Le Credo en Catechese
Le Credo en Catechese
Le Credo en Catechese
Novalis, 2010
Dans cet exposé, je voudrais proposer une réflexion sur le Credo qui sera tout à la fois
d’ordre théologique, catéchétique et liturgique et, cela, d’une manière qui s’efforce de rendre
la confession de foi audible, crédible et désirable dans le champ de la culture contemporaine.
.
* Dans un premier point, après un bref rappel des origines du Credo, je dégagerai les trois
structures fondamentales du Credo – trinitaire, narrative et énonciative – en interprétant ces
trois structures dans une optique de communication
* Les trois points suivants s’arrêteront successivement aux trois structures du Credo. Ce qui
nous permettra d’envisager le mystère chrétien sous trois angles : la communication en Dieu
(Le mystère trinitaire), la communication de Dieu (l’histoire du salut), la communication
selon Dieu (la vie humaine et chrétienne dans l’Esprit de Dieu.
* La cinquième, en conclusion, dégagera quelques perspectives quant à la fonction du Credo
en catéchèse.
Dans la liturgie, nous trouvons deux versions du Credo : une version brève qui est le
Symbole des Apôtres et une version plus longue : le Credo de Nicée (325) -Constantinople
(381).
1
Cfr André Haquin, « Aux origines du Credo. Aspects liturgiques, catéchétiques et dogmatiques », in Lumen
Vitae, n°1, 2009, pp.23-36.
La version brève est d’origine occidentale et de tradition liturgique. Elle est la mise en
forme dans un texte continu de la confession de foi baptismale sous forme dialoguée par
questions et réponses2.
1. La première structure est trinitaire ; Dieu est confessé comme unique mais cette
unicité de Dieu se donne à penser comme une communion aimante de trois personnes
distinctes : Père, Fils et Esprit.
Cette triple structuration du Credo que je viens de dégager peut être relue dans une
optique de communication. Cette relecture me semble très importante aujourd’hui, car nous
sommes dans une culture façonnée par la pratique, par les exigences et aussi par les difficultés
de la communication. Dans cette culture, nous avons besoin de redécouvrir le christianisme
2
La "Tradition apostolique" d'Hippolyte (170-235) décrit la "tradition du saint baptême" où le Symbole
baptismal est présenté sous forme interrogative. Ce texte est l'ancêtre direct du "Symbole des Apôtres":
"- Crois-tu en Dieu le Père tout-puissant?
- Je crois.
- Crois-tu au Christ-Jésus, Fils de Dieu, qui est né par le Saint-Esprit de la Vierge Marie, a été crucifié sous
Ponce Pilate, est mort, est ressuscité le troisième jour vivant d'entre les morts, est monté aux cieux et est assis à
la droite du Père; qui viendra juger les vivants et les morts?
- Je crois.
- Crois-tu en l'Esprit Saint dans la sainte Eglise ?
- Je crois".
comme la révélation du mystère de la communication dans lequel nous sommes pris ; et non
seulement comme révélation, mais aussi, en conséquence, comme une pratique, comme
manière d’être en communication, comme « style3 » ou, en d’autres termes, comme une
manière d’habiter le monde.
Comme le dit le philosophe français Michel Serres, « La communication est le fait
humain total qui n’a jamais cessé de l’être4 ». Le fait de la communication n’est pas
nouveau ; il est de tout temps. Mais aujourd’hui, il est l'objet d'une attention particulière aussi
bien dans la vie pratique que dans les sciences. Dans la vie pratique, les possibilités de
communiquer se sont intensifier d’une manière inconnue jusqu’ici : télévision, téléphone
portable, internet. La plupart des métiers d’aujourd’hui ne sont plus des activités de
production de choses ou de transformation de la matière, mais des activités de traitement de
l’information, de communication, de relation. Toutes les sciences de l’homme sont des
sciences de l’intercommunication humaine : linguistique, sémiotique, psychologie, sociologie,
économie, droit, etc. Les sciences de la nature également étudient non les choses en elles
mêmes, mais leur fonctionnement, leur interrelation. C’est pourquoi on peut dire que
l’imaginaire de notre culture est façonné par la problématique de la communication. Cette
culture, notons-le, est profondément antidogmatique au sens où ce qu’elle met en valeur, c’est
la capacité de s’informer, de s’interroger, d’échanger, de communiquer avec autrui, de donner
et de recevoir. On peut comprendre, dans cette optique, que le mot « dogme » en soit venu à
prendre un sens péjoratif. Dans la langue, en effet, le mot « dogmatique » signifie borné,
inintelligent, violent, autoritaire. Le mot « dogmatique » symbolise aujourd’hui tout ce qui est
l’anti-communication. L’intégrisme et le fondamentalisme en sont les formes extrêmes.
Aussi, dans ce contexte culturel, sur le plan pastoral et catéchétique, est-il déterminant
aujourd’hui ce comprendre que la foi chrétienne, en ses dogmes mêmes - c’est-à-dire en ses
affirmations fondamentales exprimées dans le Credo - loin de freiner la communication, en
révèle le mystère puisqu'elle parle de Dieu en termes de communication, promeut la
communication jusqu’à l’extrême et lui ouvre des perspectives insoupçonnées.
Le Credo, en effet, selon la triple structuration que nous avons relevée, loin de bloquer
la communication dans le dogmatisme, parle du mystère de la communication et la pousse
jusqu’à l’extrême. Il parle d’un Dieu qui est en lui-même une unité aimante de
communication (la Trinité), qui se communique (histoire du salut) et donne de vivre en
communication (la vie humaine et son épanouissement possible dans la foi). Ainsi, à partir du
Credo, c’est l’ensemble du mystère chrétien qui peut être compris comme mystère de la
communication en Dieu, de Dieu et selon (dans l’Esprit) de Dieu.
Les trois points qui suivent vont s’arrêter successivement à ces trois aspects du
mystère chrétien. Dans une optique d’inculturation, ils s’efforceront de parler de la foi d’une
manière qui la rende plausible, crédible et désirable dans le monde d’aujourd’hui.
La catéchèse à partir du Credo peut être pour les chrétiens une redécouverte signifiante
pour aujourd’hui du mystère trinitaire. Pour beaucoup, en effet, la foi trinitaire – pourtant
3
Cf ; Christoph THEOBALD, Le christianisme comme style. Une manière de faire la théologie en
postmodernité, collection Cogitatio Fidei, 2 volumes, n°260-261, Le Cerf, Paris, 2008.
4
Michel SERRES, Hermès II, L’interférence, Paris, Editions de Minuit, 1972, p.128.
confessée à chaque prière et dans toute liturgie - paraît abstraite : une sorte d’algèbre
religieuse énigmatique, sans lien réel avec la vie de foi. La confession trinitaire reste, en
effet, bien souvent une formule qui n’est guère signifiante. Or, dans un univers de
communication, n’est-il pas opportun aujourd’hui de souligner que l’originalité de la foi
chrétienne est de croire en un Dieu qui est en lui-même une unité aimante de communication
interpersonnelle ?
« La Trinité, il faut leur en parler. C’est totalement génial. La plus belle trouvaille de
la condition humaine ! C’est d’une modernité absolue qui n’a pas pris une ride ». Ces propos
étonnants pour des oreilles modernes sont ceux du psychiatre et psychanalyste, Philippe van
Meerbeeck, lors d’une conférence récente tenue à l’Institut Lumen Vitae sur les adolescents5
5
Cf. Son ouvrage Ainsi soient-ils. A l’école de l’adolescence, De Boeck, Bruxelles, 2007.
d’aujourd’hui. Serions-nous donc assis sur un trésor oublié ? La foi trinitaire recèlerait-elle
des richesses de significations insoupçonnées, des qualités éducatives, des vertus salutaires
voire thérapeutiques que nous n’imaginions pas et que nous aurions encore à découvrir ?
L’originalité de la foi chrétienne, en effet, c’est que Dieu s’y révèle comme une unité
aimante de communication. Dieu en lui-même est mouvement de donner/recevoir/rendre. Le
Père est celui qui donne. Le Fils est celui qui reçoit et rend. Quant à l’Esprit Saint, il est,
pourrait-on dire, le lien entre l’un et l’autre, le lien de leur amour (vinculum caritatis).
Comme le dit, Jean Daniélou, « Le fond du réel est l’amour au sens de la communauté des
personnes (…) Que ce qui est absolument premier ce soient des personnes et la réciproque
adhésion et communication entre ces personnes, que cette communion des personnes soit le
fond même, l’archétype de toute réalité, ce à quoi par conséquent tout doit se configurer, est
fond même de la révélation chrétienne »6. Pour parler de Dieu comme unité de
communication interpersonnelle, le langage de la tradition recourt à un ensemble riche et
varié de termes relationnels : le don, l’engendrement, la paternité, la filiation, l’amitié, le
colloque, la circumincession, la spiration, la conjugalité. En Dieu, dit Augustin, dans un
langage empreint de tendresse amoureuse, « il y a l’aimé, l’amant et l’amour ». Ainsi, à
travers des expressions différentes, le langage de la tradition chrétienne, parle d’un Dieu qui
est mouvement de « donner/recevoir/rendre » en quoi consiste l’amour. Et ce mouvement
unifie, engendre, différencie, personnalise, tout en conférant aux personnes une égale dignité.
6
Jean Daniélou, La trinité et le mystère de l’existence, Desclée de Brouwer, Paris, 1968, p.53.
7
L’inspiration trinitaire concerne notre vie non seulement interpersonnelle mais aussi sociale. A cet égard, on
peut dire que les principes fondamentaux de la doctrine sociale chrétienne s’inspirent aussi du modèle de la
communication trinitaire. Dans la doctrine sociale de l’Eglise, il y a, d’une part, le principe de solidarité qui,
contre tout individualisme égoïste, souligne les requêtes de la justice et du bien commun. Mais ce bien commun
ne serait pas possible sans la position d’un autre principe : le principe de subsidiarité qui, contre tout
collectivisme autoritaire, souligne la nécessaire autonomie, initiative et liberté des personnes comme des groupes
intermédiaires. Ainsi retrouve-t-on, sur le plan social, conformément au modèle trinitaire, un appel à l’unité,
mais dans la promotion des personnes singulières, sous le signe d’une commune et égale dignité.
Dieu existe, est-ce que je puis être libre ? Ne suis-je pas nécessairement soumis et réduit à
l’obéissance ? En réponse à cette question très vive chez nos contemporains, le modèle
trinitaire se présente comme personnalisant ; il n’a rien de fusionnel ni de dévorant. Au
contraire, dans le modèle de communication trinitaire, plus je m’approche de Dieu, plus il me
rend à moi-même et plus je deviens moi-même. Ainsi s’accomplit l’œuvre créatrice de Dieu.
Le Credo nous plonge, en effet, dans une histoire qui est racontée ; une histoire qui
trouve son origine dans l’éternité de Dieu avant tous les siècles, une histoire qui se déploie
dans le temps, qui englobe l’univers visible et invisible, une histoire qui prend corps dans
l’aventure humaine, une histoire toujours en cours qui tend vers son achèvement dans
l’espérance de la résurrection et du monde à venir. Et au centre de cette histoire évoquée à très
grands traits, se dresse la figure de Jésus avec des noms propres (celui de Jésus lui-même, de
Marie, de Pilate) et des événements précis : « crucifié », « mis au tombeau », « ressuscité
troisième jour ». Ainsi, entre le début et la fin de l’histoire, entre la première alliance et la
nouvelle alliance, se détache, au centre, le mystère pascal, clef de lecture de l’ensemble de
l’aventure humaine considéré comme histoire de salut.
3.2. Un récit simple et difficile, qui donne du sens immédiat mais toujours à interpréter
L’histoire du salut racontée dans le Credo offre l’occasion, bien entendu, d’une
catéchèse systématique et organique de la foi chrétienne. Une catéchèse autour du Credo peut
aider à entrer dans l’intelligence du déploiement de l’histoire du salut : la création, la première
alliance, l’incarnation du Fils, la rédemption, la résurrection, le Royaume à venir.
A un certain niveau, le récit de l’histoire du salut dans le Credo est clair : il évoque
toute l’histoire humaine qui, par la grâce du Christ, est surplombée par le promesse d’une fin
positive au-delà de la mort. En en ce sens, un enfant, dès qu’il a le sens du récit, peut acquérir
le sentiment d’être dans une histoire qui peut être vécue avec confiance au nom de Jésus-
Christ. Pourtant, si le Credo est clair à un certain niveau, il demeure toujours aussi un texte
difficile, un texte qui résiste à notre compréhension.. Il est anachronique par son langage, par
son vocabulaire. Il est bourré de débats historiques complexes; il en porte la trace, mais de
manière très elliptique, sans fournir d’explication. En ce sens, la compréhension du Credo, de
l’histoire du salut qu’il raconte, des expressions qu’il utilise sont remplies de pièges et
d’embûches. Ce qu’il énonce suscite éventuellement plus de questions que de réponses. Le
Credo, en quelque sorte, est un texte troué qui rend le lecteur perplexe et appelle
nécessairement son interprétation. La catéchèse à partir du Credo, de ce point de vue, se
présentera toujours comme une lecture interprétative impliquant une mise en travail des
représentations.
Le Credo et le récit qu’il raconte se prêtent à des projections inconscientes qui peuvent
être préjudiciables à une maturation de la foi et à une juste réciprocité de Dieu et de l’homme.
Dans un article récent dans un numéro de la revue Lumen Vitae consacré au Credo en
catéchèse, le frère Emmanuel de Taizé écrit : « Bien des peurs, des désirs et des transferts
inconscients risquent en effet d’identifier le Dieu « tout-puissant » à un Dieu qui déciderait de
tout ici-bas et contrôlerait notamment les événements, bons ou mauvais, de la vie de chacun ;
le Dieu « créateur du ciel et de la terre » à un Dieu qu pourrait d’un coup de baguette magique
réaliser instantanément ses projets et régler tous les problèmes ; le Dieu « Père » à un Dieu
qui adopterait un comportement exclusivement paternel ou masculin : le Dieu qui vient
« juger les vivants et les morts » à un Dieu qui punirait ou rejetterait l’un ou l’autre »8.
Mais, parce que le Credo comporte bien des pièges en suscitant des représentations
spontanées de Dieu, il peut être, précisément, l’occasion d’une prise de distance critique par
rapport à ces représentations et d’une avancée dans la maturation de la foi. Le principe de ce
travail critique est de chercher à exprimer la foi d’une manière qui, à la fois, honore Dieu et
l’homme. Un dieu idole – un faux dieu – est un dieu qui fausse l’homme. Au contraire, on
marche dans la vérité dès lors que l’on cherche un Dieu plus grand pour une humanité plus
libre. L’authenticité des représentations de Dieu se vérifie dans leurs effets humanisants ;
l’excellence de l’humain est la trace du divin. Ainsi donc, le travail catéchétique autour du
Credo est-il appelé à s’inscrire pleinement dans la fidélité au dépôt de la foi, mais d’une
manière créative, d’une manière qui cherche à exprimer et à éprouver la foi chrétienne comme
humanisante, intellectuellement plausible, psychologiquement saine et existentiellement
salutaire pour l’homme.
* On pourra faire remarquer tout d’abord que le Credo n’aborde pas la création dans une
perspective paléontologique ou archéologique. En ce sens, Le Credo n’entre nullement en
concurrence avec les théories de l’évolution. Mais ce qui est affirmé, c’est que la vie et toutes
choses trouvent leur origine dans le don de Dieu
* La création, selon le Credo, englobe l’histoire de l’univers tout entier. Elle s’étend dans le
temps Elle continue aujourd’hui dans l’attente de son aboutissement dans un monde à venir.
En ce sens, la création s’identifie à l’histoire du salut. Autrement dit, l’histoire du salut est la
création continuée. La puissance créatrice et recréatrice de Dieu accompagne l’histoire. Et
nous ne sommes pas au bout du don de Dieu. Celui-ci peut nous réserver encore des surprises.
8
Frère Emmanuel, « Le Credo, au-delà des représentations spontanées de Dieu », in Lumen Vitae, mars 2009,
pp.65-66.
Cette création dans laquelle nous sommes se reprend toujours à nouveau. Elle s’excède.
Autrement dit, la création est ordonnée à la recréation. C’est pourquoi ce qui vient et que l’on
espère est sans commune mesure par rapport à ce qui a été. La résurrection, de ce point de
vue, est la manifestation de la puissance recréatrice de Dieu, capable de nous re-susciter de la
même manière qu’il nous a suscités une première fois à l’existence. Et cette création nouvelle
a la même gratuité que notre première création. Aussi, dans la foi, pouvons-nous dire que
nous ne sommes pas des êtres vivants dont l’horizon est la mort, mais des êtres mortels dont
l’horizon est la vie.
* Comme le souligne le Credo, la création est l’œuvre de la Trinité. Le langage pour
l’exprimer est divers. Le Père est dit créateur. Quand au Fils, il est dit que « par Lui tout été
fait ». Quand à l’Esprit, il est dit qu’il « donne la vie ». La création est l’œuvre de Dieu Trinité
qui met sa vie en partage. La création trinitaire n’est pas pensée en termes de causalité, mais
de don, de communication de la vie, d’engendrement.
* La création est de l’ordre de l’engendrement, de la donation de la vie. Mais ici, le Credo
invite à distinguer l’engendrement en Dieu lui-même de toute éternité et l’engendrement par
création. L’essence même de la vie de Dieu consiste à engendrer ; il est ainsi en lui-même
puissance d’engendrement. C’est ainsi qu’il est dit que le Fils est engendré, non pas créé.
Mais il y a aussi un engendrement par création. Dieu Trinité communique la vie à d’autres
que lui-même. Il est présent à cette création, tout en restant autre, sans se fondre en elle.
* Le Credo dit encore que « Dieu créateur de l’univers visible et invisible. » On ne s’arrête
pas souvent à cette expression en catéchèse. Or n’avons-nous pas aujourd’hui encore à en
chercher l’aspect salutaire ? L’expression « Dieu créateur de l’univers visible et invisible »
signifie, par l’opposition des contraires, la totalité. Mais l’expression est libératrice pour
l’homme car elle bat en brèches les représentations d’un monde invisible qui domine l’homme
et peut se montrer maléfique à son égard. Le monde invisible, en effet, dans les diverses
cultures humaines, a été et reste encore souvent perçu comme le monde des esprits, le monde
des morts ou bien aussi le monde des dieux. Ces représentations du « monde invisible »
maintiennent l’humanité dans la peur et la dépendance; d’où, les multiples rites sacrificiels de
séduction ou de protection à l’égard des puissances maléfiques ou bénéfiques invisibles. Le
Credo chrétien nous libère de ces représentations. Il pose, au contraire, que la totalité du
monde, visible et invisible, est soumis à la puissance créatrice d’un Dieu de bonté qui donne
vie à toute chose. Le monde visible et invisible, dans sa totalité trouve son origine en Dieu qui
rend toutes choses bonnes. Aussi, le message chrétien nous fait-il sortir de la peur du monde
invisible et nous instaure dans la radicale confiance en la bonté de Dieu. « Car, comme le dit
Saint Paul, j'ai l'assurance que ni la mort ni la vie, ni les anges ni les dominations, ni les
choses présentes ni les choses à venir, ni les puissances, ni la hauteur, ni la profondeur, ni
aucune autre créature ne pourra nous séparer de l'amour de Dieu manifesté en Jésus Christ
notre Seigneur » (Rm 8,38-39). Certes, le mal peut exister, mais il n’y a pas de Dieu du mal. Il
n’y a pas de puissance maléfique capable par elle-même de nous couper de la bonté de Dieu et
de l’espérance qu’il nous ouvre.
Ceci n’était qu’un exemple de travail des représentations sur le thème de la création.
Mais bien d’autres thèmes essentiels pourraient être mis en travail : la révélation,
l’incarnation, la rédemption, la résurrection, le jugement dernier, le Royaume à venir.
.
IV. LA VIE HUMAINE DANS LA FOI : LA COMMUNICATION SELON
DIEU
Le Credo raconte l’histoire du salut ; on vient de le voir. Mais le Credo ne fait pas que
raconter cette histoire, il manifeste aussi, dans son énonciation, l’émergence de sujets croyants
qui s’approprient cette histoire du salut, la font leur et en témoignent à la face du monde.
Ainsi peut-on distinguer trois protagonistes dans le Credo
- Il y a tout d’abord le « je » croyant qui parle à la première personne
- Il y a ensuite l’Eglise, en qui et grâce à qui la foi de chacun est rendue possible « Je
crois en l’Eglise »
- Il y a enfin le «nous » de l’humanité toute entière à qui est destiné le salut « Pour nous
les hommes et pour notre salut »
« Je crois »
Premièrement, elle fait apparaître l’accès à la foi comme un mouvement
d’appropriation personnelle où un « je » s’affirme et déclare ses convictions à la première
personne Ce sont des « je » qui émergent dans toute la puissance de leur liberté et de leur
intelligence. Le Credo, à cet égard, témoigne d’un processus d’engendrement de sujets
croyants à la première personne : « je crois ».
Le « je crois » exprime une « croyance » mais une croyance inséparable d’une
« confiance ». Certes, le Credo exprime un contenu défini auquel on croit : « Je crois que
Dieu existe, qu’il est Père, Fils et Esprit, qu’il est créateur, sauveur, etc ». Mais cette
croyance en Dieu n’est ni possession, ni maîtrise de son mystère ; elle implique un acte de
confiance, qui n’est pas déraisonnable mais qui, néanmoins, entraîne au-delà de toute prise.
« Je crois », en ce sens, signifie « je fais crédit » ; ce qui implique une déprise, un saut, un
mouvement vers un autre auquel je consens à donner ma foi. N’est-ce pas d’ailleurs ce
mouvement de confiance qu’exprime, dans le Credo, la particule in, suivie de l’accusatif
« Credo in unum Deum » ?
« En Eglise »
Ce « je » croyant et confiant n’est pas seul. Sa confession de foi personnelle marque
une appartenance à une communauté particulière sans laquelle cette confession ne serait pas
possible. Autrement dit, le « je crois » s’appuie sur un « nous croyons ». Dans la liturgie
baptismale, c’est d’ailleurs la communauté qui confesse la foi en réponse à la question posée
«Croyez-vous / Nous croyons ». « La foi vient de ce que l’on entend » (Rm 10,17). Elle est
toujours un témoignage rendu à un témoignage donné. Ainsi, la confession de foi atteste-t-elle
l’appartenance à la communauté des croyants, l’Eglise. Cette foi en Eglise peut être entendue
de deux façons : « je crois en communion avec l’Eglise et je crois ce que l’Eglise croit ».
C’est en ce sens d’ailleurs que le Credo est nommé « symbole » au sens étymologique du
terme : le verbe grec symbalein signifie « réunir », « rassembler », « mettre ensemble ». Le
Credo est symbolique dans un double sens. D’abord, il rassemble en un texte les affirmations
9
Je parlerai ici de la communication que l’on peut vivre dans la foi chrétienne. Il reste bien entendu que la
communication dans l’Esprit de Dieu n’est pas réservée aux chrétiens. Tout être humain – chrétien ou non - qui
vit selon les béatitudes évangéliques vit de l’Esprit de Dieu et appartient à son Royaume.
essentielles de la foi. Ensuite, il rassemble les croyants ; avec le signe de la croix, le partage
eucharistique et la lecture des Ecritures, la proclamation du Credo est signe de l’appartenance
à la communauté des chrétiens. Le Credo est symbolique dans l’espace et dans le temps : il est
signe de communion des chrétiens d’hier et d’aujourd’hui., d’ici et de là-bas.
Le Credo se proclame en Eglise. Il fait partie de l’action liturgique. On ne peut, dès
lors, l’isoler de l’espace communautaire de sa proclamation. En conséquence, chercher à
entrer dans le sens du Credo, c’est identiquement s’initier à la vie de la communauté
chrétienne en ses divers aspects. Et réciproquement, s’initier à la vie de la communauté
chrétienne, c’est être se voir conduit à proclamer avec elle le Credo.
Ainsi donc, la confession de foi dans le Credo fait-elle advenir des sujets dans la force
de leur identité, de leur liberté et de leur convictions personnelles, au sein d’une communauté
particulière qui est l’Eglise et, cela, en solidarité avec l’humanité toute entière qui est sur le
chemin d’une reconnaissance finale du salut de Dieu en Jésus-Christ. Soulignons encore, pour
achever ce point, que le Credo, puisqu’il est une parole vive prononcée au présent, en Eglise
en communion avec l’humanité, est tout naturellement destiné à être prononcé oralement et en
public. Comme le dit Marguerite Léna : « Ces textes (du Credo) sont faits pour être confiés à
la mémoire plutôt qu’à l’écriture, et pour être prononcés en public. Ils associent ainsi la
dimension la plus intérieure et singulière de l’adhésion de foi avec sa dimension publique,
ecclésiale et collective »10.
Soulignons tout d’abord que la confession s’inscrit toujours dans un dialogue ; elle
advient comme une réponse à un appel. La confession de foi, en effet, est toujours précédée
par le témoignage d’autres croyants. Elle est une réaction à une proposition et une réponse à
10
Marguerite LENA, « Aux sources de notre identité de croyants : le Credo », in Vers de nouveaux visages
d’Eglise. Quarante ans près le concile Vatican II : la mission du catéchuménat. Université d’été 2005, Service
National du Catéchuménat, Paris, 2005, p.103.
une question : « Crois-tu, toi aussi ? » Comme cela a déjà été souligné plus faut, la liturgie
baptismale garde cette forme dialoguée : « Croyez-vous ? » - « Nous croyons ». Cette forme
dialoguée est d’ailleurs celle que l’on trouve dans l’Evangile lui-même lorsque Jésus
interpelle ses disciples et suscite la confession de foi de Pierre: « Et vous, que dites-vous ?
Pour vous, qui suis-je ? ». Réponse : « Tu es le Christ de Dieu » (Lc 9,20). La confession de
foi est donc toujours une réponse à une question devant quelqu’un qui la pose.
Mais cette confession de foi, bien entendu, ne se fait pas de manière immédiate. Elle
passe, au préalable, par une conversation avec d’autres et par un apprentissage des mots pour
dire la foi. Pour accéder à la confession de foi, en effet, il faut nécessairement que d’autres
nous en parlent, nous initient au langage de la foi et nous prêtent les mots pour la dire. A cet
égard, on peut considérer la catéchèse, comme l’apprentissage du langage qui permet de
nommer les choses de la foi, de les distinguer, de les repérer, de les comprendre, de les
articuler, de les vivre et de les redire aussi de manière personnelle. Songeons au catéchuménat
des adultes : la foi que les nouveaux baptisés proclameront solennellement le jour de leur
baptême aura été précédée par le rite de la « traditio symboli » et par une catéchèse autour du
Credo. Cette catéchèse déploie devant le catéchumène les mots de la foi afin qu’il puisse la
comprendre, se l’approprier et la confesser à la première personne en Eglise « Les mots du
Credo, reçus d’autres, font passer la conscience du catéchumène d’une attente obscure de
Dieu, incapable de se formuler elle-même par elle-même, à un acte explicite de nomination,
ou encore de l’appréhension confuse du mystère chrétien à sa formulation précise, selon une
configuration de sens dont l’Eglise est la gardienne 11». Le rite de la Traditio Symboli est
expressif, précisément, de l’apprentissage du langage de la foi qu’on reçoit toujours des
autres et que l’on reprend à son compte, d’abord par imitation, mais ensuite de manière
personnelle et créative. Comme dans tout apprentissage, en effet, il y a nécessairement,
s’agissant de la foi, un aspect de répétition. Répéter le Credo de l’Eglise, c’est d’une part,
reconnaître que la foi nous précède et qu’on la reçoit de l’Eglise avec les mots pour la dire.
C’est aussi un acte symbolique de communion dans une même foi. C’est pourquoi le Credo se
répète dans la liturgie de manière inchangée. Le croyant, cependant, n’est pas contraint à la
répétition ; il est aussi appelé à s’approprier les mots et les expressions de la foi d’une manière
personnelle et inventive mais d’une manière qui reste « réglée » par la foi commune. Le
Credo est plus qu’un simple résumé que l’on répète de la foi de l’Eglise, il est aussi une
« norme » pour parler, une « règle » (regula fidei) pour penser la foi, pour l’approfondir, pour
la confesser de manière personnelle et inventive. En ce sens, le Credo que l’on répète dans la
liturgie, en tant que « règle de la foi », ouvre le jeu du discours inventif des croyants dans les
différentes cultures et circonstances de la vie. Les règles d’un jeu permettent des parties de jeu
toutes différentes. Les règles de grammaire d’une langue ouvrent le champ de la créativité
verbale. Ainsi, analogiquement, en va-t-il du Credo au sein de l’Eglise. Il définit ce que l’on
est appelé à penser et à déployer de manière inventive. Il est, en ce sens, comme une
grammaire, une syntaxe, qui ouvre le jeu de la parole, ou encore comme une matrice d’où
peuvent naître des expressions personnelles de foi, à l’intérieur cependant d’une foi
commune.
11
Marguerite LENA,op.cit.,p.102.
faut pouvoir en « rendre raison ». «Soyez toujours prêts à rendre raison de l’espérance qui est
en vous », dit Pierre (1Pi 3,15). Une catéchèse à partir du Credo, comme dans la phase du
catéchuménat préparatoire au baptême, a précisément pour but de « rendre raison de la foi »
ou, en d’autres termes, de la faire entrer dans le champ du raisonnable. Mais le raisonnable
désigne ici non pas ce qui s’impose à la raison de manière contraignante, mais ce qui se donne
à penser comme plausible, comme crédible. La démarche de foi, en effet, ne sera jamais au
bout d’un raisonnement contraignant. Elle ne se présente pas non plus comme une gnose,
comme un savoir totalisant qui dissiperait le mystère de Dieu et de toutes choses. La foi,
certes, se propose dans le champ du raisonnable ; elle rencontre l’intelligence, donne à penser,
à espérer et à désirer mais toujours sur un fond de déprise, de non-savoir ou de démaîtrise par
rapport au réel. En ce sens, comme le mot lui-même l’indique, la foi est un acte de confiance à
travers de multiples questions : « Est-ce que le discours de la foi est intellectuellement
raisonnable ? Est-ce qu’il permet de vivre une vie épanouie ? Est-ce que la communauté qui le
porte est-elle digne de confiance ? Püis-je lui faire crédit ? ». La réponse à ces questions, tout
en sollicitant la raison, ne peut être que libre. C’est librement et avec toute sa raison que le
croyant fait foi au témoignage de l’Eglise. Ainsi, l’émergence de la foi se situe-t-elle dans
une alliance subtile de l’intelligence, de la confiance et de la liberté. L’acte catéchétique
consiste à rendre possible cette émergence.
5.1. Une catéchèse des communautés orientée vers la proclamation solennelle du Credo à
Pâques.
Une des exigences du moment présent est de promouvoir des formes de catéchèse qui
s’adressent à toute la communauté. Le Directoire Général de la catéchèse le souligne
« L’attention portée à l’individu ne doit pas faire oublier que la catéchèse est destinée à toute
la communauté chrétienne comme telle et, en elle, à chaque personne » (§168). Ne pourrait-
on, à cet égard, organiser, selon des modalités diverses, une catéchèse de toute la communauté
qui s’appuie sur le cycle liturgique annuel et sur le Credo de chaque assemblée dominicale
pour faire progresser l’ensemble de la communauté dans l’approfondissement de sa foi et la
préparer ainsi à la proclamation solennelle du Credo à Pâques. Il s’agirait, en d’autres termes,
de s’appuyer sur toutes les virtualités catéchétiques de la liturgie, en particulier du Credo,
pour conduire les communautés à la maturité de la foi et à la proclamation solennelle de celle-
ci à Pâques.
5.3. Le Credo comme porte d’entrée pour comprendre le mystère chrétien en tant que
mystère de la communication en Dieu, de Dieu, selon Dieu.
Redonner une place centrale au Credo dans la catéchèse serait l’occasion, dans une
optique d’inculturation, de présenter, conformément à la triple structuration du Credo, la foi
chrétienne comme la révélation du mystère de la communication en Dieu (la Trinité), de Dieu
(l’histoire du salut) et selon Dieu (la vie humaine et chrétienne dans l’Esprit de Dieu). Dans
une culture anti-dogmatique de la communication comme le nôtre, il paraît décisif, en effet,
de faire découvrir que les affirmations fondamentales de la foi (les dogmes), loin de fermer la
communication, parlent de la communication et lui ouvrent des perspectives insoupçonnées.
Dieu qui est communication en lui-même, se communique et nous donne de vivre en
communication.
.
5.4. Le Credo comme occasion d’une catéchèse systématique et organique pour être apte
à « rendre raison » de la foi.
5.5. Multiplier les professions de foi solennisées selon les âges et les circonstances
Ces six points ne sont pas séparables. Ils forment système entre eux et peuvent
contribuer ensemble à la reconfiguration du visage de la catéchèse aujourd’hui. .