesses parfois irréalistes
En l’occurrence, la Commission estime qu’il faudrait
Il existe une similitude entre les promesses qui accom­ prendre garde à ne pas miser uniquement sur le recours
pagnent le développement des biotechnologies et celles aux nanotechnologies pour régler les problèmes, et ce,
qui marquent les progrès de la génétique, similitude au détriment d’autres mesures en développement ou en
qui se caractérise par une certaine exagération des exploration ; dans le domaine de l’énergie, par exemple,
retom­bées attendues (en anglais, le « hype »). Dans il importe de poursuivre les efforts considérables qui
le pre­mier cas, notamment en ce qui concerne les sont consentis pour inciter la population à économiser
orga­nismes génétiquement modifiés, il pourrait être les ressources non renouvelables et, en même temps,
possible de régler des problèmes comme celui de la encourager la recherche portant sur de nouvelles sources
faim dans le monde, de l’alimentation en eau potable d’énergie.
des pays les plus défavorisés à cet égard, de produire des
aliments comportant toutes les vitamines nécessaires, Des questions à soulever, des valeurs
de l’avènement d’un mode de production agricole à à privilégier
la fois plus écologique et plus performant, etc. Dans le
deuxième cas, il pourrait être possible d’éradiquer les S’agissant des nanomatériaux, les bénéfices attendus
gènes de la maladie ou d’intervenir directement sur des nanotechnologies comportent des solutions à plu­
eux pour contrer la maladie ou, encore, de pouvoir sieurs problèmes environnementaux et énergétiques,
associer des gènes à différents types de comportements ce qui constitue un facteur important à l’appui de leur
afin d’intervenir pour les modifier. Or, les promesses développement. En contrepartie, toutefois, selon les
sont encore plus nombreuses lorsqu’il est question des matériaux utilisés ou la nature d’une application, et
nanotechnologies en raison de la diversité des domaines particulièrement en ce qui a trait aux nanoparticules
dans lesquels l’innovation nanotechnologique peut issues du processus de fabrication des nanomatériaux

98. Op. cit.


99. Essai publié le 11 juillet 2004 dans The Independent on Sunday.
100. Chris PHOENIX et Eric DREXLER, « Safe Exponential Manufacturing », Nanotechnology, vol. 15, no 8, août 2004 [en ligne] http://www.
stacks.iop.org/Nano/15/869.
101. Voir note infrapaginale 93.

Chapitre 1 – Un nouveau monde en émergence : 21


l’univers des nanotechnologies
Avis de la Commission de l’éthique de la science et de la technologie

(les nanoparticules de synthèse*), certaines inquiétudes d’un handicap ou d’une maladie, comme c’est aussi le
doivent être formulées. Il importe de déterminer quels cas en génétique, notamment quand la science médicale
pourraient en être les effets sur l’environnement ou sur n’a aucune solution thérapeutique à offrir, ou au regard
la santé des travailleurs, mais aussi sur celle des consom­ des coûts qui en découleront pour le système de santé :
mateurs, certains produits comme les crèmes solaires ou qui pourra profiter des progrès de la science et comment
d’autres produits cosmétiques étant déjà proposés sur le ces progrès seront-ils utilisés ?
marché.
Ce ne sont là que quelques exemples de questions qui
En ce qui concerne la nanométrologie, la technologie découlent de l’innovation nanotechnologique dans
soulève peu de questions d’ordre éthique. Ce sont plu­ les quatre grands secteurs de développement des nano­
tôt les limites du développement en la matière qui technologies. Mais il en est d’autres qui, de l’avis de la
sou­lignent la nécessité d’établir un système de mesure Commission, méritent qu’on y réfléchisse pendant qu’il
et d’évaluation qui assure l’uniformité des processus. en est encore temps, notamment en ce qui a trait aux
Ce sont de telles normes qui peuvent être garantes applications qui peuvent résulter de la triple conver­
de façons de faire sécuritaires en matière de santé et gence de la biologie, de la nanoélectronique et des
d’environ­nement et qui permettent l’élaboration d’une nanomatériaux dans la perspective de l’« amélioration »
réglementation adéquate. (enhancement) de l’être humain et de l’émergence de
nouvelles pratiques eugéniques*. Quel sort nous attend
C’est essentiellement dans sa composante relative aux
si de telles applications s’avèrent disponibles ? Quel
technologies de l’information et de la communication
type de société s’annonce ? Qu’arrivera-t-il aux plus
et au développement de capteurs à haute performance
démunis, aux plus vulnérables, ou même à ceux qui refu­
(et, qui sait, à celui de la poussière électronique com­mu­
seront de se prêter aux transformations offertes ? Toutes
nicante) que la nanoélectronique suscite un question­
ces interrogations posent aussi la question de l’instru­
nement. Des questions d’ordre éthique, qui ne sont
mentalisation et de la transformation du corps humain.
pas nouvelles mais que les nanotechnologies risquent
d’amplifier, sont soulevées quant au respect de la vie Après ce bref tour d’horizon, la Commission estime que
privée, puisque plusieurs données concernant, par le questionnement éthique soulevé par les nano­­tech­
exemple, l’état de santé des gens, leurs habitudes de nologies ne peut s’y limiter. Il doit être porteur d’une
consom­mation ou leurs allées et venues peuvent être vision plus large, englobant d’autres technologies
enregistrées, et ce, à leur insu. Le risque d’utiliser la émer­gentes qui comportent le même genre de
nano­électronique pour augmenter artificiellement les problèmes que ne pourra qu’amplifier ou exacerber
performances physiques et mentales de l’être humain (au l’avènement des nano­technologies. C’est pourquoi elle
même titre que les stéroïdes ou le Ritalin, par exemple) s’interroge aussi sur le développement économique et la
doit aussi être pris en considération. gouvernance, l’organisation du travail, le développement
de la recherche, les besoins des pays en développement.
De toute évidence, les promesses que font miroiter les
nanobiotechnologies dans le domaine de la santé encou­ Parmi les valeurs qui pourraient éventuellement être
ragent bien des espoirs. Mais qu’en sera-t-il, par exemple, touchées par certaines applications des nanotechnologies
des produits médicamenteux issus des nanotechnologies – ou par une utilisation dénaturée ou abusive de celles-ci,
sans oublier les produits cosmétiques – et de la prise la Commission retient la dignité, la liberté, l’intégrité et
en considération des propriétés nouvelles qui se le respect de la personne, la qualité de vie, la protection
développent à l’échelle nanométrique ? De quelle façon de la santé et de l’environnement, le respect de la vie
sera géré le contrôle de ces produits, qui ne sont pas privée, la justice et l’équité, la transparence, de même
nécessairement nouveaux, mais dont la composition que la démocratie. Dans les pages qui suivent, le
intègre des ingrédients transformés ? À quels usages se question­­nement éthique à l’égard des nanotechnologies
prêtera la capacité des produits nanotechnologiques à sera abordé en fonction de ces valeurs et relativement
franchir la barrière hématoencéphalique qui protège à la façon de gérer les conséquences qui peuvent être
le cerveau ? En matière de diagnostic, des questions envisagées en matière de santé et d’environnement ; il
éthiques se posent relativement au dépistage précoce portera aussi sur les interrogations à soulever en matière

22 Éthique et nanotechnologies :
Se donner les moyens d’agir
Avis de la Commission de l’éthique de la science et de la technologie

de gouvernance et d’acceptabilité sociale, de même que


sur les préoccupations philosophiques que peuvent
susciter les nanotechnologies à certains égards.
Mais, auparavant, la Commission fait le point sur les
balises normatives – lois et règlements – qui encadrent
le développement et la mise en marché de produits
issus de la nanotechnologie ; elle considère également
de quelle façon d’autres instruments d’ordre normatif,
comme les guides de bonnes pratiques, pourraient jouer
un rôle de garde-fou dans un domaine en émergence et
s’interroge sur le recours à l’approche du cycle de vie et
au principe de précaution pour réduire au minimum les
risques relatifs aux nanotechnologies et aux produits qui
en découlent.

Chapitre 1 – Un nouveau monde en émergence : 23


l’univers des nanotechnologies
Chapitre 2
Regard sur les modalités
d’encadrement du secteur
Considérant l’intérêt que présentent les nanotechnologies en matière d’innovation technologique et l’ampleur du
développement industriel qui pourrait en résulter dans un avenir plus ou moins rapproché, il est légitime de s’interroger sur
le type d’encadrement qui a cours dans ce nouveau domaine. Après un bref aperçu des risques (avérés ou hypothétiques)
associés aux nanotechnologies et des modalités d’évaluation et de gestion qui les concernent, la Commission passe en
revue un certain nombre de lois, règlements et autres mécanismes d’encadrement qui visent à assurer la protection de
l’environnement et de la santé des travailleurs du secteur, mais aussi la protection de la santé des consommateurs et de
la population en général. Ce tour d’horizon a pour but de déterminer si ces instruments peuvent contrer les incidences
indésirables que pourraient avoir les nouveaux produits issus des nanotechnologies sur la santé et sur l’environnement.
S’interrogeant sur des approches qui peuvent orienter la prise de décision relative aux nanotechnologies, la Commission
propose une réflexion sur le principe de précaution et sur la notion de « cycle de vie ».

Le risque et les nanotechnologies les répercussions, les incidences ou les conséquences non
voulues qui seraient attribuables aux nanotechnologies
La notion de risque est éminemment présente dans à travers le cycle de vie des produits nouveaux ou trans­
toute réflexion consacrée à l’émergence de technologies formés qui en résultent. Sur le plan éthique, et sans
nouvelles102, davantage encore quand celle-ci porte sur adopter une approche catastrophiste, l’hypothèse qu’un
les enjeux éthiques qui peuvent y être associés. Fonda­ événement porteur de conséquences possiblement
men­talement, le risque peut être défini comme un néfastes puisse se produire ne peut être exclue. C’est
« événement éventuel, incertain, dont la réalisation ne dans cet esprit que la Commission utilise l’expression
dépend pas exclusivement de la volonté des parties et « risque avéré ou hypothétique » dans le cadre du présent
[qui peut] causer un dommage103 ». Deux facteurs sont avis. Elle veut ainsi adopter une vision « englobante » du
donc à considérer : la probabilité qu’un tel événement se risque qui permette de considérer aussi les hypothèses
produise et la nature ou l’importance des dommages qui avancées ou les craintes énoncées, tout en sachant qu’elle
pourraient en résulter104. donne alors un sens élargi au mot « risque ».
S’agissant des nanotechnologies (ou d’autres techno­ Il convient de mettre l’accent sur deux aspects des
logies émergentes, la biotechnologie par exemple), ces nano­tech­nologies pour souligner l’importance d’une
deux facteurs – qui ne sont pas toujours présents – meilleure compréhension et d’un meilleur enca­
amènent à s’interroger sur les façons de composer avec dre­­ment du risque que ces technologies peuvent
l’incertitude scientifique liée à l’état des connaissances entraîner : d’une part, le rôle important que jouent les
dans le domaine, mais aussi avec l’ignorance quant à ce nano­particules dans le développement de nouvelles
qui pourrait se produire dans la foulée de l’implantation applications nanotechnologiques – dans un contexte
d’une nouvelle technologie. Dans ce dernier cas, d’ailleurs, où les risques associés aux particules fines et ultrafines
il peut sembler inapproprié de parler de « risque » quand (non nanométriques) rejetées dans l’atmosphère sont
ce risque n’existe que sous la forme d’une hypothèse sur relativement bien connus en hygiène industrielle, en
102. Sur le sujet, voir, entre autres, ORGANISATION DE COOPÉRATION ET DE DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUES – OCDE, Les risques
émergents au xxie siècle. Vers un programme d’action, Paris, 2003.
103. OFFICE QUÉBÉCOIS DE LA LANGUE FRANÇAISE, Le grand dictionnaire terminologique, op. cit.
104. ORGANISATION DE COOPÉRATION ET DE DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUES – OCDE, Les risques émergents au xxie siècle…,
op. cit., p. 32.

25
Avis de la Commission de l’éthique de la science et de la technologie

santé et en environnement – et, d’autre part, les pro­ Mais il peut aussi exister des risques qui concernent plus
priétés nouvelles que peuvent acquérir les matériaux à spécifiquement les produits issus des nanotechnologies
l’échelle nanométrique (toxicité, conductivité, réactivité, en raison de leurs caractéristiques particulières et pour
par exemple). lesquels la recherche n’est pas toujours concluante, par
exemple105 :
S’appuyant sur cette mise en contexte de la notion de
risque dans le domaine des nanotechnologies, la Com­ • la tendance à l’agglutination des particules nano­
mission s’efforce de saisir quels sont les risques (avérés métriques de synthèse et ses effets potentiels sur
ou hypothétiques) que posent les nanotechnologies et l’environ­nement et dans les organismes vivants ;
de déterminer si les modalités actuelles d’évaluation et
• l’importance de la surface spécifique de la matière
de gestion des risques peuvent prendre en compte la
nanométrique par rapport à sa masse, ce qui contri­
spécificité des produits issus des nanotechnologies.
bue à modifier ou à amplifier les propriétés de la
matière originale ;
La nature des risques à considérer
• la réactivité que développent certaines particules
Au même titre que toute autre particule naturelle ou nanométriques, notamment les nanopoudres métal­
industrielle qui présente des risques de toxicité pour les liques, ce qui peut engendrer des risques d’explosion,
organismes vivants, les nanoparticules de synthèse (qui d’inflammabilité ou de toxicité ;
sont créées volontairement) sont elles aussi porteuses de
risques – associés à leur manipulation ou à des rejets • la capacité de la matière nanométrique à traverser les
(volontaires ou accidentels) dans l’air, le sol et l’eau – qui barrières des systèmes de protection de l’organisme
doivent être pris en considération afin de protéger les humain et animal (barrières cutanée, pulmonaire,
travailleurs du domaine, la population et la biodiversité intestinale, placentaire, hématoencéphalique).
dans son ensemble :
Comme le soulignent bon nombre des documents
• risques liés à la fabrication, à la manutention, au con­sultés, dans toute approche relative au risque
transport, à l’entreposage et à l’élimination de posé par les nanoparticules il importe également de
produits potentiellement toxiques ou dangereux ; distinguer les particules libres (y compris les particules
agglomérées) des particules qui entrent dans la com­
• risques d’absorption par l’organisme (inhalation, position d’un objet non nanométrique (par exemple
ingestion, voie cutanée) de poudres ou de produits un composant nanométrique d’un appareil utilisé en
toxiques, qu’il s’agisse des travailleurs de laboratoire médecine à des fins endoscopiques) et qui deviennent
et de l’industrie ou d’une population qui aurait été ainsi des particules fixes. Pour le moment, ces dernières
en contact avec ces produits à la suite de rejets dans structures seraient considérées comme étant sans risques
l’air, dans l’eau ou dans le sol ; pour la santé et pour l’environnement106. En revanche,
• risques de contamination de l’environnement, de la comme l’observe l’IRSST, « les nanoparticules libres dans
faune et de la flore, par des rejets dans l’air, dans l’eau l’air préoccupent quant à leur potentiel de causer des
ou dans le sol ; problèmes de santé et de sécurité en milieu de travail
ou des problèmes d’accumulation dans l’environnement
• risques liés à la réactivité de certaines substances ou d’enrichissement à travers la chaîne alimentaire, se
(environnement, santé). traduisant par des risques à long terme pour la santé
De tels risques relatifs à des produits qui ne sont pas issus des populations. Quoique les connaissances actuelles
des nanotechnologies sont actuellement couverts par un sur la toxicité des nanoparticules et du niveau potentiel
certain nombre de lois et de règlements en vigueur ; la d’exposition des travailleurs soient très limitées,
Commission les présente brièvement un peu plus loin les résultats préliminaires semblent démontrer une
dans ce chapitre. importante activité biologique et des effets délétères
105. THE ROYAL SOCIETY & THE ROYAL ACADEMY OF ENGINEERING (Royaume-Uni), op. cit. ; SCIENTIFIC COMMITTEE ON
EMERGING AND NEWLY IDENTIFIED HEALTH RISKS – SCENIHR, op. cit.
106. SCIENTIFIC COMMITTEE ON EMERGING AND NEWLY IDENTIFIED HEALTH RISKS – SCENIHR, op. cit., p. 58.

26 Éthique et nanotechnologies :
Se donner les moyens d’agir
Avis de la Commission de l’éthique de la science et de la technologie

indésirables dans la majorité des principales études Ces changements de propriété soulèvent la question
réalisées. La prolifération des nouvelles nanoparticules de l’approbation nécessaire pour la mise en marché
et les modifications de surface apportées, qui auront de nouveaux produits. Les produits issus des nano­
un impact majeur sur les propriétés de surface et technologies ou transformés en raison du recours à
potentiellement sur leur réactivité biologique et leur cette nouvelle technologie sont-ils considérés comme
toxicité, rendra presque impossible, à court terme, de nouveaux produits ? Alors que des produits connus
l’établis­sement d’une connaissance adéquate au pour présenter des risques en matière de santé ou
niveau du risque associé à chacune de ces nouvelles d’environnement doivent obligatoirement être soumis
particules107. » à des agences de contrôle (comme Santé Canada ou
Environnement Canada), qu’en est-il pour des produits
Les modalités d’évaluation et de gestion du dont les risques sont inconnus ou incertains ? Pour
risque : quelques constats et interrogations approuver la mise en marché d’un produit et donner
à la population des garanties quant à son innocuité
Bien qu’il y ait encore très peu de données environne­ pour la santé et à sa sécurité pour l’environnement, ces
mentales et épidémiologiques sur lesquelles appuyer agences évaluent le risque selon des modalités relatives
un processus d’évaluation et de gestion du risque à la nature et à la finalité du produit et non pas en
relativement aux produits issus des nanotechnologies, fonction de son mode de fabrication ou d’une éventuelle
il a été clairement démontré, selon l’IRSST, que le degré transformation de ses composants. Ces procédés per­
de toxicité des nanoparticules est lié à leur surface mettent-ils de considérer la spécificité des produits issus
spécifique et aux propriétés nouvelles qui en découlent, des nanotechnologies (au même titre que ceux issus de
et non à leur masse108. Or, les études réalisées jusqu’à la transgenèse, comme l’a déjà signalé la Commission
présent ont porté plus sur la masse que sur la surface dans un avis consacré aux organismes génétiquement
ou la dimension des particules étudiées ; ce qui, de l’avis modifiés110) ? Pourtant, de tels produits sont déjà sur
de certaines autorités, peut fortement amener à sous- le marché – la base de données du Woodrow Wilson
estimer le potentiel de risque des nanoparticules109. À Center en recensait plus de 200 à l’hiver 2006111 ; et le
cet égard, il importe également de considérer que la mouvement ne peut que s’amplifier avec les progrès de
structure de la matière et le rapport entre sa masse et la recherche.
sa surface spécifique peuvent varier selon la dimension
nanométrique obtenue et la matière elle-même ; c’est S’appuyant sur un exemple tiré du domaine des cosmé­
donc dire que les propriétés d’une particule d’or de tiques, la Commission s’interroge sur le changement
90 nanomètres pourront être différentes de celles d’une de propriété du dioxyde de titane (TiO2) ; déjà utilisé
même particule de 20 nanomètres et que de telles diffé­ dans les crèmes solaires, ce produit chimique devient
rences pourront également être notées pour d’autres transparent à l’échelle nanométrique et pénètre plus
matériaux. Cela n’est pas sans causer un problème facilement la peau. La présence de ce produit dans les
additionnel en matière de caractérisation des produits et crèmes solaires n’est pas nouvelle, mais l’utilisation de
semble indiquer qu’une approche au cas par cas pourrait nanoparticules constitue une nouveauté ; les exigences
s’avérer nécessaire. actuelles des agences de contrôle à l’égard des nouveaux

107. INSTITUT DE RECHERCHE ROBERT-SAUVÉ EN SANTÉ ET EN SÉCURITÉ DU TRAVAIL – IRSST, Les nanoparticules. Connaissances
actuelles sur les risques et les mesures de prévention en santé et en sécurité du travail, Claude OSTIGUY et collaborateurs, Rapport R-455,
Études et recherches, Gouvernement du Québec, mars 2006, p. 65 [en ligne] http://www.irsst.qc.ca/fr/_publicationirsst_100189.html.
108. INSTITUT DE RECHERCHE ROBERT-SAUVÉ EN SANTÉ ET EN SÉCURITÉ DU TRAVAIL – IRSST, Les effets à la santé reliés aux
nanoparticules, op. cit., p. 40.
109. Ibid., p. 47.
110. COMMISSION DE L’ÉTHIQUE DE LA SCIENCE ET DE LA TECHNOLOGIE, Pour une gestion éthique des OGM, Gouvernement du
Québec, 2003 ; voir, entre autres, p. 31 à 42 [en ligne] http://www.ethique.gouv.qc.ca/fr/ftp/CEST AvisOGMfinal.pdf.
111. WOODROW WILSON CENTER FOR SCHOLARS, « A Nanotechnology Consumer Products Inventory » [en ligne] http://www.
nanotechproject.org/index.php?id=44. En raison de la méthode de collecte utilisée – recherche sur Internet de sites annonçant des produits
avec des composants nanotechnologiques – cette liste est forcément incomplète et les produits en circulation sont vraisemblablement plus
nombreux.

Chapitre 2 – Regard sur les modalités d’encadrement du secteur 27


Avis de la Commission de l’éthique de la science et de la technologie

produits ou des produits transformés permettent-elles • les nanoparticules au regard du recyclage et du


de prendre en compte des changements de cette nature développement durable.
dans la préparation d’un produit de consommation déjà
Pour la Commission, il est manifeste que l’émergence
offert sur le marché sans composant nanométrique ?
des nanotechnologies et la mise en marché de produits
Considérant que le passage de la matière à la taille
qui en sont issus ouvrent la voie à de nouvelles
nanométrique peut créer des changements à la fois sur le
modalités d’évaluation du risque en matière de santé
plan de l’exposition (y compris le devenir, la persistance,
et d’environnement.
la bioaccumulation du produit dans l’environnement ou
dans des organismes vivants) et sur celui de la nature
ou de l’ampleur des effets possiblement néfastes112, à L’encadrement actuel
quel point les modalités d’évaluation actuelle sont-
elles adéquates en ce qui a trait aux produits issus des Au Canada, comme au Québec, il n’existe pas de lois
nanotechnologies et à leurs répercussions sur la santé et ou de règlements qui concernent directement les
sur l’environnement ? nanotechnologies, à quelque étape que ce soit à l’intérieur
du cycle de vie des produits nanotechnologiques ou
Finalement, la Commission retient que les effets des inté­grant des composants nanométriques. Et c’est
nanoparticules sur la santé et sur l’environnement généralement le cas partout ailleurs, la raison étant
restent encore peu étudiés en laboratoire, notamment sur principalement que les nanotechnologies servent plus à
les humains, et que les quelques résultats de recherche modifier des produits existants pour leur donner une
obtenus sont parfois contradictoires et difficiles à valeur ajoutée qu’à créer de toutes pièces de nouveaux
reproduire. Selon certains, l’équipement actuel pour produits.
mesurer l’exposition aux nanoparticules libres serait
même inadéquat, tout comme les méthodes d’évaluation L’absence de normes propres aux nanotechnologies ne
en place pour déterminer le devenir environnemental signifie cependant pas qu’il n’y ait aucun encadrement
des nanoparticules113. Cela dit, parmi les enjeux qui sont auquel le secteur soit tenu de se soumettre. Il existe en
considérés comme cruciaux en matière d’évaluation effet un certain nombre de lois et de règlements qui
des risques associés aux nanoparticules de synthèse, la doivent être respectés – selon la juridiction applicable
Commission estime important de rappeler ceux qui ont (fédérale ou provinciale) –, de la fabrication d’un
été proposés à la suite d’une consultation menée par produit jusqu’à son élimination ; en ce qui a trait à la
d’importants organismes américains114 : protection de la santé, de la sécurité au travail et de
l’environnement, ces textes législatifs s’appliquent aussi
• l’évaluation du degré d’exposition ; aux nanomatériaux, le cas échéant, même si ceux-ci ne
sont pas encore expressément mentionnés. Toutefois,
• la toxicité ;
comme la Commission l’a signalé plus haut, certaines
• la capacité d’extrapoler la toxicité des nanoparticules caractéristiques ou propriétés des nanotechnologies ou
à partir des bases de données sur la toxicité des des objets nanométriques ne sont pas nécessairement
particules et des fibres non nanométriques ; prises en considération dans les lois existantes et une
adaptation s’impose.
• le devenir environnemental et biologique des nano­
particules, ainsi que leur transport, leur persistance
et leur transformation ;

112. SCIENTIFIC COMMITTEE ON EMERGING AND NEWLY IDENTIFIED HEALTH RISKS – SCENIHR, op. cit., p. 54.
113. Ibid., p. 4.
114. Résultats d’un atelier de travail organisé par la National Science Foundation (NSF) et la US Environmental Protection Agency (EPA),
signalés dans Kevin L. DREHER, « Toxicological Highlight. Health and Environmental Impact of Nanotechnology : Toxicological
Assessment of Manufactured Nanoparticles », Toxicological Sciences, vol. 77, no 1, 2004 [en ligne] http://171.66.120.171/cgi/content/
full/77/1/3. Voir aussi Wolfgang LUTHER (dir.), Industrial Application of Nanomaterials – Chances and Risks, Technological Analysis, with
the support of the European Commission, août 2004 [en ligne] http://www.vdi.de/vdi/organisation/schnellauswahl/techno/arbeitsgebiete/
zukunft/sub/10803/index.php.

28 Éthique et nanotechnologies :
Se donner les moyens d’agir
Avis de la Commission de l’éthique de la science et de la technologie

Lois et règlements canadiens auxquelles il convient d’ajouter les peintures, émaux


et autres revêtements liquides (Annexe I, partie II,
Sans prétendre à l’exhaustivité, parmi les lois et les alinéa 31) parce que ceux-ci peuvent intégrer des
règlements qui doivent être respectés en matière de composants nanométriques. Santé Canada est à la
protection de l’environnement et de protection de fois responsable de la mise en application de la loi
la santé (de façon générale et sur le plan de l’hygiène et du règlement ainsi que de la gestion du Système
industrielle) et selon la juridiction applicable, la d’information sur les matières dangereuses utilisées
Commission a retenu les textes suivants : au travail (SIMDUT – voir l’encadré), auquel
• Le Code canadien du travail (L.R., 1985, ch. L-2)115, renvoient plusieurs lois et règlements fédéraux,
dont la partie II est consacrée à la santé et à la sécurité provinciaux et territoriaux.
au travail. Dans le même ordre d’idées, il convient aussi de signaler
• Le Règlement canadien sur la santé et la sécurité au la Loi sur le contrôle des renseignements relatifs aux
travail (DORS/86-304)116, notamment les parties X matières dangereuses (L.R., 1985, ch. 24, 3e suppl.)120,
(substances dangereuses), XI (espaces clos), XII le règlement du même nom (DORS/88-456)121, la Loi
(matériel, équipement, dispo­sitifs, vêtements de de 1992 sur le transport des marchandises dangereuses
sécurité) et XIV (manutention des matériaux), qui (1992, ch. 34) 122 et le règlement du même nom
sont particulièrement pertinentes pour tenir compte (DORS/2001- 286)123.
des nanomatériaux.
À propos du SIMDUT
• La Loi canadienne sur la protection de l’environne­
ment (1999, ch. 33)117, dont les parties 4 (prévention « Le Système d’information sur les matières dangereuses
de la pollution), 5 (substances toxiques), 6 (substances utilisées au travail (SIMDUT) constitue la norme canadienne
biotechnologiques animées) et 7 (contrôle de la en matière de communication des renseignements sur les
dangers. Les éléments essentiels du SIMDUT se composent
pollution et gestion des déchets) devraient s’appliquer
d’étiquettes de précaution sur les contenants de “produits
à certains produits nanotechnologiques.
contrôlés”, de fiches signalétiques et de programmes de
• La Loi sur les produits dangereux (L.R., 1985, ch. formation pour les travailleurs.
H-3)118 et le Règlement sur les produits contrôlés Le SIMDUT est mis en œuvre par le biais des lois fédérales,
(DORS/88-66)119, qui présentent un intérêt pour les provinciales et territoriales. Les exigences s’appliquant
nanotechnologies, plus particulièrement au regard de aux fournisseurs concernent les fiches signalétiques
la distinction qui y est faite entre produits interdits, et les éti­quettes énoncées dans la Loi sur les produits
produits limités et produits contrôlés. Ce sont ces dange­reux et le Règlement sur les produits contrôlés.
Le Ministère de la Santé du Gouvernement du Canada,
derniers qui sont particulièrement pertinents pour
couramment appelé Santé Canada, est responsable de la
les nanotechnologies, car ils comprennent des pro­
mise en application de la Loi sur les produits dangereux
duits, matières ou substances qui entrent dans les et de ses règlements.
caté­gories suivantes : gaz comprimés, matières inflam­
Le Règlement sur les produits contrôlés établit une norme
mables et combustibles, matières comburantes,
nationale pour la classification des matières dangereuses
matières toxiques et infectieuses, matières corrosives, utilisées au travail. En plus d’établir les critères pour les
matières dangereusement réactives (Annexe II), dangers biologiques, chimiques et aigus, les règlements

115. Voir http://lois.justice.gc.ca/fr/L-2/.


116. Voir http://lois.justice.gc.ca/fr/L-2/DORS-86-304/.
117. Voir http://lois.justice.gc.ca/fr/C-15.31/texte.html.
118. Voir http://lois.justice.gc.ca/fr/H-3/texte.html.
119. Voir http://lois.justice.gc.ca/fr/H-3/DORS-88-66/.
120. Voir http://lois.justice.gc.ca/fr/H-2.7/texte.html.
121. Voir http://lois.justice.gc.ca/fr/H-2.7/DORS-88-456/texte.html.
122. Voir http://lois.justice.gc.ca/fr/T-19.01/index.html.
123. Voir http://lois.justice.gc.ca/fr/T-19.01/DORS-2001-286/180329.html.

Chapitre 2 – Regard sur les modalités d’encadrement du secteur 29


Avis de la Commission de l’éthique de la science et de la technologie

­
spécifient les critères pour les dangers chroniques pour nanométriques dans la composition ou l’enrobage
la santé incluant la mutagénicité*, la carcinogénicité*, des médicaments nouveaux ou transformés, pas plus
l’embryotoxicité* et la toxicité pour la reproduction, et la que dans le processus d’approbation qui conduit
sensibilisation des voies respiratoires et de la peau. à leur mise en marché127, et il n’y en a pas plus,
Chacun des 13 organismes fédéral, provinciaux et territo­ d’ailleurs, en ce qui concerne l’approbation d’autres
riaux responsables de la santé et de la sécurité au travail applications en matière de santé.
a établi, dans son secteur de compétence, des exigences
SIMDUT applicables aux employeurs. Ces règlements Lois et règlements québécois
exigent que les employeurs étiquettent adéquatement les
produits contrôlés utilisés, entreposés, manutentionnés ou En complément aux textes législatifs canadiens ou
éliminés des lieux de travail ; qu’ils mettent à la dispo­sition distincts de ces textes, les lois et règlements québécois
des travailleurs des fiches signalétiques ; qu’ils offrent ci-dessous sont du nombre de ceux qui peuvent avoir
la formation pertinente dans le but d’assurer un entre­ une pertinence dans le domaine des nanotechnologies
posage, une manutention, et une utilisation sécuritaires et nécessiter une adaptation en conséquence :
des produits contrôlés sur les lieux de travail.
Le SIMDUT concilie le droit des travailleurs de savoir et • La Loi sur la santé et la sécurité du travail (L.R.Q.,
le droit de l’industrie de protéger les renseignements c. S-2.1)128 et le règlement du même nom (R.Q., c. S-
commerciaux confidentiels. Le système prévoit des méca­ 2.1, r.19.01)129 ; ces textes ont pour but « l’élimination
nismes de décision à l’égard des demandes de déro­ à la source même des dangers pour la santé, la
gation, c’est-à-dire le droit de ne pas divulguer certains sécurité et l’intégrité physique des travailleurs ».
renseignements commerciaux confidentiels de même que Les dispositions les plus pertinentes de la loi, en
des mécanismes pour en appeler de ces décisions. » matière d’adaptation aux nanotechnologies, sont
Santé Canada124 contenues au chapitre III sur les droits et obligations
des travailleurs, de l’employeur et du fournisseur
ainsi qu’au chapitre VIII sur la santé au travail. Mais
• La Loi sur les aliments et drogues (L.R., 1985, ch. c’est le règlement d’application de cette loi qui est
F-27)125 et le règlement du même nom (C.R.C., ch. particulièrement pertinent et qui demanderait à être
870)126 ; régis par Santé Canada, ces textes législatifs adapté aux nanotechnologies. En effet, ce règlement
concernent les aliments, les drogues (médicaments), a pour objet : « [d’] établir des normes concernant
les cosmétiques et les instruments thérapeutiques. notam­­ment la qualité de l’air, la température,
Dans l’état actuel du développement des nanotech­ l’humi­­­­dité, les contraintes thermiques, l’éclairage,
nologies, leur contenu présente un intérêt particulier le bruit et d’autres contaminants, les installations
pour les applications dans le secteur de la santé et des sani­taires, la ventilation, l’hygiène, la salubrité et la
cosmétiques, mais un peu moins dans le domaine pro­preté dans les établissements, l’aménagement des
de l’alimentation, pour l’instant, sauf pour les lieux, l’entreposage et la manutention des matières
questions d’emballage. Le règlement précise que ses dangereuses, la sécurité des machines et des outils,
dispositions « lorsqu’il y a lieu […] établissent les certains travaux à risque particulier, les équipe­
normes de composition, de concentration, d’acti­ ments de protection individuels et le transport des
vité, de pureté, de qualité ou autre propriété de la travailleurs en vue d’assurer la qualité du milieu
substance alimentaire ou de la drogue, auxquelles de travail, de protéger la santé des travailleurs et
elles se rapportent » (art. 01.002). Il n’y a, pour le d’assurer leur sécurité et leur intégrité physique ».
moment, aucune référence à l’utilisation de produits

124. Tiré du site Internet de Santé Canada : http://www.hc-sc.gc.ca/ewh-semt/occup-travail/whmis-simdut/application/about-a_propos_f.html.


125. Voir http://lois.justice.gc.ca/fr/F-27/.
126. Voir http://lois.justice.gc.ca/fr/F-27/C.R.C.-ch.870/texte.html
127. Pour plus de détails sur l’ensemble du processus, le lecteur est invité à consulter l’avis de la Commission sur les OGM, Pour une gestion
éthique des OGM, op. cit., p. 27-29 et 35-41 [en ligne] http://www.ethique.gouv.qc.ca/fr/ftp/CESTAvisOGMfinal.pdf.
128. Voir http://www.iijcan.org/qc/legis/loi/s-2.1/20060412/tout.html.
129. Voir http://www.iijcan.org/qc/legis/regl/s-2.1r.19.01/20060412/tout.html.

30 Éthique et nanotechnologies :
Se donner les moyens d’agir
Avis de la Commission de l’éthique de la science et de la technologie

• Le Règlement sur l’information concernant les pro­ concernant les concentrations maximales des sub­
duits contrôlés au Québec (R.Q., c. S-2.1, r.10.1)130, stances inorganiques, organiques ou radioactives qui
qui apporte, pour le contexte québécois, des préci­ peuvent être présentes dans l’eau.
sions aux lois et règlements canadiens de même
Il convient de souligner qu’avec l’adoption, en avril 2006,
nature.
de la nouvelle Loi sur le développement durable135, les
• La Loi sur la qualité de l’environnement (L.R.Q., c. lois et règlements mentionnés plus haut s’inscrivent
Q-2)131, qui précise et complète au besoin la loi cana­ également dans une perspective de gouvernance
dienne sur le sujet et formule les exigences relatives à fondée sur le développement durable. De nombreux
la protection de l’environnement pour le Québec et principes ont été retenus aux fins de la mise en œuvre
certaines parties de son territoire. Les lois et règlements de cette loi, dont les suivants qui sont appelés à jouer
relatifs aux rejets industriels au Québec y sont un rôle important au regard des nanotechnologies,
assujettis. La section VII sur la ges­tion des matières notamment ceux relatifs à la prévention, à la précaution
résiduelles devrait tenir compte du développement et au pollueur-payeur. À l’article 11, la loi prévoit
des nanotechnologies. Parmi les quelque soixante égale­­ment que la stratégie de développement durable
règlements d’application de la loi, les trois règlements qui sera ultérieurement adoptée par le gouvernement
ci-dessous sont probablement les plus pertinents. devra « mettre en application des approches liées [aux
principes retenus], notamment quant au cycle de vie des
• Le Règlement sur les matières dangereuses (R.Q., c.
produits et des services ».
Q-2, r.15.2)132, qui complète et précise le Règlement
sur les produits contrôlés, notamment le chapitre I qui
Instruments internationaux
définit les matières dangereuses et leurs propriétés –
matières comburantes, corrosives, explosives, ga­­ Certains instruments internationaux comportent des
zeuses, inflammables, lixiviables*, radioactives et exigences relatives au transport d’un pays à un autre de
toxiques –, dont certaines peuvent s’appliquer à des matières jugées dangereuses et pouvant présenter un risque
pro­duits nanotechnologiques. pour la santé ou pour l’environnement. De tels instruments
• Le Règlement sur la qualité de l’atmosphère (R.Q., amènent les gouvernements nationaux à adapter leurs
c. Q-2, r.20)133, dont l’objet est d’« […] établir des propres instruments dans un contexte d’échanges
normes d’air ambiant et des normes d’émission des com­merciaux. Tout comme les lois et les règlements
matières particulaires, des vapeurs et des gaz, des actuel­lement en vigueur au Canada et au Québec, ces
normes d’opacité des émissions ainsi que des mesures instruments devront toutefois être adaptés pour tenir
de contrôle pour prévenir, éliminer ou réduire le compte des produits nanotechnologiques qui peuvent être
dégage­ment de contaminants provenant des sources porteurs de risques, avérés ou hypothétiques.
fixes » (section II, article 2). • Règlement type de l’ONU. Recommandations
• Le Règlement sur la qualité de l’eau potable (R.Q., rela­­­­tives au transport des marchandises dange­
c. Q-2, r.18.1.1)134, qui précise que « l’eau destinée à reuses. Quatorzième édition révisée, 2005136. Les
la consommation humaine doit, lorsqu’elle est mise recommandations de l’organisme s’adressent aux
à disposition de l’utilisateur, satisfaire aux normes de gouvernements et aux organisations internationales
qualité de l’eau potable » inscrites dans des annexes ayant à s’occuper de la réglementation du transport
des marchandises dangereuses.

130. Voir http://www.iijcan.org/qc/legis/regl/s-2.1r.10.1/20060412/tout.html.


131. Voir http://www.iijcan.org/qc/legis/loi/q-2/20060412/tout.html.
132. Voir http://www.iijcan.org/qc/legis/regl/q-2r.15.2/20060412/tout.html.
133. Voir http://www.iijcan.org/qc/legis/regl/q-2r.20/20060412/tout.html.
134. Voir http://www.iijcan.org/qc/legis/regl/q-2r.4.1/20060412/tout.html.
135. Voir http://www.iijcan.org/qc/legis/loi/d-8.1.1/20060525/tout.html.
136. Voir http://www.unece.org/trans/danger/publi/unrec/rev14/14files_f.html.

Chapitre 2 – Regard sur les modalités d’encadrement du secteur 31


Avis de la Commission de l’éthique de la science et de la technologie

• Instructions techniques pour la sécurité du transport presque toujours un certain retard par rapport au
aérien des marchandises dangereuses. Organisation dévelop­pement des technologies et ne peuvent tout
de l’aviation civile internationale (OACI) 137 . régler. Afin de répondre aux besoins de l’entreprise,
Ce texte énonce les principes généraux qui sous- d’autres mécanismes doivent donc être utilisés pour
tendent les instructions et contient notamment la assurer une forme d’autorégulation dans un secteur
liste des matières jugées dangereuses et les exigences d’activité en émergence et combler le vide qui peut être
requises pour leur transport, dans une perspective laissé par l’absence de réglementation ; les guides de
d’harmonisation internationale des façons de faire. bonnes pratiques en font partie.
• Réglementation pour le transport des marchandises Un tel guide est actuellement en préparation pour les
dangereuses 2006 – 47e édition138. Soumis aux besoins de l’industrie québécoise des nanotechnologies
exigences de l’OACI, ce règlement comporte aussi (y compris les laboratoires) et devrait être publié avant
ses propres exigences. la fin de 2006. Élaboré sous la responsabilité de l’Institut
de recherche Robert-Sauvé141, avec la collaboration de
• International Maritime Dangerous Goods (IMDG)
la Commission de la santé et de la sécurité du travail
Code139. En complément au contenu de la Convention
(CSST) et NanoQuébec, le guide permettra d’informer
internationale du 1er novembre 1974 pour la sauvegarde
le milieu professionnel en nanotechnologies sur
de la vie humaine en mer (International Convention
l’environnement de travail propre à ce secteur d’activité
for the Safety of Life at Sea – SOLAS – 1974140), le
et sur les meilleures façons de faire pour assurer la
Code spécifie les exigences relatives au transport des
santé et la sécurité de toutes les personnes qui y sont
matières dangereuses en mer.
liées (y compris les étudiants et les chercheurs), tout en
favorisant la protection de l’environnement
Commentaire de la Commission
Dans un contexte où le développement des nano­tech­no­ Commentaire de la Commission
logies et la mise en marché de produits nano­métriques ou
La Commission encourage l’Institut de recherche Robert-Sauvé
à composants nanométriques sont déjà bien amorcés et ne
en santé et en sécurité du travail à pour­suivre, en collaboration
pourront que s’amplifier au cours des années qui viennent, la
avec ses partenaires, la préparation de son guide de bonnes
Commission estime que la vigilance s’impose et qu’il faudra
pratiques afin de le publier le plus tôt possible. Elle invite
suivre attentivement l’évolution de ces technologies nouvelles
également les divers ministères que concerne le développement
afin d’adapter la réglementation actuelle aux réalités du
des nanotechnologies à inciter la communauté des chercheurs
secteur.
et des industriels de ce secteur d’activité à respecter les pra­
tiques préconisées dans ce guide, mais aussi à contribuer à la
En soutien à l’industrie promotion et à l’enrichissement de celui-ci. Dans la perspective
Les lois et règlements occupent certes une part d’éviter toute répercus­sion non désirable des nanotechnologies
sur la santé des travailleurs et sur l’environnement, la Commis­
importante de l’encadrement nécessaire à l’innovation
sion estime qu’un tel guide s’impose dans l’état actuel du
technologique, mais ces textes législatifs accusent
développement des nanotechnologies.

137. Ce document n’est pas disponible sur Internet ; le site de l’organisme contient uniquement les propositions d’amendement à certaines
parties du texte. Voir http://www.icao.int/cgi/goto_m_f.pl?icao/fr/search_icao_f.html.
138. Ce document n’est pas disponible sur Internet. Voir cependant la description du produit offert à l’adresse suivante : https://www.iataonline.
com/Store/Products/Product+Detail.htm?cs_id=9066%2D47&cs_catalog=Publications.
139. Revu tous les deux ans. Les derniers amendements sont entrés en vigueur en janvier 2004. Le document n’est pas disponible sur Internet.
Voir cependant la description du produit offert à l’adresse suivante : http://www.imo.org/home.asp.
140. Voir : http://www.imo.org/Conventions/contents.asp?topic_id=257&doc_id=647#description.
141. L’Institut a d’ailleurs publié deux rapports, déjà cités, sur les risques et les mesures de prévention en santé et en sécurité du travail. Il s’agit
des rapports R-451 et R-455.

32 Éthique et nanotechnologies :
Se donner les moyens d’agir
Avis de la Commission de l’éthique de la science et de la technologie

Des approches responsables Dans son avis de 2003 sur les OGM146, la Commission
pour composer avec le risque préconisait le recours à une « approche » de la précaution
en la matière, considérant qu’une telle orientation
Il arrive rarement, dans une société, qu’il soit possible de permettait plus de souplesse que le recours à un principe
s’interroger tôt sur l’importance d’encadrer le dévelop­ formel, comme celui de la précaution ; cette décision
pement et l’émergence d’une nouvelle technologie. s’appuyait également sur la confusion qui règne autour
Si cela n’a certes pas été le cas pour la génomique, la du sens exact à donner à ce principe et sur la difficulté qui
transgénèse ou les technologies de l’information et de la en découle pour une utilisation conforme à l’esprit du
communication, le contexte pourrait s’y prêter pour les principe. Dans le cadre du présent avis, la Commission
nanotechnologies. Il importe donc de se demander s’il estime toutefois pertinent de revenir sur le sujet et de
faut encadrer cette technologie et dans quelle mesure. considérer la question du principe de précaution au
Pour certains, il n’y a pas lieu de légiférer sur les nano­ regard des nanotechnologies, en s’appuyant, entre autres,
technologies142 ; d’autres croient au contraire que c’est sur la tenue d’un séminaire qu’elle a organisé sur ce thème
pertinent143, alors que pour d’autres encore l’imposition en novembre 2005. Elle le fait dans un double objectif :
d’un moratoire sur les nanotechnologies apparaît déterminer si un appel au principe de précaution plutôt
comme la seule solution possible144. Dans l’état actuel qu’à une « approche » de précaution se justifie dans le
des choses, la Commission s’est interrogée sur deux con­texte des nanotechnologies et combattre, dans une
approches à considérer relativement à l’encadrement des mesure même modeste, le recours de plus en plus cou­
nanotechnologies : le recours au principe de précaution rant à ce principe pour justifier l’absence de décision.
et l’approche « cycle de vie ». À noter que, pour l’UNESCO, « le principe se réfère à la
base philosophique de la précaution et l’approche à son
Le principe de précaution application pratique147 ».

Considérant l’incertitude et l’ignorance quant aux réper­ L’UNESCO propose la définition suivante du principe
cussions possibles des nanotechnologies sur la santé et de précaution : « Lorsque des activités humaines risquent
sur l’environnement, bon nombre de textes consacrés d’aboutir à un danger moralement inacceptable, qui est
aux nanotechnologies font référence au principe de pré­ scientifiquement plausible mais incertain, des mesures
caution, généralement pour souligner l’absence d’un doivent être prises pour éviter ou diminuer ce danger148. »
véritable consensus sur sa définition et la difficulté de sa Comme la plupart des autres définitions sur le sujet, elle
mise en application sans nuire aux progrès de la science. Il s’inspire de celle qui a été adoptée lors du Sommet de la
n’y a pas, non plus, de position commune sur le rôle qu’il Terre tenu à Rio en juin 1992 : « Principe 15 : Pour protéger
peut jouer dans le processus d’analyse du risque145. l’environnement, des mesures de précaution doivent être
largement appliquées par les États selon leurs capacités.

142. C’est l’avis émis par THE ROYAL SOCIETY & THE ROYAL ACADEMY OF ENGINEERING (Royaume-Uni), op. cit., dont les auteurs
recommandent néanmoins un suivi vigilant de l’évolution de la technologie.
143. Parmi d’autres possibilités, J. Clarence DAVIES, du WOODROW WILSON INTERNATIONAL CENTER FOR SCHOLARS, op. cit.,
propose un ensemble de mesures, dont une loi spécifique pour gérer les risques associés aux nanotechnologies.
144. Comme le demande le Groupe canadien ETC GROUP – EROSION, TECHNOLOGY AND CONCENTRATION, par exemple. Voir « No
Small Matter II : The Case for a Global Moratorium. Size Matters ! », Occasional Paper Series, vol. 7, no 1, avril 2003 [en ligne] http://www.
etcgroup.org/documents/Occ.Paper_Nanosafety.pdf.
145. ORGANISATION DE COOPÉRATION ET DE DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUES – OCDE, Incertitude et précaution : incidences sur les
échanges et l’environnement, Groupe de travail conjoint sur les échanges et l’environnement, 5 septembre 2002, p. 14 [en ligne] http://www.
olis.oecd.org/olis/2000doc.nsf/4f7 adc214b91a685c12569fa005d0ee7/98a7c482bccb43afc1256c2b003fe2ce/$FILE/JT00130908.PDF.
146. COMMISSION DE L’ÉTHIQUE DE LA SCIENCE ET DE LA TECHNOLOGIE, Pour une gestion éthique des OGM, op. cit., p. 54-56.
147. COMMISSION MONDIALE D’ÉTHIQUE DES CONNAISSANCES SCIENTIFIQUES ET DES TECHNOLOGIES – COMEST, Le principe
de précaution, Paris, UNESCO, 2005, p. 23 [en ligne] http://unesdoc.unesco.org/images/0013/001395/139578f.pdf
148. Ibid., p. 14.

Chapitre 2 – Regard sur les modalités d’encadrement du secteur 33


Avis de la Commission de l’éthique de la science et de la technologie

En cas de risques de dommages graves ou irréversibles, à extrême, jamais nulle152 – ou non (dans un contexte
l’absence de certitude scientifique absolue ne doit pas d’incertitude scientifique, par exemple, comme celui
servir de prétexte pour remettre à plus tard l’adoption de la grippe aviaire). Quant au risque hypothétique
de mesures effectives visant à prévenir la dégradation (ou potentiel), il n’est pas démontré – il peut d’ailleurs
de l’environnement149. » Au fil des ans, cette définition ne pas être démontrable ; il ne permet pas un calcul de
s’est étendue à d’autres domaines que l’environnement, ses probabilités d’occurrence, mais est tout de même
notamment à la santé publique, et a été complétée dans plausible sur la base du sens commun ou de l’expérience
certains cas par un ajout à saveur économique selon passée (il n’est pas l’expression d’une crainte farfelue).
lequel les mesures préventives devaient être prises « à un D’une certaine façon, c’est l’affirmation qu’il y a un
coût économiquement acceptable150 ». risque qu’un risque existe… et que l’événement craint
peut ne jamais se produire (attitude optimiste) ou,
Quelques mises au point à l’extrême, qu’il se produira de façon quasi certaine
(attitude catastrophiste). En matière d’hypothèse, il
Quelles que soient les définitions retenues ou la termi­
n’est pas inutile de souligner que toutes les hypothèses
nologie utilisée, il existe une confusion majeure dans
n’ont pas la même valeur et que ce n’est pas parce qu’une
la compréhension du principe, confusion qui porte sur
hypothèse de risque est formulée qu’il faut tenter de
la notion de risque (en matière d’occurrence et de con­
l’éviter à tout prix153.
séquences), de même que sur les distinctions à faire sur
l’état des connaissances et entre les notions de prudence, Risque déraisonnable, dommageable, irréversible, ou
de prévention et de précaution dans la prise de décision. danger moralement inacceptable. Aux deux extrémités
Cette confusion se situe également autour de préjugés qui d’un continuum, les conséquences possibles (avérées
font du principe de précaution un principe paralysant, ou hypothétiques) d’un risque peuvent être bénignes
exigeant que toute absence de risque soit démontrée. ou funestes, avec tout un spectre de possibilités entre
C’est pourquoi, dans les paragraphes qui suivent, la les deux, allant du moins dommageable au plus
Commission a jugé nécessaire de faire le point151. dommageable. Pour l’UNESCO, « le danger moralement
inacceptable est un danger pour les humains ou pour
Danger, risque, risque avéré, risque hypothétique. Un
l’environnement qui est :
danger « menace ou compromet la sûreté, l’existence
de quel­qu’un ou de quelque chose » (Le Robert), alors – menaçant pour la vie ou la santé humaine, ou bien
que le risque « est un danger éventuel plus ou moins
– grave et réellement irréversible, ou bien
prévisible » (Le Robert). Selon ces définitions, il est
possible de dire qu’un danger existe en soi, de façon – inéquitable pour les générations présentes ou futures,
absolue, mais que c’est la probabilité d’occurrence d’un ou bien
danger qui en fait un risque. Le risque avéré est celui
dont l’existence a été démontrée ; toutefois, selon le cas, – imposé sans qu’aient été pris dûment en compte les
sa probabilité d’occurrence peut être calculée – de faible droits humains de ceux qui le subissent154 ».

149. NATIONS UNIES, Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement. Voir le texte en ligne à l’adresse suivante : http://www.
un.org/french/events/rio92/rio-fp.htm#three.
150. Olivier GODARD, « Principe de précaution », Nouvelle encyclopédie de bioéthique. Médecine. Environnement. Biotechnologie, Gilbert Hottois
et Jean-Noël Missa (dir.), Bruxelles, Éditions DeBoeck Université, 2001, p. 650.
151. Outre les documents cités dans le cadre de la présente section, le lecteur est également invité à consulter le texte suivant : INSTITUT FÜR
ÖKOLOGISCHE WIRTSCHAFTSFORSCHU – IÖW, Nanotechnology and Regulation within the Framework of the Precautionary Principle,
Final Report, Rüdiger HAUM et al., Berlin, février 2004.
152. Philippe KOURILSKY et Geneviève VINEY, Le principe de précaution, Rapport au Premier Ministre, Paris, 15 octobre 1999, p. 5 de la
version pdf [en ligne] http://www.ladocfrancaise.gouv.fr.
153. Mark HUNYADI, « Qu’est-ce que le principe de précaution ? Nouvelles réflexions sur les usages du PP », Notes de présentation, Séminaire
sur le principe de précaution, Commission de l’éthique de la science et de la technologie, 4 novembre 2005, p. 8.
154. COMMISSION MONDIALE D’ÉTHIQUE DES CONNAISSANCES SCIENTIFIQUES ET DES TECHNOLOGIES – COMEST, Le principe
de précaution, op. cit., p. 14.

34 Éthique et nanotechnologies :
Se donner les moyens d’agir
Avis de la Commission de l’éthique de la science et de la technologie

De toutes les notions qui définissent le principe de d’un corpus de recherche approprié, recours à des sujets
pré­caution, « le risque déraisonnable » est sans doute humains, etc.) ; une zone d’ignorance (temporaire ou per­
la plus difficile à cerner, la plus subjective, la moins manente) existe alors sur certains aspects du domaine et
liée à l’expertise scientifique et à la quantification ne permet pas de déterminer la présence ou l’absence de
mathématique. Combien de vies doivent être sacrifiées, risque dans l’utilisation qui se fait du savoir disponible à
combien de travailleurs doivent être atteints d’une un moment donné de l’évolution d’une technologie.
mala­die professionnelle et doivent voir leur espérance
Prudence, prévention et précaution. Ces notions
de vie diminuée, combien d’espèces animales ou
fortement apparentées sont difficiles à distinguer sur
végétales doivent disparaître, quel niveau de pollution
le plan sémantique et contribuent à la confusion qui
l’air, l’eau et le sol doivent-ils atteindre pour qu’un
empêche une juste compréhension du principe de pré­
risque soit qualifié de déraisonnable ? L’irréversibilité
caution : savoir dans quels cas et pour quels risques
est-elle un critère qui permet de répondre à toutes ces
ou quelles hypothèses de risque il faut faire preuve
questions et à bien d’autres du même ordre ? De telles
de prudence, de prévention ou de précaution. C’est
préoccupations débouchent sur la perception du risque
pourquoi, en raison de l’ensemble des points de vue,
et son acceptabilité sociale qui nécessitent, selon l’OCDE,
parfois contradictoires, qui ont cours sur le sujet, la
« une approche consensuelle du concept de précaution ;
Commission retient aux fins du présent avis la distinction
un cadre élargi d’analyse de la décision ; des processus
qu’apporte Mark Hunyadi, estimant que celle-ci peut
participatifs et délibératifs de prise de décision155 », une
faciliter une prise de décision responsable : agir avec
approche fondée sur l’éthique, en quelque sorte, car un
prudence pour les risques dont les répercussions et les
jugement moral doit être porté sur l’acceptabilité du
probabilités d’occurrence sont connues, recourir à la
risque en fonction de valeurs socialement partagées.
prévention en situation d’incertitude, c’est-à-dire quand
État des connaissances : le savoir, l’incertitude, l’igno­ les risques sont connus mais non leurs probabilités
rance. À la base de la prise de décision pour déterminer d’occur­rence (la grippe aviaire constituant ainsi
l’existence d’un risque et en évaluer les probabilités l’exemple d’une situation où la prévention s’impose) et
d’occurrence, il y a l’état des connaissances, c’est-à-dire s’en remettre à la précaution quand seules des hypothèses
l’information disponible sur « les conséquences possibles existent et qu’il n’y a aucune information sur l’existence
d’une action, d’un produit ou d’un processus, afin de d’un risque et sur ses probabilités d’occurrence157, ce
prendre les mesures nécessaires pour éviter ou atténuer qui peut être le cas pour certaines craintes dans une
tout dommage dans chacun des cas 156 ». De façon technologie émergente comme les nanotechnologies.
générale, à un certain niveau d’avancement d’une science
Les préjugés relatifs au risque zéro et à la paralysie
ou de développement d’une technologie, les résultats
de l’action. La crainte que se réalise le scénario du
de la recherche constituent un réservoir important du
pire, l’espoir d’éliminer ou d’éviter tout danger qui
savoir accumulé sur le sujet et sur les conséquences
pourrait nuire à la santé des gens et à l’environnement
possibles (positives ou négatives) des applications qui
à court, moyen ou long terme peuvent être à l’origine
en découlent. Mais ce savoir peut aussi comporter
de décisions qui auront pour but de ne prendre aucun
des résultats de recherche incomplets, douteux, voire
risque et de refuser toute action susceptible d’entraîner
contradictoires sur certains objets de recherche, et créer
un risque quelconque. De toute évidence, une telle
de l’incertitude dans la détermination du risque. Enfin,
position peut être intenable et mener à des aberrations :
il peut aussi arriver que certaines recherches n’aient
aucun progrès technologique n’aurait été possible au fil
jamais été faites ou qu’elles ne puissent se faire pour de
des siècles et la vie même s’avérerait impossible s’il fallait
multiples raisons (limites de l’instrumentation requise
exiger une absence totale de risque. En revanche, aurait-
ou des modalités de recherche et d’expérimentation,

155. ORGANISATION DE COOPÉRATION ET DE DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUES – OCDE, Les risques émergents au xxie siècle, op. cit.,
p. 100.
156. ORGANISATION DE COOPÉRATION ET DE DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUES – OCDE, Incertitude et précaution…, op. cit.,
p. 15.
157. Mark HUNYADI, op. cit., p. 8.

Chapitre 2 – Regard sur les modalités d’encadrement du secteur 35


Avis de la Commission de l’éthique de la science et de la technologie

elle permis d’éviter des problèmes comme l’encéphalite il y a là matière à débat pour et avec la société. Entre-
spongiforme bovine (maladie de la vache folle) ou ceux temps, cependant, à la fois pour orienter et alimenter
causés par l'amiante, le DDT ou le téflon158 ? Plutôt que ce débat, mais aussi pour permettre des actions con­
de chercher à éviter tout risque, la question qui se pose crètes et proactives au regard des nanotechnologies,
est vraisemblablement de déterminer quels sont les la Commission propose quelques constats et quelques
risques acceptables. Quels peuvent être les effets néfastes pistes de solution.
du risque ? Quelles en sont la portée et l’ampleur ?
Des constats à prendre en considération. Les constats
Quelle en est la probabilité159 ? Des questions auxquelles,
suivants sont signalés à titre indicatif dans le but de
cependant, il est difficile d’apporter des réponses dans le
mener à l’adoption de mesures réalistes et responsables
cas des risques qualifiés d’hypothétiques, puisque c’est
dans la prise de décisions concernant les risques
l’ignorance à leur sujet qui les caractérise, et parfois des
relatifs aux nanotechnologies, qu’ils soient avérés ou
peurs qui peuvent se révéler irrationnelles… Est-ce à
hypothétiques :
dire que la peur et l’absence de réponse doivent mener à
l’abstention ? L’imposition de moratoires est-elle la seule • en raison des défis radicalement nouveaux que
option possible ? Quelles sont les avenues possibles pour peuvent poser certaines des nouvelles technologies
que le principe de précaution conduise à l’action ? en émergence (dont les nanotechnologies et les
biotechnologies) et de la transformation des modes
Des mesures pour l’action de régulation des sociétés contemporaines et de la
diversité des acteurs concernés dans un contexte
Comme le souligne Olivier Godard, « l’apport original
du principe de précaution est de poser une exigence de de mondialisation, « des situations de risque
nouvelles pourraient se trouver confrontées à une
prise en charge précoce, dans le temps scientifique, de
inertie excessive ou à des réponses inadéquates des
risques hypothétiques, non avérés, dont la réalisation
institutions […]161 » ;
pourrait avoir des conséquences graves et irréversibles ;
de tels risques échappent en théorie au principe de • de plus en plus, les risques doivent être considérés
pré­vention, qui concerne des risques avérés par la con­ de façon prospective en raison du caractère nou­
naissance scientifique ou par l’expérience160 ». veau qu’ils présentent dans les technologies émer­
La présente réflexion sur le principe de précaution et gentes ; c’est donc sur la base d’une évolution de la
technologie plutôt que selon un historique des risques
la volonté d’en faire un principe d’action, et non pas
passés qu’il faut les aborder162, mais aussi de façon
d’abstention, soulèvent de facto les questions suivantes,
à tenir compte d’incidences relativement mineures
parmi bien d’autres : De quelle façon faut-il gérer les
qui pourraient déboucher sur un problème majeur
risques hypothétiques dans une société pluraliste et
après de nombreuses années163 (le cas de l’amiante
démocratique ? Comment tenir compte de l’écart qui
existe entre l’acceptabilité du risque individuel et celle constitue un exemple à retenir) ;
du risque collectif, entre des exigences de sécurité sani­ • considérant que le risque zéro n’existe pas, les déci­
taire et environnementale et le souci légitime du dévelop­ deurs ne sont pas tenus d’assurer aux citoyens un
pement technologique ? De l’avis de la Commission, environnement exempt de tout risque ; ils doivent
158. Ces cas et d’autres du même genre ont été étudiés sous l’égide de l’Agence européenne de l’environnement et les résultats publiés dans
INSTITUT FRANÇAIS DE L’ENVIRONNEMENT, Signaux précoces et leçons tardives : le principe de précaution – 1896-2000, Orléans, 2004
[en ligne] http://www.developpement.durable.sciences-po.fr/publications/Bibliographies/signaux_precoces.pdf.
159. À ce sujet, voir, entre autres, ORGANISME DE COOPÉRATION ET DE DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUES – OCDE, Incertitude et
précaution…, op. cit., p. 18.
160. Olivier GODARD, « Le principe de précaution et la proportionnalité face à l’incertitude scientifique », Rapport public 2005 : jurisprudence
et avis de 2004. Responsabilité et socialisation du risque, Conseil d’État, Paris, La Documentation française, 2005, p. 385.
161. ORGANISATION DE COOPÉRATION ET DE DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUES – OCDE, Les risques émergents au xxie siècle, op. cit.,
p. 52.
162. Ibid., p. 53.
163. ORGANISATION DE COOPÉRATION ET DE DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUES – OCDE, Incertitude et précaution…, op. cit.,
p. 6.

36 Éthique et nanotechnologies :
Se donner les moyens d’agir
Avis de la Commission de l’éthique de la science et de la technologie

cependant tenir compte de l’incertitude scientifique mutuellement exclusives. Dans l’esprit du présent texte,
et de l’ignorance qui peut exister relativement à qui limite le recours au principe de précaution à une
des hypothèses de risque et prendre des mesures situation d’ignorance ou de très grande incertitude,
responsables, dont la précaution164 ; la Commission estime utile de signaler les quelques
mesures suivantes, dont l’objectif principal est de gérer
• la prise en considération des aspects sociétaux du
une telle situation :
risque est fondamentale et son acceptabilité par les
citoyens constitue une notion clé dans le proces­sus • miser sur la recherche constitue évidemment la
d’évaluation et de gestion du risque165 ; en l’occur­ pre­­mière mesure qui permette de contrer l’igno­
rence, le principe de précaution « impose de toute rance et une grande incertitude ; tout en étant
évidence qu’on améliore la communication et la multidisciplinaire, en raison de la nature même
réflexion sur les divers niveaux et types d’incertitude des nano­techno­logies, la recherche doit aussi être
dans l’évaluation scientifique166 » ; interdisciplinaire afin de favoriser un croisement des
différents savoirs, y compris ceux issus des sciences
• le recours au principe de précaution ne remplace pas
sociales et humaines ;
l’évaluation scientifique du risque et n’a pas pour
but la mise en place de mesures protectionnistes • recourir à des mécanismes de participation et
permettant de passer outre à des accords commer­ de con­sultation des citoyens afin de déterminer
ciaux de libre échange167. l’acceptabilité sociale des risques hypothétiques ou
des risques avérés dont le degré d’incertitude est très
En complément à ces constats issus de la documentation
élevé ;
consultée, la Commission croit utile de mentionner
l’importance de considérer, dans une perspective • se doter de moyens de contrôle et de suivi des résul­
éthique, les conséquences qui peuvent découler du tats de recherche ou d’incidences d’effets négatifs,
refus d’accepter une part de risque, notamment en ce même mineures, qui permettraient de détecter
qui a trait à des bénéfices valables que la population tôt une situation potentiellement dangereuse ou
pour­rait retirer des avancées technologiques et des néfaste ;
utilisations commerciales qui en découlent.
• légiférer pour imposer les interdictions et les restric­
Des exemples de mesures de précaution. Les mesures à tions nécessaires, voire un moratoire sur certaines
considérer « sont des interventions entreprises avant que pratiques.
le danger ne survienne et visant à éviter ou à diminuer
Dans les prochains chapitres, au fur et à mesure que
celui-ci. Les actions choisies doivent être proportionnelles
seront présentés et discutés un certain nombre des
à la gravité du danger potentiel, prendre en considération
enjeux éthiques relatifs aux nanotechnologies, et que
leurs conséquences positives et négatives et comporter
seront signalées l’ignorance ou la grande incertitude
une évaluation des implications morales tant de l’action
qui existent en ce qui a trait à leurs effets possibles sur
que de l’inaction. Le choix de l’action doit être le résultat
la santé et sur l’environnement – notamment pour les
d’un processus participatif168. » Ces mesures peuvent
nanoparticules –, la Commission pourra s’appuyer
être de nature différente, s’appliquer simultanément
sur les constats et les mesures d’action ci-dessus pour
ou successivement, selon le cas, et ne sont donc pas
formuler ses recommandations à l’intention des divers
acteurs concernés.

164. Ibid., p. 29 et 30.


165. ORGANISATION DE COOPÉRATION ET DE DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUES – OCDE, Les risques émergents…, op. cit., p. 98.
166. COMMISSION MONDIALE D’ÉTHIQUE DES CONNAISSANCES SCIENTIFIQUES ET DES TECHNOLOGIES – COMEST, Le principe
de précaution, op. cit., p. 35.
167. ORGANISATION DE COOPÉRATION ET DE DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUES – OCDE, Les risques émergents…, op. cit., p. 18.
168. COMMISSION MONDIALE D’ÉTHIQUE DES CONNAISSANCES SCIENTIFIQUES ET DES TECHNOLOGIES – COMEST, Le principe
de précaution, op. cit., p. 14.

Chapitre 2 – Regard sur les modalités d’encadrement du secteur 37


Avis de la Commission de l’éthique de la science et de la technologie

L’approche « cycle de vie » dans commun de la Royal Society et de la Royal Academy of


la perspective du développement durable Engineering en Grande-Bretagne172, un avant-projet de
livre blanc de l’agence américaine EPA173 (Environmental
En 1997, était adoptée la norme internationale ISO 14040 Protection Agency) et un mémoire préparé par le
(de la série 14000169) sur l’analyse du cycle de vie, principes California Council on Science and Technology174. Dans
et cadre, en matière de gestion environ­nementale. L’année ce dernier cas, cependant, c’est surtout la production
suivante, Environnement Canada publiait un document industrielle de composants nanométriques qui justifie
sur le sujet, Gestion du cycle de vie environnementale l’intérêt accordé à la question du cycle de vie des produits,
[sic] : Un guide des meilleurs [sic] décisions commerciales, notamment en ce qui a trait à la protection des travailleurs
accompagné de la définition suivante : « Le concept du de l’industrie, mais aussi de l’environnement, en raison de
cycle de vie est en fait une approche axée sur l’ensemble des la possibilité que les nanocomposites s’accumulent dans
étapes de la “vie” des produits, procédés et services. Selon l’environnement au fil du temps175.
ce concept, toutes les étapes du cycle de vie (extraction et
traitement des ma­tières premières, fabrication, transport Une telle préoccupation est de plus en plus manifeste
et distri­bu­tion, utilisation et réemploi, recyclage et gestion dans la perspective du développement durable, comme
des déchets) ont une incidence sur l’environnement et en témoigne d’ailleurs la nouvelle Loi sur le dévelop­
l’économie170. » pement durable176. Qu’il s’agisse de la pensée177 ou de
l’approche178 cycle de vie ou, plus concrètement, de la
Sur la scène internationale, l’intérêt est manifeste pour la gestion179 ou de l’analyse180 du cycle de vie (ACV) (voir
prise en compte du cycle de vie en ce qui concerne les l’encadré), l’objectif fondamental qui est recherché
nanotechnologies. En témoignent, par exemple, le sixième est celui de la protection de l’environnement à partir
programme-cadre de l’Union européenne171, le rapport d’une prise en compte des impacts d’une innovation
169. À l’intention du lecteur, précisons que « la série ISO 14000 a pour principal objectif de promouvoir dans les établissements une gestion à la
fois plus efficace et plus rentable de l’environnement et de proposer des instruments utiles et utilisables (efficaces par rapport à leur coût,
basés sur des systèmes, souples, reflétant les meilleures pratiques disponibles en matière d’organisation) en vue de recueillir, interpréter
et commu­niquer l’information relative à l’environnement. Il s’agira, en dernière analyse, d’améliorer la performance dans les domaines
de l’environnement. » Voir http://www.intracen.org/tdc/Export%20 Quality%20Bulletins/eq53fre.pdf, p. 4.
170. Voir http://www.ec.gc.ca/ecocycle/fr/whatislcm.cfm pour un aperçu du document.
171. UNION EUROPÉENNE, « Sixième Programme-cadre : Nanotechnologies et nanosciences » [en ligne] http://europa.eu.int/scadplus/leg/
fr/lvb/i23015.htm.
172. Op. cit.
173. ENVIRONMENTAL PROTECTION AGENCY – EPA (États-Unis), op. cit.
174. CALIFORNIA COUNCIL OF SCIENCE AND TECHNOLOGY, Nanoscience and Nanotechnology. Opportunities and Challenges in
California, A Briefing for the Joint Committee on Preparing CA for the 21st Century, California, janvier 2004 [en ligne] http://www.larta.
org/lavox/articlelinks/2004/040223_nanoreport.pdf.
175. « It is the transition to large-scale commercial manufacturing of these materials that is the primary concern, not the small amounts of material
produced in the research process. The exposure of workers to nanoparticulates will require investigation, and potential regulation as with
chemicals found to be hazardous but useful. With large production quantities, it will also be important to study the full lifecycle of these materials,
including the associated process of producing them, their use, and eventual disposal. Nano-composites, for example, may be more difficult and
more energy-intensive to recycle than single-phase material, and may accumulate in the environment over time. Since environmental impacts
may be slow to develop and ascertain, one of the challenges will be to determine what needs to be monitored over the course of time as an
important and relevant effect. » Ibid., p. 108.
176. GOUVERNEMENT DU QUÉBEC, Loi sur le développement durable, op. cit.
177. Gisèle BELEM, « L’analyse du cycle de vie comme outil de développement durable », sous la direction de Jean-Pierre Revéret et Corinne
Gendron, Les cahiers de la Chaire, collection recherche, Chaire de responsabilité sociale et de développement durable, no 08-2005
[en ligne] http://www.crsdd.uqam.ca/pdf/pdfCahiersRecherche/08-2005.pdf.
178. CENTRE INTERUNIVERSITAIRE DE RÉFÉRENCE SUR L’ANALYSE, L’INTERPRÉTATION ET LA GESTION DU CYCLE DE VIE DES
PRODUITS, PROCÉDÉS ET SERVICES – CIRAIG, Mémoire, dans le cadre de la consultation sur le projet de Plan de développement
durable du Québec et de l’Avant-projet de Loi sur le développement durable, février 2005 [en ligne] http://www.polymtl.ca/ciraig/
Memoire_CIRAIG_DD.pdf.
179. Ibid.
180. Ibid. et Gisèle BELEM, op. cit.

38 Éthique et nanotechnologies :
Se donner les moyens d’agir
Avis de la Commission de l’éthique de la science et de la technologie

technologique « du berceau à la tombe181 » (ou « from devient un puissant outil d’aide à la décision, permettant
cradle to grave182 »), c’est-à-dire dès l’obtention des d’identifier le meilleur compromis possible entre les aspects
ressources nécessaires à sa fabrication jusqu’à son environnementaux, sociaux et économiques relativement
élimination finale une fois terminée sa vie utile. au choix d’un produit, d’un service, d’une politique ou
d’une réglementation. »
Le cycle de vie Ciraig184

« Le concept de “Pensée cycle de vie” s’avère […] être « Le parent pauvre de l’ACV [analyse du cycle de vie]
une philosophie de gestion permettant aux outils qui s’en reste la dimension sociale et avec elle la condition de la
inspirent d’avoir la capacité de couvrir l’ensemble du cycle de démo­cratie. Celle-ci est acceptée de manière générale
vie et d’éviter ainsi que des améliorations environnementales comme élément indispensable à la prise de décision mais
locales ne soient que la résultante d’un déplacement des l’intégration des critères sociaux dans la méthodologie
charges polluantes dans le temps ou dans l’espace. La de l’ACV reste problématique, principalement selon les
concrétisation de cette Pensée au niveau de l’entreprise acteurs, pour des raisons d’objectivité compte tenu du
nécessite la combinaison d’outils dont l’usage, dans le cadre caractère scientifique de l’outil. »
de la gestion du cycle de vie, confère une certaine discipline Gisèle Belem185
de gestion. […] Ainsi, dans un objectif de durabilité, la
Pensée cycle de vie prône une approche systémique pour la La notion de développement durable est entendue ici
résolution des problèmes de pollution à la source ainsi que dans le sens qui lui est donné dans la loi : « développement
pour l’usage efficace des ressources. […] » qui répond aux besoins du présent sans compromettre la
Gisèle Belem183 capacité des générations futures à répondre aux leurs. Le
« “L’approche cycle de vie” est une démarche qui intègre développement durable s’appuie sur une vision à long
l’ensemble des stratégies de consommation et de pro­ terme qui prend en compte le caractère indissociable des
duction existantes, par opposition à une dé­marche dimensions environnementale, sociale et économique
frag­men­taire. De cette approche découle la “ges­ des activités de développement 186. » Ainsi que le
tion du cycle de vie” des produits et services, soit un mentionnait un document de consultation antérieur à
ensemble d’outils des plus performants permettant à la loi187, « cette définition s’inspire à la fois :
une entreprise ou à un gouvernement d’opérer dans un
contexte de développement durable. Parmi ces outils, • de la définition initiale du rapport Brundtland,
on trouve l’analyse du cycle de vie (ACV) des produits et de laquelle elle reprend la notion d’équité
services, dont la méthodologie est régie par les normes intergénérationnelle ;
ISO 14040 et suivantes, et qui permet d’évaluer les impacts
environnementaux d’un produit, d’un service, voire même • de la définition bonifiée établie en 1991 par l’UICN,
d’une réglementation, en considérant toutes les étapes le PNUE et le WWF, de laquelle elle reprend la notion
relatives à ce produit ou à ce service et ce, de l’extraction d’amélioration des conditions d’existence ;
des matières premières jusqu’à la disposition en fin de vie
utile. L’ACV doit toutefois, en parallèle, être complétée • du consensus international retenant l’environnement,
par une analyse des impacts sociaux et économiques pour la société et l’économie comme les trois dimensions
orienter le développement durable. Ainsi complétée, l’ACV fondamentales du développement durable188 ».

181. UNION EUROPÉENNE, « Sixième Programme-cadre : Nanotechnologies et nanosciences », op. cit.


182. THE ROYAL SOCIETY & THE ROYAL ACADEMY OF ENGINEERING (Royaume-Uni), op. cit., p. 32.
183. Gisèle BELEM, op. cit., p. 7 et 11.
184. CENTRE INTERUNIVERSITAIRE DE RÉFÉRENCE SUR L’ANALYSE, L’INTERPRÉTATION ET LA GESTION DU CYCLE DE VIE DES
PRODUITS, PROCÉDÉS ET SERVICES – CIRAIG, op. cit., p. 3.
185. Gisèle BELEM, op. cit., p. 44.
186. Article 2 de la Loi sur le développement durable, GOUVERNEMENT DU QUÉBEC, op. cit.
187. GOUVERNEMENT DU QUÉBEC, Plan de développement durable du Québec, document de consultation, novembre 2004, p. 19
[en ligne] http://www.mddep.gouv.qc.ca/developpement/2004-2007/plan-consultation.pdf.
188. Ibid.

Chapitre 2 – Regard sur les modalités d’encadrement du secteur 39


Avis de la Commission de l’éthique de la science et de la technologie

Bien qu’il en soit question à deux reprises dans la loi – Recommandation no 1


relativement à l’internalisation des coûts (article 6,
alinéa p) et en vue de la préparation d’une stratégie La Commission recommande :
gouvernementale de développement durable (article 11, que le gouvernement du Québec, guidé par le principe
alinéa 2) –, la définition retenue ne fait cependant de pré­caution et dans une perspective de développement
pas référence à la notion de cycle de vie que certains durable, se préoccupe de toutes les phases du cycle de vie
estiment « essentielle à l’atteinte d’un développement d’un produit issu des nanotechnologies ou comportant des
durable189 ». éléments nanométriques et qu’à cet effet il intègre la notion
de « cycle de vie » dans toutes ses politiques où une telle
approche est appropriée, de façon à éviter toute conséquence
dommageable d’une innovation technologique sur la santé
et sur l’environnement.

189. CENTRE INTERUNIVERSITAIRE DE RÉFÉRENCE SUR L’ANALYSE, L’INTERPRÉTATION ET LA GESTION DU CYCLE DE VIE DES
PRODUITS, PROCÉDÉS ET SERVICES – CIRAIG, op. cit., p. 7.

40 Éthique et nanotechnologies :
Se donner les moyens d’agir
Chapitre 3
Nanotechnologies :
préoccupations d’ordre éthique
La réflexion de la Commission sur les enjeux éthiques des nanotechnologies l’amène d’abord à formuler des exigences
qui lui apparaissent fondamentales pour une gestion responsable du domaine : l’établissement d’une nomenclature
propre à la nanoscience et aux nanotechnologies, le développement de la nanométrologie pour l’élaboration de
standards internationaux et la poursuite de la recherche ainsi que la diffusion de ses résultats. Une fois précisées ces
prémisses, la Commission présente dans un premier temps un certain nombre de préoccupations éthiques relatives
aux produits issus des nanotechnologies, notamment en ce qui a trait à la santé, à l’environnement et à la sécurité.
Dans un deuxième temps, elle soulève un questionnement éthique plus large mis en évidence par le développement
des nanotechnologies, mais qui concerne également d’autres technologies émergentes, comme les biotechnologies et
la génomique. Les questions abordées sont relatives à la gouvernance, à l’activité économique et à l’exercice de la
citoyenneté. Il importe de prendre conscience de l’ensemble de ces préoccupations dès maintenant et d’intervenir le
plus tôt possible afin que les promesses soulevées par l’émergence de ces nouvelles technologies puissent se réaliser au
bénéfice de la société et de ses citoyens et non à leur détriment.

Des exigences fondamentales scientifique (c’est-à-dire : s’entendre sur la définition


comme prémisses des termes utilisés) et de la nomenclature scientifique
(c’est-à-dire : s’entendre sur les règles d’attribution
Depuis le discours désormais célèbre de Feynman sur le d’un nom à un ensemble d’objets jugés semblables)
monde de l’infiniment petit190, le domaine de la nano­ qui sont consacrées au monde des nanotechnologies.
science et des nanotechnologies s’est développé à travers Il s’agit d’une question complexe, car la nomenclature
la convergence de disciplines comme la physique, la scientifique actuelle est fondée sur la taille et sur la
chimie, la biologie, les sciences de l’information et de composition chimique des nanoparticules, mais ne tient
la communication, les sciences cognitives et autres disci­ pas compte des spécificités de la matière nanométrique
plines bien établies. Le caractère nouveau du domaine et en ce qui a trait à sa structure physique, comme celle des
l’apport de nombreuses disciplines à son émergence font nanotubes de carbone ou des fullerènes, ni des effets de
en sorte que des actions s’imposent comme prémisses surface qui lui sont propres. Dans un rapport de 2005,
à son développement systématique et responsable. Ces l’Institute of Medicine américain mentionne d’ailleurs
actions concernent la mise au point d’une terminologie qu’il reste encore à déterminer si ces particules sont de
et d’une nomenclature communes, de procédures et de nouvelles substances ou non191.
standards, ainsi que la poursuite de recherches visant Le flou terminologique et l’absence d’une nomenclature
à combler les lacunes actuelles sur les conséquences scientifique partagée par les divers acteurs du domaine –
sanitaires et environnementales des nanotechnologies. perceptibles dans le travail de recherche et de diffusion de
travaux scientifiques – témoignent de la créativité et de
La nécessité d’établir une terminologie la vitesse de génération des connaissances. Sans être con­
et une nomenclature scientifiques communes sidérée comme un handicap en recherche fon­da­­mentale,
La mise en commun de savoirs provenant de disciplines l’absence d’un vocabulaire scientifique uniformément
différentes et l’arrivée de nouvelles connaissances sou­ partagé pourrait éventuellement nuire au développement
lèvent la question de l’harmonisation de la terminologie du domaine. Pour assurer le transfert des connaissances

190. Richard P. FEYNMAN, « There is plenty of room at the bottom : An Invitation to Enter a New Field of Physics », Engineering and Science,
vol. 23, no 5, 1960 [en ligne] http://clsdemo.caltech.edu/archive/00000047/02/1960Bottom.pdf.
191. INSTITUTE OF MEDICINE (États-Unis), op. cit., p. xii.

41
Avis de la Commission de l’éthique de la science et de la technologie

à des fins de formation, faciliter la com­munication Il importe de souligner que le Québec, pour sa part,
entre des scientifiques issus de formations et de cultures occupe une position privilégiée pour contribuer à
différentes mais aussi avec la population, faciliter la mise au point et à la diffusion d’une terminologie
également la mise au point et la mise en marché de franco­phone pouvant accompagner un développement
nouveaux produits de consommation ou l’encadrement scientifique et commercial qui se réalise en grande partie
du secteur, il importe de pouvoir s’appuyer sur une en anglais. D’ailleurs, dans le cadre des travaux réalisés
terminologie et sur une nomenclature convenues entre pour la préparation du présent avis, s’est instaurée une
les divers acteurs du domaine et reconnues à l’échelle collaboration entre NanoQuébec et l’Office québécois
internationale 192. Une telle systématisation aurait de la langue française qui a conduit à la diffusion d’un
de nombreux autres avantages : elle permettrait de vocabulaire des nanotechnologies sur le site même de
répertorier plus facilement les articles publiés dans les NanoQuébec, en plus de celui qui se trouve dans Le
diverses revues spécialisées et susceptibles de traiter de grand dictionnaire terminologique de l’Office. L’OQLF
nanoscience et de nanotechnologies ; elle faciliterait la travaille également en partenariat avec divers pays
vulgarisation pour les médias et les non-initiés tout en européens en vue d’élaborer un vocabulaire multilingue
favorisant l’établissement d’un dialogue avec le public. des nanotechnologies.
Enfin, elle contribuerait à clarifier la réglementation qui
pourrait s’appliquer aux activités nanotechnologiques ; L’importance de mettre sur pied
les acteurs concernés sauraient ainsi aisément à quoi des procédures et des standards
la loi fait référence193, notamment lors de contentieux
juridiques. Pour déterminer des niveaux de risque acceptables, il
faut être en mesure de répertorier et de quantifier les
L’Organisation internationale de normalisation (ISO) dangers potentiels, que ce soit pour la santé humaine
a créé, en 2005, trois comités voués à l’élaboration de ou pour l’environnement. À l’heure actuelle, « la science
normes relatives à « la terminologie et la nomenclature, ne dispose pas de méthodologies permettant d’évaluer
la métrologie et l’instrumentation, y compris les spéci­ la toxicité de l’ensemble de ces nouveaux produits dans
fi­cations relatives aux matériaux de référence ; les de courts délais et avec des coûts raisonnables195 ». En
méthodologies d’essai ; la modélisation et la simulation ; outre, les tests utilisés ne permettent pas toujours de
et les pratiques à fondement scientifique en matière de déterminer quelle propriété physique d’un composant
santé, de sécurité et d’environnement194 ». Le Canada nanotechnologique donné est responsable de la
préside d’ailleurs le comité sur la terminologie et la toxicité du matériau examiné196. Enfin, il sera difficile
nomenclature. Les résultats de ces efforts concourront de déterminer si un produit comportant un nouveau
fort certainement à la prise de décision éclairée en composant nanométrique doit être testé à nouveau, alors
matière de recherche, d’encadrement, d’utilisation, de que le produit d’origine a déjà été homologué197.
production et de consommation des nanotechnologies.

192. Voir, entre autres, EUROPEAN COMMISSION. COMMUNITY HEALTH AND CONSUMER PROTECTION, Nanotechnologies :
A Preliminary Risk Analysis…, op. cit., p. 24-25 [en ligne] http://europa.eu.int/comm/health/ph_risk/events_risk_en.htm ; Jean-Pierre
DUPUY et François ROURE, Les nanotechnologies : éthique et prospective industrielle, Tome 1, Conseil général des mines et Conseil général
des technologies de l’information, section « Innovation et Entreprise », 15 novembre 2004, p. 5 [en ligne] http://www.cgm.org/themes/
deveco/develop/nanofinal.pdf ; MERIDIAN INSTITUTE et NATIONAL SCIENCE FOUNDATION, International Dialogue on Responsible
Research and Development of Nanotechnology, Virginie, 17-18 juin 2004, p. 8 et 11 [en ligne] http://www.nanoandthepoor.org/Final_
Report_ Responsible_ Nanotech_RD_040812.pdf.
193. INSTITUTE OF MEDICINE (États-Unis), op. cit., p. 42-43 ; SWISS RE, op. cit., p. 85.
194. INTERNATIONAL STANDARD ORGANISATION – ISO, « L’ISO lance des travaux sur les normes relatives aux nanotechnologies »,
Communiqué de presse, 28 novembre 2005 [en ligne] http://www.iso.org/iso/fr/commcentre/pressreleases/archives/2005/Ref980.html.
195. INSTITUT DE RECHERCHE ROBERT-SAUVÉ EN SANTÉ ET EN SÉCURITÉ DU TRAVAIL – IRSST, Les effets à la santé…, op. cit., p. iii.
196. THE ROYAL SOCIETY & THE ROYAL ACADEMY OF ENGINEERING (Royaume-Uni), op. cit., p. 48.
197. ENVIRONMENTAL PROTECTION AGENCY – EPA (États-Unis), op. cit., p. 26.

42 Éthique et nanotechnologies :
Se donner les moyens d’agir
Avis de la Commission de l’éthique de la science et de la technologie

D’où l’importance de mettre sur pied des procédures et différente des nanoparticules testées (diamètre, lon­
des standards afin de : gueur et agglomération), […] etc.201 ». Il est tout de
même intéressant de constater qu’au cours de l’été 2005
• permettre de répliquer et de tester la validité des
l’International Council on Nanotechnology (ICON)
hypo­­thèses et des résultats de la recherche en nano­
a créé une banque d’articles portant sur les impacts
technologies ;
sanitaires et environnementaux des nanomatériaux202.
• faciliter l’analyse de risque et le contrôle de la qualité ; Ce répertoire de publications scientifiques a pour
et objectif principal d’aider les chercheurs et les agences
gouvernementales à prendre des décisions éclairées en
• rendre possible l’élaboration adéquate d’exigences en ce qui a trait à la sécurité des nanomatériaux203.
matière de santé et de sécurité.
La plupart des préoccupations rapportées lors des
Il faut cependant reconnaître que ces procédures et ces consultations organisées dans le cadre de l’avis de la
standards ne pourront être élaborés, comme le souligne Royal Society en Grande-Bretagne ont porté sur les
l’Environmental Protection Agency américaine, tant qu’il effets possibles des nanoparticules et des nanotubes
n’y aura pas de conventions adéquates concernant la manufacturés sur la santé et la sécurité des personnes,
nomenclature198 et des instruments nanométrologiques de la faune, de la flore et des écosystèmes. En particulier,
aptes à fournir des mesures constantes et uniformes. le fait que les nanoparticules soient du même ordre
de grandeur que les composants cellulaires et les
La poursuite de la recherche grosses protéines a conduit à l’hypothèse qu’elles
et la diffusion des résultats pour­raient échapper aux défenses naturelles des orga­
Alors que des incertitudes subsistent en ce qui a trait à nismes vivants et endommager leurs cellules 204. Le
leur innocuité, il existe également très peu de directives constat est le même de ce côté de l’Atlantique ; les
concernant, par exemple, la façon de se départir des témoins reçus le 17 novembre 2005 par le Committee
produits contenant des nanoparticules 199. L’un des on Science américain sur la sécurité et les impacts
problèmes importants signalés dans la littérature environnementaux des nanotechnologies ont demandé
est l’insuffisance de données en ce qui concerne les un effort de recherche plus important à cet égard : « […]
nanoparticules de synthèse ; les intervenants dans si les nanotechnologies devaient remplir leur énorme
le domaine déconseillent de se fier seulement aux potentiel économique, alors nous devons investir
données existantes, qui concernent principalement immédiatement dans la compréhension des problèmes
les nanoparticules naturelles* et résiduelles*200. Ainsi qu’elles pourraient causer. C’est le moment d’agir – alors
que le mentionne le rapport de l’IRSST à propos des que nous avons un consensus entre gouvernements,
effets sur la santé liés aux nanoparticules, « les données industriels et environnementalistes205. » Les questions
toxicologiques spécifiques aux nanoparticules demeurent d’impacts environnementaux et de santé, donc, mais
insuffisantes à cause du faible nombre d’études, de également les impacts économiques et sociaux sont
la courte période d’exposition, de la composition encore à documenter.

198. Ibid.
199. SCIENCE-METRIX, Canadian Stewardship Practices for Environmental Nanotechnology, op. cit., p. 2.
200. INSTITUTE OF MEDICINE (États-Unis), op. cit., p. 2.
201. INSTITUT DE RECHERCHE ROBERT-SAUVÉ EN SANTÉ ET EN SÉCURITÉ DU TRAVAIL – IRSST, Les effets à la santé…, op. cit., p. iii.
202. Accessible à l’adresse suivante : http://icon.rice.edu/research.cfm.
203. INTERNATIONAL COUNCIL ON NANOTECHNOLOGY, « Nano Coalition Unveils Environmental, Health and Safety Database »,
Communiqué de presse, Houston, 19 août 2005 [en ligne] http://www.nanotech-now.com/news.cgi?story_id=11111.
204. THE ROYAL SOCIETY & THE ROYAL ACADEMY OF ENGINEERING (Royaume-Uni), op. cit., p. 35. Le rapport tient à mettre en
pers­pective cet enjeu, en commentant que l’être humain a toujours été exposé à divers types de nanoparticules provenant de sources natu­
relles, comme la photochimie ou les feux de forêt, et que l’exposition à des millions de nanoparticules polluantes par inhalation est chose
courante depuis la première utilisation du feu.
205. (Traduction libre) COMMITTEE ON SCIENCE (États-Unis), « More research on enivironmental [sic], safety impacts of nanotechnology
is critical to success of the industry, witnesses say », Communiqué, Washington, 17 novembre 2005 [en ligne] http://www.house.gov/
science/press/109/109-165.htm.

Chapitre 3 – Nanotechnologies : préoccupations d’ordre éthique 43


Avis de la Commission de l’éthique de la science et de la technologie

Il apparaît alors important d’intensifier les efforts les outils de diagnostic ainsi que les applications
de re­cherche afin de produire rapidement une carac­ thérapeutiques.
té­ri­sation normalisée des produits issus des nano­
technologies, certains étant déjà commercialisés. Il faut Santé et sécurité
également souligner la nécessité de favoriser l’accès
Au même titre que les nanoparticules naturelles et rési­
aux résultats de recherche, tant pour la communauté
duelles, les nanoparticules de synthèse sont susceptibles
scientifique que pour les décideurs et les citoyens, sujet
de provoquer des effets indésirables sur la santé. Les
qui sera abordé plus loin dans ce chapitre.
personnes touchées au premier chef sont celles qui
produisent, manipulent, utilisent ou éliminent les
Commentaire de la Commission nanoparticules. Dans un contexte où s’accroît la recherche
Le constat premier que tout observateur peut faire à l’égard en nanotechnologies et la fabrication industrielle de
des nanotechnologies, c’est le manque flagrant d’information produits qui en sont issus, la Commission s’interroge
pour bien connaître ce qu’elles sont. Or, comment prendre sur la santé et la sécurité des travailleurs du domaine.
des décisions éclairées, en tant que législateur, chercheur, Mais elle s’interroge aussi quant aux effets possibles sur
entrepreneur, travailleur ou citoyen, s’il n’existe pas une
la santé et la sécurité des personnes qui consommeront
compréhension commune de ce que sont les nanotechnologies ?
ou utiliseront les produits issus des nanotechnologies,
Établir une termi­nologie et une nomenclature scientifiques
communes, mettre sur pied des procédures et des standards
c’est-à-dire la population en général.
et poursuivre la recherche et la diffusion des résultats
appa­­raissent à la Commission comme les trois prémisses La protection des travailleurs
indispensables à une gestion responsable du développement Les propriétés des nanotechnologies suscitent des
des nanotechnologies.
question­nements particuliers au regard de la santé et
de la sécurité de ceux qui seront en contact étroit avec
Préoccupations éthiques associées aux leur développement, c’est-à-dire les travailleurs. Ceux-ci
produits issus des nanotechnologies comprennent tout personnel qui manipule des substances
de taille nanométrique : chercheurs, étudiants, employés
Par leur diversité, les produits issus des nanotechnologies de laboratoire et l’ensemble des travailleurs engagés dans
soulèvent des questions d’ordre éthique qu’il importe l’assemblage, le transport, la réparation, l’utilisation, le
de considérer à leur juste valeur. D’entrée de jeu, la recyclage ainsi que l’élimination de produits issus des
Commission se préoccupe des effets que la recherche et nano­technologies – bref, toute personne que son travail
l’innovation nanotechnologiques pourraient avoir sur la met en contact avec des composants nanométriques à
santé humaine et sur l’environnement. Elle s’interroge n’importe quelle étape du cycle de vie d’un produit qui
ensuite sur les utilisations auxquelles pourraient se prêter en comporte.
les nanotechnologies en matière de défense nationale et
de sécurité civile et y décèle matière à un questionnement Ainsi qu’il a été mentionné dans le premier chapitre,
éthique d’importance. Enfin, la Commission soulève ce sont surtout les caractéristiques (taille, toxicité
la question des possibilités qu’offre le développement poten­tielle, mobilité, propriété de surface) propres aux
des nanotechnologies pour transformer l’être humain nanomatériaux qui soulèvent un questionnement sur
et la nature afin de souligner les préoccupations qui les conséquences sanitaires et sécuritaires associées à
en découlent en matière d’identité humaine et dans les leur production et à leur manipulation. Les principales
rapports que l’être humain entretient avec la nature. valeurs qui sous-tendent ce questionnement sont la
dignité humaine et la responsabilité. La protection de
En matière de santé humaine la dignité humaine implique que les travailleurs ne
soient pas considérés seulement comme des moyens de
Les principales questions d’éthique retenues par la Com­ production, mais d’abord et avant tout comme des êtres
mission en ce qui a trait à la santé humaine concernent la humains, et qu’en ce sens ils aient droit à l’intégrité et
santé et la sécurité des travailleurs et des consommateurs au respect de leur personne. Quant à la responsabilité,
et les applications des nanotechnologies dans le domaine elle suppose que l’État et les employeurs s’assurent de
de la médecine – en particulier la recherche biomédicale, la mise en place d’un environnement sécuritaire pour

44 Éthique et nanotechnologies :
Se donner les moyens d’agir
Avis de la Commission de l’éthique de la science et de la technologie

les travailleurs, mais aussi que ces derniers respectent En attendant l’avancement de la recherche et une régle­
les règles et mécanismes de sécurité en vigueur et contri­ mentation plus complète et mieux adaptée aux spéci­
buent à leur amélioration. ficités des nanotechnologies, la Commission estime
que le principe de précaution doit guider les actions
Deux observations ont attiré l’attention de la Commission.
à entreprendre afin de protéger la santé et la sécurité
En premier lieu, il faut s’inquiéter du peu de recherches
des travailleurs. Cette responsabilité de la protection des
entreprises jusqu’à maintenant en ce qui concerne les
travailleurs incombe :
conséquences possibles des nanomatériaux sur la santé et
la sécurité humaines206. L’état des connaissances est peu • aux employeurs, qui doivent identifier, contrôler
avancé ; beaucoup de recherches en écotoxicologie devront et éliminer les dangers, doter leurs établissements
être menées afin d’évaluer la toxicité de ces nouvelles d’équipements, d’outils et de méthodes de travail
particules et également connaître les propriétés de surface sécuritaires et s’assurer que les travailleurs respectent
qui peuvent entraîner la toxicité207. L’un des obstacles les mesures de protection mises en place ;
notés par l’IRSST et qui expliquent en partie le manque
• aux travailleurs, qui doivent prendre les mesures
de connaissances en hygiène industrielle est que « les
nécessaires pour protéger leur santé, leur sécurité et
outils actuels d’évaluation de l’exposition des travailleurs
celle de leur entourage au travail, et participer à l’iden­
normalement utilisés […] sont mal adaptés à l’application
tification et à l’élimination des risques au travail ;
aux nanoparticules en milieu de travail208 », alors que « les
quelques données disponibles suggèrent que les expositions • au gouvernement et, plus spécifiquement, à la Com­
peuvent être substantielles lors de la manipulation209 ». mission de la santé et de la sécurité au travail, qui
doit veiller à ce que les normes et la réglementation
En second lieu, les spécialistes ne s’entendent pas sur l’à-
existantes soient respectées212.
propos de la réglementation existante. Selon certains,
il n’existe pas, à l’heure actuelle, de mécanismes qui
Des actions à entreprendre
réglementent ces nouveaux objets alliant les propriétés
classiques et les propriétés quantiques de la matière – les Le risque qu’adviennent des conséquences inattendues
instruments actuels seraient axés essentiel­lement sur l’état et indésirables dépend du degré de toxicité des nano­
original des matériaux210. Pour d’autres, la réglementation technologies et du niveau d’exposition aux nano­
couvre en bonne partie la pro­duc­tion nanotechnologique, particules ; d’où l’importance d’établir des normes
notamment en ce qui con­cerne l’hygiène industrielle ; des particulières en santé et sécurité au travail. Aux États-
amendements devraient cependant être apportés afin de Unis, le President’s Council of Advisors on Science
mentionner clairement que la réglementation en vigueur and Technology estime que les chercheurs doivent
vise les nanotechnologies211. Il sera difficile de trancher être au courant des dangers (hazards) potentiels lors­
sur cette question tant que des données plus précises sur qu’ils travaillent avec des nouveaux matériaux qui
les effets potentiels des nanotechnologies ne seront pas possèdent des propriétés encore méconnues213. L’IRSST
disponibles. recommande pour sa part que soient instaurées des
mesures strictes de prévention afin d’empêcher le
développement de maladies professionnelles214.
206. Christopher J. PRESTON, « The Promise and Threat of Nanotechnology. Can Environmental Ethics Guide US ? », HYLE – International
Journal for Philosophy of Chemistry, Special issue on nanotech challenges, part II, vol. 11, no 1, section 4.1 [en ligne] http://www.hyle.
org/journal/issues/11-1/preston.htm.
207. THE ROYAL SOCIETY & THE ROYAL ACADEMY OF ENGINEERING (Royaume-Uni), op. cit., p. 42.
208. INSTITUT DE RECHERCHE ROBERT-SAUVÉ EN SANTÉ ET EN SÉCURITÉ DU TRAVAIL – IRSST, Les nanoparticules…, op. cit., p. iv.
209. Ibid.
210. Christopher J. PRESTON, op. cit.
211. J. Clarence DAVIES, op. cit., p. 17.
212. Pour plus d’information sur les droits et les responsabilités des employeurs et des travailleurs, se référer au site de la Commission de la santé
et de la sécurité du travail, notamment la section sur la prévention [en ligne] http://www.csst.qc.ca/portail/fr/prevention/prevention.htm.
213. PRESIDENT’S COUNCIL OF ADVISORS ON SCIENCE AND TECHNOLOGY (États-Unis), op. cit., p. 35.
214. INSTITUT DE RECHERCHE ROBERT-SAUVÉ EN SANTÉ ET EN SÉCURITÉ DU TRAVAIL – IRSST, Les effets à la santé…, op. cit., p. iii.

Chapitre 3 – Nanotechnologies : préoccupations d’ordre éthique 45


Avis de la Commission de l’éthique de la science et de la technologie

La publication de guides de bonnes pratiques ou d’ou­ l’automne 2006, dont l’un des objectifs est d’augmenter les
vrages tels que ceux produits par l’IRSST relativement à connaissances sur les propriétés des nanotechnologies, sur
l’état des connaissances sur les nanoparticules et aux effets leurs effets et sur le niveau d’exposition aux nanoparticules.
possibles de ces particules sur les travailleurs s’inscrit au Des actions qui pourraient être entreprises, voire
nombre des actions qui peuvent être entreprises pour menées à terme à l’intérieur d’une même année, sont
assurer une gestion responsable des nanotechnologies. également explorées. Certaines de ces actions devraient
À cet effet, la Commission souligne l’importance que déboucher sur un meilleur encadrement des activités dites
les données colligées par l’IRSST demeurent le plus à occupationnelles217.
jour possible et que ces informations soient transmises
Aux États-Unis, le National Institute for Occupational
aux entreprises et aux centres de recherche actifs dans
Safety and Health poursuit des travaux multidisciplinaires
le domaine des nanotechnologies, afin que ces derniers
qui ont pour objectif de trouver des moyens pour aider
puissent prendre des mesures adéquates de protection
les travailleurs à appliquer avec plus de rigueur les
des travailleurs. En ce sens, elle appuie le commentaire
principes déjà établis en santé et sécurité au travail, tout
suivant, formulé par l’IRSST : « Le développement d’une
en tenant compte des particularités liées à l’exposition
expertise québécoise en nanotoxicologie devrait être
aux nanomatériaux218. Certaines entreprises sont aussi
encouragé et axé principalement sur l’étude des produits
très actives dans l’élaboration de lignes de conduite
développés et importés au Québec, afin de conseiller et
afin de réduire au minimum les effets indésirables des
soutenir les divers intervenants en santé et sécurité du
activités nanotechnologiques. Par exemple, la compagnie
travail, les entreprises ainsi que ceux concernés par la
Luna Innovations en Virginie a mis en œuvre en 2005
recherche et le développement des produits issus de la
un programme de management appelé NanoSAFE. Ce
nanotechnologie215. »
programme comprend cinq éléments219 :
Par ailleurs, il faut souligner que le gouvernement du
• s’assurer de la bonne santé des travailleurs de fa­çon
Canada a commandé plusieurs études sur les effets
régulière afin de détecter rapidement des ef­fets poten­
poten­tiels des nanotechnologies ainsi que sur la gouver­
tiellement néfastes des activités occupationnelles ;
nance216. Un comité interministériel – comprenant des
représentants de Santé Canada, d’Environnement Canada, • mettre en place des mécanismes permettant de
de l’Agence canadienne d’inspection des aliments, de vérifier la sécurité des lieux de travail (notamment en
Pêches et Océans Canada, du Bureau du conseiller national installant des capteurs pouvant mesurer la présence
des sciences ainsi que du Conseil national de recherches et le taux de nanoparticules, mais également des
Canada – a tenu un atelier les 29 et 30 mars 2006 afin me­sures de sécurité primaires comme de porter
de réfléchir sur les effets potentiels des nanotechnologies des gants longs ou des vêtements dont les manches
sur la santé et l’environnement. Le comité, qui continue recouvrent adéquatement les poignets afin d’éviter
de se réunir, projette de lancer un plan d’action fédéral à toute exposition de la peau) ;

215. Ibid.
216. SCIENCE-METRIX, Canadian Stewardship Practices for Environmental Nanotechnology, op. cit. ; Canadian Biotechnology Initiatives
Addressing Developing Countries Issues, Final Report, David CAMPBELL et Grégoire CÔTÉ, National Research Council Canada, Research
Program Support Office, mars 2005 [en ligne] http://www.science-metrix.com/pdf/SM_2005_001_NRC_Biotechnology_Developing_
Countries.pdf ; Lorraine SHEREMETA, « Nanotechnology and the Ethical Conduct of Research Involving Human Subjects », Health Law
Review, vol. 12, no 3, 2004 [en ligne] http://www.law.ualberta.ca/centres/hli/pdfs/hlr/v12_3/12-3-11%20Sheremeta.pdf ; Mark ROSEMAN,
op. cit. ; Lorraine SHEREMETA, « Nanoscience and Nanotechnology : The Ethical, Environmental, Economic, Legal and Social Issues
(NE3LS) – An Overview of NE3LS Research in Canada », Paper prepared for the Office of the National Science Advisor, 13 septembre 2005 ;
OFFICE OF THE NATIONAL SCIENCE ADVISER (Canada), Assessment of Canadian Research Strengths in Nanotechnology, Report of
the International Scientific Review Panel, novembre 2005 [en ligne, disponible sur demande] http://acst-ccst.gc.ca/back/home_f.html.
217. Les informations contenues dans ce paragraphe ont été validées par M. Hans Yu de Santé Canada lors de sa présentation dans le cadre du
Nanoforum 2006.
218. NATIONAL INSTITUTE FOR OCCUPATIONAL SAFETY AND HEALTH – NIOSH (États-Unis), Position Statement on Nanotechnology :
Advancing Research on Occupational Health Implications and Applications (non daté) [en ligne] http://www.cdc.gov/niosh/topics/nanotech/
position.html.
219. Josh CABLE, « A Best Practices Approach to Minimizing EHS Risk in Nanotechnology Manufacturing », Occupational Hazards, 6 octobre
2005 [en ligne] http://www.occupationalhazards.com/safety_zones/42/article.php?id=14129.

46 Éthique et nanotechnologies :
Se donner les moyens d’agir
Avis de la Commission de l’éthique de la science et de la technologie

• effectuer des études toxicologiques ; L’assurance de l’innocuité des produits issus des nano­
technologies est une préoccupation majeure dans la
• mener des études sur les impacts environnementaux
réflexion de la Commission. Ainsi qu’il a été mentionné
possibles ;
précédemment, ces produits sont de plus en plus
• assurer une gestion stratégique des lieux de travail et nombreux et certains sont déjà proposés sur le marché
des produits afin, notamment, d’éviter des rejets de comme produits de consommation courante ; il s’agit
nanoparticules dans l’environnement. de certains cosmétiques (fonds de teint, rouges à lèvres,
crèmes solaires, antirides, etc.) ou de divers produits pour
La protection de la population la santé (suppléments vitaminiques, produits minceur),
de produits d’entretien ou de nettoyage (en aérosol ou
La Commission rappelle que la protection de la popu­ non) et de quelques produits alimentaires (poudres
lation est une valeur fondamentale à respecter lors pour laits fouettés, huiles, etc.)221. Or, il est impossible
de la mise en marché de n’importe quel produit de de savoir à l’heure actuelle si ces produits peuvent
consom­mation issu des nanotechnologies. Elle y associe être nocifs à l’usage, parce qu’il existe peu de résultats
également la responsabilité des entreprises à l’égard des de recherche concernant leurs effets sur les animaux,
produits qu’elles commercialisent, le souci de ne nuire l’environnement ou les êtres humains. De plus, des
d’aucune façon, ainsi que la transparence du processus experts s’inquiètent du peu de moyens dont disposent
décisionnel. les autorités sanitaires pour contrôler les produits mis
Comme l’observent eux-mêmes les promoteurs, en marché222. Enfin, même si ces autorités avaient les
l’accep­tation par la population des nouveaux produits moyens et le personnel nécessaires, il n’en faudrait pas
issus des nanotechnologies constitue un préalable à la moins que des normes d’acceptation soient édictées, ce
croissance du secteur ; la reconnaissance de ce fait est qui n’est pas encore le cas. La Royal Society a proposé à
la résultante d’expériences durement acquises dans cet effet que l’industrie rende publiques les méthodes
d’autres domaines technologiques émergents dont utilisées afin de tester la sécurité des produits issus des
les organismes génétiquement modifiés constituent nanotechnologies, en particulier ceux qui contiennent
l’exemple par excellence220. Or, l’acceptation des produits des particules libres ; ainsi qu’il a été signalé au premier
et des services issus des nanotechnologies ne pourra se chapitre, ces particules seraient celles qui pourraient
faire que si le public a confiance dans les produits et poser le plus de problèmes en ce qui a trait à la santé des
services qui lui sont offerts et dans les entreprises qui individus ou à l’environnement223.
les développent. Deux facteurs joueront un rôle dans la À titre d’exemple, mentionnons qu’un premier cas de
détermination du niveau de confiance de la population : rappel d’un produit comportant possiblement224 des
la conviction que l’innocuité des produits et services mis nanoparticules – le Magic Nano, un produit nettoyant
en marché a bel et bien été démontrée – autrement dit, pour salles de bain – a eu lieu à la fin de mars 2006 en
l’assurance que la population est adéquatement protégée Allemagne, après que 77 personnes eurent rapporté
contre les effets néfastes possibles – et la transparence des problèmes respiratoires importants qui ont persisté
des autorités (gouvernementales, industrielles et autres) pendant près de 18 heures225. Quelques semaines après ce
dans le processus de gouvernance. Ce dernier facteur rappel, le Federal Institute for Risk Assessment allemand
sera abordé un peu plus loin. laissait savoir que le produit en question ne comportait
220. John BALDUS et al., « Getting Nanotechnology Right the First Time », Issues in Science and Technology, vol XXI, no 4, été 2005, p. 67
[en ligne] http://www.issues.org/21.4/balbus.html.
221. Voir la liste de nombreux produits commercialisés présentée par le WOODROW WILSON CENTER FOR SCHOLARS, op. cit., sur le site
http://www.nanotechproject.org/index.php?id=44.
222. J. Clarence DAVIES, op cit., p. 10.
223. THE ROYAL SOCIETY (Royaume-Uni), « Industry should disclose safety testing methods », Communiqué de presse, 4 mai 2006 [en ligne]
http://www.royalsoc.ac.uk/news.asp?year=&id=4639.
224. Car il faut considérer que certains produits qui s’annoncent « nano » ne le sont pas nécessairement et que l’appellation peut constituer un
élément de marketing pour certains.
225. Rick WEISS, « Nanotech Product Recalled in Germany », Washington Post, 6 avril 2006, p. A02 [en ligne] http://www.washingtonpost.
com/wp-dyn/content/article/2006/04/05/AR2006040502149.html.

Chapitre 3 – Nanotechnologies : préoccupations d’ordre éthique 47


Avis de la Commission de l’éthique de la science et de la technologie

aucune particule ultrafine* et qu’en fait le terme « nano » Recommandation nº 2


avait pour but d’attirer l’attention sur le film très mince que
le produit laisse sur les surfaces vaporisées226. La situation La Commission recommande :
n’en demeure pas moins préoccupante. Tout comme le que le ministre du Développement économique, de l’Inno­
risque lié à l’utilisation de produits nouveaux (issus des vation et de l’Exportation, en collaboration avec le ministre
nanotechnologies ou autres), la possibilité qu’adviennent de la Santé et des Services sociaux, intervienne auprès du
des problèmes de santé ou environnementaux ne peut gouvernement fédéral afin que ses agences de contrôle en
être écartée ; sur le plan éthique, de tels risques doivent matière de santé et d’environnement mettent en place les
être réduits au minimum, si ce n’est totalement évités, mécanismes nécessaires à une évaluation de la toxicité des
notamment au moyen de tests relatifs à la sécurité d’un processus et des produits issus des nanotechnologies avant
d’en autoriser la commercialisation.
produit avant sa mise en marché.
Enfin, il faut également se préoccuper des effets d’une Le développement technologique comme facteur
utilisation à long terme de tels produits ou applications, d’enrichissement collectif et d’amélioration de la qualité
en particulier pour le secteur des cosmétiques ; ce de vie des citoyens est certes une valeur importante
secteur n’est pas régi de la même façon que le domaine dans nos sociétés, auquel le développement des nano­
thérapeutique, les recherches effectuées le sont à petite technologies semble pouvoir contribuer ; mais en aucun
échelle et les résultats sont rarement disponibles. Est-ce cas il ne peut se faire au détriment de la santé et de la
que les nanoparticules qui entrent dans la composition sécurité des travailleurs ou des citoyens, la protection
de crèmes de toutes sortes pourraient causer des pro­ de la vie constituant de toute évidence la valeur
blèmes de santé à long terme ? Pourraient-elles créer prioritaire. La Commission est d’avis que des mesures
des interactions dommageables dans l’organisme ? Il de prévention adéquates et une bonne connaissance du
est encore trop tôt pour avoir des réponses à de telles cycle de vie des produits issus des nanotechnologies
questions, et pourtant des produits cosmétiques à base contribueront à protéger la santé et la sécurité
de nanoparticules sont déjà commercialisés. hu­maines et participeront au développement
responsable de ce secteur d’activité.
Comme pour les organismes génétiquement modifiés227,
la Commission réitère l’importance pour les agences Les applications dans le domaine de la santé
sani­taires et les entreprises de procéder aux études toxi­
Les propriétés particulières des nanotechnologies amènent
cologiques nécessaires avant de mettre en marché des
les scientifiques à examiner de nouvelles ap­proches
produits utilisant des nanotechnologies et d’assurer
diagnostiques et thérapeutiques qui pourraient être
une veille sur les effets que pourraient avoir les nano­
prometteuses. La réflexion de la Commission l’a conduite
technologies sur la santé humaine à plus longue échéance.
à s’intéresser d’abord aux questions touchant l’éthique
De telles études devraient être menées en priorité sur les
de la recherche biomédicale, pour ensuite étudier celles
produits qui sont déjà sur le marché.
des développements concernant l’exercice du diagnostic
médical et les applications thérapeutiques liées à l’exploi­
tation des nanotechnologies. Les nanotechnologies
pourraient également jouer un rôle important dans
l’optimisation des performances humaines, un thème
généralement associé au domaine médical. Cependant,
comme une telle intervention est intimement liée
à la représentation symbolique de l’être humain, la
Commission a choisi d’aborder le sujet de façon distincte
un peu plus loin.

226. FEDERAL INSTITUTE FOR RISK ASSESSMENT (Allemagne), « Nanoparticles were not the cause of health problems triggered by sealing
sprays ! », Communiqué, 26 mai 2006 [en ligne] http://www.bfr.bund.de/cms5w/sixcms/detail.php/7842.
227. Voir le chapitre 4 de l’avis Pour une gestion éthique des OGM [en ligne] http://www.ethique.gouv.qc.ca.

48 Éthique et nanotechnologies :
Se donner les moyens d’agir
Avis de la Commission de l’éthique de la science et de la technologie

L’éthique de la recherche biomédicale confidentialité des renseignements personnels, au res­pect


des personnes, au consentement éclairé, à la finalité de la
La recherche biomédicale évolue depuis de nombreuses
recherche, à la valeur scientifique et sociale de la recherche,
années dans un cadre éthique défini. Au Québec, les
etc. Ces préoccupations sont abondamment documentées
instruments institutionnels suivants balisent la recherche
et la Commission en a traité dans son avis sur les enjeux
universitaire : l’Énoncé de politique des trois Conseils228
éthiques des banques d’information génétique235.
subventionnaires fédéraux (EPTC), auquel ont adhéré
les organismes subventionnaires québécois ; s’y ajoutent Les contraintes sur l’éthique de la recherche biomédicale
le Plan d’action ministériel en éthique de la recherche et en que la Commission a constatées en 2003 ont évolué.
intégrité scientifique229 auquel est soumise la recherche Certaines sont en voie de disparaître, du moins en par­
effectuée dans les établissements du réseau de la santé tie : c’est le cas du financement et de la formation des
et des services sociaux, les articles 20, 21, 22, 24 et 25 du comités d’éthique de la recherche en milieu hospitalier.
Code civil230 qui portent sur l’expérimentation humaine, la Cependant, plusieurs éléments n’ont pas encore été réglés,
Loi sur les aliments et drogues231 et le règlement du même comme la difficulté de faire un suivi assidu des protocoles
nom232 qui régissent les essais de médicaments, ainsi que de recherche, l’évaluation des protocoles multicentres
Les bonnes pratiques cliniques : directives consolidées233 de où s’instaure de plus en plus de compétitivité entre
Santé Canada. En outre, le Fonds de la recherche en santé divers centres candidats, de même que l’impossibilité
du Québec (FRSQ), qui finance la recherche publique dans d’évaluer la pertinence ou la portée sociale de certaines
le domaine de la santé au Québec, s’est doté d’un guide recherches. La Commission postule que ces questions
d’éthique234. Les recherches publiques en nanotechnologies se poseront également au regard du développement des
qui incluent des expérimentations sur l’être humain sont nanotechnologies dans le domaine de la santé.
aussi soumises à l’ensemble de ces règles. Toutefois, la
Considérant l’avenir prometteur des nanobiotechnologies,
recherche biomédicale privée est uniquement soumise,
il importe d’appliquer rigoureusement les principes de
pour sa part, aux Bonnes pratiques cliniques et dans
l’éthique de la recherche afin de protéger les sujets de
certaines circonstances à l’article 21 du Code civil.
recherche qui participent volontairement à l’avancement
Parce que les nanotechnologies sont vues comme des des connaissances. Les comités d’éthique de la recherche
tech­nologies habilitantes* (enabling technology), le ques­ étant à l’avant-plan dans la protection des sujets humains,
tion­nement éthique soulevé par la recherche sur les nano­ les membres de ces comités doivent être sensibilisés
technologies appliquées à la santé devrait être le même aux questions qui se poseront dans le domaine de la
que pour d’autres technologies biomédicales émergentes. recherche en nanobiotechnologies et outillés pour y
Ce seront notamment des questions relatives à la réagir adéquatement.
228. INSTITUTS DE RECHERCHE EN SANTÉ DU CANADA, CONSEIL DE RECHERCHES EN SCIENCES NATURELLES ET EN GÉNIE
DU CANADA, CONSEIL DE RECHERCHES EN SCIENCES HUMAINES DU CANADA, Énoncé de politique des trois Conseils. Éthique
de la recherche avec des êtres humains, août 1998, modifié en 2000, 2002 et 2005 [en ligne] http://www.pre.ethics.gc.ca/francais/pdf/
TCPS%20octobre%202005_F.pdf.
229. MINISTÈRE DE LA SANTÉ ET DES SERVICES SOCIAUX (Québec), Plan d’action ministériel en éthique de la recherche et en intégrité
scientifique, 1998 [en ligne] http://ethique.msss.gouv.qc.ca/site/download.php?id=1081608,5,1. À noter que ce document est actuellement
en révision.
230. GOUVERNEMENT DU QUÉBEC, Code civil du Québec (L.R.Q., c. C-1991) [en ligne] http://www.canlii.org/qc/legis/loi/ccq/20060525/
tout.html.
231. L.R., 1985, ch. F-27 [en ligne] http://lois.justice.gc.ca/fr/F-27/.
232. C.R.C., ch. 870 [en ligne] http://lois.justice.gc.ca/fr/F-27/C.R.C.-ch.870/texte.html.
233. SANTÉ CANADA, Ligne directrice à l’intention de l’industrie. Les bonnes pratiques cliniques : directives consolidées, Direction générale des
produits de santé et des aliments, 1997 [en ligne] http://www.hc-sc.gc.ca/dhp-mps/alt_formats/hpfb-dgpsa/pdf/prodpharma/e6_f.pdf.
234. FONDS DE LA RECHERCHE EN SANTÉ DU QUÉBEC – FRSQ, Guide d’éthique de la recherche et d’intégrité scientifique, Standards en
éthique de la recherche et en intégrité scientifique du FRSQ, 2e édition, août 2003 [en ligne] http://www.frsq.gouv.qc.ca/fr/ethique/ethique.
shtml.
235. COMMISSION DE L’ÉTHIQUE DE LA SCIENCE ET DE LA TECHNOLOGIE, Les enjeux éthiques des banques d’information génétique :
pour un encadrement démocratique et responsable, Gouvernement du Québec, 2003 [en ligne] http://www.ethique.gouv.qc.ca/fr/ftp/
AvisBanquesGen.pdf. Voir en particulier le chapitre 2 portant sur l’environnement des banques d’information génétique et le chapitre 3
sur la gouvernance des enjeux.

Chapitre 3 – Nanotechnologies : préoccupations d’ordre éthique 49


Avis de la Commission de l’éthique de la science et de la technologie

Recommandation nº 3 La question de l’interférence des nanoparticules avec le fonc­


tionnement du corps humain (ou avec l’environ­nement)
La Commission recommande : retient aussi l’attention de la Commission. Lorsqu’une
que le ministre de la Santé et des Services sociaux s’assure que structure est plus petite que 100 nanomètres, elle entre en
les comités d’éthique de la recherche seront adéquatement réaction avec les protéines de l’organisme, ce qui pourrait
outillés et soutenus dans leur évaluation de protocoles de provoquer des effets imprévus et encore méconnus236.
recherche portant sur l’utilisation dans le domaine médical D’autres questions se posent également en ce qui a trait à
des matériaux et procédés issus des nanotechnologies. l’élimination des nanomédicaments par le corps humain :
Il est difficile de prévoir quelles avenues empruntera le quels en seront les effets potentiels sur la faune et la flore ?
développement des nanotechnologies. Il faut tout de Cette question est soulevée dans la foulée d’informations
même, dès à présent, engager la discussion sur ses finalités, relatives au fait que des études ont récemment démontré
ses conséquences avérées ou hypothétiques, et trouver en que les anovulants se retrouvent dans les eaux traitées
concertation avec tous les acteurs concernés la meilleure et qu’ils affecteraient l’appareil reproducteur de certains
façon de protéger les sujets de recherche, tout en évitant poissons, les rendant même hermaphrodites237 ou allant
de nuire aux activités de recherche et de développement. jusqu’à provoquer un changement de sexe chez les
mâles238. De tels cas devront être explorés plus à fond par
Diagnostics et applications thérapeutiques la recherche et démontrent la nécessité que des liens soient
tissés entre différentes disciplines, comme l’environnement
Ainsi qu’il a été vu au premier chapitre, les espoirs suscités et la santé dans le cas présent.
par le développement des nanotechnologies dans le
domaine du diagnostic et de la thérapie sont nombreux Enfin, en raison de la capacité qu’ont les nanoparticules
et les bénéfices escomptés sont importants. Bien que de traverser la barrière hématoencéphalique, leur
les préoccupations éthiques posées par ces nouvelles utilisation présente un intérêt majeur dans le traitement
technologies ne soient pas toutes exclusives à l’apport des maladies d’origine neurologique, comme la maladie
des nanotechnologies dans le domaine de la médecine, de Parkinson, la sclérose en plaques ou la maladie
la Commission estime important de les signaler pour d’Alzheimer. Mais elle constitue également une source
qu’il soit possible de les prendre en considération dans de préoccupation. La barrière hématoencéphalique est
les décisions à venir en la matière. l’ultime rempart du cerveau contre les agressions exté­
rieures de certains microorganismes. Or, le fait d’avoir
Dans le domaine du diagnostic, des innovations issues trouvé de nouvelles façons de déjouer les défenses
des nanotechnologies, comme les laboratoires sur puce naturelles du cerveau, grâce à des technologies qui sont,
ou les techniques d’imagerie magnétique, pourraient de surcroît, encore peu maîtrisées et invisibles à l’œil
permettre d’importantes économies de temps dans nu, pourrait bien avoir des conséquences déplorables
l’établissement d’un diagnostic et la mise en place plus si la R-D nanotechnologique n’est pas suffisamment
rapide du traitement approprié. En ce qui a trait aux balisée. L’utilisation des nanotechnologies dans le
applications thérapeutiques issues des nanotechnologies, do­maine neurologique à des fins thérapeutiques, mais
les principales concernent actuellement la vectorisation possiblement aussi à des fins d’amélioration du fonction­
et l’activation de médicaments, qui permettraient de nement du cerveau, est intimement associée au domaine
maximiser le potentiel thérapeutique tout en diminuant des neurosciences. La Commission compte entreprendre
les effets dommageables qu’ils pourraient avoir sur les la préparation d’un avis dans ce domaine en 2007 ; le
tissus sains environnants, de même que la restauration questionnement éthique lié aux préoccupations qui
ou le remplacement d’organes ou de fonctions, y compris découlent de la diversité des utilisations possibles en la
l’ouïe, la vue ou la motricité. matière fera partie de sa réflexion.
236. INSTITUTE OF MEDICINE (États-Unis), op. cit., p. 20.
237. William COCKE, « Male Fish Producing Eggs in Potomac River », National Geographic News, 3 novembre 2004 [en ligne] http://news.
nationalgeographic.com/news/2004/11/1103_041103 _potomac_fish.html.
238. Melanie Y. GROSS-SOROKIN, Stephen D. ROAST et Geoffrey C. BRIGHTY, « Assessment of Feminization of Male Fish in English Rivers
by the Environment Agency of England and Wales », Environmental Health Perspective, vol. 114, no S-1, avril 2006 [en ligne] http://www.
ehponline.org/members/2005/8068/8068.pdf.

50 Éthique et nanotechnologies :
Se donner les moyens d’agir
Avis de la Commission de l’éthique de la science et de la technologie

L’état actuel des connaissances ne permet guère à la le suivi médical de l’enfant à naître ou l’interruption
Commission d’extrapoler sur l’impact économique volontaire de grossesse. Les nanotechnologies pourraient
potentiel de l’introduction de nouvelles méthodes de donc participer à l’amplification d’un dilemme auquel
diagnostic et de traitement comportant des nanotech­ des parents sont déjà confrontés et qui n’a pas encore été
nologies. Vraisemblablement, certaines de ces nouvelles débattu au sein de la société.
technologies permettraient des économies pour le
système de santé, alors que d’autres représenteraient des Commentaire de la Commission
coûts prohibitifs. Cette question renvoie au problème La Commission insiste sur l’importance de se laisser guider
beaucoup plus large de l’allocation des ressources et de par la précaution dans le processus de création et de mise
la gouvernance, où d’importants choix qui concernent au point de médicaments et de thérapies à composants nano­
la société devront être faits. technologiques. Une telle approche incite à poursuivre la
recherche et à documenter les effets potentiellement positifs et
La préoccupation de l’accessibilité économique dans un
négatifs des applications nanotechnologiques dans le domaine
système de santé public s’applique à toutes les activités des soins de santé afin de mieux évaluer les retombées pour
de la nanomédecine. Qui aura accès à ces nouvelles les malades et pour le fonctionnement du système de santé
technologies ? Quelles maladies seront privilégiées et qui en général.
en bénéficiera ? Ces questions, tant sur l’accès aux soins
que sur le type de couverture médicale que souhaite et En matière d’environnement
peut s’offrir la collectivité, méritent d’être débattues
sur la place publique. Cela aurait notamment le mérite La Commission inscrit sa réflexion sur les enjeux éthiques
de sensibiliser la population aux enjeux éthiques et environnementaux posés par les nanotechnologies dans
sociaux que soulèvent le développement de nouvelles la perspective du développement durable, y compris
technologies et la convergence de certaines disciplines l’approche cycle de vie et le principe de précaution,
scientifiques – comme les nanotechnologies, la biologie, qu’elle considère comme des éléments de gestion
les sciences de l’information et les sciences cognitives essentiels. La responsabilité individuelle et collective à
(les NBIC)239 – dans l’offre de soins de santé. l’égard de l’environnement et des générations futures
ainsi que la qualité de vie font partie des valeurs qui ont
Dans ce même contexte, la Commission s’interroge sur guidé la Commission dans ses discussions.
une offre de diagnostic (grâce aux nanotechnologies
ou non) qui ne serait pas assortie d’une offre théra­ La documentation consultée indique que les nano­
peutique appropriée – par exemple un test en vue de technologies pourraient avoir de nombreux impacts
diagnostiquer une maladie donnée pour laquelle il positifs sur l’environnement ; elles se présenteraient
n’existe encore aucun traitement préventif ou curatif. ainsi en appui au développement durable. Certaines
Cette possibilité existe déjà et n’est pas sans rappeler applications prévues auront pour objectif de restaurer
les réflexions entourant le diagnostic génétique, abordé des habitats et des écosystèmes non viables (proaction) ;
dans un précédent avis, notamment en ce qui concerne d’autres chercheront plutôt à protéger l’environnement
le droit de savoir ou de ne pas savoir240. La Commission des effets potentiellement néfastes de l’activité humaine
y faisait également part de sa crainte de voir une sorte (protection, prévention). Ces bienfaits potentiels des
d’eugénisme individuel prendre place dans les pratiques nanotechnologies doivent être encouragés ; toutefois,
de procréation ; par exemple, advenant le diagnostic l’innocuité des nanotechnologies reste à démontrer et
prénatal positif d’une maladie génétique qui surviendra les effets potentiellement indésirables de celles-ci ne
peut-être (test de susceptibilité), mais pour laquelle il peuvent être balayés du revers de la main.
n’existe aucun traitement à l’heure actuelle, les seuls La plus grande source d’exposition environnementale
choix médicaux disponibles pour les futurs parents sont appréhendée concerne, à court terme, l’utilisation de

239. Lorraine SHEREMETA, « Synthesis Paper. Nanotechnology : the NE3LS Issues », Prepared for Health Canada, 18 juillet 2005, op. cit.,
p. 6.
240. COMMISSION DE L’ETHIQUE DE LA SCIENCE ET DE LA TECHNOLOGIE, Les enjeux éthiques des banques d’information génétique…
op. cit., p. 48.

Chapitre 3 – Nanotechnologies : préoccupations d’ordre éthique 51


Avis de la Commission de l’éthique de la science et de la technologie

nanoparticules dans l’assainissement des eaux ou des Panel américain rappelle pour sa part que plusieurs
sols contaminés, en raison de l’impact que pourrait avoir nouvelles technologies comportent des risques connus
la grande réactivité des nanoparticules sur les plantes, qui sont contrôlés adéquatement afin d’en maximiser
les animaux, les microorganismes et les écosystèmes241. les bénéfices – par exemple, l’essence, l’électricité ou les
Cette question est cruciale, car « les expériences récentes rayons X246 ; il pourrait en être de même pour plusieurs
en santé humaine et environnementale suggèrent produits et procédés issus des nanotechnologies.
que, pour un système biologique donné, la dimension
Dans le cadre du présent avis, la Commission ne peut
est un facteur important dans la détermination de la
qu’insister sur l’importance de multiplier les recherches
dangerosité d’une substance. L’inhalation, l’absorption,
sur les conséquences potentielles des nanotechnologies
la diffusion, la transmission à travers les barrières
afin de déterminer quelles substances pourraient être
naturelles sont toutes des vecteurs de maladies et de
dommageables. Cette proposition commande un
méfaits biologiques qui dépendent de la taille des
engagement de la part des chercheurs, des industriels
particules. L’introduction dans notre environnement
et des organismes gouvernementaux. Faire autrement
de grandes quantités de nanoparticules [de synthèse],
serait irresponsable et risquerait même de mettre en
alors que leurs effets biologiques et de dispersion sont
péril le développement des produits issus des nano­
mal connus, devrait nous préoccuper242. » Les données
technologies et leur acceptation par la population ; des
cumulées jusqu’à maintenant ne permettent pas de
spécialistes avancent même que « si le danger est reconnu
tracer un portrait fiable de la situation. Des études
une fois que l’utilisation du produit s’est répandue, les
préliminaires ont cependant démontré que certains
conséquences iront au-delà de la souffrance humaine
nanomatériaux peuvent endommager les organes et
et des dommages environnementaux pour inclure de
les tissus d’organismes vivants. En particulier, des
longues batailles réglementaires et juridiques, des efforts
préoccupations sont soulevées quant à la toxicité des
de nettoyage coûteux et des débats publics onéreux247 ».
fullerènes (C60)243. Un rapport de l’Office parlementaire
De toute évidence, et quel que soit le point de vue
d’évaluation des choix scientifiques et technologiques
adopté – éthique, social ou économique –, une telle
mentionne également que, bien qu’elle soit un facteur
situation doit être évitée.
important, « la taille n’est qu’un aspect du problème pour
les toxicologues. Par exemple, les effets biologiques du Si certaines réponses peuvent être fournies à partir
carbone diffèrent selon qu’il est sous forme de fullerènes, d’études en laboratoire, d’autres devront nécessairement
de nanotubes ou de graphite. D’autre part, les résultats provenir d’analyses in situ – ce sera le cas par exemple
dépendent aussi du processus de fabrication à cause des pour des effets des nanotechnologies qui sont inattendus
impuretés éventuelles244. » (non prévus) ou qui ne se produiront qu’à long terme.
Il est donc possible que certains produits aient des
La Royal Society estime qu’il est possible que dans les cas
effets dommageables sur l’environnement par leur
d’assainissement tout impact négatif sur les écosystèmes
accumulation dans divers systèmes régulateurs de
sera contrebalancé par les bénéfices accompagnant le
l’environnement. Les changements climatiques sont un
nettoyage des eaux et des sols contaminés, bien que
bon exemple des effets à long terme de l’activité humaine
cette assertion doive être validée par des recherches
sur son milieu, et des leçons doivent en être tirées.
appropriées245. Le National Nanotechnology Advisory

241. Edna F. EINSIEDEL et Linda GOLDENBERG, « Dwarfing the Social ? Nanotechnology Lessons from the Biotechnology Front », Bulletin
of Science, Technology & Society, vol. 24, no 1, février 2004, p. 29 [en ligne] http://bst.sagepub.com/cgi/reprint/24/1/28.
242. (Traduction libre) Christopher J. PRESTON, op. cit., section 4.1.
243. Tanya SHEETZ et al., « Nanotechnology : Awareness and Societal Concerns », Technology in Society, 27 août 2005, p. 334.
244. Jean-Louis PAUTRAT, « Comment définir les nanosciences ? », dans OFFICE PARLEMENTAIRE…, op. cit., p. 83.
245. THE ROYAL SOCIETY & THE ROYAL ACADEMY OF ENGINEERING (Royaume-Uni), op. cit., p. 46-47.
246. PRESIDENT’S COUNCIL OF ADVISORS ON SCIENCE AND TECHNOLOGY (États-Unis), op. cit., p. 35.
247. (Traduction libre) John BALDUS et al., op. cit., p. 65.

52 Éthique et nanotechnologies :
Se donner les moyens d’agir
Avis de la Commission de l’éthique de la science et de la technologie

Recommandation nº 4 puisque l’activité humaine des pays industrialisés a


des répercussions à l’échelle de la planète, comment
La Commission recommande : assurer un développement qui tende vers une équité
– que le ministre du Développement économique, de l’Inno­ pour tous ? C’est à l’aune des réponses à ces questions
vation et de l’Exportation, en concertation avec le ministre que se mesurera la sagesse des décideurs politiques et
du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs institutionnels.
et les divers acteurs concernés, mette en place un système
de veille relatif aux effets potentiels des nanotechnologies
En matière de sécurité
sur l’environnement, lorsque ces effets ne peuvent être
calculés et pris en compte avant la commercialisation de Depuis l’attaque terroriste du 11 septembre 2001 aux
produits issus des nanotechnologies ; États-Unis, les questions de sécurité et de défense
– qu’une procédure soit élaborée afin d’assurer le retrait militaire ont pris une dimension accrue qui se répercute
rapide des produits mis en cause advenant le constat au Canada comme ailleurs dans le monde. Assurer la
d’effets délétères sur l’environnement. protection du territoire et des populations devient un
La mise en place d’une telle procédure s’avère pressante, enjeu majeur des gouvernements, à la fois sur le plan
puisqu’il existe très peu de données sur la façon de se militaire et sur celui de la sécurité publique, et amplifie
départir des produits fabriqués avec des nanoparticules, la vague d’intégration technologique amorcée à la fin
qu’une forte incertitude subsiste en ce qui a trait à des années 1980. Dans un cas comme dans l’autre, les
leur inno­cuité et que nombre de produits sont déjà nanotechnologies présentent un potentiel d’applications
commercialisés248. d’une grande diversité en matière de sécurité. Cependant,
comme pour tout autre développement fondé sur
La question des coûts liés à l’introduction des nano­ l’exploitation des nanotechnologies, des questions
technologies doit également être soulevée et des analyses doivent être soulevées sur le plan éthique afin de veiller
coûts/efficacité devront être entreprises. Afin d’illustrer ce à ce que les objectifs visés et les applications mises au
propos, la Commission attire l’attention sur un exemple point dans un contexte de sécurité n’aient pas de réper­
ayant démontré que l’implantation d’un nouveau cussions indésirables, sinon néfastes, sur la société et sur
sys­tème d’éclairage des rues utilisant la technologie ses membres.
DEL (diode électroluminescente ; en anglais LED/
light-emitting diode) nécessiterait des investissements Dans le domaine militaire
initiaux importants, mais que son utilisation à grande
échelle pourrait faire diminuer de 50 % d’ici à 2025 les La Commission aborde cette problématique de façon
coûts associés à l’éclairage des villes249. C’est dans des très préliminaire. En ce qui a trait au domaine militaire,
dilemmes comme celui-ci que les notions de cycle de vie, elle estime en effet que le peu d’informations dont elle
de préservation de l’environnement, de prise en compte dispose sur le sujet à l’échelle canadienne et québécoise
des besoins des générations futures prennent tout leur relativement aux objectifs de recherche-dévelop­pement
sens aux fins d’une décision à caractère éthique. et au financement de la recherche dans ce domaine ne
lui permet pas d’en traiter de façon plus approfondie.
Enfin, de nombreuses questions restent en suspens et C’est donc en grande partie sur une information relative
devront être débattues. Comment assurer le dévelop­ à la situation américaine que la Commission donne ci-
pement économique de la société québécoise tout en dessous un aperçu des utilisations possibles des nano­
pré­servant la qualité de son environnement ? Com­ technologies et des enjeux qui se posent, de façon à
ment prévoir les besoins des générations futures ? Et amorcer un début de réflexion éthique en la matière.

248. SCIENCE-METRIX, Canadian Stewardship Practices for Environmental Nanotechnology, op. cit., p. 2.
249. ENVIRONMENTAL SERVICES ASSOCIATION OF ALBERTA (Canada) – BERT, op. cit., p. 21 ; exemple fourni par Terry McIntyre
d’Environnement Canada.

Chapitre 3 – Nanotechnologies : préoccupations d’ordre éthique 53


Avis de la Commission de l’éthique de la science et de la technologie

Quelques exemples d’applications « nanomilitaires »250 • Miser de plus en plus sur la robotisation et sur la
communication à distance252 afin de remplacer
Les efforts de recherche nanomilitaire tirent profit de
les soldats ou de les assister dans des tâches dange­
la com­binaison et de la convergence des propriétés des
reuses ou complexes, notamment sur le champ de
nanomatériaux, des performances de la nanoélectronique
bataille. Il peut être utile de rappeler qu’un robot n’a
et des possibilités qu’offrent les nanobiotechnologies
pas nécessairement une apparence humaine et que
afin d’atteindre des objectifs ambitieux, dont :
le terme désigne tout appareil, système ou dispositif
• Assurer la protection et la survie des soldats, capable de remplir certaines fonctions plus ou moins
notamment par la conception d’une combinaison de sophistiquées, soit en étant contrôlé à distance, soit
combat « high-tech ». Les recherches visent à combiner de façon autonome grâce à une programmation
les possibilités offertes par les nanotechnologies électronique (comme les robots Spirit et Opportunity
afin de fabriquer une tenue légère et confortable, sur Mars). Selon le cas, les robots peuvent être
qui possède les caractéristiques suivantes : change destinés à l’attaque ou à la défense (chars d’assaut et
de couleur comme le fait un caméléon pour tenir autres engins du genre), au transport des munitions
compte de l’environnement ; peut protéger contre ou de lourdes charges, à la collecte d’informations,
les projectiles et les agents chimiques et biologiques ; au déminage ou à la pose de bombes, à la détection
devient rigide sur demande pour agir comme une des armes chimiques, biologiques et nucléaires, à la
compresse ou une attelle en cas de blessure ; est surveillance aérienne (les drones*) et électronique
équipée de capteurs pour vérifier les signes vitaux (comme les poussières électroniques communicantes
du soldat et y réagir par l’injection de médicaments mentionnées au chapitre 1), etc. La convergence des
au besoin ; est dotée de moyens de communication nanotechnologies et des technologies de l’infor­ma­
instantanée à distance et d’un exosquelette pour tion, particulièrement en ce qui a trait à l’intelligence
aider au transport de lourdes charges. Le soldat artificielle, joue un rôle fondamental dans la mise au
lui-même pourrait éventuellement être pourvu point de robots.
d’implants rétiniens pour accéder à une information
• Développer la réalité virtuelle et l’intelligence
électronique, d’implants cochléaires pour recevoir
artificielle, notamment à des fins de formation et
des messages ou améliorer son ouïe, d’implants
d’entraînement des forces militaires, de contrôle
neuro­naux ou musculaires pour améliorer ses perfor­
de forces robotisées et d’utilisation de systèmes de
mances mentales ou physiques251. Dans un premier
gestion de combat et de planification stratégique
temps, toutefois, et à court terme, une première
pour aider à la prise de décision ou permettre une
étape serait de réduire de 60 à 20 kilos la charge que
prise de décision sans intervention humaine.
transporte un soldat.
250. Le contenu de la présente section s’appuie sur l’information contenue dans les sites des organismes militaires américains, notamment
celui de la DARPA (Defense Advanced Research Projects Agency) http://www.darpa.mil/body/off_programs.html, de la DMEA (Defense
MicroElectronics Activity) http://www.dmea.osd.mil/home.html et de l’ISN (Institute for Soldier Nanotechnology) http://web.mit.edu/
ISN/. Les textes suivants ont également été consultés : Jürgen ALTMANN et Mark Avrum GUBRUD, « Military, Arms Control, and Security
Aspects of Nanotechnology », dans D. Baird, A. Nordmann et J. Schummer (dir.), Discovering the Nanoscale, Amsterdam, IOS Press, 2004 [en
ligne] http://cms.ifs.tu-darmstadt.de/fileadmin/phil/nano/toc.html ; Jürgen ALTMANN, « Military Uses of Nanotechnology : Perspectives
and Concerns », Security Dialogue, vol. 35, no 1, 2004 ; Alexander Huw ARNALL (pour Greenpeace), op. cit. ; ETC GROUP – EROSION,
TECHNOLOGY AND CONCENTRATION, From Genome to Atoms. The Big Down, Atomtech : Technologies Converging at the Nano-
Scale,Winnipeg, janvier 2000 [en ligne] http://www.etcgroup.org/documents/TheBigDown.pdf ; Joachim SCHUMMER, « Identifying
Ethical Issues Amidst the Nano Hype », 2005 (pour l’UNESCO) ; NATIONAL SCIENCE FOUNDATION (États-Unis), Societal Implications
of Nanoscience and Nanotechnology, Arlington, Virginia, mars 2001 [en ligne] http://www.wtec.org/loyola/nano/societalimpact/nanosi.
pdf ; CALIFORNIA COUNCIL OF SCIENCE AND TECHNOLOGY, op. cit. ; THE ROYAL SOCIETY & THE ROYAL ACADEMY OF
ENGINEERING (Royaume-Uni), op. cit. ; Lorraine SHEREMETA, « Nanoscience and Nanotechnology… », op. cit. ; Tim WEINER, « A New
Model Army Soldier Rolls Closer to the Battlefield », The New York Times, 16 février 2005 [en ligne] http://www.nytimes.com/2005/02/16/
technology/16robots.html.
251. Voir, entre autres, le site de l’Institute for Soldiers Nanotechnologies : http://web.mit.edu/isn.
252. Pour plus d’information sur le sujet, voir le projet américain Future Combat Systems (FCS) : http://www.globalsecurity.org/military/
systems/ground/fcs.htm.

54 Éthique et nanotechnologies :
Se donner les moyens d’agir
Avis de la Commission de l’éthique de la science et de la technologie

• Améliorer les performances humaines, qu’elles de toutes sortes, par exemple) et les effet bénéfiques qui
soient physiques ou mentales, afin de rendre le soldat peuvent en découler, à la fois en matière de protection
plus apte à exercer son métier. Il pourra s’agir, par (militaire ou civile) et de retombées technologiques pour
exemple, d’assurer une interface cérébrale homme- la société (pour la santé ou pour l’environnement, par
machine au moyen d’une puce implantée dans le exemple). Comme il s’agit d’une recherche qui prend
cerveau, d’améliorer la vision et la communication largement appui sur les connaissances fondamentales
par des implants rétiniens, de modifier la biochimie développées dans les laboratoires de recherche univer­
du corps humain pour compenser le manque de som­ sitaires, et donc relativement accessibles, certains
meil, de connecter des électrodes aux organes et nerfs s’inquiètent des risques d’utilisations malveillantes par
sensoriels, nerfs moteurs ou muscles, ou à la région des individus ou des groupes qui pourraient survenir254.
appropriée du cortex cérébral, par exemple, pour
Ainsi que le souligne Altmann, certaines applications
diminuer le temps de réaction des pilotes, etc.
militaires posent peu ou pas de problèmes (la mise au
point de systèmes pour protéger la santé des soldats, par
Un aperçu des préoccupations éthiques
exemple), d’autres rejoignent des recherches déjà en cours
D’entrée de jeu, il importe de souligner que les appli­ca­ dans la société civile (amélioration des ordinateurs, par
tions militaires (qu’elles soient ou non liées aux nano­­tech­ exemple) et certaines pourraient également contribuer
nologies importe peu) soulèvent deux préoc­cupations à la protection des civils et au désarmement (comme les
majeures sur le plan de l’éthique : celle des finalités (elles capteurs pour détecter les agents biologiques)255.
ont un objectif avoué de défense, mais qu’en est-il d’une
Toutefois, d’autres avenues de recherche mettant à profit
utilisation à des fins d’agression ? de répression ?) et celle
les nanotechnologies sont de nature à soulever des
du secret quant à ce qui se fait dans les laboratoires et
aux résultats obtenus. Fort peu de chercheurs publient inquié­tudes et des questionnements éthiques, particu­
sur le sujet de la recherche militaire et sur les tenants et lière­ment dans un contexte où subsistent de nombreuses
inconnues relatives à l’encadrement éthique de la
aboutissants de l’utilisation des nouvelles technologies
par les militaires. Apparaît donc au premier plan toute recherche. Mentionnons à titre d’exemples :
la question de la transparence, qui pose un problème • la recherche sur l’amélioration des performances hu­­
d’ordre éthique et qui suscite des interrogations sur maines (implants neurologiques et organiques, par
le degré de confiance que la population peut ou doit exemple) ;
accor­der aux autorités décisionnelles dans le domaine
• la recherche sur la robotisation d’animaux (mammi­
militaire (gouvernements et officiers militaires). Un
fères et insectes dotés d’électrodes à des fins de
constat fondamental est aussi à faire : dans tout l’arsenal
de recherches et de projets en cours, la mise au point de surveil­lance, de détection, mais aussi d’attaque en
zone militaire, par exemple)256 ;
moyens d’attaque ou de défense (une distinction souvent
ambiguë) contre l’ennemi constitue la raison d’être des • la recherche sur l’intelligence artificielle ;
diverses agences du domaine, et des sommes phéno­
• la recherche sur les assembleurs moléculaires ;
ménales y sont consacrées ; à première vue, toutefois,
très peu d’efforts semblent porter sur les moyens d’éviter • la recherche sur la mise au point de robots décision­
les conflits. C’est aussi une question d’éthique. nels (engins de surveillance et d’attaque) ;
Cela dit, il est généralement admis que la recherche mili­ • la recherche sur la miniaturisation des systèmes de
taire peut être considérée comme une recherche « duale253 », surveillance et de transmission de l’information ;
c’est-à-dire qui présente un caractère de réci­procité entre • la recherche sur les armes nucléaires, bactériologiques
les effets néfastes qu’elle comporte (mise au point de et chimiques ;
dispositifs d’attaque ou de défense et d’engins meurtrier
• etc.
253. Michel CALLON et al., Démocratie locale et maîtrise sociale des nanotechnologies. Les publics grenoblois peuvent-ils participer aux choix
scientifiques et techniques ?, Grenoble, 22 septembre 2005, p. 11.
254. Voir THE ROYAL SOCIETY & THE ROYAL SOCIETY OF ENGINEERING (Royaume-Uni), op. cit., no 28, p. 56.
255. Jürgen ALTMANN, op. cit., p. 69.
256. Ibid., p. 68.

Chapitre 3 – Nanotechnologies : préoccupations d’ordre éthique 55


Avis de la Commission de l’éthique de la science et de la technologie

Ce très bref survol démontre qu’un questionnement part, sont appelés à jouer un rôle majeur en matière de
doit se faire sur l’encadrement éthique de la recherche surveillance et de traçabilité (non seulement des produits,
militaire et sur les enjeux éthiques qui sont associés au mais aussi des personnes) des populations civiles à des
développement de nouvelles applications militaires fins de sécurité. Cybersurveillance, vidéosurveillance,
issues des nanotechnologies. Sur quelles bases éthiques, audiosurveillance, contrôles biométriques, détection de
sur quelles valeurs sont prises les décisions dans le substances illicites, etc., ces technologies et bien d’autres –
contexte militaire ? Quels mécanismes de protection développées par l’armée pour espionner l’ennemi, mais
sont mis en place à l’égard de la société civile, de la qui pourraient se prêter à des usages civils contre le
santé et de l’environnement ? Dans le développement de terrorisme (visant certains groupes dissidents, certaines
systèmes d’intelligence artificielle, notamment aux fins communautés, par exemple) – soulèvent un important
de l’autonomisation des engins de guerre, quels sont les questionnement éthique.
mécanismes de contrôle prévus pour la protection des vies
Dans ses travaux relatifs à l’utilisation des données biomé­
humaines (alliées ou ennemies) ? Comment distinguer
triques à des fins de sécurité258, la Commission aborde la
civils et militaires ? Sur quelles bases éthiques s’effectue la
problématique de la surveillance et s’interroge sur une
recherche sur l’amélioration des performances humaines
intrusion possible de l’État et des organisations dans
des soldats, et qu’en est-il du respect de leur dignité
la vie privée des citoyens et des travailleurs. Différentes
comme êtres humains ? À quel point le développement
technologies sont certes mises à contribution à cet effet,
de mécanismes de défense contre les armes atomiques,
mais les nanotechnologies, notamment dans le domaine
biologiques et chimiques peut-il être assimilé au dévelop­
de la nanoélectronique, augmentent et facilitent les
pement de telles armes à des fins d’attaque contre l’enne­
possibilités actuelles et ouvrent la porte à la collecte
mi ? D’ailleurs, com­ment se définit l’ennemi dans un
et à l’utilisation d’informations sur les citoyens et les
contexte où les conflits changent de nature257 et sont de
travailleurs à leur insu et sans aucune mesure avec les
plus en plus qualifiés d’« asymétriques », la technologie
possibilités qui existaient jusqu’à présent. La Commission
militaire deve­nant parfois obsolète ? Une dernière inter­
est inquiète de constater que : « au nom de la sécurité,
rogation, enfin : quelles sont les possibilités que l’État se
il apparaît aujourd’hui possible d’avoir des exigences
serve des applications nanomilitaires contre ses propres
moindres à l’égard de la protection des renseignements
citoyens dans certains contextes où une inter­vention
personnels et de leur confidentialité, du droit à la
militaire pourrait être requise ?
vie privée et des libertés civiles259 ». Ce qui l’amène à
se demander s’il faut vraiment qu’il en soit ainsi et s’il
Dans la société civile
peut exister un équilibre entre la sécurité et les libertés
La convergence des nanotechnologies et des technologies individuelles et civiles.
de l’information et de la communication dans la mise au
Tout en intégrant les possibilités qu’ouvrent dorénavant
point d’instruments de contrôle et de surveillance de plus
les nanotechnologies en matière de contrôle et de
en plus petits et de plus en plus performants constitue
surveillance, le sujet des enjeux éthiques liés à la sécurité
une source de préoccupation en matière d’éthique. Le
civile sera donc repris de façon plus englobante dans un
développement des nanotechnologies en électronique
prochain avis de la Commission260. Cet avis permettra
et dans le domaine des technologies de l’information
d’enrichir le présent questionnement et d’offrir des
et de la communication, d’une part, et les applications
pistes de solution pour la protection des citoyens dans
miniaturisées (et quasi invisibles), à haute performance et
possiblement à coût modique qui en résulteront, d’autre le respect des valeurs fondamentales d’une société démo­
cratique et pluraliste.
257. Sur le sujet, voir entre autres Michael O’HANLON, Technological Change and the Future of Warfare, Washington, Brookings Institution
Press, 2000 [en ligne] http://brookings.nap.edu/books/0815764391/html/index.html.
258. COMMISSION DE L’ÉTHIQUE DE LA SCIENCE ET DE LA TECHNOLOGIE, L’utilisation des données biométriques à des fins de sécurité :
questionnement sur les enjeux éthiques, Document de réflexion, Gouvernement du Québec, 2005, p. 31-34 [en ligne] http://www.ethique.
gouv.qc.ca/fr/ftp/Biometrie-reflexion.pdf.
259. Ibid., p. 34.
260. La Commission prépare actuellement un avis sur les enjeux éthiques que soulève l’utilisation des données biométriques à des fins de sécu­
rité ; les questions de vidéosurveillance et de cybersurveillance y sont abordées (cet avis sera publié en 2007). Entre-temps, il est possible
de consulter son document de réflexion sur le sujet, op. cit.

56 Éthique et nanotechnologies :
Se donner les moyens d’agir
Avis de la Commission de l’éthique de la science et de la technologie

Des préoccupations associées même l’arrière-plan des discussions sur les impacts des
à la convergence des connaissances nanotechnologies pour les intellectuels qui se penchent
et des technologies sur ces questions264.

La convergence est l’un des sujets qui comportent le plus Certains développements – même s’il s’agit surtout
d’incertitudes, puisqu’elle incite à s’interroger sur ce qui d’interventions physiques dans un esprit de béné­
pourrait se faire dans le domaine des nanotechnologies fices thérapeutiques – soulèveront bon nombre
sans savoir ce qui adviendra réellement. Il est apparu d’interrogations fondamentales en ce qui concerne les
important à la Commission de s’y intéresser, car la con­ représentations personnelles et sociales de l’identité
ver­gence s’accompagne de nombreux défis éthiques humaine : ce que nous comprenons et considérons
et sociaux, notamment en ce qui concerne la repré­ comme être humain, ce qui est jugé normal (ou
sentation que l’être humain se fait de lui-même et de acceptable) et ce qui ne l’est pas. De plus, la frontière peut
l’autre, mais également la représentation qu’il se fait être mouvante et ténue entre ce qui relève du domaine de
de la nature. De nombreux penseurs s’interrogent la thérapie – guérir, soigner, rendre normal à nouveau –
sur l’impact de la technique et de l’artificiel sur les et ce qui appartient à l’optimisation des performances
modes de vie et sur les représentations symboliques du humaines – améliorer, rendre supérieur à la norme. Où
vivant261 – les nanotechnologies, en tant que produits de se situe la différence entre une intervention en vue d’une
la convergence, n’échapperont pas à cette analyse262. Au amélioration et une intervention thérapeutique pour
cœur de la réflexion éthique sur le sujet, la Commission corriger un handicap acquis ou inné ? Sur quelles bases
retient particulièrement les valeurs suivantes : la dignité, définir un handicap ?
l’intégrité de la personne, la responsabilité, la liberté, la Le rapport de la Royal Society souligne que des groupes
solidarité, la qualité de vie, la justice et l’équité. de défense des droits des personnes handicapées s’op­
posent à l’optimisation des capacités humaines que
L’identité humaine dans un contexte d’optimisation les nano­techno­logies pourraient éventuellement per­
des performances mettre. Ces groupes estiment qu’une telle possibilité
La documentation consultée signale que les nanotech­ pourrait conduire à la stigmatisation de ceux dont les
nologies pourraient contribuer à optimiser certaines capacités ne seraient pas améliorées265. La Royal Society
caractéristiques physiologiques de l’être humain. Les émet l’opinion que le véritable enjeu éthique, pour la
développements pressentis n’ont pratiquement aucune population handicapée, est l’allocation des ressources et
limite et peuvent inclure les capacités cognitives263. l’accessibilité aux technologies. Des groupes consultés
Même si les visions extrêmes du potentiel d’application ont d’ailleurs fait valoir que les personnes handicapées
des nano­technologies, portées entre autres par la phi­ préféreraient que l’argent soit alloué à des mesures pour
lo­sophie transhumaniste – comme la possibilité de contrer la discrimination, par exemple, plutôt qu’à
prolonger la vie de façon extraordinaire ou de séparer l’élaboration de thérapeutiques spécifiques. Il a égale­
la conscience humaine du corps afin de la déplacer dans ment été mentionné que la technologie médicale n’a pas
un ordinateur – semblent exagérées aux yeux d’un bon lieu d’être si les personnes concernées n’y ont pas accès
nombre de scientifiques, ces visions forment tout de ou n’ont pas les moyens d’en bénéficier266.

261. Voir notamment les écrits de Hannah Arendt, Francis Fukuyama, Dominique Lecourt, Jeremy Rifkin, Mihail Roco sur le sujet.
262. Au Québec, le philosophe Jean-Pierre BÉLAND a dirigé un collectif intitulé L’Homme biotech : humain ou posthumain ? publié aux
Presses de l’Université Laval en 2006. Par ailleurs, la sociologue Céline LAFONTAINE pilote un programme de recherche intitulé « Les
nanotechnologies : de l’imaginaire scientifique aux transformations culturelles » [en ligne] http://www.socio.umontreal.ca/personnel/
documents/projetcrsh.pdf. D’autres projets de recherche universitaire sont attendus dans les mois à venir.
263. À noter que la science n’a pas attendu le développement des nanotechnologies pour s’engager dans l’amélioration des performances
humaines, qu’elles soient physiques ou mentales, comme en témoignent les substances utilisées pour améliorer la force et la résistance
dans les sports d’élite ou la concentration dans les travaux intellectuels.
264. THE ROYAL SOCIETY & THE ROYAL ACADEMY OF ENGINEERING (Royaume-Uni), op. cit., p. 55.
265. Ibid., p. 54.
266. Ibid.

Chapitre 3 – Nanotechnologies : préoccupations d’ordre éthique 57


Avis de la Commission de l’éthique de la science et de la technologie

La notion d’amélioration physique ou cognitive est un précis, pour des conditions médicales particulières, et
sujet qui suscite la controverse. Par exemple, des parti­ci­ non en vue de leur utilisation pour améliorer des capa­
pants à la consultation britannique mentionnée ci-dessus cités « normales ». De plus, ces molécules comportent
ont avancé que toute amélioration d’un état de santé généralement des effets secondaires qui ne sont jugés
grâce à la thérapie génique est une forme d’eu­génisme ; acceptables que parce que les patients qui les prennent
que les améliorations génétiques des capacités de base, n’ont pas d’autre choix270. Les possibilités que laissent
comme l’intelligence ou la grandeur, pourraient être entrevoir les nanotechnologies dans le domaine
acceptables seulement si elles étaient réparties de façon pharmacologique risquent d’amplifier ce phénomène.
équitable entre les divers segments de la population.
Frontière subjective entre thérapie et optimisation des
D’autres, en revanche, croient que, si l’amélioration des
capacités humaines, double discours en ce qui concerne
capacités individuelles par l’éducation et l’entraînement
l’insertion de la population handicapée dans la vie
physique est acceptable, l’amélioration par d’autres
« active », culte voué à la performance, équité dans la
moyens, comme la chirurgie esthétique ou la prise de
gamme de choix de santé offerts publiquement, vision
drogues cognitives, est alors également acceptable267.
de l’auto­nomie et de la responsabilité individuelle face
Considéré dans cette optique, ce dilemme oppose
à la collectivité, voilà où réside, selon la Commission,
l’autodétermination des personnes qui voudraient
le questionnement éthique posé par l’utilisation des
bénéficier d’améliorations physiques et cognitives268
nanotechnologies à des fins d’optimisation des perfor­
et le respect des droits des personnes qui pourraient se
mances humaines.
sentir stigmatisées. Un tel glissement de la thérapie vers
l’optimisation des performances pourrait engendrer des En admettant que les promesses des nanotechnologies
pressions importantes sur le système de soins de santé, se réalisent, certaines de leurs applications renverront
notamment sur le régime d’assurance médicaments inévitablement à la signification même de l’expérience
québécois. humaine, car elles auront le potentiel nécessaire pour
modifier le rapport à soi de chaque être humain ainsi
La Commission met en garde contre l’attrait d’utiliser
que ses représentations culturelles. Dans ce contexte,
des médicaments, prescrits dans un cadre thérapeutique
comment définir ce que c’est que d’être humain, de
précis, pour améliorer des fonctions cognitives, ne
vivre comme un être humain ? Qu’est-ce qui différencie
serait-ce que ponctuellement. Il est déjà connu que des
l’être humain des autres organismes vivants ? Où réside
médicaments prescrits pour la narcolepsie ou pour le
l’unicité de l’être humain ? Jusqu’où l’être humain peut-
déficit d’attention peuvent agir également sur la capacité
il être transformé tout en restant humain ? À quel point
de concentration des individus ; la tentation est grande
chacun pourra-t-il rester responsable et maître de ses
de prendre ce genre de médicament afin d’être plus alerte
actes ? Jusqu’où l’être humain est-il prêt à aller dans la
lors d’une période de travail intense ou au moment
recherche de la perfection ? Jusqu’où la société est-elle
d’une session d’examen269. La sécurité et l’efficacité des
prête à laisser les individus aller dans cette avenue ? L’im­
molécules sont testées pour des objectifs thérapeutiques
267. Ibid. Un débat similaire a lieu entre ceux qui se préoccupent de la prise de drogues par les athlètes (se fondant habituellement sur le prin­
cipe que c’est une pratique déloyale ou que cela peut nuire à la santé) et ceux qui pensent que, s’il est acceptable d’améliorer ses capacités
par l’exercice, ce devrait également l’être par la médication.
268. Voir aussi Patrick LIN et Fritz ALLHOFF, « Nanoethics and Human Enhancement : A Critical Evaluation of Recent Arguments »,
Nanotechnology Perceptions, vol. 2, no 1, 27 mars 2006 [en ligne] http://nanoethics.org/paper032706.html ; Éric de RUS, « Humanisme
et transhumanisme : l’Homme en question », L’Observatoire de la génétique, no 26, février-mars 2006 [en ligne] http://www.ircm.qc.ca/
bioethique/obsgenetique/cadrages/cadr2006/c_no26_06/ci_no26_06_02.html ; Arthur CAPLAN, « Is it wrong to try to improve human
nature ? », dans Paul Miller et James Wilsdon (dir.), Better Humans ? The Politics of Human Enhancement and Life Extension, DEMOS,
collection 21, 2006 [en ligne] http://www.demos.co.uk/catalogue/betterhumanscollection/.
269. Kate DOUGLAS et al., « 11 Steps to a Better Brain », NewScientist.com, 25 mai 2005 [en ligne] http://www.newscientist.com/channel/being-
human/mg18625011.900 ; Andrea NURKO et Megan ROARTY, « Students turn to study drugs to improve grades, concentration », GW
Hatchet, 19 avril 2004 [en ligne] http://www.gwhatchet.com/media/storage/paper332/news/2004/04/19/Style/Students.Turn.To. Study.
Drugs.To.Improve.Grades.Concentration-64366.shtml?norewrite200606011448&sourcedomain =www.gwhatchet.com.
270. Medical News Today, « FDA panel suggests adding black box warning to ADHD medications about risk of sudden death, heart problems »,
16 février 2006 [en ligne] http://www.medicalnewstoday.com/medicalnews.php?newsid=37631.

58 Éthique et nanotechnologies :
Se donner les moyens d’agir
Avis de la Commission de l’éthique de la science et de la technologie

mortalité, convoitée par certains groupes comme les Avec la science viennent non seulement des connaissances
transhumanistes, est-elle moralement acceptable ? Les qui influencent la capacité d’agir de chacun, mais aussi
nano­technologies appliquées au domaine des neuro­­ la compréhension des effets des actions de l’être humain
sciences posent ces questions de façon accrue, notam­ sur l’environnement. La notion de responsabilité est
ment grâce aux possibilités de manipulation du cerveau importante dans ce contexte, et il faut rappeler que le
à l’aide de drogues ou encore aux interfaces homme- pouvoir d’agir sur les éléments se double d’une respon­
machine qui sont en voie de développement. sabilité quant aux effets qui en découlent.
Le débat sur ces pratiques en émergence ne fait que De plus en plus, les philosophes et les environnementalistes
s’amorcer, et la Commission y accordera une impor­ développent un discours visant à déterminer les valeurs,
tance toute particulière dans ses travaux à venir sur les attitudes et les comportements que manifestent les
les neurosciences271. Entre-temps, elle encourage le humains à l’égard des animaux, des objets naturels ou
dialogue sur ces questions afin qu’il conduise vers des encore à l’égard de la biosphère ; de telles réflexions font
prises de position claires quant aux valeurs à privilégier partie de l’éthique environnementale, une discipline
face au développement technologique, de même que sur relativement récente. Comme l’observe Luc Bégin,
ce qu’implique le fait d’être humain et membre d’une l’éthique environnementale est en quelque sorte le
société définie dans le temps et l’espace. prolongement des éthiques traditionnelles pour certains
spécialistes, alors que pour d’autres il s’agit véritablement
Le rapport de l’être humain avec la nature d’un nouveau courant de pensée dont l’approche est
bien différente273.
Tout comme c’est le cas en ce qui concerne le rapport
au soi et la façon dont chacun se définit en tant qu’être La valeur qu’une société attribue à l’environnement
humain, le développement et l’utilisation grandissante (c’est-à-dire à la faune, à la flore, aux écosystèmes, etc.)
des produits issus des nanotechnologies pourraient dictera en partie les actions à entreprendre pour sa
contribuer à modifier le regard posé, individuellement préservation (par exemple décontaminer des sites afin
et collectivement, sur l’environnement. Dans un monde que la vie animale et végétale s’y développe à nouveau)
technicisé où l’artificiel côtoie le naturel et s’y confond, ou pour réduire au minimum les effets directs ou
quelques repères philosophiques s’avèrent essentiels. indirects d’un mode de vie qui peut s’avérer néfaste à
« Le problème, souligne Jean-Pierre Dupuy, n’est plus de l’environnement (par exemple en diminuant l’utilisation
savoir jusqu’à quel point on peut ou on doit “transgresser des voitures ou en rendant la consommation d’essence
la nature”. Le problème, c’est que la notion même de des véhicules plus efficiente).
transgression est sur le point de perdre tout son sens.
En éthique de l’environnement, trois modèles concep­tuels
L’homme ne rencontrera jamais plus qu’un monde à
se distinguent. Le premier est utilitariste, c’est-à-dire que
l’image de ses propres créations artificielles272. »
la nature n’a de valeur que parce qu’elle a une utilité pour
Le rapport que l’être humain entretient avec la nature a l’être humain. Il s’agit d’un courant anthropocentrique
beaucoup changé au cours des siècles. Dominé pendant fort, où l’homme est la mesure de toute chose. Un
une grande partie de son histoire par la nature et ses deuxième modèle, celui endossé notam­ment par le
éléments, l’être humain, grâce aux développements de la gouvernement du Québec avec l’adoption de la Loi sur le
science et de la philosophie, a pu mieux comprendre le développement durable et la définition qui a été retenue
monde qui l’entoure et objectiver – mais aussi contrôler pour le concept274, constitue un anthro­pocentrisme faible
en partie – son environnement. où l’interdépendance des êtres humains et de la nature

271. Op. cit.


272. Jean-Pierre DUPUY, « Le problème théologico-scientifique et la responsabilité de la science », Les effets sur le rapport à la nature (effets
ontologiques), 2004 [en ligne] http://formes-symboliques.org/article.php3?id_article=66.
273. Luc BÉGIN, « Éthique environnementale », dans Gilbert Hottois et Jean-Noël Missa (dir.), Nouvelle encyclopédie de bioéthique. Médecine.
Environnement. Biotechnologie, Bruxelles, Éditions DeBoeck Université, 2001, p. 399.
274. Voir le chapitre 2 du présent avis.

Chapitre 3 – Nanotechnologies : préoccupations d’ordre éthique 59


Avis de la Commission de l’éthique de la science et de la technologie

est reconnue. Enfin, le troisième modèle conceptuel est Préoccupations éthiques non
biocentrique, c’est-à-dire que toute vie est considérée exclusives aux nanotechnologies
comme ayant la même valeur, qu’elle soit humaine,
animale ou végétale. Selon ce dernier modèle, la nature a Ainsi qu’il a été mentionné précédemment, le dévelop­
une finalité qui lui est propre ainsi que des droits ; l’être pement des nanotechnologies suscite un questionnement
humain ne peut en aucun cas prétendre la modifier ou la éthique quant à leurs effets possibles sur la santé et sur
manipuler pour son propre bénéfice. l’environnement, à leurs applications dans le domaine
C’est dans l’esprit de la Loi sur le développement durable de la sécurité ou encore à la représentation de l’être
que la Commission considère que l’être humain vit en humain et son rapport à la nature. Mais la Commission
interdépendance avec l’environnement. La société et ses a également pu constater que les nanotechnologies
décideurs doivent tenir compte de cette interdépendance soulèvent d’autres préoccupations d’ordre éthique qui
au moment de prendre des décisions qui pourraient ne leur sont pas spécifiques, ni totalement nouvelles,
avoir un impact sur la qualité de l’environnement, que mais qui ne peuvent être occultées. Ces préoccupations
ce soit dans l’immédiat ou pour les générations futures. sont en lien avec la gestion des nanotechnologies en
De plus en plus, et notamment à la suite de l’adoption matière de gouvernance et de développement écono­
du protocole de Kyoto, des efforts sont réalisés en ce sens mique, ainsi qu’avec le rôle que peut y jouer le citoyen.
localement et à l’échelle internationale. Jour après jour, La Commission estime que le développement rapide
cependant, l’actualité et les comportements de chacun, des nanotechnologies impose d’y réfléchir dans le cadre
décideur ou simple citoyen, sont là pour rappeler qu’il y du présent avis et de proposer des pistes de solution
a parfois une marge entre le discours et la pratique. qui épousent de façon flexible la cadence de leur
développement afin que s’instaure une gestion éthique
Dans l’état actuel du développement des nanotech­ et responsable des nanotechnologies.
nologies et considérant les possibilités que ces techno­
logies font miroiter au regard de la préservation ou de En lien avec la gouvernance
la restauration de l’environnement, elles pourraient
s’avérer un atout non négligeable dans l’amélioration Les gouvernements ont la responsabilité de veiller à la
de la qualité environnementale ; en contrepartie, protection de l’environnement, de la santé humaine et du
ce­pen­dant, et comme il a été souligné plus haut, il bien-être de la collectivité en général. Cette responsabilité
faut recon­naître que certaines applications pourraient se traduit par des actions liées à la gouvernance, c’est-à-
également constituer une source de détérioration. Il y dire « la manière d’orienter, de guider, de coordonner
aura donc un équilibre à rechercher dans l’utilisation les activités d’un pays, d’une région, d’un groupe social
des nanotechnologies afin d’en tirer le meilleur parti ou d’une organisation privée ou publique275 ». Selon
possible au bénéfice du plus grand nombre et dans le Einsiedel et Goldenberg de l’Université de Calgary, la
respect de l’environnement. Ce sont là des décisions gouvernance englobe les questions concernant la légiti­
qui concernent l’ensemble de la société et qui doivent mité, les mesures de reddition de comptes ainsi que la
donc être soumises au débat public, un thème de gestion des tensions inhérentes dans une société entre le
gouvernance abordé dans la prochaine section. maintien de la confiance du public en ce qui concerne la
façon dont les décisions sont prises et le rôle qu’y jouent
divers acteurs (comme les entreprises et les bureaucraties
gouvernementales, voire la loi du marché)276. À un titre
ou à un autre, elle concerne l’ensemble des acteurs
politiques, sociaux et économiques.

275. OFFICE QUÉBÉCOIS DE LA LANGUE FRANÇAISE, Le grand dictionnaire terminologique, op. cit.
276. Edna F. EINSIEDELet Linda GOLDENBERG, op. cit., p. 31.

60 Éthique et nanotechnologies :
Se donner les moyens d’agir
Avis de la Commission de l’éthique de la science et de la technologie

À court ou à moyen terme, la Commission considère sur des valeurs comme la légitimité, la transparence, la
qu’il faudra collectivement se poser un certain nombre démocratie et la responsabilité.
de questions relativement au développement des nano­
technologies277 ou d’autres technologies émergentes, La légitimité et la transparence du processus décisionnel
par exemple : Qui en contrôle l’utilisation, mais également
D’entrée de jeu, il importe de rappeler que divers
qui en bénéficie278 ? Quels sont les risques et qui les
ministères fédéraux documentent les répercussions
assume279 ? Qui oriente les stratégies de subventions
potentielles du développement nanotechnologique
pu­bliques en R-D sur les nouvelles technologies ? Les
dans leur sphère de compétences respectives et qu’un
décideurs politiques ont-ils un devoir de s’assurer que les
réseau interministériel de la fonction publique fédérale
produits issus des nanotechnologies sont sécuritaires pour
sur les nanotechnologies a été mis en place par Industrie
la santé et pour l’environnement ? Les règles existantes,
Canada en 2002. Pour sa part, le conseiller national des
mises en place avant l’avènement de ces technologies,
sciences auprès du premier ministre insiste sur le besoin
répondent-elles encore aux besoins de la société à cet
d’une stratégie nationale en nanotechnologies depuis son
égard280 ? Toutes ces questions relèvent de la gouvernance
arrivée en fonction, en 2004282. À cet effet, le ministre de
d’une société et ne sont pas sans rappeler la saga des
l’Industrie a d’ailleurs commandé au Conseil consultatif
OGM : placée devant un fait accompli, la population
de la science et de la technologie (CCST) un rapport sur
a boycotté les produits génétiquement modifiés. Des
les perspectives du Canada en nanotechnologies comme
leçons importantes ont été tirées de cette expérience
premier élément vers une stratégie nationale qui devait
difficile. S’agissant des nanotechnologies, les promoteurs
être déposé en avril 2005. Les élections ont retardé la
veulent à tout prix éviter qu’une situation semblable se
publication du rapport, mais quatre études d’appui ont
produise et misent sur l’information de la population et
été publiées dans le site Internet du CCST283.
sur l’instauration d’un dialogue qui per­mettra d’assurer
l’acceptabilité sociale de ces nouvelles technologies281. Il Au Québec, NanoQuébec est reconnu comme le chef
importe cependant d’ajouter un élément souvent oublié de file en matière de développement et de promotion
au moment de comparer avec les OGM : il reste encore des nanotechnologies. L’organisme siège à de nombreux
beaucoup de recherche à faire dans le domaine des nano­ comités dont les travaux portent sur des aspects spéci­
technologies avant que la diversité d’applications nano­ fiques de la gouvernance, non seulement en ce qui a trait
technologiques que le secteur laisse entrevoir envahisse aux orientations de la recherche publique, au processus
le marché. C’est d’ailleurs pourquoi les acteurs concernés de normalisation et aux normes ISO touchant les nano­
s’entendent pour dire qu’il faut saisir cette occasion pour technologies, mais également en ce qui a trait aux enjeux
débattre collectivement des choix sociaux qui doivent être éthiques que soulèvent ces technologies. Il est égale­ment
faits au regard des nanotechnologies. l’instigateur d’un comité de travail coprésidé par le Fonds
québécois de la recherche sur la nature et les technologies
Dans les paragraphes qui suivent, la Commission s’in­
(FQRNT) et par le Fonds québécois de la recherche sur
ter­roge sur quelques-uns des mécanismes suscep­tibles
la société et la culture (FQRSC). Celui-ci a pour mandat
de contribuer à une gouvernance éthique du déve­lop­
« d’élaborer une stratégie et un plan d’action concernant le
pement technologique, et plus particulièrement des
développement et l’organisation de l’expertise en recherche
nanotechnologies. À cette fin, la Commission s’appuie
277. À cet égard, voir l’annexe 3 qui énumère les questions à poser en ce qui concerne la recherche, le développement et la commercialisation
des nanotechnologies au Canada. Ces questions sont tirées de Lorraine SHEREMETA et Abdallah S. DAAR, « The Case for Publicly Funded
Research on the Ethical, Environmental, Economic, Legal and Social Issues Raised by Nanoscience and Nanotechnology (NE 3LS) », Health
Law Review, vol. 12, no 3, 2004.
278. THE ROYAL SOCIETY & THE ROYAL ACADEMY OF ENGINEERING (Royaume-Uni), op. cit., p. x.
279. Edna F. EINSIEDELet Linda GOLDENBERG, op. cit., p. 30.
280. INSTITUTE OF MEDICINE (États-Unis), op. cit., p. 8.
281. Voir, entre autres, Ronald SANDLER et W.D. KAY, « The GMO-Nanotech (Dis)Analogy ? », Bulletin of Science, Technology and Society, vol.
26, no 1, février 2006, p. 57-62 ; Mark ROSEMAN, op. cit., p. 14.
282. Arthur J. CARTY, Discours principal – Nanoforum Canada, Forum canadien sur la nanoscience et la nanotechnologie, Edmonton, 17 juin
2004 [en ligne] http://science.pco-bcp.gc.ca/docs/speeches discours/speechesdiscours/20040617_nanoforum_f.pdf.
283. Voir http://acst-ccst.gc.ca/back/home_f.html.

Chapitre 3 – Nanotechnologies : préoccupations d’ordre éthique 61


Avis de la Commission de l’éthique de la science et de la technologie

et en formation supérieure ainsi que de la diffusion du regroupements ponctuels de citoyens et des groupes de
savoir, sur les aspects socio-économiques, éthiques et dé­fense des intérêts du public demandent de plus en plus
environnementaux, néces­saires au développement sûr et à être parties prenantes dans le processus décisionnel.
responsable des nanotechnologies284 ». Quelle place leur accorder286 dans un contexte où les
sujets sont complexes et où la population est souvent
Un rôle important attribué aux gouvernements du
relativement peu informée des avancées scientifiques
Québec et du Canada est de décider (ou de déléguer
considérées ? À cet égard, une analyse de Michael D.
la dé­cision, le cas échéant) des axes de développement
Mehta révèle que, dans le secteur des biotechnologies,
économique, des orientations de la recherche publique,
« l’utilisation de l’équivalence substantielle287 et le besoin
du soutien aux entreprises et des mesures d’encadrement
de se fier à une distinction entre le produit et le processus
nécessaires en matière de nanotechnologies. De plus en
a amené une approche régulatrice qui empêche le public
plus, le processus décisionnel tend à une plus grande
de participer de façon importante aux décisions. Si les
trans­parence, et les gouvernements s’engagent, par
futurs organismes de contrôle des nanotechnologies
exemple, dans des activités destinées à solliciter l’opinion
adoptent la même attitude, le public sera probablement
publique en ce qui regarde les choix collectifs à faire (avec
exclu de façon systématique sous couvert de l’évaluation
des organismes comme le Bureau d’audiences publiques
scientifique (science-based assessment)288. »
sur l’environnement [BAPE] ou des formules de type
forum) ou encore en sondant la population sur son Dans un cadre démocratique, la légitimité passe inva­­riable­
degré d’acceptation d’une mesure particulière. À l’échelle ment par la transparence du processus décisionnel. C’est
canadienne, une initiative récente revient au conseiller un sujet sur lequel la Commission a beaucoup insisté
national des sciences qui a convoqué un panel d’experts dans son avis sur les organismes géné­tiquement modifiés
internationaux en juillet 2005 afin d’évaluer les forces de et qui l’a conduite à formuler une recom­mandation à cet
recherche canadiennes en nanotechnologies. Le rapport effet289. La transparence se manifeste également dans les
qui résulte de cette rencontre insiste notamment sur la façons d’informer la population ; les demandes répétées
nécessité de faire participer la population aux discussions d’étiquetage des produits alimentaires génétiquement
concernant le développement des nanotechnologies et modifiés traduisent des attentes pour une plus grande
l’orientation de la recherche285. transparence de la part des régulateurs et des producteurs290,
en même temps que l’étiquetage apparaît comme une
À quelle marge de manœuvre légitime les élus et
condition d’exercice du libre choix accordé à chaque citoyen
leurs exécutants sont-ils en droit de s’attendre ? Des
dans une société démocratique et pluraliste.

284. http://nanoquebec.ca/nanoquebec_w/site/explorateur.jsp?currentlySelectedSection=415&removed%20Section=-1&showMoreOptio
ns=false&ascending=false&showCancel=true&type=-1&intention= %20 &home=false&chosenSections=-1. Les travaux de ce comité
devraient se conclure au moment où paraîtra le présent avis de la Commission.
285. BUREAU DU CONSEILLER NATIONAL DES SCIENCES (Canada), Assessment of Canadian Research Strengths in Nanotechnology : Report
of the International Scientific Review Panel, novembre 2005, p. 12-13.
286. Voir à ce sujet le chapitre 4 de l’avis de la Commission sur les banques d’information génétique, Les enjeux éthiques des banques
d’information génétique, op. cit., p. 59-69.
287. Dans son avis sur les OGM, la Commission résumait ainsi la notion d’équivalence substantielle : « Dans la mesure où un produit est
considéré équivalent en substance à un produit qui existe déjà, il s’insère dans les mêmes filières d’approbation que n’importe quel autre
produit. » Des travaux sont en cours dans les organismes qui appuient cette approche dans l’évaluation des produits nouveaux, notamment
à Santé Canada et à l’Agence canadienne d’inspection des aliments. Voir l’avis de la Commission, p. 33 et 34.
288. (Traduction libre) Michael D. MEHTA, « From Biotechnology to Nanotechnology : What Can We Learn from Earlier Technologies ? »,
Bulletin of Science, Technology & Society, vol. 24, no 1, février 2004, p. 36 [en ligne] http://www.nanoandsociety.com/ourlibrary/documents/
mehta-feb2004a.pdf.
289. « Que le gouvernement du Québec intervienne auprès du gouvernement du Canada a) pour que le processus actuel d’évaluation des risques
que présentent les produits transgéniques pour la santé humaine ou animale ou pour l’environnement s’effectue en consultation ouverte
avec un comité formé d’experts indépendants issus des sciences de la nature et des sciences humaines, de même que de représentants du
public, lorsque la situation s’y prête ; b) pour que le comité d’experts, par souci de transparence, rende ses travaux publics et facilement
acces­sibles. » COMMISSION DE L’ÉTHIQUE DE LA SCIENCE ET DE LA TECHNOLOGIE, Pour une gestion éthique des OGM, op. cit.,
p. 64.
290. Edna F. EINSIEDEL et Linda GOLDENBERG, op. cit., p. 31.

62 Éthique et nanotechnologies :
Se donner les moyens d’agir
Avis de la Commission de l’éthique de la science et de la technologie

Recommandation no 5 concernant leurs effets possibles sur la santé humaine et


sur l’environnement. Cependant, des « repères sociaux »
La Commission recommande : peuvent appuyer l’exercice de la gouvernance, comme
que le ministre du Développement économique, de l’Inno­ le principe de précaution292 et l’approche du cycle de
vation et de l’Exportation, avec ses collègues des ministères vie293, déjà abordés précédemment.
et des organismes concernés, amorce un processus d’infor­
mation et d’échanges auprès de la population afin de bien
La Commission reconnaît que l’encadrement des nano­
circonscrire, et en toute transparence, les enjeux scientifiques, tech­nologies nécessite une meilleure connaissance des
économiques, sociaux et éthiques qui sont associés au conséquences potentiellement néfastes que pourraient
développement des nanotechnologies. entraîner l’introduction et la dissémination de nano­
particules dans l’environnement ou leur péné­tration dans
Si les connaissances actuelles ne permettent pas de définir
les organismes vivants. Cependant, une telle contrainte
un modèle idéal de consultation et de participation du
ne doit en rien limiter les actions de gou­vernance
public avant l’étape de prise de décision, il n’en demeure
relatives aux activités de veille et de réflexion qui doivent
pas moins que diverses formules ont été adoptées dans
accompagner l’émergence d’une nouvelle technologie
d’autres sociétés (comme les conférences citoyennes ou
et celles qui assurent l’adaptation des encadrements
autres activités de débat public) et qu’elles pourraient
existants lorsque les circonstances le dictent. Il importe
être adaptées aux besoins actuels de la société québécoise
aussi que le réseau des divers acteurs du domaine
en la matière. La Commission encourage la poursuite des
des nanotechnologies se concerte pour adopter des
recherches et de l’expérimentation dans ce domaine.
comportements qui s’inscrivent dans une perspective
de développement durable. Pour la Commission,
Les mesures d’encadrement et de reddition de comptes
la concertation des parties pre­nantes constitue une
L’encadrement des nanotechnologies constitue un prémisse à l’élaboration d’un modèle de gouver­nance
autre aspect de la gouvernance qui permet la gestion flexible, adapté à la réalité des nanotechnologies et
de con­flits inhérents à la présence d’intérêts divergents apte à tenir compte des préoccupations éthiques que
dans une même société ou entre nations. Comme en ces technologies soulèvent.
témoigne le chapitre 2, cet encadrement peut prendre
Un dernier point mérite d’être signalé au regard de
diverses formes : législation, réglementation, code de
la mise en place de mesures d’encadrement : il est
déontologie, guide de bonnes pratiques, normes, lignes
impé­ratif de s’assurer que ces règles seront respectées.
directrices ou déclarations, etc. Il dicte les conditions
Par exemple, les mesures de contrôle de la qualité, la
d’exercice de l’activité liée aux nanotechnologies ; il con­
vérification des données toxicologiques, les inspections
fère des droits mais aussi des responsabilités aux divers
pour vérifier la salubrité des lieux de production ainsi
acteurs engagés dans le développement et l’innovation
que le respect de la santé et de la sécurité des travailleurs
nanotechnologiques.
et des citoyens, etc., sont des opérations qui doivent
Au Canada comme ailleurs dans le monde, aucune agence être effectuées de façon systématique. Aux prises avec
gouvernementale n’a pleins pouvoirs sur l’encadrement des contraintes budgétaires importantes, comment les
des nanotechnologies. Chacune occupe son propre agences gouvernementales chargées de protéger la santé
champ de compétences en la matière et la tendance serait humaine et l’environnement pourront-elles remplir
à l’adaptation des lois existantes plutôt qu’à la création adéquatement leur mandat avec l’arrivée sur le marché
de nouvelles lois291. Il est particulièrement complexe de de nouvelles catégories de produits encore méconnus ?
réglementer ou d’encadrer des technologies en émer­ Les mesures de protection seront nécessairement
gence, surtout lorsqu’il existe encore peu de données déterminées par les coûts qui leur sont associés294, mais
291. J. Clarence DAVIES, op. cit.
292. Michael D. MEHTA, op. cit., p. 37.
293. INTERNATIONAL RISK GOVERNANCE COUNCIL, Survey on Nanotechnology Governance, Volume A. The Role of Government, IRGC
Working Group on Nanotechnology, décembre 2005, p. 18 [en ligne] http://www.innovationsgesellschaft.ch/images/fremde_publikationen/
IGRC_Nano_Governance.pdf.
294. MERIDIAN INSTITUTE et NATIONAL SCIENCE FOUNDATION, op. cit., p. 12.

Chapitre 3 – Nanotechnologies : préoccupations d’ordre éthique 63


Avis de la Commission de l’éthique de la science et de la technologie

également par la volonté politique et par celle des divers spé­cialistes estiment néanmoins que les retombées
acteurs concernés. À quel point les modalités actuelles économiques pourraient être de l’ordre de 2 600 milliards
de gestion du risque permettent-elles de considérer de dollars américains en 2014 à l’échelle mondiale295.
les multiples facettes des technologies émergentes et Le rapport de la Royal Society note que les effets seront
de composer avec l’incertitude qui les accompagne en marginaux à court terme ; cependant, comme les nano­
matière de risque ? technologies rendront possibles ou amélioreront plusieurs
applications, elles pourraient avoir un impact significatif
à long terme, en favorisant la croissance du produit
Recommandation nº 6 national brut (PNB), une plus grande efficacité et moins
La Commission recommande : de gaspillage lors de la transformation industrielle296.
que le ministre du Développement économique, de l’Inno­ Il ne faudrait pas sous-estimer l’importance de ces
vation et de l’Exportation demande aux organismes subven­ affir­mations, notamment en ce qui concerne les activi­
tionnaires, en collaboration avec les divers acteurs concernés, tés économiques propres au Québec. En effet, les
de créer un programme de recherche multi­disciplinaire sur
nano­technologies pourraient avoir un effet positif et
les impacts des nouvelles technologies et sur la gestion du
significatif sur les industries traditionnelles – comme
risque associé aux nanotechnologies, qui tienne compte de
leurs dimensions éthique et sociale. l’agroalimentaire, le textile ou encore les pâtes et
papiers – en favorisant le développement de produits
et de services à valeur ajoutée. En bout de ligne, une
En lien avec l’activité économique liée
richesse collective accrue permettrait d’investir dans
aux nanotechnologies
l’édu­cation ou la santé, par exemple, deux domaines où
L’économie représente une sphère d’activité importante l’argent fait toujours cruellement défaut.
dans toute société. Le développement du savoir, la Depuis 2004, le Conseil de la science et de la technologie
disponibilité sur le marché du travail d’employés haute­ du Québec coordonne le projet Perspective Science-
ment qualifiés, des entreprises dynamiques et un marché Technologie-Société (STS) dont le premier objectif
ouvert sont autant de conditions au maintien et à l’amé­ est de sensibiliser tous les secteurs de la société québé­
lioration du niveau de vie d’une population. Dans un coise à l’importance et à l’utilité de la science et de la
contexte de mondialisation, il importe également de se technologie pour comprendre et résoudre les problèmes
soucier des besoins des sociétés moins fortunées et de socioéconomiques297. Le deuxième objectif de ce projet
veiller à une distribution équitable de la richesse, mais consiste à convier la communauté scientifique québécoise
aussi des risques. Enfin, la Commission désire ouvrir la à participer aux finalités sociales et économiques de
discussion sur la possibilité pour les entreprises de bâtir la science et de la technologie298. La Commission est
des profils de consommation grâce aux capacités de d’avis que ce type d’initiatives devrait être appliqué
stockage sans cesse croissantes de données. Les valeurs au moment où sera élaborée une stratégie québécoise
qui ont guidé la réflexion de la Commission dans cette de développement des nanotechnologies, de façon
section sont la responsabilité, la solidarité, la liberté, la qu’il soit possible de répondre aux besoins tant
qualité de vie, la justice sociale et l’équité ainsi que le
économiques que sociaux propres au Québec et de
respect de la vie privée. considérer, de manière spécifique, les enjeux éthiques
liés à ces technologies.
Les choix éthiques dans le développement de l’activité
économique liée aux nanotechnologies au Québec Dans un rapport datant de 2005, le President’s Council
of Advisors on Science and Technology aux États-
S’il n’existe pas de consensus sur l’impact spécifique
Unis rappelle que les nouvelles technologies peuvent
qu’auront les nanotechnologies sur l’économie, les
en déplacer d’autres qui sont obsolètes et susciter un

295. LUX RESEARCH, « Revenue from Nanotechnology-Enabled Products to Equal IT and Telecom by 2014, Exceed Biotech by 10 Times »,
Communiqué, 25 octobre 2004 [en ligne] http://www.luxresearchinc.com/press/RELEASE_SizingReport.pdf.
296. THE ROYAL SOCIETY & THE ROYAL ACADEMY OF ENGINEERING (Royaume-Uni), op. cit., p. 52.
297. Voir http://www.cst.gouv.qc.ca/LE-PROJET-PERSPECTIVES-Science.
298. Ibid.

64 Éthique et nanotechnologies :
Se donner les moyens d’agir
Avis de la Commission de l’éthique de la science et de la technologie

mouvement parallèle dans les possibilités d’emploi299. Le fossé nanotechnologique dans le contexte
Comme ces nouveaux emplois demandent parfois des de la mondialisation des marchés
habiletés différentes, l’organisme souligne que de tels
De nombreux auteurs302 soulignent la possibilité que
changements peuvent poser des défis majeurs en ce
les nanotechnologies amplifient l’écart entre les pays
qui concerne la formation de la main-d’œuvre et le
riches et les pays pauvres et creusent un fossé nano­
système éducatif300. Pour la Commission, il s’agit là
technologique (un nano-divide) en matière d’acquisition
d’un enjeu éthique important, puisque, souvent, les
des connaissances et d’utilisation de ces nouvelles
tra­vailleurs les plus vulnérables de la société sont les
technologies. Si le progrès économique dépend de plus
victimes des transformations du marché du travail
en plus de l’exploitation des connaissances scientifiques,
qu’entraîne l’émergence de nouvelles technologies.
l’investissement nécessaire pour l’acquisition de ces
Dans la même optique la Commission s’interroge sur nouvelles connaissances et le développement de nouvelles
le sort réservé aux PME québécoises qui soutiennent le façons de faire risque en effet d’accentuer cet écart303.
développement des produits issus des nanotechnologies,
quand cesse l’aide financière au démarrage qu’elles L’orientation de la R-D nanotechnologique
reçoivent généralement de l’État301, à même les deniers
Dans sa réflexion sur les préoccupations éthiques qu’en­
publics. Le développement d’une économie de haut savoir
traîne l’activité économique liée aux nanotechnologies,
exige que soient préservés de tels secteurs d’exper­tise
la Commission se pose la question suivante : une société
technologique dans la collectivité et les emplois occupés
privilégiée a-t-elle une obligation morale de développer
par une main-d’œuvre hautement qualifiée. Lorsque ces
et de partager avec des nations plus pauvres les avancées
entreprises disparaissent ou sont délocalisées à l’étranger,
technologiques dont elles pourraient bénéficier ? Certains
la Commission estime qu’il y a un gaspillage de fonds
observateurs, comme Mohamed H.A. Hassan, président
publics qui auraient pu être utilisés à d’autres fins ainsi
de l’African Academy of Sciences et directeur général de
qu’une perte d’expertise importante pour la société.
l’Academy of Sciences for the Developing World, voient
plusieurs utilités potentielles que les nanotechnologies
Recommandation nº 7 pourraient avoir pour les pays pauvres, comme la créa­tion
de systèmes de filtration plus efficaces afin de produire
La Commission recommande :
de l’eau propre ou l’approvisionnement en énergie verte
que le ministre du Développement économique, de l’Inno­ et à bon marché304. Peter Singer et ses collaborateurs
vation et de l’Exportation, advenant l’élaboration d’une rappellent que les nanotechnologies pourraient contribuer
stratégie québécoise de développement des nanotech­ de façon significative à l’atteinte de cinq des huit objectifs
nologies, prenne en compte les questions éthiques et sociales
du projet Objectifs du Millénaire pour le développement
que ces technologies soulèvent, particulièrement en matière
proposé par les Nations Unies et qui vise à promouvoir le
d’emploi et de formation de la main-d’œuvre.
299. PRESIDENT’S COUNCIL OF ADVISORS ON SCIENCE AND TECHNOLOGY (États-Unis), op. cit., p. 35. La Royal Society abonde en
ce sens, mentionnant que, de manière générale, l’introduction de nouvelles technologies crée des gagnants et des perdants ; par exemple,
lorsque des emplois sont perdus dans un secteur donné au profit d’un autre : THE ROYAL SOCIETY & THE ROYAL ACADEMY OF
ENGINEERING (Royaume-Uni), op. cit., p. 52.
300. Ibid.
301. Sur ce sujet, voir Sylvain D’AUTEUIL-ROBILLARD, « Les orphelins du développement économique », PME, vol. 21, no 10, décembre-
janvier 2005, p. 40-42.
302. Voir entre autres THE ROYAL SOCIETY & THE ROYAL ACADEMY OF ENGINEERING (Royaume-Uni), op. cit. ; CENTRE SUD, Effets
potentiels des nanotechnologies sur les marchés de produits de base : répercussions sur les pays en voie de développement tributaires de produits
de base. Agenda lié au commerce pour le développement et l’équité (T.R.A.D.E.), document de recherche no 4, préparé par ETC, novembre
2005, p. 18 [en ligne] http://www.southcentre.org/publications/researchpapers/ResearchPapers4_FR.pdf. ; Anisa MNYUSIWALLA,
Abdallah S. DAAR et Peter A. SINGER, « “Mind the Gap” : Science and Ethics in Nanotechnology », Institute of Physics Publishing,
Nanotechnology, 14, R9-R13, 2003 [en ligne] http://www.utoronto.ca/jcb/home/documents/nanotechnology.pdf ; NANOFORUM.ORG,
4th Nanoforum Report : Benefits, Risks, Ethical, Legal and Social Aspects of Nanotechnology, juin 2004 [en ligne] http://www.nanoforum.
org/nf06~modul~showmore~folder~99999~scid~341~.html?action=longview_publication&.
303. THE ROYAL SOCIETY & THE ROYAL ACADEMY OF ENGINEERING (Royaume-Uni), op. cit., p. 52.
304. Mohamed H.A. HASSAN, « Small Things and Big Changes in the Developing World », Science, Policy forum, Nanotechnology, vol. 309,
1er juillet 2005 [en ligne] http://www.sciencemag.org/cgi/reprint/309/5731/65.pdf.

Chapitre 3 – Nanotechnologies : préoccupations d’ordre éthique 65


Avis de la Commission de l’éthique de la science et de la technologie

développement humain, social et économique à l’échelle La possession de l’expertise en nanotechnologies


de la planète. Ces objectifs sont : réduire l’extrême pauvreté
En général, qui contrôle la R-D contrôle également les
et la faim, assurer un développement durable, réduire la
moyens de production et l’offre de produits et services.
mortalité des enfants de moins de cinq ans, améliorer la
Si les besoins des pays en développement sont pris en
santé maternelle et combattre le VIH-sida, le paludisme
considération dans les orientations de la recherche, il faut
et d’autres maladies305.
également miser sur la création d’industries locales qui
Quels produits issus des nanotechnologies seront produiront une richesse durable. Les partenariats entre
privilégiés et à qui bénéficieront-ils ? À l’instar de Singer ceux qui possèdent le savoir et les capitaux et ceux qui
et de ses collègues, Hassan croit qu’« il est fort probable possèdent un marché à exploiter doivent être encouragés,
que la majorité des ressources et de l’expertise, tant à la condition qu’ils soient conçus au bénéfice de chacun
au Nord qu’au Sud, s’applique à des produits et à des et que le partage des responsabilités soit équitable ; il
services qui verront leur plus grande part de marché s’agit là d’une question de respect et de solidarité307.
dans le Nord, là où les consommateurs plus fortunés
habitent306 ». À court terme donc, il y a de fortes chances Commentaire de la Commission
que le développement des nanotechnologies se fasse Considérant que la solidarité humaine se traduit notamment
au profit de ceux qui possèdent déjà les richesses et le par des gestes de collaboration et de par­tage de la richesse, la
pouvoir, et au détriment du reste du monde. Cependant, Commission encourage le sou­tien de la formation de chercheurs
la possibilité de concevoir et de développer l’innovation et la mise en place d’infrastructures de R-D dans les pays en
nanotechnologique de façon à en faire bénéficier les pays émergence et dans ceux en développement, en vue de favoriser
en voie de développement ne devrait pas d’emblée être l’acquisition d’une expertise industrielle dans ces pays et d’éviter
mise à l’écart. Les gouvernements, les entreprises, les que se creuse davantage le fossé technologique.
fondations et les organisations non gouvernementales
sont ou peuvent être sollicités à divers degrés dans la La propriété intellectuelle et la gestion des brevets
gestion du développement nanotechnologique. Pour La gestion des brevets et de la propriété intellectuelle
ces divers acteurs, l’occasion se présente aujourd’hui de peut être vue comme une source dynamique d’inno­
concerter leurs efforts afin de maximiser la réflexion et vation, mais également comme un frein à l’accès aux
d’agir de façon solidaire envers les plus démunis. connaissances et aux outils nécessaires à la R-D. Tout
en reconnaissant que cette problématique ne concerne
Commentaire de la Commission pas uniquement le domaine des nanotechnologies et
Dans la même veine, la Commission suggère que s’amplifient qu’il s’agit d’une compétence fédérale, la Commission
ou se tissent des liens de collaboration entre les universités, croit utile d’en faire état brièvement dans le présent
les fonds subventionnaires et les pays en développement. Des avis, car les façons de faire actuelles risquent d’avoir un
partenariats de recherche en nanotechnologies, des échanges impact sur la recherche fondamentale et sur l’innovation
d’étudiants et de professeurs entre universités, ainsi que la technologique dans ce domaine.
mise en place de programmes de subventions dont l’objectif
spécifique est de répondre aux besoins signalés par les pays en Bien que la possession de brevets soit considérée comme
développement à l’égard des nanotechnologies devraient être un avantage sur le plan économique, l’expérience
considérés par les organismes concernés. dans d’autres domaines scientifiques que celui des

305. Peter A. SINGER, Fabio SALAMANCA-BUENTELLO et Abdallah S. DAAR, op. cit., p. 58 ; voir également NATIONS UNIES, Investir dans
le développement : plan pratique pour réaliser les objectifs du Millénaire pour le développement, Projet Objectifs du Millénaire, Rapport au
Secrétaire général de l’ONU, New York, 2005 [en ligne] http://www.unmillenniumproject.org/documents/french-complete-highres.pdf.
306. (Traduction libre) Mohamed H.A. HASSAN, op. cit., p. 66 ; Peter A. SINGER, Fabio SALAMANCA-BUENTELLO et Abdallah S. DAAR,
op. cit., p. 57.
307. La réflexion sur de nouvelles formes de partenariat a déjà commencé dans divers forums. Par exemple, les participants d’un atelier organisé
en juin 2004 concernant le dialogue international sur la R-D nanotechnologique responsable ont suggéré que la poursuite du dialogue à l’échelle
internationale ainsi que la collaboration aideraient les pays en voie de développement à participer à la R-D en nanotechnologies – MERIDIAN
INSTITUTE et NATIONAL SCIENCE FOUNDATION, op. cit., p. 8 ; voir également p. 19 sur l’apport possible du secteur privé.

66 Éthique et nanotechnologies :
Se donner les moyens d’agir
Avis de la Commission de l’éthique de la science et de la technologie

nanotechnologies démontre que l’attribution de brevets Un certain nombre de questions se posent également en
trop larges, ou qui ne respectent pas de manière stricte ce qui concerne le contrôle public-privé en matière de
les critères de nouveauté et d’apport inventif d’une propriété intellectuelle. Dans un domaine comme les
découverte pouvant être brevetée, peut aller à l’encontre nanotechnologies, où la technologie fait aussi progresser
du bien public308. À cet égard, les problèmes suivants les connaissances fondamentales en physique, en chimie
sont généralement mentionnés en ce qui concerne ou dans d’autres domaines, ne faudrait-il pas éviter
la possession de brevets, par exemple : la difficulté qu’un financement mixte public-privé des efforts de
d’obtenir les licences nécessaires en raison du nombre recherche puisse se traduire par des limites imposées au
élevé de propriétaires de brevets dans un domaine de développement de la connaissance en raison du système
recherche donné ou pour une application en particulier, de protection intellectuelle actuellement en vigueur ?
la décision de ne pas vendre de droits d’utilisation à un Einsiedel et Goldenberg posent ainsi le problème :
tiers – ce qui peut être légal dans certains pays comme « […] la question de savoir à qui appartiennent les
les États-Unis – ou, encore, les redevances très élevées connaissances engendrées par des initiatives impliquant
que demandent certains propriétaires en échange de à la fois des universités publiques et des corporations
l’utilisation de leur technologie309. Dans ces conditions, privées demeure très problématique. […] Des recherches
l’accès à la connaissance devient un enjeu majeur et peut entreprises par Baber [titulaire de la Chaire de recherche
même devenir une source d’iniquités. du Canada en science, en technologie et sur l’évolution
sociale] démontrent que les conditions de financement
Une partie des problèmes entourant la propriété intel­
des chercheurs universitaires [au Japon et à Singapour]
lectuelle et la gestion des brevets peut cependant être
ont diminué les résistances de ces derniers face à la
attribuée à la méconnaissance du fonctionnement d’un
transformation directe en valeur monétaire des con­
tel système d’exploitation des connaissances. Galembeck,
naissances provenant de la recherche. Une grande
chimiste d’origine brésilienne, estime qu’une très grande
proportion de ce qui s’appelle nanotechnologies con­
partie des scientifiques qui ne viennent pas des pays
cerne l’acquisition de nouvelles connaissances en
du G-7 (maintenant le G-8) ne lisent pas les brevets
sciences fondamentales et sur les processus quantiques ;
et ne pensent pas à en déposer pour leurs découvertes.
une situation qui pose un sérieux défi en ce qui a trait
Cette situation a deux conséquences dommageables.
aux cadres de référence en vigueur en matière de droits
Premièrement, plusieurs efforts scientifiques sont réalisés
de propriété311. »
en vain, puisque les objectifs de recherche ont peut-être
déjà été atteints par d’autres équipes qui possèdent Des solutions en vue
dès lors les brevets d’exploitation. Deuxièmement, des
scientifiques qui travaillent dans des pays émergents La gestion de la propriété intellectuelle et des brevets
contribuent de plus en plus à la publication scientifique n’est pas une question simple et l’émergence depuis
sans toutefois protéger les résultats de leur travail ; « ces quel­ques années de compagnies qui ont pour objectif
informations nouvelles finiront par être transformées principal d’acheter des brevets en vue de les revendre
en produits et en processus que nous [les pays émer­ au prix fort complique la donne312 ; la concentration
gents] importerons, et qui apporteront avec eux la des brevets entre les mains d’une minorité pourrait
modernité, mais aussi le chômage et des pressions sur avoir pour conséquence de restreindre l’accessibilité
l’économie310 ». aux technologies313. Comme le notent Einsiedel et

308. Voir, entre autres, THE ROYAL SOCIETY & THE ROYAL ACADEMY OF ENGINEERING (Royaume-Uni), op. cit., p. 53 et Edna F.
EINSIEDEL et Linda GOLDENBERG, op. cit., p. 30.
309. David B. RESNIK, « A Biotechnology Patent Pool : An Idea Whose Time Has Come ? », The Journal of Philosophy, Science & Law, vol. 3,
janvier 2003 [en ligne] http://www.psljournal.com/archives/papers/biotechPatent.cfm.
310. Fernando GALEMBECK, « Les questions éthiques posées par la nanotechnologie », allocution présentée lors de la 3e session de la COMEST,
1-4 décembre 2003, Rio de Janeiro, UNESCO, p. 129 des Actes [en ligne] http://unesdoc.unesco.org/images/0013/001343/134391fo.pdf.
311. (Traduction libre) Edna F.EINSIEDEL et Linda GOLDENBERG, op. cit., p. 30.
312. Lisa K. ABE, Nanotechnology Law : The Legal Issues, Communication présentée dans le cadre de NanoForum 2005, Université McGill.
313. ETC GROUP, From Genome to Atoms : The Big Down…, op. cit.

Chapitre 3 – Nanotechnologies : préoccupations d’ordre éthique 67


Avis de la Commission de l’éthique de la science et de la technologie

Goldenberg, certains affirment, considérant le modèle Commentaire de la Commission


de brevetage en biotechnologies, que la tendance actuelle L’initiative des NIH soulève cependant un certain nombre de
pourrait bloquer, plutôt qu’encourager, l’innovation questions plus larges. Les initiatives fondées sur des parte­
et qu’une façon de s’attaquer au problème serait de nariats publics-privés en matière de recherche et de mise en
s’inspirer de la protection de la propriété intellectuelle marché sont-elles équitables pour le Québec ? Quels sont les
utilisée en informatique pour les logiciels libres (open effets positifs et négatifs de ces partenariats ? Les bienfaits
source) en ce qui a trait aux recherches financées par le potentiels contrebalancent-ils les effets négatifs ? Ces derniers
public314. Si ce modèle connaît bien des adeptes dans le peuvent-ils être amoindris ou éliminés ? Serait-il possible de
milieu public, il faut se demander si son adoption par mettre en place des mesures incitatives en vue de favoriser
un plus grand nombre d’utilisateurs n’est pas freinée par l’activité philanthropique ? Devant toutes ces questions, la
Commission estime impératif qu’une réflexion poussée sur
le fait que le code source libre, contrairement au brevet,
le rôle de la protection de la propriété intellectuelle dans un
attribue une faible valeur financière à l’innovation (en
contexte d’innovation soit entreprise et que soient mises
général seulement sur l’aide technique). en évidence les questions d’éthique qui pourraient y être
Une autre possibilité serait l’établissement de commu­ associées.
nautés de brevets (patent pools)315. Les communautés
de brevets existent depuis plus d’un siècle 316 ; elles La collecte de renseignements personnels
sont généralement vues comme des génératrices de La convergence des nanotechnologies et des technologies
concurrence, mais elles pourraient avoir l’effet contraire de l’information permettra de connecter des réseaux
dans certaines circonstances317. complexes de plus en plus puissants et très performants
Il est également intéressant de noter l’initiative récente en matière de contrôle et de surveillance. Certains dispo­
des National Institutes of Health américains (NIH) sitifs nanométriques peuvent être facilement incorporés
dans le domaine des biotechnologies. Ceux-ci ont fait à divers produits électroniques et de tels développements
l’annonce d’un partenariat public-privé avec diverses pourraient servir à des fins diverses : assurer une plus
entreprises pharmaceutiques afin d’accélérer la recherche grande sécurité et sûreté, prodiguer des soins de santé
en génétique sur des maladies multifactorielles. Les NIH personnalisés ou offrir une vaste gamme d’avantages
ont assuré que les résultats des recherches ne deviendront pour les entreprises (par exemple assurer le suivi et les
pas la propriété des entreprises privées qui investissent autres types de contrôles sur le matériel et les produits).
dans ce projet, mais qu’ils seront accessibles à tous318. Cependant, il est aussi possible de concevoir de tels
développements de façon à restreindre la sphère privée
des individus ou de divers groupes, en effectuant de la
surveillance invisible, en recueillant et en distribuant des

314. Edna F. EINSIEDEL et Linda GOLDENBERG, op. cit., p. 30. Pour d’autres informations sur le sujet, voir également Francis ANDRÉ, Libre
accès aux savoirs/Open Access to Knowledge, Paris, Futuribles, 2005, p. 47-49.
315. La communauté de brevets permet en général « aux titulaires qui en font partie d’utiliser des brevets mis en communauté, établit une
licence type pour ces brevets à l’intention des preneurs de licence qui ne sont pas membres de la communauté et répartit les redevances
parmi ses membres, conformément à l’accord ». Voir Normes et brevets dans le site de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle
[en ligne] http://www.wipo.int/patentscope/fr/developments/standards.html.
316. Le Patent and Trademark Office américain retrace une des premières communautés de brevets en 1856 – il s’agissait de brevets ayant trait
aux machines à coudre. Des initiatives récentes concernent des compagnies dans le domaine de l’électronique et des communications et
touchent des produits manufacturés en conformité avec les formats DVD-ROM et DVD-Vidéo. Voir pour de plus amples renseignements
UNITED STATES PATENT AND TRADEMARK OFFICE, Patent Pools : A Solution to the Problem of Access in Biotechnology Patents ?,
Jeanne CLARK et al., 5 décembre 2000 [en ligne] http://www.uspto.gov/web/offices/pac/dapp/opla/patentpool.pdf.
317. Pour plus de renseignements, voir la section sur la procompétitivité et l’anticompétitivité des communautés de brevets, UNITED STATES
PATENT AND TRADEMARK OFFICE, op. cit., p. 6-7.
318. Lauran NEERGAARD, « Federal Project Probes Environment, Genes », Washingtonpost.com, 8 février 2006 [en ligne] http://www.
washingtonpost.com/wp-dyn/content/article/2006/02/08/AR20060208 00793.html.

68 Éthique et nanotechnologies :
Se donner les moyens d’agir
Avis de la Commission de l’éthique de la science et de la technologie

informations personnelles sans consentement explicite, quand elle a sur elle un produit muni d’une étiquette
de même qu’en concentrant l’information dans les mains RFID. La collecte croissante de données sur une personne
de ceux qui possèdent les ressources pour développer et la surveillance accrue, avec la possibilité de tracer des
et contrôler de tels réseaux319. Ces possibilités doivent profils types très spécialisés à des fins de contrôle policier,
être soigneusement évaluées, en tenant compte du social ou politique322, font aussi partie des possibilités
contexte sociopolitique qui domine depuis les attentats envisagées. Ces questions intéressent depuis quelques
du 11 septembre 2001 aux États-Unis. années le Commissariat canadien à la protection de la
vie privée323, qui est revenu à la charge récemment en ce
Le marketing personnalisé représente un attrait évident
qui concerne plus précisément la protection des données
pour le monde des affaires, qui pourrait ainsi mieux
personnelles recueillies par les gouvernements324.
connaître les habitudes de consommation de sa clientèle
et effectuer des campagnes ciblées auprès d’individus Sur la question de la collecte et de l’utilisation de rensei­
ou de groupes donnés. Cette pratique est déjà en gne­ments personnels dans le cadre de transactions
vigueur320et les capacités de stockage et de traitement commerciales ou d’études de marché, la Commission
toujours plus poussées que permettront les nanotechno­ rappelle avec insistance qu’elles ne doivent pas être
logies pour­raient amplifier ce phénomène. faites à l’insu des consommateurs, qui ont le droit d’être
au fait de ces pratiques et également de refuser que leurs
La convergence des nanotechnologies et des technologies
renseignements personnels soient fichés et utilisés à
de l’information pourrait renforcer les inquiétudes
des fins de marketing ou pour toute autre finalité qu’ils
des con­­sommateurs relativement à l’utilisation de
n’entérinent pas325. Des lois canadiennes et québécoises
l’iden­tification par radiofréquence ou RFID (radio
existent déjà en matière de protection des renseignements
frequency identification) en remplacement des codes à
personnels326 et obligent les orga­nismes publics et
barres, une technique qui est actuellement à l’essai dans
privés à donner accès à son dossier d’information à
certains supermarchés et magasins321, par exemple. Les
toute personne qui en fait la demande ; le problème
préoccupations principales à cet égard sont : la possibilité
réside dans le fait que peu de personnes sont au courant
de faire le lien entre une information personnelle (une
de ces obligations et que, de surcroît, les entreprises et
carte de crédit) et un produit spécifique afin d’établir
organismes, publics ou privés, qui ne respectent pas
le profil de consommation d’un individu, de faire du
les règles établies sont rarement pénalisés. Par souci de
marketing personnalisé à l’intention de cette personne
transparence et considérant la valeur finan­cière des profils
et même de la suivre à la trace dans ses déplacements
319. THE ROYAL SOCIETY & THE ROYAL ACADEMY OF ENGINEERING (Royaume-Uni), op. cit., p. 53 ; Fernando GALEMBECK, op. cit.,
p. 126 des Actes.
320. Notamment chez Amazon.com qui envoie régulièrement des offres personnalisées à ses clients en s’appuyant sur leurs achats antérieurs.
321. Au Québec, des essais à cet effet sont en cours dans certaines succursales de la Société des alcools, des marchés Métro et des magasins
Bureau en gros. Voir PRESSE CANADIENNE, « Bureau en gros fera l’essai du RFID avec Bell », Direction informatique express, Le bulletin
des actualités technologiques, 1er novembre 2005 [en ligne] http://www.directioninformatique.com/di/client/fr/DirectionInformatique/
Nouvelles.asp?id=37276
322. THE ROYAL SOCIETY & THE ROYAL ACADEMY OF ENGINEERING (Royaume-Uni), op. cit., p. 53-54.
323. COMMISSARIAT À LA PROTECTION DE LA VIE PRIVÉE DU CANADA, Rapport annuel au Parlement 2004, Rapport concernant la Loi
sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques, 2005 [en ligne] http://www.privcom.gc.ca/information/
pub/pa_reform_060605_f.asp.
324. COMMISSARIAT À LA PROTECTION DE LA VIE PRIVÉE DU CANADA, « La Commissaire à la protection de la vie privée dépose
un rapport et se prononce en faveur d’une réforme urgente de la Loi sur la protection des renseignements personnels du Canada »,
Communiqué, Ottawa, 5 juin 2006 [en ligne] http://www.privcom.gc.ca/media/nr-c/2006/nr-c_060605_f.asp.
325. En fait, seuls les renseignements nécessaires à l’objet du dossier peuvent être colligés.
326. Pour l’ensemble du Canada : GOUVERNEMENT DU CANADA, Charte canadienne des droits et libertés (l’annexe B de la Loi de 1982 sur le
Canada, 1982, ch. 11 [R.-U.]), Loi sur la protection des renseignements personnels (L.R., 85, ch. P-21), Loi sur la protection des renseignements
personnels et les documents électroniques (C-6) ; à l’échelle du Québec : GOUVERNEMENT DU QUÉBEC, Charte québécoise des droits
et libertés de la personne (L.R.Q., c. C-12), Loi concernant le cadre juridique des technologies de l’information (L.R.Q., c. C-1.1), Loi sur
l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels (L.R.Q., c. A-2.1) et Loi sur la protection des
renseignements personnels dans le secteur privé (L.R.Q., c. P-39.1).

Chapitre 3 – Nanotechnologies : préoccupations d’ordre éthique 69


Avis de la Commission de l’éthique de la science et de la technologie

de consommation, les sociétés qui pratiquent ce genre déconcertante. En effet, la consommation est de plus en
d’activité devraient informer leur clientèle et obtenir le plus perçue comme un enjeu de pouvoir où les citoyens
consentement des personnes concernées. revendiquent le droit de faire des choix qui reflètent leurs
valeurs. Il faut voir dans cet exercice de la citoyenneté un
Enfin, l’accès à l’information génétique constitue une
signe de santé de la démocratie, à la condition, cependant,
autre facette de la protection des renseignements per­
que les citoyens soient conscients de leur potentiel
sonnels à ne pas négliger. Avec les nanotechnologies, les
d’influence, qu’ils reconnaissent la responsabilité qui
biopuces à ADN sur silicium ouvrent la voie à l’ana­lyse
accompagne tout acte décisionnel et, enfin, qu’ils aient
du contenu génétique des cellules in situ – bientôt il sera
accès à une information claire et objective.
possible pour un médecin de « lire » le code génétique
d’un patient directement dans son bureau de consultation L’autonomisation des citoyens – mieux connue sous le
et d’obtenir ainsi quantité de renseignements sur terme anglais empowerment – est le « processus par lequel
son état de santé et sur sa prédisposition génétique à une personne, ou un groupe social, acquiert la maîtrise des
développer certaines maladies. Une telle information moyens qui lui permettent de se conscientiser, de renforcer
sera aussi accessible aux forces policières et même aux son potentiel et de se transformer dans une perspective de
agents de douane à des fins d’identification (et non développement, d’amélioration de ses conditions de vie
plus de diagnostic) et selon un encadrement légal et de son environnement328 ». Elle se traduit notamment
bien défini. En 2003, dans le contexte d’un avis sur les par la volonté de faire des choix qui respectent les valeurs
banques d’information génétique, la Commission s’est individuelles et sociales de chacun. Dans une société
penchée sur l’utilisation de l’information génétique fortement atomisée et où le niveau de confiance envers la
à d’autres fins que médicales, notamment par les classe politique est peu élevé, le citoyen a le sentiment qu’il
assureurs, les employeurs et les institutions financières, peut décider lui-même et exercer une influence quand il
une pratique susceptible de favoriser la discrimination s’agit de ses choix de vie et de consommation, des choix
dans la prise de décision concernant les personnes visées qui sont perpétuellement à refaire.
(clients, employés et emprunteurs, par exemple)327. La
Lorsqu’il est question de la façon dont se comporteront
Commission estime toujours que toute forme d’utili­
les marchés et les citoyens face aux produits issus de
sation de l’information génétique par des tiers autres
l’innovation nanotechnologique, le sort réservé aux
que les professionnels de la santé et autrement qu’à des
aliments modifiés génétiquement est encore une fois
fins de traitement devrait être soumise à un débat de
l’exemple qui est évoqué. Le sociologue Michael D.
société sur ces pratiques et leurs finalités.
Mehta note au sujet des OGM que « les organismes de
réglementation canadiens empêchent l’étiquetage qui
En lien avec la citoyenneté donnerait la possibilité au consommateur de faire la
et l’innovation technologique distinction entre des aliments qui ont été approuvés en
Pour valider son utilité ou sa pertinence, l’innovation tech­ fonction du processus de fabrication plutôt que selon la
nologique traverse un processus d’assimilation qui aura nature du produit. En réalité, bien des consommateurs
pour résultat l’acceptation sociale ou le rejet. Ce processus jugent à la fois le processus et le produit comme des
permet normalement au citoyen de se familiariser avec facteurs déterminants dans les choix qu’ils font. La leçon
de nouvelles techniques ou de nouveaux produits pour qui se dégage pour les nouvelles technologies comme
ensuite les intégrer dans ses habitudes de vie. Or, les pour les nanotechnologies est que l’étiquetage sera
modes d’assimilation de l’innovation technologique vraisemblablement un cauchemar en termes de relations
sont empreints d’une subjectivité qui peut sembler publiques et de processus de réglementation. Il y a de

327. COMMISSION DE L’ETHIQUE DE LA SCIENCE ET DE LA TECHNOLOGIE, Les enjeux éthiques des banques d’information génétique…,
op. cit., p. 51-52. La Commission avait d’ailleurs émis la recommandation suivante : « que le gouvernement du Québec, considérant les
possibilités accrues qu’offrent les nanotechnologies dans la collecte d’information génétique, demande aux employeurs, aux assureurs et aux
institutions financières de se doter, d’ici cinq ans, d’une politique d’autorégulation relative à l’utilisation de l’information génétique dans
le cadre de leurs évaluations. Si les politiques proposées ne sont pas satisfaisantes au regard des valeurs sociétales, le gouvernement devra
légiférer de façon à encadrer et à restreindre l’utilisation de l’information génétique dans des domaines autres que celui de la santé. »
328. OFFICE QUÉBÉCOIS DE LA LANGUE FRANÇAISE, Le grand dictionnaire terminologique, op. cit.

70 Éthique et nanotechnologies :
Se donner les moyens d’agir
Avis de la Commission de l’éthique de la science et de la technologie

fortes chances que les débats sur l’étiquetage obligatoire favoriser sa participation dans la prise de décisions au
ou volontaire ainsi que sur une évaluation fondée sur sujet des nanotechnologies. S’appuyant sur des données
le processus ou sur le produit adviennent lorsque les techniques solides concernant les impacts potentiels
consommateurs seront exposés à un plus grand nombre des nanoparticules sur la santé et l’environnement, de
de produits issus des nanotechnologies329. » même que sur un dialogue ouvert avec toutes les parties
prenantes au sujet des répercussions sociales et éthiques
Dans l’éventualité où cette hypothèse se réaliserait,
potentielles, la nanotechnologie pourrait éviter une
les acteurs engagés dans le développement des nano­
trajectoire semblable à celle des OGM331.
tech­nologies (chercheurs, promoteurs, investisseurs,
gouvernements et groupes d’intérêts) auraient tout Comme l’observent Einsiedel et Goldenberg, la sensi­
avantage à se concerter sur la façon de faciliter le processus bilisation du public ainsi que les initiatives d’éducation
d’intégration des innovations nanotechnologiques. publique sont des mécanismes importants, mais qui
L’étiquetage des produits issus des nanotechnologies sont voués à l’échec lorsque leur seule intention est de
devrait-il alors être envisagé ? Pour le moment, la susciter l’acceptation de la population. Ce qui importe
Commission croit qu’il ne servirait à rien d’aller de l’avant aux yeux du public, plus que les subtilités de la science et
avec l’étiquetage de produits issus des nanotechnologies de la technologie, c’est la raison d’être d’une application,
ou dotés de composants nanométriques tant que ces comment et dans quelles conditions elle sera utilisée,
produits ne seront pas mieux caractérisés et que leurs comment seront gérés les risques et les bénéfices qui en
effets ne seront pas mieux connus, mais aussi tant que la découlent332. L’étude des rapports entre les citoyens et
population n’aura pas été mieux informée à leur sujet. l’innovation permettrait de comprendre plus facilement
le processus d’assimilation des produits issus des nou­
Une information claire et accessible est un préalable
velles technologies.
à l’auto­nomisation du citoyen, mais elle représente
parallèlement un défi de taille. Comment rejoindre la En se dotant d’un portail Internet d’information sur
population ? Comment s’assurer que l’information les organismes génétiquement modifiés333, le gou­
véhi­culée est exacte, exempte de jugements de valeur et ver­­nement du Québec a entrepris une démarche
qu’elle répond aux interrogations de la société ? Dans louable pour informer la population de la façon la
le cas des nanotechnologies, il s’agit d’une entreprise plus objective possible en s’associant, notamment,
qui comporte énormément de défis, en raison de la à des partenaires comme l’Office de protection du
complexité de ces technologies et de la diversité des con­som­mateur, les ministères concernés en matière
possi­bilités d’application. Néanmoins, il faudra que de santé, d’environnement et d’agriculture, ainsi
les groupes concernés s’y astreignent afin d’éviter une que la Commission de l’éthique de la science et de
répétition de ce qui s’est produit avec les organismes la tech­nologie. Une telle démarche serait tout aussi
génétiquement modifiés, l’exemple patent d’une appropriée pour les nanotechnologies, d’autant plus
politique publique mal gérée, au dire de certains330. La qu’elle s’inscrirait relativement tôt dans le processus
Commission rappelle l’importance de transmettre d’innovation nanotechnologique et qu’elle pourrait en
une information appropriée à la population et de accompagner le développement au fil des ans.

329. (Traduction libre) Michael D. MEHTA, op. cit., p. 37.


330. Kristen KULINOWSKI, « Nanotechnology : From “Wow” to “Yuck” ? », Bulletin of Science, Technology & Society, vol. 24, no 1, février 2004,
p. 19 [en ligne] http://bst.sagepub.com/cgi/content/short/24/1/13.
331. Ibid.
332. Edna F. EINSIEDEL et Linda GOLDENBERG, op. cit., p. 31. Voir aussi Claire MARRIS, coauteure du rapport PABE [Public Perceptions
of Agricultural Biotechnologies in Europe] : « Public Views on GMOs : Deconstructing the Myths », EMBO Reports, vol. 2, no 7, juillet
2001 [en ligne] http://www.emboreports.org. Les points saillants de cet article sont présentés dans l’avis de la Commission sur les OGM
à la page 82 et peuvent s’appliquer aux nanotechnologies.
333. Voir http://www.ogm.gouv.qc.ca/.

Chapitre 3 – Nanotechnologies : préoccupations d’ordre éthique 71


Avis de la Commission de l’éthique de la science et de la technologie

Recommandation nº 8 premièrement, une diminution de l’intérêt des jeunes


pour une formation en science et technologie, alors
La Commission recommande : que la consommation de produits technologiques ne
que le gouvernement du Québec s’inspire des travaux réalisés cesse d’augmenter ; considérant, deuxièmement, que
pour la mise en place d’un portail Internet sur les organismes les nanotechnologies permettront de créer des produits
génétiquement modifiés afin de créer un portail d’information inédits dont on ne maîtrise pas nécessairement tous les
sur les nanotechnologies à l’intention de la population. aspects ; considérant, troisièmement, que la convergence
des sciences amplifie la puissance de traitement de
Même si l’information est disponible et facilement
données et la possibilité d’envahir la vie privée des gens,
accessible, il faut s’assurer que les citoyens sont sensi­
il devient urgent de se pencher sur des mécanismes
bilisés à la question des nouvelles technologies et qu’ils
de rapprochement avec la population qui aideraient à
en comprennent les tenants et aboutissants ; c’est
pallier un manque d’information relativement neutre
une responsabilité qui leur incombe, mais dont ils ne
et objective sur l’innovation technologique.
mesurent pas toujours l’importance. Considérant,

72 Éthique et nanotechnologies :
Se donner les moyens d’agir
Conclusion

C’est avec beaucoup de curiosité et d’intérêt que la Com­ Les nanotechnologies émergent de la convergence des
mis­sion a amorcé sa réflexion sur les enjeux éthiques sciences, un phénomène relativement récent en soi. Les
soulevés par le développement des nanotechnologies. connaissances requises pour appréhender les défis qui
D’une part, parce que le domaine est encore peu connu ; se manifesteront sont donc très diversifiées : chimie,
d’autre part, parce que le potentiel de développement biologie, physique, informatique, en ce qui concerne
et d’utilisation de la matière à l’échelle nanométrique la science elle-même, mais également philosophie,
semble à l’heure actuelle sans limite. Il est d’ailleurs socio­logie et droit en ce qui a trait aux impacts de
facile de s’émerveiller, voire de se laisser emporter par son déve­loppement sur les sociétés contemporaines.
l’euphorie et l’enthousiasme qui animent une bonne L’un des écueils qui guettent les nanotechnologies et
partie des acteurs du domaine. qui pourraient influencer leurs effets éventuels sur la
société est donc la spécialisation des individus, dans
Au fil de sa réflexion, la Commission a constaté l’ampleur
des domaines très poussés, qui risque de voiler en
et la complexité de la tâche qu’elle s’était elle-même
quel­que sorte le tableau général du développement
assignée, c’est-à-dire de documenter le développement
qu’en­traîneront ces nouvelles technologies ainsi que
de la nanoscience et des nanotechnologies afin de cer­
le questionnement qui devrait y être associé334. Une
ner les enjeux éthiques qui accompagnent leur émer­
compréhension poussée de la science mais également
gence. En effet, les nanotechnologies touchent tous
une compréhension générale – donc plus globale – sont
les domaines, avec une diversité d’applications et
nécessaires afin de maîtriser le développement des
des potentiels d’utilisation très différents. De plus, la
technologies de la convergence, auxquelles participent
réflexion entourant les nanotechnologies est complexifiée
les nanotechnologies.
du fait que la matière nanométrique est invisible à l’œil
nu ; leurs effets, positifs ou négatifs, seront cependant La Commission estime qu’il ne faut pas minimiser
bien tangibles. Enfin, le fait qu’il s’agisse de technologies l’impact potentiel des nanotechnologies et qu’il faut
en émergence signifie également qu’il est aujourd’hui donc agir avec précaution afin d’implanter les mesures
impossible de prévoir toutes les applications qui verront d’enca­drement nécessaires à la gestion responsable du
le jour et quelles pourraient être leurs répercussions domaine. En soutien à cette assertion, la Commission a
sur le Québec et sur le reste du monde. Pour illustrer présenté des exemples d’applications, dans les domaines
ce propos, la Commission dresse un parallèle avec de la santé, de l’environnement ou de la sécurité, qui
l’émergence de l’Internet, qui a révolutionné les façons poursuivent des objectifs louables, mais qui pourraient
de communiquer et bouleversé les modes de vie. Qui également avoir des répercussions indirectes néfastes. De
aurait pu prédire une telle pénétration culturelle lorsque plus, elle a répertorié quelques exemples qui montrent
cette technologie fut développée par un professeur comment une utilisation pacifique des nanotechnologies
d’informatique, avec des subventions du département pourrait être détournée de son sens original et pour­
de la Défense américain, il y a plus de trente ans ? Il en va suivre des fins non pas altruistes ou de protection, mais
de même pour le sujet traité dans le présent avis. plutôt d’agression, potentiellement dangereuses pour

334. Willem H. VANDERBURG, « Some Reflections on Teaching Biotechnology, Nanotechnology, and Information Technology », éditorial,
Bulletin of Science, Technology & Society, vol. 24, no 1, février 2004, p. 7.

73
Avis de la Commission de l’éthique de la science et de la technologie

l’humanité. Les possibilités de modifier le comporte­ Enfin, la Commission sort de cet exercice avec une
ment humain, de surveiller des personnes à leur insu ou, certitude – celle que la réflexion sur les enjeux éthiques
encore, de relâcher dans l’environnement des substances et sociaux des technologies s’amorce à peine et qu’il
nocives sont des exemples qui portent à réfléchir et faudra continuer à réfléchir, discuter, émettre des
qui doivent inciter les divers acteurs engagés dans la opinions sur les nanotechnologies et sur la manière
promotion et la production de nanotechnologies à agir d’assurer leur développement harmonieux. C’est
de façon responsable et transparente. pour cette raison qu’elle demeure ouverte à l’idée de
poursuivre sa réflexion sur des questions plus précises
Néanmoins, il ne faudrait surtout pas croire à un scénario
que l’État pourrait se poser en ce qui concerne la gestion
sombre et catastrophique à l’aube du développement
responsable des nanotechnologies, au fur et à mesure des
nanotechnologique. L’appréhension pourrait avoir pour
orientations ou des décisions qu’il aura à prendre en la
effet de tuer dans l’œuf des technologies susceptibles
matière dans l’avenir.
d’offrir un potentiel d’applications extrêmement
positif – si elles sont utilisées à bon escient. Améliorer
la santé humaine grâce à la détection précoce de
maladies et à la thérapie ciblée, restaurer des habitats
qui pâtissent des effets de l’action humaine, utiliser de
façon plus efficiente les ressources disponibles, voilà
quelques exemples d’actions positives qui deviennent
possibles notamment grâce au développement des
nano­tech­nologies. Les divers acteurs concernés doivent
cependant être prêts à discuter des objectifs poursuivis
et des actions à entreprendre afin d’y parvenir, car c’est
souvent la collectivité dans son ensemble qui supporte
les coûts des répercussions.

74 Éthique et nanotechnologies :
Se donner les moyens d’agir
Glossaire*

activation de médicaments – opération par laquelle on autonomisation – processus par lequel une personne,
permet au principe actif contenu dans des médicaments ou un groupe social, acquiert la maîtrise des moyens
de se libérer au moment voulu et d’entrer en action dans qui lui permettent de se conscientiser, de renforcer son
un organe, un tissu ou une cellule. Syn. : activation de potentiel et de se transformer dans une perspective de
médi­cament, activation. (drug activation) développement, d’amélioration de ses conditions de vie
et de son environnement. (empowerment)
approche ascendante – méthode de fabrication de
composants nanométriques, qui consiste à les assembler auto-organisation – processus par lequel, lorsqu’on les
à partir des éléments de base de la matière, atome par place dans certaines conditions particulières, les atomes et
atome ou molécule par molécule, jusqu’à ce qu’on les molécules d’une structure s’organisent différemment
obtienne une structure complète capable de s’intégrer entre eux, sans aucune intervention extérieure, pour
dans un ensemble plus grand. Syn. : voie ascendante, créer spontanément un nouvel arrangement aux pro­
dé­marche ascendante, approche vers le haut, approche priétés uniques. (self-organization)
par le bas, approche de bas en haut. (bottom-up, bottom-
autoréplication – processus par lequel une nanomachine
up approach, bottom up approach)
ou un nanorobot produit des copies d’elle-même ou de
approche descendante – méthode de fabrication de lui-même, en se servant des matériaux présents dans
composants nanométriques, qui consiste à réduire son envi­ronnement. Syn. : autoreproduction. (self-
pro­gressivement la taille d’un matériau existant, en le replication)
découpant ou le sculptant, jusqu’à ce qu’il possède les
barrière hématoencéphalique – ensemble des méca­
dimen­sions et les caractéristiques voulues. Syn. : voie
nismes physiologiques destinés à empêcher certaines
descen­dante, démarche descendante, approche vers le
substances contenues dans le sang de passer librement
bas, approche par le haut, approche de haut en bas. (top-
dans le liquide céphalorachidien et dans les cellules du
down, top-down approach, top down approach)
système nerveux central. Syn. : barrière hématoméningée,
assemblage positionnel – technique d’assemblage de barrière sang-cerveau, BSC. (blood-brain barrier)
structures moléculaires, dans laquelle les atomes et
biocapteur – capteur assurant la transformation d’un
les molécules sont placés progressivement, selon un
phénomène biologique en un signal électrique suscep­
pro­cessus déterminé à l’avance, dans la position qu’ils
tible d’être analysé et permettant la détection ou le
doivent occuper pour former l’ensemble souhaité.
dosage direct d’une espèce biologique. Syn. : biodétecteur.
(positional assembly, positional synthesis)
(biosensor)
autoassemblage – technique d’assemblage dans laquelle,
biopuce – petite plaque en verre, en silicium ou en
lorsqu’on les place dans des conditions particulières, des
plastique, sur laquelle sont déposées des molécules orga­
atomes et des molécules se réunissent spontanément
niques servant à exécuter une ou des tâches liées le plus
pour former une structure, sans intervention extérieure.
souvent à l’analyse ou à la détection d’autres molécules.
(self-assembly)
Syn. : puce biologique. (biochip, biological chip)
* Sauf indication contraire, les définitions du glossaire sont celles du Grand dictionnaire terminologique de l’Office québécois de la langue
française (OQLF) – voir les sites http://www.oqlf.gouv.qc.ca ou http://www.granddictionnaire.com pour des informations plus détaillées
sur ces termes et sur d’autres termes relatifs aux nanotechnologies ; en collaboration avec l’OQLF, NanoQuébec présente également sur son
site un glossaire des nanotechnologies – http://www.nanoquebec.ca. Dans le présent avis, certains termes qui ne relèvent pas du domaine
des nanotechnologies ont été ajoutés au glossaire pour faciliter la compréhension du texte.

75
Avis de la Commission de l’éthique de la science et de la technologie

buckminsterfullerène – fullerène qui est composé de écophagie globale – selon un scénario catastrophique
60 atomes de carbone regroupés dans une structure imaginé par certains spécialistes de la nanotechnologie,
stable comportant 12 pentagones et 20 hexagones et processus par lequel des nanorobots s’autoreproduisant
dont la forme sphérique est semblable à celle d’un bal­ sans contrôle pourraient détruire tous les écosystèmes de
lon de soccer. Syn. : fullerène de Buckminster, fullerène la Terre, en transformant en une masse informe tous les
C 60 , molécule de carbone C 60 , molécule de C 60 . matériaux qu’ils rencontrent. Syn. : écophagie, problème
(buckminsterfullerene, bucky ball, buckyball, C60 fullerene, de la gelée grise, problème de la matière visqueuse grise,
C60 molecule, fullerene-60) problème de la substance visqueuse grise, problème de la
masse grise. (global ecophagy, ecophagy, gray goo problem,
capteur – élément d’un appareil mesureur servant à la
grey goo problem)
prise d’informations relatives à la grandeur à mesurer.
(sensor) effet quantique – phénomène particulier qui se produit
ou propriété unique qu’acquiert une structure de la
caractérisation – processus analytique qui vise à décrire
matière, lorsqu’on passe progressivement de l’échelle
les propriétés caractéristiques d’une matière ou les traits
macroscopique à l’échelle des atomes et des molécules,
distinctifs d’un phénomène. (characterization)
où les lois de la physique quantique prédominent.
cancérogénicité – propriété d’une substance qui peut (quantum effect)
provoquer le cancer. Syn. : carcinogénicité, pouvoir cancé­
effet tunnel – phénomène quantique qui se produit
rigène, pouvoir cancérogène. (carcinogenicity)
lorsqu’une particule de matière, comme un électron,
carcinogénicité – voir cancérogénicité. traverse une zone d’énergie qui lui est contraire, même
si elle ne possède pas, selon les lois de la physique clas­
convergence – processus par lequel des disciplines scien­ sique, l’énergie suffisante pour franchir la barrière
tifiques autrefois séparées se rapprochent et s’unissent devant laquelle elle se trouve. (tunnel effect, tunneling
progressivement pour créer une synergie dont l’un effect, tunnelling effect, tunneling, tunnelling, quantum
des principaux effets est de permettre parallèlement tunneling, quantum tunnelling)
l’unification de plusieurs technologies issues de leurs
différentes applications. (convergence) électronique moléculaire – domaine de l’électronique
qui concerne l’étude, la conception, la fabrication et
cycle de vie – période qui comprend toutes les étapes de l’utilisation de circuits ou de composants électroniques,
la vie d’un produit, depuis sa conception et sa fabrication qu’on assemble à partir de molécules chimiques ou
jusqu’à son déclin, y compris son retrait du marché, son biologiques dont on veut exploiter la petite taille et
élimination et son rejet dans l’environnement. Syn. : les propriétés conductrices. (molecular electronics,
cycle de vie d’un produit, CVP. (product life cycle) moletronics, molectronics)
drone – petit avion sans pilote, généralement commandé embryotoxicité – caractère d’un médicament ou d’une
à distance par ondes radioélectriques, qui est semi- substance chimique qui entraîne des effets nocifs
autonome ou autonome, lorsqu’il est programmé pour sur le développement de l’embryon. Syn. : toxicité
exécuter différentes tâches ou qu’il possède l’équipement embryonnaire. (embryotoxicity)
électronique nécessaire pour se guider lui-même, et
qu’on utilise pour effectuer des missions diverses. endoscopie – méthode d’exploration, à des fins
(drone) diagnostiques ou thérapeutiques, de la surface interne
d’un organe creux, d’une cavité naturelle ou d’un con­
échelle nanométrique – échelle de mesure comprise duit du corps accessible par les voies naturelles qui se
entre 1 et 100 nanomètres, qui est utilisée pour calculer pratique à l’aide d’un endoscope. (endoscopy)
les dimensions de structures extrêmement petites qu’on
trouve au niveau moléculaire. Syn. : échelle nanosco­ eugénique – science qui étudie et cherche à mettre en
pique, nanoéchelle. (nanometer scale, nanoscale, œuvre les conditions les plus favorables à l’amélioration
nanoscopic scale, nanometric scale) du patrimoine héréditaire des populations humaines,
notamment dans le but d’éliminer les maladies hérédi­
taires. Syn. : eugénisme. (eugenics)

76 Éthique et nanotechnologies :
Se donner les moyens d’agir
Avis de la Commission de l’éthique de la science et de la technologie

fossé nanotechnologique – écart qui devrait se créer, imagerie biologique – ensemble des techniques liées
dans un avenir rapproché, entre des groupes de per­ à l’étude des organismes vivants, qui permettent de
sonnes, des sociétés, des pays ou des ensembles géo­ visualiser des molécules, des cellules ou des processus
graphiques, quant à l’acquisition des connaissances biologiques, à l’aide de différents rayonnements produits
et à l’utilisation de nouvelles techniques, dans des par des ondes électromagnétiques ou des ondes sonores.
domaines liés au développement des nanosciences et des Syn. : bio-imagerie. (biological imaging, bioimaging)
nanotechnologies. (nano-divide)
ingénierie tissulaire – ensemble de techniques qui font
fullerène – molécule en forme de cage fermée, composée appel aux principes et aux méthodes de l’ingénierie et
d’atomes de carbone qui sont regroupés au sein d’une des sciences de la vie pour comprendre les relations
structure constituée de pentagones et d’hexagones. entre struc­tures et fonctions des tissus normaux et
(fullerene) patho­logiques de mammifères, et pour développer des
substituts biologiques pouvant restaurer, maintenir ou
gelée grise – masse informe de matériaux, imaginée par
améliorer les fonctions des tissus. Syn. : génie tissulaire,
certains spécialistes de la nanotechnologie, qui résulterait
organogenèse. (tissue engineering)
de l’autoreproduction incontrôlée de nanorobots s’acca­
parant, transformant et détruisant les ressources des intelligent – se dit de tout appareil, de toute machine,
écosys­tèmes. Syn. : matière visqueuse grise, substance de tout système, de tout dispositif ou de tout objet qui
visqueuse grise, masse grise. (gray goo, grey goo) possède les ressources électroniques ou informatiques
nécessaires pour traiter, de manière autonome, des
gelée verte – prolifération d’organismes nuisibles s’auto­
données recueillies par ses propres moyens ou qui lui
répliquant ou ensemble de perturbations biologiques
ont été transmises, et pour utiliser l’information afin de
que pourraient engendrer, selon certains spécialistes des
commander des actions. (smart)
nanobiotechnologies, accidentellement ou en fonction
d’intentions malveillantes, des nanorobots hybrides laboratoire sur puce – système miniaturisé d’analyse
fabriqués à partir d’organismes vivants et de matériaux biologique ou chimique, qui est constitué d’une
non organiques. (green goo) minuscule plaque de verre, de plastique ou de silicium,
sur laquelle sont gravés de multiples canaux qui amènent
génie biomédical – ensemble des personnes et des acti­
mécaniquement les liquides d’un prélèvement jusqu’à
vités intellectuelles ou techniques (utilisant la mécanique,
différents réservoirs aménagés pour l’analyse des
l’électronique, etc.) qui contribuent à l’élaboration, à la
molécules. Syn. : laboratoire sur une puce, labopuce,
construction et à l’entretien d’appareils utilisés pour le
puce microfluidique. (lab-on-a-chip [LOC], lab-on-chip,
diagnostic médical, les thérapeutiques ou les organes et
laboratory-on-a-chip, laboratory-on-chip, microfluidic chip,
les systèmes artificiels. (biomedical engineering)
micro-total analysis system, micro-TAS, μTAS)
hydrure métallique – composé chimique résultant de
lithographie – ensemble des techniques qui permettent
la combinaison de l’hydrogène à l’état gazeux avec un
de reproduire, dans une résine déposée à la surface d’un
métal comme l’aluminium ou le lithium. Syn. : hydrure
matériau, le motif d’une structure qu’on désire fabriquer.
interstitiel. (metal hydride)
(lithography)
imagerie par résonance magnétique (IRM) – méthode
lithographie par ultraviolets extrêmes – technique
d’imagerie médicale basée sur le phénomène de la réso­
de lithographie dans laquelle on utilise des rayons
nance magnétique, qui permet d’obtenir des images
électromagnétiques, d’une longueur d’onde pouvant
tomo­graphiques de la distribution d’éléments atomiques
varier entre 10 et 14 nanomètres, pour reproduire le motif
tels que l’hydrogène. Syn. : tomographie à résonance
d’une structure nanométrique dans une résine sensible,
magnétique, tomographie par résonance magnétique,
vers laquelle ils sont dirigés à travers un masque par un
zeugmatographie. (magnetic resonance imaging)
système de miroirs. Syn. : lithographie aux ultraviolets
extrêmes, lithographie ultraviolet extrême, lithographie
UV extrême, lithographie EUV, lithographie par rayons
X mous. (extreme ultraviolet lithography, extreme UV
lithography, EUV lithography, soft X-ray lithography)

Glossaire 77
Avis de la Commission de l’éthique de la science et de la technologie

lithographie par projection de faisceau d’électrons – nanomètres de celle-ci, crée un faisceau d’électrons par
technique de lithographie dans laquelle un faisceau effet tunnel, lequel sert d’instrument de mesure des
d’électrons, généralement dirigé par un système de variations dimensionnelles de la structure ou permet de
lentilles électromagnétiques, est projeté, à travers un manipuler les particules de matière. Syn. : microscope
masque de type stencil, en direction de la résine sensible électronique à effet tunnel, microscope à balayage à effet
dans laquelle doit être reproduit le motif d’une structure tunnel. (scanning tunneling microscope)
micrométrique ou nanométrique. Syn. : lithographie
microscope à force atomique – microscope en champ
par projection de faisceau électronique, lithographie
proche qui permet, à l’échelle des atomes et des molécules,
par projection électronique, lithographie électronique
d’obtenir l’image d’un échantillon, en balayant sa surface
par projection, lithographie électronique de projection.
à l’aide d’une sonde qui, placée à quelques nanomètres
(electron beam projection lithography, electron projection
de celle-ci, capte les forces répulsives ou attractives des
lithography [EPL], projection electron lithography)
électrons, afin de mesurer les variations dimensionnelles
lithographie par rayons X – technique de lithographie de la structure ou pour manipuler les particules de
dans laquelle on utilise des rayons X, d’une longueur matière. (atomic force microscope)
d’onde pouvant varier entre 0,5 et 5 nanomètres, pour
microscope en champ proche – microscope qui permet
reproduire le motif d’une structure nanométrique dans
de détecter une grandeur physique, à l’échelle des atomes
une résine sensible, vers laquelle ils sont dirigés à travers
et des molécules, en balayant, à l’aide d’une sonde, la
un masque. Syn. : lithographie aux rayons X, lithographie
surface d’un échantillon, à quelques nanomètres de
à rayons X, lithographie X. (X-ray lithography [XRL], X-
celle-ci, afin d’en dresser, en utilisant l’ordinateur, une
lithography)
cartographie dans laquelle les données apparaissent sous
lixiviable – se dit d’une matière dont on peut extraire un forme d’images numérisées. Syn. : microscope de champ
ou plusieurs constituants solubles à l’aide d’un solvant. proche, microscope à champ proche, microscope à sonde
(leachable) locale. (scanning probe microscope)
loi de Moore – observation selon laquelle le nombre de microscopie en champ proche (SPM) – technique de
transistors que peut comporter une puce de silicium détection d’une grandeur physique, à l’échelle des atomes
double tous les dix-huit mois, augmentant ainsi dans et des molécules, qui consiste à balayer, à l’aide d’une
la même proportion la capacité de traitement du micro­ sonde, la surface d’un échantillon, à quelques nanomètres
processeur qu’elle supporte. (Moore’s law) de celle-ci, afin d’en dresser, en utilisant l’ordinateur, une
cartographie dans laquelle les informations apparaissent
matériau nanocomposite – matériau qui comporte deux
sous forme d’images numérisées. Syn. : microscopie de
ou plusieurs phases* distinctes, dont une au moins intègre
champ proche, microscopie à champ proche, microscopie
des éléments qui possèdent une dimension pouvant
à sonde locale. (scanning probe microscopy)
varier entre 1 et 100 nanomètres. Syn. : nanocomposite.
(nanocomposite material, nanocomposite, NC) microscopie à effet tunnel (STM) – microscopie en
champ proche* dans laquelle, à l’échelle des atomes
matériau nanostructuré – matériau dont la structure
et des mo­lécules, on obtient l’image d’un échantillon,
comporte au moins une dimension à l’échelle nano­
en balayant sa surface à l’aide d’une sonde qui, placée
métrique, laquelle peut varier entre 1 et 100 nanomètres.
à quelques nanomètres de celle-ci, crée un faisceau
(nanostructured material, nanostructure material)
d’électrons par effet tunnel, lequel sert d’instrument de
micromètre (µm) – unité de mesure de longueur du sys­ mesure des variations dimensionnelles de la structure
tème international (SI), qui correspond à un millionième ou permet de manipuler les particules de matière. Syn. :
de mètre, c’est-à-dire 10–6 mètre. (micrometer) microscopie électronique à effet tunnel, microscopie
à balayage à effet tunnel, microscopie par effet tunnel.
microscope à effet tunnel – microscope en champ (scanning tunneling microscopy, scanning tunnelling
proche qui permet, à l’échelle des atomes et des molé­ microscopy, scanning tunneling electron microscopy,
cules, d’obtenir l’image d’un échantillon, en balayant scanning tunnelling electron microscopy)
sa surface à l’aide d’une sonde qui, placée à quelques

78 Éthique et nanotechnologies :
Se donner les moyens d’agir
Avis de la Commission de l’éthique de la science et de la technologie

microscopie à force atomique (AFM) – microscopie nanocouche – couche mince, d’une épaisseur mesurant
en champ proche dans laquelle, à l’échelle des atomes moins de 100 nanomètres, qui permet, principalement à
et des molécules, on obtient l’image d’un échantillon, cause de sa taille, d’apporter des propriétés particulières
en balayant sa surface à l’aide d’une sonde qui, placée au matériau sur lequel elle est déposée ou au sein
à quelques nanomètres de celle-ci, capte les forces duquel elle est intégrée. Syn. : couche nanométrique,
répulsives ou attractives des électrons afin de mesurer les couche ultramince, nanofilm, film nanométrique, film
variations dimensionnelles de la structure ou pour mani­ ultramince. (nanofilm)
puler les particules de matière. (atomic force microscopy
nanocristal fluorescent – cristal aux dimensions
[AFM], scanning force microscopy [SFM])
nano­­métriques, fait d’un ou de plusieurs matériaux
microscopie à force magnétique – microscopie en semi-conducteurs, qui, lorsqu’il est excité par un rayon­
champ proche dans laquelle on utilise une sonde recou­ nement ultraviolet, émet des ondes lumineuses dont
verte d’un matériau magnétique, pour balayer la surface la longueur, à laquelle correspond une couleur du
magnétisée d’un échantillon, à quelques nanomètres de spectre, est déterminée par sa taille. Syn. : nanocristal
celle-ci, afin d’obtenir de l’objet analysé une image, à semi-conducteur fluorescent, nanocristal luminescent,
partir des variations du champ magnétique créé entre nanocristal semi-conducteur luminescent. (fluorescent
les éléments en présence, que cette sonde enregistre en nanocrystal)
se déplaçant et qui correspondent à des variations de
nanoélectronique – domaine issu principalement des
structure. (magnetic force microscopy)
recherches en nanotechnologie et en électronique,
mucoviscidose – maladie héréditaire à transmission qui concerne l’étude, la conception, la fabrication et
autosomique récessive, caractérisée par l’hypersécrétion l’utilisation de circuits ou de composants électroniques,
d’un mucus très visqueux qui bloque les conduits des qu’on assemble à partir d’éléments dont les dimensions
organes atteints pouvant prédisposer le sujet à des se situent à l’échelle nanométrique, au niveau des atomes
infections respiratoires mortelles. Syn. : fibrose kystique et des molécules, et dont on veut exploiter les propriétés
(au Québec). (mucoviscidosis) physiques particulières. (nanoelectronics)
mutagénicité – aptitude d’un agent biologique, physique nanofabrication – fabrication de structures qui com­
ou chimique à provoquer des mutations au sein du portent au moins un élément dont les dimensions se
matériel génétique des cellules. Syn. : pouvoir mutagène. situent à l’échelle nanométrique, entre 1 et 100 nano­
(mutagenicity) mètres. (nanofabrication)
nanobiologie – domaine relevant à la fois de la biologie nanofil – fil le plus souvent en métal ou en céramique,
et de la nanoscience, qui étudie le comportement dont le diamètre ou la largeur ne dépasse pas quelques
des élé­­ments qui, à l’échelle nanométrique, entrent dizaines de nanomètres. Syn. : fil nanométrique.
dans la composition des organismes vivants, et qui (nanowire)
s’ef­force d’utiliser ces organismes ou d’imiter leur
nanolithographie – ensemble des techniques qui, à
fonc­­­tion­nement pour fabriquer des matériaux ou
l’échelle nanométrique, permettent de reproduire à la
des dispositifs nouveaux aux propriétés particulières.
surface d’un matériau le motif d’une structure molé­
Syn. : nanobioscience, bionanoscience. (nanobiology,
culaire. Syn. : lithographie à l’échelle nanométrique.
nanobioscience, bionanoscience)
(nanolithography, nanoscale lithography)
nanobiotechnologie – domaine dans lequel on utilise
nanomachine – assemblage de molécules dans lequel cer­
les techniques de la nanotechnologie pour développer
tains éléments aux dimensions nanométriques sont mis
des outils permettant de manipuler ou d’étudier des
en mouvement, dès qu’ils reçoivent un signal extérieur.
orga­nismes vivants, ou dans lequel on se sert de ces
(nanomachine)
organismes ou on s’inspire simplement des mécanismes
de leur fonctionnement pour fabriquer, à l’échelle nano­ nanomatériau – matériau constitué de particules dont la
métrique, des matériaux ou des dispositifs nouveaux aux taille comporte au moins une dimension qui peut varier
propriétés particulières. (nanobiotechnology) entre 1 et 100 nanomètres et qui lui permet d’acquérir
des propriétés particulières. (nanomaterial)

Glossaire 79
Avis de la Commission de l’éthique de la science et de la technologie

nanomatériaux – domaine de la nanotechnologie qui nanoperle de carbone – composé de carbone compor­


concerne l’étude et la fabrication de matériaux constitués tant dans sa structure des éléments amorphes et cristal­
de particules dont la taille comporte au moins une lins de taille nanométrique, qui prend la forme d’une
dimension qui peut varier entre 1 et 100 nanomètres et sphère dont le diamètre peut varier entre une et quelques
qui leur permet d’acquérir des propriétés particulières. centaines de nanomètres, laquelle s’associe à d’autres
(nanomaterials) sphères semblables pour créer des chapelets dont
l’enchevêtrement forme une mousse tridimensionnelle,
nanomètre (nm) – unité de mesure de longueur du
l’ensemble ayant la propriété de produire un champ élec­
sys­tème international (SI) valant 10-9 mètre, soit un
trique capable d’engendrer une source stable d’électrons.
milliardième de mètre. (nanometer)
Syn. : nanoperle. (carbon nanopearl, nanopearl, carbon
nanométrologie – domaine de la métrologie dans lequel nanobead, nanobead)
on étudie les mesures liées aux structures nanométriques
nanopoudre – poudre composée de nanoparticules
ou aux phénomènes physiques qui peuvent se produire
dont le diamètre est inférieur à 100 nanomètres et qui
à l’échelle nanométrique, et qui traite également des
sont généralement constituées de métal, d’alliage, de
appareils de mesure utilisés pour l’évaluation des
céramique ou de composite. Syn. : poudre nanométrique.
grandeurs. (nanometrology)
(nanopowder, nanometric powder, nanosize powder,
nano-objet – assemblage d’atomes ou de molécules, nanosized power, nanoscale powder)
dont au moins une dimension est inférieure à 100 nano­
nanorobot – nanomachine fabriquée dans le but d’effec­
mètres, qui forme une unité aux propriétés bien définies
tuer avec précision une tâche spécifique ou un ensemble
que l’on peut exploiter pour un usage spécifique. Syn. :
de tâches répétitives. Syn. : nanobot. (nanorobot, nanobot,
objet nanométrique. (nano-object)
nanoscale robot)
nanoparticule – particule de matière formée d’atomes et
nanoscience – étude scientifique, à l’échelle des atomes et
de molécules, qui comporte une ou plusieurs dimensions
des molécules, de structures moléculaires dont au moins
pouvant mesurer entre 1 et 100 nanomètres et qui pos­
une de leurs dimensions mesure entre 1 et 100 nano­
sède des propriétés physicochimiques particulières.
mètres, dans le but de comprendre leurs propriétés
(nanoparticle, nanometric particle, nanosize particle,
physicochimiques particulières et de définir les moyens
nanosized particle, nanoscale particle)
qu’on peut utiliser pour les fabriquer, les manipuler et
nanoparticule de synthèse – nanoparticule fabriquée les contrôler. (nanoscience)
volontairement en laboratoire ou en entreprise (nano­
nanostructuré – dont la structure comporte au moins
tubes de carbone, fullerènes, nanocristaux, etc.) (CEST,
une dimension à l’échelle nanométrique, laquelle peut
d’après OQLF). (engineered nanoparticle)
varier entre 1 et 100 nanomètres. (nanostructured)
nanoparticule naturelle – nanoparticule issue d’un
nanotechnologie – domaine multidisciplinaire qui
processus d’origine naturelle (cendres volcaniques,
concerne la conception et la fabrication, à l’échelle des
incendies de forêt, etc.) (CEST, d’après OQLF). (natural
atomes et des molécules, de structures moléculaires
nanoparticle)
qui comportent au moins une dimension mesurant
nanoparticule résiduelle – nanoparticule issue invo­ entre 1 et 100 nanomètres, qui possèdent des propriétés
lon­­tairement d’un processus d’origine humaine géné­ physicochimiques particulières exploitables, et qui
rale­ment associé à la pollution, comme des feux de peuvent faire l’objet de manipulations et d’opérations
cheminée, de la combustion des moteurs à essence, du de contrôle. (nanotechnology)
travail des métaux, de produits biodégradables (CEST,
d’après OQLF). (incidental nanoparticle)

80 Éthique et nanotechnologies :
Se donner les moyens d’agir
Avis de la Commission de l’éthique de la science et de la technologie

nanotechnologie moléculaire – fabrication mécanique peinture solaire – matériau flexible qui comporte des
et contrôlée de structures moléculaires, par une approche cellules solaires de taille nanométrique, que l’on peut
ascendante qui consiste à les assembler, étape par étaler comme de la peinture sur une surface et qui per­
étape, molécule par molécule, en se servant d’appareils met de convertir l’énergie solaire en énergie électrique.
spécialisés capables de provoquer des réactions chimiques Syn. : peinture photovoltaïque. (solar paint, photovoltaic
et des phénomènes physiques à l’échelle nanométrique. paint)
Syn. : fabrication moléculaire, ingénierie moléculaire.
phase – chacune des différentes parties d’un système
(molecular nanotechnology, molecular manufacturing,
physicochimique, qui est homogène par sa composition
nanomanufacturing, molecular engineering)
et son état physique, et qui est séparée d’une autre par
nanotube – structure moléculaire en forme de cylindre une interface. (phase)
creux et fermé dont le diamètre ne mesure que quelques
photolithographie – technique qui permet de reproduire,
nanomètres. (nanotube)
dans une résine déposée à la surface d’un matériau,
nanotube de carbone à paroi simple – nanotube le motif d’une structure micrométrique, en utilisant
constitué d’un seul feuillet d’atomes de carbone enroulé un faisceau lumineux comme outil d’impression.
sur lui-même. Syn. : nanotube monofeuillet, nanotube Syn. : lithographie optique. (photolithography, optical
de carbone monoparoi, nanotube monoparoi, nanotube lithography, photo-lithography)
à paroi simple. (single-walled carbon nanotube)
physique quantique – branche de la physique moderne
nanotube de carbone à parois multiples – nanotube qui propose d’expliquer plusieurs phénomènes liés
constitué de plusieurs feuillets d’atomes de carbone au fonctionnement de la matière par l’existence et le
enrou­lés sur eux-mêmes pour former des cylindres comportement des quanta, lesquels sont des particules élé­
concentriques. Syn. : nanotube multifeuillet, nanotube mentaires d’énergie, détectables uniquement à l’échelle
de carbone multiparoi, nanotube multiparoi. (multi- microscopique. Syn. : mécanique quantique, théorie
walled carbon nanotube) quantique. (quantum physics, quantum mechanics,
quantum theory)
nanotube de carbone – feuillet de carbone enroulé sur
lui-même et généralement fermé à chaque bout par une pile à combustible – convertisseur d’énergie dont
moitié de molécule de fullerène, de manière à former l’hydro­­gène, qui peut être obtenu à partir d’un com­
un tube de quelques nanomètres de diamètre et de 10 à bustible, est combiné avec l’oxygène de l’air par procédé
100 micromètres de longueur. (carbon nanotube, buckey électrochimique, pour produire de l’électricité. (fuel
tube, buckeytube) cell)
neuroprothèse – appareil destiné à rétablir une point quantique – structure nanométrique semi-
connexion nerveuse, liée le plus souvent à une fonction conductrice, qui résulte du confinement du mouvement
motrice, en permettant aux dispositifs électroniques des électrons dans les trois dimensions de l’espace.
qu’il comporte d’échanger des signaux avec un réseau Syn. : boîte quantique, nanocristal, nanopoint, nano-
de neurones. Syn. : prothèse neurale, prothèse neuronale. ilôt, atome artificiel. (quantum dot [QD, Qdot, Q-dot],
(neuroprosthesis) quantum box, nanocrystal, nanodot, artificial atom)
optoélectronique – branche de l’électronique qui polymère – substance composée d’un grand nombre de
traite de la transformation des signaux électriques petites structures moléculaires de faible masse, identiques
en signaux optiques et vice-versa. Syn. : optronique. ou différentes, qui se lient entre elles, en chaîne ou en
(optoelectronics) réseau, pour créer des molécules comportant une masse
moléculaire élevée. (polymer)
particule ultrafine – particule en suspension dans l’air
dont le diamètre aérodynamique mesure entre 1 et
100 nanomètres. Abr. : PUF. (ultrafine particle)

Glossaire 81
Avis de la Commission de l’éthique de la science et de la technologie

poussière électronique communicante – ensemble de technologie de rupture – ensemble de nouveaux procé­


puces intégrant des composants de taille micrométrique dés et de nouvelles techniques dont la mise en œuvre a
ou nanométrique, qui sont reliées entre elles de manière des répercussions importantes sur l’utilisation de tech­
à former un réseau sans fil, à l’intérieur duquel elles nologies plus anciennes. Syn. : technologie perturbatrice.
peuvent échanger les données qu’elles recueillent, traitent (disruptive technology)
et transmettent, le cas échéant, à une unité centrale,
technologie habilitante – ensemble de nouveaux
lors­qu’elles sont, comme des particules de poussière,
procédés et de nouvelles techniques qui permettent à
pulvérisées dans l’air ou répandues dans des matériaux.
des tech­nologies déjà existantes de s’améliorer. Syn. :
Syn. : poussière communicante, poussière intelligente.
technologie facilitante. (enabling technology)
(smart dust)
thérapie génique – opération consistant à introduire
puce à ADN – petite plaque en verre, en silicium ou
un gène fonctionnel dans des cellules d’un organisme,
en plastique, sur laquelle sont déposées des séquences
à des fins préventives, curatives ou diagnostiques. Syn. :
nucléiques connues d’ADN, qui sont caractéristiques de
génothérapie. (gene therapy)
certains gènes et qui, dans un mélange de molécules, en
s’appariant avec des séquences nucléiques complé­men­ vectorisation de médicaments – opération par laquelle
taires, permettent de détecter la présence des mêmes on associe des médicaments à des structures moléculaires
gènes dans des cellules soumises à l’analyse. Syn. : puce capables d’acheminer le principe actif qu’ils contiennent
ADN, biopuce à ADN, biopuce ADN, micromatrice vers l’endroit exact où celui-ci doit entrer en action dans
d’ADN, microréseau d’ADN, micromatrice, microréseau. un organe, un tissu ou une cellule. Syn. : vectorisation
(DNA chip, DNA biochip, DNA microarray, DNA array, de médicament, vectorisation, ciblage de médicaments,
microarray) ciblage de médicament. (drug targeting)
puits quantique – structure nanométrique bidimen­
sion­nelle, qui résulte du confinement du mouvement
des électrons dans une seule dimension de l’espace.
(quantum well)
surface spécifique – dimension totale de la surface d’un
corps, rapportée à sa masse ou son volume. Syn. : surface
massique, aire massique. (specific surface)

82 Éthique et nanotechnologies :
Se donner les moyens d’agir
Bibliographie*

Textes cités en référence


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Altmann, Jürgen, « Military Uses of Nanotechnology : Perspectives and Concerns », Security Dialogue, vol. 35, no 1,
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dans D. Baird, A. Nordmann et J. Schummer (dir.), Discovering the Nanoscale, Amsterdam, IOS Press, 2004
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Belem, Gisèle, « L’analyse du cycle de vie comme outil de développement durable », sous la direction de Jean-Pierre
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83
Avis de la Commission de l’éthique de la science et de la technologie

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of Japan workshop on the potential health, environmental and societal impacts of nanotechnologies, 11 et
12 juillet 2005 [en ligne] http://www.royalsoc.ac.uk/displaypagedoc.asp?id=17357.
Theodore, Louis et Robert G. Kunz, Nanotechnology. Environmental Implications and Solutions, New Jersey, Wiley-
Interscience, 2005.

104 Éthique et nanotechnologies :


Se donner les moyens d’agir
Avis de la Commission de l’éthique de la science et de la technologie

Toffoletto, Laurence, « LUCAS : une méthode d’évaluation des impacts du cycle de vie spécifique au contexte
canadien », Cahiers scientifiques du CIRAIG, vol. 1, no 2, avril 2005 [en ligne] http://www.polymtl.ca/ciraig/
CSc_V1_N2.pdf.
Toumey, Christopher P., Final Report on the South Carolina Citizen’s School of Nanotechnology [SCCSN] for Spring
2004 : an Outreach Program of the University of South Carolina, 2004 [en ligne] http://nsts.nano.sc.edu/outreach/
sccsn_s04_report.pdf.
Toumey, Christopher P, « Narratives for Nanotech : Anticipating Public Reactions to Nanotechnology », Techné, vol. 8,
no 2, hiver 2004 [en ligne] http://scholar.lib.vt.edu/ejournals/SPT/v8n2/pdf/toumey.pdf.
Tucker, Geoff, « Pharmacogenetics – Expectations and Reality », Editorial, British Medical Journal, vol. 329, 3 juillet
2004 [en ligne] http://bmj.bmjjournals.com/cgi/content/full/329/7456/4.
University of Minnesota, The Nanotechnology-Biology Interface : Exploring Models for Oversight, Workshop Report,
Jennifer Kuzma (dir.), Center for Science, Technology, and Public Policy, Hubert H. Humphrey Institute of Public
Affairs, 15 septembre 2005 [en ligne] http://www.hhh.umn.edu/img/assets/9685/nanotech_jan06.pdf.
Vanderburg, Willem H., « Some Reflections on Teaching Biotechnology, Nanotechnology, and Information
Technology », Editorial, Bulletin of Science, Technology & Society, vol. 24, no 1, février 2004 [en ligne] http://bst.
sagepub.com/content/vol24/issue1/.
Voyer, Normand, « Nanobiotechnologie : un présent débordant de promesses », Bio Tendance, Centre québécois de
valorisation des biotechnologies (CQVB), vol. 1, no 1, janvier 2003.
Waridel, Laure, L’envers de l’assiette, Montréal, Les éditions Écosociété, 2003.
Wasson, Andrew, « Protecting the Next Small Thing : Nanotechnology and the Reverse Doctrine of Equivalent »,
Duke Law & Technology Review, no 10, 2004 [en ligne] http://www.law.duke.edu/journals/dltr/articles/PDF/
2004DLTR0010.pdf.
Weil, Vivian, « Ethical Issues in Nanotechnology », Societal Implications of Nanoscience and Nanotechnology, National
Science Foundation, Arlington, Virginia, mars 2001 [en ligne] http://www.wtec.org/loyola/nano/NSET.Societal.
Implications/nanosi.pdf.
Weiss, Rick, « For science, nanotech poses big unknowns », Washingtonpost.com, 1er février 2004 [en ligne] www.
washingtonpost.com/ac2/wp-dyn/A1487-2004Jan31.
Weiss, Rick, « Nanomedicine’s Promise Is Anything but Tiny », Washingtonpost.com, 31 janvier 2005 [en ligne] http://
www.washingtonpost.com/ac2/wp-dyn/A49758-2005Jan30?language= printer.
Wellcome Trust, Big Picture on Nanoscience, no 2, juin 2005 [en ligne]. http://www.wellcome.ac.uk/assets/
wtd015798.pdf.
Wilson, James et Rebecca Willis, See-through Science. Why public engagement needs to move upstream, Royaume-
Uni, DEMOS, 2004.
Wolfe, Josh, « Nanotechnology’s Disruptive Future », Forbes.com, 21 octobre 2004 [en ligne] http://www.forbes.
com/2004/10/21/cz_jw_1021soapbox_print.html.
Yu, Hans, Nanotechnology Stewardship and the Management of Health Risks : Regulatory Oversight and Challenges,
Office of Biotechnology and Science, Santé Canada, NanoForum 2005, 15 juin 2005 [en ligne] http://www.uofaweb.
ualberta.ca/nanoforum/pdfs/HansYu.pdf.
Zaccai, Edwin, « Développement durable », dans Gilbert Hottois et Jean-Noël Missa (dir.), Nouvelle encyclopédie de
bioéthique. Médecine. Environnement. Biotechnologie, Bruxelles, Éditions DeBoeck Université, 2001.

Bibliographie 105
Sites suggérés pour une information
à jour sur la recherche et le
développement des nanotechnologies*

Au Québec
NanoQuébec
NanoQuébec a pour mission de renforcer l’innovation en nanotechnologie en vue d’accroître le développement
écono­mique durable du Québec et du Canada.
http://www.nanoquebec.ca/nanoquebec_w/site/explorateur.jsp?currentlySelectedSection=72
Les nanotechnologies au Québec et dans le monde
Section consacrée aux nanotechnologies par le Ministère du Développement économique, de l’Innovation et de
l’Exportation du Québec.
http://www.mdeie.gouv.qc.ca/page/web/portail/scienceTechnologie/nav/technologies_strategiques/42648.
html?iddoc=42648
Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail (IRSST)
Organisme de recherche scientifique qui vise à contribuer à la prévention des accidents du travail et des maladies
professionnelles ainsi qu’à la réadaptation des travailleurs qui en sont victimes.
http://www.irsst.qc.ca/fr/accueil.html

Au Canada
L’Institut national de la nanotechnologie
Institut de recherche intégré et pluridisciplinaire qui réunit des chercheurs des secteurs de la physique, de la chimie, du
génie, de la biologie, de l’informatique, de l’industrie pharmaceutique et du monde médical, dont les travaux s’effec­
tuent à l’échelle nanométrique à partir d’atomes et de molécules individuels. Établi en 2001, l’Institut est exploité en
collaboration avec le Conseil national de recherches et l’Université de l’Alberta. (site en développement)
http://nint-innt.nrc-cnrc.gc.ca/home/index_f.html
Plate-forme d’innovation du CRSNG en nanoscience et nanotechnologie (NanoPIC)
Réseau national multidisciplinaire de chercheurs universitaires œuvrant dans de nombreuses sphères des sciences
et de la technologie, NanoPIC a pour objectif d’accélérer et d’intensifier la recherche et l’éducation d’un personnel
haute­ment qualifié dans ces domaines au Canada.
http://www.physics.mcgill.ca/NSERCnanoIP/f/#welcome

* La Commission de l’éthique de la science et de la technologie ne prétend pas à l’exhaustivité en la matière et ne peut en aucun cas témoi­
gner de la qualité de l’information véhiculée sur ces sites. Par ailleurs, il lui apparaît également important de signaler que le lecteur intéressé
à se tenir au courant des actualités en nanotechnologie pourra, sur plusieurs sites, s’abonner à une lettre électronique.

107
Avis de la Commission de l’éthique de la science et de la technologie

Nanoforum Canada
Site du forum canadien annuel sur la nanoscience et la nanotechnologie.
http://www.uofaweb.ualberta.ca/nanoforum/
ETC Group : Action Group on Erosion, Technology and Concentration
Groupe d’intérêt qui soutient le développement socialement responsable des technologies et traite de questions de
gouvernance mondiale et de pouvoir corporatif.
http://www.etcgroup.org/en/issues/nanotechnology.html

Aux États-Unis
National Nanotechnology Initiative (États-Unis)
Programme de R-D en nanotechnologies qui coordonne les activités en sciences, en génie et en technologie pour
toutes les agences gouvernementales américaines.
http://www.nano.gov/
Nanotechnology at NIOSH (National Institute for Occupational Safety and Health)
Section sur les nanotechnologies de l’organisme américain de santé et sécurité au travail.
http://www.cdc.gov/niosh/topics/nanotech/
Center for Biological and Environmental Nanotechnology (CBEN)
La majorité des activités de recherche du CBEN à l’université Rice porte sur la bioingénierie, le génie environnemental
et la recherche fondamentale ; mais le Centre s’interroge également sur les impacts sanitaires, environnementaux et
sociaux des nanotechnologies et propose du matériel éducatif.
http://www.ruf.rice.edu/%7Ecben/
Nano Science and Technology Studies, Societal and Ethical Implications
Centre multidisciplinaire de l’université de la Caroline du Sud qui fait de la recherche et de la formation sur les
dimensions sociales, épistémologiques et éthiques des nanotechnologies.
http://nsts.nano.sc.edu/
A Nanotechnology Consumer Product Inventory
Un inventaire réalisé par le Woodrow Wilson International Center for Scholars, qui donne une information à jour
sur des produits issus des nanotechnologies et qui sont déjà commercialisés.
http://www.nanotechproject.org/index.php?id=44
The Institute for Soldier Nanotechnologies
Centre de recherche multidisciplinaire du Massachusetts Institute of Technology (MIT) qui a pour objectif
d’améliorer de façon significative la survie des soldats grâce aux nanotechnologies.
http://web.mit.edu/isn/
Center on Nanotechnology and Society
Centre de recherche de l’Illinois Institute of Technology qui sert de catalyseur pour la recherche interdisciplinaire,
l’éducation et le dialogue sur les questions éthiques, légales, politiques, commerciales et sociales que pose la nano­
technologie – avec une préoccupation particulière pour la condition humaine.
http://www.nano-and-society.org/

108 Éthique et nanotechnologies :


Se donner les moyens d’agir
Avis de la Commission de l’éthique de la science et de la technologie

Nanotechnology Industries
Site qui vise à fournir de l’information et des ressources sur les nanotechnologies afin de favoriser la recherche, la
com­mu­nication et l’innovation en la matière.
http://nanoindustries.com/links/
Foresight Nanotech Institute
Organisme à but non lucratif dont l’objectif est de sensibiliser et de préparer la population à l’introduction des nano­
technologies et à leurs impacts anticipés.
http://www.foresight.org/

En Europe et à l’international
Nanotechnology Homepage of the European Commission
Aperçu des activités en nanotechnologies à travers les programmes de la Communauté européenne.
http://www.cordis.lu/nanotechnology/
Portail NanoSciences NanoTechnologies
Portail regroupant une description des actions, des projets en cours et des moyens mis en place en France en
nanotechnologies.
http://www.nanomicro.recherche.gouv.fr/
Nanotechnology and Nanoscience
Ce site a été créé dans la foulée de la publication en Grande-Bretagne du rapport commun de la Royal Society et de
la Royal Academy of Engineering sur les nanotechnologies et il inclut un forum de discussion.
http://www.nanotec.org.uk/
International Risk Governance Council (IRGC)
Fondation indépendante suisse qui a pour but de contribuer à améliorer l’anticipation et la gouvernance des risques
globaux et systémiques ; une section du site est consacrée aux nanotechnologies.
http://www.irgc.org/irgc/projects/nanotechnology/
Nanoforum.org : European Nanotechnology Gateway
Réseau qui vise à fournir de l’information sur les efforts européens en matière de nanotechnologie ainsi qu’à soutenir
la communauté européenne à cet égard.
http://www.nanoforum.org/
Center for Responsible Nanotechnology (CRN)
La mission du CRN est, entre autres, de sensibiliser aux questions que soulèvent les nanotechnologies (bénéfices et
risques) et à leur utilisation responsable.
http://www.crnano.org/
Nano Ethics
Organisation indépendante qui étudie les implications éthiques et sociales des nanotechnologies.
http://www.nanoethics.org/

Sites suggérés 109


Avis de la Commission de l’éthique de la science et de la technologie

Meridian Institute
Organisme dont l’objectif est d’accompagner les décideurs dans leur prise de décision concernant des enjeux
importants en politique publique, dont ceux relatifs aux nanotechnologies.
http://www.merid.org/projects.php#Nanotechnology
International Council on Nanotechnology
Base de données relatives à la documentation scientifique portant sur l’évaluation des risques associés aux nano­tech­
nologies pour l’environnement et la santé.
http://icon.rice.edu/research.cfm
Journal of Nanobiotechnology
Journal électronique qui publie des articles scientifiques dans les domaines des sciences médicales et biologiques
ainsi qu’en nanotechnologies.
http://www.jnanobiotechnology.com/home

Actualité et nouvelles en nanotechnologies


AzoNano
http://www.azonano.com/
International Small Technology Network
http://www.nanotechnology.com
Nano Science and Technology Institute
http://www.nsti.org/news
Nanotechnology Now
http://www.nanotech-now.com/
Nanotechweb.org
http://www.nanotechweb.org/
Nanotechwire.com
http://www.nanotechwire.com
NanoTsunami
http://www.voyle.net/
Observatoire des Micro et Nanotechnologies
http://www.omnt.fr/
Smalltimes
http://www.smalltimes.com

110 Éthique et nanotechnologies :


Se donner les moyens d’agir
Annexe 1
Quelques exemples d’applications
des nanotechnologies

Industries automobile et aéronautique : des matériaux renforcés par des nanoparticules pour être plus légers, des pneus
renforcés par des nanoparticules pour durer plus longtemps et qui sont recyclables, de la peinture extérieure et des vitres
autonettoyantes, des plastiques ininflammables et peu coûteux, des textiles et recouvrements infroissables, qui résistent
aux taches et se réparent d’eux-mêmes, des catalyseurs.
Industries de l’électronique et des communications : enregistrement de données avec des médias utilisant les nanocouches
et les points quantiques, des écrans plats, la technologie sans fil, des capteurs, de nouveaux appareils et processus dans
tout le domaine des technologies de l’information et de la communication, des vitesses de traitement et des capacités
d’enre­gistre­ment moins coûteuses tout en étant des millions de fois plus rapides que les méthodes actuelles et en
consom­mant moins d’énergie.
Industries chimiques et des matériaux : des catalyseurs qui augmentent l’efficacité énergétique des usines de
transformation chimique et qui accroissent l’efficacité de la combustion des véhicules moteurs (ce qui va diminuer la
pol­lution), des outils de coupe extrêmement durs et résistants, des fluides magnétiques intelligents pour les lubrifiants
et les joints d’étanchéité, des filtres pour la séparation des molécules.
Industries pharmaceutique, des biotechnologies et des soins de santé : de nouveaux médicaments basés sur des
nanostructures, des systèmes de diffusion des médicaments qui ciblent des endroits précis dans le corps humain, des
matériaux de remplacement biocompatibles avec les organes et les fluides humains, des tests d’autodiagnostic pouvant
être utilisés à domicile, des capteurs pour des laboratoires tenant sur une puce, des matériaux pour la régénération des
os et des tissus, des produits cosmétiques.
Secteur manufacturier : une ingénierie de précision pour la production de nouvelles générations de microscopes et
d’instruments de mesure, de nouveaux processus et de nouveaux outils pour manipuler la matière au niveau atomique,
des nanopoudres incorporées dans des matériaux en vrac avec des propriétés spéciales telles que des senseurs qui
détectent les bris imminents et des contrôles en mesure de corriger le problème, autoassemblage de structures à partir
de molécules, des matériaux inspirés par la biologie ainsi que des biostructures.
Secteur de l’énergie : de nouveaux types de batteries, photosynthèse artificielle permettant de produire de l’énergie de
façon écologique, entreposage sécuritaire de l’hydrogène pour utilisation comme combustible propre, des économies
d’énergie résultant de l’utilisation de matériaux plus légers et de plus petits circuits, des revêtements nanostructurés,
des piles à combustible, des piles solaires, des catalyseurs.
Exploration de l’espace : des véhicules spatiaux plus légers, une production et une gestion plus efficaces de l’énergie,
des systèmes robotiques très petits et efficaces.
Environnement : des membranes sélectives qui peuvent filtrer les contaminants ou encore le sel de l’eau, des pièges
nanostructurés pour enlever les polluants des rejets industriels, la caractérisation des effets des nanostructures sur
l’envi­ronnement, des réductions importantes dans l’utilisation des matériaux et de l’énergie, la réduction des sources
de pollution, des possibilités nouvelles pour le recyclage.
Domaine militaire : des détecteurs et des correcteurs d’agents chimiques et biologiques, des circuits électroniques beau­
coup plus efficaces, des matériaux et des recouvrements nanostructurés beaucoup plus résistants, des textiles légers qui se
réparent d’eux-mêmes, le remplacement du sang, des systèmes de surveillance miniaturisés, de nouveaux types d’armes.
Conseil de la science et de la technologie*

* Op. cit. ; cette liste présentée par le Conseil dans son avis sur les nanotechnologies, p. 3, est tirée de : NATIONAL SCIENCE AND
TECHNOLOGY COUNCIL (États-Unis), Nanotechnology Research Directions : IWGN Workshop Report, septembre 1999 [en ligne] http://
www.wtec.org/loyola/nano/IWGN.Research.Directions/cover.pdf. La Commission la reproduit ici avec quelques modifications mineures.

111
Annexe 2
Aperçu prospectif d’applications
des nanotechnologies*

Secteur des technologies de l’information


Matériaux/techniques Applications Échelle de temps (entrée sur le marché)
Pré-2015

Télécommunications/industrie de l’optique.
Laser à puits quantique déjà utilisé dans les
Potentiel pour des applications dans le
Structures à puits quantiques lecteurs CD. Pas optimisé pour le domaine
développement des lasers utilisés dans la
des communications (dans 4-6 ans).
communication des données.

Utilisation des communications à fibres optiques Points quantiques toujours au stade


Structures à points quantiques
pour construire des ordinateurs. de la recherche (dans 7-8 ans).

Secteur des communications par fibres optiques.


Les circuits photoniques intégrés peuvent être
théoriquement mille fois plus denses que les Au stade de la R-D.
Technologies des cristaux photoniques
circuits électroniques. Les nouvelles propriétés et Intérêt commercial très grand.
le confinement ouvrent la voie à des dispositifs
consommant beaucoup moins d’énergie.

Écrans plats disponibles.


Mémoire et stockage : prototypes commerciaux
Nanotubes de carbone Prototypes commerciaux de mémoires vives.
de mémoires vives (RAM), d’écrans et de papier
en nanoélectronique Commercialisation de papier électronique
électronique (E-paper).
bientôt.

Spintronique : utilisation du spin Disques durs à ultra-haute capacité et mémoires


Démonstration de têtes de lecture.
de l’électron pour l’électronique d’ordinateurs.

Polymères Technologies de l’affichage (écrans). Commercialisation en cours.

Post-2015

Électronique moléculaire (y compris Circuits basés sur une molécule et transistors à Démonstration d’un transistor à un électron.
ordinateurs à ADN) un électron. Toujours immature mais potentiel énorme.

Utilisation de la physique quantique pour le


Traitement quantique de l’information traitement des données à l’aide d’ordinateurs Au stade de la recherche fondamentale.
quantiques.

* Tableau produit par Marco Blouin. Information tirée en partie de : Alexander Huw ARNALL, Future Technologies, Today’s Choices.
Nanotechnology, Artificial Intelligence and Robotics ; A Technical, Political and Institutional Map of Emerging Technologies, A report for the
Greenpeace Environmental Trust, Londres, juillet 2003 [en ligne] http://www.greenpeace.org.uk/MultimediaFiles/Live/FullReport/5886.
pdf.

113
Avis de la Commission de l’éthique de la science et de la technologie

Secteur pharmaceutique et secteur médical


Échelle de temps
Matériaux/techniques Propriétés Applications
(entrée sur le marché)
Diagnostic
Détection de faibles quantités
Détection de cellules
Marqueurs nanométriques d’une substance, jusqu’à Long terme.
cancéreuses.
seulement une molécule.

Laboratoires portatifs miniatures


Miniaturisation et augmen­ta­
Laboratoire sur puce pour l’industrie chimique, en Sur le marché, mais le coût
tion de la vitesse du processus
(lab-on-a-chip) contrôle et en prévention des est élevé.
d’analyse.
maladies, en environ­nement.

Les points quantiques rendus


sensibles à des molécules
Au stade de développement
Points quantiques peuvent les détecter préci­sément Diagnostic.
embryonnaire. Intérêt commercial.
selon leurs spectres lumineux
uniques.

Libération de médicaments
Peuvent pénétrer les pores des
Nanoparticules (50-100 nm) Traitement du cancer. Long terme.
cellules cancéreuses.
Contrôle nanométrique Traitement plus efficace avec
Faible solubilité. Long terme.
de la taille (100-200 nm) les médicaments actuels.
Ces molécules peuvent être
Transport nanobiologique
Polymères modulées avec un très haut Long terme.
de médicaments.
degré de fidélité.
Les ligands peuvent reconnaître
Ces molécules peuvent être
les tissus endommagés et libérer
Ligands sur des nanoparticules modulées avec un très haut Long terme.
le médicament à cet endroit
degré de fidélité.
précis.

Peuvent franchir le système Essais cliniques préliminaires sur


immunitaire pour transporter des fullerènes de Buckminster
Nanocapsules Traitement du sida, du cancer.
directement l’agent théra­ (« buckyballs ») pour le traitement
peutique vers le site concerné. du sida.

Adhérence accrue Augmentation de la rétention


Libération lente de médicaments. Long terme.
sur les particules locale des médicaments.

Peuvent franchir le système


immunitaire pour transporter Implants pour la libération Stade préclinique pour
Matériaux nanoporeux
directement l’agent théra­ contrôlée de médicaments. le traitement du diabète.
peutique vers le site concerné.

Mesure la condition du patient,


À un stade moins avancé
Pharmacie sur puce régule et maintient Traitement du diabète.
que le laboratoire sur puce.
le taux hormonal.

Analyses des gènes


Membranes nanoporeuses Triage de biomolécules. Commercialisation en cours.
et séquençage.

114 Éthique et nanotechnologies :


Se donner les moyens d’agir
Avis de la Commission de l’éthique de la science et de la technologie

Régénération, croissance et réparation de tissus

Les premiers produits commer­


Miniaturisation, baisse de ciaux seront probablement les
Rétine, implants cochléaires,
Prothèses poids, résistance accrue, greffons pour les tissus externes.
colonne vertébrale.
biocompatibilité accrue. Ensuite, dents, implants osseux,
tissus internes.

Remplacement de tissus
Manipulations et confinements
Manipulation cellulaire nerveux, croissance d’organes de 6-7 ans.
de cellules.
remplacement.

Domaine de l’énergie

Échelle de temps
Matériaux/techniques Applications
(entrée sur le marché)
Production d’énergie
Matériaux polymériques Cellules solaires. 5 ans.

Cellules solaires. Traitement photocata­ly­tique de Commercialisation en cours, mais limitée. Les


Combinaison de molécules organiques
l’eau. Le processus de fabrication pourrait être applications de faible consommation d’énergie
et inorganiques
très peu coûteux. entreront sur le marché en premier.

Cellules solaires à puits quantiques.


L’absorption d’une plus large partie du spectre
Puits quantiques Recherche fondamentale.
solaire permettrait d’augmenter l’efficacité des
cellules solaires.

Ces structures peuvent être modulées pour


Nanocolonnes être sensibles à différentes parties du spectre Long terme.
solaire. Cellules solaires à faible coût.

Conversion de carburant/stockage
Catalyseurs nanostructurés Conversion de carburant. Actuel – 5 ans.
Stockage de carburant : hydrogène, méthane
Nanotubes 2-5 ans.
pour les piles à combustible.

Nanoparticules Amélioration des capacités des batteries. Long terme.

Stockage d’hydrogène pour les piles à


Hydrures métalliques nanostructurés 1-5 ans
combustible.

Annexe 2 – Aperçu prospectif d’applications des nanotechnologies 115


Annexe 3
Questionnement relatif aux divers enjeux
des nanotechnologies en matière de recherche,
de développement et de commercialisation
au Canada*

I. Perception et participation du public


• Quelle est la perception du public à propos des nanotechnologies, au Canada et ailleurs ? Sur quoi se fonde cette
perception ?
• Quelles formes revêtent les représentations populaires des nanotechnologies et quels sont leurs impacts ?
• Quel devrait être le rôle des scientifiques dans le débat public entourant les nanotechnologies ?
• Quelles stratégies de communication et de participation doivent être élaborées afin de favoriser un débat réel sur
les risques et les bénéfices des nanotechnologies ?
II. Enjeux de réglementation
• Quels sont les effets des nanoparticules et des nanomatériaux sur l’environnement et sur l’être humain ?
• Quel devrait être le rôle du principe de précaution dans la réglementation des nanomatériaux et des nano­
technologies ?
• Étant donné leurs propriétés uniques et distinctes, est-ce que les nanotechnologies peuvent être balisées de façon
appropriée par le cadre réglementaire existant ?
• Si des modifications législatives ou réglementaires sont nécessaires dans le contexte des nanotech­nologies, un
niveau de coopération sans précédent devra alors exister entre les divers paliers gouverne­mentaux, mais également
entre les divers organismes de chaque palier. Comment s’assurer que le cadre réglementaire mis en place pour
les nanotechnologies sera logique, efficace, transparent, et qu’il sera en mesure de s’adapter aux changements
technologiques ?
III. Enjeux économiques et de commercialisation
A. Enjeux généraux de commercialisation
• Quel sera l’impact économique des nanotechnologies ? Quelles seront les conséquences économiques de la com­
mercialisation des nanotechnologies sur les divers secteurs économiques ?
• Quelles méthodes peuvent être utilisées afin d’évaluer les impacts sur l’économie d’une technologie de
rupture ?
• Est-ce que les modes de commercialisation des nanotechnologies seront différents de ceux utilisés pour d’autres
technologies ? Si oui, en quoi consisteront ces différences ? Des situations particulières pourraient-elles entraîner
des conflits d’intérêts ?
B. Enjeux de propriété intellectuelle
• Quels seront les enjeux relatifs à la propriété intellectuelle ? Est-ce que ces enjeux seront différents de ceux qui
sont liés à d’autres technologies émergentes ?
• Est-ce que le développement de la propriété intellectuelle et son exploitation, en tant que partie inté­grante du
processus de commercialisation, poseront des défis particuliers pour la commercialisation des nanotechnologies ?

* Lorraine SHEREMETA et Abdallah S. DAAR, « The Case for Publicly Funded Research on the Ethical, Environmental, Economic, Legal
and Social Issues Raised by Nanoscience and Nanotechnology (NE3LS) », Health Law Review, vol. 12, no 3, 2004.

117
Avis de la Commission de l’éthique de la science et de la technologie

IV. Gouvernance, mondialisation et équité


• Quel sera l’impact des nanotechnologies sur les pays en développement ainsi que sur les communautés margi­na­
lisées du Canada ?
• Comment s’assurer que les bénéfices des nanotechnologies seront partagés de façon équitable avec les populations
des pays en voie de développement et les communautés moins nanties du Canada ? Comment éviter que se creuse
un fossé nanotechnologique ?
• Y a-t-il une place pour le partage des bénéfices dans un contexte de commercialisation des nanotech­nologies ?
V. Enjeux philosophiques et éthiques
• Quels sont les enjeux philosophiques plus larges qui doivent être évalués dans le cadre du développement des
nanotechnologies ?
• Quels seront les impacts des nanotechnologies sur les perceptions et les définitions de ce qui est normal, tant sur
le plan de la santé que de la maladie ?
• Comment et dans quels domaines les nanosciences et les nanotechnologies risquent-elles de perturber les concep­
tions traditionnelles de la vie privée et de la confidentialité ?
VI. Enjeux liés aux applications spécifiques
• Quels sont les usages militaires anticipés des nanotechnologies ? De quelle manière ces usages devraient-ils être
encadrés ?
• Quelles sont, en santé, les applications potentielles des nanotechnologies ? Quels défis risquent-elles de poser sur
les plans éthiques, légaux et sociaux ?
• Quelles sont les applications possibles des nanotechnologies relativement aux handicaps et à l’amélioration des
capacités ? Quels effets ces applications auront-elles sur la société ?

118 Éthique et nanotechnologies :


Se donner les moyens d’agir
Les activités de consultation
et d’information de la Commission

Experts entendus dans le cadre de présentations au comité de travail


Dr François A. Auger, directeur du Laboratoire d’organogenèse expérimentale (LOEX)
Sylvain Cofsky, directeur du développement industriel et régional, NanoQuébec
Peter Grütter, professeur-chercheur, Département de physique, Université McGill ; directeur scientifique de NanoPic
(CRSNG)
Mark Hunyadi, professeur-chercheur, Faculté de philosophie, Université Laval
Andrée-Lise Méthot, présidente-directrice générale, Fonds d’investissement en développement durable
Claude Ostiguy, directeur des opérations, Service de soutien à la recherche et à l’expertise, Direction de la recherche
et de l’expertise, Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail
Adrien Pilon, directeur du Secteur de l’environnement, Institut de recherche en biotechnologies, Conseil national
de recherches Canada
André Van Neste, vice-président technologie et cofondateur de Nanox (Québec)
Patrick Vermette, professeur-chercheur, Département de génie chimique, Laboratoire de bio-ingénierie et de
biophysique, Université de Sherbrooke
Normand Voyer, professeur-chercheur, CREFSIP – Centre de recherche sur la fonction, la structure et l’ingénierie
des protéines, Université Laval

En avril 2006, les personnes suivantes ont accepté de procéder à une lecture
critique d’une première version du rapport du comité de travail
Kevin Fitzgibbons, directeur général, Bureau du conseiller national des sciences, Gouvernement du Canada
Céline Lafontaine, professeure adjointe, Faculté des arts et des sciences, département de sociologie, Université de
Montréal
Claude Ostiguy, directeur des opérations, Service de soutien à la recherche et à l’expertise, Direction de la recherche
et de l’expertise, Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail
La Commission remercie toutes ces personnes pour la collaboration qu’elles ont apportée à sa réflexion et à
l’enrichissement du contenu de son avis.

119
Avis de la Commission de l’éthique de la science et de la technologie

Participation à des événements


• Forum NanoQuébec, 26 mai 2005, Montréal : Les nanotechnologies en réponse aux défis de l’industrie
Communication de la présidente de la CEST dans le cadre du panel sur le développement responsable de
l’industrie : « Éthique, nanoscience, nanotechnologies »
• Nanoforum 2005, 15 juin 2005, Université McGill (Montréal)
• Congrès annuel de l’ACFAS, colloque de NanoQuébec, 16 mai 2006, Université McGill (Montréal) : Les nanotech­
nologies : formation et éthique
Communication du président du comité de travail : « Bilan des travaux de la CEST sur les enjeux éthiques des
nanotechnologies »
• Quatrième atelier annuel sur la nanomédecine, 19-20 juin 2006, Université d’Alberta (Edmonton)
• Nanoforum Canada : 3e forum canadien sur la nanoscience et la nanotechnologie, 20-22 juin 2006, Université
d’Alberta (Edmonton)
Communication de la secrétaire du comité de travail : « Responsible development of nanotechnology : a perspective
from Québec’s Commission de l’éthique de la science et de la technologie »

120 Éthique et nanotechnologies :


Se donner les moyens d’agir
Les membres de la Commission de l’éthique
de la science et de la technologie*

Présidente Michèle S. Jean


Centre de recherche en droit public
Me Édith Deleury Université de Montréal
Professeure – Faculté de droit Présidente de la Commission canadienne
Université Laval pour l’UNESCO

Membres Johane Patenaude


Professeure (éthique)
Patrick Beaudin Faculté de médecine
Directeur général Université de Sherbrooke
Société pour la promotion de la science
et de la technologie François Pothier
Professeur
Louise Bernier Faculté des sciences de l’agriculture et de l’alimentation
Doctorante en droit (bioéthique, génétique et droit) Université Laval
Université McGill
Eliana Sotomayor
Sabin Boily Travailleuse sociale
Consultant Valorisation-Innovation Doctorante à l’Université de Montréal
Dr Pierre Deshaies (un siège vacant)
Médecin spécialiste en santé communautaire
Chef du département clinique de santé publique Membres invités
Hôtel-Dieu de Lévis
Geneviève Bouchard
Hubert Doucet Sous-ministre adjointe
Professeur de bioéthique Direction générale des politiques
Faculté de médecine et Faculté de théologie Ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale
Université de Montréal (Québec)
Benoît Gagnon Me Danielle Parent
Chercheur Avocate
Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques Bureau du Commissaire au lobbyisme du Québec
et diplomatiques (UQAM)
Doctorant à l’Université de Montréal
Coordonnatrice
Jacques T. Godbout
Diane Duquet
Sociologue
Institut national de la recherche scientifique –
Urbanisation, Culture et Société

* Au moment de l’adoption de l’avis.

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