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Tiago RODRIGUES - IPHIGENIE - Extrait

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Collection TIAGO RODRIGUES

« Domaine étranger »

dirigée par Alexandra Moreira da Silva

Du même auteur

By Heart
(Apprendre par cœur)
Traduit par Thomas Resendes‚ 2015
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Bovary
Traduit par Thomas Resendes‚ 2015
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Antoine et Cléopâtre
Traduit par Thomas Resendes‚ 2016 Électre
Tristesse et joie dans la vie des girafes
Traduit par Thomas Quillardet‚ 2016

Sopro (Souffle) suivi de Sa façon de mourir


Traduit par Thomas Resendes‚ 2018

Traduit du portugais (Portugal) par


THOMAS RESENDES

LES SOLITAIRES INTEMPESTIFS


SOMMAIRE AVANT-PROPOS

Iphigénie .................................................................... 7 Lorsque j’ai commencé à travailler au Teatro


Agamemnon ............................................................. 67 Nacional D. Maria II de Lisbonne‚ j’ai eu la volonté
de trouver un langage théâtral compatible avec
Électre .................................................................... 113 l’équipe d’une institution vieille de plus d’un siècle
et demi (je voulais me confronter à ce passé‚ l’em-
brasser tout entier). Que ce langage nous permette
aussi de communiquer avec la rue‚ la cité‚ le monde.
La réécriture de ces trois tragédies grecques sont le
résultat de cette recherche d’un vocabulaire commun‚
sans maître à penser‚ où les mots d’un autre âge
étreignent ceux d’aujourd’hui‚ où l’attention portée
à la parole des défunts est aussi vive que la volonté
de s’adresser aux vivants. Iphigénie‚ Agamemnon et
Électre sont écrites à une période de transformation‚
sur le plan intime et collectif. Notre tentative est celle
d’un vivre ensemble‚ d’un théâtre qui garde ses portes
Titre original et ses fenêtres ouvertes sur le monde.
Ifigénia‚ Agamémnon e Electra
© Tiago Rodrigues‚ 2015
T. R.
Ouvrage publié avec le soutien de Camões
Institut de la Coopération et de la Langue, I. P.

© 2020‚ LES SOLITAIRES INTEMPESTIFS‚ ÉDITIONS


1‚ rue Gay-Lussac – 25000 BESANÇON
Tél. : 33 [0]3 81 81 00 22 – Fax : 33 [0]3 81 83 32 15

www.solitairesintempestifs.com

ISBN 978-2-84681-604-5
Iphigénie

Ifigénia a été créé le 11 septembre 2015 au Teatro Nacional D. Maria II à Lisbonne


dans une mise en scène de l’auteur avec : Isabel Abreu (Clytemnestre)‚ João Grosso
(Ménélas)‚ Ana Valente (Iphigénie)‚ Marco Mendonça (Achille)‚ José Neves
(Ulysse)‚ Maria Amélia Matta (le Vieillard) ainsi qu’Ana Tang‚ Flávia Gusmão‚
Lúcia Maria et Sandra Pereira (le Chœur)‚ Lúcia Maria (le Messager).
Scénographie : Ângela Rocha ; accessoires : Magda Bizarro‚ Ângela Rocha ;
création lumière : Nuno Meira ; création musicale : Gabriel Ferrandini ; création
sonore : Sérgio Henriques ; assistanat mise en scène : Filipa Matta.
Production : TNDM II ; coproduction : Teatro Viriato.
PERSONNAGES
Scène 1
LE CHŒUR.
LE CHŒUR. – Je me souviens qu’au début le jour se
AGAMEMNON.
LE VIEILLARD. lève
Il n’y a presque pas de lumière
MÉNÉLAS.
Nous sommes là‚ dans la baie d’Aulis‚ et nous regar-
CLYTEMNESTRE.
dons les Pléiades
IPHIGÉNIE.
Et quand nous disons que‚ là-haut‚ ce sont les Pléiades
ACHILLE.
Une constellation d’étoiles encore visibles aux pre-
ULYSSE.
mières lueurs du jour
LE MESSAGER.
Vous savez très bien que cela n’est pas vrai
Quand nous disons que‚ là-bas‚ il y a la baie d’Aulis
Où sont déployés les milliers de navires grecs
En attendant que le vent qui les conduira à la guerre
se lève
Quand nous disons qu’ici, il y a les soldats
Venus d’Argos‚ de Béotie‚ d’Attique‚ de Phocide et
de Locride
Venus des îles‚ venus de toute la Grèce
Quand nous disons que Ménélas a apporté mille
navires
Et Agamemnon mille autres
Vous savez‚ et vous pouvez le voir‚ c’est évident
Que rien de tout cela n’est vrai
Mais vous croyez quand même à ce que nous vous
disons
Car vous vous souvenez‚ comme nous nous souve-
nons

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Vous ne vous fiez pas à ces lumières‚ en mémoire Nous sommes en colère de raconter toujours la même
des Pléiades histoire
Vous ne vous fiez pas aux étoffes‚ aux corps‚ à cet Nous sommes en colère parce que nous nous souve-
espace nons
En mémoire d’Aulis et des Grecs Nous nous souvenons‚ comme si c’était ici et main-
Vous vous fiez à la tragédie tenant
Vous vous fiez à vos souvenirs de la tragédie Le ici et maintenant du jour d’avant la guerre
Parce que nous pouvons nous fier à la tragédie Nous sommes en colère d’être de retour dans la baie
Elle finit toujours mal d’Aulis
Chaque fois que nous la commençons Où les quilles des navires pourrissent parce qu’il n’y
Nous savons que la tragédie va finir mal a pas de vent
Et vous vous fiez à cela‚ parce que vous vous sou- Pas une brise
venez Ce qui nous rend encore plus en colère
Que les lumières‚ les étoffes‚ les corps‚ l’espace Les voiles des navires sont des fleurs fanées
peuvent changer Et les soldats‚ nos maris‚ se fanent à leur tour
Que les détails‚ les mots‚ les sourires‚ les voix D’attendre sous leurs tentes
peuvent changer Seules les femmes savent fleurir dans l’attente
Mais la tragédie s’achève comme toujours : mal Les hommes se fanent. Ils s’impatientent. Ils s’endor-
Ainsi‚ en confiance‚ nous commençons ment
Et nous sommes en colère de voir le jour se lever à
nouveau
Scène 2 Nous sommes en colère de savoir ce qui va arriver
Nous sommes en colère parce que les hommes
LE CHŒUR. – Je me souviens qu’il y avait un chœur
Venus de toute la Grèce
Un chœur de femmes
Chacun derrière son chef
Étaient-ce toutes des femmes ?
Se sont réunis ici à cause d’Hélène
Toutes des femmes
Pour la secourir‚ ou la venger
Toutes des femmes et elles étaient en colère
Ou Dieu sait quoi
Nous sommes le chœur des femmes en colère
Ils se sont rassemblés ici parce que Pâris a enlevé
Des femmes en tout genre
Hélène
Vieilles‚ jeunes‚ belles‚ laides‚ grandes et petites
Ou qu’Hélène s’est laissée enlever par Pâris
Toutes en colère
Nous sommes un chœur en colère Nous n’avons toujours pas de réponse claire à ce
Nous sommes en colère contre l’histoire que nous sujet
racontons Tout dépend des sources et des opinions

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Mais Hélène est à Troie Et cela nous rend encore plus en colère
Et Ménélas‚ trahi‚ ou volé‚ ou abandonné Car nous savons que les anciennes promesses sont
Ou Dieu sait quoi les pires
Ménélas a exigé que tous les Grecs se réunissent Ce sont elles qui nous tuent
Qu’ils déclarent la guerre à Troie Surtout les promesses faites pour des idées
Qu’ils détruisent l’endroit où s’est échappée Les promesses pour du jamais-vu
De force ou de son plein gré Quand Hélène était célibataire
La plus belle des femmes : Hélène Et que tous les chefs grecs briguaient sa main
Mais qu’est-ce que la beauté ? Tyndare obligea chacun des prétendants à prêter
Serait-ce une femme parfaite ? serment
Hélène est parfaite Ils devaient tous promettre que le jour de son enlè-
Une femme imparfaite n’est-elle pas plus belle encore ? vement
Hélène est aussi imparfaite (Parce que Tyndare devait savoir qu’une fille si belle
Serait-ce un corps qui éveille les sens ? Belle au point d’être une idée
Hélène éveille les sens Finirait‚ tôt ou tard‚ par être enlevée)
Ou serait-ce une idée‚ pure et inaccessible ? Ils devraient se rassembler
Hélène n’est rien d’autre qu’une idée Autour du mari d’Hélène
Hélène est ce que chacun de nous veut qu’elle soit Et l’aider à se venger
Hélène n’apparaît jamais À récupérer l’idée qu’on lui avait volée
La cause de la tragédie n’apparaît pas dans la tragédie Et maintenant qu’Hélène a été enlevée par Pâris
Et cela nous rend encore plus en colère Ou qu’elle s’est laissée enlever
Nous devons nous montrer Ménélas a demandé à tous les chefs
Nous sommes vues‚ senties‚ touchées D’accomplir leur promesse
Mais Hélène n’apparaît jamais Le roi Agamemnon‚ frère de Ménélas
Absente‚ elle reste la meilleure des femmes Fût le premier à répondre et lança l’appel
Et tous les Grecs sont là Tous les Grecs durent se réunir à Aulis
Nos pères‚ nos maris‚ nos amants‚ nos frères Afin de partir pour Troie
Prêts à mourir pour Hélène D’où il ne resterait pierre sur pierre
Pour l’idée d’Hélène Tous se rassemblèrent
Car la majeure partie des Grecs ne l’ont jamais vue Et‚ maintenant‚ il n’y a pas de vent
Et ils sont prêts à mourir pour l’idée d’Hélène Je me souviens qu’Agamemnon sort de sa tente et dit :
Ils ne l’ont jamais vue « Et‚ maintenant‚ il n’y a pas de vent »
Des hommes prêts à mourir Agamemnon‚ le général de cette guerre‚ regarde la
Pour une ancienne promesse mer et dit :

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« Et‚ maintenant‚ il n’y a pas de vent » exigeant que ma femme ramène ici notre fille‚ sous
Agamemnon sait qu’il s’apprête à commettre un prétexte de la marier à Achille.
crime et dit :
« Et‚ maintenant‚ il n’y a pas de vent » L E C HŒUR . – Je me souviens qu’Agamemnon
Je me souviens qu’Agamemnon regarde les Pléiades demande : « Quel genre de frère est le mien ? »
Et répète :
« Et‚ maintenant‚ il n’y a pas de vent » AGAMEMNON. – Quel genre de frère es-tu‚ Ménélas ?
Quel genre de père suis-je ?

Scène 3 LE CHŒUR. – Je me souviens qu’Agamemnon cache


son visage entre ses mains
AGAMEMNON. – Et‚ maintenant‚ il n’y a pas de vent.
AGAMEMNON. – Je ne vais pas pleurer.
LE CHŒUR. – Je me souviens que l’une des nôtres
prend la parole LE CHŒUR. – Je me souviens qu’Agamemnon pleure

AGAMEMNON. – Et‚ maintenant‚ il n’y a pas de vent. AGAMEMNON. – Je ne vais pas pleurer. Je ne vais
pas pleurer. Je vais faire quelque chose. Je vais lui
LE CHŒUR. – L’une des nôtres sort du chœur et parle demander de ne pas venir. Je vais sauver Iphigénie.
seule Serait-ce trahir la patrie ?

AGAMEMNON. – Et‚ maintenant‚ il n’y a pas de vent. LE CHŒUR. – Je me souviens qu’Agamemnon de-
mande : « Qu’est-ce qu’une trahison ? »
LE CHŒUR. – Par vanité ou par courage‚ elle parle
seule AGAMEMNON. – Oui‚ qu’est-ce qu’une trahison ?
Trahir‚ n’est-ce pas seulement choisir à qui l’on est
AGAMEMNON. – Et‚ maintenant‚ il n’y pas de vent. fidèle ? Qui l’on aime ?

LE CHŒUR. – L’une des nôtres répète seule ce que dit LE CHŒUR. – Je me souviens très bien qu’Agamem-
Agamemnon non pleure

AGAMEMNON. – Et‚ maintenant‚ il n’y a pas de vent. AGAMEMNON. – Non. Agamemnon ne pleure pas.
Je me souviens de dire cela. Il n’y a pas de vent et Agamemnon n’a aucune raison de pleurer. Il change
mon frère Ménélas m’a convaincu d’écrire une lettre‚ d’avis. Que fait-il ? Je ne m’en souviens plus.

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LE CHŒUR. – Il écrit une autre lettre AGAMEMNON. – Cette lettre contredit la première. Tu
Maintenant Agamemnon écrit une autre lettre dois la remettre à Clytemnestre.
Une lettre qui sauve Iphigénie
Il peine à l’écrire LE VIEILLARD. – Tes mains.
Car le jour se lève et la lumière est trop faible
AGAMEMNON. – Vieillard‚ tu me connais bien. Tu
AGAMEMNON. – Où est passé le vieillard ? connais encore mieux ma femme. Tu la connais depuis
sa naissance. Comme ma fille. Et tous mes enfants
LE CHŒUR. – Je me souviens que le vieillard avance depuis leur naissance.
vers Agamemnon
Il marche lentement‚ tombant presque à chaque pas LE VIEILLARD. – Oui. Je me souviens de toutes les
parties de vos corps. Même les plus reculées. La
AGAMEMNON. – Vieillard. nuque. Cette zone derrière l’oreille. Les aisselles.

LE VIEILLARD. – C’est moi. Je me souviens de mes AGAMEMNON. – Ne perds pas cette lettre. Tu es le seul
jambes. De mes pieds. Je suis un vieillard. en qui j’ai confiance. J’y prie ma femme de ne pas
ramener Iphigénie.
AGAMEMNON. – Voici la lettre que j’ai peiné à écrire‚
car le jour se lève et la lumière est trop faible. LE VIEILLARD. – Et le mariage ? Et Achille ?

LE VIEILLARD. – Je me souviens de ton visage. Ton AGAMEMNON. – Achille n’a jamais su pour le mariage.
menton. Tes yeux. Tu es tourmenté‚ Agamemnon. Il n’y a jamais eu de mariage.
Qu’y a-t-il dans cette lettre ?
LE CHŒUR. – Je me souviens qu’Agamemnon raconte
AGAMEMNON. – Qu’y a-t-il dans cette lettre ? Que la première lettre était un mensonge
Qu’il voulait sacrifier Iphigénie
LE CHŒUR. – Je me souviens qu’il dit que cette lettre Que seuls Ménélas et Ulysse sont au courant
va déjouer une trahison Qu’à présent‚ il rejette cette action par amour pour
sa fille
AGAMEMNON. – Vieillard‚ cette lettre va déjouer une Que ce sacrifice lui est insupportable
trahison. Une trahison que je m’apprêtais à com- Qu’il préfère la défaite des Grecs
mettre. Qu’il préfère encore vivre dans un monde sans vent
Que dans un monde sans Iphigénie
LE VIEILLARD. – Mais je me souviens d’en avoir déjà Je me souviens que tout cela arrive très rapidement
envoyé une hier. Plus rapidement qu’en est capable le corps du vieillard

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