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Cours de DAB Du PR Karim DOSSO

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COURS DE DROIT ADMINISTRATIF DES BIENS

Par DOSSO Karim, Maître de Conférences CAMES de droit


public, Enseignant chercheur à l’Université Alassane Ouattara de
Bouaké

DAB I LA PROPRIETE PUBLIQUE

INTRODUCTION

Le cours de droit administratif des biens se situe dans le


prolongement du cours de droit administratif général. Droit des
privilèges ou du déséquilibre, le droit administratif est défini comme
l’ensemble des règles spéciales applicables aux activités des
personnes publiques. Dès lors, évoquer l’idée d’un cours de droit
administratif des biens, revient à examiner le régime spécifique
applicable aux biens de l’administration. Pour ce faire, et avant d’aller
plus loin dans la réflexion, il importe de préciser son objet d’une part
et, d’autre part de faire un bref rappel historique de l’évolution des
biens publics.

I- L’objet du droit administratif des biens

Comme indiqué précédemment, le droit administratif des biens


se situe dans le prolongement du cours de droit administratif général.
Comme le droit administratif général, le droit administratif des biens
se compose de règles juridiques spécifiques. La spécificité de ces
règles est liée à la qualité de certains intervenants (la personne
publique) et à la finalité de leur intervention (la satisfaction de
l’intérêt général).

Le droit administratif des biens est, en effet, le lieu privilégié


d’exercice des prérogatives de puissance publique. Ces prérogatives
prennent des formes diverses. On peut citer, à titre d’exemple, les
règles relatives à l’occupation du domaine public (la situation précaire

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de l’occupant du domaine public), l’atteinte au droit de propriété des
administrés par le régime de l’expropriation pour cause d’utilité
publique. On peut citer également la procédure d’alignement qui
permet à l’administration de constater les limites existantes d’une
voie et d’y apporter, éventuellement, des modifications. On note
également la compétence de principe du juge administratif dans un
système de dualité de juridictions. Il faut, toutefois, indiquer que le
droit administratif des biens n’est pas soumis exclusivement au droit
public et à la compétence du juge administratif. Le droit privé et la
compétence du juge judiciaire ne sont pas à exclure. C’est le cas
notamment en ce qui concerne la phase judiciaire de l’expropriation
pour cause d’utilité publique. Il en va de même de la gestion du
domaine privé de la personne publique.

Le droit administratif des biens intéresse donc les moyens


matériels et même immatériels dont disposent les personnes
publiques dans la réalisation de leurs activités ou missions
respectives. Ce cours vise donc à examiner les règles applicables aux
biens des personnes publiques (État-collectivité territoriale-
Établissement public). L’objet du cours de droit administratif des
biens étant précisé, il convient d’esquisser, à ce stade du propos, un
rappel historique nécessaire à la compréhension de ce qui vient d’être
dit ci-dessus.

II- Rappels historiques

Le domaine des personnes publiques se divise en deux


catégories : le domaine public et le domaine privé. Cette distinction
actuelle est le résultat d’un processus historique qu’il importe de
rappeler. Après quoi, la valeur de cette distinction ainsi que l’évolution
même du domaine public seront analysées.

A- L’origine ou la genèse de la distinction domaine public-


domaine privé

Trois périodes peuvent être distinguées :

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-la période de l’Ancien Régime ;

-la période révolutionnaire ;

-la période du Code civil.

1- La période de l’Ancien Régime

Sous l’Ancien Régime, la distinction domaine public et domaine


privé était méconnue. Il n’existait, en réalité, qu’une seule catégorie
de biens du royaume appelés le domaine de la couronne. Ce domaine
était naturellement géré par le roi. Mais devant la mauvaise gestion
faite par la royauté, l’incapacité juridique du roi de disposer des biens
du royaume fût posée. Tel est l’objet de la fameuse règle de
l’inaliénabilité du domaine de la couronne qui sera érigé au rang de loi
fondamentale du royaume. Il en va de même pour le principe de
l’imprescriptibilité. Ces biens, à l’origine patrimoine privé du Roi ou
non appropriés, ont été soumis peu à peu à peu à un régime juridique
particulier destiné à assurer leur protection vis-à-vis des tiers et –
au moins en principe – vis-à-vis du Roi. (Édit de juin 1539, ordonnance
de Moulins de 1566).Il s’agissait, à travers ces principes, de dissocier,
sur le plan politique comme patrimonial, l’exercice de la souveraineté,
de la personne du souverain, la fonction royale de celui qui l’incarne.
Une l’évolution notable interviendra avec la Révolution.

2- La période révolutionnaire

La période révolutionnaire constitue une étape importante dans


l’histoire de la distinction domaine public-domaine privé. En effet, Le
problème du domaine fût un des premiers évoqués par les Assemblées
révolutionnaires. Dans ce cadre, et dès octobre 1789, un Comité du
domaine est installé. Les travaux de ce Comité vont aboutir à
l’élaboration du décret des 22 novembre et 1 er décembre 1790. Aux
termes de ce texte, le domaine de la Couronne devient le domaine
national. L’article 1 de ce texte mérite alors d’être rapporté : « Le

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domaine national proprement dit s’entend de toutes les propriétés
foncières et de tous les droits réels ou mixtes qui appartiennent à la
nation, soit qu’elle en ait la possession et la jouissance actuelles, soit
qu’elle ait seulement le droit d’y rentrer par voie de rachat, droit de
réversion ou autrement. L’article 2 ajoute : « Les chemins publics, les
rues et places des villes, les fleuves et rivières navigables, les
rivages, lais et relais de la mer, les ports, les havres, les rades, etc.,
et en général toutes les portions du territoire national qui ne sont pas
susceptibles d’une propriété privée, sont considérés comme des
dépendances du domaine public ».

On le voit, il s’agissait de l’ensemble de toutes les propriétés


foncières et droits réels ou mixtes appartenant à la Nation. Mais
l’évolution décisive interviendra avec le Code civil.

3- La période du Code civil

Après la Révolution, le Code civil de 1804 consacre quelques


dispositions au domaine (articles 538 à 541 du Code civil). Le Code
civil retient la dénomination de domaine public en lieu et place du
domaine national. C’est à partir de cette notion de domaine public
évoquée par le Code civil de 1804 que la doctrine civiliste va découvrir
par, interprétation, deux catégories de domaines : domaine public et
domaine privé. En fait, Proudhon et de nombreux auteurs du XIXe
siècle ont soutenu que le Code civil consacrait la distinction du
domaine public et du domaine privé. L’idée première de la distinction
paraît avoir été dégagée de l’examen de l’article 538 du Code civil. En
déclarant certains biens (cours d’eau navigables, routes, etc.)
insusceptibles de propriété privée, le législateur ne les avait-il pas
par-là rendus inaliénables ? Ce point de vue, exprimé de manière plus
ou moins précise par certains commentateurs du Code civil
(Delvincourt, Duranton), a pu aussi influencer certaines décisions de
jurisprudentielles.

La première formulation précise de la distinction apparaît chez


Pardessus (Traité des servitudes, 1er éd., 1806). Des domaines

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nationaux susceptibles d’appropriation privée et productifs de
revenus, il distingue le domaine public « consacré par nature à l’usage
de tous et au service général ». Le domaine public lui paraît
inaliénable, imprescriptible et insusceptible de servitude.
La distinction fut reprise et systématisée par Victor Proudhon
(Traité du domaine public, 1833), doyen de la Faculté de Dijon. Pour
lui, le domaine public, matériellement considéré, s’entend des choses
qui appartiennent à l’être moral et collectif que nous appelons le
public comme le domaine privé s’entend des choses qui appartiennent
aux différents particuliers. Affinant l’analyse Prudhon, estime que le
domaine qui appartient aux particuliers est un domaine de propriété,
ou en d’autres termes, c’est le domaine des choses qui appartiennent
à leurs maitres privativement à tous autres, attendu que la propriété
consiste dans ce qui nous est propre, à l’exclusion de tous autres ; et
cela s’applique également aux choses appartenant aux communes ou à
l’État, qui comme êtres moraux et collectifs, possèdent aussi leurs
biens à l’exclusion de tous autres.
En réalité, à l’intérieur du domaine national, Proudhon met à part
le domaine public « ensemble des choses lui sont publiques comme
asservies par les dispositions de la loi civile aux usages de tous ». Ce
domaine improductif (« domaine de protection ») comprend des biens
affectés à « l’utilisation publique » Proudhon y fait même rentrer des
biens affectés à des services publics comme les prisons. .Du fait de
leur consécration à l’utilité publique, ces biens sont inaliénables et
imprescriptibles, au moins tant que dure cette destination d’intérêt
général.
À ce domaine s’opposent les biens « qui appartiennent
prioritairement à la communauté qui jouit comme les particuliers
jouissent de leurs biens ». Il s’agit du domaine privé, « domaine de
profit », composé de biens productifs.
La conception dégagée par Proudhon devait très rapidement être
adoptée par la doctrine. Les auteurs qui ne faisaient aucune allusion à
la distinction (Cormenin, Gerando, etc.) y font place dans les nouvelles

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éditions de leurs ouvrages et toute la doctrine ultérieure en fait un
élément essentiel de l’étude des biens publics.
Dès le milieu du XIXe siècle, des décisions de jurisprudence
commencent à utiliser la théorie du domaine public en y attachant les
conséquences proposées par la doctrine, inaliénabilité et
imprescriptibilité1. À la fin du siècle, la distinction est consacrée de
manière constance par la jurisprudence.

La distinction du domaine public et du domaine privé devait


également trouver sa caution dans les textes. L’expression domaine
public au sens moderne a été utilisée pour la première fois par la loi
du 16 juin 1851 sur la constitution de la propriété foncière en Algérie.
En Côte d’Ivoire, cette distinction sera consacrée en Côte
d’Ivoire par le décret du 09 juillet 1900 modifié par celui de 1904 et
par le décret du 29 septembre 1928 qui encore en vigueur. Cette
distinction ainsi dégagée est-elle absolue ? C’est la question de la
valeur de la distinction domaine public-domaine privé.

B-La valeur de la distinction

La distinction du domaine public et du domaine privé a été soumise


au feu de nombreuses critiques. En dépit de la pertinence de ces
critiques la distinction est maintenue

1-Les principales critiques formulées contre la distinction domaine


public-domaine privé

Les principales réserves à la pertinence de la distinction sont


les suivantes.

D’une part la distinction établirait une discrimination entre les


biens publics en fonction de leur destination, ou de leur absence de
destination, d'intérêt général. Or, cette opposition de deux masses
de biens publics fondée sur leur finalité est à bien des égards
contestables. En effet, dès lors qu'un bien appartient à une personne
publique, il ne peut être considéré comme étranger à l'intérêt général
et sa gestion n'est pas exactement assimilable à celle des biens de

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particuliers. En fait, le domaine privé comporte dans une large mesure
une fonction d'intérêt général. Il n'existe donc pas entre les deux
univers une opposition fonctionnelle extrêmement tranchée.

La deuxième réserve prend place dans la théorie de l’échelle de


domanialité publique proposée par Léon Duguit. Cette théorie part du
constat que le régime juridique des dépendances domaniales n'est pas
uniforme, ni même binaire ; celui de certaines catégories de biens se
rapprochant du régime de la propriété privée, alors que d'autres en
sont beaucoup plus éloignées. En conséquence, l'auteur ne pouvait que
conclure à l'inadaptation de la théorie de la domanialité publique en
ce qu'elle impose de classer, de gré ou de force, tous les biens dans
deux catégories distinctes puisque cela ne correspond pas à la
diversité des régimes juridiques des différents types de
dépendances domaniales.

Proche de Léon Duguit sur le principe d'une gradation du


caractère public de la domanialité des biens appartenant aux
personnes publiques, Jean-Marie Auby va finaliser la théorie. D'une
part, parce qu'il y intègre l'ensemble des biens détenus par les
personnes publiques, supprimant ainsi toute nécessité de l'existence
d'un domaine privé. L'échelle classe les biens publics « selon qu'ils
comportent un maximum d'exorbitance à ceux pour lesquels les règles
de droit public sont peu nombreuses (elles ne sont jamais
complètement absentes) » (J.-M. Auby, Contribution à l'étude du
domaine privé de l'administration, EDCE 1958, p. 35-57 et Le
problème de la domanialité des immeubles affectés à un service
public, Mélanges Laborde-Lacoste, 1963, p. 11-28). D'autre part,
parce qu'il ne limite pas le nombre de catégories de biens,
permettant ainsi une évolution nécessaire dans la perception de la
domanialité publique. (Voir également sur la question, F. Melleray,
L'échelle de la domanialité, Mélanges en l'honneur de F. Moderne,
Dalloz, 2004, p. 287-300; P. Yolka, La propriété publique. Éléments
pour une théorie, thèse, LGDJ 1997, p. 529535 pour qui la théorie de
l'échelle de la domanialité est une proposition «de l'ordre du songe

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»). En dépit de la pertinence de ces critiques, la distinction domaine
public- domaine privé reste d’actualité.

2-Maintien de la distinction

La distinction du domaine public et du domaine privé a résisté à


ces différentes vagues de critiques. Elle est en effet toujours le
fondement de la détermination des règles de compétence
juridictionnelle et de fond applicables aux divers biens meubles et
immeubles des personnes publiques. Les textes et la jurisprudence
continuent à s'appuyer sur elle. Sous ce rapport, le régime juridique
du domaine public comporte, en effet des règles qui sont
inapplicables au domaine privé. Il en va par exemple, du principe de
l’aliénabilité du domaine public. Il en va de même de la compétence
juridictionnelle pour laquelle le principe est, dans un cas,
l’intervention du juge administratif, -domaine public- dans l’autre,
celle du juge judiciaire-domaine privé.

C-L’évolution du domaine public

Pendant longtemps, le domaine public a été considéré comme un


bien improductif. Il n’était qu’un pur objet de police administrative ;
soumis, naturellement aux contraintes de l’ordre public. Le domaine
public était alors marqué ou caractérisé par l’idée de conservation et
de sauvegarde du patrimoine public dans l’intérêt de la collectivité.
Mais, l’évolution du domaine public donne de voir, qu’à l’idée de
conservation et de sauvegarde va s’ajouter l’idée de valorisation des
propriétés publics. En fait, l’abandon de la théorie de la garde
amènera à considérer le domaine moins comme un espace soumis au
seul pouvoir de police que comme un patrimoine à exploiter et même à
valoriser. Ainsi allait prospérer dans la première partie du XX e siècle
l’idée de gestion domaniale, de gestion non plus seulement du domaine
privé mais aussi voire surtout du domaine public car, de par son
affectation publique, il est susceptible d’attirer une plus grande
clientèle et d’offrir une meilleure rentabilité. Cette idée de
valorisation consiste à favoriser ou à promouvoir l’exploitation

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économique du domaine sans remettre en cause celle de l’affectation
à l’utilité publique. Cela se traduit concrètement par la multiplication
des occupations privatives non gratuite du domaine public. L’on
découvre en fait, la dimension patrimoniale du domaine public, source
de richesse, grâce à la contrepartie versée par les utilisations
privatives du domaine.

Désormais assiette d’un nombre toujours croissant de services


publics, le domaine public est devenu un bien dont l’administration
doit toujours assurer la meilleure exploitation dans l’intérêt collectif.

III- De la nature des droits détenus par les personnes publiques


sur les biens domaniaux

Les personnes publiques sont-elles propriétaires au sens du


Code civil ? Cette question a fait l’objet d’une controverse doctrinale.
Cette controverse va s’apaiser, par la suite, avec la reconnaissance de
la particularité du droit de propriété des personnes publiques.

A- La controverse doctrinale

Sur la question de la nature des droits détenus par les


personnes publiques sur les biens domaniaux, deux positions
doctrinales ont été défendues. La première, promue ou défendue par
PROUDHON, a nié le droit de propriété de la personne publique.
Quant à la seconde, sous l’impulsion du Doyen HAURIOU, elle défend
l’existence d’un droit de propriété des personnes publiques.

1- La négation du droit de propriété des personnes publiques

Pour nier l’existence d’un droit de propriété des personnes


publique, PROUDHON part s’un postulat simple. ; « affectés à l’usage
de tous, les biens du domaine public ne peuvent appartenir à personne
».En d’autres termes, le domaine public est constitué des portions du
territoire dont la propriété n’est à personne et l’usage commun à tous.
D’aucuns soutenaient que le domaine public est constitué de biens qui
ne sont pas susceptibles de propriété privée.

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Au soutien de leur thèse, cette partie de la doctrine met en
avant le caractère exclusif et patrimonial du droit de propriété. Ce
caractère exclusif suivant lequel nul autre que le maitre de la chose,
n’a le droit de participer à la jouissance de sa propriété, ne peut
convenir aux biens qui composent le domaine public, puisque chacun a
également et au même titre le droit d’en jouir suivant leur
destination. Le domaine public n’appartiendrait à personne, ni même
pour l’État. Il en va ainsi puisque nul n’est exclu de la jouissance du
bien. En réalité, L’État n’a, sur le domaine, qu’un simple droit de garde
et de surintendance.

Plus exactement, cette partie de la doctrine estimait que les


prérogatives habituelles d’un propriétaire (user, jouir, disposer) ne
ressortent pas dans la maîtrise exercée par la personne publique sur
le domaine public. En effet, l’administration n’aurait pas l’usus parce
que le domaine public est affecté à l’usage de tous. Elle n’aurait pas le
fructus en ce que l’utilisation du domaine public est gratuite.
L’administration n’aurait pas l’abusus, car par nature, les biens du
domaine public sont inaliénables. Cette position a été vigoureusement
contestée par d’autres auteurs.

2- La reconnaissance du droit de propriété des personnes


publiques

C’est le Doyen HAURIOU qui va démontrer de façon


convaincante que les personnes publiques possèdent un véritable droit
de propriété sur leur domaine. Le doyen HAURIOU écrit en effet : «
Nul ne nie le droit de propriété des personnes publiques sur leur
domaine privé. La désaffectation d’une dépendance (partie d’un bien)
du domaine public fait passer celle-ci dans le domaine privé. Comment
l’administration serait-elle propriétaire de ces biens quand ils font
partie du domaine privé si elle ne l’était pas déjà quand ils
constituaient une dépendance du domaine public ». S’appuyant
également sur les trois éléments du droit de propriété, Maurice
HAURIOU prend le contrepied de la thèse négationniste.

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En réalité, l’administration a l’usus, car le bien du domaine public
peut être utilisé par l’intermédiaire d’un service public organisé par
l’administration. L’administration a également le fructus, par cela seul
que de plus en plus, elle perçoit des redevances en contrepartie de
l’utilisation du domaine public. L’administration a enfin l’abusus car,
lorsqu’un bien passe du domaine public au domaine privé, elle peut le
céder, le vendre. C’est cette position doctrinale qui a été consacrée
par le droit positif. Ainsi en Côte d’Ivoire, les textes consacrent la
propriété des personnes publiques. C’est le cas par exemple de la loi
n°2003-489 du 26 décembre 2003 portant régime financier, fiscal et
domanial des collectivités territoriales. Cette loi indique, clairement,
que la commune est propriétaire des biens du domaine public et du
domaine privé. La Constitution ivoirienne consacre quelques
dispositions à la propriété publique. Il en va ainsi de l’article 12 de la
Constitution du 8 novembre 2016 qui dispose que : « Seuls l’État, les
collectivités publiques… peuvent accéder à la propriété foncière
rurale. ». Quand l’article 44, elle dispose que « Les biens du domaine
public sont inviolables. Toute personne est tenue de les respecter et
de les protéger ». Il ressort de ces différents textes que le droit de
propriété des personnes publiques ne souffre d’aucun doute
aujourd’hui. Mais en réalité, l’administration est-elle un propriétaire
ordinaire ?

B- Le particularisme du droit de propriété des personnes


publiques sur le domaine public : la propriété publique

Le droit de propriété de l’administration sur son domaine a été


consacré par la jurisprudence et les textes. L’on va alors s’interroger
sur le point de savoir si cette propriété est identique à celle du Code
civil ?

Des auteurs, notamment Maurice Hauriou, contestèrent la


conception proudhonienne de la doctrine dominante qui ne
reconnaissait qu’un droit de garde aux personnes publiques sur le
domaine public. Dès la première édition de son Précis, en 1892, il
affirma que la nature de leur droit sur le domaine public était un

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droit de propriété, même si ce droit avait une coloration particulière
en raison de l’affectation grevant le domaine. Ainsi donnait-il
naissance à la notion de propriété publique ou administrative. Dans
cette perspective doctrinale, deux grands arrêts du Conseil d’État, en
19091 et 19232, seront retenus comme consacrant l’existence du droit
de propriété des personnes publiques sur leur domaine public

Il ressort des caractéristiques de la propriété publique que


l’Administration est un propriétaire particulier. En fait, les
prérogatives et les sujétions totalement inconnues dans le cadre de la
propriété au sens du Code civil, accrédite l’idée de la particularité du
droit de propriété des personnes publiques. En témoigne la procédure
d’alignement qui est une procédure de délimitation unilatérale du
domaine public. Il en va également de l’utilisation par L’administration
des mesures spéciales pour la protection du domaine public. Sous ce
rapport, elle peut imposer des servitudes administratives aux
propriétés riveraines du domaine public.

En termes de sujétion de puissance publique, il pèse sur


l’administration l’obligation de mettre ses biens domaniaux à la
disposition des administrés. On peut noter également, l’obligation
pour l’Administration d’accorder des droits particuliers aux riverains
des voies publiques (les aisances de voirie).

Au regard de ce qui précède, il apparait clairement que la


propriété des personnes publiques n’est pas assimilable à celle des
personnes privées.

L’examen en profondeur de ces éléments suggère deux axes


d’analyse : Il s’agira dans une première partie d’évoquer le domaine
des personnes publiques (Partie I) et dans une seconde partie
d’étudier les règles applicables au domaine public (Partie II).

1
CE 16 juillet 1909, Ville de Paris, Rec. CE, p. 707, Concl. TEISSIER ; S. 1909. III. 98, note M. H (...)
2 CE 17 janvier 1923, Piccioli, Rec. CE, p. 44.

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PARTIE I : LE DOMAINE DES PERSONNES PUBLIQUES

On entend généralement par biens publics les biens appartenant


aux personnes publiques. Il est incontestable, et venons de le voir,
que l’administration ou la personne publique est propriétaire de biens
domaniaux. Ces biens publics peuvent être classés de différentes
manières. On peut les distinguer, par exemple, selon la personne
publique qui en est la propriétaire : bien de l’État, des communes. Une
autre distinction plus cohérente oppose les biens affectés à l’usage
du public ou au service public et les biens non affectés.

Mais l’opposition fondamentale est celle qui résulte de la


distinction domaine public et domaine privé. En fait, le patrimoine des
personnes publiques (État, collectivités territoriales et établissement
public) est constitué de biens mobiliers et immobiliers. Ces biens
appartiennent soit au domaine public, soit au domaine privé.

CHAPITRE I : LE DOMAINE PUBLIC

Le patrimoine des personnes publiques, répétons-le, est


nécessairement partagé en deux catégories : domaine public et le
domaine privé. Relativement au domaine public, des questions
surgissent inévitablement. Elles se rapportent à sa définition et à sa
consistance.

Section I : La notion de domaine public

Le droit comparé notamment le droit français va constituer un


pan de la démonstration. Comme indiqué dans l’introduction, c’est le
Code civil de 1804 qui évoque, pour la première fois, la notion de
domaine public. Cependant, le législateur n’avait pas donné une
définition convaincante et opératoire du domaine public. Cette lacune
législative va être comblée par la doctrine et la jurisprudence
françaises. Celles-ci vont donner un contenu à la notion. En Côte

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d’Ivoire, contrairement à la situation française, la définition du
domaine public résulte d’un texte.

Paragraphe I : La notion de domaine public, une construction


jurisprudentielle en droit français

La part de la jurisprudence dans la construction de la notion est


fondamentale. C’est le cas surtout en France où la définition du
domaine publique est d’origine jurisprudentielle. Il importe de noter
cependant que le code général de la propriété des personnes publique
a repris les critères dégagés par le juge. Il ressort de l’article L.
2111-1 » sous réserve de dispositions législatives spéciales, le domaine
public d’une personne publique… est constitué des biens lui
appartenant qui sont soit affectés à l’usage direct du public, soit à un
service public pourvu qu’en ce cas ils fassent l’objet d’aménagement
indispensable à l’exécution des missions de ce service public »

De façon générale, un bien fait partie du domaine public s’il


appartient à une collectivité publique et s’il est affecté à une
destination d’intérêt général. Pour caractériser le domaine public, le
juge français retient deux critères :

-Un critère organique (L’appartenance du bien à une personne


publique)
-Un critère matériel (L’affectation du bien à un intérêt général)

A- le critère organique : L’appartenance du bien à une personne


publique

Ce critère est issu d’une jurisprudence constante, selon laquelle


seules les personnes publiques peuvent être propriétaire d’un domaine
public. Le domaine public comprend uniquement des biens sur lesquels
les personnes publiques ont des droits particuliers. Après de longues
controverses, ces droits sont considérés aujourd'hui comme des
droits de propriété. Il en résulte que des biens appartenant à une
personne privée ne peuvent faire partie du domaine public. La

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jurisprudence consacre formellement cette solution, qui s'applique
même si le bien privé est affecté à l'utilité publique.

1-L’inexistence d’un domaine public dans le patrimoine d’une


personne privée

Le Domaine public est exclusif de toute appropriation privée.


C’est dire qu’une personne privée ne peut disposer dans son
patrimoine un bien appartenant au domaine public. En fait, peuvent
seuls être compris dans le domaine public, les biens qui appartiennent
en pleine propriété aux personnes publiques. La jurisprudence est
constante sur ce point. Ainsi, un pont construit par des particuliers et
emprunté par les riverains ne peut appartenir au domaine public.
C’est ce qui ressort de l’arrêt du Conseil d’État 10 mars 2021
Commune de Yopougon c/ Madame Nanan Annie Esther Stéphanie née
Kamenan. Ainsi un pont un cimetière appartenant à des groupements
privés ne saurait faire partie du domaine public.

Le droit français offre également plusieurs exemples


révélateurs. En effet, il ressort du CE 27 mai 1964 Chèvre) un pont
appartenant à une personne privée, même ouverte à la circulation
publique ne saurait faire partie du domaine public même s’il traverse
une rivière qui appartient au domaine public. Dans le même sens, le CE
français considère même qu’un bien appartenant en copropriété à une
personne publique et une personne privée ne saurait faire partie du
domaine public (CE 11 février 1994, compagnie assurance la
préservatrice foncière). Voir également CE 21 octobre 1955, Méline ;
CE 27 octobre 2009, Société Trans Côte d’Azur, île Saint-Honorat.

2- Les personnes publiques titulaires d’un droit de propriété sur


le domaine public

Toutes les collectivités publiques peuvent posséder un domaine.


Un tel droit a été pendant longtemps réservé à l’État et aux
collectivités territoriales. La possibilité pour les établissements
publics d’avoir un domaine public était contestée par la doctrine et la

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jurisprudence. L’évolution s’amorça avec l’arrêt MANSUY du 21 MARS
1984 où Conseil d’État reconnait de façon claire la possibilité pour les
établissements publics d’être propriétaires d’un domaine public. Il
s’agit d’un véritable droit de propriété qui bénéficie d’une protection
particulière. La personne publique dispose donc d’une certaine liberté
de gestion des biens de son domaine public. Elle peut, à ce titre,
concéder son utilisation à une personne privée dans le cadre d’un
contrat de délégation de services publics

B- Le critère matériel : l’affectation du bien à l’intérêt général

Le critère de l’appartenance du bien à une personne publique est


certes nécessaire, mais il reste insuffisant. En fait, en droit français,
le critère central de la domanialité publique est l’affectation, soit à
l’usage direct du public,-voirie, promenade- soit à un service public-
domaine public ferroviaire, aéroportuaire-militaire.. Avant d’examiner
les modalités de l’affectation, il importe au préalable de préciser la
notion d’affectation. Par ailleurs, l’examen de la question des
mutations domaniales permettra d’approfondir la réflexion.

1- La notion d’affectation

L’affectation est la destination du bien ou de la dépendance


domaniale. Article 190 du code de l’urbanisme, « Toute personne a le
droit de jouir paisiblement des dépendances du domaine public selon
l’usage auquel elles sont destinées et dans les limites fixées par les
lois et règlements en vigueur”. L’affectation est en fait concrétisée
par la réalisation effective de certains aménagements indispensables.
Elle détermine alors l’appartenance au domaine public. Cette
affectation est d’abord formelle en ce que résultant d’un acte
juridique unilatéral assignant au domaine public une destination. Elle
est ensuite matérielle en ce qu’elle constate que le bien est
effectivement utilisé par le public ou par l’intermédiaire d’un service
public

2- Les modalités de l’affectation

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Il existe deux modalités de l’affectation du bien :

-L’affectation à l’usage direct du public,

-L’affectation au service public.

2-a L’affectation à l’usage direct du public

À travers cette modalité, il s’agit de mettre ou de laisser les


biens publics à la disposition directe des usagers. En d’autres termes,
les biens sont utilisés par les usagers sans passer par l’intermédiaire
d’un service public. Les biens considérés sont donc destinés à être
utilisés directement et en eux-mêmes par les particuliers. Il s'agit de
biens destinés à être utilisés directement et en eux-mêmes par les
particuliers. L'utilisation peut être le fait du public, c'est-à-dire
d'une catégorie générale d'usagers (voies publiques, fleuves), mais il
peut y avoir aussi sur ces biens des utilisations privatives portant soit
sur des dépendances affectées normalement à l'usage public
(permissions ou concessions de voirie sur les voies publiques), soit sur
les dépendances affectées essentiellement à des usages privatifs
(par ex. concessions funéraires).. Ce critère a été consacré par
l’arrêt MARECAR du 28 juin 1935 en ces termes : « Considérant qu’un
cimetière communal est affecté à l’usage du public… il doit être dès
lors compris dans les dépendances du domaine public communal ».

D’autres biens publics, par contre, sont orientés vers un usage


collectif du public. Il en est ainsi des voies publiques, des rivages de
la mer.

2-b-L’affectation des biens à un service public

L’affectation à un service public consiste à affecter le bien à un


service public, exclusivement ou essentiellement au but particulier du
service public considéré. L'expression service public dans le critère
ici examiné doit être prise au sens très large : celui d'une activité
d'intérêt général exercée sous l'autorité d'une personne publique.
Dans l'affaire Société Le Béton 128 le Conseil d'État a reconnu le

P a g e 17 | 142
caractère domanial de terrains, loués à des industriels, et dépendant
d'un port fluvial concédé à l'Office de la navigation ; il a été décidé
que l'objet du service public concédé à l'Office étant notamment
l'organisation d'un port, les terrains loués à des industriels étaient
affectés à la réalisation de cet objet. Dans l'affaire Dauphin 129, il a
été décidé également que l'allée des Alyscans appartenant à la ville
d'Arles était affectée à un service public de caractère culturel et
touristique. Le Conseil d'État a admis encore qu'un garage destiné
aux usagers de la SNCF et placé sous un hôtel localisé dans une gare
contribuait à améliorer la qualité du transport des voyageurs et se
trouvait de ce fait affecté au service public du chemin de fer 130.

Le service public s’entend ici dans son sens matériel ou


fonctionnel, c’est-à-dire, une activité d’une personne publique
orientée vers la satisfaction d’un besoin d’intérêt général. Le bien ici
est utilisé non pas directement par les usagers, mais à travers un
service public. Si avant 1956 (arrêt société le béton) l’affectation à
un service public était une source directe de la domanialité publique.
La jurisprudence, à la suite de l’arrêt précité, exige que le bien
affecté à un service public fasse l’objet d’un aménagement spécial.
L’on peut alors s’interroger sur le contenu de la notion d’aménagement
spécial. Les arrêts qui consacrent l’aménagement spécial se réfèrent
à l’idée d’adaptation exclusive ou essentielle au but particulier du
service public. L’arrêt société le béton qui constitue l’arrêt de
principe indique : « Les terrains ont fait l’objet d’installation destinée
à les rendre propres à cet usage (fonctionnement du port industriel)
par leur raccordement aux voies fluviales, ferrées ou routières
».L’arrêt Dauphin est sur ce point beaucoup plus explicite, l’allée des
Alyscamps « est affecté à un service public de caractère culturel et
touristique et a fait l’objet d’aménagements spéciaux en vue de cet
usage ; ainsi cette allée a été incorporée au domaine public communal
». L’aménagement spécial est donc le résultat d’un travail concret de
l’administration. En un mot, c’est le lien privilégié qui rend le bien
nécessaire à l’accomplissement du service public.

P a g e 18 | 142
Ce critère de l’aménagement spécial remplacé en France par
celle d’aménagement indispensable. Le législateur du CGPPP étaient à
l'évidence animés du désir de restreindre le champ de la domanialité
publique des immeubles affectés aux services publics. D'où,
notamment, l'établissement d'une condition qui se veut plus stricte :
pour appartenir au domaine public, le bien ne doit plus seulement être
aménagé spécialement, il doit l'être selon des modalités «
indispensables » à l'exécution des missions du service public dont il
est l'instrument. À la vérité, la jurisprudence ne confirme pas que
l'appartenance au domaine public serait appréciée de manière
clairement plus stricte sur le terrain de l'aménagement. Un arrêt
admet que les ouvrages nécessaires au fonctionnement du service
public doivent être présumés dotés de l'aménagement indispensable
qui les fait entrer dans le domaine public : en réalité, il semble que,
d'une manière générale, l'affectation à un service public crée une
présomption d'aménagement indispensable. Un autre admet que les
pistes de ski sont dotées par essence de l'aménagement indispensable
nécessaire au service public industriel et commercial dont elles sont
l'instrument

On peut s’interroger, à ce stade de l’analyse, sur le point de


savoir si la Côte d’Ivoire a reconduit cette conception du domaine
public ?

Paragraphe II : La notion de domaine public, une œuvre


législative en droit ivoirien

Le domaine public est, aux termes de l’ordonnance 2016-588 du


3 août 2016 portant titre d’occupation du domaine public, l’ensemble
« des biens des personnes publiques qui ne sont pas classés dans le
domaine privé et qui sont soumis à un régime de droit public ». Mais
pour saisir concrètement la notion de domaine publique, cette
définition générale doit être mise en lien avec le décret du 29
septembre 1928 portant réglementation du domaine public et des
services d’utilité publique pour ce qui est du domaine public de l’État,

P a g e 19 | 142
et la loi de 2003 portant régime domanial, pour ce qui est des
collectivités territoriales.
A-La définition du domaine public de l’État
Il existe une définition par énumération complétée par une
définition synthétique.
1- La définition par énumération

La définition du domaine public résulte du décret du 29


septembre 1928 portant réglementation du domaine public et des
services d’utilité publique. Il s’agit, contrairement à la situation
française d’une définition textuelle. Dans l’arrêt du CSCA 27
décembre 2017, Agence de Gestion et de Développement des
infrastructures Industrielles dite A.G.E.D.I. C/ Conservateur de la
Propriété Foncière et des Hypothèque de Yopougon, le juge rappelle
qu’en Côte d’Ivoire, la définition du domaine public ne s’opère pas,
comme le soutiennent l’AGEDI et le Ministre de l’Industrie et des
Mines, à partir du critère jurisprudentiel de l’affectation à l’utilité
publique.
En effet, contrairement aux moyens invoqués par l’A.G.E.D.I et
le Ministre de l’Industrie et des Mines., l’affectation à l’utilité
publique ne peut, seule, suffire pour déterminer l’appartenance au
domaine public d’un bien domanial de l’État. Le juge note « qu’en Côte
d’Ivoire, le domaine public de l’État est défini par le décret du 29
septembre 1928 susvisé et par des textes législatifs ; que les Zones
Industrielles ne figurent pas dans l’énumération résultant de ce
décret ; qu’aucun texte législatif n’a classé les Zones Industrielles
dans le domaine public ;Considérant que les Zones Industrielles
aménagées par l’État qui ressortissent de son domaine privé et non de
son domaine public ne bénéficient pas des garanties d’inaliénabilité et
d’imprescriptibilité »
Il importe de noter que l’énumération des biens figurant à
l’article premier du décret démontre que, législateur colonial a été
porté ou guidé par le souci d’adapter le droit aux nécessités d’un pays
colonisé. Aussi va-t-il donner au domaine public une conception

P a g e 20 | 142
spécifique et simple. Il va définir la notion par un texte, évitant ainsi
les interminables controverses doctrinales. En effet, l’article 1 du
décret du 29 septembre 1928 dispose que :

« Font partie du domaine public dans les colonies et territoires de


l'Afrique-Occidentale française :
a. Le rivage de la mer jusqu'à la limite des plus hautes marées ainsi
qu'une zone de 100 mètres mesurée à partir de
cette limite ;
b. Les cours d'eau navigables ou flottables dans les limites
déterminées par la hauteur des eaux coulant à pleins bords avant de
déborder, ainsi qu'une zone de passage de 25 mètres de large à
partir de ces limites sur chaque rive et sur chacun des bords des
îles ;
c. Les sources et cours d'eau non navigables ni flottables dans les
limites déterminées par la hauteur des eaux coulant à pleins bords
avant de déborder :
d. Les lacs, étangs et lagunes dans les limites déterminées par le
niveau des plus hautes eaux avant débordement, avec une zone de
passage de 25 mètres de large à partir de ces limites sur chaque rive
extérieure et sur chacun des bords des îles ;
e. Les canaux de navigation et leurs chemins de halage, les canaux
d'irrigation et de dessèchement et les aqueducs exécutés dans un
but d'utilité publique, ainsi que les dépendances de ces ouvrages ;
f. Les chemins de fer, les routes, les voies de communication de
toute nature et les dispositifs de protection de ces voies, les
conduites d'eau, les conduites d'égouts, les ports et rades, les digues
maritimes et fluviales, les sémaphores, les ouvrages d'éclairage et de
balisage, ainsi que leurs dépendances ;
g. Les lignes télégraphiques et téléphoniques, ainsi que leurs
dépendances ;
h. Les ouvrages déclarés d'utilité publique en vue de l'utilisation
des forces hydrauliques et du transport de l'énergie électrique ;

P a g e 21 | 142
i. Les ouvrages de fortification des places de guerre ou des
postes militaires, ainsi qu'une zone large de 250 mètres autour de
ces ouvrages ;
j. Et généralement les biens de toute nature que le Code civil et
les lois françaises déclarent non susceptibles de propriété privée.
2- La définition synthétique

L’article 1 du décret du 29 septembre 1928 précité, à la suite


de l’énumération des biens appartenant au domaine public, ajoute au
point j la phrase suivante : « Et généralement les biens de toute
nature que le Code civil et les lois déclarent non susceptibles de
propriété privée ». La doctrine ivoirienne a vu dans cette disposition,
l’existence d’une définition synthétique complétant la définition par
énumération (KOBO Pierre — Claver).

Cette définition synthétique donne à penser que l’énumération


qui résulte du décret du 29 septembre 1928 est incomplète. En
réalité, avec cette définition synthétique, la porte est laissée
ouverte à la jurisprudence et la loi pour allonger la liste des
dépendances du domaine public.

Justement, le décret de 1928 est complété et préciser par


plusieurs textes ultérieurs. On peut citer la loi 2020 portant code de
l’urbanisme, l’ordonnance n°2008-08 du 23 janvier 2008 portant code
de l’aviation civile et loi 2019-675 du 23 juillet 2019 portant code
forestier et La loi 96-766 du 3 octobre 1996 portant code de
l’environnement.

En effet, aux termes de l’article 131 la loi n° 2020-624 du 14


août 2020 instituant code de l’urbanisme et du domaine foncier
urbain « les voies de communication, notamment la voirie, les voies
ferrées, les canaux de navigation, d’une part et les réseaux divers
notamment les systèmes de distribution d’eau, d’assainissement et de
drainage, les systèmes de distribution d’électricité et de gaz, les
oléoducs et réseaux téléphoniques, d’autre part, font partie selon le
cas, du domaine public de l’État ou des collectivités territoriales.

P a g e 22 | 142
Quant à L’article 7 de l’ordonnance n°2008-08 du 23 janvier 2008
portant code de l’aviation, il précise que le patrimoine aéronautique
national comprend :
• Les terrains des aérodromes et leurs clôtures ;

• Les aérodromes, leurs infrastructures de génie civil, installation


technique, bâtiments et ouvrages divers.

Il ressort de la loi 2019-675 du 23 juillet 2019 portant code


forestier, Le domaine forestier de l’État comprend un domaine public.
Ce domaine est composé aux termes de l’article 21 des réserves
naturelles intégrales, les parcs nationaux et les réserves naturelles
partielles. Les collectivités territoriales possèdent dans leur
patrimoine des biens du domaine public.

La loi 98-755 du 23 décembre 1998 portant code de l’eau


participe à la définition du domaine public. Aux de cette loi font
partie du domaine public hydraulique :

-Les ressources en eaux notamment

• les eaux de la mer territoriale,

• les cours d’eau navigables ou flottables dans les limites


déterminées par la hauteur des eaux coulant à plein bord avant de
déborder, ainsi qu’une zone de passage de 25 mètres de large à partir
de ces limites sur chaque rive et sur chacun des bords des îles,

• les sources et cours d’eau non navigables ni flottables dans les


limites déterminées par la hauteur des eaux coulant à plein bord
avant de déborder,

• les lacs, étangs et lagunes dans les limites déterminées par le


niveau des plus hautes eaux avant le débordement avec une zone de
25 mètres de large à partir de ces limites sur chaque rive extérieure
et sur chacun des bords des îles,

• les nappes aquifères souterraines.

P a g e 23 | 142
– Les aménagements et ouvrages hydrauliques installés sur
le domaine public, notamment :

• les canaux de navigation et leurs chemins de halage, les canaux


d’irrigation et de dessèchement et les aqueducs exécutés dans un but
d’utilité publique, ainsi que les dépendances de ces ouvrages,

• les conduites d’eau, les conduites d’égouts, les ports et rades,


les digues maritimes et fluviales, les ouvrages d’éclairage et de
balisage ainsi que leurs dépendances

-Les ouvrages déclarés d’utilité en vue de l’utilisation des forces


hydrauliques.

Enfin la loi 96-766 du 3 octobre 1996 portant code de


l’environnement considère que les cours d’eaux, les lagunes, les lacs
naturels, les nappes phréatiques, les sources, les bassins versants et
les zones maritimes appartiennent au domaine public de l’État.

B-La définition du domaine public des collectivités


territoriales

Cette définition résulte aujourd’hui de la loi n° 2003-489 du 26


décembre 2003 portant régime domanial des collectivités
territoriales. Aux termes de l’article 202, de cette loi, « le domaine
des collectivités territoriales comprend :

1. l'ensemble des biens, meubles et immeubles, constituant leur


domaine public
2. l'ensemble des biens, meubles et immeubles, du domaine privé
ainsi que les biens et droits incorporels dont les collectivités
territoriales sont propriétaires ». Ces différents éléments nous
amènent à voir concrètement la consistance du domaine public

Section II : La consistance du domaine public

Tout acte de classement ou d’incorporation d’un bien dans le


domaine public n’a d’autre effet que de constater l’appartenance de

P a g e 24 | 142
ce bien au domaine public. La classification des différentes
dépendances du domaine public peut s’opérer autour de plusieurs
critères. Il convient dès lors de voir ces critères de classification du
domaine public, d’analyser l’incorporation et la sortie d’un bien du
domaine public avant d’examiner la question des mutations domaniales.

Paragraphe I : Les critères de classification du domaine public

Les dépendances domaniales peuvent être présentées ou


classées selon leur affectation ou, contraire selon leur nature. En
raison de ce que la définition résulte en Côte d’Ivoire de la loi c’est ce
dernier critère qui retiendra notre attention. Dans cette perspective
on distingue le domaine public naturel du domaine public artificiel.

A- Le domaine public naturel

On doit entendre par DPN que les biens en cause ont pour
origine les phénomènes naturels et ne résultent pas de travaux
humains. Il en va aussi des rivages de la mer, de l’espace aérien, des
cours d’eaux.

Les principaux éléments qui constituent le domaine public


naturel :

 Le domaine public maritime


En Côte d’Ivoire comme en France, le domaine public maritime
appartient à l’État. Il est composé des rivages de la mer (c’est la
partie des terres recouvertes et découvertes par les mouvements de
la marée, plus une bande de 100m), le sol et le sous-sol de la mer
territoriale, les lais et relais de la mer. Sauf exception et
conformément au droit international, bien que l’État côtier exerce
sur les eaux territoriales des compétences de police, ces eaux ne
font pas partie du domaine public.

 Le domaine public fluvial (lac, étang, fleuve)

P a g e 25 | 142
Le domaine public maritime et domaine fluvial ne posent pas de
problème. La LOI N 98 -755 du 23 décembre 1998 portant code de
l’eau qui institue en son article 11, un ``domaine public hydraulique``
comprenant les eaux les eaux de la mer territoriale, les sources et
cours d’eaux non navigables ni flottables, les lacs, Etangs et lagunes,
les nappes aquifères souterraines, les conduits dégouts, les puits et
rudes, les digues…

 Il n’en va pas de même du domaine public aérien. Existe-t-


il un domaine public aérien?
Se fondant sur le code civil qui, dont selon une de ses
dispositions ( article 522) « la propriété du sol emporte celle du
dessus et du dessous » et aussi sur les conventions internationales de
Paris de 1999 et de Chicago de 1944 qui évoque la souveraineté
complète et exclusive de chaque État sur l’espace atmosphérique de
son territoire, certains courants de la doctrine ont vu dans l’espace
aérien un domaine public (c’est le cas de Laubadere, cf. son étude :
Réflexion d’un publiciste sur la propriété du dessus. A propos du
plafond légal de densité in Mélanges Marty. 1978. P.763 & suiv.),
alors que pour la grande majorité de la doctrine, il s’agit res nullius
(bien qui n’appartient à personne) ou, dans le meilleure des cas, un
espace de la souveraineté de l'État, avec l’exercice de pouvoir de
police.

Mais le débat a pris un ton plus novateur avec la communication


audiovisuelle et les questions soulevées par la qualité de l’espace
hertzien. L’espace hertzien est l’ensemble des milieux où peuvent se
propager et être captées les ondes radio. La loi française du 30 sept.
1986 modifiée par une loi du 17 janvier 1989 indique que l’utilisation
par les titulaires d’autorisations de fréquences radioélectrique sur le
territoire national constitue un mode d’occupation privative du
domaine public de L’État. Ce texte français qui attribue l’espace
hertzien a l’État et le classe dans le domaine public permet, par de la
de la diversité des opérateurs, d’en garantir la protection, et
d’imposer a ceux-ci des contraintes d’intérêt général. Le caractère

P a g e 26 | 142
fort original de ce domaine public (invisible, constitué de particules
en vibration d’ondes) alimente une savoureuse controverse. Voir- Les
ondes appartiennent elles au domaine public in R.F.D.A. 1989. P.251 et
suiv. Brouant : l’usage des fréquences de communication
audiovisuelle et la domanialité publique in G.A.J.A. P. 115 & suiv.

B- Le domaine public artificiel

Il est constitué par l’ensemble des biens du domaine public


résultant du fait de l’homme et non de phénomènes physiques ou
naturels. Il est constitué par le domaine public maritime artificiel
composé de ports, canaux de navigation, les digues etc. i l y en a aussi
du domaine public terrestre : ce sont les biens du domaine public
affectées à la circulation terrestre : les routes, les autoroutes, les
voies ferrées, les aérodromes appartenant aux personnes publics. Il
importe d’ajouter aux éléments constitutifs du domaine
public maritime et du domaine public terrestre, leurs dépendances,
par l’application de la théorie de l’accessoire. Ainsi, sont considérés
comme dépendances des voies publiques et de nombreux éléments
naturels ou artificiels compris dans l’emprise des routes et qui sont
en principe nécessaires à la conservation et à l’exploitation des
routes, ainsi car la sécurité et à la commodité des usagers. C’est le
cas des faussés talus, les accotements, les arbres et les plantations,
les poteaux indicateurs, les appareils de signalisation, les trottoirs,
les bacs…

À côté du domaine public terrestre, on a le domaine public


militaire : les forteresses, les camps militaires. On n’oubliera pas
aussi les lignes téléphonique et télégraphique, les ouvrages
d’électricité et de gaz…

À tous ces éléments immobiliers, il y a lieu d’ajouter ceux du


domaine public mobilier (objets des musés et bibliothèques publics). Il

P a g e 27 | 142
en va de même pour les valeurs, actions et titres de société appartenant
aux personnes publiques.

Le domaine public naturel est relatif aux dépendances domaniales


qui trouvent leurs origines dans des phénomènes naturels. C’est dire que
ces biens ne résultent pas du travail humain. Sous ce rapport, le domaine
public naturel comprend :

C-La domanialité publique par accessoire

En application de la théorie de l’accessoire, la domanialité


publique d’un ouvrage s’étend à ses « dépendances ». Cette règle
repose sur l’idée que tous les éléments présentant une utilité pour
l’ouvrage du domaine public auquel ils se rattachent participent du
caractère de domanialité publique de cet ouvrage. L’arrêt Total Côte
d’Ivoire c/ Ministre des Infrastructures Économique en est une
illustration topique. L’extrait de l’arrêt ci-après permet de saisir
l’économie de la théorie : « considérant que la théorie
jurisprudentielle de l’accessoire, qui soumet au régime de la
domanialité publique un bien public ne remplissant pas toutes les
conditions pour intégrer le domaine public mais se présentant comme
l’accessoire d’un bien public qui relève du domaine public et qui
aboutit à un élargissement du domaine public, doit être différenciée
de la théorie civiliste de l’accession qui entraîne l’extension de la
seule propriété ;
Que, pour que la théorie de l’accessoire puisse s’appliquer, il faut,
non seulement, que le bien accessoire soit dans un lien
d’indissociabilité physique avec le bien principal et également dans un
lien d’utilité, mais aussi et avant tout, qu’il soit un bien public,
propriété de la personne publique concernée ;
Considérant que, dans le cas d’espèce, le bien regardé comme
l’accessoire, le terrain querellé de 1.526 m², est, hormis les 216 m²
expropriés, propriété d’une personne privée, en l’occurrence TOTAL
Côte d’Ivoire ; que, par ailleurs, un tel bien ne présente pas d’utilité
directe pour la conservation et l’exploitation du bien principal, le pont

P a g e 28 | 142
et l’échangeur, eu égard au fait qu’il a fait l’objet de déclassement et
d’attribution par le Ministre des Infrastructures Économiques à
monsieur TRAORE ISSA aux fins d’y construire des habitations ; que,
dès lors, la théorie de l’accessoire ne peut valablement être
invoquée ; qu’il s’ensuit que le Ministre des Infrastructures
Économiques, en incorporant la partie du terrain de TOTAL Côte
d’ivoire non expropriée dans le domaine public, a commis une voie de
fait ».
Il ressort de cet arrêt que la théorie de l’accessoire joue à
certaine condition.

D’une part, l’application de la théorie est liée à l’existence d’un


lien physique étroit entre le bien principal et le bien accessoire. Mais
la théorie ne joue en principe que s’il existe une véritable dépendance
matérielle entre les biens

D’autre part, le bien accessoire va se trouver incorporer au


domaine public en raison de son utilité pour le bien principal. On
rattache ainsi on domaine public les biens qui font partie d’un
ensemble fonctionnel.

La théorie de l’accessoire renvoie à la notion de domanialité


publique globale. Cette conception met l’accent sur l’unité physique ou
l’unité fonctionnel pour une application globale de la domanialité
publique aux différentes parties d’un ensemble

Paragraphe II : L’incorporation et la sortie d’un bien du domaine


public

Aux diverses dépendances du domaine public, peuvent se


rapporter des décisions tendant à leur classement ou à leur
déclassement Dans L’arrêt du CSCA 27 décembre 2017 Agence de
Gestion et de Développement des infrastructures Industrielles dite
A.G.E.D.I. C/ Conservateur de la Propriété Foncière et des
Hypothèque de Yopougon, le juge considère en effet, « qu’il est
loisible au législateurde classer tel ou tel bien domanial dans

P a g e 29 | 142
l’une ou l’autre catégorie domaniale ; que les biens domaniaux ne
sont pas figés dans une catégorie domaniale ; que l’Administration
peut, par incorporation, faire entrer tout bien domanial dans le
domaine public et, par déclassement, l’en faire sortir pour le faire
entrer dans le domaine privé ».
Dans le cas du classement on parlera d’incorporation. Quant au
déclassement, il renvoie à la sortie du bien du domaine public.

A- L’incorporation au domaine public

Il convient de préciser ici la notion d’incorporation, d’une part,


et d’autre part ses modalités pratiques en Côte d’Ivoire.

1- La notion d’incorporation

On entend par incorporation au domaine public, l’entrée d’un


bien dans le domaine public des personnes publiques. Elle se distingue
de l’acquisition qui est le fait pour un bien de devenir la propriété
d’une personne publique. En fait, l’acquisition fait entrer un bien dans
le patrimoine d’une personne publique. Toutefois bien que logiquement
distincts, ces deux actes, incorporation et acquisition, peuvent se
trouver confondus notamment lorsqu’il s’agit du domaine public
naturel. En ce qui concerne le domaine public naturel, l’acquisition et
l’incorporation sont simultanées. Pour ce qui est du domaine public
artificiel, l’incorporation nécessite une affectation, c'est-à-dire un
acte déterminant la destination d’intérêt général du bien. En Côte
d’Ivoire l’incorporation au domaine public dépend selon qu’il s’agisse de
l’État ou des collectivités territoriales.

2- Les modalités de l’incorporation d’un bien au domaine


public

Il convient de voir d’abord l’incorporation au domaine public de


l’État avant de voir l’incorporation au domaine public des collectivités
territoriales.
a- L’incorporation au domaine de l’État

P a g e 30 | 142
Les biens énumérés par le décret du 29 septembre 1928 se
trouvent incorporés automatiquement dans le domaine public soit à
partir de phénomènes naturels pour les biens du DPN soit à partir de
leur réalisation ou acquisition pour les biens du DPA

S’agissant des biens du DPN, les phénomènes physiques ou


naturels entraînent par eux-mêmes leur incorporation au domaine
public. L’acquisition et l’incorporation sont confondues. Si l’acquisition
d’un bien au DPN résulte de simples phénomènes physiques, la
conséquence en est que toute modification dans les phénomènes
d’ordre naturel modifie la consistance du domaine public naturel.

Ainsi, une propriété privée limitrophe du rivage de la mer


envahie de façon permanente par les eaux se trouve ipso facto
incluse dans le domaine public (C.E. 17 oct. 1934 arrêt Dupont
Rec. p. 927). Des rivages précédemment soustraits à l’action des
flots perdent leur caractère de propriété privée et deviennent des
dépendances du domaine public dès lors qu’ils sont envahis par les
eaux. Pour les mêmes raisons, lorsque les terrains ne sont plus
submergés par la mer, ils cessent d’appartenir au domaine public
maritime.

Relativement au domaine public artificiel, l’incorporation


suppose au préalable que le bien ait été acquis ou réalisé par la
personne publique.

L’acquisition et l’incorporation peuvent être simultanées mais


elles peuvent aussi être différées.

b- L’incorporation au domaine public communal

La décentralisation en faisant surgir de nouvelles personnes


publiques, conduit au démembrement du domaine public et enclenche
un processus d’appropriation lié à ce partage. Ce phénomène tend lui-
même à accentuer la décentralisation en offrant un support matériel
à l’autonomie des collectivités territoriales. La création des
communes par le législateur n’aurait pas été viable si elles n’étaient

P a g e 31 | 142
pas dotées de moyens matériels, mobiliers et immobiliers. Les
communes ivoiriennes ont été dotées par le législateur de domaines
propres différents de ceux de l’État.

Le régime domanial des communes procède d’abord de la charte


municipale du 17 oct. 1980 modifiée 5 fois. Il y a surtout la loi 84-
1244 du 8 nov. 1984 portant régime domanial des communes de la
ville d’Abidjan.

À côté de ces 2 textes de portée générale, il y a lieu de citer un


texte à portée spécifique. C’est la loi 83-788 du 2 août 1983
déterminant les règles d’emprise et de classement des voies de
communication de l’État et des collectivités territoriales.

Il résulte de ces textes que l’incorporation dans le domaine


public communal se réalise de deux manières: soit automatiquement
soit par affectation.

-L’incorporation automatique

S’agissant de l’incorporation automatique, l’article 2 de la loi de


1984 précité dispose que : « le domaine des communes est constitué
ou acquis au moment de leur création par transfert ou cession des
biens du domaine de l’État à titre onéreux ou gracieux ». Elle
concerne :

 Les biens du domaine public de l’État transférés ou cédés à


titre gratuit ou onéreux (Article 103 de la loi du 17 oct.
1980) ;
 Les parcelles appartenant à la communes et qui supportent des
ouvrages d’intérêts public chaque fois que la charge de leur
entretien incombe à la commune ( Article 103 de la même de
loi) ;
 Les voies de communication notamment la voirie, les voies
ferrées, les canaux de navigation, les réseaux divers notamment
les systèmes de distribution d’électricité et de gaz et les
réseaux téléphoniques dès lors qu’ils ont été déclarés d’intérêt

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urbain ou d’utilité communale (Articles 1 et 2 de la loi du 2
août 1983).

Il importe de noter que la loi l’article 204 de la loi de 2003


portant régime domanial des collectivité autant que la loi n° 2020-
624 du 14 août 2020 instituant code de l’urbanisme et du domaine
foncier urbain évoque la question de l’incorporation. Il ressort en
effet de l’article 173 la loi n° 2020-624 du 14 août 2020 instituant
code de l’urbanisme et du domaine foncier urbain que le domaine des
collectivités territoriales est constitué ou acquis au moment de leur
création ou ultérieurement par:

 acquisition d’immeubles bâtis ou non dans les mêmes conditions


que les personnes privées, selon les règles de droit commun;
 transfert ou cession de biens du domaine de l’État, situés dans
les limites géographiques de cette collectivité, à titre onéreux
ou gratuit. Lorsque le transfert ou la cession porte sur des
biens destinés à faire partie du domaine public de la collectivité
territoriale, il est effectué à titre gratuit par l’État ;
 transfert ou cession des biens d’une autre collectivité
territoriale, à titre onéreux ou gratuit. Lorsque le transfert ou
la cession porte sur des biens destinés à faire partie du
domaine public, les cessions consenties par les autres
collectivités territoriales sont gratuites.
 dons et legs reçus et acceptés ;
 saisie ou confiscation au profit de la collectivité territoriale ;
 expropriation.
La Cour suprême chambre administrative rappelle ces règles
d’acquisition des biens des collectivités territoriales dans l’arrêt du
30 mai 2012 Société Chevron-CI contre Mairie de Guiglo : «
Considérant qu’aux termes de l’article 2 de la loi numéro 84-1244 du 8
novembre 1984 « Le domaine des communes est constitué ou acquis au
moment de leur création ou ultérieurement », entre autres procédés«
par transfert ou cession de biens du domaine de l’État à titre
onéreux ou gracieux » ; que l’article 204 de loi numéro 2003-489 du
26 décembre 2003 portant régime financier, fiscal et domanial des

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collectivités territoriales reprend la même disposition ; qu’il en
découle que si le terrain en cause a appartenu au domaine public de
l’État, il a été transféré ou cédé implicitement à la commune de Guiglo
à la suite de la création de celle-ci ».

-L’incorporation par affectation

Elle concerne :

 Les parcelles appartenant à la commune et ayant reçu de droit


ou de fait une affectation comme rue, route, places et jardins
publics à l’exception de ceux dont la création et l’entretien
incombent à l’État (loi de 1980 article 33) ;
 Les parcelles appartenant à la commune et constituant l’assiette
d’un ouvrage prévu au plan d’urbanisme régulièrement approuvé
ou ayant fait l’objet d’une déclaration d’utilité publique ( la
même loi) ;
 Les biens du domaine public et privé de l’État transférés ou
cédés à titre gratuit à la suite de la demande ou après avis du
conseil municipal (Article 5 de la loi du 8 nov. 1984).

Si le bien entre dans le domaine public par le mécanisme de


l’incorporation, il peut en sortir par le moyen du déclassement.

B-La sortie du bien du domaine public

La sortie d’un bien du domaine public intervient après son


déclassement. Il faut noter que ce déclassement est précédé de la
désaffectation du bien.

1- La désaffectation du bien

Lorsqu’un bien n’est plus affecté à l’usage direct du public ou à


un service public, on dit qu’il est désaffecté. La désaffectation du
bien précède en principe son déclassement. Si elle nécessaire à la
sortie d’un bien du domaine public, la désaffectation n’entraine pas de
plein droit la sortie du bien du domaine public. En d’autres termes, un
bien désaffecté, mais qui n’a pas fait l’objet d’une décision de

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déclassement appartient toujours au domaine public. À ce propos, la
CSCA dans l’arrêt Madame OUATTARA Aichatou épouse SYLLA
contre Ministère de l’Économie et des finances et autre du 23 avril
2014, considère que « fait partie du domaine public jusqu’à son
déclassement intervenu par suite de l’arrêté du Ministre de
l’Économie et des finances. »

2- Le déclassement

Le déclassement est l’acte administratif qui enlève à un bien son


caractère de dépendance du domaine public. Il ressort, en effet, de
l’article 192 de la loi n°2020-624 du 14 août 2020 instituant code de
l’urbanisme et du domaine foncier urbain, qu’un bien du domaine public
artificiel peut faire l’objet d’un déclassement lorsqu’il ne correspond
plus à son affectation initiale. Dans L’arrêt du CSCA 27 décembre
2017, Agence de Gestion et de Développement des infrastructures
Industrielles dite A.G.E.D.I. C/ Conservateur de la Propriété Foncière
et des Hypothèque de Yopougon précité, il ressort que l’autorité
publique peut, par le mécanisme du déclassement, faire sortir un bien
du domaine public. Ce bien va appartenir désormais au domaine privé
de la personne publique.

Le déclassement est, aux termes de 193 la loi n° 2020-624 du


14 août 2020 instituant code de l’urbanisme et du domaine foncier
urbain opéré par arrêté conjoint du ministre chargé de l’Urbanisme
en collaboration avec le ministre chargé de la gestion de l’équipement
concerné.

En fait, comme le juge rappelle dans un arrêt du 28 mai 2021,


EL Cheikh Abdul Salam C/ Conservateur de la Propriété Foncière et
des Hypothèque que « nul ne peut, légalement, détenir de droit de
propriété sur une parcelle du domaine public qui n’a pas fait l’objet,
préalablement, de déclassement régulier ». Le juge réaffirme cette
position dans l’arrêt Madame OUATTARA Aichatou épouse SYLLA
Contre Ministère de l’Économie et des Finances et autres. Le
considère en effet « que le domaine public est inaliénable ; que ce

P a g e 35 | 142
principe s’oppose à ce que des biens qui en ressortissent soient
aliénés ou objet de droits réels sans qu’ils aient été au préalable
déclassé ; que les aliénations du domaine public et la constitution de
droits réels s’y rapportant sont nulles ».
En conséquence, faute d’avoir fait l’objet de déclassement
préalable régulier, en application de l’article 7 du décret du 29
septembre 1928 portant réglementation du domaine public et des
servitudes d’utilité publique en Côte d’Ivoire, cette parcelle ne
pouvait, légalement, faire l’objet d’appropriation privative ; que, dès
lors, il y a lieu, en raison de l’atteinte ainsi portée à l’inaliénabilité du
domaine public, de déclarer, sans condition de délais, nul et de nul
effet, le certificat de propriété foncière du 29 septembre 2009
attaqué »
En réalité, c’est le déclassement qui entraine la sortie du bien
du domaine public. Autrement dit, un bien d’une personne publique qui
n’est plus affecté à un service public ou à l’usage direct du public ne
fait plus partir du domaine public qu’à compter de l’intervention de
l’acte administratif constant son déclassement. Il appartient alors au
domaine privé.

Paragraphe-III Les relations domaniales entre l’État et les


autres collectivités territoriales

Les relations domaniales entre l’État et les autres collectivités


territoriales sont marquées par une certaine insuffisance
relativement à la répartition des biens. Elles peuvent également
analysées à l’aune de la théorie des mutations domaniale

A- Une méconnaissance par les collectivités territoriales


de la quasi-totalité de leurs bien

Présentement, seules les voies de communication et les réseaux


divers ont fait l’objet de répartition entre ceux appartenant au
domaine public de l’État (réputés d’intérêt national), au domaine
public de la ville d’Abidjan (réputés d’intérêt communal) par le décret

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n°84-851 du 4 juillet 1984. Ce texte portant déclaration des
voiries et réseaux divers d’intérêt national et d’intérêt urbain dans
les limites de la ville d’Abidjan, doit être associé au décret n°84-
852 du 4 juillet 1984. Ce dernier porte déclaration des voiries et
réseaux divers d’intérêt général et d’intérêt départemental dans les
limites des communes autres que celles composant la ville d’Abidjan.
Les deux textes pris en application de la loi n°83-788 du 2 août
1983, permettent de savoir avec précision quel est le statut, à quel
domaine public ressort chaque portion de voirie en Côte d’Ivoire. Il
n’en va pas de même des autres dépendances du domaine public.

Il en résulte que la quasi-totalité des communes ne connaissent


pas les éléments constitutifs de leur domaine public, encore moins
leur étendue, leur limite. La distinction entre le domaine privé et le
domaine public n’est toujours pas perçue et la différenciation entre
biens du domaine public de l’État et ceux de la commune est rarement
faite. Les communes ne disposent d’aucun récapitulatif ou inventaire
des dépendances composant leur domaine public. La théorie des
mutations domaniales permet également d’apprécier les rapports
domaniaux entre l’Etat et les collectivités territoriales.

B- Les mutations domaniales

Il convient de présenter la théorie des mutations domaniales


avant de voir les critiques formulées contre elle.

1-L’exposé de la théorie

On appelle mutation domaniale, le procédé autoritaire qui


consiste pour l’État à modifier unilatéralement l’affectation de
dépendances du domaine public appartenant à d’autres Collectivités
publiques. Cette théorie est consacrée par la loi n° 2020-624 du 14
août 2020 instituant code de l’urbanisme et du domaine foncier
urbain. Il ressort, en effet, de l’article 207 de cette loi, que “L’État
peut, pour des motifs d’intérêt général, modifier l’affectation des
dépendances du domaine public des collectivités territoriales”

P a g e 37 | 142
Il importe de noter que son application n’impose pas d’acte de
déclassement préalable et n’emporte pas le transfert de propriété au
profit de l’État. Le fondement de cette théorie a pu être dans le
principe l’indivisibilité de la République. On estime, en effet, les
intérêts défendus par l’État sont supérieurs à ceux défendus par les
autres personnes publiques.

La reconnaissance de la légalité de ce comportement étatique


ne fut pourtant pas chose aisée (M. WALINE, Les mutations
domaniales, Thèse, Paris, 1925). En 1899, le Tribunal des conflits
considérait en effet qu’un tel changement d’affectation du domaine
public d’une commune devait être précédé de son autorisation (TC, 28
janvier 1899, Ville de Périgueux, D., 1899, p. 41). Au contraire, la Cour
de cassation reconnaissait ce droit à l’État en se fondant sur l’unité
du domaine public et l’absence d’un réel droit de propriété publique
des collectivités locales sur leurs biens (Cass., Civ., 20 décembre
1897, D., 1899, 1, 257). Dans un célèbre arrêt « Ville de Paris »
(rendu sur les non moins célèbres conclusions de M. TEISSIER), le
Conseil d’État confirma la position de la Haute Cour judiciaire (CE,
1909, ville de Paris et chemins de fer d’Orléans , Rec., p. 707). Pour la
juridiction administrative, les dépendances du domaine public sont
toutes grevées d’une servitude d’intérêt général. À ce titre, elles
peuvent faire l’objet d’un changement d’affectation pour les intérêts
publics supérieurs défendus par l’État. Celui-ci peut opérer à cette
mutation à tout moment (CE, 13 janvier 1984, Commune de Thiais, D.,
1984, Jurisprudence, 605-608). Cette mutation a même été
considérée comme étant un principe général du domaine public. À ce
titre, l’article L.11-8 du Code de l’expropriation permettant au préfet
d’opérer à un changement d’affectation du bien en question dans le
cadre d’une déclaration d’utilité publique, ne fait pas obstacle à
l’application de la théorie générale par le Premier ministre (CE, 23
juin 2004, Commune de Proville, Rec., p. 259). Enfin, et surtout,
aucune indemnisation autre que celle fondée sur des dommages de
travaux publics ne peut être accordée à la collectivité en

P a g e 38 | 142
contrepartie du changement d’affectation de son bien. Cette théorie
des mutations domaniales à fait l’objet de vives critiques

2-Les critiques formulées contre la théorie des mutations


domaniales

Alors que l’existence du droit de propriété des personnes


publiques n’a cessé de s’affirmer depuis quelques années
(MOYSAN, Le droit de propriété des personnes publiques , LGDJ,
BDP, 2001 ; CC, 25-26 juin 1986, Privatisations, n°86-207 DC), la
question du bien-fondé de la mutation domaniale se pose
nécessairement. En effet, la contrainte que constitue le pouvoir de
l’État sur des biens qui ne lui appartiennent pas est une atteinte
manifeste au droit de propriété des personnes publiques.

En réalité, la mutation aboutit à dissocier, pour une durée


indéterminée le droit de propriété et la maitrise réelle du bien
domanial. Ce droit de propriété apparait d’autant plus théorique que
la collectivité concernée n’a pas le droit de réclamer une indemnité
pour perte de jouissance du bien, de sorte que cette situation lui est
totalement défavorable et apparait comme une véritable spoliation.

En outre, pour une grande partie de la doctrine la théorie des


mutations domaniales est en contradiction avec la Constitution. Celle-
ci reconnaît, en effet, le principe de libre administration des
collectivités locales. Or, avec la mutation domaniale, une personne
publique ou une collectivité territoriale, se trouve privée par un
simple acte administratif et ceci sans aucun formalisme (enquête
publique), d’une dépendance qui lui est nécessaire à l’exercice de ses
compétences. L’État, gardien du principe, peut-il priver à la
collectivité locale les moyens matériels de cette liberté ?
Ces critiques ont trouvé un écho en Côte d’Ivoire dans le code
de l’Urbanisme. En effet, si L’État peut, pour des motifs d’intérêt
général, reprendre tout ou partie des biens domaniaux cédés à la
collectivité territoriale, il a l’obligation de rembourser le prix de
cession augmenté des impenses.

P a g e 39 | 142
En France dans le Code général de la propriété des personnes
publiques. Les changements d’affectation, atteintes au droit de
propriété des personnes publiques, font aujourd’hui l’objet d’une
véritable contrepartie pour les collectivités publiques lésées. Ainsi,
l’article L. 2123-6 du nouveau Code prévoit que :

« Le transfert de gestion prévu aux articles L. 2123-3 à L. 2123-5


donne lieu à indemnisation à raison des dépenses ou de la privation de
revenus qui peuvent en résulter pour la personne dessaisie. Lorsqu’il
découle d’un arrêté de cessibilité pris au profit du bénéficiaire d’un
acte déclaratif d’utilité publique, l’indemnisation, fixée en cas de
désaccord par le juge de l’expropriation, couvre la réparation du
préjudice éventuellement subi par le propriétaire ». Le domaine public
appréhendé la question de l’identification ou de la définition du
domaine privé

CHAPITRE II : LE DOMAINE PRIVE

Tous les biens des collectivités ou personnes publiques


n’appartiennent pas au domaine public. En effet, à côté du domaine
public, il existe un domaine privé de la personne publique.. Pour
appréhender en profondeur le domaine privé, il convient de préciser la
notion, d’examiner consistance et indiquer son régime juridique

Section I : Définition et consistance du domaine privé

Que faut-il entendre par domaine privé ? Quelle est la


consistance du domaine privé ? Examinons successivement ces deux
points.

Paragraphe I-La définition du domaine privé

Il n’existe pas de définition légale du domaine privé. Le domaine


privé est défini, en réalité, par opposition au domaine public. Font
partie du domaine privé, les biens des personnes publiques qui ne
relèvent pas du domaine public. Il s’agit, plus précisément, des biens

P a g e 40 | 142
qui ne sont pas l’objet d’une affectation à l’utilité publique. En
d’autres, les biens des personnes publiques qui n’appartiennent pas au
domaine public, font nécessairement partie de son domaine privé. On
le voit, le domaine privé constitue une catégorie résiduelle.

Il faut toutefois rappeler que, les biens des personnes


publiques ne sont pas figés dans une catégorie. Le bien peut
appartenir à l’un des domaines de façon transitoire. Tout comme un
bien du domaine public peut entrer dans le domaine privé par la
procédure de déclassement, l’inverse est réalisé par le mécanisme de
l’incorporation. Quelle est alors la consistance ou la composition du
domaine privé

Paragraphe II : La consistance du domaine privé

Évoquer la consistance du domaine privé, revient à déterminer


les biens qui appartiennent à ce domaine. Il s’agit en réalité de tous
biens qui ne figurent pas dans l’énumération du décret du 29
septembre 1928.

En fait, les éléments constitutifs du domaine privé sont


innombrables. On peut citer les immeubles des personnes publiques
(bâtiments, tours administratives les terres vacantes et sans maitre,
les immeubles immatriculés, mais abandonnés par leur propriétaire
légitime, les biens des personnes décédées sans héritier). Font
également partie du domaine privé les biens du domaine foncier rural
appartenant à l’État et aux collectivités territoriales.

Le domaine foncier rural est constitué par l’ensemble des terres


mises en valeur ou non et quelle que soit la nature de la mise en
valeur. Il constitue un patrimoine national auquel toute personne
physique ou morale peut accéder. Toutefois, seuls l’État, les
collectivités publiques et les personnes physiques ivoiriennes sont
admis à en être propriétaires. Ce domaine est aux termes l’article 2
de la Loi n°98-750 du 23 décembre 1998 relative au domaine foncier

P a g e 41 | 142
rural Modifiée par la loi n°2004-412 du 14 août 2004], hors du
domaine public.

Le code forestier de 2019 participe également à la


détermination des biens du domaine privé. Ainsi font partie de
domaine privé : les forêts classées, les agro forêts, les forets crées
ou acquise dans le domaine privé par l’État, les jardins botaniques.

A ce stade du propos, il possible d’examiner les modes


d’acquisition des biens du domaine privé.

Paragraphe III : Les modes d’acquisition des biens du domaine


privé

L’acquisition de la propriété d’un bien du domaine privé par une


personne publique peut se faire dans les conditions de droit commun
ou de droit public.

A- Les modes d’acquisition de droit commun

Le principe de l’acquisition de la propriété d’un bien par une


personne dans les conditions est posé à l’article 170 de la loi n° 2020-
624 du 14 août 2020 instituant code de l’urbanisme et du domaine
foncier urbain. Il ressort de cet article que l’État et les
établissements publics peuvent acquérir des immeubles bâtis et non
dans les mêmes conditions que les personnes privées. Sous ce rapport,
les personnes publiques peuvent constituer leur domaine privé par
achat, échange, donations et legs. C’est dire que les personnes
publiques peuvent acquérir des biens soit à titre onéreux soit à titre
gratuit. Les personnes utilisent également des modes qui relèvent du
droit public

B-Les modes d’acquisition de droit public

Ces modes d’acquisition sont appelées mode de droit public, en


ce que l’administration acquiert ces biens dans des conditions
exorbitantes du droit commun. Elle peut ainsi procéder à la

P a g e 42 | 142
nationalisation qui est le transfert de la propriété d’une entreprise
résultant d’une décision de la puissance publique. On peut citer
également la procédure d’alignement, la réquisition, le droit de
préemption (le fait que l’administration décide d’acheter le bien et
dans ce cas elle devient prioritaire dans l’achat de ce bien). Ces
différents mécanismes permettent à l’administration d’acquérir des
biens et de les intégrer, par la suite, à son domaine privé. Mais quel
est le régime juridique applicable au domaine privé ?

Section II : Le régime juridique applicable au domaine privé

Le régime juridique renvoie aux règles applicables à une


catégorie juridique. L’examen des règles au domaine privé va nous à
déterminer ou à d’identifier la nature du droit applicable avant de
voir les règles de gestion des biens du domaine privé.

Paragraphe I- Le nature du droit applicable

Le droit applicable au domaine privé n’est pas homogène. Le


domaine privé se trouve soumis, en effet, à la fois au droit privé et au
droit public. En fait, si on note une certaine excroissance de règles
de droit public, le droit privé est encore prégnant.

A-L’excroissance des règles de droit public


On le sait, le domaine privé se trouve traditionnellement soumis
au droit privé. Ce postulat semble être en difficulté aujourd’hui
notamment en ce concerne le domaine foncier urbain. Le domaine
foncier urbain est saisi comme l’ensemble des terres du domaines
privé ou public de l’État couvert par les documents d’urbanisme. Les
règles applicables au domaine foncier urbain sont fixées ou
déterminer par la loi n° 2020-624 du 14 août 2020 instituant code de
l’urbanisme et du domaine foncier urbain. Aux termes de l’article 183
de cette loi, les biens du domaine privé de l’État et des collectivités
territoriales sont régis principalement par les règles du droit
administratif.

P a g e 43 | 142
Sous le bénéfice de cette présentation, la location, la
concession de droits réels immobiliers, la vente et toutes autres
transactions concernant les biens immeubles du domaine privé de
l’Etat et des collectivités territoriales sont régies principalement par
les règles de droit administratif et à défaut, par les règles de droit
commun.

En réalité, l’idée selon laquelle les collectivités publiques sont


soumises au droit privé parce qu’elles gèrent leur domaine privé
comme des propriétaires ordinaires doit être relativisée. En fait, les
personnes publiques ne peuvent être dépouillées totalement de leur
prérogative. C’est ainsi les ventes d’immeubles de l’État sont des
contrats administratifs par détermination de la loi. En outre
certaines décisions unilatérales qui concernent le domaine privé
peuvent faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir. En dépit de
l’évolution de la part du droit public, le droit privé reste prégnant
s’agissant des règles applicables au domaine privé.

B-le maintien des règles de droit privé

L’examen du régime du domaine privé donne de voir l’application


du droit privé. On le sait, si loi portant code de l’urbanisme précise
que la location, la concession de droits réels immobiliers, la vente et
toutes autres transactions concernant les biens immeubles du
domaine privé de l’Etat et des collectivités territoriales sont régies
principalement par les règles de droit administrative, elle ne manque
pas de souligner qu’à défaut, les règles de droit commun peuvent
s’appliquer. En outre, le domaine privé ne bénéficie pas d’une
protection spécifique. Il ressort de la loi portant code de l’urbanisme
que le domaine privé peut faire l’objet de concession définitive. Une
telle règle confirme le postulat selon lequel le domaine n’est pas
protégé par le principe de l’inaliénabilité.

Au surplus, il ressort dans la jurisprudence française, que


l’activité par laquelle une personne publique gère son domaine privé
immobilier ne constitue pas par elle-même une mission de service

P a g e 44 | 142
public. (T. Conflit 15 janv. 2007, madame HOURAHMAUNE). Ces
développements qui précèdent invitent à serrer de près les règles de
gestion du domaine privé.

Paragraphe II ; La gestion du domaine privé

La gestion du domaine privé est régie par les articles 196 et


suivants de la loi n° 2020-624 du 14 août 2020 instituant code de
l’urbanisme et du domaine foncier urbain. Les biens immobiliers du
domaine privé de l’Etat peuvent faire l’objet de location, de bail
emphytéotique ou de concession définitive. Cependant aucune
transaction portant sur un immeuble du domaine privé de l’Etat ne
peut être réalisée à titre gratuit ou à un prix inférieur au prix
d’aliénation, sauf motif d’intérêt général. En conséquence, le non-
respect des dispositions ci-dessus entraîne la nullité de plein droit de
la transaction effectuée. Par ailleurs, l’acceptation des dons et legs
immobiliers faits à l’Etat est matérialisée par convention signée par
le ministre chargé de la Construction et de l’Urbanisme.
L’incorporation au domaine public des immeubles dépendant du
domaine privé se réalise selon des modalités fixées par décret.

La cession d’un bien du patrimoine immobilier de l’Etat est


réalisée par le ministre chargé de la Construction et de l’Urbanisme,
le ministre chargé de l’Économie et des Finances et le ministre chargé
du Budget.

Les modalités de cette vente sont précisées par décret pris en


Conseil des ministres.
La violation des dispositions prévues en la matière entraîne la nullité
de plein droit de la cession concernée.
Ces développements qui précèdent immédiatement nous invitent
dès lors à serrer de près l’analyse sur les règles applicables au
domaine public.
PARTIE II : LA DOMANIALITE PUBLIQUE

P a g e 45 | 142
On désigne par domanialité publique, le statut de droit public
auquel est soumis les biens du domaine public. Comme indiqué
précédemment, la personne publique est propriétaire des biens
domaniaux. On le sait également, la personne publique est un
propriétaire. Particulier. La particularité des règles applicables au
domaine peut être appréciée à l’aune des régimes suivants :

• Le régime de la protection du domaine public


• Le régime des rapports de voisinage
• Le régime de l’utilisation du domaine public

CHAPITRE I : LE RÉGIME DE PROTECTION DU DOMAINE


PUBLIC

Le domaine public bénéficie d’une protection à la fois


constitutionnelle et législative. En effet, l’article 44 de la
Constitution ivoirienne du 8 novembre dispose que « les biens publics
sont inviolables. Toute personne est tenue de les respecter et de les
protéger ». Cette exigence ou obligation de protection est reprise
par la loi n° 2020-624 du 14 août 2020 instituant code de l’urbanisme
et du domaine foncier urbain. Aux termes de l’article 158 de cette
loi, “L’Etat, les collectivités territoriales, les personnes morales de
droit privé et les personnes physiques sont tenus de veiller à la
protection et à la conservation du domaine foncier urbain.”

En réalité, la protection du domaine public vise deux objectifs.


Elle a d’abord pour objet de garantir le maintien des dépendances
domaniales conformément leur affectation. Elle vise ensuite à
garantir la conservation des dépendances domaniales dans un état
matériel, de sorte qu’elles puissent être utilisées dans les meilleures
conditions conformément à leur affectation. Examinions
successivement ces deux points.

Section I : le régime tendant à garantir le maintien du domaine


public conformément à son affectation

P a g e 46 | 142
Le domaine public est affecté à l’usage direct du public ou par
l’intermédiaire d’un service public. Le maintien du domaine public
conformément à son affectation est garanti par plusieurs principes.
L’article 4 de l’ordonnance 2016-588 portant titre d’occupation du
domaine public dispose que, « les biens du domaine public sont
insaisissables, inaliénables et imprescriptibles ». Ces principes sont
repris loi n° 2020-624 du 14 août 2020 instituant code de l’urbanisme
et du domaine foncier urbain. Il ressort de la lecture de l’article 181
que « le domaine public urbain est inaliénable et imprescriptible »..

Paragraphe 1 : Le principe de l’inaliénabilité

Le principe de l’inaliénabilité est indissociable de la notion de


domaine public. Il existe un domaine public dans la mesure où il existe
des dépendances domaniales frappées d’inaliénabilité. Autrement dit,
le domaine public existe parce qu’il est interdit de vendre les biens du
domaine public. Précisons d’abord le contenu du principe avant de voir
ses effets.

A- Le contenu du principe

L’inaliénabilité du domaine public signifie simplement que les


dépendances du domaine public ne peuvent être vendues par
l’administration tant qu’elles restent affectées à l’utilité publique un.
C’est ce qui ressort clairement de la loi et la jurisprudence. L’article
211 de la loi de 2003 indique sans ambigüité que le domaine public des
collectivités territoriales est inaliénable, insaisissable, et les droits y
attachés imprescriptibles. Cette interdiction est réitérée
successivement par l’ordonnance 2016-588 portant titres
d’occupation du domaine public et du code de l’urbanisme. En effet
l’article 4 de l’ordonnance précise que « les biens du domaine public
sont insaisissables, inaliénables et imprescriptibles ». Quant à
l’article 181 du code de l’urbanisme, il pose clairement le principe en
ces termes, « le domaine public urbain est inaliénable et
imprescriptible. C’est fort logiquement que dans l’Arrêt ANAC contre
ministre de la construction, de l’urbanisme et de l’habitat, la Cour

P a g e 47 | 142
Suprême Chambre administrative réaffirme ce principe en ces
termes : « considérant que le domaine public est par définition
inaliénable… ». Le principe emporte des effets précis.

B-Les effets du principe

Le principe de l’inaliénabilité emporte des effets juridiques


clairs et précis. Le premier est rappelé l’ordonnance 2016-588
portants titres d’occupation du domaine public. L’article 4 alinéa 2
dispose en effet que « l’occupation ou l’utilisation par les personnes
privées des dépendances du domaine public ne confère pas à ces
dernières des droits réels… ».

La seconde conséquence est liée à la vente du bien. En effet,


toute vente d’un bien domanial sans déclassement préalable est nulle.
Plus exactement, il s’agit d’un acte inexistant. Dans l’arrêt YAO
Kouamé Jules contre Conservateur de la Propriété Foncière et des
Hypotheques d’Abidjan Nord du 30 janvier 2019, le juge estime
« que n’ayant pas fait l’objet de déclassement tel que prévu par
l’article 7 du décret du 29 septembre 1928 susvisé, est demeurée
dans le domaine public de l’Etat ; qu’en délivrant le certificat de
propriété n°01001389 à monsieur TOURE Morikounadi sur une
parcelle du domaine public de l’Etat, le Conservateur de la Propriété
Foncière et des Hypothèques d’Abidjan Nord 1 a commis une illégalité
manifeste ; que, dès lors, le certificat de propriété foncière, obtenu
par monsieur TOURE Morikounadi sur le domaine public, est un acte
inexistant »
Au surplus, la CSCA rappelle dans l’arrêt GNAGNE Nimba
Richard-Société SPINTOSCI et autres contre Conservateur de la
Propriété foncière et des Hypothèques de Treichville « que toutes
personnes est fondée à invoquer la règle de l’inaliénabilité du domaine
public lorsque cette règle est nécessaire à la défense de ses droits »

P a g e 48 | 142
Enfin la règle de l’inaliénabilité fait obstacle à ce que le domaine
public fasse l’objet d’une procédure d’expropriation. Le domaine
public est également protégé par le principe imprescriptibilité et de
l’insaisissabilité.

Paragraphe II : Le principe de l’imprescriptibilité et de


l’insaisissabilité

Les principes de l’imprescriptibilité et de l’insaisissabilité sont la


conséquence logique du principe de l’inaliénabilité. Ils visent
également à garantir le maintien du domaine public quant à son
affection. On peut le vérifier en analysant successivement ces deux
principes.

A- Le principe de l’imprescriptibilité

Par le mécanisme juridique de la prescription, un individu peut


acquérir un bien. En matière civile, par exemple, la prescription
permet l’acquisition de la propriété d’un immeuble par celui qui en a la
possession depuis 30 ans. Inversement, la prescription désigne la
perte d’un droit lorsque celui-ci n’a pas été exercé pendant un certain
temps.

Le principe de l’imprescriptibilité attaché au domaine public


vise à protéger les biens du domaine contre toute appropriation par
un tiers en raison de l’écoulement du temps. Comme on peut le
constater, le principe l’imprescriptibilité fait obstacle à ce que les
personnes publiques soient dépossédées de leurs biens par
l’écoulement du temps. Il protège donc les personnes publiques contre
leur ignorance, leur négligence ou leur indifférence. Deux
conséquences majeures sont attachées :

• L’irrecevabilité des actions possessoires contre l’administration


devant le juge,
• L’impossibilité d’acquérir, par prescription, un bien du domaine
public Le domaine public est également insaisissable.

P a g e 49 | 142
B-Le principe de l’insaisissabilité

Le domaine public ne peut être par les individus ou d’autres


sujets de droit. L’article 4 l’ordonnance 2016-588 portant titres
d’occupation du domaine public consacre le principe de
l’insaisissabilité des biens du domaine public. La même interdiction est
formulée par l’acte uniforme En fait article 30 alinéa 1 de l’acte
uniforme indique que l’exécution forcée et les mesures conservatoires
ne sont pas applicables aux personnes publiques qui bénéficient d’une
immunité d’exécution. Cette immunité a été précisée à l’alinéa 2 de ce
même article aux termes duquel il existe un principe général
d’immunité d’exécution au profit des personnes morales de droit
public-Etat collectivités territoriales e entreprises publiques.

Le principe de l’insaisissabilité interdit, en conséquence, de


recourir aux voies d’exécution du droit privé à l’encontre des biens
des personnes publiques. Cette interdiction est valable même pour
celles exerçant une activité industrielle et commerciale. Il convient
de rappeler que les voies d’exécution sont des moyens qui permettent
la saisie des biens du débiteur lorsque celui-ci ne paye pas sa dette.
Le principe de l’insaisissabilité a été rappelé par l’arrêt du 18 mars
2016 de la CCJA en ces termes : « attendu qu’il résulte de ce qui
précède que FER réunit les attributs d’une entreprise publique lui
permettant de se prévaloir de l’immunité d’exécution prévue par
l’article 30 alinéa 1 de l’acte uniforme portant procédures simplifiées
de recouvrement et des voies d’exécution ». La même interdiction est
déduite de l’arrêt Institut national d’Hygiène publique C/N’GOTTA
Konan Julien et autres du 12 septembre 2003. S’appuyant, en effet,
sur l’article 14 de la loi 80-1070 du 13 septembre 1980 qui interdit
formellement l’usage des voies d’exécution contre les biens de l’État
et des établissements publics nationaux, la haute juridiction
administrative considère que « la saisie-arrêt opérée par monsieur
N’GOTTA Konan Julien sur les deniers de l’INHP entre les mains de la
CAA ne peut être validée et qu’il échet d’ordonner la mainlevée de

P a g e 50 | 142
cette saisie-arrêt ». La protection du domaine public vise également
sa conservation.

Section II : Le régime tendant à garantir la conservation du


domaine public

L’observation donne de constater que le domaine public est


l’objet d’empiètement, de dégradation ou de mauvaise utilisation.
L’administration dispose alors de divers moyens pour faire face à ces
situations. Le domaine public bénéficie, en effet, d’une protection
pénale. Ce qui justifie l’expulsion de l’occupant sans titre du domaine
public.

Paragraphe I : La protection pénale

La protection pénale a pour objet de protéger le domaine public


contre les dégradations. Cette protection pénale prend place
concrètement dans la police de la conservation. Cette police de la
conservation est assortie de sanctions répressives appelées
contravention de voirie.

A- La police de la conservation

On entend par police de la conservation, les pouvoirs qui


appartiennent à certaines autorités administratives de prendre des
règlements de police en vue d’assurer la conservation de certaines
dépendances du domaine public. La police de la conservation renvoie à
des règlements de police. assortis de sanctions pénales : celles qui
sont prévues en cas de contravention de voirie. Quel est le
fondement du pouvoir de police de la conservation ? Certains auteurs
y ont vu une conséquence de la propriété administrative du domaine
public, un pouvoir exorbitant du droit commun constituant une
manifestation de cette propriété particulière Il s’agit d’un élément
du régime domanial établi par le législateur en vue d’assurer la
protection de certains domaniaux. A titre d’exemple, l’article 60 La
loi n° 98-755 du 23 décembre 1998 portant code de l’Eau dispose que
« L’Etat garantit la protection, la conservation et la gestion intégrée

P a g e 51 | 142
des ressources en eau ; l’Etat assure le développement et la
protection des aménagements et ouvrages hydrauliques”. Sous ce
rapport, “l’Etat exerce, par ses services compétents, la police des
eaux. ». Ces différentes obligations sont rappelées dans l’arrêt
ETAT DE CÔTE D’IVOIRE - SOCIETE BATIM-CI C/ YAPO DEBEPHI
Martin et autres du 18 juillet 2018. En conséquence, lorsque les
textes ne la prévoient pas, la police de la conservation ne peut
s’exercer.
En fait la police de la conservation ne concerne que le domaine
public et non le domaine privé. Elle n’existe que dans les cas où elle
est prévue par des textes

La police de la conservation et police générale de l’ordre se


distingue par leur objet et leur sanction. La police de la conservation
se distingue de la police de l’ordre public en ce que ce dernier est
caractérisé par l’édiction de mesures tendant au maintien de la
sécurité, de la tranquillité et de la salubrité publique. Or la police de
la conservation a pour objet de réprimer les faits susceptibles de
compromettre l’intégrité d’une dépendance du domaine public ou de
nuire à l’usage pour lequel celle-ci est destinée. Ces règlements ont un
but particulier qui les distingue des règlements pris pour la police
générale de l'ordre public. Ce but consiste dans la conservation
matérielle de la dépendance domaniale. À ce propos on peut citer la
loi n° 2020-624 du 14 août 2020 instituant code de l’urbanisme et du
domaine foncier urbain. Il est interdit aux termes de l’article 136 à
des initiatives privées de réaliser sur la voie publique des dispositifs
de ralentissement des véhicules.

La police de la conservation se distingue également de la police


générale de l’ordre public par la sanction qui frappe l’auteur des faits.
Les deux types de polices ont des sanctions différentes. La police de
l’ordre public est sanctionnée par les contraventions de police alors
que la police de la conservation est sanctionnée par les contraventions
de voirie. Il faut noter que la police de la conservation appartient à
l’autorité au profit de laquelle la dépendance est affectée. Par

P a g e 52 | 142
ailleurs, la question s’est posée de savoir si l’on peut utiliser un
pouvoir de police générale en vue d’assurer la conservation du domaine
public.

Selon la jurisprudence, l’utilisation d’un règlement de police


générale en vue d’assurer la conservation du domaine public constitue
un détournement de pouvoir. Ainsi l’interdiction de circulation sur
certaines voies édictées par l’autorité administrative en vue d’éviter
les frais d’entretien ou de réparation de ces voies est illégale (CE, 28
juillet 1928, société des ateliers TURCA). La police de la conservation
est sanctionnée par les contraventions de voirie

B-Les contraventions de voirie

La contravention de voirie, est aux termes de l’ordonnance de


2016 portant titre d’occupation, une sanction spéciale destinée à
réprimer les infractions à la police de la conservation du domaine
public. Plus exactement, il s’agit de sanctionner les agissements
susceptibles de compromettre l’intégrité matérielle des biens du
domaine public ou de nuire à l’usage auquel ils sont destinés. En
matière d’atteinte portée au domaine public terrestre, constitue par
exemple des contraventions de voirie le déversement d’eaux usées
sur l’emprise de la ligne d’un chemin de fer ou sur une route ; ou
encore l’acquisition non autorisée d’une place du domaine public. De
façon générale toute occupation sans titre du domaine public est
constitutive d’une contravention de voirie.

En cas de contravention de voirie, le contrevenant se voit


infliger des sanctions prévues par l’article 8 du décret du 29
septembre allant de l’amende à des peines d’emprisonnement en cas
de récidive. Dans tous les cas, le contrevenant doit être condamné à
la remise en l’état du bien. Il s’agit de restaurer l’intégrité du
domaine public Ce régime de protection du domaine est renforcer par
le cas spécifique de l’occupant sans titre du domaine public.

P a g e 53 | 142
Paragraphe II : Le cas spécifique de l’expulsion de l’occupant sans
titre du domaine public

Le domaine public de l’Etat, aux termes de loi n° 2020-624 du 14


août 2020 instituant code de l’urbanisme et du domaine foncier
urbain, “peut faire l’objet d’occupation temporaire conformément aux
textes en vigueur”. Sous ce rapport l’occupation du domaine public est
régie désormais par l’ordonnance 2016-588 portant titre d’occupation
du domaine. Aux termes de l’article 5 de cette ordonnance, « nul ne
peut, sans titre l’y habilitant, occuper une dépendance du domaine
public ». En fait, l’occupation sans titre du domaine public constitue
une contravention de voirie. Des mesures juridiques ou des moyens
juridiques sont mis à la disposition de l’administration pour faire
cesser cette occupation.

A-L’occupation sans titre du domaine public, une contravention


de voirie

L'utilisation privative suppose nécessairement un titre juridique


conféré par l'administration, permission de voirie, ou contrat
comportant occupation du domaine public. L’occupation sans titre du
domaine public, constitue une contravention de voirie en ce qu’elle
trouble la propriété de l’administration.

En réalité, l'occupant sans titre est d'abord celui qui n'a jamais
bénéficié d'une autorisation ou d'un contrat d’occupation. Est
également occupant sans titre, celui dont l'occupation a donné lieu à
un titre mais qui pour une raison quelconque, est expiré. À ce propos
l’article 32 de l’ordonnance 2016-588 portant titres d’occupation du
domaine public, donne de lire que constitue une contravention de
voirie le fait qu’à l’expiration du titre d’occupation, les lieux ne sont
pas remis dans leur état primitif par l’occupant. Il en va ainsi même si
l'administration a toléré son maintien dans les lieux, ou lui a donné
des assurances d'établissement d'un nouveau titre.

P a g e 54 | 142
Parce qu’elle constitue une situation illicite, il doit être mis fin à
L'occupation sans titre sans que l'intéressé puisse prétendre à une
indemnité. Au contraire, l'occupation sans titre constituant toujours
une faute, son auteur doit réparer les dommages qu'il a pu causer au
gestionnaire du domaine. Il peut être notamment conduit à
indemniser le gestionnaire de la perte des revenus que celui-ci aurait
pu percevoir d'un occupant régulier pendant la période de
l'occupation irrégulière

L’administration a, dès lors, l’obligation de faire cesser cette


occupation ou cette utilisation anormale du domaine public.
Cependant, tant que l'occupation se poursuit, l'occupant doit
acquitter les redevances prévues par les textes. L’occupation sans
titre du domaine public constitue une contravention de voirie en ce
qu’elle trouble la propriété de l’administration. En outre, à l’expiration
du titre si les lieux ne sont remis dans leur état primitif, la personne
de droit public peut procéder d’office, aux frais de l’occupant, à
l’enlèvement des installations et à la remise en état des lieux.
Toutefois, la personne morale peut dispenser l’occupant de cette
obligation de remise en l’état, et s’approprier, sans indemnité, les
installations édifiées. Pour ce faire, l’administration dispose de
plusieurs moyens.

B-Les moyens d’action de l’administration

Pour faire cesser les atteintes au domaine public


l’administration dispose de plusieurs moyens.

D’abord l’administration peut recourir à l’action répressive.


Lorsque le domaine public n’est pas protégé par le régime répressif
des contraventions de voirie, le seul moyen dont disposent les
autorités reste le recours au juge afin que celui-ci prononce
l’expulsion de l’occupant sans titre pour trouble de la possession. Elle
doit saisir le juge administratif pour faire ordonner l’expulsion de
l’occupant sans titre du domaine public. Dans l’arrêt PORT
AUTONOME D’ABIDJAN C/ GONDO Michel du 2 octobre 2015, le

P a g e 55 | 142
juge ordonne l’expulsion de l’occupant sans titre du domaine public en
ces termes : “cconsidérant, d’une part, que la libération des lieux,
sollicitée par le Port Autonome d’Abidjan à l’encontre de monsieur
GONDO Michel qui ne dispose d’aucun titre d’occupation et se trouve
être un occupant sans titre du domaine public, présente un caractère
d’urgence d’autant que son maintien dans les lieux, sans droit,
compromet la bonne exploitation du domaine public portuaire, objet
de multiples et pressantes sollicitations, surtout que le lot en cause a
fait l’objet, depuis le 18 novembre 2005, d’une autorisation
d’occupation de vingt ans (20) ans au profit des ayants droit de
monsieur Francisco KODJOED qui ne peuvent en prendre possession;
Considérant, d’autre part, que, si, selon les affirmations de
monsieur GONDO Michel, l’ancien attributaire lui a cédé le lot
litigieux, cette circonstance n’a pu lui conférer un quelconque titre
d’occupation du domaine public portuaire ; qu’ainsi, les prétentions du
Port Autonome d’Abidjan ne se heurtent à aucune contestation
sérieuse ;
Que, dans ces conditions, le Port Autonome d’Abidjan est
fondé à demander l’expulsion de monsieur GONDO Michel. En
conséquence, Ordonnons l’expulsion de GONDO Michel du lot n° 2-ZI-
127-132 du domaine public portuaire »
Mais en cas d’urgence, l’administration bénéficie du privilège du
préalable. Un tel privilège lui permet de faire cesser le trouble sans
passer par le juge. Mais le juge veille à mise en œuvre de cette
prérogative. Pour rendre de cette situation, il suffit de reproduire
entièrement un extrait de l’arrêt KOLIA Kouamé c/ Ministre de la
Construction et de l’Urbanisme: “Mais, considérant que la mise en
œuvre des dispositions du décret du 25 novembre 1930 sur
l’expropriation pour cause d’utilité publique et de l’occupation modifié
et complété par décrets du 24 août 1933 et 08 février 1949
invoquées par le Maire de la Commune de Koumassi, ainsi que, le
privilège du préalable invoqué par le Ministre en charge de la
Construction et de l’Urbanisme ne dispensent pas l’administration du
respect de la procédure de mise en demeure préalable avant la

P a g e 56 | 142
démolition des constructions érigées par monsieur KOLIA Kouamé ;
que la notification de la mise en demeure, le 15 décembre 2017, soit
postérieurement à la démolition, ne peut régulariser l’illégalité
commise ; qu’il s’ensuit que monsieur KOLIA Kouamé est fondé à
solliciter l’annulation de la décision de mise en demeure de démolition
du Ministre de la Construction et de l’Urbanisme”
Au surplus l’exécution forcée est strictement encadrée par la
jurisprudence. L’arrêt du TC, 2 décembre 1902, Ste immobilière
Saint-Just pose, en effet, trois conditions cumulatives :

-L’inexistence de sanction légale,

-L’urgence de la situation,

-L’existence d’un texte législatif le prévoyant expressément.

L’ensemble des règles étudiées a pour la protection du domaine


public dans son existence et son affectation. C’est le même objet que
vise le régime des rapports de voisinage.

CHAPITRE II : LE RÉGIME DES RAPPORTS DE VOISINAGE

Des propriétés privées se trouvent naturellement à côté du


domaine public. Voisines du domaine public, ces propriétés vont
évidemment entretenir des rapports avec lui. Cependant, les relations
entre le domaine public et les propriétés privées voisines de ce
domaine sont marquées par leur spécificité. On peut le vérifier en
analysant la délimitation du domaine public et les charges de
voisinage.

Section I : La délimitation du domaine public

La délimitation du domaine public vise à régler des questions


relatives aux relations entre domaine public et les propriétés privées
qui le bordent. Pour les riverains, ou pour les voisins d’une dépendance
domaniale, l’ignorance des limites exactes de leur propriété peut
entrainer de graves inconvénients en ce que des empiètements

P a g e 57 | 142
éventuels peuvent être commis. D’où la nécessité de délimiter le
domaine public. La délimitation du domaine public obéit à des
principes et procédures particuliers.

Paragraphe I : Les principes généraux de la délimitation

La délimitation est une opération qui consiste à établir les


limites du domaine public. En droit privé, la délimitation de deux
fonds s'opère par voie de bornage, c'est-à-dire, à défaut d'accord
des deux propriétaires, par une décision du juge statuant après
procédure contradictoire. Cette procédure de droit commun ne peut
être utilisée pour délimiter une dépendance du domaine public, et un
autre immeuble public ou privé. La délimitation du domaine public
donne lieu à l'application ou à l’utilisation de procédés originaux ou
exorbitant de droit commun

A- Une délimitation procédant d’un acte unilatéral

L’administration n'a pas besoin de s'accorder sur les limites


avec son voisin : elle peut dans la plupart des cas procéder par voie
unilatérale C’est l’administration qui détermine unilatéralement les
limites du domaine public. Il en va ainsi, par exemple, du décret n°
60-110 du 16 mars 1960 modifié et complété par le décret n° 98-151
du 25 mars 1998 portant délimitation des zones d’extension du
P.A.A. En effet, l’inventaire descriptif des terrains, ouvrages,
bâtiments et matériels du Port, annexé auxdits décrets, précise que
le périmètre du P.A.A. s’étend « à Vridi, sur les terrains du cordon
littoral d’une superficie globale d’environ 5.818.960 mètres carrés
situés entre les villages de Vridi et de Petit Bassam, limitée, au sud
par l’emprise de la voie ferrée de Port-Bouët à Vridi, puis le domaine
public maritime en bordure de mer… ».
Au surplus, L'administration ne peut même pas renoncer à son
pouvoir de délimiter. Selon la jurisprudence française, une
délimitation effectuée par voie d’accord avec le riverain du domaine
public serait entachée d’illégalité (CE, 20 juin 1975, Arrêt
LEVERRIER).

P a g e 58 | 142
En outre, si la délimitation donne lieu à un contentieux, celui-ci
est de la compétence de la juridiction administrative, qui ne peut être
saisie que sous la forme d'un recours contre un acte unilatéral...

B-Une délimitation obligatoire


Il pèse sur l’administration, une obligation de délimitation du
domaine public. En conséquence, l’administration doit répondre à la
demande d’un particulier sollicitant une délimitation. En cas de refus
elle administration engagerait sa responsabilité. (CE, 5 janvier 1955,
DECLOÎTRE). Cette délimitation obéit également à une procédure
spécifique.

Paragraphe II : La procédure de délimitation

Les règles qui gouvernent la délimitation varient selon qu’il


s’agisse du domaine public naturel ou du domaine public artificiel.

A- La délimitation du domaine public naturel

Le domaine public naturel est le domaine issu de phénomènes


naturels. En la matière, la délimitation est le résultat d’une procédure
unilatérale de l’autorité chargée des domaines. Elle s’impose tant à
l’administration qu’aux administrés. En fait, la délimitation du domaine
public naturel présente un caractère déclaratif, c'est-à-dire que
l'administration doit se borner à constater les limites qui résultent
de l'application des règles sur le domaine public naturel. Comme on l'a
vu, ces règles déterminent les limites du domaine en fonction de
phénomènes naturels. L'administration n'a pas le droit de
méconnaître les limites naturelles qui en résultent. Elle ne peut,
comme pour les voies publiques, effectuer une délimitation
attributive, ayant pour résultat d'incorporer au domaine les
propriétés privées que l'autorité administrative jugerait utile d'y
annexer.

P a g e 59 | 142
La délimitation est non seulement déclarative. Elle est aussi
contingente ; elle est modifiable en fonction du changement de la
configuration physique des lieux. La délimitation du domaine public a
un caractère déclaratif. En d’autres termes, l’administration ne fait
que constater les limites du domaine public résultant de phénomènes
naturels à un moment donné sous réserve des droits des tiers
riverains. Effectivement, en cas de délimitation irrégulière, les
intéressés peuvent exercer un recours pour excès de pouvoir contre
l’acte de délimitation.

B-La délimitation du domaine public artificiel : le régime de


l’alignement

L’alignement est la procédure par laquelle l’autorité administrative


procède à la délimitation du domaine public routier par rapport aux
droits de propriétés riveraines. L’alignement suppose une délimitation
générale avant que soit mis en place un alignement individuel

La CSCA dans l’arrêt SCI SICAM C/ Ministre des


infrastructures Économiques 25 juillet 2018, considère en effet
l’alignement comme le procédé de délimitation du domaine public
routier. En d’autres termes, l’alignement consiste pour
l’administration à fixer les limites latérales des voies publiques
terrestres par rapport aux propriétés riveraines.

Sous ce rapport, l’alignement permet non seulement de


constater les limites existantes d’une voie, mais aussi d’y apporter
des modifications. Celles-ci peuvent aboutir à un élargissement ou un
rétrécissement de la voie. L’alignement comprend une double
opération ou actes successifs :

- le plan d’alignement

-l’alignement individuel.

Le plan d’alignement a pour objet de fixer de façon générale et


impersonnelle le tracé d’une voie publique ou d’un ensemble de voies

P a g e 60 | 142
publiques et la ligne séparatrice d’avec les propriétés riveraines (la
procédure du plan d’alignement est organisée par un arrêté du 3
novembre 1934). Le plan d’alignement est document technique
susceptible d’établir indubitablement l’étendue de la dépendance de
domaine public. En conséquence, le juge, dans l’arrêt La CSCA SCI
SICAM C/ Ministre des Infrastructures Économiques du 25 juillet
2018, estime que « le Ministre des Infrastructures Économiques, au
soutien de ses allégations sur la domanialité publique du terrain
querellé, n’apporte aucun élément technique, notamment le plan
d’alignement délimitant le domaine public routier et incorporant le
terrain querellé dans l’emprise du boulevard Mitterrand… qu’il résulte
que la domanialité publique du terrain querellé n’est pas établie ; que,
par suite, le Ministre des Infrastructures Économiques est
incompétent pour le gérer, de sorte que, en autorisant le
SYNATRESOR à occuper une parcelle de terrain, objet de droit de
propriété privée, il a commis une voie de fait ; qu’ainsi, l’arrêté n°
0126 MIE/DDPE du 28 décembre 2016 ne peut qu’être annulé »
À la suite du plan d’alignement, intervient l’alignement individuel.
L'alignement individuel détermine la limite entre la voie publique et
votre propriété (terrain, jardin...). Un arrêté d'alignement peut être
délivré avant même l'acquisition du bien. Dès lors qu'un projet de
travaux se situe en bordure d'une voie publique, les voisins potentiels
doivent obtenir cet acte auprès du gestionnaire de la voie.
L’administration est obligée de délivrer l’alignement individuel à
l’administré qui en fait la demande.

De façon générale, l’alignement comme indiqué ci-dessus peut


aboutir à un élargissement ou à un rétrécissement de la voie. En cas
de rétrécissement, les parties délaissées sont déclassées
automatiquement et tombent dans le domaine privé de la personne
publique. Dans une telle perspective, les riverains ont un droit de
priorité pour acquérir ses biens délaissés.

En cas d’élargissement de la voie, il est procédé à une cession


forcée de la propriété. Les terrains non bâtis se trouvent frappés de

P a g e 61 | 142
servitude d’interdiction de construire. Quant aux terrains bâtis, ils
sont frappés de servitude de reculement. Il résulte de ce qui précède
que des charges pèsent sur les riverains du domaine public.

Section II : Les charges de voisinage

Il pèse sur les propriétés riveraines du domaine public des


contraintes particulières : les servitudes. Une servitude est, aux
termes du Code civil, une charge pesant sur l’immeuble appelé fond
servant au profit d’un autre immeuble, le fond dominant appartenant à
un autre propriétaire.

Ces servitudes lorsqu’elles sont rapportées à l’administration


sont appelées les servitudes administratives. Inversement, le domaine
public peut être assujetti de charges de voisinage spéciales. Ces
charges spéciales qui sur le domaine public sont appelés les aisances
de voiries.

Paragraphe I : Les charges spéciales au profit du domaine


public : les servitudes administratives
Aux termes de la loi n° 2020-624 du 14 août 2020 instituant
code de l’urbanisme et du domaine foncier urbain, la servitude est la
charge qui grève un immeuble, obligeant son propriétaire soit à
tolérer certains actes d’usage, soit à s’en abstenir lui-même. Sous ce
rapport, L’expression servitude « administrative ou servitude d’utilité
publique » désigne les charges qui pèsent sur les propriétés voisines
des biens du domaine public. En d’autres termes, les servitudes sont
des obligations grevant les propriétés privées au profit du domaine
public. Il alors d’examiner successivement la consistance des charges
de voisinage et les droits des particuliers.
A-La consistance des charges de voisinage
La loi portant code de l’urbanisme en son 231 pose le principe
selon lequel “toutes les propriétés privées urbaines sont susceptibles
d’être assujetties aux servitudes qui peuvent être imposées par un
plan d’aménagement et d’extension dont les conditions
d’établissement et d’exécution sont fixées par la réglementation sur

P a g e 62 | 142
l’urbanisme et aux servitudes d’hygiène, d’esthétique, d’alignement et
de sécurité publique.”

La servitude d’utilité publique constitue une limitation administrative au


droit de propriété, instituées par l’autorité publique dans un but d’utilité
publique. Elles sont susceptibles d’avoir une incidence sur la constructibilité et
plus largement sur l’occupation des sols. Les servitudes d’utilité publique
affectant l’utilisation des sols (SUP) constituent des charges qui existent de
plein droit sur tous les immeubles concernés et qui peuvent aboutir :
soit à certaines interdictions ou limitations à l’exercice par les propriétaires
de leur droit de construire, et plus généralement le droit d’occuper ou
d’utiliser le sol ;
soit à supporter l’exécution de travaux ou l’installation de certains ouvrages,
par exemple les servitudes créées pour l’établissement des lignes de transport
d’énergie électrique ;
soit, plus rarement, à imposer certaines obligations de faire à la charge des
propriétaires (travaux d’entretien ou de réparation).
Ces limitations administratives au droit de propriété peuvent être instituées
au bénéfice de personnes publiques, de concessionnaires de services ou de
travaux publics…
Elles trouvent chacune leur fondement dans un texte spécifique, établi en
application d’une législation spécifique (certains étant issus du code de
l’environnement, d’autres du code de la santé publique ou encore du code
forestier, etc.).
En fait, ces servitudes administratives tendent essentiellement
à assurer ou à garantir l’utilisation du bien conformément aux
exigences de son affectation. Il importe de distinguer les servitudes
générales des servitudes d’urbanisme.
1-les servitudes générales
Les servitudes sont établies dans l’intérêt général, plus
précisément dans l’intérêt Immobiliere GERO dite SCI GERO C/
Ministre de l’Environnement et public ou du service public. Le juge
rappelle dans un arrêt du 26 décembre 2018, Societé Civile du
Developpement durable – Port Autonome d’Abidjan cette exigence
fondamentale en matière de domanialité publique en ces termes ;
« Considérant qu’il résulte des dispositions de l’article 3 du décret
du 29 septembre 1928 portant réglementation du domaine public et

P a g e 63 | 142
des servitudes d’utilité publique que les terrains et bâtiments des
propriétés privées sont soumis à toutes les servitudes de passages,
d'implantation, d'appui et de circulation nécessitées par
l'aménagement des conduites d'égouts etc. ; que l’article 10 de
l’arrêté GG n° 2895 A.E du 24 novembre 1928, réglementant les
conditions d’application du décret du 29 septembre 1928 sur le
domaine et les servitudes d’utilité publique précise que l’exercice ou
l’établissement des servitudes comporte le droit de passer sur les
propriétés privées, d’y stationner et d’y faire tous travaux en vue de
l’installation des dispositifs ou toute autre opération nécessaire pour
l’aménagement, l’exploitation, l’usage ou l’entretien du domaine
public »
En Côte d’Ivoire, le décret du 29 septembre 1928 et son arrêté
d’application du 24 novembre 1928 ont prévu à cet effet deux types
de servitudes administratives :

• Une servitude de passage de 10 mètres de large sur chaque rive


le long des cours d’eau ni navigables, ni flottants ;
• Les servitudes générales au profit des équipements publics. Il
s’agit des servitudes de passage, d’implantation, d’appui et de
circulation. Il s’agit notamment des dispositifs de protection
des voies de communication, des lignes téléphoniques ou des
lignes électriques, les conduites d’eaux et d’égouts ;
2-Les servitudes d’urbanisme

Les servitudes d’urbanisme sont prévues par la loi n° 2020-624


du 14 août 2020 instituant code de l’urbanisme et du domaine foncier
urbain. Cette loi évoque les servitudes permanentes et les servitudes
temporaires. Les servitudes permanentes sont celle prévues par
l’article 228 de la loi précitée. En effet, les terrains et bâtiments
des propriétés privées sont soumis à toutes les servitudes de survol,
de passage, d’implantation, d’appui et de circulation nécessitées par
l’aménagement, l’exploitation, l’entretien des réseaux
d’assainissement, de drainage et d’évacuation des eaux usées,
d’adduction d’eau, d’éclairage public, de lignes, pylônes et

P a g e 64 | 142
dépendances de télécommunication, de dispositifs de protection des
voies de communications, ou par l’établissement d’oléoducs ou pipeline.

En fait, toutes les propriétés privées urbaines sont


susceptibles d’être assujetties aux servitudes qui peuvent être
imposées par un plan d’aménagement et d’extension dont les
conditions d’établissement et d’exécution sont fixées par la
réglementation sur l’urbanisme et aux servitudes d’hygiène,
d’esthétique, d’alignement et de sécurité publique.

Les servitudes énumérées ci-dessus incluent le droit de passer


sur le terrain, d’y stationner ou d’y faire tous travaux en vue de
l’installation des dispositifs ou de toute autre opération nécessaire à
l’aménagement, l’exploitation, l’usage ou l’entretien du domaine public.

B-les droits des administrés

Le voisin du domaine public bénéficie d’une certaine protection.


En fait, lorsque institution de servitudes administratives crée chez le
particulier un trouble dans sa propriété, il peut se voir accorder une
indemnité réparatrice. Il ressort da jurisprudence de la CSCA, arrêt
du 26 décembre 2018, Société Civile
Immobilière GERO dite SCI GERO C/ Ministre de l’Environnement et
du Développement durable – Port Autonome d’Abidjan, qu’il est de
principe que le voisinage d’une dépendance domaniale entraîne
l’application d’un régime juridique différent aussi bien pour la
délimitation de la propriété voisine que pour la détermination des
droits du propriétaire voisin du domaine public. En conséquence,
lorsqu’un riverain du domaine public subit des dommages, un préjudice
ou des troubles anormaux, il lui est loisible de demander une
indemnisation.

Paragraphe II : Les charges grevant le domaine public : les


aisances de voirie

P a g e 65 | 142
Les particuliers, voisins du domaine public, bénéficient de
quelques privilèges particuliers. Ces privilèges appelés aisance de
voirie sont divers. Examinons successivement la typologie des
aisances de voirie et leurs limites.

A-La typologie des aisances de voirie

Aux termes de l’arrêt Etat de Côte d’Ivoire SYNATRESOR


contre Ministre de l’Économie et des Finance du 29 mars 2017, il est
de principe que le domaine public ne supporte pas de servitude au
profit des propriétés privées.

En fait, si les propriétés privées supportent des charges


appelées servitudes administratives, elles peuvent bénéficier, en
retour de privilèges particuliers dans leur rapport avec le domaine
public. Ces privilèges particuliers appelés aisances de voirie se
traduisent par l’octroi de certains droits aux riverains en matière
d’utilisation de la voie. Les riverains des autres dépendances
domaniales n’ont pas ce privilège. De fait, ces aisances de voirie sont
accordées exclusivement aux voisins de voies publiques à l’exclusion
des aux autoroutes et aux voies expresses. On dénombre trois
catégories d’aisance de voirie : le droit d’accès, le droit de vue, le
droit d’écoulement des eaux.

* Le droit de vue donne la possibilité aux riverains d’ouvrir


ou de maintenir des fenêtres sur la voie publique.

* Le droit d’écoulement d’eaux (droit d’égouts), fluviales et


ménagères est la faculté donnée aux riverains de se raccorder aux
égouts destinés à l’écoulement des eaux usées.

* Le droit d’accès donne aux riverains ainsi qu’aux


fournisseurs et visiteurs se rendant dans un immeuble la possibilité
d’entrer et de sortir librement, à pied ou avec un véhicule. Ces
développements qui précèdent montrent que le domaine public
entretient des rapports spécifiques avec les propriétés riveraines.

P a g e 66 | 142
Cette des rapports des biens de la personne publique est également
observable dans l’utilisation du domaine public.

A- Les limites des aisances de voirie

Les aisances de voirie ne sont d’application générale. Elle ne


profite aux qu’aux riverains des voies. Dans l’arrêt Etat de Côte
d’Ivoire SYNATRESOR contre Ministre de l’Économie et des Finances
précité le juge pose clairement cette limite. Le juge considère en
effet, « que même à admettre que des aisances de voirie et
notamment les droits d’accès puissent grever les autoroutes et les
voies express, ces aisances de voirie ne peuvent bénéficier qu’aux
riverains des voies ; qu’en l’espèce, les maisons de l’opération
immobilière du SYNATRESOR sont situées à l’ arrière-plan des
bâtiments de la SCI OLYPS, contigus au Boulevard Mitterrand ; que
dès lors, ces aisances de voirie ne peuvent bénéficier aux acquéreurs
de l’opération immobilière du SYNATRESOR qui, en tout état de
cause, n’est pas enclavée, mais à la SCI OLYPS ; qu’il s’ensuit que ce
moyen ne peut prospérer.

CHAPITRE III : LE RÉGIME DE L’UTILISATION DU DOMAINE


PUBLIC

Les biens du domaine public sont, aux termes de l’article 3 de


l’ordonnance 2016-588 portant titres d’occupation du domaine public,
utilisés conformément à leur affectation à l’utilité publique. En effet,
aucun droit, d’aucune nature ne peut être consenti, s’il fait obstacle
au respect de cette affectation.

A la variété des dépendances domaniales correspond des modes


d’utilisation divers. La présentation habituelle distingue deux grandes
catégories d’utilisation : L’utilisation collective et l’utilisation
privative

P a g e 67 | 142
• L’utilisation collective : C’est le cas lorsque la dépendance
concernée ou le bien est utilisé anonymement par l’ensemble des
administrés ou par certains d’entre eux.
• L’utilisation privative : C’est lorsque la dépendance ou le bien
concerné est réservé à une ou des personnes déterminées.

Section I : L’utilisation collective

L’utilisation collective correspond à l’usage normal du domaine


public. Il en est ainsi en raison de l’intérêt collectif présenté par ce
type d’utilisation. C’est pourquoi elle est soumise à un régime juridique
très libéral. Ce régime limite l’intervention des autorités
administratives au strict nécessaire. L’utilisation collective est
gouvernée par trois principes directeurs : la liberté, l’égalité et la
gratuité.

Paragraphe I : Le principe de la liberté

Le domaine public est affecté à l’usage de tous. En


conséquence, nul n’a besoin d’une autorisation pour circuler sur le
domaine public. Ce principe de liberté d’utilisation peut l’objet
d’aménagement, de restriction. Il importe d’examiner le contenu du
principe avant d’apprécier ses restrictions

A- Le contenu du principe

Le principe de la liberté signifie simplement que la collectivité


publique ne peut interdire, de manière générale et absolue,
l’utilisation collective du domaine public conformément à sa
destination ou à son affectation C’est pourquoi aucune autorisation
préalable ne peut être exigée pour se déplacer sur l’ensemble du
territoire national. À pied ou en voiture, les individus peuvent
emprunter librement le domaine public. Entendu largement, le principe
de la liberté impliquerait donc que l’utilisation du domaine public
affecté à l’usage de tous ne soit soumise à aucune contrainte. Il
importe cependant de noter, que la liberté n’est valable que dès lors
que cette liberté est conforme à sa destination normale du bien.

P a g e 68 | 142
Il ressort de ce qui précède immédiatement que la liberté
d’utilisation n’est pas sans limite.

B-Les restrictions au principe de la liberté d’utilisation du


domaine public

L’utilité ou l’intérêt des restrictions peut s’apprécier à l’aune


même de la définition de la liberté. Celle-ci est entendue aux termes
l’article 4 de la déclaration de 1789 comme la liberté de faire ce qui
ne nuit pas à autrui. À partir de ce postulat, on admet aisément que
la liberté d’utilisation du domaine public peut être restreinte en vue
de sa protection matérielle et des libertés des autres usagers. En
d’autres termes, l’administration peut réglementer, dans le cadre de
ses pouvoirs de police de la conservation et de police de l’ordre
public, l’utilisation du domaine public.

Généralement, le principe de la liberté de l’utilisation du


domaine public peut faire l’objet de plusieurs restrictions. Une
synthèse permet de les regrouper en trois catégories :

• D’abord la liberté ne s’applique qu’aux utilisations conformes à


l’affectation ou au moins compatibles avec elle (l’affectation du
domaine public). C’est pourquoi, le juge administratif français a
jugé légal le refus d’autoriser la MNEF (Mouvement National
d’Étudiants Français) à organiser des élections sur la voie
publique au motif qu’aucune disposition ne fait obligation au
maire de mettre la voie publique à la disposition d’Étudiants
pour l’organisation des élections qui les concerne. Au surplus,
cette utilisation ne correspond pas à l’affectation normale de
cette partie du domaine public (CE 03 mai 1974 MNEF).

• Ensuite la liberté doit être conciliée avec la conservation du


domaine public et le maintien de l’ordre public. C’est pourquoi en
matière de circulation des véhicules, il est admis la fermeture
de certaines voies ou portions de voies, à certaines catégories
d’usagers durant certaines périodes.

P a g e 69 | 142
En matière de stationnement de véhicules, à la différence de
l’arrêt qui implique que le conducteur reste aux commandes du
véhicule ou à proximité immédiate, le stationnement implique
l’immobilisation et l’abandon du véhicule. Il est donc soumis à un
régime restrictif.

En matière d’exercice de certaines activités professionnelles, au nom


des nécessités de l’ordre public, des mesures restrictives peuvent
également être édictées par l’autorité de police à l’égard d’activités
purement privées exercées notamment sur les voies publiques et sur
des plages sans être conformes à leurs destinations. Tel est le cas,
par exemple, de l’activité de photographe-filmeur qui, dans la mesure
où elle est gênante pour la commodité ou la sécurité des usagers
utilisant ces dépendances conformément à leur destination, peut être
cantonné en certains lieux et à certains moments (C.E Assemblé, 22
juin 1951, Daudignac et Fédération Nationale des Photographes-
filmeurs), ou même s’il le faut interdire purement et simplement
(Arrêt d’Époux Leroy 16 Mars 1968), sans qu’y faire obstacle ni la
liberté d’aller et de venir, ni celle du commerce et de l’industrie. Il
peut être décidé de même relativement aux ventes ambulantes sur
les routes et aux petits commerces ambulants sur les voies publiques
urbaines.

• Enfin la liberté d’utilisation s’efface devant l’intérêt de la bonne


gestion des services publics.

C’est pourquoi la jurisprudence a reconnu le droit pour l’autorité de


police de soumettre, par exemple, les entreprises privées de
transport à autorisation et de subordonner l’octroi de l’autorisation à
des conditions destinées non seulement à assurer l’ordre public, mais
aussi à permettre le meilleur service de l’intérêt général, et cela par
une détermination adéquate des itinéraires, points d’arrêts, horaires
et par l’obligation de régularité dans le service. La jurisprudence a
même reconnu à l’autorité de police le droit de réglementer l’activité
de ses entreprises en vue de protéger contre leur concurrence, les
services publics de transport institués par la personne publique et

P a g e 70 | 142
exploités par elle-même en régie ou par l’intermédiaire d’un
concessionnaire (CE 29 janvier 1962, Société des Autobus Antibois).
Le principe de liberté d’utilisation du domaine public fait l’objet d’un
encadrement. Il en va de même pour le principe d’égalité.

Paragraphe II : Le principe d’égalité

Le principe d’égalité a été consacré par la jurisprudence du CE


du 2 novembre 1956, Arrêt Biberon. Cet arrêt reconnait l’existence
d’un principe d’égalité des usagers du domaine public. Pour le Conseil
constitutionnel français, le principe d’égalité dans l’utilisation du
domaine public est le corollaire du principe d’égalité reconnu par la
Constitution. Cela signifie que la différence de traitement des
usagers dans l’utilisation du domaine publique doit se faire sur des
bases objectives Il faut noter toutefois qu’il s’agit d’une égalité
proportionnelle, c'est-à-dire celle qui existe entre usagers du
domaine public placés dans la même situation. En d’autres termes, la
règle d’égalité n’implique pas nécessairement une situation uniforme,
un traitement identique pour tous les usagers du domaine public (CE,
10 mai 1974, Denoyez et Chorques).

Paragraphe III : Le principe de la gratuité

En principe, l’usage collectif du domaine public ne saurait être


assujetti au paiement de taxe ou de redevance. C’est dire que l’usage
collectif du domaine public est gratuit. Cependant, nul n’ignore
aujourd’hui que, le domaine public est source de richesse. Son
utilisation collective est, de plus en plus, soumise au paiement de
taxes et de redevances : les autoroutes à péage, les ponts à péage.

Si le domaine public peut faire l’objet d’utilisation collective, il


peut être également l’objet d’une utilisation privative.

Section II : L’utilisation privative du domaine public

L’utilisation privative du domaine public se manifeste par


l’occupation, d’une partie du domaine public, par une personne

P a g e 71 | 142
déterminée. En raison de cette occupation, cette partie du domaine
public se trouve soustraite à toutes possibilités d’utilisation par
d’autres personnes.

Les utilisations privatives correspondent à l’idée que le domaine


public est une richesse dont les collectivités publiques peuvent et
doivent assurer la meilleure exploitation. Exposons d’abord les
principes généraux applicables à l’utilisation privative du domaine
public, avant d’envisager ses formes ou modalités.

Paragraphe I : Les principes généraux applicables à l’utilisation


privative du domaine public

Ne correspondant pas à l’usage normal du domaine public,


l’utilisation privative du domaine public obéit à trois (3) principes
essentiels : la nécessité d’une autorisation, l’exigence d’une redevance
et la précarité de l’utilisation.

A- La nécessité d’une autorisation

L’utilisation privative du domaine public n’est pas libre. Elle fait


l’objet d’une autorisation préalable de l’administration. En effet, « nul
ne peut, sans disposer d’un titre l’y habilitant, occuper une
dépendance du domaine public … ou l’utiliser dans les limites
dépassant le droit d’usage qui appartient à tous ». Le décret 2016-
788 du 12 octobre 2016 relatif aux modalités d’application de
l’ordonnance 2016-588 portant titre d’occupation du domaine public
fixe les modalités de cette autorisation. Aux termes de l’article 1 du
décret l’autorisation est consentie par voie d’une décision unilatérale
ou d’une convention. Elle est délivrée par la personne publique
propriétaire ou par l’organisme gestionnaire du domaine public.
(Article 4 du décret). Ainsi pour l’État l’autorisation est délivrée par
le ministre en charge des domaines. Pour l’occupation ou l’utilisation
du domaine public des collectivités territoriales, l’autorisation est
délivrée par :

-Le maire au nom de la commune

P a g e 72 | 142
-Le président du Conseil régional au nom de la région

S’agissant de l’occupation ou l’utilisation du domaine public de


l’EPN, l’autorisation est délivrée par l’autorité de l’établissement à
laquelle cette compétence est attribuée par son statut.

B-L’exigence d’une redevance

Tout comme le domaine privé, le domaine public peut être à


l’origine de ressources importantes pour la collectivité publique. En
effet le patrimoine des personnes publiques est considéré comme une
richesse à exploiter dans les conditions économiques optimales. C’est
pourquoi les occupants privatifs du domaine public, en contrepartie
des bénéfices qu’ils en tirent, doivent s’acquitter d’une redevance.
Cette exigence est contenue dans l’article 9 de l’ordonnance 2016-
588 portant titres d’occupation du domaine public. Aux termes de
cette disposition « Toute occupation ou utilisation du domaine public
donne lieu au paiement d’une redevance ». La même exigence est
formulée par l’article 194 de la loi n° 2020-624 du 14 août 2020
instituant code de l’urbanisme et du domaine foncier urbain. En effet,
les autorisations d’occuper ou d’exploiter le domaine public sont
assujetties au paiement de redevances ou de loyer dont le montant
est fixé sur la base d’un barème déterminé par décret pris en Conseil
des ministre sur proposition conjointe du Ministre chargé de la
gestion du domaine foncier urbain, du ministre chargé de budget et
celui chargé de l’économie. Des dérogations sont prévues à ce
principe.

En effet, l’autorisation peut être délivrée gratuitement dans


deux situations :

Soit lorsque l’occupation ou l’utilisation est la condition naturelle


et forcée de l’exécution de travaux ou de la présence d’un ouvrage
intéressant un service public qui bénéficie gratuitement à tous ;

Soit lorsque l’occupation ou l’utilisation contribue directement à


assurer la conservation du domaine public lui-même.

P a g e 73 | 142
C- La précarité de l’utilisation ou des autorisations

Le principe de la précarité est prévu 7 et 8 l’ordonnance 2016-


588 portant titres d’occupation du domaine public que « l’occupation
ou l’utilisation du domaine public ne peut être que temporaire ». Ce
principe est repris par le juge administratif dans l’arrêt Commune de
Yopougon contre Tanoh Yves Landry Stéphane du 10 mars 2021, en
ces termes « l’occupant ne détient qu'un droit de jouissance précaire
et révocable »
De fait, toute occupation ou utilisation du domaine public, ne
confère pas aux occupants un droit réel. Ils ont toutefois, sauf
prescription contraire de son titre, un droit réel sur les constructions
et installations de caractère immobilier qu’il réalise pour l’exercice
d’une activité autorisée par son titre d’occupation. Dans l’arrêt
précité, le juge note cependant que dans le cadre d’une concession de
service public, « les investissements correspondant à la création ou à
l'acquisition des biens nécessaires au fonctionnement du service
public, l'ensemble de ces biens, meubles ou immeubles, appartiennent,
dans le silence de la convention, dès leur réalisation ou leur
acquisition à la personne publique ». Cette situation découle du
principe de l’inaliénabilité du domaine public.

En fait, Le principe de précarité traduit la préoccupation de la


protection du domaine public et le souci de faire en sorte que
l’administration soit toujours en mesure d’avoir à sa disposition des
biens. Si les autorisations ont été accordées par contrat leur
résiliation prématurée est possible conformément au principe de la
mutabilité des contrats administratifs dans l’intérêt général ou à
titre de sanction. Ce principe est dégagé par l’arrêt Commune de
Yopougon contre Tanoh Yves Landry Stéphane du 10 mars 2021. Le
juge affirme que l’administration jouit de prérogatives exorbitantes
de droit commun comme le privilège du préalable, la résiliation
unilatérale et même la sanction. Si l’autorisation résulte d’un acte
unilatéral, elle est entachée de précarité et le bénéficiaire n’a donc

P a g e 74 | 142
pas un droit acquis au maintien de cette autorisation. Celle-ci peut
être revue dans l’intérêt général.

Paragraphe II : Les formes d’utilisations privatives du domaine


public

La lecture de l’ordonnance 2016-588 portant titres d’occupation


du domaine public, donne de constater trois formes d’utilisations
privatives du domaine public :

-Les autorisations temporaires classiques ;

- Les autorisations temporaires constitutives de droit réel ;

-Le bail emphytéotique administratif.

A- Les autorisations temporaires classiques

Les biens appartenant à une personne publique sont affectés à


l’utilité publique Malgré cette définition, le domaine public peut faire
l'objet d'occupations et d'utilisations privatives sous réserve qu'elles
soient conformes ou simplement compatibles avec la destination du
domaine occupé. En fait, les autorisations temporaires classiques sont
de deux formes. L’ordonnance 2016-588 portant titres d’occupation
du domaine public évoque les formes d’actes unilatéraux (la
permission de voirie) et les formes contractuelles (La concession de
voirie)

1- Les formes d’autorisation temporaire classique

« nul ne peut, sans disposer d’un titre l’y habilitant, occuper une
dépendance du domaine public … ou l’utiliser dans les limites
dépassant le droit d’usage qui appartient à tous A partir de ce
principe existent deux types d'autorisations : les A.O.T. ou
autorisations unilatérales d'occupation temporaire du domaine public
et les conventions d'occupation du domaine public qui peuvent
découler, notamment, d'une concession. En effet, aux termes de
l’article 22 de l’ordonnance 2016-588 portant titres d’occupation du

P a g e 75 | 142
domaine public l’Etat, les collectivités territoriales, les
établissements publics, peuvent délivrer des autorisations
temporaires soit sous la forme d’actes unilatéraux appelés permission
de voirie, soit sous forme contractuelle appelée concession de voirie.

1-a la permission de voirie

La permission de voirie est un acte unilatéral autorisant un


particulier à utiliser privativement une partie du domaine public. Elle
est délivrée sous la forme d’un titre d’occupation signé par la
personne publique propriétaire du domaine. La permission de voirie
peut être retirée pour tout motif d’intérêt général. En outre, le
retrait ne vaut pas droit à indemnité au profit du permissionnaire
évincé. Dans certains pays, comme la France, on distingue la
permission de voirie du permis de stationnement. La permission de
voirie évoque une occupation avec emprise c'est-à-dire une
pénétration dans le sol alors que le permis de stationnement
correspond à une occupation sans emprise c'est-à-dire sans
pénétration. À côté de la permission de voirie, il existe la concession
de voirie.

1-b-La concession de voirie : les autorisations contractuelles

En Côte d’Ivoire, c’est la forme utilisée pour les occupations du


domaine public dans le cadre des investissements d’une certaine
durée. En effet la concession de voirie est consentie pour une durée
déterminée qui ne peut inférieure à deux ans. Elle peut, pour tout
motif d’intérêt général résilié. Cependant, en dehors des cas de
sanction pour violation des clauses contractuelles, la résiliation avant
terme d’une concession de voirie ouvre droit à indemnité, notamment
lorsque les ouvrages et les investissements réalisés sur le domaine
n’ont pas été amortis.

2-Le régime juridique des autorisations temporaires classique

Inaliénable, le domaine public ne peut être occupé que pour une


durée fixée en fonction de son affectation et éventuellement

P a g e 76 | 142
renouvelable.. Seul le régime des concessions funéraires échappe à
cette règle commune. Malgré leur classement certain dans le domaine
public depuis l'arrêt du Conseil d'État Mougamadousadagnetoullah,
dit Marecar, du 28 juin 1935, la jurisprudence reconnaît qu'elles
n'ont pas « le caractère précaire et révocable qui s'attache, en
général, aux occupations du domaine public » (CE Ass. 21 octobre
1955 Dlle Méline). Le titre d'occupation est révocable à tout moment
dans l'intérêt du domaine public.

Les autorisations temporaires classiques ne sont constitutifs de


droit réels. On le sait, le droit réel est le droit qui porte sur une
chose comme un droit de propriété. Une partie de la doctrine a voulu
voir dans le titre d'occupation du domaine public « un droit réel
administratif». Cette thèse, défendue notamment par le doyen
Hauriou qualifiait de droit réel administratif toute occupation
privative régulière du domaine public. En réalité les autorisations
d'occupation temporaire ne constituent pas des droits réels
immobiliers. Le droit d'occupation ne saurait en tout état de cause
être rapproché des droits réels civils qui impliquent l'opposabilité
erga omnes, le droit de suite et le droit de préférence. Il y manque,
non seulement l'opposabilité à l'administration, mais encore le
rapport direct avec le bien sans intermédiaire. Ainsi, aux termes de
l’ordonnance portant titre d’occupation du domaine public, les
autorisations temporaires sont accordées à titre personnel et ne sont
pas transmissibles à des tiers, sauf accord préalable et express de la
personne publique propriétaire ou gestionnaire. Le terme «
administratif» permettrait donc de tenir compte des conditions
encadrant le régime de ces droits réels. Notamment de l'interdiction
de céder, transmettre ou transférer ce droit (a fortiori de
l'hypothéquer) et de l'obligation de respecter la destination du
domaine dans l'usage qui en est fait.

B-Les autres formes d’occupation du domaine public

Les autres formes d’autorisation sont prévues par l’article 21 de


l’ordonnance. En effet, à côté des formes d’utilisations classiques

P a g e 77 | 142
(permission de voirie-concession), l’ordonnance de 2016 évoque les
autorisations constitutives de droit réel et le bail emphytéotique
administratif.

1-Les autorisations d’occupation temporaire constitutive de droit


réel
Les personnes morales de droit public peuvent délivrer sur leur
domaine des autorisations d’occupation temporaire constitutives de
droit réel pour l’exercice de toute activité privée privé ou publique
autorisée par ce titre. Ainsi le titulaire de l’autorisation temporaire
constitutive de droit réel possède un droit réel sur les ouvrages,
constructions et installations de caractères immobiliers qu’il réalise
pour l’exercice de cette activité. Ce droit confère à son titulaire,
pour la durée de l’autorisation, les prérogatives et obligations du
propriétaire. (Article 35 de l’ordonnance 2016-588 portant titre
d’occupation du domaine public).
2-Le bail emphytéotique administratif
Il ressort de l’article 41 de l’ordonnance 2016-588 portants
titres d’occupation du domaine public qu’un bien immeuble
appartenant au domaine public d’une personne morale peut faire
l’objet d’un bail emphytéotique administratif. Le bail emphytéotique
administratif est un contrat administratif de location de bien
immeuble appartenant au domaine public. Le bail emphytéotique
administratif confère au preneur un droit d’occupation et un droit
réel non seulement sur le titre d’occupation mais également les
constructions qu’il va édifier sur le domaine public pendant la durée
du bail Ce bail est accordé pour diverses raisons :
L’accomplissement, pour le compte de la personne publique d’une
mission de service public dans le cadre d’un Partenariat public-privé ;
La réalisation d’une opération d’intérêt général relevant de sa
compétence, dans le cadre d’un Partenariat public-privé ;
De la restauration, de réparation ou de la mise en valeur en
valeur, dans le cadre ou non d’un Partenariat public-privé.

P a g e 78 | 142
DROIT ADMINISTRATIF DES BIENS :

LES MODES DE CESSION FORCEE AU PROFIT DE


L’ADMINISTRATION, L’OUVRAGE ET TRAVAUX PUBLICS

Par Professeur DOSSO Karim, Maître de conférences du CAMES,


Enseignant-chercheur à l’Université Alassane Ouattara

INTRODUCTION

La personne publique peut, pour constituer son domaine,


recourir à des techniques de droit commun (achat-donation-leg-
échange etc…). Elle peut également utiliser, pour les mêmes fins, des
procédés exorbitants du droit commun. C’est le cas, notamment, de
l’expropriation soit pour cause d’utilité publique soit pour défaut de
mise en valeur.

En dehors des cas susmentionnés, la constitution du domaine


des personnes publiques passe également par la réalisation de
travaux. Ces travaux, appelés travaux publics, aboutissent très
souvent à des ouvrages, nommés les ouvrages publics. Les ouvrages
publics autant que les travaux publics obéissent à un régime de droit
public.

En réalité, l’expropriation, la nationalisation, la réquisition, la


préemption, l’ouvrage et les travaux publics constituent les

P a g e 79 | 142
manifestations les plus tangibles du caractère spécifique du droit
administratif des biens. Il convient alors de les étudier
successivement.

PARTIE I - LES MODES DE CESSION FORCÉE DES BIENS AU


PROFIT DE L’ADMINISTRATION

L’administration peut constituer son domaine en utilisant des


modes ordinaires : l’achat, la donation, l’échange. Le transfert de
biens privés au sein des patrimoines publics s'opère également par
certains mécanismes spécifiques. La particularité de ces mécanismes
prend place dans le fait que ces mécanismes conduisent à l'acquisition
forcée de biens. Il en va ainsi de l'expropriation, qui sera étudiée en
détail par ailleurs. Il en va ainsi également de la nationalisation, qui
est d'ailleurs une forme d'expropriation Il en va ainsi, également, du
droit de préemption, dont l'administration dispose dans le cadre de
certaines législations, et notamment en matière d'urbanisme. La
législation d'urbanisme prévoit en effet que, dans certains
contextes, les collectivités publiques peuvent préempter les terrains
et les immeubles que leurs propriétaires mettent en vente, et faire
arbitrer le prix par le juge de l'expropriation. Comme on peut le
constater, les modes de cession forcée sont diverses. Mais un effort
de synthèse permet de distinguer le mode classique des autres modes
de cession forcée. Examinons successivement ces diverses modalités
d’appropriation forcée des biens appartenant aux personnes privées.

CHAPITRE I- LE MODE CLASSIQUE : L’EXPROPRIATION


POUR CAUSE D’UTILITÉ PUBLIQUE

Le Doyen Maurice HAURIOU appréhende l’expropriation pour


cause d’utilité publique comme un procédé par lequel la puissance
publique pourvoit à l’acquisition des terrains et bâtiment qui sont
nécessaire à l’usage du public ou à celui des services publics 3. Par ce
que « le droit de propriété est garanti à tous ». « Nul ne doit être
privé de sa propriété si ce n’est pour cause d’utilité publique et sous

3
Maurice HAURIOU, Précis de droit administratif et de droit public, paru en 1933, édition Sirey,
Réédité et présenté par Pierre Delvolvé et Franck Moderne, Dalloz, 2002, p. 868

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la condition d’une juste et préalable indemnisation ». (Art 11 de la
Constitution ivoirienne) Cette valeur constitutionnelle est rappelée
par la Chambre administrative de la Cour suprême dans un arrêt du
27 juin 2012 SCI « VISION 2000 ». On peut lire, en effet, dans un
des considérants que « le droit de propriété ainsi que les garanties
données aux titulaires de ce droit ont pleine valeur constitutionnelle
… qu’il ne peut y être porté atteinte que dans les conditions fixées
par la loi ».

Le législateur encadre effectivement la procédure


d’expropriation pour cause d’utilité publique. La loi réaffirme d’abord
la possibilité qu’a l’administration à contraindre un particulier à lui
céder un bien. Il ressort de la lecture combinée des articles 171 et
226 du code de l’urbanisme qu’il peut être porté atteinte au droit de
propriété par :

 l’établissement de servitudes ;
 l’expropriation pour cause d’utilité publique.

Quant à l’article 171 du code de l’urbanisme de 2020, il indique que


« L’État peut accéder à la propriété d’immeubles par :

 l’acquisition ou la reprise de droits ;


 l’expropriation pour cause d’utilité publique ;
 l’exercice de son droit de préemption.”

On le voit, l’expropriation pour cause d’utilité publique est un


mode d’acquisition des biens immobiliers dans un but d’utilité
publique. En effet, aux termes de l’article 238 de la n° 2020-624 du
14 août 2020 instituant code de l’urbanisme et du domaine foncier
urbain « L’expropriation pour cause d’utilité publique est la procédure
par laquelle la puissance publique contraint toute personne physique
ou morale à la cession forcée de ses droits de propriété sur un bien
immobilier, moyennant une indemnisation juste et préalable ».
L’expression pour cause d’utilité, comme d’ailleurs la réquisition, est
une procédure de contrainte permettant à l’administration agissant

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au nom de l’intérêt général, d’obliger une personne à lui céder son
bien, avec comme garantie, l’indemnisation de la personne expropriée.
En d’autres termes, c’est la technique juridique d’appropriation
caractérisée par la contrainte. Elle est exercée par la personne
publique sur les biens immobiliers des particuliers dans un but ou une
finalité d’intérêt général. C’est dire que l’expropriation est une
procédure permettant à l'Administration dans un but d'utilité
générale, après une indemnisation juste et préalable, de contraindre
un particulier à céder son bien à titre onéreux soit à elle-même, soit
à une personne morale de droit privé.

Sous le bénéfice de cette présentation, l’expropriation pour


cause d’utilité publique est une notion essentielle. Aussi convient-il
d’étudier successivement son champ d’application et sa procédure de
mise en œuvre.

Section I : Le champ d’application de la procédure d’expropriation


pour cause d’utilité publique

En Côte d’Ivoire, le régime de l’expropriation est organisé par


plusieurs textes. Pendant longtemps l’expropriation a été pendant
longtemps régi par le décret du 25 novembre 1930, modifié par les
décrets du 24 août 1933 et du 8 février 1949, la loi n°2003-489 du
26 décembre 2003 portant régime financier, fiscal et domanial des
collectivités territoriales. Actuellement l’expropriation pour cause
d’utilité est saisie par la loi n° 2020-624 du 14 août 2020 instituant
code de l’urbanisme et du domaine foncier urbain. De la lecture
combinée de ces textes, il ressort les éléments suivants :

-Les biens expropriables,

-Les acteurs de l’expropriation ;

-Le but de l’expropriation.

Paragraphe I- Les biens expropriables

L’expropriation a été présentée comme une technique juridique


d’appropriation par la contrainte de biens appartenant à des

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particuliers. On le sait, ces personnes privées peuvent avoir des biens
mobiliers et immobiliers. Il importe au préalable de s’interroger
successivement sur les choses qui peuvent être expropriées et la
qualité d’expropriant.

La réponse à ces questions est fournie à travers deux


propositions intimement liées. Il est, en effet, admis que
l’expropriation est limitée aux immeubles d’une part et, d’autre part
aux immeubles appartenant aux personnes privées.

A-La limitation de l’expropriation aux biens immobiliers

Quelles choses peuvent être expropriées ? Il n’est pas inutile


de rappeler que les biens immeubles du domaine public des personnes
publiques ne peuvent pas faire l’objet d’une procédure d’expropriation
en application du principe de l’inaliénabilité. L’expropriation peut
concerner tout ou partie d’immeuble des personnes privées. Les
choses corporelles immobilières peuvent seules être expropriées ; il
résulte de l’ensemble des dispositions législatives que l’expropriation
n’est faite que pour les propriétés foncières, non pas pour les
meubles, ni pour les droits incorporels. En effet, seuls les immeubles
bâtis ou non peuvent faire objet d’expropriation. Reprenant l’article
5 du décret de 19304, l’article 238 de loi n° 2020-624 du 14 août
2020 instituant code de l’urbanisme et du domaine foncier urbain
de la loi de 2020 portant code de l’urbanisme précise que
« L’expropriation d’immeuble, en tout ou partie, ou de droits réels
immobiliers pour cause d’utilité publique s’opère entre la puissance
publique et le propriétaire ».

Il ressort de cette proposition que seuls les biens immobiliers


sont concernés ou compris dans le champ de la procédure
d’expropriation pour cause d’utilité publique. Il importe de préciser
que seuls les biens immeubles faisant l’objet d’un titre légal de
propriété sont expropriables. En conséquence, les terrains concédés à
titre provisoire ou ceux faisant l’objet d’une simple lettre
d’attribution peuvent être repris par l’État, sans qu’il y ait lieu d’y
4
l’acte de cessibilité « peut viser soit en totalité, soit en partie la portion des immeubles ».

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voir une expropriation pour cause d’utilité publique. L’expropriation
est limitée aux immeubles appartenant aux particuliers.

B- La limitation de l’expropriation aux immeubles privés

L’expropriation pour cause d’utilité n’est opposable qu’aux


immeubles appartenant aux personnes privées. Ce postulat trouve sa
justification dans un principe d’inaliénabilité consubstantiel au
domaine public. En conséquence, l’expropriation ne peut concerner que
les biens immobiliers bâtis ou non des personnes privées.

Mais, cette règle fondamentale a pu être atténuée par la


jurisprudence du Conseil d’État français. La haute juridiction
administrative française considère que les biens de certaines
catégories, de personnes publiques, notamment les collectivités
territoriales peuvent l’objet d’expropriation. Dans cette hypothèse,
ces biens doivent, au préalable, faire l’objet de désaffectation et de
déclassement. Ils se trouvent dès lors dans le domaine privé de cette
personne. Le bien devient vulnérable en qu’il n’est plus protégé par le
principe de l’inaliénabilité (CE 8 août 1990, ministère de l’urbanisme
c/ Ville de Paris).

On peut donc déduire de ce qui précède que seuls les immeubles


faisant l’objet d’une propriété privée peuvent être expropriés, c'est-
à-dire les immeubles appartenant à des particuliers ou encore ceux
qui dépendent du domaine privé de certaines collectivités publiques.

L’expropriation met en scène divers acteurs et d’exerce dans un


but d’utilité publique.

Paragraphe II-Les acteurs et le but de l’expropriation

L’expropriation, comme soulignée précédemment, est une


cession forcée à la collectivité publique d’un bien appartenant à une
personne privée. Il importe alors d’indiquer que la procédure
d’expropriation met en scène plusieurs acteurs : l’exproprié,
l’expropriant et les bénéficiaires de l’expropriation. Cette procédure
est engagée dans un but d’utilité publique.

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A- Les acteurs de l’expropriation

S’agissant des acteurs de l’expropriation, il y a lieu de


distinguer la qualité d’exproprié de celle d’expropriant

1- La qualité d’exproprié et d’expropriant

Il ressort des textes, que l’exproprié est tout propriétaire d’un


droit réel immobilier. Il s’agit principalement des personnes privées.
Il faut cependant noter qu’à la qualité d’exproprié se trouvent
attachées l’ensemble des garanties prévues par la loi pour encadrer
et compenser équitablement l’atteinte portée au droit de propriété.

Quant à la qualité d’expropriant, elle est accordée aux


personnes publiques suivantes :

-l’État ;

-les collectivités territoriales ou locales ;

-les établissements publics nationaux ou locaux.

S’agissant des collectivités territoriales, « L’expropriation est


décidée par l’organe délibérant de la collectivité territoriale et
effectuée dans les mêmes conditions que celle effectuée par l’État.
Toutefois, seul l’Etat est détenteur du pouvoir d’exproprier. En
effet, l’expropriation est la plus emblématique des prérogatives de
puissance publique. Le système juridique attribue à l’Etat seul le
pouvoir d’imposer la cession forcée d’une propriété immobilière
détenue par un tiers. L’Etat est donc le titulaire du droit
d’exproprier. L’article 216 de loi portant code de l’urbanisme,
« l’expropriation est prononcée par arrêté conjoint du ministre
chargé de l’Urbanisme, du ministre chargé de l’Économie et des
Finances et du ministre chargé du Budget. Dans des conditions
déterminées par décret, l’expropriation peut être prononcée par
arrêté du préfet ».

Cette prééminence de l’Etat s’explique par une considération de


nature politique indiscutable : la souveraineté (la détention de la

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compétence de ses compétences). D’un point de vue juridique et
procédural, tous les actes marquant la phase administrative de
l’expropriation émanent d’une autorité de l’Etat. Cette autorité de
l’Etat pourrait légalement empêcher l’aboutissement d’une procédure
d’expropriation. Il lui suffira de refuser de prendre les actes
juridiques nécessaires. Un tel refus pourrait se fonder sur des
considérations d’opportunité ou de légalité. Le pouvoir d’exproprier,
en tant que compétence, n’a fait l’objet d’aucun transfert au profit
des collectivités locales. L’Etat est resté seul compétent pour donner
les autorisations nécessaires à la mise en œuvre de l’expropriation.

Lorsque la procédure d’expropriation va à son terme, les biens


expropriés vont tomber dans le patrimoine d’une autre personne. Cela
invite à évoquer la question du bénéficiaire de l’expropriation.

2-Les bénéficiaires de l’expropriation

En règle générale, l’expropriant est en principe le bénéficiaire


de l’expropriation. En d’autres termes, l’expropriation ne peut
bénéficier logiquement qu’à l’État, aux collectivités publiques et aux
EPN. Cependant dans certaines hypothèses, l’expropriant peut être
différent du bénéficiaire, c’est-à-dire celui qui va recueillir, dans son
patrimoine, l’immeuble exproprié. Il ressort, en effet, de la
jurisprudence du CE français que l’expropriation peut légalement
procurer un avantage direct à une personne privée lorsque celle-ci se
trouve investie d’une mission de service public :( CE 20 décembre
1935, Société des Établissements Vézia 5 ). Mais l’expropriation n’est
légale qu’au regard de son but

B- Le but de l’expropriation

En vue de quels objets d’utilité publique peut-on exproprier ?


5
le CE a admis qu’en raison du caractère d’intérêt public qui s’attache aux activités des sociétés privées de
prévoyance agricole, le gouverneur pouvait poursuivre l’expropriation et rétrocéder les immeubles à
l’entreprise privée d’intérêt général. Le conseil a pu considérer, à une autre occasion, que dans la mesure où
« il est conforme à l’intérêt général de satisfaire à la fois les besoins de la circulation publique et les
exigences du développement d’un ensemble industriel, qui joue un rôle important dans l’économie
régionale » une personne privée peut bénéficier d’une expropriation cf. CE 20 juillet 1971, ville de Sochaux.
C’est souvent dans la perspective de création d’emplois qui semble être prépondérante (cf. CE 02 juillet
1999, Commune de Volvic).

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Dans la doctrine allemande, des auteurs ont pu considérer que
l’expropriation doit être employée dans un intérêt social plutôt que
dans un intérêt public et, par conséquent, qu’elle peut être mise à la
disposition de certaines entreprises privées qui sont sans relation
directe avec l’administration. Cette position est repoussée par le
Doyen HARIOU qui estime que si certaines entreprises privées
méritent des privilèges, elles ne sauraient avoir les avantages de
l’expropriation. Il ne faut pas, selon le Doyen HAURIOU « mélanger
les genres et confondre les catégories »6 L’expropriation, on le sait,
porte atteinte au droit de propriété. La fondamentalité de ce droit a
amené le législateur à encadrer ou à déterminer de façon le but de
l’expropriation.

Le caractère de prérogative régalienne de l’expropriation a pour


conséquence que sa légitimité dépend de son bien-fondé.
L’expropriation trouve sa justification dans utilité publique. Sous ce
rapport, l’expropriation ne peut être réalisée, au regard du droit
positif, que pour cause d’utilité publique.

À l’origine, on considérait qu’il n’y avait d’utilité publique qu’en


vue de la constitution du domaine public. Ainsi on ne pouvait recourir
à l’expropriation qu’en vue d’un service public ou d’un usage public, par
conséquent, on ne pouvait pas y recourir uniquement pour détruire
certains objets ou établissements. La raison est qu’au milieu du XIX e
siècle on songeait surtout à employer l’expropriation pour engager
des grands travaux de voiries. Cette conception restrictive fut
abandonnée, progressivement, en raison du constat de la nécessité
d’adapter le droit de l’expropriation aux besoins collectifs dictés par
certaines circonstances particulières : urbanisation, industrialisation,
reconstruction, aménagement du territoire, etc. En France le
législateur et le juge administratif furent ainsi conduits à élargir le
but poursuivi par les opérations d’expropriation. Tout en maintenant
la notion d’« utilité publique », ils réussirent à fonder l’expropriation
sur la notion plus large d’« intérêt général ». Autrement dit, l’intérêt

6
Maurice HAURIOU, Précis de administratif et de droit public, parue en 1933, édition Sirey,
Réédité et présenté par Pierre Delvolvé et Franck Moderne, Dalloz, 2002, p.. 873.

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général devient une condition suffisante pour justifier
l’expropriation. D’où une certaine forme d’assouplissement du but. La
jurisprudence permet notamment une appréhension aussi élargie
diluant ainsi la distinction entre utilité publique et utilité privé. En
effet, depuis l’arrêt Ville de Sochaux, la satisfaction d’intérêts
privés n’est pas exclusive de la qualification d’utilité publique, dès lors
que ce n’est pas l’objectif déterminant de l’opération administrative.
Ainsi, la réalisation d’une déviation routière dans l’intérêt principal
d’une entreprise privée pourrait satisfaire l’intérêt général, (CE, 20
juillet 1971, Ville de Sochaux, AJDA 1972, p. 227 ; cf. Contentieux de
la DUP)

On se rend compte, à la suite de tout ce qui précède, que


l’expropriation a des conséquences importantes pour les droits des
particuliers. C’est pourquoi elle est rigoureusement encadrée par une
procédure.

Section II- La procédure d’expropriation pour cause d’utilité publique

L’expropriation pour cause d’utilité publique ne peut se réaliser de


façon expéditive. L’on ne saurait perdre de vue qu’elle met en lien
deux valeurs fondamentales : l’intérêt général et le droit de
propriété. C’est pourquoi la procédure est organisée de manière à
canaliser ou à concilier ces deux valeurs. En effet, aux termes de
l’article 239 alinéa 2 de la loi n° 2020-624 du 14 août 2020 instituant
code de l’urbanisme et du domaine foncier urbain, « l’expropriation
pour cause d’utilité publique comprend une phase administrative et
une phase judiciaire ». Examinons successivement ces deux phases.

Paragraphe I- La phase administrative de l’expropriation pour


cause d’utilité publique

La phase administrative est jalonnée par plusieurs étapes. Phase


de préparation, elle est conduite par les autorités administratives. La
loi de 2020 portant code de l’urbanisme reprenant sur ce point le
décret du 26 novembre 1930, prévoit plusieurs étapes dans cette
phase administrative. Celle-ci n’échappe pas évidemment au contrôle

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du juge du en raison de ces conséquences sur les droits des
particuliers. Il importe alors de préciser les différentes étapes de la
procédure avant d’analyser le contrôle du juge.
A-Les différentes étapes de la phase administrative

A-Les différentes étapes de la phase administrative

La phase administrative est prévue par les articles 240 et suivants de la


loi n° 2020-624 du 14 août 2020 instituant code de l’urbanisme et du domaine
foncier urbain. Il ressort de la lecture combinée de ces articles que la phase
administrative comprend la déclaration d’utilité publique, l’enquête publique et
l’arrêté de cessibilités.

1-L’acte déclarant l’utilité publique des travaux

Il importe de noter que loi de 2020 portant code de l’urbanisme


n’évoque pas contrairement l’article 3 alinéa 2 du décret de 1930 précité
l’acte autorisant les travaux. Cela peut s’explique par le fait que l’acte
juridique autorisant les travaux peut porter en même temps déclaration
d’utilité publique. La déclaration d’utilité publique est l’acte essentiel de la
procédure. La déclaration d’utilité publique est la décision par laquelle
l’autorité administrative compétente constate, officiellement, l’utilité publique
d’une opération, d’un projet et la nécessité d’avoir recours à l’acquisition
forcée des biens convoités est qualifiée « déclaration d’utilité publique ».
C’est dire que sans déclaration d’utilité publique, il ne saurait avoir
d’expropriation. L’utilité publique est déclarée après enquête publique par
décret pris en Conseil des ministres. Cependant, aux termes de l’article 241 de
la loi de 2020 portant code de l’urbanisme, « les opérations intéressant la
défense nationale peuvent être déclarées d’utilité publique, sans enquête
préalable, par décret pris en Conseil des ministres ».

Le décret portant déclaration d’utilité publique fixe les limites territoriales


de l’opération envisagée. La décision décrit également les travaux devant être
exécutés. À compter de la date de publication de la déclaration d’utilité
publique, interdiction est faite aux propriétaires dont les biens sont situés
dans le périmètre d’y apporter des améliorations. Le décret précise également
le délai au cours duquel l’expropriation devra être exécutée. Ce délai ne peut
excéder deux (2) ans. Toutefois, il peut être porté à trois (3) ans pour les
opérations prévues au schéma directeur d’urbanisme et au plan d’urbanisme
directeur. Le décret d’utilité publique doit être publié, sans délai, dans un

P a g e 89 | 142
journal d’annonces légales. D’ailleurs, dès la publication du décret d’utilité
publique, les ministres chargés de son exécution établissent, par arrêté
conjoint, la liste exhaustive des parcelles ou des droits réels immobiliers à
exproprier.

Bien entendu, le juge de l’excès de pouvoir exerce un contrôle sur la


légalité de l’utilité publique. En fait, les particuliers qui estiment être lésés
par l’opération peuvent obtenir, dans les délais de recours contentieux,
l’annulation de l’acte constatant ou déclarant l’utilité publique des travaux dès
le prononcé de la déclaration d’utilité publique. Cette annulation met fin à la
procédure de l’expropriation7. Cependant lorsque cette étape est franchie,
intervient l’étape de l’enquête publique.

2-L’enquête publique
La déclaration d’utilité publique est toujours précédée d’une enquête
administrative. Aux termes de l’article 240 de la loi n° 2020-624 du 14 août
2020 instituant code de l’urbanisme et du domaine foncier urbain, «
L’utilité publique est déclarée après enquête publique par décret pris en
Conseil des ministres ». Curieusement cette loi reste muette sur le
déroulement de l’enquête publique. Il importe alors de convoquer le décret du
26 novembre 1930 à l’effet de comprendre comment se déroulait cette
procédure.
Une enquête de commodo et incomodo est exigée par l’article 6 du
décret du 26 novembre 1930. Elle vise à informer les administrés et
singulièrement les éventuels expropriés et recueillir leurs avis. C’est pourquoi
l’article 6 du décret précité invite l’Administration à déposer à la mairie ou à
la sous-préfecture le projet des travaux et le plan indiquant les propriétés
atteintes. Avis de ce dépôt est affiché aux mêmes lieux et aux endroits

7
Dans le cas de figure le plus fréquent où l’annulation de la déclaration d’utilité publique intervient après le
transfert de propriété ou après la fin des travaux, la collectivité publique bénéficiaire de l’expropriation sera
considérée comme ayant réalisé une emprise irrégulière sur une propriété privée. L’ex-propriétaire peut
demander la rétrocession de son bien. Mais il faut noter que l’annulation de la déclaration d’utilité publique
ne remet pas en cause le transfert de propriété lorsque l’ordonnance d’expropriation est déjà intervenue. C’est
pourquoi il est recommandé lorsqu’on constate l’irrégularité d’une déclaration d’utilité publique,
d’accompagner le recours pour excès de pouvoir d’une démarche de sursis à exécution pour prévenir la
création d’une situation irréversible. En effet faute de sursis à exécution, l’annulation d’une déclaration
d’utilité publique ne peut présenter qu’un effet théorique lorsque le transfert de propriété est devenu effectif
et que l’ouvrage prévu a été réalisé. Dans une telle situation, l’ancien propriétaire bénéficie d’une
indemnisation complémentaire (l'ouvrage public mal planté ne se détruit pas. Principe de l’intangibilité des
ouvrages publics.

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habituels d’affichage). À partir de cet avis dépôt, les particuliers ont un délai
d’un (1) mois pour présenter leurs observations. Cependant, la CSCA dans un
arrêt du 24 janvier 2108 Yapo Atsain Phlippe Chiepi Estelle c/ ministre de la
Construction, du logement, de l’Assainissement et de l’Urbanisme estime que
l’arrêté ordonnant l’enquête publique n’est pas un acte administratif faisant
grief. À la suite de l’enquête publique, intervient l’arrêté de cessibilité.

3-L’arrêté de cessibilité

L’arrêté de cessibilité a pour objet d’identifier précisément les immeubles


dont l’expropriation est poursuivie. Les articles 244 et suivants de la loi n°
2020-624 du 14 août 2020 instituant code de l’urbanisme et du domaine
foncier urbain précisent le contenu de l’arrêté de cessibilité, les obligations
de l’administration et des personnes concernées par l’expropriation pour cause
d’utilité publique. En effet, dès la publication du décret d’utilité publique, les
ministres chargés de son exécution établissent, par arrêté conjoint, la liste
exhaustive des parcelles ou des droits réels immobiliers à exproprier. Le
décret d’utilité publique et son arrêté sont notifiés, sans délai, par l’autorité
administrative compétente, aux propriétaires concernés ainsi qu’aux occupants
et usagers notoires.

Dans le délai de deux (2) mois à compter de la réception des notifications, les
propriétaires des immeubles faisant l’objet de la procédure d’expropriation
doivent transmettre à l’autorité administrative compétente les contrats de
bail conclus avec leurs locataires ou, le cas échéant, le nom de leurs locataires,
ainsi que les noms de tous les détenteurs de droits réels sur les immeubles en
cause et la preuve de l’existence de leurs droits. En conséquence, le défaut de
communication de ces informations engage la responsabilité du propriétaire,
quant au paiement des éventuelles indemnités d’expropriation dues à ces
derniers.

L’arrêté de cessibilité, comme tout acte administratif, est susceptible


d’être attaqué par la voie du recours pour excès de pouvoir. Il met fin à la
phase administrative de la procédure d’expropriation pour cause d’utilité
publique. Mais avant d’étudier la phase judiciaire, qui s’ouvre après la clôture
de la phase administrative, il convient de revenir en profondeur sur le contrôle
juridictionnel de la phase administrative.

P a g e 91 | 142
B- Le contrôle juridictionnel de la phase administrative8

En sa qualité d’acte administratif faisant grief, la décision


portant déclaration d’utilité publique est susceptible d’être contestée
devant le juge de l’excès de pouvoir. L’examen de la jurisprudence
française montre une évolution substantielle de ce contrôle. En effet,
d’un contrôle purement formel à l’origine, le juge administratif
s’emploie à vérifier méthodiquement la réalité de l’utilité publique. Au
surplus le juge censure tout détournement de pouvoir.

1-L’évolution du Contrôle de la déclaration d’utilité publique

Pendant longtemps le juge administratif français refusait de


discuter ou d’apprécier l’utilité publique d’une opération
d’expropriation. Le juge, à cette époque, se contentait de vérifier si
l’expropriation formellement s’assignait un but d’intérêt général. Il
suffisait donc qu’un tel but soit allégué par l’Administration et que
formellement, il puisse être ainsi qualifié pour que le juge l’approuve.
Le juge ne se préoccupait point des circonstances de faits, des
inconvénients du projet pour la propriété d’autrui, sa charge
financière pour la collectivité publique. L’Administration était, en
effet, présumée agir pour le bien de tous et ses projets ne
souffraient guère de discussion. Les conséquences de l’expropriation
pour la propriété vont conduire le juge à revoir sa position. Un
revirement jurisprudentiel interviendra avec l’arrêt du 28 mai 1971,
ville nouvelle Est9.

Avec l’arrêt du 28 mai 1971, ville nouvelle Est, le Conseil d’État


français opère une révolution dans sa conception du contrôle de
l’utilité publique. Dans cet arrêt, la haute juridiction administrative
française adopte un nouveau moyen de contrôle qui va enrichir le
contentieux de l’excès de pouvoir : le contrôle de proportionnalité en
application de la théorie dite du bilan-coût-avantage. L’usage de cette
8
Le contrôle porte ici sur les deux (2) actes à caractères décisoires à savoir la déclaration d’utilité publique
et l’arrêté de cessibilité)
9
C’est désormais à partir d’une appréciation concrète des circonstances de l’affaire que le juge se prononce
sur la réalité de l’utilité publique poussant ainsi au maximum son contrôle. Le CE, à travers donc l’arrêt ville
Nouvelle Est, va consacrer la théorie du bilan.

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théorie conduit le juge aux confins d’un contrôle d’opportunité. Pour
s’en convaincre, il suffit de lire le considérant essentiel de l’arrêt
précité : « Considérant qu’une opération ne peut être légalement
déclarée d’utilité publique que si les atteintes à la propriété privée, le
coût financier et éventuellement les inconvénients d’ordre social
qu’elle comporte ne sont excessifs eu égard à l’intérêt général qu’elle
présente ».

Dans un arrêt du 28 juin 2021, le Conseil d’Etat français a confirmé


l’annulation de la déclaration d’utilité publique (DUP) portant sur le
projet de prolongement d’une route départementale prononcée par la
cour administrative d’appel de Marseille le 8 juillet 2019, au terme
d’une application de la théorie du bilan coût-avantage.

Dans cette affaire, le Conseil d’Etat français juge que la DUP sur le
territoire de la commune de Grasse consistant à créer un boulevard
urbain dans le prolongement de la RD 6185 existante afin d’améliorer
la circulation automobile entre l’extérieur et le centre de la ville de
Grasse pour faciliter les échanges entre les quartiers, renforcer la
desserte locale et améliorer la sécurité dans le secteur, d’une
part, a un coût très élevé évalué à 68 millions d’euros pour la création
d’une voie de 1 920 mètres, soit 34 millions d’euros par kilomètre et,
d’autre part, a un impact très visible dans le paysage
remarquable dans lequel le projet est appelé à s’inscrire qui est de
nature à gravement altérer le caractère du site, regardé comme
exceptionnel, en dépit des mesures visant à atténuer les effets du
projet sur le paysage décrites dans l’étude d’impact.

Dans la lignée de la jurisprudence Ville nouvelle Est et Association


contre le projet de l’autoroute transchablaisienne et autres (CE,
Assemblée, 28 mars 1997, n° 170856 et 170857), le Conseil d’Etat
français juge que « le coût financier du projet et les atteintes
portées à un paysage remarquable {sont} excessifs au regard de
l’intérêt public que présente la réalisation du projet ».

Il ressort de ces arrêts qu’une opération peut, par son objet,

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être d’utilité publique, mais en raison des modalités d’exécution, de
son coût financier et de ses conséquences, ne peut l’être. Il s’agit là
d’un contrôle réel qui implique que l’Administration n’a plus toute la
liberté d’apprécier l’opportunité d’exproprier. Le juge, à travers son
contrôle, vérifiera s’il convient ou non d’exproprier compte tenu des
circonstances de chaque espèce10. Le juge vérifie également si le DUP
n’est pas constitutif d’un détournement de pouvoir.

2- Le contrôle juridictionnel du détournement de pouvoir en


matière de DUP

Le contrôle du but de l’acte se ramène à vérifier si celui-ci est


non affecté d’un détournement de pouvoir. Il ressort des arrêts du
24 avril 2019, OSSEY Apo Marie c / institut de cardiologie
d’Abidjan11 et DELAGOULE Evarice c/ Premier Président de la Cour
d’appel de Bouaké du 20 février 2019 que le détournement de pouvoir
consiste en une utilisation par une autorité publique de ses pouvoirs à
des fins autres que celles pour lesquelles ces pouvoirs lui ont été
octroyés. Le but d’utilité publique affiché correspond à l’idée selon
laquelle la procédure d’expropriation a été conçue pour être mise au
service de l’intérêt général. La poursuite d’un intérêt privé rend la
décision illégale parce que dépourvue d’utilité publique (détournement
de pouvoir : CE, 17 septembre 1999, Mlle Nasica et autres, AJDI
2000, p. 130, la desserte d’une propriété privée, l’installation d’un
cercle hippique privé).

Il est à noter que la mise en œuvre de l’expropriation n’est pas


toujours incompatible avec la satisfaction d’intérêts privés. Des
intérêts publics et des intérêts privés pourraient être étroitement
imbriqués dans certaines opérations ou situations. Le juge saisi
s’assure alors que le but poursuivi est, à titre principal, celui d’intérêt
général. Dans ce cas, la DUP est susceptible d’être jugée légale. C’est
la jurisprudence dite « Ville de Sochaux » qui a contribué à dévoiler
ces situations d’imbrication. La procédure d’expropriation mise au
service d’un projet de déviation routière devant profiter à une
10
Ce n’est que si le bilan est positif que l’utilité publique de l’opération est reconnue
11
CSCA, 24 avril 2019, OSSEY Apo Marie c / institut de cardiologie d’Abidjan.

P a g e 94 | 142
entreprise privée est-elle légale (Usines Peugeot) ? La réponse
résulte de l’arrêt du CE du 20 juillet 1971, Ville de Sochaux, rec., p.
561, AJDA 1972, p. 227. Le Conseil d’Etat a jugé que l’expropriation
envisagée n’avait pas, en l’espèce, pour but principal de satisfaire un
intérêt privé. Le fait qu’elle lui procure un avantage direct et certain
n’est pas constitutif d’un détournement de pouvoir. La déviation
répondait aux besoins de la circulation publique et à ceux d’un
ensemble industriel privé qui joue un rôle déterminant dans l’économie
régionale. L’imbrication de ces deux intérêts établit l’utilité publique
de l’opération. Lorsqu’une collectivité publique décide d’acquérir un
bien, au moyen de l’expropriation, pour empêcher l’acquisition du
même bien par un individu en particulier, le détournement de pouvoir
est établi. Nuire à un intérêt privé est un détournement de pouvoir
(voir René Hostiou, Détournement de pouvoir en matière
d’expropriation, Etudes foncières, juin 1990, p. 6 ; Bertrand Seiller,
Pour un contrôle de la légalité extrinsèque des DUP, AJDA, 1er
septembre 2003, p. 1472).

c. Les conséquences de l’annulation d’une déclaration d’utilité


publique

La décision par laquelle le juge de l’excès de pouvoir prononce


l’annulation d’une DUP a pour effet de compromettre le projet
d’acquisition forcée. Les effets de cette annulation ont une portée
différente selon la date d’intervention de la décision juridictionnelle.
Une annulation prononcée avant l’intervention de l’ordonnance de
transfert de la propriété entraîne la remise en cause de l’ensemble
de la phase administrative de l’expropriation.

La situation est plus difficile lorsque l’annulation intervient


après l’ordonnance qui transfère la propriété à l’administration ou
lorsque les travaux ont été exécutés.

En fait, l’annulation de la DUP serait vaine si le justiciable ne


peut pas tirer toutes les conséquences de l’annulation. Pendant de
nombreuses années, l’annulation de la DUP par les juridictions
administratives était dépourvue d’effet sur la validité du transfert

P a g e 95 | 142
de propriété dès lors que l’ordonnance d’expropriation était devenue
définitive, soit que celle-ci n’ait pas été contestée soit que ce recours
ait été rejeté. En effet, pour la jurisprudence antérieure, la prise de
possession d’un bien exproprié s’effectuant en vertu de l’ordonnance
d’expropriation, la régularité de celle-ci emporte celle de la prise de
possession du bien. L’autorité de la chose jugée résultant du
caractère définitif de l’ordonnance d’expropriation confère à
l’expropriant un titre juridique valable. La prise de possession du bien
considéré ne constitue ni voie de fait, ni emprise irrégulière.
L’annulation de la DUP ne produit aucun effet sur le transfert de la
propriété en raison de l’autonomie juridique des deux phases (TC, 26
juin 1989, Mme Plouin et autres, rec., p. 294 ; CJEG 1990, p. 213,
note Ch. Lavialle ; la Revue administrative 1963, p. 146.) On était
manifestement dans situation de déni de justice.

Sous l’influence de la jurisprudence de la Cour européenne des


Droits de l’Homme, le législateur français est venu modifier les
dispositions du code de l’expropriation afin d’offrir au justiciable
ayant obtenu l’annulation d’une DUP la possibilité de remettre en
cause l’ordonnance d’expropriation devenue définitive, qui est
intervenue sur la base de cette DUP. L’article 4 de la loi du 2 février
1995 codifié à l’article L. 12-5 alinéa 2 du code de l’expropriation
dispose ainsi que : « En cas d'annulation par une décision définitive du
juge administratif de la déclaration d'utilité publique ou de l'arrêté
de cessibilité, tout exproprié peut faire constater par le juge de
l'expropriation que l'ordonnance portant transfert de propriété est
dépourvue de base légale ». Désormais, selon l’article R. 12-5-1 du
code de l’expropriation : « Dans les cas prévus au deuxième alinéa de
l'article L. 12-5, l'exproprié qui entend faire constater par le juge le
manque de base légale de l'ordonnance portant transfert de sa
propriété transmet au greffe de la juridiction qui a prononcé
l'expropriation, dans un délai de deux mois à compter de la
notification de la décision du juge administratif annulant la
déclaration d'utilité publique ou l'arrêté de cessibilité. Ces
dispositions améliorent sensiblement la situation du justiciable qui

P a g e 96 | 142
obtient l’annulation de la DUP alors que le transfert de propriété a
été opéré et est devenu définitif.

La situation devient plus complexe dans l’hypothèse où


l’annulation de la DUP intervient non seulement lorsque le transfert
de propriété a été opéré et est devenu définitif mais aussi lorsque le
bien exproprié a été utilisé par l’expropriant conformément à l’objet
de la DUP. Bien souvent, dans ces hypothèses, des travaux publics
auront été réalisés sur ce bien, des ouvrages publics y auront été
implantés. Il sera alors très difficile pour l’exproprié de retrouver sa
propriété dans l’état dans lequel il l’avait laissée. . Lorsque la
restitution est rendue impossible par l’incorporation du bien
exproprié dans un ouvrage public, le juge de l’expropriation octroie
une indemnité.

Paragraphe II- La phase judiciaire de l’expropriation pour cause


d’utilité publique

Elle est conduite par le juge qui intervient pour prononcer le


transfert de propriété. Il lui revient également, à défaut d’accord
amiable, de fixer le montant de l’indemnité d’expropriation.

A-Le juge de l’expropriation

Aux termes de l’article 258 de la loi n° 2020-624 du 14 août 2020


instituant code de l’urbanisme et du domaine foncier urbain de la loi
portant code de l’urbanisme, « l’indemnité d’expropriation est fixée
par le Président du tribunal du lieu de situation des immeubles à
exproprier, statuant en matière de référé. Le Président du tribunal
est saisi sur simple requête, par la partie la plus diligente.

On le voit, c’est le Tribunal de première instance ou les sections


détachées des tribunaux de la circonscription dans laquelle se trouve
l’immeuble qui est le seul compétent. Pour lui permettre d’accomplir
sa mission, l’Administration va transmettre au tribunal compétent
l’ensemble des pièces justificatives de la procédure administrative
(l’acte autorisant les travaux, la déclaration d’utilité publique, les

P a g e 97 | 142
procès-verbaux d’accords amiables).

B-Les mesures du juge de l’expropriation

Le juge de l’expropriation est amené à prendre deux types de


mesures :

-La fixation du montant de l’indemnité.

-le transfert de propriété

1-La fixation de l’indemnité

Le transfert de propriété est lié au paiement d’une indemnité juste


et préalable. Aux termes de l’article 258 de la loi n° 2020-624 du 14
août 2020 instituant code de l’urbanisme et du domaine foncier
urbain, « à défaut de cession volontaire ou d’accord amiable constaté
par un protocole d’accord ou un procès-verbal, l’indemnité
d’expropriation est fixée par le Président du tribunal du lieu de
situation des immeubles à exproprier, statuant en matière de référé.
Le Président du tribunal est saisi sur simple requête, par la partie la
plus diligente.

Chambre administrative de la Cour Suprême, Diaby KARAMOKO


C/ État de Côte d’Ivoire, 21 mai 2008, le souligne en ces termes « la
prise en possession intervient après la décision du juge judiciaire
fixant une juste et préalable indemnisation ».

Au surplus, dans un arrêt en date du 21 mars 2007, Marie


d’Attécoubé C/ Société Jardin Exotique, la Chambre administrative
estime que le principe d’indemnisation en nature au moyen de lots qui
aurait été convenu entre les parties ne sauraient faire obstacle à ce
qu’une juridiction régulièrement saisie fixe le montant de l’indemnité
compensatrice en numéraire.

En fait, la fixation du montant de l’indemnité apparait comme


l’un des moments névralgiques de la procédure d’expropriation. Elle
donne très souvent lieu à d’interminables palabres et à des

P a g e 98 | 142
marchandages. C’est donc à juste titre que la loi portant code
l’urbanisme encadre cette procédure. Il résulte des articles 259 et
suivants que l’expertise des immeubles en cause doit être ordonnée.
Mieux, elle doit être conduite par trois experts agréés, désignés par
le juge. Ces experts ont un délai d’une semaine à compter de la
signification de leur désignation pour rendre leur rapport au juge.

C’est en tenant compte de tous ces éléments que le juge rend une
ordonnance constatant l’expropriation et fixant l’indemnité.
L’indemnité judiciaire allouée doit couvrir l’intégralité du préjudice
direct, matériel et les frais causés par l’expropriation. Il importe de
noter que l’ordonnance d’expropriation ne peut être attaquée que par
la voie d’un recours devant le Conseil d’État et seulement pour
incompétence, excès de pouvoir ou vice de forme.

L’indemnité d’expropriation doit être payée à l’exproprié au plus tard


les cinq jours qui suivent le prononcé de la décision qui fixe son
montant. C’est à la suite de ce paiement que juge procède au
transfert de la propriété.

2-Le transfert de propriété

Le transfert de propriété des immeubles ou des droits réels


immobiliers s’opère après le règlement total de l’indemnité due à
l’exproprié. Il est opéré par le juge de l’expropriation. C’est dire que
l’acte essentiel de la procédure, celui qui entraine le transfert de
propriété, se trouve ainsi entre les mains du juge. On le sait ce
dernier considéré traditionnellement, par le droit, comme le gardien
de la propriété privée. Mais il ne faut pas pour autant surestimer ce
contrôle du juge. À la vérité, à partir des pièces du dossier
transmises par l’Administration, le juge vérifie la matérialité des
faits de procédure administrative.

Le jugement d’expropriation emporte deux effets : on assiste


d’une part à l’extinction de tout droit réel détenu ou existant sur
l’immeuble exproprié et, d’autre part, au transfert de propriété à la

P a g e 99 | 142
personne publique.

Cette procédure normale de l’expropriation qui vient décrite


peut connaitre des incidents.

Paragraphe III- Les incidents de la procédure d’expropriation


pour cause d’utilité publique

Le schéma initial de la procédure d’expropriation qui s’articule


entre la phase administrative et phase judiciaire peut être contrarié.
Il peut, en effet, arriver que dans sa mise en œuvre des incidents
surviennent, perturbant le schéma initial ou la procédure normale de
l’expropriation. Les textes évoquent trois situations ou trois cas :

- La réquisition d’emprise totale ;


- La rétrocession ;
- Le paiement d’indemnité de plus-value.

A- La réquisition d’emprise totale

La réquisition d’emprise totale est instituée au profit des


propriétaires frappés par une mesure d’expropriation. En effet, la
collectivité publique qui déclenche la procédure d’expropriation
pourrait viser l’acquisition d’une partie seulement d’un bien. Dans ce
cas le code de l’urbanisme offre aux propriétaires la possibilité de
faire porter l’acquisition envisagée sur l’ensemble de leurs biens
concernés. Ce droit spécifique ouvert aux propriétaires est prévu à
l’article 256 du code de l’urbanisme. En effet, « le propriétaire d’un
immeuble frappé en partie d’expropriation peut demander à l‘autorité
publique d’acquérir la totalité de l’immeuble par une demande
adressée aux ministres chargés du dossier » Généralement l’inutilité
ou du caractère inexploitable de la partie restante de son bien, en
raison de l’expropriation partielle, conduisent l’exproprié à formuler
une telle demande. Celle-ci est qualifiée « réquisition d’emprise
totale. ».

B-La rétrocession et la préemption

P a g e 100 | 142
La rétrocession et la préemption sont deux mécanismes juridiques qui
prennent place lorsque la procédure d’expropriation ne se déroule
conformément à la loi. Examinons successivement ces deux
mécanismes juridiques.

1- La rétrocession

Selon l’article 270 du code de l’urbanisme, « il ne peut être donné à


l’immeuble exproprié une destination autre que celle prévue par la
déclaration d’utilité publique ». Cet article pose ici le principe de la
rétrocession. la rétrocession est le droit ou la faculté qui est
reconnue à un propriétaire dépossédé de faire constater en vue de le
reprendre que le bien dont ils ont été expropriés n’a pas reçu ou a
cessé de recevoir la destination prévue par la déclaration d’utilité
publique ou encore que la totalité du bien n’a pas été utilisée de
réclamer le retour de ce bien, pour ce motif.

La mise en œuvre de la procédure de rétrocession peut résulter de


l’initiative de l’expropriant ou de celle de l’ancien propriétaire
exproprié. L’expropriant qui, après avoir renoncé à réaliser l’opération
initiale, envisage de vendre un bien acquis par voie d’expropriation est
tenu de purger préalablement le droit de rétrocession. Il en informe
l’ancien propriétaire qui pourrait exercer sa faculté de racheter le
bien considéré. Le non-respect de cette obligation engage la
responsabilité de l’expropriant.

L’ancien propriétaire ou son ayant droit pourrait, après avoir constaté


la carence de l’expropriant, exercer spontanément son droit de
rétrocession. On peut donc marquer un étonnement lorsque dans un
arrêt en date du 25 novembre 2015, Etat de Côte d’Ivoire c/ EFSD,
le juge considère « que l’expropriation, pour cause d’utilité publique,
opère transfert de propriété ; qu’en acceptant le paiement de la
somme de 74.178.092 francs, la société EFSD a acquiescé au
transfert de propriété de son bien à l’État de Côte d’Ivoire, qui de ce
fait, n’avait plus à justifier auprès de la société EFSD, l’usage qu’elle
entendait en faire ;

P a g e 101 | 142
Or, il est donc de principe que l’Administration ne peut détourner
des immeubles de l’usage prévu par la déclaration d’utilité publique.
De même, lorsque le projet est abandonné ou si l’utilité publique qui
fonde l’expropriation est annulée, l’ancien propriétaire ou ses ayants
droit peuvent demander la rétrocession des immeubles

Les arrêts Total CI c/ministère des Infrastructures économiques et


agence de Gestion Foncière AGEF c/ Ayants droits de feu Sabrou
Akré Joel et autres respectivement du 25 juillet 2018 et 15 février
2017 reprennent clairement le principe de la rétrocession. Dans le
premier, le juge estime que « que, même à imaginer que le terrain ait
été entièrement exproprié, il n’en reste pas moins que TOTAL Côte
d’Ivoire bénéficie d’un droit à la rétrocession ; qu’ainsi, elle justifie
d’un intérêt lui donnant qualité à attaquer l’arrêté du 28 avril 2016 du
ministre des Infrastructures économiques ; que, dès lors, l’exception
d’irrecevabilité de monsieur Traoré Issa doit être rejetée et la
requête, qui remplit les conditions exigées par la loi, déclarée
recevable » Il importe de signaler que le prix des immeubles
rétrocédés est fixé à l’amiable. En principe, le prix de la rétrocession
ne doit pas dépasser la somme moyennant laquelle les immeubles ont
été acquis.

Dans le second, le juge considère « qu’il résulte des dispositions de


l’article 26 du décret du 25 novembre 1930 susvisé que « si les
immeubles acquis pour cause d’utilité publique ne reçoivent pas cette
destination ou s’ils ne sont pas utilisés conformément à l’acte
déclaratif d’utilité publique, les anciens propriétaires ou leurs ayants
cause peuvent en demander la remise » ; qu’en l’espèce, une partie de
la parcelle litigieuse a été cédée à la société BETROGEC, société
immobilière privée, contrairement à l’objet de l’expropriation ; que,
dès lors, en prononçant la rétrocession de la parcelle litigieuse aux
ayants droit de feu Sabrou Akré Joël, la Cour d’Appel a fait une saine
application de la loi ; qu’il échet de rejeter la première branche du
moyen ». La procédure d’expropriation peut engendrer une plus-value
de certains biens.

P a g e 102 | 142
2- La préemption

La technique du droit de préemption existe, on le sait, en droit privé,


notamment en matière de baux ruraux au profit du preneur en place.
Mais on la trouve également en droit public. La préemption est le
droit qui oblige le vendeur d’un bien immobilier à contracter avec le
titulaire de cette prérogative. Il s’agit, en réalité d’un procédé
limitant la liberté contractuelle.

En matière d’expropriation pour cause d’utilité l’inexécution des


travaux donne à l’exproprié un droit de préemption. Il ressort en
effet de l’article 271 du code de l’urbanisme qu’« en cas de non
réalisation des travaux prévus par la déclaration d’utilité publique,
l’exproprié a un droit de préemption sur l’immeuble moyennant le
remboursement du prix versé ». Il importe de souligner cependant
que le droit de préemption reste inopérant si le propriétaire ne
souhaite pas vendre ce qui la distingue de l’expropriation pour cause
d’utilité publique.

C- Le paiement d’indemnité de plus-value

Le paiement d’indemnité de plus-value s’exerce à l’encontre des


propriétaires d’immeubles voisins des opérations ayant donné lieu à
des mesures d’expropriations. Lorsque par suite de l'exécution des
travaux prévus dans les présentes dispositions, des propriétés
privées, autres que celles qui ont été frappées d'expropriation en
vertu des présentes dispositions, ont acquis une augmentation de
valeur dépassant 20 %, les propriétaires peuvent être contraints de
payer une indemnité égale au maximum, à la moitié des avantages
acquis par ces propriétés.

Le fait est que si les travaux d’utilité publique causent


généralement des troubles aux propriétaires riverains, ils peuvent
parfois entrainer une augmentation substantielle de la valeur des
propriétés privées riveraines. L’État ou la personne publique, qui en
réalisant des travaux a généré l’augmentation de la valeur du bien,

P a g e 103 | 142
peut récupérer une partie de celle-ci. Le fait est que si les travaux
d’utilité publique causent généralement des troubles aux
propriétaires riverains, ils peuvent parfois entrainer une
augmentation substantielle de la valeur des propriétés privées
riveraines. L’État ou la personne publique, qui en réalisant des travaux
a généré l’augmentation de la valeur du bien, peut récupérer une
partie de celle-ci.

Dans ce cas, un arrêté de l'autorité chargée des expropriations


pris en Conseil de gouvernement désigne, d'une manière précise, la
zone dans laquelle il y a lieu de faire application de la disposition
indiquée ci-dessus et les immeubles assujettis.

À défaut d'entente amiable entre l'Administration et le


propriétaire, celui-ci est cité à la requête de l'Administration devant
le Tribunal de Première Instance qui, après instruction et mise en
l'état de l'affaire suivant les règles de droit commun et les
dérogations qui y sont apportées par les présentes dispositions,
détermine la valeur de chaque propriété avant et après l'exécution
des travaux et, s'il y a lieu, fixe pour chacune d'elles, en
considération de la plus-value qu'elle a acquise et déduction faite des
sommes que le propriétaire aurait versées à un titre quelconque pour
l'exécution desdits travaux, le chiffre de l'indemnité qui lui est
applicable.

Les indemnités de plus-value sont recouvrées suivant les règles qui


régissent la matière des contributions directes.

Les débiteurs peuvent délaisser, soit une partie de leur


propriété, si elle est divisible, soit la propriété entière et ce, sur
l'estimation réglée conformément à la loi, d'après la valeur qu'avait
l'objet avant l'exécution des travaux d'où la plus-value a résulté.

En cas de refus de payer l'indemnité ou de délaisser


l'immeuble, l'Administration peut en poursuivre l’expropriation dans
les formes de déclaration d'utilité publique et de cession amiable

P a g e 104 | 142
(Articles 37, 38, 39 et 40 du décret du 25 novembre 1930
réglementant l’expropriation pour cause d’utilité publique et
l’occupation temporaire en Afrique occidentale française.

À côté de la procédure d’expropriation pour cause d’utilité


publique, il existe d’autres modes de cession forcée des biens des
personnes privées.

CHAPTITRE II-LES AUTRES MODES DE CESSION FORCÉE DES


BIENS

À côté de l’expropriation pour cause d’utilité publique, il existe


d’autres modes de cession forcée des biens. En effet, dans l’arsenal
juridique ivoirien deux techniques spéciales sont mises à la
disposition de la puissance publique pour acquérir, par la contrainte,
des immeubles des particuliers. Il s’agit d’une part, de l’expropriation
pour insuffisance ou défaut de mise en valeur et, d’autre part la
purge des droits coutumiers. Par ailleurs, le droit ivoirien a repris les
mécanismes juridiques tels que la confiscation, la préemption, la
réquisition et la nationalisation.

Section I -les modes de cession spécifiquement ivoiriens

En matière de cession forcée des biens, le droit ivoirien est


marqué par une certaine spécificité. L’expropriation pour insuffisance
ou défaut de mise en valeur et la purge des droits coutumiers, sont
effet deux techniques d’appropriation par la contrainte des biens
appartenant à des particuliers spécifique à la côte d’ivoire. Examinons
successivement ces deux modes d’appropriation par la contrainte.

Paragraphe I- L’expropriation pour insuffisance ou défaut de


mise en valeur

On attribue la paternité du terme « mise en valeur » au


président Félix Houphouët Boigny. Dans un discours, en date du 15

P a g e 105 | 142
janvier 1962, il déclarait en effet que « la terre appartient à celui qui
la met en valeur ».

En fait, l’expropriation pour insuffisance ou défaut de mise en


valeur dite aussi « expropriation pour utilité économique » vise à
sanctionner les propriétaires de biens immobiliers défaillants. On le
sait, il y a mise en valeur lorsque les investissements immobiliers
réalisés répondent aux normes de rentabilité et de viabilité. A
contrario, le défaut de mise en valeur renvoie soit à l’abandon d’une
parcelle, soit en l’absence ou l’insuffisance de tout investissement
immobilier sur cette parcelle apprécié par rapport à l’emplacement de
l’immeuble

De ce qui précède, on peut appréhender l’expropriation


pour insuffisance ou défaut de mise en valeur comme une opération
par laquelle des terrains urbains ou ruraux détenus en pleine
propriété par une personne physique ou morale font l’objet d’un
retour à l’État pour insuffisance ou défaut de mise en valeur constaté
après la délivrance du titre de propriété. Il importe d’exposer
successivement son champ d’application et la procédure de mise en
œuvre.

A- Le champ d’application de l’expropriation pour insuffisance ou


défaut de mise en valeur

L’expropriation pour insuffisance ou défaut de mise en valeur


concerne à la fois les terrains urbains et les terrains ruraux.

1-L’expropriation pour insuffisance ou défaut de mise en valeur


des terrains urbains

Aux termes de l’article 214 portant code de l’urbanisme, la


collectivité territoriale peut décider de l’expropriation pour cause de
non mise en valeur ou d’insuffisance de mise en valeur d’un terrain
détenu en pleine propriété à quelque titre que ce soit, si le détenteur
du titre de propriété était astreint à cette mise en valeur et si ce
terrain faisait partie, avant son aliénation, du domaine privé de la

P a g e 106 | 142
collectivité territoriale. Cette expropriation concerne d’une part les
terrains urbains acquis en pleine propriété à quelque titre que ce soit.

L’expropriation pour défaut de mise en valeur des terrains


urbains est spécifiquement saisie par la loi n° 71-340 du 12 juillet
1971 réglementant la mise en valeur des terrains urbains détenus en
pleine propriété. En effet, aux termes des dispositions combinées des
articles 1, 2, 3, 4 et 5 de la loi n° 71-340 du 12 juillet 1971
règlementant la mise en valeur des terrains urbains détenus en pleine
propriété, « tout possesseur d'un titre de propriété urbaine est
astreint à la mise en valeur et au maintien en état de conservation de
la propriété, objet du titre ; les terrains urbains acquis en pleine
propriété à quelque titre que ce soit et dont la mise en valeur n'a pas
été assurée dans les conditions fixées aux articles suivants doivent
faire leur retour en totalité ou en partie au domaine de l'État en vue
de leur utilisation à des fins économiques et sociales.

Le défaut de mise en valeur des terrains urbains est constaté


après un délai de cinq années à compter de la délivrance du titre de
propriété et résulte de l'absence de tout investissement immobilier
ou de l'insuffisance de cet investissement eu égard à l'emplacement
du terrain et à sa valeur vénale. Sont réputés également
insuffisamment mis en valeur les terrains urbains sur lesquels les
constructions entreprises ont été abandonnées depuis cinq années au
jour de l'ouverture de la procédure d'expropriation.

On le voit, le fait générateur réside dans l’insuffisance ou le


défaut de mise en valeur desdits terrains urbains du fait soit :

De l’abandon du terrain ;

Du défaut ou de l’insuffisance de tout investissement


immobilier eu égard à l’emplacement du terrain et à sa valeur vénale.

2- L’expropriation pour insuffisance ou défaut de mise en valeur


des terrains ruraux

L’expropriation pour défaut de mise en valeur concerne

P a g e 107 | 142
également les terrains ruraux. L’expropriation pour défaut de mise en
valeur des terrains ruraux est régie par la loi 71-338 du 12 juillet
1971 relative à l'exploitation rationnelle des terrains ruraux détenus
en pleine propriété. En effet, aux termes l’article 1 de ladite loi, tout
propriétaire de terrains ruraux est tenu de mettre en culture et de
maintenir en bon état de production l'intégralité des terres qu'il
exploite. Cette mise en valeur s'applique à l'exploitation des produits
agricoles, à l'élevage ou à un usage industriel. En conséquence, les
terrains ruraux acquis en pleine propriété à quelque titre que ce soit
et dont la mise en valeur n'a pas été assurée, peuvent faire retour en
totalité ou en partie au domaine de l'État en vue de leur utilisation à
des fins économiques et sociales.

Le défaut de mise en valeur visé ici renvoie, soit d'un défaut


de mise en culture, soit d'un mauvais état de production, soit encore
de l'abandon d'une exploitation industrielle installée sur ces terrains.

Relativement au défaut de mise en culture, il consiste en


l'absence de tout entretien et toute production qu'il s'agisse de
cultures ou des produits de l'élevage, durant une période de dix
années.

Sont ainsi réputées non mises en culture :

a. les concessions accordées à titre définitif en vue d’une mise en


valeur agricole lorsque les conditions imposées par le cahier des
Charges annexé à l'arrêté d'octroi ne sont pas remplies ;

b. les parcelles isolées demeurées en friche pendant dix années


consécutives et dont la superficie totale excède la superficie
habituellement en jachère dans le système d'assolement en usage sur
l'exploitation et dans la région.

S’agissant du mauvais état de production les entreprises


agricoles ou les parcelles isolées portant des cultures pérennes qui
depuis dix années consécutives n'ont pas reçu les façons culturales
appropriées pour assurer un entretien normal et dont les rendements
sont inférieurs aux rendements habituellement obtenus dans la

P a g e 108 | 142
région pour des terres de même fertilité exploitées normalement.

B- La mise en œuvre de l’expropriation pour insuffisance ou


défaut de mise en valeur

Aux termes des dispositions combinées des articles 1, 2 et 3 du


décret n°71-341 du 12 juillet 1971 fixant les modalités d'application
de la loi n°71-340 du 12 juillet 1971, règlementant la mise en valeur
des terrains urbains détenus en pleine propriété, le ministre de
l'Économie et des Finances et le ministre de la Construction et de
l'Urbanisme prononcent par arrêté conjoint, le transfert au
domaine privé de l'État des terrains urbains acquis en pleine
propriété et dont la mise en valeur n'a pas été assurée dans les
conditions fixées par la loi du n° 71-340 du 12 juillet 1971,
réglementant la mise en valeur des terrains détenus en pleine
propriété.

Le constat de défaut de mise en valeur ou d’insuffisance de


mise en valeur est prononcé par arrêté du ministre en charge de la
Construction et de l’Urbanisme. Une commission présidée par un
Magistrat et comprenant cinq (5) membres dont un expert désigné
par le propriétaire statue sur l’absence de mise en valeur et propose
au propriétaire une vente de gré à gré.

En fait, à défaut d'un arrangement à l'amiable dans les


conditions déterminées par arrêté conjoint du ministre de l'Économie
et des Finances et du ministre de la Construction et de l'Urbanisme,
le transfert est prononcé sur rapport d'une commission présidée par
un magistrat désigné par le ministre de la Justice. Le juge veille au
respect de cette procédure. Dans un jugement du Tribunal de
Première Instance d’Abidjan Plateau, Madame Kablan Brou Emilènne
Epse Siransy en date du 28 février 2019, il estime que l’expropriation
pour défaut de mise en valeur suppose un acte administratif
notamment un arrêté interministériel de retrait après le rapport
d’une commission spéciale. Le fait pour l’État de n’avoir suivi cette
procédure, le juge considère qu’il ne s’agit pas d’une procédure
d’expropriation pour défaut de mise en valeur.

P a g e 109 | 142
Cette commission se réunit à la diligence de son président et
examine si, à la date à laquelle la procédure d'expropriation est
ouverte et le ministre de l'Économie et des Finances saisi, les
conditions de la non mise en valeur définie aux articles 3 et 4 de la loi
susvisée sont remplies.

Elle établit sur chaque affaire soumise à son examen un rapport


dans lequel d'une part, elle mentionne si la mise en valeur n'a pas été
assurée et maintenue pendant la période de cinq années définies à
l'article 4 de la loi susvisée et d'autre part, propose des indemnités à
verser conformément aux dispositions de l'article 5 de ladite loi ». Le
juge veille au respect de cette procédure. Dans l’arrêt SOCIETE
PANDA AFRIQUE c/ Ministre de la Construction et de l’Urbanisme
du 17 février 2010 en est la traduction topique. Le juge considère que
“d'une part, que l'arrêté interministériel du 18 Juin 2008 qui retire
le terrain à la société PANDA Afrique « pour non mise en valeur » est
intervenu seulement 3 mois après l'arrêté du 6 Mars 2008 qui lui
impartit un délai de 2 ans pour la réalisation de la mise en valeur,
d'autre part, que le défaut de mise en valeur allégué par l
'administration comme motif de retrait du terrain , outre qu'il ne
procède pas d'un constat opéré par une commission dont l'exigence
et la composition est prévue par l'article 11 de l'arrêté n° 2164 du 9
Juillet 1936 réglementant l'aliénation des terrains domaniaux, est
contesté par la société PANDA Afrique qui produit au dossier un
rapport d'expertise, que l'administration ne remet pas en cause,
attestant une mise en valeur d'un montant de 335.400.000 francs
CFA pour l'édification du bâtiment de l'usine”

Cette procédure est également rappelée par le juge dans l’arrêt.


Hodroj Bassam et autres C/ ministre de la Construction, du 31 mars
2010. La purge des droits coutumiers est également un mécanisme
spécifique au droit ivoirien.

Paragraphe II-La purge des droits coutumiers

P a g e 110 | 142
C’est un procédé administratif de libération des terrains
détenus coutumièrement. Il n’y a pas lieu de la confondre avec le
« déguerpissement ». Ce dernier s’analyse comme une mesure de
police contre les occupants sans titre du domaine public, ou la mise en
œuvre d’une peine d’expulsion. La purge des droits coutumiers, par
contre, s’exerce à l’encontre des terrains détenus selon le droit
coutumier ou sur lesquels l’administration reconnaît des droits
fonciers coutumiers. On peut s’interroger sur la finalité et la mise en
œuvre d’un tel mécanisme.

A- La finalité de l’opération de purge

La purge des droits coutumiers vise à l’extinction des droits sur


le sol des détenteurs coutumiers, par suite du versement
d’indemnités compensatrices par l’État.

Au strict plan juridique, la purge des droits coutumiers n’opère


pas comme l’expropriation, un transfert de propriété à la puissance
publique, puisqu’en la matière ces terrains appartiennent légalement à
la puissance publique.

En Côte d’Ivoire, lorsqu’ils se trouvent confrontés dans leur


action d’aménagement aux modes de tenure coutumière des sols ou
prétendus tels, les pouvoirs publics opèrent rarement la classification
foncière par une application rigoureuse de la Loi. Le fait est que la
domanialisation et l’immatriculation des terres ne sont pas parvenues
à faire disparaître les modes d’appariation coutumière des terres. Si
L’État revendique la maitrise de la terre au travers de reformes qui
incorporent à ses domaines les terres coutumières, en pratique, ses
prérogatives foncières font l’objet de résistances farouches de la
part des collectivités villageoises. Les communautés villageoises
continuent à avoir l’effectivité de la maitrise des terres coutumières.
D’ailleurs pour de nombreuses personnes, la seule, ou à tout le moins,
la principale référence en matière foncière reste les coutumes
foncières. Leur vitalité est telle que les ignorer au nom de la stricte
légalité c’est bien souvent se condamner à l’échec ou provoquer des
révoltes ou générer des affrontements.

P a g e 111 | 142
Devant ces risques, la sauvegarde de la paix sociale commande
aux pouvoirs publics de rechercher des compromis, des arrangements
avec des détenteurs coutumiers. Cela prend la forme de versement
d’indemnités à ces derniers pour purger ou éteindre leurs droits sur
le sol.

La pratique ivoirienne est que l’État, pour s’approprier des


terres détenues coutumièrement, indemnise les possesseurs
coutumiers. Ceux-ci sont désintéressés par le versement d’indemnités
compensatrices. C’est la purge des droits coutumiers.

Si pendant longtemps, elle ne bénéficiait pas d’une procédure


précise formalisée, de sorte que sa mise en œuvre était dominée par
les conflits et les rapports de force entre l’Administration et les
détenteurs coutumiers, elle est désormais régie et organisée par le
décret N° 96-884 du 25 octobre 1996 réglementant la purge des
droits coutumiers sur le sol pour intérêt général.

B- Le mécanisme de l’opération de purge des droits


coutumiers

Il ressort du décret du 25 octobre précité que la purge des


droits coutumiers est une opération qui ne peut être exercée que par
l’État agissant pour son propre compte ou pour celui des communes.
Tout comme pour l’expropriation pour cause d’utilité publique, seuls
les services de l’État peuvent mener une opération de purge. Les
communes et les collectivités territoriales ne peuvent agir, réaliser
une telle opération que par leur canal.

L’opération de purge s’opère exclusivement par voie


administrative. Concrètement, elle est mise en œuvre par une
commission administrative composée de représentants de différentes
administrations. Aux termes de l’article 5 du décret du 25 octobre
1996 cette commission a essentiellement aux missions :

 Identifier les terres concernées et leurs détenteurs

P a g e 112 | 142
 Déterminer le montant des indemnités et compensations à
allouer aux détenteurs identifiés.

L’extinction des droits ou la purge des droits coutumiers


s’exerce sur les terrains détenus coutumièrement, des terrains sur
lesquels certaines personnes auraient des droits coutumiers. Il s’agit
principalement des terres non immatriculées. Le décret circonscrit
son champ d’action « au droit coutumier sur les sols dans les centres
urbains et leurs zones d’aménagement différé » (article1)

La purge des droits coutumiers sur le sol donne lieu, pour les
détenteurs de ces droits, à la perception d’une part d’une
indemnisation en numéraire ou en nature et, d’autres part, à une
compensation.

Ces deux éléments font l’objet d’explication par l’article 4 du


décret précité.

L’indemnisation correspond à la destruction des cultures et


impenses existant sur le sol concerné au moment de la purge. Les
indemnités sont déterminées à partir de barèmes fixés par les
services du ministère chargé de l’agriculture ou d’estimation d’après
des prix courants et connus, pratiqués dans la région considérée.

La compensation correspond à la perte de la source du revenu


agricole qui peut être tiré de l’exploitation du sol. Elle est assurée
par l’attribution, à titre gratuit, de lots de terrains équipés ou non. Le
nombre et la superficie de ces lots dits de “compensation” sont
déterminés en fonction de leur niveau d’équipement futur.

En dépit de l’existence de ces dispositions précises du décret


du 25 octobre 1996 qui réglemente la purge des droits coutumiers,
celle-ci reste toujours une opération placée sous le sceau de la
« palabre » pour la reconnaissance du statut coutumier des
occupations foncières, et surtout pour la détermination du montant
et des modalités des paiements des indemnités et des lots de
compensations qui leur sont proposées. À leurs yeux, les barèmes

P a g e 113 | 142
établis par l’administration ne devraient être que des bases de
discussion, des éléments indicatifs à partir desquels ils entendent
faire des contre-propositions. En cas d’impasse, les détenteurs
coutumiers recourent à l’arbitrage du ministre ou du chef de l’État…

La purge des droits coutumiers loin d’être une simple formalité


administrative constitue une phase essentielle de l’urbanisation. Elle
marque l’un des temps forts des luttes sociales dont le sol est l’objet
et l’enjeu actuellement en Côte d’Ivoire et en Afrique.

Section 2- Les autres modes non spécifiques à la Côte d’Ivoire

Ces modes, on les retrouve dans d’autres législations. Il


s’agit : de la confiscation, de la préemption, de la nationalisation, de la
réquisition

Paragraphe I- La confiscation

La confiscation apparait surtout comme une sanction. En


matière pénale, c'est la peine par laquelle est dévolu autoritairement
à l’État, tout ou partie des biens d'une personne. En manière
douanière, tout fait de contrebande ainsi que tout fait d’importation
ou d’exportation sans déclaration sont passibles de confiscation. La
confiscation peut porter aussi bien sur des meubles que des
Immeubles. Étant une sanction, elle ne donne pas lieu à
l’indemnisation.

Paragraphe II : La Préemption

Le droit de préemption est reconnu dans certains cas à


l’administration. Ce droit permet à celle-ci, d’acquérir la propriété
d'un bien lors de son aliénation par préférence à tout autre acheteur.
Le droit de préemption permet à l’administration de se substituer à
l’acheteur au cours d'une transaction pour acquérir le bien qui en fait
l'objet. Ce droit de préemption peut porter aussi bien sur un objet
mobilier que sur un immeuble (C’est l’hypothèse la plus fréquente).

P a g e 114 | 142
À titre d'illustration, on peut citer la loi ivoirienne du 28 juillet
1987 portant protection du patrimoine culturel. Aux termes de
l’article 31 de cette loi, lorsque le propriétaire d'un bien ayant fait
l’objet de classement entend l’aliéner, l’État peut exercer son droit
de préemption, et se porter acquéreur de l’immeuble (Voir KOBO
Pierre-Claver, la protection juridique des sites, monuments et
paysages urbains en Côte d’Ivoire, in : Annales de l’université
d'Abidjan. Droit Tome VIII, 4988. P. 315. ).

Si le droit de préemption est généralement exercé dans


l’intérêt général (singulièrement en matière d'aménagement urbain), il
l’est également à titre de sanction. Ainsi, l’administration des impôts
peut acquérir un immeuble dont la valeur a été sous-estimée lors
d'une mutation (droit de préemption fiscal).

L'administration a la faculté de préempter au profit du Trésor


public un bien sous-estimé lors d'une vente.

Paragraphe III- La réquisition

La réquisition se présente comme le procédé permettant à


l’administration, moyennant indemnisation, de contraindre les
particuliers à accorder leurs services, l’usage de biens mobiliers ou
immobilier. On distingue généralement la réquisition militaire de la
réquisition civile pour les besoins de la nation. En côte d’Ivoire la
réquisition des personnes est régie par la loi Nº 63-4 du 17 janvier
1963 est relatif à l’utilisation des personnes en vue d'assurer la
promotion économique et sociale de la nation.

S’agissant des biens objet de l’analyse, la doctrine opère une


distinction une distinction entre les réquisitions portant sur des
immeubles et les réquisitions portant sur des meubles. Les
réquisitions portant sur des immeubles ne peuvent concerner que leur
usage et en aucun cas leur propriété. Elle n’entraine pas
contrairement à l’expropriation, la réquisition de transfert forcé de
la propriété d'un immeuble. Sous ce rapport, elles ne peuvent donc

P a g e 115 | 142
être que temporaires. Dès lors, toute réquisition destinée à durer
indéfiniment étant irrégulière.

À l'inverse, les réquisitions portant sur des meubles peuvent


porter soit sur l'usage du meuble soit sur sa propriété. En d'autres
termes, la réquisition peut être un mode de cession forcée des
meubles ; elle ne peut être un mode de cession forcée des immeubles

Bien entendu, le recours à la réquisition est déterminé par des


textes légaux et réglementaires. La réquisition est liée à des temps
de crise ou de tension. Elle est temporaire.

Paragraphe IV-La nationalisation

On peut la définir comme le transfert de la propriété d'une


entreprise résultant d'une décision de la puissance publique à laquelle
le ou les propriétaires sont obligés de se plier. Elle peut être une
mesure de contrôle de l’économie, de démantèlement d'une
entreprise géante ayant acquis un certain monopole. Elle peut être
aussi une sanction ou une mesure d’indépendance économique (cas des
pays en voie de développement qui nationalisent des grandes sociétés
pétrolières ou d'extraction minière).

D'un point de vue juridique, la nationalisation est assez proche


de l’expropriation. D'ailleurs, au regard de son régime, elle a été
assimilée par le Conseil constitutionnel français, dans sa célèbre
décision du 16 janvier relative aux nationalisations (voir décision
N°81-132 du 16 janvier 1982 in AJDA 1982. P.209 Note RIVERO), à
une expropriation. Pour la haute juridiction française, les principes
applicables aux expropriations le sont aussi aux nationalisations.

Il reste cependant entendu que la nationalisation, au contraire


de l’expropriation qui est une mesure administrative, est
fondamentalement un acte politique. Elle intervient généralement sur
le fondement d'une loi. Pour le Conseil Constitutionnel français,
l’appréciation portée par le législateur sur la nécessité d'une

P a g e 116 | 142
rationalisation ne peut sauf erreur manifeste d'appréciation, être
récusée. Au contraire de l’expropriation qui ne peut porter que sur
des immeubles ou des droits réels immobiliers, la nationalisation peut
porter aussi bien sur les biens meubles des entreprises (actions) que
sur les immeubles

Il est de principe que les personnes atteintes par une


nationalisation ont droit à une indemnisation en compensation du
préjudice subi. Le principe voudrait que cette indemnité qui doit être
juste soit préalablement versée avant la prise de possession du bien
nationalisé. Il reste que la nationalisation étant une mesure politique,
son déroulement et ses modalités varient en fonction du pays et du
contexte politique. Si l’administration peut la force prendre le bien
d’un particulier, elle peut également constituer son domaine en
réalisant des ouvrages publics.

PARTIE II : LES TRAVAUX ET LES OUVRAGES PUBLICS

Les travaux entrepris par l’Administration pour entretenir ou


édifier ses biens immobiliers sont deux ordres : il s’agit soit de
travaux publics soit de travaux privés. Ne sont publics que les
travaux présentant un caractère d’intérêt général. Cette finalité
justifie les privilèges de l’Administration et les sujétions imposées
aux particuliers. Si cette finalité est absente, les travaux auront un
régime identique à ceux entrepris par les particuliers sur leurs biens.

L’expression travaux publics a longtemps été appliquée au


travail ainsi qu’à son résultat, l’ouvrage public. On comprend dès lors
que travaux public et ouvrages sont deux notions intimement liées.
Cependant, elles méritent d’être distinguées. Cette distinction ne
conduit pas cependant à l’application d’un régime juridique différent.

CHAPITRE I- TRAVAUX ET OUVRAGES PUBLICS : DES


NOTIONS DISTINCTES

L’expression travaux publics a longtemps été appliquée au

P a g e 117 | 142
travail ainsi qu’à son résultat Si les deux notions sont effectivement
proches, l’assimilation serait excessive. Il importe alors d’examiner
séparément les notions de travaux publics et d’ouvrage public.

Section I : La notion de travail public

Les textes n’apportent aucun élément permettant de dégager


une définition de travaux publics. Il est vrai que des lois (françaises)
particulières12 qualifient certains travaux de travaux publics.
Cependant, ces qualifications ne constituent pas l’équivalent d’une
définition générale. C’est donc la jurisprudence qui va dégager la
définition de la notion. Le juge a défini la notion de travail public par
deux grands arrêts. Traditionnellement, un travail public était un
travail immobilier exécuté pour le compte d'une personne publique
dans un but d'intérêt général par une personne publique ou privée (CE
10 juin 1921, Commune de Monségur). Cette définition traditionnelle
de la notion de travail public dégagée en 1921 est toujours d’actualité.
Mais tenant compte des évolutions et des transformations de
l’interventionnisme des personnes publique, le tribunal des conflits
(TC, 28 mars 1955, Effimieff) a admis que puisse être également un
travail public un travail immobilier exécuté pour le compte d'une
personne privée dans le cadre d'une mission de service public par une
personne publique. Il y a donc deux définitions du travail public, une
définition traditionnelle et une définition nouvelle qui s'ajoute à la
première.

Paragraphe I- La définition traditionnelle du travail public

Les travaux exécutés, dans une église pour le compte d’une


personne publique, dans un but d’utilité publique, conservent le
caractère de travaux publics », estima le Conseil d’État français dans
un arrêt du 10 juin 1921, Commune de Monségur. Prenant appui la sur
jurisprudence commune de Monségur de 1921, la doctrine va dégager
12
On chercherait vainement dans les textes législatifs une définition du travail public. Certes, il est
arrivé que des lois (loi du 28 Pluviôse an 8) évoquent ou fassent référence à la notion de travail public. Mais
ces évocations ou ces allusions à la notion de travail public ne constituent pas l’équivalent d’une définition
générale de la notion. C’est donc la jurisprudence qui va dégager la notion de travail public.

P a g e 118 | 142
les éléments d’identification du travail public. La doctrine va effet
construire la notion de travail en mettant en avant trois critères : le
Un critère matériel, le critère organique et le critère de la finalité.

A-critère matériel : Le caractère immobilier du travail public

Le travail public s’entend, au sens l’arrêt du 10 juin 1921,


Commune de Monségur, d’une opération matérielle portant
nécessairement sur un bien immobilier.

1- Un travail
Le travail s’analyse ici en opération matérielle ; peu importe
l’importance de ce travail. Ainsi, le remplacement de quelques pavés
sur la voie publique est un travail public tout comme la construction
d’un barrage, d’un pont, d’un aéroport.

Il importe de noter que la notion de travail public est


extensive, englobant tous les éléments concourant à l’opération. Il
peut s’agir des travaux préliminaires à la construction (démolition, le
nivèlement) On peut citer à titre d’exemple un arrêt du Conseil d’État
français 1er juillet 1959, ministères des Affaires étrangères qui
considères que les opérations de nivellement préalable à la
construction constituent des travaux publics. Ont été également
considérés comme des travaux les opérations de transport
nécessaires à l’exécution des travaux. CE 7 novembre 1930,
Guignard). Il peut s’agir, par ailleurs, de travaux postérieurs à
l’exécution du travail (travaux de réparation, d’entretien et
d’installation (ascenseur installé dans un édifice public cf. CE 13
mars 1966, société OTIS-LIFRE).

Ces différentes opérations matérielles, pour prétendre à la


qualité de travail public, doivent avoir un caractère immobilier

2-Un travail à caractère immobilier


L’opération matérielle ou le travail doit avoir un caractère
immobilier. L’immeuble est envisagé au sens du Code civil, c’est-à-dire

P a g e 119 | 142
par nature ou par destination bâti ou non. Sous ce rapport, une
opération se rapportant à un bien meuble ne peut être qualifiée
travail public. La construction d’un porte-avion ou d’une tribune
démontable posée sur le sol n’est pas un travail public. La tonte d’une
pelouse est un travail public en raison du caractère immobilier de
ladite pelouse. Autrement dit, peu importe l’importance du bien
considéré. Le « travail immobilier » lui-même, c’est-à-dire le
caractère matériel, se présente sous la forme d’une opération de
construction, de réparation, d’entretien, de démolition,
d’aménagement, d’équipement, portant donc sur un bien immobilier. La
notion de travail public repose ainsi sur une conception active de
l’opération matérielle. L’existence d’un travail immobilier ne suffit
pas. Aux termes de l’arrêt Commune de Monségur précité, le travail
immobilier doit être effectué par le compte d’une personne publique.

B-Le critère organique : Un travail exécuté pour le compte


d’une personne publique

Le bénéficiaire de l’opération matérielle de réalisation est une


personne publique. On retrouve le critère organique classique. La
jurisprudence Commune de Monségur de 1921 exige, en effet, que le
travail considéré soit exécuté pour le compte d’une personne
publique. Pour une partie de la doctrine, l’expression « pour le compte
d’une personne publique », renvoie au fait que le travail doit porter
sur un bien appartenant à une personne publique ou qui doit lui
revenir. Peu importe que ce travail soit exécuté par la personne
publique elle-même ou par une personne privée. En effet, le travail
peut être accompli par la personne publique elle-même avec son
propre personnel selon le procédé de la régie. Le travail peut être
également effectué par un entrepreneur pour le compte bien entendu
de la collectivité publique.

Peu importe également la nature de l’activité de la personne


publique, administrative et commerciale (CE 19 février 1969, EDF
c/Entreprise Pignetta et Répétti). Il faut entendre, par personne
publique l’État les Collectivités territoriales et les Établissements

P a g e 120 | 142
Publics.

Enfin peu importe que les biens soient à la disposition d’un


concessionnaire, dès lors qu’il s’agit dans cette hypothèse de biens de
retour (CE 22 juin 1928, Époux de Sigalas).

Dès lors que les travaux immobiliers sont effectués pour le


compte d’une personne publique, dans un but d’intérêt général, il s’agit
de travaux publics, quelles que soient les personnes qui participent
matériellement à leur exécution. C’est dire que les travaux peuvent
être effectués soit par une personne publique soit par une personne
privée. En revanche, un travail exécuté pour le compte d’une personne
privée ne constitue pas, au sens de l’arrêt Commune Monségur, un
travail public. Le travail effectué ou exécuté pour le compte d’une
personne publique doit avoir un but d’intérêt général.

C-Le critère de la finalité : un travail exécuté dans un but


d’intérêt général

Il ne peut y avoir travaux publics qu’à la condition que l’objectif


poursuivi soit l’intérêt général. Sous le bénéfice de cette
présentation, des opérations réalisées dans un contexte de droit
privé, exclusivement, ou pour des considérations financières ou
économiques, peuvent difficilement satisfaire l’intérêt général Il en
résulte logiquement que des travaux exécutés par des personnes
publiques sur leur domaine privé, dans un but financier, ne sont pas
des travaux publics. C’est le cas des travaux relatifs à l’exploitation
d’une forêt domaniale (TC, 25 juin 1973, ONF c/ Béraud, rec., p. 847 ;
AJDA 1974, p. 30 : ouverture d’une route forestière… ; CE, Section,
28 novembre 1975, ONF c/ ABAMONTE, rec., p. 602 ; AJDA 1976, p.
148 ; RDP 1976, p. 1015, note M. Waline).

En fait la notion d’intérêt général est plus large. C’est dire


qu’une simple finalité d’internet général suffit. La jurisprudence
entend très largement cette finalité d’intérêt général aux termes
d’une série de critères :

P a g e 121 | 142
— Intérêt général et service public : le juge administratif, dès lors
que le but du travail demeure la réalisation de l’intérêt général, est
amenée à lui conférer l’étiquette de travail public. Il n’est donc pas
nécessaire que l’on soit en face d’une mission de service public. Ainsi,
les travaux d’entretien d’une église postérieure à la loi de séparation
de l’église et de l’État ont été qualifiés de travaux publics (Cf. arrêt
commune de Monségur). De même ont été considérés comme des
travaux publics, les travaux de réhabilitation d’une unité de
production d’eau de source visant à promouvoir le développement
économique et l’emploi. Il peut donc avoir des travaux publics sans
qu’il y ait mission de service public.
— Intérêt général et domaine public : si la gestion du domaine public
des personnes publiques correspond à une activité d’intérêt général,
la gestion du domaine privé a toujours été considérée par la
jurisprudence comme une activité exercée dans l’intérêt patrimonial
de la personne publique propriétaire. En d’autres termes, les travaux
réalisés sur le domaine privé de la personne publique sont en principe
des travaux privés. Cependant, ces deux (2) règles ne sont pas
absolues. Il arrive qu’exceptionnellement les travaux effectués sur le
domaine public n’aient pas la qualité de travaux publics. C’est le cas,
par exemple des travaux réalisés sur la voie publique dans le cadre
d’une permission de voirie. Il peut arriver également que des travaux
réalisés sur le domaine privé de la personne publique aient la qualité
de travaux publics (Cf. Tribunal des Conflits, 24 octobre 1942,
Chaumard contre préfet Bouches-Du-Rhône).
La définition traditionnelle qui vient d’être évoquée va connaitre
une extension avec la jurisprudence Effimieff.

Paragraphe II : La définition contemporaine du travail public

Sans remettre en cause la jurisprudence Commune de Monségur


(définition traditionnelle), l’arrêt Effimeiff vient étendre la notion de

P a g e 122 | 142
travail public. En réalité, la définition traditionnelle ne permettait
plus de saisir pleinement la notion de travail public. Si la définition
traditionnelle est devenue obsolète, le juge va, sans le remettre, la
renouveler

A-Les adjuvants de la définition contemporaine

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les opérations de


reconstruction nécessitaient un cadre juridique efficace et cohérent.
Les collectivités publiques réalisaient des travaux dont elles n’étaient
pas toujours les destinataires. Elles intervenaient dans certains cas
en raison de la carence de l’initiative privée.

Certains travaux de reconstruction exécutés pour le compte de


particuliers sinistrés étaient confiés à des « associations syndicales »
spécialement créées par une loi du 16 juin 1948. Ce contexte général
a permis de faire apparaître certaines insuffisances, des carences de
la conception traditionnelle de la notion de travaux publics. La
destination privée de certains immeubles reconstruits dans ce
contexte pouvait exclure, par hypothèse, l’application du régime des
travaux publics. L’exclusion de ce régime exorbitant ne facilite pas,
nécessairement, l’exécution prioritaire de ces travaux de
reconstruction. Seule une conception renouvelée de la notion même
des travaux publics pouvait adapter l’intervention des personnes
publiques aux besoins. C’est du tribunal des conflits que devait venir
une nouvelle définition du travail public. Adoptant, pour l’occasion, une
conception extensive de la notion, le juge des conflits révolutionna
littéralement la définition juridique du travail public.

Il ressort de l’arrêt Effimieff que : « …le législateur a ainsi


expressément manifesté son intention d’assigner à ces organismes le
caractère d’Établissement public et dans l’œuvre de reconstruction
immobilière, une mission de service public…qu’il suit de là que
nonobstant le fait que les immeubles reconstruits ne sont pas la
propriété des associations…les opérations de reconstruction qui ont
lieu par leur intermédiaire qu’elles intéressent les biens appartenant
à des particuliers ou des biens des collectivités publiques constituent

P a g e 123 | 142
des opérations de travaux publics ».

B-Les éléments de la définition contemporaine

Il ressort de ce considérant que l’arrêt Effimieff a étendu la


notion de travail public à l’ensemble des travaux exécutés par une
personne publique dans le cadre d’une mission de service public. Il
s’agissait en l’espèce de travaux effectués par les associations
syndicales de reconstruction, établissement public, avec des fonds
privés, afin de reconstruire des immeubles privés détruits pendant la
guerre Cette définition dégagée par l’arrêt Effimieff sera d’abord
confirmée par un arrêt du 20 avril 1956, Consorts Grimouard et par
l’arrêt du 19 octobre 1957, Mimouni.

Il ressort de l’ensemble de ces arrêts que les travaux, même


exécutés pour le compte des personnes privées, peuvent avoir la
qualité travaux publics à la double condition d’être effectués dans le
cadre d’une mission de service public par une personne publique.

1-Un travail exécuté dans le cadre d’une mission de service public


La jurisprudence Effimieff précitée a étendu la notion de
travail public à l’ensemble des travaux immobiliers exécutés par une
personne publique dans le cadre d’une mission de service public. Il
s’agit en l’espèce de travaux effectués par les associations syndicales
de reconstruction, a qui le législateur avait accordé la nature
d’établissements publics, afin de reconstruire des immeubles privés
détruits pendant la guerre).

L’expression dans le cadre d’une mission de service public, elle


est donc plus restrictive que celle employée dans le cadre d’une
activité d’intérêt général assurée ou assumée par une personne
publique. On peut citer à titre d’exemple le service public de
reboisement institué par la loi du 30 septembre 1946, service public
dans lequel les travaux de reboisement faits par l’État sur des
terrains privés ont été assimilés à des travaux publics (CE, Ass., 12
avril 1956, consorts Grimouard). En revanche, ne sont pas des travaux

P a g e 124 | 142
publics les travaux réalisés par la SNCF et RFF parallèlement à la
réalisation du TGV Méditerranée, mais pour le compte de personnes
privées et en dehors de toute mission de service public (TC, 4 mars
2002, conflit sur renvoi de la CAA de Lyon, SCI La Valdaine et SCI
du Béal c/ SNCF ET RFF).

2-Un travail effectué par une personne publique


Les travaux effectués pour le compte d’une personne privée,
dans le cadre d’une mission de service public, ne sont des travaux
publics que s’ils sont effectués par une personne publique.
L’expression par une personne publique signifie ici sous la maîtrise
d’une personne publique (et non pas nécessairement en régie) ; mais il
faut que ce soit sous l'autorité d'une personne publique. Cette
dernière doit en être le maître d'œuvre, ce qui veut dire qu'elle doit
les diriger et les contrôler. Par exemple, dans l'affaire Effimieff,
l'article 39 de la loi du 16 juin 1948 disposait que les associations
syndicales de reconstruction, qui étaient des établissements publics,
étaient les maîtres d'œuvre des travaux jusqu'à leur réception
définitive. Les travaux ont donc pu être qualifiés de travaux publics.
En revanche, il se serait agi de travaux privés si le rôle de
l'administration s'était limité à une simple mission de surveillance et
de financement partiel ou à une aide ponctuelle en personnel et en
matériel (TC, 28 avril 1980, Prunet).

La différence essentielle entre les deux définitions réside dans


le fait qu'un travail peut se voir dorénavant reconnaître la qualité de
travail public alors même qu'il est exécuté pour le compte d'une
personne privée, c'est-à-dire sur un bien lui appartenant, alors que,
sous l'empire de la définition traditionnelle, un travail exécuté pour
le compte d'une personne privée était considéré comme un travail
privé.

La juge va par la suite étendre la jurisprudence Effimieff. Ont


été également qualifiés de travaux publics les travaux suivants
effectués pour le compte de personnes privées : opérations de
boisement ou de reboisement entreprises par l'administration des

P a g e 125 | 142
eaux et forêts sur des terrains privés en vertu de contrats passés
par elle avec les propriétaires de ces terrains : (l’arrêt Consort
Grimouard); travaux exécutés d'office par les communes sur les
immeubles privés menaçant ruine (l’arrêt l’arrêt Mimouni ); travaux
exécutés d'office sur les immeubles insalubres13

En réalité, on peut estimer que la différence n’est pas bien


grande entre les deux hypothèses retenues par le juge pour qualifier
une opération de travail public : outre le caractère immobilier du
travail, elles supposent toutes deux la présence, à des degrés divers,
d’une personne publique et d’une finalité d’intérêt général. À cette
nuance près que l’hypothèse « Effimief » permet la réalisation d’un
travail public pour le compte d’un particulier.

L’expression dans le cadre d’une mission de service public est


donc plus restrictive que celle d’intérêt général employé dans la
définition traditionnelle. Cependant ces travaux doivent être
effectués par une personne publique. Le résultat du travail public est
généralement l’ouvrage public.

Section II- La notion d’ouvrage public

La notion d’ouvrage public a longtemps été absorbée par celle


de travaux publics. Jusqu’à une époque récente, ce terme ne
comportait aucune signification autonome par rapport à la notion de
travail public stricto sensu. On y voyait le résultat matériel de
l'exécution d'un travail public et les règles juridiques établies à
propos de ce dernier paraissaient pouvoir s'étendre sans difficulté à
l'ouvrage auquel aboutissait le travail. Pourtant, bien que des
relations étroites existent et que les régimes juridiques soient
quasiment identiques, l’ouvrage public constitue une catégorie
autonome. Il y a lieu donc de voir ou de préciser la notion avant
d’envisager le principe de l’intangibilité de l’ouvrage public.

Paragraphe I : La définition de l’ouvrage public

Dans l’arrêt État de Côte d’Ivoire Société BATIM-CI c/YAPO


13
CE 30 mai 1962, Poplin, lebon, 359 ;

P a g e 126 | 142
Bedephi Martin et autres du 18 juillet 2018, la Chambre
administrative de la Cour suprême donne la définition de l’ouvrage
public en ces termes : « l’ouvrage public est un bien immobilier
résultant d’un aménagement réalisé par une personne publique,
affecté à l’usage direct d’un service public, y compris s’il appartient à
une personne privée chargée de l’exécution de ce service public ». Il
ressort de cette définition sommaire trois constantes :

- Une opération de nature immobilière


- Un travail ou un aménagement
- L’Intérêt général
Mais la définition admet quelques variantes.

A-Les constantes de la notion d’ouvrage public

L’ouvrage public est toujours de nature immobilière. Il résulte


d’un travail et d’un aménagement et est affecté à l’intérêt général.

1-L’ouvrage public, un bien de nature immobilière


Comme le travail public, l’ouvrage public est de nature
immobilière. De fait, le critère déterminant d'identification d'un
immeuble ou à tout le moins d’un ouvrage public est sa fixation au sol.
Public. Sous ce rapport, un objet mobilier n’est pas un ouvrage public.
Il ne peut l’être que s’il est un élément accessoire indissociable de
l’ouvrage public: c’est le cas notamment des immeubles par
destination.

En effet, lorsqu'un élément mobile, et qui, de ce fait, ne peut en


principe être considéré comme un ouvrage public, présente un lien
fonctionnel avec un bien immobilier qui, lui, est sans conteste un
ouvrage public, le juge peut appliquer à l'ensemble la qualification
globale d'ouvrage public, ce qui se traduit par une extension non
négligeable de la notion d'ouvrage.

Il ressort effectivement de la jurisprudence que des éléments


mobiles sont parfois considérés comme des ouvrages publics en raison
du lien naturel qui les unit à une dépendance domaniale C’est le cas
notamment d’une cage de football posée sur le sol d’un stade

P a g e 127 | 142
municipal (CE, 15 février 1989, Dechaume), ou celui d’une tribune
démontable dès lors que le terrain sur lequel elle est installée a été
aménagé pour la recevoir (CE, 11 décembre 1970, Ville de Saint-
Nazaire). Mais un banc non fixé au sol de la cour d’un collège n’est pas
un ouvrage public (CE, 26 septembre 2001, Département du Bas-
Rhin). Le juge administratif a semble-t-il considéré ici que le lien
naturel reliant le banc au collège est insuffisant pour pouvoir
considérer le premier comme un élément de l’ouvrage public que
constitue le second, contrairement aux espèces précédentes. Il est
vrai que le banc n’est pas un élément caractéristique de la cour du
collège, contrairement à une cage de football ou une tribune vis-à-vis
d’un terrain de jeu. Par ailleurs, le bac à péage est un exemple
révélateur de cette situation. La chambre administrative de la Cour
suprême, dans l’arrêt Société des Centaures Routiers, a considéré le
bac comme un ouvrage public.

2-L’ouvrage public, le résultat d’un travail ou d’un aménagement


Le terme même d'ouvrage commande ou que l'immeuble soit le
résultat d'un certain travail, qu'il implique l'intervention de l'homme.
L'exigence d'un aménagement minimum est donc le second élément de
la définition d'un ouvrage public. Sous le bénéfice de cette
présentation, les biens restés à l’état de nature ou dans leur état
naturel ne peuvent prétendre à cette qualité d’ouvrage public.

C’est dire qu’un terrain non bâti ne saurait avoir la qualité


d’ouvrage public. Il en va de même d’une plage, d’un cours d’eau, laissé
à l’état de nature. En réalité, ces différents biens laissés à l’état de
nature, peuvent avoir la qualité d’ouvrages publics s’ils font l’objet
d’un aménagement. Une troisième condition est exigée par la
jurisprudence : L’ouvrage public doit être affecté à l’intérêt général.

3-L’ouvrage public, un bien immobilier affecté à l’intérêt général


La troisième condition exigée pour prétendre à la qualité
d’ouvrage public tient à la destination du bien. Il ressort de la
jurisprudence que l’ouvrage public doit être affecté à l’intérêt
général. On le sait, en matière de domanialité publique, l’affectation à

P a g e 128 | 142
l’intérêt général peut revêtir deux formes

D’une part, le bien peut être affecté à l'usage direct du public.


C'est le cas de l'ensemble des voies de communication terrestre
affectées à la circulation générale.

D’autre part, le bien peut être affecté à un service public. Sont


ainsi ouvrages publics, les ports, les aéroports, les voies ferrées et
installations affectées au service public.

B-La particularité de la notion d’ouvrage public

Si la plupart du temps un ouvrage public procède d’un travail


public et fait partie du domaine public, il n’en va pas ainsi dans tous
les cas. On peut le vérifier en mettant en lien ouvrage et travail,
ouvrage public et domaine public, ouvrage et propriété publique.

1–Ouvrage public et travail public

Le plus souvent, l’ouvrage public est le résultat d’un travail


public. D’ailleurs, les travaux d’entretien et de réparation portent
souvent sur des ouvrages publics. Mais la relation n’est pas absolue.
L’autonomie de la notion d’ouvrage public par rapport à celle de travail
public se manifeste à un double titre.

En premier lieu, il peut y avoir travail public indépendamment de


l’existence d’un ouvrage public. C’est le cas par exemple des travaux
de démolition, ou encore pour des travaux réalisés sur une propriété
privée. C’est l’hypothèse de la jurisprudence Effimieff où des travaux
de construction (travaux publics) ont donné lieu à des immeubles
privés.

En second lieu et inversement, il peut également y avoir ouvrage


public indépendamment de la réalisation d’un travail public. C’est le
cas notamment d’acquisition, par des collectivités, d’immeubles
précédemment construits par des particuliers et affectés à une
finalité d’intérêt général: clinique privée devenue hôpital public après
son acquisition par une commune.

P a g e 129 | 142
2-Ouvrage public et domaine public
La encore, les deux notions ne se recouvrent pas forcement.
Dans la plupart des cas, l‘ouvrage public fait partie du domaine public
artificiel. Il est alors affecté soit à l’usage du public soit à un service
public avec aménagement spécial. Or, le domaine public comprend non
seulement des biens immobiliers, mais aussi des biens mobiliers et
des biens naturels. Comme on peut le constater, la notion d’ouvrage
public est plus étroite que celle de domaine public.

3-Ouvrage public et propriété publique

Il s’agit là d’une dissociation qui peut paraître plus surprenante,


mais in n’en reste pas moins qu’un ouvrage public peut appartenir à
une société concessionnaire (bien propres), ou même à un simple
particulier. C’est le cas par exemple, respectivement, du mobilier
urbain appartenant à des sociétés urbains et implanté en vertu de
concessions de voirie (CE, 19 octobre 1979, Société Difamelec), ou
des voies privées ouvertes à la circulation du public, et des
branchements particuliers d’eau, d’électricité et de gaz, qui relient la
canalisation principale au compteur de l’abonné (CE, Sect., 22 janvier
1960, Gladieu).

Paragraphe II-Le principe de l’intangibilité de l’ouvrage public

Le principe d'intangibilité des ouvrages publics a été sans aucun


doute un moyen efficace de leur protection. Corrélativement, il a pu
constituer l'une des sujétions les plus fortes pesant sur les
administrés. En effet, si un ouvrage public était irrégulièrement
édifié sur la propriété d'un administré, ce dernier ne pouvait en
obtenir la démolition. Toutefois, la remise en cause de ce principe à
laquelle on assiste aujourd'hui en a sensiblement atténué les
conséquences dans la mesure où, dans certaines circonstances, un
ouvrage public peut maintenant être tangible, ce qui était
inconcevable autrefois.

A-Le principe de l’intangibilité, un vénérable adage

P a g e 130 | 142
Il est de tradition de faire remonter à un vieil arrêt de 1853, le
principe de l’intangibilité de l’ouvrage public. Ce principe est
classiquement formulé ou posé de la manière suivante : « l’ouvrage mal
planté ne se détruit pas ». Il convient de s’interroger sur la portée du
principe et son fondement ou justification.

1-La portée du principe


S’appuyant sur le principe selon lequel « l’ouvrage mal planté ne se
détruit pas », le juge a pu inférer qu’il « n’appartient en aucun cas aux
juridictions de prescrire aucune mesure de nature à porter atteinte,
pour quelques motifs que ce soit, à l’intégrité et au fonctionnement
d’un ouvrage public ». Plusieurs observations découlent de cette
affirmation.

D’abord, les conclusions dirigées contre une personne publique et


qui tendraient à ce qu’il soit porté atteinte à un ouvrage public mal
planté en sollicitant sa destruction, ne peuvent être accueillies par le
juge.

Ensuite, alors que le plus souvent l’implantation irrégulière forcée


se fait sur les propriétés privées et constitue dans cette perspective
une voie de fait, le juge est privé de son pouvoir de faire cesser
cette situation en prescrivant en urgence les mesures de remise en
l’état du bien.

Enfin, l’application stricte du principe conduit à priver le


particulier de sa propriété ainsi sans que l’administration ait eu
besoin de recourir à l’expropriation pour cause d’utilité publique. La
responsabilité de l’Administration du fait de ses agissements
manifestement irréguliers ne saurait être niée. Fautives, elle doit
réparation aux victimes (CE, 21 janvier 1978, Commune de Margon).
Les victimes peuvent cependant avoir droit à des indemnités dont la
fixation du montant appartient au juge. Quels sont les justifications
d’un tel principe ?

P a g e 131 | 142
2-Les fondements du principe de l’intangibilité de l’ouvrage public
Les fondements du principe de l’intangibilité de l’ouvrage public
ont été laborieusement dégagées par des auteurs anciens. Selon
ceux-ci, le principe de l’intangibilité préserve à la fois l’intérêt
général et l’intérêt financier, deux finalités intimement liées. En
effet, Démolir un ouvrage public, dont la finalité d’intérêt général est
incontestable, entrainerait un coût financier important pour
l’Administration.

Ces arguments ci-devant présentés, n’emportent pas la


conviction en ce qu’ils paraissent encourager la pratique du « mal
planté ». En réalité, le principe de l’intangibilité de l’ouvrage public
consacre « la théorie de l’expropriation indirecte » formulée par
LAFERRIERE ET HAURIOU. Cette situation est à la fois anormale et
choquante en ce qu’elle prive les citoyens des garanties
fondamentales imposées par la procédure d’expropriation. Au surplus,
le droit de propriété est droit fondamental consacré par la
Constitution. L’expropriation indirecte est ainsi condamnée par la
CEDH, qui précise qu’à « défaut d’un acte formel de transfert de
propriété, et à défaut d’un jugement national déclarant qu’un tel
transfert doit passer pour avoir eu lieu et éclaircissant une fois pour
toutes les circonstances exactes de celui-ci, la perte de toute
disponibilité du terrain en cause, combinée avec l’impossibilité
jusqu’ici de remédier à la situation incriminée, a engendré des
conséquences assez graves pour que la requérante ait subi une
expropriation de fait incompatible avec son droit au respect de ses
biens et non conforme au principe de prééminence du droit » . Dès
lors, l’expropriation indirecte n’est pas « apte à assurer un degré
suffisant de sécurité juridique » compatible avec le droit au respect
des biens, de l’article 1 du protocole additionnel n 1 Voir CEDH, 2
mars 2006 n0 20935/03, I.C/Italie.
En fait le principe de l’intangibilité connait aujourd’hui une
inflexion
B-L’inflexion du principe de l’intangibilité

P a g e 132 | 142
La théorie de « l’expropriation indirecte » formulée par
Laferrière et Hauriou a conduit à une prise conscience. En effet,
sensibles à l’anomalie et l’anachronisme d’une situation trop favorable
a l’Administration, le TC, le Conseil d’État et la Cour de cassation vont
rendre des décisions annonçant une certaine remise en cause du
principe de l’intangibilité de l’ouvrage public mal planté.

1-Les manifestations de l’inflexion de la théorie

Le principe de l’intangibilité a été l’objet de plusieurs attaques.


Le tribunal des conflits a été le premier a indiqué la voie dans une
décision où il estima que « les conclusions dirigées contre le refus de
supprimer ou de déplacer un ouvrage, et le cas échéant à ce que soit
ordonné ce déplacement ou cette suppression, relèvent par nature de
la compétence du juge administratif ».
Une telle formule conduit à penser que désormais une demande
de modification ou de suppression d’un ouvrage public n’est plus
nécessairement vouée à l’échec. Le CE va tirer les conséquences de
cette décision dans l’arrêt du époux Demard, 19 avril 1991. Les
riverains d’un chemin forment un recours en annulation contre le
refus du maire de supprimer un ouvrage public par la commune
destinée à faciliter l’écoulement d’eau de pluie et empiétant sur leur
propriété.
L’intérêt de cet arrêt apparait dans l’acceptation du juge de
statuer au fond sur la demande d’annulation du refus de détruire un
ouvrage mal planté. C’est-à-dire que si le refus de démolir avait été
annulé, le respect de la chose jugée conduirait à imposer à
l’Administration la destruction de l’ouvrage. La Cour de cassation dans
l’arrêt du 6 janvier 1994 va participer à la déconstruction de la
théorie. Cette décision est interprétée comme sonnant le glas de la
théorie de l’intangibilité. Statuant en assemblée plénière, la Cour de
cassation, à propos de l’édification par EDF d’un barrage sur des
propriétés privées, décide que « le transfert de propriété non
demandé par le propriétaire ne peut intervenir qu’à la suite d’une
procédure d’expropriation ». Cette prise de position unanimement

P a g e 133 | 142
approuvée met fin à une situation anormale et choquante qui privait
les citoyens des garanties fondamentales par les procédures
d’expropriation. Il reste attendu que la destruction de l’immeuble mal
planté reste difficile à obtenir compte tenu des conditions mises en
œuvre dégagées par la jurisprudence.
2-Les conditions de la démolition, des conditions restrictives

Les conditions fixées par le juge pour ordonner la démolition de


l’ouvrage public mal planté peuvent être analysées comme un appel
d’air à la théorie de l’intangibilité de l’ouvrage public. En effet, le juge
administratif, avant d’ordonner une modification ou une destruction,
vérifie « si une régularisation est possible » et dans la négative, il lui
revient ensuite de prendre en considération, « les inconvénients que
la présence de l’ouvrage entraine pour les divers intérêts publics et
privés en présence et notamment, le cas échéant, pour le propriétaire
du terrain d’assiette de l’ouvrage, d’une part et, d’autre part, les
conséquences de la démolition pour l’intérêt général et d’apprécier, en
rapprochant ces éléments, si la démolition n’entraine pas une atteinte
excessive à l’intérêt général » CE sect 29 janvier 2003, syndicat
départemental de l’électricité et du gaz des Alpes-Maritimes et
Commune de Clans contre Commune de Verdun-sur-Ariège)
En fait le principe de l’intangibilité a disparu, mais les les
conditions de la démolition d’un ouvrage public restent extrêmement
restrictives Voir CE 13 janvier 2009 Commune du canton de Saint-
Malo-de-la-Lande.

CHAPITRE II : TRAVAUX ET OUVRAGES PUBLICS : UN


RÉGIME DE RESPONSABILITÉ IDENTIQUE

Le régime de responsabilité applicable aux dommages de travaux


publics ou à l’ouvrage public s’apprécie en opérant une double
distinction. La doctrine distingue en effet, entre les dommages
permanents et les dommages accidentels.

D’ailleurs, le droit jurisprudentiel continue à être organisé sur la

P a g e 134 | 142
base de cette distinction. Elle est dans cette perspective considérée
comme la summa divisio. Il importe alors, pour analyser le régime de
responsabilité résultant des dommages des travaux publics ou des
ouvrages publics, de distinguer les dommages permanents des
dommages accidentels.

Section I-Les dommages accidentels

Le dommage est dit accidentel lorsque sa survenance est


marquée par sa soudaineté, son imprévisibilité. Mais, aurait pu être
évité en prenant les précautions nécessaires. C’est justement ce qui
explique que la notion de faute soit cœur de ce régime de
responsabilité. Ici, l’administration peut engager sa responsabilité
lorsque le travail public est à l’origine directe d’un dommage, que ce
soit envers un usager, un participant ou tiers et que le lien de
causalité est établi entre le dommage et l’ouvrage public ou le travail
public. Le régime de responsabilité est dominé par la distinction entre
trois catégories de victimes. En d’autres termes la responsabilité
varie en fonction de la situation de ces dernières par rapport au
travail public ou à l’ouvrage public : le participant, l’usager et le tiers.

Paragraphe I-Les victimes ayant un lien avec les travaux


publics : L’usager et le participant

Ces victimes ont un lien avec les travaux publics soit à travers leur
utilisation (l’usager) soit par leur participation aux travaux
(participant)

A- Les dommages subis par les usagers

Qui est l’usager ? Quels sont les cas où l’administration peut


voir sa responsabilité engager ? Répondre à ces questions revient à
préciser la notion d’usager et voir le fondement de la responsabilité.

1-Notion d’usager

L’usager d’un ouvrage est celui qui l’utilise ou en bénéficie de


façon personnelle et directe. Il S’agit par exemple du piéton ou
l’automobiliste sur une voie publique. Dit autrement, l’usager est la

P a g e 135 | 142
personne qui bénéficie du travail ou de l’ouvrage public, qui en tire
profit ; il désigne la personne qui l’utilise effectivement un ouvrage
public et subit un dommage à l’occasion de cette utilisation. Mais il
importe de souligner que l’usage de l’ouvrage doit être conforme à son
affectation. Voir CSCA, Société des Centaures Routiers 14 janvier
1970, René DEGNI-SEGUI, Droit administratif général, Tome
3 ; Paterme MAMBO, La responsabilité pour dommages de
travaux publics dans la jurisprudence des Cours suprêmes
d’Afrique francophone, RISJPO, septembre 2014.

2-Le fondement de la responsabilité

Au regard de la jurisprudence, les dommages de travaux publics


subis par les usagers donnent lieu à une réparation sur le fondement
d’une faute présumée. A la lumière de la jurisprudence on évoque la
faute présumée lorsqu’un ouvrage provoque un dommage accidentel,
l’administration est réputée avoir commis une faute, sauf si elle
réussit à démontrer la preuve contraire. Dans cette hypothèse, où la
charge de la preuve appartient en principe au maître de l’ouvrage,
l’usager victime doit simplement établir le lien de causalité entre le
dommage qu’il allègue avoir subi et le travail ou l’ouvrage public. Les
juges appliquent ce régime de responsabilité aux usagers victimes de
travaux publics lorsqu’il apparaît qu’un ouvrage public a provoqué des
dommages en raison d’un défaut d’entretien normal. La responsabilité
de l’Administration est engagée à l’égard des usagers en cas de vice
de construction ou de défaut d’entretien normal de l’ouvrage.

Le défaut d’entretien normal correspond à une défaillance dans


l’entretien qui aurait normalement dû être effectué par le maître de
l’ouvrage, la personne qui à la garde de l’ouvrage, pour permettre un
usage conforme à son affectation. Dans l’arrêt CSCA, Société des
Centaures Routiers 14 janvier 1970, l’accident est le fait de la
rupture des amarres du bac. Le défaut d’entretien normal est alors
reçu comme une obligation de moyen pour l’administration de
contrôler de façon régulière qu’aucun danger occasionnel n’entraine
de risque pour l’usager : par exemple des arbres tombés sur la voie

P a g e 136 | 142
publique, des obstacles non signalés sur la voie publique…Le juge
engage la responsabilité de l’administration si l’obstacle est demeuré
sur l’ouvrage au-delà d’une durée raisonnable contraire à son
obligation de surveillance( CE, 20 mai 1987, Société des
autoroutes Paris-Rhin-Rhône). En revanche, ne constitue pas un
défaut d’entretien normal, la rupture d’un bac provoqué par un camion
trop chargé et par une fausse manœuvre du chauffeur. (Chambre
administrative de la Cour suprême du Gabon, 4 avril 1980).

Quant au vice de construction, il correspond à l’hypothèse dans


laquelle l’ouvrage ne peut pas être mis à disposition du public
conformément à sa destination, sans danger. C’est notamment le cas
de malfaçon, de l’inadaptation d’un matériel. La seconde personne
ayant un lien avec l’ouvrage public est le participant.

B-Les dommages subis par le participant

Il convient de déterminer qui a la qualité de participant avant


de voir le régime de responsabilité.

1-La reconnaissance de la qualité de participant

La reconnaissance de la qualité de participant est liée à des


éléments factuels. Cette qualité est en effet reconnue aux
entrepreneurs et leurs préposés assurant l’exécution des travaux ;
ainsi que les agents de l’administration prenant part à cette
exécution. Il en est de même pour les architectes, lorsqu’ils
s’acquittent de leur mission de surveillance des travaux. La qualité de
participant, à l’aune de la jurisprudence française, tant à un
transporteur de produits destinés au revêtement d’une voie publique,
qu’à une personne qui, en accord avec l’entrepreneur, était entrée
dans un chantier pour couper une conduite d’eau lui appartenant et qui
gênait l’exécution des travaux (CE 24 avril 1981, Soc. des autoroutes
du nord et de l’Est). Le participant est soumis à un régime de
responsabilité peu favorable.

2-Le régime de responsabilité

P a g e 137 | 142
C’est à l’égard du participant que le régime de la responsabilité
est le plus rigoureux. En fait, les travailleurs participant à l’exécution
de travaux sont soumis à un régime de responsabilité strict fondé sur
la faute prouvée du maître de l’ouvrage ou de l’entrepreneur. L’on
estime en effet qu’ils ont accepté les dangers liés à leur activité
professionnelle. Plus exactement, les participants à l’exécution des
travaux publics sont des professionnels pour lesquels la survenance
d’un dommage pendant l’accomplissement de leur service est un risque
du métier. En outre, leur participation à l’exécution des travaux
donne lieu à rémunération. Au final, on va considérer qu’il n’y a pas de
raison de leur faire un sort à part, en les soustrayant à l’application
du principe de la responsabilité pour faute prouvée. La situation est
différente lorsque le participant aux travaux est reconnu comme un
collaborateur bénévole d’un service public. Il bénéficie alors du
régime de responsabilité sans fautes fondé sur le risque. C’est
d’ailleurs, ce régime qui est applicable aux tiers.

Paragraphe II-Les victimes n’ayant aucun un lien avec les


travaux publics : les tiers

La précision de la notion de tiers est un préalable avant


d’examiner du régime de responsabilité.

A : La notion de tiers

La notion de tiers renvoie à un postulat de base. Le tiers est


une personne extérieure à un groupe ou à une situation juridique. Par
exemple en matière contractuelle, le principe veut que le tiers ne
participe pas au contrat, ne prenne pas part à l’opération et n’en
subisse pas les effets. Ramené aux dommages de travaux publics, le
tiers est la personne qui n’a ni la qualité de participant ni celle
d’usager d’un travail ou d’un ouvrage public. Le tiers est toute
personne qui ne tire aucun avantage du travail ou de l’ouvrage public.
En d’autres termes, il est perçu comme une personne étrangère aux
travaux ou à l’ouvrage public, une personne passive qui, même
lorsqu’elle bénéficie des travaux ou de l’ouvrage public, ne les utilise
pas. C’est par exemple le cas du riverain tant qu’il n’utilise pas la voie

P a g e 138 | 142
publique. Le tiers bénéficie d’un régime de responsabilité très
favorable.

B : Le régime de responsabilité

Selon l’expression jurisprudentielle, « même en l’absence de


faute » et sans que la preuve de l’absence de faute puisse avoir un
effet exonératoire, les tiers ont droit à réparation, dès lors que le
lien de cause à effet entre les travaux ou l’ouvrage et le dommage est
établi. Plus exactement, dès lors que le dommage n’est pas imputable
à la faute du tiers ou à un évènement de force majeure, la
responsabilité sans faute de l’administration du fait des dommages de
travaux publics est engagée, à l’égard des tiers, sur le fondement du
risque. Les dommages de travaux publics ou des ouvrages publics
peuvent prendre place en dehors de tout accident. Il s’agit des
dommages permanents

Section II : Les dommages permanents

Le dommage est dit permanent, lorsqu’il résulte de la présence


ou du fonctionnement d’un ouvrage public à proximité du lieu
d’habitation de la victime. Il s’agit, en réalité d’un inconvénient
permanent, causé par la nécessaire présence de l’ouvrage. Il importe
de préciser que la qualité de tiers par rapport à l’ouvrage public et
qu’en conséquence c’est un régime favorable de responsabilité qui
s’exerce. Analysons successivement la typologie des dommages
permanents avant de voir le régime de responsabilité.

Paragraphe I-La typologie des dommages permanents

Plusieurs types de dommages permanents peuvent être distingués.


Les troubles de jouissance apportés à la propriété sont séparés des
atteintes au droit d’accès et d’allongement de parcours.

A-Les troubles de jouissance apportées à la propriété

Les troubles de jouissance peuvent avoir des origines diverses.


Ils peuvent avoir pour origine le bruit résultant de la présence d’un
ouvrage public. Dans un arrêt du Conseil d’État français du 2 octobre

P a g e 139 | 142
1987, « EDF » c/Spire », la haute juridiction administrative estime
que les préjudices imputables aux bruits engendrés par la centrale
présentent un tel caractère et que la responsabilité d’Électricité de
France est engagée de ce dernier chef.

Les préjudices causés par les odeurs, les fumées, les poussières
peuvent ouvrir droit à réparation : odeur venant d’un dépôt d’ordures,
Conseil d’État français du 3 juillet 1971, « Commune de la Dourgue »,
d’une usine d’incinération, Conseil d’État, 25 novembre 1987. Il en va
de même des atteintes au droit d’accès et allongement de parcours.

B-Les atteintes au droit d’accès et allongement de parcours

Le droit d’accès des riverains à leur immeuble est considéré


comme un accessoire du droit de propriété. Sous ce rapport le droit
d’accès est fortement protégé. Ainsi la privation du droit d’accès du
fait de l’exécution de travaux publics constitue un préjudice anormal
par nature et se voit toujours indemnisé. C’est le cas de la
transformation d’une route en voie piétonnière rendant inaccessible
aux véhicules automobiles l’accès au garage ( CE, 22 juin 1983,
« Communauté urbaine de Bordeaux. Cependant les gênes passagères
auxquels il est aisé de remédier n’ouvrent pas droit à indemnisation.

C-Les préjudices commerciaux

La clientèle et le chiffre d’affaires de certains magasins


peuvent être affectés par la réalisation de travaux publics. Ces
travaux peuvent en effet, rendre difficile, sinon supprimer, l’accès au
commerce. Ici, il s’agira pour le juge d’apprécier si un certain seuil de
gravité a été atteint. Une perte définitive de clientèle directement
liée aux travaux sera indemnisée. C’est le cas de la perte d’une
épicerie du fait de la construction d’une autoroute, Conseil d’État, 27
novembre 1974, « Amouzegh ».

Mais les préjudices commerciaux résultant des modifications


apportées aux conditions de la circulation générale du fait de
changements dans le tracé des voies publiques ou de la création de
voies nouvelles « ne sont pas de nature à donner droit au versement

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d’une indemnité dès lors l’accès aux riverains reste assuré ».Il
importe de noter que lorsque le juge admet que la réalisation des
travaux a causé un préjudice commercial, il recherche si ce préjudice
n’est pas compensé par la plus-value que les travaux et la réalisation
des ouvrages ont pu procurer au commerce. Quelle que soit la nature
du dommage, le régime de responsabilité est le même.

Paragraphe II : le régime de responsabilité

La typologie des dommages permanents donne de constater que


la victime des inconvénients de voisinage a le plus souvent la qualité
de tiers, ce qui entraine un régime de responsabilité spécifique. En
conséquence, le préjudice doit être anormal et spécial.

A- Un régime de responsabilité spécifique : la rupture


d’égalité devant les charges publiques

La qualité de tiers à l’ouvrage public a pour effet d’entraîner un


régime favorable de responsabilité sans faute. Né à partir d’un arrêt
rendu du CE français, du 24 juillet 1931, commune de Vic-Fezensac, à
propos d’une affaire d’encombrement d’une toiture par les feuilles
mortes enlevées chaque année, par l’automne aux plantes d’une place
publique, ce régime s’applique à des dommages non accidentels ayant
le caractère d’inconvénient de voisinage. Les dommages permanents
s’analysent en fait comme des charges qui, sans faute et pour le
service de l’intérêt général, sont imposées délibérément à certains
membres de la collectivité. Pour rétablir l’égalité rompue à leur
détriment, compensation de ces charges leur est due, dans certaines
conditions. On comprend alors aisément que la responsabilité
encourue est celle fondée sur la rupture d’égalité devant les charges
publiques. Ce régime de responsabilité s’appuie sur des caractères
qu’il convient d’analyser maintenant.

B-Les caractères du préjudice indemnisable

Comme dans tout système de responsabilité sans faute, le


préjudice outre son caractère direct er certain, doit être spécial,
anormal et grave. La notion de spécialité ne pose apparemment pas de

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difficulté majeure. Elle est en effet satisfaite par cela seul que la
notion de voisinage implique une limitation du nombre des victimes.

En revanche, la gravité et l’anormalité du dommage doivent être


vérifiées dans chaque espèce. Et le ne reconnaitra pas le droit à
indemnité sans avoir relevé que le dommage « excède les troubles ou
les inconvénients normaux du voisinage ». Ou, de façon plus
circonstanciée qu’il excède les sujétions que doivent supporter les
riverains des voies publiques. Il apparaît que la jurisprudence ne peut
être que contingente attachant une importance toute particulière aux
circonstances de fait et qu’il n’existe aucun barème ou paramètre
permettant d’apprécier la gravité ou légèreté du préjudice, sa
normalité ou son anormalité.

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