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Malherbe

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Robert Ferrieux Franois de Malherbe Sur la mort de son fils

Que mon fils ait perdu sa dpouille mortelle, Ce fils qui fut si brave et que j'aimais si fort, Je ne l'impute point l'injure du sort, Puisque finir l'homme est chose naturelle ; Mais que de deux marauds la surprise infidle Ait termin ses jours d'une tragique mort, En cela ma douleur n'a point de rconfort, Et tous mes sentiments sont d'accord avec elle. mon Dieu, mon Sauveur, puisque, par la raison Le trouble de mon me tant sans gurison, Le vu de la vengeance est un vu lgitime, Fais que de ton appui je sois fortifi : Ta justice t'en prie, et les auteurs du crime Sont fils de ces bourreaux qui t'ont crucifi.

[On connat Franois de Malherbe (1555-1628) surtout par l'apostrophe libratrice de Boileau : Enfin, Malherbe vint (Art Potique, I, 131) , saluant d'un cri de joie la naissance du classicisme franais. Certes, grce son cole littraire et bien qu'il n'ait jamais crit de trait thorique, Malherbe labora une doctrine potique fonde sur la rigueur. N Caen, il passa une grande partie de sa vie Aix, et ce qu'on sait moins, c'est que le soleil, les fleurs, les fruits de Provence parsment ses stricts pomes de luminosit, de senteurs et de saveurs relevant d'un lyrisme la fois personnel et symbolique. Ici, cependant, le vieil homme, sans mythologie, sans recherche, exprime sa douleur de l'assassinat, en 1627, de son fils bien aim.]

Commentaire

La moisson de nos champs lassera les faucilles, Et les fruits passeront la promesse des fleurs. Malherbe, Prire pour le Roi Henri le Grand, (47, 48) Tel ne fut pas, hlas, le cas de Marc-Antoine de Malherbe. Son vieux pre s'en alla lui-mme au sige de La Rochelle pour obtenir de Louis XIII le chtiment des coupables, dmarche vaine qui le laissa doublement bris. De retour Paris, il crivit ce pome et mourut de douleur peu aprs. Peu d'panchement, cependant : Malherbe reste ce qu'il a toujours t, sensible mais rserv, indign mais raisonneur. La rhtorique du sonnet Ce sonnet ptrarquien n'offre, ici, aucune asprit : deux quatrains, deux tercets, une volta l'issue du premier octave, c'est--dire un retournement. Pas un seul enjambement dtachant un terme privilgi, des rimes conformes. La seule mise en exergue se situe dans le sixtain : chacun des tercets commence par le mot fort d'une prire qui ressemble beaucoup un ordre : et Fais . La rhtorique n'est point dans la facture, mais dans l'agencement des propos. Le premier quatrain pose un principe fondamental : il est naturel de mourir ; le second, en opposition marque par le Mais initial, signifie l'intrusion d'un lment contraire l'ordre naturel, donc Et voici le sixtain exprimant la rsultante. Nous sommes en prsence d'un syllogisme parfait : majeure, mineure, conclusion. Malherbe fonde son indignation sur un raisonnement rigoureux issu de la logique. Cette apparente froideur

scolastique ne dissimule point, cependant, les expressions de sa souffrance.

La souffrance du deuil impossible Elle transparat au fil des vers plutt que d'tre explicitement exploite. Ce n'est pas elle qui constitue le sujet premier du pome. Nous rencontrons donc un pointill d'amour paternel affleurant ici et l de la dmonstration. On pourrait reconstituer une phrase factice partir de ces expressions : Mon fils si brave que j'aimais si fort [de] sa tragique mortma douleur n'a point de rconfort et tous mes sentiments avec elle le trouble de mon me [est] sans gurison . Alors pourquoi ce deuil impossible ? Il s'agit d'une indignation partage par nombre de personnes ayant subi des tragdies familiales et que la justice des hommes a trahies. Puisque le tribunal de mon pays et son instance suprieure, ici le Roi, ont refus le chtiment que ma souffrance rclame, je m'affranchis de la loi et revendique le droit une vengeance personnelle. Mais pour cela, j'ai besoin d'une lgitimit. La pressante prire Dieu Malherbe s'adresse donc sur un ton premptoire l'instance suprme, apostrophe ds l'ouverture du premier tercet. C'est Dieu, son Sauveur. Ce dernier terme est trs ambigu. D'un strict point de vue thologique, il renvoie au Christ dont le sacrifice ( crucifi ) a rachet (sauv) l'humanit. Cependant, la vengeance n'apparat point dans le Nouveau Testament et, stricto sensu, l'exigence (plus qu'une supplique) de Malherbe s'avre irrecevable. Jsus, prnant charit et pardon, ne saurait fortifie[r] de son appui la rsolution du pre inconsolable. Or Malherbe n'a que faire, en la circonstance, d'un discours d'amour. C'est tout l'inverse. Il se sent anim d'une haine lgitime que seul le sang vers des bourreaux pourrait assouvir et, du coup, ouvrir la voie d'un deuil ncessaire. On est donc conduit mettre l'hypothse suivante : certes, les mots nomment le Dieu du Nouveau Testament, mais les sentiments ( tous [les] sentiments ) en appellent Celui le L'Ancien, vengeur, lui, fondant la justice sur le Talion. Au sang vers rpondra le sang vers, de la mort la mort sera le rachat. Conclusion ce titre, le sonnet de Malherbe n'est pas sans rappeler ceux que John Milton (le gant puritain du XVIIe sicle anglais) consacra sa ccit et au dcs de son pouse. Le propos n'est pas le mme, car Milton ne rclame pas vengeance mais rsignation. Pourtant, la dmarche oscillant d'un Testament l'Autre n'est pas diffrente, elle aussi non explicite. Les quatrains miltoniens expriment, avec de multiples rfrences aux vangiles (la parabole des talents, en particulier), la protestation indigne de l'injustice du sort, mais les tercets s'adressent manifestement au Dieu de la Bible pour que Son intercession apporte la vigueur infaillible dont son tre a besoin. Milton plaide sa cause, offrant la splendeur de son impuissance au lointain Regard. They also serve who only stand and wait (Servent aussi ceux qui, debout, ne peuvent quattendre).

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