Botanique

L a parthénocarpie : des fruits sans graines

Par Michel Pitrat

Il nous paraît normal qu’il y ait des graines — La parthénocarpie naturelle —

dans les fruits charnus : pépins des pommes, Une première subdivision peut être faite suivant la nécessité
des poires ou des agrumes, noyaux des cerises, ou non de la pollinisation pour provoquer le développement
des pêches ou des abricots, graines des melons du fruit.
ou des pastèques… Mais les clémentines n’en La parthénocarpie dite « végétative » permet le développe-
ment du fruit sans pollinisation. Le concombre en est un
ont pas et qui a vu des graines de banane ? Les
bon exemple. Les variétés classiques de concombre sont mo-
fruits parthénocarpiques ou apyrènes sont des
noïques, c’est-à-dire qu’il y a des fleurs mâles et des fleurs
fruits sans graines (seedless en anglais).
femelles séparées sur la même plante. Il existe également des
Les mots grecs parthenos et carpos signifient respectivement variétés gynoïques qui ne possèdent que des fleurs femelles.
vierge et fruit. Un fruit parthénocarpique est donc un fruit
1 Pour que les fruits se développent sur une variété gynoïque,
qui s’est développé sans fécondation, ce qui peut paraître il faut cultiver en mélange quelques plantes possédant des
paradoxal. En effet, le fruit est classiquement défini comme fleurs mâles (monoïques) et les pollinisateurs (abeilles et
résultant « du développement de l’ovaire à la suite de la fécon- bourdons) assurent la fécondation. C’est ce qui était prati-
dation des ovules qui vont devenir des graines » (voir Jardins qué il y a quelques dizaines d’années, en particulier avec des
de France N° 619). cornichons. Certaines variétés développées au XIXe siècle en
Pour les plantes sauvages, l’absence de graines dans un fruit Angleterre, comme Rollinson’s Telegraph, possèdent une as-
est un cul-de-sac évolutif car une telle plante ne donne pas sez bonne aptitude à développer des fruits sans pollinisation.
de descendances. Cependant, au cours de la domestication, Dans la seconde moitié du XXe siècle, une sélection active
l’homme a sélectionné des variétés produisant des fruits sans et efficace de plantes de concombre présentant un très haut
graines. Les avantages sont soit l’intérêt de ne pas avoir de niveau d’expression de ce caractère a été conduite aux Pays-
graines dures dans un fruit charnu, soit l’augmentation du Bas. Cette sélection a permis d’obtenir les variétés hybrides
rendement. de concombres longs de serre, puis de cornichons ou bien de
La parthénocarpie peut être soit facultative, c’est-à-dire que la concombres courts sans graines. Aujourd’hui la majorité des
plante est parfaitement capable de produire des graines viables, concombres consommés en Europe sont parthénocarpiques.
soit obligatoire, la variété ne produisant jamais de graines. La Ces variétés, gynoïques et parthénocarpiques, ne doivent pas
parthénocarpie peut aussi être partielle ; par exemple sur un être cultivées à côté de variétés monoïques car la pollinisation
plaqueminier on peut observer des kakis possédant une ou peut entraîner la formation de fruits plus ou moins malfor-
plusieurs graines ou bien aucune graine. L’absence de graines més suite au développement de graines. Il s’agit donc d’une
pose également le problème de la multiplication et de la pro- parthénocarpie facultative. La parthénocarpie ne pose pas de
pagation des variétés parthénocarpiques. problèmes particuliers pour la production de semences des
Ce terme général de parthénocarpie recouvre plusieurs phéno- variétés commerciales. C’est plutôt la gynoécie qui nécessite
mènes biologiques que nous allons illustrer par quelques exemples le recours à des techniques particulières. Le même type de
de fruits produits dans nos jardins ou couramment consommés. parthénocarpie végétative facultative existe chez la tomate
mais n’a pas encore été exploité aussi intensivement que chez
le concombre.
1- Il ne faut pas confondre la parthénocarpie avec la parthénogenèse qui
est l’obtention sans fécondation d’un embryon et ensuite d’un individu.
La parthénogenèse est assez fréquente chez certains insectes (pucerons, — Banane et clémentine —
abeilles…) et existe aussi chez les végétaux sous le nom d’apomixie
Un autre exemple de parthénocarpie végétative est la banane.
(pissenlit). Elle est également un outil de biotechnologie qui permet
l’obtention de plantes haploïdes (n’ayant qu’un seul jeu de chaque
Les bananiers cultivés, aussi bien les bananes desserts que
chromosome) à partir d’ovules non fécondés ou bien de grains de pollen. les bananes plantains, sont triploïdes, les plantes possédant

1 Botanique - Jardins de France 633 - Janvier-février 2015

 piques sont des hybrides F1 triploïdes et résultent du croise-
ment entre une lignée femelle tétraploïde et une lignée mâle
diploïde. La lignée tétraploïde fertile est obtenue par traite-
ment à la colchicine d’une lignée diploïde. Les graines des
hybrides F1 triploïdes ont généralement une énergie germi-
native plus faible que les variétés diploïdes « normales » ; les
plantes triploïdes elles-mêmes ont une vigueur comparable à
celle des cultivars diploïdes. Les hybrides triploïdes sont mâle
et femelle stériles mais, contrairement au bananier, ne pro-
Figure 1. En haut une banane diploïde avec de nombreuses graines dans la
duisent pas de fruits en l’absence de pollinisation. Pour obte-
chair, en bas une banane cultivée triploïde parthénocarpique - © A. d’Hont nir des fruits, il doit y avoir pollinisation. Il faut donc mélan-
ger dans une parcelle de pastèques triploïdes quelques plantes
chaque jeu de chromosomes en trois exemplaires. Les plantes d’une variété diploïde (au minimum 20 %) qui produisent du
triploïdes sont mâle et femelle stériles et ne produisent pas de pollen viable, les abeilles et bourdons assurant le transport du
pollen ou d’ovules viables. Les bananiers sont multipliés végé- pollen vers les plantes triploïdes. Le cultivar diploïde produit
tativement et les variétés sont des clones. La Figure 1 illustre par autofécondation des pastèques avec graines ; il doit donc
bien l’intérêt de la parthénocarpie chez ce fruit. avoir des fruits assez différents de ceux de l’hybride triploïde
Un troisième exemple est la clémentine, hybride entre la pour qu’au moment de la récolte pour la commercialisation
mandarine et l’orange douce obtenu en Algérie à la fin du on puisse facilement distinguer les fruits avec graines et les
XIXe siècle, qui est auto-incompatible. Dans un verger ho- fruits sans graines. On dispose aujourd’hui d’une gamme de
mogène de clémentinier, les fruits n’auront pas de graines. variétés de pastèques apyrènes de bonne qualité (voir Figure 2).
En revanche, si d’autres agrumes compatibles sont présents
à proximité, les clémentines pourront contenir des graines. — Vers des cerises parthénocarpiques ? —
La Corse assure la quasi-totalité de la production française. Dans certaines conditions de culture, une plante peut ne pas
produire assez de pollen ou bien les pollinisateurs peuvent
— Parthénocarpie stimulée — ne pas être assez efficaces pour assurer une bonne pollinisa-
Outre cette parthénocarpie végétative, un autre type de par- tion et une bonne nouaison. C’est par exemple le cas dans des
thénocarpie est également utilisée que l’on appelle la parthé- cultures très précoces sous tunnels plastiques non chauffés.
nocarpie stimulée ou sténospermocarpie. Il faut qu’il y ait Les agriculteurs peuvent alors pulvériser des hormones ou
pollinisation pour que le fruit se développe mais il y a ensuite régulateurs de croissance comme les auxines pour provoquer
un avortement plus ou moins rapide des embryons et donc le grossissement du fruit sans fécondation. Ceci est parfois
absence de graines. pratiqué sur les courgettes ou bien l’a été sur les tomates.
Dans le cas du raisin de Corinthe, il y a pollinisation mais pas Les fruits charnus parthénocarpiques sont connus depuis très
de fécondation. Tous les autres cas d’apyrénie chez le raisin de longtemps (Banane) ou ont été développés plus récemment
table sont dérivés de la variété Sultanine : il y a pollinisation (concombre, pastèque). Plusieurs mécanismes biologiques
et fécondation mais l’embryon avorte ensuite. On peut donc sont en jeu suivant les espèces. Verrons-nous un jour des
trouver suivant les variétés des traces de pépins plus ou moins cerises parthénocarpiques ?
lignifiés. Il est assez difficile de concilier l’absence de pépins
et des grosses baies mais il existe une demande des consom-
mateurs pour des raisins de table apyrènes.

— Pastèques parthénocarpiques
et battage médiatique —
On a assisté ces dernières années à un certain battage média-
tique autour des pastèques parthénocarpiques. Il s’agit en fait Figure 2. Deux variétés de pastèque triploïdes, l’une à chair jaune, l’autre à
chair rouge. On peut remarquer la présence de téguments blancs non
de l’aboutissement de programmes de recherche qui ont dé-
lignifiés des graines - © GEVES
buté dans les années 40 au Japon. Les pastèques parthénocar-

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