45-Article Text-17-1-10-20190907
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Makandal : personnage
historique haïtien, entre
mythe et histoire
Dépasser le Marronnage
En tant que figure historique, Makandal incarne un leader rebelle engagé
dans la destruction du système esclavagiste de Saint-Domingue/Haïti.
Il est aussi un précurseur du dépassement des marronnages localisés1.
Pour des raisons de défense et de survie, les esclaves fugitifs ou marrons
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Makandal : personnage historique haïtien, entre mythe et histoire
2 Edner Brutus, Révolution dans Saint- Domingue, 2t., Paris, Éditions du Panthéon,
1970, t. 1, p. 144.
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Le réel merveilleux se présente à chaque pas dans l’existence
d’hommes qui firent date dans l’histoire du continent. […] Cela
devint pour moi d’une évidence aveuglante pendant mon séjour
en Haïti. […] Je foulais une terre où des milliers d’hommes avides
de liberté avaient cru au pouvoir de lycanthrope de Mackandal, au
point que cette foi collective produisit un miracle le jour de son
exécution3.
Le poète cubain Jesus Cos Causse (Balada de una tambor) décrit
aussi, sur le mode de l’émerveillement, les transformations de Makandal,
en foudre, en serpent, en tambour :
3 Alejo Carpentier, Dos Novelas : El Reino de este Mundo, El Acoso, La Habana, Ed.
Arte y Literatura, 1976, p. 8-9. Le passage est traduit par nous-mêmes.
4 Jesus Cos Causse, Balada de una tambor y otros poemas, La Habana, Ediciones
Union UNEAC, 1987, p. 26.
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Makandal : personnage historique haïtien, entre mythe et histoire
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Tú no eres negro ni eres blanco. Tu n’es pas noir et tu n’es pas blanc
De qué color serías De quelle couleur es-tu donc
Makandal de todos los colores. Makandal de toutes les couleurs
De qué color tú eres De quelle couleur es-tu
Colibrí Colibri
Arco iris. Arc-en-ciel7.
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Makandal : personnage historique haïtien, entre mythe et histoire
il accède à une visibilité plus durable dans le récit historique que fait
de son exécution l’historien colonial de renom, Médéric Louis Élie
Moreau de Saint-Méry, en 17979. Dans le récit de ce dernier, Makandal
après sa tentative de fuite dans la foule, est rattrapé, ramené au bûcher
et brûlé pour de bon, malgré la confusion qui régnait. Par contre, le
récit mythique, qui triomphera du récit historique dans les mémoires
collectives, raconte qu’il s’envola en se transformant en insecte, criant
« je reviendrai ».
Cette promesse de retour ajoute l’aspect messianique aux pouvoirs
magiques de Makandal, l’aspect messianique renforce la dimension my-
thique. Le choix du bûcher par les autorités coloniales visait à désin-
tégrer le héros populaire en le réduisant en cendres, après l’avoir fait
« rôtir comme un porc ». Comme un récit qui serait contraire à celui de
Jeanne d’Arc, Makandal échappe aux flammes, se transforme en insecte
et s’envole vers le mythe et la légende en un dernier marronnage, sur-
naturel cette fois. Sur le plan littéraire, plusieurs romanciers et poètes
latino-américains vont s’intéresser à ce personnage mythico-historique.
Le recours à l’image de Makandal par des romanciers, des poètes et
des universitaires (notamment des anthropologues du domaine afro-ca-
ribéen) s’explique en grande partie par la double dimension historique et
mythique du personnage. D’un point de vue historique, il fait partie des
grandes figures de héros libérateur et anti-esclavagiste des Caraïbes. Du
point de vue des figures mythiques, il concentre de nombreux éléments
(que nous verrons plus loin) qui fascineront des poètes et des romanciers
qui voient en lui une des incarnations de ce « réel merveilleux » (Alejo
Carpentier) ou du « réalisme merveilleux » (Jacques Stephen Alexis) qui
a durablement inspiré la littérature latino-américaine.
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Le héros littéraire
Parmi les écrivains latino-américains qui font de Makandal un person-
nage littéraire, citons : le romancier cubain Alejo Carpentier (El Reino
de este Mundo, Le Royaume de ce monde 1949), le poète cubain Jesus
Cos Causse (Balada de una tambor y otros poemas 1987), le poète
de la République Dominicaine Manuel Rueda (La Metamorfosis de
Makandal 1998), et la romancière chilienne Isabel Allende (La Isla
bajo el Mar, L’Île sous la mer 2009). Makandal suscite deux approches
contrastées dans le roman haïtien des années 2000-2020. L’Haïtienne
Évelyne Trouillot réduit sa dimension héroïque dans Rosalie L’Infâme
(2003)10, au profit des figures féminines combattives, tandis qu’un autre
auteur haïtien, Mikelson Toussaint-Fils, en fait la figure incarnée d’un
messianisme révolutionnaire dans Les Sentiers rouges : le Messie des îles
(2011)11.
Il intéresse aussi des anthropologues américains Mark Davis et Wyatt
Mac Gaffey. La renommée de Makandal s’est par ailleurs reflétée dans
la création audiovisuelle de masse, notamment dans la bande dessinée
américaine The Black Messiah (2015)12 de Frantz Derenoncourt Jr., et
dans le jeu video Assassins Creed Liberation HD, Épisode 4 : François
Mackandal13. Dans cet épisode Makandal est transporté dans les bayous
de Louisiane. Du roman et de la poésie à la bande dessinée et aux jeux
vidéos, en passant par la recherche universitaire, Makandal a connu un
étonnant parcours, plus de deux siècles après sa mort. Nous propose-
rons quelques éléments d’explication d’un tel intérêt.
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Makandal : personnage historique haïtien, entre mythe et histoire
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depuis le premiers tiers du dix-huitième siècle la crainte de l’empoison-
nement est devenue une véritable obsession dans les colonies françaises
des Antilles , en particulier en Martinique et à Saint-Domingue :
« Le poison, arme des Noirs fétichistes, qui apportent de Guinée,
non seulement des rites mystérieux, mais aussi des connais-
sances secrètes, devient l’obsession des Blancs, citadins ignorants
de la culture populaire de leur patrie, prêts à tout croire, à tout
craindre. »14
L’obsession se nourrit d’un soupçon permanent, frappant les esclaves
les plus proches des maîtres :
« L’ambiance dégagée par la peur ou la réalité des empoisonnements
irradie le corps social dans son ensemble. Personne n’est épargné.
Chacun se sent menacé d’être la victime – soit du poison, soit du
soupçon ou de l’accusation d’empoisonnement. Dans ce monde clos
en proie à des délires contradictoires, les notions de sécurité et de
justice perdent leur signification. Tandis que les uns dénoncent,
les autres brûlent. Peu importent le corps du délit et les preuves de
l’usage de toxiques. »15
Pierre Pluchon rappelle par ailleurs qu’on désignait sous le nom de
« macandals » tous les paquets suspects auxquels on attribuait un conte-
nu empoisonné. Il intitule même le huitième chapitre de son étude « les
séquelles du macandalisme ». Isabel Allende mais aussi Alejo Carpentier
et la romancière haïtienne Évelyne Trouillot décrivent le climat d’an-
goisse rampante, dû à l’imprévisibilité de la mort qui prend les propor-
tions d’un fléau calamiteux. Cependant Évelyne Trouillot, tout en recon-
naissant le courage et l’héroïsme de Makandal, déconstruit la dimension
mythique du personnage, en montrant qu’il a été piégé par les colons
qui l’ont attiré dans une fête pour esclaves (une calenda), en distribuant
à volonté un alcool de canne sommaire, le tafia :
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Makandal : personnage historique haïtien, entre mythe et histoire
« Sachant que Makandal était présent, les Blancs ont fait couler le
tafia. Les nègres étaient tous ivres, Makandal n’avait plus tous ses
moyens. »16
Un des aspects importants du mythe est la mort glorieuse ou héroïque.
Le récit mythifié de la mort de Makandal repose sur l’hypothèse qu’il
aurait échappé à la mort en se transformant en insecte volant. Évelyne
Trouillot fait relater l’exécution de Makandal par l’esclave Zamor doté
d’un franc parler quasiment naturaliste :
« Comme toi, les nègres et négresses présents ont cru que Makandal
allait se sauver, qu’il était plus fort. […] Cette fois-ci Makandal n’est
pas sorti du feu. Je l’ai vu brûler. Le Blanc du tribunal s’est tourné
vers la foule et il a dit à haute voix : ‘‘Vous voyez, Makandal est mort.
On l’a brûlé et il ne s’est pas changé en maringouin. Il est mort.
Makandal est mort’’. »17
Isabel Allende opte pour une vision différenciée de la fin de Makandal,
selon qu’il s’agisse des Noirs ou des Blancs de la colonie présents sur le
lieu de l’exécution mais elle choisit la version mythique :
« Les Noirs virent Makandal se libérer de ses chaînes, sauter par-des-
sus les troncs ardents et, quand les soldats lui tombèrent dessus, se
changer en moustique et s’envoler à travers le nuage de fumée, faire
un tour complet de la place, afin que tous puissent lui dire adieu,
puis se perdre dans le ciel, juste avant l’averse qui arrosa le bûcher et
éteignit le feu. Les Blancs et les affranchis virent le corps calciné de
Makandal. »18
Pour Jesus Cos Causse, comme pour les autres auteurs latino-amé-
ricains, Alejo Carpentier, Isabel Allende et Manuel Rueda, Makandal a
vaincu la mort, le récit poétique s’est substitué au compte rendu histo-
rique. Vaincre la mort, c’est aller vers la résurrection, la transfiguration.
C’est pour cela que le Dominicain, Manuel Rueda, compare Makandal
au Christ.
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La dimension historique
Pour ce qui est de la dimension historique, Makandal reste dans la mé-
moire collective pour plusieurs raisons. Il comprend qu’il faut dépasser
les révoltes localisées ou sporadiques avec lesquelles le système colonial
a appris à cohabiter. Le mouvement dirigé par Makandal s’en prend à
trois points névralgiques du monde colonial : le bétail, les champs de
canne à sucre et la personne des colons. Le bétail était précieux pour
la colonie dans plusieurs domaines : il était nécessaire pour le transport
des hommes et des marchandises, il faisait tourner les moulins sucriers
à traction animale, il fournissait de la viande et du lait pour l’alimenta-
tion, pour le commerce alimentaire et pour conserver ou augmenter le
cheptel. L’économie du système esclavagiste repose essentiellement sur
l’exploitation de certaines denrées agricoles comme le sucre, le tabac,
le coton et le café. Le sucre étant la denrée la plus précieuse, l’incendie
des champs de canne à sucre menaçait le fondement même de l’écono-
mie de Saint-Domingue. Quant au projet d’empoisonnement généralisé
des colons, il permettait de causer des pertes substantielles en vie hu-
maine chez les bénéficiaires du système, sans recourir au financement
onéreux d’une armée et à tout l’aspect logistique que cela suppose. Le
statut double de leader de révoltes et de personnage doté de pouvoirs
surnaturels de Makandal préfigure en outre une première génération
de dirigeants de révolte populaire à caractère socio-mystique en Haïti,
tels qu’on le verra lors de l’insurrection d’août 1791, en la personne de
dirigeants tels que Boukman et Romaine la Prophétesse.
Conclusion
La proximité du mythe avec la sacralisation et avec les structures de l’in-
conscient, son adaptabilité, son inscription dans la mémoire collective
et sa capacité à produire de l’investissement émotionnel, en font tout
naturellement un champ d’inspiration pour la littérature. Les person-
nages historiques dont on retient plus facilement les noms sont ceux
dont l’existence inspire des récits mythiques ou légendaires : Soundiata
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comme nous le voyons dans le cas de Makandal que l’on retrouve jusque
dans la bande dessinée et le jeu video.